Publié le 30/04/2019
Pourquoi les écoles maternelles privées seront les grandes gagnantes de la scolarisation obligatoire à 3 ans
par Nolwenn Weiler (site bastamag.net)
L’une des mesures du projet de loi « Pour une école de la confiance », qui sera discuté au Sénat en mai, prévoit d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans, contre 6 ans aujourd’hui. Cela peut sembler une bonne idée, même si la plupart des enfants sont, dans les faits, déjà scolarisés dès 3 ans. Problème : inscrire l’obligation dans la loi entraînera d’importantes dépenses supplémentaires pour les communes, qui devront alors financer les écoles maternelles privées... en piochant dans les budgets pour le moment réservés à l’école publique. Premier volet de notre série d’articles pour décrypter plusieurs aspects de cette réforme de l’école qui suscite nombre d’interrogations.
Le projet de loi « Pour une école de la confiance » du ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer suscite de nombreuses inquiétudes et interrogations de la part des enseignants comme des parents d’élèves. Basta ! tente, dans une série d’articles, de décrypter plusieurs des mesures prévues par cette réforme fourre-tout, qui doit être débattue au Sénat mi-mai.
L’article 2 de cette réforme prévoit l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Pour le moment, l’instruction en France n’est obligatoire qu’à compter de 6 ans, et jusqu’à 16 ans. L’intention paraît bonne même si, dans ce cas, le projet de loi ne fait qu’entériner une réalité : l’écrasante majorité des enfants âgés de 3 à 6 ans – 98 % – sont d’ores et déjà scolarisés. Cette décision d’abaisser l’âge de la scolarité obligatoire aura cependant des implications pour les budgets des communes.
Entre 150 et 450 millions de plus à la charge des communes
Les communes devront aussi désormais contribuer au financement des écoles maternelles privées, dont la majorité sont catholiques. La loi Debré de 1959 oblige en effet les municipalités à financer à égalité les écoles privées et publiques de leur territoire. Jusqu’ici, les communes n’étaient tenues de financer les écoles privées qu’à partir du CP (cours préparatoire).
Ces dépenses supplémentaires recouvrent essentiellement le financement des postes des agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles (Atsem), qui secondent les enseignants dans les classes. Elles sont estimées à 100 millions d’euros par le ministère. Le Comité national d’action laïque (Cnal), qui regroupe plusieurs acteurs de l’école, estime que l’ardoise sera un peu plus élevée, à 150 millions d’euros. « Sur une ville comme Paris, ce surcoût est estimé à 10 millions d’euros », avance Eddy Khaldi, président de la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale (DDEN) [1].
Les dépenses supplémentaires ne sont pas non plus anodines pour des villes moyennes. « Saint-Nazaire devrait de son côté débloquer 500 000 euros supplémentaires chaque année. On parle donc de sommes considérables qui devraient être payées par des collectivités déjà assez contraintes, qui vont devoir économiser sur leurs dépenses de fonctionnement, au premier rang desquelles l’éducation. Pour financer des écoles privées, les villes devraient donc économiser sur leurs écoles publiques. » Eddy Khaldi évoque une autre estimation prenant en compte la loi Carle, qui contraint les communes à contribuer aux frais de scolarité des enfants scolarisés dans une école privée située hors de leur territoire. Cette estimation ferait passer l’ardoise nationale à 450 millions d’euros. Concrètement, ce seront moins d’Atsem et moins de crédits de fournitures pour les écoles communales.
« Tout cela va aggraver la ségrégation sociale »
La décision d’abaisser l’âge de la scolarité obligatoire bénéficiera donc principalement aux actuelles et futures écoles maternelles privées. La plupart des enfants qui ne sont pas scolarisés à partir de 3 ans résident dans les territoires d’Outre-mer, où le taux de scolarisation des 3 à 6 ans avoisine les 75 %. Des dispositifs spécifiques à l’Outre-mer auraient donc pu être mis en place pour favoriser la scolarisation des plus jeunes. Le syndicat d’enseignants SNUipp-FSU estime que ce sont plutôt les conditions de scolarisation qui devraient être discutées, en prenant en compte « un meilleur taux d’encadrement », « une formation de qualité des enseignants comme des Atsem », et « une attention aux locaux ». En moyenne, en maternelle, la France compte 23 élèves par enseignant et encadrant, contre 10 en Allemagne, 10 en Italie, 15 en Espagne et en Belgique... Le projet de loi ne s’est pas attardé sur ces points, et, étrangement, la comparaison avec l’Allemagne n’est ici pas médiatiquement agité.
Les privilèges accordés à l’enseignement privé semblent d’autant plus exorbitants qu’aucune contrepartie ne leur est demandée. Pour le moment, contrairement au système public, qui accueille tous les élèves, le secteur privé fait le tri. « En invoquant la nécessité d’une parité de financement, les écoles privées doivent s’attendre à ce qu’une parité de devoirs leur soit demandée. Et donc partager les objectifs ambitieux de mixité sociale, d’inclusion des enfants porteurs de handicaps ou l’accueil des enfants allophones (qui ne parlent pas français, ndlr). Telle doit être la règle commune à toutes les écoles, publiques et privées », estime une vingtaine de maires qui font part de leur indignation dans une tribune.
Moins de postes de professeurs pour les écoles publiques
« Tout cela va aggraver la ségrégation sociale, craint Eddy Khaldi. On sait que le secteur privé accueille essentiellement les classes sociales favorisées. » « Cette mesure consolidera l’écosystème social, communautaire et scolaire que s’est construit pour la frange la plus favorisée de la population : aujourd’hui, 40 % des élèves du privé sont issus des catégories socio-professionnelles les plus favorisées (19 % en 1985) », renchérit le syndicat Unsa. Et les privilèges accordés au secteur privé ne s’arrêtent pas au projet de loi Blanquer.
Le Comité national d’action laïque s’alarme ainsi de la chute du nombre de postes au concours de professeur des écoles du secteur public, pour la deuxième année consécutive. L’année 2019 comptera 1065 postes de moins qu’en 2018, soit une baisse de 9 %. Dans le même temps, l’enseignement privé bénéficiera d’une hausse de 310 postes, soit une augmentation de 38 % ! Quant aux effectifs attendus en maternelle, ils demeurent quasiment stables, autour de 2,5 millions d’écoliers. Les parents qui ont le choix préfèreront-ils les scolariser en maternelle publique, où le taux d’encadrement de leurs enfants risque de baisser, ou en maternelle privée, qui voit des postes se créer ?
Nolwenn Weiler
https://www.bastamag.net/Pourquoi-les-ecoles-maternelles-privees-seront-les-grandes-gagnantes-de-la
Publié le 29/04/2019
La chute de l’aigle est proche
Par Bruno Guigue
(site mondialisation.ca)
Aurions-nous atteint ce moment crucial où l’hyperpuissance en déclin se met à douter d’elle-même ? La presse américaine vient de relater ce que l’ancien président Jimmy Carter a dit à Donald Trump lors de leur récente entrevue. Le locataire de la Maison-Blanche avait invité son prédécesseur à lui parler des relations entre la Chine et les USA, et Jimmy Carter a rapporté publiquement la teneur de cet entretien lors d’une assemblée baptiste en Géorgie. C’est une véritable pépite.
« Vous craignez que la Chine nous passe devant, et je suis d’accord avec vous. Mais savez-vous pourquoi la Chine est en train de nous dépasser ? J’ai normalisé les relations diplomatiques avec Pékin en 1979. Depuis cette date, savez-vous combien de fois la Chine a été en guerre avec qui que ce soit ? Pas une seule fois. Et nous, nous sommes constamment restés en guerre. Les États-Unis sont la nation la plus belliqueuse de l’histoire du monde, parce qu’ils désirent imposer des valeurs américaines aux autres pays. La Chine, elle, investit ses ressources dans des projets tels que les chemins de fer à grande vitesse au lieu de les consacrer aux dépenses militaires.
Combien de kilomètres de chemin de fer à grande vitesse avons-nous dans ce pays ?Nous avons gaspillé 3 000 milliards de dollars en dépenses militaires. La Chine n’a pas gaspillé un centime pour la guerre, et c’est pourquoi elle est en avance sur nous dans presque tous les domaines. Et si nous avions pris 3 000 milliards pour les mettre dans les infrastructures américaines, nous aurions un chemin de fer à grande vitesse. Nous aurions des ponts qui ne s’effondrent pas. Nous aurions des routes qui sont entretenues correctement. Notre système éducatif serait aussi bon que celui de la Corée du Sud ou de Hong Kong. »
Qu’un tel bon sens n’ait jamais effleuré l’esprit d’un dirigeant américain en dit long sur la nature du pouvoir dans ce pays. Il est sans doute difficile, pour un Etat qui représente 45% des dépenses militaires mondiales et dispose de 725 bases militaires à l’étranger, où les industries de l’armement contrôlent l’État profond et dont la politique étrangère a fait 20 millions de morts depuis 1945, d’interroger son rapport pathologique avec la violence armée. « La guerre au Vietnam, disait déjà Martin Luther King, est le symptôme d’une maladie de l’esprit américain dont les piliers sont le racisme, le matérialisme et le militarisme ».
Mais cette question concerne surtout l’avenir. Par la faute de leurs dirigeants, les USA sont-ils condamnés à connaître le sort de ces empires qui ont succombé à leurs ambitions démesurées, littéralement asphyxiés par le poids exorbitant des dépenses militaires ? A la fin de son mandat, en 1959, le président Eisenhower dénonçait avec des accents prophétiques un complexe militaro-industriel qui faisait peser une chape de plomb sur la société américaine. Pas plus que Donald Trump ou Barack Obama, il ne se souciait du sort des populations affamées, envahies ou bombardées par l’Oncle Sam au nom de la démocratie et des droits de l’homme. Mais comme Jimmy Carter aujourd’hui, il pressentait que la course aux armements serait la principale cause du déclin de l’empire.
Car les néoconservateurs et autres « Docteur Folamour » du Pentagone, depuis plusieurs décennies, n’ont pas seulement fait rimer démocratie américaine et massacre de masse au Vietnam, au Laos, au Cambodge, en Corée, en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, sans oublier les tueries orchestrées dans l’ombre par la CIA et ses succursales, de l’extermination de la gauche indonésienne (500 000 morts) aux exploits des escadrons de la mort guatémaltèques (200 000 morts) en passant par les bains de sang exécutés pour le compte de l’empire par les lobotomisés du djihad planétaire. Les stratèges de l’endiguement du communisme à coups de napalm, puis les apprentis-sorciers du chaos constructif par importation de la terreur, en effet, n’ont pas seulement mis la planète à feu et à sang.
Marionnettes de l’État profond américain, ces bellicistes qui ont pignon sur rue au Congrès, à la Maison-Blanche et dans les think tanks néocons ont également plongé la société américaine dans un marasme intérieur que masque à peine l’usage frénétique de la planche à billets. Si le bellicisme des Etats-Unis est l’expression de leur déclin, il en est aussi la cause. Il en est l’expression, lorsque pour enrayer ce déclin, la brutalité des interventions militaires, des sabotages économiques et des opérations sous fausse bannière est la marque de fabrique de sa politique étrangère. Il en est la cause, lorsque l’inflation démentielle des dépenses militaires sacrifie le développement d’un pays où les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus nombreux.
Alors que la Chine investit dans les infrastructures civiles, les Etats-Unis laissent les leurs à l’abandon au profit des industries de l’armement. Washington fait des rodomontades à l’extérieur, mais laisse le pays se déliter à l’intérieur. Le PIB par habitant est colossal, mais 20% de la population croupit dans la pauvreté. Les détenus américains représentent 25% des prisonniers de la planète. 40% de la population est frappée par l’obésité. L’espérance de vie des Américains (79,6 ans) est passée derrière celle des Cubains (80 ans). Comment un petit pays socialiste du Tiers Monde, soumis à l’embargo, peut-il faire mieux qu’une gigantesque puissance capitaliste auréolée de son hégémonie planétaire ? Il faut croire qu’aux USA la santé de la plèbe n’est pas la préoccupation majeure des élites.
Habile compétiteur, Donald Trump a gagné les élections en 2016 en promettant de restaurer la grandeur des Etats-Unis et en s’engageant à rétablir les emplois perdus à cause d’une mondialisation débridée. Mais les résultats obtenus, faute de réformes structurelles, infligent une douche froide à ses ardeurs incantatoires. Le déficit commercial avec le reste du monde a explosé en 2018, battant un record historique (891 milliards de dollars) qui pulvérise celui de 2017 (795 milliards). Donald Trump a complètement échoué à inverser la tendance, et les deux premières années de son administration sont les pires, en matière commerciale, de l’histoire des États-Unis.
Dans ce déficit global, le déséquilibre persistant des échanges avec la Chine pèse lourd. Il a atteint en 2018 un record historique (419 milliards) qui dépasse le bilan désastreux de l’année 2017 (375 milliards). En fait, la guerre commerciale engagée par Donald Trump a surtout aggravé le déficit commercial américain. Alors que les importations de produits chinois vers les USA continuaient de croître (+7%), la Chine a réduit ses importations en provenance des Etats-Unis. Donald Trump a voulu utiliser l’arme tarifaire pour rééquilibrer le bilan commercial américain. Ce n’était pas illégitime, mais irréaliste pour un pays qui a lié son destin à celui d’une mondialisation dictée par des firmes transnationales made in USA.
Si l’on ajoute que le déficit commercial avec l’Europe, le Mexique, le Canada et la Russie s’est également aggravé, on mesure les difficultés qui assaillent l’hyperpuissance en déclin. Mais ce n’est pas tout. Outre le déficit commercial, le déficit budgétaire fédéral s’est également creusé (779 milliards de dollars, contre 666 milliards en 2017). Il est vrai que l’envol des dépenses militaires est impressionnant. Le budget du Pentagone pour 2019 est le plus élevé de l’histoire des Etats-Unis : 686 milliards de dollars. La même année, la Chine a dépensé 175 milliards, avec une population quatre fois supérieure. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que la dette fédérale ait battu un nouveau record, atteignant 22 175 milliards de dollars. Quant à la dette privée, celle des entreprises et des particuliers, elle donne le vertige (73 000 milliards de dollars).
Certes, les USA bénéficient d’une rente de situation exceptionnelle. Le dollar est encore la monnaie de référence pour les échanges internationaux et pour les réserves des banques centrales. Mais ce privilège n’est pas éternel. La Chine et la Russie remplacent leurs réserves en dollars par des lingots d’or et une part croissante des échanges est désormais libellée en yuans. Les Etats-Unis vivent à crédit aux dépens du reste du monde, mais pour combien de temps ? Selon la dernière étude du cabinet d’audit PwC (« Le monde en 2050 : comment l’économie mondiale va changer ces 30 prochaines année »), les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie) pourraient peser près de 50% du PIB mondial en 2050, tandis que la part des pays du G7 (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Japon) descendrait à 20%. La chute de l’aigle est proche.
Bruno Guigue
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Copright © Bruno Guigue, Mondialisation.ca, 2019
Publié le 28/04/2019
MACRON ET LE TROU NOIR SANS
REPIT
de : Nemo3637
(site bellaciao.org)
En introduction, nous évoquerons la conférence de presse du Président Macron surtout pour en faire remarquer la forme. Elle reste calquée sur ce qu’avait inauguré, voici 60 ans, son initiateur, le Général De Gaulle. Notons surtout qu’à l’époque le Président, dans une économie en expansion, disposait de leviers que ne possède plus Macron.
Mais, sans que cela soit une sinécure, il a hérité du costume, celui du Président-Monarque. Costume « démodé », devenant ridicule, à une époque où chaque état moderne est gouverné par une équipe et non plus par un seul individu. Et donc Macron est donc fort justement considéré, sans répit, comme le seul responsable de la politique gouvernementale.
Pour ce qui est du contenu de la conférence de presse, rien de nouveau de ce qui a déjà été dit après la « fuite » du contenu de son intervention qui aurait du avoir lieu une semaine auparavant. Beaucoup de projets, de promesses... et de lyrisme. Il faudrait de la confiance et là ...
Levons tout de même un « lézard » : les travailleurs français ne travaillent pas moins que les autres travailleurs européens. Ce qui compte c’est la productivité. Et à ce titre les travailleurs français sont plus productifs que les travailleurs allemands. Les travailleurs grecs qui travaillent plus que les travailleurs français, n’ont pas empêchés l’Etat grec de faire faillite. Ceci dit pour couper l’herbe sous les pieds du Président dont l’objectif réel est de pressurer toujours plus les démunis, ceux qui travaillent vraiment.
I. La guerre est déclarée !
Après l’incendie de Notre-Dame certains ont cru ou rêvé en une trêve sociale voire une unité nationale retrouvée. Il n’en a rien été. Pire : certains ont même été choqués que tant d’argent puisse être ainsi réuni en si peu de temps pour sauver des vieilles pierres alors que des démunis, à qui il ne manque que quelques euros, sont toujours en train de crever (1).... Des milliers d’interpellations, plus de 800 condamnations de manifestants, des dizaines de blessés mutilés, 60 000 policiers régulièrement mobilisés... et des manifestants, qualifiés d’émeutiers, toujours présents et déterminés chaque semaine depuis bientôt six mois ! Une conférence de presse, du bla-bla, n’effaceront pas tout cela aussi facilement.
Par sa durée, la guerre d’usure engagée par Macron contre les Gilets Jaunes, se retourne contre lui. Et l’on s’aperçoit que deux conceptions antagonistes de plus en plus divergentes se font face dans la société française.
Ceux qui, se mettant à l’abri dans la citadelle assiégée, approuvent, même en chipotant , le gouvernement et sa politique libérale-conservatrice (2)
Ceux qui, se radicalisant de plus en plus, contestent le pouvoir au point de vouloir « la démission de Macron » voire la « Révolution » !
Comme toujours dans une telle situation de crise, les tièdes, les « neutres » finissent par s’interroger, ne pouvant se soustraire que difficilement aux enjeux, risquant par leurs atermoiements, d’être eux-mêmes jouet et victime expiatoire de l’un des protagonistes.
Ces deux camps qui se cristallisent, sont en réalité bien connus des analystes politiques : ils traduisent simplement une montée de la lutte des classes, comme cela s’est déjà produit à maintes reprises dans l’Histoire. Mais une telle conception, mettant en question la société capitaliste dans son ensemble, est évidemment inadmissible.
Les journalistes (3) des grands médias, aux côtés des politiciens, font flèche de tout bois pour discréditer les manifestants, insinuer une fantasmatique influence de « black blocs », détourner l’attention du public vers « les violences » et ainsi faire oublier leurs revendications (« ils n’en ont même pas ; ce ne sont que des casseurs »), pour criminaliser les Gilets Jaunes coupables des pires sacrilèges, comme par exemple insulter la police (4). Le défaut de leur cuirasse est leur « addiction » aux images qui font le « buzz » et qui permettent de garder l’audimat...
Même avec des trémolos dans la voix, les dénonciations de la « violence », - celle des manifestants mais jamais de la police bien sûr -, les déprédations dont sont victimes les agences bancaires ou immobilières, le pillage des commerces , n’arrivent pas à vraiment retourner l’opinion et deviennent en fin de compte contre-productives, pouvant être interprétées comme des incitations « à en faire plus ». Une masse de révoltés de plus en plus nombreux est maintenant déterminée, bien décidée à en découdre, quoiqu’il en coûte. Et tout au contraire, ceux qui se battent, résistent, se font arrêter, benéficient, comme l’ex-boxeur Christophe Dettinger, d’un large soutien.
Deux mondes se méprisent, se haïssent, s’affrontent et le Président de la république se
heurte à un mouvement de masse inédit dont il a fini par comprendre le danger.
Il n’est évidemment pas le seul chef d’Etat prêt à employer tous les stratagèmes, voire la force, pour se maintenir en place. Il s’en fallut de peu en mai 1968, pour que De Gaulle ne renverse la
table. L’auteur de ces lignes se souvient des tanks et véhicules militaires venant de l’est, défilant alors en banlieue parisienne, sur la nationale 3....
Ce qui a changé comparativement à hier c’est, dans le cadre de la société capitaliste telle qu’elle est, l’absence de moyens à la disposition de l’Exécutif. Tous les robinets financiers sont controlés en fait par la Finance internationale qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre de type keynésienne. En décembre le Président, avait bien réussi, avec l’aide de Pierre Moscovici, à faire accepter par l’Union Européenne et surtout Berlin, l’idée d’une augmentation du déficit du budget de la France. Cette France que Macron veut « exemplaire » dans une « belle » Europe libérale.
Toute une classe s’est donc rassemblée aujourd’hui derrière le chef de l’Etat, le brillant télé évangéliste, pour que « soit maintenu le cap ». Les sourires télévisés ne vont plus qu’à ses partisans, au carré d’un précieux électorat qu’il espère toujours fidèle. Pour les autres la matraque et les flash-balls deviennent la seule alternative. Il n’a même plus à s’en cacher, à essayer de les convaincre : tensions et haine aidant, tout le monde a compris.
Si l’on se place derrière les lignes, du côté des « patrons » qui ont mis Macron où il est, deux options se dessinent :
- On le vire, on l’élimine, au mieux en l’obligeant à dissoudre l’Assemblée Nationale, option de départ la plus « clean ». Et le système garde une chance de repartir sur des bases plus stables, avec un « bon gros » style Larcher, au pouvoir, par exemple. Mais cela ne revient-il pas à accorder la victoire aux insurgés et sans doute à renforcer leur camp ?..
On le garde tout au long de son mandat, espérant rebondir avec les élections européennes qui seront un « thermomètre », tout en sachant que la « guerre » risque de continuer interminablement, avec des manifs récurrentes.
Quelque soit la voie suivie, elle reste périlleuse pour le pouvoir menacée par une révolution de type prolétarienne (5) Le désarroi a déjà atteint nombre de macronistes dont aucun n’avait prévu les débordements actuels , Et l’exécutif, dans sa fuite en avant trébuchante, risque bien de se raccrocher à la nappe quitte à à mettre par terre tout ce qui se trouve sur la table...
Le trou noir.
II. Un contexte de crise économique et financière insolvable.
Dans le passé, devant une poussée du mécontentement social, le gouvernement avec un minimum de stratégie, lâchait du lest. Les anciens se souviennent de slogans bon enfant - « Ohé Pompidou – Pompidou navigue sur nos sous... » - , des 0,... pour cent « d’augmentation » vite rognés par l’inflation mais qui justifiaient néanmoins les bureaucraties syndicales.
Aujourd’hui le Président nous dit la même chose que ses prédécesseurs : plus un rond dans les caisses ! Mais les riches sont de plus en plus riches, entend-on dans la vallée. Pas encore assez, mon fils, pour que le ruissellement attendu survienne, répond l’écho des montagnes macronistes...
Le trou noir de la Finance.
Il est vrai que la crise financière de 2008 a été révélatrice d’une faillite promise du système. Pas encore résolue, elle s’avére bien plus grave que ce que l’on avait voulu voir au départ. Comme lors de chaque crise on avait attendu que ça passe. Un nouveau départ aurait du se profiler à l’horizon glorieux d’un capitalisme toujours triomphant. Cela s’avérait finalement si « compliqué » que 10 ans après, la reprise économique n’est toujours pas au rendez-vous malgré tous les bobards distillés de temps à autre (6).
Nous avons expliqué, dès 2013, pourquoi cette reprise reste inenvisageable. L’impossible quête de valorisation capital ne laisse plus comme issue qu’une financiarisation inévitable, prélude à la fin du capitalisme lui-même (7). Nous ne reviendrons pas sur cette démonstration que tout le monde, sauf des nostalgiques d’autres temps, admet aujourd’hui. Le travail devient donc inutile dans le contexte de crise du capitalisme que nous vivons ; car il ne peut exister que s’il est susceptible de rapporter un profit. Or, dans la production, il n’y a aucune perspective d’investissement rentable.
Cela dit, bien sûr, le système aboutit à toujours payer le travail le moins cher possible pour tenter de sauvegarder ledit profit... Cela n’a rien à voir avec les besoins réels dont la satisfaction n’est pas un objectif premier. Comme dans l’espace intersidéral, la Finance représente sur Terre le véritable trou noir de la société. Elle avale tout, détruit, sans rien rendre... Et cela le jeune Macron le le sait (8).
III. Mensonges et manœuvres dilatoires.
Face à des manifestations de mécontentement qui se succèdent sans discontinuer, l’Exécutif, après un temps de panique et d’hésitation que l’on a pu constater, en concertation avec Berlin, avait donc décidé de lâcher quelques miettes. Que faire d’autre sans renier tous ses engagements ? Suivant la logique de voracité du système financier dominant, il ne pouvait pas plus. Car dans l’état actuel du capitalisme, un seul grain de sable, comme par exemple une baisse de profits, un conflit inattendu, une augmentation « inadmissible » du déficit public, et c’est le krach. Reste le bla-bla.
Réformes institutionnelles ?
Si du point de vue économique, pour les libéraux au pouvoir, la seule solution est de continuer à pressurer les plus démunis, côté institutions bien des réformes sont possibles. Cela ne mange pas de pain.
L’essentiel réside dans la continuité du business. On voit bien que le Brexit, par exemple, représente un désagrément pour les institutions parlementaires britanniques. Pour le business ce ne sera qu’une gêne temporaire : les échanges avec la Grande-Bretagne, sous une forme ou sous une autre continueront...
Le nouveau Rastignac aujourd’hui au pouvoir en France, n’a jamais caché son mépris des institutions. Quelque soient les critiques qu’il adresse aux populistes, il en fait lui-même partie de par sa volonté de gouverner sans les respecter. On s’en est vite aperçu lors de l’affaire Benalla, par exemple. Un égo surdimmensonné, alimenté par nombre de réussites,laisse apparaître logiquement un culot désarmant, et, de fait, un mépris absolu de la Démocratie. Les institutions et les usages de la Ve République permettent d’établir ce pouvoir personnel dans la pure tradition française bonapartiste, gaulliste et absolutiste.
Quant au Parlement, il est, comme c’est l’usage, entre les mains de la « majorité présidentielle ». Et donc considéré comme une simple chambre d’enregistrement des volontés de l’Exécutif. Chambre constituée de « nouveaux », de jeunes, ayant brillamment passés les tests, signataires de leur servile engagement et émerveillés d’en être arrivés là. Eux ne sont évidemment pas intéressés par une dissolution et de nouvelles élections...
Reste le Sénat, un moment menacé par Gribouille au pouvoir, qui se retrouve une nouvelle jeunesse, tout heureux de se la jouer « à l’américaine » face à un éxécutif désemparé...
La politique libérale se heurte à la résistance populaire.
L’objectif tout tracé, obligé, dans la ligne de l’Union Européenne, est le même que celui des gouvernements précédents : continuer une transformation dans une perspective toujours plus libéral.
Ce qui veut dire démanteler la protection sociale, le système des retraites, l’éducation et ce par toujours plus de privatisations. Mais, comme issue d’une résilience toute française, elle aussi, la révolte surgit.
Comme toujours, dans les premiers jours, la revendication est confuse. En 1789 qui voulait couper la tête du roi et proclamer la république ? Mais il n’y a pas de grève générale comme en mai 1968. Nombre de porte paroles des Gilets Jaunes, pressés de toute part, rejoignent le cirque politicien.
Mais pas tous. Les analyses s’affinent. Et l’on se rend compte que l’on est dans une phase inédite de lutte de classes. Une lourde atmosphère de haine se répand. Macron aura t-il des comptes à rendre ?
Tenir jusqu’aux élections européennes.
Reste les discours, la logomachie (9). Un « Grand Débat », que les opposants, goguenards, qualifieront vite de « Grand Blabla », soutenu par les médias, a donc été lancé. Une mystification d’un bout à l’autre, où même le chiffre des participants a été surévalué, où les contributions établies principalement par des sympathisants du Président, ne sont même pas toutes prises en compte...
En exergue, ce « Grand Débat » court-circuitait donc le Parlement que l’on sait pourtant tout acquis, par sa majorité parlementaire, au pouvoir en place. C’était donc faire peu de cas des assemblées, et souligner l’aveu de déficit démocratique du jeu parlementaire. Cette manœuvre grossière du « grand blabla », n’a trompé en fait, que de rares naïfs. Mais elle permettait néanmoins de rassurer le « Parti de l’Ordre », le carré des soutiens pétochards, en montrant que l’on faisait tout ce qu’on pouvait pour conjurer la menace contre l’ordre établi et sauver leur galette.
Il faut, pour ne pas sombrer irrémédiablement, conserver leurs votes, battre les populistes, et donc parvenir au plus près des 30% lors des prochaines élections européennes. L’objectif est de relégitimer autant faire se peut, un pouvoir pourtant contesté de façon inédite par la rue.
Une Révolution à venir
Plus de 50% de l’électorat serait hostile au gouvernement et à sa politique. Des manifestations hebdomadaires demandent sa démission . Une nouvelle crise financière se profile. Les « Black Blocs » se renforcent. Les esprits se radicalisent. Certains diront qu’il s’agit d’une prise de conscience...La France n’est-elle pas connue pour être le pays où le système capitaliste est le plus radicalement contesté ? Sortir du chaos par une Révolution libertaire ordonnée, harmonieuse et pacifiste sera la seule solution pour éviter les trous noirs de Macron, des libéraux et le caca brun des populistes.
Delenda Cartago.
Nemo, le 25/04/2019.
(1) Nombre de personnes, dont moi-même avons écrit et publié sur ce sujet. Voir mon billet « Notre-Dame : où va la générosité ? » écrit mercredi 17 avril sur le blog médiapart de Nemo3637 et sur Bellaciao.
(2) La politique de Macron et des libéraux consiste à rendre les riches encore plus riches en espérerant un « ruissellement » vers le reste de la société, notamment vers les démunis. Illusion qui traduit l’inconsistance de la pensée libérale d’aujourd’hui...
(3) Parmi les journalistes il faut distinguer les éditorialistes, les animateurs de plateau, les membres des comités de rédaction et ceux qui se retrouvent vraiment sur le terrain, dont les images ou les propos sont triés, sélectionnés par lesdits comités de rédaction.
(4) Cette police est aujourd’hui révoltée par les insultes dont elle fait l’objet parce qu’il s’agit d’un phénomène de masse : ceux qui crient ainsi sont aussi bien des ménagères que des profs.Que l’on ne vienne pas nous dire que de telles invectives sont inédites dans les banlieues traversées par nos pandores...
5) Révolution prolétarienne : révolution menée par le prolétariat, c’est-à-dire par tous ceux qui sentent qu’ils n’ont plus rien à perdre, sauf leurs enfants. Il peut donc être constitué du boutiquier, de petits patrons et d’ouvriers..
(6) La fameuse « reprise » aux Etats-Unis, profite surtout à ceux qui sont déjà riches. Un potentiel de près de 100 millions de travailleurs reste inemployé...
(7) A propos de l’impossible valorisation du capitalet de la fin du système, lire mon petit ouvrage « Krachs, spasmes et crise finale » en ligne :https://lachayotenoire.jimdo.com/nemo/
(8) Au détour d’une phrase lors d’une allocution en décembre, Emmanuel Macron reconnaît que le « système financier va vers sa fin ». Petite pique macronienne à l’égard de ses « protecteurs » ?... Qu’il est drôle et éclectique notre président téléévangéliste et acrobate ...
(9)La logomachie consiste à croire que les mots et les discours ont un pouvoir. Certains macronistes y croient certainement d’autant plus qu’ils ne leur restent que leur verbiage pour tenter d’influer sur la benne qui se lève inexorablement pour les faire basculer dans les poubelles de l’Histoire...
Publié le 27/04/2019
Le point de vue des profs
(site journalzibeline.fr)
À la veille de la mise en place de la réforme des lycées, les professeurs d’enseignement artistique des lycées sont désespérés. Enquête auprès d’enseignants que l’on n’écoute pas.
Un « véritable plan social ». Les enseignants sont unanimes et formels : la mise en place du nouveau système de Spécialités et d’Options artistiques au lycée va entraîner une très nette baisse des effectifs dans les classes, et des suppressions de poste. En cause, une méconnaissance des réalités territoriales et un déni de la concurrence de l’enseignement privé. L’accusation est nette : il s’agit de supprimer des postes d’enseignants par mesure d’économie, au niveau national, et cela au moment où les académies de Nice, d’Aix-Marseille et de Montpellier font face à un afflux démographique sans précédent.
Dans l’Académie d’Aix-Marseille, par exemple, ce sont 2517 élèves supplémentaires qui vont affluer. Et ce durant plusieurs années. Pour y faire face, le rectorat a créé… 39 postes. Soit un poste de professeur pour 65 élèves, alors que la moyenne nationale est d’un enseignant pour 11 élèves dans le secondaire. Pour faire face à cet afflux d’élèves, il faudrait créer dans l’Académie 240 postes par an, et 3 établissements… Les rectorats déclarent pourtant qu’ils savent « anticiper et gérer les cohortes ». Comment font-ils ?
« C’est simple : ils suppriment les options ! Des heures d’enseignement pour les élèves ! Nous sommes la variable d’ajustement. On renvoie les profs d’art qui ont passé des certifications en collège, où ils ont besoin de troupes, et on met des bâtons dans les roues aux élèves qui voudraient suivre des enseignements artistiques au Lycée. Options ou spécialités. »
Fausse démocratisation
Les professeurs d’enseignements artistiques ne décolèrent pas. « On nous culpabilise, on nous dit qu’on ne s’adresse qu’à ceux qui ont déjà une culture et une pratique artistiques. On nous reproche même de ne pas chercher à construire un enseignement artistique pour tous. Mais évidemment qu’on aimerait intéresser davantage de lycéens ! Que tous viennent à nos ateliers de pratique dispensés par des professionnels ! Que tous viennent à nos sorties culturelles ! Mais, sérieusement, est-ce qu’on reproche aux enseignants des sciences de l’ingénieur de ne pas s’adresser à tous ? »
Ces enseignants dévoués sont intarissables sur leur expérience : en option arts plastiques, une nous raconte qu’elle a 35 élèves sur les 3 niveaux. Durant ses 3 heures d’enseignement hebdomadaire elle occupe trois salles, navigue entre théorie et pratique, « exploration » en seconde et préparation au Bac. L’an prochain son option, malgré son succès, est supprimée. Regroupée avec celle d’un autre établissement, déjà plein.
« Comment conseiller à mes élèves de seconde de choisir la spécialité Arts Plastiques l’an prochain ? Ils ont 15 ans, comment leur dire de ne plus faire d’Histoire ou de Littérature, d’abandonner une langue ? Comment leur dire qu’ils devront courir d’un établissement à l’autre ? Seuls les élèves qui pourront être accompagnés par leurs parents entre deux cours ont réellement le choix. Alors qu’on ne me parle pas de démocratisation… »
Une autre, qui enseigne en Spécialité Théâtre, souligne que les ouvertures de section existent dans ce domaine, mais que ses élèves sont eux aussi indignés de devoir abandonner des matières qu’ils ne considèrent pas comme des spécialités, mais un socle commun. « Le travail que fournissent nos élèves en Théâtre, leur implication en cours, en ateliers, dans les sorties culturelles, est réelle, et ancrée. Ils ont de bonnes notes au Bac, ces spécialités permettent de repêcher un nombre impressionnant de décrocheurs, de leur faire découvrir, souvent, le plaisir d’acquérir des connaissances. Mais ils ont besoin de faire de la Philo, de l’Histoire, de la Littérature, de s’ouvrir à des Cultures étrangères. Comment faire du Théâtre sans cela ? »
Pas de cumul des arts !
Les enseignants de Musique sont encore plus catastrophés : les jeunes qui pratiquent un instrument en Conservatoire ou en École de musique avaient la possibilité de passer l’option en candidats libres. Certains jeunes musiciens très bien formés techniquement suivaient les cours d’enseignement en lycée avec passion, pour y acquérir le savoir historique et esthétique dont ils ont besoin.
« Nous enseignons pour la plupart en collège, et souvent les élèves que nous avons en option en lycée nous suivent, parce qu’ils aiment cela. Mais aussi parce que ça leur rapporte des points au Bac ! Sans cette carotte-là, quel enfant de 15 ans viendra suivre un enseignement le vendredi soir de 16 à 18h dans un autre établissement que le sien ? »
En Cinéma et en Danse, le même constat : « Nos élèves, souvent, cumulaient une option et une spécialité Art. Avec la mutualisation de ces options dans des établissements différents, faire des emplois du temps cohérents va être un casse-tête… et ils ne pourront plus cumuler. Faire de la danse, du cirque ou du cinéma sans faire de théâtre, ou de l’histoire des arts, c’est dommage… »
De façon générale, les enseignants regrettent que, « une fois de plus », on n’ait pas pris la peine de les consulter. Que le principe général ne tienne pas compte des fluctuations des adolescents, de leur paresse parfois, et de leurs peurs de se fermer des portes en faisant ce qu’ils aiment. Et surtout des exigences de certains parents qui les poussent vers ce qu’ils considèrent comme des voies d’excellence, quitte à les inscrire dans le privé.
