PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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débat à gauche  -  depuis janvier 2024

mise en ligne le 10 octobre 2024

Budget : à l’Assemblée,
le plan de la gauche
pour mener
la bataille des impôts

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

Le projet de loi de finances pour 2025 est présenté ce jeudi 10 octobre, en Conseil des ministres. Au cœur des débats à venir dans l’Hémicycle, l’augmentation des impôts, refusée par la Macronie. Michel Barnier a annoncé ne rien s’interdire, tandis que la gauche entend redonner tout son sens à cet outil de redistribution.

Un totem matriciel du macronisme vacille. Depuis sept ans, les troupes présidentielles ont bâti leur identité politique autour d’une promesse : aucune hausse des impôts. Et voilà que le premier ministre issu des « Républicains », Michel Barnier, a franchi le Rubicon et ouvert la discussion : « Il ne faut pas s’interdire d’aller vers une plus grande justice fiscale », a déclaré, dès mi-septembre, l’hôte de Matignon.

« La hausse des impôts n’est jamais une fatalité, mais toujours une facilité », lui a répondu la députée Renaissance Aurore Bergé, pressée de marteler le récit macroniste : l’impôt ne serait pas un levier de redistribution, mais une solution négative, une punition qui s’abattrait sur les honnêtes gens.

L’impôt sert pourtant à financer la solidarité nationale, les services publics et la lutte contre les inégalités. Au fur et à mesure que les impôts les plus progressifs diminuaient, ces sept dernières années, la pauvreté, elle, a largement augmenté. Preuve que le logiciel macroniste est à bout de souffle.

« Contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus

Et pourtant, malgré les cris d’orfraie des élus Renaissance, les pistes envisagées par le premier ministre sont loin d’incarner une révolution fiscale. En l’espèce, les hausses d’impôts à la sauce Barnier pourraient prendre la forme d’une « contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus, qui ne toucherait que les ménages émargeant à plus de 500 000 euros par an (soit l’équivalent de 20 fois le revenu médian français, ce qui représente 0,3 % des ménages). Recettes estimées : 2 milliards d’euros.

Une autre augmentation cible 300 grandes sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros annuels. Les deux mesures seraient temporaires, « sur un ou deux ans », promet Michel Barnier : « il n’y aura pas de choc fiscal. »

Voilà le patronat rassuré, d’autant qu’une autre augmentation d’impôts, sur laquelle Matignon s’est bien gardé de communiquer, risque, elle, de toucher sévèrement les plus pauvres : la hausse de la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité (TICFE). Cette part prélevée par l’État sur la facture au mégawattheure pourrait être doublée d’ici à février.

Preuve que la droite et le centre ne rechignent pas à cibler le portefeuille des Français, malgré leurs discours – il n’est jamais question, par exemple, d’entamer un débat de fond sur la TVA, impôt qui touche proportionnellement plus fort les bas revenus.

Reste que le premier ministre a ouvert une brèche dans laquelle la gauche parlementaire entend s’engouffrer. « Michel Barnier a eu le mérite de remettre la question fiscale sur le tapis, là où la Macronie refusait tout débat sur ce sujet, se félicite le député PCF Nicolas Sansu. Après sept années d’Emmanuel Macron, nous avons un impôt de moins en moins progressif et de moins en moins compris, qui nourrit le sentiment d’injustice fiscale et la haine envers les prélèvements. »

Le NFP propose une équation anti-austéritaire

Alors, ce mercredi 9 octobre, à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire (NFP) a décidé de serrer les rangs. Communistes, insoumis, socialistes et écologistes ont présenté ensemble à la presse les mesures phares de la coalition pour amender le projet de loi de finances 2025, présenté en Conseil des ministres ce jeudi 10 octobre. À leurs côtés, une invitée spéciale, Lucie Castets, « à l’origine de ce travail budgétaire » et toujours candidate du NFP pour Matignon.

La gauche dresse une liste de 10 mesures visant à dégager environ 49 milliards d’euros de recettes supplémentaires, qui prendront la forme d’amendements déposés par les quatre forces du NFP. « Le temps n’est pas aux rustines ! » tance l’insoumis Éric Coquerel, président de la commission des Finances.

Les propositions du NFP reprennent ainsi en grande partie le chiffrage établi par la gauche lors des législatives, « seule coalition à avoir détaillé à ce point son programme », rappelle le député FI, persuadé que la gauche aurait pu obtenir « une majorité sur un budget NFP-compatible si on nous avait laissé gouverner ».

« Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés. » Philippe Brun, député PS

La preuve, c’est que là où le gouvernement souhaite faire des coupes budgétaires à hauteur de 40 milliards d’euros, tout en promettant de « répondre à l’attente des Français qui ont besoin d’une plus grande présence des services publics sur le territoire », le NFP propose une équation anti-austéritaire qui reste la seule à même de pouvoir développer les services publics.

Mais où la gauche propose-t-elle d’aller chercher ces nouvelles recettes ? « Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés », sourit le socialiste Philippe Brun. D’abord, en plafonnant ou en supprimant un certain nombre d’exonérations ou de crédits d’impôt qui ne se justifient pas. Le crédit d’impôt recherche, qui représente 7 milliards d’euros par an sans effet notable sur le financement de la recherche française, serait plafonné à 50 millions d’euros et davantage ciblé et tracé.

Exit les exonérations de cotisations employeurs pour tous les salaires supérieurs à deux Smic (3 600 euros brut). Exit aussi la fiscalité anti-écologique de l’aérien : le NFP propose de supprimer l’exonération de taxe kérosène sur les vols intérieurs et de taxer les vols en jet privé. Les recettes dégagées viendraient financer le développement de l’alternative ferroviaire : « La fiscalité écolo n’est pas une fiscalité de rendement : nous la redistribuons tout de suite à destination des usagers », soulève l’écologiste Eva Sas.

Retour de l’ISF, taxe sur les grandes entreprises

Sur le volet des nouvelles impositions, la coalition de gauche remet sur la table la réinstauration de l’impôt sur la fortune (ISF), dans une version « revisitée et plus robuste », avec une composante plancher équivalente à 2 % du patrimoine net global, pour être certain que les ultra-riches n’y échappent pas via un montage fiscal.

Là encore, avec l’objectif de bâtir une majorité au-delà du NFP : « Il y a une majorité de députés de cette Assemblée qui ont mis le retour de l’ISF dans leur profession de foi », rappelle Philippe Brun. Le Modem, l’an dernier, avait d’ailleurs soutenu la création d’un ISF vert et l’instauration d’une taxe sur les superprofits, qu’Emmanuel Macron avait dogmatiquement refusée.

Emboîtant le pas à Michel Barnier et sa micro-mise à contribution temporaire des grandes multinationales, le NFP propose aussi de taxer les entreprises à plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel avec un taux d’impôt sur les sociétés à 40 %, rehaussé à 55 % pour les entreprises à plus de 3 milliards. Une mesure à 5 milliards de recettes, à laquelle s’ajoute l’augmentation de la taxe sur les transactions financières (de 0,3 % à 0,6 %), pour un gain de 2 milliards d’euros supplémentaires.

La batterie de mesures cible donc les ménages aisés, les très grandes entreprises extrêmement profitables, le marché boursier et les activités polluantes. Le tout, pour dégager des marges de manœuvre en termes de politiques publiques. Contrairemetn au budget Barnier, qui est « très court-termiste et propose une cure dangereuse d’austérité qui ne permet pas à la puissance publique de fonctionner », considère Lucie Castets, qui ajoute que « les réformes fiscales de Macron, ce sont 62 milliards d’euros qui sont grevés sur les comptes publics chaque année ».

« Ces mesures ne sont que le volet recettes de nos propositions sur le PLF 2025, rappelle Nicolas Sansu. Elles servent de base pour, dans un second temps, nos mesures de financement de l’hôpital, de l’école, des services publics… » La gauche s’attend déjà à ce que la coalition de Michel Barnier l’accuse de « matraquage fiscal » ou de vouloir « asphyxier les Français ».

Faire dérailler la fable macroniste

Le socialiste Claude Raynal, président de la commission des Finances au Sénat, s’en empourpre d’avance : « Il est insupportable d’entendre ceux qui sont responsables de notre déficit actuel (3 200 milliards d’euros – NDLR) nous faire la leçon et fixer des lignes rouges sur le budget ! »

Il faudra donc batailler pour faire dérailler la fable macroniste qui veut faire de l’impôt redistributif un épouvantail, au nom d’une croyance tout aussi contestable : la théorie du ruissellement qui suppose que l’argent des riches s’écoule magiquement vers les plus pauvres, pour peu qu’on fiche une paix royale aux premiers. Car, au-delà du Parlement, certains s’autorisent à penser bien plus loin que Michel Barnier.

Le 8 octobre, le Figaro publiait le « rapport choc » de l’Institut Montaigne, think tank libéral qui propose une feuille de route à 150 milliards d’économies. Au rayon des « bonnes idées » de l’institut, 25 milliards retranchés des dotations aux collectivités territoriales (donc des services de proximité : écoles, Ehpad, bibliothèques, piscines publiques…) ; des séjours écourtés en maternité après accouchement ; ou encore la retraite à 66 ans. La question de la hausse des impôts, pilier de notre contrat social, est évidemment, là encore, absente de ses radars.


 


 

Pourquoi les Français veulent de moins en moins payer leurs impôts ?

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Le discours anti-impôts, omniprésent, tout autant que la hausse des inégalités et la dégradation des services publiques, fait des ravages sur le consentement de la population à participer à la contribution commune : 82 % jugent le système fiscalo-social « inéquitable ».

La France serait la « championne du monde des prélèvements obligatoires » et un « enfer fiscal », répète Patrick Martin, le président du Medef, sur tous les plateaux de radio et de télévision depuis la rentrée. Ce discours anti-impôts, allègrement repris par des ministres jusqu’à il y a peu en exercice, mine le consentement à l’impôt des Français.

Le dernier baromètre du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) révèle que 67 % des Français sont insatisfaits de l’utilisation faite de leurs impôts (+ 3 % en deux ans) ; 82 % jugent même le système fiscalo-social inéquitable.

« La première cause de cette dégradation est ce discours idéologique anti-impôts constamment rabâché », assure le fiscaliste Vincent Drezet. « C’est le jour où on en verra les conséquences qu’on le regrettera », met en garde le porte-parole d’Attac, qui cite en exemple le système de santé. En effet, le service public français représente 11,9 % du PIB. Aux États-Unis, où l’essentiel est privatisé, c’est 18,2 %. Y accoucher coûte entre 50 000 et 100 000 dollars, selon les prestations de la clinique.

Le contrat social en France stipule que, là où il y a contribution, il doit y avoir rétribution. Les cotisations sociales, qui financent les retraites ou le chômage, sont du salaire différé, quand les impôts financent les services publics, « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », disait Jean Jaurès.

Le taux de prélèvement obligatoire français, entre 42 et 45 % du PIB depuis les années 1980 (en substance, comme la Belgique, le Danemark ou l’Allemagne), ne peut être comparé à celui d’un paradis fiscal comme l’Irlande (21 %), ou aux États-Unis (25 %) où la santé, la recherche comme l’enseignement supérieur sont en grande partie privés.

À cela, les Français sont encore attachés, nous dit le baromètre du CPO, mais ce lien citoyen avec l’impôt est de plus en plus fragile. Si 65 % des répondants estiment payer trop d’impôts, 50 % préfèrent « améliorer les prestations fournies par les services publics, quitte à augmenter le niveau des impôts », et 83 % pensent que l’État devrait dépenser davantage pour certaines missions comme l’hôpital ou l’école.

Les Français majoritairement bénéficiaires de la redistribution

« La première mesure qu’il faudrait prendre pour rétablir le consentement à l’impôt serait de rendre la fiscalité lisible, explique la responsable de plaidoyer « Justice fiscale et inégalités » d’Oxfam, Layla Abdelké Yakoub. Il faut comprendre ce que l’on paye et pourquoi. » Vincent Drezet acquiesce : « Il faut d’abord informer, faire preuve de transparence et de pédagogie pour contrer, arguments à l’appui, les discours anti-impôts. »

Ainsi, 74 % des Français ont l’impression de contribuer plus qu’ils ne bénéficient du système de redistribution, ce qui est faux. En 2018, les économistes Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman avaient produit une étude mesurant que les deux tiers des Français recevaient davantage, en prestations et en services publics, qu’ils ne versent en impôts, taxes et contributions sociales.

Dans la continuité de ce travail, l’Insee a refait le calcul en 2023 et la situation semble s’être dégradée, puisque, selon le rapport, 57 % des ménages français sont bénéficiaires nets de ce système de redistribution élargie. Dans le détail, il s’avère que « 90 % des individus de plus de 60 ans reçoivent plus que ce qu’ils paient, principalement via les retraites et la santé », contre moins de 50 % chez les actifs. Autrement dit, l’impôt remplit de moins en moins son rôle redistributif.

« Chez Attac, on aime dire qu’il n’y a pas de ras-le-bol fiscal, mais un ras-le-bol des injustices fiscales, » avance Vincent Drezet, qui date cette inflexion de la crise de 2008, lorsque les Français ont eu le sentiment de payer pour les banques. La politique de l’offre qui vise à augmenter les marges des entreprises n’a pas arrangé le sentiment d’injustice.

« Ces dernières années, quand le gouvernement parlait de baisses d’impôts, ce n’était que pour les plus riches et les grosses entreprises, mais quand il faut les augmenter, c’est pour tout le monde », déplore Layla Abdelké Yakoub. Il y a eu une série d’allègements fiscaux à destination des grosses fortunes (suppression de l’ISF, création de la flat tax, etc. ) mais aussi sur les sociétés (baisse de l’impôt sur les bénéfices de 33 à 25 %, baisse des cotisations, suppression de la CVAE sur les grands groupes, multiplication des niches fiscales, etc.).

Dans leur écrasante majorité, les Français n’en ont pas vu la couleur. L’aide aux entreprises, sous toutes ses formes, est devenue la première dépense de l’État. « Voilà pourquoi il faut de la transparence sur comment est utilisé l’argent de la population : des dizaines de milliards d’euros non conditionnées sont distribués aux grands groupes et, après, le gouvernement attaque les droits sociaux et réduit le budget des services publics, ce n’est pas entendable ! » s’insurge la chargée de plaidoyer d’Oxfam.

À l’inverse, la charge fiscale repose de plus en plus sur les taxes les moins progressives, comme la TVA, la CSG (les deux premières recettes fiscales avec respectivement 200 et 142 milliards d’euros). De ce fait, la taxe sur la consommation représente jusque 14 % du revenu disponible des ménages les plus modestes, contre 4,7 % pour les plus riches.

Conséquence de cette politique : les inégalités se sont creusées avec un taux de pauvreté qui est passé de 12,5 % à 14,4 % en vingt ans. Les ultrariches, eux, n’ont jamais autant cumulé : les cinq premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie.

« La faible progressivité du système fiscal ne permet pas de réduire efficacement les inégalités. Ce sont principalement les services publics et la protection sociale qui le permettent (sans cela, le taux de pauvreté dépasserait 22 %) », rappelle Attac.

Effet pervers, à mesure que le consentement à l’impôt s’érode, la tolérance à la fraude de proximité, comme le travail à domicile non déclaré, augmente. Seules 55 % des personnes interrogées dans le baromètre du CPO souhaitent que l’État dépense davantage de fonds publics pour lutter contre.

« On se dit que, quitte à ne pas s’y retrouver, à voir l’accessibilité et la qualité des services publics baisser, autant frauder, soupire Vincent Drezet. Mais la sensibilité à la question de l’évasion fiscale massive, celle des grands scandales, reste forte, même si on a du mal à se représenter les sommes en jeu. »

   mise en ligne le 5 octobre 2024

“Le syndicat reste l’un des rares espaces qui permet l’organisation des classes populaires”, entretien avec Baptiste Giraud

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

En cette rentrée syndicale, Rapports de force a souhaité questionner la fonction de la grève et de la lutte syndicale. A quoi sert une journée d’action ? Pourquoi la grève est-elle si dure à faire prendre ? Doit-on miser sur les unions locales ou les fédérations ? Faut-il compter sur les permanents ? Entretien avec le sociologue Baptiste Giraud, auteur du livre Réapprendre à faire grève.

Baptiste Giraud, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille et membre du laboratoire LEST (Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail), est l’auteur de l’ouvrage Réapprendre à faire grève (PUF 2024). Entre 2005 et 2007, il a mené une enquête ethnographique au sein de l’Unions syndicale (US) CGT du commerce et des services de Paris. Son ouvrage est inspiré de sa thèse Faire la grève. Les conditions d’appropriation de la grève dans les conflits du travail en France, parue en 2009.

