PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

Environnement depuis janvier 2023

  publié le 9 décembre 2023

Maxime Combes : « La COP n’est que le reflet de la situation géopolitique et
géo-économique actuelle »

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

La COP 28, qui s’est ouverte le 30 novembre à Dubaï, prendra fin le 12 décembre. Les énergies fossiles ont été au cœur des discussions. Maxime Combes, économiste et spécialiste des négociations climatiques, estime que la COP 28, comme les précédentes, « n’est que le reflet de la situation géopolitique et économique actuelle ».


 

Doit-on se réjouir de voir le sujet des énergies fossiles abordé à la COP 28 ?

Maxime Combes : Oui, c’est une bonne chose. Désormais, la question des énergies fossiles est mise dans le débat public. Ce sera même un des éléments majeurs pour évaluer le résultat de cette COP 28. Depuis 30 ans, les COP mettait le sujet de côté alors que les énergies fossiles représentent plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

C’était un peu l’éléphant au milieu de la pièce : tout le monde le voyait, mais personne n’en parlait. C’est donc une très bonne nouvelle que ce sujet soit pleinement au cœur du débat sur le réchauffement climatique à l’échelle internationale.

On ne manque pas aujourd’hui de rapports du GIEC, de scientifiques, mais aussi de l’Agence internationale de l’énergie, qui expliquent que pour respecter les objectifs que la communauté internationale s’est donnés à travers l’accord de Paris c’est à dire limiter le réchauffement en dessous de 1,5° ou 2 °C maximum, il était nécessaire de laisser dans le sol entre 80 et 85 % des réserves d’énergies fossiles (gaz, pétroles, charbon). Ces réserves les grands pays producteurs et les multinationales de l’énergie veulent les exploiter dans les années à venir. Finalement, nous sommes en train de réduire l’écart qui pouvait exister entre le débat sur le réchauffement climatique et la réalité physique qu’il sous-tend.

Mais il faut aussi souligner que l’émergence du sujet est lié à cette COP, devenue celle des énergies fossiles : organisée aux Émirats arabes unis, présidée par le ministre de l’Énergie de ce pays qui n’est autre qu’un PDG d’une multinationale pétrolière qui a eu des déclarations qui s’apparentent à du déni climatique.

Pourquoi les énergies fossiles étaient absentes des débats auparavant ? Pourquoi est-il si difficile pour les États de s’emparer de cette question ?

Maxime Combes : Il s’agit de la COP où les lobbies sont les plus présents. Ceux des industries fossiles ont toujours tout fait pour éviter les dispositions pouvant empêcher leurs business et leurs activités lucratives. Elles ont d’abord nié l’existence du réchauffement climatique alors même qu’elles savaient que leurs activités y contribuaient, pour ensuite contester son origine anthropique et l’urgence à agir. Aujourd’hui, elles prétendent ne pas être responsables, ou faire partie de la solution.

D’autres raisons fondamentales permettent d’expliquer cette absence. Il y a d’abord une inertie dans les négociations, venant du mandat des négociations fixées en 1992 au sommet de Rio. Les États ont alors décidé de traiter la question du réchauffement climatique uniquement du point de vue de ce qui était relâché dans l’atmosphère.

Pour le comprendre, il faut revenir au protocole de Montréal (NDLR ratifiée en 1987), les négociations internationales avaient conduit à la réduction d’émission de CFC, les chlorofluoro­carbures, des gaz mettant à mal la couche d’ozone. Il y avait alors une solution technique : remplacer ces gaz par d’autres.

La communauté internationale a alors imaginé que la question du réchauffement climatique pourrait être traitée de la même façon, en se focalisant sur les émissions de gaz à effet de serre, sans s’intéresser à la cause fondamentale du problème : l’économie mondiale accro aux gaz, pétrole et charbon. Elle a finalement mis trente ans à lever ses œillères et rompre cette inertie.

Les négociations sur le réchauffement climatique sont basés sur un principe : la neutralité. Ce n’est pas le rôle des négociations international de définir le mix énergétique des États-Unis, de la France…ou de l’Arabie saoudite. C’est laissé à la libre appréciation de chaque pays.

Ce principe de neutralité produit une difficulté à discuter des énergies fossiles. On observe alors une forme de déni des États, y compris ceux du nord, soi-disant les plus avancées en matière de changement climatique. Ils refusent de mettre la question des énergies fossiles sur la table, considérant que finalement, on pourrait la résoudre par des dispositifs technologiques, par des améliorations techniques, ou je ne sais quoi…

Enfin, c’est également lié à la façon dont les relations internationales se sont constituées depuis la décolonisation. On touche, ici, à la question des ressources naturelles des États, et donc à leur souveraineté nationale.

Structurellement, le droit international n’est pas construit pour permettre ce genre de négociations. Cela génère une tension inévitable entre des politiques énergétiques nationales et un mix énergétique mondial, qui, lui, organise le réchauffement climatique. L’accord de Paris ne s’intéresse par exemple pas aux questions de hiérarchie.

Qu’est-ce que nous pouvons espérer de cette COP 28, notamment en matière d’encadrement des énergies fossiles ?

Maxime Combes : Les COP ne sont pas armées pour organiser la sortie des énergies fossiles à l’échelle mondiale. À ce stade, trois options sont discutées à cette 28e Conférence des Parties. D’abord, une option volontariste, qui énonce une élimination progressive et planifiée des énergies fossiles. Il est très improbable qu’elle soit conservée.

Une deuxième proposition vise à traiter une grande partie du problème par la capture et le stockage du carbone. Elle prévoit que seuls les gisements non soumis à ces dispositifs devront faire l’objet d’efforts pour être éliminés. Ce serait problématique parce que cela ferait dépendre notre avenir climatique d’une technologie qui, aujourd’hui, n’est pas maîtrisée, est mal répandue, et est extrêmement coûteuse. Le coût de la transition énergétique serait alors augmenté de façon extrêmement conséquente. C’est ce que veulent un certain nombre de pays, notamment les pays producteurs.

La troisième option serait de ne pas avoir d’accord. Le plus probable est d’arriver à un engagement un peu général, conditionné à ce captage de CO2, sans aller plus loin. Le côté positif serait la reconnaissance, ferme et définitive, que les énergies fossiles font partie du problème. Laisser les énergies fossiles dans le sol ne serait alors plus vu comme une idée complètement farfelue, mais comme la condition sine qua none d’une lutte contre le réchauffement climatique à la hauteur des enjeux.

La COP 28 va produire une décision de COP, c’est-à-dire un document qui relate les décisions qui sont prises, mais sans être du droit international en tant que tel. C’est une décision qui n’implique rien d’immédiat dans les politiques menées par les États.

Au lendemain d’une décision sur l’arrêt de l’extraction des énergies fossiles, la Nouvelle-Zélande, qui veut rouvrir l’exploration offshore d’énergies fossiles, la Chine, les États-Unis, la France, qui a donné de nouveaux permis d’exploitation sur le territoire national, ne vont pas subitement dire : « Suite à la décision de la COP hop, on arrête tout ! ». Cette décision ne s’impose pas aux États. Elle n’est pas contraignante.

Le plus intéressant serait non pas un message un peu général mais que la COP décide que les énergies fossiles font partie de son mandat et ouvre un groupe de travail permanent, permettant de lancer des négociations, pouvant conduire à un traité international sur les énergies fossiles.

Cela ne signifie pas que la COP est le problème. Le problème, ce sont les politiques nationales des États. Ce sont les autres institutions internationales qui poussent au contraire à toujours augmenter la production et la consommation d’énergies fossiles.

Ce sont les institutions internationales qui organisent l’économie mondiale, comme l’OMC, dont les règles conduisent à ce qu’on exploite toujours plus d’énergies fossiles. La COP n’est que le reflet de la situation géopolitique et géo-économique actuelle. Elle est désarmée pour lutter contre les énergies fossiles, elle n’a pas les outils juridiques, elle n’a pas le droit international avec elle.


 


 

2 500 lobbyistes des énergies fossiles à la COP28 sur le climat, un record absolu

par Juliette Quef sur https://vert.eco/articles/

Au moins 2 456 représentants de l’industrie fossile ont été autorisés à participer au sommet mondial sur le climat à Dubaï, dévoile la coalition Kick Big Polluters Out (KBPO). C’est quatre fois plus que le précédent record. Le Français TotalEnergies a envoyé 12 salarié·es, selon notre décompte. Décryptage.

«On va les dégager de cette COP, on va les dégager de nos communautés!» L’ambiance est électrique, ce mardi matin, à l’entrée de la COP28 à Dubaï. Des représentant·es de pays vulnérables et de peuples autochtones viennent donner de la voix après l’annonce du nombre de lobbyistes à la COP28. «À cause de cette industrie, il y aura bientôt 1,2 milliard de personnes déplacées», s’époumone, poing levé, Keury Rodriguez, Portoricaine et membre du peuple autochtone Taino. «Nous ne sommes pas simplement des personnes déplacées, nous avons été déplacés !». La cible de la jeune femme, comme des autres activistes : les géants du gaz et du pétrole.

Si les lobbyistes des énergies fossiles étaient un pays, ils compteraient la troisième plus grande délégation après les Emirats Arabes unis et le Brésil. Les représentant·es d’intérêts du charbon, du pétrole et du gaz sont 2 456 à avoir obtenu une accréditation à la COP28 sur le climat qui se déroule en ce moment à Dubaï, selon l’analyse de la coalition Kick big polluters out (KBPO), qui regroupe 450 organisations non gouvernementales spécialisées dans la transparence, dont Global Witness, Corporate Accountability et Corporate Europe Observatory.

On compte plus de lobbyistes de l’industrie fossile que de délégué·es des dix pays les plus vulnérables au changement climatique combinés, dont le Soudan ou les Tonga. Et sept fois plus que les membres de peuples autochtones accrédités à la COP28 (316).

Le précédent record, qui date seulement de la COP27, organisée en 2022 à Charm el-Cheikh (Egypte) était quatre fois moindre, avec 636 lobbyistes accrédités.

TotalEnergies en bonne place

Le groupe français TotalEnergies a envoyé 12 personnes, selon notre décompte. Interrogé par Vert, la multinationale veut «dissiper d’éventuels fantasmes de « lobbying pétrolier » à la COP», explique Paul Naveau, du service presse. «En tant qu’entreprise du secteur de l’énergie, TotalEnergies a été invitée à la COP 28 par la Présidence émiratie.» Aucun salarié ne figure en réalité dans les invités du pays hôte, mais six d’entre eux, dont son PDG Patrick Pouyanné, sont accrédité·es dans la délégation française, comme nous l’avons constaté sur la liste des participant·es publiée par les Nations unies.

Six autres le sont au travers d’associations d’entreprises, comme l’International Emissions Trading Association (IETA), l’International Petroleum Industry Environmental Conservation Association (IPIECA), Entreprises pour l’Environnement (EPE), Comité21 et Business Europe. «La présence de ces six experts s’inscrit dans le cadre de leur adhésion au long cours aux associations. Toutes ces associations sont dédiées aux questions de transition énergétique et au soutien des objectifs de l’Accord de Paris», nous explique encore TotalEnergies.

KBPO analyse en effet qu’«un grand nombre de lobbyistes des énergies fossiles ont eu accès à la COP dans le cadre d’une association commerciale». Ainsi, l’Association internationale pour l’échange de quotas d’émission (IETA), basée à Genève et plus grande association du genre, a permis l’entrée de 116 personnes, dont les représentants de TotalEnergies, mais aussi Shell ou la société norvégienne Equinor.

Pourquoi vouloir assister à la COP28 sur le climat ? «Les sujets abordés lors de ces événements sont au cœur de l’ambition de la Compagnie et nos experts y assistent pour suivre les échanges et soutenir les actions collectives de progrès qui y sont présentées, répond TotalEnergies à Vert. Il va de soi que personne chez TotalEnergies ne participe de quelque manière que ce soit aux négociations entre les Etats, ni n’a accès aux espaces de négociations.» Le groupe avance par exemple son soutien à un fonds de la Banque mondiale pour lutter contre les émissions de méthane et un accord d’investissement pour le projet Mirny au Kazakhstan (1 GW de projet éolien géant avec batteries), conclu en marge de la COP28.

«Un brouillard de déni climatique»

Un avis que ne partagent pas les acteurs de la société civile, qui alertent depuis des années sur l’influence des énergies fossiles à la COP. C’est le cas de la cofondatrice de Start Empowerment, Alexia Leclerq : «Vous pensez vraiment que Shell, Chevron ou ExxonMobil envoient des lobbyistes pour observer passivement ces négociations ? […] La présence empoisonnée des grands pollueurs nous enlise depuis des années. C’est à cause d’eux que la COP28 est plongée dans un brouillard de déni climatique, et non dans la réalité climatique».

