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Publié le 31/03/2018
Le gouvernement joue les «pousse-au-crime» à Mayotte.
Le gouvernement français portera une responsabilité écrasante dans les événements que traverse Mayotte. Etablissant une relation entre immigration dite illégale et délinquance, Annick Girardin a donné raison à l'idée, déjà trop répandue à Mayotte, que l'immigration serait la cause de tous les maux de l'île. Incapacité, incompétence de la ministre, ou cynisme ?
· Ce texte devait être publié dans la rubrique Idées du journal Libération, comme cela avait été convenu le lundi 19 mars. J’avais donc renoncé à le publier ailleurs. Depuis, la publication, imminente, avait été repoussée au mercredi 28 mars, et j’apprends ce soir (n’ayant pas eu confirmation de la publication, je m’en suis inquiété) que l’article ne sera pas publié. Il se trouve ainsi étouffé au niveau national (trop tard pour le proposer ailleurs). Les raisons ? Une actualité surchargée (attentat et affaire libyenne). Une actualité dont on ne peut pourtant pas dire qu’elle ait été négligée par les médias. Mayotte peut donc aller se faire voir, si je traduis le sous-titre du choix éditorial de Libération, qu’on puisse s’y égorger demain, on verra bien – et il sera toujours temps d’en parler. J’avais choisi d’en parler quand il était encore temps de lancer une alerte.
Lorsque le gouvernement français, par la voix d’Annick Girardin, établissait un lien entre immigration dite irrégulière et délinquance, il désignait à la vindicte mahoraise une catégorie des habitants de l’île, n’ayant déjà, sans cela, que trop tendance à être utilisée comme bouc émissaire : les Comoriens, particulièrement les Anjouanais (dénomination devenue parfois une forme d’insulte, du moins dans l’usage qu’en font certains « Mahorais »). Au lieu d’apporter des solutions pour les nombreux maux dont souffre Mayotte, au premier rang desquels la pauvreté, la ministre s’est contentée de souffler sur les braises. Au train où vont les choses, on ne peut plus écarter le pire, et si des affrontements devaient conduire à l’irréparable, si le sang devait couler, ce gouvernement en porterait la responsabilité, de façon écrasante – ce qui ne dédouane en rien les précédents gouvernements, ayant eux-mêmes participé à cette coupure entre Mayotte et les autres îles de l’archipel, et ainsi préparé la situation actuelle.
S’il y a lieu d’utiliser un ton de lanceur d’alerte, c’est que les indices d’un déchaînement prochain d’une violence inter-ethnique (aussi fantasmatiques que soient ces supposées ethnies, comme toujours[1]) à Mayotte ne manquent pas aujourd’hui. Dans la nuit de jeudi à vendredi dernier, des sortes de milices auto-proclamées de citoyens « mahorais » se sont déployées dans le nord de l’île, du côté de M’tzamboro notamment, pour « chasser » des « clandestins » (des personnes venues des Comores et soupçonnées de ne pas être en situation régulière), au moins pour les intimider, et leur annoncer de futurs « décasages ». Comment ne pas faire le lien entre ces actions punitives et les discours gouvernementaux sur l’immigration et ses supposés effets en matière d’insécurité ? Comment ne pas envisager que ces « miliciens » aient pu se sentir encouragés à une action devenue pour ainsi dire « citoyenne », puisqu’en cela il se serait agi, au fond, de seconder la police, dans les fonctions que la ministre des Outre-mer lui a attribuées dans son discours (déloger les « clandestins » et détruire leurs habitations – soit donc une légalisation du « décasage »).
Mon propos est exagérément alarmiste ? Regardons alors les faits. En deux jours, 192 personnes dites en situation irrégulière ont été « éloignées du territoire », de façon immédiate, autrement dit, expulsées. Or, malgré cela, et parce qu’en la matière la logique veut qu’on n’en fasse jamais assez (si le problème de l’insécurité est lié à l’immigration dite « clandestine », comme la ministre le soutient elle-même, c’est l’ensemble des personnes en situation irrégulière qui devient alors cause du « problème »), des menaces ont été adressées à des étrangers en situation supposément irrégulière par des « citoyens mahorais ». Des menaces suffisamment précises et inquiétantes pour que des Comoriens décident, d’eux-mêmes, de se livrer aux forces de l’ordre ! Or, que peuvent-ils craindre à ce point sinon quelque violence à leur encontre, une manière de lynchage ? Reprenons les mots de l’Agence AFP :
« […] selon la gendarmerie, une vingtaine d’étrangers en situation irrégulière se sont spontanément rendus aux forces de l’ordre jeudi à Mtsamboro (nord de l’île) en raison du climat communautaire [je souligne] tendu dans l’île. D’autres Comoriens auraient demandé à être reconduits à la frontière vendredi. Selon une source proche du dossier, ils étaient une cinquantaine à la mi-journée. “Vu la situation, ils préfèrent partir […] Ils ont peur de la violence”, indique la gendarmerie de Mayotte qui a précisé que ces individus auraient subi des menaces de la part des villageois »[2].
On est bien ici face à une forme de terreur exercée à l’encontre d’une population, qui préfère se livrer à la gendarmerie, de façon à échapper à la vindicte de villageois chauffés à blanc. C’est là que je dis à nouveau que le gouvernement a déjà les mains sales, en ayant ouvert les vannes à cette haine communautaire, qu’il ne pouvait pas ignorer, qui a déjà surgi épisodiquement sur l’île. En désignant les Comoriens (« l’immigration irrégulière » dans les termes de la ministre) comme fauteurs de troubles, les dirigeants de notre pays n’ont pas hésité à mettre en danger des personnes en situation précaire, pour flatter l’opinion locale, et obtenir un retour au calme (et si possible la tenue d’une élection législative partielle ce dimanche).
Radio Kwezy, que j’ai déjà comparée à Radio Mille Collines[3], de sinistre mémoire dans les massacres du Rwanda, vient de relayer sur son site d’ « information » l’appel d’un « Collectif » de « citoyens du nord » à ce qui s’apparente à une chasse aux « clandestins ». Sans aucun recul critique, le site reproduit l’affiche de ce collectif, portant les indications suivantes :
« Collectifs Citoyens du Nord
Acoua – Mtsangadoua – Mtzamboro – Hamjago – Mtsahara
Nous sommes ensemble pour sécuriser nos villages nos familles. Sur ce fait nous nous obligeons à mener certaines actions communes dorénavant
Appel que le site se contente de faire suivre d’un bref commentaire de la rédaction :
« Depuis hier ils ont débuté leurs actions avec les décasages dans les différents villages du Nord. Des dizaines de personnes ont ainsi été délogées puis conduites à la gendarmerie de Mtsamboro en vue d’une reconduite à la frontière »[4].
Comme on le voit, l’appel de ce collectif vise clairement – bien que les cibles ne soient pas désignées explicitement – à des actions en direction des personnes dites en situation irrégulière, auxquelles on attribue uniment, et comme en passant, la responsabilité des actions menées par les « coupeurs de route ». Or le site qui relaie cet appel, non seulement ne met pas en garde contre la constitution de telles milices, contre leurs dangers et leur caractère parfaitement illégal, mais décrit la création d’un tel collectif de façon tout à fait neutre, validant ainsi de telles opérations de « décasage ». En cela, Radio Kwezy reste conforme à sa « politique », puisque c’est ce même média qui avait déjà relayé, naguère, des appels à opérer des décasages – que les forces de l’ordre, d’ailleurs, laissaient alors s’effectuer, sans intervenir.
Le paradoxe est ainsi qu’un mouvement de grève « contre la violence » trouve son accomplissement, du moins du côté du « Collectif des citoyens mahorais » (à distinguer de l’intersyndicale), dans des actes de violence et d’intimidation. Il n’est pas possible de faire tomber une à une les frontières entre un discours, au moins un discours, conforme à ce qu’on nomme « état de droit » et un discours fascistoïde sans devoir un jour en assumer les conséquences. Que l’Etat se soit en fait constamment assis sur les règles du droit commun, notamment en ce qui concerne les territoires et départements d’outre-mer, la chose est bien connue. Qu’il suffise de demander au nom de quoi un Comorien en situation régulière à Mayotte n’a pas le droit de se rendre en métropole, sans l’obtention d’un visa. Et l’on pourrait donner cent autres exemples.
Que l’Etat enfreigne son propre droit, ce n’est pas une nouveauté, c’est même un grand classique. En revanche, que l’Etat revendique ouvertement la violation de son propre droit, et c’est alors la porte ouverte à des exactions conduites par des particuliers – et le pire, c’est que cette conséquence détient sa propre légitimité : en quoi des policiers et gendarmes conduits à exercer des exactions (expulsion d’habitation et destruction des logis sans procès) se distingueraient-ils encore (du point de vue même de l’Etat, par lequel il s’octroie le « monopole de la violence légitime ») de simples citoyens ? Or, le discours de la ministre des Outre-mer, à Mayotte, relayant celui de Gérard Collomb, s’apparente bien à un appel à la violence, précisément contre une population désignée.
L’histoire nous a montré bien des exemples où les gouvernants ont utilisé les antagonismes entre groupes humains (quand ils ne les ont pas construits de toute pièce) pour parvenir à leurs fins. Dans le cas présent, l’intention n’était même pas de conduire la population à des exactions contre les dits « clandestins », mais seulement de montrer que ce gouvernement était pragmatique, n’hésitant pas à désigner les supposées « vraies causes » des problèmes, autrement dit, ne niant pas qu’il y ait un « problème » de « l’immigration irrégulière », ne laissant pas ces questions à l’extrême-droite, etc. Là est le calcul politique criminel de ce gouvernement : en acceptant d’aller dans le sens d’un lien entre immigration dite « clandestine » et insécurité, parce qu’il est facile d’ordonner des expulsions d’étrangers, et de mettre sous les verrous quelques fauteurs de troubles dans certains quartiers, au lieu de s’attaquer aux vraies difficultés de Mayotte, ce gouvernement a commis une faute impardonnable. Avec un tel discours, les Comoriens sont désignés comme les responsables des malheurs de Mayotte – que la ministre ait précisé qu’un autre volet viendrait compléter ce dispositif sécuritaire n’a rien changé à l’affaire, le simplisme des annonces ayant déjà fait son œuvre.
Je ne demande qu’à être démenti dans mes craintes, mais il me semble, hélas, que le mécanisme d’une violence extrême est à présent enclenché à Mayotte. L’actuel gouvernement, au fond, se situe seulement au bout de la chaîne, dans ce processus de déstabilisation de l’ensemble de la région, provoquée par la présence de la France. Il n’en reste pas moins que c’est lui qui vient d’allumer la mèche qui pourrait bien embraser l’ensemble de l’île.
[1] On sait qu’à Mayotte, particulièrement depuis qu’il a été question d’un processus susceptible de conduire à une départementalisation de l’île, s’est développé le syntagme d’ « identité mahoraise », censé départager entre habitants de l’archipel des Comores ceux qui seraient pleinement français et les autres. Que, parmi les revendications actuelles du « Collectif des citoyens », il y ait cette demande de non recrutement, à des postes à responsabilité, dans l’administration à Mayotte, de Français d’origine comorienne, cela indique la profondeur du problème. Dans cette quête d’identité, forcément fantasmée, il y a l’oubli volontaire, le reniement des liens ancestraux existant entre les îles de l’archipel et Madagascar. Combien de familles « mahoraises » n’ont-elles pas une partie de leurs membres encore présents sur une autre île de l’archipel, ou même y étant nés ?
[2] Agence AFP, « Mayotte : 192 clandestins éloignés du territoire en deux jours », source Internet : https://www.afp.com/fr/infos/258/mayotte-192-clandestins-eloignes-du-territoire-en-deux-jours-doc-12n5pk3
[3] Alain Naze, « L’impasse mahoraise », internet : https://blogs.mediapart.fr/alain-naze/blog/150318/limpasse-mahoraise
[4] L’Info kwezy, « Création du collectif des citoyens du Nord et décasages en série », samedi 17 mars 2018, source Internet : http://www.linfokwezi.fr/creation-du-collectif-des-citoyens-du-nord-et-decasages-en-serie/
Publié le 29/03/2018
Faculté de Montpellier: les témoignages qui accusent, la vidéo qui accable
28 mars 2018 Par Antton Rouget (Médiapart.fr)
Neuf occupants de la faculté de droit de Montpellier ont déposé plainte après les violents incidents de la semaine dernière. Leurs témoignages interrogent sur les éventuelles complicités dont a bénéficié le groupe armé qui a attaqué les étudiants. Une nouvelle vidéo que publie Mediapart montre le doyen de la faculté en train d’applaudir les hommes cagoulés.
· Montpellier (Hérault), envoyé spécial.- Les grilles de la faculté de droit de Montpellier sont encore restées baissées, ce mercredi 28 mars. Pour le cinquième jour consécutif, Philippe Augé, le président de l’Université, a prolongé la fermeture administrative de l’UFR qui a été le théâtre d’une violente attaque contre des étudiants la semaine dernière. L’établissement ne devrait pas rouvrir avant le mardi 3 avril.
Dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 mars, un groupe d’hommes cagoulés et armés de planches en bois a fait irruption dans les locaux pour déloger les occupants mobilisés contre la réforme de l’accès à l’université, envoyant trois personnes à l’hôpital. La communauté universitaire est encore sous le choc. Elle attend que les autorités administratives et judiciaires fassent la lumière sur les circonstances de l’intervention de ce groupuscule non identifié, alors que les étudiants ont voté le blocage « illimité » de l’Université Paul-Valéry (sciences humaines et de lettres).
Depuis vendredi, les plaintes s’empilent sur le bureau du procureur de la République de Montpellier, Christophe Barret. Six étudiants ont saisi la justice dès le lendemain de l’agression. Mais, selon nos informations, le nombre de plaignants s’élève désormais à neuf. Pour la plupart d’entre elles, les plaintes concernent des faits de violences volontaires, avec les circonstances aggravantes qu’elles auraient été commises avec arme et en réunion. Les étudiants doivent être examinés jeudi par un médecin légiste pour évaluer leur incapacité totale de travail (ITT), même si aucun d’entre eux ne présente de séquelles physiques majeures. Tous restent en revanche profondément marqués par cette expédition punitive dans une faculté logée au cœur de la ville.
Près d’une semaine après les faits, les étudiants souhaitent à tout prix que les enquêtes en cours – administrative et judiciaire – n’occultent pas le rôle des responsables de l’UFR présents sur les lieux, dont le doyen Philippe Pétel. Ce professeur de droit aguerri et jusqu'ici bien considéré par ses pairs, à la tête de la faculté depuis juin seulement, a démissionné de ses fonctions de doyen samedi après avoir tout juste reconnu une erreur de « communication » dans le traitement des événements.
Pourtant, il semblerait que les problèmes liés à sa gouvernance ne se limitent pas à un déficit d’information : une vidéo que révèle Mediapart montre en effet le doyen en train d’applaudir les agresseurs juste après leur assaut sur les étudiants.
Philippe Pétel applaudit la fermeture des portes de l’établissement après son évacuation par des hommes encagoulés et armés. © Document Mediapart
Il est un peu plus de minuit, dans la nuit de jeudi à vendredi, quand la scène a été tournée. En quelques minutes, le groupe d’hommes armés est parvenu à repousser les quelques dizaines d'occupants de l’amphithéâtre A en dehors des murs de la faculté. Les grilles se referment. Et les assaillants se retirent à l’intérieur du hall d’entrée, cagoules sur la tête et planches de bois à la main, sous le regard bienveillant d’étudiants et professeurs anti-occupation qui étaient sur place depuis plusieurs heures.
Des extraits de cette séquence montrant la fin de l’agression ont déjà été diffusés dans l’émission Quotidien. Mais le fichier source – en intégralité et de meilleure qualité – que nous publions ici permet d’identifier les personnes qui se sont massées autour des agresseurs pour… les féliciter vigoureusement une fois les grilles fermées. On y voit notamment le doyen Philippe Pétel, mais aussi plusieurs membres du personnel de la faculté (service administratif et corps enseignant) applaudir des deux mains les assaillants.
