PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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LE SITE 100-paroles.fr FAIT UNE PAUSE

 

REPRISE D'ACTIVITÉ VERS LE 10 SEPTEMBRE

   mise en ligne le 16 juillet 2024

Pour la justice fiscale,
gouvernons avec le peuple

Par Pascal Savoldelli et Éric Bocquet, (sénateurs PCF) sur www.humanite.fr

En sept ans de pouvoir, Emmanuel Macron a entrepris une série de réformes fiscales qui, sous couvert d’une prétendue nécessité de baisser les prélèvements obligatoires, ont renforcé les inégalités et profité aux 5 % de ménages les plus riches. La politique fiscale du Président de la République est devenue le symbole d’une politique injuste, inaudible et éloigné des réalités des Français.

L’économiste Gabriel Zucman s’alertait il y a peu du fait que la France était devenue un « paradis fiscal » pour les milliardaires. C’est bien le sens de la suppression insolente de l’Impôt de solidarité sur la fortune mais aussi de revenus financiers toujours moins imposés que les revenus du travail. Enfin, la dernière loi de finances comprend plus de 175 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises (6,6 % du PIB contre 2,4 % en 1979), sans contreparties au maintien de l’emploi, de l’activité, de la transition écologique.

Il est donc urgent de sortir la fiscalité de l’influence d’une culture de marchés. Les travailleuses et les travailleurs de ce pays doivent obtenir la reconnaissance de leurs capacités créatives et productrices.

Le consentement à l’impôt a en partie été miné par l’impression de faire peser la pression fiscale sur les couches populaires et intermédiaires, mensongèrement réputées exclues de l’imposition et qui pourtant, cotisent sur leurs revenus et s’acquittent de la TVA sur leur consommation. Si les Français sont majoritaires à considérer que le paiement d’impôt et de taxes est justifié car ils financent les services publics (sondage Elabe, pour l’Institut Montaigne et les Échos du 5 octobre 2023), ils sont 76 % à considérer que le système fiscal ne permet pas la redistribution des richesses. Cette majorité a voix au chapitre !

La très forte volonté de changement qui a conduit le Nouveau Front Populaire en tête des élections législatives trouve d’ailleurs en son cœur la nécessité d’une rupture en matière de fiscalité. Des impôts justes, c’est le prix de la démocratie. C’est poser les jalons d’une autre répartition des richesses produites. Au premier titre, la transformation de l’impôt sur les revenus qui profitera à 92 % des ménages, en passant de 5 à 14 tranches d’impôts.

De la même façon, le principe fiscal selon lequel les gros payent gros et les petits payent petits nous a déjà conduit, nous, parlementaires communistes, dans l’hémicycle, à proposer de rehausser le taux de l’impôt sur les bénéfices.

Aussi, devons être convaincus du bien-fondé de prélever 90 % de chaque euro supplémentaire de revenus excédant 400 000 euros. Faut-il rappeler que le taux marginal d’imposition sur le revenu en France était de 70 % dans les années 1960, et 91 % aux États-Unis ? Leurs économies n’ont alors jamais été aussi florissantes et redistributives : la catastrophe annoncée n’aura donc pas lieu et les mesures de réparation de nos services publics et du pouvoir d’achat seront financées. Oui, le programme du Nouveau Front Populaire est chiffré, travaillé de longue date par les parlementaires des différents partis qui le défendent à chaque débat budgétaire, et il est surtout nécessaire.

Nécessaire parce que nous alertons depuis décembre 2023 sur les risques budgétaires qu’encourt notre pays. Et nous ne nous y sommes pas trompés : le 21 février 2024, le Ministre de l’Économie grevait par décret de 10 milliards d’euros les finances de l’État. Soit l’aveu que les prévisions du gouvernement étaient hasardeuses, ses politiques non financées et son budget insincère.

Si la désinformation conjuguée à l’offensive des forces du capital a donné l’illusion d’un programme « pire que celui du Rassemblement National », c’est bien que le capital, les marchés financiers, ceux qui s’accaparent les richesses produites par le travail mènent la bataille pour empêcher la formation d’un gouvernement du Nouveau Front Populaire.

Le conflit entre les intérêts du travail et ceux du capital est d’une pleine actualité. Là est l’urgence de passer d’une campagne d’offre électorale éclaire à une campagne de mobilisation populaire durable. Sans l’intervention multiforme de toutes et tous, du monde du travail, de la société civile, les tentatives de réformes du gouvernement de gauche demeureront extrêmement fragiles voire contrées. L’exigence d’une autre répartition des richesses doit être portée par le corps social et dépasser le cadre du Nouveau Front Populaire, qui seul, ne parviendra pas à obtenir le rapport de force vis-à-vis du capital et de la droite qui se coalisent et s’organisent.

 

   mise en ligne le 15 juillet 2024

« Les politiques d’adaptation climatique protègent les plus riches »,
révèle Oxfam

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Un rapport d’Oxfam France montre comment la crise climatique a déjà commencé à affecter les droits fondamentaux des citoyens français les plus fragiles. Son corédacteur, Quentin Ghesquière, détaille les conséquences des carences de l’État en termes d’anticipation.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) l’a souligné : il existe un lien entre changement climatique et inégalités, les plus pauvres étant à la fois les plus impactés par les conséquences de celui-ci et les moins protégés par les mesures prises par les pouvoirs publics pour y faire face.

Le rapport d’Oxfam rendu public ce lundi 15 juillet, intitulé « Changement climatique : nous ne sommes pas prêt·e·s », montre « comment la grande improvisation des politiques d’adaptation favorise les plus riches » au détriment des droits humains.

Ce rapport montre que le changement climatique nourrit les inégalités. Ce n’est pas nouveau…

Quentin Ghesquière (OXFAM) : On sait que les plus riches, en polluant davantage, contribuent massivement à l’aggravation de la crise climatique et que les plus pauvres sont en première ligne en matière de conséquences. Mais ce rapport montre que les actions d’adaptation peuvent infléchir cette tendance, soit en accroissant soit en réduisant les inégalités. Prenons l’exemple des habitants des quartiers populaires.

En plus de vivre dans des endroits hyper-artificialisés, ils sont les plus exposés à la pollution de l’air, habitent des passoires thermiques… Alors que l’État devrait protéger ces populations, il ne remplit pas son rôle en n’offrant pas les moyens d’adaptation et en ne permettant pas de politiques urbaines beaucoup plus résilientes (végétalisation des espaces, isolation des logements sociaux, etc.).

C’est valable aussi pour les personnes qui travaillent en extérieur. On parle souvent des travailleurs du BTP, mais de nombreux autres métiers sont concernés et ne bénéficient pas de statut qui les protège du changement climatique. Au contraire, les politiques d’adaptation actuelle protègent avant tout les plus riches.

Prenons l’exemple de la « gentrification verte » : la végétalisation des villes augmente la valeur des biens immobiliers des populations aisées et entraîne le déplacement des populations modestes vers les périphéries non végétalisées, plus chaudes en été.

Vous estimez que cette situation constitue une menace pour nombre de droits humains en France ?

Quentin Ghesquière : Sur les 50 droits fondamentaux garantis par l’Union européenne, 26 sont susceptibles d’être directement ou indirectement menacés. C’est par exemple le cas du droit à l’éducation : 7 316 écoles maternelles, soit environ 1,3 million d’enfants de 2 à 5 ans, seront affectées par des vagues de chaleur supérieures à 35 °C d’ici à 2030. On peut aussi évoquer le droit à la santé, alors que le système hospitalier est déjà en tension – 103 hôpitaux sont menacés de fermeture totale ou partielle d’ici à 2100 en raison d’aléas climatiques extrêmes. 

Le nouvel hôpital de Nantes, dont la reconstruction est estimée à 25 milliards d’euros, est ainsi implanté dans une zone submersible, sans aucune prise en compte des effets de la montée du niveau de la mer, qui pourtant affectera l’île de Nantes et, du coup, l’hôpital. Et la liste est encore longue.

Les politiques d’adaptation de la France semblent être reléguées au second plan…

Quentin Ghesquière : La France est dotée d’un plan d’adaptation depuis 2011. Mais il se résume à des déclarations sans objectif précis qui renvoient à des dispositifs déjà existants, dotés d’aucun moyen. Le dernier plan d’adaptation s’est achevé en 2022. À ce jour, aucun plan n’a été publié, ni soumis à aucune consultation.

L’État réagit en outre toujours après et par à-coups. Quand des mesures existent, elles sont activées en réaction à une catastrophe plutôt que par anticipation, et restent sectorielles. Il a ainsi fallu attendre les incendies de Gironde et des Landes pour que le budget consacré à la sécurité civile soit structurellement augmenté pour faire face aux nouveaux risques de méga-feux.

En plus d’être prises dans l’urgence, ces mesures sont souvent insuffisamment financées…

Quentin Ghesquière : Les plans ont toujours manqué d’ambition et de ressources dédiées. Il faudrait consacrer plusieurs dizaines de milliards d’euros par an à l’adaptation. Mais il est impossible de donner un chiffre global. En revanche, on a chiffré les coûts économiques du manque d’adaptation.

Depuis 1980, la France a cumulé 120 milliards d’euros de pertes financières, soit le 2e coût le plus élevé au niveau européen. Et sur la même période, l’Agence européenne de l’environnement estime que 45 000 personnes sont décédées en France en raison du réchauffement climatique. Les projections à l’horizon 2055-2064 anticipent une baisse d’environ 1,5 % du PIB français liée au climat, soit une perte de 39 milliards d’euros…

Et dans le même temps, l’État alloue des milliards d’argent public à des activités contribuant au dérèglement climatique. On a néanmoins l’impression qu’il y a eu un sursaut sur ces questions ces derniers mois, je pense notamment au plan eau qui est loin d’être parfait mais a le mérite d’exister.

Pourtant, si on se réfère à la campagne des législatives, la question climatique a été totalement absente du débat politique…

Quentin Ghesquière : C’est vrai, le sujet a été totalement éclipsé. Mais au niveau de la société, le climat reste la 2e préoccupation principale des Français, selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) publiée en 2023. Les Français ont bien compris l’enjeu.

Le réchauffement climatique est rentré dans leur quotidien, avec les épisodes de fortes chaleurs, les inondations, les incendies. Le mouvement des agriculteurs a également mis sur le tapis les questions climatiques et des aléas qui ont une incidence directe sur leurs revenus.

Cela démontre l’urgence à prendre le sujet à bras-le-corps. Au nouveau gouvernement de s’en emparer et d’y répondre. Nos recommandations – des investissements conditionnés à des critères de réduction des inégalités et d’efficacité, un droit du travail adapté au climat, un plan national d’adaptation au changement climatique contraignant, de vrais moyens alloués – sont là pour l’y aider.


 

   mise en ligne le 14 juillet 2024

« Des boules humaines de flipper » 
forcées à se déplacer :
à Gaza, 90 Palestiniens tués par Israël dans une zone « sécurisée »

Pierre Barbancey surwww.humanite.fr

Au moins 90 personnes, dont la moitié serait des enfants, ont été tuées samedi 13 juillet lors d’une frappe ordonnée par Benyamin Netanyahou ciblant un dirigeant du Hamas. Le secrétaire général de l’ONU compare la condition des civils à des « boules humaines de flipper », forcées de se déplacer.

Al-Mawasi est censée être une zone humanitaire sécurisée. C’est en tout ce que prétend l’armée israélienne qui, à plusieurs reprises, a exhorté les Palestiniens à s’y rendre après avoir émis des ordres d’évacuation d’autres parties de la bande de Gaza.

Mais le commissaire général de l’organisme des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, avait prévenu qu’aucune zone n’était en réalité sécurisée. Il avait raison. Samedi 13 juillet, Israël a lancé une frappe sur ce quartier densément peuplé, faisant au moins 90 morts (dont la moitié d’enfants) et 300 blessés.

« Je ne pouvais même pas dire où j’étais, ou ce quil se passait », a expliqué à l’agence Reuters Sheikh Youssef, un résident de la ville de Gaza qui est actuellement déplacé dans la région d’Al-Mawasi. « J’ai quitté la tente et regardé autour de moi : toutes les tentes ont été renversées, des parties de corps, des corps partout, des femmes âgées jetées par terre, de jeunes enfants en morceaux. » Ce même jour, une frappe sur le camp d‘Al-Shati, en bordure de la ville de Gaza, plus au nord, a fait au moins 20 morts.

Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent beaucoup d’enfants morts

Officiellement, Israël cherchait à tuer le chef militaire du Hamas, Mohammed Deïf, mais Benyamin Netanyahou, sans un mot pour les civils tués, a avoué qu’il ne savait pas si Deïf et un autre commandant du Hamas avaient été tués. Il « va bien et supervise directement les opérations des brigades al-Qassam (la branche armée du Hamas – NDLR) et de la résistance », a fait savoir un responsable du mouvement palestinien en évoquant Mohammed Deïf.

« La frappe a été menée dans une zone clôturée gérée par le Hamas où, selon nos informations », ne se trouvait « aucun civil », a affirmé de son côté l’armée israélienne, estimant que « la plupart des victimes étaient des terroristes ». Un discours à l’adresse du public israélien.

Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent beaucoup d’enfants morts. « Je ne sais pas quoi dire, la situation est tragique. Je n’exagère pas, nous avons des funérailles toutes les quinze minutes en quittant l’hôpital. Cela se poursuit depuis l’incident. Un par un, des gens se font tuer », révèle Mohammed Aghaalkurdi, de l’aide médicale palestinienne qui se trouve à l’hôpital de Nasser.

Beaucoup de personnes blessées, y compris des femmes et des enfants, ont été emmenées à l’hôpital voisin de Nasser, qui, selon ses responsables, était débordé et « ne pouvait plus fonctionner » en raison de l’intensité de l’offensive israélienne et d’une pénurie aiguë de fournitures médicales. « L’hôpital est plein de patients, il est plein de blessés, nous ne pouvons pas trouver de lits pour les gens », a insisté Atef Al Hout, directeur de l’hôpital, ajoutant que c’était le seul qui opérait encore dans le sud de Gaza.

38 584 Palestiniens seraient morts et 88 881 blessés

Netanyahou a promis de continuer à cibler les dirigeants de l’organisation palestinienne, affirmant que plus de pression militaire sur le groupe améliorerait les chances d’un accord en vue de libérer les otages. Pourtant, alors que des pourparlers séparés avaient lieu depuis mercredi 10 juillet au Qatar pour tenter d’établir un cessez-le-feu, le Hamas aurait décidé d’arrêter toute discussion à la suite des frappes sur Al-Mawasi, mais les déclarations en ce sens sont contradictoires.

Ces discussions avaient été relancées après une concession, la semaine dernière, de cette organisation, qui avait accepté de négocier la libération d’Israéliens et de prisonniers palestiniens en l’absence d’un cessez-le-feu permanent avec Israël.

Samedi 13 juillet au soir, le chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a accusé Benyamin Netanyahou de chercher à bloquer un cessez-le-feu par des « massacres odieux. La position israélienne (…) consiste à placer des obstacles qui empêchent de parvenir à un accord », a-t-il précisé, mettant en avant à l’inverse une « réponse positive et responsable » du Hamas aux efforts des médiateurs.

Josep Borrell, chef de la politique étrangère de l’Union européenne, a demandé « l’accès à des enquêtes indépendantes » afin de déterminer les responsabilités concernant l’attaque de l’armée israélienne contre le camp de réfugiés d’Al-Mawasi.

Quant au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, il a accusé Israël de publier des ordres d’évacuation qui forcent les Palestiniens à « se déplacer comme des boules humaines de flipper dans un paysage de destruction et de mort ». Selon le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, qui dirige la bande de Gaza, depuis le 7 octobre, désormais 38 584 Palestiniens seraient morts et 88 881 blessés.


 

   mise en ligne le 13 juillet 2024

Après cinq jours de négociations,
le Nouveau Front populaire
en proie à mille et un doutes

Lucas Sarafian  sur www.politis.fr

Coalition, Premier ministre, contrat de gouvernement… Socialistes, écologistes, communistes et insoumis tentent d’imaginer des voies de sortie pour accéder au pouvoir. Mais encore faut-il réussir à accorder ses violons.

Pression maximale. Le Nouveau Front populaire (NFP) continue de négocier mais aucun accord n’est prêt à être signé. Cela fait cinq jours que la gauche réunifiée doit échafauder une réponse au camp présidentiel qui concentre toutes ses attaques sur les socialistes, les écologistes, les communistes et les insoumis. À l’image de ces nombreux macronistes qui annoncent défendre une motion de censure si des représentants de La France insoumise (LFI), voire certains membres des Écologistes, sont nommés dans un gouvernement du NFP.

Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion. T. Thiollet

Le 10 juillet, Emmanuel Macron en remet une couche. Après trois jours de silence, le Président publie une lettre aux Français dans laquelle il demande « à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». Une manière, une nouvelle fois, de sous-entendre que LFI ne ferait pas partie des forces politiques républicaines au même titre que le Rassemblement national. Et de faire un appel du pied aux socialistes.

Mais Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, ne cède pas. « J’ai fait le choix du rassemblement de la gauche et je n’en bougerai pas », répond-il sur France 2. Pour Jean-Luc Mélenchon, « Emmanuel Macron fait du ‘front républicain’ une alliance politique qui devrait produire un gouvernement ou une majorité au Parlement. Il ne peut en être question. Le soi-disant ‘front’ n’est pas une alliance politique ». Le NFP est au pied du mur. Il y a urgence : la coalition des gauches doit s’entendre.

« Ajuster ses violons »

Pour François Thiollet, membre de l’exécutif des Écologistes, « la force du NFP, c’est l’unité. Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion. À nous, au contraire, d’affirmer que nous sommes prêts à gouverner et solides pour le faire ». Mais toujours rien. Aucune proposition de chef de gouvernement, aucune communication officielle. La gauche rame. « Tout le monde doit ajuster ses violons parce qu’on donne le sentiment de ne pas pouvoir y arriver », lâche le sénateur socialiste du Val-d’Oise Rachid Temal.

Les réunions se multiplient, les visioconférences aussi. Les échanges bilatéraux continuent. Des réunions secrètes se tiennent dans le 10e arrondissement de Paris, parfois jusque très tard dans la nuit. Au cœur des négociations, le maire de Marseille, Benoît Payan, Pierre Jouvet et Olivier Faure pour les socialistes, l’eurodéputé David Cormand et Marine Tondelier pour les écologistes, Paul Vannier, Manuel Bompard, Clémence Guetté et Aurélie Trouvé pour les insoumis et, Fabien Roussel, Igor Zamichiei et Christian Picquet pour les communistes.

Mais personne n’arrive à s’entendre. Qu’est-ce qui coince ? Tout d’abord, la composition du gouvernement. Certains socialistes, comme Philippe Brun, défendent un gouvernement qui prend en compte les équilibres parlementaires. En clair, former un exécutif qui compte des socialistes, des figures centristes, des macronistes et des élus de droite.

Les insoumis sont fermement opposés à ce type de gouvernement d’union nationale. Les socialistes rentrent désormais dans le rang, même si certains envisagent d’attirer des soutiens venus de l’aile gauche de la Macronie – des ponts existent entre Raphaël Glucksmann et certains représentants de cette frange du camp présidentiel. « Nous souhaitons un gouvernement du Nouveau Front populaire qui mette en œuvre des mesures majoritaires comme la hausse du smic ou l’abrogation de la réforme des retraites, dit un négociateur PS. Là où il peut y avoir quelques nuances, c’est sur la façon de construire des compromis avec la Chambre. »

Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis. R. Cardon

Deuxième point qui crée quelques débats : l’éventualité de construire des compromis avec le Parlement. Les insoumis veulent l’application pleine et entière du programme de rupture de ce contrat de législature du Nouveau Front populaire. Les communistes et les socialistes envisagent un gouvernement qui soit capable de discuter et de construire des compromis avec d’autres forces politiques, ces fameuses majorités texte par texte qu’Emmanuel Macron et ses exécutifs successifs n’ont jamais réussi à construire en situation de majorité relative.

Le désaccord est profond à gauche. « Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis. Il y a des propositions sur lesquelles les macronistes peuvent difficilement s’opposer comme les superprofits ou l’augmentation du smic. On se torture l’esprit avec les manœuvres, mais on peut accepter simplement le débat politique », estime le sénateur socialiste de la Somme, Rémi Cardon. Le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj répète une formule : « Un gouvernement minoritaire qui répond aux aspirations majoritaires. »

Bras de fer

Le dernier point, c’est le casting. La répartition des ministères est une question, mais ce n’est pas celle qui crée le plus de discussions. De nombreux noms circulent comme celui de Cécile Duflot, défendue par les Écologistes, ou Éric Coquerel pour être à la tête du ministère de l’Économie. Mais qui pour Matignon ? L’hypothèse de Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a circulé. Tout comme le nom de Clémence Guetté, une députée LFI qui compte beaucoup dans l’appareil insoumis puisqu’elle a dirigé le programme de Jean-Luc Mélenchon durant la présidentielle de 2022. « Dans n’importe quelle situation de stress et d’urgence, elle aura un cap programmatique clair », dit le député insoumis Hadrien Clouet.

Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste.

Le nom d’Olivier Faure fait aussi son chemin. L’option est évoquée durant le bureau national du parti le 8 juillet et l’idée est même soutenue par l’ex-Président qui fait son retour à l’Assemblée, François Hollande, selon Libération. Le 9 juillet, le premier secrétaire du PS se dit « prêt à assumer cette fonction ». Pour le secrétaire général du Parti socialiste et eurodéputé Pierre Jouvet, Faure est « le seul profil qui peut rassurer et être Premier ministre ». Le bras de fer s’installe avec les insoumis. « Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste », juge un cadre de gauche.

Le mouvement mélenchoniste estime que le groupe le plus important à l’Assemblée nationale doit proposer un nom pour la Primature. Le 11 juillet, les négociateurs proposent une liste de candidats potentiels : le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard, la coprésidente de l’institut La Boétie, Clémence Guetté, la présidente du groupe insoumis à la chambre basse, Mathilde Panot, et le triple candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Le fondateur du mouvement insoumis est omniprésent médiatiquement depuis la création du NFP.

Mais écologistes, communistes et socialistes jugent que le fondateur de La France insoumise est trop clivant, pas assez consensuel pour créer du consensus à l’Assemblée et faire adopter des textes. « Clémence Guetté, Mathilde Panot, Johanna Rolland, Clémentine Autain, Marine Tondelier… Nous avons un nombre de personnes de grande qualité qui feront un gouvernement solide. L’enjeu, ce ne sont pas les destins individuels, mais notre destin collectif en tant que nation », estime la présidente sortante du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, pressentie pour être la candidate du NFP à la présidence de l’Assemblée nationale.

Les Écologistes veulent rester dans une position de neutralité – ce qui a tendance à agacer les socialistes – et avancent un argumentaire : c’est la méthode de désignation du Premier ministre qui résoudra les conflits. Les verts parlent d’un vote entre parlementaires, une idée soutenue initialement par les socialistes. Mais le temps presse. Car les groupes sont en pleine discussion pour se constituer. Et les discussions patinent toujours. Les composantes du NFP doivent absolument se mettre d’accord.

L’option Huguette Bello

Ce 12 juillet en fin de matinée, un nom circule dans le petit monde politico-journalistique : Huguette Bello. La présidente du conseil régional de La Réunion – symboliquement candidate aux européennes sur la liste de La France insoumise menée par Manon Aubry – est inconnue du grand public, mais elle a un profil idéal, selon les communistes qui poussent cette option discutée dans un conseil national du parti organisé ce jour, d’après L’Humanité. « J’ai effectivement proposé la candidature d’Huguette Bello », explique Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, sur BFMTV.

Selon lui, Huguette Bello aurait les compétences pour construire une majorité et « discuter avec le Président ». Mais cette option ne ravit pas les socialistes. « Elle n’a pas voté le mariage pour tous quand elle était députée. Catherine Vautrin a été écartée pour ces raisons. Je n’imagine pas le NFP valider cette candidature », considère Luc Carvounas, ex-député PS et maire d’Alfortville (Val-de-Marne). Le premier acte des négociations vient de se clore. Mais la petite pièce de théâtre ne fait que commencer.

Et en attendant, Emmanuel Macron joue sa propre partition, laissant entendre qu’il pourrait construire une coalition anti-NFP pour ravir à la gauche la présidence de l’Assemblée : le nom de Yaël Braun-Pivet circule, la droite pourrait approuver et le Rassemblement national pourrait ne pas s’y opposer – l’ex présidente de l’Assemblée nationale s’étant engagée à attribuer des postes au RN, comme la précédente législature, ce que la gauche refuse catégoriquement.


 

   mise en ligne le 12 juillet 2024

À quoi joue le Nouveau Front populaire ?

Basile André sur https://blogs.mediapart.fr/

La marche du RN vers le pouvoir a été interrompu par la fougue républicaine du peuple français. Mais, de ce sursis, le Nouveau Front populaire a décidé d'en faire une chienlit, en se noyant dans le torrent des égos politiques, lesquels sont par essence nuisibles à l’expression de l’intérêt général.

Dimanche dernier, à la surprise générale, le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections législatives, devant Ensemble et le Rassemblement national. Alors que nous étions promis au pire, le peuple français a fait montre de républicanisme, en empêchant Jordan Bardella et les siens d’accéder au pouvoir.

Ce vote nous oblige à faire preuve de lucidité.

La vague RN est loin d’être endiguée. Nous l’avons momentanément affaibli, à la faveur du sursaut populaire et d’un mode de scrutin qui freine considérablement son expansion, ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans poser question. Contre le triomphalisme ambiant, je rappelle ici que le RN a rassemblé plus de 10 millions de voix et que 9 partis (PC, PS, FI, EELV, Ensemble, Modem, Horizons, UDI, LR) ont dû s’employer pour lui barrer la route de Matignon. Je rappelle également que la gauche hors métropole (cf. mon billet précédent) s’est fait balayer, réduisant encore un peu plus nos chances d’être majoritaire. 

À ce stade, nous avons simplement appliqué un pansement sur une jambe de bois. Il nous reste quelques mois pour répondre aux questions de fond qui nous ont été posées par les Françaises et les Français.

Ce vote nous oblige à faire preuve de responsabilité.

Hélas, depuis quelques jours, c’est loin d’être le cas.

Le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections législatives. L’usage républicain veut donc que le chef de l’État se tourne vers nous pour former le nouveau gouvernement, sauf à se comporter comme Mac Mahon.

Mais comment pourrait-il le faire tandis que nous sommes incapables de proposer le nom d’un Premier ministre ? Comment pouvons-nous faire la démonstration de notre volonté de gouverner alors que nous sommes noyés dans le torrent des égos politiques, lesquels sont par essence nuisibles à l’expression de l’intérêt général ?

La lutte des places a remplacé la lutte des classes. Les stratégies personnelles l’emportent sur la vie des gens.

Le spectacle que nous donnons est pathétique. Il l’est d’autant plus que nous savons pertinemment qu’un gouvernement « NFP » a très peu de chances de survivre à une motion de censure.

Or, chaque jour qui passe renforce cette hypothèse, érode un peu plus notre légitimité démocratique et donne de la consistance au calcul cynique d’Emmanuel Macron. Dans un régime parlementaire, le chef de l’État doit se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes. Mais, avec notre attitude, nous lui donnons la capacité de laisser le temps aux autres partis politiques de constituer une coalition alternative.

Pour quels motifs ? Parce que la FI, au service de Jean-Luc Mélenchon, qui sait parfaitement qu’elle est trop clivante pour occuper Matignon, veut provoquer une crise politique avec le secret espoir d’obtenir des élections présidentielles anticipées ? Parce que le PS, redevenu force de gravité à gauche, veut faire la démonstration qu’il est impossible de gouverner avec les insoumis, ce qui justifiera la création d’une coalition élargie avec les macronistes ? Parce que les uns et les autres estiment que le pays est ingouvernable et qu’il faut mieux placer ses pions dans la perspective d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, dans un an ?

Et le peuple dans tout ça ? À quel moment les chefs à plume y pensent-ils dans leurs négociations de petits bourgeois ? Pas souvent, je le crains.

 C’est peut-être ça le fond du problème. Le champ politique est tellement endogame, tellement cloisonné, tellement peu représentatif de la société, qu’il a fini par se couper des réalités matérielles vécues par les citoyennes et les citoyens.

J’espère me tromper, mais il apparait désormais certain que nous passerons l’été avec Gabriel Attal et Bruno Le Maire, avant de voir débarquer un nouveau gouvernement de droite, à la philosophie austéritaire et ultra sécuritaire, quand l’époque appelle à la réparation de notre démocratie et à l’édification d’une véritable République laïque et sociale.

Je lis ici ou là que le Président de la République, Emmanuel Macron, se comporte comme Napoléon III. C’est juste. Mais en agissant ainsi, le Nouveau Front populaire lui donne raison.


 

   mise en ligne le 11 juillet 2024

Législatives 2024 : Sophie Binet appelle à se joindre aux mobilisations du jeudi 18 juillet « pour mettre l’Assemblée nationale sous surveillance »

Extraits du Direct après les législatives : journal du 11 juillet

                      sur www.humanite.fr


 

18h00 : Qui comme premier ministre ? L’impatience monte côté NFP...

Alors que les discussions se poursuivent au sein du Nouveau Front populaire, les élus de gauche mettent la pression sur les partis pour qu’ils accélèrent. Ils veulent qu’un nom sorte rapidement du conclave pour forcer la main à Emmanuel Macron. Mais pour définir le potentiel futur locataire de Matignon au sein du NFP, il faut déjà déterminer un mode de désignation…

17h50 : La Coordination rurale menace de sortir « les fourches » si les insoumis ou les écologistes entrent au gouvernement

La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français, a menacé de sortir « les fourches » en cas d’entrée au gouvernement des « insoumis » ou des écologistes, lors d’une mobilisation, jeudi, à l’occasion du passage du Tour de France dans son fief du Lot-et-Garonne.

« L’horreur absolue, pour nous, serait d’avoir au gouvernement Marine Tondelier ou un autre tocard ministre de l’écologie ou de l’agriculture », a déclaré le dirigeant syndical Serge Bousquet-Cassagne, qui a ajouté : « On aurait préféré que le Rassemblement national soit au pouvoir, on les a jamais essayés. »

16h21 : Ian Brossat alerte du « fléau » des violences transphobes à Paris

Sur X, Ian Brossat interroge le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet du « fléau » que sont les violences transphobes à Paris. Le sénateur communiste de Paris rappelle que « la région parisienne a récemment été le théâtre de deux actes transphobes d’une violence inouïe ». Ses déclarations font référence au meurtre d’une femme transgenre, Angélina, le 5 juillet dans l’Oise et à celui de Géraldine, dans le 16e arrondissement de Paris, ce mardi 9 juillet, à caractère transphobe.

Il demande à Gérald Darmanin quelles mesures concrètes compte-t-il mettre en place pour « améliorer les conditions d’accueil et de soutien des victimes d’infractions, d’insultes et de violence transphobes ».

13h55 : Olivier Faure fustige les propos de Gérard Larcher

Le sénateur des Yvelines Gérard Larcher avait affirmé, ce jeudi matin, sur la chaîne BFMTV, que si le président choisissait un premier ministre issu du NFP, il s’y opposerait et appellerait ses « amis » à « censurer ce gouvernement car ça ne correspond pas à la volonté profonde des Français. »

Dans la foulée, le premier secrétaire du parti socialiste a réagi sur X (ex-Twitter) : « LR a refusé de participer au front républicain. La gauche s’est désistée pour ses candidats sans aucun retour. Nous l’avons fait parce que nous connaissons le péril de l’extrême droite. Elle est là, la noblesse de la gauche ». Le député de la 11e circonscription de Seine-et-Marne a ajouté : « Dans les propos de Gérard Larcher je ne vois que sectarisme et cynisme. »

12h35 : Thierry Nier (CGT Cheminots) : ​​« Sept années de Macronisme, ça suffit »

Alors qu’Emmanuel Macron refuse de nommer un gouvernement NFP, la CGT cheminots appelle à des rassemblements devant les préfectures, le 18 juillet prochain, pour mettre la pression sur l’ouverture de la session parlementaire. Entretien avec son secrétaire général, Thierry Nier :

12h20 : Boris Vallaud (PS) « ne souhaite pas » de recours au 49.3

Le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud « ne souhaite pas » de recours à l’arme constitutionnelle du 49.3 malgré la situation de majorité relative de la gauche. « Nous ne pouvons pas reprocher une brutalisation du Parlement par Emmanuel Macron depuis sept ans et faire de même. N’imposons pas nos mesures, essayons de convaincre sur notre programme et de rassembler », juge le député dans un entretien à l’Express où il plaide à « un gouvernement de Front populaire » et « un parlement de Front républicain » qui respecte le verdict des urnes.

La députée écologiste Sandrine Rousseau a également appelé « à dire ”on n’utilisera pas le 49.3 et on accepte de perdre sur des textes”». « Je ne dis pas qu’on utilisera jamais le 49.3, mais je dis qu’il faut le proscrire autant que faire se peut, faire en sorte qu’on puisse avoir des majorités d’idées sur un certain nombre de sujets », a également estimé le sénateur communiste Ian Brossat sur Sud Radio.

12h01 : Pour aller plus loin : la menace RN écartée pour un temps, comment la société civile entend peser sur les politiques publiques

Alors que la menace d’une majorité absolue RN à l’Assemblée est écartée, tout reste désormais à (re) bâtir. Les acteurs associatifs et syndicaux réclament une prise en compte des préconisations de la société civile dans la construction des politiques publiques. L’enjeu : que l’extrême droite ne revienne pas plus forte demain.

Pour beaucoup, ce changement de paradigme passe forcément par l’union de la gauche. « Responsables de gauche, ne nous trahissez pas ! » exhortait d’ailleurs Lyes Louffok, militant pour les droits de l’enfant et candidat malheureux du Nouveau Front populaire (NFP) dans la première circonscription du Val-de-Marne, au soir du second tour des élections.

Même certitude du côté du collectif féministre NousToutes, qui attend « un gouvernement qui respecte la voix des urnes, avec un ou une premier·ère ministre qui soit féministe, antiraciste mais aussi écologiste et social·e », énumère Gwen, une militante.

Pour France Nature Environnement également, le programme du NFP est « le seul qui porte les vrais enjeux ». « Pour la Macronie et la droite, on voit bien que les enjeux écologiques se résument à la réduction carbone et à la transition écologique. C’est oublier les questions de la mer, de la biodiversité, des transports, etc. », plaide Antoine Gatet.

11h52 : Fabien Roussel (PCF) sur les négociations au sein du NFP : « il y a une volonté d’aboutir au plus vite »

À propos du nom du premier ministre et de la composition d’un gouvernement en négociation au Nouveau Front populaire, « il y a une volonté d’aboutir au plus vite pour répondre à l’attente des Français. J’ai moi-même fait part de mon impatience de façon assez forte », explique le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, dans un entretien à libération, tout en estimant qu’il « faut sans doute ce temps-là pour être solide dans notre union » et qu’il « ne faut surtout pas brutaliser la discussion ».

« Nous sommes tous d’accord sur le fait que nous n’irons pas dans une coalition qui nous lierait aux macronistes et qu’il est hors de question de rogner sur notre programme », constate aussi le communiste.

11h35 : Après Moody’s, le gouverneur de la Banque de France crie haro sur le programme du NFP

Après le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui agite le chiffon rouge de la faillite de la France, l’agence de notation Moody’s qui a menacé de dégrader sa note, c’est au tour du gouverneur de la banque de France de crier haro sur le programme du Nouveau Front populaire : « Je crois (…) que, dans la compétition économique, nos PME, nos entreprises ne peuvent pas être alourdies par des coûts salariaux excessifs, y compris le smic, et par des impôts trop lourds », a déclaré François Villeroy de Galhau, sur franceinfo, tout en reconnaissant ne pas avoir « d’évaluation de telle ou telle mesure ».

Ce qui ne l’empêche pas de livrer ses certitudes : « Ça serait très mauvais pour l’emploi tout de suite, et très mauvais pour le pouvoir d’achat à terme », a-t-il estimé à propos de l’augmentation du smic à 1 600 euros, sans tenir compte du fait que le NFP a prévu des mesures pour accompagner les petites et moyennes entreprises qui en auraient besoin.


 

11h25 : Philippe Poutou appelle à la mobilisation pour obtenir un gouvernement et une politique de gauche

Sur X, Philippe Poutou (NPA), candidat malheureux du Nouveau Front populaire, en a appelé, ce mercredi, à la mobilisation après la lettre adressée aux Français d’Emmanuel Macron. « Il est quand même très probable que pour obtenir un gouvernement de gauche menant une politique de gauche, il faille pousser très fort par en bas, par une mobilisation unitaire, des manifs, des grèves… C’est notre seule façon de contrer les manœuvres et l’hostilité des dominants », estime-t-il.

10h42 : Manon Aubry (FI) sur le nom du premier ministre NFP : « c’est une affaire d’heures »

« La lettre d’Emmanuel Macron est profondément choquante car il persiste dans un déni total de démocratie. Le Président refuse de reconnaître sa défaite et d’admettre la victoire du Front Populaire : c’est un coup de force politique inacceptable », a estimé ce matin sur franceinfo, l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. « Le problème n’a rien à voir avec le nom du Premier ministre » sur lequel le Nouveau Front populaire est en négociation, a-t-elle également estimé.

« C’est une affaire d’heures », a jugé l’insoumise à ce sujet tout en insistant : « Ce sera le plus rapidement possible mais il va falloir au bout d’un moment que le président de la République regarde la réalité en face, qu’il a perdu ces élections et qu’il fasse ce que tout président de la République démocrate devrait faire, c’est-à-dire nommer un premier ministre issu du premier bloc politique (de l’Assemblée). Faute de quoi, ce sera un coup de force démocratique. »

« J’appelle à une large mobilisation populaire, citoyenne, de la société civile autour du programme du Nouveau Front Populaire », a-t-elle ajouté, rappelant qu’en 1936 « les grandes conquêtes de la gauche ont été obtenues notamment grâce au mouvement social » et saluant, plus tard sur BFMTV, l’appel à la mobilisation pour le 18 juillet lancé par la CGT.


 

10h04 : Sophie Binet appelle à se joindre à la mobilisation du jeudi 18 juillet

« Je pense qu’il faut toutes et tous rejoindre ces rassemblements pour mettre l’Assemblée nationale sous surveillance et appeler au respect du vote populaire » a déclaré la secrétaire générale de la CGT a appelé, ce jeudi matin sur la chaîne LCI .

« Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire », écrivait la CGT Cheminots dans un communiqué, mercredi 10 juillet.


 


 

08h53 : Marylise Léon (CFDT) : « ce qui intéresse les Français, c’est comment on change leur vie »

« Ce qui me frappe dans la lettre d’Emmanuel Macron, c’est qu’il ne parle pas vraiment aux Français : il parle aux politiques », a estimé, sur France Inter, ce jeudi matin, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon.

« J’ai fait un courrier hier à l’ensemble des députés pour leur dire qu’il faut compter aussi sur la société civile, il faut s’appuyer sur les forces syndicales, les forces associatives, les ONG pour pouvoir réparer un peu notre démocratie parce qu’on est vite passé à autre chose mais on a frôlé la catastrophe », a-t-elle rappelé, estimant que « si le RN était arrivé au pouvoir, on aurait été dans une tout autre configuration et rien ne peut plus être comme avant ».

« Je suis un peu exaspérée d’entendre parler d’alliances entre formations politiques, moi ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les Français et les travailleurs que je représente, c’est ce qu’on va leur proposer concrètement, comment on change leur vie », a-t-elle ajouté.

« C’est légitime que ce bloc arrivé en tête pose ses conditions et que l’on parte de leur programme, c’est ce qu’ont demandé les citoyens. C’est important de respecter le vote », estime également la syndicaliste.


 


 

08h40 : Pour Sophie Binet (CGT), Emmanuel Macron a « deux choses toutes simples à faire »

« Je suis très inquiète parce qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas compris qu’il est président de la République et qu’il doit être garant du respect des institutions, de la démocratie et des urnes, rassembler le pays au lieu de jeter des bidons d’essence à chaque fois qu’il y a des incendies », a déclaré ce matin sur LCI, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.

« Le problème c’est qu’aujourd’hui Emmanuel Macron n’est même plus crédible dans son propre camp, qui est en train d’exploser, et qu’il joue une partition uniquement partisane. Il faut qu’il entende le résultat des urnes », a-t-elle ajouté à propos de la lettre adressée aux Français par le président de la République.

Selon la syndicaliste, le chef de l’État a « deux choses toutes simples à faire » : « La première, c’est demander à la force qui est arrivée en tête aux élections dimanche de désigner un premier ministre. Et la deuxième, c’est de laisser faire le parlement pour trouver des majorités de projet sur les réformes à faire pour le pays. »


 


 

07h43 : Sandrine Rousseau à propos de la proposition de premier ministre du NFP : « Nous mettons beaucoup trop de temps, nous devons sortir les noms »

Invitée de RMC ce matin, l’écologiste Sandrine Rousseau a jugé « inquiétante » la lettre adressée aux Français par Emmanuel Macron, évoquant notamment une « ambiguïté vis-à-vis du Rassemblement national ». « Je suis extrêmement inquiète. C’est dans ces moments qu’on voit les grands chefs d’État, et là manifestement on ne le voit », a-t-elle déclaré.

À propos du choix d’un nom d’un éventuel premier ministre par le Nouveau Front populaire, la députée a jugé que les discussions prenaient « beaucoup trop de temps » : « Nous devons sortir les noms », a-t-elle insisté pointant le risque d’ajouter de l’inquiétude à la situation tout en reconnaissant que les négociations se déroulent « dans le flou » du fait de l’attitude des autres forces politiques qui menace par exemple de censure immédiate un gouvernement qui comprendrait des insoumis.

« Le Nouveau Front populaire a été impulsé par un mouvement citoyen, social, là on est dans des trucs un peu boutiquiers. À gauche, il se passe toujours la même histoire : est-ce qu’on est là pour donner un élan ou savoir qui sera devant l’autre ? Aujourd’hui il ne nous faut pas tomber dans ce travers », a également estimé celle qui candidate pour la présidence de l’Assemblée nationale.


 

07h12 : La CGT Cheminot appelle à la mobilisation le 18 juillet

« Lors du dernier scrutin des élections législatives, nous avons franchi une première étape qui doit permettre de renouer avec le progrès social, mais le plus important reste à faire », estime la CGT Cheminot, dans un communiqué publié hier. « La CGT et ses organisations appellent solennellement Emmanuel Macron à respecter le résultat des urnes. Pas question de continuer sa politique économique et sociale violente. Le nouveau gouvernement doit être formé au plus vite, autour du programme du Nouveau Front Populaire », écrit également le syndicat alors que le président de la République à appeler à former un rassemblement de « tous les républicains » dans une lettre aux Français.

Pour faire face à ces manœuvres, l’organisation cheminote appelle à la mobilisation : « Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire. »

 

   mise en ligne le 10 juillet 2024

100 euros bruts de plus par mois, c'est ce que réclament les salariés en grève de cette grande entreprise de Dordogne

Marie-Sylvie Prudhomme et Marc Bertrand sur https://www.francebleu.fr/infos/

Depuis hier soir mardi, l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne tourne au ralenti. A l'appel de la CGT, de nombreux salariés ont débrayé pour réclamer de meilleurs salaires. La grève est reconductible.

Selon la CGT, 80 % des salariés du site de Condat-sur-Trincou sont en grève ce mercredi matin © Radio France - Marc Bertrand

Depuis mardi soir, les salariés de l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne sont en grève à l'appel de la CGT. Un mouvement organisé dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour les salaires. Ce mercredi 10 juillet dans la matinée, ils étaient une cinquantaine de salariés grévistes réunis devant l'entrée de l'usine de Valade, qui emploie près de 500 personnes.

100 euros bruts pour tous les salariés

Le mouvement est très suivi selon le syndicat qui annonce un chiffre de 80% de grévistes, alors que la direction parle de 37,5% sur la journée. Mardi soir, au moment de la prise de service du personnel de nuit, aucune des 12 lignes de production ne fonctionnaient. Ce mercredi matin, trois lignes sur 12 étaient en activité selon l'entreprise.

La CGT réclame une augmentation de 100 euros bruts par mois pour l'ensemble du personnel. De son côté, la direction propose une augmentation de salaire de 2%, soit environ 40 euros en moyenne, qui suit l'inflation. L'entreprise fait remarquer que les salariés ont touché une prime d'intéressement de 4.000 euros au mois de mai, pour les récompenser des bons résultats de l'entreprise.

La grève est reconductible

L'autre site de Mademoiselle Desserts en Dordogne qui emploie 35 personnes à Thenon est également touché par le mouvement mais dans une moindre mesure. Quatre salariés étaient en grève mercredi matin, selon l'entreprise.

La grève est reconductible, annonce la CGT. La dernière réunion des NAO doit se dérouler vendredi 12 juillet, le syndicat compte mettre la pression sur la direction d'ici là. L'année dernière, en 2023, les salariés avaient obtenu une augmentation de 103 euros bruts par mois après trois jours de grève.


 

   mise en ligne le 9 juillet 2024

Aux urgences, le gouvernement
dégrade encore l’accueil

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Le gouvernement encore en place profite de la situation politique pour publier des textes législatifs en comptant sur l’absence de relais par les médias et donc une absence d’information et de réaction de la population. Ainsi un arrêté publié le 2 juillet précise les modalités de mise en œuvre d’un décret de décembre 2023 définissant des « conditions temporaires de l’accès aux urgences » qui restreint encore plus la possibilité d’accès aux services d’urgence.

Nous sommes déjà dans une situation très dégradée, avec les fermetures régulières et inopinées de très nombreux services, obligeant les patients à appeler le centre 15 au préalable pour savoir s’ils peuvent se rendre dans leur hôpital de proximité ou s’il faut se diriger vers un autre établissement plus éloigné.

Des patients reçus par des secouristes formés en 14 heures

Il est ainsi précisé que l’accueil physique dans les structures d’urgence peut être assuré par un professionnel de santé ou une personne titulaire de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence, c’est-à-dire un secouriste. En clair, en situation d’urgence, lors de votre arrivée dans un hôpital, la personne avec laquelle vous pourrez avoir un premier contact sera titulaire d’une formation durant 14 heures pour le premier niveau et 21 heures pour le 2e niveau ! Quelle que soit la bonne volonté de ces personnes, cette procédure met clairement les patients et elles-mêmes en danger, avec un risque de mauvaise appréciation de la gravité potentielle de la situation.

Une autre partie du texte explique qu’une orientation préalable, en amont de l’accueil du patient et de sa prise en charge sera effectuée par un auxiliaire médical « qui met en œuvre des protocoles d’orientation préalable par délégation du médecin présent dans la structure ». Donc vous ne verrez pas de médecin mais ce qu’on appelle un.e infirmier.ère d’orientation et d’accueil qui pourra décider de vous réorienter vers une consultation en ville auprès d’un médecin qui a transmis ses disponibilités à l’hôpital. En clair, tout est fait pour que vous ne puissiez pas entrer dans le service d’urgence et être vu par un médecin.

Se mobiliser pour rétablir un service public de la santé

Mais tout n’est pas perdu car il est prévu que ce dispositif doit faire « l’objet d’une information de la population incluant une diffusion sur le site internet de l’Agence régionale de santé ». Donc, en situation d’urgence, n’oubliez pas de consulter le site internet de l’ARS avant de vous précipiter aux urgences ! Cette situation de dégradation de notre système de soins devient de plus en plus intolérable. Cette casse du service public de santé accélérée par la politique menée par E. Macron peut aujourd’hui être stoppée en s’appuyant sur les résultats des élections législatives. Le programme du Nouveau Front populaire est une bonne base pour remonter la pente.

Mais il faut être conscient qu’il ne suffit pas de mettre un bulletin dans l’urne pour imposer les changements nécessaires. Seules des mobilisations puissantes des professionnels de santé avec la population sur le terrain permettront d’imposer d’autres choix pour notre Sécurité sociale et de rétablir un service public de santé permettant à chacun de pouvoir se soigner en proximité, sans être obligé de renoncer aux soins pour des raisons financières.


 

   mise en ligne le 8 juillet 2024

Après les résultats à Montpellier :
« La bataille, ce sera demain,
à l’Assemblée nationale »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Des centaines de personnes ont fêté la victoire du Nouveau Front populaire devant le bar associatif du Quartier Généreux. Une soirée assombrie par les résultats du département : le Rassemblement national remporte cinq des neuf circonscriptions de l’Hérault.

Montpellier (Hérault).–  S’il existait un adjectif pour définir une joyeuse sidération, il serait parfait pour décrire le frisson qui a traversé la foule, dimanche à 20 heures, devant le Quartier Généreux, un bar associatif de Montpellier. Quand les premiers résultats se sont affichés sur l’écran de télévision, les centaines de personnes massées devant la vitrine ont d’abord ouvert grands les yeux, vérifié que c’était bien réel puis hurlé de joie. « La gauche a gagné ! Le Nouveau Front populaire est devant ! », « Le RN est troisième ! Oui, troisième ! », font passer celles et ceux des premiers rangs aux personnes qui n’arrivent pas à apercevoir l’écran.

Un sourire presque hagard sur les lèvres, une femme d’une cinquantaine d’années est en larmes. Devant elle, un homme pleure dans les bras de sa compagne. « J’ai eu peur, tellement peur », soufflera-t-il quelques minutes plus tard. Les gens se serrent, s’étreignent, se rapprochent et entonnent un « Siamo tutti antifascisti », régulièrement chanté jusque tard dans la soirée.

Ce résultat, peu y croyaient avant 20 heures. La surprise est totale. « Nous sommes douze minutes avant la fin du monde », se désespérait ainsi Louise, en attendant les premières estimations. « J’ai l’impression qu’une météorite va nous tomber dessus », prédisait-elle, l’air sombre. Finalement, c’est un feu d’artifice, tiré à proximité du Quartier Généreux, qui est venu fendre le ciel quelques heures plus tard. « Montpellier est résolument une ville de gauche ! », s’enthousiasme un groupe d’ami·es.

Une bière à la main, Antoine et Aïssatou se disent « submergés par la victoire ». La jeune femme, qui se prépare à devenir professeure des écoles, évoque le « fort impact psychologique » de cette campagne et sa peur, « une peur de survie », en tant que femme racisée. « J’ai déjà une charge raciale même quand l’extrême droite n’est pas au pouvoir ? Là, c’était très compliqué à imaginer… »

Antoine, qui a pleuré à 20 heures, revient sur son émotion : « Des larmes de soulagement et de fierté. » La fierté d’avoir milité pendant trois semaines – ce qu’il n’avait plus fait depuis dix ans – et d’avoir vu « tant de monde entrer dans le mouvement ». « L’ alliance de tous les acteurs de la société civile, c’est ça qui m’a embarqué, poursuit-il. Plus que jamais il faut continuer, il faut investir tous les espaces. Moi je ressors avec ça, ce soir. »

Pendant que les discours des politiques s’enchaînent à la télévision et que Jordan Bardella est copieusement moqué, une bande de jeunes survoltés harangue les voitures qui passent près de la place Albert 1er. Les coups de klaxon sont incessants, comme un soir glorieux de finale de coupe du monde. Et ça va durer des heures.

Un grand drapeau français fend la foule, barré du message « Se réapproprier le drapeau ». « Et ouais, cest pas réservé aux footeux ou aux fachos ! », rigole une jeune femme. Arthur, qui porte l’étendard, acquiesce. « C’est notre France, c’est notre drapeau. » « Et notre France, elle est de gauche ! Elle est belle, ouverte et mixte ! », enchaîne Fiona à ses côtés. Drapeau palestinien sur les épaules, la jeune femme de 22 ans dit avoir eu « la boule au ventre » avant 20 heures. « On n’était pas confiants », concède-t-elle.

Soudain, l’ambiance s’assombrit devant l’entrée du bar. Les résultats des neufs circonscriptions de l’Hérault commencent à arriver et avec eux, de mauvaises nouvelles. Le candidat Nouveau Front populaire de la quatrième, Sébastien Rome, est battu par la candidate RN. Il était le député LFI sortant. C’est un coup dur pour les militant·es.

Un tableau, qui recense les résultats du département, se remplit peu à peu. Et les mines sont déconfites. Le Rassemblement national remporte cinq circonscriptions, le Nouveau Front populaire, quatre. En 2022, le RN en avait décroché trois. « On est contents des résultats nationaux mais au niveau local, c’est vraiment moche », déplore une bénévole du Quartier Généreux. « Il faut profiter de cette soirée, puis profiter de l’été pour se reposer mais à la rentrée, on se retrouve et on se remet à bosser ! », scande un autre au micro.

« Après ces résultats, il faudrait que la gauche reste solidaire mais c’est trop tôt pour parler de ça ! Ce soir, on profite », commente Natty, venue avec ses ami·es Illy et Mehdi. Ils ont entre 25 et 32 ans et ont rejoint la place Albert 1er pour « être avec une population de gauche ». « Ici, c’est un lieu safe, c’est surtout pour ça », ajoute Mehdi, qui ne se sent pas en sécurité face à la déferlante des violences racistes ces dernières semaines. « On sent des regards insistants. Et ça installe de la suspicion, on se demande qui a voté RN. Plus de dix millions de personnes qui ont voté pour ce parti au premier tour, c’est pas rien... », conclut le jeune homme, d’ores et déjà inquiet pour 2027.

« Malgré la joie ce soir, j’ai peur de la pente dans laquelle on descend. On y est, on y est toujours », estime également Fred pour qui les résultats de ces législatives ne sont qu’une étape. « La victoire d’aujourd’hui, c’est que le RN se sera pas au pouvoir. Mais la bataille ce sera demain, à l’Assemblée nationale », poursuit-il.

Murielle, bénévole au Quartier Généreux, abonde : « Je me demande ce que ça va donner à l’Assemblée. Je me demande si la gauche va rester unie. On l’a vu, avec la Nupes. Dès le lendemain ils ne se connaissaient plus ! » Surprise de voir autant de monde, et beaucoup de nouvelles têtes, à cette soirée du bar associatif et engagé, elle en est toutefois convaincue : « Cette société civile, elle, ne va pas se diviser. » Ce soir, Murielle veut profiter du souffle d’espoir et de joie qui balaie la foule. Et lève son verre bien haut : « Dans ce verre, il y a le seum de Bardella ! C’est la cuvée du Seum de Bardella ! »


 

   mise en ligne le 6 juillet 2024

Stopper la marée brune
qui monte depuis 40 ans

par Ivan du Roy sur https://basta.media/

Si le pire – l’arrivée à Matignon de l’extrême droite – peut encore être évité, ce ne sera qu’un sursis supplémentaire. La gauche et la société civile mobilisées doivent désormais répondre à des questions en suspens depuis trop longtemps.

L’extrême droite aura donc mis 40 ans pour être en mesure d’accéder au pouvoir par les urnes en France. Le 17 juin 1984, le Front national emmené par un certain Jean-Marie Le Pen réalisait sa première percée électorale lors d’un scrutin national, attirant 2,2 millions de voix (11 %) aux européennes. Hormis quelques soubresauts, le parti des Le Pen n’a cessé de progresser lentement mais sûrement depuis.

La gauche résiste encore à cette lente marée brune, mais pour combien de temps ? Avec 28 %, la dynamique du Nouveau Front populaire fait mieux que la Nupes en 2022, attirant 3 millions d’électeurs et d’électrices supplémentaires, grâce à la participation sans précédent depuis 30 ans pour ce type d’élection. Problème : l’extrême droite profite également de la mobilisation des abstentionnistes.

Avec 29,5 %, le RN double son nombre de voix comparé à 2022 (9,37 millions ce 30 juin 2024 contre 4,24 millions le 12 juin 2022), auxquelles s’ajoutent le ralliement d’une partie de la droite – les candidats soutenus par LR version Eric Ciotti avec l’appui du RN – qui permet au bloc d’extrême droite de peser 33 %. Ce bloc fait, dès le 1er tour, le plein en terme de voix comparé aux résultats cumulés de ses candidats à la présidentielle de 2022 – les plus de 10,5 millions de voix qui s’étaient portées sur Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.

Barrer la route de Matignon à l’extrême droite

Ce qui n’est pas le cas de l’union de la gauche à qui il manque, sur le papier, plus d’un million de voix quand on regarde les scores obtenus par ses candidats – dispersés – en 2022 (Jean-Luc Mélenchon pour LFI, Yannick Jadot pour Les Verts, Fabien Roussel pour le PCF et Anne Hidalgo pour le PS). Quant au bloc macroniste (20 %), s’il progresse très légèrement en voix (mais pas en pourcentage des voix exprimés) par rapport aux précédentes législatives, il s’effondre, perdant plus de 3 millions d’électeurs et électrices, comparé au résultat qu’avait obtenu Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle.

Lors du second tour du 7 juillet, pour éviter que l’extrême droite obtienne une majorité, tout dépendra donc de la réalité des désistements en faveur du candidat non-RN le moins mal placé dans les 239 circonscriptions où des triangulaires entre RN, Front populaire et Renaissance pourraient avoir lieu. Et bien évidemment de la capacité de l’électorat, qu’il soit de gauche, centriste, de droite « classique » ou abstentionniste selon les cas, à se résoudre à voter pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite.

Si la stratégie du barrage à l’extrême droite fonctionne encore malgré tout, le pays demeurera en sursis. Quelle que soit la situation qui émergera au soir du 7 juillet, un vaste travail d’introspection devra être mené, en particulier à gauche. Un travail d’introspection qui a toujours été remis à plus tard depuis 40 ans, encore moins depuis l’accession surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, aux dépens de Lionel Jospin, signe avant-coureur de ce qui se passe aujourd’hui.

Pourquoi un tel succès pour un parti raciste, anti-social, climatosceptique ?

Les excuses conjoncturelles, si elles sont à prendre en compte, ne suffisent pas à expliquer cette lente marée brune. Oui un certain traitement médiatique, au goût prononcé pour le buzz et les clichés simplistes, a contribué à dédiaboliser le RN, comme l’émergence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête, perçu comme encore plus à droite et outrancier. Oui la constitution d’un groupe de médias par Bolloré a accéléré la diffusion de la propagande et l’idéologie d’extrême droite à plus grande échelle. Mais la marée brune n’avait pas attendu ces vents favorables pour grossir.

Oui la réputation de la gauche politique est encore desservie par l’inconsistance de la présidence Hollande : son absence de vision à long terme sur le partage des richesses ou l’écologie, sa loi travail, ses crédits d’impôts sans conditions aux grandes entreprises, sa légitimation des obsessions de l’extrême droite sur l’immigration et l’islam, légitimation poursuivie par les récents gouvernements…

Oui, l’éclatement de la Nupes et le temps perdu à se déchirer et à brutaliser le débat – notamment depuis le 7 octobre – a encore coûté cher aux formations de gauche. Celles-ci ont agréablement surpris leur électorat en réussissant à former le Front populaire. Mais procrastiner sur les sujets de fond face à la montée de l’extrême droite a suffisamment duré.

Pourquoi une force politique, issue d’une tradition qui n’a strictement et historiquement rien apporté de positif à la France – et pire, qui est même synonyme de déshonneur, de rejet, de haine et de l’élimination d’une partie de ses citoyens – obtient de tels succès ? Pourquoi un projet raciste – remise en cause du droit du sol, stigmatisation des bi-nationaux, focalisation sur l’immigration (comprenez : suspicion et discrimination envers toutes les personnes non blanches) – attire toujours davantage d’électeurs et d’électrices dans une France, l’un des pays les plus mixtes en Europe, où la tolérance vis à vis des minorités progresse globalement depuis 30 ans ?

Pourquoi un parti, qui n’a aucun projet social, excepté des mesures opportunistes, et qui méprise tout ce qui constitue le modèle social français, continue de faire illusion sur ce sujet ? Pourquoi, alors que de plus en plus de Français vivent dans leur chair les conséquences du réchauffement climatique – inondations, canicules ou sécheresses – c’est le parti qui n’apporte strictement aucune réponse, niant même la question du réchauffement, qui continue d’être électoralement en tête ?

Pourquoi encore, ce parti qui n’a aucune vision en matière d’émancipation par l’éducation et par la culture, ne proposant uniquement que mesures autoritaires et sanctions, continue de séduire autant ? Comment la gauche, politique, syndicale, culturelle, associative, a-t-elle pu à ce point s’affaiblir, voire disparaître, dès qu’on s’éloigne des zones urbaines ?

Sortir de la paresse intellectuelle

Historien.ne.s, économistes, syndicalistes, chercheurs, scientifiques, défenseurs et défenseuses des droits humains, journalistes (en particulier les médias indépendants) et des dizaines de tribunes de la société civile ont beau pointer toutes ces contradictions – et bien avant ces échéances électorales – ; rien n’y fait. Cela ne semble avoir aucun impact. La marée brune poursuit sa route, là où, localement, la contradiction a disparu, sur les thématiques où les partis et penseurs de gauche ont trop longtemps pécher par paresse intellectuelle ou confort de l’entre-soi.

Abroger telle ou telle loi inique ne suffira pas ; ni augmenter le Smic sans expliquer aux petits employeurs comment ils seraient accompagnés ; ni demander plus de moyens pour les services publics sans travailler à leur réelle amélioration et organisation ; ni expliquer qu’il faudra davantage d’impôts sans s’attaquer à une gestion rigoureuse et efficiente de l’argent public ; ni prôner la transition écologique, la sobriété ou l’abandon des véhicules thermiques sans expliquer comment, concrètement, ne pas en exclure toute une partie de la population, en particulier en zone rurale. Se contenter d’appeler à la paix dans le monde ne fait pas non plus une politique extérieure. Cette liste est loin d’être exhaustive.

La gauche s’est déchirée pendant un an et demi avant de s’unir à nouveau face à la menace sous la pression, aussi, de son électorat. Elle est en capacité de rattraper son retard sur tous ses sujets. Elle peut s’appuyer sur la richesse de la réflexion, des expérimentations, des savoirs, accumulés par tout ceux et toutes celles qui refusent une aube brune.


 

   mise en ligne le 5 juillet 2024

« Ce bulletin de vote peut changer nos vies » : à Champigny, Sophie Binet en soutien au candidat NFP

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

La secrétaire générale de la CGT est venue soutenir Julien Léger dans la 5e circonscription du Val-de-Marne, où le communiste affrontera le macroniste Mathieu Lefèvre dans une triangulaire.

Les drapeaux rouges de la CGT sont de sortie devant l’Intermarché au cœur du quartier des Boullereaux, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Au micro, ce mercredi 3 juillet, Sophie Binet s’exprime : « Julien Léger est capable de travailler avec tout le monde sur la base de l’intérêt des salariés. Ce bulletin de vote peut changer nos salaires, nos retraites, nos vies. »

À quatre jours du second tour des législatives anticipées, la secrétaire générale de la CGT a effectué un premier déplacement pour apporter son soutien à un candidat dans la 5e circonscription du Val-de-Marne. « Indépendante mais pas neutre », la Confédération avait, dès le 18 juin, appelé à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP).

Perte de 20 policiers depuis 2021

Sophie Binet et le candidat campinois sont des connaissances de longue date au sein de la CGT. « Je connais Julien depuis longtemps, notamment durant le conflit contre la loi travail. C’est un militant droit, intègre et extrêmement courageux, mesure la cégétiste. À l’Assemblée, ce sera un député qui permettra d’inverser le rapport de force face au capital. Il défendra les droits des salariés, loin des jeux d’appareil. »

Avec 37,27 % des suffrages, Julien Léger talonne de peu le député sortant macroniste Mathieu Lefèvre (38,52 %), proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La candidate RN, Isabelle Huguenin-Richard (20,4 %), complète le casting de cette triangulaire sans être en mesure de l’emporter. « Moins de 800 voix nous séparent du candidat soutenu par tous les barons locaux de la droite, les réserves de voix sont dans nos quartiers populaires, estime le communiste. Ce député sortant ne s’est jamais déplacé dans nos quartiers pour réclamer des services publics, ni même a protesté contre la fermeture de la Poste au centre de Nogent-sur-Marne. »

Par la présence de Sophie Binet dans le quartier des Boullereaux, les militants locaux ont voulu mettre en lumière le recul des services publics. Dans la gare SNCF, les agents ont été remplacés par des machines, sur fond de privatisation des transports en Île-de-France. Surtout, les communistes réclament depuis de nombreuses années la réouverture du second commissariat dans la commune, depuis, transformé en un centre de santé.

« Jamais Mathieu Lefèvre n’a appuyé ces revendications. Pire, depuis 2021, nous avons perdu 20 policiers dans notre secteur ! » fustige Julien Léger. « Nous ne pouvons plus continuer avec les logiques économiques et sociales d’Emmanuel Macron, insiste Sophie Binet. L’élection de Julien se joue à quelques voix. Nous avons besoin de députés de la société civile comme Julien Léger et Lyes Louffok, militants des droits de l’enfant. Les deux circonscriptions de Champigny peuvent faire basculer la future majorité. »

Grève historique à l’Intermarché des Boullereaux

Les habitants du quartier ont aussi en mémoire la lutte des salariées de l’Intermarché, en septembre 2023. « Sur la quarantaine de salariés, 80 % ont tenu une grève de trois semaines, dont la plupart sont des femmes. Certains avaient vingt années d’ancienneté. Nous avons tout de suite reçu un fort soutien des habitants. La caisse de grève débordait. Les commerçants donnaient à manger aux grévistes », rappelle Laurence Viallefont, secrétaire de l’union locale CGT de Champigny-sur-Marne.

Pour Sophie Binet, « par leur mobilisation historique, ces salariées ont obtenu 100 euros d’augmentation pour tous, le respect des salariés par la direction, l’application des libertés syndicales, le paiement des heures supplémentaires et des jours » enfant malade ». C’est une belle victoire qui montre qu’il est possible d’obtenir des avancées sociales ».

De son côté, Julien Léger veut retenir la méthode victorieuse. « Ces femmes ont reçu le soutien des syndicats, des associations et des partis politiques. Les militants PCF ont été très actifs pour leur venir en aide. C’est cette union qui a permis de triompher sur le patron, comme un air de Front populaire avant l’heure. »

Selon le communiste, « le maire LR Laurent Jeanne et le député Mathieu Lefèvre n’ont pas trouvé une minute pour soutenir ces femmes. Nous ne devons plus laisser ce député, responsable de l’explosion des scores de l’extrême droite, en poste ». « L’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs parce qu’elle divise avec son racisme. Quatre militants RN ont été condamnés à six mois de prison pour avoir passé à tabac un homosexuel. Que se passera-t-il demain avec un gouvernement Bardella ? » fustige la secrétaire générale de la CGT. À Champigny, les digues ont d’ailleurs cédé. L’adjoint au maire chargé de la sécurité, Grégory Goupil, est également secrétaire régional d’Alliance 93… un syndicat de police d’extrême droite.


 

   mise en ligne le 4 juillet 2024

Législatives 2024 :
comment le RN est-il devenu
le catalyseur des violences en France  ?

Benjamin König sur www.humanite.fr

Agressions, menaces, insultes : l’arrivée potentielle de l’extrême droite au pouvoir semble ouvrir les vannes d’une violence raciste et politique inédite depuis des décennies. Le risque terroriste n’est pas à écarter de la part d’individus fascinés par les tueries d’Oslo ou de Christchurch. La France peut-elle entrer dans une période sombre ?

C’est un monde parallèle mais bien réel, qui rassemble des dizaines de milliers de personnes. Ils ont pour nom Ouest Casual ou Canal Natio ; des groupes de militants et sympathisants de l’extrême droite radicale, où l’on se prépare à passer à l’action. « Vous êtes prêts ? » demande un contributeur accompagnant son message d’images d’une bombe et d’une explosion.

On y relaie les dernières actions, les violences envers des militants de gauche, on liste les ennemis – antifascistes, militants du Nouveau Front populaire, personnes racisées, musulmans, juifs, féministes ou personnes LGBTQI+. On prend la pose lors de manifestations fascistes, avec des tee-shirts sur lesquels figure le slogan : « Au fusil, au couteau nous imposerons l’ordre nouveau. » On célèbre la violence qu’on attend impatiemment, peut-être suite aux élections législatives qui pourraient « déclencher des émeutes : espérons » !

« On est nazis, putain ! »

Au lendemain des européennes, de nombreux groupes d’extrême droite ont même pensé que l’heure de la « grande guerre raciale », comme ils la nomment, était venue. Dans le Vieux-Lyon, un des quartiers gangrenés par les groupuscules depuis des années, une cinquantaine de militants fascistes ont manifesté, agressant plusieurs personnes selon des témoignages, en scandant : « On est nazis, putain ! », « Islam hors d’Europe ! » Le soir du 9 juin, Gabriel Loustau, le fils d’un proche de Marine Le Pen, a agressé un homosexuel à Paris avec plusieurs acolytes se revendiquant du GUD, le Groupe union défense, une organisation historique de l’extrême droite.

Au commissariat, l’un d’eux s’est exclamé : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du pédé autant qu’on veut ! » et « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hitler reviendra… » Au-delà des cas emblématiques comme l’assassinat du rugbyman Federico Aramburu en 2022 par Loïk Le Priol, lui aussi membre du GUD, les actes de violence de l’extrême droite se multiplient. Marginaux durant longtemps, ils sont en nette hausse depuis 2022 : de 35 attaques graves perpétrées par l’extrême droite entre 2019 et 2022, elles ont bondi à 22 rien que pour 2023, selon le centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo. Et en cas d’arrivée du RN au pouvoir ?

Pour Pietro Castelli Gattinara, professeur de science politique à l’université libre de Bruxelles et chercheur à Sciences-Po, il convient de distinguer plusieurs formes de violence liée à des groupes d’activistes. « L’activisme extraparlementaire de l’extrême droite peut prendre trois formes principales : des actions individuelles et non revendiquées, comme une bonne partie de celles que nous avons vues pendant la crise des migrants ; des actions collectives non revendiquées, telles que l’infiltration dans des groupes de riverains, ce qui a été le cas d’actions à Dublin en 2023 ; et des actions collectives revendiquées telles que les blocages de bus ou de convois humanitaires transportant des demandeurs d’asile par des groupes tels que Forza Nuova en Italie », liste-t-il. Pour le spécialiste des extrêmes droites européennes, la particularité de la France est que cet activisme « est dominé par des acteurs non institutionnels, avec une distinction entre groupuscules et partis politiques, davantage qu’en Italie par exemple ».

Les lieux de culte de plus en plus ciblés

Au ministère de l’Intérieur, la menace est prise très au sérieux. Une source indique qu’elle constitue la priorité n° 2 après celle de l’islamisme radical, et concerne le terrorisme, la déstabilisation et la désinformation. En Allemagne, la violence d’extrême droite est même LA priorité. Ce qui inquiète le plus : qu’un individu passe à l’acte sur le modèle des tueries d’Utøya en Norvège (Anders Breivik en 2011) ou de Christchurch en Nouvelle-Zélande (Brenton Tarrant en 2019).

Ce dernier, qui avait assassiné 51 personnes dans deux mosquées, s’était radicalisé en France, s’imprégnant notamment de la théorie du « Grand Remplacement ». Un thème porté ouvertement par l’extrême droite française, y compris par Jordan Bardella, qui multiplie les allusions même s’il n’utilise pas ce terme précis. En France, le budget de la protection des édifices religieux est d’ailleurs en forte hausse, à commencer par les mosquées, selon notre source, et les synagogues.

Le 13 janvier dernier, une ou plusieurs personnes ont tenté d’incendier la mosquée de Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix. Celle de Guingamp avait été taguée de slogans racistes quelques semaines plus tôt. Et le 23 décembre 2022, un homme avait tué trois personnes en s’en prenant à un centre culturel kurde, à Paris.

En 2023, plusieurs événements ont contribué à une hausse à la fois des exactions et du vote d’extrême droite : les drames de Crépol, dans la Drôme, ou de la jeune Lola, à Paris, ont servi de marqueurs idéologiques. Des meurtres sordides instrumentalisés par l’ensemble de l’extrême droite, à la fois au sein des groupuscules et sur les plateaux télévisés.

Peser dans le débat public

À Romans-sur-Isère, une centaine de militants néonazis ont défilé dans les rues sous le regard apeuré et interloqué des habitants, quelques jours près le drame de Crépol. La haine de l’immigration a également donné lieu à des menaces envers des élus de la part de militants qui refusaient l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants, notamment dans l’ouest du pays, à Callac et Saint-Brevin-les-Pins, où le maire avait démissionné après que son domicile eut été incendié.

Le 22 avril dernier, dans une tribune au Monde, le directeur adjoint du centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo, Anders Ravik Jupskas, distinguait « deux types de violence : raciste, qui vise les minorités ethniques et religieuses, et anti-gauche, qui vise les opposants politiques. Les premières sont plutôt commises par des acteurs isolés, celles anti-gauche par des acteurs organisés ». Concernant ces dernières, la France figure en seconde position en Europe, avec quatre groupes principaux impliqués : le GUD, les Jeunesses nationalistes, les Zouaves – une émanation récente du GUD – et l’Action française, mouvement royaliste et maurrassien fondé à la fin du XIXe siècle.

Et pourtant, entre groupes organisés et individus isolés, la frontière est en réalité poreuse : dans les sciences sociales, « on remet en cause la notion de violences individuelles, car il est très rare qu’un cas soit isolé d’une action collective », précise Pietro Castelli Gattinara.

Selon notre source au ministère de l’Intérieur, il existe au RN des gens qui font le lien avec les militants nationalistes radicaux, au sein d’une nébuleuse qui gravite autour de ces cercles, et maintiennent un contact proche avec Reconquête !, qui a servi de réceptacle institutionnel à la mouvance parfois qualifiée d’ultra-droite. Pour le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droite, ces groupes « ont des financements, des soutiens médiatiques et politiques. Ils veulent peser dans le débat public et influer sur Marine Le Pen », dont la ligne est parfois jugée un peu trop molle, stratégie de « dédiabolisation » oblige.

Quelles seraient leurs cibles ? Dans un entretien au Monde, l’ancien patron du renseignement intérieur (désormais au renseignement extérieur), Nicolas Lerner, indique que dix actions terroristes de l’ultra-droite ont été déjouées depuis 2017. Elles visaient des « élus, juifs, francs-maçons, musulmans ». Pour lui, « il est clair que la vie politique de notre pays peut avoir une influence sur la propension de certains groupes à passer à l’acte ».

Au-delà de ce genre d’actions, c’est aussi la multiplication d’actes de basse intensité – insultes, menaces, agressions – qui est susceptible d’exploser. Au sein du ministère de l’Intérieur, on concède que si le RN passe, on entre dans l’inconnu, avec un possible déchaînement.

Peu probable cependant qu’un RN au pouvoir ait intérêt à « couvrir » officiellement ce genre d’actes. Mais dans les discours, le laisser-faire, le harcèlement quotidien – y compris par une petite fraction de la police –, le risque existe. Il semble même inéluctable. D’autant que cette période de violences politiques a déjà commencé. Alors si, le 7 juillet, l’extrême droite parvenait au pouvoir ? Il est toujours possible d’éviter ce scénario noir.


 

   mise en ligne le 3 juillet 2024

Depuis les victoires électorales du RN, les violences racistes déferlent

David Perrotin sur www.humanite.fr

Depuis le 9 juin, de multiples agressions racistes, verbales ou physiques, ont eu lieu dans toute la France. Plus d’une par jour, selon le décompte de Mediapart. Dans de très nombreux cas, les personnes mises en cause ont fait référence au Rassemblement national.

La liste n’est pas exhaustive mais reste inédite. Rarement la France aura connu, semble-t-il, autant d’agressions et de propos racistes dans une temporalité aussi réduite. 

Depuis le 9 juin et le résultat du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et l’annonce de la dissolution avec une victoire possible du parti d’extrême droite aux élections législatives, pas un jour ou presque ne se passe sans que la presse relate une agression.

Parfois très violentes, toujours racistes, celles-ci sont, dans de très nombreux cas, en lien avec le contexte politique, lorsque les mis en cause font explicitement référence au RN, à Marine Le Pen ou à Jordan Bardella. En à peine trois semaines, Mediapart dénombre au moins trente événements racistes signalés dans la presse. Plus d’un chaque jour. 

Un homme tabassé 

Les images diffusées le 1er juillet au tribunal de Bourg-en-Bresse sont glaçantes et presque insoutenables. À chaque coup porté par Maxime B., 25 ans, et Adrien V., 23 ans, la tête de la victime heurte la vitre de la porte avec fracas. Mourad B., 37 ans, avait simplement demandé aux deux jeunes hommes qui sortaient d’un restaurant de baisser le ton. En retour, il reçoit une pluie de coups et de nombreuses insultes racistes. « On est en France », « Descends, sale bougnoule », « Nique sa mère les bougnoules ». Maxime et Adrien ont été condamnés à quatre ans de prison dont un avec sursis.

Ce même 1er juillet, dans un village des Cévennes gardoises, Midi Libre raconte qu’un homme a passé la nuit à déambuler dans les rues de la commune de La Grand-Combe, fusil à la main, en tirant plusieurs coups de feu.  Selon plusieurs témoins, précise le parquet, « il vociférait des propos du type “À mort les Arabes” », avant d’être interpelé au petit matin. 

Sur son compte X, Tajmaât, « une plateforme collaborative pour la diaspora maghrébine », diffuse de nombreuses vidéos et témoignages d’agressions racistes. Le 30 juin, des images montrent une femme portant un voile ciblée par un individu à Paris. « C’est insupportable, il va falloir l’enlever [...]. C’est anti-France, cet islam est incompatible avec la France », lance-t-il alors que la victime précise être née en France. « L’invasion migratoire et l’invasion de l’islam, on n’en peut plus. [...] Vous êtes une ennemie de la France », ajoute-t-il. 

La veille de l’élection législative, le 29 juin, plusieurs plaintes ont été déposées pour des tags racistes retrouvés sur un mur et sur une route de deux villages, relate le Dauphiné libéré

Dans le Nord, le 28 juin, deux militants du Nouveau Front populaire (NFP) ont porté plainte après avoir été agressés par des « partisans du RN ». « Ils ont tenté de brûler une affiche du NFP, chanté Maréchal nous voilà, demandé à une militante musulmane de “rentrer dans son pays” en voulant lui “jeter du cochon dessus”. Une honte », écrivait le NFP local sur Twitter.

Une soirée xénophobe intitulée « Ausländer Raus » (« Les étrangers dehors », en français) devait se tenir le 28 juin dans un bar identitaire de Rouen. Après une bataille juridique avec le maire socialiste de la ville, les organisateurs ont décidé de l’annuler.

Une boulangerie incendiée 

Comme l’a raconté Mediapart, les attaques racistes visant des candidat·es, des militant·es ou des élu·es ont imprégné cette campagne électorale express comme jamais. « C’est extrêmement violent. On me dit que je vais retourner en Gambie, on me traite de singe. Des trucs d’un autre temps », déplorait par exemple le candidat NFP en Seine-Saint-Denis Aly Diouara, faisant référence aux messages reçus sur les réseaux sociaux mais aussi par e-mail. 

Dans la nuit du 26 juin, c’est une boulangerie d’Avignon, dans le Vaucluse, qui est incendiée et taguée à l’intérieur avec des inscriptions racistes et homophobes. Les mots « nègre », «PD », « dégage » étaient encore lisibles malgré les sept tentatives de départ de feu dénombrées par les enquêteurs. Depuis un an, le patron de la boulangerie employait un apprenti de nationalité ivoirienne. 

Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées.           Signalement reçu par SOS Racisme.

Toujours le 26 juin, selon nos informations, le service juridique de SOS Racisme a reçu le signalement d’une femme portant un voile victime de propos islamophobes. Alors qu’elle se baignait dans la piscine de sa résidence avec sa famille, Sonia* raconte avoir été prise à partie par ses voisines. « Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées », lui auraient-elles notamment lancé.

SOS Racisme a également reçu le signalement d’un propriétaire d’un restaurant de sushis pris à partie par un individu. Auprès du pôle juridique de l’association, il dit « ressentir depuis l’annonce de la dissolution un climat général où le racisme a lieu en toute impunité ». 

Le 25 juin à Thiais, dans le Val-de-Marne, un chauffeur de bus en service pour le ramassage scolaire est victime de menaces de mort et d’insultes racistes par un automobiliste garé sur une place réservée aux bus. « J’en ai marre des gens comme vous, bougnoules et renois, moi je vote RN, je vais te tuer, je vais te massacrer, je vais vous éradiquer », a-t-il notamment proféré, selon une source policière interrogée par France Info. L’automobiliste serait remonté dans sa voiture avant de percuter délibérément le chauffeur de bus au niveau des jambes. Si le mis en cause dément tout propos raciste, une enquête a été ouverte par le parquet.  

Des pompiers menacés et insultés

Le 25 juin, Karim Rissouli, journaliste sur France 5 où il présente notamment l’émission « C ce soir », dévoile sur Instagram le contenu d’un courrier anonyme raciste reçu à son domicile. « Franchement Karim, tu n’as pas compris le vote du 9 juin. [...] La seule et unique raison fondamentale du vote RN, c’est que le peuple français historique en a plein le cul de tous ces bicots, le reste c’est du bla-bla. Le “Souchien” [Français de souche – ndlr] ne t’acceptera jamais, ni toi, ni tes frérots, et même malgré le nombre vous ne posséderez jamais la France », est-il notamment écrit. 

D'autres journalistes dont Nassira El Moaddem du site Arrêt sur images et Mohamed Bouhafsi, chroniqueur de l'émission "C à vous" sur France 5, ont aussi publié des messages racistes les visant. 

Le 24 juin à Roanne, en marge d’une manifestation contre l’extrême droite, un individu s’en est pris à des manifestants en tenant plusieurs propos racistes et homophobes selon les témoins cités par Le Progrès. « Il a parlé des “bicots”, et laissé entendre qu’il en avait “ras-le-bol des Arabes” », écrit le quotidien. Il a ensuite asséné un coup de poing à l’un d’entre eux avant d’être laissé libre par la police municipale. Il ne sera interpelé que bien plus tard après avoir agressé une personne qui sera hospitalisée. 

Le maire LR de cette même ville, Yves Nicolin a été contraint de s’excuser le 2 juillet pour des propos racistes tenus lors d’une conférence de presse lundi. « Ceux qui sortent la nuit sortent plutôt l’été. C’est une race qui aime la chaleur et le beau temps. L’hiver, ils sont plus tranquilles », a déclaré l’édile devant une brigade de police municipale locale de nuit. 

Dimanche 23 juin, des sapeurs-pompiers de Vieux-Condé, dans le Nord, sont empêchés d’intervenir pour un malaise et reçoivent « menaces », « crachats » et « injures racistes » selon La Voix du Nord. Les mis en cause, un homme de 55 ans et une femme de 31 ans, ont été interpelés et sont poursuivis pour menaces de mort et rébellion. « Des pompiers veulent rentrer dans une maison pour aller aider quelqu’un de blessé. Et là, on leur dit “Non, vous, vous ne rentrez pas”, parce que le pompier s’appelle Mounir, précisait le candidat communiste Fabien Roussel quelques jours plus tard sur France Info. Ils ont dû rentrer dans leur camion sous les cris “On est chez nous, les bougnoules dehors !” » 

Après une fête locale le 22 juin près de Lunel, trois plaintes ont été déposées pour des violences en réunion dont une à caractère raciste selon Midi Libre. Un jeune de 19 ans raconte avoir été suivi par une voiture avant qu’elle ne s’arrête à son niveau et que quatre personnes, dont une avec un couteau, le frappent à la tête. « Quatre hommes m’ont ensuite saisi les bras et les jambes et m’ont jeté dans le canal puis m’ont plongé la tête sous l’eau, de force. Ils ont fait ça quatre ou cinq fois tout en me traitant de “sale Arabe”. “Tu n’as rien à faire ici”, criaient-ils. Ils disaient que je venais de Djihad City en faisant référence à Lunel », a témoigné la victime, qui a eu sept jours d’ITT, devant la police. 

Vive Zemmour, vive Jordan Bardella, je vais t’enculer ta mère, vive Bardella.            Signalement reçu par SOS Racisme.

Toujours le samedi 22 juin, cette fois-ci à Paris, l’ancien animateur de l’émission « Affaire conclue » sur France 2 et proche de Jean-Marie Le Pen, Pierre-Jean Chalençon, aurait tenu des propos racistes contre une journaliste d’origine marocaine lors d’un dîner chez des amis communs. Devant une dizaine de convives, selon Le Figaro, il est contredit lorsqu’il prend la défense du fondateur du Front national et s’en prend à la journaliste, selon sa plainte déposée depuis : « Je t’en... Les Arabes seront toujours des Arabes, rentre chez toi ! », lance-t-il. « Ta gueule sale bougnoule, rentre chez toi ! », ajoute-t-il selon la victime, avant de projeter au sol son téléphone portable. Si Pierre-Jean Chalençon conteste tous les propos, une plainte a été déposée le lendemain pour injure non publique en raison de l’origine.

Selon nos informations, le pôle juridique du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a été saisi après un quiz musical organisé le 22 juin lors d’une fête de village à Lepuix, près de Belfort. Des propos injurieux contre les immigrés ont été proférés, d’après des témoins. « Plusieurs personnes ont été choquées d’entendre qu’une équipe de participants s’appelait “Sale immigré”. “Cela a été dit plusieurs fois au micro”, a affirmé le militant écologiste Vincent Jeudy, qui a participé à ces festivités rassemblant plusieurs milliers de personnes », précise l’association. Une enquête a été ouverte par le parquet. 

Le Mrap annonce aussi déposer plainte contre la propagande électorale affichée en Meurthe-et-Moselle par le Parti de la France, groupuscule d’extrême droite, dont un membre, Pierre-Nicolas Nups, est candidat dans la 5e circonscription du département sous l’étiquette « Rassemblement de la droite nationale ». Ses affiches représentaient un enfant blond aux yeux bleus barré du slogan « Donnons un avenir aux enfants blancs »

L’association a également déposé plainte après les propos tenus par Daniel Grenon, député sortant du RN dans l’Yonne, lors d’un débat tenu avec son opposante le 1er juillet, et révélés par L’Yonne républicaine : « Sur 30 ou 40 postes, on ne peut se permettre d’avoir des binationaux. Des Maghrébins sont arrivés au pouvoir en 2016, ces gens-là n’ont pas leur place en haut lieu. » 

Le 21 juin, une chanson raciste et pro-RN, « Je partira pas », a été diffusée sur de nombreux réseaux sociaux d’extrême droite et a été relayée par Éric Zemmour, Gilbert Collard ou la militante Mila. « Quand va passer Bardella, tu vas retourner chez toi » ou « Pour toi, fini le RSA/Le bateau n’attend pas », peut-on notamment entendre. SOS Racisme et le MRAP ont effectué plusieurs signalements.  

Un adolescent roué de coups 

Le 20 juin à Paris, Kofi Yamgnane, ancien ministre et ancien élu socialiste d’une commune de Bretagne, est victime d’attaques racistes de la part d’un individu dans la rue. « Toi, tu as intérêt à te préparer à rentrer chez toi en Afrique », « On va vous foutre tous dehors », a asséné un passant en croisant sa route.

Le même jour, une mère de Sotteville-lès-Rouen a dénoncé l’agression raciste de son fils, d’origine franco-algérienne, de 14 ans à la sortie d’un cours de sport. Selon France Bleu, il a été agressé par trois jeunes hommes alors qu’il attendait sa mère. « Il a été insulté de “gratteur d’allocs” et roué de coups », précise la radio.

Toujours le 20 juin, « Envoyé spécial » diffuse le témoignage de Divine Kinkela, aide-soignante, victime des propos racistes de ses voisins à Montargis (Loiret) et militants RN. « Bonobo ! », « On fait ce qu’on veut, on est en France, on est chez nous ! », lui ont-ils notamment lancé selon la victime.

Devant les caméras de France 2, ladite voisine, fonctionnaire au tribunal judiciaire de Montargis suspendue depuis, chante « on est chez nous », lance « va à la niche » et dénigre la coupe de cheveux de la victime. Des pancartes « avec Marine et avec Bardella », et une casquette « Vivement le 9 juin avec Jordan Bardella » sont aussi visibles, accrochés sur la façade de leur maison. Plusieurs plaintes ont été déposées. 

Mi-juin à Chatou, dans les Yvelines, plusieurs résidents ont reçu des tracts ouvertement racistes intitulés « Monsieur le Maire, Stop aux Blacks à Chatou ! ». « Nous n’acceptons pas que Chatou devienne la Seine-Saint-Denis. Nous avons choisi d’habiter Chatou parce qu’il n’y avait pas de Blacks », peut-on lire entre autres propos racistes. « Ras-le-bol des Africains qui sont toujours dépendants de la France pour pouvoir survivre. » Au moins trois plaintes ont été déposées, rapporte Le Parisien

Le 19 juin 2024, un couple et leur enfant auraient été victimes d’une agression raciste, nous indique le pôle juridique de SOS Racisme. Karim* aurait été pris à partie par trois de ses voisins au sujet de l’emplacement de sa voiture. « Sale Arabe de merde, on va te ramener à la frontière… Sale race, votre place c’est pas ici, bande de Sarrasins de mes couilles », auraient-ils proféré, selon l’association. « À ces propos s’ajoutent “Vive Zemmour, Vive Jordan Bardella , je vais t’enculer ta mère, vive Bardella”. » Selon le signalement, les individus auraient frappé le père de famille à la hanche et l’un d’eux aurait menacé la famille avec un chien, « un pitbull sans muselière »

Le 18 juin 2024 dans le Tarn-et-Garonne, des ouvriers découvrent des tags racistes et antisémites sur les murs de la nouvelle mosquée de Montauban Es-Salam, en cours de construction. « Sales bougnoules », « rentrez chez vous », ont été inscrits à la bombe de peinture noire en plus de croix gammées, selon France 3 Occitanie. « C’est la cinquième fois que nous retrouvons ce genre de tags racistes, la dernière fois, c’était une tête de cochon », dénonce un membre de l’association musulmane de Montauban. 

Deux jours plus tôt, le 17 juin, le militant Karim Merimèche est pris à partie par des sympathisants du RN alors qu’il tractait pour le candidat sortant La France insoumise (LFI). « L’un des hommes m’a dit : “Rentre dans ton pays, sale bougnoule, dégage, rentre chez toi.” J’étais choqué, je n’ai rien dit et je me suis éloigné. Mais il a continué, en me traitant encore de “sale bougnoule de merde” et en disant à Mathilde [Regnaud, suppléante du candidat – ndlr] d’aller “se faire sauter par les bougnoules”. » Deux témoins de la scène parviennent à identifier l’homme. Karim Merimèche a porté plainte le lendemain pour injures à caractère racial.

Le 12 juin, c’est à La Côte-Saint-André, en Isère, que quatorze tags islamophobes ont été découverts sur les murs d’un parc. « Islam hors d’Europe », ou « anti-Arabes », pouvait-on notamment lire sur les clichés diffusés par France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.

Une situation « alarmante » pour les associations

Le 10 juin, comme le révélait Mediapart, des policiers se lâchaient lors de l’interpellation d’un jeune homme dans le XIarrondissement de Paris, et enchaînaient les propos racistes et homophobes. « Avec ta casquette de pédé qui se fait enculer par des migrants » ; « Quand ta mère et ta grand-mère se seront fait violer par des migrants, tu comprendras », ont-ils notamment déclaré, avant de diffuser, au commissariat, des chansons à la gloire de Jordan Bardella. 

Deux jours avant les élections européennes, le 7 juin 2024, SOS Racisme a été informé de la présence de deux tee-shirts, exposés sous forme d’étendards, sur le balcon d’un bâtiment. Sur le premier, les prénoms de « Marine et Jordan » étaient affichés avec cette autre inscription à la main : « Tous les immigrés dehors melons etc. ». Sur le deuxième tee-shirt, on pouvait lire « La France aux Français »

Avec ces trente propos, tags, événements ou agressions racistes en seulement trois semaines, les manifestations de violence semblent considérables et, de l’avis des associations, « évidemment sous-estimées ». « C’est une situation alarmante et inhabituelle. On sent vraiment qu’avec la montée de l’extrême droite, il y a une explosion des agressions racistes non seulement verbales mais aussi physiques », constate SOS Racisme. « On est face à des gens qui se disent que si le RN arrive au pouvoir, ils auront un appui institutionnel pour se comporter de la sorte », ajoute son président, Dominique Sopo. 

Mais combien de signalements ou de plaintes sont à déplorer ? Contactés, le ministère de l’intérieur et le parquet de Paris n’étaient pas en mesure de nous donner de chiffres. « On ne peut mesurer que plus tard si une augmentation est visible et en lien avec l’actualité », précise une source Place Beauvau. « Mais il y a évidemment un ressenti que la parole raciste se libère, à la télévision ou sur les réseaux sociaux notamment », ajoute-t-elle. La Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), elle, précise ne pas pouvoir s’exprimer sur le sujet, « période de réserve électorale oblige ». De son côté, le collectif de lutte contre l’islamophobie en Europe (CICE) dit avoir reçu « cent cinquante signalements » pour le seul mois de juin et précise qu’il s’agit « d’un record ».  

La victoire possible du Rassemblement national, ce parti d’extrême droite dont de nombreux candidats expriment ouvertement des propos sexistes, racistes, antisémites ou LGBTphobes, semble avoir incontestablement un lien avec ce déferlement de haine. Mais si libération de violence raciste il y a, celle-ci est loin d’être inexistante le reste du temps. Dans son rapport remis le 27 juin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait qu’en 2023, la France avait connu 32 % d’actes racistes supplémentaires et déplorait une augmentation exponentielle des actes racistes et une hausse inédite de l’antisémitisme. 


 

   mise en ligne le 2 juillet 2024

CHU de Montpellier : premier jour d’une grève illimitée au service de chirurgie pédiatrique

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Ce mardi 2 juillet, jour de Conseil social et économique du CHU de Montpellier, environ 80 personnes sont venues en soutien au personnel du service de chirurgie psychiatrique, en grève pour s’opposer à des suppressions de postes et de lits

8 heures, des blouses blanches se dirigent vers l’hôpital depuis le tramway avec des pancartes. “C’est normal de soutenir les collègues en grève”, soufflent-elles.
Sur place, dans la cour du conseil de surveillance de l’hôpital de la Colombière, environ 80 personnes, dont l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, UNSA) sont réunies devant le lieu qui doit accueillir une demi heure plus tard le Conseil social et économique du CHU pour protester contre des suppressions de postes et de lits au service de chirurgie pediatrique.

Pierre Renard, délégué CGT, explique :“La direction veut supprimer trois lits en semaines, et trois de plus le weekend, dans le service de chirurgie pédiatrique, et supprimer cinq postes : quatre puéricultrices et une auxiliaire de puériculture, sur un service de 27 agents, au motif qu’il y aurait un taux d’occupation des lits insuffisants. Les assises de la pédiatrie préconisent une puéricultrice pour 4 ou 5 enfants, là, on serait à une puéricultrice pour 10 ou 11 enfants. Selon des études dont celle de la revue The Lancet ,un patient en plus par infirmier, augmenterait de 7 % le risque de décès. Passer de six à dix patients ferait passer le risque de décès à 30 %. La direction nous parle de rentabilité quand on parle de qualité de soins. La grève lancée aujourd’hui est illimitée, tant que les salariés voudront se mobiliser. L’intersyndicale est là, ça fait penser à l’union de la gauche, et même si on ne parle pas de politique, il va falloir avancer tous ensemble pour défendre l’hôpital.”

C’est rare de voir une intersyndicale unie”, renchérit Laurent Blanc, délégué syndical Force Ouvrière. “Les soins ne sont pas quantifiables”, argue de son côté le représentant de la CFDT, évoquant “le stress et l’angoisse” des familles des patients face à ces suppressions de postes et de lits. Quant aux grévistes, elles ont décliné nos demandes d’entretiens, par peur de sanctions ou de représailles.

8 h 30, grévistes et syndicats pénètrent la salle du CSE. Les journalistes tentent de les suivre mais la direction du CHU s’y oppose. Une heure et demi plus tard, à la sortie du CSE, Pierre Renard commente : “On leur a proposé une réorganisation du service avec un bilan d’ici six mois, mais aucun accord n’a été trouvé. On parle de soins, ils nous parlent de chiffres, c’est impossible de s’entendre, la grève continue.”

La décision concernant la suppression des lits et des postes sera mise au vote au prochain CSE le 25 juillet, et l’intersyndicale entend bien voter contre.

Contactée, la direction du CHU n’a pas donné suite à nos sollicitations.


 

   mise en ligne le 1er juillet 2024

Le RN n’est pas l’ami des travailleurs,
la preuve par ses votes

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Les élus du Rassemblement national ont beau prétendre défendre la classe ouvrière, à l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, ils ont voté ces dernières années comme les partis les plus libéraux, contre l’intérêt des salariés.

Dans l’espoir d’attirer le vote des travailleuses et des travailleurs, le Rassemblement national (RN) a souvent tenté de se positionner en défenseur de la classe laborieuse. Mais dans les faits, les votes de ses représentant·es à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen se sont souvent positionnés contre les intérêts des salarié·es. 

Contre l’augmentation du Smic

Dans son discours de lancement de campagne pour les élections européennes, Jordan Bardella, président du parti, a dit : « Une bonne économie, ce sont des bons salaires, c’est une juste rémunération et les salaires sont trop bas aujourd’hui dans notre pays. » Mais dans les faits, le RN vote contre l’augmentation du Smic. 

En juillet 2022, la Nouvelle Union populaire économique et sociale (Nupes) proposait l’augmentation du Smic à 1 500 euros nets. Il était alors de 1 329 euros net. Le Smic est indexé sur l’inflation, c’est une disposition du Code du travail, mais la Nupes proposait d’ajouter à cette indexation un coup de pouce supplémentaire. Les députés RN ont voté contre.

« Si vous passez votre temps à augmenter seulement le Smic, vous avez les classes moyennes qui voient leur pouvoir d’achat stagner depuis dix à quinze ans », justifiait Jean-Philippe Tanguy, arguant de la « boucle inflationniste » qui voudrait que plus les salaires sont hauts, plus les prix augmentent. Une théorie qui ne s’est pas vérifiée en 2023-2024 et que Mediapart a déjà déconstruite. En 2022, même le FMI a confirmé que la « boucle prix-salaires » est un récit conservateur.

Contre l’indexation des salaires sur l’inflation 

Dans son programme, le RN promet des « textes d’urgence » pour le « pouvoir d’achat ». Dans les faits, il a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation. Le système visant à faire automatiquement augmenter les salaires au fur et à mesure que les prix augmentent n’est pas une chimère : ce système instauré en 1952 a été supprimé en 1983 au moment du tournant de la rigueur du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. En novembre 2023, La France insoumise (LFI) a tenté de déterrer ce système et a mis au vote une proposition allant dans ce sens. 

En commission des affaires sociales le 22 novembre 2023, LFI a défendu la mesure, face à un gouvernement, une droite et une extrême droite unis. Victor Catteau, député RN, a justifié ainsi son vote de refus : « La proposition actuelle, bien qu’audacieuse, risque de nous mener vers un cercle perpétuel de hausse des salaires, de hausse des prix, et d’inflation. » 

Pour forcer les salariés en CDD à accepter un CDI

Dans leur programme, les responsables RN promettent une conférence sociale sur les salaires et les conditions de travail. Dans leurs discours, ils assurent être le parti des « travailleurs français ». Dans les faits, le parti a voulu doubler le gouvernement sur le thème de la précarisation des travailleurs, en proposant de forcer les salarié·es en CDD à accepter les CDI qui leur sont proposés. 