Même son de cloche chez Muhammed Lamin Saidykhan, responsable du Réseau Action climat international : «La fenêtre de préservation d’une planète vivable se referme rapidement. Dans le même temps, un nombre toujours plus important de grands pollueurs sont autorisés à se promener lors de ce sommet, que les communautés en première ligne ne peuvent se permettre de voir échouer une fois de plus».

Si les entreprises des énergies fossiles concentrent tous les regards, d’autres industries polluantes sont représentées à la COP, de l’aviation à la finance, en passant par l’agro-industrie.


 

  publié le 4 décembre 2023

Refroidir les océans, ensemencer les nuages...: pourquoi la géo-ingénierie sauvera le marché
mais pas le climat ?

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Les climato-rassuristes ont de la ressource et, pour répondre à la crise écologique, ils ont une solution : la géo-ingénierie. Une façon de ne rien changer en pariant sur le progrès technique de demain.

Pour Emmanuel Macron, il y a visiblement deux catégories d’écologistes : les « amish », qui prôneraient « le retour à la lampe à huile », et les tenants, comme lui, d’une écologie « scientifique, souveraine, créant de la valeur économique, compétitive, planifiée, financée, territoriale et internationale, accessible et juste ». Une écologie qui ne bouleverse en rien le système de production et, surtout, qui parie sur le progrès technologique pour nous sortir du pétrin climatique. Un techno-solutionnisme, en somme, qu’on retrouve aussi bien à l’extrême droite que chez certains au Parti socialiste.

L’étiquette est d’ailleurs assumée par son ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, qui déclarait, en 2021, au Hub Institute : « Ma conviction, c’est que les technologies nous permettent de participer à cette fantastique bataille ô combien cruciale pour l’avenir de la planète qu’est la lutte contre le réchauffement climatique. »

Une vision quasi messianique… et climatosceptique

C’est d’ailleurs le sens des politiques gouvernementales qui, face à la pénurie d’eau dans l’agriculture, misent sur les méga-bassines ou qui poussent les grandes entreprises à développer des technologies de capture et de séquestration du carbone plutôt qu’à changer de modèle. Un cadre de la majorité préfère parler d’« espérance dans la science », car « ces cinquante dernières années la technologie a évolué et continuera d’évoluer pour répondre au défi climatique », citant notamment les technologies nucléaires EPR et SMR.

Cette vision quasi messianique est perçue comme une forme de climatoscepticisme par une partie des activistes écologistes et de la communauté scientifique, car ne s’attaquant pas aux causes tout en faisant perdurer le système. « C’est nier l’importance du problème, accuse la députée écologiste Sandrine Rousseau. C’est même le réduire à une difficulté qu’un ingénieur peut résoudre tout en conservant les rapports de domination et un système d’accaparement des richesses. »

Plus prudent, le Réseau Action Climat parle de « fausses solutions ». Tout comme le climatologue Jean Jouzel : « Promouvoir la géo-ingénierie est l’idée selon laquelle on peut quand même continuer d’émettre des gaz à effet de serre (GES). » Comme le système immunitaire, le système capitaliste a ses anticorps pour le défendre des attaques : ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que la société évolue. Ces apprentis sorciers rivalisent donc d’inventivité pour ne s’en prendre qu’aux conséquences du réchauffement climatique, qu’ils minimisent parfois, et non à ses causes.

Le secteur aérien émet trop de GES ? Attendons « l’avion vert ». La pluie ne tombe pas assez ? Injectons de l’iodure d’argent dans les nuages. La banquise fond trop vite ? Semons du verre pilé sur la glace pour réfléchir les rayons du soleil. L’eau manque ? Dessalinisons la mer.

À chaque problème sa solution technique. Selon la croyance écomoderniste que promeuvent, entre autres, Jeff Bezos et Elon Musk, la résolution de la crise ne viendra pas du politique mais du marché. Elle ne peut s’inscrire contre le système puisqu’elle en vient. Cela revient donc à laisser notre avenir entre les mains des industriels. Ceux-là mêmes qui tirent leurs profits de la destruction du vivant.


 


 

Les forêts françaises,
puits de carbone crucial… et menacé

Isabelle Chuine sur www.humanite.fr

Alors que s’ouvre la COP28 et que tous les voyants sont au rouge, focus sur nos forêts, piliers de la lutte contre le changement climatique. Des alliées fragilisées, explique Isabelle Chuine, coauteure d’un rapport de l’Académie des sciences qui alerte et formule des recommandations.

Écologue terrestre, spécialiste de l’adaptation des espèces végétales au climat, Isabelle Chuine est directrice de recherche CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive. Membre de l’Académie des sciences, elle a piloté le comité de rédaction du rapport « Les forêts françaises face au changement climatique » (juin 2023 ; voir « En savoir plus »).

Les forêts françaises, qui couvrent 31 % du territoire métropolitain1, contribuent à l’économie du pays et au bien-être de ses habitants. Elles fournissent des matériaux et des produits issus de la récolte du bois et de la cueillette, ainsi que de l’énergie issue de la combustion du bois. Elles jouent un rôle indispensable dans la régulation de nombreux processus biogéochimiques, comme les cycles de l’eau, du carbone et des nutriments, l’érosion des sols, le climat, mais aussi dans la protection contre des événements extrêmes, tels que les glissements de terrain, les inondations et les canicules. Elles façonnent nos paysages et procurent des espaces de détente pour de nombreuses activités. Elles jouent un grand rôle dans notre identité culturelle et notre santé physique et mentale. Enfin, elles sont des refuges importants pour la biodiversité.

Depuis quelques années, les forêts françaises ont un rôle prépondérant dans la feuille de route de la France pour atténuer le changement climatique, la stratégie nationale bas carbone (SNBC), élaborée par le gouvernement à partir de 2015 pour atteindre la neutralité carbone en 2050. En effet, elles représentent un puits de carbone (réservoir qui capte et stocke le carbone atmosphérique) très important, sur lequel repose cette stratégie qui devrait permettre aux Français d’émettre encore 80 mégatonnes (Mt) équivalent CO22 chaque année dans l’atmosphère (un niveau divisé par 6 environ par rapport au niveau d’émission actuel) tout en absorbant la même quantité. Le puits de carbone forestier est assuré par la photosynthèse des arbres qui permet de séquestrer le CO2 atmosphérique et de le transformer en sucre utilisé ensuite dans toutes les fonctions vitales de l’arbre, telles que la croissance, la production de graines et la défense contre les ravageurs et les pathogènes.

Alors que la surface des forêts françaises et leur productivité n’ont fait que croître jusqu’au début de ce siècle, le puits de carbone forestier a fortement diminué au cours des dix dernières années et ne représente plus que la moitié de ce qu’il était, soit 32 Mt CO2 en 2020. Les grands incendies qui ont ravagé en 2022 plus de 40 000 hectares de forêts en France métropolitaine viendront sans doute alourdir cette tendance.

En 10 ans, les prélèvements de bois en forêt ont augmenté de 20 %

Cette chute du puits de carbone forestier a trois origines, dont deux sont directement liées au changement climatique : la mortalité des arbres a très fortement augmenté depuis une dizaine d’années (+ 54 %), tandis que leur croissance a diminué de 10 % : ils absorbent moins de CO2 qu’auparavant. Au cours de la même période, les prélèvements de bois en forêt ont augmenté de 20 %, à la fois en réponse à la SNBC, qui le préconise, et du fait de l’augmentation de la mortalité qui génère des volumes très importants de bois mort.

En conséquence, la stratégie nationale bas carbone doit impérativement être révisée très rapidement. En effet, l’essentiel du puits de carbone français est représenté par sa végétation, en premier lieu sa forêt. Or, la SNBC a été élaborée en prévoyant un puits de carbone forestier de 55 Mt CO2/an (en misant sur une très forte augmentation de la production de produits bois à longue durée de vie), le reste du puits reposant sur les prairies où celui-ci tend également à diminuer, et sur les technologies de captage et stockage géologique de CO2 (CSC), encore très hypothétiques et probablement irréalistes dans leur mise en œuvre à court terme.

Ainsi, nos forêts, piliers de notre stratégie de compensation de nos émissions de CO2, peinent aujourd’hui à assurer tous les services qu’elles nous rendaient à cause du changement climatique. Le climat de la France métropolitaine s’est réchauffé de + 1,7 °C depuis 1900, avec une accélération depuis 1980. Depuis le début des années 2000, l’Hexagone connaît également des sécheresses estivales plus fréquentes et plus intenses, avec un nombre variable de régions touchées, conséquence directe de l’augmentation de la température et, dans certaines zones, également de la baisse de la pluviométrie. La fréquence et l’intensité de ces sécheresses vont augmenter dans les années à venir. En fonction de notre capacité à réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 à l’échelle mondiale, nous pourrions connaître des sécheresses extrêmes chaque décennie, voire tous les deux ans. Or, la sécheresse est la première cause de dépérissement des forêts. Les sécheresses des dernières années (2018, 2019, 2020, 2022) ont fait beaucoup de dégâts, notamment dans les forêts d’épicéas, de sapins, de pins sylvestres et de hêtres.

Les risques d’incendie vont s’amplifier selon les projections climatiques

Un arbre qui manque d’eau arrête d’abord sa croissance, puis sa photosynthèse, mais il n’arrête pas de respirer, donc d’émettre du CO2. Ainsi, pendant les périodes de sécheresse, les arbres peuvent devenir des sources – et non plus des puits – de CO2. Ce faisant, ils s’affaiblissent et deviennent beaucoup plus sensibles aux ravageurs et aux pathogènes qui précipitent parfois leur mort. Si la sécheresse dure ou s’intensifie, l’arbre perd alors des feuilles pour limiter sa transpiration et économiser l’eau ; et, si cela ne suffit pas, le flux de sève dans ses vaisseaux conducteurs se rompt, provoquant la mort des branches touchées, voire de l’arbre dans son ensemble. Le desséchement de la végétation et l’augmentation du volume de bois mort augmentent alors le risque d’incendie.

Les projections climatiques pour les décennies à venir et notre connaissance du fonctionnement des forêts suggèrent que la baisse de la croissance des arbres et l’augmentation de leur mortalité ainsi que du risque d’incendie vont se poursuivre et s’amplifier. Ce dernier va particulièrement augmenter dans le Sud-Ouest et les régions de forêts de feuillus, jusqu’ici relativement épargnées, où le risque élevé deviendra la norme dès 2060. La saison des feux va également s’allonger et le risque de très grands feux augmenter.

Cette situation concerne en réalité toute l’Europe et est très préoccupante. En effet, si les puits de carbone ne remplissent plus les objectifs fixés, une révision à la hausse des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre semble inéluctable. Aucun autre levier ne permettra d’inverser les tendances actuelles : un arrêt du changement climatique est la seule solution.

Revoir à la baisse les plans de prélèvement de bois

Certains autres leviers pourront cependant ralentir la chute du puits de carbone. Il serait tout d’abord nécessaire de doter la France, et plus généralement l’Europe, d’un système de surveillance en temps réel du puits forestier – c’est-à-dire des flux de carbone et autres gaz à effet de serre que les forêts échangent avec l’atmosphère –, rendu possible grâce aux données collectées par les satellites.

Il faut aussi revoir à la baisse les plans de prélèvement de bois, en y intégrant notamment le bois dit de crise (bois mort), pour lequel une stratégie de prélèvement et de valorisation doit être définie. Les prélèvements amputent en effet très fortement le puits forestier pour trois raisons principales. Premièrement, seulement 1 % à 2 % du carbone prélevé dans les forêts sont actuellement séquestrés durablement dans des produits bois. Deuxièmement, 68 % de ce carbone sont utilisés pour produire de l’énergie et repartent donc immédiatement dans l’atmosphère, et il faudra des décennies pour les séquestrer à nouveau. Troisièmement, les coupes rases (90 % du couvert forestier est rasé) et fortes (plus de 50 % du couvert rasé), qui représentent 20 % à 25 % des surfaces coupées en forêt privée, engendrent un déstockage très important du CO2 et du méthane (autre gaz à effet de serre) séquestrés dans les sols forestiers, et il faudra là aussi plusieurs dizaines d’années aux arbres replantés pour les séquestrer à nouveau.