Invité à commenter ces images accablantes, Philippe Pétel n’a pas répondu à nos multiples sollicitations (voir boîte noire). Selon Le Point, l’ex-doyen de la fac de droit, qui est la cible de menaces depuis plusieurs jours, a déposé une plainte pour diffamation. « Alors que le résultat de l’enquête n'est pas connu, Philippe Pétel est mis sur le pilori du tribunal 2.0 », dénonce, dans les colonnes de l’hebdomadaire, Me Romain Subirats, enseignant à la fac de droit et ancien élu au conseil de l’UFR.
Le président de l’Université, Philippe Augé, a lui accepté de répondre à nos sollicitations par écrit. Il affirme que « ce n'est pas (son) rôle » de commenter les vidéos et les messages diffusés sur les réseaux sociaux. « Je dois assurer la stabilité de l'université et la continuité du service public. Mon souci est avant tout d'apaiser et de revenir à un climat le plus serein possible à la réouverture », poursuit-il. À propos des caméras évoquées plus haut, il nie leur existence. Il n'y en aurait, d'après lui, ni dans les bâtiments, ni sur les parkings. « La manière dont les assaillants ont pu pénétrer dans la faculté fait partie des questions auxquelles l'enquête devra répondre, de même que celle de l'identité des agresseurs », indique-t-il.
Cette nouvelle vidéo renforce les soupçons sur la proximité des agresseurs avec des représentants de la faculté. Vendredi, devant les caméras de France 3, Philippe Pétel avait déjà laissé entendre qu’il avait a minima cautionné cette intervention : « Les étudiants ont voulu se défendre, je ne peux pas les en blâmer. Les étudiants en droit qui étaient là étaient tous contre l’occupation. (...) Je suis assez fier de mes étudiants. Je les approuve totalement. »
L’ancien doyen n’a en revanche jusqu’ici pas levé le voile sur les coulisses de l’intervention de ces personnes masquées. « Tout cela a l’air diablement organisé. Cela ne me semble pas être seulement une réaction épidermique de quelques étudiants ou enseignants à une occupation qu’ils contestaient », relève Me Jean-Louis Demersseman, qui défend huit des neuf plaignants. « Un enseignant n’a pas un Taser et une cagoule dans son matériel quotidien », ajoute l'avocat, qui préside par ailleurs la commission « accès au droit » du SAF (Syndicat des avocats de France).
D’autres étudiants ont confirmé à Mediapart le côté « militaire » et « préparé » de l’opération. Deux plaignants, Pierre et Olivier, en master en sciences humaines à l’Université Paul-Valéry-Montpellier, étaient en bas de l’amphithéâtre, assis au bureau, quand ils ont vu les assaillants investir les lieux, aux cris de « Cassez-vous ! », « Dégagez ! » « Deux d’entre eux sont descendus par les escaliers de droite pour faire remonter les étudiants vers l’entrée opposée, celle de gauche, où d’autres agresseurs attendaient. Là, ça tapait fort ! » racontent-ils. Des vidéos diffusées dès vendredi sur les réseaux sociaux confirment ce scénario. Par contre les témoignages fluctuent sur le nombre d’agresseurs en cagoule, armés de planches de palette de bois : de quatre à sept hommes, selon les témoins et plaignants rencontrés.
Pierre et Olivier expliquent aussi avoir repéré la personne qui aurait tenu la porte de l’amphithéâtre aux assaillants. Son identité, selon eux ? Le doyen Philippe Pétel en personne. José Luis Torres, 45 ans, secrétaire départemental « Solidaires » présent lors du blocage, soutient la même version : « J’étais en haut de l’amphi, à quelques mètres de l’entrée. Et je suis formel : Pétel tenait la porte pour les agresseurs, il était à l’embrasure de la porte », expose-t-il à Mediapart, après avoir, lui aussi, déposé une plainte mardi matin.
Un autre point taraude les manifestants : qui a fait entrer les hommes armés et cagoulés dans l’enceinte de la faculté ? L’accès principal au hall d’accès était occupé par des étudiants et du personnel de sécurité. Et toutes les autres issues avaient été condamnées dans la journée par l'administration avec chaînes et cadenas. « On ne pouvait donc pas accéder au hall d'entrée sans intervention d’un responsable de la faculté », expose M. Torres.
Des professeurs entendus par les enquêteurs
Le rôle de plusieurs professeurs, dont les noms reviennent en boucle sur le campus, est aussi au coeur des discussions. Selon Midi-Libre, quatre enseignants de la faculté de droit ont été entendus ce mardi 27 mars comme témoins dans le cadre de l’enquête.
Un des enseignants publiquement mis en cause, François Vialla, s’estime victime d’une cabale. Interrogé par Mediapart, ce spécialiste en droit de la santé, conteste vigoureusement les accusations dont il fait l’objet. « Je pense que toute la communauté universitaire, étudiants, personnels, enseignants chercheurs peuvent être considérés comme victimes des exactions perpétrées », précise-t-il d’abord par écrit. Avant de se considérer « victime d’une campagne diffamatoire d’une violence inouïe sur les réseaux sociaux » : « Mon nom a été jeté en pâture sans aucune autre raison que le plaisir de nuire à ma réputation et celle de la faculté de droit. » Le professeur annonce avoir déposé plainte pour ces « mises en cause diffamatoires et les menaces qui s’en sont suivies : “Ça va être compliqué de donner des cours, je conseille à ces cibles de changer de métier. Cours petit lapin cours”. » Relancé pour savoir s’il connaissait le groupe armé et les circonstances de leur arrivée, M. Vialla n’a pas répondu, réservant « [ses] déclarations aux différentes enquêtes diligentées ».
Un autre enseignant est lui nommément cité dans au moins une des neuf plaintes : selon le récit d'un étudiant, Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur d’histoire du droit, n’était pas cagoulé mais aurait participé à l'opération dans l’amphithéâtre. « Je l’ai reconnu a posteriori sur des photos, je suis formel », explique à Mediapart ce jeune homme, qui dit avoir reçu des coups de poing de la part du professeur, alors qu’il se trouvait en bas de la salle. Les gants en cuir de M. Coronel de Boissezon (voir photo ci-dessous) ont aussi marqué les esprits.
Sollicité par Mediapart, le professeur d’histoire du droit reconnaît s’être « défendu » après avoir « reçu » lui-même des coups. Par écrit, il expose la version des faits suivante, qui détonne avec les récits des étudiants qui manifestaient sur place : « Rentré chez moi après mes cours, je ne suis revenu à la faculté que vers dix heures et demie du soir, en raison de toutes sortes d’inquiétantes nouvelles, dont celles d’un collègue professeur frappé, de chargés de T.D. molestés et d’étudiantes attouchées. Il va sans dire que je n’étais évidemment pas “cagoulé”, comme cela a pu circuler dans les plus folles rumeurs de l’Internet. »
Jean-Luc Coronel de Boissezon confirme ensuite avoir été « présent dans l’amphithéâtre A vers minuit dix, lorsqu’un tout petit groupe de personnes masquées y a soudain pénétré, en frappant immédiatement sur les tables, manifestement pour effrayer les occupants ». Selon son témoignage, l’enseignant se serait « précipité pour évacuer les étudiants présents, car la situation devenait à l’évidence dangereuse. La plupart sont partis très vite dans la panique ainsi produite ; quelques occupants cependant ne voulaient pas quitter les lieux qu’ils avaient occupés par la force. Certains m’ont porté des coups dont a témoigné un médecin légiste ; il m’a parfois fallu me défendre. Cependant l’évacuation se termina très rapidement, non sans difficultés toutefois lorsqu’il fallut parvenir à refermer la grille de l’établissement, tandis que les occupants tentaient de revenir et jetaient divers projectiles dangereux dans notre direction, dont des bouteilles de verre cassées. Tout fut terminé aux alentours de minuit et quart. »
M. Coronel de Boissezon s’est-il joint spontanément à un groupe d'hommes cagoulés et armés qu'il ne connaissait pas ? A-t-il eu des échanges avec ces personnes avant de pénétrer dans l’amphithéâtre ? Le professeur n'a pas répondu à nos nouvelles questions, qui portaient également sur ses liens éventuels, évoqués dans un article de Libération, avec la Ligue du Midi, groupuscule identitaire actif à Montpellier.
« La justice doit adresser un signal fort à ces groupes d’extrême droite »
Pour l’avocat Jean-Louis Demersseman, les investigations judiciaires doivent permettre de répondre rapidement aux deux questions fondamentales que pose l’enquête : qui composait le groupe d’assaillants, et quelle était sa relation exacte avec les enseignants, étudiants et représentants de la faculté opposés à l’occupation ?
« La première des choses à faire serait de recenser les numéros de téléphone “entrée” et “sortie” entre 23h et 1h du matin aux alentours de la faculté. Qui a appelé qui ? Qui a envoyé un SMS à qui ? On comprendrait rapidement les différentes interactions », défend l’avocat, qui réclame aussi une exploitation rapide des caméras de vidéosurveillance.
Si Me Demersseman rappelle ces évidences, c’est qu’il ne cache pas son « inquiétude » quant à l’évolution du dossier : « Je n’ai aucun retour sur l’évolution de l’enquête, je crains qu’il ne se passe pas grand-chose depuis vendredi. » L’avocat en veut pour preuve la liste de dix témoins qu’il a adressée au procureur de la République dès vendredi et qui n’avaient toujours pas été contactés par les services enquêteurs mardi soir.
Une quinzaine d’autres étudiants prêts à témoigner se sont retrouvés, mardi après-midi, devant les portes du commissariat central de Montpellier, à l’appel de la section locale de la Ligue des droits de l’homme (LDH), très impliquée depuis le début de l’affaire. Sophie Mazas, avocate et présidente de la fédération départementale de la LDH, a déjà remis une dizaine de témoignages écrits aux deux membres de la mission d’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR), l’enquête administrative lancée par la ministre Frédérique Vidal. Mais Me Mazas, qui faisait partie d’une délégation reçue par le préfet de l’Hérault dès le lendemain de l’agression, attend désormais que la justice s’empare fermement du dossier : « Il faut adresser un signal fort à ces groupes d’extrême droite. On ne peut pas agresser des étudiants en toute impunité. »
Extrait de la Gazette de Montpellier du 23 janvier 1998. © DR
Les étudiants de Montpellier n’ont eux pas attendu pour agir. Poursuivant le mouvement de grève contre le processus de sélection à l’entrée à l’université, une assemblée générale réunissant mardi près de 3 000 étudiants, professeurs et personnels a voté un « blocus illimité » de l’Université Paul-Valéry. Dans les rangs des manifestants, certains dressent un parallèle avec une précédente mobilisation qui a marqué l’histoire universitaire montpelliéraine. En janvier 1998, l’évacuation violente sous les yeux du président de l’Université d'alors, d’une quarantaine d’étudiants de droit et sciences économiques, qui occupaient les locaux de la présidence de l’établissement, par un « commando » armé, composé de professeurs et de personnels administratifs, mais à visages découverts. Et sans téléphone portable filmant la scène.
Publié le 27/03/2018
Fascisme chic à la Fac de Droit
Les évènements qui viennent de se dérouler à la Faculté de Droit de Montpellier ont conduit à la démission de son doyen. Leur violence semble en faire des faits exceptionnels, relevant de la délinquance plus que de la politique. On soutiendra ici une version exactement contraire où on rappellera ses racines historiques et ses incidences nationales.
· La Fac de Droit de Montpellier d’abord : elle a toujours vécu le « syndrome Paul-Va », du nom de l’Université Paul Valéry, la Fac des Lettres considérée comme l’autre nom de Sodome et Gomorrhe ou à peu-près (la droite y avait dénoncé en Mai 68 des orgies en tout genre « bénies par le père Cardonnel », ce père dominicain connu pour ses engagements tiers-mondistes et anti-autoritaires). A l’époque elle avait fait le choix, dans le cadre de la loi Faure, d’une coalition avec les facs conservatrices (Médecine, Odontologie…) formant l’Université Montpellier I. Une coalition qui s’est vite transformée en guérilla corporatiste dans la répartition inégale des budgets. A chaque mouvement étudiant, les doyens étaient saisis d’une angoisse : l’invasion de leur établissement par "les hordes" venant de Paul-Va. D’où des fermetures, des « protections » policières, des contre-manifestations (avec des profs en robe académique)…
Seuls les trois doyens de gauche (en un demi-siècle) – dont l’auteur de ces lignes – firent exception à ce traitement paranoïaque et réactionnaire de leur environnement. Le problème n’a pas disparu pour autant. Il s’est même aggravé avec la décision de la Faculté au tournant des années 90 de demeurer totalement isolée dans le centre historique quand toutes ses homologues (dont la Fac de médecine toute proche) décidaient de le quitter. La voilà donc à un jet de pierre du Rectorat, devenue un refuge naturel des manifestations qui s’y rendent. C’est à l’évidence le scénario qui s’est joué jeudi dernier avec une occupation du grand amphi par « des étudiants venus d’ailleurs », véritable obsession du doyen Petel.
Celui-ci en démissionnant, a expliqué n’avoir commis « aucune faute si ce n’est de communication ». Or demeurent ses déclarations publiques où il se dit « fier de ses étudiants en droit » qui auraient « défendu la Faculté », les assimilant ainsi aux nervis qui sévirent dans la soirée. La justice aura à faire l’état des responsabilités (dont celle du doyen) dans ces violences. Point n’est besoin d’en parler ici pour mesurer la gravité de ce qui s’est passé.
Ce qui s’est passé fait remonter à la surface une histoire politique locale dans laquelle la Fac de droit de Montpellier a joué un grand rôle. C’est celle d’une version notabiliaire de la droite extrême sous ses diverses formes à Montpellier et dans le Languedoc. Celle des Mistraliens de « l’Ode à la race latine » (voir la plaque « commémorant » cette louange en 1878 de Frédéric Mistral à l’Arc de Triomphe de Montpellier), celle des Félibres (un mouvement provençalo-regionaliste) anti-dreyfusards, celle des nostalgiques de Léon Daudet et de l’Action Française, celle des pétainistes qui firent si mauvais accueil en 1940 au professeur de droit Pierre-Henri Teitgen , grand résistant démocrate-chrétien (il fallu s’y prendre à deux fois pour qu’une plaque sur les murs de la Fac rappelle son passage et sa mémoire).
Il y a toujours eu dans ce Midi blanc, une droite extrême échappant aux classifications nationales. Et cela continue. Pour ne prendre que la partie émergée de l’iceberg, on évoquera la Ligue du Midi, un groupe raciste qui défraie la chronique judiciaire depuis des décennies (un de ses responsables vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Montpellier le 12 décembre dernier pour avoir saccagé en juin 2017 les locaux d’une association s’occupant de l’accueil et de la protection des mineurs étrangers isolés). Ils font école avec les guillerettes « Brigandes », ce groupe identitaire basé à La Salvetat-sur-Agout (Hérault) qui chante ici et là le « grand remplacement ». Cette droite-extrême là ne se connaît pas, de limites, ni dans les différentes versions du Front National, ni dans ses épigones, ni dans ses méthodes. Il est gravissime que la droite « établie » (à laquelle appartient Philippe Petel) les couvre et les cautionne.
On a donc à faire à un scénario bien connu depuis les années Trente mais toujours aussi peu légitime chez les historiens pourfendeurs de Zev Sternhell ou Michel Dobry : la France serait toujours une exception en Europe ; elle n’aurait pas connu le vrai fascisme, protégée par ses « traductions » nationales dans le sillage de Maurras dont une large partie de ses élites avait fait sa référence littéraire, mondaine, chic en quelque sorte. Pas dangereuse: Maurras, après avoir appelé à prendre d'assaut l'Assemblée Nationale le 6 février 34, n'avait-il pas replié ses troupes ?
