PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

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   mise en ligne le 7 février 2025

Violences racistes : dans le Nord,
une nébuleuse identitaire
prête à passer aux actes

Les groupuscules d’extrême droite trouvent dans le Nord un terrain propice, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les migrants cherchant à rejoindre l’Angleterre. Ils prospèrent à l’ombre du RN, dont les scores contribuent à la libération de la parole raciste

.Rosa Moussaoui sur https://www.humanite.fr/

Sous les radars. Avant la mort de Djamel Bendjaballah, tué le 31 août 2024 par Jérôme D., personne dans le Dunkerquois n’avait entendu parler de la Brigade française patriote (BFP), à laquelle appartenait le meurtrier. Seule mention publique de cette milice avant ce crime : elle est citée dans un article scientifique consacré aux survivalistes, qui relève la présence dans ses rangs d’ex-militaires amateurs de bivouacs et de séances d’entraînement au tir « afin de se préparer à rétablir l’ordre en cas de rupture de la normalité ».

L’un des membres, au moins, de cette Brigade française patriote, était familier des stands de tir de la région, où se croisent policiers et militants d’extrême droite. Pour entériner l’appartenance au groupe, fondé en 2018 par un ancien de la marine, les nouveaux venus se voyaient délivrer un « diplôme » au liseré bleu, blanc, rouge, frappé d’un écusson figurant une tête de mort que cernent ces mots : « Se préparer et résister ».

Une atmosphère de chasse aux réfugiés

Dans une enquête de Blast, un membre de la BFP, ancien militaire, décrit un groupe « très structuré » avec « un chef national qui est en Bretagne et des responsables régionaux ». « Beaucoup d’entre nous possèdent des armes, confie-t-il, (…) On s’entraîne et on se prépare car on sait que la guerre civile est inévitable. » Toujours selon Blast, le tueur était aussi en contact avec un groupe néonazi, Alliance France, réplique hexagonale du mouvement néonazi belge Alliance Belgique, qui aurait sollicité l’adhésion de Jérôme D. avant le crime.

D’autres groupuscules d’ultradroite sont actifs dans le Nord, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les réfugiés cherchant à rejoindre l’Angleterre. Parmi eux, le Parti de la France, du pétainiste Thomas Joly, qui appelle publiquement à procéder à des « rafles ». Dans cette atmosphère de chasse aux réfugiés, le ministère de l’Intérieur demandait, en avril 2023, la fermeture de chaînes Telegram dont certains membres évoquaient des projets d’actions violentes et racistes dans le Nord et le Pas-de-Calais.

L’ombre des ultranationalistes flamands

Cet activisme ne connaît pas de frontières : au mois d’août 2024, à l’acmé des émeutes racistes outre-Manche, une influente figure de l’extrême droite britannique appelait à organiser une traversée pour empêcher les embarcations de migrants de quitter le littoral français. Mais les plus ancrés dans le Dunkerquois sont certainement les ultranationalistes flamands du Geuzenbond, adeptes de la rhétorique du « grand remplacement », qui prêchent « la réunification de toutes les régions néerlandophones d’Europe ». Ceux-là organisent régulièrement des « randonnées » dans les dunes et des collages d’affiches à Dunkerque, Malo-les-Bains, Bray-Dunes, Petite-Synthe.

Le 23 janvier 2024, ils recouvraient les murs de Coudekerque-Branche, où vivait Jérôme D. – une commune de la banlieue de Dunkerque où le Rassemblement national (RN) a recueilli 47,69 % au premier tour des élections législatives anticipées l’été dernier. Le 28 mai 2024, ces nervis d’extrême droite se recueillaient à Watten sur la tombe de l’abbé Jean-Marie Gantois. En 1940, cet ecclésiastique rallié à la doctrine nazie avait écrit à Hitler pour lui demander le rattachement de la Flandre française au Reich allemand comme « membre de la nouvelle communauté germanique ». 

Ils appartiennent à la même nébuleuse identitaire que les ultranationalistes flamands de Schild & Vrienden, dont le fondateur Dries Van Langenhove, ex-député du Vlaams Belang, a été condamné au printemps 2024 par la justice belge à un an de prison ferme pour détention d’armes et diffusion de messages à caractère raciste et antisémite. « Le lien est bel et bien établi entre cet ancien parlementaire d’extrême droite, Schild & Vrienden et le Geuzenbond », indique une source policière belge.

Une convergence redoutée

Difficile d’évaluer le poids politique réel de ces milices qui prospèrent à l’ombre de l’extrême droite institutionnelle. « C’est pour l’instant une minorité agissante, remarque Stéphane Vonthron, de l’union départementale CGT du Nord. Ils recrutent parmi les étudiants ; les salles de musculation, le MMA et le combat mixte leur offrent un vivier. Le problème, c’est que, lorsque de tels groupes sont dissous, leurs membres continuent de s’organiser dans l’ombre. Ils se préparent : si le RN gagne, ils seront dans la posture de former de véritables groupes paramilitaires. »

Bernard Champagne, de la Ligue des droits de l’homme, redoute aussi la « convergence » de ces groupes : « On n’est pas prêts. Leur endiguement implique une mobilisation collective. » Leur volonté affichée de convertir leur influence sur les réseaux sociaux en activisme sur le terrain nourrit ces inquiétudes. « J’espère que la justice enquêtera sur ces groupes néonazis, souffle Morad, l’ami d’enfance de Djamel Bendjaballah. Les éléments les plus dangereux doivent être repérés pour empêcher tout nouveau passage à l’acte. »


 

   mise en ligne le 6 février 2025

À gauche, les unitaires attendent
(à nouveau) leur heure

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Les partisans de l’unité à gauche, qui voient le fossé se creuser entre socialistes et Insoumis, s’activent désespérément pour conjurer la rupture du Nouveau Front populaire. Si les clivages ne sont pas factices, ils doivent s’éclipser derrière le danger mortel d’une victoire de l’extrême droite en 2027, défendent-ils.

Youlie Yamamoto pèse ses mots lorsqu’elle parle de politique, mais pour décrire le paysage global, le couperet tombe sévèrement : « L’heure est grave. » Deux raisons au moins nourrissent l’inquiétude de la porte-parole d’Attac.

L’une est évidente mais se passe en coulisses. Si le Rassemblement national (RN) a échoué à s’imposer aux élections législatives anticipées de 2024 après qu’une centaine de candidat·es investi·es ont été épinglé·es pour leurs propos haineux et complotistes, il ne répétera pas la même erreur. « Le parti est prêt, les tocards des législatives ne seront plus là, le RN dispense des formations et fait du lobbying auprès des institutions pour se constituer un vivier de cinq cents hauts fonctionnaires à nommer aux postes clés – il en a déjà la moitié », alerte-t-elle.

L’autre raison s’étale à l’inverse sur les réseaux sociaux à grand renfort d’invectives et sur les bancs de l’Assemblée nationale où le Parti socialiste (PS) va s’abstenir une nouvelle fois sur la motion de censure déposée par La France insoumise (LFI) pour faire chuter le gouvernement de François Bayrou. « Les vieilles histoires des partis de gauche reviennent, le débat entre la ligne de rupture et la ligne réformiste prend le dessus sur tout le reste, comme si cette affaire n’était pas réglée. Que fait-on de ça ? », interroge la militante, qui s’était mobilisée avec des centaines d’organisations du mouvement social pour le Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier.

« La gauche ne gagnera que sur une ligne claire de rupture. Si on donne l’impression d’être en soutien de la Macronie, comme le fait le PS, on sera emportés. On se bat depuis quinze ans pour éviter une situation à l’italienne [où la gauche a disparu du paysage politique – ndlr] », explique Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, pour justifier le bras de fer qui se joue avec les socialistes.

Dans la société civile mobilisée, le désarroi dispute toutefois la volonté de bousculer des partis revenus à leurs réflexes identitaires. En un mois, leur désunion ouverte ou latente s’est soldée par deux défaites cuisantes à des élections partielles, à Grenoble (Isère) et à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Il faut rappeler les partis à la raison : pendant qu’ils se disputent, même sur des batailles de fond, c’est la société civile qui trinque alors qu’ils sont censés porter ses revendications. Nous sommes des millions de militantes et de militants, et on a la sensation que notre avenir est joué », décrit Youlie Yamamoto.

Bousculer les partis

Pour conjurer ce sinistre avenir, des partisan·es de l’unité à gauche s’activent avec des armes légères. Le 29 janvier, Lucie Castets, ex-candidate à Matignon du NFP, organisait une soirée militante à Pantin (Seine-Saint-Denis) avec des protagonistes de la société civile et des représentant·es des quatre partis de gauche. Environ un millier de personnes s’y sont rendues.

« Après cette soirée, je suis convaincue qu’il y a un espace politique central au NFP, qui refuse de s’enfermer dans un hypothétique duel entre Jean-Luc Mélenchon et François Hollande et la mise en scène qu’il implique. Ne nous laissons pas enfermer là-dedans et renforçons cet espace, avec ou sans eux », dit-elle à Mediapart.

L’ex-directrice des finances à la ville de Paris, partisane de la censure du gouvernement Bayrou sur un budget qui « dépasse une multitude de lignes rouges, en particulier sur nos services publics », mais aussi pour son « infâme convocation de l’idée de submersion migratoire », ne dramatise pas la différence d’attitude du PS sur cette question. « Les désaccords stratégiques sont une caractéristique de l’union de la gauche depuis toujours, explique-t-elle. Mais il ne faut pas que les querelles d’intérêts des partis prennent le dessus sur l’union. »

Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face. Clémentine Autain, députée, membre de L’Après

Pour cimenter cette union, Lucie Castets a entrepris un travail collectif sur trois axes : l’approfondissement du programme, les mobilisations locales et le processus de désignation d’une candidature commune. Le politiste Rémi Lefebvre s’est attelé à cette dernière tâche – la plus sensible. « On n’a pas beaucoup de temps, on ne sait pas quand les élections auront lieu et c’est long à mettre en place », justifie Lucie Castets.

À contre-courant de la dynamique centrifuge qui dilapide le NFP, de petits partis unionistes tentent aussi de peser : la Gauche démocratique et sociale (GDS, animée par Gérard Filoche) a fusionné avec L’Après (le mouvement qui regroupe les ex-Insoumis purgés en 2024) le 1er février. Mais le microscope est encore de rigueur pour observer le « parti des gauches unitaires ». « Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que de faire grandir cette force. Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face », commente la députée Clémentine Autain, membre de L’Après.

C’est cette même angoisse qui anime l’avocat Raphaël Kempf, ex-candidat aux législatives à Paris, investi par LFI : « Ce à quoi on assiste en termes de division est assez difficile à vivre pour moi, en qualité d’ancien candidat du NFP. L’unité me paraît indispensable dans une situation aussi tragique, avec la libération de la parole xénophobe, raciste, et la normalisation de l’extrême droite largement entamée par la loi immigration », explique-t-il.

On s’engueulera (encore) plus tard

Alors que la municipale partielle à Villeneuve-Saint-Georges a créé un précédent potentiellement traumatique à gauche, certains veulent faire des échéances municipales de 2026 une démonstration politique des vertus de l’unité.

C’est le cas de Romain Jehanin, porte-parole de Génération·s et conseiller municipal d’opposition à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où la gauche se présentera unie pour la première fois sous le label « Asnières en commun ». « Ce n’est pas parce que demain nos camarades, nationalement, devaient s’invectiver qu’on le ferait localement », assure l’élu, qui appelle les forces de gauche à cesser de se déchirer en public. « Si demain il y avait des législatives anticipées, il faudrait s’y présenter unis derrière un programme qui nous a déjà rassemblés en 2022 et en 2024 ! », rappelle-t-il.

Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération. Roger Martelli, historien du communisme

Dans un contexte international marqué par la victoire de Donald Trump et l’influence grandissante de Javier Milei, et alors qu’une tripartition politique caractérise désormais le paysage politique français, pour ces unionistes l’heure n’est donc plus au débat des gauches. « Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, ils renvoient à des univers profondément différents et il n’est pas indifférent de savoir qui donne le ton, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération », explique l’historien du communisme Roger Martelli, bon connaisseur de l’époque où le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), Georges Marchais, s’affrontait lourdement avec François Mitterrand.

« Aujourd’hui, le déséquilibre entre la gauche et la droite est infiniment plus grand qu’il ne l’était entre 1977 et 1981, et le centre de gravité de la droite s’est déporté vers l’extrême droite. L’enjeu n’est donc plus simplement de savoir qui va donner le ton dans un cadre démocratique, mais si nous allons rester dans ce cadre démocratique, ou si la France va basculer dans une nouvelle ère qu’il vaut mieux ne pas expérimenter », développe-t-il.

C’est la raison pour laquelle, passé la sidération dans laquelle la société civile organisée semble avoir été plongée après le coup de force démocratique d’Emmanuel Macron – qui a tout fait pour empêcher le NFP de gouverner –, celle-ci semble se ressaisir doucement.

Un appel à « renforcer les collectifs unitaires sur le terrain » a par exemple été lancé par des militant·es et responsables syndicaux, qui exhortent à l’unité pour constituer une alternative politique. « Face à l’extrême droite aux portes du pouvoir, rester sur son quant-à-soi risque de se payer très cher pour tous et toutes », écrit ce collectif. « On est dans une position d’attente pour réagir au bon moment, que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau, mais il va y avoir une fenêtre et on va s’en saisir », conclut Youlie Yamamoto.

    mise en ligne le 5 février 2025

Montpellier : Un préavis de grève illimitée déposé aux urgences du CHU

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Après le dépôt début janvier par la CGT du CHU d’un signalement pour danger grave et imminent, et face à la tension hospitalière due à un manque de moyens, le personnel des urgences s’est mis en grève ce mercredi 5 février. Ils demandent des recrutements à court terme et un renforcement de l’infrastructure de soins.

Devant les urgences de Lapeyronie, une quarantaine d’agents du CHU de Montpellier tentent de se réchauffer en musique, ce mercredi 5 février au matin. “Si il y a un préavis de grève illimitée et une mobilisation aujourd’hui, c’est parce que les agents ne se sentent pas satisfaits des réponses données par la direction lors de notre dernière rencontre”, explique Pierre Renard, délégué CGT. Dès les premiers jours de 2025, en pleine épidémie de grippe, le syndicat avait réalisé un signalement pour danger grave et imminent à la direction de l’hôpital face aux manques de moyens dont souffrait le personnel, et une rencontre s’était tenue le 14 janvier. “La direction nous parle d’un projet d’un nouveau bâtiment en 2028, mais 2028 c’est loin, et face à la situation démographique du département, c’est maintenant qu’on a besoin d’un agrandissement des infrastructure. Aujourd’hui, certains bâtiments n’ont même pas la climatisation”, détaille Pierre Renard. Selon Force Ouvrière et la CGT, qui ont appelé à la grève, les urgences du CHU ont connu 8,5% de passage supplémentaire en 2023 par rapport à l’année précédente, soit 5 600 patients en plus.

Pierre Renard déplore un sentiment d’épuisement généralisé des soignants : “Je n’ai jamais vu autant de départs de collègues, de maladies professionnelles, de reconversions. Les gens n’en peuvent plus. On manque de médecins, car pendant leur stages, les internes sont tellement pressurisés qu’ils ne veulent plus revenir travailler ici après leurs études.”

Philippe, infirmier en psychiatrie aux urgences, témoigne d’une surcharge due au manque de personnel : “Les gens peuvent passer dix ou douze heures dans une toute petite salle d’attente, les gens crient, vomissent, ou parfois. D’un point de vue des urgences psychiatriques, cette ambiance peut contribuer à aggraver des situations de détresse psychique.”

Pour Laurent Brun, secrétaire de Force Ouvrière au CHU, “il y a un besoin urgent de recrutement de personnel, notamment en salle d’orientation et dans les filières médico-chirurgicales.” Lors des dernières rencontres avec les syndicats, la direction évoqué l’ouverture de Quinze lits. “Mais on ne trouve pas de médecins”, souffle le représentant de FO. “Nous sommes dans un cercle vicieux, les conditions de travail se dégradent, donc les gens partent et ça rend le travail plus dur, et plus personne ne veut venir travailler ici.” Il ajoute : “Les patients sont plus agressifs et tendus qu’avant, si on a pas plus de moyens, ça va dégénérer.”

Pendant ce temps, l’UNSA veut des flics à l’hôpital

La sécurité des agents, c’est justement la préoccupation de l’UNSA. Si le syndicat n’a pas appelé à la grève, ils ont rencontré Yannick Neuder, ministre de la santé, lors de sa visite au CHU de Montpellier le 31 janvier, et ils lui ont demandé “la création d’une police hospitalière à l’instar de la police ferroviaire ou de la future police pénitentiaire avec des fonctionnaires hospitaliers assermentés ayant la qualité juridique d’Agents de Police Judiciaire (APJ).” Une revendication qui hérisse le poil d’un syndicaliste de la CGT avec qui nous avons pu discuter. “On veut des lits et des soignants, pas des matraques ! Si on a plus de moyens pour prendre en charge les gens, ils n’attendront pas douze heures sur un brancards et seront moins agressifs…”

Côté perspectives, nul ne sait, à l’heure actuelle, si la grève va être reconduite.


 

    mise en ligne le 4 février 2025

Des contorsions et deux 49.3
pour un budget austéritaire

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

François Bayrou a dégainé, ce lundi, deux 49.3 pour faire adopter respectivement le projet de loi de finances de l’État et celui de la Sécurité sociale. Deux motions de censure ont été déposées par une partie de la gauche, le Parti socialiste a annoncé qu’il ne les votera pas.

On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Ce n’est pas le cas du 49.3. Ce lundi 3 février, à la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre François Bayrou a annoncé y recourir pour engager la responsabilité du gouvernement sur deux textes : le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale.

« Nous voici à l’heure de vérité et de responsabilité, a-t-il annoncé en introduction de sa prise de parole. Est-ce que ce budget est parfait ? Non, mais c’est un équilibre. Nous sommes tous ensemble face à notre devoir : dans les dix jours, la France aura ses budgets. » Deux textes qui, selon lui, ont « trois géniteurs » : « Le gouvernement de Michel Barnier, le gouvernement constitué depuis le 23 décembre et le Parlement dans ses deux chambres. »

Une façon d’insister sur la volonté de « compromis » qui l’animerait. « Le mot compromis ne doit plus être une insulte dans la vie politique française, a renchéri David Amiel, député macroniste et rapporteur du budget. Nous sommes tous intoxiqués à un fait majoritaire qui ne mène qu’à l’impuissance et à la crise. »

« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier »

Des propos qui ne correspondent pourtant en rien à la réalité. Si le projet de loi de finances (PLF) a fait l’objet de débats à l’occasion d’une commission mixte paritaire (CMP), sa composition était largement acquise au camp gouvernemental et à ses priorités. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), lui, n’a même pas eu ce piètre honneur puisque les discussions à son propos n’ont repris que la semaine dernière. Elles sont interrompues par ce coup de force qui permet à François Bayrou de contourner le Parlement.

Dans les deux cas, le caractère largement austéritaire du PLF et du PLFSS frappe. Cela malgré les propositions des forces du Nouveau Front populaire (NFP) pour augmenter la part des recettes plutôt que la recherche d’économies dans le fonctionnement de l’État.

« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier, déplore Éric Coquerel, président FI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. L’Observatoire français des conjonctures économiques chiffrait que le budget du précédent premier ministre aurait un effet récessif de 0,8 point. Celui de François Bayrou, avec 23,5 milliards de coupes budgétaires, nous coûtera encore plus cher ! Les faibles concessions ne sont qu’un arbuste qui cache la forêt austéritaire. »

Par conséquent, Mathilde Panot, cheffe de file des députés insoumis, a annoncé le dépôt de deux motions de censure. Causeront-elles la chute de François Bayrou et de ses ministres ? Il faudrait pour cela la mobilisation de l’ensemble du Nouveau Front populaire, mais aussi les voix de l’extrême droite. Cela n’en prend pas le chemin.

Une autre motion pour dénoncer les propos de Bayrou sur la « submersion migratoire »

À la mi-journée, quelques heures avant la prise de parole du premier ministre, le bureau national du Parti socialiste (PS) a annoncé qu’il ne censurerait pas le gouvernement. Au total, 59 voix se sont prononcées en ce sens, contre 54 à la veille de la précédente motion de censure visant François Bayrou, le 16 janvier.

Une position qui concerne autant le vote de la motion de censure correspondant au PLF que celle du PLFSS. Au prix de quelques contorsions. « Cela n’empêche pas que nous nous opposons politiquement à l’action du gouvernement, précise Béatrice Bellay, députée socialiste de la Martinique. Nous écoutons simplement les remontées de terrain de nos élus qui nous font part de leurs difficultés sans budget. Mais nous continuons à dire que ce budget ne va pas dans le bon sens avec, par exemple, deux milliards en moins pour l’habitat. »

Reste à savoir si l’ensemble du groupe socialiste se rangera derrière cette volonté. Au mois de janvier, huit députés avaient refusé de s’aligner sur la position du parti. Il en faudrait plus d’une vingtaine pour causer la chute du gouvernement si le Rassemblement national (RN) et ses alliés votent également la censure. Ces derniers ont fait savoir qu’ils annonceront leur position ce mercredi. Le temps de tenter d’obtenir quelques concessions du premier ministre ?

Malgré cette décision du bureau national, les socialistes ont réaffirmé qu’ils continueraient à s’opposer à un « gouvernement qui participe à la trumpisation du débat public ». En cause, ses « attaques contre le pacte vert au niveau européen », la remise en cause du droit du sol à Mayotte et en Guyane, le durcissement des critères de régularisation des sans-papiers, la diminution des crédits de l’aide médicale d’État ou de l’aide publique au développement, ainsi que les propos de François Bayrou sur une prétendue « submersion migratoire ».

Ces derniers seront à l’origine du dépôt, par les députés socialistes, d’une motion de censure spontanée sur « les valeurs de la République ». La démarche est loin de calmer la déception des autres groupes du NFP devant leur refus de voter la censure. La motion socialiste sera en effet rejetée par le camp gouvernemental comme par l’extrême droite et n’a donc aucune chance d’aboutir.

 « Piétiner » et « humilier » la démocratie

« Je suis choquée par leur décision, fait savoir Aurélie Trouvé, députée FI de Seine-Saint-Denis, à propos du refus socialiste de s’associer aux deux motions. Les socialistes ont été élus sur un programme, celui du NFP, construit pour proposer autre chose que le macronisme. Notre motion servira à déterminer qui est dans le soutien du gouvernement et qui est dans l’opposition. C’est une question de fidélité pour nos électeurs. »

« Ce choix n’est à mon avis pas le bon, estime pour sa part Benjamin Lucas-Lundy, député du groupe Écologie et social. C’est un mauvais budget qui prolonge la politique d’Emmanuel Macron depuis 2017 et qui est à l’opposé des grandes orientations que nous devons prendre pour le pays, en particulier en matière de bifurcation écologique ou de justice sociale. »

« Ce budget est pire que le précédent. Il est honteux d’obliger des députés à voter la censure pour pouvoir s’exprimer, parce qu’on leur a retiré toute prise sur le budget », s’agace le communiste André Chassaigne, coprésident du groupe GDR. Et le député PCF Nicolas Sansu de se désoler également du recours au 49.3, qui « piétine » et « humilie » la démocratie. Un outil constitutionnel dont toutes les composantes du NFP avaient exigé en vain l’abandon, auprès de François Bayrou, contre un accord de non-censure.

    mise en ligne le 3 février 2025

L'insoutenable dette des hôpitaux
et les « morts évitables »

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Deux exemples récents des difficultés financières rencontrées par des hôpitaux illustrent la situation insoutenable de leur dette. Petit retour en arrière. En 2002, lors de la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne, les hôpitaux se sont vu retirer la possibilité d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement possibles pendant soixante ans. Il leur a fallu se tourner vers des banques commerciales, pratiquant des taux d’intérêt qui ont pu atteindre près de 20 % avec des emprunts dits toxiques. Le résultat est aujourd’hui catastrophique.

Ainsi l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, établissement de 450 lits, est en cessation de paiement du fait d’une dette cumulée de 120 millions d’euros due à sa reconstruction qui n’a pas été financée par l’État. À Marseille, l’Assistance publique affiche une dette de 840 millions d’euros qui l’empêche d’engager des opérations de rénovation de ses bâtiments vieillissants.

C’est pourquoi son directeur demande à l’État de reprendre cette dette à sa charge, considérant qu’il en est responsable, arguant que, sans cette mesure, il ne sera plus en capacité d’assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. Il faut noter qu’il est exceptionnel qu’un directeur à la tête d’un des plus grands CHU de France mette ainsi l’État face à ses responsabilités.

Cette situation scandaleuse est dénoncée depuis des années. La seule charge des intérêts dépasse chaque année 1 milliard d’euros au grand bénéfice des banques. Ainsi, pour 2023, les bénéfices de la seule BNP ont atteint 11 milliards d’euros. Il est donc clair que la dette des hôpitaux a été créée par la logique néolibérale soutenue par Emmanuel Macron et l’Europe, qui enrichit les banques au détriment des services publics, notamment celui de la santé.

À la veille d’un nouveau 49.3 pour la loi de financement de la Sécurité sociale, il est important de rappeler cette situation aux députés qui ne voteraient pas la censure. Au-delà des chiffres, il y a des vies en jeu. Les fermetures des services d’urgence et les dysfonctionnements des Samu dus à un manque criant de moyens sont la cause directe de ce que nous appelons « des morts évitables », chiffrées autour de 1 500 à 2 000 par an.

La question de la dette doit effectivement être résolue, n’en déplaise à Bernard Arnault et à ses amis, en taxant un peu plus les milliardaires qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce serait normal, car un rapport du ministère des Finances paru ces derniers jours indique que les impôts de 0,1 % les plus riches ont diminué entre 2003 et 2022 alors que ceux des 50 % les plus pauvres ont augmenté. Alors mesdames et messieurs les députés, allons chercher l’argent là où il est pour sauver des vies et arrêtons de nous bassiner avec la dette que nous allons laisser à nos enfants.


 

       mise en ligne le 2 février 2025

Cessez-le-feu à Gaza :
un équilibre précaire entre
espoirs fragiles et défis majeurs

Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr

L’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza constitue un moment crucial, résultant d’une reconfiguration des dynamiques au Moyen-Orient et de l’influence des administrations américaines, la nouvelle et l’ancienne. Cependant, cette fragile trêve a déjà été compromise par des violations israéliennes, comme le bombardement du 16 janvier, qui a causé la mort de 80 personnes, aggravant un bilan humain déjà dramatique. La cessation des hostilités et la libération des otages ravivent un espoir au milieu des destructions massives. La libération des otages est porteuse d’une forte charge émotionnelle en Israël. En Palestine, les morts et les handicapés se comptent par dizaines de milliers et les destructions sont indescriptibles, mais les Gazaouis ont dansé dans les ruines à l’annonce du cessez-le-feu.

Les conséquences humaines tragiques de ce conflit seront toujours présentes dans les mémoires, mais elles ne doivent pas entraver le chemin vers la paix. La première étape vers une résolution durable devra reposer sur la reconnaissance mutuelle des souffrances et la mise en place de mécanismes de réparation. Les crimes de guerre commis par les deux camps doivent faire l’objet d’enquêtes impartiales menées par des instances judiciaires nationales et internationales, à l’image des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, soulignant l’importance de rendre justice. Le cycle infernal des vengeances ne peut s’arrêter que de cette façon. Mais le cessez-le-feu constitue une fenêtre de tir ; il est essentiel d’en faire une étape pour analyser les racines du conflit et œuvrer à une solution durable. Reconnaître les souffrances, instaurer des réparations et encourager un dialogue sincère sont des étapes indispensables pour arriver à une paix durable.

Pourquoi les attaques du 7 octobre ?

Rien ne peut justifier les horreurs commises lors des attaques du 7 octobre. Mais le Hamas, au pouvoir à Gaza, a cherché à briser un silence de près de deux décennies d’embargo et d’occupation de fait. Il a aussi cherché à réaffirmer son rôle dans la résistance palestinienne, à infliger des pertes à Israël et à attirer l’attention internationale sur un drame vieux de 77 ans. Ces attaques répondaient à des décennies d’oppression, tout en cherchant à contrer un rapprochement entre Israël et les autocrates arabes, imposé par Donald Trump à travers les accords dits d’Abraham, perçus par la rue arabe et les Palestiniens comme une trahison de la cause. Enfin et surtout, les attaques du 7 octobre visaient à pousser Israël à la faute et à gagner la sympathie de l’opinion publique arabe et même mondiale. Cet objectif a été largement atteint. De fait, le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur incontournable avec ses héros et ses martyrs aux yeux des Palestiniens.

Pourquoi un cessez-le-feu maintenant ?

La trêve a été instaurée sous la pression de l’administration américaine et face à l’impasse militaire. Les préoccupations concernant les otages ont influencé les décisions du gouvernement israélien, mais les considérations stratégiques semblent avoir primé sur les raisons humanitaires.

Pourquoi les deux camps ont-ils ciblé des civils ?

Israël a poursuivi des opérations destructrices dans ce qui semble être une volonté de représailles. Une cessation des hostilités plus rapide aurait pu être interprétée comme un signe de faiblesse du gouvernement israélien d’extrême droite. L’armée, qualifiée abusivement « la plus morale au monde », qui a des années-lumière d’avance en matière de technologie et de moyens par rapport aux Palestiniens, a commis des actes abjects sur des civils. Il semblerait que, le 7 octobre, le Hamas ait été dépassé par l’ampleur de l’attaque et ait perdu le contrôle des assaillants. Mais le fait est que, dans les deux cas, des civils ont été froidement tués. Ceci reflète la haine qui s’est développée entre les deux belligérants.

Pourquoi ce conflit dure-t-il depuis un siècle ?

Ce conflit repose sur une lutte pour la souveraineté entre deux peuples revendiquant la même terre. Pour les sionistes, la Palestine représente un projet politique de foyer national juif. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah l’ont rendu possible. Pour les Palestiniens, c’est une terre ancestrale dont ils ont été progressivement dépossédés, alimentant un traumatisme collectif.

Pourquoi les Palestiniens vivent-ils sur un territoire aussi restreint et morcelé ?

La Nakba de 1948 et les conflits ultérieurs ont vidé de son sens le plan de partage initial du territoire prévu par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 29 novembre 1947. Ces guerres ont conduit au déplacement massif des Palestiniens, confinés à Gaza et à des zones morcelées en Cisjordanie, reliées entre elles par des couloirs, aggravant leurs conditions de vie et celles de millions de réfugiés palestiniens.

Pourquoi Israël est-il le premier mais non le seul responsable de la situation ?

Israël a déclenché toutes les guerres à l’exception de celle de 1948. Israël a gagné toutes les guerres contre les pays arabes voisins. Pour les Palestiniens qui n’ont pas d’armée, Israël symbolise l’occupation et l’injustice. Pour les Palestiniens des territoires occupés (Cisjordanie : 3,2 millions et Gaza : 2,17 millions, soit 5,35 millions) et pour les Palestiniens restés en Israël (plus de deux millions de personnes), prétendre qu’Israël est une démocratie n’a pas de sens. L’avancée technologique, les institutions en Israël et le soutien des puissances occidentales lui ont permis de dominer la région, tandis que les Palestiniens sortaient de siècles d’occupations ottomane puis anglaise. Israël est perçu comme un bout d’Occident dans la région. Un mur et des décennies séparent les deux communautés.

Pourquoi une incompréhension entre les deux peuples voisins ?

Cette incompréhension est nourrie par des récits historiques totalement divergents et par des systèmes éducatifs et médiatiques qui renforcent les stéréotypes. De plus, l’expérience de la Shoah n’a pas la même résonance dans le monde arabe, ce qui alimente parfois un antisémitisme inquiétant. La haine des Palestiniens est cultivée chez une partie de plus en plus importante d’Israéliens, notamment chez les colons, mais la haine de l’autre est enseignée chez les deux peuples dès l’école.

Pourquoi l’Occident soutient-il Israël ?

Ce soutien découle en grande partie d’une culpabilité liée à la Shoah, mais aussi d’intérêts stratégiques. Israël est perçu comme un allié clé, bien que ce soutien unilatéral néglige les souffrances des Palestiniens. Israël, de fait d’un passé historique en Europe d’une partie de ses habitants, dispose de puissants relais économiques et culturels en Occident. La guerre de Gaza a fait tomber les dernières illusions des démocrates arabes quant à l’objectivité des puissances occidentales et à leur réel attachement aux droits humains.

Pourquoi les pays du Sud soutiennent-ils les Palestiniens ?

Les nations du Sud s’identifient aux Palestiniens à travers l’expérience de la colonisation et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une hypocrisie occidentale. La solidarité religieuse et culturelle joue également un rôle majeur pour les musulmans et les Arabes, notamment.

Pourquoi certains s’opposent-ils à la paix ?

Les figures prônant la paix, comme Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, ont été éliminées. L’immense majorité des responsables politiques israéliens des années 60 et après se sont convertis à la paix à la fin de leur vie après avoir mené des guerres contre les pays arabes voisins. Les dirigeants actuels, en Israël, sont aveuglés par leur puissance militaire. Dans certains pays arabes, les dirigeants profitent depuis 1948 du statu quo pour maintenir leur pouvoir. Le nationalisme d’extrême droite des deux camps exacerbe les tensions et s’oppose à la paix.

L’Histoire nous apprend que pour faire la paix il faut être deux.

Il est sidérant de constater à quel point ces va-t-en-guerre ne réalisent pas que les deux peuples sont condamnés à vivre côte à côte. Pour arriver à une paix durable, il faut abandonner les récits de victimisation au profit d’une vision partagée. L’engagement réciproque et un dépassement des récits antagonistes est absolument nécessaire. La sortie du cycle de violence passe par la reconnaissance d’un État palestinien et l’instauration d’un dialogue sincère sur les points de divergences. La communauté internationale, et notamment les États-Unis et l’Europe, doit enfin jouer un rôle réellement équilibré, en s’engageant à protéger les civils et à promouvoir des solutions durables. Ce sont des conditions nécessaires pour construire un avenir de coexistence pacifique.


 

    mise en ligne le 1er février 2025

Budget 2025 : ces grands patrons
sans honte ni scrupules

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Durs dur d’être patron dans l’Hexagone à en croire Bernard Arnault, la cinquième fortune mondiale. « Quand on vient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter les impôts de 40 % sur les entreprises qui fabriquent en France, c’est quand même à peine croyable. Donc, on va taxer le made in France […]. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal » s’est emporté le patron de LVMH, lors de la présentation des résultats du groupe mardi 28 janvier. L’objet de sa charge : une surtaxe exceptionnelle sur les bénéfices des 440 grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros.

Une mesure qui devrait rapporter 8 milliards à l’État en 2025, mais qui ne devrait pas être reconduite en 2026, contrairement à ce que prévoyait le budget 2025 présenté par Michel Barnier. Pour LVMH, la facture pourrait être comprise entre sept et huit cents millions d’euros. Certes une somme, mais une taxe qui ne représente que 5 % des bénéfices du géant du luxe en 2024 (15,5 milliards). Dans le même temps, LVMH a versé 6,85 milliards d’euros à ses actionnaires. Soit 44 % de la totalité des bénéfices du groupe.

Remises en perspective, les protestations de Bernard Arnault – dont le nom avait été cité dans les Paradise Papers – frisent l’indécence. L’homme d’affaires cumule en effet une fortune personnelle de près de 180 milliards de dollars à la fin de 2024. Celle-ci a été multipliée par quatre depuis 2017 et la mise en œuvre des politiques probusiness d’Emmanuel Macron, parmi lesquelles la fin de l’ISF ou la baisse des impôts sur les sociétés.

Mais le patron de LVMH n’est pas le seul à pousser des cris d’orfraie contre le budget 2025. Celui de l’entreprise Airbus – qui a bénéficié des 15 milliards d’euros de soutien de l’État au secteur aérien pendant la pandémie – assure qu’il y a « trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes ». Pourtant, en 2024, là aussi, les dividendes versés par l’avionneur ont atteint des sommets. Même chose du côté d’Engie qui a largement contribué au record de dividendes versés en 2024 et a expliqué vouloir verser entre 65% et 75% de ses résultats nets à ses actionnaires en 2024 et 2025. Son patron a joint sa voix aux protestations contre la surtaxe sur les bénéfices, comme le patron de TotalEnergie, qui, comme chaque année, est sur le podium des dividendes versés : 14,6 milliards d’euros en 2024.


 


 

De Bernard Arnault au patron
de Michelin, les grands patrons
font la guerre à l’impôt
et le chantage à l’emploi

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En plein débat sur le budget 2025, les PDG sortent du bois en pointant le prétendu « matraquage fiscal » dont ils feraient l’objet, quitte à brandir le chantage à l’emploi.

Bernard Arnault va-t-il nous refaire le coup de mai 1981 ? À l’époque, l’élection du socialiste François Mitterrand et la peur du « péril rouge » avaient poussé le malheureux trentenaire à émigrer outre-Atlantique, effrayé par la politique du nouveau pouvoir. Il n’avait franchi l’Atlantique dans l’autre sens qu’en 1984, une fois rasséréné par l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius et la parenthèse keynésienne refermée…

Et voilà que, près de quarante-cinq ans plus tard, le patron de LVMH entonne à nouveau la complainte de l’entrepreneur au bout du rouleau, avec les États-Unis en contrepoint fantasmé : « Je reviens des États-Unis et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays, lance-t-il, de retour de l’investiture du président Donald Trump. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide. »

La raison de son courroux ? Le débat politique actuel autour du vote du budget 2025 , avec une possible – et temporaire – surtaxe sur les plus grosses entreprises françaises, susceptible de ramener 8 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Dans le détail, les entreprises réalisant plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (comme LVMH) pourraient voir leur taux d’impôt sur les sociétés porté à 36 % au maximum, selon l’AFP. « Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » menace le multimilliardaire.

Chantage à l’emploi

Il n’est pas le seul. Depuis plusieurs semaines, on assiste à une véritable croisade médiatique des grands patrons français, vent debout contre « l’enfer fiscal » hexagonal, dans une atmosphère survoltée de chantage à l’emploi. « L’incompréhension tourne à la colère, gronde Patrick Martin, patron du Medef, sur RTL. Ceux qui peuvent partir partent et ils ont raison. Bernard Arnault a raison. » « Comment voulez-vous être compétitif ? Ce n’est pas possible », s’indigne, en écho, Florent Menegaux, patron de Michelin, qui s’offusque d’une France « championne d’Europe des prélèvements obligatoires ».

De son côté, Pierre Gattaz, ancien dirigeant du Medef, multiplie les déclarations d’amour au président américain, sur le mode du « on peut critiquer Donald Trump, mais… » (compléter au choix par : « il y a tout de même une énergie formidable aux États-Unis » ou « au moins, Trump mène une politique probusiness, lui »).