Le sujet des coupes rases a toujours été une source de tension dans nos sociétés, et certains pays comme la Suisse et la Slovénie les ont fortement réglementées, voire interdites depuis très longtemps à cause des dommages environnementaux qu’elles peuvent provoquer – notamment inondations, glissements de terrain, érosion des sols –, et les dangers qu’ils représentent pour les populations. La rentabilité économique des coupes rases elle-même peut maintenant poser question. En effet, les échecs de plantation après celles-ci sont en augmentation, atteignant 38 % en 2022, dont 90 % sont liés aux conditions climatiques trop chaudes et trop sèches pour la reprise des jeunes plants.

Il est également urgent de développer la filière bois construction et ameublement, et de créer une filière de valorisation des bois de feuillus (notamment chêne, hêtre, châtaignier), car c’est le bois construction et ameublement qui permet le stockage le plus durable du carbone, contrairement au bois énergie. Enfin, il est indispensable de revoir à la hausse les ambitions de diversification en essences dans le plan de relance pour les forêts, gage de résilience pour les peuplements forestiers, mais aussi d’encadrer le choix des essences plantées pour garantir la survie des jeunes plantations dans les conditions climatiques futures. Un certain nombre d’initiatives du gouvernement, notamment le plan de relance pour la filière forêts-bois, doté d’un budget pluriannualisé, permettraient d’initier de tels changements. Les conditions de mise en œuvre et de suivi de ces mesures seront capitales pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Note

  1. Les forêts françaises couvrent plus de 25 millions d’ha, dont les deux tiers se situent en métropole. Elles occupent 31 % du territoire métropolitain, 97 % du territoire guyanais, 42 % des autres régions d’outre-mer (cf. « Les forêts françaises face au changement climatique », rapport de l’Académie des sciences, juin 2023 ; voir « En savoir plus »).

  2. L’équivalent CO2, forme abrégée de l’équivalent en dioxyde de carbone, est la masse de dioxyde de carbone qui aurait le même potentiel de réchauffement climatique qu’une quantité donnée d’un autre gaz à effet de serre.

 

  publiél le 17 septembre 2023

Transports, énergie...
la France traine des pieds dans la lutte contre le réchauffement climatique

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Révélé jeudi 14 septembre, le bilan annuel 2022 de l’Observatoire Climat-Énergie montre que l’Hexagone ne respecte pas ses engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Les apparences sont parfois trompeuses. Si on regarde les émissions de carbone de la France en 2022, tous secteurs confondus, les objectifs fixés en 2019, lors de la révision de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), ont été respectés. Pourtant, on est loin du compte. « En termes d’émissions nettes, c’est-à-dire un soustrayant la séquestration de CO2 par les puits de carbone, le dépassement est de 20 millions de tonnes (Mt) », souligne Anne Bringault, directrice des programmes au Réseau Action Climat (RAC), à l’occasion de la sortie du rapport annuel de l’Observatoire Climat-Énergie. Autre point, dans de nombreux secteurs, les baisses d’émissions sont liées à des facteurs conjoncturels, comme les conséquences de la hausse des prix de l’énergie. Les nécessaires mesures d’adaptation structurelle semblent, elles, prendre toujours plus de retard…

L’artificialisation des sols continue de progresser

Le principal facteur de cet écart entre résultat et objectif est la perte d’efficacité des puits de carbone. « Les forêts n’absorbent absolument pas le CO2 comme prévu dans la SNBC, du fait de l’impact des sécheresses accrues, des incendies et des parasites », détaille la responsable du RAC. Le scénario, qui prévoyait un niveau d’absorption par les forêts plus de deux fois supérieur à la réalité (41 Mt CO2, contre 16,9 Mt), a été élaboré… sans prendre en compte l’effet du changement climatique sur ces dernières.

« Les autres éléments qui constituent des puits de carbone sont les prairies permanentes et les haies. La loi dit qu’elles doivent augmenter. Pourtant, chaque année, l’artificialisation des sols les fait reculer », explique Cyrielle Denhartigh, coordinatrice des programmes au RAC. Pour les prairies, ce sont 20 000 à 30 000 hectares qui disparaissent chaque année. Quant aux haies, 23 571 kilomètres ont été détruits annuellement, en moyenne, entre 2017 et 2021, contre 10 400 kilomètres entre 2006 et 2014, selon un rapport du ministère de l’Agriculture.

Le résultat est aussi inquiétant pour le transport, secteur le plus émetteur, avec des émissions supérieures de 4,5 Mt aux objectifs. Un chiffre qui ne prend même pas en compte le trafic aérien international, invisibilisé car pas intégré aux statistiques nationales. Cette hausse s’explique en partie par la reprise des vols intérieurs, facilitée par le maintien de l’exemption de taxes sur le kérosène, qui coûte pourtant 7 milliards d’euros à l’État.

Mais ce sont les véhicules particuliers qui pèsent le plus. « Les progrès de l’électrification sont compensés par la hausse du poids des véhicules, notamment des SUV qui représentent désormais une vente sur deux », indique Pierre Leflaive, en charge des transports au Réseau Action Climat. Plus lourdes, les voitures consomment plus (la consommation de carburant routier en 2022 est en hausse de 2,3 %), donc émettent davantage. La situation pourrait continuer à se dégrader car, pour préserver leurs marges, les constructeurs de voitures électriques se concentrent sur les gros modèles, privant les ménages modestes d’un accès à un véhicule propre.

Seuls les secteurs du bâtiment et de l’industrie ont respecté leurs objectifs, mais pour des raisons conjoncturelles. Pour le premier, les baisses d’émissions sont « liées en partie à un hiver plus doux et aussi à la hausse du coût de l’énergie, qui a produit une baisse forcée de la consommation », souligne Anne Bringault. Et pas à une vraie politique d’efficacité énergétique : en 2022, seules 66 000 rénovations énergétiques performantes ont été réalisées. Même constat dans l’industrie, où la baisse d’émissions est liée au ralentissement causé par la hausse des prix. C’est le cas notamment dans la sidérurgie, la plus consommatrice, qui a été à certains moments contrainte d’arrêter la production en raison de la hausse des tarifs du fer.

Une loi climat remise aux calendes grecques ?

Si ces résultats sont décevants, l’avenir inquiète encore plus. « Nous avons aujourd’hui une feuille de route qui nécessite des changements structurels dans beaucoup de secteurs et pas juste des effets d’annonce », souligne Emeline Notari, responsable « politiques climat » au RAC. Et le premier enjeu est celui de la justice sociale. « Il faut que la transition soit accessible à tous, et que les forts revenus, qui sont les plus pollueurs, mais aussi les industries, participent davantage à son financement. » Mais, du côté de l’exécutif, les signaux sont au rouge.

Si les groupes de travail sur la Loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) ont bien rendu leurs conclusions le 12 septembre, l’examen de la loi semble remis aux calendes grecques. « C’est une très mauvaise nouvelle qu’Emmanuel Macron ne parle plus de transition énergétique, s’inquiète Anne Bringault. Pire, quand on l’interroge sur le sujet, il reprend l’argument de ceux qui veulent la freiner, selon lequel la France n’est responsable que de 1 % des émissions mondiales. »

 

  publié le 7 juin 2023

Climat : même des néolibéraux proposent de taxer les riches

par Clémentine Autain sur www.regards.fr

Mais ne nous emballons pas trop vite, car selon Emmanuel Macron, « il est important d’éviter le piège à la con du débat sur la fiscalité des riches »...

Qui l’eut cru ? L’économiste libéral Jean Pisani-Ferry, inspirateur du projet d’Emmanuel Macron en 2017, vient de rendre un rapport qui valide nos grands partis pris en matière de lutte contre le réchauffement climatique [1]. Si ses conclusions, rédigées avec l’inspectrice des finances Selma Mahfouz, ont été remises à Élisabeth Borne le 22 mai dernier, elles ont aussitôt été étrillées ou mises au placard à droite. Mais ce pavé dans la mare, qui a déjà fracturé le camp présidentiel, n’a pas encore produit tout son potentiel « disruptif »… Et nous aurions tort de ne pas nous en saisir. Ce rapport peut changer le climat du débat public.

Un économiste libéral qui valide nos présupposés

J’avoue que je n’étais pas prête. Jean Pisani-Ferry, que j’avais notamment rencontré dans mes différentes batailles pour les retraites, alors qu’il enchaînait rapports, tribunes et entretiens pour prôner l’allongement de l’âge de départ et la libéralisation de notre système, s’est mué en… promoteur de la taxation des riches, de la dette et du pilotage public ! Car, ce qui est intéressant dans ce rapport sur « les incidences économiques de l’action pour le climat », ce n’est pas le détail. Le cadre de la croissance dans lequel restent figés les auteurs est contestable. Le choix d’investir massivement dans la voiture électrique est discutable, notamment au regard de la course aux métaux. Et certaines données précises semblent par ailleurs erronées, comme l’a souligné Thomas Piketty sur la fiscalité. Mais il faut savourer tout ce que ce discours bouscule pour la pensée dominante. Dans ses grandes lignes, il apporte de l’eau au moulin de nos solutions sociales et écologistes.

Pour commencer, le rapport préconise une approche d’inventaire : il faut établir un état des lieux des besoins et, ensuite, définir comment arriver à les satisfaire. Ce n’est donc pas une logique financière qui préside. Pisani et Mahfouz disent également explicitement que le pays est mal préparé pour atteindre ses propres objectifs. Mais qu’il est encore possible d’atteindre la neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire de baisser de 55% nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 dans les prochaines années. Le propos liminaire est pour le moins rafraîchissant !

La fiscalité s’avère donc un levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique. Les 1% des plus hauts revenus émettent 66 fois plus de gaz à effet de serre que les 10% des ménages aux revenus les plus faibles. Il est donc juste que les plus hauts revenus contribuent davantage à l’effort nécessaire.

Investir, taxer les riches, piloter

Quand on entre dans le dur des conclusions, trois grandes idées justes et prometteuses sont avancées. D’abord, Pisani-Ferry et Mahfouz proposent de mettre à contribution les plus riches. Pour eux, comme pour nous, la fiscalité s’avère donc un levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique. Comme le rappelle Greenpeace, les 1% des plus hauts revenus émettent 66 fois plus de gaz à effet de serre que les 10% des ménages aux revenus les plus faibles. Il est donc juste que les plus hauts revenus contribuent davantage à l’effort nécessaire. D’ici sept ans, nous apprend le rapport, les plus pauvres devraient consacrer quatre ans et demi de leur revenu (voiture, chauffage, isolation) à l’effort de transition écologique et les classes moyennes deux et demi. Ce n’est pas possible. Une loi peut obliger individuellement tout le monde à rénover son logement ou changer de voiture, la grande majorité n’en a pas les moyens et ne pourra tout simplement pas le faire. C’est pourquoi les plus favorisés doivent mettre davantage au pot commun. Par ailleurs, il faut rendre la transition socialement acceptable. L’effort doit être porté par toute la société, pas seulement peser sur les plus pauvres, comme cela l’a été pour la taxe carbone qui a engendré la révolte des gilets jaunes. D’où la proposition d’un ISF pour financer la transition. Cet impôt est présenté comme exceptionnel et temporaire, mais l’idée est là. Elle est même appréhendée comme une manière de dire aux plus riches que leur mode de vie ne va pas.

Ensuite, les auteurs nous disent qu’il faut investir massivement et donc accroître la dette. Environ 34 milliards d’euros par an d’ici à 2030 sont nécessaires pour les transports, l’isolation thermique, l’industrie verte. S’il faut continuer l’innovation et agir pour changer nos comportements, nous avons un problème d’urgence, de temporalité. Les rapporteurs affirment donc clairement que nous n’avons pas le temps pour une solution venant des marchés. C’est la puissance publique qui doit prendre elle-même en charge l’essentiel du changement.

Enfin, il faut un pilote dans l’avion : les politiques publiques. Pas question donc de laisser le marché faire, c’est bien l’État, avec les collectivités et les délégataires, qui doit avoir la main. Lors de la conférence de presse, un service public de l’automobile a même été évoqué !

Au total, c’est une petite révolution copernicienne…

La Macronie a menti sur les retraites. Elle nous ment à nouveau sur le climat. Leur dogmatisme est sans bornes.

La minorité présidentielle fracturée

Ce rapport est un travail sérieux, qui s’est appuyé sur les données des services de l’État. Il va donc être compliqué pour le gouvernement de le mettre en pièces en deux coups de cuillères à pot. Dès sa publication, Matignon l’a jugé d’une grande utilité. Un « ISF vert », ce « n’est pas un sujet tabou », a, de son côté, affirmé Christophe Béchu. Mais c’était sans compter les rappels à l’ordre… Deux jours plus tard, le ministre de la Transition écologique a rétropédalé : il ne faut « en aucun cas ajouter une taxe écologique ». Il faut dire que le ministre de l’Économie a, lui, fermé toutes les portes en excluant tout recours à la dette et à la contribution des plus riches. La ministre Agnès Pannier-Runacher, en charge de la Transition énergétique, a renchéri : « Nous sommes le pays qui taxons le plus fort, quasiment au monde, les plus hauts revenus », ce qui est faux. Mais au MoDem, le son de cloche est différent : « Il ne faut pas balayer d’un revers de la main ces propositions aussi rapidement », s’agace le président du groupe Jean-Paul Mattei – qui avait défendu la taxe sur les superdividendes.