Maurras justement. Voilà que dix des douze membres du Haut comité aux commémorations nationales viennent de démissionner pour protester contre le retrait de son nom de la liste des « promus » pour cette année 2018 (150° anniversaire de sa naissance). En leur nom, Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory expliquent que « commémorer, ce n’est pas célébrer ». Antienne qu’on retrouve à propos de Jacques Chardonne, lui aussi sur la liste (il fut un écrivain antisémite choyé par Goebbels) ou de Céline (en-deçà de la question de la publication de ses « pamphlets »). Au diable pour ces « savants » le contexte et plus encore ses configurations locales.
La sanctuarisation de cette France rance, antisémite, pétainiste, identitaire est une opération qui a ses interprètes dans l’université, dans la magistrature, dans les médias. C’est ce qui est en cause dans les violences de la Fac de Droit de Montpellier. Leur condamnation ne doit pas s’arrêter à la démission d’un doyen. Elles appellent de la part du gouvernement, des autorités universitaires, de notre part, la plus grande vigilance. Et un droit de suite.
Publié le 26/03/2018
SNCF : 200 € par an par Français. Évitement fiscal : 1200 €. Un coût peut en cacher un autre
5 mars 2018 Stéphane Ortega (Site Rapport de force.fr)
Le 26 février, Édouard Philippe a dressé un constat alarmant de la situation de la SNCF et annoncé la réforme des chemins de fer. Depuis, un argument massue tourne en boucle sur les plateaux de télévision : chaque Français paye 200 € par an pour le transport ferroviaire, qu’il prenne ou non le train. Passé beaucoup plus inaperçu, un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale du 21 février sur les paradis fiscaux rappelle le coût de l’évasion fiscale. Alors, Rapports de force a pris sa calculette.
Selon le rapport Spinetta servant de socle à la volonté du gouvernement de transformer la SNCF, le transport ferroviaire coûterait près de 200 € par an à tous les Français, en plus des billets. Mais de quoi parle-t-on ? En fait, du financement par l’État d’une partie des coûts liés aux 30 000 km de voies ferrées et à l’acheminement de plus de cinq millions de voyageurs par jour. Soit 14 milliards de soutiens publics de l’État à la SNCF, divisés par 67 millions d’habitants. Simpliste comme mode de calcul, mais efficace en tant qu’élément de communication.
Le ministre de l’Action et des comptes publics Gérard Darmanin a même enfoncé le clou en gonflant ce montant à 340 €. Au lieu de diviser le montant injecté par l’État dans le transport ferroviaire par la totalité de la population, il l’a divisé par celui des personnes assujetties à l’impôt, bien moins nombreuses. Ainsi, la facture augmente mécaniquement. Tant pis si cela n’a aucun sens. L’argent public en question provenant certes de l’impôt sur le revenu, mais aussi de la TVA payée par tous ou encore de l’impôt sur les sociétés. Olivier Truchot, journaliste et animateur de l’émission les Grandes Gueules sur RMC, a lui poussé le bouchon en dehors du terrain, fixant le montant déboursé par chaque Français à 1000 €.
Urgence à géométrie variable
Mais une semaine après la remise au gouvernement du rapport Spinetta, un autre rapport était rendu par la commission des finances de l’Assemblée nationale à propos de la création d’une liste française des paradis fiscaux. Celui-ci n’a pas fait l’objet des mêmes commentaires. Le document fait pourtant état des montages complexes d’évitement fiscal qui « siphonnent les ressources publiques au détriment de tous ». Viennent ensuite des estimations donnant le vertige sur les montants concernés.
Ainsi, entre 16 000 et 26 000 milliards d’euros transiteraient chaque année par les paradis fiscaux, selon une estimation de l’ONG Tax justice network. Les banques françaises y détiendraient encore 5,5 milliards, malgré les annonces de conduite vertueuse depuis la crise des subprimes et les scandales du type Panama Papers. Les pertes annuelles de recettes fiscales sont évaluées à 1000 milliards dans l’Union européenne, dont 80 pour la France. Aucun plan d’urgence n’a été annoncé à ce jour.
Pourtant, en reprenant le mode de calcul simplifié du rapport Spinetta sur la SNCF, le coût pour chaque Français de l’évasion fiscale est de 1194 € par an. Presque six fois plus que celui du transport ferroviaire qui lui présente au moins l’avantage d’apporter un service à la collectivité. Mais aucun éditorialiste attentif au porte-monnaie des Français et à l’efficacité des dépenses publiques n’a tiré la sonnette d’alarme. De la même façon, le Crédit d’impôt pour les entreprises (CICE), dont la capacité à créer des emplois est plus que relative, n’est pas présenté comme un coût probable de 305 € par Français en 2018 pour un total estimé de 20,5 milliards d’euros.
En tout cas, avec les 80 milliards d’euros par an manquant dans les finances publiques du fait de l’évitement fiscal, les 14 milliards de coûts pour assurer les déplacements quotidiens de millions de personnes seraient aisément couverts. Même la dette « abyssale » de 50 milliards de l’entreprise publique semblerait à portée de remboursement.
Publié le 24/03/2018
« La dictature du changement perpétuel est le nouvel instrument de soumission des salariés »
par Nolwenn Weiler 22 mars 2018 (Bastamag.net)
Les nouvelles méthodes de management se prétendent au service de l’épanouissement des salariés, de leur « savoir être » et de la « réalisation de soi » en entreprise. Danièle Linhart, spécialiste de l’évolution du travail et de l’emploi, démonte ces impostures et montre comment le management moderne s’inscrit dans la lignée du travail à la chaîne théorisé par Taylor et Ford pour toujours mieux asservir les salariés. Objectif : déposséder les travailleurs de leurs savoirs et de toute forme de pouvoir dans l’entreprise. « Le patronat ne veut surtout pas que la contestation massive qui s’est exprimée en 1968 ne se reproduise », explique-t-elle. Entretien.
Basta ! : L’histoire du travail salarié est celle, dîtes-vous, d’une dé-professionnalisation systématique des travailleurs. Taylor a initié cette dynamique avec son « organisation scientifique du travail » au 19ème siècle qui, loin d’être neutre, visait à contrôler les ouvriers. Comment cette dé-professionnalisation a-t-elle été imposée ?
Danièle Linhart [1] : Taylor avait identifié le fait qu’au sein des entreprises, le savoir, c’est aussi le pouvoir. Sa théorie : si on laisse entièrement le savoir aux ouvriers dans les ateliers, alors les employeurs sont privés du pouvoir. Ce qui, bien entendu, serait dommageable à la profitabilité des entreprises. A l’époque, c’est à dire à la fin du 19ème siècle, lorsqu’un capitaliste décide de monter une entreprise, il possède l’argent, mais pas la connaissance ni les savoir-faire. Pour produire, il fait donc appel à des ouvriers et des compagnons qui organisent eux mêmes le travail.
La grande invention organisationnelle de Taylor consiste à ce que la direction puisse réunir – et s’approprier – l’ensemble des connaissances détenues par les ouvriers, les classer, en faire la synthèse, puis en tirer des règles, des process, des prescriptions, des feuilles de route. Bref, in fine, à ce que la direction puisse dire aux ouvriers en quoi consiste leur travail. Il s’agit d’un transfert des savoirs et du pouvoir, des ateliers vers l’employeur, et d’une attaque en règle visant la professionnalisation des métiers.
Quelles sont les conséquences de ce processus ?
Cette réorganisation fait émerger de nouveaux professionnels, des ingénieurs et des techniciens. Ceux-ci ont une masse de connaissances et d’informations à gérer et à organiser, afin de mettre en place des prescriptions de travail, à partir des connaissances scientifiques de l’époque. On a donc pris l’habitude de présenter le taylorisme comme une organisation « scientifique » du travail, sachant qu’à partir du moment où la science décide, ce qui en ressort est nécessairement impartial et neutre.
C’est évidemment faux : l’organisation du travail proposée par Taylor, qui était consultant au service des directions d’entreprises, est profondément idéologique. Elle a systématiquement et sciemment dépossédé les ouvriers de ce qui fonde leur force, leur identité, et leur pouvoir : le métier et ses connaissances. L’objectif est d’installer une emprise sur les ouvriers, de façon à ce qu’ils ne travaillent pas en fonction de leurs valeurs et de leurs intérêts, mais en fonction de ce qui est bon pour les profits de l’entreprise et l’enrichissement de leur employeur.
Il semble pourtant décisif pour Taylor de faire apparaître cette dépossession comme juste et honnête. Henry Ford, qui instaure le travail à la chaîne quelques années plus tard, se présente lui aussi comme un bienfaiteur de l’humanité. Quels arguments avancent-ils pour convaincre l’opinion publique ?
Taylor a toujours prétendu se situer du côté du bien commun : il affirme avoir permis une augmentation de la productivité dont toute la nation américaine a profité, alors même qu’il préconise de répartir les énormes gains de productivité obtenus grâce à son organisation du travail de manière très inégalitaire : 70 % pour l’entreprise – c’est à dire pour les actionnaires – et 30 % pour les salariés. Il dit aussi avoir « démocratisé » le travail, en l’éloignant des syndicats de métiers. Selon lui, grâce aux prescriptions définies par la hiérarchie, n’importe quel paysan pourrait désormais devenir ouvrier. Il assume totalement le fait d’avoir dépossédé les ouvriers de leur travail. Et donc, d’une partie de leur dignité.
Quelques années plus tard, Ford se présente aussi comme un bienfaiteur de l’humanité, alors qu’il propose un système technique et organisationnel encore plus contraignant. Le travail à la chaîne, c’est un pas supplémentaire vers l’asservissement. Les salariés sont non seulement tenus par des prescriptions et feuilles de route produites par la direction et sur lesquelles ils n’ont pas de prise. Ils sont désormais tenus par le rythme – infernal – imposé par la chaîne. Ford disait : « Grâce à moi, tout le monde pourra avoir sa voiture. Je participe à la cohésion sociale, et c’est un progrès formidable. »
Pourtant, chez Ford, les ouvriers étaient exploités encore plus durement qu’au sein des autres usines...
Effectivement. Le rythme y était tel qu’ils étaient très nombreux à jeter leurs outils sur la chaîne, en assurant qu’il était impossible de travailler à de telles cadences. En 1913, plus de 1300 personnes par jour doivent être remplacées ! Le taux de rotation avoisine les 380 %, ce qui est trop élevé pour assurer la production et tirer les profits escomptés. Pour fixer les ouvriers, il décide alors d’augmenter les salaires, jusqu’à ce qu’ils restent. Résultat : les paies sont multipliées par 2,5. Ce qui est énorme pour l’époque, évidemment. Ford présente cette augmentation de salaire, mise en place pour faire supporter des conditions insupportables, comme un véritable progrès social. Il fait croire à un scénario « win win », comme disent les managers aujourd’hui : tout le monde serait gagnant, l’employeur comme les salariés.
Ford pousse la logique d’exploitation plus loin que Taylor. Y compris à l’extérieur de l’atelier. Il se préoccupe d’entretenir et de reproduire « la force de travail » jusque dans la vie quotidienne des ouvriers. Quelle forme cette stratégie prend-t-elle ?
Pour tenir le coup lorsqu’ils travaillent à la chaîne, les ouvriers doivent littéralement mener une vie d’ascète. Henry Ford créé un corps d’inspecteurs chargés d’aller vérifier qu’ils se nourrissent bien, qu’ils dorment correctement, qu’ils ne se dépensent pas inutilement, qu’ils ont un appartement bien aéré... Ford, qui était végétarien, propose même des menus à ses ouvriers. Il exerce une véritable intrusion dans la vie privée, officiellement pour le bien des salariés.
On retrouve le même discours dans le management du 21ème siècle, qui prétend répondre aux aspirations les plus profondes des salariés : « Vous allez être contents de travailler chez nous. Vous verrez, nous allons vous faire grandir. » Il faut avoir du courage, être audacieux. Entretenir son corps. Dans certains bureaux, on peut désormais travailler sur ordinateur tout en marchant, grâce à des tapis roulant ! Les DRH parlent de bienveillance et de bonheur, comme Ford le faisait avec ses inspecteurs. La volonté de prise en charge de la vie des salariés perdure.
Comment se manifeste cette intrusion, dans l’entreprise du 21ème siècle ?
On leur propose par exemple des massages, de la méditation, des activités destinées à créer des relations avec leurs collègues. Certaines entreprises distribuent des bracelets pour que les salariés puissent comptabiliser leurs heures de sommeil. C’est très intrusif. L’organisation moderne du travail est un perfectionnement des méthodes de Taylor et de Ford : les directions s’occupent de tout, tandis que les salariés s’engagent totalement pour leur entreprise, avec l’esprit « libéré ».
Il s’agit toujours de faire croire aux salariés que cela est réalisé l’est pour leur bien. La logique du profit, la rationalité capitaliste deviennent l’opportunité pour les salariés de faire l’expérience de leur dimension spécifiquement humaine. D’ailleurs, les qualités qui leur sont demandées relèvent de dimensions qui vont au delà du professionnel : il s’agit de l’aptitude au bonheur, du besoin de se découvrir, de la capacité à faire confiance, à mobiliser son intuition, son sens de l’adaptation, à faire preuve de caractère, d’audace et de flexibilité…. La notion de « savoir être » est d’ailleurs devenue l’un des axes forts de la nouvelle gestion des salariés préconisée par le Medef.
La dépossession professionnelle mise en place par Taylor plonge les salariés dans un état de soumission et de dépendance hiérarchique inouï pour l’époque, dîtes-vous. Le management contemporain impose-t-il la même chose ?
Avec le taylorisme, les salariés ne peuvent plus travailler sans les préconisations de leurs supérieurs, comme les gammes opératoires, les délais alloués... On retrouve cela dans le management actuel, bien entendu, puisque le travail reste défini par les directions, assistées de cabinet de conseils qui élaborent des procédures, des protocoles, des « bonnes pratiques », des méthodologies, des process… Les salariés n’ont aucune prise sur cette définition. La dictature du changement perpétuel accentue même cette dépendance. Dans toutes les entreprises – que ce soit dans l’industrie ou dans les services – on change régulièrement les logiciels, on recompose les services et départements, on redéfinit les métiers , on organise des déménagements, on externalise, puis on ré-internalise... Ce faisant on rend les connaissances et l’expérience obsolètes. On arrive même à transformer de bons professionnels en apprentis à vie ! Les gens sont perdus.
Les salariés le disent d’ailleurs de manière très explicite : « Je ne sais plus où je suis dans l’organigramme. Je ne sais pas de qui je dépends. » Ils sont totalement déstabilisés, se sentent en permanence sur le fil du rasoir et se rabattent sur les procédures et les méthodes standard, comme sur une bouée de sauvetage. Mais ces procédures et méthodes standard ne sont définies et maîtrisées que par les directions… Les salariés se retrouvent en proie à des doutes terribles. Ils se sentent impuissants, incompétents. Ils sont obligés de mendier des aides techniques. Leur image de soi est altérée. Ils ont peur de la faute, de faire courir des risques à autrui. Ces méthodes les jettent dans une profond sentiment d’insécurité.
Face à cette exigence du changement permanent, les anciens apparaissent comme embarrassants. Vous expliquez que leur expérience est disqualifiée et leur expertise oubliée. Comment cette disqualification se met-elle en place ?
Il faut éviter, quand on est manager, d’avoir des gens capables d’opposer un autre point de vue en s’appuyant sur les connaissances issues d’un métier ou de leur expérience. Si un salarié revendique des connaissances et exige qu’on le laisse faire, c’est un cauchemar pour une direction. Or, les seniors sont les gardiens de l’expérience, ils sont la mémoire du passé. Ça ne colle pas avec l’obligation d’oublier et de changer sans cesse. Il y a donc une véritable disqualification des anciens. On véhicule l’idée qu’ils sont dépassés, et qu’il faut les remplacer.
