PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

   publié le 2 juin 2023

À Montluçon, la CGT dénonce « l’acharnement judiciaire »
contre ses militants

Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr

Au côté d’un secrétaire départemental de l’Allier détenant haut la main le record syndical de convocations au commissariat ou au tribunal, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, a interpellé le gouvernement sur les libertés syndicales depuis le mouvement contre la réforme des retraites. 

Montluçon (Allier).– L’individu ne paie pas de mine. Avec sa petite taille, sa casquette, ses lunettes et sa barbiche, on l’imagine plus dans le rôle de Léon Trotski que dans celui de Spartacus, derrière une machine à écrire plutôt que sur une barricade. Secrétaire départemental CGT de l’Allier, Laurent Indrusiak, serait pourtant, à l’aune de ses démêlés judiciaires, le syndicaliste le plus dangereux de France, avec pas moins de vingt-huit convocations au commissariat ou au tribunal à son actif.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ne s’y est pas trompée. Jeudi devant le palais de justice de Montluçon, elle a choisi de se tenir au côté du « dangereux récidiviste », selon ses termes, pour interpeller le gouvernement dans le cadre d’une journée nationale d’action contre la répression judiciaire qui s’abattrait actuellement sur les militants syndicaux.

Devant deux cents militant·es tout en chasubles et drapeaux, comme elle l’avait fait devant les caméras de Mediapart, la nouvelle patronne de la confédération a d’abord évoqué une situation inquiétante à l’échelle nationale : celle « des centaines de militants syndicaux poursuivis » par la justice depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, sous l’impulsion d’un pouvoir dont l’agressivité croissante compense le fait qu’il « n’a jamais été aussi minoritaire ». « Le problème, c’est que cet autoritarisme gouvernemental ruisselle sur les patrons. Il a pour corollaire une augmentation de la répression patronale, avec des centaines de convocations de militants syndicaux pour licenciement, en dépit du droit », a-t-elle souligné.

La dirigeante s’est ensuite penchée sur « le microclimat très particulier » de Montluçon et de ses alentours, soupesant les hypothèses : « Il y a deux possibilités. Soit on a une union départementale dirigée par des voyous et des délinquants, et dans ce cas il faut me donner tous les éléments pour me permettre d’agir, soit il y a un problème d’acharnement judiciaire. » Un rapide examen des faits reprochés à Indrusiak et ses comparses lui a permis d’atteindre la conclusion suivante : « Ces poursuites visent à déstabiliser la CGT parce que la CGT dérange le pouvoir, elle dérange le capital. » 

Laurent Indrusiak a été condamné à six reprises. À chaque fois, on lui a reproché l’organisation de manifestations non autorisées, assorties parfois de dégradations de mobilier urbain – des palettes brûlées par les manifestant·es  – et, dans un cas, une entrave à la circulation à l’occasion d’une opération escargot. « Jusque-là, que je sache, même si [Gérald] Darmanin a tendance à l’oublier, une manif non déclarée n’est pas une manifestation interdite », a commenté Sophie Binet.

Le dirigeant syndical a été jugé et relaxé à deux reprises pour des accusations de diffamation. La première fois, en 2018, il lui était reproché d’avoir dénoncé dans des tracts les conditions de travail délétères des salariés d’une entreprise locale de traitement de déchets électroménagers, Environment Recycling. « C’est grave, parce que la méthode est de plus en plus utilisée par le patronat. Si les pouvoirs publics donnent suite, c’est très grave car dénoncer les conditions de travail est au cœur des libertés syndicales », a souligné la secrétaire générale. La deuxième fois, on lui reprochait d’avoir qualifié les dirigeants de La Poste de « voyous » dans un contexte de conflit social grave entre ces derniers et leurs salarié·es.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal.

Le trublion de l’Allier a également été convoqué au commissariat pour avoir, en vrac, collé des affiches sur la permanence du Medef, coupé le courant du même Medef ou encore collé des autocollants sur des horodateurs. Il a bénéficié à chaque fois d’un classement sans suite.

Six dossiers sont encore en cours d’instruction, dont une « agression sonore » avec usage de mégaphone pendant un conseil municipal, le 8 février dernier, pour dénoncer la fermeture de deux écoles à Montluçon. Ce soir-là, les policiers appelés par le maire Frédéric Laporte (Les Républicains) pour chasser les manifestant·es « l’ont « collé contre le mur et [lui ont] fait des clés de bras pour [l]e menotter », indique l’intéressé. « J’ai pris des coups, mais c’est moi qu’on a convoqué. »

Interrogé par Mediapart sur les raisons de cette sollicitude judiciaire toute particulière, Laurent Indrusiak donne son sentiment : « D’abord, il y a le fait que je ne donne jamais d’informations aux renseignements territoriaux. Ensuite, neuf affaires sur dix émanent de constatations de la police. Il y a un problème avec la police à Montluçon. Au point que j’ai parfois le sentiment de ne pas être en sécurité dans les rues de la ville. »

Sur le secteur de Montluçon, trois autres militants CGT totalisent onze convocations au commissariat pour des faits similaires. À Vichy, Antoine Jubin, membre de la direction locale du syndicat, a passé 48 heures en garde à vue début avril à la suite d’un incident sur un rond-point. Il a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de manifester jusqu’à son audience, le 3 octobre prochain.

Libertés syndicales

Sophie Binet a enjoint au premier ministre de faire respecter les libertés syndicales à Montluçon. « Je demande à Élisabeth Borne d’intervenir immédiatement pour mettre fin à cette situation locale et donner des consignes très claires à la nouvelle préfète et aux forces de police », a-t-elle déclaré. Elle en a profité pour réclamer une amnistie pour les militant·es poursuivi·es dans le cadre de leurs actions syndicales et des mesures pour la réintégration de celles et ceux qui ont été indûment licenciés par leur entreprise.

La secrétaire générale a également appelé le maire de la ville à renoncer à son projet d’expulsion, au 1er juillet, de l’union locale CGT de la Maison communale, un lieu de mémoire des luttes ouvrières inauguré en 1899 par Jules Guesde, une des figures du socialisme français, et occupé depuis 1904 par le syndicat. « Le maire veut expulser la CGT d’un bâtiment construit par nous et pour nous, dans le cadre d’un projet idéologique visant à y installer un incubateur d’entreprises et un lieu de mémoire patronale, a martelé Sophie Binet. Nous ne le laisserons pas faire. »

Ville industrielle depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, Montluçon, 34 000 habitant·es aujourd’hui, a notamment été le point de départ de la grève générale de 1936. La dirigeante syndicale a par ailleurs souligné que des procédures similaires étaient en cours dans plusieurs villes de France, de Châteauroux à Montauban, en passant par Saint-Pourçain (Allier). « Demain, je vais adresser un courrier à la première ministre. Il faut aussi prendre des mesures législatives pour protéger les bourses du travail menacées, notamment dans les villes tenues par le Rassemblement national, mais pas seulement », a-t-elle indiqué à Mediapart.

Signalant que la préfète de l’Allier allait la recevoir en fin de journée pour évoquer toutes ces questions, Sophie Binet a conclu sous les vivats son intervention par un avertissement : « Je viendrai ici autant de fois qu’il le faudra. »


 

   publié le 1° juin 2023

« Pluralisme », « culture politique » :
ce qui divise La France insoumise

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Le refus de Clémentine Autain et d’Alexis Corbière de siéger dans le bureau du groupe parlementaire de La France insoumise ravive les tensions internes. En parallèle, un appel de militants à la démocratisation du mouvement et la création de la Gauche écosocialiste témoignent d’une aspiration à l’ouverture.

Le groupe vit mal. C’est ce que confient, ces derniers jours, plusieurs parlementaires de La France insoumise (LFI), qui se disent exténué·es par des échanges violents avec le noyau dur dirigeant du mouvement. La constitution du nouveau bureau du groupe parlementaire, mardi 23 mai, a fait resurgir les tensions mises entre parenthèses pendant la bataille des retraites.

Clémentine Autain et Alexis Corbière, à qui une place était proposée dans l’organigramme (respectivement la bataille parlementaire et la lutte contre l’extrême droite), l’ont refusée, au grand dam du coordinateur de LFI, Manuel Bompard, soucieux de ne pas générer une nouvelle polémique.

« Notre départ se fait dans une volonté d’apaisement, pour tenter d’abaisser le niveau de tension interne, et parce qu’il reste des différences d’approche politique entre nous, qui ont à voir avec la culture politique et le pluralisme », explique la députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain.

« Je souhaite qu’ils continuent [à être membres du bureau – ndlr], y compris pour discuter d’éventuelles différences de point de vue, et parce qu’ils ont une expérience utile, mais je respecte leur choix et je sais qu’ils continueront à travailler en dehors du bureau », regrette pour sa part sa collègue Aurélie Trouvé. Contacté, Manuel Bompard n’a pas souhaité répondre. 

Dans le bureau précédent, Clémentine Autain et Alexis Corbière participaient à l’intergroupe de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). Cette tâche sera désormais assurée par Manuel Bompard, la présidente du groupe Mathilde Panot et la députée de Paris Danièle Obono.

François Ruffin, lui, n’a pas souhaité rempiler pour un deuxième mandat d’un an – Damien Maudet, député de la Haute-Vienne et son ancien collaborateur parlementaire, le remplace. Pascale Martin, députée de la Dordogne et militante féministe, qui avait haussé le ton contre la première réaction de Jean-Luc Mélenchon à l’affaire Quatennens, n’a pas non plus souhaité renouveler l’expérience, humainement difficile.

Ces défections ravivent la crise déclenchée par la mise en place de la nouvelle direction de LFI, en décembre 2022. Plusieurs figures de l’insoumission, qui avaient participé à trois campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon et avaient été parmi les premiers et premières députées du mouvement en 2017, en avaient été écartées, ce qu’elles avaient dénoncé dans la presse. Depuis, elles ont fait l’objet d’un procès en déloyauté permanent, invisibilisant leurs demandes de plus grande démocratie interne et de prise en compte du pluralisme des sensibilités.

« Tout le monde a droit à des vacances. Les éléphants aussi », avait réagi le député Paul Vannier à une interview d’Alexis Corbière dans Le Monde, en décembre 2022. « Toute la une pour nous salir », avait commenté Jean-Luc Mélenchon, à la suite d’une interview de Clémentine Autain dans Libération à la même période.

Leur refus de siéger au bureau du groupe est donc le signe d’un ras-le-bol face à la « violence politique » dont ces deux historiques de LFI disent faire l’objet. En cause : des échanges dans la boucle Telegram du groupe LFI, à laquelle Jean-Luc Mélenchon est le seul non-député à participer, et un sentiment d’impuissance relative du bureau du groupe, dont la réunion a lieu le mardi après que les décisions politiques ont été réellement prises lors d’une cascade de réunions de la coordination de LFI (dont Jean-Luc Mélenchon est membre) le lundi.

La volonté d’apaisement qu’ils ont formulée n’a cependant pas eu d’effet. Dans Le Parisien, sous couvert de l’anonymat (ce qui est d’habitude reproché aux personnalités critiques de la ligne), Alexis Corbière et Clémentine Autain sont qualifiés de « bande des melons » par un député insoumis. « Je regrette vivement les propos assez injurieux tenus en off dans Le Parisien, qui sont révélateurs d’un climat qu’une petite poignée de personnes tente d’imposer », réagit Alexis Corbière, qui n’en dira pas plus, pour ne pas alimenter de nouvelles polémiques.

À l’échelle du mouvement, des demandes de démocratisation

Cette algarade intervient alors que le 15 mai, Manuel Bompard a reçu une lettre signée par 300 militant·es, dont des coanimateurs de groupes d’action (GA) du mouvement. Cet appel « pour la Sixième République à La France insoumise » rejoint les demandes de démocratie interne à l’échelle du mouvement formulées notamment par Clémentine Autain à ses dernières universités d’été. « Nous traversons une véritable crise interne liée aux décisions “verticales” à répétition que nous subissons », écrivent-ils, ajoutant que « des camarades s’éloignent découragés alors même qu’ils restent en accord avec notre projet commun ».

Les initiateurs de cet appel réclament la tenue d’une « convention militante » visant à remettre à plat le fonctionnement interne. Loin du triomphalisme affiché par la direction de LFI au sortir de la mobilisation contre la réforme des retraites, dans laquelle ils n’ont pas ménagé leurs efforts, ils considèrent que leur « mode de fonctionnement actuel n’est pas à la hauteur des enjeux qui secouent le pays ».

« Qui souhaiterait rejoindre une force dans laquelle les décisions sont monopolisées par un petit groupe de personnes ? L’affaiblissement de notre influence doit nous faire réagir. Des militants nous quittent, des sympathisants s’éloignent, les travailleurs ne s’engagent pas avec nous », s’inquiètent-ils. Plusieurs député·es ont demandé à ce qu’une réponse leur soit faite.

Enfin, parallèlement, Manuel Bompard a fait savoir son mécontentement aux dirigeants de la Gauche écosocialiste (GES), un microparti inscrit au sein de LFI, dont Clémentine Autain est membre, et qui a tenu son congrès de fondation le 11 mai. Le député Hendrik Davi, un des dirigeant·es de la GES, a eu le malheur de la qualifier de « courant » – un terme banni dans le mouvement mélenchoniste, réfractaire aux guerres de positions internes. « Il n’y a pas et il n’y aura pas de courant à LFI », a répliqué Manuel Bompard dans une lettre citée par Le Monde.

« J’utilisais le mot “courant” au sens de courant de pensée, pas au sens de courant interne. C’est un non-débat », corrige Hendrik Davi, qui précise que la GES « partage le programme et la stratégie de LFI, et s’inscrit pleinement dedans », au même titre que le Parti ouvrier indépendant (POI) ou la Rev (Révolution écologique pour le vivant) d’Aymeric Caron. Pour autant, la GES souhaite porter l’idée du pluralisme à LFI. En 2019, Hendrik Davi co-signait un texte avec Charlotte Girard (responsable du programme, qui a fini par quitter LFI), dans lequel ils regrettaient qu’« aucune véritable instance de décision collective ayant une base démocratique n’a[it] été mise en place » à LFI.

« Au groupe, les 75 députés sont égaux, et à chaque fois qu’il y a eu un désaccord, on a voté. Mais à LFI, l’équation est beaucoup plus difficile, car il n’y a pas d’adhérents. Je pense qu’un engagement des gens dans la durée doit se justifier par la délibération sur un document d’orientation. Il y a des moments politiques où il faut faire des choix, il faut donc savoir qui décide », défend Hendrik Davi.

Dans un courrier en réponse à Manuel Bompard, la GES se défend : « Nos propositions, comme celles de beaucoup d’autres insoumis, s’inscrivent dans une réflexion pour améliorer le fonctionnement démocratique, l’efficacité, l’ancrage territorial de notre mouvement. » Une rencontre est prévue. 

Sur l’ancrage local, la mise en place des « boucles départementales », qui a lieu ces jours-ci, pourrait répondre à une partie des demandes. Au sommet du mouvement, cependant, la crispation est palpable, sur fond de course interne pour la présidentielle de 2027. « Il faut trouver un modus vivendi pour bien vivre ensemble. C’est une responsabilité collective d’y arriver, pour incarner l’alternative à la Macronie et à l’extrême droite », conclut Clémentine Autain. 


 


 

Pourquoi ça chauffe
à la France insoumise

Par Pablo Pillaud-Vivien sur www.regards.fr

L’une des principales composantes de la gauche politique est en proie à des déchirements internes. On fait le point.

Par essence, lorsque vous sortez une allumette dans un espace gazeux, il y a des risques. À la France insoumise, ce mouvement créé en 2016 pour porter Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, les esprits s’échauffent. Les enjeux de démocratie interne semblent cristalliser les tensions. Pas seulement.

Ca chauffe depuis septembre, depuis le soutien de Jean-Luc Mélenchon à son ami, Adrien Quatennens. Le poids du leader dans la gestion quotidienne d’un conflit de valeurs en a irrité plus d’un.e. L’affaire a rebondi avec la réorganisation du mouvement qui a débouché sur l’éviction de fortes têtes. Elle ressurgit à l’occasion d’une réorganisation du groupe parlementaire LFI, qui voit la mise en marge des mêmes, François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière.

Derrière les choix du noyau dirigeant, semble se profiler une conception de ce mouvement inédit, la France insoumise, que son créateur avait lui-même défini comme un « mouvement gazeux » qui a « une clé de voûte ». Tout est dit dans la formule : la cohérence et la continuité reposent sur un point fixe, un leader entouré d’hommes et de femmes dont la légitimité trouve ses fondements dans l’action et pas dans un débat démocratique. Le reste est gazeux : ça va et ça vient. Ils sont 300 à avoir écrit au coordinateur de LFI, Manuel Bompard, qu’ils avaient une autre conception du mouvement, tirant notamment « la sonnette d’alarme » face à « une véritable crise interne liée aux décisions verticales à répétition » et à « l’absence totale de démocratie » interne. À ce jour, pas de réponse…

Rififi et démocratie à LFI

Après le désastreux écart entre un mouvement qui se veut féministe et qui conserve dans son groupe de parlementaire un coupable de violence conjugale, la polémique resurgit avec un mouvement qui propose une VI° République et qui ne s’applique pas à lui-même les exigences démocratiques qu’il juge nécessaires pour la société tout entière. Pourquoi se payer le luxe d’une telle dissonance ? On pourrait répondre simplement : parce que LFI n’est pas démocratique. Juste ou injuste, la réponse est trop courte. Encore faut-il se demander s’il y a ou non une rationalité dans le choix périlleux actuel de la mise en l’écart de « poids lourds ».

A priori, la France insoumise ne manque pas de questions qui pourraient faire l’objet de débats et, de fait, il y a dans la période matière à s’interroger. Souvenons-nous : contre l’avis unanime des syndicats et des autres groupes de la Nupes, la FI a tout fait pour qu’il n’y ait pas de vote de l’article 7 lors de l’examen de la loi sur le recul de l’âge de la retraite. Aujourd’hui, toute la gauche - et pas que la gauche - se bat pour qu’il y ait un vote sur la proposition de loi du groupe LIOT d’abrogation de la contre-réforme des retraites. Si le vote a lieu, beaucoup pensent que ce texte sera adopté. Mais dans ce cas, l’article 7 de la loi aurait pu être repoussé il y a quelques semaines. Jean-Luc Mélenchon pensait alors le contraire et peut-être avait-il raison. Mais le doute est possible : cela méritait-il donc un tel désaccord au sein de la gauche ? Quel bilan tirer de la stratégie en solo des Insoumis dans cette période ? Pourquoi le mouvement social articulé autour du rejet de la contre-réforme des retraites ne semble-t-il pas porter le projet politique de la gauche ? Cela mériterait pour le moins débat.

On peut en trouver d’autres. Il y a ainsi comme un hiatus entre la proposition de LFI de « révolution citoyenne » et le caractère bloquant des institutions françaises. Doit-on dès lors, comme certains insoumis l’avancent, entrer dans une dynamique plus insurrectionnelle ? Sans compter toutes les questions qui travaillent aujourd’hui la gauche et auxquelles LFI doit apporter des réponses mesurées. Quel peut être l’avenir de la Nupes et sous quelles formes ? Comment mener la campagne européenne ? Comment penser la future bataille présidentielle ? Encore une fois, qui va trancher ces questions, décider des orientations, des probables inflexions ? Et où ? Comme au Cluedo, faisons une hypothèse : Jean-Luc Mélenchon dans le bureau de Jean-Luc Mélenchon. Il a connu les palabres des organisations gauchistes et, plus longuement encore, les batailles internes au Parti socialiste. Il ne veut plus s’y fourvoyer. Des tendances à l’intérieur de la France insoumise ? Il n’en est pas question.

La présidentielle pour éviter les débats

Il n’y a pas toutefois qu’un débat général sur le fonctionnement de l’organisation. On peut considérer que le plus important se trouve ailleurs : dans la perspective de la prochaine échéance présidentielle, qu’elle soit dans le calendrier légal ou qu’elle soit avancée. Mélenchon et le noyau dirigeant FI ne sont pas les seuls à avoir cet horizon. Même si les intéressés le nient fermement, cette présidentielle organise, dès aujourd’hui, les agendas et les stratégies des uns, des unes et des autres.

Mélenchon est un homme politique expérimenté : il pense, il agit et il organise. Il sait que l’élection présidentielle est la reine des batailles. Tout ce qu’il a créé depuis 2008 a été tourné vers cet objectif : créer l’outil le plus à même de conduire dans la durée une campagne permettant de gagner des voix, d’obtenir le meilleur score possible et, in fine, d’accéder au pouvoir. Et dans le fonctionnement de cet outil, l’impulsion ne peut venir que d’un seul, et donc de lui-même. La stratégie, se serait le domaine réservé du candidat. Tout doit aller au rythme des évolutions de Jean-Luc Mélenchon. Où, si ce n’est dans la tête de l’insoumis en chef, s’opèrent les changements de ligne sur les questions internationales, la République, la « créolité » ou la police ? Qui a créé le Parti de gauche avant de renier la forme parti et la « gôche » ? Qui est passé du populisme revendiqué à la création de la NUPES ? Jean-Luc Mélenchon change et donne le tournis. Et aujourd’hui même ses discours sont hésitants. Nupes ou insurrection ? Devant les difficultés qui s’amoncellent sur la gauche politique et sociale, de quel côté Jean-Luc va-t-il pencher ?

Ils sont plusieurs à trouver légitime de pouvoir influer sur les lignes stratégiques de leur mouvement. Ils veulent pouvoir réfléchir à la stratégie populiste, à la place des autres composantes de la gauche et de leurs interactions. À celles et ceux qui veulent porter des débats à Alexis, Eric, Raquel, Clémentine, François, à ces compagnons de route et de fortune qui sont une part non négligeable de l’histoire insoumise, la direction du mouvement dit « la sortie, c’est par là ».

Pourquoi ? Parce qu’au fond, Jean-Luc Mélenchon pense que l’efficacité de ses propositions réside dans sa liberté d’analyse, sa liberté de changer d’avis, de ligne et de stratégie. Il croit d’abord en lui-même pour mener à bien son projet de prise du pouvoir. Et, pour aller jusqu’au bout, il a moins besoin d’un entourage qui le conseille que d’un entourage qui lui fait confiance. La confiance supposerait qu’il n’y ait pas de contestation. Interroger un positionnement changeant serait une marque de défiance. Proposer ce qui n’est pas dans la ligne du moment, serait un coup de couteau dans le dos.

La prime à l’action

C’est comme cela que l’on peut comprendre la crispation qui entoure la fondation de la Gauche Ecosocialiste (GES), un petit parti qui regroupe quelques centaines de militants, dont des députés, Hendrik Davi et Marianne Maximi, avec le soutien amical de Clémentine Autain. La GES est la nouvelle forme de ce qui fut jusqu’ici « Ensemble Insoumis », qui rassembla les membres d’Ensemble rejoignant LFI. La double appartenances n’a jamais été un problème à LFI, comme en témoignent François Ruffin membre de Picardie Debout ou Aymeric Caron et son REV (Révolution écologique pour le vivant). Or, cette fois, les hautes sphères de LFI sont irritées. Parce que GES affiche une ambition à laquelle n’avait jamais encore été confronté le mouvement : être un courant de la France insoumise. Là, ça ne passe pas. Un parti autonome qui fait ses trucs dans son coin, OK. Un parti qui se veut courant et voudrait discuter de politique, non. « Il n’y a pas et il n’y aura pas de courant à LFI », a affirmé au Monde Manuel Bompard, invitant même Hendrik Davi à « un échange franc » afin de vérifier si la Gauche écosocialiste était toujours « compatible avec [sa] participation à La France insoumise ».

La tension au sein de LFI ne relève donc pas d’une flambée d’irrationalité ou de la simple affirmation d’une autorité personnelle. Elle découle d’une conception utilitaire de l’organisation. Pour la direction et Jean-Luc Mélenchon … 2027 c’est déjà maintenant. Ils sont engagés dans la préparation de 2027 et veulent se laisser les mains libres d’envisager des changements de caps et des revirements tactiques rapides. De fait, une campagne présidentielle, programme, périmètre de rassemblement, moyens… ne s’improvise pas un an avant. François Ruffin en lançant son appel aux dons vient de le rappeler. Jean-Luc Mélenchon en relookant son point hebdo sur YouTube grâce aux gros moyens techniques de LFI, le dit aussi.

Comment cette série de tensions à répétition depuis septembre va-t-elle se conclure ? Manuel Bompard a convié Hendrik Davi a une discussion franche, pour vérifier si les membres de GES peuvent rester dans le mouvement. L’heure est encore à l’évaluation des risques que l’on prend, de toute part, à chaque nouveau pas. Car il demeure une certitude : la France insoumise reste une efficace machine à mener une campagne présidentielle. S’en priver, ou pis, se le mettre à dos à quatre ans de l’échéance électorale visée, pourrait s’avérer une stratégie particulièrement risquée pour les uns, les unes et les autres. Mais gare, et pour reprendre un adage insoumis : les révolutions citoyennes peuvent advenir même dans les endroits que l’on pense les plus verrouillés.


 

   publié le 31 mai 2023

L’intersyndicale élargit
ses sujets d’union
pour durer au-delà des retraites

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Ce mardi matin, les huit syndicats qui composent l’intersyndicale ont appelé les salariés à se mettre en grève et manifester mardi 6 juin contre la réforme des retraites, ainsi que les députés à voter pour la proposition de loi transpartisane d’abrogation de la réforme le 8 juin. Mais l’intersyndicale appelle également à se mobiliser pour des avancées sociales, en mettant en avant de nouveaux sujets qui pourraient nourrir de nouvelles mobilisations.

 De l’exception à la norme ? C’est peut-être ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec l’intersyndicale qui a ferraillé pendant des mois contre le gouvernement. Unis exclusivement sur la revendication minimale du refus de l’allongement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite, les syndicats qui composent l’intersyndicale travaillent ensemble sur d’autres sujets, depuis quelques semaines. Et ouvre peut-être une nouvelle ère dans les relations entre organisations de salariés, loin des conflits et déchirements auxquels elles ont habitué les salariés.

Une façon pour les syndicats d’afficher encore leur refus de tourner la page des retraites, alors que des discussions ont repris avec le gouvernement, depuis que la Première ministre a lancé des concertations en mai. Mais surtout un moyen de peser davantage face au gouvernement et au patronat, dans l’espoir d’obtenir quelques avancées sociales significatives. Et ainsi montrer que le combat syndical peut obtenir des victoires, alors que sur le dossier des retraites, le gouvernement a réussi jusque-là à passer en force. Ainsi, l’intersyndicale réunie ce matin a accouché comme attendu d’un communiqué commun pour mobiliser le 6 juin prochain. Mais cette fois-ci de nombreux thèmes ne concernant pas les retraites y sont aussi abordés.

Salaires, égalité femmes-hommes, nouveaux droits

 Premier des thèmes mis en avant, « l’augmentation des salaires, des retraites et pensions, des minimas sociaux et des bourses d’études », vue par l’intersyndicale comme une priorité, dans le privé comme dans le public, en ses temps d’inflation. Mais aussi « l’égalité salariale Femme-Homme » qui « doit être une réalité concrète sans délai ». Sur ce sujet, les syndicats avancent ce qui ressemble à l’ébauche d’un cadre commun revendicatif : « revoir en profondeur l’index égalité salariale », « revaloriser les métiers féminisés », « proscrire les temps partiels subis » et mettre en œuvre les « dispositions de la convention 190 de l’OIT contre toutes les violences et le harcèlement au travail, y compris les violences sexistes et sexuelles ».

Autre dossier qui a fait l’unanimité, l’opposition « à toute atteinte au principe de solidarité nationale avec la réforme du RSA ainsi qu’à la dégressivité des allocations chômage qui conduisent à stigmatiser les précaires ou privé.e.s d’emplois ». Un sujet sur lequel les syndicats avaient déjà eu des positions communes au moment des réformes de l’assurance chômage en 2019 et 2022. Enfin, les huit syndicats se sont mis d’accord pour demander des droits supplémentaires visant à « améliorer et renforcer les moyens pour les représentants du personnel », comme par exemple de nouvelles prérogatives en matières environnementales pour ces derniers. Toujours dans les entreprises, l’intersyndicale estime que « pour protéger la santé des salarié.es, les commissions de santé sécurité et conditions de travail doivent être obligatoires dans les entreprises de 50 salariés et plus, avec des droits et des moyens renforcés ».

Si ces points d’accords restent modestes, il se dégage tout de même la volonté de se doter d’un socle minimal commun sur plusieurs sujets, à l’instar de ce que les syndicats ont pratiqué pendant le conflit sur les retraites. Avec ce socle, les syndicats veulent gagner en force, sans empêcher pour autant chaque organisation de mettre en avant ses particularités. Comme dans le mouvements contre la réforme où certaines organisations revendiquaient la retraite à 60 ans et d’autres non sans que l’unité contre la réforme se brise. Reste à savoir si cette volonté ne se fracassera pas sur les stratégies différentes qui animent les syndicats, notamment lorsque des signatures d’accord seront en balance, ou sur des réalités d’entreprises où parfois les conflits sont rugueux entre organisations.

   publié le 30 mai 2023

Palestine : un nouveau village incendié par les colons israéliens accompagnés par l’armée d’occupation

Communiqué de l’Association France-Palestine Solidarité sur https://www.france-palestine.org

Dans la journée une délégation diplomatique de l’Union européenne s’était rendue à Burqa, dont les habitants sont victimes du vol de leurs terres par l’État d’Israël depuis 1978. Il s’agissait pour elle de constater les violations permanentes et les nouvelles menaces qui pèsent sur le village.

Les colons du mouvement fasciste « La jeunesse des collines » ont répondu immédiatement à cette visite en attaquant le village.

Le mouvement israélien de défense des droits humains Yesh Din rapporte que « des dizaines de colons accompagnés par l’armée, ont envahi le village incendiant plusieurs maisons. Des Palestiniens ont signalé avoir été blessés par des tirs à balles réelles. »

Tout comme dans le village de Huwara il y a 3 mois, les colons ont brûlé des maisons, attaqué les biens et les personnes et tiré sur les Palestiniens. Comme à Huwara, l’armée omniprésente en territoire palestinien occupé non seulement n’est pas intervenue pour les arrêter mais les a accompagnés dans leur œuvre de destruction.

Suite au pogrom de Huwara, le ministre Smotrich avait déclaré qu’il fallait rayer le village de la carte. Il avait participé quelques jours après à une manifestation en direction de la colonie d’Eyviatar sur les terres du village de Beita - village martyr lui aussi, à proximité de Huwara. Des milliers de colons, plusieurs ministres et des députés revendiquaient l’occupation et la colonisation des terres de Beita.

Ce même ministre paradait jeudi 18 mai lors de la dite « marche des drapeaux » qui commémore l’occupation de Jérusalem en 1967 et son annexion au mépris du droit international. Au cours de cette marche, des dizaines de milliers de colons ont défilé dans la vielle ville de Jérusalem, des heures durant hurlant des slogans racistes et attaquant les Palestiniens. Parmi les slogans hurlés ad nauseam, « mort aux arabes et que leurs villages brûlent ». Comment ne pas faire le lien avec ce qui s’est passé hier soir à Burqa ?

Smotrich, toujours lui a annoncé il y a quelques jours son intention de doubler le nombre de colons en territoire palestinien occupé.

Pour bien montrer sa détermination à poursuivre sans relâche et à marche forcée la colonisation de la Palestine, Israël ne s’est pas arrêté en si bon chemin, faisant fi des visites de diplomates et des condamnations sans suite : dès le lendemain, d’importants travaux de terrassement ont commencé autour de Burqa pour permettre un accès à la colonie d’Homesh, saccageant et confisquant toujours plus de terres privées palestiniennes.

Les nouvelles scènes d’horreur à Burqa ont eu lieu peu après la commémoration par les Palestiniens des 75 ans de la Nakba, la catastrophe qui entre 1947 et 1949 a vu 800 000 d’entre eux chassés et dépossédés de leurs terres en faisant des réfugiés. Elles confirment bien que la Nakba n’a jamais cessé, que le processus de dépossession et de nettoyage ethnique est toujours en cours. Chaque jour, la preuve en est faite sur le terrain en Palestine.

Ce qui s’est passé hier à Burqa n’est pas une erreur de parcours d’un État supposé démocratique, ce n’est qu’un des aspects d’un régime de domination et d’oppression systématique du peuple palestinien dont le but est le même depuis 1947, prendre la terre des Palestiniens, les en chasser et les remplacer. Ce régime a un nom, c’est un crime contre l’humanité, c’est le crime d’apartheid.

Combien de temps va-t-il encore falloir, combien d’exactions, combien de massacres, combien de crimes de guerres, de crimes contre l’humanité, combien de visites diplomatiques de terrain pour que la « communauté internationale » cesse de laisser faire Israël en regardant ailleurs.

Assez de condamnations sans effets et sans lendemain !
L’urgence absolue est aujourd’hui la protection des Palestiniens : nous en appelons solennellement à notre gouvernement et à l’Union européenne, il faut arrêter la main des criminels ! Il faut en finir avec l’impunité d’Israël, de ses colons, de ses soldats, de ses dirigeants. Pour cela il faut des actes et cela passe par des sanctions immédiates.

Mais il faut aussi qu’un nom soit mis sur ce que fait Israël entre la mer Méditerranée et le Jourdain : Israël y commet le crime d’apartheid. Il est temps de le reconnaître !

Le Bureau National
Le 25 mai 2023

   publié le 29 mai 2023

Retraites. « Le gouvernement finira par admettre qu’il s’est trompé »

Par asmine Djennane sur www.humanite.fr

Le collectifs contre la réforme des retraites de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais, organise un pique-nique revendicatif pour mobiliser en vue du 6 juin, prochaine journée nationale de manifestations et de grèves à l’appel de l’intersyndicale. Michel Venon, de la CGT, nous explique pourquoi.

Le compte à rebours est lancé pour la manifestation du 6 juin. Les collectifs contre la réforme des retraites des quatre villes de Bagnolet, les Lilas, Romainville et le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) organisent un pique-nique revendicatif et festif afin de mobiliser les habitants et préparer la journée intersyndicale de manifestation et de grève du 6 juin. Prises de parole, concerts, jeux pour enfants. Le rendez-vous est donné le dimanche 28 mai à midi au Parc Lucie Aubrac aux Lilas.

Michel Venon, secrétaire général de l’union locale CGT Bagnolet les Lilas et responsable du collectif contre la réforme des retraites, explique l’initiative et fait un point sur le mouvement social local.

Un mois après la dernière grande journée de mobilisation contre la réforme des retraites, ce pique-nique vise-t-il à relancer la lutte?

Michel Venon : Le mouvement social n’est pas terminé. Nous avons décidé de cette initiative afin de ne pas rester muet ni invisible durant ces quelques semaines entre le 1er Mai qui a connu une popularité sans précédent et le 6 juin. Nous sommes depuis le premier jour, comme la grande majorité des Français, opposés à une réforme que le gouvernement a décidé seul, plein de préjugés à l’égard des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des femmes. Allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans tenir compte des pénibilités par exemple, augmenter le nombre des annuités à 43, alors que l’ensemble de nos voisins européens sont dans une moyenne de 39 annuités est une infamie. Tout en continuant d’exonérer toujours plus les patrons de cotisations sociales. Ce pique-nique a pour objectif de réunir le plus grand nombre de personnes pour montrer que nous ne sommes pas seuls, et de maintenir la pression en vue du 8 juin prochain, date du vote de projet de loi d’abrogation déposée par le groupe LIOT.

Espérez-vous toujours que le gouvernement retire sa réforme?

Michel Venon : Je ne sais pas si le gouvernement finira par reculer. Mais il finira par admettre qu’il s’est trompé en passant en force une loi aussi impopulaire, injuste et brutale. Sa réforme des retraites, celle sur l’assurance chômage, du RSA comme celle des lycées professionnels ne servent qu’un objectif: abaisser le « coût du travail ». Les organisations syndicales n’ont cessé de faire des propositions de financements sur les retraites. Là encore, Macron n’a pas hésité à mentir aux Français en disant que rien ne lui était parvenu. Notre Union Locale CGT et notre collectif sont déterminés à gagner cette bataille et faire reculer le gouvernement.

Attendez-vous une forte mobilisation le 6 juin ?

Michel Venon : Il est toujours difficile de présager du nombre de personnes présentes lors d’une manifestation. Nous faisons le nécessaire pour qu’au minimum elle soit du même niveau que les précédentes. Comptabiliser les gens sur un parcours est certes un indicateur. Mais personne ne communique sur le nombre de salariés en grève dans les entreprises.


 

   publié le 28 mai 2023

Les Républicains, pompiers pyromanes

Par Roger Martelli sur www.regazrds.fr

L’historien Roger Martelli déconstruit le projet des LR sur la question migratoire. Et rappelle les arguments pour que la gauche ne lâche pas le combat.

« Le parti Les Républicains montre les muscles sur l’immigration », nous dit Le Monde. L’organisation affaiblie veut faire monter les enchères face à une macronie aux abois. Elle pense concurrencer le Rassemblement National en faisant un copier-coller de ses idées. Ce faisant, elle ment aux Français et fait le lit de Marine Le Pen.

Les Républicains envisagent de déposer deux lois au Sénat, une ordinaire, l’autre constitutionnelle. La loi ordinaire vise à durcir la législation existante, en criminalisant un peu plus l’immigration illégale, en pénalisant le regroupement familial, en limitant l’immigration étudiante et en conditionnant l’aide au développement à l’organisation du retour des illégaux. Quant à la loi constitutionnelle, elle légitime le primat du droit français sur le droit international, veut rendre possible un référendum sur l’immigration et permettre au Parlement de fixer des quotas. Le parti se veut dans la continuité de la philosophie sarkozyste ; elle légitime un peu plus le fonds de commerce de l’extrême droite.

La droite des fake news

Un tout récent sondage d’Elabe suggère que la moitié des personnes interrogées surestiment le poids de l’immigration dans la population française. Alors que la part des immigrés oscille – selon les modes de calcul – entre un peu plus de 10 % et moins de 12 %, 39 % la situent au-delà de 20 %, dont 15 % au-delà de 40 % ! Les fake news à la Donald Trump sont devenus un outil politique universel pour orienter l’opinion. Pourquoi la France y échapperait-elle ? Dans l’arsenal idéologique de la droite française, on ne trouve qu’un seul fait avéré : l’immigration en France est un phénomène croissant. Pour le reste, tout est faux [1] :

  • La France n’est pas le pays le plus attractif d’Europe : en vingt ans, le nombre d’immigrés a augmenté de 62 % dans le monde, de 58 % en Europe occidentale et de 36 % en France ;

  • Dans les dernières années, la France n’a pas été le pays européen qui a le plus contribué à l’accueil des réfugiés, ni ceux du Moyen-Orient, ni ceux de la guerre en Ukraine. Compte tenu de sa population et de sa richesse, elle est loin de la « France généreuse » qui est théoriquement sa marque de fabrique ;

  • La France n’accueille pas toute la misère du monde. À l’échelle mondiale, les plus pauvres qui se déplacent vont vers les pays les plus pauvres et non pas vers les riches. Alors que les déplacements liés aux guerres et aux désastres climatiques explosent à l’échelle mondiale, les catégories qui contribuent le plus à l’augmentation française des titres de séjour sont les étudiants internationaux, les travailleurs qualifiés et les réfugiés connus et régularisés.

  • Il n’y a aucun risque de « grand remplacement ». Seuls 5 % des adultes ont quatre grands parents nés étrangers à l’étranger. Pour les 25 à 28 % qui ont entre un et trois grands-parents dans ce cas, la réalité est donc celle des unions mixtes, Cela confirme que nous restons dans la logique de ce métissage qui est en France la base de constitution du peuple et de la nation.

Les dangereux miroirs aux alouettes

La droite dans toutes ses composantes n’a que faire de la réalité, celle que révèlent inlassablement des études et enquêtes, tout aussi inlassablement renvoyées au « laxisme », à « l’angélisme » et au « politiquement correct ». Une seule chose lui importe : faire l’amalgame entre la croissance de l’immigration, l’inquiétude devant les violences internes et externes, le fantasme de l’islamisation et l’obsession de la « perte de l’identité ».

La droite classique vit dans la conviction qu’elle va casser la dynamique du Rassemblement national en se plaçant ouvertement sur son terrain et en n’hésitant pas à user des mêmes mots. Sarkozy n’avait-il pas laminé le « vieux » Jean-Marie Le Pen en 2007, en déployant son libéral-populisme « décomplexé », autoritaire et cocardier ? Force est alors de constater que, une fois élu, il a voulu pousser plus avant sa logique en lançant une grande campagne sur « l’identité française ». Son projet a fait long feu. En 2012, il a perdu, la gauche a gagné dans sa variante droitière et Marine Le Pen – qui a compris qu’il fallait changer pour continuer – a amorcé la dynamique que l’on connaît.

L’exécutif choisit la voie cynique. Le marché libre régule et l’État corrige, au double sens de la correction : la compensation à la marge et la répression. Aux Républicains qui proposent de s’abstraire de la loi européenne pour limiter de façon drastique l’immigration, la majorité macroniste s’insurge en lui reprochant de proposer un nouveau Brexit sans le dire. Elle a raison de dire que les clins d’œil au souverainisme sont un trompe-l’œil et une impasse. Elle a raison d’affirmer que le retour à la situation européenne d’avant 1958 serait un régression historique. Mais elle a tort de ne rien dire d’une politique des la frontière européenne qui vise à restreindre au maximum l’arrivée en Europe des flux de la détresse, à confier à des États, souvent douteux, la sélection des immigrés « recevables » (le système des hot-spots) et de sous-traiter le contrôle policier à une institution – l’agence Frontex – plus que critiquable dans ses données de référence comme dans ses méthodes. Vouloir défendre la réalité d’une Europe au-dessus des nations séparées est un chose ; la maintenir en l’état, y compris que le dossier migratoire, est une faute.

Dans les colonnes de Libération, le président Renaissance de la commission des affaires européennes de l’Assemblée, Pieyre-Alexandre Anglade, explique que l’objectif de la majorité est de soutenir une politique qui vise à « mieux contrôler les flux migratoires, expulser ceux qui n’ont rien à faire sur le territoire national, régulariser ceux qui contribuent à la vie de la Nation ». Les Républicains se coulent dans la logique de l’extrême droite, en espérant tarir les flux qui se portent vers le parti de Marine Le Pen. La majorité présidentielle accepte avec la droite la logique de la restriction des flux migratoires en en proposant une gestion « adoucie ». A l’arrivée, les uns et les autres entérinent la légitimité du projet de l’extrême droite et ne font que nourrir l’idée, attestée par les sondages, que Marine Le Pen est la mieux placée pour limiter le spectre du « grand remplacement ».

Il ne sert à rien de nier que, pour l’instant, l’extrême droite a gagné la bataille des idées sur le terrain de l’immigration. Elle a pu le faire parce que la droite a capitulé, notamment depuis le grand débat sarkozien sur « l’identité nationale ». Et on n’aura pas ici le mauvais esprit de rappeler que, trop longtemps, une partie de la gauche a eu des complaisances, avec l’idée que la souveraineté nationale était menacée, que la libre circulation était une idée libérale et que la frontière était une protection absolue.

L’honneur de la gauche

La gauche ne peut en aucun cas admettre les tenants et les aboutissants du projet et du discours de l’extrême droite. Que la droite et la macronie les entérinent, en en proposant une version théoriquement moins brutale, est une chose. La gauche, elle, doit tourner le dos définitivement aux demi-mesures, au « la droite pose de bonnes questions, mais offre de mauvaises réponses » ou au « « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Le discours franc sur la réalité des faits et le respect absolu des valeurs désignent la seule voie juste et réaliste.

  1. Le débat qui oppose la frontière-muraille et le no border n’est pas de saison. La frontière est une construction artificielle, mais elle est une réalité, la délimitation légale d’un espace de souveraineté, à l’intérieur duquel un État limité et contrôlé a un droit de régulation et où des individus ont des droits inaliénables, indépendamment de leur nationalité. Au-delà, l’image de la frontière infranchissable est un illusion. Au mieux, la frontière-muraille est une ligne Maginot : on sait quelle fut son efficacité en mai-juin 1940 !

  2. Dans la pratique, la frontière n’est rien d’autre qu’une fabrique à produire du clandestin. Juridiquement, la clandestinité est l’espace par excellence du non-droit. Sur le marché du travail, elle produit donc des travailleurs sans droits. Au fond, ce qui tire vers le bas la masse salariale, ce n’est pas tant l’immigré que le clandestin sans droits. À l’échelle planétaire, où règne la concurrence « libre et non faussée », ce ne sont pas les mouvements migratoires qui augmentent la rentabilité du capital en baissant la valeur globale de la force de travail. C’est au contraire le maintien sur place d’une population à faible revenus, dont la mondialisation telle qu’elle est fait une armée de réserve, souvent qualifiée mais de faible coût. Ce faisant, l’insertion du clandestin par la régularisation et l’accès au droit est la meilleure façon de travailler à tirer vers le haut la condition salariale en général et pas seulement celle des immigrés.

  3. En vingt ans, la part des immigrés dans le monde a augmenté de près des deux tiers. Le mouvement ne se tarira pas dans les décennies à venir. Même si de nombreux pays du Sud connaîtront un développement plus ou moins soutenu, à l’instar de la Chine ou de l’Inde, cela n’empêchera pas que les dérèglements climatiques et les guerres augmenteront la part des réfugiés. Cela n’empêchera pas que, partout, pays plus ou moins riches ou plus ou moins pauvres, une part de la population la moins démunie ira chercher une vie meilleure dans les pays les plus riches, tandis qu’une part des plus démunis chercheront la survie dans des pays un peu moins pauvres. Quand on sait que l’essentiel des déplacements des pauvres se font aujourd’hui vers le Sud, est-ce l’intérêt bien compris des pays du Nord que d’aggraver un peu plus les difficultés de ceux qui les cumulent déjà ? Au-delà même de la pourtant nécessaire morale, n’est-ce pas courir le risque d’un accroissement des inégalités, du ressentiment et, partant, de la violence et de l’instabilité mondiale ?