En attendant, il semble qu’Élisabeth Borne ait déjà perdu l’arbitrage en faveur de mesures conformes aux conclusions de ce rapport. À vrai dire, elle a peut-être même tout simplement perdu le poste de Première ministre, si l’on en croit l’attitude du Président à son égard et les rumeurs rapportées dans les médias. Les députés de la minorité présidentielle, notamment les plus sensibles à ces sujets, vont-ils encore subir l’arbitrage de l’Élysée ou vont-ils se battre en faveur des conclusions de ce rapport ? Sans naïveté, il est possible de s’interroger. Sauf si le débat est vite enterré publiquement. Mais il ne tient qu’à la Nupes de l’encourager et le nourrir…

Saisir l’opportunité

À l’occasion de la sortie de ce rapport, nous aurions tort de nous passer d’une telle opportunité d’enfoncer le clou. Car c’est un mensonge de dire que l’on peut agir sur le climat sans investir, sans partager, sans impulser. La Macronie a menti sur les retraites. Elle nous ment à nouveau sur le climat. Leur dogmatisme est sans bornes. À nous d’y mettre des limites et de faire grandir nos propositions pour prendre à bras-le-corps l’urgence climatique. Comme le rappelle le rapport, il nous faut « faire en dix ans ce qu’on a peiné à faire en trente ». Nous ne pouvons plus ni tergiverser, ni avancer à petits pas. Il nous faut agir, fort et vite.

Notes

[1] « Les incidences économiques de l’action pour le climat », rapport publié en mai 2023, par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, à lire ici.

publié le 30 avril 2023

Face au manque d’eau,
Christophe Béchu reste sec

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

En déplacement dans les Pyrénées-Orientales, le ministre de la Transition écologique n’avait aucune perspective à proposer à un département en situation de crise aiguë.

On ne peut pas vraiment le confondre avec une grenouille météo : Christophe Béchu n’a ni la même manière de s’exprimer ni la peau verte et luisante. Sur le plan fonctionnel, en revanche, la confusion reste possible : sorti du bocal ministériel pour grimper sur son échelle médiatique, le ministre de la Transition écologique commente le temps qu’il fait mais, visiblement, n’a aucun pouvoir d’agir face à la sécheresse qui plonge déjà une grande partie du pays dans l’angoisse. « Je ne suis pas venu pour annoncer des crédits, des fonds ou des choses de ce type », a-t-il ainsi annoncé d’emblée, jeudi 27 avril, à peine le pied posé dans les Pyrénées-Orientales, département particulièrement frappé par le manque d’eau précoce.

Pas de fonds de solidarité pour les agriculteurs

Une fois le périmètre et les ambitions de son déplacement ainsi circonscrits, le ministre a pu présider le comité d’anticipation et de suivi hydrologique convoqué par le préfet Rodrigue Furcy, à l’issue duquel il n’a, fort logiquement, rien annoncé sinon une cellule ministérielle qui se penchera sur le cas des communes confrontées au manque d’eau potable.

Quatre sont déjà dans ce cas dans le département. Mais pas de fonds de solidarité, demandé par les agriculteurs – surtout les maraîchers et fruitiers –, qui savent déjà qu’ils vont perdre la plus grande partie de leurs récoltes et de leurs revenus : le ministre a renvoyé la balle à son collègue de l’Agriculture, Marc Fesneau. Pas non plus de mise à disposition d’un hélicoptère bombardier d’eau, réclamé en début de semaine par la présidente du conseil départemental, Hermeline Malherbe (PS), afin de mieux lutter contre les incendies, comme celui qui a dévasté plus de mille hectares autour de Cerbère en début de mois.

Ce mois d'avril « sera vraisemblablement le plus sec depuis 1959 dans les Pyrénées-Orientales »

Pourtant, la situation est déjà très compliquée. Selon Météo France, ce mois d’avril « sera vraisemblablement le plus sec depuis 1959 dans les Pyrénées-Orientales », et le niveau d’humidité des sols correspond déjà au « niveau de sécheresse que l’on rencontre en temps normal au mois d’août ».

Le département se serre déjà la ceinture, les différents acteurs économiques – en particulier dans le secteur du tourisme – s’étant déjà engagés à réduire drastiquement leurs consommations. Et le département ne sera certainement pas le seul à devoir en passer par là, puisque 40 autres sont déjà en vigilance ou en alerte sécheresse et que les trois quarts des nappes phréatiques sont au-dessous de leur niveau normal.

Dans un tel contexte, le caractère purement gesticulatoire du passage de Christophe Béchu en terres catalanes augure mal des réponses que le gouvernement pourra donner : le pays manque d’eau mais le robinet des moyens, lui, restera bien fermé.  


 


 

La rédactrice en chef d'un jour.
À quand un vrai débat
sur la gestion de l’eau ? 

par Sophie Binet - Secrétaire générale de la CGT

Cette année, la sécheresse est inédite. Il va pourtant falloir s’y habituer car il s’agit de l’une des conséquences durables du changement climatique. Impossible donc de continuer, comme le fait le gouvernement, à gérer le sujet à la petite semaine, au gré des lobbies. Il faut d’abord renforcer les effectifs du ministère de l’Environnement, chargés de surveiller la gestion de l’eau. En effet, alors que les conflits d’usage entre industrie, agriculture et habitants vont se multiplier, il est indispensable de renforcer les acteurs à même de faire primer l’intérêt général. Il faut bien sûr revoir en profondeur le modèle agricole, sortir de la logique productiviste et renouer avec une agriculture ancrée sur les besoins et les contextes locaux. Et pas question d’y répondre en multipliant les méga-bassines ! L’industrie est également à interroger. Le gouvernement s’est félicité de l’extension de l’usine de puces électroniques de STMicroelectronics à Crolles en Isère, sans s’inquiéter de son impact sur les ressources en eau potable. Pourtant, cette industrie pourrait tout à fait fonctionner en réutilisant plusieurs fois la même eau, c’est le projet porté par la CGT mais ralenti à ce stade pour raisons financières. Enfin, alors que la consommation d’eau des particuliers est directement corrélée au niveau de revenus, mettre en place une tarification progressive de l’eau permettrait de lier justice sociale et environnementale. Plus possible de multiplier les piscines ! 


 


 

Les Pyrénées-Orientales, asséchées par de
mauvais choix politiques

Par Lorène Lavocat et David Richard sur https://reporterre.net/

Les Pyrénées-Orientales sont à sec. Certes, des mesures de court terme viennent d’être prises. Mais des années d’inaction politique ont ancré la crise de l’eau : trop d’urbanisation, trop de siphonnage des rivières...

Dans les Pyrénées-Orientales, l’eau manque partout : six communes connaissent déjà des coupures au robinet, une vingtaine d’autres pourraient bientôt être concernées ; les réserves d’eau servant en cas d’incendie sont au plus bas. « Il n’y aura pas assez d’eau pour couvrir tous les besoins d’ici la fin de l’été, a convenu le préfet Rodrigue Furcy, mardi 25 avril. La situation est extrêmement dégradée, le mois d’avril est le plus sec jamais enregistré depuis 1959. » La crise actuelle de l’eau est (aussi) le résultat de choix – et d’inactions – politiques, qui ont laissé le champ libre à des pratiques agricoles et économiques délétères.

« Il y a une forme de déni, on n’a pas pris les mesures au moment où on aurait dû le faire », estime Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie, originaire du département. Pendant des années, les Catalans ont fait comme si l’eau était une ressource infinie. Il finirait bien par pleuvoir ; il y aurait toujours les montagnes et leur or blanc ; il resterait toujours la possibilité de forer dans les nappes. « On s’est un peu comportés comme des enfants pourris gâtés », a admis un représentant des entreprises de tourisme, présent à la préfecture.

L’irrigation est à ce propos un cas d’école. Pour arroser les vergers du Roussillon, les agriculteurs ont toujours compté sur l’eau de la Têt. Et même un peu trop. Avec l’aval de l’État, les irrigants pompaient dans la rivière bien au-delà des limites réglementaires définies par la loi sur l’eau [1]... jusqu’à la fin de l’année dernière, quand la justice a cassé les arrêtés préfectoraux.

En parallèle, nombre d’agriculteurs – mais aussi des particuliers – se sont mis à puiser dans les nappes phréatiques. Sans toujours déclarer leurs forages. Résultat, impossible de connaître aujourd’hui avec précision l’état de la ressource en eau profonde. « Pour l’irrigation agricole, on compte sur 2 000 forages [sur le secteur de la plaine du Roussillon], moins de 50 % en situation régulière », estimait la Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales (Frene 66) dans une contribution adressée au Sénat fin 2022. Les pouvoirs publics prévoyaient un recensement et une opération de régularisation en… 2018. Cinq ans plus tard, « le travail est toujours en cours », assure-t-on à la préfecture.

Du retard a également été pris quant à la rénovation des canaux, qui amènent le précieux liquide de la Têt jusqu’aux parcelles agricoles : d’après des études effectuées en 2011, ces conduits dérivent chaque année 275 millions de mètres cubes de la Têt ; or les besoins des plantes irriguées s’élèveraient à 51 millions de mètres cubes annuels. Il y a donc là une importante marge de manœuvre pour économiser l’eau, notamment en luttant contre les fuites. Sauf que les travaux tardent à venir. Le gouvernement a annoncé qu’il débloquerait 180 millions d’euros par an pour réparer « en urgence » les fuites d’eau dans les canalisations. Dans 170 communes, les pertes atteignent 50 % : un litre sur deux perdu. 14 de ces communes se trouvent dans les Pyrénées-Orientales.

Autre exemple de cet aveuglement, l’urbanisation. « Alors que la situation climatique devrait nous conduire à stopper l’arrivée de nouveaux habitants, comme certains maires l’ont décidé dans le Var, et à désimperméabiliser les sols pour permettre à l’eau de s’infiltrer, ici, on en est loin », regrette Joseph Genébrier, membre de Frene 66. Les zones pavillonnaires – avec piscines – ont fleuri sur le territoire. Sur le bassin de la Têt, la Frene 66 a constaté des projets de lotissements à Argelès-sur-Mer, à Sorede, à Banyuls… Pour un total de 1 700 logements et une artificialisation de 70 hectares.

Une division par dix de la consommation pour les golfs

Pour faire face, la préfecture a bien décrété la mobilisation générale, chaque secteur étant sommé de se serrer la ceinture. « Il faut passer d’une logique de passager clandestin à une logique de solidarité », a martelé le préfet lors de la conférence de presse. Les acteurs du territoire lui ont remis leurs bonnes résolutions. 500 000 mètres cubes d’économie pour l’hôtellerie-restauration ; une division par dix de la consommation pour les golfs ; 50 % de réduction et une réutilisation des eaux usées pour les parcs aquatiques. « On prélève 75 % d’eau en moins qu’en année normale », a assuré la présidente de la Chambre d’agriculture, Fabienne Bonet, la mine grave, avant de prévenir : « On est en mode survie, on ne peut pas aller plus loin. » Le préfet a salué « un effort collectif ».

Mais si élus, agriculteurs et acteurs touristiques se réveillent, pas sûr qu’ils soient prêts pour la révolution écologique qui s’impose. « Bien sûr, il faut gérer au mieux les mois qui s’annoncent, mais il nous faut aussi nous adapter. Et pour ce faire, il faut du courage politique », estime Agnès Langevine. Aucun édile n’a pour le moment emboîté le pas au maire d’Elne par exemple, qui a interdit les nouvelles piscines. Sceptique lui aussi, le militant écologiste de longue date Joseph Genébrier critique ce regain de mobilisation qu’il juge complètement hors sujet : « Les acteurs économiques, les élus, les agriculteurs continuent de raisonner les économies en litres alors qu’il faudrait penser en mètres cubes, résume-t-il. Il nous faut des mesures fortes. » Interdire les usages trop gourmands en eau, stopper l’urbanisation, transformer l’agriculture.