Il s’agit en fait de déposséder les salariés de leur légitimité à contester et à vouloir peser sur leur travail, sa définition et son organisation. L’attaque contre les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) se situe dans cette même idéologie de dépossession. Ils constituaient en effet des lieux de constitution de savoirs experts opposables au savoir des directions. Les seuls savoirs experts qui doivent désormais « légitimement » exister sont ceux portés par les équipes dirigeantes où se trouvent des gens issus des grandes écoles, secondés par des cabinets de consulting internationaux.
La destruction des collectifs de travail, et le développement de l’individualisation dans la gestion des « ressources humaines », s’inscrivent-ils dans cette même ligne idéologique ?
Évidemment. C’est particulièrement vrai en France où l’individualisation systématique de la gestion des salariés a été enclenchée par le patronat au milieu des années 1970, avec toujours cette excuse officielle de la prise en compte des aspirations profondes des salariés et de leur besoin d’autonomie. Cela s’est fait en réaction aux mobilisations de 1968. Il y a eu du côté du patronat une peur très forte de la capacité de contestation massive qui s’est exprimée en 1968, sous la forme de trois semaines de grève générale avec une occupation des usines. Ce moment a été d’une violence inouï pour les chefs d’entreprise qui ne veulent surtout pas que cela se reproduise.
Depuis, tout a été mis en place pour individualiser la relation entre les entreprises et les salariés, et la relation de chacun à son travail. On a instauré des primes et des augmentations de salaire individualisées, ainsi que des entretiens individuels qui mettent le salarié seul face à son employeur pour définir des objectifs individuels – assiduité, disponibilité, qualité de la coopération avec les autres, attention aux ordres, implication, augmentation de la productivité, et j’en passe...
Il y a une mise en concurrence systématique des salariés entre eux, qui auront en retour tendance à se méfier des autres, considérés comme responsables d’une situation générale défavorable. Sans le recours possible aux autres, sans leur complicité et leur aide, voire en concurrence avec eux, les salariés auront à affronter seuls les pénibilités, la dureté de ce qui se joue au travail. Le travail n’est plus une expérience socialisatrice, il devient une expérience solitaire. L’équation « à travail égal salaire égal » est terminée. À des postes semblables, on retrouve désormais des gens qui ont des formations différentes, des statuts différents, des salaires différents. Il n’y a plus cette logique collective reliée au fait que l’on subit les mêmes conditions.
Vous ajoutez que, en mettant en avant les « aspirations » profondes des salariés, qui iraient supposément dans le même sens que les besoins de l’entreprise, on met de côté l’enjeu politique que recèle le travail. En quoi cette mise de côté, qui a commencé avec l’avènement du taylorisme, persiste-elle aujourd’hui ?
Avec son organisation « scientifique » du travail, Taylor prétendait éradiquer toute une partie de la réalité, à savoir l’existence d’intérêts divergents entre salariés et patrons, l’existence de rapports de force, et la nécessité pour les ouvriers de disposer de contre-pouvoirs afin d’échapper à la domination et de faire valoir leurs intérêts. « Mon but unique, disait-il, est d’en finir avec la lutte stérile qui oppose patron et ouvriers, d’essayer d’en faire des alliés. » On est dans la dictature du consensus.
En France, à partir des années 1980, on s’est mis à parler de consensus dans l’entreprise, avec l’idée de la « pacifier ». Il faut « créer une communauté » et que tout le monde se sente solidaire, rame dans le même sens. Il s’agit là d’une escroquerie idéologique, puisqu’il est évident que les salariés ont des intérêts à défendre, qui divergent de ceux des employeurs : la prise en compte de leur santé, la préservation de leur temps de vie privée, le fait de travailler dans des conditions qui correspondent à leurs valeurs et à leur éthique. Aujourd’hui, on tente d’effacer l’idée même du conflit. Toute idée de controverse, de contradiction, d’ambivalence est désormais disqualifiée. Il s’agit, là encore, de discréditer l’idée même de contestation et d’opposition, voire de la supprimer.
Les nouvelles méthodes de management qui se déversent dans les entreprises ne se fondent pas sur une logique innovante, mais sur une application stricte et exacerbées du taylorisme. Chacun doit faire usage de lui-même selon des prescriptions édictées par les directions. Le « Lean management » [littéralement gestion « maigre », souvent traduit par gestion « au plus juste », ndlr], qui sévit de l’hôpital aux usines, a cette ambition : faire toujours mieux avec moins en utilisant des procédures et des protocoles pensés en dehors de la réalité du travail. On demande un engagement personnel maximal, avec la menace permanente de l’évaluation, dans un contexte où la peur du chômage pèse lourd. Tout cela crée beaucoup de souffrances. Qui persistent durant la vie hors travail, entravant le repos, la détente, les loisirs, en occupant sans cesse l’esprit.
Cet « enfer », dîtes vous, est très difficile à critiquer, notamment à cause de la théorie du changement incessant, pourquoi ?
Dans le management moderne, la critique est par définition archaïque. On vous oppose le fait que vous ne comprenez pas, que tout change sans cesse. Les gens qui n’adhèrent pas sont considérés comme étant dépassés. Ou bien comme des lâches qui n’acceptent pas de se remettre en question, de prendre des risques. D’ailleurs, le modèle militaire est très inspirant pour les managers. Des hauts gradés sont régulièrement invités dans leurs colloques et formations.
Mais l’archaïsme aujourd’hui, à mon sens, réside au contraire dans le modèle de subordination du salariat. Les citoyens ont une ouverture d’esprit, des compétences et un niveau d’information qui se sont démultipliés ces dernières années. Pourtant, aujourd’hui comme hier, dès que vous mettez les pieds dans l’entreprise, vous devenez assujetti d’office à la direction. Les syndicats ne semblent pas vouloir se risquer à remettre en question ce rapport de subordination, parce qu’ils ont intériorisé l’idée que c’est lui qui oblige les employeurs à respecter les droits, les protections et les garanties arrachés au cours des luttes. Mais, devrait-on objecter, si les salariés ont des droits c’est parce qu’ils travaillent, et que cela présente des risques. Il y a là une déconstruction à faire : il ne s’agit pas de remettre en cause le salariat, bien au contraire, mais d’exiger des droits et protections plus forts encore tout en revendiquant la suppression du lien de subordination qui est une entrave insupportable et injustifiée, qui étouffe la qualité, l’efficacité et la créativité du travail.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Publié le 23/03/2018
« On organise le dysfonctionnement des services publics en les étranglant »
A Montpellier, l'intersyndicale CGT, FSU, Solidaires, FO alertent sur les conséquences sociales dramatiques de la casse organisée d'un système qui assure l'égalité de tous les citoyens sur le territoire.
« On a abandonné l'idée que chacun peut réussir, a le droit de vivre décemment de son travail et d'accéder aux soins. On est face à un véritable changement de société », déplore Eric Bachelart, secrétaire départemental de la FSU 34. Un changement de société qui passe, après le coup de butoir ultra libéral des ordonnances Macron sur le code du travail, par « la casse programmée du service public, lequel garantit l'équité des citoyens sur le territoire », estime Gisèle Amouroux, secrétaire départementale de la Fédération générale des fonctionnaires FO 34. Elle en veut pour preuve la situation à la direction générale des finances publiques de l'Hérault, dont elle est retraitée depuis un mois : « En 15 ans, on est passé de 57 à 29 sites au niveau du département. Ce qui veut dire que les citoyens ont deux fois moins d'endroits où se rendre », illustre-t-elle.
Une tendance que le gouvernement actuel a la ferme intention d'accentuer, en poursuivant la réduction des effectifs de fonctionnaires (120 000 suppressions prévues sur le quinquennat) et en s'attaquant désormais ouvertement au statut des fonctionnaires, présentés à l'envi comme des nantis. « Le statut n'est pas protecteur pour l'individu, mais pour le rendu homogène de la mission sur tout le territoire », rétablit Eric Bachelart (FSU).
« Partout on constate que la fonction publique agonise »
« On est montrés du doigt comme si on était des privilégiés, mais le salaire moyen dans la fonction publique est de 1800 euros et nombreux sont ceux qui partent à la retraite avec une pension de 1000 euros », recadre Raphaël Gutierrez, secrétaire général FO territoriaux. « Le gel du point d'indice depuis 2010 - à l'exception de hausses symboliques de 0,6% à deux reprises - représente une perte de pouvoir d'achat de près de 10% », renchérit Hervé Floquet, secrétaire départemental de l'UD CGT 34.
Dans son secteur, la santé, les suppressions d'emplois font des ravages. « Aujourd'hui on meurt aux urgences fautes de soins adéquats [allusion au décès, il y a quelques jours, d'une sexagénaire aux urgences du CHU de Rennes, où elle avait été installée sur un brancard dans l'attente d'une auscultation par un médecin, Ndlr]. Partout on constate que la fonction publique agonise.
Par exemple à Lodève, pour un bassin de vie de 80 000 habitants, il n'y a plus de service d'urgences ni de maternité », illustre-t-il. Sans parler des emplois qu'il faudrait créer dans les Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) - 2000 dans le seul secteur public sur l'Hérault selon lui - afin de respecter le taux d'encadrement d'un agent par patient prescrit par le Plan grand âge de 2006. Et assurer des conditions de travail et un accueil dignes, ce qu'ils ne sont plus de l'avis général.
« Un modèle social à la française qu'on fait voler en éclats »
« On organise le dysfonctionnement des services publics en les étranglant au niveau des moyens et du personnel », résume Marie-Pierre Zabalete, secrétaire départementale Solidaires Finances publiques. « Pendant ce temps, on privatise toujours plus », poursuit-elle, l'exemple récent des cartes grises à l'appui, dont les guichets usagers ont fermé dans les préfectures au profit de démarches en ligne. De quoi faire le miel - ou plutôt le beurre - d'entreprises qui monnayent ce service jusque là gratuit, sautant sur l'aubaine de la dématérialisation à tout crin. « Quand il faudra sortir sa carte bancaire pour tout, on va laisser de plus en plus de gens sur le bord de la route. Les services publics sont le bien commun. En les cassant et les privatisant, c'est tout un modèle social à la française qu'on fait voler en éclats », dénonce la représentante de Solidaires.
Aussi ils seront nombreux ce matin, représentants de chacune des trois fonctions publiques, aux jardins du Peyrou à 11h pour un départ en cortège. Une manifestation à laquelle se joindront les étudiants actuellement mobilisés contre la sélection à la fac.
A.G.
Publié le 22/03/2018
Convoqué par la police après avoir sauvé du froid une femme enceinte et deux enfants
Par Bastamag.net
Le week-end dernier, lors d’une maraude dans les Alpes, à la recherche de migrants perdus dans le froid de l’hiver, un citoyen a secouru une famille transie et épuisée. Il a donné aux deux jeunes enfants de 2 et 4 ans et à leurs parents de quoi se réchauffer. Puis, comprenant que la femme est enceinte de 8 mois et demi, il décide de l’emmener à l’hôpital. Arrêté en chemin par les douaniers, il se voit reprocher de transporter des personnes en situation irrégulières et il est sommé de se présenter à la Police aux frontières le mercredi 14 mars à 9h. Un rassemblement de soutien aura lieu ce même jour. Témoignage..
Une maraude ordinaire comme il s’en passe tous les jours depuis le début de l’hiver. Au pied de l’obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l’autre, à travers la tempête. Nous sommes deux maraudeurs à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l’autre.
Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent. En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C’est l’alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’ emmener au plus vite à l’hôpital. Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là… c’est l’urgence. J’ accélère à tout berzingue. C’est la panique à bord.
Barrage douanier
Lancé à 90km/h, j’ arrive à l’entrée de Briançon... et là, barrage de douane. Il est 22h. « Bon sang, c’est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu’est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez nous vos papiers ? Où est ce que vous avez trouvé ces migrants ? Vous savez qu’ils sont en situation irrégulière !? Vous êtes en infraction !!! »… Un truc devenu habituel dans le Briançonnais. Je les presse de me laisser l’emmener à l’hôpital dans l’urgence la plus totale. Refus !
Une douanière me lance tout d’abord : « Comment vous savez qu’elle est enceinte de 8 mois et demi ? » puis elle me stipule que je n’ai jamais accouché, et que par conséquent je suis incapable de juger de l’urgence ou non de la situation. Cela m’exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d’évaluer une situation d’urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d’une heure à arriver. On est à 500 mètres de l’hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent sur la banquette arrière. J’en peux plus. Une situation absurde de plus.
Convocation par la Police des frontières
Il est 23h passés, les pompiers sont là... Ils emmènent après plus d’une heure de supplice la maman à l’hosto [1]. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variées, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre. C’est à ce moment-là qu’on m’explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs.
Le père et les deux petits sont expulsés vers l’Italie [2]. Pendant ce temps-là , le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C’est un petit garçon, né par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l’hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunie.
La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexes et confirme l’incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières.
Quant à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder... toutes les nuits.
Signé : Un maraudeur en infraction.
Publié le 21/03/2018
Brésil, démocratie en danger.
Christophe VENTURA
Photo : Marielle Franco (site Le Grand Soir)
Ce pays n’est plus le même. Un nouveau type de régime est en place. Il vide chaque jour un peu plus la sève démocratique et sociale du pays. Dans le silence médiatique, droits sociaux et démocratiques sont rongés quotidiennement. Répression des mouvements sociaux (hier professeurs mobilisés à Sao Paulo violentés et gazés pour avoir demandé la sauvegarde des financements des écoles), désintégration par "inanition" des services publics et des politiques sociales (plus de financements sans formellement stopper les programmes) comme l’a parfaitement exposée dans un débat du FSM l’ancienne ministre de Dilma Rousseff Nilma Lino Gomes (ministre des femmes, de l’égalité raciale et de la jeunesse), super austérité, judiciarisation de la vie publique, militarisation de la sécurité publique à Rio, pouvoir médiatique au service de ces évolutions.
Ce coup d’Etat contre la démocratie est polymorphe, progressif, sectoriel, il agit par petites touches, désarme en anesthésiant l’opinion publique, agit en conservant les apparences de la normalité.
C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier l’affaire Lula, qui risque d’être emprisonné, éliminé de la présidentielle qu’il gagnerait , sans que la justice ait seulement fait la preuve de sa culpabilité.
Un autre régime donc.
"Quel avenir pour la gauche ?" était le titre d’un débat organisé mercredi 14 mars par le réseau CLACSO (plus grand réseau latino-américain de recherche sociale) dans le cadre d’une journée consacrée à ses cinquante ans d’existence.
Le pré-candidat du PSOL (Parti socialisme et liberté, à gauche du Parti des travailleurs) , le jeune Guilherme Boulos (leader du Mouvement des travailleurs sans toits) a rappelé que "le gouvernent non-élu de Michel Temer a ramené en deux ans le Brésil cinquante ans en arrière"
Et de rappeler l’enjeu de la présidentielle à venir : " dans ce contexte , toute la gauche va agir dans l’unité. Lula doit gagner. Son élimination de cette élection ne serait pas que la sienne mais elle signifierait l’élimination du camp populaire tout entier et sa disparition du pouvoir d’Etat ".
Dans une ambiance d’assemblée en ébullition, le participant réalise que les gens présents au FSM sont en état de résistance démocratique. C’est le sens du slogan "Fora Temer" (dehors Temer). C’est frappant. Sidérées par ce basculement réalisé en deux ans tandis que les forces de gauche vivaient encore sur le (faux) sentiment de leur hégémonie dans la société, elles doivent maintenant se réinventer dans un contexte où elles sont réprimées.
"Dans la séquence précédente, entre 2002 et l’après 2008, la croissance économique a permis une redistribution sociale sans toucher aux privilèges de l’oligarchie. Désormais tout a changé. La seule manière de gouverner pour une majorité populaire sera de briser ces privilèges".
Un autre régime donc.
Salvador, 14 mars au soir vers 22 heures . Tandis qu’avec Eric Coquerel, Florence Pozanski et Erik de France insoumise, nous dînons avec Guilherme Boulos et son équipe, nous apprenons l’assassinat de Marielle Franco, jeune conseillère municipale du PSOL à Rio. Tuée dans sa voiture de neuf balles avec son chauffeur depuis un autre véhicule, Marielle Franco était une farouche opposante à la politique policière du gouvernement dans les favelas.