  4. Si la migration est un fait inéluctable : s’en protéger est au mieux un illusion, au pire un facteur de régression matérielle, morale et politique. Il n’y a pas d’autre solution que de s’y adapter. Et pour s’adapter en évitant le pire (le repliement sur soi excluant et cloisonnant), la seule option est le partage de la souveraineté sur la base de l’affirmation du droit et de la citoyenneté, le partage et la préservation des ressources en mettant en valeur les biens communs, l’affirmation d’une universalité qui ne s’accommoderait plus ni de l’uniformité, ni de l’hégémonie, ni du repli sur soi de communautés obstinément fermées.

Dans tous les cas, l’obsession de la protection et le fantasme de la clôture sont des carburants pour une aggravation des frustrations, des inquiétudes et du ressentiment généralisé. Dans un monde de plus en plus instable, la « souveraineté historique » sera un bien piètre rempart et la « continuité nationale » de la France un formidable miroir aux alouettes. Sous pression de l’extrême droite, la droite dite de gouvernement et la macronie s’apprêtent à intérioriser un recul de civilisation. La gauche doit donc relever le gant. Convenons que, si la tâche n’est pas insurmontable, elle est aujourd’hui redoutable.

Notes

[1] On ne peut, sur ce point, que conseiller la lecture du nouvel essai de François Héran, Immigration : le grand déni, Seuil, 2023

   publié le 27 mai 2023

Meurtre d’une infirmière à Reims :
la psychiatrie en déshérence

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

Pau, Thouars, Reims : les meurtres de soignants par des patients atteints de sévères troubles psychiatriques se succèdent. Les politiques regardent ailleurs, pourtant, la politique est bien en cause : affaiblie, la psychiatrie perd le lien et la confiance des malades, les violences montent de tous côtés.

L’enquête sur l’attaque au couteau contre deux soignantes du CHU de Reims, lundi 22 mai, avance à pas comptés. Mardi, l’infirmière Carène Mezino a succombé à ses blessures. Le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette, a annoncé mercredi que le meurtrier présumé, Franck F., était mis en examen pour « assassinat » et « tentative d’assassinat ».

Ses antécédents, médicaux et judiciaires, ont très vite été révélés. Diagnostiqué schizophrène, souffrant de crises paranoïaques, placé sous « curatelle renforcée », l’homme de 59 ans était suivi en psychiatrie depuis 1985. En 2017, il avait déjà agressé avec un couteau quatre soignants d’un établissement d’aide par le travail (Esat) où il travaillait. Il n’avait alors été placé ni en détention ni sous contrôle judiciaire. C’est l’hôpital psychiatrique qui l’avait pris en charge, en l’hospitalisant sous contrainte jusqu’en 2019. Il a ensuite fait deux autres séjours à l’hôpital, en 2020 et 2021. Quand il n’était pas hospitalisé, il devait se rendre chaque jour dans un centre médico-psychologique pour y prendre ses médicaments et il était suivi par un psychiatre.

L’enquête a révélé une différence d’appréciation sur l’état psychique de Franck F. entre son psychiatre, qui considérait que son patient était stabilisé, et sa mandataire judiciaire, qui « a estimé à plusieurs reprises que, depuis au moins décembre 2020, il ne prenait plus son traitement », a rapporté le procureur de la République. Les premiers éléments de l’enquête semblent lui donner raison : des médicaments non pris ont été découverts à son domicile.

La mandataire judiciaire a aussi « fait état de plusieurs crises verbales depuis l’été 2022, la dernière datant du 15 mai 2023, a encore indiqué le procureur. Elle s’en était ouverte à plusieurs reprises auprès du psychiatre depuis 2021, des signalements non suivis d’effet selon elle. » La mère du présumé craignait elle aussi un nouveau passage à l’acte.

Pau, Thouars, Reims

Le meurtre de Carène Mezino s’inscrit dans une tragique série de passages à l’acte meurtriers de malades atteints de sévères pathologies psychiatriques : deux infirmières mortes à Pau (Pyrénées-Atlantiques) en 2004, une infirmière à Thouars en 2020 (Deux-Sèvres).

Les politiques regardent ailleurs, vers une vague et supposée « décivilisation » générale [lien article Edwy ?], selon Emmanuel Macron. Plus « pragmatique », le ministre de la santé François Braun veut expertiser la semaine prochaine le système de sécurité des établissements de santé et promet « une tolérance zéro, des choses pratiques » : des parkings sécurisés, des digicodes, des agents de sécurité, etc.

Seulement, le ministre en est lui-même convenu : les hôpitaux peuvent difficilement se transformer en « forteresses ». La raison en est simple : il y a bien trop de portes dans ces lieux éminemment publics où se croisent soignant·es, personnels techniques, administratifs, patient·es, visiteurs et visiteuses, fournisseurs de matériels en tous genres, véhicules de toutes sortes, etc.

Les politiques évitent soigneusement le cœur du sujet : ces violences ne sont pas déconnectées des politiques publiques menées. En psychiatrie, en quarante ans, le nombre de lits a été divisé par deux, conséquence d’une politique souhaitable de « désinstitutionalisation », mais aussi de mesures d’économies. En parallèle, l’offre de soins ambulatoires, en dehors de l’hôpital, au plus près de la vie quotidienne des patient·es, n’a jamais été suffisante : les centres médico-psychologiques croulent sous la demande et imposent des mois d’attente à leurs nouveaux patients et patientes.

« Dans les centres médico-psychologiques, pour répondre aux nouvelles demandes, on est obligés d’espacer les rendez-vous, précise Delphine Glachant, psychiatre au centre hospitalier Les Murets (Val-d’Oise) et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. Quand les gens décompensent, on le repère moins vite, et ils décompensent plus. Notre seule réponse est l’isolement, qui génère de la violence, de plus en plus de violence. Cest mon sentiment. »

2011, le tournant sécuritaire voulu par Nicolas Sarkozy

Après le double meurtre de Pau, le président de la République Nicolas Sarkozy s’est violemment saisi du sujet. Dans un discours à Anthony en 2008, qui a marqué le monde de la psychiatrie, il a imposé une approche sécuritaire de la maladie psychique : création de quatre unités pour malades difficiles (UMD), de 200 chambres d’isolement, de nouvelles mesure d’hospitalisation sans consentement, d’unités fermées, d’un fichier des patient·es hospitalisé·es sans consentement. La loi du 5 juillet 2011 a acté un recul sans précédent des droits de ces malades.

Isolement, contention : la France a l’un des recours les plus élevés en Europe à ces mesures d’exception, en constante augmentation.

Ces choix politiques ont été suivis d’effet : entre 2011 et 2021, les soins sans consentement ont bondi de 14 %, selon une récente étude de l’Irdes, un institut de recherche public sur la santé. En 2021, 5 % des personnes suivies en psychiatrie, soit près de 100 000 personnes, se sont vu imposer des soins sans consentement. En 2021, 10 000 personnes ont été contentionnées, c’est-à-dire attachées à un lit dans une chambre d’isolement. Et ces données ne sont que parcellaires, loin d’être exhaustives, reconnaît l’Irdes.

Ces mesures, nécessaires lorsqu’une personne a besoin de soins immédiats mais ne peut y consentir en raison d’une conscience altérée, devraient rester l’exception. Or la France a l’un des recours les plus élevés en Europe à ces mesures d’exception, en constante augmentation.

Les contrôleuses générales des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan puis Dominique Simonnot, n’ont cessé de dénoncer ces « formes les plus graves de privation de liberté, parfois prises dans un contexte de grande violence et exécutées dans des conditions indignes », comme l’a encore rappelé Dominique Simonnot dans son rapport annuel 2021.

En octobre 2022, la contrôleuse a rendu publiques de nouvelles recommandations en urgence, à la suite de sa visite de l’établissement public de santé mentale de La-Roche-sur-Yon (Vendée). Ses services y ont constaté des portes fermées dans la plupart des services, même ceux des patient·es en hospitalisation libre. Les décisions d’isolement et de contention, des mineur·es comme des majeur·es, y sont nombreuses et souvent illégales. L’accès aux droits des malades est largement entravé.

Ces mesures sécuritaires n’ont eu aucun effet : les services de psychiatrie restent, année après année, les plus touchés par les violences. 22 % des signalements à l’Observatoire des violences en milieu de soins émanent de services de psychiatrie, loin devant les urgences et la gériatrie.

« Même dans une psychiatrie idéale, il y a des patients dangereux », reconnaît le psychiatre Mathieu Bellahsen, ancien chef de pôle à l’hôpital Roger-Prévot de Moisselles, dans le Val-d’Oise, débarqué pour avoir défendu les droits de ses patient·es (lire notre enquête ici). « Mais il y a aussi des patients rendus dangereux par une institution maltraitante, poursuit le médecin, qui s’apprête à publier un livre s’élevant contre la contention (lire son blog sur Mediapart ici). Il faut éviter de rendre les gens très hostiles vis-à-vis de la psychiatrie. Et prendre en soins, à tous les stades, du plus ouvert au plus fermé. »

Car les paroles du meurtrier de Carène Mezino, quel que soit le crédit qu’on veut bien leur donner, résonnent fort. Aux fonctionnaires de police qui l’ont entendu, il a expliqué à plusieurs reprises « en vouloir au milieu hospitalier, indiquant avoir été maltraité depuis plusieurs années par le milieu psychiatrique », a rapporté le procureur Matthieu Bourrette.

Son avocat commis d’office, Olivier Chalot, qui a pu le rencontrer une fois, raconte à Mediapart « une conversation difficile, des interactions limitées ». Pour lui, il est « en colère tout court. Cette colère s’est focalisée à ce moment-là sur “les blouses blanches”. J’attends de voir ce que dira l’expertise psychiatrique ».

Je ne vocifère pas contre les malades mais contre le système.

Psychiatre à Reims, chef de service du centre d’accueil de jour Antonin-Artaud, Patrick Chemla ne peut rien dire des conditions de prise en charge de ce malade psychiatrique, qui n’a pas fréquenté son service. Mais il estime que « ces personnes en très grande vulnérabilité psychique ont besoin d’un espace sécurisant, cela devrait être la fonction d’un service public de psychiatrie. Au centre Antonin-Artaud, il y a un accueil physique ou téléphonique inconditionnel 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Les gens peuvent venir sous n’importe quel prétexte, pas seulement pour voir le psy, mais pour trouver un lieu soignant ».

Cette méthode de travail est celle de la psychothérapie institutionnelle, née après guerre en réaction à l’enfermement des malades. Dans les années 1960 et 1970, elle a révolutionné la psychiatrie, la réorganisant en secteurs au plus près des lieux de vie.

« On vit une très grande régression, estime le docteur Chemla. Des lieux comme le nôtre, il n’y en a presque plus. L’État, avec sa politique d’évaluation comptable, est contre nous. La psychiatrie universitaire ne croit plus qu’au médicament, à l’efficacité pourtant relative. Les infirmiers en psychiatrie ne reçoivent plus aucune formation. Pourtant, la seule thérapeutique qui a fait ses preuves est le lien humain. »

La première victime de Franck F., l’infirmière Corinne Langlois, poignardée en 2017, a pris la parole sur France 3 Régions. Elle y raconte son traumatisme, qui ne passe pas et lui interdit de retravailler. Elle raconte aussi qu’en arrivant dans l’Esat où elle a été agressée, elle ne « connaissait pas les gens psychotiques » : « Je ne savais pas comment me comporter. On m’a juste dit de ne jamais me retrouver devant eux et d’éviter les coins sombres. Je ne comprends pas : il avait arrêté son traitement depuis un mois. Personne ne s’en était rendu compte. Pourquoi ? Comment est-ce possible ? »

Elle insiste encore : « Je ne vocifère pas contre les malades mais contre le système. »


 

   publié le 26 mai 2023

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Sur le site de la CGT https://www.cgt.fr

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien. C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».

« On aurait dû se révolter bien avant », disait l’une d’elles au Monde à la fin du mois d’avril. Avec des salaires n’atteignant pas les 1 500 euros après plus de vingt ans d’ancienneté, les soixante-douze femmes grévistes de Vertbaudet ne comprennent pas pourquoi la direction de l’usine refuse catégoriquement d’augmenter leurs salaires. En effet, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’accord salarial pour 2023 qui prévoit… 0 % d’augmentation de salaire, alors que l’inflation atteint des niveaux record.

Les travailleuses de l’entrepôt d’acheminement Vertbaudet de Marquette-lez-Lille sont en grève depuis le 20 mars 2023. Elles réclament une augmentation de leur salaire d’au moins 150 euros net et l’embauche d’intérimaires.

La spirale de l’intimidation et de la violence

Le 16 mai, au lieu d’organiser une médiation, la préfecture a envoyé la police évacuer le piquet de grève. Résultat : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. La spirale de l’intimidation et de la violence a été franchie avec le guet-apens dont a été victime un délégué syndical CGT.

L’homme, embarqué devant sa maison, a été agressé par plusieurs hommes armés, ces derniers n’ont pas hésité à menacer son fils et son épouse. En 2023, en France, voilà ce que donnent neuf semaines de grève pour un meilleur salaire. Encore une fois, le gouvernement et le patronat font front contre le salariat.

Depuis, interpellée par la CGT, la première ministre s’est enfin engagée à cesser toutes les poursuites contre les ouvrières et à garantir une médiation avec la direction de l’entreprise. Cependant, plus de soixante jours après le début de la grève, la direction méprise toujours les soixante-douze salariées grévistes et refuse toute augmentation collective de salaire.

Cette violence et ce mépris que subissent les ouvrières de Vertbaudet, des milliers de grévistes les subissent alors qu’ils luttent contre la réforme des retraites, pour l’augmentation des salaires ou pour de meilleures conditions de travail. Les ouvrières de Vertbaudet sont à l’image des millions de femmes, scotchées à un plancher collant qui les retient dans des emplois dévalorisés et sous-payés à cause d’un management sexiste.

Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ?

Une lutte symbolique

On ne peut pas à longueur de journée déplorer les écarts de salaires entre les femmes et les hommes et, quand des femmes luttent pour gagner une revalorisation de leurs salaires, être aux abonnés absents. On ne peut pas en appeler aux employeurs pour qu’ils augmentent les salaires et, quand les salariés sont en grève, envoyer les forces de l’ordre pour casser leur piquet de grève !

Par leur lutte exemplaire, les ouvrières de Vertbaudet montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect. Féministes, nous les soutenons.

Vertbaudet est une entreprise connue en France. Connue des parents, qui sont nombreux à recourir à ses produits pour habiller leurs bébés. Mais aussi connue des dirigeants politiques. L’entreprise vient d’inaugurer son siège social à Tourcoing (Nord), ville dont le ministre de l’intérieur est toujours conseiller municipal. Elle a été rachetée par le fonds Equistone, un fonds d’investissement dirigé par Edouard Fillon, le fils de François Fillon. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas abandonner les ouvrières de Vertbaudet à leur sort et faire comme s’il s’agissait d’un conflit privé.

Il s’agit d’une lutte symbolique et nous soutiendrons les grévistes jusqu’à ce qu’elles obtiennent satisfaction.

Monsieur le PDG [Mathieu Hamelle], votre responsabilité est directement engagée. Nous vous appelons à ouvrir enfin des négociations pour concrétiser les augmentations de salaires revendiquées et abandonner immédiatement les sanctions contre toutes les grévistes. Nous appelons le gouvernement à agir réellement pour engager une procédure de médiation sérieuse et mettre sous pression l’entreprise pour que les négociations aboutissent.

Retrouvez la liste des premières signataires.


 


 

Les grévistes de Vertbaudet ont besoin de votre soutien

Pétition de soutien aux grévistes de Vertbaudet

 

Après deux mois de mobilisation pour des revalorisations de salaires, les grévistes de Vertbaudet ont besoin de soutien.

 C'est dans ce contexte qu'un appel a été lancé mardi 23 mai : « Les ouvrières de Vertbaudet, par leur lutte exemplaire, montrent qu’elles ne se laisseront pas faire et qu’elles ont droit au respect ».


 

pour signer la pétition :

https://www.change.org/p/soutenir-les-salari%C3%A9es-gr%C3%A9vistes-de-l-usine-vertbaudet?utm_source=email&utm_campaign=Info%20spciale%20du%2025052023&utm_medium=email

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je signe la pétition >>>

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment la lutte des Vertbaudet devient une bataille nationale

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que le conflit des femmes de Vertbaudet prend une ampleur nationale, Sophie Binet, tout fraîchement élue à la tête de la CGT, a promis un soutien fort du syndicat. Si le statu quo demeure, des actions sont envisagées, d’ici la fin de la semaine, dans les sites de l’entreprise partout en France.

C’est un geste fort. Plus de deux mois après le début de la grève dans l’enseigne de puériculture Vertbaudet, la secrétaire générale de la CGT a affirmé, ce mardi 23 janvier, que la centrale syndicale jetterait toutes ses forces dans la bataille. Dans l’entrepôt de Marquette-lez-Lille (Nord) 72 ouvrières – dans l’immense majorité des femmes – sont en grève depuis plus de deux mois pour exiger des augmentations salariales, l’embauche des intérimaires ou encore l’amélioration des conditions de travail (voir notre article).

Pour que leur conflit soit victorieux, Sophie Binet, venue devant le siège du groupe propriétaire de Vertbaudet Equistone Partners Europe, a lancé un ultimatum à la direction de l’enseigne. « D’ici vendredi (ndlr: 26 mai), si vous n’avez pas ouvert de négociation de fin de conflit, nous allons franchir un nouveau cap. Les 600 000 syndiqués de la CGT se mettront en action pour soutenir la lutte. Le message envoyé au patron est simple : il faut retrouver le chemin de la raison. »

Le niveau de la répression policière et patronale qui s’abat sur les grévistes fait également de cette grève un conflit hors normes. En guise de bilan : deux gardes à vue, une gréviste violentée puis hospitalisée avec quatre jours d’interruption temporaire de travail, six salariées convoquées pour un entretien préalable. Surtout, un des délégués syndicaux CGT du site a fait l’objet d’une opération « digne d’une milice patronale », selon les grévistes. Les agresseurs n’ont pas été identifiés mais le parquet a ouvert une enquête.

Alors que Jean-Luc Mélenchon était hier soir sur le piquet de Vertbaudet, les déclarations de la secrétaire générale de la CGT sont claires : cette lutte est devenue une bataille nationale. Sophie Binet y met en jeu sa crédibilité ainsi que celle de sa centrale syndicale.

Franchir un nouveau cap dans la lutte des Vertbaudet

Mais que signifie « franchir un nouveau cap » ? Quelles sont les actions envisagées par la CGT ? « Si rien ne se passe d’ici vendredi, nous appellerons à effectuer des actions en direction des magasins Vertbaudet partout en France », détaille Amar Lagha, secrétaire général de la fédération commerces et services de la CGT. La semaine dernière, un magasin Vertbaudet de Marseille avait déjà été envahi en soutien à la lutte des ouvrières du Nord. « Il s‘agira d’amplifier cela pour que, dans chaque union départementale, les militants de la CGT, qu’ils travaillent dans le commerce ou non, multiplient les actions », continue Amar Lagha.

Hausser le ton, pour la CGT, c’est aussi renouveler l’appel au boycott des produits Vertbaudet. Sophie Binet, présente sur le piquet de grève de Marquette-lez-Lille le 21 avril, avait déjà lancé un tel appel. « Cette fois, il s’agira de l’amplifier avec tous les moyens de communication à notre disposition », précise Amar Lagha.

À cela s’ajoute une tribune, signée par plus de 100 féministes, publiée aujourd’hui dans Le Monde et destinée à se transformer en pétition. Celle-ci rappelle la dimension éminemment féministe de la lutte des ouvrières de Vertbaudet. « Leur grève met en lumière une question centrale. Comment, sans salaire digne, faire ses choix de vie, quitter son conjoint si on le souhaite et pouvoir nourrir ses enfants ? Comment être libre sans indépendance économique ? », alertent les signataires.

   publié le 25 mai 2023

Conditionner davantage le RSA : pourquoi faut-il s’opposer à ce chantage à l’allocation 

par Marie-Aleth Grard, Présidente d’ATD Quart Monde sur https://basta.media

« Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est défendre un modèle de société dans lequel la solidarité nationale ne se marchande pas », explique Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde. D’autres solutions existent.

L’heure serait venue de « responsabiliser » les pauvres : une réforme du RSA est prévue pour début juin afin d’en conditionner le versement à 15-20 heures d’activités, sans même attendre les résultats des expérimentations lancées sur le sujet dans 18 territoires. Le Mouvement ATD Quart Monde explique pourquoi il s’oppose à ce chantage à l’allocation.

S’opposer à cette réforme, c’est défendre un modèle de société basé sur la solidarité nationale

Parler du Revenu de solidarité active c’est parler d’un revenu de subsistance de 607 euros par mois : on ne vit pas au RSA, on survit. Quand le RMI a été créé, inspiré par le rapport du fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, au CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), il a été pensé comme une protection inconditionnelle pour celles et ceux qui en ont besoin pour vivre dignement, en référence à la Constitution française.

Évoluant en RSA, ce revenu, au nom d’une logique méritocratique, s’est traduit par un renforcement du contrôle des allocataires. Résultat : si certains allocataires acceptent de signer le contrat d’engagement lié au RSA, malgré des dispositifs d’insertion inadaptés aux bénéficiaires et au marché de l’emploi, un tiers des personnes éligibles préfèrent tout bonnement renoncer à leurs droits. Car, à un parcours semé d’embûches et de ruptures de droits, s’ajoutent trop souvent le poids intolérable de la suspicion de fraudes et des contrôles ubuesques.

Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est savoir d’expérience que ce sont les sécurités de base qui permettent de faire face à ses responsabilités et non la peur des sanctions. C’est défendre un modèle de société dans lequel la solidarité nationale ne se marchande pas.

S’opposer à cette réforme, c’est refuser la « pauvrophobie »

Penser qu’il faudrait conditionner davantage le versement du RSA pour retrouver le chemin de l’emploi, c’est accepter l’idée que les allocataires « ne veulent pas travailler » que ce sont des « fainéants » qui « profitent du système » et qu’il faut donc les « responsabiliser », selon la terminologie en vogue. Ces idées fausses gangrènent le débat public.

L’engagement à nos côtés de nombreuses personnes allocataires du RSA et les expérimentations comme Territoires zéro chômeur de longue durée ou celles menées par ATD Quart Monde dans l’accompagnement des personnes en grande précarité vers des formations du secteur de l’animation sociale montrent tout le contraire

La difficulté d’accès à l’emploi des allocataires du RSA dépend moins de leur volonté que de réalités de vie difficiles

La difficulté d’accès à l’emploi des allocataires du RSA dépend moins de leur volonté que de réalités de vie difficiles : équilibres familiaux précaires, absence de solution de garde d’enfant ou de transports, problèmes de santé invalidants, absence de logement décent, discriminations, absences d’offres d’emplois dans certains territoires…

Aujourd’hui, 40 % des allocataires ne sont pas accompagnés, car l’État ne remplit pas son obligation d’accompagnement faute de moyens dédiés. Il y a 20 ans, à la création du RMI, les dépenses consacrées à l’accompagnement atteignaient 20 % du budget dédié au RMI. Aujourd’hui elles sont de l’ordre de 7 %. Peut-on encore croire que l’échec de l’accompagnement relève de la faute des allocataires ? Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est arrêter de croire en des idées fausses sur les pauvres et la pauvreté.

S’opposer à cette réforme, c’est croire qu’un autre accompagnement est possible

Avec cette réforme du RSA – et les expérimentations lancées dans 18 territoires – le gouvernement dit vouloir « mieux accompagner » les allocataires. Or, généraliser ce type de dispositif à deux millions d’allocataires supposerait, pour le service public de l’emploi, un effort massif qui interroge au moment où le gouvernement annonce plusieurs milliards d’économies dans les dépenses publiques.

Car, 15 heures d’activités par semaine pour 2 millions d’allocataires, cela représente 30 millions d’heures d’activités hebdomadaires. Où sont-elles ? Quelles sont les structures et les entreprises qui vont les proposer ? Qui va faire le lien entre ces dernières et les allocataires, alors même que les travailleurs sociaux ne sont déjà pas assez nombreux ?

Même avec de la bonne volonté, les agents de pôle emploi ne risquent-ils pas de tomber dans une logique comptable, qui risquerait d’entraîner la radiation massive d’allocataires et nourrir un peu plus encore la maltraitance institutionnelle ?

Rappelons que si l’accès à l’emploi est un levier essentiel de la lutte contre la pauvreté, il n’est pas la seule voie de sortie : nous devons défendre l’accès de tous au logement, aux soins, à l’éducation et aux autres droits fondamentaux, indissociables du droit à l’emploi.

Refuser de conditionner davantage le RSA, c’est croire que d’autres solutions existent : c’est militer pour un véritable accompagnement basé sur la confiance, la reconnaissance des talents et des compétences des personnes.


 

    publiéle 2 mai 2023

Au Havre, un 1er Mai antifasciste

Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Contre le Rassemblement national qui organisait sa « fête de la nation » dans la ville portuaire, une vingtaine d’associations ont tenu une « contre-fête » en plus du traditionnel cortège en solidarité avec les travailleurs et travailleuses. Reportage.

Des terres ouvrières, un port français face à une Manche traversée par le commerce mondial, et un avertissement au maire Horizons, Édouard Philippe, potentiel candidat pour les élections présidentielles de 2027. Le plan de communication de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, président du Rassemblement national, devait être réglé comme du papier à musique. Et pourtant. Au Havre, ce sont les 4 800 manifestants venus célébrer les travailleurs et travailleuses, en ce 1er Mai, qui se sont fait entendre à travers la ville. C’est trois fois plus qu’en 2022, où s’étaient rassemblées entre 1300 et 1500 personnes.

Imaginée par l’eurodéputé RN pour remplacer la traditionnelle gerbe de fleurs déposée depuis 1979 au pied de la statue de Jeanne d’Arc, à Paris, la « fête de la nation » n’a finalement pas pris. Bunkerisé dans un carré des Docks surveillé par le service d’ordre du parti, les DPS, l’événement, ramassé en quatre petites heures, a rassemblé trois fois moins de personnes que celui organisé par les syndicats et les associations.

Sous haute surveillance policière, et d’un drone dont l’utilisation a été limitée au Havre par le tribunal administratif, mais pas interdite, une soixantaine de manifestants ont tenté de rejoindre l’événement. Les CRS les ont dispersés en utilisant du gaz lacrymogène. Une personne s’est vue administrer un coup de matraque au visage. 

Une fois à l’intérieur de l’enceinte, la mise en scène se voulait « conviviale, comme en famille », selon les mots du député de la Moselle, Laurent Jacobelli. L’idée : montrer aux invités, constitués d’élus, de cadres ou de jeunes militants du RN ayant déboursé 20 euros, que le parti était bien celui des travailleurs populaires, en ce 1er Mai. La treizième journée de manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de l’intersyndicale, qui se tenait pourtant le même jour, n’a pas été évoquée une seule fois.

Vin, terrine de canard et « crise civilisationnelle »

Dans le prolongement des longues tables bleu-blanc-rouge encombrées de vin, de terrine de canard et de volaille, Sébastien Chenu, vice-président de l’Assemblée nationale, a vanté le groupe RN qui siège au Palais Bourbon. « Le plus actif, le plus présent », s’est-il enthousiasmé devant un public à la bouche pleine.

Alors que le cadre du parti continuait d’égrainer lourdement les propositions de lois des députés RN, Jordan Bardella s’est inquiété par message auprès d’un de ses conseillers. Sébastien Chenu serait-il déjà « en campagne interne » ? « Le congrès est dans 3 ans, mais il faut commencer tôt ! », grince le conseiller auprès de l’eurodéputé RN, Jean-Lin Lacapelle. Ambiance.

Après l’interminable Sébastien Chenu, c’est au tour de Marine Le Pen de ressasser les mêmes hantises habituelles : « la crise civilisationnelle », « l’arme de fragmentation massive » que serait l’intersectionnalité, et cette « secte » de wokisme, en plus d’un Macron, unique « cause de nos maux », d’après elle.

En ce jour de « fête du travail et de la patrie », elle n’a pas réfléchi à de nouvelles propositions, ni à la moindre analyse neuve sur la séquence actuelle. Preuve d’une gêne vis-à-vis d’un mouvement social qui lui est opposé ? Sur une ligne de crête, l’ancienne candidate RN a préféré ressortir son programme de 2022. Son clip de campagne a même été diffusé.

Marine Le Pen maquille la discrétion dont on l’accuse depuis le 19 janvier en posture pacificatrice face aux « vociférantes » oppositions. À peine a-t-elle dessiné cette fumeuse « paix sociale », que son équipe vendait à chaque bâillement des convives, comme un « contrat passé avec le pays » basé sur « un engagement pour les entreprises, pour les salariés qui maintiennent seulement leur survie, et pour les cotisants ». Comprenne qui pourra.

« Casse-toi Bardella ! »

Ce manque d’imagination n’aurait pas surpris Stéphane Fourrier. Quelques heures plus tôt, alors que le défilé du 1er Mai grossissait autour de la Maison des Syndicats, l’enseignant syndiqué à la FSU observait du bleu de ses yeux rieurs le cortège des travailleurs sans-papiers. « Le Rassemblement national est incapable de proposer quoi que ce soit. Quand on regarde de près ce que leur groupe a voté à l’Assemblée, on constate qu’ils ont été contre l’augmentation du Smic, contre l’interdiction des jets-privés, etc. Bref : le RN vote toujours contre l’intérêt des travailleurs », explique-t-il.

Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste.

Ce mythe du parti d’extrême droite autoproclamé « parti des ouvriers » est à déconstruire. Michel, chauffeur-routier né au Havre, n’a de cesse de le répéter à ses collègues. « Marine Le Pen nous ment quand elle sort ces conneries. Après elle ose venir ici ? Je ne peux pas l’accepter », pointe-t-il du doigt, alors que le cortège CFDT lance des « c’est qui les casseurs, c’est eux, dehors ce gouvernement ».

Une fois arrivée sous les deux arches que forme la Catène de containers, monument typique du Havre depuis la transformation du port industriel, la foule a pu se disperser entre la scène et les différents stands des associations. « Vous imaginez une Le Pen déambuler ici ? C’est impossible. Pourquoi ? Parce que la culture ouvrière du Havre est profondément antifasciste », lance Olivier, dont plusieurs membres de sa famille travaillent au port.

Si le combat contre la retraite n’est « pas terminé », estime Marie-Laure Tirelle, responsable de l’union départementale de l’Unsa, il s’agissait aussi de montrer qu’au Havre, « on n’est absolument contre la venue du RN ». Du chamboule-tout à l’effigie d’Emmanuel Macron et de sa rivale d’extrême droite jusqu’aux harangues des artistes sur scène, la « contre-fête » tenait sur ses deux jambes : la fête des travailleurs contre la réforme des retraites, d’un côté, et la lutte antiraciste de l’autre.

Cette « intersectionnalité », pointée du doigt deux kilomètres plus loin au banquet-meeting du RN, fait la fierté de Médine – grande star locale et dernier artiste de la journée. « Les cadres du RN ont très peur de ce qui est incarné ici : la convergence des luttes syndicalistes, antiracistes, LGBTQI. J’essaie d’incarner ce croisement moi aussi, et je viens le célébrer ici », analyse celui dont les dates de tournée n’arrivent pas à être empêchées par les élus RN. « Quand on est populaire, comme s’estime Marine Le Pen, on marche dans la rue, on rencontre les gens. C’est exactement ce qu’elle n’a pas fait ».

Après les célèbres « Médine France » et « La France au Rap Français », c’est la très attendue « Puissance du Port du Havre » qui a retourné la foule. Jusqu’à faire tomber les barrières séparant la scène du public. « Il faut retenir ça : aujourd’hui, on a fait tomber les barrières, on est ensemble », lance Médine, comme un message antifasciste contre la venue du RN au Havre.


 

   publié le 1° mai 2023

2,3 millions de manifestants dans toute la France, un 1er Mai historique

 Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Il y a eu 550.000 manifestants à Paris selon la CGT. Le stand du PCF dans le cortège parisien a été visé avec un engin incendiaire, lorsqu'un cortège avec des slogans hostiles au PCF passait. Des tensions émaillent le cortège dans la capitale avec des charges policières à peine la manifestation partie, tandis qu'un important "black bloc" s'est formé en tête. Destruction également du stand de Siné-mensuel.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 


 

   publié le 30 avril 2023

Baptiste Giraud, « L’unité syndicale cristallise des tensions qui dépassent cette réforme »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Bien qu’affaiblies par la « révolution » macronienne, les organisations syndicales ont affirmé leur rôle de contre-pouvoir à travers le mouvement historique contre la réforme des retraites. Une place qu’elles pourront renforcer, « à condition de trouver un second souffle », soutient le politologue Baptiste Giraud, avant ce 1er mai exceptionnel à l’appel de l’intersyndicale.

L’intersyndicale promet un 1er Mai historique. Les huit centrales restent unies dans l’objectif de la non-application de la réforme des retraites. Pour autant, les divisions stratégiques et revendicatives laissent planer un doute quant à la longévité du rassemblement, alors qu’Emmanuel Macron entend accélérer ses réformes, en avançant l’ouverture d’une grande négociation entre organisations patronales et syndicales, en vue d’abonder son « pacte de la vie au travail ».

Diriez-vous, pour l’heure, que les organisations syndicales sortent renforcées de ce conflit social malgré l’absence du retrait de la réforme ?

Baptiste Giraud : Objectivement, l’ampleur des mobilisations a démontré à ceux qui en doutaient la force de leur ancrage dans le monde du travail et leur capacité à s’imposer comme des acteurs centraux du jeu politique. Mais ce conflit est aussi une illustration supplémentaire de leur marginalisation par le pouvoir. Les organisations syndicales ont beaucoup communiqué sur le nombre d’adhésions réalisées depuis janvier. La difficulté reste à les transformer en engagement durable. La mobilisation a aussi joui d’un soutien massif parmi les actifs. C’est un point positif, mais paradoxal par rapport à la difficulté persistante des syndicats à le convertir en engagement plus massif dans les manifestations et encore plus dans la grève.

L’intersyndicale demeure toujours rassemblée. La CFDT, notamment, continue d’impulser la contestation sociale. L’absence de compromis et l’attitude brutale de l’exécutif sont-elles les seules explications ?

Baptiste Giraud : Elles ont été des facteurs décisifs. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, les syndicats n’ont plus aucune marge de manœuvre. Cela vaut aussi pour les centrales réformistes qui ne peuvent plus valider leur engagement dans la négociation par l’obtention de compromis. De fait, elles sont contraintes à renouer avec des postures contestataires, délaissées depuis 2010. Cette unité syndicale cristallise donc des tensions qui dépassent le seul cadre de cette réforme. Notamment depuis la mise en place des ordonnances Macron et l’instauration des comités sociaux et économiques (CSE), dont la conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Pensez-vous que le dialogue et la démocratie sociale sont à l’arrêt jusqu’à la fin du quinquennat ?

Baptiste Giraud : De toute évidence, elle ne fonctionne pas depuis 2017. Mais il est difficile d’imaginer l’exécutif diriger le pays quatre années durant sans avoir aucun interlocuteur syndical. Le refus de discuter sur d’autres réformes est d’ailleurs la principale arme des centrales pour perturber le pouvoir politique. Si le gouvernement se décide à donner des gages aux organisations réformistes sur les futurs arbitrages, pour ma part, je les imagine mal camper sur cette position de blocage. L’exécutif devra y mettre le prix. Restons prudents cependant. On aurait pu s’attendre à ce que la crise des gilets jaunes ait remis les syndicats au centre du jeu politique, en faisant la démonstration de la nécessité d’avoir des représentations organisées. Manifestement l’exécutif n’en a pas tiré de leçon, tout comme Emmanuel Macron a fait mine de ne pas comprendre qu’il n’a pas été réélu sur son programme.

Pour la suite, le gouvernement met sur la table une nouvelle loi travail, ainsi qu’un texte sur le partage de la valeur. Quelle va être l’attitude des centrales syndicales dans ces dossiers ?

Baptiste Giraud : Le caractère unitaire de ce mouvement n’a pas fait converger les syndicats vers des revendications alternatives communes. Ce qui le distingue, par exemple, des mobilisations de 2008 au moment de la crise financière, qui s’étaient construites autour d’une plateforme revendicative intersyndicale. L’unité des syndicats reste donc fragile dans le temps en raison de leurs divergences de position sur la protection sociale ou les politiques salariales. Elles se sont par exemple divisées sur le récent accord interprofessionnel sur le partage de la valeur ajoutée qui n’aborde pas la question des salaires, renvoyée aux négociations de branches et d’entreprises. Pour cette raison, la CGT a refusé de signer l’accord alors qu’il a été ratifié par les autres centrales. Sur les autres sujets, s’il y a des avancées, on peut penser que le gouvernement trouvera une oreille attentive du côté des organisations réformistes. Ces dernières prennent un risque en restant en dehors de toute forme de négociations avec le gouvernement et le patronat, car il s’agit là de leur marque de fabrique, leur identité militante. C’est ce qui les distingue et légitime leur rôle dans l’espace syndical. Pour rester au centre de ce dernier, il sera donc difficile pour elles de persister dans une posture de contestation.

Ce mouvement social est marqué par de fortes mobilisations de rue, avec 3,5 millions de personnes dans les cortèges les 7 et 23 mars. Y a-t-il un changement de paradigme dans les luttes, avec une prédominance des manifestations par rapport aux grèves ?

Baptiste Giraud : Ce n’est pas une nouveauté, cette tendance est perceptible depuis au moins trente ans. La manifestation, dans des journées d’action interprofessionnelle, apparaît comme la principale modalité de participation à l’action. Cela ne veut pas dire que les grèves n’existent pas. Mais elles sont assez circonscrites à l’énergie, le transport ferroviaire, l’éducation nationale ou encore aux raffineries. À noter que les éboueurs se sont plus mobilisés qu’à l’ordinaire. Mais en dehors de ces secteurs dits stratégiques, il n’y a pas eu d’extension de mouvements de grève reconductible. En dehors des journées d’action, la participation aux grèves a aussi été plus faible que par le passé, y compris chez les cheminots. Il n’y a pas de comparaison possible avec 1995, où la mobilisation à la SNCF était très ancrée sur la défense du statut, qui n’existe plus depuis 2020 pour les nouveaux embauchés. La morphologie de la mobilisation est en fait cohérente avec ce qu’on observe sur le temps long : une baisse du nombre de grèves, du taux de participation, mais aussi leur répartition très inégale dans le monde du travail. Les syndicats restent faiblement implantés auprès de salariés qui subissent des conditions de salaire et d’emploi précaires, au sein de collectifs de travail très éclatés. Il leur est donc très difficile d’y organiser des grèves. Le contexte de forte inflation a évidemment ajouté aux difficultés à mobiliser par la grève au profit de formes de mobilisation moins coûteuses comme les débrayages, l’utilisation des heures de délégation ou la pose de RTT.

Le rapport de la CGT à la contestation semble s’être durci à l’issue de son 53e congrès. Dans son duel à distance avec la CFDT, la mobilisation change-t-elle quelque chose pour la centrale ?

Baptiste Giraud : Il est assez compliqué de savoir qui sort vainqueur, dans le camp syndical, de cette séquence. La CGT a démontré son rôle moteur dans la mobilisation, notamment dans les secteurs stratégiques, en dépit de son affaiblissement électoral. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer pourquoi les organisations réformistes n’ont pas forcément intérêt à rester longtemps dans cette stratégie, qui redonne de la vigueur à une pratique plus contestataire du syndicalisme. Laurent Berger s’est imposé comme la figure syndicale médiatique de la mobilisation. La CFDT est d’habitude plus en retrait, sa parole apparaissait plus originale pour les médias. La CGT et la CFDT peuvent en sortir renforcées, à condition qu’elles trouvent un second souffle. La CGT ne peut rester durant des mois dans une posture de contestation permanente et doit trouver d’autres leviers pour obtenir des victoires justifiant l’efficacité de son action. La CFDT ne pourra revenir dans sa pratique de la négociation qu’à condition d’obtenir des acquis réels, en particulier sur la pénibilité.

L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un changement générationnel dans le syndicalisme ?

Baptiste Giraud : Tout à fait. Sophie Binet est la première femme à diriger cette confédération, cela a été souligné, tout comme son passage par le PS ou encore son parcours à l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT). Mais son élection, avec celle de Laurent Brun (secrétaire général de la fédération CGT cheminots – NDLR) comme administrateur, marque aussi l’arrivée de quadragénaires à la tête de la confédération. C’est également le cas pour Marylise Léon, qui va succéder à Laurent Berger à la CFDT. Ce renouvellement de génération peut favoriser l’ouverture des syndicats à de nouveaux combats, notamment sur le féminisme ou l’écologie qu’incarne Sophie Binet. En revanche, comme en témoigne par exemple l’arrivée de Laurent Brun, il n’implique pas forcément de rupture dans le logiciel idéologique de la centrale. On peut s’accorder sur le fait que ce renouvellement soit une bonne nouvelle, dans l’idée que cela rajeunit l’image du syndicalisme et tord le cou à l’idée qu’il ne serait qu’une affaire du passé. Au contraire, on observe que les syndicats ont la capacité de produire de nouvelles générations de dirigeants, de haut niveau, indépendamment de leurs lignes respectives.

« DEPUIS 2017, LES SYNDICATS N’ONT PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE. LES CENTRALES RÉFORMISTES SONT CONTRAINTES À RENOUER AVEC DES POSTURES CONTESTATAIRES. »

Malgré un désert syndical chez les étudiants, les jeunes se sont mobilisés de manière plus importante après l’usage du 49.3. Ont-ils apporté un second souffle à cette mobilisation ?

Baptiste Giraud : C’est d’abord un révélateur de l’affaiblissement durable du syndicalisme étudiant, dans sa fonction mobilisatrice, directement lié au délitement de l’Unef. J’ajouterai deux éléments conjoncturels. Le CPE concernait en premier lieu les jeunes, contrairement à la retraite. Mais aussi le fait que le bac se déroule désormais en mars, pour certaines épreuves décisives pour Parcoursup. Le calendrier n’était pas optimal pour favoriser la mobilisation de la jeunesse. Cela ne signifie pas pour autant une dépolitisation. La mobilisation a changé de sens, passant d’un conflit social classique à un conflit englobant des aspects démocratiques, surtout après l’usage du 49.3. Cela a permis d’élargir la contestation aux jeunes et, sans doute, à d’autres catégories de salariés. Pour les centrales syndicales, l’un des enjeux à venir est de restructurer une capacité de mobilisation des jeunes, à l’université comme au travail.

Profil : Baptiste Giraud est maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille. Ses domaines de recherche se concentrent, entre autres, sur la sociologie du syndicalisme et de l’action collective, des organisations politiques, des relations professionnelles et de la santé au travail. Il est notamment le coauteur, en 2018, d’une « Sociologie politique du syndicalisme », aux éditions Armand Colin.

 

   publié le 29 avril 2023

Un 1er Mai déjà historique

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

En pleine bataille des retraites, la réussite de cette Journée internationale des travailleurs, où défilera l’intersyndicale, peut ouvrir des opportunités nouvelles au mouvement social, alors que le Conseil constitutionnel se prononce le 3 mai sur la seconde demande de RIP.

Ce 1er mai 2023, Journée internationale des travailleurs, s’annonce d’ores et déjà historique. Par sa dimension rassembleuse d’abord, avec un appel commun des huit organisations syndicales du pays à ­rejoindre les cortèges. Ce cadre unitaire est rarissime : en 2012, par exemple, une intersyndicale appelait également à la mobilisation, mais sans Force ouvrière, ni la CFTC.

Pour 64% des Français, la contestation sociale doit se poursuivre

Cette nouvelle manifestation intervient dans un contexte social explosif, après le passage en force d’Emmanuel Macron au Parlement sur la réforme des retraites et la présentation, mercredi 26 avril, de la nouvelle feuille de route gouvernementale.

Sans avancer de chiffres, les centrales espèrent une journée de mobilisation massive : près de 300 rassemblements sont d’ores et déjà prévus, contre environ 200 à l’ordinaire. « Nous sentons une montée en puissance des manifestations, avec une volonté recherchée de rassembler au plus près des bassins d’emploi, explique Thierry Pettavino, chargé de la coordination des luttes à la CGT. Ce qui se joue, c’est la poursuite du mouvement. »

D’ailleurs, pour 64 % des Français, selon l’institut Elabe, la contestation sociale doit se poursuivre. « Une première victoire est d’avoir identifié, à nouveau, le 1er Mai comme une date de mobilisation sociale et de solidarité internationale », assure Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT. Ainsi, plusieurs dizaines de délégations internationales défileront dans le cortège parisien. Seront ainsi présents Esther Lynch, ­secrétaire générale de Confédération européenne des ­syndicats (CES) , et Éric Manzi, pour la Confédération syndicale internationale (CSI).

La non-application de la réforme est possible

CPE. Trois lettres pour un projet de loi, contesté par un fort mouvement social en 2006, qui n’est jamais entré en vigueur. Le contrat première embauche (CPE) est l’exemple cité par l’intersyndicale après la promulgation de la ­réforme des retraites, le 15 avril.

De fait, la publication du texte, validé par le Conseil constitutionnel, au Journal ­officiel écarte la possibilité de contraindre le président de la République à recourir à l’article 10 pour renvoyer le projet devant les députés. « Dès lors, si vous voulez revenir devant le Parlement, il faut déposer un nouveau projet de loi et reprendre le fil dès le début », précise le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Pour autant, comme pour le CPE, la contestation sociale peut forcer le président de la République à ne pas publier les décrets d’application.

Seconde demande de RIP déposée par les parlementaire de gauche

Sur le plan parlementaire, les oppositions veulent maintenir la pression sur l’exécutif, désireux de clore la séquence. Une seconde demande de référendum d’initiative partagée (RIP), visant à ne pas repousser l’âge de départ à la retraite après 62 ans, a été déposée par les parlementaires de gauche.

« Mais cette requête reprend l’article unique de la première demande, déjà censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle n’apportait pas de changement du droit, tempère Benjamin Morel, accompagné d’un second article visant à moduler les taux de CSG. Or, la jurisprudence issue du RIP sur les superprofits précise que la variation de taux n’est pas en soi une réforme. »

Les sages rendront leur avis le 3 mai. La réussite du 1er Mai pourrait ainsi accroître la pression populaire pour une issue démocratique à cette crise. De plus, les oppositions ont toujours la possibilité de déposer des propositions de loi visant à abroger la réforme. Au Sénat, le groupe communiste a déposé un texte en ce sens. Les députés seront également amenés à se positionner sur la proposition du groupe centriste Liot, le 8 juin, lors de sa niche parlementaire.