Mais les députés et conseillers municipaux du Rassemblement national – le parti d’extrême droite a remporté une victoire historique aux législatives dans le département – ont brillé par leur discrétion sur ce sujet de la sécheresse. En mars, plusieurs chercheurs, dont le climatologue et auteur du Giec Christophe Cassou, ont tenu à Perpignan une conférence sur la pénurie d’eau. Aucun élu de droite ni d’extrême droite n’a fait le déplacement. Le même jour, des adjoints de Louis Aliot (maire RN de la capitale catalane) annonçaient la tenue d’une procession religieuse pour implorer la pluie.

Principale réaction – du moins la plus visible – des responsables politiques et agricoles : des manifestations et des prises de position véhémentes contre les écologistes. « On désigne les coupables, qui seraient les écolos… c’est sans doute plus simple que de s’atteler aux problèmes de fond », constate, amère, Agnès Langevine.

  publié le 24 avril 2023

Climat :
qui aurait pu prédire
que Macron allait mentir ?

Mickaël Correia sur www.mediapart.fr

Il y a un an jour pour jour, le président Emmanuel Macron assurait le soir-même de sa réélection vouloir « faire de la France une grande nation écologique ». Mais le bilan depuis cette déclaration s’apparente plus à une politique de sabotage climatique qu’à une réelle réponse politique face à l’urgence d’un monde qui brûle.

L’anL’an dernier, durant l’entre-deux-tours de la présidentielle, Emmanuel Macron l’avait promis : sa politique « sera écologique ou ne sera pas ». Et le soir de sa réélection, il y a un an jour pour jour, le chef de l’État de déclarer : « Faire de la France une grande nation écologique, c’est notre projet. »

Ce quinquennat, qui s’achèvera en 2027, est celui de la dernière chance face à l’urgence climatique, qui nous impose de diviser par deux nos émissions d’ici à la fin de la décennie.

Le Haut Conseil pour le climat, vigie de l’action climatique du gouvernement, le dit sans ambages : le défi majeur d’Emmanuel Macron consiste à doubler le rythme de baisse des émissions de CO2 du pays.

Un chantier titanesque quand on sait que l’État français a récemment été condamné par deux fois en justice pour son inaction climatique.

À peine trois mois après la reconduction à la tête de l’État d’Emmanuel Macron, tandis que la France suffoquait de chaleur et que la Gironde brûlait, le gouvernement a fait voter en juillet 2022 à l’Assemblée nationale l’installation d’un terminal méthanier au large du Havre.

Face à la baisse des approvisionnements en gaz russe, et alors que les centrales nucléaires fonctionnaient au ralenti, l’État français a choisi d’importer via ce terminal havrais du gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis. Qu’importe si ce combustible fossile est extrêmement néfaste pour le climat, et soit issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes et interdite en France depuis 2011.

Durant ce même mois de juillet, le gouvernement Borne a acté le redémarrage pour l’hiver 2022-2023 de la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle). Celle-ci avait pourtant fermé quatre mois plus tôt, conformément à la promesse d’Emmanuel Macron d’arrêter les infrastructures charbonnières d’ici à 2022.

Ce recours temporaire au charbon augure le pire en matière de réchauffement. Première source des dérèglements du climat, la combustion de charbon pour produire de l’électricité engendre à elle seule 45 % des émissions mondiales de CO2.

Enfin, toujours en juillet 2022 et en pleine canicule, Emmanuel Macron a reçu en grande pompe dans le parc du château de Versailles, Mohammed ben Zayed Al Nahyane, le président des Émirats arabes unis.

Ce dernier est venu conclure un mégacontrat pétrolier entre Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), la compagnie énergétique nationale émirienne et TotalEnergies afin d’abreuver la France en diesel bon marché.

Saper les politiques climatiques

Mais depuis la réélection d’Emmanuel Macron, le gouvernement ne fait pas que souffler sur les braises du réchauffement planétaire en perpétuant notre dépendance au pétrole, au gaz et au charbon. Il renonce aussi sciemment à déployer les politiques publiques nécessaires pour répondre aux dérèglements du climat.

Durant tout l’automne, à contre-courant des recommandations de l’ONU et de la Commission européenne, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, s’est obstiné à refuser de taxer les superprofits des firmes fossiles, premiers moteurs de l’emballement climatique. Alors que l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni ont instauré une taxe temporaire sur les profits des pétroliers pour aider les ménages les plus précaires.

Autre exemple, alors qu’en Europe le nombre de vols en jet privé a augmenté de 64% durant 2022, atteignant des niveaux record en France, Christophe Béchu, ministre de la transition écologique, s’est encore prononcé en mars dernier contre l’interdiction des jets.

Et quand un fonds de transition écologique, doté de deux milliards d’euros, a été annoncé par la Première ministre, Élisabeth Borne, fin août 2022, c’est pour qu’ensuite, en avril 2023, le gouvernement choisisse parmi les premiers projets l’aménagement de deux zones d’amarrage pour les grands yachts dans le golfe d’Ajaccio (Corse-du-Sud). Une décision qui a créé l’ire des associations écologistes locales qui luttent contre ces palaces flottants ultrapolluants.

Un sabotage en règle

C’est tout aussi un travail de sape climatique qu’opère le gouvernement depuis un an.

Le 31 décembre 2022, le soir de ses vœux aux Français, Emmanuel Macron a asséné en direct à la télévision : « Qui aurait pu prédire la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été en France ? » Une phrase qui balaie d’un seul geste le fait que le premier rapport du Giec date de 1990. Et que depuis 1995, vingt-sept sommets internationaux (ou COP), se sont déroulés.

Un mois plus tard, en janvier dernier, Mediapart a dévoilé comment le Haut Conseil pour le climat, organisme indépendant lancé fin 2018 par le président de la République, a été repris en main par son nouveau directeur exécutif, proche d’Emmanuel Macron et des milieux pro-industries.

Réputé pour ses publications de haute qualité scientifique étrillant sévèrement l’inaction du gouvernement, le Haut Conseil pour le climat a vu en juin 2022 les pans les plus critiques de son dernier rapport annuel sur les politiques climat en France édulcorés, voire supprimés, afin d’être plus aligné politiquement sur l’Élysée.

De même, d’après un décompte réalisé par Mediapart en mars dernier, plus d’une vingtaine de responsables publics détiennent des actions de TotalEnergies. Parmi les parlementaires et ministres actionnaires du géant pétrolier français, la moitié appartiennent à la majorité présidentielle.

Une situation qui pose des questions d’ordre déontologique et politique, à l’heure de l’accélération du dérèglement climatique, quand on sait que plusieurs élu·es ont voté contre la taxation des superprofits des grands groupes énergétiques ou pour l’installation du terminal méthanier du Havre, qui bénéficiera à TotalEnergies.

Dernière illustration en date de ce sabotage en règle : début avril, les député·es Renaissance, en cheville avec les élu·es Les Républicains et RN, ont repris les argumentaires du lobby du secteur publicitaire pour torpiller en commission parlementaire un texte interdisant les très énergivores écrans publicitaires.

Alors que l’État demande aux Français des efforts de sobriété et que, dans la rue, 55 000 panneaux publicitaires digitaux sont allumés, l’offensive contre cette proposition de loi bénéfique pour le climat a été orchestrée par le député Renaissance de la Vendée, Stéphane Buchou. Ce dernier a été de 2009 à 2017 directeur adjoint de Cocktail Vision, une entreprise se définissant comme le « premier réseau numérique publicitaire outdoor grand format de France ».

Le député a assuré à Mediapart : « Je suis parfaitement neutre dans ma façon de suivre ce dossier. »

Le 3 avril dernier, le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), l’organisme missionné pour réaliser l’inventaire français des émissions, a estimé que les rejets de gaz à effet de serre ont baissé de 2,5 % dans le pays l’an dernier.

Aussitôt, Renaissance s’est précipité sur les réseaux sociaux pour qualifier Emmanuel Macron de « Président de l’écologie des solutions ». C’était oublier de dire que cette baisse était due, selon le Citepa, en majeure partie à des facteurs conjoncturels, comme un hiver très doux et des prix élevés de l’énergie.

Une réduction des émissions due aux conséquences de l’inaction climatique, en somme. Mais qui aurait pu prédire que la majorité présidentielle allait mentir de nouveau ?

 

  publié le 19 février 2023

Le gouvernement reprend brutalement en main la sûreté nucléaire

Jade Lindgaard sur www.mediapart.fr

Pour lancer au plus vite la construction de nouveaux réacteurs EPR, le gouvernement réorganise au pas de charge le système qui sert à prévenir les risques et les accidents nucléaires. Dans sa ligne de mire : l’IRSN, principal organisme d’expertise et de recherche sur le sujet, menacé de démantèlement. 

Ce n’est plus une accélération, c’est le franchissement du mur du son. Lundi 20 février, le gouvernement attend un rapport sur la complète réorganisation du système de contrôle de la sûreté des centrales nucléaires, qui sert à prévenir les risques et les accidents. Le hic, c’est qu’il l’a commandé le 8 février, laissant à peine douze jours aux auteurs pour le préparer. Et le drame, c’est qu’il doit préfigurer le démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), principal organisme d’expertise et de recherche sur le sujet.

« C’est très brutal pour l’ensemble des salariés », résume un expert senior de l’institut – qui a requis l’anonymat. Le directeur général de l’IRSN a appris la décision du gouvernement trois jours après le conseil de politique nucléaire tenu à huis clos à l’Élysée le 3 février, en son absence. Il n’a été convoqué au ministère de la transition énergétique pour y recevoir sa nouvelle lettre de mission qu’à quelques heures de l’envoi d’un communiqué de presse annonçant la future disparition de l’IRSN. « Nous n’étions absolument pas au courant » de ce qui se préparait, ajoute cette source. 

D’après les premiers éléments circulant par bribes d’information, et derrière un épais nuage d’opacité, l’idée du gouvernement est de créer « un pôle unique et indépendant de sûreté » autour de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), à laquelle seraient rattaché·es les expert·es de feu l’IRSN. Les chercheur·es de l’institut rejoindraient le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), et les spécialistes en nucléaire militaire atterriraient auprès du délégué à la sûreté des activités de Défense (sous-marins, etc.). 

Ce chamboulement doit servir à « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN », explique le gouvernement, dans le contexte du « volume croissant d’activités lié à la relance de la filière nucléaire ». Autrement dit, pour lancer au plus vite la construction de nouveaux réacteurs EPR 2, dont les premiers pourraient démarrer en 2035, l’Élysée met la pression sur les expert·es en sûreté. D’ailleurs, cette réorganisation doit passer par un amendement du gouvernement au projet de loi d’accélération du nucléaire, que les député·es doivent examiner à partir du 1er mars. 

Exaspération et exigences

Cette annonce intervient alors que le parc nucléaire français est en plein bouleversement : nouveaux EPR, prolongement envisagé des réacteurs actuels jusqu’à 60 ou 80 ans, surveillance continue des problèmes de corrosion qui ont mis à l’arrêt une partie des installations en 2022, causant un déficit abyssal de 17,9 milliards d’euros pour EDF. La charge de travail pour les personnels du groupe et pour les organismes qui les contrôlent est énorme. 

Dans ce contexte, l’IRSN est-il réellement une cause de ralentissement des multiples chantiers en cours ? Sur un dossier important, les expert·es peuvent prendre jusqu’à un an et demi pour rendre leur avis, explique à Mediapart Thierry Charles, ancien directeur général adjoint de l’IRSN, chargé de la sûreté nucléaire et aujourd’hui retraité : « C’est nécessaire. Parfois une quarantaine d’experts sont mobilisés. » Une bonne expertise, c’est « préparer des questionnaires longs et précis, auxquels l’exploitant peut mettre plusieurs mois à répondre ». 

Après vient le temps de l’analyse des informations recueillies. L’ASN peut mettre un an à donner suite. Et EDF, à son tour, peut prendre plusieurs mois à répondre aux demandes de l’autorité. Mais « aujourd’hui, ce ne sont pas les temps d’instruction par l’IRSN ou l’ASN qui créent des délais », analyse un expert senior de l’institut, « ce sont les chantiers de construction organisés selon des plans qui ne sont pas réalistes ». Ainsi, sur le dossier des corrosions sous contrainte, une « task force » a été mise en place : « Notre objectif n’est pas de bloquer le système. On est là pour anticiper les difficultés. »

Du côté d’EDF, les signes d’exaspération envers l’ASN, jugée trop exigeante, se sont multipliés ces dernières années. En parcourant les derniers rapports de son inspecteur général sur la sûreté – un salarié du groupe –, on lit que l’IRSN aussi est ciblé. En 2021, au sujet de moteurs Diesel de secours présents dans les centrales, « le temps qu’il a fallu pour s’accorder avec l’IRSN sur les niveaux sismiques interroge » : « Étant donné la très grande robustesse retenue d’emblée et les marges de dimensionnement, n’y avait-il pas matière à une approche plus rapide 
et forfaitaire ? » On y parle aussi de « l’inflation des questions » de l’ASN et de l’IRSN. En 2022, nouveau tacle : « Le jeu à trois (ASN, IRSN, EDF) 
peut conduire à des surenchères superflues » et « Il est de la responsabilité
 de l’exploitant d’affirmer ses convictions »

Pourtant, en 2020, une lettre signée par la ministre de l’écologie affirme « la nécessité de ne pas découpler les missions d’expertise et de recherche concourant à l’évaluation du risque nucléaire et radiologique des sphères civiles et de défense ». Soit l’inverse de ce que demande aujourd’hui le gouvernement. Comme on le voit en bas de cette missive obtenue par Mediapart et publiée ci-dessous, la titulaire du ministère s’appelle alors Élisabeth Borne.  