"On ne peut pas écarter un crime politique, une exécution" me glisse Guilherme Boulos, larmes aux yeux.
Le PSOL exige une enquête immédiate rigoureuse. De nombreuses réactions surgissent partout sur les réseaux sociaux.
Un autre régime donc.
Toujours pas un mot dans les médias sur le FSM. Ils préfèrent faire leurs "Une" sur la tenue, en même temps, du Forum économique mondial pour l’Amérique latine à Sao Paolo. Un World Economic Forum présenté comme celui de la recherche d’une croissance économique au bénéfice de tous....
Et dans les autres pages internationales, il n’existe qu’un seul problème en Amérique latine : le Venezuela.
Un autre régime donc : la guerre, c’est la paix.
Christophe VENTURA
Publié le 20/03/2018
Poussée autoritaire
Pourquoi oligarques et droites extrêmes prennent progressivement le pouvoir en Europe de l’Est
par Rachel Knaebel 20 mars 2018 (site Basta!.fr)
En comparaison de la Hongrie du président d’extrême-droite Victor Orban et de la Pologne du parti Droit et justice, la République tchèque fait peu parler d’elle. Pourtant, les élections législatives d’octobre dernier ont porté à la tête du gouvernement l’oligarque Andrej Babiš, une des personnalités les plus riches du pays qui a créé son parti il y a quelques années. Un « Donald Trump tchèque », qui n’hésite pas à instrumentaliser le pouvoir à des fins personnelles. Basta ! a interviewé Jakub Patocka, journaliste et fondateur du site d’informations tchèque Deníku Referendum, auteur d’un ouvrage sur le parcours de l’oligarque de Prague.
Basta ! : Pourriez-vous nous expliquer la situation politique qui prévaut en République tchèque aujourd’hui, après les élections législatives d’octobre 2017 ?
Jakub Patocka [1] : La situation en République tchèque est sombre, mais elle n’est pas désespérée. Le fragile système politique établi après la révolution démocratique de 1989 s’est pratiquement effondré. Certes, ce système avait de nombreux défauts, mais il s’agissait d’une démocratie qui ressemblait davantage à celle des pays de l’Ouest qu’au chaos post-communiste dont nous faisons désormais partie. Aujourd’hui, notre système politique conserve les traits formels de la démocratie, mais il s’agit de la façade d’un régime autoritaire sophistiqué, servant les intérêts du nouveau leader tchèque Andrej Babiš [de centre-droit, ndlr]. Son seul compétiteur est le nouveau président Miloš Zeman [social-démocrate, ndlr], qui est sans doute à certains égards encore pire.
Pourriez-vous nous parler d’Andrej Babiš ? Qui est-il ?
C’est l’un des citoyens le plus riches de la République tchèque. Le parti d’Andrej Babiš est organisé comme s’il était sa propriété, de même que les médias qu’il a achetés pour soutenir ses efforts politiques. À l’origine, son business, c’est l’agriculture et l’agrochimie. Il a notamment construit sa fortune en utilisant les subventions européennes en sa faveur. Quand le modèle néolibéral tchèque s’est effondré après les élections de 2010, et que le modèle d’entreprise de Babiš s’est trouvé fragilisé, il a alors décidé de prendre directement le contrôle de l’État. Il s’est engouffré dans la demande d’une alternative politique, exprimée par la population tchèque face à un establishment politique en partie corrompu. Babiš a parfaitement compris qu’il pourrait s’acheter cette position d’alternative principale, bien qu’il soit lui-même l’un des vecteurs ayant entraîné la corruption de l’establishment politique.
Comment sa fortune s’est-elle constituée ?
Andrej Babiš était chargé de l’approvisionnement en marchandises stratégique pour l’ancien bloc de l’Est. À la chute des régimes communistes, il a utilisé sa position privilégiée, ses contacts, pour exproprier la compagnie nationale slovaque d’agrochimie Petrimex, qui est devenue le cœur de son propre groupe industriel, Agrofert. Ensuite, Babiš a développé un empire pas à pas, en achetant d’autres entreprises d’État bradées et sous-évaluées. L’étape suivante a été de commencer à acheter des propriétés agricoles, privées et coopératives.
Comment est-il entré en politique ?
En 2010, Andrej Babiš a réalisé que l’aubaine post-communiste touchait à sa fin, parce que les gens commençaient aussi à voir que l’élite au pouvoir était achetée par la nouvelle oligarchie. Quand il a réalisé le fait que son influence était en danger, parce que l’architecture politique entière de la République tchèque post-communiste était sur le point de s’effondrer, il a alors décidé d’entrer dans le jeu. C’est ainsi qu’est né son projet politique. Lors des élections de 2010, de nouveaux mouvements populistes ont obtenu des résultats significatifs pour la première fois en République tchèque. Babiš a créé dès 2011 son propre parti, appelé « Action des citoyens insatisfaits », ANO en tchèque, ce qui signifie également « oui ». Il a acheté quelques-uns des médias les plus influents, et engagé des responsables en relations publiques parmi les plus agiles. De manière absurde, mais efficace, il s’est construit une image de solution alternative au système corrompu. Et cela un an avant Donald Trump aux États-Unis.
Que défend son parti politique ?
À part les intérêts d’Andrej Babiš, il n’y a rien qu’il défende vraiment ! Cette formation politique est en fait très flexible sur tout. La stratégie d’ensemble du parti ANO est de récolter le soutien du public sur des sujets qui sont importants pour les gens, mais restent sans conséquences sur les intérêts économiques du groupe dirigé par Babiš, Agrofert. Il y a beaucoup de sujets de ce type, sur lesquels son parti adopte les positions très populaires. Et Il y a d’autres sujets, réellement importants pour Babiš et Agrofert. Sur ces derniers, Babiš tourne les lois en sa faveur, et son bras médiatique est utilisé pour le couvrir.
Quelles sont les activités de sa société Agrofert ?
Le groupe de Babiš est principalement actif en République Tchèque, bien qu’il ait aussi des activités substantielles en Allemagne et en Slovaquie. Babiš est aussi propriétaire d’un restaurant de luxe en France. Mais le cœur de son business, c’est l’agriculture industrielle et la chimie qui l’accompagne. Il manœuvre politiquement pour être certain que le secteur de l’agriculture utilise le plus de produits chimiques possible.
Quelles sont les différences entre sa politique et celle d’un Viktor Orban en Hongrie (extrême-droite), ou celle du parti Droit et justice polonais (droite extrême catholique) ?
Babiš est sur la même ligne politique que ces mouvements, avec cependant quelques différences. Avant tout, des distinctions culturelles importantes qui tiennent à l’évolution des nations modernes hongroise, polonaise, tchèque et slovaque. Il n’y a jamais eu de concept de « grande Tchéquie », comme pour la Hongrie ou la Pologne. Ce genre de nationalisme n’existe pas en République tchèque. Babiš ne peut donc miser sur ce type d’arguments. Lui-même est d’origine slovaque. L’aspect patriotique n’est pas une composante si importante dans la politique tchèque. Le fait que les positions d’extrême-droite soient représentées dans l’échiquier politique par un businessman japonais, Tomio Okamura, est en soi significatif. Mais dans le même temps, Babiš est comme un Orban, ou comme le Parti Droit et justice, parce qu’il est une antithèse à la démocratie ouest-européenne. Il ne veut pas d’un gouvernement démocratique, du peuple par le peuple. Il a déclaré ouvertement vouloir changer le pays, pour qu’il soit dirigé comme une entreprise.
Andrej Babiš (à gauche) en 2015, en compagnie de Sebastian Kurz, devenu depuis chancelier du gouvernement
autrichien (coalition conservateurs et extrême-droite) - CC Bundesministerium für
Europa.
Selon moi, c’est la clé pour comprendre la situation de l’Europe centrale post-communiste aujourd’hui. La majorité des habitants de ces pays n’ont pas intériorisé le modèle ouest-européen fondé sur
la démocratie. Les raisons en sont nombreuses. L’une d’entre elles est que l’Europe de l’ouest et aussi les États-Unis n’ont pas réussi à développer une véritable stratégie d’intégration des pays
post-communistes dans le système démocratique occidental. Certains ont essayé et échoué, d’autres voulaient juste faire de ces régions des demi-colonies. Nous en sommes donc là. Aujourd’hui, des
oligarchies locales prennent le contrôle de nos politiques avec la Russie et la Chine. Les pouvoirs occidentaux ont perdu du terrain, observant incrédules la manière dont les pays post-communistes
peuvent être aussi « ingrats ». Je peux comprendre ce sentiment. Mais cela ne nous aide pas. Babiš, comme Kaczynski et Orban, représente les forces de l’autocratie contre la
démocratie.
Avez-vous été menacé, en tant que directeur d’un journal indépendant ?
J’ai été menacé pour avoir publié un livre montrant comment Babiš usait de son pouvoir politique pour ses profits personnels. Le journal fait désormais face à des accusations en diffamation. Par ailleurs, une brigade financière est en train de contrôler nos comptes, pour la première fois depuis huit années d’existence. Les médias de Babiš ont également commencé une campagne de diffamation contre moi-même, et contre mon journal. Son objectif est de nous couper de nos ressources financières publicitaires. Le journal traverse une période de troubles économiques sérieux, qui pourraient nous être fatals.
D’une manière plus générale, quelle est la situation économique en République tchèque ?
Tout dépend de la perspective adoptée. Exceptée la classe des oligarques, qui est minuscule et démesurément riche, il y a beaucoup de gens qui sont aisés, une classe moyenne supérieure concentrée, cela en particulier dans les grandes villes. Mais à côté de cela, il y a une classe inférieure qui grandie, et qui est de plus en plus désenchantée, parce que sa situation a empiré avec l’avènement du nouveau régime démocratique, qui est assimilé au capitalisme dérégulé. Des millions de foyers vivent dans la peur constante de dépenses inattendues qu’ils ne pourraient pas couvrir. Le fait que les gens, ici, soient payés bien moins que leurs homologues à l’Ouest pour le même travail, est une partie du problème. C’est aussi l’une des explications à l’attitude répugnante dont les pays post-communistes ont fait preuve à l’égard des réfugiés : les gens qui ne bénéficient pas d’une solidarité généreuse sont rarement susceptibles d’en faire preuve eux-mêmes.
Qu’attendez-vous de l’Union européenne en regard de la situation politique actuelle en République tchèque ?
Je n’ai aucun doute sur le fait que l’Union européenne agit avec de bonnes intentions mais, en réalité, ses politiques ont ici un effet désastreux. La stratégie doit totalement être revue. Tout le monde était obsédé par l’économie lorsque nous sommes entrés dans l’Union européenne, et personne n’a pas fait attention aux aspects politiques. L’Union européenne doit comprendre qu’elle va devoir se battre. La Russie, la Chine, les oligarchies domestiques, les entreprises multinationales... Toutes ces forces pensent que l’Europe centrale est devenu leur terrain de jeu. Elles se sentent les mains libres d’y faire ce qu’elles veulent. Si l’UE ne veut pas que les jeunes démocraties est-européennes disparaissent, il faut qu’elle agisse rapidement. Aujourd’hui, l’argent européen qui abonde sur la région sert en fait à encourager les autocraties.
Néanmoins, deux choses peuvent être faites : d’abord, rediriger certaines des ressources financières de l’UE pour soutenir la société civile et les médias indépendants. Il faut que ces ressources soient administrées par des structures de l’UE, pas par des politiques locaux corrompus et par leurs amis. C’est peut-être difficile, mais l’alternative à ce changement de cap de l’UE en Europe centrale est bien pire, pour nous et pour l’UE. En République tchèque, la bataille pour la démocratie est encore ouverte. Parce qu’il y a un mouvement fort qui s’est formé contre Babiš, et parce qu’il fait face à des charges criminelles. Il n’est pas encore parvenu, plus de quatre mois après les élections, à former un gouvernement majoritaire, faute de soutien suffisant au Parlement.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Rachel Knaebe
Publié le 19/03/2018
Par Gildas Le Dem | 16 mars 2018
Abandon des Kurdes à Afrin : la faute d’Emmanuel Macron (Regards.fr)
Loin du nouveau monde promis durant sa campagne, le président de la République cautionne le régime turc et ses exactions contre les Kurdes du YPG. Une compromission infamante pour la France, au nom d’intérêts indéfendables.
On nous promettait donc un nouveau monde. Macron, président du monde, héraut des droits de l’homme et d’un monde ouvert, libre. Mais, depuis plus de sept semaines maintenant, les forces turques de la dictature d’Erdogan et leurs supplétifs syriens, parfois directement issus des rangs de l’État Islamique, assiègent la ville-refuge, la ville autrefois libre et ouverte d’Afrin.
Pire, depuis ce mercredi, les forces turques opèrent une percée décisive à ses portes malgré la présence et la résistance des combattants kurdes du YPG, la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Si l’on en croit l’agence Reuters et le New York Times, l’eau est désormais coupée, en amont, par les forces turques.
Dans une ville qui accueille également des réfugiés de toutes confessions, la situation sanitaire devient intenable. Sur la centaine de milliers d’habitants et de réfugiés que compte la ville, une dizaine de milliers est d’ores et déjà déplacée, fuyant le manque d’eau et les bombardements des hélicoptères d’attaque légers de l’armée turque, qui prennent également pour cible les zones habitées par les civils.
Égards et contrats pour Erdogan
Selon le témoignage des Forces antifascistes à Afrin (des volontaires occidentaux qui ont rejoint les rangs des forces kurdes pour combattre l’État Islamique), « à ce jour, près de 300 civils ont été sauvagement tués, y compris les femmes et les enfants, tandis que les blessés s’élèvent à plus de 700 personnes ».
Qu’a fait, que fait la France, pendant ce temps ? Elle n’a rien trouvé de mieux, en la personne d’Emmanuel Macron, que de recevoir Erdogan comme elle avait déjà reçu Poutine et Trump ; de signer un contrat portant sur un système de défense anti-missiles avec la Turquie ; enfin, dans la foulée, de reconnaître le PKK comme une organisation "terroriste". On croit rêver.
Car enfin, à qui doit-on les premières victoires contre l’État Islamique et ses menées terroristes (véritables, celles-là, comme nous avons pu l’éprouver en France), sinon aux combattants et aux combattantes kurdes du PKK ? Aurait-on déjà oublié la bataille de Kobané ? Et avec cette première victoire contre l’État Islamique, un peuple libre qui – une fois de plus – s’était hissé aux avant-postes pour défendre le droit à l’autodétermination et l’auto-organisation ; pour défendre et reconquérir la liberté des femmes, des minorités religieuses aussi ; et armé, avec cela, d’une impeccable vision égalitaire ?
Il faut le dire sans détour : c’est une honte, une infamie sans nom, qu’Emmanuel Macron ait osé qualifier de terroristes les représentants du PKK et du peuple kurde et, avec les autres dirigeants européens, les abandonne aujourd’hui au silence et à la mort.
Le monde selon Macron
Mais il faut aller plus loin, et s’interroger sur les raisons de cette compromission. Pourquoi ce geste de capitulation, qui renforce une dictature aux frontières de l’Europe ? Sinon parce que cette dictature est, en fait, devenue le fondé de pouvoir de l’Union européenne dans la crise des migrants ? Pourquoi tout concéder à Erdogan, si ce n’est pour faire de la Turquie un rempart chargé de contenir les migrants ?
On le sait : Erdogan menace, depuis le printemps 2017, de lever l’accord qui veut que tout migrant arrivé sur les côtes européennes après avoir transité par la Turquie puisse y être renvoyé (un accord dans le cadre duquel, de plus, l’UE verse trois milliards d’euros à la Turquie). Ce que l’eurodéputé belge Philippe Lamberts, coprésident du groupe des Verts au Parlement européen affirmait déjà en mars 2017 pèse sans doute non moins, aujourd’hui, sur le destin des Kurdes : « C’est parce que l’Union européenne refuse de faire ce dont elle est capable en termes de réfugiés que nous nous mettons à la merci de ce gars [Erdogan] ».