Le mouvement renouvelle ses modes d’action

Le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, empêché de descendre de son TGV à Paris, après un déplacement houleux à Lyon ; celui de la Santé, François Braun, hué et accueilli par un concert de sirènes d’ambulance lors de la visite du CHU de Poitiers ; les équipes d’Emmanuel Macron, qui prévoient un groupe électrogène de secours, en cas de coupure d’électricité durant les tournées présidentielles… À l’approche du 1er Mai, la contestation sociale a changé de nature.

La casserole, utilisée par des manifestants pour protester durant l’allocution élyséenne du 17 avril, est devenue le symbole de ces actions coups de poing. « Il était hors de question d’entendre le faux bilan d’Emmanuel Macron, et nous voulions faire comprendre que la mobilisation contre la réforme des retraites n’allait pas sonner son glas », assure Youlie Yamamoto, d’Attac.

L’organisation est à l’initiative de ces « casserolades », après un « un week-end du 15 avril sous le choc de la validation, puis de la promulgation », reconnaît la porte-parole de l’association, pour qui des actions parfois symboliques, mais qui apportent du sens, permettent de donner un nouveau souffle à la contestation. Preuve en est les « 100 jours de zbeul » (« désordre » – NDLR), un classement fait par le syndicat Solidaires informatique qui récompense les départements les plus opposés à la réforme.Près de 300

Vendredi 21 avril, à Paris, des militants de la fédération CGT Info.com ont fait le tour de l’Élysée avec un camion affichant une banderole « Macron démission ». Dans la foulée, des syndicalistes de la culture et de la fonction publique ont envahi le musée d’Orsay. La fédération CGT des mines-énergie, elle, s’est lancée dans une « grèvilla », pour « 100 jours de colère ».

L’intersyndicale réclame une refonte de la démocratie sociale

« La réforme de 2017 a fait une confiance aveugle aux employeurs pour concrétiser les objectifs affichés par les ordonnances, tout en leur donnant les moyens d’y échapper. Ce “en même temps” a fait une victime : la qualité du dialogue social », déclarait Laurent Berger, le 7 janvier, résumant le fossé entre les syndicats et le pouvoir macroniste.

Le secrétaire général de la CFDT dénonçait ainsi la fusion des comités d’entreprise, des CHSCT et des délégués du personnel au sein des comités sociaux et économiques (CSE). « La conséquence directe a été une réduction sans précédent du nombre d’élus du personnel et de leur pouvoir d’agir », analyse le sociologue Baptiste Giraud.

À l’heure où le couple exécutif assure tendre la main aux syndicats sur la future feuille de route gouvernementale, les centrales entendent pousser leur avantage. Selon un sondage Elabe du 6 avril, les syndicats sont désormais perçus à 52 % comme des éléments de dialogue (+ 12 points depuis janvier 2020) et non de « blocage » (46 %, - 13 points).

La CFDT porte 10 propositions visant à redonner du pouvoir aux élus du personnel, dont la désignation de représentants de proximité dans les sociétés comptant plusieurs sites ou encore l’augmentation du crédit d’heures de délégation. Dans l’immédiat, la CGT appelle à la remise en place des instances supprimées en 2017 et à la suspension « de l’ensemble des accords régressifs », dont les ruptures conventionnelles collectives.

Les travailleurs à l’offensive pour les salaires

L’absence de journée de mobilisation interprofessionnelle, depuis le 13 avril, a mis en lumière les luttes sociales dans les entreprises, en lien avec les salaires. Outre leur multiplication dans les Ephad, l’exemple le plus marquant est la lutte des salariés de Vertbaudet, dans le Nord, en grève depuis le 20 mars.

« En réalité, les mobilisations liées aux salaires n’ont pas faibli depuis janvier, mais sont passées au second plan, assure Thomas Vacheron. La contestation sociale sur les retraites participe au rapport de force dans l’entreprise. » Et le secrétaire confédéral de citer l’exemple de l’entreprise Barbier, à Sainte-Sigolène (Haute-Loire), où les salariés ont obtenu 160 euros brut par mois d’augmentation. Un moyen pour les syndicats de mettre sur la table la question des salaires, grande absente de la feuille de route d’Élisabeth Borne. 

Près de 300 points de rendez-vous dans l’hexagone

Pour le 1er Mai comme pour les douze premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites, la lutte se déploie sur l’ensemble du territoire. Au total, près de 300 cortèges sont prévus, selon la CGT. À Paris, la manifestation partira de la place de la République vers 14 heures, jusqu’à la place de la Nation. À Lyon, le cortège s’élancera depuis la place Jean-Jaurès à 10 heures. Même heure pour Marseille. À Urrugne, Bordeaux, Millau ou encore Perpignan, le rendez-vous est à 10 h 30. Militants communistes et syndicaux seront également à pied d’œuvre pour la traditionnelle vente du muguet.


 


 

La rédactrice en chef d'un jour.
Une manifestation
qui restera dans les mémoires

Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT

Le 1er Mai, Journée internationale des travailleuses et des travailleurs, existe depuis près de cent trente- cinq ans, lancé par le mouvement ouvrier et la CGT pour exiger la réduction du temps de travail et la paix. Rien de neuf à venir défiler cette année, alors ? Eh bien, pas du tout ! Ce 1er mai 2023 sera inédit en France. Outre que ce sera la 13e journée de manifestation contre la réforme des retraites, c’est la première fois que l’ensemble des syndicats y appellent. C’est aussi la première fois que la dimension internationale va être ainsi affirmée, avec près de 100 syndicalistes venu·e·s des cinq continents pour afficher leur soutien à la mobilisation française. Il sera aussi familial, festif et populaire. Trois bonnes raisons d’y participer. Mais la quatrième est la plus importante. Notre nombre, le 1er Mai, est déterminant pour gagner. Le 8 juin, une proposition de loi d’abrogation de la réforme des retraites sera examinée par l’Assemblée nationale. Et elle a toutes les chances d’être votée, si la mobilisation et la pression sur les député·e·s se maintiennent. Alors, ce 1er Mai, avec nos familles, nos ami·e·s, nos voisin·e·s et nos collègues, soyons au rendez-vous, prenons la rue pour enterrer la réforme des retraites et mettre à l’ordre du jour des perspectives de progrès ! 

   publié le 28 avril 2023

Morts au travail :
une justice très attendue

Samuel Ravier-Regnat sur www.humanite.fr

Plus de trois ans après le décès de son mari, Alexandre Bento, dans une blanchisserie industrielle, Johanna Daire-Bento se désole de la durée des procédures judiciaires.

« Un jour, mes enfants me demanderont comment leur papa est mort. Il faudra bien que je leur réponde. Qu’est-ce que je vais leur dire ? » Trois ans après le décès de son mari Alexandre Bento, le 3 avril 2020, Johanna Daire-Bento cherche toujours des réponses aux questions qu’elle se pose sans arrêt, tous les jours et toutes les nuits.

De l’accident du travail qui a coûté la vie au père de ses deux enfants, désormais âgés de 7 ans et 3 ans, elle sait qu’il est survenu dans une blanchisserie industrielle située à Brie-Comte-Robert, en Seine-et-Marne.

Employé en CDI comme technicien de maintenance dans cette usine qui traite, au moment du drame, les quantités de tissu envoyées par les hôpitaux débordés par la pandémie de Covid, Alexandre Bento intervient dans un sèche-linge quand la machine se remet soudain en route, après que la porte s’est refermée. Selon les conclusions de l’autopsie, le salarié succombe à une « asphyxie », le corps couvert de contusions et de brûlures. Il a 36 ans.

« Quelque chose cloche » dans ce dossier

Comment un tel accident a-t-il pu survenir ? Pourquoi le tableau électrique n’a-t-il pas été mis en sécurité avant l’intervention d’Alexandre Bento, à l’aide des cadenas prévus à cet égard ? Tenu par le Code du travail de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité » de ses salariés, l’employeur de la victime a-t-il commis une faute ?

Une première enquête diligentée par le parquet de Melun est classée sans suite « à l’issue des premières investigations écartant l’hypothèse d’un geste volontaire », c’est-à-dire d’un suicide, nous précise le parquet. Selon Michel Ledoux, l’avocat de Johanna Daire-Bento, le ministère public a considéré que les circonstances de l’accident étaient « indéterminées » et que celui-ci pouvait trouver son origine dans une « négligence » de la victime.

Alexandre avait une formation d’électricien, et il était très pointilleux sur la sécurité. S’il avait eu un cadenas le jour de l’accident, je suis certaine qu’il s’en serait servi » Johanna Daire-Bento

Impossible, proteste la veuve (elle a obtenu l’autorisation d’un mariage à titre posthume), désormais âgée de 40 ans. « Alexandre avait une formation d’électricien, et il était très pointilleux sur la sécurité. S’il avait eu un cadenas le jour de l’accident, je suis certaine qu’il s’en serait servi », insiste-t-elle. Et de confier que son conjoint s’était déjà plaint auprès d’elle du nombre trop faible de cadenas à disposition des techniciens en intervention.

Fin octobre 2022, à la suite de la remise du rapport de l’inspection du travail, le parquet ouvre une nouvelle enquête pour homicide involontaire, qu’il confie au commissariat de Melun. Pour Johanna Daire-Bento, qui l’a appris quatre mois plus tard, après avoir sollicité par téléphone le cabinet du procureur de la République de Melun, c’est une lueur d’espoir, la confirmation que « quelque chose cloche » dans ce dossier, comme elle le raconte dans le salon de sa maison francilienne, assise devant une tasse de café près d’une commode blanche sur laquelle trône une photo de son défunt mari. Mais les interrogations demeurent.

Les parquets sont débordés

« Je ne sais absolument rien de ce que l’inspection du travail a découvert », résume l’intéressée, qui s’agace de la durée de la procédure. Trois ans, déjà, ont passé depuis la mort d’Alexandre Bento, et l’enquête préliminaire est toujours en cours, ce qui l’empêche d’accéder au dossier.

Cela complique également la reconnaissance par le pôle social du tribunal judiciaire d’une éventuelle faute inexcusable de l’employeur, qui ouvrirait la voie à une indemnisation majorée pour l’ancienne cheffe de réception dans un hôtel, désormais demandeuse d’emploi. « Malheureusement, un tel délai d’enquête n’est pas totalement anormal par rapport aux délais habituels. Les parquets sont débordés, notamment en région parisienne, et les accidents du travail ne sont pas automatiquement des priorités pour eux », indique l’avocat Michel Ledoux, spécialiste des questions de santé et sécurité au travail.

En attendant de voir son dossier avancer, Johanna Daire-Bento a rejoint le collectif de familles de victimes Stop à la mort au travail (constitué en novembre 2022), dont elle est désormais secrétaire. Le 4 avril, deux membres du groupe ont été reçus place Vendôme par des représentants du ministère de la Justice.

Parmi leurs doléances, la « nomination quasi systématique d’un juge d’instruction » dans les affaires d’accident mortel du travail et la « facilitation » et l’« accélération » de l’accès des familles au dossier judiciaire. « Quand la justice va-t-elle se mettre à notre place ? interroge Johanna Daire-Bento. On nous demande toujours d’être patient. Mais certaines familles attendent depuis cinq ou dix ans. Qu’est-ce qu’on fait en attendant ? »


 


 

Sophie Binet (Secrétaire générale de la CGT) :

Chaque jour, en France, ce sont plus de deux personnes qui meurent au travail et 2 500 qui sont victimes d’accidents. Ces chiffres astronomiques sont pourtant minorés, car ils ne prennent en compte ni la fonction publique d’État ni les régimes spéciaux (marins, cheminots, énergie…). Et encore moins les accidents non déclarés du fait des pressions patronales, évalués par certains chercheurs à 750 000 par an… Si les accidents du travail concernent les hommes à 63 %, leur augmentation depuis 2013 est due à l’explosion des accidents du travail des femmes, qui augmentent de 18 %, notamment dans le secteur du soin et du lien. Les causes sont connues : la pression temporelle, le travail en urgence et l’exigence de productivité. Plus largement, l’accroissement du pouvoir patronal contraint toujours plus les salarié·e·s à travailler dans n’importe quelles conditions. La suppression des CHSCT et des délégués du personnel en 2017, la saignée des effectifs de l’inspection et de la médecine du travail nous privent de contre-pouvoirs collectifs indispensables pour pouvoir imposer des politiques de prévention. La France est le pays d’Europe qui compte le plus d’accidents et de morts au travail. Malgré cette hécatombe, le sujet est totalement absent du débat public. Pire, gouvernement et patronat font comme si les conditions de travail permettaient un report de l’âge de départ en retraite ! Métro, boulot, caveau, pour nous c’est non ! Vive la retraite à 60 ans !

 

   publié le 27 avril 2023

Pour une convention citoyenne sur la migration : donnons enfin la parole aux citoyens !

Appel et pétition dont la LDH est signataire sur https://www.ldh-france.org

L’examen de la loi asile et immigration au Sénat, qui devait débuter le 28 mars, a été reporté par le gouvernement.Ce projet de loi était unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. L’annonce du découpage en plusieurs textes du projet de loi fait déjà l’objet d’une forte opposition. Dans un climat de forte contestation sur les retraites,  nous citoyens, chercheurs, personnalités, associations appelons le Chef de l’Etat à saisir la chance d’un débat apaisé. Demandons à Emmanuel Macron la tenue d’une convention citoyenne sur la migration.

Campagne “Pour un débat apaisé”

3 citoyens lancent en janvier 2023 la campagne “Pour un débat apaisé”, portée par l’association “Pour une Convention citoyenne sur la migration”. Cette campagne est soutenue par plus de 70 organisations, 300 scientifiques et des dizaines de personnalités pour demander à Emmanuel Macron l’organisation d’une Convention citoyenne sur la migration. Ensemble ils soutiennent l’appel de Lauren 25 ans et Antonin 81 ans lancé sur change.org. Les retours sont extrêmement positifs : ce projet peut voir le jour en 2023. Il ne manque qu’une chose pour réussir : la mobilisation citoyenne !

Pourquoi une convention citoyenne ?

Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se rencontrer, d’apprendre des consensus de la recherche scientifique, d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé.  Ce dispositif démocratique a été testé une première fois en France sur le sujet du climat en 2019. En ce moment même, 150 citoyennes et citoyens se penchent sur la question de “la fin de vie”.  Sur un sujet de société aussi important que la migration, nous avons la conviction qu’une Convention citoyenne est le meilleur moyen d’apaiser le débat public, et dessiner des propositions consensuelles, bénéfiques à toutes et tous.

signer l’Appel pour l’organisation d’une Convention Citoyenne sur la migration

80% des Français pensent que l’immigration est un sujet dont on ne peut pas parler sereinement. De fait, en famille, entre amis, sur les plateaux de télévision et même à l’Assemblée Nationale, dès qu’on aborde le sujet ce sont invectives, vociférations, postures irréconciliables qui s’affrontent.

Je m’appelle Vanessa, j’ai 36 ans, je suis restauratrice.

En 2016 ma vie bascule lorsque je croise la route d’un couple de réfugiés syriens contraints à la mendicité pour nourrir leurs enfants. Mon histoire familiale se rappelle alors à moi : mes grand-parents, fuyant les persécutions en Pologne avant de trouver refuge en France, mon père qui a passé ses premières années d’enfance en camp de réfugiés, resté apatride jusqu’à sa majorité…

Je fonde alors l’association Le RECHO et pars sur les routes de France cuisiner avec et pour les réfugiés. Nous avons partagé des dizaines de milliers de repas. Nous avons provoqué des milliers de rencontres entre Français et personnes exilées. Ce qui m’a le plus frappée c’est l’image d’une France bienveillante, solidaire, parfois inquiète mais malgré tout accueillante, c’est l’idée que la migration, les gens avaient besoin d’en parler

En décembre dernier, avec d’autres citoyens engagés, j’ai lancé la campagne Pour un débat apaisé, un appel au Président de la République à montrer un signal fort de sa volonté d’apaisement, de concertation, d’écoute sur un sujet qui divise profondément les français.

Avec cette pétition, je demande à Emmanuel Macron de tenir, dès 2023, une Convention Citoyenne sur la Migration.

Une convention citoyenne pour permettre un débat apaisé sur un sujet au cœur de notre société.

L’examen d’une nouvelle loi asile et immigration devrait intervenir au Parlement sous peu. Pour différentes raisons, ce projet de loi est unanimement contesté par les parlementaires de gauche et de droite, dénoncé par les associations, la Défenseure des droits et la communauté scientifique. Il laisse penser qu’il suffirait d’une loi de plus – la 22e en 30 ans – pour régler la question. C’est illusoire !

La migration mérite un débat citoyen apaisé, éclairé par des experts : une convention citoyenne.

Une convention citoyenne permet à des citoyens tirés au sort de se mettre autour de la table, d’auditionner les experts, chercheurs, les politiques de tous bords,  d’entendre différents points de vue, et de faire ensuite des propositions de politiques publiques. Le tout dans un cadre apaisé, loin des plateaux télé. Une convention citoyenne sur la migration sera une chance unique pour nous, citoyennes et citoyens, de débattre et construire une vision commune, apaisée, efficace et juste sur la question de la migration.

Pour cela nous avons besoin de vous: signez et partagez le plus largement possible cet appel, pour demander à Emmanuel Macron de tenir une convention citoyenne sur la migration dès 2023.

Signer l'appel https://www.change.org/p/immigration-donnons-la-parole-aux-citoyens-pour-un-d%C3%A9bat-apais%C3%A9-demandons-%C3%A0-e-macron-l-organisation-d-une-conventioncitoyenne-rejoignez-notre-appel

La campagne Pour un débat apaisé appelant à la convention citoyenne sur la migration est soutenue par plus de 80 associations, 70 personnalités et 400 chercheurs. Toutes les infos: https://pourundebatapaise.com/


 

   publié le 26 avril 2023

Mayotte, île de la cruauté

Edwy Plenel sur www.mediapart.fr

L’opération « Wuambushu » menée sur le cent unième département français est une monstruosité politique qui prolonge un crime juridique. Maintenant sa souveraineté sur Mayotte en violation flagrante du droit international, la France y met en scène l’expulsion massive d’êtres humains au prétexte qu’ils seraient étrangers alors même qu’ils font partie du même peuple que les autochtones.

Une unité de maintien de l’ordre supposée d’élite, la CRS 8, qui, au premier jour de son intervention, revendique non seulement l’usage de 650 grenades lacrymogènes, 85 grenades de désencerclement et 60 tirs de LBD, mais assume aussi avoir ouvert le feu à douze reprises en tirant vers le sol pour repousser la population civile qui lui résiste.

Un premier vice-président du territoire, Salime Mdéré, élu centriste proche de la droite LR et soutien de la majorité présidentielle, qui, sur le service public télévisuel local, n’hésite pas à appeler au meurtre : « Ces délinquants, ces voyous, ces terroristes, à un moment donné il faut peut-être en tuer. Je pèse mes mots. Si y en pas un qui est tué, y en aura toujours d’autres qui vont oser tuer des policiers. »

Des magistrats du tribunal judiciaire de Mamoudzou dont l’indépendance se dresse face aux abus du pouvoir exécutif, en ordonnant la suspension immédiate de l’évacuation d’un bidonville après avoir constaté « l’existence d’une voie de fait » dans les conditions d’expulsion jugées « irrégulières » des populations concernées dont elles mettent « en péril la sécurité ».

C’est peu dire que, contrairement aux fanfaronnades du ministre de l’intérieur, l’opération « Wuambushu » qu’il a mise en œuvre (et en scène) à 8 000 kilomètres de Paris au nom de la lutte contre « l’immigration illégale » est à mille lieues de « la restauration de la paix républicaine » revendiquée encore par Gérald Darmanin mardi 25 avril, en soutien de l’appel du préfet de Mayotte contre la décision judiciaire.

C’est au contraire une guerre que revendique et provoque cette opération de destruction d’habitations et d’expulsion de populations baptisée depuis Paris « Wuambushu », ce qui en mahorais signifie « reprise ». Un mot qui fait écho à tous les discours xénophobes et racistes sur les migrants, exilés et réfugiés, accusés de déposséder des habitants proclamés légitimes de leur territoire, de leur culture et de leur identité, qu’il faudrait donc « reprendre », reconquérir en somme comme s’ils avaient été dérobés par d’autres qui en seraient les occupants illégitimes.

Brandie de nouveau en diversion politicienne, avec l’annonce d’un énième projet de loi qu’Emmanuel Macron veut imposer « avant l’été », selon sa dernière interview au Parisien, la question migratoire a toujours été le laboratoire d’un État d’exception, où l’on fait le tri, où l’on enferme, où l’on expulse, où l’on brutalise des hommes, des femmes, des enfants dont le seul tort est de s’être déplacés, par nécessité ou par désir, par envie de mieux vivre ou par rêve d’autres horizons.

Rien de plus logique à cet engrenage puisque, dans cette quête infiniment ressassée du bouc émissaire étranger, c’est une pédagogie de l’inégalité des droits qui se diffuse et s’installe. Tournant le dos aux véritables urgences – démocratiques, sociales, écologiques, etc. –, l’obsession de la chasse à « l’immigration illégale » accoutume à la hiérarchie des humanités, entre ayants droit et sans droits, donc au rejet de l’égalité naturelle qui, pourtant, est au principe des démocraties, non seulement en tête de leurs valeurs constitutionnelles mais à l’origine de leur existence historique, fondée sur le refus du privilège de naissance.

Mais, dans le cas présent, ce déni d’humanité est redoublé par le contexte colonial dont témoignent les pratiques policières (tirs à balles réelles) et le discours politique (appel au meurtre) évoqués ci-dessus. Parce qu’elle est fondée sur la violation des droits humains – conquête, occupation, domination –, la colonisation génère spontanément l’excès et l’abus du côté de la puissance coloniale. On s’autorise, on se lâche, on se permet, on ne se réfrène ni ne s’interdit, on stigmatise et on déshumanise, à l’instar d’Emmanuel Macron, évoquant en juin 2017 les embarcations utilisées par les habitant·es des Comores pour rejoindre Mayotte, pour dire que le « kwassa-kwassa pêchait peu » mais « amenait du Comorien ».

Devenue département français depuis un référendum en 2009, Mayotte est le fruit d’un rapt (lire ce rappel historique de Rémi Carayol sur AfriqueXXI). Violant la règle internationale de respect des frontières, la France l’a arrachée à l’archipel dont elle faisait partie, les Comores, lors de la décolonisation de ce territoire en 1975. Cette annexion est illégale au regard du droit international, qu’il s’agisse des résolutions de l’ONU ou de celles de l’Union africaine. De ce même droit international que l’on invoque, à juste titre, pour combattre les annexions russes qui ont précédé la guerre d’invasion contre l’Ukraine. La France qui vote à l’ONU les résolutions condamnant la Russie en viole donc allègrement les principes.

Les chantres de la souveraineté française sur Mayotte opposent au droit international que cette annexion fut conforme à la volonté majoritaire des Mahorais, faisant fi des intérêts de quelques familles de notables qui y ont œuvré. En vérité, comme l’illustrèrent longtemps les menées barbouzardes de mercenaires, dont le fameux Bob Denard, dans cet archipel, il ne s’est jamais agi pour la France de l’intérêt des populations locales, mais égoïstement des siens, dans une logique de puissance impériale au vu de la position stratégique de Mayotte dans le canal du Mozambique.

La meilleure preuve en est donnée par l’état lamentable dans lequel la France maintient la population de Mayotte et dont un rapport de 2022, rédigé par six ministères et révélé par Mediapart, dressait un inventaire exhaustif. Département pour la forme, Mayotte est reléguée dans les bas-fonds de la République française. Elle en est le département le plus pauvre, avec 8 personnes sur 10 qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, un actif sur trois au chômage et une espérance de vie qui plafonne à 75 ans. Avec, surtout, une dotation par habitant trois à quatre fois moins élevée que dans l’Hexagone.

C’est une guerre aux pauvres qu’a donc lancée Gérald Darmanin, et pas seulement aux migrants. Car les populations visées par cette opération spectaculaire sont les mêmes que celles qu’elle prétend protéger. À Mayotte, les Comoriens et Comoriennes que la France veut expulser de l’île, en détruisant d’abord leurs habitations (lire le reportage de Nejma Brahim), puis en les parquant dans des camps, ne sont pas des étrangers. C’est le même peuple, la même culture, la même langue, la même religion. Le gouvernement, rappelle l’ethnologue Sophie Blanchy, « a face à lui une seule et même population ». La seule distinction, c’est que certains ont la nationalité française et d’autres non.

Dès lors, l’on devine combien ce qui se joue là-bas nous concerne ici. Cette grande rafle de Mayotte fait la promotion de la pire idéologie d’extrême droite, le « grand remplacement ». Elle montre que l’on peut faire le tri au sein d’un même peuple, après avoir installé l’idée monstrueuse d’une occupation étrangère qui légitimerait l’expulsion des indésirables. À la face du monde, la France des droits de l’homme abdique ainsi sur l’égalité des droits, donnant le feu vert à tous les régimes autoritaires – et ils ne manquent pas, en Afrique même, comme l’a démontré récemment l’autocrate président tunisien – qui feront la chasse aux humanités en mouvement pour ne pas avoir de comptes à rendre à leurs peuples.

Dans la même aire géographique, une autre puissance impériale a pris possession d’un archipel afin d’y défendre ses intérêts égoïstes et d’y installer ceux de ses alliés : l’archipel des Chagos est la dernière colonie britannique dans l’océan Indien, ce qui permet aux États-Unis d’Amérique d’y avoir une base militaire, sur Diego Garcia, la plus grande île. Les Chagossiens, qui y demeuraient depuis le XVIIIe siècle, ont été brutalement chassés et contraints à l’exil. Avocat franco-britannique, Philippe Sands s’est battu pour que cette injustice soit condamnée par le droit international, jusqu’à être reconnue et jugée comme un crime contre l’humanité.

De ce combat, il a fait un livre, La Dernière Colonie, paru l’an dernier (lire son entretien avec Joseph Confavreux). En épilogue, il a simplement mis cette citation du poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »


 


 

Mayotte : Darmanin,
le nettoyeur de la République

Patrick Piro  sur www.politis.fr

L’opération « Wuambushu », voulue par Gérald Darmanin à Mayotte pour expulser 17 000 personnes en situation irrégulière, a commencé ce mardi. Un assaut sans équivalent et un laboratoire sécuritaire et xénophobe pour les ambitions politiques du ministre de l’Intérieur.

Mayotte, l’opération « Wuambushu » a été lancée ce mardi 25 avril. Gérald Darmanin a eu la jugeote de la programmer après la fin du ramadan : le récent 101e département français est très majoritairement de confession musulmane. Pas besoin de créer un foyer d’irritation supplémentaire : la grosse artillerie prévue par le ministre de l’Intérieur renvoie le Kärcher de Sarkozy au rayon jouets.

« Wuambushu », ce sont près de deux mille membres des forces de l’ordre mobilisés pour un grand nettoyage de printemps sur l’île mahoraise – 310 000 habitant·es, l’équivalent de la ville de Montpellier. La feuille de route, dont l’exécution doit théoriquement s’étaler sur deux mois, prévoit l’interpellation et l’expulsion de 17 000 immigré·es en situation illégale, très majoritairement comorien·nes, soit 250 par jour, un rythme trois fois plus élevé qu’actuellement.

Au programme, la destruction de mille de leurs bicoques – même si le tribunal judiciaire a suspendu l’évacuation d’un des bidonvilles, constatant « l’existence d’une voie de fait » liée aux conditions d’expulsion jugées irrégulières. Mayotte est connue pour abriter le plus important bidonville de la République française.

Loin de la métropole, la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.

Même si le tribunal judiciaire a suspendu l’une de ces évacuations, en raison de conditions jugées irrégulières, on n’a pas mémoire d’un assaut d’une telle envergure. Dans la « jungle » de Calais, c’est avec constance que les forces de l’ordre ont pris leurs aises avec le droit – humiliations, harcèlement, confiscation et destruction de biens. Loin de la métropole, tout indique que la méthode Darmanin pourra se déployer dans toute sa splendeur.

Sur place, c’est l’affolement, voire la panique. Avocats, magistrats, associations s’insurgent par avance du simulacre d’encadrement administratif et légal de la déferlante : sous régime de procédures expresses, exigées à cadence forcée et à distance (le tribunal siège à La Réunion), comment garantir le droit minimum des personnes ?

Pour la plupart, elles devraient être expulsées en bateau vers les Comores. Mais qu’en sera-t-il de nombre de leurs enfants nés sur le sol mahorais, en principe non expulsables car réputés français ?

La destruction d’habitat doit en principe s’accompagner de solutions de relogement (même temporaire) des occupant·es. Or, les infrastructures locales sont dans l’incapacité d’encaisser un « Wuambushu » qui fleure le chaos et la bavure à plein nez. Y compris sur son volet sécuritaire. Car l’opération vise conjointement à juguler une délinquance dont le taux est sans équivalent dans l’Hexagone.

En finir avec les vols, les agressions et les homicides en expulsant les étrangers illégaux : Darmanin vise la démonstration dans les grandes largeurs du raccourci xénophobe qui plaît tant à l’extrême droite. Mayotte, laboratoire des ambitions politiques du ministre : il n’est pas besoin de se forcer pour s’en convaincre.

Ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive.

Mais on doute que les délinquants avérés attendent l’ordre d’expulsion de l’huissier. Ni qu’ils se priveront de rentrer par la fenêtre une fois les gendarmes partis. Au passage, ce sont des milliers de vies précaires qui auront été passées à la moulinette répressive, trop souvent activée quand il s’agit de régler un problème social.

Des familles entières, vivant depuis des années dans cet improbable confetti de France, certes dans l’illégalité, vont embarquer pour nulle part. Personne ne les attend aux Comores, dont les autorités, qui ont demandé à Paris de renoncer à son projet, ont refusé l’accostage des premiers contingents de personnes expulsées.

Mayotte, ce n’est pas la préoccupation du nettoyeur Darmanin, qui présente des indicateurs sociaux tout aussi indécents que ceux de la délinquance : 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, dont la moitié avec 160 euros à peine par mois et en habitat dit « informel », dépourvus de services de santé, d’école, etc. En République française. En « sous-France », corrige-t-on sur place. ·


 


 

France-Comores. « Wuambushu », opération coup-de-poing et bras d’honneur

par Faïza Soulé Youssouf sur https://afriquexxi.info/

En mettant en œuvre une opération militaro-policière de grande ampleur à Mayotte visant à détruire des bidonvilles et à expulser des milliers de Comoriens, le gouvernement français suscite inquiétude et colère à Moroni. Mais le président Azali Assoumani, qui est devenu l’allié de Paris ces dernières années en dépit du contentieux territorial, semble vouloir éviter la confrontation.

L’opération « Wuambushu », dont les détails ont été révélés par l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné le 22 février 20231, inquiète la population comorienne, ainsi que plusieurs organisations et associations (lire l’encadré au pied de l’article), et a suscité de nombreuses saillies antifrançaises avant qu’elle débute. Diligentée par le ministre français de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, elle place les autorités comoriennes dans une position inconfortable.

Conçue pour débuter au lendemain du mois de ramadan, le 24 avril, cette opération militaro-policière de grande envergure doit durer deux mois et aboutir, au nom de la lutte contre l’insécurité, à la destruction à Mayotte de plusieurs bidonvilles – occupés majoritairement par des personnes en situation irrégulière selon les lois françaises – et à des expulsions de masse de leurs habitants sur l’île d’Anjouan, située à 70 km de Mayotte. Le Canard enchaîné évoque, dans son édition du 19 avril2, l’objectif de 10 000 reconduites à la frontière en deux mois – deux fois moins que ce qui était prévu dans le plan initial, mais tout de même plus du tiers du total (25 380) atteint en douze mois en 2022. Pour ce faire, un demi-millier de policiers et de gendarmes ont été envoyés en renfort sur l’île, parmi lesquels des unités spécialisées dans les violences urbaines.

Mayotte, qui a été séparée des autres îles de l’archipel lors de l’indépendance en 1975, a été érigée en département d’outre-mer en 2011. Mais ce territoire est toujours revendiqué par les autorités comoriennes, au nom, entre autres, de l’intangibilité des frontières issues de la décolonisation et de l’histoire qui unit les habitants des quatre îles.

Une situation « intenable »

Joint alors qu’il était en voyage en Arabie saoudite, Anissi Chamsidine, gouverneur de l’île autonome d’Anjouan – et à ce titre en première ligne, étant donné que les refoulés de Mayotte sont tous renvoyés sur cette île –, réprouve l’opération à venir. Mais il se dit impuissant. « Est-ce que j’ai les moyens de m’opposer à une telle décision ? Quelle marge de manœuvre me laisse-t-on ? » répond-il à la question de savoir s’il compte empêcher la réalisation de cette opération. Le leader du parti Soma rappelle que, durant la crise liée au Covid-19, il avait signé en janvier 2021 un arrêté visant à interdire l’accueil des refoulés de Mayotte – arrêté qui avait été levé une semaine plus tard par le ministre comorien des Affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal. « Cette situation est intenable pour tous. Nous n’avons pas les moyens d’absorber cette violence fabriquée depuis Mayotte par l’État français. On nous demande de cogérer une crise que nous n’avons pas générée », déplore le gouverneur.

À Mutsamudu, le chef-lieu de l’île d’Anjouan dénué de structures d’accueil, l’afflux massif de personnes expulsées de Mayotte fait craindre le pire. « C’est une situation désastreuse décidée à Paris avec la complicité des élus de Mayotte. Nous allons assister impuissants à un drame, nous sommes dépourvus du plus petit centre d’accueil », a dénoncé Zarouki Bouchrane, le maire de Mutsamudu, le 20 avril. Une semaine plus tôt, le 13 avril, l’exécutif de l’île avait organisé une réunion sur les conséquences de l’opération de Gérald Darmanin. Y avaient pris part toutes les composantes de la société. Le quotidien d’État Al-Watwan rapporte que, lors de cette rencontre, une position de fermeté a été défendue. Parmi les idées avancées : manifester contre le projet et empêcher les reconduites3.

« Pourquoi devons-nous conserver une amitié avec la France qui ne nous profite pas ? » s’est demandé un participant. Un autre n’a pas manqué d’établir un parallèle entre l’opération « Wuambushu » et le rapatriement forcé de milliers de Comoriens de Mahajanga (Madagascar) en 19764. « Dans les deux cas, le régime Azali Assoumani est dans une situation délicate : tenir tête à la France et s’exposer à des représailles de Paris en cette année préélectorale5 ou accepter les reconduites avec tous les risques de violence que cela suppose », fait remarquer un partisan du président des Comores.

À Moroni, la capitale de l’Union des Comores, l’on voulait encore croire, quelques jours avant le début de l’opération « Wuambushu », que « l’ami français » n’irait pas au bout de son entreprise. Pressé par les journalistes et l’opinion publique, le gouvernement a dans un premier temps fait profil bas, arguant qu’il ne commentait pas des articles de presse. Il s’est fait un (tout petit) peu plus prolixe le 10 avril. Dans un communiqué, l’exécutif se dit alors surpris par l’initiative de Paris : « Le Gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet du Gouvernement français […]. Cette opération censée démarrer en plein ramadan, pour durer deux mois, va à l’encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays. »

Azali pris entre deux feux

Interrogé le lendemain au palais présidentiel de Beit-Salam, Azali Assoumani a répété son espoir « de voir l’opération [être] annulée », tout en admettant ne pas avoir « les moyens de stopper l’opération par la force ». Le président n’a cependant pas fait preuve de grande détermination. Les relations entre les Comores et la France « sont bonnes depuis belle lurette », a-t-il indiqué, et « Wuambushu » n’est selon lui « qu’un couac auquel nous trouverons une solution ». « La voix choisie est celle du dialogue », a-t-il ajouté quelques jours plus tard, le 22 avril, après avoir dirigé la prière marquant la fin du ramadan. Une déclaration qui tranche avec celle tenue la veille par le porte-parole du gouvernement comorien – « Les Comores n’entendent pas accueillir des expulsés issus de l’opération projetée par le gouvernement français à Mayotte », avait annoncé Houmed Msaidie – et qui est loin d’être partagée par l’opposition et la société civile, qui perçoivent désormais la France comme un « ennemi ».

D’intenses tractations diplomatiques ont eu cours en avril. La veille de la diffusion de la déclaration du gouvernement, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, était attendu à Moroni. La visite a finalement été reportée (sans que l’on en connaisse les raisons). Un peu plus tôt, c’est une délégation des ministères français des Affaires étrangères et de l’Intérieur, menée par le diplomate Christophe Bigot, qui a séjourné quelques jours à Moroni. Aucune déclaration substantielle n’a été tenue à la suite de ce séjour. Le 18 avril, le porte-parole du gouvernement comorien, Houmed Msaidie, joint par l’AFP, a répété les propos du chef de l’État. « Nous recommandons aux Français de renoncer vivement à l’opération “Wuambushu” […]. Cette opération contrevient à l’esprit et à la lettre de l’accord-cadre franco-comorien signé en 2019, dont l’un des objectifs est de fixer les populations et non de les expulser », a-t-il avancé.

Cet accord de partenariat entre la France et les Comores avait été signé lors d’une visite officielle d’Azali à Paris en juillet 2019. Il portait sur un plan de développement de 150 millions d’euros sur trois ans dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’emploi et de l’insertion professionnelle des jeunes. Mais il visait également à stopper les flux migratoires et les traversées « illégales » entre Anjouan et Mayotte6. À l’époque, déjà, des parlementaires et des partis politiques de l’opposition avaient dénoncé ce texte, qu’ils avaient considéré comme nul et non avenu. Ils avaient accusé Azali Assoumani de fouler au pied la Constitution comorienne (selon laquelle Mayotte fait partie des Comores) et d’avoir livré le pays « en pâture à la France ». « Cet accord consacre le renoncement de Mayotte en échange de quelques millions d’euros », estime Hissane Guy, chargée de communication de l’ONG Adrikni.

Plusieurs organisations de la société civile, avec à leur tête le Comité Maore (Maore est le nom comorien de Mayotte), qui milite pour le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien, ont été interdites de manifester le 21 avril contre l’opération « Wuambushu », « en raison de la période hautement mouvementée par les activités culturelles et commerciales qui animent la ville de Moroni », a justifié le préfet (le jour de la marche coïncidait avec la fin du ramadan). Le 15 avril, une marche avait été exceptionnellement autorisée par la préfecture alors que les manifestations sur la voie publique de l’opposition et de la société civile sont systématiquement interdites depuis plusieurs années. Mais la veille, sans poser un acte d’annulation en bonne et due forme, le préfet avait appelé les meneurs pour leur indiquer que « seul un rassemblement dans une salle était autorisé ». Cette volte-face illustre l’inconfort des pouvoirs publics. Les raisons de cette annulation sont tues. Mais certains activistes croient savoir qu’elle serait liée à des pressions de la chancellerie française à Moroni, qui craignait des débordements.

« Mkolo nalawe »

En lieu et place d’une manifestation, il y a donc eu un rassemblement dans une salle du centre de Moroni, auquel ont participé d’anciens hauts dignitaires majoritairement issus de l’opposition et quelques députés. Les discours étaient souvent ponctués de saillies telles que « À bas la France » ou encore, « Mkolo nalawe » (« colon, dégage »). Un activiste a brandi tout au long de l’événement le drapeau russe (il a été brièvement interpellé par la gendarmerie). Les orateurs ont tous appelé à prendre des mesures très fermes contre l’État français. « Nous demandons au gouvernement d’abroger sans délai l’accord-cadre de partenariat et de s’opposer fermement à tout acte de déplacement forcé de population entre les îles », a notamment demandé Hissane Guy, alors qu’elle lisait la déclaration commune des organisations de la société civile. Une bonne partie de l’opposition défend elle aussi cette position.

Pour le Front commun élargi des forces de l’opposition, « Wuambushu n’est pas un hasard ». Cette opération est « monnayée par l’autoritariste non élu [le président Azali] en reconnaissance suite à sa fausse élection de mars 2019. Pour pallier son impopularité, il a choisi de vendre une partie de notre pays, à savoir l’île de Mayotte, afin de se faire adouber par le locataire de l’Élysée », a accusé la coalition dans une déclaration publiée le 14 avril. Contacté pour commenter la demande d’abrogation, Souef Mohamed El-Amine, ancien ministre comorien des Affaires étrangères et signataire de l’accord-cadre tant décrié, n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.

Par ailleurs, le Comité Maore a adressé un courrier au gérant du Maria Galanta, le bateau qui opère la traversée entre Mayotte et Anjouan et qui est utilisé par les autorités françaises pour refouler les « sans-papiers », afin de lui demander « d’arrêter de transporter les personnes embarquées sans leur consentement au risque de soulever une colère ainsi que le boycott » de sa compagnie. Au plus fort de la crise diplomatique franco-comorienne de 20187, une note circulaire du ministère des Transports avait interdit aux compagnies maritimes et aériennes qui desservent Mayotte « d’embarquer, à destination des autres îles sœurs, toute personne considérée par les autorités qui administrent Mayotte comme étant en situation irrégulière ». Cette note sera-t-elle remise à l’ordre du jour avec l’opération « Wuambushu » ? La question a été posée le 22 avril au ministre comorien de l’Intérieur, Fakridine Mahamoud. « Ce qui va primer, ce n’est pas cette note mais ce sur quoi nous allons nous entendre avec les autorités françaises », a-t-il précisé, tout en indiquant avoir discuté la veille avec son homologue français, et en ajoutant être « prêt à discuter avec les autorités françaises des modalités [des expulsions] dans le respect des droits à la personne ».

Mais de quelle marge de manœuvre dispose Azali ? Celui qui a considérablement durci son régime depuis sa réélection contestée est devenu un allié (si ce n’est un obligé) de Paris, en dépit du contentieux territorial autour de Mayotte. Rien que ces trois dernières années, il a été reçu cinq fois à l’Élysée...

Obligé, il l’est d’ailleurs sans doute un peu plus depuis qu’il occupe la présidence de l’Union africaine. Ce poste devait revenir cette année à un État d’Afrique de l’Est. Le Kenya était le candidat jugé le plus légitime de par son poids diplomatique et économique. Mais contre toute attente, en février, il s’est retiré au profit de l’Union des Comores – une première « historique » et inespérée pour ce petit archipel de moins de 1 million d’habitants, qui pèse bien peu sur le continent. Plusieurs sources diplomatiques indiquent que la France a œuvré en coulisses pour soutenir la candidature des Comores8. De quoi influer sur la riposte de Moroni aujourd’hui ? « Ce serait un contre-sens sans nom si le président en exercice de l’organisation panafricaine acceptait une telle opération en provenance d’un territoire dont il revendique la souveraineté », commente un responsable politique ayant requis l’anonymat. « Le gouvernement comorien est prisonnier de sa légèreté. En signant l’accord-cadre [de 2019], il a clairement accepté le principe que Mayotte est une possession française et il a donc accepté d’en accueillir les refoulés », dénonce l’ancien président de l’Assemblée nationale, Said Abdallah Mohamed Mchangama.

De multiples inquiétudes

L’opération « Wuambushu » n’inquiète pas que les Comoriens. Plusieurs organisations locales ou internationales ont alerté les autorités françaises quant aux violences qu’elle risque d’engendrer. Dans une tribune, 170 soignants installés à Mayotte font part de leurs « vives inquiétudes sur l’impact sanitaire de ce projet » et rappellent que « le bilan des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l’immigration ou l’insécurité impliquait des conséquences dramatiques », parmi lesquelles la « génération de situations à risque infectieux épidémique », la « limitation de l’accès aux soins » ou encore des « retards de prise en charge » pour certaines pathologies.

Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marie Burguburu, a pour sa part écrit à Gérald Darmanin pour l’exhorter à « renoncer » à ce projet qui risque d’« [aggraver] des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé ». Dans un communiqué intersyndical, la CGT, la FSU et l’Union syndicale Solidaires ont de leur côté « appelé le gouvernement à arrêter toutes les mesures répressives ». En outre, des organisations de défense des droits humains, parmi lesquelles la Ligue des droits de l’homme et le Gisti, ont appelé les autorités « à faire cesser cette escalade de la violence » et « demandent aux responsables sur place de faire respecter l’État de droit ».

Même l’Unicef a publié un communiqué (de cinq pages) dans lequel l’organisation onusienne, via son bureau parisien, s’inquiète « de l’impact que cette opération d’envergure risque d’avoir sur la réalisation des droits des enfants les plus vulnérables présents sur le territoire, notamment des mineurs étrangers et des mineurs en conflit avec la loi ». Plusieurs collectifs mahorais ont par contre apporté leur soutien à cette opération.

   publié le 25 avril 2023

Casserolades. De l’Hôtel de ville de Paris à la Gare de Lyon,
« nous aussi on va passer en force »

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron a eu droit à des casserolades devant des mairies de la France entière lundi soir.

Après une visite perturbée à Lyon, le ministre de l'Education, Pap Ndiaye, a quitté la gare par une porte dérobée pour éviter les manifestants. © Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Le premier anniversaire de la réélection d’Emmanuel Macron aura été agité. Trois de ses ministres, Éric Dupond-Moretti, Pap Ndiaye et François Braun, ont effectué des déplacements perturbés à chaque fois par des casserolades et des manifestations durant la journée du 24 avril.

La soirée n’a guère été plus calme. Le mouvement Attac avait appelé à des concerts de casseroles à travers toute la France à partir de 20 heures, devant les mairies. Paris a eu droit aux siens. Devant les mairies d’arrondissement, et pour le rassemblement le plus important, à l’Hôtel de Ville. Plusieurs centaines de casseroles y ont ainsi tinté à l’heure prévue. Accompagnées de « Macron démission », chant des gilets jaunes, et d’autres slogans tels que « nous aussi on va passer en force »

Pap Ndiaye en retenue

Devant la mairie de Paris, le rassemblement sur place ne s’attarde cependant pas. Peu après 20 heures, le retour du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui a dû essuyer des casserolades dans la capitale des Gaules plus tôt dans la journée, est annoncé à la Gare de Lyon aux alentours de 21 heures. Les manifestants se passent le mot, et s’engouffrent aussitôt dans le métro pour aller accueillir le ministre. Dans les couloirs puis le hall de la gare, ils se retrouvent à nouveau à plusieurs centaines. Une fois le train ramenant Pap Ndiaye à quai, les huées fusent. Le ministre est contraint d’emprunter un escalier menant à un couloir « sécurisé » par les forces de police afin d’éviter les manifestants…

Si l’ambiance est toujours au rendez-vous pour ces actions désormais quotidiennes, beaucoup de ceux qui viennent restent toutefois sans illusions sur leur effet sur le pouvoir. « Je continue à venir à chaque action », explique ainsi Emma, développeuse informatique et syndicaliste. « Mais je ne crois pas Macron va se lever un matin en se disant qu’il retire sa réforme ». Elsa et Philippe eux, en sont à leur première casserolade, mais leur « dixième manifestation » depuis le début du mouvement. « On se demande bien où ça va nous mener » interroge perplexe, Philippe. Professeur à la retraite, Elsa confie qu’elle « aimerait bien voir ses collègues réagir davantage à ce qui va leur tomber dessus ».