Fin 2022, le gouvernement a présenté une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, dont le but même pas masqué était de mettre encore plus sous pression les chômeurs et les chômeuses. L’extrême droite y a participé avec entrain. Marine Le Pen elle-même a déposé un amendement pour contraindre les salarié·es en CDD à accepter tout CDI proposé en fin de mission, sans quoi ils pourraient perdre leur droit à l’assurance-chômage. L’amendement a été rejeté le 5 octobre 2022.

Surfant, comme ses alliés libéraux, sur le mythe du chômeur qui ne veut pas travailler, le RN a présenté cet amendement en assurant que « certains salariés utilisent le système de l’assurance-chômage pour s’assurer des revenus entre deux CDD ». Pour rappel, il y a beaucoup plus de chômeurs que de postes vacants : moins de 348 000 postes vacants et 5,1 millions de demandeurs et demandeuses d’emploi… dont à peine plus de 40 % touchent une indemnisation.

Contre l’instauration de salaires minimum en Europe 

Dans son programme, le RN promet la revalorisation des « revenus du travail par une incitation forte à l’augmentation des salaires ». Dans les faits, le parti a voté contre l’instauration de salaires minimum en Europe. 

Les élu·es d’extrême droite ne se contentent pas d’attaquer les droits sociaux en France, ils le font aussi depuis leurs sièges de député·es européen·nes. En 2022, le Parlement européen votait une directive visant à assurer un salaire « suffisant pour un niveau de vie décent » aux travailleurs d’Europe. Cette mesure était présentée comme un outil permettant de relever les salaires de 25 millions d’européen·nes, notamment dans les pays de l’Est, réduisant l’effet de « dumping social » au sein de l’Union. Un vœu certes largement pieux étant donné que la fixation de salaires minimum reste une compétence nationale.

La directive a été adoptée sans les voix du RN, qui se sert pourtant régulièrement du thème du « dumping social » pour diviser les travailleurs. Pour se justifier, l’eurodéputée RN Dominique Bilde a publié un communiqué refusant que le Parlement européen se mêle des politiques sociales des États. Et a même promis plus de cadeaux aux patrons : « Nous défendons la mise en place de contrats d’entreprise, qui permettront aux employeurs d’être exonérés de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires, jusqu’à 3 Smic. »

C’est aussi la proposition portée par Jordan Bardella dans cette campagne des législatives. Comme si les macronistes n’avaient pas déjà abusé du « quoi qu’il en coûte ». Rien qu’en France, les aides publiques accordées aux entreprises – en comptant les exonérations de cotisations sociales sur les salaires – s’élèvent à des sommes exponentielles, entre 160 et 200 milliards par an. Un « pognon de dingue » a déjà été offert aux entreprises sous diverses formes sans que cela n’ait d’impact réel sur le nombre d’emplois, ni sur les salaires. 

Contre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes 

Dans son discours, Jordan Bardella se fait défenseur des femmes et adresse même une lettre numérique à « toutes les femmes du pays ». Il promet que « l’égalité hommes-femmes » est, pour son parti, un « principe non négociable ». Dans les faits, au Parlement européen, quand il y a des votes sur l’égalité salariale femmes-hommes, le RN s’abstient ou vote contre.

En 2020, les eurodéputé·es RN ont voté contre les mesures visant à faire reculer les inégalités femmes-hommes. Deux ans plus tard, quand le Parlement européen vote une directive visant l’instauration d’un cadre minimal pour rendre effectif le principe d’égalité des rémunérations entre les sexes, le RN s’abstient.

Pour justifier cette abstention, le RN, par le biais de l’eurodéputée Annika Bruna, a considéré qu’il n’était pas souhaitable de « conditionner la quasi-totalité des aides à l’UE à des actions favorisant l’égalité hommes-femmes ». Et de déplorer, chez nos confrères du Monde, que « la maîtrise de la démographie et des migrations » et la montée de l’islam ne soient pas évoquées davantage alors qu’ils sont, pour elle, « une menace forte pour les femmes »

Contre le gel des loyers 

Dans son programme, sur la question urgente de l’accès au logement, le RN ne dit… pas grand-chose. Le parti ne propose que deux mesures. La première est la priorité dans l’accès au logement social « pour les travailleurs des secteurs prioritaires ». La deuxième permettra aux propriétaires de louer ou vendre des passoires thermiques, en supprimant les interdictions liées au diagnostic de performance énergétique (DPE).

Et au Parlement, le RN a voté contre un amendement de gauche proposant le gel des loyers. En pleine crise inflationniste, à l’été 2022, le gouvernement a fait voter le principe de plafonnement des hausses de loyers. Pour les propriétaires, le message est clair : ils peuvent continuer à les augmenter, mais pas trop. Un an plus tard, en juin 2023, le gouvernement a fait voter le prolongement du « bouclier », qui plafonne à 3,5 % la hausse de l’indice de référence des loyers.

Ce « bouclier » proposé a été voté avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, formant une coalition contre la gauche qui estimait que cela entérinait l’autorisation faite aux propriétaires d’appliquer de nouvelles hausses. Plus ambitieuse, la gauche a présenté à l’Assemblée nationale comme au Sénat des amendements visant à geler les loyers des particuliers mais aussi des petites et moyennes entreprises. La majorité présidentielle, la droite et le RN ont voté contre.

   mise en ligne le 28 juin 2024

Julia Cagé : « La gauche devra
affronter les marchés financiers »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

L’économiste, qui a initié un appel au rassemblement de la gauche et participé au chiffrage du programme du Nouveau Front populaire, défend les choix budgétaires de redistribution des richesses et de relance de l’économie. Elle analyse la situation politique inédite liée aux législatives anticipées.


 

Vous avez publié en septembre 2023 avec Thomas Piketty Une histoire du conflit politique en France, 1789-2022. Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle forme de conflit politique et électoral dans le pays, puisque l’extrême droite peut remporter des législatives pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays ?

Julia Cagé : Nous assistons au retour de la bipolarisation mais sous une forme extrêmement dangereuse et inconnue jusqu’alors, puisque c’est le RN qui a réussi l’union des droites autour d’un bloc que l’on pourrait qualifier de national libéral (le bloc RN, LR, Reconquête).

Comme nous l’avons souligné avec Thomas Piketty à la suite de notre livre, dans un document de travail publié lundi1 (1), les européennes ont marqué le début de ce processus de fragilisation du système de tripartition, avec la chute du bloc libéral central à moins de 15 % des voix. La question qui se pose désormais – et à laquelle personne n’a encore de réponse – est de savoir quelle forme exacte prendra cette bipartition dans le futur.

Ce qui semble le plus souhaitable serait un retour à une bipartition gauche-droite telle que celle que nous avons connue tout au long du XXe siècle, ce qui supposerait que le bloc social-écologique, aujourd’hui le Nouveau Front populaire (NFP), parvienne à élargir son électorat en direction des classes populaires, c’est-à-dire non seulement des abstentionnistes dans le monde urbain, mais, surtout et avant tout aujourd’hui, des électeurs RN dans les territoires ruraux.

Face au péril, vous avez initié un appel très largement signé pour un rassemblement à gauche. Cette union s’est faite, sous la bannière du NFP. Les cartes sont-elles dès lors rebattues et la gauche peut-elle, selon vous, l’emporter au moment où plus que jamais l’histoire l’y oblige ?

Julia Cagé : Oui, je pense que la gauche peut l’emporter car elle a deux chances de son côté : d’une part, elle est unie, avec le NFP, et, d’autre part – et c’est là que le parallèle avec 1936 me semble particulièrement intéressant –, elle est soutenue par l’ensemble de la société civile. Le NFP, ce ne sont pas seulement les femmes et les hommes politiques, les partis et les mouvements, ce sont les syndicats, les militants, les activistes, le monde de la culture comme celui de la recherche, les travailleurs, partout.

« Diaboliser à tout prix le RN n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche. »

C’est cela qui permet de créer une véritable dynamique. Il y a chez la société civile une volonté de participer à la construction du NFP, de le déborder aussi. Pour que la gauche, dès le 8 juillet, tienne l’ensemble de ses engagements. Et ça ne sera pas facile car elle aura contre elle plusieurs freins, à commencer par les marchés financiers. Mais elle aura surtout et avant tout derrière elle la dynamique de la société civile, car il n’y a jamais eu en France de grands progrès sociaux sans mouvements populaires.

Vous expliquez dans votre livre que le vote en France est à la fois un vote de classe et un vote territorial. Vous parlez de « classe géosociale ». Alors que le vote RN semble devenir un vote à la fois bourgeois et populaire, comment la gauche peut-elle répliquer ?

Julia Cagé : La clé est du côté du vote populaire rural, que la gauche doit absolument reconquérir. Il y a deux résultats importants sur ce point dans notre Histoire du conflit politique. D’une part, jamais la classe géosociale – c’est-à-dire non seulement le revenu, le patrimoine, l’éducation, la profession, etc. mais également le territoire où les individus vivent – n’a expliqué autant des différences de vote entre communes.

C’est fondamental si l’on veut comprendre la montée du RN : les électeurs ne votent pas RN parce qu’ils sont racistes, défiants ou malheureux ; ils votent RN parce que, au cours des dernières années, ils ont eu de moins en moins accès à des services publics de qualité, et parce qu’ils sont en souffrance du point de vue de leur pouvoir d’achat. Ils ont peur également d’être déclassés.

Cela ne veut pas dire que les élus du RN ne jouent pas sur les peurs, la montée des tensions, ne menacent pas les libertés tout comme la cohésion du pays et ne sont pas racistes ; mais s’il faut combattre ces élus, il faut convaincre leurs électeurs sur le terrain des idées. Diaboliser à tout prix le parti n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche.

Or, et c’est le second résultat important – qui, d’une certaine façon, peut nous rendre optimistes – ces classes populaires rurales, qui se tournent vers le RN, ont pour l’essentiel les mêmes préoccupations que les classes populaires urbaines qui, elles, votent à gauche : les services publics et le pouvoir d’achat. Les principaux déserts médicaux en France, c’est la Creuse et la Seine-Saint-Denis ! Le programme du NFP répond à ces préoccupations.

Vos travaux portent aussi sur les médias, dont la liberté et le pluralisme sont indispensables à la démocratie. Comment analysez-vous l’offensive d’une partie d’entre eux contre le NFP et la place prise par les médias bollorisés dans le débat public ?

Julia Cagé : Vincent Bolloré et l’utilisation à des fins idéologiques des nombreux médias dont il a fait l’acquisition puis pris le contrôle au cours des dernières années – au détriment de tout respect de l’indépendance des journalistes et ce malgré le courage des rédactions (celle d’i-Télé comme celle du Journal du dimanche, que les journalistes ont fini par quitter) – sont en partie responsables de la montée du RN. C’est d’ailleurs son objectif depuis le début. Malheureusement, ce n’est pas nouveau.

La recherche en sciences sociales a montré, depuis des années, l’influence des médias dans les comportements de vote. Un cas d’école, très bien étudié, est celui de Fox News aux États-Unis. En France, nous nous sommes longtemps crus protégés parce que le régulateur – historiquement le CSA, aujourd’hui l’Arcom – est censé garantir le respect du pluralisme interne de l’audiovisuel, public comme privé. Or, ce que l’on constate, c’est que ces règles sont insuffisantes et que l’Arcom n’a pas assez utilisé les armes à sa disposition. Où est le pluralisme sur CNews aujourd’hui ?

Pourquoi Europe 1 ne réagit en aucune façon aux injonctions de l’Arcom ? Si l’on ajoute à cela que le pluralisme externe n’est que trop peu assuré, du fait des insuffisances de la loi de 1986 et de la concentration croissante du secteur des médias, on se trouve face à un paysage médiatique qui, au lieu d’informer les citoyens et de les éclairer dans leurs choix, les désinforme en partie. C’est très grave. D’autant que cette offensive idéologique d’un Vincent Bolloré – et il n’est pas le seul – n’est plus propre au secteur des médias et s’étend à celui de l’édition.

Vous avez participé en tant qu’économiste au chiffrage du programme du NFP. Il prévoit d’augmenter les dépenses publiques afin d’améliorer la vie des citoyens, en imposant le capital et les plus fortunés. La droite et l’extrême droite considèrent que ce virage conduirait à un effondrement économique du pays. Que répondez-vous ?

Julia Cagé : Je réponds qu’ils se trompent. Et ce, pour plusieurs raisons. La science économique n’est pas une science dure – on peut difficilement prévoir l’avenir. Mais l’histoire économique nous apprend à tirer les leçons du passé. Or, que nous ont appris sept ans de macronisme ? Premièrement, que la politique budgétaire et fiscale qui a consisté à faire des cadeaux aux plus riches n’a eu aucun effet décelable sur l’investissement ou les créations d’emplois.

En revanche, elle a conduit à une augmentation très forte des inégalités. D’après Challenges, les 500 plus grandes fortunes sont passées depuis dix ans de 200 milliards d’euros (environ 10 % du PIB) à 1 200 milliards (50 % du PIB) ; d’après les dernières données du World Inequality Lab, les 1 % des fortunes les plus importantes atteignent les 3 500 milliards d’euros en France (soit 150 % du PIB) ! Et tout ça sans créer de la croissance supplémentaire et sans retour des plus riches.

Le projet du NFP, c’est un projet de justice sociale. Mais, au-delà, c’est une stratégie assumée d’investissement dans la formation, les universités et la recherche, la seule qui peut durablement faire progresser la productivité. Le tout avec les fondations d’une véritable social-démocratie à la française, avec un tiers des sièges pour les salariés dans les conseils d’administration des entreprises, comme cela se fait en Suède et en Allemagne depuis les années 1950, ce qui est la meilleure façon d’impliquer les travailleurs dans des stratégies d’investissement et de haute productivité à long terme.

De plus, ce projet est financé. Là où Macron a laissé filer la dette et les déficits bien avant la crise du Covid, le NFP propose de mettre une recette en face de chaque dépense. Il ne s’agit donc pas de faire de la dette supplémentaire, mais de faire contribuer une poignée de très aisés – ainsi que les grandes multinationales qui échappent à l’impôt – au financement de l’avenir.

Le chiffrage du NFP, prudent, ne prend pas en compte les possibles effets bénéfiques des mesures proposées. Est-il possible d’évaluer les retombées positives qu’auraient une hausse du Smic, un blocage des prix, un développement des services publics et une relance de l’emploi sur l’activité économique, la croissance et la consommation ?

Julia Cagé : Oui, nous aurions pu le faire… si on nous avait donné plus de trois semaines ! Je veux souligner que la dissolution fait partie de l’arsenal démocratique de notre pays et que l’on ne peut jamais regretter de faire entendre la voix des citoyens. Mais trois semaines pour la tenue d’une élection, c’est un véritable déni de démocratie.

Les gens n’ont pas eu le temps de s’inscrire sur les listes électorales, les partis ont dû s’organiser dans l’urgence. Emmanuel Macron faisait d’ailleurs le pari de leur désunion. Pari perdu : il a fallu moins d’une nuit pour permettre à l’idée d’un NFP de naître. Mais le président joue au poker avec notre démocratie.

« Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. »

Pour revenir à votre question, oui – et le NFP au pouvoir le fera pour préparer le prochain budget de l’État –, notre chiffrage peut être considéré comme conservateur du point de vue des recettes car nous ne prenons pas en compte la relance de la consommation qui sera engendrée par les gains de pouvoir d’achat des plus modestes.

À l’inverse, les cures d’austérité décidées par le gouvernement nuisent-elles à notre santé économique ?

Julia Cagé : Bien sûr. C’est l’erreur qui a été faite en Grèce à la suite de la crise financière, crise qui s’est ensuite étendue à toute l’Union européenne du fait des mesures austéritaires là où les États-Unis – qui ont fait le choix de la relance – ont sorti beaucoup plus rapidement la tête de l’eau. Et on voudrait à nouveau que l’État investisse moins ?

Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. Quand on voit que les plus jeunes ne se présentent même plus au concours d’enseignants, on se dit qu’il est urgent de revaloriser le point d’indice des fonctionnaires, etc. Et nous avons les moyens de le faire, pas en faisant plus de déficit, mais avec une fiscalité plus progressive.

Macron diabolise le NFP et la gauche, les plaçant au même niveau que l’extrême droite, ce qui détruit toujours plus le barrage républicain et offre un immense cadeau au RN…

Julia Cagé : Je pense que ceux qui mettent le NFP sur le même plan que le RN ont perdu toute boussole morale ; et plutôt que de donner des leçons sur les extrêmes, ils feraient mieux d’ouvrir des livres d’histoire. Qu’il y ait un conflit classiste sur la répartition des revenus et des patrimoines, cela est naturel. C’est ce qui a été au XXe siècle au centre de la bipartition et a conduit à des alternances politiques. On ne peut pas reprocher aux plus riches de vouloir moins de progressivité de l’impôt.

Mais le problème aujourd’hui, c’est que certains semblent oublier que le RN n’est pas un parti de « droite classique ». Certes, Marine Le Pen prône la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière. Mais il y a tout le reste : le racisme, la préférence nationale, la privatisation de l’audiovisuel public, les multiples atteintes aux libertés… et on mettrait ce parti sur le même plan que la gauche ? Que la gauche qui ne serait plus que « radicale » ? Mais radicale en quoi ?

Le programme économique du NFP, si on le compare à celui de 1981, pourrait être qualifié de « social-démocrate. ». En voulant se poser en « centre de la raison », en établissant cette rhétorique « moi contre les extrêmes », qui lui a permis de se maintenir au pouvoir malgré un socle électoral extrêmement étroit et extrêmement favorisé socialement, Macron a profondément dégradé la qualité du débat politique et public.

Il fait le lit du RN. Heureusement, face à ce danger, les gauches et les écologistes ont su dépasser leurs divisions pour créer le NFP. Elles ont également su garder leur boussole idéologique et appelé partout à faire battre le RN.

  1. « Le début de la fin de la tripartition ? Élections européennes et inégalités sociales en France, 1994-2024 », disponible sur https://wid.world/fr ↩︎


 

   mise en ligne le 27 juin 2024

Législatives 2024 : sur TF1, le Nouveau Front populaire oppose la justice sociale et fiscale à Attal et Bardella

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

L’insoumis Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi 25 juin. Jeudi sur France 2, c’est le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui prendra le relais.

Alors que le vote pour le premier tour des élections législatives n’est plus que dans quelques jours, Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi soir. En tête des préoccupations des Français, le pouvoir d’achat a été le premier thème abordé.

L’augmentation du Smic, ce n’est pas « la lune » pour le NFP

Sur ce terrain, comme sur les autres, le premier ministre n’a que la continuité de la politique Macron à proposer, sous couvert de ne pas avoir « envie de faire croire à la lune ». Et tant pis pour l’accaparement de près de 100 milliards d’euros de la richesse produite par les actionnaires du CAC 40, en dividendes et rachats d’action. Le représentant, pour la soirée, du Nouveau Front populaire y a opposé le programme de justice sociale de la gauche unie qui comprend notamment le blocage des prix sur les produits de première nécessité et l’augmentation du Smic à 1600, assortie d’un accompagnement pour les plus petites entreprises.

Le prétendant du RN à Matignon a, lui, fait la preuve de l’indigence du projet de l’extrême droite en la matière plaidant la baisse de la TVA sur l’énergie – « ce n’est pas au budget de l’État de venir alimenter des profits gigantesques qui ont été réalisés ces dernières années par les industriels de l’agroalimentaire, par les énergéticiens », a opposé Manuel Bompard, s’interrogeant sur la confiance aveugle du RN en TotalEnergies pour ne pas augmenter ses marges plutôt que de baisser les prix.

Rigueur budgétaire contre juste contribution des plus riches

Surtout, Jordan Bardella s’est posé dans une opération séduction à l’égard du patronat et de la frange libérale de l’électorat, en garant du sérieux budgétaire, conditionnant du même coup ses rares mesures sociales – y compris la suppression totale de la dernière réforme des retraites – à un « audit des comptes de l’État », selon lui « maquillés par les gens au pouvoir ». « Je peux vous envoyer le rapport de la Cour des comptes, vous gagnerez du temps », lui a d’ailleurs répondu Gabriel Attal.

L’un et l’autre se sont retrouvés pour tenter de faire croire aux téléspectateurs que le NFP voulait augmenter les impôts pour tous. « 92 % des Français, c’est-à-dire tous ceux qui gagnent moins de 4 000 euros net par mois, paieront moins ou autant d’impôts qu’aujourd’hui ; et oui, il y aura davantage d’impôts pour les 8 % et en particulier pour les 1 % les plus riches et en particulier pour les 0,1 % les plus riches qui paient moins d’impôts, proportionnellement, que les classes moyennes », a répliqué le député FI sortant des Bouches-du-Rhône.

Les étrangers et les bi-nationaux, cibles du RN

Quant à l’immigration, obsession du RN et sujet sur lequel le gouvernement s’est livré à une course à l’échalote avec l’extrême droite ces derniers mois, Manuel Bompard à fustiger le discours xénophobe du parti de Jordan Bardella. « Quand vos ancêtres personnels sont arrivés en France, vos ancêtres politiques disaient précisément la même chose que ce que vous dites aujourd’hui. (…) (Ils) disai (ent) que les Italiens ne pouvaient pas s’intégrer en France, (ils) disai (ent) que les Espagnols ne pouvaient pas s’intégrer. Et on a construit ensemble ce beau pays qui s’appelle la France et on l’a construit aussi grâce à ces vagues d’immigration », a taclé l’insoumis rappelant « les immigrés en France ne coûtent pas de l’argent, ils rapportent de l’argent sur les dix dernières années ». « Personne ne part de son pays par plaisir. La première chose à faire est de s’attaquer aux causes qui forcent les gens à l’exil. J’assume de dire que quand une personne arrive en France, elle doit être accueillie dignement », a-t-il ajouté.

Le patron du Rassemblement national s’est aussi fait rattraper sur sa volonté de restreindre l’accès des Français bi-nationaux à certains postes. « Il y a 3,5 millions de Français qui sont stigmatisés par votre proposition », a critiqué Gabriel Attal. « La proposition du Rassemblement national d’interdire les emplois sensibles aux binationaux a blessé les trois millions de Français binationaux. Il est normal que les prétendants à certains emplois stratégiques soient soumis à une enquête. C’est déjà le cas. La proposition de Jordan Bardella vise uniquement à stigmatiser nos concitoyens binationaux », a également dénoncé Manuel Bompard.


 

   mise en ligne le 25 juin 2024

En Nouvelle-Calédonie, la « déportation » de militants indépendantistes jette de l’huile sur le feu

Gilles Caprais sur www.mediapart.fr

Le transfert de sept militants dans des prisons métropolitaines alimente depuis samedi une nouvelle vague de violences dans l’archipel. La Cellule de coordination des actions de terrain fait du retour de ses « prisonniers politiques » une nouvelle condition à l’apaisement.

Nouméa (Nouvelle-Calédonie).– Il y a quelques jours à peine, les barrages indépendantistes perdaient de l’ampleur, renaissant plus faiblement après chaque passage des pelleteuses et des blindés de la gendarmerie. Mais depuis samedi soir, la mobilisation connaît une nouvelle vigueur : la nouvelle du transfert dans des prisons de métropole de sept responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), avant même leur jugement, a puissamment soufflé sur les braises.

Ces derniers jours, les affrontements entre jeunes Kanak et forces de l’ordre ont donc redoublé d’intensité autour du pont des Érudits, dans les quartiers de Koutio, de Magenta, de Portes-de-Fer... Dans le nord de l’agglomération de Nouméa, une gendarmerie a été incendiée, puis une école. Et la violence gagne peu à peu le reste de la Nouvelle-Calédonie.

Mardi, dans le fief caldoche de Bourail, des coups de feu ont été échangés entre habitants et deux maisons ont été brûlées, indique le maire, Patrick Robelin. « La nuit a été agitée et marquée par des troubles sur l’ensemble de la Grande Terre, sur l’île des Pins et Maré », constatait déjà le haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, lundi, regrettant que les gendarmes aient encore été « pris à partie ».

À la tribu de la Conception, fief de Roch Wamytan, chef coutumier et président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, les barrages sont particulièrement nombreux. Le chemin jusqu’à la maison commune est un dédale de pierres, de métaux et de branches d’arbres – ainsi que de monticules de restes de grenades de désencerclement, sur la dernière portion. Plusieurs dizaines de personnes gardent l’accès, fouillent les voitures.

La dernière fois que la CCAT a tenté d’organiser une conférence de presse, mercredi 19 juin, les forces de l’ordre ont sauté sur l’occasion pour interpeller plusieurs de ses cadres. Ce sera le premier point à l’ordre du jour de celle qui se tient mardi. « Ces déportations politiques, ce sont des pratiques coloniales qui ont déjà été faites dans l’histoire », lance Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne (UC), premier parti indépendantiste, qui a créé la CCAT en novembre 2023 avant d’y inclure d’autres organisations politiques et syndicales.

La détention provisoire de plusieurs de ses membres en métropole « ne respecte pas les droits de la défense ni les droits de l’homme. Elle constitue une grande erreur sur le plan politique », considère John-Rock Tindao. Le président du conseil de l’aire coutumière Drubea-Kapumë, dont Nouméa fait partie, accuse les magistrats d’avoir cédé à des pressions exercées par l’État et par les opposants radicaux à l’indépendance.

Des « martyrs de la justice coloniale »

Parmi les onze personnes mises en examen, neuf ont été placées en détention provisoire – dont sept en métropole « en raison de la sensibilité de la procédure et afin de permettre la poursuite des investigations de manière sereine, hors de toute pression ou concertation frauduleuse », selon le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, Yves Dupas. Parmi elles, Christian Tein, meneur de la CCAT, et Frédérique Muliava, directrice de cabinet de Roch Wamytan.

L’enquête a été menée par la sous-division antiterroriste, même si la procédure ne relève pas du terrorisme mais de la lutte contre la « criminalité organisée », insiste le magistrat. Il invoque aussi des témoignages et des « éléments techniques » pour affirmer que les cadres de la CCAT ont « défini, préparé, planifié, mis en œuvre un plan d’action violent dans le but de déstabiliser le territoire ». Visés par sept chefs d’infraction, comme « complicité de tentative de meurtre » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime », les mis en examen risquent la réclusion à perpétuité.

« Les responsables de la CCAT ne sont en rien des commanditaires d’exactions mais aujourd’hui des martyrs de la justice coloniale », soutient Daniel Goa, président de l’UC, pour qui les violences connues depuis le 13 mai sont autant de débordements d’une jeunesse en colère. L’Union nationale pour l’indépendance (Uni), deuxième groupe indépendantiste au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, restée à distance de la CCAT, est plus nuancée.

« Il appartiendra à l’instruction de déterminer si les qualifications pénales retenues sont justifiées ou non », dit Jean-Pierre Djaïwé, qui dénonce toutefois « une totale disproportion dans les choix procéduraux retenus par les magistrats, à commencer par celui d’envoyer en France des personnes qui auraient pu parfaitement être retenues sur le territoire ».

Les mêmes causes produisent les mêmes effets.
                   
Dominique Fochi, secrétaire général de l’UC

Plusieurs militants incarcérés ont fait appel des décisions du juge des libertés et de la détention. La réponse de la cour est attendue sous une quinzaine de jours. D’ici là, la CCAT entend elle aussi faire pression sur le pouvoir judiciaire : le retour des sept « prisonniers politiques » est désormais posé comme une condition supplémentaire à une accalmie durable de la mobilisation, la première exigence n’ayant pas été satisfaite par le président de la République.

Le 12 juin, Emmanuel Macron a parlé de « suspendre » le projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Puis il a renoncé « dans la circonstance » – la dissolution de l’Assemblée nationale – à réunir le Congrès de Versailles. La CCAT voulait l’entendre abandonner purement et simplement cette réforme assimilée à un retour à la « colonisation de peuplement », près d’un siècle après la fin du bagne.

À très court terme, prévient John-Rock Tindao, les procédures judiciaires « [risquent] d’entraîner le pays dans une situation de guerre civile larvée ». Avec neuf morts par arme, plus de 200 logements partiellement ou intégralement détruits et au moins 1,5 milliard d’euros de dégâts comptabilisés depuis mi-mai, la situation actuelle mérite déjà d’être comparée aux Événements qui ont meurtri la Nouvelle-Calédonie entre 1984 et 1988.

« Les mêmes causes produisent les mêmes effets », constate Dominique Fochi, « fatigué de répéter » l’histoire de son pays aux élus de métropole, agacé d’entendre ses adversaires loyalistes se poser en défenseurs de la démocratie. « Quand ils ont pris la Nouvelle-Calédonie, ils n’ont pas fait d’élections. La prise de possession [en 1853 – ndlr], elle s’est faite comme ça, s’agace Jean-Marie Ayawa, représentant de la Dynamik unitaire sud (Dus). Donc rendez-nous cette liberté. Rendez-nous notre pays. De toute façon, on va le prendre… Mais pacifiquement, et avec tout le monde. »

De démocratie, il en sera de nouveau question dès dimanche, jour de premier tour des élections législatives. Sur le sujet, la position de la CCAT est ambiguë. Mardi, ses responsables n’ont pas évoqué le sujet, et ont refusé de répondre aux questions.

Dimanche, la CCAT avait relayé sur les réseaux sociaux un appel, signé par quatre de ses comités locaux, appelant au boycott du scrutin en des termes offensifs. « Nous appelons l’ensemble des militants du territoire à ne pas participer au scrutin. […] Nous promettons de fortes perturbations quant à l’entêtement de l’État français en Kanaky à maintenir le scrutin. » Difficile de rassembler toutes les composantes du mouvement sur cette ligne : plusieurs candidats indépendantistes se présentent dans chacune des deux circonscriptions.

Les plus farouches adversaires de l’indépendance, quant à eux, s’inquiètent des conditions de sécurité du scrutin et remettent une couche de pression sur l’État. « Un vote serein rappellerait que l’ordre et la démocratie n’ont pas disparu en Nouvelle-Calédonie. […] Dans le cas contraire, au-delà de créer les conditions légitimes d’une contestation juridique des résultats annoncés, l’État confirmerait qu’il est dans l’incapacité de protéger les Calédoniens », dit le communiqué commun diffusé lundi par les loyalistes de Sonia Backès et Nicolas Metzdorf, et le Rassemblement-Les Républicains de Virginie Ruffenach. 

 

 

   mise en ligne le 24 juin 2024

Législatives 2024 :
derrière son « État fort », comment
le RN veut détruire les services publics

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Derrière un discours édulcoré prônant une restauration de l’État, le programme du RN prévoit un plan massif d’allégement des cotisations et impôts qui conduirait à un assèchement des caisses publiques.

« Nous voulons un État fort, restauré dans sa capacité d’action. » À travers la feuille de route présentée ce lundi 24 juin devant les médias, dans un exercice censé dissiper l’opaque brouillard autour de son programme, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, est resté fidèle à la rengaine de Marine Le Pen.

Capitalisant d’élection en élection sur le sentiment d’abandon par l’État d’une partie de la population, la dirigeante d’extrême droite n’a eu de cesse, ces dernières années, d’afficher la volonté de « rendre à la fonction publique ses lettres de noblesse ». Une ambition qui ne résiste pas à la vacuité d’un programme qui n’apporte, au mieux, pas la moindre réponse au délitement avancé des services publics et menace même de les affaiblir.

C’est le constat dressé par Lucie Castets, co-porte-parole du collectif Nos services publics, pour qui ces incohérences sont symptomatiques de l’imposture au cœur même du projet du RN sur la question des services publics. Un regard attentif sur les quelques mesures économiques rendues publiques permettrait, selon elle, d’en déjouer aisément la mécanique.

Bataillon de réductions d’impôts

« En des termes flous, le RN tient un discours de façade, promettant de préserver le statut de la fonction publique et d’en renforcer les moyens. Or, les mesures fiscales prévues par le RN entrent en contradiction avec ce projet », analyse-t-elle. Et la fonctionnaire d’énumérer le bataillon de réductions d’impôts inscrites dans son programme.

À savoir : allégement des cotisations sociales payées par les employeurs – projet confirmé lundi par Jordan Bardella, qui prévoit d’exonérer les patrons de cotisations pendant cinq ans en contrepartie d’une augmentation de 10 % des salaires ; défiscalisation des heures supplémentaires ; réduction des taxes sur les donations ; baisse des impôts sur les successions, etc. « Tout cela alerte sur le fait que le RN ne sera pas en mesure d’apporter les fonds suffisants pour augmenter le niveau de présence des services publics ; pire, qu’il va en réduire les sources de financement », résume Lucie Castets.

Avec un manque à gagner de l’ordre de 40 milliards d’euros, selon l’Institut Montaigne, ces baisses de prélèvements obligatoires conduiraient, de fait, à un assèchement des caisses publiques, déjà malmenées par la politique d’allégement de cotisations sociales mise en œuvre par Emmanuel Macron.

Pour l’économiste Michaël Zemmour, les propositions du RN et leurs répercussions sociales s’inscrivent bel et bien dans le sillon tracé par Emmanuel Macron. « Le trait caractéristique de la politique du gouvernement actuel, c’est la baisse des prélèvements obligatoires, notamment sur les entreprises, donc la baisse des recettes, qui creuse les déficits (…). Le Rassemblement national, dans la ligne du gouvernement actuel, a tranché : il préfère continuer de privilégier une baisse des recettes », a analysé l’économiste sur le plateau de LCI, le 18 juin.

« À partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics » Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’UFSE-CGT

Le miroir aux alouettes tendu par le RN est, selon Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), « pure escroquerie » car, « à partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics ».

À l’exception, note toutefois le syndicaliste, des services régaliens de sécurité, notamment la police et la gendarmerie, pions stratégiques dans la feuille de route ultrarépressive du RN, qui vont, sans surprise, échapper à ce plan de définancement massif. Le projet réaffirmé par le président du RN est particulièrement limpide : « Nous voulons sanctuariser (l’État) dans ses fonctions régaliennes, à savoir la défense (…) », a-t-il ainsi déclaré, ce lundi, lors de l’exposé de ses orientations économiques et sociales.

La menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé

Rappelant la volonté du RN de faire baisser la dette publique d’ici à 2027, Christophe Delecourt pointe, en outre, la menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé, à travers des abandons de politiques publiques, des externalisations, des privatisations. À commencer par celle de l’audiovisuel public, sur lequel le RN n’a pas caché ses intentions.

Il n’aurait, à cet égard, qu’à appuyer sur l’accélérateur d’un train en marche pour parachever le désengagement généralisé de l’État. Le ralliement au parti d’extrême droite d’Éric Ciotti, chef de file contesté des « Républicains », les récents revirements de Jordan Bardella, notamment sur l’abrogation de la réforme des retraites, son programme, aussi flou que famélique, dès lors qu’il ne renvoie pas à ses obsessions migratoires, apparaissent comme autant de signaux d’une fuite en avant néolibérale.

Conditionnant toute mesure liée aux services publics, ayant trait à l’école ou la santé, à un audit des finances de l’État, Bardella s’est ainsi montré bien peu disert sur la lutte à mener contre leur délitement. Hormis la proposition de supprimer les agences régionales de santé, dont les missions seraient confiées aux préfets, et celle d’exonérer d’impôts des médecins retraités qui voudraient reprendre du service, sorties hier du chapeau, le RN continue d’avancer sans projet.

À défaut de proposer des moyens à hauteur des besoins, il continue d’aligner les poncifs, selon sa stratégie, jusqu’ici payante, d’en dire le moins possible. Jusqu’à quand ?


 

   mise en ligne le 22 juin 2024

Législatives 2024 : « On va au combat ! », contre le RN, le Nouveau Front populaire engage la bataille de la Somme

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

Dans le département historiquement ouvrier de la Somme, le RN gagne peu à peu du terrain. Face à cette avancée, les candidats du Nouveau Front populaire, Léon Deffontaines, François Ruffin et Élodie Héren en tête, se mobilisent en urgence.

Face au grand départ des 24 Heures du Mans, qui peut rivaliser ? Sur l’écran plat qui trône au fond du Café de l’Avenir d’Hallencourt, commune rurale de 1 286 habitants de la Somme, des voitures, encore des voitures. Éric, 61 ans, gérant des lieux, campé derrière le comptoir, télécommande en main, l’assume. Qu’importe si, au même moment, près de 650 000 personnes défilent dans les rues du pays pour dire leur refus de l’extrême droite : il ne basculera pas sur les chaînes d’info. Parce qu’il est « passionné d’automobile », mais pas seulement. « Ils sont tous devenus dingues, souffle-t-il. Macron qui pète un câble, la droite qui s’allie à l’extrême droite, et la gauche qui retourne avec Mélenchon… Moi, je ne veux plus rien savoir d’eux ».

Il a pourtant toujours voté et le fait toujours, sans préciser pour qui. « Par devoir républicain » et héritage familial, promet-il. Lui, l’ancien de la vallée de la Nièvre, où ses parents, « des rouges en lutte », ont servi l’industrie textile toute leur vie. Avant de la voir décliner, puis s’éloigner. Lui-même l’a fait, un temps, jusqu’au moment où il fallait « aller bouffer ailleurs ». Suivront dix-neuf ans au volant, en tant que chauffeur routier, où il a pu côtoyer « tout ce que l’Europe compte de travailleurs exploités et mis en concurrence », puis la suite derrière ce bar. « Ici, on avait tout, raconte-t-il. Même il n’y a pas si longtemps : Goodyear, Whirlpool, ou même Veglia, qui fabriquait les compteurs et les tableaux de bord des bagnoles. C’est fini tout ça, on est condamnés à disparaître et tout le monde s’en fout. »

Un sentiment largement présent ici, où la boucherie doit fermer à la fin du mois tandis que le bureau de Poste est menacé. Que d’autres services tiennent bon, du cabinet infirmier à la boulangerie, n’y fait rien. C’est une « France oubliée », jure-t-on, « par les politiques, les médias, les urbains ». Alors on vote en conséquence : « Pour se signaler. » Le 9 juin dernier, dans cette commune dirigée par un socialiste, le Rassemblement national a recueilli près de 51 % des voix. Avec une participation importante (57 %). Qu’en sera-t-il à l’occasion des élections législatives anticipées ?

« Parler du quotidien et susciter l’espoir »

Au niveau de la troisième circonscription de la Somme, à laquelle appartient Hallencourt, le RN a obtenu lors des élections européennes un peu plus de 46 % des voix, reléguant le bloc de gauche sous la barre des 12 %. Léon Deffontaines, candidat PCF du Nouveau Front populaire ici même après avoir mené la liste Gauche unie, a conscience du défi auquel il se confronte. « On va au combat ! », lâche l’enfant du pays, déterminé, à la sortie de la préfecture d’Amiens où il vient de déposer sa candidature. « Il faut aller partout, s’adresser à tout le monde, mais pas n’importe comment, projette-t-il. Il faut leur parler d’eux, de leur quotidien, puis susciter l’espoir et construire ensemble. »

À ses côtés, Arnaud Petit, maire communiste de Woincourt, avait, en 2022, tenté sa chance sous les couleurs de la Nupes sur ce même territoire « très rural ». En quatrième place lors du premier tour, avec 16,88 % des voix, il n’avait pu qu’assister à l’élection d’Emmanuel Macquet (LR) à l’issue d’un duel serré face au RN. « Ça ne sera pas simple, mais on peut y croire, assure-t-il. Ici, l’électorat est volatil : on peut voter à gauche aux municipales et RN à la présidentielle, ou inversement. Tout le défi, c’est de convaincre ceux qui se sentent oubliés par le niveau national que la gauche peut porter la voix des gens d’ici et la faire exister à l’Assemblée. »

Dolorès Esteban, conseillère départementale PCF de la Somme, relève cependant plusieurs autres adversaires dans cette campagne. « Le sentiment de mépris ou d’abandon », parfois simplement caractérisé par une route en délabrement, « l’impression que le travail ne paie plus », alors qu’il a ici une valeur primordiale – pour l’individu, son épanouissement et son intégration, comme pour toute la collectivité. Sans oublier l’impression que les choix sont de plus en plus opérés sans consulter les habitants eux-mêmes, qu’ils soient justifiés ou pas.

De l’implantation « anarchique » d’éoliennes, qui a suscité ici un grand vent de révolte finalement ignoré – la Somme est désormais le département qui accueille le plus d’installations de ce type –, jusqu’à la suppression de centres médico-sociaux, qui ont rejoint les nouvelles « maisons des solidarités et de l’insertion » (MDSI), plus grandes mais moins nombreuses. Avec pour effet d’allonger les distances entre les ruraux et les soins…

« Il faut répondre à tout cela, tranche Léon Deffontaines. S’engager pour la réouverture de la ligne ferroviaire reliant Abbeville, dans la Somme, et Le Tréport, en Seine-Maritime. Tout faire pour que le travail soit à nouveau récompensé, agricole ou ouvrier. Peser de toutes nos forces pour faire baisser les factures d’énergie qui plombent ici l’industrie de la verrerie, notamment. Lutter contre la désertification médicale… » En clair : « Combattre la politique libérale macroniste, débusquer le RN qui ne fera que trahir les Français, comme il a déjà commencé à le faire sur la question de l’abrogation de la réforme des retraites. Et construire des perspectives. »

Sur un autre front de la Somme, la première circonscription, plus industrielle, François Ruffin et ses troupes entendent mener le même combat. Il n’est que 9 heures du matin, mais ils sont une bonne vingtaine à se préparer à aller frapper à toutes les portes que compte Flixecourt, cité ouvrière historique de 3 200 habitants connue pour avoir été l’une des places fortes de l’industrie textile. Réunis autour du député Picardie debout à la maison des associations de la commune, tous ont en tête les résultats locaux des élections européennes.

Ils le portent sur leurs visages. Ici, Jordan Bardella a supplanté tous les candidats, recueillant plus de 57 % des voix. Manon Aubry, candidate de la France insoumise, n’a obtenu que 5,85 %. « Que les choses soient claires, avertit François Ruffin, au centre de la pièce. Avec un bloc de gauche à 26 % dans la circo, je n’existe pas à l’Assemblée le 7 juillet. Mais je veux du pessimisme actif : il y a une pente à remonter et nous pouvons le faire ! »

Une gauche « joyeuse et de proximité »

Pour cela, l’ancien journaliste égrène ses consignes. Représenter une « gauche joyeuse, généreuse, de proximité, qui embrasse le pays », rappeler les victoires locales, du sauvetage de l’école de la commune aux emplois sauvegardés chez Metex, à Amiens, grâce au soutien d’une large coalition de gauche, politique et syndicale. Et « insister sur un point commun » : « On n’en peut plus de Macron ». « Cette élection, c’est l’occasion de tourner la page de la Macronie. Le mépris, la casse sociale, les cadeaux aux plus riches… Mais pour rassembler autour de nous, il faut créer de la confiance, rassurer face au désordre. On a besoin de sécurité et notre gauche peut l’incarner, au contraire du RN. »

À 67 ans, Évelyne, ancienne professeur d’EPS d’un établissement de zone prioritaire, est venue donner de son temps pour cette opération porte à porte. Tract en main, elle promet de ne « pas lâcher », mais avoue avoir le cœur serré depuis trop longtemps face aux situations sociales observées dans son département. Vecteur déterminant du vote RN, selon elle. « Chaque jour, je croise des anciennes élèves avec des voitures qui ne tiennent pas debout, obligées d’enchaîner les kilomètres à leurs propres frais pour faire le ménage partout où elles le peuvent, raconte-t-elle. Ou des vieux, en autonomie chez eux, dans des situations de dénuement extrême, qui s’aventurent seuls dans la rue pour chercher leurs médicaments alors qu’ils n’ont plus toute leur tête… »

Il y a peu, Évelyne s’est heurtée à toute la détresse d’une amie, pharmacienne à Bernaville, à quelques kilomètres de là. Épuisée de devoir se charger de l’accueil de tant de personnes « affolées, perdues, abandonnées », alors qu’elle n’est pas censée en avoir les compétences. « Elle n’en peut plus, elle veut partir, rapporte-t-elle. Il faut apporter des réponses à ces situations que l’on retrouve partout ici. C’est cela que doit faire la gauche plutôt que de mettre le désordre à l’Assemblée. »

« De plus en plus de gens n’y arrivent plus », constate Bruno, 77 ans, ancien technicien supérieur chez Dunlop et militant de Picardie Debout depuis deux ans. Dans la Somme, 16,4 % des habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Un taux qui s’élève à 28 % chez les moins de 30 ans, selon l’Observatoire des territoires. « Ils ne savent plus quoi faire, vers qui se tourner, qui ou quoi pointer du doigt : les politiques, le gouvernement, les “assistés”, les étrangers, poursuit-il. Ils n’ont pas de réponse, juste la rage, et ils votent RN. Même si ça se retournera un jour contre nous. »

Créer du lien

Face à la maison de la culture d’Amiens, préfecture de la Somme, des centaines de personnes se rassemblent pour dire toute leur opposition à l’extrême droite. Dans leurs mains, des drapeaux des différents partis de gauche, des syndicats, et des pancartes. Elles avertissent : « L’Histoire nous regarde. » Élodie Héren, écharpe verte autour du cou, a fait le déplacement pour l’occasion depuis sa circonscription : la quatrième. Celle qui a élu, en 2022, l’ancien directeur de campagne de Marine Le Pen, Jean-Philippe Tanguy.

Au premier tour, il avait obtenu 32 % des voix, avant de l’emporter au second (54 %) face à Jean-Claude Leclabart, alors député macroniste sortant. Lors des européennes, dans ce même espace et avec un taux de participation équivalent (autour de 50 %), le RN a cette fois atteint 46 % des voix. « En deux semaines, il faut convaincre de passer de Bardella à la gauche, soutient l’écologiste. On est obligés d’y croire, mais le défi est corsé. »

Malgré les difficultés qui la contraignent à de très courtes nuits ces derniers temps (pénurie de papier limitant l’impression des affiches, délais restreints pour ouvrir un compte de campagne, légères divisions locales dans des circonscriptions voisines), la représentante du Nouveau Front populaire de cette circonscription entend, cependant, déloger ce pilier du RN de son siège.

« Pour y arriver, il faut avoir l’intention de créer du lien, estime-t-elle. Cette circonscription est très rurale, elle peine à garder ses habitants. Ce qu’il reste d’entreprises se trouve plutôt autour de la périphérie amiénoise, le transport collectif est peu développé, il faut donc prendre la voiture pour tout déplacement. Mais pour cela, il faut payer l’essence… Ce que de moins en moins de personnes peuvent faire. Plutôt que de se servir du sentiment de délaissement comme le fait le RN, qui disparaît une fois élu et ne parle jamais de son territoire à l’Assemblée, il faut lui apporter des réponses et faire pression pour que les choses changent. »

Un combat qu’Élodie Héren voit comme la première pierre du réveil de la gauche, à l’échelon local comme national. « Cette campagne doit nous permettre de nous recentrer sur nos fondamentaux pour faire barrage à l’extrême droite durablement et retrouver des moyens d’action, insiste-t-elle. Nous devons renouer avec les classes populaires, incarner à nouveau l’apaisement de la société, dessiner des possibles qui réunissent. » Plus qu’une bataille, une révolution. La gauche sait faire, même en quelques jours.


 

   mise en ligne le 21 juin 2024

Absence de parution écrite ce vendredi : pourquoi les salariés de Ouest-France font-ils grève ?

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

En raison de l’échec des « négociations annuelles obligatoires » (NAO), l’intersyndicale a lancé, jeudi 20 juin, un mouvement de grève, et a empêché l’impression du quotidien du lendemain, ce vendredi 21 juin. L’augmentation des salaires est la principale revendication.

Les travailleurs du quotidien régional Ouest-France ne comptent pas se laisser faire. À l’appel du SNJ, CFE-CGC, CGT, et FO, un mouvement de grève a été lancé le jeudi 20 juin, empêchant l’impression du journal en version papier ce vendredi 21 juin, ont rapporté les syndicats dans un communiqué.

Cette mobilisation d’ampleur est due à l’échec des négociations annuelles obligatoires (NAO) : « Le directoire a refusé toute augmentation générale » lors de la négociation annuelle du mardi 18 juin, explique l’intersyndicale. Un rejet des négociations marqué par « un directoire qui s’est déplacé devant les délégués syndicaux », en expliquant « que Ouest-France n’est pas en mesure d’envisager un plan de rattrapage de l’inflation, ni d’accorder ne serait-ce qu’1 % d’augmentation aux salariés », dénoncent les organisations.

Grève des rotativistes

Parmi les salariés en grève, les rotativistes se sont mobilisés. Les techniciens qui assurent l’impression du journal ont voté la grève dans la nuit du jeudi 20 juin au vendredi 21 juin : « Et si on n’a pas de retour (de la direction), on a également voté pour faire grève la nuit suivante », a déclaré à l’AFP Olivier Heurtault, secrétaire général de la section FO des rotativistes, jeudi 20 juin.

Les rotativistes assurent les impressions sur deux sites, à Chantepie, en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine), et à la Chevrolière, en limite de Nantes (Loire-Atlantique). De cette imprimerie sortent également les quotidiens Presse Océan, Le Courrier de l’Ouest et Le Maine Libre, qui appartiennent au groupe Ouest-France. Ces titres ne devraient donc pas sortir en édition papier non plus vendredi, bien qu’ils ne soient pas concernés par le mouvement de grève.

« Les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années »

Des journalistes font également grève. Le refus d’augmenter les salaires est au cœur de leur mobilisation : « La direction a fait état de mauvais résultats pour rejeter nos demandes d’augmentation », a déclaré à l’AFP Christelle Guibert, représentante syndicale SNJ. « L’an dernier, on n’a pas eu de vraies NAO », regrette la syndicaliste.

Seuls les plus bas salaires, soit 60 % des salariés, ont obtenu une revalorisation. Olivier Heurtault abonde. Cette absence d’augmentation depuis plusieurs années est pour lui « inadmissible », « alors que les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années ». Des chiffres contestés par la direction, selon laquelle ils ont été revus à la hausse de 8,8 % et non 12 % « alors que sur la même période les salaires ont augmenté de 10 % ».

Les salariés de Ouest-France auraient bénéficié d’augmentations générales par pallier, entre un et trois pour cent, ainsi que « d’augmentations individuelles, notamment liées à des évolutions de statut », a défendu Caroline Tortellier. La chargée de la communication externe du groupe Ouest-France a estimé aussi que « les discussions se poursuivent, le dialogue n’est pas rompu. »

Mais les syndicats sont très loin de partager ce point de vue. Tout comme, ils réfutent l’idée que le groupe n’aurait pas les moyens de procéder à des revalorisations et font notamment valoir que le groupe s’est porté candidat auprès de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) en vue de développer une chaîne de télévision nationale sur la TNT. Un investissement, selon les syndicats, de « 70 millions d’euros ».

Si les revendications sont avant tout salariales, elles concernent également le positionnement éditorial du titre. Dans un tract publié le 17 juin, consulté par Le Monde, la CFDT demande à la direction de « dénoncer le risque d’un régime raciste en France ». « Entre le risque de déplaire à une partie de nos lecteurs et la défense des principes d’une démocratie qui reste humaniste, Ouest-France, né de la Résistance, doit choisir son camp », ajoute le syndicat dans un contexte de résultats historiques du Rassemblement national.

Et le mouvement de grève engagé ne devrait pas s’arrêter là. Un appel à sa reconduction aurait été émis ce vendredi 21 juin, menaçant la publication du journal de ce samedi 22 juin, selon les informations du Monde. Un préavis de grève est également envisagé pour le 30 juin prochain, jour du premier tour des élections législatives anticipées.


 

   mise en ligne le 20 juin 2024

À Montpellier, des néonazis « de plus en plus visibles, de plus en plus armés, de plus en plus violents »

Prisca Borrel sur www.mediapart.fr

Une vingtaine de militants d’extrême droite montpelliérains accumulent les actes d’intimidation et les agressions violentes. Le 1er juin, ils s’en sont pris à une jeune femme trans avant de passer à tabac un syndicaliste. Une tension montée crescendo depuis plusieurs mois.

Montpellier (Hérault).– « J’allais chercher une bière au bar, quelqu’un m’a pris par l’épaule et m’a envoyé une grosse patate dans la bouche. » Tenues noires, capuches, manches longues, masques noirs… Lors du Festival des fanfares de Montpellier, samedi 1er juin, un groupe d’une dizaine de personnes s’est infiltré parmi les festivaliers pour en découdre. Dans leur ligne de mire ce soir-là, un syndicaliste connu pour son combat contre l’extrême droite. Dans sa plainte, il affirme avoir identifié deux de ses agresseurs, issus de groupuscules locaux et gravitant autour des colleurs d’affiche de Génération Z, la branche jeunesse du parti Reconquête.

À Montpellier, ville historiquement acquise à la gauche et réputée comme gay-friendly, le phénomène est nouveau. Ces dernières années, un groupe de gros bras néonazis multiplie les attaques. Leur visibilité et la violence de leurs actions, assumée sur les réseaux sociaux la plupart du temps, sont allées crescendo depuis 2022.

Dans leur viseur, des antifascistes assumés, mais aussi des militant·es de gauche et des sympathisant·es de la cause LGBT, qu’ils agressent ou intimident caméra en main. En deux ans, ils ont commis une dizaine d’exactions au moins, dont sept ces six derniers mois seulement. Une montée en puissance qui a pris une tournure particulière le 1er juin au Festival des fanfares.

Ce soir-là, il est près de 22 h 30 quand ils s’en prennent au syndicaliste, après une étrange balade durant laquelle des témoins affirment avoir été interrogés sur leurs opinions politiques. Le Festival des fanfares rassemble alors un monde fou autour de la place Henri-Krasucki, dans le quartier des Beaux-Arts. La bière coule à flots, l’ambiance est bon enfant, et le public habituel, à mille lieues des nostalgiques du IIIe Reich.

Alors, quand un groupe d’une dizaine de personnes fond sur un individu isolé, C. comprend que quelque chose déraille. « Ils étaient à plusieurs sur ce syndicaliste que je ne connaissais pas. Ils lui mettaient des coups sur le visage, et autour, personne ne bougeait. Alors j’en ai chopé un ou deux, et ils s’en sont pris à moi », poursuit l’homme, qui finira aux urgences le genou brisé. Selon des témoins, le groupe s’avère surentraîné et très bien organisé. « Des gens autour ont essayé de filmer, mais une partie du groupe était là pour éviter les images. Ils mettaient leurs mains. Ils ont cassé le téléphone d’un des témoins », confient des militant·es antifas de la Jeune Garde Montpellier.

Dans le chaos de la bagarre – puis auprès de la police –, le syndicaliste et le passant venu à sa rescousse ont affirmé avoir identifié deux militants d’extrême droite proches des groupuscules locaux : Dorian M., également aperçu lors d’opérations de tractage de Génération Z, et Ongwé L. G., proche du Bastion social, dissous en 2019, et du groupe local Jeunesse Saint-Roch. Deux militants que les antifascistes de la Jeune Garde identifient également dans le nouveau groupuscule du Bloc montpelliérain, créé début janvier.

Contacté, le Bloc n’a pas souhaité répondre à nos questions mais nous a néanmoins transmis la plainte que Dorian M. a déposée contre le journal d’information sur les luttes sociales Le Poing et d’un journaliste indépendant pour diffamation. Auprès de la police, le jeune homme affirme n’avoir pas participé au festival, et présenterait un alibi.

« Préviens ta famille, tu n’en as plus pour longtemps »

Fondateur du site Indextrême, qui référence les symboles des groupuscules en présence, Ricardo Parreira a quelque peu modifié ses habitudes sous la pression des néonazis. « Je ne me balade plus à Montpellier de la même façon », confie le journaliste, qui est devenu l’une de leurs cibles favorites au lendemain de la manifestation agricole du vendredi 26 janvier.

Ici, de nombreux groupes nationalistes et néonazis avaient en effet infiltré le cortège, et ce jour-là, une poignée d’entre eux le suivaient à la trace au fil de ses posts sur le réseau social X. « Avant de me trouver, ils avaient demandé à plusieurs personnes s’ils étaient Ricardo Parreira. Ils me cherchaient, et ils ont chopé un autre journaliste qui avait un accent, en pensant que c’était moi », raconte le quadragénaire d’origine portugaise.

Sur la place de la préfecture, quatre militants, dont les deux boxeurs présumés cités précédemment, finissent par l’interpeller et le somment de partir. « En fait, ici, c’est les Blancs », argue Dorian M. « Tu craches toute la journée sur les gens de la campagne, sur les Français de souche. Et eux ils crèvent la dalle. T’as rien à faire là », enchaîne son acolyte Ongwé L. G. Ce jour-là, les néonazis lui reprochent aussi de « cracher sur la terre de [leurs] ancêtres », d’être « anti-flic », et le qualifient de « traître blanc ». « Tu peux aller où tu veux mais cette manif, tu n’y mettras pas les pieds. »

Sur d’autres images, on aperçoit les mêmes militants repousser un autre journaliste, en se faisant passer pour des viticulteurs. Ou encore le fameux Dorian M., qui arborait déjà des gants coqués, en train d’enfiler une cagoule noire pour exfiltrer violemment un militant communiste venu échanger avec les paysans.

Peu après, Ricardo Parreira a été la cible de graves menaces sur les réseaux sociaux. « Préviens ta famille que tu en as plus pour longtemps. C’est pas une menace, tout est déjà prêt pour toi », l’avertit un inconnu sur X fin janvier. Sur un fil Telegram, des néonazis ont aussi utilisé une photo du journaliste, capturé lors de la manifestation agricole, pour lancer un appel au « tabassage » contre 100 euros.

Une série d’événements qui le poussent à rédiger une main courante en février, puis une plainte directe auprès du procureur début mars. « Je ne suis pas un militant antifa, je ne fais partie d’aucun groupe... Mais pour eux, ce que je fais avec Indextrême, c’est du sabotage. Je montre que derrière leurs symboles, il y a du néonazisme, du suprémacisme... Ça casse leur vitrine et leurs processus de recrutement », analyse Ricardo Parreira, de nouveau ciblé par des tags début mai, en amont d’une conférence donnée dans un bar associatif.

Les vidéos d’exactions diffusées sur les réseaux sociaux

Si ces attaques prennent souvent la forme d’expéditions punitives, des militants de cette mouvance nationaliste-révolutionnaire ont aussi pris l’habitude d’aller casser du gauchiste ou du queer lors de pérégrinations improvisées. Samedi 1er juin, avant les Fanfares, un groupe s’en est pris à une jeune femme trans dans le parc du domaine de Méric, où les militants du Bloc montpelliérain s’entraînent régulièrement.

Sur sa sacoche, c’est un sticker « Anti-transphobe action » qui a suffi à exciter ces « huit mecs baraqués ». « Tiens, c’est quoi cette merde ? », l’a interrogée l’un deux, avant d’exiger qu’elle le décolle. « Il a essayé d’arracher ma sacoche, il m’a un peu bousculée. Et comme il devenait violent, je la lui ai donnée », détaille la jeune femme de 19 ans, qui assure avoir été filmée par ses assaillants. Dans la foulée, terrifiée à l’idée d’être pistée, elle s’est réfugiée dans l’appartement d’une amie pour changer de tenue.

Le style vestimentaire, les muscles, le lieu, le mode opératoire, l’obsession transphobe et homophobe… tout ramène aux néonazis du coin, qui adorent diffuser les vidéos de leurs exactions, mises en scène comme des prises de guerre, sur le canal Telegram Ouest Casual.

En mars, on les voit par exemple isoler, gifler et humilier un jeune à peine pubère qui arborait un tee-shirt antifa, avant de lui voler son vêtement et de le forcer à effectuer un salut nazi. Même scénario pour un jeune homme qui arborait un tee-shirt du bar marseillais Le Molotov en octobre… « Montpellier, c’est l’Allemagne », conclut l’un de ces films en guise d’épilogue.

Membre du collectif d’animation du local associatif autogéré Le Barricade, visé par trois attaques entre 2020 et 2022, Claude* y décèle une stratégie de « guérilla » « Quand ils organisent des événements, c’est toujours dans des endroits tenus secrets. Et un jour, en général dans un rapport de force supérieur, ils vont surgir par-derrière, frapper et repartir. »

Un mode opératoire en tous points identique à l’agression de Marc* en avril 2022. Identifié à son look et au patch « contre les préjudices raciaux » collé sur son bomber, cet étudiant de 22 ans a été frappé à l’arrière du crâne à l’aide d’un poing américain, et traité de « sale gaucho ». Cette fois-ci encore, les agresseurs étaient cagoulés, masqués, « vêtus de noir de la tête aux pieds ». Et malgré un signalement précis du véhicule utilisé ce jour-là, pour l’heure, sa plainte n’a pas abouti.

Pour Claude, c’est justement ce sentiment d’impunité qui pose problème. « À mon sens, cet écosystème de violence politique est rendu possible parce qu’il bénéficie d’un laisser-faire de la part des forces de l’ordre locales », déplore-t-il. Pour lui, à force de passer entre les gouttes, les néonazis ont pris confiance. Une analyse partagée par les militant·es de la Jeune Garde, qui a vu la situation se détériorer. « Avant, leurs sorties étaient tardives. Maintenant, on les aperçoit de plus en plus tôt. Ils sont de plus en plus visibles, de plus en plus armés, de plus en plus violents... Ils sont poussés par la pratique et par l’entraînement. »

Des groupes autonomes qui se font et se défont

Au début des années 2020, à la faveur des mises en sommeil ou des dissolutions du Groupe Union Défense (GUD), de Génération identitaire ou encore de Bastion social, de nombreux militants issus de l’extrême droite se sont recomposés sous la forme de « petits groupes autonomes » dédiés à la baston.

Boostés par l’anonymat de collectifs insaisissables, puis par la candidature d’Éric Zemmour, qui leur a permis de se rencontrer en 2022, de se restructurer et de briser les logiques concurrentielles, « ils sont montés en puissance sur une stratégie d’agression », confirme encore Claude, du Barricade.

Entre 2019 et 2021, ces groupes de nervis avaient donc tenté un premier regroupement sous la bannière de la South Face. Selon des conversations privées révélées par le journal indépendant Rapports de force, des militants de Génération Z y étaient déjà très actifs. À l’image de Mathieu Moreira, un proche de Maya Bouisset (Reconquête), actuellement suppléante du candidat aux législatives Frédéric Bort (fraîchement exclu du RN) dans la 9e circonscription de l’Hérault.

Interrogé à ce sujet, Mathieu Moreira n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Les groupuscules violents d’extrême gauche nous harcèlent depuis des années à Montpellier, en usant de toutes les stratégies médiatiques possibles pour nous diffamer », rétorque en revanche la candidate Maya Bouisset, qui prétend aussi que les membres de Génération Z ne sont impliqués « dans aucune action violente ».

Après la mise en sommeil de la South Face, le groupe Montpellier nationaliste a pris le relais. Avant de s’éteindre à son tour, et de céder la place au Bloc montpelliérain, présent lors de la manifestation néonazie du C9M à Paris le 11 mai. À cette occasion, on pouvait les reconnaître au logo de leur cache-cou, revisitant le « flash and circle » créé par les fascistes britanniques dans les années 1930, accolé ici au pic Saint-Loup pour marquer le territoire.

Une quinzaine d’organisations de gauche appellent à un rassemblement en soutien aux victimes, samedi 22 juin.

Contacté, le procureur de Montpellier confirme avoir été saisi de trois faits susceptibles d’être imputés « aux mêmes mis en cause ». Confiée au service local de police judiciaire, l’enquête devrait être bouclée dans moins d’un mois.

De son côté, le cabinet du maire socialiste de Montpellier, Michaël Delafosse, invoque quant à lui la prudence. « Être habillé en noir, porter une capuche et avoir un masque chirurgical, c’est hélas aussi l’uniforme du choufeur [un guetteur pour les trafiquants de drogue – ndlr] de la cité Gély », compare un collaborateur proche du dossier.

Sceptique en l’absence « d’écusson nazi ou de croix celtique », ce dernier confirme que la police municipale n’a pas été sensibilisée à ce phénomène, qu’il juge « de basse intensité ». « Sur les Fanfares, il y a un système de filtrage que je connais par cœur. J’ai du mal à imaginer que la police municipale ait laissé entrer un groupe de huit individus masqués et casqués », doute-t-il encore.

Bien plus inquiètes, une quinzaine d’organisations de gauche appellent à un rassemblement en soutien aux victimes, samedi 22 juin. Roué de coups ce soir-là, le syndicaliste a écopé de quarante-deux jours d’ITT.

Boîte noire

* Claude, du local associatif le Barricade, et Marc, l’étudiant frappé en 2022, ont utilisé des prénoms d’emprunt.

Contactés, les membres du Bloc montpelliérain ont refusé de répondre à nos questions. Ils nous ont seulement transmis la plainte en diffamation déposée par Dorian M. contre le journal Le Poing.


 

   mise en ligne le 19 février 2024

Nouveau Front populaire :
comment s’engage-t-il pour les droits des étrangers et contre les discriminations ?

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Le programme de la gauche unie promet un véritable changement de paradigme quant à l’accueil des étrangers en France et à la lutte contre toutes les discriminations liées à l’origine ou à la religion.

La Fraternité et les valeurs humanistes et universalistes au lieu de la politique du bouc émissaire et la stigmatisation des étrangers qui a cours actuellement ! Telle est la promesse portée par le contrat de législature du Nouveau Front populaire.

Abrogation de la loi asile et immigration

Les responsables de tous les partis de gauche s’engagent à « garantir un accueil digne » des étrangers qui souhaitent rejoindre notre pays. Cela passe en premier lieu par l’abrogation de la loi « asile et immigration » promulguée au début de l’année 2024. « C’est plutôt salutaire puisque cette loi était plus répressive encore que les lois Pasqua. D’ailleurs, au moment de son vote, j’avais qualifié la loi Darmanin d’appel d’air pour les idées racistes. Hélas, les résultats des dernières élections en témoignent », réagit Stéphane Maugendre, avocat et président honoraire du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Sauver plus en mer

Il se félicite également de la proposition de « mettre en place d’une agence de sauvetage en mer et sur terre ». « C’est indispensable à l’heure où la Méditerranée est le charnier de l’Europe forteresse avec la complicité de l’agence Frontex. Tout ce qui peut permettre de sauver des vies et d’amener à la disparition de cette agence est positif », explique-t-il, rejoignant également les propositions du bloc de gauche concernant la nécessaire révision du pacte européen sur les migrations qui vient d’être adoptée.

Un meilleur accompagnement social

Le programme de la gauche prévoit également d’assurer, sur le territoire français, un accompagnement social et une autorisation de travailler pour les demandeurs d’asile. Une mesure de bon sens au regard de la réussite qu’a été l’accueil des Ukrainiens. « Permettre aux personnes de travailler, c’est leur permettre d’avoir une vie digne, de se loger, de s’intégrer. Et d’ailleurs, si les personnes sont autorisées à travailler, elles auront d’autant moins besoin d’accompagnement social », souligne l’avocat, qui salue également les mesures concernant la facilitation de l’accès aux visas, rappelant que « la maltraitance des exilés commence dans les consulats » et que « refuser les voies légales, c’est faire le jeu des profiteurs de l’immigration clandestine ».

Faciliter les procédures

L’attribution de cartes de résidents de 10 ans et la facilitation d’obtention de la nationalité française, également proposées par le pacte de gauche, sont des promesses que le président d’honneur du Gisti juge intéressantes dans la mesure où elles « favorisent une vie stable et permettent de s’investir dans la vie de la cité alors que le fait de devoir passer son temps à faire renouveler ses papiers précarise les personnes qui y sont contraintes ».

Il fait remarquer qu’en Europe, « il existe un titre de séjour sans limitation de durée pour les Extra-européens » et qu’il faudrait « le généraliser » . Néanmoins, comme le pointe le Collectif J’y suis j’y vote ! « la démocratie ne sera complète que lorsque toutes les résidentes et tous les résidents pourront choisir celles et ceux qui les représentent et prennent les décisions, notamment au niveau local, qui concernent leur vie quotidienne », Stéphane Maugendre regrette que le droit de vote des étrangers ne figure pas parmi les propositions du Nouveau Front Populaire.

Lutter contre toutes les formes de racisme et de discrimination

Enfin le représentant du Gisti salue le projet de « suppression des conditions empêchant le déplacement entre Mayotte et le reste du territoire » qui réaffirme que « la République est une et indivisible et qu’il ne peut y avoir de loi d’exception » et que « le système alliant droit du sol et droit du sang en France est partie intégrante du socle Républicain ».

Défendre les valeurs de la République, c’est aussi lutter contre toutes les formes de racisme, contre l’antisémitisme et l’islamophobie. C’est ce à quoi s’engage le Nouveau Front Populaire à travers une série de mesures visant à « donner à la justice les moyens de poursuivre et de sanctionner les auteurs de propos ou actes racistes, islamophobes et antisémites » et « instaurer un Commissariat à l’égalité doté d’un Observatoire des discriminations et de pôles spécialisés au sein des services publics et des cours d’appel ».

Est également prévu l’adoption d’un « plan de lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche, à la santé et au logement, et le renforcement des sanctions ». Des propositions « globalement salvatrices » qui « font partie de celles que nous avons présentées aux candidats aux élections présidentielles et législatives de 2022 », salue Dominique Sopo, le président de SOS Racisme.

Celui-ci se montre plus nuancé quant à la proposition d’un « plan interministériel pour analyser, prévenir et lutter contre l’antisémitisme en France, notamment à l’école » et d’un autre « pour analyser, prévenir et lutter contre l’islamophobie en France, qui découle notamment de l’omniprésence des discours islamophobes dans certains médias, de presse écrite ou audiovisuelle. »

En effet même si selon lui, « dans la mesure où les haines sont multiples, il est intéressant de les prendre toutes à bras-le-corps », Dominique Sopo exhorte le Nouveau front populaire à ne pas « tomber dans une forme de spécialisation caricaturale : les Juifs se font agresser à l’école, les musulmans se font insulter dans les médias et les noirs se font discriminer à l’emploi et au logement. Les haines ne se cantonnent jamais à un secteur en particulier ! »

Enfin le président de SOS racisme rappelle les vertus de l’exemple et invite tous les partis corédacteurs de ce programme à « ne pas se payer simplement de mots » et à « montrer l’exemple en étant capable de s’ouvrir à toute la diversité de la société ». Et de signaler que sur la photo prise vendredi midi à la maison de la chimie… ne figure aucune personne noire.


 

   mise en ligne le 17 juin 2024

Gabriel Zucman :
« La France pourrait, dès la mi-juillet,
taxer efficacement les ultrariches »

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Couplé à une taxe anti-exil fiscal, un impôt sur la fortune est possible à l’échelle d’un seul pays comme la France, estime l’économiste Gabriel Zucman. Il n’y a donc pas de fatalité, selon lui, à subir l’exode fiscal des plus riches si l’on veut les taxer davantage.

L’économisteL’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’École d’économie de Paris, porte depuis plusieurs années au niveau mondial l’idée d’un impôt sur les grandes fortunes. Il estime que la campagne accélérée pour les élections législatives, qui se tiendront les dimanches 30 juin et 7 juillet, est une bonne occasion de remettre sur la table la proposition d’un impôt sur les patrimoines des milliardaires, ridiculement imposés en France. 

Mediapart : L’idée d’un nouvel impôt sur la fortune réémerge à gauche en ce début de campagne aux élections législatives. Son rétablissement figure dans l’accord pour un Nouveau Front populaire intervenu jeudi 13 juin au soir. Pourquoi faut-il, selon vous, remettre sur la table le sujet de la taxation du patrimoine des ultrariches ? 

Gabriel Zucman : D’abord parce qu’il y a une forte demande de l’opinion publique pour abolir les privilèges fiscaux. Les milliardaires ont des taux d’imposition ridiculement faibles en France. Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, leur taux effectif est de moins de 2 %, en raison du recours généralisé aux sociétés holdings. Normalement pierre angulaire de la progressivité du système fiscal, l’impôt sur le revenu échoue à remplir sa mission. La France est un paradis fiscal pour les milliardaires : si tous partaient demain s’installer aux îles Caïmans, cela ne changerait quasiment rien aux recettes du Trésor public !

Il n’y a en fait que l’impôt sur les bénéfices payé par les entreprises qu’ils possèdent qui touche in fine les milliardaires. Ce qui fait que, tous impôts compris, leur taux de prélèvement obligatoire est de l’ordre de 27 %, selon les chiffres de l’Institut des politiques publiques, quand le Français moyen paie – à nouveau tous impôts compris – un peu plus de 50 %. Il y a là une différence de traitement injustifiable.

Quel nouvel impôt sur le patrimoine des très riches faudrait-il instaurer en France ? 

Gabriel Zucman : Il faut tirer les leçons du passé : ne pas simplement ressusciter l’ISF [impôt sur la fortune, supprimé par Emmanuel Macron en 2018 – ndlr] mais créer un nouvel impôt sur les ultrariches. L’ISF échouait à taxer les plus grandes fortunes car trop de niches fiscales lui étaient adossées. Il faudrait, à mon sens, prendre exemple sur l’impôt proposé par Bernie Sanders aux États-Unis durant la primaire démocrate en 2020, qui taxait progressivement, et sans exonération, les patrimoines supérieurs à 32 millions de dollars au taux de 1 %, ceux supérieurs à 50 millions à 2 %, jusqu’à 8 % au-dessus de 10 milliards. 

On pourrait s’en inspirer en France en instaurant un impôt sur le patrimoine de 1 % au-delà de 10 millions d’euros, 2 % au-delà de 20 millions d’euros, 3 % au-delà de 100 millions, jusqu’à 8 % au-delà de 10 milliards. Cela pourrait rapporter de 30 à 40 milliards d’euros par an au fisc français, un montant tout à fait significatif. 

Ne craignez-vous pas que l’on oppose à votre proposition que les riches s’en iront de France pour aller dans un pays à la fiscalité plus favorable, car c’est l’ordre des choses ? 

Gabriel Zucman : C’est toujours le risque – et c’est pourquoi il faut coupler cet impôt sur le patrimoine à une taxe sur l’exil fiscal. Concrètement, les contribuables fortunés vivant depuis longtemps en France continueraient à être soumis à l’impôt français – par exemple pendant dix ans – s’ils décidaient de s’installer dans un pays à fiscalité avantageuse. Prenons l’exemple d’un milliardaire qui déménagerait de Paris vers la Suisse : le fisc français viendrait alors collecter la différence entre l’impôt dû dans son nouveau pays de résidence et ce qu’il payait jusqu’ici en France. L’administration fiscale française jouerait en quelque sorte le rôle de collecteur fiscal de dernier ressort. 

Il est techniquement possible de mettre en œuvre une telle proposition car, depuis 2018, il y a un échange automatique des données bancaires entre les établissements financiers d’une centaine de pays – dont la Suisse, le Belgique ou le Luxembourg – et l’administration fiscale française.  

Il faut le marteler : l’exil fiscal n’est pas une loi de la nature qui rendrait impossible, au niveau national, d’entreprendre quoi que ce soit pour taxer les milliardaires au motif qu’ils s’en iraient. Un futur gouvernement français pourrait très bien, dès la mi-juillet, mettre en œuvre une taxation unilatérale des ultrariches, couplée à ce mécanisme de taxation des exilés fiscaux afin d’enrayer la mécanique de la concurrence fiscale internationale. Cela rapporterait rapidement des milliards aux caisses de l’État, qui pourraient être immédiatement réinvestis dans les services publics. 

Il y a un besoin massif d’investissements dans les services publics, que ce soit dans l’éducation, la santé ou les infrastructures. Gabriel Zucman

Oui mais tout de même, ce serait branle-bas de combat dans le milieu des affaires parisien, qui serait, sans aucun doute, vent debout contre une telle proposition… 

Gabriel Zucman : Bien sûr. Il ne faut pas être naïf et sous-estimer la capacité de mobilisation des personnes concernées. Cela dit, il faut rappeler que ce n’est pas aux milliardaires de décider quels doivent être les taux d’imposition qui s’appliquent à eux, mais aux citoyens français, par le vote. C’est la démocratie.

Et même chez les plus fortunés, de plus en plus commencent à comprendre le caractère insoutenable de la situation actuelle, qui voit, je le rappelle, les milliardaires avoir des taux d’imposition deux fois plus faibles que le reste de la population. Ce privilège alimente la montée des inégalités, et en retour un fort sentiment de défiance vis-à-vis des institutions. C’est une mauvaise chose pour le pays, y compris pour les grandes fortunes elles-mêmes, qui n’ont économiquement pas intérêt au délitement de la cohésion sociale.

Mais surtout, il y a un besoin massif d’investissements dans les services publics, que ce soit dans l’éducation, la santé ou les infrastructures. Ces biens publics sont le moteur de la croissance économique et la clé de l’attractivité future de la France. L’abolition des privilèges fiscaux pour financer ces investissements aurait toutes les chances d’être un pari gagnant économiquement – en plus d’améliorer la situation sur le terrain des inégalités et de la justice sociale. 

Nous avons beaucoup parlé de la France, mais la taxation des plus riches est un sujet qui doit aussi se coordonner à une échelle plus large…  

Gabriel Zucman : À mon sens, il nous faut avoir trois niveaux d’action. Au niveau mondial d’abord, il est nécessaire de réécrire les traités de la mondialisation, de sortir de la logique de la concurrence fiscale et de mettre au cœur de la coopération internationale la lutte contre les inégalités, contre l’opacité financière et pour l’harmonisation fiscale. C’est le sens de mon travail avec l’Observatoire européen de la fiscalité, par exemple pour œuvrer à la création d’un impôt minimum mondial sur les ultrariches.  

Ensuite, on peut faire d’énormes progrès dans cadre de coalitions entre pays. Un accord international n’est pas indispensable pour lutter contre l’évasion fiscale ; nul besoin d’unanimité. 

L’exemple le plus clair en est donné par l’accord signé par de nombreux pays en 2021 pour mettre en œuvre un taux minimum d’impôt sur les bénéfices de 15 % – certes trop faible – pour les sociétés multinationales. Il y a dans cet accord une clause de « collecteur fiscal de dernier ressort » qui, lorsque certains pays rechignent à appliquer l’impôt minimal, autorise les autres à surtaxer les multinationales de façon à ce que leur taux effectif atteigne tout de même 15 %. 

Pour être concret, en Europe où s’applique cet accord depuis le 1er janvier 2024, les pays auront bientôt le droit de surtaxer les bénéfices des multinationales américaines ou chinoises – deux pays qui n’appliquent pas l’impôt minimum – pour que ces dernières soient assujetties aux mêmes règles que les entreprises du Vieux Continent.  

Enfin, il est possible d’agir au niveau national, comme je l’ai déjà expliqué pour la France, par exemple en créant un impôt sur la fortune sans niche fiscale couplé à un dispositif anti-exil fiscal.

Le fait que Joe Biden fasse de la taxation des ultrariches un thème central de sa campagne témoigne d’un changement de mentalité rapide et puissant au sein des élites démocrates. Gabriel Zucman

L’impôt sur la fortune a-t-il le vent en poupe au niveau international ? 

Gabriel Zucman : Si l’on prend d’abord le cas des États-Unis, on voit que le président Joe Biden, qui avait pourtant fait campagne en 2020 contre la proposition portée par Bernie Sanders et Elisabeth Warren de taxer les plus riches, l’a en grande partie reprise à son compte durant son mandat en tentant (pour le moment en vain) de faire voter une « billionaire income tax ». 

Et il a cette année inscrit dans son programme cette proposition pour se faire réélire. Le fait que Joe Biden, qui ne vient pas vraiment de l’aile gauche du Parti démocrate, fasse de la taxation des ultrariches un thème central de sa campagne témoigne d’un changement de mentalité rapide et puissant au sein des élites démocrates. 

Il faut ensuite parler de ce qu’il se passe actuellement au G20, grâce au volontarisme du Brésil, qui en exerce actuellement la présidence, et qui a fait de la question de la taxation coordonnée des très grandes fortunes une priorité de son agenda. C’est une première, G20 et G7 confondus ! J’ai été invité en février à parler devant les ministres des finances du G20 pour formuler des propositions en la matière – en l’occurrence un impôt minimum sur les milliardaires mondiaux, égal à 2 % de leur patrimoine – dont les modalités techniques seront précisées dans un rapport publié à la fin du mois.

Ce qui m’a frappé dans la réponse des ministres, ce sont les retours positifs de la plupart des pays. Que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud ou en Europe, de nombreux gouvernements ont salué l’initiative brésilienne d’inscrire ces sujets à l’agenda, et depuis trois mois de plus en plus se rallient à la proposition que nous portons. Cela illustre la demande mondiale pour plus de justice fiscale que l’on perçoit dans les enquêtes d’opinion, et la pression démocratique croissante pour ce type de mesures, partout plébiscitées par les opinions publiques. 


 

   mise en ligne le 16 juin 2024

Dans la rue,
le peuple de gauche fait front

Mathias Thépot et La rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr

À l’appel notamment de l’intersyndicale, entre 250 000 et 640 000 personnes se sont rassemblées le 15 juin dans les rues de 150 villes de France contre l’extrême droite. L’inquiétude sur la montée de la xénophobie en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national dominait dans les cortèges.

Un exemple à suivre ? Alors que l’unité du Nouveau Front populaire a été lourdement affaiblie par la « purge » lancée le 14 juin par La France insoumise (LFI) contre des député·es sortant·es ayant critiqué la ligne de Jean-Luc Mélenchon, le peuple de gauche a, lui, fait front commun dans la rue ce samedi 15 juin contre le risque de voir l’extrême droite accéder à Matignon.

La mobilisation lancée à l’appel de l’intersyndicale, des syndicats étudiants et de plusieurs associations telles que la Ligue des droits de l’homme ou SOS Racisme a parfois fusionné avec les marches des fiertés pour les droits des personnes LGBTQIA+, déjà prévues dans certaines villes comme Strasbourg, Rennes, Lille ou Montpellier (retrouvez ici le récit de la journée par la rédaction de Mediapart).

Au total, les manifestations contre le Rassemblement national (RN) auront rassemblé ce samedi 15 juin entre 250 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur, et 640 000 selon la CGT. Le syndicat a comptabilisé 182 rassemblements dans tout le pays, tandis que Beauvau n’en a décompté que 145 hors Paris.

Dans la capitale, justement, la CGT a annoncé 250 000 manifestant·es, quand la préfecture en a compté 75 000. Ailleurs, le ministère a notamment compté 12 000 manifestant·es à Marseille, 8 500 à Nantes, 8 000 à Rennes, 6 900 à Grenoble et 5 000 à Toulouse.

Muni·es de nombreuses pancartes aux slogans de type « Unité contre l’extrême droite », « R-Haine » ou « Jordan, Barre toi d’là », les manifestant·es témoignaient d’une envie d’agir et de se rassembler, près d’une semaine après le double choc des résultats des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale.

À Strasbourg, Lini, 22 ans manifestait pour la toute première fois de sa vie : « Je ne me suis pas posé la question, il fallait que j’aille dans la rue aujourd’hui. Pour ne pas me sentir passive et impuissante, c’est la seule chose que j’ai trouvée. »

À Vannes, Léa a elle aussi éprouvé le besoin de descendre dans la rue pour ressentir la cohésion sociale. « Je ne pense pas que cette manifestation va aider à plus mobiliser pour les élections législatives. Mais ça fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seuls », affirme-t-elle. Portant son enfant de 15 mois « qui fait sa première manif’ » à bout de bras, elle venait ce samedi « pour qu’il ne grandisse pas sous un gouvernement Bardella ».

Peur des discriminations 

Du reste, le sentiment le plus dominant dans les cortèges était bien la crainte de voir grimper en flèche les discriminations en cas d’arrivée à Matignon du parti xénophobe lors des prochaines élections législatives qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet. 

« Depuis dimanche, je suis paniqué et très angoissé », explique Elijah, 23 ans, étudiant en design graphique à Strasbourg. Je me dis que vraiment le RN peut aller jusqu’au bout. Personnellement, si ça arrive, ma vie va changer. Plusieurs membres de ma famille ont des visas de travail. Ils viennent du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Mon copain aussi a un visa de travail, lui est arménien. Je peux vraiment être touché par leur politique, visé. Et ça me fait super peur. » 

De même, Sherryl, 32 ans, Camerounaise arrivée en France en août 2023, déchante. La jeune femme a fui son pays pour se balader « libre et sans peur » dans les rues. « Mon orientation sexuelle me mettait en danger, je suis partie et j’ai d’abord été en Russie », raconte-t-elle, avant de fuir l’homophobie systémique décrétée à Moscou pour Rennes, en Bretagne. « Je suis bien plus libre ici », se réjouit Sherryl, qui vient de demander l’asile en France. Mais « avec le RN, je suis quand même inquiète ». « On m’a dit qu’ils étaient proche de Poutine. Je sais ce qu’il pense de nous et ce qu’on peut craindre là-bas. »

À Marseille, Fatima risque également gros en cas d’arrivée du RN au pouvoir. Vivant et travaillant en France depuis 2016, elle multiplie les demandes de titre de séjour pour obtenir des papiers, en vain. Elle dit avoir « peur de l’avenir, de ce qu’il va arriver. Le Rassemblement national tente de tout casser et faire naître le chaos. Il tente de nier tout, même nous les personnes de l’immigration ».

Ancienne professeure de français en Algérie, elle ne rencontre que « des obstacles et des refus », et « aimerait qu’en France il y ait des gens humains, pas des sans-pitié qui négligent tout »

À Paris, Manelle, 26 ans, dit pour sa part craindre une montée en flèche de l’islamophobie. « J’habite dans le 93, mon père n’a pas de papiers français et mes sœurs sont toutes voilées. Aujourd’hui, j’ai peur pour ma famille entière. » Pour elle, une majorité RN au pouvoir encouragerait la « banalisation » des agressions islamophobes et racistes dans la rue, que plusieurs de ses sœurs ont déjà vécues. 

Non loin de là, sur la place de la République, Yaël et Laura, deux membres des Juives et juifs révolutionnaires (JJR), sont aussi venus manifester pour alerter sur « le danger de l’extrême droite pour les juifs ». « On n’est pas dupes, on sait qu’on est aussi visées par leur politique », explique Laura. Et Yaël de préciser : « On a aussi une solidarité avec les minorités que vise le RN. »   

C’est bien ce risque de montée de « l’insécurité d’extrême droite » qui a fait descendre Adrien, étudiant en droit à Grenoble, dans la rue : « L’insécurité, c’est un argument toujours utilisé par l’extrême droite, alors que moi je pense que c’est eux qui vont mettre dans une grande insécurité des millions de personnes, les juifs, les musulmans, les LGBT, les femmes. Toutes ces minorités, à la fin, ça fait une grande partie des Français. »  

Union chez les défenseurs de l'égalité 

Mobilisation syndicale oblige, les membres des cortèges évoquaient aussi les risques pesant sur les services publics et les droits des travailleurs en cas d’arrivée au pouvoir du Rassemblement national.

« Une partie des travailleurs croient voir son salut dans la flatterie facile des partis fascistes sans voir leur vrai visage », déplorait à Lille Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l'Union départementale CGT du Nord, taclant le « rétropédalage du RN sur l’âge de départ à la retraite », que le parti n’est plus bien sûr de soutenir depuis qu’il pense pouvoir récupérer des voix de LR (Les Républicains).

À Grenoble, un rassemblement d'environ 200 personnes a aussi eu lieu devant un bureau de poste récemment fermé. Une grande banderole annonçait : « 6 bureaux de poste en danger à Grenoble : sauvez-les. » 

À côté de ses camarades qui ont fustigé le désengagement de la direction de la Poste, Jean-Philippe, salarié du centre financier de la Banque postale grenobloise, pointait le lien direct entre les revendications locales et celles de la manifestation : « Le RN va mettre encore plus en péril le service public, voire le détruire complètement. Sa logique est la même que celle de la droite libérale et du patronat : privatiser et faire des économies. »

Présente dans le cortège parisien, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ne disait pas autre chose : « Le RN est le parti du mensonge et de l’imposture » pour les travailleurs et les travailleuses : « On le voit sur les retraites, ils ont déjà reculé. Ils ont prospéré sur l’absence d’alternative. Quand on ferme une usine, un service public, on fait monter le RN. La gauche a passé plus de temps à s’invectiver qu’à s’unir contre l’extrême droite. Et je n’oublie pas la banalisation orchestrée par Emmanuel Macron. »

Son alter ego de la CFDT, Marylise Léon, a aussi rappelé quelques fondamentaux idéologiques du parti xénophobe : « Il ne faut pas être dans la stigmatisation des électeurs du RN mais rappeler que la base du programme du RN, c’est la stigmatisation. On se souvient que Louis Aliot disait que les syndicats étaient les croquemorts de l’économie. C’est un parti qui a toujours voté contre l’égalité hommes-femmes. »

Cette unité syndicale affichée ce samedi contre l’extrême droite s’étendait même jusqu’aux collectifs réputés les plus radicaux.

Par exemple le collectif écologiste Extinction Rebellion (XR), dont Marcel, un militant, expliquait : « Normalement, à XR, on ne prend pas position pour un parti politique. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’on appelle les abstentionnistes à voter pour le Nouveau Front populaire. » Le groupe a même prévu une campagne d’affichage pour l’occasion. 

« Avoir le RN au pouvoir nous amènerait à une agriculture encore plus intensive, ils sont pour le glyphosate, pour plus de pétrole et contre l’arrêt des voitures thermiques, explique-t-il, ce serait une énorme catastrophe et ce message écologiste est complètement invisibilisé. »

En fait, seules les « purges » chez LFI qui ont choqué à gauche ont assombri cette journée d’unité. « La gauche n’est pas qu’une question d’organisations mais de principes, a voulu rappeler le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure dans le cortège à Paris. Quand l’essentiel est en cause, nous n’avons pas le droit de ne pas nous rassembler ! »

Et la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier de lui emboîter le pas : « Le peuple de gauche a aussi le droit d’avoir de l’espoir. On va faire une promesse : ne rien lâcher. Ne jamais baisser la tête, ne jamais baisser les yeux, ne jamais baisser les bras. »

Également présente dans les cortèges parisiens, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale Mathilde Panot a de son côté éludé la polémique actuelle, se contentant d’une attaque, certes bien ciselée, à l’endroit du RN : « Oui l’extrême droite tue, traque les personnes transgenres ou les personnes monoparentales, oui elle veut “remigrer” nos concitoyens, oui elle est une arnaque sociale ! Mais il n’y a aucune fatalité ! Ce qui se joue est plus qu’une élection, c’est l’identité politique du peuple français. »


 

   mise en ligne le 15 juin 2024

Lodève : nouvelle mobilisation pour un service d’urgences ouvert en continu

sur https://lepoing.net/

Une centaine de personnes se sont rassemblées ce mardi 11 juin devant le Centre Hospitalier de Lodève, pour un service d’urgence ouvert en permanence.

Si la mobilisation était moindre que la dernière en date, organisée le 22 avril, les soignants.es et usagers.ères du Centre d’Acceuil et de Permanence des Soins (CAPS) de Lodève n’en démordent pas : les territoires du lodévois, du Larzac et du cœur d’Hérault doivent bénéficier d’un service d’urgence ouvert en permanence.

Plus de cent personnes sont encore venues défendre cette nécessité devant le Centre Hospitalier de Lodève ce mardi 11 juin en fin de journée, à l’appel de la CGT et d’un collectif d’élu.es et d’usagers.ères, et alors qu’un préavis de grève couvrait pour la journée les travailleurs.euses de l’établissement.

Thierry Gervais, secrétaire CGT du Centre Hospitalier de Lodève, a entamé des explications devant la petite foule : « Nous entendons gagner sur le centre d’accueil et la permanence de soins. Depuis 2009, le CAPS est un service sans entité juridique reconnue. Le budget nécessaire à son fonctionnement était versé par l’ARS à l’équilibre financier. Depuis quelques années, les médecins libéraux qui faisaient fonctionner ce service ont laissé la place à des médecins contractuels rémunérés par le centre hospitalier. Ce fut le début de problèmes. L’ARS continue depuis à financer le CAPS, mais n’inclut pas les rémunérations des médecins libéraux. Les médecins libéraux sont donc supportés par le budget du Centre Hospitalier, d’où un déficit de plusieurs centaines de milliers d’euros. Le CAPS est un service qui est indispensable pour nous tous, avec près de 10 000 passages par an. Il est plus que temps de pérenniser ce dispositif en antenne de médecine d’urgence. Si la transformation du CAPS en antenne de médecine d’urgence semble inéluctable, l’absence de clarté sur les modalités d’ouverture ne nous convient pas. Le silence toujours assourdissant de l’ARS nous fait craindre une ouverture partielle entre 12h et 24h par jour. Or, moins de 24h, c’est la catastrophe assurée. »

La CGT a contacté le directeur général et le directeur départemental de l’ARS, sans réponses de leur part. Ce qui n’étonne pas Thierry Gervais. « L’ensemble des hôpitaux sont confrontés à des directives gouvernementales afin d’économiser de l’argent sur la santé, sur notre dos. », poursuit-il. « Cette politique d’austérité renforce notre conviction à refuser de se laisser déposséder de notre moyen d’accéder aux soins. »

Annie Salcé, représentant la CGT Santé Action Sociale au niveau départemental, est ensuite intervenue. « Un tout petit mot, une phrase, en préalable, sur ce qui s’est passé dimanche avec la dissolution de l’Assemblée Nationale », a-t-elle commencé. « Parce que nous, hospitaliers, nous ne nous résignerons pas, nous ne cèderons pas pour nos droits. […] Nous nous centrerons clairement sur nos revendications, dans l’unité, seul moyen de battre la droite et l’extrême droite. »

Avant de développer sur la cure d’austérité imposée au système de santé français : « Depuis des décennies, les gouvernements de droite et de gauche se sont succédés avec leurs ministres fossoyeurs de la santé publique qui n’ont eu de cesse de s’acharner à détruire notre système de santé, appliquant avec zèle la théorie qui préconisait la baisse de l’offre comme méthode efficace pour diminuer la demande. […] Au nom de la rentabilité, ils ont fermé 27 000 lits depuis 2017, des dizaines de services, des maternités, des services d’urgence, de nuit comme de jour. Des blocs, des hôpitaux entiers, afin de supprimer les postes des accompagnants. Il y a des centaines d’exemples partout en France. C’est d’autant plus scandaleux qu’au même moment, le gouvernement a dégagé 413 milliards pour la guerre, 3 milliards d’aides supplémentaires pour l’Ukraine, et qu’on nous annonce 10 milliards de restrictions budgétaires pour cette année et 20 milliards prévus pour 2025. Des Mirage 2000 vont être livrés à l’Ukraine, des instructeurs vont être envoyés sur le terrain. Et le prix de la guerre, c’est la destruction de notre hôpital, c’est la destruction de la sécurité sociale. »

La syndicaliste a ensuite tenu à exprimer son soutien aux personnels hospitaliers de la bande de Gaza, qui travaillent actuellement en plein génocide : « Les hôpitaux sont rasés, plus de 500 de nos collègues ont déjà perdu la vie, et des centaines sont incarcéré.es sans jugement dans les prisons israéliennes. Même les ambulances subissent des tirs. Nous sommes donc solidaires de tous ces soignant.es qui sont systématiquement pris.es pour cible et tué.es pendant qu’iels essayent de sauver leurs concitoyen.nes.»

Avant de s’exprimer sur une répression de grande ampleur : « En France, le gouvernement réprime depuis plusieurs mois de nombreux syndicalistes, des responsables départementaux, mais aussi des étudiant.es, des militant.es politiques ou associatifs qui se retrouvent en garde à vue, et pour certains condamnés, pour avoir dénoncé le massacre à Gaza. Mais aussi pour avoir défendu leurs urgences, comme à Carhaix en Bretagne dernièrement où 10 militant.es syndicalistes ont été convoqué.es sous le régime de la garde à vue. »

Jean Luc Requis, président de la communauté de communes du Lodévois-Larzac, a ensuite exprimé son soutien à la mobilisation en cours. Avant de rendre compte d’une promesse de Michael Delafosse, maire ‘socialiste’ de Montpellier, mais aussi président du conseil de surveillance du CHU de la ville : « Prochainement nous devrions voir arriver sur le CH de Lodève, en coopération avec le CHU montpelliérain, des consultations ophtalmologiques et orthopédiques. » Les premières consultations ophtalmologiques devraient être mises en place dès le mois de juin sur Lodève.

Un membre du collectif pour de véritables urgences dans le lodévois est ensuite venu au micro, présentant une pétition proposée par le collectif : « La pétition pour exiger une antenne de médecine d’urgence ouverte en permanence avance et monte en puissance. Elle a récolté plus de 3 800 signatures depuis le 3 novembre. Nous devons continuer à la partager, tout autour de nous, sur les réseaux sociaux, par tous les moyens à notre disposition. » La pétition en question est disponible dans de nombreux commerces du lodévois, mais aussi en ligne, par ici.

Le membre de l’association a ensuite développé sur les suites du mouvement : « Lors de la réunion de l’association du 3 juin, nous avons pris la décision d’un moment fort de débat avec l’organisation des assises de la santé qui aura lieu le samedi 12 octobre à Lodève, et qui serait à dimension nationale. » Une lutte pour le maintien du service public qui est donc loin d’être finie.


 

mise en ligne le 14 juin 2024

Nouveau Front Populaire :
la justice fiscale pour financer
un programme ambitieux

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Renforcer la progressivité de l’impôt, aller chercher l’argent dans les poches des profiteurs de crises, faire cotiser les revenus financiers pour financer la protection sociale… Quoique en disent les néolibéraux, les propositions du Nouveau Front populaire sont finançables.

Pour voir et télécharger   le contrat de législature du Nouveau Front populaire : https://www.humanite.fr/wp-content/uploads/2024/06/LHumanite-presente-le-programme-du-Nouveau-Front-Populaire.pdf


 

Lors de la conférence de presse de présentation du programme du nouveau Front populaire, ce vendredi midi, Olivier Faure l’a affirmé : « Nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui en ont les moyens ». Les mesures fiscales sont très nombreuses et détaillées, pour apporter les sources de financements aux très nombreuses réformes sociales et écologiques listées dans ce programme. Nous avons demandé l’expertise du fiscaliste et porte-parole d’Attac Vincent Drezet, pour analyser et chiffrer, dans la mesure, du possible ces propositions.

Des mesures de politique et de justice fiscale très attendues

Il s’agit de rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu (14 tranches), de rendre progressive également la CSG (la contribution sociale généralise est une source de financement de la protection sociale). Le programme entend rétablir un impôt sur la fortune renforcé avec un volet climatique (si l’ancien ISF avait été maintenu en l’état, il aurait rapporté 4,5 milliards d’euros de plus) ; de supprimer le prélèvement forfaitaire unique (alias flat tax, qui instaure un plancher d’imposition pour les très riches) et rétablir l’exit tax (prélèvement sur les contribuables déplaçant leur résidence fiscale à l’étranger), deux mesures qui pourrait rapporter entre 1,9 et 3 milliards d’euros selon les estimations.

Il propose d’auditer les niches fiscales pour supprimer celles qui sont inefficaces, injustes et polluantes, et de réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif, en ciblant les plus hauts patrimoines.

Le principe de toutes ces mesures est d’en finir avec la pseudo-théorie du ruissellement, en faisant moins reposer le poids de l’impôt sur les classes populaires et moyennes, ainsi d’avantage sur les plus riches.

Vincent Drezet se dit globalement très favorable à ces mesures. Il rappelle que « les niches fiscales présentent un coût élevé de 90 milliards d’euros par an, auxquelles il faut ajouter le coût de mesures dites « déclassées » comme la niche Copé, supprimer les moins efficaces permettrait de facilement récupérer 10 milliards d’euros à court terme ». Et si on ajoute les niches sociales, le coût total s’élève à 200 milliards d’euros par an économisés.