« Quand nos enseignements auront été mis à bas, ils feront une énième réforme, toujours sans nous consulter. Aucune profession n’est ainsi dépossédée de sa propre expertise sur son savoir-faire. Et ce sont les élèves qui en pâtissent, bien avant nous. »
AGNÈS FRESCHEL
Avril 2019
N.B. Les enseignants, soumis à des restrictions de leur liberté d’expression, ont pour certains préféré garder l’anonymat. Nous l’avons respecté pour tous.
La réforme
Avant
Les lycéens pouvaient recevoir en Seconde générale et technologique un Enseignement d’exploration (Création et activités artistiques, Création et culture design, Arts du cirque) et pouvaient poursuivre, ou commencer, une Option facultative ou une Spécialité en Arts du cirque, Arts plastiques, Cinéma et Audiovisuel, Danse, Histoire des arts, Musique et Théâtre.
Les épreuves de Spécialité avaient un fort coefficient au Bac L (coefficient 6) et pouvaient se cumuler avec une option artistique, de coefficient 2 (points au-dessus de la moyenne) voire avec deux options (coefficient 1 pour la deuxième).
Tous les élèves de Bac général ou technologique pouvaient recevoir l’enseignement optionnel et passer l’épreuve facultative, les Spécialités étant réservées aux élèves de L.
L’an prochain
La Réforme Blanquer modifie très nettement les Options facultatives : désormais une seule est possible, avec un coefficient 1, et sans épreuve au Bac. Une notation en contrôle continu qui exclut les candidats libres.
L’enseignement de Spécialité se développe et s’ouvre à tous les lycéens des voies générales et technologiques, qui devront choisir 3 spécialités en classe de Première, et en abandonner une en Terminale.
Le choix
La crainte des professeurs est que ces spécialités soient dévalorisantes pour les lycéens. Qui préfèrera choisir une spécialité Art en concurrence avec un bloc Histoire Géo et Sciences politiques, un autre Littérature, Sciences Humaines et Philosophie et Langue, Littérature et Culture étrangère ? Quel professeur peut conseiller à ses élèves artistes d’abandonner la philosophie, la littérature ou l’histoire ?
Quant aux élèves qui se destinent à des carrières scientifiques, une fois qu’ils auront choisi seulement deux blocs parmi Mathématiques, Sciences de l’ingénieur, Physique, Sciences Numériques ou SVT, lesquels conserveront en terminale leur spécialité Art au détriment d’une d’entre elles ?
A.F.
Lire ici notre entretien avec le Recteur de l’Académie de Nice sur le processus du 100% EAC (Education artistique et culturelle, et là le témoignage de Pierre Caussin, directeur du Forum Jacques Prévert à Carros, qui y participe.
https://www.journalzibeline.fr/le-point-de-vue-des-profs/
Publié le 26/04/2019
Lutte de classes en France
Au mouvement des « gilets jaunes » le chef de l’État français a répondu en lançant un « grand débat national ». Ce genre d’exercice postule que les conflits sociaux s’expliquent par des problèmes de communication entre le pouvoir et ses opposants, plutôt que par des antagonismes fondamentaux. Une hypothèse hasardeuse…
par Serge Halimi & Pierre Rimbert (site monde-diplomatique.fr)
La peur. Pas celle de perdre un scrutin, d’échouer à « réformer » ou de voir fondre ses actifs en Bourse. Plutôt celle de l’insurrection, de la révolte, de la destitution. Depuis un demi-siècle, les élites françaises n’avaient plus éprouvé pareil sentiment. Samedi 1er décembre 2018, il a soudain glacé certaines consciences. « L’urgent, c’est que les gens rentrent chez eux », s’affole la journaliste-vedette de BFM TV Ruth Elkrief. Sur les écrans de sa chaîne défilent les images de « gilets jaunes » bien déterminés à arracher une vie meilleure.
Quelques jours plus tard, la journaliste d’un quotidien proche du patronat, L’Opinion, révèle sur un plateau de télévision à quel point la bourrasque a soufflé fort : « Tous les grands groupes vont distribuer des primes, parce qu’ils ont vraiment eu peur à un moment d’avoir leurs têtes sur des piques. Ah oui, les grandes entreprises, quand il y avait le samedi terrible, là, avec toutes les dégradations, ils avaient appelé le patron du Medef [Mouvement des entreprises de France], Geoffroy Roux de Bézieux, en lui disant : “Tu lâches tout ! Tu lâches tout, parce que sinon…” Ils se sentaient menacés, physiquement. »
Assis à côté de la journaliste, le directeur d’un institut de sondage évoque à son tour « des grands patrons effectivement très inquiets », une atmosphère « qui ressemble à ce que j’ai lu sur 1936 ou 1968. Il y a un moment où on se dit : “Il faut savoir lâcher des grosses sommes, plutôt que de perdre l’essentiel” (1) ». Lors du Front populaire, le dirigeant de la Confédération générale du travail (CGT) Benoît Frachon rappelait en effet qu’au cours des négociations de Matignon, consécutives à une flambée de grèves imprévues avec occupation d’usines, les patrons avaient même « cédé sur tous les points ».
Ce genre de décomposition de la classe possédante est rare, mais il a pour corollaire une leçon qui a traversé l’histoire : ceux qui ont eu peur ne pardonnent ni à ceux qui leur ont fait peur ni à ceux qui ont été témoins de leur peur (2). Le mouvement des « gilets jaunes » — durable, insaisissable, sans leader, parlant une langue inconnue des institutions, tenace malgré la répression, populaire malgré la médiatisation malveillante des déprédations — a donc provoqué une réaction riche de précédents. Dans les instants de cristallisation sociale, de lutte de classes sans fard, chacun doit choisir son camp. Le centre disparaît, le marais s’assèche. Et alors, même les plus libéraux, les plus cultivés, les plus distingués oublient les simagrées du vivre-ensemble.
Saisis d’effroi, ils perdent leur sang-froid, tel Alexis de Tocqueville quand il évoque dans ses Souvenirs les journées de juin 1848. Les ouvriers parisiens réduits à la misère furent alors massacrés par la troupe que la bourgeoisie au pouvoir, persuadée que « le canon seul peut régler les questions [du] siècle (3) », avait dépêchée contre eux.
Décrivant le dirigeant socialiste Auguste Blanqui, Tocqueville en oublie alors ses bonnes manières : « L’air malade, méchant, immonde, une pâleur sale, l’aspect d’un corps moisi (…). Il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir. Il me faisait l’effet d’un serpent auquel on pince la queue. »
Une même métamorphose de la civilité en fureur s’opère au moment de la Commune de Paris. Et elle saisit cette fois de nombreux intellectuels et artistes, progressistes parfois — mais de préférence par temps calme. Le poète Leconte de Lisle s’emporte contre « cette ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs ». Pour Gustave Flaubert, « le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain ». Rasséréné par le châtiment (vingt mille morts et près de quarante mille arrestations), Émile Zola en tirera les leçons pour le peuple de Paris : « Le bain de sang qu’il vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres (4). »
Autant dire que le 7 janvier dernier, M. Luc Ferry, agrégé de philosophie et de science politique, mais aussi ancien ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, pouvait avoir en tête les outrances de personnages au moins aussi galonnés que lui lorsque la répression des « gilets jaunes » (lire « Des violences policières aux violences judiciaires »), trop indolente à ses yeux, lui arracha — sur Radio Classique… — cette injonction aux gardiens de la paix : « Qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois » contre « ces espèces de nervis, ces espèces de salopards d’extrême droite ou d’extrême gauche ou des quartiers qui viennent taper du policier ». Puis M. Ferry songea à son déjeuner.
D’ordinaire, le champ du pouvoir se déploie en composantes distinctes et parfois concurrentes : hauts fonctionnaires français ou européens, intellectuels, patrons, journalistes, droite conservatrice, gauche modérée. C’est dans ce cadre aimable que s’opère une alternance calibrée, avec ses rituels démocratiques (élections puis hibernation). Le 26 novembre 1900 à Lille, le dirigeant socialiste français Jules Guesde disséquait déjà ce petit manège auquel la « classe capitaliste » devait sa longévité au pouvoir : « On s’est divisé en bourgeoisie progressiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre-penseuse, de façon à ce qu’une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. C’est le navire à cloisons étanches qui peut faire eau d’un côté et qui n’en demeure pas moins insubmersible. » Il arrive cependant que la mer s’agite et que la stabilité du vaisseau soit menacée. Dans un tel cas, les querelles doivent s’effacer devant l’urgence d’un front commun.
Face aux « gilets jaunes », la bourgeoisie a effectué un mouvement de ce type. Ses porte-parole habituels, qui, par temps calme, veillent à entretenir l’apparence d’un pluralisme d’opinions, ont associé d’une même voix les contestataires à une meute de possédés racistes, antisémites, homophobes, factieux, complotistes. Mais surtout ignares. « “Gilets jaunes” : la bêtise va-t-elle gagner ? », interroge Sébastien Le Fol dans Le Point (10 janvier). « Les vrais “gilets jaunes”, confirme l’éditorialiste Bruno Jeudy, se battent sans réfléchir, sans penser » (BFM TV, 8 décembre). « Les bas instincts s’imposent au mépris de la civilité la plus élémentaire », s’alarme à son tour le roturier Vincent Trémolet de Villers (Le Figaro, 4 décembre).
Car ce « mouvement de beaufs poujadistes et factieux » (Jean Quatremer), conduit par une « minorité haineuse » (Denis Olivennes), est volontiers assimilé à un « déferlement de rage et de haine » (éditorial du Monde) où des « hordes de minus, de pillards » « rongés par leurs ressentiments comme par des puces » (Franz-Olivier Giesbert) donnent libre cours à leurs « pulsions malsaines » (Hervé Gattegno). « Combien de morts ces nouveaux beaufs auront-ils sur la conscience ? », s’alarme Jacques Julliard.
Inquiet lui aussi des « détestations nues et aveugles à leur propre volonté », Bernard-Henri Lévy condescend cependant à signer dans… Le Parisien une pétition, agrémentée des noms de Cyril Hanouna, Jérôme Clément et Thierry Lhermitte, pour inviter les « gilets jaunes » à « transformer la colère en débat ». Sans succès… Mais, Dieu soit loué, soupire Pascal Bruckner, « la police, avec sang-froid, a sauvé la République » contre les « barbares » et la « racaille cagoulée » (5).
D’Europe Écologie - Les Verts (EELV) aux débris du Parti socialiste, de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) aux deux animateurs de la matinale de France Inter (un « partenariat de l’intelligence », au dire de la directrice de la station), tout un univers social s’est retrouvé pour pilonner les personnalités politiques bienveillantes envers le mouvement. Leur tort ? Attenter à la démocratie en ne se montrant pas solidaires de la minorité apeurée. Comment contrer de tels gêneurs ? User d’une vieille ficelle : rechercher tout ce qui pourrait associer un porte-parole des « gilets jaunes » à un point de vue que l’extrême droite aurait un jour défendu ou repris. Mais, à ce compte-là, devrait-on aussi encourager les violences contre des journalistes au motif que Mme Marine Le Pen, dans ses vœux à la presse, voit en elles « la négation même de la démocratie et du respect de l’autre sans lequel il n’est pas d’échange constructif, pas de vie démocratique, pas de vie sociale » (17 janvier) ?
Jamais le sursaut du bloc bourgeois qui forme le socle électoral de M. Emmanuel Macron (6) ne s’est dévoilé aussi crûment que le jour où Le Monde a publié le portrait, empathique, d’une famille de « gilets jaunes », « Arnaud et Jessica, la vie à l’euro près » (16 décembre). Un millier de commentaires enragés ont aussitôt déferlé sur le site du journal. « Couple pas très futé… La vraie misère ne serait-elle pas, dans certains cas, plus culturelle que financière ? », estimait un lecteur. « Le problème pathologique des pauvres : leur capacité à vivre au-dessus de leurs moyens », renchérissait un second. « N’imaginez pas en faire des chercheurs, des ingénieurs ou des créateurs. Ces quatre enfants seront comme leurs parents : une charge pour la société », tranchait un troisième. « Mais qu’attendent-ils du président de la République ?, s’insurgeait un autre. Qu’il se rende chaque jour à Sens pour veiller à ce que Jessica prenne bien sa pilule ?! » La journaliste auteure du portrait chancela devant ce « déluge d’attaques » aux « accents paternalistes » (7). « Paternalistes » ? Il ne s’agissait pas, pourtant, d’une dispute de famille : les lecteurs d’un quotidien réputé pour sa modération sonnaient plutôt le tocsin d’une guerre de classes.
Clarification sociologique
Le mouvement des « gilets jaunes » marque en effet le fiasco d’un projet né à la fin des années 1980 et porté depuis par les évangélistes du social-libéralisme : celui d’une « République du centre » qui en aurait fini avec les convulsions idéologiques en expulsant les classes populaires du débat public comme des institutions politiques (8). Encore majoritaires, mais trop remuantes, elles devaient céder la place — toute la place — à la bourgeoisie cultivée.
Le « tournant de la rigueur » en France (1983), la contre-révolution libérale impulsée en Nouvelle-Zélande par le Parti travailliste (1984) puis, à la fin des années 1990, la « troisième voie » de MM. Anthony Blair, William Clinton et Gerhard Schröder, ont paru réaliser ce dessein. À mesure que la social-démocratie se lovait dans l’appareil d’État, prenait ses aises dans les médias et squattait les conseils d’administration des grandes entreprises, elle reléguait aux marges du jeu politique son socle populaire d’autrefois. Aux États-Unis, on s’étonne à peine que, devant une assemblée de pourvoyeurs de fonds électoraux, Mme Hillary Clinton range dans le « panier des gens pitoyables » les soutiens populaires de son adversaire.
Mais la situation française est à peine meilleure. Dans un livre de stratégie politique, M. Dominique Strauss-Kahn, un socialiste qui a formé nombre de proches du président français actuel, expliquait il y a déjà dix-sept ans que la gauche devait dorénavant reposer sur « les membres du groupe intermédiaire, constitué en immense partie de salariés, avisés, informés et éduqués, qui forment l’armature de notre société. Ils en assurent la stabilité, en raison (…) de leur attachement à l’“économie de marché” ». Quant aux autres — moins « avisés » —, leur sort était scellé : « Du groupe le plus défavorisé, on ne peut malheureusement pas toujours attendre une participation sereine à une démocratie parlementaire. Non pas qu’il se désintéresse de l’histoire, mais ses irruptions s’y manifestent parfois dans la violence » (9).
On ne se préoccuperait donc plus de ces populations qu’une fois tous les cinq ans, en général pour leur reprocher les scores de l’extrême droite. Après quoi, elles retourneraient au néant et à l’invisibilité — la sécurité routière n’exigeant pas encore de tous les automobilistes la possession d’un gilet jaune.
La stratégie a fonctionné. Les classes populaires se trouvent exclues de la représentation politique. Déjà faible, la part des députés ouvriers ou employés a été divisée par trois depuis cinquante ans. Exclues également du cœur des métropoles : avec 4 % de nouveaux propriétaires ouvriers ou employés chaque année, le Paris de 2019 ressemble au Versailles de 1789. Exclues, enfin, des écrans de télévision : 60 % des personnes qui apparaissent dans les émissions d’information appartiennent aux 9 % d’actifs les plus diplômés (10). Et, aux yeux du chef de l’État, ces classes populaires n’existent pas, l’Europe n’étant pour lui qu’un « vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel (11) ». Seulement voilà : ce monde social oblitéré, décrété rétif à l’effort scolaire, à la formation, et donc responsable de son sort, a resurgi sous l’Arc de triomphe et sur les Champs-Élysées (voir « Une carte qui dérange »). Confondu et consterné, le conseiller d’État et constitutionnaliste Jean-Éric Schoettl n’eut plus qu’à diagnostiquer sur le site Internet du Figaro (11 janvier 2019) une « rechute dans une forme primitive de lutte des classes ».
Brouillage idéologique
Si le projet d’escamoter du champ politique la majorité de la population tourne à la bérézina, un autre chapitre du programme des classes dirigeantes, celui qui visait à brouiller les repères entre droite et gauche, connaît en revanche une fortune inespérée. L’idée initiale, devenue dominante après la chute du mur de Berlin, en 1989, consistait à repousser aux marges discréditées des extrêmes toute position mettant en cause le « cercle de la raison » libérale — une expression de l’essayiste Alain Minc. La légitimité politique ne reposerait plus alors sur une manière de voir le monde, capitaliste ou socialiste, nationaliste ou internationaliste, conservatrice ou émancipatrice, autoritaire ou démocratique, mais sur la dichotomie entre raisonnables et radicaux, ouverts et fermés, progressistes et populistes. Le refus de distinguer droite et gauche, que les professionnels de la représentation reprochent aux « gilets jaunes », reproduit en somme au sein des classes populaires la politique de brouillage poursuivie depuis des décennies par le bloc bourgeois.
Cet hiver, les revendications de justice fiscale, d’amélioration du niveau de vie et de refus de l’autoritarisme du pouvoir occupent bien le devant de la scène, mais la lutte contre l’exploitation salariale et la mise en accusation de la propriété privée des moyens de production en sont largement absentes. Or ni le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, ni le retour aux 90 kilomètres à l’heure sur les routes secondaires, ni le contrôle plus strict des notes de frais des élus, ni même le référendum d’initiative citoyenne (lire « Qui a peur de l’initiative citoyenne ? ») ne remettent en cause la subordination des salariés dans l’entreprise, la répartition fondamentale des revenus ou le caractère factice de la souveraineté populaire au sein de l’Union européenne et dans la mondialisation.
Bien évidemment, les mouvements apprennent en marchant ; ils se fixent de nouveaux objectifs à mesure qu’ils perçoivent des obstacles imprévus et des occasions inespérées : au moment des états généraux, en 1789, les républicains n’étaient en France qu’une poignée. Marquer sa solidarité avec les « gilets jaunes », c’est donc agir pour que l’approfondissement de leur action continue à se faire dans le sens de la justice et de l’émancipation. En sachant toutefois que d’autres œuvrent à une évolution inverse et escomptent que la colère sociale profitera à l’extrême droite dès les élections européennes de mai prochain.
Un tel aboutissement serait favorisé par l’isolement politique des « gilets jaunes », que le pouvoir et les médias s’emploient à rendre infréquentables en exagérant la portée de propos ou d’actes répréhensibles mais isolés. L’éventuelle réussite de cette entreprise de disqualification validerait la stratégie suivie depuis 2017 par M. Macron, qui consiste à résumer la vie politique à un affrontement entre libéraux et populistes (12). Une fois ce clivage imposé, le président de la République pourrait amalgamer dans un même opprobre ses opposants de droite et de gauche, puis associer toute contestation intérieure à l’action d’une « Internationale populiste » où, en compagnie du Hongrois Viktor Orbán et de l’Italien Matteo Salvini, se côtoieraient selon lui des conservateurs polonais et des socialistes britanniques, des Insoumis français et des nationalistes allemands.
Le président français devra néanmoins résoudre un paradoxe. Appuyé sur une base sociale étroite, il ne pourra mettre en œuvre ses « réformes » de l’assurance-chômage, des retraites et de la fonction publique qu’au prix d’un autoritarisme politique renforcé, répression policière et « grand débat sur l’immigration » à l’appui. Après avoir sermonné les gouvernements « illibéraux » de la planète, M. Macron finirait ainsi par en plagier les recettes…
Serge Halimi & Pierre Rimbert
(1) « L’info du vrai », Canal Plus, 13 décembre 2018.
(2) Cf. Louis Bodin et Jean Touchard, Front populaire, 1936, Armand Colin, Paris, 1961.
(3) Auguste Romieu, Le Spectre rouge de 1852, Ledoyen, Paris, 1851, cité dans Christophe Ippolito, « La fabrique du discours politique sur 1848 dans L’Éducation sentimentale », Op. Cit., no 17, Pau, 2017.
(4) Paul Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, La Découverte, Paris, 1999 (1re éd. :1970).
(5) Respectivement : Twitter, 29 décembre 2018 ; Marianne, Paris, 9 janvier 2019 et 4 décembre 2018 ; Le Point, Paris, 13 décembre 2018 et 10 janvier 2019 ; Le Journal du dimanche, Paris, 9 décembre 2018 ; Le Figaro, Paris, 7 janvier 2019 ; Le Point, 13 décembre 2018 ; Le Parisien, 7 décembre 2018 ; Le Figaro, 10 décembre 2018.
(6) Lire Bruno Amable, « Majorité sociale, minorité politique », Le Monde diplomatique, mars 2017, et, du même auteur, avec Stefano Palombarini, L’Illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d’agir, Paris, 2017.
(7) Faustine Vincent, « Pourquoi le quotidien d’un couple de “gilets jaunes” dérange une partie de nos lecteurs », Le Monde, 20 décembre 2018.
(8) Lire Laurent Bonelli, « Les architectes du social-libéralisme », Le Monde diplomatique, septembre 1998.
(9) Dominique Strauss-Kahn, La Flamme et la Cendre, Grasset, Paris, 2002. Lire Serge Halimi, « Flamme bourgeoise, cendre prolétarienne », Le Monde diplomatique, m5728502.
(10) « Baromètre de la diversité de la société française. Vague 2017 » (PDF), Conseil supérieur de l’audiovisuel, Paris, décembre 2017.
(11) « Emmanuel Macron - Alexandre Duval-Stalla - Michel Crépu, l’histoire redevient tragique (une rencontre) », La Nouvelle Revue française, no 630, Paris, mai 2018.
(12) Lire « Libéraux contre populistes, un clivage trompeur », Le Monde diplomatique, septembre 2018.
https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/HALIMI/59568
Publié le 25/04/2019
Violences sexuelles : une stratégie gagnante pour faire payer les agresseurs et indemniser les victimes
par Nolwenn Weiler (site bastamag.net)
100 000 euros. C’est le montant des préjudices obtenus en janvier dernier par Elizabeth, victime de harcèlement sexuel. Exceptionnelle, la somme matérialise une partie des immenses difficultés auxquelles les victimes doivent faire face : professionnelles, mais aussi psychologiques, personnelles, ou encore sexuelles. Concentré sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé, le procès pénal n’est pas le meilleur endroit pour discuter de la réparation de ces préjudices. Au contraire de l’audience civile, où la culpabilité n’est plus contestée. C’est la stratégie, gagnante, qu’avait adoptée l’avocate d’Elizabeth. Récit.
100 000 euros : c’est le montant du préjudice pour harcèlement sexuel reconnu en janvier 2019 par la cour d’appel de Versailles pour Elizabeth [1], victime de son supérieur hiérarchique, un cadre haut placé dans une mairie. Condamné en décembre 2016 pour avoir harcelé sexuellement quatre de ses subordonnées, dont Elizabeth, cet homme était un habitué des propos et remarques à connotation sexuelle : « Vous avez un très beau cul »,« Je vois vos tétons », « Vous n’avez jamais pris de fessée de votre vie, allez, faîtes une bêtise... » L’une des victimes évoque une danse dans un bureau, pour voir « si elle bougeait bien sexuellement ». A propos de l’embauche d’une jeune femme, il aurait demandé à cette même salariée : « Est-ce que vous seriez prête à me rouler une pelle pour que je l’engage ? »
Il est extrêmement rare qu’une victime de harcèlement sexuel obtienne des dommages et intérêts aussi élevés que ceux qu’a obtenus Elizabeth. « Ils s’élèvent le plus souvent à quelques milliers d’euros : entre 2000 et 6000 euros en moyenne », relève Marilyn Baldek, de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Des sommes qui s’avèrent déconnectées de leur préjudice réel.
Déconnecter l’indemnisation du procès sur le fond
Pourquoi un tel désintérêt pour l’indemnisation ? Ce qui compte, lors d’un procès, est de savoir si l’accusé est coupable ou non. « Les efforts des avocats des parties civiles se concentrent généralement, aux côtés du ministère public (le procureur, ndlr), sur la démonstration de la culpabilité, au détriment de la recherche de la juste indemnisation pour leurs clientes, quand ce volet n’est pas purement escamoté au motif qu’il pourrait fragiliser l’accusation, ajoute Marilyn Baldeck. C’est l’argument historique de la vénalité des femmes qui l’emporte, argument qu’il ne faudrait pas susciter en réclamant ce qui leur est pourtant dû. »
Pour épargner à Elizabeth ces soupçons de vénalité, son avocate Marjorie Vignola a décidé de demander un « renvoi sur les intérêts civils ». Cela signifie que l’audience relative à l’évaluation du préjudice, et donc au montant que l’agresseur devra verser à sa victime, se tiendra après le procès pénal. « Mélanger l’audience sur le fond et le chiffrage du préjudice, c’est très compliqué, détaille Marjorie Vignola. Une audience est très dense, il y a beaucoup de tension, la culpabilité du mis en cause est contestée. »
Demander des réparations réalistes
« Quand on arrive à l’audience de renvoi sur les intérêts civils, on est à un stade procédurale plus avancé. Il y a eu une plainte, une enquête, un jugement, la culpabilité est acquise. Il ne s’agit plus de discréditer la victime. On se sent autorisée à demander de l’argent. » « Les femmes sont plus pauvres que les hommes, et les violences sexuelles commises par les seconds à l’encontre des premières les appauvrissent encore davantage, rappelle Marilyn Baldeck. Il est essentiel de braver une forme de bienséance judiciaire, qui rendrait la dénonciation des violences incompatible avec le fait d’en demander une réparation financière réaliste. »
La cour d’appel de Versailles a notamment condamné le harceleur à verser à Elizabeth 63 546 euros en compensation de la perte de gains professionnels actuels et futurs. Cette somme vient compenser les revenus dont la victime a été privée à cause des violences. Dans le cas d’Elizabeth, les indemnités journalières touchées au titre de son arrêt maladie étaient moins élevées que le salaire qu’elle aurait touché si elle avait continué à travailler. La « perte de gains futurs » évalue quant à elle la diminution du revenu à venir, du fait par exemple d’une réorientation professionnelle dans un secteur moins lucratif, ce qui est très souvent le cas pour les victimes de violences sexuelles au travail, quand elles peuvent retravailler.
Elizabeth a par ailleurs obtenu 6000 euros en réparation des souffrances endurées, 10 000 euros au titre du préjudice sexuel. « Le principe de l’indemnisation du préjudice sexuel de même que son montant, sont suffisamment exceptionnels pour être soulignés, intervient Marilyn Baldeck. Ici, avoir porté plainte pour harcèlement sexuel n’est pas perçu comme un indicateur de puritanisme et d’ascétisme sexuel de la victime, mais, au contraire, comme un facteur de détérioration d’une vie sexuelle qui aurait été satisfaisante sans le harcèlement. »
« Il faut beaucoup de temps pour récupérer. Il faut accepter cela, et c’est difficile »
« C’est bien de prendre le temps d’évaluer préjudice par préjudice, ajoute Marjorie Vignola. Quand on parle de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle, les gens minimisent toujours : "C’est bon, elle s’est pris une main au cul par son collègue, c’est quand même pas si grave"... Or Elizabeth est en arrêt maladie depuis quatre ans, parce que ce collègue, justement, elle lui faisait vraiment confiance. Elle se pensait son égale. Aujourd’hui elle n’ose plus sortir de chez elle. L’impact sur sa vie est grave. Et tous ces impacts sont rarement pris en compte par l’institution judiciaire. »
Terrorisée à l’idée de travailler à nouveau dans un bureau, Elizabeth tâche de ne pas sombrer en ingérant régulièrement des médicaments, et elle réfléchit à une reconversion. « Il faut beaucoup de temps pour récupérer. Il faut accepter cela, et c’est difficile. D’autant que la société vous dit tout le contraire : il faut se dépêcher de retrouver du travail, se bouger, il faut y aller. Mais on est incapable de ça, en fait. » Totalement sous l’emprise de son agresseur, Elizabeth a en plus perdu le contrôle de ses finances personnelles, et a failli être expulsée de son logement pour défaut de paiement.
Le pouvoir de renouveler, ou pas, son contrat de travail
« Les pressions ont été continuelles et très progressives, analyse Elizabeth a posteriori. "Je vais casser vos réserves naturelles pour que vous soyez plus forte au boulot", me disait-il ». « Vous savez les gens qui progressent n’ont pas de gêne vis à vis du sexe », répétait-il aussi très souvent, l’invitant à avoir des relations sexuelles avec lui. « Il a commencé à se caresser devant moi. Je me disais qu’il était fou. Il m’a obligée à porter des strings, puis à les lui montrer, puis il s’amusait à me les confisquer le matin pour me les rendre le soir. Je disais non, plusieurs fois. Mais il insistait tellement que je finissais par craquer, pour avoir la paix. A chaque fois il me demandait quelque chose de nouveau. Si je ne décrochais pas tout de suite le téléphone, il déboulait dans mon bureau, et me hurlait dessus. »
Isolée géographiquement de ses collègues, dans un bureau proche de celui de son agresseur, Elizabeth a l’impression de devenir l’esclave de son directeur, sa chose. Elle se sent coincée, n’ose parler à personne, d’autant que son directeur détient le pouvoir de renouveler, ou pas, son contrat de travail et qu’elle vit seule avec sa fille. « Si vous ne faites pas ce que je vous dis, je ne peux pas travailler avec vous », revenait comme une litanie. « Il a peu à peu fait tomber toutes mes barrières », constate Elizabeth.
« Les dommages et intérêts, eux, ne sont pas symboliques »
« Voir ce monsieur tout puissant accusé officiellement, entendre la justice pénale dire qu’il représente un danger pour la société, cela fait du bien, confie Elizabeth. Néanmoins, ce ne sont que des mots. Lui est libre, tandis que je suis enfermée à cause ce qu’il m’a imposé. L’obliger à payer, je trouve cela plus juste, et cela le touche vraiment. Il y a un effet concret. » « On peut supposer qu’avoir à s’acquitter de telles sommes est infiniment plus contraignant pour ces messieurs que les peines d’emprisonnement avec sursis auxquelles ils sont presque toujours condamnés, pense Marilyn Baldeck. Les dommages et intérêts, eux, ne sont pas symboliques. »
« Pour ceux qui n’ont pas la possibilité de les régler en une seule fois, et à qui un échelonnement du paiement est accordé, la condamnation judiciaire peut se rappeler à leur bon souvenir à chaque relevé bancaire pendant des années. » Si l’agresseur n’est pas solvable, les victimes de viol ou d’agression sexuelle peuvent se retourner vers la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (Civi). Pour les victimes de harcèlement sexuel, c’est le service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (Sarvi) qui est compétent.
Le soulagement d’Elizabeth n’est cependant pas total, puisque son agresseur a fait appel de la décision de la cour d’appel concernant l’indemnisation. Elle attend aussi de savoir ce que va devenir la plainte qu’elle a déposée pour viol, à l’encontre du même agresseur, en 2014. D’abord classée sans suite, elle a finalement été examinée puisque Elizabeth a décidé de porter plainte avec constitution de partie civile, ce qui force l’ouverture d’une enquête [2]. Cette dernière a débouché sur un non lieu, rendu fin février 2019, alors que le jugement de condamnation pour harcèlement sexuel a fait état de la vulnérabilité et de l’isolement d’Elizabeth. « Ce non lieu pour moi, c’est terrible. Terrible. » Elizabeth a contesté la décision, et attend. Les premières violences ont commencé il y a huit ans.
Nolwenn Weiler
Notes
[1] Le prénom a été modifié.
[2] En France, les deux tiers des plaintes pour viol sont classées sans suite. Deux recours sont possibles : faire appel de la décision devant le procureur général près la Cour d’appel dans un délai de deux mois à compter du classement sans suite, ou déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du Tribunal de grande instance – pour un tel recours, il est préférable de prendre contact avec un.e avocat.e.
https://www.bastamag.net/Violences-sexuelles-une-strategie-gagnante-pour-faire-payer-les-agresseurs-et
Publié le 24/04/2019
Gaspard Glanz, un journaliste qui dérange la police
Par Luc Peillon et Jacques Pezet (site liberation.fr)
Interpellation de Gaspard Glanz, pendant l'acte XXIII des manifestations de gilets jaunes, à Paris, le 20 avril. Photo Boby pour Libération
Spécialiste des manifs de rue, le journaliste indépendant a passé quarante-huit heures en garde à vue après avoir été interpellé samedi lors de la manifestation des gilets jaunes. Il est convoqué en octobre devant le tribunal et est interdit de manifs le samedi d'ici là.
En garde à vue pour son 32e anniversaire. Arrêté samedi à Paris lors de l’acte XXIII des gilets jaunes pour «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations», ainsi que pour «outrage sur personnes dépositaires de l’autorité publique», le journaliste indépendant Gaspard Glanz, spécialisé dans la couverture des mouvements sociaux, aura passé près de quarante-huit heures aux mains de la police. Retenu au commissariat du XIIe arrondissement de la capitale, il a été déféré lundi en fin d’après-midi devant le juge, qui a décidé d’une convocation le 18 octobre devant le tribunal et l’a «interdit de paraître» à Paris tous les samedis jusqu’à l’audience, ainsi que le 1er mai.
Son arrestation a donné lieu à une large mobilisation en sa faveur sur les réseaux sociaux (dont une pétition recueillant plus de 18 000 signatures pour sa libération sur Change.org), et à un rassemblement, lundi matin, d’une soixantaine de ses proches devant le poste de police. Egalement arrêté samedi pour «participation à une manifestation non déclarée» et «détention de stupéfiants» (un reste d’herbe), son confrère Alexis Kraland a passé plus de huit heures en garde à vue, avant d’être relâché en fin de journée.
L’arrestation de Gaspard Glanz a eu lieu peu avant 16 heures samedi, place de la République. L’outrage, selon toute vraisemblance, est constitué par un doigt d’honneur adressé par le journaliste à un policier, selon les images filmées par Nicolas Mercier de Hors Zone Press et que Libération a pu consulter.
On y voit Gaspard Glanz marcher le long des forces de l’ordre, en répétant : «Il est où le commissaire ?» Lorsqu’une femme lui demande «Qu’est-ce que t’as Gaspard ?» ce dernier lui répond : «On m’a tiré dessus avec une grenade !» Le journaliste continue ensuite d’apostropher les policiers à la recherche de leur supérieur. L’un d’entre eux s’avance vers lui et le repousse fortement. Enervé, Glanz lui répond avec un doigt d’honneur et fait demi-tour. C’est alors qu’un deuxième policier se lance vers lui, l’attrape, le met violemment à terre, puis l’embarque avec l’aide de ses confrères, qui évacuent la zone à coups de matraques.
Cette vidéo vient confirmer le témoignage du photojournaliste Maxime Reynié, qui indiquait qu’avant son interpellation, Gaspard Glanz avait apostrophé les forces de l’ordre suite à une «petite embrouille» causée par un jet de projectile.
Nicolas Mercier, habitué des manifestations de gilets jaunes, s’étonne, pour sa part, de la réaction des forces de l’ordre : «Des gilets jaunes qui insultent des policiers, il y en a tout le temps, et il ne se passe souvent rien du tout. Là, on a un journaliste, reconnaissable à sa tenue, qui reçoit visiblement une grenade, et fait un doigt d’honneur après avoir été bousculé, alors qu’il demandait des comptes au commissaire.»
Trois interpellations par le passé
Titulaire d’une licence en sociologie criminelle de l’université Rennes-II, Gaspard Glanz a fondé la société de production Taranis News en 2011. «Un média qui s’intéresse à la foule en général : les festivals, les manifestations, les rassemblements. On fait ce que j’appelle du "street journalism", un journalisme urbain, pour les jeunes, car 90% des visiteurs de notre site ont entre 17 et 35 ans», expliquait-il à l’Obs en mai 2016.
Il reste surtout connu, cependant, pour sa couverture des manifestations de rue, en filmant au plus près les affrontements avec les forces de l’ordre. Une activité qui lui a déjà valu trois interpellations par le passé. Une première fois en novembre 2015, lors de la COP 21, un deuxième fois en juin 2016, lors des manifs contre la loi travail, puis, enfin, en octobre de la même année, dans la jungle de Calais. Une dernière arrestation au cours de laquelle il apprend être poursuivi pour «vol de talkie-walkie» appartenant à un CRS, accusation qu’il nie, expliquant que l’appareil était tombé de la poche du policier. Mais aussi pour injures et diffamation envers les forces de l’ordre, après la publication sur Facebook d’une photo représentant plusieurs policiers, avec l’inscription «Ein Volk, ein Reich, ein Führer», une reprise du slogan du régime nazi. Glanz écope dans la foulée d’une interdiction de séjour à Calais et d’un contrôle judiciaire l’obligeant à pointer chaque semaine, pendant huit mois, au commissariat de Strasbourg. Il découvre également, dans le cadre de la procédure, qu’il est fiché «S», car considéré «comme individu susceptible de se livrer à des actions violentes».