« Nous souhaitons mettre en place le modèle de gouvernance plus proche de celui qui prévaut dans la plupart des grands pays nucléaires », explique aujourd’hui le ministère de la transition énergétique. À savoir ? « Intégrer expertise et prise de décision dans une seule et même entité totalement indépendante. »

C’est le modèle de la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’autorité de sûreté aux États-Unis. Pour Yves Marignac, chef du pôle énergies nucléaire et fossiles de l’Institut négaWatt qui a publié une note détaillée sur le sujet, cette référence ne tombe pas par hasard : « Dans la réglementation américaine, l’exigence de sûreté repose sur une démonstration de probabilité qui montre qu’on se trouve en dessous d’un certain seuil de probabilité d’avoir un accident grave. » Alors que la doctrine française de sûreté est « déterministe » : « On postule la situation la plus pénalisante et on fait la démonstration que dans ce cas, les systèmes de sauvegarde sont suffisants. » 

Selon lui, « il est techniquement évident que justifier qu’un réacteur nucléaire peut atteindre 60, voire 80 ans sera plus facile avec une approche probabiliste que déterministe ». Or, lors de ses vœux à la presse en janvier, le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, s’est dit ouvert à une approche « probabiliste ». Contrairement à ce que porte l’IRSN, très attaché à l’approche déterministe à la française. 

« À l’IRSN, l’expertise se fait en indépendance de l’exploitant et de l’ASN, explique Thierry Charles, sinon le risque est que l’expertise s’aligne sur la vision de la future décision. Le rôle de l’ASN est de s’assurer de la conformité aux règles. L’IRSN fait une expertise en toute liberté, sans porter aucun poids dans la décision. »

Appel à la grève

Auditionné par les parlementaires de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) jeudi 16 février, le directeur général de l'IRSN, Jean-Christophe Niel, a expliqué que « depuis 20 ans l’IRSN remplit ses missions » et que « son organisation actuelle permet de mobiliser les compétences de l’institut à tout moment » : « La force de l’IRSN, c’est la complémentarité de tous les champs couverts. » Il en a aussi profité pour dire que l’expertise et la recherche y sont « imbriquées », parfois exercées « par les mêmes personnes »

Le comité social et économique (CSE) de l’IRSN s’est prononcé à l’unanimité contre ce démantèlement et une intersyndicale appelle à la grève le 20 février, un évènement rarissime pour cet organisme habituellement aussi discret que feutré. Environ 1 700 personnes y travaillent. Pour Thierry Charles, « il faudrait améliorer le système au lieu de tout casser. Tout ça représente un bond de 30 ans en arrière ». 

C’est l’accident de Tchernobyl, en 1986, qui a conduit la puissance publique à créer l’IRSN, en 2001, sur le principe de la séparation des fonctions d’expertise et de contrôle. Lors de la catastrophe nucléaire soviétique, les autorités françaises avaient nié l’existence de retombées radiologiques significatives sur le territoire national. Cette position, contredite par des mesures scientifiques, a jeté un discrédit durable sur le discours officiel concernant le risque nucléaire. « Je ne défends pas l’institut en tant qu’institution, tient à préciser Thierry Charles, J’y suis attaché car je sais ce qu’il vaut. Ma crainte est qu’avec cette réforme, on perde les acquis de l’IRSN, alors qu’il y a des moyens de l’améliorer. »

De son côté, l’ASN fait profil bas et s’aligne sur la position du gouvernement : « Les réflexions sur une évolution du contrôle de la sûreté sont anciennes et sont récurrentes, signe positif que l’ensemble des parties prenantes cherchent toujours à en améliorer le fonctionnement et le rendre perfectible ». Le délégué CGT de l’IRSN, Philippe Bourachot, fustige « une décision purement politique pour faire en sorte qu’un acteur dont on juge qu’il est trop pointilleux, l’IRSN, se mette au diapason ». 

Tout ne sera peut-être pas si facile pour le gouvernement : l’IRSN fut créé par une loi en 2001. Est-il possible de le supprimer par un article de loi ajouté en cours d’examen parlementaire, et donc sans étude d’impact ni passage devant le Conseil d’État ? La précipitation gouvernementale pourrait créer des obstacles inattendus. À commencer par des recours devant la justice.

  publié le 19 janvier 2023

Trois ans après Lubrizol,
un incendie ravage
un entrepôt de batteries au lithium près de Rouen
 

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

Ce lundi, à Grand-Couronne, les flammes ont détruit un hangar de stockage de l’entreprise Bolloré Logistics. L’immense panache de fumée toxique inquiète les riverains alors que la préfecture minimise l’ampleur du risque sanitaire.

Ce lundi, peu après 16 heures 30, ordre a été donné d’évacuer le site Bolloré Logistics de Grand-Couronne, au sud-ouest de Rouen. En cause, un incendie dans trois unités de stockage, renfermant quelque 12 000 batteries automobiles au lithium, des pneus, des palettes et des textiles. Ce mardi, Pierre-André Durand, préfet de Seine-maritime, affirmait que l’incendie « maitrisé », ne présentait « aucun risque pour la population », et ce, malgré «quelques foyers résiduels en cours de refroidissement». « Il n’y a pas de blessés, pas de victimes et pas de destruction voisine », poursuivait-il.

Reste qu’un peu plus de trois après l’incendie du l’usine de produits chimiques Lubrizol, située à peine une dizaine de kilomètres plus au Nord, les riverains redoutent la recrudescence de ce genre d’incidents. D’autant que si contrairement à Lubrizol, le site de Bolloré Logistics n’est pas classé Seveso (qui identifie les emprises industrielles à “hauts risques”), « les incendies de batteries lithium sont très polluants” et peuvent être “graves pour la santé », explique Paul Poulain, expert en risques industriels, interrogé par l’AFP. En somme, résume Gérald Le Corre, responsable santé et travail à la CGT, « ce n’est pas parce que le site Bolloré n’est pas classé Seveso que les fumées de l’incendie ne sont pas toxiques, cancérogènes et dangereuses pour la santé des pompiers, des riverains, des travailleurs ». Dans un tel contexte, le syndicaliste « exige la transparence complète », notamment via la publication « sans délai (…) de la nature des produits partis en fumées, des résultats de toutes les analyses réalisées en lien avec l’incendie », mais également « des documents de Bolloré concernant le risque incendie dont les rapports de visite de son assureur ». Mais pas seulement. La CGT, qui déplore, une nouvelle fois qu’aucun registre départemental n’existe sur les cas de cancer et de malformations demande « la mise en place d’un suivi médical pour l’ensemble des riverains et travailleur.e.s exposés dont les pompiers, en commençant par la mise en œuvre immédiate de prélèvements urinaires et sanguins conservatoires.»

En ce qui concerne les riverains, plusieurs élus locaux sont montés au créneau, dénonçant le manque de prévention et l’alerte tardive. « Beaucoup d’habitants n’ont pas reçu de SMS d’alerte », déplore par exemple Alma Dufour, député LFI de Seine-Maritime. Ce système, mis en place suite à l’incendie de Lubrizol reposant sur le volontariat. Mais « la sirène d’alarme n’a pas retenti non plus », poursuit l’élue, qui rapporte le témoignage de « plusieurs personnes qui étaient dehors et exposées à l’épaisse fumée de l’incendie pendant plusieurs minutes, voire, dizaines de minutes ». Sur la même ligne que la CGT, Alma Dufour qui « dénonce le fait que les habitants de la Métropole de Rouen soient toujours victimes du manque d’information et de l’absence de prise au sérieux des risques d’exposition à des substances chimiques dangereuses en combustion », demande la transparence sur cette affaire.

La préfecture a assuré que « tous les résultats » d’analyses seraient publiées. Le procureur de la République de Rouen, pour sa part, a annoncé l’ouverture d’une enquête « afin de déterminer les causes de l’accident et de savoir si l’incendie est volontaire ou non ».


 


 

 

 

Pollution : l’usine brûle, l’État rassure

Jade Lindgaard sur www.mediapart.fr

À Grand-Couronne, au sud de Rouen, un grave incendie a dévasté un entrepôt stockant des produits toxiques, notamment pour Bolloré Logistics. La préfecture s’est empressée de nier les risques, en dépit des rapports d’expertises sur la dangerosité du sinistre.

Malgré les flammes, la noirceur de la fumée et la taille de son panache, allongé sur sept kilomètres, il n’aura fallu que 3 h 20 à la préfecture de Seine-Maritime, lundi 16 janvier, pour écarter l’idée d’une menace. À Grand-Couronne (Seine-Maritime), un grave incendie a ravagé un entrepôt de Bolloré Logistics, stockant 12 250 batteries au lithium, à proximité de 70 000 pneus, eux aussi partis en fumée. 

Dans cette commune du sud de Rouen et dans la métropole normande, l’odeur de brûlé et la vue de la fumée ont aussitôt ravivé le traumatisme de Lubrizol, cette usine d’huiles de moteur détruite en 2019 par un violent sinistre. Des images spectaculaires ont rapidement circulé sur les réseaux sociaux.

Le feu se déclare lundi après-midi, à 16 h 30, selon la préfecture. À peine trois heures plus tard, à 19 h 52, elle publie sur son compte Twitter un message annonçant qu’« aucun élément particulier préoccupant » n’a été mesuré par les pompiers. À 0 h 45, elle communique un nouveau point de la situation : « À ce stade, aucun risque particulier n’a été identifié. » À 8 heures le lendemain matin, même message : « À ce stade, aucun risque particulier n’a été identifié. » Mardi 17 janvier à 19 heures, plus de 24 heures après le début de l’incendie, le bilan est toujours aussi rassurant : les mesures prises dans l’environnement par les pompiers « n’ont pas montré de risques pour la population dans le département ».

Pourtant, le lithium et les pneumatiques font partie des produits émettant des « substances toxiques » en cas d’incendie recensées par l’Ineris, l’expert public sur la maîtrise des risques industriels. Dans un rapport publié en janvier 2022, à la suite des graves incendies de Lubrizol et de Notre-Dame-de-Paris, consultable en ligne, on voit que lors d’essais, la combustion de batteries au lithium et de pneumatiques dégage des composés organiques volatiles (COV), substances dont les formes les plus nocives sont cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui à haute dose sont des irritants aux effets neurotoxiques, sont également mesurés, ainsi que des particules fines, dont les effets délétères sur la santé sont bien connus.

Concernant les batteries au lithium, le rapport s’appuie notamment sur un article scientifique expliquant que de « grosses quantités d’acide fluorhydrique peuvent être générées » ainsi que du fluorure de phosphoryle, substances dangereuses pour la santé humaine. Sur le sujet spécifique des incendies de batteries au lithium, encore mal connu, un autre document d’expertise publique est facilement disponible : une note de l’organisme de référence sur l’expertise de la santé au travail, l’INRS, indique qu’en cas d’incendie ou d’explosion, « un dégagement de gaz potentiellement toxiques et corrosifs » est à craindre.

Pour Paul Poulain, expert en sécurité industrielle, et auteur de Tout peut exploser (2021), ces informations auraient dû « faire respecter le principe de précaution le temps de l’incendie, par exemple en demandant aux gens de se confiner pour éviter de respirer des produits toxiques »

Pour Gérald Le Corre, inspecteur du travail, responsable santé-travail à la CGT, et membre du Collectif Lubrizol, la façon dont la préfecture a communiqué sur l’incendie de Bolloré Logistics marque « un recul par rapport à ce qui s’est passé en 2019 au moment de l’accident de Lubrizol ». Selon lui, « aucune leçon n’a été tirée : les pneus sont les produits qui dégagent le plus de HAP lorsqu’ils brûlent. Un feu industriel émet des produits potentiellement cancérogènes. Comment peut-on dire qu’il n’y a pas de risques ? C’est une banalisation des feux industriels ».