Il faut donc se demander quel est ce monde, la nature de cette ouverture au monde que prônait Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. La réponse est désormais évidente : c’est une ouverture au monde, mais au monde des puissants et des puissances (qu’on reçoit avec allégresse sous les ors de Versailles).
Mais ce monde de puissants demeure lui-même fermé à ceux qui, ici ou ailleurs, souffrent et luttent pour un peu de pain ou de liberté. Ici, en France : ceux qui ne sont rien, ou sont regardés comme des hommes de second rang (les migrants). Ailleurs : les peuples qui à Afrin, ou dans la Goutha, sont autant de vies qui ne comptent pour rien. Emmanuel Macron s’était fait le champion de l’ouverture au monde et à l’Europe. Il n’est, en vérité, que le gardien, le chien de garde d’une Europe des banques et des barbelés.
Publié le 17/03/2018
Mayotte : Le gouvernement sourd et muet (site Politis.fr)
Lundi 12 mars, la ministre d’outre-mer, Annick Girardin, s’est enfin rendue sur l’île, après trois semaines de mobilisation.
Il aura fallu trois semaines de mobilisation pour que le gouvernement daigne tourner son regard vers Mayotte. Lundi 12 mars, la ministre d’outre-mer, Annick Girardin, s’est enfin rendue sur l’île, mais, son incompréhension (ou son aveuglement) l’empêche de saisir vraiment la situation du 101e département de France et donc d’établir un dialogue avec les Mahorais. « J’arrive avec la main tendue et cette main restera tendue tant que cela est possible », avait-elle annoncé avant son départ. « Qu’est-ce que cela signifie ?, s’interrogeait l’eurodéputé France insoumise Younous Ormarjee. L’État a des devoirs. La France n’est pas à la hauteur de Mayotte. »
La situation semble être devenue catastrophique sur l’île, voisine de Madagascar. L’insécurité fait partie du quotidien des habitants : violences dans les établissements scolaires, comme au lycée professionnel de Mamoudzou le 19 février dernier. Mais aussi les coupeurs de routes, quelque 3 000 adolescents isolés, qui rackettent et volent les gens dans ce qui apparaît comme une délinquance de survie. Cela dans un contexte où l’immigration clandestine, notamment des Comores, est d’autant plus forte qu’elle est mal gérée par les pouvoirs publics. Et comment ignorer les liens entre insécurité physique et insécurité sociale ? Alors que le taux de chômage plafonne à 26 % sur l’île (contre 9 % en métropole), 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
S’ajoute à cela la saturation des services publics : le centre hospitalier a alerté sur sa situation « extrêmement préoccupante », et constate que « les patients n’arrivent plus à accéder aux structures de soins publiques ou privées ». « Liberté Égalité Sécurité », proclament les banderoles des manifestants, qui ont voté pour avoir la nationalité française mais voient l’État tourner le dos à ses obligations. Devant les élus, la ministre a énuméré ses annonces : augmentation des effectifs de sécurité, plan de lutte sur terre comme sur mer contre l’immigration clandestine, une aide financière pour la prévention de la délinquance à hauteur de 330 000 euros… « Une mascarade », ont fustigé l’intersyndicale et le collectif à l’initiative de la mobilisation. Ceux-ci, qui avaient refusé la rencontre avec Annick Girardin, critiquent des « sous-mesures prises dans l’urgence qui ne résoudront rien sur le long terme », selon les mots de leur porte-parole Maoulida Momed. Ils avaient donc appelé à une manifestation massive mardi 13 mars, acceptant cette fois de rencontrer la ministre dans l’après-midi. Non sans la mettre en garde : « On est là pour crier notre colère. À partir d’aujourd’hui, nous allons défier le gouvernement », scandaient les manifestants dans les rues de Mamoudzou.
par Malika
Butzbach
publié le 14 mars 2018
Publié le 16/03/2018
12 mars 2018 (Site le Grand Soir)
Italie : Aperçu des élections du 4 mars
Marco Pondrelli
Cet article du camarade Marco Pondrelli est le premier d’une série de contributions que Marx21.it consacrera aux élections et à d’autres thèmes centraux du débat politique, dans le but de fournir une grille de lecture et une contribution non conjoncturelle au débat à gauche.
Quels étaient les camps sur le terrain lors de ces élections ? La réponse a été fournie par le journal de la Confindustria (le MEDEF italien NdT) : Sergio Fabbrini dans deux éditoriaux (14 et 21 janvier) parus sur "il Sole 24 Ore" expliquait qu’en Italie ils se confrontaient des pro-européens et les partisans du souverainisme. Deux camps transversaux aux différents camps et aux différents partis, mais avec des caractéristiques clairement définies. D’une part, il y avait les supporteurs de l’intégration européenne et, comme Panebianco (politologue conservateur et éditorialiste du journal bourgeois « Il Corriere della Sera ») nous le rappelle souvent dans les colonnes du "Corriere della Sera", l’OTAN, d’autre part, la souveraineté nationale.
Il Sole 24 Ore n’a pas de doute sur la position à prendre, arrivant aux limites de la subversion quand il dit que "si les institutions politiques et électorales ne sont pas en mesure de garantir la préservation de cette relation[avec l’Europe][...] alors il est nécessaire que cette relation soit protégée par nos classes dirigeantes", tout peut être discuté sauf notre adhésion à l’UE (et à l’euro) et à l’OTAN. Les grands médias dans le pays tout au long de la campagne électorale ont construit une orientation qui a estimé qu’une décision souveraine du peuple italien était irrecevable si elle avait remis en question ces adhésions. Le raisonnement sous-jacent a toujours été que la réappropriation de la souveraineté nationale est inadmissible et que l’adhésion à l’UE et à l’OTAN n’est pas dans les mains des électeurs. Nos relations avec la Russie doivent également suivre la volonté de Washington même lorsqu’ils frappent les intérêts vitaux de l’Italie. Nous avons lu dans les journaux des articles fantaisistes dans lesquels Poutine a été accusé d’interférer avec les élections italiennes, des vraies fausses nouvelles dans le but d’accuser la ligne de défense de la souveraineté populaire d’être un instrument entre les mains d’une puissance hostile.
Malgré tout cela, les élections du 4 mars ont donné une réponse très différente de celle souhaitée par l’establishment italien (et pas seulement).
Qui gagne
Il y a sans aucun doute deux gagnants : le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue (qui a changé le nom pour se présenter dans tout le pays). Les deux formations politiques ont gagné parce qu’elles étaient capables de répondre à deux facteurs essentiels : tout d’abord, elles sont parvenues à saisir la nouvelle phase internationale, à commencer par l’élection de Trump, qui a changé, et continuera à changer, l’équilibre mondial. Ce n’est pas un hasard si Bannon (ancien stratège du président américain) a accordé il y a quelques jours une interview au Corriere della Sera dans laquelle il soulignait la force des "populistes"italiens.
Deuxièmement, les deux listes ont réussi à représenter un malaise généralisé dans la société italienne. La Ligue qui est née en donnant une voix aux petits patrons du Nord a compris que la crise a plongé ce secteur de la société dans la pauvreté. Il y a eu une prolétarisation de la classe moyenne. Le M5S a réussi à faire la même opération en représentant les nombreux jeunes qui vivent dans une situation précaire, reliant ainsi la question générationnelle à l’exploitation de classe. Cette souffrance s’est transformée non seulement en une attaque féroce contre les migrants et la "caste", mais aussi en une proposition "souverainiste".
Il est douloureux de constater que des formations politiques qui, sur de nombreuses questions, sont à des années-lumière de la gauche et des communistes reprennent les propositions que ces partis devraient soutenir et parviennent à nommer des représentants de luttes sociales ou des intellectuelles appartenant à la gauche. Il y a beaucoup de gens élus dans les rangs des M5S qui ont un profil politique ouvertement de gauche et la Ligue elle-même a eu la clairvoyance de nommer ceux qui sont attentifs aux questions sociales.
Il est faux que ce résultat soit la victoire du poujadisme ou du fascisme. Si l’élaboration théorique maximale de la gauche concerne l’utilisation du conjonctif par Di Maio [1] (président du M5S) , il n’est pas surprenant qu’elle soit maintenant reléguée en marge de la politique italienne. Les signaux des électeurs doivent être captés et nous devons tirer les leçons des défaites. Dans le vote populaire, il y a plus de sagesse qu’on ne le pense, mais pour les dirigeants de gauche, l’avertissement de Bertolt Brecht semble valable :"le comité central a décidé : parce que le peuple n’est pas d’accord, un nouveau peuple doit être nommé".
Le parti Démocrate
Avec Berlusconi, incapable de saisir ces nouveautés, le premier perdant est le Parti démocrate. Le PD expérimente sans aucun doute le malaise qui traverse la social-démocratie européenne (Allemagne, France, Espagne, Hollande, Grèce...). De plus, il y a une spécificité italienne, la tentative de Renzi de pêcher dans le bassin électoral de Berlusconi non seulement n’a pas conduit à de nouveaux votes au Pd, mais a aussi contribué à faire perdre beaucoup de ceux de l’électorat de gauche traditionnel (à commencer par le monde de l’école). Le PD qui gouverne directement ou indirectement depuis 2011, sept années de gouvernement attentif à la compatibilité, insensible au cri de douleur qui émerge du corps social courbé par la crise économique, insensible à toute tentative de sauvegarde de la capacité productive du pays, mais attentif aux exigences de la Troïka, n’a pu que conduire à ce résultat.
La gauche européenne réagit à la crise généralisée de deux manières. Il y a le modèle Macron-Blair qui consiste à abandonner les ancrages sociaux de la gauche et il y a le modèle opposé, c’est-à-dire la tentative de trouver les racines d’une gauche réformiste (mais compatible) et attentive aux raisons sociales. Le PD italien est resté au milieu, plus proche du modèle Macron mais incapable de faire un choix clair.
La gauche sociale-démocrate
Le second modèle est celui qui a inspiré les échappés du Pd. Liberi e Uguali (Libres et égaux, Leu) a été battu à ces élections. Le plan stratégique des différents d’Alema et Bersani (dirigeants de haut niveau fondateurs du Parti Démocrate NdT) était de radicaliser leurs positions et de capitaliser sur l’effondrement du PD renzien pour ensuite rouvrir une relation politique avec un parti "différent". Un échec, celui de Leu, qui est le fils du manque de crédibilité de la classe politique qui l’a animé, mais qui est aussi dû à un projet politique qui, là où il a été appliqué, (voir Syriza en Grèce) a donné de très mauvais résultats. Proposer des politiques de redistribution au sein d’une Europe qui a fait de la concurrence salariale sa constitution matérielle n’est pas une perspective crédible. Il y a peu de voix (comme Fassina) qui ont eu le courage de remettre en question les fondements européens (en commençant par l’euro), et en général Leu a gardé sa vocation européenne, difficilement conciliable avec les politiques progressistes. Une contradiction qui concerne tous ceux qui proposent des politiques sociales et redistributives : sans remettre en cause à la racine le cadre donné, il n’ y a pas d’espace politique. Les premières déclarations de discussion avec le M5S pour la formation du gouvernement (hypothèse contestée au sein de Leu), cependant, représentent une ligne intéressante.
Potere al popolo
La catastrophe touche également la gauche dite radicale. Malgré le résultat décevant (1,1%), la lecture de certains protagonistes de la liste a été positive, arguant qu’il s’agissait d’une formation jeune, née il y a seulement 3 mois. Cependant, il faut se rappeler qu’à l’intérieur du PAP il y avait des partis historiques organisés comme Rifondazione Comunista et le nouveau PCI, en plus du Réseau communiste (et aussi la "Gauche anti-capitaliste" trotskyste). Mais, comme cela a toujours été le cas au cours des dix dernières années, ces formations se sont réunies quelques semaines avant le vote sans un véritable projet, donnant l’idée d’un cartel électoral avec un seul objectif : le retour au Parlement. Les électeurs n’ont pas perçu le projet à long terme de cette liste et le caractère alternatif de ses programmes (également parce que sur certaines questions centrales comme l’euro et la défense des intérêts nationaux, l’ambiguïté a été préférée à la clarté des contenus) et ils ont vécu cette expérience comme une autre "invention" en vue des élections. Bien qu’il y ait eu une convergence entre trois organisations communistes (avec d’autres sujets), le message qui a été passé est celui d’une liste de mouvements minoritaires, plus attentive aux thèmes historiques de l’Autonomia Operaia (proche de Toni Negri NdT) que ceux plus proches des luttes du mouvement ouvrier et communiste de ce pays. Il y a également eu quelques limitations en matière de politique étrangère, et ils ont préféré une position ambiguë sur des questions telles que la guerre en Syrie, la question kurde, le coup d’État néonazi en Ukraine, le caractère central de la lutte contre l’OTAN et la servitude militaire, et il y a toujours un manque de prise de position sur ce qui se passe dans le monde et sur la lecture de la dynamique fondamentale en cours.
Parti communiste
La campagne électorale menée par le Parti communiste de Rizzo, qui dans ses déclarations utilisait le forum électoral pour enraciner et faire croître le parti dans les territoires où il n’était pas présent, était différente. Même cette formation n’a pas du tout évoqué les grandes questions de politique étrangère dans sa campagne électorale (et nous connaissons les limites d’un grand nombre de ces analyses au niveau international), mais il faut reconnaître que cette expérience investit dans un objectif à long terme, refusant de diluer son expérience dans des conteneurs idéologiquement indéfinis afin d’élire quelques parlementaires.
Conclusions
Une fois de plus, le terrain électoral s’est avéré le plus difficile pour les communistes et les forces de gauche pour construire un camp politique et la subjectivité de classe. D’autres doivent être les formes et les voies, si on ne veut pas courir le risque de pourchasser, élections après élections (et conteneurs politiques après conteneurs politiques) l’échec, conduisant à de nouvelles déceptions et désertions parmi les rangs des militants. Pendant dix ans, les communistes ont été en dehors des institutions parlementaires et la diaspora a continué, malgré quelques tentatives généreuses et importantes de recomposition. Sans une nouvelle vision et sans un long regard, le risque est celui d’une compétition entre les forces existantes pour la lutte des militants.
Enfin, l’un des faits saillants de ces élections est le fait que le peuple de gauche a voté massivement pour le M5S. L’attitude qui prévaut est de considérer cela comme une force de "droite" avec laquelle il ne faut pas s’engager. Rien de plus faux : les communistes doivent pouvoir parler et travailler sur les contradictions qui s’ y manifestent, en demandant le respect des programmes et des engagements pris avec les électeurs et en discutant des enjeux stratégiques de la lutte contre l’intégration euro-atlantique et de la défense des classes populaires.
Pendant que nous rédigeons cet article, il n’est pas clair quel mandat le Président de la République assignera pour la formation du gouvernement et quel gouvernement sera formé. La situation est encore très instable.
Marco Pondrelli
Note
1 Une partie de la gauche a critiqué les erreurs grammaticales de Di Maio sur les réseaux sociaux, en particulier ceux sur les conjonctifs. Ils voulaient ainsi souligner son inadéquation à gouverner le pays.
Publié le 15/03/2018 (site Ensemble 34)
Ce n'est pas la SNCF qu'il faut privatiser mais les autoroutes qu'il faut renationaliser !
Journée blanche et grande pagaille ! Montpellier à la recherche de son service
public…
L'épisode neigeux de la semaine dernière dans le département de l'Hérault et notamment sur la Métropole de Montpellier démontre les faiblesses et dysfonctionnement de l’État et des collectivités
territoriales.
Nous aurions pu vivre une véritable catastrophe si nous n’avions pas été en période de vacances scolaires et si le froid avait duré quelques jours de plus.