Le macronisme, « plus jamais ça »

Un an après sa réélection, Emmanuel Macron déroute autant les manifestants qu’il les irrite. Son intervention télévisée du 17 avril, son entretien dans le Parisien, où il réitère ses provocations suscitent à la fois rejet et incompréhension. « De toute façon, les propos de ce monsieur ne m’intéressent plus », balaie Elsa.

Lors des débats parlementaires sur la réforme des retraites, c’est la droite et la macronie qui ont le plus heurté. « On dit qu’à gauche c’était un peu le cirque, constate Emma, mais en comparaison de tout ce qui a pu se dire à droite, c’est rien ». Pour Philippe, « le blocage de la FI ne nous a pas choqué.  L’Assemblée n’est pas un endroit où on peut discuter tranquillement. Tout est joué d’avance ». Lui aussi fustige la majorité. « C’est une insulte permanente à l’intelligence, les propos des macronistes ! » tacle-t-il. Pour lui comme pour Elsa, le macronisme laisse des traces lourdes de conséquences à long terme. « On avait déjà été traumatisés par le vote pour Chirac en 2002. Mais là, plus jamais ça » prévient-il.

Des manifs qui font du bien

Employé à la propreté à la Mairie de Paris, Andy dit être là « pas dans la résignation, mais sans beaucoup d’espoir ». Si son emploi est administratif, il a suivi de près la grève des éboueurs. « Ils ont fait ce qu’ils ont pu. Je comprends aussi que les gens ne soient pas toujours là. Ils ont des charges à payer ». Il se réjouit cependant du soutien au mouvement dans les sondages. Pour cette soirée du 24 avril, il est venu avec sa fille, Darinka : « il y a plus de ferveur quand on est ensemble », dit-il en souriant. « Nous, on a vécu passivement entre nos 20 et nos 40 ans », raconte-t-il en faisant allusion à sa génération.

Malgré l’absence de tout fléchissement de la part d’Emmanuel Macron, ces mobilisations quotidiennes, bien que moins massives que les grandes journées d’action, font du bien. Voir un ministre sortir d’une gare par une porte dérobée procure un petit sentiment de victoire aux manifestants, et leur donne envie de passer à la suite. Les agendas du gouvernement ont rarement été autant scrutés. Celui du Conseil constitutionnel, qui doit encore rendre une décision le 3 mai sur la deuxième demande de RIP est dans les têtes, mais de façon plus secondaire. . « Si c’est validé, on soutiendra oui… », concède Philippe. « J’attends un peu de voir… », explique Emma avant de préciser, « mais non en fait ». Difficile d’y croire après la validation de la réforme et le rejet de la première demande.

C’est donc l’action dans la rue qui l’emporte, avec le 1er mai en ligne de mire. Et pour beaucoup, le retrait de la réforme ne serait même plus suffisant. « C’est un changement complet qu’il nous faut. Le mot révolution n’est pas galvaudé » après six ans de macronisme, conclut Philippe.


 


 

Casserolades, coupures de courant, manifestations : « On ne les lâche pas »

par Rédaction sur https://basta.media/

En signe de protestation contre la promulgation de la réforme des retraites, les casseroles sont de sortie lors des déplacements officiels du Président et des ministres. L’intersyndicale appelle à un « 1er mai unitaire et populaire pour le retrait ».

Les actions de mobilisations sonores dites « casserolades » et les comités de non-accueil se multiplient depuis la promulgation de la réforme des retraites le 15 avril. Sur les réseaux sociaux, c’est « l’intervilles des 100 jours » qui est lancé, en référence aux « 100 jours d’apaisement » évoqués lors de l’allocution d’Emmanuel Macron le 17 avril.

Casserolades et sifflements

Un hashtag #CasseroladeGénérale a appelé à une symphonie de cuivres de rue le le lundi 24 avril à 20 h. Plus de 450 actions ont été recensées selon l’association Attac. Une manière de signifier le mécontentement par des percussions de casseroles endiablées lors des déplacements gouvernementaux en région.

En conséquence, certains ministres ont déjà annulé leurs visites, à en croire la carte des mobilisations actualisée par Attac. Emmanuel Macron n’y échappe pas : après un accueil entrée huées et sifflements à Muttersholtz, en Alsace, le président de la République a annulé des déplacements, comme celui prévu à Toulon, où il devait participer à une réunion concernant le Service national universel (SNU) le 27 avril prochain.

Grevilla et 1er Mai

Des actions sont aussi menées dans le secteur de l’énergie. La Fédération CGT Mines-Energie a revendiqué la coupure d’électricité du collège Louise-Michel survenue à Ganges (Hérault) lors de l’arrivée d’Emmanuel Macron le 19 avril. Sans oublier le lendemain la « mise en sobriété  » de l’aéroport de Montpellier, avant l’arrivée du président. Dans un communiqué du 21 avril, elle annonce une « grevilla avec des perturbations énergétiques lors des déplacements et initiatives de l’exécutif, du Président et de ses amis ».

« Macron a promis 100 jours pour apaiser, nous lui promettons 100 jours d’actions et de colère, prévient le syndicat de l’énergie. Le Festival de Cannes, le Grand Prix de Monaco, Roland-Garros, le Festival d’Avignon pourraient se retrouver dans le noir. »

Dans un communiqué commun, l’intersyndicale a quant à elle appelé « tous les travailleurs et travailleuses, jeunes, retraité.es comme l’ensemble de la population à se rendre massivement à la manifestation, entre collègues de travail, amis, en famille » et à « faire du 1er mai une journée de mobilisation massive, unitaire et populaire contre la réforme des retraites, partout sur le territoire, dans le calme et la détermination ». Objectif de la mobilisation : obtenir l’abrogation de la réforme des retraites.


 


 

Retraites : La mobilisation
ne veut pas tourner la page

par Léon Crémieux sur https://www.cadtm.org

Les huit derniers jours ont vu un tournant dans le mouvement de grèves et de mobilisation. Se sont enchaînées, le jeudi 13 avril une 12e journée de mobilisation nationale appelée par l’Intersyndicale nationale, puis le 14 la validation du Conseil constitutionnel, le 17 une allocution télévisée « solennelle » de Macron et le 20 une série de manifestation et grèves d’une journée dans plusieurs secteurs.

L’expression du rejet de la réforme continue de se traduire par de très nombreuses manifestations, blocages, débrayages. Ni Macron, ni ses ministres ne peuvent effectuer de déplacement sans être confrontés à des manifestations populaires d’hostilité. De même, toutes les enquêtes d’opinion, indiquent un taux de 75% d’impopularité de Macron, un isolement croissant depuis les derniers jours.

Le 13 avril, 1,5 million de personnes se sont rassemblées dans les manifestations (380000 selon la police), en gros un tiers de moins que le 6 avril, poursuivant la pente descendante de la mobilisation, mais un chiffre encore très élevé, équivalent à beaucoup des plus grandes journées de grèves des dernières années. Le fléchissement est essentiellement dû à la fin des grèves reconductibles qui étaient de puissants moteurs de mobilisation (même si le 13 avril, à l’appel de la CGT, le secteur du ramassage des ordures repartait en grève reconductible), aux vacances de Pâques dans un tiers des départements et surtout évidemment à une situation d’attentisme. Le rapport de force n’ayant pas contraint Macron à reculer, les regards, même ceux de l’intersyndicale, se fixaient sur l’échéance du 14 avril avec les décisions du Conseil constitutionnel.

Durant les centaines d’initiatives locales du 13 avril, blocage, barrages filtrants, occupations de ronds-points, la répression policière a été la règle, avec garde à vue à la clef. L’isolement politique de Macron s’accompagne de l’accroissement des interventions policières, des violences. La défenseure des Droits (autorité administrative indépendante pouvant être saisie directement en défense des droits et libertés, notamment face aux administrations de l’Etat) Claire Hédon, a répertorié plus de 120 saisines de ses services pour violences policières depuis janvier 2023, dont l’immense majorité depuis la mi-mars, date du 49.3 : Les exactions se multiplient, interventions policières, nasses dans les manifestations, matraquages au sol, gardes à vue arbitraires.

Le lendemain du 13 avril, le Conseil constitutionnel rendait deux avis : un concernant la constitutionnalité de la loi sur les retraites et de la procédure suivie, un autre sur la demande par la NUPES de l’organisation d’un « référendum d’initiative partagé » (RIP) sur une loi disant que « l’âge légal de départ en retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Beaucoup espéraient que ce qui n’avait pas pu être obtenu par la motion de censure, les grèves et les manifestations puisse l’être par une décision du Conseil jugeant non conforme la loi et obligeant le gouvernement à retourner devant le parlement. Beaucoup espéraient aussi, au minimum, que puisse être organisée une campagne de recueil de signatures pour le RIP (environ 4,8 millions en 9 mois, 10% des électeur-trice-s inscrit-e-s). Scène digne des dictatures, le bâtiment du Conseil, au cœur de Paris, fut entouré, dès le 13 avril, de plus d’une centaine de CRS et gendarmes mobiles pour y interdire toute manifestation.

Même s’il y avait de très solides bases juridiques pour ne pas avaliser la loi, le faire aurait évidemment été un choix politique paradoxal venant d’une instance composée de neuf notables liéEs à Macron et à sa politique, de près ou de loin. Hors de question pour ce Conseil d’ouvrir plus largement la crise politique. De même, le choix fut très politique de refuser le RIP qui aurait pu devenir une épine dans le pied de Macron, l’infectant avec son gouvernement pendant au moins neuf mois.

Le soir du 14 avril, les rues de Paris et de dizaines de villes résonnaient de la colère des milliers de personnes, manifestant une nouvelle fois leur rejet de la réforme. L’intersyndicale, dès l’annonce de la validation de la loi, demanda à Macron de surseoir à la promulgation de la loi et de la recevoir. Celui-ci, bien au contraire, alors qu’il disposait de quinze jours pour le faire, s’empressa de promulguer, quelques heures après l’annonce de la validation. Ces avis du Conseil, derniers espoirs de bloquer légalement la loi, cette promulgation express, ont été vécus comme un nouveau diktat visant à faire taire la colère populaire.

Le lundi suivant, Macron a essayé une première « sortie de crise » télévisée par une allocution à 20h. Concéder l’évidence « Cette réforme est-elle acceptée ? A l’évidence, non », ne l’empêcha pas de rabâcher à nouveau ses arguments pour justifier sa réforme. Macron faisait furieusement penser au PDG d’une grande entreprise, justifiant à nouveau ses décisions durant un CSE face à des syndicats en grève contre un plan social. Comme le PDG n’a à consulter ni les syndicats ni les salariés, l’ancien banquier d’affaires considère évidemment qu’il n’a pour seule obligation que de remplir les objectifs financiers du capitalisme libéral et les impératifs communautaires de l’UE. Les institutions politiques ne sont pour lui qu’un accessoire, encombrant ; la voix populaire et majoritaire des grèves et de la rue, un contretemps gênant, mais sans conséquences, tant que ses donneurs d’ordre, ses commanditaires continuent à lui faire confiance. Dès lors, la seule preuve qu’il voulait apporter dans cette allocution était qu’il tenait toujours la barre. Il sait que son pouvoir réel, quotidien, il le tient des grands investisseurs, entreprises et institutionnels.

Son discours servait ainsi à se donner 100 jours en vue d’obtenir « un apaisement », en fermant « l’épisode des retraites », à parler de santé, de chômage, d’immigration, de sécurité, comme si toutes ces questions pouvaient lui permettre de tourner la page et n’étaient pas des domaines dans lesquels s’exercent la même politique de classe, d’inégalités et de discriminations. L’association ATTAC avait lancé l’idée de grands rassemblements de « casserolades », à l’heure de son allocution. Appel largement relayé, avec des milliers de personnes dans plus de 300 rassemblements.

Ces rassemblements de casseroles se renouvellent depuis, à chaque tentative de Macron, de Borne ou de ses ministres de se déplacer. A tel point que mercredi 19 avril, alors que Macron se rendait dans une petite ville du Sud-Ouest, Ganges, le préfet du département a pris un arrêté pour « instaurer un périmètre de protection » en invoquant les menaces d’attentats, les lois antiterroristes qui, une nouvelle fois, sont utilisées de fait pour interdire la liberté de manifester. Pire, les forces de police, s’appuyant sur l’arrêté, ont systématiquement confisqué les casseroles et boites de conserves dont s’étaient dotés les manifestantEs bien décidés à se faire entendre de Macron. Une nouvelle fois la contestation sociale est assimilée à une entreprise terroriste.

Les signes de dérives du pouvoir se multiplient, au-delà de l’épisode de Ganges. Les menaces contre la Ligue des Droits de l’Homme proférées par Darmanin, ont été suivies de celles de Borne. Le Conseil d’orientation des retraites (COR), dont le rapport 2023 ne confirmait pas le roman de Macron sur la catastrophe annoncée, a subi depuis des pressions pour que son rapport 2024 soit conforme à la version officielle du pouvoir.

A la demande de Macron, et pour rassurer les agences de notation sur la « qualité de gestion » du pouvoir, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des finances, vient de sortir sa nouvelle « feuille de route des finances publiques ». Alors que la hausse des taux d’intérêt est maintenue par la BCE, il veut accélérer l’application des critères de convergence avec comme objectif pour 2027 la réduction du déficit du budget à 2,7%, et celle de la dette à 108,3% du PIB. L’année dernière, Bruno Le Maire prévoyait seulement 2,9% et 112,5%. Cette année Le déficit budgétaire devrait être de 4,9%. En conséquence, tous les ministères viennent de recevoir des lettres de cadrage prévoyant 5% d’économies pour avancer vers l’objectif fixé par Le Maire. Baisser radicalement le montant des dépenses publiques va aggraver davantage la pénurie dans les services publics.

Dans ce contexte, le mouvement de mobilisation, malgré la colère sociale, marque le pas. Ce qui est en jeu c’est la capacité ou non d’imposer à Macron un recul sur les 64 ans, malgré la promulgation de la loi. Il est évident que cela dépendrait toujours de la capacité à élargir la crise politique et à paralyser le gouvernement. La paralysie parlementaire va subsister puisqu’il est clair désormais que les Républicains ne noueront pas d’alliance parlementaire pour asseoir une majorité. Mais Borne et Macron espèrent néanmoins passer au travers de nouvelles motions de censure et continuer à gouverner en louvoyant et en procédant au maximum par des décrets qui n’impliquent pas de vote du parlement. Seule la mobilisation populaire pourrait permettre réellement de faire mettre genou à terre au gouvernement.

L’objectif annoncé par l’Intersyndicale est de faire du 1er Mai la prochaine échéance par des manifestations unitaires dans toutes les villes. Certes, cela sera une première historique puisque, depuis 1945, le mouvement syndical en France, n’a jamais été réuni dans une même manifestation le 1er Mai. Cela témoigne positivement du rapport de force construit dans le mouvement. Mais quel en est l’objectif ? En faire un point de départ pour un second souffle, un nouvel élan pour affronter Macron ? Cela serait évidemment décisif pour imposer une défaite à Macron, mais cela renvoie aux limites de l’Intersyndicale. L’unité est maintenue sur le rejet des 64 ans et le refus de dialoguer avec Macron sans recul sur sa réforme et cela est un facteur de dynamisation des mobilisations toujours nombreuses dans tout le pays. Mais quel sera l’objectif après le 1er Mai ?

Fixer de nouveaux leviers de mobilisations, contre les 64 ans, en élargissant aux questions sociales les plus urgentes, à commencer par les salaires et le coût de la vie, en gardant la dynamique unitaire mais en avançant vers un nouvel affrontement pour faire céder Macron, seront les enjeux des jours qui viennent.


 

   publié le 24 avril 2023

Les femmes de Vertbaudet bloquent
leur usine pour une vie plus digne

Par Inès Belgacem sur https://www.streetpress.com

Les femmes en grève de l’usine d’acheminement de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage. Elles réclament une augmentation de salaire et la direction refuse toute négociation. Un bras de fer impossible.

Marquette-lez-Lille (59) – « Lever la tête, bomber le torse, sans cesse redoubler d’efforts ! » Sur l’air d’Amel Bent, Viser la Lune, bras dessus, bras dessous, le groupe de femmes chante en chœur devant les appareils photo et les caméras. « Malgré le Smic, et puis la Caf, l’humiliation dans le flicage, moi je lèverai le poing, encore plus haut encore plus loin. » Ce 14 avril, les femmes en grève de Vertbaudet terminent leur quatrième semaine de blocage de leur usine. Elles sont 83 – dont quelques hommes – à réclamer, notamment, une augmentation des salaires.

Le bras de fer tendu depuis 26 jours, avec la direction de l’usine d’acheminement de la marque de prêt-à-porter pour enfants, n’a pas permis d’ouvrir le dialogue. Alors ce vendredi matin, la toute nouvelle secrétaire de la CGT, Sophie Binet, s’est rendue sur le piquet de grève, à moins d’une dizaine de kilomètres de Lille (59). Des politiques, des journalistes et des cégétistes de la région ont fait le déplacement pour l’occasion. Devant la petite foule, feuille de papier en main, la syndicaliste chante avec les grévistes le temps d’une chanson, avant de promettre de bloquer les magasins parisiens de l’enseigne si la porte des négociations ne s’ouvrait pas :

« Visez la thune, ça ne me fait pas peur ! Même à l’usure, j’y crois encore et en cœur. »

« On survit »

« “Vertbaudet, les enfants d’abord”, disent-ils. » Sandrine (1) oscille entre colère et fatigue. « C’est vrai pour tous les enfants sauf ceux de leurs salariées ! Ils n’en ont rien à faire que les nôtres mangent à leur faim. » Une fois la cohue passée, il ne reste que quelques femmes et une poignée de soutiens cégétistes du coin, réunis autour de la tonnelle rouge qui leur sert de camp de base. « Mon grand garçon est manager. Il m’a dit : “Maman, ce n’est pas normal tes conditions de travail”. » Sandrine a haussé les épaules :

« Peut-être, mais l’important c’est la sécurité. Faut bien manger. »

La mère de quatre enfants – deux adultes et deux ados – les pousse à entreprendre de longues études. Elle, n’en a pas fait. La petite-fille de mineur a été embauchée en 1997 chez Cyrillus, avant d’être déplacée sur le site de Vertbaudet – les deux enseignes font partie d’un même groupe à l’époque. À 48 ans, après 26 ans d’ancienneté, son salaire affiche 1.200 euros net par mois :

« J’ai l’impression de vivre le même quotidien que ma grand-mère. Je ne vais plus acheter de baguette fraîche depuis l’augmentation des prix et l’inflation. C’est Germinal ! »

« C’est difficile de se dire qu’on travaille consciencieusement, comme tout le monde, pour être à découvert le 20 du mois », confie Caroline. Sa fille est au lycée. Séparée de son père, elles habitent à deux, et doivent s’en sortir avec son seul salaire de 1.200 euros net par mois. Caroline a quelques avantages, dont un contrat avec les mêmes congés que les vacances scolaires de sa fille. Mais ça ne paie pas son loyer de 450 euros, à quoi s’ajoutent les charges, les courses et les petits tracas de leur quotidien à deux :

« Son père lui paie des vêtements ou des sorties à la foire. Moi, je ne peux pas. Moi, je survis. »

La mère célibataire raconte faire ses courses en ligne sur l’application Picnic. « Comme ça, je ne prends que ce dont j’ai besoin et je reste dans mon budget au centime près. » Elle prend toujours des tartes et des pizzas, pour les couper et en faire deux repas. Si Caroline a besoin d’un meuble, direction Emmaüs. Pour les vêtements, c’est le Secours populaire. Le neuf ne lui est plus accessible. Et finalement, elle participe chaque jour à l’expédition de produits qu’elle n’est plus en mesure de s’offrir.

« Nous sommes méprisées »

Chez Vertbaudet, il y a deux étages : les bureaux au premier occupés par les cols blancs et l’entrepôt au rez-de-chaussée, d’où partent les camions chargés de marchandises par les ouvriers. Ils livrent les magasins de la marque et les particuliers, en meubles, jouets et vêtements pour les enfants. Schématiquement, il y a trois équipes : le prélèvement, l’emballage et l’expédition. « Au prélèvement, ils vont chercher les commandes. C’est plutôt des postes qu’on donne aux jeunes, parce que c’est physique », explique Justine, neuf ans de contrat à Vertbaudet et gréviste de la première heure. La plupart des salariés de l’entrepôt sont des femmes. « On m’a mise à l’emballage des commandes maintenant. Mes deux coudes sont morts et je force sur mes épaules », raconte Carole, 51 ans et presque la moitié d’ancienneté à Vertbaudet. Elle marche entre 15 et 25 kilomètres par jour, comme ses collègues. « C’est un métier épuisant : on tire, ou soulève, on pousse des chariots très lourds », complète Aïcha, petite nouvelle de 33 ans, embauchée il y neuf mois après plusieurs années d’intérim.

« La demande de rendement est plus importante », poursuit Aïcha. Avec sa casquette de marin noire, installée sur un banc de palettes du piquet, la trentenaire enchaîne les anecdotes :

« On est surveillées : les patrons passent pendant nos pauses déj’ pour vérifier qu’on ne dépasse pas notre temps à la minute prêt. »

« Dix minutes, c’est la règle », explique sa collègue Justine : « Pour manger, passer aux toilettes, prendre un café – sachant qu’il n’y a qu’une seule machine pour nous tous, utilisable qu’à la pause. » Pas de passages aux WC hors temps de repos, assure-t-elle. Seules les bouteilles d’eau sont acceptées dans l’entrepôt. « Pas de grenadine ou de sirop de citron dedans, c’est interdit. » Elle conclut :

« On est infantilisés. »

Elles ont bien essayé d’en discuter, notamment par l’intermédiaire de leur représentante syndicale Manon Ovion, une des leaders du mouvement, elle aussi salariée de l’entrepôt. Elle aurait reçu une fin de non-recevoir :

« “Mais vous, vous êtes au niveau zéro”, m’ont-ils dit. Sous-entendu : il n’y a que les cadres du premier étage qui peuvent réclamer quelque chose. »

Des négociations impossibles

« Ça y est, il sort ! » Ça crie sur le piquet. Deux grosses voitures arrivent aux grilles de l’entreprise. Le patron de l’usine est au volant, accompagné de deux huissiers. Les femmes grévistes restent à distance, mais le ton monte avec un cégétiste de la région. Le directeur regarde droit devant lui, froid et impassible.

Ce matin-là, des individus ont fait tomber une grille pour entrer dans l’entreprise. La direction de Vertbaudet dénonce des violences et des dégradations survenues ces 11 et 14 avril. Le week-end qui suit, « des dégradations volontaires dont un départ de feu » auraient également été constatées par la direction, qui assure que des plaintes ont été déposées. « Nous faisons la différence entre les grévistes et des individus externes, violents », a-t-elle déclaré, ajoutant :

« Les événements sont extrêmement violents pour les salariés qui continuent de travailler. Trois blessés légers ont été pris en charge par les pompiers. »

La direction n’a pas donné davantage d’info sur les blessures de ses salariés. Elle a cependant fait parvenir une pétition, signée par plus de 150 non-grévistes, qui s’opposeraient au mouvement social : « Nous, salariés non-grévistes, ressentons un bien-être sur notre lieu de travail. Il y règne une bonne ambiance. Nous sommes solidaires [de la direction]. (…) Nous avons certains avantages non négligeables (…) Cette situation génère une peur de la perte de notre emploi qui nous permet de faire vivre notre famille. »

Sur les 327 salariés de l’entrepôt, un quart est en grève avec la CGT ce vendredi 14 avril. « Ce conflit social est mené par une minorité », estime l’entreprise, qui refuse de revenir sur les négociations annuelles. Elles se sont soldées début mars par un accord signé par Force Ouvrière (FO) et la CFTC, qui représentent 63% des salariés syndiqués. La CGT, minoritaire, s’y est refusée.

« Dites que FO n’est pas avec nous ! Ça c’est grave ! » s’indigne Sandrine, la petite-fille de mineur, sur le piquet. « C’est un travail qui n’évolue jamais, qu’on ait 20 ou 40 ans. Aucun changement de salaire, aucune évolution de carrière, le monde du travail ne devrait pas être ça ! » La direction considère que leurs employées de l’entrepôt ont une rémunération supérieure au Smic de 17%, grâce à différentes primes. Elle a aussi proposé de faire des heures supplémentaires, « pour augmenter rapidement le pouvoir d’achat ». Carole, la mère célibataire, dénonce :

« Ce ne sont pas les primes qui paient notre retraite. On ne cotise pas. On voudrait que notre salaire brut augmente. »

Mais les deux étages ne semblent plus pouvoir se comprendre.

Cinq semaines de bras de fer

« À table ! Quand c’est plus chaud, c’est plus chaud ! » crie JR, autoproclamé chef du barbecue cégétiste de la région. Ce matin, une autre camarade de la CGT leur a offert un agneau entier. Des voisins leur ont déjà apporté des gâteaux et des soupes à la tente. Et les klaxons de soutien rythment leurs longues journées. « Heureusement qu’on a tout ce soutien, parce que ça commence à faire long. Et au début c’était compliqué », raconte Justine, pour qui c’est la première grève. Jour un : l’Union locale de Tourcoing lance le blocage pour manifester contre la réforme des retraites et soutenir les revendications salariales des représentants de l’usine. Les femmes suivent. Mais sans manteau, cache-nez, cigarettes ou nourriture. Rien. Justine en rit :

« Les nuls font la grève. On ne savait pas ce que ça voulait dire de tenir un piquet toute la journée. Ça demande de l’organisation et beaucoup d’énergie. Et la première gelée et la première pluie, on n’a rien vu venir ! »

Et puis tout s’est organisé, progressivement, à mesure que le bras de fer s’est durci avec la direction. Après le passage de sept camions de CRS la première semaine, leur campement, installé devant l’entrée de l’entreprise, a déménagé à quelques mètres, pour libérer la route empruntée par les camions. L’usine voisine d’Ikea leur ouvrait gracieusement leurs toilettes. La direction aurait passé un coup de fil pour y mettre un terme. Pareil pour l’entreprise qui fournissait le piquet en palettes.

Il y a ensuite eu l’arrivée des 84 intérimaires, « pour remplacer les 82 salariés grévistes », note l’inspecteur du travail alerté par la CGT. Une notification de l’Inspection du travail, que StreetPress a pu consulter, épingle l’entreprise et rappelle que « le code du travail interdit le recours (…) aux travailleurs intérimaires pour remplacer les grévistes ». À ce jour, Vertbaudet emploie toujours ces intérimaires et explique attendre la réception du procès-verbal définitif pour contester les faits.

Et la suite ?

« Vivement qu’on en finisse », tranche Justine, déterminée mais fatiguée, comme la plupart de ses camarades. « Surtout qu’on n’a pas toujours été mal ici », racontent-elles. Chacune a son petit souvenir : la Sainte-Catherine, où les plus anciennes confectionnaient des chapeaux aux nouvelles ; le patron qui passait avec des chocolats ou du champagne pour les fêtes ; ou simplement le temps où le café et les casse-dalles étaient autorisés dans l’entrepôt. Une époque qui leur semble bien loin.

La direction réitère à StreetPress : elle refuse catégoriquement d’ouvrir de nouvelles négociations sur l’augmentation des salaires. Les représentants CGT annoncent quant à eux, une reconduction de la grève. Ce lundi 24 avril, les femmes de Vertbaudet entament leur sixième semaine de blocage.

   publié le 23 avril 2023

À Paris, le collectif McDroits met McDonald’s face à ses manquements

Nelly Metay sur www.humanite.fr

Le collectif McDroits s’est donné rendez-vous au McDonald’s de Parmentier, vendredi 21 avril, à l’occasion de sa réouverture officielle. Entre deux tracts et un flashmob, ils ont dénoncé l’inaction de la firme face au harcèlement au travail.

« On est là, même si McDo le veut pas nous on est là ». Créé en mars 2020, le collectif McDroits multiplie les actions à l’encontre de l’enseigne américaine. Salariés du groupe ou simples soutiens extérieurs, ils se mobilisent depuis maintenant trois ans afin de dénoncer les abus dans la chaîne de restauration rapide. « Nous étions là en octobre 2020 au siège à Guyancourt pour dénoncer les discriminations systématiques, nous sommes ici aujourd’hui pour les mêmes choses », relate Antoine, salarié de l’entreprise et membre de la CGT McDonald’s Paris.

Un accueil musclé

Animations, musiques, ballons, tracts et influenceuse cotée… Le groupe au M doré a tout prévu pour attirer les badauds. Une flashmob est même organisée en partenariat rémunéré avec la tiktokeuse Camille la danseuse, l’ambiance se veut festive. Au coin de la rue Oberkampf, les membres du collectif Mc Droits préparent leurs banderoles et mettent leurs t-shirts, mais la préparation est de courte durée. Les responsables du restaurant les ont repérés et partent à leur rencontre. Habitués à des accueils toujours mitigés, ils prennent les devants et se postent à l’entrée du fast-food, au moment même où la musique démarre. « On veut perturber leur flashmob, qu’ils n’aient pas d’autre choix que de nous écouter s’ils veulent poursuivre leur événement », développe Anna co-organisatrice de l’action, quelques instants avant de passer à l’acte.

Pourtant, tout ne se passe pas comme prévu. À peine sont-ils en place que plusieurs responsables déboulent sur eux, ciseaux à la main pour tenter de découper leur banderole sur laquelle on peut lire le fameux slogan «  Venez comme vous êtes » suivi des actes reprochés « Harcelé.es, attouché.es, humilié.es, abusé.es, rabaissé.es ». Très vite la tension monte, ils sont priés de remballer leur matériel. « J’ai eu un peu peur quand on m’a saisi le bras violemment et griffé », confie Rémi, encore choqué des menaces proférées selon lui par les responsables, qui n’ont pas souhaité réagir à nos sollicitations. Après d’intenses négociations, le collectif peut prendre la parole devant une petite foule agrégée devant l’entrée du restaurant. « Nous sommes ici pour lire des témoignages de salariés qui ont subi du harcèlement, des menaces, des pressions, du racisme et des violences sexuelles », scande Antoine. Malgré leurs mines déconfites, les gérants du magasin mettent fin à l’action et reprennent tant bien que mal leur cérémonie d’inauguration. Une reprise qui tarde… car l’influenceuse invitée s’est évaporée durant l’action du collectif McDroits.

« Des pressions systématiques »

Si certains membres du groupe ont été chahutés, le collectif est satisfait d’avoir pu mener à bien son action. « C’est important pour nous que les gens entendent ces témoignages, nous en avons recueilli des centaines qui dénoncent les conditions de travail honteuses », assure Mathilde, qui participe elle aussi à l’action. Collectés pendant des mois en ligne ou en physique sur les campus universitaires, ces témoignages proviennent d’actuels ou anciens salariés victimes d’abus en tout genre. Bien souvent jeunes et précaires, les personnes qui acceptent de raconter leur expérience au sein du géant du fast-food relatent une pression systématique, exercée aussi bien sur le lieu de travail que par le biais de l’application de messagerie en ligne WhatsApp. « On est contacté par nos supérieurs à des heures improbables, on nous demande parfois de surveiller nos collègues. On nous impose des responsabilités et cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg » déplore Antoine, consterné par cette réalité.

McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement

Si cette action n’est pas la première et sûrement pas la dernière, elle rappelle surtout l’inaction de la firme. Appelé à agir en interne en 2020 suite à l’action faite au siège par le collectif, McDonald’s s’était engagé à lutter contre le harcèlement moral et avait promis un protocole d’écoute et de prise en charge des victimes. Pourtant, selon le collectif, plusieurs personnes s’étant plaintes de leurs conditions de travail n’ont jamais vu la concrétisation de ces annonces, se résignant à laisser l’entreprise qui emploie le plus de jeunes en France, perpétuer sa triste omerta.

   publié le 22 avril 2023

A69, l’autoroute de tous les dangers

Marceau Taburet et Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Tout le week-end, les opposants à la construction du nouveau tronçon entre Toulouse et Castres manifestent dans le sud du Tarn. Le ministre de l’Intérieur attise les tensions.

Ce samedi 22 avril, le sud du Tarn doit connaître un week-end de mobilisation à haut risque, moins d’un mois après les affrontements de Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Les opposants à la construction d’une autoroute entre Toulouse et Castres appellent à un rassemblement à Saix pour manifester leur opposition à ce projet jugé « anachronique ».

Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues, des bolides de toutes tailles et toutes formes

Les initiatives annoncées se veulent festives et bon enfant. Les organisateurs (les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne…) ont prévu de monter samedi à bord de bolides. De toutes formes et de toutes tailles. Caisses à savon, Caddie de supermarché, karts désaffectés et autres luges à roues feront l’affaire pour participer à la course.

L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes

L’idée étant de franchir la ligne d’arrivée en moins de douze minutes, soit le temps qu’est supposée faire gagner l’A69 aux automobilistes. Ces derniers jours, entre 2 000 et 3 000 personnes se sont montrées intéressées sur les groupes de discussion.

Long de 44 kilomètres, cet axe autoroutier est dans les cartons depuis le début des années 2000. « Cela fait des années que des gens se battent sur place. Là, on entre dans une nouvelle phase puisque les travaux ont commencé et des arbres ont déjà été abattus », explique Mathieu, membre des Soulèvements de la Terre.

Artificialisation de 366 hectares et destruction de zones boisées et humides

Ce qui suscite leur indignation, c’est avant tout la non-prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. Artificialisation de 366 hectares, destruction de zones boisées et humides, déplacement d’espèces végétales et animales…

« L’utilité de cette autoroute n’a jamais été démontrée. Elle ne sera pas rentable », estiment les militants locaux d’Europe Écologie-les Verts dans un communiqué. Les mots « climat » et « biodiversité » sont les grands absents de l’exposé des motifs qui tente de justifier le caractère d’utilité publique de l’autoroute.

Selon les premières estimations, ce nouveau tronçon payant (autour de 7 euros à chaque passage), construit en parallèle de la nationale, serait emprunté chaque jour par près de 6 000 usagers. Ce qui semble bien faible au regard de ses conséquences écologiques, jugent les membres du collectif local la Voie est libre.

Ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire »

Au sein de la gauche régionale, la communiste Géraldine Rouquette, conseillère régionale et ex-élue municipale de Castres, estime que ce tronçon autoroutier « ne répond pas aux attentes et aux besoins des citoyens et du territoire ». Il laisse des angles morts : « Le désenclavement ne doit pas se faire que vers Toulouse », explique l’élue communiste, qui considère que « le développement du ferroviaire » aurait également dû être une piste de travail, arguant que « faire rouler des trains c’est mieux pour l’environnement ».

La présidente socialiste de la région, Carole Delga, appuie en revanche le projet au nom du « désenclavement du sud du Tarn ». En 2021, avant les élections régionales, elle rappelait en outre que l’État avait donné son feu vert « après une large concertation ».

En lieu et place du projet autoroutier, les communistes auraient eux préféré un doublement de l’actuelle route nationale, de façon à en faire une deux fois deux voix, et plaideront le cas échéant pour la gratuité de ce tronçon pour les usagers.

« Le gouvernement croit que tout le monde veut des ZAD partout »

Mais, au-delà de ces débats, le souvenir des violences à Sainte-Soline autour des méga-bassines, le 25 mars, est dans toutes les têtes. « On espère qu’il n’y aura pas de provocation de la part de la police, assure Mathieu. Le gouvernement est dans un délire de croire que tout le monde veut mettre des ZAD partout. »

Selon lui, l’exécutif poursuit bille en tête sa stratégie de « criminalisation des mouvements sociaux et environnementaux ». Preuve en est, la volonté affichée par Gérald Darmanin de dissoudre les Soulèvements de la Terre.

Le locataire de la place Beauvau a déjà annoncé, sous forme de prophétie, que « l’autoroute entre Castres et Toulouse sera le prochain objectif de l’ultragauche ». Le préfet du Tarn, qui a autorisé la manifestation, promet de mener « un dialogue constructif » avec les organisateurs.

Il reste à savoir si l’État pourrait revenir sur son projet. Selon des informations publiées par Mediapart, ce 20 avril, le ministre des Transports, Clément Beaune, « a souhaité réexaminer l’ensemble des projets autoroutiers actuellement envisagés, et le projet d’A69 ne fait pas exception ». L’entourage du ministre assure que, « dans ce cadre, rien n’est définitif ».

À la veille du week-end de mobilisation, une opération de com destinée à calmer le jeu n’est pas exclue. À moins que le gouvernement, déjà malmené après la réforme des retraites, ne renonce à souffler sur les braises pour ce projet d’autoroute. 


 


 

Autoroute A69 : Carole Delga timidement lâchée par ses alliés

Emmanuel Riondé sur www.humanite.fr

La présidente de la région Occitanie défend l’autoroute Castres-Toulouse. Mais au sein de sa majorité, Verts et communistes se démarquent de sa position. Et en dehors, beaucoup pointent la contradiction entre son affichage écolo et son soutien à ce projet climaticide et dépassé.

Toulouse (Haute-Garonne).– Les oreilles de Carole Delga devraient encore siffler ce week-end, du côté de Castres. La présidente socialiste de la région Occitanie est dans le viseur des opposant·es au projet d’A69, cette autoroute devant rallier Toulouse et Castres, dont la réalisation apparaît totalement à contre-courant des attentes et urgences écologiques de la période (lire l’article de Jade Lindgaard).

Samedi 22 et dimanche 23 avril, le collectif La Voie est libre, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion (XR) et les Soulèvements de la Terre organisent un rassemblement, « A69 Sortie de route », contre ce projet. Le camp où se retrouveront les manifestant·es a été dressé sur la commune de Saix, à proximité de Castres (Tarn). Non loin d’un tronçon où de premières coupes d’arbres ont été effectuées en mars, dans le cadre des travaux préparatoires du chantier.

Dans un communiqué diffusé jeudi 20 avril, les organisateurs notent que « l’installation de ce camp est un premier coup porté à la politique de Carole Delga dont le courage politique n’a d’égal que le mensonge ». La veille, trois militants de Dernière Rénovation aspergeaient de peinture orange la façade et l’esplanade de l’hôtel de région, à Toulouse, pour dénoncer « un projet insensé, catastrophique pour la biodiversité, la vie rurale et la santé des sols, [qui] n’a vocation qu’à enrichir des investisseurs déconnectés de l’urgence climatique ».

La région Occitanie contribue à hauteur de 6 millions d’euros au plan de financement de l’autoroute. Une somme versée dans le cadre de la subvention d’équilibre publique de 23 millions (dont 11,5 millions de l’État et 3,14 millions du département du Tarn) qui représente environ 6 % du budget d’investissement global (389 millions). Mais elle n’est ni maîtresse d’ouvrage ni initiatrice du projet. Pourquoi, dès lors, sa présidente, réélue haut la main en 2021, est-elle visée par les opposant·es ?

« Je pense que c’est parce qu’elle est active sur l’écologie que Delga est interpellée avec insistance sur ce dossier : il y a une contradiction qui soulève des interrogations », propose Benjamin Assié, président du groupe Occitanie Pays-Catalan Écologie (OPCE), le bloc écologiste de la majorité de Delga au conseil régional.

Une contradiction dont le groupe OPCE et ses sept élu·es se tiennent à bonne distance : « Nous allons nous rendre à la manifestation de ce week-end, on n’a aucune difficulté là-dessus, assure l’élu. Ce n’est pas la position de la majorité régionale mais nous sommes en cohérence avec nos valeurs : nous nous sommes toujours opposés à ce projet qui avait peut-être une raison d’être il y a 40 ans mais plus du tout aujourd’hui. »

Autre composante de la majorité régionale, le groupe Communiste républicain et citoyen, 15 élu·es, n’est guère plus enthousiaste concernant l’A69 : « Le PCF avait pris position localement et nationalement pour une réhabilitation de la RN126 à double voie. On acte que le choix de l’État et de la région est celui de l’autoroute mais on y reste opposés. Notamment au fait que cette liaison soit désormais payante », explique Pierre Lacaze, président du groupe.

Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas.

Vincent Garel, à la tête des 18 élu·es du Parti radical de gauche et citoyens de la région, principale force alliée au groupe socialiste de Delga, n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais l’élu tarnais, président régional du Parti radical de gauche, dont il vient d’être nommé premier vice-président national, est un fervent défenseur de l’A69. Et politiquement, il « accompagne la démarche de Bernard Cazeneuve autour de son mouvement “La Convention” », ce qui le rapproche encore un peu plus de Carole Delga. Au printemps dernier, entre présidentielle et législatives, la présidente de la région s’était affirmée comme l’une des figures majeures des socialistes opposé·es à l’intégration du PS au sein de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes). 

S’ils assument leur opposition au projet d’A69, écolos et communistes de la région se gardent de trop critiquer leur présidente. « Ce projet a été conçu il y a plusieurs décennies et il ne correspond plus à ce que nous devons transformer. Mais la position de Delga, nous n’allons pas la commenter », tranche Agnès Langevine, élue OPCE, deuxième vice-présidente de la région chargée du « climat, pacte vert et habitat durable ». « Je ne peux pas parler à sa place », élude de son côté Pierre Lacaze, président du groupe Communiste républicain et citoyen.

Sollicités par Mediapart, ni Carole Delga, ni son cabinet, ni deux proches élu·es n’ont donné suite. Mais la position de la présidente de région, qui revendique ses bons liens avec le patronat et, comme le rappelle Mediacités, est proche des dirigeants des laboratoires Fabre, initiateurs du projet d’autoroute dans les années 1980, est connue et assumée de longue date : « En matière de désenclavement, d’attractivité et de déplacements, la nécessité de cette liaison autoroutière n’est plus à prouver, estimait-elle en avril 2022 après la publication du décret approuvant le contrat de concession entre l’État et Atosca, qui va construire et exploiter l’autoroute. La région est pleinement engagée pour faire aboutir ce projet utile au territoire. »

« On n’est pas surpris, assure Régis Godec, cosecrétaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV)-Midi-Pyrénées. Carole Delga a un affichage de convictions écologistes mais quand il s’agit d’aller sur des projets structurants, elle n’avance pas. » Membre de la majorité « gauche plurielle » de la première mandature de Delga à la région, EELV n’a pas intégré la nouvelle coalition en 2021. Parmi les dossiers de rupture, celui de l’A69.

Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone.

Lors de la campagne, José Bové avait proposé un référendum sur le sujet. « Je fais partie de ceux qui ne sont pas favorables à ce projet, expliquait-il à la presse. Mais ça ne m’empêche pas de soutenir la région. Pourquoi pas trancher tout cela par un vote ? » Avant de préciser : « Je ne mets pas un caillou dans la chaussure de Carole Delga, mais je lui présente une solution pour sortir d’un conflit qui s’enkyste. »

Deux ans plus tard, le conflit entre pro et anti-autoroute s’est durci, et le caillou dans la chaussure commence à ressembler à un gros pavé dans la mare, même si Agnès Langevine défend le volontarisme écologique de Carole Delga. « Toutes les lignes budgétaires de la collectivité sont cotées au regard de leurs émissions carbone », se félicite la vice-présidente, vantant « la politique de transport, la reconnaissance européenne sur l’agriculture bio, et sur le deuxième mandat, le pacte vert avec une appréhension plus systématique où toutes les politiques publiques doivent prendre en compte le climat » comme les « marqueurs écolos » de la région.

Parmi ces « marqueurs », Carole Delga a choisi de mettre l’accent sur l’importance qu’elle accorde aux transports… ferroviaires. Avec une tribune dans Le Monde en septembre 2022, et une interview au JT de 13 heures de TF1 mardi 18 avril, dans lequel, interrogée par Marie-Sophie Lacarrau, elle assure que « les transports en commun doivent être gratuits […]. C’est bon pour le pouvoir d’achat, c’est bon pour la planète et c’est bon pour la souveraineté industrielle ».

Le basculement attendu de Carole Delga

Cette montée au créneau pour la gratuité des transports en commun a provoqué quelques grincements. « Rien que sur le trajet Toulouse-Castres, en matière de TER, le compte n’y est pas, épingle un connaisseur des transports en Occitanie, souhaitant conserver l’anonymat. Les premiers TER en provenance de Castres arrivent à Toulouse-Matabiau après le départ du premier TGV pour Paris, et les derniers en repartent avant son retour… Delga avance des grands projets sur le ferroviaire mais concrètement, pour désenclaver Castres, elle n’améliore pas cette offre TER. »

Et soutient l’installation sur le même trajet d’une autoroute dont l’aller simple sur soixante kilomètres coûtera 8,40 euros ! Un prix qui, en plus d’être particulièrement élevé, pose la question de la destination des fonds publics : il englobe les déviations de Soual et Puylaurens, réalisées en 2000 et 2008 sur la RN126 aux frais des contribuables… qui vont désormais en repayer l’usage à un opérateur privé chaque fois qu’ils prendront l’A69.

Autre contradiction relevée par les opposant·es au projet : Carole Delga a fait connaître son opposition à l’installation d’une usine d’enrobage (goudron) à Gragnague, un village de Haute-Garonne situé sur le tracé de l’autoroute. L’usine est censée rester quatre mois dans le cadre de travaux de réfection d’une portion de l’autoroute A68 à laquelle se raccordera l’A69. « Elle est pour l’autoroute mais contre le goudron… Elle a cru qu’ils allaient faire une autoroute en paille ? », ironise un membre de La Voie est libre, le collectif d’habitant·es de la vallée en lutte contre l’autoroute.