Ce 1er octobre, une intersyndicale (Solidaires, CGT, FSU) appelle à la grève sur le thème des retraites, de l’augmentation des salaires et des services publics. Or l’organisation d’une simple journée d’action, très ritualisée, ne semble pas permettre de faire reculer le gouvernement et le patronat. Pourquoi les syndicats maintiennent-ils malgré tout le principe des journées d’actions isolées ?

Baptiste Giraud : C’est un fait, le mouvement syndical a bien du mal à enrayer les réformes néolibérales depuis 20 ans. Malgré tout, la CGT maintient cette habitude des journées d’action. Dans ce contexte, il est légitime de se poser la question de leur utilité. Selon moi, il y a un triple espoir.

D’abord, créer un événement médiatique et politique. Le 1er octobre, malgré tout, on en parle. Les syndicats font exister leurs revendications dans l’espace médiatique et politique : la question salariale, celle du travail de manière plus large. Ce n’est pas rien dans la période. 

Deuxièmement, c’est aussi un moyen de faire vivre l’organisation. C’est un temps qui permet de rassembler des militants qui, sinon, seraient largement absorbés par l’exercice de leur mandat d’entreprise. Je le détaille dans mon livre : le temps de préparation de l’action a parfois plus d’importance que l’action elle-même. C’est l’occasion de maintenir des réseaux militants, de réactiver des sections parfois dormantes, de créer de nouvelles solidarités, de sortir du quotidien…

Troisième point : une journée d’action peut-être un point d’appui dans les entreprises où les syndicats sont en capacité d’initier une immobilisation forte. C’est un effet pervers, mais n’oublions pas qu’en 2023 les syndicats ont obtenu des compromis locaux dans la pétrochimie, dans des entreprises du transport etc. C’est pour ça qu’il faut toujours se méfier de la manière dont on évalue les retombées d’une journée d’action. Tout ne se voit pas à l’échelle interprofessionnelle.

Si l’on s’accorde sur l’impossibilité de contrecarrer le gouvernement et le patronat par une simple journée d’action, ne faut-il pas que les syndicats, et notamment la CGT, élèvent le rapport de force et tentent d’initier des grèves reconductibles, en capacité de peser sur l’économie ?

Baptiste Giraud : Il faut d’abord rappeler que le syndicalisme français ne va pas bien. Il y a une nouvelle érosion du taux de syndicalisation. Alors que ce taux s’était stabilisé autour des 11% dans les années 90 et 2000, on est revenu à 10% en 2019. De plus, les adhérents participent de manière beaucoup plus limitée qu’auparavant à l’activité de leur syndicat. Ces derniers reposent sur le dévouement, l’abnégation, d’une poignée de militants qui cumulent les responsabilités. On a de plus en plus à faire à des syndicats de mandatés.

Enfin, il a de gros trous dans la raquette. Les grèves se concentrent dans certaines grandes entreprises ou dans la fonction publique et les syndicats sont absents de 4 entreprises sur 10. L’implantation syndicale est très fragile dans les secteurs les plus exploités du prolétariat, notamment ceux qui sont au cœur de mon ouvrage : les ouvriers et employés du commerce des services.

Aujourd’hui, je pense que ce qu’il ne faut pas occulter lorsqu’on débat des stratégies syndicales, c’est à quel point les directions syndicales sont contraintes par leurs faibles moyens. De plus, dans la direction de la CGT, une idée est très fortement intériorisée : appeler à des mots d’ordre plus volontaristes, plus radicaux, comme la grève reconductible, c’est s’exposer au risque de les voir échouer. Or un tel échec est vu comme un réel vecteur de démoralisation militante et de marginalisation du syndicat.

Comment expliquer que, malgré une précarité et une colère sociale croissante, les grèves ne fassent pas le plein ?

Baptiste Giraud : Il ne faut pas sous-estimer les difficultés à entrer dans la grève, surtout de manière prolongée, et le niveau de résignation. D’ailleurs, il y a un décalage entre les moyens que la CGT peut réellement mettre à disposition pour rendre la grève possible et la rhétorique de la grève, qui est abondante dans les congrès par exemple. Dans quantité d’entreprises, les militants CGT opèrent une nette séparation entre ce qui relève du champ de l’activité syndicale et ce qui relève de l’activité politique et gouvernementale, comme la réforme des retraites. De plus, même parmi eux, il n’y a pas forcément consensus sur la nécessité de s’opposer à ces réformes. Dans mon livre, je montre toutes les frictions que peut susciter la rencontre entre des militants très attachés à la pratique de la grève, qui en font une modalité centrale de l’action syndicale, et des salariés, voire des militants, qui en sont très éloignés.

Pour les militants de l’US CGT commerce et services de Paris, que j’ai suivis, comme pour de nombreux salariés des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste, le recours à la grève et à la manifestation ne va pas du tout de soi. C’est une modalité d’action qu’ils n’ont généralement jamais eu l’occasion d’expérimenter, souvent parce qu’ils n’ont pas pas eu d’expérience militante antérieure au syndicalisme.

C’est pourquoi certains participent aux grandes manifestations sans se mettre en grève, mais en utilisant leurs heures de délégation. Ils montrent ainsi que la section, ou le syndicat, est mobilisé, mais sans forcément chercher à entraîner les salariés avec eux. C’est une manière de marquer une adhésion au mot d’ordre de la mobilisation, mais aussi l’aveu de leur difficulté à s’y rallier de manière plus collective. D’ailleurs, on l’a bien vu pendant la bataille contre la réforme des retraites en 2023, la première modalité d’action pour les salariés reste la participation à la manifestation plutôt que l’engagement dans la grève. 

Pour les permanents, c’est très clair. Ils disent d’un côté : “dans nos secteurs, la grève reste la modalité d’action la plus adaptée pour créer le rapport de force nécessaire face à l’employeur”. D’un autre : “il nous faut constamment nous adapter à ce que sont nos militants, à ce qu’ils veulent et peuvent faire”. 

Si la seule réponse qui est apportée aux militants qui viennent solliciter l’aide des permanents, c’est tout de suite la stratégie de la grève, ça en éloigne beaucoup du syndicalisme, parce que ça les effraie. Pour les permanents, le plus important reste d’abord de les intégrer au syndicat pour leur transmettre des manières de penser et d’agir, pour montrer l’utilité de l’action collective. A partir de là, il peut y avoir une forme d’acculturation progressive, un apprentissage de la grève.

Mais vous montrez aussi que lorsqu’une grève se déclenche, notamment dans un conflit long, cela peut modifier durablement le rapport d’un salarié à son entreprise. Vous parlez alors de la grève comme d’un “moment d’émancipation”.

Baptiste Giraud : Dans le commerce et les services, les salariés sont souvent peu qualifiés, immigrés ou d’origine immigrée, et considérés par le patronat comme interchangeables. On observe dans ce secteur des formes d’autoritarisme patronales très violentes. La grève est alors l’occasion pour les salariés de s’émanciper et de renverser, au moins un temps, l’emprise du patron. Au début de certaines grèves que j’ai pu observer, il règne une certaine forme d’euphorie chez les salariés, liée à un soulagement et à un immense plaisir d’avoir osé défier ouvertement la direction.

Alors qu’ils exercent dans des professions très dévalorisées, c’est aussi le moyen pour eux de montrer l’utilité de leur travail. Sur le moyen terme, ces grèves rééquilibrent les rapports de force au sein de l’entreprise. Mais, à l’inverse, j’ai aussi suivi un conflit long dans un entrepôt où la grève s’est étirée et où elle a été très difficile à tenir pour les salariés. A la fin, les résultats ont été très limités. Ce n’est pas une expérience de la grève qui incite à renouveler l’expérience.

C’est pourquoi, du côté des permanents, on essaie aussi de valoriser les gains moraux, la dignité retrouvée face à l’employeur. Et ça je pense que c’est une dimension excessivement importante. En revanche, le “rendement militant” de la grève dans ce secteur peut paraître plus limité. Les grévistes ne rejoignent pas forcément le syndicat, et même lorsqu’ils le font, il est probable qu’on finisse par les perdre de vue lorsqu’ils changent d’entreprises. Or cela arrive très régulièrement. C’est pour cela que, parfois, les syndicalistes qui tentent de structurer ses secteurs ont le sentiment de tenter de reboucher un puits sans fond.

Vous montrez que la sociologie et la politisation des permanents de la CGT varie selon certains critères. Lesquels ? Comment cela influence-t-il le rapport à la grève de ces militants ?

Baptiste Giraud : On repère nettement la distance politique et sociale qui sépare les permanents des Unions Locales (UL) de la CGT de ceux des entreprises du commerce et des services et des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste. Les raisons de leur engagement dans le syndicalisme sont très différentes. Dans les UL, on retrouve beaucoup de militants qui ont une conception très politique du syndicalisme. Souvent, ce sont d’anciens ou d’actuels adhérents à une organisation politique. C’est cohérent : c’est dans les UL qu’ils trouvent du sens et du plaisir à se consacrer à une action syndicale qui n’est pas strictement corporative. Leur objectif est bien de créer des mobilisations et des solidarités militantes à l’échelle interprofessionnelle. Or, quand on regarde la sociologie des militants syndicaux d’entreprise, d’autant plus lorsqu’ils sont issus des classes populaires, la part des militants qui sont passés ou qui adhèrent encore à un parti politique décline fortement.

Au passage, c’est tout à l’honneur des syndicats que de rester l’un des rares espaces d’engagement qui permet l’organisation et la promotion de porte-paroles issus des classes populaires. Si on regarde la sociologie des militants syndicaux par rapport à celle des militants politiques, il y a vraiment un énorme écart. Les classes populaires ont déserté les partis politiques, ou plutôt, pourrait-on dire, les partis les ont abandonnées. 

Le corollaire c’est qu’il y a, dans les entreprises, beaucoup de militants pour lesquels l’engagement syndical est vraiment déconnecté de tout engagement politique. Ils s’engagent souvent dans le syndicat à la suite d’un rapport conflictuel avec leur patron, dans le but de faire respecter la loi face à des abus. Ils ont souvent une démarche portée avant tout sur le légal.

On peut ajouter qu’ils n’ont pas forcément le temps de devenir des militants plus politiques. La décentralisation de la négociation collective et le renforcement du “dialogue social”, à défaut de produire des résultats, occupent pleinement leur mandat. De plus, dans les secteurs où les salariés sont généralement peu diplômés, il y a un véritable coût d’entrée dans la fonction de représentation syndicale. Il faut se former au droit, à l’économie… C’est un défi d’autant plus grand à relever que ces militants ont face à eux des patrons, parfois des DRH, bien plus diplômés qu’eux, spécialisés dans leur domaine, et qui leur opposent tout le mépris de classe possible. 

Enfin, dans les petites entreprises du commerce, ils doivent composer avec les ressources militantes très limitées et l’autoritarisme patronal. La conséquence, c’est que le militantisme syndical se replie alors presque exclusivement sur ceux qui ont des mandats et donc le statut de salarié protégé.

Pour tenter de renforcer les secteurs les plus fragiles, et les moins en capacité de faire grève, ne faut-il pas utiliser les ressources des structures les plus pourvues de la CGT ?

Baptiste Giraud : Cette idée est un serpent de mer à l’intérieur de la CGT. Tout le monde voit bien qu’il y a un décalage dans la distribution des ressources à l’intérieur de l’organisation. Les composantes les plus richement dotées en argent et en permanence, ce sont les fédérations. Elles bénéficient de beaucoup de ressources liées au paritarisme et sont aussi en lien direct avec leurs syndicats.

La CGT a une culture d’organisation qui valorise beaucoup l’autonomie des structures. La direction confédérale dirige assez peu de choses, elle doit surtout s’efforcer de trouver des terrains d’entente entre les fédérations, notamment les plus dotées. L’effet pervers de cette organisation, c’est qu’elle limite la redistribution. La chimie, l’énergie, la SNCF, la fonction publique… ont beaucoup de ressources à la fois parce qu’elles ont davantage de militants, donc plus de rentrées de cotisations, mais aussi parce qu’elles ont une très longue histoire syndicale et qu’elles ont pu, par le passé, négocier des accords de droits syndicaux. Elles ont beaucoup de salariés mis à disposition, beaucoup de permanents. Cela n’existe pas du tout dans les nouveaux secteurs du prolétariat. Dans le commerce, la simple création d’une section syndicale est souvent l’objet de conflits dans l’entreprise. On est encore bien loin de passer des accords de droits syndicaux.

La réflexion sur le fait d’utiliser les ressources des grosses fédérations pour développer les secteurs les moins bien dotés paraît donc légitime. La CGT pourrait ainsi, par exemple, renforcer ses unions locales. Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, dans le meilleur des cas, il y a un seul permanent par UL. Et il n’est pas rare qu’il n’y en ait pas du tout et que ce soit un militant, généralement retraité, généralement issu du secteur public ou des grandes entreprises, qui assume la tâche. Or, seul, il ne peut pas faire autre chose que ce que j’appelle du “syndicalisme de pompier” : accueillir les salariés ou les adhérents isolés, les aider dans les procédures prud’hommes, les aider à organiser des élections professionnelles… C’est autant de temps qui n’est pas du tout disponible pour la dimension plus politique de leur rôle.

Alors, utiliser les ressources des grosses fédérations pour renforcer les UL, je pense que, théoriquement, tout le monde voit bien le l’enjeu. Mais il faut souligner que la question se pose à un moment où les grosses fédérations sont aussi percutées de plein fouet par les grosses restructurations liées à la libéralisation (du rail, de l’énergie etc). Si on se met à la place des dirigeants de ces fédérations, ils peuvent logiquement dire : “ce n’est pas le moment de nous affaiblir en interne”.

Une autre option ne consisterait-elle pas à penser des syndicats d’industrie locaux, qui regrouperaient tous les travailleurs d’une même convention collective sur un même territoire  ?

Baptiste Giraud : Pour en avoir discuté avec elle, Sophie Binet a vraiment ça en tête. Je pense, et c’est un point de vue personnel, que ce serait intéressant. Cela permettrait d’éviter plusieurs écueils. D’abord, l’enfermement dans un syndicalisme d’entreprise. Aujourd’hui les syndicats d’entreprise forts sont très autonomes vis-à-vis de leur fédérations et plus encore de leurs unions locales. C’est d’ailleurs le syndicat lui-même qui choisit son délégué, sans aucun contrôle politique. Deuxième avantage, cela permettrait d’éviter la masse des adhérents isolés, qui ne sont rattachés à aucun syndicat d’entreprise. Enfin, on pourrait arrêter avec les syndicats très faibles, constitués de 2 ou 3 militants. On ne fait rien avec si peu de militants. A la place, on adhère au syndicat, par exemple de la logistique, de son territoire et, même si on change d’entreprise, on y reste affilié.

Mais ce n’est pas une mince affaire. Il y a une espèce de sacralisation du syndicat d’entreprise à la CGT parce que ses statuts, son organisation interne ont aussi été pensés dans un contexte où le tissu productif reposait sur les syndicats des grandes entreprises. C’était aussi une époque où la CGT était ultra politisée et fonctionnait du haut vers le bas. Aujourd’hui, ces dimensions là ont totalement disparu pour des raisons indépendantes de la volonté des directions syndicales, mais le frein idéologique reste. Bernard Thibault avait d’ailleurs proposé de modifier les statuts de la CGT pour obtenir que les syndicats d’entreprises ne puissent pas être montés en dessous de 10 adhérents. Il a dû renoncer, alors que ça paraissait juste une évidence.

Votre livre se concentre beaucoup sur le travail des permanents pour développer le syndicalisme et la grève. Mais ne craignez-vous pas que des personnes qui n’exercent plus réellement leur métier et vivent du syndicalisme perdent de vue leurs objectifs politiques et se concentrent finalement sur la conservation de leur poste ou les intérêts de leur structure ? Autrement dit : à trop compter sur les permanents, n’y a-t-il pas un risque de bureaucratisation du syndicat ? 

Baptiste Giraud : Le terme de “bureaucratisation” aide à penser la professionnalisation du syndicalisme et les effets pervers qu’elle peut entraîner. Effectivement, on peut craindre que la défense des intérêts de l’organisation par un permanent, ou de sa propre carrière dans le syndicat, interfère avec l’organisation de la lutte. Tout cela est très vrai. D’un autre côté, cette catégorie est tellement fourre-tout qu’elle recouvre des réalités très variables. Les permanents de l’US que j’ai suivis peuvent être rangés parmi les professionnels du syndicalisme, “les bureaucrates”. Mais je peux vous dire qu’ils ne passent pas beaucoup de temps dans les bureaux et sont constamment sur le terrain, à former les militants et à organiser des luttes.  