La préfecture porte une responsabilité écrasante en ne déclenchant l’alerte rouge que le mercredi à 20 h, puis la levant le lendemain matin dès 6h alors que des gens dormiront encore une nuit dans leurs voitures ou dans des centres d’hébergement. Pourtant le préfet, de sa fenêtre, aurait pu constater dès mercredi 12 h que le centre ville était totalement impraticable pour les voitures (déjà une bonne dizaine de centimètres de neige...).
Cela a contribué en fin de journée à la pagaille sur le réseau routier, quand les gens ont cherché à rejoindre leur domicile, dans et hors métropole, alors que les routes déjà n’étaient plus du tout praticables ; le tout au motif qu’un hypothétique redoux était attendu pour la soirée du mercredi…
Et en l’absence d’alerte rouge le jeudi matin, certain-e-s ont dû reprendre leur voiture pour tenter de retourner travailler et de ne pas perdre une journée de salaire ;
Sur le front des autoroutes la préfecture a été incapable de trouver des solutions pour dégager les axes routiers. Nous rappelons qu’en 1987 l’armée avait dégagé les poids lourds. Des forces en réserve, lors du Carnaval des Gueux, nous avons pu voir que la Préfecture en avait… y compris dans la Gendarmerie.
Le seul point positif a été que la Préfecture a été capable de mettre en place un numéro « public » de sa cellule de crise, mais ce numéro était… payant (même durant l'attente) !
On a aussi constaté que l’entreprise privée qu’est la société Vinci n’a pu gérer la situation de crise étant pourtant, paraît-il, l'un des fleurons des entreprises hexagonales. Incapable de bloquer ses entrées d'autoroute aux poids-lourds, incapable de prendre en charge les automobilistes en détresse dans leur voiture, bloqués sur l'autoroute. N’assurant aucune distribution d'eau, de couvertures… Si VINCI avait été une entreprise publique, sa privatisation aurait été exigée sur le champ par le gouvernement et ses laquais !
Quant à EDF il a fallu attendre samedi pour que l’électivité soit rétablie, et il est inquiétant de décompter le nombre de rues et de villages restés sans électricité.
La responsabilité de la municipalité n’est pas en reste. A se demander s’il y avait un maire à plein temps aux commandes, place Frêche mercredi et jeudi dernier ?
Si notre maire a su allumer les contre-feux pour se dédouaner de ses responsabilités dans les pages de Midi Libre, les Montpelliérain-e-s ont pu constater de visu que les élu-e-s de la municipalité de Montpellier ont très mal géré cette situation de crise. Le déneigement des cheminements piétons dans des zones fréquentées ou stratégiques, afin de faciliter le déplacement notamment des plus fragiles, a été bien loin d’être suffisant (voire inexistant dans certains quartiers). Le Plan de Viabilité Hivernale de la ville de Montpellier a montré ses limites.
Certes ce genre d'épisode n'arrive pas souvent dans notre région mais ce type de crise se prépare néanmoins en amont. Gouverner ce n'est pas que choisir, c'est aussi prévoir.
Il ne s'agit pas d’acheter de coûteux chasse-neiges, mais à défaut d'un véritable
partenariat avec l’Équipement, dont les effectifs et les moyens ne font que diminuer depuis plusieurs décennies, des conventions peuvent être passées avec des sociétés de Travaux Publics, comme cela
se fait dans d'autres communes. Ces entreprises équipées peuvent alors débloquer les principaux accès de la ville, effectuer des salages, et pas uniquement en préventif comme l’a fait faire la
municipalité.
Les écoles s'entraînent à des « intrusions terroristes » pourquoi ne pas envisager une répétition annuelle du schéma de crise en cas de neige ?
Mais en revanche il a été possible de constater que la SNCF, tant décriée ces derniers mois, s’en est plutôt bien sortie dans cette situation. Contrairement aux autoroutes, les voies n'ont pas été bloquées. Contrairement au bus, aux Trams, aux voitures, les TER et TGV ont globalement circulé dans la région, certes avec du retard mais l'on pouvait voyager. L'épisode neigeux a bien sûr affecté les équipements mais les services de la SNCF, les cheminots, au statut tant remis en cause, ont répondu présent et se sont mis à pied d’œuvre pour faire circuler les trains.
Un autre service public, celui de la radio, France Bleu a également très bien fonctionné, puisque la station a émis non-stop des informations en temps réel sur la situation.
Ce type de crise montre les fragilités de nos sociétés. L'épisode neigeux que nous venons de vivre montre les conséquences néfastes des politiques libérales, des politiques d'austérité que nous subissons mais que nous dénonçons depuis des années.
Mais ces crises révèlent aussi ce qui, au final, fonctionne. Cet épisode, malgré les attaques, montre qu'il reste des Services Publics efficaces en France. Et que leurs agents, au statut tant critiqué, sont efficaces, attachés à leurs missions de Service public et qu’ils n’y travaillent pas par hasard. Ils l'ont prouvé une nouvelle fois.
Ce n'est pas le statut des cheminots qu'il faut supprimer, ce n'est pas la SNCF qu'il faut privatiser, mais ce sont les autoroutes qu'il faut renationaliser !
Publié le 14/03/2018
NOUS ALLONS DEVOIR NOUS BATTRE, ENSEMBLE !
Manifestation nationale du 22 mars 2018
07.03.2018 | Action du 22 mars 2018
Le 26 février 2018, le Premier ministre a présenté les principaux axes et la méthode envisagés concernant la réforme de la SNCF, il prétend même savoir ce que veulent les Français !
Outre la méthode inacceptable du passage en force, les axes décidés par le gouvernement vont à l’encontre d’un service public de qualité que chaque citoyen est en droit d’attendre au quotidien.
OUVERTURE À LA CONCURRENCE
La CGT est fermement opposée à l’ouverture à la concurrence.
Nous réaffirmons que l’ouverture à la concurrence n’est pas gage d’efficacité et de développement pour le mode ferroviaire. Les exemples multiples dans d’autres pays le démontrent.
Le règlement européen OSP (Obligation de Service Public), cité à maintes reprises par le Gouvernement, n’oblige en rien d’ouvrir à la concurrence. L’article 5 § 4 bis est très explicite sur le sujet. Le gouvernement n’est pas face à une « obligation européenne », mais fait un choix délibéré d’ouvrir à la concurrence.
AVENIR DES LIGNES RÉGIONALES
Le Gouvernement ment en affirmant que sa réforme ne remet pas en cause l’avenir des « petites lignes ». En ne finançant pas les travaux nécessaires sur le réseau et en ouvrant à la concurrence, il met fin à la péréquation, se désengage et laisse la responsabilité aux Régions de décider du maintien ou non des lignes régionales du Réseau Ferré National.
Au regard des difficultés financières que rencontrent les régions, cela augure mal du devenir de ces lignes.
STATUT DE L’ENTREPRISE SNCF
Le Gouvernement préconise le passage du Statut d’EPIC, où l’État est propriétaire, à celui de « Société Nationale à Capitaux Publics », où l’État est actionnaire.
En clair, le Gouvernement s’offre la possibilité d’ouvrir le capital et ainsi de privatiser la SNCF à court terme. C’est le scenario qui a été appliqué à Air France, France Télécom, EDF/GDF…
La CGT exige le retour à une entreprise publique unique et intégrée : la SNCF.
AVENIR DU FRET SNCF
Malgré une situation catastrophique après plus de 10 ans d’ouverture à la concurrence dans le transport de marchandises, rien n’est dit sur le Fret SNCF et encore moins proposé pour tendre vers un véritable report du trafic routier vers le rail.
Le Gouvernement veut liquider purement et simplement le Fret SNCF.
STATUT DES CHEMINOTS
Ce ne sont pas les conditions sociales des cheminots qui sont à l’origine des 55 milliards d’euros de dette du ferroviaire, mais bien le désengagement de l’Etat depuis des décennies. La fin du statut des cheminots ne réglera pas, bien au contraire, les problèmes d’organisation et de cloisonnement des activités qui détériorent la ponctualité et la qualité du transport au quotidien.
Est-ce le statut des cheminots qui est responsable des retards, des dysfonctionnements, des pannes ? NON.
Le Statut des cheminots permet au contraire une continuité et une stabilité dans le fonctionnement du Service Public. Il permet également un niveau de qualification, de formation initiale et continue pour assurer un haut niveau de technicité et de sécurité.
La Fédération CGT des cheminots agit depuis plusieurs années pour la modernisation et le développement du service public ferroviaire ainsi que pour l’amélioration des conditions sociales, de vie et de travail des cheminots.
Face à l’ampleur des attaques annoncées, la CGT a proposé, dans un cadre unitaire le plus large possible, la construction d’une riposte à la hauteur pour pérenniser l’entreprise publique SNCF, les trains publics et les conditions sociales des cheminots.
Cette réforme est une privatisation déguisée du service public ferroviaire et ne résoudra pas les problèmes que vous subissez au quotidien. Au contraire ! Il s’agit pour le gouvernement d’en finir avec le train.
La Fédération CGT appelle les cheminots, les usagers, leurs associations ainsi que toutes celles et ceux qui sont attachés au service public ferroviaire, à participer à la manifestation nationale unitaire le 22 mars 2018, place de la République à Paris à 13h00.
Publié le13/03/2018
Outre-mer. Mayotte, entre grève générale et climat de « guerre civile »
Maud Vergnol
Mardi, 13 Mars, 2018
L'Humanité.fr
Alors que 84 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, et à la veille d’une nouvelle mobilisation d’ampleur, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, s’est contentée hier d’annoncer des mesurettes sécuritaires et de lutte contre l’immigration.
À Mayotte, on les appelle les chats sauvages. Ce sont 3 000 enfants et adolescents abandonnés à leur sort et à une « une délinquance de survie ». Ce sont eux qui sont aujourd’hui montrés du doigt et désignés comme les principaux responsables de l’insécurité qui règne à Mayotte, à l’origine de la grève générale lancée le 20 février, et contre laquelle la population est appelée ce matin à descendre massivement dans les rues. « Ce ne sont pas des mineurs isolés mais bien abandonnés », explique Salim Nahouda, le secrétaire général de la CGT Mayotte. « Ces mômes, ils cherchent à survivre, rappelle le syndicaliste, mais on ne peut pas les laisser faire la loi, car la situation est intenable. Les bandes armées menacent à chaque coin de rue. Mayotte est devenue une zone de non-droit. Il est temps que le gouvernement prenne les choses au sérieux. » « La République n’abandonne pas Mayotte, n’abandonnez pas la République », avait osé dimanche le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, appelant les élus à assurer la rentrée des classes comme préalable à toute négociation avant l’arrivée de la ministre des Outre-mer, hier. Non seulement la rentrée n’a pas eu lieu, mais les barrages se sont démultipliés, assure le responsable de la CGT, qui en dénombre une dizaine sur les 374 km2 qui composent Mayotte.
Une île ravagée par la pauvreté et désertée par les services publics
Quant à « la République qui n’abandonne pas Mayotte », les Mahorais n’en voient pas beaucoup la couleur. Devenue le dernier département français par référendum en 2011, Mayotte est loin de bénéficier des mêmes droits que le reste du territoire, ravagée par la pauvreté et désertée par les services publics. « Mayotte est de loin le département le plus pauvre et le plus inégalitaire de France, rappelle le sociologue Nicolas Roinsard, maître de conférences à l’université Clermont-Auvergne. 84 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté. Alors que 60 % des habitants ont moins de 25 ans, les politiques sociales envers la jeunesse sont quasi inexistantes, dans un contexte où le taux de chômage avoisine les 40 %. Chaque année, ils sont près de 4 000 à sortir du système scolaire pour seulement 2 000 offres d’emploi recensées par Pôle emploi. La mission locale de Mayotte compte un conseiller pour 600 jeunes, contre 150 dans l’Hexagone. Une fois sortis du système scolaire, et bien avant pour les mineurs isolés, les jeunes sont rapidement confrontés à des enjeux de survie économique. Dans ces conditions, l’enfance en danger devient une enfance dangereuse. » Pour le chercheur, « il n’y a pas de secret : l’insécurité sociale crée de l’insécurité civile ». Et celle-ci est loin d’être le seul fait des Comoriens, assure Nicolas Roinsard : les statistiques de la préfecture et de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) démontrent que cette délinquance juvénile touche aussi les Mahorais, contrairement à ce que laisse entendre le mouvement actuel. « Il règne un climat de guerre civile », s’inquiète de son côté Éric Decombe, fonctionnaire territorial et militant de la CFDT, qui vit à M’tsapéré, dans la banlieue de Mamoudzou. « En bas de chez moi, les Mahorais survivent dans des conditions inhumaines. Ce sont des favelas sans eau potable ni toilettes. La situation va mal tourner si le gouvernement continue de diviser les Mahorais et de ne pas répondre aux urgences sociales. »
C’est dire si la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, était hier attendue au tournant. Fraîchement accueillie, elle s’est pour le moment contentée d’annoncer un renforcement de la sécurité dérisoire (l’arrivée de 20 gendarmes et 10 policiers supplémentaires…) et de la lutte contre l’immigration clandestine. Cette grève générale contre l’insécurité relance pourtant le débat sur la départementalisation et en dessine un premier bilan. C’est l’analyse qu’en font de nombreux Comoriens, à l’instar de l’écrivain Mohamed Nabhane, très engagé dans le Collectif de soutien aux délogés de Mayotte. En effet, en 2016, plus d’un millier de Comoriens avaient été « décasés » par des bandes violentes et xénophobes. Leurs maisons détruites et pillées, ils ont été réduits à vivre dans la rue. « Les Comoriens non mahorais sont devenus les boucs émissaires de prédilection d’extrémistes mahorais qui se veulent plus français que les Français de France, alerte l’écrivain. Des bandes organisées, opérant une sorte de “nettoyage” du paysage, font justice elles-mêmes. » Pourtant, il n’y aura pas de progrès social à Mayotte sans codéveloppement avec l’Union des Comores.
Chef de la rubrique Politique
Publié le 10/03/2018
Réforme ferroviaire. La CGT cheminots contre-attaque sur le fond
Marion d’Allard
Jeudi, 8 Mars, 2018
L'Humanité.fr
Hier, face à la presse puis au Parlement, le premier syndicat de la SNCF a présenté son plan pour l’avenir du ferroviaire. Un contre-pied aux orientations libérales du gouvernement.
Alors qu’une nouvelle réforme du système ferroviaire est annoncée par le gouvernement « avant l’été », la fédération CGT des cheminots – première organisation syndicale de la SNCF – a rendu public, hier, son propre projet de réforme, « Ensemble pour le fer », qui garantit le développement d’un véritable service public du transport ferroviaire. Car au fond, de réformes en réorganisations « parties d’objectifs de traitement des questions financières pour arriver à des usines à gaz dans l’organisation de la production (…), le problème est tout simplement pris à l’envers », affirme Laurent Brun, secrétaire général de la CGT cheminots.
À contre-courant des feuilles de route libérales qui, depuis plus de trente ans, président aux décisions politiques de casse du service public ferroviaire, la CGT « veut donc contribuer au débat public en replaçant les éléments dans l’ordre qui semble correspondre à l’intérêt général, c’est-à-dire en partant des besoins des usagers et du pays pour arriver sur les outils pour y répondre, en passant par l’attribution de moyens adap tés », poursuit Laurent Brun. Le rapport du syndicat apporte ainsi une contre-expertise à celle du gouvernement sur les questions de l’ouverture à la concurrence, du traitement de la dette, de l’organisation interne de l’entreprise publique ou encore de la régénération d’un réseau vieillissant.
La mise en concurrence n’est pas une obligation
L’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, prévue par les directives européennes à horizon 2019 et 2023, sert de justification à l’empressement du gouvernement pour réformer, à coups d’ordonnances, le rail français. Or « l’argument du passage obligatoire à la concurrence doit être contesté », estime la CGT, qui en veut pour preuve les textes communautaires eux-mêmes, qui prévoient des exceptions et permettent à « l’autorité compétente d’attribuer directement des contrats de service public » sans passer, donc, par les appels d’offres.