Le fiscaliste insiste sur ce point, pour renforcer le volet financement de la protection sociale du programme du nouveau Front Populaire. Celui-ci propose notamment de « soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action et les heures supplémentaires ». Ce point est très important puisque, selon Oxfam, 71 % des bénéfices des 100 plus grosses entreprises françaises partent dans des rémunérations aux actionnaires, non soumises à cotisation. Soit 75 milliards d’euros en 2021. Vincent Drezet estime que cette mesure pourrait rapporter en cumulé entre 19 et 21 milliards d’euros à la solidarité nationale.

Pour participer au financement du régime général des retraites, le programme propose d’augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans la cotisation (patronale) vieillesse.

Le programme du Front populaire propose par ailleurs une taxation renforcée des transactions financières. Attac, à l’origine du concept, ne peut qu’être d’accord. Rappelons qu’une simple taxe de 0,01 % rapporterait jusque 11 milliards par an à la France, selon les calculs de l’association.

« L’ensemble de ces mesures rendraient le système fiscal plus juste et plus rentable, résume Vincent Drezet. Cela renforcerait également le consentement à l’impôt car, contrairement à ce que prétendent les néolibéraux, la population éprouve un ras-le-bol des injustices fiscales et sociales et pas un simple ras-le-bol fiscal ».

Combattre l’évasion fiscale à l’échelle européenne

Le programme du Nouveau Front Populaire n’occulte pas l’enjeu européen de sa politique fiscale. Il propose d’« adopter un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre États Membres pour mettre fin au dumping social et fiscal », et de « passer au vote à la majorité qualifiée au conseil pour les questions fiscales ».

Des propositions ciblées s’en prennent aux paradis fiscaux qui sévissent au cœur de l’Europe. Car l’évasion fiscale des multinationales représente 85 % des 100 à 120 milliards d’euros qui échappent chaque année à l’administration fiscale française. « L’orientation est bonne, remarque Vincent Drezet, reste à savoir comment faire ». Comme le fiscaliste n’est pas avare de propositions, il suggère la création d’un « serpent fiscal et social européen ».

« Concrètement, cela passe par une harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés (IS), assorti d’un taux plancher de 25 % pour éviter la course à la baisse de l’IS, par une harmonisation de la TVA intracommunautaire (très fraudée), la création d’un impôt européen sur les bénéfices des grands groupes… », énumère-t-il. En plus de renflouer les caisses, ces mesures auraient le mérite de renforcer la coopération en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales à l’échelle communautaire.

Le programme reprend aussi l’idée d’une taxation des superprofits au niveau européen, porté par l’économiste Gabriel Zucman. Une ponction de 2 petits pour cent dans le patrimoine des milliardaires européens rapporterait 42,3 milliards d’euros.

Vincent Drezet demande enfin aux futurs parlementaires du Nouveau Front Populaire de ne pas oublier deux points importants. « La fiscalité locale mérite des bases rénovées, et il faudrait renforcer l’ensemble des services (DGFiP, douanes, Tracfin, services judiciaires spécialisés) engagés dans la lutte contre la fraude fiscale et, plus largement, la délinquance en col blanc », suggère le fiscaliste.

   mise en ligne le 13 juin 2024

« Nos corps sont usés » : à Marseille, les femmes de ménage du groupe Acqua en grève pour un travail digne

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Une dizaine de femmes de ménage employées par le sous-traitant Acqua au sein de plusieurs hôtels de luxe marseillais sont en grève depuis le 27 mai. Soutenues par la Confédération nationale du travail, elles réclament des conditions de travail dignes, une revalorisation de leur salaire et une prime de pénibilité.

Depuis trois semaines, le bruit des casseroles résonne quotidienne sur le Vieux-Port de Marseille. Déterminées à faire entendre leur colère, une dizaine de femmes de ménage en grève, soutenues par la Confédération nationale du travail (CNT-SO 13), convergent chaque matin, depuis le 27 mai, devant l’entrée du Radisson Blu, un hôtel 4 étoiles, dont elles bloquent en partie l’accès. Un ras-le-bol généré par des conditions de travail éprouvantes et leur sous-rémunération.

« La cadence de travail est énorme, au bout d’un moment ça use le corps, on est épuisées physiquement et on tombe malade », a ainsi témoigné une de ces grévistes auprès de l’AFP.

Une prime de pénibilité

Si leur employeur, le sous-traitant Acqua, entreprise spécialisée dans le nettoyage d’hôtels de luxe, a concédé un treizième mois de salaire échelonné sur quatre ans (25 % la première année, puis 50 % la deuxième, 75 % la troisième avant d’atteindre le taux maximal la dernière année), conditionné à deux ans d’ancienneté, il n’a toujours pas apporté, selon Gaëlle Barbero, juriste à la CNT, pleine satisfaction aux salariées.

Ces dernières réclament en effet l’obtention d’une prime de pénibilité, la suppression de la « clause de mobilité » qui leur impose de travailler dans un hôtel différent parfois au pied-levé, ainsi que l’augmentation de leur salaire et notamment une majoration de 50 % le dimanche.

aller dans un autre hôtel » », témoigne Idalina, interrogée par l’AFP, qui pointe l’insécurité quotidienne générée par cette clause de mobilité, à la source de la colère qui a déclenché ce mouvement de grève.

Selon Gaëlle Barbero : « Ces femmes sont déterminées à poursuivre leur mobilisation jusqu’à obtenir gain de cause sur leurs revendications, notamment une prime de pénibilité et des limites strictes à ces ballottements d’un hôtel à l’autre. » Le syndicat organisera un rassemblement pour les soutenir, samedi 15 juin sur le piquet de grève du Radisson, et le lendemain à 16 heures, au même endroit pour un « goûter revendicatif ».


 

   mise en ligne 12 juin 2024

Palestine : pourquoi l’ONU accuse Israël de « crimes contre l’humanité » 

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

C’est la première fois qu’un rapport onusion utilise cette notion pour qualifier les actions de Tel-Aviv en territoire palestinien occupé. Les crimes de guerre du Hamas sont aussi pointès.

« Les crimes contre l’humanité d’extermination, de meurtre, de persécution fondée sur le genre ciblant les hommes et les garçons palestiniens, de transfert forcé, d’actes de torture et de traitements inhumains et cruels, ont été commis » par Israël, vient de rapporter une commission d’enquête de l’ONU, accusant également des groupes armés palestiniens de « crimes de guerre ».

La commission d’enquête de l’ONU a été créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour, entre autres, enquêter, dans le territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, et en Israël, sur toutes les allégations de violation du droit international humanitaire et d’atteinte au droit international des droits de l’homme commises depuis le 13 avril 2021 et jusqu’à cette date.

Des critères clairs pour désigner

Si Israël a plusieurs fois été accusé de crimes de guerre, c’est la première fois qu’un rapport utilise la notion de crime contre l’humanité. Le nombre considérable de victimes civiles à Gaza et la destruction massive de biens et d’infrastructures civils sont le résultat inévitable d’une stratégie visant à causer le maximum de dégâts, au mépris des principes de proportionnalité, a détaillé la commission, fustigeant l’utilisation intentionnelle d’armes lourdes dans des zones densément peuplées, mais aussi le fait d’imposer un « siège total » équivalant « à une punition collective à l’encontre de la population civile ».

Sur un autre plan, le document fait état de « formes spécifiques de violence sexuelle et sexiste », dans le but « d’humilier une communauté dans son ensemble et d’accentuer la subordination d’un peuple occupé ». Le rapport s’appuie sur des entretiens avec des victimes, réalisés à distance et au cours d’une mission en Turquie et en Égypte, et sur des documents, dont des rapports médico-légaux et des images satellites.

« Israël doit immédiatement cesser ses opérations militaires et ses attaques à Gaza, y compris l’assaut sur Rafah qui a coûté la vie à des centaines de civils et déplacé à nouveau des centaines de milliers de personnes vers des lieux dangereux, sans services de base ni aide humanitaire », a déclaré dans un communiqué Navi Pillay, présidente de la commission.

Tel-Aviv, qui n’a pas laissé les enquêteurs se rendre sur place, a, une fois de plus, fustigé les conclusions du rapport. La commission d’enquête « a prouvé, encore une fois, que ses actions sont toutes au service d’un agenda politique focalisé contre Israël », a dénoncé l’ambassadrice Meirav Eilon Shahar, représentante permanente d’Israël auprès de l’ONU à Genève.


 

   mise en ligne le 11 juin 2024

« Les exigences sociales doivent être entendues » : Face au RN, cinq syndicats appellent à manifester ce week-end

Clémentine Eveno n sur www.humanite.fr

Après les résultats historiques du Rassemblement national et la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, cinq syndicats - la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires - appellent à manifester ce week-end. « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues », estiment ces organisations, via un communiqué publié lundi 10 juin.

Après le choc, place à l’action. Cinq syndicats nationaux – la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires – lancent un appel commun : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues ! », selon leur communiqué, publié lundi 10 juin. « Nous appelons à manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d’alternatives de progrès pour le monde du travail », affirment les cinq organisations. Une invitation à se mobiliser, accompagnée d’une dizaine de mesures pour améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs.

Cet appel est publié au lendemain du résultat historique de l’extrême droite aux élections européennes avec 31,47 % des suffrages pour le Rassemblement national et 5,47 % pour la liste Reconquête de Marion Maréchal. Un véritable séisme politique, suivi de près par l’annonce du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.

Un pari fou du chef de l’État qui a poussé les communistes, écologistes, socialistes et « insoumis », à se mettre d’accord pour un « front populaire » lundi 10 juin au soir, en vue des élections législatives du 30 juin et 7 juillet prochains. Les cinq syndicats signataires font également front commun, et ne comptent pas laisser les régressions sociales et démocratiques remporter cette bataille électorale exprès.

« Il faut un sursaut démocratique et social »

Après avoir relevé que l’abstention et l’extrême droite avaient atteint un « record lors des élections européennes », et souligné que si la tendance se retrouve « dans toute l’Europe, la France est le pays dans lequel les listes d’extrême droite font le score le plus élevé », les syndicats rappellent qu’ils alertent depuis des années sur la « crise sociale et démocratique ».

Leurs représentants dénoncent la politique de sape de droits à l’endroit des travailleurs, qui a créé le terreau propice au Rassemblement national : « Une politique qui tourne le dos au social et qui crée du déclassement, l’abandon de nos industries et de nos services publics, le passage en force contre la mobilisation historique contre la réforme des retraites, l’absence de perspectives de progrès et la banalisation des thèses racistes, constituent le terreau sur lequel l’extrême droite prospère. » Les syndicalistes plaident ensemble pour « un sursaut démocratique et social. »

Rappelant la « lourde responsabilité » que prend Emmanuel Macron d’organiser des élections législatives en trois semaines, le communiqué renvoie aux régressions sociales à l’œuvre, dans l’histoire mais aussi actuellement en Italie et en Argentine, pour mettre en garde contre une possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives.

Des régressions qui sont toujours plus délétères pour les travailleurs et les plus vulnérables : « austérité pour les salaires et les services publics, réformes constitutionnelles remettant en cause l’indépendance de la justice et le rôle des syndicats, attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA +, remise en cause du droit à l’IVG » mais aussi des politiques racistes qui opposent les travailleurs entre eux. Les votes d’extrême droite en France ou en Europe sont « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs », martèlent les syndicats.

Une dizaine de mesures concrètes pour répondre à l’urgence sociale

Pour lutter contre ce poison brun et engendrer un réel sursaut, une dizaine de revendications sociales fortes est listée. À commencer par le renoncement immédiat à la réforme de l’assurance chômage, mais aussi à la réforme des retraites ou encore l’augmentation des salaires.

La défense des services publics est également mise en avant, comme leur accès garanti « à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire ». L’accent est mis, en particulier, sur le nécessaire investissement massif dans l’école, la recherche, le système de santé, de prise en charge de la dépendance, et le système de justice.

Une refonte de la démocratie sociale à tous les niveaux – entreprise, branche, territoire et interprofessionnel – est demandée, mais aussi la mise en place de mesures de justice fiscale, ainsi que l’instauration de l’égalité salariale et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les syndicats appellent, en outre, à la « régularisation pour tous les travailleurs et travailleuses étranger·es sur la base d’un certificat de travail ».

Ils font également part de leur volonté de transformer l’industrie pour qu’elle soit plus durable, mais aussi d’engager la création de nouveaux droits pour les travailleurs « afin d’anticiper les transformations environnementales et de sécuriser leur emploi ».

Ces revendications, qui accompagnent l’appel à manifestation ce week-end, arrivent dans la foulée de mobilisations populaires. Des rassemblements spontanés ont eu lieu sur la place de la République, après l’annonce d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin. Le lendemain, les rassemblements se sont multipliés dans plusieurs villes de France comme à Marseille, Lille, Rennes, ou Nantes à l’appel d’organisations de jeunesse et de syndicats étudiants.

Des mobilisations relayées et encouragés par la CGT avant même l’appel commun à tous les syndicats, dans un communiqué lundi 10 juin. La confédération y invite « le monde du travail à se syndiquer, à s’organiser, à participer à toutes les initiatives de mobilisation contre l’extrême droite et contre la politique d’Emmanuel Macron ».


 

   mise en ligne le 10 juin 2024

Législatives 2024 : la gauche discute d’une potentielle union

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Malgré une campagne européenne parfois houleuse, les formations progressistes entendent répondre à la demande de rassemblement venue du peuple de gauche. Les négociations ont débuté lundi 10 juin et doivent aboutir avant dimanche 16 juin.

Depuis dimanche soir, 21 heures, une question taraude les électeurs du camp progressiste. Ils sont nombreux à avoir partagé leurs inquiétudes teintées d’espoir sur les réseaux sociaux : la gauche saura-t-elle s’unir pour affronter ensemble les périlleuses législatives des 30 juin et 7 juillet ? Le temps presse, les candidats ont jusqu’au dimanche 16 juin à 18 heures pour se manifester auprès des services de l’État.

D’ici là, la Nupes n’étant qu’un souvenir, le rassemblement est à reconstruire après une campagne européenne houleuse entre les différentes listes. Mais, en quelques heures, après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le ton a drastiquement changé. Les attaques ad hominem ont laissé place aux mains tendues devant le risque de voir l’extrême droite accéder au pouvoir.

Si bien que les négociations entre les quatre principaux partis – PS, FI, les Écologistes et le PCF – ont démarré ce lundi. Avec de bonnes chances d’aboutir, selon des représentants de chaque formation, auxquelles Emmanuel Macron a tendu un piège croyant profiter de la division. Mais, avec un bloc pesant 31,6 % des suffrages et 7,8 millions de voix, si on cumule les scores des quatre listes, la gauche peut espérer concurrencer sérieusement le RN.

Bientôt la constitution d’un « Front populaire » ?

« On ne peut pas faire autre chose que l’union, assure Ian Brossat, porte-parole du PCF. Elle est une évidence devant balayer toute autre forme de considération. Sinon, l’Histoire nous jugera. » « Un seul candidat de gauche dans chaque circonscription, le 30 juin », demande donc Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste. Même son de cloche chez les socialistes et chez les Verts. « Nous sommes confiants car nous avons des habitudes de travail commun, notamment entre nos parlementaires », assure François Thiollet, secrétaire national adjoint des Écologistes.

Ces trois formations ont commencé les discussions dès le matin, sans la direction de la FI mais avec un invité : l’insoumis-frondeur François Ruffin, lequel espère porter une candidature unique de la gauche en 2027. Dimanche soir, peu après l’annonce d’un nouveau scrutin par le chef de l’État, il avait appelé à la constitution d’un « Front populaire » pour défaire les macronistes comme les libéraux : « L’union est possible avec tout le monde. Je le dis à Marine Tondelier, Fabien Roussel, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon : est-ce qu’on veut gagner ensemble ou perdre séparés ? » « Nous travaillons à un rassemblement large, sous la bannière proposée par François Ruffin, assurait Chloé Ridel, porte-parole du PS, lundi, en milieu de journée. C’est le cadre de discussion. »

Vers 16 heures, au siège des Écologistes, la FI a officiellement été intégrée aux échanges, après que son coordinateur Manuel Bompard a également appelé à former une coalition, tout en se disant favorable à un « nouveau Front populaire ». « La situation exige de travailler à l’unité et à la clarté pour battre le Rassemblement national et gouverner le pays », a-t-il publié sur X. De là à imaginer le retour de la Nupes dans son format de 2022 ? Peu probable.

Mis à part la formation de Jean-Luc Mélenchon, personne ne souhaite reconduire la même alliance de « domination d’un groupe sur les trois autres », comme le dit André Chassaigne, président PCF du groupe GDR au Palais Bourbon. « Nous sommes dans une situation nouvelle, où il faut élargir et travailler plus sereinement en respectant les différences de chacun », plaide-t-il.

Communistes, socialistes et Verts souhaitent notamment revoir le programme commun, lequel comportait plus de 600 mesures. « Il faut un nombre limité de mesures sur lesquelles faire campagne », pense l’écologiste François Thiollet, alors que la campagne ne durera que deux semaines après le dépôt des investitures.

« La Nupes n’existant plus, son programme non plus. Et nous n’avons pas le temps de bâtir un projet fouillé. Il faut avancer avec quelques mesures comme l’abrogation de la réforme des retraites, l’indexation des salaires sur l’inflation, le refus des traités de libre-échange ou la reconnaissance de l’État de Palestine », liste André Chassaigne.

Les insoumis s’accrochent aux oripeaux de la Nupes

De son côté, le PS souhaite aussi revoir nettement le rapport de force au sein de l’alliance en se basant sur son score aux européennes (13,8 %) : « Je ne m’alignerai pas sur ce que dit Jean-Luc Mélenchon ! » clame Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui n’exclut plus d’alliance avec l’ancien triple candidat à la présidentielle. Ce qui pourrait fracturer son propre parti, dont l’aile droite a toujours été contre une alliance avec la FI.

Mais, selon Chloé Ridel, une coalition est possible si elle présente « un projet renouvelé qui tient compte des élections » : « Elles ont tranché une ligne sur les questions géopolitiques, sur l’Europe, sur le soutien aux peuples opprimés sans le deux poids, deux mesures », affirme Chloé Ridel.

« Nous avons réussi à la présidentielle et fait élire 151 députés Nupes aux législatives sur un programme de rupture. Les gens voteront pour nous si nous sommes clairs », rétorque l’insoumise Aurélie Trouvé. Le résultat en progrès de la liste portée par Manon Aubry (9,8 %) donne du poids à la FI pour négocier : les insoumis ne veulent pas d’un autre projet.

Ils restent persuadés que l’union de la Nupes, qu’ils avaient proposée aux européennes, aurait évité la dissolution et permis de faire le match avec l’extrême droite. « Le programme de la Nupes était arrivé en tête au premier tour des législatives de 2022. Il faut continuer à le défendre. On ne va pas en changer tous les six mois ! » tranche un cadre. Mais, devant le risque fasciste, les lignes peuvent bouger. D’autant plus si d’autres forces font pression pour que l’union aboutisse.

Plusieurs organisations de la société civile, telles que la CGT, la Ligue des droits de l’homme ou encore #NousToutes, ont appelé à faire front. « Il faut élargir aux syndicats et aux associations. On attend qu’ils prennent leurs responsabilités en se prononçant politiquement pour faire battre le RN et mettre fin à la casse sociale et écologique du gouvernement », espère François Thiollet. Et Boris Vallaud, président du groupe PS, d’abonder : « Le rassemblement de tous les électeurs de gauche et écologistes doit s’ouvrir au-delà des partis. » Toutes les aides seront donc les bienvenues pour mettre en échec l’extrême droite dans une campagne éclair.

 

   mise en ligne le 9 juin 2024

Une vague multicolore déferle sur l’A69

Antoine Portoles sur www.humanite.fr

Près de 7 000 opposants se sont rassemblés samedi dans le Tarn pour réclamer l’abandon du projet d’autoroute entre Toulouse et Castres. Une manifestation festive rapidement interrompue par des affrontements.

L’A69 fait l’objet de maintes prophéties. Lors des précédentes mobilisations contre le projet d’autoroute, d’aucuns avaient eu tort de prédire le chaos. Cette fois-ci, le scénario catastrophe tant annoncé a bien eu lieu. Une nouvelle manifestation s’est déroulée samedi aux abords de Puylaurens (Tarn), rassemblant près de 7 000 personnes selon les organisateurs.

Tout avait bien commencé. À l’arrivée sur le site, des milliers de tentes jonchent la plaine, entremêlés de drapeaux palestiniens, queer et de Kanaky Nouvelle-Calédonie. Une fois de plus, dans ces champs, Woodstock renaît de ses cendres. En contrebas, les manifestants déambulent dans un immense campement. Beaucoup s’amassent sous les chapiteaux plantés dans la terre, tant la chaleur écrase les corps. Mais pas leur détermination : « On a la rage de vaincre ! » s’écrie un membre d’Extinction rebellion dans son discours.

Le Tarn est une fête

Qu’ils soient tarnais ou d’ailleurs, ils ont tous le même objectif : mettre un terme à un projet d’autoroute qu’ils jugent à la fois inutile pour l’Homme et néfaste pour le vivant. Parmi ceux venus du coin, des paysans posent fièrement devant leur tracteur. C’est qu’ils veulent peser dans cette lutte dont certains partisans répètent à l’envi qu’elle est majoritairement soutenue dans le département.

L’ambiance est festive sur le camp. Certains sont présents en famille, accompagnés de leurs enfants. D’autres promènent leur chien. Un autre encore, son âne. Sous ce soleil ardent, casquettes, keffiehs et autres couvre-chefs sont de sortie. Un stand distribue des masques en papier à l’effigie de Michel Vilbois. Le préfet du Tarn est régulièrement vilipendé en raison des actions controversées des forces de l’ordre pour déloger les écureuils nichés dans les arbres.

Ces défenseurs de l’environnement sont la tête de proue de l’opposition à l’A69. « Pour ce week-end d’avant élections, les autorités ont sorti le grand jeu », ironise Thomas Brail. Environ 1 600 gendarmes et policiers sont mobilisés pour l’occasion. « Ils réussissent à dégoûter les gens, mais si nous cédons à la peur, nous n’arriverons à rien », estime le militant écologiste. Nous croisons la route de Véronique. La Tarnaise était déjà présente en mars dernier sur la ZAD de la Crem-Arbre pour soutenir les écureuils. Malgré l’inquiétude, elle a tenu à être présente : « La stratégie de diabolisation du gouvernement est dégueulasse. Il fait tout pour faire peur aux gens et, malheureusement, ça marche. »

Criminalisation d’une lutte « pour le vivant »

Prédisant un rassemblement « extrêmement violent », le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé mardi face aux députés l’interdiction de ce nouveau week-end de mobilisation à l’appel des Soulèvements de la Terre. Peu d’élus ont répondu à l’appel, à l’exception de Christine Arrighi. Pour la députée écologiste de Haute-Garonne, également rapporteuse de la commission d’enquête sur le montage juridique et financier de l’A69 à l’Assemblée nationale, « la question n’est pas de s’opposer à tous les projets autoroutiers, mais de les questionner à l’aune du changement climatique ». Agacée par la stratégie de l’exécutif de jeter de l’huile sur le feu, l’élue tient cependant à « dénoncer toutes les violences, d’où qu’elles soient et d’où qu’elles viennent ».

Sur le camp, l’ambiance est chaleureuse, mais n’en est pas moins pesante. Pour organiser au mieux la manifestation, les organisateurs ont imaginé quatre cortèges : un bleu, un jaune, un vert et un rose. Ils s’élancent séparément. Le rose, suivi du bleu, s’enfonce dans la forêt. À l’avant, des DJ campés dans des camionnettes font raisonner la musique techno. Plus loin, fanfares et tambours galvanisent les foules. Une dizaine de participants se relaient pour porter une chauve-souris géante, manière de railler ceux qui diabolisent le mouvement. À quelques mètres, un autre arbore un bob entouré d’une pancarte : « Est-ce bien moi le terroriste ? »

Grenades de désencerclement

Trente minutes à peine après le départ, les esprits s’échauffent. Arrivés sur une route, les opposants font face à une colonne fournie de forces de l’ordre. Ils rebroussent chemin et se séparent dans les champs. Très vite, les gazs lacrymogène recouvrent le paysage, tandis que les grenades de désencerclement stupéfient les manifestants postés plus loin sur les hauteurs. Un jeune Toulousain alerte son amie : « Regarde, là-bas, il y a un départ de feu ! » Tous deux sont ébahis par ce triste spectacle minutieusement vaticiné depuis le début de la semaine.

Le cortège jaune, emmené par la Confédération paysanne, se poste à quelques centaines de mètres. Sous le regard impassible des forces de l’ordre, les manifestants construisent une bergerie. Dans la matinée, les intéressés ont planté des semis paysans pour représenter une route sur une parcelle bientôt bitumée. Les heurts ne semblent pas entacher cette lutte « pour le vivant ».


 

   mise en ligne le 8 juin 2024

« Flemme » et « sentiment de gâchis » : l’électorat de gauche
face aux européennes

Nejma Brahim, Caroline Coq-Chodorge, Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Mathilde Goanec sur www,mediapart,fr

Face aux listes séparées, le « peuple de gauche » apparaît déboussolé. Beaucoup iront voter malgré tout pour faire grossir le total des gauches face à l’extrême droite. Mais le choix s’avère un casse-tête souvent insoluble.  

La scène se passe sur un marché de Villeurbanne (Rhône). « Vous, au moins, vous ne risquez pas de vous faire engueuler », s’entendent dire des militants qui tractent pour Génération·s, le petit parti hamoniste, qui a décidé de ne pas ajouter de la division à la division et appelle simplement à voter pour l’une des trois principales listes de gauche. « Détrompez-vous, répondent-ils, on se fait engueuler parce qu’on refuse de choisir ! »

À quelques jours du scrutin européen du 9 juin, l’électorat de gauche qui n’est pas déjà encarté a de quoi être déboussolé. Après l’avoir mobilisé sur des candidatures uniques aux législatives de 2022 – une première historique –, les quatre forces qui composaient la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) se présentent en ordre dispersé. 

Paradoxalement, la variété de l’offre ne rend pas le choix plus aisé ni plus agréable. C’est ce que racontent les citoyennes et citoyens engagé·es à gauche, côté société civile, que Mediapart a interrogé·es. « Perdus », « en colère », « déçus » et « déprimés ». Les mots qu’ils et elles utilisent témoignent d’un état d’abattement avancé. Alors que beaucoup avaient adhéré avec enthousiasme il y a deux ans à l’avènement de la Nupes, les voilà majoritairement désemparé·es. 

Entre les têtes de liste respectives de La France insoumise (Manon Aubry), des Écologistes (Marie Toussaint), du Parti socialiste-Place publique (Raphaël Glucksmann) et du Parti communiste français (Léon Deffontaines), bien souvent le choix s’avère cornélien. Et cela énerve. « Que la gauche française et européenne soit dans cet état est d’une extrême tristesse. On a l’impression que c’est le dernier tournant avant la mort », lâche Anne Gervais, médecin hépatologue et membre du Collectif inter-hôpitaux. 

Toute une partie du « peuple de gauche » mobilisé – même si notre échantillon ne prétend pas à l’exhaustivité – instruit le procès d’appareils politiques qui ont préféré défendre leurs intérêts particuliers plutôt que donner un espoir d’alternative crédible à l’extrême droite et au macronisme. « L’objectif qui m’anime, celui de l’union, a reculé de trois cases, déplore Lumir Lapray, ancienne candidate de la Nupes non encartée, qui travaille désormais pour l’ONG Avaz. J’irai tout de même voter, mais avec un gros sentiment de gâchis. Je leur en veux pour cela. »

Le poids de la question palestinienne

Esther, ancienne de la Primaire populaire (qui tentait de pousser les partis de gauche à s’unir à la présidentielle de 2022), s’érige aussi contre les « logiques boutiquières des partis » qui mènent leur barque aux dépens des électeurs et électrices de gauche inquiets de la « fascisation de la société ». « On est à trois ans d’une élection que le Rassemblement national peut gagner, et l’attitude des partis de gauche confirme à mes yeux leur déconnexion de la vie des gens », déplore-t-elle, inquiète de la participation des électeurs et électrices de gauche ordinaires alors que « même [elle] », plus politisée que la moyenne, a « la flemme de voter »

Esther se rendra pourtant dans son bureau de vote le 9 juin, probablement pour voter LFI en espérant assurer un siège à Rima Hassan, la juriste franco-palestinienne en 7e position sur la liste de Manon Aubry. « J’ai été confortée par le fait que LFI se fasse dégommer par les médias et attaquer d’un point de vue démocratique », explique-t-elle en référence aux annulations de conférences et aux convocations pour « apologie du terrorisme », qui l’ont choquée.

Le sujet de la guerre à Gaza s’est fortement invité dans le scrutin, avec pour effet de déterminer certains votes. La criminalisation dont le mouvement propalestinien a fait l’objet et l’engagement de LFI en soutien conduisent le rédacteur en chef de la revue Frustration, Nicolas Framont, à voter le 9 juin alors qu’il a pour habitude de s’abstenir aux européennes. Sur le réseau social X, celui-ci affirme : « Je ne pense pas que le Parlement européen puisse changer quoi que ce soit, mais je crois qu’il est important de soutenir les partis qui résistent au maccarthysme ambiant. » 

Même si elle est « déroutée » par la division des gauches qu’elle vit comme une « trahison » après l’espoir soulevé par l’union en 2022, la militante antiraciste Nadhéra Beletreche – ex-candidate de la Nupes issue de la société civile sur le quota des écologistes – est aussi sur cette ligne : « Les Insoumis ont le positionnement le plus clair et constant sur les violences policières, la Palestine, les questions décoloniales, et ils ont eu cette capacité à aller chercher Rima Hassan : c’est important », explique-t-elle. 

Mais les sujets internationaux peuvent être invoqués dans un autre sens. « Plutôt proche des positions de [l’Insoumis] François Ruffin », la médecin Anne Gervais préfère se tourner vers des partis davantage favorables à l’intégration européenne pour ce scrutin. « Face à la Chine, aux États-Unis, à la Russie, on a besoin d’une Europe forte, explique-t-elle. J’aime bien le discours de Raphaël Glucksmann, mais je regarde aussi le positionnement des groupes, et les socialistes européens sont en cogestion avec les centristes. Je vais donc me tourner vers les écologistes, dont les propositions et les votes me paraissent plus pertinents. »

De la pitié pour les Écologistes

Si elle n’est pas la seule à choisir cette option, beaucoup de nos interlocuteurs et interlocutrices mettent en avant la campagne poussive des Écologistes et la crainte que leur liste ne passe pas la barre des 5 % de suffrages exprimés, nécessaire pour envoyer des élu·es au Parlement européen. « Les écolos font du bon taf au niveau européen, juge un activiste, mais franchement, c’est le “vote miskin” [terme exprimant une pitié mêlée de compassion – ndlr]. Je ne comprends pas leur campagne, ils font de la peine. » 

« Je vais voter Toussaint car elle est compétente, mais sa campagne est à chier, lâche une universitaire engagée à gauche, qui préfère garder l’anonymat. Les écolos ne jouent pas de l’argument des 5 %, car c’est l’argument de la loose, mais ils devraient le faire. Ils souffrent du fait que le vote Glucksmann apparaît comme le vote utile pour faire se croiser les courbes. Mais ajouter cinq ou six députés est un vote utile aussi. »

Esther explique son hésitation à ce propos : « L’écologie doit être centrale dans nos combats. D’un point de vue symbolique, si les Verts font un très mauvais score, le message est terrible. » Contributeur régulier au Club de Mediapart, Arthur Porto se dit motivé par l’écologie comme « question principale pour notre devenir commun », mais ne perçoit pas encore « l’élan qui [lui] semble nécessaire » dans la liste de Marie Toussaint. Pas convaincu non plus par les campagnes de LFI et du PS, il reste à ce stade dans l’expectative. 

Même « manque d’enthousiasme » chez Lumir Lapray, qui estime que chaque liste a « des trucs à la fois intéressants et problématiques ». Saluant l’engagement social de LFI et des positions « courageuses » sur la Palestine, elle regrette nombre d’expressions de Jean-Luc Mélenchon et l’agressivité envers Raphaël Glucksmann. Concernant ce dernier, elle se sent « alignée sur les sujets européens » et trouve « chouette » que sa dynamique menace la liste macroniste, mais craint les répercussions de son éventuel succès.

« Si c’est pour permettre le retour du PS anti-Nupes, je ne veux pas donner ma voix à ça », explicite l’ex-candidate aux législatives. « Si Glucksmann arrive trop haut, on aura un problème, abonde notre universitaire anonyme. Le Nouvel Obs fera une couverture identique à celle qu’il avait faite pour Jadot en 2019 [qualifié de “géant vert” – ndlr] et ça fera beaucoup de mal à l’union pour 2027. »

Des choix qui s’annoncent tardifs 

Dans ce champ d’inconnues, certaines des personnes interrogées tentent de transformer en critères de choix les questions qui fondent leur engagement actuel. C’est le cas de Marie-Christine Vergiat, ancienne eurodéputée communiste, aujourd’hui vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et membre du réseau EuroMed Droits, qui lutte pour la défense des exilé·es en France et ailleurs dans le monde. En l’espèce, elle constate la rareté des prises de position sur le sujet dans la campagne des communistes. 

« LFI et les Verts disent sensiblement la même chose : la régularisation pour tous, des voies sûres et légales de migration, un statut de réfugié climatique, et une dénonciation du rôle de Frontex, analyse-t-elle. Mais à choisir, je trouve que les Verts vont plus loin. Ils ont un attachement à des visions concrètes. » 

« Les socialistes sont pour un accueil digne des personnes, mais disent tout de suite que celui-ci ne doit pas être inconditionnel », ajoute Marie-Christine Vergiat, en regrettant aussi, chez les Insoumis, l’insistance sur « les causes profondes des migrations » : « Cela laisse entendre que ce sont les problématiques liées au développement qui poussent les personnes à migrer, or c’est complètement faux. »

L’enjeu de la santé conforte Anne Gervais dans son tropisme envers des listes ouvertement pro-européennes. « Le sujet du médicament ne peut être traité qu’à l’échelle de l’UE, explique-t-elle. Ce n’est qu’à ce niveau qu’on peut produire les 150 molécules les plus importantes pour ne plus dépendre de la Chine. Face aux multinationales du médicament, la France ne peut pas non plus réguler seule les prix et lutter contre les pénuries. » 

Lus Chauveau, proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et professeur des écoles dans un établissement bilingue en Bretagne, se dit « très attaché à [son] territoire ». Il ne voit pas d’un bon œil le côté « jacobin » des Insoumis ni « les thématiques “parisiennes” du programme de Raphaël Glucksmann ». Mais dans la mesure où « l’autodétermination des peuples [lui] tient à cœur », il juge « rédhibitoire » l’indice de toute complaisance envers l’agression russe de l’Ukraine, tout en recherchant une liste en défense forte d’un État palestinien. Son casse-tête n’est pas près d’être résolu… 

Beaucoup le résoudront au dernier moment. « Dans mon entourage, témoigne Esther, c’est encore tôt pour que certaines personnes se décident. Les gens ne s’y intéressent pas encore de ouf. » Lumir Lapray confirme : « Autour de moi, parmi les gens de gauche pas militants politiques, 90 % ne savent toujours pas ce qu’ils vont faire. » Et elle ? « Je suis sûre d’aller voter… et de décider dans l’isoloir. »

 

   mise en ligne le 7 juin 2024

Européennes 2024 : cinq questions auxquelles la gauche veut
apporter des réponses

Anthony Cortes sur www,humanite,fr

Pour contrer les difficultés rencontrées par les Français dans leur vie quotidienne, l’Europe peut être une solution. Illustration autour de cinq questions clés, auxquelles tentent de répondre les listes de gauche, avant le vote 9 juin.

Factures d’électricité et pouvoir d’achat

Comment faire baisser les factures d’électricité et gagner autant en pouvoir d’achat ? Cette question, beaucoup de Français se la posent. Selon une enquête de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 26 % d’entre eux ont connu des difficultés à payer la note en 2023, contre 14 % en 2020. Et pour cause : entre 2022 et 2024, le prix de l’électricité a bondi d’un peu plus de 40 %…

Face à ce constat, plusieurs solutions sont portées par les candidats de gauche aux européennes. En premier lieu : sortir du marché européen de l’électricité pour éviter la spéculation sur ce bien essentiel. « Le marché européen de l’électricité, tel qu’il fonctionne, a fortement pénalisé la France en indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz », dénonce Léon Deffontaines, tête de liste du PCF.

Pour lui, comme pour Manon Aubry, cheffe de file FI, il est urgent de revenir à un monopole public de l’énergie et à des tarifs réglementés calculés à partir des coûts de production pour éviter l’envolée des prix. Un avis que ne partagent pas totalement socialistes et écologistes et leurs représentants respectifs, Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint, qui souhaitent plutôt une « réorientation du marché ».

Salaires et emplois

Le travail paie-t-il suffisamment ? Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFSE), qui s’est penché sur l’évolution du niveau de vie des Français entre 2019 et 2023, les revenus issus du travail, qui « augmentent moins vite que l’inflation », grèvent le pouvoir de vivre.

Pour mettre fin à cette situation, la gauche avance des pistes au niveau européen. « Nous proposons une autre politique budgétaire et monétaire, martèle le communiste Léon Deffontaines. Elle est la condition de l’augmentation des revenus des Européens et des Européennes. L’austérité a coûté cher, tant en matière d’emplois et de salaires que de dynamisme économique et technologique. »

En plus de cela, poursuit-il, « une véritable politique industrielle à l’échelle de l’Union » doit être mise en place. Une aspiration partagée par Manon Aubry, qui entend également mettre en place les conditions d’une « relocalisation de l’industrie ».

Pour créer de nouvelles opportunités d’emplois sur tout le territoire, Raphaël Glucksmann propose de « généraliser la garantie locale de l’emploi (dispositif d’emplois financés par les pouvoirs publics répondant à des besoins sociaux et environnementaux – NDLR) pour créer des millions de nouveaux emplois dans des secteurs utiles aux territoires » au niveau européen. Et les écologistes proposent de créer des emplois, notamment, en généralisant les 32 heures et la semaine de quatre jours sur le continent.

Services publics pour tous

« D’ici à 2025, il y aura 50 milliards d’euros de coupes dans les services publics, alertait il y a peu, dans nos colonnes, Sigrid Gérardin, numéro deux de la liste PCF. Il n’y a plus d’investissements et l’éducation risque d’être asphyxiée par les coupes budgétaires qui s’établissent déjà à 600 millions d’euros en 2024. » Peut-on remédier à cette situation par la voie européenne ?

« À l’échelle de l’Europe, des pôles publics associant les services publics nationaux, et permettant l’intervention des organisations syndicales européennes, pourraient constituer un cadre pour des mutualisations et des coopérations à géométrie choisie », peut-on lire dans le programme de sa liste. Les communistes entendent également « mettre en place un observatoire des services publics en Europe » impliquant des usagers, des syndicalistes et des parlementaires nationaux, pour veiller à leur maintien et à leur bon fonctionnement.

Chez la FI, Manon Aubry revendique aussi son intention de refuser « la privatisation et la mise en concurrence des services publics et les coupes dans les dépenses publiques ». Tout comme Marie Toussaint, pour les écologistes, qui veut « garantir l’accès effectif aux services publics pour tous ».

Transition écologique

Au début de l’année, la Commission européenne affichait une énième fois ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone. À savoir : une réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, et zéro émission nette en 2050. Comment y parvenir ?

À chaque candidat de gauche sa recette, ou presque. Pour Léon Deffontaines, il est important d’apporter des « investissements lourds » pour à la fois décarboner et relocaliser l’industrie, réaliser la rénovation thermique des bâtiments et « favoriser le couple fret ferroviaire et maritime et fluvial ». Le plan climat de son parti s’appuie sur le mix entre nucléaire et énergies renouvelables pour relever ce défi.

Les écologistes veulent inscrire dans les traités européens le respect du climat et des limites planétaires. Ils proposent aussi d’investir 260 milliards d’euros publics par an pour la transition climatique et prendre le contrôle des entreprises pétrogazières.

Pour la FI, comme d’ailleurs pour les Verts et le PCF, il est aussi urgent de « mettre fin aux accords de libre-échange » entre l’UE et le reste du monde. « Une folie en matière d’écologie », selon le programme de Manon Aubry : « Les coûts climatiques des accords de libre-échange sont bien souvent supérieurs aux soi-disant avantages économiques. » Pour limiter les échanges internationaux, Raphaël Glucksmann plaide plutôt pour la mise en place d’une loi « Achetez européen » qui réservera en priorité la commande publique aux productions du continent.

Droits et libertés

Alors que l’extrême droite gagne du terrain dans toute l’Europe et fait reculer les droits des citoyens partout où elle prend le pouvoir, l’Union a-t-elle la capacité de les garantir ? « Nous souhaitons faire aboutir le projet de directive globale et universelle de l’UE contre toutes les discriminations, pour combattre toutes les formes de racisme et de discriminations, liées aux origines, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre », défendent les insoumis.

Un projet dans la droite ligne de ce que proposent les communistes, selon qui tous les commissaires européens devraient avoir à élaborer une feuille de route sur la manière dont ils entendent réaliser les « objectifs d’égalité femmes-hommes et la défense des droits des femmes, mais aussi l’éradication de la pauvreté et de la faim ».

Deux formations qui, tout comme celles de Marie Toussaint et de Raphaël Glucksmann, prévoient d’inscrire le droit à l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux.


 

   mise en ligne le 6 juin 2024

Le peuple palestinien existe,
son État est de droit

Patrick Le Hyaric sur www,humanite,fr

Ce 5 juin est le triste jour anniversaire de cinquante-sept années d’occupation militaire israélienne de la terre de Palestine. Nous parlons ici de l’occupation armée d’un État par un autre, la plus longue de l’histoire. Cinquante-sept années.

Et le président de la République française estime qu’il faut encore attendre qu’arrive un hypothétique moment, prétendument « utile », pour enfin déclarer la reconnaissance officielle de l’État palestinien par la France. Utile pour qui et pour quoi ? Pour permettre au colonisateur, à l’occupant, de poursuivre sa sale besogne ?

Dans la même phrase, il s’est dit « indigné » par les frappes militaires israéliennes contre des civils aux mains nues à Gaza.

Alors combien de morts, combien de vies brisées, combien de jeunesses massacrées, combien de temps faut-il encore attendre ? Nous, nous avons honte. Nous avons mal à la France. Elle a à sa tête un pouvoir qui donne quitus à une coalition de droite et d’extrême droite à Tel-Aviv. Un pouvoir qui refuse un acte politique et juridique majeur qui modifierait le rapport de force en faveur du respect du droit international.

La France doit rejoindre et conforter les 145 États membres de l’Onu qui ont déjà reconnu l’État de Palestine. En rejoignant les onze États membres de l’Union Européenne, qui ont déjà posé un tel acte, la France modifierait la donne mondiale et pousserait les États Unis à faire de même. Notre colère ne nous conduit pas à dire ici que rien ne se fait. Nous nous réjouissons du vote positif de la France à l’Onu, il y a quelques jours, pour que la Palestine soit membre à part entière des Nations Unis. Une fois de plus, les États-Unis y ont opposé leur veto.

L’enjeu est important, car être membre à part entière donne le droit de voter à l’Assemblée générale et donne une certaine influence politique. Dès lors que plus des deux tiers des membres de l’Onu se sont prononcés en faveur de la reconnaissance conformément à la charte des Nations unis, il ne reste plus qu’à faire lever ce veto américain.

Cela compterait. On le voit déjà. En effet, le mouvement qui se développe en France pour la reconnaissance de l’État palestinien a poussé le Premier ministre israélien à s’adresser à nos concitoyens par l’intermédiaire du groupe privé de télévision propriété de Bouygues, TF1-LCI. Nul hasard dans cette intervention de Netanyahu avec la complicité d’un média porte-voix des intérêts du grand capital. Il n’y a eu aucune gêne à faire parler le responsable d’un État qui a fait l’objet d’une sévère ordonnance de la Cour internationale de justice l’enjoignant à stopper son offensive meurtrière à Rafah. Ce même Premier ministre fait l’objet d’une émission d’un mandat d’arrêt international par le procureur général de la cour pénale internationale (CPI). Cela n’a pas gêné TF1. Les enjeux économiques dans la région, dont les immenses réserves de gaz au large des côtes de Gaza et d’Israël sont pour les tenants du grand capital bien plus importants que le droit international.

Mais l’intervention télévisée du Premier ministre israélien est aussi la manifestation d’une certaine fébrilité. Il redoute que la France, membre du conseil de sécurité de l’Onu, reconnaisse officiellement la Palestine comme État.

Tant que nos gouvernements successifs bavardent sur la solution à deux États sans que jamais cela soit suivi d’effets, le pouvoir de Tel Aviv est tranquille pour réaliser dans le vol, le feu et le sang son projet d’annexion totale de la terre de Palestine.

Contrairement à certaines assertions, la reconnaissance de l’État de Palestine est le seul moyen aujourd’hui de donner un peu d’espoir à un processus de paix et de sécurité. À force de bafouer l’Autorité palestinienne, de l’amputer de pouvoirs politiques réels, les dirigeants des institutions européennes et des États-Unis se sont privés d’un interlocuteur susceptible de peser dans les négociations, hier de lever le blocus sur Gaza, et aujourd’hui pour un cessez-le-feu, pour la libération des otages, et pour établir les conditions de la sécurité des citoyens israéliens et palestiniens.

C’est bien le choix du Hamas comme seul « interlocuteur» qui a été promu dans les négociations actuelles. Ce choix de lui donner de l’importance tout en rabâchant qu’il est une organisation terroriste, permet de justifier le massacre des enfants palestiniens innocents. C’est aussi le moyen de laisser se déployer la colonisation-annexion en Cisjordanie et à Jérusalem.


 

   mise en ligne le 5 juin 2024

Répression antisyndicale :
« Les gendarmes m’ont posé des questions politiques », affirme le délégué CGT Christian Porta

Jean-Jacques Régibier sur www,humanite,fr

Alors que l’Inspection du Travail refuse son licenciement, Christian Porta, le délégué syndical CGT du boulanger industriel Neuhauser à Folschviller, en Moselle, a été convoqué mardi matin à la gendarmerie qui voulait tout d’abord le placer en garde à vue. Le Procureur de la République s’y est opposé. Entretien.

« C’est un véritable bras de fer qui s’engage pour tester notre résistance », observe Dorothée Unterberger, la secrétaire générale CGT de l’Union syndicale des travailleurs de l’agroalimentaire et des forêts (USTAF), qui juge « incroyable » la convocation à la gendarmerie du délégué CGT, « alors que c’est l’entreprise qui ne respecte pas les décisions administratives ».

Leader syndical très connu en Moselle, Christian Porta a été licencié le 23 avril par la direction du groupe Invivo, le grand groupe français de l’agrobusiness qui a racheté l’usine de boulangerie industrielle de Folschviller. Saisie par la CGT, l’Inspection du travail s’est opposée au licenciement en démontant point par point les arguments de la direction, mais la direction est passée outre et a confirmé le licenciement du délégué.

La direction d’Invivo a entrepris une démarche auprès du ministère du Travail pour faire annuler la décision de l’Inspection de travail. La décision devrait être rendue cet été. En attendant, c’est la gendarmerie qui a convoqué Christian Porta mardi matin. Une centaine de ses collègues sont venus le soutenir devant le poste de gendarmerie.

Sur quels motifs avez-vous été convoqué à la gendarmerie ce matin ?

Christian Porta : La direction d’Invivo qui m’a licencié est en train de perdre sur tous les dossiers puisque l’Inspection du travail a demandé ma réintégration, mais elle continue la pression contre moi. Cinq cadres de l’entreprise sont allés porter plainte contre moi au motif que je « harcèlerais » la direction, et suite à ces plaintes, la gendarmerie voulait me mettre en garde à vue pour m’interroger. Mais le procureur de la République a décidé qu’aucun élément ne pouvait être retenu pour autoriser une G.A.V., et finalement, j’ai passé une audition en étant libre en début de matinée.


Quelles sont les questions qui vous ont été posées par les gendarmes ?

Christian Porta : C’étaient des questions extrêmement étranges, des questions très très politiques. Par exemple, ils m’ont demandé ce qu’on faisait pendant les réunions du Comité Social et Économique (CSE), pourquoi les représentants syndicaux bloquaient certains projets en demandant des expertises, ils m’ont même accusé de ramener de la politique dans l’entreprise. J’ai vraiment eu l’impression que c’était des questions écrites par la direction.

Où en êtes-vous de votre situation actuelle dans l’entreprise ?

Christian Porta : Dans un premier temps, j’ai gagné, l’Inspection du travail a demandé ma réintégration suite à mon licenciement de l’usine, mais la direction n’a pas respecté cette décision et ils m’ont tout de même licencié. Invivo a ensuite contesté la décision de l’Inspection du travail de Moselle devant le ministère du Travail, on attend la réponse. J’ai le droit d’exercer mes mandats syndicaux mais la direction ne les reconnaît pas tous. Par exemple, je suis membre du CSE, et bien que l’Inspection du travail ait demandé ma réintégration, la direction refuse ma présence aux réunions du CSE. J’ai juste le droit d’accéder au local syndical.

Comment analysez-vous les attaques que vous subissez dans le contexte national ?

Christian Porta : On fait vraiment face à une attaque du patronat qui veut nous faire payer les mobilisations massives contre la réforme des retraites, et les grèves sur les salaires comme celles que nous avons faites à Invivo. Comme on est dans une conjoncture réactionnaire, le patronat en profite pour attaquer les délégués syndicaux dans les entreprises.

Cette vague de répression qui s’intensifie touche aussi les syndicalistes qui apportent leur soutien à la Palestine, comme Jean-Paul Delescaut (Secrétaire de l’Union départementale CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut a été condamné par le tribunal à un an de prison avec sursis pour son soutien à la Palestine, NDLR).

Comme mon licenciement d’un grand groupe de l’agrobusiness a été bien relayé en France, ce qui est en train de m’arriver est assez inédit. J’ai vraiment contre moi l’avant-garde du patronat qui se radicalise et essaie de donner le ton pour tous les autres patrons. Il y a plein de cas similaires aujourd’hui en France.

Nous sommes contactés aussi bien par des collègues de petites entreprises comme Rougier et Plé (magasin parisien de fournitures pour artistes où quatre salariés ont été convoqués pour un entretien disciplinaire après avoir fait grève pour les salaires, NDLR), ou Dassault (les salariés des deux sites Dassault de Mérignac et Martignas ont fait grève en mars pour de meilleurs salaires, NDLR), et tous nous disent qu’ils vivent la même chose chez eux. Il y a tout intérêt à organiser une réponse large.

Précisément, est-ce que vous ressentez une solidarité contre ces attaques que subissent les syndicalistes ?

Christian Porta : Il y a un très fort soutien, on le sent sur les réseaux sociaux par exemple, mais aussi par le soutien que nous apportent localement les associations, et les groupes politiques comme le PCF, les Verts ou la France insoumise. Jacques Maréchal, le secrétaire PCF de Moselle ou Marine Tondelier, la secrétaire d’EELV, sont venus devant l’usine, et aujourd’hui (mardi 4 juin, NDLR), FI pose une question orale au gouvernement sur la répression syndicale. Il faut dire que la situation est grave.

En ce qui concerne mon audition à la gendarmerie, le procureur de la République n’était même pas au courant que j’allais être mis en garde à vue, alors que le dossier est complètement vide, c’est hallucinant. Aujourd’hui mes collègues sont en grève. Si les gens veulent participer à la caisse de grève, c’est un bon moyen de nous aider.


 

   mise en ligne le 4 juin 2024

4 juin : grève du secteur médico-social pour peser sur la fusion
des conventions collectives

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce mardi 4 juin, c’est jour de grève dans le secteur médico-social. Les salariés se mobilisent pour l’amélioration générale de leurs conditions de travail et pour peser sur les négociations autour de leur nouvelle convention collective.

La bataille continue dans le secteur médico-social. Après une journée de grève réunissant environ 15 000 personnes dans les rues le 4 avril, différents syndicats et collectifs appellent à arrêter le travail et à manifester ce 4 juin. Les revendications sont les suivantes « pour nos salaires, nos emplois, nos formations, des moyens pour des conditions d’accueil et de prise en charge dignes », énumère un communiqué de la commission de mobilisation du travail social Île-de-France. La mobilisation est appelée par différents collectifs et syndicats en fonction des départements. 

« Il y a de nombreuses grèves dans le secteur en ce moment. L’enjeu du 4 juin, c’est d’unifier les luttes », précise Florence Pik, membre de cette même commission et militante CGT. Et cette éducatrice spécialisée de lister : « on a eu une grève dans la petite enfance dans le Nord, à Poitiers les collègues sont mobilisés contre des coupes budgétaires décidées par le département, à Paris il y a toujours les grévistes de Onela, qui luttent depuis 4 mois et j’en oublie », continue-t-elle.

 Ce 4 juin, un premier rassemblement devant le siège de la FEHAP (fédération d’employeurs) se tiendra dès 9h, à Paris, avant un départ vers le Ministère de la santé à partir de 13h30. Certaines mobilisations locales ont décidé de rejoindre le cortège parisien, d’autres se tiendront hors de la capitale. 

4 juin, la grève du secteur médico-social et la convention collective

« La date du 4 juin est importante car c’est la dernière date de négociation autour de la nouvelle convention collective unique », poursuit Florence Pyk. Depuis 2022, le gouvernement a entrepris une fusion des deux conventions collectives qui encadrent les travailleurs du secteur médico-social : la  51 et 66.

Si l’objectif de fusion est partagé par les employeurs et les syndicats, ses modalités font débat. Alors que les salariés demandent une convention collective étendue « de haut niveau », prenant appui sur les avantages des deux conventions, les organisations patronales jouent plutôt la carte du moins disant social. 

« Pour l’heure, on nous demande de signer un chèque en blanc. Dans ce cadre, on craint que cela ne fasse disparaître la spécificité de nos métiers. Les trois syndicats CGT, SUD et FO, qui sont majoritaires, refusent de signer un accord tant qu’ils n’ont pas obtenu le Ségur pour tous. » En effet, certains travailleurs œuvrant dans le secteur médico-social, comme les veilleurs de nuit, les secrétaires administratives, les agents d’entretien ou de restauration, n’ont toujours pas eu accès à l’augmentation de 183€ net mensuel dont ont bénéficié les soignants, puis une partie des travailleurs sociaux, après une forte mobilisation. Ainsi la journée du 4 juin sera une fois de plus l’occasion d’exiger l’extension du Ségur. La lutte des travailleurs sociaux est donc loin d’être terminée. Prochain point d’orgue : les rencontres nationales du travail social en lutte, qui auront lieu le 27 et 28 juin.


 

   mise en ligne le 3 juin 2024

Non, Monsieur le Président, le respect du Droit International n’est pas une question d’« émotion »

par C.J.R.F (Collectif de Juristes pour le Respect des engagements internationaux de la France) sur https://blogs.mediapart.fr/

L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’État palestinien. La France ne le fera pas. Du moins pas sous la Présidence Macron, qui a déclaré mardi 28 mai 2024 : « Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. » La formule est, hélas, emblématique du renoncement total et dangereux de l’exécutif au droit international.

L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont reconnu l’État palestinien. 

La France ne le fera pas. Du moins pas sous la Présidence Macron, qui a déclaré mardi 28 mai 2024 :  « Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »

Alors que ces mots étaient prononcés, les citoyens français étaient, eux, plongés dans l’émotion du massacre de Rafah, et de ces images effroyables de réfugiés et déplacés brûlés vifs, nouvelles victimes s’ajoutant à un bilan humain effroyable de ce qui a été présenté comme une opération contre-terroriste, menée faut-il le rappeler par une puissance occupante violant jusqu’aux ordonnances de la plus haute juridiction internationale.

« Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »

La formule est, hélas, emblématique du renoncement de l’exécutif au droit international.

Monsieur Séjourné avait déjà posé un seuil moral à ne pas franchir, celui de l'accusation de génocide dès lors qu’il s’agissait de l’« État Juif », au moment où l’Afrique du Sud avait saisi la Cour Internationale de Justice sur le fondement de la Convention sur le Génocide de 1948.

Le même a déclaré que la reconnaissance de l’État n’était pas un tabou

Nous recherchons toujours à cette heure dans le Statut de Rome ou dans la Charte des Nations-Unies une quelconque référence au « seuil moral » et au « tabou ».  En vain.

Lorsque, dans l’affaire « Situation dans l’État de Palestine », le Procureur Karim Khan a requis des mandats d’arrêts contre les dirigeants d’Israël et du Hamas, la France a affirmé son soutien à la Cour Pénale Internationale, à « son indépendance, à la lutte contre l’impunité dans toutes les situations ». Mais il n’a pas fallu attendre très longtemps pour que Monsieur Séjourné déclare qu’il « n’y avait aucune équivalence possible entre le Hamas, un groupe terroriste, et Israël un État démocratique ». Les requêtes du Procureur n’établissait pourtant aucune équivalence, pour la bonne raison que ce n’était pas leur objet, mais la diplomatie française s’est crue contrainte d’alimenter la confusion. La rigueur juridique était donc une fois de plus abandonnée, pour satisfaire les exigences des dirigeants israéliens et de leurs soutiens en France.

Et aujourd’hui, à propos de la reconnaissance de l’État palestinien, le Président de la République attend le « moment utile » et ne veut pas se laisser pas guider par l’« émotion ».

Non, Monsieur le Président, il ne s’agit pas d’émotion mais bien de droit.

Le droit à l’autodétermination du peuple palestinien est bien un… droit, et pas un souhait qu’il vous plairait d’exaucer ou pas. 

Ce droit est établi par les Palestiniens depuis, au moins, le mandat britannique sur la Palestine. Dans le cas de la Palestine, il s’agissait d’un mandat A, pour lequel les nations de ces territoires étaient provisoirement reconnues comme indépendantes, mais recevaient le conseil et l’assistance administrative du mandat jusqu’à ce qu’elles soient capables de l’être. 

Les mandats A de la région sont devenus des Etats assez rapidement, à l’exception de la Palestine confrontée au projet sioniste, et on sait aujourd’hui que le droit à l’autodétermination n’a été mis en œuvre que pour le foyer national juif de Palestine, au terme d’un processus de substitution. La résolution du 29 novembre 1947, qui adopte le plan de partage, permet elle-même au peuple palestinien d’exercer son droit à l’autodétermination.

La suite de l’histoire est connue et ne sera pas rappelée. Le droit à l’autodétermination des Palestiniens n’a jamais pu être remis en cause par Israël et au contraire, il a été depuis maintes fois réaffirmé par les Nations Unies.

Ni la dispersion forcée de la nation palestinienne, ni l’occupation de 1967 n’ont remis en cause l’existence de l’Etat palestinien.

La Palestine est un Etat.

Elle est un État observateur permanent des Nations-Unies depuis le 29 novembre 2012, et son statut vient d’être rehaussé par l’Assemblée générale, à une écrasante majorité, le 10 mai dernier.

Concernant la Cour Pénale Internationale, que la France dit soutenir, on rappellera que le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er avril 2015 à l'égard de la Palestine, après que le gouvernement palestinien ait déposé une déclaration en vertu de l'article 12-3 reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés commis sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, depuis le 13 juin 2014.

Concernant la France, le 2 décembre 2014, l’Assemblée nationale a adopté une résolution « pour la reconnaissance de l’Etat de Palestine », dont les déclarations actuelles de l’exécutif nous obligent à rappeler les termes :

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Affirme sa volonté de concourir à l’effort international de paix au Proche-Orient ;

Constatant la volonté des peuples israélien et palestinien de vivre en paix et en sécurité ;

Constatant l’échec des tentatives de relance du processus de paix engagées depuis 1991 entre Israéliens et Palestiniens par la communauté internationale ;

Constatant les menaces pesant sur la solution des deux États, et notamment la poursuite illégale de la colonisation dans les territoires palestiniens qui mine la viabilité même d’un État palestinien, malgré les capacités institutionnelles dont s’est dotée l’Autorité palestinienne et la reconnaissance que lui a accordée l’Assemblée générale des Nations Unies ;

Constatant la montée des tensions à Jérusalem et en Cisjordanie, qui menace d’engendrer un nouveau cycle de violence néfaste pour l’ensemble des populations de la région ;

  1. Souligne que le statu quo est intenable et dangereux car il nourrit les frustrations et la défiance croissante entre les deux parties ;

  2. Souligne l’impératif d’une reprise rapide des négociations entre les parties selon des paramètres clairs et un calendrier déterminé ;

  3. Affirme l’urgente nécessité d’aboutir à un règlement définitif du conflit permettant l’établissement d’un État démocratique et souverain de Palestine en paix et en sécurité aux côtés d’Israël, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem pour capitale de ces deux États, et fondé sur une reconnaissance mutuelle ;

  4. Affirme que la solution des deux États, promue avec constance par la France et l’Union européenne, suppose la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël ;

  5. Invite le Gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit.

C’était en 2014.

Dix ans après, la colonisation israélienne illégale de la Cisjordanie occupée s’étend à vitesse exponentielle et le peuple palestinien subit à Gaza des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, voire de génocide, avec la complicité de plusieurs dirigeants.

C’est cette complicité qui vient de conduire des ONG européennes, avec le soutien d’éminents juristes et de hauts fonctionnaires, à saisir le Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale d’une demande d’enquête sur Madame Von der Leyen, sur le fondement de complicité, par soutien économique et financier, diplomatique et politique.

En France, le soutien « inconditionnel » apporté à Israël au plus haut sommet de l’Etat, couplé à une répression sans précédent des citoyens et élus portant la voix de la raison, marque hélas un renoncement total et dangereux au Droit International.

Il eût été logique, cohérent et conforme au Droit International, que la France reconnaisse l’État palestinien.

Mais non, ce n’est pas le « moment utile »

Et le Président de la République vient d’exhorter le Président de l’Autorité palestinienne à « mettre en œuvre les réformes indispensables » en vue de la reconnaissance de l’État de Palestine.

La reconnaissance de l’Etat de Palestine n’est conditionnée à aucune réforme, et tout le monde aura compris qu’il s’agit d’un nouveau prétexte pour éviter d’avoir à appliquer le Droit.

En outre, il aurait été utile d’assortir cette nouvelle injonction d’un guide de faisabilité, pourquoi pas intitulé : « Comment réformer des institutions d’un Etat sous occupation militaire ? »

La reconnaissance de l’Etat palestinien n’aurait pas été dictée par l’émotion, mais par l’exigence que devrait avoir la France pour le respect de ses engagements internationaux.

Les dirigeants espagnol, irlandais et norvégien ont eu cette exigence et le 28 mai 2024, ils sont entrés, eux, dans l’Histoire.


 

   mise en ligne le 1er juin 2024

Le tournant patronal
du Rassemblement National,
prélude de son arrivée au pouvoir ?

William Bouchardon sur https://lvsl.fr/

Déjeuners avec les grands patrons français, positionnement géopolitique de plus en plus atlantiste, opposition au libre-échange largement adoucie… Porté par d’excellents sondages, le Rassemblement National prépare activement sa potentielle arrivée au pouvoir en se rapprochant des milieux économiques et en tournant définitivement la page de l’ère Philippot. Qu’il s’agisse de rencontres avec des figures du monde des affaires, de changements programmatiques ou de refonte des alliances avec les autres partis d’extrême-droite, le RN est toujours discret sur ces évolutions. Il sait en effet que son électorat populaire en sera la première victime.

Mais où était Jordan Bardella ? Pendant des semaines, l’ultra-favori de l’élection européenne a séché tous les débats télévisés, envoyant ses lieutenants à sa place. Certes, en acceptant les invitations, il aurait été la cible de toutes les attaques et avait donc plus à perdre qu’à gagner. Bien sûr, il a aussi fait quelques meetings et tourné des vidéos pour ses réseaux sociaux. Mais le dauphin de Marine Le Pen semble surtout s’être employé à convaincre un groupe jusqu’alors assez réticent à l’arrivée du pouvoir du RN : le patronat.

Opération séduction devant les patrons

En plus des discours officiels adressés au MEDEF, à la confédération des PME, aux mouvements des entreprises de taille intermédiaires (METI), à FranceInvest ou à Croissance Plus, le jeune prodige lepéniste et sa patronne ont multiplié les déjeuners secrets avec nombre de figures du monde des affaires français. De Pierre Gattaz, ancien président du MEDEF, à Henri Proglio, ancien PDG d’EDF et Veolia, en passant par des membres du clan Dassault, de plus en plus de personnalités du monde de l’entreprise veulent échanger avec les deux têtes du Rassemblement National. Sophie de Menthon, dirigeante du mouvement patronal Ethic, Alexandre Loubet, directeur de campagne de Jordan Bardella et Sébastien Chenu, député RN, se chargent alors de caler les rendez-vous et de réserver des restos chics et discrets.

Certes, les motivations des intéressés divergent : certains sont déçus par Macron – qui a pourtant redoublé d’efforts depuis 10 ans pour séduire ce groupe social – tandis que d’autres cherchent surtout à nouer des contacts « au cas où ». Habitués à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, les grands chefs d’entreprises ont longtemps entretenu des contacts tant avec le Parti Socialiste (PS) qu’avec la droite (UMP/Les Républicains), avant que Macron ne rassemble ces deux écuries autour de sa personne. Mais cette ère semble sur sa fin : ne pouvant se représenter, le chef de l’Etat fait face à une guerre des égos entre ses successeurs potentiels. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire… les candidats sont nombreux, mais aucun ne se détache vraiment du lot. Pour les grands patrons français, qui ont toujours vécu en grande partie de la commande publique, il serait donc hasardeux de tout miser sur le camp macroniste. Dès lors, prendre attache avec le Rassemblement National est une façon d’assurer la préservation de leurs intérêts.

De Pierre Gattaz, ancien président du MEDEF, à Henri Proglio, ancien PDG d’EDF et Veolia, en passant par des membres du clan Dassault, de plus en plus de personnalités du monde de l’entreprise veulent échanger avec les deux têtes du Rassemblement National.

Pour les séduire, le parti d’extrême-droite redouble d’efforts. Sur les salaires d’abord, le parti s’oppose résolument à leur hausse, alors qu’il prétend pourtant défendre le pouvoir d’achat des Français. Le parti s’est ainsi systématiquement opposé à la hausse du SMIC ou à l’indexation des salaires sur l’inflation et préfère promettre une hausse des salaires obtenue en baissant les cotisations sociales qui assurent pourtant le bon fonctionnement de la Sécurité sociale. Une position identique à celle du camp présidentiel. Toujours en matière de pouvoir d’achat, le groupe s’oppose aussi au blocage des prix proposé par la France insoumise et ses alliés et s’est abstenu lors du vote sur l’instauration d’un prix minimum sur les produits agricoles, demande centrale des paysans mobilisés début 2024. Citons également la ferme opposition du RN à la loi Zéro Artificialisation Nette et plus largement aux règles environnementales, dont les patrons ne cessent de se plaindre qu’elles entravent leur business. Le parti s’est aussi fait le relai à de très nombreuses reprises des demandes des lobbys, par exemple dans les domaines de la santé, du bâtiment ou de l’automobile. Enfin, bien qu’il se déclare pour le retour partiel à la retraite à 60 ans, le RN n’a jamais soutenu les mobilisations syndicales pour s’opposer à la réforme conduite par Macron. 

L’enterrement définitif de l’ère Philippot

Outre cette défense constante des intérêts des grands groupes, le camp lepéniste envoie également d’autres signaux remarqués aux patrons français. Citons en particulier la tribune de Marine Le Pen sur la dette publique dans Les Echos, quotidien économique de Bernard Arnault, dans laquelle elle reprend tous les poncifs libéraux entendus depuis des décennies. Surtout, le parti semble avoir enfin réussi à s’entourer d’un aréopage de conseillers de l’ombre aux CV bien remplis. Ce « cercle des Horaces », qui rassemble hauts-fonctionnaires, anciens conseillers ministériels et cadres de grandes entreprises, fournit aux leaders du parti des notes oscillant entre guerre de civilisation et plaidoyer du libéralisme économique. Ce cabinet secret est chapeauté par François Durvye, directeur général d’Otium Capital, le fonds d’investissement du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Edouard Stérin, un exilé fiscal en Belgique candidat au rachat de l’hebdomadaire Marianne. Durvye a notamment accueilli Marine Le Pen dans son manoir en Normandie pour préparer le débat de second tour en 2022, avec quelques conseillers clés, dont Jean-Philippe Tanguy. Issu des rangs de l’ESSEC et du parti de Nicolas Dupont-Aignan, le député RN de la Somme est l’un des plus actifs du groupe à l’Assemblée et dans les médias, en particulier sur les questions économiques.

Dès le départ de Philippot et de ses troupes, la sortie de l’euro et le référendum sur le Frexit sont abandonnés, car ils effraient les électeurs issus de la droite traditionnelle, notamment les retraités obsédés par la stabilité, dont le parti essaie de capter les votes.

Avec cette équipe de grandes fortunes et d’obsédés de la dérégulation, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont enfin parvenus à tourner la page de l’ère Florian Philippot. Fidèle lieutenant de Marine Le Pen jusqu’en 2017, cet énarque n’avait pas seulement contribué à la fameuse « dédiabolisation » : il avait aussi lourdement pesé sur le programme du RN en l’articulant autour du souverainisme, avec une volonté explicite de dépasser le clivage gauche-droite et de réunir le camp du « non » au référendum de 2005. Jusqu’en 2017, le FN défend donc une forme de sortie de l’euro, un référendum sur le Frexit ou encore le retrait du commandement intégré de l’OTAN. Sans défendre explicitement une sortie du cadre européen et atlantiste, le parti est alors, avec la France Insoumise, très critique de ces pertes de souveraineté monétaire, militaire, économique et politique. Cet héritage est désormais très largement liquidé. Dès le départ de Philippot et de ses troupes, la sortie de l’euro et le référendum sur le Frexit sont abandonnés, car ils effraient les électeurs issus de la droite traditionnelle, notamment les retraités obsédés par la stabilité, dont le parti essaie de capter les votes.

L’opposition au libre-échange, qui a toujours été une des craintes majeures des patrons vis-à-vis du RN, notamment ceux tournés vers l’export, est elle aussi en train d’être largement adoucie. Certes, le parti est contraint à un jeu d’équilibriste sur cette question, tant elle est fondamentale pour les milieux populaires victimes de la mondialisation. Dans son programme européen, le RN plaide ainsi pour une « concurrence loyale » au sein du marché européen, sans préciser ce que recouvre cette notion, ainsi que pour la « priorité nationale » dans la commande publique, formellement interdite par les traités de l’UE. Une profonde réforme de ces derniers sera donc nécessaire pour appliquer ces promesses. Le RN ne manque certes pas d’idées sur la question, notamment un référendum pour faire à nouveau primer la Constitution française sur le droit européen et la transformation de la Commission européenne en secrétariat du Conseil, institution réunissant les chefs d’Etats. Des propositions plutôt intéressantes pour que l’Union européenne soit une véritable « Europe des nations » plutôt qu’un proto-Etat supranational, mais qui nécessitent d’avoir des soutiens dans les autres Etats pour aboutir.

Or, si le RN peut théoriquement s’appuyer sur ses alliés d’extrême-droite à travers le continent, tous ne soutiennent pas une politique protectionniste. En témoigne ainsi le fait que 60% des eurodéputés du groupe Identité et Démocratie, auquel appartient le RN, ont voté pour le récent accord de libre-échange entre l’UE et la Nouvelle-Zélande ! De même, lors du vote sur les accords avec le Chili et le Kenya fin janvier, en pleine mobilisation des agriculteurs : le RN s’est abstenu, tandis que ses partenaires étrangers approuvaient largement les deux textes. De quoi sérieusement douter des promesses protectionnistes du parti.

Sur le plan géopolitique, l’évolution du Rassemblement National est également notable. Sans doute redevable au pouvoir russe, qui lui a accordé deux prêts en 2014 pour un total de 11 millions d’euros, Marine Le Pen a longtemps défendu un rapprochement avec le Kremlin, tout comme son allié italien Matteo Salvini. Cette position se matérialise notamment par le soutien à l’annexion de la Crimée et une série de rencontres, notamment une entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine en mars 2017, juste avant l’élection présidentielle. Longtemps admiratrice du dictateur russe, Marine Le Pen a finalement été contrainte de défendre du bout des lèvres l’Ukraine depuis deux ans. Si elle a critiqué l’inefficacité des sanctions économiques contre Moscou et l’instrumentalisation du conflit à des fins politiciennes, ses propositions sur le sujet restent vagues et pleines de contradictions. Ces hésitations sont sans doute le reflet de la guerre d’influence que livre Jordan Bardella à sa patronne : le président du parti s’est, à plusieurs reprises, positionné explicitement dans le camp atlantiste et pour le maintien dans toutes les instances de l’OTAN, alors que Marine Le Pen est plus nuancée sur la question.

Recomposition de l’extrême-droite européenne

Ce tournant atlantiste et pro-européen est une forme de retour à la ligne originale du parti lorsqu’il était dirigé par Jean-Marie Le Pen. Se présentant alors comme le « Reagan français » et assumant un programme très libéral sur le plan économique, le père de Marine Le Pen était également un fervent défenseur de l’OTAN et de la construction européenne, qu’il voyait comme des remparts contre le communisme alors en place à l’Est de l’Europe. A l’époque, cette opposition frontale à la gauche permet au Front National de sortir brièvement de l’isolement politique, entre 1986 et 1988, lorsque le parti obtient ses premiers députés et apporte un soutien décisif à la droite traditionnelle pour gouverner cinq régions, qui lui offre quelques vice-présidences en échange. Excepté ce bref interlude, et malgré un affaiblissement continu depuis l’ère Sarkozy, le « cordon sanitaire » empêchant l’union des droites tient toujours de manière officielle.

Sur ce plan, l’élection européenne de 2024 pourrait marquer un tournant. L’extrême-droite progresse en effet sur tout le continent et les gouvernements reposant sur des accords entre la droite traditionnelle et l’extrême-droite se multiplient (Italie, Suède, Finlande, Croatie…). Fragilisée par plusieurs scandales, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, issue du Parti populaire européen (PPE, droite) n’exclut d’ailleurs pas de conclure une alliance avec le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE, extrême-droite) pour se maintenir au pouvoir. Depuis plus d’un an, elle ne rate ainsi jamais une occasion d’afficher sa proximité avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni, dont le parti Fratelli d’Italia détient l’une des plus importantes délégations d’eurodéputés du groupe CRE.

Rassemblant également le parti Droit et Justice polonais (PiS), les Démocrates de Suède et le parti espagnol Vox, ce groupe se distingue de l’autre groupe d’extrême-droite au Parlement européen, dénommé Identité et Démocratie (ID), sur deux aspects : la politique étrangère et la volonté de s’allier avec la droite traditionnelle. Tandis que les partis membres du groupe CRE ont toujours affirmé leur atlantisme et leur ouverture à l’union des droites, ceux du groupe ID sont davantage pro-russes et souvent isolés par leur radicalité. On retrouve notamment dans ce second groupe le Rassemblement National et la Lega de Matteo Salvini, ainsi que l’AfD allemande. Cette dernière est de plus en plus infréquentable : après les révélations sur une réunion secrète destinée à planifier un plan de « remigration » de deux millions de personnes d’origine étrangère vivant en Allemagne, l’AfD s’est à nouveau illustrée récemment en tentant de réhabiliter une partie des SS… 

La présence remarquée de Marine Le Pen au forum « Viva 2024 » à Madrid indique sa volonté de se rapprocher de partis notoirement atlantistes comme Fratelli d’Italia ou Vox.

Face à cet allié encombrant dont les outrances desservent sa stratégie de notabilisation, le RN a décidé de quitter le groupe ID et de rejoindre les CRE après le 9 juin, tout comme la Lega et le Fidesz de Viktor Orban. Des ralliements qui ont été mis en scène lors d’un grand rassemblement à Madrid le 19 mai, où les leaders de l’extrême-droite européenne étaient rejoints par des figures latino-américaines dont le Président argentin Javier Milei et un ministre du gouvernement Nethanyahou. Intitulée « Viva 2024 », cette démonstration de force a permis de renforcer les liens autour d’un agent réactionnaire commun. La présence remarquée de Marine Le Pen sur place indique sa volonté de se rapprocher de partis notoirement atlantistes comme Fratelli d’Italia ou Vox, ce qui peut rassurer un certain pan de l’électorat jusqu’alors inquiet des accointances russes du RN.

Un électorat moins populaire mais toujours plus large

Cette stratégie de respectabilité s’est également incarnée par l’arrivée de plusieurs personnalités sur la liste européenne du Rassemblement National, notamment Fabrice Leggeri, ancien directeur de l’agence de gestion des frontières extérieures de l’UE Frontex, énarque, normalien et haut-fonctionnaire au Ministère de l’intérieur. Ce ralliement largement médiatisé a été mis en avant par le RN comme une preuve de plus de sa capacité à gouverner grâce à des profils expérimentés et donc supposés « sérieux ». Sauf que cette « expérience » pose question : Fabrice Leggeri est visé par des plaintes pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité de tortures en raison de la coopération de Frontex avec les gardes-côtes libyens, qui appartiennent pour beaucoup à des milices pratiquant le trafic d’êtres humains. Pour le sérieux, on repassera aussi : le RN demandait la suppression de Frontex, qu’il qualifiait de « supplétif des passeurs », lorsque Leggeri la dirigeait…

Malgré les énormes incohérences du RN, notamment entre les postures prétendant défendre les Français populaires face aux riches et la réalité de son programme et de ses votes, le pari semble fonctionner. En plus de conserver son socle populaire de vote contestataire, le parti d’extrême-droite attire de plus en plus de classes moyennes et de retraités. Cette dernière catégorie d’électeurs est souvent décisive : alors que les jeunes et les plus pauvres votent peu, les seniors se déplacent massivement. Un phénomène d’autant plus fort lors d’élections intermédiaires comme les européennes, où environ 50% des électeurs s’abstiennent. Avec cette progression chez les retraités, Bardella ferait donc sauter le « plafond en béton armé » qui a longtemps empêché son parti de remporter les élections. Si une victoire du RN à la prochaine présidentielle n’est pas encore acquise, sa probabilité ne fait donc que grandir.

Si le rejet viscéral du macronisme et l’argument du « le RN, on a pas encore essayé » jouent bien sûr un rôle important, résumer l’addition de votes populaires et de votes bourgeois en faveur du parti lepéniste à la seule volonté de « renverser la table » est trop simpliste. Comme l’explique le chercheur Félicien Faury, qui a interrogé nombre d’électeurs frontistes dans le Sud de la France, le parti parvient à fédérer différentes classes sociales autour d’un discours commun visant à faire porter la douleur des réformes néolibérales sur les étrangers, qui seraient aujourd’hui « assistés ». Ainsi, le parti refuse par exemple de construire plus de logements sociaux, mais entend en expulser les immigrés pour que davantage de Français en bénéficient. Au-delà du racisme, la popularité croissante de ce genre de thèses est directement corrélée à la résignation des Français : quoi que l’on fasse, les réformes libérales finissent par s’appliquer. 

Le RN parvient à fédérer différentes classes sociales autour d’un discours commun visant à faire porter la douleur des réformes néolibérales sur les étrangers, qui seraient aujourd’hui « assistés ». 

Pour convaincre les Français qu’une autre société est possible, la gauche aura donc fort à faire. Avec une telle popularité des idées défendues par Bardella et Le Pen, invoquer la peur de l’inconnu et l’histoire du parti ne fonctionne plus. Plus que jamais, il lui faut pointer les contradictions du RN et son agenda anti-social afin de démontrer quels intérêts l’extrême-droite défendra réellement si elle parvient au pouvoir. Mais pour cela, encore faut-il que la « gauche » en question soit crédible. Les trahisons et attaques anti-sociales des parangons de la « mondialisation heureuse », du « rêve européen » et autres sociaux-démocrates rêvant de renouer avec le hollandisme sont en effet les premières raisons de l’essor initial du RN.


 

   mise en ligne le 30 mai 2024

Reconnaissance de la Palestine : Macron en retard d’une guerre

Pierre Barbancey su www,humanite,fr

Après la décision forte de l’Espagne, l’Irlande et la Norvège de reconnaissance de l’État de Palestine, tous les yeux se tournent vers Paris, dont la prise de position pourrait entraîner d’autres pays d’Europe. Mais Emmanuel Macron s’empêtre dans ses contradictions, malgré l’urgence.

Israël a furieusement réagi à la décision de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège de reconnaître l’État de Palestine. Tel-Aviv a immédiatement retiré ses ambassadeurs. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a convoqué les diplomates de ces trois pays, en poste en Israël, à une réunion où ils ont visionné des images de l’incursion du Hamas le 7 octobre comme preuve que leur gouvernement ne devrait pas reconnaître la Palestine, oubliant sciemment que Madrid, Dublin et Oslo ont tous les trois condamné l’attaque de l’organisation islamiste.

Pourquoi Israël freine des quatre fers

C’est dire si les dirigeants israéliens craignent une telle éventualité. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que la reconnaissance de l’État de Palestine est un acte de poids pour aider à une solution à deux États. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a déclaré, ce 28 mai, que « la reconnaissance de l’État de Palestine n’est pas seulement une question de justice historique », mais aussi « une exigence essentielle si nous voulons tous parvenir à la paix ». À ses yeux, ce mouvement est « le seul moyen d’avancer vers ce que tout le monde reconnaît comme la seule solution possible pour parvenir à un avenir pacifique, celui d’un État palestinien qui vit aux côtés de l’État israélien dans la paix et la sécurité ».

Dans les colonnes de l’Humanité, le député du Sinn Féin à Dublin, Matt Carthy, insistait : « J’espère vraiment que d’autres pays nous emboîteront le pas. Comment l’Union européenne peut-elle parler de droit international, de droit international humanitaire, de la charte des Nations unies ou de la nécessité d’adhérer aux normes démocratiques et aux droits de l’homme lorsque nous facilitons les actions d’Israël grâce à nos traitements préférentiels dans le commerce et l’économie ? »

« Nous devons faire vivre la seule alternative offrant une solution politique à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens : deux États, vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité », soutient le premier ministre norvégien, Jonas Gahr Store, en lançant un « appel fort » à d’autres pays pour qu’ils rejoignent cette initiative. « Je suis absolument certain que d’autres pays nous rejoindrons bientôt, confiait au Figaro le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, « et il y en a plus que ceux qui sont évoqués dans la presse ».

Macron à la traîne du Parlement français

De fait, tous les yeux sont maintenant tournés vers la France. Il y a quelques années, un ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne expliquait à l’Humanité, sous couvert d’anonymat, que « si la France reconnaît un État de Palestine, une dizaine d’autres pays de l’UE suivront. Car l’UE elle-même est incapable de prendre une telle décision, notamment parce que l’Allemagne l’en empêchera ». Effectivement, toutes les tentatives en ce sens ont échoué, tuées dans l’œuf, en particulier par Berlin.

En février 2014, l’Assemblée nationale française votait à une large majorité un texte invitant le gouvernement à reconnDes dissensions dans le camp présidentielUne décision reportée jusqu’à quand ?aître l’État de Palestine. Ce qu’aucun gouvernement n’a encore fait. Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron assurait que cette question n’était pas « taboue ». Mardi soir, il a botté en touche depuis l’Allemagne : « Je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile, à un moment où elle s’inscrit dans un processus dans lequel les États de la région et Israël se sont engagés, et qui permet, sur la base d’une réforme de l’Autorité palestinienne, de produire un résultat utile. Je ne ferai pas une reconnaissance d’émotion. »

Il a ainsi dévoilé le fond de sa pensée et son positionnement. Il considère que l’État de Palestine ne verra le jour qu’à l’issue d’un processus de paix. Un État de Palestine qui devait déjà exister en vertu des accords d’Oslo signés en 1993. Ceux-ci prévoyaient la reconnaissance d’Israël par l’OLP, la création d’une Autorité palestinienne à Gaza et sur une partie de la Cisjordanie, ainsi qu’une période de transition de cinq ans devant conduire à un État palestinien indépendant. Cela fait donc plus de vingt-cinq ans, depuis 1998, un quart de siècle, que cet État aurait dû exister (et même, depuis 1947, si l’on se réfère au partage de la Palestine mandataire par l’ONU).

Une décision reportée jusqu’à quand ?

« Cela fait maintenant plus de trente ans que les Palestiniens attendent, insiste Dominique Vidal, journaliste et spécialiste du Moyen-Orient. Si, aujourd’hui, le moment n’est pas venu, alors quand ? Faut-il attendre qu’Israël ait complètement ravagé la bande de Gaza et la Cisjordanie pour reconnaître l’État de Palestine ? À ce moment-là, on nous dira qu’il n’y a plus de partenaires palestiniens. Alors que le problème, depuis 2000, est qu’il n’y a plus de partenaires israéliens. Je trouve cette façon, de la part d’Emmanuel Macron, de renvoyer la balle dans le camp palestinien, tout à fait incorrecte. »

Interrogé par le quotidien USA Today, Marc Weller, juriste et professeur de droit international et d’études constitutionnelles à l’université de Cambridge, relève que « les États qui reconnaissent la Palestine disent qu’ils vont changer son statut pour passer d’une entité qui n’est pas encore un État à un véritable État ». Selon lui, les annonces récentes de l’Espagne, de l’Irlande et de la Norvège « sont délibérément formulées pour s’opposer aux affirmations de Netanyahou selon lesquelles il ne peut y avoir de solution à deux États. C’est en fait un outil politique puissant pour aider à isoler le déni d’Israël sur l’État palestinien ».

Des dissensions dans le camp présidentiel

Emmanuel Macron est donc face à ses propres contradictions. Même Jean-Yves Le Drian, son ex-chef de la diplomatie et actuel envoyé spécial personnel au Liban, qui pilote le comité de soutien de Valérie Hayer, la candidate de Renaissance aux européennes, considère que ce geste diplomatique est devenu « indispensable si l’on veut maintenir en vie la solution à deux États ».

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, rappelle ici qu’« un génocide perpétré par le gouvernement de Benyamin Netanyahou est en cours contre le peuple palestinien » et que « tous les discours qui visent à réduire le peuple palestinien au Hamas ou le peuple israélien au gouvernement de Benyamin Netanyahou sont des discours qui ne conduiront pas à la paix entre ces deux peuples ». Reconnaître immédiatement un État de Palestine, c’est aider à construire une paix juste et durable. Cet État de Palestine est la base du processus de paix, pas son aboutissement.


 

   mise en ligne le 28 mai 2024

Européennes 2024 : « Monsieur Bardella, vous êtes un faussaire
de la question sociale 
»

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Huit des principales têtes de liste aux élections européennes ont débattu lundi 27 mai au soir sur BFMTV. Le candidat du Rassemblement national Jordan Bardella a tenté de se présenter en défenseur des classes populaires mais a été ramené à la réalité des votes de l’extrême droite par le communiste Léon Deffontaines et l’insoumise Manon Aubry.


 

« À l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat, d’augmenter les salaires, vos députés ont voté contre », a recadré Léon Deffontaines face au candidat d'extrême droite.

À moins de deux semaines des élections européennes du 9 juin, les huit principales têtes de liste ont débattu lundi 27 mai sur BFMTV. Parmi les thèmes abordés, l’écologie, la défense européenne, l’immigration mais aussi le pouvoir d’achat. Sur ce terrain, le candidat du Rassemblement national a tenté de jouer la carte sociale face à la Macronie. Une victoire de Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, signifierait une « réforme de l’assurance-chômage, augmentation des prix du gaz, désindexation des pensions de retraite sur l’inflation, fin des moteurs thermiques à l’horizon 2035 », a-t-il notamment lancé. Mais, tout au long du débat, il a trouvé du répondant.

« Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces »

« Systématiquement, à l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, d’augmenter les salaires, monsieur Bardella, la main dans la main avec Emmanuel Macron, vos députés ont voté contre », a rappelé la tête de liste communiste Léon Deffontaines. « La réalité, c’est que vous êtes un faussaire de la question sociale », a-t-il embrayé rappelant que, de son côté, il « souhaite que chaque Français puisse acheter un poulet fermier, mais si on veut leur permettre d’acheter un poulet fermier français, eh bien faut que les Français vivent mieux. Et donc ça pose la question de l’indexation des salaires sur l’inflation ».

Quant au niveau de vie des retraités dont fait mine de se préoccuper le candidat d’extrême droite : « Votre projet politique, c’est d’exonérer davantage de cotisations sociales. Moins de cotisations sociales, ça veut dire plus de sécurité sociale, donc plus de droit à la retraite, plus d’assurance maladie. Ça veut dire que c’est le système à l’américaine. Ce que nous ne dépensons dans les cotisations sociales, ce sera multiplié par deux ou trois », a déroulé Léon Deffontaines, face à un Jordan Bardella lançant : « Mais de quoi vous parlez ? » En l’occurrence, de la proposition du RN, défendu notamment lors de la dernière présidentielle, qui consiste à aller piocher dans le salaire brut pour augmenter le net.

Et s’adressant aux potentiels électeurs du RN : « À celles et ceux qui par désespoir de cause pensent voter contre Macron en votant Jordan Bardella : on est déjà en train d’essayer, c’est la même politique économique. Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces qui vous font les poches, voilà la réalité de l’extrême droite », a lancé le candidat communiste.

« Un Emmanuel Macron de rechange »

Terrain glissant également sur le prix de l’électricité pour le patron du Rassemblement national, qui a expliqué vouloir faire « le choix de sortir des règles de tarification des prix au niveau européen [afin que] la France bénéficie d’un prix français de l’électricité » et refuser « le principe qui consiste à permettre à l’Allemagne de décider du montant de l’électricité et du montant des factures pour les familles françaises et pour nos entreprises ». Et ce, alors qu’au Parlement européen, il a « refusé de s’opposer » au marché européen de l’électricité, lui a fait remarquer la tête de liste insoumise Manon Aubry qui l’avait d’ailleurs interpellé sur le sujet.

« Vous prétendez souvent défendre les Françaises et les Français, mais la réalité monsieur Bardella c’est que quand il s’agit de voter sur l’ISF, sur l’augmentation du salaire minimum, sur la réduction des écarts de salaire au sein des entreprises, vous votez systématiquement contre, aux côtés d’ailleurs des macronistes. Avec vous, les grandes fortunes et les plus riches ont en quelque sorte trouvé un Emmanuel Macron de rechange » a-t-elle lancé, avant d’interpeller le candidat d’extrême droite : « Dites aux Françaises et aux Français ce que vous avez voté sur le marché européen de l’électricité ? » Sans succès.

Jordan Bardella a aussi tenté l’invective, en appelant « Staline » le candidat communiste : « L’héritage de mon parti en France, c’est Manouchian au Panthéon, et vous, c’est Pétain à l’île d’Yeu. À chaque fois que l’on parle des travailleurs, à chaque fois que je m’exprime, vous êtes mal à l’aise », a répliqué Léon Deffontaines.


 

   mise en ligne le 26 mai 2024

Montpellier : 500 personnes manifestent pour la Palestine malgré l’interdiction d’un premier rassemblement

sur https://lepoing.net/

Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 25 mai en soutien au peuple palestinien, malgré la confusion apportée par l’interdiction d’un premier rassemblement plus tôt dans la journée.

C’est encore sur les marches de l’Opéra Comédie que des centaines de personnes se sont retrouvées en fin de journée ce samedi 25 mai, pour manifester leur solidarité avec le peuple palestinien. Les prises de parole ont débuté à l’arrivée sur la Comédie des membres du groupe « Wheels of Justice », partis de la fac de sciences. Deux personnes se sont relayées pour expliquer la démarche du groupe : « Nous avons choisi le vélo pour symboliser le fait que la roue de la justice doit se remettre à tourner. Et en soutien aux Gaza Sunbirds, une équipe de paracyclistes qui ont réalisé l’exploit de venir jusqu’à Paris en vélo. Nous organiserons prochainement de nouvelles déambulations à vélo, auxquelles tout le monde peut participer, il suffit d’un vélo, d’un keffieh et d’un drapeau palestinien. » Le groupe a un compte Instagram sur lequel on peut se tenir informés de leurs actions, ici.

Des militant.es du groupe Boycott Désinvestisssements Sanctions de l’Hérault (BDS 34) ont ensuite pris la parole : « La Cour Internationale de Justice a ordonné vendredi 24 mai l’arrêt des bombardements et des actions militaires sur Rafah. Malgré ça l’armée israélienne continue ses exactions, avec des dizaines de morts chaque jour. Mais les mobilisations dans le monde, bien que plus fortes dans les pays du Sud global qu’en Occident, portent leurs fruits. L’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont récemment reconnu l’existence d’un État palestinien. »

Avant de revenir sur l’interdiction d’un premier rassemblement montpelliérain prévu sur la Comédie toute la journée : « La préfecture a émis un arrêté d’interdiction de notre occupation de la Comédie, sans que la manifestation de ce soir soit elle empêchée. Ce qui explique certainement que nous soyons moins nombreux aujourd’hui à cause de la confusion provoquée. Ce matin la police nationale est passée plusieurs fois pour chercher à disperser notre rassemblement sur la Comédie. La troisième fois ils sont venus avec l’arrêté dans les mains, et en nous menaçant de poursuites pénales. Nous avons donc décidé de démonter le barnum. »

L’ Association France Palestine Solidarité (AFPS) a ensuite fait une intervention pour dénoncer les entraves à la liberté d’expression sur la question palestinienne : « Sur Montpellier il y eu des interdictions de banderoles, de conférences, de manifestations et de rassemblements, sur des prétextes fallacieux comme des risques de troubles à l’ordre public, alors qu’aucune mobilisation pour la Palestine à Montpellier n’a suscité le moindre désordre. » José Luis Moraguès, militant de BDS 34, passera d’ailleurs en procès pour diffamation après une plainte déposée par le sénateur PS Hussein Bourgi pour la diffusion de cette affiche. Ce sera le jeudi 6 juin, un rassemblement solidaire est déjà prévu à 13h30 devant le Tribunal Judiciaire, place Pierre Flotte.

L’AFPS a ensuite continué en parlant de la situation en Cisjordanie : « L’insupportable massacre en cours à Gaza masque la situation en Cisjordanie. Israël profite que tous les yeux soient rivés sur Gaza pour poursuivre sa politique de colonisation en Cisjordanie. Des bâtiments sont incendiés, plusieurs centaines de palestiniens de Cisjordanie ont été tués. Des avant-postes sont mis en place pour voler les terres aux palestiniens. Nous demandons l’arrêt de la colonisation de la Cisjordanie, l’arrêt du blocus à Gaza, un cessez le feu immédiat, des sanctions contre Israël, l’arrêt des livraisons d’armes, l’arrêt du génocide à Gaza. »

La manifestation, forte d’environ 500 personnes, a ensuite démarré en direction de la gare Saint-Roch. Un arrêt a été marqué devant le Mac Donald’s, pour appeler au boycott de la chaîne de fast food accusée d’avoir des restaurants dans les territoires occupés et d’envoyer de la nourriture aux soldats israéliens. Le défilé a ensuite rejoint Plan Cabanes par les boulevards du Jeu de Paume et Gambetta, avant de remonter sur le Peyrou et de rejoindre la Comédie via la préfecture et la rue de la loge.

Prochain rendez-vous : les 24h des quartiers populaires contre le génocide. Dès le matin du vendredi 31 mai, des militants sillonneront les Zones Libres d’Apartheid Israélien (ZLAI, des zones où de nombreux commerçants ont choisi le boycott) de la Paillade. Le soir un grand meeting aura lieu sur le Grand Mail à 18h, en présence de militants palestiniens, de militants de Marseille, et du groupe de juifs antisionistes Tsedek. Le lendemain un tournoi de foot pour les enfants aura lieu, puis une manifestation s’élancera à 16h des Hauts de Massanne pour traverser La Paillade en défilant dans le plus de rues possible. De plus amples informations seront disponibles prochainement.


 

   mise en ligne le 24 mai 2024

Débrayage à Teleperformance, entreprise du CAC 40
championne de l’écart salarial

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Une journée de grève et de mobilisation a été lancée par Sud PTT ce jeudi, jour de l’assemblée générale de Teleperformance, leader mondial des centres d’appel, dont le siège se trouve en France. Le syndicat dénonce des négociations salariales au point mort, alors que l’écart salarial à Teleperformance est tel que le PDG y gagne 1 400 fois plus que les employés, selon l’ONG Oxfam.

Ce jeudi, à l’entrée de l’assemblée générale de Teleperformance, la direction et les actionnaires ne seront pas tout à fait tranquilles. Le syndicat Sud PTT a lancé un appel à la manifestation sur les lieux, dans le cadre d’une journée de grève des employés du leader mondial des centres d’appel.

Pas de quoi assombrir non plus la journée de ces actionnaires : le groupe, membre du CAC 40, se félicitait fin avril d’une croissance de +26,7%. Pas moins de 244 millions d’euros leur seront donc reversés cette année sous forme de dividendes, expose un communiqué de Solidaires et Sud PTT.

Malgré ces résultats florissants, la direction a en revanche informé les organisations syndicales « qu’elle ne souhaite pas d’augmentation des salaires », épingle Sud PTT. Les NAO (négociations annuelles obligatoires) sont en cours dans l’entreprise depuis le 26 mars. Or, cette année, leur budget a été divisé par trois, « passant d’un million d’euros à 350 000 euros », précise Issam Baouafi, délégué syndical central Sud à Teleperformance.

« La direction nous a bien fait savoir qu’elle ne ferait pas beaucoup d’efforts pour nos salaires cette année », abonde encore Issam Baouafi, plus de vingt ans d’expérience dans l’entreprise au compteur. « Pour nous c’est impensable, au regard de l’inflation et des petits salaires dans l’entreprise ».

Record de l’écart salarial chez Teleperformance : le PDG gagne 1453 fois plus que les employés

 Le salaire moyen mensuel chez Teleperformance est en effet inférieur à 1200 euros. Le PDG Daniel Julien, lui, gagne 19 millions d’euros par an. Soit 1453 fois plus que les salariés, d’après une étude d’Oxfam parue fin avril. Teleperformance remporte ainsi le titre de l’entreprise du CAC40 championne de l’écart salarial, selon l’ONG. Et « de loin ».

Contactée par l’AFP, Teleperformance s’est défendue en dénigrant un calcul « purement théorique et non réel » de la part de l’ONG, dans la mesure où la rémunération du PDG inclut des « actions de performance » dépendant des objectifs réalisés et du cours de la Bourse – où le groupe voit sa cote baisser.

En moyenne, les patrons du CAC 40 ont gagné 130 fois plus que le salaire moyen dans leurs entreprises en 2022, synthétise Oxfam. Cet écart salarial a augmenté d’environ 17 % depuis 2019. « Il est urgent de lutter contre cette injustice salariale et de mobiliser les salarié·e·s pour des conditions plus équitables », insiste Sud PTT dans son communiqué.

La séance de NAO lors de laquelle la direction de Teleperformance devait donner sa position finale aurait dû avoir lieu hier, mercredi. Elle a finalement été reportée au 6 juin.