Les raisons de l’insurrection des grands patrons sont faciles à comprendre. Il y a évidemment la volonté de peser de tout leur poids dans le débat politique autour du vote du budget. Mais il y a aussi, pour certains d’entre eux, l’envie de justifier la casse sociale en cours (1 254 suppressions d’emplois programmés chez Michelin, par exemple), en invoquant le « manque de compétitivité » supposé de la France.

Leur argumentaire mérite d’être décortiqué. Commençons par l’emploi. Dans sa tirade, Bernard Arnault assure que la hausse de fiscalité sur les grosses entreprises inciterait « les entreprises qui fabriquent en France » à délocaliser : « C’est la taxation du « made in France » ! » assène-t-il. Est-ce vraiment le cas pour LVMH ? En parcourant le dernier rapport annuel du groupe, on s’aperçoit qu’en réalité, le « fleuron » tricolore est de moins en moins implanté dans l’Hexagone : 18 % seulement de ses effectifs totaux y sont basés, soit 39 351 salariés sur 213 268 ; contre 24 % en Asie ou 22 % en Europe. C’est encore pire pour ses ventes, puisque LVMH ne réalise en France que 8 % de son chiffre d’affaires.

Des élans patriotiques à géométrie variable

Au passage, les élans patriotiques de Bernard Arnault sont à géométrie variable. Son amour de la Belgique, pays connu pour sa fiscalité avantageuse en témoigne : une bonne partie de ses actions LVMH ont été transférées il y a plusieurs années dans deux sociétés basées avenue Louise, à Ixelles (banlieue de Bruxelles), nommées Pilinvest Participations et Pilinvest Investissements.

Bernard Arnault n’est pas le seul à se lamenter sur l’état actuel de l’Hexagone. Devant les sénateurs, Florent Menegaux, le patron de Michelin, s’est lancé dans une longue tirade pour pointer le « coût du travail » trop élevé, qui rendrait tout investissement hasardeux.

« Nos activités ne sont pas rentables en France », assure-t-il, comme pour mieux justifier la fermeture de deux sites, à Vannes (Morbihan) et Cholet (Maine-et-Loire). De quoi faire bondir José Tarantini, délégué syndical central CFE-CGC Michelin : « Il est inexact de dire que les sites français ne seraient plus rentables : ils le sont toujours, mais leur niveau de rentabilité est simplement inférieur aux 14 % de taux de marge opérationnelle promis par le groupe aux actionnaires ! »

La palme de la mauvaise foi revient à…

Devant les sénateurs, le patron de Michelin s’en prend, encore et toujours à la fiscalité française : « Les impôts de production représentent 4,5 % du PIB en France, contre 2,2 % en moyenne en Europe et, en Allemagne, on subventionne même la production », assure-t-il.

Il oublie de préciser que la France « subventionne » elle aussi massivement les grands groupes, à coups de crédit d’impôt. Pour la seule année 2023, Michelin a touché 30,8 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR) ; 4,3 millions d’euros en mécénat et autres crédits d’impôts ; 5,5 millions d’euros de subvention d’exploitation ; 4 millions d’euros de chômage partiel ; sans compter 5,8 millions d’euros en réduction d’impôts de production. Soit un total de 50,4 millions d’euros en allégements et réductions d’impôts divers.

Quand bien même la surtaxe sur les grands groupes serait finalement votée au Parlement, on imagine que Michelin ne serait pas poussé à la faillite pour autant… Même chose pour LVMH, dont les résultats ont certes baissé en 2024, mais à un niveau encore fort acceptable : le géant du luxe a réalisé 84,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 1 %), avec un taux de marge canon de 23,1 %.

Mais la palme de la mauvaise foi revient à Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, qui a récemment menacé de déplacer ses activités dans des pays étrangers, plus favorables aux investissements. Rappelons que, du haut de ses 21,4 milliards de dollars de bénéfices (en 2023, dernier chiffre connu), la multinationale du pétrole a largement de quoi investir dans l’Hexagone.


 


 

    mise en ligne le 31 janvier 2025

Le Mouvement associatif alerte sur l’étranglement financier du secteur

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Victime de coupes budgétaires toujours plus importantes, beaucoup d’associations voient leur survie menacée. Alors que de nombreux départements, régions, villes et l’État prévoient de nouvelles baisses de subvention, l’organisation nationale du Mouvement associatif a écrit au premier ministre.

Le Mouvement associatif sonne l’alarme. Jeudi 30 janvier, le réseau national a rendu publics un rapport et une lettre ouverte au premier ministre alertant sur les réductions budgétaires drastiques imposées aux associations. « Le contexte était déjà tendu. Désormais ça ne tient plus », a prévenu, lors d’une conférence de presse, la présidente du Mouvement associatif, Claire Thoury.

« Le secteur arrive à bout de souffle. Il y a des structures qui sont en train de mettre la clef sous la porte, et des structures qui existaient depuis longtemps », a-t-elle poursuivi. « Ce soir, nous tirons la sonnette d’alarme. Ça concerne toute la société. C’est cela que nous voulons faire comprendre. Est-ce cette société dont nous voulons vraiment ? », a conclu Claire Thoury.

« Le prochain vote du budget pourrait avoir un impact majeur sur le monde associatif, en raison des coupes sectorielles annoncées, du décalage dans son adoption et de la diminution des budgets des collectivités territoriales, dont certaines ont déjà prévenu qu’elles réduiraient significativement leurs subventions », avertit encore, dans son rapport, le Mouvement associatif qui fédère environ 700 000 associations – soit près d’une sur deux.

Ainsi, « les mesures budgétaires annoncées menacent […] 186 000 emplois de l’économie sociale et solidaire (au sein de laquelle on compte 80 % d’associations) », détaille de son côté le rapport intitulé « Que serait la vie quotidienne sans les associations ? ». Car c’est bien la survie de toute une partie du secteur qui est menacée, et ce depuis déjà plusieurs années. Selon le Mouvement associatif, il y a eu 1 110 procédures collectives en 2024, dont 489 liquidations. En 2022, il n’y avait que 766 procédures collectives pour 325 liquidations.

« Particulièrement critique »

Lors de la conférence de presse, le directeur général du Mouvement associatif, Mickaël Huet, a précisé que 29 % des associations avaient moins de trois mois de trésorerie en réserve et que 19 % étaient « dans une situation financière particulièrement critique ».

« Cette situation déstabilise un monde associatif déjà fragilisé depuis de nombreuses années, pris en tenailles entre une hausse continue des charges et une demande de plus en plus importante des bénéficiaires, alerte encore la lettre au premier ministre. En clair, les associations sont aujourd’hui dans l’impasse de devoir faire toujours plus avec moins. »

Le rapport cite plusieurs cas emblématiques de coupures de crédits à divers échelons territoriaux, et détaille leurs conséquences. Au niveau municipal, le Mouvement associatif évoque la situation des 14 000 associations et clubs sportifs de Toulouse, sur la sellette en raison du « “gel” par la mairie de 20 % des financements destinés aux clubs sportifs et de 40 % pour l’ensemble du secteur associatif ».

« À titre d’exemple, poursuit le rapport, l’association toulousaine MixaH, agissant pour la socialisation des personnes handicapées et des jeunes en difficulté par le biais d’échanges sportifs et éducatifs, subit de plein fouet les conséquences des coupes budgétaires. En plus de voir la subvention de la ville de Toulouse diminuer de 33 % par rapport à 2024, elle perd également le financement d’un poste adulte relais. […] Certaines actions, comme son intervention estivale auprès de plus de 60 jeunes des quartiers prioritaires, se retrouvent compromises. »

Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures.

À l’échelle départementale, ensuite, le rapport évoque le cas du « Val-de-Marne, où le Secours populaire perd 77 % de sa subvention triennale. La perte sera de 66 000 euros par an, et de 198 000 euros au total, alors que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 50 % depuis 2018 », détaille le Mouvement associatif. « La Croix-Rouge française et le Secours catholique sont également concernés par ces baisses de subventions val-de-marnaises, alors que ce département fait partie des plus pauvres de France hexagonale », souligne-t-il.

« Cela veut dire que l’on ne va pas pouvoir répondre à une détresse qui pourtant monte », a dénoncé, lors de la conférence de presse, le président du Secours catholique, Didier Duriez. « C’est très dur à vivre pour nous, pour nos bénévoles et pour nos salariés. » « Ces associations vont se trouver dans la situation de devoir dire à une famille si oui ou non ils pourront accueillir leur enfant en situation de handicap », a renchéri Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss).

Ce dernier a tenu a exprimer sa « colère » face à la situation. « Je ne connais pas une structure, quelle que soit sa taille, quel que soit son secteur, qui ne soit pas dans le rouge », a témoigné Daniel Goldberg en rappelant que les associations gèrent 30 % des Ehpad et de 85 à 90 % des structures de protection de l’enfance ou d’accueil de personnes en situation de handicap.

À l’échelle régionale, c’est la région Pays de la Loire qui est épinglée pour avoir annoncé en novembre 2024 « une réduction de son budget de 100 millions d’euros ». Ces économies passeront par « une réduction de 64 % des subventions dédiées à la commission culture, sport et associations, soit une baisse de 21 millions d’euros ». « Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures, une réduction de l’offre sociale, culturelle et sportive, écrit le Mouvement associatif, ainsi que la perte de 13 000 emplois dans l’économie sociale et solidaire, dont 84 % sont des emplois associatifs selon l’UDES », l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire.

Fonds national

Lors de la conférence de presse, Maxime Gaudais, directeur du Pôle, une association de coopération pour la filière musicale basée dans les Pays de la Loire, a estimé à 2 500 le nombre d’emplois intermittents qui seront touchés. Il a pris l’exemple de l’association Songo, gérant la salle nantaise Stereolux, elle aussi touchée par les coupes. « Pour eux, cela représente 19 concerts en moins, donc 43 groupes qui ne pourront pas jouer et donc 4 000 heures de travail qui seront perdues pour les artistes, les techniciens, les gens de la sécurité… », a détaillé Maxime Gaudais.

Enfin, le rapport prend soin de saluer le rôle joué par les associations d’outre-mer, notamment à Mayotte. « Bien que les associations locales aient subi de plein fouet les impacts des cyclones, elles ont été également les premières à intervenir, en mettant en place des actions d’urgence pour répondre aux besoins essentiels des populations les plus atteintes et soutenir la reconstruction », souligne le rapport.

Pour mettre fin à la crise financière du secteur, le Mouvement associatif fait plusieurs propositions : assurer leur « stabilité financière en maintenant sur les budgets 2025 le montant des subventions versées aux associations » ou encore « créer un fonds national de mobilisation pour la vie associative cogéré par des représentants des collectivités territoriales, de l’État et du monde associatif ».

Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques.

Ce fonds serait abondé par « la rétrocession volontaire de tout ou partie des intérêts des livrets bancaires d’épargne », « un relèvement des plafonds du régime mécénat d’entreprise sous condition de reversement au fonds », « une partie des fonds saisis et confisqués par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) et les intérêts que ceux-ci génèrent » et « la possibilité par les fondations reconnues d’utilité publique (Frup) de flécher une partie des fonds propres aujourd’hui non libérables ».

« Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques », écrit le Mouvement associatif dans son adresse à François Bayrou. Or, « quand une association de solidarité perd des subventions, ce sont des familles en grandes difficultés financières qui ne pourront plus partir en vacances », poursuit-ilAvant d’expliquer : « Quand un club de sport n’a plus les moyens d’engager un animateur, ce sont des enfants qui devront renoncer à une activité sportive. Quand un festival s’arrête, c’est tout un territoire qui renonce à se retrouver dans un moment de convivialité. »


 

    mise en ligne le 30 janvier 2025

« On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », Vencorex tombe Arkema et la chimie française tremble

Khalil Auguste Ndiaye sur www.humanite.fr

Les salariés de l’usine d’Arkema à Jarrie (Isère) ont manifesté ce mercredi devant le siège de la multinationale. Ils dénoncent l’annonce par la multinationale de la suppression de 154 postes, qui fait suite au dépôt de bilan de son fournisseur de matière première, Vencorex. Les syndicats des deux sociétés craignent un effet de domino sur la chimie française.

Reçus à Paris par le ministre de l’Industrie Marc Ferraci ce mardi 28 janvier, les représentants des salariés de Vencorex repartent avec les idées plus floues qu’à leur arrivée. Alors que le gouvernement parle de « reconversion du site », les travailleurs de l’entreprise chimique craignent que le rachat par le concurrent chinois Wanhua et la fermeture da la majeure partie de la production de l’usine n’aient des répercussions importantes sur le secteur de la chimie en France. De premières conséquences qui s’observent déjà chez Arkema, acheteur principal du sel de Vencorex et dont une centaine de salariés ont manifesté le mécontentement devant le siège ce mercredi 29 janvier.

Une colère qui est surtout dirigée contre le plan social proposé le 21 janvier par le chimiste. Avec la fermeture d’une partie de leur usine à Jarrie (Isère), 154 des 344 employés du site vont perdre leur travail. Pour Carole Fruit, secrétaire générale de la CFDT Chimie Energie du Dauphiné Vivarais, « Arkema a profité de la fermeture de Vencorex comme effet d’aubaine pour déclencher ce plan social ». Selon elle, l’entreprise « aurait pu se positionner pour reprendre la production de sel de Vencorex et éviter cette situation ».

Une inaction que les salariés du chimiste voient comme un acte délibéré, attisant leur colère. « Produire du sel a un coût important », explique la secrétaire générale CFDT « et Vencorex le vendait à un prix dérisoire comparé au marché. Arkema ne s’est pas avancé pour reprendre l’activité, parce que ça leur fait des économies ». Des économies qui pourraient contenter les actionnaires du groupe, la multinationale ayant annoncé s’attendre à des bénéfices avant impôt pour 2024 dans la fourchette basse de ses prévisions (autour de 1,5 milliards d’euros). « On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », fustige Carole Fruit.

54 postes conservés sur 464

Si le site d’Arkema à de Jarrie est menacé, c’est principalement à cause de la fermeture de l’usine de Vencorex, situées à quelques kilomètres, à Pont-de-Claix (Isère). Principal fournisseur de sel d’Arkema, Vencorex a déposé le bilan en septembre 2024 et est en procédure de redressement judiciaire. Depuis lors, une seule offre de reprise a été formulée… par le chinois Wanhua, un concurrent direct qui propose de ne garder que 54 des 464 salariés. Une situation inacceptable pour ces salariés qui ont sollicité le ministre de l’Industrie.

Pourtant « les réponses sont évasives » explique Séverine Dejoux, représentante de la CGT Vencorex. « On nous parle de reconversion du site mais, nous, on n’y croit pas » affirme la syndicaliste après la rencontre avec Marc Ferraci. « Un atelier de chimie, c’est spécifique. Ce n’est pas une casserole dans laquelle on fait n’importe quelle soupe », déclare-t-elle, dénonçant l’inaction de l’Etat et appelant ce dernier à nationaliser l’entreprise, tant pour sauvegarder les postes que pour l’avenir de la chimie en Auvergne-Rhône-Alpes. « On s’attendait à ce qu’Arkema formule une offre pour reprendre la production de sel, mais on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y avait aucune intention de sauver Vencorex » déplore Séverine Dejoux.

Sans ce sauvetage, les salariés de Vencorex et d’Arkema craignent un effet de domino dans l’industrie chimique. « Toutes les plateformes chimiques sont interdépendantes : les produits des uns sont les matières premières des autres » explique Carole Fruit de la CFDT Arkema. Sans le sel de Vencorex, Arkema ne peut plus produire le chlore nécessaire au leader du nucléaire Framatome pour la transformation du zirconium dans son site à Jarrie.

Selon Les Echos, l’entreprise a dû créer une cellule de crise pour trouver une solution à ce manque d’approvisionnement. ArianeGroup est aussi touchée par cette fermeture, se fournissant en perchlorate d’ammonium, carburant nécessaire à la fusée Ariane et aux missiles de dissuasion nucléaire.

« En sauvant le premier maillon, on peut sauver toute la chaîne », souligne Séverine Dejoux, qui rappelle qu’« avec la fermeture de Vencorex, on s’attend à ce que les industries chimiques changent leurs manières d’opérer, ce qui aurait d’autres conséquences dans un futur proche ».

Plus encore, elle alerte sur le risque environnemental autour de la mine de sel de Pont-de-Claix : « Une production de sel ne s’arrête pas du jour au lendemain. Si on ne décomprime pas rapidement et régulièrement les mines où se trouve la saumure, il y a un enjeu écologique terrible pour la région avec l’effondrement des cavités ». La représentante CGT y voit également un gâchis, notant que « la mine a encore des réserves pour au moins 50 ans. Des discussions sont en cours avec le gouvernement pour sa reprise, mais tout est encore flou ».

Un flou qui continue d’inquiéter les salariés des deux entreprises. En colère, les employés d’Arkema « espèrent toujours que l’entreprise va se positionner, même si c’est tard » explique Carole Fruit. Du côté de Vencorex, Séverine Dejoux évoque « un combat qui ne va pas s’arrêter. Le ministre de l’Industrie ne veut pas nous entendre donc on va essayer d’interpeller le Premier Ministre ».


 

    mise en ligne le 29 janvier 2025

Austérité : la saignée s’amplifie
pour le budget de l’État

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Environ 24 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques : telle est la copie du budget 2025 rendue par le Sénat et qui sera proposée en commission mixte paritaire jeudi 30 janvier. La note finale s’annonce très salée.

Pour entrevoir des alternatives à cette austérité, on peut se rapporter à « Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible » paru le 18 janvier dans cette même rubrique de 100-paroles.fr

C’est parti pour être l’une des cures d’austérité budgétaire les plus rudes d’une année sur l’autre. Les coupes dans les dépenses publiques prévues dans la copie du projet de loi de finances 2025 votée au Sénat le 23 janvier, et qui sera discutée en commission mixte paritaire (CMP) à partir 30 janvier, sont particulièrement rudes.

À ce stade, le texte prévoit 24 milliards d’euros de baisse des dépenses de l’État par rapport à ce qui aurait permis de maintenir le même niveau de financement des services publics qu’en 2024. C’est plus que ce qu’affichait le gouvernement Michel Barnier dans son projet de loi de finances pour 2025 (− 21,5 milliards).

Tel est le résultat des calculs du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel, que l’Insoumis a recoupé à Bercy avec les cabinets des ministres des finances et des comptes publics.

Il faut ajouter à cela un coup de rabot d’environ 2 milliards d’euros dans le budget alloué aux collectivités locales et d’un peu plus de 8 milliards dans le budget de la sécurité sociale, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Soit un total d’environ 35 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques à ce stade.

Côté recettes fiscales, la hausse annoncée par le gouvernement de François Bayrou serait de 18 milliards d’euros en 2025. Soit peu ou prou ce que prévoyait il y a quelques mois le gouvernement de Michel Barnier, moins la très polémique taxe sur l’électricité qui n’est plus à l’ordre du jour.

La surtaxe sur l’impôt sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, censée rapporter 8 milliards d’euros en 2025, sera maintenue. Une incertitude subsiste toutefois sur la taxe sur les hauts revenus, qui doit rapporter 2 milliards d’euros aux caisses de l’État, mais qui pourrait être remplacée par une contribution sur les plus hauts patrimoines qui nécessiterait vraisemblablement une autre loi fiscale.

Objectif : un déficit public à 5,4 % du PIB

Bref, on arriverait à ce stade à un effort global d’environ 53 milliards d’euros dans le budget 2025. Un montant énorme pour atteindre l’objectif fixé par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard : une réduction du déficit public de 6,1 % en 2024 à 5,4 % du PIB cette année. « Le Sénat s’est montré très dynamique » pour réduire les dépenses publiques, s’est ainsi félicité le ministre lors d’une rencontre le 28 janvier avec l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). 

Cela étant dit, ces nouvelles coupes actées par la chambre haute du Parlement ont souvent été de l’initiative du gouvernement Bayrou : selon Éric Coquerel, les amendements de l’exécutif ont en effet ajouté 7 milliards d’euros de baisse supplémentaire de dépenses de l’État en quelques jours. 

La saignée budgétaire pour 2025 est donc totale. Parmi les missions qui prennent le plus cher, citons la mission « écologie, développement et mobilités durables », qui subirait à ce stade une coupe sèche de 2,9 milliards d’euros en volume dans son budget par rapport à 2024, mais aussi la recherche et l’enseignement supérieur (− 1,7 milliard), la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » (− 1,4 milliard), l’enseignement scolaire (− 1,1 milliard), ou l’agriculture (− 400 millions).

Et encore, ce n’est pas fini. Car le gouvernement s’est fait retoquer par le Sénat pour 1,4 milliard d’euros d’amendements coupant aveuglement dans certaines missions de l’État comme le logement, l’éducation ou le sport. Il y a fort à parier qu’il reviendra à la charge sur ces thèmes via des amendements au texte qui sera étudié par la CMP le 30 janvier.

Celle-ci est, rappelons-le, composée de sept député·es et sept sénateur·ices, dont six sont membres des oppositions (quatre à gauche et deux au Rassemblement national) et huit du « socle commun » soutenant l’action du gouvernement, qui peut donc s’appuyer sur une majorité. Voilà pourquoi la CMP devrait être assez rapidement « conclusive ».

En fait, si Éric Lombard et le reste du gouvernement Bayrou continuaient encore récemment les négociations avec des forces de gauche (socialistes et écologistes), notamment, c’était pour anticiper le coup d’après et s’éviter la censure lors de la semaine du 3 février. Semaine au cours de laquelle l’Assemblée nationale devra selon toute vraisemblance entériner l’accord de la CMP, et où un 49-3 et une motion de censure sont attendus.

Gloire au marché

Mais même si Éric Lombard semble être très ouvert à la discussion, comme il aime le répéter aux journalistes, sa stratégie de convaincre une partie de la gauche butera inévitablement sur une contradiction évidente : le budget qu’il porte est le plus rude avec les services publics au XXIe siècle.  

Et même du point de vue de la croissance économique, ce texte aura des effets délétères. Rappelons que le projet de budget de Michel Barnier, qui prévoyait un niveau global d’économies à peine supérieur à celui porté par François Bayrou, aurait réduit la croissance de 0,8 point de pourcentage, selon les calculs de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il y a donc de fait à attendre un impact négatif du même ordre avec le projet de budget discuté actuellement pour 2025.

D’ailleurs, Éric Lombard l’a admis face aux journalistes le 28 janvier : « Ce budget qui réduit le déficit surtout par la baisse des dépenses aura un effet [négatif – ndlr] sur la croissance. » Cependant, il semble croire dur comme fer qu’il atteindra tout de même son objectif de croissance du PIB en 2025 – certes excessivement modeste à + 0,9 % – grâce à une force supérieure : celle du marché. La perte d’activité économique liée aux coupes budgétaires serait en effet, selon lui, « compensée par le fait que les entrepreneurs et les marchés financiers seront rassurés ». À la bonne heure ! 

Pour le principal locataire de Bercy, le vote d’un budget d’austérité sur les services publics aura en fait pour effet positif de redonner stabilité et confiance au monde des affaires. Pour s’en assurer, celui qui fut dans les années 2000 et 2010 un cadre dirigeant de la BNP Paribas et de l’assureur Generali multiplie d’ailleurs les petites promesses à l’endroit de son ancien monde : aux Échos, il a par exemple affirmé que « la surtaxe d’impôt sur les sociétés ne s’appliquera qu’un an, au lieu de deux dans le projet du précédent gouvernement ».

Mais aussi que « le relèvement de la flat tax de 30 % sur les revenus du capital n’est plus d’actualité, ni aujourd’hui ni demain ». Ouf ! Les riches et les grandes entreprises peuvent dormir sur leurs deux oreilles : avec Éric Lombard, ils ne seront pas mis outre-mesure à contribution pour redresser les comptes de la nation dans les prochaines années. Sera-ce également le cas des services publics et du modèle social ?  


 

   mise en ligne le 28 janvier 2025

Le Sénat, voix de la FNSEA

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Ces 27 et 28 janvier, le Sénat a examiné une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc., celle-ci s’attaque violemment aux normes environnementales, au plus grand bonheur de la FNSEA.

Depuis le 7 juillet dernier, tous les yeux sont rivés sur l’Assemblée nationale. Encore ces dernières semaines, chaque jour est rythmé par des tractations politiques concernant le vote du budget. Censure ? 49.3 ? Dans ce flux continu de rebondissements, une actualité parlementaire est plutôt restée dans l’ombre. Une proposition de loi, que le Sénat a examinée ces 27 et 28 janvier. Pourtant, celle-ci, visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (sic), est explosive.

Et pour cause, elle surfe sur la colère agricole pour prendre des mesures à rebours de toute considération environnementale : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines, remise en cause des autorités environnementales et sanitaires, le texte ne fait pas dans le détail. Et comment s’en étonner ? À l’initiative de celui-ci, on retrouve Laurent Duplomb, et Franck Menonville, deux sénateurs de droite. Le premier, qui porte à bout de bras cette proposition de loi, a ainsi été… président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire.

Parce que c’est bien cela qu’il faut voir derrière cette attaque en règle contre l’environnement et l’avenir même du métier d’agriculteur : la marque de la FNSEA. Toutes ces mesures sont fortement inspirées d’un texte de loi rédigé par le syndicat agricole majoritaire à la fin de l’été et transmis aux parlementaires. Intitulé « Entreprendre en agriculture », celui-ci promet un « projet global » permettant de « donner une réelle ambition à l’agriculture française ». Et les mesures proposées par les deux sénateurs de droite y figurent, sans surprise, presque toutes. En novembre, sur la préfecture de Gap, la FNSEA avait même affiché une banderole : « PPL [proposition de loi, N.D.L.R.] Duplomb : la solution ».

Pourtant, comment croire une seule seconde que cette PPL est « de nature à répondre aux demandes du monde agricole », comme l’indique la FNSEA ? Depuis plus d’un an désormais, de nombreux paysans témoignent d’une importante colère. Celle-ci a d’ailleurs émergé en marge du syndicat majoritaire, pris de court l’hiver dernier. Au cœur des revendications des protestataires, figure la question du revenu dans une profession marquée par de très fortes inégalités.

L’idiocratie est en marche. D. Salmon

Ne cherchez pas plus longtemps, aucun article ne contient ne serait-ce qu’une demi-mesure pour tenter d’améliorer les revenus des agriculteurs les plus pauvres. « La méthode Duplomb c’est le moins-disant social et environnemental. Et, au bout du bout, c’est l’économie qui prend le pas sur la santé humaine et sur le vivant », raille Daniel Salmon, sénateur écolo, pour qui ce texte est l’illustration que « l’idiocratie est en marche ».

Comment ne pas lui donner raison, alors que le dérèglement climatique touche en premier lieu les agriculteurs, notamment les plus petits ? Peu importe, finalement, pour la majorité des sénateurs qui ont donc décidé de violemment s’attaquer aux normes environnementales pour promouvoir une agriculture intensive et productiviste à bout de souffle.

Une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.

Surtout, dans un contexte d’instabilité politique chronique, rien ne dit que ce texte ne soit pas rapidement transmis au Palais-Bourbon. La ministre actuelle de l’Agriculture, Annie Genevard, du même bord politique que Laurent Duplomb, est tout aussi attentive que son collègue aux demandes de la FNSEA. Et celui-ci a d’ailleurs mis en garde le gouvernement en novembre dernier, assurant qu’il « ne serait pas rapporteur de la loi d’orientation agricole » sans la garantie d’un examen rapide du texte. Il faut espérer qu’il n’ait pas obtenu gain de cause car le passage d’une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.


 

    mise en ligne le 27 janvier 2025

À Paris, des lycéens étrangers
expulsés de leurs logements
en pleine année scolaire

Yannis Angles sdur www.mediapart.fr

Une centaine de lycéens étrangers, jusque-là logés dans des logements individuels à Paris, sont contraints dès la fin janvier de les quitter pour rejoindre des centres d’hébergement d’urgence à travers la France. Un bouleversement qui menace leur poursuite d’études.

« Là, ils me mettent dans la merde avec leur décision », lâche Armi* en passant les grilles du centre d’hébergement d’urgence La Boulangerie, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les visages des quatre lycéens sont ternes et déconfits. Jeudi 23 janvier au soir, ils viennent de visiter leur nouveau « chez-eux », une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.

Il y a peu, ces jeunes vivaient dans des logements individuels, disséminés à travers Paris, gérés par les associations Aurore et Urgence Jeunes. En décembre, ils apprenaient que la prise en charge toucherait à sa fin en juin, ce sera finalement dès le 27 janvier, comme le révèlent Mediapart et StreetPress.

Aujourd’hui, ils se retrouvent ici, dans ce grand foyer pour adultes en difficulté, loin de la stabilité qu’ils avaient pu connaître. « Je ne suis pas content du tout, mais je n’ai pas le choix », explique Habib, en dernière année de CAP, visiblement remué après la visite du centre. Rejoindre ce nouveau centre d’hébergement, alors même qu’ils suivent des parcours de formation allant du CAP au BTS, bouleverse leur quotidien, leurs études et leur avenir.

Cette situation découle d’une décision prise en décembre 2024 par la préfecture de Paris, qui n’a pas voulu reconduire ce dispositif d’hébergement destiné à une centaine de lycéen·nes. Il était pourtant renouvelé chaque année depuis 2015 et financé par la préfecture d’Île-de-France, le rectorat et la mairie de Paris.

Informée depuis plusieurs mois de l’arrêt prochain de ces hébergements, une source à la mairie affirme : « On a négocié tout ce qu’on a pu pour que ça n’arrive pas. » La fin du dispositif est une décision purement politique, selon ce connaisseur du dossier : « Dès que les jeunes sont majeurs, certains veulent envoyer le signal qu’ils ne sont pas bienvenus sur le territoire français et considèrent que les héberger, quand bien même ils sont scolarisés, c’est envoyer un mauvais signal et créer un “appel d’air”. » Contactés, la préfecture et le rectorat ne nous ont pas répondu à l’heure où nous écrivons ces lignes.

La nouvelle est tombée il y a une semaine. Un choc pour ces jeunes lycéen·nes et leurs professeur·es. « On ne pensait pas qu’ils allaient le mettre en application en plein milieu de l’année scolaire », déplore un enseignant qui les accompagne.

Un lieu inadapté aux jeunes

Alhassane*, élève en dernière année de BTS, témoigne de son mal-être : « Depuis, je ne suis plus concentré sur les cours, je m’inquiète pour mon avenir. Ça me perturbe dans mes révisions et dans mon travail. » Mais pour d’autres, ces jeunes ont « de la chance de rester à Paris », aurait, selon plusieurs témoins, lancé un représentant du préfet lors d’une réunion.

Pour Alhassane, la « chance » a une drôle de saveur. « On se retrouve à dix dans un dortoir avec des adultes qu’on ne connaît pas, je ne vois pas où est la chance », explique-t-il, visiblement en colère. Il a tenté en vain de négocier pour être logé en foyer pour jeunes travailleurs : « On ne voulait pas nous entendre, on doit appliquer et c’est tout. »

Les enseignant·es qui les accompagnent, eux aussi, s’inquiètent de ce déménagement dans des centres d’hébergement d’urgence. « Il y a du personnel, et des démarches administratives sont proposées, mais le lieu n’est pas adapté pour des jeunes et encore moins en formation », insiste l’un d’eux.

Ce constat est partagé par un responsable du centre d’hébergement, qui, lors de la visite, a reconnu auprès des jeunes que cet établissement n’était pas conçu pour les recevoir. Tout semble avoir été fait dans la précipitation. À la sortie, ce même responsable le confirme : « Je n’ai été informé qu’il y a quelques jours que ces jeunes devraient être accueillis ici. »

Les conditions matérielles, également, soulèvent des inquiétudes : « Les lits sont dans un mauvais état, les draps sont déchirés », a constaté Drary lors de la visite. Pour ces jeunes, la transition vers cette vie en collectivité ne paraît pas bénéfique pour leur avenir.

« Il n’y a pas de lieu pour réviser, et le soir, certains vont vouloir dormir alors que je dois réviser », explique l’un d’eux. Pour Armi, en alternance, le plus inquiétant, c’est la localisation du centre et l’impossibilité de maintenir son emploi et ses études. « Je travaille à l’opposé du lieu qu’on m’impose aujourd’hui, ça va être intenable », prédit-il.

Tous ont le sentiment ce soir-là de faire un pas en arrière dans leur intégration. Après avoir signé leur contrat d’habitation mensuel, qui devra se renouveler tous les mois jusqu’à la fin de leurs études, en juin, aucun ne restera dormir. Ils ne sont pas encore prêts à rejoindre immédiatement le dortoir et quitter leur vie d’avant. Ils veulent d’abord encaisser le coup et retourner dans leur ancien logement tant qu’ils en ont les clés, avant de se lancer dans un déménagement forcé.

Pour les autres jeunes bénéficiant jusqu’ici du dispositif et qui ne sont pas en année diplômante, il faut carrément quitter Paris, pour s’installer dans diverses villes à travers la France, où ils devraient rejoindre des centres d’accueil. Un départ précipité en plein milieu de l’année scolaire, qui ne leur garantit pas de pouvoir poursuivre leurs formations.

« Aucune information, ni garantie, n’est fournie quant à la possibilité pour eux de continuer leur parcours, notamment pour ceux inscrits dans des filières spécifiques, comme les formations aux métiers de l’industrie », précise un courriel émanant d’un service de la préfecture qu’a pu consulter Mediapart.

« Je préfère retourner dormir dans la rue »

« Ils ne vont jamais pouvoir reprendre leur formation à leur arrivée, on est en janvier », déplore un professeur. Une décision qui entraîne d’autres conséquences : « S’ils n’ont plus de formation, comment vont-ils faire pour renouveler leur titre de séjour étudiant ? »

C’est le cas de Mati*, rencontré lors de l’assemblée générale (AG) organisée le 24 janvier à la Bourse du travail à Paris par les syndicats enseignants et les associations qui accompagnent les élèves. Installé à Paris depuis plus de trois ans, il refuse d’être envoyé en province : « Je ne partirai pas, je préfère retourner dormir dans la rue. » Sa peur est de tout perdre : son alternance, sa formation et ses démarches pour obtenir ses papiers. Depuis sept mois, il apprend le métier de cuisinier dans un restaurant.

Pour lui, la fin du dispositif signifie un retour à la case départ. « Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi dehors à Stalingrad pendant sept mois », confie-t-il. Avant d’envisager un retour sous les ponts, il garde espoir de trouver un logement par ses propres moyens.

« J’ai confiance en mon patron. Je lui ai expliqué ma situation, il va m’aider à trouver un logement », affirme-t-il, cherchant à se rassurer. Une décision radicale que comprend Hélène Kolinka, cofondatrice de l’association Droit à l’école. « Entre avoir un logement en région et ne plus avoir de patron ni d’école, le choix est vite fait pour certains », confirme-t-elle, à la sortie de l’AG.

Pendant les deux heures de l’AG du vendredi 24, toutes les associations, syndicats et collectifs présents ont discuté des stratégies à adopter pour mobiliser. Parmi les présents, des membres de l’association Urgence Jeunes, qui reconnaissent dans cette situation un scénario déjà vécu.

Il y a deux ans, des jeunes avaient été transférés en logements d’urgence, avant que la préfecture ne décide, quelques mois plus tard, d’une remise à la rue. Les membres de l’AG se demandent si ce n’est pas le même objectif qui se cache derrière cette décision : à ce jour, aucune garantie écrite n’assure qu’ils pourront rester jusqu’en juin dans les centres d’hébergement d’urgence.

Des actions sont donc envisagées : des débrayages de la part des enseignant·es, des manifestations et même des occupations, afin de rendre la situation de cette centaine de jeunes plus visible et que leurs revendications soient entendues. Parmi elles : le maintien et l’extension du dispositif pour les lycéens, le fait qu’aucun·e jeune ne soit contraint·e de quitter Paris, l’ouverture de lieux d’hébergement dédiés à tous les jeunes qui en ont besoin, jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Mais pour le moment, la consigne est inchangée : tous ces lycéens devront quitter leurs logements au plus tard le 11 février, et la plupart devront quitter Paris.


 


 

Saint-Denis :
un avant-goût du « jour d’après » ?

par Alain Bertho, anthropologue sur https://blogs.mediapart.fr/

Un jeune de la Plaine Saint-Denis surnommé « le maire des banlieusards » qui consacre son énergie à promouvoir la créativité de la banlieue et la solidarité, a encore été arrêté le 25 janvier. Sans ménagement et sans raison claire. Tel est le visage inquiétant de « l’ordre » promu par le ministre de l’intérieur : harceler la vie populaire.

La scène est violente. Filmée, elle est immédiatement virale sur les réseaux locaux.

Vers 14 h 30, à quelques mètres de son domicile avenue du Président Wilson à Saint-Denis, non loin du local associatif « le Pont Commun», installé dans l’ancienne gare RER, Salim à peine sorti de chez lui pour aller chercher son frère, est maîtrisé, mis à terre, menotté et embarqué au commissariat central.  Vidéo 1 Vidéo 2

Un harcèlement ciblé

Salim Dabo a 26 ans. La Plaine Saint-Denis qui l’a vu grandir est encore son port d’attache. Son hyperactivité ne lui a pas rendu son enfance facile. Il y puise aujourd’hui une énergie au service des autres. Un concert organisé en septembre 2021, Streetparty One, pour respirer après le COVID le rend très vite populaire.
Son association Univers Project fondée en 2022, se donne comme ambition de créer « des opportunités pour les jeunes de banlieue en organisant des événements culturels, sportifs et solidaires » : organisation d’événements culturels, maraudes solidaires, programmes éducatifs et sportifs

En 2024, il investit à sa façon le choc des JO pour les familles et les jeunes du territoire soudain à la fois assigné.e.s à résidence par le zonage sécuritaire et le prix des transports et confronté.e.s à un maillage policier sans précédent. Il a même les honneurs du Monde

Est-ce pour cela que le 9 novembre, à la sortie d’une des activités éducatives de son programme  Bel Air, avec d’autres jeunes, il fait l’objet d’un contrôle aussi musclé qu’inexpliqué ?

Victime de techniques d’immobilisation illégales, il est arrêté et mis en garde à vue durant 24 heures puis relâché sans explication. Salim réclame alors une enquête rapide et transparente » et « exige des autorités compétentes qu’elles prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits fondamentaux des habitants de Saint-Denis » car « la sécurité, loin d’être une justification pour de telles dérives, doit se bâtir dans le respect de la dignité humaine et de la légalité. » 

Ce 25 janvier, alors qu’il préparait une maraude solidaire, Salim est encore tabassé. Cinq heures après son arrestation, il est toujours en garde à vue et n’a vu ni médecin, ni avocat quand Éric Coquerel, député de la Plaine, parvient à le voir.
Il est finalement transféré à l’hôpital et vu par un médecin. Des examens sont prescrits et la garde à vue est suspendue le temps de l’hospitalisation. Sa libération intervient le lendemain vers 15 heures. Aucune charge n’est retenue contre lui.