Pour le vol du talkie, il est condamné en juin 2017 à 500 euros d’amende. Pour les injures envers les forces de l’ordre, il est relaxé en décembre 2017 par la cour d’appel de Rennes pour vice de procédure.
Menaces physiques
Ses rapports plus que tendus avec la police tiennent aussi à ses révélations sur les comportements des forces de l’ordre. En mars 2017, le journaliste accuse plusieurs policiers présents à une «marche pour la justice et la dignité» de se faire passer pour des journalistes. S’ensuivront des coups de la part des fonctionnaires et un crachat sur sa caméra, puis des menaces physiques sur une page Facebook de soutien aux forces de l’ordre.
Dans le cadre de l’affaire Alexandre Benalla, il a fourni plusieurs séquences vidéo sur la présence de l’ancien garde du corps d’Emmanuel Macron à la manifestation du 1er mai 2018 à Paris, le montrant notamment avec un talkie-walkie et un brassard «police». Pas vraiment de quoi se faire aimer du pouvoir.
https://www.liberation.fr/france/2019/04/22/gaspard-glanz-un-journaliste-qui-derange-la-police_1722765
Publié le 23/04/2019
Foi de gilets jaunes
Par Laura Raim (site regards.fr)
Comment décrire cette foule, sinon en allant à la rencontre des personnes qui la composent ? Portraits.
« Lutter contre cette pseudo-démocratie »
Alison Hubert, vingt-huit ans, professeure des écoles, habite dans la périphérie de Lille.
Ne parlez pas à Alison de « l’essoufflement » du mouvement. C’est l’inverse qu’elle constate, du moins à Lille, où elle organise tous les samedis une manifestation des gilets Jaunes. Depuis vingt ans qu’elle « refaisait le monde » avec sa meilleure amie, elle attendait le moment où « la France se réveillerait » avec impatience. Mais attention, « refaire le monde », cela n’avait rien à voir avec faire de la politique, qu’elle « exècre ». Elle ne lisait pas la presse, ne regardait pas la télé. Elle n’avait jamais participé à, et encore moins organisé, la moindre marche. Tout juste s’obligeait-elle à voter « pour le moins pire » aux présidentielles. À la dernière, ce fut Hamon au premier tour – « le plus humain, le plus gentil », justifie-t-elle en plaisantant à moitié –, puis abstention au deuxième, car comment choisir « entre la peste et le choléra » ?
Quand, à la mi-octobre, elle sent que ça gronde, elle décide de lancer un « événement » sur Facebook pour organiser une manifestation le 17 novembre. 1200 Lillois seront au rendez-vous, pas mal pour une première. Les médias en parlent, le bouche-à-oreille prend, la manif grossit de semaine en semaine. « À la quatrième, on était 5000, en convergeant avec la marche pour le climat ! » Pour elle, c’est une évidence : l’histoire du carburant, c’est « une micro-goutte ». « Dès la première manif on n’en parlait même pas. C’était clair qu’il fallait viser plus large : lutter contre cette pseudo-démocratie. » Car « il y en a marre d’être pris pour des pantins ».
Ses idées, sa révolte, tout « part du terrain, du vécu ». Comme il lui fallait vite gagner sa vie après son bac, elle est partie en contrat d’apprentissage dans une banque, où elle a découvert « un monde de requins ». Son année passée chez Cetelem à parler au téléphone à des clients surendettés et désespérés achève de la dégoûter et de l’inciter à se réorienter dans l’Éducation nationale. En ce moment – ça tombe bien – elle enseigne la Révolution française à ses élèves de CM2. Depuis peu, elle héberge son père, qui a tout perdu après avoir tenté de monter sa boîte.
Que cherche-t-elle à obtenir ? Lors des réunions de gilets Jaunes, elle a rencontré les ouvriers qui effectuaient les blocages. « Leur priorité, c’est d’augmenter les salaires et de baisser les taxes. Je les comprends, mais il faut des réformes plus radicales » pour faire advenir « une vraie démocratie, où on est citoyens, pas juste électeurs ». « On ne peut pas se contenter d’avoir son mot à dire une fois tous les cinq ans. Aujourd’hui, avec les applis, on pourrait facilement voter sur un tas de sujets au moins une ou deux fois par mois ». Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) est un « outil intéressant », mais elle veut aller plus loin. « Je voudrais carrément qu’on en finisse avec le métier de parlementaire. L’Assemblée devrait être tirée au sort. Les mandats doivent être raccourcis. La politique ne doit pas être une carrière, sinon c’est impossible d’éviter la corruption par les lobbies. »
On ne peut pas dire que le mouvement a réconcilié Alison avec la politique institutionnelle. La France insoumise a annoncé un projet de loi sur le RIC ? « Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, je ne les crois pas. » À la limite, François Ruffin est le plus « crédible » d’entre eux, parce qu’il « reverse une partie de son salaire à des associations » et qu’il « parle normalement, simplement ». Certains souhaitent monter un parti politique des gilets jaunes, qui pourrait se présenter aux européennes… Elle y est « plutôt opposée » : « Tant qu’on ne change pas les règles du jeu, on va se faire bouffer, on va se ridiculiser ».
En attendant, elle continue d’organiser ses manifestations pacifiques à Lille. « Notre force sera le nombre. » Et si, au moment de notre entretien, la mobilisation s’était ralentie avec les fêtes, elle restait confiante : « Attendez de voir ce qui va se passer à la rentrée avec le prélèvement à la source ! »
« Il faut aider les nôtres »
Guillaume Cauvet, trente-cinq ans, cuisinier, habite au Raincy.
Guillaume gagne pourtant bien sa vie. Il habite au Raincy, « les Champs-Élysées du 93 », mais ces jours-ci, il passe son temps sur le blocage de Rungis, le plus grand marché agroalimentaire du monde. « On va bloquer le caviar et le saumon des riches ! », s’amuse-t-il, exalté : « On a créé de la fraternité sur le blocage. Avec les gilets jaunes, on est une famille ! » Tenant beaucoup à éviter tout dérapage et à respecter la légalité de l’opération, autorisée par la préfecture jusqu’au 26 décembre, il veille à bannir l’alcool du site. Techniquement, il s’agit de barrages filtrants : « On bloque dix minutes les camions des Français, trente minutes les camions étrangers ». Pourquoi cette différence de traitement ? Parce que « les routiers roumains font une concurrence déloyale aux routiers français » et qu’il faut sanctionner « le poulet dégueu venu d’Europe de l’Est ».
Ce père de famille est là parce que « c’est pas normal ». Pas normal que même en gagnant 2000 euros, il soit « obligé de compter à la fin du mois ». Pas normal que son père, à la retraite, soit obligé de « faire du jardin pour survivre ». Depuis le 17 novembre, il va tous les samedis manifester sur les Champs-Élysées, il « filme ce qui se passe, pour montrer les violences policières ».
Difficile de cerner son profil politique, tant ses prises de position peuvent sembler contradictoires. « Apolitique », il affirme qu’il « n’y a plus de gauche, plus de droite ». Il ne s’est pas déplacé aux dernières élections, mais quand il était jeune, il votait Front national « pour faire peur ». En 2006, il avait « bloqué la raffinerie de Caen lors du mouvement contre le CPE », mais Sarkozy semble trouver grâce à ses yeux, car « il a fait des choses. C’est grâce à lui qu’on a les gilets jaunes ! », blague-t-il. Mais, plus sérieusement : « Au moins, il nous a aidés, il a défiscalisé les heures sup’ ». En 2012, il aurait voulu « voter DSK ». « On fait trop de social en France. » « Les chômeurs, ceux qui touchent le RSA, vivent mieux que nous, ils touchent les APL. » Il n’est « pas raciste », la preuve, il est « marié avec une Marocaine », mais « d’abord, il faut aider les nôtres ». « Les Syriens, eux, devraient rester dans leur pays et prendre les armes. »
Ses revendications prioritaires ? « Un smic à 1500 euros », « remettre l’ISF », la « démission du gouvernement » et la modification de l’article 3 de la Constitution pour mettre en place le RIC. « Regardez en Islande : ils ont réécrit la Constitution, ça se passe très bien pour eux. » Plus que des mesures libérales ou antisociales spécifiques, c’est avant tout le mépris de Macron qui le met hors de lui. Pour lui, le tournant a été l’affaire Benalla. « Macron a dit : venez me chercher ! C’était une grosse erreur. Et puis, quand une vieille dame à la retraite lui a dit qu’elle gagnait cinq cents euros, il lui a répondu qu’elle n’avait pas assez cotisé. Il l’a snobée. Ça m’a rendu fou. Il n’a pas à la juger. Il a donné la haine à tout le monde. Il a été élu avec 25% des voix et il se permet de nous snober. Il nous a donné la rage. » Déterminé à poursuivre le blocage jusqu’au lendemain de Noël, il se veut optimiste : « Avec le peu qu’on a fait, on a eu cent euros de prime. Et les policiers trois cents euros. La mobilisation, ça marche ! »
« Macron nous méprise »
Isabelle Picquet, trente-six ans, employée dans une compagnie d’assurances, habite à Roubaix.
C’est un rattrapage à grande vitesse. De toute sa vie, Isabelle n’avait jamais manifesté. Le 17 novembre, à Lille, c’était sa première fois. Depuis, elle ne fait plus que ça : des manifs et des blocages, « Auchan, Lidl, Amazon », énumère-t-elle, pas peu fière. Étant en arrêt maladie, elle peut y consacrer ses journées. Elle est allée à Calais aussi, et à Paris. S’équiper contre les gaz lacrymogènes, communiquer avec les camarades, elle a tout appris sur le tas. « On n’utilise plus Facebook, c’est trop surveillé, on est sur Telegram, Discord, explique-t-elle. On n’a jamais autant donné nos numéros de téléphone. » Elle s’est fait de nouveaux amis, qu’elle présente : Sandra, vingt-quatre ans, employée de magasin et Brian, vingt-huit ans, chef d’entreprise. « On ne se quitte plus, on est une famille, on partage les mêmes valeurs : pas de casse, pas d’alcool, pas de violence. »
Le carburant ? Ce n’était pas la question, c’était « le cumul de tout ». Elle sait bien que « ça a commencé avant Macron : depuis dix ou quinze ans, les lois ne sont faites que pour les plus riches ». Le président n’est que « la grosse goutte d’eau ». « La suppression de l’ISF, ça passe pas. » Son attitude non plus : « Il nous méprise, il se moque de nous ». Elle n’a jamais voté, et ce n’est pas près de changer. Sa méfiance envers tous les partis politiques reste intacte. Si elle a remarqué que « la France insoumise sont ceux qui nous soutiennent le plus », elle n’est pas disposée à les accueillir à bras ouverts. Alexandre Chantry, proche du député du Nord Adrien Quatennens, est toléré dans les cortèges parce qu’il vient « sans étiquette ». Quant aux syndicats, « ils prêtent des salles pour les AG, ils peuvent venir, mais sans carte ».
Son objectif est clair : « On n’est pas contre payer des impôts et des taxes, mais il faut augmenter le smic ». Au-delà, elle n’a « pas vraiment eu le temps » de discuter politique et d’affiner les revendications économiques et sociales, car la priorité n’est pas là : « Dans un premier temps, Macron s’en va ».
Propos recueillis par Laura Raim
http://www.regards.fr/societe/article/foi-de-gilets-jaunes
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Publié le 22/04/2019
Aérien. À Toulouse-Blagnac, première victoire contre la privatisation
Marion d'Allard (site humanité.fr)
Ce mardi, la justice a annulé une partie de la procédure de cession des parts publiques de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, validée en 2015 au profit d’un groupe chinois. Les syndicats entendent désormais passer à la vitesse supérieure.
La privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac a du plomb dans l’aile et « c’est sans aucun doute une grande victoire », se réjouit Stéphane Borras, de Solidaires 31. Hier, la cour administrative d’appel de Paris, saisie par les unions départementales CGT, FSU et Solidaires, a prononcé « l’annulation de la décision de céder à la société Casil Europe 49,99 % des parts du capital de la société anonyme Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) ». L’aboutissement de plus de quatre années de combat acharné. « Nous avons actionné tous les leviers, politiques et juridiques, pour parvenir à faire échouer cette privatisation », raconte Stéphane Borras. Et c’est finalement sur un détail de forme que les syndicats ont obtenu une victoire sur le fond.
L’aéroport a été « vendu à des rapaces », pour la CGT
L’affaire remonte à 2014, lorsque l’État, propriétaire de près de 60 % des parts d’ATB, décide d’en céder 49,99 %. L’offre retenue pour la vente est alors portée par un consortium entre la société canadienne SNC Lavalin et Casil Europe, rattachée au groupe chinois Shandong High Speed et à un fonds d’investissement domicilié à Hong Kong. Or, la vente finalisée mentionne uniquement Casil Europe. « L’État, dans ce dossier, a méconnu le droit sur un point important : un attelage juridique ne peut être modifié en cours de procédure », poursuit Stéphane Borras. C’est donc sur cette pierre qu’achoppe aujourd’hui la privatisation d’ATB, pourtant formellement autorisée par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, le 7 avril 2015, puis validée par arrêté ministériel en date du 15 avril 2015. Reste que le tribunal administratif n’a pas compétence pour annuler le contrat de concession. « C’est la procédure de sélection du candidat qui a été annulée, pas la vente en soi », précise Christophe Lèguevaques, avocat des trois syndicats. L’acte II se jouera donc au tribunal de commerce de Paris, « seul habilité à se prononcer » sur ce volet et qui sera saisi « dans les prochaines semaines », affirme l’homme de loi. « Le combat continue », pour Jean-François Tartajada, de la CGT 31, déterminé à démontrer que l’aéroport de Toulouse-Blagnac a été « vendu à des rapaces », qu’il ne s’agit là que d’« une opération spéculative ».
Et pour cause. Moins de quatre ans après avoir déboursé 308 millions d’euros pour racheter les parts publiques d’ATB, Casil Europe a annoncé, en janvier dernier, son intention de revendre sa participation. Prix fixé : 500 millions d’euros. Soit 60 % de bénéfice sur le capital, s’insurgent syndicats et collectivités locales. « La majorité régionale a réaffirmé à de nombreuses reprises son souhait de voir l’aéroport demeurer sous maîtrise publique », explique Jean-Luc Gibelin, vice-président communiste de la région Occitanie en charge des transports. Rappelant que l’infrastructure « est un maillage indispensable à la mobilité des habitants » et qu’une privatisation « ne répond en rien aux besoins des usagers », l’élu dénonce ces sociétés qui « se saisissent d’un créneau, accumulent de l’argent et revendent en empochant des millions ». Le tout dans le mépris « des personnels, des usagers et des collectivités ». Pis, ajoute Jean-François Tortajada, « si Casil Europe parvient à vendre ses actions, les 300 millions d’euros de plus-value iront directement dans la poche de la maison mère, qui réside dans un paradis fiscal, Hong Kong ». Telle est, selon le syndicaliste, la teneur de la décision prise par le conseil de surveillance de Casil Europe en décembre dernier. L’enjeu est donc désormais de bloquer cette vente : « Nous demandons à la justice la mise sous séquestre des actions de Casil Europe », poursuit le cégétiste, qui parle de « véritable pillage ».
« Toulouse, c’était l’apéritif, ADP, c’est la fête »
Alors que la loi Pacte vient d’autoriser la privatisation d’Aéroports de Paris, « le scandale ATB devrait servir d’exemple, et la victoire des opposants aussi ! Nous n’avons pas à baisser la tête », s’enthousiasme Stéphane Borras, qui soutient l’initiative prise par plus de 200 parlementaires de tous bords pour imposer un référendum sur la privatisation d’ADP. Car au fond, prévient-il, « Toulouse, c’était l’apéritif, ADP, c’est la fête, et tous les capitalistes veulent un morceau du festin que leur offre Macron ».
Marion d’Allard
https://www.humanite.fr/aerien-toulouse-blagnac-premiere-victoire-contre-la-privatisation-671036
Publié le 21/04/2019
La Révolution cubaine réitère qu’elle est fermement résolue à contrer l’escalade agressive des Etats-Unis
(site legransoir.info)
Ce 17 avril marque un nouvel anniversaire de l’agression militaire lancée à Playa Girón en 1961. Fermement résolu à défendre sa Révolution et le socialisme, le peuple cubain riposta et, en moins de soixante-douze heures, infligea à l’impérialisme sa première déroute en Amérique.
Curieusement, c’est cette date-là que l’administration étasunienne a choisie pour annoncer de nouvelles mesures agressives contre Cuba et renforcer l’application de la Doctrine Monroe !
Le Gouvernement révolutionnaire repousse dans les termes les plus énergiques cette décision qui permet désormais de présenter des demandes légales devant des tribunaux étasuniens contre des sociétés cubaines et étrangères échappant à la juridiction des Etats-Unis et qui dresse de nouveaux obstacles à l’entrée dans ce pays de cadres et de familles des entreprises ayant investi en toute légitimité à Cuba dans des biens nationalisés. Ces actions, envisagées dans la Loi Helms-Burton, la communauté internationale les a condamnées depuis belle lurette, la nation cubaine les a rejetées dès leur promulgation et application en 1996, leur objectif fondamental étant d’imposer une nouvelle tutelle coloniale à notre pays.
Le Gouvernement révolutionnaire rejette également la décision de limiter à nouveau les fonds que les Cubains résidant aux USA envoient à leurs familles et proches, de restreindre encore plus les voyages d’Étatsuniens à Cuba et d’appliquer des sanctions financières supplémentaires.
Le Gouvernement révolutionnaire repousse énergiquement les références selon lesquelles des attaques à des diplomates étasuniens se seraient produites à Cuba.
L’administration étasunienne prétend justifier ses actions, à son habitude, à coups de mensonge et de chantage.
Le général d’armée Raúl Castro Ruiz a affirmé le 10 avril dernier : « Elle accuse Cuba de tous les maux, utilisant des mensonges à en faire pâlir la pire propagande hitlérienne. »
Cherchant à camoufler et à justifier le fiasco patent de sa sinistre manœuvre putschiste : désigner depuis Washington un usurpateur comme « président » du Venezuela, le gouvernement des Etats-Unis recourt à la calomnie.
Il accuse Cuba d’être responsable de la solidité et de la fermeté dont font preuve le gouvernement bolivarien et chaviste, le peuple et l’union civico-militaire qui défendent la souveraineté de leur nation. Il ment comme un arracheur de dents quand il affirme que Cuba maintient au Venezuela des milliers d’effectifs militaires et de sécurité, déterminant de la sorte par leur influence ce qui se passe dans ce pays frère.
Il a le cynisme d’accuser Cuba de la situation économique et sociale que traverse le Venezuela, alors que celui-ci est soumis depuis des années aux brutales sanctions économiques que Washington et plusieurs de ses alliés appliquent précisément pour l’asphyxier économiquement et faire souffrir sa population.
Washington en arrive au point d’exercer des pressions sur des gouvernements de pays tiers pour qu’ils persuadent Cuba de cesser cet invraisemblable appui militaire et de sécurité, et même de retirer son soutien et sa solidarité au Venezuela.
L’administration étasunienne est bien connue, dans le pays même et dans l’arène internationale, par sa tendance éhontée à recourir au mensonge comme instrument de politique intérieure et extérieure. C’est là en fait une coutume qui concorde avec les vieilles pratiques de l’impérialisme.
Qui a oublié que le président George W. Bush, avec l’appui du conseiller actuel à la sécurité nationale, John Bolton, a menti sans le moindre scrupule au sujet des prétendues armes de destruction massive en Iraq, cette contre-vérité lui ayant servi de prétexte pour envahir ce pays du Moyen-Orient ?
Les annales de l’histoire enregistrent aussi l’explosion du cuirassé Maine et la provocation inventée de toutes pièces dans le golfe du Tonkin qui ont servi de prétexte à des guerres à Cuba et au Vietnam.
Comment oublier que les Etats-Unis camouflèrent aux couleurs cubaines les avions étasuniens qui bombardèrent Cuba à la veille de l’agression de Playa Girón ?
Qu’il soit clair que les calomnies proférées par les Etats-Unis sont purement et simplement des mensonges délibérés ! Leurs services de renseignement ont plus de preuves qu’il n’en faut, et sûrement plus qu’aucun autre État, pour savoir que Cuba ne possède pas de troupes au Venezuela et qu’elle n’y participe à des opérations militaires ou de sécurité, quand bien même deux États indépendants ont parfaitement le droit de décider en toute souveraineté de leur coopération en matière de défense, les USA n’en ayant aucun, eux, de le contester.
Notre accusateur possède bel et bien, lui, en revanche, plus de 250 000 soldats cantonnés dans 800 bases militaires à l’étranger, dont une partie sur notre continent !
La Maison-Blanche sait aussi – et nous l’avons réitéré publiquement – que les quelque 20 000 coopérants cubains, dont 60 p. 100 sont des femmes, remplissent dans cette nation latino-américaine exactement la même mission que les 11 000 autres œuvrant dans 83 nations : prêter des services sociaux de base, fondamentalement en santé, ce que reconnaît la communauté internationale.
De même, qu’il soit absolument clair que sa solidarité résolue avec la République bolivarienne du Venezuela, une république sœur, est un droit de Cuba en tant qu’État souverain et aussi un devoir qui s’inscrit dans les traditions et les principes imprescriptibles de politique extérieure de sa Révolution.
Aucune menace de représailles, aucun ultimatum, aucun chantage de la part de l’administration étasunienne n’écartera la nation cubaine de sa conduite internationaliste, malgré les dommages humains et économiques dévastateurs que le blocus génocidaire inflige à notre peuple.
Faut-il rappeler que les Etats-Unis ont recouru par le passé à des menaces et à un ultimatum mafieux quand Cuba, parce qu’internationaliste, appuyait les mouvements de libération en Afrique tandis qu’ils soutenaient, eux, le régime ignominieux de l’apartheid ? Cuba devait renoncer à ses engagements solidaires avec les peuples africains en échange de promesses de pardon, comme si la Révolution avait quelque chose à se faire pardonner de la part de l’impérialisme !
Cuba a rejeté à cette époque ce chantage, tout comme elle le rejette aujourd’hui : par le plus grand mépris !
Le général d’armée Raúl Castro a rappelé le 10 avril dernier : « Nous avons prouvé en soixante ans, face aux agressions et aux menaces, que nous étions absolument décidés à résister aux pires circonstances et à les surmonter. Aurait-il beau posséder un pouvoir immense, l’impérialisme n’est pas capable de briser la dignité d’un peuple uni, fier de son histoire et orgueilleux de la liberté qu’il a conquise à force de tant de sacrifices. »
Le Gouvernement révolutionnaire de Cuba appelle tous les membres de la communauté internationale et tous les citoyens étasuniens à stopper l’escalade irrationnelle et la politique d’hostilité et d’agression de l’administration Trump. Année après année, d’une manière quasi unanime, les États membres des Nations Unies réclament à juste titre la cessation de cette guerre économique. Les peuples et les gouvernements de notre région doivent faire prévaloir, au bénéfice de tous, les principes contenus dans la Proclamation de l’Amérique latine et des Caraïbes comme Zone de paix.
Miguel Díaz-Canel Bermúdez, président des Conseils d’État et des ministres, a affirmé le 13 avril dernier : « Cuba continue de faire confiance à ses propres forces et à sa propre dignité, mais aussi à la force et à la dignité d’autres nations souveraines et indépendantes. Et elle continue aussi de croire au peuple étasunien, à la patrie de Lincoln qui rougit de honte de voir un petit groupe agir en marge de la loi universelle au nom de toute la nation étasunienne. »
Cuba rejette une fois de plus les mensonges et les menaces, et réitère que sa souveraineté, son indépendance et son engagement envers la cause des peuples latino-américains et caribéens ne sont pas négociables.
À deux jours du cinquante-huitième anniversaire de la victoire de Playa Girón, site historique de la géographie nationale où les forces mercenaires de l’impérialisme ont mordu la poussière, la Révolution cubaine réitère qu’elle est fermement résolue à faire face à l’escalade agressive des Etats-Unis et à la contrer.
La Havane, le 17 avril 2019
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https://www.legrandsoir.info/la-revolution-cubaine-reitere-qu-elle-est-fermement-resolue-a-contrer-l-escalade-agressive-des-etats-unis.html
Publié le 20/04/2019
Espagne : 44 ans après la mort de Franco, l’extrême droite s’apprête à entrer au parlement
Stéphane Ortega (site rapportsdeforce.fr)
Les dernières projections en sièges pronostiquent au parti d’extrême droite Vox une trentaine de députés aux Cortes, lors des élections générales prévues le 28 avril. Un choc dans un pays dont l’histoire récente a été marquée par 40 ans de dictature nationaliste et catholique. Depuis, l’Espagne faisait figure d’exception en Europe : aucun parti d’extrême droite n’y avait réalisé de percée électorale.
Un sondage n’est pas une élection, mais celui du très institutionnel Centre de recherches sociologiques (CIS) fait tout de même office de baromètre politique, à moins de 15 jours des élections générales en Espagne. Réalisé auprès de plus de 16 000 personnes, il donne à Vox, le parti d’extrême droite, près de 11,9 % des voix. Lors de ce scrutin proportionnel à un tour, 29 à 37 députés de cette petite formation nationaliste fondée en 2013 pourraient faire leur entrée aux Cortes, selon l’étude du CIS.
À droite, le Parti populaire (PP) s’effondrerait à 17,2 % des suffrages, perdant 16 points par rapport à son score de 2016. L’autre parti de droite Ciudadanos raterait son pari de remplacer la droite traditionnelle. Il plafonne à 13,6 %, soit plus de trois points derrière le PP. À gauche, le parti socialiste (PSOE) deviendrait de loin la première formation politique avec 30,2 % des voix et plus d’un tiers des sièges. Podemos fait les frais de cette percée des socialistes en passant de 21,3 % des voix en 2016 à seulement 12,9 % le 28 avril prochain.
Revival fasciste en Espagne ?
« Nous ne prenons pas le ciel d’assaut, nous le conquérons », lançait Santiago Abascal, le leader de Vox, le 7 octobre dernier à Madrid lors d’un meeting réunissant près de 10 000 sympathisants. La référence aux propos du chef de file de Podemos dans la même salle quatre ans plus tôt était évidente. Pablo Iglesias s’appuyant alors sur le mouvement populaire du 15 M espérait « prendre le ciel d’assaut » et arriver aux commandes de l’Espagne en deux ans. Le succès de ce meeting madrilène pour Vox sonne comme une première alerte d’un retour de l’extrême droite sur la scène politique, et ce de façon autonome. Jusque-là, les nostalgiques du passé franquiste de l’Espagne étaient intégrés dans le PP, le grand parti regroupant toutes les familles idéologiques des droites.
Créé en décembre 2013 par d’anciens cadres du Parti populaire, Vox stagne pendant plusieurs années, n’obtenant que 0,2 % des voix lors des dernières élections générales en Espagne. Son coup de barre à droite et son héritage assumé et décomplexé du franquisme ne trouve alors pas d’écho dans la société espagnole. Mais il n’en est pas de même aujourd’hui après la crise catalane. Les aspirations unionistes ont grandi. Petit fils de franquiste, Santiago Abascal veut réduire les autonomies et pourquoi pas supprimer les parlements régionaux, comme Franco avait supprimé les autonomies en Catalogne et au Pays basque en 1939. Il souhaite également supprimer la loi sur la mémoire historique qui reconnaît les victimes de la guerre civile.
Autre thème central du programme de Vox « 100 mesures pour une Espagne vive », la haine des féministes, traitées de « féminazis » ou de « féministes suprémacistes », alors que le mouvement des femmes porte le mouvement social ibérique. Là aussi, le parti d’extrême droite est à l’offensive : remise en question des lois sur les violences machistes, l’avortement et le mariage homosexuel. Enfin, Vox propose de construire un mur entre les enclaves de Ceuta et Melilla, et le reste de l’Espagne. Fort d’un succès remarqué lors des élections régionales en Andalousie en décembre 2018, l’extrême droite s’apprête à généraliser sa percée électorale fin avril. Si le parti reste faible en Catalogne ou au Pays basque, il pourrait atteindre des scores proches de 20 % dans les provinces de Madrid, de Valence ou de Murcie en Andalousie.
Un cordon sanitaire déjà brisé
Malgré le choc que représente ce retour électoral de l’extrême droite, aucun cordon sanitaire politique ne semble être réellement envisagé par la droite espagnole. Le 2 décembre, Vox obtient 10,97 % et 12 sièges au parlement andalou tenu par la gauche depuis 36 ans. La région compte 22,6 % de chômage, huit points au-dessus de la moyenne officielle nationale. Le 16 janvier, le candidat du Parti populaire a été nommé à la tête de la région la plus peuplée du pays dans le cadre d’une coalition avec les libéraux de Ciudadanos, et d’un pacte signé avec Vox une semaine plus tôt. Une aubaine pour l’extrême droite qui gagne d’un coup le statut de formation politique légitime et fréquentable.
Les mêmes jeux d’alliances risquent de se reproduire aux Cortes après le 28 avril. Avec cinq partis dépassant les 10 %, la composition d’une majorité stable relèvera probablement du casse-tête. Le PSOE avec plus de 30 % des voix pronostiquées aura la main pour proposer des alliances, mais signer un programme de gouvernement avec Podemos ne l’enthousiasme pas totalement, alors qu’une union avec Ciudadanos n’atteindrait pas les 50 % nécessaire lors du premier vote des parlementaires. En cas d’échec, un nouveau scrutin devra regrouper plus de votes favorables que défavorables pour former un gouvernement.
Dans ce cas de figure, tous les scénarios sont envisageables, d’autant que les nationalistes catalans et basques, crédités de plus de 5 %, pourraient jouer les forces d’appoints dans certaines coalitions. Du côté des droites, selon les projections en sièges du CIS, elles pourraient en s’alliant représenter une alternative au Parti socialiste. Une option séduisante pour le Parti populaire dont le nouveau leader a droitisé son discours, et qui voit en Vox un parti populiste et non d’extrême droite. Selon les résultats finaux du 28 avril, la nomination d’un nouveau gouvernement pourrait traîner en longueur jusqu’aux scrutins du 26 mai.
Ce jour-là, les Espagnols voteront à la fois pour les Européennes, les municipales, et pour l’élection de nombreux parlements régionaux. Là, une alliance avec Vox pourrait permettre à la droite de ravir Madrid à la coalition de gauche au pouvoir. L’extrême droite n’a pas fini de faire parler d’elle en Espagne.
https://rapportsdeforce.fr/linternationale/espagne-44-ans-apres-la-mort-de-franco-lextreme-droite-sapprete-a-entrer-au-parlement-04163533
Publié le 19/04/2019
Parlement européen. Victoire à Strasbourg pour les lanceurs d’alerte
Julia Hamlaoui (site humanité.fr)
Les députés européens ont adopté mardi, à une large majorité, une directive protégeant les lanceurs d’alerte, après une longue bataille.
Souvent à l’origine de directives rabougrissant les droits, cette fois, grâce à une bataille acharnée, le Parlement européen a entériné une disposition de progrès. Une victoire pour les lanceurs d’alerte, adoptée mardi à une large majorité (591 voix pour, 29 contre et 33 abstentions). « C’est un texte que tout le monde s’accorde à considérer comme une belle avancée pour la protection des lanceurs d’alerte et de la démocratie européenne », s’est félicitée sa rapporteure, Virginie Rozière (Radicaux de gauche), qui avait participé aux négociations en amont avec les États et la Commission aux côtés de deux autres députés, Jean-Marie Cavada (Génération citoyens, centre droit) et Pascal Durand (Verts-ALE). « Cette victoire montre qu’avec de la volonté politique et de l’optimisme, il est possible de changer l’Europe », a également salué l’écologiste engagée dans la lutte anticorruption Eva Joly, tandis que l’eurodéputé PCF, et directeur de l’Humanité, Patrick Le Hyaric soulignait en séance qu’il « s’agit de l’intérêt général ».
Un an de négociation tripartite
En l’occurrence, la directive adoptée mardi entérine « l’affirmation claire de la légitimité de la divulgation d’informations par le lanceur d’alerte », estime sa rapporteure. Une légitimité attaquée par une autre directive européenne, celle sur le secret des affaires, qui a déjà trouvé sa traduction dans le droit français avec une loi promulguée à l’été dernier. « Même si on pourra lui opposer le secret des affaires, l’incriminer pour vol ou piratage informatique, on pose le principe que ces agissements sont légitimes par le fait que lancer l’alerte a une valeur juridique supérieure », a détaillé l’élue lors d’une conférence de presse dans la foulée du vote, même si l’alerte publique reste soumise à certaines conditions. Les possibles représailles de la part d’un employeur sont aussi encadrées, avec une « inversion de la charge de la preuve », soit l’obligation pour celui-ci de démontrer, si la situation de son salarié a changé, que c’est sans lien avec ce que celui-ci a dénoncé. Quant aux activités concernées, celles liées à la défense ou à la sûreté de l’État échappent toujours à la règle.
« Les États auront pourtant une grande marge de manœuvre dans l’application de cette directive, ce qui inquiète, considérant les tentatives de blocage de certains gouvernements », a cependant mis en garde Patrick Le Hyaric, regrettant l’absence « d’une autorité européenne de protection des lanceurs d’alerte » que son groupe proposait. Il faut dire que la bataille a dû être acharnée. Près d’un an de négociation tripartite (entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil), appuyée par la mobilisation d’associations et de syndicats, a été nécessaire pour aboutir au vote de mardi. Certains États membres de l’Union, la France en tête, militaient en faveur d’une protection plus étroite, consistant à contraindre les lanceurs d’alerte à signaler ce qu’ils avaient observé en interne en premier lieu, c’est-à-dire à l’employeur mis en cause par exemple. Un « non-sens », selon les termes de Patrick Le Hyaric, qui rappelait alors qu’une telle procédure « expose le lanceur d’alerte et le met potentiellement en danger, en plus de permettre à l’entreprise de couvrir les faits avant qu’ils ne soient dénoncés ». Désormais, les États disposent de deux ans pour transposer la directive, ce qui marquera son entrée en vigueur effective. Trop tard pour Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, qui s’est vu retirer son droit d’asile par les autorités équatoriennes la semaine dernière à Londres.
Julia Hamlaoui
https://www.humanite.fr/parlement-europeen-victoire-strasbourg-pour-les-lanceurs-dalerte-671084
Publié le 18/04/2019
Un rapport épingle «l’usage immodéré et disproportionné de la force publique» à Toulouse
Par Emmanuel Riondé (site mediapart.fr)
L’Observatoire toulousain des pratiques policières a rendu son rapport public mercredi 17 avril. Deux ans de manifestations scrutées à la loupe, dans la quatrième ville du pays. Ce travail documente l’évolution des procédés de maintien de l’ordre. La répression du mouvement des gilets jaunes marque, d'après le texte, le franchissement d’un seuil inquiétant.
Toulouse, correspondance. - Une solide pièce de plus au dossier des violences policières en France. Après presque deux ans de travaux, l'Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP, voir notre précédent article à ce sujet), porté par la Ligue des droits de l'homme (LDH), la Fondation Copernic et le Syndicat des avocats de France (SAF), rend ce mercredi 17 avril un rapport que Mediapart a pu consulter en amont.
Intitulé « Un dispositif de maintien de l'ordre disproportionné et dangereux pour les libertés publiques », ce document de 138 pages propose une analyse quantitative et qualitative de l'évolution du maintien de l'ordre à Toulouse, entre mai 2017 et mars 2019. Réalisé sous la « direction scientifique » de Daniel Welzer-Lang, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST) du CNRS, le rapport complet s'intéresse aux dispositifs, aux stratégies policières et aux interactions avec les manifestants.
Dans leur conclusion, les auteurs épinglent la « stratégie de la peur » mise en œuvre par les autorités et tirent le signal d'alarme : « Depuis la “loi travail” de 2016, la police a franchi un seuil dans la violence. Les policiers ne sont pas seulement violents, ils sont brutaux […]. C’est la brutalité de ceux et celles qui veulent revenir sur le droit de manifester. C’est la brutalité d’un pouvoir qui veut imposer sa politique par la matraque et la grenade […]. »
Au 3 avril 2019, 50 manifestations ont été observées et 24 observateur-e-s (c'est leur choix d'appellation, expliqué dans le rapport), dont 7 femmes et 17 hommes, mobilisés par l'OPP. Soit « 1 800 heures de présence opérationnelle en manifestations », plus de 4 600 photos prises et 50 heures de vidéo enregistrées. Les auteurs, qui se défendent « de faire un rapport à charge », souhaitent que leurs « analyses finales » puissent « être reprises par l'ensemble des personnes qui se réclament de valeurs démocratiques. Policier.e.s et gendarmes compris ». Pas certain que ce soit le cas. Contacté mardi par Mediapart, la préfecture de la Haute-Garonne nous a fait savoir qu'elle n'avait pour l'heure « pas d'éléments » de commentaire ou de réaction à délivrer sur ce rapport.