En réalité, la socialiste apparaît aujourd’hui isolée sur un dossier qui cristallise le rejet et l’opposition d’un spectre politique et citoyen de plus en plus large. Le Nouveau Parti anticapitaliste, EELV, le Parti de gauche, La France insoumise, Archipel citoyen ont signé l’appel à manifester ce week-end, comme de nombreux syndicats (FSU, GGT 81...), aux côtés d’associations et collectifs. « Le rapport de force évolue plutôt en notre faveur et Carole Delga a beaucoup de choses à prouver sur ce dossier, note l’écologiste Régis Godec. C’est à elle de faire le pas, de basculer. On peut imaginer que dans quelques semaines, elle se mettra autour d’une table. Nous, en tout cas, on sera là le week-end des 22 et 23 avril. »

Tout comme Benjamin Assié, président du bloc écologiste à la région : « Du point de vue d’un certain nombre de gens de la majorité qui portent ce projet, il y a l’idée que c’est trop tard pour revenir en arrière, regrette-t-il. Mais la réalité, c’est qu’à la fin, on va se retrouver avec une autoroute surcalibrée, juste à côté de la nationale… On ne désespère pas de la faire changer de position. Notre job, c’est de tenir la nôtre à l’intérieur du conseil régional. »

Ce week-end, à Saix, les opposant·es au projet entendent bien elles et eux aussi « faire leur job » : « On ne fait pas de politique politicienne, lâche Nicolas, de Dernière Rénovation. Notre objectif, c’est juste de faire en sorte que Delga et l’État renoncent à ce projet. »


 

   publié le 21 avril 2023

Tour de chauffe revendicatif
avant un 1er Mai décisif

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Partout en France, les cheminots mais aussi les salariés ont répondu à l’appel de l’intersyndicale. Avec un objectif en tête : vivre une Journée internationale des travailleurs historique.

« Le pouvoir fait comme si on pouvait tourner la page tout simplement et passer à autre chose. Non, ça n’est pas possible », a lancé ce jeudi 20 avril depuis Gardanne (Bouches-du-Rhône) la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au sujet de la réforme des retraites. Aux quatre coins du pays, les cheminots et les salariés ont manifesté tout au long de la journée avec un objectif en ligne de mire : la réussite du 1er Mai.

À Gardanne, la CGT maintient le cap

Accueillie sous les acclamations de centaines de militants enthousiastes, jeudi, sur le site de la centrale thermique de Gardanne, en lutte depuis près de cinq ans pour le maintien de l’outil industriel et de l’emploi, Sophie Binet est restée ferme, à la fois sur les retraites et sur la question de l’indépendance énergétique.

Reçue par Olivier Mateu, le secrétaire départemental (Bouches-du-Rhône) de la CGT, mais aussi par Jean-Michel Roccasalva, secrétaire CGT de la centrale, et Pascal Galéoté, secrétaire CGT du Grand Port maritime de Marseille, elle a rappelé l’importance de ce nouveau jour de mobilisation, notamment chez les cheminots.

Quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir »                                  Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

« La CGT et l’intersyndicale se mettent en situation d’avoir un 1er Mai d’un niveau exceptionnel et inédit parce que, pour la première fois en France, l’ensemble des organisations manifesteront ensemble. Il s’inscrit dans une mobilisation exceptionnelle parce que, quand on entend notre président de la République, on a l’impression qu’il a passé trois mois dans son Falcon et qu’il n’a pas compris ce qui se passait dans la rue. Mais aussi parce qu’il y aura, à Paris mais pas seulement, des syndicalistes du monde entier qui vont venir nous soutenir », a lancé, chapeau rouge sur la tête, Sophie Binet, avant de poursuivre : « Il n’a pas compris que notre détermination était liée au fait que, cette réforme, c’est nous voler deux ans de vie. Ce que fait le gouvernement depuis le début du conflit abîme l’image de la France à l’international. [...] Avec un problème, je le dis, de radicalisation du pouvoir et une répression qui se développe partout. »

De son côté, Jean-Michel Roccasalva a résumé la longue lutte pour sauver l’emploi dans la centrale thermique, qui a brutalement cessé de fonctionner au charbon, entraînant de nombreux licenciements, et surtout rappelé l’urgence du dossier. Si la transition vers le méthane n’avance pas, 30 autres salariés risquent de se retrouver à Pôle emploi dès août prochain.

« Ce dossier démontre l’impasse de la prétendue transition écologique sans gestion sociale », résume la secrétaire générale. « La fermeture a causé la suppression de 200 emplois directs, 500 en tout, auxquels aucune réponse n’a été apportée. Il faut une planification environnementale et industrielle. »

Donnant la date limite du 15 mai pour ce dossier, Sophie Binet a indiqué préparer une lettre à Élisabeth Borne. Après son intervention, un militant se montrait rassuré : « Elle a pour mandat de ne rien lâcher et a l’air de s’y tenir ».

À Paris, la « colère cheminote » grandit

Ne pas laisser de répit à Emmanuel Macron. C’est l’objectif de cette journée de mobilisation de l’intersyndicale à la SNCF. « Nous sommes ici pour dire qu’on ne le lâchera pas. Il était important de construire des initiatives locales », assure Samy Charifi, responsable CGT des cheminots du secteur Paris-Est.

Sur le parvis de la gare parisienne du même nom, une soixantaine de cheminots ont répondu à l’appel, réunis en assemblée générale à 11 heures. Venue de la gare voisine de Paris-Nord, Amélie Nobrega évoque « une bataille longue et difficile » pour obtenir le retrait de la réforme des retraites.

Pour autant, la cégétiste l’assure, « une grosse journée se profile le 1er  Mai ». Et d’ajouter : « Les gens se posent des questions, au-­delà des retraites. C’est pour cela que nous devons élargir le champ des revendications. En ce qui concerne les cheminots, c’est la bataille pour le service public ferroviaire qu’il faut relancer. »

Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux

« Grève, blocage et Macron dégage ! », assène Didier Macé de FO, en concluant les prises de parole syndicales. Les manifestants du jour se dirigent ensuite à l’intérieur de la gare de l’Est, avant de rejoindre celle du Nord. Illustration du soutien des Français à la mobilisation, l’accueil des voyageurs est plutôt chaleureux.

En parallèle, ceux de la gare de Lyon ont rejoint la Défense pour envahir les locaux d’Euronext, la Bourse de Paris. Dans l’après-midi, un millier de grévistes convergent devant l’hôtel de ville de Paris, accompagnés de jeunes et d’étudiants. Sous les ballons de Sud-Rail, de la CGT-Paris et de FO, Mirko porte sa pancarte :  « Le Raincy on est là aussi ».

Ce lycéen de 16 ans, venu de Seine-Saint-Denis avec des amis, a tenté en vain de bloquer son lycée ce matin :  « La direction et la police nous ont empêchés de prendre les encombrants. Nous avons alors fait un barrage filtrant. » Le militant du syndicat La Voix lycéenne, qui a rejoint les cortèges dès la mi-février, l’assure : « Macron n’écoute personne et le ras-le-bol se généralise. Chez les lycéens aussi, l’idée d’aller dans les manifs le 1er  Mai commence à prendre. »

À Rennes, un nouveau « tour de chauffe »

À l’appel de l’intersyndicale, à l’exception de la CFDT, 5 000 manifestants ont défilé à Rennes. Dans la foule, Olivier Le Moigne, retraité de 63 ans, estime  « qu’on peut prendre cette manifestation comme un petit tour de chauffe avant le 1er Mai, où j’espère qu’on sera très, très, très nombreux. C’est par des vagues qui peuvent paraître petites qu’à force de répétition on envoie quand même un message ».

La mobilisation s’est déroulée globalement dans le calme, même si de nouveaux heurts ont été signalés entre un groupe de manifestants et la police, selon l’AFP. De son côté, la secrétaire départementale de la CGT, Dominique Besson-Milord, interrogée par le Mensuel de Rennes, constate que la colère monte de jour en jour : « Ne lâchons rien. Il y aura un 1er Mai historique. »

Ailleurs en Bretagne, une soixantaine de syndicalistes, notamment de la CGT cheminots, ont bloqué jeudi matin un passage à niveau à Lorient (Morbihan), entraînant des retards de plusieurs heures pour quatre TGV et cinq TER. À Vannes (Morbihan), le trafic des bus était également perturbé.

 

   publié le 20 avril 2023

Avec France Travail, l’exécutif veut remettre les précaires au boulot,
bâton à la main

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.gfr

L’exécutif a dévoilé les grandes lignes d’une vaste réforme du service public de l’emploi, prévue dès 2024. Pour atteindre le « plein-emploi », il prône une collaboration plus efficace de toutes les institutions existantes, une obligation d’inscription des bénéficiaires du RSA et une refonte du système de sanctions.

C’est l’un des chantiers prioritaires qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir lancer d’ici le 14 juillet. Et la transformation de Pôle emploi en « France Travail » s’annonce comme un long et grand chambardement, dont les détails ont été dévoilés ce 19 avril par Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi. Ce dernier a remis le rapport sur lequel il planche depuis huit mois : 274 pages et 99 propositions pour atteindre « le plein-emploi » – soit un taux de chômage à 5 %, contre 7 % actuellement.

Ce rapport préfigure une réforme profonde du service public de l’emploi, embarquant à bord d’un nouveau vaisseau amiral tous ses acteurs : Pôle emploi, missions locales, collectivités ou associations. Il n’y aura aucune fusion, et chaque entité gardera ses troupes et ses prérogatives. L’objectif est plutôt de les faire « collaborer efficacement ». C’est « une sorte d’équipe de France de l’insertion, de la formation et de l’emploi », expose, sans rire, le rapport.

Le capitaine sera Pôle emploi, rebaptisé France Travail dès le 1er janvier 2024. À ses côtés, deux autres opérateurs : les missions locales (déjà chargées de favoriser l’accès à l’emploi des jeunes) et Cap emploi (qui s’occupe du handicap), respectivement renommés France Travail Jeunes et France Travail Handicap.

Une myriade d’acteurs publics comme privés (Apec, CAF, maisons de l’emploi, entreprises adaptées…) deviendront leurs « partenaires ». La gouvernance de ce réseau sera assurée par l’État, les collectivités locales et les partenaires sociaux.

France Travail a vocation à devenir l’unique « porte d’entrée » des privé·es d’emploi vers le suivi et l’accompagnement. Bénéficiaires du RSA, jeunes, personnes en situation de handicap ou en recherche de formation : toutes et tous devront passer cette porte et s’inscrire via « un portail commun » en ligne, ou auprès « du réseau des guichets physiques des opérateurs France Travail voire de ses partenaires ».

Aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins.

Comme cela est déjà le cas pour les bénéficiaires de l’allocation-chômage et du RSA, un premier entretien d’accompagnement sera censé mesurer les « compétences et appétences » et les « besoins sociaux et professionnels », et se solder par la signature d’un « contrat d’engagement » actant un « plan d’action » à respecter.

Cette procédure d’inscription « permettra l’orientation rapide vers le bon parcours d’accompagnement », précise le rapport, qui signale des failles dans le système actuel. « Compte tenu de la dispersion des acteurs et des responsabilités, aucun acteur, pas même l’État, n’est aujourd’hui en mesure d’identifier l’ensemble des personnes dépourvues d’emploi sur son territoire et de connaître leurs besoins », regrette-t-il.

« France Travail sera garant que plus aucune personne ne reste sans solution », s’enthousiasme le haut-commissaire à l’emploi. Concernant les bénéficiaires du RSA, leur accompagnement renforcé figure parmi les chantiers, avec l’objectif de les faire toutes et tous entrer dans le giron du nouvel opérateur. Autrement dit : elles et ils devront s’inscrire, ce qui n’est actuellement pas obligatoire.

Aujourd’hui, seul·es 40 000 bénéficiaires du RSA sont suivis par Pôle emploi, et cette aide sociale est actuellement distribuée et gérée par chaque département, ce qui peut occasionner des ratés dans la distribution, mais aussi des illégalités dans les critères de versements.

La réforme du RSA, conditionnant son versement au principe « de 15 à 20 heures d’activité d’insertion » par semaine, annoncée pendant la campagne présidentielle et déjà expérimentée dans plusieurs départements, sera menée en parallèle. Comme le souhaite Emmanuel Macron qui tient au principe des droits et – surtout – des devoirs des privé·es d’emploi.

Nouvelles obligations et nouvelles sanctions

Le rapport France Travail remis ce mercredi jette aussi les bases de nouvelles méthodes d’obligations et donc de sanctions. Dès le préambule de la partie dédiée au « contrat d’engagement », le ton est donné. Et il n’augure rien de bon.

« Pendant trop longtemps, nous nous en sommes tenus à fixer des obligations formelles en contrepartie de l’inscription au chômage ou du bénéfice d’une allocation faute de pouvoir offrir à tous ceux qui en avaient vraiment besoin un accompagnement adapté. […] Avec, comme corollaire, une faible exigence vis-à-vis des personnes en termes de mobilisation et un régime de sanctions peu applicable et inégalement appliqué. »

Le sous-entendu est clair : les exigences envers les privé·es d’emploi méritent d’être revues et durcies. Le constat sur l’obligation de recherche d’emploi n’est pas plus rassurant : « Ce dispositif, s’il a sa pertinence sur le principe, est aujourd’hui difficile à apprécier pour le conseiller et facile à détourner pour le demandeur d’emploi ne remplissant pas les objectifs escomptés. »

Il appelle donc à une évaluation du dispositif « pour en valider la pertinence et l’efficacité au regard du but recherché, à savoir d’inciter et responsabiliser le demandeur d’emploi dans sa recherche effective d’emploi ».

Depuis 2018, indique encore le rapport, les sanctions pour refus de deux offres d’emploi sont jugées « stables » : 405 sanctions prononcées pour ce motif en 2021 et 318 en 2022 (soit 0,016 % des radiations). Pour le haut-commissaire à l’emploi, cela signifie nécessairement que l’obligation de recherche d’emploi « est plutôt inopérante dans les faits »… et non que les personnes concernées pourraient en fait respecter leurs obligations en la matière, comme Mediapart le racontait dans ce reportage.

Sur le volet sanctions, le haut-commissaire propose de tout revoir de fond en comble, en uniformisant le système, tout en laissant à chaque opérateur la prise de décision. Il invite ainsi à introduire, en complément de l’existant, une « suspension remobilisation rapidement applicable ». Il s’agirait d’une sanction « intermédiaire », permettant « de suspendre le droit à une indemnité/allocation temporairement », sans pour autant suspendre l’accompagnement, contrairement à ce qui prévaut aujourd’hui à Pôle emploi avec les radiations.

La mission France Travail recommande par ailleurs un système de sanctions « plus progressif », misant « sur une approche globale de la situation du bénéficiaire et un regard pluridisciplinaire, plutôt qu’une approche mécaniste ». En d’autres termes, prendre en compte la situation des personnes avant de les priver de ressources.

Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi.

« Ainsi, conclut le rapport, l’écosystème des obligations/sanctions pourrait sortir de la logique “une faute, une sanction” […] qui consomme beaucoup de temps et laisse peu de place aux échanges en lien avec le retour à l’emploi. » Ce dernier point pourrait séduire le médiateur national de Pôle emploi qui prône, de longue date, une « gradation » des sanctions. 

Si le but de France Travail est la simplicité, sa mise en œuvre paraît à première vue fort complexe. Elle suppose que tous les acteurs cités arrivent à travailler ensemble, et à bâtir des procédures et référentiels communs, ce qui n’est pour l’heure pas garanti, y compris sur le versant technique.

Les diverses institutions qui devront coordonner leurs actions ne partagent bien souvent pas même un simple logiciel de suivi, et on se souvient du crash du RSI, la sécurité sociale des indépendants, pour ces raisons en 2008.

La mise en commun devrait donc se faire progressivement pour l’horizon 2027. « Nombre de propositions auront [...] vocation à être expérimentées dès 2023 avec quelques régions volontaires avant de les étendre à tout le territoire national nourries par les apprentissages du terrain », précise tout de même le rapport.

Un projet de loi « plein-emploi » portant la création de France Travail, mais aussi la réforme du lycée professionnel déjà sur les rails, devrait être présenté en Conseil des ministres fin mai, pour un examen parlementaire qui aurait lieu dans le courant de l’été. Selon le rapport, entre 2,3 et 2,7 milliards d’euros devront être investis chaque année.


 

   publié le 19 avril 2023

À Saint-Denis, un comité d’accueil organisé en marge de la visite d’Emmanuel Macron

Par Meline Escrihuela sur https://www.bondyblog.fr/

En réaction à la visite du chef de l’État, venu assister à un concert à Saint-Denis, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés mardi 18 avril. Pour les habitants de Saint-Denis, les colères locales vont de pair avec le mouvement social qui secoue le pays. Reportage

Jusqu’à la dernière minute, la question demeure : Emmanuel Macron sera-t-il bien là ? À la vue du dispositif policier qui quadrille le parvis de la mairie de Saint-Denis en cette fin d’après-midi du 18 avril, les doutes s’estompent. « Je ne te dis pas le bordel que c’est », s’offusque au téléphone une personne âgée, observateur mi-amusé mi-agacé de la scène.

L’allure de forteresse qu’a pris le centre-ville de Saint-Denis (93) est le seul indice d’une présence présidentielle. Absent de son agenda comme sur celui du lycée de la Légion d’Honneur, la venue du Président de la République à Saint-Denis se voulait discrète. Pourtant, plusieurs centaines d’opposants à la politique du gouvernement entament les premiers slogans contestataire dès 18 heures.

Y’aurait-il une taupe à l’Élysée ? L’hypothèse fait sourire Karim Bacha, représentant du syndicat FSU 93 qui a appelé au rassemblement. « Je ne sais pas vraiment d’où vient la rumeur », admet-il. « Quelqu’un a appelé la mairie de Saint-Denis pour chercher à savoir si cela était vrai et un employé a tout avoué », assure l’instituteur.

Les drapeaux des organisations syndicales – CGT, FSU – et des partis politiques (Parti Communiste) flottent dans les airs. « Nous sommes aussi bien organisés que la police », ironise une Cégétiste qui file aux cris de « Macron Démission » avant que l’on n’ait eu le temps de lui demander son prénom.

Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles 

En plus des syndicalistes, des figures associatives de Saint-Denis et des habitants ont fait le déplacement. Certains – la majorité peut-être – viennent de tout le département. «  Cela fait du bien de ne pas avoir à passer le périph », remarque Claire*, une habitante de Saint-Ouen habituée des manifestations. « Cela ne changera pas grand-chose, mais on montre que l’on a un vrai pouvoir de nuisance. Les membres du gouvernement ne seront jamais tranquilles, même si cela doit durer 4 ans et que l’on s’épuise à la tâche », affirme la jeune femme. Au même moment, la visite des ministres Geneviève Darrieussecq et Jean-Christophe Combe à la CAF de Paris était perturbée par un comité d’accueil du même genre.

Le Président en visite au lycée de la Légion d’Honneur

« On ne tournera pas la page », confirme Karim Bacha. « Emmanuel Macron met en scène un retour à la normale en venant ici », analyse-t-il.

À moins de 300 mètres, en effet, se trouve le président de la République. Chaque année, le lycée de la Légion d’Honneur – réservé aux filles, petites-filles et arrière-petites-filles des décorés français et étrangers de l’ordre national de la Légion d’honneur- organise son traditionnel concert. Emmanuel Macron s’y est rendu au moins deux fois, en 2018 puis en 2021. L’ancien président François Hollande en était également féru.

Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville 

L’établissement y cultive une culture de l’excellence depuis deux siècles et parfois des règles surannées : internat strict et port de l’uniforme obligatoire. Les élèves côtoient peu les autres jeunes de la ville. « Malheureusement » glissent en plaisantant Thomas et Ewen, deux jeunes de 22 et 17 ans venus participer au rassemblement car « les retraites concernent tout le monde ».

« Emmanuel Macron vient à Saint-Denis dans le seul truc bourgeois de la ville », raille de son côté Claire. « Il y a un marqueur social fort qui repose sur la lignée. On est vraiment dans une caricature macronienne », poursuit-elle.


 

Une place pour les combats locaux

À 19 heures, la pluie s’invite, mais n’entame en rien la motivation des manifestants. Les chants et slogans se poursuivent. Une maman, sa fille sur ses épaules, lance un chant : « On est là, même si Hanotin [le maire de Saint-Denis, NDLR] ne veut pas, nous on est là ».

« Je viens car c’est important, mais j’ai l’impression que tout empire avec le temps », s’alarme Bader, un habitant de Saint-Denis. Depuis des mois, les habitants protestent contre la politique sécuritaire mise en place par le maire qui a armé les policiers municipaux. Le jeune homme se sent peu représenté dans le mouvement social actuel, qui aborde trop peu la question des violences policières dans les quartiers selon lui. « Les bavures policières (sic), on n’en parle que lorsqu’elles se déroulent à Paris », déplore-t-il en montrant sa cicatrice près de l’arcade sourcilière, infligée par un policier cinq ans plus tôt.

Le jeune papote avec deux amis, Ryan et Gilles. Les trois hommes parlent tout à tour des violences policières et de l’augmentation des loyers due aux Jeux Olympiques. Sur le sujet économique aussi, le président a déçu les quartiers populaires. « Emmanuel Macron est venu à Saint-Denis pendant l’entre-deux-tours. Et puis rien », s’agace Jamila, casserole en main.

Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser

« C’est le fil rouge de ce gouvernement. Il utilise les inégalités et la misère dans les quartiers populaires pour faire passer leurs politiques inégalitaires », fustige Karim Bacha.

La visite du président de la République passe d’autant plus mal que le jour même, ses ministres marquaient une nette inflexion à la droite de la droite. Sur BFMTV, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a ciblé les « personnes [qui] peuvent bénéficier d’aides, les renvoyer au Maghreb ou ailleurs, alors qu’ils n’y ont pas droit ». Sans appuyer son propos par des éléments tangibles. Sur LCI, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce, lui, vouloir lutter contre « la délinquance étrangère ». À ce sujet, Karim Bacha résume bien le sentiment partagé à Saint-Denis : « Les politiques ne parlent des pauvres que pour les utiliser ».


 

   publié le 18 avril 2023

Le vrai discours d’Emmanuel Macron

Pascal Maillard sur https://blogs.mediapart.fr

« Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce 17 avril à 20h près d’un millier de personnes s’étaient réunies place Broglie à Strasbourg, en face de la Mairie, pour une immense et joyeuse casserolade. Beaucoup de jeunes et des moins jeunes, des étudiant·es qui ont animé une farandole, des syndicalistes, quelques irréductibles Gilets jaunes, des gens très divers et plusieurs élu·es de la NUPES, dont Sandra Regol et Emmanuel Fernandes. Au milieu de la foule une effigie de Macron est apparue. C’est-à-dire Macron lui-même, plus vrai qu’à la télévision. Je reproduis son discours ci-dessous et j’en publie la vidéo. Très applaudi, le président a été fêté comme il se doit, par des chants de louange et une belle farandole qui s’est évaporée dans toute la ville. La foule a été convaincue que la fête méritait de continuer.

DISCOURS PARODIQUE DE MACRON

Factieuses, factieux, mes chers com.....patriotes, d'hexagone, d'outre-mer et de l'étranger,

Depuis plusieurs mois maintenant, je me contrefous de vous, comme je l'ai toujours fait. Ma détermination est intacte à servir mes amis, les grands capitalistes, et ce n'est pas une bande de gueux qui y changera quelque chose.

Cette réforme des retraites, comprenez-le bien, j'ai eu un plaisir immense à l'élaborer, un plaisir immense à la faire passer en procédures accélérées, un plaisir immense à utiliser le 49.3 pour éviter qu'elle ne soit rejetée par l'Assemblée nationale, un plaisir immense à tenter de vous donner des illusions dans une possible censure du Conseil Constitutionnel, un plaisir immense à la promulguer directement dans la nuit de vendredi à samedi !

Croyez-le, je sais très bien que notre régime de retraite n'est aucunement en danger, mais il y a urgence. Urgence à donner des gages à mes amis financiers, donner des gages que vous allez continuer de payer toujours plus, et qu'eux pourront continuer à faire toujours plus de profits sur votre dos. Je me fiche de l'intérêt général comme de l'an 40, et j'engage ma responsabilité toute entière au service du maintien de l'exploitation capitaliste.

C'est pour toutes ces raisons, que je donne toute légitimité aux forces de l'ordre pour vous matraquer, vous nasser, vous gazer, vous éborgner, vous interpeller, vous condamner. Syndiqués ou non, la bande de factieux et de fainéants que vous êtes, doit maintenant fermer sa grande gueule, rentrer dans le rang et aller bosser. Je resterai ferme sur le fait que la République d'aujourd'hui doit utiliser tous les moyens en sa possession pour maintenir les inégalités, quoi qu'il en coûte : précarité, pauvreté, décès prématurés, destruction de la planète, militarisation de la société, guerres, etc. Nous devons, nous les riches, les exploiteurs, pouvoir jouir de nos richesses en toute tranquillité; vous devez, vous les gueux, mes chers com....patriotes, obéir. 

Je vous le dis solennellement aujourd'hui : ce n'est qu'un début, et nous continuerons à vous en foutre plein à la gueule. Croyez-le, la loi Darmanin, les nouvelles lois travail, c'est pour bientôt.

Nous avons tous les droits !

Vive la République des bourgeois, Vive la France des riches.


 

   publié le 17 avril 2023

Macron ne nous écoute pas ?
Nous ne l’écouterons pas non plus !

par Attac France sur https://france.attac.org

Depuis la promulgation précipitée de la réforme des retraites, des appels à rassemblements se multiplient partout en France pour devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel et pour faire entendre notre opposition. Attac se fait le relais de ces initiatives citoyennes et appelle à rejoindre ces rassemblements dans toute la France.

Nous avons recensé ici (https://france.attac.org/se-mobiliser/retraites-pour-le-droit-a-une-retraite-digne-et-heureuse/article/carte-des-casserolades-du-17-avril-a-20h) les différents rassemblements annoncés ce soir à 20h devant les mairies.

Après s’être précipité pour promulguer la réforme des retraites suite à la décision du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron intervient ce soir à la télévision pour tenter de « tourner la page ». Mais il n’a pas compris qu’il n’est pas maître du calendrier et que la mobilisation contre la réforme des retraites, historique par son ampleur et sa durée, va se poursuivre et s’amplifier.

Dans l’opinion publique, les sondages successifs montrent qu’une large majorité de français·es sont toujours opposé·es à cette réforme injuste et injustifiée. Selon une récente étude d’opinion, 64% des français·es souhaitent la poursuite du mouvement contre la réforme des retraites et 45% souhaitent même que le mouvement « se durcisse ».

64 ans c’est toujours non !

Des appels à rassemblements se multiplient partout en France devant les mairies à 20h ce lundi, pour boycotter l’intervention télévisée du monarque présidentiel. Ces casserolades visent à montrer que notre détermination est intacte : le gouvernement ne nous volera pas les meilleures années de notre retraite !

Dans la tradition carnavalesque du charivari utilisé depuis le Moyen-Âge, ce mode d’action fait écho aux cacerolazos en Argentine contre l’austérité et se veut complémentaire d’autres formes d’action, notamment les appels à couper l’électricité entre 20h et 20h30.

Avec le même objectif : boycotter l’intervention présidentielle tout en rendant visible notre colère et notre détermination à obtenir le retrait de la réforme, en multipliant les formes d’actions. Soyons nombreuses et nombreux pour l’affirmer haut et fort : « 64 ans c’est toujours non ! ». Ces initiatives préparent également le raz de marée populaire auquel appelle l’intersyndicale unie le premier Mai prochain.


 

   publié le 16 avril 2023

Un tournant dans le mouvement

Etienne Balibar (philosophe) sur https://blogs.mediapart.fr

Après la promulgation de la loi de "réforme" des retraites par Emmanuel Macron, le mouvement de résistance à ce coup de force légal ne s'arrêtera pas. Mais il est à un tournant. Quelles propositions peut-on formuler pour contribuer à son élargissement en face de la violence du pouvoir? Quel modèle de démocratie préfigurent-elles à l'encontre du présidentialisme autoritaire comme du néofascisme?

(la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.fr)

J’écoute attentivement, depuis ce matin[1] : l’indignation, la rage, l’inquiétude, la détermination, les propositions, les dissonances et les points d’accord…

Nous sommes clairement arrivés, après la décision de cette nuit, à un nouveau tournant du mouvement, après celui qui avait suivi l’utilisation du 49-3. On verra dans les prochains jours, je ne sais pas ce qui va se passer, mais sûrement le 1er Mai sera le test du rapport des forces entre les deux camps, celui du président des riches et celui du peuple des travailleurs et des contribuables.

L’appareil d’Etat, dont fait très clairement partie le Conseil Constitutionnel, a fait bloc autour de la loi antipopulaire, témoignant chaque jour de plus de surdité, plus d’arrogance, plus d'arbitraire, plus de brutalité. Mais le mouvement, quant à lui, s’obstine, il ne se décourage pas malgré le temps qui passe et les sacrifices plus lourds à porter chaque jour. Il est fort mais il a aussi des faiblesses. Il découvre la nécessité de se relancer sur la durée et de s’élargir.

C’est un mouvement qui a une signification de classe aveuglante, touchant toutes les générations, les salariés, les retraités, les chômeurs, les précaires, les sans-papiers, les étudiants, les jeunes et moins jeunes des quartiers, les hommes et les femmes dont toute la vie est en jeu à travers la question des retraites. Non sans « contradictions au sein du peuple », comme disait Mao - des contradictions qu’il importe de discuter et de surmonter. Mais convergeant avec d’autres oppositions au monde actuel : en particulier le mouvement écologiste de base, en « soulèvement » pour un avenir vivable dans cette société et sur cette terre. J’ai proposé ailleurs de parler d’une insurrection de masse, pacifique et démocratique.[2]

En effet la question de la démocratie est au cœur du mouvement. Ce qui est à l’ordre du jour : sa défense contre l’illibéralisme qui va partout gagnant du terrain en Europe et dans le monde, contre l’autoritarisme gouvernemental et l’instauration d’un état d’exception permanent au service de l’oligarchie financière. Mais c’est aussi sa refondation, par-delà les limites devenues manifestes d’un parlementarisme soi-disant « rationalisé », c’est-à-dire corseté, réduit à l’impuissance, délégitimé et même ridiculisé – ce qui ne va pas sans danger. D’autres circonstances historiques l’ont démontré.

Il s’agit de refonder la démocratie sociale : le socle de droits fondamentaux acquis historiquement dans les luttes, la légitimité des « corps intermédiaires » ou des contre-pouvoirs en face de l’Etat (mais aussi en son sein, dans les administrations publiques), les valeurs de solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle comme seul principe d’organisation et de gestion de la sécurité sociale. Pour aller dans ce sens, on va maintenant pouvoir compter sur un retour en force du syndicalisme, marqué par l’unité d’action, la détermination, la responsabilité, la qualité de ses dirigeants, qui exerce aujourd’hui de facto une fonction politique, non pas comme un retour au « corporatisme », mais comme un levier d’avenir, implanté dans la « société civile ». C’est cela que Macron, à la Thatcher, voudrait casser pour de bon, en cachant mal son exaspération devant l’obstacle qu’il a rencontré. Il faut que ce soit lui qui s’y casse les dents, sans que pour autant l’extrême droite tire les marrons du feu.

Ni Macron ni Le Pen, tel est bien le sens profond du mouvement qui s’est développé autour des syndicats français refusant la « réforme » des retraites. Il n’a jamais quitté l’esprit des manifestants des trois derniers mois et de ceux qui les appellent à occuper la rue semaine après semaine.

Démocratie sociale, mais plus généralement démocratie conflictuelle, militante, que je propose d’appeler « oppositionnelle » (en souvenir d’un livre important de la « théorie critique » allemande)[3]. En effet il n’y a pas de citoyenneté active sans débat, sans controverse, sans conflit dans l’espace public, inventant ses propres règles et donc sans limites préétablies. Mais non sans responsabilité, car il y a évidemment des risques. Le conflit n’est pas la guerre civile, dont certains gouvernements seraient plutôt les fauteurs. Mais il n’est pas non plus la domestication, la canalisation des luttes et de la liberté d’expression sous le contrôle de l’exécutif et la surveillance de la police, restreignant par avance l’espace terrien, urbain, juridique, professionnel, des contestations. Même l’ordre public dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789) proclame qu’il ne faut pas le « troubler » (article 10), ne s’identifie pas à un régime d’autorité, imposé d’en haut. L’Etat démocratique n’en est que le garant, qui a lui-même besoin d’être constamment contrôlé dans son action. En dernière analyse ce sont les citoyens qui sont juges et partie prenante à la fois, donc ce sont eux qui devront faire face aux conséquences éventuellement indésirables de leurs actes.

D’où, me semble-t-il, un double impératif de notre actualité :

D’abord et avant tout il faut restaurer, élargir, garantir légalement et constitutionnellement les libertés individuelles et collectives, la sûreté des citoyens, les droits civiques à commencer par celui d’association et de manifestation. Et donc il faut que soient abrogées les lois discriminatoires et liberticides comme la loi contre le « séparatisme », et que soit démantelé, interdit dans ses moyens et dans sa mise en œuvre l’instrument de répression militarisé qui s’est construit au cours des dernières décennies et qui se renforce tous les jours de façon monstrueuse, celui qui piétine, qui blesse et qui tue. La voilà, la guerre civile ! Ces exigences ne doivent plus quitter le premier plan, elles doivent mobiliser toutes nos ressources expressives, militantes, juridiques, représentatives.

Ensuite, il faut élargir la base du mouvement de masse, diversifier ses composantes, en tenant compte des modes de lutte qu’invente chaque groupe social, mais en recherchant les formes les plus unitaires, les plus démocratiques elles-mêmes, à la fois librement autogérées et potentiellement majoritaires dans le pays. Pas de limites, donc, à l’imagination qui s’exerce dans les occupations, les blocages, les grèves, les marches et défilés, les taggages et les collages, sans exclure la désobéissance civique, l’autodéfense des manifestations. Pas de légalisme artificiel. Mais pas non plus de complaisance pour le mirage d’une contre-violence inspirée par la « haine des flics », si compréhensible soit-elle subjectivement et affectivement. Une guérilla urbaine ou campagnarde ne fera que donner des prétextes à la violence d’Etat – une violence incomparablement supérieure et qui se déchaîne, comme dit l’autre, « quoi qu’il en coûte » et ne s’embarrasse d’aucun scrupule. La contre-violence est vouée à l’échec et conduit droit dans le piège du pouvoir.

La non-violence n’est pas toujours possible, mais elle est, à long terme et même à court terme, la plus efficace politiquement. On doit pouvoir inventer une insurrection civilisée. Ce qui ne veut pas dire une insurrection passive, ou impuissante.

La démocratie n’est pas un acquis, c’est une conquête et une reconquête permanente. C’est la société qui s’émancipe et qui se gouverne.

Note :

[1] Intervention lue aux Assises Populaires pour nos Libertés, Bourse du travail, Paris, samedi 15 avril 2023. Version corrigée et complétée.

[2] E. Balibar, « Inventer une insurrection démocratique », L’Humanité, Mercredi 12 Avril 2023.

[3] Oskar Negt : L’espace public oppositionnel, traduction française, Payot 2007. L’original allemand (2001) avait été publié en collaboration avec Alexander Kluge.

 

   publié le 15 avril 2023

La loi retraite promulguée cette nuit :
un passage en force inacceptable

Communiqué du syndicat Solidaires sur https://solidaires.org

Seulement quelques heures après la décision du Conseil Constitutionnel et les manifestations qui l’ont suivi un peu partout en France, Emmanuel Macron a décidé de promulguer sa réforme des retraites en pleine nuit.

Alors que depuis le début de ce mouvement inédit des millions de personnes sont dans la rue pour dire non à cette réforme des retraites, ce président nous démontre une nouvelle fois son mépris total à l’encontre de la jeunesse, des travailleurs∙euses et des retraité∙es. Il n’entend rien depuis le début de ce mouvement et persiste à mettre de l’huile sur le feu en promulguant sa loi alors que l’intersyndicale a renouvelé hier soir sa demande solennelle de ne pas la promulguer.

A nos revendications, à la colère sociale, Emmanuel Macon fait le choix de n’avoir pour seule réponse que la répression. Interpellations, gardes à vue, nasses, coups de matraques, grenades sur les manifestant∙es visant à dissuader les lycéen∙nes, étudiant∙es, travailleurs∙euses et retraité∙es de manifester.

L’Union syndicale rappelle que manifester est un droit, et que la participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit. Elle condamne la multiplication des arrestations arbitraires suite aux cortèges spontanés, dont celles de plusieurs des camarades de l’Union et exige leur libération immédiate.

L’Union syndicale Solidaires appelle à poursuivre la mobilisation pour l’abrogation de cette loi. Elle réunira l’ensemble de ses structures (unions départementales, fédérations et syndicats professionnels) dès la semaine prochaine, afin de décider collectivement des suites à donner à la mobilisation.

Avec l’intersyndicale, elle soutient d’ores et déjà les rassemblements, actions et initiatives qui seront décidées localement dans les jours à venir.

Elle appelle à déferler massivement le 1er mai partout dans le pays et de faire de cette journée celle de l’expression de la colère populaire contre la réforme, le déni de démocratie et pour un meilleur partage des richesses.

   publié le 14 avril 2023

Quoi que les « sages » décident, l’urgence démocratique demeure

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Réforme des retraites - La Ve République a permis au gouvernement de malmener citoyens, syndicats et parlementaires. Quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel rendue ce vendredi, notre régime est plus que jamais en crise. Mais une tout autre République est possible.

Le Conseil constitutionnel a l’occasion ce vendredi de repousser la réforme des retraites, de considérer qu’elle constitue une violence inadmissible contre notre modèle social, institutionnel et démocratique, et un danger pour la République. Mais, même si les sages venaient à censurer la copie du gouvernement, prouvant que certains des garde-fous de notre régime fonctionnent encore, la crise politique resterait entière dans notre pays. « Chaque étape de cette réforme a constitué une nouvelle forme d’effraction contre la démocratie. L’ensemble n’a été rendu possible que par les pouvoirs exorbitants accordés à l’exécutif par une Ve  République qui montre son pire visage », mesure le député PCF Pierre Dharréville. « Cela fait longtemps que je suis pour le passage à une VIe  République, mais cette séquence des retraites devrait finir de tous nous convaincre que quelque chose ne tourne pas rond dans ce régime et qu’il fonce dans le mur », abonde Clémentine Autain, députée FI. Car cette Ve République offre tous les outils pour se passer du peuple, des syndicats et du Parlement, et permet même de gouverner contre eux, en imposant une loi contre l’avis de tous. « Il y a quelque chose de pourri dans la démocratie française », résume le docteur en science politique Fabien Escalona. Et de nombreux espaces de démocratie à reconquérir.

La question d’une VIe République, régulièrement mise sur la table, se pose donc avec une urgence renouvelée. Mais quel en serait le contenu et jusqu’où aller ? « Il faut tout refaire. La crise sur les retraites résulte certes d’un choix politique : ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a un marteau pour taper sur tout le monde qu’il est obligé de le faire. Mais les outils de son autoritarisme doivent être retirés pour que plus personne ne puisse les réutiliser », mesure Marie-Charlotte Garin. La députée EELV a ainsi signé avec de nombreux parlementaires de la Nupes une proposition de loi visant à supprimer le 49.3, déposée par l’écologiste Jérémie Iordanoff. « Il faut bien sûr aller bien plus loin, redonner du sens au vote, rendre le pouvoir au Parlement, et permettre une implication citoyenne permanente. La question centrale, ce n’est pas tant le numéro de la République que la redémocratisation du régime », observe Arthur Delaporte, député PS.

La meilleure façon d’y parvenir serait de mettre fin à la monarchie présidentielle et de « convoquer une Constituante pour que le peuple définisse lui-même son organisation collective, se réapproprie la démocratie », argumente Clémentine Autain. Mais, en attendant que ces travaux démarrent un jour, les partis de gauche ont une idée très précise de quelle République serait à bâtir. Dans son programme pour les législatives 2022, la Nupes formule plusieurs propositions, qui étaient pour la grande majorité déjà présentes sur chacun des programmes des différents candidats de gauche à la présidentielle.

Permettre l’émancipation des consciences

Proportionnelle aux législatives, reconnaissance du vote blanc, droit de vote pour les résidents étrangers aux élections locales, mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC) et de conventions citoyennes pour forger les projets de loi sont au menu, l’idée étant de « stopper la confiscation de la construction de la loi par quelques-uns, et de mettre en forme et en actes une démocratie directe », projette la sénatrice PCF Éliane Assassi, dont le parti propose aussi de supprimer l’élection au suffrage universel direct du président de la République. Mais la question des institutions, du vote et de la lutte contre l’abstention n’est pas le seul chantier. La gauche appelle à mettre en place une véritable démocratie sociale en renforçant les pouvoirs des salariés et des syndicats dans les entreprises, et à lancer un plan de « séparation de la finance et de l’État ».

« Il faut que chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, nous voulons décider de comment nous les produisons et pour quoi », plaide le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. « Le pouvoir économique est aujourd’hui l’un de ceux qui échappent le plus aux citoyens, et l’appareil d’État – comme l’illustre parfaitement le macronisme – est gangrené par les intérêts privés, le pantouflage, les lobbies, les cabinets de conseil, la culture de l’impunité, de la collusion et du secret », ajoute Marie-Charlotte Garin. L’enjeu est de s’assurer, par la participation citoyenne et la mise en place d’un cordon sanitaire avec les intérêts privés, que la décision soit à la fois le reflet de la volonté générale et de l’intérêt général. L’inverse de ce qu’il se passe sur la réforme des retraites, en somme.

À ce sujet, réanimer notre démocratie passe aussi par la question de permettre à chacun de se forger sa propre opinion en totale liberté. La gauche entend ainsi garantir l’indépendance de la presse et des médias et rompre avec la mainmise qu’exercent sur eux les milliardaires et les grands groupes capitalistes. L’objectif étant, à travers un pluralisme retrouvé, de permettre l’émancipation des consciences. Reprendre la plume pour changer notre Constitution serait enfin l’occasion « de nouvelles conquêtes, de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les femmes, pour les travailleurs, pour la planète et pour le partage pérenne et équitable des ressources. Il me semble indispensable de protéger des appétits financiers des biens communs et vitaux, comme l’eau par exemple, qui appartiennent à tous et dont la gestion doit être assurée par tous », insiste Pierre Dharréville.

Une tout autre République est ainsi possible. Loin d’une Ve qui permet un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire. Loin d’un gouvernement qui méprise syndicats et opposants, réprime les manifestations via un usage dévoyé de la police et criminalise le moindre citoyen souhaitant battre le pavé. Loin d’un système électoral qui ne reflète pas l’expression du vote. Loin d’un modèle qui ferait pleinement le jeu de l’extrême droite si elle arrive au pouvoir. « La démocratie a ceci de particulier qu’elle est à la fois un type de société (plutôt égalitaire) et un système de gouvernement (proche de l’autogouvernement) », écrit Denis Ferré dans  la Démocratie française, de la Révolution au 49.3 (éditions Eyrolles). La Ve République permet de tourner le dos à cette définition. « En France, plus encore qu’ailleurs, la crise de confiance dans la représentation remet en question tous les fondements, la démocratie se libéralise en même temps qu’elle se “dé-républicanise”. Notre modèle a besoin d’une redéfinition par les citoyens et leurs représentants, faute de quoi la démocratie s’étiolera jusqu’à extinction », prévient-il.

Conseil constitutionnel : un rip validé ou retoqué ?

Si le Conseil ne censure pas la réforme des retraites, va-t-il au moins valider la procédure de RIP engagée par 252 parlementaires ? Les sages donneront leur décision demain, sur la proposition de loi visant « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Ils doivent vérifier que le texte porte bien « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ».

Selon les juristes, le terme de « réforme » pourrait poser question et, en fonction de son interprétation, amener à un rejet du RIP. Un risque qui a poussé la gauche à déposer, jeudi, un second texte : « Nous avons voulu mettre toutes nos chances de notre côté et ajouté un élément de financement, avec la mise à contribution des dividendes », explique le député PCF Pierre Dharréville. L’institution aurait un mois pour prendre sa décision mais pourrait le faire dès vendredi. En cas de validation, la seconde étape consistera à récolter 4,8 millions de signatures sur une période de neuf mois.


 

   publié le 13 avril 2023

Direct. Réforme des retraites : Le cortège parisien s'élance

sur www.humanite.fr

Avant la décision très attendue du conseil constitutionnel sur la réfome des retraites vendredi, une douzième journée de mobilisations avec grèves et manifestations se déroule aujourd'hui. Les enjeux, les actions, les commentaires : suivez notre direct toute la journée.

(les dépèches sont classées en ordre chronologique inverse, les plus récentes sont en tête, la mise à jour a été arrêtée à 15h55)


 

Fabien Roussel continuera de se battre « quel que soit la décision du Conseil constitutionnel »

« Quand bien même le Conseil Constitutionnel dirait que la loi est constitutionnelle, nous on dira: quand bien même elle est constitutionnelle, elle est mauvaise et on continuera de se battre pour qu'elle soit retirée », a expliqué  abien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, présent dans le cortège parisien. L'élu communiste du Nord s'est aussi exprimé au sujet du RIP (Référendum d'initiative partagée) et a déclaré qu'il s'agit « de la plus belle porte de sortie pour tout le monde du meilleur moyen de sortir de cette crise ».

« Les Français ne rentreront pas chez eux », selon Marine Tondelier (EELV)

« Neuf Français sur dix sont contre cette réforme. C'est la 12e fois qu'ils manifestent qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente. Même si le Conseil constitutionnel tranche que la réforme est légale, les Français ne rentreront pas chez eux », a lancé la secrétaire nationale d'EELV, Marine Tondelier, depuis la manifestation parisienne, à la veille de la décision des Sages sur le texte reportant le départ à la retraite à 64 ans. « Il ne faut pas compter sur la lassitude ou la fatigue des Français, a-t-elle ajouté. Si le Conseil constitutionnel déclare que la réforme est légale, je souhaite bon courage au gouvernement. Il ne faut pas penser que l'on prépare la révolution dans des sous-sol, elle sera spontanée. »

Olivier Faure (PS) appelle la gauche à ouvrir un « débouché politique »

Le premier secrétaire du PS, présent à la manifestation parisienne, a jugé que « la gauche va devoir donner un débouché politique à la mobilisation par le Rip », dont il espère la validation par le Conseil constitutionnel qui doit rendre son avis ce vendredi. « Mais également, a poursuivi Olivier Faure, par la capacité à organiser un projet de coalition pour rassembler ces millions de femmes et hommes qui ont marché pendant des mois et ont exprimé leur rejet a la reforme ».  Et le socialiste d'en appeler à l'apaisement des tensions : « Nous devons éviter les pièges qui nous sont tendus, celui de l'extrême droite et celui de la diabolisation des uns et des autres. Quand on attaque un parti de la gauche, c'est toute la gauche qui est attaquée », a-t-il estimé ajoutant que la Nupes allait « continuer de mettre la pression avec les syndicats qui ont demandé ce matin a ce que le président ne promulgue pas la loi". "Même si le Rip n'est pas validé, nous pourrons tout de même exiger le référendum », assure le député de Seine-et-Marne. 