Le harcèlement  contre sa famille n’est pas nouveau. Contrôles et arrestations se succèdent depuis des années dans un contexte récurrent d’acharnement raciste contre les jeunes.

Un cap a été franchi

Pourtant, aujourd’hui, le sentiment domine qu’un cap a été franchi. Pour les militantes et militants des associations, collectifs et organisations, qui connaissent toutes et tous Salim, cette arrestation arbitraire est hélas exemplaire du climat que fait régner sur une ville populaire, les priorités politiques du pouvoir et de son incontournable Ministre de l’Intérieur. 

Ce genre de situation se multiplie de façon inquiétante à Saint-Denis : le harcèlement semble politiquement ciblé. On ne sait pas encore pourquoi, le vendredi 24 au soir, devant le café La table ronde en centre-ville, policiers en civil sont intervenus violemment sans brassards d’identification au milieu d’un groupe de jeunes et ont ensuite lancé une grenade lacrymogène.

Mais on imagine comprendre pourquoi, il y a déjà quelque temps, un groupe qui rentrait à La Plaine a été contrôlé et interpellé sur la passerelle enjambant le canal et (quatre mineurs ont été embarqués). Ces jeunes sortaient d’une réunion qui avait rassemblé 120 personnes aux Francs Moisins pour apaiser les  violences opposants des jeunes des deux quartiers (La Plaine et Francs Moisins). 

La cible du commissariat est à l’évidence la capacité l’auto-organisation de cette jeunesse dans laquelle Salim Dabo joue, avec d’autres, un rôle de premier plan.

Ce harcèlement est directement  politique. Sans filtre, puisque ce sont ses mauvaises fréquentations communistes et insoumises qui lui sont explicitement reprochées lors de ses gardes à vues.

Comme une sorte de laboratoire du pire. 

L’expérience vécue par la population d’une des villes les plus pauvres de la France métropolitaine, mais aussi de la ville qui a le plus voté pour le Nouveau Front Populaire dès le premier tour des législatives, est celle d’une sorte de laboratoire du pire. 

Depuis 2020, la ville est déjà confrontée à une équipe municipale menée par un maire officiellement socialiste, qui s’applique à défaire les services publics locaux qui avaient fait de Saint-Denis une ville de solidarité et de partage.  Les antennes jeunesses sont laissées à l’abandon, des ludothèques ferment, les bus n’assurent plus la liaison entre les cités et le centre-ville, les habitants sinistrés sont laissés à leur sort après un incendie comme les femmes isolées avec leur enfants sans abri, les centres de loisir sont sous encadrés, les écoles grelottent, les personnels sont réprimés, la police municipale multiplie les dérapages….

Syndicats, associations, collectifs font front, se concertent, échangent leur expérience, s’organisent ensemble. Cette mise en réseau des mobilisations est un des objectifs que s’est donné le Comité local du Nouveau Front Populaire qui a organisé un forum le 7 décembre malgré le refus de la mairie de lui accorder une salle.

En juin 2024, celle ville s’est mobilisée contre la menace du Rassemblement National. Mais chacune et chacun le sait : les gouvernements Barnier et Bayrou réactualisent cette menace au quotidien : la présence de Bruno Retailleau dans les deux gouvernements successifs de la droite extrémisée n’est pas un simple effet d’affichage. Le clin d’œil appuyé au RN ne se résume pas à des déclarations « provocatrices ». On ne négocie rien avec un tel personnage !

Son « chantier » concernant la lutte contre « l'immigration illégale mais aussi légale »  annoncé dès son intervention à l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024 a d’ores et déjà des effets dévastateurs.  

A Saint-Denis, la  sous-préfecture ne se contente pas de recevoir les demandeuses et demandeurs de cartes de séjour et de renouvellement dans des conditions indignes. Elle est devenue une fabrique systématique de sans-papiers. Des titulaires de carte de séjour de 10 ans sont piégés par des délais interminables qui les mettent hors la loi, hors de l’emploi et de toute protection sociale. Des rendez-vous (qui font déjà l’objet d’un marché noir) sont annulés du jour au lendemain. Des familles sont systématiquement précarisées.

A cette dévastation, le pouvoir ne veut admettre aucune résistance organisée, surtout pas par les victimes elles-mêmes. Surtout pas en montrant la capacité d’intelligence collective, de solidarité que portent des figures populaires comme Salim et d’autres. 

Ici, des femmes et des hommes sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne, dans leur survie à la  vérité des tentations de plus en plus extrêmes des classes dirigeantes et à l’abandon d’une partie de la gauche. 

Ici, la guerre à la vie populaire semble déclarée. Comme un avant-goût du "jour d’après " tant redouté : celui de la victoire officielle du RN. 

Ici, qui peut comprendre qu’on ne censure pas sans condition un tel gouvernement ?

Ici, la résistance a commencé, à la fois comme protection immédiate des personnes et comme construction d’un commun solidaire, d’un autre lendemain possible.


 

   mise en ligne le 26 janvier 2025

La Martinique retrouve son leader de la lutte contre la vie chère

Julien Sartre sur www.mediapart.fr

Condamné à de la prison avec sursis pour violation de domicile et intimidation, Rodrigue Petitot est sorti de détention vendredi 24 janvier et a déjà appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». La mobilisation se poursuit aussi au Parlement et devant le tribunal de commerce.

Cela n’a pris que quelques minutes avant que son image et sa parole ne se répandent à nouveau de façon virale sur les réseaux sociaux et dans la presse. En sortant de prison, avant d’aller effectuer une peine aménagée à son domicile, Rodrigue Petitot, dit le « R », a tenu un discours devant ses partisans galvanisés.

« Ce n’est pas une menace, ce n’est pas une intimidation : je demande à M. Manuel Valls de venir nous rencontrer afin qu’on puisse avoir de vraies réponses ! », exhortait le leader martiniquais du mouvement contre la vie chère, depuis le siège de l’association qu’il préside à Fort-de-France, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC).

Visiblement pas découragé par le mois et demi de détention qu’il vient d’effectuer à la prison de Ducos, Rodrigue Petitot a appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». Pour lui et ses partisans, rassemblés en nombre dans les rues de Fort-de-France et au QG du RPPRAC, ce vendredi 24 janvier était avant tout un jour de « libération ».

Après deux jours de procès, Rodrigue Petitot a été reconnu coupable de violation de domicile, d’outrages et d’actes d’intimidation, pour s’être introduit dans la résidence préfectorale, le 11 novembre dernier. Le militant était venu demander une rencontre avec le ministre des outre-mer de l’époque, François-Noël Buffet, de passage sur l’île.

Le « R » « risquait vingt ans de prison et la juridiction n’a pas voulu abandonner toutes les préventions mais le plus important est qu’il recouvre la liberté ! », se félicite auprès de Mediapart un de ses avocats, Me Eddy Arneton. Condamné à un an de prison intégralement assorti du sursis dans cette affaire dite « de la résidence préfectorale », Rodrigue Petitot est pourtant loin d’être libre.

Condamné à dix mois de prison dans une autre affaire pour avoir tenu des propos assimilés à de l’intimidation d’élus, il effectuera sa peine à domicile, avec un bracelet électronique. « Nous espérons que cette décision mettra un terme au cycle de judiciarisation qui a été enclenché et sollicité par le ministre de l’intérieur, en violation du principe de séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif », poursuit Me Arneton.

La sortie de prison de Rodrigue Petitot constitue-t-elle une victoire pour le mouvement contre la vie chère, lancé en Martinique en septembre dernier ? « Pas encore, répond Me Max Bellemare, un des conseils de Rodrigue Petitot. Nous avons été entendus sur plusieurs points et notre client a été relaxé de plusieurs accusations, mais il y aura une victoire lorsqu’on aura modifié le système complètement et que les prix de nombreux produits auront été baissés. La finalité, c’est bien cela, une réduction sensible des prix. »

Signé en octobre dernier après les premières semaines de mobilisation et de blocage de supermarchés, un « protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère » a été paraphé par les opérateurs économiques, les services de l’État, les organisations syndicales et les élus locaux, à Fort-de-France. Le RPPRAC n’y a pas apposé sa signature, dénonçant un nombre trop faible de produits concernés et un impact limité sur les prix dans les rayons des supermarchés.

Au fil des semaines et jusque dans la parole du gouvernement, le débat s’est focalisé sur le rôle joué par le groupe Bernard Hayot (GBH), importateur, distributeur et acteur majeur de l’économie ultramarine, basé en Martinique. « J’en ai déjà parlé et je continue à le faire malgré les réactions et les pressions : certains grands groupes très performants ont un rôle d’étouffement économique dans les outre-mer », dénonçait par exemple le ministre des outre-mer, Manuel Valls, lors de l’examen de la proposition de loi socialiste contre la vie chère.

La vie chère débattue dans la niche PS

Portée par la députée socialiste de Martinique Béatrice Bellay, la proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer », a été adoptée à une écrasante majorité par les député·es ce jeudi 23 janvier. Examinée dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe socialiste, le texte prévoit un renforcement, une extension et un alignement sur les prix de l’Hexagone du « bouclier qualité-prix » (BQP), dispositif de modération du coût des denrées alimentaires, existant de longue date dans les départements d’outre-mer (DOM).

Le texte prévoit aussi d’interdire les positions dominantes dans le secteur de la distribution, de renforcer les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et un encadrement strict des marges des importateurs.

Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les débats étaient riches en références à la mobilisation martiniquaise et à Rodrigue Petitot. « Il ne s’agit rien de moins que de tenir notre parole, engagée lors de longues séances de travail en Martinique », s’est souvenu le député socialiste de Martinique Jiovanny William, en défendant un amendement qui étend le bouclier qualité-prix aux produits de grande consommation. Ainsi, l’extension du BQP à la téléphonie, aux assurances, aux frais bancaires ou encore aux pièces détachées pour automobiles (dont les prix peuvent être de 400 % supérieurs à ce qu’ils sont dans l’Hexagone) a fini par faire consensus. 

L’Insee a documenté à plusieurs reprises des surcoûts de plus de 40 % en Martinique et dans le reste de l’outre-mer. Les produits alimentaires sont particulièrement impactés par ces écarts de prix, alors que les revenus sont en moyenne inférieurs de plus de 30 % dans les collectivités ultramarines. Le texte adopté jeudi 25 janvier en première lecture par l’Assemblée nationale doit maintenant être voté par le Sénat.

Un article de cette proposition de loi prévoit d’aggraver les sanctions contre les entreprises qui ne publient pas leurs comptes comme la loi les y oblige, passé un certain seuil.

Mis également en cause par une enquête journalistique de Libération pour ses « profits suspects » et la multiplication des intermédiaires – et donc des marges abusives via ses nombreuses filiales –, le groupe GBH s’est défendu à plusieurs reprises face à des commissions d’enquête parlementaires, devant le Sénat et l’Assemblée nationale. Sommé de publier ses comptes par des lanceurs d'alerte qui ont déposé plainte devant le tribunal de commerce de Fort-de-France, GBH affirme s’être conformé à ses obligations légales.

Prévue jeudi 23 janvier, l’audience consacrée à cette affaire a été reportée au 13 février prochain : le temps pour le tribunal d’analyser les documents qui lui ont effectivement été transmis, mais pas de quoi calmer la vindicte populaire, en particulier en raison de la collision avec le calendrier judiciaire du « R ». Lors de son allocution largement diffusée sur les réseaux sociaux, Rodrigue Petitot faisait référence à ce renvoi d’audience en expliquant que lui n’avait bénéficié d’aucune clémence ni d’aucun report dans l’examen de ce que lui reproche la justice.

    mise en ligne le 25 janvier 2025

Victoire pour les urgences de
Villeneuve-Saint-Georges :
la grève paie aussi à l’hôpital

par Guillaume Étievant sur https://www.frustrationmagazine.fr/

Se mettre en grève est toujours une décision délicate, que l’on évolue dans le secteur privé ou public. Les représailles des employeurs peuvent être lourdes, et tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer à plusieurs jours de salaire. À l’hôpital, l’enjeu est d’autant plus complexe entre l’engagement des soignants à assurer la sécurité des patients et la nécessité de défendre leurs conditions de travail, qui ont un impact direct sur la qualité des soins. Pourtant, malgré ces obstacles, la lutte peut porter ses fruits. Les salariés de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) viennent d’en apporter une démonstration éclatante. Grâce à leur détermination, ils ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications. Cette victoire syndicale illustre avec force que, même dans un secteur aussi sensible que la santé, la solidarité et la persévérance permettent d’imposer des avancées concrètes. 

L’année a débuté dans la révolte aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, où l’ensemble des soignants ont engagé un bras de fer avec la direction. Les conditions de travail y sont, comme dans de nombreux hôpitaux, absolument insoutenables, avec des dizaines de patients dormant sur des brancards, faute de lits disponibles, et obligés de se laver dans les couloirs entre deux paravents. Les difficultés se sont renforcées ces dernières années, avec la fermeture de plusieurs hôpitaux aux alentours. Les salariés se sont donc mis en grève, soutenus par la CGT, et la mobilisation fut impressionnante : elle a duré 11 jours, avec un taux de grévistes atteignant 100%. Les revendications portaient sur le manque criant de personnel, la saturation constante des urgences et l’insuffisance des moyens matériels. Grâce à leur détermination, les grévistes ont obtenu la satisfaction de l’intégralité de leurs demandes, en particulier la création de 14 emplois supplémentaires pour occuper 7 postes 24H/24H.

En se déclarant gréviste, le personnel envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé                   David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne

Faire grève dans un hôpital n’a rien d’évident, car personne n’a envie de mettre en risque la santé des patients. Les soignants et les autres personnels hospitaliers disposent théoriquement du droit de cesser le travail pour défendre leurs revendications, mais l’hôpital public, en tant que structure assurant des soins vitaux, est soumis à l’obligation de continuité du service public de la santé. L’administration hospitalière établit ainsi une liste de personnels dits « assignables », c’est-à-dire qui seront obligés de travailler tout en se déclarant grévistes sans perdre en rémunération. “ Vu la situation de sous-effectif aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, 100% des grévistes étaient en réalité assignables”, nous explique David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne. Les grèves dans les hôpitaux prennent souvent d’autres formes que l’arrêt complet du travail, par exemple le personnel mettant des brassards, organisation des piquets de grèves, ou faisant des « grèves » administratives, c’est-à-dire suspendant certaines tâches administratives, telles que le codage des actes médicaux, la transmission de données ou les réunions budgétaires, tout en poursuivant pleinement les soins octroyés aux patients. Mais cela peut exposer à des sanctions disciplinaires.

« Puisque le personnel ne peut pas arrêter son travail auprès des patients afin de ne pas compromettre leur santé, la pression s’exerce autrement, par la présence aux piquets de grèves et par le fait qu’en se déclarant gréviste, il envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé », nous indique David Francois. « La grève permet aussi d’attirer l’attention médiatique », ajoute-t-il, ayant eu l’occasion d’être interrogé par BFM TV., dont la journaliste a elle-même admis l’utilité de la grève.

Les grèves se multiplient dans le secteur hospitalier

Les mouvements sociaux se multiplient dans le secteur hospitalier du Val-de-Marne en ce moment. Depuis le 3 décembre dernier, une grève illimitée se poursuit à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes. Actuellement, 8 % des infirmiers et aides-soignants y sont en grève pour alerter sur la situation de sous-effectifs et la maltraitance des patients qu’elle favorise. Face à des situations de sous-effectifs chroniques (un agent pour 36 patients au lieu de deux précédemment), ils alertent sur des situations intenables, où souffrance au travail et maltraitance des patients se mêlent quotidiennement. Ils exigent l’embauche de quinze postes d’infirmiers et de 20 postes d’aides-soignants. Pour le moment, la direction ne répond à ces demandes concrètes que par des propositions abstraites de « Comité de suivi » et de « réflexions ».  La grève a été reconduite le 16 janvier dernier. Elle s’étend peu à peu à d’autres établissements : trois services de l’hôpital Albert-Chenevier sont désormais également en grève pour exiger plus de moyens. En effet, la direction a imposé une diminution du ratio soignant / lit, qui n’est souvent pas atteint sans recours à l’intérim ou aux heures supplémentaires.

Autres exemples ailleurs en France : depuis le 15 janvier dernier, une grève illimitée a été lancée par la CGT à l’hôpital de Morlaix (Finistère), alors que la veille 21 patients avaient dormi dans les couloirs des urgences. Un préavis de grève vient également d’être déposé dans les hôpitaux publics marseillais face à la saturation des chambres mortuaires : sur une capacité de 74 places pour des défunts à la Timone, 82 sont en ce moment conservés sur place. Un corps en putréfaction a même dû être stocké au sous-sol de l’hôpital.

Quelques jours seulement après la fin de la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, un événement tragique est venu y rappeler l’urgence de la situation dans les hôpitaux : le décès d’une jeune femme de 26 ans dans la salle d’attente de cet hôpital. Les morts dans les hôpitaux se multiplient ces dernières années, ce n’est malheureusement pas étonnant : une étude récente, publiée dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine,  a démontré une hausse de la mortalité de près de 40 % quand les patients sont obligés de passer la nuit sur les brancards à cause du manque de lits disponibles.

Depuis 2013, on dénombre 43 500 lits d’hôpitaux en moins en France

Cette situation ne vient pas de nulle part : près de 4 900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023. Depuis 2013, c’est 43 500 lits qui ont été perdus en France. 160 hôpitaux, publics et privés, ont fermé entre 2013 et 2023. Rappelons qu’Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé macroniste, avait promis à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année ». Ça n’a évidemment pas été le cas. Il est aujourd’hui député du NFP. La récente annonce par François Bayrou d’une augmentation de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale) de 2,8 % à 3,3 % pour l’année 2025 semble convenir aux socialistes, mais elle est largement insuffisante. Elle sera en partie absorbée par l’inflation, qui entraîne des hausses des coûts de fonctionnement des hôpitaux, laissant ainsi peu de marge pour des améliorations concrètes des services de santé. La Fédération Hospitalière de France estime qu’une augmentation de l’ONDAM de l’ordre de 6 % serait nécessaire pour répondre adéquatement aux lourdes problématiques actuelles du système de santé, notamment en matière de recrutements et d’investissements.

Les grèves dans le secteur hospitalier, si difficiles à mettre en œuvre, ont une importance cruciale, pour améliorer immédiatement les conditions de travail des soignants et la qualité d’accueil des patients, c’est-à-dire, concrètement, éviter que des gens meurent sur des brancards. Au-delà des enjeux spécifiques au monde hospitalier, ces mobilisations rappellent à l’ensemble des travailleurs que la grève demeure l’un des outils les plus puissants pour défendre leurs droits et viser l’émancipation collective.


 

     mise en ligne le 24 janvier 2025

ArcelorMittal Dunkerque :
la CGT se prépare
face à la menace de licenciements

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Le site ArcelorMittal de Dunkerque est le plus grand site sidérurgique de France. Mais, alors que la direction de la multinationale avait annoncé un investissement massif permettant de moderniser l’outil, elle a récemment fait marche arrière. Sans cet argent, pas moins de 3200 emplois directs et tout un bassin d’emploi et de vie sont en danger. Face à cette menace, la CGT se prépare et a organisé un meeting ce 23 janvier.

« Si on fait ce meeting, c’est pour alerter la population locale. » Dans la salle de l’Avenir, lieu historique des luttes ouvrières dunkerquoises construit par les dockers, Gaëtan Lecocq se prépare à mener bataille. Le secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Dunkerque alerte depuis des mois :

« On nous dit que les ouvriers sont fiers de venir travailler dans l’entreprise, alors pourquoi des démissions records ? Pourquoi autant de sanctions ? Oui, avant j’étais fier de travailler chez ArcelorMittal. Mais maintenant l’outil est pourri. Les hauts fourneaux sont dans un état catastrophique. On est en sous-effectif partout et tout le monde s’en fout. Les salariés et les sous-traitants n’ont plus envie de venir travailler. S’il faut finir par sortir les engins et bloquer Dunkerque, on le fera ». 

Alors que la multinationale avait promis, en 2024, 1,8 Md d’investissements (dont 850 M d’argent public français et européen) pour décarboner les hauts fourneaux de Dunkerque (entre 3% et 6% des émissions de CO2 en France), les salariés ne voient toujours pas la couleur de l’argent. De son côté, ArcelorMittal se dit en attente de décisions de soutien de l’Union Européenne alors que le marché américain est fermé et que la Chine pratique un dumping social et environnemental. La multinationale déplore aussi « un coup de l’énergie trop haut » et « des baisses de débouchés en Europe ».

Or, c’est simple, résume le cégétiste, qui craint que des milliers de licenciements ne s’ajoutent aux 136 consécutifs à la récente fermeture des sites de Denain et Reims. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera ». En attendant, deux jours mensuels de chômage partiel ont été actés pour les trois premiers mois de l’année.

« ArcelorMittal organise le sous investissement »

Catastrophiste la CGT ? Rien n’est moins sûr. Les dernières annonces du patron n’ont pas été rassurantes. Entendu ce 22 janvier par la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, a déclaré que « tous les sites européens présentent aujourd’hui des risques de fermeture ». Il a plaidé pour la mise en place de quotas d’importation pour limiter l’entrée d’acier chinois. Un argument contrecarré par le député communiste André Chassaigne.

« On ne peut pas tout expliquer par la concurrence chinoise. Certes, la Chine produit 54% de l’acier mondial, mais 93% est destiné à son marché intérieur, notamment pour répondre à la demande des groupes occidentaux qui se sont installés dans l’empire du milieu. En réalité, la dynamique d’exportation d’acier chinois vers l’Europe est plutôt en retrait depuis 15 ans. En revanche, il y a bien une accélération de l’importation d’acier en Europe, mais depuis l’Inde, pays de Monsieur Mittal. Ne serait-ce pas Mittal qui se sert de l’Europe pour écouler ses propres productions indiennes. En réalité, vous laissez dépérir les sites [français] au profit de l’Inde et du Brésil. »

L’analyse est appuyée par la députée insoumise Aurélie Trouvé, ex-présidente d’Attac, présente au meeting de Dunkerque.

« ArcelorMittal organise le sous investissement pour délocaliser ses entreprises vers les Etat-Unis, mais surtout vers le Brésil et l’Inde. Il y a une raison à cela : nourrir les dividendes des actionnaires. C’est un risque majeur pour notre sidérurgie française et pour notre industrie en général car le métal est la base essentielle de toute l’industrie. » 

La CGT ArcelorMittal Dunkerque en ordre de bataille

« Ce meeting, c’est pour alerter nos politiques, qu’ils tapent un grand coup sur la table », explique Gaëtan Lecocq. La CGT ArcelorMittal Dunkerque tente aussi de construire des solidarités locales, pour peser davantage dans la balance. « Au mois de juillet, on s’est réunis avec les sous-traitants. Que ce soit le cuistot du restaurant d’entreprise, la femme de ménage, la maintenance, qui désormais est externalisée, tout le monde est concerné. Et ici, ça peut partir comme un coup de fusil », prévient le cégétiste qui se rappelle le mouvement de grève de décembre 2023, qui avait suivi l’annonce de réquisition des grévistes.


 

     mise en ligne le 23 janvier 2025

Dans l’eau du robinet, une contamination massive par les polluants éternels

par Alexandre-Reza Kokabi sur https://reporterre.net/

L’eau du robinet est largement contaminée par les PFAS, selon une enquête menée dans 30 communes par UFC-Que choisir et Générations futures. La réglementation française est loin des standards adoptés dans d’autres pays.

L’eau du robinet est massivement contaminée aux PFAS, révèlent UFC-Que choisir et Générations futures. L’association de consommateurs et l’ONG publient une étude alarmante sur la présence des PFAS, ces « polluants éternels », dans l’eau en France. Les analyses ont été menées sur trente communes. 96 % des échantillons présentent des traces de ces substances perfluorées, connues pour leur persistance dans l’environnement et leurs effets toxiques potentiels. Des études lient déjà certaines à des risques accrus de cancers, de maladies thyroïdiennes ou de troubles hormonaux.

Parmi les trente-trois PFAS recherchés, le TFA (acide trifluoroacétique), issu de la dégradation de pesticides fluorés et d’autres composés industriels, se révèle particulièrement préoccupant. Il a été détecté dans vingt-quatre des trente échantillons analysés, avec des concentrations records dans le Xe arrondissement de Paris (6 200 nanogrammes par litre), à Lille (290 ng/l) et Lyon (120 ng/l). Certaines zones, comme Tours ou les environs de Rouen, affichent des « cocktails » impressionnants de polluants : jusqu’à onze PFAS différents relevés dans un seul prélèvement.

La faute aux rejets industriels et agricoles

« L’eau du robinet est le premier aliment que nous consommons. Or, nous constatons qu’elle est systématiquement contaminée par ces substances issues de décennies de rejets industriels et agricoles dans les cours d’eau et les nappes phréatiques », dit Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que choisir. Et si des dispositifs de filtration et de dépollution de l’eau du robinet existent, « ils ne permettent pas d’éliminer efficacement les PFAS », déplore-t-il.

Malgré cette présence généralisée, ces concentrations en PFAS restent conformes à la législation française — bien moins stricte que celles d’autres pays. Elle fixe un seuil de 100 ng/l pour un ensemble de vingt PFAS, un niveau bien au-dessus des normes danoises (2 ng/l pour 4 PFAS) et étasuniennes (4 ng/l pour 2 PFAS). À titre de comparaison, aux États-Unis, six des échantillons analysés en France seraient jugés non conformes, et avec la norme danoise, ce chiffre grimperait à quinze sur trente.

Alors que certains pays européens ont déjà adopté des seuils drastiques, la France continue d’appliquer des normes peu contraignantes, notamment en ignorant la présence du TFA dans les contrôles règlementaires. « C’est un véritable angle mort. Les autorités ne surveillent pas le TFA, donc elles ne considèrent pas qu’il y a un problème. Pourtant, nos analyses montrent qu’il est présent absolument partout, qu’il s’agit probablement du contaminant le plus répandu dans les robinets de France », constate François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Il exige le retrait rapide des pesticides contenant le TFA, comme le Flufenacet.

Une réforme des normes françaises nécessaire

L’UFC-Que choisir et Générations futures plaident pour une réforme profonde des normes en vigueur. Elles demandent un abaissement des seuils autorisés, une évaluation toxicologique du TFA et son intégration dans les contrôles de l’eau potable, ainsi qu’un renforcement des restrictions sur les PFAS, notamment ceux issus de pesticides.

Elles appellent également à une responsabilisation des industriels et des producteurs de pesticides, estimant que le coût de la dépollution ne doit pas reposer sur les consommateurs. Il a été récemment chiffré, par le quotidien Le Monde, à 100 milliards d’euros par an en Europe.

Au-delà des seuils et des chiffres, c’est toute une approche qui doit changer. « Aujourd’hui, les molécules chimiques sont évaluées sur la base des données fournies par leurs fabricants eux-mêmes. Cela crée un biais profond dans l’estimation de leur dangerosité. Il ne devrait pas falloir attendre des décennies de preuves accumulées pour agir », regrette Olivier Andrault.

« Ne pas attendre des décennies de preuves pour agir »

Alors que la directive européenne sur la qualité de l’eau potable entrera en application en 2026, les associations espèrent que la France en profitera pour adopter des mesures plus protectrices. En attendant, elles appellent les parlementaires à relancer la proposition de loi, portée par le député écologiste Nicolas Thierry, visant à interdire ces substances dans les produits du quotidien et à renforcer la responsabilité des pollueurs.

Les ONG alertent aussi sur les pressions des lobbys industriels dans les discussions européennes sur la restriction des PFAS. « Le projet est en train d’être démantelé par une multiplication des dérogations », alerte Olivier Andrault. « Sans volonté politique forte, la contamination de l’eau aux polluants éternels se poursuivra pendant des décennies », prévient François Veillerette.


 


 

Paris, Lille, Rouen… Ce que l’on sait sur le polluant éternel qui contamine l’eau du robinet de nombreuses villes

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Un polluant éternel très compliqué à éliminer de l’eau, l’acide trifluoroacétique (TFA), pouvant avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, a été retrouvé dans l’eau du robinet d’une large majorité des villes où il a été recherché. Les deux études distinctes à l’origine de ces découvertes, publiées jeudi 23 janvier, ont été menées d’une part par le laboratoire Eurofins et d’autre part par les associations UFC-Que Choisir et Générations futures.

L’Europe devrait débourser 2 000 milliards d’euros sur vingt ans pour supprimer les « polluants éternels » (PFAS, pour substances per- et polyfluoroalkylées) des eaux et des sols. Et l’un d’eux, très compliqué à éliminer, l’acide trifluoroacétique (TFA), est présent dans l’eau du robinet de nombreuses communes de France, et dans la grande majorité des cas à des taux excédant le seuil théorique de qualité.

C’est ce que révèlent deux campagnes de mesures, rendues publiques ce jeudi 23 janvier par le journal Le Monde, et conduites séparément par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations futures d’une part, et par le laboratoire d’analyse Eurofins d’autre part. La substance a été retrouvée dans l’eau de 24 communes sur 30 par la première campagne, et dans 61 des 63 échantillons lors de la seconde.

Quasi indestructibles, ces « polluants éternels » regroupent plus de 4 700 molécules et s’accumulent avec le temps dans l’air, le sol, les rivières, jusque dans le corps humain. Ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers.

Des normes flottantes

Mais comment peut-on jauger de la toxicité de la concentration de la substance dans l’eau du robinet ? Pour les métabolites de pesticides potentiellement toxiques (dits « pertinents »), la limite de qualité dans l’eau potable est fixée par la réglementation à une concentration de 100 ng/L, rappelle Le Monde.

Problème : dans le cas du TFA, alors même qu’il s’agit bien d’« un métabolite pertinent » en raison de sa « toxicité préoccupante » pour le développement, selon la Commission Européenne, ce n’est pas ce seuil qui est appliqué en France. En effet, la direction générale de la santé (DGS) a choisi de déroger à cette norme, selon une note publiée le 23 décembre 2024, dont le quotidien se fait l’écho.

La DGS annonce ainsi s’aligner sur les valeurs provisoires de l’Allemagne, soit une valeur sanitaire de 60 000 ng/L (au-dessous de laquelle le risque est présumé nul), et « une trajectoire de réduction vers une concentration inférieure à 10 microgrammes par litre [soit 10 000 ng/L] ».

Ce seuil, rappelle Le Monde, est cent fois plus élevé que le seuil de 100 ng/L, qui s’applique en théorie à tous les métabolites de pesticides problématiques. Il doit s’appliquer à partir de 2026 aux vingt PFAS jugés « prioritaires » dans l’Union européenne, dont le TFA ne fait pour l’instant pas partie. Pour l’heure, les pays européens ont chacun des normes totalement différentes. Ainsi, les Pays-Bas ont établi une valeur guide sanitaire de 2 200 ng/L pour le TFA dans l’eau potable.

Paris arrive au second rang en termes de concentration

Et les résultats des campagnes révélés ce jeudi sont inquiétants. Selon l’étude initiée par Générations futures et l’UFC-Que choisir, l’acide trifluoroacétique (TFA) a été retrouvé dans l’eau de 24 communes sur 30. Il dépasse à lui seul, dans 20 communes, la norme référence en Europe de 100 nanogrammes/litre pour les vingt PFAS réglementés, qui doit entrer pleinement en vigueur en 2026.

Plus en détail, parmi les 30 communes dont l’eau a été analysée, le record est détenu par Moussac (Gard), avec 13 000 nanogrammes par litre (ng/L) de TFA dans l’eau distribuée. Ce qui n’est pas étonnant, souligne l’enquête, étant donné que la commune se situe près de Salindres, où une usine du groupe Solvay produisait du TFA jusqu’en septembre 2024.

Paris arrive au second rang en matière de concentration, avec 6 200 ng/l. L’échantillon a été prélevé en novembre 2024 dans le 10e arrondissement. Il s’agit d’une concentration 62 fois supérieure au seuil de qualité en vigueur pour les métabolites de pesticides pertinents (100 ng/L), auquel le TFA devrait être soumis. La ville de Bruxerolles, dans la Vienne, complète ce podium, avec 2 600 ng/l.

D’autres agglomérations sont également concernées, comme Fleury-les-Aubrais (Loiret), près d’Orléans (1 600 ng/L), ou encore Lille (290 ng/L) et Rouen (250 ng/L).

Des taux élevés de concentration à Nantes, La Rochelle, Palaiseau…

Les résultats de l’autre campagne menée par le laboratoire d’analyse Eurofins sont encore plus alarmants. Dans 61 des 63 échantillons prélevés par le laboratoire dans autant de communes en novembre 2024, le TFA est mesuré à des concentrations supérieures au seuil de 100 ng/L. Jusqu’à 35 fois plus, à Marange-Silvange, près de Metz, en Moselle.

Des concentrations importantes ont été également relevées à Nantes (2 700 ng/L), La Rochelle (2 500 ng/L) ou Palaiseau (2 500 ng/L) en Essonne. Dans le milieu du classement, Rennes (1 100 ng/L), Lyon (920 ng/L), Nancy (830 ng/L) ou Marseille (760 ng/L) se situent sous la valeur sanitaire néerlandaise, mais encore largement au-dessus du seuil des 100 ng/L.

Au-delà de la problématique de la réglementation, si le TFA n’est pas, comme le souligne l’enquête, « aussi dangereux que les PFOA ou PFOS », interdits en Europe depuis plusieurs années, des zones d’ombre subsistent sur la toxicité du TFA et il est « quasi indestructible dans l’environnement », souligne l’étude réalisée par l’UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations Futures.

Le TFA est issu de la dégradation d’un perturbateur endocrinien

Or, le TFA est en France « très peu – pour ne pas dire jamais – recherché par les agences régionales de santé lors des contrôles des eaux potables », déplore l’étude de ces deux associations, qui souligne qu’il est souvent issu de la dégradation du flufénacet, herbicide classé comme perturbateur endocrinien fin septembre par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

« Si une substance active (ici, le flufénacet) est un perturbateur endocrinien, alors ses métabolites (dont le TFA) doivent être considérés par défaut comme pertinents » et donc contrôlés, estime Pauline Cervan, toxicologue de Générations Futures, citée dans l’enquête.

Le problème, selon Julie Mendret, chercheuse à l’université de Montpellier, réside dans le fait que le TFA est « moins bien retenu » que d’autres PFAS par les techniques de décontamination de l’eau dans les usines d’eau potable, aussi bien celles s’appuyant sur des charbons actifs, que celles à base de filtration membranaire.


 

    mise en ligne le 22 janvier 2025

« Qu’est-ce qu’il y a de "social"
dans un plan social ? » :
la CGT s’invite à Bercy pour dénoncer
les suppressions d’emplois

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Face aux 300 000 emplois qui sont supprimés ou menacés, près de 500 militants de la CGT venus de toute la France se sont rassemblés, mercredi, face au ministère de l’Économie, pour défendre l’industrie et l’emploi.

Étendards rouges sur fond vert de la pyramide de gazon et de verre, la centaine de drapeaux flottant devant Bercy a de quoi trancher avec la grise muraille du ministère de l’Économie et des Finances qui se dresse en face. Ce mercredi 22 janvier est un jour de lutte. Les fédérations chimie, métallurgie, énergie, construction, verre et céramique, commerce, organismes sociaux et du livre (Filpac) de la CGT avaient appelé les salariés touchés par les plans sociaux en cours, menaçant 300 000 emplois, à manifester leur colère.

Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Le gouvernement restant passif face à cette casse sociale, les syndicats ont décidé de secouer le ministère en charge de l’Industrie, avec son Ciri (comité interministériel de restructuration industrielle), chargé de venir en aide aux sociétés de plus de 400 salariés en difficulté et qui en font la demande.

« Le ministre de l’Industrie a dit qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement »

« Dans nos 11 branches professionnelles de la chimie, nous comptons plus de 70 plans antisociaux. Antisociaux, persiste et signe Serge Allègre, secrétaire général de la Fnic CGT. Car, mes camarades, une bonne fois pour toutes, ne parlons plus de plans sociaux, car qu’y a-t-il de social dans un PSE si ce n’est la destruction de nos vies, de nos familles ? »

Micro en main au centre du barnum dressé pour l’occasion, le cégétiste de la chimie peste contre les coups de boutoir portés aux travailleurs de l’industrie. De fait, en deux décennies, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 14 % à 9 % selon la Banque mondiale. « Cela représente 1 million d’emplois directs perdus en France dans l’industrie sur la même période », estime-t-il, exigeant l’arrêt de tous les plans « antisociaux » et l’interdiction de tous les licenciements.

Valeo, Auchan, Michelin… la liste noire des suppressions de postes s’allonge chaque jour. Ce mardi, Arkema, multinationale tricolore de la chimie, a annoncé envisager de supprimer 154 des 344 postes de son usine de Jarrie, en Isère, prétextant que cette décision est la conséquence de la mise en redressement judiciaire de son fournisseur Vencorex.

Pourtant, dénonce au micro Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, « Arkema pouvait reprendre l’activité et faire en sorte que Vencorex ne tombe pas, mais elle n’a pas voulu négocier les prix de la matière première. Maintenant, elle se sert de ce qui nous arrive pour faire croire qu’elle n’a d’autre choix que de fermer son site ».

La représentante des salariés dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire est chaudement applaudie par les manifestants, en hommage à la longue lutte de soixante-trois jours des travailleurs de l’usine du Pont-de-Claix. « Nous avons signé un protocole de fin de grève en pensant que nous avions suffisamment mis le bazar pour être entendus à Paris. Mais, dès la reprise du travail, plus personne ne s’est soucié de notre sort, lâche la syndicaliste amère. Quand nous avons rencontré le ministre de l’Industrie, la seule chose qu’il a été capable de nous dire est qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement. »

Sophie Binet dénonce « l’hypocrisie » du gouvernement

Au-dessus de Bercy, les nuages gris s’amoncellent. Le demi-millier de personnes massées écoutent Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, dénoncer « l’hypocrisie » du gouvernement, rappelant que son organisation avait déjà remis en octobre à Michel Barnier, chef du gouvernement de l’époque, la liste des 200 plans de licenciement en cours dans l’Hexagone.

« En janvier, nous avons rencontré le nouveau premier ministre, François Bayrou, et nous lui avons également remis la liste des plans qui s’élèvent désormais à 300. Mais, dans son discours de politique générale, il n’a pas dit un mot sur la question des licenciements en cours. Combien faudra-t-il de premiers ministres pour avoir enfin un gouvernement qui ait le courage d’affronter les multinationales ? » s’agace-t-elle.