Les observateurs ont choisi de découper la longue séquence observée à Toulouse en trois phases : de mai 2017 à octobre 2018, de novembre à décembre 2018 et de janvier à fin mars 2019. Un choix qui permet de mettre en lumière les cafouillages et le caractère souvent « illisible » de la stratégie de la police ; ses difficultés à s'adapter à un type de mobilisation nouveau et imprévu ; son choix de durcir la répression ; et, in fine, son adoption d'une stratégie radicale censée redonner, aux forceps, un « cadre » plus « conforme » aux cortèges non déclarés du samedi. Sans succès.
La première phase, qui démarre en mai 2017 (19 manifestations observées sur 22 mois), fait l'objet de la part de la police et de la gendarmerie d'une « gestion locale, à la toulousaine » de manifestations déclarées et « souvent liées au mouvement social traditionnel ». Peu de heurts sont à déplorer même si, déjà, quelques faits violents présagent de la suite. La deuxième phase débute avec le mouvement des gilets jaunes, mi-novembre, et donne aussitôt à voir un mode de gestion bien plus dur : « Les manifestations, à peine commencées, sont gazées de manière massive par des forces de police. »
Les effectifs des brigades anticriminalité (Bac) et des compagnies départementales d'intervention (CDI) interviennent très tôt et violemment : usage de LBD, « chasse aux manifestants », « attitudes de cow-boy », « arrestations attentatoires aux droits », « hyperviolence injustifiée » et proche de la bavure. Les blessés sont nombreux, les interpellations aussi. En face, les manifestants tendent à mieux s'équiper pour se protéger (une attitude qui va devenir un « habitus ») et, à travers leur refus de se disperser, expriment « une rage certaine ».
Lorsque la troisième phase démarre en janvier, ces méthodes se poursuivent mais épousent la « stratégie de l'heure » désormais adoptée par la préfecture. Elle consiste à laisser « les manifestations se dérouler calmement jusqu’à 16 h 30 » avec une présence discrète de CRS et de gendarmes mobiles, puis en une tentative de dispersion brutale en recourant aux policiers des Bac et CDI.
Ce qui semble répondre à deux objectifs : reprendre la main sur des manifestations non déclarées aux parcours aléatoires ; et « créer des casseurs », un terme que le rapport veut « déconstruire », ce « mot-valise, utile comme épouvantail pour opinion publique » recouvrant « des réalités nettement plus contrastées ». Nuances dont la préfecture ne s'embarrasse pas, considérant comme « casseurs » tous « ceux et celles qui restent » après la « limite horaire » fixée donc aux alentours de 16 h 30, ce moment fatidique où l'hélicoptère de la gendarmerie apparaît dans le ciel.
Au sol, un double dispositif. L'un, « fixe », qui bloque les accès au centre-ville par des cordons d'effectifs, de véhicules et de blindés, et mobilise CRS et gendarmes mobiles. L'autre, « glissant » et visant à fermer les petites rues et à chasser les « casseurs », est notamment tenu par des « bacqueux » : un autre terme passé à la postérité, constate l'OPP, qui précise qu'il est « utilisé par les manifestant-e-s, les observateur-e-s et par la police elle-même. Il intègre, dans les discours, toute personne du dispositif policier, regroupé en unité, qui n’est pas en uniforme ».
Ces « bacqueux » apparaissent comme les forces les plus problématiques en termes de recours à la violence, n'hésitant pas à « prendre leurs distances avec les codes et les lois », certains photographiant des manifestants avec leurs smartphones, d'autres arborant des écussons, « signe de ralliement des suprématistes blancs et des militants pro-armes étasuniens… » ou se livrant à des interpellations violentes dans les rangs des cortèges. « Ce comportement n’est pas du ressort du maintien de l’ordre et contribue largement à générer des tensions aboutissant à des affrontements généralisés entre manifestants et policiers. »
Le rapport souligne l'usage massif des lanceurs de balle de défense multicoups et multimunitions (PGL65), du canon à eau et des gaz lacrymogènes dont « la violence ressentie » est « sous-estimée », estiment les observateur-e-s. L'usage « immodéré » de ces armes est-il corrélatif à leur grand nombre ? L’OPP rappelle que les forces de police françaises sont surdotées en équipement au regard des autres pays européens. Conséquence de cette débauche de munitions : beaucoup de blessés.
L'occasion pour le rapport de s'interroger sur les chiffres de la préfecture qui, du 1er décembre 2018 au 2 mars 2019, « dénombre 60 blessé-e-s parmi les manifestant-e-s pour 169 blessé-e-s parmi les forces de l'ordre »… Un comptage surréaliste : sur simplement cinq manifestations dans la même période, une seule organisation de secouristes (sur au moins quatre distinctes intervenant dans les manifs, dont des street medics) a recensé 151 blessés.
Les violences subies par la police ne sont pas ignorées par l’OPP. Parmi les armes repérées : des cocktails Molotov, bouts de bois, boulons, cailloux mais surtout beaucoup d’« humour, de paroles, de clowns », des œufs… « Nous savons bien que quelques cocktails Molotov ont été lancés […]. Mais il n’y a jamais eu des centaines de casseurs dans les rues de Toulouse ; sinon le bilan humain et matériel serait autrement plus lourd », soulignent les observateur-e-s, qui rappellent que « les policier-e-s et gendarmes sont eux aussi soumis à la dureté du système dominant […], à des injonctions paradoxales [et] n’échappent pas […] à l’intérieur même de leurs unités, aux maux qui minent les rapports sociaux (racisme, sexisme, machisme, culte de l’apparence et de la performance, pressions sans limite de la hiérarchie) ». Une situation qui, à Toulouse, s'est donnée à voir à plusieurs reprises lorsque des policiers en sont venus aux mains entre eux.
L’OPP, dont les membres déclarent leur présence à la préfecture, a vu ses relations avec la police se dégrader à partir de la deuxième phase. L'un d'entre eux a été sérieusement blessé à la tête le 2 février. Traités de « charognards », d’« éboueurs », ils ont aussi eu droit à cet échange cocasse, le 5 janvier, quand un observateur, sortant un peu de la « distance » requise, lance face à des policiers : « Vive la police républicaine ! » Indignation immédiate d'un chef : « Votre collègue vient de nous insulter. C’est inacceptable. Vous n’avez pas à prendre partie. Je ferai un rapport qui ira loin... »
En attendant, la réaction de la place Beauvau à cette étude de l’OPP sera guettée. Tant le spectre d'une dérive autoritaire s'y précise, à l'échelle locale, de façon préoccupante : « Il ne s'agit plus désormais de limiter au maximum toutes les formes d'incidents violents pour permettre un déroulement dans le calme des manifestations, mais de dissuader purement et simplement les manifestants d’occuper l’espace public et de mettre fin à la protestation sociale par un usage immodéré et disproportionné de la force publique. »
https://www.mediapart.fr/journal/france/170419/un-rapport-epingle-l-usage-immodere-et-disproportionne-de-la-force-publique-toulouse
Publié le 17/04/2019
"On ne peut pas faire autrement que les aider" : une nuit avec les montagnards sauveurs de migrants
Par Vladimir de Gmeline (site marianne.net)
Toutes les nuits, les "maraudeurs" arpentent la montagne, à la rencontre des réfugiés égarés. Habitants de la vallée et volontaires venus d’ailleurs se relaient sans discontinuer pour ne laisser "personne mourir en montagne".
La nuit n’est pas encore tombée mais le froid, lui, s’abat sur la ville en même temps que le soleil disparaît derrière les pics enneigés. Les familles en tenue d’après-ski rentrent d’une journée à dévaler les pistes, fourbues et heureuses. Les parkings des grandes surfaces se remplissent. On prépare le dîner, la raclette, on achète de la bière et du vin, du fromage et du jambon. A la piscine municipale, les entraînements battent leur plein et on se délasse au spa dans les vapeurs d’eau chaude. Juste en face, la patinoire résonne du bruit des palets frappés à pleine vitesse. Dans cette enceinte mythique, l’équipe des « Diables rouges » se prépare à son prochain affrontement. Les bars sont bondés. La rivière qui longe la route, près de la zone commerciale, charrie une eau glacée. Il ne ferait pas bon y tomber. Les compétitions de kayak reprendront au printemps. Là-haut, les pentes enneigées et les forêts profondes basculent dans l’obscurité.
Chutes, noyades, hypothermies
Au « Refuge solidaire », non loin de la gare de Briançon, c’est l’heure du dîner. Les bénévoles servent les repas à la cinquantaine de réfugiés qui sont hébergés ici et passent leurs journées, désœuvrés, à écouter de la musique, à jouer au foot ou à regarder des vidéos sur leur portable. Quelques jours de repos avant d’entamer la suite de leur périple. On joue aux cartes. Un jeune homme, sourire aux lèvres, se met à rire aux déconvenues du chat dans les aventures de « Tom et Jerry ». Sur la terrasse à l’arrière du bâtiment, certains terminent de faire leur lessive. En contrebas, un petit local. Des hommes et des femmes en tenue de randonnée arrivent les uns après les autres. Ce soir, comme tous les soirs, un petit groupe va partir en montagne, du côté du col de Montgenèvre. Car tous les soirs, des groupes de réfugiés tentent de passer la frontière entre l’Italie et la France. Ils prennent les derniers bus jusqu’à Clavières, puis s’engagent dans les bois pour contourner Montgenèvre, où se trouve le poste de la PAF (Police Aux Frontières). Du côté italien, à Oulx qu’ils ont la plupart du temps rejoint en train, des associations leur ont fourni des vêtements chauds et des chaussures. Mais ils ne connaissent rien de cet environnement hostile. La neige, les bois la nuit, les pentes caillouteuses, les pistes qui se perdent et les ravins au détour d’un chemin. Le froid glacial. Des risques naturels aggravés par la peur de la police. En voulant éviter les contrôles, les réfugiés s’engagent sur des terrains escarpés et en altitude, se mettant dans des situations toujours plus dangereuses. En trois ans, plusieurs personnes sont mortes. Chutes, noyades, hypothermies. Les blessures sont nombreuses, de la fracture aux engelures, dont certaines ont mené à l’amputation.
« On ne peut pas faire autrement que les aider, c’est complètement naturel pour nous », explique Benoît Ducos, menuisier et ancien pisteur-secouriste. Membre de l’association « Tous migrants », Benoît participe aux maraudes depuis les débuts, à l’hiver 2016. Moins souvent aujourd’hui, depuis qu’il est dans le collimateur de la justice pour avoir transporté dans sa voiture une famille rencontrée à proximité du col de l’Echelle, dont la mère, enceinte de huit mois et demie. Quelques heures plus tard, elle avait donné naissance à un petit garçon à l’hôpital de Briançon. Si cette affaire, pour laquelle il était poursuivi pour « aide à l’entrée illégale sur le territoire français », a été classée sans suite par le tribunal de Gap en raison de son caractère humanitaire, il n’en a pas été de même pour celle dite des « sept de Briançon ». Lors d’une manifestation visant à protester contre la présence de militants identitaires au col de l’Echelle, plusieurs personnes avaient été interpellés puis jugées là aussi pour « aide à l’entrée irrégulière d’un étranger en France ». Benoît a écopé de six mois de prison avec sursis, quand d’autres ont été condamnés à des peines de prison ferme pour rébellion. Le menuisier-secouriste a donc du réduire sa participation aux maraudes. Un prochain contrôle pourrait l’envoyer en prison. Sans compter que ces trois ans d’intense activité ont usé les organismes. Les aides extérieures sont donc les bienvenues. Des bénévoles venus de toute la France, certains politisés, d’autres mus seulement par des motifs humanitaires, des étrangers, hollandais, anglais, allemands, des Italiens de l’autre côté de la frontière. Il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler de journalistes, suppôts évidents du capital et de l’Etat répressif, ceux qui ne savent pas trop, et ceux qui, comme Benoît, rappellent que sans la presse, les radios et la télévision, les dons et les aides, matérielles et humaines, n’auraient pas été aussi nombreux. Sa parole et son autorité de montagnard aux traits creusés par le grand air, son expérience, les risques qu’il a su prendre, en imposent à ceux qui sont de passage.
Cache-cache avec la police
Ce soir, parmi les maraudeurs, il y a Patrick et sa fille, Julie. Elle a vingt ans, est étudiante en psycho et effectue un stage au « Refuge solidaire ». Patrick, agriculteur dans le Lot et Garonne, membre du réseau des « Semences paysannes », est de ces hommes qui fonctionnent à l’indignation et au combat. Il est déjà venu, et se souvient avec émotion de ses premières escapades sur la route sinueuse qui mène de Briançon au col de Montgenèvre, en pleine tempête de neige. Avec Julie, ils partent en maraude un soir sur deux, histoire de récupérer de ces heures d’attente, de marche et de tension à la recherche de réfugiés égarés.
Au local, l’organisation est sérieuse et le briefing d’avant départ ne laisse guère de place au hasard. On boit du thé, on mange pour prendre des forces, on étudie les itinéraires et les points de passage, on repère les zones dangereuses. Les moins expérimentés sont toujours contents de partir avec des maraudeurs plus aguerris. Ce sera ensuite à leur tour de passer le relais. « Après une nuit comme celle que l’on va passer, on n'est plus pareil, ce qu’on voit et ce qu’on vit secoue inévitablement », disent-ils. Ils tiennent évidemment à une chose : qu’on ne révèle rien de leurs procédures. Certains, fatalistes ou lucides, pensent que les forces de l’ordre les connaissent de toutes façons. « Depuis le temps qu’on se croise, ils ne sont pas idiots », lâche l’un d’eux. On superpose les couches de vêtements, les bonnets, les gros gants et les écharpes coupe-vent sont vivement conseillés. Dans les sacs à dos, des boissons chaudes et de la nourriture, des habits secs pour les candidats au passage, souvent frigorifiés et trempés.
Une fois à Montgenèvre, les maraudeurs se répartissent des secteurs et partent dans la nature. Le bourg est illuminé et chaleureux, les pizzerias remplies. A la sortie, le poste de la PAF, à l’approche duquel les véhicules ralentissent. Certains sont contrôlés, fouillés. Il arrive que les abords de la guérite redoublent d’activité, que les voitures aillent et viennent en permanence, comme prises d’une fébrilité soudaine. Et certains soirs, morne plaine, calme plat.
Ce soir, c’est une sorte de compromis. Peu de voitures de police en ville, mais alors que les maraudeurs remontent le long des pistes pour aller explorer les bois, deux lumières trouent la nuit. Des hommes remontent derrière eux. Les maraudeurs se cachent. Policiers ? Simples randonneurs ? Policiers déguisés en randonneurs ? Difficile à savoir, et difficile d’aller leur demander qui ils sont et ce qu’ils font. Puis c’est une moto-neige qui remonte à pleine puissance, un homme en bleu juché dessus, scrutant l’espace entre les arbres. Là, difficile d’avoir un doute sur ce qu’il cherche.
Recherches épuisantes
Les heures s’écoulent. Il fait de plus en plus froid. Les maraudeurs alternent entre l’immobilité, l’observation, et les périodes de mouvement. Une des difficultés auxquelles ils sont confrontées vient du fait que les réfugiés peuvent les prendre pour des policiers… déguisés en randonneurs. « C’est très bizarre de venir ici régulièrement skier, faire de la luge avec nos enfants, vivre ces moments de bonheur ordinaire, et de savoir qu’au même endroit, quelques heures plus tard, des gens risquent leur vie », s’étonne un maraudeur lors d’un moment d’attente. Et puis soudain, cette drôle d’apparition… Un homme d’une trentaine d’années, la silhouette athlétique classique du moniteur de ski, bandeau dans les cheveux et bracelets aux poignets, surgit silencieusement dans la nuit. Juste un léger glissement sur la neige dans le sous-bois. Pierre* n’était pas à la réunion au local mais il est venu ensuite, seul, et arpente les hauteurs en ski de randonnée. Il connaît la montagne par cœur, se repère partout dans la nuit. Le ciel est magnifique, les étoiles brillent par milliers dans le ciel clair et pourtant, par endroits, la brume est tombée.
A une heure du matin, toujours pas de trace du moindre réfugié… Sont-ils déjà passés, se sont-ils perdus, ont-ils étés interceptés ? Cinq motos-neige ont traversé la station, venant du côté le plus proche de la frontière, puis ont basculé de l’autre côté, vers les chemins de randonnée qui mènent à la vallée. On se demande quoi faire. La nuit est peut-être finie. Personne ne sera passé ce soir.
Et puis, alors qu’on hésite encore sur la conduite à tenir, un maraudeur tourne la tête. Deux silhouettes incongrues marchent sur la piste, le long du sous-bois. Emmitouflées dans des blousons qui ressemblent sur elles à des vêtements d’enfants, bonnet enfoncés jusqu’au yeux, capuches remontées et sacs sur le dos, elles descendent vers la route, au risque de se faire intercepter. Pierre les rattrape a ski, et les rassure immédiatement sur sa présence. Les deux hommes sont originaires respectivement de Côte d’Ivoire et de Guinée. Les maraudeurs les font asseoir, leur offrent des dates et leur font boire du thé brûlant. Ils disent qu’un autre groupe de trois personnes n’était pas loin derrière eux mais qu’un autre homme, qui les accompagnait, n’est plus avec eux.
Ce troisième homme, les maraudeurs vont le chercher jusqu’à cinq heures du matin, arpentant les chemins, remontant le long des rivières. Angoissés à l’idée de savoir qu’un homme seul erre dans les montagnes, ces montagnes où il est si facile de se perdre et de tomber, à la merci d’une nature hostile. Les recherches ne donneront rien. Restent deux options. Ou bien il a été intercepté par les forces de l’ordre, et renvoyé en Italie. Ou il faut espérer qu’il ne lui est rien arrivé, qu’il s’est perdu et que le l’arrivée du jour le sortira d’affaire.
Les maraudeurs finiront par rentrer se coucher, fourbus mais répétant que leur fatigue n’est rien au regard de ce qu’éprouvent ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces mineurs isolés qui ont tout perdu, tout quitté. Car à leur fatigue à eux, à leurs blessures, à leurs traumatismes, à leurs angoisses, à leur solitude et à leur sentiment d’exil et d’arrachement, s’ajoutent la peur et le sentiment de n’être pas les bienvenus. A ce dernier, les maraudeurs veulent apporter un démenti depuis maintenant trois ans, chaque nuit. Le lendemain matin, à onze heures, frigorifiés, les lèvres et le nez gelés, Traoré, tombé dans un trou et miraculeusement réchappé, a poussé la porte du Refuge.
https://www.marianne.net/societe/ne-peut-pas-faire-autrement-que-les-aider-une-nuit-avec-les-montagnards-sauveurs-de-migrants
Publié le 16/04/2019
Pas de priorité à gauche sur les ronds-points
Par Pablo Pillaud-Vivien (site regards.fr)
Après avoir surtout exprimé leur embarras face à un mouvement qui les dépasse littéralement, les organisations de gauche ont dû constater que les gilets jaunes, exprimant un rejet global de la politique institutionnelle, n’attendent rien d’eux.
« Ne me parlez pas des politiques, c’est tous des cons. » Sur le rond-point de Lanester, près de Lorient (Morbihan), on ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de parler de ses élus. La défiance est totale et ce, peu importe la place sur l’échiquier politique. On est en décembre 2018, et la révolte des « gilets jaunes » bat son plein.
Pourtant, dans les partis et autres mouvements politiques, c’est branle-bas de combat général : un truc se passe et le rouleau compresseur Macron est bien trop puissant pour laisser filer une pareille occasion de se refaire une santé. Comment se positionner pour ne pas que cela passe pour de la récupération pure et simple ? Au vu de la diversité des opinions, des positionnements et des objectifs des participants au mouvement, n’y a-t-il pas un risque de s’acoquiner avec l’extrême droite ? Tout mouvement social ou sociétal doit-il être accompagné par des formations politiques ? Telles sont les questions – légitimes pour beaucoup – que se sont posées nombre de partis français tout au long des mois de novembre et de décembre 2018.
Gilets jaunes, gilets rouges
Rendons à César ce qui appartient à César : le premier à avoir flairé que le mouvement des gilets jaunes était promis à un puissant avenir a été Jean-Luc Mélenchon. Dès le 9 novembre, à l’occasion d’un meeting à Pau, il dit « souhaiter la réussite du mouvement », faisant fi de ceux qui, à ce moment-là de la mobilisation, y voient un terreau tout trouvé pour l’extrême droite. Une critique que le leader insoumis balaie d’un revers de la main : « Cette colère est juste, elle porte sur quelque chose qui a un sens ». Bien sûr, populisme et mouvement gazeux obligent, les Insoumis sont, sur l’échiquier politique, les moins susceptibles d’avoir peur des formes nouvelles, même lorsqu’elles font irruption en dehors du champ institutionnel classique. Sans drapeau ni banderole, ils participent aux marches et manifestations des samedis mais, surtout, ils prennent systématiquement et efficacement la défense des gilets jaunes sur les réseaux sociaux. Et l’on sait à quel point ils savent y être présents.
D’autres sont plus prudents, comme Olivier Besancenot du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), qui se dit, le 22 novembre dans « L’Émission politique », « solidaire » des gilets jaunes, « mais pas populiste ». Comprendre : j’entends la colère de ceux qui manifestent, mais je suis loin d’être d’accord avec tout. D’abord, parce que le logiciel du NPA est fondamentalement plus ancré dans les formes traditionnelles du pouvoir que celui des Insoumis, par exemple. Besancenot, tout comme le porte-parole du parti Philippe Poutou, appelle ainsi régulièrement à la grève générale en rappelant que ce sont les syndicats et les partis qui ont apporté les plus grandes avancées sociales en France. Tout en récusant certains des mots d’ordre des gilets jaunes comme celui du « pouvoir d’achat », qui lui « sort par les trous de nez ». Fidèle à sa gauche, Olivier Besancenot n’a par ailleurs de cesse de rappeler que les revendications doivent avant tout porter sur les salaires, les revenus, les prestations, les retraites et les allocations – et pas se cantonner au ras-le-bol fiscal. Une chose est certaine : lui et les siens essaient de changer les gilets jaunes en gilets rouges… sans succès.
Au Parti communiste français, au tout début du mouvement, on est en plein congrès. Il s’agit de changer de ligne, changer de secrétaire national. L’attention est donc ailleurs pour les militants. Tellement ailleurs qu’ils ont le bon goût d’organiser une mobilisation alternative le 15 novembre… Unitaire, certes, mais un flop total. L’arrivée de Fabien Roussel à la tête du parti change-t-elle la ligne ? Oui, assurément : moins bégueule que son prédécesseur, il appelle sans ciller à manifester avec les gilets jaunes dès le 1er décembre. Le parti n’est toutefois pas unanime sur le sujet, certains communistes notant que, s’il s’agit d’une colère légitime, toutes les aspirations et les voies de mobilisation ne sont pas bonnes à suivre : au PCF, on condamne fermement les violences et on continue d’appeler à la grève générale.
Colère commune, défiance partagée
Finalement, l’un des principaux hiatus tient au fonctionnement inversé du mouvement des gilets jaunes : horizontal, numérique, anarchique parfois, pourrait-on ajouter. N’en déplaise évidemment à Philippe Martinez. Le patron de la Confédération générale du travail élude en déclarant, dans la Midinale de Regards du 30 novembre, que sa responsabilité est « de mettre tout le monde dans la rue ». D’où, de la part de la centrale, un timide appel à manifester le samedi 1er décembre… avec un parcours différent que celui des gilets jaunes – si tant est qu’ils en eussent vraiment un. En tous les cas, les tentatives, du côté de la CGT, de rejoindre certains cortèges de gilets jaunes se révèlent impossibles : les syndicalistes, lorsqu’ils sont repérés, ne sont pas vraiment les bienvenus. Colère commune, mais profond désaccord de forme – et défiance des deux côtés.
Étonnamment, les écologistes ont presque eu moins de mal avec les gilets jaunes : alors que la raison première des mobilisations est l’augmentation de la taxe sur les carburants, on pouvait se dire que ça n’allait pas matcher avec les revendications portées par Europe Écologie-Les Verts. Certes, les débuts sont compliqués et le conseiller d’Ile-de-France Julien Bayou affirme ainsi : « Nous sommes pour la fin du bonus sur le diesel. On ne peut pas s’associer à un mot d’ordre qui appelle à revenir sur cette taxe carbone. » Mais ce son de cloche évolue rapidement à mesure que les revendications s’étoffent et que l’on se rend compte que les gilets jaunes ne sont pas une force nécessairement anti-écolo. « Ce qu’Emmanuel Macron vient de découvrir et que nous, écologistes, savons depuis longtemps, c’est que l’écologie va nécessairement de pair avec la lutte contre les inégalités », nous glisse l’ancien député européen EELV Alain Lipietz. Et de voir ainsi Julien Bayou, qui refusait de manifester avec les gilets jaunes, participer à un rassemblement à Saint-Lazare à Paris, accompagné de la sénatrice Esther Benbassa et de l’ancien député Sergio Coronado.
Encore plus gênés aux entournures : le Parti socialiste et même Génération.s. Les deux partis prennent avec d’infinies réserves le mouvement naissant. « Anti-écolo », « à forte coloration d’extrême droite », « pas structuré »… Une députée socialiste nous affirme que, « même si on peut se retrouver dans quelques-unes des revendications : qu’est-ce que vous voulez qu’on en fasse ? » Seulement, au vu du bouillonnement continu sur les réseaux sociaux et du battage médiatique des mobilisations, tant Olivier Faure que Benoît Hamon, les patrons respectifs des deux formations politiques, changent un peu leur fusil d’épaule et amendent leurs discours : « Nous soutenons les Français qui se mobilisent pour défendre leur pouvoir d’achat », assure ainsi le second, reprenant les arguments de l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot et souhaitant « la réconciliation de la justice sociale et de l’écologie ».
Partis dans l’impasse
Au fond, toute la gauche a été prise de court par les gilets jaunes. Complètement hors des radars des différentes formations politiques et syndicales, la mobilisation de ces Français-e-s depuis près de deux mois aurait pu, aurait dû être l’occasion de réfléchir collectivement sur la place du politique. « Pourquoi les gilets jaunes ne se sont-ils pas tournés vers les partis politiques de gauche pour faire part de leur opposition aux mesures portées par le gouvernement actuel ? », s’interroge ainsi l’ancien député et maire EELV de Bègles Noël Mamère. Las, les positionnements légèrement différenciés des uns et des autres ont pris le dessus sur les problématiques de fond et l’on a préféré s’adonner ou bien à la récupération, ou bien à la dénonciation de la récupération.
D’autant que les réponses aux gilets jaunes apportées par les plus enthousiastes de leurs thuriféraires sont loin d’être totalement pertinentes. Jean-Luc Mélenchon a ainsi appelé à une dissolution de l’Assemblée nationale et au rétablissement de l’impôt sur la fortune, quand le député FI François Ruffin demandait carrément la démission d’Emmanuel Macron. Seulement, en écoutant les plus médiatiques des gilets jaunes, comme Priscilla Ludovsky ou Jean-François Barnaba, et en se rendant sur les ronds-points, on réalise rapidement que ce mouvement est d’abord l’expression symptomatique de l’impasse à laquelle sont confrontées toutes les formations politiques depuis très longtemps – trop longtemps même, du dire des occupants des ronds-points. Et l’on voit mal comment des mesures comme le rétablissement de l’ISF ou la dissolution de l’Assemblée pourraient résoudre les problèmes profonds auxquels sont confrontés les occupants des ronds-points.
Mais les partis et mouvements politiques proposent (opposent parfois) aussi leur programme. En vain, souvent, car le tempo d’émergence des revendications est complètement décorrélé de celui que voudraient imposer certaines formations. Ainsi du rétablissement de l’ISF ou la proposition de référendum d’initiative citoyenne. Pour autant, certains s’inquiètent que les gilets jaunes ne fassent perdre la tête à d’autres. Ainsi de François Ruffin qui cite Étienne Chouard, personnage très décrié au sein de la gauche française, mais référence pour de nombreux gilets jaunes. Ou de Jean-Luc Mélenchon qui fait l’apologie d’un des leaders de gilets jaunes, Éric Drouet, qui ne cache pourtant ni ses préférences nationalistes, ni son conspirationnisme…
Le mouvement de contestation, s’il a un peu faibli pendant les fêtes, ne risque pas de s’arrêter à la rentrée. Il va donc falloir que la gauche continue de se repenser, de se restructurer. Comme l’écrivait Jacques Prévert, « il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec des allumettes, car le monde mental ment, monumentalement ». L’avenir de la gauche se situe sûrement du côté de ceux qui portent les gilets jaunes. La question, qui reste encore entière à ce stade, est de savoir comment se crée la jonction.
http://www.regards.fr/societe/article/pas-de-priorite-a-gauche-sur-les-ronds-points
Publié le 15/04/2019
Les jobs pourris du nouveau monde
Pia de Quatrebarbes (site humanite.fr)
Juicer, chauffeur, livreur, fouleur… Le « nouveau monde », c’est retour au XIX e siècle, du travail payé à la tâche, sans horaires ni cotisations. Où les travailleurs peuvent être désactivés à tout moment. Bienvenue dans l’univers des jobs pourris.
Qui a dit que le capitalisme de plateforme ne créait pas de travail ? Il en crée… à la pelle même. Ou plutôt, il externalise des travailleurs : il les recrute, fixe les prix, les déconnecte quand il n’en veut plus. Car, bien sûr, les petites mains de l’ubérisation et des plateformes n’ont pas de statut salarié, elles sont autoentrepreneuses… Et leur patron, c’est une application sur leur smartphone. On avait déjà des chauffeurs Uber et des livreurs à vélo. À ce jeu-là, un nouveau job est apparu : il a l’étrange nom de « juicer » (juice en argot anglais signifie électricité). Entre eux, ils s’appellent aussi « chargeurs » ou « hunters » (pour chasseurs) de trottinettes électriques. Depuis un an, ces véhicules en libre-service ont débarqué dans les villes françaises. Souvent, négligemment abandonnés sur un bout de trottoir.
Les chargeurs sortent à la tombée de la nuit récupérer les engins dont l’emplacement est indiqué sur leur smartphone, les ramènent chez eux pour recharger les batteries et les replacent à l’aube, entre 5 et 7 heures du matin, bien alignés. À Paris, ils sont neuf opérateurs : Lime, Bird, VOI, Bolt, Wind… L’entreprise californienne Lime revendique 30 000 locations par jour. On ne sait pas exactement combien sont les juicers, les plateformes sont moins bavardes sur cet aspect du business.
Quand on en parle avec Pierre, on sent que c’est un convaincu. « On n’a rien sans rien, il faut travailler dur », répète-t-il. Il a 21 ans et a créé sa microentreprise en janvier. Il est boulanger à Lyon à plein temps pour 1 600 euros brut. « En étant juicer, je me fais 600 euros supplémentaires par mois. Ça me paie des loisirs, un week-end, un resto. » Il a beau dire, « ça ne me prend pas beaucoup de temps », quand on fait le décompte, ça commence à chiffrer… « Je me fixe l’objectif de 5 trottinettes par sortie. » Chacune est payée 5 à 6 euros selon l’opérateur. « J’y passe une à deux heures, le soir, après le boulot, et un peu plus le week-end », plus une heure le matin pour redéposer son butin à 5 h 30. Au total donc, un deuxième travail à près de 20 heures par semaine, payés 7 euros de l’heure quand le Smic est à 10,03… Et tout ça, sans mutuelle, chômage ni congés payés, indemnités en cas de maladie ou d’accident du travail . « Mais je suis libre, je m’organise comme je veux. »
À Paris, c’est la jungle. « En un an, c’est devenu du n’importe quoi », nous lâche Yanis, à l’heure de la collecte. « Je suis à mi-temps dans la sécurité. Au départ, avec Lime, je me faisais jusqu’à 1 200 euros par mois, moins maintenant. Lime payait 7 euros la charge, désormais, c’est 5 euros… » Le nombre de chargeurs a augmenté, il faut être le premier à scanner la trottinette. « C’est la guerre : entre les mecs qui passent avec des utilitaires et qui en embarquent 30 chaque jour, ceux qui vous la chipent sous le nez. J’ai même vu des gamins de 14 ans faire les chargeurs. Le gosse avait deux trottinettes sur la sienne, sans casque, c’est n’importe quoi ! »
Les plateformes ont toujours la même stratégie. Attirer le travailleur avec la promesse de gros gains… mais toujours comme boulot d’appoint. Et quand elles ont atteint leur « masse critique », les tarifs baissent, sans sommation : « En 2015, quand la start-up britannique Deliveroo a débarqué en France, son PDG, dans un entretien aux “Échos”, promettait 4 000 euros par mois », se souvient Jérôme Pimot. Lui, ne bouffe plus de kilomètres à vélo pour livrer des burgers, il a arrêté en 2016 après avoir fait « trois boîtes, à chaque nouvelle baisse de tarifs ». Mais il se bat toujours au sein du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap), dont il est cofondateur.
Chez les livreurs, c’est de pire en pire. « Au début, c’était plutôt des étudiants qui avaient envie – plus que besoin – de se faire un peu d’argent. Ça s’est précarisé, plus jeunes, avec moins de ressources. Ils ont des vélos pourris, sans équipements », décrit le syndicaliste. Quand ce ne sont pas des sans-papiers qui louent le compte d’un livreur sur l’application. « Il y a toute une économie grise, de l’exploitation qui se développe. »
Les conditions se sont dégradées. En cause, la guerre des plateformes. Chacun revendique 15 000 à 17 000 livreurs en France, des chiffres à prendre avec précaution. À Paris, jusqu’à l’automne, chez Deliveroo, c’était 5,75 euros minimum la course. Uber Eats a introduit une tarification à la distance, Deliveroo a fait de même, mais avec un tarif à la distance variable, qui au bout de deux mois a baissé. Résultat : des courses plus longues moins payées (4,80 euros).
Mais les livreurs se sont donc rebiffés. Le week-end du 30 et 31 mars, les 16 e et 17 e arrondissements, bien pourvus en côtes raides à vélo, ont été bloqués. Rayés de la carte Deliveroo par les livreurs. Qui ont fixé jusqu’au 12 avril à la start-up pour leur faire des propositions.
Il faut dire qu’ils ont une nouvelle arme pour faire pression sur leur patron qui refuse d’officialiser leur relation : le salariat. En novembre, la Cour de cassation a requalifié un livreur de la plateforme Take Eat Easy en salarié. Une première en France. Mais « quand je dis aux livreurs : vous êtes des salariés déguisés, ça ne leur parle pas. Ils ne rêvent pas d’être salariés, pour eux, ça veut dire un Smic et un petit chef qui les maltraite. Ils ne le voient pas comme un combat syndical. Ils veulent juste gagner ce qu’on leur a promis », décrit Jérôme Pimot.
Chez les chauffeurs Uber, aussi, les promesses ont fait long feu. L’application américaine a débarqué en 2014 à Paris. Et aujourd’hui, « il y a des mecs qui bossent 70 heures par semaine à 4 euros de l’heure, et ça ne pose de problème à personne ! » Au bout du fil, Sayah Baaroun est en colère. Depuis quatre ans, il mène la bataille avec son syndicat de chauffeurs privés VTC… Explique à tout le monde, au gouvernement surtout, que c’est du « salariat déguisé, mais personne ne veut entendre. Et Uber leur dit que ça va être l’émeute en banlieue si on requalifie les chauffeurs en salariés. Et tout le monde tombe dans le panneau, ils laissent faire, c’est discriminatoire, ils lâchent des miettes à la banlieue ».
Le 11 mars, ce fut la douche froide. Au conseil des prud’hommes de Paris, neuf chauffeurs Uber devaient voir leur sort trancher. « Ils l’ont renvoyé à un juge départiteur… dans dix-huit mois. » Brahim, un des plaignants, a quand même de l’espoir, « deux conseiller prud’homaux étaient d’accord avec nous, on est bien des salariés ». En attendant, « il ne travaille plus pour Uber, j’ai l’impression de me faire exploiter ». Depuis 2015, près de 110 000 VTC ont été enregistrés selon les calculs de Sayah Baaroun. Aujourd’hui à Paris, ils seraient 30 000. Et le turnover est énorme. « 52 % arrêtent au bout d’un an et deux mois », continue-t-il. Les chauffeurs sont étranglés. « On paie tout : nos véhicules, nos charges. Uber nous recrute, nous conseille des loueurs de voitures. Mais on ne décide de rien. On a 10 secondes pour accepter une course sur l’application, on ne connaît que l’adresse de départ. On ne sait pas si elle va être rentable », explique Brahim.