Il ne faut pas perdre de vue, et c’est une particularité du syndicalisme français, que les permanents, pour l’immense majorité d’entre eux, sont d’anciens militants d’entreprises. Ils ont une grande expérience de l’action syndicale, y compris dans sa dimension mobilisatrice. Ce n’est pas un modèle majoritaire en Europe, où les syndicalistes sont davantage recrutés sur la base de leurs diplômes, parce que leur rôle consiste d’abord à représenter le syndicat dans les négociations avec les employeurs.

C’est mon avis, mais je pense qu’une organisation syndicale de la taille et de l’ambition de la CGT ne peut pas exister sans permanent. Si toute action revendicative relève simplement de la bonne volonté des militants, on touche vite à des limites. En revanche, avoir un débat en interne sur : “à quoi peuvent servir les permanents?” et “est-ce que les permanents doivent à ce point être absorbés par l’institutionnel”, peut-être pertinent. Pour ma part, je pense que les syndicats devraient œuvrer à faire reconnaître des droits syndicaux interprofessionnels. C’est-à-dire le droit à disposer de permanents sur les territoires qui ne seraient pas destinés à siéger dans les instances du “dialogue social”, mais dont la fonction reconnue et légitime serait d’organiser les salariés.

 

   mise en ligne le 2 octobre 2024

« Seule l’unité du NFP nous permettra de gagner », revendique Cécile Cukierman, sénatrice PCF

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

L’Humanité donne, chaque semaine, la parole à une figure du Nouveau Front populaire. Aujourd’hui, Cécile Cukierman, parlementaire PCF et présidente du groupe CRCE-K au Sénat, estime que le Nouveau Front populaire doit rester soudé, en plus de percer le mur du son médiatique sur les faits de société pour mieux combattre le populisme et le libéralisme.


 

Michel Barnier va faire son discours de politique générale ce mardi 1er octobre. À quoi vous attendez-vous ? Quels sont les dangers pour les Françaises et les Français ?

Cécile Cukierman : Sans surprise, je m’attends à un discours de droite. L’exécutif prépare les esprits à l’austérité et à une baisse drastique de la dépense publique. Les Français ont pourtant plus que jamais besoin de véritables services publics pour bien vivre. Ce gouvernement se caractérise par son refus d’augmenter les salaires et de revenir sur la réforme des retraites. Michel Barnier n’a d’ailleurs pas eu un mot concernant le pouvoir d’achat. C’est inquiétant.

J’entends par contre qu’il se pose la question d’aller chercher quelques milliards d’euros sur le terrain fiscal auprès des plus aisés. S’il va jusqu’au bout, ce sera toujours cela de pris.

Mais il est combattu sur ce sujet par Gabriel Attal et Gérald Darmanin. Je suis sidérée par leur manière de mener ce débat. Prétendre qu’il ne faut surtout pas poser la question fiscale revient à bloquer le développement des services publics et à enterrer toute redistribution des richesses. Et donc à sacrifier les plus fragiles.

Craignez-vous que ce gouvernement, composé de membres des « Républicains » et la Macronie avec la bénédiction du RN, ne tente de relancer les pires dispositions de la dernière réforme de l’immigration ?

Cécile Cukierman : Toute surenchère visant à instaurer la préférence nationale, à supprimer l’aide médicale d’État, le droit du sol ou le droit au regroupement familial conduirait ce gouvernement dans l’impasse. Le front républicain a été le grand gagnant des législatives, et je demeure convaincue que la droite républicaine n’a pas vocation à devenir l’extrême droite. Les ministres LR doivent maintenant en faire la démonstration. Ils bénéficient aujourd’hui du silence et de la bienveillance du RN. À eux d’en tirer les conséquences.

Que pensez-vous de la diabolisation de l’immigration orchestrée par la droite, qui a franchi un nouveau cap après le meurtre de Philippine ?

Cécile Cukierman : Le meurtre de cette jeune fille est un drame absolu. Mais nous sommes dans un pays où la droite a fait de la nationalité du meurtrier une priorité afin de détourner le débat. Or, il s’agit avant tout d’un féminicide, et ce meurtre aurait été tout aussi inacceptable s’il avait été commis par une personne de nationalité française.

Toute l’année, des femmes sont assassinées par des gens qui ne sont pas sous OQTF et leurs vies sont tout aussi précieuses. J’aimerais qu’à chaque féminicide dans notre pays les médias en parlent autant que de Philippine. Mais sur ce sujet comme sur d’autres, le pouvoir médiatique a décidé que nous ne franchirions par le mur du son. Percer ce mur doit être l’un de nos combats prioritaires à gauche.

Le Nouveau Front populaire s’est constitué avec deux objectifs : écarter le danger du RN, et conquérir le pouvoir. Mais que faire maintenant ?

Cécile Cukierman : Il va falloir gagner des voix. Pour gouverner, il faudra faire plus de 30 % aux élections… Notre discours doit redonner espoir et démontrer que nous sommes en capacité de changer la vie, en nous adressant à une France une et indivisible qui ne s’oppose pas entre les territoires. Nous devons rassurer.

« Être de gauche, ce n’est pas forcément avoir une attitude clivante : on peut avoir un discours très combatif sans qu’il soit dans l’outrance. »
                              Cécile Cukierman

Être de gauche, ce n’est pas forcément avoir une attitude clivante : on peut avoir un discours très combatif sans qu’il soit dans l’outrance. Et nous devons répondre à tous les sujets, notamment celui du droit à la tranquillité et à la sécurité. Il nous incombe enfin de bien laisser de côté les règlements de comptes médiatiques.

Loin des petites phrases, la vie des gens se dégrade. Il y a urgence. Le NFP doit donc renforcer son travail entre partis, organisations syndicales et associations. Ce qui est certain, c’est que seule l’unité dans le respect des sensibilités de chacun nous permettra de gagner. L’unité est très exigeante à faire vivre. Mais elle représente la seule solution pour obtenir demain une victoire incontestable dans ce pays.

Croyez-vous aux « fâchés pas fachos » qui pourraient demain revoter à gauche ?

Cécile Cukierman : Il y a un sentiment de déclassement pour beaucoup, lié au chômage, aux bas salaires, à l’éloignement, aux difficultés quotidiennes… Et il y a un petit fond raciste, une forme de peur de l’étranger. Quand l’intérêt général est mis à mal, ce fond remonte très facilement.

Quand la gauche n’apparaît pas comme l’alternative crédible, quand la colère plutôt que la revendication s’impose, alors l’extrême droite progresse. Quand l’idée que « l’on se fout de nous » prospère, les discours populistes peuvent prendre le dessus.

Or, le racisme est un populisme. Dire qu’il y en a trop d’étrangers dans ce pays et qu’ils seraient la cause de tous les maux est un populisme que la gauche doit combattre, comme tous les populismes. Le défi est immense pour nous, car nous faisons de plus face à l’individualisme.

Nous devons combattre les idées libérales qui renvoient chacun face à lui-même. À gauche, tout le monde est important et tout le monde doit s’émanciper. C’est cet objectif qui doit nous animer pour gagner.

 

mise en ligne le 28 septembre 2024

 

Comment reconquérir
le monde du travail
face au RN ?       
Les réponses de
Sophie Binet,
Fabien Roussel
et Lucie Castets

sur www.humanite.fr

Les salariés et les employés se sont beaucoup abstenus. Mais quand ils ont voté, ils ont été nombreux à choisir l’extrême droite. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, et la candidate du NFP à Matignon, Lucie Castets, livrent leur analyse et dessinent des pistes pour la gauche et les syndicats.

Sans tirer des leçons en profondeur de la séquence électorale, « le sursaut ne sera qu’un sursis », prévient Sophie Binet. Le Rassemblement national (RN), entre les mains duquel s’est placé le nouveau gouvernement, reste en embuscade, prêt à conquérir le pouvoir. Il prospère sur les divisions du monde du travail orchestrées par le capitalisme contemporain.

Réunis au stand du Conseil national du PCF, à la Fête de l’Humanité, les deux responsables politiques et la syndicaliste alertent sur l’urgence de rassembler pour obtenir des victoires et appellent la gauche à se réconcilier avec les classes populaires.

Nous nous posons aujourd’hui la question de reconquérir le monde du travail face au RN. Comment en est-on arrivés là ?

Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT : Grâce à une mobilisation remarquable aux élections législatives, nous avons évité le pire. Cependant, sans une véritable prise de conscience, ce sursaut ne sera qu’un sursis. La CGT tire la sonnette d’alarme depuis longtemps, mais se sent isolée.

Lors de notre Comité confédéral national, nous avons décidé de placer la lutte contre l’extrême droite au cœur de notre stratégie syndicale, car elle menace non seulement le pays, mais aussi notre syndicalisme de lutte de classe. Emmanuel Macron a pu ignorer les urnes grâce à un accord avec le Rassemblement national (RN).

Pourquoi a-t-il pu se permettre de passer en force malgré notre magnifique mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’il savait que, en cas de motion de censure et de dissolution, la tripartition de la vie politique empêchait une alternative. Pourquoi avons-nous été en difficulté pour élargir la grève pendant la mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’une partie du monde du travail vote de façon structurelle pour l’extrême droite, fragilisant notre capacité à élargir la grève.

L’extrême droite est notre premier ennemi, car elle divise la classe ouvrière. Aujourd’hui, 50 % des ouvriers et 42 % des employés se sont abstenus au second tour, et ceux qui ont voté préfèrent largement le RN au Nouveau Front Populaire (NFP). La gauche doit reconquérir le monde du travail, en parlant de relocalisation industrielle sans tomber dans le nationalisme, et en abordant les tensions entre social et environnemental.

Dans l’automobile, par exemple, le basculement à l’électrique tel qu’il est organisé par les grands constructeurs implique des destructions de dizaines de milliers d’emplois. Il faut aussi proposer un avenir crédible à ceux qui se tournent vers le RN par nostalgie, en rendant visibles les inégalités créées par le capital et en luttant contre le racisme et l’antisémitisme.

Les salariés du privé ne sont pas seuls à voter RN. Quel est l’état d’esprit des fonctionnaires ?

Lucie Castets - Membre du collectif Nos services publics, candidate à Matignon pour le NFP : Ces dernières années, on n’a vu les services publics qu’à travers le prisme budgétaire. Nous avons toujours dit à l’inverse qu’ils doivent répondre aux besoins des citoyens. C’est à partir de ce postulat que l’on doit les financer. Les agents, eux, ont un peu perdu la foi dans leur métier, le sens de leur travail, parce qu’on leur a fait comprendre qu’ils pouvaient être remplacés par des entreprises privées.

Leur rémunération a décroché par rapport aux salaires du privé, le point d’indice ayant été extrêmement peu revalorisé ces dernières années. Tout cela a nourri une forme de sentiment de déclassement, au sein de la fonction publique, qui a pu nourrir à son tour un vote RN chez les fonctionnaires. Le Rassemblement national a également porté un discours faussement favorable aux services publics.

Fabien Roussel - Secrétaire national du PCF : Les salariés, qu’ils soient du public ou du privé, sont fiers de leur travail et de leur engagement, mais se sentent méprisés et abandonnés. Ces dernières années, on leur a enlevé des droits. On a supprimé les CHSCT. Leur avis ne compte plus. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, l’extrême droite a pris de nombreuses circonscriptions. Comme le souligne Sophie Binet, beaucoup d’ouvriers et d’employés se sont abstenus ou ont voté à l’extrême droite.

Ils expriment ainsi que la gauche ne leur parle plus, ne défend plus les usines et les ouvriers. Il y a eu les abandons, les trahisons des gouvernements de gauche. Ils ont vu les fermetures d’usines, les délocalisations. Des familles entières ont été brisées sur l’autel de la concurrence libre et non faussée. La gauche doit reprendre ce combat, reconstruire une stratégie industrielle respectueuse de l’environnement et des travailleurs.

Au PCF, nous portons ce projet, car produire des richesses dans notre pays est essentiel pour financer la protection sociale et la transition écologique. Mais il faut aller au-delà de taxer les dividendes : les salariés doivent avoir leur mot à dire sur la production et la distribution des richesses. Se réapproprier l’outil de travail est indispensable.

La bataille contre la réforme des retraites va se poursuivre, avec une journée d’action le 1er octobre. Comment peut-on gagner ensemble ?

Sophie Binet : De nombreux salariés ont voté et se retrouvent avec un premier ministre d’un parti ayant obtenu moins de 5 %, qui gouverne grâce à un accord avec le RN alors qu’on s’est mobilisés pour le battre. Cela crée un sentiment de démobilisation. Pour contrer ce fatalisme, nous devons obtenir des victoires concrètes, notamment l’abrogation de la réforme des retraites. Une majorité de députés est prête à le faire.

Le 1er octobre constitue donc le début du match retour contre cette réforme. Il est aussi crucial de se battre pour des augmentations de salaire, des moyens pour les services publics et l’arrêt des licenciements dans l’industrie. La CGT avait rendu publique, pendant les élections européennes, la liste des 70 000 emplois en cours de suppression. La politique de Macron a non seulement vidé les caisses de l’État, mais aussi affaibli notre industrie.

Nous devons également anticiper une éventuelle dissolution et les élections municipales de 2026, où l’extrême droite ambitionne de remporter 1 000 villes. En 2027, Marine Le Pen sera à coup sûr au second tour. L’unité est indispensable pour gagner, mais elle reste encore fragile. Notre fonctionnement intersyndical peut livrer quelques enseignements utiles au niveau politique : il faut dépasser les logiques hégémoniques et construire une alternative.

Lorsque nous avons appelé au Front populaire dès le lendemain de l’élection, c’est parce que nous savions qu’il n’était plus possible de battre l’extrême droite seulement en disant non. Les alternatives doivent être en rupture avec le libéralisme et la politique macroniste. Enfin, la gauche doit redevenir le parti du travail et repenser les relations entre syndicats et politique.

La CGT est indépendante, elle n’est pas neutre. Elle travaille à repolitiser le syndicalisme, tout en restant indépendante. Nos rôles, syndicaux et politiques, doivent être complémentaires et respecter les contre-pouvoirs. Dans les prochains mois, nous allons également mener un travail de syndicalisation. Parce que, là où il y a des déserts syndicaux, l’extrême droite progresse.

Lucie Castets : Nous devons expliquer ce que serait la mise en œuvre du programme du RN. Il plongerait la France dans une austérité budgétaire sans précédent. Son programme économique, c’est moins 50 milliards d’euros par an pour les collectivités et l’État. Il asphyxierait nos services publics.

Le RN passe son temps à dénigrer les fonctionnaires et les travailleurs. Comment régule-t-on les entreprises ? Il faut des agents publics formés, compétents, en nombre suffisant. Le RN propose exactement le contraire. Il faut le dire, le répéter, chacun à sa place, dès qu’on en a l’occasion. Enfin, le programme du RN s’attaque aux valeurs fondamentales des services publics que sont la solidarité et l’universalité. La préférence nationale signifie l’exclusion de certains de nos concitoyens.

Le projet du RN, c’est une France où l’on n’accède pas aux mêmes services, où l’on n’a pas les mêmes droits en fonction de sa nationalité ou de son lieu de résidence. Ses propositions sur les binationaux ont montré son vrai visage aux Français. La gauche ne sera forte que si elle est unie. Et l’unité n’est pas l’uniformité. C’est un message adressé par tous les militants que j’ai pu entendre lors des universités d’été.

Vous êtes pour l’union de la gauche, et nous en prenons acte. Nous sommes battus mais pas abattus, et nous allons continuer à construire un avenir et un projet pour la gauche. Nous avons lutté contre la loi immigration, contre la réforme des retraites. Il faut aussi donner à voir à nos compatriotes ce que la gauche au pouvoir est capable de faire. Nous disons aux Français que la politique peut faire beaucoup. Nous allons vous montrer un chemin que nous construirons ensemble.

Comment réaliser l’unité du monde du travail ?

Fabien Roussel : Tout est fait pour nous diviser et nous opposer entre nous. En fonction du lieu d’habitation de chaque Français, de sa classe sociale ; entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas ; entre les habitants de pavillons à la campagne et les citoyens des banlieues ; en fonction des religions… nous ferons tout pour nous rassembler. Nous appartenons tous à la classe du monde du travail. Nous subissons tous les ravages du capitalisme et les choix économiques qui sont faits. Nous sommes le nombre et nous allons leur reprendre le pouvoir. L’union du peuple de France, c’est notre objectif. L’union du salariat, tout simplement.