Dans ce contexte de licenciements, le rassemblement parisien du jour sert aussi à regonfler le moral des personnes en lutte. Thomas Launay, délégué syndical CGT de l’entreprise française de fabrication d’articles de caoutchouc pour l’industrie automobile Paulstra Hutchinson à Segré (Maine-et-Loire), se fond parfaitement dans cette foule de corps multicolore.

Avec deux autres collègues, le quadragénaire a pris le train pour Paris aux aurores pour participer à la mobilisation. Son site n’est pas directement menacé pour l’heure mais il est venu vivre ce moment « qui régénère ». Les sourires sont nombreux. Les rires aussi. « Continuer de danser encore », crache une enceinte posée sur un camion. Les grévistes n’attendent plus passivement des réactions de Bercy. Tout va à point à qui sait prendre.


 


 

Aides publiques et casse sociale :
les patrons d’Auchan et ArcelorMittal sur le grill face aux députés

Cyprien Boganda et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Ce mercredi, les dirigeants d’Auchan et ArcelorMittal ont été auditionnés par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Face aux députés qui les accusaient de supprimer des milliers d’emplois en dépit d’aides publiques conséquentes, ils sont restés inflexibles.

Cordial sur la forme, musclé sur le fond. Durant une heure et demie, Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail et président d’Auchan France, a été soumis à un feu roulant de questions posées par les députés de la commission des Affaires économiques, présidée par Aurélie Trouvé (FI), réunis ce mercredi matin. En novembre, Auchan a en effet annoncé un énorme plan de restructuration, menaçant quelque 2 400 emplois et une quinzaine de magasins.

Face aux questionnements nourris sur le montant des aides publiques empochées par Auchan, la stratégie de redressement du groupe et les reclassements possibles des salariés licenciés au sein de la galaxie des Mulliez, propriétaires d’Auchan, Guillaume Darrasse est resté droit dans ses bottes, non sans montrer quelques rares signes d’agacement.

Le patron d’Auchan reste évasif

Sur les aides publiques, il n’a jamais répondu aux députés qui lui demandaient le montant de l’enveloppe globale (exonérations de cotisations sociales comprises), mais il a donné quelques précisions (invérifiables) quant à la ventilation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) : selon lui, sur les quelque 430 millions d’euros touchés entre 2013 et 2018, 212 millions auraient été versés sous forme de rémunération aux salariés (intéressement et participation), 139 millions investis pour la « compétitivité et l’innovation » et 80 millions dans la transition écologique.

Interrogé sur la bonne fortune des Mulliez (52 milliards d’euros de patrimoine), le dirigeant a botté en touche, expliquant qu’il « n’était pas le représentant » de la famille, mais que des reclassements ponctuels de salariés licenciés au sein des enseignes de la galaxie étaient étudiés.

Surtout, Guillaume Darrasse a assumé la gigantesque casse sociale, mettant cette décision sur le compte de la crise du modèle de l’hypermarché, « tellement spécifique qu’il s’est peut-être un peu trop regardé lui-même et n’a pas senti les évolutions du marché ».

Pour Arcelor, c’est toujours la faute des autres

La faute aux autres, c’est aussi le principal argument qu’a développé Alain Le Grix de la Salle, nouvellement nommé président d’ArcelorMittal France après toute une vie de « fierté » passée à monter les échelons au gré des fusions-acquisitions.

C’est contraint et forcé par « le manque de visibilité sur l’environnement réglementaire » en Europe, par la concurrence déloyale de la Chine dont l’acier se déverse sur le Vieux Continent « à un prix inférieur à nos coûts de revient », par les « surcapacités mondiales », par « l’explosion des prix de l’énergie » avec « des prix du gaz ici quatre fois supérieurs à ceux aux États-Unis », ainsi que par « la chute de 20 % la demande en acier en Europe » que le groupe sidérurgiste procède à la fermeture de ses sites de Reims et Denain (135 postes supprimés, auxquels s’ajoutent 28 postes en moins à Strasbourg et Valence). Voilà aussi pourquoi le deuxième groupe mondial a gelé son projet à 1,8 milliard d’euros, dont 850 millions de l’État, d’électrification des hauts fourneaux de Dunkerque.

Côté « plans sociaux », le dirigeant s’en remet aux négociations en cours, soulignant que les effectifs en France (15 400) n’ont pas diminué depuis 2019. Taclé sur le manque d’investissements, il met en avant le milliard et demi dépensé en cinq ans et le fait que, si l’Europe répond à ses demandes, les milliards pleuvront à nouveau. En attendant, ArcelorMittal serait sevré d’aides publiques : 75 petits millions touchés, hors crédit impôt recherche et prise en charge du chômage partiel. Quant au 1,5 milliard versé en 2024 en dividendes et rachats d’action, « il est normal que les actionnaires soient rétribués ». Circulez, il n’y a rien à voir.

     mise en ,ligne le 21 janvier 2025

Trump : Vers une démondialisation agressive et dangereuse

Louis Mollier-Sabet sur www.regards.fr

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation qui a dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Le commerce n’est plus envisagé au service de la paix et d’un monde unifié. Tout l’inverse : les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique. L’État américain est entièrement à son service.

Il y a les gens que l’on voit aux mariages et aux enterrements. Et puis il y a Donald Trump, qui orchestrera le 20 janvier prochain un baroque mélange des deux. La grand-messe de l’extrême droite mondiale restera comme la date de la liquidation définitive d’un monde bâti sur la victoire de la Seconde guerre mondiale puis sur l’effondrement soviétique… et l’avènement d’un monde de la loi du plus fort. L’économie mondialisée et libre-échangiste construite successivement par les accords de Bretton Woods en 1944, puis le consensus de Washington dans les années 1980 et l’OMC en 1995 ne survivront pas à ce dernier coup de boutoir.

Jeter les moins productifs et conserver les plus efficaces

Sur le plan intérieur, la doctrine néolibérale de dérégulation, de privatisation et de restriction des dépenses budgétaires a de beaux jours devant elle, et le mandat de Donald Trump la portera au plus haut. Cela fait bien longtemps que l’État par ses diverses politiques sert les grandes entreprises américaines. La plus emblématique restant l’intégration du « complexe militaro industriel ». Mais cela s’accompagnait de règles dans l’attribution des marchés, de souvenirs de lois anti-trust, de règles sociales pour régir le code du travail ou assurer au fil des ans quelques protections aux Américains.

Comme le proclame si joliment Mark Zuckerberg, la nouvelle doctrine est de jeter les moins productifs et de conserver les plus efficaces. Mieux, c’est dans la maison du magnat de l’immobilier élu président, à Mar a Lago que se négocient les futurs marchés, que se préemptent les prochaines affaires. Elon Musk a non seulement propulsé ses idées d’extrême droite en soutenant Trump, mais il a valorisé considérablement toutes ses sociétés. Et ce n’est qu’un début.
Au niveau international, on voit déjà que la pression mise par Trump pour que le cessez-le-feu à Gaza s’articule à la relance en format xxl des accords d’Abraham. Sur les bords de la méditerranée, il espère voir s’ériger un nouveau Dubaï. Ce serait bon pour toutes les affaires, licites et illicites.
Cela fait longtemps que plus personne ne croit à « la mondialisation heureuse » : on va vers une démondialisation brutale et dangereuse.

« Go find another sucker ! »

Même si ces dernières années la Chine avait souvent pris le relai des financements internationaux auprès des pays du sud, le FMI et la Banque mondiale avaient dû intégrer d’autres critères de développement que la seule rentabilité et efficacité des capitaux. Ils constituaient un ultime recourt pour les pays les plus pauvres, qui ce faisant le payaient très cher. Trump n’en a cure et a déjà annoncé son mépris à leur égard et son désengagement. Les tarifs douaniers délirants, discrétionnaires et variables selon les pays sont totalement contraires aux règles de l’OMC. Trump s’en moque tout autant. Il écrase tout sur son passage.

« Go find another sucker ! » (« Allez trouver un nouveau pigeon ! »), a lancé le 47° président en direction des BRICS avant même son entrée en fonction, si d’aventure leur venait l’idée de se desserrer de l’étau du dollar.

Certes tout ceci n’est pas neuf. « Trump est le plus affirmatif, mais on assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama », résume Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. L’auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte). Il rappelle qu’une des dernières lois passées par Obama a mis en place un groupe de travail pour « défendre la supériorité américaine en matière d’intelligence artificielle », composé de parlementaires et de dirigeants des grandes sociétés de la tech qui allaient devenir les GAFAM. Les traités de libre-échange interdisent pourtant de tels soutiens à un secteur ou à une entreprise en particulier. Trump a embrayé avec les sanctions sur la Chine et Biden n’a pas changé de cap avec son fameux Inflation Reduction Act déclinant de nombreuses politiques industrielles protectionnistes, certaines focalisées sur les industries technologiques.

Le libre-échange abandonné par les libéraux eux-mêmes

En un sens, ces politiques illustrent « l’hypocrisie » de la position libre-échangiste des Etats unis. Benjamin Bürbaumer explique : « Quand le libre-échange les arrange, les Etats-Unis le promeuvent partout. Mais quand les choses se compliquent et que cela ne se fait plus à leur bénéfice avec le rattrapage technologique et commercial de la Chine, ils lâchent complètement cette doctrine. »

L’ancien économiste de la Banque mondiale, Branko Milanovic, a lui aussi noté que ce sont ces économistes orthodoxes qui ont progressivement abandonné la doctrine libérale. Clauses miroirs, politiques de sanctions commerciales, politiques migratoires restrictives… autant de mesures dorénavant défendues par la presse d’affaires, et qui contreviennent par définition aux principes fondateurs de la globalisation et de ses institutions. « Comment imaginer qu’une mission de la banque mondiale en Egypte pourrait recommander de baisser les tarifs douaniers, alors qu’en même temps, son membre le plus important économiquement et doctrinairement – les Etats-Unis – est en train de les augmenter ? » explique l’économiste spécialiste de la pauvreté et des inégalités dans un article récent.

Un système international est en train de péricliter. Lequel prendra sa place ? Si le monde merveilleux de la globalisation néolibérale du FMI n’avait rien d’un paradis terrestre, celui du chaos multipolaire agressif dominé par les technologies américaines et les énergies fossiles n’a pas encore livré tous ses secrets. Rien ne dit qu’il sera plus clément.


 

      mise en ligne le 20 janvier 2025

La gauche repart comme en 14

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Comment bien commencer la semaine ? Par un truc sympa ? On a hésité : allez, va pour la gauche. On vous réserve l’investiture de Donald Trump pour demain.

Le week-end fut celui de l’étalage des tensions au sein de la gauche ; il s’achève avec une élection partielle à Grenoble et une lourde défaite du candidat LFI/NFP. Lyes Louffok perd par 35% contre 65% pour la candidate macroniste qui a fait le plein. La circonscription n’est certes pas un bastion de la gauche ; il y eut longtemps un député socialiste passé à la macronie, Olivier Véran. Mais ce n’est pas non plus une terre de mission. Le député sortant était LFI/NFP, élu dans une triangulaire. Et si on cumule les résultats des listes de gauche aux européennes, la circonscription pointe à la 57eme place pour la gauche.

Cette défaite n’a pourtant rien d’inattendue. Au soir du premier tour, il était difficile de croire à une victoire. Surement que l’abstention du groupe socialiste lors de la censure a désemparé une partie de l’électorat NFP… mais pas au point d’aller voter LFI. Bien que sympathique, la candidature d’un combattant pour le droit des enfants n’est pas parvenue à mobiliser et l’abstention fut forte -comme souvent lors des partielles. Pour finir, le NFP perd 6% en 6 mois. Dans l’affrontement sans retenue, la gauche désespère. Parce qu’elle est faible politiquement au double sens du terme : on ne sait pas trop ce qu’elle dit ni si elle peut gagner, surtout face à la marée montante de l’extrême droite.

Les socialistes ont justifié leur non-vote de la censure par une étrange formule de leur secrétaire national à la tribune de l’Assemblée « faire la politique du pire c’est faire la pire des politiques, celle qui conduit Marine le Pen au pouvoir ». Cette appréciation sera sans doute la même dans 6 mois, dans un an. Conduira-t-elle à ne jamais censurer le gouvernement, quel que soit sa politique et son budget ? On ne fera pas le reproche aux socialistes d’avoir de l’inquiétude face à ce qui semble chaque jour une menace plus pressante. Il y a une folie à relativiser le risque, à présumer de ses forces face au danger immense.

Mais alors, quand on est un parti qui compte, qui se veut responsable, on se doit d’avoir une stratégie. La procrastination n’en est pas une. La fracturation de la gauche non plus. Et ça vaut aussi pour les Insoumis. Les noms d’oiseaux qui fusent n’ont pour effet – et sans doute pour volonté – que d’inscrire cette division et de légitimer plusieurs candidatures présidentielles. Magnifique les gars !

Les Insoumis disent une chose claire : il faut une autre logique, une rupture sinon on va dans le mur : celui du climat, de la pauvreté, de la mise à mal de la démocratie. D’autres murs se dressent aussi : la guerre, la corruption, le désespoir de la jeunesse. Ils ont un projet et un programme. Ils se préparent à les défendre lors d’une présidentielle qu’ils croient imminente. Ils ne sont pas obligés de chercher à embarquer leurs partenaires dans un désir d’accélération du calendrier. Si Macron doit démissionner il le fera parce que la situation est totalement bloquée et qu’il y sera contraint. Pas parce qu’on l’aura provoqué. En revanche, ils ont raison de se préparer : le rythme des évènements nous échappe. Pourquoi n’adoptent-ils pas une politique rassembleuse ? Pourquoi prétendre que les socialistes sont alliés au RN pour sauver macron ? C’est un peu rustre comme analyse. En vérité, ces mots heurtent même ceux qui n’ont pas le vote socialiste chevillé au corps (ils ne sont plus si nombreux). Les Insoumis devraient se défaire de leur assurance d’avoir, in fine et au bout du compte, le vote des classes moyennes … A Grenoble cela ne s’est pas produit. Pas du tout même. Ils pourraient même douter que ces invectives sont attendus par le monde populaire.

Quant aux socialistes, ils devraient se convaincre de la faible attractivité de la logique du moindre mal, celle qui veut qu’éviter la suppression de 4000 postes d’enseignants est mieux que leur suppression ; que la non mise en œuvre des jours de carences est mieux que leur mise en œuvre, etc… Ces temps-là sont révolus. Parce que les dangers sont évidemment bien plus grands qu’une dette et qu’une mauvaise note des agences de notation. Parce que les blocages ne se lèveront que par une autre politique. Et que la gauche ne peut laisser au RN le discours de la rupture. Les socialistes semblent y renoncer et se faisant, ils valorisent même à leur corps défendant la solution d’extrême droite.

Il reste quelques semaines pour se ressaisir.


 

     mise en ligne le 19 janvier 2025

La facture d’électricité va fondre de 15 % au 1er février : C'est bien mais…

Pauline Achard sur www.humanite.fr

Les tarifs réglementés de vente d’électricité vont baisser de 15 % en moyenne au 1er février 2025, conformément à ce qu’a proposé la Commission de régulation de l’énergie ce jeudi. Une baisse atténuée par la fin du bouclier tarifaire.

Depuis cet été, les annonces contradictoires quant à l’évolution de la facture d’électricité au 1er février 2025 ont pullulé. À mesure que les gouvernements et projets de budget se succèdent, le sujet enflamme les débats opposant Matignon à une gauche soudée. À deux semaines de la date butoir, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a finalement tranché. L’autorité, dirigée par Emmanuel Wargon, a proposé ce jeudi 16 janvier dans un communiqué une baisse moyenne de 15 % pour les consommateurs souscrivant au Tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE).

Parmi ceux qui verront leur facture s’alléger à compter du 1er février : les 20,4 millions d’abonnés au « tarif bleu » d’EDF et les 4 millions de foyers inscrits aux offres qui y sont indexées. « Concrètement, les tarifs réglementés de vente de l’électricité s’élevaient en moyenne à 281 euros par mégawattheure (MWh) depuis le 1er février 2024. La CRE propose de les établir à 239 euros par MWh au 1er février 2025, soit une baisse en moyenne de 42 euros », précise le communiqué.

Cette baisse est en grande partie due au déclin des prix de marché de gros. Il s’agit en réalité d’un retour progressif à la normale après qu’une grave crise énergétique a éclaté en 2022, déclenchée par la guerre en Ukraine. « Cette baisse de 15 % est bien loin de rattraper les 40 % de hausse subie par les Français en trois ans, souligne le secrétaire national adjoint de la FNME-CGT, Fabrice Coudour. La CRE continue d’intégrer dans son calcul une part adossée aux prix des marchés de gros, alors que l’on voit bien que l’usager est toujours perdant ».

Fin du bouclier tarifaire

L’allègement de l’addition sera par ailleurs amoindri par la levée totale du « bouclier tarifaire ». En effet, pour enrayer les effets de la crise sur les factures des usagers, sous le coup d’une affolante flambée des prix, l’État avait abaissé en 2022 à moins d’un euro par MWh le prix de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Pour mémoire, début 2024, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, l’avait rehaussée à 21 euros, ce qui s’était traduit par une augmentation des factures de 10 % en février 2024, pour une hausse totale de 15 % sur l’année.

Après avoir échappé à une fixation à 50 euros par MWh voulue par gouvernement de Barnier, et qui aurait coûté 3 milliards d’euros par an aux consommateurs, cette accise retrouvera en fin de compte son niveau d’avant crise, un an plus tard, soit 33 euros par MWh. Si l’ancien locataire de Bercy a martelé qu’il faudrait à terme passer à la caisse pour rembourser ce bouclier tarifaire, le cégétiste Fabrice Coudour s’inquiète ainsi de voir cette taxe poursuivre son ascension dans les années à venir.

Des milliards investis dans le réseau

Par ailleurs, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE), qui représente environ 30 % de la facture d’électricité, sera lui aussi revu à la hausse. Cette rétribution de la part d’acheminement énergétique, fixé tous les quatre ans par la CRE, va bondir de 2,9 % au 1er février, après avoir augmenté de 4,8 %, soit 7,7 % au total.

« Cette augmentation est notamment due à une croissance forte des dépenses prévisionnelles d’investissement (de 2,1 milliards d’euros par an en 2023 à 6,4 milliards en 2028 pour RTE et de 4,9 milliards d’euros par an en 2023 à 7 milliards en 2028 pour Enedis (…), au développement de l’éolien en mer, à l’adaptation au changement climatique et à la modernisation du réseau vieillissant », précise le régulateur d’énergie. Au vu de l’importante baisse des prix de gros en 2024, la commission a décidé en décembre d’anticiper le mouvement tarifaire d’août 2025 à février 2025, pour éviter les effets yoyos. Les détails de ce programme d’investissement seront présentés par RTE à l’occasion d’une conférence de presse le 27 janvier prochain.

Enfin, Fabrice Coudour rappelle que cette baisse de 15 % est loin de concerner tous les usagers. Les plus de 11 millions de foyers qui ont choisi, eux, une offre de marché proposée par EDF, devraient, au contraire voir leur facture augmenter, après avoir bénéficié de baisses auparavant.


 

     mise en ligne le 18 janvier 2025

Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Comme son prédécesseur, François Bayrou propose pour 2025 une baisse des dépenses publiques jamais vue. Il estime que la situation des comptes du pays ne lui donne pas d’autre choix. Ce qui n’est pas exact. 

« La baisse des dépenses publiques est la plus importante qu’aucun gouvernement ait jamais présentée devant le Parlement. » Lors de son discours au Sénat mercredi 15 janvier qui marquait la reprise des discussions parlementaires autour du budget 2025, le nouveau premier ministre François Bayrou a détaillé ses intentions en matière de finances publiques.

Reprenant à son compte une grande partie du budget du gouvernement de Michel Barnier pourtant censuré, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a expliqué qu’il comptait « mobiliser l’équivalent de 30 milliards de baisse de dépenses » pour 2025. Du jamais-vu.

Tous les ministères seront mis à contribution, a-t-il dit dans une logique similaire à celle de son prédécesseur. À cela il faut ajouter des recettes fiscales en hausse d’environ 20 milliards d’euros – dont 10 milliards de contributions exceptionnelles demandées aux grandes entreprises et aux plus riches. Un niveau équivalent, là aussi, à ce que proposait le gouvernement censuré de Michel Barnier.

C’est donc un effort budgétaire de plus de 50 milliards d’euros que le gouvernement Bayrou compte appliquer au pays en 2025 pour atteindre un déficit public de 5,4 % du PIB. Un tel coup de rabot aura nécessairement un impact négatif sur l’activité. Pour rappel, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que le budget Barnier – dont l’effort global présenté était d’environ 60 milliards d’euros – aurait coûté en termes de croissance 0,8 point de PIB à la France en 2025. 

François Bayrou a aussi confirmé qu’il comptait faire passer le déficit en dessous de 3 % du PIB en 2029, soit un effort supplémentaire d’environ 100 milliards d’euros dans les années à venir. « Si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question du rééquilibrage des finances publiques, alors tout ce que nous ferons par ailleurs sera vain », a martelé le premier ministre qui, rappelons-le, a fait de la dette publique son principal combat politique depuis de nombreuses années.

Problème : « réaliser 150 milliards économies d’ici à 2029 – en incluant 2025 – est un choc massif qui représente un effort trop important, à mon sens, pour les services publics (santé, éducation, etc.). Cela risque de faire vraiment très mal », estime François Geerolf, économiste à l’OFCE.

Procédure de déficit excessif 

Mais c’est un mal nécessaire, nous disent le gouvernement et ses alliés. D’abord parce que la dette a atteint un niveau qu'ils jugent inacceptable – 3 300 milliards d’euros – et que les déficits publics se sont envolés – plus de 6 % en 2024, après 5,5 % en 2023. Ensuite, les marchés financiers commenceraient à spéculer sur la dette française : l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne – le spread, dans le jargon financier – pour un emprunt sur dix ans sur les marchés s’est agrandi de 0,4 point de pourcentage en 2024. Ainsi le taux de l’obligation française à dix ans est désormais de 3,4 %.

Enfin, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par le Conseil de l’Union européenne au cours de l’été 2024. Bref, « si nous voulons être cohérents avec nos engagements européens et la crédibilité de la France, nous devons faire un effort important », a martelé le 15 janvier sur BFMTV le très éphémère ministre macroniste de l’économie Antoine Armand.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches.

Même le Parti socialiste (PS) semble partager ce constat, puisqu’il n’a pas voté le 16 janvier la motion de censure du gouvernement Bayrou. Ce dernier a certes promis au PS de réduire sa cure d’austérité d’environ 3 milliards d’euros en 2025, dont 2 milliards sur l’hôpital public et les remboursements d’assurance-maladie, ainsi que de rouvrir les discussions sur la réforme des retraites de 2023. Mais sans pour autant perturber ses grands équilibres budgétaires pour 2025. Cela a pourtant suffi à s’éviter la censure du centre-gauche, qui se résigne donc à cette cure d’austérité inédite pour 2025.

Un autre horizon est possible 

Est-ce là une preuve que la politique budgétaire proposée par François Bayrou est la seule possible, vu le contexte actuel bouillant ? pas forcément. D’abord, disons-le, il n’est pas question ici de contester ici l’état préoccupant de la situation budgétaire de la France. « La situation des finances publiques est insatisfaisante », confirme Benjamin Lemoine, sociologue chercheur au CNRS et expert du sujet de la dette.

Mais le problème, selon lui, est que « le diagnostic est systématiquement mal posé, et ce sciemment : ce sont les services publics et l’État social qui sont sur le banc des accusés du déficit public ». Or, les vrais « responsables de l’appauvrissement de l’État » sont les politiques de l’offre menées depuis dix ans, faites de « baisses délibérées des recettes et des cotisations ». Politiques qui, pour le gouvernement actuel et ses prédécesseurs, « restent considérées comme l’horizon indépassable de l’attractivité et de la compétitivité de l’économie française », déplore Benjamin Lemoine.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches, tout en serrant la vis côté dépenses sociales (chômage et retraites notamment). Ces baisses d’impôts, pointées récemment dans un rapport de la Cour des comptes sur les finances locales, sont en grande partie responsables de l’assèchement des recettes fiscales. Or c’est ce manque de recettes fiscales qui a creusé un trou béant de quelque 50 milliards d’euros dans les comptes publics entre septembre 2023 et la fin 2024.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que ce dérapage incontrôlé des finances publiques n’a pas joué dans la décision du chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale début juin afin que son camp n’ait pas à assumer seul, lors des discussions budgétaires de l’automne 2024, l’échec cuisant de sa politique de l’offre.

On n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve “in fine” sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise.           Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux

Or, c’est en réaction à la dissolution que les marchés financiers ont commencé à s’inquiéter et que les taux de la dette française ont anormalement grimpé. Et dans la foulée, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par Bruxelles. Bref, en quelques mois la situation budgétaire s’est considérablement dégradée par la seule faute de l’exécutif en place. Problème : pour y remédier, François Bayrou nous dit qu’il faut continuer à faire comme avant, tout en baissant encore davantage les dépenses car « la dette est une épée de Damoclès au-dessus du pays ».

Pour les économistes critiques de cette politique de l’offre austéritaire, il y a donc tout un discours à déconstruire. D’abord, la dette n’est pas « un fardeau » comme on l’entend trop souvent, rappelle Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre des Économistes atterrés.

« Il faut raisonner de manière plus globale. Il y a certes un niveau de dette de 52 000 euros par personne en France. Mais en face de cette dette, il y a un actif – les infrastructures publiques, les hôpitaux, les écoles, etc. – dont la valeur est supérieure ! Ainsi, selon les calculs d’économistes faits récemment, chaque français naît en fait avec une richesse nette de 12 000 euros par personne. »

Par ailleurs, déplore l’économiste atterré, « on n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve in fine sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise ».

Un autre angle mort du débat public est l’aspect distributif incroyablement injuste. En effet, « dans le cas précis de la France, la dette distribue des revenus du bas vers le haut », nous dit Benjamin Lemoine. C’est donc Robin des bois… mais à l’envers !

En effet, en baissant les taxes sur les riches et les grandes entreprises, les derniers gouvernements ont fait grimper les déficits, et donc l’État s’est endetté. Sauf que ce sont ensuite les plus riches, ceux-là même qui ont vu leurs comptes en banque gonfler grâce aux baisses de taxes, qui achètent les titres de dette publique – via leur assurance-vie ou un autre véhicule financier – dont ils perçoivent des intérêts ! Les riches sont donc doublement gagnants.

En revanche, pour les plus démunis et les classes moyennes, c’est l’inverse. Car pour remédier aux problèmes de dette publique, les derniers gouvernements ont le plus souvent décidé de sacrifier, en les appauvrissant, « sur l’autel d’une “dette comme fardeau universel”, les services publics et l’État social, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », déplore Benjamin Lemoine.

Ce seul mécanisme pervers devrait questionner les politiques économiques d’austérité qui sont menées. Et laisser la porte ouverte à un nouvel horizon où les riches seraient davantage mis à contribution, et les politiques de relance par l’investissement public ne seraient plus tuées dans l’œuf.

Un risque financier, vraiment ? 

Par ailleurs, on oppose souvent aux tenants des politiques de relance par la dépense publique le danger qu’ils fassent exploser les déficits à court terme et soient immédiatement sanctionnés par les marchés financiers. Un argument de courte vue. « Si vous avez une dette publique importante mais beaucoup d’épargne du côté privé, comme c’est le cas de la France où le taux d’épargne des ménages est de 18 %, il n’y a aucune raison de connaître une crise de la dette », tempère François Geerolf.

Pour le dire trivialement, ajoute l’économiste, « quand les riches ne savent pas quoi faire de leur argent, et ce n'est pas le cas qu'en France, ils l’épargnent et cela aide à soutenir la dette publique. Ce n’est pas pour rien que les agences de notation sont attentives à cet indicateur du taux d’épargne privée… ».

Que ce soit par des résidents ou des étrangers, la dette française reste d’ailleurs très demandée sur les marchés financiers. L’économiste au CNRS et à l’université Paris-Dauphine Anne-Laure Delatte aime rappeler qu’à chaque fois que l’agence France Trésor (AFT) procède à une adjudication de titres de dette, « il y a environ deux fois plus de demande que de bons émis ».

En outre, il faut savoir que les créanciers de la France n’ont pas intérêt à spéculer à outrance sur sa dette publique. « Certaines banques et compagnies d’assurance ont en effet beaucoup de titres souverains dans leur bilan. Or, on sait que quand les taux d’intérêt des actifs remontent, leur valeur de marché baisse, ce qui fait peser un risque sur le bilan des institutions financières qui les possèdent. C’est ce mécanisme qui a provoqué les faillites du Crédit suisse et de la banque de la Silicon Valley », rappelle Éric Berr.

Enfin, l’éléphant dans la pièce de ce débat est le rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Car depuis 2015, elle intervient massivement à chaque emballement des marchés sur les dettes des pays de la zone euro, afin d’éviter de revivre le calvaire de la crise grecque. Elle l’a montré récemment en intervenant pour sauver l’Italie. Et il semble impensable qu’elle n’en fasse pas de même pour la France, si cela se révélait nécessaire. 

« La force de frappe de la BCE est en capacité de calmer les marchés à tout moment, parce que laisser dévisser trop longtemps la France porte un risque systémique : pour le système bancaire et l’ensemble de la zone euro », confirme Benjamin Lemoine.

Tutelle des technocrates 

Cependant, prétendre qu’une politique budgétaire diamétralement opposée à celle menée par François Bayrou serait sans conséquence du point de vue des marchés ne serait pas exact. « Il y a un ambiguïté maintenue délibérément sur le risque financier de la France », pointe Benjamin Lemoine.

Les technocrates de la BCE l’ont d’ailleurs reconnu lors d’une réunion après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron : ils préféraient laisser monter dans un premier temps les tensions sur la dette française car « idéologiquement la contrainte de marché est considérée comme saine : elle sert les intérêts d’un gouvernement austéritaire en maintenant la pression sur la population et les services publics », analyse Benjamin Lemoine.

Cette vision rigoriste est partagée par la Commission européenne, dont on sait pourtant que les règles budgétaires – celle du déficit à 3 % du PIB notamment – sont totalement désuètes et ont amené durant les années 2010 au décrochage de l’économie de la zone euro par rapport à l’économie des États-Unis. Un pays qui de son côté ne s’encombre pas de règles internes quand il s’agit de relancer la croissance par les déficits publics. 

« À la suite de la crise des dettes de la zone euro [qui débute en 2010 – ndlr], les règles budgétaires européennes auraient dû être changées radicalement. Mais cela a été un rendez-vous raté et l’on en paie encore le prix », déplore François Geerolf. Même son de cloche du côté d’Éric Berr, qui regrette que « la politique économique reste corsetée par les règles européennes qui visent à favoriser l’épargne sur l’endettement et à éviter toute politique économique de gauche dite progressiste ». 

C’est là tout le problème du rôle des institutions européennes dans le débat sur la dette : que ce soit à la BCE ou à Bruxelles, l’austérité budgétaire est préférée car elle relèverait du bon sens. Or, conclut Benjamin Lemoine, « ces orientations n’ont rien de neutre, elles servent socialement les intérêts des plus aisés et sont, pour ces raisons-là, au goût des marchés financiers et de la technostructure européenne ». Et aussi de François Bayrou. 


 

    mise en ligne le 17 janvier 2025

Profit(s)

Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Pendant ce temps-là, les actionnaires se gavent…

Rengaine « Dividendes : les groupes du CAC 40 n’ont jamais été aussi généreux ». Vous ne rêvez pas : ainsi titrait les Échos, ce mardi 14 janvier, avant même la déclaration de politique générale de François IV à l’Assemblée nationale. Même pour le quotidien économique appartenant à Bernard Arnault, les mots ont un sens : « Les 40 fleurons de la Bourse de Paris n’ont jamais redistribué autant d’argent à leurs actionnaires. »

L’année dernière, entre les dividendes et les rachats d’actions, ces groupes ont en effet reversé 98,2 milliards d’euros via des dividendes et des rachats d’actions, selon la lettre spécialisée Vernimmen. Rassurons-nous, il ne s’agit que d’une petite hausse de 1 % par rapport à 2023. Mais c’est un nouveau pic, un record. À titre de comparaison, les versements aux actionnaires sont désormais plus de 60 % supérieurs à leur niveau de 2019, juste avant le trou d’air de 2020 lié à l’épidémie de Covid.

D’où le titre de l’Humanité, le 15 janvier : « Le pactole à 100 milliards d’euros ». La financiarisation sans fin de l’économie se poursuit, comme si de rien n’était. Pendant ce temps-là, François IV vantait les mérites des multinationales qui, selon lui, « font honneur à la France et contribuent à sa richesse », jurant de les prémunir contre des « augmentations exponentielles d’impôts et de charges ». La même rengaine, toujours…

Riches Quand on entend « nouveau », traduire : « renouveau ». Émergence, résurgence. Rupture, enchaînement. Et ainsi de suite. Les ultralibéraux ne font que prendre la suite. Il n’y a que dans les feuilletons à l’ancienne qu’on pouvait lire « suite et fin ». Pas dans les conduites du capitaliste de base, du prédateur pour lequel le fric règne en maître absolu. Avec la décrépitude des colifichets honorifiques, l’argent pour l’argent est devenu la seule médaille pour de vrai, l’unique logique. Pas, ou peu, de concurrents.

Le flouze globalisé n’a plus grand monde en face. Ses rivaux, courage, savoir, abnégation, travail, culture, ont été relégués en coulisses. N’importe quel citoyen sexagénaire issu des classes instruites bénéficie encore d’une infirmité qui ne se reproduira plus de sitôt : avoir grandi dans un monde, celui des fonctionnaires et des professions libérales, où l’argent n’était pas une valeur. Et quasiment une antivaleur.

Chanceux que nous fûmes, d’avoir entendu un leader socialiste dire, il n’y a pas si longtemps que ça, en 2006, dans une émission de télé : « Oui, je n’aime pas les riches, j’en conviens. » Le même homme devint plus tard Normal Ier, accédant à la fonction suprême, en 2012. Oserait-il réitérer ces propos, aujourd’hui ? Chiche ?

Corollaire Ce qu’une culture tient pour sacré peut se définir, à toutes fins utiles, comme ce qui n’est pas à vendre. Panique chez les libéraux de tout poil quand ils viennent à buter sur de l’inaliénable et de l’inévaluable. Car, pour eux, tout est à vendre, à condition de réaliser des profits. Les lieux, les salariés, tout, même les actions en Bourse.

Résultats à deux chiffres obligatoires. Bien sûr, on parle de la Chine, des États-Unis, de la « mondialisation financière » un peu partout. Mais, à l’image de la France, l’Europe ne montre pas l’exemple. Elle aussi vole de record en record. Après un millésime 2023 déjà exceptionnel, les groupes européens ont à nouveau versé un montant historique de dividendes à leurs actionnaires. Selon une étude de la société de gestion Allianz Global Investors, les groupes cotés du Vieux Continent ont distribué 440 milliards d’euros en 2024.

Vous avez bien lu. Et ce montant progressera assurément dans les années qui viennent, préviennent les experts, qui, selon eux, augmentera de 4 % en 2025 à 459 milliards et frôlera les 500 milliards en 2026… Conclusion ? Mauvais temps pour le progressisme en Occident, tant il se vérifie que « l’oubli du passé est mortel au progrès ». Ce « progrès » tant vanté par Mac Macron II.

Alors, quoi ? Dans le recroquevillement du temps historique utile et nos horizons de mémoire en peau de chagrin, regardons le peu d’espace que l’omniprésence du présent laisse à la démangeaison prophétique, et à son corollaire, l’envie du Grand Soir… et de l’humain d’abord !


 

    mise en ligne le 16 janvier 2025

La censure reste pour après

Roger Martelli sur www.regards.fr

François Bayrou a échappé à la censure, comme prévu. Il ne perd rien pour attendre. Mais la gauche a trébuché sur ce coup. Il ne faut pourtant pas se résigner au pire.

Le PS a fini par décider de ne pas voter la censure du gouvernement Bayrou. Il a tort. La politique annoncée par François Bayrou reste ouvertement dans la lignée de son prédécesseur qui, lui, avait été sanctionné par la représentation parlementaire. Il a écarté toutes les demandes de fond venues de la gauche, sociales, institutionnelles ou écologiques. Il s’est contenté de lâcher des miettes et de faire des promesses… de gascon. En ne se joignant pas à la censure proposée par leurs partenaires, les socialistes ne gagneront aucune sympathie sur leur droite, mécontenteront du côté gauche et ajouteront une nouvelle pelletée de sable dans la machine déjà grippée du Nouveau front populaire.

Faut-il pour autant hurler à la trahison à la brisure irrémédiable de l’alliance à gauche ? Ce n’est pas raisonnable. Tout d’abord parce qu’il y a, dans une décision de censure ou de non-censure, une part inextricable de choix de fond et de tactique. C’est l’avenir qui dira si la décision finale de la direction socialiste annonce un changement de cap, voire un retour à la case François Hollande, ou si elle est simplement un geste pour ne pas apparaître comme des facteurs de blocage et d’aggravation de la crise politique. Le PS doit simplement savoir que si son choix d’un jour ne signe pas inéluctablement la mort du NFP, il aggrave un peu plus le doute populaire sur la solidité de l’alliance et sur sa capacité à contenir la menace persistante du Rassemblement national.

On peut donc regretter la décision socialiste et ne pas acter pour autant la fin de l’espoir qu’avaient suscités les alliances bienvenues de 2022 et de 2024. Nul ne doit oublier que la gauche ne peut espérer atteindre la majorité que si elle écarte les conceptions funestes des « deux gauches » irréconciliables et si elle se persuade qu’elle a l’obligation de cultiver en même temps sa diversité et son unité.

Le PS doit donc au plus vite montrer, par des actes significatifs, qu’il reste dans l’esprit d’un abandon des errements du social-libéralisme à la mode hollandaise. Quant aux autres forces de gauche, à commencer par la France insoumise, elles se doivent d’écarter tout espoir de tirer profit du dérapage socialiste. Au jeu du chat et de la souris, c’est la gauche tout entière qui risque d’en payer un peu plus le prix.

Au fond, ce que dit avant tout le nouvel épisode parlementaire, c’est que le faiseur et le tombeur de rois est toujours le Rassemblement national. La gauche est une force qui compte dans l’arène parlementaire. Elle n’en est pas moins très minoritaire parmi celles et ceux qui votent et elle n’a pas contredit pour l’instant le fait que les catégories populaires ont perdu pour l’essentiel la confiance en elle qui faisait sa force.