Le but d’Uber, « ce n’est pas de faire vivre ses chauffeurs, mais de lever l’argent des investisseurs », continue-t-il. « Ils nous enferment dans leur système. Ils détruisent tout, et avec eux, on ne négocie pas. Les mecs s’endorment au volant tellement ils bossent. Pour se tirer un Smic, il faut bosser douze heures par jour. »
Nathalie, elle, est très loin du Smic. Mère au foyer de 49 ans, depuis deux ans, elle est aussi « fouleuse ». Elle fait de petites tâches pour la plateforme française Foule Factory, récemment rebaptisée Wirk. Aux États-Unis, on les appelle les turkers. Le géant Amazon a lancé en 2005 sa plateforme de micro-travail, Amazon Mechanical Turk. Le « Turc mécanique », c’est un automate du XVIII e siècle, censé jouer aux échecs. En réalité, le joueur était un humain caché dans le socle de l’appareil (lire entretien p. 43).
Parmi ses tâches : reformuler des phrases avec des synonymes, payés « 26 centimes les 4 phrases ». « Ce n’est pas rentable, je mets beaucoup trop de temps », lâche-t-elle. Mais c’est « assez enrichissant, j’apprends des choses ». Ou catégoriser des produits, aller chercher sur Internet des descriptifs de jouets… Elle n’a pas de statut d’autoentrepreneur, juste un compte avec une cagnotte sur la plateforme. En termes d’heures, elle l’avoue, « je travaille (elle utilise le mot) quand même beaucoup. Comme je passe mes journées à la maison, je suis tout le temps connectée si une tâche arrive. Je le fais en général de 8 à 12 heures et de 13 h 30 à 19 heures, pendant que mon mari, lui, est au travail ». Et tout ça pour gagner… « 100 à 150 euros par mois. Ça me rend un peu plus autonome ».
En l’écoutant, on se rend compte que l’enfer de la start-up nation est déjà en marche. Des gens payés quelques centimes, à la tâche. Un nouveau modèle de société. Et pourtant, il y a des candidats, sur la plateforme, les inscriptions ont été bloquées à 50 000.
Le gouvernement, lui, promet plus de protection. Seul est venu un amendement du député Taché (LaREM), rejeté, qui met en place une charte et précise bien qu’il « ne peut caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique » (lire entretien p. 45). Des gages, toujours des gages à Uber. En France, on peut payer des travailleurs 4 euros de l’heure, avec l’accord du gouvernement.
Publié le 14/04/2019
« Le syndicalisme de lutte, tel que nous l’avons connu, a de quoi être en crise »
La rédaction (site rapportsdeforce.fr)
Interview : Eric Beynel et Cécile Gondard-Lalanne, les deux porte-paroles de l’Union syndicale Solidaires, ont répondu sans langue de bois à nos questions, au lendemain de la dernière journée de grève et de manifestations interprofessionnelles du 19 mars. L’occasion de brosser un état des lieux des mobilisations et d’évoquer quelques-unes des difficultés rencontrées par le syndicalisme aujourd’hui.
Comment analysez-vous la dernière journée de mobilisation interprofessionnelle du 19 mars ?
Cécile Gondard-Lalanne : C’est essentiellement la fonction publique qui s’est mobilisée, avec de vrais cortèges enseignants et une présence significative des finances publiques. Ce qui est sûr, c’est que par rapport à une journée interprofessionnelle, elle ne l’a pas été. Cela ne permet pas d’envisager de monter d’un cran dans la dynamique de mobilisation que nous essayons de construire depuis des mois. En particulier avec le mouvement des gilets jaunes, en disant qu’il y a des liens à faire sur les questions sociales. Par contre, cela ouvre des perspectives du côté de la fonction publique sur le projet de loi qui arrive et qui est catastrophique pour les services publics et pour les agents qui y travaillent.
Eric Beynel : Le privé était beaucoup moins mobilisé, mais depuis les ordonnances travail et la mise en place du comité social économique (CSE), nous sommes dans une sorte de tunnel, avec des élections partout dans le secteur privé. Cela crée des difficultés dans les équipes syndicales pour les préparer et pour gérer les conséquences en termes de réduction des droits et des capacités à agir. Cela participe au fait que l’articulation public-privé a du mal à se mettre en place. Par contre, il y a un sujet qui revient et qui peut devenir un socle pour l’interprofessionnel : la question des retraites est un bruit de fond que l’on entend dans les cortèges depuis plusieurs mois.
Cécile Gondard-Lalanne : Le privé se mobilise, mais il a des temps de mobilisation qui sont essentiellement liés au rythme des négociations salariales, ou à la question des licenciements et des fermetures d’entreprise. Sur les questions interprofessionnelles, cela fait des dizaines d’années que nous n’avons pas de gains et de victoires. Nous avons au mieux stoppé des choses. L’ambiance n’est pas à un dynamisme social extraordinaire. Jusqu’à fin 2019, le privé est pris par les élections pour la mise en place des CSE qui bouffent du temps militant, et où la concurrence entre les organisations syndicales est de plus en plus agressive.
La concurrence acharnée entre les organisations syndicales autour des élections au CSE n’est-elle pas due, au-delà d’une baisse des moyens alloués par les CSE, à une fracture en deux blocs dans le syndicalisme français ?
Eric Beynel : C’est plus compliqué que cela. Nous sommes directement dans les conséquences de la loi sur la représentativité syndicale de 2008. Il est de plus en plus difficile de s’implanter dans des entreprises où il n’y a pas de syndicats. Dans plus de la moitié des entreprises, il y a des procès-verbaux de carence pour les élections. Dans celles où il y a des syndicats, la réduction des droits permettant d’aller au contact des salariés conduit à une forme d’autonomisation des syndicats du fait d’un manque de contact, sur fond de concurrence féroce dans une sorte de campagne permanente pour garder les maigres droits qui restent. Cela rend difficile l’articulation du travail syndical à l’intérieur de l’entreprise avec celui à l’extérieur sur le champ interprofessionnel. C’est une vraie difficulté pour le syndicalisme, quelle que soit la ligne défendue. Cela joue aussi sur le temps pour discuter de ces lignes : nous avons moins le temps de réfléchir à la transformation sociale et aux moyens pour la porter.
Il y a une division entre les organisations au niveau central, mais à l’intérieur des entreprises, en regardant les accords signés ou les lignes portées par les équipes syndicales, on ne retrouve pas toujours cette ligne de fracture. Quand il y a des batailles sur des sujets centraux, nous retrouvons un arc de force très large. Ce fut le cas à la SNCF, même si la bataille n’a pas été gagnée. Elle a réuni, du début à la fin, les structures que l’on dit toujours dans la contestation (CGT et Sud), et celles que l’on dit toujours dans la négociation (CFDT et UNSA). Cela se retrouve dans toutes les entreprises lorsqu’il y a des batailles importantes qui touchent le cœur du mouvement ouvrier. À la base, l’unité se fait de manière large la plupart du temps.
Cécile Gondard-Lalanne : Évidemment à l’échelle confédérale il y a des fractures, notamment avec la CFDT qui concentre dans le pôle dit réformiste, toutes les critiques pouvant être émises par le pôle dit contestataire. Mais la réalité est plus compliquée que cela. Depuis 2016, nous travaillons régulièrement avec Force ouvrière qui est contestataire sur ses sujets identitaires, la protection sociale et la fonction publique, mais qui pour le reste a tout accompagné. Nous avons peu de communs avec certaines équipes de FO dans les entreprises, et paradoxalement on bosse avec eux sur l’interprofessionnel depuis 3 ans. Il y a des jeux en fonction de l’actualité qui font que le syndicalisme ne peut pas se résumer à deux blocs, même s’il a une fracture entre certains qui ne contestent pas le système dans lequel on vit, et d’autres qui le contestent. Mais il n’y a pas d’espace où nous pouvons confronter de façon sereine pour avancer et proposer des choses aux salariés, alors que nous savons que l’unité est importante pour eux. Au-delà, il est difficile d’amener auprès des salariés une envie de progrès social, pour sortir de ce pseudo donnant donnant porté par Laurent Berger.
Difficultés à stopper les reculs sociaux depuis 30 ans, défaites dans des entreprises historiques comme la SNCF, assiste-t-on à une crise du syndicalisme ?
Eric Beynel : Cela fait quarante ans maintenant qu’on recule, pas trente. Parti d’une construction initiale dans le public s’appuyant sur des structures professionnelles, Solidaires est maintenant présent à parts égales dans la plupart des secteurs d’activités du public et du privé. De plus, nous avons réussi à construire une structuration départementale et locale. C’est le principal vecteur de l’activité interprofessionnelle aujourd’hui, que ce soit dans les mobilisations, la formation ou la structuration. Je pense que c’est la voie par laquelle nous pouvons rénover, reconstruire, et réinventer une forme de syndicalisme qui prenne le chemin inverse de celui qu’a pris le mouvement ouvrier au début du siècle dernier en désertifiant les Bourses du travail au profit des branches. Ce sont des débats que l’on retrouve dans le mouvement social avec les occupations des ronds-points ou des places publiques. Pas seulement en France, mais aussi en Espagne, en Égypte ou aux États-Unis avec la « Révolution des places ». C’est l’idée de s’unir et de faire des choses au niveau local pour ensuite les étendre. Cela demande de pouvoir être dans les entreprises et les secteurs, mais aussi d’en sortir, ce qui est difficile. Mais c’est peut-être l’espace dans lequel on peut construire.
Cécile Gondard-Lalanne : Nous sommes dans une période où les défaites sur 40 années pèsent, même s’il n’y a pas eu de défaites sur tout. Socialement, les évolutions sur les droits des femmes ou les droits LGBT sont importantes parce qu’elles viennent rompre avec des systèmes de domination en place. Mais le syndicalisme de lutte, tel que nous l’avons connu, a de quoi être en crise. Pour les luttes, il faut du collectif, or les organisations du travail aujourd’hui cassent ce collectif : la digitalisation, la numérisation, le fait de travailler de chez soi, d’avoir des horaires éclatés, que les gens ne se rencontrent plus. Il n’y a plus d’espace où les syndicalistes peuvent rencontrer tous les salariés. Il est normal que le mouvement ouvrier ait un temps de retard, par rapport à ceux qui pensent les nouvelles organisations du travail. Ils ont des armées de gens intelligents qui pensent et déclinent ces réorganisations, sans s’embarrasser de processus démocratiques.
Nous, à l’opposé, nous essayons de construire ensemble, quitte à prendre du temps pour cela. En plus, nous le faisons sur du temps militant qui se réduit et sur des espaces pour se rencontrer qui sont moindres. Nous sommes encore dans un moment d’analyse du temps dans lequel nous nous trouvons, tout en cherchant des solutions. Pour l’instant, personne ne les a trouvées. Par contre localement, depuis 2016, nous avons une vitalité dans les équipes syndicales qui ont investi l’interprofessionnel sur des sujets aussi divers que le droit des femmes, les gilets jaunes, ou la défense de l’hôpital, voire du bureau de poste. Ce sont des espaces de rencontre avec d’autres équipes militantes, même si pour l’instant cela ne suffit pas à renverser le rapport de force. Le mouvement des gilets jaunes participe et poursuit cette évolution.
Au-delà des fanfaronnades sur la première place de la CFDT, Laurent Berger a dit que le syndicalisme pouvait mourir. Le pensez-vous ?
Cécile Gondard-Lalanne : Ce serait totalement à côté de la plaque de penser que nous ne sommes pas précaires. Pour moi, la question est de pouvoir se dire que si notre outil n’est plus efficient à un moment donné, il faut en créer d’autres. Ce n’est pas un problème, le mouvement ouvrier a toujours réussi à le faire. Si le syndicalisme tel que nous le connaissons aujourd’hui mourait, cela ne veut pas dire que les outils collectifs disparaîtraient pour autant. Il y en aurait d’autres. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux il y a de vraies actions et de vrais rapports de force qui existent. Cela ne veut pas dire que le syndicalisme ne reste pas un outil pour les salariés.
Ce qui me paraît essentiel, c’est la question du contre-pouvoir. Les lieux et les outils des contre-pouvoirs, comme notre syndicalisme, sont toujours attaqués lorsqu’il y a un rouleau compresseur avec une pensée unique. Ce qui se joue dans cette période, c’est comment ils continuent à exister en tant qu’outils collectifs, quels que soient les noms qu’ils se donnent.
Enfin, l’écologie est à mon avis un des points d’ancrage du syndicalisme de demain. Nous devons avoir une réflexion générale sur les ruptures que ces questions provoquent avec ce que nous avons pu connaître : qu’est-ce qui est nécessaire et utile socialement ? C’est un des axes majeurs, avec celui des inégalités, d’un renouveau syndical. Il lie le local à l’aspect collectif pour une transformation de la société, alors que le système économique actuel crée de plus en plus d’inégalités, et qu’elles sont de plus en plus insupportables.
Eric Beynel : Le capitalisme est conscient que, comme le reste du monde, il est en danger et en possible voie d’extinction. Sa réponse, c’est de se transformer en totalitarisme pour continuer malgré tout à essorer les humains et la planète jusqu’au bout. Mais l’argent ne servira pas à acheter une autre planète. Au niveau mondial, les forums sociaux n’existent plus et ce ne sont pas les confédérations syndicales européennes ou internationales qui vont porter des ambitions importantes.
Par contre, au niveau local, des choses commencent à naître qui permettent une perspective. Il y a une lutte victorieuse que l’on a tendance à oublier : c’est Notre-Dame-des-Landes ! C’est une victoire avec un arc de force peu commun qui a réussi à travailler ensemble : syndicats ouvriers, organisations paysannes, mouvements autonomes. Ceux qui y vivent continuent à porter des projets. La Confédération paysanne a d’ailleurs remporté la chambre d’agriculture des Pays de la Loire quelques mois après.
Le mouvement social ne tire pas assez les conséquences de ces espaces-là, comme il s’est peu servi des articulations créées en 2016 entre le mouvement syndical, et des formes plus « citoyennistes » dans les nuits debout. Le verre n’est pas si vide que cela. Il y a des ferments de choses intéressantes, notamment la création de formes horizontales d’organisations, chose que nous portons dans Solidaires. C’est aussi le cas avec les gilets jaunes, comme à Commercy. C’est porteur de perspectives pour l’avenir.
Sur l’écologie, le syndicalisme a-t-il la bonne boîte à outils pour aborder ces questions ?
Eric Beynel : Nous ne pouvons pas continuer à dire que nous sommes pour une transformation sociale sans prendre en compte cette dimension, même si cela provoque des débats compliqués. Lorsque nous avons décidé de porter la revendication de l’abandon du nucléaire, nous avons eu des débats complexes, mais nous avons pu avancer avec notre structure présente dans le secteur de l’énergie. Mais bien évidemment, l’accident nucléaire de Fukushima a plus fait pour l’évolution dans les syndicats de l’énergie que les résolutions de Solidaires. Les salariés qui travaillent dans les centrales nucléaires voient la perte de connaissance de l’outil, les accidents qui se multiplient et la dégradation de l’outil de travail. Ils ne sont pas inconscients et évoluent d’eux-mêmes. Ce débat s’élargit, il n’est plus inexistant comme avant, même s’il n’est pas encore mûr à la CGT.
Le même problème se pose dans la chimie où nous sommes implantés dans des groupes qui produisent des pesticides. Nos camarades réfléchissent à des reconversions, à d’autres productions, autour de la question : pouvons-nous encore avoir une transition écologique, ou aura-t-on une rupture ? Ce qui fait le lien entre les inégalités et les questions écologiques, c’est le travail. Le syndicalisme est à une place où il permet la confrontation des idées et des propositions pour travailler sur ces deux axes forts. C’est la même chose avec les gilets jaunes et la taxe carbone, les organisations syndicales doivent percuter qu’elles sont à la jonction des problèmes écologiques et d’injustices économiques. Si nous ne les prenons pas en charge, nous aurons du mal à éviter le totalitarisme, parce que le capitalisme continuera à essorer le monde et ceux qui y habitent.
À plus court terme, comment voyez-vous les mobilisations des mois à venir ? Comment gagne-t-on alors que le gouvernement semble ne lâcher sur rien ?
Cécile Gondard-Lalanne : La question des retraites sera un enjeu du deuxième semestre 2019 et revient dans les discussions de ceux qui fréquentent les manifestations. Mais nous ne savons pas quel sera l’arc de force : la CFDT par exemple est plutôt partante pour une retraite à points. Le système actuel est largement à améliorer, car il porte en lui des inégalités, comme entre le public et le privé. Sur l’assurance chômage nous sommes sur des reculs, même si nous savons qu’à l’approche de l’été les coordinations d’intermittents du spectacle se remontent à certains endroits. Le gouvernement a beau profiter de n’importe quelle situation pour avancer quand même, je pense qu’il n’est pas au bout de ses surprises, notamment sur les questions écologiques. Il a été surpris par le mouvement des gilets jaunes. Il n’y a aucune raison qu’il ne le soit pas de nouveau.
https://rapportsdeforce.fr/classes-en-lutte/le-syndicalisme-de-lutte-tel-que-nous-lavons-connu-a-de-quoi-etre-en-crise-04073457
Publié le 13/04/2019
La France est-elle vraiment le pays d’Europe où les impôts et taxes sont les plus lourds ?
par Rachel Knaebel (site bastamag.net)
« Notre pays atteint aujourd’hui une forme de tolérance fiscale zéro. Nous devons baisser, et baisser plus vite, les impôts. » C’est l’une des conclusions que tire le Premier ministre Edouard Philippe, suite à la synthèse du grand débat national, ce 8 avril. La France est-elle vraiment le pays d’Europe le plus « étranglé » par les taxes, comme le martèle le Medef ? À l’examen des chiffres, le tableau est bien plus nuancé : les recettes issues de l’impôt sur la fortune étaient, jusqu’en 2017 et proportionnellement au PIB, parmi les plus importantes d’Europe, mais les impôts sur le revenu ou la consommation n’y sont pas si élevés par rapport à nos voisins. Quant aux cotisations, qui représentent une part importante de la richesse nationale, elles constituent un salaire différé et non un impôt, qui permet de financer notre système de protection sociale.
C’est une rengaine lancée par le Mouvement des entreprises de France (le Medef), reprise par une partie des éditorialistes : la France serait le pays le plus imposé d’Europe. « Je comprends les problèmes de pouvoir d’achat mais le problème, c’est d’abord les impôts et les taxes et malheureusement aucun gouvernement depuis trente ans n’a baissé les impôts », avait ainsi affirmé le « patron des patrons », Geoffroy Roux de Bézieux, sur les ondes de France Inter le 7 décembre, alors que le mouvement des gilets jaunes prenait de l’ampleur. « Le problème, ce n’est pas dans les entreprises qu’il se pose, c’est un problème de révolte fiscale (…) Les Français sont étranglés. Chaque fois que l’on crée un euro, ce sont 47 centimes qui vont à l’État, aux régimes sociaux, aux collectivités locales », poursuivait-il. Le Medef ne veut surtout pas d’augmentation des salaires, l’une des revendications de l’actuel mouvement social. Dans la même interview, le président du Medef trouvait qu’un Smic augmenté de 55 euros était déjà bien assez. Cette défiance vis-à-vis de l’impôt – et donc des dépenses publiques – a été reprise par le gouvernement lors du lancement du grand débat national avec un questionnaire très orienté puis par les conclusions qu’en a tirées le Premier ministre Edouard Philippe, qui y décèle « une immense exaspération fiscale », lors de son discours du 8 avril.
La France est-elle vraiment le pays le plus imposé d’Europe ? Début décembre, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) publiait son rapport statistique annuel sur les recettes publiques des États. Dans ce passage en revue des ressources budgétaires issues des impôts et des cotisations sociales des pays membres de l’organisation (l’Europe, ainsi que les États-Unis, l’Australie, la Corée du Sud ou la Nouvelle Zélande), la France est en effet présentée comme le pays d’Europe où les recettes fiscales et de cotisations sociales représentent, en 2017, la plus grande part comparée au produit intérieur brut (PIB, la richesse produite). L’ensemble de l’argent des impôts et des cotisations sociales récolté dans l’année y équivaut à 46,2 % du PIB. Le Danemark arrive juste derrière, à 46 % puis la Suède (44 %) et l’Italie (42,4 %). Les Pays-Bas et la Grèce sont autour de 39 %, et l’Allemagne à 37,5 % [1].
Les cotisations, plutôt du salaire différé que des impôts
À y regarder de plus près, toutefois, ces comparaisons ne sont pas aussi évidentes. D’abord, les cotisations sociales, qui entrent dans ce calcul, ne sont pas des impôts aux sens propre. L’Unedic, la caisse qui gère l’assurance chômage, le rappelle : « Les allocations chômage sont financées par des cotisations prélevées sur les salaires bruts. Ce ne sont donc pas les impôts qui financent les allocations chômage. » Les cotisations prélevées sur les salaires, qu’elles soient patronales ou salariales, sont une partie du salaire utilisée pour financer les systèmes de protection sociale. Il s’agit en fait d’un « salaire différé », que l’on perçoit une fois à la retraite ou en cas d’impossibilité de travailler (maladie, accident, chômage, congé maternité).
Ces sommes sont donc prélevées pour être reversées ensuite, selon un système de solidarité, lorsque le travailleur ne peut pas travailler ou n’a pas d’emploi [2]. C’est ce modèle qui est attaqué par le gouvernement, qui supprime et allège progressivement ces cotisations sociales : sur les heures supplémentaires, sur les bas salaire… Depuis octobre dernier, les cotisations chômage salariales ont été supprimées. Le manque à gagner est pour l’instant compensé par la CSG (contribution sociale généralisée), un impôt, qui dépend directement du budget de l’État. En basculant ainsi le financement des caisses de protections sociales directement sur le budget de l’État, le risque est grand de voir ensuite le système raboté au nom des économies budgétaires.
Impôt sur le revenu : plus bas en France qu’en Allemagne
La place de la France en termes de niveau d’imposition varie en fait largement selon le type de prélèvement concerné. Si l’on regarde l’impôt sur le revenu des personnes physiques, donc hors impôts sur les bénéfices des entreprises, la France arrive – avec des recettes fiscales équivalentes à 8,56 % du PIB – derrière le Royaume-Uni (9,1 %), l’Allemagne, l’Italie et la Norvège (qui sont à plus de 10 % sur ce type d’impôts), la Belgique et la Finlande (à plus de 12 %), la Suède (13 %), et très loin du Danemark (plus de 24,5 %) [3].
Concernant l’imposition sur le travail, l’OCDE mesure le rapport entre le montant des impôts payés par un travailleur salarié dit « moyen » (célibataire, dont la rémunération équivaut à 100 % du salaire moyen) et sans enfant et les coûts totaux de main-d’œuvre qu’il représente pour son employeur [4]. Là encore, la France (à 47,6 %) arrive derrière la Belgique (plus de 53%), l’Allemagne (49,6 %) et l’Italie (47,7%) [5].
L’impôt sur les sociétés sous la moyenne de l’OCDE
Même chose en ce qui concerne les recettes tirées de l’impôt sur les sociétés, donc sur les bénéfices des entreprises, qui équivalent à 2,35 % du PIB en France. L’hexagone se situe ainsi sous la moyenne de l’OCDE (2,93 %), loin derrière la Belgique et la Norvège (plus de 4 %), derrière le Danemark (plus de 3 %), le Portugal, les Pays-Bas, la Slovaquie ou même le Royaume-Uni… [6]. Autant de pays où les taux d’imposition sur les sociétés varient : de 33,9 % en moyenne en Belgique, 22 % au Danemark, 23 % en Norvège, 21 % au Portugal, aux Pays-Bas et en Slovaquie…
En France, le gouvernement a décidé l’an dernier d’une baisse progressive de cet impôt de 33,3 % (en 2016) à 25 % (en 2022). Les entreprises – en particulier les plus grandes – y bénéficient en outre d’exonérations considérables, telles le Crédit impôt recherche (CIR, plus de 6 milliards donnés aux entreprises en 2017), ou le CICE (21 milliards en 2018).
30 ans de baisse d’impôts pour les plus riches
Le Medef continue pourtant de prétendre que les entreprises paient trop d’impôts. En fait, les baisses d’impôts pour les entreprises et les plus riches se succèdent en France depuis plus de dix ans. En 2006, une réforme fiscale réduit la taxe professionnelle et crée un « bouclier fiscal » qui plafonne l’imposition globale d’un contribuable à 60 % de ses revenus. En 2007, Nicolas Sarkozy a fait adopter une loi qui réduit l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la taxation des successions, c’est-à-dire des héritages. Depuis, l’ISF a été supprimé par Emmanuel Macron.
Le taux le plus élevé de l’impôt sur le revenu, pour les contribuables les plus aisés, baisse aussi depuis 30 ans : il était à plus de 60 % au début des années 1980, plus de 50 % jusqu’en 2000, puis passé à 48 % en 2005. Il est aujourd’hui de 45 % pour les revenus de plus de 153 000 euros annuels. À chaque fois, ces réformes impliquent une baisse des recettes fiscales de l’État. « Entre 100 et 120 milliards d’euros de recettes fiscales ont ainsi été perdues pour le budget général de l’État entre 2000 et 2010 », soulignait en 2016 le député communiste Nicolas Sansu dans un rapport parlementaire.
Concernant les impôts sur les biens et services – la TVA par exemple, qui demeure un impôt inégalitaire puisque tout le monde la paie au même taux –, la France, est - avec plus de 11 % du PIB - proche de la moyenne de l’OCDE, derrière plusieurs pays qui sont eux-mêmes très différents en termes de richesses et de systèmes de protection sociale (Estonie, Danemark, Hongrie, Grèce, Finlande…) [7].
Évaluer cotisations et impôts au regard de ce qu’ils financent
Alors pourquoi la France est-elle en tête en matière de recettes fiscales rapportées au PIB ? Il existe en fait deux types de recettes classées comme fiscales par l’OCDE sur lesquelles la France arrive effectivement à la première place en Europe. Le pays est d’abord champion d’Europe en ce qui concerne l’imposition du patrimoine, c’est à dire notamment la fortune. En 2017, cette recette représentait 4,3 % du PIB. C’était avant la suppression de l’ISF et sa transformation en impôt sur la fortune immobilière (IFI), qui ne prend plus en compte le patrimoine financier (actions…). Les recettes de l’imposition du patrimoine ne représentaient en 2017 que 3,5 % du PIB en Belgique, 2,5 % Italie, et un 1 % seulement en Allemagne. Ce qui est peu étonnant lorsque l’on sait qu’il n’existe plus d’impôt sur la fortune en Allemagne depuis 1997. Le retour de cet impôt est d’ailleurs une revendication de longue date du parti de gauche allemand Die Linke.
L’autre prélèvement sur lequel la France est première en Europe, concerne justement les cotisations sociales : 16,8 % du PIB en France, contre 14,2 % en Allemagne, 13,8 % aux Pays-bas, 12,8 % en Italie. Là encore, c’était avant la suppression des cotisations chômage salariales en 2018 et les divers allègements de cotisations décidées pour 2019. Pourquoi cette première place ? Les cotisations alimentent un système de protection sociale plus protecteur pour les salariés que chez nombre de nos voisins. Par exemple, un salarié licencié peut bénéficier de l’assurance chômage pendant deux ans, contre seulement un an en Allemagne.
Par ailleurs, les allocations familiales sont aussi versées par les caisses de sécurité sociale, et presque totalement financées par les cotisations. À l’inverse, en Allemagne, les prestations familiales sont directement financées par l’État, pas par les cotisations sociales. Le système de retraite diffère aussi dans les deux pays. En Allemagne, l’âge légal de départ en retraite est de 65 ans (avec des possibilités de partir à 63). En France, il est de 62 ans – après avoir été longtemps à 60 ans. Mais pour combien de temps encore, si le gouvernement décide, en suivant le Medef, de supprimer toujours plus de cotisations qui financent ce système ? Cela pour mettre en scène une augmentation du pouvoir d’achat, mais sans augmenter en réalité les salaires.
Les dépenses publiques baissent, pas les intérêts de la dette
De même, les impôts français viennent financer des services publics, comme l’école publique gratuite dès 3 ans, des universités, des hôpitaux… Mais les gouvernements successifs suppriment des postes par milliers dans les administrations (plus de 800 suppressions de postes prévues par exemple à Pôle emploi pour 2019), à l’Éducation nationale (1800 suppressions annoncées pour 2019), ou remettent en cause les faibles frais d’inscription des universités. Le gouvernement a ainsi annoncé vouloir faire bientôt payer les étudiants étrangers hors Union européenne plusieurs milliers d’euros annuels, de 2770 à 3770 euros par an, pour pouvoir étudier en France… « La baisse des dépenses publiques », est l’un des objectifs affichés du programme « Action publique 2022 », mis en place par l’actuel gouvernement l’an dernier.
Dans le même temps, l’État français continue à payer des dizaines de milliards d’euros par an pour rembourser la dette publique et ses intérêts. Les intérêts de la dette française représentent plus de 41 milliards d’euros dans le budget 2018. Aujourd’hui, les taux sont encore assez bas. Mais au début des années 2000, l’État français empruntait sur le marché des obligations – les titres de dette des États – à plus de 4%, voire à 6 % dans les années 1990. De même, l’assurance chômage, dont le système de financement est de plus en plus ébranlé par la baisses des cotisations, doit recourir à l’emprunt sur les marchés financiers. Sa dette dépassait les 33 milliards d’euros fin 2017. L’Unedic a versé sur les cinq dernières années deux milliards d’euros d’intérêts à ses créanciers sur les marchés. Créanciers qui sont probablement, au final (pour ceux qui se trouvent en France) les mêmes qui profitent des baisses d’impôts.
En 2015, un audit citoyen de la dette publique – élaboré par un collectif alliant économistes et citoyens engagés – évoquait la possibilité de mettre en place un « impôt exceptionnel progressif » sur les 1% les plus riches, dont les recettes serviraient à rembourser une partie de la dette de l’État. L’idée d’un tel impôt exceptionnel avait aussi été émise par l’économiste Thomas Piketty [8]. Un tel impôt ferait sûrement encore remonter la France dans les classements des pays « les plus imposés », et hérisserait très probablement le Medef. Mais il ne toucherait que les plus riches, sans mettre en danger notre système de protection sociale.
Quel est, au fait, le pays de l’OCDE où les impôts et cotisations sont les plus bas ? C’est le Mexique, avec seulement 16,2 % de recettes fiscales. Un paradis ? Pas vraiment. Le pays figure parmi les pays développés qui connaît le taux d’homicides le plus élevé : il y a, proportionnellement à la population, 30 fois plus de meurtres au Mexique qu’en France – et un taux de pauvreté qui y est deux fois plus élevé [9].
Rachel Knaebel
https://www.bastamag.net/La-France-est-elle-vraiment-le-pays-d-Europe-ou-les-impots-et-taxes-sont-les
Publié le 12/04/2019
Porte de la Chapelle : élues et associations se mobilisent contre le « printemps de la honte »
Par Cyril Lecerf Maulpoix (site regards.fr)
Ils vivent dans la rue, sous des tentes. Ils sont des centaines, en plein Paris. Le pouvoir n’en a rien à faire d’eux. Ce ne sont que des migrants. Reste l’opposition, la gauche. Pour lutter, ne serait-ce que pour un peu de dignité.
9h45 ce lundi, non loin de l’immeuble du 208 boulevard MacDonald, où de nombreux appartements ont été ravagés il y a quelques jours par un incendie. Des tentes sont alignées face au centre commercial Rosa Parks. Ce campement récent abrite une centaine de tentes, le double ou le triple de personnes. Parmi les autres campements répartis entre Porte de la Chapelle et Porte d’Aubervilliers, qui compteraient selon les associations sur place entre 300 et 500 personnes, ce nouveau point saillant de la crise de l’accueil dans le Nord-Est parisien est principalement occupé par des familles, souvent afghanes ou érythréennes, avec des enfants en bas-âge.
Il est l’une des raisons de l’appel aux élues et aux médias lancé par la sénatrice EELV Esther Benbassa il y a quelques jours. « La situation est insupportable », s’insurge-t-elle, désignant les nombreuses tentes entassées les unes sur les autres. Elles sont plusieurs à avoir rejoint la sénatrice. Parmi elles, les députées Daniele Obono (LFI) et Elsa Faucillon (PCF) ou encore la sénatrice Sophie Taillé Polian (Génération.s), suivies de près par Julien Bayou (EELV). Elles se frayent un chemin entre les tentes et discutent avec plusieurs familles migrantes. L’opération et le dispositif médiatique, composé de quelques journalistes, visent à alerter l’opinion publique et à interpeller plus directement le gouvernement.
Certaines des familles acceptent de se prêter au jeu des questions-réponses et dévoilent des titres de séjours allant jusqu’en 2025, d’autres dégainent des récépissés attestant du fait qu’ils ont été reconnus comme réfugiés. Comme beaucoup, après un passage éclair en centre ou en hébergement d’urgence, elles ont été obligées de retourner à la rue. Florent Lajous, directeur du centre social Rosa Parks situé en face du campement, explique ainsi avoir vu les tentes se multiplier depuis quelques semaines : « Le chiffre double chaque semaine. Il y a eu une évacuation il y a trois semaines. Certains sont revenus après avoir été mis à l’abri quelques jours. Il y a un vrai problème de saturation des centres d’hébergements. »
Face au mépris du pouvoir
Au regard de cet éternel retour des campements dans des conditions toujours plus insalubres (le point d’eau installé en face du campement ne fonctionne plus ce matin), sous les bretelles d’autoroute ou des recoins du périphérique, la mise en place de nouveaux dispositifs d’hébergements d’urgence non-pérennes et sans réel suivi juridique et administratif s’avère comme toujours insuffisante. Suite à la fermeture de la bulle à Porte de la Chapelle, un centre considéré par de nombreuses associations tantôt comme inefficace, tantôt comme une antichambre de l’expulsion, la mairie de Paris renvoie désormais l’Etat à ses responsabilités. Début avril, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, revendiquait ainsi de « mettre une pression bienveillante sur l’Etat » afin de le pousser à faire son travail. Et la maire de Paris de promettre de retourner sur les campements jusqu’à être entendue par le gouvernement.
« C’est un problème national, analyse Daniele Obono, mais quand on voit les grands plans de rénovation, notamment en vue des JO, quand on voit une ville riche comme Paris qui peut accueillir des millions de touristes chaque jour, on pourrait souhaiter que Paris soit une ville modèle comme à Grande Synthe afin de montrer au gouvernement que c’est possible. En terme de logements, vides, c’est possible de construire un autre accueil. » La députée insoumise ajoute : « Je suis à la commission des lois et on a ferraillé pendant tout le débat de la loi ["Asile et Immigration", NDLR]. Il y a un tel mépris et un tel aveuglement de La République en marche. Une initiative médiatique comme celle de ce matin participe de la construction d’un rapport de force pour interpeller le gouvernement qui fait peser sur la municipalité, le quartier, les habitants une responsabilité qui devrait être la sienne. »
Cette démarche des élus intervient dans un climat particulièrement tendu entre les associations et le gouvernement. « Quand vous avez un ministre de l’Intérieur qui dit que les ONGs sont complices des passeurs en Méditerranée, il participe d’une criminalisation des associations qui se déporte également sur le travail des associations sur le terrain », considère Elsa Faucillon, mobilisée elle aussi contre le passage de la loi « Asile et Immigration » l’année dernière.