En 2022, les syndicats avaient obtenu 80 euros d’augmentation des salaires. En 2023, les syndicats étaient plus divisés – contrairement à d’autres, Sud PTT n’avait pas signé : « il y avait trop de différenciation dans les augmentations », explique Issam Baouafi. « Certains avaient obtenu 25 euros, d’autres 120, d’autres rien du tout . Cette année, son syndicat exige 100 euros d’augmentation. « Pour tout le monde », insiste-t-il.

 Des débrayages depuis le début de l’année

Mi-mars et fin janvier, les téléconseillers des centres d’appel français, notamment chez Teleperformacnce, avaient débrayé à l’appel d’une intersyndicale (CFDT, CFTC CGC, FO, CGT Sud-Solidaires). À l’issue de la grève de janvier, les employeurs de la branche avaient proposé « près de 2% d’augmentation, pour remonter juste au-dessus du SMIC les plus bas salaires », nous racontait Frédéric Madelin, négociateur de branche P2ST (prestataires de services du secteur tertiaire) pour Sud PTT.

Pas de quoi rattraper le décrochage : depuis 2005, les salariés du secteur ont perdu « entre 60 et 300 euros mensuels », par comparaison avec l’évolution du SMIC, estime le syndicaliste. « Il nous faut la mise en place d’une grille suffisante pour les prochaines augmentations du SMIC, pour faire face à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie… On ne demande pas juste à être au SMIC : on demande un vrai salaire ».

La journée de mars, ensuite, a pris une dimension internationale, avec de fortes mobilisations en Grèce. Les grévistes de Teleperformance, comme de Concentrix – autre acteur majeur du secteur – y avaient obtenu, sur les sites les plus mobilisés, l’ouverture de négociations sur des revalorisations salariales.


 

   mise en ligne le 22 mai 2024

Sur les barrages à Nouméa : « Ils sont venus nous flinguer comme des chiens »

Johanna Tein sur www.humanite.fr

Pour le gouvernement français et les partisans de l’ordre colonial, la jeunesse kanak n’existe pas, sauf en tant qu’émeutiers radicalisés à mater. Mais sur les barrages, celle-ci raconte ouvertement ses espoirs, ses peurs et sa colère brute et pourquoi sa lutte, qui a embrasé le pays, s’inscrit dans les pas des « anciens ».

Nouméa (Kanaky-Nouvelle-Calédonie), correspondance particulière.

Sur la presqu’île de Nou, là où fût implanté le bagne de la Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle, un groupe de jeunes hommes ont érigé un barrage. Ils bloquent la seule voie qui mène à plusieurs infrastructures importantes du pays : deux hôpitaux, l’université de la Nouvelle-Calédonie et sa cité universitaire, où sont logés de jeunes étudiants venant de tout l’archipel.

À dix mètres de cette barricade, de jeunes Kanak stoppent les personnes et les voitures. Un homme vient à notre rencontre, salue avec gentillesse. Il n’a pas d’arme et s’appelle Phil, originaire de l’île de Lifou : « Vous pouvez passer, le barrage est simplement filtrant. » Plusieurs véhicules circulent sans encombre : ambulances, médecins, familles avec enfants, habitants du quartier. On se salue, on échange un mot. Certains passagers s’arrêtent pour distribuer des boissons ou de quoi manger.

Phil est le plus âgé du groupe : à ce titre, c’est lui qui fait office de porte-parole. Il tient à exposer les raisons de l’engagement de ces militants. « On est là pour dire non au dégel du corps électoral. C’est un acquis de nos papas, quand ils ont fait la première lutte dans les années 1980, avec le FLNKS. On a compris, on se lève aujourd’hui pour dire que le dégel du corps électoral, cela veut dire noyer la revendication kanak dans ce pays. Et nous, on ne voudra jamais ça. »

La tension reste palpable sur le caillou

Fatigués, tous barbouillés du noir de la fumée, ils ressemblent à leurs ancêtres guerriers qui autrefois s’enduisaient de noix de bancoule avant d’aller au combat. Peu après, Phil exhorte : « Mettez-vous à l’abri, avancez votre voiture vers le barrage, à côté des jeunes, là ! » dit-il, désignant des militants de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), une émanation de plusieurs mouvements indépendantistes qui organise la contestation depuis plus de six mois. L’un des jeunes exprime sa colère en lançant des cailloux sur une carcasse de voiture calcinée.

La tension demeure extrêmement vive. L’un des membres du groupe, Louis *, prend la parole : « Une demi-heure avant votre arrivée sur le barrage, on a été la cible d’individus armés dont on ne connaît pas l’identité. Je tiens à dire qu’une milice existe. Elle semble travailler en parallèle avec la police. On ne sait pas s’ils sont avec elle ou pas mais, à chaque fois, ils se suivent. » Des hommes armés étaient à bord d’un 4×4 et leur ont tiré dessus. « Ils sont venus nous flinguer comme des chiens. Mais il n’y a pas de morts, ni de blessés. » Phil, qui se dit chrétien et kanak, remercie « Dieu et les esprits de l’endroit de les avoir épargnés ».

Depuis le 13 mai, plusieurs jeunes ont été tués, trois officiellement, mais d’autres sont portés disparus. À ce jour, personne ne connaît le nombre exact de blessés et de morts. Pour l’heure, le bilan fait état d’au moins un décès à la Vallée du Tir, et de deux autres à Ducos : une jeune fille de 17 ans et un homme de 36 ans, originaires de Canala, sur la côte est du pays.

C’est pour ces raisons que le groupe se dit farouchement opposé à l’entrée des forces de police à Nouville et craint que les renforts de métropole ne soient pas là « pour protéger les habitants des exactions de la milice” ». L’évocation de ces « milices européennes » n’est pas nouvelle dans l’histoire : dans les années 1980, elles agissaient souvent impunément, comme lors de l’assassinat de Pierre Declercq, alors secrétaire général de l’Union calédonienne, tué le 19 septembre 1981, dans sa propre maison. Ses assassins n’ont jamais été arrêtés.

Les jeunes que l’on voit sur ces barrages sont issus essentiellement des quartiers populaires du Grand Nouméa, comme Tuband, Magenta, Nouville, Koutio. Des zones où les forces de police sont intervenues en priorité et de manière musclée depuis les premiers heurts et le meurtre du jeune Djibril, 20 ans, originaire de l’île de Maré et abattu par un homme en civil, le 15 mai. Au total, on dénombre plus de 300 arrestations.

Dans les quartiers aisés de Nouméa, notamment ceux du sud, il ne fait pas bon être kanak ou océanien. Les accès sont fermés, même pour aller faire des courses. Pourtant, à la plage de l’Anse Vata, cœur du littoral touristique, les terrasses et la plage sont ouverts, comme si le temps s’était arrêté, comme si, sur cette terre, les uns et les autres ne vivaient pas dans le même monde.

L’histoire des luttes kanak profondément ancrée dans la mémoire des kanak

Pour tous ces jeunes Kanak, la question reste celle de la dignité de leur peuple. N’ont-ils pas le droit de rêver une vie meilleure, pour leur propre société, non soumise à la rentabilité, non rythmée par le temps de la montre et de la façon de vivre des Occidentaux ? Comme le disait Jean-Marie Tjibaou, ancien leader du FLNKS assassiné en 1989 : « Il est difficile de suivre celui qui cherche sa route. »

Retour à Nouville, où Phil et ses camarades saluent la mémoire des leaders indépendantistes abattus par le GIGN, « comme Éloi Machoro et Marcel Nonnaro », en 1985. Mais aussi des dix de Hienghéne, dont deux frères de Jean-Marie Tjibaou, assassinés par des opposants loyalistes qui furent acquittés. Enfin, de ceux de la célèbre grotte de Gossanah à Ouvéa en 1988, dont Wenceslas Lavelua et ses compatriotes, abattus également lors de cette opération militaire nommée « Victor ». Cette histoire est ancrée profondément, celle d’une guerre civile qui leur a permis d’enfin exister et d’être reconnus pleinement légitimes sur cette terre désormais nommée « Kanaky », le mot d’ordre brandi sur les barrages.

Ces jeunes ont aussi en mémoire la longue histoire de la résistance à la domination française, depuis la prise de possession de l’archipel en 1853, et les maintes « révoltes » et « situations insurrectionnelles » brutalement réprimées. « Depuis le 24 septembre 1853, lorsqu’ils ont levé le drapeau à Mahamate (aujourd’hui Pouébo, dans le nord de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie – NDLR), il y a eu des morts. »

Loin de l’image de jeunes émeutiers incontrôlables, le leader du petit groupe précise : « Aujourd’hui, le 20 mai 2024, à 13 h 22, cela fait une semaine que nous sommes là. Il y a des jeunes qui ont été tués, mais nous, nous n’avons pas d’armes. C’est un barrage pacifique. Ici, à Nouville, on a deux hôpitaux et l’université : on ne peut pas bloquer complètement la route », finit-il, solennel.

« Résister, ce n’est pas mourir »

Pour ces militants, la partialité de l’État français les a motivés à organiser une résistance pacifique avec la CCAT. « C’est pour faire entendre nos voix et nos rêves pour notre pays et nos enfants que nous sommes là. » Depuis la mobilisation massive du samedi 13 avril 2024 sur la place de la Paix, la CCAT a coordonné des nombreux regroupements, à chaque fois sans heurts, afin de montrer au peuple de France que le peuple kanak réclame justice et équité.

Près du barrage, Raphaël (*) engage le dialogue : « Aujourd’hui, c’est toujours la même chose : ils lèvent le drapeau français mais il y a des morts de l’autre côté. On fait de la résistance, mais résister, ce n’est pas mourir. Nous, on se bat pour notre dignité, sans armes à feu, comme nos anciens faisaient. On accompagne un gouvernement légitime, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie – Kanaky. »

Avant de partir, le petit groupe tient à faire passer un message, comme un manifeste de sa lutte. « On demande à tout le monde d’avoir un œil bienveillant pour le combat des enfants de Kanaky, le nom de ce pays. Kanaky ne veut pas dire qu’on va exterminer tout le monde et qu’il y aura une seule race. Non ! On demande la nationalité kanak ou la nationalité calédonienne, mais il ne faut pas faire passer le dégel avant la nationalité. Kanaky vaincra ! »

Comme un lointain écho à la pensée de Jean-Marie Tjibaou, retranscrite dans son livre, la Présence kanak, publié en 1996 chez Odile Jacob : « Pour nous, il y a ici un peuple indigène, c’est le peuple kanak. Nous voulons d’abord la reconnaissance de ce peuple et son droit à revendiquer l’indépendance de son pays. Ce n’est pas plus raciste que de parler de citoyenneté française. »

* Le prénom a été modifié


 

   mise en ligne le 20 mai 2024

Johann Soufi : « C’est officiel,
Benjamin Netanyahou
est un criminel de guerre »

Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr

Spécialiste du droit international, l‘avocat Johann Soufi analyse, pour l‘Humanité, la démarche du procureur de la CPI, Karim Khan.


 

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) vient de demander à la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d‘arrêt contre Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense ainsi que trois responsables du Hamas. Sa démarche vous a-t-elle surpris ?

Johann Soufi : On savait depuis plusieurs semaines, grâce à des fuites, que le procureur examinait la possibilité de tels mandats d‘arrêt. Mais on ignorait où il en était. En faisant cette annonce publiquement, Karim Khan neutralise les pressions qui, depuis le début, pèsent sur cette procédure. Cette annonce met fin à une pratique qui, jusqu’à présent, consistait à attendre que les mandats d‘arrêt soient émis pour communiquer.

Et sur le fond ?

Johann Soufi : On parle d‘extermination, de crimes contre l‘humanité, de persécutions, d‘actes inhumains. On accuse les dirigeants israéliens d‘affamer délibérément des civils. Les qualifications retenues sont extrêmement larges, on est à la limite du génocide.

Karim Khan a tenu à préciser que, pour forger sa décision, il avait procédé à une analyse globale et consulté les plus éminents juristes – parmi lesquels Amal Clooney ou Theodor Meron. La communauté internationale est donc avertie. Il reviendra aux juges de la Chambre préliminaire, à présent, d’examiner plus précisément sa requête.

Quelle est leur marge de manœuvre ?

Johann Soufi : Ces trois juges, qui se prononcent chacun en leur nom propre, ne refont pas l’enquête. Ils étudient la requête du procureur – probablement des centaines de pages – et vérifient si les preuves rapportées correspondent aux qualificatifs retenus. Cela peut prendre un ou deux mois, mais pas davantage. Le cas échéant, les magistrats peuvent écarter des accusations ou procéder à des requalifications.

En 2009, la Chambre préliminaire a ainsi accepté de délivrer un mandat d’arrêt pour « crimes conte l’humanité » et « crimes de guerre » à l’encontre du président du Soudan Omar el-Béchir, mais a refusé de le poursuivre pour « génocide », comme le souhaitait le procureur. Il y a donc une certaine marge de manœuvre mais, de mémoire, jamais une Chambre préliminaire n’a refusé de délivrer un mandat d’arrêt que lui réclamait le procureur.

Quelles seront les conséquences de ces mandats d’arrêt ?

Johann Soufi : Pour les intéressés, d’abord : même s’ils ne sont pas arrêtés immédiatement, même s’il ne faut pas espérer un procès avant longtemps, leur avenir politique est désormais bloqué. Regardez Vladimir Poutine : il a pu aller en Chine, certes, mais il ne s’est pas rendu à l’assemblée générale de l’ONU, il ne voyage pas en Europe, il n’a pas participé à la réunion des Brics à Johannesburg, il ne sera pas présent aux cérémonies du 6 juin en France. Trop risqué.

Car lorsqu’un mandat d’arrêt est délivré par la CPI, les États parties ne doivent pas se contenter d’être passifs, ils doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’il soit exécuté. Il y a une obligation d’agir. Cela passe par des pressions politiques, par des sanctions économiques. Le but, c’est que le criminel soit arrêté et jugé.

Une fois délivré, un mandat d’arrêt peut-il être levé ?

Johann Soufi : Non. Les faits ont été commis, ils doivent être jugés. Il y a cependant deux hypothèses dans lesquelles un mandat d’arrêt peut prendre fin. La première, c’est que la personne visée décède. La deuxième, c’est qu’elle puisse prouver qu’elle a fait l’objet, pour les faits qui lui sont reprochés, d’un procès juste, équitable et impartial.

Je doute que Benjamin Netanyahou soit jamais jugé, en Israël, pour les faits dont il est aujourd’hui accusé. Il faudra donc, comme les quatre autres responsables visés par la requête, qu’il soit un jour traduit devant la Cour pénale internationale.

Comment les États-Unis vont-ils réagir ?

Johann Soufi : Les États-Unis ne sont pas membres de la CPI, ils ne sont donc pas tenus de mettre à exécution les mandats qu’elle délivre. Mais ça devient très compliqué, pour Joe Biden, de figurer sur la même photo que Benjamin Netanyahou. Aux yeux de la communauté internationale, c’est officiel, il est un criminel de guerre.

Parallèlement à ces poursuites, qui visent des personnes physiques, l’État d’Israël est aussi mis en cause devant la Cour internationale de justice (CIJ). Ces deux procédures s’articulent-elles ?

Johann Soufi : Non. Ces instances et ces procédures sont totalement indépendantes les unes des autres. Mais réclamer l’arrestation de Benjamin Netanyahou n’est pas neutre. Cela ne peut que renforcer l’analyse, déjà faite par les juges de la CIJ, d’une volonté génocidaire d’Israël à l’égard du peuple palestinien.


 

   mise en ligne le 19 mai 2024

Derrière la « nouveauté » Glucksmann,
le vieux PS en embuscade

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Loin du renouveau de la social-démocratie écologique qu’ambitionne de porter l’essayiste de Place Publique, bon nombre de candidats éligibles sur la liste socialiste sont de purs apparatchiks. Parmi eux : un aficionado de CNews, une défenseuse de l’A69 ou une macrono-compatible.

Attention, un candidat peut en cacher d’autres. Déjà critiquée en interne pour son manque de représentativité sociale, la liste emmenée par Raphaël Glucksmann (Place Publique) aux européennes, officiellement publiée ce samedi par le ministère de l’intérieur, en dit long sur les contradictions idéologiques au sein du parti à la rose, qui tente d’afficher, depuis quelques années, une rupture claire avec les années Hollande.

Bon nombre de place éligibles (une quinzaine) ont ainsi été confiées à des profils bien loin de la promesse de renouvellement incarnée par l’eurodéputé sortant. La faute aux « affres de la démocratie », plaide-t-on chez les proches d’Olivier Faure, où l’on rappelle que la liste a été constituée selon les règles de l’art solférinien. Autrement dit, en fonction du résultat récolté par chaque texte d’orientation lors du dernier congrès de Marseille, où le premier secrétaire est arrivé dans un mouchoir de poche avec son opposant interne, Nicolas Mayer-Rossignol, dont la candidature coagulait trois pourfendeuses de l’alliance avec les Insoumis : la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy, la maire de Paris Anne Hidalgo et Carole Delga.

C’est ainsi grâce à son « poids » dans l’appareil que la présidente du conseil régional d’Occitanie a imposé, à la 12e place, Claire Fita, sa vice-présidente à la culture à la région. Fille d’un maire PS local, biberonnée à la « gauche cassoulet » en vigueur dans le Sud-Ouest, cette ancienne vallsiste défend avec le même acharnement que son mentor la construction de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

Un projet contesté par l’ensemble des écologistes mais aussi par… Olivier Faure (il s’en expliquait ici) et Raphaël Glucskmann qui, récemment interrogé sur ce point par Reporterre, a voulu rassurer ses futurs électeurs : « L’A69 n’est pas un projet européen. [...] De toute façon, lorsque des partis forment une alliance, ça ne signifie pas pour autant qu’ils partagent les mêmes positions sur l’ensemble des projets menés à l’échelle locale. Ces désaccords n’influencent en rien le programme que nous comptons porter au Parlement européen avec le Parti socialiste. »

Après une âpre bataille interne, Anne Hidalgo a quant à elle réussi à hisser son mari, Jean-Marc Germain, à la 7e place, lui assurant de fait une élection dans un fauteuil. Relativement discret, ce polytechnicien n’en est pas moins un pur apparatchik du PS, où il est entré il y a une trentaine d’années pour y réaliser une carrière à l’ombre de Martine Aubry, puis de sa propre épouse, qu’il a conseillée avec l’insuccès que l’on sait lors de sa désastreuse campagne présidentielle.

Ancien « frondeur » sous l’ère Hollande, lors de laquelle il a été le rapporteur du contesté accord national interprofessionnel (ANI) flexibilisant le marché du travail – « un bon accord de sécu-sécurité » (sic) dira-t-il à l’époque dans une formule à tout le moins sibylline –, il tentera d’ailleurs sa chance, en vain, pour intégrer le gouvernement de Manuel Valls.

François Kalfon, le « sniper » de CNews

Mais c’est sans conteste la candidature de François Kalfon, devenu en quelques semaines la tête de Turc des concurrents insoumis sur les réseaux sociaux, qui semble le plus dépareiller avec le « style » politique d’une Aurore Lalucq ou d’un Raphaël Glucksmann.

Résolument opposé à la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) – comment s’associer à un parti ayant dans ses rangs Taha Bouhafs ?, avait-il argué au moment de la conclusion de l’accord –, cet ex-chevènementiste a écumé, comme collaborateur, les cabinets ministériels et municipaux, passant par à peu près tout ce que la rue de Solférino comptait de chapelles.

Cofondateur du courant « Gauche populaire » avec, entre autres, le fondateur du Printemps républicain Laurent Bouvet, puis membre du premier cercle de Dominique Strauss-Kahn pour la présidentielle de 2012, François Kalfon, qui fut le conjoint de la communicante d’EuroRSCG Anne Hommel, réalisera par la suite un virage sur l’aile en se faisant nommer directeur de campagne d’Arnaud Montebourg en 2016. En 2018, il rejoint la motion « arc-en-ciel » de Luc Carvounas au congrès d’Aubervilliers après avoir soutenu Benoît Hamon à la présidentielle.

Accumulant les échecs électoraux, comme sa défaite aux municipales à Melun (Seine-et-Marne) en 2014, il ne parviendra jamais à être élu sur son nom, obtenant, par les bonnes grâces de Claude Bartolone, une place tout en haut de la liste aux régionales de 2015 en Île-de-France. Lors de la campagne du printemps 2021, il est pourtant sèchement rayé de la liste d’union de la gauche par Olivier Faure – qu’il exècre, et réciproquement –, qui lui préfère un... camarade du PRG (Parti radical de gauche).

À défaut de s’imposer par les urnes dans le jeu politique, l’ancien « monsieur opinion » du PS a su faire fructifier son capital médiatique. Celui qui a longtemps eu son rond de serviette sur CNews – il jure à Mediapart n’avoir « jamais touché un euro » pour ses prestations – est rapidement devenu le bon client « toutologue » sur les plateaux télé, devisant, jusqu’à très récemment, avec Eugénie Bastié ou Mathieu Bock-Cotté sur « l’écoterrorisme » ou la « récession sexuelle ».

Désormais prié par Raphaël Glucksmann de déserter les chaînes de l’empire Bolloré, il n’aime pourtant rien tant que sortir le Kärcher contre un Jean-Luc Mélenchon qualifié tantôt de « criminel », tantôt de « tyran d’extrême gauche », pourfendre les « dingos wokistes », déplorer la « police des mœurs » instaurée, selon lui, par le « néoféminisme », ou dézinguer l’écologie « dogmatique » et ses représentants – à l’instar de Greta Thunberg, qui lui fait dire « qu’on a loupé quelque chose dans notre éducation ».

Un CV qui fait s’interroger beaucoup de monde, même au PS : comment François Kalfon a-t-il réussi à se voir proposer sur un plateau d’argent un siège en or au Parlement européen ? En réalité, le meilleur ennemi du premier secrétaire n’en serait-il pas arrivé là sans Philippe Doucet, avec lequel il a mené la fronde contre Olivier Faure derrière la hollandaise Hélène Geoffroy. Condamné mi-décembre 2023 à deux ans d’inéligibilité pour une histoire de marchés truqués, l’ancien maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) a bien été obligé de céder sa place, pour le plus grand bonheur de son acolyte.

Ce dernier n’a pourtant jamais caché qu’il ne portait pas spécialement Raphaël Glucksmann dans son cœur, estimant, comme d’autres éléphants du parti, que sa première candidature aux européennes 2019 incarnait « l’effacement » du PS. Mais depuis, le vent a tourné à mesure que grimpait la courbe des intentions de votes : « Raphaël Glucksmann a pris une densité très forte », jure aujourd’hui François Kalfon, qui estime que « si on est de gauche et un peu écolo, cette candidature “attrape-tout”, au bon sens du terme, [leur] permettra de battre Valérie Hayer ».

S’il est élu le 9 mai, François Kalfon retrouvera en tout cas sur les bancs du Parlement européen sa collègue de motion et protégée d’Hélène Geoffroy Murielle Laurent. Illustre inconnue, y compris au PS, la maire de Feyzin, commune de moins de 10 000 habitants de l’agglomération lyonnaise, a elle aussi été propulsée à la 6e place à la surprise générale.

Un choix d’autant plus déroutant que l’intéressée s’est, comme l’a révélé Mediacités, plusieurs fois rapprochée de La République en marche (LREM), préférant donner son parrainage à Emmanuel Macron plutôt qu’à Benoît Hamon en 2017, ou figurant sur la liste de David Kimelfeld, dissident macroniste, lors des élections métropolitaines à Lyon en 2020.

« Son flirt avec La République en marche lui vaut d’être déférée devant la commission des conflits du Parti socialiste », qui décidera de ne pas la suspendre, raconte Mediacités, auprès de qui l’édile s’est récemment justifié : « C’est Macron qui a changé de cap politique, pas moi. Je suis socialedémocrate. Je ne regrette pas d’être restée au PS. » On ne saurait mieux dire.


 

   mise en ligne le 17 mai 2024

Guerre à Gaza : les mobilisations en soutien à la Palestine s’étendent en Europe

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 et pour demander la fin des ventes d’armes à Israël, contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Depuis début mai, des mobilisations ont lieu partout chez nos voisins européens.

Des mobilisations à Londres et à Berlin sont prévues pour commémorer la Nakba, le déplacement massif de Palestiniens en 1948 ainsi que pour demander la fin des ventes d’armes à Israël dans le cadre de la guerre contre la guerre à Gaza, samedi 18 mai. Les mobilisations s’accumulent chez nos voisins européens. Retour sur quelques-unes d’entre elles, depuis début mai.

Des occupations d’universités dans de nombreux pays d’Europe

Au Royaume-Uni, plusieurs universités britanniques ont été occupées. La première université à se mobiliser a été celle de Warwick, dans le centre de l’Angleterre. Le mouvement a ensuite gagné les villes de Newcastle, Édimbourg, Manchester, Cambridge et Oxford. En Italie, des « comités contre la guerre » organisent des occupations et des cortèges dans différentes universités comme à Milan, Naples, Turin, Bologne, Padou. En Espagne, le mouvement de protestation en soutien au peuple palestinien continue de s’étendre dans différentes villes, vendredi 17 mai.

Des réponses répressives

À Athènes, vingt-huit personnes ont été arrêtées mardi 14 mai 2024. Elles occupaient l’Université de droit d’Athènes depuis la veille, en « solidarité avec la Palestine ». Parmi ces vingt-huit personnes arrêtées, neuf d’entre elles étaient des ressortissantes étrangères. Parmi elles, trois étaient françaises. Elles sont aujourd’hui menacées d’expulsion selon nos confrères de Libération. Les personnes sont accusées de « délits de trouble à l’ordre public, de dommages aux biens de tiers et de désobéissance ».

En Suisse, après sept jours de siège, la police a évacué la cinquantaine de manifestants installés dans l’Université de Genève, lundi 13 et mardi 14 mai. À l’Université d’Amsterdam, la police néerlandaise a annoncé avoir arrêté 125 personnes, mardi 7 mai, selon l’agence de presse turque Anadolu.

Plus de 37 personnes interpellées en Allemagne, lors d’un rassemblement à l’université Humboldt de Berlin le 3 mai. Des manifestants viennois ont quant à eux tenté d’occuper le campus de l’Université. Mais la police a immédiatement évacué le campement.

Des mobilisations victorieuses

Des étudiants avaient installé des dizaines de tentes pour protester contre l’offensive israélienne à Gaza, le vendredi 3 mai au Trinity College, à Dublin, en Irlande. Cinq jours plus tard, l’Université et les manifestants ont trouvé un accord : l’Université a accepté de rompre ses liens avec « les entreprises israéliennes qui ont des activités en territoire palestinien occupé et apparaissent sur la liste noire des Nations unies à cet égard ». En Norvège, cinq universités ont aussi décidé de suspendre toutes les collaborations en cours qu’elles avaient avec des universités israéliennes, rapporte Le Monde.

Un syndicat de journalistes mène une action pendant l’Eurovision

Un syndicat de la chaîne de télévision publique belge VRT a brièvement interrompu la demi-finale de l’Eurovision, jeudi 9 mai. Le message en néerlandais affiché était le suivant : « Ceci est une action syndicale. Nous condamnons les violations des droits de l’homme commises par l’État d’Israël. De plus, l’État d’Israël détruit la liberté de la presse.

C’est pourquoi nous interrompons brièvement l’image. #CeaseFireNow StopGenocideNow ». Le syndicat ACOD-VRT, à l’origine s’est exprimé sur son compte Facebook : « Ne rien faire, se contenter de regarder, n’est plus une option ».

   mise en ligne le 15 mai 20244

Montpellier : la présidence de Paul Valéry épinglée lors d’un nouveau rassemblement pour la Palestine

sur https://lepoing.net/

Un nouveau rassemblement pour la Palestine a eu lieu à l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, alors qu’une délégation était reçue pour discuter de la résiliation d’accords avec des universités israéliennes.

Plus d’une cinquantaine de personnes se sont à nouveau rassemblé.es sur le campus de l’université Paul Valéry ce mardi 14 mai, à l’appel du Comité universitaire de soutien à la Palestine.

Après plusieurs rassemblements pour la résiliation d’accords institutionnels entre Paul Valéry et certaines universités israéliennes jugées complices du génocide en cours, les membres du comité, étudiant.es et professeurs des fac de lettres et de science, devaient être reçus ce 14 mai par la présidence de Paul Valéry.

Les manifestant.es se sont vite abrité.es d’une pluie battante sous le parvis des amphis ABC, où des prises de parole ont eu lieu. « Il est important pour nous d’imposer le boycott des universités israéliennes, qui participent en toute violation du droit international à la colonisation puisque certaines sont implantées en territoire occupé. », a introduit un étudiant du collectif.

Marc Lenormand, professeur de Paul Valéry syndiqué à Sud Éducation, a ensuite pris le relais au micro : « La semaine dernière la présidence de Paul Valéry s’est exprimée publiquement pour la toute première fois sur les mobilisations en cours pour la Palestine, malgré une motion déposée plus tôt dans l’année par le SNES-UP, via un mail. Est-ce que la présidence s’est émue de la situation actuellement catastrophique dans la bande de Gaza ? Non. Est-ce que la présidence s’est émue du rôle que jouent les universités israéliennes dans la politique menée en Palestine ? Non. La présidence s’est exprimée pour condamner la mobilisation, en accusant de manière fallacieuse le comité universitaire pour la Palestine de violences. Les messages pourtant très policés envoyés à la présidence se voient transformer en menaces. Et nos revendications concernant la résiliation des accords avec les universités israéliennes ont déjà été écartées, avant même le rendez-vous prévu aujourd’hui. Au nom des libertés académiques. Alors il faut revenir sur cette notion de libertés académiques. Dans le droit français, la liberté académique, c’est le droit pour un chercheur de mener ses recherches et ses enseignements en toute liberté. Il n’y a donc aucune contradiction entre les libertés académiques et le boycott, puisque ce sont les institutions qui sont ciblées, pas les individus. Il n’y a pas besoin de partenariat entre deux institutions pour que des chercheurs travaillent ensemble. Les accords entre institutions universitaires sont un élément de politique publique et internationale. Et c’est à ce titre que nous appuyons le boycott des institutions universitaires israéliennes, comme le demandent nos homologues palestinien.nes. Comme pour l’apartheid sud-africain c’est une manière très efficace de faire pression sur la société civile pour la désolidariser du régime. »

Une délégation de quatre personnes a ensuite été reçue par la présidence de l’université, tandis que le rassemblement se déplaçait en soutien devant l’entrée du bâtiment administratif.

Comme annoncé, la présidence a refusé de prendre en compte les revendications de boycott portées par les délégué.es du comité universitaire de soutien à la Palestine. En annonçant toutefois réfléchir à un partenariat avec l’université palestinienne de Beir Zeit.

La mobilisation universitaire va donc se poursuivre. Un nouveau rassemblement est déjà programmé ce jeudi 16 mai à 13h à Paul Valéry.

Après une occupation de 24h de la place de la Comédie et une manif dynamique le week-end dernier, une nouvelle marche est appelée par l’ensemble des organisations mobilisées sur la ville pour la Palestine, ce samedi 18 mai à 15h place de la Comédie.

Le lendemain, dimanche 19 mai, c’est le local associatif Les Bouz’arts qui accueillera au 3 avenue Saint-Lazare la journée « Art & Culture against apartheid ». Au programme, des expositions d’œuvre, un atelier débat dès 15h, des lectures de poèmes palestiniens à partir de 16h30, un concert pour 17h30 et le DJSet FourByFour & Kbira pour 20h.

   mise en ligne le 16 avril 2024

L’appel des syndicats
pour la journée internationale
des travailleurs et travailleuses

sur https://basta.media

Des syndicats de salarié·es et d’étudiants appellent à manifester le 1er mai contre les politiques d’austérité et « pour l’emploi, les salaires, les services publics, la protection sociale, les libertés et la paix ». Voici l’appel.

Le 1er mai, journée internationale des travailleurs et travailleuses, va se tenir dans un contexte marqué par les guerres terriblement meurtrières, notamment en Ukraine et en Palestine. Nos organisations réaffirment leur engagement pour une paix juste et durable dans le cadre du droit international, qui ne peut se faire aux conditions de l’agresseur.

En France, les travailleur·euses sont sous la menace d’un nouveau plan d’austérité. Pour multiplier les cadeaux aux entreprises, ce qui aggrave les inégalités sociales, le gouvernement annonce faire des milliards d’économies sur les politiques sociales et les services publics, la transition écologique ou en faisant les poches des chômeurs et chômeuses, de celles et ceux qui sont malades, ou encore en s’attaquant une nouvelle fois au Code du travail.

« Il y a urgence à augmenter les salaires et les retraites »

Loin de « désmicardiser » le pays, il poursuit sa politique au service des plus riches en distribuant de l’argent public aux entreprises privées, notamment les plus grosses, sous forme d’exonérations de cotisations sociales : plus les salaires sont bas, plus les aides publiques sont conséquentes, ce qui encourage les directions d’entreprises à maintenir des millions de salarié·es avec des fiches de paie proches du Smic. À l’image du Smic, il faut a minima indexer les salaires, pensions et le point d’indice sur les prix. Il y a urgence à augmenter les salaires et les retraites.

La précarité et la pauvreté gagnent du terrain, en particulier chez les étudiant·es : un·e sur deux travaille pour financer ses études, deux étudiant·es sur trois sautent régulièrement des repas et plus de trois étudiant·es sur dix renoncent à des soins faute d’argent. Un·e sur deux est mal logé·e. Un·e étudiant·e sur cinq ne mange pas à sa faim. Il faut augmenter les minima sociaux, les bourses d’études et réformer en urgence ce système d’aide pour que chacun·e puisse étudier dans des conditions dignes.

« Pour une Europe sociale et des peuples »

Nos organisations appellent à s’opposer aux politiques d’austérité en France comme en Europe. Alors que des profits records sont enregistrés, il faut sortir du choix délétère que l’on nous impose. Pour une Europe sociale et des peuples : ni dépendance à la finance, ni poison de l’extrême-droite, pire ennemi des travailleurs et travailleuses ! Nos organisations militent pour le renforcement de la protection sociale et s’opposent aux projets de contre-réformes qui réduisent les droits et conquis des travailleurs et travailleuses.

Elles dénoncent les attaques aux libertés collectives et individuelles, notamment contre les bourses du travail et le droit de manifester, les libertés syndicales mais aussi les entraves à la liberté d’expression, par exemple sous-couvert des lois anti-terroristes.

Le 1er mai doit aussi être le prolongement des mobilisations du 8 mars pour l’égalité réelle alors que les femmes sont moins payées et plus souvent en situation de précarité.

Nos organisations appellent les travailleuses et travailleurs, les jeunes, étudiant·es et retraité·es, à manifester partout en France le 1er mai contre l’austérité, pour l’emploi, les salaires, les services publics, la protection sociale, les libertés et la paix juste et durable dans le monde.

Signataires : CGT, FSU, Solidaires, Unef, Union étudiante, Fage, USL, MNL


 

   mise en ligne le 15 avril 2024

Européennes 2024 : la gauche débat
par meetings interposés

Cyprien Caddeo, Anthony Cortes, Florent LE DU, Diego Chauvet et Emilio Meslet sur www.humanite.fr

De jeudi soir à dimanche, les quatre principales listes de gauche ont organisé leurs grands raouts militants, avec pour objectif de marquer leur spécificité en vue du scrutin de juin.

Envoyés spéciaux à Montpellier, Nantes, Amiens et Paris

Tous le savent. Au cœur de ces élections européennes se joue une course dans la course. Une place dans la hiérarchie interne du bloc de gauche, qu’esquisseront les résultats au soir du 9 juin, avec pour enjeu le rapport de force en vue de 2027. Ce week-end, du 11 au 14 avril, il fallait donc s’éparpiller façon puzzle, aux quatre points cardinaux du pays (ou presque), pour voir les principaux candidats de gauche débattre par meetings interposés.

Presque un cliché : aux communistes le Nord industrieux, la Somme balafrée par la désindustrialisation ; aux insoumis Montpellier, dans le Midi jeune et universitaire ; aux socialistes Nantes, dans cet Ouest où la rose ne se fane pas ; aux écologistes, enfin, le 20e arrondissement de Paris, symbole de la gauche urbaine.

L’occasion pour chacun de mesurer ses forces militantes. Les socialistes revendiquent la plus forte influence : 3 000 personnes seraient venues soutenir Raphaël Glucksmann samedi, contre 1 500 pour le meeting de Léon Deffontaines (PCF) jeudi soir, 1 000 pour Manon Aubry (FI) et 300 pour Marie Toussaint (Écologistes) dimanche. Mais le scrutin ne se gagnera pas à l’applaudimètre. Aussi les différents candidats ont tout fait pour marquer leurs différences et s’adresser à différents segments de l’électorat.

Quand Léon Deffontaines cherche à mobiliser les « déçus de la gauche », pour passer le cap des 5 % nécessaires pour avoir des élus, à travers un discours axé sur la souveraineté industrielle, Raphaël Glucksmann entend plutôt unir les déçus de la Macronie, à sa droite, et ceux de la Mélenchonie, à sa gauche. Avec pour objectif de remettre la social-démocratie sur les rails du pouvoir.

Une impasse, aux yeux de ses adversaires, dont les insoumis, qui se revendiquent de « la flamme de la Nupes » et renvoient les socialistes à leur implication dans la politique libérale de l’UE. Les écologistes, eux, peinent à retrouver leur dynamique de 2019 et ont joué ce dimanche la carte de la jeunesse. Tour d’horizon d’un week-end très politique.

À Montpellier, Manon Aubry prépare « l’après-Macron »

La France insoumise a la culture de la lutte jusque dans les échanges de slogans. Le meeting de Manon Aubry au Corum de Montpellier, ce dimanche 14 avril, n’a pas encore débuté et les travées se remplissent doucement. Mais déjà, un bras de fer se joue. D’un côté, des « Palestine vivra, Palestine vaincra », scandés notamment par des militants de l’Association France Palestine Solidarité, keffiehs sur la tête ou les épaules. Et de l’autre, quelques « Union populaire », lancés par des bénévoles débordés par la vigueur des premiers.

Pourtant, la capitale de l’Hérault est connue pour être une terre insoumise : en 2022, lors de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon y a recueilli 40,73 % des suffrages exprimés. Mais comme beaucoup ici, Clotilde, 75 ans, ex-employée de la fonction publique et militante syndicale à la CFDT, est venue « pour cette cause avant tout ». « Cette liste est la seule à être claire en défendant un État palestinien, argue-t-elle. L’actualité le nécessite ! »

Ce n’est pas un hasard si, après la cheffe de file insoumise pour les élections européennes, Rima Hassan, candidate en septième position, est l’autre star de la journée. Acclamée, la juriste engagée de longue date pour la Palestine insiste : c’est un véritable « sujet européen » parce que « l’Europe arme le régime génocidaire israélien », comme elle l’a dénoncé en appelant à un cessez-le-feu.

Ponctuant son propos de « nous sommes tous des Palestiniens », la candidate a également dressé des parallèles entre la situation en Ukraine et celle au Proche-Orient pour mieux placer la FI « dans le camp de la paix » : « Des colères peuvent jaillir les plus belles des espérances. Se battre pour les droits de chacun, c’est au fond sauver ce que nous avons en commun : notre humanité. »

Le programme de la Nupes comme point de départ

Si Manon Aubry a tenté de faire la synthèse entre les mots de Rima Hassan et ceux d’un autre candidat présent, Anthony Smith, inspecteur des finances et syndicaliste CGT, un temps à la tribune pour défendre son « idéal porteur de droits et d’émancipation sociale », l’eurodéputée s’est surtout démarquée par sa volonté de préparer « l’après-Macron ».

Non sans clin d’œil à la tête de liste du mouvement Place publique et du Parti socialiste. « J’ai vu hier, à Nantes, Jean-Marc Ayrault, et avant lui François Hollande, souhaiter le succès de Raphaël Glucksmann, a-t-elle décrit, provoquant l’hilarité de la salle. Manifestement, certains rêvent de revenir à l’avant-Macron. »

Un président de la République plusieurs fois chargé par Manuel Bompard, coordinateur national de la France insoumise, quelques minutes auparavant. Pour son « attitude belliqueuse » à l’est de l’Europe, comme pour sa politique fiscale ou son action environnementale : « Quand son gouvernement, après avoir vidé les recettes de l’État en multipliant les cadeaux aux multinationales, dit qu’il faut faire 10 milliards d’euros d’économies, c’est le budget de la transition écologique qui est fauché en premier lieu, c’est le bouc émissaire de toutes les difficultés. »

La solution ? Le programme de feu la Nupes, selon Manon Aubry, qui a brandi le document au pupitre comme un carton rouge pour l’exécutif. Un « point de départ », assume-t-elle, sur la route qui mène à 2027.

À Nantes, Raphaël Glucksmann entre Ukraine et gages de gauche

Réactiver l’image d’une « gauche de gouvernement » sans se faire taxer de nouveau Hollande ou, pire, de Macron bis. Entre la droite macroniste d’un côté et le reste de la gauche de l’autre, Raphaël Glucksmann, le PS et Place publique veulent continuer à tenir ce délicat couloir qui les place, selon les derniers sondages, en troisième position des élections européennes du 9 juin. Derrière Jordan Bardella (RN) et Valérie Hayer (Renaissance), mais loin devant Manon Aubry (FI), Marie Toussaint (les Écologistes) et Léon Deffontaines (PCF), avec 13 % d’intentions de vote.

Devant 3 000 personnes au Zénith de Nantes (Loire-Atlantique), samedi, la tête de liste sociale-démocrate a ainsi insisté sur ces marqueurs de gauche, appuyé par Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui a plaidé pour une « Europe puissante, qui n’est pas le cheval de Troie du néolibéralisme ».

Taxer les super-riches, les superprofits, les dividendes, le kérosène…

Raphaël Glucksmann ne renie pour autant rien sur le volet international, qui lui permet d’appuyer sa différence avec les insoumis et les communistes. À Nantes, l’eurodéputé sortant mobilise d’entrée le thème phare de sa campagne : le soutien à l’Ukraine.

Repensant à ces « jeunes Ukrainiens bravant les balles de snipers, un drapeau étoilé dans les mains » sur la place Maïdan en 2014, il insiste : « Un peuple ne se soulève pas pour une technostructure, pour des normes. Il se soulève pour une vision du monde, une conception de la dignité humaine. Nous devons être dignes de cette vision de l’Europe. »

Mais, côté gauche, Raphaël Glucksmann a dévoilé plusieurs propositions axées sur l’écologie et un « protectionnisme européen ». Il a avancé l’idée d’un « Buy European Act qui réserve en priorité les commandes publiques européennes aux productions européennes dans tous les secteurs de la transition ». Un des axes de la « révolution écologique européenne » que ses colistiers appellent de leur vœu, alors qu’Aurore Lalucq, numéro 4 sur la liste PS-Place publique, renvoie Valérie Hayer à son « greenwashing ».

La tête de liste Renaissance est désormais la cible de Raphaël Glucksmann, qui a pour objectif affiché d’arriver non seulement en tête de la gauche, mais aussi devant la liste présidentielle : « Mme Hayer veut des règles budgétaires, nous, on veut des règles climatiques. On veut obliger les États à investir. Qui paie ? »

Le candidat du PS revendique un « budget fort » et propre à l’Union européenne basé sur la justice fiscale : taxes sur les superprofits, les grandes fortunes, les dividendes, les rachats d’actions mais aussi la spéculation financière, le kérosène… Image savoureuse : à cette proposition, le public se met à scander « taxez les riches », alors qu’au premier rang s’affichent des anciens cadres de la Hollandie, à l’instar de l’ex-premier ministre Jean-Marc Ayrault. Comme un rappel : les discours radicaux des socialistes n’engagent parfois que ceux qui y croient.

À Amiens, Léon Deffontaines, chantre du « productivisme vert »

Une heure avant le « coup d’envoi » de la campagne de Léon Deffontaines, plusieurs centaines de personnes se pressent déjà devant le centre Mégacité d’Amiens (Somme). Si la tête de liste communiste multiplie les réunions publiques et les déplacements depuis plusieurs semaines, ce 11 avril marque le premier grand meeting de la « gauche unie pour le monde du travail », avec le scrutin du 9 juin en ligne de mire. Les 1 500 participants ont afflué de plusieurs départements des Hauts-de-France.

Ils sont militants communistes, syndicalistes, simples curieux… Certains ne votent pas encore, comme Lucas, 16 ans, venu avec son père. « Je viens pour mieux connaître ce monde-là, celui de la politique », explique-t-il. Le paternel vote à gauche, mais il dit « suivre de loin la campagne ». Il y a les convaincus aussi, militants comme Christian Lahaergue, de la section du PCF de Compiègne-Noyon. « Je n’ai pas oublié ce qu’il s’est passé avec Ian Brossat », redoute-t-il en faisant allusion à une bonne campagne qui s’était terminée par un résultat décevant en 2019. « Cette fois, je ne la sens pas trop mal, veut croire Christian. La liste est pas mal, c’est une sorte d’union. Et on a un programme qui tient la route. » Le communiste se dit toutefois inquiet par la multitude de listes présentées pour le 9 juin.

Et justement, pour ce grand meeting dans la Somme, Léon Deffontaines cherche à se démarquer des autres, avec l’appui du secrétaire national Fabien Roussel. « Nous sommes la seule liste qui défend le productivisme vert, lance le dirigeant du PCF. Nous sommes des écolos-cocos. » Les communistes entendent mettre accent sur la relocalisation de l’activité industrielle pour faire baisser à la fois le chômage et la pollution à l’importation, tandis que leurs adversaires à gauche sont renvoyés au « libéralisme » (pour le PS) ou à la « décroissance » (pour les insoumis et les écologistes).

La technocratie Bruxelloise en ligne de mire

Alors que le public scande « Léon à Bruxelles », les candidates et candidats issus du monde du travail enchaînent les prises de parole. La syndicaliste CGT de Vertbaudet Manon Ovion explique s’être engagée sur la liste de la « gauche unie » pour « poursuivre le combat » mené dans son entreprise. « Qui de mieux que des travailleurs pour représenter des travailleurs ? interroge-t-elle. Nous produisons la richesse au travail, il est temps qu’on impose aux patrons de la partager. » Ouvrier retraité de l’industrie automobile, Fabien Gâche veut « mettre fin au règne de la concurrence entre les peuples en harmonisant par le haut le niveau social des travailleurs européens avec de bons salaires indexés sur l’inflation ».

« En 2005, notre victoire a été usurpée, ils nous ont piétinés, ils nous ont méprisés », rappelle aussi le candidat communiste en faisant allusion au traité de Lisbonne, qui avait imposé les termes du TCE (le traité constitutionnel européen), rejeté trois ans plus tôt. « Main dans la main, la droite et les socialistes de Glucksmann ont organisé cette fraude démocratique. »

« Les technocrates bruxellois », qui « éloignent toujours plus les peuples des institutions », en prennent aussi pour leur grade. « La gauche a déçu, constate Léon Deffontaines. Mais une nouvelle ère s’ouvre. Ensemble, nous sommes la gauche unie pour le monde du travail et nous allons reprendre la main en France et en Europe. » Dans la salle, les alliés du PCF sur la liste conduite par Léon Deffontaines applaudissent.

L’eurodéputé sortant Emmanuel Maurel, de la Gauche républicaine et socialiste, fustige à la tribune « l’austérité qui casse les services publics ». L’ex-sénatrice Marie-Noëlle Lienemann est également présente en soutien de la « gauche unie ». À l’issue du meeting, des militants se disent « regonflés ». « Il nous reste à dépasser les 5 % pour avoir des députés », en conclut Dominique, venu de Chaumont, dans l’Oise.

À Paris, Marie Toussaint agite la menace du « grand recul écologique »

Un aveu pour commencer, répété deux fois. « Notre début de campagne n’a pas rencontré d’adhésion populaire », lâche Marie Toussaint, tête de liste écologiste aux européennes, devant un parterre de 300 personnes. La faute au « backlash », alors que la Macronie et l’extrême droite ont désigné les défenseurs de l’environnement comme des « ennemis de l’intérieur », selon Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti. Alors, pour sortir la tête de l’eau dans cette « campagne difficile » qui la voit plafonner entre 6 et 7 % dans les sondages, Marie Toussaint a décidé, pour son troisième meeting, d’être plus offensive. Et de marteler les fondamentaux : « Nous allons tenir bon et aller chercher un bon score avec les dents. Parce que le climat ne peut souffrir d’attendre cinq ans de plus. »

Depuis la Bellevilloise, dans le XXe arrondissement de Paris, l’eurodéputée a d’abord voulu s’adresser à sa base militante, réunie par les Jeunes écologistes. Elle a en mémoire la campagne réussie de 2019, menée par Yannick Jadot (13,5 %) et portée par les marches pour le climat réunissant des millions de jeunes à travers l’Europe.

« Bardella ? Deux tiers de vide, un tiers de haine »

Pour espérer remonter d’ici au 9 juin, c’est eux qu’il faut convaincre. Par exemple, en rappelant qu’elle est celle qui a fait condamner l’État français pour inaction climatique grâce à l’« Affaire du siècle » : « Je suis une enfant de l’écologie de combat, celle qui ne se contente pas de pérorer dans les salons, mais qui tous les jours protège le vivant. » Avoir des élus verts change la vie, voilà le message. Car ils ont « fait éclater le Dieselgate », « mis fin à la pêche électrique en Europe » ou « obtenu l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ».

« Il faut avoir un contre-discours face à l’extrême droite, qui essaie de séduire les jeunes », estime Annah Bikouloulou, secrétaire des Jeunes Écologistes. Conseil suivi par la cheffe : « Le programme de Bardella : deux tiers de vide, un tiers de haine. Mais ça marche… parce que des années de dépolitisation ont préparé les esprits à se soumettre aux bonimenteurs de bas étage. »

Marie Toussaint a, pour séduire la jeunesse, abattu une nouvelle carte programmatique : un revenu européen de formation. « Une bourse européenne pour tous les jeunes afin qu’ils financent leurs études, en sortant d’une logique familialiste », résume Abdoulaye Diarra, ex-syndicaliste étudiant candidat, en huitième position sur la liste.

Une façon de contrer l’envolée de Raphaël Glucksmann, tête de liste socialiste peu identifiée sur les questions sociales. « Le risque, c’est de s’endormir le 9 juin en ayant voté Raphaël Glucksmann et de se réveiller le 10 juin avec le retour de François Hollande, tacle Marie Toussaint. Avec les écologistes, au moins les choses sont claires. » Aux jeunes, elle dit « gardez espoir » car ils sont « la clé de la réussite de notre bataille » : « Face au grand recul écologique, il faut un grand combat. » Mais avant, provoquer un sursaut dans la campagne.


 

   mise en ligne le 14 avril 2024

Guerre à Gaza :
en marge des pourparlers,
les obus continuent de pleuvoir

Axel Nodinot sur www.humanite.fr

Six mois après le déclenchement des représailles israéliennes, l’enclave palestinienne est toujours pilonnée. La perspective d’une offensive meurtrière à Rafah se rapproche à mesure que les négociations du Caire sont infructueuses.

Les offensives de l’Iran, du Hezbollah et des Houthis sur Israël ont détourné les regards de la bande de Gaza, où les bombardements de l’armée israélienne continuent de pleuvoir et les cadavres ne cessent d’être recensés. Ce dimanche 14 avril, le ministère de la Santé du Hamas annonçait un bilan de 33 729 personnes tuées dans l’enclave palestinienne depuis le 7 octobre, ainsi que 76 371 blessés. « Les avions militaires n’ont pas quitté le ciel de Gaza, nous sommes toujours bombardés », confirme, sur X, la journaliste palestinienne Hind Khoudary.

Les bombardements quotidiens depuis six mois ont détruit de nombreux immeubles d’habitation, mais aussi la majeure partie du système de santé gazaoui, laissant les quelques hôpitaux encore debout complètement démunis. Le blocus renforcé d’Israël aux rares checkpoints du territoire palestinien a plongé la population dans la détresse. Le manque d’eau, de nourriture et de soins démultiplie les risques de maladie, d’infection et de carence. Les Nations unies estimaient en fin de semaine que 15 000 femmes enceintes et leurs bébés risquaient une famine imminente.

Toujours pas de cessez-le-feu

À 300 kilomètres de là, au Caire, les négociations entamées depuis plusieurs semaines entre Israël et le Hamas, sous l’égide de médiateurs égyptiens, qatariens et états-uniens, n’ont pas abouti à l’heure où ces lignes étaient écrites, dimanche. Les enjeux de ces pourparlers portent notamment sur la libération de la centaine d’otages aux mains du Hamas, l’ouverture des frontières aux camions d’aide humanitaire, un cessez-le-feu permanent et la fin de l’occupation de Gaza par Israël.

Ces deux dernières conditions sont évidemment indiscutables pour le Hamas. Pas pour Benyamin Netanyahou, qui a déclaré ce samedi qu’il s’agissait de « demandes infondées ». Dans un communiqué du bureau du premier ministre, les services de renseignement israéliens (Mossad) ont rejeté ce dimanche la faute sur Yahya Sinouar, le responsable du Hamas à Gaza.

Selon ce communiqué, Sinouar ne voudrait « pas d’accord humanitaire, ni le retour des otages », mais une « escalade dans la région ». Le renseignement d’Israël assure ensuite froidement que l’armée « continuera d’œuvrer pour réaliser les objectifs de la guerre contre le Hamas de toutes ses forces, et retournera chaque pierre pour faire revenir les otages de Gaza ».

Des mots terribles qui rappellent la détermination de Benyamin Netanyahou et de son gouvernement à continuer le massacre. Le cabinet de guerre du premier ministre et l’armée israélienne ciblent toujours les civils de l’enclave palestinienne, en attendant l’offensive que veut lancer Netanyahou à Rafah. Celle-ci se révélerait meurtrière, la ville du Sud abritant désormais la plupart des réfugiés gazaouis.

Alors que le « risque de génocide » observé dans l’enclave par la Cour internationale de justice est de plus en plus concret, les alertes des habitants, journalistes, humanitaires et diplomates restent ignorées par Israël. « Ce cycle d’escalade est la dernière manifestation des retombées du conflit à Gaza, a encore prévenu le ministère chinois des Affaires étrangères, Wang Yi. La tâche la plus urgente est de mettre en œuvre efficacement la résolution 2728 du Conseil de sécurité de l’ONU et de cesser le feu le plus tôt possible. »

Car, si les dirigeants iraniens ont justifié en partie l’opération « Réponse honnête » par le soutien à la Palestine, les familles de Gaza et de Cisjordanie auraient encore plus à perdre d’un embrasement régional.


 

   mise en ligne le 13 avril 2024

La CGT dénonce des dizaines de boîtes aux lettres jaunes scellées dans le Comminges

De Pascale Danyel (France Bleu Occitanie) sur ttps://www.francebleu.fr/infos/

Dans le Comminges selon la CGT des dizaines de boîtes aux lettres jaunes de la Poste ont été scellées ces derniers mois. Le syndicat CGT dénonce un abandon du service public dans les campagnes. La direction de la Poste assure qu'il n'y a pas de plan de fermeture de son parc de boîtes aux lettres.

Au sud de la Haute-Garonne dans le Comminges, selon la CGT, des dizaines de boîtes aux lettres jaunes de la Poste ont été scellées ces derniers mois : à Salies-du-Salat, Touille, Cassagne ou encore au Mourtis. Pour poster une lettre les habitants n'ont parfois pas d'autre choix que de prendre leur voiture. Le syndicat CGT dénonce un abandon du service public dans les campagnes. Il a distribué des tracts ce jeudi matin sur le marché de Saint-Gaudens et devant le bureau de poste de la commune où une cinquantaine de militants se sont rassemblés.

"Mes parents doivent amener leur courrier à un voisin qui part le poster en ville en voiture"

Si il y a bien quelqu'un que cette fermeture de boîtes aux lettres embête au plus haut degré, c'est Andrée, croisée une enveloppe timbrée à la main devant le bureau de poste de Saint-Gaudens : "Dans le village où habitent mes parents, la boîte aux lettres n'existe plus, c'est très embêtant, ils doivent amener la lettre à un voisin qui part en voiture à la ville cinq ou six kilomètres plus loin. Il ne faut pas fermer les boîtes aux lettres dans les petits villages, encore moins qu'ailleurs".

Même énervement pour Marie-Aude rencontrée à quelques mètres d'une boîte aux lettres jaune scellée. Elle trouve cela : "Très gênant, car les personnes âgées ou celles qui n'ont pas de véhicule ne peuvent pas aller à la Poste, il y en a marre, on paye et il n'y a plus de service public. Quoi faire ? Il n'y a pas qu'internet, je ne suis pas pour ce projet-là. Ça m'arrive en vacances d'envoyer des cartes postales, c'est agréable, et ça fait travailler !"

"Une étape dans la casse complète de notre service public de la Poste"

À Salies-de-Salat, petite commune du Comminges de 1.800 habitants, deux boîtes aux lettres jaunes ont été scellées, au grand dam des habitants.

Du gros scotch siglé la Poste collé sur le clapet, la boîte aux lettres située à côté du collège de Salies-du-Salat commence à se recouvrir de mousse et porte les empreintes de deux araignées séchées, Jean-François, ancien postier militant CGT s'en désole : "C'est assez triste de voir une boîte aux lettres qui ne sert à rien" et il précise "ce n'est qu'une étape dans la casse complète de notre service public de la Poste".

Scénario similaire dans l'une des rues qui mène à la mairie de Salies, idem sur la commune voisine de Touille, les habitants comme Jean-Claude s'en offusquent : "C'est un service de proximité, il devrait rester ouvert pour les personnes âgées et les gens qui n'ont pas de véhicule."

La direction de la Poste se défend

En plus de deux boîtes aux lettres jaunes scellées, Salies-du-Salat est aussi impactée par un projet de réduction des horaires d'ouverture de sa Poste explique Lionel Attané, conseiller municipal : "On perdra une demi-heure, on va en parler au conseil communautaire avec une motion concernant l'ouverture de la Poste".

Contactée par France Bleu Occitanie, la direction de la Poste assure qu'elle "Reste attachée à son lien de proximité avec les clients" (...) qu'elle n'a pas de plan de fermeture de son parc de boîtes aux lettres". Elle dit aussi que son "maillage de boîtes aux lettres peut évoluer localement quand celles-ci s'avèrent peu ou pas utilisées". Elle précise enfin que "l'évolution et le fonctionnement des bureaux de poste sont pilotés en concertation avec les élus locaux."

Au lendemain de la publication de notre article, la direction de La Poste précise : "sur les 525 boîtes aux lettres de rue du secteur de Saint-Gaudens, 18 sont en cours de réfection, (...) deux boites aux lettres de rue ont été définitivement fermées dans la zone, dont une à cause de travaux de voierie."


 

   mise en ligne le 12 avril 2024

Non à la mise en péril du processus de décolonisation en Nouvelle-Calédonie 

sur www.politis.fr

TRIBUNE. La politique du coup de force, irrespectueuse des droits légitimes du peuple Kanak, conduite par le gouvernement ne peut mener qu’à un immense gâchis, s’alarment dans cet appel 56 personnalités.

L’État a imposé que le 3e référendum d’autodétermination se tienne à la date prévue en décembre 2021. C’était aller contre la demande des indépendantistes de le reporter, compte tenu de l’impact du covid et de la période de deuil qui s’en est suivie. En dépit d’une abstention de 57 %, dont une majorité de Kanaks, le gouvernement considère que l’électorat de l’archipel a alors définitivement opté pour une « Nouvelle-Calédonie dans la France ».

Aujourd’hui, il décide de reporter les élections provinciales de 2024 et de modifier la Constitution pour autoriser le « dégel » du corps électoral provincial. Il s’agit d’ouvrir la citoyenneté calédonienne, pas seulement aux natifs – les indépendantistes sont favorables à la pleine application du droit du sol –, mais au terme d’une durée de 10 ans à tous les résidents. Lesquels deviendront électeurs et éligibles pour les assemblées de Province qui déterminent les orientations politiques locales et la composition du Congrès du pays.

Cette imposition d’un « corps électoral glissant », sans un accord politique global négocié entre les différentes parties prenantes, constitue un passage en force de l’État. Celui-ci, une fois de plus, dicte son calendrier en fixant au processus engagé la date butoir du 1er juillet 2024.

C’est revenir sur un élément clé de l’accord de Nouméa, lequel a permis d’engager un processus de décolonisation et de garantir la paix civile au cours de ces trente dernières années.

Une telle politique renoue avec la logique qui a fait de la Nouvelle-Calédonie une colonie de peuplement.

Elle vise à mettre définitivement en minorité le peuple Kanak, en contradiction du droit international et des résolutions de l’ONU qui invitent les « puissances administrantes » à « veiller à ce que l’exercice du droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par des modifications de la composition démographique dues à l’immigration ou au déplacement de populations dans les territoires qu’elles administrent ».

Le Congrès du FLNKS, qui s’est tenu le 23 mars 2024, s’est unanimement prononcé contre ce projet de réforme constitutionnelle. Il a également confirmé que, pour le FLNKS, seuls le dialogue et la recherche du consensus peuvent permettre d’envisager une solution d’avenir pour l’ensemble des Calédoniennes et Calédoniens.

Nous nous alarmons de cette politique du coup de force, irrespectueuse des droits légitimes du peuple kanak et qui met en péril la notion même de citoyenneté calédonienne au principe de la construction du destin commun.

Elle compromet la recherche d’un consensus entre les diverses communautés quant au devenir du pays et ne peut conduire qu’à un immense gâchis.

Il est impératif de préserver le processus de décolonisation qui a été poursuivi ces dernières décennies. Pour les droits du peuple kanak et des autres communautés. Pour l’avenir de la Kanaky/Nouvelle-Calédonie. Pour l’image de la France et celle de la République.

Premiers signataires :

  • Gilbert Achcar, chercheur et écrivain

  • Paul Alliès, universitaire

  • Bertrand Badie, politiste

  • Etienne Balibar, philosophe

  • John Barzman, historien

  • Christian Belhôte, magistrat

  • Jérôme Bonnard, syndicaliste Union syndicale Solidaires

  • Claude Calame, helléniste et anthropologue

  • Patrick Chamoiseau, écrivain

  • David Chapell, historien, Université de Hawaï

  • Mathias Chauchat, professeur de droit, université de Nouvelle Calédonie 

  • Nara Cladera, syndicaliste Union syndicale Solidaires

  • Pierre Cours-Salies, sociologue

  • Thomas Coutrot, économiste

  • Pierre Dardot, philosophe

  • Christine Demmer, anthropologue

  • Bernard Dreano, responsable Cedetim

  • Josu Egireun, syndicaliste et anticapitaliste

  • Didier Epsztajn, blogueur Entre les lignes, entre les mots

  • Franck Gaudichaud, historien, Université Toulouse Jean Jaurès

  • Daniel Guerrier, militant anticolonialiste, ancien co-président de l’AISDPK

  • Christine Hamelin, anthropologue

  • Hortensia Ines, syndicaliste Union syndicale Solidaires

  • Mehdi Lallaoui, réalisateur

  • Christian Laval, sociologue

  • Isabelle Leblic, anthropologue

  • Michael Löwy, sociologue

  • Christian Mahieux, syndicaliste Union syndicale Solidaires, éditeur Syllepse

  • Philippe Marlière, politiste

  • Roger Martelli, historien

  • Jean-Pierre Martin, psychitatre

  • Gustave Massiah, économiste, altermondialiste

  • Laurent Mauduit, écrivain et journaliste

  • Isabelle Merle, historienne

  • Michel Naepels, anthropologue

  • Ugo Palheta, sociologue

  • Alice Picard, porte parole nationale d’ATTAC

  • Christian Pierrel, directeur de publication de La Forge

  • Philippe Pignarre, éditeur

  • Boris Plezzi, secrétaire confédéral CGT, en charge des questions internationales

  • Jacques Ponzio, psychanalyste

  • Michèle Riot-Sarcey, historienne

  • Henri Saint-Jean, docteur en psychologie sociale

  • Christine Salomon, anthropologue

  • François Sauterey, vise président du MRAP

  • Denis Sieffert, éditorialiste

  • Patrick Silberstein, éditeur Syllepse

  • Francis Sitel, responsable revue ContreTemps

  • Marc Tabani, anthropologue

  • Serge Tcherkezoff, anthropologue

  • Jean-Marie Theodat, universitaire

  • Benoît Trepied, anthropologue

  • Anne Tristan, journaliste

  • Jacques Vernaudon, linguiste, université de Polynésie française

  • Antoine Vigot, syndicaliste FSU

  • Sophie Zafari, militante syndicale

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Kanaky-Nouvelle-Calédonie : manifestations prévues samedi
sur fond de tensions

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

Indépendantistes et non-indépendantistes prévoient de défiler à deux rues d’écart à Nouméa, en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, samedi 13 avril. 10 000 personnes sont attendues dans chaque camp politique.

Sous l’impulsion des partis « Les Loyalistes » et Rassemblement-LR, les non-indépendantistes de Kanaky-Nouvelle-Calédonie se retrouveront samedi 13 avril à Port Moselle. De l’autre côté, les militants indépendantistes, soutenus par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), se rejoignent eux pour un sit-in sur la Place de la Paix, située à quelques rues plus loin à Nouméa. Des mobilisations qui se dérouleront dans un climat de tensions liées à la question du dégel du corps électoral provincial.

Le dégel du corps électoral au cœur des tensions

Mardi 2 avril, les sénateurs ont voté pour modifier la structure électorale de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Les élus ont ainsi porté un coup critique au processus décolonial de l’archipel, prévu par l’accord de Nouméa de 1998. L’un des prérequis de l’accord était justement le gel du corps électoral, qui permet aux Kanaks de pouvoir décider de leur destin sans être invisibilisés par les nouveaux arrivants, bien souvent venus de l’Hexagone. Devant ses collègues, le sénateur kanak Robert Wienie Xowie (CRCE-K) avait alors dénoncé une « démarche odieuse » et « fourbe » du gouvernement, ainsi qu’un « comportement méprisant » de Gérald Darmanin, auteur d’une « décision unilatérale » alors même que le FLNKS était « prêt à ouvrir le corps électoral à plus de 12 000 personnes ».

« Il va y avoir plusieurs dizaines de milliers de personnes dans un petit espace on voit bien qu’il y a des tensions, des graffitis, des caillassages, des agressions », a déclaré auprès de la 1re de franceinfo Philippe Dunoyer, le député non indépendantiste et porte-parole du parti Calédonie ensemble, attisant les craintes. Marie, employée municipale de 40 ans, hésite entre partir rejoindre sa famille en Brousse ou rester ce week-end dans son appartement de Nouméa « à cause du risque de dérapage », témoigne-t-elle auprès de Ouest France. Nouméa comptera, au cours du week-end, plus de forces mobiles que Marseille, avec l’envoi par le ministère de l’intérieur d’importants renforts : deux escadrons, soit 140 gendarmes, selon Le Monde.


 

   mise en ligne le 11 avril 2024

Sites Seveso : après l’explosion
dans une usine à Sète,
le groupe Avril pointé du doigt

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

Une explosion suivie d’un incendie s’est produite mercredi 10 avril dans une usine classée Seveso dans le port de Sète, dans l’Hérault. Une personne a été blessée gravement et est toujours en urgence absolue. Le « groupe Avril (…) refuse de tirer les enseignements des drames du passé », a accusé dans un communiqué un représentant de la CGT.

Une explosion suivie d’un incendie s’est produite, mercredi 10 avril vers 17 heures, dans une usine classée Seveso « seuil bas » dans le port de Sète, faisant un blessé grave, a indiqué la préfecture de l’Hérault. Le site est exploité par l’entreprise Saipol, leader français de la transformation de graines oléagineuses, qui appartient au groupe Avril, connu pour ses marques Lesieur et Puget et dont le président n’est autre qu’Arnault Rousseau, également président de la FNSEA. L’accident a eu lieu « dans l’entrepôt d’estérification (fabrication de carburant à partir de graines), où étaient présents 300 m3 de diester », alors que l’entreprise était « à l’arrêt, en situation de maintenance », a précisé la préfecture dans un communiqué.

« Le bilan est d’un blessé en urgence absolue, un salarié de l’entreprise, qui a été héliporté » vers l’hôpital de Montpellier vers 19 h 30, annonce également le communiqué indiquant que « l’incendie est désormais maîtrisé, en voie d’extinction, et que le panache de fumée a été réduit ». Ce panache, qui « s’étend vers la mer, ne présente pas de risque pour la population », selon la préfecture, qui précise que 200 personnes de l’entreprise, dont 20 qui se trouvaient à proximité, ont été évacuées et qu’un périmètre de sécurité a été mis en place.

Le groupe Avril « refuse de tirer les enseignements des drames du passé »

Installée dans la zone industrielle du port de Sète depuis 1989, l’usine Saipol transforme du colza d’importation en tourteaux riches en protéines pour l’alimentation animale et en huiles végétales destinées à la production de biocarburants, selon son site internet. Après les explosions dans des usines Saipol à Dieppe (Seine-Maritime), où deux personnes sont mortes en 2018, et à Grand-Couronne (Seine-Maritime), près de Rouen, en 2020, le « groupe Avril (…) refuse de tirer les enseignements des drames du passé », a accusé dans un communiqué l’inspecteur du travail et représentant CGT à Rouen Gérald Le Corre, faisant un lien entre le recours à la sous-traitance et les problèmes de sécurité, rapporte l’AFP.

En février dernier, la Cour des comptes dénonçait les « insuffisances » du contrôle de l’État dans la prévention et le suivi des accidents industriels à risque. En 2021, le nombre de sites industriels considérés comme les plus risqués pour la santé ou l’environnement en France, et soumis à un régime d’autorisation administrative, s’élevait à 20 848, dont 1 314 relèvent de la directive dite « Seveso », qui s’applique aux sites présentant le plus de risques, indique le rapport. Toujours selon celui-ci, on recense encore 739 accidents industriels entre 2010 et 2020 dans des sites classés Seveso.

Des accidents dont certains ont des conséquences dramatiques dont celui de l’usine chimique AZF de Toulouse le 21 septembre 2001, qui avait fait 31 morts et environ 2 500 blessés, ou l’explosion de la raffinerie de Feyzin (Rhône) en 1966, qui avait causé 18 morts et 84 blessés. Mais les avancées en matière d’environnement ou de santé publique qui suivent les accidents sont longues à prendre effet, souligne la Cour. En témoigne notamment, la catastrophe plus récente de Lubrizol. L’incendie avait ravagé en 2019 ses entrepôts rouennais et, selon le collectif Lubrizol, Bolloré and Co, 9 500 tonnes de produits chimiques.

 

     mise en ligne le 10 avril 2024

Comment trouver 60 milliards
sans s’attaquer aux pauvres
et classes moyennes

sur https://basta.media/

Face au plan de rigueur annoncé par le gouvernement, l’association Attac propose de trouver au moins 60 milliards d’euros à travers six mesures qui mettent à contribution les ultra-riches et les multinationales. Une pétition est lancée.

Le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire et le gouvernement ont annoncé durcir leur politique de rigueur pour le plus grand nombre, « alors même qu’ils se refusent à taxer les ultra-riches et les superprofits, dénonce l’association Attac. Cette politique injuste et injustifiée va aggraver les crises sociale et climatique. Mais ce n’est pas une fatalité ! »

Attac propose six mesures pour dégager 60 milliards d’argent public en imposant mieux les plus riches et les multinationales plutôt que de faire des économies qui vont peser sur les services publics, les classes populaires et les classes moyennes :

1. Imposer l’ensemble des superprofits : Une telle taxe permettrait de remettre en cause les positions de rente des grands groupes. Elle inciterait mécaniquement les entreprises qui font des bénéfices exceptionnels à baisser leurs prix et à augmenter les salaires. Une taxe sur les superprofits de l’ensemble des secteurs aurait pu rapporter 10 à 20 milliards d’euros en 2022 et autant en 2023.

2.Lutter contre l’évasion fiscale  : Pour éradiquer l’évasion fiscale pratiquée par les grands groupes, l’association propose de mettre en place une taxation unitaire des multinationales, de sorte à ce qu’elles soient imposées dans les pays où elles réalisent leur activité. Cela permettrait de mettre fin à la forme la plus importante d’évasion fiscale qui consiste à créer des filiales dans les paradis fiscaux. Une taxation unitaire permettrait de dégager 18 milliards d’euros de recettes supplémentaires.

3. Restaurer un véritable impôt sur la fortune : Attac suggère un impôt sur la fortune (ISF) rénové sur l’ensemble des actifs d’un·e contribuable : immobiliers, mobiliers et financiers. L’ex-ISF aurait pu dégager 4,5 milliards d’euros de plus que l’actuel impôt sur la fortune immobilière (IFI), lequel ne rapporte que 1,8 milliard d’euros. Avec une assiette élargie, un impôt sur la fortune rénové pourrait rapporter jusqu’à 10 milliards d’euros en 2024

4. Mieux imposer la transmission des gros patrimoines : L’accumulation des richesses provient également de l’héritage, dont l’importance est toujours plus grande dans le patrimoine des plus riches selon le Conseil d’analyse économique. Pour Attac, il faut donc repenser les droits de donation et de succession, de telle sorte que les plus gros patrimoines soient davantage imposés et que l’accumulation des richesses soit stoppée. Une refonte des droits de donation et de succession pourrait dégager 5 à 10 milliards d’euros de plus que le système actuel (les droits de donation et de succession ont rapporté 18,5 milliards d’euros en 2022).

5. Supprimer les niches fiscales et sociales inutiles : L’association veut passer en revue les niches fiscales et sociales pour supprimer les dispositifs dont le rapport « coût / efficacité / effets pervers » est défavorable et éventuellement maintenir ou réformer les dispositifs justes et efficaces. Sur les près de 200 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, il est possible de dégager 15 à 20 milliards d’euros à court terme, davantage à moyen et long terme.

6. Rétablir une juste imposition des revenus financiers : Attac demande la suppression du prélèvement forfaitaire unique (PFU), afin de rétablir la progressivité de l’imposition des revenus financiers, ce qui dégagerait au moins 2 milliards d’euros de recettes supplémentaires. En matière d’impôt sur le revenu, il faut prévoir la création de nouvelles tranches d’imposition et un relèvement du taux le plus élevé à 50%.

Une délégation de l’association s’est rendue le 8 avril au ministère de l’Économie et des Finances à Bercy pour présenter ces propositions. À défaut d’avoir été reçue, l’association lance une pétition, « 60 milliards en taxant les plus riches, maintenant c’est possible ! », à signer sur le site d’Attac.

 Télécharger le guide « Superprofits, ultra-riches, méga-injustices » qui détaille de manière illustrée ces six mesures et leurs enjeux


 

    mise en ligne le 9 avril 2024

Gaza : des Palestiniens prisonniers « menottés puis amputés »,
dénonce un médecin israélien

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Un médecin israélien travaillant dans l’hôpital de campagne d’une base militaire dénonce dans une lettre à sa hiérarchie les traitements subis par des hommes capturés à Gaza, les membres liés, forcés de « déféquer dans des couches », révèle Haaretz.

« Cette semaine, deux prisonniers ont été amputés des jambes en raison de blessures occasionnées par les menottes, ce qui est malheureusement un événement de routine. » L’accusation est terrible. Elle provient d’une lettre obtenue par le quotidien israélien Haaretz et publiée le 4 avril.

Elle a été expédiée au procureur général d’Israël et aux ministres de la Défense et de la Santé par un médecin affecté dans un hôpital de campagne pour Palestiniens détenus à la base militaire israélienne de Sde Teiman, entre Gaza et Beersheva, dans le désert du Néguev.

Toujours selon le médecin, « les détenus sont nourris à la paille, défèquent dans des couches et sont maintenus (dans) des contraintes constantes, ce qui viole l’éthique médicale et la loi ». Il ajoute que les conditions de détention sont telles (les prisonniers ont les quatre membres menottés en permanence) qu’elles provoquent « des complications et parfois même la mort du patient ».

Un menottage constant qui « nécessite des interventions chirurgicales répétées »

Ceux capturés par Israël à Gaza depuis le 7 octobre ont été définis comme des « combattants illégaux », une classification permettant de les détenir dans des conditions différentes de celles des autres populations carcérales, pourtant déjà maltraitées. Cet hôpital de campagne a été créé après que les hôpitaux civils israéliens ont refusé d’admettre des détenus de Gaza ou des suspects qualifiés de terroristes, selon un rapport de l’organisation Médecins pour les droits de l’homme-Israël publié en février.

Alors que le praticien indique que, « dans ces conditions, dans la pratique, même les patients jeunes et en bonne santé perdent du poids après une semaine ou deux d’hospitalisation » et déplore l’absence de fournitures médicales régulières. Plus de la moitié des patients de cet établissement y sont en raison de blessures causées par leur menottage constant pendant leur détention en Israël, et qui « nécessitent des interventions chirurgicales répétées ».

Outre ce médecin, Haaretz cite trois autres sources qui affirment qu’« au début de la guerre un détenu blessé parce qu’il avait été attaché avec des menottes en plastique pendant une période prolongée avait été amputé d’une main ». Un porte-parole de l’armée israélienne a affirmé que l’incident avait fait l’objet d’une investigation, « mais comme aucune infraction pénale n’a été trouvée il a été décidé de ne pas ouvrir d’enquête de la police militaire », révèle le quotidien. Un témoignage israélien sur de mauvais traitements qui corrobore ceux des prisonniers palestiniens libérés et publiés dans l’Humanité, le 16 février dernier.

Des pratiques sont « conformes aux règles », selon le ministère de la santé israélien

Le rapport de Médecins pour les droits de l’homme-Israël sur Sde Teiman, qui documente les « manquements éthiques » dans l’hôpital de campagne, souligne également que « les forces de sécurité (y) exigent que toutes les personnes détenues restent menottées et les yeux bandés en tout temps, y compris pendant les traitements médicaux ».

L’ONG s’inquiète également des différents articles dans les médias israéliens qui « indiquent que les résidents de Gaza détenus dans ce centre militaire endurent des conditions difficiles, sont retenus les mains derrière le dos et parfois liés à une clôture pendant de longues périodes, s’étendant sur des jours entiers et consécutifs. Ces circonstances entraînent des préjudices physiques et psychologiques importants ».

Alors que le ministère israélien de la Santé a déclaré que « le traitement médical fourni à Sde Teiman est conforme aux règles et aux traités internationaux auxquels Israël est engagé », le médecin, lui, affirme que les détenus ne reçoivent pas de soins appropriés : « Aucun patient transféré à l’hôpital n’y est resté plus de quelques heures ». Quand ils sont transférés…

« Cela nous rend tous – les équipes médicales et vous, responsables des ministères de la Santé et de la Défense – complices de la violation de la loi israélienne, et peut-être pire pour moi en tant que médecin, de la violation de mon engagement fondamental envers les patients », s’insurge ce docteur.


 

   mise en ligne le 8 avril 2024

Raphaël Glucksmann,
le nouveau candidat du « en même temps »

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

Tête de liste du Parti socialiste et de son mouvement, Place publique, Raphaël Glucksmann se positionne, dans les sondages, en première position des candidatures dites de gauche. Une dynamique qu’il entend prolonger en usant d’un certain opportunisme.

En politique, l’absence de colonne vertébrale n’empêche pas de faire la course en tête. Raphaël Glucksmann, tête de liste du mouvement Place publique et du PS pour les européennes, en est la preuve. La truffe au vent, l’eurodéputé entend se laisser porter par les flots. Espérant profiter opportunément des ralliements d’électeurs de camps que tout oppose pourtant : Macronie et insoumis.

« Il ne faut pas cibler un électorat en particulier, nous précise-t-il. De plus en plus de gens se reconnaîtront en nous parce qu’ils verront dans notre dynamique une possibilité de s’engager sans sacrifier une partie d’eux-mêmes comme ils ont pu le faire lors de précédentes élections ». Et pour l’instant, à en croire les sondages, ça marche : crédité de 13 % des intentions de vote dans la dernière enquête Harris interactive, il est actuellement en tête à gauche et à quatre points seulement de la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer.

Tout sur l’Ukraine, rien sur Gaza

Oui mais à partir de quelle ligne ? Depuis le début de la campagne, le candidat a fait de l’international sa thématique prioritaire. Logique pour celui qui avouait, en 2018, se sentir « davantage chez lui culturellement » à New York ou à Berlin plutôt qu’en Picardie. Et qui, ces dernières années, a plus foulé les sols rwandais, géorgiens et ukrainiens, en bon disciple de Bernard-Henri Lévy, que notre chère « diagonale du vide ».

Particulièrement offensif sur la question ukrainienne depuis le début de la campagne, appelant la France et l’Union européenne à entrer en « économie de guerre » face à la Russie, sa stratégie lui a valu quelques tacles de la part du PCF et de la FI, qui jugent ses propos « va-t’en guerre ».

Dans son entourage, cette priorité est assumée et doit même « déterminer la ligne de la gauche ». « La question qui est posée, c’est l’Europe, et il est urgent pour la gauche de la trancher, explique-t-on. Notre candidature propose ce choix. Regardez le programme de la Nupes : ils sont d’accord pour ne pas être d’accord. Mais si la gauche veut accéder au pouvoir plutôt que de rester bloquée en AG, il lui faut assumer dans quel camp elle est, avec quels pays elle voudrait former des alliances ».

Aurore Lalucq, eurodéputée candidate sur la liste de Raphaël Glucksmann, ne veut pas entendre parler de l’après 2024. Mais elle aussi assume le pari de son chef de file : « Sa candidature, c’est celle qui entend être à la hauteur d’enjeux internationaux majeurs. La guerre en Ukraine, l’élection probable de Donald Trump, l’offensive de la Chine qui lamine notre industrie. Les insoumis le renvoient à ce qu’ils peuvent : à ce qu’il est, à des archives… Mais Raphaël a de l’épaisseur ».

Malgré son angle mort sur Gaza ? En refusant d’employer le terme « génocide » pour qualifier le carnage en cours mené par les forces israéliennes, le candidat est apparu isolé sur cette position (qu’il qualifie de « précautionneuse juridiquement »). Jusqu’à brouiller son image de justicier forgée à coups de publications flashy sur les réseaux sociaux en défense de minorités opprimées, comme les Ouïghours, et de donner du crédit à ceux qui voient en lui le digne héritier de son père, le philosophe atlantiste André Glucksmann, disparu en 2015. Étiquette légitimée par certains de ses votes à Bruxelles, notamment contre la résolution du 24 novembre 2022 déplorant la situation des droits de l’Homme au Qatar.

En privé, le candidat s’agace de ce « procès » : « Il n’y a pas d’atlantistes, puisqu’il n’y a plus d’atlantisme ». Pourtant l’OTAN ne s’est jamais aussi bien porté depuis des décennies… Reste que d’après Manuel Bompard, coordinateur national de la France insoumise, « Glucksmann perd 2 000 abonnés par semaine sur Instagram à cause de Gaza ! ». Le bras droit de Jean-Luc Mélenchon le sait, il tient les comptes lui-même.

Vrai libéral et faux converti ?

Difficile pour le néo-socialiste de se faire sa place dans une famille qui le rejette. Pour une grande partie de la gauche, Raphaël Glucksmann reste un libéral. En cause, ses propos tenus en 2007 à l’occasion d’une réunion du parti Alternative Libérale où il indiquait avoir toujours été « séduit par la philosophie libérale ». Ou encore ses années géorgiennes, en tant que conseiller du très libéral président Mikhaïl Saakachvili, artisan de la suppression du salaire minimum et du licenciement de dizaines de milliers de fonctionnaires.

Sans oublier ses éloges de Nicolas Sarkozy, à la même période, qui selon lui « brise les tabous » en se montrant « libre et insolent ». Ou, plus récemment, ses nombreux votes communs avec le bloc centriste au parlement européen, comme rapporté par Valérie Hayer elle-même : « Il devrait être avec nous et il le sait. Il serait beaucoup plus efficace pour porter ses idées et avoir des résultats ! ».

Aujourd’hui, un grand nombre de ses positions le ramène vers cette rive originelle, quand bien même il affirme publiquement sa conversion à la régulation en citant de grandes figures socialistes. Des exemples ? Raphaël Glucskmann est pour l’élargissement de l’UE à l’Ukraine et à la Moldavie, au risque d’élargir le marché européen et d’accroître la concurrence dont pâtissent déjà agriculteurs, industriels, et ouvriers.

Il assure également que l’UE doit assumer un « saut fédéral », qui ne ferait que saper un peu plus la souveraineté des États. Proposition qui fait bondir de nombreux cadres socialistes. « Pour se couper de la base populaire, on ne peut rien faire de mieux, s’agace l’un d’eux. Nous avons pour devoir de nous adresser à la France du non au Traité constitutionnel de 2005, pas de l’insulter ».

« Concevoir la transition écologique comme une révolution industrielle, c’est s’adresser à cette France victime de la globalisation, rétorque la tête de liste. Mais je ne veux pas segmenter mon propos, je suis convaincu que notre discours sur la reprise en main de notre destin, notamment via l’instauration d’un protectionnisme écologique européen, peut parler à tous ». Auprès de son équipe, il le martèle : « Il faut faire comprendre que nous sommes aussi des souverainistes, mais européens. Que l’on ne représente pas « Globalia » ! ». Qui le croira ?

Attirer les derniers macronistes « de gauche » et les effrayés du mélenchonisme

Surtout ne pas se montrer trop clivant. Rester consensuel, lisse, et assez mou, pour attirer les déçus du macronisme, longtemps assez naïfs pour croire à la jambe gauche de l’exécutif, et les effrayés du « bruit et de la fureur » mélenchoniens. Certains espèrent le voir faire le meilleur score le 9 juin prochain pour initier la reconstruction d’une social-démocratie française en délicatesse depuis le mandat de François Hollande.

Ce dernier a récemment envoyé à Raphaël Glucksmann un exemplaire dédicacé de son livre sur l’Europe, tandis que d’anciens ténors de la Hollandie, comme Stéphane Le Foll, se réjouissent publiquement de sa dynamique « loin de la Nupes et de Mélenchon ».

« Aujourd’hui, sa voix nous permet de retrouver de la voix, se satisfait Sébastien Vincini, secrétaire national du PS. Il montre qu’il existe une gauche qui assume son rôle dans la construction européenne sans transiger sur ses valeurs, il aura donc certainement un rôle à jouer à l’avenir ». Mais cela l’intéresse-t-il vraiment, un destin national, lui l’Européen sans frontière, le citoyen du monde ? Là encore, le cap n’est pas clair. L’aventure, éternel luxe bourgeois.


 

     mise en ligne le 7 avril 2024

À Lannemezan, une manifestation
pour exiger la libération de
George Ibrahim Abdallah

Alain Raynal sur www.humanite.fr

Ils étaient nombreux, samedi, à Lannemezan, pour réclamer la libération du militant communiste libanais. Âgé de 73 ans, le défenseur de la cause palestinienne n’a jamais quitté, depuis 1984, l’enceinte d’une prison française.

Lannemezan (Hautes-Pyrénées), correspondance particulière.

« J’ai rejoint celles et ceux qui réclament depuis toutes ces années la libération de Georges Ibrahim Abdallah. Qui veulent mettre fin à un déni de justice et d’humanité. Mettre fin à un déshonneur. Celui d’une France oublieuse, ici, des droits de l’homme. C’est un combat dont je suis fière… »

Ces mots d’engagement sont ceux d’Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature 2022, transmis ce samedi 6 avril au plus ancien prisonnier politique d’Europe détenu depuis bientôt quarante ans dans une prison française. Et d’interpeller ainsi le président de la République : « Ne permettez pas que la France soit le premier pays européen qui aura condamné à une mort lente un combattant et un intellectuel dont la lutte pour l’existence de la Palestine sera reconnue et saluée comme légitime. »

Ce message, lu samedi après-midi devant quelque 2 000 manifestants rassemblés devant le centre pénitentiaire de Lannemezan (Hautes-Pyrénées), ne peut que conforter la mobilisation grandissante en faveur du militant communiste libanais incarcéré, pourtant libérable en droit français depuis 1999.

Pour José Navarro, l’un des animateurs du collectif Tarbes intègre : « C’est la plus forte mobilisation depuis quinze ans, nous le devons à l’appel commun de 13 organisations, à la participation de fortes délégations venues de plusieurs régions de France ainsi qu’à la présence de plusieurs parlementaires 1. »

Une nouvelle demande de libération a été déposée en juin dernier

Lors de la conférence de presse précédant le départ de la manifestation, des représentants d’organisations signataires tiennent à souligner l’urgence de la libération de Georges Abdallah. Citons, pour la CGT, les secrétaires des unions départementales Cédric Caubère pour la Haute-Garonne, Olivier Mateu pour les Bouches-du-Rhône. Selon François Rippe, vice-président de l’Association France Palestine solidarité (AFPS) : « À travers lui, nous reconnaissons le juste combat de la cause palestinienne et nous ne lâcherons rien tant qu’il ne sera pas libéré. »

Me Jean-Louis Chalanset, avocat du détenu, informe des démarches judiciaires en cours. À plusieurs reprises, dont en 2003 et en 2012, la justice d’application des peines se prononce pour la libération du militant libanais emprisonné. Cependant les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin puis de Jean-Marc Ayrault s’y opposent sous la pression des ambassades américaine et israélienne.

En 1987, George Ibrahim Abdallah avait été condamné pour « complicité d’assassinat » de diplomates de ces deux pays. « Ce ne sont pas seulement les États-Unis et Israël qui bloquent, c’est avant tout la politique française qui refuse la libération de ce militant libanais marxiste soutenant la cause palestinienne », confirme l’avocat.

Il dénonce un procès tout à fait inique pour des faits de détention d’armes dans le contexte de l’époque, marqué par l’invasion du Liban par Israël. Une nouvelle demande de libération a été déposée en juin 2023. Acceptée, il suffirait d’un arrêté d’expulsion pour que le militant retourne enfin dans son pays.

Encore faut-il qu’une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté instituée en 2007 par Rachida Dati, alors garde des Sceaux, donne son avis. Or, sa récente réponse reste négative et scandalise Me Chalanset. Selon cette commission, Georges Abdallah « présenterait toujours un danger car, libéré, il pourrait constituer un facteur de trouble dans son pays ».

Condamné à une mort lente

Georges Ibrahim Abdallah est aujourd’hui condamné à une mort lente, dénoncent les parlementaires présents à Lannemezan. Pour Andrée Taurinya (FI) : « C’est une situation dénoncée par la Convention des droits de l’homme et, une nouvelle fois, la France est montrée du doigt. . Avec le député communiste André Chassaigne, président du groupe GDR, elle est à l’initiative d’une tribune commune signée déjà par de nombreux parlementaires.

Une tribune qui doit encore s’élargir à celles et ceux attachés aux valeurs de justice, insiste Elsa Faucillon. L’élue communiste des Hauts-de-Seine s’est longuement entretenue avec Georges Abdallah samedi matin au parloir de la prison. « L’homme est impressionnant par sa forme physique et intellectuelle. Une personnalité exceptionnelle. Il se vit en permanence comme un militant communiste. Cette force du militantisme et ce refus de la culture du vide lui permettent de rester debout », témoigne-t-elle à sa sortie.

Selon les mots du détenu : « Le cérémonial judiciaire reste une formalité, je serai libéré en fonction du rapport de force. » Et d’insister sur l’important à ses yeux d’amplifier partout dans le monde le combat pour la cause palestinienne et contre l’impérialisme.

1 -Elsa Faucillon, députée PCF ; Sylvie Ferrer, Andrée Taurinya, Karen Erodi, Pascale Martin, députées FI.

   mise en ligne le 6 avril 2024

Au procès du secrétaire général
de la CGT du Nord
pour « apologie du terrorisme »

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce 28 mars avait lieu le procès du secrétaire général de la CGT du Nord au tribunal correctionnel de Lille pour« apologie du terrorisme » et « provocation publique à la haine ». Accusations d’antisémitisme, ou de « justifier l’attaque du Hamas », l’audience était à l’image des débats houleux en cours depuis le 7 octobre, dans un contexte de forte répression du mouvement pro-palestinien.

Dans la grande salle du tribunal correctionnel de Lille, Jean-Paul Delescaut n’entend plus les acclamations des centaines de militants qui se sont massés devant le bâtiment. Les « nous sommes tous Jean-Paul », les discours de soutien du ténor de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, ou de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, sont désormais couverts par le souffle d’un vent qui tape sur les carreaux et sur les nerfs. Le syndicaliste s’avance à la barre désormais seul.

Ce 28 mars, pendant près de 6 heures, magistrats et avocats se sont livrés au long commentaire d’un communiqué de l’union départementale CGT du Nord (UD CGT 59) intitulé « La fin de l’occupation est la condition de la paix en Palestine ». Rédigé collectivement par la commission exécutive de l’UD CGT 59, il a été publié sur le site internet de l’UD le 10 octobre. Il fait suite à l’attaque du 7 octobre, lors de laquelle plus de 300 soldats et 700 civils israéliens ont perdu la vie, et anticipe la riposte de l’armée israélienne. Il a été dépublié le 20 octobre à la suite du placement en garde à vue de Jean-Paul Delescaut.

Les quatre avocats des 3 associations qui se sont portées parties civiles, l’Organisation juive européenne, l’Association cultuelle israélite et la Jeunesse française juive, ont plaidé pendant plus de deux heures. La procureure s’est fendue d’un réquisitoire fleuve. Ils sont unanimes : par ce communiqué, le cégétiste, en sa qualité de responsable de la publication du site internet de l’UD CGT 59, se rend coupable d’apologie du terrorisme. Pour ce délit, le parquet a requis 1 an de prison avec sursis.

Le secrétaire général est également jugé pour « provocation publique à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminées », un délit de presse bien moins lourdement condamné que l’apologie du terrorisme. Le parquet considère d’ailleurs qu’il n’est pas constitué puisqu’aucune population n’est visée dans le communiqué du 10 octobre, seulement la politique de l’État d’Israël.

Au procès de la CGT du Nord, Hamas et terrorisme

À la barre, Jean-Paul Delescaut, aide-soignant de 52 ans et secrétaire général de l’une des plus grosses unions départementales de la CGT depuis 2016, ouvre les débats par une déclaration. Il rappelle les valeurs de solidarité, de paix, et l’internationalisme de son syndicat. « C’est pour ça que nous avons ouvert une cagnotte pour Gaza, pour Cuba, que nous avons mis en place un convoi pour l’Ukraine ».

Par la suite, contrairement à ce qui a été écrit dans la dépêche AFP de compte-rendu du procès, Jean-Paul Delescaut n’a absolument pas opposé « un mur de silence à chaque question ». S’il a refusé de répondre à certaines mises en cause, souvent très déstabilisantes, des avocats des parties civiles, il a d’abord longuement répondu à la plupart des questions de la présidente.

Devant les magistrats, le représentant syndical qualifie l’attaque du 7 octobre de « terroriste », de même que l’organisation qui l’a perpétrée. Ses avocats emploieront ce terme tout au long de l’audience (voir encadré en fin d’article).

Lire entre les lignes d’un communiqué

« Depuis le début de cette audience, on nous parle du Hamas. Les avocats de la partie civile nous disent qu’il est comparé à la résistance. Mais ni le mot “Hamas”, ni le mot “résistance” ne figurent dans le communiqué. Pourquoi a-t-on besoin de prononcer des mots qui n’ont pas été écrits ? », questionne Arié Alimi.

Si l’avocat du militant insiste tant sur la manière dont le parquet et les avocats des parties civiles interprètent les mots du cégétiste, c’est parce que le principal enjeu du procès consiste à établir les intentions de la CGT du Nord derrière le lexique choisi. Les débats porteront, entre autres, longuement, sur le terme « provoqué », employé dans le communiqué.

La juge : Vous écrivez que « les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [ndlr: 7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées ».

Jean-Paul Delescaut : C’est un constat. On est dans une situation qui est une poudrière et où la violence appelle la violence.

Pour vous, le 7 octobre était une réponse à la politique d’Israël, c’est ce qui est écrit.

On n’a jamais voulu dire que c’était un acte favorable. On condamne ce qui s’est passé. On écrit qu’on s’incline devant toutes les victimes civiles.

Quand vous dites que la politique d’Israël empêche toute solution pacifique, est-ce que vous ne dites pas que l’attaque du Hamas était inéluctable, qu’il fallait passer par là ?

Non, c’est un débat général, ça concerne toute la politique, tout ce qui s’est passé en Palestine depuis des années.

Pour Me Nicolas Benouaiche, avocat de la partie civile, expliquer les actes du 7 octobre, c’est déjà les justifier. « Quand on écrit que les réponses sont “provoquées”, on cherche des justifications à un acte terroriste. Donc on est déjà dans l’apologie du terrorisme. On dénie aux victimes le droit d’être des victimes, on leur dit : “Vous êtes des occupants, vous l’avez mérité”, et on compare les terroristes à des résistants. » Et l’avocat de l’Organisation juive européenne de filer son interprétation : « Imagine-t-on Jean Moulin égorger des bébés? ». Les 3 associations demandent le versement d’1 euro symbolique.

 Pour Me Ioannis Kappopoulos, autre avocat du secrétaire général de l’UD CGT 59, le verbe « provoquer » est malhonnêtement interprété comme un synonyme de « mériter » par la partie civile. « Au contraire, qu’on me trouve un terme plus neutre que “provoquer” dans la langue française. Le communiqué constate qu’il y a une cause, il ne justifie rien du tout. » Le syndicaliste reconnaît quant à lui « une maladresse » dans la rédaction. « On aurait dû être plus précis, pour que tout le monde ne puisse pas l’interpréter à sa sauce. »

« Défendre la lutte armée, pas le terrorisme »

Une autre phrase extraite du communiqué du 10 octobre est particulièrement mise en cause :

« En France et dans le “monde occidental” en général, la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l’occupant comme victime. »

Une dangereuse inversion des valeurs pour la partie civile. « Ce tract transpire le conspirationnisme. On a des musées qui sont remplis de théories comme celle-là. Des musée de l’Occupation, des musées de l’histoire de l’antisémitisme. On nous dit qu’il n’y a pas le mot “juif” dans le communiqué, mais on y parle “d’entité sioniste”. Personne n’est dupe ! », assène Me Nicolas Benouaiche.

Au contraire, pour Arié Alimi, un des deux avocats de la défense, le communiqué ne défend ni le terrorisme, ni l’antisémitisme, mais la lutte armée dans un contexte colonial.

« Le fait de présenter positivement des massacres de civils par des groupes armés dans le but d’instaurer la terreur constitue une apologie du terrorisme, il n’y a pas de doute. Mais il faut distinguer la lutte armée de ses modalités. La lutte armée du peuple palestinien est acceptée par le droit international, parce qu’elle a lieu dans le cadre d’une situation coloniale. La lutte armée, c’est quoi ? C’est l’exécution du droit à l’autodétermination du peuple. L’ANC de Nelson Mandela a fait ce choix à un moment de son histoire, mais pas contre des civils. Vous me direz que le 7 octobre était un massacre de civils. Oui. mais est-ce qu’à un moment le choix des modalités d’action est légitimé par le communiqué ? Non. Au contraire, le communiqué signale que la CGT du Nord “s’incline devant toutes les victimes civiles”. »

Il ajoute :

« J’ai ressenti un malaise à la lecture de certains communiqués d’organisations de gauche et d’extrême gauche après le 7 octobre. Ils étaient parfois teintés d’une lecture historique internationaliste ancienne, je les ai trouvés insensibles. Mais est-ce qu’ils constituaient pour autant une apologie du terrorisme ? », interroge Arié Alimi.

Dans un procès de la CGT du Nord où chacun essaie de lire entre les lignes du communiqué, l’avocat, également membre de la Ligue des Droits de l’Homme, estime que de nombreux doutes subsistent quant aux intentions du cégétiste. « Et le doute doit profiter à l’accusé », conclut-il.