Convainquons-nous plutôt de ce que la reconquête ne passera ni par la radicalité de la posture, au risque de l’enfermement minoritaire, ni par la modération affectée, au risque de la compromission. Ou bien la gauche rassemblée fait la démonstration patiente qu’elle a un projet fidèle à ses valeurs et novateur dans son approche, une perspective indissociablement combative et rassurante, ou bien elle laisse à la pire des solutions la capacité à imprimer sa marque sur le cours des choses


 

    mise en ligne le 15 janvier 2025

Handicap à l’école : les AESH en grève le 16 janvier face à « l’absence d’engagement politique »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Dans cette longue période d’instabilité politique, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH) peinent à faire avancer leurs revendications pour sortir de la précarité, malgré les petites victoires de ces dernières années. Quatre syndicats appellent à une journée de grève des AESH et assistants d’éducation (AED) ce jeudi 16 janvier.

Ce jeudi, les syndicats FSU, CGT éduc’action, Sud éducation et SNALC mènent une journée de grève des AESH pour exiger « l’amélioration de leurs conditions d’emploi et bénéficier d’une meilleure reconnaissance professionnelle ». Deux jours après le discours de politique générale du Premier ministre François Bayrou, les syndicats déplorent dans un communiqué commun « la valse à la tête des ministères et l’absence d’engagement politique concret », qui ont ces derniers mois « mis un coup d’arrêt à tout espoir d’amélioration significative de la situation ».

Ces deux dernières années, les AESH et les AED ont obtenu une série de petites victoires parmi lesquelles une nouvelle grille indiciaire, l’accès à une indemnité de fonction, à la prime inflation et à une prime REP. Ou encore, la possibilité d’accéder à un CDI au bout de trois ans d’ancienneté. Pourtant, ces professionnelles – en majorité des femmes – demeurent souvent bloquées sous le seuil de pauvreté.

Dans leur communiqué, les syndicats tirent la sonnette d’alarme : les AESH sont de plus en plus nombreuses à quitter le métier. Dans certaines régions, le manque de professionnelles devient criant. Un exemple : dans le Puy-de-Dôme, ce sont pas moins de 360 élèves notifiés, c’est-à-dire ayant droit en théorie à un accompagnement, qui n’en disposent d’aucun. En outre, « de nombreux élèves accompagnés ne bénéficient en réalité que de quelques heures », précisent la branche départementale 63 des syndicats appelant à la grève.

La grève des AESH rappelle la faiblesse des mesures pour sortir de la précarité

Si la promesse du précédent gouvernement Borne était une augmentation salariale de 10 % pour les AESH à la rentrée 2023, le compte n’y est pas. Le principal levier utilisé a été celui des primes et des indemnités ; pas de la revalorisation salariale. « Le gouvernement a fait énormément de communication alors que sur la fiche de paie, ce n’est pas ça », commentait auprès de Rapports de Force Virginie Schmitt, AESH et membre de la CGT éduc’action. « Avec l’inflation galopante et le prix du gasoil, se loger, se nourrir, se chauffer ou se déplacer, ça devient de plus en plus compliqué pour les AESH ».

Face à cette question de la précarité, le ministère a proposé une disposition pour la prise en charge financière par l’État du temps de travail des AESH sur la pause du midi. Celle-ci a été inscrite dans le Code de l’éducation par la loi du 27 mai 2024. Jusqu’ici, ce temps de travail supplémentaire basé sur le volontariat était à la charge des collectivités. « Cela ne fonctionnait pas puisque les collectivités ne payaient pas pour ça », explique Manuel Guyader, AESH, de Sud Education.

Mais ce qui pourrait sembler une avancée constitue, selon lui, une fausse bonne idée. D’abord parce que « la prise en charge du temps méridien, c’est un métier : celui des animateurs et animatrices périscolaires. L’argument c’est de dire que les AESH peuvent tout faire, accompagner tous les aspects de la vie de l’enfant en situation de handicap… Mais cela relève d’une vision très validiste », estime-t-il. Surtout, le problème principal demeure : « le gouvernement refuse de reconnaître que nos 24h sont un temps plein », conclut-il.

À l’occasion de la grève du 16 janvier, les syndicats font valoir plusieurs solutions. La reconnaissance d’un temps complet sur la base des 24 heures, sans ajout du périscolaire, en fait partie. Mais aussi la création d’un corps de fonctionnaire de catégorie B dans la fonction publique d’état, pour reconnaître pleinement le métier d’AESH. Ou encore, des recrutements à la hauteur des besoins complétés par, comme le suggère Sud Éducation, « la création de brigades de remplacement pour assurer le remplacement des collègues absent·es ».


 


 

Les AESH sont en grève car « les grands perdants »  des dernières réformes  « sont les élèves handicapés » 

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) seront en grève ce jeudi 16 janvier. Virginie Cassand, leur représentante Snes-FSU dans l’académie de Paris, alerte sur l’effet délétère des récentes réformes pour les élèves et le personnel et insiste sur la nécessité de reconnaître leurs compétences.

Devenue accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) en 2009 dans le cadre d’un contrat aidé, Virginie Cassand a attendu trois ans pour être titularisée, mais sans que son contrat de droit public prenne en compte son ancienneté.

Aujourd’hui en poste dans un lycée professionnel parisien, la syndicaliste et ses collègues seront en grève, ce jeudi, pour exiger de meilleures conditions de travail, une reconnaissance professionnelle et dénoncer des réformes préjudiciables à l’avenir des élèves.

À quoi ressemble le quotidien d’une AESH ?

Virginie Cassand (AESH, représentante Snes-FSU) : Notre mission est d’aider l’élève en situation de handicap (mental, sensoriel ou physique) à accéder aux apprentissages scolaires, lui faciliter les gestes de la vie quotidienne (déplacements en fauteuil, port du plateau-repas, installation du matériel scolaire en classe, etc.) et favoriser sa socialisation, notamment pour les élèves introvertis ou ayant des troubles du spectre autistique. Il faut savoir s’adapter aux besoins de chaque élève et à son niveau.

Cette année, j’accompagne une jeune fille qui a besoin de reformulation des consignes, je repère avec elle les mots importants dans les textes, etc. Auparavant j’ai accompagné deux jeunes malvoyants dans la même classe, l’un maîtrisant parfaitement son ordinateur, l’autre pas du tout. C’est toujours délicat quand on doit partager son temps entre deux élèves et que l’un accapare toute notre attention, il faut jongler pour ne pas en défavoriser un !

Jusqu’en 2019 et la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), dans le cadre de la loi « pour une école de la confiance » voulue par Jean-Michel Blanquer, on accompagnait rarement plus de deux élèves la même année.

Qu’est-ce qui a changé depuis la création de ces Pial ?

Virginie Cassand : Cette réforme est une catastrophe. Elle vise avant tout à afficher un plus grand nombre d’enfants bénéficiant de l’accompagnement d’un ou une AESH. Aujourd’hui, des collègues se retrouvent avec 5 à 11 élèves à accompagner, une heure ou deux par semaine. Plus aucun suivi des apprentissages n’est possible.

Parallèlement, un élève handicapé peut avoir trois accompagnants différents dans la même semaine. Comment tisser un lien de confiance dans ces conditions ? Les grands perdants sont les élèves pour qui la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a notifié « aide mutualisée » : dans ce cas, contrairement à ceux notifiés « aide individualisée », aucun nombre d’heures d’accompagnement n’est précisé.

Ce sont donc les académies qui décident, et cela peut aboutir à ce qu’un élève handicapé bénéficie seulement d’une heure par semaine. L’accompagnement est de plus en plus dilué, ça devient ridicule.

Quelles sont vos craintes quant à l’évolution de vos missions ?

Virginie Cassand : Une nouvelle réforme qui se profile pour la rentrée 2025. On voudrait nous imposer le pôle d’appui à la scolarité (PAS), qui conduirait les AESH à accompagner non plus les élèves pour lesquels la MDPH a notifié ce besoin, mais « tous les élèves à besoins particuliers », à savoir les porteurs de handicap mais aussi les allophones, ceux qui souffrent de maladies justifiant un projet d’accueil individualisé, etc.

La MDPH ne serait plus sollicitée : ce serait une équipe éducative qui proposerait un accompagnement. Le risque, c’est que seuls les élèves « perturbateurs », à cause de troubles du comportement, soient repérés et accompagnés. Tous ceux qui rencontrent des difficultés mais ne dérangent pas seront oubliés. Par ailleurs, on n’a pas de nouvelles des recrutements prévus pour assurer ces missions supplémentaires.

Quelles sont vos revendications ?

Virginie Cassand : Au regard de l’intensité de notre travail, nous réclamons un temps complet à vingt-quatre heures par semaine. Les compétences très étendues que nous devons déployer justifient une reconnaissance en tant que fonctionnaire de catégorie B (au lieu de C actuellement). Nous demandons donc une revalorisation de notre grille indiciaire et qu’au lieu de nous endormir avec des primes, le point d’indice soit dégelé.

Il faudrait aussi que les AESH soient correctement formés aux différents types de handicap – ainsi d’ailleurs que l’ensemble des équipes éducatives. Aujourd’hui, on voit débarquer dans les classes de jeunes AESH de niveau bac, absolument pas préparés et qui se retrouvent en échec. Leur formation se fait sur le tas, ou via des tutoriels en ligne. Ce n’est acceptable ni pour eux, ni pour les élèves qu’ils accompagnent.

Hélas, vingt ans après la grande loi de 2005 sur le handicap, l’école inclusive n’est encore qu’un projet. Pourtant, la baisse démographique était l’occasion de réduire les effectifs dans les classes et de mieux repérer les élèves qui ont besoin d’accompagnement. Mais on préfère fermer des classes. Ce sont des économies de court terme, au détriment de l’avenir des élèves.


 

    mise en ligne le 14 janvier 2025

 Le PS retourne-t-il à ses vieilles lunes ? Et faut-il s’en réjouir ?

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Que vont décider les socialistes dans les prochains jours, les prochains mois ? Une nouvelle « clarification à gauche » avec l’éclatement du NFP, est-elle un passage obligé ?

A la veille de la déclaration de politique générale, le suspens est entier : que dira François Bayrou, notamment au sujet des retraites ? Abrogation ? Suspension pour 6 mois ? Suspension du recul de l’âge de départ ? Quel sera le point d’équilibre du budget de l’État ? Les concessions, s’il y en a, permettront-elles aux socialistes de ne pas censurer le gouvernement, eux qui veulent éviter une présidentielle anticipée ? 

A gauche, bruisse à nouveau l’accusation de trahison faite aux socialistes. Ceux qui reviennent de très loin (Anne Hidalgo a engrangé 1,75% des voix à la présidentielle de 2022), vont-ils repartir aussi loin que les avait menés le quinquennat de François Hollande ? Bon débarras ? Clarification ? Faut-il se réjouir de voir les socialistes revenir clairement à une politique dont la raison serait celle des marchés ? On n’en est pas là. Depuis 2022, le PS a fait le choix de s’allier aux autres forces de gauche et de se réinscrire dans cet espace. Mais une telle évolution droitière est une possibilité inscrite dans leur histoire. 

Si le PS revenait aux logiques sociales-libérales, celles qui font de la bonne santé du capital le moteur de la dynamique des sociétés, ce serait affligeant. Mais quand et où le PS a-t-il produit un travail pour penser autrement l’avenir ? Ne cherchez pas : il en va du droit d’inventaire du mandat Hollande comme de celui des mandats de Mitterrand : on attend toujours. 

Prenons du recul : cette éventualité d’un PS qui lâche la gauche est-elle réjouissante ? Quand les socialistes abandonnent la gauche, celle-ci peut, parfois, voir son flanc gauche se conforter. Mais aujourd’hui, elle recule globalement et se trouve encalminée dans une minorité politique particulièrement dangereuse. 

Demain ou après-demain, lors des prochaines élections présidentielles, il faut que la gauche soit solide sur ses valeurs et ses objectifs pour faire face à la menace de l’extrême droite. Le mieux serait que la gauche soit unie. Pour cela, il faudrait qu’elle s’en occupe sérieusement, c’est-à-dire pas seulement du casting et pas au dernier moment. 

Mais si elle ne devait pas être unie, si le PS part à la dérive comme on l’appréhende, sera-t-il possible de gagner une dynamique majoritaire pour s’opposer à Le Pen/Bardella ? Quand le PS dévisse, il ne dévisse pas seul. Une partie de ses soutiens se cramponne à gauche ; une partie l’accompagne ; la plupart abandonnent. Le PS paierait cher cette évolution. La candidature insoumise élargirait peut-être son espace mais, en tout état de cause, la possibilité de victoire serait lourdement affectée.

Voir le PS tout lâcher pour préserver la stabilité et éviter une présidentielle anticipée n’est pas souhaitable. Le PS doit revenir à la raison et se convaincre définitivement que l’espace social-libéral est tout petit et déjà pris et que l’extrême droite engrange sur le désespoir social et sur la faiblesse d’une gauche de changement. 

Le choix des communistes et des écologistes comptera. Leurs attitudes et leurs positions détermineront le centre de gravité : tout pour la stabilité ou tout pour dégager une autre voie ?

Ceci dit, l’entêtement de la droite, des macronistes et du Président pourrait bien conduire les socialistes à abandonner leurs chimères. Le pire n’est jamais certain et la gauche peut se ressouder.


 

     mise en ligne le 13 janvier 2025

Incendies en Californie :
les stars d’abord

Pauline Bock  sur www.politis.fr

Certains médias ont préféré s’émouvoir du sort des villas des vedettes plutôt que parler des personnes plus vulnérables ou d’écologie. Première chronique en partenariat avec le site Arrêt sur images.

Des incendies d’une ampleur gigantesque dévastent la région de Los Angeles aux États-Unis. Vingt-quatre morts, 130 000 personnes évacuées, plus de 9 000 bâtiments et maisons détruits par des feux dévorants, portés par des vents extrêmement puissants, et un foyer d’incendie plus important que la superficie totale de Paris : c’est la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la ville.

De nombreux habitant·es de Los Angeles ont tout perdu. On peut lire, dans Le Monde, le témoignage de voisins qui ont vu tout leur quartier brûler ; d’un couple à la retraite qui a fui avec sa chèvre pour seule possession. Des Français expatriés dans la Cité des anges témoignent également, par exemple sur BFMTV : eux aussi ont vu leur maison partir en flammes.

Les stars font partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles.

Mais ce n’est pas sur ces gens que se focalise une partie de la couverture médiatique française de la catastrophe. C’est, bien sûr, sur les paillettes de Hollywood et les répercussions de l’incendie sur les stars françaises. « Patrick Bruel annonce que sa maison est ‘partie en fumée’ » (BFMTV) ; « ‘Je suis dévastée’ : la villa de Laeticia Hallyday détruite par les flammes à Los Angeles » (Le Parisien) ; « Le ‘cœur brisé’, Paris Hilton a vu en direct ‘sa maison brûler à la télévision’ » (TF1) ; « ‘On a tout perdu’ : Laeticia Hallyday pleure la destruction de sa maison dans l’incendie de Los Angeles » (BFMTV, encore) ; « Tom Hanks, Anthony Hopkins, Ben Affleck… ces stars d’Hollywood évacuées ou dont la maison a brûlé à cause des incendies » (Le Parisien, encore).

Trompeur

Alors, oui : si même les stars de Hollywood sont touchées par la catastrophe climatique – car ces incendies hors normes sont avant tout causés par la crise climatique : c’est la sécheresse extrême qui les a déclenchés –, peut-être qu’elles vont enfin mettre leur influence mondiale au service de la lutte contre le réchauffement. Ou peut-être pas : elles font, après tout, partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles et la production excessive de CO2.

Mais, dans tous les cas, les mettre ainsi en avant comme les grandes victimes de cette catastrophe est trompeur : Laeticia Hallyday n’a pas vraiment « tout perdu ». Patrick Bruel a vu brûler son « autre refuge », ce qui signifie que ça n’est pas son « refuge » principal. Paris Hilton n’est pas la seule à avoir « le cœur brisé », mais tout l’espace médiatique qu’elle occupe ne sera pas dédié aux milliers d’inconnu·es qui n’ont pas la chance d’être né·es héritier·ères et pour qui la perte est bien plus colossale.

Plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday (…) qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es.

D’autant plus qu’il y a quelques mois, des compagnies d’assurances ont modifié les contrats de milliers d’habitant·es de la région de Los Angeles – dont beaucoup de gens à Pacific Palisades, le quartier qui a presque entièrement été détruit par les flammes – pour des questions de risques… d’incendie. Ces gens ont tout perdu et ne toucheront même pas les assurances pour lesquelles ils ont cotisé pendant des années. Et n’ont pas la fortune des stars pour reconstruire leur vie ailleurs.

Double traitement

Cette avalanche de témoignages d’habitant·es désespéré·es d’avoir perdu leur toit, on ne l’a pas autant observée dans les médias quand Mayotte se relevait tant bien que mal du cyclone Chido. La catastrophe était pourtant aussi destructrice, et la population dans une situation bien plus précaire. Mais on ne voit pas Mayotte sur nos écrans de cinéma : plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday, ou de « Français expatriés » qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es, apparemment.

C’est le fameux « double traitement médiatique » occidental, celui qui s’illustrait au début de la guerre en Ukraine en 2022 dans les propos d’un journaliste de BFM : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime […]. On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie. » Saupoudrez ces « Européens qui sont comme nous » de quelques paillettes hollywoodiennes, et vous obtenez la couverture française des incendies de Los Angeles.


 


 

Incendies à Los Angeles :
cris de terreur, goût de cendre
et parfum de lutte des classes

Antoine Portoles sur www.humanite.fr

Tandis que les mégafeux continuaient de ravager le nord et l’ouest de la Cité des anges ce dimanche, la surmédiatisation des pertes matérielles subies par les stars hollywoodiennes fait l’objet de vives critiques. Elle occulte le drame qui se joue pour les plus modestes.

Les habitants de Los Angeles les ont baptisés « Palisades Fire » ou « Eaton Fire », du nom des quartiers partis en fumée : les mégafeux qui se sont déclenchés mardi en Californie continuent de semer la terreur. Selon un dernier bilan des autorités locales, au moins 24 personnes ont perdu la vie dans les incendies. Après une courte accalmie, plusieurs foyers de feu risquent à tout moment de reprendre leur course infernale.

D’Anthony Hopkins à Paris Hilton en passant par Mel Gibson, ou encore Laetitia Hallyday et Patrick Bruel côté français, depuis cinq jours, les médias ont les yeux rivés sur les stars qui ont perdu leur villa dans la Cité des anges. « Dans des quartiers pauvres aussi, tout a brûlé. Il y a presque une forme d’indécence car les millionnaires qui ont quitté leur maison en ont rejoint une autre ; dans les quartiers populaires, les gens ont tout perdu, ils n’ont pas de maison de substitution », a rappelé la climatologue Françoise Vimeux dans l’émission C dans l’air, sur France 5.

Tous exposés, pas tous égaux

Si Pacific Palisades est un quartier du Nord-Ouest qualifié de huppé en raison des nombreuses propriétés de stars qui s’y trouvent, des populations moins aisées y vivent également. Elles n’ont pas eu droit à la même considération. Plus au nord, la localité – frappée de plein fouet – d’Altadena est peuplée par une forte communauté afro-américaine.

Ce quartier populaire a longtemps servi de refuge pour les familles noires qui fuyaient le racisme systémique en Californie. « Contrairement aux pertes matérielles des célébrités à Malibu, la dévastation à Altadena illustre en quoi les incendies aggravent les inégalités », a souligné la Black Entertainment Television (BET).

« L’approche ”people” du désastre invisibilise les plus vulnérables, s’y limiter est indécent. Personnellement, elle me blesse », s’est indigné le climatologue et coauteur du Giec Christophe Cassou sur X. Le scientifique a vécu à Altadena durant son prédoctorat. « Les incendies montrent cependant que l’extrême richesse ne permet pas de se protéger des feux et de leurs impacts rendus plus sévères dus au changement climatique. Face à l’inimaginable, serions-nous finalement tous exposés, égaux ? » questionne-t-il.

Tous exposés, assurément. Mais pas tous égaux. Sur X, un résident a mis le feu aux poudres en sollicitant le contact d’une société de pompiers privée pour protéger sa résidence à Pacific Palisades : « Je paierai n’importe quel montant », a-t-il conclu, avant de supprimer son message. De quoi raviver les critiques à Los Angeles contre ces services privés de lutte contre les incendies à louer. On peut se demander si ces « soldats du feu VIP » se circonscriraient ou non à la seule villa de leur client, abandonnant les plus modestes aux affres de la désolation.

« Jusqu’à maintenant, le patrimoine des riches et leur statut social ont fait que très souvent, ils n’ont pas eu à craindre les conséquences du réchauffement climatique (…). Est-ce que ce qu’il s’est passé va les pousser à être plus militants ? » s’est interrogé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, ce dimanche, au micro de RTL. Une prise de conscience nécessaire à l’heure où leur mode de vie, fortement émetteur en CO2, est, nous le répètent les scientifiques, une des causes de la crise climatique.


 

     mise en ligne le 12 janvier 2025

Retraite : réformer la réforme

Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr

Le ballet semble bien orchestré. Alors que la pression s’accentue pour une « remise à plat de la réforme des retraites » patronat, macronistes et leaders de la droite se coalisent pour empêcher toute remise en cause substantielle du texte. Acte premier, le nouveau Président du Conseil d’orientation des retraites -imposé il y a quelques mois- alerte sur « la dégradation de l’équilibre de nos finances sociales ». Patrick Martin le Président du Medef se saisit de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre pour appeler sur le perron de Matignon à « dépasser la concertation à venir sur l’aménagement de la dernière réforme des retraites pour remettre à plat le financement de la protection sociale dans son ensemble ». Est-ce à dire que le patronat est prêt à monnayer quelques concessions plus ou moins claires contre une mise en cause globale du système Entendez introduire la capitalisation et élargir le recours à la TVA, baptisée pour l’occasion « TVA Sociale » Il ne reste plus qu’à un ministre anonyme de susurrer que « le déficit est beaucoup plus important qu’annoncé » puis à quelques « experts » à prendre la plume pour vanter le régime de retraite par points.

Tous espèrent ainsi noyer le poisson. La priorité n’est-elle pas de revenir sur la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation ! Les salariés s’interrogent : où sont les marges de manœuvre ? Que veut dire rechercher un « compromis plus large » alors qu’il n’est pas question de sortir de l’approche comptable ? On s’y enfonce même un peu plus, ce que souhaite le gouvernement, en y impliquant les organisations syndicales.

« Priorité aux petites pensions » est une fausse fenêtre, bien vague, car il s’agit surtout exclure toute « hausse du coût du travail ». Ce qui veut bien dire que pour trouver 20 milliards d’euros les propositions, hormis quelques finasseries, devront nécessairement tourner autour de « nouveaux sacrifices »

Et si l’on discutait des vraies solutions ?

L’augmentation du nombre de retraités est bien sûr un défi. Mais qui peut réellement soutenir que les problèmes démographiques se sont brutalement aggravés dans la dernière période ? La réalité est plus simple, les marchés financiers sont là, estimant « illégitime » l’existence d’un système public de retraite par répartition, un système qui les prive d’un champ d’activités lucratives. Discuter du déficit dans le financement des retraites ou de la protection sociale en général n’a aucun sens, c’est un véritable débat sur une réforme des conditions générales de financement de l’État social qui est nécessaire.

Première mesure à envisager, remettre à plat le régime d’exonérations patronales si coûteux pour les comptes publics et si inefficace. Il y va de plus de 70 à 90 milliards d’euros. En second lieu des ressources additionnelles sont concevables en instaurant une contribution venant des revenus de la propriété et des revenus financiers des entreprises. Le surcroît de recettes pourrait atteindre 30 milliards d’euros.

Mais l’essentiel de la réponse dépend de l’emploi et d’une politique du travail ambitieuse. Le Conseil d’orientation des retraites avait produit il y a 10 ans un diagnostic sérieux montrant que la récession était à l’origine de la perte de beaucoup de cotisations, 20 milliards d’€ recettes annuelles pour le seul système de retraite, autant pour l’assurance maladie selon nous, soit beaucoup plus que le besoin de financement affiché pour l’ensemble des régimes sociaux.

L’assiette des cotisations c’est en effet la masse des femmes et des hommes qui travaillent. Une modulation des cotisations patronales en fonction des emplois créés ou supprimés par les entreprises pourrait contribuer à doper cette assise emploi/salaire.et à mieux répartir l’effort entre branches. L’évidence est là. Quand 6 à 7 millions de personnes sont, en France, écartées d’un véritable travail, il devient difficile d’assurer la pérennité des régimes de protection sociale.


 

     mise en ligne le 11 janvier 2025

Montpellier : la manif pro-Palestine rejoint le commissariat
où 5 écolos sont en garde à vue

sur https://lepoing.net/

Une nouvelle manifestation pour la Palestine a eu lieu ce samedi 11 janvier dans le centre de Montpellier. Le cortège a fini par rejoindre le commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue pour une action de désobéissance civile.

Comme à l’accoutumée, environ deux cent manifestant.es pro-Palestine se sont retrouvé.es sur la place de la Comédie dès 14h ce samedi 11 janvier. Déclaré par une vingtaine d’organisations, le défilé du jour s’est à nouveau retrouvé sur la Comédie après son habituel tour de ville. À noter la présence de quelques militant.es indépendantistes kanak.

Vers 16h, une centaine de personnes ont pris la direction du commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue depuis la nuit du 10 au 11 janvier, accsé.es de « dégradation de véhicules en réunion » suite à une action de désobéissance civile. Après une heure, le gros des soutiens se sont dispersé.es, quelques écologistes restant sur place.


 


 

La Confédération Paysanne
à la gendarmerie de Lodève en soutien à deux paysan.nes sous contrôle judiciaire

sur https://lepoing.net/

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées ce vendredi 10 janvier devant le commissariat de Lodève à l’appel de la Confédération Paysanne, en soutien à deux militant.es mis sous contrôle judiciaire en attente de leur procès.

Membres de l’Union Syndicale Solidaires, de partis de gauche, sympathisant.es, et bien sûr agriculteurs.trices : ils étaient une cinquantaine ce vendredi 10 janvier, réuni.es devant la gendarmerie de Lodève.

Le jeudi 5 décembre, cinq membres de la Confédération Paysanne étaient placé.es en garde à vue lors d’une action « contre les profiteurs du libre-échange et les prédateurs du revenu paysan » à la Bourse européenne de Commerce au Grand Palais de Paris. Deux d’entre eux, accusé.es de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et de « tentative d’intrusion », sont maintenant sous contrôle judiciaire, avec obligation de pointer régulièrement à la gendarmerie, en attendant leur procès le 4 février.

C’est donc en forme de pointage solidaire que le rassemblement du jour était organisé. « Si besoin nous enverrons au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau une OQSM (Obligation de Quitter Son Ministère) », plaisante un intervenant du syndicat paysan, en référence aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) distribuées aux sans-papiers.ères par le ministère.

« Quand on s’attaque à la finance et aux multinationales de l’agro-business, la répression est forte sur la lutte pour un autre système agricole, un autre commerce international, qui protège le revenu paysan, la santé, la planète et permette une alimentation de qualité pour toutes et tous. », a poursuivi la Confédération Paysanne, dénonçant un deux poids deux mesures dans la répression des syndicats d’agriculteurs. trices.

Le syndicat a ensuite fait mention de la nécessité d’établir une solidarité avec les paysans.nes de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L’économie de l’île de l’océan indien repose en effet en bonne partie sur un nombre important de petites exploitations agricoles, et la Confédération Paysanne est à la tête de la Chambre d’Agriculture locale. Au niveau national, la Confédération Paysanne a mis en place une cagnotte de soutien pour les exploitant.es mahorais.es, et fait l’inventaire des besoins sur place, tout comme le Mouvement de Défense des Exploitant.es Familiaux (Modef), autre syndicat paysan classé à gauche.

Le rassemblement s’est conclu sur un appel à voter et faire voter pour les élections aux Chambre d’Agriculture 2025, qui auront lieu dans l’Hérault le 31 janvier.À noter la présence de Sébastien Rome, ancien député NUPES/FI de la quatrième circonscription de l’Hérault, venu appeler les syndicalistes à rejoindre le comité local du Nouveau Front Populaire.


 

    mise en ligne le 10 janvier 2025

Info Politis : À Nanterre,
l’enseignant Kai Terada, muté de force, gagne sa réintégration
contre le rectorat de Versailles

Pierre Jequier-Zalc  sdur www.politis.fr

Muté « dans l’intérêt du service » en 2022 par le rectorat de Versailles, l’agrégé contestait vivement cette mesure « sans fondement », accusant l’administration de discrimination syndicale. Ce 9 janvier, la justice oblige le rectorat à le réintégrer.

C’est une victoire dont même l’intéressé, grippé ce jeudi, a du mal à saisir la portée. Après deux ans et demi d’un combat sans relâche, Kai Terada, professeur de mathématiques agrégé, vient d’obtenir gain de cause. Dans un jugement sans aucune ambiguïté, le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison, obligeant le rectorat à le réintégrer dans son établissement d’origine, le lycée Joliot-Curie de Nanterre, dans un délai de six mois.

Revenons deux ans et demi en arrière. En septembre 2022, Kai Terada est alors professeur de mathématiques à Joliot-Curie depuis seize ans. Il est aussi particulièrement engagé sur son territoire : cosecrétaire de Sud Éducation dans les Hauts-de-Seine, investi dans le Réseau Éducation sans frontières, figure de proue du mouvement Touche pas à ma ZEP, qui luttait pour garder les lycées dans l’éducation prioritaire en 2016 et 2017.

C’est dans ce contexte, qu’il reçoit, à la rentrée, un avis de suspension sans aucune justification. Un avis qui, rapidement, est suivi d’une « mutation dans l’intérêt du service ». A l’époque, Politis vous racontait en détail les justifications, plus que bancales, apportées par l’administration. Celle-ci considère alors ainsi que « le nom de Monsieur Kai Terada revient régulièrement comme participant activement en dehors des instances du dialogue social de l’établissement ainsi que de l’exercice normal d’une activité syndicale, à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative ». Le tout, sans donner aucun fait précis et en reconnaissant même que « le comportement et les propos de Kai Terada ne sont pas constitutifs d’une faute de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire ».

« Un professeur irréprochable »

Dans la communauté éducative de Joliot-Curie – et bien plus largement -, cette décision avait suscité une très vive indignation, Kai Terada étant décrit par de très nombreux collègues comme quelqu’un de « calme », « d’intègre ». En résumé, « un professeur irréprochable ».

C’est d’ailleurs cette dichotomie entre une administration – incapable d’imputer le moindre fait précis à Kai Terada – et un nombre incalculable de témoignages en faveur de l’enseignant qui a convaincu le tribunal administratif de Versailles. Dans le jugement, que Politis s’est procuré, le tribunal juge ainsi que les notes produites par le rectorat « n’apportent, en tout état de cause, aucun élément quant à l’implication éventuelle de M. Terada dans les dysfonctionnement antérieurs ».

« Alors que le recteur de l’académie de Versailles n’a produit aucun compte-rendu des témoignages évoqués […], M. Terada produit pour sa part de très nombreux témoignages de ses collègues ou anciens collègues […], y compris d’enseignants membres de la liste concurrente à celle sur laquelle il figurait lors des élections, louant ses qualités d’écoute et de dialogue et niant toute implication de sa part dans les tensions apparues au sein des équipes pédagogiques », poursuit le jugement.

Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier. K. Terada

Contacté par Politis, Kai Terada a d’ailleurs voulu remercier, de manière appuyée, les nombreuses personnes – y compris ses anciennes directions – ayant témoigné en sa faveur. « Ce qui a été décisif, c’est la quantité phénoménale de témoignages que j’ai reçus. C’est grâce à eux, à mes collègues. Je mesure la chance d’avoir eu ce soutien. »

L’enseignant de mathématiques souligne aussi son soulagement de voir une instance balayer les nombreuses accusations – parfois très violentes – du rectorat. « Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier, et ça, c’est très important. »

« La lutte n’est pas terminée »

Le tribunal administratif de Versailles oblige donc le rectorat à réintégrer Kai Terada à son poste au sein du lycée Joliot-Curie, dans un délai de six mois et à lui verser 1 800 euros. Actuellement professeur à Saint-Germain-en-Laye, au lycée Jean-Baptiste Poquelin, l’enseignant souhaite terminer l’année. « Je ne veux pas abandonner mes élèves en cours de route. Je souhaite finir l’année proprement et, ensuite, revenir à Nanterre », explique-t-il.

Malgré cette victoire importante, il rappelle aussi que de nombreux autres collègues subissent encore ce genre de répression. « La lutte contre la répression n’est pas terminée, loin de là », assure-t-il. L’enseignant pense aussi que le rectorat n’hésitera pas à faire appel de la décision. Mais celui-ci n’est pas suspensif et ne remettra pas en cause, pour l’instant, la décision du tribunal administratif de Versailles. Une victoire, pleine d’abnégation, sans appel donc.

 

     mise en ligne le 9 janvier 2025

La CGT contre les PFAS : « Il faut les interdire pour protéger les salariés ! »

Par Marie Astier sur https://reporterre.net/

Pour protéger les salariés exposés aux polluants éternels, la CGT lance le « collectif PFAS ». « On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! » affirme le syndicaliste Jean-Louis Peyren.

La CGT lance le 6 janvier un « collectif PFAS ». Une première dans le monde syndical, plutôt frileux sur le sujet des polluants éternels. Omniprésents dans nos produits du quotidien (poêles de cuisine, cosmétiques, emballages alimentaires, etc.), ceux-ci sont toxiques pour l’humain. Jean-Louis Peyren participe à la création de ce nouveau « collectif PFAS » , il est secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques CGT, en charge des questions santé-travail.


 

Reporterre : Pourquoi avoir décidé de faire de la question des PFAS un sujet prioritaire à la CGT ?

Jean-Louis Peyren : Les premiers concernés, ce sont les salariés. Ils les fabriquent, les utilisent dans le cadre de leur travail en tant que matière première. Il est légitime que l’on s’intéresse à cette problématique. On peut nous dire qu’on arrive un peu tard, mais c’est un sujet difficile à porter en tant que syndicaliste dans une entreprise.

Nos employeurs disent : « Si vous vous faites trop de bruit, on sera obligés de fermer et vous perdrez votre emploi. » Le salarié qui questionne l’impact des PFAS sur la santé et l’environnement deviendrait presque responsable de la fermeture de la boîte. Alors que les responsables, ce sont les pollueurs.

Les salariés ont plus peur de perdre leur emploi que leur santé. Il va falloir inverser les peurs. C’est aussi pour cela que la CGT a mis du temps à se positionner publiquement ; cela a nécessité de la pédagogie vis-à-vis des salariés. On ne veut pas travailler pour perdre sa santé, mais pour gagner sa vie.

Nous pensons que c’est en dénonçant la situation et en poussant les industriels à trouver des solutions alternatives que l’on sauvera nos emplois.

Pourquoi les travailleurs sont-ils les premières victimes des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Lorsque vous fabriquez un produit, vous y êtes exposé tous les jours. Surtout que les salariés sont mal protégés. Nos employeurs préfèrent aller vers des protections individuelles, par exemple des masques, plutôt que des protections collectives, comme une hotte aspirante. Or, les protections individuelles ne sont pas les plus efficaces. Quand vous êtes sur un poste pouvant être considéré comme exposé à des matières toxiques, vous avez un masque ; mais pas ceux qui gravitent autour. La hotte, elle, protège l’ensemble des salariés.

« Il faut interdire les PFAS ! »

Par ailleurs, le législateur a mis en place ce que l’on appelle les « valeurs limites d’exposition professionnelle ». Cela ne vous empêche pas d’être au contact de ces produits. Et ces valeurs sont établies produit par produit, pas à l’échelle de l’entreprise. Si vous fabriquez plusieurs produits différents, l’effet cocktail n’est pas pris en compte.

Comment réagissent les employeurs à cette demande de meilleure protection des salariés face aux PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Quand on voit la levée de boucliers des industriels face à la proposition de loi d’interdire des PFAS… Et que, par exemple, Tefal continue à dire que la substance qui a remplacé le téflon dans ses poêles [le PTFE] n’est absolument pas dangereuse pour la santé... Il écrit même sur son site internet que l’on peut en ingérer de façon accidentelle. Comment voulez-vous qu’il pense à protéger ses salariés ?

Je rappelle quand même que le patron de Tefal a [en avril dernier] réuni les salariés Force ouvrière et CFDT devant l’Assemblée nationale, pour qu’ils disent que le téflon n’est pas si dangereux que cela [la proposition de loi, également approuvée par le Sénat, a en effet exclu les ustensiles de cuisine de l’interdiction des PFAS]. La situation est grave. Certains devront rendre des comptes plus tard.

La législation doit évoluer. Nous devons imposer un rapport de force face au lobbying des industriels.

Comment protéger la santé des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Il faut interdire les PFAS ! On ne va pas continuer à fabriquer un produit dangereux simplement pour alimenter l’économie et faire travailler des personnes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut les remplacer.

Des analyses permettent-elles d’évaluer l’exposition des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Des analyses ont été faites chez les salariés d’Arkema [le géant de la chimie] début 2024. Des PFAS ont été retrouvés en grande quantité dans le sang de certains salariés.

« On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! »

Mais il y a deux problèmes. D’abord, c’est l’entreprise qui a choisi les laboratoires d’analyses. Pour des questions de transparence, on demande à ce que ce soit aux organismes externes de les analyser. La médecine du travail, par exemple, peut faire les prises de sang, choisir des laboratoires. On ne peut pas laisser les industriels faire leur autocontrôle, être leurs propres gendarmes !

Par ailleurs, une fois que vous avez une quantité de PFAS mesurée dans le sang, on vous dit tout et son contraire : que certaines études disent que c’est dangereux, d’autres non [il n’y a pas d’interdiction générale des PFAS à l’échelle de l’Union européenne, et la majorité des quelque 12 000 PFAS aujourd’hui recensés passe sous les radars]. À un moment, il va falloir appliquer le principe de précaution, lister les PFAS, et faire reconnaître [par l’État] qu’ils sont dangereux, et peuvent provoquer certaines maladies.

On pourra ainsi faire appliquer le Code du travail, qui indique que l’employeur est responsable de la santé des travailleurs, et faire évoluer le tableau des maladies professionnelles.

En tant que syndicaliste, recueillez-vous des témoignages de malades dans les entreprises utilisant des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : C’est difficile à dire. Quand un salarié déclenche un cancer, on peut avoir un doute. Mais il n’y a rien de scientifique dans ce que l’on constate. Par contre, quand on sonne l’alerte, ce serait bien que des scientifiques extérieurs à nos entreprises regardent si, réellement, il y a quelque chose ou pas.