Or ce sont ces mêmes associations qui, depuis plus de trois ans, répondent, souvent sans financements, aux béances et aux violences cultivées par les politiques étatiques. Il y a quelques jours, alors que les médias relayaient la découverte du cadavre d’une femme réfugiée à Porte de la Chapelle, une dizaine d’organisations, associations et collectifs citoyens (dont Solidarité Migrants Wilson, la Ligue des droits de l’Homme Paris, Médecins du monde ou Emmaüs Solidarités) criaient une nouvelle fois leur ras-le-bol en annonçant une journée de grève associative ce mardi 9 avril. Officiant depuis plusieurs années dans la distribution de repas, de vêtements, dans l’accompagnement médico-social ou dans la bulle de Porte de la Chapelle, celles-ci « n’acceptent plus de suppléer un gouvernement et un Etat défaillant dont l’action confine à une mise en danger délibérée des personnes ». Dénonçant « l’extrême gravité de la situation », leur communiqué donnait un rapide aperçu de l’ampleur de leur travail bénévole soumis à des pressions de plus en plus fortes :
« En distribuant chaque semaine à Paris et dans sa proche périphérie près de 15.000 repas ; 1600 vêtements, tentes et duvets ; en assurant 290 consultations médicales ; en proposant à 700 personnes une information sur leurs droits ; et en offrant à des familles et des mineurs 600 nuitées solidaires, les collectifs citoyens et associations présents sur le terrain sont de véritables acteurs de la paix sociale. Ces revendications, répétées depuis des mois auprès du préfet d’Île-de-France et de la maire de Paris, attendent toujours des solutions concrètes, adaptées et durables. Les collectifs citoyens et associations saluent le récent positionnement pris par la maire de Paris et l’invitent à mettre tout en œuvre pour faire de son territoire une véritable "ville refuge", à entrer dans l’action à la fois pour trouver des solutions et pour pousser l’Etat à agir. »
Reste à voir maintenant dans quelle mesure la coexistence de ces deux stratégies, politiques et citoyennes, parviendront à percer le plafond d’indifférence et le paradigme séparant le gouvernement de ces problématiques. Mais également peut-être à amorcer avec le printemps de nouvelles mobilisations et un questionnement plus profond, au-delà des urgences d’hébergements évidentes, sur le système d’accueil et l’asile de manière plus générale. « On espère que ça va faire un peu bouger mais j’ai bien peur qu’il faille une mobilisation beaucoup plus forte », conclut avec précaution Danièle Obono.
http://www.regards.fr/societe/article/porte-de-la-chapelle-elues-et-associations-se-mobilisent-contre-le-printemps-de
Publié le 11/04/2019
En réaction aux massacres israéliens à Gaza, des député.e.s du Parlement Européen exhortent l’EU à revoir son Accord d’Association avec Israël
4 avril 2019 (site agencemediapalestine.fr)
Des député.e.s du Parlement Européen de différents partis politiques ont envoyé un lettre à la haute représentante de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, l’exhortant à revoir l’Accord d’Association EU-Israël.
La lettre rappelle les conclusions du récent rapport de la Commission d’Enquête Indépendante de l’ONU qui affirme qu’Israël aurait commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité pendant les manifestations de la Grande Marche du Retour dans la Bande de Gaza assiégée.
“Lors des manifestations de masse, qui ont lieu à Gaza depuis le 30 Mars [2018], plus de 6 000 manifestant.e.s non-armé.e.s ont été touché.e.s par balle par des tireurs d’élites militaires, des dizaines de Palestiniens ont été tué.e.s, plus de 14 000 ont été blessé.e.s (…) Dans le cadre des manifestations de la ‘’Grande Marche du Retour’’dans la Bande de Gaza, des soignants, des bénévoles de santé, des ambulances et des structures sanitaires ont été victimes d’attaques intenses de la part des forces de sécurité israéliennes malgré l’usage systématique de moyens visibles d’identification. (…)” – explique la lettre.
“Nous considérons que l’UE et sa haute représentante doivent prendre leurs responsabilités en apportant une protection internationale aux citoyens palestiniens dans chaque centimètre carré de la Palestine occupée et en ouvrant une enquête sur ces potentiels crimes de l’armée israélienne. Nous demandons à ce que l’UE ouvre une enquête dans ce sens afin de revoir l’Accord d’Association et sa conformité aux droits humains et aux principes démocratiques.” – déclarent les député.e.s européen.ne.s.
PARLEMENT EUROPÉEN
Ms. Federica Mogherini
Haute représentante de l’UE
pour les affaires étrangères et la politique de sécurité,
Vice-Présidente de la Commission Européenne,
Bruxelles, 2 Avril 2019,
Objet : La protection des personnels, véhicules et structures de santé à Gaza et le dernier rapport des Nations Unies suggérant qu’Israël a commis des crimes contre l’humanité en réponse aux manifestations de Gaza en 2018
Chère haute représentante Federica Mogherini, lors des manifestations de masse, qui ont lieu à Gaza depuis le 30 Mars [2018], plus de 6 000 manifestant.e.s non-armé.e.s ont été touché.e.s par balle par des tireurs d’élites militaires, des dizaines de Palestiniens ont été tué.e.s, plus de 14 000 ont été blessé.e.s alors que le système de santé, déjà dans un état déplorable, est sur le point de craquer.
Dans le cadre des manifestations de la ‘’Grande Marche du Retour’’dans la Bande de Gaza, des soignants, des bénévoles de la santé, des ambulances et des structures sanitaires ont été victimes d’attaques intenses de la part des forces de sécurité israéliennes malgré l’usage systématique de moyens visibles d’identification. Ces attaques représentent de graves violations du Droit International Humanitaire et de la Quatrième Convention de Genève (1949).
L’Union Européenne et Israël ont signé un Accord d’Association dans lequel il est clairement stipulé dans l’article 2 que : » les relations entre les Parties doivent être basées sur le respect des droits humains et les principes démocratiques, ce qui guide leur politique interne et internationale et constitue un élément essentiel de cet Accord « . Israël continue de manquer à son devoir, qui est de respecter et de protéger le personnel, les structures et les véhicules de santé, ce qui constitue une violation du droit.
Le maintien de l’AA entre UE et Israël malgré les violations israéliennes de l’article 2 laisse penser à Israël que ses attaques contre le personnel et les infrastructures médicales et les civils non-armés en général, sont tolérées et qu’elles n’engendreront aucune conséquences sur ses relations avec l’UE.
D’autre part, l’Union Européenne a suspendu ces dernières années des accords d’association et a appliqué des mesures restrictives à des états quand elle jugeait que ceux-ci violaient les droits humains et le droit international.
Nous, soussigné.e.s, voulons savoir si la Commission Européenne a pris les mesures nécessaires afin d’évaluer si Israël respecte les droits humains internationaux, ceci afin d’être pleinement conformes à l’article 2 de l’AA.
En outre, selon le rapport des Nations Unies, des preuves suggèrent qu’Israël a commis des crimes contre l’humanité en réponse aux manifestations à Gaza, alors que des snipers visaient des personnes que l’on pouvait clairement identifier comme des enfants, du personnel de santé et des journalistes
La commission de l’ONU a de bonnes raisons de croire que les snipers israéliens ont tiré sur des journalistes, du personnel de santé, des enfants et des handicapés tout en sachant qu’ils étaient clairement identifiables comme tels. Le mandat de cette commission est d’identifier ceux qu’elle pense être responsables de ces violations et prévoit de remettre un dossier confidentiel avec ces informations à Michele Bachelet, la haute commissaire aux droits humains à l’ONU, qui pourrait le remettre à la Cour Pénale Internationale (CPI) et aux autorités nationales.
Nous considérons que l’UE et sa haute représentante doivent prendre leurs responsabilités en apportant une protection internationale aux citoyens palestiniens dans chaque centimètre carré de la Palestine occupée et en ouvrant une enquête sur ces potentiels crimes de l’armée israélienne. Nous demandons à ce que l’UE ouvre une enquête dans ce sens afin de revoir l’Accord d’Association et sa conformité aux droits humains et aux principes démocratiques.
Dans l’attente d’une réponse de votre part.
Nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de nos sentiments distingués,
Publié le 10/04/2019
Surprise: le «grand débat» valide les choix de Macron
Par Romaric Godin et Ellen Salvi (site mediapart.fr)
Des contributions au « grand débat », fatras de chiffres difficiles à interpréter, mais présentés en grande pompe lundi 8 avril, le premier ministre a essentiellement retenu ce qui l’arrangeait : baisse des impôts, baisse des dépenses publiques, réorganisation des services publics et renouvellement démocratique a minima.
Les bonnes résolutions d’Édouard Philippe n’auront duré que quelques minutes. Dans son discours suivant la restitution du « grand débat », organisée lundi 8 avril au Grand Palais de Paris, le premier ministre a pris plusieurs précautions oratoires pour expliquer que la synthèse de la consultation n’avait « pas l’exhaustivité comme objectif ». « C’est évidemment difficile de résumer en quelques mots, ou par un discours, les dizaines de millions de mots et les centaines de milliers d’idées qui ont été exprimées par nos concitoyens, a-t-il reconnu. Quel que soit son format, toute synthèse paraîtra toujours un peu réductrice. »
Le chef du gouvernement a bien raison : ce « grand débat » n’a aucune valeur représentative. Depuis sa nomination mi-janvier, le collège de cinq « garants » choisis par Matignon, et les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental (CESE), a d’ailleurs toujours insisté sur ce fait. Cette consultation « n’a pas la valeur d’un sondage […], cela ne représente pas nécessairement tous les Français », a encore répété, lundi matin, Isabelle Falque-Pierrotin, ancienne patronne de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et membre de ce collège.
Il ne s’agit en effet que d’une « photographie » d’une partie de l’opinion, relativement faible : 343 589 personnes ont répondu au questionnaire en ligne, 152 477 y ont fait des contributions libres. À cela s’ajoutent un peu moins de 19 000 cahiers citoyens, 17 000 courriers et un peu plus de 9 000 réunions. Comme il n’y a pas de traitement statistique de ces contributeurs, leurs déclarations ne représentent qu’eux. Ils n’ont pas davantage de valeur, pour être traduits en politique, qu’un parti ayant obtenu entre 1 et 2 % des voix aux dernières élections présidentielles.
D’autant que ces contributions ont été effectuées dans un contexte très particulier. Comme Mediapart l’a déjà souligné, le gouvernement savait que le taux de réponse était supérieur lorsque les questions étaient fermées. Or il a proposé un questionnaire très orienté, rejetant par exemple la possibilité d’un relèvement des impôts ou du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), et imposant l’idée qu’une baisse d’impôt se finance forcément par une baisse des dépenses publiques.
La secrétaire de la Ligue de l’enseignement Nadia Bellaoui, elle aussi membre du collège de garants, l’a d’ailleurs de nouveau regretté au Grand Palais : « Les questions rattachées à chacun des thèmes nous ont semblé plus problématiques, du fait de leur formulation binaire », a-t-elle indiqué, déplorant également l’« hypermédiatisation du président de la République » qui « a pu nourrir le doute sur la nature et l’objectif du grand débat national ». Cette omniprésence d’Emmanuel Macron a pu décourager ceux qui s’opposent à lui et encourager a contrario ses partisans, en créant un biais.
À la demande des garants, le gouvernement avait fini par accepter d’ajouter la possibilité de contributions libres sur la plateforme Internet, tout en refusant de modifier le questionnaire reprenant le cadre déjà fixé par le chef de l’État dans sa Lettre aux Français. Résultat : le nombre de contributeurs est 2,25 fois plus important pour le questionnaire que pour les contributions libres. Ce qui change mécaniquement les « résultats » chiffrés de l’exercice et introduit, là encore, un biais immédiat.
Enfin, ce n’est pas « la France » qui s’est exprimée, mais une certaine France, comme en témoignent les documents publiés par OpinionWay et Roland Berger. Les données sociologiques disponibles ne laissent aucun doute sur ce point : la densité de répondants est la plus forte à Paris, dans les Hauts-de-Seine, dans les Yvelines et dans le Rhône. Sur la partie du questionnaire en ligne concernant la « fiscalité et les dépenses publiques », on remarque que deux régions ont un poids dans les contributions plus élevé que celui qu’elles ont dans la population : Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France. Autrement dit, les agglomérations lyonnaise et parisienne.
Les zones rurales sont en revanche très nettement sous-représentées : elles comptent pour 23 % de la population et pour 9 % des répondants. Tout le contraire des agglomérations de plus de 100 000 habitants qui sont, elles, surreprésentées : 46 % de la population pour 56 % des répondants. En réalité, la France du « grand débat » ressemble à la France qui va bien et qui accepte les grandes lignes idéologiques du gouvernement. Bref, une France qui a les traits de l’électorat d’Emmanuel Macron.
Une chose est sûre : rien ne permet de dire que cette consultation de deux mois et la synthèse qui en a été faite lundi 8 avril traduisent la volonté des Français. Les mises en garde d’Édouard Philippe étaient donc bienvenues. Mais elles n’ont pas duré longtemps. Car au moment de dire ce qu’il avait finalement retenu de la restitution de la consultation, le premier ministre a tout simplement abandonné ses précautions. Et enchaîné les généralités : « les Français veulent… », « les Français savent... », « ce que nous ont dit nos compatriotes… », « les Français nous ont dit… ».
Ce glissement sémantique est tout sauf anodin, car il traduit la volonté explicite du gouvernement de généraliser les résultats du « grand débat » pour légitimer les futures décisions, qui seront dévoilées mi-avril par le président de la République. Les choses sont bien faites puisque, en matière économique et sociale, le chef du gouvernement s’est justement trouvé rassuré dans ses choix par l’exercice. Pourtant, cette légitimité même est sujette à discussion.
Les mots « ISF » et « référendum » absents du discours
Qu’a retenu le premier ministre de ces « dizaines de millions de mots » ? Une « immense exaspération fiscale » d’abord. D’où sa volonté de baisser les impôts. Comment a-t-il eu cette idée ? Certes, 40 % des « contributions libres », issues des cahiers citoyens, mais aussi de courriers et de mails reçus, demandent une baisse d’impôts. Mais comme on l’a vu, le nombre de ces contributions est très réduit. Quant à ceux qui ont répondu sur le sujet en ligne, ils l’ont fait sur la base d’une question fermée demandant quels impôts ils voulaient baisser.
Sur les contributions spontanées de la plateforme, on ne compte en revanche que 24,8 % de réponses demandant une baisse d’impôts, ce qui est moins que les 27,8 % réclamant de « taxer davantage les hauts revenus » ou autrement dit… d’augmenter les impôts. Si Édouard Philippe reconnaît avoir entendu un besoin de justice fiscale, il refuse encore de voir une solution dans une hausse de la fiscalité pour les plus riches. D’ailleurs, il n’a pas évoqué dans son discours la question de l’ISF alors même que, spontanément, 10,3 % des répondants ont proposé de le rétablir, justement pour améliorer la justice fiscale.
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Cela peut paraître peu, mais il s’agit de réponses spontanées non sollicitées. À l’inverse, seuls 2 % des contributeurs ont spontanément demandé de ne pas revenir sur la suppression de l’ISF. Le choix d’ignorer ce sujet, jusqu’à le passer sous silence lundi 8 avril, confirme donc bel et bien l’intention du chef du gouvernement de ne pas toucher à la ligne que l’exécutif s’est fixée. Et de n’accepter du « grand débat » que ce qui est compatible avec le fameux « cap » qu’Emmanuel Macron a tracé.
Deuxième enseignement retenu par Édouard Philippe : la volonté de réduire les dépenses publiques. « Les Français ont compris, avec plus de maturité que certaines formations politiques, qu’on ne peut pas baisser les impôts si on ne baisse pas la dépense publique », a-t-il affirmé. Il peut, sur ce point, s’appuyer sur les résultats issus du questionnaire où 75 % des répondants demandent une réduction de la dépense publique… pour réduire le déficit. Et 56 % une baisse des dépenses de l’État… « afin de baisser les impôts et de réduire la dette ».
Dans les deux cas, cette « exigence » a donc été largement inspirée par le questionnaire lui-même. Sur les contributions spontanées et les cahiers de doléances, cette baisse des dépenses publiques n’est évoquée que dans 10 % des cas, très loin derrière les 40 % qui réclament une baisse d’impôts et les 20 % qui demandent plus de justice fiscale. Autrement dit : le premier ministre interroge les Français sur les dépenses qu’ils veulent baisser pour réduire la dette et se réjouit ensuite que les Français veuillent, comme lui, baisser la dépense publique pour réduire la dette…
En réalité, la vraie demande qui émerge des contributions spontanées est plutôt un besoin de service public. 28 % des contributions en ligne demandent ainsi plus de dépenses de santé et 17 % plus de soutien public aux personnes âgées. Mais Édouard Philippe ne voit là qu’un moyen de mettre en avant l’idée, déjà contenue dans le rapport CAP 2022, d’un « rapprochement » des services publics qui ne dit rien des moyens et de la densité de ces services ; bien au contraire puisqu’elle justifie, par une présence minimale, la suppression des grands équipements.
Parmi les « exigences » retenues par le premier ministre apparaît également ce qu’il qualifie d’« exigence démocratique », autre grand thème de la consultation. « Il faudrait être d’un aveuglement absolu pour ne pas entendre, pour ne pas voir les mots très durs, très violents, qu’une partie des contributions utilisent à l’encontre du gouvernement, des élus ou des fonctionnaires », a-t-il reconnu, en profitant de l’occasion pour glisser qu’il était lui-même prêt « à composer avec l’incompréhension ou le rejet de certains de nos concitoyens » sur sa réforme des 80 km/h – ce que le président de la République avait d’ailleurs laissé entendre depuis un moment.
Souhaitant bâtir une « démocratie participative » au niveau de l’État, à l’image de ce qui « existe déjà, à bien des égards, au niveau local », Édouard Philippe s’est réjoui du fait que « les Français n’ont pas été simplistes » sur le sujet. « Certains annonçaient la fin de la démocratie représentative, et l’avènement de ce qui aurait pu être une forme de démocratie directe et médiatique permanente. Ça n’est pas ce que les Français veulent. Ils sont plus exigeants. Ils veulent une démocratie plus représentative, plus transparente, plus efficace et une exemplarité encore renforcée », a-t-il tranché, sans prononcer une seule fois le mot « référendum ».
Le premier ministre, qui n’a jamais caché son opposition au référendum d’initiative citoyenne (« le RIC, ça me hérisse », avait-il lancé fin janvier, lors d’une réunion organisée dans les Yvelines), s’appuie ici sur les réponses à une question fermée qui demandait : « Faut-il faciliter le déclenchement du référendum d’initiative partagée (le RIP est organisé à l'initiative de membres du Parlement soutenu par une partie du corps électoral) qui est applicable depuis 2015 ? » 42 % des contributeurs ont répondu par la positive à cette option préférée de longue date par l’exécutif.
Mais lorsqu’on observe les contributions spontanées en ligne, la donne est, là encore, sensiblement différente, puisque la revendication favorite des « gilets jaunes », à savoir la mise en place du RIC, enthousiasme davantage que le RIP. À la question ouverte « Que faudrait-il faire aujourd’hui pour mieux associer les citoyens aux grandes orientations et à la décision publique ? Comment mettre en place une démocratie plus participative ? », ils sont 21 % à répondre « référendum » sans autres détails, 7,5 % à évoquer le RIC et seulement 0,9 % à parler du RIP.
Sur cette thématique, comme sur toutes les autres, Édouard Philippe a prévenu, en guise de conclusion : « Nous sommes parvenus à une situation où hésiter serait pire qu’une erreur, ce serait une faute. Le besoin de changement est si radical que tout conservatisme, toute frilosité, serait à mes yeux impardonnable. » Et même si les orientations retenues sont loin d’être représentatives, même si elles n’emportent pas l’« unanimité », comme le chef du gouvernement l’a d’ailleurs reconnu, elles font, selon lui, « globalement consensus ».
Le message est clair : « les Français » ayant désormais eu le loisir de s’exprimer, il n’est plus question que certains s’aventurent à l’avenir à s’opposer aux fruits de cette expression. Cette restitution du « grand débat » et son interprétation par le premier ministre ressemblent fort à une manœuvre politique. Car devant la masse d’informations impossibles à traiter correctement et malgré les nombreux biais que comportait l’exercice, le gouvernement s’appuie tout de même dessus pour confirmer ses propres choix politiques. Tout en se bricolant une légitimité pour maintenir ses « transformations », voire pour les accélérer.
Publié le 09/04/2019
Les sens de la révolte
Par Clémentine Autain (site regards.fr)
Inédit voire inespéré, le soulèvement de la fin d’année offre la possibilité de changer les rapports de forces politiques. À condition de basculer du côté d’un projet de transformation sociale et écologique. Par Clémentine Autain.
Nourrie par trente ans de politiques néolibérales qui ont appauvri et désespéré, la colère s’est étalée au grand jour. Les « gilets jaunes » auront a minima remporté une première victoire : dans les médias et sur les réseaux sociaux, s’est imposée l’expression brute de la dureté du quotidien pour des millions de Français. Ce qui n’était que chiffres et courbes a pris un visage profondément humain. Face à la froideur des discours technocratiques et à l’arrogance des classes dominantes, se sont exprimés les témoignages poignants, les paroles simples et sincères qui traduisent le réel des inégalités sociales et territoriales, le dégoût face au mépris de classe décomplexé des puissants, la colère face à une démocratie en lambeaux.
Les « premiers de cordée », ceux qui gouvernent ont bien été obligés d’entendre la voix de celles et ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, qui travaillent, mais se situent sous le seuil de pauvreté ou ne peuvent pas partir en vacances, qui sont écrasés par la vie chère, subissent les services publics manquants et un développement urbain qui isole. Ce monde qui trime ne veut pas payer la facture. Et il a bien raison.
Dynamique populaire
Le mouvement des gilets jaunes aurait pu se borner à un rejet des taxes et nourrir le mépris de l’urgence environnementale. Il aurait pu n’être qu’une expression réactionnaire, encouragée par Minute et Marine Le Pen. Ce ne fut pas le cas. La dynamique a rapidement pris une ampleur populaire inédite et des couleurs bien plus diverses. Très vite, il fut question de justice sociale et fiscale, de démocratie véritable et d’écologie populaire. De nombreuses pancartes exhortaient de rendre l’ISF d’abord, de mettre en place le référendum d’initiative citoyenne, de taxer le kérosène. La hausse du smic et des retraites s’est imposée parmi les revendications premières. Et Macron fut la cible privilégiée d’une révolte tous azimuts.
Après plusieurs semaines de ronds-points bloqués, il est difficile d’interpréter l’événement avec les normes anciennes, de classer dans des cadres traditionnels la mobilisation. Les gilets jaunes sont apparus dans une période, notre époque, profondément troublée dans ses repères historiques sociaux, politiques, idéologiques. Ce temps où les syndicats n’ont plus la main, les partis politiques ont du plomb dans l’aile et les médias sont décriés. Ce trouble est en quelque sorte mis en lumière et accéléré par le mouvement des gilets jaunes qui, comme souvent dans l’histoire quand une partie du peuple fait irruption, ne rentre pas dans les cases connues et anciennes.
Issue incertaine
L’excellente nouvelle de la révolte en cours, c’est la remise en cause de l’existant. Pas à bas bruit, mais avec fracas. Pas seulement du pouvoir de Macron, mais de celui des puissants qui écrasent depuis trop longtemps et sans sourciller la tête de ceux qui rament, qui trinquent, qui souffrent. C’est un mouvement qui exige le respect et la dignité face à un si petit monde qui impose sa loi, se reproduit sur lui-même, tout acquis au pouvoir de l’argent.
Oui, il y a de la lutte des classes et de l’exigence démocratique dans le processus en cours. Oui, il est possible de greffer une ambition environnementale sur la colère des gilets jaunes, et surtout de faire valoir l’articulation – et non l’opposition – entre le social et l’écologie. Mais l’issue politique reste profondément incertaine. Le danger d’une traduction conservatrice et autoritaire aux cris de révolte de notre époque n’est pas écarté, surtout si l’on observe le mouvement international qui a porté au pouvoir les Trump, Bolsonaro et autres Salvini. C’est pourquoi je ne suis pas seulement animée d’une grande joie face aux événements qui, bien sûr, galvanisent et offrent des potentialités nouvelles pour agréger du côté de l’émancipation humaine. Je ressens aussi une extrême gravité dans la séquence que nous traversons.
Vision du monde
S’il faut en être, y être, choisir résolument le camp des gilets jaunes contre le pouvoir en place, il ne va pas de soi de se retrouver dans des mobilisations soutenues également par les revues, forces politiques et personnalités d’extrême droite. Cette spécificité historique, liée au rapport de forces qui préexistait au mouvement, ne peut être balayée d’un revers de la main. Les classes dominantes cherchent par tous les moyens à discréditer ce mouvement. Les violences de certains gilets jaunes comme les « quenelles » et autres formes de racisme ou de sexisme seront donc abondamment relayés par les opposants au mouvement pour mieux dénigrer la mobilisation populaire. Pour autant, nous ne pouvons opérer en miroir un déni des actes et des paroles qui existent bel et bien dans ce mouvement, dans ce brun qui menace.
C’est pourquoi j’ai la conviction qu’il ne faut pas se tromper de route. C’est en affirmant la cohérence d’un projet de transformation sociale et écologique, avec ses partis pris, ses propositions, ses symboles, ses mots repérables comme opposés, distincts de l’univers réactionnaire et fascisant, que nous pourrons valoriser notre vision du monde dans un combat opposant deux choix de société après l’ère Macron, après les décennies d’échecs d’une même politique. Dans le mouvement lui-même, rien ne sert de gommer la conflictualité entre deux voies diamétralement opposées sur le terrain politique et idéologique. C’est de cette confrontation que naîtra la possibilité de gagner, d’améliorer la vie, de rompre avec les recettes libérales, austères, autoritaires et injustes. Il le faut.
Publié le 08/04/2019
Européennes : EELV en marche vers le centre
Par Loïc Le Clerc (site regards.fr)
« L’écologie, ça n’est pas la gauche », dixit Yannick Jadot. Le mois de mars a été difficile sur le plan de la stratégie chez EELV. Erreurs de com’ ou repositionnement libéral inavoué ? Quoi qu’il en soit, EELV semble devenu la CFDT de l’écologie politique.
En mars, Yannick Jadot a frappé deux grands coups médiatiques : le 1er mars 2019 auprès du journal Le Point, et le 5 au Figaro. Le message de la tête de liste EELV aux élections européennes est on-ne-peut-plus-clair : il veut « dépasser les vieux clivages ». Pas tant le clivage gauche-droite que celui entre « les puissances de l’argent et l’écologie politique », pour citer David Cormand, secrétaire national du parti.
Ainsi Yannick Jadot se dit-il favorable à « l’économie de marché, la libre entreprise et l’innovation ». Et quand nos confrères du Figaro lui font remarquer que, dans les sondages, EELV est devant LFI ou le PS, il rétorque : « Vous voulez vraiment nous mettre à gauche, hein ! »
Depuis ces deux articles, c’est tout l’appareil qui rame à contre-courant. Yannick Jadot lui-même a dû s’auto-modérer dans Le Monde : « Je veux soumettre l’économie aux impératifs de la société : le climat, les droits sociaux, la solidarité ». Mais pour Jérôme Gleizes, conseiller EELV de Paris et prof d’économie à Paris XIII, « les interviews de Jadot sont des maladresses, des erreurs momentanées de communication. Il pensait qu’en parlant au Point, il ne serait lu que par les lecteurs du Point. Après, il doit revenir sur ses propos parce que les gens n’ont pas compris. » L’écologiste en chef donne surtout l’impression de trop adapter son discours à son interlocuteur. Et ça se voit. Suffisamment pour que la sénatrice écolo Esther Benbassa regrette que Yannick Jadot « nous implique dans ses mauvais calculs ».
EELV, virage libéral ?
C’est vrai qu’il y a un paquet de « déçus du macronisme » à aller chercher… Jadot ne se rêve-t-il pas en un Cohn-Bendit version 2019, dix ans après les fameux 16% ? Sauf que lui plafonne sous les 10% et que, entre temps, le centre français s’est largement fait truster par un certain Emmanuel Macron. Que ce soit le MoDem, l’UDI, le PRG, les radicaux valoisiens ou n’importe quel autre organe centriste, la survie n’implique aujourd’hui plus qu’un seul paramètre : une alliance avec LREM. EELV ne peut, consciencieusement, pas penser faire jeu égal avec le parti présidentiel. Ne leur reste alors que d’accepter le statut de satellite. Comme au bon vieux temps du « socialisme » triomphant.
Sergio Coronado, ex-député EELV, candidat LFI aux européennes, sait taper là où ça fait mal : « Il y a des macronistes convaincus à la tête d’EELV. L’espace dans lequel se construit EELV était "Hollando-compatible", il est Macron-compatible. Quand on vote EELV, on a une chance sur deux d’élire un macroniste. » Mais que signifierait un « virage libéral » alors que les écolo-libéraux sont déjà partis ? Quand, en ralliant la liste LREM, l’eurodéputé EELV Pascal Durant et l’ex-patron de WWF Pascal Canfin « ont préféré l’original », assène Esther Benbassa ?
Evidemment, au sein du parti écolo, ça crispe. David Cormand accuse Pascal Canfin d’avoir « capitulé en rase-campagne. Il intériorise que le combat électoral ne vaut même pas d’être mené, qu’il n’y a pas d’alternative entre les libéraux et les fachos. » Pour autant, « politiquement, il n’y a pas beaucoup de différences entre Durant, Canfin et Jadot », analyse le journaliste Arthur Nazaret [1]. Ex-membre du bureau exécutif « au nom de la sensibilité de gauche » pendant six ans, Elise Lowy en profite même pour les canarder : « La direction d’EELV et ceux qui ont rejoint Macron ont été dans la même tendance pendant plus de dix ans. Rien ne les différencie politiquement. »
Fâchés avec la gauche…
Et l’aile gauche, elle, s’en est allée aussi. Il y a bien longtemps. Elise Lowy, Sergio Coronado, entre autres. Que peut un avion sans ses deux ailes ? Face aux critiques de la gauche, Yannick Jadot n’a qu’une seule arme : « Le futur, c’est moi, les autres, c’est l’URSS, c’est le Venezuela ». Appréciez ce qu’il déclare au Figaro :
« Un paysan bio, il vend sa production sur un marché, pas dans un sovkhoz […] On veut faire de l’économie soviétique ? De l’économie à la Maduro ? Regardez où elle en est. »
Ou encore au micro de RTL :
« S’il y en a qui pensent qu’il faut revenir au soviétisme ou qui ont comme modèle l’économie de Monsieur Maduro, et bien tant mieux pour eux et tant pis pour nous. »
Voilà peut-être de quoi interpréter sa phrase « l’écologie, ça n’est pas la gauche ». Mais de là à caricaturer la gauche comme n’étant qu’un ramassis de vieux cocos productivistes… il y a un monde. « Nous, on n’est pas seulement anticapitaliste, on est aussi anti-productiviste », lance David Cormand. Et n’y voyez pas de langue de bois ici, il le pense vraiment ! Comme quoi quelques nuances de rouge peuvent faire de grandes différences politiques chez les verts. Ne caricaturons pas. Les écologistes ont une place à part au sein de la gauche française, si tant est qu’ils s’y inscrivent. Voici ce qu’en dit David Cormand :
« Quand le marxisme déboule, il gagne l’hégémonie à gauche. De notre point de vue, la concession historique faite au capitalisme, c’est l’acceptation du productivisme. La faillite de la gauche au XXème siècle, son échec historique face au capitalisme, elle est liée à cette faute originelle. Aujourd’hui, la gauche marxiste est morte, vive la gauche écologiste ! »
Aux dires d’Arthur Nazaret, « Cormand était plus favorable à un rapprochement avec Hamon. Il s’inscrit plus à gauche, à l’inverse de Jadot. » D’ailleurs, ce dernier n’essaye pas simplement d’endosser le rôle de leader du nouveau monde écolo (cela fait tout de même dix ans qu’il est eurodéputé et il est en campagne pour un troisième mandat). Non, il veut surtout se faire passer pour le chantre du camp des « responsabilités », du « réalisme », du « pragmatisme ». Aucune surprise pour Arthur Nazaret, qui rappelle que « les écolos ont toujours voulu se distinguer de la gauche. Comme disait Jean-Paul Besset : "L’écologie n’est pas une branche de l’arbre de la gauche mais un arbre à part entière". »
… en attendant les municipales
Si Yannick Jadot « réaffirme l’originalité de l’écologie en tant qu’idéologie à part entière », comme nous l’explique Arthur Nazaret, le souci est qu’il ne dit pas avec qui il fera alliance. Pour les européennes, le scrutin étant quasiment à la proportionnelle (à condition d’atteindre 5% des suffrages), le jeu des alliances pré-électorales est sans grande importance – même si chacun aime y jouer la tragi-comédie. Mais après ?
Les écolos visent une forme de coalition (minoritaire) avec les libéraux et les sociaux-démocrates. Un centre « soc-lib-dem-écolo », en somme. D’ailleurs, EELV ne voit pas de problème à s’accoquiner occasionnellement avec un Michel Barnier. Mais attention, pas question d’aller jusqu’à s’allier avec le PPE. C’est qu’on a des principes. Esther Benbassa, elle, « aurai[t] préféré une campagne avec des alliances, afin de préparer l’avenir ». Une prochaine fois peut-être.
C’est qu’il faut tenir compte de la réalité politique du Parlement européen : le modèle allemand gouverne. La porte-parole d’EELV Sandra Regol l’assure : « Pour faire avancer les dossiers, on fait passer le projet avant la posture. En France, on a du mal à comprendre que le Parlement européen fonctionne différemment. Ça ne veut pas dire qu’on y fait des "alliances". » Et Julien Bayou, porte-parole du parti lui aussi, de préciser : « Il n’y a pas de coalition envisageable pour une majorité avec les conservateurs ou les sociaux-démocrates. Mais on ne va pas refuser leurs votes sur nos combats. On appelle ça des majorités de projet. » Certes. Mais ce n’est pas tout à fait l’avis de Yves Contassot, ex-EELV, passé à Génération.s : « Ils sont en train d’adopter la ligne des Grünen [les écolos allemands, qui dirigent le groupe au Parlement européen, NDLR], qui permet des alliances sur le centre, pas sur la gauche ».
Ok. Mais alors, que se passera-t-il après les européennes, quand viendra le temps de la campagne des municipales ? « Ça va tanguer dans tous les sens », s’amuse Sergio Coronado. Car partout où EELV siège et/ou dirige, ils ne le peuvent que grâce aux soutiens du reste de la gauche. Pas de « ni droite, ni gauche » à cet échelon politique, il faut la jouer franc-jeu. Alors, David Cormand sort l’artillerie lourde : « On ne veut plus être les supplétifs d’appareils plus puissants. Mélenchon a préféré l’hégémonie, nous, on revendique le leadership. Les européennes sont une étape. » En effet, une fois le scrutin européen passé, il va y avoir un congrès des écologistes. Le parti devrait même « muter » vers une nouvelle forme. Pour Jérôme Gleizes, « en 2019, on va voir s’il y a une modification du positionnement d’EELV à gauche ». Même Esther Benbassa espère une « refonte, une gauche écologiste, ça aurait de la gueule ! »
D’ici là, LREM pourrait tout de même changer la donne en faisant grandement pencher la balance au centre. Là, au printemps 2020, peut-être verrons-nous finalement EELV imploser. C’est qu’à EELV, les seules tensions portent sur la stratégie, pas sur la ligne politique – ils sont tous d’accord ! Néanmois, il serait bon que cet unanimisme tranche enfin entre libéralisme, social-démocratie et gauche radicale. Et ce au nom de l’écologie !
Notes
[1] Auteur d’Une histoire de l’écologie politique (La Tengo, 2019)
Publié le 07/04/2019
De l’immaculée conception au pillage de l’Etat
Médias, Politique (site lamarseillaise-encommun.org)
Livre. Crépuscule de Juan Branco
Nous sommes des citoyens mal informés pour avoir pu penser qu’un jeune homme surgi de nulle part, aux tempes blondes et aux yeux de ciel, allait répondre aux besoins du pays et améliorer notre destin collectif. Dans son dernier livre dont le titre « Crépuscule » appelle paradoxalement au renouveau et à l’optimisme, Juan Branco légitime le mouvement social des gilets Jaunes. Ceux qui, justement, ont été les premiers à comprendre la supercherie : « Que les cultivés et les sachants, eux qui tirent leurs légitimité et leurs revenus de leur supposée capacité à interpréter le réel, avaient oblitéré. » Il dissipe aussi la poudre de perlimpinpin et l’écran de fumée maintenu par le petit milieu de l’élite parisienne pour expliquer les soutiens lourds de conséquences dont a bénéficié M. Macron. On trouve notamment dans ce réquisitoire politique la réponse à la question : Pourquoi la presse libre s’est satisfaite de faire le récit que lui dictaient ses dirigeants ?
Le fait que le vote des français ne s’est pas fait de façon informée pose pour l’auteur un problème démocratique ontologique qui expose notre régime politique dans sa nature dès lors qu’il retire à ses dirigeants toute possibilité d’être légitimé. On pense à Foucault, « La vérité est liée circulairement à des systèmes de pouvoir qui la produisent et la soutiennent, et à des effets de pouvoir qu’elle induit et qui la reconduisent». Monsieur Macron a compris très vite que le principal critère pour accéder au pouvoir est de complaire aux plus favorisés. Il s’y est d’ailleurs toujours employé, souligne Juan Branco. La volonté obsessionnelle d’Emmanuel Macron d’obtenir des privatisations ne date pas d’aujourd’hui. « Il n’aura agi à tout instant qu’en réponse à une ambition mise au service de ceux qui le serviraient, de IGF au ministère de l’économie en passant par l’Elysée.»