Une manifestation est appelée lundi 23 janvier à Rouen « pour obtenir justice, transparence et une meilleure protection ».

Sollicitée par Mediapart, la préfecture de Seine-Maritime assure que « compte tenu de l’ensemble des connaissances » sur la nature des produits enflammés et des premières mesures réalisées sur le site par les pompiers, qui ont été « obtenues très rapidement », « il a été possible d’indiquer qu’il n’y avait pas de risque particulier pour la population et, partant, pas à actionner de mesures d’évacuation ni même de confinement ».

Le SDIS a notamment réalisé des mesures d’acides chlorhydrique et fluorhydrique et en ont détecté la présence « au plus près du foyer uniquement ». Des prélèvements dans l’air à proximité immédiate et lointaine du lieu du sinistre n’ont pas montré leur présence, vraisemblablement en raison de la grande quantité d’eau déversée et de l’effondrement du bâtiment, qui a rabattu les polluants au sol.

Mais « où ont été placées les balises de mesure des pompiers ? », demande Paul Poulain, au vu de la hauteur impressionnante du panache de fumée, monté jusqu’à 2 400 mètres dans le ciel. Elles ont été « posées au sol ou sur des éléments en hauteur, à chaque fois que cela a été possible (sur des tables, sur un toit) », répond la préfecture. Les outils de mesure ont été disposés « au droit du panache » donc en dessous, « là où se situent les populations », précisent les services de l’État.

Mardi soir, 24 heures après le début de l’incendie, les résultats des mesures des balises ont été mis en ligne sur le site de la préfecture. Ont été recherchés les pourcentages d’oxygène, la concentration de monoxyde de carbone, et le sulfure d’hydrogène. Mais « pas les HAP ni les métaux lourds », signale Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche à l’Inserm, et porte-parole de réseaux citoyens de lutte pour la santé contre les risques industriels.

Les pneus synthétiques comprennent pourtant « une kyrielle de substances chimiques », explique la chercheuse, qui alerte aussi sur le problème de la localisation des mesures : « Avec la pluie, la pollution a dû retomber en taches de léopard, de façon éparse. » Après l’incendie de Lubrizol en 2019, des traces d’hydrocarbures avaient été retrouvées dans le lait de femmes allaitantes. « Il faudrait une vraie information pour les riverains, une cartographie fine de balises de prélèvement 24 heures sur 24 sur plus de polluants. Et des analyses d’urine chez les pompiers. »

L’association Robin des bois a annoncé déposer plainte contre X, notamment pour exploitation non conforme d’une installation classée ayant dégradé substantiellement la qualité de l’air, du sol et de l’eau. « Les poursuites devront déterminer les responsabilités respectives de Bolloré Logistics et des autres parties prenantes, du propriétaire du site et des producteurs et détenteurs des déchets et des marchandises », explique-t-elle dans un communiqué.

Autre question : pourquoi la préfecture n’a-t-elle pas enclenché le signal FR-Alert, un système de communication permettant d’envoyer des messages dans tous les téléphones mobiles par ondes radio (technique dite du « cell broadcast ») ?

« C’est une occasion en or manquée, regrette Johnny Douvinet, enseignant-chercheur à l’université d’Avignon, et qui conseille le ministère de l’intérieur à ce sujet. Vu l’événement (l’incendie), la nature de ce qui a brûlé (des pneus et des batteries de lithium) et les consignes (évitez le secteur), on aurait pu s’attendre au déclenchement de notifications d’alertes sur les téléphones des individus situés autour du site. Il y a vraiment besoin d’associer information et alerte, surtout quand un incendie prend de l’ampleur. C’est une fausse idée de penser que cela va créer de la panique. »

D’après les résultats de ses recherches, en milieu urbain, le « taux d’alertabilité », c’est-à-dire la part de la population qui reçoit le message par FR-Alert, peut atteindre 95 %. Alors que l’envoi par SMS ne permet de toucher que 2 à 3 % des habitant·es – qui doivent faire l’effort de s’abonner. Lundi soir vers 18 h 30, la métropole de Rouen a envoyé un texto appelant à éviter le lieu du sinistre.

Pourtant, la préfecture de Seine-Maritime a formé ses agent·es à FR-Alert, doté d’un budget de 50 millions d’euros dans le cadre du plan France Relance. Dans un communiqué, elle a précisé n’y avoir pas fait appel car la situation ne représentait pas de « péril imminent ».

  publié le 6 janvier 2023

Zones faibles émissions :
une « écologie »
punitive et anti-sociale

William Bouchardon sur https://lvsl.fr/

Après la taxe carbone en 2018, qui avait donné naissance au mouvement des gilets jaunes, la voiture sera-t-elle à nouveau à l’origine de contestations sociales massives dans les prochaines années ? De plus en plus d’élus s’inquiètent de la colère grandissante contre les Zones à Faibles Émissions, y compris au sein du gouvernement. Il faut dire que cette mesure incarne à peu près tout ce qu’il ne faut pas faire en matière de politique écologique : non seulement elle va compliquer la vie des ruraux et des plus pauvres, mais en plus ses conséquences environnementales paraissent plutôt nulles, voire négatives. Plutôt que de développer réellement les alternatives à la voiture, les pouvoirs publics s’entêtent dans une impasse.

L’idée de départ des Zones à faibles émissions (ZFE) est simple : dans de nombreuses d’agglomérations, l’air est trop pollué, notamment en raison du trafic routier. On ne peut nier la gravité de cet enjeu : selon Santé Publique France, environ 48.000 décès prématurés peuvent être attribués à la pollution de l’air chaque année, ce qui en fait une des premières causes de réduction de l’espérance de vie. En 2015, une commission d’enquête du Sénat chiffrait quant à elle à 100 milliards d’euros par an le coût de la pollution de l’air, notamment en raison des impacts sur le système de santé. Plus que le CO2, connu pour son impact d’accroissement de l’effet de serre, les gaz les plus dangereux pour la santé sont les fameuses « particules fines » (PM2,5) et le dioxyde d’azote (NO2). 

Si les sources d’émission de ces gaz sont multiples, on peut notamment citer les centrales électriques thermiques, les chauffages au bois peu performants et la circulation automobile. Pendant longtemps, la France s’est peu préoccupée de la pollution de l’air, d’autant qu’elle ne compte pas beaucoup de centrales thermiques et que les normes imposées aux constructeurs automobiles permettaient de diminuer cette pollution malgré l’augmentation constante du nombre de véhicules en circulation. Mais depuis quelques années, le sujet est devenu de plus en plus présent dans la sphère publique, notamment à la suite des révélations du dieselgate – où l’on apprit que Volkswagen, mais aussi d’autres constructeurs, trafiquaient leurs moteurs pour passer les tests de pollution – et de plusieurs condamnations  de l’Etat français en justice pour ne pas avoir respecté des seuils d’exposition prévus par la loi.

Au cours des deux années à venir, les millions de Français propriétaires d’un véhicule polluant vont devoir en changer s’ils souhaitent continuer à se déplacer dans les grandes villes.

En 2019, l’Etat décide donc de mettre en place des ZFE dans les grandes agglomérations afin d’interdire progressivement la circulation des véhicules les plus polluants, définis ainsi en fonction de leur vignette Crit’Air (de 5 pour les plus polluants à 0 pour ceux qui sont considérés propres, telles que les voitures électriques). Si l’idée n’est pas forcément mauvaise, la montée en puissance rapide des ZFE inquiète fortement les élus. D’une part, celles-ci vont très vite se multiplier : si onze métropoles (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Grenoble…) ont déjà créé leur ZFE, d’ici le 1er janvier 2025, toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants (soit 43 au total) seront concernées. D’autre part, les véhicules interdits vont être de plus en plus nombreux : l’interdiction concernera les Crit’Air 5 en 2023, puis les Crit’Air 4 en 2024 et enfin les Crit’Air 3 en 2025. Au total, ces trois catégories représentaient en 2021 38% du parc automobile français selon Le Monde. Enfin, si les contrôles sont pour l’instant rares, les villes sont en train de s’équiper de caméras connectées et un système de vidéo-verbalisation devrait être opérationnel courant 2024, l’amende étant fixée à 68 euros.

La grogne monte

Au cours des deux années à venir, les millions de Français propriétaires d’un véhicule polluant vont donc devoir en changer s’ils souhaitent continuer à se déplacer dans les grandes villes. Or, ceux qui roulent avec un vieux diesel le font rarement par choix. Acheter une nouvelle voiture est en effet devenu extrêmement coûteux. Selon le cabinet AAA Data, le prix moyen d’une voiture neuve a atteint le record de 32.600 euros cette année, soit une hausse de 21% en deux ans à peine. Beaucoup d’acheteurs se tournent donc vers l’occasion, alimentant là aussi une flambée des prix : une voiture d’occasion de moins de huit ans coûterait en moyenne 25.000 euros aujourd’hui, selon Les Echos. Les raisons en sont multiples : éviction des anciens modèles bientôt interdits de rouler dans les grandes villes, pénurie de composants électroniques, nouvelles normes de sécurité, passage à l’électrique (30% plus cher à l’achat qu’un modèle à essence équivalent, hors primes), répercussions des hausses des prix de l’énergie et des matières premières… Bref, la voiture tend à devenir un bien de luxe hors de prix.

Bien sûr, de nombreuses aides existent pour changer son véhicule : bonus-malus écologique allant jusqu’à 7.000 euros de subvention pour les 50% les plus modestes, prime à la conversion pour racheter le véhicule mis au rebut, nouvelle prime de 1.000 euros pour les personnes vivant en ZFE, aides locales des métropoles (jusqu’à 5.000 euros à Strasbourg et Rouen)… Mais le compte n’y est pas : selon une mission flash conduite par l’Assemblée nationale cet été sur les ZFE, « le reste à charge moyen des ménages et des entreprises bénéficiant de ces aides demeure supérieur à 20.000 euros et atteint jusqu’à 40.500 euros en moyenne pour l’achat d’un véhicule hybride rechargeable neuf » ! Pour tenter de contourner le problème, l’Etat a depuis mis en place un prêt à taux zéro jusqu’à 30.000 euros et prépare un système de leasing, c’est-à-dire de location. Mais ces solutions peinent à convaincre. Pour beaucoup, s’endetter n’est en effet pas une solution, surtout dans une période où les revenus sont déjà grignotés par l’inflation. 

La mesure passe pour un « racket » supplémentaire venant s’ajouter aux prix des péages, aux radars, aux coûts des assurances et aux taxes sur l’essence. 

Or, cette dernière touche particulièrement les plus pauvres, dont le budget est grevé par les dépenses contraintes, et les ruraux, plus dépendants de la voiture. L’Insee estime ainsi la perte de pouvoir d’achat entre janvier 2021 et juin 2022 à 580 euros pour les ménages en région parisienne, contre 910 euros pour ceux qui vivent à la campagne, une fois tenu compte des aides de l’Etat. En outre, beaucoup ne voient pas pourquoi ils devraient changer leur véhicule alors que celui-ci roule encore sans problème et obtient le contrôle technique. La mesure passe alors pour un « racket » supplémentaire venant s’ajouter aux prix des péages, aux radars, aux coûts des assurances et aux taxes sur l’essence. 

Les pouvoirs publics s’entêtent

Outre l’aspect financier, les ZFE renforcent un clivage entre les zones urbaines et rurales, déjà visibles dans plusieurs domaines et qui semble peser de plus en plus dans les résultats électoraux. D’abord, pour les habitants des zones périurbaines se rendant en ville, les aides des métropoles ne seront pas forcément disponibles, en fonction de leur lieu exact de résidence. Surtout, les habitants des campagnes propriétaires de vieux véhicules ne pourront, de fait, plus se rendre dans les grandes villes. Or, même quelqu’un vivant la grande majorité de son temps à la campagne est parfois amené à se rendre dans une métropole, pour effectuer des démarches administratives ou des achats, rendre visite à un proche… Cela mérite-il une amende ? Pour le sondeur Jérôme Fourquet, les ZFE envoient un signal politique terrible : il y aurait d’un côté les grandes villes, « oasis écologiques » connectées à la mondialisation, débarrassées des véhicules polluants, et de l’autre les campagnes, « la France de l’arrière-cour » ou du « monde d’avant ». Un cadeau en or pour le Rassemblement National, qui peut se contenter de fustiger les « bobos parisiens » ou les « élites déconnectées » et engranger des voix facilement. Au final, les ZFE rassemblent donc largement contre elles : selon un sondage Opinion Way, 42% des Français envisagent de braver l’interdiction. Signe de la montée en puissance de la colère, les termes de « zone de flicage écolo » ou de « zone à forte exclusion » se répandent dans le débat public.