Toujours au chapitre de l’ou verture à la concurrence, « les “dates butoirs” souvent citées ne sont pas inflexibles », note par ailleurs la CGT, qui précise que « le rapport Spinetta lui-même, en raison des spécificités propres à la région Île-de-France, propose de reporter l’ouverture à la concurrence à 2033 et 2039 pour les RER ».
La dette ferroviaire est une dette d’État
Comme elle l’a déjà fait en 2014 lors de la dernière réforme ferroviaire, la CGT réaffirme que la dette ferroviaire est une dette d’État, largement contractée pour financer le développement des lignes à grande vitesse dans les années 1980. Elle plombe aujourd’hui le système ferroviaire de près de 50 milliards d’euros, et 1,7 milliard d’euros sont chaque année alloués aux remboursements des seuls intérêts de cette dette. « Le système ferroviaire ne peut s’autofinancer », répète la CGT, qui affirme que « la modernisation du réseau exige plus de 3 milliards d’euros d’investissement par an ». Le syndicat propose donc la mise en place d’une « caisse d’amortissement de la dette ferroviaire de l’État (Cadefe) », structure de défaisance qui apporterait « mécaniquement près de 2 milliards d’euros tous les ans au système ferroviaire en le libérant des intérêts bancaires de la dette ».
Par ailleurs, pour financer le développement du rail (fret et voyageurs), la CGT préconise le « fléchage de la Ticpe (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – NDLR) pour le financement des infrastructures, la création d’un versement transport additionnel pour les régions (…), la fin des partenariats public-privé (…), la création d’un pôle financier public », mais également une surtaxe de la rente des autoroutes concédées au privé, voire leur renationalisation.
Pour un retour à une entreprise unique et intégrée
Déjà en 1997, puis en 2014, les réformes ferroviaires n’ont cessé de poursuivre « le démembrement de l’entreprise publique (…), le tout accompagné d’externalisations, de segmentations internes et autres scléroses de la production », dénonce Laurent Brun. C’est à ce « statu quo libéral » qu’il convient aujourd’hui de mettre fin par le retour « à une entreprise unique, une intégration complète de la production, un renforcement de la maîtrise publique », égrène le syndicat.
Nourri d’expertises internes et extérieures, le projet de la CGT sera « remis au premier ministre dans les prochains jours », précise Laurent Brun. Hier, dans la foulée de sa présentation à la presse, le syndicat l’a porté à la connaissance des parlementaires, à l’invitation des députés et sénateurs communistes. Une manière de contourner les ordonnances et le déni du débat démocratique. Pour Pierre Laurent, présent hier aux côtés d’élus PCF mais aussi FI et LREM à cette audition de la CGT cheminots organisée à l’Assemblée nationale, « le diagnostic de la situation est essentiel ». Et s’adressant à Laurent Brun, le secrétaire national du PCF et sénateur a poursuivi : « Il y a maintenant une bataille à mener pour faire connaître ce que vous racontez face à ceux qui organisent les dysfonctionnements et s’en servent ensuite pour décrédibiliser la SNCF. »
La cfdt rejoint le cortège unitaire du 22 mars
La CFDT cheminots a annoncé en début de semaine qu’elle participera finalement à la manifestation nationale du 22 mars, à l’appel de la CGT. L’Unsa ferroviaire, SUD rail et FO avaient déjà répondu présent. L’intersyndicale au complet mobilise donc les cheminots contre le passage en force du gouvernement. « Nous nous revoyons le 15 mars, une fois le projet de loi d’habilitation connu et la feuille de route interne de la direction rendue publique, nous aurons toutes les cartes en mains pour voir ce qu’il en est concrètement et envisager, le cas échéant, de durcir le mouvement », a précisé hier Laurent Brun, secrétaire général de la CGT cheminots.
journaliste
Publié le 08/03/2018
Suicide au travail. Michelle, victime de la précarité
Sylvie Ducatteau
Mercredi, 7 Mars, 2018
L'Humanité
Après un long arrêt maladie, Michelle avait travaillé trois mois à l’hôpital Tenon à Paris 20e, son dernier lieu de travail à l’AP-HP. Fred Tanneau/AFP
Michelle était technicienne de laboratoire à l’AP-HP. Elle s’est donné la mort, vendredi matin, dans les locaux de la médecine du travail, où elle avait rendez-vous.
Michelle avait prévenu. Dans un dernier courriel posté mardi 27 février, la jeune technicienne de laboratoire, âgée de 35 ans, avait annoncé son geste fatal : « Le 1er ou le 2 mars prochain devrait avoir lieu un événement tragique pour moi au siège de l’AP-HP » (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Elle enjoignait aux destinataires de prendre contact les uns avec les autres afin de prévenir les médias, « pour que mes tentatives de suicide à cause des conditions de travail et du harcèlement de travail (sic) au Kremlin-Bicêtre ne restent pas lettre morte », dénonçait-elle sans aucune ambiguïté. Et d’ajouter : « Je vous en prie, que je ne reste pas un cas isolé ! » Vendredi matin, profitant d’un rendez-vous avec un psychologue dans les locaux de la médecine du travail située à l’Hôtel-Dieu, à Paris, elle s’est donné la mort.
Rien n’y a fait. Ni l’obtention d’un statut de stagiaire au sein de l’AP-HP, en mars dernier, qui ouvrait la voie à son recrutement définitif après une dizaine d’années à cumuler les contrats de courte durée. Ni le soutien du responsable de la CGT de l’hôpital Robert-Debré, où elle avait travaillé. Ni celui de son avocate Me Sylvie Le Toquin, qui s’apprêtait à déposer plainte contre l’AP-HP pour harcèlement moral. Et pour qui les raisons professionnelles du suicide de sa cliente ne font aucun doute. « Je fais très peu de procès en harcèlement, d’abord parce que nous en perdons beaucoup. Mais là, j’avais tous les arguments en main », souligne Me Le Toquin. Pour l’avocate, Michelle a été « broyée » par la machine administrative. « Plus vous entrez dans la profondeur de son dossier, plus vous voyez qu’elle tombe », explique-t-elle.
Une gestion calamiteuse de ses salaires, amputés de « trop-perçus »
À quoi s’est heurtée la jeune technicienne de laboratoire ? D’abord, à l’incertitude du lendemain, permanente, provoquée par les silences de l’administration sur le renouvellement ou non de ses contrats de travail. Des contrats courts (d’un à trois mois, selon les règles de la fonction publique hospitalière), qu’elle a multipliés dans cinq hôpitaux parisiens : Trousseau, Cochin, Robert-Debré, Bicêtre et Tenon en dernier lieu. Son dossier administratif restant parfois en souffrance d’un établissement à l’autre, cela a entraîné une gestion calamiteuse notamment de ses salaires, amputés de « trop-perçus » ou du paiement des heures supplémentaires aboutissant à « un imbroglio de plus en plus incompréhensible dans lequel elle se perdait », commente son avocate.
En 2016, la contractuelle avait fait condamner l’AP-HP pour préjudice d’exécution dommageable du contrat de travail. La jeune technicienne peinait alors à obtenir le paiement de cinq heures supplémentaires. Dans la foulée, elle avait été recrutée par l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. « J’avais des CDD avec tacite reconduction mais je n’avais pas de document écrit, de “contrat express”. Je travaillais sans contrat. Et plus personne ne me disait rien », racontait Michelle il y a quelques jours. Comme le confirme l’AP-HP dans son communiqué, c’est au lendemain de l’annonce qu’il était mis fin à son contrat qu’elle a attenté pour la première fois à sa vie. Un geste suicidaire qui n’a pas été reconnu comme accident du travail, la privant de salaire. Après un long arrêt maladie et l’échec de sa reprise d’activité, Michelle n’a tenu que trois mois à l’hôpital Tenon, puis ce fut la cassure. L’AP-HP assure avoir pris toutes les dispositions pour éviter le pire. Un CHSCT extraordinaire est convoqué ce jeudi à 11 heures à la demande de la CGT. Ces deux derniers mois, cinq salariés de l’AP-HP se sont donné la mort. Deux sur leur lieu de travail.
Lire le communiqué de l'Usap-CGT
Journaliste
Publié le 05/03/2018
Le GA de la Carmagnole vous invite
Le mardi 6 mars à 19h à une réunion générale
à la Carmagnole
10 rue Haguenot à Montpellier au cœur du quartier de Figuerolles.
Cette soirée sera la première initiative d’appropriation du lieu par tous les Insoumis.es.
Un point précis sera fait sur les premiers résultats de la souscription financière mensuelle, nous parlerons des nouvelles dispositions prises pour atteindre le nouvel objectif de 200 souscripteurs.
Déjà de nombreuses et nombreux insoumis.es (France Insoumise ou pas) sont impliqué(e)s dans la Carmagnole !
Les visites du samedi rassemblent un nombre grandissant de personnes enthousiastes.
Les différentes commissions présenteront leurs propositions.
La date d’inauguration sera fixée, elle prendra la forme d’une grande manifestation politique et festive qui nécessite l’engagement de tout le mouvement.
Nous sommes entrés depuis quelques temps dans une situation politique nouvelle : attaque frontale contre l’ensemble des services publics, mécontentement grandissant qui se perçoit dans la population,multiplication des luttes.Comment la Carmagnole peut-elle prendre toute sa part dans ces mobilisations populaires importantes, dans des actions de résistance ? Un lieu ressource où s’organiser, débattre, lancer des actions communes ?
On se sent déjà bien à la Carmagnole.
Alors venez nombreux ce 6 mars 2018, cette maison est à vous.
Les responsables du GA La Carmagnole
Franck Fiandino , Chantal Ponsot
Publié le 05/03/2018
Naissance d'une "Maison Insoumise"
C’est une maison bleue…. adossée à la ……Non. C’est la ‘Carmagnole-Maison des insoumis.es’, adossée à Figuerolles, sise 10 rue Haguenot.
La Carmagnole était ouverte, grande ouverte, en ce samedi 3 Pluviôse de l’an 2018, dès 10 h le matin.Elle a accueilli de nombreux adhérents et toutes les mains ont travaillé dans une belle ambiance festive. La fonte des neiges nous a donné l’occasion de lessiver les pavés de l’entrée, de refaire une beauté de printemps à un hall à ciel ouvert ensoleillé. A l’intérieur, les Christian, Patrick, Olivier, Franck,Eric, Santiago, Jami, Michel y sont allés à coups de marteau, de masse, de bras et de balais pour abattre le premier mur intérieur, inaugurant de leur énergie un espace aéré (après la poussière) accueillant et généreux. Mobilisant les voisines et les voisins, une femme charmante pour une échelle, un homme riant pour un tuyau d’arrosage… tous ont répondu présents avec enthousiasme. Flore et Romain filmaient les moments forts de ce rendez-vous depuis l’escalier, interviewaient quelques-uns d’entre nous sur la métamorphose du lieu, son avenir, ses ambitions. Mirela, photographe, immortalisait le geste, saisissait le ton. Sur le mur de la salle du fondchacun inscrivait non seulement son nom mais aussi son engagement à soutenir financièrement cette aventure commune. Une souscription mensuelle de 5, 10, 15, 20, 45 €… selon les moyens, la passion, l’addiction, ad libitum…
Bertrand Lecointre a peint une fresque expressivesur la dernière partie du mur qui sera abattue. Une touche légère de Léger, dénonçant l’ignominie de la condition faite aux femmes et aux hommesdans le néolibéralisme, beau travail ! Pendant que les Alain, Fred, Emma, Laurence, Odile, Adrien etc., lustraient l’espace de convivialité extérieur prêt à recevoir le couscous royal que le restaurant marocain de Figuerolles nous avait préparé, une belle tablée de convives s’y est retrouvée. Nous étions 30 à déjeuner… et bien plus à penser. Chacun a mis son empreinte et, de sa voix et de sa griffe, a déjà marqué l’esprit du lieu. Cetesprit commun.
C’était l’occasion de faire les premiers échanges(Henri, Alain C, Hervé, Denis, René, Odile, Laurence, Alain F, Kira, Alexandre, Guilhem, Bruno, etc, etc..)sur le projet architectural proposé par Claude Marre et la charte graphique, travaillée par Annabelle, sur la Carmagnole-Maison des insoumis.es. Projet et charte qui seront présentés et discutés le 6 mars prochain, journée que l’on pourra dire inaugurale pour une Maison commune de créativité politique, poétique, culturelle et artistique, de solidarité sociale. Lieu alternatif, convivial, chaleureux, fraternel. A la hauteur de sa dénomination : la Carmagnole au ton joyeux, dansant, révolutionnaire !
Laurence Boutinot
Publié le 03/03/2018
Hubert Wulfranc. « Une volonté de condamner le Parlement à l’inaction »
Entretien réalisé par Aurélien Soucheyre
L'Humanité.fr
Hubert Wulfranc Député PCF, membre de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire
Pour les députés PCF, ce second recours aux ordonnances est « un coup de force contre les services publics et les salariés de la SNCF ».
Que pensez-vous de ce nouveau recours aux ordonnances en tant que député ?
Hubert Wulfranc C’est désormais une caractéristique de ce gouvernement : quand il s’adresse aux élus, salariés et citoyens de ce pays, il le fait comme un véritable commandeur maniant les aspects les plus terribles du bonapartisme et de l’autoritarisme. Il y a dans ce nouveau recours aux ordonnances la volonté de condamner le Parlement à l’obéissance et en réalité à l’inaction, mais aussi celle de casser des acquis publics et sociaux, à la manière de ce qui a été fait avec la loi Pénicaud sur le Code du travail. Je vois l’annonce d’Édouard Philippe comme un coup de force contre le Parlement, les services publics et les salariés de la SNCF. Son objectif est de prendre de vitesse la représentation nationale, les cheminots dans toutes leurs représentations syndicales, et les usagers. Je note que le ton de sa déclaration est particulièrement belliqueux. Je pense qu’il choisit délibérément l’épreuve de force, en pensant que le parti godillot de la République en marche et le recours aux ordonnances lui permettront d’assommer le mouvement social. Il ne mesure sans doute pas l’attachement des cheminots et des usagers au service public, aux côtés desquels nous serons.
Le gouvernement estime que la situation nécessite une action rapide…
Hubert Wulfranc Le fait de vouloir prendre à bras-le-corps la situation de la SNCF est une nécessité, mais pour en faire quoi ? Désigner le statut des cheminots et la nature publique de l’entreprise SNCF comme source des difficultés et des dysfonctionnements remarqués est profondément malhonnête. L’exécutif cherche à escamoter les véritables responsabilités. Il veut faire l’impasse sur le rôle des gouvernements successifs dans l’affaiblissement de la SNCF et de la politique du rail en général, avec un sous-investissement chronique qui vise à accélérer une libéralisation rampante. C’est aussi mettre de côté la politique « sociale » de la SNCF, où 40 000 emplois de cheminots ont été supprimés en quinze ans environ. Cette communication est démagogique, et vise à faire avaler le dépeçage de l’entreprise SNCF et du réseau ferré français.
Quels sont les dangers liés à cette réforme ?
Hubert Wulfranc C’est un nouveau cadeau fait au marché, aux entreprises et actionnaires du privé, au détriment de l’intérêt général. On sait très bien que, quand cette ouverture à la concurrence va se traduire en actes, les « partenaires » et filiales privés entrés sur le réseau vont se mener une guerre d’enfer et une concurrence acharnée, dont le maître mot sera la rentabilité. Les lignes et services non rentables seront à terme abandonnés. Ce qu’a annoncé Édouard Philippe sur les petites lignes est un recul temporaire. Il peut tranquillement en parler, dans la mesure où elles seront transférées aux régions. Mais il est bien évident que livrer les lignes au marché revient à faire voter une loi d’éclatement des égalités territoriales. Là où il n’y aura pas de bénéfices à faire, on en viendra à des fermetures. Cette déréglementation annoncée est de plus très grave en matière d’accès à la mobilité, d’aménagement du territoire, et sur le plan écologique et environnemental : ceux qui se frisent les moustaches aujourd’hui sont très certainement les animateurs du lobby routier, dont l’activité est bien plus polluante.
Journaliste