Après une introduction un peu formelle, dans la première partie de
l’ouvrage, Juan Branco s’attarde sur une description minutieuse des fondements de l’odyssée. En commençant par nous faire visiter l’écosystème éducatif parisien et mesurer les privilèges exorbitants
offerts aux enfants des dirigeants politiques et économiques. Un chemin tracé sur lequel s’enchaînent les opportunités. C’est ainsi que le jeune Emmanuel Macron se retrouve nommé ministre par un
président aux abois, alors même qu’il venait de quitter l’Élysée pour créer un cabinet de lobbying.
On connait la suite, l’auteur apporte dans la seconde partie du livre de croustillants détails sur les appuis financiers qui ont permis son élection à la présidence. Le portrait de Xavier Niel (1)
ami intime de Macron vaut le détour. Les services de la fameuse Mimi Marchand comme les hommes de main d’Arnaud Lagardère et de Patrick Drahi pourraient trouver place dans un film d’Audiard et
prêteraient à rire s’il n’étaient pas les tuteurs synchrones du système de corruption le plus important du pays.
Enfant terrible du sérail, Juan Branco démonte les mythes médiatiques à partir d’informations sourcées permettant d’évaluer le pouvoir et l’emprise des acteurs de ce redoutable théâtre de poche. La préface est signée Denis Robert.
À partir de septembre 2018, le pouvoir présidentiel entre dans son crépuscule. L’affaire Benalla agit comme un déclencheur. « L’innocence chronique de l’immaculée conception de la Macronie, reprise en boucle par une presse unanime, trouvait là une première fêlure qui bientôt l’embraserait ». Le feu consume l’édifice depuis maintenant six mois et le dernier remaniement ministériel est venu confirmer, à travers la nomination des fidèles, l’illégitimité électorale comme entité de la macronie.
En s’adressant directement au chef de l’État, Edwy Plenel avait déjà tiré un constat éclairant : « Vous êtes le produit d’une circonstance accidentelle, exceptionnelle. » Ce que démontre le réquisitoire politique du conseillé juridique de Julien Assange, c’est que le système mis en place par quelques personnes a suffi à court-circuiter l’ensemble des garde-fous de notre démocratie. Un constat effrayant et à la fois rassurant si l’on songe que ce pouvoir si violemment oppressant pour les Français ne tient vraiment pas à grand chose et qu’il a déjà commencé à vaciller.
Jean-Marie Dinh
(1) Xavier Niel milliardaire propriétaire du Monde, ex actionnaire d’un réseau de peepshows.
Crépuscule, Juan Branco, Au diable vauvert, Massot Éditions, 19 €
Publié le 06/04/2019
Démocratie. Face à l’industrie militaire, notre République désarmée
Stéphane Aubouard (site humanite.fr)
Malgré des frappes tuant des civils, la France continue de vendre et de livrer des armes à la coalition arabe au Yémen. Le débat public sur la question est pour l’heure bâillonné.
« L’ordre d’arrêt, pour les exportations d’armes autorisées vers l’Arabie saoudite, est prolongé de six mois jusqu’au 30 septembre 2019. » Publié jeudi soir, ce communiqué du gouvernement allemand a eu l’effet d’une bombe du côté de Londres et de Paris. L’ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes, a aussitôt dégainé, ciblant le caractère « imprévisible de la politique allemande d’exportations d’armes ». Les représentants de grands groupes de l’armement hexagonaux n’auraient pas dit mieux.
Des composants cruciaux produits outre-Rhin participent en effet de la fabrication d’armes françaises et britanniques à destination de la coalition arabe au Yémen ; la non-production, ou livraison, des premiers empêche de facto la vente des secondes, synonyme d’un manque à gagner de plusieurs milliards d’euros !
Certes, on ne sera pas assez naïf pour croire que Berlin (voir encadré) a renouvelé le gel de ses ventes d’armes en direction de Riyad pour le seul respect des droits humains afférents au traité sur le commerce des armes (TCA). Une bataille politique entre les sociaux-démocrates, d’un côté, et les chrétiens-démocrates d’Angela Merkel, de l’autre – favorables à la reprise de ces ventes malgré une opinion publique contraire –, reste la principale raison de cette prolongation. Pour rappel, Berlin avait décrété cet embargo une première fois il y a six mois, après l’assassinat de Jamal Khashoggi – journaliste saoudien tué et démembré dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le 2 octobre 2018.
Bien que critiquable, l’épisode berlinois montre en revanche que des mécanismes démocratiques perdurent encore en Allemagne concernant les ventes d’armes… et rappelle qu’en France, ce n’est pas tout à fait le cas. Depuis le début la guerre au Yémen, en mars 2015, qui a coûté la vie à plus de 10 000 personnes et affamé 20 millions d’autres, soit 80 % de la population, aucun débat parlementaire digne de ce nom sur le sujet ne s’est imposé dans l’espace public français. À plusieurs reprises, députés et sénateurs communistes ont tenté d’alerter sur le sujet. En juin 2018, le groupe France insoumise avait bien demandé la création d’une commission d’enquête sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. En février 2019, le député non inscrit Sébastien Nadot, ancien LaREM, a déposé une plainte contre la France auprès de la Commission européenne « pour manquement au droit de l’Union européenne ». En vain.
Une forme de tabou semble s’être institué dans les plus hautes sphères de l’État dès lors que l’on veut aborder le sujet de la vente d’armes aux pays de la coalition arabe au Yémen. La présidence de la République comme le gouvernement se cachent derrière le voile opaque de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Une fois par an, ce comité commet un rapport donnant quelques éléments sur la situation. « Mais le fonctionnement de cette institution se heurte à des traditions liées à la nature même de la V e République », dénonçait en mai 2018 dans nos colonnes Benoît Muracciole, président de l’Association sécurité éthique républicaines (Aser), qui vient de déposer pour la première fois dans le pays un recours administratif contre l’État pour ventes d’armes illicites à la coalition arabe. En France, l’épineuse question des ventes d’armes est circonscrite aux ministères de la Défense et des Affaires étrangères. « Une trentaine de membres des deux départements se réunissent tous les mois sur ces sujets, notamment concernant les pays destinataires qui posent problème. Ils discutent à partir des rapports des services de renseignements et accumulent de l’expertise. Mais, lorsqu’il y a opposition, le premier ministre doit trancher », rappelle le militant. Ce qui n’arrive jamais. La plupart du temps, alors qu’aucun texte ne le stipule, c’est le président de la République en personne qui, in fine, clôt le débat.
Au pays des droits de l’homme, c’est donc Emmanuel Macron, comme ce fut le cas avant lui de François Hollande – grand initiateur de la politique de rapprochement de la France avec l’Arabie saoudite via son super VRP de la Défense, Jean-Yves Le Drian –, d’user ou non de son veto pour telle ou telle transaction.
La France n’est cependant pas seule parmi les puissances occidentales à connaître des problèmes de démocratie dès lors qu’il s’agit de respecter le TCA. Parmi les 87 États qui ont ratifié le traité – dont le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, le Japon, au contraire des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou encore d’Israël –, bon nombre ne le respectent pas. En cause, le chantage à l’emploi brandi de manière systématique par les gouvernants avec parfois, comme ce fut le cas récemment en Espagne, un calendrier électoral caché.
En septembre 2018, la bonne volonté du jeune gouvernement socialiste espagnol s’est heurtée violemment au mur de la Realpolitik. Après avoir annoncé son refus de livrer 400 bombes à tête chercheuse à l’Arabie saoudite, Madrid recevait, dès le lendemain, une notice de la monarchie wahhabite menaçant d’annuler un autre contrat de 1,8 milliard d’euros pour la construction de cinq corvettes par Navantia en Andalousie. À quelques mois d’élections régionales sur cette terre historiquement socialiste, et avec 6 000 emplois en jeu dans ce contrat, Pedro Sanchez a préféré céder. Un calcul malheureux. Quelques mois plus tard, l’extrême droite entrait dans le gouvernement andalou… Un exemple que les dirigeants de France et d’ailleurs seraient bien inspirés de ne pas suivre à quelques mois d’élections européennes inquiétantes.
Stéphane Aubouard
Publié le 05/04/2019
Les Algériens veulent écrire la suite eux-mêmes
Rosa Moussaoui (site humanite.fr)
Après la démission d’Abdelaziz Bouteflika, dont le Conseil constitutionnel a pris acte, hier, les Algériens refusent de laisser la transition entre les mains d’un système usé jusqu’à la corde.
Alger (Algérie), envoyée spéciale.
Alors que tout bascule, des visages nous reviennent en mémoire. Ceux, d’abord, de ces jeunes gens de Kherrata qui défiaient l’interdiction de manifester, le 16 février, en brandissant une banderole au mot d’ordre sans circonvolutions : « Non au 5 emandat de la honte ! » Celui de cette danseuse à la grâce fragile, dans la foule algéroise, juchée sur les pointes, les mains échappées vers le ciel. Celui de Na Ouardia, une montagnarde à la peau parcheminée, au dos voûté, sortie dans les rues d’Akbou pour fulminer, en kabyle : « Bouteflika, l’Algérie n’est pas ta propriété ! » Le regard décidé de ce manifestant, encore, hissant haut une pancarte en forme de réponse, en anglais, à un communiqué de Washington : « Restez à distance, les États-Unis. Ce n’est pas le Moyen Orient, ici. Mêlez-vous de vos affaires, criminels ! » Le sourire de cette étudiante, enfin, qui semblait répondre à celui de Larbi Ben M’hidi, héros de l’indépendance algérienne dont elle arborait le portrait comme la promesse d’une Algérie libre, égalitaire, démocratique dont il rêvait avant d’être assassiné par Aussaresses et ses parachutistes.
L’élan populaire a poussé dehors le vieux président
Tout bascule et tout est encore incertain, mais il y a quelque chose de léger, léger dans l’atmosphère et dans les cœurs. Mardi soir, on dansait, on chantait, on s’époumonait place Maurice-Audin, rue Didouche-Mourad, au pied des marches de la grande poste, dans le centre d’Alger, pour célébrer une première victoire, après l’annonce de la démission d’Abdelaziz Bouteflika, poussé vers la sortie par l’extraordinaire élan populaire qui dessine, déjà, une Algérie nouvelle. Le peuple a repris l’espace public, il sera difficile de l’en chasser à nouveau. Il y a cinq ans, ici même, à l’ombre des mêmes ficus, ceux qui s’opposaient au 4 e mandat étaient matraqués, nassés, isolés, humiliés. Comme une revanche, cette fois, montait de la foule, heureuse et grave, un verdict sans appel : « Ce pays est le nôtre, et nous imposerons nos choix ! » Au même moment, la télévision algérienne diffusait les images pathétiques d’un président souffreteux, vêtu d’une djellaba blanche, tassé sur sa chaise roulante, tendant maladroitement sa lettre de démission au président du Conseil constitutionnel. La scène, à visée sacrificielle, n’atténue en rien l’ardeur des Algériens, sûrs de vouloir les « dégager tous ».
« Ce pouvoir de corrompus ne s’attendait pas à un tel soulèvement populaire, d’est en ouest. Ils n’ont pas fini d’être surpris. C’est tout le système que nous avons l’intention de déraciner. Nous sommes tous unis par un même mot d’ordre : qu’ils partent tous, nous ne voulons plus d’eux », tempête un homme entre deux âges. Les généraux réunis en conclave, qui sommaient mardi soir Bouteflika de démissionner après l’avoir si longtemps appuyé, ne sont pas épargnés par ce profond désir de faire table rase d’un système qui organise, depuis l’indépendance, la mise à l’écart du peuple qui l’a conquise. Si les manifestants proclament la fraternité entre les Algériens et leur armée, ils n’en espèrent pas moins que le clan Bouteflika entraînera dans sa chute tous ses affidés, tous ceux qui arpentent depuis des lustres les méandres d’un pouvoir opaque, à commencer par le chef d’état-major, le général Ahmed Gaïd Salah. Pas question de laisser faire les tenants d’une reprise en main par les militaires.
Le scénario d’une transition conduite par les mêmes hommes, affalés dans les mêmes institutions organisant la confiscation des pouvoirs, ne les satisfait pas davantage. L’application, opportunément appuyée par le patron de l’armée, de l’article 102 de la constitution, qui confie l’intérim présidentiel au président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, placé là par Bouteflika ? Trop tard ! Le peuple algérien joue à chaque manche avec un coup d’avance sur les représentants d’un pouvoir usé jusqu’à la corde. L’idée d’une Constituante s’affirme, même si certains redoutent de voir une telle assemblée exclure les nouveaux visages de ce mouvement populaire encore trop peu organisé, et reproduire encore les rapports de forces d’ancien régime.
Tout bascule, et tout est balayé par l’extraordinaire élan politique qui refaçonne le pays. Les oppositions, querelleuses, prisonnières des vieilles équations, incapables de formuler un nouveau projet de société, ont perdu tout crédit. Même les islamistes sont à la peine, des barbus associés au pouvoir et aux affaires jusqu’aux vétérans du FIS dissous, dépassés par les mutations d’une société qui ne ressemble en rien à celle des années 1990.
« Avant, on ne pouvait pas s’exprimer aussi librement »
Dans la paix, dans la fraternité, dans l’unité, le peuple algérien a su imposer, dans un délai incroyablement court, une situation de rupture, en même temps qu’une nouvelle figure de la révolution, en puisant dans son histoire, dans ses épreuves, dans son humour. Jamais on n’a autant ri, débattu, inventé. Sur les marches de la rue Hamadachi-Mohand-Idir (ex-Maurice-Ravel), qui remontent vers le quartier de Telemly, un bambin de 5 ans trempe sa main dans un pot de peinture bleue, laisse sur le mur l’impression de sa petite paume. Des hirondelles découpées dans de vieux disques vinyle s’envolent d’une cage tracée au pinceau noir. On y laisse des messages de joie, d’espoir et d’amour, qui disent les rêves d’une jeunesse impressionnante de générosité, d’intelligence, de maturité politique. Sur plusieurs centaines de mètres, la fresque esquisse une autre Algérie. L’idée de faire parler les murs revient à un groupe d’étudiants qui se sont liés au fil des manifestations. « Nous voulions graver la trace de ce mouvement de libération. Avant, on ne pouvait pas s’exprimer aussi librement. La voix de la jeunesse était bâillonnée », sourit Noussaïba Merah, une jeune femme de 24 ans, voile et visage joliment maculés de peinture.
À ses côtés, Hicham Bellili, 23 ans, étudiant en écologie, s’est tracé sur le visage un drapeau amazigh, jaune, vert et bleu, frappé de la croix berbère. L’étendard flotte sur les manifestations, au côté du drapeau national, comme le signe d’une diversité culturelle et linguistique par tous assumée, d’une unité nationale retrouvée, cinglante réponse à ce pouvoir qui n’a jamais hésité à souffler sur les braises de la division. « Une révolution se porte tous les jours, pas seulement le vendredi ! On est restés trop longtemps éloignés de la politique. Écrire et dessiner sur les murs, c’est notre manière d’ancrer nos messages, nos revendications. C’est une autre façon de s’exprimer pacifiquement », explique le jeune homme sur un ton posé. L’Algérie de demain, il se l’imagine « libre, juste, démocratique, débarrassée de la corruption et de la hogra (le mépris) ». Tout en haut de l’escalier, on fête un anniversaire dans une ambiance bruyante et bon enfant. Un adolescent, drapeau noué autour du cou, nous tend une brassée de friandises.
Sur le mur, une allégorie de l’Afrique prend forme ; plus loin, des jeunes femmes donnent les derniers coups de pinceau à un portrait de Frida Kahlo. Dans cette petite communauté, qui a déjà fédéré plusieurs centaines de personnes, les femmes sont les plus nombreuses. Elles aussi s’approprient l’espace public, après s’être imposées, ces vingt dernières années, à l’université, sur le marché du travail et dans tous les champs de la vie sociale. Leur présence nombreuse dans les manifestations est comme une révolution dans la révolution, le signe d’une profonde transformation au cœur même d’une société toujours travaillée par les valeurs conservatrices et patriarcales. L’Algérie est un laboratoire : on y réinvente tout, jusqu’à la langue, que l’on tord joyeusement pour lui faire dire l’époque. Pour la septième semaine consécutive, lancent les protestataires à l’adresse des gardiens de l’ordre établi qui manœuvrent dans l’ombre : « Nous vendredirons encore ! »
Publié le 04/04/2019
La première conclusion du «vrai débat» des Gilets-Jaunes
(site mondialisation.ca)
Le « Vrai débat », lancé par les Gilets-jaunes, s’est déroulé du 29 janvier 2019 au 3 mars 2019 sur une plate-forme qui a recueilli et traité toutes les contributions. Nous allons faire la synthèse du rapport scientifique préliminaire d’analyse du « Vrai débat », datant du 27 mars 2019, qui a été réalisé par LERASS, Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales de l’Université de Toulouse.
A la suite de la publication de ce rapport, il est donc devenu impossible de répéter bêtement, que les Gilets-jaunes sont devenus incompréhensibles et qu’ils n’ont plus de sens…! Pourtant, c’est ce que vient encore de faire, ce samedi 30 mars – XXème acte des Gilets-jaunes sur toute la France – le député de LREM, Rémy Rebeyrotte, désormais devenu « célèbre » par le discours pitoyable qu’il fait entendre et qui a la particularité de ridiculiser chaque fois un peu plus le clan de la secte LREM.
Ce génie de la politique disait que « le mouvement des Gilets-jaunes était devenu confus », qu’il était « hétéroclite », qu’on « ne comprenait plus rien à ce qu’il revendiquait aujourd’hui contrairement à ses premiers jours » et qu’il « n’avait plus le soutien de la majorité des Français », sans dire évidemment où il avait trouvé les études sérieuses qui démontraient cette affirmation gratuite et décomplexée.
Nous devons donc souligner ce que disent, au contraire, plusieurs enquêtes comme celle de ViaVoice datant du 20 mars 2019: « La majorité absolue des Français ayant pris part à un sondage ViaVoice se sont prononcés pour l’inscription du referendum d’initiative citoyenne (RIC) dans la Constitution. De plus, 9 Français sur 10 souhaitent des changements dans la politique économique et sociale de la France suite au Grand débat. » Alors que le « Grand débat » lancé par Emmanuel Macron est terminé, un sondage ViaVoice publié mercredi 20 mars pour la Fondation Jean-Jaurès et La revue civique a interrogé des Français sur les mesures à adopter par les autorités. Ainsi, « 62% des personnes sondées se sont prononcées pour inscrire dans la Constitution le referendum d’initiative citoyenne en toutes matières (RIC) permettant de convoquer un referendum si une pétition recueille un nombre déterminé de signatures. Seuls 24% des personnes interrogées ne partagent pas cette initiative.
Par ailleurs, 86% des Français interrogés estiment qu’il sera nécessaire de réorienter la politique économique et sociale actuelle, une fois le Grand débat terminé. »
« Quant aux Gilets jaunes, 57% des personnes sondées se sentent toujours «Gilets jaunes»… »
La société Opinionway, retenue par le Gouvernement pour analyser les données recueillies par le grand débat national rappelait, le 15 février dans un document public, que «les questions [avaient] été rédigées par la mission interministérielle en charge du Grand Débat National, pilotée par les ministres Sébastien Lecornu et Emmanuelle Wargon et placée sous l’autorité du Premier ministre». En toute indépendance bien sûr!
Nous savons donc ce qu’il faut penser de cette équipe de charlatans politiques au pouvoir!
L’ensemble des contributions a été une « négociation argumentée », écrivait Priscillia LUDOSKY, à la suite de cette publication de LERASS. Ce qui a été dit se situait hors du registre émotionnel. Le débat a été sérieusement documenté et les citoyens ont fait preuve d’une volonté très claire de conscience politique et de responsabilité politique mature: tout le contraire de ce que la macronie n’arrête pas de répéter sur le dos des Gilets-jaunes.
Les critiques de la propagande gouvernementale contre les Gilets-jaunes, les accusant de « radicalisation », de « vouloir rétablir la peine de mort », de vouloir « reconsidérer le mariage pour tous », de vouloir « durcir la politique anti immigration », de vouloir pratiquer « une révision des acquis sociaux », ont été, à l’occasion, mises à plat. Toutes ses accusations mensongères, faisant partie de la campagne de dénigrement du mouvement des Gilets-jaunes, orchestrée par la secte macroniste et son gourou (ou son prédicateur évangéliste habitué à donner des leçons de morale à des gens qui ont dix fois plus d’expérience de la vie que lui), dans l’objectif de le décrédibiliser et d’empêcher d’autres citoyens de sympathiser avec le mouvement de contestation, ces critiques ont été démontées les unes après les autres, à travers la qualité de ce « Vrai débat » citoyen des Gilets-jaunes.
Ce « Vrai débat » a été plus qu’un débat d’idées ou l’expression primaire de doléances, ou une « consultation » sur des questions préétablies, comme dans « Le grand débat » qui a été organisé autoritairement par la macronie au pouvoir. Au contraire, le « Vrai débat » a directement visé la réforme en profondeur des Institutions de la République, la façon d’entreprendre la transition écologique, la place centrale du citoyen acteur, participant à la vie politique. Dans le « Vrai débat », il n’a pas été question des « représentants politiques », mais du citoyen qui est au cœur de l’administration et de la législation entourant le débat public.
La classe politique a été considérée comme incompétente et dépassée pour assurer la sécurité et les conditions acceptables de la vie des citoyens Français. La liberté, l’égalité et la solidarité ne peuvent pas être l’idéal de gens qui font carrière dans la politique: cet idéal républicain ne peut trouver un écho réel que à travers la participation citoyenne aux décisions politiques, à travers la responsabilité des citoyens eux-mêmes qui veulent en priorité et avant tout autre chose, ces conditions primordiales de la vie en commun pour toute la Nation dont la souveraineté se voit ainsi reconnue.
Le contrat social comme celui qui avait été signé par le Conseil National de la Résistance à la fin de la seconde guerre mondiale, doit être revu et réactualisé.
Toute la « légitimité » des représentants élus de l’État et encore plus concernant les représentants non élus de l’État, est remise en cause et ne peut plus rester dans la forme que la représentation avait prise depuis 1958.
Le « Vrai débat » a clairement affirmé la volonté de contrôler le travail du politique, de se substituer même au politique, de redéfinir les règles du jeu, d’être décisionnaire. Il s’agit désormais d’éviter qu’un quelconque Gouvernement, tout comme les parlementaires, puissent prendre des décisions contraires aux promesses qui les avaient fait élire et, plus généralement, aux intérêts du peuple.
Dans ce cadre, le RIC en toutes matières, introduit dans une nouvelle Constitution
approuvée par le peuple, donnera la capacité légale à révoquer tout représentant politique qui ne respecterait pas l’engagement pris au nom des citoyens qui l’ont élu. Les Français veulent donner au
peuple le droit de déclencher un referendum en vue de modifier la Constitution et d’interdire toute modification de la Constitution sans passer par le referendum;
ils veulent donner au peuple le droit de rédiger ou d’abroger une loi sur le sujet qu’il choisit;
il veut donner au peuple le droit de demander un referendum sur toutes les lois votées par le Parlement; il veut obliger le Président de la République à présenter tous les traités, accords et
pactes internationaux au referendum avant ratification. Il veut permettre la destitution de n’importe quel élu et aussi d’un membre du Gouvernement qui ne respecterait pas la volonté commune de la
majorité des citoyens du pays.
La transparence, l’éthique de responsabilité et l’efficacité de l’action publique, sont remises en cause. La Constitution de la 5ème République doit être revue et corrigée de fond en combles. Et cela signifie, dans les faits, la création d’une 6ème République.
Plus de méritocratie, plus de favoritisme, plus de privilèges, plus de pouvoir oligarchique, plus de chantage des lobbies, mais une régulation collective attentive et vigilante.
La nécessité d’une réforme complète des Traités et du fonctionnement hermétique des Institutions Européennes apparaît de manière centrale: l’Union Européenne doit devenir démocratique et le fruit d’une volonté citoyenne exprimée.
En matière d’environnement, la transition du modèle agricole et énergétique est l’axe des propositions documentées et argumentées à ce sujet. Pour le « Vrai débat », l’État a la responsabilité d’organiser et de gérer la transition environnementale: arbitrage des choix, programmes, financement des énergies renouvelables, renationalisation de l’industrie énergétique, évaluation, et non pas vente au secteur privé du patrimoine hydro-électrique de la France, comme il en est question actuellement… etc.
En matière agricole, il s’agit de favoriser la production et la consommation locales par des circuits courts, essentiellement bio. La production doit redevenir écologique et socialement responsable.
L’école publique doit garantir une éducation égalitaire et inclusive.
Dans le domaine de la justice sociale qui est liée à l’éducation égalitaire, le « Vrai débat » a souligné ces aspects :
Revalorisation des salaires et des pensions ainsi que des retraites.
Harmonisation» et «simplification» plus que revalorisation des prestations sociales.
Redistribution des richesses.
Critique d’un système à bout de souffle, trop lourd administrativement et dont les défaillances pèseraient finalement sur toute la société et pas seulement sur certaines classes de population.
L’analyse de la distribution sociale est conduite de manière diverse et symbolisée par des mesures telles que «le revenu universel» ou «le revenu d’existence» ou le «salaire minimum».
C’est principalement une revalorisation du travail qui est aussi portée dans les propositions et les arguments. En revanche, les avantages accordés aux hauts salaires, face à des salaires minimums jugés trop faibles, ont été dénoncés. Le dysfonctionnement des retraites fait aussi partie des remarques importantes qui ont été prises en compte dans le « Vrai débat ».
Le souhait d’une «vie décente», d’une «vie meilleure» pour toutes et pour tous apparaît de manière centrale, venant à nouveau renforcer le constat de la trop faible rétribution du travail.
En matière de justice économique, on peut souligner les points suivants qui ont été dominants dans le « Vrai débat » :
Les inégalités sociales et l’absence d’intervention de l’État ne sont pas
tolérables.
Les banques privées pratiquant la spéculation financière et ne contribuant pas exclusivement à la vie économique locale apparaissent dans les contributions comme «responsables» de la dette
publique.
La question fiscale a été l’occasion de dénoncer des inégalités dans le rapport à l’impôt. L’ISF comme l’intensification de la lutte contre la fraude fiscale des grands groupes industriels et des plus fortunés, ont été jugés déterminants pour notre avenir en commun, car la justice fiscale est nécessaire à la justice sociale.
Des propositions «d’optimisation fiscale» ont également été faites par les Gilets-jaunes, dans le « Vrai débat ».
La nécessité de rendre effective et efficace la lutte contre les évasions fiscales, puis la suppression des niches fiscales, ou encore la « taxe des transactions financières », ont été abondamment évoquées.
Les propositions en faveur de la baisse de la TVA se réfèrent au pouvoir d’achat des ménages.
Dans son analyse, le laboratoire du CNRS, ENS de Lyon, l’UMR 5206 Triangle, Action, discours, pensée politique et économique, a fait ressortir du « Vrai débat » des Gilets-jaunes, 4 grands thèmes :
1 – La transformation profonde du système politique actuel: le RIC en toutes matières; la reconnaissance du vote blanc et nul; la fin des privilèges des élus et des gouvernants dont la vie et les comportements doivent être irréprochables; casier judiciaire vierge pour tout élu.
2 – Le renforcement des services publics et non pas leur dégradation accélérée comme c’est le cas en ce moment: la proximité et l’égalité d’accès aux services de santé; la proximité et l’égalité d’accès aux moyens de transport; la renationalisation des aéroports, des barrages, des autoroutes…
3 – En matière de justice fiscale et sociale: l’équité; la lutte contre l’évasion fiscale des grands groupes du CAC40; revenus : indexation des salaires et des retraites sur l’inflation…
4 – Le secteur des questions écologiques et climatiques: Aspiration forte à la préservation de l’environnement, considéré comme bien commun de toute l’humanité et sanction pour les pollueurs.
Le soutien à l’agriculture bio; l’interdiction d’utilisation des pesticides chimiques et l’utilisation des moyens et méthodes naturels de lutte contre les parasites; favoriser les circuits courts; interdiction de produire des matériaux non recyclables et non biodégradables…
L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, est le préambule de la Constitution de 1958, il prévoit la participation des citoyens à la formation de la loi. Il déclare: « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». Il est donc temps que ce préambule soit respecté concrètement. Certes, les élus élaborent et votent les lois, mais les électeurs restent exclus du processus et les rares fois où l’on daigne les consulter, leur avis ne compte que s’il est conforme à ce qu’on attend d’eux (Cf., Referendum de mai 2005). Les votes sont toujours manipulés avec le concours évident des plus grands médias qui veillent à leur domination et à leur business en favorisant leurs poulains. Il s’ensuit que la défiance des Français envers la classe politique bat son plein. Il est devenu urgent d’équilibrer le système en instituant dans notre pays le referendum d’initiative citoyenne, dans tous les domaines et à tous les niveaux territoriaux afin que les citoyens puissent avoir le dernier mot et imposer leurs décisions communes.
Être seulement autorisé à glisser un bulletin dans l’urne pour élire un président, un député ou un maire, ce n’est pas la démocratie, ce n’est pas exercer sa souveraineté, mais au contraire, cela signifie s’en laisser déposséder et se faire réduire au silence pendant les 5 ou 6 ans qui séparent deux scrutins de même niveau.
En démocratie, le peuple doit pouvoir être le législateur en dernier ressort. Seul le referendum d’initiative citoyenne nous permettra de reprendre la parole à tout moment pour décider de ce qui nous regarde, et ainsi de devenir pleinement citoyens. Les Français ne sont pas plus « idiots » que d’autres peuples qui pratiquent depuis longtemps cette forme de démocratie participative!
« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du referendum d’initiative citoyenne, en toutes matières y compris constitutionnelle et de ratification des traités; cet article ne peut être modifié que voie référendaire. »
Conclusion
Les Gilets-jaunes sont-ils des « complotistes », des « radicaux opposés à la démocratie», des « terroristes », des « homophobes », des «antisémites», des « xénophobes », des « anti-préservation de l’environnement », des « stupides » qui « dénoncent des dysfonctionnements ne concernant qu’eux-mêmes »? Sont-ils une « poignée d’agités », dixit Castaner, qui ne cherchent « qu’à semer le désordre et à détruire la République » (idem) ou sont-ils « une foule haineuse » de « gens qui ne sont rien », dixit Macron? Les Gilets-jaunes sont-ils un groupe « d’émeutiers qui n’ont plus le soutien d’une majorité de Français », dixit Rémy Rebeyrotte?
La réponse à toutes ces questions se trouve précisément dans l’affirmative lorsqu’on la retourne vers ceux qui ont porté cette accusation: la macronie est tout ce qu’elle dénonce chez les Gilets-jaunes. Généralement, celui qui juge, qui condamne, qui ne se remet jamais lui-même en cause, qui prétend être la seule alternative au « bien commun », se croit habilité à « regarder la paille qui est dans l’œil de son voisin ne voyant pas la poutre qui est dans le sien »!
L’heure du verdict de la vérité va sonner et nul ne peut échapper à son couperet infaillible: le mensonge n’a que peu de temps devant lui, alors que la vérité a l’éternité pour elle… Les comptes bancaires de la politique ultra libérale s’effondrent chaque jour un peu plus jusqu’au fracas final prochain, pendant que la restauration de l’humain et de ses valeurs, transcendant l’espace et le temps, poursuit indéfectiblement son chemin vers la renaissance…
Jean-Yves Jézéquel
La source originale de cet article est Mondialisation.ca
Publié le 03/04/2019
Au Mexique, les méthodes inédites du nouveau président
Par Marie Hibon (site mediapart.fr)
Cent jours après son arrivée au pouvoir, le nouveau président de gauche du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, porté par un soutien inédit de la population, a entamé une ambitieuse transformation du pays. Son objectif : frapper fort, quitte à privilégier le symbole aux résultats concrets.
Mexico (Mexique), correspondance.- Le nouveau président mexicain est un lève-tôt. Depuis son arrivée au pouvoir en décembre 2018, Andrés Manuel López Obrador a instauré un nouveau rituel : une conférence de presse à sept heures du matin, cinq jours par semaine. Chaque matin, dans un exercice qui tient autant du spectacle que de la tribune, il déroule, devant un parterre de journalistes dont le réveil sonnera à l’aube pour le restant du sexennat, des informations calibrées pour faire le tour des téléviseurs du pays.
Cette conférence matinale, exercice inédit pour un chef d’État, est à l’image du mandat dont rêve le nouveau président : à l’opposé de tout ce qui se faisait jusqu’alors.
Premier président de gauche de l’histoire récente du Mexique, élu en juillet dernier avec 53 % des voix – un record –, Andrés Manuel López Obrador a remporté l’élection en promettant la fin de la corruption et de la « mafia du pouvoir » après plus de 90 ans d’hégémonie du parti historique mexicain, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), et un passage éclair de la droite avec le Parti action nationale (PAN), qui ont laissé derrière eux un pays en proie à la corruption et à la violence.
La « quatrième transformation » de López Obrador, qu’il a l’ambition d’inscrire dans la lignée de trois tournants majeurs de l’histoire du Mexique, l’indépendance, la réforme et la révolution, doit remettre le pays d’équerre. En cent jours, celui qu’on surnomme par ses initiales, AMLO, a multiplié les déplacements dans le pays et les annonces de réforme, cochant selon son propre décompte « 62 des 100 engagements » pris à son entrée en fonctions.
Il s’est notamment attaqué à l’une des têtes de l’hydre de la corruption au Mexique : le vol de carburant, siphonné dans les canalisations par des groupes criminels avec l’aide de complices au sein du fleuron pétrolier national, Pemex. L’assèchement des oléoducs ordonné par le président a provoqué de sévères pénuries d’essence à travers le pays, sans que les Mexicains lui en tiennent apparemment rigueur. « Ils voient ces inconvénients comme un remède amer, qu’il faut avaler pour guérir », décrypte Juan Pablo Galicia, politologue à l’université Modelo de Mérida, dans le sud du pays. Pour l’heure, la stratégie semble porter ses fruits : selon les chiffres officiels, le siphonnage a chuté de 81 000 à 15 000 barils quotidiens.
Face à une violence toujours plus exacerbée – avec plus de 33 000 homicides volontaires recensés, 2018 bat tous les records depuis 20 ans et 2019 s’annonce pire encore –, López Obrador a orchestré au pas de charge la création d’un nouveau corps de forces armées, la garde nationale, destinée à prendre la relève de l’armée pour assurer la sécurité intérieure du pays. Malgré les avertissements des défenseurs des droits de l’homme qui objectent qu’un corps composé de militaires est voué à retomber dans les mêmes travers, la réforme constitutionnelle nécessaire à sa création a été rapidement approuvée par les deux chambres parlementaires, où le président dispose d’une large majorité.
À l’échelle internationale, le président a opéré un virage à 180 degrés de la politique extérieure du Mexique. Il a dépoussiéré la doctrine Estrada qui dicte la non-ingérence du pays dans les affaires de ses voisins. Il a refusé en début d’année de se prononcer sur la légitimité de Juan Guaidó, président de l’Assemblée vénézuélienne, alors que le Mexique était, sous la précédente présidence d’Enrique Peña Nieto (2012-2018), un membre actif du Groupe de Lima qui veut jouer le rôle de médiateur dans la crise.
Malgré sa position de nouveau leader de gauche dans la région, López Obrador « ne cherche pas à jouer un rôle à l’extérieur du Mexique », rappelle l’historien et observateur politique Lorenzo Meyer, qui entretient une relation chaleureuse de longue date avec le président. « Pour lui, la meilleure des politiques extérieures est une bonne politique intérieure. » Andrés Manuel López Obrador a cependant réussi à nouer une relation cordiale avec son homologue américain Donald Trump, choisissant d’éviter le conflit malgré l’obsession du président américain pour la construction d’un mur à la frontière entre les deux pays.
S’il s’est attaqué sans tarder à la violence et à la corruption du pays – malgré un manque de visibilité sur sa stratégie à long terme, comme le regrettent certains –, ce président de gauche est attendu au tournant sur l’économie. « Le Mexique a été hypnotisé pendant des années par une politique néolibérale de privatisations qui n’a jamais attiré l’investissement promis, développe l’économiste mexicain Ricardo Becerra. AMLO hérite d’une économie dévastée, où la croissance baisse chaque année. » Pour 2019, les prédictions tournent autour de 2 %, quand López Obrador promet, « malgré le scepticisme », d’arriver à quatre points de croissance.