Vous créez un collectif PFAS au sein de la CGT, quel est son but ?

Jean-Louis Peyren : Le but est d’abord de s’organiser, de travailler ensemble, car la CGT regroupe de nombreuses branches et métiers. Les syndicats d’Arkema et de Solvay [une usine chimique] devraient en faire partie, des syndicats de la métallurgie, la Fédération de la métallurgie aussi, l’Union départementale 69 (Rhône) et celle d’Auvergne-Rhône-Alpes.

On va essayer de travailler avec des associations écologistes et de riverains, avec des organismes comme le CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire].

On voudrait commencer par cartographier les plus fortes expositions aux PFAS, les comparer aux valeurs limites d’exposition et informer les salariés que, même quand les seuils ne sont pas dépassés, il peut y avoir un danger. Faire savoir que ces valeurs ne sont pas un blanc-seing pour polluer et mettre en danger les salariés.

Tout est à faire et à construire. Nous sommes comme en 1906, quand le premier médecin a dit qu’il y avait un problème avec l’amiante. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit interdite en France.


 


 

La CGT annonce la création
d’un collectif Pfas
pour s’attaquer aux polluants éternels

Jessica Stephan sur www.humanite.fr

Le syndicat a annoncé lundi la constitution d’un collectif pour protéger les salariés, qui sont les premiers exposés, et chercher des alternatives aux Pfas, ces substances extrêmement nocives pour la planète. Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social.

Textiles, emballages alimentaires, gaz réfrigérant… : les Pfas sont partout. Certains de ces polluants persistants dans l’environnement ont été classés « cancérogènes », d’autres « peut-être cancérogènes » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en décembre 2023.

Ces quelque 4 000 substances chimiques, per- et polyfluoroalkylées, sont connues pour leur résistance aux fortes chaleurs, leur imperméabilité, et leurs propriétés antiadhésives. Mais, avant leur arrivée dans nos placards et dans l’environnement, ce sont les salariés des usines qui y sont les premiers exposés. Un problème qui n’est pas sans rappeler celui de l’amiante, et dont la CGT a annoncé se saisir en constituant un « collectif Pfas » le 6 janvier dernier.

« Protéger les salariés, c’est éliminer le risque »

Son premier objectif est clair : « protéger au maximum les salariés », explique Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic) de la CGT et membre du collectif, une nécessité « s’il y a toxicité ».

Dans l’immédiat, le collectif défend des « protections collectives » adaptées à chaque situation de travail. « Par exemple, sur un poste de travail avec des émanations gazeuses de Pfas, la hotte aspirante est une solution », détaille Jean-Louis Peyren, car elle protège le travailleur concerné mais aussi ceux qui gravitent alentour.

Ce collectif naissant – l’idée a germé au printemps 2024 – compte une dizaine de membres : des syndicats CGT de sociétés concernées, la Fnic CGT, des unions et comités au niveau local. Et il a du pain sur la planche : l’omniprésence des Pfas rend la situation complexe. « Dans le meilleur des mondes, protéger les salariés, c’est éliminer le risque. Si le risque, ce sont les Pfas, il ne faut plus de Pfas. Mais on vit dans un monde où ils répondent à des besoins. »

Pour illustrer cela, Jean-Louis Peyren donne un exemple percutant : les combinaisons ignifugées des sapeurs-pompiers, qui en contiennent. « On ne va pas les interdire et dire aux pompiers d’aller sur le feu en chemise de bureau ! »

« Le caillou dans la chaussure dans l’entreprise »

À terme, il s’agit donc aussi de trouver « des alternatives ». Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social, selon Jean-Louis Peyren : « Ce n’est pas en niant la situation qu’on va sauver nos emplois, au contraire, c’est en la dénonçant, parce que cela va permettre de trouver des alternatives. » Mais l’argument est parfois difficile à faire entendre. « Derrière la problématique des Pfas, il y a aussi des problématiques sociales qu’on ne doit pas nier, précise-t-il. Il faut concilier les deux, en allant vers de moins en moins de Pfas. »

Le collectif fait face aux inquiétudes et aux attentes suscitées par l’annonce de sa constitution : « On est sollicités par les syndicats CGT pour savoir comment aborder le sujet. » C’est sa première étape de travail : les aider « à aborder le problème des Pfas dans les entreprises avec les salariés », indique Jean-Louis Peyren, qui reconnaît la difficulté en interne : « C’est compliqué. Il faut rassurer nos syndicats. Certains nous alertent parce que les salariés pensent qu’on est en train de supprimer leur emploi. »

D’autant que la mise en cause de ces polluants entraîne parfois des pressions des employeurs, déplore Jean-Louis Peyren : « On nous oppose le chantage à l’emploi. C’est vieux comme le monde… » L’enjeu financier ne se laisse jamais oublier : « Des gros lobbies industriels se mêlent de ces affaires. »

Jean-Louis Peyren prévient : « On va essayer, comme le font les associations et les partis écologistes, les associations de riverains, de faire le caillou dans la chaussure mais en interne, dans l’entreprise. »


 

    mise en ligne le 8 janvier 2025

Le Parti socialiste
en quête d’un compromis fécond

Bernard Marx sdur www.regards.fr

Le PS a entamé des négociations avec les ministres de l’économie et des comptes publics. À quelles fins ?

Ce mardi, Olivier Faure en a posé les enjeux de ces pourparlers sur France Inter avec une argumentation en 3 points :

  • 1. Il faut un budget pour la France.

  • 2. Le PS est ouvert au compromis parce que « s’il n’y a pas ce dialogue fécond, cela conduit à ce que l’extrême droite soit appelée au pouvoir, comme c’est le cas, en ce moment même, en Autriche »

  • 3. Les négociations vont porter essentiellement sur les retraites, les dépenses de services publics (éducation, santé…), le pouvoir d’achat et la justice fiscale. 

En clair, si les négociations aboutissent, le PS ne voterait pas la censure, ni après la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, ni sur le budget 2025. Il continuerait de s’opposer et de combattre la politique du gouvernement et notamment celle du duo Retailleau-Darmanin.

Le cas de l’Autriche est effectivement parlant. Mais la montée et l’arrivée de l’extrême droite à la direction du gouvernement autrichien ne sont pas seulement dues à l’échec des négociations entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Elles sont d’abord la conséquence des politiques qu’ils ont conduit ensemble ou séparément. Elles tiennent ensuite au renversement d’alliances décidé par les conservateurs qui ont choisi celle avec l’extrême droite. Elle sont dues, enfin, comme le souligne Romaric Godin dans Mediapart (voir plus bas), aux milieux économiques qui soutiennent ce renversement d’alliances. Elon Musk est loin d’être seul au monde.

S’agissant de l’Autriche, cela ne nous rajeunit pas. Mais s’agissant de la France, cela peut nous faire réfléchir. La censure, en janvier ou en mars du gouvernement Bayrou, l’enfoncement dans la crise politique et économique, voire la démission rapide d’Emmanuel Macron avec de nouvelles élections présidentielles dans l’urgence, ne seront pas propices à empêcher l’accession au pouvoir de l’extrême droite française.

Il aurait fallu pour cela que le Nouveau Front populaire ait sérieusement labouré le terrain d’un projet, d’un programme, d’une mobilisation active de la société. Bref qu’il ait fait Front populaire. Mais un compromis sur le budget ne créera pas en soi une situation plus favorable. Cela risque tout aussi bien d’être « encore un instant, monsieur le bourreau ». Qui pourrait prédire autre chose qu’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France si le dialogue entre le « socle commun » du gouvernement Bayrou et la gauche social- démocrate ne change pas la trajectoire d’une politique qui enfonce le pays et une grande majorité de la population dans un déclin sans espérance ?


 


 

Le chef de l’extrême droite appelé à former un gouvernement en Autriche

Romaric Godin sur www.mediapart.fr

Herbert Kickl, président du FPÖ, a été chargé par le président autrichien de constituer un gouvernement. Il devrait s’allier avec les conservateurs, dont l’aile proche des milieux économiques a soutenu ce renversement des alliances. 

Par un renversement spectaculaire des alliances, l’extrême droite autrichienne arrive aux portes du pouvoir. Lundi 6 janvier, le président fédéral de la République d’Autriche, Alexander Van der Bellen, a reçu Herbert Kickl, chef du parti d’extrême droite FPÖ, dans son palais de la Hofburg. Il lui a officiellement confié la charge de constituer un nouveau gouvernement. S’il y parvient, Herbert Kickl sera le premier chancelier d’extrême droite de la république alpine depuis la Seconde Guerre mondiale.

La pilule a dû être délicate à avaler pour le président autrichien, ancien porte-parole des Verts, élu comme candidat indépendant en 2016 face au candidat du FPÖ, et réélu au premier tour en 2022. Alexander Van der Bellen a toujours été perçu comme un rempart contre l’extrême droite. Mais la situation politique ne lui laissait plus le choix. « Une des plus importantes charges constitutionnelles du président fédéral est de s’assurer que le pays dispose d’un gouvernement fédéral qui fonctionne », a précisé le communiqué de la Hofburg annonçant la nomination de Herbert Kickl.

Ce dernier va désormais mener des négociations avec la droite conservatrice autrichienne de l’ÖVP qui, dimanche, par la voix de son secrétaire général, Christian Stocker, s’est dite « prête à répondre à une invitation » du FPÖ pour former un gouvernement. L’affaire semble donc entendue : le FPÖ est arrivé en tête des élections fédérales du 29 septembre 2024, avec 28,9 % des voix contre 26,2 % à l’ÖVP. Les deux partis disposent d’une majorité au Conseil national, la chambre basse du Parlement.

Ces événements peuvent évoquer ce qui s’est passé en 2000, lorsque le conservateur Wolfgang Schüssel, pourtant arrivé troisième des élections fédérales de 1999, avait dirigé une alliance avec le FPÖ de Jörg Haider. La stratégie de l’ÖVP était alors de confronter l’extrême droite au pouvoir afin de lui faire perdre de la crédibilité. Le pari avait été temporairement réussi, et le FPÖ s’était fracturé et affaibli, retombant à 10 % des voix.

En réalité, la situation est très différente. Le FPÖ a soldé sa crise des années 2000. Il est devenu le premier parti d’Autriche en se radicalisant. Et c’est lui qui va diriger le gouvernement. Le potentiel chancelier fédéral, Herbert Kickl, est connu pour ses liens avec les milieux néonazis et identitaires. La volte-face de l’ÖVP n’est pas, comme en 2000, un choix tactique, c’est un choix stratégique qui consiste à fermer les yeux sur la nature du FPÖ pour conserver le pouvoir dans des domaines que les conservateurs jugent essentiels. L’ère politique qui s’ouvre en Autriche est donc complètement nouvelle.

L’échec de la coalition à trois

Comment en est-on arrivés là ? La tragédie s’est jouée en cinq actes, comme c’est de rigueur. Après les élections du 29 septembre, le premier acte met en scène une tentative de coalition excluant le FPÖ. Cet essai est mené par le chancelier conservateur sortant, Karl Nehammer. À ce moment, l’ÖVP exclut toute alliance avec l’extrême droite, insistant précisément sur le caractère infréquentable de Herbert Kickl.

En décembre, Christian Stocker affirme ainsi : « Ceux qui collaborent avec l’extrême droite en Europe sont intolérables en tant qu’hommes politiques. » S’adressant à Herbert Kickl, il ajoute : « Monsieur Kickl, personne ne veut de vous dans cette maison [la chancellerie – ndlr] et personne n’a besoin de vous non plus dans cette république. »

L’ÖVP entame donc des négociations à trois avec les sociaux-démocrates du SPÖ et le petit parti libéral Neos. L’idée est de construire un gouvernement fédéral disposant d’une majorité assez large et faisant barrage au FPÖ. Mais les négociations traînent en longueur. La construction d’un budget, notamment, pose problème. ÖVP et SPÖ défendent des positions très éloignées. Après soixante-quatorze jours de négociations, le 3 janvier, Neos décide de quitter la table des discussions. Pour les libéraux, celles-ci ne sont pas à la hauteur des « défis du moment ». Dans les faits, Neos ne parvient pas à faire valoir ses idées de vastes réformes fiscales.

Le deuxième acte s’ouvre. Karl Nehammer et le chef du SPÖ, Andreas Babler, décident de tenter de renouveler la « grande coalition ». Mais les discussions sont toujours aussi délicates sur le plan budgétaire.

ÖVP et SPÖ sont d’accord sur la nécessité d’une consolidation budgétaire. Pourtant, le déficit public autrichien n’est pas alarmant. En 2023, il a atteint 2,6 % du PIB, contre 3,3 % en 2022. Le problème de l’Autriche est bien plutôt sa croissance qui, sur un an, a stagné au troisième trimestre (− 0,1 %) et, plus largement, son modèle économique. Mais en Autriche, la pression des milieux économiques, et notamment financiers, pour réduire le déficit est très forte.

Reste que l’ÖVP et le SPÖ ne sont pas d’accord sur la méthode à employer pour réduire le déficit. Les sociaux-démocrates réclament que les plus riches soient mis à contribution et proposent une taxe bancaire alourdie et la réduction des subventions au diesel. Tout cela est inacceptable pour l’ÖVP, qui veut repousser l’âge de départ à la retraite et relever la TVA.

Rapidement, une partie de l’ÖVP semble juger le compromis avec le SPÖ impossible. Selon les révélations de la presse autrichienne, ce sont les milieux économiques au sein du parti conservateur qui ont alors mené la danse.

Samedi 4 janvier, alors que les sociaux-démocrates ont déjà abandonné deux points importants de leur programme – le rétablissement d’un impôt sur les successions et d’un impôt sur le patrimoine –, l’ÖVP, et notamment son « aile économique », rejette toute demande de surtaxe bancaire. En fin d’après-midi, après une suspension de séance, Karl Nehammer annonce à Andreas Babler qu’il rompt les négociations. Dans la foulée, il annonce sa démission de la chancellerie fédérale et de la direction de l’ÖVP.

La volte-face des milieux économiques

S’ouvre alors le troisième acte, celui du retournement des alliances de l’ÖVP. Un des artisans de cette ouverture des conservateurs à l’extrême droite semble être Wolfgang Hattmannsdorfer, nouveau président de la Chambre économique, une structure qui représente les entreprises auprès du monde politique. Il est favori pour remplacer Karl Nehammer à la tête de l’ÖVP et, peut-être, pour devenir vice-chancelier.

Le scénario qui semble s’être dessiné est que « l’aile économique » de l’ÖVP a considéré que le prix à payer pour une grande coalition, notamment une augmentation de la taxe bancaire, était trop élevé. Elle a trouvé des appuis parmi certains dirigeants du parti qui gouvernent déjà des Länder avec le FPÖ, et sont habitués à manier une rhétorique xénophobe. C’est notamment le cas de Johanna Mikl-Leitner, présidente de la région de Basse-Autriche, qui vient de déclarer qu’elle engage un « combat contre l’islam ». Selon le quotidien viennois Der Standard, elle aurait soutenu le tournant au sein de l’ÖVP.

En finir avec la grande coalition pour accepter de rejoindre un gouvernement avec le FPÖ supposait évidemment de sacrifier Karl Nehammer, défenseur de la ligne dure contre l’extrême droite. En passant, cela permettait de faire avancer l’agenda personnel d’un Wolfgang Hartmannsdorfer tout en préservant les intérêts des secteurs économiques protégés par l’ÖVP. Logiquement, Christian Stocker a traduit cette nouvelle orientation de la droite autrichienne par son invitation à la négociation avec le FPÖ.

Le quatrième acte se joue à la Hofburg, dimanche 5 janvier. Alexander Van der Bellen peut-il jouer ce rôle de rempart qui lui a valu ses deux élections à la présidence fédérale ? En octobre, il avait pu éviter de charger Herbert Kickl de former un gouvernement, en dépit de la première place du FPÖ, parce que l’ÖVP de Karl Nehammer avait exclu toute alliance avec lui. Malgré ses 27 %, le FPÖ était isolé et incapable de former un gouvernement.

Les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ sont concordants. Georg Knill, président de l’Alliance industrielle autrichienne

Avec la révolution de palais chez les conservateurs, les choses ont changé. Dans une conférence de presse, dimanche 5 janvier, le président doit le reconnaître en constatant que les voix contre une alliance avec l’extrême droite « se sont faites plus silencieuses » ces derniers jours. Une litote pour constater le renversement des alliances de l’ÖVP. Dès lors, ses options étaient limitées.

Sa première possibilité aurait été de dissoudre le Conseil national. Mais cette dissolution n’est possible, selon l’article 29 de la Constitution, qu’une seule fois pour le même motif. Autrement dit, si Alexander Van der Bellen dissout le Conseil national et que les élections renvoient un Parlement de même facture, il devra se soumettre et nommer Herbert Kickl chancelier. Or les enquêtes d’opinion laissaient entrevoir un renforcement du FPÖ. Cette dissolution, intervenant trois mois après le dernier scrutin, n’aurait pas sorti le pays de la crise politique.

Nommer un gouvernement technique non plus, dans la mesure où l’ÖVP, désormais mûr pour une alliance avec le FPÖ, ne l’aurait pas nécessairement soutenu. Un tel gouvernement aurait été un moyen de forcer une grande coalition après l’échec des négociations. Il ne restait donc que deux options à Alexander Van der Bellen : sa propre démission ou la nomination de Herbert Kickl. Dimanche soir, en invitant ce dernier à la Hofburg, il a choisi cette deuxième option. Et il l’a confirmée lundi matin.

Un profil inquiétant

Le cinquième acte s’écrit en ce moment. C’est la construction de cette nouvelle alliance sur des bases qui restent à définir, mais qui semblent devoir découler des événements précédents. L’ÖVP a choisi de s’allier avec le FPÖ sur la base de priorités économiques. C’est sur ce point qu’il va défendre ses positions. Il pourra compter sur un appui prononcé des milieux économiques. Le président de l’Alliance industrielle autrichienne, Georg Knill, qui n’avait eu de cesse de fustiger le programme « ennemi de l’économie » du SPÖ durant la campagne électorale, s’est réjoui lundi que les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ soient « concordants ».

Le FPÖ devra sans doute abandonner quelques promesses économiques, sur les retraites ou le salaire des fonctionnaires, mais le jeu en vaut la chandelle. D’abord parce que les milieux économiques, du moins ceux de l’ÖVP, seront sans doute ravis de lutter contre ce que Herbert Kickl appelle le « communisme du climat » : réduction des subventions aux énergies vertes et réduction des normes environnementales.

Mais surtout, il y a fort à parier que l’ÖVP lui laisse les coudées franches sur la question de la répression policière, des migrants, des discriminations. Alexander Van der Bellen a certes posé des limites au nouveau gouvernement : respect de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit, des droits des minorités, de l’indépendance des médias et de l’appartenance à l’Union européenne.

Mais l’exemple italien et surtout l’exemple hongrois montrent bien que la stratégie de l’extrême droite est moins d’instaurer directement une dictature que de détruire sournoisement les fondements de la démocratie. Souvent avec l’appui de la droite traditionnelle.

De ce point de vue, le profil du FPÖ de 2025 est inquiétant. Son programme et ses propos visent les demandeurs et demandeuses d’asile et les minorités sexuelles et de genre, mais aussi les mineurs de moins de 15 ans condamnés qu’il veut envoyer en prison. Herbert Kickl défend la déchéance de nationalité pour les Autrichiens naturalisés condamnés, le retour aux méthodes éducatives des années 1950 ou encore l’établissement de « traîtres au peuple ».

Le point le plus délicat à résoudre sera sans doute la politique étrangère. Le FPÖ, allié du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, est encore très eurosceptique, et il est surtout ouvertement prorusse.

En mars 2023, les députés de ce parti ont ainsi quitté les bancs du Parlement qui accueillait le président ukrainien. Mais il semble qu’il y ait de la bonne volonté des deux côtés. Ce sera sans doute un point de friction avec l’ÖVP, qui est un parti europhile et très largement pro-occidental. Mais au regard de leur volte-face, les conservateurs semblent prêts à faire bien des concessions pour éviter toute levée sur les banques ou les plus riches.

Le cas autrichien confirme donc une tendance qui semble s’accélérer depuis les derniers mois de 2024. Une part croissante du monde économique semble s’être radicalisée pour défendre ses intérêts. Dans des économies stagnantes comme l’Autriche, le capital est déterminé à ne faire aucune concession qui puisse réduire sa rentabilité. En cela, l’extrême droite, qui est, de son côté, prête à respecter les intérêts des puissances économiques et qui bénéficie d’un soutien croissant de la population, devient son alliée naturelle et utile.


 

     mise en ligne le 7 janvier 2025

Philippe Val, celui qui a vendu l'âme de Charlie Hebdo

Grégory Marin sur www.humanite.fr

Le journal satirique, rigolard et irrévérencieux, a changé de ton et de cible depuis quelques années. L’influence de son ancien directeur Philippe Val, flirtant à l’époque avec le pouvoir sarkozyste, se ressent à nouveau.

C’est l’histoire d’un canard sauvage qui a fini par être domestiqué, promu « symbole mondial de la liberté d’expression contre l’obscurantisme » par ceux-là mêmes qu’hier il brocardait. La critique est de Daniel Schneidermann, dans un livre à paraître aux éditions du Seuil, le Charlisme raconté à ceux qui ont jadis aimé Charlie. Depuis 2015, après l’attentat qui a laissé la rédaction exsangue, le journal a changé. Mais, à bien y regarder, la dérive était déjà importante, dès 1992 et la renaissance de l’hebdomadaire.

Journal irrévérencieux héritier de Hara-Kiri, Charlie Hebdo « meurt » en 1981. Provisoirement. Car le chansonnier Philippe Val lorgne le titre. En 1991, il avait pris la tête de l’équipe rédactionnelle de la Grosse Bertha, hebdomadaire satirique et « bordélique » dans lequel œuvraient Cabu et Charb. À « un éclat de rire par page » succède un précepte cher à Val : « Il faut des indignations », rapportera la rédaction après son départ. Déjà se dessinaient les contours de son projet futur, dévoilé à l’été 1992 lorsque Charlie Hebdo reparaît : « On ne rigole plus. »

Un changement d’époque

Malgré la présence des grands anciens, Wolinski et Cavanna, Charlie Hebdo va se mettre à « reproduire peu à peu les positions dominantes », analysait Mathias Reymond pour Acrimed en 2008. « Dans les années 1970, Cabu s’insurgeait “contre toutes les guerres” et collectionnait les procès intentés par l’armée. » En 1999, il soutient, avec la majorité de la rédaction (à l’exception de Charb et Siné) et dans la roue de Val, l’intervention militaire de l’Otan au Kosovo.

Dans le numéro 361 du 19 mai 1999, « Riss, qui n’écrit pas d’ordinaire », prend la place de la chronique de Charb, reprochant « aux pacifistes d’être des collabos », souligne Reymond. Même ton pour la campagne sur le traité constitutionnel européen de 2005 : Val « conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du “non” au référendum », souligne Acrimed.

Lors du festival de Groland de Quend, en 2007, Charb, enregistré par Pierre Carles, prenait ses distances : « Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo. (…) Si j’étais directeur d’un journal, (…) il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas. » Il sera exaucé deux ans après. Trop tard pour corriger les effets négatifs : après les décès des dessinateurs Gébé et Bernar, les départs des journalistes Olivier Cyran, François Camé, Anne Kerloc’h, Michel Boujut, Mona Chollet, Lefred Thouron partira à la suite d’un dessin sur Patrick Font, le chansonnier et ex-comparse sur scène du directeur, en procès pour pédophilie.

Dans le même temps arrivent des plumes plus consensuelles : le dessinateur Joann Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, Renaud Dély et Philippe Lançon de Libération, Anne Jouan du Figaro. Et surtout l’essayiste Caroline Fourest, qui, aujourd’hui, relativise les morts d’enfants palestiniens.

« Islamo-gauchisme » et jet-set

Fiammetta Venner, déjà en poste à Charlie, et elle vont mener, avec la bénédiction de Val, très ouvertement pro-israélien, la lutte interne contre « l’islamo-gauchisme ». La publication des caricatures de Mahomet, en 2006, sera instrumentalisée, et la figure de la « petite conne » musulmane aussi utilisée que celle du prédicateur islamiste, rapprochant du journal des personnalités éloignées de la gauche radicale, comme Bernard-Henri Lévy.

Charlie va entrer dans d’autres cercles, des plateaux télé de Thierry Ardisson aux marches du Festival de Cannes. En 2005, Philippe Val confiait au magazine TOC qu’il entendait « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui (il) entret(enait) des rapports cordiaux ». « Plus jamais le charlisme ne parviendra à s’arracher de l’orbite dévorante du pouvoir », écrit Schneidermann.

Ce sont surtout les prétentions de Val à intégrer les cercles politiques qui vont cliver. Le 2 juillet 2008, Siné écrit dans une chronique consacrée à Jean Sarkozy que le « fils de » vient « de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit » ! Bien que l’information, publiée par Libération, émane du patron de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, Siné est cloué au pilori par « le milieu de l’information ». Il doit répondre d’antisémitisme. Pourtant soutenu par Cavanna, Tignous, Honoré, il sera viré.

Sans doute l’analyse de Cavanna, dans Mohicans (Julliard), de Denis Robert, se révèle juste : « La débâcle (du journal – NDLR) a commencé avec le travail de sape de Val, pour qui Charlie Hebdo n’était qu’un marchepied vers une carrière de lèche-cul politique », lâchait-il. Car même si Charlie a continué avec une embellie sur le plan des idées entre le départ de Philippe Val en 2009 pour France Inter et la mort de Charb, son remplaçant, en 2015, son influence persiste.

Des combats contre les puissants, et pour l’écologie, menés à coups de fous rires rageurs, ne subsistent que de rares traces, effacées par l’obsession anti-islamiste, voire quelquefois antimusulmane. Sans doute ceux qui se proclament les chantres de la liberté d’expression, aujourd’hui, sont plus Printemps républicain que Charlie canal historique.


 

   mise en ligne le 6 janvier 2025

Mayotte, la gauche attendue

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Macron, Bayrou et Le Pen se sont rendus à Mayotte et ont fait entendre leurs visions de la reconstruction de l’île. Bien vite, sûrement, entendrons-nous les visions de la gauche.

Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.

Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.

Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.

Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.

La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.

Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne. 

Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.

Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.

L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État. 


 

     mise en ligne le 5 janvier 2025

Après l’étonnant voyage à Damas
des ministres français et allemand,
les questions demeurent

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.

Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.

Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.

Des vœux pieux et beaucoup de non-dits

Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».

Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).

C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».

Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.

Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.

En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.


 


 

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité » : à Strasbourg, les Alévis dénoncent les exactions contre les minorités en Syrie

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.

« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.

« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.

Des exactions contre les communautés

Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.

« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.

Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.

« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.


 

    mise en ligne le 4 janvier 2025

« Nous sommes horrifiées et préoccupées » : deux rapporteures de l’ONU alertent sur les « sommets d’impunité » d’Israël contre le droit à la santé des Palestiniens

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.

Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.

Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».

Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».

« Nous sommes horrifiées et préoccupées »

La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».

Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».

Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.

« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin

Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.

De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.

« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.

De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).


 


 

Guerre à Gaza : avec la destruction de l’hôpital Kamal Adwan, Israël anéantit
le système de santé palestinien

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.

L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.

D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.

Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.

Aucun signe de vie du directeur

Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.

Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.

« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.

Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.

L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.

« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.

Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz

« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.

La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.

Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »

Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.

En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.

Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »

Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».

Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.

L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou

Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.

« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».

Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.


 


 

« Netanyahou n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu » :
le Dr Mustapha Barghouti dénonce
le nettoyage ethnique en cours à Gaza

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.

Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.

Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?

Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.

Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.

On parle pourtant de négociations…

Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.

Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?

Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.

Que peuvent donc faire les Palestiniens ?

Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.

Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.

Que voulez-vous dire ?

Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique.


 

     mise en ligne le 3 janvier 2025

« Il ne nous attaque jamais frontalement » : à Perpignan,
les acteurs de la solidarité menacés
par le maire RN Louis Alliot

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.

« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »

Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».

« Il ne nous attaque jamais frontalement »

Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.

« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »

En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »

Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.

« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »

« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.

La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.

« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »

Un engagement citoyen qui résiste malgré tout

Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »

À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.

C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).

La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.

Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »

Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements

Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.

Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.

Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence


 


 

« Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer "des marrons" » : à la frontière franco-espagnole la répression raciste envers les exilés s’intensifie

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.

Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.

« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.

Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.

Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible

« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »

L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.

Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».

« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »

Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.

« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.

« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »

Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.

*Le prénom a été modifié.


 


 

« Les ONG ne doivent pas hésiter à saisir la justice pour se défendre » : alerte l’avocat Vincent Fillola face à la recrudescence des attaques politico-médiatiques

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.

Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.

Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.

Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?

Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.

Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?

Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.

Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.

Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?

Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.

Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.

Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…

Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.

Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.


 

    mise en ligne le 2 janvier 2025

Marche pour l’application de la loi de réquisition des immeubles vides

DAL fédération sur https://blogs.mediapart.fr/

À peine élu, Macron déclarait : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ; je ne veux plus avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus ». 7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé. Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour exiger l'application de la loi de réquisition sur les immeubles vides et l’abrogation de la loi Kasbarian. Rendez-vous dimanche 5 janvier à St Lazare, Cour de Rome. 


 

À peine élu, Macron déclarait le 27/7/2017 : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement, je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus, c’est une question de dignité, d’humanité ».

7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé et est passé de 143.000 à 330.000, celui des personnes privées de logement personnel est passé de 896.000 à 1.098.000... celui des demandes HLM de 2,2 à 2,7 millions de familles...

Il n’a pas livré « bataille » car il a pactisé avec les spéculateurs et les gentrifieurs, il a criminalisé les locataires en difficulté et les occupants sans titre avec la loi Kasbarian-Bergé et construit toujours moins de logements sociaux !

Pourtant, la France compte 3,1 millions de logements vacants et 9 millions de mètres carrés de bureaux vacants soit 200 000 logements. L’Ile de France compte 416.000 logements vacants et Paris 116 000.

Qu’attend Macron pour faire appliquer la loi de réquisitions sur les logements et bureaux vacants de riches propriétaires ?

Entre 1945 et les années 90, plus de 130 000 réquisitions avaient été prononcées, à Paris.

30 ans après l’occupation de la rue du Dragon, le 18 décembre 1994 et la dernière vague de réquisition qui s’en est suivie en 1995 (1200 logements réquisitionnés), l’État n’a plus le courage d’appliquer cette loi.

Or elle est nécessaire pour sauver des vies, des femmes, des enfants, des personnes handicapées ou âgées, d’hommes, dont la vie ne tient plus qu’à un fil...

Le maire aussi peut réquisitionner en vertu de ses pouvoirs de police, dans l’urgence. Enfin le Préfet peut transférer son pouvoir aux métropoles ou aux communautés de commune. Encore faut-il qu’elles le demandent, même celles de gauche ne l’ont pas fait.

En attendant d’édifier les logements sociaux en nombre suffisants, de baisser les loyers qui n’ont jamais été aussi chers et de juguler la spéculation :

Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour dénoncer des immeubles vides dans Paris, et pour exiger :

  • L’application de la loi de réquisition sur les immeubles vides,

  • L’abrogation de la loi Kasbarian et de toutes les lois et dispositifs qui pénalisent les occupants d’habitats de survie (bidonvilles, cabane, caravanes, squat d’immeubles vides...) !

Premiers signataires :

AG logement 94, ATMF, Bagagerue, CAD, Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, Construire, COPAF, CSP75, DAL, Femmes Egalité, FSU, FUIQP, Héro-ïnes 95, Jamais Sans Toit, La Marche des Solidarités, OST, Pas sans nous, Soupirail, Solidaires étudiant-e-s Paris Banlieue, SUD logement Social, Union Syndicale Solidaires, UTOPIA 56.

Avec le soutien de : PEPS, gauche éco-socialiste.


 

    mise en ligne le 1er janvier 2025

« Je n’étais jamais montée
sur un Bateau-Mouche », le 31 décembre
le Secours populaire invite 150 seniors à un repas gastronomique sur la Seine

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Dans une ambiance festive, 150 Yvelinois de plus de 60 ans accompagnés par le SPF ont pu clore 2024 sur un Bateau-Mouche parisien.

« À la nouvelle année ! » Jeannot lève son verre en direction des passants, qui font signe aux passagers du Bateau-Mouche depuis le bord du quai. « Pour une fois c’est nous que l’on envie ! » s’exclame le sexagénaire avec fierté. Pour ce retraité, cette minicroisière sur la Seine est une première. « C’est formidable ! Je n’étais jamais monté sur ce type d’embarcation. En plus nous sommes traités comme des rois », se réjouit-il en sortant son téléphone pour photographier la tour Eiffel.

Ce 31 décembre, le Mantevillois est l’un des 150 seniors des Yvelines à participer à ce repas festif, proposé par le SPF (Secours populaire français) des Yvelines, avec l’appui de la Fondation de France. Ce repas de fête destiné à rompre leur isolement leur a été proposé par les bénévoles des permanences du SPF qui maillent le département.

Oublier le quotidien

« Il faut souvent insister un peu, explique Martine, qui œuvre à l’antenne de Versailles. Certains ont perdu l’habitude de sortir et pensent que ce genre d’événement n’est pas pour eux. Mais en général, en rentrant, ils ont des étoiles dans les yeux et demandent à revenir l’année suivante. »

C’est le cas de Monique, 63 ans. Un peu intimidée, cette femme sans lien familial et très marquée par une vie jalonnée d’épreuves s’est décidée à venir après un Noël en solitaire. « C’était un peu triste, au moins ici il y a de l’animation. Je n’étais jamais montée sur un Bateau-Mouche, c’est très agréable de glisser sur l’eau », sourit-elle. Pour tous, cette parenthèse est bienvenue.

« Durant quelques heures, on oublie nos problèmes quotidiens, les soucis qu’on se fait pour les enfants… » témoigne Marinette, une mère de famille camerounaise de 61 ans qui vient pour la deuxième fois. Arrivés d’Ukraine en mars 2022 pour fuir les bombardements, Ivan et Gloria, un couple de sexagénaires, regardent défiler les monuments parisiens et observent le ballet des serveurs et serveuses en habit qui s’affairent autour des tables.

« On se sent comme des touristes, ça permet d’oublier un peu la guerre qui frappe notre pays », raconte Ivan. « Actuellement nous sommes hébergés à Maurepas, les Français sont très généreux, mais on aimerait pouvoir rentrer dans notre pays en 2025 », complète son épouse.

Déterminés à faire la fête

Pour d’autres ; ce repas est l’occasion de passer un moment entre amis ou d’échapper aux contraintes de leur foyer. Anita et Muriel, 68 et 60 ans, ont toutes deux travaillé dans la grande distribution. Copines de longue date, elles fréquentent la permanence du SPF d’Aubergenville. Brunes aux yeux clairs, un petit haut noir à paillettes pour chacune, elles pourraient passer pour des sœurs, ce qui les amuse.

« Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » Muriel, 60 ans

Déterminées à faire la fête, elles sont en train de choisir les chansons qu’elles interpréteront lors du karaoké qui suivra le repas. La plus âgée est venue malgré l’inquiétude qui la ronge au sujet de la santé de Didier, son mari, qui n’a pu l’accompagner. Pour Muriel, cette journée signe son indépendance retrouvée après des années passées sous l’emprise d’un homme toxique. « Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » assure-t-elle.

Parmi les autres duos, Nassira et Selim savourent ce moment en contemplant Paris. Septuagénaires, ces parents de sept enfants, « qui ont tous fait des études universitaires », sont arrivés d’Algérie dans les années 1970. Elle était sage-femme, lui, ingénieur en travaux publics. « On s’est saignés pour nos enfants, aujourd’hui ils ont tous un bon métier », relate Nassira. D’ailleurs toute la famille sera réunie pour le 1er janvier. « Mais avant on s’offre une évasion en amoureux », rigole Selim en prenant la main de son épouse.

À la table voisine, Claudia et Monica, deux sexy sexagénaires mantevilloises qui se sont connues aux thés dansants organisés par une association de leur ville, se sont pomponnées pour l’occasion. « C’était le bon jour pour se mettre sur son 31 », plaisante Éric, leur voisin, lui aussi très élégant, en savourant son œuf en meurette.

Qui sera suivi d’une dorade avec des petits légumes puis d’une profiterole à la mousse de poire avec une sauce au caramel, « une tuerie », selon Maïmouna, 72 ans. Elle est venue avec son amie Aziza et d’autres femmes marocaines de Chanteloup-les-Vignes. Habituées du SPF, elles sont parties ensemble quelques jours au bord de la mer à l’automne grâce à l’association.

Créer du lien

Un séjour dont se rappelle bien Huguette Bitor-Jirot, la référente seniors de la fédération des Yvelines du SPF. « Cela permet de créer du lien et parfois, au bout de plusieurs jours, les gens finissent par se confier, alors que par honte de leur situation ils s’étaient murés dans le silence. On a ainsi pu aider une femme victime de violence de la part de son conjoint, alors que cela faisait des années qu’elle subissait les coups et qu’elle n’en avait jamais parlé à personne », révèle la longue dame blonde aux cheveux courts tout en gardant un œil sur la salle pour s’assurer que tout se passe bien.

De fait, l’ambiance est plutôt bonne, rythmée par les accords d’un pianiste qui interprète des airs de chansons célèbres durant le repas. Mais le bateau s’enflamme quand vient l’heure du karaoké. Anita et Muriel ouvrent le bal avec un duo remarqué sur la Bonne du curé d’Annie Cordy, enchaînent avec l’entêtant Pour un flirt de Michel Delpech, avant de laisser la place à Éric, qui suscite pas mal d’émotions en entonnant Mistral gagnant de Renaud.

S’ensuivent des tentatives plus ou moins réussies d’interprétations de Dalida ou de Claude François, qui ont le mérite de susciter fous rires et encouragements. Avant de quitter les lieux, alors que la ville s’illumine, une chenille géante fait se lever l’assemblée, dont les membres semblent peu pressés de rejoindre les bus pour regagner les Yvelines.

Pascal Rodier, le responsable de l’antenne des Yvelines, à l’initiative de l’événement, affiche un sourire ému. Pour ce fils de cheminot et d’une communiste engagée au SPF, salarié de l’association depuis 2001, « il faudrait pouvoir organiser davantage de moments festifs de cette nature ». Hélas, déplore-t-il, « désormais l’essentiel de nos ressources se concentre sur les distributions alimentaires car les besoins ont explosé ces dernières années ».


 

      mise en ligne le 31 décembre 2024

2024 et après ?

Par Maryse Dumas sur www.humanite.fr

L’année 2024 touche à sa fin. Une année éprouvante par sa complexité et ses contradictions, tant au plan national qu’international. Devant nous, un brouillard très dense que nos convictions sur la nature des enjeux et le poids des forces en présence ne suffisent pas à dissiper. Se refaire le film, réfléchir à ce que nous avons pu comprendre et analyser de ce qui s’est passé est indispensable pour avancer. Ce n’est pas perdre du temps si on veut peser sur le réel plutôt que se faire balader comme une plume au vent. Alors, que retirer de 2024 ?