La CFDT déterminée à continuer le combat, même en cas de validation de la réforme.

La CFDT reste déter. Dans la droite ligne de son secrétaire général, Laurent Berger, plus tôt dans la journée, les syndicalistes présents dans le cortège parisien affichent leur optimisme : actions en cas de validation de la réforme par le Conseil constitutionnel et pointent l'horizon d'un 1er mai unitaire, dans le prolongement de la mobilisation intersyndicale conte la réforme des retriates. 

À Madrid aussi on manifeste

L'ambassadeur de France en Espagne ne les a pas reçus. Qu'à cela ne tienne: des manifestants étaient bien présents à Madrid, « en solidarité avec les travailleurs Français », pour demander la retrait de la réforme des retraites menées Outre-Pyrénées. « Actuellement en France, l'âge moyen de départ à la retraite est plus élevé que celui en Espagne », note le leader de l'UGT.

Pour Manon Aubry (FI) : quoi qu'il arrive vendredi le combat continue

Depuis le cortège parisien, l'eurodéputée FI Manon Aubry a listé "trois scénarios" possibles après la décision des Sages attendue vendredi sur la réforme des retraites. Soit "le Conseil constitutionnel censure la loi et on a gagné. Soit il valide l’essentiel de la loi, et notamment le report de l’âge de depart, auquel cas il faudra continuer la bataille. Et si le Rip est validé, on part en campagne directement", a-t-elle commencé. Dernier cas de figure : ni censure, ni Rip.  "Ce serait un coup de force du Conseil constitutionnel contre la démocratie et dans ce cas là, la colère populaire va monter le ton, a estimé l'insoumise. Penser que Macron va pouvoir tourner la page et mettre un pied dehors sans qu’on lui rappelle sa brutalité politique, c’est se tromper - on l’a vu au pays bas. Les gens n’oublieront pas ce qu’il s’est passé".

Les manifestants se regroupent devant le Conseil constitutionnel

La foule afflue devant le Conseil constitutionnel, bloqué brièvement plus tôt dans la journée.


 

Les syndicats déterminés à faire plier le gouvernement

Toujours motivés, les syndicats sont présents dans le cortège parisien, bien décidés à montrer leur opposition pour la douzième fois depuis l'annonce du projet de réforme des retraites.

Le cortège parisien passera non loin du Conseil constitutionnel

Pour cette 12e journée de mobilisation, la manifestation parisienne part de la place de l'Opéra et se dirge vers la place de la Bastille. Le cortège passera non loin du Conseil constitutionnel, qui siège rue Cambon (Ier arrondissement). Le parcours passera par la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine et terminera sur la place de la Bastille.

Sophie Binet répond "lol" à la proposition de rencontre de Macron

"J'avais envie de dire lol" a réagi en souriant et à brûle-pourpoint la nouvelle secrétaire générale de la CGT lorsqu'elle a été interrogée ce jeudi sur la proposition émise par Emmanuel Macron, d'"un échange qui permettra d'engager la suite et de tenir compte" du verdict du Conseil, avec les syndicats, le tout "dans un esprit de concorde".

"C'est bien qu'il ait tout à coup envie de rencontrer les syndicats, explicite Sophie Binet. Ca fait deux mois qu'on lui a demandé et qu'il a réfusé. Le problème, c'est l'ordre du jour. Le notre, c'est le retrait de cette réforme des retraites. Là, il nous propose un hors-sujet. On n'ira pas pour parler de questions qui ne sont pas posées dans la mobilisation d'aujourd'hui. Si l'ordre du jour est "je promulgue et après on se rencontre", non ce n'est pas possible."

Dans le carré de tête de la manifestation parisienne, en compagnie des leaders des sept autres organisations de l'intersyndicale, la leader de la CGT a affirmé que "contrairement à ce qu'espère le gouvernement, le mouvement n'est pas fini". Le président "ne peut pas gouverner le pays tant qu'il ne retire pas cette réforme".

Ce jeudi matin, Sophie Binet s'est joint au regroupement devant l'accès à l'incinérateur d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) pour soutenir les éboueurs et agents énergéticiens en grève. "Ce n'est pas le dernier jour de mobilisation, on va se revoir encore beaucoup", a-t-elle affirmé.

Laurent Berger envisage la suite de la mobilisation

Alors que le cortège parisien devrait s'élancer d'ici quelques minutes de la place de  l'Opéra en direction de la Bastille, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, s'est exprimé sur les poursuites du mouvement social à l'issue de la décision du Conseil constitutionnel. Il espère d'Emmanuel Macron « une concorde avec les partenaires sociaux » s'il en vient à la promulagation de la loi et évoque l'existence de l'article 10 pour faire une nouvelle lecture de la réforme à l'Assemblée nationale. « Le combat syndical est loin d’être terminé » assure-t-il.

À Marseille, 130 000 manifestants selon la CGT, 6600 selon la police...

Selon la CGT, 130 000 manifestants étaient présents ce matin dans les rues de la cité phocéenne contre 170 000 le 6 avril dernier. La police en décompte de son côté seulement 6 600. Si l'écart paraît choquant, les deux constatent une baisse significative.

La CGT dévoile ses observations envoyées au Conseil constitutionnel

Unie depuis ces trois derniers mois à la tête du mouvement social contre la réforme des retraites, l'intersyndicale a poursuivi sa coordination serrée pour porter ses objections auprès du Conseil constitutionnel. Dans un communiqué publié ce jeudi, la CGT dévoile ses arguments adressés aux "Sages".

  • Premier argument, le détournement de la procédure parlementaire par le gouvernement, "en utilisant un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer sa loi, ce qui lui a permis d’imposer un énième 49.3. Et ce, alors qu’une réforme des retraites d’une telle ampleur n’a rien à faire dans un projet de loi rectificatif pour 2023, et devrait passer par le biais d’une loi normale, afin de permettre un vrai débat démocratique".

  • Le syndicat a souligné aussi "les effets qu’aura cette réforme des retraites sur les femmes", ainsi que "les inégalités de traitement", selon les générations impactées par cette réforme. Mesure d'accompagnement proposée par la droite sénatoriale et retenue par le gouvernement, le CDI séniors est lui aussi pointé, autant d'"exonérations aux entreprises pour un impact qui sera quasi nul sur l’emploi des séniors".

  • La confédération de Montreuil a enfin mis en lumière l'attaque des "régimes pionniers" (ou spéciaux, en faveur des agens des industries électriques et gazières comme de la RATP, ndlr), "de manière illicite, via un PLFRSS pour 2023, alors que la suppression de ces régimes n’aura que très peu d’effet sur les finances de 2023. Il ne prendra tous ses effets que lors des années suivantes, ce qui constitue encore une fois un contournement grave de la procédure parlementaire".

Quimper, les jeunes à la préfecture

Alors que deux manifestations sont prévues aujourd'hui à Quimper, plusieurs jeunes se sont réunis devant la préfecture pour toquer et escalader les grilles du bâtiment.

Une manifestation sauvage sur les Champs-Élysées

Une manifestation sauvage s'est élancée sur les Champs-Élysées. Les manifestants ont d'abord envahi durant quelques minutes un magasin Louis Vuitton, situé sur l'avenue.

Météo France Toulouse bloquée, une première depuis 15 ans

 Pour  Renaud Tzanos, du syndicat Solidaires Météo France cité par France 3, "c'est une décision du personnel de l'AG de montrer que le ton monte parce que la colère monte. Il est de plus en plus question d'aller au-delà de la réforme des retraites, même si cela reste l'exigence centrale".

Outre le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 62 ans à 64 ans, les réductions d'effectifs successives au sein de l'établissement public attisent la colère des agents de Météo France depuis plusieurs années.

Dans la manifestation bordelaise, les jeunes en veulent à Emmanuel Macron

« Je suis dégoûtée parce que j’ai l’impression que le gouvernement va aller jusqu’au bout de la réforme », se désole Malie, 20 ans, étudiante troisième année de Lettres à Bordeaux Montaigne. « Il est obstiné, entre l’usage du 49.3 ou les allocutions de Macron, alors que la population continue de manifester. » Au-delà des manifestations, « La réforme de Macron s’inscrit dans une politique libérale », regrette Titouan, 18 ans, lui aussi étudiant à Bordeaux III. « C’est un choix politique de taxer la vie des français plutôt que les entreprises. C’est pour ça qu’on est contre. »

Huit manifestants interpelés devant le Conseil constitutionnel

Sud éducation 93 condamne par voie de communiqué l'arrestation de plusieurs manifestants, dont certains sont adhérents du syndicat, qui s'étaient regroupés quelques heures ce jeudi matin devant le Conseil constitutionnel. Une action symbolique menée dans le cadre de la douzième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.

Intervention policière musclée au centre de tri des déchets d'Aubervilliers

 Deux sommations, puis une charge sévère des CRS à l'encontre des manifestants, s'achevant sur l'arrestation au hasard de sept d'entre eux. Voilà ce qu'ont vécu les salariés du garage de maintenance des camions de collecte de tri à Aubervilliers, ainsi que leurs 150 soutiens qui bloquaient pacifiquement l'entrée du site depuis 5 heures 30 ce jeudi matin.

Selon une source syndicale, les forces de sécurité sont intervenues vers 8 heures 30 pour permettre l'accès aux camions bennes. Une décision "incompréhensible", pour les représentants CGT SGLCE présents sur les lieux:  "Il n'y avait aucune raison de débloquer le site alors que les salariés allaient y tenir une demi-heure plus tard leur assemblée générale à 9 heures en vue de voter la grève. A partir de ce moment, il était évident que plus aucun camion n'allait être pris en charge. On est clairement dans une opération d'intimidation".

La CGT de la filière déchets et assainissement de Paris a annoncé la veille sa détermination à mener un "acte 2" de la mobilisation des éboueurs contre la réforme des retraites en émettant un nouvel appel à la grève reconductible à partir de ce jeudi. L'opération policière n'a permis de faire aller et venir que cinq camions bennes sur le site d'Aubervilliers.

L'union locale CGT d'Aubervilliers condamne l'intervention entreprise par la direction et la police. Elle déplore par voie de communiqué une "charge policière gratuite et dangereuse qui a blessé plusieurs d'entre nous" ainsi que l'interpellation de quatre militants syndicaux, dont trois de la CGT, tout cela "pour faire sortir cinq camions de collecte pour la vingtaine de minutes restantes pour la tournée. Aucun ramassage sérieux n'était envisageable dans ces conditions"

Les sept personnes arrêtées, assistées chacune par des avocats en lien avec la CGT, se trouvaient toujours en fin de matinée au commissariat d'Aubervilliers devant lequel une cinquantaine de manifestants revendiquaient leur libération. Selon la député insoumise de Seine-Saint-Denis Nadège Abomangoli qui a pu entrer dans le commissariat pour obtenir de leurs nouvelles, "on leur reproche un refus d'obéissance à l'ordre donné de dégager la voie car la manifestation n'était pas déclarée. Mais aucune justification ne m'a été donnée sur le choix d'arrêter ces personnes-ci plutôt que d'autres manifestants". La CGT appelle à un regroupement devant le commissariat à 18 heures 30 pour obtenir leur libération.

À Bordeaux, la CGT Gironde appelle à se rassembler place de la Bourse

Comme partout en France, l'intersyndicale appelle à descendre dans les rues pour protester contre la réforme des retraites. À Bordeaux, le rendez-vous se fera place de la Bourse à midi. 

Dans un tract diffusé jeudi, la CGT Gironde réclame « la juste rémunération du travail et des qualifications » et cela passerait par :

  •  l’indexation des salaires sur les prix et le rétablissement de l’échelle mobile des salaires

  •  l’augmentation du Smic à 2000 euros brut

  •  l’augmentation de 10 % du point d'indice des fonctionnaires.

Déjà des blocages en cours

Des blocages étaient en cours autour de plusieurs villes de l'ouest, notamment à Caen, Brest et Rennes où le dépôt de bus était également bloqué. "Il faudra voir ce que ça donnera demain", après la décision du Conseil Constitutionnel, "si ça va redémarrer de plus belle", considère auprès de l'AFP Philippe Simon, 56 ans, délégué syndical UNSA, au barrage dressé à l'entrée de la zone d'activités de la Plaine de Baud, à Rennes, empêchant notamment les bus du réseau Star d'entrer et de sortir. "Sinon, il faudra monter à Paris" pour manifester, estime-t-il.

A Rennes, des barrages filtrants ont été établis sur certaines sorties de la rocade, en particulier les portes de Beaulieu et de Bréquigny. De même, des ralentissements étaient enregistrés sur la RN 157, qui donne accès à Rennes après la fin de l'autoroute venant de Paris.

Autour de Caen, des déviations ont été mises en place à la suite de blocages, notamment à Solierse à l'échangeur Mondeville/Vallée sèche, selon la préfecture.

A Brest, le rond-point de Pen-ar-C'hleuz, principal débouché de la RN12, venant de Rennes, pour entrer dans la ville, est également bloqué, entraînant des embouteillages.

La RN 12 est également bloquée dans le sens Rennes-Brest à Morlaix (Finistère) et à Guingamp (Côtes d'Armor) des ralentisements sont observés dans les deux sens sur la RN12.

Des barrages filtrants étaient également signalés aux abords d'Angers et de Chartres et les voies ferrées ont été envahies en gare de Quimper vers 8H30.

Des avocats s'inquiètent d'un fichage de manifestants

Une centaine de personnes a déposé plainte pour "détention arbitraire" le 31 mars, via un collectif d'avocats. Selon la Chancellerie, 1.346 personnes ont été placées en garde à vue entre le 16 et le 25 mars en France. Ces gardes à vue, dont 75% se sont soldées sans poursuites, ont "un triple sens" selon ces avocats: "dissuader, sanctionner et ficher".

"Quasiment à chaque fois", les empreintes - et parfois l'ADN - ont été collectés avant l'arrivée de l'avocat au commissariat, explique Me Camille Vannier, membre du collectif.

Ces interpellations réalisées "de manière aveugle", "ça nous inquiète énormément", ajoute-t-elle, parlant d'un "fichage généralisé des manifestants".

Ces données sont enregistrées dans le Fichier automatisé des empreintes digitales (Faed) et le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), qui visent à identifier les auteurs de crimes ou délits, des personnes disparues ou décédées.

Refuser est une infraction, passible d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende.

En cas d'acquittement ou de relaxe à l'issue d'un procès, l'effacement des empreintes est "de plein droit", souligne-t-on à la Chancellerie.

En revanche, pour les personnes qui font l'objet d'un classement ou d'un non-lieu, le procureur peut décider de conserver la fiche selon les "circonstances" et la "personnalité".

L'effacement n'est pas "pas automatique", insiste Me Vannier, qui a été recontactée à ce sujet par des manifestants qu'elle avait assisté. Fin 2021, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) avait rappelé à l'ordre le ministère de l'Intérieur au sujet du Faed et demandé d'en exclure toutes les personnes mises hors de cause. Malgré de multiples sollicitations, Beauvau n'a pas répondu.


 

   publié le 12 avril 2023

Dès ce jeudi à Paris,
les éboueurs appellent à une grève « d'une plus grande ampleur » encore

Nelly Metay sur www.humanite.fr

Les éboueurs et agents de traitements des déchets de la ville de Paris ont voté, mercredi 12 avril, pour mettre en place « l'acte 2 » d'une grève reconductible contre la réforme des retraites. Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.

C'est reparti pour un tour, après quinze jours de disparition progressive, les tas de poubelles devraient faire leur grand retour dans les rues de Paris. Les éboueurs de la régie municipale ont voté mercredi, à l’appel de la filière traitement des déchets de la CGT, pour une nouvelle grève reconductible afin de protester contre la réforme des retraites. Cet appel à la mobilisation est aussi adressé au secteur privé.

Une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée »

Effective à partir de jeudi et reconductible sur décision de censure ou non de la réforme des retraites par le Conseil constitutionnel, cette seconde grève entend être d'une plus grande ampleur que celle menée entre le 6 et le 29 mars.

Lors du précédent épisode, plus de 10 000 tonnes d'ordures s'étaient amoncelées dans les rues de la capitale. Faute de grévistes et remplacés par des entreprises privées dans certains arrondissements, les éboueurs avaient repris amèrement le chemin du travail au bout de 23 jours de grève.

Espérant pour de bon être entendus par Emmanuel Macron, les agents dénoncent une réforme qui « entend les condamner à une mort prématurée ». Dans un communiqué daté du 12 avril, la CGT promet de « travailler à reconduire et à étendre cette mobilisation, dans le cadre intersyndical le plus large, jusqu’au retrait de la contre-réforme des retraites Macron-Borne ». Dès jeudi soir, les trois incinérateurs seront bloqués et la collecte des déchets à l'arrêt.


 

   publié le 11 avril 2023

Solidarité : la France à fond la caisse

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En cette veille de journée de mobilisation, les caisses de soutien se remplissent à un rythme inédit, et l’adhésion populaire ne faiblit pas. Une incitation assumée à la grève.

Si son employeur savait à quoi Anthony consacre son salaire, il crierait probablement au fou, ou au détournement de fonds. Ingénieur informaticien, Anthony travaille pour une de ces multinationales américaines où le terme de « grève », même quand il est prononcé en anglais, sonne comme une langue étrangère.

Et pourtant, depuis début janvier, le trentenaire a envoyé plus de 2 000 euros aux caisses de grève, pour soutenir la bataille des retraites. « Dans l’absolu, c’est une somme, mais pour moi ce n’est pas grand-chose, ironise-t-il. Je gagne 11 000 euros par mois, ce qui est affolant quand on y pense ! D’un point de vue marxiste, je suis un exploité, mais extrêmement bien payé… »

Il est entré dans le camp des opposants à la réforme par des voies plus intimes qu’idéologiques

Sans jamais se départir d’une forme de lucidité sarcastique, le trentenaire raconte comment il est entré dans le camp des opposants à la réforme, par des voies plus intimes qu’idéologiques : à 55 ans, sa mère trime comme serveuse, ce qui lui vaut des problèmes de dos en pagaille et une carrière en pointillé.

Sa vie offre un démenti cinglant à la propagande gouvernementale qui maquille la réforme en bénédiction pour les femmes. « Les patrons ont toujours déclaré ma mère partiellement, ce qui est courant dans le secteur de la restauration, dit-il. Elle a donc moins cotisé. Par ailleurs, elle m’a élevé jusqu’à un an et demi, ce qui lui a également enlevé des trimestres. Mais la pénibilité de son métier rend inacceptable la perspective de tenir deux ans de plus. »

Anthony n’aime pas trop le cap pris par la France sous Emmanuel Macron (« de plus en plus à droite », précise-t-il au cas où on se méprendrait), mais il ne se voit pas débrayer tout seul dans son coin, d’où son choix de contribuer financièrement à l’effort collectif.

À 800 kilomètres de là, la même analyse a conduit Anaïs, 38 ans, à donner à une caisse de grève. « Je bosse à temps partiel dans une association qui travaille auprès des jeunes des quartiers Nord, explique la Marseillaise. Avec mon salaire actuel – 750 euros net par mois –, je ne me voyais pas faire grève. J’ai préféré donner l’équivalent d’une demi-journée de paye à des grévistes qui, au moins, avaient un impact sur l’économie… »

Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond

Depuis janvier, la France compte des dizaines de milliers d’Anaïs et d’Anthony. Des petits mots de soutien qu’on lance en passant jusqu’aux chèques à quatre chiffres envoyés aux caisses de grève, des collectes de légumes jusqu’aux soirées solidaires, c’est tout un pays qui se dresse contre la réforme des retraites, en marge de l’agitation médiatique.

Les sondages d’opinion mesurent comme ils le peuvent cette lame de fond : 62 % des Français estimaient, fin mars, que le mouvement social devait « se durcir pour faire reculer l’exécutif », selon l’Ifop.

Autre baromètre, les caisses de grève se garnissent à une vitesse inédite. a caisse de solidarité intersyndicale gérée par Info’Com-CGT et SUD poste 92, vient de franchir la barre des 3,4 millions d’euros récoltés, record historique. « En moyenne, nous recevons plus de 100 000 euros de dons par jour, ce qui est considérable », précise Romain Altmann, d’Info’Com-CGT.

Un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés

Les syndicalistes gérant la caisse ont cherché à en savoir plus sur le profil sociologique de cette France solidaire, à partir d’un questionnaire rempli en ligne par quelque 8 000 donateurs. Verdict : un tiers de retraités, un tiers de cadres et un tiers d’ouvriers ou employés. « Les premiers sont dans un combat intergénérationnel, analyse Romain Altmann. Beaucoup envoient un petit mot disant qu’ils se sont battus pour les 60 ans et que leurs petits-enfants doivent en profiter aussi. »

Les CSP + interrogés estiment compliqué ou inutile de se mettre en grève, en raison du caractère « non stratégique » de leur secteur, et préfèrent remplir les caisses. Quant aux catégories populaires, « ce sont des gens modestes, avec des situations personnelles compliquées, qui font parfois des dons de quelques euros, explique le syndicaliste. Un bel exemple de solidarité ouvrière ».

La première fois, j’en aurais pleuré. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne

Sur le terrain, les grévistes voient se construire des convergences inattendues. À Rennes et à Versailles, des paysans de la Confédération paysanne apportent de la nourriture aux cheminots en grève : tous les vendredis, ils remplissent une salle de cageots débordant de légumes frais, fromage, farine, œufs, etc.

« La première fois, j’en aurais pleuré, s’émeut Florent Anger, chef de gare à Saint-Malo et élu CGT au comité social et économique des TER de Bretagne. C’est beau de voir les mondes ouvrier et paysan unis dans la lutte. » Une rencontre tout sauf symbolique, selon lui : « Vous repartez avec un cageot qui vous aurait coûté 60 euros dans une Biocoop ! Cela permet de nourrir sa famille le week-end sans faire les courses, ce qui n’est pas négligeable quand vous avez cumulé quinze jours de grève… »

Tous les militants décrivent un élan de générosité inédit. L’explication réside dans le rejet massif de la réforme, qui transcende en partie les clivages de classe et de génération, et met en mouvement grandes villes et villes moyennes. Les soirées de solidarité avec les grévistes se déroulent ainsi aux quatre coins du pays, dans les métropoles comme dans les villages reculés.

« Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des petits villages »

Coopérative cinématographique de production, les Mutins de Pangée ont proposé à plusieurs réalisateurs de mettre leurs films à disposition du mouvement social : n’importe qui peut organiser des projections publiques, à condition de reverser l’argent récolté aux caisses de grève.

« Nous avons obtenu le soutien de nombreux ­réalisateurs, raconte Olivier Azam, cofondateur des Mutins. 95 films sont à disposition, parmi lesquels  la Sociale, de Gilles Perret, Un pays qui se tient sage, de David Dufresne, ou Comme des lions, de Françoise Davisse. »

Un succès colossal : 620 projections ont été organisées dans tout le pays, pour 114 000 euros récoltés. « Nous voyons apparaître de nouveaux lieux de projection, en marge des réseaux classiques, se félicite Olivier Azam. Les gens diffusent nos films dans des granges, des appartements, des villages de quelques milliers d’habitants parfois… En un sens, cela colle avec la sociologie des dernières mobilisations, avec des manifestations énormes dans des petites villes. »

Dans trente ans, les professeurs de communication politique se pencheront peut-être sur le spectaculaire accident industriel que constitue la réforme des retraites. Dans les décombres, ils exhumeront l’éditorial signé par Élisabeth Borne accompagnant le dossier présenté à la presse, le 10 janvier : « Aujourd’hui, nous présentons un projet de justice, d’équilibre et de progrès », affirmait-elle gravement.

Ces trois mots que les macronistes ont eu tant de mal à ­incarner n’ont jamais convaincu Jean-François Le Dizès, retraité grenoblois de 76 ans et éternel militant de gauche. « C’est une question de choix de société ! assène-t-il. Veut-on continuer à tout miser sur la production de richesses matérielles, ou sur la valorisation du temps de vivre ? »

Dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration »

Le retraité a signé deux chèques de 3 000 euros pour soutenir les grévistes, mais s’inquiète des faiblesses du mouvement social : « En Mai 68 comme en 1995, nous avions réussi à bloquer l’économie, ce qui nous avait permis d’obtenir gain de cause. Ce n’est pas le cas cette fois-ci, en dépit de grèves très suivies dans certains secteurs. »

Une avant-garde mobilisée – les énergéticiens, les raffineurs, les cheminots, etc. –, soutenue financièrement par une majorité généreuse mais non gréviste : dans les années 1990, le sociologue Henri Vacquin avait forgé l’expression de « grève par procuration » pour décrire ce phénomène.

Le terme ne rebute pas Florent Anger : « La grève générale reconductible, on est pour, mais gare à l’incantation ! Le monde du travail a changé : je vois beaucoup de salariés qui aimeraient faire grève mais qui n’en ont pas les moyens. Les gens font ce qu’ils peuvent. »

Le cheminot préfère voir le verre à moitié plein : « Ce qui me plaît dans ce mouvement, c’est qu’on a dépassé le seul cadre de la retraite. On parle du sens du travail, de l’amassement indécent des grandes fortunes, du capitalisme… L’ampleur du soutien populaire montre à quel point les gens s’approprient ces enjeux. »

Où donner sur internet ?

   publié le 10 avril 2023

La Ligue des Droits de l’Homme appelle au combat pour les libertés et la démocratie

Communiqué LDH sur https://www.ldh-france.org

Lors de son audition au Sénat sur la question de la manifestation contre la « mégabassine » de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a remis en cause les subventions publiques attribuées à la LDH (Ligue des droits de l’Homme). Cette menace est d’une particulière gravité. La LDH a été créée par des esprits résistants mus par l’impérieuse nécessité de combattre l’injustice antisémite faite au capitaine Dreyfus, au nom de la raison d’Etat.

Elle a depuis lors été de tous les combats historiques de la République : la loi de 1905 sur la laïcité, les projets d’émancipation, la lutte contre le fascisme et l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH). Elle a toujours travaillé dans un souci de dialogue franc et constant avec les institutions. Sous le régime de Vichy, elle fut dissoute et grand nombre de membres de la LDH résistants furent arrêtés, assassinés et/ou déportés. Elle s’est reconstituée pour participer à la reconstruction d’une France meurtrie par les atrocités de la guerre et de l’occupation. Elle n’a eu de cesse de se mobiliser pour soutenir les projets de liberté, d’égalité et de fraternité en défense permanente de l’Etat de droit.

Les attaques dont elle fait aujourd’hui l’objet sont notamment la conséquence de son travail sur cette défense de l’Etat de droit basé sur l’observation des pratiques policières et l’exigence d’une désescalade, indispensable au maintien de l’ordre républicain pour protéger le droit de manifester inscrit au cœur de notre contrat social.

Les subventions accordées aux associations constituent une pierre fondamentale de l’édifice démocratique promu par les organisations internationales et européennes. Elles sont indispensables en démocratie pour permettre la contestation des excès de pouvoir et de l’arbitraire. Supprimer ou diminuer ces subventions est l’un des moyens traditionnels utilisés par les régimes autoritaires pour affaiblir l’équilibre entre pouvoir et contrepouvoirs, sans lequel une démocratie est anéantie.

Ces menaces ne visent pas la seule LDH. Elles sont le symptôme du projet historique de la réaction contre « Les Lumières », de l’autoritarisme contre les libertés. Il y a urgence à lui opposer un refus ferme et large. La LDH sonne l’alarme et appelle celles et ceux qui ont à cœur de défendre notre modèle démocratique, celles et ceux qui, au sein des institutions de la République, disposent des moyens de s’opposer à ce projet délétère, à s’engager à ses côtés avec détermination.

Paris, le 6 avril 2023


 


 

Henri Leclerc : “Tout le monde est un peu en insécurité après une telle déclaration de Darmanin”

Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr

Pour le président d’honneur de la Ligue des Droits de l’homme, remettre en cause les subventions de l’association constitue clairement une menace pour les libertés. Il salue le rôle de contre-pouvoir des associations et s’inquiète de l’entêtement d’un gouvernement qui méprise l’opinion publique.


 

"Que pensez-vous de la déclaration de Gérald Darmanin, qui suggère de réexaminer la subvention de l’État à la Ligue des droits de l’homme ?

Henri Leclerc  : Darmanin vient dire “attention, si vous continuez à défendre les droits de l’homme, vous n’aurez plus de subvention”. C’est une menace. Un chantage. Une sorte de déclaration de guerre. À Sainte-Soline, les observateurs de la Ligue des droits de l’homme n’ont été que des lecteurs de la réalité. Je ne sais pas s’il s’agit d’une déclaration improvisée par un homme ou de quelque chose qui a été réfléchi par le gouvernement. Mais ce qu’il dit est grave.

La Ligue des droits de l’homme est-elle menacée ?

Henri Leclerc  : Même sans ces subventions, qui sont une petite partie de son budget, la Ligue ne mourra pas. Elle continuera, peut-être plus difficilement, mais elle continuera. Elle a reçu énormément de soutien, en 24 heures. De l’argent. Des adhésions. Les gens ne sont pas dupes. Un immense mouvement de solidarité s’est manifesté autour d’elle et la déclaration de Darmanin, d’une certaine manière, a renforcé l’autorité de la Ligue. Mais attention. Si la défense des droits de l’homme devient un danger pour l’État, alors tout est possible. La loi Séparatisme pourrait même servir de prétexte à une dissolution.

 Est-ce que, derrière la Ligue des droits de l’homme, d’autres associations peuvent se sentir visées ?

Henri Leclerc  : Darmanin a ouvert une porte. Tout le monde est un peu en insécurité, après une telle déclaration. D’autant que le silence du gouvernement est assez impressionnant. J’imagine que les ministres, s’ils exprimaient un désaccord, n’auraient pas d’autre solution que de démissionner et qu’ils n’osent pas le faire. La discipline gouvernementale joue, sur ce sujet.

 Doit-on y voir un soutien à Darmanin ?

Henri Leclerc  : Je ne peux pas le dire. En tout cas, c’est un silence de trop.

 En France, pays des droits de l’homme, le respect des droits ferait-il peur ?

Henri Leclerc  : La question se pose. Quand Emmanuel Macron critique personnellement le dirigeant d’un syndicat parce qu’il ne s’est pas rallié à ses positions, cela ne dérange personne. Quand la Ligue des droits de l’homme documente les violences policières, rappelle les principes fondamentaux et lutte pour qu’ils soient respectés, on menace de lui couper les vivres. “La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, c’est le pays de la déclaration des droits de l’homme”, dit Robert Badinter. Il a raison. Cela fait 120 ans que la Ligue des droits de l’homme dénonce les abus de pouvoir, cela fait 120 ans qu’elle est critiquée. Ce qui est nouveau, cette fois, c’est que cela se passe à l’Assemblée nationale.

 La Ligue des droits de l’Homme a toujours été dans le viseur du pouvoir ?

Henri Leclerc  : Toujours. Quand elle naît, en 1898, c’est au moment où l’affaire Dreyfus semble perdue, au moment où le “J’accuse” de Zola est condamné par la justice française sur la base de mensonges. La Ligue s’est constituée dans cette bataille et, par la suite, s’est toujours opposée au pouvoir. Quand elle se bat pour réhabiliter les “fusillés pour l’exemple” de la guerre de 14, on la traite d’association épouvantable qui crache sur les soldats et qui défend les traîtres. En 1945, alors qu’elle se remet d’une dissolution et que son président a été exécuté par la milice, elle proteste contre la politique d’épuration immédiate et sauvage. Ça a toujours été comme ça.

 Les associations sont-elles importantes dans une démocratie ?

Henri Leclerc  : Elles sont un fondement de la démocratie. Ce qui est important, c’est qu’elles ne traduisent pas seulement l’opposition d’une personne, mais qu’elles sont l’expression d’un collectif. Une association, ce sont des gens qui luttent, ensemble, pour des choses qui leur paraissent essentielles : la lutte pour la laïcité, la défense de la Loi de 1905, la dénonciation des excès de la police et de la justice, les problèmes sociaux, le sort des étrangers en France, la menace de l’extrême droite, etc. Ces combats-là sont ceux de la Ligue des droits de l’homme. Ces luttes engagent chacun en des lieux divers. Elles sont complètement publiques et soumises à la critique. D’ailleurs, la Cour des comptes examine chaque année les subventions que reçoit la Ligue.

 Ces combats s’accompagnent de la présence d’observateurs, sur le terrain…

Henri Leclerc  : Leur rôle est de compléter les témoignages ou vidéos recueillies sur place. Certains d’entre eux ont fait l’objet de poursuites, comme à Montpellier en 2019, où une observatrice a été considérée comme une manifestante et interpellée. On nous dit que les violences policières n’existent pas, qu’elles sont le fait de quelques individus qui dérapent. C’est faux. Les observateurs peuvent en témoigner : il y a une stratégie du maintien de l’ordre qui provoque cette violence.

 Gérald Darmanin a également fustigé “le terrorisme intellectuel de l’extrême gauche”. Qu’en pensez-vous ?

Henri Leclerc  : Il y a quelque chose de terrible à toujours opposer “les intellectuels”, ceux qui réfléchissent, au bon sens populaire qui voudrait condamner. C’est du grand classique, mais c’est n’importe quoi. Et ce n’est pas si simple. Regardez : le bon sens populaire, en ce moment, dit clairement qu’il est contre la réforme des retraites. Et pourtant, on ne l’écoute pas davantage.

 Finalement, est-ce qu’il ne faut pas voir, dans les propos de Gérald Darmanin, une tentative de politiser la Ligue des droits de l’homme pour essayer de la discréditer ?

Henri Leclerc  : Là encore, ce n’est pas nouveau. Ceux qui protestaient contre la torture en Algérie étaient désignés comme des traîtres à la Nation. Quand nous prenions position contre les lois Pasqua, nous étions traités d’ennemis. Quand nous nous sommes indignés de l’évacuation des sans-papiers de l’église Saint-Bernard, on nous a accusés d’œuvrer contre la paix publique. Quand nous demandions le droit de vote des étrangers aux élections locales, nous étions les fossoyeurs de la démocratie. La Ligue a été créée contre la raison d’État. Cela provoque des réactions, c’est normal. Au mieux, on nous accuse d’être naïfs ou angéliques. Au pire, nous sommes complices des menaces qui pèsent sur nos concitoyens.

 Menacer de vous couper les vivres, c’est une première ?

Henri Leclerc  : Nous avons eu quelques fois des difficultés à obtenir des subventions. Il est arrivé que des préfets protestent contre des subventions locales. Sur l’antenne d’une radio, un responsable politique m’a, un jour, accusé d’être “payé par l’État”. Mais une prise de position publique, à l’Assemblée, estimant que ces subventions supposent un alignement de nos positions sur celles du gouvernement : ça, vraiment, c’est une première.

 Ce gouvernement semble avoir du mal à supporter la critique.

Henri Leclerc  : Notre démocratie a instauré, en son sein, des lieux de contre-pouvoirs. C’est le cas de la contrôleuse générale des lieux privatifs de liberté. De la commission nationale consultative des droits de l’homme. De la défenseure des droits. C’est aussi le cas des tribunaux, qu’ils soient judiciaires ou administratifs. Quand leurs décisions ou leurs avis sont critiques à l’égard de l’État, doit-on les considérer comme des ennemis ? Est-ce qu’on va reprocher aux tribunaux administratifs, que nous saisissons régulièrement, d’être au service du désordre ? La contradiction que porte la Ligue des droits de l’homme est une contradiction associative. Ce sont des citoyens qui s’engagent. Pas des ennemis de l’État.

 Ces dernières années, plusieurs lois sont venues réduire le champ des libertés individuelles et étendre le contrôle de l’État. A-t-on manqué de vigilance ?

Henri Leclerc  : Vous avez raison. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on a laissé se développer des moyens de contrôle de plus en plus fort qui s’appliquent, finalement, à tout le monde. La loi Renseignement, de Bernard Cazeneuve, est un chef-d’œuvre en la matière. Il est très difficile, ensuite, de revenir sur ces lois.

 Vous êtes très critique à l’encontre de la vidéosurveillance. Elle apparaît pourtant souvent comme un outil de protection, à l’encontre des violences policières.

Henri Leclerc  : C’est vrai. La vidéosurveillance a permis de constater des exactions commises par l’État. L’écoute téléphonique, elle aussi, peut aboutir à de bonnes choses. Ce sont des bénéfices d’aubaine et c’est tant mieux. Mais je continue de penser que cette surveillance généralisée est une restriction des libertés.

 Êtes-vous inquiet ?

Henri Leclerc  : Oui. Ce qui m’inquiète, c’est cette obstination têtue du pouvoir à ne pas entendre les corps intermédiaires et à mépriser l’opinion publique. C’est cette espèce de scission entre la volonté populaire et les décisions politiques, ce mépris de la volonté collective où seul est utile ce que dit le pouvoir. Je ne vois pas comment on va sortir de cette situation. Elle exacerbe des sentiments de révoltes.


 


 

Sur la LDH, Gérald Darmanin
dans l’extrême droite ligne du Rassemblement national

Christophe Gueugneau sur www.mediapart.fr

En fustigeant mercredi la Ligue des droits de l’homme, le ministre de l’intérieur n’en était pas à son coup d’essai. En 2015, alors maire de Tourcoing, il avait déjà voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH. S'inscrivant ainsi dans une tradition d’extrême droite : s’en prendre aux défenseurs des libertés fondamentales.

On a les soutiens qu’on mérite. L’anathème jeté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, contre la Ligue des droits de l’homme (LDH), mercredi lors d’une audition devant les parlementaires, a fait bondir les défenseurs des droits humains – et permis à la LDH de recevoir 30 000 euros de dons en 24 heures. Mais il a surtout fait plaisir à ses ennemis, à l’exemple de l’essayiste obsédée par l’islam Céline Pina.

« Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées », avait déclaré Gérald Darmanin à propos de la LDH. « Il faudrait arrêter de subventionner la LDH, mais aussi le Planning familial, s’interroger sur ce qui se passe à la Ligue de l’enseignement… Il y a du ménage à faire dans les grandes associations subventionnées par l’État », renchérit Céline Pina dans Le Figaro. La vénérable institution, qui a plus de 100 ans de combats pour la démocratie derrière elle, est accusée de « dérive » tant elle serait « noyautée par les islamo-gauchistes »

Un condensé des paniques morales de l’époque pour une droite qui flirte toujours plus avec l’extrême droite. Car Gérald Darmanin n’en est pas à son coup d’essai. Alors maire de Tourcoing (Nord) (et encore à l’UMP), en 2015, celui-ci avait voulu annuler la subvention de la ville versée à la LDH, au motif que cette dernière envisageait de subventionner à son tour un collectif de soutien aux Roms. La subvention – 250 euros pour l’année ! – avait fini par être concédée, « malgré le contexte budgétaire particulièrement difficile de la ville », selon le courrier de l’édile.

Un an auparavant, et à 40 kilomètres à peine, c’est un maire Front national (FN, devenu Rassemblement national, RN, en 2018) cette fois qui s’en était pris à la LDH. Fraîchement élu à la mairie d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois avait annoncé la fin de la subvention et de l’usage gratuit d’un local municipal dont bénéficiait la Ligue. « Non seulement, aucun bail n’a été signé entre l’association d’extrême gauche et la mairie, faisant de la LDH un occupant sans titre, mais plus grave, ces subventions sont totalement illégales », se justifiait le maire et très proche de Marine Le Pen. 

À Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, c’est un autre maire FN, Cyril Nauth, qui a commencé par priver la LDH de son local avant de faire voter par son conseil municipal la suppression des aides à l’association. « C’est un choix politique et symbolique : nous ne souhaitons plus subventionner cette association très politisée », avait justifié le maire en 2015. À Fréjus, dans le Var, la LDH s’est également vue privée de local par la mairie FN.

Une LDH visiblement détestée par le parti lepéniste. En 2016, dans un communiqué, Steeve Briois récidive et porte contre la LDH des accusations qui fleurent bon les années 1930. « Le militantisme de la Ligue des droits de l’homme est-il financé par des fonds étrangers ? », s’interroge le maire d’Hénin-Beaumont. En cause : la publication des SorosLeaks, des documents censés montrer que l’Open Society, la fondation du milliardaire, a financé des « associations d’extrême gauche », dont la LDH, « en vue de peser sur les élections municipales et européennes de 2014 ». Un texte de Steeve Briois dans lequel il égrène les pires clichés, la LDH étant accusée d’accepter « de l’argent d’une fondation étrangère dirigée par un homme dont la haine du patriotisme et des identités nationales est bien connue et dont la philanthropie a toujours, et de manière unanime, été motivée par le profit ».

Même quand ils ne dirigent pas les villes, les membres du FN/RN font preuve d’un activisme redoutable contre la LDH. En 2016, toujours, Antoine Chudzik, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté et représentant FN de la 2e circonscription de Saône-et-Loire, a ainsi appelé publiquement à « arrêter le subventionnement de la Ligue des droits de l’homme » à Paray-le-Monial. Le motif ? La Ligue entendait organiser un « cercle de silence » en soutien aux personnes punies par la loi pour avoir aidé des migrant·es.

La LDH n’est pas la seule victime des maires d’extrême droite. Maire de Hayange en Moselle, Fabien Engelmann s’en est lui pris au Secours populaire, au motif que la présidente de l’association avait dénoncé les conditions d’organisation par la mairie d’un goûter de Noël pour les enfants pauvres. Fabien Engelmann avait d’abord dénoncé dans un communiqué un Secours populaire devenu « succursale du Parti communiste », mettant en œuvre une « propagande promigrants ». La ville avait ensuite tenté d’expulser l’association du local qu’elle occupait, avant de tout simplement la priver de gaz et d’électricité. Une décision de justice avait donné raison au Secours populaire mais l’association reste privée de local.

Quand la justice s’en mêle

Dans le Var, le maire de Fréjus, David Rachline, ne s’en prend pas non plus qu’à la LDH. En septembre 2015, l’Asti (Association de solidarité avec les travailleurs immigrés) et le centre social Les Tournesols ont été empêchés de participer au forum des associations de la ville, les subventions des centres sociaux de Villeneuve, de l’Agachon et de La Gabelle ont été rabotées, et le centre de Villeneuve a carrément été fermé quand sa directrice s’est émue de la baisse de sa subvention. 

Plus récemment (en 2022), c’est le maire RN de Perpignan, Louis Aliot, qui a montré le peu de cas du parti pour le débat démocratique. La mairie a décidé de déposer une plainte pour « injure envers un corps constitué » à l’encontre de Josie Boucher, militante syndicale et associative, engagée notamment dans l’antiracisme et l’anticolonialisme. Il est reproché à la militante d’avoir déclaré que « les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes »

Ces derniers mois, l’extrême droite a un nouveau cheval de bataille : les subventions accordées par les mairies à l’association de secours aux migrant·es en mer SOS Méditerranée. À Marseille, le 30 septembre, le conseil municipal s’est écharpé sur un projet de subvention de 30 000 euros pour l’ONG. Conseiller municipal d’opposition, le sénateur des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier (Reconquête) dénonce ces « 30 000 euros de plus pour subventionner une immigration qui nous coûte déjà un pognon de dingue ». Tandis que le RN Arezki Selloum dénonce le fait que « la mer Méditerranée est la voie principale des migrants pour venir en Europe »

Plus grave peut-être, la justice, à présent, s’en mêle. Le 7 février, la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté la demande d’annulation par deux conseillers régionaux d’une subvention de la ville. D’autres recours, à Saint-Nazaire ou encore à Toulouse, ont connu le même débouché. Ils étaient chaque fois soutenus par l’extrême droite. 

À Paris, en revanche, le recours contre la subvention accordée par la ville à SOS Méditerranée, introduit par un militant d’extrême droite, a donné lieu à une décision inverse. La cour d’administrative d’appel a estimé que « les responsables de l’association ont, aussi, publiquement critiqué, et déclaré vouloir contrecarrer par leur action, les politiques définies et mises en œuvre par l’Union européenne et les États membres en matière d’immigration et d’asile, de franchissement des frontières extérieures de l’Union et de maîtrise des flux migratoires ». Le juge ajoute que « cette action a, en outre, eu pour effet d’engendrer de manière régulière des tensions et des différends diplomatiques entre États membres de l’Union, notamment entre la France et l’Italie ».

Cet alignement des planètes entre la justice et le politique confine au fascisme d’atmosphère. Et explique peut-être pourquoi, deux jours avant sa sortie contre la LDH, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin avait préféré se faire remplacer par son ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, pour répondre aux député·es lors d’un débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite. 

Quant à Emmanuel Macron, depuis la Chine, il a sans le vouloir souligné ce qui le séparait du Rassemblement national en déclarant : « Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. » Comme s’il n’y avait plus que l’âge de départ à la retraite qui opposait la droite et l’extrême droite.


 


 

Politis soutient la Ligue des droits de l’homme

Politis  sur www.politis.fr

Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’en est pris directement à la Ligue des droits de l’homme, évoquant ses financements publics. La pente extrémiste du protégé de Nicolas Sarkozy est de plus en plus glissante.

Auditionné hier au Sénat suite aux violences policières de Sainte-Soline, Gérald Darmanin – après un week-end passé à attaquer ses opposants de gauche dans le JDD – s’en est cette fois pris à un autre adversaire, un peu trop regardant sur sa féroce répression de la contestation actuelle.

S’exprimant sur la Ligue des droits de l’homme, le ministre de l’Intérieur a expliqué qu’il s’en prendrait possiblement au financement public de l’organisme. « Je ne connais pas la subvention donnée par l’État, mais ça mérite d’être regardé dans le cadre des actions qui ont pu être menées. »

De tels propos ne peuvent que susciter craintes et indignations. Sur France Info, le président de la LDH, Patrick Baudouin, a répliqué que « jamais la Ligue des droits de l’homme n’a été remise en cause de cette manière ». Et d’ajouter : « C’est inédit et consternant de la part du ministre d’un pays qui est encore qualifié de démocratie ».