Procès de la CGT du Nord ou du soutien à la Palestine ?

Chacune des parties s’est également prononcée sur les « éléments extrinsèques » au communiqué, qui doivent être pris en compte dans le cadre d’un procès pour apologie du terroir. Ainsi le contexte politique de publication, la personnalité de Jean-Paul Delescaut ou encore l’histoire de la CGT ont eu droit de cité.

Pour ce qui est du contexte politique : « On observe un climat de remise en cause des libertés et de hausse de la répression syndicale depuis le 7 octobre », a rappelé Sophie Binet, dans une vidéo de témoignage diffusée au cours de l’audience. « L’État a rapidement interdit de nombreuses manifestations d’appel au cessez-le-feu, interdictions qui ont d’ailleurs été levées par la justice » (voir notre article).

Lors de son discours aux portes du tribunal quelques heures plus tôt, la secrétaire générale de la CGT était plus catégorique encore. Elle avait alors qualifié le procès du jour de « procès politique » et d’« opération de diversion », organisée pour « discréditer par avance tous les soutiens aux Palestiniens ». Et Sophie Binet de rappeler les 32 000 civils déjà « assassinés par le gouvernement d’extrême droite de Benjamin Netanyahou » et la reconnaissance d’un « risque plausible de génocide » de la population palestinienne à Gaza, par un arrêt de la Cour Internationale de Justice, le 26 janvier. Elle a conclu : « Les débats politiques ne se tranchent jamais dans les prétoires »

L’inflation des procédures s’explique en partie par une circulaire du ministère de la Justice, en date du 10 octobre, qui insiste sur l’importance de condamner les provocations à la haine et les apologies du terrorisme dans un contexte de hausse des propos antisémites sur internet. D’ailleurs, selon le ministère de la Justice, interrogé par Le Monde, 626 procédures ont été lancées à la date du 30 janvier 2024, dont 278 à la suite de saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne. Des poursuites ont été engagées à l’encontre de 80 personnes pour apologie du terrorisme ou provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence. Si bien peu sont condamnés à ce jour, c’est le cas de Mohammed Makni, militant du Parti socialiste (désormais exclu) et élu à la municipalité d’Echirolles condamné, ce 26 mars, à 4 mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme.

La secrétaire générale de la CGT estime enfin que ce contexte répressif explique les modalités particulières de l’arrestation de Jean-Paul Delescaut. Le 20 octobre, le syndicaliste avait été interpellé et menotté à son domicile à 6h05, sur ordre du parquet, après signalement de l’ex préfet du Nord, Georges-François Leclerc (désormais directeur de cabinet de la ministre du Travail Catherine Vautrin). Des conditions d’arrestations considérées comme « abusives » et « vexatoires » par ses avocats. « Je pense en effet qu’on aurait pu faire autrement », convient la procureure.

Histoire de la CGT, personnalité de Jean-Paul Delescaut

Costume impeccable, Stéphane Sirot se présente à la barre. Historien de la CGT, il est cité comme témoin par Jean-Paul Delescaut.

« La CGT a toujours eu des engagements clairs contre les racismes, la xénophobie et toutes les formes d’exclusion. Si bien qu’on ne trouve pas de travaux de chercheurs sur d’éventuels cas de racisme ou d’antisémitisme au sein de la CGT. Donc, du point de vue des historiens, ce n’est pas un sujet. De même, la CGT a toujours été pacifiste et les rares fois où elle s’est écartée de cette ligne, c’était pour soutenir indirectement les mouvements indépendantistes ou pour combattre le nazisme et le fascisme », énumère-t-il.

« On ne juge pas l’histoire de la CGT, on juge un tract », ont répété inlassablement les avocats de la défense, refusant de convenir que le contexte politique pourrait avoir quelque chose à voir avec la présence du syndicaliste sur le banc des prévenus.

Enfin, la dernière plaidoirie, celle de Ioannis Kappopoulos, s’est attardée sur la personnalité du prévenu. Lors des débats, la présidente avait projeté la capture d’écran d’une vidéo Facebook montrant le secrétaire général de l’UD du Nord réalisant deux doigts d’honneurs – « un challenge », selon le cégétiste. Une image censée renseigner l’auditoire sur le caractère du cégétiste et exhumée non sans un certain mépris de classe.

L’avocat en droit social, habitué à côtoyer la CGT du Nord a tenu à rappeler que d’autres photos auraient pu être montrées à l’audience. Jean-Paul Delescaut soutenant les grévistes de Vertbaudet, les compagnons d’Emmaüs, ou encore Jean-Paul Delescaut, aide-soignant, portant un masque à l’hôpital de Valencienne, pendant le premier confinement. « Jean-Paul, que je connais depuis des années, au tribunal pour « apologie du terrorisme » ? Comment en est-on arrivé là ? », a-t-il déploré. Après une audience éprouvante, le syndicaliste est finalement sorti du tribunal aux alentours de 21 heures. Il était attendu par des dizaines de camarades syndicalistes qui avaient passé la journée devant le tribunal. Le délibéré du procès de la CGT du Nord sera rendu le 18 avril.


 

Encadré : Hamas et terrorisme :

Cela n’a pas forcément été le cas dans d’autres procès pour apologie du terrorisme en lien avec l’attaque perpétrée par le Hamas. Il a en revanche réfuté toute apologie des actions du Hamas.

Une caractérisation qui n’allait pas de soi tant elle a fait débat au lendemain du 7 octobre. Si l’Union Européenne considère le Hamas comme une organisation terroriste, c’est plus compliqué du côté de l’ONU. Différents médias (AFP, BBC) se refusent à employer un terme « très chargé politiquement ».

 

   mise en ligne le 5 avril 2024

Gaza : le Conseil des droits de l’homme de l’ONU exige l’arrêt
de toute vente d’armes à Israël

Axel Nodinot sur www.humanite.fr

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a exigé, le 5 avril, l’arrêt de toute vente d’armes à Israël, dans une résolution évoquant les craintes de « génocide » contre les habitants de Gaza. La veille, des centaines d’avocats britanniques, spécialistes du droit et anciens magistrats, ont appelé, dans une lettre publique, à l’arrêt des exportations d’armes vers Israël.

C’est une première en six mois de guerre contre Gaza. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a, pour la première fois, pris position, en exigeant, le 5 avril, l’arrêt de toute vente d’armes à Israël. Cette résolution, fondée sur les craintes d’un génocide contre les habitants de l’enclave palestinienne, a été votée par 28 pays sur les 47 membres du Conseil ; six s’y sont opposés, dont les États-Unis et l’Allemagne. Treize pays, dont la France, l’Inde et le Japon, se sont abstenus. Si ce texte ne présente pas de caractère contraignant, il contribue à isoler davantage le pays dans la guerre aveugle lancée contre les Palestiniens de Gaza, qui suscite un émoi international croissant.

Lettre publique de 600 juristes britanniques

En témoigne la lettre rendue publique hier par quelque 600 juristes britanniques, qui dénoncent l’hypocrisie des dirigeants occidentaux consistant à condamner les exactions israéliennes tout en continuant de fournir armes et munitions. Dans cette lettre, publiée par The Guardian et adressée au premier ministre conservateur Rishi Sunak, ces avocats, juges et autres spécialistes du droit appellent à suspendre les ventes d’armes à Israël, pointant du doigt le « risque évident qu’elles puissent être utilisées pour commettre de graves violations du droit humanitaire international ».

Citant le « risque sérieux de génocide » observé par la Cour internationale de justice dans la bande de Gaza, les signataires rappellent à leur gouvernement que les armes des soldats israéliens comportent pour la plupart des composants fabriqués au Royaume-Uni. Sunak, de son côté, a affirmé au Sun ce mercredi que les licences d’armes étaient examinées attentivement, selon des « réglementations et des procédures que nous suivrons toujours ».

Le fait que tant de membres éminents de la profession juridique britannique s’expriment avec une telle force pour exhorter le gouvernement à agir conformément à ses obligations légales démontre la profondeur de notre inquiétude face aux preuves évidentes de violations flagrantes du droit international à Gaza.            Philippa Kaufmann, avocate et signataire.

De nombreux élus britanniques, souvent travaillistes, ont formulé le même vœu de l’arrêt des exportations d’armes. Cette prise de conscience collective intervient quelques heures après le meurtre des sept membres de l’association humanitaire World central kitchen, ce lundi 1er avril. Trois des victimes avaient la nationalité britannique. Depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas, ce sont plus de 33 000 Gazaouis qui ont été tués par l’armée israélienne, bien souvent des familles.

Parmi les signataires, trois anciens membres de la Cour suprême britannique, dont l’ex-présidente Brenda Hale, prennent la plume pour dénoncer le comportement du gouvernement tory, « nettement en deçà des obligations (…) du droit international ».

Mais aussi pour réclamer des « sanctions contre les individus ou entités ayant incité au génocide contre les Palestiniens », un discours émis notamment par des personnalités d’extrême droite telles qu’Itamar Ben Gvir, Yoav Gallant ou May Golan, tous ministres de Benyamin Netanyahou, et relayé par de nombreux médias sous couvert du droit à la défense d’Israël.


 

   mise en ligne le 4 avril 2024

Voisins d’une usine à PFAS,
ils ont davantage de cancers :
« Qu’on arrête de nous mentir »

par Marie Astier sur https://reporterre.net/

Le 4 avril, les députés étudient une proposition de loi pour réglementer les « polluants éternels ». Des personnes s’estimant victimes de ces molécules, notamment rejetées par l’usine de Salindres, dans le Gard, témoignent.

Salindres (Gard), reportage

Il a les traits un peu tirés, mais ça pourrait être une fatigue passagère. Grand mince aux gestes brefs et déterminés, il porte une casquette qui assombrit son regard. Marc Lemaire, 48 ans, aurait presque des airs de sportif. Mais son marathon à lui, c’est un cancer. Cela fait dix mois que l’éducateur spécialisé consacre son temps à se soigner d’un glioblastome. Une tumeur du cerveau agressive, qui laisse peu de chance à ceux qu’elle atteint. Il ne préfère pas s’appesantir sur les caractéristiques et symptômes de sa maladie. « Les autres ne sont plus là pour en parler », lâche-t-il sobrement.

S’il parle néanmoins aux journalistes, c’est que le 6 février dernier, il a découvert que sa maladie n’était peut-être pas qu’un triste coup du sort. Ce jour-là, l’association Générations futures et le journal Le Monde ont publié un rapport et une enquête sur l’usine chimique Solvay de Salindres, dans le Gard. C’est l’une des cinq usines fabriquant des PFAS — ces molécules surnommées « polluants éternels » — en France. Dans les deux cours d’eau autour de l’usine, l’Arias et l’Avène, les mesures effectuées par l’association ont relevé des taux extraordinairement élevés. Jusqu’à 7,6 millions de nanogrammes par litre (mg/L) pour le TFA (acide trifluoroacétique), un PFAS fabriqué par l’usine, dans son rejet.

« À titre de comparaison, des concentrations en TFA de 0,14 mg/L [soit 54 fois moins] retrouvées en 2015 dans la rivière Neckar en Allemagne ont immédiatement alerté l’agence allemande UBA, qui a alors entrepris une vaste campagne de mesures afin d’identifier la source (une autre usine de Solvay) et de prendre des mesures pour limiter les rejets », indique l’association dans son rapport.

Le même jour, un rapport de Santé publique France confirmait que l’on trouve à Salindres et Rousson trois fois plus de cas de glioblastomes que ce à quoi l’on pourrait s’attendre, tout en précisant qu’aucune cause n’avait été identifiée. Les PFAS, omniprésents dans les ustensiles de cuisine, les cosmétiques ou certains vêtements, sont connus pour altérer les fonctions immunitaires, provoquer des maladies du foie et des reins, ont des effets négatifs sur la reproduction et le développement, et des effets cancérigènes.

Concernant le glioblastome, seule une récente étude chinoise établit un possible lien. « Nos résultats suggèrent que l’exposition aux PFAS pourrait augmenter la probabilité de développer un glioblastome », écrivent ses auteurs, appelant à poursuivre les recherches. Marc ne cesse de se documenter, veut savoir. Sa maladie est-elle liée à la pollution de l’usine ? « Cela fait treize ans que je travaille à seulement 10 kilomètres », dit-il.

Omerta et protection locale

Il n’est pas le seul à avoir contacté Générations futures. Estelle Martin-Boudet, 45 ans, a grandi à Rousson. Son père est décédé d’un glioblastome en juin 2020. En février de la même année, Santé publique France avait publié sa première étude montrant une surincidence de glioblastomes dans la zone. L’ingénieure qu’elle est l’a lue avec précision. « On a appris au même moment que le voisin direct de mes parents était aussi décédé d’un glioblastome. On a commencé à se poser des questions », se rappelle-t-elle. Elle a alors tenté de faire du bruit, mais le confinement a eu raison de cette première mobilisation. Quand elle a eu connaissance des révélations sur la pollution aux PFAS, « j’ai ressenti un mélange d’incompréhension et de colère », se souvient-elle.

Lisa Orsucci, elle, a contacté Estelle quand elle a vu sa photo dans Midi libre. « Mes parents ont toujours habité sur Rousson ou Salindres », dit-elle. La jeune femme de 27 ans allait bientôt accoucher quand sa mère a été diagnostiquée d’un glioblastome, il y a un an. Les larmes aux yeux, elle constate que la grand-mère risque de ne pas profiter longtemps de son petit-fils. « Depuis un mois, quand elle marche, elle tombe, même dire “Oui” ou “Non” est compliqué, explique-t-elle. La maladie prend le dessus, et mon père, qui s’occupe d’elle, fatigue. » Régulièrement, Estelle prend des nouvelles, soutient Lisa.

Il y a deux mois, aucun d’eux trois ne savait ce qu’est une molécule PFAS. Même le maire de Salindres, Étienne Malachanne, a admis auprès du Monde qu’il avait appris leur existence, et le fait que Solvay en produit, seulement l’année dernière. La rue principale de la commune de 3 600 habitants est comme collée à l’usine. Côté est, les bâtiments n’en sont séparés que par l’Avène, l’un des deux cours d’eau pollués. Les trottoirs récemment refaits contrastent avec les nombreuses façades décrépites et les volets défraîchis.

On sent comme un air de prospérité passée, que l’on tente de ne pas oublier. Ici, « l’usine » fait l’histoire et l’identité depuis le milieu du XIXe siècle. En 1860, c’est là qu’a été inventé le procédé de fabrication de l’aluminium. Les rachats se sont succédé, mais le lieu est toujours resté consacré à des activités chimiques. Aujourd’hui, Axens, Solvay et Sud Fluor y ont des usines.

« Le cocktail est potentiellement détonnant »

Ici, chacun se doute bien que le site, classé Seveso seuil haut — soit le plus haut degré de dangerosité —, pollue. Ses 110 hectares structurent la zone. Les routes d’accès à la commune le contournent. Ses bâtiments dominent la plaine, les Cévennes en arrière-plan. Au-dessus, de lourds nuages gris descendant des montagnes semblent symboliser la menace sanitaire qu’il fait peser sur les populations alentour. Parfois, des fumées d’une inquiétante couleur jaune s’échappent des cheminées, se rappelle Marc. Tel l’éléphant au milieu de la pièce, c’est presque une tradition locale que d’éviter d’en parler.

« Pendant longtemps, c’était tabou, dit Estelle. Pourtant, il y a un tel historique de pollution que le cocktail est potentiellement détonnant. » Elle a des proches qui travaillent à l’usine ou chez des sous-traitants. Aucun ne lui a jamais parlé de son travail en détail. Il se dit que les employés ont de très bons salaires, et « se passent le boulot de père en fils ». Même le travail du père de Lisa dépend de l’usine : il tient la pizzeria adjacente.

Élus et autorités locales semblent jalousement protéger cette activité économique, dans un bassin où le chômage fait rage depuis la désindustrialisation. Au lendemain de la publication du rapport de Générations futures et de l’enquête du Monde, les maires de Salindres (Étienne Malachanne) et Rousson (Ghislain Chassary), ainsi que le président d’Alès Agglomération Christophe Rivenq, ont organisé une conférence de presse en catastrophe. « Je serais en tête du cortège, à manifester pour fermer l’usine de Salindres, s’il y avait de tels problèmes de santé publique, mais ce n’est pas le cas », tempêtait le président d’agglo.

L’Agence régionale de santé (ARS) indique que « ce site industriel fait l’objet d’une surveillance environnementale et sanitaire depuis de très nombreuses années ». Une réponse dans la même veine que celle de l’usine, Solvay indiquant qu’elle « est parfaitement en ligne avec la réglementation en vigueur [...]. La préservation de la santé et de la sécurité des collaborateurs et de nos riverains demeure la priorité absolue de l’entreprise ». Ce que confirme Générations futures : l’usine est dans les règles, certes, mais ce n’est pas difficile tellement les limites de rejet fixées par arrêté préfectoral sont élevées, estime l’association.

Élus et ARS ont aussi martelé que l’eau potable est « conforme aux limites de qualité réglementaires et propre à la consommation humaine, pour les paramètres analysés ». Car si l’eau de Rousson et Salindres, prélevée en amont, n’est pas contaminée, Générations futures a trouvé des taux de TFA de 18 et 19 microgrammes par litre, dans l’eau du robinet des communes de Boucoiran-et-Nozières et Moussac, en aval. Toutes deux prélèvent leur eau dans le Gardon d’Alès, où se jette justement l’Avène. Mais là encore, la réglementation pèche. Le TFA ne fait pas partie des PFAS qui devront être contrôlés dans l’eau potable à partir de 2026. Peu de chance, donc, que les analyses dépassent la norme.

« Qu’on arrête de nous mentir »

C’est pourquoi l’association soutient vigoureusement la proposition de loi écologiste examinée le 4 avril par les députés. Elle vise à interdire, dès 2026, la présence de PFAS dans les ustensiles de cuisine, les vêtements, les cosmétiques et le fart des skis. « L’interdiction est la meilleure solution, insiste Pauline Cervan, chargée de mission à Générations futures. Il faut garder en tête que les rejets des usines sont quasiment incontrôlables. Les industriels eux-mêmes ne savent pas exactement ce qu’ils rejettent. »

« J’espère sincèrement que cette loi sera adoptée », approuve Estelle, déterminée à poursuivre aussi le combat localement. Avec Lisa, Marc et d’autres, un petit collectif est en train de se former, ils envisagent de créer une association. « On ne veut pas que l’usine ferme, mais qu’on arrête de nous mentir », demande Lisa. « Ce qui m’anime aujourd’hui, c’est d’agir pour éviter qu’il n’y ait trop de cas, ajoute Estelle. C’est une maladie ravageuse. »

Limiter les rejets, investiguer sur la santé des populations autour de l’usine, déterminer si les pollutions ont des conséquences sur la santé des riverains… Autant de questions simples qui risquent de n’avoir de réponses que dans plusieurs années. Marc le sait, il est prêt à aller en justice : « Je veux que l’on applique le principe pollueur-payeur, les mettre devant leurs responsabilités. »

Ils voudraient aussi poursuivre les mesures. Lisa nous emmène dans des parcelles potagères installées le long de l’Avène. Juste en face, de l’autre côté du cours d’eau, l’usine. Des poireaux attendent d’être ramassés, les premières patates ont déjà pointé leurs feuilles. Poules et canards picorent dans un poulailler bricolé. « Quand on voit qu’à Pierre-Bénite [où se trouve une autre usine de production de PFAS, dans le Rhône] ils ont interdit la consommation des œufs et qu’ils recommandent de ne pas consommer les fruits et légumes, on se demande si ce ne sont pas des précautions qui devraient être prises aussi ici », s’interroge Estelle. Les potagers ne sont pas rares dans le coin, arrosés avec l’eau de puits ou de cours d’eau voisins.

Sur l’une des cahutes, un dessin d’enfant égaye le jardinet de quelques fleurs. Ce sont à eux que pensent avant tout nos apprentis militants. Marc a tenté d’avertir ses collègues de l’Institut médico-éducatif où il travaillait, qui héberge soixante enfants. « La directrice m’a répondu “Mais qu’est-ce que je peux faire ?” », rapporte-t-il. Il espère aussi que ses deux ados de 13 et 17 ans iront « faire des études ailleurs », loin de ce territoire pollué. Estelle repense à toutes ces années où sa fille a été gardée chez ses parents, non loin de l’usine : « Je suis en colère. » Discrète mais ferme, Lisa souffle : « Je n’ai pas envie que mon petit garçon grandisse dans la pollution. »


 

   mise en ligne le 3 avril 2024

Projet de loi agricole :
peu pour les futurs paysans,
beaucoup pour l’agro-industrie

par Marie Astier sur https://reporterre.net/

Installer de nouveaux agriculteurs : telle est l’ambition du projet de loi d’orientation agricole, présenté le 3 avril en conseil des ministres. Mais il est insuffisant et signe un « chèque en blanc à l’agro-industrie », dénoncent certains paysans.

Enfin. Après des mois d’attente, de retards et reports, le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture est présenté en conseil des ministres le 3 avril. La crise agricole a ajouté de nouvelles mesures, sur la souveraineté alimentaire ou la simplification des normes —, avec notamment plusieurs reculs pour la protection de l’environnement.

Mais le cœur du texte devait être, au départ, de « faciliter » l’installation de nouveaux agriculteurs, pour faire face au « mur démographique » qui s’annonce, selon les mots du cabinet du ministre Marc Fesneau. Environ un tiers des agriculteurs devraient partir à la retraite dans les dix ans qui viennent. « Seul·es 10 à 15 000 [agriculteurs] s’installent chaque année. Or, il en faudrait 20 à 25 000 pour assurer la relève agricole », s’alarme l’association Terre de liens.

Face à l’ampleur du défi, les organisations de la coalition Installons des paysans [1] jugent les solutions proposées « inadéquates et insuffisantes ». Terre de liens dénonce, au contraire, un « chèque en blanc à l’agro-industrie », qui pourrait même, par certaines mesures, « décourager les installations ».

« Il y a vraiment un sentiment d’incompréhension, que l’on ne tire pas les leçons des difficultés qu’on observe sur le terrain », déplore Astrid Bouchedor chez Terre de liens. Un ressenti confirmé par les témoignages de paysans recueillis par Reporterre.

Le « verrouillage » des chambres d’agriculture

C’est trop souvent l’un des points noirs du parcours d’installation des futurs paysans : l’accueil des chambres d’agriculture, aujourd’hui gouvernées dans la grande majorité des cas par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs. Le maraîcher Julien Delagnes l’a expérimenté. Car il ne respecte pas les traditions agricoles du département où il exerce : il a décidé de faire pousser des tomates en Lozère. « Il y a des difficultés climatiques, reconnaît-il, mais une opportunité commerciale. »

Il vendait ses légumes depuis plusieurs saisons quand il a décidé d’officialiser son nouveau métier et s’est lancé dans le « parcours à l’installation ». Il a toqué à la porte de la chambre d’agriculture, par laquelle toute personne souhaitant obtenir l’aide destinée aux jeunes agriculteurs est obligée de passer. Il a reçu un accueil plutôt froid. « Le conseiller ne croyait pas à mon projet. Mais il ne s’agissait pas d’y croire, ça marchait déjà ! » Pour monter le dossier, d’habitude, un conseiller apporte son aide. « Le mien m’a demandé de faire tout le travail. Compte tenu de l’originalité du projet [du maraîchage en Lozère], la chambre n’avait aucune donnée technico-économique. »

Même impression mitigée pour Émilien Mondher, paysan fromager près de Rennes. Installé en 2019, il se remémore son premier rendez-vous avec la chambre d’Ille-et-Vilaine : « La conseillère nous a dit “C’est compliqué”. Parce que comme on loue la ferme, on a choisi une formule juridique qui l’a perturbée. Et ils nous demandaient 2 000 euros pour faire le dossier. » Il a préféré le monter lui-même. « Ils l’ont vraiment mal pris, le jour où je l’ai déposé on ne m’a même pas dit bonjour. » Il a finalement obtenu 24 000 euros d’aides jeune agriculteur.

Aujourd’hui, Julien et Émilien, à leur tour, aident d’autres agriculteurs à s’installer. Julien est administrateur de l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural (Adear) de Lozère. « On accompagne des gens qui veulent faire du circuit court, des petites surfaces, de la transformation, etc. Tandis que la chambre d’agriculture fait de gros volumes et du circuit long », observe-t-il. Émilien est à Agrobio 35, une structure qui arrive à installer des paysans bio en Ille-et-Vilaine. « En 2019, la chambre d’agriculture avait encore le monopole de l’installation dans le département, mais ça commence à changer », se félicite-t-il.

Deux structures locales, qui font partie des sept organisations nationales regroupées dans la coalition Installons des paysans. Ensemble, elles forment un réseau alternatif et revendiquent l’installation d’environ un tiers des nouveaux paysans. Mais elles craignent fortement de voir leur action entravée par l’article 10 du projet de loi, objet de leur principale inquiétude.

Il prévoit que toutes les personnes souhaitant s’installer agriculteur ou agricultrice passent par un « guichet unique », désormais nommé « France Service Agriculture ». Les candidats « seront tenus de faire appel à ce service », sous peine de ne pouvoir recevoir « certaines aides publiques ». De nombreuses aides pourraient se retrouver conditionnées au passage par ce guichet unique, et plus seulement la dotation jeune agriculteur. L’idée est de « conditionner certaines aides publiques à un accompagnement qui permette de s’assurer de la viabilité économique et écologique d’un projet », a expliqué le cabinet du ministre de l’Agriculture.

Cette centralisation ressemble à un « verrouillage par les chambres d’agriculture, qui ne sont pas forcément à l’écoute des modèles atypiques », craint Astrid Bouchedor. Pourtant, désormais, les personnes non issues du milieu agricole sont majoritaires parmi les candidats à la profession d’agriculteur… Et arrivent souvent avec des envies loin du modèle dominant. Pour qu’une diversité d’accompagnements à l’installation reste possible, et ne pas perdre ce nouveau public, la coalition demande à faire partie de la gouvernance du futur « France Service Agriculture ». « Nous voulons préserver la diversité des modèles agricoles et des structures », a rassuré le cabinet lors de la présentation du projet de loi.

Presque aucune mesure pour faciliter l’accès à la terre

Sans terres, pas de paysans. Or, le sujet est quasi absent du projet de loi. Il précise bien dès le premier article que « l’État facilite l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables ». Mais n’est suivi d’aucune mesure concrète.

Or, trouver des terres agricoles, pour qui n’est pas issu du milieu, relève souvent du parcours du combattant. Pour Lorette Vugier, productrice de plantes médicinales en Côte-d’Or, c’est un peu le serpent qui se mord la queue : « Pour que l’on nous prête un bout de terrain, il faut faire nos preuves… Et pour les faire, il faut un bout de terrain ! » Elle était en concurrence avec des acheteurs de maisons secondaires. Elle a débloqué la situation grâce à un éleveur lui ayant prêté un lopin. « Le plus dur, c’est la première parcelle », confirme Julien Delagnes.

Lui s’est confronté aux éleveurs qui s’accrochent à la moindre prairie pour garder les primes de la Politique agricole commune (PAC) associées. Il a commencé sur un terrain prêté temporairement, duquel il a pu sortir de beaux légumes… Ce qui lui a permis ensuite de trouver un bail plus durable. « J’ai eu de la chance », dit-il. Et encore, dans ces deux cas, les surfaces nécessaires étaient minimales.

liens rappelle que la moitié des terres libérées par des départs à la retraite ne vont pas à de nouveaux agriculteurs, mais partent à l’agrandissement des fermes voisines. « La plupart des terres changent de mains via le bouche-à-oreille », dit Astrid Bouchedor. Pour ceux qui ne sont pas du milieu, difficile d’être au courant des ventes. Sans parler de leur coût. « On ne va pas changer grand-chose si on ne permet pas aux futurs agriculteurs de trouver des terres », poursuit la chargée de plaidoyer.

Face à cette montagne d’obstacles, le projet de loi propose la création de « groupements fonciers agricoles », à l’article 12. « Donc la seule réponse, c’est de multiplier les investisseurs potentiels, constate Astrid Bouchedor. C’est inquiétant, ces investisseurs externes vont vouloir un retour sur investissement. Et ils risquent d’imposer aux agriculteurs certaines pratiques intensives pour l’obtenir. »

Les espaces tests agricoles oubliés ?

Si Lorette a réussi à s’installer, c’est en grande partie grâce à son passage par un espace test agricole. « Cela m’a permis d’accéder à un terrain, d’avoir un statut, une protection sociale, d’être reconnue dans le monde agricole… Alors que je cochais toutes les cases du cliché : une jeune femme, qui veut faire des plantes aromatiques, ne venant pas d’une famille d’agriculteurs. Cela m’a permis d’entrer dans le monde agricole et prouver que mon projet fonctionnait. »

Ces espaces tests sont comme des pépinières d’entreprises pour agriculteurs. Ils hébergent les projets naissants pendant 1 à 3 ans. « Cela permet de tester la réalité du travail, voir si notre corps est prêt à l’endurer, d’envisager les risques financiers, etc. », liste Lorette.

Le projet de loi ne fait qu’effleurer le sujet. Tout juste mentionne-t-il vouloir « encourager les formes [...] d’installation progressive, en ce compris le droit à l’essai », sans traduction concrète derrière. Le cabinet du ministre a indiqué que la question, « complexe », pourrait être précisée lors du débat parlementaire.

Les fermes collectives à peine évoquées

Même traitement pour les fermes collectives, elles aussi évoquées au simple détour d’une phrase. Pourtant, elles répondent à deux défis majeurs : permettre la reprise de fermes de grande taille sans obliger un jeune paysan à prendre seul un prêt démesuré, et améliorer considérablement les conditions d’exercice du métier.

« On a six semaines de vacances et on ne travaille que 1 week-end sur 3 », se félicite Maëla Naël, installée avec quatre associés, en Bretagne, depuis deux ans. Vaches, brebis, pain, maraîchage, fromage… « On s’est réparti les métiers, la charge mentale, et en même temps on s’entraide beaucoup, on se remplace les uns les autres, on a partagé les coûts, décrit celle qui est l’autrice d’un guide sur les fermes collectives. On ne se serait pas installés tout seuls. Cela permet de faire face au mur de l’installation, de se projeter dans l’agriculture et même dans l’élevage, de ne pas se tuer à la tâche. »

Autant de retours de terrain que la coalition Installons des paysans espère faire traduire en amendements portés par des parlementaires. Après la présentation en conseil des ministres le 3 avril, le gouvernement annonce que le texte passera mi-mai à l’Assemblée nationale, dans la deuxième quinzaine de juin au Sénat, pour une adoption avant la fin du premier semestre.

Notes

[1] En font partie : l’association SOL (coordinatrice de la coalition), la Fadear (Fédération des Adear), Terre de liens, Miramap (réseau des Amap), le réseau Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural), le Reneta (Réseau des espaces tests agricoles) et la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique).

 

   mise en ligne le 2 avril 2024

Dérives de l’école privée :
un rapport parlementaire
met la pression sur Belloubet

Mathilde Goanec et Mathilde Mathieu sur www.mediapart.fr

Financement opaque, dérives, manque de mixité sociale : le rapport parlementaire confirme le manque de contrôle et de régulation de l’enseignement privé sous contrat. Il propose des pistes pour sortir du statu quo.

Après un premier état des lieux cinglant de la Cour des comptes et la déflagration de l’affaire Stanislas, c’est peu dire que le rapport parlementaire sur le financement de l’école privée sous contrat, préparé par les députés Paul Vannier (La France insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance), était attendu.

Voté mardi 2 avril en commission des affaires culturelles et de l’éducation, il ne renverse pas la table mais enfonce le clou sur l’abondance d’argent public mis à la disposition du privé sans réelles contreparties. Au fil de 150 pages, les députés regrettent que l’État et les collectivités locales avancent à l’aveugle sur une partie de leurs subventions et critiquent vertement l’absence de contrôle comptable et administratif : « Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7 500 établissements –, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans. » C’est dix fois plus dans le public.

Le rapport rappelle qu’environ 13 milliards d’euros ont été versés au privé sous contrat en 2021, dont 10 milliards d’argent public (8,2 milliards de l’État et 1,8 milliard des différentes collectivités territoriales), 3 milliards d’euros de contributions des familles et 155 millions d’euros versés par des entreprises. Des sommes en forte hausse, « en partie en raison de l’application d’une règle de parité avec l’évolution des dépenses pour l’enseignement public ».

Un tel niveau de financement n’est pas « une spécificité française », écrivent les rapporteurs. « En revanche, un financement public élevé est généralement associé à davantage de contreparties imposées aux établissements », alors que la France se caractérise par une « culture de l’évitement », selon des propos tenus par un haut fonctionnaire en audition.

Malgré des divergences dans leurs 55 propositions (notamment sur l’abrogation de dispositions des lois Falloux, Astier et Carle qui encadrent la participation financière de l’État et des collectivités), les deux députés ont choisi de faire bataille commune, pour partie, afin d’imposer davantage de règles au secteur. Au point que le secrétaire général de l’enseignement catholique dénonçait dès la semaine dernière « un combat d’arrière-garde », lors d’une conférence de presse préventive.

Pas naïf, l’Insoumis Paul Vannier concède cependant qu’il n’y a pas aujourd’hui de « majorité politique pour refonder en profondeur le système de financement du privé sous contrat ». Mais il espère exploiter « une ligne de fracture au sein de la minorité présidentielle », entre « les partisans du statu quo et de l’omerta qui ne veulent toucher à rien » et « ceux qui constatent que le système a dérivé et qu’il convient peut-être de le faire évoluer ».

De son côté, Christopher Weissberg veut « y aller avec diplomatie » et « dire à l’enseignement catholique qu’il ne s’agit pas de lui tordre le bras », mais il juge aussi urgent d’agir « avec tous les moyens à notre disposition ». « L’État est le premier actionnaire de ces établissements privés ! », rappelle l’élu Renaissance, qui veut donc « renforcer le contrôle et les contreparties ». Son objectif, avec ce rapport : mettre la pression sur le privé, afin de dégager des marges de négociation inédites pour la ministre de l’éducation nationale.

Auditionnée par la commission des affaires culturelles, Nicole Belloubet n’a-t-elle pas indiqué qu’elle voulait faire de la « lutte contre la ségrégation scolaire » un des axes forts de sa politique ? « Je la prends au mot, clame Paul Vannier. Elle dispose maintenant d’un rapport qui pointe des dérives très graves et fait des propositions, elle peut s’en saisir. »

Moduler les financements en fonction de la mixité sociale

C’est l’une des recommandations phares du rapport de la mission d’information : conditionner une partie des financements à des résultats en termes de mixité sociale. Christopher Weissberg propose ainsi de rendre obligatoire la prise en compte de l’indice de positionnement social (IPS) dans le « modèle d’allocation des moyens » et de « moduler » les subventions des collectivités locales sur la base de ce même indicateur. Quand Paul Vannier prône carrément « un mécanisme de malus » pour faire baisser les dotations lorsque cet IPS est supérieur à celui des établissements publics du même secteur.

Cette idée, un temps caressée par l’ancien ministre Pap Ndiaye, n’avait pas résisté à l’opposition farouche du privé sous contrat et à l’hostilité d’une partie du gouvernement et de la majorité, inquiets de la perspective d’une « nouvelle guerre scolaire ».

Et pourtant, note le rapport, à la rentrée 2022, les élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat « présentaient un IPS moyen de quinze à vingt points supérieur à l’IPS moyen des élèves scolarisés dans un établissement public », tous niveaux scolaires confondus. Un « embourgeoisement » qui s’accélère depuis 2017, et qui contribuerait à l’aggravation des inégalités scolaires.

Faire payer les accrocs au contrat d’association

C’est l’une des leçons de l’affaire Stanislas : le contrat d’association qui régit la relation entre les quelque 7 500 établissements privés sous contrat et l’État n’est presque jamais rompu. Cette « extrémité », les administrations « ne s’y résolvent manifestement pas » pour des raisons pratiques d’une part (rescolariser ailleurs les élèves, rompre le contrat des enseignant·es par la même occasion), mais aussi en raison de la « sensibilité politique de ces questions ». « En outre, conserver le contrat permet aux académies de maintenir une certaine prise sur ces établissements et, selon les termes de la DAF [direction administrative et financière du ministère – ndlr], de les garder dans le giron des règles communes », notent les députés.

Pour contourner cette frilosité, les rapporteurs souhaitent la mise en place « d’une échelle de sanctions », afin de formaliser les étapes avant la rupture du contrat, et notamment la possibilité de suspension des paiements par les autorités publiques.

Autre effet collatéral de l’affaire Stanislas, les rapporteurs demandent à ce que l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) rende publics ses rapports portant sur les établissements privés. Cette plus grande transparence permettrait d’éviter une sorte de « deux poids deux mesures », comme dans le cas du lycée catholique parisien Stanislas et du lycée musulman Averroès à Lille (inspectés tous les deux, seul le second est sous la menace d’une rupture de contrat).

Changer les règles d’un financement flou de haut en bas

Autre enjeu majeur : « Aucune administration ou institution n’est en mesure de fournir un montant consolidé de la dépense allouée aux établissements privés », dont les rapporteurs pensent même qu’elle est sous-estimée, par manque de traçabilité des financements indirects.

« Un simple calcul de proportionnalité pourrait conduire à estimer à environ 750 millions d’euros [supplémentaires] le coût des services administratifs affectés au suivi des établissements privés », remarquent-ils, une logique qu’ils appliquent aux dépenses des collectivités territoriales. En clair, la facture de 10 milliards par an environ pourrait s’avérer bien plus lourde en réalité pour les finances publiques.

Les deux rapporteurs s’accordent au moins sur une préconisation pour regagner des marges de manœuvre financières : sortir les établissements REP (dépendant du réseau d’éducation prioritaire) du calcul du forfait d’externat, que le privé touche automatiquement à parité avec le public. Ainsi, certaines collectivités regrettent que l’allocation de moyens aux établissements publics dans le cadre de leur politique sociale dans les REP (par exemple pour renforcer le personnel ou l’équipement des classes) entraîne une augmentation mécanique du forfait alloué au privé, sans que les conditions de scolarisation des élèves le justifient.

Selon France urbaine (association nationale des grandes villes et métropole), interrogée dans le rapport, « certaines collectivités en sont même réduites à diminuer les dépenses qu’elles réalisent pour les établissements publics, faute de moyens pour assumer de telles dépenses pour les établissements privés de leur territoire ».

En finir avec les « irrégularités, voire les fraudes »

Les députés pointent des rapports comptables non transmis ou parcellaires, l’absence des représentants des collectivités locales dans les instances où sont débattus les budgets, la rareté des contrôles financiers par les directions régionales des finances publiques, des subventions et réalisations difficiles à tracer… « Il apparaît que le système repose sur un climat de confiance entre ses différentes parties prenantes, lesquelles ne perçoivent pas toujours la nécessité de contrôler des interlocuteurs présents dans le paysage éducatif local depuis de nombreuses années, faute de temps, faute de volonté politique, par crainte de raviver une guerre scolaire fantasmée ou de devoir gérer les difficultés consécutives », critiquent Paul Vannier et Christopher Weissberg.

Devant la détection « d’irrégularités, voire de fraudes », les rapporteurs estiment, l’un comme l’autre, que « cette situation ne peut en aucun cas perdurer ». Ils préconisent un renforcement des audits mais également des moyens de contrôle accrus pour les directions financières régionales et départementales.

« Je regrette que tous nos établissements ne soient pas contrôlés financièrement chaque année », a déjà rétorqué Philippe Delorme, patron de l’enseignement catholique, en assurant que tous les établissements de son réseau publient « un bilan comptable très précis, donc c’est assez simple de vérifier sans y passer des heures ».

Le rapport parlementaire dresse cependant une série d’entorses. Comme ces heures d’enseignement allouées par l’État aux directeurs et directrices d’établissement mais non effectuées ; des pratiques qui consistent à rogner sur le temps d’enseignement (50 minutes de cours effectif au lieu des 55 payées par l’État) de manière à pouvoir proposer par ailleurs une ou deux options attractives pour les familles, dans un contexte concurrentiel entre public et privé ; ou encore des crédits d’impôt parfois proposés sur les frais de scolarité, ce qui revient pour l’État à payer deux fois. Les députés reviennent enfin sur l’opacité qui entoure le champ de la formation professionnelle des professeur·es du privé via l’organisme Formiris.

Pour ce qui concerne les communes, les départements et les régions, le rapport cite l’Association des maires de France, qui parle même de « discussions de marchands de tapis » lorsqu’il s’agit de décrire les négociations entre les réseaux du privé et les collectivités locales, et parfois les pressions. « Il apparaît que chaque collectivité territoriale retient un périmètre et un mode de calcul différents [pour le calcul du forfait d’externat – ndlr], en raison parfois de choix politiques ou à la suite de discussions avec les établissements », indique le document parlementaire.

Le rapport prend en exemple le département des Bouches-du-Rhône, qui décrit des débats fréquents pour déterminer les dotations : inflation, coût des agent·es œuvrant sur le parc informatique ou pour l’entretien du bâti, tout semble bon pour négocier à la hausse la part de financement obligatoire.

Pour toutes ces raisons, les auteurs s’accordent sur l’importance de réécrire la circulaire de 2012 relative aux règles de prise en charge par les communes des dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat, « afin de préciser la liste exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d’un élève du public ».

Paul Vannier, lui, souhaite plus abruptement supprimer les subventions d’investissement aux lycées privés d’enseignement général, technique et professionnel.

Faire appliquer les règles imposées au public

L’application des circulaires et obligations transmises par le ministère de l’éducation nationale via les rectorats souffre de trous béants quand il s’agit du privé, souvent au seul motif du « caractère propre » de l’enseignement catholique. Exemples ? La mise en œuvre du « Pacte » (ce dispositif d’heures complémentaires dont le lancement sous Gabriel Attal a heurté beaucoup d’enseignant·es et de chef·fes d’établissement), la prise en charge des élèves en situation de handicap, mais aussi la scolarisation continue des élèves, quel que soit leur niveau scolaire, ou encore la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité… 

Le sujet pourrait encore rebondir : la plupart des collèges privés n’ont pas prévu d’appliquer la récente réforme des groupes de niveau, « faute de moyens supplémentaires ». Une réforme pourtant imposée au public et qui a fait sortir dans la rue un certain nombre d’enseignant·es, mardi 2 avril.

Sortir de la « zone grise » de la gouvernance du secteur privé sous contrat

Ultramajoritaire, l’enseignement catholique s’est imposé comme l’interlocuteur principal du ministère, qu’il s’agisse d’attribuer des postes ou de négocier de nouvelles mesures comme le « protocole mixité » (non contraignant) mis en œuvre dans les académies depuis la rentrée 2022.

Cet « ancrage dans le paysage institutionnel » ne correspondrait pas à l’esprit des textes encadrant le privé sous contrat et place le pays « au mieux, dans une zone grise, au pire en dehors du cadre légal », estiment les parlementaires. « L’État, qui ne reconnaît aucun culte depuis l’adoption de la loi de séparation des églises […], ne saurait négocier avec les représentants d’un réseau ou d’un autre, assimilables à des acteurs cultuels, argumente longuement Paul Vannier. Le fait, en particulier, qu’il débatte de l’allocation de moyens qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros avec un organe dont le secrétaire général est désigné par la Conférence des évêques de France constitue une dérive inacceptable dans une République laïque. »

Pour revenir à la stricte application de la loi Debré, l’Insoumis demande un rapport « direct et individuel entre les établissements et l’État », tandis que son homologue de Renaissance préconise plutôt de modifier le Code de l’éducation pour reconnaître les réseaux représentatifs et les missions qui leur sont dévolues.


 

    mise en ligne le 1° avril 2024

Les mouvements écologistes à l’épreuve de la répression judiciaire

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Attisées par l’urgence climatique, les tensions n’ont jamais été aussi fortes entre les organisations écologistes et l’État, qui se veut désormais implacable vis-à-vis de certains modes d’action tels que la désobéissance civile et assume la criminalisation d’un « écoterrorisme ».

Arrestations massives, systématiques, et parfois préventives, poursuites confinant au harcèlement judiciaire de la part du parquet, violences policières… Cela fait plusieurs années que de nombreuses voix alertent sur la répression dont fait l’objet le mouvement écologiste.

Au mois de février dernier, le rapport sur la répression des mouvements de désobéissance civile du rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, s’inquiétait de la dégradation de la situation dans plusieurs pays européens, dont la France.

Au mois d’octobre 2023, Greenpeace dénonçait de le « calvaire judiciaire » de sept de ses militants, « interpellés, placés en garde à vue durant 48 heures, et déférés au tribunal judiciaire de Paris » pour une action symbolique devant le ministère de la transition écologique.

Cette répression accrue du mouvement écologiste, et plus particulièrement de la désobéissance civile, avait même fait l’objet d’une étude juridique détaillée en novembre 2022 dans un rapport intitulé « La désobéissance civile environnementale devant les tribunaux », réalisée par la Clinique de l’école de droit de Sciences Po pour le compte de Greenpeace.

Laura Monnier, responsable juridique de l’ONG, fait remonter cette intensification de la répression à « la montée sécuritaire dans tous les domaines qui a suivi l’état d’urgence antiterroriste de 2015-2016 ». Mais, « il y a quand même un durcissement spécifique depuis quatre-cinq ans sur l’écologie, et plus particulièrement sur des mouvements de désobéissance civile tels qu’Alternatiba ou les Soulèvements de la Terre ».

Militant depuis dix années à Alternatiba et à ANV-Cop21, Rémi Donaint, porte-parole d’Alternatiba, confirme observer « une répression » plus importante des actions non violentes d’un point de vue à la fois des « violences policières et de la répression judiciaire ».

Une pression beaucoup plus forte

« Il faut nuancer le propos, avance de son côté Me Alexandre Faro, membre historique de l’équipe de défense de Greenpeace. Cela fait trente ans que je suis leur avocat. Sur le temps long, je ne note pas une augmentation de la criminalisation. Il y a toujours eu des rapports tendus lorsque les mobilisations écologistes visent certains domaines, principalement le nucléaire et l’agriculture. Dès que l’on touche, par exemple, à la question de la gestion de l’eau, on sent que les choses ne sont pas simples. »

« Dans l’histoire, il y a certainement eu des périodes encore plus dures pour les militants, abonde Rémi Donaint. Mais ce qui est certain, c’est qu’il y a un rapport de force qui s’est installé ces dernières années, avec une pression beaucoup plus forte sur les militants. De l’autre côté, les militants ont réussi à s’organiser et à avoir une force de frappe plus efficace et qui a conduit à certaines victoires. Et cela fait peur à l’État, qui essaye de mater cette nouvelle force. »

Ainsi, la garde à vue, confirme Rémi Donaint, s’est systématisée, y compris parfois pour des actions non violentes apparemment sans gravité, comme des actions antipublicité. Elles sont également prolongées beaucoup plus facilement. À cela s’ajoute parfois une perquisition, la confiscation du téléphone ou de l’ordinateur, la collecte de l’ADN… C’est tout un « arsenal répressif qui est déployé et qui est totalement disproportionné », pour le porte-parole d’Alternatiba.

C’est en fait tout un arsenal répressif qui est déployé.     Rémi Donaint, Alternatiba

L’organisation a recensé 317 gardes à vue pour les années 2019-2020, marquées par les actions des décrocheurs et décrocheuses de portraits présidentiels ainsi que par une action d’intrusion sur l’aéroport de Roissy durant laquelle un nombre important de militant·es avaient été interpellé·es. Le chiffre monterait désormais à plus de quatre cents.

« Ce qui m’interpelle de plus en plus, c’est l’attitude du parquet, pointe de son côté Me Marie Dosé, une des avocates de Greenpeace. De plus en plus régulièrement, nous obtenons des relaxes devant les juridictions correctionnelles, eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression, qui considère que les actions de désobéissance civile menées pour des justes causes s’inscrivent dans le débat démocratique et que leur répression est une ingérence disproportionnée. » Même si, bien souvent, le parquet fait appel de ces décisions.

« Là où je commence à être en colère, poursuit l’avocate, c’est quand lors de certaines actions qui vont à l’évidence aboutir à une relaxe – et le parquet le sait très bien –, les militants sont interpellés, placés en garde à vue pour 72 heures, puis emmenés au dépôt du tribunal où ils passent encore une nuit, tout ça pour se voir adresser un rappel à la loi par le procureur. C’est une instrumentalisation de la procédure. »

Pendant longtemps, aucune évaluation ou préparation juridique des actions n’était jugée nécessaire en amont de celles-ci, explique Laura Monnier. Les temps ont changé, en raison de la multiplication « des petits actes de répression, parfois symboliques », comme ces vagues d’amendes pour participation à une manifestation non déclarée. Des amendes qui donnent ensuite lieu à la mobilisation d’avocat·es, parfois jusqu’en Cour de cassation. 

D’une manière générale, Greenpeace a pour principe d’apporter un soutien juridique et financier complet et sans faille à ses militant·es interpellé·es et leur conseille même de refuser la collecte de leur ADN en vue de leur inscription au fichier national des empreintes génétiques (Fnaeg) ou de donner le code de leur téléphone portable. Ces refus peuvent entraîner de nouvelles poursuites dont les frais sont, eux aussi, entièrement pris en charge par l’association.

Cette politique offre un confort non négligeable aux militants et militantes participant régulièrement à des actions de désobéissance civile (lire ici le portrait de Paulo, cordiste pour Greenpeace). Mais elle nécessite un investissement non négligeable de l’association en moyens humains et financiers. L’association a fait le choix de juristes en interne et collabore avec une quarantaine d’avocats et professeurs de droit, dont une dizaine de réguliers.

Tout cela a un coût : le budget juridique annuel de Greenpeace représente 0,5 % de son budget total, soit tout de même la somme de 150 000 euros chaque année.

   Pour que la criminalisation fonctionne, encore faut-il que le juge judiciaire suive.         Me Alexandre Faro

Mais ce travail d’autodéfense juridique porte en partie ses fruits pour Laura Monnier : « Il y a sensiblement plus de relaxes. Au total, nous avons eu 195 condamnations pour des intrusions, dont certaines personnes condamnées plusieurs fois. Mais sur les trois dernières années, nous avons eu dix-quinze relaxes. Mais c’est également parce qu’il y a plus d’actions de désobéissance civile. Je ne sais pas s’il y a un taux de relaxe supérieur, c’est difficile à dire. »

« Pour que la criminalisation fonctionne, encore faut-il que le juge judiciaire suive, analyse MAlexandre Faro. Les juges ne se laissent pas toujours impressionner par le discours appelant à réprimer systématiquement et lourdement les écologistes. Cela n’avait pas été le cas par exemple avec les “gilets jaunes”. »

La sensibilisation sur le péril climatique porte ses fruits, même si les magistrats restent mal à l’aise avec la notion de désobéissance civile, qui pose frontalement la question de l’équilibre entre le respect de la loi et la légitimité d’une action militante. « La plupart du temps, les sanctions sont symboliques et il y a un certain nombre de relaxes, estime Rémi Donaint. Mais il y a quand même des peines prononcées, même si ce sont juste des amendes ou du sursis. Mais je ne dirais pas qu’il s’agit de la bienveillance. Elles sont justes proportionnées car les dégâts que nous pouvons causer sont toujours limités. »

Oui, ce que l’on fait, nous le faisons pour des motifs politiques. Rémi Donaint, Alternatiba

Le procès n’est donc pas systématiquement aussi craint qu’on pourrait le penser par les militant·es écologistes, même s’il reste pour beaucoup un moment difficile à vivre. Pour certain·es, il est même un prolongement de la désobéissance civile et l’occasion de politiser les actions.

« Quand on prend le risque de mener une action de désobéissance civile, on le fait en conscience, explique Rémi Donaint. Si derrière l’action, il y a une procédure ouverte, clairement nous utiliserons le procès pour la poursuivre en continuant à mobiliser. Souvent, le procureur nous accuse d’utiliser le tribunal comme une tribune et de politiser le procès. Eh oui, ce que l’on fait, nous le faisons pour des motifs politiques. »

Tous les mouvements ne sont pas logés à la même enseigne. Tous ne disposent pas en effet des mêmes moyens financiers. Alternatiba, par exemple, dispose « d’une “legal team” interne en contact avec des avocats », explique Rémi Donaint. Mais, pour le reste, le mouvement fonctionne comme « un réseau décentralisé, avec des groupes locaux autonomes ».

« Pour les frais d’avocats, c’est donc au niveau des groupes locaux que l’on va trouver comment accompagner les militants, poursuit le porte-parole. Certains avocats sont pro bono [ils font du conseil gratuit – ndlr], mais c’est très variable. On fait également appel à la solidarité, on organise des soirées de soutien, on lance des cagnottes. C’est aussi une manière de positiver les poursuites. »

Les différentes formes d’action utilisées par les mouvements écologistes ne font en outre pas l’objet de la même férocité dans la répression. « Il y a une accentuation de la répression parce qu’il y a une accentuation du mouvement écologiste », analyse Joël, vétéran des lutte écologiste, condamné à quatre reprises, dont deux fois à de la prison avec sursis.

Répression implacable

« L’un des changements de ces vingt dernières années, c’est la montée en puissance des problématiques liées à l’aménagement du territoire, poursuit-il. Elle a conduit au développement de modes d’action reposant sur des occupations de terrain, des zones à défendre, et créant donc des zones de conflictualité. Dans les années 1980-1990, la mobilisation était plus citadine et il y avait donc moins d’endroits de confrontation. »

Joël fait notamment partie des militants antinucléaire de Bure condamnés, au mois de janvier dernier en appel, pour leur participation à une manifestation non déclarée en août 2017. Il s’est depuis pourvu en cassation.

Le cas de ces militants, qui luttent depuis plus de dix ans contre le projet Cigéo prévoyant l’installation d’un site de stockage de déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse, est exemplaire de cette répression implacable des luttes visant à empêcher certaines installations, comme ce fut le cas à Sainte-Soline ou à Notre-Dame-des-Landes.

« Entre 2017-2018, nous avions eu soixante procès en dix mois, avec vingt-six interdictions de territoire, raconte Joël. Le procureur engageait des poursuites pour n’importe quel prétexte, pour le moindre contrôle routier qui se passait mal. À cette époque, plus de la moitié avait une procédure sur le dos. Toutes les semaines, nous passions au tribunal de Bar-le-Duc. »

Les enquêteurs ont par ailleurs déployé des moyens exceptionnels à l’encontre des sept militants alors poursuivis pour « association de malfaiteurs », une qualification finalement abandonnée par la justice.

Le « délit d’intention » est par ailleurs de plus en plus mobilisé contre certains militants radicaux, notamment la bande organisée et l’association de malfaiteurs. « C’est là où le glissement s’opère vers la criminalisation de l’engagement politique, met en garde Joël. On crée une présomption de culpabilité. Dès qu’une personne est active dans certains mouvements, elle est coupable aux yeux des autorités. »

D’autant que bien souvent, « la procédure, c’est la peine », rappelle le militant, citant le poids sur la vie quotidienne des contrôles judiciaires par exemple. Même en l’absence de condamnation, ces procédures lourdes peuvent avoir un réel effet dissuasif. 

L’intransigeance et la sévérité des autorités vis-à-vis des actions de désobéissance civile et de certains mouvements luttant notamment contre l’artificialisation des sols ou l’agriculture intensive contraste avec l’indulgence dont elles peuvent faire preuve vis-à-vis d’autres mouvements sociaux recourant à un niveau de violence comparable, voire souvent supérieur.

« La différence de traitement avec les agriculteurs et les pêcheurs est une évidence, pointe Me Alexander Faro. Mais c’est tout simplement parce que le gouvernement a bien plus peur d’eux que des écologistes ! Regardez la représentation des écologistes et celle des agriculteurs au Parlement ! Du Parti communiste aux Rassemblement national, je n’ai pas vu un seul élu s’indigner des violences commises lors des manifestations des agriculteurs ! »

« Aujourd’hui, le mouvement écologiste a du mal à exister politiquement, et cette absence de poids politique fait qu’il n’y a pas beaucoup de gens pour le soutenir lors qu’il est réprimé et pour s’émouvoir de sa criminalisation, poursuit l’avocat. Le poids de la répression suit le poids politique. Sainte-Soline est un bon exemple. En fait, ce qui se joue actuellement, c’est la place de l’écologie politique en France. »

   mise en ligne le 31 mars 2024

Logement : « Il y a de plus en plus d’expulsions sans solution »

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Alors que s’achève, le 31 mars, la trêve hivernale, Marie Rothhahn, de la Fondation Abbé-Pierre, revient sur l’augmentation des mises à la rue sans solution, facilitées par la loi Kasbarian, ainsi que sur le climat hostile aux personnes en difficulté.

Dans un contexte de pauvreté accrue et d’un manque sans précédent de logements, la fin, ce dimanche 31 mars, de la trêve hivernale, durant laquelle les expulsions sont interdites, suscite de grandes inquiétudes. Les associations redoutent la multiplication des mises à la rue, facilitées par le discours hostile aux personnes en difficulté véhiculé par le gouvernement

À quoi peut-on s’attendre en matière d’expulsion locative cette année 2024 ?

Marie Rothhahn : Cent quarante mille personnes sont menacées d’expulsion, selon l’estimation de la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). C’est plus que les 38 000 – 17 500 ménages – expulsées avec le concours de la force publique, décomptées en 2022.

Ce décalage s’explique par l’inclusion, pour la première fois dans les statistiques, des ménages ayant reçu un commandement à quitter les lieux, mais partis avant l’arrivée de la police. Il reflète sans doute aussi la hausse des expulsions qu’observent tous nos partenaires qui accompagnent les ménages sur le territoire depuis 2023, même si, faute de données fournies par le ministère, nous ne pouvons pas la mesurer précisément. 

La tendance à la hausse est ancienne (+10 % en dix ans), mais s’est encore accrue avec l’aggravation du contexte économique et social sous le coup de l’inflation, le manque croissant de logements abordables et les débuts de l’application de la loi Kasbarian.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les effets de cette loi ?

Marie Rothhahn : La loi Kasbarian raccourcit les délais d’instruction des dossiers des personnes menacées d’expulsion, donc les possibilités de trouver un arrangement entre locataires et propriétaires. Elle permet aussi au juge de supprimer le délai de deux mois entre le commandement à quitter les lieux et l’expulsion, s’il considère qu’un ménage est de mauvaise foi, ce qui est un critère assez flou.

Par ailleurs, les ménages qui restent dans leur logement en fin de procédure encourent désormais 4 500 à 7 500 euros d’amende, ce qui va en contraindre à partir d’eux-mêmes, sans attendre l’intervention de la police. Avec ce système, même des personnes ayant trouvé un moyen de régler leur dette sont confrontées à une amende importante. Avec cette loi, on enfonce les personnes les plus en précarité.

Constate-t-on d’autres régressions liées à l’adoption de cette loi ?

Marie Rothhahn : La loi Kasbarian, et le battage médiatique et politique qu’elle a entraîné, a renforcé la stigmatisation des ménages les plus précaires. Cela se voit dans l’attitude des propriétaires, qui se sentent plus légitimes à déloger leurs locataires. Mais c’est aussi visible dans la multiplication des arrêtés d’expulsion pris par les préfets. Avant la loi, cette procédure d’expulsion rapide et sans décision de justice était réservée aux squats de domiciles.

Désormais, elle concerne tous les logements sans titre, même des locaux vides ou désaffectés. En outre, certains préfets outrepassent la loi et procèdent à des évacuations express, dans des situations où une procédure d’expulsion aurait clairement dû être engagée. C’est une pratique qui se multiplie et nous sommes souvent amenés à la contester en justice. Mais tout cela constitue sans doute la partie émergée de l’iceberg. Nous savons que de nombreux ménages sont expulsés sans décision de justice

Les personnes concernées sont-elles toujours les mêmes ?

Marie Rothhahn : Depuis 2023, de plus en plus d’expulsions ont lieu sans qu’aucune solution alternative ne soit proposée au ménage concerné. Des catégories comme les familles avec enfants en bas âge, les personnes handicapées ou vulnérables, pour qui un hébergement un peu pérenne était trouvé, sont désormais mises à la rue avec, au mieux, quelques jours à l’abri.

Notre étude, publiée en 2022, montrait déjà qu’une expulsion a des effets durables, sur l’emploi, l’éducation, etc. C’est probablement encore pire maintenant, d’autant que la chaîne est complètement grippée : de la production de logement social au secteur de l’hébergement, en passant par l’accès au logement privé et à la propriété, tout est engorgé.

Peut-on dire que cette loi constitue un moment de rupture ?

Marie Rothhahn : Même si on la dénonçait comme insuffisante, il existait une politique de prévention des expulsions qui, au moins dans son principe, semblait faire consensus. Même si toutes les avancées législatives n’étaient pas parfaitement appliquées, nous étions dans une dynamique positive. Mais, aujourd’hui, nous sommes confrontés à un retour en arrière brutal et inattendu. Cette loi qui pénalise encore plus fortement les personnes vivant en squat, faute d’autre solution, marque un recul immense en matière de prévention des expulsions des locataires.

La vision de Guillaume Kasbarian, c’est qu’il n’y a que des petits propriétaires en difficulté et des locataires de mauvaise foi. Mais dans la réalité, ces petits propriétaires sont très minoritaires. La grande majorité des propriétaires appartiennent aux classes les plus aisées et possèdent plusieurs logements.


 

   mise en ligne le 30 mars 2024

En Seine-Saint-Denis, les enseignants
« ne lâchent pas l’affaire »

Bérénice Paul sur www.humanite.fr

En grève depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis réclament davantage de moyens pour lutter contre la dégradation de leurs conditions de travail. Plusieurs mobilisations étaient prévues ce samedi 30 mars dans l’ensemble du département. À Aubervilliers, les enseignants et parents d’élèves dénoncent l’indifférence des pouvoirs publics dace à leurs revendications.

En ce samedi 30 mars, plusieurs dizaines de personnes affluent sur le parvis qui jouxte la mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Certains agitent des drapeaux où l’on peut lire « Plus d’argent pour l’école publique ». D’autres collent des pancartes entre deux poteaux. Des professeurs saluent des parents d’élèves, qui se sont déplacés pour l’occasion. Des enfants en bas âge chahutent dans les jambes des adultes. L’ambiance est bon enfant ce samedi matin, et en dépit de la pluie, les slogans fusent avec énergie et enthousiasme. « On est là même si Macron ne veut pas, nous, on est là », scande Riley, 32 ans, syndiqué à la FSU et professeur d’anglais au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers depuis deux ans. Et de lâcher : « On prend vraiment les parents et les élèves du 93 pour des cons ! » Depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis ont entamé une grève à l’appel d’une large intersyndicale, réclamant un plan d’urgence pour l’école publique dans ce département le plus pauvre de France métropolitaine. Mobilisé depuis le début, Riley pointe la dégradation de ses conditions de travail. « L’apprentissage des élèves est de plus en plus compliqué en raison de la surcharge des classes. Le 93 est une variable d’ajustement ! On asphyxie les écoles afin d’aller vers une privatisation de l’enseignement. Il y a une volonté de laisser pourrir le service public », analyse-t-il.

Les groupes de niveaux, « une condamnation sociale et intellectuelle »

Originaire du Canada, Riley estime qu’il est nécessaire de défendre le modèle éducatif à la française. « Les Anglo-Saxons seraient heureux d’avoir un système comme l’Éducation Nationale. Cette institution est loin d’être parfaite mais elle est bien meilleure que la quasi-totalité de ce qui se fait dans le monde. C’est peut-être le seul endroit qui fait que la France résiste un peu à l’atomisation totale. Or, le gouvernement est en train d’ouvrir des brèches dans le vivre-ensemble prôné par l’école ». Bientôt, le cortège s’agite. La foule s’élance dans les rues de la ville. Équipés de casseroles, professeurs et parents d’élèves crient leur colère : « Du fric, du fric pour l’école publique. » Cédric fait partie de l’équipée. À 39 ans, ce professeur de physique Chimie au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers veut montrer que « les enseignants ne lâchent pas l’affaire ». « Nous n’avons toujours pas eu de réponse de la ministre. Cette dernière ne prend pas en compte les spécificités de notre département. Nous avons besoin de moyens pour accompagner les élèves vers la réussite et l’émancipation. C’est essentiel pour favoriser une meilleure justice sociale ». L’enseignant critique également la mise en place des groupes de niveaux. « Cela génère une école du tri social », dénonce Cédric. Un avis partagé par Riley. « Cette mesure sous-tend une idéologie élitiste où l’on revient à une forme de racisme anthropologique qui consiste à dire qu’il y a des élèves qui seraient moins doués à l’école par « nature ». C’est une condamnation sociale et intellectuelle », déplore l’enseignant.

« La semaine dernière, il pleuvait dans la classe de mon fils »

Un même sentiment d’injustice pointe du côté des parents d’élèves. Nathalie, 42 ans, a deux enfants, scolarisés dans le groupe scolaire Hugo Balzac Stendhal à d’Aubervilliers. « Depuis le début du mouvement, l’établissement est très mobilisé. 60 % des enseignants ont suivi la première opération « école déserte » », précise l’élue FCPE. « Nous avons la chance d’avoir un groupe scolaire très investi. Nous sommes néanmoins régulièrement confrontés aux manques de moyens », détaille Nathalie. « L’année dernière, deux classes ont été supprimées. En 2025, il y aura plus qu’une psychologue scolaire. Celle-ci ne sera là que ponctuellement puisqu’elle exercera dans neuf établissements », dénonce Kahina, 39 ans, mère de trois enfants dont deux sont scolarisés dans le groupe Hugo Balzac Stendhal. Elle le répète, ce qu’ils veulent, tous, « c’est un plan d’urgence ! ». Le slogan est chanté à tue-tête par la foule. Les casseroles résonnent dans les rues de la ville. Certains passants, amusés, s’arrêtent pour contempler le cortège. Maurice, 49 ans, a tenu à ce que ses fils, âgés de cinq et neuf ans, scolarisés à Aubervilliers, participent à la manifestation. « Quand vous avez des enfants qui vont à l’école en Seine-Saint-Denis, vous vivez tous les jours les effets des moyens limités. Même si l’équipe pédagogique est super et fait de son mieux, cela reste tendu. La semaine dernière, il pleuvait dans la classe du petit », témoigne-t-il, en pointant son plus jeune fils.

Le manque de moyens, un frein aux apprentissages

Son grand frère prend la parole. « Nous n’avons pas de chauffage en classe ! », renchérit ce dernier. « L’Atsem ne pouvait pas rester trop longtemps à cause de l’humidité qui la prenait à la gorge. Elle était asthmatique », ajoute Maurice. Quelques élèves du secondaire se sont également déplacés pour manifester. « Je m’attendais à ce qu’on soit plus nombreux », regrette Clément, 18 ans, en terminale au Lycée professionnel Jean-Pierre Timbaud, à Aubervilliers. Lui aussi fustige le manque de moyens qu’il qualifie de frein pour l’apprentissage. « Aujourd’hui, les conditions sont mauvaises pour apprendre. On a des ordinateurs qui fonctionnent mal, des salles de classe à la limite de l’insalubrité, bourrées de moisissures, pas de chauffage », détaille Clément. Face à l’indifférence persistante du ministère de l’Éducation nationale, les professeurs et parents d’élèves de Seine-Saint-Denis sont déterminés à poursuivre la lutte, décidés à se faire entendre.


 


 

Plan d’urgence 93 : « Ils ont des moulures au plafond. Nous, on n’a pas de plafond ! »

Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/

Depuis la fin du mois de février, les enseignants du 93 demandent la mise en place d’un plan d’urgence pour l’éducation dans leur département. Plus de 2000 d’entre eux ont manifesté dans les rues de Paris ce jeudi 21 mars, soutenus par certains de leurs élèves. Assemblées générales, blocages, manifestations mais aussi crainte de la répression, les lycéens du 93 font l’apprentissage du militantisme.

 Mobilisés depuis bientôt un mois, les enseignants du 93 ont pu compter, début mars, sur l’ingéniosité de leurs élèves sur les réseaux sociaux pour donner une tonalité nouvelle au mouvement. Une vidéo TikTok tournée par les lycéens de Blaise Cendrars, à Sevran, comptabilise désormais plus d’un million de vues sur la plateforme. Manque de personnel, profs non remplacés, bâtiments vétustes, elle résume à elle seule une partie des maux de l’Education nationale, décuplés en Seine-Saint-Denis. Et elle a fait exploser la visibilité de la mobilisation en cours autour du « plan d’urgence pour le 93 », un mot d’ordre intersyndical exigeant de nouveaux postes et des rénovations d’établissement pour un total de 358 millions d’euros.

Au lycée Louis-Le-grand, situé dans le 5e arrondissement de Paris, des lycéens ont aussi réalisé une vidéo TikTok, cette fois pour essayer de tordre le cou aux clichés qui entourent leur prestigieux établissement. Mais les élèves de Blaise Cendrars, eux, en ont surtout retenu la splendeur du bâti : « La première fois que j’ai vu cette vidéo, je me suis dit : “c’est normal que ce soit aussi beau, c’est un lycée de Paris”. Mais en fait, quand j’ai fait la comparaison avec notre lycée, je me suis dit que non, ce n’était pas normal », raconte Sam, lycéen en classe de 1ère à « Cendrars ».

Estelle, elle aussi en classe de première, poursuit : « Avant je ne me rendais pas compte que le lycée était en très mauvais état, je le voyais, mais je me disais que c’était normal parce qu’on est dans le 93. J’ai grandi ici, j’ai toujours connu ça. Au collège c’était pareil, les profs absents n’étaient pas remplacés. À Louis-Le-Grand, ils ont des moulures au plafond. Nous, on n’a pas de plafond tout court ! ». Ce jeudi 21 mars, une quinzaine d’élèves et quelques professeurs grévistes se sont retrouvés devant Blaise Cendrars pour se rendre à la manifestation à Paris ensemble. Ils retrouveront d’autres lycéens, dont ceux de Jean Zay à Aulnay-Sous-Bois, l’un des établissements du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés.

Plan d’urgence 93 : s’organiser malgré la crainte de la répression

Clément, prof de philo au lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, voit d’un très bon œil la mobilisation de ses élèves. « On était très content de voir nos élèves se mobiliser de manière très responsable et très politique». Mais s’il espère voir émerger un mouvement lycéen, il sait d’expérience que dans le 93, la répression est forte sur les blocages en cas de débordements, de quoi refroidir bon nombre d’élèves. Mobilisés avec Jean Zay et Cendrars, les lycéens de Jacques Brel, à La Courneuve, étaient absents de la manif de jeudi. Au même moment se tenait dans leur ville une marche blanche en hommage à Wany, 18 ans, tué par la police une semaine plus tôt.

Néanmoins, dès le 26 février, la mobilisation des professeurs a créé une prise de conscience chez certains lycéens. Mieux, elle leur a offert des moyens de s’organiser. Les premières assemblées générales ont été ouvertes aux élèves, qui dès le début, ont compris que les revendications les concernaient. « Ce ne sont pas les profs qui nous ont poussé à nous mobiliser, on l’a fait par ce que ça nous touche aussi. Maintenant on se soutient tous ensemble, les profs ont leur piquet de grève, on a notre blocus, et on s’aide mutuellement », détaille Estelle. Dès les premiers jours de mobilisation, des comptes Twitter et Instagram sont ouverts, des boucles WhatsApp et Snapchat permettent de poursuivre les discussions hors AG : les élèves ont pris en main leur propre lutte. Ils ont aussi essayé de créer des ponts avec les autres établissements autour d’eux.

Apprendre à militer, « le choc des savoirs » façon Blaise Cendrars

Façon sortie scolaire, le petit groupe se met en marche vers le RER, où des tickets sont distribués aux élèves. Dans une ambiance décontractée, on discute de la lutte en cours, on rigole des profs qui dansent en manif, on évoque plus librement les problèmes du quotidien. « Ça crée des liens particuliers entre nous, glisse Melissa, prof de français au lycée depuis cinq ans. Ils ont aussi envie de se nourrir de nos expériences, en venant assister aux AG. Maintenant, c’est eux qui les animent. Tour de parole, ordre du jour, vote, ils apprennent très vite parce que ça répond à un besoin qu’ils avaient déjà identifié », poursuit-elle. Estelle et Clara, les deux lycéennes, tiennent à militer « en gardant le smile, en étant positives, jusqu’à ce qu’on se fasse entendre », clament-elles.

Dans le cortège parisien, le groupe de lycéens détonne. Une enceinte envoie Bella de Maitre Gim’s et le mégaphone se transforme en micro de karaoké. « On est connu maintenant aux manifs, on nous demande de venir en tête de cortège », s’exaltent les deux lycéennes. Le groupe de Cendrars retrouve d’autres élèves, ceux du lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, l’un des lycées du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés. Mehdi, en classe de seconde à Jean Zay, tient fermement la banderole aux couleurs de son établissement. Plein de détermination, il voit la mobilisation des lycéens comme un mouvement qui doit encore éclore, en parallèle de celui des profs : « On va continuer jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut, et que les profs soient là ou non, on continuera ». Lui aussi dénonce les problèmes de vétusté de son établissement, le CDI fermé depuis la rentrée, les surveillants sans vie scolaire, le manque de prof, les classes mal isolées, les fenêtres qui ne se ferment pas, la moisissure sur les murs.

Surveillants, lycéens, parents, profs : un mouvement pour les services publics qui s’étend

Ce mouvement a la particularité de ne pas se focaliser sur les conditions de travail ou les rémunérations des professeurs, mais bien sur les conditions d’enseignement, et plus largement sur le service public de l’éducation. De quoi faire converger les lycéens mais aussi les parents d’élèves, présents dans les assemblées générales et les réunions d’information qui se tiennent régulièrement dans tout le département. Préparé depuis octobre, ce mouvement a émergé grâce à un plan d’urgence chiffré, créé par l’intersyndicale du 93 et censé apporter des solutions aux problèmes structurels de l’enseignant en Seine-Saint-Denis.

Le « choc des savoirs », promis par Gabriel Attal en décembre dernier, qui vise à créer des classes par niveau, a ajouté la colère des parents d’élèves à celle des enseignants. « Le choc des savoirs a beaucoup choqué», soulève le professeur, agréablement surpris par le soutien apporté par les parents d’élèves. « C’est une mobilisation pour le service public, tout le monde est concerné par ce sujet », poursuit-il. Melissa, la prof de français du lycée Blaise Cendrars abonde : « La communauté éducative défend ses conditions de travail, mais c’est presque accessoire, ce qu’on défend surtout, c’est les conditions d’apprentissage. L’avenir des enfants, ça parle à tout le monde ».

Une nouvelle journée d’action est prévue vendredi 29 mars en Seine-Saint-Denis, tandis que le mouvement s’étend à d’autres départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, et le Val-d’Oise, les réunions publiques et les assemblées générales se sont enchaînées ces derniers jours. Ce jeudi, une assemblée générale de l’ensemble de l’Île-de-France a décidé de suivre l’agenda des mobilisations de Seine-Saint-Denis dans les autres départements. Des actions locales sont déjà prévues dans le Val-d’Oise et le Val-de-Marne la semaine prochaine.

Les lycéens, eux, sont déterminés à continuer la lutte dans leurs établissements, tout en poursuivant la construction d’un mouvement plus large. « Pour obtenir un plan d’urgence dans le 93, on a vraiment besoin des lycéens, plus on sera, plus on fera entendre nos revendications », espère Mehdi, avant de disparaître dans le cortège de chants, de drapeaux et de banderoles.

   mise en ligne le 29 mars 2024

Montpellier : le personnel de la protection de l’enfance du Département de nouveau en grève

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Après s’être mobilisés une première fois à l’appel de la CGT le 6 février dernier, les agents se sont une nouvelle fois mis en grève ce jeudi 28 mars pour demander urgemment des moyens supplémentaires pour effectuer leurs missions

Nous, on ne demande qu’une seule chose, pouvoir faire notre mission”, tonne Ghislaine Rouxelin, éducatrice et secrétaire générale CGT du foyer de l’enfance du quartier Aiguelongue, ou de nombreux agents du service enfance-famille se sont réunis en cette journée de grève du 28 mars. Ils viennent de tous les quartiers de Montpellier, mais également d’ailleurs dans le département (Pézenas, Hauts-Cantons…) “Le mouvement s’étend !”, constate Benjamin Karchen, délégué CGT du Conseil départemental.

Car depuis octobre, les cadres de la direction enfance famille du Conseil Départemental, en charge de la protection de l’enfance, alertent sur des conditions de travail dégradées, qui mettent en danger des enfants. “Il n’y a pas assez de place en foyer pour héberger tous les enfants placés, qui risquent des violences si ils restent dans leur domicile familial. Ce manque de place conduit à faire des choses illégales, comme loger des mineurs à l’hôtel, où même les ramener chez leurs parents alors qu’une décision de justice actant le placement du jeune a été acté par un juge”, expliquait dans nos colonnes Benjamin Karchen, lors de leur précédente grève le 6 février dernier.

Ghislaine Rouxelin complète : “La crise est profonde depuis le Covid mais ça n’a pas été anticipé. Dans mon service, on a douze bébés pour huit places, ça explose dans tous les services, on a pas assez de douches, c’est dramatique pour les enfants.”

Sylvie et Marie, qui travaillent dans une unité petite enfance à Aiguelongue, témoignent également : “Les enfants souffrent de ces sur-effectifs. Dans certains services, tout le monde s’est mis en arrêt maladie pour protester. Aujourd’hui, on veut aussi des embauches pérennes, pas du soutien d’intérimaires.”

Ici, à Aiguelongue, on a 50 jeunes qui dorment dans des lits de camps. C’est censé être un sas où les enfants restent deux mois, certains sont là depuis deux ans, les équipes sont laminées” précise Benjamin Karchen. “Il faut que la collectivité reconnaisse nos efforts, nos équipes travaillent gratuitement à cause de cette situation.” Aujourd’hui, la CGT demande la création de place d’hébergements en urgence. “Le Département nous a répondu qu’il comptait créer un centre avec 500 places, prévu en décembre prochain, mais on a pas le temps d’attendre, et surtout, ça ne suffit pas, il y a actuellement 320 mesures de justice actant un placement qui ne sont pas exercées.” Pour lui, le problème vient du foncier. “On est allé à la préfecture pour en parler, aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est des réquisitions pour pouvoir ouvrir des places. Cela montre qu’il faut un vrai pilotage de notre action, ce n’est pas à nous, syndicalistes, d’aller voir le préfet pour demander ça.”

Il précise également qu’une délégation doit rencontrer la direction du pôle enfance-famille pour échanger. “Selon comment ça se passe, on va peut-être suspendre les actions et maintenir le préavis.”

Outre le service de la protection de l’enfance, d’autres services du Conseil Départemental ont récemment posé des préavis de grève, pour des raisons différentes. On évoquait dans nos colonnes en début de semaine les comptables de la Maison départementale de l’Autonomie, qui demandent l’octroi de la prime Ségur. D’autres agents entendent se mobiliser contre ce qu’ils perçoivent comme une inégalité des régimes indemnitaires. “Il y a des agents de catégorie B et C qui font exactement le même travail, mais qui n’ont pas la même paie”, décrit le délégué syndical.

Contacté, le service communication du Conseil Départemental n’a pas donné suite à nos sollicitations.


 

   mise en ligne le 28 mars 2024

Accords du Touquet : la gauche réclame une commission d’enquête

Alice Terrier sur www.humanite.fr

Plusieurs députés de tous les groupes de gauche de l’Assemblée demandent la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les répercussions des accords du Touquet, alors que les répressions envers les exilés de Calais se font de plus en plus violentes.

Il y a 20 ans étaient signés les accords du Touquet, un traité franco-britannique permettant la surveillance militaire et policière de la frontière entre les deux pays, sur les plages françaises. Pour quel bilan ? Alors que plus de 300 personnes sont décédées dans les eaux froides de la Manche depuis 1999, six députés de gauche ont cette semaine présenté une proposition de résolution.

Le but ? Créer une commission d’enquête parlementaire dédiée aux répercussions des accords du Touquet. « Nous devons veiller au respect des droits et libertés fondamentales des personnes exilées » qui tentent « par milliers de traverser chaque année la Manche », mesure ainsi la députée PCF Elsa Faucillon, qui estime que, depuis ces accords, la France est devenue « bras policier de la politique migratoire du Royaume-Uni » et se livre de plus en plus à des actions condamnables.

Hors de l’état de droit

Dans un reportage effarant du Monde, un adolescent a d’ailleurs fait état de violences à l’encontre de son embarcation, percée par les forces de police, alors qu’il était déjà en mer, accompagné de plusieurs personnes dont des enfants. Son cas n’est pas unique. Le reportage démontre également des tentatives de déstabilisation des embarcations de fortunes, appelées « small boat ». Ces actions policières contreviennent avec le droit français de la mer.

Seules les actions de sauvetage sont autorisées. « Il y a des drames à la frontière franco-britannique qui se multiplient », s’indigne Elsa Faucillon, demandant que l’enquête « fasse le jour sur des pratiques qui sont aujourd’hui des réalités à Calais. » « Beaucoup m’ont dit, « quoi qu’il se passe, je chercherais à passer de l’autre côté » », rappelle Charles Fournier, député écologiste, à propos d’exilés rencontrés sur place.

« Nous découvrons dans cet article du Monde des pratiques des forces de l’ordre, les moyens qui leur ont été accordés et en parallèle le peu de moyens accordés aux sauveteurs en mer, dénonce l’écologiste. Tout est fait pour empêcher les points de fixation sur terre, mais il y a aussi des pratiques en mer qui mettent en danger la vie des personnes en situation de migration. C’est absolument insupportable. »

Selon lui, une commission d’enquête « s’impose pour que nous sachions ce qui se pratique là-bas et que cela cesse, puisque c’est tout à fait en dehors de l’État de droit. » « Il faut établir un chiffrage des dépenses de sécurité dans le cadre de la politique de zéro fixation », insiste aussi Arthur Delaporte, député socialiste. Les députés entendent faire signer le plus largement possible leur proposition de résolution, et la faire examiner dès que possible dans l’hémicycle.


 

   mise en ligne le 27 mars 2024

Les revendications salariales embrasent les supermarchés Auchan

Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

L’intersyndicale CGT, CFTC, FO et CFDT appelle les salariés des magasins et de la logistique à réitérer, vendredi 29 mars, les débrayages massifs de la semaine précédente.

C’est un mouvement social inédit auquel fait face la direction d’Auchan. Pour la première fois depuis la création du groupe à Roubaix en 1961, une intersyndicale constituée de la CGT, la CFDT, FO et la CFTC est parvenue à mobiliser très largement les salariés d’une centaine de super et hypermarchés, vendredi 22 mars.

« Cinquante collègues ont débrayé le matin et 30 l’après-midi, se réjouit Benoit Soibinet, délégué syndical Auchan Zone de vie Brétigny. On avait prévu de rester devant le magasin. Mais les collègues ont eu envie d’y rentrer. On a été très bien accueillis par les clients. Ils nous disaient bravo, qu’on avait raison. »

Dans un autre hyper d’Essonne, à Montgeron-Vigneux, Mathieu, élu CGT, n’avait jamais vu pareille grève : « Quatre-vingts collègues grévistes le matin, 50 l’après-midi. Lors des précédentes actions, on n’était souvent qu’une dizaine. Il faut dire que la direction avait bien énervé les collègues. »

Un milliard de dividendes pour les actionnaires d’Auchan l’an dernier

Se fondant sur un résultat en berne pour 2023 (une perte de 379 millions d’euros), la hiérarchie du cinquième groupe de grande distribution français n’a proposé aux élus du conseil social et économique central qu’un petit 1,5 % d’augmentation salariale collective, assorti d’une remise achats consentie à chaque salarié effectuant ses courses dans son magasin, reconduite à 15 %, donc pas améliorée. Avec une participation de 0,08 %, le maigre panier des négociations annuelles était à prendre ou à laisser.

Pour la première fois, les syndicats unanimes ont décidé de passer leur tour. Le compte n’y était pas : FO revendiquait, par exemple, 5 %, la CFTC 4,8 %, la CGT 8 %. Tous attendaient au moins que les salaires se hissent au niveau de l’inflation (4,9 % en 2023). Piquée au vif, la direction a sévi : l’augmentation générale a fondu de manière unilatérale en un 1,3 %. Idem pour la remise achats : 10 %. Les supermarchés se sont donc embrasés.

D’autant que le contexte social est morose. « Les plans de réorganisation du travail font que les salariés, qui occupaient auparavant un poste, se retrouvent sur plusieurs métiers différents. En parallèle, on voit les effectifs diminuer », déplore Mathieu.

La direction souhaiterait aussi remanier le temps de travail pour faire des économies et répondre à ses difficultés de recrutement. Elle envisage de passer du volontariat pour les ouvertures de magasin les dimanches et jours fériés à une semaine de six jours, imposant 15 dimanches et 4 jours fériés travaillés, avec une compensation à la baisse de +150 % de salaire à +110 %.

« On nous dit qu’il n’y a pas d’argent, que les salariés doivent faire des efforts. Mais les -300 millions sont la conséquence de choix stratégiques. Ils ont voulu déployer 300 magasins “piétons, avec une image-prix qui n’est pas bonne par rapport à Lidl, Intermarché ou Leclerc. Et on nous fait payer le rachat des 98 magasins Casino », fait valoir Gérald Villeroy, délégué CGT central. Ce dernier rappelle que « les actionnaires s’étaient partagés un milliard d’euros de dividendes en 2022-2023. Un milliard pour 800 personnes ! » L’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de débrayage, vendredi 29 mars. À ce jeu de bras de fer, la direction a déjà lâché, en revenant aux 15 % de remise achats.


 

   mise en ligne le 26 mars 2024

Européennes : Ruffin engage la gauche sur le « front de la Somme »

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Mobilisés en soutien aux salariés de l’usine Metex à Amiens, Manon Aubry, Léon Deffontaines et Marie Toussaint ont dénoncé d’une même voix, autour de François Ruffin, le laisser-faire de l’Europe face au dumping chinois. À l’initiative, le député picard veut mettre la question sociale au centre des européennes.

Amiens (Somme).– C’est encore une fois par la Picardie que la question sociale s’invite dans la séquence électorale – et par une usine menacée de fermeture, donc. Ce 25 mars, l’Insoumise Manon Aubry, le communiste Léon Deffontaines et l’écologiste Marie Toussaint, têtes de liste de leurs partis respectifs aux élections européennes du 9 juin, ainsi que la socialiste Chloé Ridel, candidate sur la liste Parti socialiste-Place publique, se sont retrouvé·es sur le parking de l’usine Metex, dans la zone industrielle d’Amiens-Nord (Somme).

Cette fabrique de lysine (un acide aminé essentiel pour l’alimentation animale et la production pharmaceutique) est placée en redressement judiciaire. Près de 300 emplois sont menacés. « À défaut d’avoir réussi à mettre tout le monde sur la même liste, on a mis tout le monde sur le même parking », commente Guillaume Ancelet, président du microparti Picardie debout, qui voit dans cette lutte « un cas d’école pour forcer le gouvernement à mettre ses paroles sur la réindustrialisation en actes ».

Au micro, le député de La France insoumise (LFI) François Ruffin distribue la parole devant quelques centaines de salarié·es aux gilets fluo de leurs syndicats. Habitué à couvrir la série noire des délocalisations dont son département est victime depuis des décennies (il l’a rebaptisé le « front de la Somme »), l’ancien journaliste de Fakir a préparé les esprits aux interventions politiques, qui ne sont pas toujours les bienvenues.

Depuis près d’un an, il alerte le gouvernement et pousse discrètement le dossier, en vain. « C’est notre dixième rencontre [avec les salarié·es], nous avons fait preuve d’une grande patience. Maintenant, 300 foyers se demandent comment demain ils vont remplir leur frigos : c’est de l’angoisse qui monte ! », lance-t-il. Les éventuels repreneurs ont jusqu’au 6 mai pour déposer leurs offres – deux groupes, l’un français, l’autre sud-coréen, seraient intéressés.

Le temps de la médiatisation est donc venu, selon une mécanique bien huilée dans la geste ruffiniste. François Ruffin a une longue expérience des batailles désespérées contre les fermetures d’usines, en particulier sur son territoire, les plus emblématiques étant celles de Goodyear (fermée en 2014) et de Whirlpool (fermée en 2018).

Les élections européennes peuvent offrir à la lutte des Metex une fenêtre d’opportunité. « Les oreilles des ministres, celles des partis, s’ouvrent un peu. Il faut mettre la production au cœur de cette campagne des européennes. Je ne peux pas promettre qu’on va gagner, mais je peux promettre que cette fermeture ne passera pas comme une lettre à la poste », s’engage-t-il, généreusement applaudi par des salarié·es aux mines déterminées.

La gauche unie pour défendre le travail

Sur les banderoles qui entourent l’imposante usine biotechnologique, les causes du marasme s’étalent en un slogan lapidaire : « La Chine nous tue. L’Europe cautionne ». Metex, dernière usine d’Europe à produire de la lysine, pourrait fermer à cause de l’ouverture de l’Europe au marché chinois, où le produit est deux fois moins cher, mais cinq fois plus polluant.

« On nous parle d’écologie, mais quand on vient aux actes, l’Europe laisse les produits chinois inonder notre marché, quitte à sacrifier nos emplois, déplore ainsi Samir Benyahya, délégué syndical CFDT (majoritaire dans l’usine amiénoise). Nous sommes les oubliés d’un système européen très bureaucratique. » Il fait référence aux mesures antidumping au niveau européen, qui traînent en longueur alors que la trésorerie de l’usine est à sec.

Le communiste Léon Deffontaines, Amiénois lui aussi, peut en témoigner : « C’est un département qui vit au rythme des directives européennes. Amiens a d’ailleurs souvent été le point névralgique de luttes pour l’emploi au niveau national. C’est concrètement une des grandes questions posées par ces élections européennes : la défense du tissu industriel. Cette affaire est symptomatique de l’Europe qui mène droit dans le mur en mettant les travailleurs en concurrence déloyale. »

Si l’Union européenne est aussi particulièrement pointée du doigt, c’est qu’elle a supprimé ses quotas sucriers depuis 2017 (la lysine est fabriquée à base de sucre), ce qui fait varier fortement ses cours. Questionné par François Ruffin sur les droits de douane sur la lysine, le ministre de l’industrie a répondu : « La lysine fait aujourd’hui l’objet d’un droit de douane de 6,3 % à l’importation. […] Sur demande de plusieurs États-membres, un contingent tarifaire s’est ouvert sur la lysine depuis 2020. À ce jour, ce contingent permet d’importer 300 000 tonnes de lysine par an en exemption de droits de douane. »

Face à cette machine infernale du dumping européen et extra-européen, la gauche fait front commun sous le mot de « protection », voire de « protectionnisme ». Au micro devant les salarié·es, Manon Aubry prend ainsi Emmanuel Macron aux mots : « Macron a dit que déléguer à d’autres notre capacité à produire était une folie. Oui, dépendre de la concurrence chinoise, c’est une folie environnementale, c’est une folie du point de vue industriel, et c’est une folie pour 300 salariés qu’on laisse sur le carreau. Et cette folie, ils la continuent en signant à tour de bras des accords de libre-échange ! »

En aparté, l’écologiste Marie Toussaint impute aussi la situation à « l’absence de protection de notre économie » : « Ce qui distingue la gauche et les écologistes, c’est qu’on ne veut pas se laisser dicter l’avenir par le modèle juridique du capital mondialisé. »

Le retour du protectionnisme

Que la gauche et les écologistes s’alignent globalement sur cette question – même si des divergences demeurent sur le degré de confiance dans les institutions européennes pour changer la donne – est pris comme un signe de progrès par François Ruffin. Celui-ci avait publié en 2011 un « journal intime de [s]es pulsions protectionnistes » : « C’était alors très mal vu de parler de protectionnisme. Maintenant tout le monde en convient : si on veut avoir une politique industrielle dans le pays, il faut une politique commerciale cohérente. »

En filigrane, François Ruffin instruit le procès du Parti socialiste (PS) qui, lorsqu’il gouvernait, n’a fait qu’accompagner ces effets de la mondialisation. « Mon camp s’est coupé de sa branche ouvrière. Jacques Delors a fait l’élargissement de l’Union européenne, et François Lamy l’OMC. On a eu des campagnes entières de gauche socialiste dans lesquelles on ne prononçait pas le mot “ouvrier” parce qu’il puait. Les mots ont changé, heureusement », résume le député-reporter, qui s’est imposé en 2017 sur une terre où l’extrême droite ne cesse de progresser depuis 2012, sur les ferments de la désolation laissée par la désindustrialisation.

L’inquiétude sur les bénéfices électoraux que le Rassemblement national (RN) pourrait tirer de la situation, une nouvelle fois, aux européennes du 9 juin, hante la gauche, et François Ruffin en particulier. Dans son dernier livre, Mal-travail. Le Choix des élites, François Ruffin écrit : « Le mépris du travailleur engendre la défiance du citoyen. […] Et surtout via des bulletins pour le RN. Avec une gauche qui n’incarne plus naturellement, spontanément, le “parti du travail”. »

Léon Deffontaines, qui avait fait campagne pour lui en 2017 (Ruffin avait réussi à rallier toute la gauche, hors PS, derrière lui), abonde : « La montée de l’extrême droite ici s’explique par un sentiment de déclassement, mais aussi par une déception de la gauche. Avant, la colère des ouvriers s’exprimait par un vote de gauche. Mais beaucoup de ses promesses sont restées lettre morte, et aujourd’hui beaucoup de gens pensent que c’est le RN qui défend le travail. »

Au début du rassemblement, ce 25 mars, le suppléant du député RN Jean-Philippe Tanguy (de la circonscription voisine), Philippe Théveniaud, était présent, avec la candidate du RN qui avait affronté François Ruffin, Nathalie Ribeiro-Billet.

S’ils ont été rapidement refoulés par les syndicalistes, leur présence en dit long. « On le sent : quand on sort d’Amiens, la montée de l’extrême droite est puissante, tout comme le rejet dont la gauche fait l’objet », commente Arthur Lalan, secrétaire fédéral du Parti communiste français (PCF) de la Somme. « À la campagne, les gens n’ont pas le même rapport aux institutions que dans les villes, conclut-il. François a le discours qu’ont eu les communistes pendant des années, et qui n’a pas bougé. Espérons que cela suffise. »


 

   mise en ligne le 25 mars 2024

Gaza : l’ONU se prononce
pour un cessez-le-feu

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Après plus de cinq mois de guerre, le Conseil de sécurité de l’ONU a enfin adopté lundi une résolution exigeant un « cessez-le-feu immédiat » à Gaza, un appel bloqué plusieurs fois par les États-Unis qui se sont cette fois abstenus, accentuant la pression sur leur allié israélien. Les bombardements se poursuivent à Gaza où la situation pour les 2,4 millions d’habitants est plus critique chaque jour. En particulier au nord de l’enclave, dont l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, principale pourvoyeuse d’aide humanitaire, s’est vue interdire l’accès, a dénoncé l’Unrwa dimanche.

La résolution adoptée sous les applaudissements par 14 voix pour, et une abstention, « exige un cessez-le-feu immédiat pour le mois du ramadan” – qui a déjà commencé il y a deux semaines-devant » mener à un cessez-le-feu durable, et “exige la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages”.

Depuis cinq mois, le peuple palestinien souffre terriblement. Ce bain de sang a continué trop longtemps. C’est notre obligation d’y mettre un terme. Enfin, le Conseil de sécurité prend ses responsabilités”, s’est félicité l’ambassadeur algérien Amar Bendjama, même si les résolutions du Conseil, contraignantes, sont régulièrement ignorées par les Etats concernés.

Contrairement au texte américain rejeté vendredi par des vetos russe et chinois, il ne lie pas ces demandes aux efforts diplomatiques du Qatar, des Etats-Unis et de l’Egypte, même s’il « reconnait » l’existence de ces pourparlers visant à une trêve accompagnée d’un échange d’otages et de prisonniers palestiniens.

Après l’abstention américaine à l’ONU, le premier ministre israélien Netanyahou a réagi en indiquant qu’il n’enverra pas la délégation israélienne attendue à Washington, le gouvernement israélien estimant que cette abstention « nuit aux efforts de guerre et pour libérer les otages ». Israël « n’arrêtera la guerre à Gaza qu’une fois les otages libérés », affirme de son côté le ministre de la Défense.

Dans un contexte d’urgence humanitaire extrême

Après l’échec du texte étasunien vendredi, huit des dix membres non permanents du Conseil (Algérie, Malte, Mozambique, Guyana, Slovénie, Sierra Leone, Suisse, Équateur) ont travaillé sur un nouveau projet.

La Chine avait annoncé son soutien à cette nouvelle résolution et a dit espérer « que le Conseil de sécurité l’approuvera au plus vite et enverra un signal fort pour que cessent les hostilités ». « Nous prévoyons, sauf rebondissement de dernière minute, que la résolution sera adoptée et que les États-Unis ne voteront pas contre », a indiqué dimanche un diplomate à l’Agence France presse.

La réunion onusienne intervient dans un contexte d’urgence humanitaire extrême et alors que l’offensive israélienne à Gaza a fait plus de 32 000 morts, selon le ministère de la Santé du Hamas.

Macron met en garde Netanyahou contre « le transfert forcé de population, un crime de guerre »

À la veille de cette échéance, et alors que la France s’est dite prête à soumettre le cas échéant sa propre résolution, Emmanuel Macron s’est entretenu par téléphone avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le président français lui a fait part de « sa ferme opposition » à une offensive israélienne sur Rafah et avertissant que « le transfert forcé de population constituait un crime de guerre », a fait savoir l’Élysée.

Lors de cet échange, il a aussi condamné « fermement les récentes annonces israéliennes en matière de colonisation » alors qu’Israël a annoncé vendredi la saisie de 800 hectares de terres en Cisjordanie occupée, et plaidé pour une « solution à deux États (…) seule à même de répondre aux besoins de sécurité d’Israël et aux aspirations légitimes des Palestiniens ».

Conformément à la demande de la Cour de Justice internationale à Israël, le chef de l’État a également, selon l’Élysée, « insisté pour qu’Israël ouvre sans délai et sans condition tous les points de passage terrestres existant vers la bande de Gaza – notamment le point de passage de Karni, avec une voie terrestre directe depuis la Jordanie, ainsi que le port d’Ashdod ».

L’Unrwa se dit interdite de toute livraison d’aide dans le nord de Gaza

À rebours de cette exigence, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) a annoncé, par la voix de son chef Philippe Lazzarini, être désormais formellement interdite par Israël de toute livraison d’aide alimentaire dans le nord de la bande de Gaza.

« En dépit de la tragédie qui se déroule sous nos yeux, les autorités israéliennes ont informé l’ONU du fait qu’elles n’approuveraient plus de convois alimentaires de l’Unrwa dans le nord » de l’enclave palestinienne, a-t-il posté sur X (ex-Twitter) dimanche, soulignant que l’agence reste « la principale ligne de vie pour les réfugiés palestiniens ». Cette décision intervient, alors que l’Unrwa est accusée par Israël d’être infiltrée par des soutiens du Hamas, en dépit de la famine imminente qui menace les Gazaouis, en les quelque 300 000 personnes restées dans le nord du territoire.

« Empêcher l’Unrwa d’apporter de la nourriture, c’est en fait refuser la possibilité de survivre à des gens qui ont faim », a réagi le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui a appelé à revoir « urgemment » cette décision.

Les bombardements se poursuivent, plus de 32 000 morts

Au même moment, des frappes aériennes et des tirs d’artillerie continuent de se succéder dans la bande de Gaza. Dimanche, 84 personnes ont été tuées dans des bombardements notamment dans la ville de Gaza (nord) et celles de Khan Younès et Rafah (sud), portant le bilan total palestinien à 32 226 morts, a annoncé le ministère de la Santé du Hamas.

« Quand on regarde Gaza, on dirait presque que les quatre cavaliers de l’Apocalypse galopent au-dessus, semant la guerre, la famine, la conquête et la mort », a dénoncé le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, en déplacement en Égypte, plaidant pour « inonder Gaza d’une aide vitale ». « Le choix est clair : la vague ou la famine », a-t-il déclaré tandis que les 2,4 millions d’habitants du territoire palestinien survivent sous un siège complet depuis le 7 octobre.

Deux nouveaux hôpitaux assiégés, selon le Croissant rouge

Après l’offensive contre le plus grand établissement de soin de Gaza, l’hôpital Al-Chifa, le Croissant rouge palestinien a fait état dimanche de deux nouveaux hôpitaux assiégés dans la bande de Gaza par l’armée israélienne, qui a confirmé une intervention dans le quartier mais pas dans les établissements hospitaliers.

Selon l’organisation, des véhicules militaires sont arrivés dimanche matin aux abords des hôpitaux Nasser et al-Amal, dans la ville de Khan Younès, dans le sud du territoire, sur fond de tirs et de bombardement « intenses », un de ses bénévoles aurait été tué.

Sollicitée par l’AFP, l’armée a indiqué que ses « troupes opèrent dans toute la zone d’al-Amal, elles n’opèrent pas actuellement dans les hôpitaux ». Mais, selon le Croissant rouge, des appels ont été émis par drones demandant à tous les occupants de l’hôpital al-Amal de sortir dévêtus, les portes étaient bloquées de l’établissement au moyen de digues de terre.

Violences ordinaires de la colonisation à Hébron

Une vidéo montrant la violence ordinaire de la colonisation israélienne en Cisjordanie occupée suscite l’émoi sur les réseaux sociaux. On y voit un enfant palestinien faisant des courses dans une épicerie de Hébron malmenée et humiliée par des soldats israéliens. https://t.co/I4QGwy9YKw

En parallèle de la guerre à Gaza, les violences liées à la colonisation se sont multipliées ces derniers mois, notamment à Jénine.

   mise en ligne le 24 mars 2024

Sainte-Soline : un an après la manifestation contre la méga-bassine,
la bataille des récits se poursuit

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Il y a un an, la manifestation contre une méga-bassine des Deux-Sèvres a propulsé la « guerre de l’eau » au cœur du débat public. Depuis, partisans de l’agro-industrie et défenseurs de l’agroécologie s’affrontent, localement comme nationalement, sur fond de procédures judiciaires.

Même sur les mots, ils ne sont pas d’accord. Leurs défenseurs louent de simples « retenues de substitution » et leurs pourfendeurs dénoncent des « méga-bassines » pour désigner ces immenses cratères, creusés au milieu du Marais poitevin et remplis de millions de litres d’eau de pluie ou pompée dans les nappes phréatiques.

Ces grands trous à ciel ouvert sont, selon les premiers, la solution miracle aux sécheresses estivales pour irriguer les cultures et, d’après les seconds, les symboles de la privatisation par l’agro-industrie d’un bien commun raréfié par le réchauffement climatique.

Il y a un an, cette bataille sémantique qui traduit deux visions diamétralement opposées du modèle agricole a pris une tout autre tournure, à la faveur d’une manifestation historique que la préfecture des Deux-Sèvres avait interdite. Le 25 mars 2023, environ 25 000 personnes ont, malgré tout, convergé vers la méga-bassine en chantier de Sainte-Soline, à l’appel des Soulèvements de la Terre (SLT) et de diverses organisations, dont la CGT, EELV, la FI, le PCF 79 ou encore la Confédération paysanne.

Une journée noire qui a vu s’affronter, en direct à la télévision, gendarmes et quelques centaines de black blocs. Une journée noire pour de nombreux manifestants pacifistes victimes d’une féroce répression policière ayant fait plus de 200 blessés (47 côté gendarmes, selon la place Beauvau). Une journée noire où il a plu des grenades par milliers, qui a marqué un tournant dans ces luttes écologistes empreintes de désobéissance civile.

Un week-end de « commémor’actions »

Depuis cette date, deux récits s’affrontent. Et la guerre de positions se poursuit entre deux mondes qui ne se parlent plus. Tant à l’échelle locale que nationale. D’un côté, les syndicats agricoles majoritaires (FNSEA et Jeunes agriculteurs) réduisent le combat écologiste aux violences : « Que ce soit en octobre 2022 ou en mars 2023, les manifestations n’ont pas été pacifiques. Nous, agriculteurs, sommes là pour produire des denrées alimentaires, pas pour faire la guerre », regrette Jean-Marc Renaudeau, président FNSEA de la chambre d’agriculture du 79.

Un récit auquel le gouvernement apporte son appui et ses mensonges, notamment avec un ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a tenté, en vain, de dissoudre le collectif des SLT vus comme « écoterroristes ». Dernier exemple en date avec son homologue de la Transition écologiste, Christophe Béchu, à propos de nouvelles actions : « Si l’enjeu des SLT est de sensibiliser l’opinion, super. Si c’est recommencer des débordements extrêmement violents, qu’ils s’abstiennent car ils ne rendent pas service à l’écologie. » C’est à ce camp que l’exécutif a donné raison, lors de la crise des agriculteurs, en proposant de « faciliter le stockage de l’eau » en accordant au projet une sorte de présomption d’intérêt public.

De l’autre côté, les militants anti-bassines essaient difficilement de faire entendre une autre voix : le site d’information Reporterre vient de sortir un documentaire intitulé Sainte-Soline : autopsie d’un carnage où ils s’expriment longuement sur le « piège » du 25 mars 2023.

Ce week-end, les SLT ont aussi organisé, à travers la France, une série de « commémor’actions », un an après le douloureux choc. « Elles servent à panser les plaies et à montrer qu’on pense à un avenir meilleur. Mais nos adversaires évitent de parler de nous, paysans, pour laisser penser que le débat se joue entre eux et les écologistes », rapporte Benoît Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne 79.

« La mobilisation a été une énorme victoire culturelle car même les éditocrates les plus fervents défenseurs du capitalisme ont dû avouer que c’est bien l’argent public qui sert à privatiser l’eau dans ces méga-bassines », rappelle David Bodin, secrétaire général de la CGT du département.

La méga-bassine de Sainte-Soline livrée à l’automne

Dans les Deux-Sèvres, la situation s’est vraiment « tendue », de l’aveu de tous. « La pression mise sur les porteurs de projet et, par ricochet, sur le monde agricole est énorme, alerte Jean-Marc Renaudeau. Un groupe de citoyens vient de porter plainte contre la maire de Val-du-Mignon pour conflit d’intérêts, car elle est agricultrice et concernée, comme 200 exploitations dans le département, par les retenues d’eau. C’est inadmissible ! »

Le président de la chambre d’agriculture continue de défendre ces « retenues » contestées (une est en service, trois en construction et douze en gestation) : « On n’a jamais vu un hiver aussi humide, alors pourquoi ne pas stocker l’eau en hiver pour l’utiliser en été ? Donc, maintenir des projets agricoles sur le territoire alors qu’on va devoir, à l’avenir, diviser par deux ou trois les prélèvements ? C’est un projet collectif. »

D’ailleurs, les chantiers se poursuivent, bien que toutes les voies de recours ne soient pas épuisées et que la justice, dans des départements voisins, ait déjà fait annuler des autorisations. La méga-bassine de Sainte-Soline doit, par exemple, être livrée à l’automne.

En face, militants et paysans partisans d’un modèle alternatif dénoncent les collusions entre l’agro-industrie et l’État, qui n’hésite pas à mettre ses moyens à disposition. « Je fais partie de ceux qui ont découvert le cynisme des pouvoirs publics capables de défendre un cratère quel qu’en soit le coût humain et économique contre ceux qui tentent de protéger l’avenir », s’étonne encore Benoît Jaunet.

« Même quand on a gagné en justice concernant la bassine de Cram-Chaban (Charente-Maritime), déclarée illégale, elle a continué à être exploitée pendant sept ans grâce à des arrêtés préfectoraux », souligne David Bodin. Le cégétiste, comme son camarade de la Confédération paysanne et sept autres personnes, a été condamné, en janvier 2024, pour avoir organisé la manifestation du 25 mars 2023. « C’est une première depuis l’Occupation de condamner des syndicalistes pour ce motif », pointe-t-il.

Les Soulèvements de la Terre ne baissent pas les bras et prévoient une mobilisation, entre les 15 et 21 juillet prochains, pour un « Sainte-Soline 3 ». Et, le 11 mai, à quelques kilomètres de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), les activistes organisent une « rando festive et déterminée » contre deux projets de « giga-bassines ». Une façon de réaffirmer qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot.


 


 

Journée mondiale de l’eau :
le gouvernement a tout faux !

Communiqué de la Confédération Paysanne sur www.confederationpaysanne.fr

En cette journée mondiale de l'eau, la Confédération paysanne alerte sur les reculs en cours sur la question de l'eau en agriculture. Un an après la présentation du plan eau par Emmanuel Macron, la question fondamentale de la préservation et du partage de l'eau reste un impensé du gouvernement. Alors que nous devrions avoir avancé sur la question de la priorisation des usages, dans un contexte de raréfaction de ce commun qu'est l'eau, les récentes mesures annoncées vont toutes dans le mauvais sens.

Le fonctionnement actuel de nombreuses instances de gestion de l'eau (en particulier les Organismes Uniques de Gestion Collective) ne permet pas une gouvernance démocratique de l'eau, pourtant indispensable pour faire face aux enjeux actuels et pour éviter les maladaptations au changement climatique.

La volonté de passer outre les études scientifiques nie la réalité de l'état quantitatif et qualitatif de la ressource en eau. Cette négation est à la base des évolutions des règles concernant les projets d'ouvrages hydrauliques : raccourcissement des délais, non prise en compte des études HMUC, disparition dans la cartographie de cours d'eau et zones humides… L'exact opposé de ce qu'il faut faire.

Cela va de pair avec la fuite en avant des récentes décisions concernant les pesticides, qui vont à la fois continuer à dégrader massivement la qualité de l'eau et réduire la capacité des sols à retenir l'eau.

C'est ignorer aussi les décisions de justice : en octobre dernier, le tribunal administratif de Poitiers a invalidé les projets de 15 bassines au motif qu'ils ne permettent pas de diminuer les prélèvements en eau.

Pour la Confédération paysanne, l'urgence est à un plan Eau qui intègre les projets dans leur territoire en adaptant les volumes à la ressource disponible et définisse le partage des usages entre tous les secteurs (l'alimentation en eau potable restant évidemment prioritaire) ainsi qu'entre paysan·nes.

Il faut donc se poser les bonnes questions : qu'est-ce qu'on irrigue ? Pour quel modèle agricole et alimentaire ? La réponse doit être un modèle agricole qui relocalise l'alimentation, au service de la souveraineté alimentaire et non de l'exportation, et qui, in fine, limite ses prélèvements et protège la ressource en eau.

Pour cela, la Confédération paysanne demande urgemment :

  • De massivement réorienter les financements relatifs à l'eau en agriculture vers le soutien et le développement de pratiques retenant l'eau dans les sols (couverts végétaux, haies, prairies permanentes, semences paysannes, haies, bandes enherbées…), de protéger l'eau (baisse des intrants chimiques de synthèse) et d'économiser la ressource.

  • De prioriser les usages en agriculture vers les productions agricoles qui relocalisent l'alimentation et favorisent les emplois, en particulier le maraîchage diversifié. La Confédération paysanne demande, en période de sécheresse, la généralisation partout en France des dérogations pour les maraîchers (sur les volumes d'eau et horaires d'irrigation) en particulier pour les semis et plantations.

  • De plafonner les volumes accordés par ferme, en fonction du nombre d'actifs et des productions. Les plafonds doivent être déterminés au niveau local et en fonction des condition-pédoclimatique et hydrogéologiques du territoire et relativement à des pratiques qui favorisent d'abord les économies d'eau. Les références historiques ne peuvent pas rester le seul critère dans l'attribution des volumes.

  • L'arrêt des méga-bassines, instrument d'accaparement de l'eau et de maladaptation.

     

   mise en ligne le 23 mars 2024

« Devoir de vigilance » :
un combat de classe européen

Par Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen sur www.humanite.fr

Le 24 avril 2013, nombre de consommateurs occidentaux découvraient, derrière les décombres du Rana Plaza et les 1 135 victimes de l’effondrement de cette usine textile construite au Bangladesh en violation de toutes les règles de sécurité, que bien des grandes marques occidentales « au-dessus de tout soupçon » ne se souciaient guère des conditions dans lesquelles étaient fabriqués leurs vêtements. Cet effroyable scandale fut la source d’une prise de conscience dans l’opinion publique : il fallait coûte que coûte « faire quelque chose » pour qu’à l’avenir les entreprises européennes ne puissent plus se défausser de leurs responsabilités concernant les atteintes aux droits humains et environnementaux commises dans tous les maillons de la chaîne de valeurs, depuis leurs fournisseurs jusqu’à leurs sous-traitants.

C’est ainsi qu’en 2017 fut adoptée en France – pour la première fois au monde – une loi sur « le devoir de vigilance » des entreprises. Sa portée était, certes, limitée – seules 263 entreprises étaient concernées – mais une brèche était ouverte, où se sont engouffrés syndicats, ONG et militantes ou militants de gauche ou écologistes. Parmi elles et eux, des parlementaires européens, notamment de notre groupe de la gauche, se fixèrent pour objectif d’obtenir le vote d’une directive (une loi européenne) la plus contraignante possible en matière de « devoir de vigilance ».

Premier succès, ils obtinrent de la Commission européenne en 2022 qu’elle publie un projet de directive, que le Parlement européen se chargera d’amender sérieusement afin de lui conférer une portée beaucoup plus significative : en juin 2023, une majorité de députés européens se prononça pour porter le seuil des entreprises concernées à 250 salariés, les contrevenants risquant une amende équivalant à 5 % de leur chiffre d’affaires. (À noter que les élus et élues du parti d’Emmanuel Macron ainsi que ceux et celles du RN s’y opposèrent…) Restait à convaincre le « Conseil » (les représentants des 27 gouvernements) car l’adoption d’une directive suppose un accord des deux « colégislateurs ». De fait, six mois plus tard, à l’issue d’un tour de table informel, le Conseil fit connaître son accord de principe avec l’essentiel de la position du Parlement européen. (La France s’y rallia après avoir obtenu l’exemption de la future loi pour le secteur financier…) La voie semblait enfin dégagée pour le vote d’une directive s’appliquant aux entreprises de plus de 500 salariés et même à celles de plus de 250 salariés dans les secteurs sensibles (textile, agriculture, construction…).

Ce tournant déclencha un impressionnant surcroît de pressions des entreprises. Avec pour résultat… un revirement spectaculaire le 28 février dernier : 14 États, dont la France, constituèrent une minorité de blocage, Paris exigeant notamment le relèvement du seuil des entreprises concernées à 5 000 salariés. Les tractations reprirent de plus belle, pour finalement aboutir, à l’arraché, à un accord officiel d’une « majorité qualifiée » (55 % des États, représentant au moins 65 % de la population de l’UE) des États membres, le 15 mars. Le dernier mot reviendra au Parlement européen à la mi-avril. Même amoindri, le succès sera de taille !

Ce récapitulatif d’une longue bataille pour des droits sociaux et environnementaux est significatif à plusieurs égards : d’abord, il rappelle que, si on arrive à créer des rapports de force favorables, tant dans nos sociétés qu’au Parlement européen, des succès notables sont possibles ; ensuite, les slogans évoquant les « diktats de Bruxelles » oublient le rôle, souvent très négatif, d’une majorité d’États membres… parmi lesquels la France ; enfin, nos concitoyens et concitoyennes ont intérêt à bien choisir les candidates et les candidats à envoyer à Strasbourg et à Bruxelles le 9 juin.


 

   mise en ligne le 22 mars 2024

« La crise de l’eau était prévisible » :
à Mayotte, 310 000 personnes assoiffées

Axel Nodinot sur www.humanite.fr

La Journée mondiale de l’eau se tient ce vendredi 22 mars. Les Mahorais, citoyens du 101e département français, souffrent d’une dangereuse crise hydrique depuis plusieurs années. Ils dénoncent les manques de l’État et des collectivités, qui ont laissé la situation empirer.

Pour le ramadan, personne n’est laissé de côté. En ce mois de fête et de fraternité, les foyers de Mayotte se réunissent le soir venu sur la natte familiale, rompant le jeûne autour de poisson ou de poulet en sauce, de fruits à pain et de manioc frit, de samosas et du traditionnel houbou, une purée à base de farine de maïs ou de riz.

Pour étancher leur soif après les potins et les rires, les canettes de soda ont depuis longtemps remplacé l’eau. L’or bleu se fait rare dans le 101e département français, victime d’une grave crise hydrique depuis plusieurs mois. « Alors que les réserves sont remplies, on a toujours des coupures un jour sur trois », déclare Sedji, jeune femme de Mamoudzou, le chef-lieu mahorais.

« Si tu as le malheur de ne pas avoir fait de réserves le jour de la coupure, tu ne peux pas cuisiner et tu te retrouves avec de la vaisselle sale pour trois jours », abonde Sarienti depuis Chiconi, à l’ouest de l’île. Elle habite avec son mari sur le terrain familial et doit donc préparer le foutari – le repas de rupture du jeûne – la veille pour le lendemain soir.

Une logistique « horrible » à tenir en plus du travail, des embouteillages incessants et des violences délinquantes qui peuvent frapper à tout moment. « C’est pire pour les plus âgés », continue Sarienti. Elle partage sa cour avec sa mère et sa grand-mère qui, à 74 ans, souffre du manque d’eau : « Quand elle accueille ses petits-enfants, elle n’a plus assez pour elle, donc elle doit remplir des bassines pour faire des réserves. »

La crainte des Mahorais est palpable, alors que la tant attendue saison des pluies tire à sa fin, et que l’île au lagon repartira bientôt pour six mois de saison sèche. L’année dernière, les habitants n’avaient de l’eau que deux jours par semaine, à certains horaires. Un sort inhumain pour les 310 000 habitants du département, délaissés par la France qui figure pourtant parmi les dix puissances mondiales.

« Je dois rester éveillée tard le soir pour attendre que l’eau soit transparente. » Sarenti, habitante de Mayotte

Les « coupures techniques » peuvent survenir à n’importe quel moment et sont annoncées en retard par la Société mahoraise des eaux (Smae), délégataire du service d’eau et d’assainissement. « Dimanche matin, la voisine vient me voir pour me demander si j’ai de l’eau : je vérifie, rien, déplore Rose, originaire de l’Hexagone. Sans réserves, j’ai dû attendre pour le ménage, la cuisine, la douche, etc. » Pour leur consommation, la population est contrainte d’acheter des packs d’eau pour un montant minimum de six euros.

Après la pluie vient le choléra

Mayotte subit un nouveau drame : un premier cas de choléra a été recensé, cette semaine, par l’agence régionale de santé (ARS). Présente sur les Comores voisines, l’infection contagieuse n’a pas provoqué d’épidémie en France depuis le XIXe siècle. « Pour éviter ou contenir une épidémie de choléra, il faut que la population puisse avoir accès à de l’eau potable pour boire, se laver, cuisiner, explique Manon Gallego, directrice France de l’ONG Solidarités international, présente auprès de l’ARS. Or, ça n’est pas le cas à Mayotte puisque 18 % de la population n’a pas accès à l’eau potable à domicile, ce qui l’oblige à avoir recours à des sources d’eau non vérifiées. »

Les distributions de bouteilles d’eau à certains foyers et la prise en charge des factures par l’État ont toutes deux cessé depuis le 1er mars. « L’État (…) doit tenir sa parole et faire preuve de solidarité envers les Mahorais en continuant à prendre en charge les factures d’eau jusqu’à la fin effective des coupures et des tours d’eau, ainsi que le retour avéré de sa potabilité », demande l’Association des maires mahorais au premier ministre, Gabriel Attal.

L’eau qui sort des tuyaux, malmenés par les incessantes coupures, est souvent de couleur blanche, jaune ou marron. « Je dois rester éveillée tard le soir pour attendre qu’elle soit transparente. Nous sommes fatigués de cette situation », souffle Sarienti. Rose surenchérit : « Je n’ai aucune confiance en l’ARS, ça fait plus d’un an qu’ils nous disent que l’eau est potable, mais qu’il faut la faire bouillir avant. »

Quand les robinets sont à sec, les familles puisent dans des bassines et des seaux de réserve, où les moustiques-tigres, porteurs de la dengue, ont pu pondre. Elles se rendent également jusqu’aux rares rivières de l’île, utilisées comme poubelles, lavoirs et toilettes publiques. L’année dernière, au pic de la crise, plusieurs maladies ont été enregistrées. « En novembre-décembre, l’épidémie de gale était incontrôlable, tonne Sedji. Les collèges et lycées ne proposaient aux élèves qu’une bouteille d’eau tous les deux jours. Il ne faut pas avoir soif, surtout sous 35 degrés ! Alors les jeunes allaient boire dans les citernes, où l’eau était stockée depuis plusieurs jours, sous le soleil, et tombaient malades. C’est soit ça, soit mourir de soif ! »

Face aux risques sanitaires encourus, des habitants se sont récemment rassemblés au sein du collectif Pado afin de « demander réparation et condamnation des responsables moraux et physiques » de la situation. Sur le banc des accusés, la Smae, que le collectif a réussi à faire condamner en première instance, le 8 décembre 2023, et en appel ce mercredi 20 mars. « C’est une petite victoire », estiment les membres, qui poursuivent la procédure pénale afin que « des comptes soient rendus ». La Ligue des droits de l’homme s’est constituée partie civile aux côtés des Mahorais, qui veulent se joindre à « une procédure ouverte à tous », rappelle l’une des initiatrices.

« L’État piétine sa propre réglementation »

Les manques de l’État, de la Smae et de son délégant, le Syndicat des eaux de Mayotte, qui n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations, ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ont progressivement abandonné les Mahorais à des conditions sanitaires déplorables, alors même que « les factures continuaient d’arriver avec des montants parfois exorbitants pour seulement deux jours d’eau par semaine », rappelle Sedji.

Le réseau vétuste appartient à la Sogea, filiale du groupe Vinci. La demande d’eau s’élève à 43 000 mètres cubes par jour, mais seuls 39 000 mètres cubes peuvent être produits en saison des pluies. Les fuites d’eau dans le réseau mahorais représentent une perte estimée par la préfecture à quelque 10 000 mètres cubes quotidiens.

Le seul projet capable de mettre fin aux tours d’eau est la seconde usine de dessalement, dont l’apport minimal de 10 000 mètres cubes est prévu pour 2025. Mais « chat échaudé craint l’eau froide », ose l’un des membres du collectif Pado : la première du genre, en Petite-Terre, est loin de fournir les 5 300 mètres cubes promis à sa construction. Et sa « petite sœur » pose déjà problème.

Planifié à Ironi Bé, sur la côte est, l’établissement de 30 millions d’euros, au bas mot, menacerait l’un des plus beaux récifs coralliens du monde, en rejetant la saumure dans le lagon. « Il n’y a pas eu d’études d’impact, de courantologie, d’enquête publique, liste Ali Madi, président de la Fédération mahoraise des associations environnementales (FMAE). Si l’État français piétine sa propre réglementation, comment doivent se comporter les Mahorais et les étrangers qui n’ont rien ? »

Les associations locales ont pourtant proposé des pistes alternatives aux institutions, comme la réutilisation des eaux usées traitées pour l’agriculture et le bâtiment. Elles sont restées lettre morte. Ali Madi dénonce une « usine qui va coûter très cher pour satisfaire les multinationales et appauvrir encore le Mahorais. Quand le litre d’eau passera à 9 euros, je pourrai payer, mais les autres qui vivent sous le seuil de pauvreté ? Ils seront obligés de boire dans les puits et contracteront des maladies comme le choléra ».

« La crise de l’eau était prévisible. Nous avons un schéma directeur de l’aménagement et de la gestion en eau depuis 2010, avant la départementalisation (de 2011 – NDLR), car c’est une obligation européenne, précise le président de la FMAE. Mayotte ne doit pas être une exception, elle doit avoir les mêmes droits que l’Hexagone car, sinon, rien n’avance. » Rose partage le même désespoir : « On est en 2024, le problème est toujours là et tout le monde s’en fout. On est aguerris, mais c’est lourd au quotidien, il faut le vivre pour le comprendre. Et, avec le réchauffement climatique, ça peut très bien arriver en métropole. »


 

   mise en ligne le 21 mars 2024

Cédric Herrou : « Je viens de faire
22 heures de garde à vue parce que
je suis un opposant politique »

Nejma Brahim sur www.mediapart.fr

Le militant a été placé en garde à vue mercredi 20 mars, et deux compagnons d’Emmaüs-Roya en retenue administrative, après un contrôle routier. Tous trois ont été relâchés jeudi midi. La préfecture des Alpes-Maritimes assume, le ministère de l’intérieur garde le silence.

IIl a d’abord signalé un nouveau « petit contrôle au faciès » dans une vidéo postée sur le réseau social X. Cédric Herrou n’imaginait sans doute pas qu’il serait interpellé, en plus des hommes qui l’accompagnaient en voiture pour se rendre sur leur lieu de travail, mercredi 20 mars, en début d’après-midi. Les gendarmes mobiles ont profité d’un contrôle routier pour constater que certains des compagnons, membres de la communauté Emmaüs-Roya, étaient en situation irrégulière.

Ces derniers, l’un de nationalité gambienne, l’autre mauritanienne, ont été placés en retenue administrative, tandis que l’agriculteur, déjà connu pour son combat pour le principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel, a été placé en garde à vue, pour « aide à la circulation d’étrangers en France ». « J’ai senti les policiers un peu embêtés, et c’est normal puisque ce n’est plus un délit à partir du moment où il n’y a pas de contrepartie financière », souligne Cédric Herrou. Tous trois ont été relâchés jeudi 21 mars, à midi.

Au moment de l’interpellation, raconte Cédric Herrou, les gendarmes lui « ont mis les menottes ». « Je leur ai demandé le motif de l’interpellation, et si j’étais placé en garde à vue. Mais on m’a notifié mes droits 3 h 30 après ma privation de liberté. » Le préfet des Alpes-Maritimes a affirmé que Cédric Herrou aurait refusé de présenter les documents du véhicule. « C’est faux, rétorque l’agriculteur. Les gendarmes nous ont suivis, et c’est parce qu’il y avait des Noirs dans la voiture. Je viens de faire 22 heures de garde à vue parce que je suis un opposant politique. Et dans un pays comme la France, cela interroge la notion d’État de droit. »

À l’été 2023, Mediapart était allé à la rencontre d’Emmaüs-Roya et avait raconté la genèse de ce projet mêlant agriculture et social – une première en France. La communauté permet depuis sa création d’approvisionner toute la vallée de la Roya en produits locaux et bio, et a convaincu, à force de travail acharné et de pédagogie, les plus réfractaires à la présence de personnes étrangères. C’est la première fois que les forces de l’ordre et les autorités s’en prennent ainsi à la communauté Emmaüs.

Dans la soirée de mercredi, le préfet des Alpes-Maritimes a choisi de communiquer sur X, confirmant l’interpellation de Cédric Herrou par des gendarmes mobiles dans le cadre d’un contrôle routier. « L’infraction routière retenue à son encontre et le refus de fournir les documents afférents à la conduite du véhicule ont entraîné l’immobilisation du véhicule. La présence à bord de passagers en situation irrégulière a conduit au placement en garde à vue de M. Cédric Herrou et au placement en retenue administrative des passagers », a-t-il poursuvi.

Sollicité à plusieurs reprises, le ministère de l’intérieur a préféré garder le silence.

« L’épine dans le pied de la préfecture »

« On a l’impression que c’est lié aux dénonciations qu’on a faites il y a dix jours », explique Marion Gachet, cofondatrice de la communauté, en référence à une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montrant des militaires de l’opération Sentinelle effectuer un contrôle d’identité sur l’un des compagnons de la communauté, un contrôle « illégal » (ces derniers ne sont pas habilités à contrôler l’identité des citoyen·nes) et « au faciès » (la personne était noire), comme l’a souligné Cédric Herrou au moment des faits.

Filmée, la scène a suscité l’indignation et a été reprise dans de nombreux médias. Cédric Herrou avait constaté ces pratiques illégales des mois plus tôt, notamment dans les trains circulant à la frontière franco-italienne ou dans les gares. Il avait déjà publié une vidéo, devenue virale, en novembre 2023 ; et un communiqué interassociatif était venu condamner ce type de pratique.

« Des policiers m’ont dit que j’étais l’épine dans le pied de la préfecture. Je sais que tout ça fait suite au référé-suspension que j’ai déposé en justice pour mettre fin au contrôles d’identité effectués par les [soldats de] Sentinelle dans la région », confie Cédric Herrou.

Mercredi 20 mars, les forces de l’ordre suivaient la voiture depuis quelques minutes, rapporte Marion Gachet, « comme [si elles] l’avaient repérée et attendaient de pouvoir intervenir ». « Dans le PV d’interpellation, il est écrit que les gendarmes ont suivi le véhicule de l’association depuis la gare, et l’ont contrôlé parce que l’un des feux arrière était cassé. »

Par la suite, les motifs du contrôle et de l’interpellation ont évolué : d’abord présentée comme un simple contrôle routier, l’action s’est vite inscrite dans le cadre d’une « mission de lutte contre l’immigration clandestine », comme l’a affirmé le cabinet du préfet lui-même à France 3-Côte d’Azur.

Deux bénévoles et un membre de la communauté de nationalité française, également présents dans le véhicule, ont d’ailleurs été relâchés en fin de journée, mercredi. Se voulant rassurant, Cédric Herrou affirme ne pas se décourager. « Au contraire, ça me rebooste. Pour les compagnons, c’est plus embêtant. Mais ils vont bien, ils appartiennent à une lutte, on est un peu une famille et ils savent qu’on sera toujours là. »

Cédric Herrou et Marion Gachet invitent le préfet des Alpes-Maritimes à venir les rencontrer : « On dénonce des irrégularités parce qu’on est pour le respect du droit. Mais on est aussi dans une volonté de discussion et d’apaisement, on n’est pas là pour faire la guerre au préfet et il n’y a aucun intérêt à avoir de telles tensions, ni pour Emmaüs-Roya, ni pour la commune de Breil-sur-Roya, ni pour les autorités. »

« Préfet bulldozer »

Jusque-là, poursuit Marion Gachet, les membres de la communauté entretenaient « de très bonnes relations » avec la préfecture des Alpes-Maritimes. Mais, depuis l’arrivée du préfet Hugues Moutouh en septembre 2023, cette bonne entente s’est étiolée, regrette-t-elle. « Là, on a vraiment le sentiment qu’il se venge. » Le préfet est connu pour ses prises de position et de parole prônant la discrimination, comme lorsqu’il a déclaré, alors préfet de l’Hérault, que « les SDF étrangers n’étaient pas les bienvenus ».

Surnommé « préfet bulldozer », il avait aussi réservé une interpellation surprise à plusieurs sans-papiers venus de Paris, dès la sortie du train, alors qu’ils devaient manifester à l’occasion du sommet France-Afrique organisé à Montpellier en octobre 2021 – manifestation déclarée aux autorités en amont. Plusieurs d’entre eux avaient fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), doublée d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).

Ces dernières années, la militarisation de la frontière lancée par les autorités, avec pour seul objectif de la rendre hermétique – sans toutefois y parvenir –, a contribué à un renforcement des contrôles sans précédent, dans les cols de montagne, sur les routes, dans les gares… Mais ces contrôles mènent surtout à des refoulements en cascade (soit des renvois côté italien), sans empêcher concrètement les personnes exilées d’entrer en France au bout de plusieurs tentatives infructueuses, comme ont pu le documenter les associations présentes dans la région.

Les associations d’aide aux exilé·es n’ont cessé d’alerter sur les effets de la militarisation de la frontière, qui conduit par ailleurs à l’enfermement de femmes, hommes et enfants dans des lieux sans véritable statut juridique (comme des préfabriqués) et pousse les personnes en migration à prendre toujours plus de risques pour éviter les contrôles. L’histoire de Blessing Matthew, une jeune Nigériane retrouvée morte dans la Durance, après avoir franchi la frontière avec deux camarades et avoir été poursuivie par les gendarmes, en est l’illustration.

Dans une décision rendue le 2 février 2024, le Conseil d’État a annulé l’article du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) « qui permettait d’opposer des refus d’entrée en toutes circonstances et sans aucune distinction dans le cadre du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures » et a enjoint à la France de respecter le droit d’asile, comme l’explique l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, qui a suivi le dossier de près.

Le 16 mars, l’association Tous migrants organisait une « grande maraude solidaire » pour dénoncer les « politiques d’invisibilisation » du sort réservé aux exilé·es et la « militarisation des frontières françaises dans le contexte de durcissement des politiques migratoires et de la loi Darmanin ».


 

   mise en ligne le 20 mars 2024

Vote du CETA au Sénat le 21 mars : mêmes risques, même concurrence déloyale qu’avec l’accord UE-MERCOSUR

sur https://www.greenpeace.fr/

Le Sénat va enfin se prononcer sur le CETA, près de 5 ans après le passage en force à l’Assemblée nationale en plein été, en juillet 2019. Il est temps, surtout que 90% de cet accord est de fait déjà entré en application « provisoire » depuis septembre 2017. L’application totale du texte requiert la ratification des États-membres : la France fait partie des 10 pays qui peuvent encore bloquer cet accord aux risques largement documentés tant pour l’agriculture, les normes sanitaires et environnementales, le climat ou encore le droit à réguler des États.

Dans une lettre ouverte signée par près de 30 organisations, le collectif Stop CETA-MERCOSUR (voir la liste de ses membres ) et ses partenaires appellent les Sénatrices et Sénateurs à voter contre la ratification du CETA afin d’ouvrir la possibilité d’« une remise à plat de la politique commerciale européenne » et invitent les citoyennes et citoyens à soutenir cet appel. Aux côtés de la Confédération paysanne, le collectif national Stop CETA-MERCOSUR donne RDV à partir de 10 heures le jeudi 21 mars devant le Sénat pour demander aux sénatrices et sénateurs de voter CONTRE la ratification du CETA.

Lettre ouverte à lire ici

ENFIN. Huit ans après sa finalisation, sept ans après la décision au forceps consistant à appliquer « provisoirement » la partie commerciale du CETA sans que l’accord ne soit pleinement ratifié par les 27 États-membres de l’UE, et près de cinq ans après un vote à l’Assemblée nationale qui avait fortement divisé la majorité présidentielle d’alors , le débat sur la ratification du CETA , maintes fois promis sans lendemain par l’exécutif, est enfin inscrit, par une porte dérobée, à l’ordre du jour du Sénat ce jeudi 21 mars.

Dans l’actualité de la mobilisation du monde agricole qui a énoncé les accords de libre-échange, tout particulièrement l’accord UE-Mercosur, voter CONTRE la ratification du CETA enverrait un message clair : il est temps de remettre à plat la politique commerciale européenne pour que l’agriculture ne serve plus de monnaie d’échange sur le dos des agriculteurs et agricultrices, de notre souveraineté alimentaire et de la qualité de notre alimentation. Rappelons par exemple que le Canada utilise plus de 40 pesticides interdits dans l’UE et peut toujours nourrir son bétail avec des farines animales – pratique strictement interdite en France et dans l’UE depuis 2001.

Nouvelle-Zélande, CETA, Mercosur, tous ces accords sont fondés sur la même logique : ouverture de nouveaux marchés aux entreprises multinationales européennes contre la libéralisation des marchés agricoles européens et l’importation de matières premières au coût le plus bas possible. La mise en concurrence de systèmes productifs nationaux si différents génère des formes de concurrence déloyale, au sein de l’UE mais aussi dans les pays tiers, conduisant à la destruction d’emplois et d’activités, et entraînant une pression à la baisse sur les normes environnementales et sociales. Car ces normes sont considérées dans ces négociations comme des barrières au commerce. Cela doit cesser.

Ces accords n’ouvrent pas que de nouveaux quotas d’importation et d’exportation : ils instituent des règles et des dispositifs qui restreignent les capacités des pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques de lutte contre le réchauffement climatique, de relocalisation et de protection d’activités jugées stratégiques, notamment de services publics. Directement en limitant considérablement des politiques privilégiées des entreprises locales aux fournisseurs internationaux. Et potentiellement par l’effet dissuasif , comme c’est le cas pour le CETA, de la mise en place d’une justice d’exception qui permet aux entreprises multinationales d’attaquer les États ou l’UE s’ils prennent des mesures plus protections considérées par les investisseurs contraires à leurs intérêts ( mécanisme d’arbitrage connu sous le nom d’ISDS ).

Pour le collectif Stop CETA-MERCOSUR (voir la liste de ses membres), qui regroupe ONG, syndicats et associations mobilisés depuis des années contre ces accords :

« Voter contre le CETA ne signifie pas s’isoler et mettre fin au commerce transatlantique entre l’UE et le Canada, pas plus qu’isoler la France en Europe. Voter contre la ratification du CETA c’est ouvrir les conditions de possibilité d’une remise à plat de la politique commerciale européenne ; en 2024 ce n’est pas du CETA et du MERCOSUR dont nous avons besoin pour relever les défis climatiques, agricoles, sociaux, écologiques, économiques et géopolitiques auxquels nous faisons face, et encore moins dans leur version actuelle. »

Aux côtés de la Confédération paysanne, le collectif national Stop CETA-MERCOSUR appelle à se retrouver le 21 mars à partir de 10 heures devant le Sénat pour demander aux Sénatrices et Sénateurs de voter CONTRE la ratification du CETA.

Le collectif national Stop CETA-MERCOSUR appelle également les citoyennes et citoyens à le soutenir et à écrire (voir le Kit d’action) aux Sénatrices et sénateurs pour leurs demander de voter CONTRE la ratification du CETA


 

   mise en ligne le 19 mars 2024

Comptable

Marion d'Allard sur www.humanite.fr

Hôpitaux au bord de la rupture, services publics à l’os, un demi-million de fonctionnaires qui gagnent moins de 1 500 euros par mois… Rarement l’expression « ras-le-bol général » n’aura résonné si justement. Ce mardi, à l’appel d’une large intersyndicale, les agents des trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière – battent le pavé pour exiger que s’ouvrent enfin de véritables négociations salariales. Les beaux discours n’y suffiront pas. Les arguties budgétaires ne convaincront pas. Malgré le chantage à « l’image de la France » pour les intimider, les fonctionnaires ne sont pas dupes et menacent de poursuivre le mouvement pendant les jeux Olympiques s’ils n’obtiennent pas satisfaction.

À quelques semaines du scrutin européen, les promoteurs de l’austérité à sens unique mettent cartes sur table, escomptant agréger les voix de l’arc libéral. Sans rien cacher ou presque de ses ambitions politiques, le ministre de l’Économie promet de nouveaux tours de vis. Plus enclin à prêter l’oreille aux chants des sirènes des agences de notation qu’à entendre la colère des fonctionnaires, le comptable de Bercy a repris son rabot de pèlerin. 

Dix milliards d’euros en 2024 et vingt milliards supplémentaires en 2025. Aux antipodes d’une planification économique qui privilégierait l’investissement de long terme, c’est une nouvelle fois la politique de la coupe franche qui prévaut, avec dans le viseur les services publics et les dépenses sociales. La méthode est brutale et le Parlement systématiquement tenu à l’écart du débat.

Les « essentiels », les « premières lignes », celles et ceux qui tiennent les services publics à bout de bras exigent leur juste part. Augmenter leurs salaires, c’est briser le cycle infernal de la paupérisation, redonner de l’attractivité à leurs métiers et un avenir à leurs missions d’intérêt général. « De l’argent, il y en a », dit la formule. Chaque année, l’État verse sans condition près de 200 milliards d’euros d’aides aux entreprises, s’assoit sur 4,5 milliards de recettes en refusant de rétablir l’impôt sur la fortune et laisse s’évader plus de 100 milliards de fraude fiscale.

 

    mise en ligne le 18 mars 2024

« Choc des savoirs »
et groupes de niveau : l’arrêté publié au Journal officiel, les syndicats dénoncent des mesures « iniques »

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Après plusieurs semaines de cacophonie entre Gabriel Attal et sa ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet, l’arrêté imposant la création de groupes de niveau au collège en français et en mathématiques, a été publié au Journal officiel, le 17 mars. Malgré une souplesse affichée, les syndicats continuent de dénoncer des « mesures iniques » et appellent à faire de la mobilisation nationale du 19 mars l’occasion d’un rejet massif du « choc des savoirs ».

L’expression a disparu des textes, mais l’esprit est bien le même, acté noir sur blanc dans le Journal officiel. Après plusieurs semaines de cacophonie ministérielle, sur fond de désaccords entre le premier ministre et sa ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet, et malgré le rejet unanime des syndicats, la réforme dite des « groupes de niveaux » au collège voulue par Gabriel Attal a été officialisée dans la nuit du samedi 16 mars au dimanche 17 mars.

Ce nouvel arrêté prévoit ainsi, dès la rentrée prochaine, un regroupement des élèves de sixième et de cinquième dans des « groupes (…) constitués en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs » en français et en mathématiquesLa généralisation aux élèves de quatrième et troisième est prévue pour la rentrée 2025. Exit donc la notion explicite de « groupes de niveau », qui a cristallisé la colère des représentants syndicaux. Mais, dans les faits, le résultat sera le même, l’arrêté prévoyant quelques lignes plus loin que « les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficieront d’effectifs réduits ».

Tour de passe-passe lexical

Un tour de passe-passe qui n’a pas trompé les syndicats. Le Snes-FSU, syndicat le plus représentatif du second degré, qui a réagi dès la parution de l’arrêté, continue de pointer « des mesures iniques », comme lors du Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) du 8 février où leurs amendements à la réforme dite « choc des savoirs », dans laquelle s’inscrit cette mesure, avaient été systématiquement rejetés par l’exécutif.

L’organisation voit dans les concessions et la souplesse affichées, à savoir notamment la possibilité offerte aux directions d’établissements de permettre, durant une période allant d’« une à dix semaines dans l’année » de sortir de ce dispositif et de regrouper les élèves dans leur classe de référence pour ces enseignements, un nouvel exemple de « dérégulation ».

« Comme à chaque réforme néolibérale, l’organisation est renvoyée au local. Derrière la « souplesse » affichée, c’est en fait une dérégulation supplémentaire, chaque établissement pouvant adopter une organisation différente des autres », s’est insurgée l’organisation dans ce communiqué. Et le syndicat de pointer les multiples entraves rendant inapplicable une telle « souplesse » : « Comment organiser des retrouvailles d’élèves en classe entière s’il y a des groupes surnuméraires ? », « Quel enseignement dispenser face à des élèves qui auront vu des méthodes et des éléments du programme différents selon leur groupe ? », « Quel sort sera réservé aux professeur·es des regroupements surnuméraires sans élèves pendant ces périodes ? »

Au-delà de la méthode, les syndicats dénoncent l’esprit même de cette mesure, derrière les circonvolutions lexicales. Dans les colonnes de L’Humanité, le sociologue Pierre Merle, spécialiste des politiques éducatives et de la ségrégation scolaire, l’avait ainsi résumé : « Les groupes de niveau sont un équivalent moderne du bonnet d’âne. »

Classe préparatoire à la classe de seconde

D’autres mesures ont également été déclinées dimanche dans le Journal officiel. À commencer par un décret sur le redoublement, qui sera désormais, dans les écoles primaires (écoles maternelles et élémentaires), « décidé » par le conseil des maîtres et non « plus proposé » aux familles, qui devront opposer un recours dans un délai de quinze jours en cas de refus.

Autre « innovation », concernant cette fois le secondaire : la création d’une « classe préparatoire à la classe de seconde », destinée à « consolider les acquis du cycle des approfondissements » pour les élèves qui n’auront pas eu leur brevet en fin de troisième (dont l’obtention conditionnera désormais le passage en seconde).

Autant de mesures qui, selon les syndicats, ne feront qu’accroître le gouffre séparant les élèves des classes populaires et ceux des classes plus favorisées. À la veille de la mobilisation nationale prévue le 19 mars, le Snes-FSU appelle les personnels de l’Éducation nationale à exprimer de façon massive leur opposition « à cette réforme et ses conséquences désastreuses pour les élèves et les personnels ».


 

   mise en ligne le 17 mars 2024

Mort au travail : les syndicats
se mobilisent pour enrayer cette « hécatombe silencieuse »

Lucie Pelé Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Les Assises sur la santé et la sécurité des travailleurs se sont ouvertes à la Bourse du Travail de Paris. Organisées par des syndicats, associations et militants de la santé au travail, ces Assises souhaitent mettre en lumière le fléau systémique des morts au travail, le manque de prévention, de sécurité et de protection. Depuis début 2024, 58 travailleurs ont déjà perdu la vie en France.

Au moins 1227 salariés sont morts du travail en 2022, dont 738 personnes en raison d’un accident. Les chiffres publiés par la caisse Accidents du travail Maladies professionnelles (ATMP) traduisent une véritable hécatombe pourtant largement passée sous silence. Un bilan qui, en dix ans, n’a pas diminué et serait par ailleurs sous-évalué, en raison d’un recensement défaillant.

Face à cette « situation catastrophique », la CGT, FSU et l’Union syndicale Solidaires ainsi que plusieurs associations mobilisées dans ce domaine appellent à un sursaut, en organisant, le mercredi 13 et le jeudi 14 mars, les Assises pour la santé et la sécurité au travail.

Faire des morts au travail un sujet prioritaire

L’événement, qui se tient à la Bourse de Paris, est l’occasion de revenir sur les causes de ce fléau qui, selon les syndicats, serait en grande partie imputable aux « politiques d’entreprise sacrifiant la santé et la sécurité pour réduire les coûts ».

Les organisations syndicales comptent aussi, à l’occasion de ces deux journées, tracer la voie vers une «convergence des luttes afin que les pouvoirs publics en fassent un sujet prioritaire », alors que selon la Cour des comptes, 18 % des postes d’inspecteurs du travail sont restés vacants, en 2022.

« Vous ne pouvez plus bénéficier de ce regard, qui n’est pas seulement là d’ailleurs pour sanctionner les entreprises, mais aussi dans un rôle de prévention et d’accompagnement », a témoigné sur France info Matthieu Lépine, auteur de L’hécatombe invisible : enquête sur les morts au travail. Un ouvrage de référence sur les morts au travail, qui révèle qu’aujourd’hui, dans certains départements français, les appels à l’inspection du travail sonnent dans le vide.

Face au silence de “l’employicide”, Matthieu Lépine dénombre les victimes depuis plus de cinq ans, sur ses réseaux sociaux. Les professions les plus touchées par des accidents ou maladies professionnelles, avec une forte représentation d’hommes, sont le transport, le BTP, la santé et le nettoyage.

Deux morts par jours en moyenne

3 mars 2024. Tony Nellec, agent autoroutier pour Escota depuis 20 ans, patrouille sur l’Autoroute A8, direction Aix-en-Provence. Au kilomètre 208, sous une pluie torrentielle, un véhicule accidenté est en chargement. Un autre véhicule fonce droit dans le balisage de la zone d’accidents et fauche l’ensemble des personnes présentes. Tony Nellec meurt sur le coup et son collègue est grièvement blessé. Depuis le 1er janvier, 31 véhicules d’intervention Vinci Autoroutes ont été percutés sur le réseau.

5 mars 2024. Jean-Luc Soulas, 46 ans, embauche dans la concession Peugeot de Châteaubernard où il travaille comme mécanicien. Il ouvre le large portail métallique qui coulisse manuellement. Pour des raisons encore indéterminées, le portail de la concession sort de ses rails et s’effondre sur Jean-Luc Soulas. Sous les centaines de kilos de métal du portail, le mécanicien écrasé perd connaissance. Malgré les efforts de ses collègues pour l’extraire, il fait un arrêt cardiorespiratoire. Il meurt après avoir été Héliporté au CHU Pellegrin de Bordeaux.

11 mars 2024. Près du quai de la gare de Dijon, un employé de la maintenance SNCF âgé de 33 ans travaille avec trois autres agents sur le réglage de mesure d’entretien des rails. Un train de marchandises les percute, entraînant la mort de l’employé. Le syndicat Sud-Rail rappelle qu’il avait alerté plus tôt la SNCF sur « les conditions de travail des agents de SNCF Réseau [qui] se dégradaient dangereusement à cause du manque de personnel et des délais de production imposés par la direction de l’entreprise ». C’est la deuxième mort d’un cheminot « au travail en une semaine ».

11 mars 2024. Dans l’usine sucrière Tereos de Lillebonne (Seine-Maritime), classée Seveso seuil haut, un employé de l’entreprise sous-traitante Cardem monte sur dans une nacelle pour démanteler un four. Au-dessus de lui, un convoyeur à chaîne se détache et entraîne la nacelle dans sa course. L’homme de 28 ans meurt dans la chute de la nacelle.

La liste est tristement longue encore. En même temps qu’ils espèrent l’arrivée de meilleurs dispositifs sécuritaires, les syndicats, associations et familles de victimes attendent aussi les condamnations des entreprises et employeurs pour leurs responsabilités dans ces décès professionnels.

Les Assises sur la santé et la sécurité des travailleurs lanceront une campagne nationale autour du thème « Le travail tue, le travail détruit : Mourir au travail, mourir du travail, plus jamais ! », réclamant un « changement radical de politique qui fasse de la prévention des risques professionnels une priorité qui prime sur la course au profit et la réduction des dépenses publiques ».


 


 

Santé au travail : aux Assises un appel à « un changement radical de politique »

Cécile Rousseau sur www.humanite.fr

Durant deux jours, des militants syndicaux, avocats, chercheurs, ont débattu des pistes pour sortir de la dégradation généralisée des conditions de travail et de l’hécatombe des morts au travail.

Stopper le recul de la santé au travail. Ce jeudi, lors des Assises de la santé et de la sécurité des travailleuses et travailleurs, organisées par la CGT, Solidaires, la FSU mais aussi diverses associations comme l’Andeva (Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante), Attac, les Cordistes en colère, tous ont appelé à faire cesser l’hécatombe des accidents du travail et des maladies professionnelles en exigeant un « changement radical de politique ». En 2022, 93 accidents mortels du travail de plus ont été décomptés dans le secteur privé par rapport à 2021, montant leur nombre à 738.

Les femmes les plus concernées

Pourtant, la campagne de communication orchestrée en grande pompe par le gouvernement sur la sécurité au travail à l’automne dernier ne se limite qu’au constat du problème. Pour Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, invitée lors de la table ronde conclusive, il est temps « d’en faire un sujet politique. Il faut aussi forcer les entreprises à investir dans les politiques de prévention, précisant que » Pour les travaux des Jeux Olympiques, on a réussi à imposer une charte sociale. Les accidents ont été divisés par 4. » Mais des zones d’ombre demeurent partout sur les conditions de travail, contribuant à invisibiliser ces souffrances.

Dans le secteur du nettoyage, qui emploie en grande majorité des femmes précaires, « Il y a encore 5 % de la composition des produits utilisés qui n’est pas mentionnée sur l’étiquette, explique, Marie-Christine Cabrera Limane, infirmière et membre du Giscop 84 (Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Cancers d’Origine Professionnelle) lors d’un atelier sur les cancers des femmes au travail. « Les formations dans ce secteur sont peu présentes. Qui se méfie d’un berlingot de Mir ? Ces femmes travaillent aussi en horaire de nuit, ce qui est néfaste pour la santé. Dans les pays scandinaves, le ménage se fait la journée. »

Pour lutter contre cette dégradation généralisée, la mobilisation d’un réseau d’acteurs : syndicalistes, experts en CSE, avocats, chercheurs… pourrait encore être renforcée. En évoquant les 400 tonnes de plomb parties en fumée toxiques lors de l’incendie de Notre-Dame-De-Paris, Benoît Martin, secrétaire général de l’Union Départementale CGT, concède qu’il n’avait d’abord pas vu venir cette problématique.

Risques psycho-sociaux

« Ce sont des personnels qui nous ont alertés. Nous avons ensuite été rejoints par des associations de santé au travail et de victimes de saturnisme. Puis nous avons contacté un avocat pour lancer une procédure au pénal. Nous avions exigé le confinement du site, comme il n’a jamais été décontaminé, ou encore d’avoir un centre de suivi médical sanitaire, mais cela n’a pas été entendu… »

Face à ces situations, pour Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires, il est temps de remettre la pression : « nous sommes repassés dans une phase où les capacités d’agir et les instances représentatives du personnel ont été rabotées », estime-t-elle, en faisant référence à la disparition des CHSCT.

En 2017, avant les ordonnances Macron, 59 % des entreprises de plus de 50 salariés avaient un CHSCT, seuls 35 % ont une CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) aujourd’hui. D’autant que, comme le rappelle Benoît Teste, secrétaire national de la FSU, l’explosion des risques psycho-sociaux continue : « On sait qu’exercer son métier en mode dégradé et un management toxique sont des facteurs de risques «, soulignant que » la défense du statut de fonctionnaire fait aussi partie de cette question. »

Les acteurs de ces Assises souhaitent le lancement d’une campagne nationale « le travail tue, le travail détruit : mourir au travail, mourir du travail, plus jamais ! » et exigent, notamment, la mise en place d’une politique pénale du travail aussi sévère qu’en matière de délinquance routière ou encore le doublement des effectifs de l’inspection du travail et des services de prévention. En attendant, tous ont en ligne de mire la mobilisation du 25 avril prochain lors de la journée internationale de la santé au travail.


 

   mise en ligne le 16 mars 2024

Impôt mondial : un projet mort-né

Martine Orange sur www.mediapart.fr

Annoncé en fanfare à l’automne 2021, le projet de fiscalité mondiale minimum présenté par l’OCDE n’est plus qu’une ombre. Une partie du texte entrée en application début 2024 a été vidée de sa substance. Et les États-Unis mettent leur veto sur la taxe sur les géants du numérique.

La question va se reposer. Inévitablement. Au moment où le pouvoir d’achat des ménages s’effondre face à l’inflation, tandis que les groupes et la sphère financière engrangent des profits colossaux, que les finances publiques se détériorent et que les politiques d’austérité reviennent en force, le sujet de la fiscalité ne peut que revenir. Pourtant, c’est dans ce moment que les gouvernements sont en train d’enterrer sans bruit le projet d’impôt mondial sur les multinationales.

« On a eu une multiplication des effets d’annonce, mais on ne voit rien se concrétiser. Il n’y a aucune dynamique. On nous reparle de la hausse de la dette, des taux d’intérêt, des politiques d’austérité. Mais jamais de fiscalité », constate Éric Toussaint, historien belge et porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes.

Le silence entretenu au sujet de l’impôt minimum mondial est tel que certains pensent que cette initiative, considérée comme la plus porteuse pour lutter contre l’évasion fiscale depuis plusieurs décennies, est désormais un projet mort-né. Interrogée sur l’état exact de la négociation, l’OCDE n’a pas répondu.

Effets d’annonce

Pourtant, que de promesses et d’applaudissements quand l’OCDE annonce en octobre 2021 un accord sur l’impôt mondial. Cent quarante pays se disent alors signataires de ce texte qui prévoit d’instaurer une fiscalité mondiale minimum pour les multinationales. Tous jurent alors que c’en est fini de la course au moins-disant fiscal, aux paradis fiscaux et à l’évasion à grande échelle qui privent chaque année les États de centaines de milliards de recettes publiques. À eux seuls, les paradis fiscaux sont soupçonnés de détourner 500 milliards d’euros par an, essentiellement au détriment des pays européens.

Un premier volet, dit « pilier un », vise en priorité les géants du numérique, qui appliquent avec un art consommé toutes les techniques de l’évasion fiscale. Il prévoit de les forcer à payer l’impôt là où ils réalisent leur chiffre d’affaires. Un deuxième volet dit « pilier deux » prévoit d’imposer une taxation minimum de 15 % pour tous les groupes réalisant au moins 750 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec la possibilité pour un pays tiers de réclamer le fruit de cet impôt s’il n’est pas appliqué par le pays concerné.

À l’époque, beaucoup de connaisseurs du dossier avaient souligné la faiblesse du taux d’imposition exigé pour les multinationales : 15 %, ce n’était pas vraiment beaucoup pour des groupes réalisant des dizaines de milliards de bénéfices. L’OCDE et les gouvernements avaient alors expliqué que c’était la condition pour rallier tous les pays, notamment ceux qui avaient pris l’habitude de pratiquer une fiscalité agressive pour attirer les grands groupes, à l’instar de l’Irlande. Le projet, selon eux, était un premier pas. D’autres suivraient.

Prévu pour entrer en application en 2023, le deuxième volet n’est entré en vigueur que le 1er janvier 2024. Mais sur les 140 signataires du début, ils ne sont que 55 à l’avoir mis en œuvre aujourd’hui.

Un impôt vidé en grande partie de sa substance.            Quentin Parrinello, porte-parole de l’Observatoire européen sur la fiscalité

Pourtant, le texte a été sensiblement édulcoré, en raison du travail acharné des lobbyistes qui se sont activés pendant ce laps de temps pour en diminuer la portée. « Il a perdu une grande partie de sa substance », reconnaît Quentin Parrinello, porte-parole de l’Observatoire européen sur la fiscalité animé par l’économiste Gabriel Zucman.

Le premier détournement a été de faire reconnaître l’existence d’une activité économique dans le pays, comme les sièges, les centres de recherche, les effectifs, dans le calcul d’imposition minimum des 15 %. En d’autres termes, toutes les dépenses engagées vont venir en déduction de ce taux minimum pourtant considéré généralement comme très peu élevé. « On risque de se retrouver avec des entreprises affichant des taux effectifs d’imposition de 3 ou 4 % comme avant », redoute Quentin Parrinello.

Alors que la France a inscrit la taxe minimum de 15 % dans sa loi de finances 2024, les grands groupes français du CAC 40 peuvent dormir sur leurs deux oreilles : rien ne va changer pour eux. Cela fait des années qu’ils ont appris à optimiser leur fiscalité : ils ont transformé leurs activités en France uniquement en centre de coûts.

La course aux crédits d’impôt

La deuxième grande faille est que des mécanismes de crédit d’impôt ont été adjoints à cet impôt minimum de 15 %. Ces crédits d’impôt peuvent être de tout ordre, ne sont subordonnés à aucune conditionnalité (lutte contre les dérèglements climatiques, innovations, créations d’emplois, etc.). Ils peuvent être accordés de façon opaque et arbitraire, un peu à la manière des rescrits fiscaux pratiqués par le gouvernement luxembourgeois pendant de nombreuses années. « Après une surenchère au moins-disant fiscal, on risque d’assister à une course au crédit d’impôt », pronostique le porte-parole de l’Observatoire européen de la fiscalité.

Ce n’est qu’au début de l’année prochaine, une fois que le taux mondial minimal sera perçu pour la première fois, que les premières conclusions sur ce texte pourront être tirées. Voir la Suisse ou Singapour, qui depuis des décennies ont mis en œuvre une stratégie continue pour attirer les capitaux et les protéger de toute fiscalité, être parmi les premiers pays à accepter d’appliquer ce deuxième pilier de l’impôt mondial, suscite cependant quelques interrogations. Cet impôt va-t-il avoir un quelconque effet ?

L’OCDE, en tout cas, a révisé ses projections. Lors de la signature de l’accord en 2021, l’organisation internationale prévoyait que, grâce à cet impôt mondial minimum, les pays pourraient récupérer autour de 220 milliards de dollars par an. Dans ces dernières études, elle ne table plus que sur 150 milliards de dollars. Les paradis fiscaux, d’après ces dernières, sont appelés à avoir encore de beaux jours devant eux, notamment l’Irlande et les Pays-Bas où les multinationales ont déjà délocalisé depuis des années leurs centres de profits.

Veto américain

Si l’application de cette partie de l’accord sur la fiscalité mondiale est peu réjouissante, la suite donnée au premier pilier, celui censé remplacer la taxe Gafam, est carrément déprimante. Le texte est censé aboutir en juin. Lors de la réunion des ministres des finances du G20 au Brésil fin février, le constat s’est imposé : le projet est dans une impasse. « Le texte n’a aucune chance d’aboutir parce qu’il doit être ratifié par les États-Unis. Et compte tenu du contexte politique actuel, il ne le sera pas », pronostique un connaisseur du dossier. « C’est un texte soumis au veto américain », dit Quentin Parrinello.

L’accord avait pourtant été porté par l’administration Biden à ses débuts. Négocié sous l’égide de la secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, il avait pour but de tuer dans l’œuf le projet de la Commission européenne d’instituer une taxe européenne unique pour les géants du numérique réalisant d’importantes activités en Europe mais échappant à tout impôt. En lieu et place de cette taxe Gafam, l’accord de l’OCDE prévoyait une taxation minimum pour ces multinationales.

Le président américain n’est jamais parvenu à trouver une majorité au Congrès pour ratifier l’accord, en raison de l’opposition du parti Les Républicains mais pas seulement : l’administration Biden, ayant circonscrit la menace européenne, s’est montrée beaucoup moins allante par la suite pour pousser le projet.

Et puis le contexte a changé. Alors que les tensions géopolitiques s’exacerbent, que les priorités nationales reprennent le dessus, son objectif est d’abord de faire payer les multinationales américaines sur le territoire américain, et pas que le produit de leurs profits réalisés à l’extérieur bénéficie à d’autres. Une vision totalement partagée par Donald Trump.

Autant dire que le projet n’a aucune chance de voir le jour à court et moyen terme. Le Canada l’a bien compris, ayant institué une taxe sur les activités des géants du numérique dès le milieu de 2023. En Europe, certains pays comme la France l’ont instaurée. Mais ce n’est pas la même chose qu’une taxe unique au niveau européen ou mondial où, là encore, la compétition fiscale joue à plein.

La contre-attaque des pays du Sud à l’ONU

Un des arguments souvent avancés pour justifier l’embourbement de l’accord de l’OCDE est l’initiative des pays émergents qui aurait cassé toute la dynamique. Estimant que cet accord n’avait été négocié que par et pour le seul profit des pays développés, une vingtaine de pays africains ont déposé en octobre une résolution à l’ONU pour demander une convention internationale sur la fiscalité afin qu’elle soit au bénéfice de tous les pays.

Le vote de cette résolution a une nouvelle fois illustré les fractures internationales en cours : tous les pays membres de l’OCDE ont voté contre. Après quelques mois de tensions et de fâcheries, la relation semble s’être apaisée, selon Quentin Parrinello qui assistait au sommet du G20 à Sao Paulo : « L’OCDE et l’ONU semblent avoir l’intention de travailler ensemble. Mais cela demandera du temps, sans doute plusieurs années, pour trouver une convention-cadre. »

Est-il possible de faire renaître au niveau de l’ONU un projet équitable de fiscalité mondiale ? Le contexte géopolitique le permettra-t-il ? Et, surtout, a-t-on le temps d’attendre aussi longtemps ? Autant de questions auxquelles, à ce stade, personne ne sait répondre.

Éric Toussaint, lui, se montre pessimiste. « Les pays du Sud ont fait nombre de déclarations avec lesquelles on ne peut que sympathiser. Néanmoins, quand on regarde les Brics, il n’y a pas de cohérence avec leurs déclarations. Les nouvelles puissances économiques restent dans les mêmes logiques. Elles ne proposent pas de politique alternative. »

   mise en ligne le 15 mars 2024

Sophie Binet : « Nous avons besoin
d’une rupture aussi forte que celle posée par le CNR »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Pour les 80 ans du programme du Conseil national de la Résistance, Sophie Binet signe une préface de la réédition des Jours heureux. La secrétaire générale de la CGT alerte sur le glissement d’un patronat qui refuse de répondre aux défis sociaux et environnementaux pour ne pas remettre en cause l’inégale répartition des richesses.

Quatre-vingts ans d’espoirs, toujours intacts. Le 15 mars 1944, était adopté le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), les Jours heureux. Au péril de leur vie, les représentants de l’ensemble de la Résistance voulaient instaurer une véritable démocratie économique et sociale, impliquant « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ».

Depuis, sous le poids du patronat et des néolibéraux, le legs du CNR est de plus en plus attaqué. Dans une préface de la réédition des Jours Heureux, « Il est minuit moins le quart » (Grasset, 9 euros), la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, présente une relecture personnelle des Jours heureux, dont les postulats sont toujours d’actualité.

En quoi les Jours heureux sont-ils une source d’inspiration ?

Sophie Binet : Ce programme a donné lieu au plus grand cycle de réformes économiques et sociales depuis la Révolution française. Si on ne m’avait pas sollicitée, je n’aurais jamais osé écrire la préface des Jours heureux, ne me sentant pas légitime face à un texte d’une telle force. J’ai accepté en considérant que cela permettait la reconnaissance de la place et du rôle du syndicalisme, singulièrement celle de la CGT, dans la Résistance et dans la reconstruction de la France.

Le dernier président du CNR, Louis Saillant, était un dirigeant de la CGT. Près du tiers de ses membres étaient des syndicalistes. L’entrée de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon est une reconnaissance du rôle du mouvement ouvrier dans la Résistance. L’objectif des Jours heureux n’était pas seulement la libération nationale, mais bien d’analyser et de rompre avec ce qui a conduit la France à collaborer. D’où ce programme, en rupture complète avec le régime de Vichy et les forces de l’argent.

Ses auteurs se sont interrogés sur la corruption des élites. Des Jours heureux, je retiens deux fils rouges : l’humanisme radical, ciment de ce rassemblement de différentes forces de Résistance, mais aussi, la volonté de reprendre le pouvoir sur l’économie.

Ces deux postulats sont-ils valables de nos jours ?

Sophie Binet : Oui. Cependant, ne tombons pas dans la nostalgie d’un passé mythifié. Les Jours heureux ont des lacunes, notamment sur la place des femmes et la question coloniale. Les massacres de Sétif interviennent dès le 8 mai 1945. Les Algériens voulaient bénéficier des principes portés par les résistants. Le monde a changé et de nouvelles questions se posent aujourd’hui, concernant notamment le défi environnemental et la globalisation de l’économie.

La force de la Résistance était sa jeunesse. On ne mobilise pas les jeunes sur de la nostalgie. Le programme du CNR comporte deux parties, une sur l’intensification de la lutte armée, et la deuxième sur le programme de réformes. Ces deux parties permettent de donner un contenu offensif à la notion de résistance : se battre et se défendre, mais, en même temps, porter un projet de conquête. Il ne s’agit donc pas de faire un copier-coller du programme du CNR, mais bien de s’inspirer de ses principes.

Pourquoi écrire que « pour le néolibéralisme, la démocratie est désormais un problème » ?

Sophie Binet : Nous faisons face à un grand hold-up démocratique. Les multinationales ont accaparé le pouvoir, au point d’être plus puissantes que des États. L’exécutif n’a qu’une seule obsession : que la France soit bien classée par les agences de notation. D’où les annonces sur les tours de vis austéritaires de Bercy.

Dans le même temps, les populations et les travailleurs prennent conscience de l’impasse sociale et environnementale du néolibéralisme. La question posée est démocratique : comment allons-nous reprendre la main ? Nous avons besoin d’une rupture aussi forte que celle posée par le CNR.

En détricotant méthodiquement son héritage, les néolibéraux ne sont-ils pas la cause de la résurgence de l’extrême droite ?

Sophie Binet : Dès la Libération, le capital a déclaré la guerre au programme du CNR. Mais la dynamique populaire autour des Jours heureux a donné la force nécessaire pour son application, dans les grandes lignes. Il a fallu attendre le mandat de Nicolas Sarkozy pour que l’offensive soit clairement assumée par l’assureur Denis Kessler. L’ancien numéro 2 du Medef appelait à « défaire méthodiquement » le programme du CNR.

En 2007, nous étions à un moment de bascule. Les résistants s’éteignaient à petit feu, et la droite rompait avec son héritage gaulliste. C’est une rupture sociale et morale, ayant pour conséquence la remise en cause du barrage républicain. Cette frontière étanche était une particularité française, issue de la Résistance. L’extrême droite prospère sur les cendres laissées par les politiques néolibérales.

Nous assistons actuellement à la tombée des digues entre l’extrême droite et les partis républicains. La loi immigration en est le symbole. Comble du cynisme, Emmanuel Macron récupère le sigle du CNR, en lançant un Conseil national de la refondation, tout en détricotant son héritage. Mais cela démontre que, quatre-vingts ans après, le CNR est encore très parlant.

Par quels aspects ?

Sophie Binet : D’abord, la notion même de résistance. Il revient à nos organisations d’entretenir la mémoire avec les résistants et d’opérer une forme de passation. Les Français sont largement attachés à la Sécurité sociale. Lors de sa création, le patronat n’était pas en mesure de s’y opposer.

Le mouvement social de 2023 démontre que les Français sont fortement liés au système de retraite par répartition. C’est d’ailleurs pour cela qu’aucun gouvernement n’a osé privatiser frontalement les retraites. À défaut, les gouvernements ont baissé progressivement les niveaux de droits et de garanties pour laisser un espace à la capitalisation.

Diriez-vous que, pour maintenir la captation des richesses au détriment du travail, le capital financiarisé a tout intérêt à s’appuyer sur les forces réactionnaires ?

Sophie Binet : Oui. Une partie du capital bascule à l’extrême droite. Le tournant se fonde sur des alliances entre la droite et l’extrême droite, sous le patronage d’une partie du capital. Le Brexit a été financé par un courant de la City qui y avait intérêt pour faire de la Grande-Bretagne un paradis fiscal. L’extrême droite tire profit de l’intégrisme religieux.

En France, Vincent Bolloré finance les catholiques intégristes qui combattent l’IVG ou l’homoparentalité. Le courant wahhabite est subventionné par les pétromonarchies. En Israël, les ultrareligieux participent à une coalition gouvernementale. Les intégrismes, d’ailleurs, s’auto-alimentent : Netanyahou est le meilleur allié du Hamas et inversement.

D’où le titre de votre préface, « Il est minuit moins le quart » ?

Sophie Binet : Exactement. Partout, l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir développe des logiques guerrières. Nous replongeons dans des situations semblables à celles d’avant le programme du CNR et le grand sursaut collectif d’après la Seconde Guerre mondiale.

Vous expliquez que l’extrême droite pourrait tirer profit de la crise climatique. Comment ?

Les crises se nourrissent entre elles. Les migrations climatiques vont se multiplier. Les forces de l’argent, cupides, refusent de répondre aux défis environnementaux pour ne pas remettre en cause l’inégale répartition des richesses. De fait, les travailleurs sont la seule variable d’ajustement. Un exemple : le diesel va être taxé mais pas le kérosène, utilisé par les jets privés.

L’extrême droite peut ainsi dérouler un discours climatosceptique. C’est un signal d’alarme pour la gauche et le syndicalisme sur l’impérieuse nécessité de dépasser les contradictions entre le social et l’environnemental. C’est pour cela que la CGT est en train de bâtir un plan d’action syndical pour l’environnement : quelle croissance soutenable dans un monde où les limites environnementales sont claires ?

Un des atouts du CNR n’est-il pas l’introduction de la notion de la planification de l’économie ?

Même des économistes libéraux l’admettent. Dans son rapport sur les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry, un proche d’Emmanuel Macron, pointe trois leviers : la planification, l’investissement, la taxation des plus riches.

En 1944, les questions environnementales n’existaient pas, l’enjeu était la reconstruction d’une France ruinée. La CGT était partie prenante de la bataille de la production. Aujourd’hui, la planification est indispensable pour répondre aux défis sociaux et environnementaux.

Le programme du CNR ne tire-t-il pas aussi sa force de son acceptation par un large spectre de forces sociales et politiques ?

Sophie Binet : Ce compromis est fort, parce qu’il s’est fait sur la base des intérêts du monde du travail. Le capital, collaborationniste, était en dehors du CNR. Les Jours heureux sont un compromis politique, pas économique. À la Libération, nous avons obtenu de nombreuses avancées : les comités d’entreprise, le statut de délégué du personnel ou encore, bien sûr, les nationalisations… Il a fallu l’ordonnance de février 1945 et la loi de mai 1946 pour imposer, avec des compromis, les comités d’entreprise au patronat farouchement opposé.

Aujourd’hui, comme il y a quatre-vingts ans, l’enjeu est bien la place des travailleurs dans la prise de décisions stratégiques des entreprises. Les patrons considèrent toujours qu’il est de leur ressort de définir les grandes orientations de l’économie. C’est une question centrale dans l’affrontement de classe avec le capital. Dégager toujours plus d’argent pour les actionnaires est une impasse sociale et environnementale.

Une des leçons que vous tirez du CNR est celle d’une « construction par le bas ». Que voulez-vous dire ?

Sophie Binet : Nous sommes dans un temps autoritaire. C’est vrai dans l’usage du pouvoir par Emmanuel Macron, mais aussi dans l’entreprise, avec un management toujours plus dur et une ligne directrice : décider d’en haut ce qui est bien pour les gens. A contrario, le programme des Jours heureux a été voté à l’unanimité de ses membres, en pleine clandestinité.

Cette dernière n’a pas été un prétexte pour couper court au débat, qui a duré près de neuf mois, donnant lieu à trois versions du programme, largement amendées. Je veux retenir cette pratique démocratique poussée. L’essentiel du programme a été mis en œuvre, sous l’impulsion de Louis Saillant, autour d’une grande dynamique populaire. Le général de Gaulle avait besoin du CNR pour peser sur les Anglo-Américains, mais refusait de se voir imposer son programme.

La Libération a donné lieu à un bras de fer avec le gouvernement provisoire. Louis Saillant a pris de nombreuses initiatives, comme celle du grand rassemblement au Vél’d’Hiv, le 7 octobre 1944, ou les états généraux de la renaissance française, permettant la victoire des partis du CNR, en 1946, et l’application des Jours heureux.

Vous appelez à « reconstruire le rapport des organisations syndicales au politique (…) ni courroie de transmission ni organisation corporatiste ». Quelle place la CGT doit-elle prendre ?

Sophie Binet : Marcel Paul et Ambroise Croizat, deux cégétistes, sont entrés au gouvernement et ont joué un rôle central pour mettre en place les grandes conquêtes ouvrières. Louis Saillant a, lui, refusé, pour jouer son rôle de contre-pouvoir. Bien qu’ayant plusieurs ministres et députés, la CGT est restée dans son rôle de contre-pouvoir et la bataille menée par Louis Saillant avec le CNR a permis de renforcer les marges de manœuvre de Marcel Paul et d’Ambroise Croizat.

La CGT est un syndicat qui a vocation à intervenir sur le terrain politique, non pas comme un parti, mais pour défendre les travailleurs. Le syndicalisme a une capacité unitaire, nous l’avons démontré lors de la mobilisation de 2023. En 1934, la réunification de la CGT est déterminante pour la dynamique du Front populaire. En 1943, les accords du Perreux (reconstitution de la CGT – NDLR) aident à la constitution du CNR.

Vous avez été à l’initiative d’une large mobilisation politique, associative, syndicale, contre la loi immigration, le 21 janvier. Ce mode de rassemblement doit-il revoir le jour ?

Sophie Binet : Oui. L’appel du 21 janvier rassemblait des gens très différents, autour d’un humanisme radical. La loi immigration fait partie des moments de clarification, de refus de céder sur des valeurs essentielles. Nous avons rassemblé des acteurs syndicaux et associatifs qui, par habitude, ne signent jamais d’appel avec les politiques.

J’ai moi-même sollicité des responsables religieux, ce qui n’est pas dans les habitudes d’une secrétaire générale de la CGT. Nous avons rassemblé des gens de gauche et de droite. La gravité du moment l’exigeait. Nous avons semé des graines. La rose et le réséda.

   mise en ligne le 14 mars 2024

Padre Beniamino, l’ange gardien des migrants exploités

Par Augustin Campos sur https://reporterre.net/

Le père Beniamino Sacco, 81 ans, consacre sa vie à l’aide aux travailleurs exilés du sud-est de la Sicile. Dans cette région dédiée à l’agriculture intensive, les migrants peinent à faire valoir leurs droits.

Vittoria (Sicile, Italie), reportage

La ville de Vittoria a un nom chantant, un nom à se laisser bercer par les vagues. Et pourtant, pas un touriste ne met les pieds dans cette cité du sud-est de la Sicile, noyée au milieu des serres de plastique. Ceux qui y viennent sont là pour travailler. Cœur battant de l’agriculture intensive sicilienne, qui, en soixante ans, a mangé 80 km de terres côtières et vu pousser 5 200 entreprises agricoles, sur la bien nommée fascia trasformata (« la bande transformée »), la ville ne vit que de cette activité. Parmi les 64 000 habitants, on compte 8 000 étrangers enregistrés et des milliers d’autres invisibles aux yeux de la loi car sans-papiers, tous indispensables à un secteur agricole en demande constante de main-d’œuvre sous-payée. Ce sont eux qui triment dans les serres et les magasins de conditionnement des fruits et légumes exportés ensuite dans toute l’Europe.

Le lundi, bien souvent, nombre de ces travailleurs délaissent ces paysages de plastique. C’est le premier jour de la semaine que le charismatique père Beniamino, connu de tous dans les serres, ouvre les portes de sa paroisse de l’Esprit-Saint à tous ceux et celles qui ont besoin d’une attestation de résidence. En cette fin février ensoleillée, les bousculades disent l’enjeu que représente ce bout de papier pour la cinquantaine de personnes présentes. Certains y sont depuis 5 heures du matin. Les Tunisiens, les plus nombreux, Bangladais et autres Sénégalais sont venus avec l’espoir que cette fois-ci sera la bonne.

Parmi eux, Redouane, un ouvrier agricole tunisien aux cernes démesurés. Il est là pour la troisième semaine d’affilée, car il doit renouveler son titre de séjour d’un an. « Le prêtre nous aide beaucoup en faisant ces attestations de résidence. C’est la seule solution car, sinon, je peux redevenir sans-papiers rapidement et je ne pourrai plus travailler », raconte le jeune homme, en jean de la tête aux pieds. Il est hébergé chez un ami depuis que le propriétaire de l’appartement qu’il louait a décidé de le vendre.

Avec 45 euros par jour pour huit heures de travail, malgré un contrat qui indique 58 euros nets – une pratique frauduleuse généralisée dans la fascia trasformata – il n’a que peu de marge pour se loger. La majorité des travailleurs agricoles immigrés, avec ou sans papiers, sont payés entre 20 et 50 euros par jour et sont contraints de s’entasser dans des logements de fortune, souvent au milieu des serres. En ville, certains propriétaires refusent de louer aux étrangers.

Dans son bureau, une fois le calme revenu, le très occupé Beniamino Sacco, 81 ans, reçoit les exilés, chacun leur tour. « Je leur fais cette attestation fictive parce qu’elle leur est indispensable : sans elle, ils ne peuvent pas résider officiellement dans la ville, ne peuvent pas ouvrir un compte bancaire, faire leurs démarches de régularisation, ni renouveler leur titre de séjour », explique le généreux religieux, assis devant un portrait du pape François, auquel il s’identifie aisément. Cette pratique est tolérée par les autorités, conscientes de la problématique majeure du logement pour les étrangers dans la région, à laquelle aucune solution n’est apportée.

En trente-cinq ans, le père Sacco a, notamment, fondé un centre d’accueil pour les demandeurs d’asile et une coopérative agricole. Il accueille une vingtaine d’exilés vulnérables dans sa paroisse. Cela a créé des remous parmi ses fidèles, qui ont un jour fixé un ultimatum : « Ou les immigrés s’en vont, ou c’est nous. » Le prêtre leur a répondu : « Alors, partez. » Ils sont restés.

Beniamino Sacco dit signer chaque année « environ 1 500 attestations de résidence ». Il est le seul dans la région à faire cela gracieusement. D’autres, profiteurs de misère, font payer entre 600 et 1 000 euros. Entre les serres, toutes sortes de business prospèrent sur la vulnérabilité des travailleurs étrangers – même le transport en est un, en l’absence d’un service public – souvent l’œuvre d’intermédiaires et d’agriculteurs crapuleux. Mounir (il a souhaité rester anonyme) peut en témoigner. Père de famille tunisien de 49 ans, il dit être arrivé il y a six mois avec un visa payé 5 000 euros à un intermédiaire tunisien et une promesse d’embauche dans une serre. Après quatre jours de travail payés 2,5 euros par heure, logé avec deux compatriotes dans un bloc de béton nu de 12 m2 en bordure de serres, on l’a prié de quitter le spartiate local.

C’est contre ce climat d’impunité que se bat le padre Beniamino. « La sueur est une chose sacrée, et personne ne peut profiter de la sueur des autres », dit avec autorité celui dont l’aura rayonne dans toute la région. « Quand je prononce son nom, il arrive que certains agriculteurs se mettent dans des états pas possibles, et crient que “le padre Beniamino, il faut le tuer, car il nous a ruinés” », raconte, amusé, Pipo Genovese, producteur d’aubergines, de tomates et de poivrons sur 20 hectares, fidèle de la paroisse. Il dit avoir toujours « respecté ses salariés », aujourd’hui au nombre de 30, et voit en Beniamino Sacco « un homme libre, qui se bat pour que tout le monde soit libre, contre ceux qui essaient de priver les autres de leur liberté ».

Au début des années 1990, le prêtre a affronté avec succès la mafia, organisant régulièrement des marches contre la criminalité. Dans les années 2000 et 2010, il s’est attaqué, aux côtés du syndicaliste Giuseppe Scifo, fin connaisseur de la fascia trasformarta, aux exploitants agricoles qui abusaient sexuellement des travailleuses roumaines. « Je me souviens d’une femme roumaine, payée 20 euros par jour pour 18 heures de travail. Elle payait aussi un lit 400 euros par mois à son patron, qui lui avait confisqué ses papiers et considérait qu’elle était à sa disposition », raconte le prêtre, le regard impassible. Il a hébergé la victime et dénoncé son agresseur au procureur de la République, comme il l’a fait « plus d’une cinquantaine de fois » ces trente dernières années dans des cas de viol et d’abus sur les ouvrières et ouvriers agricoles. L’agriculteur criminel a été envoyé en prison.

De nouvelles lois pour empêcher les abus

La région n’est désormais plus une zone de non droit pour l’activité agricole, même si dénoncer un patron reste risqué lorsque l’on veut retrouver du travail, malgré la protection du prêtre. « Il y a maintenant des lois [notamment celle de 2016 contre l’exploitation] et il y a donc une action dissuasive, de sorte qu’aujourd’hui, l’agriculteur a davantage peur », affirme Giuseppe Scifo, dont le syndicat dénonce régulièrement des abus. « Nous avons dénoncé une mentalité plutôt que les individus, dit le padre Beniamino. Ainsi, on incite les autorités à agir. » La tâche reste grande, même si les arrestations se font plus nombreuses. La dernière en date a eu lieu fin février dans la commune d’Ispica une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Vittoria, où 16 ouvriers agricoles ghanéens et nigérians étaient payés un à deux euros de l’heure.

Dans les 6 000 m2 de serre de tomates cerise de la coopérative qu’il a créée, le prêtre veut donner l’exemple. Les quatre employés fixes sont payés 1 400 euros nets. Celui que le prêtre appelle le « manager », Islam, père de famille bangladais de 44 ans, a vu cet univers de plastique évoluer : « Il y a quinze ans, on trimait pour 16 euros par jour, sans jamais avoir de contrat et, souvent, on n’était pas payés à la fin de la journée. Aujourd’hui, ceux que je connais gagnent plus de 40 euros, avec ou sans papiers. »

Islam fait aujourd’hui partie des protégés du prêtre – « il a toujours été là pour moi », dit-il. De son côté, le syndicaliste agnostique Giuseppe Scifo, qui connaît le padre Beniamino depuis qu’il a 8 ans, voit le religieux au doux sourire comme un « leader ». C’est au prêtre que ce communiste doit « l’envie de lutter », « car le padre interprète la religion comme un fait de justice terrestre et non comme une aspiration à aller au paradis ».


 

   mise en ligne le 13 mars 2024

Guerre à Gaza : derrière la polémique à Sciences Po, les universités françaises mobilisées pour la Palestine

Hayet Kechit et Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Mardi 12 mars, dans le cadre d’une mobilisation européenne pour le boycott académique d’Israël, des dizaines d’initiatives ont eu lieu en France. Les quelques incidents à Sciences Po, montés en épingle au mépris des faits, ne doivent pas masquer l’ampleur et le sens d’un mouvement qui interroge la complicité de l’université israélienne dans la guerre à Gaza et la colonisation en Cisjordanie.

« Antisémitisme », « wokisme », « islamo-gauchisme »… Sciences Po est depuis vingt-quatre heures sous le feu des anathèmes. En cause : l’occupation dans la matinée du 12 mars d’un amphithéâtre de la prestigieuse école par une centaine d’étudiants manifestant leur soutien à Gaza. L’initiative nommée « quatre heures pour la Palestine » s’inscrit dans le cadre de la journée européenne des universités contre le génocide à Gaza, à l’appel de la Coordination universitaire européenne contre la colonisation en Palestine (CUCCP).

Comme il est désormais de coutume dans toute initiative publique visant à dénoncer la catastrophe humanitaire à Gaza, une énième polémique, largement attisée par la bollorosphère, a pris le pas sur l’objet même de la mobilisation, contribuant encore une fois à faire taire toute critique à l’encontre d’Israël.

Elle fait suite aux accusations lancées par des membres de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), selon lesquels une étudiante aurait été refoulée de l’amphithéâtre « parce qu’elle était juive ». « Faux », répondent les organisateurs, réunis dans « un groupement d’étudiants auto-gérés » comptant une centaine de personnes.

Un scandale cousu de fil blanc à Sciences Po

« Tous les étudiants étaient les bienvenus, c’était un moment d’échanges ouvert à tous, y compris à l’UEJF, dont certains des membres étaient présents au sein de l’amphithéâtre, sans que cela ne cause aucun problème », affirme Hicham, un étudiant en Master de Droits de l’homme et projets humanitaires dans l’école des affaires internationales, et membre du groupe à l’origine de cette initiative. Le jeune homme de 22 ans donne ainsi des faits une version radicalement différente.

L’étudiante exclue de l’amphithéâtre, qui serait membre de l’UEJF, ne l’aurait pas été en raison de sa confession, mais parce qu’elle aurait fait usage de provocations avant la tenue de la rencontre, par des agressions verbales et en prenant en photo sans leur consentement ses organisateurs. Des actes représentant « un risque à la sécurité de certains participants » qui ont poussé les personnes chargées d’éviter les débordements, à lui refuser l’entrée.

Et le jeune homme de décrire « l’état d’alerte maximal » généré par un climat général de harcèlement à l’encontre de ceux qui, au sein de l’école de la rue Saint-Guillaume, dénoncent la situation à Gaza. Il ciblerait particulièrement des étudiantes identifiées comme musulmanes et se traduirait régulièrement par la prise de photos ou de vidéos à la volée relayées ensuite sur des comptes Twitter dans le but de déclencher des campagnes de cyberharcèlement.

« On sait que cette personne nous a pris plusieurs fois en photo et en vidéo », assure Hicham, qui ajoute que des membres de l’administration, présents au moment des faits, se seraient opposés à cette exclusion, mais que les étudiants leur auraient aussitôt fait part des provocations répétées de la jeune femme à leur encontre.

Des arguments auxquels la direction de Sciences Po, soumise depuis cette polémique à une pression médiatique maximale faisant de l’école un « repaire d’islamo-gauchistes », semble être restée sourde. Dans un communiqué publié le 12 mars, elle condamne « l’action et les pratiques utilisées qui s’inscrivent délibérément hors du cadre fixé en matière d’engagement et de vie associative » et annonce qu’elle saisira « la section disciplinaire en vue de sanctionner ces agissements intolérables ».

Quand c’est autorisé, ni heurts, ni polémiques

Même configuration mais autre ambiance à l’université Paris Dauphine-PSL où – élément notable qui fait sans doute toute la différence – le rassemblement, organisé par la Coordination Palestine et les syndicats CGT et Sud-Education, avait été autorisé par l’administration.

Dans le hall plein comme un œuf, des centaines d’enseignants, chercheurs et étudiants, avec beaucoup de drapeaux palestiniens – du jamais vu dans ce grand établissement spécialisé en gestion ou management, et installé au cœur des beaux quartiers de Paris -, des pancartes appelant au cessez-le-feu ou dénonçant un génocide à l’œuvre dans la bande de Gaza… Et quelques dizaines d’autres portants des portraits des otages du Hamas, ainsi qu’une banderole faite à la main appelant à rendre « hommage à toutes les victimes (Yémen, Israël, Congo…) ».

Dans une brève intervention avant la minute de silence prévue, une enseignante a pu rappeler, sans protestations ni heurts, le sens de la mobilisation inscrite dans le cadre de la mobilisation européenne dans les universités. « Nous exigeons un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, la levée permanente du blocus de Gaza, la défense du droit des Palestiniens à l’éducation, a-t-elle lu. Pour cela, nous proposons les moyens d’action suivants : pousser nos universités à agir activement contre le régime d’apartheid israélien, établir des liens académiques avec des universités et des universitaires palestiniens, soutenir et participer au boycott universitaire visant les institutions académiques israéliennes complices de la violation des droits des Palestiniens, défendre la liberté d’expression et la liberté académique autour de la Palestine ici et hors de France. »

Une participante relève : « L’appel n’a pas été hué et la minute de silence, nous l’avons faite pour toutes les victimes. Le rassemblement n’était pas interdit, les enseignants se sont largement mobilisés, je suis convaincue que ça change tout. C’est une bonne manière de neutraliser les velléités polémiques, à coups de messages sur les réseaux sociaux et de polémiques… Et ça permet de parler du fond ! »

Une mobilisation historique à l’université

Partout en Europe et dans tout le pays, de Rennes à Aix-en-Provence en passant par Strasbourg et Montpellier, des mobilisations pour un « boycott universitaire » ont eu lieu ce mardi 12 mars. « C’est historique », se félicite une des promotrices de ces initiatives.

Née, ces dernières semaines, dans la foulée de pétitions, pour la liberté d’expression et les libertés académiques puis pour le cessez-le-feu, ayant rassemblé plusieurs milliers de signataires dans l’enseignement supérieur et la recherche, la Coordination universitaire contre la colonisation en Palestine (CUCCP) entend passer un cap, en faisant adopter des motions pour l’arrêt du génocide au sein des établissements de l’enseignement supérieur, mais surtout en organisant le boycott académique d’Israël.

« C’est tout à fait légal et pacifique, glisse un des initiateurs de la CUCCP. À travers cette action de boycott, nous visons les institutions universitaires, pas les individus. Certaines universités israéliennes ont été bâties illégalement sur des territoires occupés dont les Palestiniens ont été chassés. Les institutions israéliennes collaborent avec le système militaire, et certaines universités françaises peuvent dès lors s’y trouver mêlées dans le cadre de leurs partenariats. »

Un des chercheurs, présents lors d’une autre rencontre-débat, mardi soir, sur le site Condorcet de l’EHESS à Aubervilliers, ajoute, lui, en aparté. « On nous parle parfois des libertés académiques israéliennes qui seraient menacées par notre boycott, mais pourquoi évoque-t-on si peu celles des Palestiniens ? À Gaza, toutes les universités sont aujourd’hui détruites… Cette situation n’est pas supportable, et c’est tout le monde qui devrait réagir dans la sphère universitaire en France et en Europe. »


 

   mise en ligne le 12 mars 2024

Malgré Macron et la France, l’Europe protège enfin les travailleurs ubérisés

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Le Conseil de l’Europe a adopté la directive européenne imposant la présomption de salariat : une victoire de haute lutte pour les travailleurs ubérisés, malgré le blocage de la France, qui a voté contre.

Après moult péripéties et deux ans de négociations, le Conseil de l’Europe a adopté, lundi 11 mars, la directive européenne imposant la présomption légale et réfutable de salariat pour les travailleurs des plateformes, comme Uber ou Deliveroo. Après avoir passé toutes les étapes législatives et le trilogue (accord entre le Parlement, les États membres et la Commission), le texte s’était heurté au blocage obstiné de la France, seule à voter contre quand quelques pays, dont l’Allemagne, se sont abstenus.

Une pratique quasi inédite dans l’histoire de l’UE. La directive est repartie en négociation et, cette fois, la Grèce et l’Estonie ont voté pour, débloquant la situation in extremis, à quelques semaines des prochaines élections européennes. Ce texte a pour vocation d’harmoniser et d’améliorer, au sein des Vingt-Sept, les conditions de travail de quelque 28 millions de personnes, exerçant dans 90 % des cas, souvent de façon injustifiée, sous le statut d’indépendant. Il laisse toutefois une marge de manœuvre significative en permettant aux États membres de définir eux-mêmes les conditions de cette présomption de salariat, selon leur législation respective.

Si cette directive est encore soumise à un vote formel, son issue ne fait plus de doute, les ministres des affaires sociales réunis le 11 mars à Bruxelles ayant à cette occasion exprimé leur position.

Congés payés, arrêts maladie, retraite…

La nouvelle a largement été saluée par élus de gauche à la manœuvre depuis deux ans dans ce combat pour imposer aux plateformes le paiement de leurs cotisations sociales et défendre le droit des travailleurs ubérisés aux congés payés, au chômage, aux arrêts maladie, à la reconnaissance des accidents du travail, à la formation, ou encore à une retraite digne de ce nom.

« Des millions de faux indépendants à travers l’Europe vont être requalifiés en salariés, s’est réjouie l’eurodéputée France insoumise (FI) Leïla Chaibi, négociatrice de la directive pour la gauche. Tout au long des négociations, le président français aura tenté de torpiller la présomption de salariat pour servir Uber plutôt que les travailleurs. »

« Macron n’aura pas pu protéger plus longtemps Uber ! Les votes de l’Estonie et de la Grèce débloquent la situation. La directive des travailleurs de plateformes est enfin adoptée ! Maintenant, il faut faire voter une loi nationale pour la faire respecter. Le travail continue ! », a également réagi Pascal Savoldelli, sénateur communiste et membre de la Commission des finances.

En juillet 2023, une commission d’enquête parlementaire « relative aux révélations des Uber files » avait mis au jour les rouages de l’implantation et de la stratégie d’influence développée par la plateforme de transports Uber en France, dès 2013. Dans son rapport, elle pointait « un déficit criant de volonté politique » pour faire respecter l’État de droit face à une entreprise dont la stratégie est fondée sur un « lobbying agressif (…) consistant à pénétrer au cœur des élites françaises ». Parmi ces décideurs publics, Emmanuel Macron est clairement mis en cause pour sa complaisance : « Au premier rang de ces soutiens figure M. Emmanuel Macron, un ministre de l’Économie prêt à défendre les intérêts des plateformes de VTC, avec lequel Uber a entretenu des liens extrêmement privilégiés. »


 

   mise en ligne le 11 mars 2024

Paris 2024 : « Pour les Jeux, nous aurions préféré un projet mobilisateur
pour les fonctionnaires »,
déplore Céline Verzeletti

Séphane Guérard sur www.humanite.fr

Pressé par les préavis de grève de la CGT et de FO, le ministre Stanislas Guerini a annoncé la tenue, mardi, d’une réunion sur les conditions de mobilisation des agents durant Paris 2024. Céline Verzeletti, de la CGT, réagit à ses propositions.

Le 22 novembre, une circulaire prise par Élisabeth Borne offrait aux employeurs publics la possibilité de gratifier en prime n’excédant pas 1 500 euros brut des agents « selon leur degré et la durée » de leur mobilisation durant les jeux Olympiques. Puis, silence radio. Plus aucune précision sur ces primes, ni sur l’organisation des services durant l’événement. Jusqu’à samedi.

Le dépôt, jeudi dernier, d’un préavis de grève par la CGT, puis FO, a fait sortir de sa réserve le ministre Stanislas Guerini, qui a annoncé, samedi, des primes de 500, 1 000 et 1 500 euros, ainsi que la tenue d’une réunion avec les syndicats, ce mardi.

Comment réagissez-vous aux propositions de Stanislas Guerini ?

Céline Verzeletti : Voilà plusieurs mois que nous insistons pour avoir des échanges avec le gouvernement. Les questions ne manquent pas : quelle charge de travail, quelle organisation, quel temps de travail, quelles mesures d’accompagnement ? Il a fallu ce préavis pour que le ministre précise ses premières réponses. Cela démontre que nous sommes dans un rapport de force perpétuel. C’est malheureux, d’autant que les choses ont si peu été préparées que certaines situations risquent d’être irrattrapables.

De quelles situations parlez-vous ?

Céline Verzeletti : En s’y prenant en amont, on aurait pu quantifier les besoins, effectuer des recrutements. Mais le gouvernement a fait le choix de ne rien faire, puis d’en passer par les obligations réglementaires pour imposer des astreintes sept jours sur sept, l’augmentation du temps de travail et la limitation des congés. Sans renfort, les personnels hospitaliers pourront-ils faire face si une canicule s’ajoute aux besoins liés à la venue de centaines de milliers de visiteurs à Paris ?

De même, est-il raisonnable de dépêcher sur le terrain de nouveaux douaniers après une formation express ? Comme lors du Covid, on demande aux agents de faire toujours plus, alors que les services sont déjà à l’os et qu’on vient de nous annoncer, en plus du gel des rémunérations pour 2024, des coupes budgétaires dans les services publics. Nous aurions préféré un vrai projet mobilisateur pour les Jeux, avec des agents en capacité de répondre aux besoins.

Le montant des primes contente-t-il vos revendications ?

Céline Verzeletti : Nous demandions que des critères soient établis pour que l’employeur ne soit pas seul décideur. Ils commencent à être définis, de même que la garde d’enfant (10 000 chèques emploi service universels de 200 à 350 euros – NDLR). Le problème est que seuls les agents directement en lien avec les Jeux semblent concernés. Qu’en est-il des personnels des crèches parisiennes, par exemple, qui devront rester au travail pour accueillir les enfants des agents mobilisés ?

Autre problème : la circulaire ne semble concerner que les fonctionnaires d’État. Que deviennent les agents hospitaliers et des collectivités territoriales ? Enfin, pourquoi tous les agents ne toucheraient-ils pas les 1 900 euros de prime spéciale promise aux policiers, gendarmes ou douaniers ?

Les contraintes liées à la sécurité publique sont déjà prises en compte dans les métiers concernés. Pourquoi les autres fonctionnaires, touchés par les mêmes astreintes et allongement du temps de travail, ne percevraient-ils pas ces 1 900 euros ? Un éboueur est-il moins impliqué qu’un policier ?


 

   mise en ligne le 10 mars 2024

Pour un cessez-le-feu en Palestine, beaucoup de jeunes dans la rue

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Ce 9 mars, au premier rang de la manifestation parisienne pour un cessez-le-feu en Palestine, des responsables associatifs, syndicaux, politiques. Et derrière, des milliers de personnes, dont de nombreux jeunes. Ils ont la vingtaine ou moins et racontent leur combat pour la Palestine. 

ÀÀ la veille du ramadan, qui devait marquer le début d’un cessez-le-feu qui ne vient pas, et après cinq mois d’offensive israélienne sur la bande de Gaza qui a fait plus de 30 000 morts, des milliers de Parisien·nes ont défilé dans la rue ce 9 mars. Drapeau palestinien sur l’épaule et keffieh autour du cou, elles et ils ont défilé dans les rues de la capitale à l’appel du collectif Urgence Palestine et de l’Association France Palestine solidarité (AFPS). Selon l'AFPS, ils étaient 60 000 à Paris.

Des mobilisations similaires ont eu lieu ailleurs en France, en Dordogne, à Lyon ou encore en Bretagne, et dans d’autres capitales occidentales, à Londres et à Rome notamment. 

À Paris, d’autres drapeaux se sont mêlés aux drapeaux palestiniens, dont ceux de plusieurs partis de gauche, de La France insoumise (LFI) au Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), en passant par Les Écologistes et le Parti communiste. Au premier rang du cortège, de nombreux députés insoumis ont marché au cri de « Tahia Falestine ! » (« Vive la Palestine ! »), dont David Guiraud, Nadège Abomangoli ou encore Aymeric Caron. Rima Hassan, juriste franco palestinienne, candidate aux élections européennes pour LFI, a rejoint le cortège accompagnée de la tête de liste, Manon Aubry, et de Jean-Luc Mélenchon. Elles et ils partageaient la banderole avec plusieurs responsables associatifs et syndicaux, de la FSU, de la CGT ou encore de Solidaires. 

Avant le début de la marche, Bertrand Heilbronn, président d'honneur de l’Association France Palestine solidarité a redit ce qui unissait toutes ces organisations : l’appel à un cessez-le-feu immédiat. En conclusion de sa prise de parole, et comme beaucoup de manifestants et manifestantes du jour, il s’adresse directement à Emmanuel Macron : « Vous avez contribué à la catastrophe en cours. » Et d’exiger des actions concrètes contre la politique de l’État israélien. 

« Face à l’inaction de nos gouvernements, en France et, partout dans le monde, la société civile continue à se mobiliser, abonde Linda Sehili, inspectrice des finances publiques et responsable syndicale à Solidaires. C’est un véritable mouvement social qui est en place… Dans un cadre large et unitaire, nous disons qu’il faut mettre fin à ce génocide, qu’il faut un cessez-le-feu pérenne et immédiat, qu’il faut arrêter le blocus de Gaza, permettre de faire parvenir l’aide humanitaire, redonner des moyens à l’UNRWA, il faut maintenant des sanctions contre Israël. » 

Derrière l’épais cortège de tête, tout un tas d’organisations ont déplié leurs banderoles. Les habitué·es des manifestations parisiennes pour la Palestine retrouvent de l’élan. Cela faisait des semaines qu’ils et elles n’avaient pas vu autant de monde dans les rues. 

Parmi eux, de très nombreux jeunes, des enfants venus avec leurs parents, des collégiennes venues avec leurs grandes sœurs, des lycéennes, de jeunes travailleurs et travailleuses qui ont fait le déplacement parfois depuis l’autre côté de l’Île-de-France. Elles et ils disent la même chose : les vidéos du massacre qui défilent sur le fil Instagram, la « honte » des postions prises par le gouvernement français, la peur que leur mobilisation ne soit pas entendue et que les attaques israéliennes continuent. Auprès de Mediapart, elles et ils racontent les mille et un petits impacts qu’a eus sur leur vie la prise en compte de la situation palestinienne depuis le début de l’offensive, il y a cinq mois. 

Dépasser la barrière des réseaux sociaux 

Pendant qu’une jeune femme s’époumone, dans un haut-parleur défectueux, à égrener les noms de quelques-uns des 30 000 morts palestiniens depuis le début de l’offensive, Rémi et son petit ami Massiré défilent bras dessus, bras dessous. Le premier a 21 ans, il est étudiant en information et communication, le second a 19 ans et étudie le graphisme. Ils n’en sont pas à leur première manifestation pour un cessez-le-feu en Palestine. Les deux viennent à chaque fois qu’ils le peuvent. 

Ils partagent quasi quotidiennement des contenus sur les réseaux sociaux sur le conflit israélo-palestinien mais considèrent que « ça ne suffit pas » : « C’est important de ne pas se contenter de partager des storys, débute Rémi. On veut que les Palestiniens sachent qu’en France des gens se mobilisent pour eux, dans la rue, dans la vraie vie. » 

« On dépasse la barrière des réseaux et on vient dans la rue, abonde Massiré. Dans la rue, on s’adresse à tous ceux qui ne savent pas comment se positionner, au gouvernement, à Macron. » « On ne va pas lâcher la cause, poursuit le second. Il ferait mieux d’agir concrètement pour le cessez-le-feu puisque en France, on est de plus en plus nombreux à dire haut et fort qu’on n’est pas d’accord. » Si les amoureux ont remarqué un léger changement de ton présidentiel, ils attendent de pied ferme des actions concrètes et restent dubitatifs.

Fatine, 20 ans, étudiante en licence d’anglais à l’université de Nanterre, est venue d’Argenteuil pour la manifestation, avec Maissa, même âge, même fac, mêmes études. Tout aussi investies soient-elles sur leurs réseaux sociaux, elles considèrent que les posts, les réels, les tweets n’ont plus un impact suffisant, alors elles ont sorti les drapeaux et ont rejoint le cortège, comme leurs parents avant elles. Pas sûr que l’impact soit plus tangible, « mais si on ne fait rien, c’est sûr qu’il ne se passera rien ».

Comme Rémi et Massiré, elles marchent pour que Macron revoie sa position, mais les deux jeunes femmes ont d’autres ambitions, plus internationales. « J’espère que Biden verra nos manifestations, assure Fatine, que lui et les autres comprennent qu’ils n’ont pas les peuples avec eux. »

Puisque la bande de Gaza n’est pas accessible aux médias, que les journalistes palestiniens se font tuer un à un, elles s’informent sur les réseaux sociaux, suivant des comptes de Palestinien·nes encore sur place, réfugié·es, journalistes ou non. Tous les jours, elles prennent numériquement des nouvelles de Bisan ou de Motaz. Quitte à voir des images de corps déchiquetés, affamés, démembrés. Hors de question de fermer les yeux. « Moi je regarde les vidéos de Djihanna. C’est une femme palestinienne, elle n’est pas journaliste mais elle raconte tout ce qui se passe », explique de son côté Syrine, 16 ans, qui a fait près de deux heures de transport pour être présente à la manifestation. 

« Quel confort de se dire : pour ma santé mentale, je ne regarde pas les vidéos, estime Rémi. Même si c’est horrible, c’est important de voir la réalité de ce qui se passe tous les jours, de le partager, de s’informer. » Massiré avoue être « très sensible aux images de mort » mais a refusé de ne pas voir, ni le 7 octobre, ni les jours d’après.

Des amitiés abîmées et des marques boycottées 

Dans leur vie privée, au lycée, au travail, tous et toutes ont fait évoluer leurs habitudes, au fur et à mesure que les Palestiniens et Palestiniennes mourraient sous les bombes, les balles ou de faim. 

Syrine, en seconde dans un lycée du Val-d’Oise, le dit fièrement : plus de Coca dans les goûters de classe, avec l’aval de l’ensemble de ses camarades de lycée. « On boycotte toutes les marques qui ont une activité ou qui soutiennent directement Israël », assure-t-elle avec sa cousine de 15 ans, Meriem. Leurs mères ne vont plus à Carrefour. Plus de McDonald’s pour Fatine et Maissa, « et pourtant les McFish, c’est trop bon ». Fatine s’est désabonnée de la plateforme de vidéo à la demande de Disney. « Je regardais tout le temps mais c’est pas grave, on trouve toujours des alternatives. » Sur le chemin de la manifestation, un Starbucks est retapissé de stickers et d’une pancarte sur laquelle on peut lire : « Par milliers, par millions, nous sommes tous des Palestiniens. » 

Au-delà des boycotts, le sujet est venu s’immiscer dans les classes : le professeur d’histoire-géographie de Syrine a contourné le programme scolaire pour insérer une séance sur l’histoire de la Palestine. « Il ne nous a pas donné son avis mais il nous a expliqué la situation, des deux côtés, pour qu’on comprenne mieux ce qui se passe. » Meriem, elle, connaît des lycéens qui se sont fait exclure quelques jours de cours pour s’être exprimés en faveur du peuple palestinien dans l’enceinte du lycée. Elle ne sait pas exactement ce qu’ils ont dit, mais dit avoir « honte » de la France. Elle n’a pas fini de prononcer le mot que sa grande sœur la tance du regard : « la honte » de la France, cela ne se dit pas à une journaliste.

Et après les boutiques, les classes, les liens du cœur. Salimat, 21 ans, étudiante en langues étrangères appliquées anglais-japonais, a travaillé, à côté de ses études, pendant plus d’un an et demi, dans un Starbucks de la région parisienne. « J’y retournais souvent, à chaque fois que j’avais besoin de travailler, et sinon j’y allais en tant que cliente, parfois je passais derrière le bar me préparer mes propres boissons. » Ses collègues étaient devenus ses amis mais le silence s’est installé entre eux quand elle s’est heurtée à leur manque d’intérêt pour la cause des Palestiniens. « Je leur demande pas de démissionner, tout le monde ne peut pas se le permettre, mais au moins de se sentir un peu concernés, en tant qu’humains. Mais je vois bien qu’ils s’en foutent, alors, peu à peu, j’ai arrêté de leur parler. »

Fatine, après un post sur Instagram, a reçu un message d’un ancien camarade de classe. « Il me disait que la victime, c’était Israël, que je ne comprenais rien. J’ai pas senti qu’il pouvait comprendre, je l’ai bloqué. » Elle estime que la situation est si grave qu’y rester insensible est déjà une violence et ne parle plus à sa cousine préférée, qui ni ne s’informe, ni ne se mobilise. 

Sous la pluie légère, en passant près de Strasbourg-Saint-Denis, dans le IIe arrondissement de Paris, Rémi et Massiré pressent le pas et débattent d’un avenir souhaitable pour la Palestine. Un, deux États ? Avec liberté de circulation pour tous ? Et que ferait-on des Israéliens ? « Moi je crois à un État où tout le monde peut vivre et circuler en paix, tranche Massiré, plutôt qu’à deux États avec un partage inégal, et que la Palestine se retrouve avec un tout petit pays. » « Oui, pourquoi pas, mais il ne faudrait pas que cette solution efface les décennies de colonisation d’Israël. »

Et comment appellerait-on ce pays unifié ? « Palestine », propose l’un. Et de continuer leur discussion en slalomant entre les groupes militants, ceux qui scandent « Contre l’impérialisme et les États racistes, une seule solution, la révolution » et ceux qui hissent de grands haut-parleurs au-dessus de la foule d’où s'échappent des chansons et des slogans en arabe, en hommage à la Palestine, qui racontent les champs d’oliviers, l’importance de la terre et la force de celles et ceux qui restent. 


 

   mise en ligne le 9 mars 2024

À Paris, une grève féministe
et encore tant de chemin à faire

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Elles étaient des milliers dans les rues à réclamer, de nouveau, l’égalité salariale et la fin des violences sexistes et sexuelles. À Paris, des lycéennes aux anciennes du MLF, en passant par les syndicalistes, toutes racontent un chemin vers l’égalité réelle qui est encore long. 

De la colère et des paillettes. Ce vendredi 8 mars 2024, pour la Journée internationale des droits des femmes, les rues de France se sont emplies de lycéennes, de travailleuses, d’exilées, de retraitées, de militantes de la cause LGBT, de syndicalistes, de militantes féministes. À Paris, à l’appel des organisations féministes, elles criaient, en chœur : « So-so solidarité, avec les femmes, du monde entier ! »« Violences sexistes, violences sociales, même combat contre le capital ! » ou encore « Avec ou sans Constitution, pour avorter, faut du pognon ! ».

14 heures, place Gambetta, dans le XXe arrondissement de Paris, les ballons syndicaux et associatifs prennent le soleil, le clitoris géant et violet de Solidaires, bien installé sur le camion du syndicat, domine la foule et les manifestantes qui arrivent encore par toutes les rues. Au milieu des cortèges et des drapeaux, des groupes de musiciennes répètent leurs classiques de manif ; six jeunes femmes et personnes non binaires, assises sur des tabourets de fortune, toisent le monde.

Et elles écartent les jambes de manière ostensible. « On a décidé de prendre la même place dans la rue que les mecs prennent dans les transports publics », sourit l’une d’entre elles. Elles pratiquent le « manspreading » avant de défiler, pendant qu’à côté d’autres discutent de l’importance de la constitutionnalisation de l’IVG, entérinée quelques jours plus tôt.  

En face des manspreadeuses, le bandeau de l’intersyndicale, sur lequel on peut lire : « Toutes et tous mobilisé·es pour l’égalité réelle ». Et, cette année, sur le bandeau, les logos des différentes organisations prennent plus de place que d’habitude. Pour la première fois de leur histoire, l’Unsa et la CFDT ont appelé à la grève féministe, aux côtés de la CGT, de la FSU et de Solidaires. 

Auprès de Mediapart, sur fond de batucada, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, explique que sans grève, il est difficile d’avoir du monde dans la rue : « On a appelé à la grève pour être le plus nombreuses et nombreux possible mais aussi pour donner à voir dans les entreprises et les administrations que c’est un sujet important qui doit être traité. En fin d’année dernière, on a eu un certain nombre d’engagements du gouvernement et il faut que ça se concrétise en 2024. »

Et de détailler les revendications portées par l’intersyndicale : la révision de l’index égalité femmes-hommes pour qu’il soit plus transparent, plus précis, pour avoir aussi une vision plus complète sur les inégalités femmes-hommes dans le monde du travail, « puisque seulement un quart des salariés sont couverts pour le moment par l’index ». Au-delà des notes, les syndicats réclament que des sanctions s’appliquent réellement aux entreprises en dehors des clous. « Aujourd’hui, bonne ou mauvaise note sur l’index, il ne se passe pas grand-chose », rappelle la secrétaire générale de la CFDT

Un peu plus loin, seuls deux ballons orange du syndicat défilent et quelques centaines de militant·es derrière. On est bien loin des grands cortèges de la CFDT contre la réforme des retraites. Et le constat s’applique de la même façon pour plusieurs autres organisations syndicales. Le temps, peut-être, que la base s’acclimate à la grève féministe. L’idée n’est pourtant pas nouvelle. Déjà en 1882, la militante révolutionnaire Louise Michel appelait à la grève des femmes à l’occasion de deux meetings organisés par la Ligue des femmes. Plusieurs jeunes femmes ont imprimé son portrait et l’ont porté haut sur des pancartes, plus d’un siècle après son décès.

Une chasuble orange sur le dos, Ingrid Clément, à la tête de la fédération CFDT Interco, regroupant des fonctionnaires, des agent·es de collectivités territoriales ou encore des ministères de l’intérieur, de la justice, des affaires étrangères, semble moins à l’aise avec la nécessité de la grève que sa secrétaire générale nationale. À la question : « Pourquoi, cette fois-ci, la CFDT appelle-t-elle à la grève ? », elle tente d’esquiver : « Vous n’avez pas une autre question ? » 

Et sa camarade, Laurence de Suzanne, secrétaire fédérale pour les services judiciaires, de prendre le relais : « C’est important pour libérer de leurs métiers les gens qui veulent pouvoir se mobiliser aujourd’hui… L’égalité hommes-femmes, ça ne doit plus être que des choses qu’on dit, mais aussi des choses qu’on fait, que cette égalité se concrétise. Ne pas se contenter d’un index qui autorise une certaine part d’inégalité. Nous on veut une égalité complète. »

Comme d’autres syndicalistes qui défilent pour ce 8 mars, elle déplore le manque d’implication de certains et regrette, par exemple, que des réunions de travail se tiennent normalement dans son secteur aujourd’hui, alors que pour d’autres mobilisations nationales, l’activité est gelée pour la journée.

Même déception pour Nadine, agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (Atsem), un métier peu rémunéré et très majoritairement féminin. Au départ du cortège, la militante CGT regrette que la foule ne soit pas plus dense. « Je ne suis pas très optimiste. On a une seule grève pour les femmes, on devrait en faire beaucoup plus tellement on subit d’inégalités », souffle-t-elle. Ses collègues Atsem hochent la tête. « Le chemin vers l’égalité est encore très très long. Pourtant, Dieu sait que des femmes se sont battues avant nous ! Ça n’avance pas assez vite, sur les salaires, contre les violences… On continue de se battre pour avancer, mais on avance à une allure de tortue. » 

Féministes, du MLF à TikTok

De son côté, Sophie Binet, de la CGT, s’entoure des salariées de Leroy Merlin, avant de prendre la parole devant nos confrères, et réclame au gouvernement et au patronat de mettre « enfin un terme aux inégalités en matière de salaires ». Pour rappel, tous temps de travail confondus, en moyenne, les femmes gagnent toujours moins que les hommes, 24,4 % selon les derniers chiffres de l’Observatoire des inégalités. Le pourcentage est répété, devant toutes les caméras, par la responsable syndicale. « Ça fait, en moyenne, 20 euros par jour de moins. 400 euros par mois. C’est énorme. Pour mettre fin à ces inégalités, c’est très simple, il suffirait de sanctionner les entreprises qui ne respectent pas la loi. » 

Lorraine et Jade, toutes les deux 17 ans et lycéennes de Boussy-Saint-Antoine, en Essonne, ont pris les transports publics pendant une heure pour leur toute première manifestation. Officiellement, pour leurs professeurs, elles sont malades. En tout, elles sont sept de leur lycée à avoir fait le déplacement, pas la foule des grands jours. « Grève féministe, c’est pas considéré comme un motif valable d’absence », s’amusent celles qui, pour se former aux luttes féministes, scrollent sur Instagram et TikTok. « On apprend des choses avec le compte de Nous toutes et de Jeneveuxpasd’enfants, par exemple. » 

Si elles fouillent Internet, se partagent des réels et des posts, continuent sans cesse de s’informer sur les luttes passées, celles des femmes du monde entier, elles n’ont pas à chercher bien loin pour raconter la société patriarcale. 

À la maison, les parents de Jade attendent d’elle qu’elle fasse « beaucoup plus de tâches ménagères » que son frère. Lorraine, elle, pourrait, raconter pendant des heures les remarques reçues dans la rue par des hommes, souvent plus âgés. Et quand elle a dit à son père pourquoi elle s’absentait des cours aujourd’hui, « il a levé les yeux au ciel » : « Pour lui, on a déjà l’égalité, il ne comprend pas pourquoi je manifeste. »

Et puis, il y a le lycée et sa farandole d’interdictions vestimentaires. « Il y a eu tout le débat sur l’abaya, se souvient Jade, lycéenne dans un établissement public. C’était hallucinant ces restrictions que pour les femmes. Dans notre lycée, on ne peut venir ni en abaya, ni en crop top, ni en short, mais les mecs viennent habillés comme ils veulent, personne ne leur pose la question. » « Même les débardeurs, ça ne passe pas toujours », abonde sa copine. 

De l’autre côté de l’âge, mais à seulement quelques mètres, les pionnières du Mouvement de libération des femmes, mouvement féministe non mixte fondé en 1970, ont ressorti les vieilles pancartes qui étaient exposées dans une bibliothèque féministe de Paris. 

Annie Schmitt, 78 ans, professeure de sport à la retraite et membre du MLF depuis 1971, s’amuse de la situation. Quelques minutes auparavant, un groupe de très jeunes filles sont venues à sa rencontre pour lui demander ce que voulait dire « MLF ». Et c’est avec plaisir qu’elle leur a raconté des décennies de lutte féministe, bien avant #MeToo et ses répercussions.

« On a ânonné pendant quarante ans, on a réclamé l’IVG, on a dit : “Ras le viol”, on a exigé de nouvelles libertés pour les femmes… Puis, tout d’un coup, avec #MeToo ça a explosé. On a été entendues. Il reste encore du chemin, ce mouvement a permis de nous faire avancer beaucoup plus rapidement. » 

Si elle se réjouit des avancées pour les femmes, certaines réalités qui étaient les siennes dans les années 1980 sont toujours d’actualité : « Dans l’Éducation nationale, on est tous payés pareil mais regardez dans les échelons, dès qu’on monte, on ne voit plus beaucoup de femmes. Les carrières sont plus hachées pour les femmes. » 

À l’époque où elle travaillait encore, Annie Schmitt ratait rarement une mobilisation du 8 mars. Les cortèges étaient infiniment plus clairsemés qu’aujourd’hui. Un 9 mars, il y a de cela plus de trente ans, un proviseur avait questionné Annie sur son absence de la veille. « Et je lui avais répondu que j’étais absente parce que je n’étais pas là, c’est tout. Aujourd’hui, je crois qu’on peut plus facilement dire qu’on fait la grève féministe. » Derrière elle, un jeune homme donne le rythme des slogans en tapant sur un tambour sur lequel est inscrit « Dead man don’t rape » (« Les hommes morts ne violent pas »).

Il est bientôt 15 heures quand le cortège passe aux abords du cimetière du Père-Lachaise. Des militantes, un grand drapeau palestinien sur les épaules, un keffieh autour du cou, répètent : « Femmes de Gaza, femmes de Palestine, c’est l’humanité qu’on assassine ». « Se battre pour le droit des Palestiniens, des Palestiniennes, c’est aussi un combat féministe. On ne peut pas être aveugles au sort des femmes qu’on assassine là-bas », explique l’une d’entre elles, pressée de rattraper ses amies. Avant de partir, elle rappelle en une phrase le nombre de morts en Palestine depuis l’offensive israélienne, plus de 30 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants. 

Plus tard dans l’après-midi et selon plusieurs vidéos postées sur les réseaux sociaux, des affrontements ont eu lieu entre des féministes propalestiniennes et le service d’ordre du collectif juif et féministe Nous vivrons, composé en très grande partie d’hommes cagoulés, dont certains auraient été munis de bombes lacrymogènes – Mediapart n’a pas assisté à ces événements mais a constaté, sur place, la composition exclusivement masculine du service d’ordre. Le collectif féministe, qui avait déjà fait parler de lui lors d’une manifestation le 25 novembre, a ensuite été exfiltré par la police et a assuré, sur X : « Une fois encore, nous avons été empêchés suite à des agressions verbales et physiques. »

Selon la CGT, environ 200 000 personnes ont défilé ce jour dans toute la France, dont la moitié à Paris, 5 000 à Lille, 10 000 à Lyon ou encore 8 000 à Bordeaux. 


 

   mise en ligne le 8 mars 2024

« Des dizaines d’enfants sont morts de faim et de déshydratation à Gaza »,
le constat glaçant de Jonathan Crickx, porte-parole de l’Unicef Palestine

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Alors qu’Israël maintient son étau autour de la bande de Gaza, plusieurs dizaines d’enfants sont morts ces derniers jours de faim et de déshydratation. Jonathan Crickx, porte-parole de l’Unicef Palestine dresse l’état des lieux du chaos régnant dans l’enclave palestinienne, où l’acheminement de l’aide humanitaire est confronté à de multiples entraves, et redoute de voir le nombre de jeunes victimes aller croissant.

Les images de son corps squelettique, de ses mains diaphanes et de son regard figé, au dernier jour de son agonie, ont fini par arriver jusqu’à nous. Yazan, 10 ans, est mort le 2 mars, dans un hôpital de Rafah, par manque de nourriture, d’eau et de médicaments. Plusieurs dizaines d’enfants palestiniens ont ces derniers jours subi le même sort dans la bande de Gaza.

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) voit ainsi ses pires craintes confirmées. Dans un rapport publié le 3 mars, l’organisation sonne de nouveau l’alarme et appelle à un sursaut international pour éviter une famine généralisée, dont les enfants sont d’ores et déjà les premiers à payer le prix.

Si la catastrophe commence à susciter un émoi international, le président américain Joe Biden ayant annoncé ce jeudi 8 mars la création d’un port à Gaza pour permettre « une augmentation massive » des aides, selon le porte-parole de l’Unicef Palestine, Jonathan Crickx, une véritable course contre la montre est désormais enclenchée pour endiguer les ravages de la malnutrition et de la déshydratation. Il plaide pour une levée des entraves à l’acheminement de l’aide humanitaire, plus que jamais vitale, en particulier dans le nord de l’enclave, où survivent encore 300 000 civils.

L’Unicef a publié un rapport qui sonne l’alarme face aux décès d’enfants dus à la malnutrition dans la bande de Gaza. Sur quels constats repose ce rapport ?

Jonathan Crickx : Des rapports nous parviennent depuis une semaine, indiquant qu’une quinzaine d’enfants sont morts de malnutrition et de déshydratation, en particulier dans le nord de la bande de Gaza. D’autres sont en train de mourir et notre grande inquiétude est que leur nombre aille croissant.

C’est absolument tragique, mais ce n’est pas une surprise car cela fait plusieurs semaines, sinon plusieurs mois, que l’Unicef, mais aussi le Programme alimentaire mondial, l’Organisation mondiale de la santé, alertent sur la crise alimentaire dans la bande de Gaza, où la nourriture est en quantité insuffisante. Nous réaffirmons aujourd’hui que cette situation, si elle dure, va amener à court terme à la mort, par la faim, de plusieurs dizaines d’autres enfants.

L’Unicef a fait des relevés (screenings), en janvier et février 2024, pour mesurer le diamètre des bras des enfants. Dans le Sud, les données collectées indiquent que 5 % des enfants sont victimes de malnutrition sévère ; dans le Nord, où l’aide humanitaire est quasi inexistante, ils sont 15 %, soit un enfant sur six. Au-delà de ces décès, la malnutrition sévère cause des dégâts irréversibles sur la santé des enfants en bas, en affectant notamment leur croissance et leur développement cognitif.

« Dans le nord de la bande de Gaza, 15 % des enfants, soit un enfant sur six, souffrent de malnutrition sévère »

Comment les civils font-ils face à cette situation dans la bande de Gaza ?

Jonathan Crickx : Il y a un mois, j’étais à Rafah, dans le Sud, où sont rassemblées environ 1,4 million de personnes. J’ai pu voir de près les très longues files composées de plusieurs centaines de personnes, attendant pour quelques boîtes de conserve contenues dans les colis d’aide humanitaire. J’ai rencontré des familles survivant sous des tentes, construites avec les moyens du bord, qui ne peuvent souvent se permettre plus d’un repas par jour.

Elles sont confrontées à un problème de manque de nourriture mais aussi à son absence de diversité. Selon nos enquêtes, la plupart des familles se nourrissent principalement de farine de blé, qu’elles utilisent pour faire du pain et de riz, et c’est à peu près tout. Pas de légumes, pas de fruits, pas de viande, ou en tout cas très peu. Dans les toutes petites échoppes que j’ai pu observer sur place, les quantités sont dérisoires, avec parfois seulement quatre ou cinq oranges dans les présentoirs, à des prix inaccessibles pour la majorité de la population.

« Une bouteille de 1,5 litre d’eau par personne et par jour »

À la malnutrition s’ajoute la déshydratation. La production d’eau dans la bande de Gaza, qui était déjà un véritable problème avant cette escalade des hostilités, équivaut aujourd’hui à environ 10 % de la production habituelle. Dans le Sud, les personnes déplacées arrivées ces dernières semaines à Rafah disposent d’une bouteille d’eau de 1,5 litre par personne et par jour. Cette ration est censée remplir tous leurs besoins : boire, cuisiner, se laver.

Ainsi, une mère qui vient d’avoir un bébé doit chaque jour choisir entre s’hydrater pour allaiter ou pour faire un biberon —, même si le lait en poudre atteint des prix records —, cuisiner, mais aussi pour assurer l’hygiène de leurs enfants. Un litre et demi pour tout ça. Les conséquences en termes de déshydratation mais aussi en termes de santé sont redoutables car il faut savoir qu’une grande partie de l’eau disponible n’est pas une eau propre à la consommation.

Qu’est-ce qui empêche un acheminement normal de l’aide humanitaire ?

Jonathan Crickx : Il y a quatre problèmes majeurs. Le premier est lié à la sécurité des équipes qui acheminent l’aide alimentaire dans une zone de conflit armé, où les bombardements sont omniprésents. Le deuxième problème est le défaut d’accès aux populations, en particulier aux civils restés dans le Nord de la bande de Gaza. Cet accès nécessite des autorisations qui ne sont pas toujours octroyées. Le troisième problème est celui des communications.

Les réseaux de téléphonie sont très souvent dysfonctionnels. Or ils sont indispensables. Pour livrer des médicaments dans un hôpital, l’Unicef et ses partenaires doivent assurer un travail de coordination, par téléphone, pour fixer les rendez-vous, déterminer les besoins, les capacités de stockage… Quand le réseau téléphonique ne fonctionne pas, comment fait-on ?

Le quatrième problème est lié au nombre insuffisant de camions pour effectuer ces livraisons, mais aussi aux problèmes d’acheminement du fuel dans l’enclave. Le cœur de notre plaidoyer consiste à demander que l’ensemble des conditions soient réunies pour que l’aide humanitaire puisse être distribuée à l’intérieur de la bande de Gaza, à l’échelle, de manière sûre et partout où les populations en ont besoin. Il est particulièrement vital cette aide puisse atteindre les enfants.


 

   mise en ligne le 7 mars 2024

Risque de génocide Gaza :
manifestons le 9 mars !

Par Olivier Gebuhrer et Pascal Lederer, co-animateurs d'Une Autre Voix Juive sur www.humanite.fr

Le cataclysme déclenché sur Gaza par l’Armée israélienne fait pâlir l’horreur provoquée par les attentats terroristes perpétrés par le Hamas le 7 octobre. Jour après jour l’indignation à l’encontre du gouvernement israélien monte d’un cran dans le monde.

Loin de respecter les injonctions de la Cour Internationale de Justice, exigeant d’Israël de prendre toutes les mesures visant à éviter un génocide, le gouvernement israélien et ses membres fascisants violent les résolutions qui fondent l’appartenance d’Israël à l’ONU. La punition collective infligée à la population civile de Gaza, les meurtres et exactions dans les territoires occupés n’ont rien à voir avec le « droit d’Israël à se défendre contre toute agression ». Israël s’enfonce dans les crimes contre l’Humanité. Dans ce désastre, d’autres, Etats-Unis, Union Européenne et France en tête, complices de fait de ce désastre, en portent une lourde responsabilité par leurs atermoiements et leur condamnation en demi-teinte. 

Les condamnations internationales et l’expression de l’indignation populaire s’imposent devant les souffrances des populations civiles de Gaza, les morts de faim, les tueries de femmes et d’enfants. Elles ne suffisent plus ; les dirigeants israéliens devront répondre de leurs actes en temps et heure mais aujourd’hui ce qui est urgent est de forcer Israël et le Hamas à cesser le feu, imposer au Hamas et à Israël la libération des otages et des prisonniers politiques palestiniens, ouvrir pour de bon les couloirs permettant l’aide humanitaire de masse indispensable. Des sanctions internationales visant le gouvernement israélien et ses ministres fascistes sont impératives. L’Union Européenne doit suspendre l’accord d’Association avec Israël qui la rend complice des crimes israéliens. La France,qui doit jeter son poids dans cette bataille, doit reconnaître l’Etat de Palestine, maintenant. 

Une Autre Voix Juive (UAVJ) a été fondée pour que puisse s’exprimer en France la critique à la politique israélienne, impossible de fait il y a 20 ans, et l’exigence de respect des droits nationaux palestiniens, sans remise en cause des droits nationaux israéliens. Aujourd’hui, les haines accumulées de part et d’autre par la colonisation croissante et l’apartheid en 

Cisjordanie, par le blocus, les bombardements de Gaza et les attaques terroristes visant des civils israéliens, se sont exacerbées depuis le 7 octobre. 

Aucune paix ne peut résulter du seul face à face des Palestiniens et des Israéliens. 

C’est une évidence : aucune paix durable ne peut survenir si la communauté internationale n’intervient pas pour contraindre Israël à négocier avec les dirigeants légitimes du peuple palestinien. 

UAVJ appelle à une Conférence Internationale de Paix sous l’égide de l’ONU pour que cessent les massacres et pour ouvrir le chemin d’une Paix Juste négociée, durable destinée à faire respecter les droits fondamentaux du peuple palestinien, les résolutions de l’ONU, et les conditions d’indépendance et de sécurité pour le peuple palestinien comme pour le peuple israélien. Sur ces bases, UAVJ appelle à manifester le 9 mars, place de la République à Paris, départ à 14 heures.


 

   mise en ligne le 6 mars 2024

Appel à la grève féministe
pour la journée internationale de lutte
pour les droits des femmes

sur https://basta.media/

« Face aux attaques du gouvernement, des droites et extrêmes droites, partout les femmes résistent ! » Pour le 8 mars, des dizaines d’organisations organisent une journée de grève féministe pour les droits des femmes. Voici leur appel.

Nous appelons à la grève du travail, des tâches domestiques, de la consommation. Parce que seules nos voix, nos cris, nos actions visibles pourront faire bouger la société et le pouvoir pour enfin obtenir l’égalité.

Solidarité avec les femmes du monde entier

Le 8 mars, nous serons en grève en solidarité avec nos sœurs confrontées aux guerres qui sévissent dans le monde. En solidarité avec celles qui font face à des bombardements massifs, à l’exode, sont victimes de viols de guerre, peinent à nourrir leur famille et elles-mêmes. En solidarité avec toutes celles qui se défendent farouchement pour recouvrer leur liberté et leurs droits.

Non à l’extrême droite

Les idées d’extrême droite qui prônent la haine de l’autre, le racisme, la misogynie, la LGBTQIAphobie, remportent des succès électoraux partout dans le monde, se banalisent. En France, le gouvernement et la droite en reprennent à leur compte.
La loi immigration votée en décembre dernier en est un exemple. Même si un tiers des dispositions, comme celles instituant la préférence nationale ont été invalidées par le Conseil constitutionnel, cette loi raciste s’attaque au droit d’asile et à tous·tes les sans papiers. Nous réclamons l’abrogation de la loi immigration et la régularisation de tous·tes les sans-papiers.

Vivre et pas survivre

Les inégalités salariales, les bas salaires et désormais l’inflation dégradent les conditions de vie. Les femmes représentent 62% des personnes payées au SMIC et 70% des bénéficiaires des banques alimentaires. Plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. 300 000 personnes dont 3000 enfants vivent dans la rue. Certaines en meurent. Nous demandons la hausse des salaires, la revalorisation des minimas sociaux, la construction massive de logements sociaux.

Du travail et des salaires décents

Les femmes, notamment les mères isolées, sont particulièrement impactées par la vie chère, elles occupent des emplois mal rémunérés, sont souvent percutées par la précarité et le temps partiel imposé et touchent un salaire en moyenne ¼ inférieur à celui des hommes. Les femmes, dont les retraites sont 40% inférieures à celles des hommes, sont encore plus impactées par la dernière réforme.

Nous réclamons l’abrogation de la réforme Macron des retraites, des lois qui pénalisent les chômeurs·euses et les bénéficiaires du RSA. Nous réclamons la revalorisation des métiers féminisés (éducation, soin, nettoyage…), l’égalité salariale, l’interdiction du temps partiel imposé, la transformation des CDD en CDI. Nous voulons la retraite à 60 ans avec 37,5 annuités.

Des services publics au service de nos besoins

L’idéologie libérale vise à casser et à privatiser les services publics : hôpital, école, EHPAD, logement. Ce sont les femmes qui compensent cette carence auprès des enfants comme des plus âgé·es, des malades, au détriment de leur carrière, de leur autonomie financière, de leur santé. Elles assument la grande majorité des tâches domestiques et d’éducation des enfants. Elles portent une charge mentale les obligeant à devoir constamment tout planifier.

Nous voulons des services publics de qualité et réclamons la création de services publics de la petite enfance et de la perte d’autonomie. Nous voulons du temps pour vivre, un partage égal des tâches, une réduction du temps de travail pour toutes et tous.

Notre corps nous appartient

Le droit à l’avortement est un droit fondamental Nous réclamons la réouverture de tous les centres d’interruption volontaires de grossesse fermés. Nous voulons inscrire dans la Constitution le droit à l’avortement de façon réellement protectrice.

Macron appelle à un “réarmement démographique », aux relents pétainistes et natalistes, comme si le désir d’enfant dépendait de l’injonction politique et nous prépare un congé de naissance tout en pointant du doigt des parents « défaillants ».
LGBTQIA, nous voulons pouvoir faire nos choix de vie, vivre librement notre orientation sexuelle, nos identités.

Handicapées, nous subissons toutes les violences

Nous sommes privées de nos droits à l’autonomie, à l’éducation, à l’emploi, aux soins, et à la procréation. Nous voulons notre indépendance économique, l’accessibilité universelle à l’ensemble de l’espace public et à tous les lieux et bâtiments.

Stop aux violences sexistes et sexuelles

#MeToo est partout, dans tous les milieux. L’impunité persiste, 1% des viols sont condamnés.Macron se permet d’ apporter son soutien à Depardieu, mis en examen pour viol et se porte ainsi garant de tout un schéma d’oppression. Les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) sont systémiques et impunies. 9% des femmes se disent victimes de brutalités dans le soin selon le Haut Conseil à l’Égalité.

Ce dernier insiste sur la persistance du sexisme chez les plus jeunes. Quand 56% des victimes de violences sexuelles sont des mineur·eures et 160 000 enfants victimes par an, Macron décapite la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants et fait silence sur les 30 000 témoignages recueillis.

Alors que la France accueillera cet été les Jeux olympiques et Paralympiques, nous demandons la mise en place d’actions concrètes pour lutter contre toutes les violences sexistes et sexuelles, protéger les victimes et combattre les réseaux de traite prostitutionnelle et de proxénétisme

Nous voulons restaurer la Civisr [Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants] dans son but initial et suivre ses recommandations. Nous réclamons trois milliards pour lutter contre les violences, l’application des lois existantes, le vote d’une loi-cadre contre les violences masculines à l’encontre des femmes, des enfants et des minorités de genre.

Éduquer à l’égalité

Une éducation à l’égalité doit permettre aux enfants de comprendre les mécanismes de domination s’exerçant dans notre société. Nous voulons une éducation non sexiste, la mise en place effective d’une éducation à la vie affective et sexuelle qui intègre les notions de désir et de plaisir, d’une éducation au consentement et à l’égalité.

Le 8 mars, nous serons en grève contre le patriarcat et ce gouvernement. Nous montrerons le rôle fondamental des femmes dans la société : quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête.


 

Premières signataires de l’appel : 

Africa 93, Assemblée des femmes, Attac, CGT, Collectif CIVG Tenon, Collectif National pour les Droits des Femmes, Coordination des associations pour le Droit à l’avortement et la contraception, Coordination française pour le lobby européen des femmes , Diplomatie Féministe Femmes d’Avenir, les Effronté-es, Femen, Femmes contre les précarités, le chômage et les discriminations, Femmes Egalité, Femmes Solidaires, Fondation Copernic, FSU, Las Rojas, Ligue des Femmes Iraniennes pour la Démocratie, Maison des femmes Thérèse Clerc de Montreuil, Marche Mondiale des Femmes France, Mémoire traumatique et victimologie, Mouvement des Femmes Kurdes en France-TJK-F, Mouvement du Nid, Organisation de Solidarité Trans, Osez le Féminisme, Planning Familial, Réseau féministe Ruptures, SKB ( Union des Femmes Socialistes Turquie), Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques, Union étudiante, Union nationale des étudiants de France, Union Nationale des Familles de Féminicides, Union syndicale Solidaires, Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes. En soutien : Les Écologistes, Ensemble !, France Insoumise, Gauche Démocratique et Sociale, Gauche Ecosocialiste, Génération.s, Jeunes Génération.s, Jeunes socialistes, Nouveau Parti Anticapitaliste, NPA-Nouveau Parti Anticapitaliste Jeunes, Parti Communiste Français, Parti Communiste des Ouvriers de France, Parti de Gauche, Parti Socialiste, Place Publique, Pour l’Ecologie Populaire et Sociale, Rejoignons-nous, Union Communiste Libertaire


 

   mise en ligne le 5 mars 2024

Pour l’égalité réelle, toutes et tous mobilisé·es pour le 8 mars !

sur www.cgt.fr

Communiqué intersyndical CFDT - CGT - UNSA - Solidaires - FSU

Nos organisations appellent à se mobiliser y compris par la grève le 8 mars 2024. Portons haut les couleurs de l’égalité entre les femmes et les hommes pour revendiquer une société de progrès et de justice.

Malgré les effets d’annonces gouvernementales de faire de la cause des femmes la grande cause du quinquennat, les inégalités persistent dans le travail, dans les foyers et dans la société.

Les inégalités salariales et de carrières ne diminuent pas ou très peu. Les femmes perçoivent 1/4 de salaire de moins que les hommes et à la retraite l’écart des pensions se creuse à hauteur de 40 %. C’est comme si les femmes s’arrêtaient de travailler tous les jours à 15h40. Elles sont 58 % à être payées au SMIC et y restent plus longtemps. Alors qu’elles sont plus diplômées que les hommes, elles ne sont que 39 % à occuper des emplois de cadre. Les métiers à prédominance féminine sont dévalorisés et mal rémunérés. L’index dit « Pénicaud » doit être amélioré et cet outil ne doit pas remplacer les accords et les plans d’action dans les entreprises. Ses trop bonnes notes ne reflètent pas la réalité des inégalités salariales que subissent les femmes alors même qu’il ne concerne que 1% des entreprises et que seules 0,5% ont des index calculables.

Assignées à leur rôle de mère, elles occupent 80% des emplois à temps partiel et 95% des congés parentaux sont pris par les femmes. Le poids de la parentalité, incluant la double journée et la charge mentale, pénalise exclusivement la carrière des mères, accentuant encore les inégalités salariales. Tout est à craindre concernant l’émancipation des femmes, lorsque le président parle de « réarmement démographique » alors que les conditions de travail et de vie des femmes sont l’impensé des politiques publiques. Il manque plus d’un million d’emplois dans les métiers du soin et du lien et plus de 200 000 places dans la petite enfance.

Les discours masculinistes se renforcent dans la sphère publique, prônant un retour aux « vraies valeurs » et à un sexisme décomplexé. Le Haut Conseil à l’Égalité, dans son rapport annuel, fait le constat que le sexisme s’aggrave d’année en année.

Les moyens alloués à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles sont très en deçà des besoins, 80 % des plaintes sont classées sans suite, et le gouvernement français refuse d’inclure la notion de consentement et le viol dans la directive européenne contre les violences faites aux femmes. De la même manière qu’il refuse d’appliquer au-delà du droit constant la convention 190 et à plein la recommandation 206 de l’organisation internationale du travail pour lutter contre la violence et le harcèlement au travail.

Pour toutes ces raisons, nous devons faire du 8 mars 2024 une puissante journée de grève et mobilisation partout. Pour :

  • l’égalité salariale et de carrière entre les femmes et les hommes

  • la revalorisation des métiers à prédominance féminine

  • des services publics de qualité répondant aux besoins notamment dans la petite enfance

  • des moyens pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles

Ne laissons pas passer les discours passéistes, sexistes, masculinistes. Nous ne voulons plus de promesses, nous voulons des actes.

Le 8 mars, toutes et tous en grève et en manifestation !

 

   mise en ligne le 4 mars 2024

Lisa Carayon : « La loi constitutionnelle ne garantit pas l’accès effectif à l’avortement »

Elora Mazzini sur www.humanite.fr

La constitutionnalisation de l’IVG, examinée par le congrès ce lundi, va-t-elle « graver dans le marbre » la liberté d’avorter ? La juriste et maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord Lisa Carayon analyse, au prisme du droit, la portée de cette avancée.


 

Si le congrès valide son inscription dans la Constitution, « la liberté des femmes de recourir à l’IVG » sera-t-elle véritablement « irréversible » ?

Lisa Carayon : Rien n’est jamais irréversible en droit. Il existe différentes manières de remettre en cause le droit à l’avortement : jouer sur les délais, sur la disponibilité du personnel, sur le financement, etc. Une loi qui dérembourserait partiellement l’avortement serait-elle contraire à la Constitution ? Ce n’est pas sûr du tout.

Ce qui semble en voie d’être empêché, c’est une loi qui supprimerait totalement cette liberté, ou qui poserait des conditions extrêmement drastiques à l’accès à l’avortement. Mais tout ce que le congrès fait, il peut le défaire. Ce n’est pas impossible qu’un jour, un gouvernement anti-avortement refasse passer une modification constitutionnelle pour changer ce texte.

Dans la rédaction retenue, « la loi détermine les conditions selon lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG », ces termes vous paraissent-ils ambigus ?

Lisa Carayon : Les « conditions » peuvent être restrictives d’un point de vue financier, matériel ou moral. L’usage du terme « droit » à la place de « liberté » aurait été plus fort. L’ajout du mot « garantie » est plutôt positif, dès lors qu’il suggère qu’une suppression totale de cette liberté serait contraire à la Constitution.

« La femme », pour moi, est vraiment une formulation catastrophique car, même si la situation est peu fréquente aujourd’hui, il existe des hommes transgenres enceints. L’expression « interruption volontaire de grossesse » est aussi ambiguë : parle-t-on de l’IVG telle qu’elle est encadrée par Code de la santé publique ? Qu’en est-il de la liberté de s’avorter soi-même, qui n’est pas prévue par celui-ci ?

La Constitution ne garantirait donc pas l’accès à l’avortement pour les hommes transgenres ?

Lisa Carayon : Le terme n’interdit évidemment pas la sauvegarde de la liberté des hommes transgenres : cela a été dit notamment par le Conseil d’État. Pour autant, il y a encore un an et demi, le Conseil constitutionnel a débattu de l’accès à l’assistance médicale à la procréation pour les hommes transgenres, et il a validé leur exclusion de ce dispositif…

Par la formulation « la femme », le gouvernement envoie à la droite le message qu’il a choisi de négliger la situation des hommes transgenres. Il faut replacer tout cela dans le contexte du harcèlement subi par le Planning familial en rendant visible l’accueil des hommes transgenres dans une de ses campagnes.

L’article 34 de la Constitution est-il le mieux adapté pour accueillir cette modification ?

Lisa Carayon : L’article 34 énumère les domaines dans lesquels le Parlement possède la compétence pour légiférer. La Constitution de la République française de 1958 n’a pas été conçue pour recevoir un article de sauvegarde des droits fondamentaux, mais pour garantir une organisation institutionnelle. Toutes les garanties de droits sont traditionnellement renvoyées à son préambule depuis 1971. L’une des solutions était donc de l’inscrire à cet endroit.

Une autre possibilité était de l’introduire dans l’article premier de la Constitution, qui contient la devise de la République et le principe de parité dans l’accès aux fonctions publiques et aux fonctions de représentation de façon générale. Cela aurait pu avoir du sens de le rajouter à cet endroit dans la mesure où le droit à l’avortement est fondamental pour garantir l’effectivité du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

Que va changer cette inscription dans la Constitution, si elle est promulguée, dans les parcours d’avortement des personnes concernées ?

Lisa Carayon : Le texte de la loi constitutionnelle n’impose pas au législateur de donner davantage de moyens aux centres qui proposent des IVG, d’inclure les sages-femmes parmi les professionnels qui peuvent les exercer, d’élargir le délai, de supprimer la clause de conscience…

Donc, dans un moment politique où aucun parti n’est publiquement hostile à l’IVG, mais où par ailleurs on détruit les services publics et l’hôpital, rien ne va changer. Et rien n’interdit de penser que les conditions d’accès à l’avortement pourraient se dégrader dans le futur. Pas parce qu’on attaquerait le droit en lui-même, mais parce qu’on ne se donnerait pas les moyens d’offrir aux femmes de bonnes conditions d’accès.

Est-ce à dire que cette constitutionnalisation n’a qu’une valeur symbolique ?

Lisa Carayon : La valeur du symbole est importante, puisque la France est l’un des premiers pays européens à inscrire formellement dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG, donc la nécessité de protéger ce droit. On peut espérer que cela ait un effet sur les débats constitutionnels ailleurs.

Au niveau international, pour l’instant, la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais reconnu un droit des femmes à avoir recours à l’avortement. Elle laisse ce choix aux États. Le lui faire reconnaître, c’est le prochain combat juridique et déontologique.


 

   mise en ligne le 3 mars 2024

Collecte alimentaire :
le partage de la pauvreté

Vincent Tartar sur https://blogs.mediapart.fr/

À chaque fois le même constat : ce ne sont pas les plus riches qui donnent.

Commençons ce premier billet par une séance d'ultracrépidarianisme : je ne suis ni sociologue ni statisticien, je n'ai pas fait de grandes écoles et je n'ai évidemment passé aucun concours. Je suis titulaire d'un bac L, où j'ai voulu être tour à tour fabricant de robots, prof de philo et réalisateur de films. Je suis ensuite passé rapidement par une fac de cinéma où je ne suis jamais allé voir les résultats des partiels. Sur le papier je ne suis donc aucunement compétent pour parler de précarité, de solidarité, de bénévolat ou d'action sociale. Et pourtant.

18 ans plus tard, je suis technicien sur les tournages de films, je suis payé en cachets d'intermittence mais non indemnisé par France Travail car je ne cumule pas les 507 heures déclarées nécessaires à cette indemnisation (en effet, les sociétés de production ne payent que trop rarement l'intégralité du travail que nous fournissons, mais c'est un autre débat), je touche donc un RSA complémentaire à mon activité.

Des courses en famille

Aujourd'hui, nous sommes allés en famille faire les courses au Leclerc du coin, participants malgré nous à ce grand jeu connu de tant de français.e.s : remplir son caddie le plus possible tout en dépensant le moins possible. On s'amuse comme on peut.

Devant l'entrée, les bénévoles des Restos du Cœur étaient là, distribuant avec enthousiasme leur flyer coloré, car ce week-end c'est collecte ! La précarité augmente, l'inflation galope, les files de bénéficiaires s'allongent malgré des critères resserrés, et les Restos n'y arriveront pas sans la solidarité citoyenne aujourd'hui sollicitée.

Pourtant, aujourd'hui une sensation différente m'étreint.

J'ai été bénévole à la Croix-Rouge française, j'ai eu l'occasion de participer à des maraudes et de collecter de l'argent pour nos différentes actions. J'en ai passé des journées sur le trottoir à recevoir des dons pour aider les autres, et à chaque fois le même constat : ce ne sont pas les plus riches qui donnent.

Lorsque nous faisions la quête, je peux vous dire que c'était surtout les vieilles voitures cabossées qui baissaient leurs vitres pour donner en s'excusant (!) les quelques pièces jaunes de leur boîte à gant, bien plus rarement nous recevions les dons des voitures haut de gamme dont je ne connais même pas les modèles.

Par ailleurs, nombre des bénévoles en action sociale étaient eux-mêmes précaires, la difficulté de joindre les deux bouts était parfois visible, mais ça ne les empêchait pas de faire leur part pour aider les autres personnes dans le besoin.

En voyant le visage de ces bénévoles des Restos, une sorte d'agacement profond s'anima en moi, pas contre eux bien sûr, mais contre cette situation : "Bien sûr que nous allons acheter des pâtes et du riz, évidemment qu'on va faire notre part, non ce n'est pas leur faute et non je ne suis pas énervé."

En réalité, je l'étais. Comment se fait-il que ce soient les précaires qui remplissent le caddie des Restos ?

Nous dont chaque centime de nos salaires est scruté par la CAF chaque trimestre pour voir si on ne gagne pas trop pour bénéficier du RSA ? Nous qui étions fébriles hier encore quand la même CAF a par erreur transformé trois semaines de travail en trois mois de travail, entrainant par la même occasion une demande de remboursement de 1029 € ? Nous qui profitons tellement du système que nous avons parfois dû payer nos courses en quatre fois ?

Et la réponse si décevante tant elle est simple : parce que les pauvres savent ce que c'est d'être pauvres.

Cette épiphanie soudaine et non-académique devant le rayon pâtes du supermarché m'a semblé lever le voile sur des interrogations jamais vraiment résolues pour moi, et notamment comment se fait-il que les personnes les plus fortunées portent un regard si sévère sur les personnes précaires ?

Car comme tout animal, l'humain à tendance a craindre ce qu'il ne connaît pas, et bien que la société produise plus de pauvres que de riches, certaines fortunes sont si élevées qu'elles n'ont même pas un ami pauvre dans leur entourage pour les éclairer sur la réalité de cette situation.

Inventer le pauvre

Il est donc nécessaire de définir le pauvre, lui donner un contour afin de pouvoir s'en distinguer d'une part, et le pointer du doigt, souvent dans un but électoral d'autre part.

Un sondage de l'Ifop de septembre 2023 pour l'Humanité est récemment revenue sur le devant de la scène, car elle a retenu l'attention de notre premier ministre. Dans cette étude, 65 % des sondé.e.s sont « tout à fait » et « plutôt d’accord » avec la phrase "les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment."

Bingo : Le pauvre est responsable de sa situation. Exit les entreprises qui licencient et qui gavent les actionnaires, exit les superprofits, exit les enfants nés dans une famille pauvre. Si le pauvre ne veut pas se retrousser les manches, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

Par ailleurs, le pauvre ne sait pas ce qui est bon pour lui. Ainsi, notre président déclarait récemment au salon de l'agriculture que "les smicards préfèrent des abonnements VOD à une alimentation plus saine". Subtile et péremptoire démonstration de la supériorité intellectuelle de notre dirigeant, sans doute.

Le pauvre est donc à la fois paresseux et non éduqué, le disqualifiant de facto de toute possibilité de voir ses arguments ou idées pris en compte dans le débat public. Une sorte de "passe ton bac d'abord" revisité à la sauce "sort du RSA d'abord".

Et pourtant le pauvre fait sa part

N'en déplaise à nos riches dirigeants (n'oublions pas que 50% de nos ministres sont millionnaires), les pauvres font leur part. Ils sont celles et ceux aux emplois précaires, qui prennent le premier métro pour nettoyer les bureaux de la Défense, qui remplissent les rayons des supermarchés, qui conduisent les camions-poubelles et qui cultivent les champs. Ils ne gagnent pas leur vie, et pourtant, ils sont indispensables.

N'en déplaise à nos dirigeants déconnectés de la réalité, l'immense majorité des précaires ne sont pas des profiteurs. Parler de valeur travail à des gens qui ne joignent pas les deux bouts alors qu'ils sacrifient leur existence à tenter de s'en sortir est d'une indécence pure. Le profiteur parasite qui ricane tapis dans l'ombre en profitant du système n'existe pas, c'est un épouvantail inventé à des fins électorales, car tout le monde sait que ce ne sont pas les pauvres qui se gavent.

N'en déplaise à nos dirigeants en cols roulés qui ne payent pas leur chauffage, on hérite de la pauvreté. Dans un rapport de 2018, l'OCDE déclarait qu'en France il faut six générations pour qu'une famille pauvre atteigne le revenu moyen. La pauvreté est un problème systémique, pas le résultat de mauvais choix individuels.

N'en déplaise à nos dirigeants et à leurs œillères, les personnes précaires ne sont pas des marchepieds électoraux. Ils ne peuvent pas être à la fois la cause de tous les maux et le moyen de détourner le regard sur les vrais problèmes d'inégalité. Il faut un certain cynisme pour faire croire aux classes moyennes que les plus pauvres de notre pays sont responsables de leurs difficultés financières.

Le partage de la pauvreté

Comme toujours il y a des exceptions, mais ne soyons pas naïfs, les riches ne font pas leur part. Ce sont bien plus les personnes qui ont connu la précarité, ou dont les proches ont connu les difficultés financières, qui vont aider leur prochain. Soit en donnant de l'argent, ponctuellement ou régulièrement, soit en donnant de leur temps.

À l'heure où nos dirigeants dans leur grande sagesse nous expliquent qu'il faut faire des économies, tranchant avec brutalité dans les aides sociales, parlant de courage en supprimant des budgets parfois indispensables pour la vie des plus pauvres, peut-on encore croire que l'état fait sa part ?

Que se passerait-il si tous les bénévoles et donateurs refusaient de cautionner ce système malade et cessaient de participer à ces collectes ? Nos dirigeants prendraient-ils enfin leurs responsabilités ? Rien n'est moins sûr. La machine est poussive et avance avec de plus en plus de difficultés. Malheureusement, ce ne sont pas leurs épaules qui souffrent sous son poids, et c'est là tout le problème.

Alors ne nous y trompons pas, ce week-end, ce seront bien plus les RSA et SMIC des personnes précaires que les bénéfices des actionnaires du CAC40 qui auront financé les paquets de pâtes déposés dans les caddies de la collecte alimentaire des Restos du Cœur.


 

   mise en ligne le 2 mars 2024

Régularisation de
620 sans papiers grévistes :
« Nous touchons au but », assure la CGT

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Selon la CGT, le ministre de l'Intérieur s'est engagé à donner consigne aux préfectures pour régulariser plus de 600 travailleurs sans-papiers soutenus par le syndicat en Ile-de-France, Champagne, dans le Nord et en Seine-Maritime. Entretien avec Gérard Ré, secrétaire confédéral CGT.

Vers une sortie de conflit pour les travailleurs sans papiers grévistes ? Jeudi 29 février, la CGT a obtenu l’ouverture d’un processus de régularisation de 620 travailleurs sans papier qu’elle mobilise. Aux 502 grévistes d’Ile-de-France, depuis la mi-octobre, s’ajoutent ceux de l’emblématique lutte d’Emmaüs dans le Nord, de 60 saisonniers agricoles de la Marne, pris dans un réseau de traite d’êtres humains et de 7 grévistes d’Amazon en Seine Maritime, en grève au mois de mai 2023.

Sans confirmer le nombre de travailleurs concernés, le ministère de l’Intérieur a précisé auprès de l’AFP que le ministre Gérald Darmanin a “rappelé les règles en matière de régularisation à la suite de la loi immigration : ne pas avoir troublé l’ordre public et avoir déposé un dossier individuel et non collectif”. Des sanctions envers les entreprises qui ont employé des sans-papiers sont également prévues. “Un cadrage sera envoyé à l’ensemble des préfets afin qu’ils appliquent la même méthode”, précise-t-on place Beauvau. Gérard Ré, secrétaire confédéral CGT qui coordonne ses luttes, fait le point sur la situation.

Que signifie pour vous la décision prise par le ministère de l’intérieur ? Est-on proche d’une régularisation globale de ces travailleurs?

Gérard Ré : Nous touchons au but. Les discussions avec le ministère de l’Intérieur étaient déjà bien entamées. Dans cette séquence loi immigration, il était peut-être difficile pour les services de l’État d’accélérer dans ces dossiers. Mais pour beaucoup de grévistes, l’attente était devenue insoutenable. 51 grévistes du Nord travaillant à Emmaüs, sont en grève depuis le 29 juillet. En Ile-de-France, 502 sans papiers, travaillant pour la plupart dans l’intérim, sont mobilisés depuis le 17 octobre.

Les travailleurs en lutte, sans revenus, ont démontré une détermination exemplaire. Le ministre doit désormais envoyer une lettre de cadrage aux préfets. Nous maintenons la pression pour que les titres de séjours soient rapidement accordés.

Quels ont été les obstacles à lever dans ce dossier ?

Gérard Ré : Forcément, nous sommes pragmatiques, l’étude se fera au cas par cas. Nous pouvons toutefois déplorer le manque de coordination au niveau des préfectures : toutes ne travaillent pas de la même façon, ce qui empêche l’ensemble des grévistes d’être sur un pied d’égalité. Cependant, dès les préparatifs de cette action en Ile-de-France, nous avons préparé minutieusement les dossiers pour obtenir des régularisations en faveur de l’ensemble des grévistes.

Du côté des employeurs, nous avons globalement obtenu les CERFA attestant des durées de travail très rapidement. Nous déplorons cependant des blocages venus de certains d’entre eux. Nous sommes surpris que certaines entreprises, qui font usage de l’intérim, refusent de reprendre des travailleurs sans papiers qui seront régularisés. Certains d’entre eux disposent de convocations techniques, c’est-à-dire de documents qui leur permettent de travailler en attendant le récépissé de titre de séjour, sont laissés sur la touche. Il n’y a pas d’autre explication d’une discrimination au motif de l’obtention d’un titre de séjour. Certaines de ces entreprises continuent pourtant d’obtenir des marchés publics. Le ministre s’est engagé à donner consigne aux DREETS d’ordonner la réintégration de tous les grévistes.

Vous avez aussi évoqué, avec le ministre, les cas de répression antisyndicale contre plus de 1 000 cégétistes. Quelle a été la réponse du ministre ?

Gérard Ré : Gérald Darmanin nous a assuré qu’il ne donne aucune consigne aux forces de police ou aux services de l’État lorsque des plaintes sont déposées, tout en étant attentif sur le respect du droit de manifester, sans trouble à l’ordre public.

La CGT a rétorqué en demandant qu’il n’y ait pas deux poids deux mesures et que les consignes données aux services de police et de gendarmerie, s’agissant des mobilisations des agriculteurs, soient réciproques.


 

   mise en ligne le 1° mars 2024

En Seine-Saint-Denis,
les profs entament leur 5ᵉ jour de grève dans l’indifférence du ministère

Par Aissata Soumare sur https://www.bondyblog.fr/

Les professeurs du département entament leur 5ᵉ jour de mobilisation. Hier, une assemblée générale s’est tenue à la Bourse du travail de Saint-Denis. La grève est reconduite et les revendications restent les mêmes : la mise en place d’un plan d’urgence en matière d’éducation dans le département.

« Pas de moyens, pas de rentrée ! » Le message des enseignants de Seine-Saint-Denis est limpide. Et pour cause, depuis la rentrée scolaire du 26 février dernier, de nombreux professeurs des premiers et second degré du département sont en grève. Ils réclament un plan d’urgence pour l’Éducation nationale dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France hexagonale.

Depuis ce lundi, les mêmes scènes se produisent dans plusieurs villes du 93. Des piquets de grève devant les établissements, des réunions d’informations, des assemblées générales locales organisées. L’ensemble des communautés éducatives est sur le pont pour exiger un plan d’urgence pour les écoles publiques et l’abandon des groupes de niveau au collège prévu pour la rentrée 2024.

Le plan d’urgence est une initiative lancée en décembre 2023 par l’intersyndicale avec plusieurs revendications pour ce territoire en proie à de graves difficultés sociales. Mais depuis la présentation de ce plan, les enseignants n’ont pas été reçus par leur ministère de tutelle.

Un mouvement suivi, soutenu par les parents et les élèves

Ce jeudi, c’est dans une salle comble que plusieurs prises de parole s’enchaînent et qu’un premier constat s’impose : le mouvement est très suivi dans les établissements.

Des applaudissements fournis se font entendre lorsque les représentants du lycée Paul Éluard de Saint-Denis expliquent avec fierté qu’il y a dans leur établissement « 100 % de grévistes chez les AED (assistant d’éducation) et entre 20 et 30 profs en grève. » Les représentants de ce lycée alertent régulièrement sur les conditions de travail et les manques matériels qu’ils subissent.

À Bagnolet, la première journée de grève a connu un succès avec 80 % de grévistes pour la vie scolaire. Les chiffres pour la 4ᵉ journée se stabilisent avec 30 % pour les enseignants et 50 % pour la vie scolaire. « On essaie de sensibiliser en organisant des réunions publiques avec les parents », résume Margot, enseignante à Bagnolet.

Le ministère semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation

Preuve de la détermination des professeurs, ils étaient 700 en rassemblement, d’après les syndicats, mardi 27 février devant les locaux de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale de Bobigny (DSDEN).

« L’intersyndicale a été mandatée par les collègues pour remettre officiellement, à l’occasion d’une audience, les doléances chiffrées (dans le rapport pour un plan d’urgence, ndlr) à la DSDEN 93. Les autorités académiques se sont engagées à transmettre nos revendications au ministère qui semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation », rapportait dans un communiqué l’organisation.

« Faute de remplacement, mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof »

On ne compte plus les alertes du corps enseignant depuis de nombreuses années. Sur les manques criants d’effectifs, les classes surchargées, les bâtiments en mauvais état ou encore sur les manques de moyens matériels.

Des problématiques dont sont victimes les enseignants et les élèves. « J’ai été en congé maternité, je n’ai pas été remplacée et mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof », raconte Melissa qui enseigne le français au lycée Blaise Cendrars de Sevran. « Ce qui m’indigne également, c’est l’état du bâti. L’année dernière, un plafond s’est effondré. Depuis un an, il y a une croix gammée inscrite sur une table dans ma classe et je demande régulièrement à ce qu’elle soit remplacée. Ça n’est toujours pas le cas parce qu’il n’y a pas de tables en plus », décrit l’enseignante de 33 ans.

Les enseignants réclament des moyens pour travailler avec les élèves en prenant en compte la situation de sinistre dans le département. Ces problématiques et elles accentuent les inégalités de plus en plus flagrantes.

Le plan d’urgence de l’intersyndicale (FSU, Sud éducation, la CGT et la CNT-éducation) est précis. Il demande la création de 5 000 postes supplémentaires : plus de mille postes pour la vie scolaire (surveillant, conseillers principaux d’éducation), 2 200 postes d’AESH pour accompagner les enfants en situation de handicap avec plus de reconnaissance dans le statut et le salaire. Le coût de ce plan a été estimé à 358 millions d’euros.

Les perspectives et actions à venir

Durant cette assemblée générale, des discussions ont eu lieu sur la suite du mouvement. La poursuite de la grève a été votée et amplifiée jusqu’au 7 mars et 8 mars (jours de mobilisation massive). Cependant, l’intersyndicale appelle à multiplier les initiatives locales d’ici là. Les piquets de grève, les AG, réunions d’informations et les opérations collège désert en lien avec les parents vont se poursuivre.

D’autres actions au ministère de l’Éducation nationale sont également prévues. Et preuve de l’influence du mouvement, d’autres départements envisagent ou ont entamé des actions similaires.

Si quelques désaccords sur les actions subsistent. La détermination et la motivation des enseignants sont incontestables. L’objectif visé est de continuer jusqu’à la journée du 19 mars qui sera une journée de grève dans la fonction publique.

Le dernier plan d’urgence négocié dans le 93 remonte au 21 octobre 1998. Claude Allègre était le ministre de l’Éducation nationale. À l’issue de six semaines de grève, les enseignants avaient obtenu la création de 3 000 postes en plus. Le succès de cette lutte reste dans les mémoires de certains qui retrouvent cette même énergie dans la mobilisation de 2024.


 

   mise en ligne le 29 février 2024

« La vie quitte Gaza à une vitesse terrifiante », alerte le chef des Affaires humanitaires de l’ONU

Agence France-Presse repris sur www.mediapart.fr

« La vie quitte Gaza à une vitesse terrifiante », s’est indigné jeudi le chef des Affaires humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, réagissant aux nombreux morts lors d’une opération de distribution d’aide humanitaire à Gaza.

« Je suis indigné par les informations selon lesquelles des centaines de personnes ont été tuées et blessées lors d’une opération de transfert d’aide humanitaire à l’ouest de Gaza City aujourd’hui », a écrit M. Griffiths sur le réseau social X.

Plus de 100 Palestiniens ont été tués jeudi à Gaza pendant une distribution d’aide humanitaire qui a tourné au chaos, a annoncé le Hamas en accusant les soldats israéliens d’avoir ouvert le feu sur une foule affamée.

« Le bilan du massacre de la rue al-Rashid (où la distribution alimentaire avait lieu à Gaza City, ndlr) s’élève désormais à 104 morts et 760 blessés », a déclaré dans un communiqué le porte-parole du ministère de la santé du Hamas, Ashraf al-Qudra, révisant à la hausse un premier bilan hospitalier qui faisait état d’au moins 50 morts.

Des sources israéliennes ont indiqué à l’AFP que des soldats israéliens se sentant « menacés » ont tiré à balles réelles sur des Palestiniens lors de cette opération de distribution.


 


 

Le Parlement européen appelle à
un cessez-le-feu immédiat et permanent
à Gaza

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Après plusieurs semaines de pression des eurodéputés de gauche, le Parlement européen a adopté le 28 février un amendement exigeant un cessez-le-feu immédiat et permanent dans la bande de Gaza, où plus de 30 000 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre. Pour la gauche, ce vote signe une avancée du camp de la paix.

C’est l’issue de plusieurs mois de pression et de combat porté par la gauche à Bruxelles. Il a fini par payer. Près de cinq mois après le début de la guerre israélienne contre la bande de Gaza, le Parlement européen, réuni en séance plénière le 28 février, a adopté dans la soirée l’amendement de la délégation des insoumis exigeant « un cessez-le-feu immédiat et permanent » dans l’enclave palestinienne. L’amendement 29 a remporté les suffrages à 269 voix pour et 234 voix contre.

« Une victoire pour la solidarité »

Une victoire largement saluée par les élus européens de gauche, dont le groupe au Parlement européen a réagi sur X en interprétant ce vote comme « une victoire pour la solidarité » et la preuve « qu’il faut maintenir la pression dans la rue et dans les institutions ».

Younous Omarjee, député La France insoumise, s’est pour sa part réjoui sur son compte X, dès l’annonce des résultats, de ce vote « important » obtenu après « plusieurs semaines d’efforts » et avoir essuyé plusieurs échecs. « Cela veut dire que la mobilisation des Européens, des Français, qui chaque semaine sont dans la rue pour faire entendre la voix de la paix, la voix de l’humanité sont des voix qui portent et des voix qui comptent. Nous ne cesserons jamais de travailler ici dans ce Parlement européen pour la paix et pour que cesse le martyre du peuple palestinien », a souligné l’élu.

Même satisfaction pour l’eurodéputée insoumise Leïla Chaibi, qui voit dans l’adoption de cet amendement une « progression du camp de la paix ». Ce texte marque en effet un changement significatif par rapport à la frilosité passée du Parlement, qui s’était contenté en octobre 2023 d’appeler à une simple « pause » humanitaire afin d’accélérer l’acheminement de l’aide aux civils de Gaza.

Plus de 30 000 morts dans la bande de Gaza

Si Manon Aubry, eurodéputée FI et présidente du groupe de la gauche au Parlement, s’est également réjouie du succès de cette initiative, elle estime pour sa part qu’une nouvelle étape doit être franchie, avec des « sanctions claires contre Israël pour mettre fin au massacre ».

Ce vote intervient après cinq mois de guerre, qui a causé la mort de plus de 30 000 Palestiniens, tandis que la famine menace de s’abattre sur les survivants contraints de manger des feuilles, du fourrage pour le bétail, voire d’abattre des animaux de trait pour se nourrir. Une catastrophe humanitaire sans précédent, dénoncée de toutes parts par les ONG et les médecins, qui risque encore de s’amplifier avec l’attaque imminente programmée par l’armée israélienne sur la ville de Rafah où 1,5 million de Gazaouis espéraient trouver un dernier refuge.


 

   mise en ligne le 28 février 2024

Accusations de génocide :
Israël piétine la décision
de la Cour internationale de justice

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Le vendredi 26 janvier, la cour des Nations unies ordonnait à Israël de prendre dans un délai d’un mois une série de mesures afin d’éviter que des actes de génocide soient commis lors de son opération militaire à Gaza. Ce délai passé, les ONG dénoncent l’inaction de l’État hébreu.

Le lundi 26 février était la date butoir fixée par la Cour internationale de justice (CIJ) à Israël pour lui transmettre un rapport détaillant les mesures prises afin d’éviter que des actes de génocides soient commis à Gaza. Cette obligation est largement ignorée par l’État hébreu, dénoncent plusieurs organisations humanitaires.

« Israël défie la décision de la CIJ visant à prévenir un génocide en n’autorisant pas l’aide humanitaire adéquate à atteindre Gaza », écrit ainsi Amnesty International. « Israël agit en violation flagrante de la décision » de la cour, accuse de son côté la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Le vendredi 26 janvier, la CIJ, instance judiciaire des Nations unies chargée de juger les litiges entre les États membres, avait donné un mois à Israël pour « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide.

La cour avait été saisie d’une requête déposée par l’Afrique du Sud accusant Israël de violer, dans le cadre de son opération militaire lancée en représailles à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, qui impose aussi aux États de prendre des mesures pour prévenir le risque de génocide.

« À la lumière des droits en jeu, ainsi que du préjudice en cours, extrême et irréparable, souffert par les Palestiniens à Gaza, l’Afrique du Sud demande que la cour traite cette requête comme une question d’extrême urgence », plaidait la requête sud-africaine.

Une urgence reconnue par la CIJ, qui avait rendu deux semaines après la tenue des audiences, les 11 et 12 janvier, une ordonnance provisoire, le fond des accusations devant être jugé dans plusieurs années après une instruction approfondie.

En rendant cette décision, la présidente de la cour, la juge Joan Donoghue, soulignait ainsi « être pleinement consciente de l’ampleur de la tragédie humaine qui se joue dans la région et nourri[r] de fortes inquiétudes quant aux victimes et aux souffrances humaines que l’on continue d’y déplorer ».

Six mesures ordonnées par la CIJ

Six mesures provisoires avaient été fixées à Israël. Il doit notamment « veiller avec effet immédiat à ce que son armée ne commette aucun des actes » de génocide. L’ordonnance « considère également qu’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ».

La cour, basée à La Haye (Pays-Bas), demandait « en outre » à l’État hébreu de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

Enfin, l’ordonnance de la CIJ ordonnait aux autorités israéliennes de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes » de génocide.

Pour vérifier la bonne application de ces mesures conservatoires, la cour demandait à l’État israélien de lui transmettre, dans un délai d’un mois, un rapport détaillant les mesures prises dans ce but.

Israël a poursuivi sa campagne à Gaza, entraînant la mort de près de 30 000 Palestiniens au 23 février.         La FIDH

Or, un mois plus tard, les opérations militaires se sont poursuivies, et le nombre des victimes palestiniennes n’a cessé de croître. « Bien que la CIJ n’ait pas expressément ordonné un cessez-le-feu, rappelle le communiqué de la FIDH, les mesures provisoires indiquées par la cour auraient les mêmes effets pratiques si elles étaient appliquées. Néanmoins, Israël a poursuivi sa campagne à Gaza, entraînant la mort de près de 30 000 Palestiniens au 23 février. »

Et l’État hébreu n’a non seulement pris aucune mesure pour faciliter l’accès de la population civile aux biens et services de première nécessité, mais a en plus entravé la livraison de l’aide humanitaire.

« Israël continue à faire obstacle à la fourniture de services de base et à l’entrée et la distribution à Gaza de carburant et d’une aide vitale », pointe Human Rights Watch (HRW). Pour l’ONG, Israël inflige ainsi une « punition collective » relevant « des crimes de guerre », qui « incluent l’utilisation de la famine comme arme de guerre contre les populations civiles ».

« Le gouvernement israélien est en train d’affamer 2,3 millions de Palestiniens de Gaza, les mettant encore plus en danger qu’avant la décision de la cour », s’inquiète Omar Shakir, directeur de HRW pour Israël et la Palestine. « Le gouvernement israélien a tout simplement ignoré la décision de la cour, et à certains égards a même intensifié sa répression, notamment en bloquant encore plus l’aide vitale », accuse-t-il.

« Une indifférence impitoyable »

« Non seulement Israël a créé une des pires crises humanitaires au monde mais il fait également preuve d’une indifférence impitoyable au sort de la population de Gaza en créant des conditions qui, selon la CIJ, l’exposent à un risque imminent de génocide », alerte de son côté Heba Morayef, directrice régionale Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Les provisions entrant à Gaza avant la décision de la CIJ étaient déjà une goutte dans l’océan comparées aux besoins sur les seize dernières années, souligne par ailleurs Amnesty. Pourtant, dans les trois semaines suivant la décision de la CIJ, le nombre de camions entrant à Gaza a diminué d’environ un tiers, d’une moyenne de 146 par jour durant les trois semaines précédentes à une moyenne de 105 par jour durant les trois semaines suivantes. Avant le 7 octobre, en moyenne environ 500 camions entraient à Gaza chaque jour », détaille l’ONG.

Les associations pointent par ailleurs les déclarations belliqueuses et jusqu’au-boutistes de responsables israéliens totalement insensibles au sort des civils palestiniens, comme celle de la ministre pour la promotion des femmes May Golan, déclarant le 19 février à la Knesset (le Parlement israélien) : « Je suis personnellement fière des ruines de Gaza et que chaque bébé, dans quatre-vingts ans, puisse dire à ses petits-enfants ce que les Juifs ont fait. »

« Cette déclaration, parmi beaucoup d’autres, indique que le gouvernement israélien ne faiblit pas et ne montre aucun remords pour ses actions qui ont poussé la CIJ à reconnaître la plausibilité d’un génocide israélien contre les Palestiniens », souligne la FIDH.

Israël affirme respecter ses obligations

Israël, de son côté, a bien transmis un rapport à la CIJ lundi 26 février, soit à la date exigée par l’ordonnance, a rapporté la presse israélienne. Son contenu n’a pas été divulgué mais, selon le quotidien Haaretz, le gouvernement israélien y affirme remplir ses obligations humanitaires et assure que ses opérations militaires n’entraînent pas d’actes de génocide.

Face au déni israélien, les ONG en appellent à la communauté internationale pour convaincre Israël d’accepter un cessez-le-feu. « Seul un cessez-le-feu immédiat et maintenu peut sauver des vies et assurer que les mesures provisoires de la CIJ, notamment la livraison d’une aide vitale, soient appliquées », insiste Heba Morayef.

Or, un cessez-le-feu ne pourra être imposé à Israël que par une pression internationale. La CIJ ne dispose en effet d’aucun pouvoir coercitif direct. Celui-ci est du ressort du Conseil de sécurité des Nations unies, où Israël dispose d’un allié jusqu’à présent indéfectible et qui bénéficie d’un droit de veto lui permettant de bloquer toute décision : les États-Unis.

« Les USA ont, pour la troisième fois, opposé leur veto à une résolution des Nations unies demandant un cessez-le-feu, donnant ainsi leur feu vert à plus de morts, de souffrance de masse des Palestiniens », regrette Heba Morayef.

Utiliser toutes les formes de pression, y compris les sanctions et les embargos.         Appel d’Human Rights Watch à la communauté internationale

« Les pays ayant une influence sur le gouvernement israélien, dont les USA, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les autres alliés, ne doivent pas rester les bras croisés et regarder les Palestiniens mourir d’une mort évitable comme un bombardement, le manque de nourriture et d’eau, la propagation de maladies et le manque de soins », plaide encore Heba Morayef.

HWR appelle de son côté la communauté internationale à « utiliser toutes les formes de pression, y compris les sanctions et les embargos, pour pousser le gouvernement israélien à se conformer aux ordonnances contraignantes de la cour ».

La date du lundi 26 février était par ailleurs également celle du dernier jour des audiences, débutées une semaine plus tôt, consacrées à une demande d’avis consultatif « sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».

Cette autre procédure, impliquant 49 États, fait suite à une demande d’avis adressée à la cour par l’Assemblée générale des Nations unies par une résolution adoptée le 30 décembre 2022.

Dans ce dossier, la CIJ est appelée à répondre à deux questions. La première vise à préciser « les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongée du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ».

La seconde demande à la cour de tirer les conséquences de ces pratiques « sur le statut juridique de l’occupation » ainsi que les « conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations unies ».

La CIJ rendra sa décision à une date qui n’a pas encore été précisée.


 

   mise en ligne le 27 février 2024

Décès aux urgences : 
après l’alerte, la dégringolade

Caroline Coq-Chodorge www.mediapart.fr

En 2019, les soignants des urgences alertaient sur la mise en danger des patients entre leurs murs. Si les premières victimes médiatisées étaient des personnes âgées isolées, désormais de jeunes patients décèdent. C’est le signe d’une dégradation accélérée de la situation.

Y compris dans Mediapart, qu’est-ce qui n’a pas été dit, écrit sur les dramatiques dysfonctionnements des urgences, porte d’entrée éventrée de l’hôpital ? En 2019, c’est bien de ces services qu’est partie une vaste mobilisation hospitalière, fauchée net par le Covid. À l’origine du mouvement de colère, un décès déjà, celui de Micheline Myrtil, 55 ans, fin 2018, oubliée en salle d’attente.

Qui est responsable ? La justice vient de donner un début de réponse, à la suite de la plainte de la famille de Micheline Myrtil. Au terme de l’instruction, le parquet de Paris a demandé, début 2023, le renvoi en correctionnelle de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Ce ne sont pas les soignant·es, mais la direction qui est mise en cause. Et derrière elle, les politiques qui ont inlassablement voté des budgets au rabais, dont l’hôpital a fait les frais.

Aujourd’hui, les témoignages de proches de patient·es décédé·es déferlent. Tous méritent du temps : il faut obtenir les dossiers médicaux par l’intermédiaire des familles, recouper les témoignages, écouter la douleur et la colère de voir partir un proche, déterminer l’origine des dysfonctionnements. Ce sont souvent les mêmes. 

Les signaux d’alerte sont trop nombreux pour être tous énumérés. Rouge vif ou sombre, les codes couleur n’ont plus de sens.

Dans les zones d’attente surchargées de brancards, les patient·es sont trié·es de plus en plus vite. Les personnes âgées ont été les premières victimes rendues publiques : isolées, porteuses de nombreuses maladies chroniques, les différents services qui pourraient les accueillir se les renvoient comme des balles de ping-pong.

Ils les refusent faute de lits, mais aussi parce que ce sont de probables « bed blockers », des patients et patientes qui peuvent occuper des lits pour de longues semaines, parfois des mois. Or, à l’hôpital, un lit rapporte peu. Et de manière moins cynique : les lits manquent partout, y compris pour des malades plus jeunes aux pathologies plus aiguës.

La situation est plus périlleuse encore pour les personnes qui n’ont pas les codes pour communiquer avec les soignant·es, ou s’expriment mal en français, comme Achata Yahaya, 79 ans, Comorienne, qui ne parlait pas français. À Jossigny (Seine-et-Marne), elle est décédée le 30 octobre 2022 dans la zone d’attente couchée des urgences, d’une détresse respiratoire pourtant identifiée comme « prioritaire », qui aurait dû être prise en charge en moins de 20 minutes. Près de deux heures plus tard, les médecins ont tenté de la sauver, en vain. Dans le dossier médical d’Achata, « la barrière de la langue » est mentionnée à plusieurs reprises. Sa fille Fatima, qui parle français, était pourtant à ses côtés.

Souvent, l’alerte vient des soignant·es, qui passent outre leur devoir de réserve. À Hyères, après le décès de Lucas aux urgences dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2023, révélé par Mediapart, ce sont des médecins qui ont encouragé la famille à réclamer son dossier médical. Finalement, une partie de celui-ci a été déposée dans sa boîte à lettres, de manière anonyme.

« Avant, la politique de l’hôpital était d’éviter les plaintes, en traitant ce qu’on appelle “les événements indésirables graves” en interne », explique Pierre Schwob, infirmier à l’hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine) et président du Collectif inter-urgences, à l’origine de la mobilisation de 2019. « Il y a cinq ans, on a lancé l’alerte et rien n’a été fait. Aujourd’hui, les médecins incitent les patients à porter plainte. » À ses yeux, il y a un autre fait nouveau, qui est le signal d’une aggravation manifeste de la situation : « Les premières victimes aux urgences étaient des personnes âgées, souvent isolées. Aujourd’hui, ce sont des jeunes. La population prend conscience que cela peut toucher tout le monde. »

En décembre 2022, le syndicat Samu Urgences de France, pourtant le plus proche du pouvoir, était monté d’un cran dans l’alerte. Il demandait à ses adhérent·es de dénombrer les « morts inattendues » dans leurs services, soit les personnes qui n’ont « pas été identifiées comme étant en urgence vitale, qui sont souvent sur des brancards, dans des couloirs, depuis des heures, et qui décèdent. Ou encore tous ceux qui n’ont pas pu être sauvés parce que le Smur [le véhicule d’urgence des urgentistes – ndlr] n’est pas arrivé assez vite. Ces morts inattendues, il y en a toujours eu. Mais là, il y en a beaucoup trop », expliquait le docteur Marc Noizet, président du syndicat. Samu Urgences de France a rapidement cessé ce recensement : « C’était trop dur pour les équipes », explique-t-il aujourd’hui.

Les fermetures de lits s’accélèrent

Après le Covid, les politiques ont multiplié les promesses. Depuis, les signaux d’alerte sont trop nombreux pour être tous énumérés. Rouge vif ou sombre, les codes couleurs n’ont plus de sens. L’augmentation de la fréquentation des urgences est continue : 22 millions de passages en 2019, 17 millions dix ans plus tôt, soit une augmentation moyenne de 500 000 patient·es par an.

Mais le problème clé reste l’aval des urgences, c’est-à-dire la capacité du reste de l’hôpital d’hospitaliser dans d’autres services les patient·es des urgences. Malgré les promesses politiques, les lits d’hospitalisation ferment toujours : − 1,8 % en 2022, un rythme « plus rapide qu’avant la crise sanitaire (− 0,9 % par an en moyenne) », a révélé en décembre dernier la Drees, le service des statistiques du ministère de la santé.

Les politiques continuent à creuser la dette des hôpitaux

En janvier 2020, la ministre de la santé Agnès Buzyn s’était engagée à effacer 10 milliards des 30 milliards d’euros de dette des hôpitaux, qui plombent un peu plus leurs finances. La crise du Covid a balayé la promesse. La dette est toujours de 30 milliards et se creuse encore. En 2022, les hôpitaux affichaient un déficit de 1 milliard d’euros. Il pourrait atteindre 2 à 3 milliards pour l’année 2023, estime la Fédération hospitalière de France. En cause : l’inflation et les augmentations de salaire consenties après le Covid, non compensées.

Les hôpitaux publics subissent en prime une baisse d’activité, liée à la fermeture de lits (ce qui contribue à l’engorgement des urgences), et ne parviennent pas à consommer leur enveloppe financière votée en loi de financement de la Sécurité sociale. Cette enveloppe non consommée est « mise en réserve ». La ministre du travail, de la santé et des solidarités Catherine Vautrin s’est félicitée de leur restituer 388 millions d’euros… sur 720 millions. Question de perspective : pour la FHF, c’est « une ponction de plus de 300 millions d’euros », « au profit du secteur privé lucratif », qui a lui dépassé son enveloppe, dénonce la FHF.

Et de nouvelles coupes se profilent. La loi de financement de la Sécurité sociale 2024 revient à des niveaux d’économies identiques à ceux des années 2010, qui ont laminé l’hôpital : l’objectif de dépense d’assurance-maladie (246,6 milliards d’euros en 2023) doit progresser de 3,4 % en 2024, puis de 3 % en 2025 et de 2,9 % en 2026 et 2027, très loin de la progression naturelle de ces dépenses portée notamment par le vieillissement de la population. Le premier ministre Gabriel Attal a annoncé à sa nomination 32 milliards d’euros en cinq ans pour le système de santé… soit moins que les maigres enveloppes déjà programmées.

Un nombre de médecins toujours insuffisant

La démographie médicale n’offre pas plus de perspectives. Là encore, les politiques ont multiplié les promesses de papier. Le numerus clausus, soit le nombre de places ouvertes en deuxième année de médecine, a été remplacé par un numerus apertus : le nombre de places, bien que toujours limité, est désormais déterminé au niveau régional, en fonction des besoins du territoire. Plus de dix mille places en deuxième année de médecine sont maintenant ouvertes, comme dans les années 1970 (le nombre de places avaient chuté à moins de trois mille dans les années 1990).

Mais comme le soulignent les député·es de la commission sociale dans un récent rapport, dans les années 1970, il y avait 15 millions de Français·es en moins, bien plus jeunes qu’aujourd’hui… Les projections restent inquiétantes : les effectifs de médecins vont stagner jusqu’en 2027, avant de légèrement augmenter jusqu’en 2050.

Dans l’une de ses premières prises de parole, vendredi 16 février sur France Info, le nouveau ministre délégué à la santé Frédéric Valletoux a décliné la proposition en ciblant les patient·es : selon lui, certains « Français n’ont pas besoin » de se présenter aux urgences. Il s’est très vite heurté au mur du réel : en catastrophe, il s’est déplacé au CHU de Toulouse (Haute-Garonne), où deux viols et un suicide sont survenus aux urgences psychiatriques en quelques jours. Il n’aurait, a-t-il déclaré, « jamais vu ça ».

Le président Samu Urgences de France Marc Noizet déplore de son côté « la valse des ministres : quatre en dix-huit mois. Les cabinets ont changé, les dossiers ont été oubliés, il n’y a aucune continuité. Je repars à zéro pour la troisième fois en un an, dans un moment aussi critique… »

Le problème des urgences est intimement lié à l’accès à un médecin généraliste. Six millions de Français·es n’ont pas de médecin traitant. Les négociations conventionnelles entre les médecins libéraux et l’assurance-maladie reprennent après avoir échoué au printemps 2023.

L’assurance-maladie est prête à porter à 30 euros la consultation de base des médecins généralistes, à la condition notamment de leur participation à la permanence de soins, au moins en première partie de nuit, pour soulager les urgences. Aujourd’hui, seuls 40 % des médecins généralistes participent à la permanence des soins.

Pour Agnès Gianotti, présidente du syndicat de médecins généralistes MG France, la mesure est illusoire. La première difficulté, rappelle-t-elle, est de « trouver un médecin aux heures ouvrables. Aujourd’hui, tous les médecins généralistes doivent refuser de nouveaux patients, c’est insupportable ». Ceux-ci atterrissent aux urgences. Elle insiste elle aussi sur le risque d’une fuite des médecins généralistes vers d’autres formes d’exercice, bien moins pénibles : des « centres à horaire élargi », qui accueillent des patient·es sans rendez-vous, sans aucun suivi, ou les « téléconsultations ».

Aux urgences, le docteur Marc Noizet constate lui aussi des réflexes de protection chez les jeunes médecins. « Il y a un virage sociétal. Leur première exigence est la qualité de vie. En novembre dernier, j’ai recruté quatre médecins, trois ont demandé un temps partiel. »

Aux urgences du CHU de Bordeaux, les plus grandes de Nouvelle-Aquitaine, Mediapart racontait, à l’été 2022, la valse des chefs de service. Parmi eux, Guillaume Valdenaire a préféré quitter la spécialité qu’il « pensait exercer toute [s]a vie ». Il ne supportait plus « les nuits aux urgences, les dizaines de patients non vus, en permanence, qui attendent cinq ou six heures ». À 45 ans, il lui fallait « des jours pour [se] remettre de la violence de ces nuits ». 


 

   mise en ligne le 26 février 2024

TAX THE RICH - Attac déploie
une banderole géante sur la façade du futur hôtel LVMH de Bernard Arnault

sur https://france.attac.org

Ce 24 février à 18h30 sur les Champs-Élysées à Paris, une quarantaine d’activistes d’Attac ont pris part au déploiement d’une immense banderole sur la façade du futur hôtel LVMH fraîchement racheté par Bernard Arnault pendant qu’une centaine d’activistes prenaient part à un rassemblement en face du bâtiment. Sur cette banderole était écrit « Tax the Rich », en référence à l’enrichissement indécent des milliardaires avec la complicité du gouvernement, et pour rappeler qu’une politique de justice fiscale est possible et nécessaire.

Ce samedi 24 février, plus d’une centaine d’activistes d’Attac ont pris part au déploiement d’une immense banderole sur la façade du futur hôtel LVMH sur laquelle on pouvait lire "Tax the Rich".

Une cinquantaine d’entre elles et eux se sont infiltré·es dans l’échafaudage de l’édifice pour accéder au toit afin de déployer le message et disperser des faux-billets de 60 milliards, une somme qu’Attac propose de récupérer à travers sa campagne « Super-profits, ultra-riches, méga-injustices ».

L’autre partie du groupe, rassemblée en face du bâtiment, a pris le temps d’expliquer les raisons de cette action et les revendications d’Attac aux passant·es et aux touristes par le biais de prises de paroles de partenaires associatifs et syndicaux et distribution de tracts.

Le lieu ciblé par cette action, racheté par Bernard Arnault pour en faire un futur hôtel de très haut standing, est actuellement en chantier. Il est recouvert d’un échafaudage de luxe symbolisant une malle Louis Vuitton. Ce lieu matérialise l’opulence et l’indécence sans limite de Bernard Arnault et plus généralement des ultra-riches.

« Pour Attac, taxer les riches est nécessaire pour dégager des recettes publiques qui seraient investies pour financer la bifurcation sociale et écologique, pour réduire les inégalités et pour renforcer le consentement à l’impôt, pilier d’une démocratie digne de ce nom. En France, avec un impôt sur la fortune débarrassé de certaines « niches » que comportaient l’ancien ISF, c’est 10 milliards d’euros qui peuvent être dégagés à court terme. Dans l’Union européenne, un impôt de 2% sur la fortune des milliardaires pourrait rapporter 40 milliards d’euros et près de 200 milliards d’euros s’il était appliqué au plan mondial. » explique Lou Chesné, porte-parole d’Attac.

Ce que nous défendons :

En déployant le message géant "Tax the Rich" sur la façade du futur hôtel LVMH, c’est l’enrichissement indécent des ultra-riches facilité par le gouvernement que nous dénonçons, symbole de l’évasion fiscale et de l’inégalité de traitement devant l’impôt. Lire plus ici.

À l’opposé de la politique d’austérité injuste et injustifiée annoncée par le gouvernement, Attac a formulé les solutions pour financer les urgences écologiques et sociales. En inscrivant nos 6 mesures concrètes au PLF2025, nous pourrions récupérer à minima 60 milliards. En mettant enfin à contribution les ultra-riches et leurs multinationales 15 à 20 milliards d’euros pourraient être collectés rien qu’en mettant en place un ISF rénové et en modifiant la taxation sur les héritages. Lire plus ici.

Ces recettes supplémentaires permettraient de financer la rénovation énergétique des bâtiments, une vraie politique de logement social, des alternatives alimentaires face à l’inflation, la remise sur pieds de l’hôpital public...

Pour que ce plan d’urgence soit réellement mis en œuvre, une mobilisation citoyenne d’ampleur est nécessaire. C’est pourquoi Attac lance la campagne : « Super-profits, ultra-riches, méga-injustices ». Au programme : éducation populaire, interpellation d’élu·es, actions locales... Dans toute la France dans les mois à venir, Attac et ses militant·es se mobiliseront pour la justice fiscale et la fin du ruissellement vers le haut !


 

   mise en ligne le 25 février 2024

Bande de Gaza :
« Ce sont  des héros malgré eux,

mais ils sont en train de mourir »

Bérénice Gabriel et Camille Busquets sur www.mediapart.fr

Pascal André, médecin, est de retour de l’hôpital européen de Khan Younès, dans le sud de l’enclave palestinienne. À travers des témoignages audios enregistrés sur place, il documente la détresse absolue de médecins palestiniens. Mediapart les diffuse en même temps que son interview.

Les yeux cernés, le visage creusé, Pascal André, urgentiste et infectiologue, est parti le 5 février afin de faire le point, pour l’association Palmed, sur la situation infectieuse dans la bande de Gaza, anéantie par plus de quatre mois de guerre.

« Il n’y a pas de savon disponible et pas d’eau non plus pour prendre une douche avant l’intervention. Il y a encore du gel hydroalcoolique, mais il est utilisé pour allumer des feux, pour se chauffer et faire cuire la nourriture. Les gens n’ont plus rien et trois bouts de bois, ça coûte plus d’un dollar. » 

Ce médecin est parti avec une vingtaine d’autres confrères, des chirurgiens, des anesthésistes, des urgentistes. « Les salles d’opération débordent, l’activité est multipliée par quatre. Du jamais-vu, même pour des collègues spécialisés dans la traumatologie de guerre depuis plus de quarante ans. »

Il faut que l’on se rappelle que nous sommes tous humains. Pascal André

Ces conditions de travail, de vie, il les a immortalisées dans une cinquantaine d’audios, mais aussi en vidéo et en photographies, déjà publiés par Mediapart (voir en lire aussi). « Les journalistes internationaux ne peuvent pas se rendre sur place, les journalistes gazaouis qui continuent de faire leur métier sont ciblés. J’en ai reçu deux à l’hôpital européen, dans un état dramatique, qui venaient d’être ciblés par des tirs. » 

Pour Pascal André, la couverture médiatique en France n’est pas à la hauteur de ce dont il a été témoin : « Il est temps d’ouvrir nos oreilles à d’autres narrations que la narration unique qui nous est proposée. Il faut que l’on se rappelle que nous sommes tous humains, nous sommes tous les mêmes, quelle que soit notre couleur de peau ou notre religion. » 

À son micro, les médecins palestiniens décrivent leurs conditions de travail, leur fatigue après quatre mois à être déplacés du nord vers le sud, à opérer à tour de bras sans dormir, sans nourriture, sans eau, sans salaire, et à essayer de continuer de prendre soin des autres. « Un anesthésiste local m’a dit : “Là, j’endors cet homme et en même temps je me demande ce que je vais faire avec mes quatre filles, comment je vais les protéger. J’ai déjà perdu ma femme et un fils.” »

Avec un autre membre de l’équipe, il a aussi pu se rendre à Rafah, où il a visité la dernière maternité de l’enclave et le service de néonatologie. Une ville surpeuplée de 1,4 million de réfugié·es, selon l’ONU, qui est régulièrement bombardée ces derniers jours et menacée d’assaut par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, si le Hamas ne libère pas les otages d’ici le 11 mars, date du début du ramadan. « On se dirige vers une nouvelle Nakba [la « catastrophe » en arabe, par référence à l’exode en 1948 de centaines de milliers de Palestinien·nes hors de la Palestine mandataire – ndlr] », estime le médecin humanitaire, qui espère retourner en mission d’ici une quinzaine de jours, « même si ça semble compliqué, au vu de [s]a prise de position. Pas sûr qu’Israël [l]e laisse re-rentrer ».


 


 

À Rafah, la vie quotidienne est un exploit

Gwenaëlle Lenoir sur www.mediapart.fr

Les discussions diplomatiques se succèdent pour un cessez-le-feu, Washington affirmant dimanche 25 février qu'un « terrain d'entente » a été trouvé à Paris. Pendant ce temps, la population prise au piège dans la bande de Gaza déploie une énergie folle pour survivre. Témoignages depuis Rafah.

Ce 26 février, Israël doit présenter à la Cour internationale de justice un rapport « sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour exécuter » l’ordonnance du tribunal onusien rendue un mois plus tôt, le 26 janvier. Parmi ces mesures provisoires contraignantes figurent celles permettant « la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ».

Israël devait donc faciliter le passage des convois humanitaires, l’accès aux soins, à la nourriture, à des abris, à l’eau, à l’électricité, bref à ce qui relève de la vie la plus basique.

Les ONG et les agences onusiennes présentes dans la bande de Gaza n’ont pas noté d’amélioration. Au contraire, ces dernières ont publié le 21 février un communiqué commun intitulé « Les civils de Gaza sont en grand danger tandis que le monde regarde : dix conditions pour éviter une catastrophe encore plus grave ». Les mots claquent : « Les maladies sévissent. La famine menace. L’eau arrive au compte-gouttes. Les infrastructures de base ont été décimées. La production alimentaire s’est arrêtée. »

Sur les réseaux sociaux se multiplient les appels à financement collaboratif en provenance de la bande de Gaza. Ici un musicien demande des milliers de dollars pour faire sortir sa femme et ses enfants de l’enclave. Comme l’a documenté une enquête du regroupement de journalistes d’investigation OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project) et du média égyptien Saheeh Masr, des courtiers ou des agences de voyage égyptiennes fournissent un « ticket de sortie » pour lequel il faut débourser entre 4 500 et 10 000 euros par tête. Là, des personnes se mobilisent pour une famille, indiquant juste qu’elle a tout perdu et n’a plus de quoi vivre.

Un même sentiment d’urgence ressort des déclarations des acteurs humanitaires internationaux, exaspérés de leur impuissance et de la surdité volontaire d’Israël et de ses alliés, et des Gazaoui·es, qui ne savent plus vers qui se tourner.

À quoi ressemble la vie à Rafah ? De quoi sont faits les jours et les nuits dans ces quelques dizaines de kilomètres carrés où s’entassent, depuis déjà des mois, 1,4 million de personnes, souvent déplacées plusieurs fois ?

Des abris bricolés, des boîtes de conserve

« J’ai construit un abri avec des morceaux de bois, des bâches de plastique et du tissu, explique Adam, un jeune infirmier. C’est si dérisoire. » Il y vit avec ses parents, sa femme et ses deux petits garçons depuis qu’il a dû fuir Nousseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Avant cela, lui qui travaillait dans le département d’oncologie de l’hôpital Al-Shifa, avait déjà été déplacé de Gaza City.

Sur une courte vidéo envoyée le 24 février, il fait « visiter [sa] maison ». Au sol, posés directement sur le sable, des sacs en plastique pour l’isolation. Des matelas en mousse, des couvertures sont roulés dans un coin, les deux gamins assis dessus. Le plus petit, à peine plus de 1 an, ressemble à un bonhomme Michelin, tant il est engoncé sous des couches superposées de pulls. À côté, la tente de ses parents, de même facture. Et puis la « cuisine », un âtre creusé dans le sol, et la « salle de bains », qu’il s’excuse de montrer, un trou dans le sol derrière une bâche, et un jerricane pour se laver.

Il a presque de la chance, Adam. Il a un semblant de toilettes à côté de sa tente.

« Ma femme, mes filles, mes belles-filles, elles attendent la nuit tombée pour aller se soulager, parce qu’elles doivent se rendre jusqu’à la mosquée qui est à presque un kilomètre du camp. Dans la journée, il faut faire la queue longtemps », raconte Ismaïl. Dans cette société conservatrice où la pudeur est une valeur cardinale, se rendre aux toilettes et y attendre au vu et au su de tous est pour les femmes une humiliation. Même si les conditions de vie plus que précaires ont bouleversé les coutumes.

L’intimité est un luxe. Ismaïl, 73 ans, fonctionnaire de l’Autorité palestinienne à la retraite, a été déplacé deux fois, comme Adam, de Gaza City à Nousseirat, puis de Nousseirat à Rafah. Lui aussi a construit une tente, avec du bois, des bâches, des morceaux de tissu. Elle lui a coûté 1 700 shekels (433 euros). Elle abrite toute la famille, 25 personnes. Il pleut à l’intérieur.

Son nouveau chez-lui, lui et ses nouveaux voisins l’appellent le « camp de Siyam », du nom de la famille à laquelle appartient le terrain. Car partout à Rafah ont poussé des tentes, souvent bricolées. Une parcelle libre, un terrain vague avant la guerre, et voilà un camp. Il y a quelques semaines, de jeunes hommes sont allés récupérer des barbelés le long du mur frontalier avec l’Égypte. Ils voulaient ainsi protéger leur « camp ».

« On leur donne des noms, comme en 1948. À l’époque, on a appelé le rassemblement de tentes “camp de Shati”, parce qu’il était à côté du quartier Shati, “camp de Jabaliya” à côté du quartier de Jabaliya. Aujourd’hui, c’est pareil », soupire Rami Abou Jamous, un journaliste gazaoui lui aussi déplacé à Rafah. C’est en 1948 que la bande de Gaza, jusque-là provinciale et champêtre, a vu affluer des dizaines de milliers de personnes chassées de leurs villes et villages par les milices juives qui deviendront l’armée du jeune État d’Israël. Les abris bricolés d’aujourd’hui sont, dans l’esprit des Gazaoui·es, une terrible réminiscence.

Dans le « camp de Siyam », les habitant·es ont mis en place un comité. Il s’occupe de relever leurs besoins et d’organiser la collecte des biens de première nécessité, notamment la nourriture, auprès des ONG et surtout de l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, principale pourvoyeuse d’aide dans la bande de Gaza aujourd’hui. 

Tout est très cher, à Gaza, sauf la vie humaine, qui ne vaut rien. Rami Abou Jamous, journaliste palestinien

Ismaïl, comme ses voisins, a enregistré toute sa famille auprès de l’UNRWA, même s’ils ne sont pas réfugiés de 1948 ou de 1967, ni descendants de réfugiés. L’organisation a accepté tout le monde, sur simple présentation d’un document d’identité. C’est la seule façon, quand on n’a plus d’argent, d’obtenir de quoi se vêtir et de quoi manger.

La population se nourrit quasiment exclusivement de boîtes de conserve. Les fermes, les serres, les poulaillers, les champs, les bateaux de pêche, tout a été détruit par les bombardements et les chars israéliens. Plus rien n’est produit dans la bande de Gaza.

« Les conserves viennent d’Égypte. Ce sont des fèves, des pois chiches, des petits pois, des boulettes de ce qui est censé être de la viande. Elles sont incroyablement mauvaises. Avant la guerre, jamais je n’aurais mangé ça », déplore Rami Abou Jamous. Lui n’est pas inscrit auprès de l’UNRWA car il a encore quelques moyens. Il a réussi à trouver une pièce à louer au rez-de-chaussée d’un immeuble et achète sa nourriture dans les rares épiceries encore ouvertes. Il y trouve parfois des pépites, du riz, par exemple. Parfois, bizarrement, des chips, des friandises au chocolat ou du soda. Mais, la plupart du temps, ce sont des boîtes de conserve.

Rentrer chez soi, même sur des décombres

« Les gens font la queue dans les écoles de l’UNRWA, aux points de distribution de l’aide. Parfois, il y en a, parfois non. Parfois, il y a des sacs de farine, on peut faire du pain. Tu as le droit à un certain nombre de sacs de 25 kg de farine, en fonction du nombre de personnes dans la famille », explique-t-il.

Sur le « marché du secteur privé », les prix des denrées ont explosé. Le kilo de sucre coûte, selon les jours et les arrivées, 8, 20 ou 25 euros. Celui de poulet était vendu 75 centimes d’euros avant la guerre, il faut débourser aujourd’hui 12 euros pour de la volaille congelée de la plus basse qualité. « Il est sûr que certains se font beaucoup d’argent, avec l’appui des Israéliens, car ce sont les Israéliens qui autorisent, ou non, le passage des camions depuis l’Égypte, affirme Rami. Tout est très, très cher à Gaza, sauf la vie humaine, qui ne vaut plus rien. »

Tout est difficile, à Gaza. Quand on a de quoi manger, de quoi faire le thé, il faut le combustible pour le brasero ou pour la cuisinière à gaz. Remplir la bouteille de gaz tient du miracle et vide les portefeuilles déjà plats. Alors, il y a le bois. Celui des palettes de l’aide humanitaire, qui se vend. Celui du peu d’arbustes qui restent encore. Celui, même, des racines de ces arbustes. Faute de bois, il y a tout ce qui brûle. Le plastique, les morceaux de pneus.

Ce vendredi 23 février, il y a eu un petit miracle dans le pâté de maisons où Rami Abou Jamous habite avec sa femme et ses enfants : l’eau s’est mise à couler du robinet. L’eau municipale, comme on dit. Alors tout le monde s’est précipité, avec des seaux et des jerricanes pour remplir les citernes. Car cette eau-là est gratuite.

À défaut d’être potable. De toute façon, de l’eau potable, il n’y en a plus. Sauf les bouteilles, tellement chères – 1 euro la pièce – qu’elles sont réservées aux enfants qui, pour beaucoup, souffrent déjà de diarrhées chroniques.

Une des premières activités de la journée consiste à aller chercher de l’eau. Dans les écoles de l’UNRWA, dans les mosquées. Il faut faire la queue pour cette eau que l’on boira, à défaut d’autre chose, et qui rendra malade.

Pour se laver, Saad, chef pâtissier, déplacé comme Ismaïl dans le « camp de Siyam », doit aller à la mosquée trouver du bois pour faire chauffer un peu l’eau. Évidemment, il n’est pas le seul. Là aussi il faut faire la queue. Les déplacé·es se lavent rarement entièrement. Saad, du coup, est obsédé par les maladies, favorisées par une hygiène précaire, par la promiscuité, la faiblesse des corps dénutris. Il les craint pour ses trois enfants, surtout la plus jeune, âgée de 11 mois.

Il veut que la guerre s’arrête. « Qu’on respire », dit-il. Même une trêve provisoire est bonne à prendre, juge-t-il. Son voisin de misère et de camp, Ismaïl, n’est pas de cet avis : « Après tant de mois de souffrances, ce n’est pas imaginable de ne rien obtenir. » Sans être vraiment capable de définir quoi. Mais au moins retourner chez lui, même si sa maison est détruite. « Le jour où ça s’arrête, je prends la tente et je vais la planter sur les décombres de ma maison. Au moins, ce sont mes décombres, et je serai chez moi », lâche-t-il.

 

   mise en ligne le 24 février 2024

Manifestation en marge des Césars : « Entendre c’est bien, agir c’est mieux »

Lucie Fratta-Orsolin sur www.humanite.fr

Vendredi soir, aux abords de l’Olympia, à Paris, une soixantaine de personnes ont manifesté en marge de la cérémonie des Césars pour que la voix des victimes de violences sexistes et sexuelles soit enfin entendue.

Sous l’œil des passants en tenue de soirée, le rassemblement se forme. Ils et elles sont venus, au pied levé, soutenir et faire entendre la parole des victimes : « Il faut que les voix portent. Ce n’est pas qu’aux victimes de s’exprimer. On doit les accompagner », témoigne David Faure, comédien, qui veut être solidaire et lucide face à ces cas qui n’ont de cesse d’augmenter.

Une émulation collective s’empare des manifestants, les voix portent, les pancartes se dressent. on peut y lire : « Entendre c’est bien, agir c’est mieux », « On ne sera ni de passage, ni un effet de mode ». Sur l’une d’elles est également inscrite une citation d’Agnès Varda : « I tried to be a joyful feminist, but I was very angry » (J’ai tenté d’être une féministe joyeuse mais j’étais très en colère). La colère est devenue un moteur.

Initié par la CGT spectacle, le collectif 50/50, l’ADA (association des acteurices), le SFA (Syndicat français des artistes interprètes) et Femmes à la caméra, le rassemblement fait suite à une discussion avec l’Académie des César il y a une semaine. « On nous a répondu qu’une victime allait s’exprimer lors de la Cérémonie donc on ne nous a accordé qu’une prise de parole de deux minutes pendant le Tapis rouge », indique Ghislain Gauthier, nouveau secrétaire général de la CGT spectacle. Salomé Gadafi, secrétaire adjointe du syndicat et Marine Longuet, du collectif 50/50 ont pu s’exprimer au début de la diffusion télévisée en direct du Tapis rouge, sorte d’antichambre de la cérémonie où les invités et les nommés sont interviewés. « Nous voulons apporter notre soutien à Judith Godrèche, Isild, Anna Mouglalis », poursuit Ghislain Gauthier, « dire que derrière leurs prises de parole, il y a des techniciennes, des maquilleuses, des artistes qui se taisent parce que l’omerta est lourde dans le secteur ». Pour Marie Soubestre, membre du SFA, la situation n’a que trop duré : « Ces hommes utilisent leur statut pour commettre des agressions, ils mélangent leur désir artistique et sexuel, le regard du cinéaste et le regard de l’homme prédateur ».

une manifestation est prévue le 8 mars

Même si ce n’était pas prévu, une autre cause s’est agrégée au rassemblement, la situation dans la bande Gaza. Le collectif Artists against Apartheid est venu en masse, et ses membres parfois grimés, comme cet homme, dont le visage dégouline de sang, symbole de la violence qui perdure.

Après une heure passée dans le froid, la flamme ne s’éteint pas. À l’arrivée de Sophie Binet, elle brûle de plus belle. « Nous sommes ici ce soir pour donner rendez-vous à toutes les femmes, le 8 mars prochain, pour une grande journée de grève féministe. Les consciences bougent, les oreilles s’ouvrent, il faut que nous soyons nombreuses dans la rue pour forcer le patronat et les pouvoirs publics à prendre des mesures structurelles pour mettre fin à ces scandales », a déclaré la secrétaire générale de la CGT. Sophie Binet a conclu son intervention sous un flot d’acclamations et un tonnerre d’applaudissements. Rendez-vous le 8 mars.


 

   mise en ligne le 23 février 2024

Ne renouvelez pas
les fréquences de CNews et C8,
foyers de sexisme et de racisme !

Tribune d’associations sur www.humanite.fr

« La télévision n’est pas une zone de non-droit » : dans cette tribune, des organisations féministes et femmes politiques féministes ayant de longue date boycotté CNews et C8, interpellent l’Arcom.

8 février : énième saisine par de nombreux téléspectateurs de l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, après une séquence profondément choquante sur TPMP : alors que Loana, première lauréate de « Loft story », raconte en direct et probablement en état de stress post-traumatique, son viol, l’animateur Cyril Hanouna glousse hors champ et une des chroniqueuses de l’émission, Kelly Vedovelli, est manifestement hilare.

CNews et C8 sont régulièrement sanctionnées pour avoir enfreint les obligations qui leur incombent en vertu de la loi du 30 septembre 1986 (qui prohibe l’incitation à la haine ou à la violence fondée sur les origines, la religion ou la nationalité et punit les propos antisémites, racistes ou homophobes ainsi que ceux faisant l’apologie de crimes contre l’humanité dans les programmes mis à disposition du public), mais aussi pour les infractions à la convention signée avec l’Arcom. En effet, les fréquences d’émission font partie du domaine public, elles appartiennent au peuple français et sont mises à disposition de chaînes privées en contrepartie d’une convention qui stipule notamment que les programmes n’encouragent pas « les comportements discriminatoires en raison de la race ou de l’origine, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité » et assurent « le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion ».

En 2017, une sanction de 3 millions d’euros contre C8 venait sanctionner un canular homophobe sur le plateau de Cyril Hanouna. La même année, une interdiction de diffuser de la publicité pendant deux semaines était infligée à la chaîne pour les comportements sexistes constatés dans la même émission, Touche pas à mon poste. En mars 2021, 200 000 euros de sanction pour incitation à la haine envers les mineurs étrangers isolés dans l’émission « Face à l’info » sur CNews après qu’Eric Zemmour y a déclaré qu’ils étaient « tous des voleurs, tous des assassins, tous des violeurs ».

Quant au pluralisme, 36 % des invités politiques de CNews sont classés à l’extrême-droite, sans compter, comme le souligne Le Monde, que les prises de parole plus que conservatrices des présentateurs et chroniqueurs, tels que l’essayiste Mathieu Bock-Côté ou encore Pascal Praud, ne sont pas décomptées à ce jour : c’est ce que le Conseil d’État vient de demander à l’Arcom de faire dans son évaluation du respect du pluralisme des expressions sur CNews.

Bien sûr, nous considérons que les conséquences politiques d’une telle désinhibition de la parole sexiste et raciste sont dramatiques (alors même que la loi encadre la liberté d’expression dans notre pays en prohibant l’appel à la haine). Olivier Mannoni, traducteur d’une version de « Mein Kampf » en français, explique de la manière suivante comment l’indicible horreur du IIIe Reich a pu survenir dans l’Histoire : « C’est arrivé aussi par le langage, une manière de faire sauter aussi les tabous du langage. Quand on dit « tu ne diras pas ça », c’est que le fait de le dire ouvre des portes et qu’une fois qu’on a ouvert les portes, il n’y a plus aucun contrôle ».

Mais le sujet ici est un sujet légal plus qu’un sujet politique : chercheuse spécialiste des médias Julia Cagé soulignait le 18 janvier devant la commission d’enquête parlementaire sur les chaînes de la TNT que « le non-respect des obligations conventionnelles par CNews n’est pas un problème idéologique mais un problème entièrement légal. (…) Si cela avait été fait par un actionnaire qui avait une ligne beaucoup plus marquée à gauche, cela poserait exactement les mêmes difficultés ».

Enfin, selon le sémiologue et spécialiste des sciences de l’information et de la communication François Jost, CNews ne peut même plus être considérée comme une chaîne d’information, contrairement à ce qu’indique sa convention avec l’Arcom. Une observation des programmes du 31 janvier au 4 février 2022 lui a permis de noter que dans les émissions Midi News et Soir Info, « l’information stricto sensu, comme énonciation de faits, occupe 13 % du temps ».

En deux ans, ce sont ainsi 34 interventions et sanctions de la part de l’Arcom qui ont été recensées à l’encontre de C8 et CNews pour « des faits de désinformation, de racisme, de sexisme, d’incitation à la haine, de non-respect du pluralisme, d’un manque « d’honnêteté dans l’information » comme le souligne la lettre ouverte de la députée Sophie Taillé-Pollian et de l’ex-journaliste Latifa Oulkhouir.

La télévision n’est pas une zone de non-droit. Au-delà des séquences ayant abouti à des sanctions effectives, nous ne pouvons plus accepter les propos racistes d’un Jean-Claude Dassier qui explique en toute impunité que « tant qu’on s’adressera à des classes qui comprennent 75 % de noirs, d’arabes, j’en passe et des meilleurs, on n’y arrivera jamais » ; qu’un Zemmour déclare qu’il est du côté du général Bugeaud quand celui-ci massacre les musulmans et les juifs en Algérie, qu’un Pascal Praud multiplie propos et comportements sexistes à l’antenne. La réalité, c’est que ces « dérapages » n’en sont pas et sont devenus la marque de fabrique de chaînes qui fonctionnent à coups de buzz et de comportements et propos racistes et sexistes de ses animateurs et chroniqueurs vedettes, repris sur les réseaux sociaux et qui essaiment dans le reste du paysage audiovisuel français. Ces chaînes paient les sanctions, quand sanction il y a, et rien ne change, mis à part la qualité du débat public et la crédibilité des régulateurs qui se dégrade. Elles seront certainement prêtes à signer les prochaines conventions élaborées par l’Arcom, avant de s’asseoir allègrement dessus comme elles le font depuis des années.

Dans ce contexte, nous, organisations féministes et femmes politiques féministes ayant de longue date boycotté CNews et C8, appelons l’Arcom à ne pas renouveler l’attribution de fréquence à ces chaînes.

À l’initiative de

Autrices :

  • Gabrielle Siry-Houari, autrice de « La République des hommes », Maire-adjointe du 18e arrondissement de Paris

  • Ursula Le Menn, porte-parole d’Osez le féminisme

Co-signataires :

  • Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de garde

  • Céline Thiebault Martinez, présidente de la coordination pour le lobby européen des femmes (CLEF)

  • Monique Dental, présidente du réseau féministe « Ruptures »

  • Suzy Rojtman,  porte-parole du Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF)

  • Nicole Chartier, Association pour le développement des initiatives économiques de femmes (ADIEF)

  • Jocelyne Andriant Mebtoul, Femmes du monde et réciproquement (FMR)

  • L’assemblée des femmes

  • Ensemble contre le sexisme


 

   mise en ligne le 22 février 2024

Au Panthéon, Manouchian
mis au supplice du verbe macronien

Antoine Perraud sur www.mediapart.fr

La translation des restes de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon a donné lieu à deux ou trois moments magnifiques, dont « L’Affiche rouge » chantée par Feu! Chatterton. Néanmoins, tout fut terni par l’accaparement et l’embrouillamini du pouvoir.

Où est le peuple ? Voilà bientôt cent ans, le 23 novembre 1924, le cercueil de Jean Jaurès entrait au Panthéon. Parti de l’Assemblée nationale, il était accompagné d’une foule de prolétaires, avec en tête les mineurs de Carmaux. Le Paris bourgeois tremblait d’effroi, rappelle, dans La Gauche en France depuis 1900, un professeur à Sciences Po de l’autre siècle, Jean Touchard. Celui-ci, sur un balcon familial du boulevard Saint-Germain, avait alors assisté à la frousse de la haute.

Aucun danger pour Manouchian. Pas un chat ou presque : The show must go on, place aux seules caméras. À l’extérieur, il pleut et la foule n’est de toute façon pas prévue : persona non grata. À l’intérieur, sous la coupole du Panthéon, les huiles de la République patientent – un Lionel Jospin émacié et, côte à côte, mais qui n’ont rien à se dire, Édith Cresson et Laurent Fabius.

Il y a le Parti communiste réduit à Fabien Roussel. Au fond près du radiateur, des collégiens, filles et garçons, s’agitent en s’apercevant sur les écrans, comme dans un stade de football – la réalisation jouera au chat et à la souris toute la cérémonie avec une telle joie d’être filmés, interrompue dès qu’elle s’exprime.

En attendant, c’est l’heure de meubler. France 2 est sage comme une image et se lance dans du micro-trottoir avec la léthargie du pêcheur quand rien ne mord. CNews déroule avec vaillance sa propagande en plateau : « Patriotisme républicain qui fait défaut aujourd’hui […] La France n’est pas un droit. Il faut l’aimer pour obtenir la nationalité. On a trop octroyé. » Julien Dray, qui représente ici la gauche, ose ceci : « Ces étrangers n’aimaient pas seulement des paysages, mais ce que représentait symboliquement la France depuis la Révolution. » Un démon passe…

Voici le président de la République, qui s’est transporté sur place. La bibliothèque Sainte-Geneviève à main droite, il tourne le dos à la tour Clovis du lycée Henri-IV – où il accomplit une partie de sa scolarité dans les années 1990. Tout à l’heure, Patrick Bruel, qui suivit une partie de sa scolarité au lycée Henri-IV dans les années 1970 (en de plus petites classes), lira la lettre de Manouchian à Mélinée. On appelle cela l’entre-soi.

Sur « la place des grands hommes », le président se livre à son passe-temps favori depuis Henry Hermand – Daniel Cordier et quelques autres en firent les frais : le détournement de vieillards. Il embarque vers le saint des saints deux résistants communistes, chacun dans sa 98e année : Léon Landini et Robert Birenbaum. Une prise de guerre en temps de paix.

Sur CNews, alors que la présentatrice Laurence Ferrari fait les gros yeux à ceux « qui ont tendance à dénigrer et réviser notre histoire », l’un des commensaux de la chaîne Bolloré, Alexandre Devecchio, pérore ainsi : « Pour les jeunes qui ont du mal à s’intégrer, il y a là un récit national qui peut aider. » Et comme à CNews on stigmatise ceux qui ont tendance à réviser notre histoire, il est martelé une fois pour toutes que « la Résistance est venue de la droite et de l’Action française ».

Attention, ça commence ! Nous sommes « rue Edmond-Rostand » (c’est en réalité une place), assure France 2. Résonne l’appel aux morts devant une immense reproduction de l’Affiche rouge. La question d’époque, « Des libérateurs ? », qui surmontait les visages indomptables, appelait une objection voilà quatre-vingts ans. La réponse est à présent positive. Cela ne fait pas un pli. Et cela fait du bien.

« Mort pour la France »

Les noms des vingt et trois éclatent dans la nuit, par la voix de Serge Avédikian, qui met à chaque fois l’accent pour faire retentir, sous la pluie et les étoiles, toutes les consonances étrangères possibles. C’est beau et puissant. Avant que ne réponde, après chaque patronyme, un déchirant : « Mort pour la France. »

Et ce « mort pour la France », qui souvent ne veut pas dire grand-chose sur tant de monuments de la Grande Guerre – « On croit mourir pour la patrie mais on meurt pour les industriels », dénonçait Anatole France dans L’Humanité il y a tout juste un siècle –, ce « mort pour la France » sonne enfin juste.

Les deux cercueils de Missak et Mélinée sont ensuite hissés sur les épaules de soldats de la Légion étrangère − faisons mine de ne retenir de cette troupe d’assaut que sa qualité de Compagnon de la Libération. S’enclenche le fameux pas lent idoine : « Un, un, deux, trois. »

Des haltes sont prévues rue Soufflot. Ce sera le pire du « en même temps ». L’empilement rococo ; un p’tit côté « on trouve tout à la Samaritaine » ; du « en veux-tu en voilà ». Tout cela résulte sans doute de l’apport d’une fourmilière de conseillers du prince, qui n’ont pas compris l’essentiel : commémorer, c’est choisir.

Alors ignorons Ils sont tombés de Charles Aznavour entonné par… la maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (bonjour les oxymores). Glissons sur une interprétation faussement polyphonique et résolument sirupeuse de La Complainte du partisan – alors que la musique d’Anna Marly et les paroles d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, comme avait su les sublimer Leonard Cohen, empoignent en toute autre circonstance.

Le Chant des partisans, heureusement, résiste, s’impose et donne la chair de poule : « Ami si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place », avaient composé Kessel et Druon, en tapant en rythme sur une table, tels des proto-rappeurs, dans un modeste hôtel du Surrey. C’était en 1943, trois mois avant que Manouchian et les autres fussent coffrés.

Aujourd’hui, c’est le premier jour du Congrès antifasciste, qui se tient à la salle Pleyel.
Carnets de Missak Manouchian

Mais voici que Missak s’évade. Ce sont les mots de ses carnets qui s’échappent, par la voix de comédiens se passant le relais – Lisa Toromanian, ou encore le fabuleux Serge Bagdassarian de la Comédie-Française : « Aujourd’hui, j’ai déposé ma demande de naturalisation. » Manouchian est là, tout près, au Luxembourg, ce jardin qu’il aimait tant, quand il écrivit cela.

Ses mots s’élancent vers notre vil aujourd’hui. Des télescopages donnent aux vivants le courage de continuer le combat, face à la hure du lepénisme qui ne cesse de fouir le sol démocratique prêt à se dérober : « Aujourd’hui, c’est le premier jour du Congrès antifasciste, qui se tient à la salle Pleyel. »

Un programme de vie jaillit des carnets de Manouchian : « Se consacrer à la lutte sociale […] Un grand poème germe dans mon esprit. » Et soudain, neuf mots tout neufs, qui cinglent, comme pour décrire la cérémonie voulue par le pouvoir, cette panthéonisation tenue en lisière, sans le peuple, sans la révolte, sans l’internationalisme (terme interdit de séjour) : « Autour de moi, on dirait que chaque chose vieillit. »

La démonstration va en être donnée avec le discours du président Macron. Mais avant, il y aura eu un autre moment sublime, qui se hissa presque à la hauteur du thrène bramé ici même, en décembre 1964 – soixante ans déjà –, par André Malraux. Il y aura eu L’Affiche rouge d’Aragon-Ferré, chantée par Feu! Chatterton. Calme de possédés, frénésie cadavéreuse, typhon intime, souveraineté secrète. Rien ne parut plus beau, plus bouleversant, plus essentiel.

Subséquemment : trajectoire en toboggan ! Petite tribune, petit Macron. « Et toujours le même président », se cabre la France entière. La grandeur, c’est de déléguer. De Gaulle laissa donc la parole à Malraux. Il fallait toute la mauvaise foi et le vieux fond pétainiste d’Alain Robbe-Grillet pour oser proférer qu’un discours du ministre d’État chargé des affaires culturelles du général, « c’était pire qu’Adolf Hitler ! ».

Le 20 avril 1995, lors de la cérémonie de translation de Marie Curie, François Mitterrand, très malade mais enlevant son manteau parce que le président Lech Wałęsa avait ôté le sien sous le péristyle du Panthéon balayé par le vent : cela avait de la gueule.

Sous les yeux las et l’ouïe rebutée d’un public déçu d’avance, le président semble conjuguer sans fin le verbe récupérer. Je récupère, tu récupères, il récupère, nous récupérons…

En 1996, pour la panthéonisation d’André Malraux – commentée pour la télévision par un drôle de duo : Alain Peyrefitte et Régis Debray –, ce fut Maurice Schumann qui officia. Il était quasiment aveugle, mais fit semblant de lire un discours appris par cœur : « La mort, parce qu’elle a conféré l’éternité à son angoisse… » Chapeau bas !

Or voici qu’en ce 21 février 2024, Macron macronne. Ivre d’être soi-même et d’être là, il abuse des silences appelés soupirs en musique, il impose avec les mots qu’il enfile une sorte de rubato dégoulinant, à la manière de certains interprètes de Chopin avant guerre. Il regarde furtivement de côté puis semble se rengorger, en le pensant si fort que nous l’entendons : « L’ai-je bien prononcé ? »

Un vrai flipper à paroles

Tout est attendu, convenu, conformiste, superficiel, artificiel. Nous n’en pouvons plus d’entendre ce vieux disque rayé, dont nous anticipons chaque ficelle usée jusqu’à la corde. Le président paraphrase Aragon. Fier de sa culture de khâgneux endormi sur ses lauriers – le contraire de l’autodidacte Manouchian toujours sur le qui-vive sprirituel –, le locataire de l’Élysée fait fuser de ses fiches des citations qui partent dans tous les sens : un vrai flipper à paroles.

C’est répétitif et redondant, vain, à l’image d’un pan précédent de la cérémonie, quand le portique du Panthéon, transformé en fond d’écran ou en boule à neige à coups de pixels, résumait la vie de Manouchian. Mêlant le kitsch et l’empoignant, le politique et le folklorique. Pour qu’il n’en restât rien ; pour que tout s’annulât.

Emmanuel Macron arbore le masque de l’émotion. Son regard se voudrait à la fois lointain et intérieur. Il nous vend son labeur désincarné pour de l’inspiration tripale. Il met du cœur là où il n’y en a pas. Il joue l’empathie, toujours chez lui absente. Il simule l’émotion, feint les affects, prend ses vessies rhétoriques pour des lanternes oratoires et fait passer son indécrottable boursouflure pour simplicité bienveillante.

Cabotin odéonien qui ne dupe plus personne, il n’habite pas son texte. Sous les yeux las et l’ouïe rebutée d’un public déçu d’avance, il semble conjuguer sans fin le verbe récupérer. Je récupère, tu récupères, il récupère, nous récupérons…

« Insolents, tranquilles, libres », dit-il, comme pour dépolitiser ces militants si politiques. Puis il s’adresse à la dépouille : « Vous entrez ici toujours ivre de vos rêves. » Non, non et non : Manouchian n’était pas ivre de ses rêves, mais soucieux de ses combats.

France 2 pense à la suite et feuilletonnise déjà : la prochaine panthéonisation de Robert Badinter pose problème, puisque sa veuve entend reposer plus tard auprès de lui – toujours très délicat, le service public. CNews y va franco. On y cause « héroïsme patriotique ». On y entend : « Sauver la France », comme si, chez Bolloré, on reprenait un cantique du temps de l’ordre moral : « Sauvez, sauvez la France, au nom du Sacré Cœur. »

C’est encore plus retors. La chaîne d’extrême droite voudrait que nous nous enfonçassions ceci dans le crâne : « La victoire contre le nazisme a eu lieu, elle est acquise. Ce qui menace la France, l’ennemi mortel d’aujourd’hui, c’est contre quoi s’est dressé un autre héros : Arnaud Beltrame. » Mission accomplie : un officier supérieur de gendarmerie français vient d’être symboliquement substitué, en fin de cérémonie, à un militant communiste apatride d’origine arménienne.

Les images de la célébration qui s’achève laissent entrevoir, à droite de l’écran, sur la place du Panthéon, côté mairie du Ve arrondissement, des rangées de sombres berlines officielles. Après avoir rendu hommage à Missak et Mélinée Manouchian, après avoir vanté les FTP-MOI de la Résistance, nos excellences, qui roulent carrosse, vont partir derechef nous concocter des lois antisociales ; sans oublier de bien faire la courte échelle à l’extrême droite.


 


 

Manouchian au Panthéon :
le double jeu de Macron

Hugues Le Paige (journaliste-réalisateur) sur https://blogs.mediapart.fr/

L'entrée des Manouchian au Panthéon et l'hommage rendu aux Francs-tireurs et partisans − Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) est une réparation tardive mais indispensable à leur égard. Elle illustre aussi le double langage d'Emmanuel Macron qui se sert de la politique mémorielle pour se refaire une virginité politique.

Qui ne se réjouirait pas de l’entrée de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée au Panthéon ? Ouvrir les portails du temple de la République à l’un des responsables des Francs-tireurs et partisans − Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) à qui la France avait refusé par deux fois d’accorder la nationalité est d’abord un acte de réparation[1]. Elle comble, au moins partiellement- le trou noir d’une mémoire historique jusque-là soigneusement entretenue par tous les pouvoirs de la République. Enfin, des communistes, des internationalistes, de toutes origines (Juifs — en majorité-, Arméniens, Espagnols, Italiens, Polonais, Roumains et tant d’autres) ont droit à la reconnaissance de leur combat et de leur sacrifice pour la France et un autre monde. Ce n’est pas rien quand on connaît la conception étroite et souvent partiale de l’histoire officielle de la résistance.

Oui, de ce point de vue, on ne peut que se réjouir de voir entrer au Panthéon celui qui incarne « L’Affiche Rouge », celle ou les nazis dénonçaient « l’armée du crime, commandée par des étrangers et inspirés par les Juifs ». Et pourtant ce geste décidé par le Président de la République charrie sa part d’ombre et de double jeu. Car c’est bien le même Macron qui vient de faire adopter une loi sur l’immigration dont le Rassemblement National a pu proclamer triomphalement qu’elle représentait sa « victoire idéologique ». L’introduction de la préférence nationale, la mise en cause du droit du sol, l’alignement sur toutes les mesures réclamées à cor et à cri par l’extrême droite qui dicte désormais sa loi à la droite traditionnelle, le tout sur le regard complice du macronisme : voilà qui corrompt l’initiative mémorielle du chef de l’État. Emmanuel Macron est coutumier du fait : il sait utiliser la mémoire, le seul domaine où il affirme des principes, pour tenter de se refaire une virginité politique, mais du même coup il prend le risque de dénaturer la portée de ses propres initiatives.

La seule présence de Marine Le Pen ce 21 février au Panthéon en est la preuve. Par l’incessante pratique tacticienne de la triangulation, de la manipulation et de la confusion politique permanente, Macron a pris le risque de faire du Rassemblement National le maître du jeu et sans doute le futur vainqueur des prochaines échéances électorales alors qu’il avait été élu pour lui faire barrage. L’opportunisme présidentiel lui tient lieu de projet et les coups médiatiques remplacent les valeurs qu’il prétend porter.

Cela n’enlève rien à l’importance symbolique et historique de l’entrée des Manouchian au Panthéon même si d’autres parrains leur auraient fait honneur.

[1] Dans son discours au Panthéon, ce 21 février, Emmanuel Macron a regretté que « La France ait alors oublié sa vocation d’asile ». Et aujourd’hui ? Toute son intervention en hommage à Manouchian et à ses camarades contredisait la politique menée par  ses gouvernements. Double langage qui lui a aussi permis de saluer les communistes comme ceux-ci ne l’ont jamais entendu. "Est-ce  ainsi que les hommes font de la politique ?"  (pour ceux qui ont entendu le discours macronien…)


 


 

Manouchian : la police française insulte la mémoire des résistants communistes

Olivier Doubre  sur www.politis.fr

Lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon des héros de la Résistance immigrée communiste et internationaliste, Mélinée et Missak Manouchian, la police parisienne a empêché toute manifestation populaire d’antifascisme ou d’appartenance politique dans la foule. Récit.

Quelques minutes après 19 heures, mercredi 21 février. Les cercueils de Mélinée et Missak Manouchian remontent la rue Soufflot vers le Panthéon, portés par des soldats de la Légion étrangère, sous une pluie battante qui ne veut pas cesser. Ils s’arrêtent quelques mètres après le croisement avec la rue Saint-Jacques. L’émotion est palpable dans la foule, compacte, amassée derrière les barrières de sécurité. Des poings se lèvent.

Puis, de la terrasse d’un café qui jouxte le cortège, partent quelques cris : « Vive le combat antifasciste ! » ; « À bas le fascisme ! » puis, bientôt plus nombreux : « No pasarán ! » 
Peu après la lecture d’extraits des carnets de Missak Manouchian, les cercueils reprennent leur montée vers la cathédrale laïque en haut de la rue. Sous les applaudissements du public, nombreux, massé de chaque côté de la chaussée. Et le « Chant des partisans » alors de s’élever, interprété par le chœur de la Garde républicaine.

Mais à peine deux minutes plus tard, trois agents de la police parisienne en uniforme, dont l’un est même cagoulé, entrent dans le petit espace clos et bondé de la terrasse couverte du café d’où sont partis les quelques slogans criés joyeusement durant moins d’une minute. Contrôle des papiers, questions agressives pour les quelques « criards » qu’ils avaient dû repérer du dehors, à travers les vitres détrempées de la terrasse abritée.

Contrôle d’identité et confiscation des drapeaux

Les regards fixent les agents. Les papiers d’identité de quelques « suspects » sont examinés. Jusqu’à ce que les agents invitent vertement deux d’entre eux à les suivre à l’extérieur. On ne les reverra pas. Sans que l’on puisse en savoir davantage sur la suite de leur soirée. Beaucoup des témoins présents échangent et expriment alors, prudents, sans trop d’éclats de voix, d’une table à l’autre de la terrasse du café, leur révolte devant la scène à laquelle ils viennent d’assister. 


On peine à croire que dans de telles circonstances, la police française ait conservé certaines de ses ‘bonnes’ vieilles habitudes.

Quelques dizaines de mètres plus bas, à l’angle de la rue Soufflot et du boulevard St-Michel, avait lieu à peu près simultanément une autre intervention des agents de police. Avec quelques drapeaux du PCF, une poignée de militants s’était rassemblée au bas de la rue Soufflot. Là où les soldats de la Légion étrangère allaient bientôt porter les dépouilles du couple de résistants communistes arméniens des FTP-MOI jusque devant la tribune où sont rassemblés les familles des défunts et les corps constitués de la République – dont la présidente du groupe parlementaire du Rassemblement national, Marine Le Pen.

Au moment où allait débuter la cérémonie, des policiers se sont empressés de venir confisquer à ces militants leurs drapeaux tricolores et ceux de leur parti. Sans doute pour ne pas faire tache sur les vidéos de l’événement, retransmises sur écrans géants devant la foule imposante venue rendre un dernier hommage aux résistants immigrés, exécutés jour pour jour il y a 80 ans. On peine à croire que dans de telles circonstances, la police française ait conservé certaines de ses « bonnes » vieilles habitudes.


 

   mise en ligne le 21 février 2024

Israël ne cible pas l’UNRWA
mais le droit au retour

Ayman Al-Sayyad Journaliste et ancien conseiller du président de la République égyptien (2012) sur https://orientxxi.info/ traduit de l’arabe par Nada Ghosn.

En accusant sans preuves une partie du personnel de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) d’avoir participé à l’opération du 7 octobre, le gouvernement israélien tente de marginaliser la question des réfugiés palestiniens et de remettre en question le droit au retour. C’est également une manière de faire oublier que le pays s’est créé sur la base d’un nettoyage ethnique.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a été on ne peut plus clair lorsqu’il a déclaré, lors de sa rencontre avec une délégation d’ambassadeurs à l’Organisation des Nations unies (ONU), le 31 janvier 2024, que la mission de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) devait prendre fin, car elle ne fait selon lui que « maintenir vivante la question des réfugiés palestiniens, et il est temps que l’ONU et la communauté internationale comprennent que cela doit cesser ». Plusieurs pays occidentaux, avec en tête les États-Unis, se sont alors empressés de prendre des mesures pour aider Nétanyahou à atteindre son objectif ultime : abolir l’UNRWA ou plutôt le principe juridique à l’origine de son existence.

Outre la tentative de semer le doute sur l’intégrité des rapports de l’UNRWA et des organisations apparentées – au lendemain de l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) du 26 janvier, qui reposait en grande partie sur ses rapports -, la déclaration de Nétanyahou révèle le véritable objectif stratégique de la violente campagne israélienne contre l’organisation, durant laquelle Israël a accusé 12 de ses employés d’avoir participé aux attaques du 7 octobre, ou d’avoir exprimé leur joie à la suite de l’événement. Rappelons que ces accusations concernent seulement douze individus sur plus des treize mille travailleurs que compte l’organisation.

L’institutionnalisation d’un droit

Le Premier ministre israélien réitère ainsi une position israélienne bien ancrée sur la question des réfugiés et du droit au retour, qu’Israël perçoit comme une menace tant au niveau historique que géographique. Le simple fait de rappeler la question des réfugiés de 1948 saperait ainsi les fondements sur lesquels l’État d’Israël a été créé. Quant au droit au retour des réfugiés, quelles que soient les solutions précédemment proposées le concernant dans le cadre des Accords d’Oslo, il aurait certainement un impact géographique et démographique qui changerait toutes les équations sur le terrain.

En effaçant la question des réfugiés palestiniens, les Israéliens veulent perpétuer le mensonge « d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Et en essayant d’abolir l’UNRWA, les Israéliens tentent de faire oublier au monde entier comment leur État a été créé, soit à travers un processus de nettoyage ethnique et le déplacement de 750 000 Palestiniens, même s’ils cherchent à l’oublier eux-mêmes.

On peut citer ici une étude publiée en 1994 par le Centre d’études stratégiques de l’Université de Tel-Aviv, réalisée par Shlomo Gazit qui a été entre 1974 et 1978 chef du renseignement militaire après voir travaillé comme coordinateur des activités dans les territoires occupés. Cette recherche, qui faisait partie d’un ensemble de documents établis en prévision de possibles négociations fixées par Oslo sur une solution permanente, était consacrée exclusivement au « problème des réfugiés palestiniens ».

La question des réfugiés figurait officiellement parmi les questions liées à une solution permanente, censée être discutée à partir de mai 1996 selon l’agenda décidé à Oslo, négociations que les tergiversations israéliennes sont parvenues à empêcher pendant plus de cinq décennies, à savoir depuis 1948.

En préparation de ce qui pourrait être (mais n’a jamais été) les négociations d’Oslo sur une solution permanente, Shlomo Gazit prévient le futur négociateur israélien que la première étape devrait inclure « l’abolition de l’UNRWA » et le transfert de la responsabilité des camps aux pays hôtes. Il s’agissait là d’abolir le « statut légal/officiel » des réfugiés qui permet aux Palestiniens d’acquérir le « droit au retour », conformément à la résolution n°194 de l’Assemblée générale des Nations Unies (11 décembre 1948), stipulant dans son onzième article que l’Assemblée générale :

« décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables. »

Or, d’un point de vue purement juridique, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU est toujours valable et la communauté internationale n’a pris aucune décision ultérieure pour l’annuler ou la modifier.

Même si personne dans les gouvernements arabes ne se soucie de cette question ou fasse les efforts nécessaires pour activer (ou du moins rappeler) les résolutions internationales, le fait est que Nétanyahou, comme ses prédécesseurs, n’a pas oublié que l’UNRWA, de par son statut juridique, est l’agence qui consolide le statut juridique des réfugiés en accordant la carte de réfugié, et en établissant les camps de réfugiés comme des unités échappant à la responsabilité des États hôtes, et distincts de leur environnement naturel, avec toutes les conséquences juridiques que cela entraîne.

Une position historique

Tout comme son prédécesseur Naftali Bennett, qui a tenu des propos similaires lors d’une interview sur CNN le 2 février 2024, Nétanyahou ne fait ici que reprendre d’anciennes positions israéliennes. L’on se souvient d’une première proposition américaine en 1949, stipulant qu’Israël autorise le retour d’un tiers du nombre total de réfugiés palestiniens, « à condition que le gouvernement américain prenne en charge les dépenses liées à la réinstallation du reste des réfugiés dans les pays arabes voisins ». Cependant, David Ben Gourion, fondateur de l’État d’Israël et son premier Premier ministre d’alors, avait rapidement rejeté la proposition américaine, avant même que les pays arabes concernés ne se soient prononcés.

Il n’y a donc rien de surprenant dans la position israélienne qui se perpétue de Ben Gourion à Nétanyahou, dans la mesure où la reconnaissance par Israël du droit des réfugiés impliquerait une reconnaissance de sa responsabilité dans l’émergence du problème et ce qui en découle légalement, c’est-à-dire le droit au retour. Rien de surprenant non plus dans la position du leader israélien à l’égard de l’UNRWA, qui est l’incarnation juridique du problème des réfugiés.

Au moment de la création de l’UNRWA, on pensait que cette agence serait « temporaire », en vertu des deux résolutions de l’Assemblée générale la créant (résolution 212 en novembre 1948 et résolution 302 en décembre 1949). Son travail, voire son existence même, devait prendre fin lorsque les réfugiés palestiniens dont elle s’occupait retourneraient dans leurs maisons et sur leurs terres saisies par les milices sionistes en 1948. Au lieu de cela, leur nombre a augmenté à mesure que l’État d’Israël s’est emparé de davantage de territoire pendant la guerre de 1967. Puis Nétanyahou est venu tenter de mettre fin à ce problème de réfugiés, non pas en leur permettant de rentrer dans leurs foyers, comme cela semblerait être la solution naturelle face à un tel problème, mais en éliminant l’organisation internationale qui « rappelle leur existence ».

En conclusion, la campagne israélienne contre l’UNRWA a plusieurs objectifs, dont deux principaux. Elle a tout d’abord un objectif immédiat qui, comme le soutient l’éminent professeur d’histoire anglo-israélien Avi Shlaim, est lié à la décision de la CIJ. En prévision des prochaines délibérations de celle-ci, la campagne israélienne entend déformer l’image de l’UNRWA, intimider ses responsables et les pousser à garder le silence sur les violations israéliennes qui n’ont pas cessé, en plus de saper la crédibilité de ses rapports et déclarations sur lesquels le tribunal s’est appuyé dans sa décision initiale. Très probablement, comme le font habituellement les avocats du mensonge lorsqu’ils manquent de preuves, ce sera la principale carte présentée par la défense israélienne à la reprise de l’audience (au moins pour des raisons de propagande). Le deuxième objectif de la campagne israélienne est stratégique, avec un impact plus profond. Il s’agit d’une tentative nouvelle et ancienne d’effacer totalement la question des réfugiés qui, du point de vue du droit international, est toujours d’actualité et n’a pas encore été éliminée.

Bien que Nétanyahou veuille faire oublier la question des réfugiés, avec toutes ses dimensions juridiques et humanitaires, sa position sur l’UNRWA et sa déclaration claire à ce sujet révèlent qu’à l’instar d’autres porteurs de l’étendard du sionisme comme idée et stratégie, il n’a pas oublié ce qui est dit dans les statuts de l’agence des Nations unies sur la définition du réfugié ; il peut être attribué à toute personne :

« qui a eu sa résidence normale en Palestine pendant deux ans au moins avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d’existence, et a trouvé refuge, en 1948, dans l’un des pays où l’UNRWA assure ses secours »

Selon les registres de l’UNRWA, le nombre de réfugiés palestiniens dépasse les six millions. Ce chiffre serait donc une menace démographique pour le sionisme ? L’idée, la stratégie (et l’État) d’Israël seraient-ils au-dessus de toute tentative de porter cette question là où le droit international pourrait être applicable — et efficace ?


 

   mise en ligne le 20 février 2024

Livraison d’armes à Israël : 
le silence troublant de la France

Zeina Kovacs sur www.mediapart.fr

Alors que plusieurs parlementaires interpellent le gouvernement au sujet des armes françaises envoyées vers l’État hébreu, Amnesty International publie mardi une lettre ouverte demandant à Emmanuel Macron l’arrêt de ces ventes.

Dimanche 18 février, le ministre israélien Benny Gantz a promis une offensive sur la ville de Rafah si le Hamas n’a pas libéré les otages encore retenus dans la bande de Gaza d’ici au ramadan, c’est-à-dire autour du 10 mars. Face à l’éventualité de cette attaque sur la zone qui concentre 1,4 million de réfugié·es, la communauté internationale a cependant mis Israël en garde. 

Dans les colonnes de L’Humanité lundi, Emmanuel Macron a affirmé qu’une telle opération, « même si des combattants du Hamas s’y trouvent, c’est la certitude d’une catastrophe humanitaire ». Depuis la semaine dernière, le ton du président français s’est durci : le 14 février, il a exhorté Benyamin Nétanyahou, lors d’une conversation téléphonique, à « cesser » les opérations, dénonçant un « bilan humain » et une « situation humanitaire » « intolérables ».

n diplomatique plus sévère, la France n’a toujours pas pris de sanctions contre Israël, notamment concernant leur collaboration de défense. Depuis quelques semaines, la pression des parlementaires et des ONG sur la question des exportations d’armes françaises s’intensifie, et le gouvernement entretient le flou.

Pressions sur le Quai d’Orsay

Ce mardi, à la suite des articles de Mediapart sur le sujet, l’ONG Amnesty International a envoyé une lettre ouverte au président français pour demander un « arrêt des livraisons d’armes et de matériels de guerre à Israël ». « La France doit respecter un devoir de prévention du génocide. Cela implique notamment de ne pas fournir à Israël de moyens lui permettant de commettre des actes entrant dans le cadre d’un risque de génocide », stipule la lettre.

Cette demande d’embargo de la part d’Amnesty intervient dans un contexte de manque de transparence du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur la question des livraisons d’armes et de composants militaires vers Israël.

À l’heure actuelle, nous n’avons aucun moyen d’affirmer que les composants français ne servent pas à l’offensive en cours à Gaza. Aymeric Elluin, spécialiste des questions d’armement à Amnesty International

Le 14 février, la députée insoumise Mathilde Panot interpellait à ce sujet le ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, en demandant notamment « la liste [des armes et composants] déjà livrés par la France à Israël ». « Le ministre n’a pas répondu à la demande d’embargo mais s’est engagé à communiquer cette liste », a indiqué la députée, qui attend toujours le précieux document.

Le lendemain, c’est le sénateur communiste Fabien Gay qui demandait au Quai d’Orsay « des chiffres précis sur les exports et autorisations d’export d’armes décidés par la France vers Israël en 2023, et le détail des équipements qui ont été livrés dans cette période ». Une requête restée sans réponse à ce stade.

Depuis dix ans, la France a vendu pour 208 millions d’euros de matériel militaire à Israël, dont 25,6 millions en 2022, un chiffre marginal qui ne représente que 0,2 % des ventes totales de la France à l’étranger. Mais ce qui interroge, c’est surtout l’autorisation de vente de composants de type « ML4 » pour 9 millions d’euros apparaissant dans le dernier rapport parlementaire sur les exportations d’armes de la France en 2022. Ces composants désignent, d’après le rapport, les « bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs et matériel et accessoires connexes et leurs composants spécialement conçus ».

Autrement dit, des composants ayant pu être utilisés, s’ils ont été livrés, pour bombarder la bande de Gaza où presque trente mille personnes ont été tuées depuis le 7 octobre. « À l’heure actuelle, nous n’avons aucun moyen d’affirmer que les composants français [comme des systèmes à distance d’aide à la conduite de tir, l’utilisation de composants utilisés pour le pilotage de drones – ndlr ] ne servent pas à l’offensive en cours à Gaza ou la facilitent », se désole Aymeric Elluin, spécialiste des questions d’armement à Amnesty International.

Si l’armée israélienne est volontairement floue sur la nature des armes utilisées sur le terrain, la France a toujours refusé de mettre en place un contrôle a posteriori de ses ventes d’armes. Interrogé par Mediapart, le Quai d’Orsay se contente de répondre que « chaque demande d’exportation de matériels de guerre repose sur un examen interministériel minutieux et rigoureux, au cas par cas, sur la base de différents critères ».

Situation humanitaire catastrophique à Gaza, nouvelle impasse en vue à l’ONU

La situation humanitaire reste catastrophique mardi dans la bande de Gaza, où 1,4 million de Palestinien·nes s’entassent dans la ville de Rafah menacée d’assaut par Israël, au moment où une nouvelle impasse se profile au Conseil de sécurité de l’ONU quant à un possible cessez-le-feu.

Après environ vingt semaines de guerre, les rapports des organisations humanitaires sur la situation dans la bande de Gaza sont de plus en plus alarmants. Selon les agences de l’ONU, les denrées alimentaires et l’eau potable sont devenues « extrêmement rares » dans le territoire palestinien, et 90 % des jeunes enfants y souffrent de maladies infectieuses. La perspective d’assaut sur Rafah inquiète la communauté internationale. Vingt-six des vingt-sept pays de l’Union européenne ont réclamé lundi une « trêve humanitaire immédiate ». Mais les espoirs qu’elle advienne sont de plus en plus minces.

Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se prononcer mardi sur un nouveau texte, préparé depuis des semaines par l’Algérie, exigeant un cessez-le-feu « immédiat ». Une résolution menacée par un nouveau veto des États-Unis, allié d’Israël, qui serait leur troisième depuis le début de la guerre.

Ces critères évoqués par le ministère sont définis notamment par le traité sur le commerce des armes (TCA), que la France a signé et qui lui interdit de vendre des armes si elle a « connaissance […] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre ».

La France est au courant des violations du droit international par Israël depuis au moins le mois de juillet 2023, date de son mémoire remis à la Cour internationale de Justice (CIJ) dans le cadre de l’« avis consultatif » que celle-ci doit rendre à l’Assemblée générale de l’ONU sur les « conséquences juridiques découlant des politiques et des pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé ». Dans ce texte que la France exposera mercredi – les audiences ont débuté lundi –, Paris pointe sans équivoque « les violations continues du droit international auxquelles Israël doit mettre un terme ». 

Mais l’élément qui aurait dû créer une « révolution copernicienne » pour Aymeric Elluin est la décision de la CIJ du 26 janvier dernier. La juridiction suprême onusienne a ordonné à Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte » de génocide. « Ce n’est plus une opinion politique, continue le spécialiste, la France a l’obligation de prévenir qu’un génocide se réalise. »

Muré dans le silence

Pourtant, depuis le 26 janvier, malgré les pressions des parlementaires et des ONG, aucune annonce en faveur d’un embargo n’a été prononcée par le gouvernement, qui préfère rester flou, voire silencieux, sur les questions qui lui sont posées à ce propos.

La France a-t-elle livré ou vendu des armes à Israël depuis le 7 octobre, et lesquelles ? Continuera-t-elle d’en livrer ou d’en vendre à l’avenir, malgré les risques de se rendre complice de crimes de guerre à Gaza ? Le 7 novembre déjà, le député insoumis Aurélien Saintoul posait les questions en ces termes au ministère des armées, restées pour l’heure sans réponse.

Depuis notre dernier article en date du 24 janvier, nous n’avons cessé de relancer le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Dans une réponse en date du 31 janvier, le Quai d’Orsay affirmait que « les matériels exportés sont, pour l’essentiel, des composants, pour lesquels nous accordons une vigilance toute particulière s’agissant de l’utilisation du matériel final dans lequel ils ont vocation à être intégrés, et non des armes proprement dites » (voir la réponse intégrale en Boîte noire). Relancé le 19 février sur la question des matériels de type ML4 notamment, le ministère des affaires étrangères n’a pas donné suite.

La liste détaillée des armes exportées par la France par pays devrait, comme chaque année, être publiée en juin 2024. Ce n’est qu’en juin 2025 que sera rendue publique la liste du matériel envoyé à partir de janvier 2024.

Aux Pays-Bas, la justice a tranché la semaine dernière. Saisie par trois ONG, un tribunal de La Haye a, le 12 février, ordonné au gouvernement néerlandais de cesser ses livraisons d’armes en Israël - en l’espèce, des pièces détachées destinées aux F-35 américains stockées aux Pays-Bas - compte tenu du « risque clair de violations graves du droit humanitaire » par Israël.

En novembre, deux ONG américaines avaient saisi la justice américaine, dénonçant la complicité des responsables américains, au premier rang desquels le président Joe Biden. Fin janvier, le tribunal californien a rejeté la requête, estimant ne pas être compétent, tout en appelant cependant les trois responsables visés, Joe Biden, Antony Blinken et Lloyd Austin, à « examiner les résultats de leur soutien indéfectible au siège militaire contre les Palestiniens à Gaza », et acceptant l’affirmation selon laquelle il est plausible qu’Israël commette un génocide dans l’enclave.

Boîte noire

À nos questions du 24 janvier sur les livraisons d’armes à Israël depuis le 7 octobre ainsi que ses nouvelles commandes, et sur son souhait de continuer à le faire en dépit de ses engagements internationaux, le Quai d’Orsay nous a répondu le 31 janvier.

« Historiquement, la France est un partenaire marginal d’Israël en matière d’équipements de défense. Pour l’année 2022, le montant de nos exportations en matière d’équipements de défense vers Israël représente 0,2 % du montant total de nos exportations de matériel de guerre pour la même année. 

Les matériels exportés sont, pour l’essentiel, des composants, pour lesquels nous accordons une vigilance toute particulière s’agissant de l’utilisation du matériel final dans lequel ils ont vocation à être intégrés, et non des armes proprement dites.

La France dispose d’un dispositif de contrôle parmi les plus aboutis et les plus stricts, fondé sur un principe de prohibition conduisant à soumettre l’ensemble des activités dans le domaine de l’armement à autorisation préalable délivrée par les autorités étatiques compétentes.

Chaque demande d’exportation de matériels de guerre repose sur un examen interministériel minutieux et rigoureux, au cas par cas, sur la base de différents critères, dont ceux définis par le Traité sur le commerce des armes ainsi que ceux de la Position commune 2008/944/PESC “définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires”. »

Le ministère a été relancé le 19 février sur la question des composants de type ML4 (bombes, roquettes, torpilles…) et sur la signature de nouveaux contrats et les livraisons depuis le 7 octobre, mais il n’a pas répondu à l’heure où nous publions cet article.


 

   mise en ligne le 19 février 2024

John Shipton, le combat d’un père pour faire libérer Julian Assange

Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

À 78 ans, John Shipton mène une bataille sans relâche depuis 2019 pour faire libérer son fils. New York, Paris, Berlin, Melbourne, Genève, le père de Julian Assange a promis de ne jamais cesser son combat alors qu’un dernier recours doit être examiné, les 20 et 21 février, à Londres. Un rejet pourrait déclencher son extradition vers les États-Unis.

Traits tirés, barbe blanche, John Shipton enchaîne les déplacements dans un seul but : faire libérer son fils, Julian Assange. Assez discret durant les sept années d’asile à l’ambassade d’Équateur, l’arrestation du fondateur de WikiLeaks en avril 2019 par la police britannique pousse cet ancien architecte à sortir du silence. « Julian ne peut plus parler pour se défendre. C’est à sa famille et ses amis de parler pour lui. Je suis devenu un de ses ambassadeurs partout où je vais afin d’obtenir sa libération », explique John Shipton.

Dès les premières minutes d’incarcération de son fils, les États-Unis adressent une demande d’extradition visant l’Australien de 52 ans pour violation de la loi relative à l’espionnage, pour laquelle il risque cent soixante-quinze ans de prison. Washington le poursuit sans relâche pour la diffusion de 750 000 documents classifiés, à partir de 2010, qui ont révélé des crimes de guerre commis en Irak et en Afghanistan par les armées américaine et britannique.

Une lutte de tous les jours

Depuis l’Australie où il réside, John Shipton n’hésite pas et prend le premier vol direction Londres pour retrouver son fils, qui se trouve dans une cellule de la prison de haute sécurité de Belmarsh. Cette visite le marque profondément. Il y découvre le journaliste dans un état physique extrêmement dégradé et de santé mentale inquiétant. « Il avait perdu plus de 10 kilos avec une pression psychologique constante. Je lui ai immédiatement promis de revenir régulièrement tant qu’il ne serait pas libre », raconte-t-il.

À Belmarsh, Julian Assange demeure dans une petite cellule, 22 heures sur 24, et ne reçoit que deux visites par semaine et un appel téléphonique de dix minutes. D’où la colère de John Shipton, qui interpelle les autorités britanniques sur le fait de « mettre en prison un journaliste, sans jugement, dans un établissement de sécurité maximale, à l’instar d’un terroriste ou d’un meurtrier ! Qu’a-t-il commis si ce n’est publier des informations d’intérêt public ? Il s’agit d’une pierre angulaire de la liberté des médias, du droit des citoyens et des droits de l’homme qui fondent nos démocraties ». Les Nations unies ont reconnu et alerté sur une forme de « torture » que constitue sa détention.

À 78 ans, il n’a jamais renoncé à ce combat. Depuis cinq ans, ce militant antiguerre et progressiste n’a pas ménagé ses efforts en se rendant partout où il était invité. « Nous avons visité plus d’une cinquantaine de pays pour donner des conférences aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Europe, en Amérique latine avec sa femme, Stella, ou son demi-frère, Gabriel. Nous avons également visité diverses institutions comme le Haut-Commissariat des Nations unies, le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et plusieurs Parlements, comme l’Assemblée nationale à Paris ». Dans cette lutte constante, le regret demeure de devoir laisser sa fille à Melbourne.

Un épilogue le 21 février

Ce soutien remonte à près de vingt ans, lorsque Julian Assange, étudiant, s’installe à Newtown chez son père. Plus tard, ils entretiennent de longs échanges sur la création de WikiLeaks ; l’adresse de la société a été réalisée sous le nom de Shipton.

Malgré tout, ce combat sans relâche a un coût financier qui a poussé John à vendre sa maison de Newtown, faute de liquidités, et à compter sur les dons des particuliers, la vente de livres. « Après tout, cette procédure symbolise un bras de fer international entre un homme et un empire sur la liberté de la presse », résume-t-il.

L’épilogue de l’affaire Assange pourrait se jouer les 20 et 21 février. La Haute Cour de justice britannique examinera durant ces deux jours la recevabilité de l’ultime appel du journaliste au Royaume-Uni pour empêcher son extradition vers les États-Unis. « À l’issue de ces deux jours d’audience, ou bien les deux juges autorisent le fondateur de WikiLeaks à présenter formellement cet appel ou bien ils le lui refusent. Dans ce cas de figure, le journaliste australien pourrait être extradé dans la foulée par Washington. On aura la possibilité de présenter un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mais celui-ci ne sera pas suspensif. Il appartiendra au Royaume-Uni de prendre en considération cette décision car rien ne l’y contraint », alerte, inquiet, John Shipton.


 

   mise en ligne le 18 évrier 2024

Sanctions contre Israël :
les gauches convergent sur le principe

Fabien Escalona, Pauline Graulle et Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

Initialement portée par les seuls Insoumis, la revendication de sanctions diplomatiques et économiques contre l’État hébreu réunit de plus en plus les gauches françaises. L’embargo contre les armes fait consensus, de même qu’un durcissement des mesures contre la politique de colonisation.

Tardivement, le ton des diplomaties occidentales se durcit à l’égard de Benyamin Nétanyahou. Alors que le bilan humain de l’intervention militaire de l’État hébreu dans la bande de Gaza approche des 30 000 morts, le premier ministre israélien menace d’une opération d’ampleur la ville de Rafah où se sont réfugiées plus d’un million de personnes dans des conditions effroyables.

Jeudi soir, le président des États-Unis Joe Biden a tenté de dissuader Benyamin Nétanyahou. En France aussi, Emmanuel Macron a haussé le ton cette semaine, signifiant mercredi au chef du gouvernement israélien « l’opposition ferme de la France à une offensive israélienne à Rafah ». « Le bilan et la situation humaine sont intolérables et les opérations israéliennes doivent cesser », a dit Emmanuel Macron, avant de menacer deux jours plus tard de reconnaître l’État palestinien, ce qu’il s’est toujours refusé à faire jusque-là.

Les deux pays ont par ailleurs pris des mesures de rétorsion à l’égard de « colons violents » en Cisjordanie, mais aucune en lien avec les crimes et destructions commises à Gaza. Longtemps évitée par les chancelleries, mais aussi largement absente du débat public, la question des moyens concrets d’arrêter la tragédie en cours finit par devenir incontournable. 

En France, Jean-Luc Mélenchon a été le premier responsable politique de premier plan à demander clairement, le 14 décembre dernier, des « sanctions économiques contre le gouvernement de l’État d’Israël ». En Belgique, le président du Parti socialiste (PS) belge Paul Magnette a défendu la même chose. Mercredi, sans prononcer le mot, les premiers ministres d’Espagne et d’Irlande ont évoqué les « mesures adéquates » à prendre par la Commission européenne en cas de non-respect par Israël des droits humains. 

Mais qu’en pensent les gauches françaises dans leur diversité ? Ces dernières semaines, en dehors donc de l’expression de La France insoumise (LFI), il était difficile d’y voir clair dans le positionnement public des uns et des autres. La dénonciation de l’action du gouvernement israélien, souvent vigoureuse, s’achevait volontiers sur des propos plus évasifs à propos des pressions à exercer à son égard. 

Mediapart a donc sollicité par écrit les quatre partis disposant d’un groupe à l’Assemblée nationale – La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), Les Écologistes et le Parti communiste (PCF). Des questions similaires ont été adressées aux chef·fes de groupe et à des député·es identifié·es pour leur travail sur le sujet. Raphaël Glucksmann, tête de liste des socialistes aux prochaines européennes mais leader de Place publique, a également été interrogé. 

Sanctions contre les exactions de colons : un consensus pour aller plus loin

Tous les parlementaires interrogés approuvent les mesures prises par la France le 13 février « à l’encontre de colons israéliens violents » en Cisjordanie, que Paris souhaiterait également voir adoptées au niveau européen. À ce jour, 28 personnes sont concernées par une interdiction administrative du territoire français. 

« C’est un premier pas qui va dans le bon sens », concède la députée PCF Elsa Faucillon, tout en regrettant qu’« il aura fallu attendre que les États-Unis prennent des sanctions pour que le gouvernement français se décide à prendre une mesure similaire ». À son image, tous les élus pointent le caractère insuffisant de ces dispositions. Olivier Faure et Boris Vallaud, respectivement premier secrétaire du PS et président de son groupe à l’Assemblée, mentionnent ainsi qu’il pourrait y être ajouté « le gel des avoirs » des personnes déjà visées, en France et si possible en Europe. 

Dénonçant comme ces derniers le problème structurel posé par la colonisation illégale, qui mine toute perspective de paix entre Israéliens et Palestiniens, les autres parlementaires vont plus loin en déduisant un élargissement nécessaire des sanctions à édicter. 

Ce qu’il faut sanctionner, c’est la politique d’un gouvernement d’extrême droite. Cyrielle Chatelain, députée écologiste.

Selon Mathilde Panot, présidente du groupe LFI, « il ne faudrait pas que [le] changement de vocabulaire calqué sur les États-Unis vienne à faire oublier que ce n’est pas les seuls colons dit “extrémistes” qui sont le problème au regard du droit international, mais la colonisation elle-même. » « Il n’y a pas les colons “violents” et “les autres”, abonde l’écologiste Sabrina Sebaihi. La colonisation est une violence à part entière, que l’on prenne les terres qui ne nous appartiennent pas par les armes ou à la faveur d’une absence. » 

Pour Éric Coquerel (LFI), « les sanctions devraient concerner tous les colons qui sont tous en situation illégale par rapport au droit international ». D’autres affirment que les dirigeants israéliens eux-mêmes devraient être visés, comme ce que suggère l’avocate Sarah Sameur, qui vient de déposer une requête en ce sens à Josep Borell, le haut représentant de la diplomatie européenne. 

C’est le cas d’Elsa Faucillon (PCF), qui trouverait plus courageux de « prendre des sanctions contre le gouvernement israélien », dans la mesure où les exactions sont commises à l’intérieur d’un « système colonial ». « Ce qu’il faut sanctionner, affirme également l’écologiste Cyrielle Chatelain, c’est la politique d’un gouvernement d’extrême droite qui encourage ces comportements criminels et qui persiste dans sa politique de colonisation. »

Sanctions économiques contre Israël : une convergence, mais pas au même rythme

Si les mesures prises par la France sont insuffisantes, indiquent tous les parlementaires contactés, c’est aussi qu’elles ne concernent pas les pertes humaines et les destructions qui s’accumulent dans la bande de Gaza. À cet égard, les choses ont bougé depuis le mois de novembre, lorsque le socialiste Jérôme Guedj, déjà interrogé sur d’éventuelles sanctions par Mediapart, répondait « qu’après le 7 octobre ce serait un renversement de responsabilités terrible et injuste »

Les Insoumis, interrogés sur les sanctions précises qu’ils envisagent depuis décembre, se refusent à « une liste à la Prévert » mais répondent, sous la plume de Mathilde Panot, qu’« en toute hypothèse il faudrait arrêter les missions économiques et déclarer un embargo sur les produits liés aux colonies. Par ailleurs, Manon Aubry [eurodéputée LFI – ndlr] a demandé au Parlement européen la suspension des accords UE-Israël. Et il faut évidemment arrêter immédiatement toute coopération sécuritaire et militaire de la France avec Israël. » 

Mathilde Panot a interpellé à ce sujet le ministre des affaires étrangères Stéphane Séjourné, en demandant « un embargo sur la fourniture d’armes et de composants militaires à Israël » et « la liste de ceux déjà livrés par la France à Israël ». « Le ministre n’a pas répondu à la demande d’embargo mais s’est engagé à communiquer cette liste », indique l’Insoumise.  

Les communistes vont dans le même sens que LFI. « Les sanctions réputationnelles ne suffisent plus, constate Elsa Faucillon. Il faut engager un rapport de force. » Selon son président de groupe André Chassaigne, « il existe deux leviers efficaces pour sanctionner Israël : les armes et le commerce. L’UE pourrait tout à fait édicter des sanctions diplomatiques et économiques à l’égard d’Israël, ne serait-ce que pour sortir du cercle infernal du “deux poids, deux mesures”, qui affaiblit considérablement la crédibilité de la France et surtout le droit international. »

L’écologiste Sabrina Sebaihi fait valoir que l’UE a su prendre des sanctions contre l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, et qu’elle devrait désormais en prendre contre Israël, à commencer par un embargo sur les armes et les produits issus des colonies. Sa présidente de groupe, Cyrielle Chatelain, répond également que face à « des violations du droit international humanitaire », l’UE et la France ont le devoir d’adopter des sanctions « comme elle le ferait à l’égard de n’importe quel autre pays qui commettrait de tels actes ».

Les sanctions envisagées par le PS semblent moins larges que celles envisagées dans le reste de la gauche.

Du côté du PS et de Place publique, le principe de sanctions est accepté, mais en prenant soin de rappeler la condamnation sans faille des attaques du 7 octobre menées par le Hamas – « le pire crime antisémite de ce siècle » selon Boris Vallaud ; « le pire pogrom depuis la fin de la Seconde guerre mondiale » d’après Raphaël Glucksmann. 

« Rien ne saurait justifier les attaques terroristes du 7 octobre 2023 ; rien n’autorise en retour le massacre aveugle des Palestiniens de Gaza au mépris du droit international », résume Olivier Faure, en rappelant la triple revendication de libération des otages, de cessez-le-feu et d’enquête internationale de l’ONU. « Raser le Nord, déplacer les civils à Rafah et maintenant bombarder leur dernier refuge, ce n’est pas lutter contre le terrorisme », abonde Raphaël Glucksmann. 

Les sanctions envisagées par le PS semblent moins larges que celles envisagées dans le reste de la gauche. Ses responsables citent surtout un « embargo sur les armes et les munitions utilisées par les parties belligérantes à Gaza », même si la porte n’est pas fermée à des mesures supplémentaires. Boris Vallaud évoque ainsi « des mesures ciblées, économiques et diplomatiques », pour obtenir un cessez-le-feu et une véritable aide humanitaire. Le PS soutient par ailleurs la demande des premiers ministres espagnol et irlandais d’examiner le respect de l’accord d’association UE-Israël. 

La France a le devoir d’agir, et par ailleurs elle ne serait pas isolée en Europe si elle le décidait. Mathilde Panot, députée LFI.

Raphaël Glucksmann le dit plus clairement encore : « L’UE devrait agir et envoyer un signal clair : déclencher par exemple la procédure de suspension de l’accord d’association UE-Israël sur la base de l’article 2 portant sur les droits humains. » Avec une mise en conformité des États membres par rapport aux règles européennes d’exportations d’armes,  il y aurait là l’occasion d’une « fermeté » que l’eurodéputé juge difficile à atteindre dans un système où l’unanimité est requise. « L’Europe est trop divisée sur la question », constate-t-il, jusque dans sa propre famille politique. 

La France devrait-elle agir de manière unilatérale ? « La Cour de justice internationale (CIJ) a demandé des mesures conservatoires pour mettre fin à un risque de génocide à Gaza, répond Mathilde Panot (LFI). Dans un tel contexte, il n’est pas acceptable de ne rien faire sous prétexte que certains pays européens restent sur la ligne du soutien inconditionnel au gouvernement de Nétanyahou. La France a le devoir d’agir, et par ailleurs elle ne serait pas isolée en Europe si elle le décidait. »

Saisir la Cour pénale internationale ? 

Les sanctions sont des mesures décidées par des autorités politiques pour contraindre un acteur extérieur. La voie de la justice internationale, nécessairement plus longue, est aussi explorée par les partis de gauche. À cet égard, trois groupes parlementaires ont récemment pris une initiative supplémentaire. 

Déposée le 18 janvier, une proposition de résolution de Sabrina Sebaihi et Elsa Faucillon vise à inciter le gouvernement à saisir la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation à Gaza. Cosignée par des parlementaires écologistes, communistes et insoumis, la résolution ne devrait toutefois pas être inscrite à l’agenda par la majorité.

Dans l’esprit de ses initiatrices, la saisine de la CPI aurait pour objet la qualification des crimes commis à Gaza (« y compris celui de génocide »), l’enquête sur les crimes de guerre et les éventuels crimes contre l’humanité et la demande de mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et d’autres dirigeants israéliens. 

« Il ne suffit pas de rappeler mollement à Israël qu’il doit se conformer au droit, souligne Elsa Faucillon. Il faut agir et lui imposer de le faire. Face à ce qui se passe à Gaza, les mots ne suffisent pas. » À l’unisson, Sabrina Sebaihi défend l’utilité de l’initiative en dépit de son caractère symbolique : « Cette saisie permet de continuer à mettre la pression au gouvernement français, qui a d’ores et déjà modifié son discours suite à la mobilisation citoyenne et politique. » 

La CPI, c’est le temps long. Si nous voulons aider les civils […] pris au piège à Rafah, il faut une action politique coordonnée et immédiate. Raphaël Glucksmann, eurodéputé Place publique.

Les socialistes, eux, n’ont pas signé la proposition de résolution. Ils en « partage[nt] l’intention », assure Boris Vallaud, mais « la saisine de la CPI trouvera malheureusement assez vite ses limites et ne sauvera dans le délai aucune vie », souligne Olivier Faure, rappelant que les États-Unis et Israël ne sont pas membres de la juridiction de La Haye. 

Le PS demande, plutôt qu’une enquête de la CPI, une « enquête internationale sous l’égide de l’ONU », qu’il estime plus efficace, et martèle la nécessité de « durcir la pression diplomatique », dixit Boris Vallaud. « Toute démarche permettant à la justice internationale d’établir les faits et les responsabilités est positive et reçoit mon soutien », indique de manière plus positive Raphaël Glucksmann, qui souligne néanmoins que « la CPI, c’est le temps long ». « Si nous voulons aider les civils bombardés et pris au piège à Rafah, il faut une action politique coordonnée et immédiate. »  

« Parfois, l’action politique ne parvient pas à se concrétiser mais son symbole reste fondamental, répond à distance André Chassaigne (PCF). Des parlementaires de plusieurs groupes réaffirment l’absolue nécessité du respect de la justice pénale internationale. C’est d’autant plus indispensable suites aux déclarations du Procureur de la CPI, Karim Khan, annonçant que son bureau pourrait prendre des mesures à l’encontre d’Israël. »

« Cette saisine seule ne peut changer la donne à court terme, [mais] elle s’inscrit dans une indispensable stratégie globale, défend Mathilde Panot (LFI). Et son impact n’est pas négligeable. S’il l’était, comment expliquer que le  gouvernement israélien soit vent debout contre ce type d’initiative ? »

Si des différences continuent à exister entre les gauches, dans la façon de parler du conflit et dans la radicalité des mesures à défendre par la France, les positions se sont rapprochées sur la nécessité de pressions concrètes pour inciter le gouvernement israélien à modifier son comportement. Sur un sujet qui avait contribué à faire exploser la Nupes, le constat n’est pas anodin. 

Boîte noire

Tous les parlementaires cités ont répondu par écrit aux questions de Mediapart, envoyées mercredi 13 février dans l’après-midi. 


 

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   mise en ligne le 17 février 2024

Sénégal : tout comprendre
à la crise politique qui secoue le pays

Benjamin König sur www.humanite.fr

Souvent présenté hâtivement comme le « bon élève démocratique » de l’Afrique, le Sénégal connaît à son tour une période de fortes turbulences. Dans un pays où près de mille opposants, journalistes ou voix de la société civile, sont emprisonnés, le récent report de l’élection présidentielle a aggravé une situation qui s’était détériorée depuis plusieurs années. Jeudi 15 février, le Conseil constitutionnel a invalidé cette décision, prolongeant l'incertitude.

Le 2 février, le président Macky Sall, à la tête du Sénégal depuis 2012, a annoncé le report de l’élection initialement prévue le 25 février, après avoir annulé purement et simplement le décret convoquant le scrutin. Une décision invalidée, jeudi 15 février, par le Conseil constitutionnel. Loin d’être une surprise, cette nouvelle crise politique n’est que l’aboutissement de tensions et d’une dérive autoritaire du pouvoir en cours depuis plusieurs années.

1. Les manœuvres de Macky Sall

Durant les derniers jours précédant l’annonce, des rumeurs bruissaient de cette volonté de Macky Sall de reporter l’élection par crainte d’une défaite de son camp : la coalition Benno Bokk Yakaar (Unis par l’espoir en wolof), représentée par le premier ministre actuel, Amadou Ba. Le président a profité d’un contentieux entre des députés de l’opposition – notamment du Parti démocratique sénégalais (PDS) – envers le Conseil constitutionnel pour ajourner le scrutin. Un projet de loi a été déposé dans la foulée, mais l’opposition catégorique d’une centaine de députés a entraîné leur expulsion de l’Hémicycle par les gendarmes. Une scène hallucinante. Les députés restants, ceux de la majorité et du PDS, ont ensuite validé le texte…

Un coup d’État civil qui a entraîné des réactions outrées dans la population, mais aussi dans le propre camp de Macky Sall : le ministre et secrétaire du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a démissionné : « Je n’ai pas de mots pour qualifier ça », a-t-il dénoncé. Durant ces deux journées des 4 et 5 février, malheureusement historiques, plusieurs manifestations ont été interdites et durement réprimées. Pire : plusieurs élus ont été arrêtés alors qu’ils comptaient mener campagne malgré tout, dont l’ex-première ministre de Macky Sall, Aminata Touré, emprisonnée puis libérée quelques heures plus tard.

2. Une répression féroce

Le président sortant voulait en réalité se représenter pour un troisième mandat, pourtant interdit par la Constitution. Il avait dû renoncer en juillet 2023 après des mois de mobilisation de la société civile et des intellectuels sénégalais. Le 20 janvier, le Conseil constitutionnel avait validé vingt candidatures, mais en écartant deux opposants, des poids lourds de la politique du pays : Karim Wade, du PDS, en exil au Qatar depuis 2016, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade (entre 2000 et 2012).

Et surtout Ousmane Sonko, le dirigeant du mouvement Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), la bête noire de Macky Sall. Ousmane Sonko est en prison depuis juillet dernier après une condamnation pour appels à l’insurrection et complot contre l’État. Le Pastef avait également été dissous par le gouvernement après les manifestations de mars 2021 et juin 2023, où 28 personnes au moins avaient été tuées par les « forces de sécurité ».

Ousmane Sonko a été également condamné pour diffamation envers le ministre du Tourisme, ce qui a permis de le déclarer inéligible. Pour le scrutin du 25 février, son bras droit Bassirou Diomaye Faye avait vu sa candidature validée : moins connu et populaire que son leader, il n’a, pendant longtemps, pas représenté un danger pour le pouvoir. D’autant que lui aussi est… emprisonné pour « outrage à magistrat et diffamation » après avoir critiqué les juges.

Des cas qui illustrent l’instrumentalisation systématique de la justice. « Quand Macky Sall est arrivé au pouvoir, le Sénégal était considéré comme le phare de la démocratie et des droits humains sur le continent africain. Depuis lors, il s’est employé à détruire les acquis démocratiques en instrumentalisant la justice, la police et la gendarmerie », martèle Seydi Gassama, le directeur d’Amnesty International Sénégal.

3. Quel horizon pour le Sénégal ?

En réalité, la démocratie sénégalaise a toujours été imparfaite – comme toutes. Mais cette fois, le Sénégal plonge dans l’inconnu : jamais un scrutin n’avait ainsi été reporté. Qui plus est aussi loin – le 15 décembre. Une longue période d’incertitude qui pourrait déboucher sur une véritable déstabilisation du pays. Onze candidats sur les vingt retenus ont annoncé leur volonté de poursuivre leur campagne et s’en tenir à la date du 25 février.

« Macky Sall s’est mis au ban de la toute la communauté internationale (…). Mobilisons-nous pour obtenir le scrutin du 25 février ! », a exhorté Aminata Touré. Si la France, l’UE et les États-Unis ont fait part de leur « préoccupation », leur hantise, comme celle de Macky Sall, était de voir un candidat du Pastef l’emporter : ses positions souverainistes, panafricanistes, parfois populistes, mais dénonçant fermement le néocolonialisme, notamment français, rebutent. Pas au Sénégal : parmi la jeunesse, comme dans les pays voisins, ces thèmes rendent Ousmane Sonko et le Pastef – même dissous – très populaires.

4. Une nouvelle page de la Françafrique ?

« Pour une fois, au Sénégal, un candidat aurait pu être élu pour œuvrer à l’autonomie de son pays sans être sous la dictée de Paris, en étant issu d’élections normales. Jusqu’à samedi, je me suis demandé si c’était possible. Quand le report a été annoncé, je me suis dit que ça s’inscrivait parfaitement dans notre histoire françafricaine », analyse Ndongo Samba Sylla, économiste et coauteur de De la démocratie en Françafrique. Une histoire de l’impérialisme électoral, paru en janvier (la Découverte).

Car Macky Sall est notamment un allié d’Emmanuel Macron, sur le plan diplomatique comme idéologique. D’autant plus qu’un enjeu économique se fait jour avec l’ouverture prochaine des gisements de pétrole : une rente qui aiguise les appétits, ceux des dirigeants sénégalais mais aussi des compagnies pétrolières occidentales.

Cette domination économique symbolisée par le franc CFA ou les récents accords de pêche entre le Sénégal et l’UE, qui entraîne un pillage de la ressource au détriment des pêcheurs locaux, est au cœur des griefs formulés par la jeunesse sénégalaise. Désormais, les regards sont tournés vers plusieurs dates : celle du 25 février, mais aussi du 2 avril, qui devait sonner la fin du mandat de Macky Sall. Au-delà, son maintien en fonction peut être considéré comme illégal. Et enfin, celle du 15 décembre 2024, désormais date de l’élection présidentielle.


 

   mise en ligne le 16 février 2024

Grève chez Lacoste : « On est la cinquième roue du carrosse »

Dan Israel sur www.mediapart.fr

L’approvisionnement des boutiques de toute l’Europe et les expéditions des commandes en ligne sont bloqués depuis lundi par un mouvement social dans le centre logistique de la marque au crocodile. Les salariés mobilisés pour leur salaire dénoncent aussi le « mépris » de la direction.

Buchères (Aube).– L’immense entrepôt, qui s’étend sur plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés dans la zone industrielle de l’agglomération de Troyes, ne porte aucun signe distinctif. C’est en approchant les petits groupes de salarié·es bloquant l’entrée aux camions qui se présentent qu’on repère de discrets indices. Ici et là, quelques doudounes siglées, une poignée de chasubles orange portant le fameux logo et, sur le drap qui récapitule les revendications rédigées au feutre de couleur, un crocodile esquissé laisse couler ses larmes. Les slogans qui l’accompagnent sont des cris du cœur : « Vivre dignement de notre travail », « Notre pouvoir d’achat est en chute libre depuis 3 ans ».

L’anonyme site industriel « Solodi 2 », sur la commune de Buchères, abrite en fait la plateforme logistique de Lacoste pour toute la zone Europe et Méditerranée. Toutes les boutiques du continent sont approvisionnées depuis ce gigantesque hangar, ouvert en janvier 2021, et toutes les commandes en ligne des Européens partent de là. Elles en partent du moins quand les salarié·es de l’entrepôt ne sont pas en grève.

Depuis lundi 12 février, la quasi-totalité des 220 personnes travaillant en CDI pour la filiale logistique de Lacoste ont cessé le travail. Selon les syndicats, plus de 90 % des salarié·es sont impliqué·es dans le mouvement, en grève totale ou avec des débrayages partiels, voire avec une participation au piquet de grève en dehors de leurs heures de travail.

Les grilles sont fermées aux poids lourds venus décharger les marchandises ou emporter les produits prêts à être expédiés. Quelques provisions sont abritées sous un barnum, flanqué d’un petit barbecue : depuis mardi matin, un tour de garde est organisé 24 heures sur 24 pour s’assurer que des mouvements de camions n’aient pas lieu dans la nuit ou au petit matin, comme cela a été le cas le premier jour de la grève.

Ce jeudi matin, un salarié masque mal un profond bâillement : il a tenu la garde toute la nuit. « Ça pique un peu », glisse-t-il avant de s’éclipser. Pour les nuits prochaines, et pour chaque moment de la journée, un tableau récapitule la liste des volontaires, qui tâchent d’être au moins une dizaine à tout instant.

Le mouvement appuie les demandes de l’intersyndicale (CFDT-Unsa-CGT). La principale porte sur une augmentation de 175 euros brut pour toutes et tous. De quoi revaloriser d’environ 9 % les plus petits salaires, et ne pas augmenter l’écart de salaire avec les cadres les mieux payés.

« Cette augmentation identique pour tous représenterait une hausse de salaire moyenne de 4,5 % pour 2024, alors que la direction a imposé une hausse de 3 %, précise Jean-François Brevière, le délégué syndical Unsa. Et l’an dernier, l’augmentation des salaires a seulement été de 2,5 %. Avec la forte inflation que nous vivons, nous avons calculé qu’en deux ans, nous avons perdu presque 5 % de pouvoir d’achat. »

D’autres revendications portent sur une revalorisation des astreintes ou une petite augmentation des indemnités kilométriques. « Nos revendications ne sont pas folles et certaines auraient même un coût zéro pour l’entreprise », souligne le syndicaliste. Par exemple la mise en place du volontariat pour les heures supplémentaires pour les plus de 55 ans, ou l’instauration d’un congé menstruel d’un ou deux jours, sur présentation d’un certificat médical.

Cela n’empêche pas la direction de rejeter en bloc toutes les propositions. Deux courtes réunions, lundi et mercredi, ont permis de constater que la situation était bloquée. « Il y a une rupture complète du dialogue », constate Jean-François Brevière. La direction demande que le blocage de l’entrepôt – une pratique qui n’est pas autorisée dans le cadre du droit de grève – cesse avant tout début de discussion. Mais les salarié·es tiennent à conserver leur moyen de pression.

« Pourtant, nous sommes prêts à discuter. Nous avons même proposé, en gage de bonne volonté, de laisser passer deux camions au début d’une réunion, puis d’en laisser entrer d’autres si elle se déroulait bien », raconte Pierre Kolikoff, le délégué syndical CFDT. Refus. Pour l’heure, même une proposition de médiation par l’inspection du travail n’a pas trouvé d’écho chez les dirigeants de Lacoste.

L’entreprise se porte très bien 

Le mouvement est symbolique à bien des égards. Troyes est le berceau de Lacoste, qui a fêté ses 90 ans en 2023. C’est dans cette ville en 1933 que le bonnetier André Gillier, déjà inventeur du slip kangourou, a fabriqué le premier polo à la demande du champion de tennis René Lacoste. C’est ici qu’est encore installée une petite partie de la production de la marque, et que certains services opérationnels sont encore implantés.

La marque, rachetée en 2012 par le groupe suisse Maus Frères (qui possède aussi The Kooples ou Aigle), se porte à merveille depuis qu’elle a engagé une stratégie de « premiumisation » – le polo iconique est désormais vendu 110 euros pièce. En 2022, ses résultats ont progressé de 26 %, et son chiffre d’affaires a doublé en dix ans, atteignant le niveau record de 2,5 milliards d’euros. Pour 2026, les 4 milliards de chiffre d’affaires sont officiellement la cible. Et les syndicalistes évoquent le chiffre de 150 millions d’euros de dividendes dernièrement versés à l’actionnaire suisse.

Aujourd’hui, l’entreprise insiste plutôt sur les incertitudes de la conjoncture. « Dans un secteur textile en souffrance et où les difficultés des entreprises se multiplient, Lacoste accompagne ses collaborateurs dans la durée avec pour objectif principal la sécurité de l’emploi et la pérennité de la marque, en particulier concernant les zones de production et de logistique sur le territoire français », indique-t-elle à Mediapart.

Lacoste assure que sa politique de rémunération permet « de protéger le pouvoir d’achat [des salarié·es] et d’améliorer leurs conditions de travail ». Pas de quoi calmer la mobilisation, tant s’en faut, alors même que l’entreprise et ses filiales ne sont pas connues pour être particulièrement remuantes. L’an dernier, le mouvement d’opposition à la réforme des retraites n’a pas rencontré de succès dans l’entrepôt Lacoste, comme dans tout le secteur de la logistique.

« La dernière grève avec blocage, c’était dans les années 1990, se remémore Pierre Kolikoff. Ces dernières années, j’ai souvent appelé à organiser des petits débrayages au moment des Nao, et c’était assez peu suivi, on avait du mal à embarquer les gens. Là, c’est parti tout seul ! Il y a une accumulation de fatigue, de contrariétés, qui font que les gens sont très motivés. »

Des salaires rattrapés par le Smic

À 10 h 15 ce jeudi, un poids lourd se présente. Aussitôt, une ligne de grévistes se met en travers de son chemin devant l’entrée des camions, sifflets à la bouche pour certains. Un petit groupe vient expliquer la situation au chauffeur, qui renonce et va se garer avec son chargement dans une petite rue quelques mètres plus loin.

Dans les bouches de tout le personnel mobilisé, ce sont d’abord les salaires qui surgissent. Elles et ils sont caristes, préparateurs de commande, techniciens de maintenance. Une bonne partie est payée aux alentours de 1 850 euros brut, sur 13 mois. « Cela fait plus de cinq ans que nous travaillons ici avec mon conjoint, et lui a pris du galon entretemps, explique Julie*. Avant, on ne faisait pas les comptes et on s’en sortait sans problème. Aujourd’hui, je dois faire les comptes tous les jours. C’est devenu difficile, malgré les heures sup’, qui sont payées 25 % de plus : en période de pointe, je peux travailler jusqu’à 44 heures par semaine au lieu de 35. »

« Le Smic nous rattrape, on est sur du piétinage salarial », complète Marion, qui souligne que le salaire des préparateurs et préparatrices de commande est fixé à 11,70 euros de l’heure, alors que le salaire minimum est passé à 11,65 euros de l’heure en janvier. C’est ce que sont payé·es les intérimaires qui défilent – ils sont entre 150, en période normale, et 400, en « période haute » : fêtes de fin d’année, périodes de soldes, fêtes des pères et des mères… Le sentiment de déclassement est réel.

À leurs côtés, David*, technicien, souligne que l’écart de salaire entre un de ses collègues en début de carrière et un autre qui affiche plus de 30 ans d’ancienneté, « est seulement de 200 euros ». Il cite aussi la suppression des « primes de glissement de poste », qui accompagnaient auparavant la prise de responsabilité.

Dans ce cadre morose qu’ils sont nombreux à décrire, les conditions de travail sont aussi unanimement pointées du doigt. Le site de Buchères a été rénové et très largement agrandi pendant de longs mois, avant d’être relancé sous sa forme actuelle à partir de janvier 2021. La promesse était d’automatiser une grande partie des tâches logistiques et de pouvoir absorber un flux de marchandises en hausse perpétuelle, du fait de l’augmentation des ventes, mais aussi du rapatriement en interne des ventes online ou des commandes de chaussures, jusque-là gérées depuis la Grande-Bretagne.

Les promesses n’ont pas été tenues. Les premiers mois ont été très difficiles, la ligne automatique connaît de nombreuses pannes, les tâches répétitives se font encore largement à la main, l’afflux de marchandises peut gêner les lignes de préparation de commandes…

« Et la ligne a été mal conçue dès le départ, se plaint Marc*. On reçoit des cartons très épais et bien fermés, qu’il faut ouvrir à la main, au cutter. C’est déjà pénible pour le corps. Ensuite, il faut balancer les cartons sur le convoyeur à déchets, qui est situé en hauteur. Je peux l’atteindre en me mettant sur la pointe des pieds, mais les femmes moins grandes que moi doivent sauter. »

Les grévistes et les syndicalistes assurent que les accidents du travail sont fréquents. « On en compte déjà plusieurs depuis le début de l’année : un pied cassé, des tendinites à répétition… Les gens sont fatigués, il y a de l’inattention ou bien ce sont les corps qui lâchent », glisse Marion. En juin 2021, un homme a fait une chute mortelle dans l’entrepôt. Si l’enquête a montré qu’il n’avait pas respecté toutes les procédures de sécurité, nombreux pensent que la cadence imposée sur place explique en partie sa faute.

Plus récemment, un autre drame a été évité de peu : deux nacelles évoluant entre les rayons pour aller chercher les colis les plus hauts se sont percutées frontalement. L’une d’elles a basculé, faisant chuter le travailleur de 8 mètres de haut. « Quelques bleus seulement », croient savoir ses collègues, qui saluent un miracle. Mais l’homme était intérimaire, et il a disparu de l’entrepôt à la fin de son contrat.

Différences de traitement 

Un vrai sentiment d’être méprisé·es pointe aussi, régulièrement. Les salarié·es soulignent que les remerciements officiels pour leur implication sont rares, et toujours effectués par écrit, par mail ou sous la forme d’une petite note affichée à un tableau. « En janvier, on a battu un record de pièces à la journée, 104 000 pièces préparées en un jour, et on n’a même pas eu droit à des félicitations de vive voix », s’indigne une gréviste, se sentant « la cinquième roue du carrosse dans cette entreprise ».

La comparaison revient constamment avec « les Gayettes », le site historique de Lacoste dans le centre de Troyes, qui emploie encore des centaines de personnes, en partie pour la production de certaines des pièces les plus connues de la marque. « Ils sont mieux payés de 14 % pour le même métier », peste Marc.

Autre exemple, symbolique : jusqu’au début de cette année, le montant des tickets restaurant ou des primes « paniers repas » des employé·es du centre de Troyes était supérieur à ceux de la filiale logistique Solodi. « OK, ils sont mieux payés que nous parce qu’on nous dit qu’ils ont un savoir-faire particulier. Mais on n’aurait pas le même estomac ? », ironise Thomas*.

Dans ce contexte, et sans réponse adéquate de la direction, les grévistes assurent qu’elles et ils veulent inscrire leur mouvement dans la durée. Les sacrifices financiers sont déjà trop importants. Et quelque chose est en train de naître dans cette zone industrielle.

« Pour moi, qui n’avais jamais fait grève jusqu’à aujourd’hui, c’est devenu une mission. Je compte bien tenir, pour montrer qu’on n’est pas des petites mains, des numéros qu’on peut ignorer, professe Marion. On est solidaires, il y a des gens de tous les secteurs, des personnes qu’on ne croise pas tous les jours, on apprend à se connaître, tous les ouvriers s’y sont mis, c’est beau. »

« On montre aussi que si on a été capables de faire ça, on pourra le refaire », lance Marc, levé à 3 heures ce jeudi matin pour prendre son tour de garde avant d’embaucher, à 5 h 40. « On nous rappelle constamment les valeurs de Lacoste, par exemple “Play as one team”, jouer en équipe, décrit Jean-François Brevière, de l’Unsa. Mais aujourd’hui, face à nos demandes, elle est où, l’équipe ? »

Boîte noire

* Aucun des salarié·es non protégé·es par un mandat syndical n’a souhaité faire connaître son nom ou son prénom. Dans cet article, elles et ils s’expriment sous des prénoms d’emprunt.


 


 

« Porter l’uniforme SNCF n’est plus une fierté » : avant la grève, les contrôleurs désabusés

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Alors qu’un train sur deux circulera ce week-end sur les grandes lignes à la suite d’un mouvement de grève chez les chefs de bord, l’Humanité a recueilli les témoignages de deux contrôleurs. Des conditions de vie et des salaires loin des privilèges dépeints dans les médias.


Samedi, Stéphane, un agent du service commercial trains (ASCT) de 58 ans, était sur le pont. Ce contrôleur s’est levé dès 3 heures du matin pour atteindre la gare de Lyon, à Paris, depuis son domicile picard. L’embauche est faite à 5 h 30. Dix minutes plus tard, Stéphane effectue les vérifications sur son TGV, avant de débuter l’accueil embarquement des voyageurs à destination de Bourg-Saint-Maurice.

Arrivé à la station de ski vers 12 heures, le chef de bord repart une heure plus tard pour Chambéry. Pour Stéphane, la journée se termine à l’heure du goûter, dans la cité savoyarde. Le lendemain, après une nuit à l’hôtel, l’ASCT se rend en TER sur Grenoble, comme un voyageur lambda, pour effectuer son service à bord d’un TGV en direction de Paris.

« L’entreprise n’est plus la même »

Depuis ce lundi, après que la direction de la SNCF n’a pu s’engager à tenir les promesses formulées lors de la crise de Noël 2022, poussant ces agents à la grève, les contrôleurs sont sous le feu des critiques. Pourtant, les témoignages recueillis par l’Humanité font état du malaise dans la profession.

Agent sur l’axe Sud-Est, Stéphane dit « ne plus avoir la fierté familiale de porter l’uniforme SNCF ». Son père, électricien-dépanneur, avait participé à la validation des rames TGV avant leur mise en activité. « L’entreprise n’est plus la même. Nous ne sommes plus un service public. On nous explique que le client doit être au centre de nos préoccupations, déplore-t-il. Or, la SNCF fait tout pour les laisser à quai. Aujourd’hui, l’entreprise est segmentée par activités, TGV, Intercités, TER… Le voyageur est livré à lui-même. »

De quoi impacter le travail des plus de 8 000 ASCT. Au-delà des procédures de fermeture des portes et de départ des trains, « s’il se passe quoi que ce soit sur l’encadrement de la circulation, d’un choc du train au malaise du conducteur, j’ai une responsabilité en matière de sécurité », mesure Stéphane. La seconde mission : la vie à bord, c’est-à-dire la sûreté des passagers. « Nous pouvons intervenir face à des forcenés ou des personnes ivres », insiste-t-il.

Un traitement brut de 2 473 euros après trente-cinq ans de carrière

Un constat que partage Yohan. « Nous sommes assistante sociale, garde du corps… gérer l’humain est de plus en plus compliqué dans une société plus violente. La direction nous pousse à faire toujours plus de chiffre, forcément, cela amène à des clashs. Le pouvoir d’achat des Français n’est pas au mieux. Quand vous demandez 100 euros, des fois, ça fait très mal au porte-monnaie. » D’ailleurs, la présence de deux contrôleurs dans l’ensemble des TGV fait partie des revendications de ce mouvement de grève.

Le chef de bord de 45 ans poursuit : « En 2019, j’ai dû intervenir auprès d’un homme qui voulait frapper une dame. J’ai reçu deux coups de poing. » Pour l’agent, « la déshumanisation des gares rajoute des missions aux contrôleurs. En réalité, nous sommes à la fois vendeur de billets, aide à la clientèle, aide aux personnes à mobilité réduite… ».

Et les salaires ? Après trente-cinq ans de métier, Stéphane dit toucher un traitement brut de 2 473 euros. Auquel s’ajoute la prime de travail, de 593 euros. La CGT réclame son augmentation à hauteur de 780 euros brut. « Hors prime, je gagne 2 095 euros brut, note Yohan. J’entends Gabriel Attal dire que le travail est un devoir. Mais le premier ministre a-t-il seulement travaillé une journée comme un ouvrier ? »


 

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