Pour ma part, d’abord la force de l’interdépendance planétaire, non seulement sur les questions environnementales et climatiques, mais aussi sur les pulsions politiques. On connaît la théorie de « l’effet papillon » selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut conduire, par des effets en chaîne, à une tornade au Texas. C’est un peu ce que nous vivons : les guerres se propagent d’une zone à l’autre. Elles ne se limitent plus à des conflits locaux ou régionaux. Elles menacent aujourd’hui la paix du monde, au point de raviver les inquiétudes sur une utilisation possible de l’arme nucléaire, ce que soulignent les trois rescapés de Nagasaki qui viennent de recevoir le prix Nobel de la paix.

La globalisation libérale produit partout une explosion des inégalités et partout aussi des poussées d’extrême droite. On ne compte déjà plus le nombre de dirigeants d’extrême droite au pouvoir. Ils se confortent et s’entraident les uns les autres. L’élection de Donald Trump en rajoute et leur donne de nouveaux moyens et de nouveaux relais. La France n’est pas en dehors. Aux États-Unis, la victoire du milliardaire est davantage le fruit du recul démocrate que de son propre progrès électoral. Mais c’est bien le problème qui nous occupe aussi, ici, en France. Il faut se féliciter que la gauche ait réussi à s’unir dans un « Nouveau Front populaire » pour relever le défi des élections législatives anticipées puis pour constituer un front républicain qui a barré la route au RN dans son accès au pouvoir. La forte mobilisation électorale montre la disponibilité des forces vives de notre pays dès lors que les enjeux sont clarifiés et qu’on lui propose des alternatives réelles. Mais depuis ce résultat, la situation s’enlise. Le rapport des forces n’est pas suffisant pour que la gauche, arrivée première au résultat des urnes, réussisse à imposer à Macron de nommer un ou une des siens à Matignon.

Dans des temps pas si anciens, les luttes sociales pouvaient être le ressort permettant de débloquer, en faveur de la gauche, les situations politiques figées à droite. Mais c’est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui. La situation française ne se résume plus à un affrontement droite-gauche classique. Le poids du RN, la dissémination de ses idées nauséabondes dans le pays, son début de structuration en parti de masse modifient la donne. L’opposition de gauche n’apparaît plus la seule ni même la mieux placée pour « renverser la table ». Deux défis se posent alors aux forces progressistes : redonner à la politique son sens premier d’intervention citoyenne et démocratique en sortant la sphère politique de l’espèce de bulle étanche dans laquelle elle semble s’enfermer, et alimenter les luttes sociales, tout en respectant leur autonomie, de propositions réellement alternatives. Il n’y a pas beaucoup d’autres moyens de parvenir à démystifier le discours du RN.


 

   mise en ligne le 30 déc 2024

Autoroutes : nouveaux conflits d’intérêts en marge de négociations

Arnaud Murati sur https://www.off-investigation.fr/

Nonobstant les milliards d’euros de profits réalisés, les sociétés concessionnaires d’autoroutes continuent de ruer dans les brancards : les négociations de fins de contrats de concession de Sanef et d’Escota s’annoncent mouvementées et sans doute défavorables aux intérêts publics.

D’un côté l’Etat, représenté à la fois par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) et l’Autorité de régulation des transports (ART). De l’autre, les sociétés concessionnaires d’autoroutes que sont Sanef, Vinci Autoroutes, APRR, etc. Si la relation n’a pas toujours été tendue entre toutes ces parties, il semblerait que l’échéance du 31 décembre 2024, qui ne concerne pourtant que la Sanef, a ravivé les tensions.

Il faut dire que l’enjeu est de taille. Au 31 décembre 2031 se terminera en effet le premier contrat de concession « historique » d’une autoroute française, celui qui lie la Sanef à l’Etat. Pour que ce contrat s’achève correctement, il convient que la puissance publique notifie à la société privée le programme des travaux qu’elle devra réaliser sur les cinq années à venir avant le 31 décembre 2024. Ces travaux, intégralement à la charge de la société concessionnaire, doivent permettre de voir le patrimoine routier être restitué en « bon état ». Ce dossier revêt une certaine importance car la concession de la Sanef étant la première à arriver à échéance, il y a fort à parier que ses modalités de fin serviront de modèle à l’ensemble des concessions qui s’achèveront dans les années à venir.

Mais c’est précisément cette notion de « bon état » qui constitue un premier point d’achoppement entre les sociétés d’autoroutes et l’ART. Le sénateur Hervé Maurey a remis un rapport sur le sujet le 23 octobre dernier, l’ART en a publié un second le 30 novembre : « Le rapporteur (ndlr, le sénateur) ne cache pas sa très vive préoccupation sur le sujet de la définition par l’Etat de la doctrine de bon état en fin de concession […]. En effet, il a appris récemment que l’Etat concédant venait de s’entendre avec les sociétés d’autoroutes sur une option de traitement a minima des ouvrages d’art évolutifs », écrit l’élu centriste. Si l’enjeu du « bon état » des chaussées est loin d’être quantité négligeable, celui des ouvrages d’art (ponts, échangeurs…) est nettement plus important. Selon l’ART, les travaux à envisager pourraient atteindre un montant cumulé d’un milliard d’euros ! « Très hostiles à cette perspective, les sociétés concessionnaires s’y opposent de façon résolue et demanderont probablement des compensations financières en échange », prévient le sénateur.

Experts maison : conflit d’intérêt « flagrant » ?

Mais avant même de savoir si les ouvrages d’art et les chaussées sont en bon état ou pas, il convient de les expertiser. La logique voudrait qu’un cabinet indépendant à la fois de l’Etat et des sociétés concessionnaires s’en charge. La réalité des faits est pourtant diamétralement opposée.

En juin dernier, la Sanef aurait ainsi elle-même rendu le rapport d’état des lieux des biens concédés : « On est en droit de s’interroger sur le fait que la réalisation de ce document décisif soit confiée aux sociétés concessionnaires » enrage M. Maurey, « à première vue, le conflit d’intérêt semble flagrant ». Un « conflit d’intérêt » qui émerge aussi concernant les cabinets d’expertise spécialistes des ouvrages d’art, selon le sénateur. Ceux-ci ont largement été appelés à la rescousse par l’Etat pour faire face au pic d’activité généré par ces premières fins de concessions autoroutières. Et qui sont leurs clients habituels si ce n’est les sociétés d’autoroutes ?

Cinq milliards : ces travaux que les concessionnaires auraient oublié de faire…

En attendant que les pouvoirs publics et les sociétés concessionnaires s’entendent sur la notion de « bon état », il est un autre dossier que l’ART a souhaité porter à la connaissance du public et donc du sénateur Hervé Maurey : des travaux dits « de seconde phase », décidés dans des contrats et avenants et déjà financés par les péages, n’ont jamais été réalisés. Selon l’ART, ce sont « 37 opérations d’élargissement et l’aménagement d’une bretelle, sur un linéaire total de plus de 1 000 kilomètres, ainsi que la construction de 13 échangeurs » que les sociétés concessionnaires d’autoroutes auraient oublié de faire. Pour un montant total qui dépasse les cinq milliards d’euros ! Dans le détail, les élargissements de chaussées prévus et non réalisés représentent 250 km linéaire pour APRR, 169,3 km pour ASF et… 461,5 km pour la Sanef, championne de France en la matière. L’ART a beau préciser que le contrat entre l’Etat et la société propriété du groupe Abertis est tout à fait explicite à propos de ces travaux (ils n’ont rien d’optionnel), rien n’y fait. La Sanef conteste vertement : « Sur le fond, le groupe Sanef réfute la thèse construite par l’ART selon laquelle, en définitive, tous les investissements de seconde phase seraient « exigibles » au plus tard à l’échéance des contrats », indique Arnaud Quémard, le directeur général de la Sanef, dans sa réponse écrite au rapport de l’ART. Pour APRR, la vision de l’ART sur ces investissements de seconde phase est tout simplement « émaillée de nombreux raccourcis, contradictions, incomplétudes et d’affirmations erronées », selon sa réponse écrite fournie à l’ART.

L’Autorité de régulation des transports entend toutefois ne pas se laisser marcher sur les pieds sur ce point précis. Elle ne réclame pas coûte que coûte que ces travaux théoriquement prévus soient réalisés : certains d’entre eux n’ont plus vraiment de sens en 2024, pour différents motifs. L’ART exige toutefois que le financement de ces travaux, réalisés par les péages et donc par les automobilistes, leur reviennent : « L’avantage financier résultant de l’abandon d’opérations, constitué de recettes de péage passées ou à venir, devrait être utilisé au bénéfice des usagers des autoroutes concédées », indique encore le rapport de l’autorité.

Des pouvoirs publics trop faibles

Alors que la France vit depuis plusieurs mois avec des ministres intermittents, la grande crainte du sénateur Hervé Maurey est que la DGITM se montre « faible » dans la négociation face aux équipes pléthoriques et affutées des sociétés concessionnaires d’autoroutes : « La DGITM a géré ce dossier non pas en catimini, mais discrètement, sans contrôle politique » indique l’entourage du sénateur à propos des fins de contrats. La DGITM redouterait plus que tout que les sociétés concessionnaires portent une nouvelle fois une ou plusieurs affaires devant les tribunaux. Une vraie manie chez elles dès qu’un élément contrevient au moindre centime de leurs profits. Le 14 mars dernier, pourtant, le tribunal administratif de Cergy a largement donné tort aux sociétés concessionnaires qui ne payent pas, depuis 2021, une taxe appelée « contribution volontaire exceptionnelle ». Le tribunal a ainsi jugé que « la société requérante n’établit pas, par les pièces versées au dossier, que l’équilibre financier de la concession aurait été affecté » par les différentes taxes auxquelles elle est soumise. Ce jugement, vraisemblablement contesté en appel par la société concernée (qui est redevable de 67,4 M€ cumulés à l’Agence de financement des infrastructures de transport), n’est en effet qu’une péripétie judiciaire parmi d’autres selon la Cour des comptes…

Vinci Autoroutes fulmine contre l’Autorité de régulation des transports

Perspective de la fin des concessions, et travaux de seconde phase, sont autant d’éléments qui semblent désormais faire exploser la marmite du côté de chez Vinci Autoroutes et de son président Pierre Coppey. Sa réponse écrite au rapport de l’ART, longue de six pages, exsude20 pt de rage. On y apprend ainsi que Vinci Autoroutes n’a pas souhaité participer aux débats portant sur les fins de concessions, pas plus que sur les investissements dits de seconde phase. M. Coppey considère en effet l’ART parfaitement incompétente pour se préoccuper de tels sujets : « Il s’agissait, par principe, de faire respecter le droit et de ne pas contribuer à ce qui peut apparaitre comme un abus de pouvoir », signale le dirigeant. Vinci Autoroutes et son leader s’étranglent en outre du fait que l’Autorité se permette de mettre régulièrement le nez dans l’équilibre financier des sociétés concessionnaires : « C’est de manière dévoyée que l’ART produit, à une fréquence quasiment annuelle […] des rapports sur l’économie générale des concessions » cingle le président. Mieux encore : Pierre Coppey accuse directement l’ART de conflit d’intérêt, en citant deux personnes qui seraient à la fois juge et partie ! « Toutes ces dérives étant constantes et parfois revendiquées par l’ART, Vinci Autoroutes a décidé, comme nous vous en avions informés, d’en saisir la Cour européenne des droits de l’homme », prévient le président de Vinci Autoroutes, qui n’a pas souhaité répondre aux questions d’Off Investigation. Le président de l’ART Thierry Guimbaud a considéré dans Le Monde du 30 novembre 2024 que les sociétés d’autoroutes doivent « 3,8 milliards d’euros aux usagers. »


 

      mise en ligne le 29 décembre 2024

Et il est où,
le Nouveau Front Populaire ?

MattiefloNogi sur https://blogs.mediapart.fr/

Dire, qu’il y a à peine quelques mois, ils avaient suscité l’espoir. Pourtant, le message sorti des urnes semblait assez clair. Interrogation perplexe d'un sympathisant et fidèle électeur de gauche.

Dire, qu’il y a à peine quelques mois, ils avaient suscité l’espoir. Désormais, il y a de quoi désespérer à voir le spectacle qu’ils nous offrent. Ils ? Les “chefs” de partis de la gauche, toujours prêts à s’unir pour obtenir nos suffrages pour aussitôt s’invectiver une fois élu (lire par exemple ici : À défaut d’avoir une majorité, Emmanuel Macron réussit à diviser la gauche | Mediapart).

Pourtant, le message sorti des urnes semblait assez clair : « Non à Macron et l’extrême droite, oui à l’union des gauches, marre de vos divisions et vos calculs de boutiquiers ». Divine surprise, ce Nouveau Front Populaire (NFP) sortait même en tête des élections législatives.

Je me risquerai même à écrire qu’il y a, chez chaque électeur, une partie des idées de chacun des partis qui forme le NFP. De nombreux électeurs de gauche sont fatigués de choisir, simplement pour se compter, mais souhaitent voir leur représentant prendre les rênes du pouvoir et enfin appliquer un programme pour réparer la France que sept années de E. Macron ont tellement abîmé, sans compter F. Hollande et N. Sarkozy avant lui. La coopération de toutes les organisations est aussi une garantie solide qu’elles ne s’enferment pas dans leurs écueils : tracer sa route en solitaire à La France Insoumise (LFI), trahir à la première occasion au Parti Socialiste (PS), s’enfermer dans un combat de privilégiés chez les Écologistes et affirmation identitaire au PCF. Venant de la gauche qui prône la coopération plutôt que la compétition, la démarche devrait sembler évidente.

Souvenons-nous qu’en 2022, une grande majorité des électeurs de gauche ont voté pour Jean-Luc Mélenchon malgré une certaine rancœur, pour ne pas dire plus, à son encontre et qu’après la dissolution de 2024, nous avons tous largement joué le jeu et voté largement pour le NFP quel qu'en soient le représentant de la circonscription. Le ferons-nous aussi fortement et massivement la prochaine fois? Rien n’est moins sûr, s’ils continuent à mettre tant d’énergie à nous dégoûter de voter pour eux.

Alors que la censure du gouvernement M.Barnier et sa réplique version F.Bayrou aurait pu être le moment fort d’un NFP solide et solidaire, c’est plutôt l’inverse qui se produit. L’union de la gauche semble se disloquer sous nos yeux, alors qu’après sept ans de pouvoir, l’échec de la politique de Macron et ses affidés est patent. J’écrirai même triple échec.

Échec économique d’abord. La théorie du ruissellement, fondement idéologique du Macronisme, ne fonctionne pas. Malgré les 50 milliards d’euros annuels accordés aux plus riches et aux grandes entreprises, la croissance n’est pas au rendez-vous, le déficit se creuse, la pauvreté ne recule pas et les créations d’emplois ne sont pas au rendez-vous. Cette politique économique est un non-sens, cette évidence longuement répétée apparaît désormais au grand jour pour tous (lire ici : Bruno Le Maire, l’idéologue dont l’échec mène au désastre | Mediapart )

Échec politique ensuite : Macron prétendait se battre contre le RN, il en est devenu le marche pied. Cela a déjà été écrit à maintes reprises. Le déshonneur est désormais total puisque les élus macronistes préfèrent désormais s’allier à l’extrême droite qu’à la gauche.

Échec démocratique enfin : ceux qui se gaussent d’être les modérés, les raisonnables, les “démocrates face aux populistes” refusent aujourd’hui de lâcher le pouvoir malgré deux défaites consécutives aux élections. Ils sont la cause du blocage institutionnel, convaincus que leur politique est la seule possible. Tout est négociable pour eux, tant qu’ils gardent le pouvoir et qu’on ne touche pas à leur fondements économiques. Ils ne sont pas prêts à être minoritaires et encore moins à négocier avec d’autres forces politiques. Sinistre vision de la démocratie.

En face, le RN perd peu à peu en crédibilité. Il se révèle incapable de tenir son soi-disant “vernis social” qui craquelle pour révéler sa véritable orientation libérale (lire ici : Budget 2025 : l’imposture sociale du RN se révèle au grand jour - L'Humanité ). Les élections de 2024 l’ont montré : une large majorité de français ne veut pas de l’extrême droite.

Face à deux adversaires décrédibilisés, il y a un espace pour relever la tête, montrer une voie pour le pays, être fier de son identité politique. Encore faudrait-il ne pas se moquer des électeurs après chaque élection, ne pas chercher à chaque fois à se compter les uns par rapport aux autres. Aujourd’hui le NFP n’est pas majoritaire. Mais un tiers des voix et des sièges à l’assemblée, c’est une base solide quand on se souvient de 2017 (11% des sièges). Pour aller plus loin, il s’agit évidemment de s’appuyer sur nos forces : les quartiers populaires, la jeunesse, les classes moyennes supérieures attachées aux services publics, les outre-mer.. et d’aller chercher tous ceux qu’il nous manquent : les abstentionnistes, les retraités, les classes moyennes inférieures… “Additionner sans soustraire” comme l’écrivait François Ruffin version 2022 dans “Je vous écris du front de la somme” (lire ici).

Pour faire le lien entre les partis et les électeurs, nous avons aussi grand besoin de corps intermédiaires, de médias, d’associations, de syndicats, d’initiatives qui fassent vivre le front social et politique au quotidien. C’est une condition essentielle à la fois pour maintenir une pression sur les partis politiques et en même temps pour disposer de solides relais dans l’ensemble de la société. D’où la réponse à la question initiale : le nouveau front populaire devrait davantage être présent davantage dans chaque ville, chaque quartier, chaque village… Il apparaît nécessaire de le faire vivre au quotidien au plus près des électeurs et des acteurs de terrain, autour de mot d’ordre simple : des services publics partout pour réparer les fractures du pays (le capital de ceux qui n’en ont pas), un travail sain et rémunérateur pour tous... L’appel de Lucie Castets et Marine Tondelier (https://www.gagnons-ensemble.fr/) semble aller dans ce sens, en espérant que ce ne soit pas une nouvelle impasse comme le fut à son époque la Primaire Populaire.


 

    mise en ligne le 28 décembre 20324

Israël détruit le dernier hôpital
du nord de Gaza

Marie Turcan sur www.mediapart.fr

L’armée israélienne a mis « hors service » le dernier hôpital fonctionnel du nord de Gaza, forçant des dizaines de blessés graves à quitter les lieux. Le directeur Hussam Abou Safiya, figure de la résistance palestinienne et du personnel soignant à Gaza, aurait été arrêté. 

C’était le dernier hôpital qui traitait des malades et blessé·es dans le nord de la bande de Gaza. Un « raid sur l’hôpital » Kamal-Adwan de Beit Lahia, lancé par les forces armées israéliennes, l’a « mis hors service » vendredi, a dénoncé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un communiqué. L’attaque aurait été perpétrée dans la matinée, causant la destruction de « plusieurs unités cruciales » de l’établissement de santé.

Dans un communiqué, le ministère de la santé du gouvernement à Gaza a indiqué que « les forces d’occupation [israéliennes] ont emmené des dizaines de membres du personnel médical de l’hôpital Kamal-Adwan, dont le [directeur] Dr Hussam Abou Safiya, vers un centre de détention pour les interroger ».

Les troupes israéliennes auraient mis le feu dans différentes zones de l’hôpital, notamment le bloc opératoire, toujours selon le ministre de la santé local, cité par Associated Press. L’armée israélienne affirme que l’hôpital aurait été utilisé comme base par des soldats du Hamas, sans en apporter de preuve.

L’OMS fait état de « soixante agents de santé et vingt-cinq patients dans un état critique », rappelant que « le démantèlement systématique du système de santé à Gaza est une peine de mort pour les dizaines de milliers de Palestiniens qui ont besoin de soins ». L’armée israélienne aurait ordonné l’évacuation de ces derniers patients vers un autre hôpital hors service, inapte à recevoir des personnes blessées, sans eau ni électricité. Les conditions de survie sont d’autant plus difficiles que de rudes intempéries s’abattent sur la bande de Gaza, des bourrasques glaciales faisant s’envoler les abris de fortune.

Le Réseau des ONG palestiniennes (PNGO) dénonce, dans un communiqué samedi, au moins cinq morts : « Le PNGO condamne fermement l’escalade des crimes de l’occupation israélienne contre le système de santé dans le nord de la bande de Gaza. Le secteur de la santé du PNGO fait référence à l’assaut de l’hôpital Kamal-Adwan par l’occupation israélienne, à l’évacuation forcée des malades et des blessés et au ciblage du personnel médical, qui a entraîné la mort de cinq d’entre eux et la destruction des installations hospitalières. »

Les témoignages des familles et du personnel de l’hôpital

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont l’heure d’enregistrement est difficile à authentifier précisément, montrent un drone quadricoptère larguer une bombe aux alentours de l’hôpital Kamal-Adwan en plein jour. Shurooq Saleh Khader al-Rantisi, une laborantine qui travaillait au centre hospitalier, raconte dans une autre vidéo diffusée par le journaliste palestinien Osama Abu Rabee que l’armée israélienne a demandé au personnel « d’évacuer le bâtiment » et a commencé à « brûler des documents » sur place.

Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. Un témoin évacué de l’hôpital Kamal-Adwan, interrogé par un journaliste palestinien

Sur d’autres images diffusées par l’armée israélienne, on voit une vingtaine d’hommes, certains sans pantalon, marcher en ligne, aux alentours de l’hôpital. Selon la journaliste Wizard Bisan, il s’agirait de docteurs qui auraient été contraints de se déshabiller et de quitter les lieux, mais il pourrait aussi s’agir de patient·es. La laborantine Shurooq Saleh Khader al-Rantisi rapporte aussi que l’armée aurait déshabillé le personnel hospitalier sur place avant d’en emmener une grande partie à l’extérieur.

« Avant-hier déjà, l’armée est arrivée dans la nuit, a tiré des missiles sur l’hôpital et ses alentours, rapporte un homme qui dit avoir été évacué de force de l’hôpital Kamal-Adwan avec sa femme et ses enfants. Hier [vendredi], l’armée est arrivée avec un mégaphone et a demandé au directeur de leur remettre tous les patients, blessés et malades. »

Il explique que les forces israéliennes auraient demandé à ce qu’ils et elles sortent dénudé·es du bâtiment avec les autres patient·es et leurs familles. Une fois arrivé·es à un « checkpoint » quasiment sans vêtements, ils et elles se seraient vu attribuer un numéro : « Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. » Toutes et tous seraient restés parqués là une grande partie de la nuit.

Le directeur de l’hôpital Hussam Abou Safiya aurait été arrêté

La situation actuelle du directeur de l’hôpital, Hussam Abou Safiya, inquiète également. Le directeur du ministère de la santé à Gaza assure que ce dernier a été « violemment battu par les forces d’occupation » avant d’être arrêté. 

Un compte Instagram officiel au nom du médecin, qui n’est pas alimenté uniquement par lui, a pourtant partagé un message dans lequel il est écrit que « tout ce qui a été écrit sur l’arrestation du Dr Hussam Abou Safia est faux, Dieu merci il va bien, mais les moyens et réseaux de communication sont très mauvais ». Sans plus de précisions, ni de preuve de son état, il est impossible de savoir si la publication a bien été envoyée par le concerné ou un membre de son entourage.

Aux alentours de midi, le compte Instagram a par ailleurs partagé une nouvelle vidéo, celle du média d’Aljazeera360 qui mentionne en légende l’arrestation du directeur et diffuse des images d’un ancien reportage. 

Le docteur est devenu une figure très visible de la résistance palestinienne, de par son engagement auprès des blessé·es sur le terrain et les nombreux témoignages qu’il a livrés à la presse internationale ces derniers mois. Début novembre, il rapportait à Mediapart une situation « épouvantable » et « jamais vue », qu’il essayait de capturer dans de rares vidéos. « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire », avait-il témoigné. 

Malgré des tentatives de prise de contact par Mediapart ce samedi, le téléphone du directeur ne semble pas recevoir nos messages.

Depuis le 22 décembre, il exhortait la communauté internationale à agir « avant qu’il ne soit trop tard » : « Les bombardements n’ont pas cessé de la nuit, des maisons et des bâtiments ont été détruits à proximité. Depuis ce matin, l’hôpital est visé par des bombes lâchées par des drones, qui continuent de menacer nos réserves en carburant et en oxygène », pouvait-on lire dans un communiqué.

« L’armée israélienne nous a ordonné d’évacuer l’hôpital », avait-il aussi prévenu dans une vidéo diffusée le 8 octobre. « Elle nous a dit que l’hôpital Kamal-Adwan allait devenir le prochain hôpital Al-Shifa si on n’évacuait pas. » Al-Shifa était le plus grand hôpital de la bande de Gaza, qui a été entièrement détruit par Israël après une attaque en novembre 2023, puis un nouvel assaut en mars 2024. 

« Il n’y a qu’un seul hôpital qui fonctionne dans le nord de la bande de Gaza et c’est Kamal-Adwan. Il n’y a ni eau ni médicaments », rappelait le 5 novembre la journaliste palestinienne Hind Khoudary. Sur son compte X, elle a plusieurs fois fait état de « raids » des forces israéliennes qui ont « commencé à fouiller les différents secteurs » du centre hospitalier dès le 25 octobre. 

Israël vide le nord de Gaza de sa population 

La ville de Beit Lahia est située au nord de Gaza, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. Le territoire a été ciblé par de nombreuses frappes israéliennes ces derniers mois, qui s’intensifient depuis le mois d’octobre, dans le but de vider le nord de la bande de Gaza de sa population. Le 6 octobre, Tsahal a ordonné aux habitant·es d’« évacuer » la zone pour se rendre dans le Sud, pourtant tout aussi peu sécurisé.

Le 26 octobre, un pâté de maisons d’une zone résidentielle a ainsi été rasé, causant la mort d’au moins vingt-deux personnes, selon le ministère de la santé local. Le 29 octobre, une frappe israélienne « a touché un immeuble résidentiel et tué environ cent personnes », une attaque que la France a officiellement condamnée par voie de communiqué. Dans la nuit du 4 au 5 novembre, un immeuble appartenant à la famille al-Masry situé tout au nord de l’enclave a aussi été bombardé, tuant au moins vingt-cinq personnes, rapportait l’agence de presse palestinienne Wafa.

La guerre que mène Israël à Gaza depuis les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 a causé la mort d’au moins 45 000 Palestinien·nes. 

Début décembre, la plus importante ONG de défense des droits humains Amnesty International a rendu un rapport, affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza. « Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a expliqué sa secrétaire générale, Agnès Callamard, après neuf mois d’enquête.

Deux semaines plus tard, c’est une organisation, Human Rights Watch, qui a indiqué que « les autorités israéliennes sont responsables du crime contre l’humanité d’extermination, et d’actes de génocide ».

« Les autorités israéliennes ont délibérément créé des conditions de vie visant à causer la destruction d’une partie de la population de Gaza, en privant intentionnellement les civils palestiniens de l’enclave d’un accès adéquat à l’eau, ce qui a probablement causé des milliers de morts », peut-on lire dans le rapport, rédigé à partir d’entretiens avec plus d’une centaine de Palestinien·nes, professionnels de santé et employé·es d’agences des Nations unies et d’organisations internationales.

Enfin, Médecins sans frontières (MSF) a dénoncé la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliqué que ce que ses équipes médicales observent sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours »

Ces déclarations s’appuient sur un rapport intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.


 

   mise en ligne le 26 décembre 2024

Chômage : François Bayrou valide en catimini une baisse des droits des séniors et des saisonniers

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Au titre des affaires courantes, François Bayrou a validé ce vendredi 20 décembre les nouvelles règles de l’assurance-chômage, qui entreront en vigueur au 1er avril 2025. Elles prévoient une baisse des droits pour les séniors, et ne facilitent finalement pas l’indemnisation des saisonniers.

Malgré l’absence de gouvernement, la nouvelle convention d’assurance-chômage a tout de même été validée. Ce vendredi 20 décembre, un arrêté validant les nouvelles règles d’indemnisation des privés d’emploi a été publié au journal officiel, avalisant le résultat des négociations entre patronat et syndicats, qui s’étaient achevées en novembre dernier par une signature de toutes les parties sauf la CGT, en y apportant toutefois quelques modifications.

L’arrêté gouvernemental prévoit ainsi de relever les bornes d’âge qui permettent aux chômeurs de bénéficier d’une indemnisation plus longue, s’attaquant durement aux droits des privés d’emploi seniors. Aujourd’hui établies à 53 et 55 ans, celles-ci passeront au 1er avril 2025 à 55 et 57 ans. Une mesure particulièrement délétère, estime la CGT dans un communiqué : « Ce sont 15 000 personnes par mois en moyenne qui sortiraient de l’indemnisation en atteignant plus tôt la fin de droits sans avoir retrouvé de travail ».

Deuxième coup dur pour les seniors : l’arrêté prévoit également de relever l’âge de maintien de l’indemnisation jusqu’à l’obtention des trimestres nécessaires pour un départ à la retraite à 64 ans. « Cela ferait basculer dans les minima sociaux ou l’absence de revenus 34 000 personnes par an sur 45 000 entrants actuellement dans le dispositif ! », comptabilise la CGT.

Une meilleure indemnisation des saisonniers abandonnée

Une mesure, décriée notamment par la CGT, a toutefois été abandonnée dans l’arrêté gouvernemental. Le texte ne fait en effet pas mention de la réduction des indemnités des travailleurs frontaliers. L’accord, signé par le patronat et les syndicats, à l’exception de la CGT, prévoyait en effet de retenir les salaires perçus à l’étranger, en moyenne plus élevés qu’en France, pour calculer le montant des indemnités.

Une seconde mesure, mieux-disante pour les privés d’emploi, n’a pas non plus été conservée dans l’arrêté gouvernemental. L’accord prévoyait initialement un abaissement du seuil d’ouverture des droits de six à cinq mois pour les travailleurs saisonniers et primo-accédants à l’emploi. Il n’en sera finalement rien.


 

    mise en ligne le 25 décembre 2024

Appel à la protection du système de santé de Gaza

https://blogs.mediapart.fr/

Déclaration des réseaux de santé mentale de Palestine et de Médecins contre le génocide : « L'humanité ne doit pas détourner le regard ».

Les réseaux palestiniens de santé mentale et Médecins contre le génocide se joignent au Dr Hussam Abu Safiya, directeur de l'hôpital Kamal Adwan, pour demander à la communauté internationale  : ne restez pas silencieux face à la destruction systématique du système de santé de Gaza. Les attaques incessantes contre l'hôpital Kamal Adwan - un sanctuaire destiné à sauver des vies dans le nord de Gaza - font partie d'une campagne génocidaire délibérée. Ces attaques contre les hôpitaux et les cliniques, des lieux destinés à soigner et à abriter, ne sont pas des accidents de guerre ; ce sont les calculs froids de ceux qui voudraient voir un peuple entier disparaître.

Depuis quinze mois, les hôpitaux et les cliniques de Gaza sont transformés en scènes de crime. Les frappes aériennes détruisent les salles d'opération en plein milieu d'une intervention chirurgicale. Les enfants suffoquent lorsque les conduites d'oxygène sont coupées. Les parents cherchent leurs proches dans les décombres tandis que les médecins restent impuissants, leurs gants de chirurgie inutilisés et le cœur lourd. Il ne s'agit pas de « sous-produits tragiques », mais de crimes intentionnels contre l'humanité.Ils réduisent à néant la promesse du droit humanitaire international, en réduisant les Conventions de Genève à des mots creux.


Le monde regarde le système de santé de Gaza s'effondrer sous le siège et les bombardements. Les fournitures médicales sont bloquées aux frontières. Les ambulances n'ont pas le droit d'atteindre les blessés. Les outils les plus simples pour sauver des vies sont retenus. Il ne s'agit pas d'une simple négligence, mais d'une stratégie brutale d'attrition, qui prive un peuple de sa capacité à vivre, à guérir et à résister. Les conséquences psychologiques sont incommensurables. Imaginez la terreur dans les yeux d'un enfant lorsque les bombes tombent à nouveau, le désespoir dans la voix d'un chirurgien contraint de refuser un patient qui saigne. Les familles enterrent leurs enfants en silence, leurs cris étouffés par l'indifférence internationale.

Nous nous faisons l'écho de l'appel urgent et angoissé de l'hôpital Kamal Adwan :


1. Ouvrir un couloir humanitaire maintenant. Laissez les médicaments, le matériel chirurgical et les ambulances atteindre ceux qui meurent faute de recevoir les soins les plus élémentaires.

2. Protéger immédiatement les établissements et le personnel de santé. Exiger de la communauté internationale qu'elle applique les lois destinées à protéger les espaces et le personnel médicaux.

3. Mettre fin au blocus de Gaza. Ce siège, qui dure depuis des décennies, a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert où même la survie est considérée comme un privilège et non comme un droit.

L'humanité ne peut pas faire semblant de ne pas voir.

La neutralité face à un génocide est une complicité. Chaque bombe qui frappe l'hôpital Kamal Adwan, chaque infirmière forcée de voir un enfant disparaître, chaque vie perdue à cause d'un traitement refusé nous met tous en accusation.
Le monde nous regarde. Va-t-il une fois de plus assister sans rien faire à l'effondrement d'un autre hôpital, à l'étouffement  d'un autre enfant, à l'extinction d'un autre espoir fragile ? Ou se lèvera-t-il enfin pour rétablir le caractère sacré de la vie et le droit universel à la santé ?

 

Passez à l'action !

    Signez cette pétition urgente concernant « Pas un autre hôpital ». https://ujoin.co/campaigns/3307/actions/public?action_id=4319

    Signez la pétition « No Child A Target-Internationa » https://ujoin.co/campaigns/3351/actions/public?action_id=4410

    Écrivez à vos représentant·es, suivez ce lien https://ujoin.co/campaigns/3331/actions/public?action_id=4369

    Partagez cet article avec au moins 10 personnes de votre réseau.

En solidarité et avec une profonde tristesse,


 

Médecins contre le génocide

The Palestine Mental Health Networks
(Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Chili, Egypte, Etats-Unis, France, Irak, Irlande, Jordanie, Liban, Palestine, Royaume-Uni, Suède, Turquie)

Source : https://mondoweiss.net/2024/12/humanity-must-not-look-away-a-call-to-protect-gazas-healthcare-system/


 


 

Kamal Adwan : l’innommable se déroule sous nos yeux,
nous ne devons pas laisser faire

https://blogs.mediapart.fr/

Le 21 décembre, le docteur Hussam Abu Safia de l’hôpital Kamal Adwan dans le nord de la bande de Gaza lançait un appel de détresse : « les patients et nous sommes en train de mourir de faim ».

Le ministère de la santé de Gaza confirmait : « l’occupant a lancé une attaque généralisée contre l’hôpital Kamal Adwan. Il exige une évacuation immédiate. Il menace les vies de 80 malades. Il a lancé un ultimatum alors que cet hôpital est le seul à pouvoir encore apporter des soins dans le nord de la bande de Gaza. »

Des robots et des drones assiègent l’hôpital. Un appel à l’aide a été lancé à l’OMS et à l’UNRWA. « Un départ des malades, c’est leur mort assurée. »

Il n’y a pas de caméras sur place. Le contact a été perdu avec l’équipe médicale. Les forces d’occupation empêchent l’arrivée de tout secours.


 

L’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) lance un appel.

Faites connaître ces atrocités.

Mobilisez les médias, les associations, les politiques.

Il est inimaginable que ces crimes continuent de se dérouler sans qu’on puisse les arrêter.

Sauvons l’hôpital Kamal Adwan.
 

La Coordination nationale de l’UJFP, le 22 décembre 2024


 

     mise en ligne le 24 décembre 2024

« Nos conditions de travail ne cessent de se dégrader » : les salariés d’Acna en grève illimitée contre le nettoyage à marche forcée des avions d’Air France

Pauline Achard sur www.humanite.fr

Les salariés de l’entreprise de nettoyage, sous-traitante d’Air France, dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail. La journée la plus importante de leur mobilisation, lundi 23 décembre, laisse présager une fin d’année sous le signe de la colère.

En grève illimitée depuis le 12 décembre, une bonne centaine de salariés de la société de nettoyage Acna (Armement, cabine, nettoyage, avion), filiale de Servair et sous-traitante d’Air France, s’apprête à passer les fêtes sur le piquet.

Des représentants syndicaux de la CGT, de la CFDT, de SUD mais aussi la députée FI Julie Garnier et d’autres soutiens venus en nombre, se sont réunis lundi 23 décembre, entre 8 heures 30 et 10 heures 30, devant le siège, au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), pour la plus grande journée de débrayage en presque deux semaines de mobilisation. Chaque matin, les grévistes cessent le travail deux heures, avant de réitérer le soir, puis de terminer par un ultime arrêt entre 22 heures 30 et minuit et demi.

4 avions à nettoyer par jour

La fronde des salariés prend ancrage en 2018, lorsque Acna adopte un « accord de performance collective », sous couvert de problèmes financiers. « Depuis, nos conditions de travail ne cessent de se dégrader », soupire Salif, délégué CGT à Roissy. Le texte acte notamment la fin des week-ends prolongés, mis en place pour compenser la pénibilité des tâches qui leur incombent. Il souligne : « Monter et descendre des marches, devoir rester penché, s’accroupir… C’est extrêmement fatigant comme travail, surtout lorsque l’on vieillit. »

Déjà chargés de nettoyer quatre avions par jour à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, sur des vacations de 7 heures et 8 minutes, les salariés sont vent debout contre une nouvelle proposition d’aménagement du temps de travail présentée par la direction en avril, dans le cadre de négociations portant sur les précédents accords.

En échange de concessions, il s’agirait d’astreindre les employés à des journées dépassant les 8 heures, durant lesquelles ceux-ci devraient nettoyer cinq appareils, soit un de plus. « Cela implique une nouvelle augmentation de rendement, faisant suite à – entre autres – une fusion des services de nettoyage et d’armement ayant déjà intensifié notre polyvalence », note le cégétiste, Salif.

Répression de la lutte

Si les représentants syndicaux estiment avoir lancé un mouvement dans les clous, en remettant le 9 décembre un préavis de grève, listant la centaine de personnes souhaitant y prendre part, pour un premier débrayage quarante-huit heures plus tard, soit le 11 décembre, ce n’est pas l’avis de la direction.

Celle-ci a immédiatement fait parvenir des courriers à une centaine de salariés les convoquant à un entretien préalable en vue d’une « éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », invoquant une mobilisation « frauduleuse » dans une communication interne. Après que l’inspection du travail a estimé, dans un avis remis à la société le 20 décembre, que cette grève était réglementaire, la hiérarchie a finalement suspendu les convocations, souhaitant plutôt lancer une procédure judiciaire.

Dans cette même note, la direction souhaite que les « auteurs soient identifiés et leur responsabilité engagée à hauteur des lourds préjudices financiers et d’image subis par l’Acna ». Le délégué syndical CGT de Roissy CDG, Ghannouchi, n’a pas l’intention de baisser les bras face à ce qu’il qualifie de « répression de la lutte ».


 

    mise en ligne le 23 décembre 2024

RSA conditionné : avant sa généralisation, le non-recours progresse dans les territoires pilotes

sur https://rapportsdeforce.fr/

A partir du 1er janvier, les expérimentations du RSA conditionné à 15 à 20 d’activités doivent se généraliser à l’ensemble du pays. D’abord testées dans des territoires de 18, puis 47 départements, ces expérimentations révèlent des mises en œuvre bien différentes d’une localité à l’autre. Pour les bénéficiaires, le plus grand flou persiste.

« Le compte à rebours commence en janvier », avertit Florent Lefebvre, représentant de la CFDT Emploi. En 2025, entre en vigueur la loi pour le plein emploi, adoptée le 18 décembre 2023, dont l’application avait été repoussée d’un an. Plus de 1,5 million de personnes « privées d’emploi » seront automatiquement inscrites à France Travail, qui entend coordonner l’ensemble des organismes d’insertion sociale. 200 000 jeunes suivis par les missions locales devraient ainsi basculer vers France Travail ainsi que les dizaines de milliers de personnes en situation de handicap accompagnées par Cap Emploi. Et surtout, les 1,3 million de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), ainsi que leurs conjoints, l’allocation dépendant du revenu du couple (565 euros pour une personne seule, 848 euros si les deux conjoints sont au RSA).

Ce « compte à rebours » risque d’être celui d’une véritable bombe sociale à retardement. Pour les personnes sans emploi comme pour les agents de France Travail. « On bourre la machine à marche forcée jusqu’à ce que ça craque », estime Florent Lefebvre. À moins de quinze jours de l’échéance, les conseillers de France Travail se demandent bien comment ils vont pouvoir gérer cet afflux massif d’un nouveau public en insertion. Bénéficieront-ils de moyens supplémentaires pour les accompagner ? « C’est le flou artistique », résume le syndicaliste, également élu au Comité social et économique (CSE) de France Travail. Les agents savent simplement qu’ils devront faire avec moins d’effectifs : 500 emplois équivalents temps plein devaient être supprimés par le projet de finance 2025. France Travail prévoit « d’économiser » l’équivalent de près de 3000 postes d’ici 2027.

Plus de contrôles des chômeurs, moins d’agents

« On ne sait pas ce qui va nous tomber dessus », craint Agnès Aoudai. De son agence parisienne pourtant peu encline à la contestation, la conseillère entreprise, syndiquée à la FSU, « sent monter le ras-bol ». « Ça va exploser ! » lâche-t-elle. Le 5 décembre dernier, la plupart de ses collègues se sont mis en grève pour demander de meilleurs salaires et plus de moyens, contraignant le directeur à tenir l’accueil lui-même. Fait notable, le mouvement a été plutôt suivi.

« Les conseillers font moins d’accompagnements que de contrôles », déplore Agnès Aoudai. France Travail prévoit de tripler les contrôles annuels de recherche d’emploi : de 500 000 jusqu’à 1,5 million en 2027 ! Insultes, menaces, agressions, « chaque nouvelle réforme s’est manifestée par une hausse des conflits avec les usagers », constate Lakhdar Ramdani, de la CGT Pôle Emploi Bretagne. De l’avis de nos interlocuteurs, « France Travail est le réceptacle de la détresse sociale » subie par les agents de l’autre côté du guichet. Résultat : le mal-être se répand dans les agences, avec pour manifestation la hausse des arrêts maladie, des burn-out et le risque de décompensation psychique… En mars dernier, un manager d’une agence en Occitanie a mis fin à ses jours. 

RSA conditionné : 15 à 20 heures d’activité obligatoires

Du côté des bénéficiaires du RSA, l’inquiétude grandit également. Au RSA depuis plus de dix ans, ValK (c’est un pseudo) appréhende aussi son basculement vers France Travail. À 54 ans, cette ancienne intermittente du spectacle a « les genoux HS ». Reconnue travailleuse handicapée en 2004, elle ne l’est plus malgré ses demandes. Elle attend donc de savoir quel pré-diagnostic, l’algorithme de France Travail établira à partir de ses données personnelles. En fonction des « freins sociaux » – difficultés de mobilité, d’accès au logement, à la garde d’enfants ou aux soins – identifiés par la plateforme, ValK sera orientée vers l’un des trois parcours : emploi, socio-professionnel ou social. Elle signera ensuite un « contrat d’engagement réciproque » qui déterminera son plan d’accompagnement personnalisé.

« Je vais devoir leur demander leur diplôme médical pour qu’ils jugent de mon état de santé », s’agace cette photographe amatrice. ValK appréhende surtout la mesure phare de la loi : devoir exercer au minimum 15 heures d’activité hebdomadaires, sous peine de voir tout ou partie de son RSA suspendu. Une mesure qui, à terme, pourrait s’étendre à l’ensemble des demandeurs d’emploi. « Si je bosse en présentiel je tue ma santé, même prendre le bus m’est compliqué. »

Ce RSA conditionné aux 15 heures d’activité a été expérimenté par dix-huit départements volontaires depuis le printemps 2023, puis par 29 départements supplémentaires en mars 2024. Les évaluations de la réforme sont très mitigées en matière de retour à l’emploi. Plusieurs territoires pilotes affichent ainsi, comme à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), un nombre d’allocataires en baisse. Sans qu’on ne sache à quoi correspondent ces sorties des statistiques, s’il s’agit de non-recours au RSA ou d’un retour à l’emploi.

Un saut dans l’inconnu pour les bénéficiaires du RSA

L’évaluation de novembre, demandée par le ministère du Travail et portant sur seulement huit territoires, relève que « l’accompagnement rénové a des effets globalement positifs sur les allocataires, en renforçant leur confiance et leur capacité d’action ». Affichant, tous parcours confondus, un taux de « présence en emploi six mois après l’entrée en parcours […] de 28,6 % » des personnes aux RSA – soit une personne au RSA sur quatre. Sans que l’on sache de quel type d’emploi il s’agit : si la personne travaille comme intérimaire pour quelques semaines, s’il s’agit d’un CDD de quelques mois ou d’un CDI. À Givors, près de Lyon, où un autre dispositif d’accompagnement sans conditions ni sanctions a été mis en place, un allocataire sur trois était en emploi après six mois…

Mais un autre effet commence à être documenté : un « décrochage » dû à la multiplication des démarches administratives et à la peur des contrôles. Le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % en un an dans les zones qui expérimentent la réforme, selon un rapport du Secours Catholique, alors qu’ailleurs ce taux de non-recours recule très légèrement.

Le Conseil départemental du Nord, géré par la droite, a expérimenté la réforme de manière zélée. En cas d’absence à un rendez-vous, un allocataire voit 80 % de son RSA suspendu. Pour « retrouver la dignité et le chemin du travail », des « coachs emploi » assurent au sein des « Maisons du Nord emploi » le suivi intensif de 3000 allocataires. « L’accompagnement social est un travail au long cours qui doit s’adapter à la capacité d’émancipation de la personne. Notre boulot n’est pas de mettre immédiatement les gens en entreprise », estime Olivier Treneul, délégué syndical Sud au département. « C’est un dévoiement des missions de service public. » Résultat de cette chasse aux précaires : plus de 12 000 suspensions de droits sur environ 100 000 allocataires, selon France 3. Des gens sanctionnés disparaissent des radars, d’autres perdent leur logement, et sombrent dans l’exclusion, constate le syndicaliste, obligeant certains de ses collègues à faire du « travail de rue » dans l’espoir de les repêcher.

Cette marche forcée au prétexte de « remobiliser les personnes les plus éloignées de l’emploi, risque de priver les personnes les plus vulnérables du droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », s’inquiétait en juillet 2023 le défenseur des droits, s’appuyant sur le droit inaliénable prévu par l’article 11 de la Constitution. L’inflation de tracasseries administratives pourrait même entraver un retour durable vers une activité rémunérée.

« On vit déjà dans l’angoisse des contrôles »

« On veut nous occuper et nous inquiéter, mais on vit déjà dans l’angoisse des contrôles », estime ValK dont le dossier a déjà été bloqué à cause d’un document manquant. « J’ai vécu 17 mois sans revenu… j’ai envisagé de me suicider », confie-t-elle. « Il faut voir l’état dans lequel j’étais, je pleurais dès que j’appelais la Caf. » Elle a tenu le coup grâce à une cagnotte de soutien – considérée par l’administration comme des revenus – avant de remonter la pente, une fois son dossier débloqué.

La réforme vise donc à occuper les allocataires du RSA tant qu’ils et elles ne retrouvent pas un travail, quel qu’il soit. Mais comment ? De ce que laisse entrevoir la communication gouvernementale et les quelques retours d’expériences, il s’agirait de multiplier les démarches de recherche d’emploi, de participer à des ateliers de rédaction de CV ou de « coaching », de suivre des stages, des formations ou des cours de langues… Voire de l’obtention du permis de conduire ou de rendez-vous médicaux. Les témoignages de personnes ayant expérimenté le RSA conditionné soulignent la difficulté des déplacements, leur coût non défrayé ou le temps passé à justifier de leurs activités. « Qu’ils nous payent ces heures passées à quantifier nos démarches », raille ValK. La comptabilisation de ces heures s’avère « particulièrement lourde » également pour les conseillers, relate l’évaluation rendue au ministère du Travail. Et reconnaît qu’en l’état, prendre une sanction à partir des données actuelles présenterait « des risques importants d’erreur et d’inégalité de traitement ».

D’autant que la plupart des personnes touchant les minimas sociaux s’adonnent déjà d’elles-mêmes dans leur vie quotidienne à un « boulot de dingue », dont le Secours Catholique dévoilait l’étendue dans son rapport du même nom. « Je donne plein de coups de main… à mon rythme. Là je me suis gavée d’antidouleurs pour pouvoir réparer la porte de l’immeuble, je devrais le déclarer ? » illustre ValK. Et quid des auto-entrepreneurs ou des agriculteurs qui cumulent souvent activités laborieuses et RSA ?


 

     mise en ligne le 22 décembre 2024

Ukraine-Russie :
vers des négociations, enfin ?

Par Francis Wurtz, député honoraire du parlement européen sur www.humanite.fr

Les négociations de paix en Ukraine « commenceront peut-être en hiver cette année » ! C’est le premier ministre polonais, Donald Tusk, le plus proche allié de Kiev – et futur président du Conseil européen durant le premier semestre 2025 – qui l’a annoncé le 10 décembre dernier. Poutine, de son côté, affirme que « si un souhait de négocier émerge, nous ne refuserons pas ». C’est encourageant, même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Ainsi, le président Zelensky a accompagné son accord pour un cessez-le-feu de l’exigence de voir « placer sous le parapluie de l’Otan le territoire ukrainien que nous contrôlons ». Or, de son côté, Vladimir Poutine conditionne d’éventuels pourparlers au fait que ceux-ci se fondent « sur les documents sur lesquels on s’était entendus à Istanbul » au printemps 2022. De quel compromis russo-ukrainien s’agit-il ? Selon le quotidien allemand « Die Welt », il s’agirait d’un projet d’accord établi le 15 avril 2022 entre les deux belligérants, prévoyant, à l’époque, notamment… « une neutralité permanente » de l’Ukraine (1) .

L’autre enjeu crucial d’une telle négociation est naturellement le statut futur des territoires occupés par l’armée russe : le Donbass, voire la Crimée, reviendront-ils sous souveraineté ukrainienne ? Le réalisme de cette perspective divise désormais le « camp occidental ». Si Zelensky dit, aujourd’hui, penser pouvoir recouvrer la souveraineté ukrainienne de tous ces territoires « par la voie diplomatique », ses alliés semblent beaucoup plus dubitatifs. « On peut espérer que Trump refusera de se ranger aux exigences de Poutine (…). Mais il faut se confronter au réel », estime, par exemple, un collectif d’anciens diplomates français (2). Sous-entendu : l’Ukraine ne récupérera pas les territoires conquis par Moscou.

Une telle issue n’était pas fatale ! Il faut le répéter pour contribuer à tirer les bonnes leçons de l’épouvantable tragédie que représente cette guerre : une solution politique conforme au droit international était possible il y a plus de deux ans. Et aurait épargné des dizaines de milliers de victimes. Le chef d’état-major général des armées des États-Unis de l’époque, le général Mark Milley en personne, déclarait le 16 novembre 2022 : « La probabilité d’une victoire militaire ukrainienne, consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine (…) n’est pas élevée. » En revanche, « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent : c’est possible ! » (3). Le plus haut gradé des militaires américains prenait ainsi le contrepied du chef du Pentagone, le général Austin, dur parmi les durs, qui, quelques mois auparavant, lors d’une visite éclair à Kiev, avait défendu le principe de l’escalade militaire : « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements et le bon soutien », avait-il lancé, ajoutant : « Nous voulons voir la Russie affaiblie. » (4). Joe Biden optera pour la ligne dure, les dirigeants européens également, certains même avec zèle !

Ainsi a-t-on appris que, dès le 15 avril 2022, après les premiers pourparlers russo-ukrainiens évoqués plus haut, qui visaient précisément à avancer sur la voie d’une solution politique, l’aile dure des dirigeants européens s’était mise en branle. Aux dires de Poutine, le premier ministre britannique, Boris Johnson, se précipita à Kiev pour pousser l’exécutif ukrainien à refuser cette voie, au profit de la recherche d’une victoire militaire. Johnson a démenti cet épisode embarrassant, mais… le chef de la délégation ukrainienne, Davyd Arakhamia, l’a confirmé (5). Même si cela ne change rien à la responsabilité russe dans l’agression contre l’Ukraine, il faudra, le moment venu, approfondir la réflexion sur tous les enchaînements qui ont marqué et marquent encore le désastre de cette guerre. Dans l’immédiat, rien ne doit compromettre le cessez-le-feu espéré.

Notes :

(1) « Die Welt » (mai 2024)

(2) Tribune « Guerre en Ukraine : l’affrontement sanglant doit prendre fin » (« le Monde », 9 décembre 2024)

(3) « Ouest-France », 20 novembre 2022

(4) « L’Orient-le Jour », 25 avril 2022

(5) Conférence de presse de Davyd Arakhamia, novembre 2023

    mise en ligne le 21 décembre 2024

L’interdiction mondiale d’une substance toxique est menacée par le lobbying de l’industrie chimique

Cédric Vallet sur www.mediapart.fr

La Commission européenne veut faire interdire, à l’échelle planétaire, l’utilisation de siloxanes, substances chimiques toxiques et persistantes, dans des produits de consommation. Des documents, consultés par Mediapart, montrent l’ampleur de la contre-offensive de l’industrie.

« Cefic et Dow entreprennent une intense campagne de lobbying. » Dans un courriel daté du 14 septembre 2023, un haut fonctionnaire de la Commission européenne, rattaché à la direction générale de l’environnement, alerte ses supérieurs hiérarchiques. Cela fait des mois que des fonctionnaires à Bruxelles préparent un dossier très sensible. Ils voudraient restreindre, au niveau mondial, la production et l’utilisation de substances chimiques toxiques, les siloxanes.

La « DG environnement », aiguillée par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), veut sortir la grosse artillerie, en ajoutant ces composés sur la liste de la « convention de Stockholm », dont l’objectif est d’éliminer à l’échelle planétaire les « polluants persistants organiques » (POP), du nom de ces substances qui ne se dégradent pas, qui se déplacent sur de longues distances et s’accumulent jusqu’à en devenir toxiques pour l’environnement.

« Avec la convention de Stockholm, on peut changer le monde et véritablement réduire les émissions de siloxanes », veut encore croire une source européenne. C’est compter sans l’offensive tous azimuts de l’industrie chimique, qui orchestre, depuis bientôt deux ans, une contre-attaque de haute intensité.

Celle-ci est menée depuis Bruxelles par l’organisation professionnelle du secteur, le Cefic, et le géant américain de l’industrie chimique, Dow, comme le confirmait le courriel du 14 septembre : « Dow rencontrera notre cabinet cette semaine et il semble qu’ils sont en contact avec beaucoup d’autres. »

Matières plastiques cruciales

Cette correspondance interne à la Commission européenne, récupérée par l’ONG Corporate Europe Observatory et consultée par Mediapart, n’est qu’un élément d’une bataille qui se mène de Bruxelles jusqu’aux confins du monde, dans les stations scientifiques de l’Antarctique.

Si l’industrie est si inquiète, c’est qu’elle utilise ces composés dans d’innombrables produits de consommation. Les siloxanes sont partout, mais surtout dans les cosmétiques, car ils sont appréciés pour leur fonction émolliente dans des shampoings, crèmes, savons, eye-liners, lingettes, produits antipoux. Ces matières plastiques sont aussi cruciales à l’industrie de la défense et de la transition énergétique.

Une fois utilisées, ces substances se répandent par centaines de tonnes dans l’environnement. Elles s’échappent dans les eaux usées, et surtout dans l’air. Les siloxanes sont toxiques dans les écosystèmes aquatiques. Ils sont de potentiels perturbateurs endocriniens et des études évoquent de possibles effets carcinogènes.

Pour contenir ces effets néfastes, l’Union européenne les a classés, en 2018, comme « substances extrêmement préoccupantes », ce que l’industrie avait contesté devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’UE a ensuite interdit leur mise sur le marché en adoptant deux « restrictions », la dernière en 2024, afin de pousser les producteurs vers les alternatives existantes.

Semer le doute et créer la division

Les documents consultés par Mediapart montrent que le Cefic, par l’intermédiaire de Silicones Europe, une de ses branches, et Dow, l’entreprise américaine, ont envoyé de multiples courriers aux autorités et obtenu de nombreux rendez-vous auprès de fonctionnaires, de membres de cabinets, ou encore de l’Echa, de janvier 2023 à juin 2024. L’industrie a fait appel à un cabinet d’avocats américain, Beveridge and Diamond, pour contester l’inscription sur la liste (la « nomination ») et affûter ses arguments.

Officiellement, le secteur craint que le long processus d’inscription des siloxanes sur la liste des POP échappe à l’Union européenne. La convention de Stockholm est un instrument de droit international, auquel adhèrent 186 États parties. Si l’Union européenne propose formellement d’ajouter les siloxanes sur la liste des substances les plus problématiques pour la planète, les POP, une période d’analyse et de négociations multilatérales va s’ouvrir.

Une étude en Antarctique financée par l’industrie

Pour lister une substance comme « POP », la convention de Stockholm exige de démontrer que ces composés chimiques se déplacent sur de longues distances et peuvent atteindre des zones reculées. Car les siloxanes sont volatils, ils s’échappent dans l’air. Mais se déposent-ils ensuite dans les sols et sédiments, là où ils ne sont plus biodégradables, et en quelles quantités ? Pour l’Echa, les preuves de ce transport longue distance sont suffisamment solides. On retrouve du siloxane en Arctique et en Antarctique. Mais les données récoltées en Antarctique, dans le cadre d’une recherche scientifique publiée en 2015, sont soumises à une controverse entre spécialistes.

C’est dans cette brèche que l’industrie s’engouffre. Elle veut démontrer que le siloxane présent dans les airs ne se dépose qu’en infimes quantités et que les chiffres de 2015 sont liés à des pollutions locales. Le Cefic a donc lancé une grande étude en Antarctique, autour de trois stations scientifiques. « Pour parvenir à ses fins, l’industrie conteste la science et les conclusions de l’Echa », pointe Karolína Brabcová, de l’ONG Arnika. Le 13 juin 2023, les scientifiques de l’Echa, lors d’une réunion d’un groupe d’experts, ont pointé des problèmes méthodologiques dans l’étude de l’industrie, dont les résultats sont attendus au deuxième trimestre de 2025.

Les contours précis de l’interdiction des siloxanes et les éventuelles dérogations à cette interdiction seront d’abord discutés par un groupe d’expert·es émanant de la convention de Stockholm, puis adoptés, en général par consensus, par les 186 États parties.

Dans plusieurs documents du secteur, l’industrie dit craindre que ces négociations aboutissent à l’élimination pure et simple de la substance pour tous ses usages, et pas seulement pour les cosmétiques. Ainsi, les dérogations dont elle bénéficie au sein de l’Union européenne – qui permettent d’utiliser les siloxanes pour la fabrication de silicones, hautement stratégiques – pourraient n’être pas accordées dans le cadre de la convention de Stockholm, fait valoir l’industrie.

Pour le Cefic, contacté par Mediapart, « une nomination pourrait engendrer des impacts négatifs sur le transport, la production et l’utilisation des polymères de silicone », cruciaux dans la transition énergétique. Dans différents documents, obtenus par Mediapart, la Commission rétorque pourtant que les autres États parties n’auront aucune raison de ne pas soutenir les mêmes exemptions « pour des polymères de silicone qui leur sont aussi essentiels ».

Des fonctionnaires sensibles aux arguments de l’industrie

La perspective d’une vaste interdiction des siloxanes a poussé l’industrie à déclencher de multiples contrefeux. Le Cefic, via Silicones Europe, a ainsi réclamé qu’une étude d’impact soit lancée par la Commission européenne, alors même que l’évaluation socioéconomique d’une nomination n’est pas nécessaire, selon la convention de Stockholm.

L’industrie a donc confié à Ricardo, une entreprise de consulting en affaires publiques, le soin de rédiger une étude d’impact « made in industry ». Le 15 juillet 2024, une réunion s’est tenue à Bruxelles entre fonctionnaires et représentants de l’industrie. Au sein de la Commission européenne, des voix s’élevaient alors pour déplorer le manque de transparence d’une étude qui se limite à récolter l’opinion des entreprises.

L’attitude de la DG environnement ne suscite pas l’adhésion de tout l’exécutif européen. La Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entreprenariat et des PME, surnommée la « DG Grow », est plutôt sensible aux arguments des multinationales, quitte à reprendre leur argumentaire, presque mot pour mot. Dans une note interne, la DG Grow exprime ses inquiétudes quant à la nomination des siloxanes. L’étude commanditée par le Cefic y est considérée par ces fonctionnaires comme une utile contribution indépendante.

La DG Grow dresse ensuite la liste de ses réserves, qui ressemblent à s’y méprendre aux courriers de l’industrie. Pour ces fonctionnaires, les preuves scientifiques sont insuffisantes pour une nomination des siloxanes en tant que POP, malgré le travail poussé des scientifiques de l’Echa. La direction générale embrasse la crainte de l’industrie concernant un processus imprévisible aux conséquences potentiellement néfastes sur les usages industriels des siloxanes et, par ricochet, des silicones.

Entre les deux DG, le torchon brûle. Pour faire avancer le dossier, l’exécutif doit procéder à une « consultation interservice », où toutes les « directions générales » sont sondées. La DG Grow a émis une opinion négative. Depuis, le processus semble à l’arrêt. Alors que la Commission comptait soumettre une proposition au Conseil de l’UE en 2024, on parle désormais du deuxième trimestre 2025, ce qui coïncide avec la publication de l’étude du Cefic.

Ensuite, si l’Union européenne propose formellement d’intégrer les siloxanes dans la liste des POP, c’est un organe d’experts émanant de la convention de Stockholm qui se saisira du dossier et proposera, le cas échéant, aux 186 États parties d’interdire la substance. Pour « changer le monde », il faudra donc être très patient.


 

     mise en ligne le 20 décembre 2024

Mayotte : un élan de solidarité populaire pour venir en aide à l’archipel

Par Christiane Oyewo sur https://www.bondyblog.fr/

Moins d’une semaine après le passage du cyclone Chido qui a fait de nombreuses pertes matérielles et humaines à Mayotte, anonymes et professionnels s'organisent dans toute la France pour leur venir en aide. En Île-de-France, l’un des points de collecte se trouve dans un restaurant Comorien du 20ᵉ arrondissement de Paris.

Rennes, Marseille, Carcassonne ou encore Lyon, autant de villes dans lesquelles la population se mobilise pour venir en aide à Mayotte. En Île-de-France, l’un des rendez-vous a été donné dans le restaurant comorien Wusipi de Paris, dans le 20ᵉ arrondissement. C’est entre les tables et entouré de l’odeur de plats qui sortent de la cuisine que des personnes viennent déposer denrées alimentaires non périssables, bouteilles d’eau, vêtements, ou encore produits d’hygiène. Depuis mardi 17 décembre et jusqu’au samedi 21 décembre, le restaurant organise une collecte de dons.

Nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider

Pour Achiraffi Ghalil gérant du restaurant, face à cette catastrophe, venir en aide d’une quelconque façon était une évidence. « C’est une question de fraternité humaine », explique-t-il. Avant de préciser que tous les Comoriens ont de la famille à Mayotte. « On est comorien, ce sont nos frères ! » Un sentiment que partage Albechir, venu l’aider bénévolement avec la collecte aujourd’hui. « C’est important pour moi d’être là aujourd’hui, parce que Mayotte fait partie des Comores, ce sont nos frères et nos sœurs », abonde-t-il. Pour lui qui est né et a grandi aux Comores, plus que de la solidarité, « nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider. » 

Une participation importante pour les collectes de denrées

24 heures après le début de la collecte, le fond de la salle est déjà rempli avec les dons qui arrivent au fil de la journée. Beaucoup ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux, notamment Hafath et Saïd qui viennent déposer plusieurs sacs en famille. Hafath a entendu parler de la collecte sur Snapchat grâce à une amie qui l’a partagée. D’origine mahoraise et comorienne, si elle ne peut pas se rendre sur place, elle tient à aider son île comme elle le peut. Tout comme Saïd, qui a eu des nouvelles de leur famille récemment et se réjouit de ces collectes. « Pour le moment, la famille va bien, mais les dégâts sont une tragédie. Du coup, on a amené tout le nécessaire pour tout le monde. » Et effectivement, à l’intérieur des sacs, on trouve de la nourriture, des couches, du savon, du dentifrice…

Une tragédie dont nous ne connaissons pas la réelle ampleur compte tenu du réseau qui a été lourdement impacté. Sans compter la nourriture du restaurant, c’est aussi ce manque d’information et de moyen de communication qui a poussé Félicie à venir. « Vu ce qu’on voit comme images et le peu d’images qu’on voit, il faut aider ! Je me suis dit” prends la route et vas-y !” ».

Des dons d’argents défiscalisés davantage pour inciter à donner

En plus des vêtements, chaussures pour hommes, femmes et enfants, elle a aussi fait un petit don à la Fondation de France. Concernant les dons, le gouvernement a annoncé une réduction d’impôt de 75 % (au lieu de 66 % habituellement) pour les dons et versements effectués du 17 décembre 2024 au 17 mai 2025. Cette mesure concerne les dons, dans la limite de 1 000 euros, « au profit des associations et des fondations reconnues d’utilité publique œuvrant sur place ».

De son côté, le gérant du restaurant tient à préciser qu’il n’accepte pas d’argent : « On a eu des propositions, mais je refuse ». Il redirige alors les personnes vers des structures qui font des collectes d’argent comme la Croix-Rouge ou encore l’association Mvukisho Ye Masiwa ». D’autres associations comme le Secours Populaire, le Secours Catholique, la Fédération Nationale de la Protection Civile… œuvrent aussi sur place.

L’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite

« Il vaut mieux optimiser plutôt que de faire une multitude de petites structures et de semer la zizanie », estime Achiraffi Ghalil. Pour acheminer la collecte vers l’archipel, il compte sur ses fonds propres et sur d’autres citoyens qui vont donner spécifiquement pour ça. Comme vont le faire d’autres acteurs qui réceptionnent les collectes en Île-de-France. La première étape sera d’abord de tout faire parvenir à des sociétés d’import-export situées à Lyon ou Bordeaux (par camion ou via la Poste), pour que mardi prochain, le 24 décembre, des conteneurs en provenance de plusieurs villes de France puissent partir en bateaux en direction de Mayotte.

Achiraffi Ghalil est en lien avec d’autres collectes de la région, « l’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite ». Pour l’heure, il n’est pas encore possible de faire décoller ou atterrir des avions commerciaux, l’aéroport étant fermé jusqu’à nouvel ordre. Les denrées devraient donc arriver en bateau d’ici un peu moins de deux mois, voire au mieux une trentaine de jours.


 


 

« Même les pompiers ne viennent pas » : dans le bidonville de Mavadzani,
les Mahorais les plus pauvres
laissés à l’abandon

Marine Gachet sur www.humanite.fr

Ce quartier informel de la commune de Koungou a été durement frappé par le cyclone Chido, samedi 14 décembre. Alors que les jours passent, la population désespère de voir de l’aide arriver.

Koungou (Mayotte), correspondance particulière.

Dans le bidonville de Mavadzani, la case de Fayad est à terre. Et ici, comme dans de nombreux quartiers informels de Mayotte, la désespérance se mêle à la colère. « Aucune autorité n’est venue nous voir pour nous dire comment ça se passe maintenant, même les pompiers ne viennent pas », déplore-t-il.

Quatre jours après le passage du cyclone Chido, qui a ravagé ce quartier du village de Majicavo Koropa, rattaché à la commune de Koungou, les habitants sont plus que jamais isolés. Fayad n’a pas entendu parler de morts dans le quartier. En revanche, il note que si plusieurs blessés ont pu être conduits au centre hospitalier de Mayotte (CHM), avec l’aide des riverains, d’autres, aux blessures plus légères, demeurent encore ici.

« Depuis l’accalmie, on n’a vu personne »

Un peu plus loin, un père de famille nous montre la blessure de son fils, sur la plante du pied, causée par une branche le 14 décembre. « On a besoin d’aide », articule-t-il en français. Assani, un riverain habitant une maison en dur dans le quartier mitoyen de Massimoni, assure lui aussi n’avoir vu personne venir s’enquérir de l’état de santé des habitants.

« Ce que je trouve déplorable, c’est que, depuis l’accalmie, on n’a vu personne, alors que tous les fils électriques, les poteaux, étaient sur les routes et empêchaient tout le monde de sortir. Ni les pompiers ni les forces de l’ordre. Personne. Aucune autorité communale ou nationale n’est venue voir comment les gens allaient, faire l’état des besoins, définir les urgences. Et ce, jusqu’à aujourd’hui », déplore-t-il, ce mercredi 18 décembre. Un habitant qui écoute la conversation fait néanmoins remarquer qu’il a aperçu quelques gendarmes la veille.

Le contraste avec Mamoudzou et Petite-Terre met en colère plusieurs résidents. « On sait que les pouvoirs publics sont heureux, car ce sont eux qui ont tout détruit sur ce secteur ! s’emporte Fayad, en désignant une étendue vide de la colline sur laquelle se trouvait le bidonville. Et deux jours plus tard, la catastrophe a rasé à côté. » L’homme fait référence à la démolition de 468 cases au début du mois de décembre.

À Mayotte, dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, les services de l’État procèdent plusieurs fois par an à des décasages, en recourant à la loi Elan et, dans certains cas, à la loi Vivien. Le 2 décembre, une opération de ce type a été lancée à Mavadzani, réputé jusqu’alors pour être un des plus grands bidonvilles de l’île.

Sur l’ensemble des familles expulsées de leur habitation, 52 de nationalité française ou détenant un titre de séjour ont été relogées temporairement, dont une vingtaine dans une résidence inaugurée en octobre 2024, à Massimoni, en contrebas du bidonville. Ce mercredi, des murs manquent toujours à l’un des studios du bâtiment modulable, abîmé par le cyclone. « Quand on décase dans ce quartier il y a du monde, mais là, il n’y a plus personne », souligne ironiquement Assani.

« On était cachés sous le lit »

Le jour du cyclone, lui et d’autres habitants de maisons en dur ont abrité ceux des cases en tôles quand ils ont commencé à fuir le vent. « Puis, ça a soufflé tellement violemment que, finalement, on a attendu que ça se calme », relate Assani. Il poursuit en indiquant qu’ils ont retrouvé des personnes cachées à terre, sous leur toit, ou bien sous leur lit. C’est ce qu’a fait Asma*, 14 ans, avec sa famille quand Chido s’est déchaîné.

« Ça m’a choquée, j’étais triste. Mes frères et sœurs étaient en train de pleurer, et moi aussi. On était cachés sous le lit pour ne pas avoir mal. Nous n’avons pas été blessés. Puis des gens sont venus pour nous aider et on a pu s’enfuir », raconte-t-elle, avec un sourire timide entrecoupé de regards dans le vide.

« Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais, mais nous sommes des êtres humains, quand même. » Fayad, habitant de Mavadzani

Une situation qu’ont vécue la plupart des enfants de Mavadzani. Pendant que leurs parents s’attellent à ériger de nouvelles cases, eux se languissent d’avoir à boire et à manger. Car, pour l’instant, leur seule source d’eau est un puits en contrebas du bidonville. « Mais il y a de la boue dedans, elle est contaminée », souligne Fayad. Si pour l’instant la plupart des personnes évitent de la boire, il redoute que certains, finalement, s’y résolvent.

« On est vraiment dans la galère », souffle-t-il. Un hébergement d’urgence a pourtant été installé au collège de Majicavo Koropa, accueillant actuellement environ 300 personnes. Mais le mot ne semble pas être passé dans le quartier. « Il y a aussi des gens qui ont peur de se faire arrêter car ils n’ont pas les papiers ou pensent qu’il n’y a pas de place prévue pour eux », fait remarquer un ami de Fayad, soulignant qu’il est d’autant plus important que les autorités viennent les rencontrer pour leur expliquer ce qui est mis en place.

Cette navigation à vue n’est pas ressentie qu’à Mavadzani. Le gouvernement annonce depuis le début de la semaine la mise en place de moyens importants, de ponts aériens pour acheminer de l’eau, de la nourriture, du matériel et des renforts. Mais l’ensemble des habitants de l’île rencontrés dénoncent l’absence apparente des autorités dans les rues et le manque de consignes et d’indications claires.

La rareté du réseau de communications après le passage du cyclone n’aidant pas. Le sentiment est donc d’être laissé à l’abandon, et Fayad désespère qu’on leur apporte un jour de l’eau potable. « Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais (ceux qui parlent la langue des Comores – NDLR), mais nous sommes des êtres humains, quand même », défend celui qui demande juste à ce qu’on leur donne accès à l’eau pour pouvoir remplir un bidon. Ce jour-là, 23 tonnes d’eau et de nourriture ont été acheminées à Mayotte par un gros-porteur A400M. Il revient aux communes de les distribuer.

* Le prénom a été modifié.

   mise en ligne le 19 décembre 2024

Vencorex : l’appel de 48 élus
à François Bayrou pour
une « nationalisation temporaire »
de l’entreprise

Chloé Decoursier sur www.humanite.fr

À la suite de la CGT, plusieurs dizaines d’élus ont appelé ce mardi le Premier ministre François Bayrou à « nationaliser temporairement » le groupe chimique Vencorex, en redressement judiciaire, afin d’éviter son « démantèlement ».

Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre François Bayrou, 48 élus, à l’initiative des maires de communes concernées (Pont-de-Claix et Jarrie, en Isère) appellent à une « nationalisation temporaire » de l’entreprise Vencorex afin d’échapper à son « démantèlement ». Depuis le 23 octobre, la majorité des 550 salariés du groupe chimique sont en grève, bloquant la totalité du site de production placé en redressement judiciaire depuis septembre dernier.

Cette nationalisation, portée depuis plus d’un mois par la CGT, comme « unique solution », est aujourd’hui signée par des élus locaux et des représentants politiques tels que Fabien Roussel (PCF) Marine Tondelier (EELV) et Olivier Faure (PS). Tous dénoncent « un véritable scénario catastrophe » et demandent que cette mesure soit « étudiée sérieusement par les services de l’État ». Contrairement à une « position idéologique », cette « revendication pragmatique » vise à « se donner tous les moyens de sauvegarder l’activité du site », arguent-ils.

120 emplois supplémentaires menacés

Cette mobilisation a été déclenchée par l’absence de solutions concrètes pour le site, à l’exception d’une offre de reprise partielle, formulée par le groupe industriel chinois Wanhua (concurrent direct de Vencorex). L’offre de 1 million d’euros ne prévoyait initialement que la conservation de 25 emplois, revue à 50. Perspective « inacceptable » pour les signataires de la lettre, qui craignent un arrêt total du site et une menace pour « 3 000 emplois directs, voire 10 000 indirectement ».

Et les conséquences de cette fermeture ne s’arrêtent pas là. Le groupe Arkema, présent sur la plateforme de Jarrie, a déjà annoncé son intention de mettre la clé sous la porte en cas de cessation d’activité chez Vencorex, menaçant ainsi 120 emplois supplémentaires. De plus, la fermeture de l’entreprise mettrait en péril la mine de sel de Hauterives, exploitée par la société spécialisée dans le chlore Chloralp, dont le seul débouché est la plateforme de Pont de Claix. Cette mine produit le sel le plus pur d’Europe et bénéficie d’une réserve de 40 ans.

À noter que l’industrie chimique ne fonctionne pas de façon isolée. Chaque acteur est dépendant des autres : le sel produit par Vencorex, purifié sur la plateforme de Pont de Claix, est essentiel pour le secteur de la défense, l’aérospatiale, le nucléaire et l’industrie sanitaire. Par exemple, le chlore produit à Jarrie sert notamment à la fabrication de peroxydes utilisés dans les réacteurs nucléaires. Un démantèlement du fabricant chimique exposerait la France à une dépendance étrangère dont on ne peut connaître les conséquences à ce jour.


 


 

« On a servi de vache à lait
à tout le secteur » : Vencorex, symbole du mal qui ronge l’industrie française

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En redressement judiciaire, l’usine du Pont-de-Claix risque de tomber aux mains d’un groupe chinois que les salariés disent plus intéressé par les brevets que le sort des travailleurs. Un concentré des maux dont souffre l’industrie française.

En arrivant sur le site, on ne voit que lui. Au départ, ce n’était qu’un feu modeste, un timide brasier démarré à la va-vite sur ce qui était alors un rond-point planté devant l’usine. Mais depuis bientôt quarante jours, les grévistes l’alimentent inlassablement, à grand renfort de pneus, palettes et tronçons de bois, si bien qu’un spectaculaire monticule de cendres recouvre aujourd’hui le rond-point. « La comparaison va vous paraître bête, prévient Michaël, une lueur dansant dans les yeux. Mais ce feu, c’est un peu notre flamme olympique. Il ne s’éteint jamais. »

Ce feu qui refuse obstinément de mourir signale l’emplacement du piquet de grève des Vencorex, au Pont-de-Claix, en Isère, qui redoutent que leur usine ne tombe entre les mains d’un repreneur dont ils