Politis, journal humaniste, apporte donc son soutien clair et net à la Ligue des droits de l’homme, rouage essentiel de la démocratie. La LDH fut fondée, pour rappel, en 1898 par Ludovic Trarieux, en défense du capitaine Dreyfus et n’a cessé depuis de défendre les droits humains les plus fondamentaux.

Fin 2021, Politis publiait, en collaboration avec la Ligue, un hors-série sur les libertés fondamentales, avec les plumes de François Héran, Henri Leclerc, Étienne Balibar, Alain Damasio… Ce numéro peut toujours être commandé, en version numérique ou physique, sur notre boutique.

   publié le 9 avril 2023

Au Proche-Orient, « l’ouverture du front libanais représente un risque immense pour Israël »

Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr

L’affrontement entre Israël et les Palestiniens, déjà intense en Cisjordanie, s’étend désormais à Gaza mais aussi au Liban. La chercheuse Leila Seurat, spécialiste du Hamas, analyse cette escalade sans précédent depuis 2006.

IsraëlIsraël a lancé vendredi son aviation à la fois sur le Liban et sur Gaza, après avoir essuyé des dizaines de tirs de roquettes en provenance de ces territoires, dont la plupart ont été interceptées, même si certaines ont réussi à franchir la défense antiaérienne et occasionné quelques dégâts matériels.

Ces tirs de roquettes, déclenchés alors que la Pâque juive venait de débuter, étaient eux-mêmes la conséquence des affrontements violents qui avaient eu lieu sur l’esplanade de la mosquée al-Aqsa. Celle-ci constitue à la fois l’épicentre et la ligne rouge du conflit entre Israël et les Palestiniens, et notamment le Hamas, accusé par les autorités israéliennes d’être à l’origine des récents tirs de roquettes.

Vendredi soir, un touriste italien a été tué et sept autres personnes ont été blessées dans un attentat à la voiture-bélier dans le centre de Tel-Aviv.

Leila Seurat est chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (Carep Paris) et chercheuse associée au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip). Elle a publié en 2015, aux éditions du CNRS, Le Hamas et le monde et tout récemment, chez ce même éditeur, une anthologie d’Écrits politiques arabes, cosignée avec Jihane Sfeir. 

Mediapart : Quelle analyse faites-vous de la situation présente ? Quel est le rôle du Hamas dans cet affrontement ?

Leila Seurat : La situation actuelle ressemble à du déjà-vu. En 2021, Israël s’était déjà attaqué à la mosquée al-Aqsa en plein mois de ramadan. Le même scénario s’est déroulé avant-hier [le 5 avril – ndlr], avec des interventions israéliennes d’une violence inouïe à l’intérieur de la mosquée, suivies par une vague d’arrestations sans précédent, avec près de 400 personnes interpellées.

À cette situation d’une extrême violence symbolique et physique, le Hamas a répondu par des tirs de roquettes depuis Gaza le mercredi 5 avril. Jeudi 6, la réponse est venue depuis le Liban.

Si le Hamas occupe certes une place centrale dans cette confrontation, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une lutte de libération nationale, ce qui signifie que tous les Palestiniens soutiennent l’action du Hamas, y compris les membres des autres factions.

Par ailleurs, la défense d’al-Aqsa n’est pas seulement un enjeu pour les Palestiniens, elle l’est de surcroît pour tous les Arabes et musulmans.

Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle guerre entre Israël et les mouvements palestiniens ? Quelle est la place du Hamas, dont la spécificité est de ne pas se centrer uniquement sur Gaza mais de se situer aussi au Liban ? 

Leila Seurat : Le fait de se situer au Liban n’est pas une spécificité du Hamas mais de toutes les factions palestiniennes, qui sont également présentes dans les autres pays frontaliers d’Israël. Mais il est clair que depuis 2017, le réchauffement des relations entre le Hamas, la Syrie et l’Iran a renforcé la coopération entre ce « front du refus » (« al moumanaa »), qui intègre également le Hezbollah. Ce front avait été mis à mal un certain temps, dans la période post-2011, lorsque le Hamas avait pris ses distances avec le régime de Bachar al-Assad.

Il est difficile de présager de la suite, d’autant que ce qui semble en jeu ici n’est pas seulement une riposte contre Gaza, mais aussi une opération de représailles contre le Sud-Liban, puisque c’est depuis ce territoire que 30 roquettes ont été tirées jeudi après-midi.

Pour l’instant, la réponse israélienne est restée concentrée sur des cibles du Hamas dans la bande de Gaza et au Liban Sud. Les frappes israéliennes n’ont touché aucune cible civile à Gaza, signe qu’Israël souhaite éviter l’escalade.

En envahissant la mosquée d’al-Aqsa pendant la prière du tarawih, Israël a de nouveau provoqué l’affrontement.

Il est possible que le Hamas soit à l’origine de ces tirs. Si cela était avéré, cette action s’inscrirait sans aucun doute dans le renouvellement stratégique du Hamas visant à multiplier les fronts (« jabhat mouta’dida ») et à éviter que Gaza reste dans un face-à-face avec Israël, comme lors des agressions israéliennes de 2009-2012-2014.

Il est toutefois clair que cette opération du Hamas, si elle était confirmée, n’aurait pas été possible sans concertation ou accord tacite de la part du Hezbollah qui contrôle l’intégralité du Sud-Liban et doit donc donner son feu vert. Hassan Nasrallah lui-même a affiché son soutien aux Palestiniens victimes de la répression israélienne à al-Aqsa.

Notons que si les communiqués officiels israéliens parlent de 30 roquettes tirées par les factions palestiniennes depuis le Liban, les annonces faites ce jeudi [5 avril] à midi parlaient alors de 100 roquettes tirées en moins de dix minutes. Cette incohérence semble témoigner d’une volonté des Israéliens d’exagérer l’agression.

Qu’est-ce qui a changé par rapport à 2021, où vous notiez, dans une tribune, l’envergure surprenante de la réponse du Hamas ? 

Leila Seurat : Ce qui a changé par rapport à 2021, c’est d’abord l’ouverture du front libanais, qui est fondamentale et représente un risque immense pour Israël, qui garde en tête le traumatisme de la guerre de l’été 2006. Ces tirs de roquettes pourraient illustrer une coordination avec l’Iran, puisqu’on sait que deux gardiens de la révolution islamique ont récemment été assassinés par Israël en territoire syrien.

L’autre élément notable est la prégnance des divisions internes à l’establishment israélien. Nétanyahou a été accusé hier d’être responsable de cette situation et a mis plusieurs heures avant de réunir les différents appareils de sécurité pour trouver une réponse appropriée. Il s’agit de la première réunion de défense depuis deux mois, et ce alors que le ministre de la défense, Yoav Galant, vient d’être démis de ses fonctions.

Jouer l’unité nationale sur le dos des Palestiniens ne semble plus fonctionner comme auparavant. Mais ces affrontements confirment également de vieux schémas.

En envahissant la mosquée d’al-Aqsa pendant la prière du tarawih, Israël a de nouveau provoqué l’affrontement. Les violences ont été encore bien supérieures à celles de mai 2021. Nous pourrions certes insister sur le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays ; mais il y a aussi là clairement un leitmotiv et une instrumentalisation de la violence contre les Palestiniens à des fins de politique intérieure.

Nétanyahou a récemment connu une vague de protestations contre ses pratiques autoritaires et le limogeage de son ministre de la défense ; il est également sous le joug de lourdes accusations de corruption.

Ces lectures tronquées par le prisme du “tout-religieux” sont désormais mises à mal. [...] On peut affirmer sans hésitation qu’il ne s’agit pas d’un problème de religion.

Ce qui se passe actuellement confirme aussi que ce qui s’est passé lors de la bataille de l’« Épée de Jérusalem » en mai 2021, qui avait déjà opposé les factions unifiées de la résistance palestinienne à Israël. Hier soir, on a de nouveau vu des affrontements entre des Palestiniens de 48 [Palestiniens ayant la nationalité israélienne – ndrl] et la police israélienne en Israël, dans les villes d’Umm al-Fahm et de Nazareth, ce qui rappelle fortement les scènes de mai 2021.

Tout cela confirme que la bataille de mai 2021 a bien représenté l’ouverture d’un nouveau chapitre. L’« Épée de Jérusalem » a prouvé à tous les Palestiniens, peu importe leur situation économique et sociale, qu’ils étaient concernés par un destin commun autour d’al-Aqsa. Aujourd’hui, en réponse aux raids israéliens dans la mosquée d’al-Aqsa, deux Palestiniens dans la région de Jéricho s’en sont pris à une voiture portant des plaques israéliennes, tuant l’un de ses passagers.

Plus généralement, que diriez-vous de l’attitude du Hamas vis-à-vis du nouveau gouvernement Nétanyahou emmené par des ministres suprémacistes juifs ?

Leila Seurat : Cette droitisation de la scène politique israélienne et le fait que deux ministres soient des colons ne font que confirmer la lecture du Hamas selon laquelle Israël ne fera jamais aucun compromis. La judaïsation de Jérusalem, les expropriations et la répression contre al-Aqsa s’inscrivent dans un dessein cohérent, qui remonte au moins à l’occupation de Jérusalem-Est en 1967.

Ces évolutions ne sont donc pas problématiques pour le Hamas, puisque ce mouvement a toujours misé sur le temps long et la patience (sabr) dans la lutte contre Israël d’une part, mais aussi parce que la « fascisation » d’Israël permet aux Palestiniens de gagner de nouveaux soutiens d’autre part.

Il est commun d’entendre que l’échec du processus de « paix » serait le résultat d’une radicalisation des religieux des deux bords. Nombreux sont ceux qui, dans les années 1990, mettaient le Likoud et le Hamas dos à dos pour expliquer l’échec d’Oslo.

Faut-il désormais mettre Bezalel Smotrich, suprémaciste juif et ministre des finances, dos à dos avec le Hamas ? Ces lectures tronquées par le prisme du « tout-religieux » sont désormais mises à mal. Si Israël cherche visiblement à transformer ce conflit en guerre de religion, on peut affirmer sans hésitation qu’il ne s’agit pas d’un problème de religion.

Comment expliquer que le cœur de la résistance palestinienne contemporaine semble avoir basculé de Gaza à la Cisjordanie ces derniers mois ? 

Leila Seurat : Il est difficile de dire que le cœur de la résistance se trouvait Gaza. Certes, Gaza a le plus grand nombre de réfugiés palestiniens, et deux tiers des Gazaouis sont des réfugiés. Il est vrai aussi que Gaza a historiquement joué un rôle important comme bastion des fedayin.

Mais Gaza, depuis le blocus, est une enclave où les possibilités de circulation sont quasi nulles. La présence du Hamas à Gaza a sans doute donné cette image, ainsi que la persévérance (sumud) des Gazaouis. Mais le terrain de la lutte armée en Palestine est la Cisjordanie plutôt que Gaza, et le Hamas a pris conscience de cela depuis bien longtemps.

Depuis 2017, le Hamas a entièrement réévalué sa stratégie militaire afin de ne pas rester enfermé dans un tempo de confrontations imposées par Israël. Ainsi, le Hamas a choisi d’ouvrir l’affrontement avec Israël en mai 2021 lors de l’opération « Épée de Jérusalem ». Il peut aussi opter pour l’accalmie, voire se présenter comme un médiateur utile lors de la confrontation entre Israël et le Jihad islamique en août 2022.

Sans être connectée aux factions politiques, la jeunesse de Naplouse et Jénine qui, depuis l’année dernière, s’est montrée particulièrement investie dans la résistance armée, pourrait constituer un « front » supplémentaire et efficace dans la stratégie d’union et de partage des tâches entre Gaza et la Cisjordanie.  

Quelles sont les marges d’action et la stratégie actuelles du Hamas par rapport à l’Autorité palestinienne ? Jusqu’à quel point le Hamas est-il présent et actif en Cisjordanie ? 

Leila Seurat : La lutte armée est la source de légitimité première de toutes les factions palestiniennes, en particulier pour le Hamas. Le Hamas a conscience de cela et sait qu’il peut gagner un soutien populaire intérieur face au Fatah.

C’est aussi face à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) que le Hamas agit puisque, depuis 2018, il met tous ses efforts dans l’activation d’une chambre commune des opérations de la résistance à Gaza, prémices d’une armée de libération qui réunirait toutes les factions palestiniennes, y compris la branche armée du Fatah. Cette chambre favorise la diffusion d’une culture de la résistance, formule des objectifs communs, prend des décisions communes.

Le Hamas est présent politiquement en Cisjordanie à travers la figure de Saleh Arouri ; sa branche militaire est également présente. Si les jeunes de « la Fosse aux lions » à Naplouse ne se réclament pas du Hamas ni d’aucune faction, il arrive pourtant que l’identité partisane soit dévoilée. On a pu ainsi voir que, parmi ces jeunes, nombreux sont ceux qui étaient précédemment affiliés au Hamas ou le sont toujours.

Les relations à l’origine exécrables entre le Hamas et l’Égypte du maréchal Sissi, qui voyait dans le Hamas une simple émanation de son ennemi juré que sont les Frères musulmans, ont-elles évolué et modifié la situation à Gaza ?

Leila Seurat : Ces relations sont assez bonnes. Sans modifier la situation à Gaza, car elle garde régulièrement le passage de Rafah fermé, l’Égypte reçoit très régulièrement les dirigeants du Hamas, puisque Le Caire joue un rôle de médiateur incontournable dans la « réconciliation » entre le Fatah et le Hamas – récemment supplanté sur ce plan par l’Algérie –, mais aussi et toujours dans les négociations de trêve avec Israël.

En août 2022, l’Égypte a d’ailleurs réuni un sommet à Aqaba en présence des Israéliens, Jordaniens et Américains, confirmant la coordination entre l’Autorité palestinienne et Israël, et surtout le rôle de la Jordanie sur les lieux saints de l’islam, conformément au statu quo depuis 1967.

Malgré cet accord, Israël continue ses agressions contre al-Aqsa. Cette politique du pire pourrait être sans aucun doute coûteuse du point de vue diplomatique. Les soutiens traditionnels d’Israël, comme les États-Unis ou le Canada, se sont en effet montrés très critiques.


 

   publié le 8 avril 2023

En pleine mobilisation, la « France du travail » s’invite au congrès du PCF

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Avec le mouvement social contre la réforme des retraites, la question de l’emploi, déjà au cœur du texte d’orientation du PCF, sera un enjeu clé des débats du week-end à Marseille.

Dans les rues, jeudi aux côtés des syndicalistes et des citoyens contre la réforme des retraites, les délégués au 39e congrès du PCF se retrouveront à Marseille vendredi, avec en tête cette 11e journée de mobilisation et toutes celles qui l’ont précédée.

Ce mouvement social historique a joué les invités surprises dans les débats locaux des fédérations en mars. Et pour cause : non seulement, par sa puissance et la réponse autoritaire que lui oppose le gouvernement, il bouscule la situation politique et amplifie la « crise de régime » décrite par le texte d’orientation soumis à la discussion des communistes.

L’affrontement capital-travail sur le devant de la scène.

Mais il place aussi sur le devant de la scène l’affrontement capital-travail. « C’est pour nous une question absolument fondamentale sur le plan à la fois du projet de société et de la stratégie, la gauche ne peut être la gauche que si elle est le camp du travail et de la création », assure Christian Picquet, à la tête de la commission en charge du texte, « L’ambition communiste pour de nouveaux Jours heureux », qui sera l’objet des débats dès ce vendredi.

Derrière la polémique de l’automne dernier sur la « gauche du travail » et celle des « allocs », qui a suscité des crispations jusque dans les rangs du PCF, c’est une « France du travail émancipateur » que Fabien Roussel affirme vouloir opposer à la « France d’un travail rémunéré au niveau du RSA » que bâtit Emmanuel Macron.

Avec un mot d’ordre : travailler tous, mieux et moins. « Il a clairement manqué une voix à gauche, ces dernières années, pour pousser vers cette société du travail émancipateur », juge ainsi le secrétaire national du PCF dans son dernier livre (1).

Une voix qu’il entend incarner et dont le texte d’orientation soumis aux adhérents du PCF se fait l’écho. « Le monde du travail a vocation à devenir l’aile marchante, la force motrice réunissant l’ensemble des classes et couches disponibles à un combat pour changer la vie », peut-on lire dans le document qui propose de construire « avec (les organisations syndicales) et nos concitoyen·ne·s, le projet qui les unira en plaçant en son cœur le travail, la République sociale et démocratique, et une voix souveraine de la France en Europe et dans le monde. C’est ainsi que nous parviendrons à arracher des victoires, à redonner confiance en la politique et en la gauche au monde du travail et aux catégories populaires ».

Augmentation des salaires, temps hors travail et émancipation dans le travail

Entre l’inflation et la mobilisation contre le report du départ à la retraite à 64 ans, « trois questions » sont particulièrement brûlantes, insiste le porte-parole du PCF : celle de « l’augmentation des salaires », du « temps hors travail », et de « l’émancipation dans le travail avec une démocratie qui ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise », liste Ian Brossat. 

Un dernier point qui, avec la « sécurité de l’emploi et de la formation dont l’ambition est d’éradiquer le chômage », est l’un des marqueurs du projet communiste. Réindustrialisation, transition écologique, nouveaux pouvoirs des salariés pour peser sur la finalité de la production : « Si on veut répondre aux crises sociale, écologique et démocratique, la question du travail est une dimension centrale », défend Christian Picquet, estimant qu’elle « englobe les combats contre toutes les dominations, contre toutes les aliénations ». De quoi alimenter, dans un monde où le travail est en pleine transformation, les échanges du week-end.

(1) Les Jours heureux sont devant nous, éditions du Cherche-Midi


 


 

Fabien Roussel : « Sur le travail, la gauche doit être bien plus forte »

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

À Marseille, pour le 39e congrès du PCF, Fabien Roussel, son secrétaire national, entend tirer toutes les leçons du mouvement contre la réforme des retraites et bâtir « une France libre, forte et heureuse ». Pour le député du Nord, il s’agit à la fois de renforcer son parti et l’union à gauche et de porter au pouvoir un véritable projet de transformation sociale.

C’est en plein mouvement social contre la réforme des retraites que se tient le congrès du PCF à Marseille, entre le 7 et le 10 avril. Point d’aboutissement d’une réflexion menée localement depuis des mois, le rendez-vous sera irrigué par les enseignements de cette « mobilisation historique », promet son secrétaire national, Fabien Roussel. Au menu : le lancement d’un chantier pour faire du PCF un véritable « parti populaire » et celui d’« un pacte de progrès pour une France du travail », proposé aux citoyens et à la gauche.

Emmanuel Macron et le gouvernement s’entêtent, malgré les mobilisations, à vouloir imposer le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. La crise dépasse-t-elle désormais le cadre de cette réforme à vos yeux ?

Fabien Roussel : À la mobilisation contre la réforme des retraites, toujours extrêmement forte, s’est ajoutée de la colère contre l’usage du 49.3, qui a bafoué l’expression de l’Assemblée nationale sur un texte fondamental. Ça a été un moment de bascule. Une puissante exigence de démocratie s’est exprimée, et ça fait du bien. Une exigence de respect, tant des syndicats que du peuple. Non pas la foule, mais le peuple : ces citoyens qui ont des droits et les défendent. Le président de la République et le gouvernement se sont mis dans une impasse. Ils ne peuvent plus engager de grandes réformes, ils ont été obligés de reculer sur la loi immigration, sur le SNU (service national universel – NDLR) contesté par les jeunes, ils doivent annuler des déplacements… Leur situation est intenable alors que des sujets urgents sont à mettre à l’ordre du jour. À commencer par l’inflation, parce que c’est dès le 15 du mois que le salaire est mangé.

Justement, vous défendez depuis des mois la voie d’un référendum. Le référendum d’initiative partagée (RIP) vous paraît-il toujours une issue ou faut-il aller plus loin et rebattre les cartes avec une dissolution ?

Fabien Roussel : Avant tout, la solution la plus rapide, la plus efficace, la plus nette, c’est le retrait. Ensuite, la négociation avec les organisations syndicales peut conduire à la suspension de la loi, voire à sa réécriture. Enfin, en cas de blocage, la seule issue pacifique et démocratique est de redonner la parole au peuple via un référendum. Et c’est ce que nous offre le RIP. Quant à la dissolution, les Français demandent à être respectés et entendus, ils ne demandent pas des élections.

En cas de nouvelles élections, demain, seriez-vous prêt à participer à une majorité et à un gouvernement de gauche avec les autres forces de la Nupes ?

Si le président de la République faisait le choix de dissoudre l’Assemblée – ce qui lui devient difficile à envisager après la veste que s’est prise sa candidate lors de l’élection législative partielle en Ariège –, nous sommes prêts à gouverner. Nous devons l’affirmer dès maintenant et offrir une alternative politique. Pas une alternance, mais un changement profond, une rupture avec les logiques libérales actuelles qui abîment notre modèle social comme la planète. Nous avons un projet, nous avons fait des meetings communs, nous avons été unis dans cette bataille qui, en plus de deux mois de lutte avec les organisations syndicales, a fait évoluer les consciences parmi les nombreux abstentionnistes ou ceux qui votaient à l’extrême droite. Sur le rapport entre capital et travail, parce que nous avons su montrer nos propositions pour financer une retraite avec la création d’emplois, l’augmentation des salaires, les cotisations sur le capital. Sur la démocratie, parce que, face aux défenseurs du libéralisme qui s’assoient dessus, nous portons le respect du Parlement, le référendum…

Nous sommes prêts à gouverner. Nous devons l’affirmer dès maintenant et offrir une alternative politique. Pas une alternance, mais un changement profond, une rupture avec les logiques libérales actuelles.

Pourtant, le RN, malgré son silence opportuniste, marque des points, selon les sondages…

Fabien Roussel : Un de ces récents sondages portait sur les personnalités qui sortaient renforcées de cette crise (1). Résultat : Marine Le Pen arrive en première place. On pourrait s’arrêter à cela, mais en deuxième c’est Philippe Martinez, en troisième Laurent Berger, et en quatrième Fabien Roussel. Si ensemble nous décidions de construire une alternative, dans le respect de nos rôles respectifs, nous serions majoritaires. Sur la retraite, Marine Le Pen, c’est 62 ans, 42 annuités, la suppression des cotisations sociales, et sa seule réponse face à l’allongement de la durée de la vie c’est réduire les femmes à une fonction reproductive. C’est recycler le slogan : travail, famille, patrie. Aux antipodes de ce qui s’exprime dans les manifestations. Une rumeur affirme que l’extrême droite sortirait renforcée, c’est faux.

Vous avez rendez-vous ce week-end pour le 39e congrès du PCF à Marseille. Cette lutte sociale et politique en bouscule-t-elle l’ordre du jour ?

Fabien Roussel : Un congrès est un moment d’analyse sur la situation politique, où on définit nos orientations pour l’avenir. Or, ce mouvement est historique. On n’en a pas vu de tel depuis plus de cinquante ans. Il irrigue donc toutes nos réflexions. Avec cette lutte, le Parti communiste français voit les adhésions affluer. Nous en comptons 30 % de plus depuis le début de l’année. Nous nous renforçons, nos idées progressent et les Français ont pris le goût de la lutte. Il ne manque plus que la victoire. Cette intersyndicale a montré par son unité qu’elle était puissante. Cela doit aussi nous éclairer pendant notre congrès. Elle est composée de syndicats différents dans leur approche, leur taille, leur poids, comme nous à gauche. Et pourtant, ils savent parler d’une même voix, sans homme ou femme providentiel, sans hégémonie. C’est cette union-là que nous devons construire.

Le texte de base commune que vous souteniez a obtenu 82 % lors d’un vote interne fin janvier, mais les militants ont continué à y travailler sur le plan local durant le mois de mars. Quelles questions reste-t-il à trancher ce week-end ?

Fabien Roussel : Le congrès n’est pas là pour trancher, mais pour construire. C’est l’occasion de rassembler les idées, les analyses, les propositions, discutées de la cellule aux congrès départementaux. C’est une démocratie très vivante. Et le rendez-vous de Marseille va nous permettre d’entériner des choix, tant sur nos orientations que sur la modification de nos statuts. Moi, j’ai un souhait : que ce congrès lance en grand le chantier de notre renforcement. Nous avons besoin d’un Parti communiste français beaucoup plus fort et beaucoup plus influent. Nous avons besoin de redevenir un parti populaire, présent dans les quartiers, dans les banlieues, dans les villages, dans la ruralité, dans les facultés… Pour aller à la conquête de ceux qui ne votent plus, les convaincre qu’une alternative de progrès est possible, dans le cadre d’un rassemblement que nous souhaitons. Nous allons beaucoup parler de notre organisation, de sa proximité avec des cellules jusque dans les entreprises, de sa féminisation, de notre objectif de 10 000 nouvelles adhésions, des écoles de formation que nous voulons créer… Pour moi, c’est le chantier du 39e congrès. Le 38e nous a permis de retrouver notre place dans le paysage politique français, nous devons franchir une nouvelle étape et croire à la victoire.

J’ai un souhait : que ce congrès lance en grand le chantier de notre renforcement. Nous avons besoin de redevenir un parti populaire, présent dans les quartiers, dans les banlieues, dans les villages, dans la ruralité…

Vous plaidez davantage, notamment dans votre dernier livre (2), pour un « rassemblement populaire » que pour un nouvel « acte » de la Nupes. Mais vous avez appelé, le 20 mars, à construire « un pacte pour le redressement social et démocratique de la France, en vue d’une majorité et d’un gouvernement de la gauche et des écologistes ». Les formations de gauche entrent donc dans l’équation ?

Fabien Roussel : Ce pacte de progrès pour une France du travail, ce pacte d’engagement, on doit le proposer aux Français, le construire avec eux et avec les forces de gauche, le partager avec les organisations syndicales. Car nous devons réussir à nous additionner et en même temps à construire notre programme commun. Et celui-ci doit être des plus ambitieux. Il ne peut pas se négocier sur un coin de table, comme cela a été le cas en juin 2022, en quelques heures. On ne part pas d’une page blanche : nous avons l’union construite en 2022 à l’issue de la présidentielle, ce que nous avons réussi à partager au Parlement ces derniers mois, l’approfondissement de nos liens entre forces de gauche, mais aussi avec les forces syndicales. On sait ce qui a marché, et ce qui a agacé.

Que ce soit entre forces de gauche à l’Assemblée ou avec le mouvement social, ces dernières semaines n’ont pas été exemptes de tensions…

Fabien Roussel : Tout cela doit nous permettre d’avancer. Mais je suis optimiste, car nous avons fait beaucoup de chemin. Ce mouvement a fait émerger des visages, des noms, des personnalités, dans le monde syndical comme dans le monde politique. C’est ensemble que nous pouvons porter ce projet progressiste pour la France, dans le respect du choix des organisations syndicales. Ce pacte doit être porté demain par un collectif d’hommes et de femmes, par une équipe, par une coalition, pas par un homme seul. Et ça vaut pour Jean-Luc Mélenchon. C’est une garantie démocratique et de respect de la diversité.

Vous ne voulez pas d’une union sur « le plus petit dénominateur commun » et en même temps faire valoir les spécificités de votre formation. Les deux sont-ils conciliables ?

Fabien Roussel : Oui, en étant un parti beaucoup plus organisé, beaucoup plus fort, avec beaucoup plus d’adhérents et d’élus. En portant nous-mêmes le message d’espoir, de conquête, de rassemblement. L’idée, c’est que les salariés, les Français s’en mêlent. Mais quand on fait le choix d’une coalition, on n’impose pas son programme.

Reste le piège des institutions de la Ve République et du présidentialisme…

Fabien Roussel : Tant que l’on n’a pas transformé les institutions, on doit faire avec en étant présent dans le paysage politique, mais aussi lors des élections nationales pour proposer notre projet de société aux Français. Il ne s’agit pas de revenir là-dessus. Mais les élections législatives sont l’occasion de porter un projet de gouvernement dans le cadre d’une coalition rassemblant des forces politiques de gauche, au-delà de celles qui ont signé un accord en 2022. Ne soyons pas étriqués, arrêtons de nous enfermer au sein d’une alliance exclusive de quatre forces, comme si nous détenions à nous seuls la vérité.

Ce projet progressiste pour la France doit être porté demain par un collectif d’hommes et de femmes, par une équipe, par une coalition, pas par un homme seul.

À qui s’adresse cette main tendue ? En début de semaine, il a été question de l’ex-premier ministre Bernard Cazeneuve…

Fabien Roussel : Si on m’avait interrogé sur Marie-Noëlle Lienemann ou Emmanuel Maurel – également anciens du PS –, j’aurais dit la même chose. Je ne ferme aucune porte, mais il n’est pas question de renouer avec le quinquennat Hollande, l’objectif est de se mettre d’accord sur un projet, une ambition pour la France qui nous permette de sortir de ce capitalisme à bout de souffle.

Pourquoi estimez-vous que le travail doit avoir une place centrale dans le discours et le projet de la gauche ? Et comment éviter les pièges de ce débat lorsque, par exemple, Emmanuel Macron s’en saisit pour opposer les travailleurs aux bénéficiaires du RSA « qui ne travaillent jamais » ?

Fabien Roussel : Ce n’est pas un piège, ce sont deux projets de société, deux mondes, deux conceptions totalement différentes de la France du travail. Nous défendons, nous, un travail qui émancipe, qui épanouit, et qui répond aux besoins du pays, aux enjeux climatiques. Pour le camp Macron, le travail est source de profit, il sert de variable d’ajustement à la rentabilité des entreprises, chômage et pauvreté à la clé. Le président de la République défend la France d’un travail rémunéré au niveau du RSA. Nous répondons : travailler moins, travailler mieux et travailler tous. C’est le sujet central sur lequel la gauche doit être beaucoup plus forte, sinon on laisse la droite et les libéraux le préempter. Quant au droit à la paresse, il a été caricaturé en imaginant que l’on pouvait faire tourner une société sans travail. Et certains le théorisent à tel point qu’ils défendent le revenu universel. Nous nous voulons être le parti du travail pour construire une France libre, forte et heureuse. C’est autour de ce triptyque que je veux construire mon projet pour la France.

Quelle place dès lors pour d’autres combats ?

Fabien Roussel : C’est un projet cohérent qui ne se découpe pas en morceaux. C’est aussi par le travail que nous garantirons, via les services publics notamment, l’égalité des droits de chacun, indistinctement de son origine ou de son sexe, que nous pourrons bâtir une véritable transition écologique. C’est un projet d’ensemble qui pose les bases d’une nouvelle République sociale, écologiste, féministe, laïque.

Le président de la République défend la France d’un travail rémunéré au niveau du RSA. Nous répondons : travailler moins, travailler mieux et travailler tous.

Une partie du texte discuté lors de votre congrès est consacrée à « l’actualité brûlante du projet communiste ». En quoi prend-il une nouvelle vigueur dans le contexte politique et social ?

Fabien Roussel : Par son exigence de démocratie. Le projet communiste se construit avec le peuple et pour le peuple. Il trouve toute son actualité dans cette grande idée : il faut que chaque salarié, chaque travailleur se réapproprie son outil de production. Il ne s’agit pas seulement de répartir les richesses, de taxer les dividendes. Ça, tout le monde est d’accord, même les socialistes. Et tant mieux. Mais, nous, nous voyons plus loin : nous voulons décider de comment nous produisons ces richesses et pour quoi. C’est aussi une exigence portée dans ce mouvement social : participer aux décisions. Si les salariés de Total avaient voix au chapitre, vous croyez qu’ils auraient laissé Pouyanné s’augmenter de 10 % tandis qu’eux n’ont eu que les miettes, qu’ils laisseraient l’essence augmenter à ce tarif-là ? Les salariés d’EDF auraient-ils laissé brader notre filière nucléaire et le marché européen décider des prix ? Bien sûr que non. Réapproprions-nous les choix économiques de notre pays pour retrouver notre souveraineté. Mettons en commun, décidons ensemble. Ça, c’est révolutionnaire et c’est le cœur du projet communiste.


 


 

Et de gauche, et de gauche !

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Le rapprochement Roussel-Cazeneuve a de quoi agacer, mais pose une question : comment dégager une majorité alternative de gauche, suffisamment rassembleuse et crédible, pour battre la droite et l’extrême droite ?

Dans une interview donnée à L’Express, le patron des communistes, Fabien Roussel, plaide pour un rassemblement sans exclusive à gauche, jusqu’à Bernard Cazeneuve. Le propos va agacer. Il agace. Il m’a agacé. L’éphémère Premier ministre de François Hollande porte une lourde responsabilité. Celle d’avoir trahi, avec ses amis, les attentes du peuple de gauche. Et d’assumer, aujourd’hui encore, la politique libérale qui a conduit à l’accession d’Emmanuel Macron à l’Élysée.

Comment peut-on imaginer un instant que Cazeneuve puisse être crédible auprès des sympathisants de la gauche et de l’écologie ? Comment, devant les violences policières dont le mouvement social fait l’objet en ce moment, pourrait-il incarner une alternative alors que Rémi Fraisse est mort de violences policières sous son autorité ?

Pourquoi, dès lors, Fabien Roussel voudrait-il lui tendre la main ? Sans doute parce qu’il appartient, lui aussi, à cette gauche qui regrette un abandon des classes populaires aux profits de luttes intersectionnelles ; sans doute ont-ils également en commun une même vision stigmatisante et excluante de la laïcité et de la République. Enfin, sans doute, partagent-ils le même regard sur les forces de l’ordre.

Y aurait-il des gauches irréconciliables ? Et si oui, comment dégager une majorité alternative de gauche ?

Passé l’agacement, une question se pose. Y aurait-il des gauches irréconciliables ? Et si oui, comment dégager une majorité alternative de gauche, suffisamment rassembleuse et crédible, pour battre la droite et l’extrême droite ?

Autrement dit, comment reprendre le pouvoir ? Si le numéro 1 des communistes plaide pour un rassemblement jusqu’à Cazeneuve, il prévient tout de même : « Notre programme ne saura s’accommoder du capitalisme, il portera avant tout une transformation sociale radicale. On ne peut plus doucher les espoirs du peuple. Le temps de cette gauche-là est révolu. »

Ici réside le paradoxe Roussel. Parce qu’en réalité, la question n’est pas tant celle de l’étendue du rassemblement que celle de la ligne sur laquelle s’opère ce rassemblement. Qui donne le la à gauche ? Personne à gauche, pas plus les insoumis que les écologistes, les socialistes ou les communistes, ne peut gagner seul. Personne à gauche, pas plus Mélenchon que Cazeneuve, Delga, Jadot ou Roussel, ne peut gagner seul.

La Nupes a eu le mérite de régler la question de la ligne politique. Faure a eu le courage et la lucidité de reconnaître que le PS n’était plus la force motrice à gauche. Et n’en déplaise à Cazeneuve, Delga ou Roussel, c’est bien LFI qui a redonné de la vitalité à la gauche.

Pour autant, les insoumis doivent s’interroger sur leur stratégie. Le bruit et la fureur doivent cesser. La tentation hégémonique, d’où qu’elle vienne, doit faire place au respect des sensibilités de chacun. Et si la défaite de la candidate LFI Bénédicte Taurine, à l’occasion de la législative partielle ariégeoise, au profit de la dissidente socialiste, n’est pas significative, elle vaut avertissement alors qu’un « front républicain » anti-Nupes est en train de se constituer et que celle-ci devient l’ennemi politique numéro 1 quand la violence et le discours de l’extrême droite se banalisent.

La « deuxième gauche » a dominé l’histoire politique de plus d’un demi-siècle, mais elle doit reconnaître aujourd’hui l’inversion du rapport de force. Elle ne peut s’offrir le luxe de la nostalgie et de la rancœur. Elle doit intégrer l’exigence de radicalité. Dans le même temps, la gauche radicale, aussi puissante soit-elle, ne peut composer sans elle.

Comme le rappelle l’historien Roger Martelli, il ne faut jamais oublier que « le monde populaire et le superbe mouvement social actuel ont politiquement besoin de deux choses en même temps : que se conforte le poids d’une gauche bien ancrée dans les vieilles valeurs de la “République démocratique et sociale”, et que la dynamique portant vers une majorité soit celle de la gauche dans la diversité de ses sensibilités ». C’est le défi qui attend la Nupes.  


 


 

PCF : Fabien Roussel, acte II

Roger Martelli sur www.regards.fr

Bien installé à la tête du PC, l’on se demande de quoi Fabien Roussel est-il le nom ? Quelles cohérences et quelles limites y a-t-il à son projet ? Et quelle place à gauche, et « au-delà », pour les communistes ?

Le 39ème congrès du PCF s’ouvre à Marseille ce vendredi 7 avril. Le texte d’orientation parrainé par Fabien Roussel avait déjà recueilli, à la fin janvier, près de 82% des 29 000 suffrages militants exprimés. Il est la « base commune » que les délégués discuteront et amenderont, et sur lequel ils se prononceront in fine.

Une organisation active, mais affaiblie

Quatre ans après son accession inattendue au poste de secrétaire national, Fabien Roussel sera une nouvelle fois adoubé par le Congrès. Il s’est fait une place dans le paysage politique national, en se situant aujourd’hui dans le haut du tableau des indicateurs de confiance. Pour le baromètre des leaders politiques publié par Ipsos, à la fin février 2023, il occupait la 13ème place, loin derrière le duo de tête (Édouard Philippe et Marine Le Pen), mais juste derrière Jean-Luc Mélenchon, avec 25% d’opinions favorables. Et c’est bien à gauche qu’il obtient son pourcentage le plus élevé (44%), loin devant le centre et la droite (19% et 23%).

Chacun sait, bien sûr, que l’image ne fait pas automatiquement le vote. Un récent sondage législatif de l’Ifop [1], évoquant l’hypothèse d’une gauche divisée face à une éventuelle dissolution, laissait le PCF à un niveau modeste de 3%, derrière LFI (11%), EE-LV (9%) et le PS (7%). Mais l’actuelle direction peut aussi se réclamer d’un sondage présidentiel [2] qui attribue à Roussel une fourchette de 5% à 6,5%, contre 18 à 20% pour Mélenchon, 3% à Faure et 1% à Marine Tondelier.

On retiendra donc la double réalité d’une image de leader plutôt favorable et d’une assise électorale maintenue dans sa portion congrue. Le numéro un du parti reste à la tête d’une organisation active, toujours localement implantée, mais nationalement affaiblie. Depuis 2018, les effectifs ont continué de se tasser (42 000 cotisants, soit 7 000 de moins qu’à l’arrivée de Roussel à la tête du parti) et les élections de 2019 à 2022 ont confirmé l’étiage électoral d’un parti qui oscille entre 2% et 3% dans les scrutins nationaux. Le communisme municipal s’est contracté, ainsi que le vivier des élus communistes, estimé officiellement à 6500 aujourd’hui.

Projet politique : cohérences et limites

Quel est le cœur de la proposition politique portée par le Secrétaire national ? La réaffirmation d’un « projet communiste » reste « l’horizon civilisationnel » qui définit l’identification ultime du parti. Pour le faire vivre, l’objectif immédiat assigné à l’organisation est la reconquête des milieux populaires, qui boudent toujours la gauche, qui s’abstiennent massivement ou qui se tournent vers l’extrême droite. Pour la base commune, cela implique de mettre au centre les grandes questions du travail et de la démocratie. Stratégiquement, l’urgence désignée est celle d’un rassemblement, à gauche et « au-delà » de la gauche, donc au-delà de la Nupes. Mais, selon la direction, pour rendre effective cette exigence de rassemblement, le PCF doit retrouver la place qui fut la sienne et qu’ont érodée ses absences répétées à l’élection présidentielle. À cet effet, l’essentiel proposé aux militants est de relancer la dynamique locale des cellules et de réamorcer l’implantation dans les entreprises. Le « renouveau du communisme » passerait donc par un retour à des « fondamentaux » oubliés.

On ne discutera pas ici d’une cohérence globale qui n’est pas moins légitime que d’autres, installées elles aussi dans le champ de la gauche. Mais on peut en même temps relever des points discutables, que révèle la mise en œuvre qui en a déjà été faite dans la période récente.

Il est difficile de vouloir gagner des forces au-delà de la gauche et de commencer en multipliant les piques contre les forces avec lesquelles on veut passer alliance. La formule actuelle selon laquelle la Nupes est dépassée est redoutable.

Par exemple, il est incontestable que la conquête des suffrages populaires est une question majeure, relevant de l’éthique démocratique tout autant que de l’intérêt politique. Mettre l’accent sur l’enjeu du travail, de sa densité, de son ampleur et de son sens, est en cela d’autant plus souhaitable que la gauche s’en est trop exclusivement tenue aux problèmes de l’emploi. Mais quand, pour illustrer son propos, le secrétaire national a critiqué « la France des alloc’ », il a mis aussitôt le pied sur un terrain miné.

Sans doute explique-t-il qu’il a voulu opposer à la France qui s’accommode des allocations compensatoires à celle des salaires. Mais dans un moment de pression intense de la droite et plus encore de l’extrême droite, alors que domine la colère contre « l’assistanat », jusque dans les milieux populaires, le risque est pris que la mise en cause des allocations ne se retourne en dénonciation des allocataires. On pense limiter le champ de l’extrême droite : il peut, à rebours, s’en trouver conforté, en avivant la logique meurtrière du « bouc émissaire ».

Des gauches qui se distinguent et qui doivent coexister

Il en est de même du discours sur la gauche. Fabien Roussel répète à l’envi que son objectif est de parler aux Français, qu’il veut rassembler la gauche et même aller au-delà de la gauche. On peut penser que son propos s’inscrit dans une tradition du communisme français, celle qui ne sépare pas l’affirmation de la nécessaire rupture de celle de la recherche des majorités, sans lesquelles rien de solide n’est possible. Mais une grande partie de la campagne de Roussel (entre autres, les polémiques qui ont fait date sur la viande et les barbecues…) avait pour but de marquer « l’identité » communiste par la distinction avec les écologistes et, plus encore, avec la France insoumise.

Il est difficile de vouloir gagner des forces au-delà de la gauche et de commencer en multipliant les piques contre les forces avec lesquelles on veut passer alliance. La formule actuelle selon laquelle la Nupes est dépassée est redoutable. Veut-on dire par-là que la Nupes en elle-même n’a plus de raison d’être ? Ou discute-t-on la manière dont fonctionne cette Nupes, sa façon de travailler, le respect ou la méconnaissance de ses équilibres ? Souhaite-t-on quitter la Nupes, ou seulement souligner qu’il faut prendre le temps de transformer l’objet politique existant, pour qu’il puisse perdurer et qu’il puisse être utile à ce « peuple » dont on se réclame volontiers ? La formule de la « Nupes dépassée » ne le précise pas. Il est vrai que les formules raccourcies font le buzz. Mais est-ce toujours la gauche qui en tire bénéfice ?

Nul ne peut bien sûr ignorer que les partenaires de la Nupes n’ont pas toujours été bienveillants à l’égard des militants communistes. Jean-Luc Mélenchon s’est à plusieurs reprises complu à tenir des propos pour le moins indélicats à leur égard. Mais, quand bien mène on ne courbe pas l’échine, faut-il répondre à la polémique par la polémique ? La direction du PC veut-elle contrarier l’habitude d’ériger des murs ? La préoccupation serait louable, à condition qu’elle n’ouvre pas la voie à la confusion et aux retournements d’alliance.

Il y a, dans ce qui porte aujourd’hui les militants vers le discours de la direction, une demande de dignité et de fierté communistes qui doit être respectée. Mais il y a aussi, dans l’obsession du maintien de « l’identité », quelque chose qui peut conduire dans l’impasse.

La gauche est diverse et ses oppositions ne sont pas de détail. Une partie d’entre elle est plutôt sensible au désir de rupture, une autre à la recherche de compromis dans le cadre du système. Il est dès lors possible de préférer une sensibilité plutôt qu’une autre. Rien n’empêche d’estimer que l’accommodement, sans la pression d’un pôle de rupture, vire trop facilement à la compromission et au renoncement. Mais, en sens inverse, on peut aussi considérer que la passion de la rupture, si elle n’est pas canalisée, risque de conduire au dérapage et le plus souvent à l’échec. Ainsi, si l’inégalité durable n’est pas envisageable sans rupture avec l’ordre existant, nulle rupture ne peut advenir sans majorités pour la conduire et donc sans rassemblement de toute la gauche pour faire majorité. Quel que soit le choix fondamental que l’on fait, les deux affirmations devraient se penser en même temps. Que le PCF estime excessive la place occupée par la France insoumise dans le fonctionnement de la Nupes peut s’entendre. Mais à vouloir prendre des distances avec la Nupes, il peut contribuer à redéplacer vers la droite le point d’équilibre de toute la gauche. Ce serait alors un pas en arrière.

Si Roussel a séduit par son allant et son franc-parler populaire, il est tout aussi vrai qu’il a pu inquiéter une part de la gauche par de redoutables ambiguïtés. Par exemple, se réclamer de la nécessaire autorité est une chose, mais ignorer que l’excès d’autorité peut nier la légalité et la liberté est une légèreté. Dire qu’il est nécessaire de respecter une police qui s’ancre scrupuleusement dans les valeurs de la République est envisageable ; ce l’est moins de défiler avec ceux-là mêmes qui, dans les forces de police, militent pour un extrémisme sécuritaire qui les rapproche directement des extrêmes droites les plus virulentes.

De même, on pourrait se dire qu’il n’y a aucun problème à se réclamer d’une « gauche républicaine » : la gauche et la République ne sont-elles pas nées du même désir d’émancipation ? Mais quand l’hégémonie des droites les moins républicaines conduit une partie des républicains, à l’instar d’un Manuel Valls, à se réclamer de la République, de la laïcité ou encore de l’universalisme, pour nourrir des pratiques publiques et des discours discriminatoires et excluants, alors on peut s’inquiéter d’un usage volontairement non critique des mots, comme un clin d’œil douteux à ce que l’on doit contester et non pas flatter.

Un retour aux fondamentaux ?

Il y a, dans ce qui porte aujourd’hui les militants vers le discours de la direction, une demande de dignité et de fierté communistes qui doit être respectée. Mais il y a aussi, dans l’obsession du maintien de « l’identité », quelque chose qui peut conduire dans l’impasse.

C’est ainsi que les communistes en sont arrivés à la conviction que la décision de ne pas présenter de candidat communiste – en 1965, 1974, 2012 et 2017 – avait affecté la visibilité du parti, altéré sa dynamique politique et nourri son déclin électoral. Il était pourtant facile de constater que, quel que soit le choix communiste, que le PC soit présent ou non à la joute présidentielle, le recul électoral communiste a été continu, à l’exception d’une brève et timide rémission en 1995 (Robert Hue tutoyant les 10%).