Nous, communistes, voulons jouer notre rôle qui consiste à faire prendre conscience que nous sommes une force et que nous affrontons la même domination, celle du capital. Je parle souvent de la sécurité. J’entends que la gauche ne s’en occuperait plus. C’est la droite au pouvoir qui a complètement réduit les moyens de notre police nationale et de notre gendarmerie.

Les premiers à souffrir de l’insécurité, du trafic de drogue, ce sont les habitants des quartiers populaires. On doit être les défenseurs de ces familles, de ces quartiers, être aux côtés des élus qui se battent pour exiger l’augmentation des moyens de la police, des enquêteurs, des douaniers… Nous voulons rassembler les citoyens sur ces questions. En République, nous sommes tous égaux, tous citoyens.

Sophie Binet : L’extrême droite prospère aussi sur l’explosion du monde du travail organisée par le capital. Il a mis en concurrence les travailleurs entre eux en délocalisant, en filialisant, en multipliant les statuts… Dans une centrale nucléaire, par exemple, il y a vingt, trente ou quarante patrons différents. Dans ce contexte, pour nous, syndicalistes, récréer une communauté d’intérêts est beaucoup plus compliqué qu’avant.

Pour lutter contre l’extrême droite, il faut mettre fin à cette déstructuration du travail, lutter contre la précarité, responsabiliser les donneurs d’ordres. Nous pourrons ainsi rassembler les travailleurs contre un même patron pour gagner les mêmes droits.

Nous avons besoin d’un discours très fort sur la solidarité. En 1944, l’horizon commun de la Sécurité sociale dans le programme du Conseil national de la Résistance a permis une rupture avec le fascisme. Il faut rompre également avec le discours misérabiliste à l’égard du monde du travail. Quand on travaille, on a des droits.

  mise en ligne le 25 septembre 2024

NFP : restons en campagne !

| Danielle Simonnet sur www.regards.fr

Les intertitres et la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.

La députée Danielle Simonnet nous livre son analyse des succès du Nouveau Front populaire aux législatives et les perspectives qu’elle aimerait lui voir prendre.

Au lendemain de la Fête de l’Huma, à gauche tout le monde en parle : « les tours et les bourgs ». Le débat sur la stratégie « À qui parler ? » s’enflamme entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin. Il ne faudrait pas qu’il en cache un autre, celui de l’enjeu de rester en campagne et pour cela, de pérenniser l’unité du Nouveau Front populaire et l’ancrer localement, durablement. 

Pérenniser l’unité du Nouveau Front populaire

On en oublierait presque qu’il oppose deux personnalités politiques du NFP. Que personne n’oublie pourquoi la campagne des législatives s’est caractérisée par une participation record et une forte implication citoyenne de femmes et d’hommes qui, pour bon nombre d’entre elles et eux ne s’étaient parfois jamais engagé·es politiquement auparavant. Face à la menace de l’extrême droite, c’est l’unité de la gauche sur un programme en rupture tant avec Macron qu’avec les années Hollande qui a ressuscité l’espoir d’une victoire qui changerait réellement la vie des gens. Ces nouveaux citoyen·nes militant·es, ou militant·es syndicalistes et associatifs qui ont franchi le pas de participer à une campagne électorale se moquaient pour la plupart de l’étiquette du ou de la candidate, qu’elles et ils s’impliquent localement ou soient prêt·es à traverser la France pour le faire. Sans relativiser l’enjeu de la confrontation stratégique sur « À qui on doit s’adresser ? », la première priorité stratégique c’est de poursuivre cette unité. Tout le monde le veut-il réellement ? Comment créer les conditions pour que les partis du NFP y adhèrent vraiment ou en soient contraints par l’aspiration populaire ? Comment respecter que des débats traversent le NFP sans craindre que toute controverse puisse être instrumentalisée pour briser cette unité ? 

Élargir le NFP au-delà des partis

Nous sommes dans une crise politique majeure, on peut même parler de crise de régime. En bafouant le résultat des urnes mettant en tête le NFP et en choisissant Barnier premier ministre, issu d’un parti qui a refusé le barrage républicain, Macron use et abuse de tous les rouages de la 5ème République. L’enjeu pédagogique de la bataille pour sa destitution n’est pas qu’une bataille « contre Macron », mais bien contre la 5ème République qui octroie tant de pouvoir au chef de l’exécutif qu’il peut en monarque mettre son veto du roi contre le suffrage des urnes pour poursuivre sa politique dans une alliance allant jusqu’à l’extrême droite. Si personne ne peut sincèrement se faire d’illusion sur l’aboutissement si peu probable de la démarche du recours à la destitution, l’instabilité gouvernementale dans un Parlement marqué par une tripolarisation est telle qu’elle peut à tout moment déboucher sur une démission du président de la République et des élections présidentielles et législatives anticipées bien avant 2027. La prochaine élection nationale risque bien de marquer la fin du sursis : ce sera la gauche ou l’extrême-droite. Le Nouveau Front populaire sera-t-il capable de désigner une seule candidature à la présidentielle ?  S’il ne le fait pas, il n’y aura pas de candidat de gauche au second tour pour barrer la route à Marine le Pen. Cette candidature sera-t-elle bien attachée au projet d’en finir avec son propre mandat, en finir avec la fonction même de président de la République ? N’est-ce pas d’abord et avant tout ce débat, tant sur la 6ème République que sur les modalités conduisant à une seule candidature commune qui aurait dû marquer la fête de l’huma ? 

Est-il envisageable de seulement « espérer » que cette unité du NFP tienne ? N’est-ce pas prendre le risque qu’à l’instar du délitement de la Nupes des logiques partidaires sectaires l’emportent et trouvent leurs prétextes de briser l’union ? D’ores et déjà à son sommet, force est de constater que le large cadre du rassemblement, partis politiques mais aussi syndicats et associations, qui s’est mis en mouvement dans la campagne ne se réunit pas régulièrement ni dans sa diversité. Le Nouveau Front populaire n’est pourtant pas qu’un simple cartel de partis. Où sont les acteurs du mouvement social, pourquoi ne sont-ils pas conviés aux discussions ? L’hypothèse que le RN défende un texte portant sur l’abrogation de la réforme des retraites n’exige-t-elle pas une réunion de tout le NFP ou un échange avec tous les syndicats qui étaient membres de l’intersyndicale dans la bataille contre la contre-réforme de Macron ? 

Ancrer partout des groupes locaux du Nouveau Front populaire

À un bout du NFP, les nostalgiques des années Hollande-Cazeneuve aimeraient gagner le congrès de leur parti pour sortir du NFP quand, à l’autre bout, certains semblent n’attendre que le moment opportun pour reprendre une stratégie présidentielle populiste en solo. Personne ne peut faire mine de l’ignorer. N’oublions pas ce qui a permis de déclencher l’impérieuse nécessité d’un accord entre les partis : la manifestation des jeunes devant les locaux du parti d’EELV où se tenaient les discussions qui scandait : « Ne nous trahissez pas, unissez-vous ! » Plus que jamais, à la base, promouvoir des assemblées citoyennes du Nouveau Front populaire, pérennes et tournées vers l’extérieur pour s’ancrer sur l’ensemble des territoires est essentiel. Nous devons renforcer l’ancrage du NFP dans ses bastions, les circonscriptions gagnées dès le premier tour, renforcer celui des circonscriptions gagnées de justesse mais aussi développer une stratégie pour en conquérir de nouvelles pour gagner la majorité absolue. Les circonscriptions perdues de peu face au RN devraient faire l’objet d’une volonté collective de déployer des forces militantes et citoyennes pour reconquérir le terrain, dans la continuité des démarches type convois de la victoire. Il serait suicidaire pour la gauche de décréter d’abandonner certaines circonscriptions. Cette stratégie est incompatible avec celle qui viserait à ne s’intéresser qu’aux quartiers populaires des grandes métropoles et à la jeunesse.  

Combattre le RN et son idéologie, partout

N’abandonnons pas une partie des classes populaires, des bourgs ou des sous préfectures au vote RN ! Cette stratégie ne relève pas que d’une parole volée à Jean-Luc Mélenchon, prise hors contexte. Elle a dicté celle de la France Insoumise lors des européennes et a été théorisée en interne. Dans le groupe insoumis à l’assemblée nationale, nous avons été plusieurs député.es à la contester et bien au-delà des « purgés ». Je me souviens encore de la dernière réunion à laquelle j’ai participé avant la purge, réunissant les parlementaires européens et les députés trois jours après la dissolution dans laquelle Jean-Luc Mélenchon vantait le succès du choix de se concentrer sur les quartiers populaires et la jeunesse, quand plusieurs députés déploraient au contraire l’échec à parler à l’ensemble de l’électorat populaire, y compris celui qui réside hors périphérie des métropoles. Parler d’une « nouvelle France », ce n’est pas parler de la créolisation du peuple, c’est induire qu’elle s’opposerait au présent à une « vieille France ». Aucune analyse électorale ne permet par ailleurs de démontrer qu’une reconquête de circonscription pour être majoritaire dans le pays peut se limiter au travail, bien évidemment déterminant, de regagner les abstentionnistes. Où donc est passée notre culture politique qui analysait le poison de l’extrême-droite comme l’arme du système capitaliste pour diviser les consciences de classes et les consciences républicaines pour maintenir et renforcer le pouvoir des dominants ? Le RN a capté 57% des ouvriers ! Nous restons minoritaires chez les employés ! La gauche doit, pour fédérer le peuple, reconquérir toutes les catégories populaires ! 

Rendre notre programme politique concret et rassembleur.

La question du travail, de sa rémunération, de ses conditions et de son sens, comme la question des services publics, sont des sujets centraux à même de fédérer les travailleuses et travailleurs où qu’ils résident. Même si je ne me retrouve pas dans les termes employés par François Ruffin, je partage sa conviction que nous devons, par le choix de nos thèmes mis en avant, en parlant du quotidien, contribuer à restaurer la dignité et rendre notre programme politique désirable et rassembleur. La question sociale doit redevenir centrale. Les enjeux écologiques doivent trouver leur traduction dans des mesures concrètes, populaires.

La mobilisation dans les grandes agglomérations et dans les quartiers populaires doit se poursuivre. Quand le PS avait abandonné les quartiers populaires et le combat antiraciste, la gauche a su, et notamment grâce aux insoumis, réincarner celles et ceux qui ne lâchent rien face à la déferlante raciste et islamophobes, alors que le Printemps républicain, par une instrumentalisation de la laïcité, n’a cessé de l’encourager. Lutter contre le racisme systémique, ne pas se taire mais agir pleinement contre les violences policières est une fierté collective, des combats à poursuivre et non à renier. Mais la lutte contre l’extrême-droite ne se mène pas en désertant là où elle se propage le plus ! La lutte contre un imaginaire fantasmé identitaire et si profondément réactionnaire, raciste, sexiste et LGBTPhobe derrière « l’antiwoke » ne se mènera pas que par la question sociale et la volonté de reverticaliser la conflictualité. Pour recréer une conscience de classe, il faut également mener la bataille culturelle contre les fantasmes qui attisent les haines

Cette double bataille, sociale et culturelle, exige aussi de réinterroger nos pratiques militantes. Il ne s’agit pas de dénigrer l’utilité de distribuer des tracts et de coller des affiches, d’organiser des réunions publiques et des meetings. Mais pour sortir d’un entre soi, il est impératif d’explorer, poursuivre ou renforcer les démarches d’éducation populaire : portes à portes sur le modèle des enquêtes conscientisantes, démarches de type collecte de doléances et de témoignages, porteurs de parole sur les places passantes, mais aussi actions concrètes de solidarité type collectes, rencontres festives d’apéro, projections de films, bals populaires, repas de quartier ou kermesse etc. Savoir écouter et permettre à chacune et chacun de s’exprimer, créer du lien, des solidarités, refaire du collectif là où il n’y en a que trop peu : tout cela n’est peut être pas une condition suffisante pour arracher des femmes et des hommes à la résignation ou la colère solitaire, terreau de l’abstention, ou au rejet de l’autre comme ultime faux recours d’un sentiment de relégation ou une peur de déclassement, mais c’est très certainement une condition nécessaire.

Permettons l’expression à la base des besoins des gens

Puisque dans notre programme nous défendons l’idée de gouverner selon les besoins, sociaux et écologiques, pourquoi ne pas dérouler ce fil autour des besoins, pour constituer des assemblées des besoins ? La proposition a été faite par Clémentine Autain lors de son intervention au meeting unitaire des rencontres d’été du PS à Blois. Nous voulons convaincre que notre programme changerait la vie des gens. Permettons au plus grand nombre de s’exprimer sur ses besoins, individuels et collectifs, concrets, locaux comme nationaux, en tant qu’usager de services publics comme en tant que travailleuse et travailleur. Racisés ou non racisés, les intérêts pour une toute autre politique ne sont-ils pas les mêmes ? Les luttes des travailleurs sans papiers n’ont elles pas à chaque fois qu’elles ont été victorieuses débouché sur des luttes plus larges dans les boites, profittant à l’ensemble des salariés ? Voilà de quoi faire émerger des collectifs, déclencher ou soutenir des luttes locales. Voilà de quoi démontrer qu’un autre budget de la nation et une toute autre politique seraient nécessaires. 

Voilà de quoi constituer des forces citoyennes mobilisées, attachées à l’unité et pouvant opérer, par leur seule existence, une pression positive sur les appareils pour poursuivre au sommet cette unité par l’exigence réaffirmée : « Unissez-vous, ne nous trahissez pas ! »

Restons plus que jamais en campagne. Chiche, on s’y met ? 

Danielle Simonnet, députée membre du groupe Écologiste et social, co-fondatrice de l’APRES, ex-insoumise

  mise en ligne le 17 septembre 2024

Entre Ruffin et Mélenchon : un divorce et un débat de fond pour toute la gauche

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

Au-delà des invectives et des petites phrases échangées entre eux, cette joute ouvre un débat de fond pour l’ensemble de la gauche. Doit-elle concentrer ses forces sur un électorat bien précis et acquis ou élargir sa cible vers des terres plus hostiles ?

« Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaires, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis, ce n’est jamais perdre son temps ! » a clamé François Ruffin à l’Agora de la Fête de l’Humanité, ce samedi 14 septembre.

Terminé le temps des salamalecs. Entre Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France insoumise, et François Ruffin, député Picardie debout ! (et ex-FI) de la Somme, l’heure est plutôt aux clés de bras, à l’affrontement stratégique. « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires ! a lancé le premier lors de la manifestation du 7 septembre. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps. Là, se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. »

Une position qui n’est pas née à cette occasion. En novembre 2023, lors d’un colloque de l’Institut La Boétie, le fondateur de la FI déclarait : « Le gros de la troupe, qui va nous faire gagner, ce sont les quartiers populaires où on vote pour nous à 80 % au premier tour, mais où 30 % seulement vont voter. Si nous montons à un niveau égal à celui de la participation du reste de la société, nous avons gagné. »

Une ligne que François Ruffin déplore, au point de signaler son « désaccord moral et électoral profond ». « Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaires, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis, ce n’est jamais perdre son temps ! » a-t-il clamé à l’Agora de la Fête de l’Humanité, ce samedi 14 septembre, lors d’une discussion vive mais constructive sur la question.

Créer des ponts ou les couper

Au sujet de ces débats, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, observe que « la classe ouvrière existe autant dans les campagnes que dans les banlieues. La gauche doit s’adresser aux classes populaires, à une partie de la France qui s’en détourne. La question du travail doit être centrale et nous permettre de rassembler tous les Français ». Comment ? En créant des ponts à partir de problématiques communes, selon lui : « Les déserts médicaux sont partout. Quand la classe des riches mène une guerre sociale, c’est contre les classes populaires. »

En effet, la France rurale n’est plus uniquement paysanne depuis longtemps. Désormais, les classes populaires, garnies d’ouvriers, sont nombreuses dans deux espaces : les banlieues des métropoles, mais aussi dans la ruralité. Comme le décrit le sociologue Julian Mischi dans ses travaux, plus on s’éloigne du cœur des agglomérations, plus la part des ouvriers dans la population augmente.

Si elle est de 14 % dans l’agglomération parisienne et de 22 % dans les autres métropoles, elle dépasse 25 % dans le périurbain et 30 % dans les zones rurales… Si les deux espaces, quartiers et campagnes, s’abstiennent massivement, reste une différence majeure : les premiers votent à gauche, les seconds à l’extrême droite.

À la ligne de Roussel et Ruffin, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, répond : « J’assume de dire que nos efforts doivent se poursuivre contre l’abstention chez les jeunes et dans les quartiers populaires. » Et si certains pensent qu’il faut « prioritairement » aller chercher d’autres électeurs, « qu’ils le fassent » ! « Nous sommes dans une coalition où chacun essaye d’apporter sa pierre à la réussite du NFP », indique-t-il, tout en soulignant que les jeunes et les plus pauvres n’habitent pas que dans les grandes villes.

Reste que, dans son livre Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié, François Ruffin accuse Jean-Luc Mélenchon d’être devenu « un épouvantail à électeurs » en dehors des banlieues. Donc de pénaliser la gauche.

Ruralité et vote RN

Raphaël Arnault, député FI du Vaucluse, refuse, lui, « d’aller convaincre des racistes », mais appelle à « obtenir des victoires sociales », notamment avec les associations antiracistes, pour changer la donne. À la différence de Jean-Luc Mélenchon ce samedi 14 septembre, qui, se penchant sur le fort taux de vote RN dans les zones rurales, a déclaré : « C’est une erreur de penser que l’on peut voter facho alors qu’on est juste fâché. Et ne croyez pas ceux qui disent qu’il suffit de dire à quelqu’un viens, on va se battre pour de meilleurs salaires, un meilleur service de santé, pour l’école pour qu’il dise aussitôt ah, je ne suis plus raciste. » Les mouvements sociaux sont pourtant, de façon historique, des vecteurs de conscientisation de classe : il est faux de dire que la lutte n’apprend rien.

La gauche doit-elle donc renoncer à tenter de convaincre l’électorat populaire et rural du RN ? D’autant que, selon le sociologue Félicien Faury, celui-ci se « solidifie progressivement » à mesure qu’il se « normalise » « Dans les quartiers comme dans les villages, il y a un sentiment d’impuissance, de relégation, un besoin d’être considéré comme les autres, une disparition des services publics qui construit l’isolement, mais aussi une identité de soi de moins en positive, observe Marie Pochon, députée EELV de la Drôme. S’investir pour créer des ponts, ce n’est pas abandonner la radicalité d’un projet antiraciste, écologiste, social et égalitaire, c’est tout le contraire. » Le débat est ouvert.


 


 

« Unir les classes populaires » : à la fête de l'Huma, Raphaël Arnault et François Ruffin clarifient leurs désaccords

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

Invités à réfléchir à l'union des classes populaires pour battre le Rassemblement national, Raphaël Arnault, François Ruffin, Marie Pochon et Nicolas Sansu ont débattu, parfois vivement, de cette urgence vitale pour la gauche.

Il y a des repas de famille plus agités que d’autres. Alors que la gauche peine à séduire les classes populaires, préférant bien souvent l’abstention massive ou le Rassemblement national, quatre de ses représentants élus face à des candidats d’extrême droite étaient réunis ce samedi à l’Agora de la Fête de l’Humanité pour répondre à une question essentielle pour conquérir le pouvoir. Comment unir les classes populaires pour défaire le RN ? Autour de la table, les députés Marie Pochon (Les écologistes), Nicolas Sansu (PCF), François Ruffin (Picardie debout) et Raphaël Arnault (FI). 

Quelques jours après la sortie de François Ruffin dans L’Obs, déclarant qu’un « désaccord électoral et moral s’est creusé avec Jean-Luc Mélenchon » à la suite des propos du leader insoumis appelant à « mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires » et à « laisser tomber tout le reste », c’est peu dire que le député de la Somme était attendu par les militants insoumis et leur représentant du jour, Raphaël Arnault, élu dans le Vaucluse. Dès son entrée en scène, à l’annonce de son nom, des huées se sont largement fait entendre, mêlés aux applaudissements tout aussi nombreux. Résultat : une atmosphère volcanique. Jusqu’à la première prise de parole de l’insoumis. 

Le racisme, principale épine dans le pied

Soulignant l’utilité d’un tel débat « dans une période de clarification politique », Raphaël Arnault a tout d’abord tenu à se faire le porte-voix « d’une colère qui s’agite dans la salle ». « François, je te le dis avec la plus grande sincérité : tu as blessé énormément de camarades, notamment la jeunesse, lance-t-il alors. Pour pointer le problème de ce que cela veut dire politiquement, notamment sur la question antiraciste, plus que jamais centrale. Si on esquive cette question, on est mort ».

Et de poursuivre, tout en rappelant à l’ordre les militants les plus véhéments « parce que le but est à l’échange » : « Tu es dans la faute politique. Diviser les classes populaires entre elles n’est pas la bonne façon d’entrevoir la période politique. La principale épine dans le pied, c’est ce racisme qui pollue les classes populaires. Je voudrais qu’on arrête cette illusion qui dirait que, tout d’un coup, un vote d’extrême droite est apparu. Non, il y a un vote de droite historiquement fort dans les classes populaires rurales, et ce vote se radicalise »

« Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis ce n’est jamais perdre son temps »

Comment poursuivre la lutte, selon lui ? « Ce qu’on a à faire, ce n’est pas d’aller séduire des racistes, tranche-t-il. C’est d’obtenir des victoires sur le terrain social en tendant les bras aux mouvements antiracistes ». Une prise de parole conclue par la reprise en choeur de Siamo tutti antifascisti. Un chant qui n’était pas dirigé vers François Ruffin.

Le député de la Somme a rapidement répondu à Raphaël Arnault. Tenant en premier lieu à le « féliciter » pour sa victoire, tout en lui demandant : « Veut-on vraiment unir les classes populaires ? C’est la première question. Et là, j’ai un désaccord moral et électoral profond dans la durée avec Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise ». Une première prise de parole qui provoque autant de défiance que d’adhésion dans l’assistance.

« Mettons les choses sur la table, annonce-t-il. Quand il dit qu’il faut tout faire pour la jeunesse et les quartiers populaires et le reste on laisse tomber, qui ici est d’accord avec cette ligne ? Levez les mains ! ». Seule une poignée de mains se lèvent. « Voilà ! Vous pouvez me huer, mais vous savez, en 2022, au lendemain des législatives, alors que dans ma Picardie il y avait zéro députés avant, on en a eu huit. Le midi rouge ? Basculé à l’extrême droite ! Le médoc, des terres ouvrières, populaires, qui ont envoyées des députés socialistes et communistes pendant un siècle à l’Assemblée nationale ? Basculé. Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaire, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Il nous faut tout faire pour toutes les classes populaires. Il s’agit de ne laisser tomber personne. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis ce n’est jamais perdre son temps ».

Et d’ajouter, cette fois uniquement sous les applaudissements : « C’est un danger pour les quartiers populaires et pour les personnes racisées d’être isolées politiquement du reste du pays. Il nous faut les raccrocher. Face à une extrême droite qui construit des murs, le rôle de la gauche est de détruire ces murs. Il y a un immense commun entre les quartiers populaires et les campagnes populaires. Il y a un chemin pour les unir »

Convaincre en dehors des cercles de la gauche

Des intentions auxquelles souscrit Marie Pochon, députée de la Drôme, s’appuyant sur sa campagne victorieuse en 2024 : « Je ne perds rien de ma radicalité et qui anime l’ensemble de mes engagements, mais pour gagner, il me faut aller chercher plus loin que les seules voix de gauche. Sinon, la prochaine fois, ça ne passera pas. Il faut aller convaincre des gens qui ont mis des bulletins de vote différents qu’on a perdus au fil des échéances électorales. Et c’est particulièrement important dans les territoires ruraux. Il faut aller convaincre en dehors de nos cercles »

Si, selon elle, « dans les villages », il n’y a plus de « fierté d’exister », en dehors du fait de se dire « vrai français », ou « vrai bonhomme », « il y a beaucoup de choses à déconstruire, mais il faut mener ce travail ». « Et faire ça, ce n’est pas abandonner la radicalité de notre projet », précise-t-elle.

« Il faut unir, rebondit Nicolas Sansu, député PCF du Cher. Aujourd’hui, beaucoup raisonnent entre ‘nous’ et ‘eux’. Il faut faire que le ‘nous’ soit un combat collectif contre un ‘eux’ qui représente les 500 plus grosses fortunes qui s’enrichissent comme jamais depuis qu’Emmanuel Macron est président. Là on fait des ponts entre toutes les classes populaires ! »

En se tournant vers Raphaël Arnault, l’élu communiste avertit : « Il ne faut pas faire d’anathèmes. Ici, il n’y a que des combattants pour le progrès social. Surtout, il faut être lucide : quoi que l’on dise, nous avons perdu toute une partie de notre pays. ne pas le voir serait un drame. Dans tous les territoires désindustrialisés, nous avons perdu la bataille idéologique. Il faut se battre pour recréer des solidarités. Pour cela, nous devons nous ouvrir davantage aux associations, aux syndicats, au peuple. C’est cela qui donnera un projet politique pour tous ».  

L’antiracisme partout

« Croyez-vous aux “fâchés pas fachos” ? », demande-t-on ensuite à Raphaël Arnault. « Je pense que vous connaissez la réponse, évacue-t-il d’un rire. Accordons-nous sur une chose : nous avons tous conscience que toute personne qui met un bulletin RN dans l’urne n’est pas un néo-fasciste en puissance. En revanche, nier qu’ils sont racistes, c’est gravissime »

Marquant un temps d’arrêt, il revient sur sa campagne. « Certains camarades m’ont dit : attention, tu parles trop d’islamophobie, d’antiracisme… On a tellement intégré le discours des réactionnaires et des classes possédantes, qu’on en vient à réfléchir comme eux. Mais on ne doit pas reculer sur ces questions, comme on ne doit pas le faire sur le sujet de la Palestine ! »

François Ruffin reprend la parole. « Je m’adresse à vous avec gravité. Nous avons obtenu un répit, une dernière chance, mais pas plus. La lame de fond en faveur du RN, elle se poursuit. Cela doit nous demander du sang froid pour trouver la meilleure stratégie, lance-t-il, sous des applaudissements qu’il interrompt, justifiant ne pas « chercher les applaudissements ». L’antiracisme, il est évident et permanent quand on est dans un coin comme le mien. Quand on défend les usines de Picardie, on sait que bon nombre de salariés sont des racisés. Quand on défend les auxiliaires de vie, les aides à domicile, on défend à la fois les femmes racisées qui exercent ces fonctions dans les métropoles que les femmes blanches qui font les mêmes métiers dans les campagnes. Et quand j’ai défendu Whirlpool, qu’est-ce que j’entendais ? Que c’était la faute des étrangers. Qu’est-ce que je fais ? Je réponds à ce qu’ils disent, mais ça ne suffit pas. Je reviens avec un tract qui parle de leur PDG, de son immense baraque, de ses moyens, et je raconte ça. Il faut des images pour leur montrer qui est leur véritable adversaire. Et c’est un autre que celui que leur montre la télé. Non ce n’est pas l’immigré, ce sont ceux qui se gavent »

Et de terminer, plaisantant autour d’une ambiance qui se « réchauffe » largement : « Si on veut unir les classes populaires, il est évident qu’il faut combattre le racisme pour casser les barrières ». En coulisses, néo et ancien insoumis se serrent la main. Et tous les débatteurs en conviennent en sortie de scène : « On s’est dit les choses ».


 


 

Face aux turpitudes du Nouveau Front populaire, l’impatience lucide de la gauche militante

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

À la Fête de l’Huma, les militants de gauche, en première ligne pour voir la vague Rassemblement national se reconstituer, racontent leurs confrontations concrètes aux agressions de l’extrême droite. Au même moment pourtant, la gauche se divise, à leur grand dam.

Brétigny-sur-Orge (Essonne).– Du sursaut au sursis, du sursis au fiasco ? Il y a trois mois, la formation du Nouveau Front populaire (NFP) pour présenter des candidatures uniques aux législatives anticipées et endiguer la menace d’une prise de pouvoir du Rassemblement national (RN) avait suscité un immense espoir. Une campagne militante inédite sur tout le territoire permettait à cette coalition inespérée de la gauche et des Écologistes d’arriver en tête le 7 juillet, provoquant un ample soulagement.

Depuis pourtant, les nuages s’amoncellent au-dessus de l’alternative émergente. Non seulement Emmanuel Macron a fait le choix de fouler aux pieds le résultat des urnes en nommant Michel Barnier à Matignon, mais l’alliance menace de s’effondrer sur elle-même. Nulle manifestation commune le 7 septembre pour dénoncer le coup de force du président ; nulle journée parlementaire commune du NFP ; nulle position commune sur la destitution ou la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites que le RN entend présenter dans sa niche parlementaire le 31 octobre (LFI a annoncé déposer sa propre proposition à ce sujet dans sa niche, tandis que le communiste Léon Deffontaines a laissé entendre qu’il fallait voter celle du RN)…

Pire : après les coups de boutoir des opposant·es à Olivier Faure au Parti socialiste (PS) pour rompre l’union en se séparant de La France insoumise (LFI), c’est maintenant François Ruffin, député de la Somme en rupture avec LFI, qui instruit son procès. Non pas que des débats de fond à gauche n’ont pas lieu d’être, mais le moment et les mots sont parfois particulièrement mal choisis.

Les médias Bolloré et les caciques du RN se disent à raison qu’ils n’ont plus qu’à écouter siffler les balles jusqu’à la prochaine dissolution. « Je suis convaincue qu’il y aura à l’issue de ces dix mois des nouvelles élections législatives », a d’ailleurs savouré Marine Le Pen lors de la rentrée parlementaire du RN. À la Fête de l’Huma ce week-end, où le débat acrimonieux entre François Ruffin et Raphaël Arnault (député LFI du Vaucluse) a étalé ces fractures au grand jour samedi, l’humeur militante était donc maussade.

Des nouvelles du front

À 66 ans, Pascal Morandi se dit « plus malheureux qu’en colère » de voir son département du Cher, autrefois rouge vif, virer au brun d’élection en élection sans que les états-majors des partis de gauche ne semblent en prendre la mesure. « D’autant plus que je suis d’origine immigrée, ça prend aux tripes ! », dit-il en évoquant son grand-père, qui avait fui le fascisme en Italie. Il ajoute, comme pour opposer un retour de terrain aux théories surplombantes qui s’esquissent sur le sujet : « Les gens qui votent RN ne le font pas “pour essayer”, ce sont des racistes dans l’âme, c’est tout. »

Militant au Parti communiste français (PCF) depuis vingt ans, après s’être remis de longues années d’alcoolisme – il est désormais un des responsables de l’association Vie libre, qui lutte contre les addictions –, Pascal Morandi raconte comment l’ambiance dans son petit village berrichon de cent habitants s’est transformée : « C’est très difficile à vivre, comme une imprégnation progressive. Avant quand je collais des affiches, les tracteurs s’arrêtaient, on discutait. Aujourd’hui, je ne le fais plus tout seul, et toujours en plein jour, car c’est devenu risqué. » Aux législatives, la digue contre le RN a encore tenu dans le département, mais de justesse.

Sa « musette de combat » en bandoulière et l’insigne des républicains espagnols rivé au revers de sa veste, le militant narre, les larmes aux yeux, le jour où son grand-père l’a amené, à sept ans, voir un ami à lui rescapé des camps de la mort : « Je n’ai pas dormi pendant plusieurs nuits. Voilà pourquoi aujourd’hui je ne peux pas voir le RN en couleur. Et face à ça, il n’y a pas d’autre solution que l’unité populaire. »

Autant dire que l’attitude des dirigeant·es de gauche ces dernières semaines le laisse dubitatif : « Quand Jean-Luc Mélenchon dit qu’il faut laisser tomber le travail militant en dehors de la jeunesse et des quartiers populaires, il ne m’aide pas sur le terrain, même si je suis très heureux qu’il y ait une jeunesse qui soit prête à en découdre », dit-il.

Le discours de François Ruffin, ami du député communiste du Cher Nicolas Sansu, ne le laisse logiquement pas insensible, même s’il se garde des hommes providentiels. Toujours est-il qu’il alerte sombrement : « Les chiffres d’attaques contre des mosquées et des synagogues sont éloquents. Les conditions d’un soulèvement fasciste sont réunies. » Beaucoup des sympathisant·es de gauche rencontré·es à la Fête de l’Huma, qui ont tracté, fait du porte-à-porte et argumenté comme jamais pendant les législatives anticipées sont hanté·es par les mêmes angoisses.  

Sarah, travailleuse sociale de 44 ans, bleu de travail des Rosies (un collectif qui milite pour les droits des femmes) sur le dos, raconte avoir vécu un surprenant contraste quand elle a déménagé de banlieue parisienne il y a quelques années pour aller vivre dans un village rural en périphérie éloignée de Rennes, d’où elle est originaire, avec son conjoint d’origine sénégalaise et leurs trois enfants. Au collège, sa fille métisse de quinze ans lui raconte les insultes racistes qu’elle entend, et ses camarades qui souhaitent à voix haute la victoire de Jordan Bardella.

« Quand on a vu la carte du résultat des européennes, entièrement marron avec quelques minuscules points roses, on s’est dit : “Merde, dans tous nos bleds le RN arrive en tête, que s’est-il passé ?” », relate-t-elle en sirotant un café dans les allées de la Fête.

Quand elle refait le film du NFP, son visage s’illumine : la victoire libératrice du 7 juillet vécue en direct avec les quelques couples mixtes du village, l’accord sur Lucie Castets pour Matignon, le coup de maître de Jean-Luc Mélenchon proposant un gouvernement du NFP sans LFI… Mais il s’assombrit quand vient la suite : le déni démocratique d’Emmanuel Macron, les vieux loups du PS qui font tanguer l’alliance, Ruffin qu’elle « adore », mais dont les dernières sorties « alimentent la critique du NFP »… Désormais, la peur a repris le dessus.

« Je crains qu’on se dirige vers une société en silos, avec les fans de tuning que je ne rencontrerai jamais d’un côté, et les gauchos qui font de la vannerie en osier de l’autre. La gauche doit faire en sorte que ces mondes se rencontrent, sinon c’est la haine qui va l’emporter », défend-elle, très pessimiste sur l’avenir politique de la France, en enjoignant les cadres nationaux des partis à davantage écouter leurs élus locaux.

Un problème de leadership

Toutes et tous déclarent leur amertume de constater qu’une fois de plus, le NFP pourrait n’avoir été qu’un réflexe de survie des appareils partisans, et que ces derniers retombent dans une guerre fratricide pour s’imposer aux autres. C’est le cas de Clara et Alicia, deux amies d’enfance de 24 ans originaires du Vercors, attablées au soleil en face du stand du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).

La première est étudiante à Sciences Po Paris, la seconde diplômée d’école d’architecture à Grenoble (Isère). « À chaque échéance électorale, l’omniprésence du RN se confirme, mais c’est comme si les partis l’oubliaient dans l’intervalle. Pourtant la vague RN est là depuis sept ans, et les militants d’extrême droite se sentent désormais autorisés à passer à l’acte », dénoncent-elles.

Toutes deux sont convaincues qu’il faut prendre acte que le vote RN est un vote d’adhésion raciste, et qu’il faut prendre à bras-le-corps la lutte antiraciste sans céder aux intimidations d’un paysage médiatique de plus en plus droitier.

Aussi voient-elles d’un mauvais œil les tentatives de recomposition à gauche autour d’une ligne plus consensuelle incarnée par le PS. « Lucie Castets a un profil consensuel sur les services publics, mais j’aimerais l’entendre sur les sujets qui font plus mal, comme l’antiracisme. On a beau diaboliser le discours de Jean-Luc Mélenchon, ça parle aux gens, ce n’est pas peanuts », plaide Clara, qui s’est mobilisée pour la Palestine à Sciences Po.

Elles aspirent à ce que la gauche tienne tous les bouts, qu’elle ne cède pas aux stéréotypes opposants les bourgs et les tours, et surtout qu’elle ne soit pas « attentiste » dans la lutte contre le RN.  

Devant l’immense stand de la fédération du Nord du PCF, Nicole et Philippe, retraités de 64 et 69 ans, sont bien placés pour partager cette inquiétude. Le couple réside dans une commune située à vingt kilomètres d’Arras (Pas-de-Calais). « Maintenant, quand on dit qu’on est du Pas-de-Calais, les gens nous disent : “Ah oui, le pays de Marine Le Pen”. C’est douloureux, avant c’étaient les mines ! », rappelle Philippe, qui travaillait comme responsable de fabrication à Stora Enso, une des plus grandes usines françaises de papier, qui a fermé en 2014.  

Ces sympathisants communistes, « enfants de fermiers gaullistes », ont encore les années Hollande en travers de la gorge, et se méfient toujours du PS. Ils témoignent de l’enracinement du RN qui ne cesse de labourer le terrain près de chez eux. Encore récemment ils ont aperçu, stupéfaits, Jordan Bardella dans le petit village de Lécluse, dans le Nord. « Autour de chez nous, on voit des affiches “Devenez patriotes”, et il y a même des chasseurs qui prétendent faire la “chasse aux migrants” », narrent-ils, dépités. Eux continueront de tenir la digue, « contre les racistes, les pétainistes, les copains de Poutine et de Trump ».

S’ils n’ont rien contre Jean-Luc Mélenchon, qui les a parfois « épatés », ils jugent qu’il ferait mieux maintenant de se mettre en retrait. D’autant plus depuis qu’il a suggéré de ne plus miser que sur la jeunesse et les quartiers populaires : « Qu’un orateur pareil puisse dire ça, c’est triste », regrettent-ils. Ils lui préfèrent une autre équipe : « Roussel, Ruffin, Tondelier. C’est le noyau de dirigeants pour les gueux ! », rigolent-ils. 

En filigrane, le problème de leadership de la gauche remonte à la surface de ces témoignages. Si toutes et tous souhaitent l’union de la gauche pour 2027 – et peut-être plus tôt si nécessaire –, aucune personnalité ne s’impose et les partis eux-mêmes sont tétanisés par leurs tensions internes sur cette question. 

Pourquoi ne pas miser sur Lucie Castets, sur laquelle le NFP s’est mis d’accord pour Matignon ? « Lucie Castets, c’est un bon compromis, c’est une jeune femme de conviction dans laquelle beaucoup pourraient se reconnaître », espère Nicole. Ruffin aussi, lui semble capable. D’ici là, il faut que l’union tienne. Et la partie n’est pas gagnée.

  mise en ligne le 14 septembre 2024

« Nous avons une obligation de résultat » : le Nouveau Front populaire prépare sa riposte au hold-up d'Emmanuel Macron

sur www.humanite.fr

Après Lucie Castets reçue vendredi 13 septembre, les quatre représentants des formations qui constituent le NFP se sont donné rendez-vous à l’Agora de l’Humanité. Au menu : riposte au hold-up d’Emmanuel Macron sur les élections et unité de la gauche.

C’est traditionnellement l’un des débats les plus suivis de l’Agora, celui des responsables de la gauche. En cette année politique qui s’est accélérée depuis la dissolution prononcée par Emmanuel Macron au soir des élections européennes, l’Agora est en surchauffe.

Avec 11 millions de voix aux élections législatives, le poids du RN « nous place devant une responsabilité immense, vis-à-vis de vous, les citoyens et de la République », souligne Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. Ajoutant : « nous avons une obligation de résultat », et la condition première à cette obligation, c’est que « nous devons rester unis, être plus forts pour changer la France, changer la vie des gens ».

« Préserver cette unité comme un bien commun »

Mais comment faire tandis qu’Emmanuel Macron a choisi d’assurer sa survie politique en donnant les clés de Matignon à la droite ? « C’est de préserver cette unité comme un bien commun qui va nous permettre de construire et d’avancer, rappelle le responsable communiste. C’est continuer d’avancer ensemble, comme on le fait depuis deux mois, débattre, devant vous comme on le fait maintenant ». « Nous avons réussi à faire élire 193 députés, qui font que nous sommes la première force coalisée à l’assemblée nationale. C’est un point d’appui pour nous opposer à la politique de la droite et de l’extrême droite ».

Le réalisme prévaut aussi chez Fabien Roussel : « Il faut aussi que nous nous disions que ce n’est pas suffisant. Nous avons gagné, mais nous n’avons pas assez gagné. La prochaine fois, il faudra gagner plus. »

Dans une Agora débordant de public de toute part, quelqu’un crie « un seul parti ! » Réponse de l’écologiste Marine Tondelier : « Je ne crois pas en un seul parti. Écologiste, je crois beaucoup à la biodiversité. Si le NFP a fonctionné, c’est qu’il allait de Philippe Poutou à François Hollande. » La salle, jamais à court de facétie, laisse entrevoir de quel côté elle penche et scande alors : « Poutou ! Poutou ! Poutou ! »

Alors oui, « nous sommes quatre forces politiques avec des histoires, des propositions qui nous rassemblent mais qui aussi sont différentes. Ces différences et ces nuances doivent continuer de faire débat entre nous, respectueusement, sans insulte et sans dispute », relève Fabien Roussel.

« Je ne veux plus qu’on se balance des tacles »

Marine Tondelier abonde : « Je ne veux plus qu’on se balance des tacles. » La responsable écologiste poursuit : « Je le dis à tout le monde, y compris aux opposants internes à Olivier Faure. Je les ai trouvés très perméables aux critiques des macronistes. Quand j’ai entendu dire des gens du NFP : vous avez eu Michel Barnier, c’est de votre faute. Vous n’avez pas voulu de Cazeneuve, je ne suis même pas sûr que tous les socialistes passent le contrôle technique macroniste… »

En fait, reprend Olivier Faure, « la droite a peur qu’on puisse l’emporter ». « Le problème n’était pas les ministres insoumis, mais le programme du Nouveau Front Populaire. » Il déplore d’entendre « à chaque fois les mêmes arguments quand la gauche est proche du pouvoir ; la gauche c’est la faillite, c’est l’incapacité à bien gérer, c’est ceux qui vident les poches » des gens. Au contraire, clame le premier secrétaire du PS, « je prends comme un honneur qu’il y ait des Français de droite qui ont peur de nous voir ensemble. Ils nous aiment divisés ». Et de prévenir : « Sans les insoumis, un Front populaire devient un front minoritaire. »

61 % des électeurs de gauche pensent qu’il faudrait une candidature unique du NFP en 202,7 selon un récent sondage. Avant cette échéance majeure, il y a l’urgent selon Manuel Bompard (FI). Face au coup de force de Macron qui ne veut pas reconnaître la réalité des unes, « je crois qu’il faut répondre de la manière suivante : censure, mobilisation, destitution ». « Oui, j’assume de dire que face au coup de force antidémocratique (…) d’Emmanuel Macron, il faut utiliser tous les moyens à notre disposition. Oui, la procédure de destitution du président est un de nos moyens. Elle sera examinée ce mardi en bureau de l’Assemblée. Le NFP y étant majoritaire, je pense que cette procédure pourra continuer à avancer (…) Peut-être qu’il ne tombera pas parce qu’il y a eu un accord secret entre Emmanuel Macron et le RN ». Mais, assure l’insoumis, rien n’est possible « sans mobilisation populaire ».

« La question qui nous est posée c’est comment on fait »

« Quand l’essentiel est en jeu, résume Olivier Faure, la gauche a toujours su se retrouver. La gauche a toujours été antifasciste ». Il n’en fallait pas plus pour déclencher dans la salle un intermède musical : le public entonne évidemment un Siamo tutti antifascisti !

Lutter contre l’extrême droite, « personne ne dira l’inverse, convient Manuel Bompard. La question qui nous est posée c’est comment on fait ». C’est déjà l’heure d’un bilan, pour le responsable insoumis. « J’ai déjà dit que l’idée qu’il faudrait mettre de côté certains sujets pour battre l’extrême droite était contreproductive, il faut affronter la substitution du clivage de classe par un autre clivage, en fonction de l’origine, de la couleur de peau », défend-il. « Ne commettons pas l’erreur de penser que le clivage dans le pays est géographique, ne faisons pas l’erreur de croire que la jeunesse et les quartiers populaires n’existent que dans les villes et métropoles », poursuit-il, dans une allusion à la position de François Ruffin. Et de souligner un chiffre : 45 % des logements sociaux sont situés hors des agglomérations de plus de 200 000 habitants.

Marine Tondelier l’assure, même s’il y a eu un regain de participation aux dernières législatives, la crise démocratique n’est pas réglée pour autant : « Quand vous retournez voter pour la première fois depuis longtemps et qu’on vous met Barnier à Matignon après, ça ne vous donne pas envie de recommencer ». C’est pourquoi elle défend une action qui va au-delà des partis, et associe associations, syndicats… Ce qu’elle appelle un « écosystème NFP ». Quand on est écologiste, on ne se refait pas.


 


 

« Le NFP a un programme financé et finançable » : ce qu’il fallait retenir du débat entre Sophie Binet, Fabien Roussel et Lucie Castets

Gaël De Santis et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Nouveaux défis pour le Nouveau Front populaire, mobilisations sociales, lutte contre l’austérité, abrogation de la réforme des retraites… Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon Lucie Castets, et la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ont échangé, pendant plus d’une heure et demie vendredi 13 septembre, devant une foule compacte à la Fête de l’Humanité.

Devant une foule compacte rassemblée devant le stand national des communistes à la Fête de l’Humanité, le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon Lucie Castets, et la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ont échangé, pendant plus d’une heure et demie, vendredi 13 septembre, sur la riposte au coup de force d’Emmanuel Macron.

« Le 1er octobre doit être le début du retour de la mobilisation contre la réforme des retraites », a prévenu d’emblée Sophie Binet. Alors que les ministres démissionnaires comme le nouveau chef du gouvernement, Michel Barnier, essaie déjà de préparer les esprits à l’austérité, la contre-offensive s’organise aussi en vue de l’examen des prochains budgets de l’État et de la Sécurité sociale.

« La politique de l’offre a vidé les caisses »

« La question de l’argent, c’est capital. Le capital s’occupe beaucoup d’argent. Il faudra qu’on s’en occupe aussi ! », explique Fabien Roussel. Et de l’argent il y en a : « En 2007 au début du mandat Sarkozy, les 500 plus grandes fortunes représentaient 270 milliards d’euros, soit 14 % du PIB. En 2012, elles pesaient déjà 320 milliards d’euros. On en est maintenant à 1 200 milliards d’euros, soit 41 % du PIB », rappelle le dirigeant communiste qui assure également qu’il faut « reconstruire une industrie verte, forte » car il s’agit aussi de « créer des richesses pour financer des besoins ». « Si nous voulons financer la protection sociale et la transition écologique, poursuit-il, il nous faut produire des richesses. »

« La politique de l’offre » d’aide aux entreprises « a vidé les caisses », relève de, son côté, la dirigeante de la CGT. Un constat partagé par Lucie Castets : « Le gouvernement nous a mis dans une situation de procédure de déficit excessif. C’est très rare dans l’histoire. Les responsables en sont le président de la République et le ministre des Finances qui ont refusé d’activer le levier fiscal » pour augmenter les recettes de l’État, juge celle qui est devenue le visage du NFP, ajoutant que celui-ci « a un programme financé et finançable ».

La lutte contre l’extrême droite, au cœur des mobilisations lors des législatives, reste également à l’ordre du jour alors que Marine Le Pen et Jordan Bardella sont prêts à adouber Michel Barnier tout en se prétendant du côté des classes populaires. « Nous devons dire ce à quoi correspond le programme du Rassemblement national, lance Lucie Castets. Il correspondra à une politique d’austérité importante, avec 50 milliards d’euros de recette en moins. C’est un programme qui asphyxie nos services publics. C’est un programme qui dénigre les fonctionnaires, la fonction publique mais aussi les travailleurs, dont ils disent qu’il faut réduire le nombre en parlant d’une « administration obèse ». »

Pour arracher des victoires dans les semaines à venir, le Nouveau Front populaire, dont l’élan a été soutenu dès l’origine par des syndicats et des associations, fait face à de nombreux défis. « À gauche, il faut éviter la logique hégémonique », prévient Sophie Binet, qui estime également qu’« il faut repolitiser le syndicalisme » tout en sortant « d’une logique d’instrumentalisation » du syndicalisme par les politiques. En se tournant vers Lucie Castets et Fabien Roussel, la syndicaliste enchaîne : « Nous avons besoin que vous exerciez le pouvoir. On se fera un plaisir d’exercer un contrepouvoir exigeant. »

Et pour y parvenir, l’union fait la force, ont estimé, unanimes, les trois dirigeants. « Nous sommes les plus nombreux, on va leur reprendre le pouvoir. Pour ce, il faut l’unité des salariés ».

Le leader insoumis avait estimé, lors de la manifestation du 7 septembre contre le « hold-up de Macron », qu’il fallait mobiliser jeunesse et quartiers populaires. « Tout le reste, on perd notre temps », avait ajouté le triple candidat à la présidentielle, lors d’une discussion avec des militants. « Nous sommes tous une même classe, la classe des travailleurs », au-delà des différences de couleur, de lieu d’habitation, de religion, a jugé Fabien Roussel vendredi.

  mise en ligne le 13 septembre 2024

Les électeurs de gauche « fiers » de l’être, les personnalités pour l’incarner… les résultats de notre baromètre sur la gauche en France

Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr

À l’occasion de la Fête de l’Humanité, nous publions notre baromètre annuel, en partenariat avec l’Ifop. Il montre une percée du nombre de personnes se déclarant de gauche et fières de l’être, et un consensus autour de plusieurs mesures économiques emblématiques. L’effet NFP ? En partie, mais celui-ci peine encore à convaincre de sa pérennité.

La courte victoire du Nouveau Front populaire (NFP) aux dernières législatives illustre-t-elle une percée des idées de gauche dans l’opinion ? Question cruciale pour les formations de gauche et les mois à venir. Celle-ci irrigue le 11e baromètre de l’Humanité, réalisé en partenariat avec l’Ifop, que nous publions chaque année pour la Fête de l’Humanité qui se tient ce week-end, dans l’Essonne.

Premier enseignement de cette enquête : l’arrivée en tête du NFP n’a pas suscité d’inversion du positionnement politique des sondés. Il y a toujours moins de personnes qui se déclarent de gauche (44 %, contre 43 % en septembre 2023) que de droite (56 %, dont 13 % à l’extrême droite – un record). « Mais, attention, la gauche existe encore et même plus que jamais, si l’on prend du recul sur ces dix dernières années, relève Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. Il n’y a jamais eu autant de personnes de gauche qui se déclarent fières de l’être (74 %, contre 56 % en 2014) et qui pensent que la gauche peut gouverner sans se renier (81 %). »

Pour le sondeur, il y a un « effet d’éloignement temporel du quinquennat Hollande » : le souvenir des promesses trahies s’estompe, tandis que la politique d’Emmanuel Macron, clairement perçue comme de droite par 81 % des Français qui se déclarent de gauche (11 % d’entre eux estiment même que le président mène une politique d’extrême droite), réactive toujours plus un clivage net.

« Si la séquence, des européennes à la nomination de Michel Barnier, a opéré une clarification, c’est celle-ci, note Frédéric Dabi : à gauche, on ne croit plus qu’Emmanuel Macron représente une forme d’ “en même temps”, il est clair aux yeux de ses électeurs qu’il est de droite. »

Consensus sur les superprofits et les aides aux entreprises

Conséquence : cet électorat de gauche, qui attend de manière nette une autre forme de politique – ce qui est conforme aux résultats des législatives – et estime que la gauche est tout à fait en capacité d’appliquer son programme, contrairement au discours médiatique dominant, voit d’un mauvais œil l’hypothèse d’un accord du Nouveau Front populaire avec la Macronie : 56 % des Français de gauche estiment qu’un gouvernement NFP qui accueillerait des personnalités issues du bloc macroniste ne serait plus en mesure d’appliquer une politique de gauche. Ce serait, pour ainsi dire, faire entrer le loup dans la bergerie.

Alors qu’Emmanuel Macron a fait barrage à un gouvernement du NFP avec Lucie Castets pour première ministre, le baromètre de l’Humanité montre que plusieurs mesures phares de la coalition de gauche auraient remporté un large assentiment des Français.

Trois propositions, notamment, font l’objet d’un consensus auprès des sondés de gauche comme de l’ensemble des citoyens. Tout d’abord, la lutte contre l’accaparement des richesses (plébiscitée par 91 % des Français de gauche et par 88 % de l’ensemble des Français), à l’heure où 10 % des plus riches détiennent plus de 50 % du patrimoine total, selon les chiffres de 2024 de la Banque de France.

Ensuite, le conditionnement des aides aux entreprises à des contreparties sociales et environnementales (gauche : 89 % d’opinion favorable ; ensemble des Français : 87 %) et, enfin, la taxation des profits des multinationales (gauche : 90 % ; ensemble des Français : 83 %). « On est en plein dans le programme du NFP, donc la bataille culturelle est loin d’être perdue, notamment sur les marqueurs économiques », note Frédéric Dabi.

Sur ces points, une gauche qui appliquerait son programme se superposerait aux attentes des Français. Une majorité de Français se montrent également favorables à l’abrogation de la réforme des retraites (63 %) et à la suppression du 49.3 (66 %). Quasiment deux ans après l’adoption au forceps du texte, preuve est faite qu’Emmanuel Macron a toujours une large majorité, plurielle, contre lui, sur ce point.

Immigration et insécurité, les mots qui clivent

Le directeur de l’Ifop relève ainsi une forme « d’homogénéisation des positions » sur certains thèmes, loin du mythe d’une France polarisée à l’extrême, où les citoyens ne parleraient plus la même langue : « La question des services publics, par exemple, n’est plus seulement un marqueur de gauche. Même à droite, désormais, on considère que le recul des services publics est synonyme de déclin pour un territoire. »

Reste toutefois à la gauche d’incarner encore plus l’idée que c’est elle, bien plus que la droite et les gouvernements en place, qui fait des services publics une priorité. Frédéric Dabi note également que « d’un point de vue déclaratif, les interrogés valident le clivage gauche-droite, mais dans les faits, il y a de nombreux items où les positions ne sont pas tant antagonistes et convergent. C’est surtout sur les marqueurs sociétaux que le clivage reste marqué entre la gauche et la droite ».

Sans surprise, c’est en effet sur les questions d’immigration et d’insécurité que l’on relève le plus fort clivage. À gauche, 55 % des sondés estiment que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte à la France, contre 23 % à droite. De même, si à gauche le fait d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les municipales est perçu positivement (66 % sont pour), 64 % des personnes de droite y sont défavorables.

Les marqueurs sécuritaires, ultra-sollicités par le reste des interrogés, ne sont pas prioritaires dans le panel de gauche, qui identifie la meilleure répartition des richesses, la hausse des salaires et la protection de l’environnement comme les trois chantiers prioritaires d’un gouvernement progressiste.

Le baromètre enseigne donc que la gauche dispose d’une majorité d’idées en France, au-delà de son propre camp, sur des mesures phares de son programme économique. Mais aussi qu’il lui reste à convaincre sur la question de l’antiracisme (73 % des gens de gauche estiment qu’un racisme systémique a cours en France, contre 58 % à droite), de l’écologie (à droite, ils sont 57 % à penser qu’elle est compatible avec le capitalisme), ou encore des violences policières (72 % des Français de gauche considèrent qu’elles existent, contre 47 % pour ceux de droite).

Des doutes quant à l’avenir de l’union

Malgré le bel espoir qu’il a suscité et le score inattendu qu’il a réalisé lors des dernières législatives, le Nouveau Front populaire, en tant que tel, ne fait pourtant pas consensus. Tout d’abord, la coalition de gauche revient comme le mot perçu le plus négativement par les Français classés à droite, où il fait figure d’épouvantail (devant les mots « immigration », « communisme » et « grève »). « Il est clair qu’à droite, on craint que le NFP n’arrive au pouvoir et n’applique son programme, malgré les points de convergence observés », relève Frédéric Dabi.

Mais, à gauche aussi, l’enthousiasme est mesuré : seuls 52 % des sondés se déclarant de gauche estiment que le terme « Nouveau Front populaire » a une connotation positive. Comment expliquer cette méfiance ? « Il y a, dans les Français qui se déclarent de gauche, de nombreuses personnes de tendance sociale-démocrate qui voient cette alliance comme trop radicale, ou penchant encore trop du côté de Jean-Luc Mélenchon, même si celui-ci est bien plus en retrait qu’à l’époque de la Nupes », analyse Frédéric Dabi.

En témoigne la percée au baromètre de l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann parmi les personnalités citées comme incarnant le mieux la gauche. Surtout, 61 % d’entre eux estiment que le NFP sera amené à se désunir et à disparaître. « C’est à peu près le même pourcentage qu’avec la Nupes, l’an dernier, note le sondeur. Le souvenir de la désunion de la précédente alliance ne plaide pas en faveur du Nouveau Front populaire, pour beaucoup. »

Ce pessimisme quant à la pérennité de l’alliance électorale née des législatives est d’autant plus net que, dans le même temps, les Français de gauche attendent toujours une candidature unique (à 61 %) en 2027. En clair, pour vaincre les doutes, le NFP devra montrer sa capacité à trancher l’épineuse question d’une incarnation commune à la présidentielle, sans que l’obstacle n’ait raison de sa solidité. Et organiser le nécessaire débat entre les deux grandes familles de la gauche, ni irréconciliables, ni conciliantes l’une envers l’autre : la gauche de rupture et la social-démocratie.

  mise en ligne le 12 septembre 2024

Immigration : les gauches européennes cèdent à l’extrême droite

Roger Martelli sur https://regards.fr

Courant après une « opinion publique » abreuvée des thèses de l’extrême droite, la gauche en finit par prendre le « problème » migratoire pour acquis.

En Allemagne, le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, a décidé de renforcer les contrôles aux frontières pour lutter contre l’immigration clandestine. Au Danemark, qui avait été en 1952 le premier pays au monde à ratifier la convention de Genève sur les réfugiés, les socialistes se sont mis à assumer une politique migratoire qui fait de leur pays un champion des restrictions migratoires.

Est-ce la réalité des problèmes sociaux qui pousse à ce choix ? Non. On s’y résout parce que l’extrême droite a imposé son credo anti-immigration comme une donnée d’évidence. Et, comme toujours lorsqu’elle marque des points, il se trouve des forces pour expliquer que les questions posées par elle sont pertinentes et qu’il faut simplement y répondre autrement. En Allemagne, Sahra Wagenknecht le dit depuis longtemps, alors même qu’elle a été une figure de l’aile gauche de Die Linke. Et ses propos ont trouvé chez nous à l’époque des échos favorables, y compris au sein de La France insoumise.

Nous revoilà en tout cas au point de départ, à un moment où la scène politique européenne s’infléchit vers la droite. Il ne faut pas donner des armes à l’extrême droite. Chercheurs, militants associatifs, experts du dossier migratoire peuvent toujours expliquer que les mouvements migratoires n’ont rien d’un tsunami, que le « grand remplacement » est une absurdité, que la montée des flux migratoires est un phénomène mondial (voir encadré ci-dessous), etc., les responsables n’en ont cure : si « l’opinion publique » pense que l’immigration est un « problème », il faut le traiter comme tel.

La nouvelle politique migratoire devra mettre en balance les intérêts de tous au lieu de pousser à fond le curseur dans une seule direction. Le défi est considérable : anticiper les « crises migratoires » annoncées par les instances situées en première ligne ; mobiliser au plus tôt les moyens humains nécessaires (et pas seulement sous forme d’emplois précaires) ; rappeler les réussites tout autant que les échec de l’intégration ; saluer le rôle majeur des immigrés dans les emplois « essentiels » (et pas seulement par temps de pandémie) ; relayer publiquement les travaux qui, tels ceux de l’OCDE dans son rapport sur l’année 2001, démontrent que l’immigration rapporte plus au budget public qu’elle ne lui coûte ; rompre avec une logique perverse qui voudrait faire de l’intégration – voire de l’assimilation – une condition d’entrée sur le territoire, alors que l’intégration à la nation s’est toujours effectuée à force de temps, sur une ou deux générations, au prix d’un effort mutuel de toutes les parties. Bref, sortir du déni.

François Héran, Immigration : le grand déni, Seuil, La République des idées, 2023

On conviendra ici que la réalité des migrations se prête mal au jeu des oppositions extrêmes, à la sanctification des murs comme à l’affirmation éthique du « no border ». Mais quand, à gauche, on commence à expliquer que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde », on finit très vite par se trouver pris dans un engrenage qui, au nom du réalisme, conduit à des reculs successifs et, à l’arrivée, à l’abandon même des valeurs. Car, le contrôle accru des frontières n’étant en aucun cas une solution, s’y engager conduit inexorablement à devoir aller toujours plus loin dans la solution répressive. Cela ne pose aucun problème si, comme à l’extrême droite, on pense que la clôture nationale est en elle-même une valeur.

Mais si l’on s’y refuse, on doit avoir d’autres ambitions que celles de faire mieux que la droite ou l’extrême droite et, en aucun cas, on ne peut laisser croire qu’une gestion humaine volontaire des flux migratoires repose d’abord sur des moyens techniques de contrôle. Pour « accueillir » – et comment ne pas le faire quand on sait que les migrations continueront d’augmenter à l’échelle planétaire ? –, il faut une société compatible avec l’exigence de partage, de solidarité, d’impératif absolu des droits humains, d’inclusion et non d’exclusion.

Si la gauche n’est pas capable de se porter à ce niveau de projet, si elle n’installe pas le récit de cette société nécessaire et possible, elle se perdra elle-même et elle perdra, sur le terrain des valeurs tout autant que sur celui du réalisme.

mise en ligne le 2 septembre 2024

Sophie Binet : « 
Nous avons empêché le pire,
gagnons le meilleur ! »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Après le cirque indigne d’une démocratie qui a mené à la nomination de Michel Barnier à Matignon, la secrétaire générale de la CGT promet une rentrée des plus offensives. Sophie Binet entend pousser le rapport de force lors de l’examen du budget à l’Assemblée. Nous l’avons rencontrée avant son passage à la Fête de l’Humanité et la journée de mobilisation du 1er octobre.

La CGT n’entend pas laisser de répit à Emmanuel Macron. Jeudi 5 septembre, près d’une heure après la nomination de Michel Barnier à Matignon, « l’Humanité magazine » rencontrait Sophie Binet. La secrétaire générale de la CGT avait déjà annoncé une journée de mobilisation le 1er octobre, jour où arrive le budget 2025 devant les députés. Après le déni de démocratie du chef de l’État, cette date prend une tournure bien plus politique, alors que la cégétiste, une des figures de l’élan populaire post-dissolution, entend arracher des avancées sociales.

Après les législatives, vous vous attendiez à un coup de force d’Emmanuel Macron. C’est chose faite avec Michel Barnier à Matignon. Le chef de l’État devra-t-il se résoudre à amoindrir, voire abandonner sa politique économique pour apaiser le pays ?

Sophie Binet : C’est une évidence. D’abord, les électeurs ont pris leurs responsabilités pour battre l’extrême droite. Ensuite, la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron a été lourdement sanctionnée. En multipliant les cadeaux aux plus riches, Bruno Le Maire et le chef de l’État ont creusé le déficit de 1 000 milliards depuis 2017. Un millier d’élèves handicapés n’ont pu être scolarisés à la rentrée. Il n’y a jamais eu autant d’enseignants contractuels, c’est-à-dire sans formation. Les urgences arrivent en bout de course. Le bilan d’Emmanuel Macron est une catastrophe.

En cherchant à neutraliser une motion de censure du RN, le président de la République a une nouvelle fois joué avec l’extrême droite, au détriment du sursaut républicain dans l’entre-deux-tours…


Sophie Binet : En plaçant le RN en faiseur de rois, Emmanuel Macron s’assoit sur le vote des Français. Marine Le Pen aura le pouvoir de vie ou de mort sur Michel Barnier. Le chef de l’État s’est placé en situation de dépendance à l’extrême droite. Dans toutes les autres démocraties parlementaires, c’est la force politique arrivée en tête qui a la responsabilité de construire une majorité. C’est seulement si elle n’y parvient pas que les autres partis prennent la main. En réalité, Emmanuel Macron veut conserver son pouvoir personnel. Or, président de la République ne signifie pas avoir les pleins pouvoirs. Sa politique est fluctuante sauf dans un domaine : ses orientations économiques au service des puissants. C’est pour maintenir cette politique économique qu’Emmanuel Macron a écarté le NFP de Matignon.

En réponse, la CGT appelle à une journée de mobilisation le 1er octobre. Quelles sont les priorités de la CGT ?

Sophie Binet : Ce sont les syndicats de retraités qui ont initié le 1er octobre. Nous l’avons confédéralisé car c’est une date unitaire. C’est aussi le jour de l’arrivée du budget 2025 à l’Assemblée. Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter.

De plus, il est intolérable que les 170 milliards d’aides publiques à destination des entreprises ne soient pas conditionnées à des impératifs sociaux et environnementaux. Nous irons arracher les augmentations de salaire, à commencer par l’indexation sur les prix et une réévaluation du Smic. Sans mobilisation, Emmanuel Macron continuera sa politique de casse sociale. Mais, grâce au sursaut populaire à la suite de la dissolution, le chef de l’État n’a jamais été aussi fragilisé. Après avoir évité le pire, l’arrivée de Bardella à Matignon, nous voulons gagner le meilleur. Macron ne comprend que le rapport de force. Or, la force est avec nous. Ne nous laissons pas emporter par le fatalisme, ayons conscience des points marqués depuis 2022.

Lesquels ?

Sophie Binet : Nous avons empêché une victoire du RN. La gauche est arrivée en tête des législatives anticipées, ce qu’aucun commentateur n’avait prédit. Emmanuel Macron ne contrôle plus rien dans le pays. Sa capacité d’action est contrainte par le Parlement. Le gouvernement Barnier va être le plus faible de la Ve République. Le chef de l’État a dû abandonner les réformes d’assurance-chômage, du logement, de l’audiovisuel public, de la fonction publique, du Code du travail.