La semaine dernière, le président décrétait en toute simplicité « la fin officielle du cauchemar du néolibéralisme ». « Il n’en finira probablement pas avec le capitalisme, nuance l’historien Lorenzo Meyer. Mais il lui ôtera ses aspects les plus brutaux. López Obrador veut que l’État se remette au service des plus pauvres, les perdants de l’économie de marché. »
Sa recette : multiplier les subventions. Le président a doublé la pension de 2,5 millions de retraités et créé un programme de bourses destiné à financer l’insertion sur le marché du travail de 2,3 millions de jeunes, et qui croule sous les demandes. Il a également revu à la hausse le salaire minimum, passé de 88 à 102 pesos par jour (un peu moins de cinq euros), doublé en zone frontalière avec les États-Unis.
« La hausse du salaire minimum est la meilleure mesure qu’AMLO ait prise depuis son arrivée au pouvoir, souligne l’économiste Ricardo Becerra, spécialiste du sujet. Mais sans plan de hausse graduelle à long terme, cette hausse minuscule n’est qu’un effet d’annonce. À cause de l’inflation [+ 4,37 % en un an – ndlr], un mois après sa mise en place, ce salaire ne couvrait déjà plus le coût du panier de dépenses de base. »
« Réallouer des fonds, cela ne fait pas un programme économique », avertit l’économiste. Les experts s’accordent sur une chose : le vrai levier de la croissance est l’investissement public, alors que la création de biens publics « est au plus bas depuis 35 ans », note Becerra, pour qui les deux projets d’investissement phares d’AMLO, une raffinerie de pétrole et le « train Maya », dont la construction doit générer 300 000 emplois directs et qui reliera entre eux les États du sud-est du Mexique sur 1 500 km – mais provoquera aussi de lourds dégâts environnementaux –, sont loin d’être suffisants. « Le plus gros projet, c’était le nouvel aéroport de Mexico, et AMLO l’a stoppé net », rappelle l’économiste. La décision, prise selon le président pour cause de corruption généralisée et de défense de l’environnement, est tombée alors qu’un tiers de l’aéroport était déjà construit.
Tribun hors pair, le président mexicain est avant tout un as de la communication. Jamais avare de slogans simples et efficaces – « Des câlins, pas des balles », « Les pauvres d’abord », « La mafia du pouvoir » –, à son arrivée au pouvoir, il a lancé une série de mesures symboliques à effet immédiat, comme cette cure d’austérité gouvernementale qui tranche avec les largesses des précédents chefs d’État.
L’avion présidentiel vendu, le chef de l’État fait désormais la queue pour embarquer, comme tout le monde. La résidence présidentielle de Los Piños, nichée dans le parc de Chapultepec, poumon vert de Mexico, boudée par López Obrador, a été – coup de maître – « rendue au public », qui peut admirer à loisir l’escalier à double volée, les pampilles des chandeliers et la salle de cinéma privée du président précédent. Il a raboté de 60 % son salaire et plafonné ceux des fonctionnaires. « Il ne peut y avoir de gouvernement riche quand le peuple est pauvre », répète-t-il à l’envi.
Le message a trouvé son public : après 100 jours au pouvoir, le taux d’approbation du président est stratosphérique, jusqu’à 85 % selon certaines enquêtes d’opinion. Aussi fragiles soient-elles, cela laisse penser qu’AMLO a réussi à imposer son style bien au-delà de ses partisans.
Misant sur sa proximité avec le peuple mexicain, AMLO a instauré des « consultations populaires », durant lesquelles il soumet une initiative au vote des citoyens, comme il l’a fait pour l’annulation de l’aéroport de Texcoco. Si elles renforcent son image de président aux ordres du peuple, « ces consultations sont loin des standards internationaux d’un référendum », avertit Sebastián Garrido, professeur au CIDE, un centre de recherches en sciences sociales de Mexico.
Organisées par le parti du président, Morena, les consultations ont cumulé les dysfonctionnements. Votes multiples, bureaux de vote mal répartis, faible participation… « Il y a la légitimité, et il y a la légalité », note Garrido. AMLO a choisi la première. « Symboliquement, cela confère une autorité morale à sa décision », résume le politologue Juan Pablo Galicia.
Affable avec les citoyens – il circule avec une sécurité minimale et ne refuse jamais une photo ou un bain de foule –, le président perd patience face à ceux qui parasitent sa ligne directe avec le peuple mexicain ou le mettent face à ses contradictions. Ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui, comme les médias, accusés à plusieurs reprises par le président d’être « bourgeois » et « corrompus ».
« Il existe [dans son discours et celui de ses partisans] une attitude de rejet persistante de la presse qui alimente l’idée que le président serait injustement attaqué », notait une étude de l’Institut technologique de Guadalajara parue en mars. Un discours dangereux dans un pays où 47 journalistes ont été tués durant le dernier sexennat, rappelle l’ONG mexicaine Articulo 19.
Bien qu’il dispose déjà d’une large majorité au Congrès et au Sénat, López Obrador semble déterminé à limiter l’influence des contre-pouvoirs susceptibles d’entraver son action. « Il dirigeait déjà son mouvement devenu parti politique, Morena, de manière personnifiée, souligne Juan Pablo Galicia. Rien n’a changé : AMLO gouverne désormais le pays sans partager le pouvoir avec d’autres instances. »
Sourd aux accusations de conflit d’intérêts, le président a placé deux de ses fidèles à des postes clés du système judiciaire : le procureur général de l’État (le plus haut fonctionnaire de la justice mexicaine, en poste pour neuf ans) en décembre, et une nouvelle juge de la Cour suprême, épouse d’un entrepreneur très proche du président, nommée pour quinze ans en mars.
« Au Mexique, la justice a toujours été discrétionnaire, politisée et intermittente, à cause de la subordination du ministère à la présidence. AMLO devrait proposer une candidature indépendante au lieu de pousser un proche », regrettait alors la politologue Denise Dresser, très critique envers le nouveau gouvernement.
Plusieurs instances de réglementation indépendantes comme l’Agence nationale pour la transparence ou l’Institut électoral ont dû subir les foudres du président, qui les a qualifiées de « bureaucratie bourgeoise qui […]coûte [aux Mexicains] de l’argent sans produire aucun résultat », assorties de sévères coupes dans les budgets.
« Pour AMLO, ces contrepoids étaient nécessaires face à un gouvernement corrompu. Mais comme il considère que le sien ne l’est pas, cette vigilance n’est plus nécessaire », analyse Juan Pablo Galicia, qui ajoute : « Il est probable qu’avec un autre président, on aurait crié au scandale antidémocratique. Mais la popularité d’AMLO le protège. »
Une volonté de régner seul qui se remarque « jusque dans son cercle proche », note le politologue. « Il n’a pas de bras droit ou de conseiller, que des subordonnés. Il est seul face au pouvoir. » AMLO n’hésite d’ailleurs pas à contredire ses ministres lors de ses conférences matinales, lesquels restent encore, pour beaucoup de Mexicains, de parfaits inconnus.
« On lui reproche de chercher à centraliser le pouvoir de l’État. Mais la politique, c’est comme la guerre : il faut rassembler ses forces pour le combat », plaide Lorenzo Meyer, qui ajoute : « La véritable concentration du pouvoir est dans l’autre camp, chez ces quelques familles qui accaparent, depuis des décennies, toute la richesse du Mexique. » Une étude d’Oxfam révélait en 2014 que les 1 % les plus riches du Mexique possèdent 43 % de la richesse du pays.
Face aux critiques grandissantes de son mode de gouvernance, López Obrador a solennellement signé mi-mars un document déclarant qu’il ne se représenterait pas en 2024, accusant au passage « ses adversaires les conservateurs » de diffuser « des rumeurs infondées » sur des velléités de réélection.
Continuant son grand ménage, le président a annoncé en février la fin pure et simple des subventions de l’État à toute organisation de la société civile pour les redistribuer directement à la population. « Cette structure intermédiaire qui s’est créée pour détourner l’argent perçu sous couvert de la nécessité des gens doit prendre fin immédiatement, c’est de la corruption », a-t-il justifié.
« Ce sont des victimes collatérales du combat de López Obrador contre la corruption, analyse Juan Pablo Galicia. Il ne fait pas dans la dentelle parce que cela sert son récit : “Rien de ce qui a été fait avant moi n’est bon, il faut tout revoir.” »
Dans les faits, il n’existe pas de chiffres pour quantifier l’importance de la corruption au sein de la société civile. « Mais dans l’imaginaire collectif, elle est partout, décrypte le politologue. Au Mexique, tout le monde y a été confronté un jour ou l’autre, alors il n’est pas difficile de croire le président quand il affirme qu’un secteur entier est concerné. »
Pour Galicia, en 100 jours, López Obrador a réussi à positionner la mesure de son succès « sur le plan symbolique ». « AMLO ne joue pas sur le terrain des résultats quantifiables. Il cherche à être jugé sur sa capacité d’impulser un changement de régime. »
L’organisation Mexicains contre la corruption, qui a vérifié plusieurs de ses affirmations à l’occasion des 100 jours de sa présidence, est parvenue à la même conclusion. « Quand bien même le combat contre la corruption pourrait permettre de réaliser d’importantes économies, aucune preuve ne permet d’étayer les déclarations du président quand il dit que l’État fait une économie de 700 millions de pesos [32 millions d’euros – ndlr] en mettant fin à la corruption au sein du gouvernement », relève par exemple l’ONG.
« Je ne suis pas sûr qu’AMLO lui-même sache comment résoudre concrètement tous les problèmes du Mexique, lâche Lorenzo Meyer, pensif. Ce que je crois, c’est ce qu’il m’a confié en 2005 : “Si je suis élu, je ne pourrai pas changer ce pays en profondeur, car les obstacles sont énormes. Mais je voudrais que, pour la première fois, les Mexicains ne considèrent pas leur gouvernement comme un ennemi, mais bien comme quelque chose qui leur appartient.” » Un objectif qui, à la lumière de ses 100 premiers jours au pouvoir, semble en bonne voie de réalisation.
Publié le 02/04/2019
Éducation : défiance et mobilisations grandissent avant la journée de grève du 4 avril
Stéphane Ortega (site rapportsdeforce.fr)
Réforme de l’enseignement supérieur l’an dernier avec Parcoursup, réforme en cours du lycée, du baccalauréat et de la voie professionnelle, projet de loi « pour une école de la confiance » : la frénésie réformatrice du ministre de l’Éducation soude la communauté éducative contre Jean-Michel Blanquer. Depuis plusieurs semaines, la colère gonfle et les actions se multiplient.
« Il y a des endroits où cela bouillonne, d’autres où il y a un frémissement, mais aussi certains où c’est le calme plat », confie Gilles, instituteur dans une école primaire du sud de la France classée en REP+. Pour ce militant de Sud-éducation la journée de grève du 4 avril est un moyen d’amplifier les luttes déjà existantes en incitant toute la profession à se mettre en mouvement. Ce jour-là, avec ses collègues il participera à une nuit des écoles pour inviter les parents à s’informer et participer à la mobilisation. Une décision prise la semaine précédente lors d’une assemblée de secteur qui a réuni 35 professeurs des écoles d’un quartier sensible.
Depuis le début de l’année, des actions de désobéissance résonnent comme un murmure préparant un mouvement plus bruyant et visible. Dans le primaire, le refus des évaluations CP et CE1, ou de leur communication sur une plateforme liée à Amazon, a fait réagir le ministère. Dans une circulaire du 8 mars, celui-ci se fait menaçant et qualifie ces refus de faute professionnelle. Même attitude vis-à-vis des enseignants du secondaire qui ont entamé aux quatre coins du pays, une rétention des notes pour les uns, des 20/20 à tous les élèves ou des démissions collectives de professeurs principaux pour d’autres. Là aussi, le ministère a demandé aux recteurs et aux directeurs d’académie d’appliquer des sanctions.
La contestation monte en puissance dans l’Éducation nationale
Dans ce contexte, le vote en première lecture à l’Assemblée nationale le 19 février de la loi « pour l’école de la confiance » fait office d’électrochoc. L’introduction d’amendements aussi lourds dans la vie quotidienne des enseignants que celui sur les regroupements d’écoles sous la direction d’un proviseur de collège a mis le feu aux poudres. Pour la communauté éducative, cela équivaut à vider de sa substance et son pouvoir les conseils d’école et au passage de supprimer les directeurs. Ainsi, un mois plus tard, les enseignants forment le gros des cortèges lors des manifestations interprofessionnelles du 19 mars. Le primaire y est très représenté avec 40 % de grévistes dans les écoles selon la FSU et 24 % pour le ministère. Cela correspond au chiffre de grève le plus élevé depuis 2017.
Avant même cette journée, les enseignants du département de Loire-Atlantique se mobilisent contre la loi Blanquer en prenant quelques longueurs d’avance. Le 4 mars, un millier d’entre eux sont en grève à l’appel de la FSU, de la CGT et de Sud-éducation. Une cinquantaine d’écoles sont fermées et 350 personnes décident en assemblée générale de recommencer le 11 mars. Ce jour-là, la grève prend encore de l’ampleur et sa reconduction est votée par plus de 500 enseignants à Nantes. Rejoint par Force ouvrière, le mouvement n’a pas cessé, même si dans le second degré la mobilisation prend majoritairement la forme de blocage de notes ou d’actions symboliques.
Depuis le 19 mars, les mobilisations se multiplient un peu partout. Le jour de la grève, une assemblée générale de 350 agents à Angers vote sa reconduction pour le lundi 25 mars. Dans l’Allier, ce sont les dates du 28 et du 29 mars qui sont retenues. Celle du 26 mars dans les Bouches-du-Rhône et les Deux-Sèvres. À Paris, où une assemblée générale réunit 200 enseignants, un appel à la grève est lancé à partir du 27 mars. Dans de nombreuses localités de la région parisienne, des établissements sont déjà en lutte. Ici, des banderoles accrochées à l’entrée de l’école expliquent que pour un vêtement égaré il faut dorénavant s’adresser au collège, là des parents retirent leurs enfants en guise de protestation. Parfois, ce sont des blocages temporaires qui sont effectués par les parents. Le tout ponctue une montée en puissance de la défiance à l’égard de la réforme.
Une manifestation le 30 mars, une grève le 4 avril
Le 30 mars, les principaux syndicats enseignants (FSU, Unsa, CFDT, CGT et Snalc), rejoints dans la rue par FO et Sud-éducation, ont appelé à un samedi de manifestation. Alternative à la grève pour contenter les syndicats partisans de négociations et d’un aménagement de la loi, ou moyen d’associer les parents d’élèves ? Peut-être un peu des deux au regard de la participation notable de ces derniers, notamment à Paris et Nantes. En tout cas, l’appel à la grève pour le jeudi 4 avril n’est signé que par la FSU, la CGT, FO et Sud-éducation.
Samedi, le ministère de l’Intérieur a comptabilisé 36 000 manifestants dans toute la France, dont 6000 à Paris. Dans la capitale selon plusieurs sources syndicales, le défilé approchait les 10 000 participants. Les banderoles fabriquées pour la circonstance témoignent d’une vivacité de la mobilisation. Les manifestations ont réuni 2500 personnes à Nantes comme à Lyon, et 2000 à Rennes, où la FSU annonce que « 70 postes seront supprimés dans les établissements du second degré à la rentrée prochaine ». Une façon de rendre concrètes les 2600 suppressions de poste annoncées par Jean-Michel Blanquer en septembre dernier.
À Strasbourg, un millier d’enseignants ont défilé dans les rues de la ville, un peu moins à Limoges, Clermont-Ferrand ou Montpellier. Là, Céline, institutrice depuis quatorze ans se dit inquiète des conséquences de l’article un de loi Blanquer sur la liberté d’expression des enseignants. « Qu’en sera-t-il des réunions d’information que l’on fait avec les parents », s’interroge-t-elle en soulignant le flou laissé par le texte. N’auront-ils plus le droit d’y critiquer la politique de leur ministère, alors que les moyens manquent partout ?
C’est une crainte qui semble largement partagée chez les professeurs des écoles rencontrés dans les manifestations samedi. Ils ont de plus le spectacle du traitement du mouvement des gilets jaunes sous le nez pour ne pas les rassurer. Ainsi, de nombreuses conditions sont réunies pour faire de la prochaine journée du 4 avril un tremplin vers une poursuite du mouvement. « Cela fait plusieurs années que nous n’avons pas eu une implication aussi importante des collègues et des parents », constate une institutrice de la région parisienne, syndiquée à la CGT. Elle note que de nombreux parents découvrent en accéléré l’ensemble des réformes, ce qui « dans les quartiers, donne l’impression que c’est toute une jeunesse qui est sacrifiée ». De quoi nourrir la contestation.
Cependant, malgré une mobilisation qui enfle, plusieurs organisations syndicales n’appellent pas à la grève, et dans de nombreux départements l’information est arrivée un peu tardivement. Dernière difficulté pour que le mouvement s’ancre : les vacances de Pacques commencent le 6 avril dans la zone B. Elles s’étalent jusqu’au 6 mai pour la zone C.
Publié le 01/04/2019
Travail dissimulé, fraude sur les étiquettes : les multiples abus d’un groupe agro-industriel breton
par Inès Léraud (site bastamag.net)
Cheritel, un important grossiste de fruits et légumes, a été jugé et condamné fin 2018 pour avoir violé durant plusieurs années, via une société bulgare, les droits de salariés étrangers. En interne, d’anciens employés interrogés par Basta ! épinglent aussi les pratiques managériales du groupe. L’entreprise s’est encore illustrée dans un autre domaine : les services de l’État l’ont prise en flagrant délit de « francisation » de tomates, en réalité achetées à bas coût dans d’autres pays. Des affaires qui illustrent les pratiques parfois peu reluisantes de l’agro-industrie, au sein de laquelle les marges se gagnent autant sur le travail que sur l’environnement.
L’affaire se passe à Grâces, en périphérie de Guingamp, au cœur de l’agro-industrie bretonne. Ici, il n’est pas rare de croiser des habitants qui ont un temps travaillé pour le groupe Cheritel, un important grossiste local qui approvisionne les enseignes Leclerc, Intermarché, Auchan, Carrefour, Système U, Aldi, ou encore Quick et KFC. Via ses quatre sociétés, Cheritel distribue, mais aussi découpe, transforme, conditionne et expédie des fruits et légumes. L’entreprise, qui revendique 45 millions d’euros de chiffre d’affaires et 120 salariés, est dirigée depuis plus de 30 ans par Jean Cheritel, que certains de ses anciens collaborateurs aiment surnommer « le Bernard Tapie de Guingamp ».
C’est dans les années 1980, à une période où les intermédiaires agricoles prennent du poids, que ce fils de paysans bretons réalise une ascension rapide dans le commerce de gros. Aujourd’hui, Jean Cheritel est aussi actionnaire et ex-administrateur du club de football professionnel de l’En avant Guingamp, gérant d’une demi-douzaine de sociétés civiles immobilières, de deux holding, et d’une ferme intensive de 250 vaches laitières au Maroc.
47 000 heures de travail dissimulées entre 2012 et 2016
Depuis quelques années, son groupe se distingue aussi dans les chroniques judiciaires. En 2012, l’inspection du travail découvre que plusieurs industriels bretons, dont Cheritel Trégor légumes, l’une des sociétés du groupe, font travailler de la main d’œuvre étrangère sans la déclarer, via une société d’intérim bulgare, Vadi Job. Malgré les avertissements des services de l’État, Cheritel persiste. En 2017, l’entreprise et son gérant sont finalement cités à comparaître devant le tribunal correctionnel de Saint-Brieuc.
Au sein du groupe Cheritel, « sur la période de mars 2012 à avril 2016, plus de 47 000 heures de travail ont été dissimulées par l’entreprise [Vadi Job], observe le vice-procureur lors du procès. Soit l’équivalent de 29 emplois à temps plein sur une année. Le préjudice pour la sécurité sociale est évalué à 261 610 euros. Ce sont des opérations frauduleuses particulièrement lucratives pour une entreprise. » D’après l’avocat du groupe, maître Guillotin, ce n’est pourtant pas dans un but lucratif que son client a recours à des intérimaires bulgares, mais « parce qu’il ne trouve personne pour venir travailler ».
Sous couvert d’anonymat, une dizaine d’ex-salariés nous ont confié leur expérience. Tous ont quitté l’entreprise il y a moins de deux ans. D’anciens commerciaux confirment les propos de l’avocat, mais en y apportant un éclairage quelque peu différent : « La ligne d’épluchage oignons-échalottes [le groupe Cheritel commercialise des légumes prêts à cuire] ne fonctionne qu’avec des Bulgares. Aucun français ne supporte ce poste. Ils restent une demi-heure. Ils vomissent. Parce que c’est de l’oignon et il n’y a que des masques en papier, pas de lunettes. Vous imaginez éplucher des oignons toute la journée ? Donc il a fait appel à des intérimaires bulgares, qui travaillent très bien et ne se plaignent pas. » La précarité absolue d’un travailleur étranger non déclaré n’aidant pas non plus à revendiquer de meilleures conditions de travail...
Des salariés mal-logés qui reversent leurs loyers à... Jean Cheritel
Selon l’enquête menée par l’inspection du travail, les personnes bulgares dédiées aux postes d’épluchage étaient pour la majorité des femmes. Celles-ci avaient été recrutées en Bulgarie directement pour la société Cheritel. Au mépris de la directive européenne sur le travail détaché, certaines avaient dû financer leur voyage en France. La plupart n’étaient pas retournées dans leur pays d’origine depuis leur embauche – parfois depuis plusieurs années. Deux élus de la CFDT (Fédération générale de l’agroalimentaire) ont tenté à plusieurs reprises de se rendre au domicile de ces employés. En vain. Selon eux, un homme leur aurait bloqué l’accès, placé par la société d’intérim Vadi Job afin de servir d’interprète aux travailleurs détachés, mais aussi visiblement de veiller à ce qu’ils n’entrent pas en contact avec la population locale. Toujours selon la CFDT, cet homme aurait aussi été en possession de leurs pièces d’identité.
Revenus plus tard avec l’inspection du travail, nos deux syndicalistes découvrent que les employés sont logés dans un pavillon de quatre chambres avec une seule salle de bains mixte. D’après leurs estimations, jusqu’à 17 personnes pourraient vivre sur place. Un loyer de 130 à 150 euros est prélevé directement par Vadi Job sur le salaire de chaque habitant et reversé au propriétaire de la maison : Jean Cheritel, lui-même ! « Le fait que M. Cheritel perçoive des loyers par l’intermédiaire d’une société civile immobilière accentue le caractère mercantile de l’opération », a déclaré le vice-procureur lors du procès concernant l’emploi des travailleurs bulgares. Par ailleurs, certains n’ont pas de contrat individuel, les heures supplémentaires ne sont ni déclarées, ni payées.
Une mission syndicale en Bulgarie
La FGA-CFDT s’est rendue quelques mois plus tard à Chumen, province la plus pauvre de Bulgarie, afin d’informer la population sur ses droits en France : « Dans tous les villages, les maires ont invité les habitants à venir aux réunions qu’on organisait. Ils étaient parfois une centaine. Tous avaient des proches qui étaient partis travailler en France. On leur expliquait qu’ils avaient droit aux 35 heures, aux congés payés, que leurs frais de transport et d’hébergement devaient être pris en charge... On a eu beaucoup de retours de la part de Bulgares se plaignant de Vadi Job », raconte l’un d’eux, qui ayant lui-même été travailleur détaché dans un abattoir allemand durant sa jeunesse, a planché jour et nuit, pendant plusieurs mois, sur le dossier des travailleurs bulgares.
Le 11 décembre 2018, le groupe Cheritel est finalement condamné par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc à 261 610 euros d’amende pour « délit de marchandage (...) commis à l’égard de plusieurs personnes : opération illégale à but lucratif de fourniture de main d’œuvre ». Son gérant, Jean Cheritel, écope de 10 000 euros d’amende, deux mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction d’exercer l’activité de sous-entrepreneur de main d’œuvre. L’entreprise et son dirigeant sont également condamnés à verser en tout 12 500 euros de dommages et intérêts aux parties civiles.
Dans son jugement le tribunal constate, « sans ambiguïté », la « fourniture massive et habituelle par la société bulgare de salariés étrangers à la société utilisatrice [Cheritel, ndlr], accomplissant les mêmes tâches que les salariés français, et non de l’application (...) du régime du détachement ». Autrement dit, Cheritel a employé des salariés illégalement détachés sur des postes de travail permanents. « L’intérêt des prévenus, ajoute le jugement, était bien évidemment financier, à savoir, en se soustrayant au régime français (...) bénéficier d’un allègement des charges sociales et fiscales, les travailleurs bulgares étant en parallèle privés d’avantages prévus par la législation nationale protectrice (pas de congés payés, pas de représentation du personnel, pas de protection sociale...). » Jean Cheritel et son groupe ont fait appel de cette décision.
« Depuis que j’ai quitté l’entreprise, j’ai appris ce qu’étaient les RTT et je revis ! »
Au delà de cette affaire, notre enquête montre également que les pratiques du groupe vis-à-vis de ses propres salariés sont loin d’être irréprochables. Les commerciaux interrogés par Basta ! ont pour mission de négocier et d’assurer les ventes de fruits et légumes auprès de la grande distribution. Ils sont payés autour de 1800 euros nets par mois pour un forfait à 39 heures. Tous ceux que nous avons rencontrés témoignent effectuer « plus de 40 heures durant l’année, et 50 à 70 heures durant la saison d’été, sans heure sup’ payées ni récupération ». « Nous avons une feuille pour déclarer nos heures supplémentaires, mais nous sommes obligés de mettre zéro sinon la feuille nous revient. On cède pour ne pas perdre notre poste », détaille l’un d’eux. « Depuis que j’ai quitté l’entreprise, j’ai appris ce qu’étaient les RTT, et je revis ! » dit-il.
Cela ne vaut pas pour tous les employés : dans les ateliers de conditionnement, il y a une pointeuse. « Un été, j’ai bossé là-bas comme manutentionnaire. On travaillait jusqu’à 2 h du matin, en tout 55 heures par semaine. Toutes les heures étaient payées, et j’ai gagné 2500 euros en un mois », raconte un étudiant. En revanche, commerciaux, techniciens et manutentionnaires évoquent à l’unisson le comportement impulsif et autoritaire du dirigeant – « Il règne par la terreur » –, le sous-effectif chronique, les burn-out. « Il y a un turnover incroyable, je n’ai jamais vu ça dans une autre entreprise. Le bureau commercial comptait une vingtaine de personnes. J’en ai vu changer une douzaine parmi elles, dont certaines que je n’ai vues qu’une semaine ou deux », décrit un jeune homme resté quelques mois en alternance.
Aucun de ces anciens salariés n’a cependant envisagé de se lancer dans une procédure prud’homale. Faute d’argent, de temps, et par peur de « se mettre le patronat local à dos ». Un tribunal de police a certes condamné Jean Cheritel en 2015 pour « dépassements de la durée maximale du travail », « inexécution de remédier à une situation dangereuse » et « hébergement de travailleurs dans un local à usage industriel » [1]. Mais la consultation des archives des Prud’hommes de Guingamp révèle que, sur la décennie écoulée, seuls quatre salariés ont initié des démarches. Deux ont eu gain de cause et touché respectivement 26 000 et 34 000 euros d’indemnités, notamment pour des dépassements d’horaires.
« Je ne serre pas la main à des gars comme toi »
Il faut dire que chez Cheritel, l’absence de section syndicale ne favorise pas la protection des droits des salariés. Cela alors même que l’entreprise regroupe plus de 100 employés – travailleurs saisonniers compris. En principe, un syndicat peut créer une section à partir de deux adhérents au sein d’une entreprise. Comment expliquer une telle désaffection ? « Chez Cheritel, on n’a pas de syndicat car la direction fait pression sur le personnel syndiqué pour qu’il s’en aille », explique un ancien commercial resté près de quinze ans dans l’entreprise.
Nous avons trouvé et rencontré l’un de ces ex-employés syndiqués. La quarantaine, Pierre* hésite entre la peur de parler, parce qu’il n’a « pas envie d’avoir d’ennuis », et le désir de rendre public ce qu’il a vécu. Il est accompagné d’archives documentant son histoire : « Je suis entré au sein du groupe en 2007, comme technicien de maintenance. Je réparais les machines. Au bout de deux ans, ma femme en a eu ras-le-bol que je fasse des heures non payées. Et moi aussi. J’ai demandé à avoir un badge pour pointer, et à recevoir le relevé de mes heures avec mon bulletin de paie. Je les ai obtenus. Mais j’ai été identifié comme quelqu’un qui ne se laissait pas faire. Après ça, j’ai eu des ennuis. »
En octobre 2009, Pierre reçoit une lettre recommandée avec accusé de réception, un « avertissement pour insuffisance professionnelle » au sujet d’une machine à découper les poireaux mal réglée. La même année, il ne touche pas de prime de fin d’année, contrairement à la précédente. Il se renseigne alors auprès de la section agroalimentaire de la CGT pour savoir comment fonder une section syndicale à Cheritel Trégor légumes. « On m’a dit : "Ohlala, une personne a déjà essayé, elle s’est faite virer !". Début 2010, j’ai tout de même décidé de me présenter aux élections des délégués du personnel. J’ai prévenu l’entreprise. Juste après, un matin, j’ai voulu saluer Jean Cheritel. Il m’a répondu : "Je ne serre pas la main à des gars comme toi". J’étais stupéfait ! »
Changements d’emploi du temps, avertissements et accusations de vol
À partir de là, la vie de Pierre se complique : « Avant on s’arrangeait avec mon responsable de service : quand j’avais besoin, je pouvais arriver plus tard le matin et rester plus tard le soir. J’avais une heure de pause le midi. Du jour au lendemain, j’ai reçu des avertissements quand j’arrivais en retard, et on m’a collé deux heures de pause déjeuner, ce qui faisait des journées plus longues. » En mars 2010 il reçoit des courriers intitulés « avertissement pour faute » pour des retards au cours du mois, dont certains de quelques minutes. Un matin, le responsable de production lui aurait même subtilisé sa trousse à outils. « Je pense qu’ils espéraient que je fasse un abandon de poste, ce qui aurait constitué une faute grave. Je le savais et je suis resté toute la journée en salle de pause. C’était très difficile. Je n’avais qu’une envie, partir, mais j’ai tenu. »
Courant avril, des gendarmes viennent sur le site et lui demandent d’ouvrir sa voiture. Ils y découvrent deux cagettes en plastique estampillées Cheritel. Une perquisition est organisée chez lui, et en découvre 17 autres. Il est accusé de vol. « Chaque cagette vaut 3,50 euros, il y en avait pour 70 euros au total. En fait, explique-t-il, on avait le droit de se servir dans les fruits et légumes invendus et périmés. Moi je nourrissais mes poules comme ça. Il était toléré qu’on transporte ces légumes avec les cagettes de l’entreprise. » À condition de les ramener, ce que Pierre avait vraisemblablement tardé à faire. « Personne n’a voulu témoigner en ma faveur, poursuit-il, de peur d’avoir des soucis. » « Beaucoup de monde faisait ça », confirme aujourd’hui un ancien salarié interrogé par Basta !, qui est resté près de quinze ans dans l’entreprise.
« J’ai été élu. Mais une semaine après, j’étais licencié pour faute grave »
L’élection des délégués du personnel a finalement lieu pendant la mise à pied conservatoire du salarié. « J’aurais dû avoir le droit d’entrer dans l’usine pour préparer les élections, mais des membres du personnel de direction m’en ont empêché. J’ai quand même pu venir le jour de l’élection. J’étais le seul à me présenter. Sur 60 inscrits, huit personnes ont voté, et sept ont voté pour moi ! J’ai donc été élu. Mais bon, une semaine après j’étais licencié pour faute grave... ». Avec l’accord de l’inspection du travail.
D’autres salariés racontent qu’au moment des élections, « la pression a été mise sur les votants ». L’un d’eux explique : « Jean Cheritel faisait comprendre aux responsables d’équipe qu’il fallait faire passer le message, que cette personne-là, il ne fallait pas qu’elle soit élue. La direction a su qui avait voté, je ne sais pas comment. C’est dégueulasse, mais des personnes qui avaient voté pour le gars de la CGT ont été sanctionnées : elles n’ont pas eu de primes de fin d’année. » En juillet 2010, le groupe Cheritel obtient auprès du tribunal d’instance de Guingamp la nullité de l’élection syndicale au motif d’un vice de procédure. Il n’y a donc jamais eu de délégué syndical au sein de Cheritel Trégor légumes. Interrogé sur le sujet, Jean Cheritel n’a pas répondu à nos questions.
Des fraudes sur la provenance des tomates, « en quantité industrielle »
Ce n’est pas tout. En plus des procédures en cours au niveau de la législation du travail, et des témoignages recueillis sur les méthodes de management au sein du groupe, les pratiques litigieuses de l’entreprise touchent aussi aux produits qu’elle commercialise. Cette fois, ce sont les services de la répression des fraudes qui en font le constat. Courant 2017, les services de l’État prennent l’entreprise en flagrant délit de « francisation » de tomates : celles-ci, importées à bas prix d’Espagne, du Maroc ou de Belgique, ressortent des usines miraculeusement étiquetées « origine France ».
Une fraude mise en place depuis plusieurs années, à en croire les ex-salariés que nous avons interviewés. « Tout le monde savait, c’est étonnant que ça n’ait pas fuité avant », rapporte l’un d’entre eux. Un ancien directeur commercial du groupe nous précise : « Toutes les boîtes pratiquent ça en dépannage [pour ne pas perdre des marchés], mais là, c’était en quantité industrielle ! ». Jean Cheritel prétexte justement... un dépannage. Mais le service des fraudes revient une semaine plus tard, et constate une récidive.
« Que l’opérateur travaille avec la grande distribution décuple l’effet néfaste de la pratique »
De l’aveu du directeur adjoint de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) des Côtes d’Armor, Virshna Heng, de gros tonnages de tomates francisées sont partis via la grande distribution sur l’ensemble du territoire français. Et d’ajouter que cette fraude lèse fortement les consommateurs : « On fait croire qu’un produit est français, alors qu’on se fournit à bas prix à l’étranger, sachant qu’il n’y a pas les mêmes garanties sur le produit. » Mais cette fraude lèse aussi les producteurs de tomate bretons [2] en générant « une tension à la baisse sur les prix, qui impacte tout le territoire et accentue les crises. Dans une affaire comme celle-là, que l’opérateur travaille avec la grande distribution décuple l’effet néfaste de la pratique ».
Sollicités par nos soins, les partenaires du groupe Cheritel comme la marque Prince de Bretagne – qui regroupe plus de 2200 producteurs de fruits et légumes bretons – ou le groupe Aldi, n’ont pas souhaité s’exprimer. La centrale d’achat du groupe Leclerc (Scarmor) a quant à elle déclaré ne pas être au courant du dossier.
Une pratique encore plus courante avec la viande de porc
« Dans les dossiers de ce type, poursuit Virshna Heng, il est très difficile de montrer la complicité de la grande distribution. Mais il serait étonnant qu’elle n’ait pas connaissance de ces faits. C’est quasiment impossible, tout simplement parce que lorsque l’on a des pratiques massives, de très gros tonnages réguliers, et un prix très bas, cela ne permet pas de supposer qu’il y a une origine France, c’est mathématique. Mais il est difficile de mettre en évidence cette complicité. Souvent la grande distribution fait comprendre aux grossistes qu’elle souhaiterait un quantitatif, une régularité de livraison... Mais ce n’est pas demandé frontalement, et ce ne sera jamais écrit noir sur blanc par exemple. »
Le directeur adjoint de la DDPP précise également que la francisation de fruits et légumes resterait « anecdotique » dans les Côtes d’Armor par rapport à celle de la viande de porc ! « Il est clair qu’il y en a qui importent des porcs à bas prix et les vendent comme porc français. Pour les plus gros industriels de plats préparés, il est fréquent de voir 30% de porc acheté à bas pris à l’étranger, notamment en Allemagne, avec un flou sur l’origine de la viande. C’est paradoxal, dans une région où on produit énormément de porc. » « Consommez nos marques, consommez français ! », clamaient les fameux bonnets rouges. Vraiment ? L’enquête de la DDPP a été transmise au parquet de Saint-Brieuc et, selon le procureur Bertrand Leclerc, Jean Cheritel et son entreprise pourraient bientôt, de nouveau, devoir faire face à la justice.
Inès Léraud
*Ce prénom a été modifié.
P.-S.
Contacté à plusieurs reprises, Jean Cheritel n’a pas souhaité répondre à notre liste de questions et à nos nombreuses sollicitations.
Notes
[1] Condamnations citées durant l’audience publique du tribunal correctionnel de Saint-Brieuc, le 05/07/2018.
[2] La Bretagne est la première région productrice de tomates avec 200 000 tonnes en 2012. Voir notre article sur Bastamag.