Selon un sondage, 42% des Français envisagent de braver l’interdiction.

Pour tenter de désamorcer la contestation naissante, les métropoles multiplient depuis quelques mois les « concertations ». Objectif : trouver des petites adaptations pour rendre la ZFE plus acceptable. Le 24 décembre, la Première Ministre a par exemple pris un arrêté pour exempter les métropoles en dessous d’un certain seuil de dioxyde d’azote de la mise en place de ZFE, ce qui devrait surtout concerner l’Ouest et le Centre de la France (Angers, Poitiers, Tours, Brest, Pau…). Certains axes majeurs, notamment les autoroutes urbaines, peuvent par ailleurs être exclus du périmètre de la ZFE. Les véhicules de collection ou de secours, ou encore ceux des personnes handicapées, font également l’objet de dérogation. Puis chaque ville y va de sa proposition : pas de ZFE après 20 heures à Paris, carnet avec un certain nombre de dérogation à Strasbourg, étude des dossiers au cas par cas, exception pour les petits rouleurs à Montpellier… Si ces aménagements vont dans le bon sens, ils risquent surtout de rendre la mesure totalement incompréhensible. 

Par ailleurs, les métropoles ne cessent de gonfler les aides financières et de demander un soutien plus important de la part de l’Etat. Là encore, si l’intention est plutôt bonne, l’absence d’un dispositif national unique conduit à des inégalités entre territoires, notamment en défaveur de ceux qui ne vivent pas dans ces métropoles mais doivent s’y rendre. Surtout, personne ne semble s’interroger sur les montants dépensés dans ces aides, qui bénéficient bien plus aux constructeurs automobiles qu’aux ménages modestes. L’installation de caméras connectées et de leurs systèmes de vidéo-verbalisation, qui devrait être confié à un gestionnaire privé, risque d’être elle aussi très coûteuse.

Une mesure pas vraiment écologique

Si les critiques portent principalement, et pour des raisons évidentes, sur les enjeux financiers et le sentiment des ruraux et périurbains d’être méprisés, la promesse originelle des ZFE est elle moins contestée. Pourtant, l’argument environnemental des promoteurs de la mesure paraît bien fragile. Certes, les émissions de CO2 devraient baisser grâce aux moteurs plus performants des Crit’Air 1 et 2 et à la croissance du parc électrique. Mais cette pollution est seulement déplacée, puisque la voiture électrique dépend de métaux rares dont l’extraction ravage l’environnement et d’électricité, dont la production peut être plus ou moins polluante. En revanche, concernant les particules fines, les effets des ZFE risquent d’être faibles. Selon l’ADEME, les voitures électriques émettent en effet autant de particules fines que les modèles thermiques les plus récents. La raison est assez simple : les pots catalytiques étant devenus très perfectionnés, ces émissions ne proviennent que minoritairement du moteur à combustion. L’usure des freins et des pneus est désormais la première source de particules fines, d’où des niveaux comparables de pollution peu importe l’énergie utilisée par le véhicule.

Par ailleurs, l’usure des freins et des pneus est corrélée certes au style de conduite, mais surtout au poids des véhicules, qui a tendance à augmenter. En cause ? La mode désastreuse du SUV, qui représentait plus de 40% des ventes l’an dernier, qui a fait passer le poids moyen à vide d’une voiture à près d’une tonne et demie ! Pour un même modèle, les véhicules électriques sont par ailleurs encore plus lourds, en raison du poids des batteries. Même en dehors des SUV, la tendance à des voitures plus confortables et apparaissant comme plus sécurisantes pousse leur poids à la hausse. Dès lors, le renouvellement forcé de millions de véhicules Crit’Air 5 à 3 risque de conduire ces ménages vers des véhicules plus lourds, pour, au mieux, une baisse de pollution pratiquement nulle, au pire une hausse de cette dernière.

Un Porsche Cayenne à 70.000 euros (2,3 tonnes, 20 litres au cent) est autorisé à circuler, tandis qu’une Clio d’ancienne génération (1 tonne, 6 litres au cent) ne l’est pas…

Par ailleurs, le fait de voir d’énormes SUV être autorisés à rouler en ville alors que des petites voitures économes ne le seront plus, risque de vite conduire à l’exaspération. A Montpellier, la conseillère municipale d’opposition Alenka Doulain (France Insoumise) a utilisé un exemple marquant : une Porsche Cayenne à 70.000 euros (2,3 tonnes, 20 litres au cent) est autorisé à circuler, tandis qu’une Clio d’ancienne génération (1 tonne, 6 litres au cent) ne l’est pas… Un deux poids, deux mesures totalement incohérent et injuste. Pour lutter contre la mode du SUV et encourager les constructeurs à proposer de nouveaux modèles moins lourds et plus petits, la Convention Citoyenne pour le Climat avait ainsi proposé une taxe sur les véhicules de plus de 1400 kilos. Le gouvernement  a finalement retenu le seuil de 1800 kilos, qui ne concerne que moins de 2% des véhicules… Dès lors, étant donné le peu d’effet des ZFE sur la pollution atmosphérique et leurs effets nuisibles sur les propriétaires de vieux véhicules, ne serait-il pas plus intelligent d’obliger les constructeurs à proposer des modèles plus légers et plus efficaces ?

Proposer des alternatives à la voiture individuelle

Si cette éventualité n’a visiblement pas été étudiée, il faut sans doute y voir l’influence du lobby automobile. Les constructeurs automobiles sont en effet les seuls grands gagnants de la création des ZFE. En obligeant des millions de personnes à changer leur véhicule encore fonctionnel, ils peuvent espérer une jolie hausse de leurs ventes, soutenues à grand renfort d’argent public via les multiples aides. Par ailleurs, les prix d’achat prohibitifs renforcent la tendance à la location de son véhicule, via un crédit de longue durée généralement contracté auprès de la banque du fabricant du véhicule. Une nouvelle activité des constructeurs qui leur permet de réaliser de très jolis profits. Enfin, la quantité croissante de capteurs et d’électronique embarquée dans les voitures récentes rendent leur réparation par des garages indépendants de plus en plus difficile. En dehors de tâches assez simples (vidange, changement de pneus et de plaquettes de frein…), les automobilistes seront bientôt totalement captifs des constructeurs pour les réparations les plus importantes, souvent facturées extrêmement cher.

Mise à la casse de véhicules en état de circuler, remplacement par des voitures lourdes et hors de prix, installation de caméras et d’algorithmes de verbalisation, impossibilité croissante de réparer soi-même son véhicule… Les ZFE sont un parfait exemple de l’écologie punitive et anti-sociale qui suscite de plus en plus de rejet et renforce les discours anti-écolo de l’extrême-droite. Ce dispositif illustre également l’impasse du techno-solutionnisme, cette tendance à voir dans l’innovation la solution à tous nos problèmes. Or, plutôt que de nouvelles voitures électriques, la véritable solution à la pollution de l’air et aux défis écologiques est bien connue : sortir du tout-voiture. 

Les ZFE sont un parfait exemple de l’écologie punitive et anti-sociale qui suscite de plus en plus de rejet et renforce les discours anti-écolo de l’extrême-droite.

Bien sûr, on ne peut pas dire que les villes n’aient pas mis en place des politiques importantes pour réduire la place de la voiture dans le cœur des agglomérations depuis au moins une vingtaine d’années. Zones piétonnes, réduction du nombre de parkings, développement des réseaux de transports en commun, pistes cyclables, hausse des tarifs de stationnement… Tout un panel de solutions a été déployé. Le problème est que la fracture entre les grandes villes et le reste du pays n’en est que plus grande : pendant que les métropoles mettaient peu à peu à l’écart les voitures, les campagnes et le péri-urbain voyaient les services publics et les commerces fermer, obligeant à prendre de plus en plus la voiture. En parallèle, la fermeture de petites lignes de train et le culte de la maison individuelle ont encore renforcé cette dépendance à l’automobile. Enfin, notons aussi que nombre de personnes travaillant en ville sont obligées de vivre de plus en plus loin en raison de la spéculation immobilière.

Dès lors, si la suppression des ZFE est souhaitable afin d’éviter un gaspillage d’argent public et une nouvelle mise à l’écart des plus pauvres pour le seul profit de l’industrie automobile, on ne saurait se contenter du statu quo. La politique de développement du vélo et des transports en commun doit être poursuivie, mais pas seulement dans une poignée de métropoles. Les RER métropolitains – récemment vantés par le chef de l’Etat, mais sans aucune annonce concrète alors que plusieurs projets n’attendent plus que les financements pour débuter – sont aussi une solution pour le péri-urbain : en rouvrant des haltes ferroviaires et en augmentant la fréquence des trains en banlieue des grandes villes, on peut espérer une forte hausse de leur fréquentation. Par ailleurs, la gratuité des transports, au moins ciblée sur certains types de passagers (les jeunes, les plus pauvres, les retraités…) est un très bon outil pour encourager à prendre les transports publics, si tant est que les montants nécessaires n’empêchent pas le développement de nouvelles lignes. Enfin, une autre politique d’urbanisme et d’habitat doit être adoptée, contre l’étalement urbain, pour la mixité des activités et avec plus de logements sociaux abordables. Le contrôle des loyers, théoriquement mis en place dans quelques grandes villes françaises, doit lui être sérieusement renforcé pour être respecté. Bien sûr, toutes ces politiques auront un coût important et prendront des années avant de donner des résultats. Mais le rôle de l’Etat est-il de faire vendre des voitures ou de réfléchir à l’intérêt général sur le long-terme ?

publié le 3 janvier 2023

Les ONG de « l’Affaire du siècle » vont à nouveau saisir la justice contre l’inaction climatique de l’État

par Justine Prados sur https://vert.eco/

Ni fait ni affaire. Le gouvernement avait jusqu’au 31 décembre pour compenser son inaction climatique entre 2015 et 2018 après avoir été condamné dans le cadre du procès de l’Affaire du siècle en octobre 2021. Les quatre organisations qui l’avaient mené en justice vont réclamer une astreinte financière.

« L’État n’a pas fait le nécessaire » : pour les quatre organisations de l’Affaire du siècle (Greenpeace France, Oxfam, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme), l’État a échoué à réparer l’inaction climatique pour laquelle il a été condamné en octobre 2021 (notre article). Dans un jugement historique, le tribunal administratif de Paris avait ordonné à l’État de compenser les excès d’émissions de gaz à effet de serre commis entre 2015 et 2018 par rapport à ses objectifs climatiques. Ce dernier avait jusqu’au 31 décembre 2022 pour prouver qu’il avait pris les mesures nécessaires pour réparer son inaction.

Le 20 décembre, les associations à l’origine de la procédure ont envoyé un courrier au gouvernement lui demandant de détailler les moyens mis en œuvre pour réparer les carences de l’État. Estimant que ces mesures sont insuffisantes sur la base de plusieurs rapports du Haut conseil pour le climat et de l’Observatoire énergie-climat, elles ont annoncé qu’elles saisiraient à nouveau la justice pour réclamer des astreintes financières. « A priori, la France n’est déjà pas dans les clous de sa trajectoire, et encore moins au niveau des émissions supplémentaires à réduire pour compenser ses excès passés et exécuter sa condamnation », réagit auprès de Vert Guillaume Compain, chargé de campagne climat chez Oxfam.

Sur les neuf premiers mois de l’année 2022, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 0,3% par rapport à la même période en 2021, selon le baromètre du Citepa, l’organisme chargé du suivi annuel des émissions. Dans son rapport annuel, le Haut conseil pour le climat a estimé qu’il faudrait réduire les émissions de 4,7% chaque année jusqu’en 2030 pour atteindre les objectifs climatiques de la France à cet horizon. « Ce n’est pas vraiment une surprise, puisqu’on avait bien vu que les moyens mis en œuvre par l’État n’étaient pas à la hauteur de l’enjeu, mais on est évidemment déçus, car c’est notre avenir collectif qui est en jeu », abonde Guillaume Compain.

 

En 2021, lors des précédentes audiences au tribunal, les associations avaient suggéré une amende de 78 millions d’euros par semestre de retard. Un montant qui représenterait 10% du préjudice écologique causé par l’inaction étatique. La décision du Conseil d’État pour cette demande d’astreinte ne devrait pas être rendue avant 2024, selon les organisations de l’Affaire du siècle.

En 2021 et 2022, le Conseil d’État a déjà condamné l’État à trois astreintes de dix millions d’euros par semestre de retard pour son non-respect des seuils de pollution de l’air.

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques