PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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     mise 

     mise en ligne le 18 juin 2025

Marqué par les reculs environnementaux, le projet de loi « simplification » est adopté

Lucie Delaporte sur wwwmediapart.fr

Le projet de loi sur la simplification de la vie économique, qui comporte d’importantes régressions sur le front de l’écologie, a été adopté de justesse mardi 17 juin contre la majorité macroniste qui le jugeait trop éloigné de ses intentions initiales.

« C’est« C’est une victoire culturelle du Rassemblement national contre l’écologie punitive. » Tout sourire, à l’instar de tous les députés de son parti au sortir de l’hémicycle, Pierre Meurin parade.

Le texte sur la simplification de la vie économique, adopté mardi 17 juin au terme d’un parcours chaotique, est incontestablement une victoire pour la droite et l’extrême droite qui ont très largement réécrit le texte initial en le transformant en loi de retour en arrière sur l’écologie.

Suppression des zones à faibles émissions (ZFE), détricotage du « zéro artificialisation nette », recul sur la protection des espèces protégées… Il aura finalement très peu été question de la vie des entreprises dans ce texte bourré de cavaliers législatifs, avec des sujets n’ayant bien souvent rien à voir avec l’économie.

La mine réjouie des députés du Rassemblement national (RN), dont les 120 députés ont voté comme un seul homme pour ce texte, montrait aussi leur satisfaction d’avoir fait capoter le plan des macronistes qui, au dernier moment, avaient annoncé qu’ils voteraient contre un texte pourtant à l’initiative du gouvernement Attal.

À la tribune pour le groupe Ensemble pour la République (EPR), la députée Marie Lebec explique ce revirement. Il faut dire que pour la troisième fois en un mois, les macronistes s’apprêtent à voter contre un texte qu’ils ont eux-mêmes défendu… Elle dénonce donc un projet de loi « disloqué et vidé de sa cohérence, par les circonstances d’alliances contraires », en référence notamment à la suppression des ZFE votée tant sur les bancs de la droite et de l’extrême droite que de La France insoumise. « C’est un texte qui fragilise ce que nous avons construit depuis huit ans » sur l’environnement, assure celle qui a pourtant voté pour la suppression des ZFE. Comprenne qui pourra.

Au moment du vote, le groupe EPR s’est d’ailleurs fracturé puisque près d’un tiers des députés macronistes ont voté avec la droite et l’extrême droite pour le texte ou se sont abstenus. Le MoDem de François Bayrou a voté en faveur de ce texte de grande régression écologique, offrant la victoire sur le fil – 275 voix contre 252 – à l’alliance RN-LR-Horizons.

Espèces protégées en danger

Face à des députés RN surmobilisés, les macronistes ont souvent brillé par leur absence lors de l’examen du projet de loi, pourtant annoncé en grande pompe comme un texte fondamental par Bruno Le Maire.

Déposé il y a plus d’an, le projet de loi, examiné par petits bouts ces derniers mois, a largement été réécrit, se colorant peu à peu de l’air du temps anti-écolo.

« On a bien vu le traumatisme au moment où l’A69 a été jugée illégale par le tribunal administratif de Toulouse. Là, on a eu une pluie d’amendements pour pouvoir bétonner tranquillement, détaille la députée LFI Anne Stambach-Terrenoir. Au final, on est arrivé à un texte d’inspiration trumpiste mené par la droite et l’extrême droite. »

Ce texte a ouvert la voie à toutes les obsessions anti-écolo, antidémocratiques, antisociales du moment. Charles Fournier, député Les Écologistes

L’examen du texte en commission avait ouvert le bal du grand n’importe quoi avec la proposition de supprimer des centaines d’agences et d’organismes tels que l’Ademe, l’Office français de la biodiversité (OFB) ou le Contrôleur général des lieux de privatisation de liberté… Des milliers d’amendements – étrangement jugés recevables – avaient alors été introduits, faisant complètement dérailler le projet de loi initial.

Si les propositions les plus baroques ont été écartées, le texte vient défaire des pans entiers de la loi « climat et résilience », adoptée lors du premier mandat Macron.

Il comporte notamment des reculs importants sur la protection des espèces protégées qui ne doit plus être un frein aux projets d’infrastructures diverses ou à la vie économique. À l’heure de la sixième extinction de masse, il ne faudrait pas gêner les projets autoroutiers et autres constructions de data centers. Ces derniers, comme tout un tas de projets de construction, pourront être qualifiés d’intérêt général majeur, ce qui les exonère d’un certain nombre de règles sur la biodiversité.

Difficile de résumer pour le reste le contenu d’un texte fourre-tout qui se sera préoccupé de l’octroi des licences IV dans les buvettes comme des massifs coralliens. Pointant les coups de canif portés aux études d’impact sur l’exploration minière, le député Les Écologistes Charles Fournier fustige « un texte qui a ouvert la voie à toutes les obsessions anti-écolo, antidémocratiques, antisociales du moment ». « C’est ubuesque et en même temps très grave », affirme-t-il, en expliquant que son groupe va porter des recours au Conseil constitutionnel contre les cavaliers législatifs. « Qu’on m’explique ce que les mesures contre la pollution de l’air ont à voir avec la vie économique », s’agace-t-il, certain que plusieurs pans de la loi tomberont devant cette instance.

Sur les ZFE, les écologistes vont déposer ce jour une proposition de loi pour rétablir le dispositif et l’améliorer, au vu des critiques portées par la gauche sur l’absence d’alternative à la voiture et le caractère excluant de la mesure pour les ménages modestes.

Si la ministre chargée du commerce et des PME, Véronique Louwagie (LR), s’est félicitée d’un texte « fortement attendu par le monde économique », la ministre de la transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a quant à elle expliqué dans un communiqué agacé que « la santé publique et la lutte contre le réchauffement climatique et les pollutions ne devraient pas être les variables d’ajustement de calculs politiques à la petite semaine ».

Le texte fera l’objet d’un examen en commission mixte paritaire en septembre.


 


 

Derrière la simplification,
une régression sociale et économique

sur https://www.cgt.fr/

Sous couvert de simplification administrative, le projet de loi « simplification de la vie économique » actuellement examinée à l'Assemblée nationale menace le droit du travail, affaiblit les contre-pouvoirs et aggrave la crise écologique. Décryptage CGT

Alors que le gouvernement vante une nouvelle étape de simplification administrative pour les entreprises, le projet de loi actuellement débattu à l’Assemblée nationale cache mal une offensive contre les droits des salarié·es, la démocratie sociale et la protection de l’environnement. Décryptage d’une loi qui fait peser de lourdes menaces sur le monde du travail.

Des attaques en règle contre les droits des salarié·es

Derrière la « simplification », plusieurs mesures contenues dans ce texte s’en prennent directement au droit du travail et au fonctionnement démocratique des instances représentatives du personnel :

  • possibilité de généralisation de la visioconférence pour les réunions du CSE, au détriment de la qualité des échanges en présentiel et du lien collectif, pourtant essentiels à une démocratie d’entreprise vivante ;

  • suppression de l’agrément régional pour les organismes de formation syndicale, ouvrant la voie à une mise en concurrence et à une baisse de la qualité des formations pour les élu·es du personnel ;

  • réduction du délai d’information des salarié·es en cas de cession d’entreprise, de deux mois à un seul. Cela affaiblit la capacité des salarié·es à se mobiliser pour des projets alternatifs de reprise, alors que la désindustrialisation s’accélère ;

  • allègement de nombreuses procédures de déclaration et d’autorisation, avec pour conséquence une remise en cause de garanties en matière de santé, de droits collectifs et d’environnement.

Certain·es député·es de droite ont même tenté d’aller plus loin, avec des amendements – fort heureusement jugés irrecevables – visant à :

  • réduire le nombre de CSE et de défenseur·ses syndicaux·les ;

  • limiter à trois ou six mois le délai de recours devant les prud’hommes pour contester un licenciement ;

  • supprimer l’exigence du consentement du ou de la salarié·e en cas de prêt de main-d’œuvre.

Moins d’instances, moins de démocratie sociale

Autre aspect alarmant du projet : la suppression de 25 comités, commissions et instances consultatives, parmi lesquels :

  • la Commission nationale de conciliation des conflits collectifs de travail ;

  • l’Observatoire national de la politique de la ville ;

  • le Comité de suivi des mesures liées au Covid-19 ou à la guerre en Ukraine ;

  • et surtout, la Commission du label diversité, un symbole alors que les discriminations au travail explosent.

Même si la mobilisation a permis le maintien de certaines instances clés où siège la CGT (conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, CNDP, Haut-Conseil de l’Assurance maladie…), la vigilance reste de mise. Le texte prévoit :

  • la suppression automatique des instances n’ayant pas « justifié leur utilité » au bout de trois ans ;

  • un principe de « deux suppressions pour une création » pour toute nouvelle instance ministérielle ;

  • Une baisse continue des financements, comme c’est le cas pour l’Ires.

Un recul écologique préoccupant

En matière environnementale, le projet aggrave les dérégulations. en effet, il élargit les projets d’intérêt national majeur aux infrastructures routières et ferroviaires (autoroutes…), qui ne seront plus comptabilisés dans l’objectif de réduction de l’artificialisation des sols. Une grave remise en cause des engagements climatiques et agricoles.

Plusieurs organismes chargés de l’évaluation environnementale et sanitaire sont supprimés :

  • Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique ;

  • Observatoire des espaces naturels et agricoles ;

  • Commission sur les démantèlements nucléaires ;

  • Commission sur la déontologie des alertes environnementales…

Une mobilisation syndicale large et unitaire

Face à cette offensive, sept organisations syndicales nationales (CGT, CFE-CGC, CFTC, FO, FSU, Solidaires, Unsa) ont publié le 7 avril un communiqué intersyndical appelant les parlementaires à rejeter les amendements les plus dangereux.

« Pour réduire les droits sociaux dans l’entreprise, on simplifie le Code du travail. Pour rendre illisible la solidarité à l’œuvre sur la fiche de paye, on la simplifie. Et pour capter toujours plus de richesses créées par les travailleur·ses, on simplifie la vie économique… »

Au nom de la simplification, c’est en réalité une mise en coupe réglée du droit du travail, des contre-pouvoirs démocratiques et de la transition écologique qui est à l’œuvre.


 

     mise en ligne le 17 juin 2025

Le Planning familial est en danger

sur www.regards.fr

Baisses et suppressions de subventions, fermetures d’antennes départementales : l’avenir du Planning familial s’assombrit. Le plus grand réseau associatif et militant à offrir des services de santé sexuelle en France alerte sur la baisse de financements des collectivités. Le Planning dénonce une attaque « à l’accès à la contraception, à l’avortement, à la prévention des infections sexuellement transmissibles (IST), à l’éducation à la sexualité, à la prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles [menant à] remettre en cause des droits acquis de haute lutte ». Argument massue de ces coupes budgétaires : la dette publique bien sûr. Dans la région Pays de la Loire, la présidente Horizons Christelle Morançais a supprimé la totalité des subventions allouées. À l’heure où les IST explosent et les besoins d’accompagnement augmentent face à la libération de la parole sur les discriminations et les violences, sacrifier le Planning, c’est mettre en danger la population.


 


 

Quand l’argent dicte
les droits des femmes

Violaine de Filippis Abate sur www.humanite.fr

Le Planning familial a récemment alerté sur les coupes budgétaires qu’il subit. Dans la Drôme par exemple, sept centres ferment. Cette situation illustre parfaitement comment, sans modifier les lois protectrices, la réduction des moyens rend les droits inapplicables. Prenons l’avortement, droit pour lequel le Planning familial milite activement et accompagne concrètement les femmes. Le manque de moyens financiers limite son action sur le terrain.

En Ardèche, une femme sur deux doit changer de département pour avorter. Sur l’ensemble du territoire, ce taux atteint une femme sur cinq. Le Planning souligne par ailleurs que 89 % des personnes interrogées font état de freins persistants : manque de structures, délais d’attente trop longs et stigmatisation persistante.

La méthode de coupure de budgets révèle une stratégie politique plus large. L’allocation budgétaire constitue un outil de régression des droits des femmes sans passage parlementaire. Cela trouve un écho particulier dans les programmes politiques actuels. Au Rassemblement national, on propose des politiques familiales traditionalistes via des mesures fiscales incitatives. Rien de surprenant puisque dans notre société capitaliste, les objectifs politiques se traduisent nécessairement par des incitations fiscales.

Subventionner la maternité plutôt que l’emploi pousse les femmes à mettre leur carrière entre parenthèses et à dépendre du revenu du conjoint plutôt que de sécuriser leurs propres ressources. Il va également sans dire qu’aucune mesure favorisant l’égalité professionnelle n’est mentionnée dans leurs différents fascicules. Autrement dit, il n’est pas question d’améliorer l’égalité salariale ou de lutter contre les discriminations professionnelles, ni de permettre des dispositifs facilitant l’articulation vie professionnelle-vie personnelle.

Nous assistons ainsi à un phénomène cyclique où l’argent demeure le nerf des attaques aux droits des femmes. Comme à la fin du XXe siècle, le backlash post-MeToo est aussi visible dans les médias des milliardaires conservateurs. Susan Faludi écrivait : « À l’approche des années 1990, Paul Weyrich (fondateur de la nouvelle droite – NDLR) et ses amis ont effectivement l’impression que leurs idées imprègnent la culture dominante. »

Aujourd’hui, ce sentiment de lutte culturelle conservatrice se répète. Et l’ampleur de la mobilisation financière est vertigineuse. Le rapport « la Partie émergée de l’Iceberg » du Forum parlementaire pointe que les versements aux acteurs anti-droits se chiffrent en milliards d’euros. Face à l’offensive budgétaire qui transforme nos droits en mirages, nous devons rester vigilants. Derrière chaque subvention coupée, se dessine le retour d’un ordre patriarcal que ses promoteurs n’osent plus forcément toujours défendre ouvertement, mais qu’ils financent massivement.

     mise en ligne le 16 juin 2025

Brenda Wanabo-Ipeze, visage de la lutte kanak : « Que la France accepte enfin que notre pays soit libéré »

par Benoît Godin https://basta.media/

Comme six autres responsables indépendantistes kanak, Brenda Wanabo-Ipeze a été emprisonnée dans l’Hexagone dans la foulée des troubles de 2024 en Nouvelle-Calédonie. Libérée mais toujours poursuivie, elle reste déterminée.

« Militante indépendantiste kanak. » Voilà comment Brenda Wanabo-Ipeze se présente. Militante, elle l’est jusque dans ses vêtements. Fin mai, à deux pas du tribunal de Paris où elle a été auditionnée quelques jours auparavant, elle arbore une robe « popinée » de Nouvelle-Calédonie. Une façon de marquer son identité kanak. Brenda Wanabo-Ipeze est l’une des sept responsables indépendantistes kanak transférés et emprisonnés dans l’Hexagone suite à l’explosion de la révolte dans le territoire en mai 2024.

Brenda avait été libérée sous contrôle judiciaire le 10 juillet 2024, avec une autre militante, Frédérique Muliava. Cinq responsables indépendantistes sont quant à eux restés près d’un an en détention. Jusqu’à ce 12 juin : la justice décide de libérer enfin les cinq hommes, dont le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) Christian Tein. Ils n’ont toutefois toujours pas le droit de retourner en Nouvelle-Calédonie.

« C’est une grande étape qui a été franchie, j’espère que cette libération sera de bonne augure pour la suite, réagit Brenda Wanabo-Ipeze. Mais il faut rester mobilisé tant que tout le monde ne peut pas rentrer à la maison, en Kanaky, et que les charges qui pèsent sur nous ne sont pas abandonnées. Nous sommes avant tout des militants indépendantistes kanak : au-delà de notre affaire, on attend que la France accepte enfin que notre pays soit pleinement libéré », ajoute-t-elle.

Accusés d’être des « mafieux »

Brenda Wanabo-Ipeze ne compte pas renoncer. « Dans ma famille, tout le monde milite pour l’indépendance », confie-t-elle. La trentenaire est membre de l’Union calédonienne (UC), le plus vieux parti de Nouvelle-Calédonie et l’une des composantes majeures du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Elle est aussi présidente du conseil d’administration de Djiido, la seule radio indépendantiste du territoire. Pas étonnant donc de la retrouver investie dès le début dans la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Une structure créée en novembre 2023 par l’UC pour rassembler les opposants au projet du gouvernement français d’élargir le corps électoral aux élections provinciales.

À la CCAT, Brenda Wanabo-Ipeze est en charge de la communication. L’organisation a mené des mois de mobilisation intense – mais « pacifique », assure Brenda – contre la volonté du gouvernement de passer en force sa réforme du corps électoral. Paris a refusé d’entendre. Le 13 mai 2024, quand l’Assemblée nationale s’apprête à adopter la réforme, la Nouvelle-Calédonie s’embrase. La CCAT se retrouve alors accusée au plus haut niveau de l’État. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer d’alors, qualifie même l’organisation de « groupe mafieux » qui « commet des pillages, des meurtres, de la violence ».

« Ça m’écœure, réagit aujourd’hui la militante. Même nous avons été surpris par tout ce qui est arrivé. Le FLNKS n’a jamais fait le choix de la violence, pas plus que l’UC ou la CCAT, parce qu’on est dans “le pari de l’intelligence” [la formule est de Jean-Marie Tjibaou, figure emblématique de l’indépendantisme kanak, ancien président du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS), assassiné en 1989 par un opposant]. C’est comme ça que nos vieux nous ont appris à lutter. Dans le respect des opinions de l’autre. Si je ne suis pas contente après quelqu’un, je ne vais pas brûler son entreprise… »

Quatorze personnes ont été tuées par balle lors du mouvement insurrectionnel qui a duré de mai à septembre 2024. Onze étaient des civils Kanak, tués soit par les forces de l’ordre soit par d’autres civils. Un non-Kanak a été tué alors qu’il attaquait un barrage avec une arme. Deux gendarmes font aussi partie des victimes. On déplore plusieurs milliards d’euros de dégâts matériels. « On n’a pas d’autre pays que Kanaky. C’était regrettable pour nous de le voir dans cette situation-là », soupire Brenda.

« Des boucs émissaires »

La vie de la militante a basculé le 19 juin 2024. « À 6 h 10 du matin, le GIGN a fracassé la baie vitrée de notre domicile dans le quartier de Saint-Michel, au Mont-Dore [à une trentaine de kilomètres de la capitale Nouméa, ndlr]. Ils sont rentrés, m’ont isolée de mon mari et mes deux frères et m’ont annoncé avoir un mandat d’arrêt de la République française à mon encontre. » Les gendarmes perquisitionnent son domicile : « Ils cherchaient des armes, mais il n’y en avait pas. Ils cherchaient également mon passeport, je ne comprenais pas pourquoi… »

« Choquée », Brenda n’est pour autant qu’à moitié surprise : « Dès que le peuple se lève et qu’il y a des débordements, on va chercher des boucs émissaires. Mais les vrais coupables, ce sont ceux qui ont voulu passer en force pour ouvrir le corps électoral ! À un moment donné, l’État français devra assumer ses responsabilités », affirme-t-elle.

Conduite à la caserne Meunier, dans le centre de Nouméa, Brenda est placée en garde à vue. Elle ne le sait pas encore, mais elle n’est pas seule : dix autres responsables de la CCAT sont concernés par ce qui est présenté par le procureur de la République de Nouméa comme un coup de filet contre les « commanditaires présumés » d’émeutes. Parmi eux, Christian Tein, commissaire général de l’ Union calédonienne et figure la plus en vue du mouvement contre le dégel du corps électoral, ou encore Frédérique Muliava, directrice de cabinet du président du Congrès, le parlement local.

La garde à vue des onze activistes va s’étaler sur trois jours, un traitement normalement réservé aux affaires de grand banditisme ou de terrorisme. « Le premier soir, je n’ai pas pu prendre de douche. Cette nuit-là, je l’ai passée menottée sur un lit picot. Je l’ai signalé à mon avocat le lendemain et ça ne s’est plus reproduit, témoigne Brenda. Je pensais alors qu’on allait être relâchés après les interrogatoires. »

Le 22 juin, Brenda et ses camarades sont finalement présentés devant des juges d’instruction qui leur apprennent que toutes et tous sont mis en examen pour des chefs d’accusation extrêmement graves : complicité de meurtre, vol et destruction en bande organisée avec arme, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation de crimes et délits… Et qu’ils vont être placés en détention provisoire en France dite métropolitaine.

La mère de famille s’effondre : « Je me mets à pleurer, je n’arrivais plus à me retenir. Je pensais à mes enfants. Mon mari attendait dans le hall du tribunal, la juge a demandé à aller le chercher, mais on avait interdiction de se parler. Je n’ai pas pu lui dire que je partais en France, je n’ai pas pu lui dire au revoir. Ta vie se bloque d’un coup. Tu te dis : on est en train de vivre quoi là ? Qu’est-ce qu’il nous fait, l’État français ? »

« Ça a été extrêmement brutal, dit aussi Louise Chauchat, jointe par téléphone. Quand la machine étatique se met en branle comme ici, il n’y a rien à faire, constate cette avocate au barreau de Nouméa, en charge de la défense de trois des inculpés, dont Brenda. Nous, avocats, avons été un simple prétexte aux droits de la défense. Tout était déjà prêt : les avions, le choix des prisons… Je ne pensais pas qu’en 2024 de telles façons de procéder soient encore possibles. »

Placée à l’isolement

Parmi les onze inculpés, deux sont laissés libres sous contrôle judiciaire, deux placés en détention provisoire au centre pénitentiaire de Nouméa, tandis que les sept autres sont immédiatement conduits à l’aéroport de Nouméa-Magenta : Guillaume Vama, Yewa Waetheane, Dimitri Qenegei, Steeve Unë et Christian Tein – et deux femmes – Frédérique Muliava et Brenda Wanabo-Ipeze. Commence un trajet de plus de vingt heures. D’abord à bord d’un avion militaire jusqu’à l’aéroport international de La Tontouta, puis d’un avion de ligne qui les mène jusqu’en France, via les États-Unis. « On nous a laissé les menottes tout du long, témoigne Brenda. Pour manger, pour aller aux toilettes… »

Une fois sur le sol français, les militants sont séparés et envoyés dans des prisons différentes : Mulhouse, Riom, Bourges, Blois… Arrivée en pleine nuit à l’aéroport militaire de Vélizy-Villacoublay (Yvelines), Brenda est embarquée seule dans un fourgon. Après trois heures de route, elle atteint, le 24 juin vers 6 h 45, le terminus de ce périple forcé, la maison d’arrêt de Dijon (Côte-d’Or).

Tout comme Frédérique Muliava ou Christian Tein, elle est placée à l’isolement. « Mes seuls contacts étaient avec le personnel pénitentiaire. Je n’avais pas de sous pour cantiner ou joindre ma famille. Appeler au pays, ça coûte cher ! Mes proches, je ne les ai eus au téléphone qu’à ma sortie de prison. » Seul lien avec chez elle, une télé dans sa cellule : « Je suivais tous les midis sur France 3 le journal de l’Outre-mer. J’essayais de jauger quelle était la situation au pays, si les destructions étaient toujours en cours, si c’était encore chaud avec les forces de l’ordre… »

Toujours loin de ses enfants

Comme le FLNKS, Brenda dénonce une « déportation ». Un terme qui s’inscrit dans l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, et pas seulement lorsque celle-ci fut, de 1863 à 1931, une colonie pénitentiaire. « Les déportations, c’est quelque chose qui a beaucoup marqué la Kanaky, indique-t-elle. Étant une enfant d’Ouvéa, j’ai grandi avec la mémoire de la prise d’otages de 1988 [La prise d’otages sur l’île d’Ouvéa, du 22 avril au 5 mai 1988, se termine sur un bain de sang 21 morts, dont dix-neuf militants kanak. Les survivants sont arrêtés et transférés en « métropole », où ils resteront jusqu’à la loi d’amnistie découlant des accords de Matignon, ndlr]. Quand je suis montée dans le Transall militaire à Magenta, je me suis vue à la place de mes papas, mes oncles, mes grands-pères qui étaient dans les mêmes avions. C’est là que tu te dis que l’État, en 40 ans, n’a pas changé. »

Une fois libérée en juillet 2024, Brenda, comme Frédérique Muliava, est placée sous un contrôle judiciaire strict, avec bracelet électronique et interdiction de quitter l’Hexagone. Elle se retrouve bloquée à Montpellier, dans un petit appartement où vit son frère. « J’ai été “assignée à résidence” à 17 000 km de chez moi », résume-t-elle.

Les premières semaines sont difficiles : « J’étais déboussolée après ces semaines de solitude. Et je pensais beaucoup à Bichou [surnom donné à Christian Tein, ndlr] et aux garçons. C’est dur de penser que toi, tu es dehors et que les autres sont toujours derrière les barreaux… J’ai entendu certains dire que c’est parce nous étions mamans. Mais les garçons aussi sont papas. » Brenda est rejointe mi-août par son mari qui, comme d’autres proches, a tout quitté pour venir auprès d’elle. Mais leurs trois enfants, âgés de 3 à 12 ans au moment de l’arrestation de leur mère, sont restés « au pays ». Une « séparation très difficile », dit la mère sobrement. Le couple survit comme il peut, principalement grâce à des caisses de solidarité.

« Tous dans la même galère »

Les sept indépendantistes sont maintenus dans l’Hexagone, mais l’affaire continue pourtant à être instruite à Nouméa, dans un contexte qui leur est peu favorable. « Il y a eu une très forte instrumentalisation politique de ce dossier. Le discours du parquet montrait d’abord un souhait de répondre aux exigences d’une seule partie de la population, celle des anti-indépendantistes », dénonce Louise Chauchat. Il faudra attendre le 28 janvier 2025 et une décision de la Cour de cassation pour que le dépaysement de la procédure, demandé à plusieurs reprises par la défense, soit enfin accepté et que le dossier soit renvoyé à Paris. « Une bonne décision », pour l’avocate : « On reste prudents, mais l’instruction semble avancer dans un sens positif et juridique. Est-ce que les magistrats vont continuer à en faire une affaire politique ? Apparemment non. »

Tous les responsables indépendantistes emprisonnés en juin 2024 restent poursuivis. Et seules Brenda Wanabo-Ipeze et Frédérique Muliava, dont les contrôles judiciaires avaient déjà été allégés ce printemps, sont pour l’heure autorisées à rentrer chez elles. Mais Brenda n’a pas encore pris ses billets : « Ils nous ont emmené ensemble, on repart ensemble ! On est tous dans la même galère, on a tous les mêmes chefs d’inculpation. Et puis, c’est l’État qui nous a conduit ici, ce serait normal qu’il prenne en charge notre retour. » La militante affiche une combativité intacte : « Même si aujourd’hui je vis une situation compliquée avec mes enfants et mon mari, même si pour nous tous c’est dur, on poursuit la lutte. On a ça dans l’âme. »


 

     mise en ligne le 15 juin 2025

Le COR a tort sur les retraites : abrogeons la réforme Borne !

Par Éric Coquerel sur www.humanite.fr

Éric Coquerel estdéputé LFI de Seine-Saint-Denis, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Pour le gouvernement, le nouveau rapport du comité d’orientation des retraites (COR) tombe à point après la récente adoption à l’assemblée de la résolution abrogeant le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans. Le rapport conclut en effet à l’impossibilité d’abroger cette réforme. Il préconise même de repousser l’âge légal de départ à la retraite : « Pour équilibrer structurellement le système de retraite chaque année jusqu’en 2070 via le seul levier de l’âge de départ à la retraite, il serait nécessaire de porter cet âge à 64,3 ans en 2030, 65,9 ans en 2045 et 66,5 ans en 2070 ».

Voilà qui illustre la reprise en main du COR. On se souvient que pendant la mobilisation contre la réforme Borne, son ancien président, Pierre-Louis Bas avait fortement déplu au gouvernement en expliquant, auditionné dans ma commission des finances, que le déficit du régime des retraites était dû non à une augmentation des dépenses mais à un problème de recettes. Son nouveau président remplit donc sa mission au point même, fait inédit dans le COR, qu’il présente une conclusion unilatérale alors même que plusieurs hypothèses ont été produites.

Pourtant, s’il en tire des conclusions qui vont dans le sens du gouvernement, il part du même raisonnement que le COR « ancienne version » : les dépenses de notre système par répartition sont stables soit environ 14 % du PIB. Le COR souligne que « la quasi stabilisation des dépenses de retraite dans le PIB prévue en 2070 par rapport au niveau observé en 2024 ne corrobore donc pas l’idée d’une croissance plus soutenue des dépenses de retraite par rapport à la richesse nationale ». Cette part devrait même baisser à l’avenir pour s’établir à 13,8 % du PIB en 2030 et se situer à 12,8 % en 2070.

Les comparaisons s’arrêtent là. Le rapport du COR se refuse en effet à toute nouvelle solution de recettes.

Le rapport exclut ainsi toutes les pistes de financement émises lors du conclave que ce soit la hausse des cotisations, car pénalisant le « coût du travail » ou la modération des pensions (sous-indexation des pensions), mesure jugée « récessive » car réduisant la demande des ménages. Ce qui pour le coup me semble juste.

Par contre le COR oublie les éléments à charge contre le recul de l’âge de départ à la retraite. Un saute pourtant aux yeux : alors que la réforme de 2023 était censée équilibrer le système de retraite, il devrait finalement être déficitaire de 6,6 milliards d’euros en 2023 (contre -1,7 milliards d’euros prévu en 2024), soit 0,2 % du PIB et pourrait atteindre 1,4 % du PIB en 2070. Repousser l’âge de départ n’a donc rien d’une solution miracle.

Par ailleurs, il faut également comprendre à quoi correspond ce chiffre : la situation des régimes de retraite est hétérogène. Le déficit s’explique surtout par la situation du régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers soit les effets d’une politique austéritaire qui impose un gel des effectifs dans la fonction publique, dégradant le rapport cotisants/pensionnés ainsi qu’un gel des rémunérations. Par ailleurs, certaines hypothèses interrogent, notamment sur le solde migratoire net. Pourquoi cette hypothèse très minimaliste de 70 000 personnes par an, alors qu’il était de 190 000 en 2021, de 150 000 en 2024 selon l’INSEE ?

Mais la raison principale qui contredit les effets positifs d’un allongement de l’âge du départ à la retraite sur les déficits, c’est que cela ne sert à rien de forcer les gens à travailler plus longtemps si la part de richesse qu’ils produisent n’est pas suffisante économiquement. Au lieu de travailler plus longtemps, il faudrait donc augmenter la productivité qui a reculé de 3,5 % entre 2019 et 2023 alors qu’elle progressait de + 0,5 à + 0,6 % en moyenne par an entre 2011 et 2019. C’est d’ailleurs pourquoi, les entreprises ne gardent ou n’embauchent pas du coup ce surplus de main-d’œuvre rendu disponible par le recul de l’âge de départ à la retraite. La preuve : 57 % des nouveaux retraités en 2020 étaient sans emploi dans les mois précédant leur départ à la retraite. La productivité ayant depuis baissé et l’âge de départ à la retraite ayant reculé, il y a tous les risques que ce taux augmente encore à l’avenir.

Pour régler cette question, il faut donc actionner d’autres leviers.

Tout d’abord chercher plus de recettes. Pour cela, commençons par arrêter d’assécher les recettes actuelles. Le COR pointe d’ailleurs le désengagement de l’État dans les régimes publics. Dans un récent rapport, la Cour des comptes a aussi chiffré le coût annuel pour la sécurité sociale des exonérations de cotisations non compensées à 5,5 milliards d’euros par an. Arrêtons aussi d’encourager l’auto-entrepreneuriat, bien souvent un salariat déguisé, qui ne rapporte rien à la sécurité sociale. Il en est beaucoup parmi les 716 200 créations d’entreprises sous le régime de microentrepreneur en 2024.

Cessons aussi de décrédibiliser toute nouvelle mesure de recettes. C’est possible à condition d’imposer une répartition plus juste entre les revenus du capital, grand gagnant des années Macron, et ceux du travail. Parmi ces pistes :

une hausse de seulement 1 point sur les cotisations patronales déplafonnées permet de dégager 13,8 milliards d’euros selon la Cour des comptes ;

– soumettre à cotisation des revenus issus des primes, de l’intéressement et de la participation ramène 2,2 milliards d’euros auquel on peut rajouter 10 milliards si on fait de même vis-à-vis des dividendes et rachats d’action ;

aligner la fiscalité des produits d’épargne retraite sur celle des salaires rapporte 6,4 milliards d’euros.

Enfin une politique en faveur de l’augmentation des salaires, à commencer par le SMIC et l’égalité salariale homme/femme imposée par la loi, engagerait un cercle vertueux et des rentrées de cotisation massives.

Et puisqu’on agite sans cesse la nécessité de réformes structurelles, alors banco. Lâchons cette politique de l’offre et de la compétitivité productrice d’inégalités et d’impasse économique : relançons l’activité par le redéploiement des services publics afin de répondre aux besoins de la population, par la bifurcation écologique soutenue par des investissements publics enfin à la hauteur et la promotion d’une souveraineté industrielle et agricole appuyée sur un protectionnisme solidaire. De quoi entraîner une création d’emplois stables à même de garantir une vie digne à toutes celles et ceux en âge de travailler tout en permettant aux aînés de profiter de leur retraite sans épuiser leur capital santé.

Ce programme c’était à peu de chose près celui, victorieux, du NFP lors des législatives de juillet 2025. Il commençait par l’abrogation de la réforme de retraites. La PPR du groupe GDR vient de montrer que cette réforme n’a toujours pas de majorité parlementaire et populaire. C’est pourquoi à l’issue du conclave, s’il se confirme que la réforme des retraites n’est pas abrogée, et quoi qu’en dise le rapport du COR, il appartiendra aux partisans de son abrogation de censurer le gouvernement Bayrou.


 

     mise en ligne le 14 juin 2025

Les vraies raisons
pour lesquelles Israël déclenche
une guerre contre l’Iran

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

En envoyant son aviation bombarder les sites nucléaires iraniens, Benyamin Netanyahou empêche tout nouvel accord entre Téhéran et Washington et oblige Emmanuel Macron à reporter la conférence prévue à l’Onu sur la Palestine. À New-York, le chef de l’État devait annoncer la reconnaissance de l’État de Palestine par la France. Analyse

Donald Trump et Benyamin Netanyahou ressemblent à ces bonimenteurs de foire, qui grugent tout le monde en laissant penser qu’ils ne sont pas d’accord. Deux bateleurs qui se sont distribués les rôles pour parvenir à leurs fins. Le problème est que dans cette partie de poker menteur, la paix au Moyen-Orient et, plus largement dans le monde, est en jeu.

Depuis dix ans maintenant, les gouvernements israéliens successifs ont fait de l’Iran leur bête noire, la mère de tous les maux. Mais qu’est-ce qui explique qu’aujourd’hui une guerre – le mot n’est pas trop fort – ait été déclenchée ? Des actions au sol s’étaient déjà déroulées dans le passé. Il s’agissait notamment du vol de documents confidentiel Défense mais également de l’assassinat d’un scientifique impliqué dans le dossier nucléaire, par le Mossad. De même, à l’automne dernier, des échanges de tirs de missiles et d’envois de drones avaient bien eu lieu entre les deux pays, séparés de près de 2000 km mais jamais Israël n’avait envoyé ainsi ses avions de chasse frapper plus de 200 cibles contrairement à ce qu’il avait entrepris contre des installations nucléaires irakiennes en 1981 et une autre dans le nord de la Syrie, en 2007.

Jeu de dupes entre Trump et Netanyahou

Cette attaque – toujours en cours – ne doit rien au hasard et s’inscrit dans un plan beaucoup plus élaboré qui vise à transformer l’ensemble de la région en un sanctuaire inscrit dans le cadre des intérêts états-uniens avec, comme gardien Israël. La guerre génocidaire menée à Gaza, après les attaques monstrueuses du 7 octobre 2023 menée par le Hamas, a ouvert la voie à une annihilation des organisations (Hezbollah au Liban, Hamas en Palestine) et des États (Liban, Syrie) qui s’opposaient peu ou prou à cette mainmise régionale. Restait l’Iran, quoi qu’on puisse penser du régime en place.

C’est là que commence le jeu de dupes de Trump et Netanyahou. Le premier – qui, en 2018 avait retiré la signature des États-Unis de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (dont l’acronyme anglais est JCPoA). À l’époque, lors de son premier mandat, le milliardaire états-unien parlait du « pire accord jamais négocié », qui pourrait déclencher un « holocauste nucléaire ». Il accompagnait son retrait du rétablissement de sanctions contre l’Iran. Pourtant, onze rapports de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) attestaient du respect par l’Iran de ses engagements.

À la surprise générale, cette même administration Trump, de retour aux affaires, a repris le dialogue avec Téhéran. Au début du mois de juin 2025, un possible accord encadrant le programme nucléaire iranien, garantissant que la République islamique ne pourrait se doter de l’arme atomique était évoqué. Quelques jours auparavant, interrogé pour savoir s’il avait dit à Netanyahou de ne pas cibler l’Iran, Trump répondait : « Eh bien, je voudrais être honnête. Oui, je l’ai fait… J’ai dit (à Netanyahou) que ce serait très inapproprié de le faire maintenant, car nous sommes très proches d’une solution. »

Le président des États-Unis ajoutait : « Cela pourrait changer à tout moment. Cela pourrait changer d’un simple coup de fil. Mais pour l’instant, je pense que [l’Iran] souhaite conclure un accord, et si nous y parvenons, cela sauverait beaucoup de vies. » Le 28 mai, le New York Times pensait qu’« au cœur de la tension entre M. Netanyahou et M. Trump se trouvent leurs points de vue divergents sur la meilleure façon d’exploiter un moment de faiblesse iranienne. »

Il s’agissait en réalité d’une entente. Les discussions se sont en effet poursuivies entre les États-Unis et l’Iran, non sans difficultés, et les Iraniens devaient se prononcer sur les dernières propositions états-uniennes avec, comme date butoir le 13 juin. Deux jours auparavant, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, avait qualifié la proposition américaine de « 100 % contraire » aux intérêts de son pays. Plus que de l’enrichissement il était visiblement question de levée des sanctions.

Netanyahou isolé sur la scène internationale

C’est là qu’entre en scène Netanyahou. S’il n’a pas le feu vert de Washington, il n’a pas non plus reçu une interdiction formelle d’attaquer. Comme dit l’adage, « qui ne dit mot, consent ». Le premier ministre israélien y voit plusieurs avantages alors que depuis plusieurs mois maintenant, notamment depuis sa rupture unilatérale du cessez-le-feu à Gaza, il est isolé sur la scène internationale, son seul soutien réel provenant des États-Unis. N’est-ce pas pour cela que l’aviation israélienne est entrée en action à ce moment précis ?

La question des sanctions a commencé à émerger (deux ministres d’extrême droite, Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, sont directement touchés), celle de la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne également. Dans le monde et y compris en Israël même, les manifestations contre la guerre ont pris un nouvel élan, renforcé par les images terribles des Gazaouis tués chaque jour par les bombes et condamnés à la famine.

Et puis, surtout, Benyamin Netanyahou sentait bien qu’une chose impensable jusque-là était en train de se produire. La conférence de l’Onu sur la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, allait aboutir à la reconnaissance officielle par Paris de l’État de Palestine et Riyad, malgré les pressions, refusait de normaliser ses relations avec Tel Aviv, campant sur l’idée de 2002 d’une reconnaissance d’Israël par les pays arabes en échange de l’acceptation de l’établissement du nouvel État.

Ces derniers jours, plusieurs diplomates européens avaient signalé à l’Humanité que « tout était possible et qu’il fallait s’attendre à des coups tordus de la part d’Israël » pour empêcher un tel événement. Après Paris près d’une dizaine de pays membre de l’UE suivaient certainement. Or, pour le gouvernement israélien, il n’est pas question d’accepter un État de Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale. Il fallait donc saborder l’initiative de l’Assemblée générale des Nations unies et la conférence qui devait s’ouvrir le 17 juin prochain. Avec les attaques massives sur l’Iran Netanyahou semble bien être parvenu à ses fins.

Donald Trump maintenant met en demeure l’Iran. Celui-ci « doit conclure un accord avant qu’il ne reste plus rien ». Et le dirigeant états-unien a ajouté : « Je leur ai dit que cela serait bien pire que tout ce qu’ils avaient connu, anticipé ou ce qu’on leur avait dit, que les États-Unis fabriquent les meilleurs équipements militaires et les plus destructeurs que personne d’autre au monde, DE LOIN, et qu’Israël en a beaucoup, et que beaucoup d’autres vont encore arriver — et qu’ils savent comment les utiliser ».

L’Iran « responsable de la déstabilisation » régionale ?

Vendredi après-midi, Emmanuel Macron a annoncé que la conférence à l’ONU qui devait s’ouvrir la semaine prochaine à New York sur la solution à deux États était reportée « pour des raisons logistiques et sécuritaires » mais qu’elle sera organisée « au plus vite », ajoutant : « ce report ne saurait remettre en cause notre détermination à avancer vers la mise en œuvre de la solution des deux États. J’ai dit ma détermination à reconnaître l’État de Palestine, elle est entière et c’est une décision souveraine. » Mais, une fois de plus, et alors qu’on s’attendait à ce qu’il le fasse le 18 juin, cette décision est reportée.

Pour le président de la république, l’Iran porte « une lourde responsabilité dans la déstabilisation de toute la région ». Mais les discussions en cours entre Téhéran et Washington, aussi difficiles soient-elles, ont été interrompues par Israël. De la même manière, si l’on peut souscrire à l’idée d’un Iran empêché d’avoir l’arme nucléaire, comme l’a répété le chef de l’État, cette préoccupation devrait concerner l’ensemble de la région (voir le monde entier débarrassé des armes nucléaires), ce qui doit inclure Israël, puissance nucléaire non déclarée, non-signataire du traité de non-prolifération et qui, à ce titre, n’accueille jamais aucun inspecteur de l’AIEA sur son sol.

Pendant ce temps, la guerre se poursuit à Gaza et la possibilité d’un nouveau cessez-le-feu semble s’éloigner toujours plus.


 


 

Arrêter le nucléaire iranien
avec des bombes :
le pari dangereux de Nétanyahou

Justine Brabant sur www.mediapart.fr

Les frappes israéliennes du 13 juin ont peu de chances de mettre fin au programme nucléaire iranien. Elles risquent en revanche de pousser Téhéran à quitter les cadres de discussions existants et à redoubler d’efforts pour se doter de l’arme atomique sur le long terme.

L’armée israélienne a décrit ses attaques du 13 juin au matin comme une « frappe préventive » visant à empêcher Téhéran de se doter de l’arme nucléaire en frappant « le cœur » de son programme d’enrichissement d’uranium. L’Iran aurait atteint un point de non-retour justifiant le recours à la force et l’abandon de la voie diplomatique, ont en somme expliqué les autorités israéliennes.

Une partie des États européens ont semblé conforter Tel-Aviv dans cette décision, à l’image d’Emmanuel Macron qui a réaffirmé, quelques heures après le lancement des attaques, « le droit d’Israël à assurer sa sécurité ». Il y a pourtant de nombreuses raisons de penser que ces frappes ne vont pas mettre un terme au programme nucléaire iranien. Et risquent au contraire de le rendre plus difficile à contrôler.

La première raison est matérielle : donner un coup militaire décisif au nucléaire iranien est considéré comme quasi impossible en pratique, étant donné son état d’avancement et la manière dont il est conçu – avec des lieux sensibles enterrés et dispersés à travers le pays.

Les usines d’enrichissement d’uranium de Natanz et de Fordo, considérées comme deux des sites les plus sensibles du programme iranien, se trouvent sous terre. Une autre installation souterraine est en cours de construction à l’intérieur d’une montagne (le Kolang Gaz La) au sud de l’usine de Natanz ; elle devrait servir de lieu de production de centrifugeuses. Le site de Natanz compte aussi des installations non souterraines, dont une usine pilote d’enrichissement entrée en service en 2003.Cent mètres sous terre

La profondeur à laquelle sont enterrées ces usines est tenue secrète, mais les estimations de chercheurs spécialisés vont de huit mètres (pour l’usine de Natanz) à une petite centaine de mètres sous terre (pour l’usine de Fordo et la nouvelle installation sous le Kolang Gaz La). Elles sont probablement recouvertes de plusieurs couches de béton armé, de terre compactée et/ou de roche.

Les atteindre suppose d’utiliser des bombes très spécifiques. Or Israël ne possède officiellement aucun missile capable de percer plus de six mètres de béton en une frappe. Détruire l’usine d’enrichissement d’uranium de Fordo supposerait d’utiliser des bombes que seuls les États-Unis possèdent (les GBU-57/B, des « bombes anti-bunker » de plus de 10 000 kilos) et nécessiterait de parvenir à frapper à plusieurs reprises au même endroit.

C’est ce qu’ont calculé deux chercheurs du think tank britannique Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (RUSI), dans une note publiée en mars 2025, qui dressait plusieurs scénarios d’attaques israéliennes sur le nucléaire iranien.

Le site de Natanz a été touché en surface mais guère au niveau de ses installations souterraines.

La protection dont bénéficient ces installations, le degré d’avancement de Téhéran, et le fait que le savoir scientifique nécessaire est désormais largement maîtrisé par les Iraniens conduisent la plupart des spécialistes en prolifération nucléaire, dont les chercheurs du RUSI, à penser que la force militaire seule ne saurait mettre un terme au programme iranien.

Les frappes israéliennes, si massives qu’elles aient été, ne semblent pour l’instant pas les démentir. Les premières images satellite prises après les attaques israéliennes intervenues tôt dans la matinée du 13 juin montrent que le site de Natanz a été touché en surface au niveau de son usine pilote et d’une installation électrique – mais guère au niveau de ses installations souterraines.

Le site de Fordo, considéré par les experts comme l’endroit le plus stratégique du programme nucléaire iranien, a lui été visé dans une seconde salve de frappes, le 13 juin en fin de journée. L’étendue des éventuels dégâts est encore inconnue.

Les partisans du recours aux armes face à Téhéran convoquent deux exemples historiques afin d’illustrer l’efficacité supposée de bombardements : les attaques israéliennes contre le réacteur irakien Osirak (en 1981) et contre l’installation syrienne d’Al-Kibar (en 2007). Elles sont réputées avoir mis un coup d’arrêt aux ambitions nucléaires militaires des deux États.

Mais les circonstances ne sont pas comparables, argumentent les chercheurs du RUSI Darya Dolzikova et Justin Bronk. Ils relèvent que « dans les deux cas, les programmes des pays attaqués étaient très concentrés [géographiquement] et n’en étaient qu’à leurs balbutiements, leur développement dépendant largement de l’aide étrangère ». Au contraire de l’Iran de 2025 qui, « après une frappe militaire sur ses sites nucléaires [...], aura non seulement l’expertise locale nécessaire pour reconstruire en rebâtissant des installations plus profondes et plus résistantes, mais y sera davantage incité ».

Détermination décuplée

Des officiels israéliens l’admettent eux-mêmes. Le conseiller à la sécurité nationale israélien Tzachi Hanegbi a ainsi reconnu qu’il était « impossible de détruire le programme nucléaire par la seule force ». L’objectif est en réalité « de faire comprendre aux Iraniens qu’ils devront arrêter le programme nucléaire », avance-t-il.

C’est un pari particulièrement risqué. Sans même parler des risques de précipiter toute la région dans le chaos, le passé a démontré que les attaques sur leur programme nucléaire semblaient surtout démultiplier la détermination des autorités iraniennes à se doter de l’arme atomique. En avril 2021, l’Iran avait répondu à une tentative de sabotage de son usine souterraine de Natanz, en annonçant son intention d’enrichir son uranium à 60 % (contre 20 % jusqu’alors – le seuil permettant l’utilisation à des fins militaires est de 90 %).

Les progrès de l’Iran en matière nucléaire ont largement été « une réponse aux menaces perçues pour sa survie », observe la politiste Doreen Horschig, en poste à l’université de Floride centrale (États-Unis). Elle rappelle l’influence de la crise de Suez de 1956, et des tensions régionales qui en ont découlé, dans la décision de Téhéran de développer son programme nucléaire.

Une attaque israélienne de grande envergure contre les installations nucléaires iraniennes « renforcerait probablement la perception de la menace par Téhéran », « accélérerait sa quête d’un arsenal nucléaire », et pousserait certainement le programme nucléaire iranien « plus loin dans la clandestinité », prédisait Doreen Horschig en 2024, dans un article sobrement intitulé « Pourquoi frapper les installations nucléaires iraniennes est une mauvaise idée ».

Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives des attaques israéliennes, toujours en cours et dont Benyamin Nétanyahou assure qu’elles pourraient durer deux semaines. Mais on sait déjà trois choses.

Premièrement, elles risquent d’anéantir les actuels pourparlers sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis.

Deuxièmement, elles vont singulièrement compliquer – voire rendre impossible pour un temps – les contrôles de l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique), pour des raisons de sécurité des inspecteurs, mais également parce que Téhéran pourrait déplacer ses stocks d’uranium enrichi et refuser de communiquer leurs nouvelles localisations afin de les protéger de nouvelles frappes israéliennes.

Troisièmement, elles pourraient conduire l’Iran à se retirer du traité de non prolifération (TNP), considéré comme un pilier essentiel de la sécurité mondiale et auquel Israël a d’ailleurs toujours refusé d’adhérer. En tentant de mettre fin définitivement à la menace nucléaire iranienne, qu’il juge « existentielle », le gouvernement israélien pourrait avoir contribué à la rendre hors de contrôle.


 

     mise en ligne le 13 juin 2025

« Je ne veux pas fuir, je n’ai rien fait de mal » : l’Irlande du Nord fracturée par une semaine d’émeutes racistes

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

L'Irlande du Nord est le théâtre d'émeutes racistes depuis lundi 9 juin, suite à l'arrestation de deux jeunes hommes d'origine roumaine, dans le cadre d'une enquête pour tentative de viol. Les épisodes de violence sont tels que les autorités nord-irlandaises ont dû évacuer des ressortissants étrangers cachés chez eux depuis plusieurs jours.

Les ressortissants étrangers sont contraints de se cacher dans des greniers ou des penderies. Des maisons sont incendiées, les fenêtres brisées. Dans l’espoir d’être épargnés, certains foyers ont placardé des affiches jaunes où sont inscrits « Des locaux vivent ici », « Des Philippins vivent ici », ou encore « Foyer britannique ». Les rares personnes qui ne sont pas cloîtrées chez elles rasent les murs, où sont inscrits des messages tels que « Dehors les violeurs Roms ». Depuis lundi 9 juin, l’Irlande du Nord est mise à feu et à sang par la multiplication d’émeutes racistes.

Les vagues de violences, qui visent des communautés racisées, s’enchaînent jour après jour, poussant des citoyens à fuir le pays. Les autorités nord-irlandaises ont ainsi annoncé avoir évacué des ressortissants étrangers cachés chez eux, alors « qu’ils n’avaient rien faits de mal », a rapporté le commissaire nord-irlandais, Jon Boutcher. « Ce ne sont pas des criminels, a-t-il rappelé, à destination des émeutiers. Nous allons vous arrêter, nous allons vous poursuivre en justice. » Quinze suspects ont déjà été arrêtés, dont trois jeunes hommes – deux sont mineurs – qui ont été mis en examen pour leur rôle dans ces violences, jeudi 12 juin.

Des cocktails Molotov et des feux d’artifice

L’oppression raciste en cours en Irlande du Nord s’est déchaînée depuis l’inculpation, lundi, de deux adolescents pour la tentative de viol d’une jeune fille. Si la police n’a pas communiqué sur l’origine des deux jeunes, plusieurs médias britanniques n’ont pas hésité à révéler que les deux inculpés se sont exprimés par l’intermédiaire d’un interprète roumain lors de leur comparution au tribunal.

Jusqu’ici, les violences se sont surtout concentrées à Ballymena, à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Belfast, où vit une importante population immigrée d’Europe de l’Est. Mercredi soir, des individus s’en sont notamment pris aux autorités et aux habitations, avec des cocktails Molotov, des feux d’artifice et autres projectiles, ainsi qu’une hachette, selon la police, qui a eu recours à un canon à eau pour disperser la foule. Un centre de loisirs, où des familles déplacées par les émeutes à Ballymena avaient été logées temporairement, a été incendié à Larne, à une trentaine de kilomètres de là, sans qu’aucun blessé soit à déplorer.

Des émeutes racistes ont aussi eu lieu dans les rues de Portadown, au sud-ouest de Belfast, où des centaines de manifestants se sont rassemblées sous des mots d’ordre anti-immigrés. « Les gens nous regardent de travers, ils me disent : “Fuck les Roumains, rentrez chez vous bâtards” », témoigne Maria (le prénom a été modifié), vendeuse d’origine roumaine, auprès de l’Agence France-Presse (AFP). « Ce n’est pas à propos de cette fille, c’est une histoire de racisme », juge Maria, qui dort chez des amis avec son mari depuis lundi soir.

Certains habitants de Clonavon Road « sont déjà rentrés » dans leurs pays d’origine, ajoute celle dont le mari a amené dans la précipitation plusieurs familles à l’aéroport. « Mais je ne veux pas fuir, je n’ai rien fait de mal », s’émeut-elle. Un porte-parole du premier ministre britannique, Keir Starmer, a condamné cette nouvelle flambée de violences, dénonçant des scènes « scandaleuses ». Le ministre chargé de l’Irlande du Nord, Hilary Benn, s’est quant à lui dit « choqué » par les dégâts engendrés, à l’issue d’une visite à Ballymena, jeudi matin.

Au-delà de ces deux localités, des incidents ont eu lieu mercredi soir à Carrickfergus et Newtownabbey, non loin de Belfast, ainsi qu’à Coleraine, dans le nord de la province britannique, où le trafic des trains et des bus a dû être interrompu. Des rassemblements ont eu lieu à Belfast, mais se sont déroulés « majoritairement dans le calme », selon la police. Jon Boutcher a appelé à des « peines de prison ferme importantes » pour les personnes qui seront condamnées pour avoir participé à ces émeutes. « Nous devons envoyer un message très clair », a-t-il insisté.

« La plupart des personnes impliquées dans les émeutes – dont beaucoup d’adolescents – sont issues d’une communauté ouvrière loyaliste » – attachée au maintien dans le Royaume-Uni et à majorité protestante -, estime Alex Kane, éditorialiste pour le média Irish News. Cette population, autrefois dominante, s’est, selon lui, sentie « délaissée » lors du processus de paix qui a mis fin à trente ans de conflit avec les partisans de l’unification irlandaise, en majorité catholiques. Or, la défense de leur identité britannique s’est notamment basée… sur leur haine des immigrés.


 

     mise en ligne le 12 juin 2025

Ce que nous dit le débat sur
la taxe Zucman

par Pablo Pillaud-Vivien sur www.regards.fr

Taxer les riches, c’est un début, mais leur richesse dépasse largement la profondeur de leurs comptes bancaires.

Ce jeudi, le Sénat examine une proposition de loi initiée par les députés écologistes Éva Sas et Clémentine Autain, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman. Elle propose d’instaurer une taxation minimale de 2% sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Une mesure soutenue au-delà des rangs de la gauche : lors du vote en commission des finances, les députés LFI, PS, écologistes et même certains députés LR et centristes ont voté pour. Seuls les macronistes et le Rassemblement national s’y sont opposés. Pas forcément pour les mêmes raisons. 

La France a déjà connu une société de rentiers. C’était celle du début du 20ème siècle qui a bien failli en mourir d’asphyxie. On se souvient que lorsqu’Emmanuel Macron a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), il n’a pas tout supprimé. Il a laissé en place l’imposition sur les biens immobiliers. Pour l’homme qui trouve agréable d’imaginer des jeunes milliardaires, il faut favoriser l’esprit start-up, pas l’investissement dans la pierre. Tout à ses références sur la France éternelle, le RN n’a pas cette approche. Le bien immobilier symbole de transmission est une valeur. Il mélange pêle-mêle le « ça-m’suffit » et le beau château, à Montretout ou ailleurs. 

La proposition Zucman s’attaque à tous les patrimoines. Sa visée est redistributive. Elle lève le voile sur une société où les très riches s’enrichissent par le simple effet mécanique de leur capital, pendant que les autres rament. Selon Forbes, en France, 53 milliardaires détiennent à eux seuls plus de 600 milliards d’euros. Il s’agit ici d’un déséquilibre structurel que cette taxe écornerait à peine. Son intérêt est autre : elle force le débat sur la montée exponentielle des inégalités de patrimoine et elle rapporterait des rentrées fiscales que la minorité gouvernementale peine à imaginer ailleurs que venant des poches du plus grand nombre.

Car, soyons en certains, taxer les très riches à hauteur de 2% ne suffira pas à renverser l’aggravation des écarts de richesse. Même légèrement amputée, leur richesse continuera de croître plus vite que celle du reste de la population. Ils n’ont pas seulement beaucoup d’argent : ils possèdent des actifs, des entreprises, des parts dans des fonds, des leviers de pouvoir économique. 

On commence à parler des très riches. Il faudra aussi parler des entreprises qu’ils détiennent. Car c’est le plus souvent là que tout commence. Arnault, Niel, Pinault et compagnie, comme beaucoup des plus riches de France, tirent leurs richesses de leurs entreprises. Le capital productif, celui qui fait tourner l’économie, est de plus en plus concentré dans les mains de quelques-uns. Il n’existe aujourd’hui aucun consensus politique, même à gauche, pour exiger une répartition du pouvoir économique dans les entreprises. On n’ose même plus poser la question de leur propriété. 

Tant qu’on ne regardera pas en face les rapports de propriété dans l’économie, tant qu’on n’ouvrira pas le débat sur la démocratisation des entreprises, tant qu’on ne sortira pas de l’idéologie de l’actionnaire-roi, nous resterons à la surface des choses. Parce qu’on ne peut pas parler sérieusement d’égalité sans parler de pouvoir – et le pouvoir, aujourd’hui, c’est là qu’il se loge.


 

     mise en ligne le 11 juin 2025

Les jeunes tuent : ce monde ne va pas

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Après la mort d’une assistante d’éducation dans un établissement scolaire de Nogent, quelques semaine après l’assassinat d’une adolescente à Nantes, l’inquiétude s’étend. Qu’est-ce qu’il se passe dans notre jeunesse ?

On parle beaucoup d’une forte dégradation de leur santé mentale. Des chiffres affolants sont donnés : un jeune sur quatre serait en souffrance. Ceux qui passent à l’acte, meurtre ou suicide, sont l’expression ultime d’une douleur si profonde, si partagée.

Parmi les responsables politiques, les plus décidés à apporter des réponses immédiates prônent la mise en place de portiques, de vidéo surveillance, d’interdiction de vente de couteaux. Chacun sait bien que ce sont des solutions impossibles économiquement, inefficaces et en trompe-l’œil. Emmanuel Macron, toujours si économe de moyens, proposent l’interdiction des réseaux sociaux. Cet autre monde irréel n’existera pas. Les jeunes se parlent, s’informent et se distraient massivement sur leur portable.

Les défenseurs des enfants et de l’école tirent la sonnette d’alarme sur l’absolue pauvreté des moyens de prévention et de soin dans le domaine mental, en particulier à l’école et en pédopsychiatrie : un médecin scolaire pour 13 000 élèves.

Il faudra aussi, un jour, se demander ce qui provoque un tel malaise, d’une telle ampleur, si soudainement.

La souffrance de la jeunesse dit à quel point notre monde est anxiogène, si dénué de sens et d’avenir.

Ce monde ne leur va pas. Donc il ne va pas.


 


 

Drame de Nogent :
plongée dans le quotidien d’une assistante d’éducation (AED)

Pierre Joigneaux sur https://fakirpresse.info/

Après le drame de Nogent, une assistante d’éducation (AED) de 31 ans tuée par un élève ce mardi, j’ai de suite pensé à Charlotte : assistante d’éducation, le même âge, le même département. J’avais rencontré Charlotte il y a deux mois de ça, et elle tirait déjà la sonnette d’alarme…

Parce que dans les couloirs, dans la cour, aux toilettes, à l’infirmerie, à l’entrée, à la sortie, en perm’, dès que les élèves quittent la salle de classe, les assistants d’éducation (AED) sont là, au four et au moulin. Des journées de fou. Une présence essentielle pour nos gosses, mais un métier ultra précaire. Et surtout abandonnés par l’institution, par l’Etat.

Jusqu’au drame de Nogent, donc.

La réponse de ce gouvernement ? Le Premier ministre dénonce la « menace des armes blanches, devenue critique ». Comme si la « menace » venait de nulle part. La ministre de l’éducation parle de la mise en place de « fouilles », appelle une « réponse globale » mêlant santé mentale des jeunes avec un « protocole de repérage ».

Mais qui va « fouiller » ? Quels personnels, quand il en manque partout, quand les profs, déjà, ne sont pas remplacés ?

Et « repérage » des problèmes psychologiques par qui ? Par les infirmières scolaires ? La France en compte une pour… 1558 élèves !

Par les psys de l’Education nationale ? Qui vont aussi prendre en charge la santé mentale, peut-être ? La France compte une seule psy pour… 1500 élèves !

Pour repérer et soigner, encore faudrait-il des professionnels de santé dans les établissements scolaires, non ? Mais qu’ont fait Elisabeth Borne comme ministre de l’Education, et son gouvernement, pour améliorer les choses, dans ce domaine ?

Qu’ont fait Elisabeth Borne comme Première ministre, et son gouvernement, pour améliorer les choses, dans le quotidien des élèves et des personnels ?

Qu’a fait François Bayrou, qui pleure dans son costume de Premier ministre, mais pointait déjà comme ministre de l’Education il y a plus de trente ans ?

Comme si leur responsabilité n’était pas engagée, directement engagée…

Loin des coups de com’ du gouvernement, on vous plonge dans le quotidien d’une assistance d’éducation, celui de Charlotte (lire le début en accès libre ci-dessous).

« Bonjour Fakir.

Je vous écris pour vous faire part de mon expérience pour le moins très précaire. Je suis AED, soit assistante d’éducation dans un collège public de la Marne. Vous n’êtes pas sans savoir que ce contrat est déjà précaire à la base. Fin février, j’ai été victime d’un accident qui, aujourd’hui, m’empêche de marcher et implique une longue rééducation. Je ne marcherai pas avant des mois. Aujourd’hui, la sanction tombe : demi salaire, direct… » Clément, mon collègue à la com’, nous avait signalé ce témoignage reçu sur Facebook. Je me l’étais noté, dans un coin de mon cahier. Je l’avais ajouté à la pile immense des sujets d’articles potentiels, alors qu’on est sous l’eau, à la rédaction. Mais pendant que quand Louisa, aide à domicile à Aurec-sur-Loire, me racontait les métiers invisibles dont on ne parle jamais, je me rappelais de Charlotte…

Je me frotte les yeux, et je relis son message avant de la contacter. « Vous n’êtes pas sans savoir que ce contrat est déjà précaire à la base… » Pour être honnête, les assistants d’éducation, ça m’évoque des lointains souvenirs du collège, mais guère plus. Charlotte, du coup, sans plus attendre, entre dans le vif : « On ne me propose même pas la possibilité de survivre dignement, et pourtant, je suis sous contrat, engagée avec l’Éducation Nationale… »

Une honte, mais une honte légale.

Je rembobine : Charlotte est assistante d’éducation dans un collège public dans la Marne. Elle a eu un grave accident, le 24 février dernier. « Je me suis explosé la jambe. » Elle est tombée, elle s’est pété le ligament du genou droit. Elle ne peut plus marcher, déclare un arrêt à l’Éducation nationale, prévient sa CPE, le jour même. Résultat ? Quatre jours plus tard, elle reçoit un demi-salaire : 600 euros. Comment c’est possible ?

     mise en ligne le 9 juin 2025 

La flottille pour Gaza arrêtée : Israël accusé de violer le droit international, Paris se tait

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Les douze personnes arrêtées dans la nuit de dimanche à bord du bateau « Madleen » ont été convoyées vers Israël. Des ONG et une partie de la gauche française dénoncent cette action menée dans les eaux internationales. Des milliers de manifestants se sont rassemblés en France lundi soir

Des milliers de personnes se sont rassemblées dans toutes les grandes villes de France, lundi 9 juin à partir de 18 heures, pour protester contre la prise de contrôle par l’armée israélienne du bateau humanitaire Madleen qui faisait route vers Gaza. La réaction du gouvernement français est jugée beaucoup trop timide, voire « complice ».

Escorté par deux navires de la marine israélienne, le bateau abritant douze militant·es, dont six Français·es, est entré dans le port d’Ashdod lundi à la nuit tombée, vers 20 h 45, heure locale (19 h 45 à Paris). « À leur arrivée, des dispositions seront prises pour leur retour dans leurs pays d’origine respectifs », avait indiqué en milieu d’après-midi le ministère israélien des affaires étrangères, qualifiant ce navire de la Flottille de la liberté de « yacht selfie transportant Greta Thunberg et les autres soi-disant célébrités ».

De nationalité française, allemande, brésilienne, turque, suédoise, espagnole et néerlandaise, les douze militant·es avaient embarqué à bord du Madleen le 1er juin en Italie pour « briser le blocus israélien » à Gaza. L’activiste suédoise Greta Thunberg, l’eurodéputée La France insoumise (LFI) Rima Hassan ou encore le journaliste français de Blast Yanis Mhamdi se trouvaient à bord du navire battant pavillon britannique.

Israël affirme avoir « dérouté » le bateau au milieu de la nuit de dimanche à lundi. L’organisation Freedom Flotilla Coalition (Coalition de la Flottille de la liberté) parle d’un équipage « kidnappé » par une armée qui a « arraisonné » le navire.

À Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux ou Nice, de gros rassemblements ont eu lieu lundi soir à l’appel de la gauche, pour protester contre l’interception du bateau et dire leur inquiétude pour ses occupant·es.

Présent place de la République à Paris dans une foule dépassant sans doute les 10 000 personnes, aux côtés d’autres représentants des partis de gauche, le leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon a assuré « craindre le pire » pour les militant·es à bord. La dirigeante des Écologistes Marine Tondelier avait auparavant appelé à « une mobilisation populaire internationale » pour « amener les États à s’engager pour leur protection et leur libération ».

À la mi-journée, l’Élysée avait simplement fait savoir qu’Emmanuel Macron avait « demandé de permettre, dans les plus brefs délais, le retour en France » des Français·es. Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot a souhaité que la France puisse exercer une « protection consulaire à leur égard » et leur rendre visite « en vue de s’assurer de leur situation » à leur arrivée sur le territoire israélien .

Sur le réseau social X, Jean-Luc Mélenchon avait dénoncé une « arrestation illégale » et demandé à l’ensemble de la communauté internationale de la condamner. Il s’est adressé en particulier à l’exécutif : « Rima Hassan, députée française, va être détenue en prison après l’acte de piraterie de ses agresseurs cette nuit. Le gouvernement et le président ne prennent pas la mesure du danger. Ont-ils peur de Nétanyahou ? C’est insupportable », a-t-il posté.

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a déclaré, lui aussi sur X : « L’équipage a atteint son but. Il doit maintenant faire l’objet d’un soutien des États européens. Le silence des gouvernements serait une faute. »

Nombre de voix, dont celles de la Ligue des droits de l’homme et d’Amnesty International, ont également dénoncé ce lundi une violation du droit international, et l’absence d’autorité légale d’Israël à agir de la sorte. Interrogé par BFMTV, Benjamin Fiorini, secrétaire général de l’Association des juristes pour le respect du droit international, était formel : « Cette arrestation ne peut pas être légale », car « Israël n’a aucune souveraineté » dans les eaux où le navire a été intercepté.

Chaque port de la Méditerranée devrait envoyer des bateaux chargés d’aide, de solidarité et d’humanité à Gaza. Et ils devraient naviguer ensemble. Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les Territoires palestiniens

Le gouvernement israélien manie de son côté l’ironie, considérant que « le spectacle est terminé », ainsi que l’a posté sur le réseau social X le ministère des affaires étrangères au milieu de la nuit. Une vidéo montrant que nourriture et eau avaient été distribuées aux militantes et militants a été publiée, avec une photo de Greta Thunberg, ainsi légendée : « Greta Thunberg est actuellement en route pour Israël, saine et sauve et de bonne humeur. »

Au même moment, le ministre israélien de la défense a exigé de l’armée israélienne qu’elle montre aux passagères et passagers du Madleen la vidéo des atrocités commises le 7 octobre 2023 par le Hamas. « Il est juste que Greta l’antisémite et ses amis partisans du Hamas voient précisément quelle est l’organisation terroriste qu’ils sont venus soutenir, pour laquelle ils agissent, et quels crimes atroces elle a commis contre des femmes, des personnes âgées et des enfants – et contre qui Israël se bat pour sa défense », a-t-il posté sur X. 1 200 personnes, dont 815 civils, ont été assassinées lors de cette attaque organisée par le Hamas sur le sol israélien.

Plus de 54 772 Palestinien·nes, majoritairement des civils, ont été tué·es dans la guerre menée par Israël et à Gaza, « 100 % de la population » est « menacée de famine », avertit de son côté l’ONU. Dans un communiqué publié samedi 7 juin, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte également sur « l’effondrement du système de santé », car « il n’y a déjà plus aucun hôpital en service dans le nord » du territoire.

Un nouveau convoi en route

Depuis l’arrestation des militantes et militants du Madleen, de nouveaux appels à venir en aide aux Gazaoui·es sont lancés. « Chaque port de la Méditerranée devrait envoyer des bateaux chargés d'aide, de solidarité et d’humanité à Gaza. Et ils devraient naviguer ensemble – unis, ils seraient inarrêtables », exhorte sur X Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour les Territoires palestiniens. Selon elle, « briser le siège est un devoir légal pour les États et un impératif moral pour nous toutes et tous ».

Et c’est justement pour « briser le blocus » qu’un convoi de plusieurs centaines de personnes a quitté la Tunisie lundi 9 juin dans des autocars, avec l’intention de rejoindre la bande de Gaza, en passant par la Libye et l’Égypte. Selon le porte-parole de ce convoi, cité par le quotidien Le Monde, il ne s’agit pas d’apporter de l’aide humanitaire dans « l’endroit le plus affamé au monde » mais de poser « un acte symbolique ».

Dès l’aube, le compte « Freedom Flotilla Coalition » a publié sur les réseaux X et Bluesky des vidéos, en anglais, des militantes et militants présent·es à bord du Madleen appelant, chacune et chacun, leur gouvernement à réagir. « Si vous voyez cette vidéo, c’est que nous avons été interceptés par les forces israéliennes […] et que nous sommes peut-être dans une situation très difficile, alors je demande à nos soutiens, à nos familles […] de faire pression sur le gouvernement français pour que nous soyons libérés et, bien sûr, que ce génocide cesse. »

Parmi les réactions internationales, la Turquie a dénoncé une « attaque odieuse » de la part du gouvernement du premier ministre israélien, jugeant qu’« une fois de plus qu’Israël agit comme un État terroriste ». L’Iran condamne de son côté un « acte de piraterie ».


Alors que l’équipage du Madleen devait arriver en Israël, des manifestantes et manifestants s’étaient rassemblé·es près du port d’Ashdod pour demander la libération de Gaza et la fin du silence international.


 


 

Montpellier : 2 000 personnes manifestent en soutien à la flottille de la liberté

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Après un premier rassemblement ce dimanche 8 juin, ce sont 2 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Montpellier ce lundi 9 juin, en soutien de la flottille pour la liberté en approche de Gaza, avec à son bord notamment l’eurodéputée France Insoumise Rima Hassan, la militante écologiste Greta Thunberg et une dizaine d’humanitaires, arrêtés par l’état d’Israël

Dans la nuit de dimanche à lundi, Madleen, le bateau de la flottille de la liberté, chargé de briser symboliquement le blocus ciblant la bande de Gaza en apportant des vivres, a été stoppé en mer par l’armée israélienne. Avec à son bord notamment l’eurodéputée France Insoumise Rima Hassan, la militante écologiste Greta Thunberg, et une dizaine d’humanitaires. À Montpellier, ce sont entre 1 500 et 2 000 personnes qui ont manifesté pour les soutenir ce lundi soir.

C’est une piraterie d’État, une violation du droit maritime et du droit humanitaire”, tonne Manu, militant de BDS (boycott désinvestissements sanction, association non-violente de soutien à la Palestine), ce lundi 9 juin sur la place de la Comédie, devant environ 1 500 personnes. “Macron n’a toujours pas exigé l’eut libération, il est complice”, ajoute le militant.

Nathalie Oziol, députée LFI de l’Hérault. Appelle quant à elle l’État français à “condamner fermement ces agressions et à faire respecter le droit international”. Côté montpelliérain, elle demande à Michael Delafosse, maire “socialiste” de Montpellier, de suspendre le jumelage de la commune avec la ville israélienne de Tibériade, comme le demande une partie de l’opposition municipale.

Le maire de Montpellier avait déjà dû reculer sur la “journée de Jérusalem, capitale une et indivisible de l’État d’Israël“, célébrée chaque année en présence des barons socialistes locaux, au mépris du droit international, qui prévoit un partage de la ville sainte. Sous pression de son aile gauche et du mouvement de soutien à la Palestine, il avait déclaré en avril dernier que cette journée ne se tiendrait plus dans un lieu public, comme c’était le cas avant, au domaine de Grammont.

Domaine de Grammont que les militants investiront les militants de BDS le 22 prochain à l’occasion d’un pique-nique accompagné d’animations politiques pour célébrer “la journée d’Al-Qods” (nom arabe de Jérusalem).


 

     mise en ligne le 7 juin 2025

Parcoursup : la machine,
cimetière des vocations

Cyril Pocréaux sur https://fakirpresse.info/

Ce lundi, c’est le top départ de Parcoursup, cette grande loterie où une machine décide si nos jeunes qui veulent étudier auront, ou non, une chance de réaliser leurs rêves. Spoiler : souvent, c’est « non »…

« L’intelligence artificielle va disrupter tous les modèles économiques, et je veux que nous en fassions partie. Je veux que nous ayons des champions de l’intelligence artificielle ici en France, et attirer les champions du monde entier. » C’est Emmanuel Macron, disrupteur en chef, qui lançait ça, l’œil brillant, lors d’un des précédents sommets « French Tech ». Et de vanter, l’œil brillant, son modèle de société qui « digitalise » les services publics, met des tablettes dans les écoles, oriente les élèves avec les algorithmes de Parcoursup… 
Sans même se poser la question sans même qu’elle ne l’effleure : des « champions » pour faire quoi ?

La technique, soit, mais au service de quelle humanité ? Au service de quel projet ? La question n’est jamais posée : car la technique, en elle-même, c’est leur « proooooooojet ».

Et tant pis pour les jeunes qui, non sélectionnés par les algorithmes de Parcoursup – eux-mêmes désormais faussés par ceux qui exploitent « l’intelligence » artificielle pour se faire une place au soleil des classements – tant pis donc pour les jeunes qui, écartés par la machine, sont renvoyés au néant, à eux de se démerder seuls, parce qu’une machine l’a décidé. L’an passé, sur 850 000 candidats à une place pour poursuivre des études supérieures, 85 000 n’avaient pas reçu de proposition. En 2022 : 22 % des bacheliers n’avaient pas trouvé de place. Beaucoup racontent leur détresse sur les réseaux sociaux.

Débrouillez-vous.

Ceux dont les parents ont les moyens pourront toujours alimenter le business des écoles privées.

Quant aux autres…

Quand la machine brise des rêves

C’est un immense, un terrible gâchis. 

Un cimetière des vocations, comme on vous le racontait déjà dans notre dernier bouquin, celui de Damien Maudet, Un député aux Urgences.

Car c’est l’un des paradoxes de cette start-up nation dont rêve Macron : ses algorithmes ruinent les rêves, ceux des aspirants infirmiers, entre autres. « La sélection, où il n’y a plus d’entretien, n’est pas adaptée », se désole Rémi Salomon, président de la CME, la conférence médicale d’établissement de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). En bref : depuis 2019, le concours d’entrée en IFSI (Institut de formation en soins infirmiers) a été supprimé pour laisser place à l’algorithme de Parcoursup, dont personne ne comprend bien le fonctionnement.

Étonnamment, depuis l’entrée en vigueur de ce système, le nombre de demandes d’entrées en IFSI a littéralement explosé (mais pas le nombre de places disponibles) : de 180 000 demandes en 2017, à 680 000 en 2021. Problème, tout aussi étonnant : le nombre d’abandons en cours de cursus a lui aussi augmenté, en flèche. En 2023, la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) pointait un doublement du taux d’abandon en études de soins infirmiers, passant de 10 % pour la promotion 2011 à 22 % pour celle de 2020.

D’après Michèle Appelshaeuser, présidente du Comité des instituts de formations du paramédical, « le concours donnait au moins aux étudiants le temps de maturer un projet et de réfléchir au métier d’infirmier ». Comprenez : aujourd’hui, les étudiants cochent dans leurs vœux un IFSI comme ça, un peu par défaut. Puis sont sélectionnés par la machine, mais se rendent vite compte qu’ils ne sont pas intéressés, et arrêtent. Effet pervers : à l’inverse, des milliers de lycéens motivés sont refoulés d’entrée de jeu par l’algorithme. Et il n’existe aucun concours pour retenter sa chance, quand bien même c’est là le métier de vos rêves. Un rapport sénatorial souhaite remettre en cause ce système, qui génère un « taux d’abandon en cours d’études particulièrement important. » 

Mais puisque l’algorithme le dit, on continue à massacrer des vocations. 

Et donc, en cascade, à supprimer des lits à l’hôpital. 

Merveilleuse start-up nation


 

     mise en ligne le 6 juin 2025

Gardanne, Chapelle-Darblay :
le deux poids, deux mesures
de la réindustrialisation

Thomas Coutrot  sur www.politis.fr

Une subvention de 800 millions d’euros accordée pour relancer une centrale biomasse à la réussite douteuse. Et cinq ans d’attente pour un prêt de 27 millions d’euros visant à redémarrer une usine de recyclage de papier. Comment expliquer cette différence de traitement ?

En novembre 2024, l’État a annoncé une subvention de 800 millions d’euros pour la relance de la centrale biomasse de Gardanne. Ce soutien massif contraste étrangement avec son refus, toujours persistant à ce jour, d’accorder un simple prêt de 27 millions d’euros via la Banque publique d’investissement (BPI) pour la relance de la papeterie Chapelle-Darblay à Grand-Couronne (Seine-Maritime), fermée depuis cinq ans.

La centrale biomasse de Gardanne est pourtant dénoncée par les associations environnementales comme un désastre écologique : elle brûle 450 000 tonnes de bois par an, dont un tiers importé, avec un rendement énergétique inférieur à 30 %. Autrement dit, deux arbres brûlés sur trois ne font qu’émettre du CO2 sans produire d’électricité. Elle émet des particules fines sur le territoire avoisinant et pousse à un extractivisme forestier, comme le dénoncent de nombreuses associations locales. Une enquête publique se déroule en ce moment auprès de 324 communes touchées, et pourrait renforcer la mobilisation citoyenne.

La CGT mobilisée

En revanche, l’impact écologique positif de la relance de Chapelle-Darblay ne fait pas débat. L’usine pourrait recycler 480 000 tonnes de papiers usagés pour produire du carton et stopperait l’aberration écologique actuelle : depuis cinq ans, le contenu des poubelles jaunes de l’Ouest de la France est envoyé par camions en Allemagne et en Italie pour y être recyclé.

Dans les deux cas, la CGT locale et nationale s’est mobilisée pour défendre l’emploi et l’environnement. La CGT de Gardanne a élaboré, en lien avec des ONG, un projet industriel réduisant fortement l’usage de la biomasse et prévoyant le développement de la production de biogaz. La CGT de Chapelle-Darblay a travaillé avec Greenpeace pour présenter une argumentation irréfutable sur les bénéfices environnementaux de la relance de la papeterie.

Un actionnaire influent

L’État s’est fortement engagé pour Gardanne, mais n’a pas conditionné son soutien à la mise en œuvre du projet alternatif porté par la CGT. Les emplois pourraient être sauvés mais pas l’environnement. Comment expliquer ce deux poids deux mesures ? L’actionnaire de Gardanne est EPH, le groupe du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, qui a fait fortune en rachetant des centrales à charbon en fin de vie. Il dispose d’un fort poids politique, notamment via son groupe de presse. Il a fermé la centrale à charbon de Gardanne en 2021 au profit de celle à biomasse, conformément aux promesses du candidat Macron en 2017. Élu président, celui-ci veille à assurer la survie de la nouvelle centrale, même si son bilan écologique est à peine moins désastreux.

La Chapelle-Darblay dispose manifestement de moins d’amis dans les hautes sphères gouvernementales.

À la Chapelle-Darblay, l’actionnaire est le groupe canadien Fibre Excellence, soutenu par les collectivités locales, qui ont même réquisitionné le foncier pour empêcher la vente de l’usine par son précédent actionnaire. Mais le projet dispose manifestement de moins d’amis dans les hautes sphères gouvernementales. Lassé d’attendre, Fibre Excellence a lancé un ultimatum à l’État, soutenu par les syndicalistes CGT (1). Souhaitons qu’ils soient enfin entendus.


 

     mise en ligne le 5 juin 2025

Victoire éclatante pour les grévistes de l’hôpital psychiatrique d’Auch

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Après 23 jours de mobilisation, les grévistes de l’hôpital psychiatrique d’Auch ont arraché, ce 3 juin, une grande partie de leurs revendications.

Le 3 juin, au terme de vingt-trois jours de grève, les blouses blanches du centre hospitalier spécialisé psychiatrique d’Auch (Gers) ont arraché une grande partie de leurs revendications. Le projet de gel de dix lits cet été, faute de personnel, qui avait mis le feu aux poudres, a ainsi été balayé. L’agence régionale de santé s’est aussi engagée à faire le maximum pour trouver des psychiatres dans les structures alentour pour assurer les dix jours de pénurie de garde estivale. Sept psychologues vont également être stagiairisés (en vue de titularisation) alors qu’ils étaient en CDD.

Au total, une trentaine de recrutements ou de redéploiements sont prévus. Pour obtenir cette victoire, des dizaines de soignants se sont succédé pour tenir le piquet 24 heures sur 24 devant l’entrée. Avec une banderole : « 2025, année de la santé mentale, ça commence quand ? »

Certains, comme Annabelle Skowronek, infirmière et élue CGT au CSE, ont enchaîné les nuits dans le camping-car ou la tente. « On est super-satisfaits du résultat mais on a dû déployer une énergie folle juste pour se faire entendre et avoir la garantie de conditions de travail à peu près normales ! » précise la syndicaliste.

 

     mise en ligne le 4 juin 2025

Espagne: vers une régularisation de près de 500 000 personnes en situation irrégulière

sur https://www.rfi.fr/

C’est officieux, mais c’est certain : le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez se prépare à faire voter une immense régularisation de près de 500 000 migrants en situation irrégulière en Espagne, et ce, alors que bien d’autres pays européens ne pensent qu’à expulser. Le parti au pouvoir reprend ainsi le flambeau d’une initiative législative parlementaire qui a recueilli 800 000 signatures. L’opposition de droite est vent debout.

70 000 étrangers vont bientôt bénéficier d’un permis de séjour et d’un permis de travail en Espagne, rapporte notre correspondant à Madrid, François Musseau. C’est la volonté de l’exécutif socialiste pour qui le pays a besoin de main d’œuvre pour son économie au beau fixe, qui connaît une croissance de 2% et avec un taux de chômage qui ne cesse de baisser, grâce principalement au tourisme et aux exportations de services. 

On ne connait pas encore les conditions requises, mais il s’agit réellement de légaliser près d’un demi-million d’étrangers sans papiers dans un pays touché par le vieillissement démographique, et avec un taux de natalité parmi les plus bas d’Europe. 

Ces régularisations devraient bénéficier à plusieurs secteurs économiques en tension, comme ceux de la construction, de l'agriculture, de l’hôtellerie ou de la restauration. Les étrangers y représentent déjà jusqu’à la moitié des effectifs.

Une initiative populaire reprise par les socialistes au pouvoir

Cela fait un an que cette initiative populaire, citoyenne, est bloquée au Parlement. Elle vient d’être reprise par les socialistes au pouvoir. Pourquoi ? Pour remédier au fait que, depuis l’approbation d’un nouveau règlement sur les étrangers en novembre dernier, de très nombreuses personnes se retrouvent dans l’illégalité, essentiellement les parents étrangers de résidents établis en Espagne et surtout des demandeurs déboutés du droit d’asile.

À droite, la principale formation, le Parti populaire, s’y oppose, mais comme le gouvernement de gauche détient la majorité à la Chambre basse, cela ne devrait pas empêcher cette régularisation massive. 

Ces dernières années, l’immigration s’est imposée comme l’un des principaux sujets de débat dans la société espagnole.


 


 

"La préfecture est saturée, le tribunal administratif sous l’eau" : la galère d’étrangers pour obtenir le renouvellement de leur titre de séjour à Montpellier

Guy Trubuil sur https://www.midilibre.fr/

Système de dématérialisation pour le renouvellement des titres de séjour, dossiers refusés pour des motifs techniques, absence de contacts directs, délais intenables. Certains demandeurs d’un renouvellement de leur titre de séjour se retrouvent parfois dans des situations très délicates.

"C’est très difficile pour moi, jamais je n’ai connu une telle situation, je tombe des nues." À 61 ans, après cinquante ans passés en France en toute légalité, Yves (1) est aujourd’hui sans titre de séjour. Originaire du Cameroun, il a entamé les démarches de renouvellement de sa carte pour une durée de 10 ans à la fin de l’année dernière, dans les délais impartis, à savoir quatre mois avant l’échéance. "Il s’agissait de ma quatrième demande, les deux fois précédentes, on m’envoyait même des formulaires de demande de naturalisation. Mais cette fois-ci, rien ne s’est passé."

Rupture de droits

Et sa carte de séjour a expiré. Considéré en situation irrégulière, Yves a été radié de France Travail où il était inscrit… Pas de papiers, pas d’indemnités. Comme lui, de nombreux demandeurs d’un renouvellement de titre se retrouvent aujourd’hui désemparés, sans possibilité de travailler ou de voyager et sans recours sinon celui de faire appel à un avocat.

Une voie empruntée par Ludmila (1), une Ukrainienne placée devant l’impossibilité de se rendre en Allemagne pour assister aux obsèques de son père. Après avoir saisi le tribunal administratif sa demande d’une carte pluriannuelle a finalement été acceptée par la préfecture, quelques jours… avant l’audience. Une situation qui n’est pas isolée.

"Il y a tellement de dysfonctionnement que la préfecture n’arrive plus à traiter les dossiers. La préfecture est saturée, le tribunal administratif est sous l’eau mais c’est dramatique pour ces personnes. Certaines n’ont plus de ressources. On se retrouve devant des situations iniques, de rupture de droits" observe Me Julie Moulin. "Parfois, la préfecture octroie des récépissés provisoires, d’un mois, trois mois, renouvelés et ensuite c’est le silence radio de l’administration" ajoute la juriste.

"Même nous qui connaissons les procédures on ne sait jamais sur quel site on doit faire la démarche. Et dans le cadre des démarches simplifiées, la préfecture propose parfois des rendez-vous après l’échéance du titre", relève Thierry Lerch, bénévole à la Cimade. "Moi ce qui m’inquiète c’est le renouvellement des titres de 10 ans pour les personnes âgées" ajoute Alain.

La domiciliation auprès du CCAS remise en cause

Les associations qui interviennent auprès des personnes sans papiers viennent d’écrire à la préfecture pour s’émouvoir d’un changement intervenu dans l’examen des demandes. "Depuis quelques semaines, il est indiqué sur le site qu’en cas de domiciliation de la personne au CCAS, le dossier ne sera pas recevable. On pense que c’est discriminatoire" précise Camille Couturier, chargée de coordination à la Cimade. "Cela va laisser sur le carreau beaucoup de personnes, celles qui vivent dans les bidonvilles, celles qui sont hébergées par le 115" poursuivent la responsable et Thierry Lerch un bénévole.

Pas un justificatif suffisant

La domiciliation permet aux demandeurs de disposer d’une adresse postale, nécessaire pour entreprendre certaines démarches. La Cimade rappelle que les demandes de domiciliation sont elles-mêmes instruites par le Centre communal d’action sociale de Montpellier avant d’être acceptées.

Pour la préfecture, cependant, "la déclaration de domiciliation auprès d’un CCAS ne peut justifier, à elle seule, d’un domicile effectif dans le département." Ses services rappellent la liste des justificatifs acceptés, les factures (eau, gaz…) un bail de location de moins de six mois la taxe d’habitation, une attestation de l’hébergeant… "Ainsi la situation des étrangers domiciliés effectivement par une association sera naturellement prise en compte" précisent-ils en ajoutant qu’une "attention particulière reste portée aux usagers en situation de grande précarité qui n’auraient pas d’autres possibilités de prouver leur résidence sur le territoire".

Explosion du contentieux

Car la démarche passe depuis plusieurs mois par l’Administration numérique des étrangers de France, l’Anef. "C’est une plateforme numérique mais à la moindre difficulté, si un document n’est pas lisible par exemple, cela clôture le dossier. Cela ne fonctionne pas bien. Ce système limite les personnes dans la possibilité de présenter leur situation globale" reprend Me Moulin.

"Pour les personnes qui demandent un titre de séjour car ils ont un emploi on arrive à traiter le problème en amont, avec la préfecture. Mais la principale difficulté c’est pour les femmes isolées avec enfants. Elles obtiennent des récépissés mais parfois en décalage. Il y a des trous pendant lesquels elles ne peuvent pas, par exemple, avoir accès à la CAF" ajoute sa collègue Me Sophie Mazas.

Une "phase transitoire" indique la préfecture

Contactés, les services de la préfecture confirment que la dématérialisation des démarches est actuellement dans "une phase transitoire" entre l’ancien et le nouvel outil qui "induit une augmentation de la charge de travail des services" mais défendent "une réforme nécessaire sur le moyen terme".

Les problèmes rencontrés avec l’Anef, mais aussi la contestation des obligations à quitter le territoire (OQTF) et le durcissement de la politique nationale dans l’octroi des autorisations de séjour, ont eu pour conséquences de faire exploser le contentieux dit des étrangers au tribunal administratif. La juridiction confirme "l’augmentation de 41,3 % de ce contentieux depuis le début de l’année 2025".

Chez les personnes résidant en France depuis des années, le malaise est palpable. "C’est très difficile pour moi. Heureusement que mon amie m’a aidé dans mes démarches. Ce que je regrette c’est qu’on n’a pas d’interlocuteur, seulement des réponses automatiques" déplore Yves. La préfecture rappelle, de son côté que les usagers peuvent télécharger sur l’Anef, une "attestation de prolongation d’instruction". "Ce document prolonge les droits de l’ancien titre de séjour" assure-t-elle.

(1) Prénoms d’emprunt.


 

     mise en ligne le 3 juin 2025

Racisme :
le silence complice de Retailleau

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Alors que les crimes et délits racistes de l’extrême droite sont parmi les premières menaces qui pèsent sur la France, le ministre de l’Intérieur préfère regarder ailleurs, quitte à mettre en péril la République.

Dans la nuit du 30 mai, des membres du groupuscule du Bloc montpelliérain ont fait irruption dans un bar associatif de la ville d’Alès, dans le Gard, agressant plusieurs personnes et semant la terreur. Un acte d’une rare violence et qui, comme les événements récents en attestent – depuis le crime raciste qui a coûté la vie à Djamel Bendjaballah le 31 août 2024 au meurtre à caractère raciste du 1er juin à Puget-sur-Argens, dans le Var, en passant par le meurtre islamophobe d’Aboubakar Cissé le 25 avril dernier –, n’est pas isolé.

Bruno Retailleau semble avoir une vision sélective des menaces en cours.

Ces actes s’inscrivent dans une recrudescence alarmante des agressions et des crimes haineux, frappant des personnes racisées, des militants antifascistes, des journalistes, des élus ou de simples citoyens engagés contre l’extrême droite. Une violence souvent banalisée, qui est pourtant le symptôme d’une radicalisation qui s’installe durablement dans le paysage politique français à mesure que l’extrême droite s’institutionnalise. Elle n’est donc pas le fait de groupuscules isolés, mais d’un mouvement structuré qui bénéficie d’une forme de tolérance, voire de bienveillance institutionnelle et médiatique.

À ce titre, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, semble avoir une vision sélective des menaces en cours. Son trop long silence face à l’agression d’Alès – il était pourtant interpellé par de nombreux responsables politiques – est révélateur de ses indignations à géométrie variable. Alors qu’il appelle à une « extrême vigilance » face à la menace terroriste et insiste sur la protection de certains lieux de culte, il semble délibérément écarter la menace de l’extrême droite. Cette partialité dans la condamnation des actes de violence met à mal la confiance des citoyens dans nos institutions et alimente un sentiment d’impunité de l’extrême droite.

Une instrumentalisation des faits

Il est toujours plus prompt à dénoncer « l’islam » ou les jeunes des quartiers populaires qu’à condamner les milices d’extrême droite qui défilent en toute impunité. Beaucoup plus prompt, encore, à dénoncer l’antisémitisme en pointant du doigt les musulmans ou la gauche radicale, qualifiant l’antisémitisme d’extrême droite de « résiduel ». Une affirmation pourtant contredite par de nombreux rapports sur le sujet, à commencer par ceux, récents, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui a documenté la hausse significative des actes antisémites et racistes perpétrés par des groupes d’extrême droite.

Cette instrumentalisation des faits est d’autant plus choquante qu’elle s’accompagne d’une politique de répression systématique des mouvements sociaux, qu’il s’agisse des syndicats ou des associations de défense des droits humains. Les militants antifascistes sont régulièrement ciblés, fichés, interpellés,
tandis que les agresseurs d’extrême droite semblent bénéficier d’une plus grande clémence. Une situation qui s’inscrit dans un contexte international où l’extrême droite connaît une ascension préoccupante : de l’Italie à la Hongrie en passant plus récemment par la Pologne, de l’Argentine aux États-Unis – pays qui connaissent une hausse vertigineuse des violences racistes –, les régimes autoritaires et les discours de haine se propagent à grande vitesse.

Nier le fait que l’extrême droite est la première menace qui pèse en France, c’est abandonner la République.

En France, ces actes racistes, antisémites, islamophobes, xénophobes ou antireligieux – y compris dans les écoles – ont tous augmenté. Dans le même temps, le taux de plainte est resté très faible. La preuve que nos institutions ne sont pas à la hauteur des drames qui s’intensifient. Qu’elles ne protègent pas. Ni ne rendent justice. Que le ministre de l’Intérieur, par son silence complice, est le patron d’un parti qui n’a plus de républicain que le nom. Parce que nier le fait que l’extrême droite est la première menace qui pèse en France, c’est abandonner la République.


 

    mise en ligne le 2 juin 2025

Suspension des allocations
pendant 1 à 4 mois : voici les nouvelles sanctions ciblant les chômeurs

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Six mois après l’entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi, son volet sanctions, condamné unanimement par les associations et les syndicats, a été formalisé dans un décret publié le 31 mai au Journal officiel. Il prévoit la suspension d’au moins 30 % de l’allocation des demandeurs d’emploi, dont les bénéficiaires du RSA, pour une durée allant jusqu’à quatre mois.

Ce n’était qu’une question de temps. Six mois après l’entrée en vigueur de la loi pour le plein emploi sur l’ensemble du territoire, son volet « sanctions » a finalement été formalisé ce samedi 31 mai, à travers un décret publié au Journal officiel. Les demandeurs d’emploi n’échapperont donc pas à ce qui est considéré comme la disposition la plus délétère de cette réforme.

Cette loi impose depuis janvier dernier une inscription d’office dans les fichiers de France Travail à l’ensemble des 1,2 million d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA), mais aussi aux 1,1 million de 16-25 ans suivis par les missions locales, ainsi qu’aux 220 000 personnes en situation de handicap qu’épaule Cap emploi. Tous sont tenus de se plier à 15 heures d’activité hebdomadaire, via un contrat d’engagement, sous peine de représailles, détaillées dans ce décret.

Il permet de dissiper quelque peu le flou entretenu autour de ce nouveau régime de sanctions que l’exécutif nomme pudiquement « dispositif de suspension-remobilisation ». Concrètement, ne pas respecter « le contrat d’engagement », en se soustrayant notamment aux quinze heures d’activité hebdomadaire, coûtera aux demandeurs d’emploi « la suspension d’au moins 30 % » de leur allocation pour une durée d’un à deux mois, qui pourra s’étendre jusqu’à quatre mois, en cas « de manquements répétés », indique le décret.

Mesure infantilisante et stigmatisante

Il s’agirait là « d’une nouvelle logique de sanctions proportionnées, graduelles, non-automatiques et réversibles », assure, dans un communiqué, le ministère du Travail, selon qui ce décret préserverait « les garanties essentielles aux droits des personnes », notamment « les bénéficiaires du RSA ayant à leur charge une famille » pour qui serait prévu « un plafonnement à 50 % de la part de leur revenu pouvant être suspendue ou supprimée ».

Si pour la ministre du Travail Catherine Vautrin, l’introduction de ce nouveau régime de sanctions serait incontournable dans l’objectif de « favoriser une remobilisation pour un retour rapide à l’emploi », les associations, les syndicats, et la Défenseure des droits, ne l’entendent pas ainsi et continuent de dénoncer unanimement une mesure infantilisante et stigmatisante, en rupture avec les principes fondamentaux au cœur du système français de protection sociale.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) l’a pour sa part réaffirmé dans une déclaration rendue publique, le 19 décembre 2024, où elle s’insurgeait contre une mesure jugée « attentatoire aux droits humains ». À savoir : le droit à des « moyens convenables d’existence » prévu dans le préambule de la Constitution de 1946 et le droit à « une insertion sociale et professionnelle librement choisie » inclus dans la charte sociale européenne. L’institution pointe en outre « une relégation inacceptable des droits humains derrière les priorités économiques dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales ».

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance placée auprès du Premier ministre et composée des principaux acteurs institutionnels et associatifs impliqués sur ces sujets, a aussi donné de la voix, en mai, critiquant vertement ce nouveau régime de sanctions, susceptible à ses yeux « d’impacter durement les parcours des allocataires du RSA et d’accentuer les inégalités de traitement ».


 

   mise en ligne le 1er juin 2025

Entre Israël et les États-Unis, un jeu de dupes pour continuer la guerre à Gaza

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Washington et Tel-Aviv, conscients de la réprobation qui s’exprime partout sur la planète, y compris au sein de leurs propres sociétés, manœuvrent pour rejeter sur les Palestiniens la responsabilité de la poursuite de l’entreprise génocidaire. In fine, ils entendent empêcher la création d’un État de Palestine.

Plus l’indignation mondiale monte et s’exprime face au génocide en cours dans la bande de Gaza, plus l’administration états-unienne et le gouvernement israélien brouillent les pistes. Une trêve entre le 19 janvier et le 17 mars avait permis de sortir de Gaza 33 Israéliens – dont 8 morts – en échange de la libération de près de 1 800 prisonniers palestiniens.

Sur 251 otages, 57 restent détenus à Gaza, dont au moins 34 sont décédés selon les autorités israéliennes. Mais, le 18 mars, Benyamin Netanyahou a décidé unilatéralement de rompre ce cessez-le-feu en vigueur depuis deux mois. Les bombardements n’ont pas cessé depuis et l’aide humanitaire a été utilisée comme une arme contre les Palestiniens.

Des négociations qui virent au jeu de dupes

Paradoxalement, les négociations indirectes entre Israël et le Hamas n’ont jamais cessé. Pour Washington et Tel-Aviv, il convient de faire croire à l’opinion publique internationale que si la guerre se poursuit c’est à cause de l’intransigeance de l’organisation islamiste palestinienne. L’envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, n’a soumis une proposition au Hamas qu’après l’accord d’Israël.

Américains et Israéliens se mettent d’accord, concoctent un plan à partir de leurs propres buts politiques puis mettent les Palestiniens sous pression pour qu’ils acceptent. Donald Trump assurait, vendredi, qu’un accord sur un cessez-le-feu à Gaza était « tout proche ». Le même jour, le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, avait sommé le Hamas d’accepter la proposition américaine sous peine d’« être anéanti ».

La réponse du mouvement était « positive », selon une source citée par l’AFP, mais le Hamas insiste sur « la garantie d’un cessez-le-feu permanent et d’un retrait total d’Israël » de la bande de Gaza. Une réponse « complètement inacceptable » pour Steve Witkoff, qui ajoutait que « cela ne fait que nous faire revenir en arrière ».

Fort de ce bouclier états-unien, Netanyahou poursuit le massacre. Un massacre humain et politique. Ce dimanche 1er juin, les soldats israéliens ont ouvert le feu sur des Palestiniens rassemblés sur des sites de distribution d’aide gérés par le Gaza Humanitarian Foundation (créé par Israël et soutenu par les États-Unis) dans le sud et le centre de Gaza, tuant au moins 31 personnes.

Si le premier ministre israélien ne veut pas envisager la fin de la guerre, c’est aussi parce qu’elle marquerait la possibilité d’un nouveau processus pour la création réelle d’un État de Palestine. Une délégation de pays arabes qui devait discuter de cette question (à l’ordre du jour de la conférence de l’ONU coprésidée par la France et l’Arabie saoudite le 17 juin) a été empêchée de se rendre à Ramallah samedi.

« Un tel État deviendrait sans aucun doute un État terroriste au cœur du territoire d’Israël », a expliqué un officiel israélien. Quant à l’ambassadeur des États-Unis en Israël, Mike Huckabee, échaudé par les déclarations d’Emmanuel Macron sur une possible reconnaissance d’un État de Palestine, il a lancé : « Si la France est vraiment déterminée à voir un État palestinien, j’ai une suggestion à lui faire : tailler un morceau de la Côte d’Azur. »


 

   mise en ligne le 31 mai 2025

Extrême droite : des néonazis font le coup de force contre le Prolé d’Alès

sur www.humanite.fr

Des néonazis du Block montpelliérain ont violemment frappé des clients et des militants communistes réunis ce vendredi dans ce lieu emblématique d’Alès, alors qu’ils étaient réunis pour fêter la feria de l’Ascension.

L’extrême droite a fait de nouvelles victimes. Une douzaine de néonazis du Block montpelliérain ont violemment fait irruption le vendredi 30 mai dans le bar du Prolé d’Alès, pendant la feria de l’Ascension, « assénant de coups et de gaz lacrymogènes la foule en fête et les militants communistes et leurs ami.e.s », dénonce Giovanni Di Francesco, le secrétaire de section du PCF de cette ville du Gard. Une vingtaine de personnes qui se trouvait dans ce lieu emblématique de luttes, de fête et de culture d’Alès, ont été blessées et secourues par la Croix Rouge et le SAMU dont un militant cheminot PCF hospitalisé en urgence.

Rassemblement républicain

« Devant la gravité de ces faits, au moment où partout en France l’extrême droite trouve banalisation médiatique mais aussi complaisance du Pouvoir et porosité de la droite tant nationalement que localement, lui donnant ainsi des ailes, nous condamnons vivement et appelons à réagir fermement » ajoute le responsable communiste. Selon les premiers éléments de l’enquête, deux victimes ont porté plainte ce samedi matin, l’une d’entre elles, gravement blessée, a dû poser 5 jours d’ITT, rapporte France Bleu. Giovanni Di Francesco a affirmé vouloir saisir le« Procureur de la République » ; il appelle à un rassemblement républicain ce lundi 2 juin, à 18 heures, devant la sous-préfecture pour dénoncer « cette montée fasciste de plus en plus décomplexée ».

« Je demande au maire et au sous-préfet de veiller scrupuleusement à empêcher ces individus, connus et reconnaissables, d’exercer leur bestialité dans la ville ce jour de fête, poursuit Giovanni Di Franceso. Jamais au grand jamais nous laisserons sous silence se repaître les descendants de ceux qui avaient plongé la France et le monde dans leurs heures les plus sombres, ceux qui visent à opposer les humains entre eux pour mieux les dominer, les annihiler, les déshumaniser. Nous leur opposons fraternité, luttes émancipatrices et culture, solidarité et justice sociale, paix. »

L’élu du PRG de Nîmes demande la dissolution du Block montpelliérain qui constitue est un « danger pour la République ».

      mise en ligne le 30 mai 2025

Après 7 ans de fiasco,
les députés enterrent les ZFE

Par Alexandre-Reza Kokabi sur https://reporterre.net/

Du Rassemblement national pro-voitures à LFI, qui pointe le manque d’alternatives pour les plus précaires, les ZFE ont cristallisé les colères. Leur suppression illustre l’échec d’une écologie déconnectée des réalités sociales.

C’est un vote au goût de renoncement. Mercredi 28 mai, les députés ont adopté un article du projet de loi sur la simplification de la vie économique qui prévoit la suppression des zones à faibles émissions (ZFE). Portée par le député d’extrême droite Pierre Meurin (RN), la mesure a été adoptée par 98 voix contre 51, scellant une alliance hétéroclite allant du Rassemblement national à La France insoumise (LFI), en passant par Les Républicains et quelques élus de la majorité. Le gouvernement, qui tentait de sauver les meubles en restreignant l’obligation a ux seules métropoles de Paris et Lyon, a échoué.

Créées en 2018, les ZFE visaient à améliorer la qualité de l’air en limitant la circulation des véhicules les plus polluants dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Déjà mises en place dans une dizaine de villes (Nice, Rouen, Paris...) elles devaient pleinement entrer en vigueur en 2025. À peine amorcé, ce chantier est aujourd’hui mis à l’arrêt. Un recul net par rapport aux ambitions affichées par Elisabeth Borne, qui voyait dans ces zones un dispositif « irréversible ».

Un fiasco programmé

Ce revirement spectaculaire sanctionne un long enlisement. Imaginées comme un levier structurant de transition écologique, les ZFE ont souffert d’un double défaut originel : un pilotage centralisé, déconnecté des réalités locales, et une mise en œuvre sans véritable accompagnement. « On a mis la charrue avant les bœufs en disant aux gens de ne plus prendre leur voiture, sans proposer d’alternatives », résumait le député LFI Sylvain Carrière, en avril, dans Reporterre. La prime à la conversion s’est effritée, les transports publics en dehors des grandes métropoles sont restés sous-financés, le leasing social a fait long feu. Le gouvernement, sous pression, avait bien promis de réserver au moins 10 % des 50 000 véhicules électriques accessibles pour 100 euros par mois aux habitants concernés par des ZFE. Pas de quoi changer la donne : à l’écologie incantatoire a succédé le vide opérationnel.

Sur le terrain, le rejet s’est peu à peu cristallisé. En 2023, seuls 51 % soutiennent les ZFE, selon l’institut CSA, en baisse de 6 points par rapport à 2022. L’extrême droite s’est engouffrée dans la brèche, dénonçant une « écologie punitive » et une mesure « séparatiste ». Le RN a imposé un récit efficace : celui d’un pouvoir déconnecté, qui culpabiliserait les classes populaires pour leur dépendance à la voiture. À gauche, LFI a dénoncé l’hypocrisie d’une politique environnementale qui ne s’accompagne pas d’investissements suffisants dans les alternatives.

Les ZFE, des « zones de forte exclusion » ?

C’est dans les territoires les plus fragiles que le rejet a été le plus profond. En Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine, 3 voitures sur 4 étaient menacées d’interdiction. À La Courneuve, ce chiffre grimpait même à 80 %. « Les ménages précaires motorisés sont plus fréquemment détenteurs de véhicules anciens », expliquait à Reporterre Daphné Chamard-Teirlinck, du Secours catholique. Et les aides, souvent complexes ou insuffisantes, n’ont pas permis de répondre à l’ampleur du défi.

À Pavillons-sous-Bois, Chloé, infirmière en addictologie et mère célibataire, continuait de rouler dans sa Peugeot Crit’Air 5 : « Avant de changer de voiture, il faut remplir le frigo, payer le loyer, les factures. » À Drancy, Oumayma, étudiante de 24 ans, évoquait un choix de survie : « Dans nos quartiers, la voiture est un moyen de sortir du piège. Elle nous permet d’aller aux entretiens, au médecin, de faire les courses quand les transports nous lâchent. » Pour beaucoup, la ZFE a surtout été perçue comme une « zone de forte exclusion », où les injonctions écologiques viennent heurter de plein fouet la précarité.

Le résultat, c’est une colère sourde, teintée de résignation. « Je gruge tant que je peux », confiait Chloé. À Montreuil, Guénolé, régisseur dans l’événementiel, ironisait : « Une voiture électrique, je la branche où dans ma cité ? Je suis censé tirer une rallonge depuis ma fenêtre ? » Le sentiment d’injustice a nourri un rejet de la mesure, attisé par le manque d’information, les cafouillages réglementaires et l’abandon progressif de l’État. « Il a tout remis dans les mains des collectivités sans leur donner les moyens », déplorait encore Daphné Chamard-Teirlinck.

La pollution de l’air tue

Et pourtant, les premiers effets des ZFE étaient tangibles. À Lyon comme à Paris, la concentration de dioxyde d’azote a chuté d’un tiers. « Ce sont des avancées concrètes pour la santé publique », rappelait le Secours catholique dans une note de positionnement, que Reporterre a pu consulter. Chaque année, la pollution de l’air provoque 40 000 morts prématurées en France, selon Santé publique France. Et ce principalement dans les zones où vivent les populations les plus défavorisées. La ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a déploré une « décision regrettable », contraire au « droit de vivre en bonne santé ».

Selon Le Monde, la suppression des zones à faibles émissions autoriserait la remise en circulation de 2,7 millions de véhicules parmi les plus polluants dans les grandes agglomérations.

À ce coût sanitaire s’ajoute un risque juridique. La France a déjà été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour dépassement des seuils de pollution. En février dernier, elle a de nouveau été mise en demeure par la Commission européenne. Supprimer les ZFE, c’est s’exposer à de potentielles sanctions financières.

« On va droit dans le mur du réchauffement climatique en klaxonnant »

Le vote de l’Assemblée doit encore être confirmé en commission mixte paritaire. Mais l’élan politique semble brisé. Le gouvernement a tenté, lors des derniers débats, de sauver les ZFE a minima, en limitant leur obligation à Paris et Lyon. En vain. « Reprise des travaux de l’A69, suppression des ZFE, on va droit dans le mur du réchauffement climatique en klaxonnant », a réagi sur le réseau social Bluesky le professeur de droit public Serge Slama.

Reste à savoir ce que deviendront les ZFE déjà mises en place dans les métropoles les plus avancées, comme Paris, Lyon, Grenoble ou Montpellier. À défaut d’une impulsion nationale, certains élus espèrent maintenir localement le dispositif, en le réinventant : en misant sur les aides ciblées et un meilleur maillage des transports publics. Mais sans cadre clair, la lutte contre la pollution risque de dépendre, une fois encore, de la géographie politique.


 

    mise en ligne le 29 mai 2025

Soutenir Gaza depuis la France :
« On se sentait complètement démunis »

par Malo Janin sur https://basta.media

Après onze semaines de blocus total d’Israël, quelques camions d’approvisionnement sont enfin entrés à Gaza. Face à l’horreur, des personnes tentent d’aider la population gazaouie depuis la France, malgré les nombreux obstacles.

« On se sentait complètement démunis. Puis on s’est dit : pourquoi ne pas faire quelque chose qu’on maîtrise » Benjamin Giraud est boulanger dans le Rhône. Il ne s’est jamais rendu à Gaza. Mais depuis un mois, sa compagne Teepam et lui ont décidé d’utiliser leur farine et leur savoir-faire pour venir en aide à la population de l’enclave palestinienne, victime depuis plus d’un an et demi de bombardements israéliens qui ont dévasté son territoire, et tué des dizaines de milliers de personnes.

Les week-ends, le couple de boulangers vend au marché une quinzaine de « pains pour Gaza ». Leur prix est fixé à 2,50 euros sur lesquels deux euros sont destinés à la population palestinienne. Les boulangers ont fait leur premier virement d’une cinquantaine d’euros au collectif local d’Urgence Palestine, qui se charge ensuite de redistribuer comme il peut l’argent aux Gazaouis. « Ce sont des petites sommes, mais elles peuvent permettre d’aider une femme enceinte, un enfant », dit Benjamin.

Teepam et Benjamin sont horrifiés par les « frappes sur des écoles » et les images de mort qui envahissent les médias et nos réseaux sociaux. « On ne pouvait plus rester sans rien faire, disent-ils. Ce qui me choque le plus, c’est la non-réaction des États et de l’Europe face aux atrocités commises », déplore le boulanger.

« Maintenir une cohésion sociale »

Pour aider la population de Gaza, des collectifs tels qu’Urgence Palestine (que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau veut dissoudre) encouragent les dons à de petites structures locales. « Privilégier les dons aux associations ou collectifs locaux contribue à maintenir une cohésion sociale et évite de creuser encore plus les inégalités, à la différence des dons individuels », dit l’un des militants d’Urgence Palestine.

Certaines personnes souhaiteraient envoyer directement de l’argent à des individus plutôt qu’à des organisations, mais le collectif pointe les difficultés rencontrées par ces démarches. « Faire de la communication autour de cagnottes individuelles expose ces personnes à la répression de l’armée israélienne. Tout se fait donc par le bouche-à-oreille », explique le porte-parole d’Urgence Palestine.

Le projet humanitaire Enfan de Palestine, créée en avril 2023, fabrique des t-shirts et autres vêtements et reverse les profits à des collectifs palestiniens. 80 000 euros ont ainsi été envoyés au collectif Sa7ten. D’autres organisations, telles que l’Association France Palestine solidarité (AFPS), soutiennent des initiatives locales depuis le territoire français.

Depuis 2001, l’AFPS tisse des relations avec des structures à Gaza et en Cisjordanie. Fourniture de vêtements, tentes, colis alimentaires…« On fait en fonction des besoins que nos partenaires palestiniens sur place nous font remonter », explique Véronique Hollebecque, trésorière de l’AFPS. En 2024, plus de 200 000 euros ont été envoyés à une vingtaine de projets à Gaza via l’appel au don SOS Palestine.

L’envoi d’argent compliqué

Lors de son dernier voyage à Gaza, en 2022, Véronique s’était rapprochée d’un collectif pourvoyant des couches pour bébés. « Finalement, le projet s’est transformé, pour aller vers l’équipement d’une pompe à eau pour un puits. Les besoins changent plus rapidement et sont plus difficiles à cibler sur la bande de Gaza qu’en Cisjordanie », détaille la trésorière. La prise de contact avec de nouveaux partenaires locaux est aussi devenue impossible depuis le 7 octobre 2023, puisque l’entrée sur le territoire de Gaza est interdite aux militants de l’AFPS.

Les transferts d’argent vers Gaza sont également difficiles. « C’est bien d’avoir des donateurs, mais il encore faut que l’argent puisse parvenir sur le territoire palestinien », note Véronique. De nombreuses banques refusent de faire les transferts à des banques palestiniennes, ce qui a conduit l’association à recourir à une plateforme en ligne de transferts internationaux. Une fois sur place, les partenaires règlent leurs fournisseurs par voie électronique le plus souvent possible : l’argent peut être retiré dans certains endroits, mais les commissions sont de plus en plus importantes, rapporte la trésorière de l’association.

Bombardements incessants, blocus de l’aide humanitaire, répression de la part des autorités israéliennes… Les entraves matérielles aux collectifs locaux sont nombreuses. « Nous soutenons une association qui fait de l’accompagnement scolaire à Khan Younès, mais elle ne peut plus accéder à ses locaux depuis le début de l’offensive israélienne d’il y a deux semaines, et a dû délocaliser ses actions en dehors du camp », déplore Véronique. Après l’offensive sur Jénine, en Cisjordanie, les locaux Maison chaleureuse, un autre collectif de soutien aux enfants, financé à 50 % par l’AFPS, ont été totalement détruits.

Des routes impraticables

« Ces initiatives sont absolument nécessaires pour aider les Palestiniens, et doivent être complémentaires d’ONG qui fournissent une majorité de l’aide humanitaire, de l’éducation et des soins », appuie Lubnah Shomali, une responsable de Badil, un centre palestinien pour les droits des réfugiés. La Palestinienne est venue de Bethléem à Paris le week-end dernier pour plaider la cause des réfugiés lors d’une Conférence pour la protection du peuple palestinien.

L’ONG Médecins sans frontières (MSF) embauche toujours du personnel médical et non-médical sur place. « Nous travaillons dans les hôpitaux du ministère de la Santé et dans des hôpitaux de campagne, structures qui évoluent au gré des destructions et déplacements de populations », explique Alice Gotheron, attachée de presse de MSF. Afin de fournir des soins de chirurgie, de psychothérapie, pédiatriques et traumatologiques, l’ONG se finance sur les dons faits au Fonds d’urgence régional Gaza. « Les besoins sont bien supérieurs et nous sommes contraints de puiser dans le fonds d’urgence international de MSF », ajoute Aurélie Dumont, directrice de la collecte de fonds.

Les routes qui permettent l’acheminement sur la bande de Gaza sont largement impraticables, semées de checkpoints, de foules et de débris. Certains camions du Programme alimentaire mondial ont été pillés. « Personne ne devrait être surpris ou choqué de voir des scènes où une aide précieuse est pillée, le peuple de Gaza est affamé depuis plus de onze semaines », a écrit sur le réseau social X Philippe Lazzarini, commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa).


 

    mise en ligne le 28 mai 2025

CHU de Montpellier : la direction annonce 850 000 euros par an pour les urgences, les syndicats crient victoire

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Dans un communiqué du 28 mai, la CGT et Force Ouvrière du CHU de Montpellier reviennent sur leur mobilisation qui dure depuis février dernier et annoncent que la direction de l’hôpital a pris des mesures pour renforcer le service des urgences

La lutte a fini par payer. En janvier dernier, la CGT du CHU de Montpellier avait réalisé un signalement pour danger grave et imminent à la direction de l’hôpital face aux manques de moyens dont souffrait le personnel et à la hausse de fréquentation des urgences. Devant le manque de réaction de la direction, les syndicats avaient déposés un préavis de grève illimitée le 5 février dernier.

Dans un communiqué du 28 mai, la CGT et Force Ouvrière crient victoire après quatre mois de lutte : “A l’issue de nombreux échanges entre la direction, les organisations syndicales et les personnels qui se sont particulièrement impliqués, nous mesurons enfin les nombreuses avancées qui vont permettre d’améliorer significativement les conditions de travail des personnels paramédicaux et les prises en charge sécurisées des patients, dans l’attente des travaux de rénovation avancés à l’horizon 2027. Le renforcement du service des urgences représentera 850 000 € d’investissement annuel.”

De nouvelles orientations ont également été définies afin de mieux accompagner les patients et de réduire le délai de prise en charge. De nouveau postes d’infirmiers et d’aides soignants vont être créés d’ici cet été. “Les personnels paramédicaux du service des urgences adultes de Lapeyronie peuvent savourer leur victoire et mesurer le chemin parcouru depuis l’hiver dernier”, écrivent les syndicats.


 

    mise en ligne le 27 mai 2025

Locataires et militants se mobilisent contre les expulsions locatives à Paris

Maud Mathias sur www.humanite.fr

L’association Droit au logement appelait jeudi 22 mai à une mobilisation, devant la mairie du XXe arrondissement, pour protester contre les expulsions locatives. Ils dénoncent des pratiques frauduleuses et demandent une application stricte des lois protégeant les locataires.

« Je paye mon loyer, je fais tout dans les règles. Mais le juge ordonne mon expulsion. » Sourire désabusé aux lèvres, Nadia témoigne de l’injustice qui risque de lui coûter son logement. Elle se fond parmi la trentaine de manifestants, campés devant la mairie du XXe arrondissement pour protester contre les expulsions locatives, ce jeudi 22 mai, à l’appel de l’association Droit au logement (DAL). Alors que la trêve hivernale s’est achevée il y a près de deux mois, les expulsions se multiplient à Paris. Et ce sans que des solutions de relogement soient proposées aux locataires mis à la porte, qui risquent de se retrouver à la rue. En 2024, plus de 24 000 locataires ont été expulsés, d’après la Chambre des commissaires de justice – contre 3 500 en 1983. En cause : l’insuffisance de logements sociaux, la hausse des loyers et une politique de l’État qui soutient le logement cher et la spéculation.

Aucun relogement proposé

Nadia, la cinquantaine, vivait depuis 2018 avec son compagnon, dont le seul nom figurait sur le bail. À la suite de son décès en 2024, Nadia demande le transfert du bail, qui lui est refusé. « Ils m’ont dit qu’ils n’avaient aucune preuve que j’avais bien vécu toutes ces années dans l’appartement », raconte-t-elle avec amertume. Sous le choc du décès de l’homme qui partageait sa vie, Nadia a perdu son travail ; la peur de devoir quitter son logement l’a précipitée dans une spirale d’angoisse infernale. « J’ai perdu pied », souffle-t-elle. Assignée au tribunal administratif depuis décembre dernier, le jugement vient de tomber : on l’expulse. Elle a déposé un recours, sans grand espoir.

Également présente parmi les manifestants, Maria, 35 ans, est venue en lieu et place de sa mère, menacée d’expulsion. La retraitée de 66 ans loue depuis plus de dix ans un appartement à un particulier, dont elle a toujours payé le loyer en temps et en heure. Problème : le logement est insalubre. Fissures, humidité, moisissures sur chaque mur : les conditions de vie y sont insupportables. La locataire fait remonter ses difficultés au syndicat de copropriété, sans que rien ne change… jusqu’à ce que la propriétaire décide de l’expulser « pour fuir le problème », dénonce Maria. Malgré un droit au logement opposable (Dalo) positif, qui devrait donc lui garantir l’accès à un logement social, aucune solution de relogement ne lui a été proposée. Ses affaires sont déjà entreposées dans un box, dans la crainte de se retrouver à la rue incessamment.

« Le paradis de la fraude »

Si les plus démunis sont les premières victimes de la crise aiguë du logement, celle-ci profite à une minorité de gros propriétaires, avec l’encouragement du gouvernement. « On propose des allégements fiscaux pour les dons intrafamiliaux, pour aider les enfants de riches à acheter des biens pour le louer et vivre de la rente. C’est le cadeau que vient de faire le gouvernement dans son budget 2025, qui peut monter jusqu’à plus de 50 000 euros », explique Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL. Les logements chers rapportent gros : une recette qui s’élève à 92 milliards d’euros en 2023, tirée des ventes, de la TVA et de la taxe foncière, contre seulement 42 milliards d’euros de dépenses pour les logements sociaux et les aides.

Les rapports locatifs, c’est le paradis de la fraude. L’idéal d’un bailleur, c’est de gagner de l’argent sur l’exploitation. Mais avec la crise, payer le loyer devient difficile pour beaucoup Résultat, de plus en plus de gens sont jetés à la rue », soupire le porte-parole de l’association. Des lois conquises à la suite de mobilisations sociales ces trente dernières années, notamment la loi Dalo de 2007 qui prévoit le relogement des personnes jugées prioritaires, ne sont pas systématiquement appliquées. Le DAL dénonce également des « congés frauduleux » : « On peut délivrer un congé au locataire sans qu’il ait le temps de se retourner contre le bailleur. Alors souvent, le locataire qui attaque son bailleur parce que son logement n’est pas décent ou ne respecte pas l’encadrement des loyers, reçoit un congé », déplore Jean-Baptiste Eyraud.

Pour lutter contre les pratiques malhonnêtes et résorber la crise du logement, Droit au logement demande la création d’une autorité de contrôle qui soit en capacité de sanctionner les pratiques abusives. Une délégation de militants et d’habitants expulsables a été reçue par le cabinet du maire du XXe arrondissement, Eric Pliez (DVG), pour obtenir la suspension des expulsions. Sans grand succès : la mairie n’a pris aucun engagement quant au relogement des quatre familles dont la situation était examinée, qui risquent donc de se retrouver sans domicile.


 

    mise en ligne le 26 mai 2025

Méditerranée : les sept jours à la dérive d’un bateau de migrants abandonné

Cécile Debarge sur www.mediapart.fr

En mars 2024, un canot pneumatique transportant environ 80 personnes a dérivé pendant près d’une semaine en Méditerranée centrale. Bien que repéré à plusieurs reprises, personne ne lui a prêté assistance. Seules 24 personnes ont survécu. Mediapart retrace son parcours.

Milan, Catane (Italie).– Lundi 26 mai, les magistrats du tribunal de Crotone, en Calabre, entament l’avant-dernière journée d’audiences préliminaires pour décider si oui ou non deux gardes-côtes italiens et quatre militaires de la Guardia di Finanza doivent être jugés pour le naufrage du Summer Love, au large de Cutro, qui a causé la mort de 94 personnes en février 2023.

Dans l’ombre de ce procès, Mediapart a retracé le sort d’une autre embarcation de migrant·es qui, environ un an plus tard, en mars 2024, a dérivé en Méditerranée centrale pendant près d’une semaine, alors qu’elle avait été repérée par Frontex.

Le 13 mars 2024, il n’est pas encore midi quand l’Ocean Viking, le navire de sauvetage affrété par l’ONG SOS Méditerranée, met le cap sur un bateau en bois qui lui a été signalé. Sur le pont, les sauveteurs scrutent l’horizon. À une quinzaine de kilomètres, un petit point apparaît. À mesure que les trois semi-rigides mis à l’eau approchent, ils distinguent des hommes qui agitent leur tee-shirt depuis un canot pneumatique.

« Les gens sont silencieux et hagards, l’un d’eux avait deux rivières de larmes sous les yeux, sans pour autant crier, ni bouger », décrit Jérôme, le responsable de l’époque de l’équipe SAR (pour « Search and Rescue », recherche et sauvetage). Vingt-cinq personnes se trouvent à bord, des Gambien·nes, des Sénégalais·es et des Malien·nes. Près de la moitié sont des mineur·es isolé·es. Le plus jeune a 12 ans. Deux personnes sont inanimées, étendues sur les planches de bois clouées à la va-vite au fond du canot. L’une d’elles décède peu après.

Aide refusée

Au moment du sauvetage, le bateau se trouve à 120 kilomètres au nord des côtes de Zaouïa, en Libye, d’où il est parti une semaine plus tôt. Pourtant, le canot a été repéré à plusieurs reprises. « Chaque jour, pendant trois jours, un hélicoptère s’est approché de nous, puis a fait demi-tour et est reparti. Nous avons également vu des drones la nuit », témoigne un survivant interrogé par l’ONG Alarm Phone.

Ses propos sont confirmés par deux survivants interrogés par Mediapart. Ils mentionnent également la présence de bateaux de pêche ou de navires marchands, dont certains se sont arrêtés à proximité du canot avant de repartir. « On leur faisait signe de nous aider, nous donner à manger ou à boire, beaucoup sont morts à force de boire de l’eau de mer, témoigne Moudu, un rescapé sénégalais de 21 ans. Tous les jours, on voyait des bateaux et des hélicoptères mais personne ne nous sauvait. »

Après un premier départ raté vers 1 heure du matin, le canot pneumatique met le cap sur l’Italie dans la nuit du 7 mars. Selon les témoignages des survivants, entre 75 et 85 personnes se trouvent à bord. À mesure que l’embarcation s’enfonce dans la nuit, elle se fait malmener par des vagues de plus en plus hautes. Au loin, les lumières de la plateforme pétrolière de Bouri constellent l’obscurité. « Le moteur s’est gâté, se souvient Moudu, on a continué à avancer, sans moteur. »

L’essence se répand dans le fond du bateau et se mélange à l’eau qui menace de faire sombrer l’embarcation. Les bidons devenus inutiles sont vidés et découpés pour écoper. Certains se lèvent et veulent sauter à l’eau, pensant trouver un salut. Ils en sont empêchés. Ce sont les premières hallucinations à bord. Selon les témoignages des survivants, ce moment correspond à celui où l’embarcation est repérée pour la première fois par Frontex.

L’hélico de Frontex

Un Eagle-1, l’hélicoptère de surveillance aérienne utilisé par Frontex, a repéré l’embarcation le 8 mars à 20 h 49, temps universel. Elle se trouve alors dans la zone de recherche et sauvetage libyenne. Un avion quitte la zone dix-sept minutes plus tard après avoir émis un « Mayday Relay » aux centres de coordination de sauvetage italien, maltais et libyen. Selon la procédure, ils doivent prendre le relais pour lancer les opérations de recherche et de sauvetage. Pourtant, pendant près de quarante heures, il ne se passe rien.

À bord, l’eau arrive jusqu’aux genoux. « On suivait le mouvement des vagues, raconte Moudu. On avait une corde pour essayer de diriger le bateau mais ça n’a pas marché» Le téléphone GPS ne fonctionne plus. La faim tenaille les estomacs. L’enfant de 2 ans accompagné de sa mère n’a plus la force de pleurer ou de crier depuis longtemps. Les passagers lui donnent la dernière bouteille d’eau pour qu’il n’ait pas à boire l’eau de mer. Il mourra peu après.

Au petit matin du troisième jour, l’oncle de l’un des passagers parvient à contacter l’ONG Alarm Phone pour leur signaler l’embarcation en détresse. Les coordonnées qu’il fournit sont à treize kilomètres environ de ceux identifiés par l’Eagle-1. L’embarcation a déjà dérivé. Une demi-heure plus tard, l’ONG informe les centres de recherche et sauvetage italiens, maltais et libyens. Deux hélicoptères de Frontex reviennent sur la zone mais ne retrouvent pas le bateau.

« La Méditerranée centrale équivaut à la taille de la France ou de l’Espagne, explique le porte-parole de Frontex, Chris Borowski. Y chercher un canot pneumatique est extrêmement difficile, nous avons opéré quatre vols supplémentaires en plus du premier pour retrouver ce bateau, en vain. »

Les centres de coordination de sauvetage libyen, italien et maltais, eux, ne réagissent pas. Aucun d’entre eux n’a donné suite à nos demandes d’entretien.

Responsabilité libyenne

Le Bureau des droits fondamentaux de Frontex, chargé de contrôler le respect par Frontex de ses obligations en matière de droits humains au regard des législations européennes et internationales, a établi les responsabilités qui ont mené à cette tragédie dans un rapport que Mediapart a pu consulter : « Les autorités libyennes avaient l’obligation de coordonner et prendre la responsabilité d’un sauvetage de ce bateau de migrants, car il n’est jamais sorti de la zone de recherche et de sauvetage libyenne et les autorités libyennes ont été informées au moins quatre fois du bateau en détresse. » 

Quarante heures après que Frontex eut repéré l’embarcation et près de trente heures après le signalement de l’ONG Alarm Phone, le centre de coordination et de sauvetage italien émet finalement une alerte Inmarsat « au nom des gardes-côtes libyens ». Interrogés par le Bureau des droits fondamentaux de Frontex pour justifier ces quarante heures de délai pour donner l’alerte, les gardes-côtes italiens n’ont pas répondu.

Si tu dormais, même trois ou quatre heures, au réveil tu devenais fou. Et si tu devenais fou, tu mourais.    Ali, survivant

Une fois l’alerte Inmarsat émise, aucune opération de sauvetage n’est lancée. Le bateau se voit attribuer le numéro de SAR Case 225. Ses coordonnées sont toujours celles du premier repérage par l’Eagle-1 de Frontex. L’embarcation, elle, dérive toujours.

Le sauvetage final aura lieu à vingt-sept kilomètres du lieu signalé par les autorités italiennes. Autant dire que sans mise à jour de la position du bateau au fil de sa dérive, il était presque impossible pour les navires des ONG patrouillant dans la zone de trouver le bateau. Par deux fois, le 9 et le 11 mars, le navire de sauvetage en mer Life Support a tenté de retrouver le canot pneumatique, sans succès.

À bord, c’est l’hécatombe. « Les gens parlaient dans le vide comme s’ils appelaient leur famille pour qu’elle vienne les secourir », se souvient Moudu. Certains pensent acheter des cigarettes et sautent dans l’eau, de désespoir. En quelques secondes, leur corps disparaît entre les vagues. La nuit, la situation empire. « Si tu dormais, même trois ou quatre heures, au réveil, tu devenais fou, se souvient Ali. Et si tu devenais fou, tu mourais. » Lui-même se souvient des arbres qu’il croyait voir au loin, des heures passées à convaincre l’un de ses amis à bord de l’accompagner au supermarché pour rentrer chez eux. Frontex organise deux autres survols de la zone le 10 et le 11 mars, sans succès.

Un bateau laissé à la dérive

Le cinquième jour, le canot a perdu au moins la moitié de ses passagers et passagères. « Le plus difficile a été de jeter les corps en mer, raconte Moudu. Personne ne voulait le faire mais il a fallu pour leur dignité, pour ne pas que les corps se décomposent au fond du bateau. » Dans ces moments, des prières rompent le silence. « C’était le minimum pour quelqu’un mort devant nous sans que l’on ne puisse rien faire, c’était comme les jeter dans les bras de Dieu », témoigne-t-il.

La frontière entre la vie et la mort est si ténue pour certains passagers que les autres attendent plusieurs heures, voire une journée entière, que le corps soit inerte, avant de s’en séparer. Ceux qui ont encore la force de bouger sont désignés d’office pour vérifier la rigidité des mains, les pupilles. Quand le bateau de sauvetage de SOS Méditerranée les sauve, plus aucun des rescapés n’a la force de se lever ni de marcher.

Pour l’ONG Alarm Phone, il s’agit d’un cas de bateau « left to die », c’est-à-dire sciemment laissé à la dérive. Dans son rapport, le Bureau des droits fondamentaux de Frontex incrimine aussi le manque de communication entre les différents centres nationaux censés coordonner les opérations de recherche et de sauvetage. « Nous avons repéré le bateau, lancé un appel Mayday, alerté les centres de sauvetage de la zone, retrace le porte-parole de Frontex. C’est ce que nous devons faire mais nous n’avons aucun pouvoir pour coordonner les opérations de sauvetage. »

Sur son téléphone, Moudu fait défiler les échanges avec les autres survivants, leurs prières constantes pour les morts : « Ceux qui se sont perdus en mer étaient chargés d’une mission : apporter de l’espoir à leur famille. » Epaulé par une association sicilienne, lui cherche depuis des mois à savoir où a été enterré son ami Abdou, qui voyageait avec lui, mort peu après son transfert à l’hôpital. Il veut se recueillir sur sa tombe et montrer à ses parents où leur fils repose désormais.


 

   mise en ligne le 25 mai 2025

Gaza : à quand une grande mobilisation
en France ?

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Au sommet des États et dans les rues, le monde sort peu à peu du silence face au déchaînement de bombes qui accable les Palestiniens. Mais en France, la gauche peine à organiser un rassemblement.r

Face à la famine qui gagne, à l’intensification des bombardements et aux toujours plus nombreux morts palestiniens, les réactions internationales commencent timidement à se faire entendre. Parmi les dirigeants les plus actifs, on trouve le gouvernement irlandais, qui s’était associé à la plainte déposée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, accusant l’Etat hébreu de « génocide » à Gaza.

Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol affirmait ce week-end dans une allocution au sommet de la Ligue arabe qu’il faut « intensifier notre pression sur Israël pour arrêter le massacre à Gaza, notamment par les voies que nous offre le droit international ». Il précisait que l’Espagne allait présenter un projet de résolution à l’ONU pour que la Cour Internationale de Justice « se prononce sur le respect par Israël de ses obligations internationales » et une autre pour qu’Israël mette « fin au blocus humanitaire imposé à Gaza » et garantisse « un accès complet et sans restrictions à l’aide humanitaire » dans le territoire palestinien.

Les premiers ministres anglais et canadien ainsi que le président français prévenaient hier qu’ils ne resteraient pas « les bras croisés face aux actions scandaleuses ». Avec 19 autres chefs d’État et de gouvernement, ils exigent une « reprise complète de l’aide de Gaza, immédiatement ». Benyamin Netanyahou leur a répondu ce lundi même : « Nous prendrons le contrôle de tout le territoire de Gaza » et, dans un cynisme atroce, il a affirmé qu’il ne fallait pas laisser mourir de faim les Gazaouis pour « des raisons pratiques et pour des raisons diplomatiques ».

Les opinions publiques, les foules manifestantes aussi se font entendre. Ce week-end, ils étaient près d’un demi-million dans les rues de Londres ; 100 000 manifestants vêtus de rouge à La Haye, aux Pays-Bas pour appeler le gouvernement néerlandais à condamner Israël. Le week-end précédent, 50 000 personnes défilaient dans les rues de Madrid, comme dans une centaine d’autres villes d’Espagne. Les manifestants scandaient : « Ce n’est pas la guerre, c’est un génocide ! », « Boycottez Israël ! ». Il y a un mois, ils étaient 15 000 à Milan. En mars, Lisbonne connaissait des manifestations massives. Les Américains sont sous la coupe de la terreur Trump et n’ont pour le moment pas trouvé le chemin pour renouer avec les protestations qui ont tant irrité les Républicains. Dans le monde arabe aussi, les opinions publiques pèsent sur les dirigeants. On se souvient que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane confiait à des législateurs américains au sujet de l’accord de normalisation avec Israël : « Si je signe, mon peuple me tue ».

Et en France ?

Ça bouge un peu sur le plan diplomatique. Emmanuel Macron a redit en avril que l’hypothèse de la reconnaissance d’un État palestinien par la France est sur la table. Décidée par l’Assemblée générale des Nations unies, Emmanuel Macron co-présidera avec l’Arabie saoudite en juin une « conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de la Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États », à New York. 

Et dans la rue ? Tous les samedis à Paris et dans quelques villes se tiennent des rassemblements de soutien, souvent trop clairsemés. Le collectif Urgence Palestine, constitué il y a moins d’un an et aujourd’hui menacé de dissolution par le gouvernement, a rassemblé les plus militants sans parvenir à élargir au-delà. L’insuffisance de la mobilisation est comme un paradoxe dans ce pays historiquement favorable à la cause palestinienne.

De fait, seuls 17% des Français – selon le dernier sondage qui remonte à juin 2024 – s’opposent à la création d’un État palestinien. Malgré l’écœurement face au génocide en cours bien au-delà des cercles militants, aucune grande manifestation à l’horizon. Les logiques répressives mise en place par l’exécutif pèsent. Il y a bien une question spécifique à la France. Dans un paysage où les associations de solidarité avec la Palestine sont faibles, c’est traditionnellement la gauche politique – le PCF, les Verts, LFI – qui conduit les mobilisations. La fracturation de la gauche, là aussi, produit ses effets. 

La France insoumise s’est mise aux avant-postes du combat dans une gestion cohérente avec sa stratégie de différenciation par rapport au reste de la gauche. Son choix de propulser Rima Hassan comme figure politique en est l’expression et a produit ses effets. La juriste franco-palestinienne s’interroge, comme beaucoup d‘intellectuels, sur la solution à deux États. Elle s’est fait connaitre en défendant la solution d’un état binational : « From the river to the sea ». Une proposition légitime, souvent avancée au sein de la gauche, israélienne, palestinienne et internationale. Mais elle n’est pas admise par tout le monde, loin de là. Le passage d’intellectuelle à porte-parole puis figure de proue de la campagne des européennes a produit un brouillage, un clivage politique là où la gauche était rassemblée sur la revendication de deux États et d’une reconnaissance par la France de la Palestine. Aucune manifestation unitaire n’a dès lors été possible. Le poison d’une assimilation du soutien aux palestiniens à un combat d’antisémites a fait le reste : la rue a été désertée. 

Est-ce que cela excuse les autres forces de la gauche ? En aucune façon. Si la cause palestinienne est devenue un identifiant LFI, c’est aussi parce que le reste de la gauche – de toute la gauche – n’a pris aucune initiative de masse.

Cela étant dit, il faut maintenant tourner la page de cette division. Et appeler à manifester contre le génocide, pour la solution à deux États, pour l’aide humanitaire, maintenant… Une telle initiative, en coordination avec les autres mouvements européens, serait une idée formidable. Et vite, s’il vous plaît.


 

   mise en lignele 24 mai 2025

Gaza. Une mémoire contre l’oubli

Jean Michel Morel sur https://orientxxi.info/

Dans Pour l’honneur de Gaza, le réalisateur palestinien Iyad Alasttal livre un témoignage poignant sur la vie dans l’enclave depuis le 7 octobre 2023, mettant en lumière celles et ceux qui luttent pour survivre malgré l’horreur et l’indifférence du monde.

« Le fait de ne rien entendre est lié à la mort, pas au calme de la fin de la guerre. » Cette phrase est l’une de celles que l’on peut entendre dans le film de Iyad Alasttal, journaliste et cinéaste palestinien, réfugié en France. Elle résume douloureusement la réalité d’une situation que plus personne ne peut hésiter à qualifier de génocide. Pour qu’un génocide soit en cours, il n’est nullement nécessaire que toute une population risque de disparaître. L’intention d’en exterminer le plus grand nombre suffit. Et à Gaza, entre les bombardements des équipements publics, des lieux de culte, des immeubles et de leurs habitants, l’interdiction de laisser entrer l’aide alimentaire et médicale, les coupures d’eau et d’électricité, l’objectif est bien de provoquer l’agonie d’un peuple.

Iyad Alasttal témoigne de cette tragédie qui dure depuis 595 jours. Mais il témoigne aussi de l’intense volonté des Palestiniens de continuer à vivre et de leur préoccupation permanente de ne pas laisser les enfants survivants (au moins 17 000 d’entre eux sont morts) s’abandonner au désespoir alors que d’aucuns n’ont plus ni parents ni famille et que leur existence présente ne ressemble en rien à celle d’avant.

La bande annonce de «  Pour l’honneur de Gaza  » d’Iyad Alasttal est visible sur : https://youtu.be/sdwRZ21CK_w

Né en 1987 à Khan Younès, dans le sud de Gaza, Iyad Alasttal a suivi des études de cinéma à l’université de Corte, en Corse. Diplômé en 2013, il revient dans l’enclave où, en 2015, il commence à produire et tourner de courts documentaires sur la vie quotidienne de ses habitants. Certaines de ces Gaza Stories diffusées sur YouTube seront primées.

Il quitte la Palestine pour la France en février 2024 et entreprend bientôt la réalisation de Pour l’honneur de Gaza, travaillant avec des collaborateurs restés au pays, mettant au point le scénario, choisissant les personnages et montant les rushes. Le film a été terminé en 2024, ce qui explique qu’on y voit moins de bâtiments détruits qu’aujourd’hui et que le paysage n’est pas encore totalement réduit à un immense champ de ruines.

« Infecté par une maladie qui s’appelle l’espoir. »

L’ambition de Iyad Alasttal n’est pas de montrer les pilonnages incessants de l’aviation, le déploiement des soldats et les fusillades qui s’en suivent, ni la progression dans les rues défoncées des Merkava, les fameux chars israéliens qui n’hésitent pas à démolir les maisons et à écraser les gens.

C’est à travers les portraits de gens qui n’ambitionnent que de continuer à vivre en dépit de la violence qu’on déverse sur eux que le cinéaste témoigne de sa grande empathie pour ce peuple qu’il déclare « infecté par une maladie qui s’appelle l’espoir. »

Une « infection » — que l’on pourrait rebaptiser « courage » — dont fait preuve ce marionnettiste qui, castelet1 sur le dos, se déplace de tente en tente, déclenchant les rires du jeune public. Ou ce dentiste pour enfants qui essaie, avec les moyens du bord, de sauvegarder leur dentition mise à mal par les conditions d’hygiène et de nourriture qu’on leur inflige. Mais être dentiste ne suffit pas : il faut aussi s’improviser thérapeute et organiser des jeux afin de faire oublier pour un moment l’inhumanité à laquelle la soldatesque israélienne, ivre de vengeance, s’emploie à condamner les nouvelles générations gazaouies.

« Parfois, je me demande ce qui nous arrive »

L’expression du courage, c’est aussi cette petite fille, imposante de calme et de dignité, qui se déclare abandonnée, ayant compris que les droits humains dont se gargarisent les pays occidentaux ne s’appliquent pas aux Palestiniens.

Des considérations d’adulte qui lui viennent de son expérience traumatisante et injuste, mais aussi de parents qui lui ont appris qu’en principe il y a des conventions internationales et qu’on ne peut pas traiter « la population palestinienne de Gaza comme un groupe sous-humain ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux ni de sa dignité », ainsi que l’a dénoncé Amnesty International2.

Depuis octobre 2023, au vu des amoncellements de décombres et du nombre de morts — plus de 53 000 à ce jour —, c’est pourtant ce traitement insupportable qui a été infligé aux Gazaouis. Désemparée, une femme journaliste résume cette situation avec une sorte d’incrédulité : « Parfois, je me demande ce qui nous arrive. Où sommes-nous ? Et qu’est-ce que nous faisons ici ? Ce qui nous arrive est incompréhensible et terrible. » — avant d’ajouter qu’elle préférerait ne pas avoir d’enfants pour qu’ils ne soient pas confrontés à une telle abomination.

« Mourir sur sa terre est mieux que l’exode »

La caméra de Iyad Alasttal nous invite à suivre le musicien Ahmad Abu Amsha qui ne lâche pas sa guitare et, suivi d’une cohorte d’enfants, s’installe sur une dune pour évoquer le camp de tentes précaires qu’est devenu son pays.


 

    mise en ligne le 23 mai 2025

Yasmine Tellal, travailleuse agricole
en lutte contre l’exploitation

Hélène Servel sur www.humanite.fr

Cette Marocaine d’abord émigrée en Espagne a connu le calvaire du travail détaché sans contrat de travail dans les champs du sud de la France : salaire en dessous du Smic, violences, harcèlement sexuel. Son ancien employeur s’est déclaré en faillite pour échapper aux poursuites judiciaires. Le procès en appel s’ouvre ce jeudi 22 mai au tribunal d’Avignon.

À peine passé la porte de chez elle, trois chats se glissent entre les jambes de Yasmine Tellal et la béquille sur laquelle elle s’appuie pour marcher. « Ils me changent la vie : après tout ce que j’ai vécu, ils me comprennent et ils me donnent beaucoup de tendresse. »

Arrivée du Maroc en Espagne à 14 ans, cette petite femme apprêtée, cheveux blonds au carré, travaille d’abord dans le prêt-à-porter à Barcelone, puis aux îles Canaries, où elle est responsable d’un magasin. Les affaires marchent bien jusqu’à ce que la crise économique frappe le pays de plein fouet à partir de 2008.

En 2011, un ami lui parle de Laboral Terra, une entreprise d’intérim basée à Murcie qui recrute des femmes pour aller travailler dans les champs du sud de la France. L’entreprise s’appuie sur une directive européenne de 1996 sur le travail détaché qui permet à des travailleurs et travailleuses communautaires ou ayant un titre de séjour dans un pays de l’UE d’aller travailler dans un autre État membre.

Par WhatsApp, on promet à Yasmine qu’elle sera transportée, logée et nourrie et qu’elle percevra un salaire plus élevé qu’en Espagne. C’est décidé : avec une amie, elles décident de rejoindre la France « pour un an, pas plus, histoire de se refaire un peu d’argent ».

Chantage et harcèlement sexuels

Arrivées le soir du 31 décembre 2011 à la gare routière d’Avignon, elles déchantent vite : contrairement à ce qu’on leur avait dit, personne n’est là pour les accueillir et elles attendront plus d’une semaine avant que les responsables de Laboral Terra leur donnent un signe de vie.

Rien ne se passe comme prévu : elles commencent à travailler dans des exploitations agricoles françaises sans contrat de travail, le salaire est en dessous du Smic, les heures ne sont pas toutes comptées… Commencent alors sept années de calvaire dans les champs autour d’Avignon. Les conditions de travail y sont terribles, le harcèlement et le chantage sexuels, systématiques. Repousser les propositions devient de plus en plus compliqué et risqué.

« Un jour, Ahmed, un des responsables de Laboral Terra, m’a ramenée en voiture et puis il s’est arrêté d’un coup au bord de la route et a commencé à m’embrasser de force, à me toucher les seins, à me mettre la main sur son sexe. Je lui ai hurlé d’arrêter, de me ramener chez moi. Il m’a dit : ”Si tu couches avec moi quand je te le demande, je te donnerai 300 euros par mois.” J’ai refusé net et il a fini par me ramener à la maison. J’étais sous le choc. »

En réponse à ses refus, elle est mise à pied et les violences physiques se multiplient jusqu’à la goutte qui fait déborder le vase : un jour, dans les toilettes de l’entreprise, une des travailleuses lui frappe violemment la tête contre le mur et elle perd connaissance. « Elle avait été envoyée par les responsables pour me mettre la pression. Là, je me suis dit que ça ne pouvait plus durer et avec quatre autres personnes, deux femmes et deux hommes, on est allés taper à la porte de la CGT, dont on avait trouvé le numéro sur Internet. »

Lanceuse d’alerte

Tous les cinq portent plainte en 2017, d’abord au conseil de prud’hommes d’Arles, puis au tribunal pénal à Avignon, notamment sur le volet harcèlement sexuel. Depuis le début des procédures, elle est la seule qui témoigne à visage découvert malgré les nombreuses violences physiques et psychologiques, menaces de mort et pressions qu’elle a subies après ses dénonciations.

Les cinq plaignants croisent la route du Codetras, le Collectif de défense des travailleurs et travailleuses étrangers de l’agriculture dans les Bouches-du-Rhône, qui les soutient dans leurs procès. Dès le début des procédures, Laboral Terra s’est déclarée en faillite pour échapper aux poursuites.

Ce jeudi 22 mai se tient leur procès au pénal en appel au tribunal d’Avignon. À cette occasion, Yasmine Tellal entend bien rappeler à la juge qu’aucune des personnes plaignantes n’a été entendue, et encore moins sur les questions de harcèlement sexuel. Après sept années de procédures judiciaires interminables et épuisantes, Yasmine Tellal a une santé très fragile.

Mais malgré son état physique, elle a toujours la même détermination dans le regard. Avec son chat Xena – « comme la guerrière » – sur les genoux, elle compte aller au bout de sa démarche. « De toute façon, j’ai déjà perdu ma santé et ma vie : maintenant je veux mettre mes dernières forces pour gagner cette bataille. »


 


 


 

« L’impunité totale » des entreprises qui exploitent les saisonniers agricoles

par Sophie Chapelle sur https://basta.media/

100 000 euros. C’est le montant que doivent les gérants de Laboral Terra, une société d’intérim espagnole, à quatre travailleurs détachés en France. Pour éviter de payer, ils font durer les procédures judiciaires. Reportage au tribunal de Nîmes.

Le banc des prévenus est désespérément vide dans la salle d’audience de la cour d’appel de Nîmes jeudi 22 mai. Yasmine Tellal, elle, est bien présente, aux côtés de son avocate et de ses nombreux soutiens. Ancienne employée de Laboral Terra, une entreprise de travail temporaire espagnole proposant de la main d’œuvre aux entreprises et exploitations agricoles françaises, Yasmine a brisé le silence en 2020 en décidant de saisir la justice. « On était traités comme des animaux », nous avait-elle confié dans cet article de 2020, évoquant les journées de travail de neuf heures, sans pause, où il fallait manger en cachette, les heures supplémentaires jamais payées, et les agressions sexuelles.

En première instance, les deux gérants de l’entreprise, Diego Carda Roca et Sonia Ferrandez Fullera, ont été condamnés à verser à Yasmine et trois autres anciens travailleurs détachés, près de 100 000 euros d’indemnités, au titre des préjudices économique, financier et moral – soit 25 000 euros chacun. Les gérants ont fait appel de cette décision. Ce qui explique la tenue d’une nouvelle audience à Nîmes.

Des prévenus partis en Espagne

Yasmine a fait la route depuis la région de Toulouse où elle vit désormais. Malgré la sclérose en plaques qui l’épuise et l’oblige à se tenir appuyée sur une béquille, elle voulait être là. Les violences subies en tant que femme, le harcèlement, le chantage et les agressions sexuelles ont disparu des charges retenues contre les responsables dans le procès pénal, comme dans les autres précédemment gagnés aux prud’hommes. Yasmine espère pouvoir lors de cette audience en appel rappeler ce que la justice omet de juger. 

 Mais face au tribunal, nulle trace des représentants de Laboral Terra ni de leur avocat. « Ils sont partis en Espagne, dit simplement la juge qui se tourne vers Yasmine. Des personnes ont été condamnées à vous verser des dommages et intérêts en première instance. Ils ont fait appel mais ne sont pas là. C’est sur ces éléments que la Cour statuera », précise la juge.

Yasmine s’avance vers la barre et tente de dire quelques mots, la juge écourte. Le tribunal annonce une décision le 19 juin avant de passer à l’affaire suivante. L’absence de Laboral Terra laisse supposer que le jugement en première instance où Laboral Terra avait été condamné à de lourdes peines, va être confirmé. Mais au moment où Yasmine sort de la salle d’audience, c’est la colère et la sidération qui marquent son visage.

« Je suis venue pour des miettes »

« Ils ne sont pas venus car ils n’ont pas envie d’être confrontés à une nouvelle condamnation », lâche l’avocate, à la sortie du tribunal. Ce que confirme Yasmine : « Les gérants ont fait appel pour gagner du temps. » La stratégie est bien rodée. À chaque condamnation judiciaire, d’abord aux prud’hommes puis au pénal, Laboral Terra a fait appel. Cela a permis à la société de se déclarer en liquidation judiciaire pour être insolvable sur le plan économique afin de ne pas payer les indemnités.

Le couple de gérants, qui a écopé de cinq ans de prison dont deux ferme en juin 2022 par le tribunal correctionnel d’Avignon pour « travail dissimulé », n’a pas été incarcéré. Les autorités savent que les deux se trouvent en Espagne. Yasmine soupçonne les gérants de « liquider ce qu’ils ont et de chercher à disparaître ». « Nous on reste en galère. Je suis venue de très loin ici pour des miettes », souligne-t-elle. C’est normalement la caisse de garantie de salaires qui doit prendre le relais pour les indemnités mais la procédure traine. Le cabinet d’avocats de Yasmine envisage un projet de requête auprès de la Civi, Commission d’indemnisation des victimes d’infraction. Mais le sentiment d’injustice prédomine.

« C’est l’impunité totale, dénonce Béatrice Mesini, chercheuse et membre du Collectif de défense des travailleuses et travailleurs étrangers dans l’agriculture (Codetras). Ce système de détachement des travailleurs facilite la dilution des responsabilités entre les entreprises prestataires et les entreprises utilisatrices. Sur le plan des responsabilités, il n’y a plus personne. C’est le flou ! On ne retrouve pas les fonds. »

« L’État nous a abandonnés »

Depuis le début de l’affaire, Yasmine Tellal a subi de nombreuses pressions et menaces. « J’ai le sentiment que l’État nous a abandonnés, dit-elle, après huit années de procédures épuisantes. C’est pourtant l’État lui-même qui nous avait demandé de porter plainte. » Pour aider la cheffe de brigade de la police aux frontières à monter un dossier d’instruction, Yasmine a indiqué à la police où se trouvaient les entreprises, les plaques d’immatriculation, l’adresse des gérants à Avignon... « Je me suis déplacée, j’ai fait les photos, j’ai réuni les infos pendant un an et demi, j’ai transmis tous ces éléments et j’ai tout payé de ma poche », énumère-t-elle.

La juge d’instruction a de son côté auditionné la Mutualité sociale agricole (MSA), mais n’a jamais contacté Yasmine ni ses collègues. « L’État a retenu seulement les conclusions de la MSA et a écarté les victimes, dénonce-t-elle. C’est un journaliste qui m’a alertée en juin 2021 pour me dire que l’affaire était passée au tribunal et que Laboral Terra avait été condamné à verser 3,8 millions d’euros à la MSA. Ni nous, ni notre avocat n’avions reçu de convocation. »

À l’extérieur du tribunal, les soutiens sont venus, nombreux. « Ce soutien c’est une façon d’éviter la ’’silenciation’’ : ça permet aux victimes de parler », note Béatrice Mesini, alors qu’aucune investigation sur les faits de harcèlement et d’agressions sexuelles n’a été conduite jusqu’ici. « Grâce à vous, je suis encore debout depuis toutes ces années pour me battre contre cette exploitation, cette traite d’êtres humains, ces agressions sexuelles, dit Yasmine, au micro. S’il faut aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, j’irai. »


 


 

Sans les travailleurs migrants,
la France serait incapable de produire des fruits et légumes

par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/

Les travailleurs migrants sont cruciaux dans le secteur agricole en France pour pallier le manque de main d’œuvre. Ils sont pourtant quotidiennement maltraités, aussi bien dans des exploitations que par les politiques publiques mises en œuvre.

Cher·es parlementaires et politiques qui votez des lois ou publiez des circulaires racistes : qui récolte vos fruits et légumes ? En France – premier producteur agricole européen – les bras manquent pour cueillir et ramasser les fraises, melons, tomates, haricots et autres courgettes que nous mettons, jour après jour, dans nos assiettes. Et sans les saisonnières et saisonniers étrangers, il serait impossible de fournir les stocks dont nous avons besoin pour nous nourrir.

Combien sont-iels ? Difficile à dire, tant les irrégularités et cachotteries caractérisent le secteur. En mars 2020, alors que les frontières étaient fermées à cause du confinement, la FNSEA évoquait 200 000 travailleurs manquants. Seule certitude : la proportion de ces saisonniers, dont les contrats durent entre trois et six mois maximum, ne cesse d’augmenter. La plupart d’entre eux sont marocains, tunisiens et polonais, mais aussi roumains ou latino-américains. Ils sont devenus incontournables dans le Sud-est mais aussi dans le Lot-et-Garonne et en Bretagne.

Partout, leurs conditions de travail sont intolérables. Parlons par exemple de Java, qui s’épuise plus de dix heures par jour, six jours par semaine, pour un salaire incertain, qui n’égale parfois que cinq euros de l’heure après 20 ans d’ancienneté. Ou de Yasmina, qui a enchaîné les contrats dans l’emballage de fruits et légumes, puis dans les serres de fraises avec des journées de 15 heures sans pause et sans toilettes. Regardons du côté de Driss, Boojma, Khalid et leurs collègues, sommés de trimer aux champs sans être payés après avoir acheté leur « droit » de travailler pour 12 000 euros !

Ils et elles évoquent aussi les conditions de vie insalubres, la promiscuité, les douches qui ne fonctionnent pas, la faim, la soif, et les violences sexistes et sexuelles. Le tout dans une insultante impunité, puisque moins de 10 % des exploitations agricoles sont inspectées, et encore moins condamnées.

Depuis quelques années, sous l’impulsion notamment du Codetras, Collectif de défense des travailleuses et travailleurs étrangers dans l’agriculture, certains de ces scandales sont arrivés dans les tribunaux. Avec quelques résultats : depuis 2021, plusieurs sociétés de travail temporaire et leurs dirigeants ont été condamnées pour violation des règles européennes du travail détaché mais aussi pour travail dissimulé, marchandage et conditions d’hébergement indignes.

Des affaires sont encore en cours, dont celle de Yasmina, que basta! avait racontée en 2020, et qui repassera au tribunal le 22 mai prochain.


 

   mise en ligne le 22 mai 2025

Entrisme des Frères musulmans : le rapport qui exagère, effraye et clive

Roger Martelli sur www.regards.fr

Le rapport sur l’entrisme des Frères musulmans en France, présenté en conseil de défense est une œuvre commandée et exploitée pour des calculs politiques. Quand intégrismes religieux et intégrismes laïques se nourrissent l’un l’autre.

Étonnant document que celui qui vient d’être rendu public et qui concerne les Frères musulmans, dont l’action est présentée comme « une menace pour la cohésion nationale ». Ce rapport, dont la publication coïncide avec l’affirmation « républicaine » de Bruno Retailleau, a été discuté lors d’un « conseil de défense ». Certaines décisions seront « communiquées », tandis que d’autres, « classifiées », relèveront du si commode « secret Défense ».

La méthode Retailleau

Secret Défense, conseil de défense : une fois de plus, l’esprit est à la guerre, cette fois contre un « entrisme » qui va trouver son champ d’application lors des élections municipales de l’an prochain. À lire le rapport, nous devrions nous convaincre que nous sommes devant une entreprise visant potentiellement au renversement de l’ordre républicain et que seule une voie d’extrême fermeté nous mettra à l’abri du malheur. D’où vient donc la menace ? D’une conjonction des fondamentalismes religieux ? D’une organisation terroriste de déstabilisation avérée et illégale des institutions ? D’un réseau complotiste exacerbant les peurs pour préparer un recours à la dictature ? Rien de tout cela. Ni terroristes, ni salafistes pro-saoudiens : la cible est une organisation connue, fondée sur l’islamisme politique, structurée en réseaux, appuyée sur un « écosystème » d’organisations et cherchant une implantation locale à l’occasion des prochaines élections municipales.

On peut n’avoir aucune sympathie pour l’islamisme en général et pour les Frères musulmans en particulier. On peut n’aimer ni leur organisation hiérarchisée, ni leur idéologie, ni leurs discours à géométrie variable, ni leur prosélytisme communautaire. Mais de là à en faire la Grande Peur du moment, alors que la démocratie vacille et que la paix est en miettes ! Il ne faut pas être angélique, nous dit-on. 7 % des lieux de culte musulmans rassemblant chaque semaine 91 000 fidèles (sur un peu plus de 5 millions de musulmans estimés), 21 établissements scolaires potentiellement rattachés, 127 associations sportives rassemblant 65 000 adhérents (sur 16,5 millions de licenciés)… Cela vaut-il le recours à la guerre totale et à l’arme atomique ?

Le rapport mêle, sans hiérarchie aucune, le classique rapport de police, la dénonciation publique d’institutions et d’individus présumés dangereux, les jugements de valeurs péremptoires, les mises en garde solennelles et les préconisations d’action publique. Il tranche sur des questions complexes, l’organisation des cultes, la pertinence de la notion d’islamophobie, le rapport de l’islam à la politique.

Il se réclame de la République et de la laïcité. Mais de quelle République parle-t-on : celle qui stigmatise ou celle qui rassemble ? Quelle laïcité : celle qui attise les conflits ou celle qui apaise ? Le rapport se veut rassurant pour une nation inquiète. Mais en focalisant les peurs sur une fraction de l’islam, il risque de déboucher sur une seule issue : l’angoisse, le refus de l’autre, le ressentiment. Autant dire : au triomphe de l’extrême-droite. Que Bruno Retailleau ait envie de chasser sur les terres du RN ou se prépare à la grande union sacrée de toutes les droites relève de son choix. Mais qu’on ne mêle pas l’idée républicaine et le pari laïque de Briand et de Jaurès à cette infâmie.

L’enjeu des municipales

Par le biais de « l’écosystème » constitué par leurs associations et à défaut de pouvoir s’emparer de l’État, les Frères musulmans chercheraient en attendant à s’emparer du pouvoir municipal. Voilà donc les 35 000 communes de France promues au rang de nouveau front des luttes. Que les Frères déploient une stratégie patiente d’implantation locale, surtout dans les zones fortement marquées par l’immigration, n’a rien ni de bien nouveau ni de surprenant. Mais ce sont les lieux par excellence où pourrait se poser la question fondamentale : si les associations « fréristes » ont de l’impact est-ce seulement par le machiavélisme de leur comportement ? Ne répondent-ils pas à des attentes, négatives (le refus des discriminations) ou positives (la demande de sens de vie) ?

En se détournant de ce questionnement, on risque de se précipiter vers les solutions courtes et se diriger vers le pire au lieu de le conjurer. La voie de la répression administrative ? Elle peut grandir ceux qu’elle frappe. L’isolement politique ? Il peut exacerbe le sentiment de rejet et d’exclusion chez ceux qui sont tentés par ce choix. En fait, la polarisation sur le local et sur le danger « frériste » ou « salafiste » finit par fixer le débat sur le double danger de la « séparation » et de la « subversion ». Comme l’invocation de « l’arc républicain » ou de la « convergence laïque », elle pousse à l’alliance sans limite de tous les adversaires de l’islamisme, de droite comme de gauche.

Mais est-ce vraiment là le fond souhaitable des controverses municipales ? Ce qui perturbe la capacité à vivre ensemble pacifiquement, est-ce l’altérité menaçante ou la spirale des inégalités, des discriminations, du poids des spéculations immobilières, des logiques comptables, des financements insuffisants, de la citoyenneté imparfaite et des démocraties à repenser ? En déplaçant l’enjeu du débat, on déplace l’axe des alliances et, en focalisant tout sur les dangers de l’islamisme, on met au centre des solutions la force la plus déterminée dans la dénonciation de « l’Autre » par excellence, l’immigré, l’étranger, le musulman. À l’image du ministre de l’Intérieur – toujours au cœur du dispositif quand il s’agit de traiter de religion ou d’immigration –, certains peuvent vouloir jouer de qui sera le meilleur recours. À ce jeu, hélas, le RN est la tête de file.

Islamophobie : danger

Les islamistes crient volontiers à l’islamophobie ; c’est donc que l’islamophobie n’existe pas, suggèrent les auteurs du rapport. Comme si, au XXe siècle, l’anticommunisme avait été un mythe puisque que les communistes ne cessaient de le dénoncer… Il en est de l’islamophobie comme de l’antisémitisme : il relève d’une longue histoire. Mais l’histoire récente lui a donné de l’épaisseur, parce que la France a été une puissance coloniale, parce que l’immigration d’installation pérenne a augmenté la visibilité et le poids de l’islam et parce que la théorie du « choc des civilisations » nous a habitués à la conviction que l’islam était la principale menace pour un Occident en déclin démographique.

L’islamophobie n’a pas pris la place des autres grandes manifestations du refus de l’altérité, en particulier de celle de l’antisémitisme. Mais son poids s’est accru au fil des décennies. Le sémiologue et essayiste Tzvetan Todorov a usé d’une belle formule pour décrire son ressort fondamental : « Tous les êtres humains agissent pour une variété de raisons : politiques, sociales, économiques, psychologiques, physiologiques même ; seuls les musulmans seraient toujours et seulement mus par leur appartenance religieuse (…) Eux obéissent en tout à leur essence immuable et mystérieuse de musulmans ». Que le retour d’un radicalisme religieux s’observe sous toutes les formes, dans toutes les cultures et toutes les religions, cela semble sans importance : le danger est celui de l’islam. Ce qui compte, c’est que l’islam, par nature quasi exclusive, subordonne le politique au religieux et prône la lutte contre tout ce qui n’est pas musulman.

« Ce n’est pas en attisant l’incertitude et le ressentiment, chez les non-musulmans comme chez les musulmans, que l’on mettra la France à l’abri des angoisses, des haines et des replis »

Mais comment ne pas voir que l’attrait des fondamentalismes, quels qu’ils soient, n’est pas d’abord dans l’habileté, la violence ou les dissimulations des forces qui les promeuvent ? Leurs succès sont pour une part l’envers des discriminations qui frappent des segments entiers de la population et, pour une autre part, ils sont l’indice d’un vide de sens et de valeurs que l’État et les « corps intermédiaires » – et parmi eux les partis – ne sont plus capables d’offrir. Ils sont une manière, pervertie mais attractive, d’affirmer une dignité refusée.

Il est dès lors des manières d’affirmer l’idée républicaine et le principe de laïcité qui finissent par les desservir de façon absolue. De même que la liberté se meurt quand les libertés concrètes sont mises en cause en son nom, de même la laïcité se recroqueville quand elle devient instrument de distinction et de discrimination et non d’émancipation. Les Frères musulmans, explique le rapport, ont utilisé la norme vestimentaire pour affirmer la vivacité de l’islam. Mais ce n’est pas par l’interdiction et l’imposition d’une norme censément acceptable par la majorité, que l’on contrera l’identification de la foi et du vêtement qui l’énonce, pour ceux en tout cas qui se sentent exclus de cette majorité.

Alors que le cours du temps, pour l’instant, se traduit globalement par un recul général de la croyance, les crispations identitaires produisent une poussée tout aussi générale des intégrismes. Ironie de l’histoire : intégrismes religieux et intégrismes laïques peuvent alors se nourrir l’un l’autre. On agite le spectre de l’islamisation et, ce faisant, on étend l’emprise d’un clergé conservateur, quand ce n’est pas celui de fanatiques capables du pire au nom d’une foi dévoyée.

Une laïcité d’émancipation

L’affirmation laïque, en France, a été portée par le triomphe électoral des républicains, après 1880. Il serait dramatique qu’elle devienne, par la volonté des sommets de l’État, une manière de masquer le parti pris antimusulman. La loi de 1905 n’était pas une loi antireligieuse, mais l’affirmation d’une double libération. Elle libérait l’État de l’ingérence de l’Église, alors farouchement attachée au principe de catholicité, et elle libérait en même temps les Églises de la tutelle exercée par l’État, même « concordataire ».

La laïcité de 1905 n’était pas davantage une laïcité d’exclusion. Ce n’est d’ailleurs pas la laïcité anticléricale des radicaux qui a coloré la grande loi de cette année-là, mais la démarche ouverte des socialistes Aristide Briand et Jean Jaurès. Pour ces deux-là, l’essentiel n’était pas de proscrire les signes religieux de l’espace public, ni les soutanes, ni les processions, mais de garantir la séparation des deux institutions de l’État et de l’Église. C’était débarrasser l’espace public de polémiques du temps passé, qui empêchaient de mettre en lumière les dossiers bien plus brûlants d’une souveraineté vraiment populaire et d’une République sociale attentive aux droits. La même préoccupation devrait l’emporter aujourd’hui encore. La démocratie serait perdante si l’on en venait à l’idée que la question laïque se substitue à toutes les autres et les surplombe, à un moment où il s’avère de plus en plus que la société est un tout, pour lequel il vaut mieux éviter d’ériger un enjeu à une rang supérieur à celui de tous les autres.

La laïcité telle que l’histoire l’a promue en 1905 n’a donc pas besoin d’être « ouverte », comme on le demande parfois : elle l’est par fondation. Mais elle ne doit en aucun cas revenir à la situation antérieure – ni à un gallicanisme déguisé (celui du contrôle d’’un clergé « nationalisé », que continuent d’ambitionner les Républicains), ni à un anticléricalisme hors d’âge. L’ennemi n’est pas la religion, mais l’aliénation, d’où qu’elle vienne. L’émancipation peut certes prendre la forme d’une émancipation individuelle du fait religieux ; elle ne peut prendre celle d’un combat étatique contre les religions, a fortiori contre une religion en particulier, et encore moins contre une religion qui se trouve aujourd’hui être davantage celle de dominés que celle de dominants.

« Les peuples n’aiment pas les missionnaires armés », s’exclamait Robespierre en 1792, contre l’avis de ceux qui pensaient que la guerre contre les monarchies allait étendre l’influence de la révolution. On peut aujourd’hui se convaincre que la sécularisation des sociétés est une avancée majeure de la liberté de conscience ; penser qu’elle progressera par le recours à une laïcité imposée par la loi est pourtant un contresens. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ? On sait les ravages justifiés par cette formule facile.

Legrand écrivain franco-libanais Amin Maalouf rappelle avec justesse que la ville musulmane que fut Cordoue était un havre d’ouverture au Xe siècle, pour devenir un lieu d’intolérance deux siècles plus tard. Maalouf nous donne la clé du mystère : entre les deux dates, l’Espagne musulmane est passée de la certitude à l’incertitude et donc d’une religion sereine à une religion inquiète. Ce n’est pas en attisant l’incertitude et le ressentiment, chez les non-musulmans comme chez les musulmans, que l’on mettra la France à l’abri des angoisses, des haines et des replis, sur les petites communautés (celles des minorités) ou sur les grandes (celles des majorités, a fortiori si elles craignent de ne plus l’être…). Nous n’avons pas à épurer notre société de ses miasmes, mais à promouvoir un projet qui mobiliser au mieux ses forces vives et qui rassure au maximum ceux que leur fragilité voue à l’inquiétude du déclin. C’est d’une sérénité reconquise que la France a besoin et pas d’un nouvel esprit de guerre civile.

En bref, il y a tout à craindre qu’un rapport, au total mal ficelé, ne serve qu’à conduire l’exécutif dans une spirale de ces peurs et de ces refus qui étouffent la République au lieu de la refonder.


 

    mise en ligne le 21 mai 2025

« C'est un petit peu comme si on leur offrait des funérailles » :
à Paris, une cérémonie pour rendre hommage aux 855 sans-abris morts en 2024

Tristan Gayet sur www.humanite.fr

855 sans-abri sont morts en France en 2024. Ce mardi 20 mai, le collectif Les morts de la rue a organisé au Parc de Belleville à Paris une cérémonie pour leur rendre hommage.

623 en 2022, 611 en 2023, et 855 l’année dernière. Les chiffres des morts à la rue ne cessent d’augmenter. Pour lutter contre l’invisibilisation de ce scandale, le collectif Les morts de la rue a rendu hommage, ce mardi 20 mai, à toutes les personnes décédées « sans chez-soi » en France l’année dernière.

Sur les murs de l’amphithéâtre du Parc de Belleville, des affiches rappellent que « vivre à la rue tue » et que « chacun.e était quelqu’un.e ». C’est pourquoi le nom de chaque personne morte à la rue a été lue à voix haute lors de l’initiative.

186 nouveaux décès en 2025

Le collectif a invité des élus et des personnalités politiques pour cette cérémonie de lecture des noms, afin de « les sensibiliser, les mettre face aux faits afin qu’ils prennent conscience ». Mardi soir, c’est surtout la gauche qui était représentée, notamment avec le sénateur communiste Ian Brossat, la députée LFI Sophia Chikirou ou Rémi Féraud, sénateur socialiste. Plusieurs conseillers municipaux de la ville de Paris étaient aussi présent.

Pour Bruno Hoguet, membre du collectif qui a vécu à la rue pendant plusieurs mois, cet aspect est primordial : « j’ai réussi à m’en sortir en me débrouillant, mais c’est aussi grâce à l’aide des petits politiques qui nous entourent. Ils agissent pour nous aider. »

La cérémonie s’est terminée par un hommage. Tous les spectateurs sont alors invités à déposer une rose auprès du nom d’un « sans chez-soi » décédé. En même temps résonne un enregistrement de la lecture des noms, accompagné, quand c’est possible, d’un parcours de vie. 

« C’est un petit peu comme si on leur offrait des funérailles », témoigne Arnaud, présent à l’événement pour la deuxième fois. La procession est longue. Dans l’émotion, chacun espère ne pas avoir à déposer de fleurs l’année prochaine. Mais 186 sans-abri sont déjà décédés cette année. Sans oublier les morts qui n’ont même pas été recensés.

350 000 personnes à la rue

Car beaucoup de sans-abri meurent encore dans l’indifférence générale et ne sont jamais identifiés. « Nous ne pouvons garder que les cas vérifiables », ajoute Bérangère Grisoni, présidente des Morts de la rue. « On travaille sur la base de signalements citoyens, de la police ou des pompiers, d’une veille média et grâce à l’aide de la DIHAL, pour Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement ».

La bénévole dénonce une inaction des politiques. « Aujourd’hui, on a des lois qu’on n’applique pas. C’est un devoir de l’État que les politiques sur le logement soient les chantiers prioritaires ». Et ce, alors qu’en France le sans-abrisme explose. En douze ans, il a augmenté de plus de 145 % d’après la Fondation pour le logement des défavorisés, soit 350 000 personnes à la rue.

Pour la France, septième puissance économique mondiale, ces chiffres sont accablants. Dans l’Union européenne, l’hexagone détient le triste record du plus haut taux de sans-abrisme. Peu après sa première investiture, Emmanuel Macron avait pourtant annoncé qu’il ne voulait « plus de femmes et d’hommes dans la rue », et ce « d’ici la fin de l’année » 2017. Huit ans après, la situation s’est aggravée…


 

   mise en ligne le 20 mai 2025

Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l’extrême droite française #34.
Le plan Périclès sur le gril à l’Assemblée : pourquoi Pierre-Édouard Stérin choisit encore et encore la chaise vide

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Cet article fait partie de la série « Pierre-Édouard Stérin, saint patron de l’extrême droite française » (34 épisodes)

Jamais deux sans trois : convoqué ce mardi 20 mai à l’Assemblée, le milliardaire catholique identitaire ne s’est pas présenté devant la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France. Sur CNews, il se permet même de narguer les députés en les traitant de « marioles » et d'« imbéciles ». Mais derrière les « menaces » invoquées pour se soustraire à cette audition, le concepteur du plan Périclès entend criminaliser l’opposition croissante à ses menées politiques.

Avant, Pierre-Édouard Stérin était riche et puissant. Maintenant, il est célèbre, aussi. Même mieux que ça, après la révélation à son grand dam, l’été dernier, de son plan visant à assurer une triple victoire – idéologique, politique et électorale – aux droites extrêmes : Stérin est identifié. Son dessein est connu. Son nom circule dans les gazettes, et au-delà. Son visage apparaît sur des affiches, des cartons ou même des banderoles, tantôt avec Vincent Bolloré ou Elon Musk, tantôt seul.

Les dizaines d’entités qu’il finance directement via Périclès, son « family office » Otium Capital et son philanthropique Fonds du bien commun, mais également la Nuit du bien commun qu’il a cofondée en 2017… Ses activités se trouvent sous surveillance citoyenne, bien au-delà de la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France, qui devait l’entendre ce mardi 20 mai, et à laquelle le milliardaire catholique a une nouvelle fois fait faux bond, invoquant toujours les « menaces de mort » à son encontre.

Valeurs actuelles fait son service après-vente

La veille, l’entrepreneur et exilé fiscal avait réclamé, comme la semaine dernière, une audition en visioconférence sous ce prétexte ubuesque du « danger » qu’il courrait au Palais Bourbon… Et ce alors même que sa présence est annoncée en grande pompe à un événement traditionaliste, mi-juin, dans les quartiers chics de Paris, en présence de l’abbé Matthieu Raffray, de Gabrielle Cluzel, plume de Boulevard Voltaire, ou du maire d’Orange apparenté Reconquête !.

Mais Pierre-Édouard Stérin a des soutiens. Au coude-à-coude avec le Figaro et le JDD, Valeurs actuelles se distingue par son outrance dans le service après-vente du milliardaire. Pour justifier la défection, le média cite ainsi longuement une source anonyme présentée comme « l’équipe de Périclès » : « L’ultra-gauche appelle quotidiennement à sa décapitation. En province, des manifestations avec des propos particulièrement violents, appelant notamment à sa décapitation, se tiennent en marge des Nuits du Bien Commun. Il y a un mois, le rapt d’un multimillionnaire a été déjoué en Belgique. Hier, la fille d’un leader de la cryptomonnaie, a manqué d’être enlevée à Paris et il y a quelques semaines, le cofondateur de Ledger était kidnappé. »

Pour Stérin, les députés veulent « faire les marioles »

Ce mardi 20 mai, au moment même de sa convocation, Pierre-Édouard Stérin se répand, en visio, dans l’émission de Pascal Praud sur CNews. « J’habite en Belgique, crâne le milliardaire depuis son exil fiscal. Je ne me rends en France que trois jours tous les deux mois et je n’ai pas envie de me déplacer pour répondre à des questions auxquelles mon associé a déjà répondu… » Avant d’ajouter : « La deuxième raison qui est plus importante, c’est que j’ai reçu des dizaines de menaces de mort émanant des amis des personnes qui me convoquent, en tout cas en partie. Il y a un risque de sécurité avéré, j’ai contacté le ministère de l’Intérieur qui m’a confirmé qu’effectivement, ces menaces étaient sérieuses et imminentes. Après, je ne suis pas le seul à en recevoir, mais comme elles sont sérieuses et imminentes, je n’ai pas envie de venir à Paris pour répondre à ces questions. » Aiguillonné par Pascal Praud, Stérin ne voit « aucune raison donnée » par les parlementaires à leur refus de l’entendre en visioconférence. « Ce que je comprends, c’est qu’ils ont envie de faire les marioles devant les caméras. Ce sont des politiques, ils ont besoin de n’importe quel prétexte pour que leurs noms soient mis en avant… Ils m’attendent aujourd’hui avec des dizaines de journalistes pour pouvoir faire les imbéciles devant des caméras… »

Sans revenir sur le renvoi totalement hors sujet aux tentatives d’enlèvements crapuleux de figures des cryptomonnaies, Me Louis Cailliez avait, pour le compte de Pierre-Édouard Stérin, annoncé lundi 19 mai, en fin de soirée, le dépôt d’une plainte pénale visant une « vague de menaces de mort et d’exhortation au meurtre » qui aurait « déferlé contre lui, sur Internet et sur la voie publique, à la suite de la médiatisation de son audition par une commission d’enquête parlementaire ». L’amalgame est établi. Allègrement.

À Tours, le 6 mai – à la même date que l’audition d’Arnaud Rérolle, le bras droit de Stérin pour Périclès, à l’Assemblée nationale -, une manifestation unitaire contre la Nuit du bien commun a rassemblé près de 400 personnes, soit plus que les participants à l’intérieur de l’Opéra. Avec des dons en baisse très nette par rapport à l’an dernier, les résultats ont été très médiocres de l’aveu des organisateurs du gala de charité. « Vous êtes moitié moins que l’année dernière à cause des manifestants », se lamente l’un d’eux dans la presse locale.

Le lendemain, les mêmes changent d’angle d’attaque en dénonçant des « menaces de mort » contre « l’un de leurs bénévoles ». « On en a décapité pour moins que ça », cinglerait un des messages relevés par leurs soins. Dans son communiqué annonçant la plainte, l’avocat de Pierre-Édouard Stérin, lui-même engagé au sein du collectif Justitia soutenu par Périclès, se concentre, lui, sur une affiche « Stérin décapitation » placardée à Tours comme « un exemple révélateur de l’ampleur et de la gravité du phénomène ».

L’apparition de la Section carrément anti-Stérin (Scas)

C’est donc à partir d’un ou deux slogans, certes, de très mauvais goût mais manifestement isolés, que Pierre-Édouard Stérin construit aujourd’hui son récit visant à lui permettre d’esquiver les questions des parlementaires et de devoir y répondre sous serment puis, par la même occasion, à criminaliser les mobilisations sociales et citoyennes contre ses menées politiques… Un grossier jeu de bonneteau, qui ne doit pas faire oublier que pour le milliardaire, les déconvenues se multiplient.

Dans le paysage, un nouvel acteur est apparu fin mars 2025 sous le nom de Section carrément anti-Stérin (Scas). Avec l’objectif revendiqué de contrecarrer le milliardaire et son plan Périclès en visant ses galas de charité dans tout le pays. « La galaxie du bien commun et Périclès sont, quoi qu’en dise Stérin, fondamentalement liés et s’entre-nourrissent », dénonce le groupe. Ajoutant mi-avril : « Dans toutes les villes où une Nuit du bien commun doit avoir lieu, des personnes, des organisations se rencontrent, s’adressent aux associations, diffusent de l’information et se mobilisent. » Après Tours et alors que plusieurs rendez-vous sont programmés début juin à Nantes et à Rouen, une manifestation était organisée lundi 19 mai à Lyon, avec le soutien des Soulèvements de la Terre, du PCF, de LFI, de Solidaires et d’autres. Elle s’est déroulée sans heurts.

Mais ça n’est pas tout : en Sologne, non loin de Salbris, une petite manifestation s’est aussi tenue, fin avril, devant l’internat de l’Académie Saint-Louis qui, incubé au sein du Fonds du bien commun, doit en cas d’autorisation préfectorale ouvrir ses portes à ses premières classes réservées aux garçons en septembre prochain. Même cause, même effet : samedi 24 mai prochain, à Étang-sur-Arroux (Saône-et-Loire), un « pique-nique citoyen » est prévu contre l’ouverture d’une école privée hors contrat du réseau Excellence Ruralités, financé à la fois par le Fonds du bien commun et la Nuit du bien commun.

Dans l’Allier, à Moulins, Yannick Monnet, député PCF et élu municipal d’opposition, alerte depuis des semaines sur une fresque historique mise en scène par l’association Murmures de la Cité, dont l’un des sponsors est le Fonds du bien commun. « Dans une conclusion empreinte de lumière et d’espoir, la France est dépeinte comme un pays éternel, guidé par la Providence, qui survit aux tourments, se réinvente et se projette dans un avenir toujours plus lumineux, porté par l’énergie et la volonté de son peuple », expliquent, par exemple, ses animateurs pour décrire le clou de leur spectacle.

Bolloré et Stérin « polluent le débat par leur puissance économique »

Des tas d’autres épisodes sont significatifs, comme la mise en échec par les personnels du groupe Bayard de l’arrivée d’Alban du Rostu, son ex-aide de camp au Fonds du bien commun, comme directeur de la stratégie. Quelques semaines plus tard, Dominique Greiner, représentant des assomptionnistes actionnaires du groupe, s’était livré à une forme inédite de critique à l’occasion d’un entretien à la Revue des médias de l’INA. « L’argent corrompt. L’Église catholique se retrouve aujourd’hui en difficulté pour se positionner, notamment face à Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin. Ils polluent le débat par leur puissance économique et financière et promeuvent une forme du catholicisme. Qui n’est que ça : une forme du catholicisme. Très étroite, par ailleurs. Ils ont arrosé tous les mouvements de l’Église, qui aujourd’hui ne peuvent plus se passer de leurs fonds. »

Mais avant même la découverte du plan Périclès, la majorité de gauche à Marseille avait, dès février 2024, refusé d’accueillir dans les locaux municipaux de l’Opéra la Nuit du Bien commun après la publication d’une première enquête sur la philanthropie de Pierre-Édouard Stérin dans l’Humanité magazine. « À la lecture de l’article, la Ville de Marseille a découvert le parcours de M. Stérin, avait indiqué alors une porte-parole de l’équipe municipale. On ne peut plus faire avec des gens qui ont des valeurs ultra-conservatrices et antidémocratiques. La Ville retire son soutien de façon évidente et claire. » L’été dernier, en Belgique, la principale fondation du pays (Fondation du Roi Baudouin) avait, elle, suspendu son partenariat avec l’événement après nos révélations sur Périclès.

Une tribune des maires de gauche contre cette « vision rétrograde de la société »

Ces derniers jours, de Nathalie Appéré (Rennes) à Arnaud Deslandes (Lille) en passant par Grégory Doucet (Lyon), Johanna Rolland (Nantes) et Pierre Hurmic (Bordeaux), les maires socialistes et écologistes de huit grandes villes où se déroulent des soirées de la Nuit du bien commun ont fait paraître dans le Monde une tribune collective assez nette. « Sous couvert de philanthropie, c’est une vision rétrograde de la société qui s’installe insidieusement dans nos territoires, décryptent-ils. Une vision qui oppose la morale aux droits, la charité à la justice sociale, la hiérarchie à l’égalité. (…) Il s’agit d’alerter nos concitoyens sur le projet politique sous-jacent, et de refuser d’être les complices passifs de cette opération d’influence. »

Aides directes ou indirectes aux partis des droites extrêmes, formation des candidats, constitution de baromètres pour fabriquer l’opinion publique, harcèlement judiciaire de ses adversaires, etc. Tout le monde voit aujourd’hui Stérin faire avec son plan Périclès. Effet Streisand oblige, en voulant échapper à la publicité, le milliardaire élargit encore et toujours le spectre de celles et ceux qui s’opposent à ses ambitions et à son monde…


 

Le raout du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure

À Biarritz, après que Thibault de Montbrial, un des bénéficiaires des mannes de Périclès, a pu organiser un raout de son Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI) dans le stade de l’équipe de rugby – dont Otium Capital est devenu l’actionnaire de référence en 2024 -, les supporters dans les tribunes dénoncent ce qu’ils désignent comme un « Stérin miné ». Et malgré la menace d’une éviction pure et simple orchestrée par leur actionnaire, et en dépit de la rétrogradation de l’équipe en Nationale annoncée ce lundi, les dirigeants du club, avec, au premier rang, Shaun Hegarty qui a vu son ami Federico Aramburu, ex-international argentin, tomber sous les balles de militants de l’extrême droite radicale en mars 2022, cherchent des investisseurs moins encombrants. 


 

    mise en ligne le 19 mai 2025

Choose France : la politique de Macron en termes d'attractivité est un échec,
la preuve par les chiffres

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Lundi 19 mai, 200 patrons de multinationales sont attendus à Versailles pour le sommet Choose France, où le chef de l’État doit vanter les mérites de sa politique économique… Pour tenter d'en masquer les échecs. En vain. Démonstration.

Emmanuel Macron doit se livrer ce lundi 19 mai à l’un de ses exercices favoris : l’autocélébration. Tel un monarque en son palais, le chef de l’État reçoit sous les ors du château de Versailles 200 patrons de multinationales dans le cadre du sommet Choose France, un raout somptuaire mis en place dès 2018 pour mettre en scène sa capacité à séduire les dirigeants d’entreprises étrangères.

Au programme, sont attendues des annonces en matière d’investissements dans l’Hexagone, pour un montant qui devrait avoisiner les 20 milliards d’euros, ainsi qu’un bilan (forcément) mirifique de la politique macroniste. En 2024, les investissements avaient été salués par les cris de joie de Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie : « Ce grand succès historique est dû à une seule chose : notre politique économique mise en place depuis sept ans avec Emmanuel Macron. (…) La réindustrialisation de la France est en marche ! »

Un net essoufflement de « l’effet » Macron

Le triomphalisme sera probablement de mise ce lundi. « Nous sommes depuis six ans le pays le plus attractif d’Europe », fanfaronnait déjà Emmanuel Macron face à Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, sur TFI, le 13 mai. Pourtant, les dernières données concernant l’attractivité tricolore invitent à la retenue plus qu’à l’autosatisfaction.

Le baromètre du cabinet EY, qui fait le point régulièrement sur les investissements étrangers, annonce un net essoufflement de « l’effet » Macron : le nombre de projets d’implantation et d’extension de sites existants en France a plongé de 14 % en 2024. Première raison invoquée par 200 patrons internationaux interrogés par EY : le climat politique en France, source d’une « instabilité » budgétaire inédite. Une instabilité créée par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, décrétée par un certain Emmanuel Macron.

La France détient certes la « palme » européenne avec 1 025 projets d’investissements étrangers (contre 853 au Royaume-Uni et 608 en Espagne), mais la moisson en termes d’emplois est de plus en plus maigrichonne : seuls 30 postes en moyenne ont été créés par chacun de ces projets d’investissements en 2024, contre 125 en Espagne et 48 en Allemagne. Au total, 29 000 emplois devaient être créés par le biais des investissements étrangers en 2024, soit une baisse de près de 30 % par rapport à 2023 et de 35 % par rapport à 2021.

Les chiffres sont encore plus cruels lorsqu’on tient compte (ce que l’exécutif ne fait quasiment jamais) des postes détruits dans le même temps par les multinationales. L’enquête d’EY montre par exemple que l’année dernière, elles ont créé 12 304 postes dans l’industrie manufacturière (en baisse de 40 % par rapport à l’année précédente), mais qu’elles en ont supprimé 8 312 (en hausse de 66 %) par le biais de restructurations et de fermetures de sites.

Soit un solde de seulement 3 992 créations nettes. Dans certains secteurs, le bilan devient carrément négatif : dans la chimie, par exemple, 480 emplois ont été créés, pour 1 420 destructions ! Dans l’automobile, deux fois plus de postes ont été supprimés (2 029) que créés (1 133).

Un pari à la fois périlleux et ruineux

Il n’y a rien de surprenant à ce que ce soient ces deux secteurs qui trinquent le plus : les derniers mois ont vu de nombreuses multinationales sabrer dans leurs effectifs, comme le belge Solvay (68 suppressions de postes dans le Gard) ou l’allemand WeylChem (plus de 100 suppressions dans l’Oise). Mais les mauvaises nouvelles frappent plus généralement l’ensemble de l’industrie.

Plus du quart des destructions d’emplois prévues par des PSE en 2024 (environ 77 000) concernaient l’industrie manufacturière. Par ailleurs, le solde net de créations d’emplois dans l’industrie est resté positif en 2024, mais il a chuté de plus de 60 % par rapport à l’année dernière, à 31 223 emplois, selon le cabinet Trendeo. « Cela résulte d’un double mouvement de montée des suppressions d’emplois (+ 77 %) et de baisse des créations (− 18 %) », précise le cabinet.

Le processus de « réindustrialisation » tant vanté par Emmanuel Macron est bel et bien enrayé, et les efforts de com déployés dans le cadre de Choose France ne suffiront pas à remonter la pente : en appeler aux multinationales pour réindustrialiser le pays est un pari à la fois périlleux et ruineux.

Périlleux, parce qu’on sait très bien que les multinationales ferment des sites plus vite qu’elles en ouvrent : quand elles sentent le vent tourner, elles ne tardent jamais à baisser le rideau. « On a affaire à des entreprises très mobiles, moins attachées au territoire et qui, en cas de problème, n’hésiteront pas à fermer leur site français pour se relocaliser ailleurs », prévenait déjà l’économiste Vincent Vicard, en 2022.

Transformer la France en eldorado du grand capital

En ce moment, de nombreux groupes regardent les États-Unis avec des yeux de Chimène, à l’image du laboratoire Sanofi, qui a récemment annoncé son intention d’y investir la bagatelle de 20 milliards de dollars. EY confirme que les investissements étrangers ont grimpé d’environ 20 % dans le pays dirigé par Donald Trump l’an passé, en partie du fait de la politique « probusiness » menée par son prédécesseur, Joe Biden, à grands coups d’investissement public et d’exonérations fiscales.

Tout miser sur les multinationales est donc un pari hasardeux, mais également ruineux car les politiques d’attractivité mises en place par Emmanuel Macron pour transformer la France en eldorado pour le grand capital ont un coût exorbitant. Un coût social, avec l’affaiblissement du droit du travail dans le cadre des ordonnances de 2017 (facilitation des licenciements économiques, plafonnement des indemnités prud’homales, etc.), mais également économique : baisse de l’impôt sur les sociétés (11 milliards d’euros par an), des impôts de production (au moins 10 milliards), etc.

Et le pire, c’est que les patrons de multinationales n’ont même pas la reconnaissance du ventre. Interrogés par EY, ils considèrent que la « simplification » et la « réduction » de la fiscalité française sont toujours des « priorités absolues » pour attirer d’avantage d’investissements dans les mois à venir. Entendre Emmanuel Macron, sur TF1, annoncer sa volonté d’alléger la fiscalité pesant sur le travail ne leur a sans doute pas déplu.


 

   mise en ligne le 18 mai 2025

Montpellier : de la Paillade à la Comédie pour demander la fin du génocide

sur https://lepoing.net/

Ils étaient un millier à manifester depuis le quartier populaire de la Paillade jusqu’à la place de la Comédie ce samedi 17 mai pour commémorer les 77 ans du début de la Nakba et demander la fin du génocide en Palestine

Juché sur un camion stationné devant les halles de la Paillade, Manu, militant de la campagne BDS-Urgence Palestine Montpellier, harangue la foule : “Cela fait longtemps que BDS est présent à la Paillade, et on sait que ce quartier est mobilisé en faveur du peuple palestinien.”

Et en ce 17 mai, la manifestation prend un contexte tout particulier : il y a 77 ans, le 15 mai, commençait la Nakba (“catastrophe” en arabe), où en 1948, démarrait le début de l’expulsion des Palestiniens de leurs terres et du nettoyage ethnique : entre 700 000 et 750 000 palestiniens — sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires qui seront sous contrôle israélien à l’issue du conflit de 1948, ont fui ou ont été chassés de leurs terres.

C’est une réalité toujours en cours”, rappelle une intervenante au micro. “Ce n’est pas seulement les expulsions, c’est aussi la famine, le manque d’eau, l’absence d’électricité, le blocus humanitaire.” À ce propos, six personnalités (Étienne Balibar, Sophie Bessis, Rony Brauman, Mona Chollet, Annie Ernaux et Edgar Morin) ont récemment lancé un appel au gouvernement Français pour demander à Israël “l’ouverture des points de passage afin que l’aide humanitaire soit distribuée par des organisations internationales, selon les normes du droit international”. Cet appel, relayé par l’Union Juive Française pour la Paix, vise à être signé par le plus grand nombre (lien pour signer en cliquant ici).

Le cortège, fourni d’un millier de personnes, a défilé de la Paillade à la Comédie en distribuant notamment aux passants des flyers appelant à signer la pétition contre la dissolution d’Urgence Palestine.

Le 21 mai à Montpellier, la Carmagnole (10 rue La Palissade) organise à 19 heures la présentation du livre « Gaza Mort Vie Espoir » avec deux de ses auteurs, Brigitte Challande et Pierre Stambul. Ce livre compile des récits de résistance quotidienne à Gaza depuis le 7 octobre, dont certains sont lisibles sur l’Agora du Poing.


 

    mise en ligne le 17 mai 2025

« La direction de la Poste veut museler les syndicats » : cinq postiers de Sud PTT devant le tribunal pour des faits datant d’une grève de… 2014

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Mis en cause pour « violation de domicile » et « violences », après deux tentatives d’occupation du siège du groupe postal, lors d’une grève en 2014, cinq syndicalistes sont convoqués au tribunal correctionnel de Paris, le 12 juin. Ils nient les accusations, dénonçant une tentative d’intimidation de leur direction, qui peut leur valoir une peine de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende.

Deux intrusions au sein de son siège national, dans le cadre d’un mouvement social. Voilà ce que la direction de la Poste appelle une « violation de domicile », qui vaut, onze années après les faits reprochés, une comparution devant la justice à quatre postiers et une postière, militants de Sud-PTT dans les Hauts-de-Seine, convoqués le 12 juin prochain au tribunal correctionnel de Paris. Ils sont par ailleurs accusés de faits de « violences » qui auraient été commis, à cette même occasion, à l’encontre de la responsable de la sûreté de l’époque. Ce que nient de façon constante les mis en cause.

À un mois de cette convocation judiciaire, les militants ont organisé ce jeudi 15 mai une conférence de presse, à laquelle s’est notamment joint le député Éric Coquerel (LFI), pour rendre public un appel de soutien aux grévistes mis en cause, signé par plusieurs personnalités du monde syndical et politique, dont le sénateur et directeur de l’Humanité Fabien Gay.

Le but de cette action : apporter une réponse collective face « un acharnement, dans l’air du temps, destiné à museler toute contestation syndicale et sociale contre l’idéologie dominante ». Ce que Sud estime être une « instrumentalisation de la justice » serait ainsi l’arme ultime dégainée par la direction de la Poste pour porter le coup de grâce à un syndicat pugnace, devenu au fil de grèves victorieuses (en 2010 et 2014 notamment) « un caillou dans la chaussure »– selon les termes d’Eric Coquerel – dans son entreprise de restructuration et de réduction des coûts, menée au détriment des conditions de travail des agents et de ses missions de service public.

« Cinq ans d’emprisonnement, c’est pas rien ! »

Autour des deux stands dressés face au siège du groupe, à Paris (XVe), tracts, DVD retraçant les luttes victorieuses du syndicat, dossiers de presse détaillés circulent parmi le public accueilli en ce frais matin de mai. « Rien n’est laissé au hasard. Vous avez sorti l’artillerie lourde ! » tente-t-on de plaisanter auprès de Gaël Quirante, le chef de file de Sud Poste 92, qui compte parmi l’un des cinq syndicalistes mis en cause. « On va dire que 5 ans d’emprisonnement, ce n’est quand même pas rien ! » grince du tac au tac le représentant syndical, qui vu « l’air du temps », n’a pas le cœur à la légèreté et prend l’affaire très au sérieux. C’est en effet la peine encourue par les cinq militants, à laquelle pourrait s’ajouter une amende de 75 000 euros, si la version de la Poste emportait la conviction du tribunal pour ces faits remontant à février 2014.

À cette époque, un bras de fer – qui durera 170 jours, entre janvier et juillet 2014 – est engagé déjà depuis un mois entre la direction du groupe postal et Sud PTT 92. Des factrices et facteurs de Rueil-Malmaison, la Garenne-Colombes, et Gennevilliers sont alors grève pour exiger l’embauche en CDI de leurs collègues intérimaires et contre les restructurations. Face à l’enlisement du conflit, une délégation se rend alors à deux reprises, les 13 et 20 février 2014, au siège de leur groupe, rue de Vaugirard, à Paris (XVe), ainsi que dans des locaux de la direction départementale, en tentant d’y pénétrer malgré l’opposition de la responsable sécurité de la Poste.

À l’issue de ces confrontations, cette dernière portera plainte aux côtés de sept vigiles et du groupe lui-même pour « violences », « dégradations » et « violation de domicile », malgré les dénégations constantes des cinq postiers. « Je connais Gaël et les syndicalistes des Hauts-de-Seine depuis longtemps et il n’est pas imaginable qu’il y ait eu un seul acte de violences », se porte garant Eric Coquerel, qui révèle avoir tenté, en vain, de plaider la cause des syndicalistes auprès du PDG de la Poste, Philippe Wahl, croisé dans le cadre de ses missions de président de la commission des Finances à l‘Assemblée nationale. L’élu, selon qui « cette procédure judiciaire fait partie d’un plan concerté pour faire un exemple » affirme également « avoir été le témoin depuis 2015 de l’acharnement de la Poste vis-à-vis de Sud PTT 92, qui paie le fait d’empêcher la normalisation des plans de restructuration ».

Diversion à l’action militante

Un acharnement dont témoigneraient, selon Gaël Quirante, les motifs jugés invraisemblables de cette plainte. « » Violation de domicile « : c’est tout de même une façon originale de présenter les choses s’agissant d’une action somme toute très banale dans les luttes syndicales », raille Gaël Quirante, qui ne s’en dit pas moins inquiet face au signal adressé aux militants qui se risqueraient désormais à investir les locaux de leur entreprise pour exiger d’être reçus par leurs dirigeants. Derrière cette affaire, le syndicaliste, comme Eric Coquerel, voit une diversion à l’action militante et une nouvelle escalade dans le projet de museler un syndicat particulièrement offensif dans sa lutte pied à pied contre la précarisation, la fermeture de guichets, la suppression de tournées et leur lot de dégâts sur les conditions de travail, générés par le projet de restructuration mené à marche forcée par le groupe postal.

Gaël Quirante a par ailleurs saisi l’occasion de cette riposte pour dévoiler un document interne assez édifiant lié à la réorganisation du centre d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), sur lequel le syndicat a mis la main et que l’Humanité a pu consulter. « Il classe les agents dans un échiquier selon leur niveau de proximité avec le projet de restructuration, dans deux catégories : antagonistes ou conciliants », détaille le syndicaliste, selon qui des mesures de rétorsion seraient même envisagées à l’encontre de ceux que la direction nomme les « irréconciliants ».

Classement des salariés réfractaires

Au-delà de cet étrange fichage, le syndicaliste s’estime également, à travers l’action judiciaire qui débutera le 12 juin, une cible privilégiée de la direction. Cette dernière ne se résoudrait en effet pas à voir le postier garder son mandat syndical, lui ouvrant le droit d’intervenir dans les centres postaux, malgré son licenciement acté en 2018 (pour lequel ce dernier a lancé un recours devant la Cour européenne des droits de l‘homme). Un licenciement autorisé par la ministre du Travail de l’époque, Murielle Pénicaud, alors même que l’Inspection du Travail avait qualifié la procédure de discriminatoire et qu’une fronde s’était levée parmi ses collègues, à la faveur d’une autre grève spectaculaire de quinze mois.

Contactée par l’Humanité sur l’ensemble de cette affaire, la direction de la Poste n’a pour le moment pas donné suite à nos sollicitations, ni sur la procédure en justice des cinq prévenus, ni sur cette affaire de fichage à Issy-les-Moulineaux.


 

    mise en ligne le 16 mai 2025

Guerre en Ukraine : à Istanbul,
Kiev et Moscou organisent un désordre autour des pourparlers

Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

Après trois ans, les premières négociations directes entre l’Ukraine et la Russie vont débuter en Turquie après de multiples contorsions diplomatiques. Cette réunion qui va enfin débuter vendredi 16 mai dans la matinée témoigne d'une faible volonté pour des pourparlers entre les deux protagonistes. En attendant la guerre se poursuit.

En cette quatrième année de guerre en Ukraine, Kiev et Moscou vont finalement débuter des négociations à Istanbul, ce vendredi matin. Cette réunion initialement bilatérale se tiendra sous différents formats notamment entre la « Fédération de Russie, l’Ukraine et la Turquie » a détaillé une source au ministère turc des Affaires étrangères qui jouera le rôle de médiateur.

Le choix de la Turquie comme lieu de rencontre par le président russe est déjà un signal diplomatique. Depuis le début de la guerre, Ankara a servi d’intermédiaire entre les deux administrations, en livrant des armes à l’Ukraine notamment des drones et en refusant d’appliquer des sanctions contre Moscou. Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait obtenu la signature de « l’initiative céréalière de la mer Noire » avec la Russie, l’Ukraine et les Nations unies en juillet 2022.

Des positions trop antagonistes

De fortes tensions ont émaillé les modalités d’une telle réunion. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky qui a fait le déplacement à Ankara, jeudi pour rencontrer son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, a critiqué la délégation russe, la qualifiant de « pure façade ». Cette dernière est composée du conseiller présidentiel, Vladimir Medinski, accompagné par le vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Galouzine et le vice-ministre de la Défense Alexandre Fomine.

Quelques instants plus tard, Moscou a répliqué. La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova a qualifié de « clown » le dirigeant ukrainien, jetant un doute sur l’issue de ces discussions. Petit rappel, Vladimir Medinski a fait partie des négociateurs ayant abouti à un accord entre l’Ukraine et la Russie en mars 2022. Les deux délégations de l’époque avaient réussi à lever un certain nombre d’obstacles afin de permettre la signature d’un projet de cessez-le-feu par les deux présidents. Sous pression britannique notamment, Volodymyr Zelensky s’était retiré de l’accord final.

« Nous sommes qu’aux prémices des négociations. Les positions sont encore extrêmement antagonistes entre les deux administrations. Pour la délégation russe, Vladimir Medinski qui a porté le projet d’accord au printemps 2022, réclame que ce texte soit le point de départ. Une chose inenvisageable pour Kiev surtout que Moscou souhaite que les nouvelles conquêtes territoriales soient intégrées », estime l’ancien ambassadeur de France en Russie, Jean de Gliniasty.

Au final, le président ukrainien a dépêché une délégation ukrainienne qui « aura un mandat pour un cessez-le-feu » et sera dirigée par le ministre de la Défense, Roustem Oumerov. Ces revirements confirment qu’avant le début de ces pourparlers, les deux protagonistes n’ont pas voulu reconnaître les difficultés d’une telle rencontre et la mise en place d’un processus de paix. Dans une forme de bras de fer diplomatique, chacun a tenté de rejeter l’échec sur l’autre.

« Les deux puissances ne souhaitent pas réellement négocier pour deux raisons différentes. Le président russe veut poursuivre la guerre tout en négociant afin de continuer à engranger des gains sur le terrain. Le président Zelensky ne peut pas signer une paix aujourd’hui. La population ukrainienne ne lui pardonnerait pas, d’avoir subi trois années de guerre, des milliers de morts, des destructions, pour finalement acter la perte de territoires », note Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS.

Trump prêt à se rendre en Turquie

Pour les États-Unis, le conseiller spécial Steve Witkoff et le secrétaire d’État Marco Rubio sont également en Turquie. Ce dernier qui doit rencontrer son homologue ukrainien, Andriy Sybiga a estimé, jeudi : « Je ne pense pas que nous ayons de grandes attentes quant à ce qui se passera demain ». Même position du président Donald Trump qui a soutenu l’initiative russe de négociation directe. Le milliardaire a jugé qu’il pourrait se rendre également « vendredi » sur place en cas de progrès dans les discussions. Avant d’affirmer : « Rien ne se passera (…) tant que (Poutine) et moi ne serons pas ensemble. »

« L’Europe juge de son côté que l’Ukraine doit négocier en position de force et que c’est à Kiev d’accepter des pourparlers, juge Jean de Gliniasty. Elle laisse aux États-Unis, à l’Ukraine et à la Russie le processus diplomatique. Après, un dialogue peut débuter alors que le conflit perdure. Cela s’avère être le cas, dans la majorité des guerres. Seulement, Moscou refuse un cessez-le-feu pour maintenir ses objectifs militaires tout en tentant de normaliser ses relations avec Washington. Une stratégie qui s’avère risquée. »

En attendant, les choses bougent sur le front. À son tour CNN, citant deux officiels états-uniens, confirme que la Russie rassemblerait des forces pour une prochaine offensive ce printemps, « destinée à s’emparer d’une plus grande partie du territoire ukrainien ». De son côté, Vladimir Poutine a limogé le commandant des forces terrestres de l’armée russe, Oleg Salioukov avant de le nommer secrétaire adjoint du Conseil de sécurité russe. C’est un important organe consultatif qui se réunit régulièrement autour du président.


 

   mise en ligne le 15 mai 2025

« Nous, livreurs sans papiers, sommes pris en étau entre les contrôles de police
et les demandes de rentabilité d’UberEats et Deliveroo »

Par Jérémie Rochas , Arto Victorri sur https://www.streetpress.com/sujet/

Les livreurs sans papiers de Lille dénoncent le harcèlement de la police, qui multiplierait les contrôles d’identité et les interpellations. Les forçats de la livraison se sont regroupés en collectif et demandent leur régularisation.

« Faites attention rue de Béthune, là où les livreurs se regroupent. Ils sont nombreux, il y a la PAF [police aux frontières], la municipale, la nationale avec leurs voitures. Ils viennent d’arrêter quelqu’un. » En mars dernier, l’alerte est envoyée en urgence sur les téléphones de quelque 120 livreurs lillois réunis en collectif. Chaque semaine, des dizaines de messages vocaux sont diffusés pour prévenir des contrôles policiers qui ciblent les coursiers sans papiers de la métropole, contraints au mouvement permanent. Les membres du groupe se partagent aussi des contacts d’avocats, des informations sur les projets de loi dans leur secteur, des appels à la grève ou au soutien de collègues blessés pendant des livraisons. Les restaurateurs irrespectueux avec les coursiers sont aussi signalés. Le réseau d’entraide s’active parfois même au-delà des frontières, avec des cagnottes créées pour aider financièrement les livreurs expulsés vers leur pays d’origine.

« En 2022, la situation est devenue insupportable », raconte Abdoulaye (1), l’un des porte-paroles du collectif de livreurs sans papiers de Lille. « On voyait nos collègues se faire arrêter les uns après les autres à mesure que les plateformes baissaient les prix de livraison. On a décidé de réagir. » D’abord, l’idée émerge de se mobiliser pour soutenir les livreurs interpellés et placés en centre de rétention administrative (CRA), première étape avant une possible expulsion du territoire. Très vite, l’information circule « de bouche à oreille » et des dizaines de nouvelles recrues des plateformes viennent grossir les rangs du collectif, appuyé par les associations d’aide aux personnes exilées et des syndicats. Ils organisent leur première manifestation en janvier 2023 et revendiquent depuis sans relâche la fin des contrôles policiers et la régularisation des travailleurs indépendants.

Des contrôles incessants

Au cours de ses cinq années de livraison, l’ancien gendarme guinéen a vu des dizaines de collègues abandonner leur poste, accablés par la précarité et l’omniprésence policière : « La plupart d’entre nous travaillent sans congé toute la semaine pour à peine 1.000 euros par mois. On peut parfois rester 11 heures ou 12 heures d’affilée dehors, lorsqu’il y a peu de commandes. Tout ça avec la peur au ventre. »

Tous les livreurs sans papiers interrogés partagent cette angoisse d’être arrêté durant leurs heures de travail. La psychose les suit même parfois jusqu’aux portes des clients : « Un soir, une voiture de police est arrivée en trombe au moment où je remettais une commande. Le client était choqué et s’est interposé, mais ils n’ont rien voulu savoir », raconte Salif (1), un autre livreur sans papier du collectif. « J’avais mon récépissé à jour [le document prouvant l’enregistrement d’une demande de titre de séjour à la préfecture]. Alors ils n’ont pas eu d’autre choix que de me laisser partir. Je les ai recroisés cinq minutes plus tard en train de contrôler un autre livreur. »

Avant de poser ses bagages dans le Nord de la France, l’ancien demandeur d’asile a roulé sa bosse à Nantes et à Bordeaux. Si les conditions de travail y étaient tout aussi difficiles, il raconte n’avoir jamais connu le même degré de répression policière : « Je ne connais pas un seul livreur sans papiers à Lille qui n’a pas fini un jour au commissariat. D’ailleurs, la plupart de mes collègues sont partis travailler à Paris. »

Ben (1) a lui décidé de quitter la France en juillet 2024, à la suite d’un énième contrôle d’identité. Ce jour-là, il est presque minuit quand le livreur de 25 ans rentre chez lui après une longue journée de travail. Il est à quelques mètres de sa porte d’immeuble quand une voiture de la brigade anti-criminalité (BAC) commence à le suivre et lui ordonne de s’arrêter. Le Guinéen fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et sait qu’il risque l’expulsion vers son pays d’origine en cas d’interpellation. Alors il fait mine de ne pas avoir entendu et pédale de toutes ses forces, priant pour qu’ils renoncent à le poursuivre. Mais la patrouille le prend en chasse et appelle des renforts. Après de longues minutes de course-poursuite dans les rues du quartier de Wazemmes, Ben met le pied-à-terre, épuisé. Il est aussitôt cerné par plusieurs véhicules et menotté sur-le-champ. Il n’a rien oublié du sentiment d’humiliation : « Les passants s’arrêtaient pour me regarder. J’ai eu tellement honte, j’avais l’impression d’être un criminel. »

Après l’avoir fouillé et contrôlé son identité, les policiers décident de le laisser repartir. Un agent de la BAC se serait alors approché pour lui lancer : « La prochaine fois, si tu ne t’arrêtes pas quand je te le demande, je te nique ta mère. » Ben prend la décision le soir même de plier bagages vers un autre pays d’Europe.

Échapper aux contrôles

En avril 2023, Ben a déjà passé une nuit en cellule après un contrôle au cours d’une livraison. Si la mobilisation du collectif de livreurs sans papiers avait permis sa libération, la peur de la police ne l’a plus jamais quitté et a directement impacté son chiffre d’affaires. « Je savais que la police contrôlait les livreurs le matin, alors je ne sortais pas de chez moi avant 12 heures », explique le jeune livreur. « Mais il était souvent trop tard : toutes les commandes étaient déjà prises. » Il prend aussi l’habitude de contourner les carrefours et les grands boulevards, quitte à rallonger la durée de ses shifts : « À chaque fois que je voyais les modèles de voitures de la BAC, j’avais la boule au ventre, des sueurs froides, je perdais toute orientation. C’était devenu insupportable à vivre. »

Pour Emmanuelle Jourdan-Chartier, présidente de la section lilloise de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), ces contrôles incessants que subissent les coursiers sans papiers participent à « une stratégie de harcèlement policier de populations ciblées et discriminées ». L’association vient justement de lancer une campagne nationale pour recueillir le ressenti des victimes de contrôles au faciès et demander leur interdiction. En 2023, le Conseil d’État avait reconnu leur caractère discriminatoire mais s’était jugé incompétent pour y mettre fin.

Interrogé, le service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) conteste l’existence d’un ciblage de ces travailleurs sans papiers : « Il n’y a aucune attention particulière portée à ces livreurs en l’absence de motif à contrôle. »

Amendes et confiscation de vélos

Les coursiers sont également sujets aux amendes distribuées sur plusieurs artères principales du centre-ville, désormais interdites à la circulation à vélo. Ils sont aussi régulièrement ciblés par la brigade routière départementale qui procède à la mise en fourrière des vélos électriques débridés, utilisés par de nombreux coursiers pour optimiser les trajets et compenser leurs maigres revenus. « On n’a pas le choix, il faut bien manger », soupire Abou (1), qui explique être pris en étau entre les règles de circulation et les demandes des plateformes, qui exigent sans cesse la réduction du temps de course. Lui a récemment échangé son vélo électrique pour un scooter d’occasion. À 48 ans, il rêve de raccrocher la livraison. Mais en attendant l’obtention de sa carte de séjour, il lui faudra continuer de sillonner les rues lilloises en esquivant « les visiteurs », comme sont surnommés les policiers par les membres du collectif.

En octobre 2023, Abou a été arrêté aux abords de la station de métro Porte des Postes – considérée comme un véritable guet-apens par les livreurs sans papiers -, avant d’être placé au centre de rétention administrative de Lesquin (59). Il a pu compter sur le soutien de ses collègues de galère pour mobiliser associations et avocats jusqu’à sa remise en liberté, après 63 jours d’enfermement. Mais aussitôt dehors, Abou a ravalé sa peur pour repartir au charbon. Son chiffre d’affaires peine à atteindre le SMIC, sauf qu’il lui faut payer le loyer du logement social qu’il sous-loue à l’un de ses amis, la cantine de ses deux enfants et préparer l’arrivée d’un nouveau-né prévue dans quelques mois.

« On est là pour servir la France, on paie des impôts, mais on se fait sans cesse arrêter, certains se font confisquer leurs vélos quand ils fuient la police », s’époumone Abdoulaye, l’un des porte-paroles du collectif. « Mais nous ne sommes ni des animaux, ni des délinquants. »

Location de comptes

Pour passer sous les radars, Abou loue son compte UberEats ou Deliveroo à un particulier en règle. La location d’un profil peut varier entre 100 et 150 euros par semaine. En 2024, la mairie de Lille estimait que ces « activités non déclarées et les locations de compte » pouvaient concerner la moitié de l’effectif total des livreurs de la ville, soit près de 3.000 personnes.

Une technique qui n’est pas sans risques. « Ces travailleurs sont exploités par d’autres personnes mal intentionnées qui profitent de leur situation précaire », insiste le service com’ de la police nationale. De plus, les plateformes déploient des dispositifs de détection de comptes sous pseudonyme par reconnaissance faciale ou de contrôle de pièces d’identité. En mars 2022, l’État a signé avec les plateformes une charte d’engagement contre la fraude et la sous-traitance irrégulière, provoquant la déconnexion de plusieurs milliers de comptes.

Interrogées par StreetPress sur les conditions de travail de ses livreurs indépendants sans papiers, Deliveroo et UberEats se contentent de réaffirmer leur engagement dans la lutte « contre la sous-traitance irrégulière », soit « la sous-location illicite de comptes ». « Nous collaborons étroitement avec les forces de l’ordre et leur transmettons toutes les informations requises dans le cadre des enquêtes qui peuvent être menées », ajoute même UberEats, première plateforme à avoir instauré le système d’identification en temps réel de ses travailleurs dès 2019. Aucun des mastodontes de la livraison de repas ne prend cependant position sur la question de la régularisation des livreurs sans papiers, portée depuis plusieurs années par des syndicats comme la CGT et l’Union-Indépendants. « Leur modèle économique repose pourtant sur le fait que ces travailleurs soient corvéables à merci et qu’ils n’aient d’autres solutions pour vivre que de travailler pour des miettes par le biais de location de comptes », s’agace Ludovic Rioux, représentant de la CGT Transport.

Bientôt une maison des livreurs ?

Si les livreurs sans papiers avaient pour habitude de se retrouver entre deux courses près des rues commerçantes ou sous le parvis de la gare il y a encore quelques mois, désormais le mot d’ordre est la dispersion. « Les flics ont commencé à faire des descentes et arrêter tous les livreurs qui se réunissaient à l’extérieur », confie Abdoulaye, qui attend désormais les notifications de l’application dans un centre commercial proche du centre-ville. « Maintenant, tout le monde est dans son coin. »

En avril 2024, la ville de Lille a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour la création d’un « lieu de répit » pour les salariés de l’aide à domicile et les livreurs indépendants. La mairie souhaite proposer aux travailleurs précaires « un accompagnement socio-médical, un appui administratif ou un atelier de réparation de vélo ». Un espoir pour les livreurs sans papiers sous pression policière constante dans l’espace public.

Ce modèle de maison des livreurs, déjà en place à Bordeaux ou Paris, leur permettrait enfin de se rassembler et de s’organiser en sécurité. « Les conditions de travail ne cessent de se dégrader, d’autant plus pour les livreurs sans papiers », insiste Anthony*, livreur et représentant syndical à l’antenne locale de l’Union-Indépendants. « Les plateformes ont réussi à installer une forme d’individualisation, nous devons essayer d’en sortir. »

Contactés, la mairie de Lille et la préfecture du Nord n’ont pas répondu à nos sollicitations.

(1) Les prénoms des livreurs ont été changés.


 

    mise en ligne le 14 mai 2025

« Nous pouvons faire du métal sans Mittal » : devant le siège de la multinationale, les Arcelor exigent la nationalisation des hauts-fourneaux

Léa Darnay sur www.humanite.fr

Les salariés d’ArcelorMittal ont convergé, ce mardi 13 mai, devant le siège social du groupe, à l’appel de la CGT. Les sidérurgistes exigent la nationalisation des sites français. Des propositions de loi émanant de la gauche vont dans ce sens.

Trois semaines après l’annonce d’un plan de suppression de 636 emplois dans l’Hexagone, 400 salariés venus de tous les sites français d’ArcelorMittal ont convergé, ce mardi 13 mai, devant le siège de la multinationale, à Saint-Denis. « Nous pouvons faire du métal sans Mittal », scandent les sidérurgistes au pied de l’immeuble de verre.

Tous veulent éviter la catastrophe. « Si les hauts-fourneaux de Dunkerque et Fos-sur-Mer s’arrêtent, ce sont les 40 autres centres et usines qui tombent, avec un effet en cascade inimaginable sur l’ensemble de l’industrie du territoire, ultradépendante de l’acier », alerte David Blaise, représentant syndical central CGT de la branche centres de services.

Tandis qu’un comité social et économique (CSE) se déroule derrière les vitres teintées pour dessiner les contours du plan social, des cars de travailleurs en colère affluent pour mettre la pression sur la direction française du sidérurgiste en appelant à la nationalisation. Les Florangeois donnent le ton : casques de chantier sur la tête, bleus de travail sur le dos, fumigènes à la main, leurs pétards font trembler le béton. « Ils nous parlent de reclassements, mais il faut mettre les mots : ce sont des licenciements !, dénonce Éric Cholet, gilet rouge sur le dos. C’est une véritable casse sociale et industrielle ! »

« Un désinvestissement organisé »

Sur ce site lorrain, 194 postes seraient supprimés, soit deux tiers des effectifs. « Nous avons déjà vécu l’arrêt des hauts-fourneaux, de la coquerie, de la scierie, se désole le travailleur de Moselle. C’est à cause d’un désinvestissement organisé. » Devant le siège dionysien, les discours des représentants syndicaux des sept sites touchés par le plan social s’enchaînent et se ressemblent. « Montataire (Oise) est un site dimensionné pour produire 1 million de tonnes à l’année, mais ils n’envisagent plus que 600 000 tonnes en 2025. Il n’y a aucun investissement stratégique », regrette Nicolas Vilmin, délégué CGT du site picard.

Industeel, filiale qui vient déjà de perdre 110 postes l’an dernier, trinque à nouveau. « Même si ce ne sont que 20 emplois sur les 1 000 salariés, c’est déjà trop pour un fabricant qui livre le nucléaire, affirme Sébastien Gautheron. Depuis 190 ans, nous fabriquons de l’acier, nous en faisions avant Mittal, nous en ferons après lui », assure l’élu.

« Comment expliquer ce nouveau plan social alors que le groupe, perfusé d’argent public, vient d’annoncer des résultats positifs ? » rétorque Frédéric Sanchez, secrétaire fédéral de la métallurgie CGT. Le géant de la sidérurgie ne s’en cache pas : les 636 postes supprimés en France font partie d’un plan de délocalisation de ses fonctions supports vers l’Inde. « Mittal se désengage de l’Europe. Mais, en même temps, il demande 800 millions d’euros d’aides publiques pour un projet de décarbonisation du site de Dunkerque qu’il ne fera jamais », s’insurge le métallo.

La nationalisation

Pour sortir de ce poker menteur, la CGT revendique la nationalisation. Gaëtan Lecocq, secrétaire général du syndicat CGT Dunkerque, et Reynald Quaegebeur, délégué syndical central CGT AMF, ont travaillé avec les économistes Tristan Auvray et Thomas Dallery à un « plaidoyer pour un pôle public de l’acier ». « On peut prouver par A + B que la nationalisation coûterait moins cher à l’État, autour de 1 milliard d’euros, que ce que l’assurance-chômage devrait verser en indemnisation si Mittal licenciait tout le monde, soit 1,3 milliard d’euros. Alors, si Mittal ne veut pas de nous, qu’il dégage. Nous avons les compétences ! » affirme le Dunkerquois sous les applaudissements.

À Fos-sur-mer, où l’un des deux hauts-fourneaux est déjà à l’arrêt et où 300 postes sont en voie de suppression, « il y a zéro projet de décarbonation », regrette Stéphane Martins De Araujo. Le délégué CGT craint l’annonce d’ici à 2026 de l’arrêt de la phase à chaux, avec la suppression de 900 à 1 000 emplois sur le bassin. « Soit le gouvernement impose l’arrêt des PSE et un réinvestissement pour de l’acier vert. Soit il nationalise en demandant le remboursement de toutes les aides publiques perçues », exige-t-il.

La nationalisation, c’est aussi ce qu’ont porté les nombreux élus de gauche venus soutenir les ArcelorMittal et annoncer le dépôt de propositions de loi en ce sens, concernant le seul site de Dunkerque (PS) ou l’ensemble des activités françaises (PCF au Sénat, insoumis à l’Assemblée). « De notre point de vue, il faudrait verser entre 2 et 8 milliards d’indemnisation à Mittal. Mais si on ne faisait rien, la perte de souveraineté industrielle serait inestimable », souligne Aurélie Trouvé (LFI). « Il est important de montrer que la nationalisation n’est pas un coût, mais un investissement. C’est même la possibilité pour l’État de réinvestir », assure de son côté Fabien Roussel (PCF). « La classe politique se doit d’être courageuse sur le sujet », résume Sophie Binet.


 


 

Mais à quoi sert
le ministre de l’industrie ?

Martine Orange sur www.mediapârt.fr

Alors que les plans sociaux et les fermetures de sites industriels s’enchaînent, le risque d’une désindustrialisation irréversible du pays n’est plus à écarter. Pourtant, le ministre de l’industrie Marc Ferracci n’en dit rien, et n’esquisse aucune stratégie pour contrer le désastre possible.

La riposte a fusé en un instant. « Mais à quoi sert le ministre de l’industrie ? », s’est exclamée la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, en réponse à une question sur ArcelorMittal lors de l’émission « Questions politiques », le 27 avril. En quelques mots, la responsable à la veste verte a mis des mots sur un malaise grandissant. De plus en plus d’acteurs économiques et industriels ou d’observateurs se la posent, tant ce ministère semble déserté. Que ce soit sur un dossier particulier ou sur une filière entière, il paraît incapable d’articuler une quelconque stratégie.

Alors que les plans sociaux s’enchaînent dans l’automobile et ses sous-traitants, dans la chimie, dans la sidérurgie et dans bien d’autres secteurs industriels, l’exécutif ne dit rien. Pas un mot. Lors des questions au gouvernement, les ministres du travail et de l’industrie se contentent de botter en touche. Leurs réponses sont convenues, inutilement polémiques parfois, et surtout n’engagent à rien.

« Nous agissons », a ainsi soutenu le ministre de l’industrie, Marc Ferracci, le 29 avril en réponse à une question sur le sort d’ArcelorMittal. Pour quoi faire ? Avec quel objectif ? Pas la moindre précision n’est donnée, si ce n’est lutter contre les surcapacités et le dumping chinois. On se dépêche de passer à autre chose.

L’effacement actuel du ministère de l’industrie répond à un calcul politique, à en croire certains observateurs. Ne pas parler des fermetures de sites, des défaillances d’entreprises revenues à leur plus haut niveau, des suppressions d’emplois par milliers est un moyen d’invisibiliser les drames en cours. Et de désamorcer par avance les conflits sociaux éventuels. C’est surtout une façon de mettre sous le tapis l’échec de la politique de l’offre menée par les gouvernements d’Emmanuel Macron depuis huit ans, dont Marc Ferracci, proche du président, fut l’un des inspirateurs.

Point de non-retour

Mais ces petits calculs politiques peuvent-ils se justifier face au désastre qui se dessine ? Car il ne s’agit pas de simples ajustements conjoncturels ou de restructurations limitées : nous assistons à une destruction de l’industrie d’une ampleur comparable à celle de la fin des années 1970 et du début des années 1990, dont les conséquences économiques, sociales et territoriales ont été parfaitement documentées.

Alors que la France affiche déjà le plus bas taux d’industrialisation en Europe, peut-on se contenter de regarder ces disparitions sans doute irréversibles sans rien dire ? Car ce ne sont pas seulement des activités qui disparaissent, mais aussi des savoir-faire, des brevets, des compétences… tout ce qui forme des écosystèmes permettant à une industrie de se développer.

Dès l’automne, la CGT avait sonné l’alarme sur l’ampleur des plans sociaux annoncés, se demandant si l’industrie n’allait pas atteindre un point de non-retour. Mais cela n’a provoqué aucune réaction au ministère. Aucun plan, aucune mesure d’anticipation ne semble avoir été étudiée.

À chaque nouveau plan social ou fermeture d’usine, le ministre de l’industrie reçoit les dirigeants concernés, les représentants sociaux, parfois les élus des territoires touchés. Il enregistre les doléances et les propositions, selon un ballet parfaitement chorégraphié. Et puis rien.

La seule grande action revendiquée par Marc Ferracci est d’avoir poussé les instances européennes à adopter un « plan acier » contre les ambitions chinoises. Présenté par le très évanescent commissaire européen à l’industrie Stéphane Séjourné, ce plan tient du service minimum. Il ne prévoit ni taxe carbone renforcée aux frontières, ni mesures anti-dumping. Et même les quotas des importations d’acier chinois aux frontières, un temps de 15 %, ont été portés à 30 %.

Désertion stratégique

Penser que la question industrielle puisse se résoudre au seul niveau européen est de toute façon un leurre. Il faut aussi une volonté, une stratégie au niveau du pays, ce que d’autres membres de l’Union européenne (UE) ont bien compris et tentent de mettre en œuvre. Mais en France, hormis les grands-messes, les sommets internationaux et autres Choose France où l’on se gargarise de grands mots et de visions planétaires, rien ni personne – de la base au sommet de l’exécutif – ne permet d’entrevoir les projets, les programmes ou les ambitions que le pouvoir nourrit.

Matignon semble incapable d’exprimer la moindre vision. Bien qu’ayant été pendant trois ans haut-commissaire au plan, poste censé apporter une approche de long terme et dégager des grands enjeux stratégiques, le premier ministre François Bayrou n’a jusqu’à présent donné aucune orientation industrielle ou économique, en dehors de la simplification et de la suppression des normes.

Le ministre de l’industrie reste, lui, fidèle à la feuille de route présidentielle. Alors que le secteur automobile, épine dorsale de l’industrie en Europe, connaît une crise qualifiée de centenaire, aucun plan public depuis l’annonce d’un « airbus de la batterie électrique » – en 2019 – n’a été présenté pour aider ce secteur à se renforcer, à traverser cette crise et à s’adapter à la nécessaire transition écologique.

Le même constat peut être dressé pour tous les autres secteurs. Le ministre n’a rien à dire sur la défense, la chimie, la machine-outil, les transports, la construction. Et l’on ne parle même pas de secteurs considérés désormais comme secondaires par le ministère, comme le textile ou le bois.

Il n’existe pas davantage de projets transversaux, comme l’aide à la robotisation, ou sur la façon d’utiliser de façon raisonnée et adaptée l’intelligence artificielle. Il n’y a pas plus de réaction chez le ministre quand le gouvernement annonce, au nom de la rigueur budgétaire, les baisses de crédit pour la recherche ou la formation, alors que l’industrie de demain aura plus besoin que jamais de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens si elle veut encore exister.

Dans l’intitulé de son portefeuille, Marc Ferracci est aussi ministre chargé de l’énergie. Mais là encore, sur ce sujet essentiel qui est pourtant le soubassement de toute politique industrielle, le ministre de l’industrie ne paraît guère présent. Sa seule préoccupation semble être de permettre à quelques groupes électro-intensifs de mettre la main sur la rente du nucléaire historique d’EDF, quel que soit le prix pour le groupe public ou pour l’ensemble du pays.

L’a-t-on entendu une seule fois sur la nécessité de réformer le marché européen de l’énergie, structurellement dysfonctionnel et manipulé, comme l’a largement documenté le rapport Draghi ? Pour toutes ces questions et pour le reste, il s’en remet à sa collègue ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

En trente ans, les résultats de cette doxa sont là : la France a connu la plus forte désindustrialisation de tous les pays développés.

« Tant que l’industrie et l’énergie resteront à Bercy, il ne se passera rien. C’est l’inspection des finances qui commande », analyse un connaisseur des cercles de pouvoir. Depuis le démantèlement du ministère de l’industrie par le très libéral Alain Madelin à la fin des années 1980, celui-ci est passé sous le contrôle du ministère des finances et a perdu une grande partie de son autonomie et de son expertise. Tous ceux qui ne partageaient pas les vues de Bercy, à commencer par les universitaires, en ont été exclus.

En trente ans, les résultats de cette doxa sont là : la France a connu la plus forte désindustrialisation de tous les pays développés. Mais l’échec patent de cette politique n’a pas amené le ministère à s’interroger : dans un monde de plus en plus fragmenté et bousculé, il prône toujours la mondialisation heureuse, le soutien aux champions mondiaux et les nécessaires délocalisations.

Entourés des mêmes conseils – McKinsey, Roland Berger, Accenture et autres –, les membres du ministère continuent à dispenser les mêmes schémas. Et sont persuadés que les dirigeants des groupes font toujours les meilleurs choix et sont les meilleurs stratèges.

De Carlos Ghosn à Carlos Tavares en passant par Serge Tchuruk , Anne Lauvergeon ou Gérard Mestrallet, les exemples d’erreurs magistrales et de choix fatals abondent. Mais il ne saurait être question de poser la question taboue de la compétence de certains dirigeants. Par nature, ces derniers savent mieux que tous les autres. Et le ministère de l’industrie n’est là que pour les servir, surtout pas pour discuter leurs choix, encore moins pour leur opposer des options inverses.

Un actif comme un autre

Tous les représentants du personnel et les élus locaux rapportent la même expérience quand ils ont eu à côtoyer le ministre de l’industrie, les membres de son cabinet, le Comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) ou les responsables des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (Drire). Lors d’une fermeture d’usine ou de licenciements massifs, ils ont été écoutés poliment et ont pu présenter leur plan. Mais à la fin, tous ont le sentiment de s’être fait « balader ».

Pour tous ces représentants du ministère, le seul souci tangible est que le plan social en cours ou la fermeture d’un site industriel ne se transforme pas en conflit social majeur, fasse la une des journaux et devienne un sujet politique. Alors, ils font pression pour que les dirigeants paient plus que les sommes dues en cas de licenciement pour acheter la paix sociale. Pour le reste ? Le maintien d’une activité industrielle, la disparition de maillons essentiels, la prise de contrôle de propriétés intellectuelles sous pavillon étranger, ce n’est pas leur problème.

En huit ans, le ministère de l’industrie n’a pas utilisé une seule fois le décret Montebourg de mai 2014, qui permet de bloquer le rachat d’entreprise par des capitaux étrangers non européens quand l’activité est jugée stratégique. Il est vrai que ce décret est considéré comme un chiffon rouge par Emmanuel Macron : il avait été pris pour bloquer le rachat des activités d’Alstom par General Electric, que ce dernier soutenait en sous-main depuis des mois.

Le ministère n’a pas non plus eu recours à la directive européenne sur le contrôle d’activités stratégiques par des capitaux étrangers non européens, préférant regarder filer le Doliprane, Latecoere, Vencorex et tant d’autres, plutôt que de prendre une mesure qui pourrait entacher « l’attractivité de la France ».

Le cas de Pierre-Olivier Chotard illustre à lui seul l’état d’esprit qui règne dans le ministère de l’industrie : secrétaire général du Ciri, il vient de partir pantoufler chez Rothschild – sans passer par la case de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – pour s’occuper des fusions-acquisitions. Pour lui, l’entreprise est un actif comme un autre, à vendre, à acheter, à malaxer dans tous les sens pour en extraire des profits et des commissions. Quitte à la laisser détruire s’il le faut, selon les lois darwiniennes du marché.

Les protégés et les autres

De toute façon, se demandent les soutiens du gouvernement, comment mener une politique industrielle dans une période d’austérité budgétaire ? D’emblée, le gouvernement a exclu de toucher les 200 milliards d’euros distribués sans contrepartie à toutes les entreprises, pour les réorienter de façon plus efficace.

Des budgets ont bien été sanctuarisés ces dernières années pour soutenir le développement de certains projets industriels, notamment sur les nouvelles technologies. Le projet France 2030, piloté par Bruno Bonnell, un autre ami du président, a ainsi hérité d’une enveloppe de 5,4 milliards d’euros à dépenser sur cinq ans pour soutenir l’innovation.

Mais la Cour des comptes est incapable d’évaluer ses dépenses et leur pertinence. « Aucun de ces documents ne fournit encore la vision consolidée et transversale des investissements effectivement réalisés et en cours », écrit l’institution, comme l’a rapporté La Lettre.

Le contre-exemple industriel de l’usine d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne

Elle était condamnée, sans sauvetage possible, ainsi que tous ses propriétaires successifs l’ont affirmé : du canadien Alcan après avoir racheté Pechiney, au géant minier Rio Tinto après son OPA sur Alcan. Le cabinet de conseil Roland Berger l’a aussi confirmé, organisant un premier plan de restructuration dès 2011, destiné à mener le site à l’extinction.

Le ministère de l’industrie en était aussi convaincu : il n’y avait plus rien à faire pour sauver l’usine d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), contrairement à ce que soutenaient ses salarié·es. Malgré les prix très bas de l’électricité consentis par EDF, l’usine ne pouvait pas être viable au plan international. D’ailleurs, aucun repreneur ne se manifestait.

L’arrivée d’Arnaud Montebourg au ministère du redressement productif en 2012 a interrompu la spirale fatale. Après une visite sur place, le ministre décide de mobiliser tous les moyens pour sauver le site, contre l’avis de ses équipes. Le groupe familial industriel allemand Trimet se déclare intéressé et, à l’été 2013, conclu un accord pour reprendre l’usine à hauteur de 65 % (EDF apportant les 35 % restants).

Repensée et réorganisée, gérée de façon prudente et classique, « sans dépendre des banques », l’usine est depuis repartie. Malgré la compétition acharnée sur le marché mondial de l’aluminium, malgré les droits de douane imposés sur les exportations vers les États-Unis, la productivité de l’usine est en hausse et ses salarié·es parmi les mieux payés de France.

La même opacité entoure les actions de la Banque publique d’investissement (BPI), créée pour apporter des financements aux projets de création et de développement des entreprises. Certains y ont un accès direct, à l’instar de Mistral AI, entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle générative qui a obtenu une centaine de millions d’euros de crédit trois semaines seulement après sa création. D’autres doivent attendre trois mois pour avoir un rendez-vous et beaucoup se voient refuser une aide.

Aucun bilan de ces subventions n’étant disponible. Faut-il comprendre – comme le soupçonnent certains – qu’il y a les protégés et les autres ? Les repreneurs de Vencorex, qui demandaient quatre semaines supplémentaires et une aide de 40 millions pour monter leur projet de reprise en coopérative avec le soutien des collectivités locales et des fonds régionaux, se sont vu opposer un refus net. « Parce que l’État n’est pas assuré de retrouver son argent au bout de cinq ans », a justifié Marc Ferracci.

Au même moment, la Caisse des dépôts, CNP Assurances et la BPI ont volé au secours de la direction de Veolia, menacée par la Caixa à la suite d’un différend sur la filiale d’eau espagnole du groupe – reprise après l’OPA sur Suez. En quelques jours, ces grands institutionnels ont mobilisé environ 1 milliard d’euros pour prendre 5 % du capital de Veolia.

Le groupe est, il est vrai, un dossier prioritaire pour l’Élysée depuis des années. Mais  le sauvetage du dirigeant d’un grand groupe est-il vraiment la priorité du moment? Est-ce ce type de mesure que l'exécutif imagine pour reconstruire un outil de production compétitif ?


 

   mise en ligne le 13 mai 2025

L’Europe sacrifie l’Asie centrale pour trouver son énergie « verte »

par Manon Madec sur https://reporterre.net/

L’Union européenne multiplie les investissements visant des minerais et la production d’énergie en Asie centrale. Malgré son discours sur une stratégie « gagnant-gagnant », l’environnement et les populations locales sont menacés.

Almaty (Kazakhstan), correspondance

À l’ouest du Kazakhstan, des bancs de sable remplacent la mer Caspienne, tandis qu’à Karaganda, dans le centre du pays, la neige vire au noir chaque hiver. En Ouzbékistan, le désert de Kyzylkoum grignote les terres autrefois fertiles de la région de Navoï. L’Asie centrale porte les stigmates de décennies d’exploitation pétrolière, gazière et minière. Pour la population, les ressources ne sont pas non plus une bénédiction : depuis les années 1990, leur exploitation est contrôlée par les majors étrangères et les élites locales, qui se partagent les rentes.

Aujourd’hui, ce sont les ressources dites « vertes » qui attirent l’attention sur la région. Lithium, nickel, uranium, terres rares : l’Asie centrale regorge de matières premières critiques, utilisées pour fabriquer des technologies bas carbone. Et ce n’est pas tout : avec son potentiel solaire, éolien et hydraulique, l’Asie centrale est un terrain idéal pour produire de l’hydrogène vert, qualifié ainsi car obtenu par électrolyse de l’eau, un procédé réalisé à partir d’énergies renouvelables et peu émetteur de CO2.

Ces ressources subiront-elles le même sort que les hydrocarbures ? Aujourd’hui, les États de la région les mettent aux enchères, en quête d’investisseurs qui ne se contentent pas de les extraire, mais participent aussi à la montée en gamme de l’industrie locale. Et ça, l’Union européenne (UE) l’a bien compris. À Samarcande (Ouzbékistan), lors du sommet UE-Asie centrale du 4 avril, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a promis des « partenariats mutuellement bénéfiques », fondés sur la création d’industries locales et d’emplois, ainsi que la production et l’exportation d’énergie verte.

Lithium kazakh et uranium ouzbek

Bénéfiques, ces projets le seront à coup sûr pour l’Europe, dont la demande en matériaux critiques ne fera qu’augmenter, prévient la Commission, alors que l’offre, elle, reste très restreinte. Échanger avec l’Asie centrale réduirait sa dépendance à la Chine, son principal fournisseur. Depuis les accords signés avec le Kazakhstan en 2022 et l’Ouzbékistan en 2024, elle a déjà investi dans le graphite et le cuivre via ses bras financiers, la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Elle ne cache pas son intérêt pour les terres rares. En parallèle, l’Allemagne lorgne le lithium kazakh pour ses batteries. La France, qui importe déjà de l’uranium du Kazakhstan, accélère la production en Ouzbékistan.

Pour alimenter ses industries avec de l’énergie « propre », l’UE compte importer 10 millions de tonnes d’hydrogène vert par an dès 2030, dont 2 millions du Kazakhstan. En 2023, l’entreprise germano-suédoise Svevind a investi dans un gigantesque site de production à Mangystau, près de la mer Caspienne.

Doté de parcs éoliens et solaires, le site produirait, dès 2030, 40 gigawattheure d’électricité, sans compter celle issue de l’électrolyse. « C’est plus que la capacité actuelle de tout le pays, dit Vadim Ni, fondateur de l’ONG Save the Caspian Sea. Mais la totalité servira à produire l’hydrogène exporté vers l’Allemagne. »

« Les partenariats n’auront aucun effet sur la transition énergétique d’Asie centrale »

De cette énergie verte produite sur son sol, le Kazakhstan ne verra pas la couleur. Pour en bénéficier, il faudrait moderniser un réseau électrique hérité de l’époque soviétique, conçu pour des centrales à charbon et inadapté aux renouvelables. Des investissements considérables qui ne sont pas, pour l’instant, à l’agenda européen.

Le pays, à l’instar de l’Ouzbékistan, aurait pourtant besoin d’accélérer sa transition. L’électricité y est toujours produite au charbon pour l’un, au gaz pour l’autre. En 2024, alors qu’il a les objectifs de réduction des émissions de CO2 les plus ambitieux de la région, le Kazakhstan a investi davantage dans de nouvelles capacités charbon que dans les renouvelables, rapporte le Global Energy Monitor.

Une dépendance aggravée par l’exploitation des matières critiques. Car les usines de transformation des minerais tournent au charbon, explique Dimitry Kalmykov, directeur du musée écologique de Karaganda. « Les partenariats n’auront aucun effet sur la transition énergétique d’Asie centrale », affirme Vadim Ni.

« Préjudice irréversible à la biodiversité »

Pire encore, « les projets extractifs menacent d’accroître une pollution de l’air déjà critique », s’inquiète Dimitry Kalmykov. Cendres, métaux lourds, ammoniac : plusieurs études, dont une communication scientifique présentée en 2020, établissent un lien direct entre industrie minière et dépassement des seuils toxiques.

Quant au projet hydrogène, Kirill Ossin, fondateur de l’ONG EcoMangystau, prévient qu’il risque de porter un « préjudice irréversible à la biodiversité ». Construit dans la réserve naturelle d’Ustyurt, dans le sud-ouest du Kazakhstan, le parc détruirait l’habitat des gazelles et couperait les corridors empruntés par l’aigle des steppes, le koulan — un âne sauvage — et le léopard de Perse.

Il ne subsiste à l’état sauvage que 1 000 léopards de Perse, dont le milieu naturel est menacé par un projet d’extraction d’hydrogène vert au Kazakhstan. Wikimedia Commons / CC BY-SA 2.0 DE / Marcel Burkhard

S’y ajoute la saumure issue du dessalement de l’eau de mer, nécessaire à l’électrolyse. Plus chaude et plus salée que l’eau d’origine, elle pourrait perturber les écosystèmes marins si elle était rejetée dans la Caspienne. Une étude de faisabilité commandée par le gouvernement allemand, coécrite par Svevind, évoque un traitement « durable » des rejets, sans en préciser les modalités.

Vieux réflexes extractivistes

Les habitants aussi pourraient en faire les frais, car neuf litres d’eau seront pompés pour produire chaque kilo d’hydrogène, dans une région aride où l’accès à l’eau est déjà conflictuel. Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : la mer Caspienne a baissé de deux mètres en vingt ans, et pourrait en perdre jusqu’à 14 de plus d’ici à la fin du siècle. C’est la pêche, l’agriculture et la consommation domestique qui sont menacées.

L’étude allemande admet une « situation critique » et reconnaît que l’hydrogène « accentuera la pression sur les ressources en eau ». Anticipant les critiques, l’UE a lancé le plan d’investissement Team Europe pour améliorer la gestion de l’eau. Cependant, signalent certains chercheurs : les financements sont insuffisants et sa mise en œuvre repose sur la bonne volonté des élites locales.

« La transparence se réduit, l’information ne circule pas et les citoyens ne sont pas consultés »

Malgré leurs zones d’ombre, les projets ne sont pas rejetés en bloc par les activistes. Sous conditions, ils admettent qu’ils pourraient profiter à la transition comme aux habitants. « C’est un projet prometteur, attractif, avec des retombées économiques importantes », reconnaît Kirill Ossin à propos de l’hydrogène. Mais tous dénoncent l’approche européenne qui perpétue les vieux réflexes extractivistes, par « peur de passer à côté de ressources dont elle a besoin », dit Mariya Lobacheva, directrice d’Echo, une ONG kazakhe pour la transparence et la participation citoyenne.

Craintes d’une répétition du scénario des années 1990

Vadim Ni regrette que l’UE « s’en remette aux autorités locales, alors même qu’elles ne sont pas toujours compétentes ». En 2021, le Kazakhstan s’est doté d’un Code de l’environnement censé contraindre les entreprises à limiter leur empreinte écologique. Mais, faute de moyens, « le système d’évaluation environnementale stratégique n’est pas appliqué », explique-t-il.

Derrière la vitrine démocratique, Mariya Lobacheva fait un constat amer : « La transparence se réduit, l’information ne circule pas et les citoyens ne sont pas consultés. » La société civile peine donc à jouer un rôle de garde-fou. « Personne ne fait pression sur les investisseurs ou le gouvernement. Les gens ne croient pas à leur capacité à changer les choses », dit Dimitry Kalmykov.

Mariya Lobacheva redoute une répétition du scénario des années 1990, lorsque les contrats signés avec les majors pétrolières ont été conclus sans consultation publique. Même les emplois promis par l’UE ne réveillent pas son enthousiasme : « Il n’y a aucune transparence sur les conditions et les niveaux de qualification des postes réservés aux Kazakhs. »

Pour convaincre l’Asie centrale de ses bonnes intentions, l’UE doit passer à l’acte. En commençant par ouvrir le dialogue avec les habitants, scientifiques et écologistes, « seule façon de garantir des partenariats gagnant-gagnant », affirme Kirill Ossin.


 

    mise en ligne le 12 mai 2025

Emploi : le chômage baisse
mais la pauvreté progresse

Marie Toulgoat sur www.huma.fr

Alors que le nombre de privés d’emploi a diminué entre 2015 et 2022, le nombre de personnes en précarité a, lui, augmenté. Les salariés en temps partiel ou en contrat court, ou encore en invalidité, sont en première ligne de cette dégradation.

« Je vous le dis en toute sincérité, réveillez-vous. Au moment où je vous parle, on est à 7 % de chômage. » En novembre 2023, Emmanuel Macron, dans une allocution, ravivait sa rengaine du plein-emploi, son objectif de parvenir à 5 % de chômage en 2027, coûte que coûte.

Loin du mythe que s’est construit le président sur les bienfaits de cette ambition, les faits sont têtus, et terribles pour les plus précaires. Selon une étude du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) publiée le 7 mai, la baisse du taux de chômage n’a guère signé le recul de la pauvreté. Au contraire, celle-ci et le sentiment de pauvreté alimenté par les Français ont continué de progresser.

En effet, selon le diaporama dressé par l’institution, alors que le chômage a baissé de 3 points entre 2015 et 2022, passant de 10,3 % à 7,3 %, le taux de pauvreté monétaire, lui, a augmenté. Le nombre de personnes vivant avec moins de 60 % du niveau de vie médian est passé de 14,2 % à 14,4 %.

La part des personnes devant renoncer à au moins cinq dépenses de la vie courante sur une liste de treize (par exemple, pouvoir accéder à internet, pouvoir avoir une activité de loisir régulière, chauffer son logement ou encore pouvoir acheter des vêtements neufs) est passée de 12,1 % à 13,1 %. Le sentiment de pauvreté s’est quant à lui envolé de plus de 6 points, passant de 12,4 % à 18,7 % parmi la population sur la même période.

Des microentrepreneurs et apprentis pauvres

Selon le CNLE, une des raisons est à trouver dans la nature des emplois créés entre 2015 et 2022. Car si le chômage a en effet reflué, les emplois créés n’ont pas tous été de qualité identique.

« De nombreux emplois créés n’ont pas entraîné une sortie de la pauvreté, que ce soit pour les actifs employés sous contrats temporaires et à temps partiel ou pour ceux sous le statut de microentrepreneur, qui sont restés pauvres monétairement dans l’emploi, ou pour les apprentis de l’enseignement supérieur, qui souvent vivaient déjà au-dessus du seuil de pauvreté avant d’être en emploi », notent ainsi les autrices de l’étude. En somme, l’objectif de réduction du nombre de chômeurs s’est fait par la généralisation d’emplois précaires, à temps partiel et mal rémunérés.

Ce sont précisément parmi ces employés précaires que les difficultés économiques et matérielles se font le plus criantes. « Les privations matérielles et sociales se sont considérablement étendues parmi les employés embauchés sur des contrats courts atteignant des taux comparativement élevés (15,5 % en 2015, 18,3 % en 2019 comme en 2021), les intérimaires (de 14,1 % à 23 %) et les chômeurs (de 34 % à 37 %) », détaille le rapport.

Si l’augmentation des difficultés touche les personnes en emploi de piètre qualité, les personnes inactives sont elles aussi à la peine. Ainsi, le taux de pauvreté a augmenté parmi les personnes retraitées, à mesure que la pension moyenne, en euro constant, a diminué de 2015 à 2022. Le taux de pauvreté des personnes ne pouvant travailler pour cause d’invalidité a lui aussi bondi. Il est passé de 26,8 % en 2015 à 36,7 % en 2022.

Une colère accrue chez les allocataires

Cette publication du CNLE apporte ainsi une lumière crue sur la politique de réduction du chômage menée par Emmanuel Macron. Les dernières réformes de l’assurance-chômage ont en effet eu pour principale conséquence de jeter dans la précarité les personnes privées d’emploi.

La réforme entrée en vigueur en 2021, par exemple, visait ainsi à revoir à la baisse le montant de l’allocation, en modifiant le mode de calcul du salaire de référence, sur lequel se base l’indemnisation, pénalisant les personnes dont la carrière a été la plus discontinue.

La même année, le nombre d’heures travaillées nécessaires pour pouvoir ouvrir des droits au chômage a été rehaussé, et la durée d’indemnisation rabotée. En plus d’accentuer la pauvreté des salariés et des personnes inactives, les politiques publiques entreprises par les gouvernements d’Emmanuel Macron – la dernière en date étant la réforme du RSA conditionnant l’octroi du minimum à des heures de travail – alimentent nombre de tensions.

Selon le CNLE, celle-ci est à mettre au compte des « problématiques d’information et d’accès aux droits des usagers, des besoins exprimés non satisfaits et des phénomènes de concurrence entre usagers ».

Ces discordes mènent même parfois au drame. Le 28 janvier 2021, une conseillère de France Travail (ex-Pôle emploi) a même été tuée par un usager à Valence (Drôme). La recrudescence des rendez-vous générée par les réformes de l’assurance-chômage, couplée au sous-effectif de l’administration, avait été pointée du doigt par les syndicats.


 

    mise en ligne le 11 mai 2025

Gaza : la colère a gagné
le « médecin pour la paix »

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Le documentaire « Un médecin pour la paix » veut retracer l’itinéraire édifiant du médecin palestinien Izzeldin Abuelaish, qui prônait la paix malgré l’assassinat par l’armée israélienne de trois de ses filles et de l’une de ses nièces en 2009. Mediapart s’est entretenu avec un homme en colère.

La scène est terrifiante. Elle se déroule sur un plateau de télévision israélien, en direct. Un journaliste, Shlomi Eldar, tient un téléphone portable en main, il a mis le haut-parleur. Des cris de douleur, des hurlements de terreur, des supplications s’en échappent : « Ils ont tué mes filles, mon Dieu, ils ont tué mes filles ! »

Cette voix, toute de désespoir, est celle du docteur Izzeldin Abuelaish, elle vient de Gaza, plus exactement du camp de réfugié·es de Jabaliya.

Shlomi Eldar, visiblement bouleversé, interroge : « Si quelqu’un de l’armée israélienne nous écoute, il faut envoyer des ambulances », et il donne l’adresse du médecin. Puis il ôte son oreillette, disant : « Je ne vais pas raccrocher, je ne peux pas raccrocher, mais je vais quitter le plateau. »

Izzeldin Abuelaish, ce soir-là, a perdu trois filles, Besan, Mayar, Aya, et une nièce, Nour. D’un double tir de char. Intentionnel.

C’était le 16 janvier 2009. Depuis déjà presque trois semaines, l’armée israélienne menait une nouvelle guerre contre Gaza. Pire que les précédentes. Moins horrible que les suivantes.

Cette scène est montrée dans le documentaire de Tal Barda sorti en France le 23 avril 2025, Un médecin pour la paix. La réalisatrice franco-américaine, née et grandie à Jérusalem, a voulu raconter l’histoire du docteur Izzeldin Abuelaish après avoir lu son livre, Je ne haïrai point (éd. J’ai lu, 2012), et l’avoir rencontré.

Le film a été tourné avant octobre 2023. Il est d’ailleurs émouvant de contempler ces vues d’une bande de Gaza encore debout, avec ses immeubles ocre et gris, ses ruelles du camp de réfugié·es de Jabaliya, ses moments de farniente sur la plage, ses saluts entre voisins. Ces scènes ordinaires d’une ville vibrante avant sa destruction totale.

Aujourd’hui, des milliers de pères éplorés

Aujourd’hui, des Izzeldin Abuelaish, il y en a des milliers, à Gaza. Des milliers de pères qui ont vu, sous leurs yeux, leurs filles et leurs garçons assassiné·es. Depuis octobre 2023, 15 613 enfants ont été massacré·es, selon un bilan arrêté le 5 mai 2025 par l’Unicef, et 34 173 blessé·es, dont beaucoup amputé·es à vif, handicapé·es à jamais.

Il y a des milliers de parents endeuillés et brisés.

Mais il n’y a qu’un Izzeldin Abuelaish, tant le destin individuel de cet homme fait exception.

D’abord parce que l’opinion israélienne n’a pas pu échapper, cette fois-là, à la guerre que son gouvernement et son armée menaient à quelques dizaines de kilomètres des plages de Tel-Aviv. La guerre faisait des victimes, innocentes, et les téléspectateurs et téléspectatrices les touchaient du doigt. Elles avaient des prénoms, des photos et des âges. Le père éploré avait un nom, un visage, et un ami israélien, Shlomi Eldar, qui se transformait en porte-voix de ses cris.

Ensuite parce qu’Izzeldin Abuelaish n’était pas un Palestinien parmi d’autres. Le natif du camp de Jabaliya parle hébreu couramment. Gynécologue, il travaille dans un hôpital israélien. Il passe tous les jours le checkpoint d’Erez pour se rendre de sa maison, en bordure de Gaza-ville, où il vit avec ses huit enfants, jusqu’au service d’obstétrique de Tel-Hashomer, près de Tel-Aviv. Spécialisé dans les problèmes d’infertilité, il permet à des femmes, israéliennes et palestiniennes, juives, musulmanes et chrétiennes, d’avoir des enfants. Il a touché ses collègues avec son premier deuil, celui de son épouse, morte en 2007 d’une leucémie.

Bref, en 2009, il est une figure idéale pour incarner une paix en marche, même si celle-ci boite sérieusement depuis plusieurs années.

Après l’assassinat de ses filles et de sa nièce, le docteur Izzedin part à l’autre bout du monde, ou presque, avec ses enfants survivants.

La paix ne sera pas obtenue par la force. La paix est le fruit d’un choix.       Izzeldin Abuelaish

Et depuis Toronto, où il vit et exerce désormais, il poursuit une double quête : la paix entre les peuples et la reconnaissance, par l’État d’Israël, de sa responsabilité dans le double tir de char sur son appartement, qui a tué Besan, Mayar, Aya et Nour.

C’est cela que Tal Barda a voulu saisir. Cette volonté de celui qui a été cinq fois nominé pour le prix Nobel de la paix de ne jamais renoncer.

La réalisatrice le saisit presque toujours enthousiaste, même quand les tribunaux israéliens refusent de reconnaître la responsabilité de l’armée israélienne. Même quand il retourne à Gaza, discute avec des cousins, frères, connaissances bien plus sceptiques que lui.

Et aujourd’hui ? Aujourd’hui alors que l’intention génocidaire du gouvernement israélien ne fait plus de doute, alors que si seulement quatre jeunes filles étaient tuées dans une journée, ce jour-là serait considéré comme « calme » ?

« L’urgence est d’arrêter le bain de sang. Il faut mettre fin au génocide. Ensuite, dans le cadre du processus de reconstruction, il sera possible de parler de paix, assure à Mediapart Izzeldin Abuelaish depuis Toronto. Il sera indispensable d’être enfin sérieux à ce sujet, de comprendre que la paix ne sera pas obtenue par la force. La paix est le fruit d’un choix. Ce n’est pas une simple incantation. »

L’homme, s’il demeure persuadé que la paix est la seule voie possible, à condition qu’elle soit juste et assure des droits égaux, ne cache pas qu’il est bouleversé. Même s’il répète, comme il le disait dans le film, avant 2023 et les massacres sans fin : « Si je savais que mes filles et ma nièce étaient le dernier sacrifice sur la voie de la paix entre Palestiniens et Israéliens, je l’accepterais. Mais elles n’ont pas été les dernières. Il y a eu ensuite 2014, 2016, 2018, 2021, et jusqu’à aujourd’hui. Et c’est ce qui me met en colère. Mes frères, mes sœurs, mes cousins, mes neveux, mes nièces sont toujours là-bas, massacrés tous les jours », reprend-il.

Que dit le monde, alors que les dirigeants israéliens se comportent comme une mafia de voyous ?            Izzeldin Abuelaish

Depuis octobre 2023, le gynécologue a perdu plus de soixante-dix membres de sa famille. Comme des dizaines de milliers de Palestinien·nes de la diaspora, il tremble chaque matin en ouvrant son téléphone portable. « La plupart des gens que vous voyez dans le film avec moi à Gaza ont été tués », s’exclame-t-il.

L’homme que nous voyons par visioconférence n’est pas abattu. Il est en colère. Pas tant contre les Israélien·nes que contre les États occidentaux.

Les premiers, dit-il, « sont déconnectés pour la plupart. Ils restent centrés sur les otages et ne veulent pas voir ce qui se passe à Gaza. C’est aussi à cause de la propagande, qui a déshumanisé les Palestiniens ». À lui aussi, on demande ce qu’il pense du 7-Octobre. « Ils s’imaginent qu’il n’y a rien avant le 7-Octobre. Alors quand on me pose la question, je réponds “quel 7 octobre ? Celui de 1948, de 1949, de 1967 ? Mes filles ont été tuées un 16 janvier. Que pensez-vous du 16 janvier ?” Nous ne pouvons pas voir les choses avec un instantané. Il faut les considérer d’une manière globale. »

Les États occidentaux, eux, portent l’essentiel de la responsabilité et reçoivent le gros de sa colère. Car ils vendent les armes sans lesquelles le génocide ne serait pas possible et apportent un soutien actif ou un silence complice : « Que dit le monde, alors que les dirigeants israéliens se comportent comme une mafia de voyous ? Vous voyez ce qu’ils font en Syrie, ce qu’ils ont fait au Liban, ce qu’ils font ici et là ? Et les colons en Cisjordanie ? Ils se créent leurs propres ennemis. Mais où sont les États occidentaux ? »

Le Dr Izzeldin Abuelaish exige que les criminels rendent des comptes, devant des tribunaux. Tous les criminels. Ceux qui ont agi directement. Ceux qui ont vendu les armes. Ceux qui ont encouragé le génocide. Ceux qui se taisent. Pour que les parents cessent de hurler de douleur.

« Je continuerai à plaider pour la justice, la liberté, l’égalité, la dignité, les droits, la sécurité future des Palestiniens et des Israéliens, parce qu’ils sont interdépendants, liés les uns aux autres. Mais nous avons besoin que le monde nous aide et que, pour une fois, il agisse », martèle le médecin, sa colère emplie d’humanité.


 

   mise en ligne le 10 mai 2025

La fabrique de la haine

Pauline Londeix sur www.humanite.fr

Le vendredi 25 avril, Aboubakar Cissé, jeune homme malien de 22 ans, a été assassiné dans une mosquée dans le Gard, parce que musulman. L’auteur de ce crime s’est félicité de son acte islamophobe. Un tel crime aurait dû ébranler le pays, être le cri d’alarme qui nous réveille tous. Il aurait dû nous ouvrir les yeux collectivement sur les conséquences de la fabrique de la haine, quotidienne, omniprésente sur les plateaux télé, en marche depuis plusieurs décennies en France, ciblant des populations particulières et en particulier les personnes de confession musulmane.

Au lieu de cela, le ministre de l’Intérieur a attendu deux jours avant de se déplacer à Alès, sans aller jusqu’à se rendre sur les lieux de l’assassinat et refusant de rencontrer la famille de la victime. Une partie des députés de l’Assemblée nationale ont par ailleurs boycotté la minute de silence dédiée au jeune homme, minute de silence que la présidente de l’Assemblée nationale a dans un premier temps refusé de voir se tenir. Finalement celle-ci a eu lieu, sans pour autant que le caractère islamophobe du meurtre ne soit explicité.

Ce terme n’a pas plus été employé dans la majorité des médias français ou par les décideurs politiques. Et cela pose véritablement problème, tant nier le caractère spécifique d’une discrimination, ou tarder à condamner un tel acte ou à rendre hommage à la victime sont autant de violences symboliques pour les communautés touchées. Comme si la vie de cet homme – et celles des autres personnes musulmanes – comptait moins que celle des autres citoyens de ce pays.

La sociologue Kaoutar Harchi l’a analysé en ces termes au micro de France Culture le 30 avril : « C’est un attentat raciste et je crois que le mot n’a pas encore été prononcé : c’est un attentat islamophobe. Il me semble important d’insister sur ce terme-là, pour bien préciser que nous avons affaire à une question qui est d’ordre raciale, et pas à une question qui serait d’ordre confessionnelle ou théologique. (…) La spécificité de l’islamophobie, c’est qu’elle participe à produire une racialisation du religieux. (…) Il y a un principe d’infériorisation qui est immédiatement produit, qui mène par la suite à des pratiques discriminatoires ou à cet abominable meurtre. »

Kaoutar Harchi a ajouté : « C’est intéressant de voir à quel point certaines personnes, certains représentants politiques notamment, s’attachent à refuser, à rejeter, ce terme d’islamophobie. Il faut se mettre à la page. Il faut lire nos collègues sociologues, et voir à quel point ce terme est pleinement solide. Mais bien évidemment il n’est pas question uniquement de considération scientifique ou conceptuelle. Si le terme islamophobie est rejeté et critiqué, c’est aussi parce que politiquement il ne correspond pas à certains agendas politiques et aussi parce qu’on refuse de considérer la dimension raciale qui habite ces actes meurtriers. »

Est-ce donc cela le pays qu’est devenue la France ? Celui où on refuse la diversité et où on invite sur les plateaux télé et radio des personnes qui ciblent sans complexe des populations entières ? Qu’on ne s’y méprenne pas, aujourd’hui sont ciblés les musulmans, mais demain ce seront les autres, tous ceux qui ne sont pas dans la norme, tous ceux qui déplairont, tous ceux qui penseront différemment.

Je pense à toutes les personnes musulmanes dans ce pays, et j’aimerais leur dire qu’elles ne sont pas seules. Le rouleau compresseur médiatique qui s’est mis en place est effroyable, mais il n’est écrit nulle part qu’à la fin la haine l’emportera.


 


 

Face à la « banalisation de l’islamophobie », personnalités et associations appellent à un rassemblement d'ampleur à Paris le 11 mai

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Une marche est organisée place de la Bastille, dimanche 11 mai, en hommage à Aboubakar Cissé, un jeune homme de confession musulmane tué lors de sa prière dans une mosquée du Gard, le 25 avril dernier. Une centaine de signataires, composée d'intellectuels comme d'organisations politiques, appellent ainsi à « un sursaut » face à la radicalisation de l'islamophobie en France.

L’islamophobie tue. C’est pour prendre à bras-le-corps ce destin funeste, que des organisations politiques, des intellectuels, des artistes ou encore des associations appellent, à travers une tribune publiée lundi 5 mai par l’hebdomadaire Politis, à une marche de grande ampleur, dimanche 11 mai, à partir de 14 heures, place de la Bastille (Paris). Les attaques envers la communauté musulmane ont beau être légion depuis de nombreuses années, il a fallu le meurtre d’Aboubakar Cissé, un jeune homme âgé de 22 ans violemment tué lors de sa prière dans une mosquée du Gard, le 25 avril dernier, pour que le phénomène revienne sur le devant de la scène.

Une centaine de signataires ont ainsi pris position à travers cette tribune, du Comité Adama à la France insoumise (LFI), en passant par le collectif juif décolonial Tsedek !, le parti Révolution permanente ou le collectif Relève féministe, pour les organisations. Côté personnalités, la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, la comédienne et figure du mouvement #MeToo Adèle Haenel, le porte-parole de la Jeune garde Zine-Eddine Messaoudi ou encore le président de la mosquée de Pessac Abdourahmane Ridouane ont apporté leur soutien au texte.

Dénoncer le « déni des représentants politiques »

Toutes et tous le rappellent : « Cette décision, au fond, le tueur ne l’a pas prise tout seul. Cet assassin vit en France, où des membres des gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’alimenter l’islamophobie et des scores à deux chiffres du Rassemblement national. » C’est pourquoi cette marche du 11 mai doit être, selon les organisateurs, « à un sursaut, un réveil », espère Amal Bentounsi, figure de la lutte contre les violences policières parmi les voix à l’initiative de la marche, auprès de l’Agence France-Presse (AFP).

Fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, elle dénonce le « déni des représentants politiques » face aux actes de haine à l’encontre de la communauté musulmane. Yassine Benyettou, secrétaire national du collectif RED Jeunes et coorganisateur de la marche, déplore de son côté « une peur constante » qui grandit au sein de la communauté musulmane.

Il estime que la « parole décomplexée » d’une partie de la classe politique alimente un climat antimusulman dans le pays, et « porte atteinte à la sécurité d’une partie de la population française ». Des saillies du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau – qui a annoncé vouloir dissoudre les collectifs Urgence Palestine et la Jeune garde -, au projet politique raciste du Rassemblement national (RN), en passant par l’offensive identitaire menée par le groupe Bolloré (CNews, anciennement C8, Europe 1, etc.), la communauté musulmane est devenue l’une des cibles systématiques des champs médiatique et politique.

Les organisateurs de la marche appellent l’ensemble des forces politiques, religieuses et de la société civile à s’unir pour lutter contre le racisme antimusulman. « Il faut que tout le monde prenne part au combat pour protéger les musulmans de France » face à une « banalisation de l’islamophobie », assure Sofia Tizaoui, secrétaire syndicale de l’Union syndicale lycéenne, également à l’initiative de la mobilisation. « On appelle toute la population française à se rassembler, pas seulement les musulmans », poursuit la lycéenne.

Lors d’une conférence de presse organisée mardi 6 mai, la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a indiqué que les élus et militants de son mouvement seront « évidemment mobilisés » dimanche. « Les absents brilleront par leur absence », lance Amal Bentounsi, dénonçant certains responsables politiques qui « pointent du doigt les musulmans à des fins électoralistes ».

« La marche doit être pour la paix », affirme de son côté Yassine Benyettou. Ce dernier qui aspire à rassembler dimanche « toutes les communautés pour faire bloc ensemble » et défendre les « valeurs humanistes ».


 

   mise en ligne le 9 mai 2025

« Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie » de Benoît Trépied : « Je n’imagine pas cette jeunesse
qui s’est insurgée accepter un accord qui mène à autre chose
qu’une accession à la souveraineté »

Benjamin König dsur www.humanite.fr

« Aller chercher Kanaky » : l’expression que reprend l’auteur est celle que la jeunesse indépendantiste kanak a adopté comme mot d’ordre, sur les barrages et ailleurs. Comment faire, alors que l’État français répète les mêmes erreurs et que la société calédonienne paraît fracturée ? Voici tout l’enjeu et l’intérêt de cet ouvrage, véritable somme de la pensée de Benoît Trépied.

Benoît Trépied est anthropologue au CNRS, auteur de « Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie » (Anacharsis, 288 pages, mars 2025)

« Pour la première fois, la République française a reconnu officiellement, dans la Constitution, qu’il y avait un territoire en voie de décolonisation : ce n’est pas un discours militant, mais un point de vue officiel. »

Un an après le début des révoltes qui ont embrasé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie (KNC), dont Benoît Trépied est spécialiste, l’anthropologue analyse dans un nouvel ouvrage le bouleversement que constitue cet événement majeur. Son livre permet de mieux en saisir les dynamiques en s’inscrivant dans le double registre du temps long, afin de comprendre la civilisation kanak, et les évolutions de la société calédonienne, marquée par une colonisation de peuplement et une diversité ethnique et culturelle.

Au fond, pourquoi est-il est nécessaire de décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ?

Benoît Trépied : Tout simplement parce que, sinon, les affrontements et la guerre vont reprendre, parce que les Kanak ne renonceront jamais à cette exigence de décolonisation : ils ont cela chevillé au corps, car ça renvoie à un traumatisme d’aliénation coloniale qui s’est transmis de génération en génération. Jean-Marie Tjibaou l’avait dit à son époque : « La paix s’appelle Indépendance Kanak ». Tout l’enjeu est de savoir quel type de décolonisation le pays va suivre. Est-ce qu’il est possible d’inventer une nouvelle forme de décolonisation inclusive, qui permette aux non-Kanak d’avoir une place, et laquelle ? La question est aussi : est-ce que la France va réussir à décoloniser ? Sans décolonisation, il n’y aura pas de paix, et le pays risquera d’exploser encore et encore.

Quelle serait une décolonisation souhaitable pour la France, même si bien sûr les premiers concernés sont les Kanak et les Calédoniens ?

Benoît Trépied : C’est une décolonisation pacifique qui sorte par le haut du contentieux colonial. C’est l’intérêt de la France pour son image dans le monde, car elle a quand même un sacré passif en la matière. Elle peut être à la hauteur de cet enjeu, ce qu’elle n’a jamais montré, même si ce que Michel Rocard avait tracé était prometteur. Mais dans les instants fatidiques du 3e référendum, les vieux démons sont ressortis : c’était un choix politique. Ça veut dire trouver une forme de décolonisation dans la négociation et la discussion, plutôt que dans un contexte de libération violent, qui crée des dommages irrémédiables. Il existe un projet inclusif à la fois avec le peuple kanak et les autres, qui donne une place aux Caldoches, aux Wallisiens, qui reflète ce qu’est le pays aujourd’hui : une mosaïque.

Une partie des Calédoniens, et notamment la droite, ne l’ont pas compris et ne veulent pas l’entendre…

Benoît Trépied : Tout le problème est là : avoir pensé la période des accords comme permettant de rester dans ses façons de vivre, en donnant aux Kanak les provinces Nord et des îles, un drapeau, etc., mais sans changer les règles du jeu. Ça n’est plus possible aujourd’hui et, à certains égards, j’espère que ce qu’il s’est passé dès le 13 mai 2024, dans tout l’aspect dramatique que cela revêt, a permis à certains d’ouvrir les yeux. L’élection d’Emmanuel Tjibaou en est un indice. Ensuite, la question est : est-ce que la décolonisation veut dire l’indépendance ? Si oui, quel type d’indépendance, c’est-à-dire quel recouvrement de pleine souveraineté ? C’est une question ouverte, qui laisse un espace politique pour trouver un point d’accord.

Vous replacez dans votre livre l’histoire récente de la KNC dans un temps long : pourquoi cela vous a-t-il paru nécessaire ?

Benoît Trépied : Il y a plusieurs éléments de réponse. Le premier, c’est que je crois fondamentalement, parce que c’est mon métier, que les phénomènes politiques contemporains s’inscrivent dans des dynamiques historiques. On ne peut pas comprendre le 13 mai sans comprendre l’histoire coloniale de long terme. Deuxièmement, j’ai voulu réexpliquer que l’histoire de la Calédonie ne commençait pas avec la venue des Français en 1853, ou en 1774 avec James Cook, car cela représente à peine 10 % de l’histoire humaine du pays. Pour comprendre la force de la revendication kanak, l’assise de cette légitimité, il faut comprendre qu’ils sont les héritiers d’une civilisation de trois mille ans. Cela permet de relativiser l’exceptionnalité de la période récente. On a vu avec le 13 mai que les gens continuaient de parler du contentieux colonial, de faire référence aux trois mille ans d’histoire, à l’autochtonie au sens philosophique du terme. C’est une illusion de croire qu’on peut balayer ça d’un revers de main ou à l’aune de formalités juridiques, comme le 3e référendum ou le vote de la majorité à l’Assemblée nationale. Parce qu’en face de ça, on est dans l’histoire longue d’un peuple.

Il y a l’enjeu colonial, mais aussi ces trois mille ans d’histoire : quelle est la dynamique entre cette histoire et la situation actuelle ?

Benoît Trépied : Les Kanak eux-mêmes ont beaucoup valorisé la culture kanak, et ça a été une arme forte de leur engagement politique. Il y a plusieurs façons d’aborder cette culture, mais il s’agit de prendre ces éléments de culture comme des choses dynamiques et qui se transforment. Le monde kanak d’aujourd’hui est à la fois dans des formes d’héritage et de continuité. Il y a une progression de l’idée d’égalité. C’est un monde dynamique, ancré dans des logiques à la fois de groupe familiaux larges, d’échanges, de réciprocité, du clan, des chefferies, avec des enjeux forts autour de la culture de l’igname, du taro, de l’horticulture, des terroirs. En même temps, ce monde a été profondément transformé ; il a créé une unité consciente et politique qui n’existait pas. Il a aussi créé des gens qui habitent en ville, des gens qui ne parlent plus leur langue, mais qui se sentent aussi kanak. Il a renouvelé ce que ça veut dire qu’être kanak.

Le mot lui-même est d’ailleurs récent…

Benoît Trépied : Oui, il est allochtone au départ, réapproprié et retourné. Cette vision dynamique de l’identité kanak était le cœur de la pensée de Jean-Marie Tjibaou, qui reste un phare intellectuel de la lutte kanak, et qui disait que le retour à la tradition est un mythe, et que « Nos pères et nos grand-père ont vécu des réalités que je ne vivrais pas : notre identité est devant nous ». Cela permet d’inclure d’autres gens, c’est une ouverture.

Pour en revenir à des choses plus récentes, pourquoi l’accord de Nouméa a-t-il constitué une avancée, et quelles en sont les limites avec le recul ?

Benoît Trépied : Pour la première fois, la République française a reconnu officiellement, dans la Constitution, qu’il y avait un territoire en voie de décolonisation : ce n’est pas un discours militant, mais un point de vue officiel. Cet accord a tenté d’inventer une solution originale pour répondre à un nœud colonial complexe, lié à la politique de colonisation de peuplement, donc à la minorisation des Kanak, face à la charte des Nations unies, au droit des peuples à disposer d’eux mêmes. La confrontation de ces deux points de vue tendait la situation et l’accord de Nouméa a essayé d’en sortir par le haut, en conjuguant les légitimités. Il y a deux tensions coloniales qui se croisent : le rapport à la France et la place des Kanak au sein de la société calédonienne.

Ce qui s’en approche le plus est l’idée de « nation arc-en-ciel » à la Nelson Mandela. Les limites, c’est que cette politique de la main tendue des Kanak n’a pas été saisie par tout le monde. Et comme les accords étaient aussi un compromis qui reposait sur un partage du pouvoir avec la création des provinces, cela a permis au RPCR, aux loyalistes durs, de se replier et de conserver leur logique colonialiste, sur la province Sud et sur Nouméa en particulier. Au fil des accords, alors même qu’on a vu cette ce fameux destin commun émerger dans certaines zones du Nord, où les Caldoches ont compris qu’il y avait une place pour eux dans le projet des Kanak, au contraire dans le Sud c’est resté très fermé de ce point de vue. Et ce n’est pas un hasard si c’est à Nouméa que ça a pété, avec une logique de ségrégation.

Un an après le 13 mai, avec un peu plus de recul, comment analysez-vous ce qui s’est passé ?

Benoît Trépied : Je pense qu’on manque encore de recul. On ne sait pas vraiment tout ce qui s’est passé, tout ce qui s’est joué, on ne connaît pas les rouages. Il y a cette question pendante des formes d’instrumentalisation de cette violence. Je m’y rends bientôt pour enquêter sur ce sujet. C’est d’abord une révolte politique liée à cette question du dégel du corps électoral et de la volonté de l’État depuis 2021 de s’allier avec les loyalistes et de passer en force, et une méconnaissance de l’importance du sujet. Cela signifiait perpétuer le mécanisme de la colonisation de peuplement. La CCAT a réussi à mobiliser beaucoup de manifestants avant le 13 mai, notamment avec la manifestation à l’Anse Vata, à Nouméa. Et puis il y avait aussi un enjeu social, puisqu’on savait depuis longtemps que, du fait que la décolonisation se soit arrêtée aux portes de Nouméa, ces tensions sociales et ces inégalités en faisait une cocotte-minute prête à exploser. Il suffisait d’une étincelle. L’immense responsabilité de l’État, c’est d’avoir fait fi des avertissements.

Le résultat des législatives de juillet ne traduit-elle pas cette ambivalence, cette tension, avec d’un côté l’élection d’Emmanuel Tjibaou, de l’autre celle de Nicolas Metzdorf, un loyaliste extrémiste ?

Benoît Trépied : Je pense que c’est l’événement le plus important depuis le 13 mai : deux mois après qu’Emmanuel Tjibaou a été élu dans la 2e circonscription, c’est totalement inattendu et ça dit quelque chose de l’attachement des gens au destin commun qu’il incarne, qui a toujours dit qu’il ne voulait pas l’indépendance sans les autres, qui est un homme de dialogue. S’il a remporté cette circonscription ingagnable, c’est parce que les Kanak se sont mobilisés, mais aussi que des non-Kanak ont voté pour lui : tous ceux qui étaient mal à l’aise avec cette montée des périls. Il y avait aussi des jeunes Océaniens sur les barrages ; il existe des formes de solidarité de classe ethno-sociales, car ceux qui sont toujours en bas de l’échelle sont les Kanak et les Océaniens.

De son côté, Nicolas Metzdorf a changé de circonscription, parce qu’il se savait menacé en brousse avec son discours extrême. Il n’a pas du tout remporté haut la main sa circonscription, puisqu’il a été élu avec 3 000 voix d’avance. L’élection d’Emmanuel Tjibaou montre que la compréhension des causes de l’éruption de cette violence a été assez partagée. C’est un indice qu’il y a la possibilité d’un basculement des rapports de force. Le plus frappant est que cette victoire se fait avec un corps électoral dégelé ; ce n’est donc pas un argument décisif pour remporter les élections. Ça prouve que le pays a brûlé pour rien et que si les Kanak se mobilisent, ils sont majoritaires.


 

    mise en ligne le 8 mai 2025

Au Cachemire indien :
« Ils parlent tous de guerre,
mais ils ne savent pas ce qu’elle coûte »

Côme Bastin et Haziq Qadri sur www.mediapart.fr

Depuis la suppression de l’autonomie politique de leur État en 2019, les Cachemiris espéraient au moins vivre en paix. Mais le retour des armes et de la suspicion à leur égard ravivent les traumatismes du passé. « Nous sommes redevenus des cibles », témoigne un habitant.

Bangalore (Inde).– À Tiwari, village situé dans le district d’Uri, l’angoisse monte crescendo. Celle de perdre la paix fragile qui avait prévalu récemment sur la ligne de contrôle, cette zone frontalière disputée entre l’Inde et le Pakistan. « Depuis quelques années, la vie était paisible et on pouvait vivre comme tout le monde. Il n’y avait ni tirs ni bombardements d’un côté ou de l’autre, témoigne Mohammad Haneef, paysan de 38 ans. Mais depuis ce mois-ci, on recommence à vivre dans la peur, personne ne sait ce qui va se passer. L’Inde et le Pakistan doivent s’asseoir ensemble et résoudre leurs différends. »

Son témoignage, comme tous les autres, a été rapporté à Mediapart à distance, les journalistes étrangers étant strictement interdits au Cachemire. 

Ce village a souvent été pris entre les feux croisés des deux armées, en conflit sur leur frontière dans le Cachemire depuis la naissance de l’Inde et du Pakistan, lors de la partition, en 1947. Après quatre affrontements majeurs au XXsiècle, les deux pays se sont livrés à d’incessantes escarmouches. Tantôt des accrochages directs à la frontière, tantôt des tirs de missiles ou des bombardements en réponse à des incursions, l’Inde accusant le Pakistan d’héberger et de soutenir des groupes insurgés menant des exactions sur son sol. Selon le South Asia Terrorism Portal, près de 5 000 Cachemiri·es ont été tué·es lors de ces affrontements ces vingt-cinq dernières années.

Un cessez-le-feu sur la ligne de contrôle, conclu en février 2021, avait cependant amené un peu d’espoir, notamment dans la région d’Uri. « Nous sommes sortis des bunkers civils dans lesquels nous nous étions longtemps réfugiés, nous avons commencé à reconstruire nos maisons, c’était comme un rêve devenu réalité », décrit Ghulam Rasool, père de famille de 51 ans, qui vit dans une maison en bois à Tiwari. « Mais depuis l’attaque à Pahalgam, tout a changé pour nous. Nous sommes redevenus des cibles. Tout le pays parle de guerre, mais ils ne savent pas, comme nous, ce qu’elle coûte. » 

Le 22 avril, l’Inde a été saisie d’effroi. Dans la région de Pahalgam, les températures clémentes d’avril invitaient les touristes à profiter des vallées verdoyantes du Cachemire. C’est là qu’un groupe baptisé Le Front de résistance (The Resistance Front, TRF) choisit ce jour-là de mener un attentat sanglant. Vingt-six touristes sont abattus froidement par les assaillants, du jamais-vu en Inde depuis les attaques terroristes de Bombay, en 2008. TRF affirme agir pour défendre les droits des locaux face aux « envahisseurs » du reste de l’Inde. Une référence à la suppression de l’autonomie politique du Cachemire en 2019 par Narendra Modī.

L’Inde affirme rapidement que TRF est en réalité une émanation du Lashkar-e-Tayyiba, groupe islamiste armé militant pour le rattachement du Cachemire au Pakistan, accusé d’incursions et d’attaques fréquentes du côté indien de la frontière. L’attentat réactive en quelques jours les tensions entre New Delhi et Islamabad, accusé de tolérer, voire d’encourager l’action de tels groupes insurgés.

Vivre avec la peur

Le Pakistan, comme à son habitude, nie en bloc ces accusations, et l’Inde menace d’une intervention militaire, faute d’excuses et de coopération dans l’enquête sur les attentats. Avant même que les armes ne reprennent, mercredi 7 mai, les Cachemiri·es voient revenir la suspicion et la répression brutale à leur égard. 

À Pulwama, au sud du Cachemire, de nombreuses maisons ont été dynamitées par l’armée le 26 avril. Motif : un complice des attentats serait issu de ce village. « L’armée est arrivée à 7 heures du matin et nous a demandé d’évacuer la maison. Nous sommes restés plusieurs heures dans la mosquée et lorsque nous sommes sortis, les maisons étaient en ruine », raconte Abdul Rashid, un habitant de 68 ans.

Ces représailles indiscriminées, à la dynamite ou au bulldozer, sont de plus en plus fréquentes, pour marquer les esprits, bien qu’elles échappent à tout cadre légal. « Si un habitant est impliqué, pourquoi s’en prendre à tous ses voisins ?, demande Abdul Rashid. Pourquoi même s’en prendre à ses parents ? Ce ne sont pas eux qui l’ont poussé à rejoindre ces militants. »

Dans la ferveur nationaliste qui s’empare de l’Inde, où une union sacrée s’est formée autour de la nécessité de punir le Pakistan, la lutte contre les terroristes laisse peu de place aux considérations pour le sort des populations locales. Dans la nuit du 7 mai, l’Inde a finalement mis ses menaces à exécution.

Une opération militaire d’envergure a frappé, principalement par les airs, neuf cibles désignées comme des camps d’entraînement terroristes au Pakistan. Islamabad a juré de répondre à cette « déclaration de guerre » et a fait pleuvoir son artillerie sur la ligne de contrôle. Bilan : au moins vingt-six morts côté pakistanais et douze côté indien.

Pour les locaux, c’est l’enfer. « À 1 heure du matin, nous avons été réveillés dans la terreur par des bruits de roquette assourdissants, témoigne Bilal Ahmad, 35 ans, habitant de la région frontalière de Karnah, au nord du Cachemire. En regardant les réseaux sociaux, nous avons compris que notre armée avait finalement attaqué le Pakistan, qui effectuait des tirs de représailles. »

Terré toute la nuit, Bilal Ahmad constate au petit matin que de nombreuses maisons ont été détruites dans les affrontements. « Mon père est mort en 2003 après un bombardement similaire de la part du Pakistan. Mais ce que j’ai vécu cette nuit-là, moi, je ne l’avais jamais vu de ma vie. Nous savons qu’il va nous falloir vivre à notre tour avec cette peur. »

Des Cachemiri·es fuient déjà les zones frontalières devant la guerre qui se déploie, soit vers des abris souterrains, soit vers des zones plus sûres. Un scénario que les habitant·es de Tiwari, quelques jours avant ce déluge de feu, confiaient redouter plus que tout. « Les écoles vont fermer, on va devoir quitter nos maisons à nouveau et retourner dans les bunkers, vers une vie misérable, pressentait Ghulam Rasool, qui dit avoir honte pour ses enfants. Ils nous en veulent de vivre ici, ils veulent vivre en ville, là où il y a des marchés et des restaurants. »

Pour la plupart de ces habitant·es pauvres et paysans, déménager est néanmoins impossible. « Sommes-nous moins que des êtres humains ? Ne méritons-nous pas, nous aussi, une vie normale ? », demande Mohammad Haneef.


 

mise en ligne le 7 mai 2025

80 ans du 8 mai 1945 #5.
Dans la clandestinité, la Résistance construit la France d’après

Cet article fait partie de la série 80 ans du 8 mai 1945 (8 épisodes)

Jean Vigreux sur www.humanite.fr

D’abord en ordre dispersé, les forces combattantes s’unifient, puis rédigent le programme du Conseil national de la Résistance pour former le modèle démocratique et social de la Libération.

Jean Vigreux est historien.

Dès juin 1940, la France défaite est abattue. Si le général de Gaulle s’enfuit à Londres pour organiser la future armée auprès des Britanniques, il reste pour la plupart un inconnu. Beaucoup hésitent encore à franchir la Manche, estimant qu’ils seraient plus utiles dans l’Hexagone, à l’image de Léon Blum.

D’autres considèrent qu’il faut refuser l’Occupation en sabotant des lignes téléphoniques ou autres installations, mais très vite ils sont fusillés. Quelques manifestations jalonnent cependant ces années 1940-1942, entre autres un défilé d’étudiants et de lycéens sur les Champs-Élysées le 11 novembre 1940, ou encore la mise en place du réseau du musée de l’Homme, à Paris, qui est très vite décapité.

Parmi ces résistants de la première heure, on compte beaucoup d’hommes et de femmes de gauche, qui retrouvent les réflexes de défense républicaine (1793, 1871, 1914, 1934), mais aussi quelques hommes de droite, tels Henri Frenay ou Emmanuel d’Astier de La Vigerie. Toutefois, ces actes restent épars et les contacts avec Londres ne sont établis que tardivement, entre 1941 et 1942.

Engagement massif des communistes en 1941

Des mouvements commencent à organiser les premiers résistants, qui ont pour objectif essentiel de sensibiliser la population, notamment en diffusant tracts et presse clandestine. Une grande grève doit être signalée dans cet élan : c’est celle des mines du Nord et du Pas-de-Calais, en mai-juin 1941.

Si la répression est brutale, ces actions suscitent des espoirs face à la révolution nationale de Vichy, l’exclusion mise en œuvre et surtout la politique de collaboration. L’année 1941 voit un engagement massif des communistes dans la Résistance, se livrant à des sabotages et à la lutte armée, mettant en place le « Front national de lutte pour l’indépendance de la France », dont le recrutement va largement au-delà de la famille communiste.

En quelques mois, le parti sort du ghetto où l’avaient plongé le pacte germano-soviétique et son interdiction. Dès lors, la ligne patriotique des années du Front populaire, marquée par un antifascisme viscéral, est réactivée, soulageant et surtout levant les doutes de certains dirigeants de la Main-d’œuvre immigrée (MOI). Les premiers contacts sérieux avec Londres, qui ont eu lieu en décembre 1941, permettent aux mandataires de la France libre d’être parachutés en France, comme Jean Moulin, puis Pierre Brossolette. Ils entrent en contact avec les partis clandestins et les différents acteurs de la Résistance.

Mai 1943, naissance du Conseil national de la Résistance

Il s’agit de penser les futures bases démocratiques à la Libération, pour reconstruire une vie politique autour d’un grand mouvement issu de la Résistance et se défaire du fascisme. C’est en mai 1943, avec la naissance du Conseil national de la Résistance (CNR), que s’achève le processus d’unification des forces résistantes, sous l’égide de Jean Moulin, regroupant huit composantes de la résistance (ceux de la Libération, ceux de la Résistance, Front national, Libération Nord, Organisation civile et militaire, Combat, Franc-Tireur, Libération Sud), six partis politiques (Alliance démocratique, Démocrates populaires, Fédération républicaine, Parti communiste, Parti socialiste, Radicaux socialistes) et deux organisations syndicales (CGT et CFTC).

Première instance coordinatrice entre la zone Nord et la zone Sud, le CNR constitue la matrice des projets futurs. Il s’agit de reconnaître l’autorité du général de Gaulle et de penser l’avenir en préparant la Libération, mais aussi la reconstruction du pays et la restauration de l’idéal républicain et démocratique.

Plusieurs projets sont alors proposés, mais celui de Pierre Villon offre une synthèse ou un équilibre entre tous. Le CNR s’affirme rapidement et adopte le 15 mars 1944 un programme qui définit la nécessité de la lutte armée et la préparation de l’insurrection nationale. Ce programme de gouvernement est connu alors sous le nom de « charte du CNR ». Elle envisage le retour à la République après les années du gouvernement du maréchal Pétain. Il s’agit dans ce contexte d’enrichir la « démocratie libérale » et surtout l’élargir à la « démocratie sociale ».

Renouer avec le souffle de 1936

Cette charte propose de mettre en place une « véritable démocratie économique et sociale », de participer à « l’éviction des grandes féodalités » et promouvoir la « participation des travailleurs à la direction de l’économie », tout en réalisant un plan complet de sécurité sociale, la sécurité de l’emploi et les nationalisations.

Il faut alors restaurer le régime républicain, mais surtout le refonder. Si le projet prend racine dans le référentiel du Front populaire sur des bases de justice sociale tout en composant avec l’ensemble des forces politiques de la Résistance, il est important de renouer avec le souffle de 1936. Ainsi, à la Libération, les notables traditionnels, pour une bonne part compromis avec le régime de Vichy, perdent leur place.

Une fois la Libération acquise à l’été et l’automne 1944, la transition démocratique se fait dans un cadre légal. Les premières consultations électorales – suivant l’ordonnance du 21 avril 1944 où le suffrage universel prend enfin tout son sens, les femmes pouvant voter – ont lieu au printemps 1945 avec les municipales, puis à l’automne les législatives pour l’Assemblée constituante.


 


 

« Après 8 ans de choix fiscaux qui ont avantagé les plus riches » :
le Pacte du pouvoir de vivre s’invite dans le débat budgétaire

Hélène May sur www.humanite.fr

Les soixante-cinq organisations du Pacte appellent gouvernement et parlementaires à cesser d’utiliser les difficultés financières pour sacrifier les mesures sociales et environnementales.

Les impératifs budgétaires ont bon dos ont rappelé mardi 6 mai les membres du Pacte du pouvoir de vivre, un collectif fondé en 2019 de 65 organisations de la société civile dont, Oxfam, La fondation pour le logement, la CFDT, ATD quart-monde et le Réseaux action climat (RAC). « Les débats sur la réduction du déficit ou sur le financement de la défense servent trop souvent de prétexte à une importante remise en cause de nos piliers collectif », soulignent-elles dans leur communiqué.

Sans nier l’importance de la dette publique, elles mettent en garde contre l’obsession des dirigeants pour cette question, et leur aveuglement face à la dégradation de la situation sociale, environnementale et même démocratique de la société française. « La nécessité de maîtriser la dette publique, ne peut pas et ne doit pas se faire au détriment des plus fragiles, ni au prix d’un renoncement à la transformation écologique » assure Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT.

Sous l’austérité, le démantèlement

Sous ses aspects comptables et techniques, la lutte contre les déficits, surtout depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron est un outil de détricotage des services publics. Elle a aussi servi à la remise en cause des droits des plus fragiles (réforme de l’assurance chômage, du RSA, des APL…) et depuis peu, au renoncement à toutes ambitions de limiter le réchauffement climatique et de s’y adapter.

« Un des nœuds du problème c’est la tentation de répondre dans l’urgence à des problèmes à long terme » tacle Claire Thoury, Présidente du Mouvement associatif, membre du collectif. Cette politique est validée par un discours ambiant sur le « trop d’impôts », qui fait de la réduction des dépenses une nécessité. Pourtant, « après huit ans de choix fiscaux qui ont avantagé les plus riches, il est peut-être temps que ça s’inverse » souligne la présidente d’Oxfam, Cécile Duflot.

La justice fiscale est possible

Un autre choix de société est possible estiment les associations membres du Pacte qui proposent une série de mesures applicables tout de suite. La première est le retour de la justice fiscale « élément fondateur du pacte social », dans un pays où « on assiste à une aggravation des inégalités de patrimoine et au retour à une société d’héritiers comme au XIXe siècle » martèle Cécile Duflot.

Cela passe entre autres, par le retour de l’ISF, une meilleure taxation des successions, des transactions financières, ou des ventes d’actions. Des actions plus ciblées pourraient aussi être mises en place pour améliorer le quotidien, comme la pérennisation de la loi sur l’encadrement des loyers, le triplement des chèques énergies, la refonte du système des bourses étudiantes pour élargir la couverture, ou la fin des sanctions contre les bénéficiaires du RSA.

Encore faudrait-il que le politique, à commencer par le premier ministre et son ministre de l’économie, qui sont aux commandes, se saisissent de ces propositions concrètes venues d’acteurs du terrain. Jusqu’à présent en tout cas, et malgré les appels de François Bayrou à un grand débat budgétaire, ni l’un ni l’autre n’a répondu aux courriers que le Pacte leur a envoyés.

    mise en ligne le 6 mai 2025

« Un recul pour la santé publique » :
1 300 médecins et scientifiques dénoncent la réintroduction de pesticides interdits

Clara Gazel sur www.humanite.fr

1 279 chercheurs, médecins, soignants publient ce lundi 5 mai une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent la proposition de loi Duplomb. Débattu cette semaine en commission à l’Assemblée nationale, le texte prévoit notamment de réintroduire des pesticides interdits, dont des néonicotinoïdes.

Plus d’un millier de chercheurs et scientifiques alertent sur les dangers de la proposition de loi Duplomb, qui doit être soumise au vote de l’Assemblée nationale fin mai 2025. Ils publient ce lundi 5 mai une lettre ouverte aux ministères de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de l’Environnement, les quatre tutelles de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), dans laquelle ils alertent sur les risques majeurs que ce texte ferait peser sur la santé publique, l’environnement et l’indépendance de l’expertise scientifique.

Initiée par Médecins du Monde et le collectif Alertes des médecins sur les pesticides, cette lettre est publiée à la veille de l’examen du texte par les députés en commission du développement durable. Les signataires – parmi lesquels le biologiste du muséum d’histoire naturelle Marc André Selosse et le président de Médecins du Monde Jean-François Corty – pointent les effets néfastes des pesticides interdits sur la santé, et redoutent en particulier la « ré-autorisation de certains néonicotinoïdes, ces insecticides “tueurs d’abeilles” interdits en France depuis 2016 », qui inquiètent à la fois les professionnels de santé et les apiculteurs.

L’Anses remise en cause, son président menace de démissionner

Autre motif d’alerte pour les signataires : la création d’un « comité d’orientation pour la protection des cultures », inscrit dans la proposition de loi. « Nous nous opposons à la création d’un Conseil d’orientation agricole qui dessaisirait l’Anses d’une partie du contrôle scientifique et de la responsabilité assortie », dénoncent-ils.

Ce nouveau conseil aurait la possibilité d’identifier les pesticides jugés essentiels, ceux pour lesquels il est estimé qu’il n’y a pas d’alternative. Dans ce cas, le ministère de l’Agriculture pourrait passer outre l’avis de l’Anses, pourtant chargée jusqu’ici d’évaluer les dangers des pesticides et de délivrer les autorisations.

Pour le millier de chercheurs et scientifiques, la création de ce « conseil » serait « un recul pour la santé publique » s’il venait à imposer l’autorisation de pesticides « sans considération suffisante pour les risques sanitaires et environnementaux ». Avant d’exhorter les ministres à « garantir l’indépendance de l’Anses et de son expertise scientifique face aux pressions économiques et politiques. »

Le directeur général de l’Anses, Benoît Vallet, avait menacé lors de son audition à l’Assemblée le 25 mars de démissionner en cas d’adoption de la loi Duplomb. Après son examen en commission, la proposition de loi doit être débattue en séance à la fin du mois de mai par les députés.


 


 

Des pesticides interdits
toujours utilisés en France

sur https://reporterre.net/

Des insecticides et herbicides interdits dans l’Union européenne, parfois depuis plus de vingt ans, sont encore « régulièrement source d’intoxications » en France. C’est ce que révèle un rapport de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), publié le 5 mai. Ces pesticides ont pu être stockés ou importés de pays qui les autorisent toujours.

L’Anses a analysé 599 expositions et intoxications enregistrées par des centres antipoison sur le territoire, entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2022. 150 produits phytopharmaceutiques sont impliqués, dont 64 substances actives non approuvées. Les trois quarts de ces expositions ont été accidentelles, et un quart relevait de « conduites suicidaires », précise l’agence.

Parmi les principaux produits en cause figurent surtout des insecticides (60 %), des herbicides (19 %) et des taupicides (5 %). La moitié de ces produits, fabriqués à base de dichlorvos (insecticide et acaricide), ont été achetés en France auprès de vendeurs à la sauvette sur des marchés, dans des commerces ou sur internet. Près de 80 % des expositions au dichlorvos concernaient le Sniper 1 000, un insecticide utilisé pour l’agriculture en Afrique, importé illégalement en France contre les punaises de lits et les cafards.

Les zones les plus touchées sont des territoires d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon et La Réunion), l’Île-de-France, les Hauts-de-France et la Normandie.


 

    mise en ligne le 5 mai 2025

Les gagnants et les perdants du « réarmement » de l’Europe

Francis Wurtz sur www.huma.fr

2370 milliards d’euros, soit plus de 7 fois le budget 2024 de la France, ou bien 11 fois le montant de l’aide publique mondiale au développement, ou encore… 36 fois le budget de tout le système des Nations unies et de ses 43 entités (OMS, FAO, Unesco, Unicef, OIT…) : tel est le montant délirant des dépenses militaires mondiales durant l’année écoulée1. En augmentation constante depuis dix ans, elles viennent d’enregistrer la plus forte progression depuis la fin de la guerre froide.

Le cas de l’Union européenne mérite une attention particulière, le plan de « réarmement » de 800 milliards d’euros (d’ici 2030), adopté le 6 mars dernier par les chefs d’État ou de gouvernement, devant se traduire par une nouvelle explosion, encore plus insensée, des dépenses militaires au fil des cinq prochaines années. À cet égard, plusieurs projets en cours doivent nous alerter. Concernant la France, tout d’abord : Emmanuel Macron a annoncé son intention de s’inscrire dans cette fuite en avant, en évoquant une augmentation progressive de 50 % de la part des richesses produites consacrée à cette gabegie2.

Les travailleurs ont tout à craindre de « l’économie de guerre » dont rêvent d’irresponsables politiciens.

L’Allemagne ensuite : le nouveau Chancelier, Friedrich Merz, entend affirmer le leadership européen de son pays en ambitionnant de porter ses dépenses militaires de quelque 80 milliards d’euros en 2025 (déjà en augmentation de 28 % en un an) à un niveau record se situant entre 200 et 400 milliards d’euros d’ici 20353. La Grande-Bretagne enfin : un sommet UE-Royaume-Uni doit se tenir le 19 mai prochain, à Londres, censé aboutir à un « partenariat stratégique », officiellement fondé sur « la prospérité de tous les citoyens du Royaume-Uni et de l’UE ».

Sauf qu’au cœur de ce « New Deal » post-Brexit figure un projet de « pacte de défense et de sécurité » qui permettrait aux entreprises britanniques de défense d’accéder au pactole de 150 milliards d’euros que l’Union européenne a décidé de consacrer au financement des investissements de défense.

Si les marchands d’armes sont, sans surprise, les grands gagnants de cette folle course aux engins de mort, qu’en est-il des perdants ? Il y a, naturellement, en tout premier lieu, les travailleurs, qui ont tout à craindre de « l’économie de guerre » dont rêvent d’irresponsables politiciens et dont se gargarisent des commentateurs à l’abri du besoin. Comme le souligne sans gêne le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, il faudra bien utiliser « une petite fraction » des dépenses sociales pour augmenter les dépenses de défense.

Mais ce n’est pas tout. D’autres priorités vont pâtir de cette militarisation à outrance. Ainsi des objectifs du « pacte vert » européen en matière de lutte contre le dérèglement climatique, appelés à être en partie sacrifiés. « Nous serons plus flexibles et pragmatiques pour les atteindre », vient d’annoncer la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, provoquant une vive réaction d’Ana Toni, directrice générale de la prochaine Conférence sur le climat de l’ONU, qui a qualifié ce recul européen d’« extrêmement décevant ».

Autre abandon inacceptable : on évoque une baisse à venir de 35 % de l’aide européenne au développement dans le cadre du budget pluriannuel 2028-2034, en cours de discussion. La démocratie, elle-même, subit des attaques significatives dans ce contexte : le matraquage évince le débat et la dramatisation étouffe l’analyse responsable. Le social, l’humanisme, l’esprit de responsabilité : tout nous commande de refuser cette dérive toxique !

1. Rapport de l’Institut international de recherche sur la paix (Sipri)

2. « Le Figaro », 2 mars 2025

3. Site touteleurope.eu, 28 avril 2025


 

   mise en ligne le 4 mai 2025

Sans syndicat, pas de salut : la gauche absente là où le salariat est abandonné

Pablo Pillaud-Vivien sur www.regards.fr

Les dernières élections professionnelles confirment une réalité inquiétante : là où les syndicats sont affaiblis ou absents, la gauche peine à convaincre.

On s’en doutait, les chiffres le confirment. Les élections professionnelles 2024 dans les fonctions publiques et dans le privé ont reconduit une tendance qui s’installe dangereusement : une baisse générale de la participation, une fragmentation accrue de la représentation, et surtout, une corrélation frappante entre la défaite syndicale et l’effacement politique de la gauche.

Dans les services publics et les industries (ou ce qu’il en reste parfois…), là où les bastions syndicaux tiennent bon — enseignement, santé, transports, collectivités — la gauche garde encore un ancrage. Mais dans les zones grises du salariat contemporain, dans les entreprises sous-traitantes, les entrepôts de la logistique, les plateformes numériques, le petit commerce, les sociétés de nettoyage ou de sécurité, la gauche est introuvable. Et pour cause : ces secteurs sont aussi ceux où les syndicats sont les plus faibles, parfois absents, souvent réprimés.

Le lien est clair : sans organisation collective du travail, sans culture de la lutte, sans relais syndicaux, les salariés sont livrés à eux-mêmes. L’individualisme forcé — celui de la survie économique, du contrat précaire, de la peur du licenciement — rend toute politisation difficile. Dans ces zones d’ombre, la gauche parle une langue étrangère, souvent inaudible. Le développement des très petites entreprises (près de 5 millions aujourd’hui quand il y en avait moins de la moitié moins il y a 10 ans) affiche un taux de participation aux élections professionnelles éloquent : sous les 5%. Les relations de classes y sont complexes car les relations patrons-salariés intriquées, les revendications sont difficiles à faire entendre, les solidarités professionnelles prennent d’autres formes que dans les grandes entreprises.  

On retrouve ce même abandon dans le monde agricole. Les dernières élections aux chambres d’agriculture ont vu une nouvelle fois triompher la FNSEA, syndicat historiquement proche du pouvoir et des logiques productivistes. Le tout avec moins de la moitié des suffrages des agriculteurs… En face, la Confédération paysanne — seule voix clairement ancrée à gauche, écologiste et sociale — peine à élargir sa base. Pourquoi ? Parce que la gauche, trop longtemps déconnectée du monde rural, a déserté les campagnes. Or, l’agriculture est un champ de bataille social comme un autre : endettement massif, précarité des salariés agricoles, isolement, suicides… Et surtout incompréhension des réalités d’un monde pourtant d’une nécessité absolue pour notre société. Là encore, là où la gauche syndicale ne s’organise pas, c’est la droite et l’extrême droite qui prospèrent.

Autre exemple, ce sont près de 40% des salariés qui travaillent, selon le ministère du travail, dans les professions intermédiaires ou employées. Parmi eux, la grande majorité sont des personnels administratifs, de l’agent d’accueil au secrétaire de direction, en passant par toutes les fonctions dites supports qui sont le coeur battant des entreprises et des services publics. Pour ces travailleurs là, ni la gauche syndicale ni la la gauche politique n’offre de propositions de projet adapté. Autrement dit : bien sûr qu’il est important de mettre en avant les caristes et les chauffeurs Uber, les soignants et les postiers, les professeurs et les ouvriers des hauts fourneaux, mais quid de tous ceux qui remplissent les tableaux Excel et les agendas, répondent aux emails et au téléphone ?

Pire : là où les syndicats sont faibles, c’est souvent l’extrême droite qui avance. À force d’abandonner les salariés précaires, de mal comprendre les réalités du travail fragmenté, la gauche a laissé un vide que d’autres s’empressent de combler — par la haine et le ressentiment. Le repli identitaire prospère là où le combat social ne se donne plus les moyens de lutter – et de comprendre ! Le RN se fout du monde du travail – ou plutôt fait le strict minimum pour faire croire mensongèrement qu’il est du côté des travailleurs – mais il offre une grille de lecture du monde qui dépasse le poste de travail : le problème, y compris pour le travailleur, c’est l’arabe, le musulman, l’étranger. Au fond, sa réussite tient aussi du fait que les responsables du parti ont compris qu’un salarié ne devait pas se réduire à ses conditions matérielles de travail mais qu’il avait des rêves et des peurs – ce sur quoi ils ont décidé de capitaliser.

Il y a donc ici une urgence stratégique. Réarmer la gauche politiquement passe nécessairement par un réarmement syndical. Et il ne sert à rien de fustiger, de l’extérieur, une soi-disant « bureaucratie syndicale » selon l’adage trotskiste vieux comme Léon. Les fédérations continuent de structurer un espace qu’elles sont les seules à investir. Mais il est aussi besoin d’un patient travail d’organisation de ce salariat oublié voire négligé : syndiquer dans l’intérim, dans les entrepôts, chez les aides à domicile et les personnels administratifs. Il ne peut y avoir de stratégie électorale sans stratégie d’organisation. Mieux : on ne peut penser la société si on n’a pas des représentants de tous ses espaces pour y travailler.

La gauche qui gagne est une gauche qui s’ancre. Et s’ancrer, aujourd’hui, c’est retourner là où elle a déserté : les lieux de travail. Sans mépris pour ceux que l’on considérerait comme non-nécessaires ou concentration univoque sur ceux qui sont d’ores et déjà les atouts de la gauche. Sinon, elle restera ce qu’elle devient peu à peu : une force bavarde et impuissante.

Pour aller plus loin – car oui, certains s’y attèlent ! – : https://laviedesidees.fr/Travailler-mieux-un-recueil-de-propositions

 

   mise en ligne le 3 mai 2025

Contre la faim à Gaza,
les mots ne suffisent plus

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Alors que l’aide humanitaire est bloquée depuis deux mois, de plus en plus de voix critiquent durement Israël. Mais en l’absence de toute sanction, elles sont absolument inefficaces et, dans Gaza, la faim s’installe.

Soixante et un jours de blocus complet. Soixante et un jours sans qu’une tasse de farine, un comprimé d’antidouleur, une boîte de conserve entre dans la bande de Gaza. Des milliers de camions stationnent à proximité des points de passage et des millions de Palestinien·nes sont tenaillé·es par la faim et l’absence de soins médicaux.

Depuis le 2 mars, Israël a hermétiquement bouclé la bande de Gaza. Rien ne lui est plus facile : l’État hébreu a un contrôle total sur les frontières, y compris celle avec l’Égypte.

Une étude menée sur le terrain depuis le 28 avril par l’organisme de surveillance de la faim dans le monde, le Cadre intégré de classification des phases de la sécurité alimentaire (IPC), dira dans quelques jours si la bande de Gaza est passée de « risque de famine » à « famine ».

Les statistiques seront froides, comme celles des victimes des actes de guerre – bombardements, tirs de drones ou de soldats – qui ont redoublé d’intensité après la rupture unilatérale du cessez-le-feu par Israël le 18 mars. Depuis, indique le ministère de la santé de la bande de Gaza, dans son bilan quotidien daté du 1er mai, 2 326 personnes ont été tuées par des opérations de guerre, et 6 050 blessées. Soit 52 418 mort·es recensé·es et identifié·es depuis le 8 octobre 2023, et 118 091 blessé·es.

Les chiffres sont froids, les informations et les images moins. Ainsi le 2 mai, une cuisine communautaire a été bombardée par un drone dans Gaza ville même, tuant au moins cinq personnes. Une tente de deuil à Beit Lahia, dans le nord du territoire, a été visée. Des dizaines de personnes venues présenter leurs condoléances ont été touchées, sept d’entre elles ont succombé. Ce ne sont là que deux épisodes parmi les dizaines rapportés chaque jour par des journalistes ou des témoins à Gaza.

Sentiment d’urgence

« Le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct », écrit Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International dans le rapport annuel qui vient de paraître. « Gaza a été transformée en charnier pour les Palestinien·nes et ceux qui les aident », a déclaré Médecins sans frontières dans un communiqué du 16 avril. « Les autorités israéliennes doivent mettre fin aux punitions collectives infligées aux Palestiniens. Nous demandons instamment aux alliés d’Israël de mettre fin à leur complicité et de cesser de permettre la destruction de vies palestiniennes », conclut le texte.

Nombre de réactions internationales adoptent le même ton pressant : il y a urgence face à cette nouvelle escalade dans la guerre génocidaire d’Israël.

Les Nations unies s’émeuvent, encore plus qu’à l’habitude. « Pendant près de deux mois, Israël a bloqué l’entrée à Gaza de nourriture, de carburant, de médicaments et de fournitures commerciales, privant ainsi plus de 2 millions de personnes d’une aide vitale. L’aide n’est pas négociable. Israël doit protéger les civils, accepter les programmes d’aide et les faciliter », déclare le 30 avril, sur le réseau social X, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

Déjà, le 8 avril, il avait fustigé le blocus israélien : « Plus d’un mois entier s’est écoulé sans qu’une seule goutte d’aide parvienne à Gaza. Pas de nourriture. Pas de carburant. Pas de médicaments. Pas de fournitures commerciales. Alors que l’aide s’est tarie, les vannes de l’horreur se sont rouvertes. »

La mauvaise conscience de certains pays européens vis-à-vis de l’Holocauste [...] risque de nous rendre complices de crimes contre l’humanité. Josep Borrell, ancien chef de la diplomatie européenne

Même vive critique du haut-commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk, qui rappelle qu’affamer une population est une punition collective et un crime de guerre, que les autres États doivent empêcher : « Les États tiers ont clairement l’obligation, en vertu du droit international, de veiller à ce que de tels comportements cessent immédiatement et ils doivent agir en conséquence. »

Les appels se multiplient. D’anciens ambassadeurs et des chercheurs français affirment dans une tribune publiée le 12 avril dans Le Monde : « Aujourd’hui il y a urgence et le silence devient coupable », fustigeant l’« absence de vraie opposition politique et populaire internationale » à une « nouvelle idéologie suprémaciste ». Celle-ci est portée par Israël, qu’ils décrivent comme « un État membre des Nations unies réputé modèle de démocratie [qui] ne respecte plus aucune règle internationale ni aucun principe moral, religieux ou humain ».

Un autre texte, publié fin avril dans le même quotidien, signé par plus de deux cents professeur·es d’université et écrivain·es du monde entier, appelle l’Union européenne à soutenir le projet d’une confédération de deux États indépendants, israélien et palestinien. En somme à prendre l’initiative et à faire à la fois de la diplomatie et de la politique, face à une administration états-unienne hors jeu du fait de son implication manifeste aux côtés du gouvernement israélien. « Le cycle actuel de la guerre, de l’occupation et du déplacement a atteint un point de rupture politique et moral », écrivent ces intellectuel·les.

Des mots, mais pas d’action

C’est de morale aussi, de respect par l’Union européenne de ses propres valeurs, et d’action que parle Josep Borrell dans une tribune du 29 avril, également dans Le Monde. L’ancien haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, qui a quitté ses fonctions le 1er décembre 2024, constate l’émotion suscitée par la photo de cet enfant palestinien amputé des deux bras, qui a remporté le World Press Photo 2025.

« Mais bon sang, s’exclame Josep Borrell. Ce n’est pas un, ni cent, ni mille, ce sont des milliers d’enfants qui sont morts ou ont été mutilés à Gaza. Et dans quelles conditions ! Gaza, c’est d’abord une guerre contre les enfants. » Il ajoute, comme un coup de pied à la nouvelle administration européenne, mais tout en reconnaissant son échec quand il était lui-même en poste : « La mauvaise conscience de certains pays européens vis-à-vis de l’Holocauste, transformée en “raison d’État” justifiant un soutien inconditionnel à Israël, risque de nous rendre complices de crimes contre l’humanité. Une horreur ne saurait en justifier une autre. »

Refuser de secouer son impuissance, c’est bien ce que l’Union européenne persiste à faire. Incapables de se mettre d’accord sur une politique un tant soit peu ferme vis-à-vis d’Israël, ni même de menacer d’envisager une révision de l’accord d’union avec Israël ou une sanction quelconque, les Vingt-Sept remplacent la politique par l’assistance.

Les restrictions à son accès doivent être levées sans délai. L’ensemble des points de passage doivent être levés. Le passage des acteurs humanitaires doit être facilité. Diego Colas, représentant français devant la CIJ

Ainsi, mi-avril, Kaja Kallas, successeuse de Josep Borrell, annonce une aide de 1,6 milliard d’euros étalée jusqu’en 2027 aux Palestinien·nes pour, notamment, renforcer l’Autorité palestinienne et, ainsi, stabiliser Gaza et la Cisjordanie. L’exécutif de l’UE pourrait difficilement sembler plus éloigné des réalités d’un terrain où les destructions massives se poursuivent jour après jour et nuit après nuit, où pas un clou n’est entré depuis le 2 mars et où les bulldozers servant à déblayer les gravats sont eux-mêmes visés par les frappes israéliennes…

Les gouvernements des États de l’UE peuvent donner de la voix, plus personne n’en attend le moindre effet concret. Les ministres des affaires étrangères français, allemand et britannique demandent « instamment à Israël de rétablir l’acheminement rapide et sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza », rappellent le droit international et font état de leur « indignation » devant les frappes israéliennes contre le personnel et les structures humanitaires, sans évoquer à aucun moment une possible action. Ce qui, à coup sûr, laisse absolument indifférent le cabinet de Benyamin Nétanyahou.

« Exceptionnalisme »

Les voilà bien vocaux, également, devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui, pour la quatrième fois depuis le 7-Octobre, est appelée à statuer sur une question impliquant Israël.

Saisie en décembre 2024 par l’Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Norvège, elle a tenu des auditions toute cette semaine sur les entraves israéliennes au travail de l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugié·es palestinien·nes, et à l’acheminement de l’aide humanitaire en général. Plus de quarante États et trois agences onusiennes se sont succédé devant les juges de la CIJ. Si les États-Unis, suivis de la Hongrie, ont, sans surprise, soutenu le point de vue d’Israël à décider seul de quand et comment l’aide allait parvenir à la population de l’enclave palestinienne, nombre de représentant·es diplomatiques ont affirmé fermement les principes du droit humanitaire international.

Le Qatar, pays médiateur entre Ie Hamas et Israël, a dénoncé une « punition collective », accusant Israël d’utiliser « l’aide comme un outil d’extorsion pour avancer ses objectifs militaires ». L’Afrique du Sud, qui porte devant la même CIJ la plainte pour génocide contre Israël, a critiqué l’impunité dont bénéficie Israël, due à « une forme d’exceptionnalisme en ce qui concerne sa responsabilité face aux lois et aux normes internationales ».

La France, qui envisage de reconnaître l’État palestinien en juin, a exigé que l’aide humanitaire parvienne « massivement à Gaza ». « Les restrictions à son accès doivent être levées sans délai. L’ensemble des points de passage doivent être levés. Le passage des acteurs humanitaires doit être facilité », a affirmé le représentant français, Diego Colas.

Seulement, la Cour internationale de justice mettra des semaines à statuer. Et, bien que ses décisions soient contraignantes, elle ne possède aucun moyen de les faire appliquer.

Les Palestinien·nes de Gaza n’ont plus le luxe d’attendre. Les entrepôts du programme alimentaire mondial sont vides depuis une semaine. Les cuisines communautaires, qui recevaient les produits via l’agence onusienne et les préparaient, arrivent au bout de leurs réserves et ferment les unes après les autres. « La faim s’accroît jour après jour. Il n’y a presque plus rien sur les marchés. Ce qui reste atteint des prix délirants. Je ne sais plus quoi faire pour trouver à manger à mes enfants », nous a écrit un jeune père de famille, mercredi 30 avril.


 


 

Guerre à Gaza : un bateau humanitaire attaqué par des drones israéliens, selon la Flottille de la liberté

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

Des membres de la Flottille de la liberté, une coalition d’ONG dénonçant le blocus de la bande de Gaza, ont affirmé, vendredi 2 mai, qu’un de leurs navires chargé d’aide humanitaire avait été attaqué par des drones israéliens dans les eaux internationales au large de Malte.

Dans la bande de Gaza, de longue file d’attente sont nécessaires pour tenter d’obtenir un peu de nourriture. Ici, des Palestiniens, principalement des enfants, tendent des casseroles vides dans le camp de Nuseirat pour recevoir un repas chaud distribué par des organisations humanitaires.
« À 00 h 23, heure maltaise (22 h 23 GMT), le Conscience, un navire de la Coalition de la Flottille de la liberté, a été directement attaqué dans les eaux internationales », écrit vendredi 2 mai l’organisation dans un communiqué. « Des drones armés ont attaqué l’avant d’un navire civil non armé à deux reprises, provoquant un incendie et une importante brèche dans la coque », ajoute la coalition d’ONG militant pour la fin du blocus israélien illégal de la bande de Gaza. Israël n’a pas pour l’instant pas commenté ces accusations.

Selon les militants, l’électricité a été coupée sur le navire après cette frappe, qui semblait viser le générateur. Aucun blessé n’a été signalé. Après le lancement d’un signal de détresse, Chypre et l’Italie ont envoyé chacun un navire sur les lieux, selon le communiqué.

Les opérations humanitaires à Gaza sont « au bord de l’effondrement total », a mis en garde le même jour le Comité international de la Croix-Rouge. L’Organisation mondiale de la santé avait qualifié jeudi 1er mai « d’abomination » la situation à Gaza, exprimant sa colère face à l’inaction pour venir au secours de sa population.


 


 

Guerre à Gaza : l’Europe devient un hub quasi intraçable pour armer Israël

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Pour son entreprise génocidaire menée à Gaza, Benyamin Netanyahou a besoin d’équipements militaires sophistiqués. Ils continuent à affluer, malgré les plus de 50 000 morts palestiniens. Le transit se fait par terre, air et mer, le plus souvent via le Vieux Continent. Pister les cargaisons s’avère difficile, car les composants sont fabriqués dans différents pays avant d’être assemblés et expédiés vers Israël.

C’était en mai 2024. Josep Borrell, encore haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, se lançait dans des déclarations surprenantes. Sans doute parce que son mandat prenait fin quelques mois plus tard. « Certains dirigeants disent qu’il y a de nombreux morts à Gaza, mais la question qui doit être posée est : combien de personnes doivent encore mourir ? Devons-nous attendre qu’il y ait 50 000 morts avant de prendre les mesures nécessaires pour empêcher plus de pertes ? » Ce chiffre terrible de 50 000 morts a depuis été pulvérisé.

Si les actionnaires ont sans surprise rejeté la résolution, cette action a permis de (re) mettre en lumière ces activités occultes du groupe, même si les dirigeants de Maersk s’en défendent. Le transporteur a expliqué mener une « politique stricte consistant à ne pas expédier d’armes ou de munitions vers les zones de conflit actives », assurant ne jamais avoir transporté ni armes ni munitions dans le cadre de son contrat avec le gouvernement américain. « Nous menons des vérifications renforcées, en particulier dans les régions touchées par des conflits actifs, notamment Israël et Gaza, et adaptons régulièrement cette vigilance au contexte en évolution », a-t-il certifié.

Pourtant, en mai 2024, un porte-conteneurs de l’armateur s’est vu refuser l’entrée du port espagnol d’Algésiras au motif qu’il aurait à son bord des armes pour Israël. Depuis le printemps 2024, en effet, l’Espagne refuse aux navires transportant une cargaison d’armes à destination de ce pays l’autorisation d’accoster. « Cependant, il semble que Maersk ignore sciemment cette décision, plus de 944 de ses 2 110 expéditions destinées à l’armée israélienne ayant transité par le port d’Algésiras après la date de cette annonce », affirme le Palestinian Youth Movement, qui poursuit : « On ignore si le gouvernement espagnol est au courant de cette situation ou s’il dispose de procédures pour des mesures d’application supplémentaires. »

Des cargaisons « contenant des pièces détachées pour F-35 »

Maersk est également dans le collimateur de DeclassifiedUK, un site d’investigation britannique, qui expliquait le 4 avril que « le géant danois du fret maritime A.P. Moller-Maersk transporte discrètement du matériel d’équipement d’avions de combat vers Israël ». Declassified, qui travaille en partenariat avec The Ditch, un autre site d’investigation, précisait début avril : « Les données indiquent comment les marchandises de l’usine 4 de l’US Air Force à Fort Worth sont transportées vers le port de Haïfa, en Israël, sur deux porte-conteneurs Maersk entre le 5 avril et le 1er mai, puis une société distincte les acheminera par voie terrestre vers la base aérienne de Nevatim. »

L’usine Air Force Plant 4 est une installation appartenant au gouvernement américain et exploitée par Lockheed Martin, le principal entrepreneur du consortium international. Celui-ci produit les avions F-35, conçus pour l’attaque au sol et les missions de supériorité aérienne, financés et réalisés par une dizaine de pays de l’Otan auxquels est associé Israël. Ces composants de F-35 sont acheminés sur la base israélienne de Nevatim, près de Beer-Sheva, d’où partent ces avions furtifs pour bombarder Gaza. Les Houthis du Yémen ont ciblé à plusieurs reprises les bateaux de Maersk dans le détroit d’Aden.

Évoquant Maersk Detroit et Nexoe Maersk, des dirigeants ont reconnu que ces bateaux incriminés « transportent des conteneurs contenant des pièces détachées pour F-35. Cependant, ces expéditions sont destinées à d’autres pays participant au programme F-35. Dans le cadre de la construction de la coalition pour le F-35, Maersk Line Limited transporte régulièrement des pièces détachées entre les pays participants, dont Israël, où sont fabriquées les ailes du F-35. Ces expéditions sont toutefois effectuées pour le compte de fournisseurs, et non du ministère israélien de la Défense. »

Ce qui, en soi, ne prouve rien quand on sait que l’industrie de la défense, en Israël comme ailleurs, n’est plus seulement entre les mains des États. Des compagnies privées, dont Elbit Systems en Israël, en tirent d’énormes profits et il est difficile de tracer les volumes de production ainsi que leurs destinations. Les différentes pièces sont fabriquées dans plusieurs pays puis expédiées là où elles seront finalement assemblées, souvent aux États-Unis, avant d’être réexpédiées via l’Europe et la Méditerranée.

Quatre entreprises irlandaises incriminées

Parti le 5 avril du port de Houston (Texas), Maersk Detroit, le premier navire, a fait escale à Casablanca (Maroc) le 18 avril, puis le 20 à Tanger où l’attendaient des milliers de Marocains venus protester aux cris de : « Le peuple veut l’interdiction du navire », « Pas d’armes génocidaires dans les eaux marocaines ». Ils ont également appelé à la fin de la normalisation entre le Maroc et Israël, actée fin 2020 en échange de la reconnaissance par Washington de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental.

Le second navire, Nexoe Maersk, dans lequel était transbordée la marchandise, devait par la suite faire escale à Fos-sur-Mer. Alertés, les dockers CGT sont intervenus. « Maersk a mis à disposition le manifeste du navire et l’ensemble des conteneurs a été contrôlé. Rien à signaler, ni armes ni pièces », a fait savoir le syndicat. Difficile en l’absence de preuves tangibles d’aller plus loin, même si les dockers réaffirment « militer pour la paix et l’arrêt du génocide ». Le Nexoe Maersk se trouve maintenant dans le port de Haïfa et doit appareiller bientôt pour l’Égypte.

Il reste que des armes partent bien vers Israël. Ainsi, The Ditch affirme que « quatre entreprises irlandaises fournissent des pièces détachées au principal fournisseur d’armes de l’armée israélienne », à savoir Elbit Systems, dont le siège social est à Haïfa. Des pièces très certainement plus difficiles à détecter comme composants d’armements. C’est le cas des adhésifs UV Optimax, livrés par Novachem, basé dans le comté de Meath. Le 11 mars, Powell Electronics, basé dans la ville irlandaise de Kildare, a expédié des marchandises décrites comme des « connecteurs » sur les bordereaux d’expédition à l’usine Cyclone d’Elbit Systems à Karmiel, au centre de la Galilée. Cette usine fabrique des pièces pour les avions de chasse F-35 et F-16.

Les exportations françaises

Une enquête publiée par le site Disclose et le journal Marsactu, le 25 mars 2024, a affirmé que la France avait envoyé, à la fin du mois d’octobre 2023, au moins 100 000 pièces de cartouches pour des fusils-mitrailleurs susceptibles d’être utilisés à Gaza. En septembre 2024, Fabien Gay, sénateur communiste (par ailleurs directeur de notre journal), interrogeait le ministre français des Affaires étrangères sur les ventes d’armes opérées par la France à Israël en 2023 et 2024.

Il rappelait à cette occasion : « L’existence d’un risque génocidaire plausible à Gaza, reconnu par une haute instance internationale, oblige désormais expressément l’ensemble des États, qui sont notamment tenus de cesser tout export d’armes, de matériels ou de technologies militaires vers Israël. » Le gouvernement français, poussé dans ses retranchements, devait finalement avouer procéder à des exportations, mais que « celles-ci ne sont autorisées que dans un cadre strictement défensif ».

« Les données officielles ne disent rien, par exemple, des livraisons d’armes d’entreprises françaises via d’autres pays », fait remarquer l’Observatoire des multinationales. « C’est ainsi qu’un capteur sensoriel produit en France par Exxelia avait été retrouvé parmi les débris d’un missile qui a tué trois enfants en 2014 à Gaza. » Le syndicat CGT de l’entreprise STMicroelectronics Crolles indiquait dans une lettre adressée aux « camarades syndicalistes de Palestine », en date du 11 décembre 2023 : « Nous n’avons pas aujourd’hui d’éléments sur la présence de puces fabriquées dans nos usines dans l’armement israélien qui frappe avec tant de violences le peuple palestinien. Mais cela reste possible. »

Tout est effectivement possible, même et surtout l’impensable. The Ditch a identifié six vols cargo de la Lufthansa qui transportaient des composants essentiels pour les avions de combat F-35 de l’armée israélienne à travers l’espace aérien souverain irlandais en avril, mai, juin et juillet 2024. Rien ne dit que cela ne continue pas. Surtout pas les cris d’orfraie poussés par les gouvernements européens. En secret et sans aucun contrôle des peuples, ils continuent à laisser les canaux ouverts, alimentant ainsi Israël dans son entreprise génocidaire à Gaza.


 

mise en ligne le 2 mai 2025

À Dunkerque, « si ArcelorMittal tombe, c’est toute la région qui est menacée »

Elisa Perrigueur sur www.mediapart.fr

Près de 1 500 personnes ont manifesté jeudi 1er mai à l’appel de la CGT, après l’annonce de la suppression de plus de 600 postes en France par le géant de l’acier ArcelorMittal. Plusieurs figures nationales de gauche ont fait le déplacement. 

Dunkerque (Nord).– Un ouvrier CGT s’égosille à la tribune dressée près de la gare. Il annonce déjà la prochaine action : une descente à Paris, le 13 mai, pour le prochain comité social et économique (CSE) d’ArcelorMittal. Des bus seront affrétés. Un collègue lui succède au micro : sans réponse sur leur sort dans les deux mois, les salarié·es vont « tout bloquer » et empêcher le passage du Tour de France, début juillet, entre Valenciennes et Dunkerque, prévient-il.

En fond, la sono crache « La jeunesse emmerde le Front national » de Bérurier noir. Dans le cortège, on arbore des banderoles et stickers « Du métal sans Mittal »

Les salarié·es d’ArcelorMittal, qui tractent depuis des semaines sur les marchés du coin, veulent montrer à la foule, des hommes, des femmes, des adolescent·es, que la lutte ne fait que commencer face aux 636 suppressions de postes annoncées en France par le géant de l’acier ArcelorMittal.

Des ténors de la gauche ont pris la route de Dunkerque, jeudi 1er mai, pour les soutenir, à l’image du député de la Somme François Ruffin, du premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure ou de la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier… Au total, environ 1 500 personnes ont répondu à l’appel de la CGT, pour « défendre l’industrie et sauver ArcelorMittal ». Trois fois plus de monde que l’année précédente, précise un syndicaliste, qui se dit « satisfait »

Le géant de l’acier avait accentué la colère des Nordistes en détaillant deux jours plus tôt son plan sur les sept sites français concernés. Dunkerque est en première ligne, avec 295 emplois supprimés sur son site de Grande-Synthe qui en compte 3 200. 

Subissant la chute de l’automobile européenne, la flambée des prix de l’énergie, la concurrence des entreprises chinoises, la multinationale s’attaque surtout aux postes de maintenance, faisant craindre une stratégie du délitement et un désengagement progressif.

La peur pour la région

Hélène Casteleyn, fonctionnaire territoriale à la retraite, s’en inquiète : « C’est un tsunami dans le Dunkerquois », qui compte 200 000 habitant·es. L’usine sidérurgique, entrée en fonction en 1963, sous le nom d’Usinor, devenue Arcelor en 2002, puis ArcelorMittal en 2006, rachetée par le groupe Mittal Steel, fondé par l’indien Lakshmi Mittal, « avait suscité beaucoup d’espoir à la reprise », se souvient-elle. « Cela a fonctionné pendant une dizaine d’années. Mais les politiques et l’Europe ne soutiennent pas l’acier. » 

Pour Timothée Bracco, 16 ans, qui a rejoint des amis dans la foule, « le combat est intergénérationnel » « Je connais plein de parents d’amis qui y travaillent. Les ouvriers sont les premiers touchés par les politiques économiques libérales. Vivre sans Arcelor, ce serait un énorme choc. »

Si Arcelor meurt, Dunkerque meurt, les usines tombent. Patrice Ryckebusch, ouvrier retraité

Le terme « poumon » de l’économie dunkerquoise revient souvent. Impossible de ne pas voir cet horizon de ferraille fumant au bout de la digue de Malo-les-Bains, où les badauds sont venus par centaines en quête de moules-frites et de bains de mer, ce 1er-Mai. S’étirant sur 450 hectares, le mastodonte recrache jusqu’à 7 millions de tonnes d’acier par an que l’on retrouve dans les voitures, les boîtes de conserve…

« Si ArcelorMittal tombe, c’est toute la région qui est menacée. Ce sera un effet domino pour l’économie et nos services. Par exemple, elle finance à hauteur de 3 millions d’euros par an le service de bus gratuits de Dunkerque. Allez à Grande-Synthe, le midi, les ouvriers qui déjeunent dépendent tous d’Arcelor. Elle génère des dizaines de milliers d’emplois indirects », précise Gaëtan Lecocq.

Le secrétaire général CGT chez ArcelorMittal Dunkerque, casque de chantier vissé sur la tête, est devenu la figure médiatisée de cette contestation. Ce technicien logistique rappelle, voix calme, qu’Arcelor est aussi une affaire de famille. On y travaille de mère et père en fils et filles depuis des décennies. Lui-même incarne ce schéma : « Trois générations qu’on travaille à Arcelor ! »

L’usine puise dans le bassin d’emploi. Depuis 2023, le sidérurgiste a même sa propre école, la « Steel Academy », pour « optimiser » son recrutement local. Patrice Ryckebusch, ouvrier retraité au chapeau orné de pin’s du carnaval – une institution dans la ville –, soupire : « Mon beau-fils vient d’être embauché en CDI, il a même pris un crédit pour sa maison… Si Arcelor meurt, Dunkerque meurt, les usines tombent. »

À gauche, l’appel à l’État

Le cas actuel d’ArcelorMittal résonne fort chez David Croquelos. L’homme au teint hâlé et gilet rouge longe avec la foule les canaux de Dunkerque. Il l’assure : les plans sociaux, les délocalisations, sans qu’aucune solution se dessine, il en a connu. « J’ai travaillé à l’usine Eupec à Gravelines, qui travaillait elle-même avec ArcelorMittal. Nous aussi, nous avons eu notre saignée. En 2020, ils ont délocalisé mon poste et m’ont proposé d’aller en Inde, avec ma famille, avec un salaire local ! »

Les dirigeants du Parti socialiste, Nicolas Mayer-Rossignol, Olivier Faure et Patrick Kanner, lors du défilé du 1er-Mai dans les rues de Dunkerque (Nord), avec les salariés d’ArcelorMittal. © Photo Edouard Bride pour Mediapart

Depuis la proposition de cette « fausse solution », il vivote difficilement de petits boulots dans le BTP et l’horticulture en attendant la retraite. « Les ouvriers, on se connaît tous ici, on est tous solidaires », insiste-t-il.

Mais que peut le politique face aux plans sociaux de multinationales privées ultrapuissantes ? Dans le cortège, on rappelle avec amertume qu’ArcelorMittal aurait même dû être un acteur de poids de la transition écologique. L’usine a lancé en 2024 en grande pompe un fameux projet de « décarbonation ». Elle est l’un des plus gros polluants du secteur industriel du dunkerquois, qui génère plus de 13 millions de tonnes de CO2 par an, soit 21 % des émissions industrielles de France.

Fin 2024, Arcelor a retropédalé, suspendant ce plan chiffré à 1,8 milliard d’euros, dont une aide de l’État allant jusqu’à 850 millions d’euros. « Quelques millions avaient déjà été investis », assure la CGT. 

C’est le deux poids, deux mesures, « comme toujours », peste Richard, salarié de l’hôpital maritime de Zuydcoote, commune du littoral. « Les services publics qui prétendument ne rapportent pas n’ont rien et les entreprises privées ont des aides en un claquement de doigts, s’indigne-t-il. Arcelor a pris des millions d’aides publiques [392 millions d’euros d’aides publiques de 2013 à 2023 – ndlr], alors que notre hôpital, qui a besoin de rénovations, n’a jamais assez. Le service public s’endette, alors que le privé se gave sans contrepartie. C’est de la maltraitance institutionnelle et ça devient intolérable ! »

À gauche, la réponse face à l’annonce d’ArcelorMittal semble toute trouvée : l’État. François Ruffin, député de la Somme, n’en est pas à son premier 1er-Mai à Dunkerque. Il l’assure : « Le politique peut quelque chose, mais c’est un choix ! Depuis quarante ans, on a décidé de laisser faire le marché. Il faut changer la donne : pas un euro de subvention sans contrepartie ; l’État doit devenir acteur du capital, peser sur les décisions des entreprises et non les subir… Cela doit se faire pour les cent produits stratégiques en France, à l’image des médicaments, des armes, des aliments, de l’acier. »

« Politiquement, nous avons le devoir de ramener Mittal à ses engagements, il n’est jamais là. L’État doit maintenant montrer les muscles », précise pour sa part Boris Vallaud, président du groupe socialiste, également du cortège.

Derrière la mer du Nord, au Royaume-Uni, le Parlement a voté en avril une loi d’urgence pour prendre le contrôle de British Steel, entreprise menacée, et aux mains d’un groupe privé chinois. Mais en France, le gouvernement ferme pour l’heure la porte à l’option de la nationalisation : « Pas à l’ordre du jour », a déclaré Marc Ferracci, ministre de l’industrie et de l’énergie, mardi. « Nous attendons des actes. Arcelor va nous laisser crever », alerte, dans la foule, le cégétiste de Dunkerque, Gaëtan Lecocq.


 


 


 

À Dunkerque, un défilé du 1er mai
avec la nationalisation d’ArcelorMittal dans toutes les têtes

Ludovic Finez sur www.humanite.fr

La manifestation du 1er mai a pris une ampleur particulière, quelques jours après l’annonce de 636 licenciements chez ArcelorMittal, dont la plus importante usine française est sur la Côte d'Opale.

À Dunkerque, la manifestation du 1er mai enregistre une affluence record et la présence de nombreuses figures politiques nationales de la gauche, dont les chefs du PS, Olivier Faure, et des Écologistes, Marine Tondelier.
« Je marche pour que mon papa garde son travail. » La pancarte en carton est tenue par une petite fille de 8 ans dont le père, Emerson Haegman, est ouvrier de maintenance chez ArcelorMittal. Il a été embauché en 2006, année de la fusion des groupes français Arcelor et indien Mittal. Sa fille attend le départ de la manifestation du 1er mai à Dunkerque, tandis que les prises de parole de la CGT, de la FSU et de Solidaires dénoncent « l’horreur » du meurtre d’Aboubakar Cissé à la mosquée de La Grand-Combe (Gard), affirment le soutien aux « Ukrainiens et Palestiniens », fustigent « l’abandon des services publics » ou soulignent la nécessité d’une « riposte antifasciste populaire ».

« Nationalisation » : le mot d’ordre revient en boucle. Aurélie Trouvé, présidente LFI de la commission des Affaires économiques à l’Assemblée nationale, y ajoute « l’interdiction des licenciements boursiers quand il y a des versements de dividendes ». « Il ne doit plus y avoir 1 euro d’aide sans la contrepartie d’une entrée de l’État au capital », complète le député Notre France François Ruffin, qui réclame également « une protection au niveau européen, avec des barrières tarifaires aux frontières ».

Karine Trottein, secrétaire du PCF du Nord, élargit à « la remise en cause des traités sur la libre concurrence et des accords de libre-échange ». De son côté, le député écologiste Benjamin Lucas annonce que la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements a décidé de convoquer la direction d’ArcelorMittal, qui « va devoir s’expliquer sous serment ».

Le manque d’investissement, une vraie stratégie

De son côté, c’est tout un système que décrypte Reynald Quaegebeur, délégué central CGT à ArcelorMittal France. « La concurrence chinoise existe, on ne va pas le nier, mais le manque d’investissement d’ArcelorMittal (en France, NDLR), c’est stratégique. Mittal a récupéré les brevets, le savoir-faire et il est désormais capable de produire dans des usines où ça lui coûte moins cher, du point de vue social et environnemental. En 2006, ArcelorMittal France comptait sept hauts-fourneaux et une capacité de 20 millions de tonnes d’acier par an. Aujourd’hui, trois hauts-fourneaux sont en activité, pour une production de 8 millions de tonnes. »

Colette1, infirmière à l’usine de Dunkerque, a observé l’effet des économies jusque dans son service : « Avant, nous étions postées, donc présentes 24 heures sur 24. Nous sommes passées “de jour”, sous prétexte de qualité de vie. » Résultat : de plus en plus souvent, les ouvriers qui se blessent sont contraints d’aller aux urgences de l’hôpital de Dunkerque ou renoncent à tout soin. « Les infirmières qui étaient postées avaient demandé à l’être », insiste Colette.

À ses côtés, Laura2, qui travaille chez un sous-traitant chargé du nettoyage des douches, de l’infirmerie ou encore du réfectoire d’ArcelorMittal Dunkerque. Dans son entreprise, une cinquantaine de salariés sont spécifiquement dédiés à ce contrat. « Personnellement, je suis bientôt à la retraite, mais je suis inquiète pour mes petits-neveux et nièces. » Et dans le Dunkerquois, les entreprises qui dépendent du sort d’ArcelorMittal sont nombreuses. Exemple, la centrale DK6 (groupe Engie), où 75 salariés produisent de l’électricité à partir de la combustion des gaz émis par l’usine sidérurgique. « On ne veut pas être les dindons de la farce », prévient le délégué CGT Stéphane Avonture.

  1. Le prénom a été modifié ↩︎

  2. Le prénom a été modifié ↩︎

    mise en ligne le 1er mai 2025

Un 1er mai aux allures de luttes joyeuses à Montpellier

Khalie Guirado sur https://lepoing.net/

Sur le parvis de la place Albert 1er le départ de la manif prend de joyeuses allures de village associatif en ce milieu de matinée. Stand de Formes des luttes avec stickers et posters en vente, affiches en tout genre, brins de muguet communistes ou atelier pancarte du Quartier Généreux, vers 11h tout le monde est fin prêt à s’élancer. Le traditionnel cortège de la CGT en tête, avec un dj aux commandes particulièrement motivé. Si l’on pouvait croire que la venue de Bardella et Le Pen pour un meeting à Narbonne et la contre mobilisation qui s’y organise aurait pompé toutes les énergies, le cortège montpelliérain n’était finalement pas en reste puisqu’il fallait vingt minutes entières pour atteindre un bout et l’autre. La batucada de La Battante dynamisant comme à son habitude le milieu du cortège était joyeusement concurrencé par l’énergie Kanaky et et le cortège pour la Palestine qui le talonnait. L’inter orga féministe était également de la partie affichant une « solidarité internationale et antipatriarcale » (d’ailleurs on vous en parle un peu plus dans le prochain numéro papier du Poing qui arrive très bientôt).

Cette manifestation du 1er mai était également l’occasion de mobiliser pour les prochains évènements à venir. Parmi eux ce samedi 3 mai devant l’Hôtel de Région de Montpellier à 13h30 est appelé un rassemblement antimilitariste contre la surenchère militaire de la Région et de sa présidente Delga qui souhaite faire de la région un acteur clé du réarment voulu par Macron et a consacré pour cela une enveloppe spécifique de 200 millions d’euros. Également, l’anniversaire du soulèvement Kanaky à Macondo (Montarnaud) les 16, 17 et 18 mai avec de nombreuses tables rondes. Rendez-vous était également donné le samedi 24 mai à 14h au Peyrou « pour que l’eau reste un bien commun » où une « déambulation festive et familiale » est prévue contre le projet du Département de construction de quatre bassines, contre le projet d’usine d’embouteillage de Montagnac et la ligne LGV qui menace des nappes phréatiques.

Finalement, en ce 1er mai, jour de lutte pour les droits des travailleur-euses, c’est contre tout un système colonial, capitaliste et guerrier qu’il nous faut nous retrousser les manches. Puisse l’esprit festif du jour aider !


 


 

Narbonne : entre 3 000 et 5 000 personnes défilent pour le 1er-Mai et contre la venue du RN

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Plusieurs milliers de personnes (3 000 selon la police, 5 000 selon les organisateurs), ont manifesté dans les rues de la sous-préfecture de l’Aude ce jeudi 1er mai lors d’une manifestation intersyndicale unitaire, pour les droits des travailleurs et en réponse à l’organisation d’un meeting du Rassemblement National à l’Arena de Narbonne

De mémoire, on a jamais vu autant de gens dans la rue un 1er-Mai à Narbonne”, souffle un manifestant audois, alors que la foule s’amasse devant la sous-préfecture de l’Aude, vers 11 heures. Il faut dire que ce n’est pas un 1er-Mai ordinaire : le Rassemblement National y organise un grand meeting en présence de Marine Le Pen et Jordan Bardella. “C’était important de montrer qu’on ne voulait pas laisser l’extrême-droite s’installer”, explique Benoït Perez, président de la section Narbonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme. “On a pensé cette journée comme une riposte antifasciste et sociale, on a monté un collectif réunissant le maximum d’organisations et d’associations de gauche.”

Et elles ont répondu à l’appel : Nathalie Tehio, présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Youlie Yamamoto, porte-parole de l’association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac) et fondatrice du collectif féministe les Rosies, ou encore Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, étaient dans le cortège.

Philippe Poutou, figure du NPA et candidat aux précédentes législatives dans l’Aude, qui a vu ses trois circonscriptions basculer aux mains du Rassemblement National, est également présent : “L’Aude est une terre historiquement de gauche, mais aujourd’hui le RN s’y sent en terre conquise. C’est un des départements les plus pauvres de France, et beaucoup de gens se tournent vers l’extrême droite par résignation ou désillusion. A nous de combattre de manière unitaire pour imposer un autre discours”, affirme-t-il.

Au micro, les prises de parole syndicales se succèdent : “Le Rassemblement National a dévoyé le sens du 1er-Mai, l’extrême droite a toujours été l’ennemie des travailleurs et des travailleuses”, scande l’intervenante de la FSU. Les interventions dénonçant “l’économie de guerre” du gouvernement Macron, “la cure d’austérité sur les services publics”, sans oublier la réforme des retraites, s’enchaînent.

C’est sous la surveillance d’un nombre impressionnant de CRS casqués que le cortège, joyeux et festif, traverse le centre-ville. Arrivé devant la bourse du travail, un “village antifasciste” accueille concerts, conférences et stands de diverses associations. De l’autre côté de la ville, le parti à la flamme attend 5 000 militants pour un grand meeting, soit à peu près le même nombre que les participants de la manifestation. “L’heure est grave, je m’attendais à ce qu’on soit beaucoup plus nombreux pour faire face à l’extrême droite, je ne comprends pas pourquoi les syndicats n’ont pas affrété des bus de toute la région pour venir ici, on aurait du être au moins le double”, souffle une militante Toulousaine, un peu déçue.


 

    mise en ligne le 30 avril 2025

Au-delà des chiffres

Par Maryse Dumas, syndicaliste sur www.humanite.fr

Le 1er mai porte en lui le message universel de la nécessaire émancipation du travail, de la solidarité entre travailleuses et travailleurs du monde et de la paix. « Mille fois déclaré mort et enterré, il a autant de fois ressuscité », disait Georges Séguy. Donnons-lui, une nouvelle fois, raison.

Quelque part entre la chasse aux œufs de Pâques et le jeu « Cherche et trouve », à moins que ce ne soit le jeu « Qui veut gagner des millions ? » ou plus exactement des milliards, 40 milliards précisément, c’est là qu’on pourrait situer la semaine politico-médiatique organisée par le premier ministre. Un grand tableau, pas noir, on est en 2025, il faut faire moderne, mais tous les attributs de la pédagogie ont été réunis pour nous infliger, comme à des élèves récalcitrants, une leçon de comptabilité budgétaire. Des slides, des chiffres, peu de lettres, des couleurs, des démonstrations censées être imparables, monsieur le professeur s’est doté de tous les moyens pour tenter de faire admettre l’inadmissible. L’objectif ? Braquer toute l’attention sur les équilibres comptables pour la détourner de l’essentiel : la nature et le sens de la politique économique et de la politique tout court à déployer dans le pays.

Toutes et tous les élu·es vous le diront : dans les collectivités, l’élaboration et le vote du budget sont le moment essentiel où s’affirment les lignes stratégiques et où se dessinent les choix politiques alternatifs. François Bayrou, lui, veut porter l’attention sur les équilibres budgétaires pour mieux faire diversion des axes majeurs de sa doctrine économique et sociale. Le « flou », qui est sa marque de fabrique, montre surtout qu’il s’est parfaitement approprié cette maxime non d’Henri IV, mais du cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. » Illégitime au regard du résultat des législatives, fragile au regard de la composition de l’Assemblée nationale, il veut repousser le plus possible le moment de vérité et pour cela il n’hésite pas à « amuser » la galerie, les médias surtout, sans répondre aux exigences fondamentales posées à notre pays.

Au vu d’une situation internationale mouvante et plus que préoccupante, il y aurait nécessité de mobiliser et d’unir les forces vives sur un projet ambitieux pour redonner à la France les moyens de se faire entendre et respecter au plan extérieur parce que soutenue par un élan démocratique intérieur. Mais aucune ambition n’est seulement affichée dans ce sens. L’hémorragie des emplois, notamment industriels, se poursuit, le chômage remonte, les services publics sont à l’os, l’hôpital est en crise profonde, le mal logement s’accentue, une partie toujours plus grande de la population se prive de l’essentiel. Ce serait le moment de faire des choix radicalement opposés à ceux qui ont prévalu jusqu’ici et ont enfoncé notre pays dans cette crise profonde et multiforme.

Mais telle n’est pas la volonté de ce gouvernement pas plus que du président de la République. Ils nous entraînent vers la catastrophe, sauf si les forces syndicales, sociales et politiques parviennent à offrir des pistes alternatives sérieuses. C’est l’un des enjeux des manifestations intersyndicales prévues le 1er Mai. Décidé à Paris en 1889, à la fin du congrès constitutif de la IIe Internationale socialiste, le 1er Mai a connu depuis ce moment des hauts et des bas, mais il n’a jamais disparu de la scène sociale, tant nationale qu’internationale. Il porte en lui le message universel de la nécessaire émancipation du travail, de la solidarité entre travailleuses et travailleurs du monde et de la paix. « Mille fois déclaré mort et enterré, il a autant de fois ressuscité », disait Georges Séguy. Donnons-lui, une nouvelle fois, raison.


 

    mise en ligne le 14 mars 2025

« Rien n’a été fait pour nous » :
cinq ans après le confinement, l’amertume des caissières

par Rozenn Le Carboulec sur https://basta.media/

Un niveau de vie qui stagne, des conditions de travail qui se dégradent et des acquis sociaux en danger : c’est ce que subissent aujourd’hui nombre de caissières qui, en plein confinement, avaient dû travailler au péril de leur santé et sans être payées plus.

« C’était comme une période de Noël, mais tous les jours. Un cauchemar sans nom. » À l’évocation du premier confinement, annoncé il y a tout juste 5 ans pour faire face à la pandémie de Covid-19, Leïla Khelifa, déléguée CFDT d’un Carrefour de Nice, est amère. Tandis que de nombreux·ses Français·es se ruent alors dans les supermarchés pour s’arracher des rouleaux de papier toilette que certain·es pensaient voir s’évaporer, que les rayons sont pris d’assaut par des consommateur·ices poussant des cadis pleins à craquer de peur de manquer, les caissières sont en première ligne.

« Pendant le confinement, les gens n’étaient pas très humains. Ils ne pensaient qu’à eux et vidaient les rayons », se remémore Sabine Pruvost, déléguée syndicale centrale Force ouvrière à Lidl, en poste depuis 30 ans. Une de ses collègues, déléguée FO et responsable adjointe d’un Lidl près de Marseille, n’en garde pas un meilleur souvenir : « Les magasins étaient complètement retournés, on travaillait dans des conditions atroces. Quand on a été confiné·es, tout le monde voulait rentrer sans masque. C’était compliqué, on se disputait tous les jours avec les client·es pour faire respecter les gestes barrières », décrit-elle, à propos d’une période que la quasi-totalité des salariées interviewées décrit comme « très anxiogène »

Et cela à raison. Le 27 mars 2020, alors que la France se confine depuis 10 jours, Aïcha Issadounène, 52 ans, succombe des suites du Covid-19. Sa mort vient s’ajouter à celles de près de 2000 victimes du virus, enregistrées dans le pays depuis le 15 février. Après celui d’Alain Siekappen Kemayou, chef de la sécurité de 45 ans au centre commercial O’Parinor à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), il s’agit du deuxième décès dans la grande distribution. Syndiquée CGT, Aïcha Issadounène travaillait depuis 30 ans à l’hypermarché Carrefour de Saint-Denis, en tant qu’hôtesse de caisse. Ce n’est pas un hasard. 

Le mirage de la fameuse prime à 1000 euros

Avec d’autres professions dites « essentielles », majoritairement féminines, comme les infirmières, les aides-soignantes, les aides à domicile, ou encore les agentes d’entretien, les caissières – à 90 % des femmes selon l’Insee – continuent de nourrir et soigner une société à l’arrêt. « Les femmes sont en première ligne de cette crise dans les hôpitaux, les Ehpad, les commerces et c’est en première ligne qu’on est le moins bien protégé », réagissait le 27 mars 2020 le collectif féministe les Dyonisiennes, après le décès d’Aïcha Issadounène. « Nous exigeons des mesures pour revaloriser de manière substantielle les salaires de tous les métiers à forte composition féminine et qui sont pour la plupart des métiers indispensables à la vie de la population », poursuivait-il, alors que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire encourageait les entreprises à verser une prime exceptionnelle aux employé·es en première ligne. 

La prime de 1000 euros rapidement promise par Auchan, Carrefour, ou encore Casino, n’a suscité qu’un enthousiasme de courte durée. Dans un grand nombre d’enseignes, le versement de la prime va dépendre en réalité du nombre d’heures ou de jours travaillés.

« Pour la prime exceptionnelle Covid-19, j’ai eu un acompte de 113 euros en avril 2020, et 560 euros en mai, car c’était au prorata de la présence pendant la période », témoigne Séverine Dedieu, déléguée CGT en poste depuis 20 ans à l’hypermarché Auchan Montgeron Vigneux, dans l’Essonne. Passée d’hôtesse de caisse à « hôtesse relation client » depuis 2023, elle touche aujourd’hui un salaire de 1621 euros brut pour 30 heures, contre 1385 euros cinq ans plus tôt. Soit une augmentation plus ou moins calquée sur l’inflation. Béatrice Girard, déléguée FO chez Lidl à Clermont-Ferrand, fait le même constat : « En termes de salaire, il y a eu des augmentations, mais qui n’ont rien à voir avec le Covid-19. Elles sont dues à l’inflation et aux négociations annuelles des représentant·es tous les ans. »

Une dégradation générale des conditions de travail

À Lidl comme ailleurs, l’inflation s’est aussi répercutée sur les client·es, comme en témoigne Sabine Pruvost : « Après le Covid, les gens ont vite changé. Ils étaient menaçants vis-à-vis des caissières. » Les vitres en plexiglas, alors installées à la plupart des caisses, sont souvent restées. Et heureusement, met en avant la majorité des employées interrogées : « Ça protège des agressions, qui sont notre quotidien », se désole Béatrice Girard.

D’autant que toutes les grandes surfaces ne disposent pas toujours d’agents de sécurité, dans un contexte de baisse générale des effectifs. Florence Olmi, travaillant dans un Lidl près de Marseille, se souvient du départ récent de l’un de ses collaborateurs, qui venait d’évoluer au poste d’adjoint : « Ils ne nous mettent pas d’agent de sécurité, car ça leur coûte trop cher. Sauf qu’il y a quelques semaines, un client qui avait volé avait une lame de couteau sur lui. Pour mon collègue, ça a été la goutte d’eau de devoir gérer ça. Il a posé sa démission le lendemain. » 

Qu’il semble loin, le temps où les caissières étaient choyées, applaudies et remerciées. D’une même voix, celles-ci témoignent aujourd’hui d’une dégradation générale de leurs conditions de travail. « J’ai vu l’entreprise se dégrader au fur et à mesure. Rien n’a été fait pour nous. Tout s’est empiré », dénonce Séverine Dedieu à propos d’Auchan. Après un premier plan social en 2020, l’enseigne a annoncé en novembre 2024 la suppression de près de 2400 emplois et la fermeture d’une dizaine de magasins dans l’Hexagone. Si celui de Séverine Dedieu, dans l’Essonne, n’est « pour l’instant » pas menacé, il va néanmoins perdre six postes de vendeur·ses. Tout comme l’hypermarché Auchan de Périgueux (Périgord) : « J’ai quand même six collègues qui vont partir, dans le cadre du plan social. Sur le plan d’avant, il y en avait onze », décompte Sophie Serra, déléguée syndicale centrale à la CGT.

Ces départs s’ajoutent aux retraité·es non remplacé·es, et engendrent une surcharge de travail, selon Séverine Dedieu : « Ça devient très compliqué à gérer. Mes collègues sont fatiguées physiquement, moralement. En caisse comme en rayon, on doit maintenant faire le boulot de trois, quatre personnes. Je me dis : mais où on va ? » 

Cette polyvalence accrue des agent·es, dans la lignée du modèle de Lidl, est d’ailleurs désormais clairement favorisée par les intitulés de postes : « Maintenant, toute personne embauchée est considérée comme équipier magasin. C’est-à-dire qu’elle n’est pas uniquement hôtesse de relation client, mais qu’elle peut aller aussi bien en rayon qu’en caisse et n’aura pas un poste bien défini », décrit Séverine Dedieu, qui a refusé cette requalification la concernant. « Les exigences vont ainsi croissant dans les métiers de services, alors que les salaires stagnent dans un contexte d’inflation galopante », résume l’autrice Racha Belmehdi dans son livre À votre service, les travailleurs essentiels qu’on ne voit pas, paru chez Favre en 2024. 

Une généralisation des locations-gérances et franchises

Au Carrefour TNL de Nice (dans le centre commercial Tramway Nice littoral), Leïla Khelifa fait le même constat. « Les conditions de travail ont très mal évolué, elles sont dramatiques, vous avez la tête dans le guidon au bout de vos journées, témoigne-t-elle. Depuis 2020, notre turnover n’a fait qu’augmenter. Tous les rayons ont perdu des effectifs. C’est devenu une petite usine. On était un magasin très stable, mais maintenant je nous assimile à un McDonald’s. » Et cela ne risque pas de s’arranger.

En cette fin février, elle distribue des tracts à l’ensemble des salarié·es : comme 39 autres Carrefour, son magasin va passer en location-gérance cette année. L’exploitation de la grande surface et la plupart de ses coûts seront assumés par un autre commerçant (le locataire-gérant), engendrant la sortie des salarié·es du groupe, et par conséquent la perte de nombreux acquis sociaux. Alors que la CFDT a assigné le groupe en justice pour abus de droit de la liberté d’entreprendre, les employé·es craignent cette « épée de Damoclès ». « La seule chose que nous garderions, c’est la tenue de travail, mais le reste s’envolera. Cela engendrera la perte d’acquis sociaux que la CFDT a chiffré à 2500 euros par an environ pour un·e employé·e basique à 35h », alerte Leïla Khelifa.

Depuis l’arrivée d’Alexandre Bompard à la tête du groupe en 2017 (un ancien haut-fonctionnaire passé par la Fnac), 344 hyper ou supermarchés Carrefour sont passés en location-gérance et plus de 27 000 salarié·es ont été « externalisé·es » en sept ans, selon le syndicat, qui dénonce un plan social déguisé. La rémunération du PDG a, elle, considérablement augmenté, autour de 5 millions d’euros annuels en 2023 et en 2024.

Du côté d’Auchan, les employé·es se préparent aussi au passage de nombreux magasins en franchise, dans un contexte global de chamboulement de la grande distribution. « Pour l’instant, le Auchan dans lequel je suis y échappe. Il est trop gros, alors ils veulent réduire la surface », décrit Jean Pastor, délégué syndical central CGT Géant Casino. En mai 2024, son magasin, le plus ancien hypermarché Casino de France, situé dans le quartier de La Valentine à Marseille, a rouvert sous l’enseigne Auchan. Alors que les plans sociaux de 2024 ont engendré la suppression de plus de 2000 postes au sein du groupe Casino, la quasi-totalité de ses grandes surfaces ont été cédées à Intermarché, Auchan et Carrefour, tandis qu’une vingtaine de magasins du groupe ont fermé en septembre 2024. 

« On nous avait vendu du rêve avec les caisses automatiques »

 Signe d’une crise sans précédent qui touche la majorité des enseignes : les salarié·es de Lidl se lançaient le 7 février dans une « grève illimitée ». Si elle n’aura finalement duré que trois jours, celle-ci n’en reste pas moins « historique » aux yeux de Florence Olmi. Depuis cinq ans, elle a fait le calcul : « On a perdu une dizaine de personnes par magasin en moyenne », déplore-t-elle. Une hémorragie qui concernerait 2200 salarié·es de Lidl à l’échelle nationale depuis 2022, selon les syndicats. Après des négociations annuelles obligatoires qui se sont soldées par une faible augmentation de 1,2 %, soit un peu en dessous du niveau de l’inflation, les syndicats réclamaient notamment une meilleure revalorisation salariale, l’annulation de l’ouverture dominicale que la direction souhaite généraliser à l’ensemble des magasins, ainsi que des embauches supplémentaires. « Mon magasin a une superficie de 1600 m2. On nous demande qu’il soit présentable, sauf qu’on ne nous en donne pas les moyens. Moi ça m’arrive de fermer avec deux, trois personnes. C’est impossible de remettre le magasin en état en étant aussi peu », dénonce Florence Olmi. 

Si les caissières de Lidl échappent encore pour la plupart aux caisses automatiques, celles-ci vont se multiplier dans les magasins refaits à neuf. Et ce, aux dépens des premières concernées, si l’on en croit l’expérience d’autres enseignes. « On nous avait vendu du rêve avec les caisses automatiques. Normalement, c’était une personne pour quatre caisses, mais ce n’est jamais le cas. On se retrouve souvent seule avec six caisses à gérer, c’est très compliqué, décrit Séverine Dedieu à Auchan, pour qui ces caisses « posent beaucoup de problèmes ». « On est obligées de les contrôler tous les quatre matins. Ce n’est pas plus rapide », ajoute-t-elle.

Pas sûr, en effet, que le recours de Lidl aux caisses libre-service soit payant à terme, tandis que de nombreuses enseignes font marche arrière à ce sujet. « La tendance qu’on observe, c’est qu’ils s’aperçoivent que les caisses automatiques ne sont pas si rentables, car il y a énormément de vols. Donc ils sont en train de les retirer après en avoir mis partout », décrit Jean Pastor. 

De l’avis général, la valorisation – symbolique à défaut d’être financière et politique – des caissières aura été de courte durée. Héroïnes d’hier, toutes déplorent une amnésie de la société. À l’image de Sabine Pruvost : « Tout le monde a vite oublié qu’on est venues bosser tous les jours pendant le confinement sans être payées plus. » Les salarié·es de l’hypermarché Carrefour de Saint-Denis, où travaillait Aïcha Issadounène, ne sont pas en reste : en guise de remerciements, leur magasin devrait, lui aussi, passer en location-gérance cette année. 


 

    mise en ligne le 13 mars 2025

Guerre d’Algérie : France Télévisions revient sur sa décision de déprogrammer un documentaire sur l’usage des armes chimiques par la France

Scarlett Bain sur www.humanite.fr

Ce 11 mars, dans la matinée, France Télévisions a annoncé déprogrammer le documentaire Algérie, Sections Armes Spéciales, initialement prévu sur France 5, le 16 mars. Sous la pression, le service public de l’audiovisuel le rend finalement disponible sur sa plateforme en accès gratuit. Dans un entretien, réalisé en vue de sa diffusion, l’historien et coréalisateur du film Christophe Lafaye s’inquiétait justement des difficultés de travailler sur le sujet.

L’annonce par communiqué de France Télévisions de déprogrammer le documentaire, Algérie, Sections Armes Spéciales, a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Dans le contexte diplomatique entre la France et l’Algérie et des graves polémiques suscitées notamment par l’affaire Apathie, le choix de ne pas diffuser le premier film qui révèle la guerre chimique menée par la France posait en effet de sérieuses questions.

Dans son communiqué, France Télévisions a justifié la déprogrammation des documentaires initialement prévus en soirée le 16 mars, par la nécessité de se consacrer à l’actualité entre les États-Unis et la Russie. Mais alors que le film d’Édith Bouvier, qui devait passer en prime time sur France 5, Syrie : la chute du clan Assad, a reçu dans la foulée une nouvelle date de diffusion, le 23 mars prochain, la boîte de production du documentaire Algérie, Sections Armes Spéciales est restée, elle, sans aucune proposition.

Après une journée de pression exercée par l’ensemble de l’opinion française et algérienne, le service de l’audiovisuel public a finalement pris la décision de mettre le film gratuitement sur sa plateforme France.tv. Il sera disponible dès ce 12 mars. Selon nos informations, il devrait le reprogrammer à l’antenne prochainement, la date reste encore inconnue.

À l’origine de ce travail l’historien, Christophe Lafaye et la documentariste, Claire Billet ont mené l’enquête ensemble. Le chercheur, qui était aussi officier de réserve, se consacre à ce sujet d’étude depuis le début des années 2010.

Comment avez-vous découvert que l’armée française a recouru aux armes chimiques, interdites par le protocole de Genève, pendant la guerre d’Algérie ?


 

Christophe Lafaye : Tout a commencé durant la réalisation de ma thèse. Je travaillais sur l’armée française en Afghanistan, qui utilisait des retours d’expériences d’Algérie pour son entraînement. En 2011, j’ai suivi la préparation opérationnelle de sapeurs spécialisés, qui mettaient en œuvre certaines techniques de combats souterrains développées en Algérie. J’ai découvert l’existence des sections « armes spéciales » qui ont opéré de 1956 jusqu’à la fin de la guerre.

Quatre ans plus tard, j’ai rencontré par hasard à Besançon Yves Cargnino, un ancien combattant d’une de ces sections qui, du fait de son service, a subi de graves dommages aux poumons. Nous avons réalisé des entretiens et il m’a présenté d’autres anciens combattants, dont certains témoignent dans ce documentaire. J’ai pris conscience de l’ampleur de l’emploi de ces sections armes spéciales en Algérie et surtout des spécificités du recours aux armes chimiques.

Pourquoi et comment la France a-t-elle mené cette guerre chimique ?

Christophe Lafaye : En 1956, la France est confrontée à une montée en puissance de l’Armée de libération nationale (ALN) et à un problème tactique : l’utilisation par les résistants des grottes et des souterrains, qui leur donne l’avantage en cas d’assaut. Pour le résoudre, l’état-major des armes spéciales expérimente le recours aux armes chimiques.

Dans le film, nous détaillons toutes les étapes : depuis l’expérimentation, à partir de 1956, à son autorisation politique par le gouvernement français, suivie du développement sauvage des unités de sections armes spéciales et de sa rationalisation en 1959 jusqu’à la fin de la guerre. L’objectif de ces unités était double. D’abord offensif : gazer avec du CN2D des grottes occupées afin de pousser les Moudjahidines à en sortir. S’ils n’évacuaient pas, ils mouraient asphyxiés. Et préventif : contaminer régulièrement les grottes inoccupées pour rendre leur usage impossible.

Pouvez-vous estimer le nombre de morts ?

Christophe Lafaye : J’estime entre 5 000 et 10 000 le nombre de combattants algériens tués par armes chimiques. Par ailleurs, les Algériens ont un usage ancestral de ces grottes, elles ont toujours servi de refuge. Il n’y avait donc pas que des combattants qui s’y dissimulaient, mais aussi des villageois. Comme ce fut le cas à Ghar Ouchetouh les 22 et 23 mars 1959, où 118 habitants ont été assassinés par intoxication. Par la suite, des membres de ces unités spéciales sont décédés à cause de l’usage de ce gaz. Yves Cargnino en témoigne avec force dans le documentaire : « On a tué par les gaz et ça me tue encore maintenant. »

Comment expliquez-vous le fait que cette histoire soit restée méconnue ?

Christophe Lafaye : Les raisons sont multiples. Les premiers à avoir rompu le silence sont les anciens combattants qui ont publié des témoignages, le plus souvent à compte d’auteur. Mais les historiens ne s’en sont pas saisis à l’époque. Ensuite, il faut savoir que les archives sur la guerre d’Algérie ont été ouvertes en 2012 avant d’être refermées en 2019, à la faveur de la crise sur l’interprétation de la réglementation du secret-défense.

Le premier historien à avoir réellement approfondi l’usage des armes chimiques en Algérie s’appelle Romain Choron. Cet officier de l’armée a dû cesser ses recherches après avoir été perquisitionné par la DGSI. Il n’a jamais été mis en examen et son affaire s’est terminée par un non-lieu. J’ai repris ses recherches et je peux affirmer désormais qu’une véritable guerre chimique a été menée en Algérie.

Est-ce que vous militez pour obtenir la reconnaissance de ce crime de guerre ?

Christophe Lafaye : Je me considère avant tout comme un historien. Mon travail est de trouver des sources et de les confronter pour établir des faits au plus proche de la vérité. Mais oui, d’une certaine manière, lorsqu’on travaille sur l’Algérie, il faut être militant parce que ce n’est pas un travail facile. Les portes vous sont fermées, les archives souvent aussi. Le sujet est toujours jugé sensible.

Malgré tout, depuis près de trente ans, des historiens ont montré toute la spécificité du système des violences coloniales en Algérie. La révélation de l’emploi des armes chimiques est un nouveau pas vers la mise en lumière de la nature réelle de cette guerre. Mais je suis préoccupé : le savoir produit par le monde universitaire n’imprime pas la sphère publique. Nous montrons que la Terre est ronde, mais dans les discours on a l’impression qu’elle est toujours plate.

À ce sujet, le débat public a été agité récemment par la déclaration de Jean-Michel Aphatie : « En Algérie, il y a des milliers d’Oradour-sur-Glane ». Comment analysez-vous cet épisode ?

Christophe Lafaye : C’est une évidence historique, pas un historien sérieux ne le contredira. En Algérie, il y a eu des massacres depuis les débuts de la conquête coloniale jusqu’à l’indépendance. Mais ce type de prise de parole médiatique permet-elle pour autant d’avancer dans le débat ? Elle a fait hurler l’extrême droite et a fait réagir l’extrême gauche, mais elle ne permet pas d’améliorer la compréhension des Français sur la nature réelle de cette guerre coloniale.

Il faudrait pour cela détailler le type de crime, à quel moment, avec quelle motivation et méthode. Là, on avancerait. Cela nécessiterait de donner la parole dans l’espace public aux spécialistes qui travaillent sur ce sujet. Ce n’est pas le cas. Si le débat se concentrait sur le fond, nous comprendrions à quel point cette guerre coloniale a été horrible. Parce que dès l’origine, elle se fonde sur un racisme et sur une considération moindre, et c’est un euphémisme, pour les Algériens.

Comment considérez-vous votre place en ce moment dans l’espace public ?

Christophe Lafaye : Les historiens et les historiennes critiques sont accusés d’être des islamo-gauchistes jusqu’au sommet de l’État. Il faudrait cesser de décrédibiliser constamment nos recherches en les politisant. Les vrais débats concernent les sources utilisées, la méthodologie et les conclusions obtenues.

Est-ce justement dans l’objectif de mieux pénétrer l’espace public que vous êtes passé de la forme écrite au documentaire ?

Christophe Lafaye : Il est primordial de vulgariser les travaux scientifiques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Les résultats des recherches peuvent permettent de faire bouger la perception de la guerre d’Algérie et du colonialisme en France. Il faut savoir à ce sujet que si les États se chicanent entre eux, ce n’est pas du tout le cas des sociétés civiles. Entre universitaires algériens et français, nous échangeons sans cesse.

Les témoins algériens qui interviennent dans le documentaire, lorsqu’on leur demande « qu’attendez-vous de la France ? », répondent : « Ni excuses ni argent, simplement la vérité. Nous sommes prêts à tourner la page. » Les petits pas de la France dans la reconnaissance de ces crimes de guerre ne suffisent plus. Je crois sincèrement dans le génie des sociétés civiles en France et en Algérie et dans la fraternité des peuples pour réaliser cette tâche de réconciliation.

Une avant-première à Paris est prévue le jeudi 13 mars 2025 à 20 heures au cinéma « Écoles cinéma club » au 23 rue des écoles 75005 Paris.


 


 

À France Télévisions,
la déprogrammation d’un documentaire sur la guerre d’Algérie sème l’émoi

Yunnes Abzouz sur www.mediapart.fr

Initialement diffusé dimanche 16 mars, le film a été déprogrammé de l’antenne de France 5 et a finalement atterri sur le site de France TV. Et ce, en pleine querelle diplomatique entre la France et l’Algérie, mais aussi alors que la présidence du groupe public doit être renouvelée prochainement.

La glaciation des relations bilatérales avec l’Algérie, sur fond de révisionnisme ambiant au sujet des crimes coloniaux, a-t-elle amené France Télévisions à déprogrammer un documentaire ? Algérie, sections armes spéciales expose, de manière implacable, comment l’armée française a eu recours à des armes chimiques durant la guerre d’Algérie (1954-1962), pour déloger – et surtout tuer – les combattants et villageois réfugiés dans des grottes.

Initialement programmé pour une diffusion dimanche 16 mars, en deuxième partie de soirée, dans l’émission « La Case du siècle », le documentaire a finalement été sorti de la grille des programmes de France 5. Dans un communiqué daté du 11 mars, consulté par Mediapart et d’abord révélé par Libération, la direction des antennes nationales de France Télévisions évoque « l’actualité » afin d’expliquer ses changements de plan pour la soirée du 16 mars.

Plus en accord donc avec l’actualité du moment que les exactions commises par la France en Algérie, deux documentaires seront rediffusés, dans le but de coïncider avec l’avancée des négociations de paix en Ukraine. Dès 21 h 05, repassera ainsi le documentaire d’Antoine Vitkine, Opération Trump : les espions russes à la conquête de l’Amérique, suivi d’un débat, puis Russie, un peuple qui marche au pas, diffusé à partir de 23 heures. Le film initialement programmé en première partie de soirée, intitulé Syrie : la chute du clan Assad, sera finalement recasé la semaine suivante. 

Au bout de ce jeu de chaises musicales, un seul documentaire déprogrammé ne retrouve pas de place dans la grille de France 5. Algérie, sections armes spéciales a-t-il été laissé sur le carreau ? Le premier communiqué de France Télévisions précisait que le documentaire était « déprogrammé et sera[it] reprogrammé ultérieurement ».

Dans la foulée des premiers articles rapportant ce choix de déprogrammation, le groupe audiovisuel public a annoncé que le film sera disponible, dès mercredi 12 mars, sur le site de France TV, comme initialement prévu. Effectivement, le documentaire de 52 minutes était accessible en ligne dès ce matin. 

Deux agendas qui se percutent

N’empêche que le timing de cette déprogrammation, en pleine querelle diplomatique entre la France et l’Algérie, sur fond de passé colonial pas complètement digéré, pose question. « On avait quelques inquiétudes concernant ce que France Télévisions allait faire dans le contexte tendu entre la France et l’Algérie, a réagi l’historien Fabrice Riceputi dans les colonnes de Libération. Avec cette décision, le groupe prend le risque d’être accusé de censure, ce qui est regrettable. » 

En interne, à France Télévisions, certains y voient le résultat du télescopage de deux agendas : celui, politique, du gouvernement Bayrou qui a engagé un bras de fer avec l’Algérie dans l’espoir de forcer Alger à reprendre davantage ses ressortissants éconduits du territoire français, et celui, plus personnel, de Delphine Ernotte, probable candidate à sa propre succession à la tête du groupe public, et dont le mandat s’achève le 21 août.

L’Arcom vient tout juste de remettre en jeu la présidence de France Télévisions. Martin Ajdari, nouveau président de l’autorité de régulation des médias, se prononcera, avec son collège, d’ici au 22 mai sur l’identité du futur ou de la future présidente de la société publique.

Deux candidat·es ont pour l’instant manifesté leur intérêt pour le poste : Serge Cimino, journaliste de France Télévisions et délégué syndical (SNJ), déjà candidat en 2015 et 2020, et l’ancienne députée macroniste Frédérique Dumas. Delphine Ernotte n’a pas encore fait part publiquement de sa candidature, mais son intention de rempiler pour un troisième mandat fait peu de doute. 

Justement, des salariés soupçonnent leur patronne d’avoir un peu trop en tête sa réélection, au point de chercher à écarter tout sujet à potentiel inflammable, pour échapper à l’ire de ses habituels détracteurs de droite et d’extrême droite, qui ne cessent de dénoncer dans les médias Bolloré « la mainmise idéologique woke » qu’elle aurait installée.

Autre signe de la prudence actuelle des dirigeant·es de l’audiovisuel public, selon certains d’entre eux, la très faible couverture consacrée au procès des financements libyens de la campagne de Nicolas Sarkozy. Au total, deux sujets, le jour de l’ouverture du procès, ont été consacrés à ce procès hors norme dans le JT de France 2. De la frilosité, certes, mais de là à déprogrammer un film documentant la manière dont la section armes spéciales a, pendant la guerre d’Algérie, utilisé les stocks de substances chimiques létales de l’armée française pour gazer des grottes ?

« Sans France Télé, le film n’aurait jamais vu le jour »

La réalisatrice du documentaire, la journaliste Claire Billet, a de son côté beaucoup de mal à comprendre « ce qui s’est passé, d’autant plus que France Télévisions a soutenu depuis le départ le film, de façon franche et pas du tout ambiguë ». Le groupe audiovisuel public est en effet le seul à s’être montré intéressé par le sujet du gazage de maquisards et de civils pendant la guerre d’Algérie, également proposé à Arte et Canal+ dès 2022.

« France Télé a rapidement manifesté son intérêt et a fourni 9 000 euros pour lancer un développement et permettre à Claire d’approfondir l’enquête, réunir des documents “historiques” capables de prouver ce que disent les témoins, valider l’utilisation juridique de ces documents, et faire des recherches sur le terrain en Algérie », rappelle Luc Martin-Gousset, producteur du documentaire. Le groupe public a au total fourni entre 100 000 et 120 000 euros au film, pour un budget global de 180 000 euros. « Il faut quand même souligner que sans France Télé, le film n’aurait jamais vu le jour, insiste le producteur. Ce n’est pas un groupe privé qui va financer ce documentaire d’utilité publique. » 

De son côté, France Télévisions dément fermement avoir changé la programmation de son dimanche soir sur France 5 pour des raisons autres qu’éditoriales et assure que Algérie, sections armes spéciales sera bien diffusé dans les huit semaines à venir, un délai légal qui incombe à la société publique dès lors qu’elle met en ligne un film sur sa plateforme.

« Ça n’a rien à voir avec le renouvellement de la présidence de France Télé, fulmine un cadre du groupe. Dans cette case du dimanche soir, qu’on consacre habituellement à la géopolitique, on a remarqué qu’on attirait moins de monde quand on était à distance de l’actualité. » Notre interlocuteur veut pour preuve de la priorité accordée au grand chambardement de l’ordre international à l’œuvre autour de l’Ukraine, la présentation d’une émission spéciale jeudi soir sur France 2 sur la montée des tensions internationales, en lieu et place d’« Envoyé spécial », déprogrammé pour l’occasion.

« Les calculs politiques, ça ne me regarde pas en fait, s’agace Claire Billet, la réalisatrice du film. Ce qui compte pour moi, c’est que l’histoire soit dite, écrite et que les violences coloniales soient connues. » Un objectif en bonne voie de réalisation puisque « la polémique a eu l’intérêt d’attirer l’attention sur ce film qui sinon aurait peut-être eu moins de résonance malgré ses qualités intrinsèques », se félicite Luc Martin-Gousset.

Une projection du film est organisée jeudi dans un cinéma parisien. Face à l’intérêt soudain suscité par la polémique, une deuxième séance a été programmée.


 

    mise en ligne le 12 mars 2025

Grâce à la grève,
le personnel de ménage de Sciences-Po obtient un 13ème mois

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr

En grève depuis cinq jours, les 77 agentes d’entretien (en majorité des femmes) des bâtiments de Sciences-Po Paris, employées par la multinationale Atalian, viennent d’obtenir victoire. Chaque matin, elles tenaient devant Sciences-Po un piquet de grève, soutenu par des étudiants, pour faire connaître la réalité dégradée de leurs conditions de travail. Reportage.

« La grève se finit, on n’est plus stressés ! Je ressens une immense joie, je suis très contente pour le 13ème mois », s’enthousiasme Aguerram, femme de ménage depuis dix ans dans les locaux de Sciences Po Paris. Ce matin, dès 6 heures, cette travailleuse qui cumule les heures de ménage avec un second emploi était sur le piquet de grève, devant les grilles de l’institution parisienne. Pour le cinquième jour consécutif.

À l’issue d’une réunion de négociation qui s’est déroulée ce mardi 11 mars au matin au siège d’Atalian, à Vitry-sur-Seine, les 77 agents d’entretien représentés par la CFDT ont signé un accord leur ouvrant de nouveaux droits. Les salariés ont obtenu le paiement d’un treizième mois. Ainsi que la mise en place d’une commission mixte avec leur employeur et les représentants du personnel pour revoir la charge de travail et les qualifications de chaque personne, au cas par cas.

Car depuis 2023, cette charge de travail a augmenté de manière conséquente. De 6h à 10h, chaque jour, Aguerram nettoie cinq étages. « Il faut que je coure. Ils ont retiré beaucoup de monde. Quatre personnes en moins, sur une équipe d’un peu plus de dix. »

À partir de 2023, la suppression de 700 heures de travail a abouti à la réduction des effectifs. Et pour cause : en 2022, le contrat de Sciences-Po Paris avec son prestataire Atalian a été renouvelé. Mais la société « perdait beaucoup d’argent, car un nouveau bâtiment avait été ouvert, et le cahier des charges avait été mal chiffré. Ils ont dû embaucher 24 personnes, presque le double de ce qui était prévu », retrace Layla Mabrouk, de la CFDT propreté et nettoyage. Des négociations ont alors eu lieu entre Atalian et le donneur d’ordre : mais Sciences-Po Paris « n’a pas voulu les accompagner avec de l’argent en plus. Donc leur solution, ça a été de réduire les heures et les personnels » partout ailleurs.

Après son créneau 6h-10h, Aguerram file en direction de son second emploi administratif – on évitera de préciser lequel puisque, comme tous les grévistes ici, personne ne souhaite être repéré par son autre employeur au risque de passer pour « un salarié qui fait des problèmes ». Après deux heures passées là-bas, Aguerram revient à Sciences Po. Elle enchaîne sur un nouveau créneau de ménage de trois heures l’après-midi, de 13h30 à 16h30. Sur deux bâtiments différents. « Parfois, je reste même un quart d’heure en plus, pour finir. Mais ce n’est pas payé. »

Salaires précaires

Avec ses heures de ménage, Aguerram ne gagne que 1300 euros net par mois, en moyenne. Les nombreux grévistes qui ne font que deux heures et demie par jour affirment gagner, eux, un peu moins de 500 euros par mois pour compléter leurs autres revenus. À ce prix-là, s’absenter une journée coûte cher. Récemment, Aguerram est venue au travail malgré la douleur d’une hernie discale. « Quand je suis arrivée ce matin-là, au début je suis restée assise », raconte-t-elle en se tenant le bas du dos pour illustrer ses propos ; « puis dès que j’ai pu marcher, j’ai commencé à nettoyer, petit à petit. Mes collègues m’ont aidée ».

Alors quand les étudiants de Sciences-Po venus en soutien sur le piquet à partir de 7 heures annoncent avoir récolté près de 4 000 euros dans une caisse de grève, les applaudissements fusent. Après l’annonce des résultats positifs des négociations, Aguerram pense tout de suite à eux : « merci aux étudiants, on est très contents ».

Une pétition de soutien lancée par les étudiants a également recueilli 2 000 signatures. Celle-ci demande à la direction de l’école, entre autres, le lancement d’une enquête sur les bénéfices potentiels d’une internalisation des agents. Mais pendant toute la durée de la grève, la direction de Sciences-Po n’a pas reçu les grévistes, renvoyant la responsabilité vers Atalian. Pendant deux jours, l’école a fermé, regrettant des « dégradations » commises lors de la mobilisation vendredi 7 mars.

Défendre les salariées, « il faudrait que ce soit au quotidien »

Ce type de mobilisation réussie, « il faudrait que ce soit au quotidien », soulève, en observant le rassemblement devant les grilles de Sciences-Po, Kassim Fatima, technicienne de surface depuis quinze ans ici. Cette femme souriante fait du ménage de 6h-8h30 à Sciences-Po tous les jours ; puis elle enchaîne avec un emploi de serveuse de 9h… À 20h30. « Je suis obligée. Quand tu es, comme moi, une mère de trois enfants, il faut se donner. » Certes en se réveillant tous les jours vers 4 heures, « on a tous les matins envie de démissionner », confie-t-elle en souriant. « Mais ensuite, on y va. Il n’y a pas le choix ».

Le reste de la journée, cette femme déborde d’énergie. Ses collègues la reconnaissent pour son dynamisme à toute épreuve : « elle est tous les jours comme ça ! Elle est très forte », glisse l’une d’elles à son propos. Sans être syndiquée, Kassim Fatima prend la défense de ses collègues tous les jours. Et elle n’a pas la langue dans sa poche. « On a souvent des problèmes de respect du personnel. Y compris avec les chefs d’équipe. Personne ne vous le dira ici, mais les collègues subissent. Et ils n’en parlent pas. »

Elle cite l’exemple de collègues qui n’ont pas eu le remboursement de leur pass Navigo pendant plusieurs mois de suite. « Un détail », dit-elle presque en s’excusant, mais qui n’en est pas un sur la fiche de paie de ses collègues. Elle ne s’est pas laissé faire, et a appuyé les autres dans leurs revendications auprès de leurs propres chefs d’équipe.

Heureusement il y a Souad, la cheffe d’équipe du bâtiment auquel elle est affectée. Une soixantenaire que tout le monde la qualifie d’ « adorable » – Kassim Fatima la première. Souad se tient non loin de là, discrète. 18 ans qu’elle travaille ici. Presque 30 dans le secteur du ménage. « Les salariées doivent faire très vite. Et quand il y a des contrôles de Sciences-Po, ils ne sont jamais contents, on reçoit les pressions, les réclamations… Mais c’est que tout le monde doit faire trop vite », regrette-t-elle, impuissante.

« On doit porter les machines monobrosse dans les escaliers »

À ses côtés, un agent d’entretien qui travaille deux heures et demi par jour, comme bien d’autres, déplore la non prise en compte des risques liés à l’exposition aux produits chimiques. « On met les mains dans les seaux, comme ça. C’est un travail dangereux et on a pas les moyens de protection. C’est un travail esclavagiste », déplore-t-il. Les salariés ont des masques, mais pas de gants fournis, assurent-ils. Souad confirme : « les gens ramènent leurs propres gants. Souvent, je vais acheter des gants d’infirmière en magasin pour en ramener à mon équipe. Je les paie avec mon propre argent. »

Ces aspects du métier ne seront pas modifiés par les mesures obtenues après la négociation du jour. Idem pour les risques liés à la pénibilité, parfois très prégnants. Wendel, chef d’équipe depuis 8 ans dans l’un des locaux, raconte par exemple que les cinq étages qui s’y trouvent sont « sans ascenseur. On doit porter les machines monobrosse dans les escaliers. Souvent, on monte ça à deux », dit-il en haussant les épaules.

Selon la CFDT propreté, qui tenait une conférence de presse en début de semaine, il y a « beaucoup » d’accidents du travail liés à de la « précipitation » dans le travail sous pression, et au port de charges lourdes. Les poubelles, par exemple. Fofana Alimata a 30 ans d’ancienneté ici à Sciences Po. Elle a connu le défilé des prestataires. Âgée d’une soixantaine d’années, son premier réflexe est de nous montrer sur son téléphone les photos des grands sacs poubelles qu’elle doit porter. « Regardez, comptez combien il y en a sur cette photo ! » : cinq grands sacs sont empilés sur un chariot, certains avec du verre.

À ses côtés, une autre femme, l’une des plus anciennes également sur site, raconte une vie dédiée au travail. Un lever à 4h, puis des heures entrecoupées, ici et là dans Paris, jusqu’à 20h30. « Je rentre chez moi à 22h, il faut encore prendre sa douche, manger. La digestion se fait en dormant », dit-elle en riant, avant de confier « en fait, je ne dors que quatre heures par nuit ». Elle a 66 ans.


 

    mise en ligne le 11 mars 2025

« 1,5 milliard de coupes budgétaires »
en plus : l’enseignement supérieur public placé au bord du gouffre

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Unanimes, des enseignants-chercheurs aux étudiants en passant par les parents, la communauté universitaire se rassemble, ce mardi 11 mars, dans la rue, pour dénoncer une situation qui a atteint un point de non-retour.

Que veut faire la France de son enseignement supérieur ? La question doit être posée, aujourd’hui, alors que l’ensemble de la communauté universitaire se donne rendez-vous dans la rue (à Paris, à 12 h 30, place de la Sorbonne) pour dénoncer la menace qui pèse sur les universités, leur personnel, leurs étudiants, leurs diplômes.

Asphyxiés par le sous-financement depuis (au moins) 2007 et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) portée à l’époque par Valérie Pécresse, les établissements d’enseignement supérieur ont atteint les limites ultimes de leurs capacités de résilience. On ne saurait s’y prendre de manière à la fois plus violente et plus efficace pour les conduire vers un projet qui ne serait plus celui de l’université française.

Selon les modes de calcul, les chiffres divergent. Mais ils demeurent impressionnants : selon le Snesup-FSU, principal syndicat des enseignants à l’université, il manque 8 milliards à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) pour « financer les 150 000 places qui manquent pour les étudiants, la transition écologique et la rénovation du bâti, la revalorisation des salaires, l’amélioration des taux d’encadrement avec des enseignants-chercheurs », énumère sa cosecrétaire générale, Anne Roger.

L’équivalent de la fermeture de 7 universités

Selon l’Union étudiante, la loi de finances adoptée le 5 février par 49.3 programme « 1,5 milliard de coupes budgétaires » pour l’enseignement supérieur. Soit, selon le syndicat, l’équivalent de la fermeture des universités de Rennes II, Montpellier-Paul-Valéry, Sorbonne Université, Aix-Marseille, Lyon III, Chambéry et Pau (chère au cœur de François Bayrou).

L’alerte avait déjà été donnée en décembre dernier par les présidents d’université eux-mêmes, au moment où 80 % (60 sur 75) des établissements dont ils ont la charge risquaient de se retrouver en cessation de paiements. Ce qui permet de pointer une des premières perversions du système : « l’autonomie » d’universités dont l’activité demeure, de par la nature des missions qui leur sont confiées, étroitement dépendante des financements publics, consiste essentiellement à se débrouiller avec ce que l’État veut bien leur donner.

Voter une loi de finances qui stagne ou baisse, comme c’est le cas depuis des années, c’est de facto les mettre dans l’impossibilité matérielle d’accueillir tous les étudiants, de financer les rémunérations de leur personnel, de rénover leurs bâtiments qui sombrent parfois dans un état de délabrement indigne au point de rendre impossible leur utilisation. C’est encore les contraindre à fermer l’hiver pour réduire les dépenses énergétiques (surtout avec des bâtiments-passoires), ou à renoncer aux cours à distance qui facilitent l’accès des étudiants salariés à l’université…

Pour faire face, les responsables mettent en œuvre des solutions qui sont en réalité des expédients, sciant la branche sur laquelle est assise l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français (ESR). Certaines universités ont déjà commencé à envisager de supprimer des formations entières : c’est la partie visible de l’iceberg.

D’autres, après avoir accepté l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants hors Union européenne, réfléchissent à le faire pour tous les autres. Plus insidieuse est la suppression de groupes de travaux dirigés, qui permet de mettre autant d’élèves devant moins d’enseignants… au détriment des conditions d’études et de l’attention portée à chacun. Surtout quand, pour les mêmes raisons économiques, les enseignants-chercheurs titulaires sont remplacés par du personnel précaire – dont l’infinité des statuts offre l’embarras du choix.

Dans un tel contexte, « l’affaire du Hcéres » (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ne tombe pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour résumer, les universités voient leurs formations évaluées tous les cinq ans, par roulement, par ce Haut Conseil. Cette année, c’était le tour de la « vague E », c’est-à-dire les établissements d’Île-de-France hors Paris, de Lille, d’Amiens, mais aussi de La Réunion et Mayotte.

Mettre à genoux l’université publique

Résultat (provisoire) de ce travail : selon les cas, entre le quart et la moitié des formations ont reçu un avis défavorable. Lire ces documents, trois pages à peu près pour chaque licence ou master, est… instructif. La qualité de ces formations y est souvent louée, avant une balance points forts/points faibles, des recommandations pour s’améliorer et un avis… le plus souvent défavorable, qui n’hésite pas à contredire tout ce qui a précédé ! Une étrangeté qui conduit certains à s’interroger sur d’éventuelles manipulations du Hcéres.

Mais ce qui frappe surtout, ce sont les reproches qui sont formulés : « taux d’encadrement insuffisant », « manque de lien avec la recherche », « suivi insuffisant du devenir des étudiants », exigence d’« accroître la dimension professionnalisante via des stages », « internationalisation qui peine à décoller », manque de dispositifs de remédiation, etc.

Qui ne verrait le lien entre ces remarques et l’état d’asphyxie financière des universités tel qu’il vient d’être décrit ? A fortiori concernant les universités en question, qui recrutent plus que d’autres des étudiants issus de milieux populaires, parce qu’elles sont implantées dans des territoires défavorisés sur le plan socio-économique – ce qui, par exemple, ne facilite ni les voyages à l’étranger, ni le lien avec le tissu économique quand celui-ci est ravagé…

Autrement dit, on reproche aux universités de subir les conséquences de la politique qu’elles subissent ! Et, accessoirement, de renâcler à rendre leurs étudiants « employables », alors que ce n’est pas leur mission – et qu’on n’hésite pas, « en même temps », à leur reprocher de s’éloigner de la recherche. Il ne s’agit pas d’incohérences : c’est la politique de l’ESR que l’Union européenne a adoptée depuis plusieurs années.

Mettre à genoux l’université publique, c’est ouvrir le marché aux fonds de pension qui se jettent sur le très lucratif « marché » du supérieur privé, avec l’aide de Parcoursup… et les conséquences catastrophiques pour les étudiants qu’on ne parvient plus à masquer. Et peu importe que les étudiants eux-mêmes vivent aujourd’hui dans des conditions indignes, ou que la recherche française s’effondre. L’enjeu dépasse largement, on le voit, la communauté universitaire qui s’unit aujourd’hui pour résister à ces orientations mortifères.


 


 

Anne Roger (SNESUP-FSU) : « L’austérité, ce sont les étudiants qui en font les frais »

Olivier Chartrain sur www.humanite.fr

Selon Anne Roger, secrétaire générale du Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU), derrière l’asphyxie budgétaire et les injonctions pédagogiques, un changement de modèle de l’université française se dessine… et une menace sur la recherche elle-même.


 

Les universités françaises sont-elles au bord du précipice ?

Anne Roger : En deux ans, depuis la loi de finances 2024, nous avons perdu plus d’un milliard d’euros de financements. À la fin de l’année 2024, avant la mise en œuvre de plans de retour à l’équilibre financier – qui n’ont pas été sans conséquences – 80 % des universités affichaient un budget déficitaire. 30 établissements (sur 75) ont aujourd’hui une capacité d’autofinancement égale à zéro : il n’y en avait aucun en 2021.

Ces quelques chiffres valent mieux que tous les discours. Une partie de notre problème vient du fait que cela ne se voit pas, parce qu’on trouve toujours des solutions pour maintenir le navire à flot : il y a toujours des cours, des diplômes délivrés… Mais c’est au prix de groupes de TD supprimés en surchargeant ceux qui restent, de l’arrêt du renouvellement des fonds documentaires des bibliothèques universitaires qui deviennent peu à peu obsolètes, du remplacement des départs en retraite par des enseignants précaires eux-mêmes surchargés de cours… Et ce sont les étudiants qui en font les frais.

Quelles peuvent être les conséquences concrètes des évaluations très négatives que le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) vient de livrer sur de nombreuses formations ?

Anne Roger : Cela peut aller jusqu’à la fermeture des formations, si les universités concernées le décident. Le ministère peut aussi le leur demander. Il faut mesurer ce que cela signifie : sur toute la « vague E », cela pourrait concerner jusqu’à 60 000 étudiants ! Autre effet : ces évaluations sont publiques, puisque mises en ligne sur le site du Hcéres. Loin de les aider, l’impact sur l’image de ces licences ou masters serait très négatif. Un cercle vicieux, puisque cela ne manquerait pas d’aggraver le manque d’attractivité… qui est un des reproches formulés par le Hcéres à leur encontre.

Enfin il existe un autre risque, plus insidieux : les recommandations formulées par ces évaluations reviennent à imposer certaines orientations pédagogiques. Par exemple, le reproche récurrent sur l’insuffisance de l’approche par compétences peut devenir une injonction à transformer les formations, les modèles pédagogiques, vers plus de professionnalisation – avec le risque d’un appauvrissement de contenus en termes de savoirs et de connaissances. Sur ce sujet, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de l’éducation donne mission aux universités de former des citoyens, de développer leur sens critique, de lutter contre les discriminations… Peut-être certains devraient-ils le relire ?

Tout cela ne risque-t-il pas de faire le jeu du supérieur privé ?

Anne Roger : Aujourd’hui déjà, un quart des étudiants sont dans le privé. En affaiblissant les universités, on crée des niches favorables au privé, qui est sur le rythme d’un développement tranquille mais sûr. Pourtant, et l’actualité récente vient de le confirmer, s’il existe des établissements privés de qualité, on voit surtout se développer des lieux où on bourre les cours pour obtenir plus de financements, avec des formations dégradées, des enseignements très peu adossés à la recherche… et des publicités mensongères. Sur les salons étudiants, on en voit qui vendent surtout leurs séminaires d’intégration et les voyages à l’étranger !

Pensez-vous que la mobilisation d’aujourd’hui vous permettra d’être entendus ?

Anne Roger : Oui, même s’il n’y aura pas forcément d’effets immédiats. Nous voulons surtout que nos collègues – qui sont épuisés, qui se questionnent eux, mais pas le système –, en voyant cette large mobilisation, très unitaire, sortent la tête du sable et osent dire que ça ne va plus. Nous avons besoin de nous appuyer sur notre force collective, d’autant plus à l’heure où les attaques contre la science et les chercheurs ne se limitent pas aux frontières des États-Unis. Nous le savons puisque nous avons déjà eu, ici, notre lot de procès en « islamogauchisme », en « wokisme », voire en antisémitisme.


 

    mise en ligne le 10 mars 2025

L’indécente stigmatisation des retraités en France

Gérard Le Puill sur www.humanite.fr

Nous approchons de la journée d’action du 20 mars qui sera conduite dans toute la France par le « groupe des neuf » syndicats et associations de retraités pour regagner la perte de pouvoir d’achat de ces dernières années. Ils ont cotisé pour cela. Mais leurs droits sont contestés par des décideurs politiques et des commentateurs qui, parallèlement, préconisent des dépenses sans limites dans les armes de guerre.

Nous sommes à 9 jours de la journée de rassemblements et de manifestations organisées le 20 mars par 9 organisations syndicales et associations de retraités en France pour la revalorisation des pensions. Avant , comme après la mise en place du gouvernement Bayrou, économistes libéraux et journalistes de même tendance ont plaidé sans répit pour faire baisser les pensions de retraite des 17 millions d’hommes et de femmes qui ont cotisé durant leur vie active pour acquérir leurs droits. Ces pensions ne représentent pourtant que 13,5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de la France pour 25% de la population française.

Ces mêmes commentateurs occultent le fait qu’en janvier 2023, 3.382.500 personnes était inscrites à Pôle emploi en catégorie A, sans une seule heure de travail dans le mois. S’y ajoutaient 2.346.000 personnes en catégories B et C avec seulement quelques heures de travail précaire dans le mois. Beaucoup de ces personnes seraient au travail si les patrons des grandes firmes n’avaient pas fait perdre 2 millions d’emplois à notre industrie en délocalisant une grande partie de leur production industrielle dans des pays à bas coûts de main d’œuvre pour augmenter leurs profits. Nous voyons aussi que les enseignes de la grande distribution font croître les importations de produits alimentaires dans le seul but de faire baisser les prix payés aux paysans en France, ce qui réduit aussi les emplois dans notre industrie agroalimentaire .

72, 8 milliards d’euros de dividendes versés par 40 entreprises

En 2024, plus de 98 milliards d’euros de dividendes ont été versés aux actionnaires par les plus grosses entreprises françaises.  Les sommes versées par celles du CAC 40 atteignaient 72,8 milliards d’euros, en augmentation de 8,5% par rapport à 2023. TotalEnergies avait octroyé 14,5 milliards d’euros. Fin 2024, on apprenait que 300.000 emplois risquaient d’être supprimés en ce début d’année 2025 sur plusieurs sites industriels en France, souvent pour cause de nouvelles délocalisations vers des pays à bas coûts de main d’œuvre.

L’an dernier, parallèlement, la Banque de France enregistrait une hausse de 10,8% des dossiers de surendettement par rapport à l’année 2023, qui accusait déjà une augmentation de 8% sur 2022. Mais, dans «l’Express» daté du 13 février, un dénommé Bertrand Martinot, présenté comme un économiste, proposait de « désindexer pendant plusieurs années les pensions. Une année de gel des pensions, c’est rendre entre 4 et 4,5 milliards d’’euros d’économies », ajoutait-il. D’autres commentateurs désignent comme des privilégiés les retraités qui ont fini de payer leur logement alors qu’ils ont fait des sacrifices durant leur vie de travail pour rembourser leur emprunt. Les mêmes commentateurs sont farouchement opposés au rétablissement de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF).
Les chiffres publiés plus haut montrent que les déficits des systèmes de retraite par répartition sont surtout sont imputables à la course aux profits les plus élevés possibles par les banques et les grandes firmes privées. Les retraités et retraitées qui ont cotisé durant leur vie de travail pour acquérir des droits à pension ne doivent pas payer ces additions.

Une pension nette moyenne juste au dessus du SMIC

Selon le rapport de la Cour des comptes rendu en février au gouvernement, la pension nette moyenne des personnes en retraite serait de 1.512€ par mois. C’est juste au dessus du SMIC à 1.426,30€ depuis novembre 2024. Mais l’Union Confédérale des retraités CGT rappelle que 60% des retraités et retraitées perçoivent une pension nette mensuelle inférieure au SMIC ; 31%, dont 74% de femmes, perçoivent moins de 1.000€ nets par mois et 11% de ménages de retraités vivent en situation de  pauvreté et de misère avec une pension moyenne de 790€ par mois. Du coup, 700.000 personnes en retraite n’ont pas de complémentaire santé ou de mutuelle et 1,6 million de personnes en retraite ne se soignent plus ou peu.

Comme d’autres avant lui, le gouvernement Bayrou veut faire remonter l’âge de départ en retraite à 64 ou 65 ans et désindexer la revalorisation des pensions de la hausse moyenne des prix. Mais selon un sondage ELABE réalisé le 21 février, 65% des Français sont opposés au report de l’âge légal de départ à la retraite et 90% des retraités sont opposés à la sous indexation des pensions par rapport à l’inflation. Ces exigences sont en phase avec celle de l’UCR-CGT pour « l’augmentation immédiate de 10% de toutes les pensions et de 300 euros du minimum contributif ».


 

Les rassemblements et les manifestations du 20 mars, premier jour du printemps 2025, doivent montrer que les retraités et retraitées n’entendent pas se laisser faire. Les neuf organisations syndicales et associations que sont l’UCR-CGT, la FSU, Solidaires Retraités, la CFE-CGC, la CFTC, la FRG-FP, La LSR, Ensemble -Solidaires et l’UNRPA ont donc de bonne raison de continuer le combat. En attendant cette date chaque retraité et retraitée pourra dialoguer avec d’autres retraités afin de les motiver pour participer à cette journée d’action.


 

     mise en ligne le 9 mars 2025

« Nous voulons seulement de quoi vivre » : les femmes de chambre du Campanile et Première Classe de Suresnes en grève depuis six mois ne lâchent rien

Léa Darnay sur www.humanite.fr

Quatre ans après la mobilisation historique à l’Ibis Batignolles, le mouvement des femmes de chambre des hôtels Campanile et Première Classe de Suresnes est en train de faire date. En grève depuis six mois, ces travailleuses à temps partiel ont obtenu des CDI. Infatigables, elles continuent la lutte.

Six mois que les drapeaux CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques) flottent devant les hôtels Campanile et Première Classe de Suresnes (Hauts-de-Seine), filiales du Louvre Hotels Group. Depuis le 19 août 2024, seize employés, pour la plupart des femmes de chambre, sont en grève.

Ce 5 mars, assises sur des chaises de camping au soleil, gilets rouges sur le dos et caisses de grève dans les mains, ces femmes n’ont rien perdu de leur combativité du début. Au contraire : « Ils pensaient qu’on allait abandonner, mais on est toujours là ! » s’exclame une lingère gréviste, en poste depuis onze ans dans le groupe.

Les dernières nouvelles donnent raison à leur lutte. Après des mois de négociations face à une direction « apathique », se désole Kandé Tounkara, représentante syndicale CGT, un premier succès a été enregistré : la promesse de passer tous les contrats en temps partiel en CDI à temps complet.

Mais « tant que l’accord n’est pas signé, on reste sur nos gardes », modère la cégétiste. « La plupart habitaient loin et devaient conjuguer leur vie de famille avec deux emplois mal rémunérés, c’était indigne ! » poursuit la déléguée syndicale. Parfois, seules dix minutes de temps de travail manquaient sur les contrats pour passer en temps complet, « mais cela n’empêchait pas qu’elles fassent des heures supplémentaires ! » dénonce Aboudou Djanfar, élu CGT au CSE.

Une salariée bloquée au Mali et licenciée dans la foulée

L’élément déclencheur de la grève, en août 2024, fut le licenciement de Magassa Sakho. L’employée, femme de chambre depuis onze ans au Campanile, avait posé ses jours de congé jusqu’au 28 mai pour aller voir sa famille au Mali. À la suite de la perte de ses papiers, elle se retrouve bloquée, obligée d’entamer une déclaration de perte à la préfecture du Mali dont les relations dégradées avec la France freinent une procédure déjà longue.

Ses supérieurs, pourtant informés de sa situation, envoient des courriers à son domicile francilien avant de la convoquer le 12 août pour un licenciement pour « une absence injustifiée de plus de deux mois », précise à l’Humanité la direction du groupe. De retour en France trois jours plus tard, elle reprend le travail un dimanche, sans être avertie de la procédure à son encontre. Le lendemain, la direction fait intervenir la police pour mettre Magassa à la porte. « C’est scandaleux, ils ont appelé les forces de l’ordre comme si elle était un voyou », réagit Aboudou Djanfar.

Une humiliation de trop pour les employés qui dénoncent depuis deux ans des procédures ciblées et répétées à l’encontre du personnel le plus ancien dans la société. « Les méthodes deviennent insupportables, dénonce l’élu CGT. Ils cherchent toutes les excuses pour limoger les anciens parce qu’on leur coûte trop cher. »

Depuis quelques années, Louvre Hotels fait appel à des équipiers polyvalents qui doivent se charger de la réception, de l’entretien des chambres, de la cafétéria. Une multiplication des tâches qui ne s’appliquent pas aux salariés arrivés dans l’entreprise avant l’adoption de ces nouveaux contrats polyvalents. « Un problème qu’ils tentent de résoudre en virant les anciens », croit savoir le représentant syndical.

« On ne demande pas leurs dividendes »

Depuis que le nouveau PDG du groupe est arrivé en 2023, tout est prétexte à faire des économies, dénoncent les grévistes. La compagnie, deuxième groupe hôtelier européen avec plus de 1 700 établissements, ambitionne d‘atteindre le top 3 mondial. « Ils ne remplacent plus les départs ni les congés maternité, commente Aboudou Djanfar. On est passé de 78 à 68 employés. La pression au travail s’intensifie. Mais il n’y a aucune reconnaissance. »

Actuellement, les femmes de chambre ne sont plus que 18 pour nettoyer les 300 chambres des deux hôtels. « On était 24 il y a encore quelques mois, affirme Kandé Tounkara. Pendant les jeux Olympiques, des collègues se sont retrouvées à deux pour faire 40 chambres, les conditions étaient très difficiles ! »

Malgré un emploi précaire et la pénibilité du travail, les professionnelles ont répondu à l’appel pour assurer leurs tâches lors de l’événement mondial. Seulement, la direction refuse toute augmentation de salaire et « estime que la prime de valeur partagée de 800 euros pour les temps pleins suffit », déplore la représentante syndicale.

Les rémunérations n’évoluent donc que très rarement. « Je gagne 1 565 euros environ sans les primes, alors que je suis là depuis douze ans, intervient une gréviste, mère de famille. Au siège, ils se sont partagés combien grâce aux JO ? se questionne la déléguée syndicale. On ne demande pas leurs dividendes. Juste 2 % ou 3 % d’augmentation et une prime de pouvoir d’achat, mais il est impossible de négocier, la direction est fermée. Nous voulons seulement de quoi vivre ! »

La direction précise auprès de l’Humanité « avoir mis en place des minima salariaux en fonction de l’ancienneté ces deux dernières années, lesquelles ont permis d’absorber l’inflation 2024 ». Elle souligne aussi qu’une prime JO de 900 euros a été versée en septembre 2024, « venant s’ajouter à une prime de partage de la valeur de 800 euros versée en janvier 2024 (…). Cela porte ainsi le montant de la prime globale au titre de 2024 à 1 700 euros ».

Au rythme du slogan « So, so, solidarité avec les femmes de Campanile » et encouragées par des passantes, les femmes de chambre ne baissent pas les bras. Malgré l’interdiction par la mairie de tout rassemblement ou manifestation demandés depuis le début du conflit, les employées s’installent devant l’hôtel Première Classe. « La police va venir, c’est certain », affirme Kandé Tounkara, avec habitude et détachement. « À quel titre nous refusent-ils de nous rassembler ? c’est un droit », s’exclament les femmes en lutte.

Si la direction pointe du doigt une « grève minoritaire » qui n’affecte pas son activité, les grévistes sont claires : « On souffre, mais notre mouvement de grève est légitime ! affirme avec conviction une employée. On le fait pour toutes les futures collègues qui nous remplaceront ! » Le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, sera présente au côté des grévistes devant l’hôtel Première Classe, à l’occasion de la grève féministe.


 

    mise en ligne le 8 mars 2025

Cinq agressions d'extrême droite
en dix jours et un silence assourdissant

Thierry Vincent sur https://www.blast-info.fr/

Entre le 16 et le 26 février, pas moins de cinq attaques ont été menées par des activistes néofascistes : quatre agressions physiques - dont deux auraient pu être mortelles - et un incendie criminel contre une mosquée. Dans l'indifférence quasi générale des médias et du pouvoir, dont la réaction a été plus que discrète. Blast revient sur ces dix jours où l'extrême droite n'a jamais semblé aussi sûre d'elle-même et de son impunité.

16 février 2025, fin d'après-midi à Paris

A priori, aller assister à une projection du film Z de Costa Gavras, un classique du cinéma politique français, par un dimanche après-midi hivernal ensoleillé, en plein centre de Paris, est une activité sans risque. Même si l'événement est placé sous le signe de l'antifascisme par son organisateur, l'association turque et kurde de gauche Young Struggle.

Et pourtant, le film a commencé depuis une trentaine de minutes quand 25 à 30 personnes cagoulées forcent l'entrée de l'immeuble. Dans la cour intérieure qui mène à la salle de projection, un jeune militant de la CGT est projeté au sol, roué de coups et blessé à l'arme manche dans le dos.

Paul, le militant CGT, est transporté en urgence à l'hôpital, mais aucun organe vital, n’a été touché et il ressort le lendemain avec des blessures sans gravité. Blast a recueilli son témoignage.

Après l'agression, les assaillants s'enfuient dans la rue en rigolant comme des gamins ayant réussi leur coup. L'un hurle : « Paris est nazi ! » Un autre réplique : « Lyon aussi est nazi ! »

Six individus, dont certains très jeunes - l'un est né en 2007 -, sont interpellés et placés en garde à vue. L'un d'entre eux, déjà connu des services de police, est placé en détention provisoire, les autres sont libérés sous contrôle judiciaire. Tous appartiennent à l'ultradroite.

Sur place, des autocollants « Kob veille », un nom qui fait référence aux anciens holligans d'extrême droite du Kop Boulogne à Paris, considéré comme un faux-nez du Groupe union défense (GUD, groupe d'extrême droite violent), ont été retrouvés.

Signe que le Parquet prend l'affaire très au sérieux, le Procureur de la République a immédiatement ouvert une enquête pour « tentative d'homicide volontaire ». Une fermeté qui tranche avec la désinvolture du pouvoir : ni le ministre de la Justice Gérald Darmanin, ni celui de l'Intérieur, Bruno Retailleau, ni aucun membre du gouvernement n'ont officiellement réagi à cette agression qui aurait pu très mal finir.

Nuit du 18 au 19 février à Bordeaux

En marge du blocage de Science Po Bordeaux, des étudiants sont rassemblés sur le campus universitaire de Pessac pour protester contre des coupes budgétaires.

Lucas (prénom d'emprunt), jeune militant de LFI de 25 ans, est venu en soutien. « Vers minuit, je m’écarte du groupe, témoigne-t-il dans le journal Sud Ouest. Deux hommes cagoulés me suivent. Il y a aussi des militants de chez nous qui se cachent le visage, mais là, c’étaient vraiment des cagoules. » Il tombe alors sur deux voitures à l’arrêt, moteur tournant. « Il y a une ou deux personnes dedans, qui me regardent lourdement, poursuit-il. Je suis rattrapé par les mecs de derrière. On me demande : “T’es antifa ?“» Il est projeté au sol et roué de coups de poing et de pied sur tout le corps. Lucas, qui est finalement parvenu à s'enfuir, dénombre au moins cinq agresseurs, dont un « portait une bombe lacrymogène» , et un autre qui filmait le tabassage avec un téléphone portable. Clémence Guetté, députée LFI de Gironde, a mis en cause le groupuscule néofasciste local La Bastide bordelaise, qui a pris la suite de Bordeaux nationaliste, organisation dissoute en février 2023 suite à de nombreuses violences. Lucas a porté plainte le 22 février.

19 février à Angers

Cinq néonazis sont interpellés pour une agression commise la nuit du 18 au 19 janvier dans le centre-ville d'Angers. Ils avaient apostrophé quatre étudiants, leur demandant s'ils étaient de gauche, puis avaient tenté de les forcer à faire un salut nazi. Face au refus de ces derniers, les agresseurs les avaient violemment passés à tabac.

22 février, près de Rennes

La scène se déroule à Cintré, près de Rennes, où Anton Burel, 31 ans, militant indépendantiste de gauche, est conseiller municipal. Il a passé la soirée avec des amis dans un bar de la commune. Vers 23 heures, l'établissement ferme. Selon sa version, rapportée par Libération, alors que les clients sont dehors, un groupe de six personnes,, « extérieures à la commune », précise-t-il, lance des slogans d’extrême droite comme « la France aux Français » et fait même des saluts nazis.

« Je me suis approché de celui qui avait fait le salut hitlérien et je lui ai dit que ce genre de geste et leurs propos n’étaient absolument pas admissibles», raconte Anton Burel. « L’un d’eux m’a répondu “on est chez nous” et il m’a tout de suite frappé. J’ai alors pris un coup de poing dans l’œil et un autre à la mâchoire. Je suis tombé à la renverse. Ma tête a cogné sur le trottoir et j’ai perdu connaissance. » Inconscient, il est à nouveau frappé au sol. Les agresseurs prennent alors la fuite. Anton Burel est emmené à l'hôpital où il passera la nuit. Le 25 février, il dépose plainte. Le 3 mars, le procureur de Rennes, Frédéric Teillet, met en doute la version de l'élu, affirmant que s'il y a bien eu bagarre, « les témoignages recueillis par les gendarmes ne permettent pas de confirmer de chants racistes et de saluts nazis » et précisant que les investigations se poursuivent. Anton Burel maintient néanmoins sa version, et Libération affirme avoir recueilli deux témoignages de personnes souhaitant rester anonymes qui confirment ses dires. Le gouvernement n'a envoyé aucun message de soutien public à l'élu.

Nuit du 25 au 26 février, à Jargeau (Loiret)

L'incendie qui s'est déclenché dans la nuit a totalement ravagé la petite mosquée de Jargeau, près d'Orléans. Trois jours avant le début du ramadan, l'émotion est immense au sein de la communauté musulmane, dans l'incompréhension du silence médiatique autour de cette affaire. D'autant que la mosquée avait déjà subi des menaces et que des graffitis injurieux y avaient été inscrits. Bruno Retailleau, le ministre de l'Intérieur, se fend d'une publication sur X : « Une enquête est en cours pour en déterminer le causes. Je tiens à exprimer mon soutien aux musulmans de Jargeau. ».

Et l'enquête progresse vite : la procureure d'Orléans, Emmanuelle Bochenek-Puren, déclare le 28 février que « les analyses des prélèvements effectués sur les lieux [...] confirment l'hypothèse d'un acte criminel ».

Une enquête est ouverte pour le crime de « destruction par un moyen dangereux pour les personnes commise en raison de la religion et pour provocation publique à la haine et à la discrimination raciale ». Mais l'annonce du Parquet ne provoque ni émotion particulière des médias et du pouvoir, ni aucune nouvelle réaction du gouvernement, maintenant que le motif raciste est privilégié.

26 février, à Montmorency (95)

Damien (prénom d'emprunt) se promène parfois avec un sweatshirt portant l'inscription « antifa » sur le côté de sa capuche. Une habitude qui apparemment devient dangereuse par les temps qui courent.

Vers 20 heures, il prend le train gare du Nord, à Paris, pour se rendre chez un ami à Montmorency. « C'est alors que je croise cinq hommes, crânes rasés portant des pokos Fred Perry liserés bleu blanc rouge, raconte-t-il à Blast. Nous nous dévisageons mutuellement et je pense qu'ils remarquent l'inscription « antifa » sur ma capuche. Mais je ne suis pas plus inquiet que ça, c'est l'heure de pointe, il y a du monde, je monte dans un autre wagon et je passe à autre chose. » Une quinzaine de minutes plus tard, arrivé à destination, il prend le chemin du domicile de son ami. Légèrement handicapé, il se déplace à l'aide d'une canne. « Je ne pense plus à cette histoire, dit-il, et je suis tranquille, écouteurs sur les oreilles, à écouter de la musique. Je ne suis pas particulièrement sur mes gardes à vérifier si je suis suivi. Mais quelques rues plus loin, ils me tombent et me poussent au sol, puis me frappent violemment, puis s’enfuient avec ma canne. J'ai rejoint le domicile de mon ami qui a prévenu le secours. » Damien reconnaît qu'il n'a pas eu le temps de voir ses agresseurs ni de les entendre parler - il avait son casque sur les oreilles -, mais il est persuadé que ce sont bien les skinheads d’extrême droite qui l'ont tabassé : « On ne m'a rien pris sauf ma canne, il n'y avait aucun motif crapuleux, c'est la seule explication. »

À l'hôpital, un scanner révèle une hémorragie cérébrale qui nécessite de le garder en observation plusieurs jours. Des photos et certificats médicaux attestent de la gravité de ses blessures. Il sort finalement de l'hôpital le 28 février après un deuxième scanner qui montre que l’hémorragie est résorbée. Encore un peu éprouvé et ayant besoin de repos, il nous affirme qu'il va déposer plainte dans les jours qui viennent pour cette agression qu'il considère comme une tentative de meurtre.

Bilan de ces sombres dix jours : 5 exactions graves commises par l'extrême droite, dont deux considérées comme criminelles par le Parquet et une qui, une fois signalée, pourrait l'être aussi.

Plus encore que cette recrudescence des violences d'extrême droite, c'est l'absence de réactions fortes du pouvoir et de la société dans son ensemble qui inquiète. Vite rangés dans la catégories « faits divers », ces incidents graves font au mieux quelques entrefilets dans la presse et presque rien dans les journaux télévisés. Quant au gouvernement, l'absence d'une parole forte de ministres aussi habitués aux coups d'éclat médiatiques que Bruno Retailleau ou Gérald Damanin en dit long sur la désinvolture du pouvoir face à la montée de groupes fascistes de plus en plus sûrs d'eux.


 

    mise en ligne le 7 mars 2025

Stand up for Science : des manifestations pour défendre la science le 7 mars

Par Josué Toubin-Perre sur https://www.natura-sciences.com/

Le mouvement Stand up for science s’inscrit en soutien aux scientifiques des États-Unis attaqués par l’administration Trump. Il espère faire revivre les Marches pour la science qui avaient mobilisé plus d’un million de personnes en 2017. Des événements s’organisent dans plusieurs villes de France.

Depuis plus d’un mois, le milieu universitaire des États-Unis subit un assaut frontal. Dès son installation dans le bureau ovale le 20 janvier, le président Donald Trump, ouvertement climatodénialiste, a multiplié les décrets pour rendre la science moins « woke », et moins écologique. 

Ces décrets coupent les subventions. Ils demandent à supprimer des mots comme « climat », « femme » ou « systémiques » des projets de recherche pour obtenir des financements. Lundi 24 février, la scientifique en chef de la Nasa Katherine Calvin, conseillère principale de l’agence en matière de climat, n’a pas pu assister à une réunion du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec).

Un mouvement mondial pour sortir de la sidération

Le mouvement Stand up for science est né pour mettre fin à cette terreur. Il invite les scientifiques et toute personne attachée à la science comme « bien commun » à manifester ce vendredi 7 mars dans le monde entier. « Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ce n’est pas acquis que nous puissions faire nos recherches de manière libre et autonome, et nous devons sans cesse revendiquer ce droit », rappelle Olivier Berné, astrophysicien au CNRS. 

Avec Emmanuelle Perez-Tisserant, historienne spécialiste de l’Amérique du Nord à l’université de Toulouse, et Patrick Lemaire, biologiste cellulaire au CNRS, ils sont à l’initiative de la branche française du mouvement Stand up for science. Plus de 2.000 personnes on fait savoir qu’ils participeraient au mouvement sur leur site.

Le mouvement se veut solidaire avec les scientifiques outre-atlantique et souhaite créer des mobilisations diverses. « Je suis en contact très régulier avec des chercheurs États-uniens, car je travaille avec des données du télescope James Webb », avance Olivier Berné. C’est sans commune mesure avec le premier mandat de Donald Trump en 2017. Même au sein de la Nasa, les gens ont peur de perdre leur poste s’ils parlent. Alors que pour moi, les États-Unis c’est le pays de la science. Il y a un retournement d’une gravité qu’il faut mesurer.« 

Des attaques y compris en France

Les scientifiques français veulent en profiter également pour se défendre vis-à-vis d’attaques sur leur propre travail. Le CNRS est particulièrement visé ces dernières années par des médias de droite et d’extrême droite. Causeur titrait ainsi explicitement le 21 février 2025 Et si on supprimait le CNRS ? Le Figaro est également coutumier des articles et tribunes remettant en cause l’utilité de l’institution, accusée d’avoir été créée par le Front populaire et d’être un « paradis des sciences molles » qui « coûte cher ».

Olivier Berné s’insurge contre ces prises de position. « Ils trouvent que les sciences sociales ne servent à rien, et ne veulent que des sciences dures qui elles peuvent être au moins utiles à l’économie. La science doit pourtant servir à comprendre le monde qui nous entoure, c’est un langage commun qui nous permet de nous mettre d’accord sur des faits pour vivre en démocratie », plaide-t-il. L’astrophysicien espère également pouvoir se battre le 7 mars pour la transmission du savoir, face à une université qu’il juge attaquée par les coupes budgétaires.

Les étudiants en fer de lance

Stand up for science s’est lancé aux Etats-Unis, à l’initiative d’étudiants et étudiantes et de jeunes scientifiques. Sur Bluesky, réseau social où beaucoup de scientifiques ont migré suite à la prise de contrôle d’X par Elon Musk, leur compte affiche plus de 16 000 abonnés. Leur but : faire revivre les Marches pour la science qui avaient eu lieu lors du premier mandat de Donald Trump.

En avril 2017, des rassemblements s’étaient ainsi tenu dans plus de 500 villes du monde, rassemblant plus d’un million de personnes selon le journal Le Monde. L’élément déclencheur de ces manifestations était le gel des financements de l’Agence de protection de l’environnement américaine pour la recherche scientifique et la nomination au sommet de l’institution de Scott Pruitt, climato-dénialiste notoire. L’événement s’était reproduit en 2018 et 2019 dans un peu plus de 150 villes.


 


 

Les scientifiques debout
contre l’obscurantisme,
aux États-Unis comme en France

Par Vincent Lucchese sur https://reporterre.net/

En réaction aux attaques de Donald Trump contre la science, des chercheurs du monde entier manifestent le 7 mars. Un mouvement d’ampleur pour bâtir une science loin des « régimes totalitaires ».

Les scientifiques contre-attaquent. Vendredi 7 mars, une marche pour défendre la science est organisée à Washington et dans des dizaines de villes aux États-Unis, par le mouvement Stand Up for Science (Debout pour les sciences). Celle-ci est relayée dans de nombreux pays, dont la France.

L’initiative est une réaction directe à la brutale offensive contre la recherche lancée par l’administration Trump depuis le 20 janvier et son investiture à la présidence des États-Unis. Coupes budgétaires et licenciements massifs dans les institutions et laboratoires de recherche, suppression de données scientifiques, censure et filtre idéologique des financements… La violence de l’attaque a pris de court la communauté des chercheurs.

« Il y a eu un moment de sidération aux États-Unis, témoigne Olivier Berné, astrophysicien au CNRS et co-initiateur de la mobilisation Debout pour les sciences en France. Mes collègues là-bas n’osent plus s’exprimer, ils ont peur, ils ne s’attendaient pas à être attaqués à ce point-là. »

Nommer la menace totalitaire

Les multiples mobilisations prévues le 7 mars doivent permettre de dépasser ce marasme. « Des chercheurs s’organisent au niveau fédéral et à l’international, de manière spontanée et populaire. Ce mouvement est le premier et le seul grand mouvement de contestation aujourd’hui aux États-Unis », dit Olivier Berné.

Le premier objectif est de mettre des mots sur le basculement en cours. « Obscurantisme », « mise en application littérale et affolante de la dystopie orwellienne », « attaques d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale », disent les divers textes de collectifs de scientifiques.

« C’est du négationnisme scientifique d’extrême droite »

« On vit un moment illibéral, avec des méthodes faisant penser à des régimes totalitaires. Même si l’on n’a pas envie de sortir ce mot tout de suite, il faut attendre de voir la réaction des contre-pouvoirs, des États fédérés, de la justice, des mobilisations dans la rue », commente Emmanuelle Perez Tisserant, historienne spécialiste des États-Unis, également initiatrice de la mobilisation en France. Et d’ajouter : « Mais lorsque Trump menace de couper les financements aux universités qui autoriseraient des manifestations, cela fait clairement penser à de l’autoritarisme, voire du fascisme. »

Toutes les sciences ne sont pas logées à la même enseigne : les sciences sociales, les travaux sur les discriminations ou le genre notamment, et les sciences de l’environnement, climat et biodiversité en tête, sont les cibles privilégiées.

« Ils cherchent à museler ou supprimer les sciences les plus critiques : celles qui alertent sur les inégalités sociales ou l’urgence écologique, et montrent qu’un changement radical de société est nécessaire », dit Odin Marc, chercheur en sciences de la Terre au CNRS, membre de Scientifiques en rébellion et du collectif scientifique toulousain Atécopol, les deux organisations soutenant la mobilisation. Il l’affirme : « C’est du négationnisme scientifique d’extrême droite et une dynamique de criminalisation des lanceurs d’alerte, scientifiques et au-delà. »

L’Europe sur la même pente glissante

L’appel aux chercheurs et aux citoyens à descendre massivement dans la rue vise aussi à alerter sur l’ampleur des conséquences de ces attaques contre la recherche, et à leurs répercussions mondiales. Sur le climat, par exemple, les études et les données étasuniennes sont cruciales pour la recherche mondiale, via notamment les observations de la Nasa ou le travail de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

Or, cette dernière vient d’être victime d’une vague de licenciements massifs, tandis que Katherine Calvin, scientifique en chef de la Nasa, a été interdite de participer à une réunion du Giec, dont elle est coprésidente d’un groupe de travail.

« Les données produites par les États-Unis sont étudiées dans le monde entier. Leur suppression ou restriction d’accès serait catastrophique. Cela montre notre très forte dépendance aux États-Unis et le besoin de repenser une forme d’autosuffisance dans la production des savoirs en Europe », dit Olivier Berné.

Ce qui suppose, a fortiori, que l’Europe ne suive pas le chemin des États-Unis. C’est l’autre signal d’alarme lancé par les chercheurs : « Ce qui se joue aujourd’hui aux États-Unis pourrait bien préfigurer ce qui nous attend si nous ne réagissons pas à temps », écrivent des scientifiques dans une tribune au Monde, qui appellent à rejoindre la mobilisation du 7 mars.

Les attaques frontales contre la science, et celles politiques et médiatiques, se multiplient aussi chez nous, en reprenant la rhétorique trumpiste : face à une crise, casser le thermomètre (ou les scientifiques) plutôt que de remettre en cause le modèle dominant. En France, sur l’écologie, le gouvernement comme l’extrême droite s’en sont pris brutalement ces derniers mois aux institutions scientifiques ou aux agences relayant les messages de la recherche.

Une mécanique délétère qui s’en prend à toute tentative de discours divergeant. « On le voit encore avec la décision de justice d’annulation du chantier de l’A69 [entre Toulouse et Castres]. Plusieurs journalistes ou élus s’en sont pris aux juges ou à la rapporteuse publique avec la même stratégie que Trump : décrédibiliser toute parole qui n’est pas la leur, quitte à inonder le débat de contre-vérités », souligne Odin Marc.

Bâtir une science ni fasciste ni capitaliste

La menace est aussi plus insidieuse. Elle passe par les politiques de destruction des moyens publics de la recherche depuis des décennies. « On sous-finance depuis vingt ans l’université. Des postes disparaissent chaque année au CNRS et il y a de moins en moins de financements par étudiant. Ce désengagement de l’État de la production de connaissances, c’est l’autre versant de cette pente glissante dans laquelle nous sommes engagés », prévient Olivier Berné.

Le collectif Scientifiques en rébellion dénonce également la multiplication des partenariats public-privé, les financements par projet au cas par cas, l’application d’une politique sélective « darwinienne » dans la recherche selon les performances des équipes, qui privilégie les gros projets et une science utilitariste, au service de l’industrie. En 2024, un rapport publié par un groupe de chercheurs alertait sur l’emprise croissante des intérêts privés sur la recherche publique en France. L’époque étant aux cures d’austérité drastiques, cette dynamique pourrait encore s’accélérer.

« Réclamer la liberté académique n’a pas de sens si on ne lui donne pas de budget. Sinon, la recherche est obligée de se lier à des intérêts privés. Il faut protéger la science du politique, en sécurisant son budget et en inventant des mécanismes pour qu’elle soit davantage en phase avec les besoins de la société », plaide Odin Marc.

Conventions citoyennes, forums citoyens et autres modalités d’interaction font partie des pistes avancées par Scientifiques en rébellion pour associer la société civile aux orientations de la recherche. « Protéger la science passe aussi pour nous par une critique de ses dérives actuelles. Il faut un vrai renouveau des relations entre science et société, pour que la production de connaissances soit vraiment au service de la démocratie et des nécessaires transitions écologique et sociétale », dit le chercheur.

Ce lien avec les citoyens est d’autant plus urgent à consolider face à la vague trumpiste. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’un certain nombre de nos concitoyens ne conçoivent pas les libertés académiques comme un bien à défendre, relève Emmanuelle Perez Tisserant. Un discours populiste qui gagne du terrain considère la recherche publique comme un repère de privilégiés. Il faut mieux défendre et formuler notre vision d’une science comme bien commun, comme savoir critique qui échappe à l’injonction de rentabilité économique. Sinon, ce sera toujours trop facile de couper les financements. »


 


 

« Stand up for Science » :
les scientifiques dans la rue le 7 mars face à l’offensive obscurantiste de Donald Trump

Anna Musso sur www.humanite.fr

Aux États-Unis, une vaste offensive contre les sciences et les scientifiques a été déclenchée par l’administration Trump dès son installation. Elle suscite indignation et réactions dans le monde. Ce vendredi 7 mars, des rassemblements sont prévus dans plusieurs pays ainsi que dans les villes universitaires de France.

Depuis son investiture fin janvier, Donald Trump conduit des attaques massives contre les sciences, coupant à la tronçonneuse dans les budgets et dans les effectifs. Il a pris un ensemble de mesures contre la recherche scientifique et son financement, provoquant l’inquiétude et l’indignation de nombreux scientifiques. Le président américain multiplie les offensives contre tout ce qui a trait au climat, à la protection de l’environnement et à la santé publique.

Pour la seconde fois, il a sorti son pays de l’accord de Paris. Il a signé un décret pour interdire les programmes « diversité, équité et inclusion ». Il a supprimé un programme de la NASA destiné à la surveillance de la Terre. Il a fait retirer des sites fédéraux des milliers de pages internet mentionnant des sujets qu’il a interdits.

Donald Trump a dit vouloir réduire les effectifs de l’Agence américaine de protection de l’environnement et les recherches liées aux énergies renouvelables, à l’économie verte, à l’environnement et à la justice sociale. De nombreux financements ont été sabrés, notamment les fonds de l’agence USAID qui représente 42 % de l’aide humanitaire dans le monde.

« Une attaque contre la science est une attaque contre la science partout dans le monde »

Le 4 mars, souligne l’astrophysicien Olivier Berné, organisateur de la marche pour la science en 2017, Donald Trump a annoncé que « tout financement fédéral sera coupé pour les universités tolérant des manifestations illégales. Les agitateurs seront emprisonnés ou expulsés. Les étudiants américains seront exclus définitivement ou arrêtés ».

« Perte d’indépendance, perte de financements, censure… Le monde scientifique américain n’a jamais, dans l’histoire américaine, été autant attaqué par le pouvoir » signale Cédric Villani, mathématicien médaillé Fields 2010, qui a fait une partie de sa carrière aux États-Unis (Atlanta, Berkeley, Princeton). Face à cette offensive obscurantiste et liberticide d’ampleur et à ces multiples attaques contre la recherche scientifique et les universités, la sidération et l’indignation laissent désormais place à la résistance.

Dès le 25 février, la prestigieuse revue Nature a appelé la communauté scientifique mondiale à réagir en rappelant qu’« une attaque contre la science où qu’elle se produise est une attaque contre la science partout dans le monde ».

Aux États-Unis, vient de naître le mouvement « Stand Up for Science » (Debout pour la science). Et une journée mondiale de « soutien » aux sciences et à la recherche est organisée ce vendredi 7 mars dans le monde entier. En France, une mobilisation Stand-up for science France aura lieu dans chaque ville universitaire. Elle est initiée par l’astrophysicien Olivier Berné, le biologiste Patrick Lemaire et l’historienne Emmanuelle Perez-Tisserant et soutenue par une cinquantaine de scientifiques français de renom.

Olivier Berné rappelle que « les sciences représentent un horizon commun de vérité qui permet de distinguer les faits des opinions. Mais pour fonctionner, les sciences doivent disposer de la liberté académique qui les protège des influences économiques, politiques ou religieuses. Or les sciences sont de plus en plus attaquées par ces milieux, et aux États-Unis, ces attaques prennent des proportions inouïes ».

Se mobiliser pour ne pas sombrer dans l’obscurantisme

En France aussi, les institutions du savoir sont attaquées. Depuis une vingtaine d’années, on assiste à une suppression progressive des postes dans ces institutions, qui élimine les jeunes souvent très brillants et accroît la compétition et les inégalités entre les personnes, les territoires ou les disciplines scientifiques. « C’est d’abord en solidarité avec mes collègues que j’ai souhaité que les personnels de la recherche et des universités s’engagent en France, indique Olivier Berné. Il faut rappeler que la liberté académique – comme la liberté de la presse d’ailleurs – n’est jamais acquise, elle est toujours à défendre ».

En France, dès le 18 février, l’Académie des sciences a, dans un communiqué « exprimé sa solidarité avec le monde scientifique des États-Unis en cette période chaotique », précisant que « la censure exercée aujourd’hui va réduire la liberté de recherche dans les secteurs les plus porteurs… L’impact sur les générations futures, sur la biodiversité et la santé de la planète va se révéler catastrophique. Les dégâts causés en si peu de temps seront beaucoup plus longs à réparer. »

Ces derniers jours les appels se sont multipliés pour rejoindre le mouvement « Stand up for Science », et participer aux rassemblements du 7 mars. « Notre initiative s’adresse à toutes les personnes qui considèrent que défendre les sciences, c’est important dans une démocratie, précise Olivier Berné dans un entretien pour La Recherche. Défendre les sciences est un travail citoyen, car elles font partie du bien commun. En France, la situation n’est pas aussi grave qu’aux États-Unis. Néanmoins, il y a un glissement qui va dans cette direction. Si on ne veut pas sombrer dans l’obscurantisme, que faut-il faire d’autre que de mieux financer les institutions de la transmission du savoir ? »

Dans ce contexte, l’astrophysicien appelle « tous les acteurs du savoir, scientifiques, étudiants, enseignants, médiateurs et médiatrices et toutes les personnes qui se sentent concernées à venir défendre les sciences ce vendredi 7 mars près de chez eux ». À Paris, le rassemblement et la marche débuteront à 13 h 30 de la place Jussieu.


 

    mise en ligne le 6 mars 2025

Inégalités : pourquoi, en 2025,
les femmes continuent d’être moins payées que les hommes

par Sophie Chapelle sur https://basta.media/

« Comment on continue de moins payer les femmes en toute bonne conscience ». C’est le sous-titre de l’essai de Marie Donzel (enseignante à Sciences Po Paris), qui raconte la manière dont la société organise l’appauvrissement des femmes. Elle livre des pistes pour en finir avec les inégalités de salaires. Entretien.


 

Basta! : 4 %. C’est, à temps de travail et à postes comparables, l’écart de salaire entre femmes et hommes dans le secteur privé, selon l’Insee, en 2021. Sur une carrière entière, ça commence à chiffrer... D’où vient cette certitude décomplexée qu’un salaire de femme devrait être plus faible qu’un salaire d’homme, pour un travail identique ?

Marie Donzel : Ça prend d’abord racine dans l’invisibilisation du travail des femmes. Les femmes ont toujours bossé. Mais elles n’appartiennent au salariat qu’à partir du début du 20e siècle. Avec cette idée que « le salaire féminin » n’est pas le revenu principal du ménage, mais un revenu complémentaire.

Très vite, on se met d’accord sur le fait que « à travail égal », une femme ne peut pas être payée complètement comme un homme. On va donc avoir des négociations dans les conventions collectives, entre 1905 et 1945, et appliquer des décotes de 10 % ou 20 % en fonction du genre. C’est ce qu’on appelle « le salaire féminin ».

C’est fou ! Des gens se sont mis autour d’une table pour s’accorder sur le rabais à appliquer sur le boulot des femmes... On grave l’inégalité dans le marbre, alors même que la France est cofondatrice et signataire de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui déclare en 1919 : « À travail égal, salaire égal. »

Les mobilisations des femmes de la CGT vont conduire le général de Gaulle à mettre fin à ce « salaire féminin » en 1945. Mais pendant les vingt ans qui suivent, les femmes n’ont pas d’accès direct au salaire qui leur est versé ! Il faut attendre 1965 pour que les femmes aient la possibilité d’ouvrir un compte bancaire ou de travailler sans l’autorisation de leur mari. Depuis, l’idée que le revenu des femmes est un salaire d’appoint est restée dans les esprits.

Un autre chiffre apparaît dans votre ouvrage : 24 %. C’est le niveau général d’écart de rémunération entre hommes et femmes aujourd’hui en France. Pourquoi l’Insee retient-il un écart de 4 % et non de 24 % ?

Marie Donzel : On parle d’égalités expliquées et inexpliquées. Ce calcul consiste à prendre tous les salaires des femmes et tous ceux des hommes, puis de comparer la moyenne pour arriver à cet écart de 24 %.

On retire ensuite tout ce qui, dans ce chiffre, constitue des marqueurs de travail inégal : les écarts de temps de travail – là, on sort toutes les femmes à temps partiel –, mais aussi les différences de grades, en oubliant que le grade est complètement dépendant de la carrière qu’on a faite. Par exemple, à partir du moment où vous êtes en congé maternité, le travail cesse d’être égal : les études montrent qu’un congé maternité de quelques mois fait prendre en moyenne trois ans de retard sur une carrière.

On va ainsi faire de la décote et raboter ce chiffre des 24 % pour aboutir à seulement 4 %. Cette méthode de calcul permet de justifier que les femmes sont moins bien payées que les hommes parce qu’elles travaillent dans les métiers du care [du soin, ndlr] ou dans l’économie sociale et solidaire. Mais c’est précisément cela le sujet ! Pourquoi est-ce que ces métiers sont moins payés ? De toute évidence, il y a du sexisme dans les inégalités salariales. Les raisons tiennent à nos fondamentaux culturels et à nos imaginaires collectifs.

Les hommes ne se sont jamais mobilisés sur ces inégalités de salaires, alors même que jusqu’en 1965, les revenus des femmes étaient les leurs... C’est un peu irrationnel, non ?

Marie Donzel : Ça dit beaucoup de choses en termes de patriarcat, cela fait partie des structures de la masculinité. Néanmoins, on n’y arrivera pas si les hommes n’interrogent pas leur « préférence pour l’inégalité », terme que j’emprunte au sociologue François Dubet. Les hommes, qu’on le veuille ou non, sont bénéficiaires des inégalités. Il y a un travail individuel et collectif, quasiment analytique, pour comprendre pourquoi on préfère les inégalités à l’égalité.

Il faut regarder les débats à l’Assemblée nationale en 1965 quand les élus débattent de la possibilité de donner ou pas le droit aux femmes mariées d’accéder à leur rémunération. Le débat ne cherche pas à savoir si c’est juste. Il tourne autour du fait que si les femmes célibataires ont plus d’avantages que les femmes mariées, les femmes ne voudront plus se marier. C’est pour sauver le mariage qu’on a donné aux femmes leur moyen de paiement !

« Non seulement nous donnons moins d'argent de poche à nos filles, mais nous ne donnons pas l'argent de la même façon à nos filles et nos garçons »

Victor Hugo, déjà, disait que les hommes ne pouvaient jamais être sûrs que les femmes les aiment vraiment tant qu’elles étaient dans la dépendance. C’est là-dessus qu’il faut interroger la masculinité. Il va falloir faire progresser la préférence réelle pour l’égalité. Dans les entreprises, j’entends râler les hommes sur les quotas de femmes, car ils ne vont pas pouvoir décrocher « le poste » dont ils rêvaient. Cette préférence pour l’égalité, c’est aussi se dire qu’il y a des moments où on perd.

Vous dites que cette perception du salaire inférieur des femmes persiste dans les esprits, jusqu’aux femmes elles-mêmes...

Marie Donzel : Les femmes ont tendance à raisonner le salaire en ces termes : « De quoi ai-je besoin pour vivre ? » Titiou Lecoq l’identifie dans son livre Le Couple et l’argent : les femmes vont ensuite dépenser leur argent pour vivre et faire vivre leur famille. Les hommes ont un rapport à la rémunération qui repose plus sur cette question : « Quelle est la valeur de mon travail ? » Ce qui fait qu’ils ont davantage le réflexe du placement et de la constitution de patrimoine, que de remplir le frigo qui se vide au fur et à mesure qu’on le remplit – un puits sans fond de l’argent des femmes.

Ce rapport au salaire prend racine dans l’argent de poche. Chacun d’entre nous est persuadé qu’il donne autant d’argent de poche à sa fille qu’à son fils. C’est faux. Car non seulement nous donnons moins d’argent de poche à nos filles, mais nous ne donnons pas l’argent de la même façon à nos filles et nos garçons. Là-dessus il y a une étude britannique cruelle : elle montre que les garçons, très tôt, sont habitués à avoir de l’argent de poche en récompense de leur résultat scolaire et de leur participation aux tâches domestiques et familiales.

Les petites filles, très vite, sont habituées à négocier un fixe qui va leur permettre d’assurer leurs petites dépenses. Elles compensent en se faisant offrir des cadeaux. À l’arrivée, ça fait moins ! Et ça n’intègre pas l’idée que « mes efforts ont une valeur qui doit être récompensée ». Il y a donc des femmes qui, quand elles veulent négocier leur salaire, me disent : « Je n’ai pas besoin de plus. » Ce n’est pas le sujet.

La dernière réforme des retraites est un exemple flagrant de cet « oubli » de la réalité du travail des femmes. Comment expliquez-vous ce déni permanent des politiques publiques ?

Marie Donzel : Dans les politiques publiques, le dénominateur commun des femmes est une variable d’ajustement fréquente. L’insuffisance, par exemple, des politiques publiques en matière de prise en charge de la petite enfance ou du grand âge repose sur le fait qu’on sait – consciemment ou cyniquement – que ça tiendra : les femmes vont, malgré tout, s’occuper des mômes et des vieux.

Et on sait, les études le montrent aussi, que les femmes vont également s’occuper de leurs beaux parents ; que dans une fratrie, les sœurs s’occupent davantage des parents vieillissants que les frères ; que dans un couple, les femmes s’occupent davantage des aînés, que ce soit leurs parents ou pas.

Ça tient par le travail gratuit des femmes. Ce « travail domestique » non rémunéré des femmes a quand même été évalué par l’économiste Joseph Stiglitz à 33 % de la valeur du PIB de la France ! Que ce soit des arbitrages cyniques et conscients, ou pas, le résultat est qu’on compte sur les femmes pour tenir la société, sans être payées.

Si on enlève les temps partiels choisis, l’écart salarial global entre les femmes et les hommes diminue de 24 % à 15,5 %. Qu’est-ce que ce choix de ne comparer que les temps pleins vous inspire ?

Marie Donzel : C’est la plus grosse variable et je la trouve effroyable quand on voit à quel point les femmes sont fatiguées, tout particulièrement les mères. C’est démontré que les femmes travaillent plus que les hommes – si on prend tout le travail, pas seulement celui rémunéré.

Et pourtant, elles en arrivent à demander un temps partiel parce que ça ne tient plus dans des journées qui font 24 heures. Et c’est tout bénef pour les hommes et les entreprises. Pour autant, on est là à pouvoir donner une explication au fait qu’elles sont moins riches. Ces 24 % d’écart racontent comment la société et l’économie organisent l’appauvrissement des femmes.

Pourquoi la prise en compte de l’ancienneté bénéficie-t-elle davantage aux hommes qu’aux femmes et devient aussi un facteur d’inégalité ?

Marie Donzel : La première raison, c’est que les femmes en couple, surtout hétérosexuel, sont davantage dépendantes des évolutions de carrière de leur conjoint. Si ce dernier prend un poste à très haute responsabilité, la conjointe va se dire que ce n’est pas le moment pour elle de faire de même. La deuxième raison, c’est le sexisme. Il y a plus de turn-over féminin que de turn-over masculin.

Le plafond de verre les empêche de progresser professionnellement : plus de 8 femmes sur 10 reconnaissent avoir été confrontées à des agissements sexistes en entreprise. Cela les amène à quitter leur emploi davantage que les hommes. Elles perdent donc en ancienneté.

Les femmes ont 25 % de chances en moins qu’un homme d’obtenir une augmentation quand elles la sollicitent, selon une étude internationale. Comment l’expliquez-vous ?

Marie Donzel : La mode du leadership féminin, de l’empowerment, du développement personnel dans les années 2010 a conduit à dire aux femmes d’aller apprendre en formation, ce que les hommes sauraient faire « naturellement », c’est-à-dire savoir négocier, se faire comprendre... Mais on a complètement éludé ce qui fait système : nous sommes dans un environnement où on est habitués à ce que les femmes soient dociles, sages, plus patientes, qu’elles n’en demandent pas trop, donc qu’elles ne soient pas hyper bonnes en négociation. Il faut former les personnes décisionnaires : lutter contre les biais, c’est de l’humilité. On est en retard sur l’admissibilité sociale de l’exigence au féminin, surtout pécuniaire. Il y a encore le spectre de la vénalité.

L’un des objectifs de votre ouvrage c’est de dresser des pistes pour que les femmes soient au moins autant payées que les hommes. Vous invitez notamment à remettre à plat la valorisation des métiers.

« Le plus important ce sont nos enfants, dit-on. Mais on rechigne à bien payer l'infirmière scolaire, les profs, en majorité des femmes... »

Marie Donzel : Pourquoi un ingénieur est-il mieux payé qu’une aide-soignante ? On ne m’a pas donné de réponse satisfaisante à ça. Quand on est hospitalisés, la création de valeur d’une aide-soignante est immédiatement visible et évidente, à de multiples points de vue. Je sais que les ingénieurs ne font pas rien, mais l’écart de valeur sociale est insensé. Pourquoi y a-t-il un tel différentiel ? Beaucoup vous disent que le plus important ce sont leurs enfants. Mais on rechigne à bien payer l’infirmière scolaire, la surveillante de collège, les profs qui sont en majorité des femmes...

Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes se croisent avec la valeur des métiers, qui est complètement incohérente. Ce n’est même plus une question genrée qui se pose, mais une question du bon sens et de ce qu’on veut : ça veut dire quoi le travail ? À quoi on le dépense ? Dans quoi on investit collectivement ? La question a été posée au moment du Covid pour mieux être refermée. Est-ce qu’on ne peut pas faire mieux que de taper sur des casseroles à 20 heures ? Il y a dans cette remise à plat de la valorisation des métiers une solution face aux inégalités de genre.

Et si demain on valorise vraiment à la hauteur le métier d’aide-soignante, on n’est pas à l’abri du fait qu’il se masculinise. On a eu l’expérience avec l’informatique où, jusque dans les années 1980, on a plus de femmes que d’hommes parce que c’est réputé être une extension de la dactylographie. Quand ça devient un secteur qui a de la valeur, les femmes en sont littéralement chassées. Et on peine aujourd’hui à recruter des femmes dans le secteur.


 


 

Abroger la réforme des retraites grâce à l’égalité salariale : La CGT apporte un chèque de 6 milliards d’euros pour la nouvelle séance de négociations

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

La CGT remettra, ce jeudi 6 mars, un chèque de 6 milliards d’euros devant le ministère du Travail à Paris, lieu des négociations sur la réforme des retraites entre syndicats et patronat. Ce montant équivaut à ce que rapporterait l’égalité salariale en termes de cotisations sociales et permettrait de financer l’abrogation de la retraite à 64 ans.

Deux jours avant la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, ce jeudi 6 mars, à 13 h 30, une action de la CGT est prévue devant le ministère du Travail à Paris, lieu des négociations entre syndicats et patronat, visant à réviser la réforme de 2023 (report de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans), qui avait jeté des millions de manifestants dans la rue. Ainsi, l’organisation syndicale remettra à l’entrée un chèque de 6 milliards d’euros pour financer l’abrogation de cette réforme dont les femmes sont parmi les premières victimes, a indiqué la CGT dans un communiqué publié mercredi 5 mars.

L’égalité professionnelle (à poste égal, salaire égal), rapporterait a minima ces 6 milliards d’euros par an en termes de cotisations sociales chaque année, plaide la CGT. Un chiffre colossal, également donné par l’ONG Oxfam. « Une somme permettant, à elle seule, de combler le déficit des retraites annoncé par la Cour des comptes », continue le syndicat. En effet, la juridiction financière avait indiqué que, dès 2025, le déficit (tous régimes confondus) devrait atteindre 6,6 milliards d’euros, puis se stabiliser autour de ce montant jusque vers 2030.

L’écart de salaire entre les hommes et les femmes persiste

L’organisation syndicale rappelle bien que, même si l’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans le secteur privé diminue, celui-ci persiste. Le salaire moyen des femmes en France était 22,2 % inférieur à celui des hommes en 2023 (21 340 euros nets par an contre 27 430 euros), a rapporté l’Insee, mardi 4 mars.

À ce sujet, Myriam Lebkiri, secrétaire confédérale en charge de l’égalité professionnelle et de la délégation retraites qui sera également présente, avait indiqué dans nos colonnes en 2023 : « L’égalité salariale concerne tout le monde et ce combat ne doit pas être que celui des femmes. La CGT ne peut pas promouvoir un syndicalisme qui combat tous les rapports de domination en laissant le petit patriarcat en forme. »


 

    mise en ligne le 5 mars 2025

Journée internationale des droits des femmes : syndicats et associations appellent à la grève féministe

Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

En préparation du 8 mars, un collectif somme les femmes de cesser toute activité pour dénoncer les inégalités et violences systémiques dont elles sont victimes.

Cesser toute forme de travail pour réclamer la fin d’un système de violences et d’inégalités. À quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, syndicats et associations réunis en collectif appellent à la grève féministe le samedi 8 mars. « Le but est de mettre le système économique et social à l’arrêt en cessant le travail salarié, domestique et en faisant une grève de consommation », détaille Myriam Lebkiri, secrétaire confédérale de la CGT et membre du collectif Grève féministe.

Pour permettre à toutes les travailleuses qui le veulent de déambuler dans les quelques centaines de rassemblements prévus en France dans la journée de samedi, plusieurs centrales syndicales (CFDT, CGT, CFE CGC, Unsa, Solidaires et FSU) ont déposé un préavis de grève pour la journée. « Ce que l’on constate, c’est que l’égalité n’est toujours pas une réalité dans le monde professionnel », déplore Julie Ferrua, codéléguée générale du syndicat Solidaires. Et de lister les nombreuses inégalités dont les femmes sont encore victimes au travail : « Elles ont un salaire inférieur en moyenne de 23,5 % à ceux des hommes. Elles n’occupent que 42 % des emplois de cadre alors qu’elles sont plus diplômées que les hommes. 57 % des personnes rémunérées au Smic sont des femmes, comme 80 % des personnes qui occupent un temps partiel. » Une grève massive le 8 mars permettra de faire pression pour obtenir des politiques de réduction active des inégalités, espèrent les membres du collectif.

Résister contre la menace de l’extrême droite

Au-delà des organisations syndicales, nombre d’associations ont adhéré aux revendications du collectif Grève féministe, pour réclamer la fin des violences sexistes et sexuelles dans l’ensemble des sphères de la société. Notamment à l’université, où « une étudiante sur 10 a été victime de violences sexistes et sexuelles depuis son entrée dans l’enseignement supérieur », explique Salomé Hocquard, coprésidente du syndicat étudiant Unef. Alors que le procès de Joël Le Scouarnec, chirurgien accusé par des centaines de personnes d’actes pédocriminels notamment lors d’interventions médicales, et l’affaire de violences contre les élèves de Notre-Dame de Bétharram (lire aussi page 8) jettent une lumière crue sur la systématicité des violences infligées aux enfants, le collectif appelle également à une meilleure prévention de celles-ci. « Nous demandons la création d’une infraction spécifique d’inceste et le renforcement de la réglementation contre la pédocriminalité en ligne », préconise Suzie Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes.

Tandis que la montée des réactionnaires, comme en Argentine, Italie ou aux États-Unis depuis l’élection de Donald Trump, fait peser une lourde menace sur les droits des femmes, des minorités sexuelles et de genre, le collectif Grève féministe entend faire du 8 mars une journée de lutte contre l’extrême droite, promet Anne Leclerc, du Collectif national pour les droits des femmes : « Celle-ci nourrit les violences machistes, et nous devons rappeler la détermination des mouvements féministes et progressistes à ne pas baisser la garde ! »


 

    mise en ligne le 4 mars 2025

Assemblée nationale : on s’engueule plus sur les retraites que sur l’Ukraine

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Nos politiques ont débattu dans l’hémicycle, ce lundi 3 mars, au sujet du bellicisme russe et du basculement diplomatique américain. Des discours qui cherchent à se démarquer, malgré des convergences de vue.

Le débat à l’Assemblée nationale prend un écho renforcé à l’aune des décisions trumpiennes de la nuit : suspension avec effet immédiat de l’aide militaire américaine à l’Ukraine ; hausse des droits de douane à 25% avec le Mexique et le Canada et 20% avec la Chine ; licenciement sur le champs de la plupart des salariés de USAid qui dispensaient près de la moitié de l’aide humanitaire mondiale. 

Introduit par un discours du premier ministre, formellement très réussi et aux convictions franches, les échanges entre les groupes parlementaires ont confirmé des positions contrastées. François Bayrou a, bien plus nettement que les dirigeants européens, affirmé le changement d’époque. Contrairement aux Anglais ou Polonais, pas une fois il n’a voulu se référer à l’amitié historique et aux liens entre la France et les États-Unis. Ceux-ci n’ont bien sûr pas disparu mais pour l’exécutif français, ils ne peuvent plus être la boussole : il faut acter la rupture. La suite de son plaidoyer portait sur la force des Européens. Il a voulu convaincre, au-delà de l’enceinte des députés, de la possibilité pour l’Europe de se constituer en puissance autonome :« Nous sommes forts et nous ne le savons pas. Et nous nous comportons comme si nous étions faibles ».

La suite des interventions a montré que ce discours puissant ne suffisait pas à lever désaccords et objections. L’union nationale n’est pas au programme. Le clivage est plus fort sur les retraites et le droit du travail que sur l’Ukraine. Les différences de sensibilités se sont clairement énoncées hier dans l’hémicycle. Mais les positions ne sont pas apparues aussi clivées que bien des fois. Le ton des différents orateurs était grave et l’attention soutenue. Le poids de l’histoire nationale s’est fait sentir. Et l’ombre du général de Gaulle a plané dans bien des discours. 

Laissons de côté Éric Ciotti et ses obsessions minables sur l’immigration. De façon attendue, la droite et l’extrême droite ont fait porter leurs critiques sur la question du parapluie nucléaire, affirmant qu’il ne saurait être partagé. En fait, personne ne le dit ni ne le propose. Après les tentations trumpistes de Jordan Bardella, Marine Le Pen a éludé toute analyse sur les États-Unis et n’a pas eu un mot sur la responsabilité de la Russie. Mais elle a dû commencer son discours par un soutien aux Ukrainiens. 

Les interventions de Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, et de Boris Vallaud, président du groupe socialiste, étaient emprunts du soutien à l’Ukraine. Tous les deux ont dit leur conviction que la Russie ne doit pas gagner et ont réaffirmé leur foi dans l’espace européen. Le porte-parole des insoumis, Aurélien Saintoul, a livré un discours solide, ne pouvant se priver d’une arrogance mal placée « qu’il est douloureux d’avoir eu raison 20 ans durant » – avant même les insoumis, que c’est drôle ! Mais il démontrait la vanité d’une défense européenne quand les armes sont américaines et l’appareil productif dévasté. Le porte-parole du groupe communiste et ultramarin, Jean-Paul Lecoq, a fait le lien entre les enjeux sociaux et les efforts demandés : si les premiers ne sont pas assurés alors les seconds seront mal compris. En clair, 5 milliards pour les retraites ne peuvent être un mur infranchissable quand 40 milliards de plus pour l’armement serait une exigence. Aurélien Saintoul relevait lui aussi le paradoxe à propos des moyens mobilisés pour le climat. L’orateur communiste, à la différence de tous et singulièrement du premier ministre, insista sur les transformations du monde au-delà de la déflagration Trump : « Penser la paix ne pourra se faire qu’entre européens. De nombreux pays ont à cœur que l’Ukraine retrouve la paix ». Et de citer l’initiative conjointe Brésil-Chine pour des négociations de paix.

Relevons que la fin de l’atlantisme, actée par les uns et les autres, permet de nouveaux espaces de convergence en particulier au sein de la gauche. Les différends sur la construction européennes entre socialistes et écologistes d’une part, communistes et insoumis d’autre part, demeurent. Mais ils ne sont plus lestés de cette ombre portée américaine qui enserrait la pensée et le projet dans une histoire et un système économique, le capitalisme sous toutes ses formes. 

L’heure est très grave, « la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale » a dit François Bayrou. Le pouvoir doit en prendre la mesure, pas seulement militaire. La gauche doit s’en convaincre et travailler à sa convergence, nécessaire et davantage possible.


 


 

Guerre en Ukraine : à l’Assemblée,
les macronistes poussent l’agenda fédéraliste pendant que la gauche se fracture

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Lors du débat consacré à la guerre à l’Assemblée nationale lundi 3 mars, Gabriel Attal a estimé que Kiev « vaincra », invitant avec le premier ministre à renforcer l’Union européenne.

Pour le camp présidentiel, rien ne doit changer dans la politique de la France. Le premier ministre n’a offert, lors du débat qui se tenait lundi à l’Assemblée nationale, aucune perspective de négociation entre la Russie et l’Ukraine. Et ce, malgré le lâchage de cette dernière par Donald Trump, en direct dans le bureau Ovale, le 28 février. « Pour l’honneur de l’Europe, le président Zelensky n’a pas plié et nous pouvons lui manifester de la reconnaissance », a salué François Bayrou, qui a prévu une aide à l’Ukraine, en matière militaire, politique, et diplomatique.

« Nous, les Européens, sommes plus forts que nous ne le croyons. Nous nous comportons comme si nous étions faibles », a-t-il déploré, avant de donner des chiffres à l’avantage de l’Europe concernant le PIB, les effectifs militaires, la démographie. « Le monde libre a besoin d’un nouveau leader », après les déclarations de Donald Trump, a estimé Gabriel Attal. « C’est à nous, la France et les nations européennes, de prendre enfin la relève », a lancé le président du groupe Renaissance, appelant à construire l’indépendance du Vieux Continent, notamment via une relance des dépenses militaires. « L’Ukraine vaincra, l’Europe sera », a-t-il claironné.

Fracture à gauche

De telles déclarations ont permis à l’extrême droite de répliquer en faisant valoir son agenda souverainiste. Marine Le Pen a qualifié de « tromperie » la promesse faite à l’Ukraine d’une intégration future dans l’Union européenne (UE) et dans l’Otan. Elle appelle à une conférence de paix entre nations qui ont intérêt à la pacification de la région, mais pas « les instances supranationales comme l’UE ou l’Otan ».

À gauche, une vraie ligne de fracture apparaît. Boris Vallaud, chef du groupe PS à l’Assemblée nationale, invite à « investir l’Otan ». « Les socialistes appellent de leur vœu un grand plan stratégique de l’Europe » en matière militaire et industrielle, a-t-il précisé. Pour lui, la dissuasion nucléaire « sera d’évidence un des éléments de la construction d’une sécurité commune européenne ». L’élu PS appuie l’idée de l’envoi de troupes françaises en Ukraine, le moment venu. Pour Les Écologistes, Cyrielle Chatelain a aussi appelé à renforcer le volet militaire de l’UE.

L’insoumis Aurélien Saintoul a en revanche accusé certaines forces politiques, sans les nommer, d’avoir conduit la politique de sécurité de la France dans le mur, en rejoignant le commandement intégré de l’Otan en 2008. « Nous voici dans une situation de dépendance des États-Unis devenant critique », s’est-il plaint.

Le député communiste Jean-Paul Lecoq a, lui, refusé l’augmentation des budgets de la défense alors que l’argent manque pour les services publics. Il appelle à prendre ses distances avec les États-Unis et à dialoguer, y compris avec la Russie, ce que refusent pour l’heure Emmanuel Macron et le ministre des Affaires étrangères. « On se croirait dans une cour d’école. L’hypothèse d’une troisième guerre mondiale n’est pas un jeu », rappelle-t-il, invitant à la cohérence en faisant respecter le droit international partout, y compris en Palestine et au Sahara occidental. « Il faut obtenir l’arrêt des combats pour organiser une conférence internationale sur la sécurité et la coopération en Europe conduisant à un accord de paix », conclut-il.


 

   mise en ligne le 3 mars 2025

« Wikipédia n’a jamais été autant en danger » : derrière l’offensive du magazine Le Point, la bataille idéologique fait rage

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Dans la même veine qu’Elon Musk aux États-Unis, l’hebdomadaire le Point et diverses personnalités françaises s’attaquent à l’encyclopédie en ligne, accusée à tort d’être biaisée par un point de vue de gauche ou « wokiste ».

Le Point n’est pas content. Mi-février, l’hebdomadaire découvre que la page Wikipédia qui lui est consacrée a été modifiée. En cause, un chapitre sur le « tournant populiste » du magazine après 2015, accusé d’ouvrir ses colonnes à « une forte composante islamophobe et anti-écologiste ».

Trois jours plus tard, le Point réplique par un papier au vitriol contre Wikipédia, en général. L’encyclopédie y est accusée des pires maux : « Entre-soi, absence totale de contradictoire, sélection partiale des données, inversion accusatoire, effet de meute, élimination arbitraire des informations discordantes. » Une charge que le Point avait déjà développée dans un article du 13 décembre dernier.

Cette critique infondée, se basant sur une poignée d’exemples isolés, s’inscrit dans un contexte international de dénigrement de la plateforme, jugée trop à gauche, trop « wokiste ». Le milliardaire américain Elon Musk est en guerre contre cette dernière qu’il accuse d’être « un prolongement de la propagande des « legacy media » ». Des médias traditionnels qui servent de sources principales à l’encyclopédie et que Musk accuse de désinformation, leur préférant la « liberté d’expression » des utilisateurs de X.

Un mode de fonctionnement qui limite les biais idéologiques

« Les attaques contre Wikipédia sont récurrentes concernant des personnes vivantes ou des entreprises mécontentes des contenus qui les concernent, relate Jeanne Vermeirsche, doctorante en sciences politiques et autrice d’une thèse sur les liens entre la plateforme et les militants politiques. Ce qui change c’est l’ampleur des attaques : un milliardaire, un hebdomadaire national et des personnalités qui disposent d’un relais médiatique important… »

La chercheuse y voit le stigmate d’un débat public qui, de manière générale, se déporte vers l’extrême droite. Des contenus vus comme neutres il y a quelques années sont désormais jugés trop à gauche, tandis que des pages qui peuvent effectivement souffrir d’un biais idéologique – car cela peut exister, du moins temporairement avant modération – sont montées en épingle dans un contexte de diabolisation de la gauche.

C’est le cas pour la page consacrée au Point. « La communauté a réagi de manière assez mature en améliorant l’article, considérant comme légitimes certaines critiques », raconte Capucine-Marin Dubroca-Voisin, présidente jusqu’en 2024 de Wikimédia France.

Mais certaines méthodes ne passent pas. D’une part, le Point – comme le Figaro ou CNews – s’est lancé dans une croisade contre ce bien commun menacé. Depuis l’article du 18 février, le site de l’hebdomadaire a publié trois entretiens pour fustiger un « militantisme exacerbé » de Wikipédia, un décryptage de son financement et une tribune. Intitulée « halte aux campagnes de désinformation et de dénigrement menées sur Wikipédia », celle-ci réunit une centaine de signataires, dont Caroline Fourest, Élisabeth Badinter, Raphaël Enthoven, Nathalie Loiseau…

Quand un journaliste menace un contributeur

Par ailleurs, pour son article, le journaliste du Point Erwan Seznec a menacé le contributeur responsable des modifications dénoncées, « FredD », de révéler son vrai nom et d’intervenir auprès de son employeur. Une étape inquiétante pour les Wikipédiens : « Maintenant, on intimide les contributeurs, des digues sont en train de sauter », s’inquiète Amélie Tsaag Valren, contributrice du site depuis 2007.

Une lettre ouverte, signée par plus d’un millier d’utilisateurs de la plateforme, a dénoncé cette « intimidation ». « Pour le coup, il y a eu une communion rare des contributeurs qui ont fait front, quelles que soient leurs opinions politiques », souligne Capucine-Marin Dubroca-Voisin.

Car non, Wikipédia, avec ses 17 000 contributeurs actifs en France, n’est pas un repaire de gauchistes guidés par la vocation de « wokiser » la société. « Un espace pareil fait forcément l’objet de militantisme mais il n’y a pas de prédominance des idées de gauche et le mode de fonctionnement permet de tendre vers l’équilibre », explique Jeanne Vermeirsche. Car si la plateforme est bien un terrain de jeu de la bataille culturelle, la modération, fruit de modifications et de discussions parfois intenses entre contributeurs, permet de limiter les biais idéologiques, en plus d’être un puissant rempart à la désinformation.

« Toutes les idéologies sont représentées »

« Les biais peuvent toujours exister, ce ne sera jamais parfait, mais une grande partie est absorbée par ce mode de fonctionnement… En tout cas, consubstantiellement, Wikipédia n’est ni de droite ni de gauche », assure Capucine-Marin Dubroca-Voisin.

« Les échanges entre contributeurs montrent bien que toutes les idéologies sont représentées, abonde Jeanne Vermeirsche. Il y a par exemple des débats importants sur l’utilisation ou non de l’écriture inclusive. Pour le moment, ses partisans perdent la bataille, on est loin du « wokisme » dénoncé par Elon Musk. Les biais liés au genre sont beaucoup plus importants que les biais politiques. »

Y compris dans les contenus : la part des femmes dans les notices biographiques a dépassé les 20 % il y a seulement quelques mois, sous l’impulsion d’une association (soutenue financièrement par Wikimédia France), Les sans PagEs, créée pour lutter contre ce déséquilibre. Une initiative immanquablement taxée de « wokisme », le Figaro y voyant par exemple un renoncement « au principe de neutralité ».

La question des sources

L’autre charge principale contre Wikipédia concerne l’épineuse question des sources. Quand Elon Musk reproche qu’elles proviennent principalement de médias traditionnels, Le Point ou des titres français d’extrême droite s’estiment trop peu cités et pensent que la presse dite de gauche serait privilégiée.

La fiabilité de tel ou tel média est pourtant discutée en permanence par les contributeurs. En particulier au sein de l’Observatoire des sources qui émet des avis sur différents médias, pour guider les contributeurs.

« Seules quelques sources sont bannies, comme celles entièrement rédigées par de l’intelligence artificielle ou trop complotistes comme France-Soir, explique l’ancienne présidente de Wikimédia France. Ensuite, nous savons que le Figaro va être biaisé à droite mais fiable, l’Humanité biaisé à gauche mais fiable. Les contributeurs doivent avoir en tête la ligne éditoriale du titre mais prendre en compte les informations diffusées. »

Une offensive à l’usure

Quid des médias d’extrême droite, rarement sérieux dans leur déontologie journalistique mais susceptibles, toutefois, de relayer de vraies informations ? « Sur ces sites, tout dépend de la pertinence de l’article, il est possible de reprendre uniquement les informations factuelles. Mais, de plus en plus, il n’y en a pas, ajoute Capucine-Marin Dubroca-Voisin. C’est selon ce principe que Valeurs actuelles, par exemple, est utilisé au minimum, et le Journal du dimanche de moins en moins. »

Ces attaques répétées vont-elles avoir raison, à terme, de la plateforme et de son fonctionnement collaboratif ? Le risque est réel, notamment du fait de l’influence d’Elon Musk qui a appelé les géants de la tech à ne plus financer la fondation qui gère la plateforme. « La façon dont fonctionne Wikipédia perturbe énormément ceux qui détiennent des plateformes privées ou des médias, ils n’admettent pas que ça leur échappe », commente la chercheuse Jeanne Vermeirsche.

Mais Musk et les autres pourraient-ils avoir l’encyclopédie à l’usure ? « Si cette offensive se poursuit, les rédacteurs, bénévoles, vont-ils continuer en sachant qu’ils peuvent avoir des ennuis, y compris judiciaire, du fait de ce qu’ils écrivent ? À terme, cela affaiblit la gouvernance, la modération et donc la plateforme », s’inquiète la contributrice Amélie Tsaag Valren.

« Wikipédia n’a jamais été autant en danger »

Le couperet pourrait aussi venir à terme des pouvoirs publics. Si les procès en illégitimité et en manipulation contre la plateforme se poursuivent, ceux-ci seraient-ils tentés de limiter son accès ? « Wikipédia n’a jamais été autant en danger, alerte Capucine-Marin Dubroca-Voisin. On connaît bien le processus : la Russie s’y attaque, censure des pages, le site est bloqué en Chine, l’a été en Turquie pendant plusieurs mois… Il ne faut pas penser que c’est impossible chez nous. »

Une arrivée au pouvoir de l’extrême droite inquiète particulièrement : elle s’en prend fréquemment aux contenus de Wikipédia. Elle s’en sert pourtant dans sa bataille culturelle. En 2022, une dizaine de militants de Reconquête ont constitué une cellule ayant pour objectif de modifier des pages de manière à favoriser le candidat à la présidentielle Éric Zemmour. Une action militante coordonnée, dans un unique but politique. Une méthode qui n’a jamais été démontrée concernant des contributeurs de gauche.


 


 

Pour affaiblir Wikipedia, Delafosse à nouveau dans le camp des réactionnaires

sur https://lepoing.net/

Le Point (et non Le Poing) a lancé une campagne visant à intimider les contributeur.ices de l’encyclopédie en ligne Wikipedia. L’hebdomadaire n’apprécie pas que la fiche, très longue et étayée, qui lui est consacrée, décrive par le menu sa dérive éditoriale le rapprochant des thèses nationalistes identitaires. Michaël Delafosse a choisi de rallier une clique de figures médiatiques, majoritairement réac, en appui au Point. Dans un contexte de guerre culturelle animée par l’extrême-droite, sa signature entache l’image de Montpellier dans le paysage intellectuel

Décidément, il n’en loupe pas une. Depuis son installation en mairie de Montpellier, Michaël Delafosse construit son image de “maire atypique”. Cela en multipliant les signes d’engagement prioritaire sur les thèmes de la sécurité, l’insistance sur des menaces séparatistes islamistes, la production d’une laïcité dévoyée en modèle para-identitaire excluant, la chasse aux soutiens de la cause palestinienne, etc.

Atypique” doit donc s’entendre comme proche des thèmes favoris de la droite dure et de son extrême. On aura lu les acclamations que cela lui a aussitôt valu, de la part de l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le relais de cette “pensée” assurée par des collaborateurs du Figaro, ou encore les alertes para-complotistes lancées par L’Opinion.

C’est maintenant au Point que le maire de Montpellier peut compter ses nouveaux copains. Depuis la mi-février, cet hebdomadaire s’est lancé dans une campagne de dénigrement et d’intimidation à l’encontre de l’encyclopédie Wikipedia. Situons l’ambiance : Outre-Atlantique, Elon Musk – un grand intellectuel épris de liberté, comme on sait – ne cesse d’en appeler à en finir avec ce qu’il appelle “Wokepedia“. Situons l’enjeu : Wikipedia est désignée pour cible dans la guerre culturelle déchaînée par l’extrême-droite à l’échelle planétaire. Le maire d’une grande ville française doit savoir se situer, dans cela…

Wikipedia compte parmi ces quelques fleurons magnifiques qu’il faut reconnaître parmi les acquis très positifs de la révolution Internet. Il s’agit d’une encyclopédie collaborative, totalement internationale, intégralement gratuite, qui ne cesse de s’écrire et de se corriger par l’apport bénévole de milliers d’expert.es sur la planète. A ses débuts, on y vit le risque d’errements incontrôlés dans la formalisation et la diffusion de savoirs échappant aux cadres de certification scientifiques institués. Or, une immense communauté des savoirs s’est constituée à travers elle, qui ne cesse d’enrichir, amender, et évaluer la qualité de ses contenus.

Parmi des millions et millions de fiches publiées en près de trois cents langues, l’une est donc consacrée à l’hebdomadaire français Le Point. Très développée, étayée et référencée, cette fiche décrit toute l’histoire de cette publication, son fonctionnement économique, la composition de sa rédaction, et bien entendu l’évolution de sa ligne éditoriale. C’est là que le bât blesse.

S’adressant à un lectorat de cadres et personnalités institutionnelles influentes, les rédacteurs de cette fiche repèrent que le contenu des articles du Point accompagne l’évolution idéologique de ce milieu, en dérivant de plus en plus nettement vers les thèses proches d’un nationaliste identitaire. D’où le mail menaçant reçu par FredD, l’un de ses rédacteurs, qu’un journaliste du Point a su repérer derrière son pseudonyme (le caractère collaboratif de la rédaction collective des contenus de Wikipedia passe par cet usage des pseudos).

Depuis 18 ans, FredD a rédigé plus de trente mille apports de contenus à l’encyclopédie en ligne. Le journaliste l’avertit que l’hebdomadaire s’apprête à publier un article à charge, révélant son identité, son activité professionnelle, sollicitant l’avis de son employeur, et lui intimant un ultimatum daté pour répondre à ses questions. Ces méthodes sont immédiatement perçues comme se rapprochant de celles de l’extrême-droite, consistant à menacer, intimider et faire pression.

Elles sont dénoncées comme telles dans un appel signé par plus d’un millier de collaborateur.ices français.es de l’encyclopédie. Elleux rappellent que leur fonctionnement fait que tout désaccord sur un contenu se discute sur une page ad-hoc rattachée à la fiche ; et qu’il est très courant que ce type de discussion se solde, dans les plus brefs délais, par l’apport de corrections, voire par le retrait des éléments publiés.

C’est le fonctionnement normal du débat intellectuel, dans cette encyclopédie libre et plurielle, où aucune autorité institutionnelle et/ou politique, aucun pouvoir financier, n’est en mesure d’imposer sa vérité à l’encontre de la communauté savante. Or Le Point s’y connaît dans le maniement des mécanismes d’influence. Il lance un contre-appel, dont plusieurs points flirtent avec la diffamation.

L’activité de la plateforme encyclopédique abriterait des « campagnes de dénigrement systématique et sans contradicteurs », et des contributeur.ices en sont décrits comme des « militants anonymes », animés d’une « volonté d’entacher les réputations », en opérant sur les contenus « des modifications malveillantes ». Dans la polémique qui se déchaîne, on note le procédé usuel à l’extrême-droite, du renversement de l’incrimination, puisque la communauté savante se livrerait à des activités dignes de trolls de réseaux sociaux.

Les quatre-vingt signataires de cet appel n’ont que rarement à voir avec une communauté scientifique digne de ce nom. Elle tient plus d’une clique de figures médiatiques à divers titres, représentative de l’éditoriacratie et de la toutologie (les spécialistes de tout et de rien ayant micros ouverts pour l’info continue), succédanés de philosophes, responsables de rédactions de droite, anciens ministres, chroniqueurs en tout genre, figures de la social-démocratie anti-gauche, indexés sur les repères souverainistes, anti-woke, printaniers laïcs, sionistes ultra, commentateurs para-liéraux.

On y retrouve des Sophia Aram ou Thierry Ardisson, des BHL et des Cohn-Bendit (faut bien rire), des Blanquer et des Dominique Reynié (soit-disant politiste qui se ridiculisa en menant une liste de droite à la catastrophe à des municipales à Montpellier). Alain Minc et Julien Dray. Caroline Fourest, Natacha Polony et Elisabeth Badinter. Philippe Val et Jean-Pierre Sakoun. Raphaël Entoven, Pascal Perrinneau, etc.

Et donc Michaël Delafosse, qui a tout de suite flairé son camp. Ce qui est un geste grave, qui entache l’image de Montpellier, ville de référence en matière de recherches et d’activités intellectuelles. Une ville qui n’a pas besoin que son premier magistrat s’affiche dans le camp de bateleurs visant à affaiblir Wikipedia, à l’instar d’un Elon Musk disait-on.


 

    mise en ligne le 2 mars 2025

Le procédé retors du gouvernement pour que les Français paient leur santé plus cher

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

Le gouvernement Bayrou va augmenter la taxe sur les complémentaires santé de 1 milliard d’euros. Cette fiscalité déguisée est très inégalitaire : elle pèsera en premier sur les ménages les plus pauvres et les personnes âgées qui font le plus gros effort financier pour s’assurer.

AuAu moins 23 milliards d’euros. En 2025, le dérapage budgétaire de la Sécurité sociale, tel qu’il a été définitivement validé par le vote du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) le 17 février, devrait être spectaculaire. La cause est toujours la même : le manque de recettes sociales et fiscales à la hauteur de la croissance des dépenses, prévisible autant qu’inéluctable, en raison notamment du vieillissement de la population. Face au « trou » béant de la « Sécu », tous les gouvernements usent des mêmes ficelles : le retour des plans d’économie, sur l’hôpital notamment, ou encore le recul de l’assurance-maladie.

Pour économiser 1 milliard d’euros, le gouvernement Barnier avançait l’automne dernier une proposition qui avait au moins le mérite d’être honnête : diminuer la prise en charge par l’assurance-maladie des consultations médicales et des médicaments.

Le gouvernement Bayrou y a finalement renoncé : « Les Français ne paieront pas plus cher pour leur santé », a rassuré la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, Catherine Vautrin, le 15 janvier sur BFMTV. Mais, dans la foulée, elle a annoncé « la restitution » des 6 % d’augmentation du coût des contrats des complémentaires santé en 2025, annoncée par la Fédération nationale de la Mutualité française. Cette restitution, de 1 milliard d’euros également, sera versée « à l’État », sous la forme d’une taxe, puis réaffectée à l’assurance-maladie.

Le procédé est des plus retors, car les deux mesures reviennent à peu près au même : le coût des complémentaires santé va augmenter mécaniquement de 1 milliard d’euros. Ce sera donc un nouveau transfert de dépenses massif de l’assurance-maladie vers les complémentaires.

Le président de la Fédération nationale de la Mutualité française, Éric Chenut, rappelle à la ministre que « cette hausse des cotisations est justifiée par une hausse de [leurs] dépenses : la consultation médicale revalorisée à 30 euros, comme les tarifs de certaines professions paramédicales, et plus largement toutes les dépenses de santé, qui progressent au rythme de 4,5 à 5 % depuis le covid ». « Nous sommes des organismes non lucratifs, nous n’avons pas d’actionnaires ! », plaide-t-il.

Une taxe inégalitaire

L’économiste de la santé Brigitte Dormont, pourtant très critique du marché de la complémentaire santé, en convient : « Le gouvernement est dans l’enfumage. Cette augmentation de 6 % en 2025 était prévue avant les annonces du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Elle résulte en partie de la hausse du tarif de la consultation médicale. » Elle prévient : « Cette nouvelle taxe va augmenter les charges des complémentaires. » Et immanquablement faire exploser les cotisations en 2026.

Les complémentaires santé sont déjà taxées à 14 % : « Cette taxe pèse, non pas sur les résultats des complémentaires, mais sur les coûts des contrats, donc directement sur le montant des cotisations de nos assurés, précise Éric Chenut. Aujourd’hui, les cotisations de janvier et février partent en fiscalité. Si elle augmente de 1 milliard d’euros en 2025, ce sont deux mois et demi de cotisations qui partiront en taxe. À mes yeux, cest une forme déguisée d’impôt ou de cotisation sociale pour financer le déficit de la Sécurité sociale. »

Il y a cependant une différence de taille entre cette taxe et un impôt et/ou une cotisation sociale. « Le coût de nos contrats n’est pas proportionnel aux revenus, rappelle le président de la Fédération française de la Mutualité française, Éric Chenut. La hausse de la fiscalité pèsera plus fortement sur les personnes aux contrats les plus onéreux : les personnes malades qui doivent augmenter leurs couvertures pour limiter leur reste à charge, les personnes âgées. »

« Les complémentaires sont très inégalitaires, complète Brigitte Dormont. Elles sont tarifées à l’âge, ce qui est une manière de tarifer au risque, puisque les personnes âgées ont en moyenne des dépenses de santé plus élevées. Même les mutuelles, qui communiquent beaucoup sur la solidarité, font la même chose. Si une mutuelle ne gère pas le risque comme Axa, elle est perdante. C’est la loi du marché. »

La grande Sécurité sociale devrait rembourser à 100 % les soins jugés essentiels auxquels tous devraient avoir accès sans se ruiner. Brigitte Dormont, économiste de la santé

« Parmi les retraités qui ont une complémentaire santé, poursuit l’économiste, les 20 % les plus riches consacrent seulement 4 % de leurs revenus à leur achat de couverture complémentaire et aux dépenses qui restent à leur charge. L’écart est énorme avec les 20 % les plus pauvres, qui sont au-dessus du seuil de la couverture santé solidaire [la complémentaire gratuite ou avec une participation limitée à 30 euros – ndlr]. Ceux-là y consacrent 10 % de leurs revenus ! »

Les mutuelles perdent la mise

À ce jeu-là, celui des inégalités entre riches et pauvres, malades et bien portants, ce sont sans surprise les assureurs privés lucratifs qui remportent la mise. En 2023, selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), « seules les sociétés d’assurance enregistrent un résultat technique positif, quoiqu’en repli. Les mutuelles et les institutions de prévoyance affichent des résultats techniques en diminution et déficitaires en 2023. »

Les mutuelles, à but non lucratif, perdent de l’argent, mais aussi des parts de marché. Ces actrices historiques de l’assurance santé, créées dès le XIXe siècle pour offrir un début de protection aux salarié·es, ont perdu leur hégémonie. Elles ne représentent plus que 46 % du marché de la complémentaire santé, qui pèse près de 40 milliards d’euros. Les assureurs privés le grignotent petit à petit (34 %). En dernier se trouvent les institutions de prévoyance (20 %), des organismes non lucratifs gérés par les syndicats qui vendent essentiellement des contrats collectifs d’entreprise.

Éric Chenut montre du doigt les « bancassureurs », ces banques qui proposent à leurs client·es de nombreux contrats d’assurance : habitation, voiture, santé…

« Ce n’est pas “sain” que les banques fassent de l’assurance, estime Éric Chenut. La banque sait tout de vous, même le détail de vos dépenses de santé si vous êtes assuré. Cela devrait nous questionner. »

Dysfonctionnement supplémentaire : les organismes gagnent de l’argent sur les contrats individuels, que paient entièrement les assuré·es, et en perdent sur les contrats collectifs d’entreprise, en partie pris en charge par l’employeur. « Les contrats individuels, ce sont les retraités, les chômeurs et les étudiants, explique Brigitte Dormont. Ce que signifient ces chiffres, c’est que ces personnes qui ne sont pas les mieux loties paient plus cher que les autres, pour nourrir la concurrence sur le marché collectif, où de vraies négociations ont lieu avec le patronat et les syndicats. C’est une véritable injustice. »

Cette machinerie complexe de l’assurance santé, qui mélange assurances publiques et assurances privées lucratives, non lucratives et paritaires, a un coût : 19,2 % du chiffre d’affaires des complémentaires santé (soit 8 milliards d’euros) s’évaporent en dividendes, pour les assureurs privés, et en frais de gestion. « Les frais de gestion ne sont pas seulement de la publicité, à laquelle nous consacrons en moyenne 20 centimes sur 100 euros de cotisation, se défend le président de la Fédération nationale de la Mutualité française. C’est le traitement des feuilles de soins, l’accueil physique et téléphonique basé en France, la pratique du tiers payant, nos actions de prévention. » Mais l’assurance-maladie affiche des frais de gestion bien moindres, de l’ordre de 5 %.

Le problème est structurel, insiste Brigitte Dormont : « Que des organismes publics et privés fassent la même chose – rembourser 70 % d’une consultation pour les uns, les 30 % restants pour les autres –, c’est totalement inefficace. C’est un vrai argument pour la grande Sécurité sociale, qui devrait rembourser à 100 % les soins jugés essentiels auxquels tous devraient avoir accès, sans se ruiner en reste à charge ou en frais d’acquisition d’une couverture. »


 

    mise en ligne le 1er mars 2025

La CGT appelle à « une mobilisation d’ampleur » les 8 et 20 mars contre la réforme des retraites

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

La CGT appelle à la mobilisation « pour gagner l’abrogation de la réforme » des retraites de 2023 le 8 mars, puis le 20 mars, dans un communiqué publié ce vendredi 28 février. Au-delà de ces deux premières dates, la CGT appelle à « une mobilisation d’ampleur » à terme.

Un appel à la mobilisation « pour gagner l’abrogation de la réforme » des retraites de 2023 a été lancé, par la CGT, ce vendredi 28 février, via un communiqué de presse. « Une majorité de Françaises et de français comme de député·es y sont favorables, la victoire est donc à portée de main », clame le syndicat.

Ainsi, l’organisation syndicale appelle à rejoindre les cortèges prévus le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, pour réclamer notamment « l’égalité salariale », présentée par la centrale comme étant une des solutions de financement du système.

Elle appelle également à rejoindre des cortèges le 20 mars « avec les organisations de retraités ». Au-delà de ces deux premières dates, la CGT appelle à « une mobilisation d’ampleur » à terme et invite « toutes les organisations syndicales à se rassembler pour construire le rapport de force ».

François Bayrou a évoqué un référendum

Le premier ministre François Bayrou a annoncé, la veille, jeudi 27 février au soir, dans un entretien au Figaro, qu’en « cas de blocage (…) le référendum est une issue », sans toutefois préciser la nature de ce blocage (négociations entre partenaires, au Parlement ou dans le pays…).

Pour rappel, le premier ministre avait chargé les syndicats et le patronat, en janvier, de renégocier, un nouveau cycle de concertations a ainsi été lancé pour renégocier la réforme des retraites d’avril 2023 (recul de l’âge légal de 62 à 64 ans), avec pour objectif d’aboutir à un accord fin mai.


 


 

Retraites : Bayrou rouvre les négociations en fermant le débat

Khedidja Zerouali et Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Dès son ouverture, la mascarade de la renégociation de la réforme des retraites se révèle pire qu’annoncée : FO claque la porte et Bayrou affirme qu’en cas de désaccord ce serait retour à la case départ ou référendum. Quant au patronat, il pousse pour introduire une dose de capitalisation dans le système. 

Qu’il semble loin le temps où Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste (PS), se gargarisait d’avoir poussé le gouvernement à rouvrir le « chantier » des retraites. C’était pourtant le 16 janvier dernier, après que le parti à la rose avait refusé de voter la motion de censure déposée par LFI, car il avait obtenu de significatives avancées pour les Français. À commencer par la renégociation de la très impopulaire réforme des retraites, qui décale l’âge légal de départ de 62 à 64 ans.

Jeudi 27 février, l’ouverture de cette renégociation a présenté le décor d’une pièce de théâtre où chacun a joué son rôle. Pour la énième fois, les parties autour de la table ont redit leurs positions irréconciliables, telles qu’elles sont connues depuis des semaines. Les syndicats se sont mobilisés pour l’abrogation de la réforme des retraites, exigeant le retour de la retraite à 62 ans.

De leur côté, les organisations patronales, le Medef et la CPME, se sont dites favorables à l’introduction d’une dose de capitalisation, c’est-à-dire un système d’épargne dans lequel chaque retraité cotise pour sa future retraite. Le « patron des patrons », Patrick Martin, avait prévenu : « Si on doit reprendre le sujet des retraites, c’est pour améliorer le rendement de la réforme, certainement pas pour la détricoter. » 

Force ouvrière (FO) a de son côté quitté la table des négociations, à peine un quart d’heure après s’y être assise, juste après avoir lu un communiqué. Pour eux, l’affaire est une « mascarade ». Aucune surprise, là encore, puisque FO avait annoncé avant même le début des négociations que le compromis ne serait pas possible. « La place du syndicat Force ouvrière reste évidemment à la table, s’ils souhaitent y revenir », a affirmé Matignon jeudi soir à l’AFP. 

Les autres syndicats, eux aussi, aimeraient que FO revienne. « Ils ne nous avaient pas prévenus, commente Denis Gravouil, négociateur pour la CGT. On est bien d’accord sur le fait que le cadre ne nous convient pas, on est d’accord aussi sur le but : l’abrogation. Mais nous, on reste parce qu’il y a des chiffrages intéressants à obtenir, et surtout parce que claquer la porte sans avoir personne dans la rue, ça ne va pas nous apporter grand-chose. » 

La CGT, elle, a enfin obtenu un chiffre qu’elle demandait depuis des mois : le coût d’un retour de l’âge de la retraite à 62 ans. « 10,4 milliards », a répondu l’exécutif. « Nous aurons des propositions pour les trouver »  promet le deuxième syndicat du pays. 

Une négociation torpillée 

Plus vite encore que FO, François Bayrou a lui aussi fait preuve de célérité pour révéler le jeu de dupes en cours. Le premier ministre a torpillé cette négociation impossible avant même qu’elle ne commence (et alors qu’elle doit durer jusqu’au 28 mai), en annonçant dans un grand entretien au Figaro : « Si personne ne se met d’accord, nous l’avons dit, on en restera au système antérieur, défini en 2023. » 

Pis, il affirme qu’en cas de « blocage », « le référendum est une issue ». Une façon d’acter d’ores et déjà ledit blocage, en court-circuitant une négociation qu’il a lui-même organisée. Et comme selon ses proches cette interview n’est pas une réponse au départ de FO, puisqu’elle aurait été faite avant, il faut bien comprendre qu’avant même la première journée de négociations, le premier ministre s’était déjà attelé à rendre la discussion caduque.

Pour rappel, lors de ses vœux de bonne année, Emmanuel Macron annonçait vouloir demander aux Français·es de trancher certains « sujets déterminants ». Depuis, ses ministres et son premier ministre lancent des idées à qui mieux mieux.

« Chiche !, lui répond Denis Gravouil de la CGT : faisons un référendum sur les retraites et on verra bien ce que répondent les Français. » Le syndicaliste est visiblement agacé par ce gouvernement qui tout d’un coup se sent d’humeur à entendre le peuple, après avoir interdit à ses représentant·es d’exprimer leur vote, préférant adopter la réforme au moyen de l’article 49-3.

« Par ailleurs, on a appris cette possibilité de référendum dans la presse comme tout le monde, poursuit-il. Quelle question sera posée ? Si c’est pour proposer une nouvelle réforme avec départ à 63 ans et l’introduction d’une part de capitalisation, ça ne nous intéresse pas. La seule question qui mérite d’être posée, et qui aurait dû être mise au vote, c’est : êtes-vous pour ou contre la réforme des retraites de 2023 ? »  

Une lettre de cadrage impossible à tenir 

Pour cet ersatz de négociation, François Bayrou a envoyé aux partenaires sociaux une lettre de cadrage pour le moins resserrée, exigeant des partenaires sociaux qu’ils trouvent des mesures pour un retour à l’équilibre financier du système des retraites à horizon 2030. Selon la CGT, cette lettre de mission est « impossible », puisqu’elle exige « de faire ce que les précédents gouvernements n’ont pas fait, à savoir remettre les comptes à l’équilibre ». 

Et Michel Beaugas, négociateur pour FO, d’abonder : « D’une part, nous ne pourrons pas toucher à la borne d’âge et d’autre part, ce seront encore aux salariés que les efforts seront demandés. Or le déficit actuel est de 6 milliards d’euros alors que les aides publiques aux entreprises sans aucune contrepartie représentent 173 milliards d’euros. » 

Mais Francois Bayrou n’en démord pas, il exige des économies drastiques sur le système des retraites, estimant qu’il existerait un déficit caché de 55 milliards d’euros par an, dont 40 à 45 milliards seraient empruntés chaque année. Une théorie qui a été démentie par tous les spécialistes, le Conseil d’orientation des retraites (COR) mais aussi par la Cour des comptes, dans un rapport datant du 20 février dernier. 

Nous l’avons déjà raconté, la Cour des comptes rappelle que le système des retraites a été en excédent au début des années 2020, avec un solde positif de 8,5 milliards d’euros en 2023, en raison des réformes votées depuis une dizaine d’années. Mais le déficit se réinstalle et devrait atteindre 6,6 milliards d’euros cette année – c’est-à-dire un peu moins de 2 % des 337 milliards versés aux retraité·es par le régime général chaque année.

À l’horizon 2035, ce déficit devrait se stabiliser à 15 milliards, puis autour de 30 milliards en 2045. Si les chiffres peuvent paraître importants, il faut les comparer avec ceux des comptes publics qui, en 2023 et 2024, ont dérapé de 70 milliards d’euros par rapport à ce qui était prévu par le gouvernement. 

Les pro-retraite par capitalisation s’organisent 

Cette mascarade de réouverture des discussions sur le système des retraites permet enfin aux plus fervents défenseurs de la retraite par capitalisation – en opposition au système actuel par répartition – d’avancer leurs pions. Aux premiers rangs desquels les ministres de François Bayrou. 

« Il faut lever ce tabou [de la retraite par capitalisation – ndlr] et mener la bataille culturelle », a confié le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, au Parisien. La ministre chargée du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, estime pour sa part que l’idée d’introduire une part de capitalisation dans le système de retraites devait « faire partie des sujets de discussion » au sein du conclave.  

Les ministres de la justice et de la santé Gérald Darmanin et Catherine Vautrin ont également fait des déclarations en ce sens. Le ministre de l’économie et des finances, Éric Lombard, se fait plus discret. Rappelons qu’il a été successivement patron des assureurs BNP Paribas Cardif et Generali France, deux institutions financières qui auraient beaucoup à gagner de l’instauration d’une dose de capitalisation dans le système des retraites. Un de ses proches cité dans Le Parisien confie ainsi qu’Éric Lombard ne serait « pas opposé » à l’idée d’une telle réforme. 

Le Medef – il faut noter que sa négociatrice sur les retraites, Diane Deperrois, travaille pour l’assureur Axa – a déjà un projet clé en main à proposer au gouvernement et aux syndicats. Le président du Medef, Patrick Martin, plaide ainsi dans Le Monde du 27 février pour ouvrir la boîte de Pandore et affecter de manière obligatoire une partie des cotisations sociales des salarié·es à un fonds piloté par les partenaires sociaux, et qui investirait dans des produits financiers proposés par des banques, compagnies d’assurances et autres fonds de pension.

Le niveau des retraites des salarié·es dépendrait alors en partie des gains générés par ces placements. Pour compenser les pertes potentielles pour les branches famille et assurance-maladie de la sécurité sociale, le patron des patrons propose de lui transférer une part de TVA perçue par l’État.  

Une proposition qui préfigure une financiarisation rampante de la protection sociale en France. Car au-delà d’introduire une dose de capitalisation, faire reposer le financement de la protection sociale sur une recette fiscale de l’État comme la TVA, et non plus sur des cotisations adossées aux salaires et gérées paritairement, c’est donner la possibilité aux futurs gouvernements de couper selon leur bon vouloir les vivres du système des retraites pour lui imposer l’austérité.

Ce qui engendrera mécaniquement un besoin croissant de capitalisation. Et tuera in fine le système universel des retraites par répartition basé, rappelons-le, sur des cotisations ouvrant le droit de bénéficier d’un salaire différé pour ses vieux jours. 


 

     mise en ligne le 28 février 2025

En grève, les travailleurs de Geodis réclament « leur part du gâteau »

Yannis Angles sur www.mediapart.fr

Encore une entreprise qui affiche d’importants bénéfices, sans augmenter significativement les rémunérations. Mercredi 26 février, les salariés du logisticien ont manifesté devant leur entrepôt, à Gennevilliers, pour faire entendre leurs revendications.

Gennevilliers (Hauts-de-Seine).– Une fois n’est pas coutume, les salarié·es de l’entrepôt Geodis de Gennevilliers ont installé les enceintes et le barbecue, bien décidé·es, mercredi 26 février, à maintenir le piquet de grève jusqu’à obtenir satisfaction. Manque de chance, il pleut des cordes. « Nous voulons une grille salariale et des augmentations de salaire. Pour ça, notre meilleur levier, c’est la grève », déclare au micro un délégué du personnel, agent de quai, chasuble CGT sur le dos.

L’une de ses camarades de la CGT-RATP venue les soutenir enchaîne : « Chaque jour, on nous rappelle que nos vies valent moins que leurs dividendes. » En effet, l’entreprise va bien. Selon ses comptes, Geodis a réalisé 260 millions d’euros de bénéfices en 2023, dont 15 ont été reversés en dividendes à ses actionnaires. « C’est bon, ils se sont assez gavés sur notre dos, maintenant, on veut notre part du gâteau », lâche Hassen Letaief, qui cumule vingt ans d’ancienneté comme agent de quai. Les salarié·es sont d’autant plus agacé·es qu’en face, les augmentations proposées par le patron sont bien maigres, et les négociations annuelles obligatoires (NAO) en cours décevantes.

Pour l’heure, la direction propose une augmentation de 90 euros pour les agent·es de quai, 80 euros pour les chef·es et seulement 50 euros pour tous les autres. « On pourrait accepter, mais ce n’est pas dans notre ADN. Nous, on se bat pour que tout le monde voie son salaire augmenter au même niveau », explique Laurent. Les hausses différentes cachent selon lui une volonté de la direction de diviser le mouvement, pour une reprise du travail rapide. « Mais ils n’y arriveront pas, on est soudés et on sait qu’on est dans un groupe très riche », explique Laurent, délégué CGT Île-de-France de Geodis et chauffeur poids lourd depuis vingt-sept ans.

Éric Coquerel, député La France insoumise (LFI) de la circonscription voisine, a fait le déplacement. Au micro, il annonce qu’il écrira dès le lendemain au président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, pour lui signifier qu’il « ne peut pas toujours se cacher derrière le fait que Geodis est une filiale pour prétendre qu’il n’est pas responsable de [leurs] salaires ».

« On n’a plus rien à perdre »

Interrogé par Mediapart, Geodis met en avant « un dialogue social apaisé et constructif ». Selon l’entreprise, si ces mesures étaient adoptées, aucun salarié sur le site de Gennevilliers ne serait payé en dessous de 2 000 euros brut par mois, sur treize mois. L’entreprise précise aussi qu’« à ce jour, ces discussions se poursuivent ». Une nouvelle rencontre entre la direction et les représentant·es des salarié·es devait se tenir jeudi 27 février. « On a peu d’espoir que ça aboutisse aujourd’hui, mais on a le rapport de force de notre côté », explique Laurent. Medhi*, agent de quai à l’entrepôt, ajoute : « On a déjà perdu tellement d’argent qu’on n’a plus rien à perdre. »

Geodis, leader de la logistique en France et filiale de la SNCF, assure la distribution de colis en « express », c’est-à-dire que la livraison est garantie pour le lendemain de la commande. La plateforme de Gennevilliers, qui compte 180 salarié·es, est un point stratégique pour l’approvisionnement de toute la région Île-de-France. « Les colis ne restent que quelques heures chez nous. On doit les décharger, les traiter et les renvoyer au plus vite, explique Izac, agent de quai depuis plusieurs années. C’est comme à l’usine : on répète toujours la même tâche et il faut être hyper rapide. » Chaque jour, jusqu’à 80 000 colis, parfois lourds, transitent par l’entrepôt. « Des moteurs de voiture, des bidons d’huile, des produits chimiques, parfois même des animaux dans des cartons », raconte Hassen Letaief.

La grève, ce n’est pas la première dans cet entrepôt. « Depuis 2015, c’est un site où il y a un cycle de luttes régulières, ce qui est très rare dans le secteur », explique David Gaborieau, sociologue du travail. Et de préciser : « Le monde de la logistique est en train de devenir une force très importante du monde ouvrier, car un quart des ouvriers y travaillent. » En 2015, 2019, 2022, les salarié·es s’étaient déjà mobilisé·es pour réclamer des améliorations de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations.

Pour ce métier éprouvant, ils touchent, chaque mois, entre 1 600 et 1 700 euros net, primes de nuit comprises. Soit moins de 300 euros au-dessus du Smic. « Je ne suis pas dans le rouge tous les mois, mais dans le noir », confie Idrysse, agent de quai. Son collègue Hassen Letaief abonde : « Le 5 du mois, il n’y a déjà plus rien sur mon compte. Tout augmente : la mutuelle, le loyer, la nourriture, mais pas mon salaire. » À partir du 15 du mois, une avance sur salaire est automatiquement versée, mais cela ne règle rien, souligne Medhi : « C’est un cache-misère, ça ne fait que déplacer le problème. »

Les salariés cumulent presque tous les facteurs de pénibilité

Faire grève quand les fins de mois sont déjà difficiles est un véritable sacrifice. « On est déjà dans la merde toute l’année, alors là, c’est encore pire », lâche Laurent. Mais la solidarité entre grévistes leur permet de tenir. Mercredi, leur caisse de grève, qui se remplit jour après jour, a reçu un chèque de 2 000 euros de la Fédération des transports de la CGT, et ils espèrent encore obtenir des fonds de toute la France, comme lors de leurs précédentes mobilisations. Ils ont même lancé une caisse de grève sur le site de cagnotte en ligne Leetchi, où des dizaines de personnes ont déjà donné plus de 700 euros.

« On a sacrifié notre santé, notre vie de famille et nos salaires, pour permettre à l’entreprise de se développer, raconte Izac, agent de quai depuis plusieurs années. Aujourd’hui, on veut notre part du gâteau. » Pour Hassen Letaief, le combat ne se limite pas aux conditions de travail pour les salarié·es actuel·les : « On veut que la prochaine génération de salariés reparte en aussi bonne santé qu’ils sont arrivés. Nous, aujourd’hui, on repart cassés à cause du travail. »

« Je ne peux même plus porter ma fille », confie Hassen Letaief, qui souffre d’une hernie discale et subit des douleurs quotidiennes. « Je ne dors pas bien la nuit », ajoute-t-il. Lui et ses collègues cumulent presque tous les facteurs de pénibilité : températures extrêmes dans l’entrepôt, poussière, vibrations, manutention répétitive, bruit et port de charges lourdes. Ces dernières années, l’évolution de leurs conditions de travail est qualifiée de minime par les salarié·es et n’a été obtenue qu’après de longues luttes lors de précédentes grèves.

Depuis des années, le site de Gennevilliers est le seul à se mobiliser au sein du groupe. Selon Laurent, la direction refuse de céder à leurs revendications par crainte de créer un effet de contagion dans d’autres sites. Et, en effet, un autre site de Geodis, France Express, de l’autre côté de la rue, est également en grève depuis deux jours.

« C’est historique, jamais aucun autre entrepôt ne s’était mis en grève lors de nos précédents mouvements », se félicite-t-il. Une contagion rare, car selon David Gaborieau, présent mercredi 26 au soir, « c’est un secteur où le syndicalisme a du mal à se construire en raison de l’éclatement des sites, du peu de visibilité sociale des très bas salaires et d’un recours très important à l’intérim ».


 

    mise en ligne le 27 février 2025

Opération « Mur d’acier » : Israël lance l’annexion de la Cisjordanie dans un silence politique assourdissant

Lina Sankari sur www.humanite.fr

Quelque 40 000 Palestiniens ont été expulsés des camps de Jénine, Tulkarem et Nour Chams. Un nettoyage ethnique qui vise à en finir avec le statut de réfugié et à s’emparer des territoires occupés pour empêcher la solution à deux États.

Il y a vingt-deux ans que les chars n’étaient plus entrés dans Jénine. Depuis un mois, la violence de l’armée et des colons israéliens a atteint son acmé en Cisjordanie occupée. Après la guerre à Gaza, le ministre de la Défense Israël Katz s’est félicité d’avoir vidé trois camps de réfugiés du nord du territoire au prix de 60 vies : « Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants. »

S’il y avait encore des doutes sur la volonté de mettre fin au statut de réfugié palestinien après l’interdiction faite à l’Unrwa (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) d’opérer en Israël et à Jérusalem-Est, le responsable israélien, ouvertement annexionniste, précise que l’armée a reçu l’ordre de ne pas « permettre (leur) retour ».

Un calendrier qui ne doit rien au hasard

La mise en œuvre de cette entreprise de nettoyage ethnique passe par le stationnement des soldats : « Je (leur) ai donné pour instruction de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir », a-t-il ajouté. « Une dangereuse escalade », souligne Ramallah.

Le calendrier ne doit évidemment rien au hasard et il est difficilement imaginable que l’opération « Mur d’acier » se déroule sans l’assentiment de Donald Trump. L’évacuation des habitants a été précédée d’attaques brutales de colons, couvertes par les soldats, et la destruction aux bulldozers des routes, du réseau d’eau et d’habitations afin d’entraver le retour. Mais, en décembre, ce sont les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne qui avaient lancé un raid afin de débusquer les combattants à Jénine.

« Le monde ne peut pas rester inerte face à cette catastrophe qui s’ajoute au génocide en cours à Gaza. Israël semble vouloir « achever le travail », comme le disait l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, c’est-à-dire chasser définitivement les Palestiniens de leur terre. Soit la phase ultime de la conquête coloniale dont l’historien Ilan Pappé dit que, dans le processus de colonialisme de remplacement, « l’indigène est là provisoirement, puis plus du tout » », relève l’association des Amis du Théâtre de Jénine.

900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre

Depuis le 7 octobre 2023, au moins 900 Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens ou des colons en Cisjordanie occupée. Selon le récit officiel qui a cours à Tel-Aviv, c’est toutefois la libération des prisonniers palestiniens, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, qui justifie cette nouvelle opération sanglante : « Le problème, c’est que 82 % de ces Palestiniens libérés se sont immédiatement livrés à nouveau à des activités terroristes », veut croire un porte-parole militaire.

Sous couvert de lutte contre les groupes armés, en l’occurrence le Djihad islamique et le Hamas – qui auraient déjà quitté la localité, selon de nombreux témoignages –, l’armée d’occupation envoie ses drones pour exhorter les habitants à l’évacuation. Elle terrorise la population à grand renfort de grenades assourdissantes pour l’obliger à fuir le territoire décrété « zone militaire ». De fait, elle n’opère aucune distinction entre civils et combattants. « Les gens ont des difficultés à accéder aux besoins de base comme l’eau potable, la nourriture, des soins médicaux et des abris », indique le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Située en zone A, et donc sous contrôle de l’Autorité palestinienne en vertu des accords d’Oslo de 1993, Jénine avait déjà subi dix jours de siège lors de la seconde Intifada en 2002. À l’époque, l’opération « Rempart » s’était soldée par la mort de 497 Palestiniens, 1 447 blessés et l’arrestation de 7 000 autres personnes. Il se pourrait cette fois qu’Israël soit lancé dans une bataille pour l’annexion à même d’en finir avec la solution à deux États.

Et « l’inquiétude » exprimée par l’Union européenne ne saurait lui faire renoncer à l’édification d’un « Grand Israël » sur l’ensemble de la Palestine. Israël Ganz, chef du Conseil de Yesha, principale organisation représentative des colons, faisait récemment valoir ces prétentions annexionnistes : « Nous ferons tout pour appliquer la souveraineté israélienne, au moins à la zone C », qui représente un peu plus de 60 % du territoire de la Cisjordanie entièrement sous occupation israélienne.

La plupart des terres agricoles vitales y sont situées. En 2020, le président états-unien entendait déjà imposer « le deal du siècle » qui prévoyait l’annexion de pans entiers de territoires palestiniens. Désormais, pour les colons, le retour au pouvoir de Donald Trump s’apparente presque à celui du Messie.


 


 

« Une balle dans la tête de toute la mélenchonie » : un écrivain franco-israélien appelle au meurtre de députés insoumis

Margot Bonnéry sur www.humanite.fr

Dans une note de blog publiée dans la « Tribune juive » le 20 février, le romancier franco-israélien Marco Koskas appelle à « dézinguer » les députés Éric Coquerel et Ersilia Soudais, et s’en prend plus généralement à l’ensemble de la France Insoumise. Les deux élus visés nommément ont annoncé porter plainte, ce jeudi 27 février.

« Je n’aurai jamais assez de balles pour dézinguer tous ces affreux. Et pas de revolver non plus. » Dans un billet publié dans le média en ligne « Tribune juive » ce 20 février, l’écrivain franco-israélien Marco Koskas menace de mort les députés Éric Coquerel, Ersilia Soudais et tous les membres de la France Insoumise. « La conscience humaine n’est plus façonnée par les livres, mais par les hyènes de la politique. Et moi je ne vois pas d’autre réponse que foutre une balle dans la tête de Mme Sourdais, Monsieur Coquerel et toute la mélenchonie. », écrit-il.

Face à ce qui constitue un appel au meurtre, les deux députés ciblés ont annoncé porter plainte. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, de nombreux militants et élus insoumis, mais aussi des syndicalistes CGT et des militants communistes, reçoivent des insultes et menaces en ligne, par courrier et dans la rue, en raison de leur engagement en faveur de la Palestine. Certains se font harceler, d’autres doivent déménager, ou « se font saccager leur maison », a rappelé Jean-Luc Mélenchon sur X, qui a vu sa maison secondaire dans le Loiret dégradée.

Accusé de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas »

« C’est devenu tristement banal dans une société qui s’enfonce de plus en plus dans le fascisme », dénonce pour sa part Ersilia Soudais. « Des menaces de mort sous couvert d’anonymat, ce n’est pas la première fois que j’en reçois. Mais il faut se sentir dans une impunité totale pour nous désigner comme cible en signant dans un média un papier nous promettant une balle dans la tête », complète Éric Coquerel, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.

Dans son billet, Marco Koskas, qui se revendique lui-même « sioniste », accuse la France insoumise de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas » et reproche notamment à Éric Coquerel d’avoir rendu visite en prison à Georges Ibrahim Abdallah, militant libanais pro-palestinien détenu en France depuis 40 ans pour des faits de terrorisme, mais libérable depuis 1999. Ce qui justifie, pour Marco Koskas, de réclamer qu’on assassine un représentant de la nation.

Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants insoumis interpellent le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Ces derniers n’ont pour l’heure pas encore réagi.


 

     mise en ligne le 26 février 2025

« Si on ferme,
ils vont aller où ces gens ? » :

privée de subvention, la Maison des chômeurs de Montpellier est menacée

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

La Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, qui accompagne depuis 31 ans les privés d’emploi, pourrait fermer d’ici deux mois. Le département de l’Hérault a décidé de supprimer totalement sa subvention principale. Une catastrophe pour les bénéficiaires et les salariés de l’association.

Montpellier (Hérault).– À 62 ans, elle a signé « le premier CDI de sa vie » en juin 2024 et s’accroche à un double espoir : garder son emploi et voir l’association survivre. Embauchée comme coordinatrice à la Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, Claude demeure combative, face à la menace de fermeture de la structure, qui a fêté ses 31 ans en janvier.

Située à quelques encablures de la gare Saint-Roch, la structure accueille chaque jour, sans rendez-vous, des personnes sans emploi ou des travailleuses et travailleurs précaires en quête d’un coup de main administratif, d’un accès à un ordinateur mais aussi de lien social. L’an dernier, 2 000 personnes sont passées par la Maison des chômeurs ; 246 ont été accompagnées dans des recours administratifs et huit dossiers d’aide au logement ont été montés.

Début janvier, le département socialiste de l’Hérault, principal financeur du lieu géré par l’association Créer (Comité pour une répartition équitable de l’emploi et des revenus), a décidé de supprimer sa dotation annuelle de 38 112 euros au motif d’un « contexte budgétaire fortement contraint ». Privée de cette subvention, la Maison des chômeurs ne passera pas le printemps. « En mai, ça pourrait être terminé », soupire Claude, en se roulant une cigarette.

« C’est un endroit qui compte, souffle Denis, un habitué. Un lieu où on peut se poser, discuter, envoyer des CV et demander des conseils. » Sans emploi, bénéficiaire de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), le Montpelliérain a franchi pour la première fois la porte de la Maison des chômeurs il y a quatre ans. « Je suis passé devant, par hasard. Jai vu le nom et je suis entré, pour voir. » Depuis, il vient quasiment tous les jours.

Du travail, Denis en cherche activement « dans tout et partout, et en particulier dans la restauration », précise celui qui vient de déposer un énième CV dans un café de la place de la Comédie, pour un poste de plongeur. « Je passe des entretiens, ça se passe bien mais on ne me rappelle jamais ! », déplore-t-il.

« Je l’ai vu se taper la tête contre les murs l’été dernier, raconte Claude. Les patrons de la région pleurent à la télé parce qu’ils ne trouvent personne mais lui, il n’était jamais pris ! » Récemment, il a eu une opportunité de travail sur la Côte d’Azur mais, comme toujours, la question du logement des travailleuses et travailleurs saisonniers est un frein. L’association l’aide donc dans ses démarches d’obtention d’un logement social.

« Denis est utilisateur de l’asso mais aussi bénévole, adhérent, pote et garde du corps personnel ! », sourit Claude, qui a su compter sur son soutien dans des moments difficiles. Âgé de 50 ans, l’homme fait partie de la centaine d’adhérent·es de l’association, dont près de la moitié résident en quartier prioritaire de la politique de la ville, selon les données 2024 de la structure.

Des gens seuls et exclus

68 % des adhérent·es ont au moins 50 ans et près de la moitié sont même âgé·es de 60 ans et plus. Ces profils, chômeuses et chômeurs séniors ou retraité·es en grande précarité, se retrouvent aussi chez les bénéficiaires, qui vont et viennent dans les locaux. « On a beaucoup de gens qui ne savent plus quoi faire, ni où aller, souligne Claude. Des gens exclus, vraiment très exclus»

Des exemples, elle en a pléthore mais pense spontanément à celui qu’elle appelle « [s]on petit monsieur ». « Il a une soixantaine d’années, il est au RSA et est en très mauvais état physique après une vie de manœuvre sur les chantiers. Et puis l’année dernière, il a eu un très grave accident de la route, décrit-elle. Cet homme, il ne lit pas et n’écrit pas le français. Il est seul, vraiment tout seul… Il faudrait lui monter un dossier de reconnaissance de handicap. Il a une assistante sociale mais elle est débordée alors il finit toujours par venir chez nous. »

Les mains croisées sur les genoux, Bastien, assistant administratif de l’association, soupire : « Ils vont devenir quoi, ces gens, si on ferme ? Ils vont aller où ? » Sollicité par Mediapart sur la suppression de sa subvention et la menace de fermeture du lieu, le département de l’Hérault se dit dans « l’obligation de suspendre le versement de subventions de fonctionnement à certaines associations », évoquant « les différentes baisses de dotations et la non-compensation d’actions menées en lieu et place de l’État [qui] contraignent le département ».

La collectivité, qui sacrifie aussi le budget alloué à la culture, brandit depuis des mois la menace d’une « mise sous tutelle » de son budget et la nécessité de sortir « ciseaux, tronçonneuse et sécateur » pour l’éviter. « Le budget de l’État adopté récemment n’est finalement pas aussi raide pour les collectivités que celui préparé sous Barnier ! », pointe cependant Claude, qui espère que le département va revenir sur sa décision, et accordera une aide financière, même moindre, à la Maison des chômeurs.

Des liens avec France Travail

Interrogée sur ce point, la collectivité ne nous a pas répondu mais considère, pour justifier sa décision de couper la subvention, que « l’action de l’association Créer ne s’inscrit pas dans le cadre des compétences départementales obligatoires et s’adresse aux demandeurs d’emploi au sens large et non spécifiquement aux bénéficiaires du RSA ». Et poursuit : « Les actions d’accompagnement administratif menées par l’association Créer sont déjà assumées par les acteurs de droit commun que sont les CCAS [centres communaux d’action sociale – ndlr], les maisons France services et les services sociaux départementaux. »

Si elle comprend parfaitement la situation financière délicate du département, Claude est heurtée par les arguments. « Ça revient à dire que ce qu’on fait ne sert à rien, ne sert à personne... », s’émeut la coordinatrice. Depuis plusieurs semaines, elle remue ciel et terre en quête de financements par des appels au mécénat et aux dons. Claude s’obstine et refuse de parler des projets en cours au passé. « Un budget participatif nous a été accordé par la ville pour la rénovation des locaux et nous étions en pourparlers pour accueillir la permanence de la cinquième agence France services de Montpellier. »

Outre l’accompagnement personnalisé proposé par la Maison des chômeurs, Claude rappelle que la structure assure aussi, une fois par semaine, la permanence téléphonique nationale du MNCP, le Mouvement national des chômeurs et précaires.

Et la Maison des chômeurs participe également plusieurs fois par an aux comités de liaison de France Travail. « C’est important d’y être, détaille Claude. Ça permet de faire remonter des problèmes et de rester à jour. France Travail est à notre écoute et, parfois, nous envoie du monde. Récemment, ils nous ont adressé un allocataire qui ne sait pas utiliser un ordinateur. »

Voir tout ce travail sombrer, faute de financement, serait un crève-cœur. Sans parler du retour à la case chômage pour Claude, enfin embauchée après des années de galère. « L’asso me tient à cœur mais je ne vais pas être hypocrite, ma situation personnelle, aussi, me tient à cœur ! », lance la salariée, que Mediapart avait déjà rencontrée en 2022. À l’époque, elle était en contrat aidé au sein de l’association Créer et sortait la tête de l’eau après quatre années de chômage, avec 500 euros d’allocation mensuelle.

Une Maison des chômeurs obligée de licencier ! C’est vraiment hard. Claude

Assis en face d’elle, Bastien acquiesce. Le trentenaire a rejoint la Maison des chômeurs en 2024. Il a signé un contrat aidé, censé se prolonger jusqu’en novembre 2025. Son embauche en CDI, souhaitée par l’association, est remise en cause par la perte de la dotation du département.

« Cest vraiment le premier travail où je suis content de venir et totalement investi, souffle Bastien qui a jusqu’ici multiplié les contrats précaires – des chantiers d’insertion aux contrats de professionnalisation en passant par des CDD, parfois très courts.

Bastien rêvait d’être cuisinier mais a dû se réorienter dans l’administratif à la suite d’ennuis de santé et une reconnaissance de travailleur handicapé. Il a d’ailleurs pris l’initiative de monter une commission « handicap solidarité » à la Maison des chômeurs pour mieux accompagner toutes les personnes concernées.

« Si ça s’arrête, tout s’arrête », murmure-t-il, en secouant la tête. « Il n’y a aucun filet, pas de sauvetage possible pour les bénéficiaires. Et pour nos emplois, embraye Claude. Vous imaginez ? Une Maison des chômeurs obligée de licencier… c’est vraiment hard. »

La conversation est interrompue par un homme, à la taille imposante, qui entre dans le bureau. Il serre les mains, sans dire un mot, dépose un paquet de chips sur le bureau de Claude, accompagné d’un léger sourire. Puis s’en va s’installer devant un ordinateur, dans la salle attenante, toujours sans mot dire.

« C’est un petit cadeau, ça arrive, glisse Claude, amusée, en regardant le sachet. Parfois, j’ai des oranges aussi. » L’homme, raconte-t-elle, est originaire « des pays de l’Est » et a plus de 70 ans. « C’est un homme très lettré. Je crois qu’il était journaliste dans son pays. Il vient faire des démarches pour rester dans son foyer d’urgence. Apparemment ils veulent le virer... », murmure-t-elle.

La « petite sonate CNews »

Concentré et mutique, l’homme restera plus d’une heure devant un ordinateur. À l’évocation de son parcours, Bastien répète inlassablement la même interrogation : « Si on ferme, ils vont aller où ces gens ? » Assis près de la fenêtre, Denis tapote sur la table et répond, comme pour lui-même : « Ça ne fermera pas, c’est impossible que ça ferme, impossible... »

Interrogée sur la réaction des bénéficiaires face à cette menace de fermeture, Claude répond que la plupart sont résigné·es « et ce, depuis longtemps ». Elle a vu toute forme de combativité s’étioler avec les années, à coups de « réformes successives de l’assurance-chômage » et de « ségrégation des précaires ».

La coordinatrice de la Maison des chômeurs s’est risquée à lire les commentaires, sous un article en ligne du quotidien régional Midi libre, traitant de la perte de subvention de l’association. « Une horreur… La classique petite sonate CNews avec des propos contre “les assistés” et “les étrangers” qu’il faudrait arrêter de financer. Tous les effets de la stigmatisation permanente des chômeurs, depuis des années… »


 

    mise en ligne le 25 février 2025

Le fascisme, un business-plan
de croissance exponentielle

Jérémy Rubenstein (historien) sur https://blogs.mediapart.fr/

Le soutien actif des plus grandes fortunes, locales et mondiales, aux projets politiques les plus réactionnaires, remet au goût du jour le vieil adage « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Cela supposerait cependant une attitude défensive de ces oligarques alors qu'ils réalisent une offensive tous azimuts. Ce n'est pas Hitler pour éviter le FP mais parce que c'est une très bonne affaire

Avant la publication de son enquête sur PERICLES, le projet de « méta-politique » financé par le milliardaire Pierre-Edouard Stérin, le journal L’Humanité a reçu une menace assez particulière. En effet, son article reposait notamment sur une feuille de route de l’association d’extrême-droite qui dévoilait ses objectifs et les étapes pour y parvenir. Or, l’association considérait ce document comme un business-plan d’entreprise, si bien qu’elle a averti le journal qu’elle l’attaquerait pour violation du secret des affaires.

On pourrait considérer cette attaque contre le journal comme une simple défense d’avocats usant des outils procéduraux disponibles afin de protéger le groupe du milliardaire. Pragmatisme de barreau, en somme. Cette interprétation n’en exclut pas une autre, plus littérale : effectivement, établir un régime réactionnaire (ou facho-conservateur, c’est-à-dire -et pour aller vite- fasciste classique sans les congés payés) est un business plan intéressant directement l’avenir de la fortune du milliardaire.

A ce stade de l’analyse du comportement des grandes fortunes droitières, il est habituel de citer le vieil adage « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Celui-ci reste pertinent tant il est vrai que ces personnes sont obsédées par l’impôt, prêts à dépenser des fortunes et détruire leurs réputations afin de l’éviter. (Le milliardaire planquant sa fortune à l’étranger n’a pas très bonne presse malgré le contrôle d'une bonne partie de celle-ci -la presse- par ce même milliardaire. Journaux et politiques peuvent bien chanter les louanges de Bernard Arnault, « le créateur d’emplois en France », tout le monde le sait prêt à adopter n’importe quelle nationalité si celle-ci lui offre une décote, alors même que sa marque repose entièrement sur l'affichage d'un faux made in France. Autrement dit, il capte l'image d'un pays dont il n'a que faire du bien-être de ses habitants. Personnage insignifiant pour les uns, redoutable crapule pour les autres, le multimilliardaire n'a pas assez de son groupe de presse pour faire oublier le mépris qu'il inspire à ses concitoyens qui, eux, payent leurs impôts.)

Ainsi, les plus fortunés opteraient pour les projets fascistes afin de se prémunir d’un impôt, même à la marge, qui grèverait ce qu’ils considèrent comme leurs biens inaliénables. (Ce qui paraît aberrant pour l’observation scientifique et le sens-commun, qui savent qu’aucune fortune ne s’établit sans une captation des richesses produites par des collectifs ou l’ensemble de la société, est, pour eux, une vérité existentielle : la fortune reflète l’effort et le savoir-faire individuels -les leurs).

Cette conception du milliardaire, prêt à tout pour échapper à la moindre justice sociale (et économique, dans la mesure où ces milliards sont le fruit d’un vol -la plus-value- des travailleurs, des clients ou des deux), en fait une personne avant tout défensive. « Plutôt Hitler que le Front Populaire » décrit une stratégie défensive.

Or, les Stérin ou Bolloré en France, les Musk ou Thiel aux Etats-Unis ou les Galperin en Argentine, parmi d’autres qui prolifèrent sous tous les cieux, ne sont pas du tout dans des stratégies de préservation de leurs fortunes mais d’extension de celles-ci. La stratégie n’est pas défensive mais offensive.

Cette stratégie se comprend notamment du fait de l’invraisemblance des fortunes amassées. Ces sommes sont telles que leur agrandissement et renforcement ne peut plus s’obtenir par un simple accroissement de leurs secteurs économiques. Seul le pouvoir politique, à la tête des actifs des Etats qu’ils attaquent -de l’intérieur-, peut leur offrir de nouvelles marges de croissance. Que ce soit en s'appropriant ces actifs ou bien en changeant les normes devant encadrer (droit du travail et normes environnementales) leurs activités.

Ainsi donc, la prise du pouvoir politique par les oligarques est effectivement un business plan. Pierre-Edouard Stérin avait donc bien raison de considérer le dévoilement de son plan de fascisation de la France comme un viol du secret de ses affaires.


 

    mise en ligne le 24 février 2025

Cisjordanie : Israël vide
des camps de réfugiés palestiniens
et interdit leur retour

La rédaction avec l’AFP sur www.humanite.fr

Israël a annoncé dimanche 23 février que son armée avait vidé de leurs habitants trois camps de réfugiés palestiniens du nord de la Cisjordanie, où elle mène une vaste opération militaire depuis un mois, et que ses soldats avaient pour ordre d’empêcher leur retour chez eux.

Israël continue sa guerre en Cisjordanie. Baptisée « Mur de Fer » cette opération a été lancée le 21 janvier, 48 heures après l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967.

« Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants », a déclaré le ministre de la Défense israélien Israël Katz dans un communiqué. « J’ai donné pour instruction (aux soldats) de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir, et de ne pas permettre le retour de leurs habitants ni la résurgence du terrorisme », a-t-il affirmé.

Depuis son déclenchement, l’opération a fait au moins 40 morts et 40 000 déplacés dans le nord de la Cisjordanie, selon l’ONU. Dimanche, l’armée a annoncé le déploiement d’une unité de chars à Jénine, ainsi que l’extension de ses opérations dans le nord de la Cisjordanie. C’est la première fois que des chars sont déployés dans ce territoire palestinien depuis la fin de la Seconde Intifada, le soulèvement palestinien de 2000-2005.

Plus de 900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis octobre 2023

« Des forces de la brigade (d’infanterie) Nahal, de l’unité (d’élite) Douvdevan et une unité de chars vont opérer dans d’autres villages » du nord de la Cisjordanie, indique un communiqué du ministère, ajoutant que « les forces armées poursuivent leurs opérations dans la région de Jénine et dans celle de Tulkarem ».

Ces déclarations interviennent deux jours après la visite, inédite, du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, aux troupes israéliennes en opérations dans le camp de réfugiés de Tulkarem.

« Nous pénétrons dans les bastions terroristes, nous détruisons des rues entières que les terroristes empruntent, ainsi que leurs maisons. Nous éliminons les terroristes, les commandants », avait déclaré Benyamin Netanyahou. Il avait aussi annoncé que l’armée allait y intensifier ses opérations après des attaques jeudi soir contre des bus dans le centre d’Israël.

La police avait indiqué que les engins explosifs retrouvés dans plusieurs bus calcinés, qui étaient vides au moment des faits, étaient similaires à d’autres trouvés en Cisjordanie. Le ministère palestinien des Affaires étrangères avait condamné la venue de Benyamin Netanyahou à Tulkarem, dénonçant un « assaut », une « agression ».

À Tulkarem comme à Jénine, l’armée israélienne a démoli des dizaines de maisons à l’aide d’explosifs, dégageant des routes entières à travers les camps densément peuplés. Des bulldozers blindés ont fait des ravages dans les camps de la région, coupant notamment l’approvisionnement en eau en brisant les canalisations. La violence s’est intensifiée en Cisjordanie depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023 sur le sol israélien.

Au moins 900 Palestiniens y ont été tués par des soldats ou des colons israéliens depuis, selon les chiffres du ministère de la Santé palestinien. Au moins 32 Israéliens parmi lesquels des soldats y ont été tués dans des attaques palestiniennes ou lors d’opérations militaires israéliennes au cours de la même période, selon les données officielles israéliennes.


 


 

La Gazaouie inconnue

Denis Sieffert sur www.politis.fr

Les Palestiniens morts sous les bombes sont-ils trop nombreux pour avoir un visage ? C’est ce que nous rappelle l’affaire de cette Palestinienne, confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas, et dont la dépouille a été livrée par erreur.

Il faut sans doute avoir un très mauvais esprit pour se poser ce genre de questions. Mais on ne s’est guère interrogé sur cette femme Gazaouie, sans doute jeune puisque confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas. Qui était-elle, cette Palestinienne sans nom ni visage dont la dépouille a été livrée par erreur par le Hamas ? On ne peut s’empêcher de penser qu’elle aussi a une famille qui la pleure. C’est le signe de ce conflit que d’être indifférent à l’autre. « Un mort c’est une catastrophe, cent mille morts, c’est une statistique » a dit l’écrivain allemand Kurt Tucholsky.

Il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7-Octobre.

Les Palestiniens morts sous les bombes sont trop nombreux pour avoir un visage et, pour ainsi dire, une âme. Cette âme que le colon espagnol contestait aux Indiens de la controverse de Valladolid. Sauf erreur, aucun média, aucune télé, aucune radio n’a posé la question de cette femme passée comme une ombre dans notre actualité. Lui rendre une existence, même post mortem, ce n’est pas oublier la tragédie absolue de Yarden Bibas, ce survivant qui a perdu son épouse et ses deux enfants, âgés de huit mois et demi et deux ans, enlevés dans le kibboutz de Nir Oz, en bordure de Gaza. Mais il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7 octobre 2023. Il s’est encore manifesté quand il s’est agi d’évoquer les causes de la mort des deux enfants Bibas et de leur mère.

Pour le Hamas, ils ont été victimes des bombes israéliennes. En France comme en Israël, on a immédiatement parlé du « cynisme sordide de l’organisation terroriste ». Quand on voit l’état de Gaza, l’hypothèse est pourtant plus que crédible. Mais le gouvernement israélien, Netanyahou en tête, a préféré affirmer que les enfants avaient été « étranglés à mains nues ». Pourquoi le Hamas, qui a capturé des otages pour en faire une monnaie d’échange, aurait-il tué ces enfants ? De même, quand 24 heures auparavant, les Israéliens ont découvert que le corps supposé de Shiri Bibas était en fait celui d’une Gazaouie inconnue, la machine de guerre israélienne, relayée ici sans l’ombre d’une prudence, s’est immédiatement mise en marche pour dénoncer le « sadisme du Hamas ».

Le doute devrait être autorisé. Il est interdit.

Voilà soudain que la parole de Netanyahou, lui qui est connu en Israël même pour être le plus grand des manipulateurs et un menteur compulsif, est sacralisée. Saura-t-on jamais la vérité ? Après tout, on ignore ce qui se passe dans le chaos de l’enclave palestinienne, où d’autres groupes ont des objectifs moins politiques que le Hamas. À l’inverse, n’excluons pas le sadisme d’un geôlier. Pour le moins, le doute devrait être autorisé. Il est interdit. Nous en sommes aujourd’hui à une remise en cause de la trêve par Israël, au prétexte que les « cérémonies » de libération des otages sont indécentes. Les six cents prisonniers palestiniens qui devaient être libérés le 22 février, ne l’avaient toujours pas été 48 heures plus tard. Là encore, un pas de côté n’est pas interdit.

Certes, ces mises en scène macabres ont quelque chose d’ignoble. Mais on en comprend le sens de la part d’une organisation qui n’a de cesse de démontrer qu’elle n’a pas été « éradiquée ». Mais, pour l’heure, c’est bien Netanyahou qui cherche par tous les moyens à torpiller le processus. Le prétexte de la « mise en scène », aussi détestable soit-elle, est bien faible pour justifier la relance des bombardements, et l’abandon de la trentaine d’otages encore en vie. Quant aux Israéliens, manifestants de la « place des otages » à Tel-Aviv, ils ne savent plus qui est le plus haïssable, du Hamas qui a capturé des êtres chers, ou du premier ministre israélien qui s’est moqué de leur sort, et qui ne rêve que de reprendre les hostilités pour sauver sa coalition avec l’extrême droite, et son pouvoir. Le sordide épisode de la « Gazaouie inconnue » devrait nous rappeler que le malheur est partout, et qu’il n’est pas hiérarchisable.


 


 

Soignants du monde entier
exigent l’intervention de l’ONU
pour stopper la tragédie !

Blouses Blanches Pour Gaza sur https://blogs.mediapart.fr

Alors que Gaza subit une crise humanitaire sans précédent, une coalition mondiale de soignants exige l’intervention immédiate de l’ONU. De Genève à Gaza, ils appellent à des résolutions contraignantes pour un cessez-le-feu durable, la protection des hôpitaux, la libération des soignants et civils détenus, et la levée du blocus privant des millions de Palestiniens de leurs droits fondamentaux.

La situation à Gaza ne cesse de se dégrader et les appels à actions se multiplient à l'échelle mondiale. Face à l'intensification des violences et des violations flagrantes des droits de l’homme et ce malgré l’annonce du cessez-le-feu, une coalition internationale de soignants s'unit pour adresser un message clair et urgent à l'ONU: il est impératif d'adopter des résolutions contraignantes pour protéger la vie, la santé et la dignité des palestiniens.

Des soignants du monde entier (France, Suisse, Belgique, Espagne, Italie, Turquie, Etats-Unis, Angleterre, Irlande, Ecosse, Allemagne, Suède, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Mexique, Japon, Grèce, Finlande, Chilie, Canada, Australie, Maroc, Jordanie, Tunisie, …) ont créé une coalition soignante internationale pour dénoncer d’une seule voix la situation à Gaza. Du 25 au 29 janvier, des soignants venus de 15 pays autour du globe se sont rassemblés devant le siège des Nations Unies à Genève pour exiger des actions immédiates. Ce rassemblement intervient dans un contexte de souffrance insoutenable à Gaza, où les attaques israéliennes continuent de viser délibérément les infrastructures de santé, entravant les efforts des soignants pour sauver des vies.

Trois résolutions clés demandées à l’ONU

Les soignants du monde entier, unis dans un front de solidarité, demandent l’adoption immédiate de trois résolutions cruciales par le Conseil de Sécurité de l'ONU :

  1. Protection et respect des accords de cessez-le-feu Les soignants réclament une résolution contraignante garantissant la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu obtenus grâce à la médiation de pays comme le Qatar, l'Égypte et les États-Unis. Le respect de ces accords est vital pour permettre un accès humanitaire ininterrompu et sauver des vies. Des sanctions doivent être envisagées contre les violations de ces accords, afin d’assurer le respect des engagements de droit international.

  2. Fin de l'occupation des territoires palestiniens L'ONU doit impérativement adopter une résolution appelant à la fin de l'occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. Cette demande fait écho à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a qualifié l'occupation d’illégale. En effet, les récentes attaques israéliennes contre des infrastructures médicales, comme l’hôpital gouvernemental de Jénine, illustrent les conséquences dévastatrices de cette occupation prolongée. La fin de l’occupation est un préalable indispensable à la souveraineté palestinienne et à la préservation des droits fondamentaux.

  3. Levée immédiate et totale du blocus de Gaza Le blocus imposé à Gaza depuis plus de 17 ans continue de détruire la vie quotidienne des Palestiniens. En limitant l’accès aux soins, à l'éducation et aux ressources essentielles, ce blocus constitue une punition collective interdite par le droit international. Les soignants demandent la levée immédiate de ce blocus, pour permettre l'entrée d'une aide humanitaire d'urgence et restaurer l'accès à des soins de santé vitaux. La communauté internationale ne peut plus ignorer cette crise humanitaire qui touche plus de 2 millions de personnes à Gaza.


 

Une solidarité mondiale sans précédent

À travers cette initiative, les soignants du monde entier se dressent fermement contre l’injustice et l’inhumanité. Des organisations de soignants en Australie, Belgique, Canada, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Suède, et bien d’autres, unissent leurs forces pour exiger un changement immédiat. Leur appel est clair : l’ONU doit agir sans délai pour protéger les populations civiles et garantir le respect du droit international.

Les témoignages poignants des soignants de Gaza, qui risquent chaque jour leur vie pour sauver celles des autres, montrent l’urgence de la situation. De plus, le silence des puissances internationales, complices par leur inaction, est devenu intolérable. Le monde doit faire face à ses responsabilités et mettre fin à cette tragédie.

Un avenir fondé sur la justice et la dignité

Les soignants réclament que le Conseil de Sécurité de l'ONU prenne ces mesures urgentes pour garantir la protection des civils palestiniens et assurer la paix et la sécurité internationales. Le temps est venu pour l’ONU de démontrer son engagement envers la justice, la dignité humaine et la protection des droits fondamentaux. Si des actions concrètes ne sont pas prises maintenant, l’histoire retiendra que l’inaction internationale a permis le massacre d’un peuple innocent.

Les soignants du monde entier, unis dans un même combat pour la dignité humaine, appellent les États membres de l’ONU à ne pas rester spectateurs de cette tragédie, mais à agir pour la sauvegarde de la vie et des droits du peuple palestinien.

Appel à action – Interpellez le Conseil de Sécurité de l’ONU !

Vous voulez soutenir les soignants mobilisés pour la vie et la dignité humaine ? Agissez dès maintenant ! Du 25 au 29 janvier, des soignants du monde entier se sont rassemblé à Genève pour demander des résolutions contraignantes du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de :

Faire respecter les accords de cessez-le-feu à Gaza.

Mettre fin à l’occupation de la Palestine.

Obtenir la levée totale du blocus.

Nous avons besoin de votre aide pour continuer à interpeller les membres du Conseil de Sécurité ! Envoyez-leur un mail dès maintenant via ce lien ?  https://palestine.risefor.org/fr/actions/action-group-detail/@https%3A//palestine.risefor.org/actiongroups/27/@

Vous aussi, vous pouvez agir !!

Faisons entendre nos voix pour la justice et la dignité humaine !

 

   mise en ligne le 22 février 2025

Désastreuse pour la biodiversité,
la loi d’orientation agricole est adoptée

sur https://reporterre.net/

Le projet loi adopté constitue un net recul sur les pesticides, les espèces protégées ou la préservation des forêts.

Pile à l’heure pour l’ouverture du Salon de l’agriculture, samedi 22 février à Paris. La loi d’orientation agricole a été définitivement adoptée, jeudi 20 février, après un ultime vote du Sénat dans l’après-midi. Le texte, issu d’un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire mardi soir, avait déjà été approuvé largement par l’Assemblée nationale mercredi, avec les voix macronistes, de la droite et du Rassemblement national.

Élaborée comme une réponse à la colère des agriculteurs, la loi ne répond même pas à son objectif principal : le renouvellement des générations pour assurer la souveraineté alimentaire. Très critiqué par les associations environnementales et la gauche, le texte est une catastrophe pour l’écologie.

L’agriculture, « intérêt général majeur »

L’article 13, dénoncé comme « un permis de détruire la biodiversité », dépénalise les atteintes aux espèces protégées lorsqu’elles ne sont pas commises « de manière intentionnelle », au profit d’une simple amende administrative de 450 euros maximum ou du suivi d’un stage de sensibilisation à la protection de l’environnement.

Une autre mesure prévoit de « s’abstenir d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne » en l’absence d’alternatives viables. Une traduction du principe « pas d’interdiction sans solution », mantra de la FNSEA sur les pesticides. L’agriculture est élevée au rang d’« intérêt général majeur », la loi imposant ainsi une vision productiviste. Elle s’attaque aussi aux forêts en affirmant le principe selon lequel toute gestion forestière serait vertueuse pour la nature. Or, c’est faux : « Une coupe rase dans une forêt peut défoncer les sols et mettre en péril les espèces qui y vivent », expliquait à Reporterre Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises à l’association Canopée.


 


 

Loi d’orientation agricole :
comment le texte sacrifie la biodiversité

Jessica Stephan sur www.humanite.fr

Le projet de loi d’orientation agricole a été voté par les députés et les sénateurs les 19 et 20 février, actant de nets reculs en matière de protection de l’environnement.

La guerre contre la protection de l’environnement s’accélère. Dernière offensive en date, le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole voté par l’Assemblée nationale le 19 février et le Sénat le 20, juste avant l’ouverture du Salon de l’agriculture, le 22 février. Pesticides, espèces protégées, forêts… Au-delà de ses insuffisances en matière de revenus agricoles et de renouvellement des générations, ce texte constitue un retour en arrière majeur pour la protection de la biodiversité.

D’abord, sur l’usage des pesticides, dont les effets néfastes sur la biodiversité et la santé humaine sont de plus en plus documentés, en inscrivant dans la loi le principe du « Pas d’interdiction sans solution ». Ensuite, sur les atteintes aux espèces protégées. Le texte, considérablement durcit par les sénateurs, n’a guère été nuancé par la commission mixte paritaire dans sa version finale, sous couvert d’aider les agriculteurs. En témoigne son article 13, qui acte la dépénalisation de la destruction d’espèces protégées, une brèche qui laisse un goût bien amer aux défenseurs de l’environnement.

« Faire des normes environnementales un bouc émissaire »

« La volonté de renouveler nos générations nous a aussi imposé de renforcer l’attractivité du métier d’agriculteur. Pour ce faire, ce projet de loi permet une dépénalisation des atteintes non intentionnelles, et strictement non intentionnelles, à l’environnement », a justifié la ministre de l’Agriculture Annie Genevard lors du vote du texte final au Sénat, le 20 février.

La ministre a donc ainsi sous-entendu que le principal obstacle à l’installation serait la protection de l’environnement. Un chiffon rouge savamment agité, si l’on en croit Laure Piolle, chargée des questions agricoles au sein de l’association France Nature Environnement (FNE) : « Cela va dans le sens du discours instrumentalisé par la FNSEA et le gouvernement suite à la crise agricole de l’année dernière, qui est de faire des normes environnementales un bouc émissaire de tous les problèmes de l’agriculture pour éviter de se pencher sur les vraies questions : celles du revenu agricole. » Laure Piolle dénonce vivement cette loi : « Derrière l’idée de simplification, il faut vraiment entendre le recul majeur du droit de l’environnement. »

« Un sentiment d’impunité »

Car cet article décrié par les ONG change considérablement la législation. Jusqu’alors, les infractions « non intentionnelles » pouvaient aller jusqu’à 150 000 euros d’amende et une peine maximale de trois ans d’emprisonnement, comme le stipule le Code de l’environnement. Le Sénat a abaissé cette disposition à une simple sanction administrative, jusqu’à 450 euros d’amende. La Commission mixte paritaire a maintenu cette orientation, mais en a limité l’application aux personnes physiques. En pratique, essentiellement les agriculteurs et les chasseurs.

Il faudra donc dorénavant prouver que la destruction a été volontaire et déterminée pour obtenir une condamnation. Un amoindrissement de la législation qui aura des conséquences délétères, prévoit Laure Piolle : « Cela crée un sentiment d’impunité : il n’y a plus besoin de faire attention, de prudence, de se renseigner. » Et, poursuit-elle, cette disposition empêchera de fait les condamnations : « Il est impossible de prouver par exemple l’intentionnalité d’un chasseur qui aurait tué une espèce protégée à la place d’un sanglier. »

D’autant que sa pertinence n’est pas avérée pour les agriculteurs. Comme le rappelle la chargée des questions agricoles à FNE : « Actuellement, très peu de sanctions pénales sont prononcées envers les agriculteurs, encore moins des sanctions pénales fortes. Et le juge est déjà garant de la proportionnalité des peines. Il n’applique pas la même peine à un chasseur qui tue un aigle et à un agriculteur qui a coupé sa haie au mauvais moment en détruisant un nid. »

« Un problème de sécurité juridique »

Cette nouvelle loi va plus loin. L’article 13 bis AAA, ajouté au dernier moment par le Sénat, stipule que « les travaux forestiers réalisés dans le cadre de la gestion durable des forêts et de leur exploitation sont considérés comme indispensables à la préservation des écosystèmes ». Des activités que le texte déclare « reconnues d’intérêt général et sécurisées juridiquement tout au long de l’année ».

Cette disposition risque de créer des difficultés, selon Aurore Dubarry, animatrice du réseau forêt au sein de FNE : « Dans sa rédaction, il pose un vrai problème de sécurité juridique. Il entend sécuriser les activités listées, mais cela pose la question de l’articulation avec d’autres codes, notamment le code de l’environnement. »

Un ajout qui interroge. « Au départ, ce texte ne parlait pas de travaux forestiers, il restait centré sur l’agriculture et la souveraineté, précise Aurore Dubarry. On a l’impression que l’objectif est d’éviter les contentieux, notamment avec les associations environnementales. Les citoyens s’indignent de plus en plus des coupes rases, par exemple. »

L’article semble ainsi fermer la voie aux recours contre celles-ci comme aux autres actions de gestion forestière. Mais à cet égard, il pourrait cependant s’avérer contre-productif, prévoit Aurore Dubarry : « Il risque d’y avoir beaucoup de contentieux au contraire, ne serait-ce que pour comprendre l’article et son articulation avec les autres codes. »

Au Sénat, le 18 février, la ministre avait précisé : « Nous ne sommes pas, évidemment, indifférents à la cause de l’environnement. » Alors que les effets du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité sont largement documentés par les scientifiques, ce serait bien le minimum ; pourtant, au vu de cette loi, il est permis d’en douter.


 

     mise en ligne le 21 février 2025

Guerre en Ukraine : face au risque d’un deal Trump-Poutine, Emmanuel Macron cherche à enrôler les partis

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Le président français lance une offensive politique pour préparer les esprits à un réarmement, à l’heure d’un potentiel deal entre Poutine et Trump. Il a reçu ce jeudi les chefs de parti.

Emmanuel Macron en appelle à la mobilisation générale. Le président de la République et le premier ministre ont reçu, ce jeudi à l’Élysée, les douze chefs des partis représentés au Parlement. La réunion s’est ouverte avec une présentation détaillée par les responsables de l’état-major et des services de la menace « existentielle » que représenterait la Russie pour l’Europe sur les plans militaires, hybrides et informationnels. Cette rencontre se tient dans un contexte où le président des États-Unis, Donald Trump, a ouvert des négociations sur l’avenir de l’Ukraine avec son homologue russe Vladimir Poutine, sans les Européens ni les Ukrainiens.

« C’est une lecture un peu biaisée de la géopolitique mondiale », déplore Fabien Roussel. « N’aborder que la Russie met de côté l’autre menace que représente l’administration des États-Unis qui, elle aussi, cherche à déstabiliser l’Europe », en menaçant d’annexer le Groenland danois, en taxant l’acier européen ou en s’ingérant dans les élections allemandes notamment, ajoute le secrétaire national du PCF.

« Il faut une parole forte de la France »

Les responsables de gauche étaient pourtant aussi venus écouter ce que le président avait à dire sur les États-Unis. « Pour la première fois, les Américains ne sont pas avec nous mais jouent par-dessus nos têtes », a confié à son arrivée Olivier Faure, premier secrétaire du PS. « Je souhaite parler des sujets d’ingérence dans la vie politique française devant Louis Aliot, représentant du RN à la cérémonie d’investiture de Trump », avait aussi déclaré Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, qui considère le parti lepéniste comme « pro-Trump et pro-Poutine ».

Avant la rencontre, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, a appelé à « sortir d’une forme de naïveté » et « de l’idée que les intérêts français nécessitaient un alignement permanent sur les intérêts américains ». « Nous avons été plusieurs à pointer les ambiguïtés de la politique française. Nous avons dit qu’il faut avoir une parole forte de la France, indépendante », rapporte Fabien Roussel, qui estime qu’il faut « parler avec Vladimir Poutine » en vue de parvenir à un « accord de paix et de sécurité ». Cela doit prévoir « le retrait des troupes russes, la neutralité de l’Ukraine et une force d’interposition sous l’égide de l’ONU ».

« Une augmentation des dépenses militaires »

« Le président de la République pointe le danger immense que représente la Russie. Il met en avant la nécessité de se réarmer encore plus fortement pour préparer une économie de guerre accentuée », dénonce Fabien Roussel. Cette rencontre s’inscrit d’ailleurs dans une campagne de l’exécutif pour organiser un réarmement en Europe.

« Le réveil européen passe par une augmentation des dépenses militaires » et cela aura « des conséquences pour nos finances publiques », a expliqué avant la réunion Sophie Primas, porte-parole du gouvernement. Deux réunions de chefs de gouvernement européens ont été organisées en ce sens cette semaine. Un débat au Parlement doit se tenir début mars. De son côté, la presse britannique fait état de discussions entre Paris et Londres sur la création éventuelle d’une force de 30 000 hommes capables de se déployer en Ukraine en cas de cessez-le-feu.


 

    mise en ligne le 20 février 2025

Guerre à Gaza : l’avenir incertain du cessez-le-feu malgré les échanges de prisonniers

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le Hamas a rendu les corps de quatre captifs dont deux enfants, qui auraient été tués lors de bombardements aériens. Alors que l’accord de cessez-le-feu est toujours fragile, une réunion informelle a lieu ce vendredi 21 février à Riyad pour la reconstruction de l’enclave palestinienne sans nettoyage ethnique.

Le Hamas a rendu, jeudi, les corps de quatre Israéliens, capturés lors de l’attaque du 7 octobre. Ceux de Shiri Bibas et de ses deux enfants, Ariel, 4 ans et Kfir, 9 mois. Et celui d’Oded Lifshitz, 83 ans. L’organisation palestinienne a fait savoir qu’ils avaient été tués avec leurs gardes lors des frappes aériennes israéliennes.

À Gaza, personne ne s’est réjoui de voir ainsi des enfants israéliens morts avec leur mère. Sur les 48 000 Palestiniens tués depuis le début de la guerre, plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Sans compter les milliers de cadavres qui se trouvent encore sous les décombres.

Le Hamas a proposé de libérer tous les prisonniers restés dans la bande de Gaza « en une seule fois » en échange d’une trêve durable et d’un retrait complet de l’armée israélienne de l’enclave assiégée. Dans une déclaration, mercredi 19 février, le porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, a exposé la vision du groupe pour la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, qui comprend l’échange proposé. « Nous sommes prêts pour une deuxième phase dans laquelle les prisonniers seront échangés en une seule fois, dans le cadre de la conclusion d’un accord qui mène à un cessez-le-feu permanent et à un retrait complet de la bande de Gaza. »

Six otages israéliens libérés samedi

L’organisation islamiste va augmenter le nombre de prisonniers à libérer lors du prochain échange, samedi 22 février, de trois à six. Une décision qui, apparemment, vise à accélérer la mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord. Elle est aussi une réponse à l’autorisation donnée par Israël de permettre l’entrée dans la bande de Gaza de mobile homes et d’équipements de construction dont les Gazaouis ont besoin alors que leurs maisons ont été détruites. Au plus fort de la guerre, 90 % de la population de Gaza a été déplacée. Beaucoup de familles sont retournées chez elles et ont constaté qu’il ne leur restait rien et qu’elles n’avaient aucun moyen de reconstruire.

Depuis l’accord de cessez-le-feu du 15 janvier, 1 135 Palestiniens ont été libérés des prisons israéliennes. Israël devrait en relâcher 502 autres dans les prochains jours. Après la remise de la semaine dernière, le nombre de captifs libérés par le Hamas et le Djihad islamique palestinien a atteint 25 depuis le 19 janvier.

Mais de sombres nuages bouchent l’avenir de la région. À commencer par la volonté exprimée par Donald Trump – pour le plus grand plaisir de Benyamin Netanyahou – de procéder à un nettoyage ethnique de la bande de Gaza en expulsant les 2 millions de Palestiniens en Égypte, en Jordanie et même en Arabie saoudite, sous prétexte d’y établir une « Riviera du Moyen-Orient », malgré le tollé international provoqué. Comment, dans ces conditions, discuter de la phase 2 et même de la phase 3 (sur la reconstruction, dont le coût, selon l’ONU, s’élèverait à près de 51 milliards d’euros) de l’accord ?

Le « plan égyptien de reconstruction » de Gaza en discussion en Arabie saoudite

Ce vendredi 21 février, en prélude au sommet arabe extraordinaire convoqué au Caire le 4 mars, les dirigeants des six riches monarchies du Golfe – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman, Bahreïn – ainsi que d’Irak, de Jordanie et d’Égypte devraient discuter, à Riyad et à huis clos, d’un « plan égyptien de reconstruction » de Gaza.

Bien que Le Caire ait gardé le silence sur ses propositions, Mohammed Hegazy, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, a néanmoins révélé sur le site égyptien Ahram Online, que ce plan est composé de trois phases étalées sur trois à cinq ans.

Il souligne également que les Israéliens doivent cesser de tenter de créer une nouvelle réalité en refusant de se conformer à la phase d’aide humanitaire de l’accord de cessez-le-feu. Par ailleurs, la chaîne saoudienne Al-Arabiya a fait référence aux consultations arabes en cours pour organiser une conférence sur la reconstruction de Gaza avec une large participation européenne.

Reste évidemment le problème du contrôle de Gaza d’après-guerre. Peut-être la question la plus complexe. Le plan égyptien prévoit la mise en place d’une « administration palestinienne neutre, qui ne soit liée à aucune faction politique », explique Mohammed Hegazy. Elle sera « composée d’experts et relèvera politiquement et juridiquement de l’Autorité palestinienne ». Si cela semble être également le vœu de nombre de pays arabes, le Qatar est plus nuancé, arguant du fait que « l’avenir de Gaza doit être une décision exclusivement palestinienne ».

De son côté, Israël refuse d’envisager une quelconque gouvernance palestinienne. Dans ces conditions, il n’est pas certain que le cessez-le-feu durera. C’est ce que cherche Netanyahou, qui vient d’ailleurs d’annoncer de prochaines manœuvres israéliennes dans le nord de la bande de Gaza.


 

     mise en ligne le 19 février 2025

Coupes budgétaires : comment les travailleurs de la culture s’organisent pour riposter à l’austérité programmée

Manon Escande et Eléonore Houée       sur www;humanite.fr

Pour la deuxième semaine consécutive, les professionnels secteur ont manifesté contre la précarité et pour la défense du service public. Ils entendent organiser une série d’actions la semaine du 17 mars.

Ils n’en sont qu’à leur deuxième semaine de mobilisation, mais comptent bien faire durer le mouvement. Devant la Comédie-Française, à quelques mètres du ministère de la Culture, les manifestants ont fait entendre leur colère. Mardi 18 février, à 15 heures, plusieurs centaines de travailleurs du secteur culturel à Paris ont occupé la place Colette pour contester les récentes coupes budgétaires, tant à l’échelle départementale, que régionale et nationale. Dans l’Hérault, le conseil départemental a, par exemple, réduit de 100 % le budget alloué à la culture. Les artistes auteurs et les intermittents du spectacle ont donc répondu à l’appel des syndicats, parmi lesquels la CGT spectacle, SUD culture ou encore l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens.

Au-delà des réductions budgétaires, ces professionnels se mobilisent, entre autres, contre le gel de la part collective du pass Culture et s’opposent à la réforme du RSA. Clément Valette, graphiste, plasticien et professeur à l’école des Gobelins, à Paris, déplore une surpaupérisation du secteur : « On sucre le RSA aux plus pauvres et les mieux payés souffrent de la hausse de la TVA. » Tout comme les autres participants, il compte sur le soutien du monde enseignant. Isabelle Vuillet, secrétaire générale de la CGT Éduc’action, appuie son propos : « Le pass Culture sert à l’origine à établir des ponts entre la culture et les élèves issus de milieux modestes. L’annonce brutale du gel de la part collective est un signe de mépris d’abord, l’expression ensuite d’une maltraitance pour les artistes. »

« Rachida Dati ne devrait pas être à la tête de ce ministère »

De manière générale, le mouvement conçoit la culture comme un bien public. « Ce n’est pas juste une question d’argent, mais aussi une vision d’une politique culturelle qui ne soit pas seulement au profit du privé », explique Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison des écrivains et de la littérature. L’idée ne semble pas partagée par la ministre de la Culture, Rachida Dati, que différents intervenants prennent pour cible. Jimmy Cintero, délégué syndical au Snap-CGT, syndicat national des artistes plasticien·nes, évoque « un dialogue social rompu ». Il ajoute : « On nous demande de faire autrement, de ne pas seulement chercher des ressources financières du côté du service public. » Clément Valette va même encore plus loin : « Rachida Dati ne devrait pas être à la tête de ce ministère. Elle n’est pas légitime, personne n’a voté pour son parti. »

L’autre inquiétude, c’est l’extrême droite. La percée du Rassemblement national aux élections législatives 2024 a motivé de nouveaux militants. « La dissolution de l’Assemblée nationale a permis un réveil des consciences des salariés de certaines institutions qui se sentaient peut-être protégés. Ils ont compris qu’ils seraient dans le mauvais camp si l’extrême droite arrivait au pouvoir », constate le graphiste. À titre d’exemple, le collectif la Belle Équipe, né après les résultats, a rejoint la contestation dans le but d’alerter les moins politisés. Ils organisent dans cette optique une journée de commémoration contre le fascisme le 8 mai prochain.

De nouvelles actions à venir

Ce n’est pas la seule action envisagée. À la suite de la manifestation de l’après-midi, une assemblée générale a eu lieu à la bourse du travail, à 18 h 30. Environ 600 personnes y ont assisté, un chiffre en hausse par rapport à la réunion de mardi dernier. « Toutes les professions de la culture sont là, même les moins organisées », remarque Ghislain Gauthier, secrétaire général de la CGT spectacle. Se sont notamment décidées la mise en place de différentes commissions, mais également une semaine de mobilisation à partir du 17 mars, en vue de l’examen de la loi relative à la réforme de l’audiovisuel public. Celle-ci prévoit la création d’une holding, France Médias, constituée de Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l’INA.

« Il faut inverser le rapport de force », insiste Jimmy Cintero. L’assemblée générale a aussi voté pour une grève nationale de tous les secteurs de la culture organisée le jeudi 20 mars. Une initiative qui a provoqué quelques dissensus au sein des mobilisés, tant tous ne pourront pas y participer en raison de leur statut. D’autres propositions ont donc émergé, pour le moins extravagantes : « Former une chorale du rire devant l’Élysée », « balancer des slips à chaque déplacement de la ministre de la Culture »… Et plus sérieusement opter pour une convergence des luttes. Le collectif a ainsi affirmé son soutien vis-à-vis des mineurs isolés résidant à la Gaîté Lyrique.


 

     mise en ligne le 18 février 2025

Exclusif : le député écologiste Benjamin Lucas lance une commission d’enquête sur les plans de licenciements

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Jusqu’à l’été, le député Génération.s, membre du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas, conduira une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Il lance, dans l’Humanité, un appel aux syndicalistes et aux élus locaux pour élaborer ensemble des solutions.

En exclusivité pour l’Humanité, le député Benjamin Lucas annonce la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Celle-ci fait suite à la proposition de loi (PPL) pour empêcher les licenciements boursiers que Benjamin Lucas défend, ce jeudi, dans la niche du groupe Écologiste et social. Entretien.

Pourquoi avoir pris ces deux initiatives ?

Benjamin Lucas : L’année 2025 va connaître un record de plans sociaux. La CGT en dénombre 300 potentiels avec 300 000 emplois menacés. Nous sommes devant l’impuissance organisée des pouvoirs publics, la démission de l’État. Et nous allons prendre cette balle de front. François Mitterrand disait que « Contre le chômage, on a tout essayé » avant que Lionel Jospin n’affirme que « L’État ne peut pas tout ».

À l’inverse, je crois qu’on peut beaucoup. D’où cette PPL qui vise à donner plus de pouvoir aux salariés dans le rapport de force des négociations lors d’un plan social. Elle donne ainsi un droit de veto au comité économique et social (CSE) et exige le remboursement des aides publiques par ces entreprises que le contribuable aide, mais qui abandonnent les territoires, des familles et des emplois industriels.

La puissance publique doit s’affirmer. Surtout devant ces licenciements dictés par un impératif de rentabilité et non économique. Michelin distribue des dividendes et licencie pour augmenter la rémunération des actionnaires. Les salariés ne peuvent être utilisés comme une variable d’ajustement pour les enrichir.

D’après les communistes, qui ont aussi déposé une PPL, votre texte va dans le bon sens mais n’empêche pas réellement les licenciements boursiers, faute de s’attaquer à la définition du « motif économique » invoqué par les patrons. Qu’en pensez-vous ?

Benjamin Lucas : Ma PPL est un point de départ qui offre déjà des leviers pour combattre ces licenciements. C’est une question de justice. « Tu casses, tu répares », disait Gabriel Attal. Je réponds : « Tu licencies, tu rembourses. Tu casses l’emploi et tu abîmes les territoires, tu répares. » Rembourser trois ans d’aides publiques, c’est énorme, aussi pour renchérir le coût de ces plans de licenciements.

Ces aides sont importantes, mais elles ont une contrepartie : investir dans la transition écologique, respecter les droits sociaux dans l’entreprise, garantir de bonnes conditions de travail et ne pas détruire des emplois quand rien ne le justifie. Mon texte mériterait d’être enrichi. Et c’est pour cela que nous voulons élargir la réflexion avec la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans sociaux.

Comment la concevez-vous ?

Benjamin Lucas : Mon groupe utilise son droit de tirage pour créer cette commission et j’en suis fier. Elle fera le bilan de la politique d’Emmanuel Macron. Une politique de l’offre, des cadeaux aux grandes entreprises sans contrepartie et de casse du code du travail qui, à bien des égards, a commencé avant lui.

En réalité, il y a deux commissions d’enquête. Une officielle, au Palais Bourbon, où nous auditionnerons des décideurs politiques, des chefs d’entreprise, des économistes pour comprendre comment la puissance publique a démissionné. Mais aussi une commission populaire, hors les murs. Je lance un appel aux syndicalistes et aux élus locaux, à tous ceux qui vivent les ravages de ces plans sociaux, pour les rencontrer. Je veux construire mon diagnostic et les solutions avec eux.

Les macronistes vous accusent de « stalinisme économique », lequel ferait de « l’entreprise » une « ennemie » que vous voudriez « brider ». Que leur répondez-vous ?

Benjamin Lucas : Ils décident de ne pas faire confiance aux salariés. Jusqu’à s’allier avec le RN pour s’opposer au droit de veto du CSE. Mon texte, soutenu par tout le Nouveau Front populaire, permet aussi de remettre des marqueurs politiques : il y a une gauche et une droite. Nous pensons que l’économie doit se mettre au service de l’intérêt général, qu’il faut la réguler, qu’il faut remettre en cause la politique de l’offre et du laxisme fiscal à l’égard des grandes entreprises.

En face, le bloc de droite libérale, RN inclus, considère que parler de « lutte » quand des salariés se battent pour ne pas être licenciés est violent et vulgaire. Cette droite croit encore à la main invisible du marché et au ruissellement tout en répétant, au sujet des aides sociales, qu’à des droits correspondent des devoirs. Je considère que l’usage des deniers publics est aussi une question morale.


 

   mise en ligne le 17 février 2025

« Il faut porter l’antifascisme partout » : passé à tabac par l’extrême droite à Paris, Paul témoigne

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Paul, militant à la CGT et à Young Struggle, a été roué de coups dimanche soir par une trentaine de militants d’extrême droite lors d’un événement antifasciste. Une enquête pour tentative d’homicide volontaire a été ouverte.

Dimanche 16 février, vers 17 h 30, la réalité et la fiction se sont télescopées. Dans la petite salle de l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit), rue d’Hauteville, dans le Xe arrondissement de Paris, une poignée de militant·es de Young Struggle (YS) regardait le film Z de Costa-Gavras, sorti en 1969 – une charge devenue culte contre la dictature des colonels en Grèce. Cette « soirée cinéma antifasciste » avait été annoncée sur les réseaux sociaux de YS, organisation de gauche récemment créée en France par les enfants de réfugiés politiques turcs et kurdes.

« On venait de voir une scène où des fachos attaquaient des communistes, quand ils sont arrivés », relate Miloš, étudiant allemand de 25 ans, d’une voix blanche. « Ils », ce sont des militants d’extrême droite – une trentaine – qui ont déboulé dans la petite cour du bâtiment hébergeant l’association et qui ont passé à tabac Paul, 30 ans, postier, militant à la CGT et à Young Struggle. « Soudain, c’était la même chose dans la réalité et dans le film. C’était fou », constate Miloš.

Dans une vidéo filmée par une voisine du haut de l’immeuble, on voit Paul, vêtu d’une veste bleue, recevoir une nuée de coups de pied et de coups de poing de ses agresseurs cagoulés et vêtus de noir alors qu’il est à terre, prostré. Hospitalisé dans la soirée, il en est sorti cinq heures plus tard le visage tuméfié, une blessure à la main et trois points de suture dans le dos. « À l’hôpital, on m’a dit que ça ressemblait à un coup de couteau », témoigne Paul lundi 17 février, des lunettes noires sur le visage pour cacher ses marques. Ses camarades, dont Miloš, avaient pu se mettre à l’abri à temps.

Une attaque signée par l’extrême droite

Une enquête du chef de tentative d’homicide volontaire a été ouverte, a fait savoir le parquet de Paris à Mediapart, confirmant les informations de Libération. « Parmi la trentaine d’individus observés sur place et ayant forcé la porte de l’immeuble, six ont été interpellés et se trouvent actuellement en garde à vue », précisait le parquet lundi matin. L’enquête déterminera le profil et les motivations de ces individus. Selon la préfecture de police, citée par l’AFP, les individus arrêtés sont « tous issus de la mouvance d’extrême droite radicale ».

Les témoins interrogés par Mediapart décrivent aussi une « descente en bonne et due forme », portant la signature de l’extrême droite radicale. « Ils étaient très clairement venus pour en découdre. Ils étaient déjà masqués, cagoulés et, pour certains, armés quand j’ai tenté de fermer la porte », rapporte Paul.

Dans une vidéo filmant leur sortie, un des membres du commando crie cette phrase : « Paris est nazi, Lyon est nazi aussi ! » Les militants ont aussi laissé deux stickers sur la plaque de l’Actit : une croix celtique et le message « KOB veille », avec le dessin d’un pitbull aux babines ensanglantées. L’acronyme signifie « Kop of Boulogne », en référence aux hooligans racistes du Parc des Princes dans les années 1990.

Dans les milieux antifascistes, l’étiquette est connue pour être utilisée par les anciens du Groupe union défense (GUD), dissous l’année dernière. « C’est un prête-nom, mais ce sont toujours les mêmes organisations qui refont surface, regrette Ali, membre de l’Actit, listant le GUD, les Zouaves Paris ou encore la Division Martel. Tant que l’État n’apportera pas une réponse suffisante, ils seront confiants dans leur mode d’action. Il faut s’interroger sur la pertinence et le suivi des contrôles dont ces militants sont censés faire l’objet. »

ganisations syndicales et partis de gauche ont apporté leur soutien aux victimes de l’attaque. « Cette attaque, d’une violence inouïe, doit être fermement condamnée et les auteurs jugés », a déclaré Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, en appelant à la « résistance ». « La seule réponse face aux fascistes est l’organisation collective et la lutte », renchérit l’union syndicale Solidaires.

Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) appelle « à une riposte collective face à cette offensive réactionnaire ». Les députés de La France insoumise (LFI) Thomas Portes et Raphaël Arnault seront présents, ce lundi soir, au rassemblement de soutien prévu devant la gare de l’Est.

« C’est ahurissant de voir qu’en 2025 des néonazis peuvent mener ces attaques. Mais on nous explique que le désordre viendrait de la gauche. On est passés dans une dystopie », commente Raphaël Arnault, ancien porte-parole de la Jeune Garde antifasciste, qui soupçonne des militants lyonnais d’avoir participé à cette opération. Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau n’a pour sa part pas réagi à l’attaque. « Ces descentes ont toujours existé, mais alors qu’avant il y avait une condamnation générale du monde politique, désormais les horreurs de l’extrême droite sont niées. C’est le plus terrorisant », affirme Raphaël Arnault.

Sursaut

L’événement suscite d’autant plus d’émoi qu’il a eu lieu dans le local d’une association liée aux Kurdes, dans un quartier victime à plusieurs reprises d’attaques ciblées contre cette communauté. C’était dans la rue d’Enghien, à quelques mètres, qu’un homme aux idées d’extrême droite avait tué une femme et deux hommes fin 2022 près d’un centre culturel kurde. Ali rapporte aussi les provocations de militants d’extrême droite, depuis trois semaines, à la Gaîté lyrique occupée non loin de là.

Ce ne sera pas leur victoire. Je n’ai pas peur. Ça ne va pas arrêter notre combat politique. Paul, militant à la CGT et à Young Struggle

Venu apporter son soutien à Paul et à ses camarades ce 17 février, le porte-parole du PCF Ian Brossat juge, comme toute la gauche, que la multiplication des actions violentes racistes ou contre des militants de gauche n’est pas étrangère à leur « légitimation » par des responsables plus modérés : « Au plus haut de l’État, il y a eu une libération de la parole d’extrême droite. Comment s’étonner, dès lors, que des militants d’extrême droite se sentent pousser des ailes ? Je souhaite qu’il y ait des condamnations et que l’État soit du côté des antifascistes », déclare-t-il. « C’est l’ambiance de la société : tant que des ministres légitimeront ces groupuscules par leurs paroles, ils se croiront tout permis », abonde Raphaëlle Primet, conseillère communiste de Paris.

De son côté Paul, auquel un arrêt de travail de deux jours a été prescrit, met un point d’honneur à ne pas en rabattre sur son engagement politique. Bien que sous le choc, il affirme : « Je ne sais pas comment je vais réagir après-demain, mais je ne vais pas leur donner raison. Ce ne sera pas leur victoire. Je n’ai pas peur. Ça ne va pas arrêter notre combat politique. » Il appelle aussi les organisations de gauche à résister plus activement à ce qu’il qualifie de « troisième vague du fascisme » : « Il faut porter l’antifascisme partout, s’adresser aux démocrates au sens large, et que ça devienne un mouvement beaucoup plus étendu. »

Sans quoi le terrain gagné par l’extrême droite ne pourra pas être repris. Assassiné en 1924, le député socialiste italien Giacomo Matteotti prévenait déjà : « Tout ce que le fascisme obtient le conduit à de nouveaux arbitraires, à de nouveaux abus. C’est son essence, son origine, son unique force ; et c’est le tempérament même qui le dirige. »


 


 

« Paris est nazi » : après l'attaque des militants d’extrême droite, des questions et le silence du gouvernement

Margot Bonnéry sur www.humanite.fr

Un militant de la CGT a été hospitalisé après avoir été poignardé, dimanche 16 février, lors d’une conférence organisée par le mouvement antifasciste Young Struggle, dans le 10e arrondissement. Une enquête pour tentative d’homicide volontaire a été ouverte.

Hématomes sur le corps, bleus sur le visage, lunettes de soleil pour recouvrir les blessures… Paul se remémore la violente scène vécue la veille dans le 10e arrondissement de Paris. En soirée, ce dimanche 16 février, alors qu’il venait assister à la projection du film Z, de Costa-Gavras, accueillie par l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit) et organisée par le mouvement antifasciste Young Struggle, ce jeune syndicaliste CGT voit arriver un commando d’extrême droite d’une trentaine de personnes cagoulées et munies de tessons de bouteille.

« Dès que je les ai vus, j’ai compris, relate-t-il, encore un peu sonné. J’ai aussitôt tenté de fermer la porte au plus vite, mais ils me sont tombés dessus, m’ont tabassé au sol et j’ai été poignardé à l’arme blanche. Cela m’a valu une nuit d’hospitalisation à Lariboisière. » Au total, deux personnes ont été hospitalisées, selon les organisateurs.

La piste des hooligans d’extrême droite du Kop of Boulogne

Rapidement, les assaillants, vêtus de noir, ont quitté les lieux en hurlant dans les rues adjacentes : « Paris est nazi, Lyon est nazi aussi », comme en témoigne une vidéo amateur. En guise de signature de son acte, le groupe a déposé sur l’un des murs des locaux un autocollant comprenant l’inscription « KOB veille » et un dessin de pitbull, référence probable à « Kop of Boulogne », groupuscule de hooligans racistes et violents qui terrorisaient le Parc des Princes dans les années 1990.

Ce qui laisse craindre une réactivation d’une vieille marque de l’extrême droite parisienne, à la manière du GUD Paris, ressuscité en 2022 avant d’être à nouveau dissous administrativement en 2024. Une enquête du chef de tentative d’homicide volontaire a été ouverte et confiée au 2e district de police judiciaire.

À l’issue de cette agression, « la BAC a interpellé six de nos agresseurs devant une station de métro près du lieu des faits, les autres ont pris la fuite », précise Ali, membre de l’Actit, également présent lors de l’attaque. Autour de lui, une petite dizaine de militants de Young Struggle venus d’Allemagne apportent leur soutien.

« Nous ne permettrons pas d’attaques racistes contre les migrants en Europe ! » martèlent d’ailleurs en chœur l’Actit, l’Union des forces démocratiques (DGB) et la Fédération allemande des travailleurs migrants (Agif) dans un communiqué commun. « Cette attaque vise clairement à empêcher l’organisation des travailleurs immigrés et la lutte de la jeunesse anticapitaliste et antifasciste organisée contre le fascisme et le racisme », dénoncent-ils.

Le silence de Retailleau

« Paris doit rester une terre de résistance à l’extrême droite et il n’est pas acceptable que ses rues deviennent le théâtre de violences comme celles-ci », affirme Ian Brossat, porte-parole du PCF, venu soutenir les associations concernées, rue d’Hauteville. « Depuis quelques années, il y a une libération de la parole de l’extrême droite. Leurs mots sont repris par les plus hauts responsables de l’État, si bien que ces militants fascistes se sentent pousser des ailes. Cette impunité n’est pas acceptable », appuie-t-il.

Surnommé le « Petit Kurdistan » en raison de la forte présence de commerces kurdes, le quartier du 10e arrondissement où a eu lieu ce raid n’en est pas à sa première agression. Cette attaque à l’encontre « de Turcs et Kurdes progressistes » intervient « après les assassinats ciblés de 2013 et 2022 dans le 10e dans lesquels six Kurdes furent tués », rappelle Elie Joussellin, président du groupe PCF à la mairie de l’arrondissement concerné. « Lorsqu’ils étaient ministres de l’Intérieur, Manuel Valls et Gérald Darmanin avaient promis de protéger les Kurdes. Protéger cette communauté passe par la justice. Or, le secret-défense n’a pas été levé pour 2013 et le parquet antiterroriste n’a pas été saisi pour 2022 », poursuit-il.

Une autre question se pose : quelles dispositions vont être prises pour la sécurité ? Pour l’heure, les locaux de l’Actit ne sont pas protégés, aucun policier n’est devant la porte. « Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sait s’exprimer quand il le souhaite mais, sur cette affaire, il reste muet », déplore Ian Brossat.

Face à ce déferlement de haine, un rassemblement s’est tenu ce soir sur le parvis de la gare de l’Est. De nombreuses associations, syndicats et partis politiques ont tenu à être présents, comme la CGT, le PCF ou la France insoumise. Tandis que l’enquête menée par la préfecture de police se poursuit, une autre manifestation parisienne a été annoncée. Elle est prévue ce samedi, à 14 heures, sur la place de la République. Pour faire bloc face au péril brun.


 

   mise en ligne le 16 février 2025

Ines Schwerdtner (Die Linke) :
« Nous sommes tous le cordon sanitaire contre l’AfD »

Bruno Odent sur www.humanite.fr

La nouvelle co-cheffe de Die Linke, Ines Schwerdtner, décrypte les raisons de la profonde crise politique et sociale qui touche l’Allemagne, revient sur la montée de l’extrême droite et évoque la dynamique enregistrée en cette fin de campagne par son parti.


 

L’Allemagne est entrée dans une grave crise économique et sociale. Comment réagit Die Linke ?

Ines Schwerdtner : D’abord, il faut bien considérer quelles sont les causes de cette crise, qui n’est pas nouvelle, mais s’intensifie de façon très préoccupante. On paye là au prix fort des décennies de politiques néolibérales. Les grands groupes et leurs actionnaires se sont enrichis comme jamais, alors que les salariés se sont vu confronter à une baisse de leurs revenus réels et à l’augmentation du coût de la vie.

Si l’on veut stopper le processus de suppressions massives d’emplois dans l’industrie, il faut prendre le contrepied des doxas dominantes, qui ont conduit à désinvestir les champs sociaux et environnementaux. Pour faire face, des nationalisations sont devenues indispensables.

Il est plus que temps d’en venir à une autre politique économique et sociale qui soit déterminée démocratiquement. Il faut défendre les pouvoirs de cogestion des salariés, qui ont été délibérément atrophiés, pour les étendre au contraire et même leur donner une dimension inédite. C’est le seul moyen de permettre au plus grand nombre d’être partie prenante des grands choix nécessaires.

Vous avez entamé de vastes porte-à-porte. Pas seulement pour vous présenter aux citoyens, mais aussi pour les écouter. Qu’en tirez-vous ?

Ines Schwerdtner : Nous avons décidé, effectivement, d’aller à la rencontre des citoyens. Et nous avons pu constater combien les gens « ordinaires » ont vu leur niveau de vie se dégrader. Ils prennent de plein fouet l’inflation, comme la très forte augmentation des prix de l’énergie et des loyers.

La flambée du coût des logements n’est-elle pas ultrasensible dans un pays où les locataires sont majoritaires ?

Ines Schwerdtner : Il y a un manque abyssal de logements, et singulièrement d’habitations sociales. Les grandes coalitions précédemment au pouvoir (sous Angela Merkel – NDLR) ont ignoré le problème en refusant d’investir. Mais la situation ne s’est en rien améliorée avec le gouvernement tripartite – SPD (sociaux-démocrates)-Verts-FDP (libéraux) – du chancelier Scholz. Les prix des loyers battent record sur record. Les gens y consacrent plus du tiers, jusqu’à la moitié de leurs revenus. C’est une des doléances majeures qui remonte de nos porte-à-porte.

Au même moment, les géants de l’immobilier, cotés en Bourse, agissent comme des requins et s’en mettent plein les poches. Y compris en gonflant les « charges locatives ». Constatant cela, nous avons pu entamer des dizaines de procédures aux côtés des citoyens.

Comment s’est propagé l’appauvrissement d’une si grande partie de la population ?

Ines Schwerdtner : Les déréglementations sociales mises en place dans l’agenda 2010 du gouvernement Schröder SPD/Verts du début du siècle, et étendues par les gouvernements de grande coalition qui l’ont suivi, ont nourri une extension phénoménale de la précarité. Ce qui se traduit le plus souvent par de faibles niveaux de rémunération et de protection sociale.

Et, ce qui est terrible, c’est de voir le candidat CDU à la chancellerie, Friedrich Merz (favori des sondages – NDLR), se prononcer, en plein mimétisme antisocial, pour un… « agenda 2030 », dévoué à de nouvelles coupes dans les dépenses salariales et sociales, et présenté comme seul moyen de rendre les entreprises plus compétitives. Pourtant, le mal-être social est si profond qu’il a déjà largement débordé sur le champ politique.

Vous voulez dire ce sentiment de déclassement sur lequel prospère l’AfD ?

Ines Schwerdtner : Oui, cette précarité est une véritable rampe de lancement pour l’AfD. Le parti d’extrême droite progresse bien plus fortement dans les endroits où règne ce mal-être social. Il parvient à détourner contre les immigrés toute la colère et le ressentiment, en brandissant ouvertement son concept de « remigration » et ses appels à la haine. Il faut faire front contre cette ignominie. Nous sommes le parti antifasciste et le vote pour Die Linke est le plus sûr moyen de faire barrage à l’AfD. Nous sommes tous le cordon sanitaire contre l’AfD.

La tendance semble plus favorable à Die Linke aujourd’hui. Pourquoi ?

Ines Schwerdtner : Depuis notre congrès en octobre, nous avons réussi à nous remobiliser. Une vague de nouvelles adhésions, le plus souvent des jeunes, des dizaines de milliers de jeunes, nous a permis d’impulser une dynamique qui se retrouve désormais jusque dans les sondages. Les positions de classe que nous affirmons avec plus de force ont commencé à porter leurs fruits. Je reviens à l’instant d’une initiative dans ma circonscription de Lichtenberg, à Berlin, où j’ai été vraiment impressionnée par l’accueil qui me fut réservé.


 

     mise en ligne le 15 février 2025

Appel de syndicalistes
pour un sursaut unitaire à gauchE
 

sur www.humanite.fr

Tribune - Appel de syndicalistes pour la justice sociale, écologique et démocratique. Le sursaut unitaire est possible, construisons-le ensemble !

Syndicalistes, actifs et retraités, engagés en défense du monde du travail, en lutte pour la justice sociale, pour l’égalité femmes-hommes, pour les services publics, en solidarité avec les travailleurs immigrés, pour des politiques respectueuses de l’environnement… nous sommes en colère.

Nous sommes en colère d’avoir vu le Président de la République bafouer le résultat des législatives, tourner le dos au front républicain qui avait barré la route à l’extrême droite, ignorer l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire (NFP), pour lui préférer, avec M. Barnier et son gouvernement, puis avec celui de M. Bayrou, un front antirépublicain chargé de poursuivre, sous la surveillance du Rassemblement national (RN), la même politique néolibérale de régression sociale et d’injustice fiscale répondant aux intérêts du patronat et de la finance, d’absence de politique industrielle ambitieuse, d’ignorance de l’urgence écologique et de stigmatisation des immigrés.

Nous sommes en colère d’avoir vu le RN dicter ses injonctions au gouvernement et consolider ses possibilités de conquête du pouvoir. Ses idées réactionnaires et racistes sont reprises par la droite au pouvoir, elles occupent les médias, les classes dirigeantes se font petit à petit à son arrivée aux affaires et la purge sociale que promeuvent la droite et les macronistes ne peut que lui profiter.

Nous sommes aussi en colère et inquiets devant le spectacle donné par le NFP, miné par des forces centrifuges, incapable de prendre des initiatives collectives et d’engager un dialogue avec les mouvements sociaux pour se nourrir de leurs réflexions et exigences, pour incarner une alternative crédible. Certes, au parlement, ses député.es ont agi ensemble dans le débat budgétaire. Certes au niveau local, les initiatives existent pour essayer de faire vivre l’unité. Mais cela ne suffit pas à relancer la dynamique populaire qui permettrait au NFP d’élargir son assise pour l’emporter.

Dans ce contexte inquiétant, l’unité syndicale, son renforcement et son approfondissement, sont essentiels pour faire entendre des exigences fortes dans le débat public. Au-delà, le dialogue à rétablir et la convergence d’exigences partagées entre partis, associations, syndicats et simples citoyen.es aspirant à une logique transformatrice doit permettre, dans le respect de l’indépendance des fonctions et de l’égalité des responsabilités, de créer une nouvelle dynamique dans la société. Certes les réticences des mouvements sociaux à s’engager dans une telle démarche sont compréhensibles tant pèse lourd l’instrumentalisation dont ils ont été l’objet dans le passé. Mais, face à l’extrême droite aux portes du pouvoir, rester sur son quant-à-soi risque de se payer très cher pour tous et toutes.

Dans le contexte actuel, une condition pour gagner la majorité est d’affirmer la nécessité d’une rupture avec les politiques néolibérales menées depuis des décennies. Mais cela ne suffit pas. Aux paniques identitaires dont se nourrit le RN pour proposer des réponses réactionnaires et racistes, nous devons opposer la perspective d’une société désirable fondée sur l’égalité pour toutes et tous, la justice sociale et environnementale, le dépassement des fractures territoriales, le renouveau des services publics, la sécurité dans tous ses aspects, la solidarité et la démocratie. Bref un nouvel imaginaire émancipateur auquel le mouvement social peut contribuer.

Enfin pour que les partis de la gauche et de l’écologie politique aient une chance de l’emporter électoralement, il faut évidemment qu’ils restent unis, ce qui suppose en particulier de se doter d’une candidature unique, désignée en commun pour la prochaine élection présidentielle. Mais cette unité des partis, pour indispensable qu’elle soit, ne suffit pas. Pour gagner il faut être capable de rassembler au-delà et de créer une dynamique populaire unitaire


 

C’est pourquoi, avant qu’il ne soit trop tard, nous appelons l’ensemble des citoyennes et citoyens, organisations et partis qui se reconnaissent dans les valeurs sociales, écologiques et démocratiques, à s’engager ensemble dans ce combat pour reprendre la main sur notre destin collectif. Nous appelons les militants syndicaux, associatifs et citoyens engagés à renforcer les collectifs unitaires sur le terrain, à les multiplier et à les coordonner dans les départements et les régions, à réfléchir à de grands meetings régionaux avec des personnalités unitaires, à participer et à s’associer aux différents appels et initiatives portant la même exigence d’unité, à intensifier les rencontres avec la population afin de construire avec elle les exigences qui serviront de base à la constitution d’une alternative.

Si rien n’est encore joué, le temps presse. Le sursaut unitaire est possible. Construisons-le ensemble !

Pour signer : https://framaforms.org/appel-de-syndicalistes-pour-un-sursaut-unitaire-a-gauche-1738060906


 

Les premiers signataires :

Gérard ASCHIERI, éducation, ancien responsable national – Claude DEBONS, transports, ancien responsable national – Pierre KHALFA, télécoms, ancien responsable national et membre du CESE – Bernard THIBAULT, cheminot, ancien responsable confédéral – Patrick ACKERMANN, Télécoms Idf, ancien responsable national – Alain ALPHON-LAIR, secteur santé 30 – Verveine ANGELI, Télécoms IdF, ancienne responsable nationale – Michel ANGOT, FP territoriale 94, ancien responsable départemental – Nathalie ARGENSON, militante secteur santé 30 – Handy BARRE, magasinier cariste, responsable syndical Rouen 76 – Jean-Paul BEAUQUIER, militant éducation 13 – Jacques BENNETOT, militant syndicaliste paysan 76 – Eric BEYNEL, libraire, ancien responsable national secteur douanes – Walid BEYK, cheminot retraité 26 – Gérard BILLON, secteur construction, 92 Malakoff, ancien responsable national

 

 

    mise en ligne le 14 février 2025

« Ils nous méprisent complètement » : les travailleurs de Vinci laissés sur le bord de la route de la croissance du groupe

Léa Darnay sr www.humanite.fr

Les salariés de Vinci se sont rassemblés, jeudi 13 février, devant le siège du groupe à Nanterre, pour exiger « une augmentation des salaires générale, de meilleures conditions de travail et le retour d’une retraite anticipée. »

Le chiffre était dans toute la presse la semaine dernière : Vinci a déclaré 71,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, soit 4 % de plus qu’en 2023. Avec ce nouveau record, son PDG, Xavier Huillard a annoncé « aborder l’année 2025 avec confiance et sérénité ». Un bonheur que ne semblent pas partager ses salariés. Ce matin du 13 février, affluant de toute la France, une marée de gilets rouges s’est rassemblée devant le siège du géant Français du BTP à Nanterre.

Dans ce quartier d’affaire habituellement calme, les sifflets, trompettes et pétards, retentissent à chaque seconde. Les travailleurs ont un seul objectif : se faire entendre face à une direction fermée à toute négociation pour une remise à niveau des salaires. « Les négociations annuelles obligatoires ont abouti pour la plupart des entités à une augmentation des salaires d’à peine 1,5 %, dénonce Grégory Le Métayer, représentant syndical CGT de Vinci France. Les décisions se sont faites de manière totalement unilatérale. »

« C’est la politique générale de Vinci, diviser pour mieux régner »

À l’échelle du groupe, les augmentations de salaires se font « à la tête du client » se désole Éric Bego, secrétaire adjoint du comité de groupe CGT. Si les salariés aéroportuaires Vinci ont obtenu gain de cause après avoir bloqué durant deux jours les aéroports, ceux des autres filiales ont arraché au mieux trente euros, au pire quelques centimes. « C’est la politique générale de Vinci, nous confie un groupe de salariés d’Eurovia, filiale du groupe dans les travaux publics, diviser pour mieux régner, on donne à une partie et prive l’autre. Ils nous méprisent complètement ».

Devant le siège du donneur d’ordre, des militants de l’est et de l’ouest affluent en bus. Manteaux de chantiers sur le dos, les salariés de Cofiroutes, filiale de Vinci gérant le réseau grand Ouest des autoroutes, rejoignent leurs collègues, fumigènes à la main. « On est là pour leur rappeler que cette réussite ne doit pas se faire au détriment de notre santé, de nos droits et de nos conditions de travail » insiste Patrice Louis, élu au CSE de la filiale autoroute.

« Les effectifs sont réduits à outrance »

Pendant que le chiffre d’affaires et les dividendes explosent -2,6 milliards d’euros distribués en 2024 -, les embauches ne suivent pas, et les conditions de travail se durcissent. « À l’aéroport de Clermont, les effectifs sont réduits à outrance, il y a régulièrement des restructurations, et on se retrouve aujourd’hui à faire à trois le travail de cinq personnes » accuse le secrétaire général CGT de l’aéroport, Arnaud Boucheix.

Si la lutte a permis leur augmentation de salaire, la tension au sein de leur travail est omniprésente. « Ils nous surveillent et tentent de virer les personnes expérimentées pour économiser l’ancienneté, rapporte l’élu. À la place, ils embauchent des jeunes en contrat précaire, à temps partiel, le turn-over est hallucinant. »

Au niveau des autoroutes et des travaux publics, la baisse d’effectif impacte également fortement les conditions de travail. « Ils expliquent faire de la synergie, aller chercher des compétences sur d’autres filiales du groupe, mais c’est de l’optimisation pur et dure, explique un élu CGT de Vinci autoroute, mais ils ne voient pas la réalité du terrain. » Une réalité où les critères de pénibilité ne s’appliquent plus en dépit de conditions de travail difficiles. « Cela fait 15 mois qu’on subit des conditions météorologiques catastrophiques, reprend Grégory Le Métayer, malgré de nombreux obstacles comme la crise sanitaire ; on a su s’adapter et innover, les résultats le démontrent, où est la reconnaissance ? ».

« On part à la retraite cassé et précaire, c’est honteux »

Face à de telles conditions de travail, les cégétistes demandent un retour impératif à la retraite à 60 ans, « même une retraite anticipée à 55 ans ! », intervient Eric Bégo. Dans le groupe, l’âge moyen des dossiers d’inaptitude est de 53,5 ans. « Ils s’étonnent d’avoir du mal à recruter, mais ils sont incapables de laisser leurs salariés en bonne santé », déplore le secrétaire adjoint du comité de groupe. « Ils ont oublié qu’on était en première ligne pendant le Covid, on part à la retraite cassé et précaire, c’est honteux », dénonce un salarié.

Pendant que les militants demandent « une meilleure répartition de la richesse créée par nous-même » devant un bâtiment bien sécurisé, des collègues de la construction du groupe s’attellent à construire un immeuble en face. Après s’être arrêtés quelques minutes pour montrer leur solidarité et le partage des revendications, les travailleurs reprennent le chantier par 5 degrés.


 


 

« Nous voulons notre part du gâteau ! » : chez Safran, la grève pour les salaires fait son retour

Samuel Eyene sir www.humanite.fr

Après 2022 et 2024, des salariés du groupe français lancent une nouvelle mobilisation pour exiger des revalorisations plus importantes que celles proposées par la direction, en pleines négociations annuelles obligatoires.

Devant le site de l’usine Safran de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), les visages aux sourcils froncés ne laissent guère de doute quant au ressentiment généré ces dernières semaines par l’entreprise placée « 16e au classement des 500 meilleurs employeurs 2025 en France », selon le magazine Capital.

À l’appel de la CGT, une centaine de travailleurs grévistes se sont réunis, jeudi 13 février, devant le dernier site du spécialiste de l’aéronautique français en petite couronne parisienne, pour exiger des augmentations de salaires dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). De nombreuses mobilisations avaient déjà eu lieu l’année dernière.

Elles sont de retour. « Nous voulons notre part du gâteau ! La direction nous propose des hausses de 38 euros brut par mois, mais ce n’est pas assez compte tenu des bénéfices réalisés par la boîte cette année », s’insurge Joan Guez, élu CGT au CSE, chasuble rouge sur le dos et chapka sur la tête.

Hausse de 10 % du chiffre d’affaires

Voilà déjà près de deux heures que le cégétiste se tient debout à quelques pas de l’entrée grise de l’entreprise pour fédérer les grévistes du jour. Ce contrôleur macrographique regrette qu’après leur quatrième session de NAO, la direction n’ait proposé que 0,95 % d’augmentation générale des salaires contre les 2 % espérés par le syndicat. Ce n’est pourtant pas les fonds qui manquent.

Le 5 septembre 2024, Safran, qui fait partie du CAC 40, avait annoncé qu’il s’attendait, pour 2025, à une croissance de son chiffre d’affaires d’environ 10 %, à un résultat opérationnel courant entre 4,7 et 4,8 milliards d’euros et à un cash flow estimé entre 2,8 et 3,0 milliards d’euros.

D’après le syndicat, les nouveaux résultats financiers devraient être publiés ce vendredi 14 février. Et il s’attend à ce qu’ils résonnent comme un nouvel affront aux yeux des employés qui attendent toujours le ruissellement. « On assiste à un vol des richesses créées par les travailleurs. En trente ans, le PIB a plus augmenté que les salaires », cingle Patrice Leclerc, maire communiste de Gennevilliers, venu soutenir les grévistes.

« Nous avons un super accord travaux pénibles qui nous permet de partir cinq ans avant l’âge légal de départ à la retraite. Mais nous n’en profitons pas beaucoup. Les camarades ont respiré tellement de poussière et porté tellement d’objets lourds qu’ils finissent leur carrière en étant sévèrement abîmés », confie Cyril Bouton, forgeron et adhérent à la CGT. Le visage et les mains noirs de suie, il raconte son arrivée en contrat d’apprentissage à l’âge de 16 ans et se désole d’un salaire de 2 800 euros nets au regard de ses 27 ans d’ancienneté.

« Après plus de 20 années données à cette boîte, je peux déjà dire que je suis déjà un peu cassé. Mais cela représente mon investissement. Pourtant en retour, la direction nous formule des propositions salariales honteuses », regrette l’employé. Derrière lui résonne en écho le crépitement des pneus et du bois brûlés dans un tonneau passivement observé au loin par des camions de CRS en surnombre pour la mobilisation du jour. Une reconduction du mouvement le 20 février n’est pas à exclure selon les élus CGT.


 

    mise en ligne le 13 février  2025

Une « financiarisation de tous les dangers » : enquête sur l'emprise des fonds d'investissement sur les cabinets de radiologie

Lionel Venturini sur www.humanite.fr

Ils s’appellent BlackRock, Bridgepoint ou encore Ardian. Ces fonds d’investissement, après avoir phagocyté la biologie médicale ou les Ehpad, s’attaquent désormais au secteur de l’imagerie médicale. L’Académie de médecine alerte sur une « financiarisation de tous les dangers ». Avec déjà des conséquences perceptibles pour les patients… Vous êtes vous déjà demandé pourquoi les délais s'allongeaient pour pouvoir faire une mammographie ? Réponses.

Le scénario est rodé : approcher un cabinet de radiologie avec des médecins proches de la retraite, et mettre un pactole sur la table. « Historiquement, un radiologue qui partait à la retraite vendait ses parts autour de 300 000 euros à un jeune médecin débutant. Avec les montages actuels, il est possible de voir un investisseur non médecin payer dix fois plus », admet volontiers Joseph El Khoury de la banque d’affaires Natixis au média en ligne Imago.

La période est une aubaine pour les financiers : il y a en France un retard global d’équipement en imagerie lourde comparé à d’autres pays et le secteur a besoin de renouveler régulièrement ses machines. La croissance de l’activité est assurée, portée par le vieillissement de la population et les enjeux de prévention, le tout avec un risque limité. L’imagerie médicale dans le secteur libéral, c’est 3 milliards d’euros de recettes annuelles. De 20 % à 30 % du secteur serait déjà tombé dans l’escarcelle de financiers.

Convoqués devant le Sénat, qui a produit récemment un rapport d’information sur ces véritables « OPA sur la santé », des groupes d’imagerie ont dû avouer une belle rentabilité : selon Simago, qui exploite 115 IRM et scanners, les groupes d’imagerie peuvent afficher une marge sur résultat net de l’ordre de 10 %. Pour le groupe ImDev, elle a même dépassé les 30 % en 2023. Quant au groupe Vidi, il se fixe pour objectif de quintupler son chiffre d’affaires au cours des quatre prochaines années.

Tous les secteurs de la santé sont concernés

Pour acquérir ces labos, toute la panoplie des montages financiers exotiques y passe. LBO, OBO, BIMBO… Ces techniques de rachat par endettement, où la trésorerie de l’entreprise est pompée pour rembourser la banque et rémunérer les actionnaires, sont régulièrement utilisées dans l’espoir de revendre, au bout de cinq à sept ans, avec un maximum de bénéfice. Concentration, rentabilité accrue : les laboratoires d’analyses ont connu ce phénomène il y a vingt-cinq ans en France. Six groupes se partagent désormais les deux tiers des labos français, le processus s’étend aussi aux centres dentaires et ophtalmologiques.

Tous les acteurs de la radiologie, pourtant, mettent en garde contre cette financiarisation : le Conseil de l’ordre réclame des garde-fous législatifs, l’Académie de médecine prévient d’une « financiarisation de tous les dangers ». La Cnam admet que les offres des financiers « sont particulièrement difficiles à refuser ». Même la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé s’en inquiète, et a nommé un référent en la matière.

En principe pourtant, les financiers doivent être tenus à l’écart des soignants : depuis la loi du 31 décembre 1990, 75 % d’une société d’exercice libéral (SEL) doivent être détenus par des médecins. L’astuce des financiers est de contourner cette loi : ils achètent l’immobilier, le parc de machines – un IRM peut monter à 1,6 million d’euros – et proposent aux radiologues, afin de les rémunérer, des montages juridiques complexes.

« Ce qu’on m’a demandé de signer s’étalait sur plusieurs centaines de pages, assorties de multiples clauses de confidentialité », confie un radiologue. À la manœuvre, des avocats spécialisés, rompus aux montages limites depuis l’épisode des laboratoires d’analyses. On y parle cash flow, ou encore « panier moyen dépensé par le patient », selon un vocabulaire en vogue dans les écoles de commerce.

« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue, c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic. »

Les clauses des contrats lient les mains des soignants. Un exemple : « Le président est désigné, renouvelé ou remplacé par décision des associés (…), sur proposition des titulaires d’actions ordinaires ». Or, les actions ordinaires sont détenues intégralement par… l’investisseur. De même, pour s’aliéner les radiologues dans le contexte actuel de pénurie de médecins, certains contrats prévoient que les praticiens qui veulent cesser leur activité s’engagent d’abord à plusieurs années de travail avant de percevoir la totalité du prix de vente du laboratoire.

Des patients à deux vitesses

Si vous devez attendre un mois pour une mammographie, mais seulement deux jours pour une IRM du genou, il y a une raison à cela. La seconde est rapide à mener et autorise des dépassements d’honoraires. La première, en dépit de son intérêt évident pour la santé publique et le dépistage du cancer du sein, est obligatoirement réalisée sans dépassement, mal cotée par la Sécu, et nécessite, dans les textes, la présence physique d’un médecin.

« Des ponctions de thyroïde, des biopsies, des interventions mini invasives sur des cancers, ce sont des actes réalisables en radiologie mais peu rentables car ils prennent du temps », précise le docteur Philippe Coquel, secrétaire général adjoint de la Fédération des médecins radiologues. Il suffit donc au centre de radiologie de limiter les créneaux disponibles pour une mammographie ou un contrôle de métastases hépatiques, et d’en ouvrir au contraire beaucoup pour les examens les plus rapides et rentables. En la matière, le cas de La Réunion est, pour le Dr Coquel, « l’expérimentation grandeur nature d’une financiarisation galopante ».

En mars dernier, le Conseil de l’ordre des médecins mettait en garde également contre la remise en cause de l’indépendance professionnelle, avec ces centres d’imagerie qui « orientent leur activité avec la lucrativité pour seule finalité, au détriment de la santé publique ». Devenant des « travailleurs non salariés » – n’étant ni en CDD ni en CDI, ils échappent au Code du travail – les praticiens s’aperçoivent que « l’enveloppe du financier n’est jamais négociable », résume devant les sénateurs Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les usagers au Conseil de l’ordre.

Pour augmenter le salaire du personnel, on demandera au radiologue d’ouvrir durant le week-end ou de réaliser plus rapidement certains examens. « Voilà comment, de façon très insidieuse, les professionnels sont amenés à modifier dangereusement leurs pratiques. »

Le fantasme de l’intelligence artificielle

Pour augmenter la productivité, les financiers misent sur le télétravail du radiologue et… l’intelligence artificielle. L’IA ? « C’est encore un mirage », pour le docteur Coquel, qui alerte : « Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic ».

Cette financiarisation ne va pas sans quelques résistances. Un groupe financiarisé, Imapôle, est ainsi sous le coup de plusieurs demandes de radiation par l’Ordre des médecins – l’affaire sera jugée par le Conseil d’État début 2025. En janvier 2024 s’annonçait le plus gros « deal » du secteur, 650 millions d’euros pour racheter Excellence Imagerie. Six mois plus tard, l’acheteur, Antin Infrastructure Partners, renonce. Signe que l’environnement s’avère moins favorable ?

En février 2024 se constituait le réseau Radian (Réseau pour une approche durable et indépendante de l’activité nucléaire) par des internes de médecine nucléaire, qui entendent promouvoir d’autres modèles d’organisation et de travail. L’initiative suit de peu celle de Corail, le Collectif pour une radiologie libre et indépendante, créé en début d’année 2023.

Avec 2000 adhérents sur un peu plus de 5 300 radiologues libéraux, « c’est la preuve que l’arrivée des financiers qui tenaient un discours simple – “vous ferez de la médecine, nous, on gérera le reste” –, ne passe plus aussi bien aujourd’hui », souligne l’un de ses cofondateurs, le docteur Aymeric Rouchaud. « On sentait qu’on ne gagnerait pas immédiatement sur le plan législatif, poursuit-il, alors avec Corail, on joue sur le rapport de force : la démographie médicale est en notre faveur. »

« Le point de bascule, analyse encore le médecin, a été le “quoi qu’il en coûte” de Macron durant le Covid-19. » En 2020, les fonds d’investissement se sont dit que si la santé était à ce point sanctuarisée, ils auraient les coudées franches pour agir. C’est pourquoi on trouve également parmi les financeurs de ces rachats, outre les fonds d’investissement anglo-saxons, les principales banques françaises, mais aussi, plus curieusement, la banque publique Bpifrance, ou le fonds d’investissement Ardian, lancé initialement par Claude Bébéar, l’ancien PDG d’Axa. Fonds qui a recruté un ancien conseiller de l’Élysée, Emmanuel Miquel, macroniste de la première heure. Signe que la financiarisation de la santé a le feu vert au plus haut niveau.

À La Réunion, l’expérimentation grandeur nature de la financiarisation

« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic »L’île de La Réunion préfigure ce qui attend la métropole si rien n’est fait : la grande majorité des équipements IRM et scanners sont désormais aux mains de financiers, selon les relevés effectués en novembre 2024 par « le Quotidien de La Réunion ». Résultat : les plaintes de patients qui ne trouvent pas de rendez-vous à une date raisonnable pour certains examens s’accumulent à l’ARS. Cette dernière dresse un état des lieux inquiétant : « Une participation moins importante aux dépistages organisés des cancers, un accès aux soins plus difficile, une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques ou encore une situation socio-économique défavorisée. »

Cette dégradation de l’accès à l’imagerie médicale pèse d’autant plus que 36 % des Réunionnais vivaient en 2020 (derniers chiffres disponibles) sous le seuil de pauvreté, soit 2,5 fois plus que dans l’Hexagone. L’agence souligne aussi un sous-effectif de cancérologues. Une situation qui a poussé le député (GDR) Frédéric Maillot à écrire au ministère de la Santé en avril 2024, soulignant dans sa missive le retard sensible de La Réunion en matière de dépistage, comparé à l’Hexagone. Début 2025, la lettre n’avait toujours pas reçu de réponse. Il faut dire que, pour cause de dissolution par Emmanuel Macron, le ministère de la Santé a connu trois ministres en un an…


 


 

Financiarisation de la santé : « La logique de gain l’emporte sur la logique de soin », alerte Bernard Jomier

Lionel Venturini sur www.humanite.fr

Coauteur d’un rapport parlementaire intitulé « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? » (septembre 2024), le sénateur (Place publique) Bernard Jomier analyse les mouvements à l’œuvre dans le secteur et avance des solutions pour y remédier.


 

En démarrant vos auditions, vous connaissiez le poids prépondérant de la financiarisation dans différents champs de la santé. Avez-vous néanmoins été surpris par son ampleur ?

Bernard Jomier : Ce qui nous est apparu le plus inquiétant, c’est la progression de la financiarisation dans le secteur des centres de santé, vécus dans l’opinion générale comme des lieux de non-profit, issus d’une histoire progressiste, instaurés souvent par des municipalités communistes, et par le mouvement mutualiste également – c’est ce dernier qui a porté le tiers payant. Aujourd’hui, l’appellation est devenue tout à fait trompeuse : beaucoup sont en fait des structures financiarisées.

Ce rapport, par définition transpartisan, semble faire largement consensus…

Bernard Jomier : On a assez vite acté qu’il fallait arrêter ce mouvement de financiarisation dans le secteur ambulatoire : ORL, dentistes, imagerie, médecine générale… Pourquoi sommes-nous tombés d’accord, par-delà les divergences politiques ? Parce que nous avons considéré que notre système, qui repose depuis la Libération sur deux piliers, une offre publique et une offre privée, ne devait pas être remis en cause. Et parce que ce modèle admet une part de régulation et de contrôle, il permet à la puissance publique de mener une politique de santé.

À partir du moment où on y substitue un capitalisme financier, le contrôle de la pertinence des actes effectués est sérieusement entaché. On l’a vu dans la dentisterie avec la multiplication de faux actes, d’actes inutiles ou surfacturés. Sages-femmes, kinés, médecins… il y a eu consensus de toutes les professions lors de nos auditions pour repousser ce capitalisme-là. Les ordres professionnels ont également brutalement pris conscience qu’ils ne pourraient plus remplir les missions sur l’indépendance professionnelle qui leur sont confiées par la loi.

Une évolution législative serait-elle suffisante pour contrecarrer les ambitions des financiers ?

Bernard Jomier : Notre rapport fait bouger les lignes. La Cour des comptes a lancé un observatoire de la financiarisation, l’inspection générale de la Sécurité sociale et celle des finances s’en saisissent également. Un seul acteur, durant nos auditions, n’a pas partagé ce consensus : le représentant de la direction générale des entreprises au ministère de l’Économie. Nous savons pourtant que le système bancaire traditionnel répond déjà aux besoins de financement des équipements lourds des cliniques ou des radiologues.

Alors pourquoi faire appel aux financiers ? Sa réponse fut en somme : « Nous appliquons de façon générale un principe qui est que la libre concurrence fait baisser les prix. » C’est donc bien une doctrine idéologique, particulièrement forte depuis qu’Emmanuel Macron est chef de l’État. L’agilité des acteurs financiers dépasse de très loin celle de l’État. En détenant 5 % du capital, ils peuvent empocher 90 % des bénéfices. Donc oui, il y a des dispositions législatives à prendre, mais aussi des outils réglementaires à donner aux acteurs pour dissuader les financiers.

Quels sont ces outils ?

Bernard Jomier : Les ARS délivrent les autorisations d’activité de soins ; elles peuvent être plus vigilantes pour garantir le maillage territorial. On doit revoir aussi les tarifs hospitaliers ainsi que les tarifs conventionnels, pour chasser les rentes de situation ou les actes techniques surcotés, ceux qui, comme par miracle, se multiplient dans les structures financiarisées.

Des radiologues me racontent comment on fait revenir un patient le lendemain pour un second examen, parce qu’il y a une minoration du deuxième acte s’il est effectué le jour même. Un radiologue est un médecin, il peut prescrire lui-même un examen pour de bonnes raisons, sans obliger le patient à retourner voir son généraliste. Sauf que tous ces processus sont fondés sur la pertinence des soins. Pas sur une logique de gain qui, aujourd’hui, l’emporte sur la logique de soin.

Il faut aussi être malin : le syndicat des dentistes l’a été en instaurant un conventionnement sélectif, qui revient à figer le rapport actuel entre 70 % de cabinets traditionnels et 30 % de financiarisés. Le syndicat de généralistes MG France a trouvé une autre forme de parade, en défendant la suppression a priori paradoxale des majorations pour jours fériés ou nuit. Parce que les centres de soins financiarisés ont un modèle économique qui repose sur les ouvertures tardives, le samedi… avec des consultations à 60 euros plutôt qu’à 26,50 euros. Supprimer ces majorations contribue à les étouffer.


 

    mise en ligne le 12 février 2025

« Malgré d'énorme profits,
cette industrie nous martyrise
et nous crame » : les travailleurs
du jeu vidéo disent leur ras-le-bol

Khalil Auguste Ndiaye sur www.humanite.fr

Le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo appelle à manifester ce jeudi. Et les raisons sont nombreuses, nous explique Pierre-Étienne Marx, élu syndical d’Ubisoft.

Plusieurs centaines de développeurs, programmeurs, designers et autres employés du secteur des jeux vidéo manifestent ce jeudi 13 février, à l’appel du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV). Une mobilisation qui a pour but d’alerter sur les conditions de travail. Pierre-Étienne Marx, élu du syndicat chez Ubisoft, explique la démarche.

Pourquoi appelez-vous à une grève nationale ?

Pierre-Étienne Marx : L’industrie du jeu vidéo martyrise et « crame » les travailleurs. Malgré d’énormes profits (6 milliards d’euros en France en 2024), les carrières sont courtes en raison de conditions d’exercice dures et d’un marché du travail saturé. Les écoles privées alimentent ce système en formant trop de juniors, qui peinent à trouver un emploi, tandis que les licenciements explosent (12 000 par an dans le monde en 2023-2024). En France, le droit du travail protège mieux qu’ailleurs, mais il faut agir avant que la crise ne s’aggrave. Cette grève nationale vise donc à dénoncer des problèmes systémiques et pas juste dans telle ou telle entreprise.

À qui adressez-vous vos revendications ?

Pierre-Étienne Marx : La plupart de nos revendications, par exemple concernant les licenciements, visent les entreprises et les éditeurs. Mais l’État est aussi impliqué. Son crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV), 40 millions d’euros par an, impose seulement de créer des emplois en France, sans réelle exigence sur les conditions de travail.

« L’industrie insiste beaucoup sur le côté passion du métier. »

Aucune entreprise, à ma connaissance, n’a perdu le CIJV pour non-respect du Code du travail. L’industrie française du jeu vidéo doit se développer mondialement sans nuire aux travailleurs. Plutôt qu’un crédit d’impôt financé par l’État, un prélèvement sur les ventes, à la manière du cinéma, pourrait être une alternative.

Quelles sont les difficultés dans les conditions de travail ?

Pierre-Étienne Marx : Le « crunch » (bouclage intensif d’un projet – NDLR) est la plus connue, avec des semaines de soixante-dix à quatre-vingts heures, destructrices pour la santé et illégales en France. Mais il existe aussi une version plus sournoise : des périodes intenses sur une durée prolongée, souvent dues à une mauvaise organisation ou à des promesses intenables.

L’impact est réel : impossibilité de déconnecter, stress constant, burn-out et sous-déclarations des arrêts maladie, car certains ne veulent pas abandonner un projet. Les entreprises surveillent mieux les excès visibles du crunch, mais ignorent ce problème de fond. Nous exigeons une vraie prise en compte de ces pratiques toxiques.

Les salaires posent-ils problème ?

Pierre-Étienne Marx : C’est un métier mal payé. L’industrie insiste beaucoup sur le côté passion du métier. Les écoles forment donc des jeunes, qui se retrouvent sur le marché avec des bac + 5, mais avec un salaire d’entrée bien en dessous de la moyenne pour ce niveau d’études.

En moyenne, dans les gros studios, les testeurs juniors touchent à peu près 25 000 par an, voire moins dans certaines entreprises qui ne respectent pas le minimum conventionnel Syntech. Les métiers du design, c’est plutôt autour des 30 000. Et ceux de la programmation, de 35 000 à 40 000. Et comme c’est vendu comme un métier passion on recrute des gens qui sont prêts à prendre un salaire plus bas, à faire des concessions.

Avez-vous des craintes concernant l’IA ?

C’est vaste. On sait qu’il y a une envie des patrons de l’introduire de plus en plus à notre place. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas complètement crédible. Il y a des entreprises qui ont essayé, notamment en Chine, et qui en sont revenues, car ça leur coûtait plus cher d’avoir des spécialistes de l’IA et des systèmes d’IA pour faire ce que quelqu’un faisait mieux de lui-même.

Ce qui nous inquiète surtout, c’est l’usage de l’IA générative, souvent basé sur du vol de contenu, ce qui est inacceptable. Plus largement, le jeu vidéo est une création artistique et culturelle, pas un simple produit industriel. Or nos employeurs l’oublient et en parlent comme d’un sac de patates. Ils écartent les travailleurs des décisions. Nous demandons une vraie voix dans la gestion des projets, car nous sommes les mieux placés pour voir quand un jeu fonce dans le mur.


 

    mise en ligne le 11 février 2025

À Mayotte, les ONG
font « le job » de l’État

Rémi Carayol sur www.mediapart.fr

Après le passage du cyclone Chido, de nombreuses organisations humanitaires ont envoyé des missions à Mayotte. Elles ont découvert une situation dramatique, qui date d’avant la tempête. Certaines ont dû se substituer à des pouvoirs publics volontairement absents des bidonvilles.

Tsingoni, Koungou, Mamoudzou (Mayotte).– Deux médecins, trois infirmières, trois tentes, deux tables, une balance et des caisses de médicament. Il est 8 h 30, mardi 21 janvier, le soleil accable déjà, et la clinique mobile de Médecins sans frontières (MSF) est prête à accueillir les habitant·es du quartier de Bandrajou, un bidonville de Kawéni. À peine installée sur un terre-plein boueux, en contrebas de la montagne de maisons en tôle, l’équipe, des bénévoles d’un jour pour la plupart, est immédiatement sollicitée.

Un homme à scooter s’est arrêté sans savoir qui étaient ces wazungu (le nom donné aux Blancs à Mayotte) munis d’un gilet blanc ; il a mal au ventre, ne se sent pas bien. Un autre, qui s’est coupé le doigt en reconstruisant sa maison disloquée par le cyclone Chido le 14 décembre, vient aux nouvelles : est-il possible de changer son pansement ? Il n’est pas pressé de retourner au dispensaire où on le lui a posé : il faut faire la queue pendant des heures et il y a toujours le risque de se faire contrôler par la police. Comme une grande partie des habitant·es de Bandrajou, il n’a pas de papiers en règle.

Très vite, une file s’est constituée. Des femmes et des enfants surtout. Les bénévoles de l’Association Générations Futures (AGF), qui œuvre dans les bidonvilles de Kawéni, gèrent les flux et traduisent quand il le faut. Les médecins enchaînent. Rien de très préoccupant : des maux de ventre, des maux de tête, et pas mal de cas de teigne, maladie liée à l’insalubrité qui touche les plus jeunes. Deux infirmières préparent les médicaments que l’organisation non gouvernementale (ONG) délivre gratuitement. Une troisième part en maraude dans les hauteurs, pour informer les gens de leur présence.

De l’urgence à l’ordinaire

Au début, quand MSF est arrivé sur l’île quelques jours après le passage du cyclone, les soignant·es qui se déplaçaient dans les quartiers et les villages les plus précaires (Kawéni, Tsoundzou, Vahibé, Koungou) étaient confronté·es à des blessures liées à la catastrophe. Beaucoup de plaies notamment, dont certaines purulaient : les blessé·es n’étaient pas allé·es se faire soigner, par crainte des contrôles d’identité ou parce qu’ils et elles pensaient que l’hôpital serait saturé.

Mais très vite, ce sont des maladies chroniques que les membres de l’ONG ont dû traiter. Des gastro-entérites notamment, liées à la déshydratation. Pas mal de cas de malnutrition aussi, dont certains sévères. Et tous les bobos du quotidien qui devraient être pris en charge, normalement, par la médecine publique ou privée.

Dès lors, MSF a rempli le « job » d’un hôpital. « On fait encore beaucoup de pansements, cela représente 20 à 30 % de nos soins, mais le reste consiste à traiter des pathologies dont certaines sont liées au manque d’eau ou à la mauvaise qualité de l’eau », indique Mehdi El Melali, le référent médical de la mission.

Les membres de MSF ont trouvé une situation qu’ils connaissaient en partie, pour avoir déjà mené des missions courtes à Mayotte dans le passé, mais dont ils découvrent chaque jour l’ampleur. Chaque clinique mobile attire des dizaines de patient·es, parfois plus de 150 en une seule journée. Chido (qui signifie « miroir » en shimaoré) a « révélé quelque chose », poursuit Mehdi El Melali, car « là, on n’est plus dans le post-cyclone, mais dans la crise chronique ».

En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés.

Les habitant·es de ces quartiers, insiste-t-il, manquent de soins, et cela ne date pas du 14 décembre. Souvent, ils attendent le dernier moment pour aller à l’hôpital. D’abord parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se déplacer ou pour se payer les médicaments qui leur seront prescrits. Et surtout parce qu’ils craignent les forces de sécurité.

Il n’est pas rare, à Mayotte, de voir la police aux frontières (PAF) effectuer des contrôles aux abords des dispensaires, dans les rues adjacentes ou au carrefour le plus proche. « La peur de se faire arrêter est parfois plus forte que celle de mourir », déplore le médecin.

En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés (soit bien plus que dans l’Hexagone : 29 %). Parmi les causes avancées par l’Insee dans une étude publiée en 2021 : la question financière et la situation administrative d’abord. « Les personnes les plus fragiles financièrement sont ainsi très pénalisées (54 %) ; les personnes non affiliées à la Sécurité sociale le sont encore plus (60 %) », précisait l’institut. Les délais trop longs et enfin les difficultés d’accès à l’offre complétaient la liste des motifs.

À Mayotte, selon l’agence régionale de santé (ARS), on comptait, en 2022, 86 médecins pour 100 000 habitant·es, contre 339 dans l’Hexagone. Un soignant du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), qui a requis l’anonymat, admet que « l’offre n’est pas au niveau », tout en précisant que les personnes en situation irrégulière « n’en sont pas exclues ». Pour lui, le problème vient surtout de la « chasse aux sans-papiers » menée sur l’île depuis deux décennies.

En théorie, les consultations dans les dispensaires et les hôpitaux sont gratuites pour les personnes couvertes par la Sécurité sociale et pour les femmes et les enfants. Pour les autres, un forfait de 10 euros est demandé, l’aide médicale d’État (AME) n’étant pas appliquée à Mayotte. Mais 10 euros, « c’est déjà trop », souligne Achiraf, un jeune vingtenaire de Bandrajou qui se plaint de maux de ventre et qui attend de voir un médecin de MSF. Surtout, ajoute-t-il, « les médicaments sont payants après ».

Des ONG plus efficaces que l’État

Face à la situation dramatique qu’ils observent chaque jour, les membres de l’ONG s’interrogent : faut-il prolonger leur action au-delà de l’urgence liée à Chido ? Une question qui en appelle une autre : est-ce aux ONG de remplir les missions habituellement dévolues à l’État ?

D’autres organisations, qui opéraient à Mayotte avant Chido ou qui sont arrivées après, ont constaté un manque patent d’infrastructures et de services dans les bidonvilles. Un humanitaire qui a requis l’anonymat, et qui œuvre dans le médical lui aussi, se dit « effaré de découvrir une telle situation » dans « un territoire français ».

« Jamais je n’aurais imaginé voir ça en France », abonde un autre bénévole qui arpente les quartiers les plus précaires de l’île depuis la mi-janvier après avoir enchaîné les missions en Ukraine, en Haïti ou encore au Mali. Il a découvert « des zones laissées à l’abandon, des populations livrées à elles-mêmes », sans eau, sans électricité, sans aucune aide.

Après Chido, les gens manquaient de tout sur l’île : d’ombre (des milliers d’arbres sont tombés), d’électricité, de nourriture, d’eau potable... L’aide de l’État a tardé à se concrétiser. Elle est toujours très aléatoire et surtout très insuffisante dans les villages et quasi inexistante dans les bidonvilles. Dans certaines communes, les habitant·es sont délibérément exclu·es des distributions – les mairies étant chargées de distribuer les dons fournis par l’État.

Dans l’urgence, des ONG se sont mobilisées pour répondre aux besoins immédiats. World Central Kitchen (WCK), une organisation états-unienne, est arrivée sur place dès le 20 décembre. Durant les quatre premières semaines, elle a servi plus de 168 000 repas préparés par une cinquantaine de restaurateurs et restauratrices et distribués par une myriade d’associations locales. « Elle a été bien plus rapide et bien plus efficace que l’État », souligne le responsable d’une association ayant requis l’anonymat.

Dans la commune de Tsingoni, sur la côte ouest de l’île, la Régie de territoire de Tsingoni (RTT) se charge, chaque jour, de distribuer ces repas aux plus démuni·es. Elle œuvre en temps normal dans l’accompagnement social et environnemental, et compte trente-deux salarié·es.

Le 16 janvier, la distribution a lieu dans le quartier dit des « décasés », dans le village de Combani. Au menu : du riz et une sauce tomate avec quelques morceaux de viande. Sous un soleil de plomb, une file ininterrompue de personnes attendent leur tour. Certain·es ont un ticket sur lequel est indiqué le nombre de personnes qui vivent dans le foyer. D’autres non, mais ça ne change rien ; ici, on marche à la confiance.

Dans la queue, un homme semble harassé. Il s’appelle Ahmed, il a 37 ans. Sans papiers en règle, il vit habituellement de petits boulots dans le secteur informel. « Depuis Chido, on n’a plus de travail et plus d’argent, explique-t-il. Et il n’y a plus rien dans les champs. Je n’ai pas de quoi acheter à manger pour ma femme et mes trois enfants. Sans cette aide, on pourrait mourir de faim. »

Les dons de la commune, distribués de manière épisodique au foyer des jeunes ? « Je n’y suis pas allé. On sait bien qu’ils ne donnent qu’aux Mahorais. Et de toute façon, on ne sait même pas quand ces dons ont lieu. » Plusieurs témoignages font état de discriminations dans l’aide apportée par la mairie : les « ami·es » seraient privilégié·es, les « sans-papiers » en seraient exclu·es. Interrogés, des agents communaux s’en défendent. « On donne à tout le monde », assurent-ils.

Aux « décasés », on a de toute façon l’habitude de ne pas compter sur les pouvoirs publics. « La seule chose qu’ils nous envoient, c’est les policiers », s’amuse Hadidja, une femme de 44 ans qui a un gros pansement au pied. Depuis Chido, la Croix-Rouge est venue une fois pour apporter des soins, affirment les femmes qui l’entourent. Elles n’ont pas vu une seule fois des représentant·es de l’État, ni même des élu·es, ajoutent-elles.

Un travail parfois mal vu

Direction Koungou, sur la côte est, et son quartier considéré comme « mal famé » de Kirissoni, un bidonville qui abrite des milliers de personnes. Il s’étend à perte de vue le long d’un vallon et jouxte une immense carrière dont le vrombissement des machines rythme les journées. Ici, affirme Anriffoudine, un lycéen de 17 ans, « on vit comme des fantômes ».

Il n’y a pas de rues goudronnées, bien sûr, pas d’électricité non plus. Et pas d’eau potable. Pour en trouver, il faut descendre tout en bas du quartier où se trouve une rampe (quatre robinets raccordés au réseau d’eau) financée par l’ARS. Une épreuve en saison des pluies, quand la terre ocre de Mayotte se transforme en bourbier. Et un risque, la PAF y organisant parfois des descentes.

Depuis quelques jours, Anriffoudine accompagne les membres de Solidarités International, une ONG française qui défend, entre autres, le principe de l’accès inconditionnel à l’eau. Ce qu’ils font ici, c’est la base : capter l’eau d’une source située plus haut, tirer des tuyaux, monter des robinets.

Cette eau n’est pas potable selon la norme française, c’est pourquoi l’ONG distribue aussi des pastilles purificatrices et des kits d’hygiène (un jerrican pour transporter l’eau, du savon, des moustiquaires). Mais désormais, les habitant·es peuvent consommer une eau « sécurisée ». « C’est toujours mieux qu’avant », affirme le jeune lycéen, quand les gens puisaient l’eau à même le lit du ruisseau pollué par la lessive des femmes qui y lavent leur linge et par les déchets qui jonchent les ravines.

Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. Un salarié d’ONG

« Tout ce qu’on fait, c’est du temporaire, explique Cédric Berthod, un salarié de l’ONG qui rappelle que Kirissoni fut l’un des quartiers les plus touchés par l’épidémie de choléra il y a six mois. En attendant des raccordements au réseau de distribution d’eau potable, on sécurise l’eau consommée par les communautés depuis des captages comme ici. Ce travail de sécurisation, nous le faisons en lien avec l’ARS. »

S’il prend soin de le préciser, c’est parce que de telles opérations ne sont pas toujours bien vues, ni par les pouvoirs publics, ni par les élu·es, ni par les collectifs de citoyen·nes.

Lorsque l’ONG a débuté ses opérations à Mayotte fin 2022, l’accueil a été des plus froid. La préfecture n’apprécie guère de voir des organisations humanitaires intervenir sur l’île, et ne fait rien pour les encourager. Pourtant, les besoins sont énormes : selon l’Insee, en 2017, 62 % des ménages résidant dans une maison en tôle n’avaient pas accès à l’eau, contre 8 % de ceux qui habitent dans un logement en dur.

Un chiffre qui, selon l’ONG, n’a guère évolué depuis. Quant aux collectifs citoyens anti-migrants, leurs membres considèrent toutes celles et tous ceux qui apportent un peu de soutien aux habitant·es des bidonvilles comme des « ennemis » qui favorisent l’immigration.

Aujourd’hui, l’ONG intervient sur sept sites et vient en aide à plus de 9 000 personnes. Elle continue également son œuvre de plaidoyer auprès des autorités, notamment en négociant l’accès à l’eau pour tous les habitant·es de l’île, y compris des bidonvilles. Mais comme d’autres, elle fait face à une forme de « déni », d’« impensé ».

« Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres, souligne le salarié d’une autre ONG qui intervient dans l’accès à l’eau. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. C’est une grave erreur qui peut aboutir à des crises sanitaires ou humanitaires. »

Parfois, il suffirait de pas grand-chose pour améliorer le quotidien des populations les plus précaires. L’ONG française Électriciens sans frontières (ESF), par exemple, propose de distribuer des lampes solaires à bas coût, comme elle le fait un peu partout dans le monde. Elle estime à 20 000 le nombre de foyers sans électricité sur l’île.

Mais ses membres n’ont pas l’habitude d’intervenir en territoire français. Il y a eu un seul précédent : à Saint-Martin et Saint-Barthélémy après le passage de l’ouragan Irma, en 2017. Quand ils sont arrivés sur place après Chido, ils racontent avoir découvert une curieuse situation. Et ont senti comme « une gêne », selon les mots de Philippe Guistinati, lorsqu’ils en ont discuté avec les autorités. Comme si l’idée d’améliorer – même à la marge – le quotidien de ces personnes était un problème.


 

   mise en ligne le 10 février 2025

 Pour le mathématicien Cédric Villani,
« l’IA est au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe »

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Dès 2018, le mathématicien Cédric Villani plaidait pour que les questions autour de l’intelligence artificielle sortent des cénacles des spécialistes pour irriguer le débat démocratique. Il espère que le sommet mondial de Paris, qui s’ouvre lundi, joue ce rôle.

Le lauréat 2010 de la médaille Fields posait déjà en 2018 la question de « donner un sens à l’intelligence artificielle » dans un rapport parlementaire. Sept ans plus tard, l’état des rapports de force internationaux le rend sceptique sur l’évolution des technologies numériques.

L’intelligence artificielle peut-elle être un outil de progrès ?

Cédric Villani : Il y a deux façons très différentes de répondre. Soit vous l’abordez du point de vue intellectuel, universitaire et c’est un sujet absolument fascinant. Il s’agit d’une aventure scientifique parsemée de grands esprits, depuis Alan Turing. La question de l’adaptation des usages rend encore plus passionnant le débat autour des métiers, de notre perception et de notre représentation du monde en fonction des moyens de communication.

Même les plus réticents à l’IA ressortent de ces débats intellectuels en se disant que tout ceci est passionnant. Mais si l’on pose la question du progrès que l’on peut tirer à partir des usages de l’IA, il est impossible d’avoir une réponse aussi tranchée. Par rapport à la paix, l’équité et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’intelligence artificielle représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe, au même titre que la bombe nucléaire pouvait constituer à la fois un sujet scientifique et intellectuel passionnant, mais aussi une invitation à la destruction de l’humanité.

Pourquoi tant de scepticisme ?

Cédric Villani : On ne peut pas dire que les questions que pose l’IA se résolvent par la réponse « tout dépend de ce que nous allons en faire ». Si l’on prend en compte les rapports de force actuels, son utilisation accroît nos difficultés. L’IA apporte une nouvelle façon de faire la guerre, génère de nouvelles rivalités sur le contrôle de l’information comme de nouvelles tensions géopolitiques pour le contrôle des ressources.

En tant que telle, elle ne m’empêche pas de dormir. En revanche, les tensions mondiales entravent nos efforts en faveur du désarmement et de la solidarité internationale. Mais pour toutes les forces de progrès, ne pas user de ces outils revient à laisser les armes aux adversaires.

Les cas d’usages d’IA qui concourent à une société plus juste sont légion, des travaux du Giec aux économies d’énergie, au recyclage comme à la préservation des écosystèmes… Par ailleurs, le modèle du logiciel libre mène la compétition avec le modèle de l’IA fermée. Ce n’est pas pour rien qu’Elon Musk s’en prend à Wikipédia. Mais tous ces cas d’usage de progrès représentent peu en proportion des cas d’usage nocifs.

À quoi sert ce sommet mondial de l’IA à Paris ?

Cédric Villani : Le buzz alimenté par ce sommet permet d’attirer l’attention sur les vrais problèmes. Parler d’IA, c’est parler des déchets numériques dont on sous-traite la destruction à des travailleurs ghanéens sous-payés. Parler d’IA, c’est rappeler les injustices fondamentales entre les femmes et les hommes. Pourquoi n’y a-t-il pas suffisamment de femmes dans les mathématiques, les écoles d’ingénieurs et d’informatique ?

C’est aussi parler de recherche : pourquoi laisse-t-on piller notre force de formation par les universités américaines ? Et puisqu’il est actuellement question de rapports de puissance entre les États-Unis et la Chine, parler d’IA, c’est parler taille et forces. Nous concernant, la réponse doit être l’Europe, du fait de son marché et des moyens qu’elle peut mobiliser. En 2022, l’irruption de ChatGPT avait tout changé médiatiquement et permis que tous ces sujets jusque-là traités entre experts parviennent au grand public. Ce sommet de Paris nous en donne une nouvelle occasion.

En matière d’intelligence artificielle, où en est la France ?

Cédric Villani : La France a des atouts réels. Historiquement, elle possède avec l’Allemagne, la Russie et, maintenant, les États-Unis l’une des plus grandes communautés de mathématiciens. Elle reste un grand pays d’algorithme et une référence pour la qualité de ses programmeurs.

Nous n’avons pas rempli tous les objectifs de notre feuille de route numérique, mais nous nous sommes dotés d’une infrastructure de calcul qui permet à nos chercheurs de travailler en France et de ne plus aller voir les Gafam. Mais il est dérisoire voire puéril de proclamer, comme nous l’entendons à l’occasion de ce sommet, que la France va faire faire un pas de géant à elle toute seule. Il est d’ailleurs symptomatique de voir l’Europe si peu associée à l’événement.

L’Union européenne s’est pourtant dotée d’un ensemble réglementaire cohérent et ambitieux qui fait qu’elle est la plus protégée. Notre défi, c’est la production de hardware (matériel, puces) comme de software (logiciels, programmes), qui demande une politique coordonnée de soutien en faveur de la recherche, de l’enseignement supérieur, des programmes communs de données. Mais au vu des coupes dans les budgets, la France ne va pas dans la bonne direction. La politique européenne est aussi décevante. Pour le numérique comme pour l’écologie, on constate un recul des ambitions.


 


 

Comment remettre de l’humain
dans l’intelligence artificielle

Stéphane Guérard, Pauline Achard , Samuel Gleyze-Esteban et Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Paris accueille le Sommet pour l’action sur l’IA lundi 10 février. Emmanuel Macron promet des annonces pour renforcer la compétitivité de la France. Syndicats, partis, scientifiques et ONG revendiquent de redonner du sens à cette révolution technologique.

Remettre la France en majesté, et lui par ricochet. Accro aux événements en mondovision, Emmanuel Macron a proposé l’année dernière de voir Paris succéder à Bletchley (Royaume-Uni) et Séoul (Corée du Sud) pour accueillir le regroupement international des experts en intelligence artificielle (IA). Mais à la sauce tricolore.

Fini les symposiums de spécialistes de la spécialité devisant uniquement de cybersécurité. Après deux « journées scientifiques » puis un « week-end culturel », le Sommet pour l’action sur l’IA s’ouvre ce lundi 10 février. Dans une redite des réceptions annuelles Choose France à Versailles, le président de la République a invité tout ce que le numérique compte d’oligarques et de grands argentiers à s’exprimer sous la verrière du Grand Palais. Puis à annoncer au cours d’un « business day » à la Station F de Xavier Niel une pluie d’investissements dans l’Hexagone. Les implantations de data centers ont déjà la cote auprès des Émirats arables unis (30 à 50 milliards d’euros) et du fonds canadien Brookfield (20 milliards).

Mais la vocation de l’événement n’est pas que commercial. Dès avant son intervention au 20 heures dimanche 9 février, Emmanuel Macron avait lancé dans la presse française : « Est-ce que l’on est prêt à se battre pour être pleinement autonomes, indépendants, ou est-ce qu’on laisse la compétition se réduire à une bataille entre les États-Unis d’Amérique et la Chine ? » Chiche, lui ont répondu des scientifiques, ONG, syndicats et partis de gauche qui appellent à faire des IA un bien commun et à remettre leurs usages dans le sens de l’intérêt général. Pour cela, cinq conditions doivent être réunies.

De la démocratie dans les rouages

Face aux géants états-uniens ou chinois qui, pour l’heure, monopolisent les grandes avancées, de ChatGPT à DeepSeek, comme les annonces de centaines de milliards de dollars d’investissements, Emmanuel Macron plaide pour « plus de patriotisme économique et européen » et pour « aller à fond ». Oublié le temps des régulations.

Il faut multiplier comme des pains les centres de données nécessaires à l’entraînement des IA ou les supercalculateurs, dont la présidente de la Commission européenne doit communiquer un plan de déploiement.

En ces temps d’austérité, ouvrons les vannes des subventions. La BPI projette de débloquer 10 milliards d’euros d’ici à 2029. Tout cela devant conduire au déploiement de ces outils numériques dans les entreprises comme dans les services publics. « Il s’agit pour la France de se doter d’avantages comparatifs en se positionnant sur quelques briques technologiques et quelques maillons de la chaîne de valeur », résume le rapport de la commission IA 2024.

L’accaparement des richesses

La France courant derrière son retard de « compétitivité », comme un coq sans tête ? C’est ce que craint une coalition d’associations, syndicats et collectifs français. Dans son manifeste « Hiatus », publié le 6 février, elle constate que « tout concourt à ériger le déploiement massif de l’intelligence artificielle en priorité politique », alors que cette généralisation sert l’accaparement des richesses par quelques-uns et asservit aussi bien les pays du Sud que les services publics, entre autres griefs.

« La prolifération de l’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. (…) Nous exigeons une maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux », conclut le texte.

Une forme de gouvernance mondiale de l’IA est aussi demandée dans d’autres appels, pour éviter une « perte de contrôle » par les humains. Il y a deux ans à peine, Elon Musk et des centaines d’experts réclamaient déjà une pause après la mise en ligne de ChatGPT pour évaluer les conséquences de cette révolution…

Des IA pour les travailleurs, pas contre

L’intelligence artificielle, un outil d’émancipation des travailleurs ? Demandez aux « petites mains » de l’IA, à Madagascar ou au Kenya, payées moins de deux dollars l’heure pour entraîner ces algorithmes survitaminés. Pour ces ouvriers du numérique, la grève est la seule arme pour tenter d’améliorer leur quotidien.

Et le recours en justice. Pour avoir viré des modérateurs de contenu qui s’étaient révoltés contre leur exploitation et la « torture psychologique » qu’ils enduraient, Facebook a été condamnée en 2023. Depuis, la société de Mark Zuckerberg a tranché… en mettant fin à la modération.

En France, les relations de subordination sont certes bien moins violentes. Il n’en reste pas moins que les syndicats revendiquent, eux aussi, des garde-fous. Car côté employeurs, les motivations pour généraliser ces outils numériques relèvent de l’amélioration de la productivité et la réduction des coûts de main-d’œuvre (selon l’enquête « Usages et impact de l’IA sur le travail » publiée par le ministère du Travail).

Les organisations de salariés appellent donc leurs homologues patronales à ouvrir les négociations dans les entreprises et les branches. « Le plus souvent, les directions ne négocient tout simplement pas l’implantation de ces technologies dans leur entreprise, arguant que c’est trop compliqué, pointe Charles Parmentier (CFDT). Beaucoup de salariés ne savent même pas qu’ils travaillent avec. »

Du numérique glouton à un usage frugal

Développement de l’IA et transition écologique font très mauvais ménage. Une simple question posée à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau, selon une étude de l’université de Riverside, en Californie, publiée en novembre, et dix fois plus d’énergie qu’une recherche classique sur Internet. Car il faut bien refroidir les centres de données, en surchauffe face à la multiplication des requêtes. L’électricité consommée par ces sites devrait doubler dans le monde d’ici à 2026 et représenter celle réunie de la France et l’Allemagne, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Dans l’Hexagone, le nucléaire limite le bilan (en 2022, les générateurs des centres de données ont tout de même consommé 1 159 mètres cubes de fioul et 21 930 tonnes de batteries). Les Gafam parient aussi sur l’atome : Microsoft remet en état une centrale états-unienne et Amazon mise sur des petits réacteurs modulaires. Mais en Chine, les infrastructures du numérique tournent à 75 % au charbon ou au gaz, de même qu’aux États-Unis ou dans les pays du Golfe, biberonnés aux hydrocarbures. Or, l’AIE alerte déjà : les nouvelles capacités des énergies renouvelables ne suffiront pas à suivre la cadence.

L’IA n’est donc pas soutenable sans adaptations majeures. Des chercheurs développent cependant de nouvelles architectures de puces électroniques qui permettraient de limiter la gloutonnerie. En France, l’IA dite « frugale » figure ainsi parmi les axes du second volet de la stratégie nationale sur le sujet. Outre son efficience, elle comprend une minimisation des données ou l’optimisation des algorithmes.

Surveillance généralisée… des atteintes aux droits humains

Le développement du recours des IA de surveillance montre déjà l’impact délétère que cette technologie peut avoir sur les libertés et les droits fondamentaux. Comme le souligne Katia Roux, chargée de plaidoyer liberté au sein d’Amnesty International France, « les personnes racialisées, les personnes vulnérables, les personnes en déplacement sont davantage exposées à ces technologies qui accentuent des discriminations existantes ».

Pourtant, les systèmes d’intelligence artificielle ont le potentiel de renforcer la protection des droits humains. Pour rester dans le contexte migratoire, les innovations technologiques « pourraient potentiellement assurer un transit sûr et des procédures aux frontières plus ordonnées », avance ainsi Ana Piquer, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.

Dans un avis paru en amont de l’adoption de la proposition de règlement de l’Union européenne sur le sujet, la Cour européenne des droits de l’homme invitait les pouvoirs publics à promouvoir « un encadrement juridique ambitieux », recommandant d’interdire certains usages de l’IA jugés « trop attentatoires aux droits fondamentaux » (comme l’identification biométrique). Amnesty ne dit pas autre chose, appelant à « conditionner tout effort de réglementation à des priorités en matière de droits humains », et non par des objectifs d’harmonisation du marché ou de compétitivité. En prenant notamment en compte « les préjudices croisés » (par exemple à la fois liés au sexe, à l’origine ethnique, au statut migratoire et à l’appartenance religieuse). Et en donnant des moyens d’agir aux personnes concernées.

De nouveaux droits pour les créateurs

Pour les auteurs, musiciens, artistes visuels, comédiens, doubleurs et tous les autres métiers de la création, le danger se dessine de plus en plus clairement. Nées dans un vide juridique, les IA génératives menacent de reproduire le travail des artistes plus vite et dans des quantités potentiellement infinies.

À leur création, les modèles d’IA se développent dans un flou juridique, comme c’est le cas en Europe avec la directive sur le droit d’auteur de 2019, qui autorise la reproduction d’œuvres « en vue de la fouille de textes et de données », alors mal définie. Les machines s’entraînent donc sur des jeux de data gigantesques dont une grande partie n’est pas libre de droits, s’asseyant ainsi sur le respect de la propriété intellectuelle.

L’enjeu premier, pour les créateurs, est de pouvoir refuser que leurs œuvres soient utilisées dans l’entraînement des IA. Il est difficile de garantir l’expression de ce droit sur les milliards d’images, de textes ou d’enregistrement sonores déjà aspirés. Mais « la question du retrait se pose pour les futurs contenus susceptibles, demain, d’être reproduits par les modèles d’IA », explique Stéphanie Le Cam, juriste et directrice de la Ligue des auteurs professionnels. Ce droit ne s’envisage en outre pas sans transparence des outils : en 2023, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) plaidait déjà pour « une obligation d’information sur les œuvres ayant été exploitées ».

Sans attendre les détails de la nébuleuse « concertation nationale sur l’émergence d’un marché éthique respectueux du droit d’auteur », annoncée samedi par la ministre de la Culture Rachida Dati, des développeurs comme Spawning AI proposent en alternative un modèle d’« opt-in », qui pose pour principe le refus de l’utilisation de son œuvre par son créateur, sauf expression contraire. Mais le changement de paradigme induit par l’IA appelle à une redéfinition plus juste du statut de l’artiste, au-delà d’un système de licence permettant une redistribution globale aux créateurs des revenus générés par l’utilisation de l’IA. Ce débat permet de remettre sur le métier le sujet de la continuité des revenus des artistes-auteurs, une revendication partagée par de nombreux collectifs et syndicats.


 

      mise en ligne le 9 février 2025

La confédération européenne
des syndicats refuse de discuter du
plan « boussole de compétitivité » d'Ursula von der Leyen, en l’état

Lina Sankari sur www.humanite.fr

Après la présentation de la « boussole de compétitivité » par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, les organisations représentatives appellent à reconstruire le « modèle social » européen plutôt que de continuer à le démanteler.

La boussole pointe vers l’Ouest et les syndicats européens ne s’y sont pas trompés. Au prétexte de doter le continent des armes économiques pour faire face aux États-Unis et à la Chine, la « boussole de compétitivité » présentée ce 29 janvier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, semble profiter de l’accélération de la dérégulation côté états-unien, et des pressions exercées en ce sens par Donald Trump, pour hâter le mouvement côté européen.

Profitant du retour du milliardaire à la Maison-Blanche et des alertes lancées sur la désindustrialisation du continent, l’Union européenne s’engage dans une nouvelle course au moins-disant social. Si l’Union européenne (UE) se targue de vouloir préserver son modèle, elle semble plutôt axer sa stratégie sur « la satisfaction des besoins des entreprises », analyse la Fédération européenne des Transports.

De fait, Ursula von der Leyen propose un « choc de simplification » pour les entreprises qui vise à alléger la législation de 25 %. Bien qu’elle prétende vouloir préserver le Pacte Vert, malgré les pressions insistantes de son camp politique pour se défaire de ce qu’il considère comme un obstacle aux affaires, la dirigeante conservatrice suggère de se défaire des normes de durabilité, de respect des normes environnementales et des droits humains pour les donneurs d’ordre (devoir de vigilance et « comptabilité sociale et environnementale » du CSRD).

« L’Europe sociale » en miettes

Selon la Fédération européenne des Transports, « la Commission accepte que l’UE ne s’adapte qu’aux normes de compétitivité définies en dehors de l’Europe, au lieu de définir ses propres normes ». Plutôt que d’être préservé, le modèle social nécessiterait d’être reconstruit, concluent les organisations représentatives des travailleurs. « Le modèle social de l’UE s’est érodé au cours des dernières décennies. Certaines mesures risquent de démanteler davantage ce qui reste de l’« Europe sociale », ajoute la Fédération européenne des Transports. Et pour cause, l’UE envisage de se doter d’un régime spécifique permettant aux entreprises innovantes de s’émanciper du droit du travail national.

Le document présenté par la Commission se gargarise pourtant de constituer une « feuille de route pour des emplois de qualité » quand, à l’autre bout de l’échelle, elle définit les bonnes conditions de travail comme liées à la seule attraction des travailleurs sur le marché et à l’augmentation de la productivité.

Avec pour corollaire, un recul de l’âge de départ à la retraite. De son côté, la Confédération européenne des syndicats (CES) annonce qu’elle ne peut discuter du plan en l’état et demande un rendez-vous « urgent » avec Ursula von der Leyen : « les négociations sur la proposition auraient dû avoir lieu avant la publication », rappelle la CES. L’union continentale regrette également que de l’argent public soit une nouvelle fois déversé dans les entreprises sans aucune condition tout en risquant d’exposer les salariés à de nouveaux dangers dans les lieux où ils opèrent du fait d’une législation moins contraignante.


 


 

Climat : la droite, l'extrême droite et le patronat bien décidés à couler le pacte vert européen

Antoine Portoles sur www.humanite.fr

Le paquet de mesures adopté par les Vingt-Sept pour lutter contre le réchauffement climatique est aujourd’hui dans le viseur du patronat et de l’extrême droite, biberonnés à la dérégulation plein gaz promise par Donald Trump aux États-Unis.

Le Green Deal est-il voué à finir à la déchetterie ? Aussi appelé pacte vert pour l’Europe, cet ensemble de mesures, présenté en 2019 par la Commission européenne puis entériné l’année suivante, est censé permettre au continent d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, en vertu de l’accord de Paris de 2015.

Il s’agit aussi pour les Vingt-Sept, à plus court terme, de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Porté par la vague écologiste au Parlement européen en 2019, qui a ensuite reculé aux élections de 2024 au profit des conservateurs, le pacte vert est aujourd’hui menacé de toutes parts.

Les appels à détricoter les normes environnementales essaiment partout en Europe. « C’est une question de curseur et d’équilibre politique au Parlement. Il est clair que le Green Deal n’est plus considéré comme la priorité des priorités », résume Olivier Costa, politologue et directeur de recherche au Cevipof. Durant le premier mandat de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, bien que l’Union européenne ait cherché à prendre le leadership mondial sur la protection de l’environnement, le consensus autour de la lutte contre le changement climatique s’est petit à petit effrité, cédant la place à la recherche de croissance et de compétitivité.

Une « boussole pour la compétitivité » qui sacrifie le climat

« Le rapport Draghi parlait justement du déclin économique de l’Europe par rapport aux États-Unis, il y avait tout un plaidoyer pour remettre la compétitivité au centre du jeu et simplifier les réglementations européennes », analyse-t-il. Cette idée n’a pas échappé à Ursula von der Leyen. Sous la pression du patronat pour infléchir la politique environnementale de l’UE, le plan « boussole pour la compétitivité » est dans les cartons de la Commission.

Certains textes du Green New Deal – que les grandes entreprises estiment inapplicables – risquent d’être assouplis, par exemple ceux « sur la fin des moteurs thermiques en 2035, sur la CSRD (directive qui exige des entreprises qu’elles intègrent des informations sur la durabilité dans leurs rapports de gestion – NDLR), sur la déforestation importée, ou encore sur les questions de recyclage ou d’économie circulaire ». Même sursis pour la directive sur le devoir de vigilance pour les entreprises européennes de plus de 500 salariés en matière de droits humains et environnementaux.

Le pacte vert est aujourd’hui pris en étau sur fond de distorsion de la concurrence et de tensions commerciales croissantes avec la Russie, avec les États-Unis, ou encore avec la Chine. Un sursis alimenté par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. « Il n’en a strictement rien à faire des enjeux environnementaux, il quitte tout un tas d’instances internationales, ce qui relance la course à la compétitivité, rappelle Olivier Costa. Sa stratégie trouve un écho particulier auprès des extrêmes droites européennes, qui voient en lui la validation de leur ligne politique. »

La neutralité carbone s’éloigne

Les conservateurs européens n’ont jamais caché leur climatoscepticisme, pas plus que leur défense des intérêts des industries les plus polluantes. Mais leur fascination pour le président états-unien pourrait vite tourner court au vu de ses intentions préjudiciables à l’égard de l’Europe. Parmi ces leaders, l’Italie de Giorgia Meloni et la Hongrie de Viktor Orban mènent la charge contre le Green Deal.

En France, sans pour autant vouloir y renoncer, le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, interrogé sur France Info, a plaidé pour « la simplification et la suspension d’un certain nombre de directives. Si on investit dans la transition environnementale en accompagnant nos entreprises, (…) faisons-le de façon pragmatique, avec bon sens, en écoutant les acteurs ». Si la France a « globalement soutenu le pacte vert, elle subit aujourd’hui un backlash écologique comme partout en Europe, notamment dans l’industrie automobile », souligne Olivier Costa. Ce refrain sur l’UE qui tuerait l’économique à coups de normes se manifeste aussi dans l’Hexagone avec la crise agricole.

Wopke Hoekstra, responsable de la politique climatique de l’UE, a déclaré jeudi que la Commission européenne envisagerait d’exempter 80 % des entreprises de la taxe communautaire sur les émissions de carbone aux frontières de l’UE prévue en 2026, justifiant que seules 20 % d’entre elles étaient responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre.

« Notre raisonnement actuel, qui consiste à faire peser une charge énorme sur les entreprises, qui doivent alors remplir beaucoup de paperasse, avoir beaucoup de choses à faire, sans aucun mérite, ne peut pas être la solution », a-t-il expliqué. Derrière le sabordage du Green Deal, ce sont les objectifs européens en matière de neutralité carbone qui sont remis en question.


 

 

     mise en ligne le 8 février 2025

Indice de performance, travail le dimanche, dégradation des conditions de travail… les salariés de Lidl en grève face à une direction qui « ne veut pas discuter »

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

Cinq syndicats (CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, CFDT) ont appelé les salariés de Lidl France à faire grève à partir de vendredi 7 février. Ils dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail face au développement des « indices de performance » et à la réduction des effectifs, et fustigent la volonté de l’ouverture généralisée des magasins le dimanche.

Cinq organisations syndicales, la CFTC, la CGT, la CFDT, FO et CFE-CGC, appellent à « une grève illimitée à partir du 7 février » chez Lidl France. Les salariés revendiquent une « revalorisation des salaires » et une « amélioration des conditions de travail », dénonçant notamment une diminution des effectifs de 2 200 à 2 500 salariés, alors que le parc de supermarchés continue de s’étendre.

Le dernier avis du CSEC (Comité social et économique central), constatait que « les salariés sont la seule variable d’ajustement de l’entreprise qui entraîne systématiquement un report de la charge de travail sur ceux qui restent, détériorant davantage leurs conditions de travail ». Thierry Chantrenne, délégué central CGT à Lidl, met en garde : « une dégradation des conditions de travail des salariés implique logiquement une dégradation d’accueil des clients », ce qui entraînerait logiquement des pertes financières. Des magasins en désordre, des files d’attente interminables aux caisses, des produits manquants… Autant de raison qui pourrait pousser les potentiels clients à aller faire leurs courses dans un autre supermarché.

Un mouvement d’ampleur

Les syndicats incriminent également la course à « l’efficacité » et à « la performance », au détriment de la vie et de la santé des salariés. « Ce nouveau système d’indicateurs est une catastrophe » fustige Thierry Chantrenne. Le CSEC a ainsi relevé que « les conditions de travail dégradées (notamment port de charges, hauteur de préparation palette et fréquence de prise de colis) se traduisent par des indicateurs d’accidentologie plus élevés ». En d’autres termes, la cadence infernale imposée est à l’origine de plus en plus d’accidents du travail.

« Allez discuter avec les caissières, allez observer leur travail, vous verrez qu’elles ont de plus en plus de choses à faire et que c’est devenu une véritable usine à gaz », invite le délégué central CGT. Ménage, mise en rayon, accueil des clients, caisses… cette polyvalence poussée à l’extrême de tous les salariés, combinée au manque d’effectif, provoque un épuisement généralisé des équipes.

Le dernier point essentiel des revendications des organisations syndicales est le refus de la généralisation de l’ouverture dominicale généralisée des magasins. Alors que les salariés sont déjà poussés à bout, la direction de Lidl France souhaite que l’ensemble des 1 600 supermarchés soient accessibles tous les dimanches matin, le tout sans renfort prévu. « Dans le commerce, il y a beaucoup de famille monoparentale. Qui va garder les enfants ? », interroge Thierry Chantrenne.

Sans répondre directement aux critiques sur les conditions de travail, la direction de Lidl jure toutefois que le dialogue social est permanent au sein de l’enseigne et dit proposer une majoration de 50 % des heures travaillées le dimanche pour les salariés concernés. Mensonges, selon Thierry Chantrenne : « La direction ne veut pas discuter et nie en bloc la dégradation des conditions de travail. » Si pour l’heure le nombre de gréviste n’est pas connu, le mouvement s’annonce d’une ampleur inédite. « Beaucoup de magasins sont fermés, de nombreux salariés se mobilisent, ça marche très bien », se félicite le délégué central CGT.

 

 

   mise en ligne le 7 février 2025

Violences racistes : dans le Nord,
une nébuleuse identitaire
prête à passer aux actes

Les groupuscules d’extrême droite trouvent dans le Nord un terrain propice, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les migrants cherchant à rejoindre l’Angleterre. Ils prospèrent à l’ombre du RN, dont les scores contribuent à la libération de la parole raciste

.Rosa Moussaoui sur https://www.humanite.fr/

Sous les radars. Avant la mort de Djamel Bendjaballah, tué le 31 août 2024 par Jérôme D., personne dans le Dunkerquois n’avait entendu parler de la Brigade française patriote (BFP), à laquelle appartenait le meurtrier. Seule mention publique de cette milice avant ce crime : elle est citée dans un article scientifique consacré aux survivalistes, qui relève la présence dans ses rangs d’ex-militaires amateurs de bivouacs et de séances d’entraînement au tir « afin de se préparer à rétablir l’ordre en cas de rupture de la normalité ».

L’un des membres, au moins, de cette Brigade française patriote, était familier des stands de tir de la région, où se croisent policiers et militants d’extrême droite. Pour entériner l’appartenance au groupe, fondé en 2018 par un ancien de la marine, les nouveaux venus se voyaient délivrer un « diplôme » au liseré bleu, blanc, rouge, frappé d’un écusson figurant une tête de mort que cernent ces mots : « Se préparer et résister ».

Une atmosphère de chasse aux réfugiés

Dans une enquête de Blast, un membre de la BFP, ancien militaire, décrit un groupe « très structuré » avec « un chef national qui est en Bretagne et des responsables régionaux ». « Beaucoup d’entre nous possèdent des armes, confie-t-il, (…) On s’entraîne et on se prépare car on sait que la guerre civile est inévitable. » Toujours selon Blast, le tueur était aussi en contact avec un groupe néonazi, Alliance France, réplique hexagonale du mouvement néonazi belge Alliance Belgique, qui aurait sollicité l’adhésion de Jérôme D. avant le crime.

D’autres groupuscules d’ultradroite sont actifs dans le Nord, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les réfugiés cherchant à rejoindre l’Angleterre. Parmi eux, le Parti de la France, du pétainiste Thomas Joly, qui appelle publiquement à procéder à des « rafles ». Dans cette atmosphère de chasse aux réfugiés, le ministère de l’Intérieur demandait, en avril 2023, la fermeture de chaînes Telegram dont certains membres évoquaient des projets d’actions violentes et racistes dans le Nord et le Pas-de-Calais.

L’ombre des ultranationalistes flamands

Cet activisme ne connaît pas de frontières : au mois d’août 2024, à l’acmé des émeutes racistes outre-Manche, une influente figure de l’extrême droite britannique appelait à organiser une traversée pour empêcher les embarcations de migrants de quitter le littoral français. Mais les plus ancrés dans le Dunkerquois sont certainement les ultranationalistes flamands du Geuzenbond, adeptes de la rhétorique du « grand remplacement », qui prêchent « la réunification de toutes les régions néerlandophones d’Europe ». Ceux-là organisent régulièrement des « randonnées » dans les dunes et des collages d’affiches à Dunkerque, Malo-les-Bains, Bray-Dunes, Petite-Synthe.

Le 23 janvier 2024, ils recouvraient les murs de Coudekerque-Branche, où vivait Jérôme D. – une commune de la banlieue de Dunkerque où le Rassemblement national (RN) a recueilli 47,69 % au premier tour des élections législatives anticipées l’été dernier. Le 28 mai 2024, ces nervis d’extrême droite se recueillaient à Watten sur la tombe de l’abbé Jean-Marie Gantois. En 1940, cet ecclésiastique rallié à la doctrine nazie avait écrit à Hitler pour lui demander le rattachement de la Flandre française au Reich allemand comme « membre de la nouvelle communauté germanique ». 

Ils appartiennent à la même nébuleuse identitaire que les ultranationalistes flamands de Schild & Vrienden, dont le fondateur Dries Van Langenhove, ex-député du Vlaams Belang, a été condamné au printemps 2024 par la justice belge à un an de prison ferme pour détention d’armes et diffusion de messages à caractère raciste et antisémite. « Le lien est bel et bien établi entre cet ancien parlementaire d’extrême droite, Schild & Vrienden et le Geuzenbond », indique une source policière belge.

Une convergence redoutée

Difficile d’évaluer le poids politique réel de ces milices qui prospèrent à l’ombre de l’extrême droite institutionnelle. « C’est pour l’instant une minorité agissante, remarque Stéphane Vonthron, de l’union départementale CGT du Nord. Ils recrutent parmi les étudiants ; les salles de musculation, le MMA et le combat mixte leur offrent un vivier. Le problème, c’est que, lorsque de tels groupes sont dissous, leurs membres continuent de s’organiser dans l’ombre. Ils se préparent : si le RN gagne, ils seront dans la posture de former de véritables groupes paramilitaires. »

Bernard Champagne, de la Ligue des droits de l’homme, redoute aussi la « convergence » de ces groupes : « On n’est pas prêts. Leur endiguement implique une mobilisation collective. » Leur volonté affichée de convertir leur influence sur les réseaux sociaux en activisme sur le terrain nourrit ces inquiétudes. « J’espère que la justice enquêtera sur ces groupes néonazis, souffle Morad, l’ami d’enfance de Djamel Bendjaballah. Les éléments les plus dangereux doivent être repérés pour empêcher tout nouveau passage à l’acte. »


 

   mise en ligne le 6 février 2025

À gauche, les unitaires attendent
(à nouveau) leur heure

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Les partisans de l’unité à gauche, qui voient le fossé se creuser entre socialistes et Insoumis, s’activent désespérément pour conjurer la rupture du Nouveau Front populaire. Si les clivages ne sont pas factices, ils doivent s’éclipser derrière le danger mortel d’une victoire de l’extrême droite en 2027, défendent-ils.

Youlie Yamamoto pèse ses mots lorsqu’elle parle de politique, mais pour décrire le paysage global, le couperet tombe sévèrement : « L’heure est grave. » Deux raisons au moins nourrissent l’inquiétude de la porte-parole d’Attac.

L’une est évidente mais se passe en coulisses. Si le Rassemblement national (RN) a échoué à s’imposer aux élections législatives anticipées de 2024 après qu’une centaine de candidat·es investi·es ont été épinglé·es pour leurs propos haineux et complotistes, il ne répétera pas la même erreur. « Le parti est prêt, les tocards des législatives ne seront plus là, le RN dispense des formations et fait du lobbying auprès des institutions pour se constituer un vivier de cinq cents hauts fonctionnaires à nommer aux postes clés – il en a déjà la moitié », alerte-t-elle.

L’autre raison s’étale à l’inverse sur les réseaux sociaux à grand renfort d’invectives et sur les bancs de l’Assemblée nationale où le Parti socialiste (PS) va s’abstenir une nouvelle fois sur la motion de censure déposée par La France insoumise (LFI) pour faire chuter le gouvernement de François Bayrou. « Les vieilles histoires des partis de gauche reviennent, le débat entre la ligne de rupture et la ligne réformiste prend le dessus sur tout le reste, comme si cette affaire n’était pas réglée. Que fait-on de ça ? », interroge la militante, qui s’était mobilisée avec des centaines d’organisations du mouvement social pour le Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier.

« La gauche ne gagnera que sur une ligne claire de rupture. Si on donne l’impression d’être en soutien de la Macronie, comme le fait le PS, on sera emportés. On se bat depuis quinze ans pour éviter une situation à l’italienne [où la gauche a disparu du paysage politique – ndlr] », explique Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, pour justifier le bras de fer qui se joue avec les socialistes.

Dans la société civile mobilisée, le désarroi dispute toutefois la volonté de bousculer des partis revenus à leurs réflexes identitaires. En un mois, leur désunion ouverte ou latente s’est soldée par deux défaites cuisantes à des élections partielles, à Grenoble (Isère) et à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Il faut rappeler les partis à la raison : pendant qu’ils se disputent, même sur des batailles de fond, c’est la société civile qui trinque alors qu’ils sont censés porter ses revendications. Nous sommes des millions de militantes et de militants, et on a la sensation que notre avenir est joué », décrit Youlie Yamamoto.

Bousculer les partis

Pour conjurer ce sinistre avenir, des partisan·es de l’unité à gauche s’activent avec des armes légères. Le 29 janvier, Lucie Castets, ex-candidate à Matignon du NFP, organisait une soirée militante à Pantin (Seine-Saint-Denis) avec des protagonistes de la société civile et des représentant·es des quatre partis de gauche. Environ un millier de personnes s’y sont rendues.

« Après cette soirée, je suis convaincue qu’il y a un espace politique central au NFP, qui refuse de s’enfermer dans un hypothétique duel entre Jean-Luc Mélenchon et François Hollande et la mise en scène qu’il implique. Ne nous laissons pas enfermer là-dedans et renforçons cet espace, avec ou sans eux », dit-elle à Mediapart.

L’ex-directrice des finances à la ville de Paris, partisane de la censure du gouvernement Bayrou sur un budget qui « dépasse une multitude de lignes rouges, en particulier sur nos services publics », mais aussi pour son « infâme convocation de l’idée de submersion migratoire », ne dramatise pas la différence d’attitude du PS sur cette question. « Les désaccords stratégiques sont une caractéristique de l’union de la gauche depuis toujours, explique-t-elle. Mais il ne faut pas que les querelles d’intérêts des partis prennent le dessus sur l’union. »

Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face. Clémentine Autain, députée, membre de L’Après

Pour cimenter cette union, Lucie Castets a entrepris un travail collectif sur trois axes : l’approfondissement du programme, les mobilisations locales et le processus de désignation d’une candidature commune. Le politiste Rémi Lefebvre s’est attelé à cette dernière tâche – la plus sensible. « On n’a pas beaucoup de temps, on ne sait pas quand les élections auront lieu et c’est long à mettre en place », justifie Lucie Castets.

À contre-courant de la dynamique centrifuge qui dilapide le NFP, de petits partis unionistes tentent aussi de peser : la Gauche démocratique et sociale (GDS, animée par Gérard Filoche) a fusionné avec L’Après (le mouvement qui regroupe les ex-Insoumis purgés en 2024) le 1er février. Mais le microscope est encore de rigueur pour observer le « parti des gauches unitaires ». « Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que de faire grandir cette force. Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face », commente la députée Clémentine Autain, membre de L’Après.

C’est cette même angoisse qui anime l’avocat Raphaël Kempf, ex-candidat aux législatives à Paris, investi par LFI : « Ce à quoi on assiste en termes de division est assez difficile à vivre pour moi, en qualité d’ancien candidat du NFP. L’unité me paraît indispensable dans une situation aussi tragique, avec la libération de la parole xénophobe, raciste, et la normalisation de l’extrême droite largement entamée par la loi immigration », explique-t-il.

On s’engueulera (encore) plus tard

Alors que la municipale partielle à Villeneuve-Saint-Georges a créé un précédent potentiellement traumatique à gauche, certains veulent faire des échéances municipales de 2026 une démonstration politique des vertus de l’unité.

C’est le cas de Romain Jehanin, porte-parole de Génération·s et conseiller municipal d’opposition à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où la gauche se présentera unie pour la première fois sous le label « Asnières en commun ». « Ce n’est pas parce que demain nos camarades, nationalement, devaient s’invectiver qu’on le ferait localement », assure l’élu, qui appelle les forces de gauche à cesser de se déchirer en public. « Si demain il y avait des législatives anticipées, il faudrait s’y présenter unis derrière un programme qui nous a déjà rassemblés en 2022 et en 2024 ! », rappelle-t-il.

Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération. Roger Martelli, historien du communisme

Dans un contexte international marqué par la victoire de Donald Trump et l’influence grandissante de Javier Milei, et alors qu’une tripartition politique caractérise désormais le paysage politique français, pour ces unionistes l’heure n’est donc plus au débat des gauches. « Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, ils renvoient à des univers profondément différents et il n’est pas indifférent de savoir qui donne le ton, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération », explique l’historien du communisme Roger Martelli, bon connaisseur de l’époque où le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), Georges Marchais, s’affrontait lourdement avec François Mitterrand.

« Aujourd’hui, le déséquilibre entre la gauche et la droite est infiniment plus grand qu’il ne l’était entre 1977 et 1981, et le centre de gravité de la droite s’est déporté vers l’extrême droite. L’enjeu n’est donc plus simplement de savoir qui va donner le ton dans un cadre démocratique, mais si nous allons rester dans ce cadre démocratique, ou si la France va basculer dans une nouvelle ère qu’il vaut mieux ne pas expérimenter », développe-t-il.

C’est la raison pour laquelle, passé la sidération dans laquelle la société civile organisée semble avoir été plongée après le coup de force démocratique d’Emmanuel Macron – qui a tout fait pour empêcher le NFP de gouverner –, celle-ci semble se ressaisir doucement.

Un appel à « renforcer les collectifs unitaires sur le terrain » a par exemple été lancé par des militant·es et responsables syndicaux, qui exhortent à l’unité pour constituer une alternative politique. « Face à l’extrême droite aux portes du pouvoir, rester sur son quant-à-soi risque de se payer très cher pour tous et toutes », écrit ce collectif. « On est dans une position d’attente pour réagir au bon moment, que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau, mais il va y avoir une fenêtre et on va s’en saisir », conclut Youlie Yamamoto.

    mise en ligne le 5 février 2025

Montpellier : Un préavis de grève illimitée déposé aux urgences du CHU

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Après le dépôt début janvier par la CGT du CHU d’un signalement pour danger grave et imminent, et face à la tension hospitalière due à un manque de moyens, le personnel des urgences s’est mis en grève ce mercredi 5 février. Ils demandent des recrutements à court terme et un renforcement de l’infrastructure de soins.

Devant les urgences de Lapeyronie, une quarantaine d’agents du CHU de Montpellier tentent de se réchauffer en musique, ce mercredi 5 février au matin. “Si il y a un préavis de grève illimitée et une mobilisation aujourd’hui, c’est parce que les agents ne se sentent pas satisfaits des réponses données par la direction lors de notre dernière rencontre”, explique Pierre Renard, délégué CGT. Dès les premiers jours de 2025, en pleine épidémie de grippe, le syndicat avait réalisé un signalement pour danger grave et imminent à la direction de l’hôpital face aux manques de moyens dont souffrait le personnel, et une rencontre s’était tenue le 14 janvier. “La direction nous parle d’un projet d’un nouveau bâtiment en 2028, mais 2028 c’est loin, et face à la situation démographique du département, c’est maintenant qu’on a besoin d’un agrandissement des infrastructure. Aujourd’hui, certains bâtiments n’ont même pas la climatisation”, détaille Pierre Renard. Selon Force Ouvrière et la CGT, qui ont appelé à la grève, les urgences du CHU ont connu 8,5% de passage supplémentaire en 2023 par rapport à l’année précédente, soit 5 600 patients en plus.

Pierre Renard déplore un sentiment d’épuisement généralisé des soignants : “Je n’ai jamais vu autant de départs de collègues, de maladies professionnelles, de reconversions. Les gens n’en peuvent plus. On manque de médecins, car pendant leur stages, les internes sont tellement pressurisés qu’ils ne veulent plus revenir travailler ici après leurs études.”

Philippe, infirmier en psychiatrie aux urgences, témoigne d’une surcharge due au manque de personnel : “Les gens peuvent passer dix ou douze heures dans une toute petite salle d’attente, les gens crient, vomissent, ou parfois. D’un point de vue des urgences psychiatriques, cette ambiance peut contribuer à aggraver des situations de détresse psychique.”

Pour Laurent Brun, secrétaire de Force Ouvrière au CHU, “il y a un besoin urgent de recrutement de personnel, notamment en salle d’orientation et dans les filières médico-chirurgicales.” Lors des dernières rencontres avec les syndicats, la direction évoqué l’ouverture de Quinze lits. “Mais on ne trouve pas de médecins”, souffle le représentant de FO. “Nous sommes dans un cercle vicieux, les conditions de travail se dégradent, donc les gens partent et ça rend le travail plus dur, et plus personne ne veut venir travailler ici.” Il ajoute : “Les patients sont plus agressifs et tendus qu’avant, si on a pas plus de moyens, ça va dégénérer.”

Pendant ce temps, l’UNSA veut des flics à l’hôpital

La sécurité des agents, c’est justement la préoccupation de l’UNSA. Si le syndicat n’a pas appelé à la grève, ils ont rencontré Yannick Neuder, ministre de la santé, lors de sa visite au CHU de Montpellier le 31 janvier, et ils lui ont demandé “la création d’une police hospitalière à l’instar de la police ferroviaire ou de la future police pénitentiaire avec des fonctionnaires hospitaliers assermentés ayant la qualité juridique d’Agents de Police Judiciaire (APJ).” Une revendication qui hérisse le poil d’un syndicaliste de la CGT avec qui nous avons pu discuter. “On veut des lits et des soignants, pas des matraques ! Si on a plus de moyens pour prendre en charge les gens, ils n’attendront pas douze heures sur un brancards et seront moins agressifs…”

Côté perspectives, nul ne sait, à l’heure actuelle, si la grève va être reconduite.


 

    mise en ligne le 4 février 2025

Des contorsions et deux 49.3
pour un budget austéritaire

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

François Bayrou a dégainé, ce lundi, deux 49.3 pour faire adopter respectivement le projet de loi de finances de l’État et celui de la Sécurité sociale. Deux motions de censure ont été déposées par une partie de la gauche, le Parti socialiste a annoncé qu’il ne les votera pas.

On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Ce n’est pas le cas du 49.3. Ce lundi 3 février, à la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre François Bayrou a annoncé y recourir pour engager la responsabilité du gouvernement sur deux textes : le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale.

« Nous voici à l’heure de vérité et de responsabilité, a-t-il annoncé en introduction de sa prise de parole. Est-ce que ce budget est parfait ? Non, mais c’est un équilibre. Nous sommes tous ensemble face à notre devoir : dans les dix jours, la France aura ses budgets. » Deux textes qui, selon lui, ont « trois géniteurs » : « Le gouvernement de Michel Barnier, le gouvernement constitué depuis le 23 décembre et le Parlement dans ses deux chambres. »

Une façon d’insister sur la volonté de « compromis » qui l’animerait. « Le mot compromis ne doit plus être une insulte dans la vie politique française, a renchéri David Amiel, député macroniste et rapporteur du budget. Nous sommes tous intoxiqués à un fait majoritaire qui ne mène qu’à l’impuissance et à la crise. »

« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier »

Des propos qui ne correspondent pourtant en rien à la réalité. Si le projet de loi de finances (PLF) a fait l’objet de débats à l’occasion d’une commission mixte paritaire (CMP), sa composition était largement acquise au camp gouvernemental et à ses priorités. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), lui, n’a même pas eu ce piètre honneur puisque les discussions à son propos n’ont repris que la semaine dernière. Elles sont interrompues par ce coup de force qui permet à François Bayrou de contourner le Parlement.

Dans les deux cas, le caractère largement austéritaire du PLF et du PLFSS frappe. Cela malgré les propositions des forces du Nouveau Front populaire (NFP) pour augmenter la part des recettes plutôt que la recherche d’économies dans le fonctionnement de l’État.

« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier, déplore Éric Coquerel, président FI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. L’Observatoire français des conjonctures économiques chiffrait que le budget du précédent premier ministre aurait un effet récessif de 0,8 point. Celui de François Bayrou, avec 23,5 milliards de coupes budgétaires, nous coûtera encore plus cher ! Les faibles concessions ne sont qu’un arbuste qui cache la forêt austéritaire. »

Par conséquent, Mathilde Panot, cheffe de file des députés insoumis, a annoncé le dépôt de deux motions de censure. Causeront-elles la chute de François Bayrou et de ses ministres ? Il faudrait pour cela la mobilisation de l’ensemble du Nouveau Front populaire, mais aussi les voix de l’extrême droite. Cela n’en prend pas le chemin.

Une autre motion pour dénoncer les propos de Bayrou sur la « submersion migratoire »

À la mi-journée, quelques heures avant la prise de parole du premier ministre, le bureau national du Parti socialiste (PS) a annoncé qu’il ne censurerait pas le gouvernement. Au total, 59 voix se sont prononcées en ce sens, contre 54 à la veille de la précédente motion de censure visant François Bayrou, le 16 janvier.

Une position qui concerne autant le vote de la motion de censure correspondant au PLF que celle du PLFSS. Au prix de quelques contorsions. « Cela n’empêche pas que nous nous opposons politiquement à l’action du gouvernement, précise Béatrice Bellay, députée socialiste de la Martinique. Nous écoutons simplement les remontées de terrain de nos élus qui nous font part de leurs difficultés sans budget. Mais nous continuons à dire que ce budget ne va pas dans le bon sens avec, par exemple, deux milliards en moins pour l’habitat. »

Reste à savoir si l’ensemble du groupe socialiste se rangera derrière cette volonté. Au mois de janvier, huit députés avaient refusé de s’aligner sur la position du parti. Il en faudrait plus d’une vingtaine pour causer la chute du gouvernement si le Rassemblement national (RN) et ses alliés votent également la censure. Ces derniers ont fait savoir qu’ils annonceront leur position ce mercredi. Le temps de tenter d’obtenir quelques concessions du premier ministre ?

Malgré cette décision du bureau national, les socialistes ont réaffirmé qu’ils continueraient à s’opposer à un « gouvernement qui participe à la trumpisation du débat public ». En cause, ses « attaques contre le pacte vert au niveau européen », la remise en cause du droit du sol à Mayotte et en Guyane, le durcissement des critères de régularisation des sans-papiers, la diminution des crédits de l’aide médicale d’État ou de l’aide publique au développement, ainsi que les propos de François Bayrou sur une prétendue « submersion migratoire ».

Ces derniers seront à l’origine du dépôt, par les députés socialistes, d’une motion de censure spontanée sur « les valeurs de la République ». La démarche est loin de calmer la déception des autres groupes du NFP devant leur refus de voter la censure. La motion socialiste sera en effet rejetée par le camp gouvernemental comme par l’extrême droite et n’a donc aucune chance d’aboutir.

 « Piétiner » et « humilier » la démocratie

« Je suis choquée par leur décision, fait savoir Aurélie Trouvé, députée FI de Seine-Saint-Denis, à propos du refus socialiste de s’associer aux deux motions. Les socialistes ont été élus sur un programme, celui du NFP, construit pour proposer autre chose que le macronisme. Notre motion servira à déterminer qui est dans le soutien du gouvernement et qui est dans l’opposition. C’est une question de fidélité pour nos électeurs. »

« Ce choix n’est à mon avis pas le bon, estime pour sa part Benjamin Lucas-Lundy, député du groupe Écologie et social. C’est un mauvais budget qui prolonge la politique d’Emmanuel Macron depuis 2017 et qui est à l’opposé des grandes orientations que nous devons prendre pour le pays, en particulier en matière de bifurcation écologique ou de justice sociale. »

« Ce budget est pire que le précédent. Il est honteux d’obliger des députés à voter la censure pour pouvoir s’exprimer, parce qu’on leur a retiré toute prise sur le budget », s’agace le communiste André Chassaigne, coprésident du groupe GDR. Et le député PCF Nicolas Sansu de se désoler également du recours au 49.3, qui « piétine » et « humilie » la démocratie. Un outil constitutionnel dont toutes les composantes du NFP avaient exigé en vain l’abandon, auprès de François Bayrou, contre un accord de non-censure.

    mise en ligne le 3 février 2025

L'insoutenable dette des hôpitaux
et les « morts évitables »

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Deux exemples récents des difficultés financières rencontrées par des hôpitaux illustrent la situation insoutenable de leur dette. Petit retour en arrière. En 2002, lors de la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne, les hôpitaux se sont vu retirer la possibilité d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement possibles pendant soixante ans. Il leur a fallu se tourner vers des banques commerciales, pratiquant des taux d’intérêt qui ont pu atteindre près de 20 % avec des emprunts dits toxiques. Le résultat est aujourd’hui catastrophique.

Ainsi l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, établissement de 450 lits, est en cessation de paiement du fait d’une dette cumulée de 120 millions d’euros due à sa reconstruction qui n’a pas été financée par l’État. À Marseille, l’Assistance publique affiche une dette de 840 millions d’euros qui l’empêche d’engager des opérations de rénovation de ses bâtiments vieillissants.

C’est pourquoi son directeur demande à l’État de reprendre cette dette à sa charge, considérant qu’il en est responsable, arguant que, sans cette mesure, il ne sera plus en capacité d’assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. Il faut noter qu’il est exceptionnel qu’un directeur à la tête d’un des plus grands CHU de France mette ainsi l’État face à ses responsabilités.

Cette situation scandaleuse est dénoncée depuis des années. La seule charge des intérêts dépasse chaque année 1 milliard d’euros au grand bénéfice des banques. Ainsi, pour 2023, les bénéfices de la seule BNP ont atteint 11 milliards d’euros. Il est donc clair que la dette des hôpitaux a été créée par la logique néolibérale soutenue par Emmanuel Macron et l’Europe, qui enrichit les banques au détriment des services publics, notamment celui de la santé.

À la veille d’un nouveau 49.3 pour la loi de financement de la Sécurité sociale, il est important de rappeler cette situation aux députés qui ne voteraient pas la censure. Au-delà des chiffres, il y a des vies en jeu. Les fermetures des services d’urgence et les dysfonctionnements des Samu dus à un manque criant de moyens sont la cause directe de ce que nous appelons « des morts évitables », chiffrées autour de 1 500 à 2 000 par an.

La question de la dette doit effectivement être résolue, n’en déplaise à Bernard Arnault et à ses amis, en taxant un peu plus les milliardaires qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce serait normal, car un rapport du ministère des Finances paru ces derniers jours indique que les impôts de 0,1 % les plus riches ont diminué entre 2003 et 2022 alors que ceux des 50 % les plus pauvres ont augmenté. Alors mesdames et messieurs les députés, allons chercher l’argent là où il est pour sauver des vies et arrêtons de nous bassiner avec la dette que nous allons laisser à nos enfants.


 

       mise en ligne le 2 février 2025

Cessez-le-feu à Gaza :
un équilibre précaire entre
espoirs fragiles et défis majeurs

Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr

L’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza constitue un moment crucial, résultant d’une reconfiguration des dynamiques au Moyen-Orient et de l’influence des administrations américaines, la nouvelle et l’ancienne. Cependant, cette fragile trêve a déjà été compromise par des violations israéliennes, comme le bombardement du 16 janvier, qui a causé la mort de 80 personnes, aggravant un bilan humain déjà dramatique. La cessation des hostilités et la libération des otages ravivent un espoir au milieu des destructions massives. La libération des otages est porteuse d’une forte charge émotionnelle en Israël. En Palestine, les morts et les handicapés se comptent par dizaines de milliers et les destructions sont indescriptibles, mais les Gazaouis ont dansé dans les ruines à l’annonce du cessez-le-feu.

Les conséquences humaines tragiques de ce conflit seront toujours présentes dans les mémoires, mais elles ne doivent pas entraver le chemin vers la paix. La première étape vers une résolution durable devra reposer sur la reconnaissance mutuelle des souffrances et la mise en place de mécanismes de réparation. Les crimes de guerre commis par les deux camps doivent faire l’objet d’enquêtes impartiales menées par des instances judiciaires nationales et internationales, à l’image des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, soulignant l’importance de rendre justice. Le cycle infernal des vengeances ne peut s’arrêter que de cette façon. Mais le cessez-le-feu constitue une fenêtre de tir ; il est essentiel d’en faire une étape pour analyser les racines du conflit et œuvrer à une solution durable. Reconnaître les souffrances, instaurer des réparations et encourager un dialogue sincère sont des étapes indispensables pour arriver à une paix durable.

Pourquoi les attaques du 7 octobre ?

Rien ne peut justifier les horreurs commises lors des attaques du 7 octobre. Mais le Hamas, au pouvoir à Gaza, a cherché à briser un silence de près de deux décennies d’embargo et d’occupation de fait. Il a aussi cherché à réaffirmer son rôle dans la résistance palestinienne, à infliger des pertes à Israël et à attirer l’attention internationale sur un drame vieux de 77 ans. Ces attaques répondaient à des décennies d’oppression, tout en cherchant à contrer un rapprochement entre Israël et les autocrates arabes, imposé par Donald Trump à travers les accords dits d’Abraham, perçus par la rue arabe et les Palestiniens comme une trahison de la cause. Enfin et surtout, les attaques du 7 octobre visaient à pousser Israël à la faute et à gagner la sympathie de l’opinion publique arabe et même mondiale. Cet objectif a été largement atteint. De fait, le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur incontournable avec ses héros et ses martyrs aux yeux des Palestiniens.

Pourquoi un cessez-le-feu maintenant ?

La trêve a été instaurée sous la pression de l’administration américaine et face à l’impasse militaire. Les préoccupations concernant les otages ont influencé les décisions du gouvernement israélien, mais les considérations stratégiques semblent avoir primé sur les raisons humanitaires.

Pourquoi les deux camps ont-ils ciblé des civils ?

Israël a poursuivi des opérations destructrices dans ce qui semble être une volonté de représailles. Une cessation des hostilités plus rapide aurait pu être interprétée comme un signe de faiblesse du gouvernement israélien d’extrême droite. L’armée, qualifiée abusivement « la plus morale au monde », qui a des années-lumière d’avance en matière de technologie et de moyens par rapport aux Palestiniens, a commis des actes abjects sur des civils. Il semblerait que, le 7 octobre, le Hamas ait été dépassé par l’ampleur de l’attaque et ait perdu le contrôle des assaillants. Mais le fait est que, dans les deux cas, des civils ont été froidement tués. Ceci reflète la haine qui s’est développée entre les deux belligérants.

Pourquoi ce conflit dure-t-il depuis un siècle ?

Ce conflit repose sur une lutte pour la souveraineté entre deux peuples revendiquant la même terre. Pour les sionistes, la Palestine représente un projet politique de foyer national juif. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah l’ont rendu possible. Pour les Palestiniens, c’est une terre ancestrale dont ils ont été progressivement dépossédés, alimentant un traumatisme collectif.

Pourquoi les Palestiniens vivent-ils sur un territoire aussi restreint et morcelé ?

La Nakba de 1948 et les conflits ultérieurs ont vidé de son sens le plan de partage initial du territoire prévu par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 29 novembre 1947. Ces guerres ont conduit au déplacement massif des Palestiniens, confinés à Gaza et à des zones morcelées en Cisjordanie, reliées entre elles par des couloirs, aggravant leurs conditions de vie et celles de millions de réfugiés palestiniens.

Pourquoi Israël est-il le premier mais non le seul responsable de la situation ?

Israël a déclenché toutes les guerres à l’exception de celle de 1948. Israël a gagné toutes les guerres contre les pays arabes voisins. Pour les Palestiniens qui n’ont pas d’armée, Israël symbolise l’occupation et l’injustice. Pour les Palestiniens des territoires occupés (Cisjordanie : 3,2 millions et Gaza : 2,17 millions, soit 5,35 millions) et pour les Palestiniens restés en Israël (plus de deux millions de personnes), prétendre qu’Israël est une démocratie n’a pas de sens. L’avancée technologique, les institutions en Israël et le soutien des puissances occidentales lui ont permis de dominer la région, tandis que les Palestiniens sortaient de siècles d’occupations ottomane puis anglaise. Israël est perçu comme un bout d’Occident dans la région. Un mur et des décennies séparent les deux communautés.

Pourquoi une incompréhension entre les deux peuples voisins ?

Cette incompréhension est nourrie par des récits historiques totalement divergents et par des systèmes éducatifs et médiatiques qui renforcent les stéréotypes. De plus, l’expérience de la Shoah n’a pas la même résonance dans le monde arabe, ce qui alimente parfois un antisémitisme inquiétant. La haine des Palestiniens est cultivée chez une partie de plus en plus importante d’Israéliens, notamment chez les colons, mais la haine de l’autre est enseignée chez les deux peuples dès l’école.

Pourquoi l’Occident soutient-il Israël ?

Ce soutien découle en grande partie d’une culpabilité liée à la Shoah, mais aussi d’intérêts stratégiques. Israël est perçu comme un allié clé, bien que ce soutien unilatéral néglige les souffrances des Palestiniens. Israël, de fait d’un passé historique en Europe d’une partie de ses habitants, dispose de puissants relais économiques et culturels en Occident. La guerre de Gaza a fait tomber les dernières illusions des démocrates arabes quant à l’objectivité des puissances occidentales et à leur réel attachement aux droits humains.

Pourquoi les pays du Sud soutiennent-ils les Palestiniens ?

Les nations du Sud s’identifient aux Palestiniens à travers l’expérience de la colonisation et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une hypocrisie occidentale. La solidarité religieuse et culturelle joue également un rôle majeur pour les musulmans et les Arabes, notamment.

Pourquoi certains s’opposent-ils à la paix ?

Les figures prônant la paix, comme Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, ont été éliminées. L’immense majorité des responsables politiques israéliens des années 60 et après se sont convertis à la paix à la fin de leur vie après avoir mené des guerres contre les pays arabes voisins. Les dirigeants actuels, en Israël, sont aveuglés par leur puissance militaire. Dans certains pays arabes, les dirigeants profitent depuis 1948 du statu quo pour maintenir leur pouvoir. Le nationalisme d’extrême droite des deux camps exacerbe les tensions et s’oppose à la paix.

L’Histoire nous apprend que pour faire la paix il faut être deux.

Il est sidérant de constater à quel point ces va-t-en-guerre ne réalisent pas que les deux peuples sont condamnés à vivre côte à côte. Pour arriver à une paix durable, il faut abandonner les récits de victimisation au profit d’une vision partagée. L’engagement réciproque et un dépassement des récits antagonistes est absolument nécessaire. La sortie du cycle de violence passe par la reconnaissance d’un État palestinien et l’instauration d’un dialogue sincère sur les points de divergences. La communauté internationale, et notamment les États-Unis et l’Europe, doit enfin jouer un rôle réellement équilibré, en s’engageant à protéger les civils et à promouvoir des solutions durables. Ce sont des conditions nécessaires pour construire un avenir de coexistence pacifique.


 

    mise en ligne le 1er février 2025

Budget 2025 : ces grands patrons
sans honte ni scrupules

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Durs dur d’être patron dans l’Hexagone à en croire Bernard Arnault, la cinquième fortune mondiale. « Quand on vient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter les impôts de 40 % sur les entreprises qui fabriquent en France, c’est quand même à peine croyable. Donc, on va taxer le made in France […]. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal » s’est emporté le patron de LVMH, lors de la présentation des résultats du groupe mardi 28 janvier. L’objet de sa charge : une surtaxe exceptionnelle sur les bénéfices des 440 grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros.

Une mesure qui devrait rapporter 8 milliards à l’État en 2025, mais qui ne devrait pas être reconduite en 2026, contrairement à ce que prévoyait le budget 2025 présenté par Michel Barnier. Pour LVMH, la facture pourrait être comprise entre sept et huit cents millions d’euros. Certes une somme, mais une taxe qui ne représente que 5 % des bénéfices du géant du luxe en 2024 (15,5 milliards). Dans le même temps, LVMH a versé 6,85 milliards d’euros à ses actionnaires. Soit 44 % de la totalité des bénéfices du groupe.

Remises en perspective, les protestations de Bernard Arnault – dont le nom avait été cité dans les Paradise Papers – frisent l’indécence. L’homme d’affaires cumule en effet une fortune personnelle de près de 180 milliards de dollars à la fin de 2024. Celle-ci a été multipliée par quatre depuis 2017 et la mise en œuvre des politiques probusiness d’Emmanuel Macron, parmi lesquelles la fin de l’ISF ou la baisse des impôts sur les sociétés.

Mais le patron de LVMH n’est pas le seul à pousser des cris d’orfraie contre le budget 2025. Celui de l’entreprise Airbus – qui a bénéficié des 15 milliards d’euros de soutien de l’État au secteur aérien pendant la pandémie – assure qu’il y a « trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes ». Pourtant, en 2024, là aussi, les dividendes versés par l’avionneur ont atteint des sommets. Même chose du côté d’Engie qui a largement contribué au record de dividendes versés en 2024 et a expliqué vouloir verser entre 65% et 75% de ses résultats nets à ses actionnaires en 2024 et 2025. Son patron a joint sa voix aux protestations contre la surtaxe sur les bénéfices, comme le patron de TotalEnergie, qui, comme chaque année, est sur le podium des dividendes versés : 14,6 milliards d’euros en 2024.


 


 

De Bernard Arnault au patron
de Michelin, les grands patrons
font la guerre à l’impôt
et le chantage à l’emploi

Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

En plein débat sur le budget 2025, les PDG sortent du bois en pointant le prétendu « matraquage fiscal » dont ils feraient l’objet, quitte à brandir le chantage à l’emploi.

Bernard Arnault va-t-il nous refaire le coup de mai 1981 ? À l’époque, l’élection du socialiste François Mitterrand et la peur du « péril rouge » avaient poussé le malheureux trentenaire à émigrer outre-Atlantique, effrayé par la politique du nouveau pouvoir. Il n’avait franchi l’Atlantique dans l’autre sens qu’en 1984, une fois rasséréné par l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius et la parenthèse keynésienne refermée…

Et voilà que, près de quarante-cinq ans plus tard, le patron de LVMH entonne à nouveau la complainte de l’entrepreneur au bout du rouleau, avec les États-Unis en contrepoint fantasmé : « Je reviens des États-Unis et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays, lance-t-il, de retour de l’investiture du président Donald Trump. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide. »

La raison de son courroux ? Le débat politique actuel autour du vote du budget 2025 , avec une possible – et temporaire – surtaxe sur les plus grosses entreprises françaises, susceptible de ramener 8 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Dans le détail, les entreprises réalisant plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (comme LVMH) pourraient voir leur taux d’impôt sur les sociétés porté à 36 % au maximum, selon l’AFP. « Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » menace le multimilliardaire.

Chantage à l’emploi

Il n’est pas le seul. Depuis plusieurs semaines, on assiste à une véritable croisade médiatique des grands patrons français, vent debout contre « l’enfer fiscal » hexagonal, dans une atmosphère survoltée de chantage à l’emploi. « L’incompréhension tourne à la colère, gronde Patrick Martin, patron du Medef, sur RTL. Ceux qui peuvent partir partent et ils ont raison. Bernard Arnault a raison. » « Comment voulez-vous être compétitif ? Ce n’est pas possible », s’indigne, en écho, Florent Menegaux, patron de Michelin, qui s’offusque d’une France « championne d’Europe des prélèvements obligatoires ».

De son côté, Pierre Gattaz, ancien dirigeant du Medef, multiplie les déclarations d’amour au président américain, sur le mode du « on peut critiquer Donald Trump, mais… » (compléter au choix par : « il y a tout de même une énergie formidable aux États-Unis » ou « au moins, Trump mène une politique probusiness, lui »).

Les raisons de l’insurrection des grands patrons sont faciles à comprendre. Il y a évidemment la volonté de peser de tout leur poids dans le débat politique autour du vote du budget. Mais il y a aussi, pour certains d’entre eux, l’envie de justifier la casse sociale en cours (1 254 suppressions d’emplois programmés chez Michelin, par exemple), en invoquant le « manque de compétitivité » supposé de la France.

Leur argumentaire mérite d’être décortiqué. Commençons par l’emploi. Dans sa tirade, Bernard Arnault assure que la hausse de fiscalité sur les grosses entreprises inciterait « les entreprises qui fabriquent en France » à délocaliser : « C’est la taxation du « made in France » ! » assène-t-il. Est-ce vraiment le cas pour LVMH ? En parcourant le dernier rapport annuel du groupe, on s’aperçoit qu’en réalité, le « fleuron » tricolore est de moins en moins implanté dans l’Hexagone : 18 % seulement de ses effectifs totaux y sont basés, soit 39 351 salariés sur 213 268 ; contre 24 % en Asie ou 22 % en Europe. C’est encore pire pour ses ventes, puisque LVMH ne réalise en France que 8 % de son chiffre d’affaires.

Des élans patriotiques à géométrie variable

Au passage, les élans patriotiques de Bernard Arnault sont à géométrie variable. Son amour de la Belgique, pays connu pour sa fiscalité avantageuse en témoigne : une bonne partie de ses actions LVMH ont été transférées il y a plusieurs années dans deux sociétés basées avenue Louise, à Ixelles (banlieue de Bruxelles), nommées Pilinvest Participations et Pilinvest Investissements.

Bernard Arnault n’est pas le seul à se lamenter sur l’état actuel de l’Hexagone. Devant les sénateurs, Florent Menegaux, le patron de Michelin, s’est lancé dans une longue tirade pour pointer le « coût du travail » trop élevé, qui rendrait tout investissement hasardeux.

« Nos activités ne sont pas rentables en France », assure-t-il, comme pour mieux justifier la fermeture de deux sites, à Vannes (Morbihan) et Cholet (Maine-et-Loire). De quoi faire bondir José Tarantini, délégué syndical central CFE-CGC Michelin : « Il est inexact de dire que les sites français ne seraient plus rentables : ils le sont toujours, mais leur niveau de rentabilité est simplement inférieur aux 14 % de taux de marge opérationnelle promis par le groupe aux actionnaires ! »

La palme de la mauvaise foi revient à…

Devant les sénateurs, le patron de Michelin s’en prend, encore et toujours à la fiscalité française : « Les impôts de production représentent 4,5 % du PIB en France, contre 2,2 % en moyenne en Europe et, en Allemagne, on subventionne même la production », assure-t-il.

Il oublie de préciser que la France « subventionne » elle aussi massivement les grands groupes, à coups de crédit d’impôt. Pour la seule année 2023, Michelin a touché 30,8 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR) ; 4,3 millions d’euros en mécénat et autres crédits d’impôts ; 5,5 millions d’euros de subvention d’exploitation ; 4 millions d’euros de chômage partiel ; sans compter 5,8 millions d’euros en réduction d’impôts de production. Soit un total de 50,4 millions d’euros en allégements et réductions d’impôts divers.

Quand bien même la surtaxe sur les grands groupes serait finalement votée au Parlement, on imagine que Michelin ne serait pas poussé à la faillite pour autant… Même chose pour LVMH, dont les résultats ont certes baissé en 2024, mais à un niveau encore fort acceptable : le géant du luxe a réalisé 84,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 1 %), avec un taux de marge canon de 23,1 %.

Mais la palme de la mauvaise foi revient à Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, qui a récemment menacé de déplacer ses activités dans des pays étrangers, plus favorables aux investissements. Rappelons que, du haut de ses 21,4 milliards de dollars de bénéfices (en 2023, dernier chiffre connu), la multinationale du pétrole a largement de quoi investir dans l’Hexagone.


 


 

    mise en ligne le 31 janvier 2025

Le Mouvement associatif alerte sur l’étranglement financier du secteur

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Victime de coupes budgétaires toujours plus importantes, beaucoup d’associations voient leur survie menacée. Alors que de nombreux départements, régions, villes et l’État prévoient de nouvelles baisses de subvention, l’organisation nationale du Mouvement associatif a écrit au premier ministre.

Le Mouvement associatif sonne l’alarme. Jeudi 30 janvier, le réseau national a rendu publics un rapport et une lettre ouverte au premier ministre alertant sur les réductions budgétaires drastiques imposées aux associations. « Le contexte était déjà tendu. Désormais ça ne tient plus », a prévenu, lors d’une conférence de presse, la présidente du Mouvement associatif, Claire Thoury.

« Le secteur arrive à bout de souffle. Il y a des structures qui sont en train de mettre la clef sous la porte, et des structures qui existaient depuis longtemps », a-t-elle poursuivi. « Ce soir, nous tirons la sonnette d’alarme. Ça concerne toute la société. C’est cela que nous voulons faire comprendre. Est-ce cette société dont nous voulons vraiment ? », a conclu Claire Thoury.

« Le prochain vote du budget pourrait avoir un impact majeur sur le monde associatif, en raison des coupes sectorielles annoncées, du décalage dans son adoption et de la diminution des budgets des collectivités territoriales, dont certaines ont déjà prévenu qu’elles réduiraient significativement leurs subventions », avertit encore, dans son rapport, le Mouvement associatif qui fédère environ 700 000 associations – soit près d’une sur deux.

Ainsi, « les mesures budgétaires annoncées menacent […] 186 000 emplois de l’économie sociale et solidaire (au sein de laquelle on compte 80 % d’associations) », détaille de son côté le rapport intitulé « Que serait la vie quotidienne sans les associations ? ». Car c’est bien la survie de toute une partie du secteur qui est menacée, et ce depuis déjà plusieurs années. Selon le Mouvement associatif, il y a eu 1 110 procédures collectives en 2024, dont 489 liquidations. En 2022, il n’y avait que 766 procédures collectives pour 325 liquidations.

« Particulièrement critique »

Lors de la conférence de presse, le directeur général du Mouvement associatif, Mickaël Huet, a précisé que 29 % des associations avaient moins de trois mois de trésorerie en réserve et que 19 % étaient « dans une situation financière particulièrement critique ».

« Cette situation déstabilise un monde associatif déjà fragilisé depuis de nombreuses années, pris en tenailles entre une hausse continue des charges et une demande de plus en plus importante des bénéficiaires, alerte encore la lettre au premier ministre. En clair, les associations sont aujourd’hui dans l’impasse de devoir faire toujours plus avec moins. »

Le rapport cite plusieurs cas emblématiques de coupures de crédits à divers échelons territoriaux, et détaille leurs conséquences. Au niveau municipal, le Mouvement associatif évoque la situation des 14 000 associations et clubs sportifs de Toulouse, sur la sellette en raison du « “gel” par la mairie de 20 % des financements destinés aux clubs sportifs et de 40 % pour l’ensemble du secteur associatif ».

« À titre d’exemple, poursuit le rapport, l’association toulousaine MixaH, agissant pour la socialisation des personnes handicapées et des jeunes en difficulté par le biais d’échanges sportifs et éducatifs, subit de plein fouet les conséquences des coupes budgétaires. En plus de voir la subvention de la ville de Toulouse diminuer de 33 % par rapport à 2024, elle perd également le financement d’un poste adulte relais. […] Certaines actions, comme son intervention estivale auprès de plus de 60 jeunes des quartiers prioritaires, se retrouvent compromises. »

Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures.

À l’échelle départementale, ensuite, le rapport évoque le cas du « Val-de-Marne, où le Secours populaire perd 77 % de sa subvention triennale. La perte sera de 66 000 euros par an, et de 198 000 euros au total, alors que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 50 % depuis 2018 », détaille le Mouvement associatif. « La Croix-Rouge française et le Secours catholique sont également concernés par ces baisses de subventions val-de-marnaises, alors que ce département fait partie des plus pauvres de France hexagonale », souligne-t-il.

« Cela veut dire que l’on ne va pas pouvoir répondre à une détresse qui pourtant monte », a dénoncé, lors de la conférence de presse, le président du Secours catholique, Didier Duriez. « C’est très dur à vivre pour nous, pour nos bénévoles et pour nos salariés. » « Ces associations vont se trouver dans la situation de devoir dire à une famille si oui ou non ils pourront accueillir leur enfant en situation de handicap », a renchéri Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss).

Ce dernier a tenu a exprimer sa « colère » face à la situation. « Je ne connais pas une structure, quelle que soit sa taille, quel que soit son secteur, qui ne soit pas dans le rouge », a témoigné Daniel Goldberg en rappelant que les associations gèrent 30 % des Ehpad et de 85 à 90 % des structures de protection de l’enfance ou d’accueil de personnes en situation de handicap.

À l’échelle régionale, c’est la région Pays de la Loire qui est épinglée pour avoir annoncé en novembre 2024 « une réduction de son budget de 100 millions d’euros ». Ces économies passeront par « une réduction de 64 % des subventions dédiées à la commission culture, sport et associations, soit une baisse de 21 millions d’euros ». « Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures, une réduction de l’offre sociale, culturelle et sportive, écrit le Mouvement associatif, ainsi que la perte de 13 000 emplois dans l’économie sociale et solidaire, dont 84 % sont des emplois associatifs selon l’UDES », l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire.

Fonds national

Lors de la conférence de presse, Maxime Gaudais, directeur du Pôle, une association de coopération pour la filière musicale basée dans les Pays de la Loire, a estimé à 2 500 le nombre d’emplois intermittents qui seront touchés. Il a pris l’exemple de l’association Songo, gérant la salle nantaise Stereolux, elle aussi touchée par les coupes. « Pour eux, cela représente 19 concerts en moins, donc 43 groupes qui ne pourront pas jouer et donc 4 000 heures de travail qui seront perdues pour les artistes, les techniciens, les gens de la sécurité… », a détaillé Maxime Gaudais.

Enfin, le rapport prend soin de saluer le rôle joué par les associations d’outre-mer, notamment à Mayotte. « Bien que les associations locales aient subi de plein fouet les impacts des cyclones, elles ont été également les premières à intervenir, en mettant en place des actions d’urgence pour répondre aux besoins essentiels des populations les plus atteintes et soutenir la reconstruction », souligne le rapport.

Pour mettre fin à la crise financière du secteur, le Mouvement associatif fait plusieurs propositions : assurer leur « stabilité financière en maintenant sur les budgets 2025 le montant des subventions versées aux associations » ou encore « créer un fonds national de mobilisation pour la vie associative cogéré par des représentants des collectivités territoriales, de l’État et du monde associatif ».

Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques.

Ce fonds serait abondé par « la rétrocession volontaire de tout ou partie des intérêts des livrets bancaires d’épargne », « un relèvement des plafonds du régime mécénat d’entreprise sous condition de reversement au fonds », « une partie des fonds saisis et confisqués par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) et les intérêts que ceux-ci génèrent » et « la possibilité par les fondations reconnues d’utilité publique (Frup) de flécher une partie des fonds propres aujourd’hui non libérables ».

« Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques », écrit le Mouvement associatif dans son adresse à François Bayrou. Or, « quand une association de solidarité perd des subventions, ce sont des familles en grandes difficultés financières qui ne pourront plus partir en vacances », poursuit-ilAvant d’expliquer : « Quand un club de sport n’a plus les moyens d’engager un animateur, ce sont des enfants qui devront renoncer à une activité sportive. Quand un festival s’arrête, c’est tout un territoire qui renonce à se retrouver dans un moment de convivialité. »


 

    mise en ligne le 30 janvier 2025

« On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », Vencorex tombe Arkema et la chimie française tremble

Khalil Auguste Ndiaye sur www.humanite.fr

Les salariés de l’usine d’Arkema à Jarrie (Isère) ont manifesté ce mercredi devant le siège de la multinationale. Ils dénoncent l’annonce par la multinationale de la suppression de 154 postes, qui fait suite au dépôt de bilan de son fournisseur de matière première, Vencorex. Les syndicats des deux sociétés craignent un effet de domino sur la chimie française.

Reçus à Paris par le ministre de l’Industrie Marc Ferraci ce mardi 28 janvier, les représentants des salariés de Vencorex repartent avec les idées plus floues qu’à leur arrivée. Alors que le gouvernement parle de « reconversion du site », les travailleurs de l’entreprise chimique craignent que le rachat par le concurrent chinois Wanhua et la fermeture da la majeure partie de la production de l’usine n’aient des répercussions importantes sur le secteur de la chimie en France. De premières conséquences qui s’observent déjà chez Arkema, acheteur principal du sel de Vencorex et dont une centaine de salariés ont manifesté le mécontentement devant le siège ce mercredi 29 janvier.

Une colère qui est surtout dirigée contre le plan social proposé le 21 janvier par le chimiste. Avec la fermeture d’une partie de leur usine à Jarrie (Isère), 154 des 344 employés du site vont perdre leur travail. Pour Carole Fruit, secrétaire générale de la CFDT Chimie Energie du Dauphiné Vivarais, « Arkema a profité de la fermeture de Vencorex comme effet d’aubaine pour déclencher ce plan social ». Selon elle, l’entreprise « aurait pu se positionner pour reprendre la production de sel de Vencorex et éviter cette situation ».

Une inaction que les salariés du chimiste voient comme un acte délibéré, attisant leur colère. « Produire du sel a un coût important », explique la secrétaire générale CFDT « et Vencorex le vendait à un prix dérisoire comparé au marché. Arkema ne s’est pas avancé pour reprendre l’activité, parce que ça leur fait des économies ». Des économies qui pourraient contenter les actionnaires du groupe, la multinationale ayant annoncé s’attendre à des bénéfices avant impôt pour 2024 dans la fourchette basse de ses prévisions (autour de 1,5 milliards d’euros). « On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », fustige Carole Fruit.

54 postes conservés sur 464

Si le site d’Arkema à de Jarrie est menacé, c’est principalement à cause de la fermeture de l’usine de Vencorex, situées à quelques kilomètres, à Pont-de-Claix (Isère). Principal fournisseur de sel d’Arkema, Vencorex a déposé le bilan en septembre 2024 et est en procédure de redressement judiciaire. Depuis lors, une seule offre de reprise a été formulée… par le chinois Wanhua, un concurrent direct qui propose de ne garder que 54 des 464 salariés. Une situation inacceptable pour ces salariés qui ont sollicité le ministre de l’Industrie.

Pourtant « les réponses sont évasives » explique Séverine Dejoux, représentante de la CGT Vencorex. « On nous parle de reconversion du site mais, nous, on n’y croit pas » affirme la syndicaliste après la rencontre avec Marc Ferraci. « Un atelier de chimie, c’est spécifique. Ce n’est pas une casserole dans laquelle on fait n’importe quelle soupe », déclare-t-elle, dénonçant l’inaction de l’Etat et appelant ce dernier à nationaliser l’entreprise, tant pour sauvegarder les postes que pour l’avenir de la chimie en Auvergne-Rhône-Alpes. « On s’attendait à ce qu’Arkema formule une offre pour reprendre la production de sel, mais on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y avait aucune intention de sauver Vencorex » déplore Séverine Dejoux.

Sans ce sauvetage, les salariés de Vencorex et d’Arkema craignent un effet de domino dans l’industrie chimique. « Toutes les plateformes chimiques sont interdépendantes : les produits des uns sont les matières premières des autres » explique Carole Fruit de la CFDT Arkema. Sans le sel de Vencorex, Arkema ne peut plus produire le chlore nécessaire au leader du nucléaire Framatome pour la transformation du zirconium dans son site à Jarrie.

Selon Les Echos, l’entreprise a dû créer une cellule de crise pour trouver une solution à ce manque d’approvisionnement. ArianeGroup est aussi touchée par cette fermeture, se fournissant en perchlorate d’ammonium, carburant nécessaire à la fusée Ariane et aux missiles de dissuasion nucléaire.

« En sauvant le premier maillon, on peut sauver toute la chaîne », souligne Séverine Dejoux, qui rappelle qu’« avec la fermeture de Vencorex, on s’attend à ce que les industries chimiques changent leurs manières d’opérer, ce qui aurait d’autres conséquences dans un futur proche ».

Plus encore, elle alerte sur le risque environnemental autour de la mine de sel de Pont-de-Claix : « Une production de sel ne s’arrête pas du jour au lendemain. Si on ne décomprime pas rapidement et régulièrement les mines où se trouve la saumure, il y a un enjeu écologique terrible pour la région avec l’effondrement des cavités ». La représentante CGT y voit également un gâchis, notant que « la mine a encore des réserves pour au moins 50 ans. Des discussions sont en cours avec le gouvernement pour sa reprise, mais tout est encore flou ».

Un flou qui continue d’inquiéter les salariés des deux entreprises. En colère, les employés d’Arkema « espèrent toujours que l’entreprise va se positionner, même si c’est tard » explique Carole Fruit. Du côté de Vencorex, Séverine Dejoux évoque « un combat qui ne va pas s’arrêter. Le ministre de l’Industrie ne veut pas nous entendre donc on va essayer d’interpeller le Premier Ministre ».


 

    mise en ligne le 29 janvier 2025

Austérité : la saignée s’amplifie
pour le budget de l’État

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Environ 24 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques : telle est la copie du budget 2025 rendue par le Sénat et qui sera proposée en commission mixte paritaire jeudi 30 janvier. La note finale s’annonce très salée.

Pour entrevoir des alternatives à cette austérité, on peut se rapporter à « Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible » paru le 18 janvier dans cette même rubrique de 100-paroles.fr

C’est parti pour être l’une des cures d’austérité budgétaire les plus rudes d’une année sur l’autre. Les coupes dans les dépenses publiques prévues dans la copie du projet de loi de finances 2025 votée au Sénat le 23 janvier, et qui sera discutée en commission mixte paritaire (CMP) à partir 30 janvier, sont particulièrement rudes.

À ce stade, le texte prévoit 24 milliards d’euros de baisse des dépenses de l’État par rapport à ce qui aurait permis de maintenir le même niveau de financement des services publics qu’en 2024. C’est plus que ce qu’affichait le gouvernement Michel Barnier dans son projet de loi de finances pour 2025 (− 21,5 milliards).

Tel est le résultat des calculs du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel, que l’Insoumis a recoupé à Bercy avec les cabinets des ministres des finances et des comptes publics.

Il faut ajouter à cela un coup de rabot d’environ 2 milliards d’euros dans le budget alloué aux collectivités locales et d’un peu plus de 8 milliards dans le budget de la sécurité sociale, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Soit un total d’environ 35 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques à ce stade.

Côté recettes fiscales, la hausse annoncée par le gouvernement de François Bayrou serait de 18 milliards d’euros en 2025. Soit peu ou prou ce que prévoyait il y a quelques mois le gouvernement de Michel Barnier, moins la très polémique taxe sur l’électricité qui n’est plus à l’ordre du jour.

La surtaxe sur l’impôt sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, censée rapporter 8 milliards d’euros en 2025, sera maintenue. Une incertitude subsiste toutefois sur la taxe sur les hauts revenus, qui doit rapporter 2 milliards d’euros aux caisses de l’État, mais qui pourrait être remplacée par une contribution sur les plus hauts patrimoines qui nécessiterait vraisemblablement une autre loi fiscale.

Objectif : un déficit public à 5,4 % du PIB

Bref, on arriverait à ce stade à un effort global d’environ 53 milliards d’euros dans le budget 2025. Un montant énorme pour atteindre l’objectif fixé par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard : une réduction du déficit public de 6,1 % en 2024 à 5,4 % du PIB cette année. « Le Sénat s’est montré très dynamique » pour réduire les dépenses publiques, s’est ainsi félicité le ministre lors d’une rencontre le 28 janvier avec l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). 

Cela étant dit, ces nouvelles coupes actées par la chambre haute du Parlement ont souvent été de l’initiative du gouvernement Bayrou : selon Éric Coquerel, les amendements de l’exécutif ont en effet ajouté 7 milliards d’euros de baisse supplémentaire de dépenses de l’État en quelques jours. 

La saignée budgétaire pour 2025 est donc totale. Parmi les missions qui prennent le plus cher, citons la mission « écologie, développement et mobilités durables », qui subirait à ce stade une coupe sèche de 2,9 milliards d’euros en volume dans son budget par rapport à 2024, mais aussi la recherche et l’enseignement supérieur (− 1,7 milliard), la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » (− 1,4 milliard), l’enseignement scolaire (− 1,1 milliard), ou l’agriculture (− 400 millions).

Et encore, ce n’est pas fini. Car le gouvernement s’est fait retoquer par le Sénat pour 1,4 milliard d’euros d’amendements coupant aveuglement dans certaines missions de l’État comme le logement, l’éducation ou le sport. Il y a fort à parier qu’il reviendra à la charge sur ces thèmes via des amendements au texte qui sera étudié par la CMP le 30 janvier.

Celle-ci est, rappelons-le, composée de sept député·es et sept sénateur·ices, dont six sont membres des oppositions (quatre à gauche et deux au Rassemblement national) et huit du « socle commun » soutenant l’action du gouvernement, qui peut donc s’appuyer sur une majorité. Voilà pourquoi la CMP devrait être assez rapidement « conclusive ».

En fait, si Éric Lombard et le reste du gouvernement Bayrou continuaient encore récemment les négociations avec des forces de gauche (socialistes et écologistes), notamment, c’était pour anticiper le coup d’après et s’éviter la censure lors de la semaine du 3 février. Semaine au cours de laquelle l’Assemblée nationale devra selon toute vraisemblance entériner l’accord de la CMP, et où un 49-3 et une motion de censure sont attendus.

Gloire au marché

Mais même si Éric Lombard semble être très ouvert à la discussion, comme il aime le répéter aux journalistes, sa stratégie de convaincre une partie de la gauche butera inévitablement sur une contradiction évidente : le budget qu’il porte est le plus rude avec les services publics au XXIe siècle.  

Et même du point de vue de la croissance économique, ce texte aura des effets délétères. Rappelons que le projet de budget de Michel Barnier, qui prévoyait un niveau global d’économies à peine supérieur à celui porté par François Bayrou, aurait réduit la croissance de 0,8 point de pourcentage, selon les calculs de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il y a donc de fait à attendre un impact négatif du même ordre avec le projet de budget discuté actuellement pour 2025.

D’ailleurs, Éric Lombard l’a admis face aux journalistes le 28 janvier : « Ce budget qui réduit le déficit surtout par la baisse des dépenses aura un effet [négatif – ndlr] sur la croissance. » Cependant, il semble croire dur comme fer qu’il atteindra tout de même son objectif de croissance du PIB en 2025 – certes excessivement modeste à + 0,9 % – grâce à une force supérieure : celle du marché. La perte d’activité économique liée aux coupes budgétaires serait en effet, selon lui, « compensée par le fait que les entrepreneurs et les marchés financiers seront rassurés ». À la bonne heure ! 

Pour le principal locataire de Bercy, le vote d’un budget d’austérité sur les services publics aura en fait pour effet positif de redonner stabilité et confiance au monde des affaires. Pour s’en assurer, celui qui fut dans les années 2000 et 2010 un cadre dirigeant de la BNP Paribas et de l’assureur Generali multiplie d’ailleurs les petites promesses à l’endroit de son ancien monde : aux Échos, il a par exemple affirmé que « la surtaxe d’impôt sur les sociétés ne s’appliquera qu’un an, au lieu de deux dans le projet du précédent gouvernement ».

Mais aussi que « le relèvement de la flat tax de 30 % sur les revenus du capital n’est plus d’actualité, ni aujourd’hui ni demain ». Ouf ! Les riches et les grandes entreprises peuvent dormir sur leurs deux oreilles : avec Éric Lombard, ils ne seront pas mis outre-mesure à contribution pour redresser les comptes de la nation dans les prochaines années. Sera-ce également le cas des services publics et du modèle social ?  


 

   mise en ligne le 28 janvier 2025

Le Sénat, voix de la FNSEA

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Ces 27 et 28 janvier, le Sénat a examiné une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc., celle-ci s’attaque violemment aux normes environnementales, au plus grand bonheur de la FNSEA.

Depuis le 7 juillet dernier, tous les yeux sont rivés sur l’Assemblée nationale. Encore ces dernières semaines, chaque jour est rythmé par des tractations politiques concernant le vote du budget. Censure ? 49.3 ? Dans ce flux continu de rebondissements, une actualité parlementaire est plutôt restée dans l’ombre. Une proposition de loi, que le Sénat a examinée ces 27 et 28 janvier. Pourtant, celle-ci, visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (sic), est explosive.

Et pour cause, elle surfe sur la colère agricole pour prendre des mesures à rebours de toute considération environnementale : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines, remise en cause des autorités environnementales et sanitaires, le texte ne fait pas dans le détail. Et comment s’en étonner ? À l’initiative de celui-ci, on retrouve Laurent Duplomb, et Franck Menonville, deux sénateurs de droite. Le premier, qui porte à bout de bras cette proposition de loi, a ainsi été… président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire.

Parce que c’est bien cela qu’il faut voir derrière cette attaque en règle contre l’environnement et l’avenir même du métier d’agriculteur : la marque de la FNSEA. Toutes ces mesures sont fortement inspirées d’un texte de loi rédigé par le syndicat agricole majoritaire à la fin de l’été et transmis aux parlementaires. Intitulé « Entreprendre en agriculture », celui-ci promet un « projet global » permettant de « donner une réelle ambition à l’agriculture française ». Et les mesures proposées par les deux sénateurs de droite y figurent, sans surprise, presque toutes. En novembre, sur la préfecture de Gap, la FNSEA avait même affiché une banderole : « PPL [proposition de loi, N.D.L.R.] Duplomb : la solution ».

Pourtant, comment croire une seule seconde que cette PPL est « de nature à répondre aux demandes du monde agricole », comme l’indique la FNSEA ? Depuis plus d’un an désormais, de nombreux paysans témoignent d’une importante colère. Celle-ci a d’ailleurs émergé en marge du syndicat majoritaire, pris de court l’hiver dernier. Au cœur des revendications des protestataires, figure la question du revenu dans une profession marquée par de très fortes inégalités.

L’idiocratie est en marche. D. Salmon

Ne cherchez pas plus longtemps, aucun article ne contient ne serait-ce qu’une demi-mesure pour tenter d’améliorer les revenus des agriculteurs les plus pauvres. « La méthode Duplomb c’est le moins-disant social et environnemental. Et, au bout du bout, c’est l’économie qui prend le pas sur la santé humaine et sur le vivant », raille Daniel Salmon, sénateur écolo, pour qui ce texte est l’illustration que « l’idiocratie est en marche ».

Comment ne pas lui donner raison, alors que le dérèglement climatique touche en premier lieu les agriculteurs, notamment les plus petits ? Peu importe, finalement, pour la majorité des sénateurs qui ont donc décidé de violemment s’attaquer aux normes environnementales pour promouvoir une agriculture intensive et productiviste à bout de souffle.

Une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.

Surtout, dans un contexte d’instabilité politique chronique, rien ne dit que ce texte ne soit pas rapidement transmis au Palais-Bourbon. La ministre actuelle de l’Agriculture, Annie Genevard, du même bord politique que Laurent Duplomb, est tout aussi attentive que son collègue aux demandes de la FNSEA. Et celui-ci a d’ailleurs mis en garde le gouvernement en novembre dernier, assurant qu’il « ne serait pas rapporteur de la loi d’orientation agricole » sans la garantie d’un examen rapide du texte. Il faut espérer qu’il n’ait pas obtenu gain de cause car le passage d’une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.


 

    mise en ligne le 27 janvier 2025

À Paris, des lycéens étrangers
expulsés de leurs logements
en pleine année scolaire

Yannis Angles sdur www.mediapart.fr

Une centaine de lycéens étrangers, jusque-là logés dans des logements individuels à Paris, sont contraints dès la fin janvier de les quitter pour rejoindre des centres d’hébergement d’urgence à travers la France. Un bouleversement qui menace leur poursuite d’études.

« Là, ils me mettent dans la merde avec leur décision », lâche Armi* en passant les grilles du centre d’hébergement d’urgence La Boulangerie, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les visages des quatre lycéens sont ternes et déconfits. Jeudi 23 janvier au soir, ils viennent de visiter leur nouveau « chez-eux », une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.

Il y a peu, ces jeunes vivaient dans des logements individuels, disséminés à travers Paris, gérés par les associations Aurore et Urgence Jeunes. En décembre, ils apprenaient que la prise en charge toucherait à sa fin en juin, ce sera finalement dès le 27 janvier, comme le révèlent Mediapart et StreetPress.

Aujourd’hui, ils se retrouvent ici, dans ce grand foyer pour adultes en difficulté, loin de la stabilité qu’ils avaient pu connaître. « Je ne suis pas content du tout, mais je n’ai pas le choix », explique Habib, en dernière année de CAP, visiblement remué après la visite du centre. Rejoindre ce nouveau centre d’hébergement, alors même qu’ils suivent des parcours de formation allant du CAP au BTS, bouleverse leur quotidien, leurs études et leur avenir.

Cette situation découle d’une décision prise en décembre 2024 par la préfecture de Paris, qui n’a pas voulu reconduire ce dispositif d’hébergement destiné à une centaine de lycéen·nes. Il était pourtant renouvelé chaque année depuis 2015 et financé par la préfecture d’Île-de-France, le rectorat et la mairie de Paris.

Informée depuis plusieurs mois de l’arrêt prochain de ces hébergements, une source à la mairie affirme : « On a négocié tout ce qu’on a pu pour que ça n’arrive pas. » La fin du dispositif est une décision purement politique, selon ce connaisseur du dossier : « Dès que les jeunes sont majeurs, certains veulent envoyer le signal qu’ils ne sont pas bienvenus sur le territoire français et considèrent que les héberger, quand bien même ils sont scolarisés, c’est envoyer un mauvais signal et créer un “appel d’air”. » Contactés, la préfecture et le rectorat ne nous ont pas répondu à l’heure où nous écrivons ces lignes.

La nouvelle est tombée il y a une semaine. Un choc pour ces jeunes lycéen·nes et leurs professeur·es. « On ne pensait pas qu’ils allaient le mettre en application en plein milieu de l’année scolaire », déplore un enseignant qui les accompagne.

Un lieu inadapté aux jeunes

Alhassane*, élève en dernière année de BTS, témoigne de son mal-être : « Depuis, je ne suis plus concentré sur les cours, je m’inquiète pour mon avenir. Ça me perturbe dans mes révisions et dans mon travail. » Mais pour d’autres, ces jeunes ont « de la chance de rester à Paris », aurait, selon plusieurs témoins, lancé un représentant du préfet lors d’une réunion.

Pour Alhassane, la « chance » a une drôle de saveur. « On se retrouve à dix dans un dortoir avec des adultes qu’on ne connaît pas, je ne vois pas où est la chance », explique-t-il, visiblement en colère. Il a tenté en vain de négocier pour être logé en foyer pour jeunes travailleurs : « On ne voulait pas nous entendre, on doit appliquer et c’est tout. »

Les enseignant·es qui les accompagnent, eux aussi, s’inquiètent de ce déménagement dans des centres d’hébergement d’urgence. « Il y a du personnel, et des démarches administratives sont proposées, mais le lieu n’est pas adapté pour des jeunes et encore moins en formation », insiste l’un d’eux.

Ce constat est partagé par un responsable du centre d’hébergement, qui, lors de la visite, a reconnu auprès des jeunes que cet établissement n’était pas conçu pour les recevoir. Tout semble avoir été fait dans la précipitation. À la sortie, ce même responsable le confirme : « Je n’ai été informé qu’il y a quelques jours que ces jeunes devraient être accueillis ici. »

Les conditions matérielles, également, soulèvent des inquiétudes : « Les lits sont dans un mauvais état, les draps sont déchirés », a constaté Drary lors de la visite. Pour ces jeunes, la transition vers cette vie en collectivité ne paraît pas bénéfique pour leur avenir.

« Il n’y a pas de lieu pour réviser, et le soir, certains vont vouloir dormir alors que je dois réviser », explique l’un d’eux. Pour Armi, en alternance, le plus inquiétant, c’est la localisation du centre et l’impossibilité de maintenir son emploi et ses études. « Je travaille à l’opposé du lieu qu’on m’impose aujourd’hui, ça va être intenable », prédit-il.

Tous ont le sentiment ce soir-là de faire un pas en arrière dans leur intégration. Après avoir signé leur contrat d’habitation mensuel, qui devra se renouveler tous les mois jusqu’à la fin de leurs études, en juin, aucun ne restera dormir. Ils ne sont pas encore prêts à rejoindre immédiatement le dortoir et quitter leur vie d’avant. Ils veulent d’abord encaisser le coup et retourner dans leur ancien logement tant qu’ils en ont les clés, avant de se lancer dans un déménagement forcé.

Pour les autres jeunes bénéficiant jusqu’ici du dispositif et qui ne sont pas en année diplômante, il faut carrément quitter Paris, pour s’installer dans diverses villes à travers la France, où ils devraient rejoindre des centres d’accueil. Un départ précipité en plein milieu de l’année scolaire, qui ne leur garantit pas de pouvoir poursuivre leurs formations.

« Aucune information, ni garantie, n’est fournie quant à la possibilité pour eux de continuer leur parcours, notamment pour ceux inscrits dans des filières spécifiques, comme les formations aux métiers de l’industrie », précise un courriel émanant d’un service de la préfecture qu’a pu consulter Mediapart.

« Je préfère retourner dormir dans la rue »

« Ils ne vont jamais pouvoir reprendre leur formation à leur arrivée, on est en janvier », déplore un professeur. Une décision qui entraîne d’autres conséquences : « S’ils n’ont plus de formation, comment vont-ils faire pour renouveler leur titre de séjour étudiant ? »

C’est le cas de Mati*, rencontré lors de l’assemblée générale (AG) organisée le 24 janvier à la Bourse du travail à Paris par les syndicats enseignants et les associations qui accompagnent les élèves. Installé à Paris depuis plus de trois ans, il refuse d’être envoyé en province : « Je ne partirai pas, je préfère retourner dormir dans la rue. » Sa peur est de tout perdre : son alternance, sa formation et ses démarches pour obtenir ses papiers. Depuis sept mois, il apprend le métier de cuisinier dans un restaurant.

Pour lui, la fin du dispositif signifie un retour à la case départ. « Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi dehors à Stalingrad pendant sept mois », confie-t-il. Avant d’envisager un retour sous les ponts, il garde espoir de trouver un logement par ses propres moyens.

« J’ai confiance en mon patron. Je lui ai expliqué ma situation, il va m’aider à trouver un logement », affirme-t-il, cherchant à se rassurer. Une décision radicale que comprend Hélène Kolinka, cofondatrice de l’association Droit à l’école. « Entre avoir un logement en région et ne plus avoir de patron ni d’école, le choix est vite fait pour certains », confirme-t-elle, à la sortie de l’AG.

Pendant les deux heures de l’AG du vendredi 24, toutes les associations, syndicats et collectifs présents ont discuté des stratégies à adopter pour mobiliser. Parmi les présents, des membres de l’association Urgence Jeunes, qui reconnaissent dans cette situation un scénario déjà vécu.

Il y a deux ans, des jeunes avaient été transférés en logements d’urgence, avant que la préfecture ne décide, quelques mois plus tard, d’une remise à la rue. Les membres de l’AG se demandent si ce n’est pas le même objectif qui se cache derrière cette décision : à ce jour, aucune garantie écrite n’assure qu’ils pourront rester jusqu’en juin dans les centres d’hébergement d’urgence.

Des actions sont donc envisagées : des débrayages de la part des enseignant·es, des manifestations et même des occupations, afin de rendre la situation de cette centaine de jeunes plus visible et que leurs revendications soient entendues. Parmi elles : le maintien et l’extension du dispositif pour les lycéens, le fait qu’aucun·e jeune ne soit contraint·e de quitter Paris, l’ouverture de lieux d’hébergement dédiés à tous les jeunes qui en ont besoin, jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Mais pour le moment, la consigne est inchangée : tous ces lycéens devront quitter leurs logements au plus tard le 11 février, et la plupart devront quitter Paris.


 


 

Saint-Denis :
un avant-goût du « jour d’après » ?

par Alain Bertho, anthropologue sur https://blogs.mediapart.fr/

Un jeune de la Plaine Saint-Denis surnommé « le maire des banlieusards » qui consacre son énergie à promouvoir la créativité de la banlieue et la solidarité, a encore été arrêté le 25 janvier. Sans ménagement et sans raison claire. Tel est le visage inquiétant de « l’ordre » promu par le ministre de l’intérieur : harceler la vie populaire.

La scène est violente. Filmée, elle est immédiatement virale sur les réseaux locaux.

Vers 14 h 30, à quelques mètres de son domicile avenue du Président Wilson à Saint-Denis, non loin du local associatif « le Pont Commun», installé dans l’ancienne gare RER, Salim à peine sorti de chez lui pour aller chercher son frère, est maîtrisé, mis à terre, menotté et embarqué au commissariat central.  Vidéo 1 Vidéo 2

Un harcèlement ciblé

Salim Dabo a 26 ans. La Plaine Saint-Denis qui l’a vu grandir est encore son port d’attache. Son hyperactivité ne lui a pas rendu son enfance facile. Il y puise aujourd’hui une énergie au service des autres. Un concert organisé en septembre 2021, Streetparty One, pour respirer après le COVID le rend très vite populaire.
Son association Univers Project fondée en 2022, se donne comme ambition de créer « des opportunités pour les jeunes de banlieue en organisant des événements culturels, sportifs et solidaires » : organisation d’événements culturels, maraudes solidaires, programmes éducatifs et sportifs

En 2024, il investit à sa façon le choc des JO pour les familles et les jeunes du territoire soudain à la fois assigné.e.s à résidence par le zonage sécuritaire et le prix des transports et confronté.e.s à un maillage policier sans précédent. Il a même les honneurs du Monde

Est-ce pour cela que le 9 novembre, à la sortie d’une des activités éducatives de son programme  Bel Air, avec d’autres jeunes, il fait l’objet d’un contrôle aussi musclé qu’inexpliqué ?

Victime de techniques d’immobilisation illégales, il est arrêté et mis en garde à vue durant 24 heures puis relâché sans explication. Salim réclame alors une enquête rapide et transparente » et « exige des autorités compétentes qu’elles prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits fondamentaux des habitants de Saint-Denis » car « la sécurité, loin d’être une justification pour de telles dérives, doit se bâtir dans le respect de la dignité humaine et de la légalité. » 

Ce 25 janvier, alors qu’il préparait une maraude solidaire, Salim est encore tabassé. Cinq heures après son arrestation, il est toujours en garde à vue et n’a vu ni médecin, ni avocat quand Éric Coquerel, député de la Plaine, parvient à le voir.
Il est finalement transféré à l’hôpital et vu par un médecin. Des examens sont prescrits et la garde à vue est suspendue le temps de l’hospitalisation. Sa libération intervient le lendemain vers 15 heures. Aucune charge n’est retenue contre lui.

Le harcèlement  contre sa famille n’est pas nouveau. Contrôles et arrestations se succèdent depuis des années dans un contexte récurrent d’acharnement raciste contre les jeunes.

Un cap a été franchi

Pourtant, aujourd’hui, le sentiment domine qu’un cap a été franchi. Pour les militantes et militants des associations, collectifs et organisations, qui connaissent toutes et tous Salim, cette arrestation arbitraire est hélas exemplaire du climat que fait régner sur une ville populaire, les priorités politiques du pouvoir et de son incontournable Ministre de l’Intérieur. 

Ce genre de situation se multiplie de façon inquiétante à Saint-Denis : le harcèlement semble politiquement ciblé. On ne sait pas encore pourquoi, le vendredi 24 au soir, devant le café La table ronde en centre-ville, policiers en civil sont intervenus violemment sans brassards d’identification au milieu d’un groupe de jeunes et ont ensuite lancé une grenade lacrymogène.

Mais on imagine comprendre pourquoi, il y a déjà quelque temps, un groupe qui rentrait à La Plaine a été contrôlé et interpellé sur la passerelle enjambant le canal et (quatre mineurs ont été embarqués). Ces jeunes sortaient d’une réunion qui avait rassemblé 120 personnes aux Francs Moisins pour apaiser les  violences opposants des jeunes des deux quartiers (La Plaine et Francs Moisins). 

La cible du commissariat est à l’évidence la capacité l’auto-organisation de cette jeunesse dans laquelle Salim Dabo joue, avec d’autres, un rôle de premier plan.

Ce harcèlement est directement  politique. Sans filtre, puisque ce sont ses mauvaises fréquentations communistes et insoumises qui lui sont explicitement reprochées lors de ses gardes à vues.

Comme une sorte de laboratoire du pire. 

L’expérience vécue par la population d’une des villes les plus pauvres de la France métropolitaine, mais aussi de la ville qui a le plus voté pour le Nouveau Front Populaire dès le premier tour des législatives, est celle d’une sorte de laboratoire du pire. 

Depuis 2020, la ville est déjà confrontée à une équipe municipale menée par un maire officiellement socialiste, qui s’applique à défaire les services publics locaux qui avaient fait de Saint-Denis une ville de solidarité et de partage.  Les antennes jeunesses sont laissées à l’abandon, des ludothèques ferment, les bus n’assurent plus la liaison entre les cités et le centre-ville, les habitants sinistrés sont laissés à leur sort après un incendie comme les femmes isolées avec leur enfants sans abri, les centres de loisir sont sous encadrés, les écoles grelottent, les personnels sont réprimés, la police municipale multiplie les dérapages….

Syndicats, associations, collectifs font front, se concertent, échangent leur expérience, s’organisent ensemble. Cette mise en réseau des mobilisations est un des objectifs que s’est donné le Comité local du Nouveau Front Populaire qui a organisé un forum le 7 décembre malgré le refus de la mairie de lui accorder une salle.

En juin 2024, celle ville s’est mobilisée contre la menace du Rassemblement National. Mais chacune et chacun le sait : les gouvernements Barnier et Bayrou réactualisent cette menace au quotidien : la présence de Bruno Retailleau dans les deux gouvernements successifs de la droite extrémisée n’est pas un simple effet d’affichage. Le clin d’œil appuyé au RN ne se résume pas à des déclarations « provocatrices ». On ne négocie rien avec un tel personnage !

Son « chantier » concernant la lutte contre « l'immigration illégale mais aussi légale »  annoncé dès son intervention à l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024 a d’ores et déjà des effets dévastateurs.  

A Saint-Denis, la  sous-préfecture ne se contente pas de recevoir les demandeuses et demandeurs de cartes de séjour et de renouvellement dans des conditions indignes. Elle est devenue une fabrique systématique de sans-papiers. Des titulaires de carte de séjour de 10 ans sont piégés par des délais interminables qui les mettent hors la loi, hors de l’emploi et de toute protection sociale. Des rendez-vous (qui font déjà l’objet d’un marché noir) sont annulés du jour au lendemain. Des familles sont systématiquement précarisées.

A cette dévastation, le pouvoir ne veut admettre aucune résistance organisée, surtout pas par les victimes elles-mêmes. Surtout pas en montrant la capacité d’intelligence collective, de solidarité que portent des figures populaires comme Salim et d’autres. 

Ici, des femmes et des hommes sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne, dans leur survie à la  vérité des tentations de plus en plus extrêmes des classes dirigeantes et à l’abandon d’une partie de la gauche. 

Ici, la guerre à la vie populaire semble déclarée. Comme un avant-goût du "jour d’après " tant redouté : celui de la victoire officielle du RN. 

Ici, qui peut comprendre qu’on ne censure pas sans condition un tel gouvernement ?

Ici, la résistance a commencé, à la fois comme protection immédiate des personnes et comme construction d’un commun solidaire, d’un autre lendemain possible.


 

   mise en ligne le 26 janvier 2025

La Martinique retrouve son leader de la lutte contre la vie chère

Julien Sartre sur www.mediapart.fr

Condamné à de la prison avec sursis pour violation de domicile et intimidation, Rodrigue Petitot est sorti de détention vendredi 24 janvier et a déjà appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». La mobilisation se poursuit aussi au Parlement et devant le tribunal de commerce.

Cela n’a pris que quelques minutes avant que son image et sa parole ne se répandent à nouveau de façon virale sur les réseaux sociaux et dans la presse. En sortant de prison, avant d’aller effectuer une peine aménagée à son domicile, Rodrigue Petitot, dit le « R », a tenu un discours devant ses partisans galvanisés.

« Ce n’est pas une menace, ce n’est pas une intimidation : je demande à M. Manuel Valls de venir nous rencontrer afin qu’on puisse avoir de vraies réponses ! », exhortait le leader martiniquais du mouvement contre la vie chère, depuis le siège de l’association qu’il préside à Fort-de-France, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC).

Visiblement pas découragé par le mois et demi de détention qu’il vient d’effectuer à la prison de Ducos, Rodrigue Petitot a appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». Pour lui et ses partisans, rassemblés en nombre dans les rues de Fort-de-France et au QG du RPPRAC, ce vendredi 24 janvier était avant tout un jour de « libération ».

Après deux jours de procès, Rodrigue Petitot a été reconnu coupable de violation de domicile, d’outrages et d’actes d’intimidation, pour s’être introduit dans la résidence préfectorale, le 11 novembre dernier. Le militant était venu demander une rencontre avec le ministre des outre-mer de l’époque, François-Noël Buffet, de passage sur l’île.

Le « R » « risquait vingt ans de prison et la juridiction n’a pas voulu abandonner toutes les préventions mais le plus important est qu’il recouvre la liberté ! », se félicite auprès de Mediapart un de ses avocats, Me Eddy Arneton. Condamné à un an de prison intégralement assorti du sursis dans cette affaire dite « de la résidence préfectorale », Rodrigue Petitot est pourtant loin d’être libre.

Condamné à dix mois de prison dans une autre affaire pour avoir tenu des propos assimilés à de l’intimidation d’élus, il effectuera sa peine à domicile, avec un bracelet électronique. « Nous espérons que cette décision mettra un terme au cycle de judiciarisation qui a été enclenché et sollicité par le ministre de l’intérieur, en violation du principe de séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif », poursuit Me Arneton.

La sortie de prison de Rodrigue Petitot constitue-t-elle une victoire pour le mouvement contre la vie chère, lancé en Martinique en septembre dernier ? « Pas encore, répond Me Max Bellemare, un des conseils de Rodrigue Petitot. Nous avons été entendus sur plusieurs points et notre client a été relaxé de plusieurs accusations, mais il y aura une victoire lorsqu’on aura modifié le système complètement et que les prix de nombreux produits auront été baissés. La finalité, c’est bien cela, une réduction sensible des prix. »

Signé en octobre dernier après les premières semaines de mobilisation et de blocage de supermarchés, un « protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère » a été paraphé par les opérateurs économiques, les services de l’État, les organisations syndicales et les élus locaux, à Fort-de-France. Le RPPRAC n’y a pas apposé sa signature, dénonçant un nombre trop faible de produits concernés et un impact limité sur les prix dans les rayons des supermarchés.

Au fil des semaines et jusque dans la parole du gouvernement, le débat s’est focalisé sur le rôle joué par le groupe Bernard Hayot (GBH), importateur, distributeur et acteur majeur de l’économie ultramarine, basé en Martinique. « J’en ai déjà parlé et je continue à le faire malgré les réactions et les pressions : certains grands groupes très performants ont un rôle d’étouffement économique dans les outre-mer », dénonçait par exemple le ministre des outre-mer, Manuel Valls, lors de l’examen de la proposition de loi socialiste contre la vie chère.

La vie chère débattue dans la niche PS

Portée par la députée socialiste de Martinique Béatrice Bellay, la proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer », a été adoptée à une écrasante majorité par les député·es ce jeudi 23 janvier. Examinée dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe socialiste, le texte prévoit un renforcement, une extension et un alignement sur les prix de l’Hexagone du « bouclier qualité-prix » (BQP), dispositif de modération du coût des denrées alimentaires, existant de longue date dans les départements d’outre-mer (DOM).

Le texte prévoit aussi d’interdire les positions dominantes dans le secteur de la distribution, de renforcer les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et un encadrement strict des marges des importateurs.

Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les débats étaient riches en références à la mobilisation martiniquaise et à Rodrigue Petitot. « Il ne s’agit rien de moins que de tenir notre parole, engagée lors de longues séances de travail en Martinique », s’est souvenu le député socialiste de Martinique Jiovanny William, en défendant un amendement qui étend le bouclier qualité-prix aux produits de grande consommation. Ainsi, l’extension du BQP à la téléphonie, aux assurances, aux frais bancaires ou encore aux pièces détachées pour automobiles (dont les prix peuvent être de 400 % supérieurs à ce qu’ils sont dans l’Hexagone) a fini par faire consensus. 

L’Insee a documenté à plusieurs reprises des surcoûts de plus de 40 % en Martinique et dans le reste de l’outre-mer. Les produits alimentaires sont particulièrement impactés par ces écarts de prix, alors que les revenus sont en moyenne inférieurs de plus de 30 % dans les collectivités ultramarines. Le texte adopté jeudi 25 janvier en première lecture par l’Assemblée nationale doit maintenant être voté par le Sénat.

Un article de cette proposition de loi prévoit d’aggraver les sanctions contre les entreprises qui ne publient pas leurs comptes comme la loi les y oblige, passé un certain seuil.

Mis également en cause par une enquête journalistique de Libération pour ses « profits suspects » et la multiplication des intermédiaires – et donc des marges abusives via ses nombreuses filiales –, le groupe GBH s’est défendu à plusieurs reprises face à des commissions d’enquête parlementaires, devant le Sénat et l’Assemblée nationale. Sommé de publier ses comptes par des lanceurs d'alerte qui ont déposé plainte devant le tribunal de commerce de Fort-de-France, GBH affirme s’être conformé à ses obligations légales.

Prévue jeudi 23 janvier, l’audience consacrée à cette affaire a été reportée au 13 février prochain : le temps pour le tribunal d’analyser les documents qui lui ont effectivement été transmis, mais pas de quoi calmer la vindicte populaire, en particulier en raison de la collision avec le calendrier judiciaire du « R ». Lors de son allocution largement diffusée sur les réseaux sociaux, Rodrigue Petitot faisait référence à ce renvoi d’audience en expliquant que lui n’avait bénéficié d’aucune clémence ni d’aucun report dans l’examen de ce que lui reproche la justice.

    mise en ligne le 25 janvier 2025

Victoire pour les urgences de
Villeneuve-Saint-Georges :
la grève paie aussi à l’hôpital

par Guillaume Étievant sur https://www.frustrationmagazine.fr/

Se mettre en grève est toujours une décision délicate, que l’on évolue dans le secteur privé ou public. Les représailles des employeurs peuvent être lourdes, et tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer à plusieurs jours de salaire. À l’hôpital, l’enjeu est d’autant plus complexe entre l’engagement des soignants à assurer la sécurité des patients et la nécessité de défendre leurs conditions de travail, qui ont un impact direct sur la qualité des soins. Pourtant, malgré ces obstacles, la lutte peut porter ses fruits. Les salariés de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) viennent d’en apporter une démonstration éclatante. Grâce à leur détermination, ils ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications. Cette victoire syndicale illustre avec force que, même dans un secteur aussi sensible que la santé, la solidarité et la persévérance permettent d’imposer des avancées concrètes. 

L’année a débuté dans la révolte aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, où l’ensemble des soignants ont engagé un bras de fer avec la direction. Les conditions de travail y sont, comme dans de nombreux hôpitaux, absolument insoutenables, avec des dizaines de patients dormant sur des brancards, faute de lits disponibles, et obligés de se laver dans les couloirs entre deux paravents. Les difficultés se sont renforcées ces dernières années, avec la fermeture de plusieurs hôpitaux aux alentours. Les salariés se sont donc mis en grève, soutenus par la CGT, et la mobilisation fut impressionnante : elle a duré 11 jours, avec un taux de grévistes atteignant 100%. Les revendications portaient sur le manque criant de personnel, la saturation constante des urgences et l’insuffisance des moyens matériels. Grâce à leur détermination, les grévistes ont obtenu la satisfaction de l’intégralité de leurs demandes, en particulier la création de 14 emplois supplémentaires pour occuper 7 postes 24H/24H.

En se déclarant gréviste, le personnel envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé                   David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne

Faire grève dans un hôpital n’a rien d’évident, car personne n’a envie de mettre en risque la santé des patients. Les soignants et les autres personnels hospitaliers disposent théoriquement du droit de cesser le travail pour défendre leurs revendications, mais l’hôpital public, en tant que structure assurant des soins vitaux, est soumis à l’obligation de continuité du service public de la santé. L’administration hospitalière établit ainsi une liste de personnels dits « assignables », c’est-à-dire qui seront obligés de travailler tout en se déclarant grévistes sans perdre en rémunération. “ Vu la situation de sous-effectif aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, 100% des grévistes étaient en réalité assignables”, nous explique David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne. Les grèves dans les hôpitaux prennent souvent d’autres formes que l’arrêt complet du travail, par exemple le personnel mettant des brassards, organisation des piquets de grèves, ou faisant des « grèves » administratives, c’est-à-dire suspendant certaines tâches administratives, telles que le codage des actes médicaux, la transmission de données ou les réunions budgétaires, tout en poursuivant pleinement les soins octroyés aux patients. Mais cela peut exposer à des sanctions disciplinaires.

« Puisque le personnel ne peut pas arrêter son travail auprès des patients afin de ne pas compromettre leur santé, la pression s’exerce autrement, par la présence aux piquets de grèves et par le fait qu’en se déclarant gréviste, il envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé », nous indique David Francois. « La grève permet aussi d’attirer l’attention médiatique », ajoute-t-il, ayant eu l’occasion d’être interrogé par BFM TV., dont la journaliste a elle-même admis l’utilité de la grève.

Les grèves se multiplient dans le secteur hospitalier

Les mouvements sociaux se multiplient dans le secteur hospitalier du Val-de-Marne en ce moment. Depuis le 3 décembre dernier, une grève illimitée se poursuit à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes. Actuellement, 8 % des infirmiers et aides-soignants y sont en grève pour alerter sur la situation de sous-effectifs et la maltraitance des patients qu’elle favorise. Face à des situations de sous-effectifs chroniques (un agent pour 36 patients au lieu de deux précédemment), ils alertent sur des situations intenables, où souffrance au travail et maltraitance des patients se mêlent quotidiennement. Ils exigent l’embauche de quinze postes d’infirmiers et de 20 postes d’aides-soignants. Pour le moment, la direction ne répond à ces demandes concrètes que par des propositions abstraites de « Comité de suivi » et de « réflexions ».  La grève a été reconduite le 16 janvier dernier. Elle s’étend peu à peu à d’autres établissements : trois services de l’hôpital Albert-Chenevier sont désormais également en grève pour exiger plus de moyens. En effet, la direction a imposé une diminution du ratio soignant / lit, qui n’est souvent pas atteint sans recours à l’intérim ou aux heures supplémentaires.

Autres exemples ailleurs en France : depuis le 15 janvier dernier, une grève illimitée a été lancée par la CGT à l’hôpital de Morlaix (Finistère), alors que la veille 21 patients avaient dormi dans les couloirs des urgences. Un préavis de grève vient également d’être déposé dans les hôpitaux publics marseillais face à la saturation des chambres mortuaires : sur une capacité de 74 places pour des défunts à la Timone, 82 sont en ce moment conservés sur place. Un corps en putréfaction a même dû être stocké au sous-sol de l’hôpital.

Quelques jours seulement après la fin de la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, un événement tragique est venu y rappeler l’urgence de la situation dans les hôpitaux : le décès d’une jeune femme de 26 ans dans la salle d’attente de cet hôpital. Les morts dans les hôpitaux se multiplient ces dernières années, ce n’est malheureusement pas étonnant : une étude récente, publiée dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine,  a démontré une hausse de la mortalité de près de 40 % quand les patients sont obligés de passer la nuit sur les brancards à cause du manque de lits disponibles.

Depuis 2013, on dénombre 43 500 lits d’hôpitaux en moins en France

Cette situation ne vient pas de nulle part : près de 4 900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023. Depuis 2013, c’est 43 500 lits qui ont été perdus en France. 160 hôpitaux, publics et privés, ont fermé entre 2013 et 2023. Rappelons qu’Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé macroniste, avait promis à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année ». Ça n’a évidemment pas été le cas. Il est aujourd’hui député du NFP. La récente annonce par François Bayrou d’une augmentation de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale) de 2,8 % à 3,3 % pour l’année 2025 semble convenir aux socialistes, mais elle est largement insuffisante. Elle sera en partie absorbée par l’inflation, qui entraîne des hausses des coûts de fonctionnement des hôpitaux, laissant ainsi peu de marge pour des améliorations concrètes des services de santé. La Fédération Hospitalière de France estime qu’une augmentation de l’ONDAM de l’ordre de 6 % serait nécessaire pour répondre adéquatement aux lourdes problématiques actuelles du système de santé, notamment en matière de recrutements et d’investissements.

Les grèves dans le secteur hospitalier, si difficiles à mettre en œuvre, ont une importance cruciale, pour améliorer immédiatement les conditions de travail des soignants et la qualité d’accueil des patients, c’est-à-dire, concrètement, éviter que des gens meurent sur des brancards. Au-delà des enjeux spécifiques au monde hospitalier, ces mobilisations rappellent à l’ensemble des travailleurs que la grève demeure l’un des outils les plus puissants pour défendre leurs droits et viser l’émancipation collective.


 

     mise en ligne le 24 janvier 2025

ArcelorMittal Dunkerque :
la CGT se prépare
face à la menace de licenciements

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Le site ArcelorMittal de Dunkerque est le plus grand site sidérurgique de France. Mais, alors que la direction de la multinationale avait annoncé un investissement massif permettant de moderniser l’outil, elle a récemment fait marche arrière. Sans cet argent, pas moins de 3200 emplois directs et tout un bassin d’emploi et de vie sont en danger. Face à cette menace, la CGT se prépare et a organisé un meeting ce 23 janvier.

« Si on fait ce meeting, c’est pour alerter la population locale. » Dans la salle de l’Avenir, lieu historique des luttes ouvrières dunkerquoises construit par les dockers, Gaëtan Lecocq se prépare à mener bataille. Le secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Dunkerque alerte depuis des mois :

« On nous dit que les ouvriers sont fiers de venir travailler dans l’entreprise, alors pourquoi des démissions records ? Pourquoi autant de sanctions ? Oui, avant j’étais fier de travailler chez ArcelorMittal. Mais maintenant l’outil est pourri. Les hauts fourneaux sont dans un état catastrophique. On est en sous-effectif partout et tout le monde s’en fout. Les salariés et les sous-traitants n’ont plus envie de venir travailler. S’il faut finir par sortir les engins et bloquer Dunkerque, on le fera ». 

Alors que la multinationale avait promis, en 2024, 1,8 Md d’investissements (dont 850 M d’argent public français et européen) pour décarboner les hauts fourneaux de Dunkerque (entre 3% et 6% des émissions de CO2 en France), les salariés ne voient toujours pas la couleur de l’argent. De son côté, ArcelorMittal se dit en attente de décisions de soutien de l’Union Européenne alors que le marché américain est fermé et que la Chine pratique un dumping social et environnemental. La multinationale déplore aussi « un coup de l’énergie trop haut » et « des baisses de débouchés en Europe ».

Or, c’est simple, résume le cégétiste, qui craint que des milliers de licenciements ne s’ajoutent aux 136 consécutifs à la récente fermeture des sites de Denain et Reims. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera ». En attendant, deux jours mensuels de chômage partiel ont été actés pour les trois premiers mois de l’année.

« ArcelorMittal organise le sous investissement »

Catastrophiste la CGT ? Rien n’est moins sûr. Les dernières annonces du patron n’ont pas été rassurantes. Entendu ce 22 janvier par la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, a déclaré que « tous les sites européens présentent aujourd’hui des risques de fermeture ». Il a plaidé pour la mise en place de quotas d’importation pour limiter l’entrée d’acier chinois. Un argument contrecarré par le député communiste André Chassaigne.

« On ne peut pas tout expliquer par la concurrence chinoise. Certes, la Chine produit 54% de l’acier mondial, mais 93% est destiné à son marché intérieur, notamment pour répondre à la demande des groupes occidentaux qui se sont installés dans l’empire du milieu. En réalité, la dynamique d’exportation d’acier chinois vers l’Europe est plutôt en retrait depuis 15 ans. En revanche, il y a bien une accélération de l’importation d’acier en Europe, mais depuis l’Inde, pays de Monsieur Mittal. Ne serait-ce pas Mittal qui se sert de l’Europe pour écouler ses propres productions indiennes. En réalité, vous laissez dépérir les sites [français] au profit de l’Inde et du Brésil. »

L’analyse est appuyée par la députée insoumise Aurélie Trouvé, ex-présidente d’Attac, présente au meeting de Dunkerque.

« ArcelorMittal organise le sous investissement pour délocaliser ses entreprises vers les Etat-Unis, mais surtout vers le Brésil et l’Inde. Il y a une raison à cela : nourrir les dividendes des actionnaires. C’est un risque majeur pour notre sidérurgie française et pour notre industrie en général car le métal est la base essentielle de toute l’industrie. » 

La CGT ArcelorMittal Dunkerque en ordre de bataille

« Ce meeting, c’est pour alerter nos politiques, qu’ils tapent un grand coup sur la table », explique Gaëtan Lecocq. La CGT ArcelorMittal Dunkerque tente aussi de construire des solidarités locales, pour peser davantage dans la balance. « Au mois de juillet, on s’est réunis avec les sous-traitants. Que ce soit le cuistot du restaurant d’entreprise, la femme de ménage, la maintenance, qui désormais est externalisée, tout le monde est concerné. Et ici, ça peut partir comme un coup de fusil », prévient le cégétiste qui se rappelle le mouvement de grève de décembre 2023, qui avait suivi l’annonce de réquisition des grévistes.


 

     mise en ligne le 23 janvier 2025

Dans l’eau du robinet, une contamination massive par les polluants éternels

par Alexandre-Reza Kokabi sur https://reporterre.net/

L’eau du robinet est largement contaminée par les PFAS, selon une enquête menée dans 30 communes par UFC-Que choisir et Générations futures. La réglementation française est loin des standards adoptés dans d’autres pays.

L’eau du robinet est massivement contaminée aux PFAS, révèlent UFC-Que choisir et Générations futures. L’association de consommateurs et l’ONG publient une étude alarmante sur la présence des PFAS, ces « polluants éternels », dans l’eau en France. Les analyses ont été menées sur trente communes. 96 % des échantillons présentent des traces de ces substances perfluorées, connues pour leur persistance dans l’environnement et leurs effets toxiques potentiels. Des études lient déjà certaines à des risques accrus de cancers, de maladies thyroïdiennes ou de troubles hormonaux.

Parmi les trente-trois PFAS recherchés, le TFA (acide trifluoroacétique), issu de la dégradation de pesticides fluorés et d’autres composés industriels, se révèle particulièrement préoccupant. Il a été détecté dans vingt-quatre des trente échantillons analysés, avec des concentrations records dans le Xe arrondissement de Paris (6 200 nanogrammes par litre), à Lille (290 ng/l) et Lyon (120 ng/l). Certaines zones, comme Tours ou les environs de Rouen, affichent des « cocktails » impressionnants de polluants : jusqu’à onze PFAS différents relevés dans un seul prélèvement.

La faute aux rejets industriels et agricoles

« L’eau du robinet est le premier aliment que nous consommons. Or, nous constatons qu’elle est systématiquement contaminée par ces substances issues de décennies de rejets industriels et agricoles dans les cours d’eau et les nappes phréatiques », dit Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que choisir. Et si des dispositifs de filtration et de dépollution de l’eau du robinet existent, « ils ne permettent pas d’éliminer efficacement les PFAS », déplore-t-il.

Malgré cette présence généralisée, ces concentrations en PFAS restent conformes à la législation française — bien moins stricte que celles d’autres pays. Elle fixe un seuil de 100 ng/l pour un ensemble de vingt PFAS, un niveau bien au-dessus des normes danoises (2 ng/l pour 4 PFAS) et étasuniennes (4 ng/l pour 2 PFAS). À titre de comparaison, aux États-Unis, six des échantillons analysés en France seraient jugés non conformes, et avec la norme danoise, ce chiffre grimperait à quinze sur trente.

Alors que certains pays européens ont déjà adopté des seuils drastiques, la France continue d’appliquer des normes peu contraignantes, notamment en ignorant la présence du TFA dans les contrôles règlementaires. « C’est un véritable angle mort. Les autorités ne surveillent pas le TFA, donc elles ne considèrent pas qu’il y a un problème. Pourtant, nos analyses montrent qu’il est présent absolument partout, qu’il s’agit probablement du contaminant le plus répandu dans les robinets de France », constate François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Il exige le retrait rapide des pesticides contenant le TFA, comme le Flufenacet.

Une réforme des normes françaises nécessaire

L’UFC-Que choisir et Générations futures plaident pour une réforme profonde des normes en vigueur. Elles demandent un abaissement des seuils autorisés, une évaluation toxicologique du TFA et son intégration dans les contrôles de l’eau potable, ainsi qu’un renforcement des restrictions sur les PFAS, notamment ceux issus de pesticides.

Elles appellent également à une responsabilisation des industriels et des producteurs de pesticides, estimant que le coût de la dépollution ne doit pas reposer sur les consommateurs. Il a été récemment chiffré, par le quotidien Le Monde, à 100 milliards d’euros par an en Europe.

Au-delà des seuils et des chiffres, c’est toute une approche qui doit changer. « Aujourd’hui, les molécules chimiques sont évaluées sur la base des données fournies par leurs fabricants eux-mêmes. Cela crée un biais profond dans l’estimation de leur dangerosité. Il ne devrait pas falloir attendre des décennies de preuves accumulées pour agir », regrette Olivier Andrault.

« Ne pas attendre des décennies de preuves pour agir »

Alors que la directive européenne sur la qualité de l’eau potable entrera en application en 2026, les associations espèrent que la France en profitera pour adopter des mesures plus protectrices. En attendant, elles appellent les parlementaires à relancer la proposition de loi, portée par le député écologiste Nicolas Thierry, visant à interdire ces substances dans les produits du quotidien et à renforcer la responsabilité des pollueurs.

Les ONG alertent aussi sur les pressions des lobbys industriels dans les discussions européennes sur la restriction des PFAS. « Le projet est en train d’être démantelé par une multiplication des dérogations », alerte Olivier Andrault. « Sans volonté politique forte, la contamination de l’eau aux polluants éternels se poursuivra pendant des décennies », prévient François Veillerette.


 


 

Paris, Lille, Rouen… Ce que l’on sait sur le polluant éternel qui contamine l’eau du robinet de nombreuses villes

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Un polluant éternel très compliqué à éliminer de l’eau, l’acide trifluoroacétique (TFA), pouvant avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, a été retrouvé dans l’eau du robinet d’une large majorité des villes où il a été recherché. Les deux études distinctes à l’origine de ces découvertes, publiées jeudi 23 janvier, ont été menées d’une part par le laboratoire Eurofins et d’autre part par les associations UFC-Que Choisir et Générations futures.

L’Europe devrait débourser 2 000 milliards d’euros sur vingt ans pour supprimer les « polluants éternels » (PFAS, pour substances per- et polyfluoroalkylées) des eaux et des sols. Et l’un d’eux, très compliqué à éliminer, l’acide trifluoroacétique (TFA), est présent dans l’eau du robinet de nombreuses communes de France, et dans la grande majorité des cas à des taux excédant le seuil théorique de qualité.

C’est ce que révèlent deux campagnes de mesures, rendues publiques ce jeudi 23 janvier par le journal Le Monde, et conduites séparément par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations futures d’une part, et par le laboratoire d’analyse Eurofins d’autre part. La substance a été retrouvée dans l’eau de 24 communes sur 30 par la première campagne, et dans 61 des 63 échantillons lors de la seconde.

Quasi indestructibles, ces « polluants éternels » regroupent plus de 4 700 molécules et s’accumulent avec le temps dans l’air, le sol, les rivières, jusque dans le corps humain. Ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers.

Des normes flottantes

Mais comment peut-on jauger de la toxicité de la concentration de la substance dans l’eau du robinet ? Pour les métabolites de pesticides potentiellement toxiques (dits « pertinents »), la limite de qualité dans l’eau potable est fixée par la réglementation à une concentration de 100 ng/L, rappelle Le Monde.

Problème : dans le cas du TFA, alors même qu’il s’agit bien d’« un métabolite pertinent » en raison de sa « toxicité préoccupante » pour le développement, selon la Commission Européenne, ce n’est pas ce seuil qui est appliqué en France. En effet, la direction générale de la santé (DGS) a choisi de déroger à cette norme, selon une note publiée le 23 décembre 2024, dont le quotidien se fait l’écho.

La DGS annonce ainsi s’aligner sur les valeurs provisoires de l’Allemagne, soit une valeur sanitaire de 60 000 ng/L (au-dessous de laquelle le risque est présumé nul), et « une trajectoire de réduction vers une concentration inférieure à 10 microgrammes par litre [soit 10 000 ng/L] ».

Ce seuil, rappelle Le Monde, est cent fois plus élevé que le seuil de 100 ng/L, qui s’applique en théorie à tous les métabolites de pesticides problématiques. Il doit s’appliquer à partir de 2026 aux vingt PFAS jugés « prioritaires » dans l’Union européenne, dont le TFA ne fait pour l’instant pas partie. Pour l’heure, les pays européens ont chacun des normes totalement différentes. Ainsi, les Pays-Bas ont établi une valeur guide sanitaire de 2 200 ng/L pour le TFA dans l’eau potable.

Paris arrive au second rang en termes de concentration

Et les résultats des campagnes révélés ce jeudi sont inquiétants. Selon l’étude initiée par Générations futures et l’UFC-Que choisir, l’acide trifluoroacétique (TFA) a été retrouvé dans l’eau de 24 communes sur 30. Il dépasse à lui seul, dans 20 communes, la norme référence en Europe de 100 nanogrammes/litre pour les vingt PFAS réglementés, qui doit entrer pleinement en vigueur en 2026.

Plus en détail, parmi les 30 communes dont l’eau a été analysée, le record est détenu par Moussac (Gard), avec 13 000 nanogrammes par litre (ng/L) de TFA dans l’eau distribuée. Ce qui n’est pas étonnant, souligne l’enquête, étant donné que la commune se situe près de Salindres, où une usine du groupe Solvay produisait du TFA jusqu’en septembre 2024.

Paris arrive au second rang en matière de concentration, avec 6 200 ng/l. L’échantillon a été prélevé en novembre 2024 dans le 10e arrondissement. Il s’agit d’une concentration 62 fois supérieure au seuil de qualité en vigueur pour les métabolites de pesticides pertinents (100 ng/L), auquel le TFA devrait être soumis. La ville de Bruxerolles, dans la Vienne, complète ce podium, avec 2 600 ng/l.

D’autres agglomérations sont également concernées, comme Fleury-les-Aubrais (Loiret), près d’Orléans (1 600 ng/L), ou encore Lille (290 ng/L) et Rouen (250 ng/L).

Des taux élevés de concentration à Nantes, La Rochelle, Palaiseau…

Les résultats de l’autre campagne menée par le laboratoire d’analyse Eurofins sont encore plus alarmants. Dans 61 des 63 échantillons prélevés par le laboratoire dans autant de communes en novembre 2024, le TFA est mesuré à des concentrations supérieures au seuil de 100 ng/L. Jusqu’à 35 fois plus, à Marange-Silvange, près de Metz, en Moselle.

Des concentrations importantes ont été également relevées à Nantes (2 700 ng/L), La Rochelle (2 500 ng/L) ou Palaiseau (2 500 ng/L) en Essonne. Dans le milieu du classement, Rennes (1 100 ng/L), Lyon (920 ng/L), Nancy (830 ng/L) ou Marseille (760 ng/L) se situent sous la valeur sanitaire néerlandaise, mais encore largement au-dessus du seuil des 100 ng/L.

Au-delà de la problématique de la réglementation, si le TFA n’est pas, comme le souligne l’enquête, « aussi dangereux que les PFOA ou PFOS », interdits en Europe depuis plusieurs années, des zones d’ombre subsistent sur la toxicité du TFA et il est « quasi indestructible dans l’environnement », souligne l’étude réalisée par l’UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations Futures.

Le TFA est issu de la dégradation d’un perturbateur endocrinien

Or, le TFA est en France « très peu – pour ne pas dire jamais – recherché par les agences régionales de santé lors des contrôles des eaux potables », déplore l’étude de ces deux associations, qui souligne qu’il est souvent issu de la dégradation du flufénacet, herbicide classé comme perturbateur endocrinien fin septembre par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

« Si une substance active (ici, le flufénacet) est un perturbateur endocrinien, alors ses métabolites (dont le TFA) doivent être considérés par défaut comme pertinents » et donc contrôlés, estime Pauline Cervan, toxicologue de Générations Futures, citée dans l’enquête.

Le problème, selon Julie Mendret, chercheuse à l’université de Montpellier, réside dans le fait que le TFA est « moins bien retenu » que d’autres PFAS par les techniques de décontamination de l’eau dans les usines d’eau potable, aussi bien celles s’appuyant sur des charbons actifs, que celles à base de filtration membranaire.


 

    mise en ligne le 22 janvier 2025

« Qu’est-ce qu’il y a de "social"
dans un plan social ? » :
la CGT s’invite à Bercy pour dénoncer
les suppressions d’emplois

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Face aux 300 000 emplois qui sont supprimés ou menacés, près de 500 militants de la CGT venus de toute la France se sont rassemblés, mercredi, face au ministère de l’Économie, pour défendre l’industrie et l’emploi.

Étendards rouges sur fond vert de la pyramide de gazon et de verre, la centaine de drapeaux flottant devant Bercy a de quoi trancher avec la grise muraille du ministère de l’Économie et des Finances qui se dresse en face. Ce mercredi 22 janvier est un jour de lutte. Les fédérations chimie, métallurgie, énergie, construction, verre et céramique, commerce, organismes sociaux et du livre (Filpac) de la CGT avaient appelé les salariés touchés par les plans sociaux en cours, menaçant 300 000 emplois, à manifester leur colère.

Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Le gouvernement restant passif face à cette casse sociale, les syndicats ont décidé de secouer le ministère en charge de l’Industrie, avec son Ciri (comité interministériel de restructuration industrielle), chargé de venir en aide aux sociétés de plus de 400 salariés en difficulté et qui en font la demande.

« Le ministre de l’Industrie a dit qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement »

« Dans nos 11 branches professionnelles de la chimie, nous comptons plus de 70 plans antisociaux. Antisociaux, persiste et signe Serge Allègre, secrétaire général de la Fnic CGT. Car, mes camarades, une bonne fois pour toutes, ne parlons plus de plans sociaux, car qu’y a-t-il de social dans un PSE si ce n’est la destruction de nos vies, de nos familles ? »

Micro en main au centre du barnum dressé pour l’occasion, le cégétiste de la chimie peste contre les coups de boutoir portés aux travailleurs de l’industrie. De fait, en deux décennies, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 14 % à 9 % selon la Banque mondiale. « Cela représente 1 million d’emplois directs perdus en France dans l’industrie sur la même période », estime-t-il, exigeant l’arrêt de tous les plans « antisociaux » et l’interdiction de tous les licenciements.

Valeo, Auchan, Michelin… la liste noire des suppressions de postes s’allonge chaque jour. Ce mardi, Arkema, multinationale tricolore de la chimie, a annoncé envisager de supprimer 154 des 344 postes de son usine de Jarrie, en Isère, prétextant que cette décision est la conséquence de la mise en redressement judiciaire de son fournisseur Vencorex.

Pourtant, dénonce au micro Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, « Arkema pouvait reprendre l’activité et faire en sorte que Vencorex ne tombe pas, mais elle n’a pas voulu négocier les prix de la matière première. Maintenant, elle se sert de ce qui nous arrive pour faire croire qu’elle n’a d’autre choix que de fermer son site ».

La représentante des salariés dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire est chaudement applaudie par les manifestants, en hommage à la longue lutte de soixante-trois jours des travailleurs de l’usine du Pont-de-Claix. « Nous avons signé un protocole de fin de grève en pensant que nous avions suffisamment mis le bazar pour être entendus à Paris. Mais, dès la reprise du travail, plus personne ne s’est soucié de notre sort, lâche la syndicaliste amère. Quand nous avons rencontré le ministre de l’Industrie, la seule chose qu’il a été capable de nous dire est qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement. »

Sophie Binet dénonce « l’hypocrisie » du gouvernement

Au-dessus de Bercy, les nuages gris s’amoncellent. Le demi-millier de personnes massées écoutent Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, dénoncer « l’hypocrisie » du gouvernement, rappelant que son organisation avait déjà remis en octobre à Michel Barnier, chef du gouvernement de l’époque, la liste des 200 plans de licenciement en cours dans l’Hexagone.

« En janvier, nous avons rencontré le nouveau premier ministre, François Bayrou, et nous lui avons également remis la liste des plans qui s’élèvent désormais à 300. Mais, dans son discours de politique générale, il n’a pas dit un mot sur la question des licenciements en cours. Combien faudra-t-il de premiers ministres pour avoir enfin un gouvernement qui ait le courage d’affronter les multinationales ? » s’agace-t-elle.

Dans ce contexte de licenciements, le rassemblement parisien du jour sert aussi à regonfler le moral des personnes en lutte. Thomas Launay, délégué syndical CGT de l’entreprise française de fabrication d’articles de caoutchouc pour l’industrie automobile Paulstra Hutchinson à Segré (Maine-et-Loire), se fond parfaitement dans cette foule de corps multicolore.

Avec deux autres collègues, le quadragénaire a pris le train pour Paris aux aurores pour participer à la mobilisation. Son site n’est pas directement menacé pour l’heure mais il est venu vivre ce moment « qui régénère ». Les sourires sont nombreux. Les rires aussi. « Continuer de danser encore », crache une enceinte posée sur un camion. Les grévistes n’attendent plus passivement des réactions de Bercy. Tout va à point à qui sait prendre.


 


 

Aides publiques et casse sociale :
les patrons d’Auchan et ArcelorMittal sur le grill face aux députés

Cyprien Boganda et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Ce mercredi, les dirigeants d’Auchan et ArcelorMittal ont été auditionnés par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Face aux députés qui les accusaient de supprimer des milliers d’emplois en dépit d’aides publiques conséquentes, ils sont restés inflexibles.

Cordial sur la forme, musclé sur le fond. Durant une heure et demie, Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail et président d’Auchan France, a été soumis à un feu roulant de questions posées par les députés de la commission des Affaires économiques, présidée par Aurélie Trouvé (FI), réunis ce mercredi matin. En novembre, Auchan a en effet annoncé un énorme plan de restructuration, menaçant quelque 2 400 emplois et une quinzaine de magasins.

Face aux questionnements nourris sur le montant des aides publiques empochées par Auchan, la stratégie de redressement du groupe et les reclassements possibles des salariés licenciés au sein de la galaxie des Mulliez, propriétaires d’Auchan, Guillaume Darrasse est resté droit dans ses bottes, non sans montrer quelques rares signes d’agacement.

Le patron d’Auchan reste évasif

Sur les aides publiques, il n’a jamais répondu aux députés qui lui demandaient le montant de l’enveloppe globale (exonérations de cotisations sociales comprises), mais il a donné quelques précisions (invérifiables) quant à la ventilation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) : selon lui, sur les quelque 430 millions d’euros touchés entre 2013 et 2018, 212 millions auraient été versés sous forme de rémunération aux salariés (intéressement et participation), 139 millions investis pour la « compétitivité et l’innovation » et 80 millions dans la transition écologique.

Interrogé sur la bonne fortune des Mulliez (52 milliards d’euros de patrimoine), le dirigeant a botté en touche, expliquant qu’il « n’était pas le représentant » de la famille, mais que des reclassements ponctuels de salariés licenciés au sein des enseignes de la galaxie étaient étudiés.

Surtout, Guillaume Darrasse a assumé la gigantesque casse sociale, mettant cette décision sur le compte de la crise du modèle de l’hypermarché, « tellement spécifique qu’il s’est peut-être un peu trop regardé lui-même et n’a pas senti les évolutions du marché ».

Pour Arcelor, c’est toujours la faute des autres

La faute aux autres, c’est aussi le principal argument qu’a développé Alain Le Grix de la Salle, nouvellement nommé président d’ArcelorMittal France après toute une vie de « fierté » passée à monter les échelons au gré des fusions-acquisitions.

C’est contraint et forcé par « le manque de visibilité sur l’environnement réglementaire » en Europe, par la concurrence déloyale de la Chine dont l’acier se déverse sur le Vieux Continent « à un prix inférieur à nos coûts de revient », par les « surcapacités mondiales », par « l’explosion des prix de l’énergie » avec « des prix du gaz ici quatre fois supérieurs à ceux aux États-Unis », ainsi que par « la chute de 20 % la demande en acier en Europe » que le groupe sidérurgiste procède à la fermeture de ses sites de Reims et Denain (135 postes supprimés, auxquels s’ajoutent 28 postes en moins à Strasbourg et Valence). Voilà aussi pourquoi le deuxième groupe mondial a gelé son projet à 1,8 milliard d’euros, dont 850 millions de l’État, d’électrification des hauts fourneaux de Dunkerque.

Côté « plans sociaux », le dirigeant s’en remet aux négociations en cours, soulignant que les effectifs en France (15 400) n’ont pas diminué depuis 2019. Taclé sur le manque d’investissements, il met en avant le milliard et demi dépensé en cinq ans et le fait que, si l’Europe répond à ses demandes, les milliards pleuvront à nouveau. En attendant, ArcelorMittal serait sevré d’aides publiques : 75 petits millions touchés, hors crédit impôt recherche et prise en charge du chômage partiel. Quant au 1,5 milliard versé en 2024 en dividendes et rachats d’action, « il est normal que les actionnaires soient rétribués ». Circulez, il n’y a rien à voir.

     mise en ,ligne le 21 janvier 2025

Trump : Vers une démondialisation agressive et dangereuse

Louis Mollier-Sabet sur www.regards.fr

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation qui a dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Le commerce n’est plus envisagé au service de la paix et d’un monde unifié. Tout l’inverse : les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique. L’État américain est entièrement à son service.

Il y a les gens que l’on voit aux mariages et aux enterrements. Et puis il y a Donald Trump, qui orchestrera le 20 janvier prochain un baroque mélange des deux. La grand-messe de l’extrême droite mondiale restera comme la date de la liquidation définitive d’un monde bâti sur la victoire de la Seconde guerre mondiale puis sur l’effondrement soviétique… et l’avènement d’un monde de la loi du plus fort. L’économie mondialisée et libre-échangiste construite successivement par les accords de Bretton Woods en 1944, puis le consensus de Washington dans les années 1980 et l’OMC en 1995 ne survivront pas à ce dernier coup de boutoir.

Jeter les moins productifs et conserver les plus efficaces

Sur le plan intérieur, la doctrine néolibérale de dérégulation, de privatisation et de restriction des dépenses budgétaires a de beaux jours devant elle, et le mandat de Donald Trump la portera au plus haut. Cela fait bien longtemps que l’État par ses diverses politiques sert les grandes entreprises américaines. La plus emblématique restant l’intégration du « complexe militaro industriel ». Mais cela s’accompagnait de règles dans l’attribution des marchés, de souvenirs de lois anti-trust, de règles sociales pour régir le code du travail ou assurer au fil des ans quelques protections aux Américains.

Comme le proclame si joliment Mark Zuckerberg, la nouvelle doctrine est de jeter les moins productifs et de conserver les plus efficaces. Mieux, c’est dans la maison du magnat de l’immobilier élu président, à Mar a Lago que se négocient les futurs marchés, que se préemptent les prochaines affaires. Elon Musk a non seulement propulsé ses idées d’extrême droite en soutenant Trump, mais il a valorisé considérablement toutes ses sociétés. Et ce n’est qu’un début.
Au niveau international, on voit déjà que la pression mise par Trump pour que le cessez-le-feu à Gaza s’articule à la relance en format xxl des accords d’Abraham. Sur les bords de la méditerranée, il espère voir s’ériger un nouveau Dubaï. Ce serait bon pour toutes les affaires, licites et illicites.
Cela fait longtemps que plus personne ne croit à « la mondialisation heureuse » : on va vers une démondialisation brutale et dangereuse.

« Go find another sucker ! »

Même si ces dernières années la Chine avait souvent pris le relai des financements internationaux auprès des pays du sud, le FMI et la Banque mondiale avaient dû intégrer d’autres critères de développement que la seule rentabilité et efficacité des capitaux. Ils constituaient un ultime recourt pour les pays les plus pauvres, qui ce faisant le payaient très cher. Trump n’en a cure et a déjà annoncé son mépris à leur égard et son désengagement. Les tarifs douaniers délirants, discrétionnaires et variables selon les pays sont totalement contraires aux règles de l’OMC. Trump s’en moque tout autant. Il écrase tout sur son passage.

« Go find another sucker ! » (« Allez trouver un nouveau pigeon ! »), a lancé le 47° président en direction des BRICS avant même son entrée en fonction, si d’aventure leur venait l’idée de se desserrer de l’étau du dollar.

Certes tout ceci n’est pas neuf. « Trump est le plus affirmatif, mais on assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama », résume Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. L’auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte). Il rappelle qu’une des dernières lois passées par Obama a mis en place un groupe de travail pour « défendre la supériorité américaine en matière d’intelligence artificielle », composé de parlementaires et de dirigeants des grandes sociétés de la tech qui allaient devenir les GAFAM. Les traités de libre-échange interdisent pourtant de tels soutiens à un secteur ou à une entreprise en particulier. Trump a embrayé avec les sanctions sur la Chine et Biden n’a pas changé de cap avec son fameux Inflation Reduction Act déclinant de nombreuses politiques industrielles protectionnistes, certaines focalisées sur les industries technologiques.

Le libre-échange abandonné par les libéraux eux-mêmes

En un sens, ces politiques illustrent « l’hypocrisie » de la position libre-échangiste des Etats unis. Benjamin Bürbaumer explique : « Quand le libre-échange les arrange, les Etats-Unis le promeuvent partout. Mais quand les choses se compliquent et que cela ne se fait plus à leur bénéfice avec le rattrapage technologique et commercial de la Chine, ils lâchent complètement cette doctrine. »

L’ancien économiste de la Banque mondiale, Branko Milanovic, a lui aussi noté que ce sont ces économistes orthodoxes qui ont progressivement abandonné la doctrine libérale. Clauses miroirs, politiques de sanctions commerciales, politiques migratoires restrictives… autant de mesures dorénavant défendues par la presse d’affaires, et qui contreviennent par définition aux principes fondateurs de la globalisation et de ses institutions. « Comment imaginer qu’une mission de la banque mondiale en Egypte pourrait recommander de baisser les tarifs douaniers, alors qu’en même temps, son membre le plus important économiquement et doctrinairement – les Etats-Unis – est en train de les augmenter ? » explique l’économiste spécialiste de la pauvreté et des inégalités dans un article récent.

Un système international est en train de péricliter. Lequel prendra sa place ? Si le monde merveilleux de la globalisation néolibérale du FMI n’avait rien d’un paradis terrestre, celui du chaos multipolaire agressif dominé par les technologies américaines et les énergies fossiles n’a pas encore livré tous ses secrets. Rien ne dit qu’il sera plus clément.


 

      mise en ligne le 20 janvier 2025

La gauche repart comme en 14

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Comment bien commencer la semaine ? Par un truc sympa ? On a hésité : allez, va pour la gauche. On vous réserve l’investiture de Donald Trump pour demain.

Le week-end fut celui de l’étalage des tensions au sein de la gauche ; il s’achève avec une élection partielle à Grenoble et une lourde défaite du candidat LFI/NFP. Lyes Louffok perd par 35% contre 65% pour la candidate macroniste qui a fait le plein. La circonscription n’est certes pas un bastion de la gauche ; il y eut longtemps un député socialiste passé à la macronie, Olivier Véran. Mais ce n’est pas non plus une terre de mission. Le député sortant était LFI/NFP, élu dans une triangulaire. Et si on cumule les résultats des listes de gauche aux européennes, la circonscription pointe à la 57eme place pour la gauche.

Cette défaite n’a pourtant rien d’inattendue. Au soir du premier tour, il était difficile de croire à une victoire. Surement que l’abstention du groupe socialiste lors de la censure a désemparé une partie de l’électorat NFP… mais pas au point d’aller voter LFI. Bien que sympathique, la candidature d’un combattant pour le droit des enfants n’est pas parvenue à mobiliser et l’abstention fut forte -comme souvent lors des partielles. Pour finir, le NFP perd 6% en 6 mois. Dans l’affrontement sans retenue, la gauche désespère. Parce qu’elle est faible politiquement au double sens du terme : on ne sait pas trop ce qu’elle dit ni si elle peut gagner, surtout face à la marée montante de l’extrême droite.

Les socialistes ont justifié leur non-vote de la censure par une étrange formule de leur secrétaire national à la tribune de l’Assemblée « faire la politique du pire c’est faire la pire des politiques, celle qui conduit Marine le Pen au pouvoir ». Cette appréciation sera sans doute la même dans 6 mois, dans un an. Conduira-t-elle à ne jamais censurer le gouvernement, quel que soit sa politique et son budget ? On ne fera pas le reproche aux socialistes d’avoir de l’inquiétude face à ce qui semble chaque jour une menace plus pressante. Il y a une folie à relativiser le risque, à présumer de ses forces face au danger immense.

Mais alors, quand on est un parti qui compte, qui se veut responsable, on se doit d’avoir une stratégie. La procrastination n’en est pas une. La fracturation de la gauche non plus. Et ça vaut aussi pour les Insoumis. Les noms d’oiseaux qui fusent n’ont pour effet – et sans doute pour volonté – que d’inscrire cette division et de légitimer plusieurs candidatures présidentielles. Magnifique les gars !

Les Insoumis disent une chose claire : il faut une autre logique, une rupture sinon on va dans le mur : celui du climat, de la pauvreté, de la mise à mal de la démocratie. D’autres murs se dressent aussi : la guerre, la corruption, le désespoir de la jeunesse. Ils ont un projet et un programme. Ils se préparent à les défendre lors d’une présidentielle qu’ils croient imminente. Ils ne sont pas obligés de chercher à embarquer leurs partenaires dans un désir d’accélération du calendrier. Si Macron doit démissionner il le fera parce que la situation est totalement bloquée et qu’il y sera contraint. Pas parce qu’on l’aura provoqué. En revanche, ils ont raison de se préparer : le rythme des évènements nous échappe. Pourquoi n’adoptent-ils pas une politique rassembleuse ? Pourquoi prétendre que les socialistes sont alliés au RN pour sauver macron ? C’est un peu rustre comme analyse. En vérité, ces mots heurtent même ceux qui n’ont pas le vote socialiste chevillé au corps (ils ne sont plus si nombreux). Les Insoumis devraient se défaire de leur assurance d’avoir, in fine et au bout du compte, le vote des classes moyennes … A Grenoble cela ne s’est pas produit. Pas du tout même. Ils pourraient même douter que ces invectives sont attendus par le monde populaire.

Quant aux socialistes, ils devraient se convaincre de la faible attractivité de la logique du moindre mal, celle qui veut qu’éviter la suppression de 4000 postes d’enseignants est mieux que leur suppression ; que la non mise en œuvre des jours de carences est mieux que leur mise en œuvre, etc… Ces temps-là sont révolus. Parce que les dangers sont évidemment bien plus grands qu’une dette et qu’une mauvaise note des agences de notation. Parce que les blocages ne se lèveront que par une autre politique. Et que la gauche ne peut laisser au RN le discours de la rupture. Les socialistes semblent y renoncer et se faisant, ils valorisent même à leur corps défendant la solution d’extrême droite.

Il reste quelques semaines pour se ressaisir.


 

     mise en ligne le 19 janvier 2025

La facture d’électricité va fondre de 15 % au 1er février : C'est bien mais…

Pauline Achard sur www.humanite.fr

Les tarifs réglementés de vente d’électricité vont baisser de 15 % en moyenne au 1er février 2025, conformément à ce qu’a proposé la Commission de régulation de l’énergie ce jeudi. Une baisse atténuée par la fin du bouclier tarifaire.

Depuis cet été, les annonces contradictoires quant à l’évolution de la facture d’électricité au 1er février 2025 ont pullulé. À mesure que les gouvernements et projets de budget se succèdent, le sujet enflamme les débats opposant Matignon à une gauche soudée. À deux semaines de la date butoir, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a finalement tranché. L’autorité, dirigée par Emmanuel Wargon, a proposé ce jeudi 16 janvier dans un communiqué une baisse moyenne de 15 % pour les consommateurs souscrivant au Tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE).

Parmi ceux qui verront leur facture s’alléger à compter du 1er février : les 20,4 millions d’abonnés au « tarif bleu » d’EDF et les 4 millions de foyers inscrits aux offres qui y sont indexées. « Concrètement, les tarifs réglementés de vente de l’électricité s’élevaient en moyenne à 281 euros par mégawattheure (MWh) depuis le 1er février 2024. La CRE propose de les établir à 239 euros par MWh au 1er février 2025, soit une baisse en moyenne de 42 euros », précise le communiqué.

Cette baisse est en grande partie due au déclin des prix de marché de gros. Il s’agit en réalité d’un retour progressif à la normale après qu’une grave crise énergétique a éclaté en 2022, déclenchée par la guerre en Ukraine. « Cette baisse de 15 % est bien loin de rattraper les 40 % de hausse subie par les Français en trois ans, souligne le secrétaire national adjoint de la FNME-CGT, Fabrice Coudour. La CRE continue d’intégrer dans son calcul une part adossée aux prix des marchés de gros, alors que l’on voit bien que l’usager est toujours perdant ».

Fin du bouclier tarifaire

L’allègement de l’addition sera par ailleurs amoindri par la levée totale du « bouclier tarifaire ». En effet, pour enrayer les effets de la crise sur les factures des usagers, sous le coup d’une affolante flambée des prix, l’État avait abaissé en 2022 à moins d’un euro par MWh le prix de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Pour mémoire, début 2024, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, l’avait rehaussée à 21 euros, ce qui s’était traduit par une augmentation des factures de 10 % en février 2024, pour une hausse totale de 15 % sur l’année.

Après avoir échappé à une fixation à 50 euros par MWh voulue par gouvernement de Barnier, et qui aurait coûté 3 milliards d’euros par an aux consommateurs, cette accise retrouvera en fin de compte son niveau d’avant crise, un an plus tard, soit 33 euros par MWh. Si l’ancien locataire de Bercy a martelé qu’il faudrait à terme passer à la caisse pour rembourser ce bouclier tarifaire, le cégétiste Fabrice Coudour s’inquiète ainsi de voir cette taxe poursuivre son ascension dans les années à venir.

Des milliards investis dans le réseau

Par ailleurs, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE), qui représente environ 30 % de la facture d’électricité, sera lui aussi revu à la hausse. Cette rétribution de la part d’acheminement énergétique, fixé tous les quatre ans par la CRE, va bondir de 2,9 % au 1er février, après avoir augmenté de 4,8 %, soit 7,7 % au total.

« Cette augmentation est notamment due à une croissance forte des dépenses prévisionnelles d’investissement (de 2,1 milliards d’euros par an en 2023 à 6,4 milliards en 2028 pour RTE et de 4,9 milliards d’euros par an en 2023 à 7 milliards en 2028 pour Enedis (…), au développement de l’éolien en mer, à l’adaptation au changement climatique et à la modernisation du réseau vieillissant », précise le régulateur d’énergie. Au vu de l’importante baisse des prix de gros en 2024, la commission a décidé en décembre d’anticiper le mouvement tarifaire d’août 2025 à février 2025, pour éviter les effets yoyos. Les détails de ce programme d’investissement seront présentés par RTE à l’occasion d’une conférence de presse le 27 janvier prochain.

Enfin, Fabrice Coudour rappelle que cette baisse de 15 % est loin de concerner tous les usagers. Les plus de 11 millions de foyers qui ont choisi, eux, une offre de marché proposée par EDF, devraient, au contraire voir leur facture augmenter, après avoir bénéficié de baisses auparavant.


 

     mise en ligne le 18 janvier 2025

Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Comme son prédécesseur, François Bayrou propose pour 2025 une baisse des dépenses publiques jamais vue. Il estime que la situation des comptes du pays ne lui donne pas d’autre choix. Ce qui n’est pas exact. 

« La baisse des dépenses publiques est la plus importante qu’aucun gouvernement ait jamais présentée devant le Parlement. » Lors de son discours au Sénat mercredi 15 janvier qui marquait la reprise des discussions parlementaires autour du budget 2025, le nouveau premier ministre François Bayrou a détaillé ses intentions en matière de finances publiques.

Reprenant à son compte une grande partie du budget du gouvernement de Michel Barnier pourtant censuré, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a expliqué qu’il comptait « mobiliser l’équivalent de 30 milliards de baisse de dépenses » pour 2025. Du jamais-vu.

Tous les ministères seront mis à contribution, a-t-il dit dans une logique similaire à celle de son prédécesseur. À cela il faut ajouter des recettes fiscales en hausse d’environ 20 milliards d’euros – dont 10 milliards de contributions exceptionnelles demandées aux grandes entreprises et aux plus riches. Un niveau équivalent, là aussi, à ce que proposait le gouvernement censuré de Michel Barnier.

C’est donc un effort budgétaire de plus de 50 milliards d’euros que le gouvernement Bayrou compte appliquer au pays en 2025 pour atteindre un déficit public de 5,4 % du PIB. Un tel coup de rabot aura nécessairement un impact négatif sur l’activité. Pour rappel, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que le budget Barnier – dont l’effort global présenté était d’environ 60 milliards d’euros – aurait coûté en termes de croissance 0,8 point de PIB à la France en 2025. 

François Bayrou a aussi confirmé qu’il comptait faire passer le déficit en dessous de 3 % du PIB en 2029, soit un effort supplémentaire d’environ 100 milliards d’euros dans les années à venir. « Si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question du rééquilibrage des finances publiques, alors tout ce que nous ferons par ailleurs sera vain », a martelé le premier ministre qui, rappelons-le, a fait de la dette publique son principal combat politique depuis de nombreuses années.

Problème : « réaliser 150 milliards économies d’ici à 2029 – en incluant 2025 – est un choc massif qui représente un effort trop important, à mon sens, pour les services publics (santé, éducation, etc.). Cela risque de faire vraiment très mal », estime François Geerolf, économiste à l’OFCE.

Procédure de déficit excessif 

Mais c’est un mal nécessaire, nous disent le gouvernement et ses alliés. D’abord parce que la dette a atteint un niveau qu'ils jugent inacceptable – 3 300 milliards d’euros – et que les déficits publics se sont envolés – plus de 6 % en 2024, après 5,5 % en 2023. Ensuite, les marchés financiers commenceraient à spéculer sur la dette française : l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne – le spread, dans le jargon financier – pour un emprunt sur dix ans sur les marchés s’est agrandi de 0,4 point de pourcentage en 2024. Ainsi le taux de l’obligation française à dix ans est désormais de 3,4 %.

Enfin, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par le Conseil de l’Union européenne au cours de l’été 2024. Bref, « si nous voulons être cohérents avec nos engagements européens et la crédibilité de la France, nous devons faire un effort important », a martelé le 15 janvier sur BFMTV le très éphémère ministre macroniste de l’économie Antoine Armand.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches.

Même le Parti socialiste (PS) semble partager ce constat, puisqu’il n’a pas voté le 16 janvier la motion de censure du gouvernement Bayrou. Ce dernier a certes promis au PS de réduire sa cure d’austérité d’environ 3 milliards d’euros en 2025, dont 2 milliards sur l’hôpital public et les remboursements d’assurance-maladie, ainsi que de rouvrir les discussions sur la réforme des retraites de 2023. Mais sans pour autant perturber ses grands équilibres budgétaires pour 2025. Cela a pourtant suffi à s’éviter la censure du centre-gauche, qui se résigne donc à cette cure d’austérité inédite pour 2025.

Un autre horizon est possible 

Est-ce là une preuve que la politique budgétaire proposée par François Bayrou est la seule possible, vu le contexte actuel bouillant ? pas forcément. D’abord, disons-le, il n’est pas question ici de contester ici l’état préoccupant de la situation budgétaire de la France. « La situation des finances publiques est insatisfaisante », confirme Benjamin Lemoine, sociologue chercheur au CNRS et expert du sujet de la dette.

Mais le problème, selon lui, est que « le diagnostic est systématiquement mal posé, et ce sciemment : ce sont les services publics et l’État social qui sont sur le banc des accusés du déficit public ». Or, les vrais « responsables de l’appauvrissement de l’État » sont les politiques de l’offre menées depuis dix ans, faites de « baisses délibérées des recettes et des cotisations ». Politiques qui, pour le gouvernement actuel et ses prédécesseurs, « restent considérées comme l’horizon indépassable de l’attractivité et de la compétitivité de l’économie française », déplore Benjamin Lemoine.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches, tout en serrant la vis côté dépenses sociales (chômage et retraites notamment). Ces baisses d’impôts, pointées récemment dans un rapport de la Cour des comptes sur les finances locales, sont en grande partie responsables de l’assèchement des recettes fiscales. Or c’est ce manque de recettes fiscales qui a creusé un trou béant de quelque 50 milliards d’euros dans les comptes publics entre septembre 2023 et la fin 2024.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que ce dérapage incontrôlé des finances publiques n’a pas joué dans la décision du chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale début juin afin que son camp n’ait pas à assumer seul, lors des discussions budgétaires de l’automne 2024, l’échec cuisant de sa politique de l’offre.

On n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve “in fine” sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise.           Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux

Or, c’est en réaction à la dissolution que les marchés financiers ont commencé à s’inquiéter et que les taux de la dette française ont anormalement grimpé. Et dans la foulée, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par Bruxelles. Bref, en quelques mois la situation budgétaire s’est considérablement dégradée par la seule faute de l’exécutif en place. Problème : pour y remédier, François Bayrou nous dit qu’il faut continuer à faire comme avant, tout en baissant encore davantage les dépenses car « la dette est une épée de Damoclès au-dessus du pays ».

Pour les économistes critiques de cette politique de l’offre austéritaire, il y a donc tout un discours à déconstruire. D’abord, la dette n’est pas « un fardeau » comme on l’entend trop souvent, rappelle Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre des Économistes atterrés.

« Il faut raisonner de manière plus globale. Il y a certes un niveau de dette de 52 000 euros par personne en France. Mais en face de cette dette, il y a un actif – les infrastructures publiques, les hôpitaux, les écoles, etc. – dont la valeur est supérieure ! Ainsi, selon les calculs d’économistes faits récemment, chaque français naît en fait avec une richesse nette de 12 000 euros par personne. »

Par ailleurs, déplore l’économiste atterré, « on n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve in fine sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise ».

Un autre angle mort du débat public est l’aspect distributif incroyablement injuste. En effet, « dans le cas précis de la France, la dette distribue des revenus du bas vers le haut », nous dit Benjamin Lemoine. C’est donc Robin des bois… mais à l’envers !

En effet, en baissant les taxes sur les riches et les grandes entreprises, les derniers gouvernements ont fait grimper les déficits, et donc l’État s’est endetté. Sauf que ce sont ensuite les plus riches, ceux-là même qui ont vu leurs comptes en banque gonfler grâce aux baisses de taxes, qui achètent les titres de dette publique – via leur assurance-vie ou un autre véhicule financier – dont ils perçoivent des intérêts ! Les riches sont donc doublement gagnants.

En revanche, pour les plus démunis et les classes moyennes, c’est l’inverse. Car pour remédier aux problèmes de dette publique, les derniers gouvernements ont le plus souvent décidé de sacrifier, en les appauvrissant, « sur l’autel d’une “dette comme fardeau universel”, les services publics et l’État social, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », déplore Benjamin Lemoine.

Ce seul mécanisme pervers devrait questionner les politiques économiques d’austérité qui sont menées. Et laisser la porte ouverte à un nouvel horizon où les riches seraient davantage mis à contribution, et les politiques de relance par l’investissement public ne seraient plus tuées dans l’œuf.

Un risque financier, vraiment ? 

Par ailleurs, on oppose souvent aux tenants des politiques de relance par la dépense publique le danger qu’ils fassent exploser les déficits à court terme et soient immédiatement sanctionnés par les marchés financiers. Un argument de courte vue. « Si vous avez une dette publique importante mais beaucoup d’épargne du côté privé, comme c’est le cas de la France où le taux d’épargne des ménages est de 18 %, il n’y a aucune raison de connaître une crise de la dette », tempère François Geerolf.

Pour le dire trivialement, ajoute l’économiste, « quand les riches ne savent pas quoi faire de leur argent, et ce n'est pas le cas qu'en France, ils l’épargnent et cela aide à soutenir la dette publique. Ce n’est pas pour rien que les agences de notation sont attentives à cet indicateur du taux d’épargne privée… ».

Que ce soit par des résidents ou des étrangers, la dette française reste d’ailleurs très demandée sur les marchés financiers. L’économiste au CNRS et à l’université Paris-Dauphine Anne-Laure Delatte aime rappeler qu’à chaque fois que l’agence France Trésor (AFT) procède à une adjudication de titres de dette, « il y a environ deux fois plus de demande que de bons émis ».

En outre, il faut savoir que les créanciers de la France n’ont pas intérêt à spéculer à outrance sur sa dette publique. « Certaines banques et compagnies d’assurance ont en effet beaucoup de titres souverains dans leur bilan. Or, on sait que quand les taux d’intérêt des actifs remontent, leur valeur de marché baisse, ce qui fait peser un risque sur le bilan des institutions financières qui les possèdent. C’est ce mécanisme qui a provoqué les faillites du Crédit suisse et de la banque de la Silicon Valley », rappelle Éric Berr.

Enfin, l’éléphant dans la pièce de ce débat est le rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Car depuis 2015, elle intervient massivement à chaque emballement des marchés sur les dettes des pays de la zone euro, afin d’éviter de revivre le calvaire de la crise grecque. Elle l’a montré récemment en intervenant pour sauver l’Italie. Et il semble impensable qu’elle n’en fasse pas de même pour la France, si cela se révélait nécessaire. 

« La force de frappe de la BCE est en capacité de calmer les marchés à tout moment, parce que laisser dévisser trop longtemps la France porte un risque systémique : pour le système bancaire et l’ensemble de la zone euro », confirme Benjamin Lemoine.

Tutelle des technocrates 

Cependant, prétendre qu’une politique budgétaire diamétralement opposée à celle menée par François Bayrou serait sans conséquence du point de vue des marchés ne serait pas exact. « Il y a un ambiguïté maintenue délibérément sur le risque financier de la France », pointe Benjamin Lemoine.

Les technocrates de la BCE l’ont d’ailleurs reconnu lors d’une réunion après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron : ils préféraient laisser monter dans un premier temps les tensions sur la dette française car « idéologiquement la contrainte de marché est considérée comme saine : elle sert les intérêts d’un gouvernement austéritaire en maintenant la pression sur la population et les services publics », analyse Benjamin Lemoine.

Cette vision rigoriste est partagée par la Commission européenne, dont on sait pourtant que les règles budgétaires – celle du déficit à 3 % du PIB notamment – sont totalement désuètes et ont amené durant les années 2010 au décrochage de l’économie de la zone euro par rapport à l’économie des États-Unis. Un pays qui de son côté ne s’encombre pas de règles internes quand il s’agit de relancer la croissance par les déficits publics. 

« À la suite de la crise des dettes de la zone euro [qui débute en 2010 – ndlr], les règles budgétaires européennes auraient dû être changées radicalement. Mais cela a été un rendez-vous raté et l’on en paie encore le prix », déplore François Geerolf. Même son de cloche du côté d’Éric Berr, qui regrette que « la politique économique reste corsetée par les règles européennes qui visent à favoriser l’épargne sur l’endettement et à éviter toute politique économique de gauche dite progressiste ». 

C’est là tout le problème du rôle des institutions européennes dans le débat sur la dette : que ce soit à la BCE ou à Bruxelles, l’austérité budgétaire est préférée car elle relèverait du bon sens. Or, conclut Benjamin Lemoine, « ces orientations n’ont rien de neutre, elles servent socialement les intérêts des plus aisés et sont, pour ces raisons-là, au goût des marchés financiers et de la technostructure européenne ». Et aussi de François Bayrou. 


 

    mise en ligne le 17 janvier 2025

Profit(s)

Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Pendant ce temps-là, les actionnaires se gavent…

Rengaine « Dividendes : les groupes du CAC 40 n’ont jamais été aussi généreux ». Vous ne rêvez pas : ainsi titrait les Échos, ce mardi 14 janvier, avant même la déclaration de politique générale de François IV à l’Assemblée nationale. Même pour le quotidien économique appartenant à Bernard Arnault, les mots ont un sens : « Les 40 fleurons de la Bourse de Paris n’ont jamais redistribué autant d’argent à leurs actionnaires. »

L’année dernière, entre les dividendes et les rachats d’actions, ces groupes ont en effet reversé 98,2 milliards d’euros via des dividendes et des rachats d’actions, selon la lettre spécialisée Vernimmen. Rassurons-nous, il ne s’agit que d’une petite hausse de 1 % par rapport à 2023. Mais c’est un nouveau pic, un record. À titre de comparaison, les versements aux actionnaires sont désormais plus de 60 % supérieurs à leur niveau de 2019, juste avant le trou d’air de 2020 lié à l’épidémie de Covid.

D’où le titre de l’Humanité, le 15 janvier : « Le pactole à 100 milliards d’euros ». La financiarisation sans fin de l’économie se poursuit, comme si de rien n’était. Pendant ce temps-là, François IV vantait les mérites des multinationales qui, selon lui, « font honneur à la France et contribuent à sa richesse », jurant de les prémunir contre des « augmentations exponentielles d’impôts et de charges ». La même rengaine, toujours…

Riches Quand on entend « nouveau », traduire : « renouveau ». Émergence, résurgence. Rupture, enchaînement. Et ainsi de suite. Les ultralibéraux ne font que prendre la suite. Il n’y a que dans les feuilletons à l’ancienne qu’on pouvait lire « suite et fin ». Pas dans les conduites du capitaliste de base, du prédateur pour lequel le fric règne en maître absolu. Avec la décrépitude des colifichets honorifiques, l’argent pour l’argent est devenu la seule médaille pour de vrai, l’unique logique. Pas, ou peu, de concurrents.

Le flouze globalisé n’a plus grand monde en face. Ses rivaux, courage, savoir, abnégation, travail, culture, ont été relégués en coulisses. N’importe quel citoyen sexagénaire issu des classes instruites bénéficie encore d’une infirmité qui ne se reproduira plus de sitôt : avoir grandi dans un monde, celui des fonctionnaires et des professions libérales, où l’argent n’était pas une valeur. Et quasiment une antivaleur.

Chanceux que nous fûmes, d’avoir entendu un leader socialiste dire, il n’y a pas si longtemps que ça, en 2006, dans une émission de télé : « Oui, je n’aime pas les riches, j’en conviens. » Le même homme devint plus tard Normal Ier, accédant à la fonction suprême, en 2012. Oserait-il réitérer ces propos, aujourd’hui ? Chiche ?

Corollaire Ce qu’une culture tient pour sacré peut se définir, à toutes fins utiles, comme ce qui n’est pas à vendre. Panique chez les libéraux de tout poil quand ils viennent à buter sur de l’inaliénable et de l’inévaluable. Car, pour eux, tout est à vendre, à condition de réaliser des profits. Les lieux, les salariés, tout, même les actions en Bourse.

Résultats à deux chiffres obligatoires. Bien sûr, on parle de la Chine, des États-Unis, de la « mondialisation financière » un peu partout. Mais, à l’image de la France, l’Europe ne montre pas l’exemple. Elle aussi vole de record en record. Après un millésime 2023 déjà exceptionnel, les groupes européens ont à nouveau versé un montant historique de dividendes à leurs actionnaires. Selon une étude de la société de gestion Allianz Global Investors, les groupes cotés du Vieux Continent ont distribué 440 milliards d’euros en 2024.

Vous avez bien lu. Et ce montant progressera assurément dans les années qui viennent, préviennent les experts, qui, selon eux, augmentera de 4 % en 2025 à 459 milliards et frôlera les 500 milliards en 2026… Conclusion ? Mauvais temps pour le progressisme en Occident, tant il se vérifie que « l’oubli du passé est mortel au progrès ». Ce « progrès » tant vanté par Mac Macron II.

Alors, quoi ? Dans le recroquevillement du temps historique utile et nos horizons de mémoire en peau de chagrin, regardons le peu d’espace que l’omniprésence du présent laisse à la démangeaison prophétique, et à son corollaire, l’envie du Grand Soir… et de l’humain d’abord !


 

    mise en ligne le 16 janvier 2025

La censure reste pour après

Roger Martelli sur www.regards.fr

François Bayrou a échappé à la censure, comme prévu. Il ne perd rien pour attendre. Mais la gauche a trébuché sur ce coup. Il ne faut pourtant pas se résigner au pire.

Le PS a fini par décider de ne pas voter la censure du gouvernement Bayrou. Il a tort. La politique annoncée par François Bayrou reste ouvertement dans la lignée de son prédécesseur qui, lui, avait été sanctionné par la représentation parlementaire. Il a écarté toutes les demandes de fond venues de la gauche, sociales, institutionnelles ou écologiques. Il s’est contenté de lâcher des miettes et de faire des promesses… de gascon. En ne se joignant pas à la censure proposée par leurs partenaires, les socialistes ne gagneront aucune sympathie sur leur droite, mécontenteront du côté gauche et ajouteront une nouvelle pelletée de sable dans la machine déjà grippée du Nouveau front populaire.

Faut-il pour autant hurler à la trahison à la brisure irrémédiable de l’alliance à gauche ? Ce n’est pas raisonnable. Tout d’abord parce qu’il y a, dans une décision de censure ou de non-censure, une part inextricable de choix de fond et de tactique. C’est l’avenir qui dira si la décision finale de la direction socialiste annonce un changement de cap, voire un retour à la case François Hollande, ou si elle est simplement un geste pour ne pas apparaître comme des facteurs de blocage et d’aggravation de la crise politique. Le PS doit simplement savoir que si son choix d’un jour ne signe pas inéluctablement la mort du NFP, il aggrave un peu plus le doute populaire sur la solidité de l’alliance et sur sa capacité à contenir la menace persistante du Rassemblement national.

On peut donc regretter la décision socialiste et ne pas acter pour autant la fin de l’espoir qu’avaient suscités les alliances bienvenues de 2022 et de 2024. Nul ne doit oublier que la gauche ne peut espérer atteindre la majorité que si elle écarte les conceptions funestes des « deux gauches » irréconciliables et si elle se persuade qu’elle a l’obligation de cultiver en même temps sa diversité et son unité.

Le PS doit donc au plus vite montrer, par des actes significatifs, qu’il reste dans l’esprit d’un abandon des errements du social-libéralisme à la mode hollandaise. Quant aux autres forces de gauche, à commencer par la France insoumise, elles se doivent d’écarter tout espoir de tirer profit du dérapage socialiste. Au jeu du chat et de la souris, c’est la gauche tout entière qui risque d’en payer un peu plus le prix.

Au fond, ce que dit avant tout le nouvel épisode parlementaire, c’est que le faiseur et le tombeur de rois est toujours le Rassemblement national. La gauche est une force qui compte dans l’arène parlementaire. Elle n’en est pas moins très minoritaire parmi celles et ceux qui votent et elle n’a pas contredit pour l’instant le fait que les catégories populaires ont perdu pour l’essentiel la confiance en elle qui faisait sa force.

Convainquons-nous plutôt de ce que la reconquête ne passera ni par la radicalité de la posture, au risque de l’enfermement minoritaire, ni par la modération affectée, au risque de la compromission. Ou bien la gauche rassemblée fait la démonstration patiente qu’elle a un projet fidèle à ses valeurs et novateur dans son approche, une perspective indissociablement combative et rassurante, ou bien elle laisse à la pire des solutions la capacité à imprimer sa marque sur le cours des choses


 

    mise en ligne le 15 janvier 2025

Handicap à l’école : les AESH en grève le 16 janvier face à « l’absence d’engagement politique »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Dans cette longue période d’instabilité politique, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH) peinent à faire avancer leurs revendications pour sortir de la précarité, malgré les petites victoires de ces dernières années. Quatre syndicats appellent à une journée de grève des AESH et assistants d’éducation (AED) ce jeudi 16 janvier.

Ce jeudi, les syndicats FSU, CGT éduc’action, Sud éducation et SNALC mènent une journée de grève des AESH pour exiger « l’amélioration de leurs conditions d’emploi et bénéficier d’une meilleure reconnaissance professionnelle ». Deux jours après le discours de politique générale du Premier ministre François Bayrou, les syndicats déplorent dans un communiqué commun « la valse à la tête des ministères et l’absence d’engagement politique concret », qui ont ces derniers mois « mis un coup d’arrêt à tout espoir d’amélioration significative de la situation ».

Ces deux dernières années, les AESH et les AED ont obtenu une série de petites victoires parmi lesquelles une nouvelle grille indiciaire, l’accès à une indemnité de fonction, à la prime inflation et à une prime REP. Ou encore, la possibilité d’accéder à un CDI au bout de trois ans d’ancienneté. Pourtant, ces professionnelles – en majorité des femmes – demeurent souvent bloquées sous le seuil de pauvreté.

Dans leur communiqué, les syndicats tirent la sonnette d’alarme : les AESH sont de plus en plus nombreuses à quitter le métier. Dans certaines régions, le manque de professionnelles devient criant. Un exemple : dans le Puy-de-Dôme, ce sont pas moins de 360 élèves notifiés, c’est-à-dire ayant droit en théorie à un accompagnement, qui n’en disposent d’aucun. En outre, « de nombreux élèves accompagnés ne bénéficient en réalité que de quelques heures », précisent la branche départementale 63 des syndicats appelant à la grève.

La grève des AESH rappelle la faiblesse des mesures pour sortir de la précarité

Si la promesse du précédent gouvernement Borne était une augmentation salariale de 10 % pour les AESH à la rentrée 2023, le compte n’y est pas. Le principal levier utilisé a été celui des primes et des indemnités ; pas de la revalorisation salariale. « Le gouvernement a fait énormément de communication alors que sur la fiche de paie, ce n’est pas ça », commentait auprès de Rapports de Force Virginie Schmitt, AESH et membre de la CGT éduc’action. « Avec l’inflation galopante et le prix du gasoil, se loger, se nourrir, se chauffer ou se déplacer, ça devient de plus en plus compliqué pour les AESH ».

Face à cette question de la précarité, le ministère a proposé une disposition pour la prise en charge financière par l’État du temps de travail des AESH sur la pause du midi. Celle-ci a été inscrite dans le Code de l’éducation par la loi du 27 mai 2024. Jusqu’ici, ce temps de travail supplémentaire basé sur le volontariat était à la charge des collectivités. « Cela ne fonctionnait pas puisque les collectivités ne payaient pas pour ça », explique Manuel Guyader, AESH, de Sud Education.

Mais ce qui pourrait sembler une avancée constitue, selon lui, une fausse bonne idée. D’abord parce que « la prise en charge du temps méridien, c’est un métier : celui des animateurs et animatrices périscolaires. L’argument c’est de dire que les AESH peuvent tout faire, accompagner tous les aspects de la vie de l’enfant en situation de handicap… Mais cela relève d’une vision très validiste », estime-t-il. Surtout, le problème principal demeure : « le gouvernement refuse de reconnaître que nos 24h sont un temps plein », conclut-il.

À l’occasion de la grève du 16 janvier, les syndicats font valoir plusieurs solutions. La reconnaissance d’un temps complet sur la base des 24 heures, sans ajout du périscolaire, en fait partie. Mais aussi la création d’un corps de fonctionnaire de catégorie B dans la fonction publique d’état, pour reconnaître pleinement le métier d’AESH. Ou encore, des recrutements à la hauteur des besoins complétés par, comme le suggère Sud Éducation, « la création de brigades de remplacement pour assurer le remplacement des collègues absent·es ».


 


 

Les AESH sont en grève car « les grands perdants »  des dernières réformes  « sont les élèves handicapés » 

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) seront en grève ce jeudi 16 janvier. Virginie Cassand, leur représentante Snes-FSU dans l’académie de Paris, alerte sur l’effet délétère des récentes réformes pour les élèves et le personnel et insiste sur la nécessité de reconnaître leurs compétences.

Devenue accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) en 2009 dans le cadre d’un contrat aidé, Virginie Cassand a attendu trois ans pour être titularisée, mais sans que son contrat de droit public prenne en compte son ancienneté.

Aujourd’hui en poste dans un lycée professionnel parisien, la syndicaliste et ses collègues seront en grève, ce jeudi, pour exiger de meilleures conditions de travail, une reconnaissance professionnelle et dénoncer des réformes préjudiciables à l’avenir des élèves.

À quoi ressemble le quotidien d’une AESH ?

Virginie Cassand (AESH, représentante Snes-FSU) : Notre mission est d’aider l’élève en situation de handicap (mental, sensoriel ou physique) à accéder aux apprentissages scolaires, lui faciliter les gestes de la vie quotidienne (déplacements en fauteuil, port du plateau-repas, installation du matériel scolaire en classe, etc.) et favoriser sa socialisation, notamment pour les élèves introvertis ou ayant des troubles du spectre autistique. Il faut savoir s’adapter aux besoins de chaque élève et à son niveau.

Cette année, j’accompagne une jeune fille qui a besoin de reformulation des consignes, je repère avec elle les mots importants dans les textes, etc. Auparavant j’ai accompagné deux jeunes malvoyants dans la même classe, l’un maîtrisant parfaitement son ordinateur, l’autre pas du tout. C’est toujours délicat quand on doit partager son temps entre deux élèves et que l’un accapare toute notre attention, il faut jongler pour ne pas en défavoriser un !

Jusqu’en 2019 et la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), dans le cadre de la loi « pour une école de la confiance » voulue par Jean-Michel Blanquer, on accompagnait rarement plus de deux élèves la même année.

Qu’est-ce qui a changé depuis la création de ces Pial ?

Virginie Cassand : Cette réforme est une catastrophe. Elle vise avant tout à afficher un plus grand nombre d’enfants bénéficiant de l’accompagnement d’un ou une AESH. Aujourd’hui, des collègues se retrouvent avec 5 à 11 élèves à accompagner, une heure ou deux par semaine. Plus aucun suivi des apprentissages n’est possible.

Parallèlement, un élève handicapé peut avoir trois accompagnants différents dans la même semaine. Comment tisser un lien de confiance dans ces conditions ? Les grands perdants sont les élèves pour qui la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a notifié « aide mutualisée » : dans ce cas, contrairement à ceux notifiés « aide individualisée », aucun nombre d’heures d’accompagnement n’est précisé.

Ce sont donc les académies qui décident, et cela peut aboutir à ce qu’un élève handicapé bénéficie seulement d’une heure par semaine. L’accompagnement est de plus en plus dilué, ça devient ridicule.

Quelles sont vos craintes quant à l’évolution de vos missions ?

Virginie Cassand : Une nouvelle réforme qui se profile pour la rentrée 2025. On voudrait nous imposer le pôle d’appui à la scolarité (PAS), qui conduirait les AESH à accompagner non plus les élèves pour lesquels la MDPH a notifié ce besoin, mais « tous les élèves à besoins particuliers », à savoir les porteurs de handicap mais aussi les allophones, ceux qui souffrent de maladies justifiant un projet d’accueil individualisé, etc.

La MDPH ne serait plus sollicitée : ce serait une équipe éducative qui proposerait un accompagnement. Le risque, c’est que seuls les élèves « perturbateurs », à cause de troubles du comportement, soient repérés et accompagnés. Tous ceux qui rencontrent des difficultés mais ne dérangent pas seront oubliés. Par ailleurs, on n’a pas de nouvelles des recrutements prévus pour assurer ces missions supplémentaires.

Quelles sont vos revendications ?

Virginie Cassand : Au regard de l’intensité de notre travail, nous réclamons un temps complet à vingt-quatre heures par semaine. Les compétences très étendues que nous devons déployer justifient une reconnaissance en tant que fonctionnaire de catégorie B (au lieu de C actuellement). Nous demandons donc une revalorisation de notre grille indiciaire et qu’au lieu de nous endormir avec des primes, le point d’indice soit dégelé.

Il faudrait aussi que les AESH soient correctement formés aux différents types de handicap – ainsi d’ailleurs que l’ensemble des équipes éducatives. Aujourd’hui, on voit débarquer dans les classes de jeunes AESH de niveau bac, absolument pas préparés et qui se retrouvent en échec. Leur formation se fait sur le tas, ou via des tutoriels en ligne. Ce n’est acceptable ni pour eux, ni pour les élèves qu’ils accompagnent.

Hélas, vingt ans après la grande loi de 2005 sur le handicap, l’école inclusive n’est encore qu’un projet. Pourtant, la baisse démographique était l’occasion de réduire les effectifs dans les classes et de mieux repérer les élèves qui ont besoin d’accompagnement. Mais on préfère fermer des classes. Ce sont des économies de court terme, au détriment de l’avenir des élèves.


 

    mise en ligne le 14 janvier 2025

 Le PS retourne-t-il à ses vieilles lunes ? Et faut-il s’en réjouir ?

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Que vont décider les socialistes dans les prochains jours, les prochains mois ? Une nouvelle « clarification à gauche » avec l’éclatement du NFP, est-elle un passage obligé ?

A la veille de la déclaration de politique générale, le suspens est entier : que dira François Bayrou, notamment au sujet des retraites ? Abrogation ? Suspension pour 6 mois ? Suspension du recul de l’âge de départ ? Quel sera le point d’équilibre du budget de l’État ? Les concessions, s’il y en a, permettront-elles aux socialistes de ne pas censurer le gouvernement, eux qui veulent éviter une présidentielle anticipée ? 

A gauche, bruisse à nouveau l’accusation de trahison faite aux socialistes. Ceux qui reviennent de très loin (Anne Hidalgo a engrangé 1,75% des voix à la présidentielle de 2022), vont-ils repartir aussi loin que les avait menés le quinquennat de François Hollande ? Bon débarras ? Clarification ? Faut-il se réjouir de voir les socialistes revenir clairement à une politique dont la raison serait celle des marchés ? On n’en est pas là. Depuis 2022, le PS a fait le choix de s’allier aux autres forces de gauche et de se réinscrire dans cet espace. Mais une telle évolution droitière est une possibilité inscrite dans leur histoire. 

Si le PS revenait aux logiques sociales-libérales, celles qui font de la bonne santé du capital le moteur de la dynamique des sociétés, ce serait affligeant. Mais quand et où le PS a-t-il produit un travail pour penser autrement l’avenir ? Ne cherchez pas : il en va du droit d’inventaire du mandat Hollande comme de celui des mandats de Mitterrand : on attend toujours. 

Prenons du recul : cette éventualité d’un PS qui lâche la gauche est-elle réjouissante ? Quand les socialistes abandonnent la gauche, celle-ci peut, parfois, voir son flanc gauche se conforter. Mais aujourd’hui, elle recule globalement et se trouve encalminée dans une minorité politique particulièrement dangereuse. 

Demain ou après-demain, lors des prochaines élections présidentielles, il faut que la gauche soit solide sur ses valeurs et ses objectifs pour faire face à la menace de l’extrême droite. Le mieux serait que la gauche soit unie. Pour cela, il faudrait qu’elle s’en occupe sérieusement, c’est-à-dire pas seulement du casting et pas au dernier moment. 

Mais si elle ne devait pas être unie, si le PS part à la dérive comme on l’appréhende, sera-t-il possible de gagner une dynamique majoritaire pour s’opposer à Le Pen/Bardella ? Quand le PS dévisse, il ne dévisse pas seul. Une partie de ses soutiens se cramponne à gauche ; une partie l’accompagne ; la plupart abandonnent. Le PS paierait cher cette évolution. La candidature insoumise élargirait peut-être son espace mais, en tout état de cause, la possibilité de victoire serait lourdement affectée.

Voir le PS tout lâcher pour préserver la stabilité et éviter une présidentielle anticipée n’est pas souhaitable. Le PS doit revenir à la raison et se convaincre définitivement que l’espace social-libéral est tout petit et déjà pris et que l’extrême droite engrange sur le désespoir social et sur la faiblesse d’une gauche de changement. 

Le choix des communistes et des écologistes comptera. Leurs attitudes et leurs positions détermineront le centre de gravité : tout pour la stabilité ou tout pour dégager une autre voie ?

Ceci dit, l’entêtement de la droite, des macronistes et du Président pourrait bien conduire les socialistes à abandonner leurs chimères. Le pire n’est jamais certain et la gauche peut se ressouder.


 

     mise en ligne le 13 janvier 2025

Incendies en Californie :
les stars d’abord

Pauline Bock  sur www.politis.fr

Certains médias ont préféré s’émouvoir du sort des villas des vedettes plutôt que parler des personnes plus vulnérables ou d’écologie. Première chronique en partenariat avec le site Arrêt sur images.

Des incendies d’une ampleur gigantesque dévastent la région de Los Angeles aux États-Unis. Vingt-quatre morts, 130 000 personnes évacuées, plus de 9 000 bâtiments et maisons détruits par des feux dévorants, portés par des vents extrêmement puissants, et un foyer d’incendie plus important que la superficie totale de Paris : c’est la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la ville.

De nombreux habitant·es de Los Angeles ont tout perdu. On peut lire, dans Le Monde, le témoignage de voisins qui ont vu tout leur quartier brûler ; d’un couple à la retraite qui a fui avec sa chèvre pour seule possession. Des Français expatriés dans la Cité des anges témoignent également, par exemple sur BFMTV : eux aussi ont vu leur maison partir en flammes.

Les stars font partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles.

Mais ce n’est pas sur ces gens que se focalise une partie de la couverture médiatique française de la catastrophe. C’est, bien sûr, sur les paillettes de Hollywood et les répercussions de l’incendie sur les stars françaises. « Patrick Bruel annonce que sa maison est ‘partie en fumée’ » (BFMTV) ; « ‘Je suis dévastée’ : la villa de Laeticia Hallyday détruite par les flammes à Los Angeles » (Le Parisien) ; « Le ‘cœur brisé’, Paris Hilton a vu en direct ‘sa maison brûler à la télévision’ » (TF1) ; « ‘On a tout perdu’ : Laeticia Hallyday pleure la destruction de sa maison dans l’incendie de Los Angeles » (BFMTV, encore) ; « Tom Hanks, Anthony Hopkins, Ben Affleck… ces stars d’Hollywood évacuées ou dont la maison a brûlé à cause des incendies » (Le Parisien, encore).

Trompeur

Alors, oui : si même les stars de Hollywood sont touchées par la catastrophe climatique – car ces incendies hors normes sont avant tout causés par la crise climatique : c’est la sécheresse extrême qui les a déclenchés –, peut-être qu’elles vont enfin mettre leur influence mondiale au service de la lutte contre le réchauffement. Ou peut-être pas : elles font, après tout, partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles et la production excessive de CO2.

Mais, dans tous les cas, les mettre ainsi en avant comme les grandes victimes de cette catastrophe est trompeur : Laeticia Hallyday n’a pas vraiment « tout perdu ». Patrick Bruel a vu brûler son « autre refuge », ce qui signifie que ça n’est pas son « refuge » principal. Paris Hilton n’est pas la seule à avoir « le cœur brisé », mais tout l’espace médiatique qu’elle occupe ne sera pas dédié aux milliers d’inconnu·es qui n’ont pas la chance d’être né·es héritier·ères et pour qui la perte est bien plus colossale.

Plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday (…) qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es.

D’autant plus qu’il y a quelques mois, des compagnies d’assurances ont modifié les contrats de milliers d’habitant·es de la région de Los Angeles – dont beaucoup de gens à Pacific Palisades, le quartier qui a presque entièrement été détruit par les flammes – pour des questions de risques… d’incendie. Ces gens ont tout perdu et ne toucheront même pas les assurances pour lesquelles ils ont cotisé pendant des années. Et n’ont pas la fortune des stars pour reconstruire leur vie ailleurs.

Double traitement

Cette avalanche de témoignages d’habitant·es désespéré·es d’avoir perdu leur toit, on ne l’a pas autant observée dans les médias quand Mayotte se relevait tant bien que mal du cyclone Chido. La catastrophe était pourtant aussi destructrice, et la population dans une situation bien plus précaire. Mais on ne voit pas Mayotte sur nos écrans de cinéma : plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday, ou de « Français expatriés » qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es, apparemment.

C’est le fameux « double traitement médiatique » occidental, celui qui s’illustrait au début de la guerre en Ukraine en 2022 dans les propos d’un journaliste de BFM : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime […]. On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie. » Saupoudrez ces « Européens qui sont comme nous » de quelques paillettes hollywoodiennes, et vous obtenez la couverture française des incendies de Los Angeles.


 


 

Incendies à Los Angeles :
cris de terreur, goût de cendre
et parfum de lutte des classes

Antoine Portoles sur www.humanite.fr

Tandis que les mégafeux continuaient de ravager le nord et l’ouest de la Cité des anges ce dimanche, la surmédiatisation des pertes matérielles subies par les stars hollywoodiennes fait l’objet de vives critiques. Elle occulte le drame qui se joue pour les plus modestes.

Les habitants de Los Angeles les ont baptisés « Palisades Fire » ou « Eaton Fire », du nom des quartiers partis en fumée : les mégafeux qui se sont déclenchés mardi en Californie continuent de semer la terreur. Selon un dernier bilan des autorités locales, au moins 24 personnes ont perdu la vie dans les incendies. Après une courte accalmie, plusieurs foyers de feu risquent à tout moment de reprendre leur course infernale.

D’Anthony Hopkins à Paris Hilton en passant par Mel Gibson, ou encore Laetitia Hallyday et Patrick Bruel côté français, depuis cinq jours, les médias ont les yeux rivés sur les stars qui ont perdu leur villa dans la Cité des anges. « Dans des quartiers pauvres aussi, tout a brûlé. Il y a presque une forme d’indécence car les millionnaires qui ont quitté leur maison en ont rejoint une autre ; dans les quartiers populaires, les gens ont tout perdu, ils n’ont pas de maison de substitution », a rappelé la climatologue Françoise Vimeux dans l’émission C dans l’air, sur France 5.

Tous exposés, pas tous égaux

Si Pacific Palisades est un quartier du Nord-Ouest qualifié de huppé en raison des nombreuses propriétés de stars qui s’y trouvent, des populations moins aisées y vivent également. Elles n’ont pas eu droit à la même considération. Plus au nord, la localité – frappée de plein fouet – d’Altadena est peuplée par une forte communauté afro-américaine.

Ce quartier populaire a longtemps servi de refuge pour les familles noires qui fuyaient le racisme systémique en Californie. « Contrairement aux pertes matérielles des célébrités à Malibu, la dévastation à Altadena illustre en quoi les incendies aggravent les inégalités », a souligné la Black Entertainment Television (BET).

« L’approche ”people” du désastre invisibilise les plus vulnérables, s’y limiter est indécent. Personnellement, elle me blesse », s’est indigné le climatologue et coauteur du Giec Christophe Cassou sur X. Le scientifique a vécu à Altadena durant son prédoctorat. « Les incendies montrent cependant que l’extrême richesse ne permet pas de se protéger des feux et de leurs impacts rendus plus sévères dus au changement climatique. Face à l’inimaginable, serions-nous finalement tous exposés, égaux ? » questionne-t-il.

Tous exposés, assurément. Mais pas tous égaux. Sur X, un résident a mis le feu aux poudres en sollicitant le contact d’une société de pompiers privée pour protéger sa résidence à Pacific Palisades : « Je paierai n’importe quel montant », a-t-il conclu, avant de supprimer son message. De quoi raviver les critiques à Los Angeles contre ces services privés de lutte contre les incendies à louer. On peut se demander si ces « soldats du feu VIP » se circonscriraient ou non à la seule villa de leur client, abandonnant les plus modestes aux affres de la désolation.

« Jusqu’à maintenant, le patrimoine des riches et leur statut social ont fait que très souvent, ils n’ont pas eu à craindre les conséquences du réchauffement climatique (…). Est-ce que ce qu’il s’est passé va les pousser à être plus militants ? » s’est interrogé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, ce dimanche, au micro de RTL. Une prise de conscience nécessaire à l’heure où leur mode de vie, fortement émetteur en CO2, est, nous le répètent les scientifiques, une des causes de la crise climatique.


 

     mise en ligne le 12 janvier 2025

Retraite : réformer la réforme

Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr

Le ballet semble bien orchestré. Alors que la pression s’accentue pour une « remise à plat de la réforme des retraites » patronat, macronistes et leaders de la droite se coalisent pour empêcher toute remise en cause substantielle du texte. Acte premier, le nouveau Président du Conseil d’orientation des retraites -imposé il y a quelques mois- alerte sur « la dégradation de l’équilibre de nos finances sociales ». Patrick Martin le Président du Medef se saisit de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre pour appeler sur le perron de Matignon à « dépasser la concertation à venir sur l’aménagement de la dernière réforme des retraites pour remettre à plat le financement de la protection sociale dans son ensemble ». Est-ce à dire que le patronat est prêt à monnayer quelques concessions plus ou moins claires contre une mise en cause globale du système Entendez introduire la capitalisation et élargir le recours à la TVA, baptisée pour l’occasion « TVA Sociale » Il ne reste plus qu’à un ministre anonyme de susurrer que « le déficit est beaucoup plus important qu’annoncé » puis à quelques « experts » à prendre la plume pour vanter le régime de retraite par points.

Tous espèrent ainsi noyer le poisson. La priorité n’est-elle pas de revenir sur la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation ! Les salariés s’interrogent : où sont les marges de manœuvre ? Que veut dire rechercher un « compromis plus large » alors qu’il n’est pas question de sortir de l’approche comptable ? On s’y enfonce même un peu plus, ce que souhaite le gouvernement, en y impliquant les organisations syndicales.

« Priorité aux petites pensions » est une fausse fenêtre, bien vague, car il s’agit surtout exclure toute « hausse du coût du travail ». Ce qui veut bien dire que pour trouver 20 milliards d’euros les propositions, hormis quelques finasseries, devront nécessairement tourner autour de « nouveaux sacrifices »

Et si l’on discutait des vraies solutions ?

L’augmentation du nombre de retraités est bien sûr un défi. Mais qui peut réellement soutenir que les problèmes démographiques se sont brutalement aggravés dans la dernière période ? La réalité est plus simple, les marchés financiers sont là, estimant « illégitime » l’existence d’un système public de retraite par répartition, un système qui les prive d’un champ d’activités lucratives. Discuter du déficit dans le financement des retraites ou de la protection sociale en général n’a aucun sens, c’est un véritable débat sur une réforme des conditions générales de financement de l’État social qui est nécessaire.

Première mesure à envisager, remettre à plat le régime d’exonérations patronales si coûteux pour les comptes publics et si inefficace. Il y va de plus de 70 à 90 milliards d’euros. En second lieu des ressources additionnelles sont concevables en instaurant une contribution venant des revenus de la propriété et des revenus financiers des entreprises. Le surcroît de recettes pourrait atteindre 30 milliards d’euros.

Mais l’essentiel de la réponse dépend de l’emploi et d’une politique du travail ambitieuse. Le Conseil d’orientation des retraites avait produit il y a 10 ans un diagnostic sérieux montrant que la récession était à l’origine de la perte de beaucoup de cotisations, 20 milliards d’€ recettes annuelles pour le seul système de retraite, autant pour l’assurance maladie selon nous, soit beaucoup plus que le besoin de financement affiché pour l’ensemble des régimes sociaux.

L’assiette des cotisations c’est en effet la masse des femmes et des hommes qui travaillent. Une modulation des cotisations patronales en fonction des emplois créés ou supprimés par les entreprises pourrait contribuer à doper cette assise emploi/salaire.et à mieux répartir l’effort entre branches. L’évidence est là. Quand 6 à 7 millions de personnes sont, en France, écartées d’un véritable travail, il devient difficile d’assurer la pérennité des régimes de protection sociale.


 

     mise en ligne le 11 janvier 2025

Montpellier : la manif pro-Palestine rejoint le commissariat
où 5 écolos sont en garde à vue

sur https://lepoing.net/

Une nouvelle manifestation pour la Palestine a eu lieu ce samedi 11 janvier dans le centre de Montpellier. Le cortège a fini par rejoindre le commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue pour une action de désobéissance civile.

Comme à l’accoutumée, environ deux cent manifestant.es pro-Palestine se sont retrouvé.es sur la place de la Comédie dès 14h ce samedi 11 janvier. Déclaré par une vingtaine d’organisations, le défilé du jour s’est à nouveau retrouvé sur la Comédie après son habituel tour de ville. À noter la présence de quelques militant.es indépendantistes kanak.

Vers 16h, une centaine de personnes ont pris la direction du commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue depuis la nuit du 10 au 11 janvier, accsé.es de « dégradation de véhicules en réunion » suite à une action de désobéissance civile. Après une heure, le gros des soutiens se sont dispersé.es, quelques écologistes restant sur place.


 


 

La Confédération Paysanne
à la gendarmerie de Lodève en soutien à deux paysan.nes sous contrôle judiciaire

sur https://lepoing.net/

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées ce vendredi 10 janvier devant le commissariat de Lodève à l’appel de la Confédération Paysanne, en soutien à deux militant.es mis sous contrôle judiciaire en attente de leur procès.

Membres de l’Union Syndicale Solidaires, de partis de gauche, sympathisant.es, et bien sûr agriculteurs.trices : ils étaient une cinquantaine ce vendredi 10 janvier, réuni.es devant la gendarmerie de Lodève.

Le jeudi 5 décembre, cinq membres de la Confédération Paysanne étaient placé.es en garde à vue lors d’une action « contre les profiteurs du libre-échange et les prédateurs du revenu paysan » à la Bourse européenne de Commerce au Grand Palais de Paris. Deux d’entre eux, accusé.es de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et de « tentative d’intrusion », sont maintenant sous contrôle judiciaire, avec obligation de pointer régulièrement à la gendarmerie, en attendant leur procès le 4 février.

C’est donc en forme de pointage solidaire que le rassemblement du jour était organisé. « Si besoin nous enverrons au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau une OQSM (Obligation de Quitter Son Ministère) », plaisante un intervenant du syndicat paysan, en référence aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) distribuées aux sans-papiers.ères par le ministère.

« Quand on s’attaque à la finance et aux multinationales de l’agro-business, la répression est forte sur la lutte pour un autre système agricole, un autre commerce international, qui protège le revenu paysan, la santé, la planète et permette une alimentation de qualité pour toutes et tous. », a poursuivi la Confédération Paysanne, dénonçant un deux poids deux mesures dans la répression des syndicats d’agriculteurs. trices.

Le syndicat a ensuite fait mention de la nécessité d’établir une solidarité avec les paysans.nes de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L’économie de l’île de l’océan indien repose en effet en bonne partie sur un nombre important de petites exploitations agricoles, et la Confédération Paysanne est à la tête de la Chambre d’Agriculture locale. Au niveau national, la Confédération Paysanne a mis en place une cagnotte de soutien pour les exploitant.es mahorais.es, et fait l’inventaire des besoins sur place, tout comme le Mouvement de Défense des Exploitant.es Familiaux (Modef), autre syndicat paysan classé à gauche.

Le rassemblement s’est conclu sur un appel à voter et faire voter pour les élections aux Chambre d’Agriculture 2025, qui auront lieu dans l’Hérault le 31 janvier.À noter la présence de Sébastien Rome, ancien député NUPES/FI de la quatrième circonscription de l’Hérault, venu appeler les syndicalistes à rejoindre le comité local du Nouveau Front Populaire.


 

    mise en ligne le 10 janvier 2025

Info Politis : À Nanterre,
l’enseignant Kai Terada, muté de force, gagne sa réintégration
contre le rectorat de Versailles

Pierre Jequier-Zalc  sdur www.politis.fr

Muté « dans l’intérêt du service » en 2022 par le rectorat de Versailles, l’agrégé contestait vivement cette mesure « sans fondement », accusant l’administration de discrimination syndicale. Ce 9 janvier, la justice oblige le rectorat à le réintégrer.

C’est une victoire dont même l’intéressé, grippé ce jeudi, a du mal à saisir la portée. Après deux ans et demi d’un combat sans relâche, Kai Terada, professeur de mathématiques agrégé, vient d’obtenir gain de cause. Dans un jugement sans aucune ambiguïté, le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison, obligeant le rectorat à le réintégrer dans son établissement d’origine, le lycée Joliot-Curie de Nanterre, dans un délai de six mois.

Revenons deux ans et demi en arrière. En septembre 2022, Kai Terada est alors professeur de mathématiques à Joliot-Curie depuis seize ans. Il est aussi particulièrement engagé sur son territoire : cosecrétaire de Sud Éducation dans les Hauts-de-Seine, investi dans le Réseau Éducation sans frontières, figure de proue du mouvement Touche pas à ma ZEP, qui luttait pour garder les lycées dans l’éducation prioritaire en 2016 et 2017.

C’est dans ce contexte, qu’il reçoit, à la rentrée, un avis de suspension sans aucune justification. Un avis qui, rapidement, est suivi d’une « mutation dans l’intérêt du service ». A l’époque, Politis vous racontait en détail les justifications, plus que bancales, apportées par l’administration. Celle-ci considère alors ainsi que « le nom de Monsieur Kai Terada revient régulièrement comme participant activement en dehors des instances du dialogue social de l’établissement ainsi que de l’exercice normal d’une activité syndicale, à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative ». Le tout, sans donner aucun fait précis et en reconnaissant même que « le comportement et les propos de Kai Terada ne sont pas constitutifs d’une faute de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire ».

« Un professeur irréprochable »

Dans la communauté éducative de Joliot-Curie – et bien plus largement -, cette décision avait suscité une très vive indignation, Kai Terada étant décrit par de très nombreux collègues comme quelqu’un de « calme », « d’intègre ». En résumé, « un professeur irréprochable ».

C’est d’ailleurs cette dichotomie entre une administration – incapable d’imputer le moindre fait précis à Kai Terada – et un nombre incalculable de témoignages en faveur de l’enseignant qui a convaincu le tribunal administratif de Versailles. Dans le jugement, que Politis s’est procuré, le tribunal juge ainsi que les notes produites par le rectorat « n’apportent, en tout état de cause, aucun élément quant à l’implication éventuelle de M. Terada dans les dysfonctionnement antérieurs ».

« Alors que le recteur de l’académie de Versailles n’a produit aucun compte-rendu des témoignages évoqués […], M. Terada produit pour sa part de très nombreux témoignages de ses collègues ou anciens collègues […], y compris d’enseignants membres de la liste concurrente à celle sur laquelle il figurait lors des élections, louant ses qualités d’écoute et de dialogue et niant toute implication de sa part dans les tensions apparues au sein des équipes pédagogiques », poursuit le jugement.

Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier. K. Terada

Contacté par Politis, Kai Terada a d’ailleurs voulu remercier, de manière appuyée, les nombreuses personnes – y compris ses anciennes directions – ayant témoigné en sa faveur. « Ce qui a été décisif, c’est la quantité phénoménale de témoignages que j’ai reçus. C’est grâce à eux, à mes collègues. Je mesure la chance d’avoir eu ce soutien. »

L’enseignant de mathématiques souligne aussi son soulagement de voir une instance balayer les nombreuses accusations – parfois très violentes – du rectorat. « Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier, et ça, c’est très important. »

« La lutte n’est pas terminée »

Le tribunal administratif de Versailles oblige donc le rectorat à réintégrer Kai Terada à son poste au sein du lycée Joliot-Curie, dans un délai de six mois et à lui verser 1 800 euros. Actuellement professeur à Saint-Germain-en-Laye, au lycée Jean-Baptiste Poquelin, l’enseignant souhaite terminer l’année. « Je ne veux pas abandonner mes élèves en cours de route. Je souhaite finir l’année proprement et, ensuite, revenir à Nanterre », explique-t-il.

Malgré cette victoire importante, il rappelle aussi que de nombreux autres collègues subissent encore ce genre de répression. « La lutte contre la répression n’est pas terminée, loin de là », assure-t-il. L’enseignant pense aussi que le rectorat n’hésitera pas à faire appel de la décision. Mais celui-ci n’est pas suspensif et ne remettra pas en cause, pour l’instant, la décision du tribunal administratif de Versailles. Une victoire, pleine d’abnégation, sans appel donc.

 

     mise en ligne le 9 janvier 2025

La CGT contre les PFAS : « Il faut les interdire pour protéger les salariés ! »

Par Marie Astier sur https://reporterre.net/

Pour protéger les salariés exposés aux polluants éternels, la CGT lance le « collectif PFAS ». « On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! » affirme le syndicaliste Jean-Louis Peyren.

La CGT lance le 6 janvier un « collectif PFAS ». Une première dans le monde syndical, plutôt frileux sur le sujet des polluants éternels. Omniprésents dans nos produits du quotidien (poêles de cuisine, cosmétiques, emballages alimentaires, etc.), ceux-ci sont toxiques pour l’humain. Jean-Louis Peyren participe à la création de ce nouveau « collectif PFAS » , il est secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques CGT, en charge des questions santé-travail.


 

Reporterre : Pourquoi avoir décidé de faire de la question des PFAS un sujet prioritaire à la CGT ?

Jean-Louis Peyren : Les premiers concernés, ce sont les salariés. Ils les fabriquent, les utilisent dans le cadre de leur travail en tant que matière première. Il est légitime que l’on s’intéresse à cette problématique. On peut nous dire qu’on arrive un peu tard, mais c’est un sujet difficile à porter en tant que syndicaliste dans une entreprise.

Nos employeurs disent : « Si vous vous faites trop de bruit, on sera obligés de fermer et vous perdrez votre emploi. » Le salarié qui questionne l’impact des PFAS sur la santé et l’environnement deviendrait presque responsable de la fermeture de la boîte. Alors que les responsables, ce sont les pollueurs.

Les salariés ont plus peur de perdre leur emploi que leur santé. Il va falloir inverser les peurs. C’est aussi pour cela que la CGT a mis du temps à se positionner publiquement ; cela a nécessité de la pédagogie vis-à-vis des salariés. On ne veut pas travailler pour perdre sa santé, mais pour gagner sa vie.

Nous pensons que c’est en dénonçant la situation et en poussant les industriels à trouver des solutions alternatives que l’on sauvera nos emplois.

Pourquoi les travailleurs sont-ils les premières victimes des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Lorsque vous fabriquez un produit, vous y êtes exposé tous les jours. Surtout que les salariés sont mal protégés. Nos employeurs préfèrent aller vers des protections individuelles, par exemple des masques, plutôt que des protections collectives, comme une hotte aspirante. Or, les protections individuelles ne sont pas les plus efficaces. Quand vous êtes sur un poste pouvant être considéré comme exposé à des matières toxiques, vous avez un masque ; mais pas ceux qui gravitent autour. La hotte, elle, protège l’ensemble des salariés.

« Il faut interdire les PFAS ! »

Par ailleurs, le législateur a mis en place ce que l’on appelle les « valeurs limites d’exposition professionnelle ». Cela ne vous empêche pas d’être au contact de ces produits. Et ces valeurs sont établies produit par produit, pas à l’échelle de l’entreprise. Si vous fabriquez plusieurs produits différents, l’effet cocktail n’est pas pris en compte.

Comment réagissent les employeurs à cette demande de meilleure protection des salariés face aux PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Quand on voit la levée de boucliers des industriels face à la proposition de loi d’interdire des PFAS… Et que, par exemple, Tefal continue à dire que la substance qui a remplacé le téflon dans ses poêles [le PTFE] n’est absolument pas dangereuse pour la santé... Il écrit même sur son site internet que l’on peut en ingérer de façon accidentelle. Comment voulez-vous qu’il pense à protéger ses salariés ?

Je rappelle quand même que le patron de Tefal a [en avril dernier] réuni les salariés Force ouvrière et CFDT devant l’Assemblée nationale, pour qu’ils disent que le téflon n’est pas si dangereux que cela [la proposition de loi, également approuvée par le Sénat, a en effet exclu les ustensiles de cuisine de l’interdiction des PFAS]. La situation est grave. Certains devront rendre des comptes plus tard.

La législation doit évoluer. Nous devons imposer un rapport de force face au lobbying des industriels.

Comment protéger la santé des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Il faut interdire les PFAS ! On ne va pas continuer à fabriquer un produit dangereux simplement pour alimenter l’économie et faire travailler des personnes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut les remplacer.

Des analyses permettent-elles d’évaluer l’exposition des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Des analyses ont été faites chez les salariés d’Arkema [le géant de la chimie] début 2024. Des PFAS ont été retrouvés en grande quantité dans le sang de certains salariés.

« On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! »

Mais il y a deux problèmes. D’abord, c’est l’entreprise qui a choisi les laboratoires d’analyses. Pour des questions de transparence, on demande à ce que ce soit aux organismes externes de les analyser. La médecine du travail, par exemple, peut faire les prises de sang, choisir des laboratoires. On ne peut pas laisser les industriels faire leur autocontrôle, être leurs propres gendarmes !

Par ailleurs, une fois que vous avez une quantité de PFAS mesurée dans le sang, on vous dit tout et son contraire : que certaines études disent que c’est dangereux, d’autres non [il n’y a pas d’interdiction générale des PFAS à l’échelle de l’Union européenne, et la majorité des quelque 12 000 PFAS aujourd’hui recensés passe sous les radars]. À un moment, il va falloir appliquer le principe de précaution, lister les PFAS, et faire reconnaître [par l’État] qu’ils sont dangereux, et peuvent provoquer certaines maladies.

On pourra ainsi faire appliquer le Code du travail, qui indique que l’employeur est responsable de la santé des travailleurs, et faire évoluer le tableau des maladies professionnelles.

En tant que syndicaliste, recueillez-vous des témoignages de malades dans les entreprises utilisant des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : C’est difficile à dire. Quand un salarié déclenche un cancer, on peut avoir un doute. Mais il n’y a rien de scientifique dans ce que l’on constate. Par contre, quand on sonne l’alerte, ce serait bien que des scientifiques extérieurs à nos entreprises regardent si, réellement, il y a quelque chose ou pas.

Vous créez un collectif PFAS au sein de la CGT, quel est son but ?

Jean-Louis Peyren : Le but est d’abord de s’organiser, de travailler ensemble, car la CGT regroupe de nombreuses branches et métiers. Les syndicats d’Arkema et de Solvay [une usine chimique] devraient en faire partie, des syndicats de la métallurgie, la Fédération de la métallurgie aussi, l’Union départementale 69 (Rhône) et celle d’Auvergne-Rhône-Alpes.

On va essayer de travailler avec des associations écologistes et de riverains, avec des organismes comme le CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire].

On voudrait commencer par cartographier les plus fortes expositions aux PFAS, les comparer aux valeurs limites d’exposition et informer les salariés que, même quand les seuils ne sont pas dépassés, il peut y avoir un danger. Faire savoir que ces valeurs ne sont pas un blanc-seing pour polluer et mettre en danger les salariés.

Tout est à faire et à construire. Nous sommes comme en 1906, quand le premier médecin a dit qu’il y avait un problème avec l’amiante. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit interdite en France.


 


 

La CGT annonce la création
d’un collectif Pfas
pour s’attaquer aux polluants éternels

Jessica Stephan sur www.humanite.fr

Le syndicat a annoncé lundi la constitution d’un collectif pour protéger les salariés, qui sont les premiers exposés, et chercher des alternatives aux Pfas, ces substances extrêmement nocives pour la planète. Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social.

Textiles, emballages alimentaires, gaz réfrigérant… : les Pfas sont partout. Certains de ces polluants persistants dans l’environnement ont été classés « cancérogènes », d’autres « peut-être cancérogènes » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en décembre 2023.

Ces quelque 4 000 substances chimiques, per- et polyfluoroalkylées, sont connues pour leur résistance aux fortes chaleurs, leur imperméabilité, et leurs propriétés antiadhésives. Mais, avant leur arrivée dans nos placards et dans l’environnement, ce sont les salariés des usines qui y sont les premiers exposés. Un problème qui n’est pas sans rappeler celui de l’amiante, et dont la CGT a annoncé se saisir en constituant un « collectif Pfas » le 6 janvier dernier.

« Protéger les salariés, c’est éliminer le risque »

Son premier objectif est clair : « protéger au maximum les salariés », explique Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic) de la CGT et membre du collectif, une nécessité « s’il y a toxicité ».

Dans l’immédiat, le collectif défend des « protections collectives » adaptées à chaque situation de travail. « Par exemple, sur un poste de travail avec des émanations gazeuses de Pfas, la hotte aspirante est une solution », détaille Jean-Louis Peyren, car elle protège le travailleur concerné mais aussi ceux qui gravitent alentour.

Ce collectif naissant – l’idée a germé au printemps 2024 – compte une dizaine de membres : des syndicats CGT de sociétés concernées, la Fnic CGT, des unions et comités au niveau local. Et il a du pain sur la planche : l’omniprésence des Pfas rend la situation complexe. « Dans le meilleur des mondes, protéger les salariés, c’est éliminer le risque. Si le risque, ce sont les Pfas, il ne faut plus de Pfas. Mais on vit dans un monde où ils répondent à des besoins. »

Pour illustrer cela, Jean-Louis Peyren donne un exemple percutant : les combinaisons ignifugées des sapeurs-pompiers, qui en contiennent. « On ne va pas les interdire et dire aux pompiers d’aller sur le feu en chemise de bureau ! »

« Le caillou dans la chaussure dans l’entreprise »

À terme, il s’agit donc aussi de trouver « des alternatives ». Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social, selon Jean-Louis Peyren : « Ce n’est pas en niant la situation qu’on va sauver nos emplois, au contraire, c’est en la dénonçant, parce que cela va permettre de trouver des alternatives. » Mais l’argument est parfois difficile à faire entendre. « Derrière la problématique des Pfas, il y a aussi des problématiques sociales qu’on ne doit pas nier, précise-t-il. Il faut concilier les deux, en allant vers de moins en moins de Pfas. »

Le collectif fait face aux inquiétudes et aux attentes suscitées par l’annonce de sa constitution : « On est sollicités par les syndicats CGT pour savoir comment aborder le sujet. » C’est sa première étape de travail : les aider « à aborder le problème des Pfas dans les entreprises avec les salariés », indique Jean-Louis Peyren, qui reconnaît la difficulté en interne : « C’est compliqué. Il faut rassurer nos syndicats. Certains nous alertent parce que les salariés pensent qu’on est en train de supprimer leur emploi. »

D’autant que la mise en cause de ces polluants entraîne parfois des pressions des employeurs, déplore Jean-Louis Peyren : « On nous oppose le chantage à l’emploi. C’est vieux comme le monde… » L’enjeu financier ne se laisse jamais oublier : « Des gros lobbies industriels se mêlent de ces affaires. »

Jean-Louis Peyren prévient : « On va essayer, comme le font les associations et les partis écologistes, les associations de riverains, de faire le caillou dans la chaussure mais en interne, dans l’entreprise. »


 

    mise en ligne le 8 janvier 2025

Le Parti socialiste
en quête d’un compromis fécond

Bernard Marx sdur www.regards.fr

Le PS a entamé des négociations avec les ministres de l’économie et des comptes publics. À quelles fins ?

Ce mardi, Olivier Faure en a posé les enjeux de ces pourparlers sur France Inter avec une argumentation en 3 points :

  • 1. Il faut un budget pour la France.

  • 2. Le PS est ouvert au compromis parce que « s’il n’y a pas ce dialogue fécond, cela conduit à ce que l’extrême droite soit appelée au pouvoir, comme c’est le cas, en ce moment même, en Autriche »

  • 3. Les négociations vont porter essentiellement sur les retraites, les dépenses de services publics (éducation, santé…), le pouvoir d’achat et la justice fiscale. 

En clair, si les négociations aboutissent, le PS ne voterait pas la censure, ni après la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, ni sur le budget 2025. Il continuerait de s’opposer et de combattre la politique du gouvernement et notamment celle du duo Retailleau-Darmanin.

Le cas de l’Autriche est effectivement parlant. Mais la montée et l’arrivée de l’extrême droite à la direction du gouvernement autrichien ne sont pas seulement dues à l’échec des négociations entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Elles sont d’abord la conséquence des politiques qu’ils ont conduit ensemble ou séparément. Elles tiennent ensuite au renversement d’alliances décidé par les conservateurs qui ont choisi celle avec l’extrême droite. Elle sont dues, enfin, comme le souligne Romaric Godin dans Mediapart (voir plus bas), aux milieux économiques qui soutiennent ce renversement d’alliances. Elon Musk est loin d’être seul au monde.

S’agissant de l’Autriche, cela ne nous rajeunit pas. Mais s’agissant de la France, cela peut nous faire réfléchir. La censure, en janvier ou en mars du gouvernement Bayrou, l’enfoncement dans la crise politique et économique, voire la démission rapide d’Emmanuel Macron avec de nouvelles élections présidentielles dans l’urgence, ne seront pas propices à empêcher l’accession au pouvoir de l’extrême droite française.

Il aurait fallu pour cela que le Nouveau Front populaire ait sérieusement labouré le terrain d’un projet, d’un programme, d’une mobilisation active de la société. Bref qu’il ait fait Front populaire. Mais un compromis sur le budget ne créera pas en soi une situation plus favorable. Cela risque tout aussi bien d’être « encore un instant, monsieur le bourreau ». Qui pourrait prédire autre chose qu’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France si le dialogue entre le « socle commun » du gouvernement Bayrou et la gauche social- démocrate ne change pas la trajectoire d’une politique qui enfonce le pays et une grande majorité de la population dans un déclin sans espérance ?


 


 

Le chef de l’extrême droite appelé à former un gouvernement en Autriche

Romaric Godin sur www.mediapart.fr

Herbert Kickl, président du FPÖ, a été chargé par le président autrichien de constituer un gouvernement. Il devrait s’allier avec les conservateurs, dont l’aile proche des milieux économiques a soutenu ce renversement des alliances. 

Par un renversement spectaculaire des alliances, l’extrême droite autrichienne arrive aux portes du pouvoir. Lundi 6 janvier, le président fédéral de la République d’Autriche, Alexander Van der Bellen, a reçu Herbert Kickl, chef du parti d’extrême droite FPÖ, dans son palais de la Hofburg. Il lui a officiellement confié la charge de constituer un nouveau gouvernement. S’il y parvient, Herbert Kickl sera le premier chancelier d’extrême droite de la république alpine depuis la Seconde Guerre mondiale.

La pilule a dû être délicate à avaler pour le président autrichien, ancien porte-parole des Verts, élu comme candidat indépendant en 2016 face au candidat du FPÖ, et réélu au premier tour en 2022. Alexander Van der Bellen a toujours été perçu comme un rempart contre l’extrême droite. Mais la situation politique ne lui laissait plus le choix. « Une des plus importantes charges constitutionnelles du président fédéral est de s’assurer que le pays dispose d’un gouvernement fédéral qui fonctionne », a précisé le communiqué de la Hofburg annonçant la nomination de Herbert Kickl.

Ce dernier va désormais mener des négociations avec la droite conservatrice autrichienne de l’ÖVP qui, dimanche, par la voix de son secrétaire général, Christian Stocker, s’est dite « prête à répondre à une invitation » du FPÖ pour former un gouvernement. L’affaire semble donc entendue : le FPÖ est arrivé en tête des élections fédérales du 29 septembre 2024, avec 28,9 % des voix contre 26,2 % à l’ÖVP. Les deux partis disposent d’une majorité au Conseil national, la chambre basse du Parlement.

Ces événements peuvent évoquer ce qui s’est passé en 2000, lorsque le conservateur Wolfgang Schüssel, pourtant arrivé troisième des élections fédérales de 1999, avait dirigé une alliance avec le FPÖ de Jörg Haider. La stratégie de l’ÖVP était alors de confronter l’extrême droite au pouvoir afin de lui faire perdre de la crédibilité. Le pari avait été temporairement réussi, et le FPÖ s’était fracturé et affaibli, retombant à 10 % des voix.

En réalité, la situation est très différente. Le FPÖ a soldé sa crise des années 2000. Il est devenu le premier parti d’Autriche en se radicalisant. Et c’est lui qui va diriger le gouvernement. Le potentiel chancelier fédéral, Herbert Kickl, est connu pour ses liens avec les milieux néonazis et identitaires. La volte-face de l’ÖVP n’est pas, comme en 2000, un choix tactique, c’est un choix stratégique qui consiste à fermer les yeux sur la nature du FPÖ pour conserver le pouvoir dans des domaines que les conservateurs jugent essentiels. L’ère politique qui s’ouvre en Autriche est donc complètement nouvelle.

L’échec de la coalition à trois

Comment en est-on arrivés là ? La tragédie s’est jouée en cinq actes, comme c’est de rigueur. Après les élections du 29 septembre, le premier acte met en scène une tentative de coalition excluant le FPÖ. Cet essai est mené par le chancelier conservateur sortant, Karl Nehammer. À ce moment, l’ÖVP exclut toute alliance avec l’extrême droite, insistant précisément sur le caractère infréquentable de Herbert Kickl.

En décembre, Christian Stocker affirme ainsi : « Ceux qui collaborent avec l’extrême droite en Europe sont intolérables en tant qu’hommes politiques. » S’adressant à Herbert Kickl, il ajoute : « Monsieur Kickl, personne ne veut de vous dans cette maison [la chancellerie – ndlr] et personne n’a besoin de vous non plus dans cette république. »

L’ÖVP entame donc des négociations à trois avec les sociaux-démocrates du SPÖ et le petit parti libéral Neos. L’idée est de construire un gouvernement fédéral disposant d’une majorité assez large et faisant barrage au FPÖ. Mais les négociations traînent en longueur. La construction d’un budget, notamment, pose problème. ÖVP et SPÖ défendent des positions très éloignées. Après soixante-quatorze jours de négociations, le 3 janvier, Neos décide de quitter la table des discussions. Pour les libéraux, celles-ci ne sont pas à la hauteur des « défis du moment ». Dans les faits, Neos ne parvient pas à faire valoir ses idées de vastes réformes fiscales.

Le deuxième acte s’ouvre. Karl Nehammer et le chef du SPÖ, Andreas Babler, décident de tenter de renouveler la « grande coalition ». Mais les discussions sont toujours aussi délicates sur le plan budgétaire.

ÖVP et SPÖ sont d’accord sur la nécessité d’une consolidation budgétaire. Pourtant, le déficit public autrichien n’est pas alarmant. En 2023, il a atteint 2,6 % du PIB, contre 3,3 % en 2022. Le problème de l’Autriche est bien plutôt sa croissance qui, sur un an, a stagné au troisième trimestre (− 0,1 %) et, plus largement, son modèle économique. Mais en Autriche, la pression des milieux économiques, et notamment financiers, pour réduire le déficit est très forte.

Reste que l’ÖVP et le SPÖ ne sont pas d’accord sur la méthode à employer pour réduire le déficit. Les sociaux-démocrates réclament que les plus riches soient mis à contribution et proposent une taxe bancaire alourdie et la réduction des subventions au diesel. Tout cela est inacceptable pour l’ÖVP, qui veut repousser l’âge de départ à la retraite et relever la TVA.

Rapidement, une partie de l’ÖVP semble juger le compromis avec le SPÖ impossible. Selon les révélations de la presse autrichienne, ce sont les milieux économiques au sein du parti conservateur qui ont alors mené la danse.

Samedi 4 janvier, alors que les sociaux-démocrates ont déjà abandonné deux points importants de leur programme – le rétablissement d’un impôt sur les successions et d’un impôt sur le patrimoine –, l’ÖVP, et notamment son « aile économique », rejette toute demande de surtaxe bancaire. En fin d’après-midi, après une suspension de séance, Karl Nehammer annonce à Andreas Babler qu’il rompt les négociations. Dans la foulée, il annonce sa démission de la chancellerie fédérale et de la direction de l’ÖVP.

La volte-face des milieux économiques

S’ouvre alors le troisième acte, celui du retournement des alliances de l’ÖVP. Un des artisans de cette ouverture des conservateurs à l’extrême droite semble être Wolfgang Hattmannsdorfer, nouveau président de la Chambre économique, une structure qui représente les entreprises auprès du monde politique. Il est favori pour remplacer Karl Nehammer à la tête de l’ÖVP et, peut-être, pour devenir vice-chancelier.

Le scénario qui semble s’être dessiné est que « l’aile économique » de l’ÖVP a considéré que le prix à payer pour une grande coalition, notamment une augmentation de la taxe bancaire, était trop élevé. Elle a trouvé des appuis parmi certains dirigeants du parti qui gouvernent déjà des Länder avec le FPÖ, et sont habitués à manier une rhétorique xénophobe. C’est notamment le cas de Johanna Mikl-Leitner, présidente de la région de Basse-Autriche, qui vient de déclarer qu’elle engage un « combat contre l’islam ». Selon le quotidien viennois Der Standard, elle aurait soutenu le tournant au sein de l’ÖVP.

En finir avec la grande coalition pour accepter de rejoindre un gouvernement avec le FPÖ supposait évidemment de sacrifier Karl Nehammer, défenseur de la ligne dure contre l’extrême droite. En passant, cela permettait de faire avancer l’agenda personnel d’un Wolfgang Hartmannsdorfer tout en préservant les intérêts des secteurs économiques protégés par l’ÖVP. Logiquement, Christian Stocker a traduit cette nouvelle orientation de la droite autrichienne par son invitation à la négociation avec le FPÖ.

Le quatrième acte se joue à la Hofburg, dimanche 5 janvier. Alexander Van der Bellen peut-il jouer ce rôle de rempart qui lui a valu ses deux élections à la présidence fédérale ? En octobre, il avait pu éviter de charger Herbert Kickl de former un gouvernement, en dépit de la première place du FPÖ, parce que l’ÖVP de Karl Nehammer avait exclu toute alliance avec lui. Malgré ses 27 %, le FPÖ était isolé et incapable de former un gouvernement.

Les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ sont concordants. Georg Knill, président de l’Alliance industrielle autrichienne

Avec la révolution de palais chez les conservateurs, les choses ont changé. Dans une conférence de presse, dimanche 5 janvier, le président doit le reconnaître en constatant que les voix contre une alliance avec l’extrême droite « se sont faites plus silencieuses » ces derniers jours. Une litote pour constater le renversement des alliances de l’ÖVP. Dès lors, ses options étaient limitées.

Sa première possibilité aurait été de dissoudre le Conseil national. Mais cette dissolution n’est possible, selon l’article 29 de la Constitution, qu’une seule fois pour le même motif. Autrement dit, si Alexander Van der Bellen dissout le Conseil national et que les élections renvoient un Parlement de même facture, il devra se soumettre et nommer Herbert Kickl chancelier. Or les enquêtes d’opinion laissaient entrevoir un renforcement du FPÖ. Cette dissolution, intervenant trois mois après le dernier scrutin, n’aurait pas sorti le pays de la crise politique.

Nommer un gouvernement technique non plus, dans la mesure où l’ÖVP, désormais mûr pour une alliance avec le FPÖ, ne l’aurait pas nécessairement soutenu. Un tel gouvernement aurait été un moyen de forcer une grande coalition après l’échec des négociations. Il ne restait donc que deux options à Alexander Van der Bellen : sa propre démission ou la nomination de Herbert Kickl. Dimanche soir, en invitant ce dernier à la Hofburg, il a choisi cette deuxième option. Et il l’a confirmée lundi matin.

Un profil inquiétant

Le cinquième acte s’écrit en ce moment. C’est la construction de cette nouvelle alliance sur des bases qui restent à définir, mais qui semblent devoir découler des événements précédents. L’ÖVP a choisi de s’allier avec le FPÖ sur la base de priorités économiques. C’est sur ce point qu’il va défendre ses positions. Il pourra compter sur un appui prononcé des milieux économiques. Le président de l’Alliance industrielle autrichienne, Georg Knill, qui n’avait eu de cesse de fustiger le programme « ennemi de l’économie » du SPÖ durant la campagne électorale, s’est réjoui lundi que les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ soient « concordants ».

Le FPÖ devra sans doute abandonner quelques promesses économiques, sur les retraites ou le salaire des fonctionnaires, mais le jeu en vaut la chandelle. D’abord parce que les milieux économiques, du moins ceux de l’ÖVP, seront sans doute ravis de lutter contre ce que Herbert Kickl appelle le « communisme du climat » : réduction des subventions aux énergies vertes et réduction des normes environnementales.

Mais surtout, il y a fort à parier que l’ÖVP lui laisse les coudées franches sur la question de la répression policière, des migrants, des discriminations. Alexander Van der Bellen a certes posé des limites au nouveau gouvernement : respect de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit, des droits des minorités, de l’indépendance des médias et de l’appartenance à l’Union européenne.

Mais l’exemple italien et surtout l’exemple hongrois montrent bien que la stratégie de l’extrême droite est moins d’instaurer directement une dictature que de détruire sournoisement les fondements de la démocratie. Souvent avec l’appui de la droite traditionnelle.

De ce point de vue, le profil du FPÖ de 2025 est inquiétant. Son programme et ses propos visent les demandeurs et demandeuses d’asile et les minorités sexuelles et de genre, mais aussi les mineurs de moins de 15 ans condamnés qu’il veut envoyer en prison. Herbert Kickl défend la déchéance de nationalité pour les Autrichiens naturalisés condamnés, le retour aux méthodes éducatives des années 1950 ou encore l’établissement de « traîtres au peuple ».

Le point le plus délicat à résoudre sera sans doute la politique étrangère. Le FPÖ, allié du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, est encore très eurosceptique, et il est surtout ouvertement prorusse.

En mars 2023, les députés de ce parti ont ainsi quitté les bancs du Parlement qui accueillait le président ukrainien. Mais il semble qu’il y ait de la bonne volonté des deux côtés. Ce sera sans doute un point de friction avec l’ÖVP, qui est un parti europhile et très largement pro-occidental. Mais au regard de leur volte-face, les conservateurs semblent prêts à faire bien des concessions pour éviter toute levée sur les banques ou les plus riches.

Le cas autrichien confirme donc une tendance qui semble s’accélérer depuis les derniers mois de 2024. Une part croissante du monde économique semble s’être radicalisée pour défendre ses intérêts. Dans des économies stagnantes comme l’Autriche, le capital est déterminé à ne faire aucune concession qui puisse réduire sa rentabilité. En cela, l’extrême droite, qui est, de son côté, prête à respecter les intérêts des puissances économiques et qui bénéficie d’un soutien croissant de la population, devient son alliée naturelle et utile.


 

     mise en ligne le 7 janvier 2025

Philippe Val, celui qui a vendu l'âme de Charlie Hebdo

Grégory Marin sur www.humanite.fr

Le journal satirique, rigolard et irrévérencieux, a changé de ton et de cible depuis quelques années. L’influence de son ancien directeur Philippe Val, flirtant à l’époque avec le pouvoir sarkozyste, se ressent à nouveau.

C’est l’histoire d’un canard sauvage qui a fini par être domestiqué, promu « symbole mondial de la liberté d’expression contre l’obscurantisme » par ceux-là mêmes qu’hier il brocardait. La critique est de Daniel Schneidermann, dans un livre à paraître aux éditions du Seuil, le Charlisme raconté à ceux qui ont jadis aimé Charlie. Depuis 2015, après l’attentat qui a laissé la rédaction exsangue, le journal a changé. Mais, à bien y regarder, la dérive était déjà importante, dès 1992 et la renaissance de l’hebdomadaire.

Journal irrévérencieux héritier de Hara-Kiri, Charlie Hebdo « meurt » en 1981. Provisoirement. Car le chansonnier Philippe Val lorgne le titre. En 1991, il avait pris la tête de l’équipe rédactionnelle de la Grosse Bertha, hebdomadaire satirique et « bordélique » dans lequel œuvraient Cabu et Charb. À « un éclat de rire par page » succède un précepte cher à Val : « Il faut des indignations », rapportera la rédaction après son départ. Déjà se dessinaient les contours de son projet futur, dévoilé à l’été 1992 lorsque Charlie Hebdo reparaît : « On ne rigole plus. »

Un changement d’époque

Malgré la présence des grands anciens, Wolinski et Cavanna, Charlie Hebdo va se mettre à « reproduire peu à peu les positions dominantes », analysait Mathias Reymond pour Acrimed en 2008. « Dans les années 1970, Cabu s’insurgeait “contre toutes les guerres” et collectionnait les procès intentés par l’armée. » En 1999, il soutient, avec la majorité de la rédaction (à l’exception de Charb et Siné) et dans la roue de Val, l’intervention militaire de l’Otan au Kosovo.

Dans le numéro 361 du 19 mai 1999, « Riss, qui n’écrit pas d’ordinaire », prend la place de la chronique de Charb, reprochant « aux pacifistes d’être des collabos », souligne Reymond. Même ton pour la campagne sur le traité constitutionnel européen de 2005 : Val « conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du “non” au référendum », souligne Acrimed.

Lors du festival de Groland de Quend, en 2007, Charb, enregistré par Pierre Carles, prenait ses distances : « Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo. (…) Si j’étais directeur d’un journal, (…) il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas. » Il sera exaucé deux ans après. Trop tard pour corriger les effets négatifs : après les décès des dessinateurs Gébé et Bernar, les départs des journalistes Olivier Cyran, François Camé, Anne Kerloc’h, Michel Boujut, Mona Chollet, Lefred Thouron partira à la suite d’un dessin sur Patrick Font, le chansonnier et ex-comparse sur scène du directeur, en procès pour pédophilie.

Dans le même temps arrivent des plumes plus consensuelles : le dessinateur Joann Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, Renaud Dély et Philippe Lançon de Libération, Anne Jouan du Figaro. Et surtout l’essayiste Caroline Fourest, qui, aujourd’hui, relativise les morts d’enfants palestiniens.

« Islamo-gauchisme » et jet-set

Fiammetta Venner, déjà en poste à Charlie, et elle vont mener, avec la bénédiction de Val, très ouvertement pro-israélien, la lutte interne contre « l’islamo-gauchisme ». La publication des caricatures de Mahomet, en 2006, sera instrumentalisée, et la figure de la « petite conne » musulmane aussi utilisée que celle du prédicateur islamiste, rapprochant du journal des personnalités éloignées de la gauche radicale, comme Bernard-Henri Lévy.

Charlie va entrer dans d’autres cercles, des plateaux télé de Thierry Ardisson aux marches du Festival de Cannes. En 2005, Philippe Val confiait au magazine TOC qu’il entendait « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui (il) entret(enait) des rapports cordiaux ». « Plus jamais le charlisme ne parviendra à s’arracher de l’orbite dévorante du pouvoir », écrit Schneidermann.

Ce sont surtout les prétentions de Val à intégrer les cercles politiques qui vont cliver. Le 2 juillet 2008, Siné écrit dans une chronique consacrée à Jean Sarkozy que le « fils de » vient « de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit » ! Bien que l’information, publiée par Libération, émane du patron de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, Siné est cloué au pilori par « le milieu de l’information ». Il doit répondre d’antisémitisme. Pourtant soutenu par Cavanna, Tignous, Honoré, il sera viré.

Sans doute l’analyse de Cavanna, dans Mohicans (Julliard), de Denis Robert, se révèle juste : « La débâcle (du journal – NDLR) a commencé avec le travail de sape de Val, pour qui Charlie Hebdo n’était qu’un marchepied vers une carrière de lèche-cul politique », lâchait-il. Car même si Charlie a continué avec une embellie sur le plan des idées entre le départ de Philippe Val en 2009 pour France Inter et la mort de Charb, son remplaçant, en 2015, son influence persiste.

Des combats contre les puissants, et pour l’écologie, menés à coups de fous rires rageurs, ne subsistent que de rares traces, effacées par l’obsession anti-islamiste, voire quelquefois antimusulmane. Sans doute ceux qui se proclament les chantres de la liberté d’expression, aujourd’hui, sont plus Printemps républicain que Charlie canal historique.


 

   mise en ligne le 6 janvier 2025

Mayotte, la gauche attendue

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Macron, Bayrou et Le Pen se sont rendus à Mayotte et ont fait entendre leurs visions de la reconstruction de l’île. Bien vite, sûrement, entendrons-nous les visions de la gauche.

Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.

Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.

Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.

Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.

La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.

Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne. 

Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.

Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.

L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État. 


 

     mise en ligne le 5 janvier 2025

Après l’étonnant voyage à Damas
des ministres français et allemand,
les questions demeurent

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.

Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.

Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.

Des vœux pieux et beaucoup de non-dits

Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».

Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).

C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».

Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.

Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.

En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.


 


 

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité » : à Strasbourg, les Alévis dénoncent les exactions contre les minorités en Syrie

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.

« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.

« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.

Des exactions contre les communautés

Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.

« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.

Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.

« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.


 

    mise en ligne le 4 janvier 2025

« Nous sommes horrifiées et préoccupées » : deux rapporteures de l’ONU alertent sur les « sommets d’impunité » d’Israël contre le droit à la santé des Palestiniens

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.

Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.

Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».

Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».

« Nous sommes horrifiées et préoccupées »

La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».

Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».

Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.

« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin

Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.

De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.

« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.

De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).


 


 

Guerre à Gaza : avec la destruction de l’hôpital Kamal Adwan, Israël anéantit
le système de santé palestinien

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.

L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.

D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.

Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.

Aucun signe de vie du directeur

Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.

Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.

« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.

Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.

L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.

« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.

Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz

« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.

La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.

Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »

Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.

En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.

Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »

Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».

Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.

L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou

Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.

« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».

Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.


 


 

« Netanyahou n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu » :
le Dr Mustapha Barghouti dénonce
le nettoyage ethnique en cours à Gaza

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.

Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.

Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?

Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.

Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.

On parle pourtant de négociations…

Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.

Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?

Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.

Que peuvent donc faire les Palestiniens ?

Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.

Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.

Que voulez-vous dire ?

Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique.


 

     mise en ligne le 3 janvier 2025

« Il ne nous attaque jamais frontalement » : à Perpignan,
les acteurs de la solidarité menacés
par le maire RN Louis Alliot

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.

« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »

Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».

« Il ne nous attaque jamais frontalement »

Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.

« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »

En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »

Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.

« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »

« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.

La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.

« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »

Un engagement citoyen qui résiste malgré tout

Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »

À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.

C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).

La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.

Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »

Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements

Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.

Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.

Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence


 


 

« Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer "des marrons" » : à la frontière franco-espagnole la répression raciste envers les exilés s’intensifie

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.

Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.

« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.

Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.

Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible

« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »

L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.

Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».

« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »

Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.

« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.

« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »

Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.

*Le prénom a été modifié.


 


 

« Les ONG ne doivent pas hésiter à saisir la justice pour se défendre » : alerte l’avocat Vincent Fillola face à la recrudescence des attaques politico-médiatiques

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.

Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.

Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.

Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?

Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.

Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?

Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.

Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.

Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?

Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.

Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.

Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…

Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.

Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.


 

    mise en ligne le 2 janvier 2025

Marche pour l’application de la loi de réquisition des immeubles vides

DAL fédération sur https://blogs.mediapart.fr/

À peine élu, Macron déclarait : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ; je ne veux plus avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus ». 7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé. Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour exiger l'application de la loi de réquisition sur les immeubles vides et l’abrogation de la loi Kasbarian. Rendez-vous dimanche 5 janvier à St Lazare, Cour de Rome. 


 

À peine élu, Macron déclarait le 27/7/2017 : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement, je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus, c’est une question de dignité, d’humanité ».

7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé et est passé de 143.000 à 330.000, celui des personnes privées de logement personnel est passé de 896.000 à 1.098.000... celui des demandes HLM de 2,2 à 2,7 millions de familles...

Il n’a pas livré « bataille » car il a pactisé avec les spéculateurs et les gentrifieurs, il a criminalisé les locataires en difficulté et les occupants sans titre avec la loi Kasbarian-Bergé et construit toujours moins de logements sociaux !

Pourtant, la France compte 3,1 millions de logements vacants et 9 millions de mètres carrés de bureaux vacants soit 200 000 logements. L’Ile de France compte 416.000 logements vacants et Paris 116 000.

Qu’attend Macron pour faire appliquer la loi de réquisitions sur les logements et bureaux vacants de riches propriétaires ?

Entre 1945 et les années 90, plus de 130 000 réquisitions avaient été prononcées, à Paris.

30 ans après l’occupation de la rue du Dragon, le 18 décembre 1994 et la dernière vague de réquisition qui s’en est suivie en 1995 (1200 logements réquisitionnés), l’État n’a plus le courage d’appliquer cette loi.

Or elle est nécessaire pour sauver des vies, des femmes, des enfants, des personnes handicapées ou âgées, d’hommes, dont la vie ne tient plus qu’à un fil...

Le maire aussi peut réquisitionner en vertu de ses pouvoirs de police, dans l’urgence. Enfin le Préfet peut transférer son pouvoir aux métropoles ou aux communautés de commune. Encore faut-il qu’elles le demandent, même celles de gauche ne l’ont pas fait.

En attendant d’édifier les logements sociaux en nombre suffisants, de baisser les loyers qui n’ont jamais été aussi chers et de juguler la spéculation :

Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour dénoncer des immeubles vides dans Paris, et pour exiger :

  • L’application de la loi de réquisition sur les immeubles vides,

  • L’abrogation de la loi Kasbarian et de toutes les lois et dispositifs qui pénalisent les occupants d’habitats de survie (bidonvilles, cabane, caravanes, squat d’immeubles vides...) !

Premiers signataires :

AG logement 94, ATMF, Bagagerue, CAD, Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, Construire, COPAF, CSP75, DAL, Femmes Egalité, FSU, FUIQP, Héro-ïnes 95, Jamais Sans Toit, La Marche des Solidarités, OST, Pas sans nous, Soupirail, Solidaires étudiant-e-s Paris Banlieue, SUD logement Social, Union Syndicale Solidaires, UTOPIA 56.

Avec le soutien de : PEPS, gauche éco-socialiste.


 

    mise en ligne le 1er janvier 2025

« Je n’étais jamais montée
sur un Bateau-Mouche », le 31 décembre
le Secours populaire invite 150 seniors à un repas gastronomique sur la Seine

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Dans une ambiance festive, 150 Yvelinois de plus de 60 ans accompagnés par le SPF ont pu clore 2024 sur un Bateau-Mouche parisien.

« À la nouvelle année ! » Jeannot lève son verre en direction des passants, qui font signe aux passagers du Bateau-Mouche depuis le bord du quai. « Pour une fois c’est nous que l’on envie ! » s’exclame le sexagénaire avec fierté. Pour ce retraité, cette minicroisière sur la Seine est une première. « C’est formidable ! Je n’étais jamais monté sur ce type d’embarcation. En plus nous sommes traités comme des rois », se réjouit-il en sortant son téléphone pour photographier la tour Eiffel.

Ce 31 décembre, le Mantevillois est l’un des 150 seniors des Yvelines à participer à ce repas festif, proposé par le SPF (Secours populaire français) des Yvelines, avec l’appui de la Fondation de France. Ce repas de fête destiné à rompre leur isolement leur a été proposé par les bénévoles des permanences du SPF qui maillent le département.

Oublier le quotidien

« Il faut souvent insister un peu, explique Martine, qui œuvre à l’antenne de Versailles. Certains ont perdu l’habitude de sortir et pensent que ce genre d’événement n’est pas pour eux. Mais en général, en rentrant, ils ont des étoiles dans les yeux et demandent à revenir l’année suivante. »

C’est le cas de Monique, 63 ans. Un peu intimidée, cette femme sans lien familial et très marquée par une vie jalonnée d’épreuves s’est décidée à venir après un Noël en solitaire. « C’était un peu triste, au moins ici il y a de l’animation. Je n’étais jamais montée sur un Bateau-Mouche, c’est très agréable de glisser sur l’eau », sourit-elle. Pour tous, cette parenthèse est bienvenue.

« Durant quelques heures, on oublie nos problèmes quotidiens, les soucis qu’on se fait pour les enfants… » témoigne Marinette, une mère de famille camerounaise de 61 ans qui vient pour la deuxième fois. Arrivés d’Ukraine en mars 2022 pour fuir les bombardements, Ivan et Gloria, un couple de sexagénaires, regardent défiler les monuments parisiens et observent le ballet des serveurs et serveuses en habit qui s’affairent autour des tables.

« On se sent comme des touristes, ça permet d’oublier un peu la guerre qui frappe notre pays », raconte Ivan. « Actuellement nous sommes hébergés à Maurepas, les Français sont très généreux, mais on aimerait pouvoir rentrer dans notre pays en 2025 », complète son épouse.

Déterminés à faire la fête

Pour d’autres ; ce repas est l’occasion de passer un moment entre amis ou d’échapper aux contraintes de leur foyer. Anita et Muriel, 68 et 60 ans, ont toutes deux travaillé dans la grande distribution. Copines de longue date, elles fréquentent la permanence du SPF d’Aubergenville. Brunes aux yeux clairs, un petit haut noir à paillettes pour chacune, elles pourraient passer pour des sœurs, ce qui les amuse.

« Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » Muriel, 60 ans

Déterminées à faire la fête, elles sont en train de choisir les chansons qu’elles interpréteront lors du karaoké qui suivra le repas. La plus âgée est venue malgré l’inquiétude qui la ronge au sujet de la santé de Didier, son mari, qui n’a pu l’accompagner. Pour Muriel, cette journée signe son indépendance retrouvée après des années passées sous l’emprise d’un homme toxique. « Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » assure-t-elle.

Parmi les autres duos, Nassira et Selim savourent ce moment en contemplant Paris. Septuagénaires, ces parents de sept enfants, « qui ont tous fait des études universitaires », sont arrivés d’Algérie dans les années 1970. Elle était sage-femme, lui, ingénieur en travaux publics. « On s’est saignés pour nos enfants, aujourd’hui ils ont tous un bon métier », relate Nassira. D’ailleurs toute la famille sera réunie pour le 1er janvier. « Mais avant on s’offre une évasion en amoureux », rigole Selim en prenant la main de son épouse.

À la table voisine, Claudia et Monica, deux sexy sexagénaires mantevilloises qui se sont connues aux thés dansants organisés par une association de leur ville, se sont pomponnées pour l’occasion. « C’était le bon jour pour se mettre sur son 31 », plaisante Éric, leur voisin, lui aussi très élégant, en savourant son œuf en meurette.

Qui sera suivi d’une dorade avec des petits légumes puis d’une profiterole à la mousse de poire avec une sauce au caramel, « une tuerie », selon Maïmouna, 72 ans. Elle est venue avec son amie Aziza et d’autres femmes marocaines de Chanteloup-les-Vignes. Habituées du SPF, elles sont parties ensemble quelques jours au bord de la mer à l’automne grâce à l’association.

Créer du lien

Un séjour dont se rappelle bien Huguette Bitor-Jirot, la référente seniors de la fédération des Yvelines du SPF. « Cela permet de créer du lien et parfois, au bout de plusieurs jours, les gens finissent par se confier, alors que par honte de leur situation ils s’étaient murés dans le silence. On a ainsi pu aider une femme victime de violence de la part de son conjoint, alors que cela faisait des années qu’elle subissait les coups et qu’elle n’en avait jamais parlé à personne », révèle la longue dame blonde aux cheveux courts tout en gardant un œil sur la salle pour s’assurer que tout se passe bien.

De fait, l’ambiance est plutôt bonne, rythmée par les accords d’un pianiste qui interprète des airs de chansons célèbres durant le repas. Mais le bateau s’enflamme quand vient l’heure du karaoké. Anita et Muriel ouvrent le bal avec un duo remarqué sur la Bonne du curé d’Annie Cordy, enchaînent avec l’entêtant Pour un flirt de Michel Delpech, avant de laisser la place à Éric, qui suscite pas mal d’émotions en entonnant Mistral gagnant de Renaud.

S’ensuivent des tentatives plus ou moins réussies d’interprétations de Dalida ou de Claude François, qui ont le mérite de susciter fous rires et encouragements. Avant de quitter les lieux, alors que la ville s’illumine, une chenille géante fait se lever l’assemblée, dont les membres semblent peu pressés de rejoindre les bus pour regagner les Yvelines.

Pascal Rodier, le responsable de l’antenne des Yvelines, à l’initiative de l’événement, affiche un sourire ému. Pour ce fils de cheminot et d’une communiste engagée au SPF, salarié de l’association depuis 2001, « il faudrait pouvoir organiser davantage de moments festifs de cette nature ». Hélas, déplore-t-il, « désormais l’essentiel de nos ressources se concentre sur les distributions alimentaires car les besoins ont explosé ces dernières années ».


 

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