De même, l’imaginaire militant s’est souvent plu à considérer que l’ère des difficultés s’était accentuée, à la charnière de deux siècles, avec la « mutation » engagée par le numéro un de l’époque Robert Hue. L’observation rétrospective attentive conduit à l’idée que le processus de mutation fut erratique et peu cohérent. Il s’est en outre accompagné d’une gestion politique globale qui, au sein de ce que l’on appela la « gauche plurielle », avait entraîné le PCF dans les déboires d’une gauche happée peu à peu par le « social-libéralisme ».

La créativité et l’utilité du PCF sont désormais entre les mains de ses militants, comme ils le sont entre les mains celles et ceux qui se réclament du communisme sans être dans ses rangs. Toutes et tous sont des composantes de la gauche : ils ne doivent pas l’oublier ; la gauche ne peut pas l’oublier.

Mais au lieu de mettre en cause la gestion brouillonne de la mutation et la pauvreté de ses soubassements stratégiques, c’est la mutation en elle-même qui fut désignée comme la cause de tous les maux. « On » a détruit les cellules, « on » a abandonné l’entreprise, « on » a renoncé à l’identité du parti. C’était oublier que la grande expansion de l’organisation politique à l’entreprise n’a été effective que pendant une période relativement brève (les années 1960 et 1980) et qu’auparavant l’influence communiste dans le monde du travail passait plutôt par la présence communiste militante dans les syndicats. C’était ignorer que le recul des cellules d’entreprise a commencé dès la seconde moitié des années 1980, quand Georges Marchais était encore secrétaire général du parti. C’était laisser dans l’ombre que le recentrage sur les sections ne faisait qu’entériner le recul de fait de la vie des cellules, en même temps que disparaissaient les modes de socialisation qui avaient structuré l’histoire ouvrière en longue durée. La mise au second plan des cellules était le constat d’un fait ; il n’en était pas la cause.

Le désir de retravailler au plus près de l’expérience populaire, le souci de réinsérer le politique dans l’espace du travail moderne, comme dans celui de la cité : tout cela est louable. Mais le risque est toujours de remplacer le devoir de reconstruction et donc de refondation politique par le retour nostalgique à ce que l’on a connu – directement ou par la mémoire militante. Les communistes vont procéder à une modification non négligeable de leurs statuts. Il reste à espérer pour eux que ces modifications se raccorderont à des modifications plus ambitieuses des pratiques et de la culture politique des communistes.

Au total, le Congrès communiste se tient à un moment inédit, où se déploie une mobilisation sociale sans précédent par sa durée et son intensité, mais où l’horizon est obscurci par l’absence de perspective politique et par la montée inquiétante des options de la droite extrême. Or, cela se produit dans une conjoncture où la gauche, mieux armée sur le plan de la représentation parlementaire, se trouve en même temps électoralement minorée.

Le PC n’occupe plus, dans le dispositif de la gauche, la place majeure qui fut la sienne pendant quelques décennies. Ses responsabilités sont en cela objectivement moindres que celles de la France insoumise, qui domine à ce jour l’espace global de la gauche française. Mais ce Parti communiste est le dépositaire d’une histoire populaire et révolutionnaire, dont il n’a jamais eu le monopole, mais qu’il a fait vivre de façon originale, pour le meilleur comme pour le moins bon. Il a en cela un rôle à jouer. Sa créativité et son utilité sont désormais entre les mains de ses militants, comme ils le sont entre les mains celles et ceux qui se réclament du communisme sans être dans ses rangs. Toutes et tous sont des composantes de la gauche : ils ne doivent pas l’oublier ; la gauche ne peut pas l’oublier.

 Notes

[1] Mars 2023

[2] Ifop, 5 avril


 

   publié le 7 avril 2023

13 avril, 14 avril, 1er mai, trois échéances pour l’intersyndicale

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

L’intersyndicale, qui se réunissait vendredi soir (au siège de Force ouvrière, fixe comme prochaine date de grèves et de manifestations le jeudi 13 avril contre la réforme des retraites.

 Sans réelle surprise, la douzième journée de mobilisation tombera jeudi 13 avril. Soit la veille de la décision du Conseil constitutionnel qui validera, ou non, tout ou partie de la réforme des retraites. Mais également la veille d’une décision donnant son possible aval à la proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée, qui fixerait un âge légal maximum de départ à la retraite à 62 ans.

Une date de mobilisation assez incontournable, choisie dès mardi après-midi, lors de la réunion des numéros un des huit syndicats pour préparer la rencontre de mercredi 5 avril avec Élisabeth Borne. Une nouvelle journée de grèves et manifestations le 13 avril décidée pour peser le plus possible sur les neuf Sages de la rue Montpensier. Mais une date choisie à l’aveugle, avant de connaître l’état des mobilisations de ce jeudi. Finalement, contrairement aux prophéties et aux espérances d’Olivier Dussopt, tablant sur un essoufflement du mouvement, ce matin sur BFMTV, la onzième journée reste d’un assez haut niveau avec 570 000 manifestants dans toute la France, selon le ministère de l’Intérieur (2 millions selon l’intersyndicale). Malgré une certaine fatigue et des retenues de salaires qui pèsent sur le niveau des grèves, la mobilisation tient.

La grande inconnue du Conseil constitutionnel

La semaine prochaine, l’intersyndicale fera l’impasse sur le rendez-vous traditionnel du soir de manifestation. En effet, selon les décisions que prendra le Conseil constitutionnel, la situation politique et l’avenir de la réforme des retraites seront bien différents. En cas d’absence totale de censure, le gouvernement aura le feu vert pour promulguer la loi et pourra tenter d’insister sur sa légitimité à la faire, malgré le 49-3 utilisé à l’Assemblée nationale. Cela pourrait décourager une partie des personnes mobilisées, au moment où les vacances scolaires par zone défavorisent les manifestations massives. A l’inverse, une censure totale du texte enterrerait la réforme et signerait une victoire du mouvement social.

Mais le plus probable reste une censure partielle de la réforme. Celle-ci serait un désaveu pour le pouvoir, un de plus, écornant encore sa légitimité sur les retraites, sans pour autant l’empêcher de promulguer la loi. Enfin, si le Conseil constitutionnel donne son aval à la proposition de référendum d’initiative partagée, une nouvelle ère de grande incertitude s’ouvre. L’exécutif ne serait pas obligé de ne pas promulguer la loi, mais cela apparaîtrait comme un nouveau passage en force. Passage en force qui pourrait de surcroît être annulé neuf mois plus tard. Avec autant d’aléatoires, les huit syndicats attendront vendredi 14 avril en fin de journée pour décider des suites de la mobilisation, avec déjà en ligne de mire le 1er mai.

Vers 1er mai unitaire historique ?

Impossible de savoir aujourd’hui quelles seront les mobilisations proposées au-delà du 13 avril, mais déjà, l’intersyndicale anticipe un 1er mai unitaire. Une situation qui ne s’est pas produite depuis des décennies. En 2010, malgré une réforme des retraites contre laquelle tous les syndicats étaient mobilisés, Force ouvrière avait fait cavalier seul. De même en 2002, pour un 1er mai qui tombait avant le second tour de la présidentielle et avait vu Le Pen père se qualifier.

Mais cette fois-ci, l’unité de l’intersyndicale depuis trois mois pourrait déboucher sur un 1er mai regroupant l’ensemble des syndicats. Autre élément qui pourrait peser sur les choix de l’intersyndicale, Marine Le Pen tiendra sa « fête de la Nation » au Havre le 1er mai. Un hold-up sur la journée de lutte des travailleurs que l’intersyndicale pourrait tenter de contrer dans cette ville symbolique des mobilisations, avec son port mainte fois bloqué ces dernières semaines. Réponses à certaines de ces questions le 14 avril au soir.


 


 

6 avril : la mobilisation tient bon

La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/

Une jeunesse nombreuse, une grève qui continue d’exister même à faible niveau, des manifestations fournies quoiqu’en légère baisse et toujours des blocages et des actions. On a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. Aperçu de la mobilisation du 6 avril.

Onzième journée de manifestations…et toujours plus d’un million de manifestants dans la rue, comptent les syndicats. Si ce 6 avril a été légèrement plus faible que le 28 mars précédent, on a bien du mal à dire si l’élément notable de la journée demeure le léger étiolement du mouvement ou son incroyable persistance. A Lyon, 13 000 personnes ont manifesté selon la préfecture – à qui la CGT a tenté de couper l’électricité -, 32 000 selon les syndicats. Un chiffre équivalent à celui de la semaine précédente. A Paris, la CGT annonce 400 000 manifestants, à peine un peu moins que les 450 000 de la semaine précédente. A Marseille, la préfecture annonce 10 000 manifestants, la CGT 170 000. A Clermont-Ferrand, le comptage policier monte à 7500, celui des organisateurs à 20 000. A Nantes : 15 000 contre 50 000.

La jeunesse prend la relève ?

Léa* est lycéenne, aujourd’hui son lycée est bloqué et elle participe à sa première manifestation. « J’avais envie de participer à une action citoyenne, mais d’habitude, mes parents ne me laissaient pas faire les manifestations. Je suis là pour d’autres causes que la réforme des retraites, Parcours Sup par exemple. » La présence des jeunes, plutôt discrets lors des premiers mois de la mobilisation, se confirme ce 6 avril dans les manifestations. Les organisations lycéennes annonçaient 400 lycées mobilisés aujourd’hui en France. Du côté des facs, le syndicat l’Alternative comptabilise 90 facs et écoles mobilisées, un record toutes dates confondues. « La mobilisation des étudiants, c’est important. Ils sont nombreux et le nombre fait la force. On a vu que dans tous les mouvements leur mobilisation avait une importance », estime Eric, personnel administratif à l’université Paris Dauphine et syndiqué chez Sud.

En revanche, depuis quelques semaines, les attaques des militants d’extrême droite contre la mobilisation étudiante s’amplifient. Ce matin, ils ont sillonné le centre ville de Lyon pour mettre la pression sur les lycées. Le syndicat La Voix Lycéenne dénonce le « tabassage » d’un lycéen de 16 ans à 10 contre 1.

Une grève qui se maintient dans la fonction publique

Une relève des jeunes face à une mobilisation enseignante qui s’étiole légèrement ? Ce 6 avril le niveau de grève enseignante est stable par rapport au 28 mars, dernière journée de grève interprofessionnelle, puisqu’il avoisine les 8%. Le Snuipp-FSU annonce de son côté 20% de grévistes. Une dynamique de persistance de la grève, à un niveau toutefois faible, commun à toute la fonction publique. Dans la territoriale, ils sont 3,9% de grévistes ce jeudi à la mi-journée, contre 3,4% le 28 mars, selon les chiffres du ministère. Dans la fonction publique hospitalière ce taux remonte à 5,9% contre 5,4% lors de la précédente journée de mobilisation.

 Les grèves reconductibles, une « colonne vertébrale »

Présente sur le piquet de grève de Gournay-sur-Aronde, en soutien aux salariés des industries électriques et gazières (IEG) mobilisés, Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, a rappelé l’importance des grèves reconductibles, qu’elle juge être « la colonne vertébrale » du mouvement. Si les IEG sont toujours mobilisés, multipliant les grèves stratégiques (quelques heures pour bloquer la production) et les actions, la reconductible a du plomb dans l’aile dans les transports, notamment à la RATP.

Ce 6 avril, le trafic a été « quasi normal » pour le métro et le RER. De son côté, la SNCF a fait rouler trois TGV sur quatre, un TER sur deux et un Intercité sur quatre. Il y a toutefois des exceptions : au technicentre de Châtillon, la grève reconductible est forte depuis le 7 mars. « Tu as vu au technicentre de Châtillon ? On est très mobilisés ! C’est vrai qu’on se sent particulièrement concernés parce que notre travail est très physique, estime José, syndiqué Sud-rail. » Toujours aussi déterminé, cet employé du technicentre veut croire à un « printemps du 49.3 ».

 Raffineries : les réquisitions retoquées

La grève reconductible continue également dans certaines raffineries, avec une bonne nouvelle : « Le préfet de la Seine-Maritime a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève », estime ce matin le tribunal administratif de Rouen. Les dernières réquisitions en date sont donc suspendues. Selon le préfet de Seine Maritime, elles avaient pour but d’endiguer les pénuries de carburant avant le week-end de Pâques. Mais au regard des décisions de tribunal administratif de Rouen, l’argument est fallacieux. « La reprise de la plate-forme Total Energie ne permettra d’assurer l’approvisionnement de la région Ile de France que dans 5 jours et de la région Centre Val de Loire que dans 7 jours », écrit ce dernier. Soit bien après le week-end de Pâques.

En revanche, moins bonne nouvelle : les salariés de la raffinerie Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-sur-Seine ont arrêté ce jeudi leur mouvement de grève et les expéditions vont repartir. « Il n’y avait plus assez de grévistes par quarts pour maintenir l’arrêt des expéditions », explique Germinal Lancellin, élu CGT de la raffinerie à France Bleu Normandie. La grève a été levée à 14 heures ce jeudi.

Mobilisation du 6 avril : toujours des blocages

Enfin, outre les grèves et les manifestations, des actions de blocage ou de tractage ont eu lieu partout en France. Notamment autour des centres d’incinération des déchets, considérés comme des lieux stratégiques depuis le début du mouvement. Ainsi ce matin, une centaine de personnes bloquaient l’incinérateur de la SETM à Toulouse. D’autres se rassemblaient devant la TIRU d’Ivry pour tenter également de la bloquer.

Autre type de blocage : à Marseille, les travailleurs de l’éducation se sont réunis dès sept heures devant la tour La Marseillaise, qui accueille une partie des services de la métropole Aix-Marseille Provence, pour la bloquer. L’intersyndicale a bloqué la zone commerciale sud d’Amiens. A Paris, les locaux du gestionnaire d’actifs Blackrock ont été envahis par des manifestants.

 


 

À Rennes, opération « ville morte » contre la réforme des retraites

Rose-Amélie Bécel  sur www.politis.fr

Pour la 11e journée nationale de grève et de manifestation contre la réforme des retraites, près de 20 000 personnes ont défilé dans les rues de Rennes selon les chiffres syndicaux. Avec certains collectifs peu habitués des mobilisations. Reportage.

À Rennes, la manifestation de ce 6 avril – la 11e au niveau national à l’appel des syndicats – avait beau commencer à 11 heures, certains étaient mobilisés à l’aube pour mener une opération « ville morte ». Dès 7 heures, le collectif de la Maison du Peuple bloque un rond-point au sud de la capitale bretonne. Un emplacement stratégique, très fréquenté des automobilistes, qui permet de rejoindre la rocade qui entoure la ville.

Les gens détestent tellement Macron. Ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait.

En contrebas, d’autres militants ont installé un barrage filtrant directement sur la quatre-voies, à l’aide de barrières et de caddies enflammés. Voitures et camions s’agglutinent sur la rocade, formant un bouchon dans lequel plusieurs automobilistes affirment avoir été bloqués pendant plus de deux heures.

Furieux, certains franchissent le barrage à toute allure en faisant vrombir leur moteur et crisser leurs pneus. Preuve des vives tensions, un chauffeur manque même de renverser des militants avec son camion. Mais d’autres, nombreux, affichent leur solidarité. « Les gens détestent tellement Macron que même après avoir attendu des heures dans leur voiture, ils nous disent qu’ils comprennent ce qu’on fait », plaisante Camille* au passage d’un automobiliste qui franchit le barrage aux cris de « Macron démission ».

* Les prénoms ont été modifiés.

Au-delà des syndicats

Sur le rond-point, aucun drapeau syndical. Le blocage est porté par la Maison du Peuple, un collectif né au début des mobilisations contre la réforme des retraites. « L’idée c’était d’occuper un lieu pour former un QG des luttes à Rennes. Nous avons essayé d’investir la salle de la cité, puis le cinéma l’Arvor, mais nous avons rapidement été délogés. Donc le collectif poursuit ses assemblées hors les murs », explique Camille. Depuis, le groupe a organisé six opérations « ville morte » en coordination avec les assemblées générales étudiantes des universités de Rennes 1 et Rennes 2.

À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes.

Laurent, enseignant chercheur, observe depuis un pont le barrage filtrant installé par ses camarades en contrebas. « L’objectif, c’est de rendre la contestation plus visible en organisant un blocage économique. Les manifestations, c’est bien mais c’est davantage symbolique. Maintenant, il faut passer à l’action », défend-il.

Ben, ouvrier dans une usine, partage le même constat mêlé d’inquiétudes : « J’ai l’impression que le mouvement perd de l’ampleur, que la mobilisation syndicale ralentit. Il ne faudrait pas faire seulement une manifestation par semaine, mais bloquer le pays plusieurs jours d’affilée. À force d’étaler les rendez-vous, on risque de perdre des plumes. »

Blocage historique à la faculté de droit

À 6 heures du matin, Juliette* ne bloquait pas les ronds-points. Mais, avec un petit groupe, elle initiait le premier blocage de la faculté de droit de Rennes. « Des enseignants sont passés nous voir pour nous soutenir en nous disant qu’en 40 ans ils n’avaient jamais vu ça », se réjouit l’étudiante en première année de licence de droit. Historiquement classée à droite, la faculté de droit de Rennes prend le même chemin que le campus parisien de Panthéon-Assas, bloqué le 23 mars pour la première fois depuis le début du mouvement.

Principale revendication des étudiants mobilisés : dispenser les étudiants de présence en cours au moment des manifestations, pour leur permettre de s’y rendre sans être pénalisés par des absences injustifiées. « C’est difficile de mobiliser autour de cette question. Dans mon groupe de cours, les étudiants sont assez peu politisés. Il y a un grand désintérêt pour l’actualité et la mobilisation en cours ne les atteint pas », déplore Juliette.

Sur le chemin vers la place de Bretagne, où débute la manifestation à 11 heures, le cortège des étudiants de la faculté de droit croise celui d’un autre établissement peu habitué des mobilisations : l’INSA Rennes, une école d’ingénieurs.

« Les gens ont sérieusement commencé à se mobiliser après le 49.3, le déni de démocratie inacceptable a réveillé tout le monde », raconte Titouan, étudiant de 2e année.  « Notre mobilisation en tant qu’étudiants ingénieurs, dans un milieu peu politisé, créé aussi un cercle vertueux. J’ai plein d’amis de l’école qui ont fait récemment leur première AG et leur première manif », s’enthousiasme Nelly, également étudiante en 2e année.

À la faculté de Rennes 2, plus habituée à participer aux mouvements sociaux, les cours sont supprimés les jours de manifestation pour permettre aux étudiants et aux personnels de s’y rendre. « Le reste du temps, il y a des cours et des événements organisés par l’AG. Si on bloquait la fac tout le temps, les étudiants ne viendraient pas et on ne pourrait pas organiser nos ateliers et y tenir nos assemblées. Ça rendrait impossible la création d’espaces de politisation dont on a besoin », explique Hugo, étudiant en mathématiques et sciences sociales et membre de l’Union Pirate, syndicat majoritaire de l’université.

À Rennes, la réforme des retraites rassemble contre elle des collectifs de plus en plus variés, pas toujours habitués des manifestations. Ceux qui, parmi les élus et éditocrates, parient sur un essoufflement des mobilisations, risquent d’être déçus.


 

   publié le 6 avril 2023

Onzième mobilisation
contre la réforme des retraites :
la rue persévère, le pouvoir s’enferme

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Onzième mobilisation nationale contre la réforme des retraites ce jeudi 6 avril. Manifestations, blocages et débrayages rythment à nouveau la journée. L’exécutif, lui, durcit encore le ton. Pour Emmanuel Macron, le pays n’est pas à l’arrêt, et si les gens ne voulaient pas de la réforme, il ne fallait pas l’élire.

À ce stade, ce n’est même plus un gouffre qui sépare l’exécutif et les opposant·es à la réforme des retraites. La rupture est abyssale. Le premier, pressé de passer à autre chose, feint de ne rien voir tout en multipliant les provocations. Les deuxièmes défilent, bloquent et débrayent pour la onzième fois en trois mois, sidéré·es face à tant de déni et de surdité.

« On est chez les fous ! », a lâché ce jeudi Laurent Berger sur RTL. Le leader de la CFDT est bouche bée. La veille, il a dénoncé – comme l’ensemble de l’intersyndicale – « une grave crise démocratique », à l’issue d’une courte, et ratée, rencontre avec la première ministre.

La réponse a rapidement fusé. Des propos, d’abord attribués à « l’entourage d’Emmanuel Macron » en visite en Chine, sont venus rappeler que le président ne reculerait pas et ne prendrait pas de décision « en fonction de l’opinion ».

Quelques heures plus tard, le journal Le Monde a brisé le « off » présidentiel et révélé la pensée profonde, et limpide, du président. « Les mots ont un sens et si on les galvaude, on fait monter les extrêmes, rétorque ainsi Emmanuel Macron depuis Pékin. Qu’un président élu, avec une majorité élue, certes relative, cherche à mener un projet qui a été porté démocratiquement, ça ne s’appelle pas une crise démocratique. Si les gens voulaient la retraite à 60 ans, ce n’était pas moi qu’il fallait élire comme président de la République. »

Pour le chef de l’État, le mouvement social est quasi terminé, plié, épuisé : « Quel est le taux de grévistes depuis quinze jours ? Il est à un niveau historiquement très faible. De l’Éducation nationale à l’énergie, aux transports… Qu’on n’aille pas m’expliquer que le pays est à l’arrêt. Ce n’est pas vrai ! »

À propos de la CFDT, il réaffirme sa vision, présentée comme une « vérité » :  « Pour la première fois de son histoire contemporaine, la CFDT n’a proposé aucun autre projet – ni l’accélération ni l’augmentation de la durée de cotisation. »

Appelant au calme et « à garder ses nerfs », Laurent Berger demande en retour au président de ne pas « balancer des petites phrases » et jure n’avoir mené aucune « attaque personnelle » en évoquant une « crise démocratique ».

Ne pas lâcher après onze journées

Ces deux mots ont alimenté toutes les matinales radio et télé. Olivier Dussopt a joué l’ébahi sur RMC : « Une crise ? Quelle crise ? Il y a une crise sociale mais pas de crise démocratique », tandis qu’Olivier Véran pensait à la place de Laurent Berger : « Le connaissant un peu, je pense qu’il n’est, au fond, pas d’accord lui-même avec ce qu’il dit. »

Sur France Inter, Olivier Véran a également bien résumé l’état d’esprit de l’exécutif, souhaitant « qu’on arrive un jour à s’entendre et se comprendre […] pour que chacun puisse appréhender le fait que cette réforme était nécessaire ». En d’autres termes : nous avons raison, et il faudra s’entendre là-dessus.

Mais la rue, elle, ne veut rien entendre. Si les troupes sont fatiguées, si « l’essoufflement » tant espéré par le gouvernement se ressent, bon nombre de personnes restent déterminées, convaincues d’être « à quelques jours de grève de la victoire », comme le pressent un cégétiste aveyronnais interrogé par Mediapart. « On a atteint un cap, c’est la onzième manif, on ne peut plus lâcher, c’est impossible après autant d’investissement ! », maintient également une manifestante.

Alors, pendant que les ministres péroraient sur les antennes, les premiers blocages s’organisaient partout en France, sur des routes et ronds-points, à Brest, Amiens, Caen, Lyon, Marseille ou encore dans la Vienne et les Deux-Sèvres. À Paris, plusieurs centaines de cheminots ont également envahi le siège de la multinationale BlackRock dans le IIe arrondissement. Une intervention éclair et sans heurts, relatée dans le « live » du journal Le Parisien.

Des universités sont également bloquées à la Sorbonne et Assas – pour la deuxième fois –, mais aussi à Rennes et Lyon 2, où les trois campus sont fermés. Côté lycées, le syndicat FIDL dit en recenser plus de quatre cents bloqués dans tout le pays.

Côté Éducation nationale, le ministère annonce près de 8 % de grévistes, un taux similaire à celui de la précédente journée de mobilisation. La veille, le Snuipp-FSU, premier syndicat dans les écoles maternelles et élémentaires, évoquait 20 % de grévistes, soit dix points de moins que le 28 mars. « On sent que ça devient de plus en plus compliqué de faire grève pour les collègues car les retraits de salaire commencent à peser », commente la secrétaire générale du syndicat auprès de l’Agence France-Presse.

Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social.

 À Paris, le cortège s’est élancé et va relier les Invalides à la place d’Italie. Le lieu de rendez-vous de l’intersyndicale avait quelque chose d’ironique. C’est à quelques pas du ministère du travail, qui symbolise désormais l’impasse du dialogue entre syndicats et exécutif, que les dirigeants syndicaux ont tenu leur traditionnel point presse avant le départ de la manifestation.

Face aux micros et caméras, la nouvelle secrétaire générale de la CGT a critiqué « un président qui gouverne contre son pays, contre son peuple ». « La stratégie consistant à compter sur le fatalisme et la fatigue des Français, ça ne passe pas, a ajouté Sophie Binet. Parce que derrière, il y a l’extrême droite. Emmanuel Macron n’a pas été élu pour réformer les retraites, il a été élu pour lutter contre l’extrême droite, et il ne respecte pas du tout son mandat, ce pour quoi les Français lui ont donné leurs voix. »

Laurent Berger a maintenu ses déclarations sur la « crise démocratique » et évoqué la suite : « Ce qui est sûr, c’est qu’on ne sortira pas indemnes de ce mouvement social. Nous agirons toujours dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs, et on verra le moment venu, mais la CFDT ira toujours discuter avec le gouvernement pour ça. Mais il va falloir bien reprendre la méthode, et il ne suffira pas d’une petite réunion pour remettre les choses dans l’ordre. »

Même Cyril Chabanier, président de la très sage CFTC, fait le constat que quelque chose est cassé. « Plus personne ne croit qu’on pourra sortir par le haut en discutant tranquillement autour d’une table. On ne voit pas très bien la sortie de crise, sauf peut-être grâce au Conseil constitutionnel. J’ai même l’impression que certains dans la majorité et au gouvernement espèrent que le Conseil va arrêter tout ça en censurant la loi. »

La menace démocratique, c’est la violence, selon le président

Avant Paris, les premières manifestations se sont élancées dès le matin à Marseille, où la préfecture dénombre 10 000 personnes, contre 170 000 selon la CGT. Le 28 mars, entre 11 000 et 180 000 manifestant·es avaient défilé dans la cité phocéenne. Légère baisse aussi à Nantes, où entre 15 000 et 50 000 personnes, selon les sources, ont battu le pavé, contre 18 000 à 60 000 la semaine précédente. À Lyon, des tensions émaillent actuellement le cortège, selon le site Actu.fr, qui suit en direct la manifestation.

À propos des violences, Emmanuel Macron a d’ailleurs, depuis Pékin, évoqué des violences « opportunistes », encouragées « par des forces d’extrême gauche, en particulier ». « Ceux qui considèrent qu’en venir aux mains, aux armes, serait légitime, c’est ça, la menace démocratique », a-t-il également déclaré, selon ses propos rapportés par Le Monde

Alors que la onzième journée de mobilisation anime le pays, l’aveuglement reste total. Des records ont été allègrement battus dans les cortèges à plusieurs reprises ? — Oui mais il y a peu de grévistes, répond l’exécutif. L’intersyndicale, unie comme jamais, appelle le pouvoir à la raison ? — Elle fait monter les extrêmes.

Concernant la suite du mouvement, une nouvelle réunion de l’intersyndicale est prévue dans la soirée au siège de Force ouvrière. Une nouvelle journée de mobilisation, la douzième, pourrait être annoncée avant la décision du Conseil constitutionnel, attendue le vendredi 14 avril.


 


 

Mobilisation du 6 avril en direct.
400 000 manifestants à Paris,
170 000 à Marseille et une
nouvelle journée de mobilisation en vue

sur www.humanite.fr

  • A huit jours de la décision du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites, les syndicats ont organisé une onzième journée de mobilisation.

  • 400 000 manifestants à Paris, 170 000 à Marseille, 60 000 à Bordeaux, 32 000 à Lyon, 24 000 à Caen, 20 000 à Rennes, Nîmes, Avignon et Nice, 12 000 à Montpellier et Strasbourg... La mobilisation, bien qu'en retrait par rapport à la journé précédente, reste forte.

  • L’intersyndicale, sortie hier de la rencontre avec Elisabeth Borne en dénonçant un discours irresponsable du gouvernement, a prévu de se réunir dans la soirée pour annoncer une nouvelle journée de mobilisation.


 

QUELQUES ÉCHOS DE LA JOURNÉE :


 

Prochaine manifestation : le 13 avril envisagé par plusieurs syndicats

Elle est à confirmer, mais la date du 13 avril pour une prochaine journée de mobilisation est envisagée par plusieurs syndicats. Une réunion intersyndicale devrait avoir lieux dans les heures qui suivent pour valider ou non cette date.


 

Rennes, Vannes, Quimper...la Bretagne toujours très mobilisée

Selon les chiffres de la CFDT Bretagne, plus de 90 000 personnes étaient aujourd'hui mobilisées dans les cortèges bretons. Dans les rues de Rennes, certains ont même entamé une chenille pour faire barrage au passage des forces de l'ordre.


 

15 000 manifestants dans les rues de Toulouse

Plus de 15 000 manifestants étaient présents pour fouler le pavé dans la Ville rose selon la Police. Malheureusement, des heurts auraient éclaté dans le quartier Arnaud-Bernard conduisant à l'arrestation d'une dizaine de personnes.


 

Encore 400 000 manifestants dans les rue de Paris, 57 000 selon la police

Selon la CGT, 400 000 manifestants seraient présents dans le cortège parisien, soit 50 000 de moins par rapport à la semaine dernière. 

La police a quant à elle annoncé un nombre bien en deça de 57 000 manifestants. 


 

Sophie Binet « ne souhaite pas répondre à CNEWS »

La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet qui succède à Philippe Martinez est aujourd'hui présente dans le cortège parisien pour manifester en ce 11e jour de mobilisation contre la réforme des retraites. Interrogée par la chaine télévision Cnews, elle a expliqué son refus de répondre, et qu'elle « préfère répondre aux médias qui garantissent une pluralité et une liberté d'expression ». 


 

Marseille, 170 000 manifestants selon les syndicats, 10 000 selon la police

Dans les Bouches-du-Rhône, les manifestants sont encore au rendez-vous pour protester dans les rues. Les syndicats présents sur place dénombre 170 000 manifestants là où la police estime en compter seulement 10 000.  Il est important de noter une baisse de 10 000 manifestants par rapport à la semaine dernière dans la cité phocèenne. 


 

Au siège du groupe Natixis, l'intersyndicale présente pour un blocage

Des 8h30 ce matin, les syndicats, CGT, Attac, Solidaires et FSU étaient présents au siège du groupe bancaire Natixis pour protester contre la réforme des retraites mais aussi contre l'évasion fiscale


 

   publié le 5 avril 2023

Réunion avec Élisabeth Borne : l’intersyndicale dénonce un discours irresponsable

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Face au refus de la première ministre d’abroger la réforme des retraites, les syndicats ont coupé court à leur réunion. Le gouvernement s’enfonce dans une stratégie « violente » et « irresponsable », dénoncent-ils.

Qui aurait pu prédire que la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, ce mercredi matin, se solderait par un échec ? Les représentants des salariés avaient anticipé l’obstacle, et prévenu avant leur entrée dans la cour de Matignon que tout refus de la part du gouvernement de retirer la réforme des retraites entraînerait la fin de leur rencontre.

Le déroulé des évènements n’a pas donné tort à leurs prédictions. « La première ministre nous a opposé une fin de non-recevoir et nous a renvoyé dans la rue », a dénoncé Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, pointant du doigt une « stratégie violence et jusqu’au-boutiste » du gouvernement.

Bec et ongle

La première ministre s’est en effet entêtée dans la défense bec et ongle de son texte injuste. Selon le récit fait de leur échange par les organisations syndicales, la locataire de Matignon a commencé par rappeler le « contexte de la réforme », insistant sur ses bienfaits pour les travailleurs aux carrières longues, pour ceux occupants des métiers pénibles et pour la santé de l’emploi.

« Mais nous étions venus demander à la première ministre de retirer cette réforme. Nous avons donc tous conclu nos propos par cette même phrase : Madame la Première ministre, il faut retirer cette loi, allez-vous le faire ? », relate Frédéric Souillot, de FO. Faute de réponse positive, le numéro un de la CFDT, Laurent Berger a mis fin à la réunion au nom de l’intersyndicale.

« Nous pointons la responsabilité de ce gouvernement »

Interrogée à l’issue de la réunion, Élisabeth Borne a quant à elle loué la qualité de la réunion. « C’était un échange respectueux ou chacun a pu s’exprimer et s’écouter. Il était important dans le moment que nous vivons que nous puissions nous parler avec l’ensemble de l’intersyndicale », a-t-elle déclaré. Et d’assurer : « J’ai entendu leur désaccord sur le relèvement de l’âge et j’ai pu leur dire ma conviction et celle de mon gouvernement de la nécessité de cette réforme. »

Un discours irresponsable, ont rétorqué les parties prenantes de l’intersyndicale. « Cette réforme injuste et brutale, et nous pointons du doigt la responsabilité de ce gouvernement. Ne pas entendre le mouvement social, c’est faire le jeu de l’extrême droite et nier les urgences des travailleurs », a lancé Murielle Guilbert, de Solidaires.

Unies sur le perron de Matignon, les huit organisations syndicales ont appelé d’une même voie les travailleurs à répondre à ce nouvel affront du gouvernement par un déferlement populaire dans les rues, lors de la onzième journée de grève et de manifestations, ce jeudi. « La conclusion de cet échange est limpide, c’est que nous allons être nombreux dans la rue », a affirmé Sophie Binet de la CGT.

« L’opinion n’a pas bougé depuis début janvier, voire s’est accentuée contre la réforme. Le nombre de travailleurs mobilisés est toujours aussi important, il y a toujours la même détermination », constate, de son côté, Laurent Berger de la CFDT. Les syndicats l’ont promis, ceux-ci ne prendront part à aucune concertation tant que l’exécutif n’aura pas prêter attention à la colère populaire contre sa réforme des retraites.


 


 

Les sentinelles du mouvement social

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Mobilisations Sécuriser, soigner, plaider… À l’heure où se durcit la répression de la contestation de la réforme des retraites, nombreux sont ceux qui donnent de leur temps pour garantir le bon déroulé des manifestations. Un appui solidaire précieux.

Voilà désormais un rituel immanquable, les syndicats en sont sûrs, pour des millions de travailleurs. Ce jeudi, les représentants des salariés appellent, pour la onzième fois depuis janvier, les Français à se mobiliser largement contre la réforme des retraites en faisant grève et en manifestant dans les rues. Au lendemain de l’échec de la réunion entre Élisabeth Borne et l’intersyndicale, et une bonne semaine avant la décision du Conseil constitutionnel, qui pourrait décider de censurer le texte, les raisons de battre le pavé sont nombreuses. Si la détermination des 70 % de Français et 90 % de salariés opposés à la réforme du gouvernement sur les retraites reste intacte, les mobilisations des dernières semaines ont été entachées d’un durcissement de la réponse policière. Dès lors qu’a été appliqué le 49.3, le 23 mars, les gardes à vue arbitraires se sont multipliées et les violences policières ont émaillé les rassemblements, blessant parfois gravement les manifestants.

Face à la force de cette réponse répressive, certains ont décidé, souvent bénévolement, de donner de leur temps pour garantir à tous les meilleures conditions pour exprimer leur mécontentement contre la réforme. Qu’il s’agisse de sécuriser les manifestations, de porter secours aux personnes blessées au cours des rassemblements ou de fournir une assistance juridique aux gardés à vue ou déférés, les salariés mobilisés peuvent compter sur des centaines de protecteurs du mouvement social.


 


 

Manœuvres

Laurent Mouloud sur www.humanite.fr

Depuis quinze jours, Gérald Darmanin déploie, avec une gourmandise inquiétante, tout l’arsenal de la surenchère sécuritaire. Pendant qu’Élisabeth Borne joue la montre en recevant – pour la forme – les syndicats à Matignon, l’ambitieux ministre de l’Intérieur, lui, endosse le rôle du pompier pyromane. Avec un zèle déplorable, il matraque l’espace public de ses formules incendiaires empruntées à l’extrême droite, fait assaut d’une mauvaise foi patente pour couvrir les violences policières, ignore les millions d’opposants à la réforme des retraites en agitant le mistigri du « terrorisme d’ultragauche ». Une stratégie de la tension bien huilée que le locataire de la place Beauvau a encore déroulée, mercredi, devant les parlementaires, allant jusqu’à envisager – dans une énième provocation – la remise en cause des subventions allouées à la Ligue des droits de l’homme. Tout un symbole.

Ces manœuvres sont pathétiques. Gérald Darmanin ne tire, malheureusement, aucune leçon des gilets jaunes et des multiples gueules cassées. Enferré dans un déni irresponsable, il balaie toute idée de révision de la doctrine du maintien de l’ordre à la française, dont une pléiade d’associations et d’observateurs (Défenseure des droits, Conseil de l’Europe, Nations unies…) pointent pourtant le caractère disproportionné et antidémocratique. Cette dérive lui passe au-dessus du képi. Pour cause. Sa priorité à lui n’est pas d’organiser la désescalade de la violence, l’encadrement raisonné des cortèges. Mais, bien au contraire, de criminaliser cette lutte sociale à coups d’arrestations préventives et de tonfa pour mieux en masquer le caractère profondément politique et les revendications.

La réponse à ce processus répressif se joue, pour partie, dans la mobilisation d’aujourd’hui. Son ampleur et sa constance sont la meilleure arme à opposer à un exécutif aux abois qui rêve d’étouffer le débat public par le mépris et par la poigne.


 

   publié le 4 avril 2023

Le gouvernement n’en a pas fini
avec la mobilisation

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Alors que l’intersyndicale ira parler des retraites à la première ministre, la mobilisation continue. Jeudi 6 sera la prochaine journée d’action.

Toujours des grèves

Les grèves reconductibles se maintiennent dans plusieurs secteurs en cette douzième semaine de mobilisation contre la réforme des retraites. Dans les industries électriques et gazières, dans les raffineries – malgré de nouvelles réquisitions – dans le ferroviaire même si elle a faibli, dans l’aviation civile, où chaque jour 20 % des vols sont annulés dans plusieurs aéroports, dont celui d’Orly. De même, malgré la reprise du travail des éboueurs à Paris, la filière déchet reste très perturbée dans plusieurs communes, mais aussi en Île-de-France avec des mouvements qui se poursuivent sur plusieurs sites. Jeudi, l’ensemble des salariés et des fonctionnaires sont appelés à se mettre en grève pour la onzième journée de mobilisation contre la réforme.

 Tous les jours des actions

 Ce mardi, comme chaque jour depuis le 7 mars, des actions et des blocages ont eu lieu sur l’ensemble du territoire affectant des secteurs divers. Un blocage à la raffinerie de Feyzin a été délogé par la police ce matin. Des opérations villes mortes étaient programmées à Nantes et Grenoble, avec plusieurs actions touchant les infrastructures de transport. D’autres blocages routiers ont eu lieu à Saint-Brieuc ou au Mans par exemple. Le secteur de la logistique a également été visé à Bourges et un entrepôt Amazon bloqué à Amiens. La Filière déchet reste mobilisée à Nantes, en région parisienne, à Niort comme à Toulouse, où collecte et centres d’incinération ont été affectés par des blocages. Des coupures de gaz ou de courant ont aussi eu lieu dans la journée dans les Alpes-Maritimes ou à Bordeaux.

Du côté de la jeunesse, plusieurs lycées étaient encore bloqués ce matin, notamment au Havre ou à Albertville, alors qu’à Paris une manifestation s’est déroulée cet après-midi à l’appel d’une coordination nationale étudiante. En Ardèche, la contestation a pris une forme inédite dans un collège où les parents ont refusé d’envoyer leurs enfants en classe. Résultat : 60 % des élèves absents.

 Les éboueurs parisiens de nouveau en grève à partir du 13 avril

A Paris, la CGT FTDNEEA, qui regroupe notamment les éboueurs et les égoutiers, a déposé un nouveau préavis de grève à partir du 13 avril. Le syndicat avait suspendu la grève le 29 mars, après plus de 20 jours. « Nous n’avons presque plus de grévistes », concédait-il. Mais le mouvement continue sous une autre forme, puisque des actions ont régulièrement lieu pour perturber le bon fonctionnement du secteur. Ce 4 avril, deux des trois incinérateurs de déchets ont été bloqués. A Aubervilliers, Ivry-sur-Seine ou Romainville, les camions-bennes sont sortis de leur garage avec plusieurs heures de retard, grâce à des blocages total ou filtrant.

 Solidarité internationale

La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) appelle au blocage du dépôt Total d’Anvers jeudi 6 avril, date de la prochaine journée de mobilisation nationale en France contre la réforme des retraites.« Le groupe TotalEnergies se vante de livrer du carburant en provenance de Belgique vers la France, ce qui n’arrive jamais d’habitude », explique le syndicat qui dénonce « des tactiques de briseurs de grève » de la multinationale.


 


 

Le tribunal suspend l’arrêté de la préfecture de police de Paris interdisant les manifestations non déclarées : une victoire pour la liberté de manifester !

sur : https://www.ldh-france.org/

Communiqué commun LDH, Syndicat des avocats de France (Saf), Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires

Depuis le 24 mars, la préfecture de police de Paris prend quasiment quotidiennement des arrêtés d’interdiction de manifester, couvrant l’essentiel de la ville, dissimulés en fonction des jours par :

un affichage illisible devant la préfecture ;

des publications sur des sites internet différents ;

des mises en ligne après le début de la période d’interdiction, voire le lendemain.

Cette stratégie visant à empêcher les justiciables d’en prendre connaissance et de les contester a porté ses fruits : multiples verbalisations, rejet à deux reprises des référés initiés par le Syndicat des avocats de France (Saf), la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le Syndicat de la magistrature (SM) et l’Union syndicale Solidaires, en raison de l’impossibilité pour le juge administratif de se prononcer à temps.

Pour la première fois, un arrêté a été publié le 1er avril 2023, dans un délai permettant au juge des référés du tribunal administratif de Paris de statuer à temps.

Le juge administratif constate son caractère manifestement illégal portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux et ordonne sa suspension.

Le Saf, la LDH, le SM et l’Union syndicale Solidaires demandent à la Préfecture de police d’en tirer les conséquences en cessant ces atteintes à la liberté de manifester et au droit à un recours juridictionnel effectif.

La liberté de manifester est un droit fondamental démocratique : nous ne laisserons pas l’autorité préfectorale la piétiner !

Paris, le 3 avril 2023


 

   publié le 3 avril 2023

Gérald Darmanin veut faire de la gauche un ennemi de l’intérieur

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur se lance à corps perdu dans la défense des violences policières, dont il nie l’existence. À coups de mensonges, il cible la Nupes qu’il veut amalgamer avec les « casseurs ».  Une façon de prétendre incarner l’ordre pour mieux sortir de la séquence des retraites.

, extrême gauche, ultragauche, zadistes, terrorisme intellectuel… Gérald Darmanin aime convoquer de grands concepts. Mais la façon dont il les manie interroge quant à la présence d’un dictionnaire au ministère de l’Intérieur. Nouvelle illustration, ce week-end, dans les colonnes du Journal du dimanche et sur l’antenne d’Europe 1, après deux semaines sous le feu des critiques sur sa gestion du maintien de l’ordre. Mais il ne faudrait pas prendre Gérald Darmanin pour le dernier des idiots. Son offensive, réfléchie, n’a qu’un seul objectif : démontrer qu’il existerait un continuum de violences entre la Nupes et les « casseurs », quitte à tordre la réalité. « Il y a une complicité évidente entre des gens qui sont rentrés à l’Assemblée nationale et des mouvements d’extrême gauche », a-t-il lâché.

Nouvelle dissolution annoncée

Martial, le ministre veut faire peur. Il dit alors refuser « de céder au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche », qui s’applique aussi bien, selon lui, aux responsables politiques de gauche qu’aux black blocs de la manifestation à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les méga-bassines. « Mélenchon a un projet : c’est la révolution, assure-t-il. Ses références à Robespierre, qui a quand même installé la Terreur (sic), devraient d’ailleurs nous inquiéter. » Il évoque par ailleurs « 2 200 fichés S d’ultragauche », une « nébuleuse extrêmement violente et dangereuse » à laquelle appartiendrait Defco (pour Défense collective), mouvement rennais qu’il souhaite dissoudre. Aussi, Gérald Darmanin promet : « Plus aucune ZAD (zone à défendre – NDLR) ne s’installera dans notre pays » grâce à la création d’une « cellule anti-ZAD ». Avant d’envoyer un message aux supporters de l’extrême droite : « Nous montrons que l’alternative à l’extrême gauchisme n’est pas Mme Le Pen. Nous apportons une demande concrète à la demande d’autorité des Français. » Bref, il faut comprendre que l’ordre, c’est lui, que le chaos, c’est ceux qui suivent « la pente de cette ultragauche des années 1970 ».

Si violences il y a, elles seraient uniquement le fruit de la gauche. Et peu importe si le rapporteur spécial de l’ONU et le Conseil de l’Europe s’inquiètent de la répression en France, ils feraient mieux de « venir sur le terrain » : « Quand on est un peu loin, on a une vision différente. » Rappelons que, dans la réalité alternative de Gérald Darmanin, les violences policières n’existent pas et qu’aucune arme de guerre n’a été utilisée par les gendarmes à Sainte-Soline, malgré les preuves apportées par de nombreux médias. « Mon devoir est de protéger ceux qui nous protègent », se défend-il face aux questions sur ses mensonges.

« Pas d’amalgame entre la violence dure qui s’est déroulée à Sainte-Soline et le calme et la détermination des salariés qui s’opposent à cette réforme (des retraites) », a répondu Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Et son homologue d’EELV, Marine Tondelier, de cibler le « pyromane » Darmanin qui « attise le feu » : « Les mots ont un sens. C’est très grave et c’est dangereux, et ça va mal se terminer. Ça va finir par faire des morts », a-t-elle alerté.

Peut-être le ministre devrait-il désormais ouvrir son dictionnaire à la lettre « M » pour « manipulation ».


 


 

La Macronie et la tentation de l’extrême banalis