Ces victoires ont été arrachées par la mobilisation et par les urnes. Sans la dissolution, nous nous préparions à une rentrée de résistance. Nous sommes désormais en situation de conquête sociale. Qui aurait annoncé, un an en arrière, que le débat de cette rentrée serait l’abrogation de la réforme des retraites ? Une majorité de députés s’y disent disposés. Quoi qu’en pense le gouvernement Barnier, les députés font la loi. Si l’exécutif a la moindre hésitation, je les invite à organiser un référendum. Le résultat sera sans appel.

En l’état actuel du rapport de force, est-il possible d’imposer un meilleur partage des richesses ?

Sophie Binet : Le patronat fait primer les intérêts des actionnaires sur celui des entreprises. Le programme du NFP était dérangeant pour le Medef parce qu’il opère un rééquilibrage en faveur du monde du travail. Le patronat a brillé par son silence complaisant face à l’extrême droite. Or, la montée du racisme s’opère aussi sur les lieux de travail. Si le patronat se comporte en simple corporation défendant seulement ses intérêts économiques de court terme, alors il n’a plus de légitimité dans le débat démocratique. Nous devrons affronter le capital pour le faire céder. Cela nécessite de grandes mobilisations sociales.

Le 1er octobre n’est pas une journée de témoignage pour se retrouver entre militants syndicaux. Nous voulons gagner des avancées concrètes pour nos vies. J’appelle les salariés, dans les entreprises, à chiffrer leurs besoins de hausses salariales et à les exiger de leurs patrons en se mettant en grève à compter du 1er octobre. J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. Le délabrement de nos services publics est un problème, pas seulement pour les fonctionnaires, nous voulons gagner le financement nécessaire. Sur l’ensemble du territoire, les députés doivent être interpellés. La réforme des retraites a été introduite au Parlement par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Nous pouvons la défaire lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.

Solidaires et la FSU appellent également à se mobiliser le 1er octobre. Mais vous n’êtes pas suivi par l’ensemble de l’intersyndicale. Sans retomber dans les divisions des années 2010, faut-il entrevoir la fin d’une dynamique unitaire issue du mouvement de 2023 ?

Sophie Binet : Lors du 1er mai, les commentateurs avaient prédit la fin de l’intersyndicale, l’ensemble des organisations n’étant pas dans la rue. Dès le lendemain, nous nous sommes retrouvés contre la réforme de l’assurance-chômage. Une majorité d’organisations syndicales se sont mobilisées contre l’extrême droite. Oui, nous avons des stratégies et histoires syndicales différentes. Mais cela n’impacte pas notre dynamique unitaire. Nous faisons primer ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. D’ailleurs nous avons tenu une intersyndicale le 9 septembre. Une campagne unitaire contre le racisme et l’antisémitisme dans les entreprises sera prochainement lancée. Enfin, au lendemain du scrutin législatif, sept organisations syndicales ont signé une plateforme revendicative commune interpellant l’exécutif : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, défense de l’industrie et financement des services publics.

Dans ce contexte politique, aucune grève n’a été impulsée durant les jeux Olympiques. Assumez-vous cette stratégie ?

Sophie Binet : La grève ne se décrète pas. Je n’ai malheureusement pas de bouton rouge « grève générale » sur mon bureau. Les salariés se mettent en grève sur leurs revendications. La CGT a déposé des préavis, durant les JO, dans de nombreux secteurs. La cérémonie d’ouverture a failli ne pas se tenir, parce que les organisateurs refusaient de payer dignement les danseurs. Et, à trois jours de l’événement, nous avons gagné le doublement des rémunérations. Idem à la Monnaie de Paris, qui frappait les médailles olympiques. Nous avons obtenu des primes pour compenser le surcroît de travail. Ces salariés n’étaient pas favorables à déposer des préavis. Ils étaient fiers de travailler à la réussite des jeux Olympiques.

En fin de compte, il n’y a pas eu de grèves parce que les salariés ne l’ont pas souhaité. Il faut arrêter le fantasme des pseudo-grèves par procuration. Les cheminots, les énergéticiens, les dockers… ne supportent plus ces discours. Chacun doit prendre ses responsabilités, non pas quelques secteurs professionnels. Durant le mouvement des retraites, ces secteurs dans lesquels la CGT est la plus implantée se sont sentis très seuls pour construire les grèves reconductibles. Les énergéticiens ont tenu cinquante jours, les dockers pas loin d’un mois, idem chez les éboueurs… Ils le paient cash avec une terrible répression antisyndicale et plus de 1 000 procédures ouvertes contre nos militants et nos dirigeants.

La charte sociale des JO, négociée par Bernard Thibault, doit-elle s’inscrire dans la loi ?

Sophie Binet : Cette charte a permis de diviser par quatre le nombre d’accidents du travail sur les chantiers. Aucun accident mortel n’est à déplorer. Il n’y a donc pas de fatalité. Ces mesures doivent être généralisées à tous les secteurs d’activité. Cela implique de recruter des inspecteurs du travail, de créer de nouvelles prérogatives pour les délégués du personnel en commençant par restaurer les CHSCT et de limiter la sous-traitance.

Quelle adaptation de la CGT aux mutations du salariat ? 


Durant le mouvement contre les retraites, les grèves ne se sont pas étendues parce que les déserts syndicaux sont trop nombreux. Les taux de syndicalisation sont faibles. Il faut rompre avec le syndicalisme par procuration, encourager ceux qui partagent le discours de la CGT à se syndiquer. La CGT a des transformations à opérer et une réflexion interne est engagée. Nos formes de syndicalisation doivent s’adapter aux petites et moyennes entreprises, en développant les syndicats de territoire.

Par exemple, dans la construction, des syndicats départementaux regroupent des salariés de différentes entreprises. Depuis la dissolution, plusieurs milliers de syndiqués nous ont rejoints, notamment des jeunes, des femmes et des cadres. C’est très positif. Mais cela doit s’accompagner d’un travail dans la durée pour porter spécifiquement les revendications des salariés les plus qualifiés sans que cela n’invisibilise les ouvriers et les employés, qui doivent rester le centre de gravité de la CGT.

En dix-huit mois comme secrétaire générale, vous avez multiplié les déplacements dans les entreprises. Quel est le pouls dans le monde du travail ? 


Sophie Binet : Malgré une participation record, la moitié des ouvriers et 42 % des employés n’ont pas voté lors des législatives. Les raisons structurelles de cette abstention sont inquiétantes, à commencer par la distanciation des partis de gauche et du monde du travail. La gauche a souvent trahi les attentes. Elle doit redevenir le parti du travail. Rien n’est jamais écrit d’avance. C’est par notre mobilisation collective, y compris de la CGT, que nous avons arraché le résultat du 7 juillet. Cela doit nous donner confiance en l’avenir. Pour éviter l’extrême droite, nous connaissons les prérequis : l’union des forces de gauche, sur un programme de rupture, accompagné d’une reconnexion avec le monde du travail.

Pour sortir de la dualité emploi contre transition écologique, la CGT travaille à des contre-projets industriels dans les territoires. Quelle est cette méthode ?

Sophie Binet : La CGT pense, avec les travailleurs, à la transformation des moyens de production. Les contradictions entre le social et l’environnement ne se dépasseront pas d’en haut. Le chantage à l’emploi qu’exerce le patronat fait monter l’extrême droite. À Tefal, la CGT a eu le courage d’affronter le patronat qui veut continuer à produire des poêles avec des polluants éternels et menace de fermer l’usine. Pour cela, nous avons croisé les points de vue entre les salariés, les citoyens et les scientifiques. Et nous travaillons activement à des alternatives aux polluants éternels.

À gauche, entre les syndicats, les ONG et les partis, nous devons pousser le débat pour dépasser nos désaccords. On doit se dire qu’il n’existe pas d’énergie sans impact environnemental. Or nous avons besoin d’énergie pour relocaliser notre industrie, améliorer nos conditions de vie et répondre au basculement des voitures thermique vers l’éclectique. Il s’agit donc, en la matière, de définir une balance coût/inconvénient. À ce stade, il nous semble impossible de sortir des énergies fossiles sans électricité nucléaire. Je ne crois pas que nous soyons prêts à recouvrir nos espaces naturels d’éoliennes, de panneaux solaires et de barrages.

Le combat des Duralex, à La Chapelle-Saint-Mesmin, a marqué l’actualité sociale de l’été. La CGT, majoritaire, n’a pas soutenu la transformation de l’usine en Scop. Quelles sont vos réticences ?

Sophie Binet : Nous sommes inquiets sur la solidité financière et industrielle de la Scop. Cependant, le projet a été retenu et nous devons tout faire pour sa réussite. L’absence d’exécutif est préjudiciable. La commande publique peut pérenniser l’entreprise. Les collectivités et l’éducation nationale doivent se fournir chez Duralex.

Les élus locaux de tous bords se sont mobilisés pour sauver une marque iconique. Je note que le rapport de force, impulsé par la CGT depuis trente ans, a forcé un changement de discours sur l’industrie que nous étions bien seuls à défendre.

  mise en ligne le 11 septembre 2024

« Nous sommes la seule opposition à la casse sociale » : après la nomination de Barnier,
le NFP doit « tenir bon »

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Snobé par le président de la République pour Matignon, le Nouveau Front populaire entend s’imposer comme la principale alternative à un bloc bourgeois s’étendant de Macron à Le Pen.

En juin, Emmanuel Macron vendait sa dissolution comme un accélérateur de « clarification » politique. C’est finalement lui, trois mois plus tard, qui l’a réalisée en refusant de nommer une personnalité de gauche à Matignon, lui préférant un élu LR adoubé par l’extrême droite. Pour mieux signifier l’emprise du RN sur cette coalition qui ne dit pas son nom, son président Jordan Bardella a même annoncé, ce week-end, placer Michel Barnier « sous surveillance démocratique ».

La clarification d’Emmanuel Macron pourrait donc aboutir à un système politique proche de celui d’avant 2017, avec un clivage droite-gauche net, à la différence près que le cordon sanitaire entre la droite et son extrême s’estompe… « Désormais, les choses sont claires : nous sommes la seule opposition à la politique de casse sociale qui va être menée par Michel Barnier et son futur gouvernement puisque tous les autres le soutiennent ou l’ont adoubé, estime le sénateur PCF Ian Brossat. La droite et le RN devront être tenus pour responsables des politiques menées par le futur gouvernement. »

Vers un NFP « transformé » ?

Cyniquement, et à condition de limiter les dégâts dans les mois à venir, ce nouveau bloc bourgeois peut-il devenir à terme une aubaine pour la gauche ? « Le sujet est trop grave pour se réjouir de ce cartel des droites. Mais c’est une clarification qui montre que nous sommes la seule alternative à la politique menée depuis au moins sept ans », reconnaît le député Génération.s Benjamin Lucas, qui siège dans le groupe écologiste et social.

Déjà, à gauche, les prochaines échéances électorales, possiblement dans moins d’un an en cas de nouvelle dissolution, sont dans les têtes. Plusieurs cadres parlent ainsi de « campagne permanente » avec la nécessité de convaincre sans cesse de nouveaux électeurs, en plus de pérenniser le rassemblement entre partis. « Nous devons tenir bon et ne pas céder à une forme de désespérance, estime Ian Brossat. N’oublions pas que si nous n’avions pas construit le NFP, Bardella serait à Matignon. »

« Le NFP a créé un espoir et celui-ci ne doit pas se dissiper. C’est un devoir vis-à-vis de nos électeurs de continuer à travailler ensemble », abonde le député FI Éric Coquerel. Y compris avec le PS dans son ensemble, alors que le parti semble se diviser en deux, notamment autour d’une alliance avec la France insoumise ? « Si nous parlons du PS qui est sur la ligne Olivier Faure, oui. C’est ce parti avec lequel nous discutons, le reste ne nous concerne pas réellement. Même si nous voyons bien que certains ont tendance à marquer contre leur camp. »

Dépasser le stade de la coalition d’appareils

Reste que, pour tenir bon face au gouvernement Barnier avant d’aller chercher les 90 sièges qui lui manquent pour atteindre la majorité absolue, le NFP pourrait évoluer. C’est en tout cas ce que souhaitent certaines personnalités échaudées par l’éclatement passé de la Nupes. « Il nous faut dépasser le stade de la coalition d’appareils, avance Benjamin Lucas. Transformer le NFP pour qu’il soit aussi un outil démocratique, organisé sur les territoires, permettant de construire une politique commune, ce que nous n’avons pas réussi à faire avec la Nupes. »

« Il y a des enjeux de structuration à l’échelle locale. On a vu dans les manifestations, samedi dernier, qu’il y a une demande que le NFP persiste, comme représentation de la gauche unie mais aussi d’un outil qui dépasse les partis. C’est un enjeu particulièrement important pour le PS », ajoute le député socialiste Arthur Delaporte.

Au sein de chaque formation, la question se pose également de trouver une organisation dans laquelle chacun garde le même objectif commun. À tel point que Clémentine Autain, qui a quitté la FI en juin, souhaite « structurer de bas en haut » le NFP, notamment pour réfléchir à une méthode de désignation du candidat à la présidentielle de 2027. « Lucie Castets est pour l’instant l’incarnation que le Nouveau Front populaire existe et est possible. Elle a un rôle à jouer », précise-t-elle également.

Les députés NFP font le serment, au moins aujourd’hui, de travailler de manière étroite à l’Assemblée nationale dont les travaux dans l’Hémicycle reprendront au plus tard le 1er octobre. Dans l’opposition, le NFP espère peser davantage que la Nupes lors de la législature précédente. Et ce dès le vote crucial du budget. « Ce sera une bataille parlementaire extrêmement importante, qui peut se terminer par une motion de censure, présente Éric Coquerel, président de la commission des Finances. Il nous faudra donc montrer qu’une alternative existe avec un gouvernement Lucie Castets, montrer notre crédibilité à exercer le pouvoir. Cela passe par faire voter un maximum d’amendements. » Seul contre un bloc des droites en formation, le NFP entend s’imposer comme unique option pour changer de politique.

  mise en ligne le 16 juillet 2024

Pour la justice fiscale,
gouvernons avec le peuple

Par Pascal Savoldelli et Éric Bocquet, (sénateurs PCF) sur www.humanite.fr

En sept ans de pouvoir, Emmanuel Macron a entrepris une série de réformes fiscales qui, sous couvert d’une prétendue nécessité de baisser les prélèvements obligatoires, ont renforcé les inégalités et profité aux 5 % de ménages les plus riches. La politique fiscale du Président de la République est devenue le symbole d’une politique injuste, inaudible et éloigné des réalités des Français.

L’économiste Gabriel Zucman s’alertait il y a peu du fait que la France était devenue un « paradis fiscal » pour les milliardaires. C’est bien le sens de la suppression insolente de l’Impôt de solidarité sur la fortune mais aussi de revenus financiers toujours moins imposés que les revenus du travail. Enfin, la dernière loi de finances comprend plus de 175 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises (6,6 % du PIB contre 2,4 % en 1979), sans contreparties au maintien de l’emploi, de l’activité, de la transition écologique.

Il est donc urgent de sortir la fiscalité de l’influence d’une culture de marchés. Les travailleuses et les travailleurs de ce pays doivent obtenir la reconnaissance de leurs capacités créatives et productrices.

Le consentement à l’impôt a en partie été miné par l’impression de faire peser la pression fiscale sur les couches populaires et intermédiaires, mensongèrement réputées exclues de l’imposition et qui pourtant, cotisent sur leurs revenus et s’acquittent de la TVA sur leur consommation. Si les Français sont majoritaires à considérer que le paiement d’impôt et de taxes est justifié car ils financent les services publics (sondage Elabe, pour l’Institut Montaigne et les Échos du 5 octobre 2023), ils sont 76 % à considérer que le système fiscal ne permet pas la redistribution des richesses. Cette majorité a voix au chapitre !

La très forte volonté de changement qui a conduit le Nouveau Front Populaire en tête des élections législatives trouve d’ailleurs en son cœur la nécessité d’une rupture en matière de fiscalité. Des impôts justes, c’est le prix de la démocratie. C’est poser les jalons d’une autre répartition des richesses produites. Au premier titre, la transformation de l’impôt sur les revenus qui profitera à 92 % des ménages, en passant de 5 à 14 tranches d’impôts.

De la même façon, le principe fiscal selon lequel les gros payent gros et les petits payent petits nous a déjà conduit, nous, parlementaires communistes, dans l’hémicycle, à proposer de rehausser le taux de l’impôt sur les bénéfices.

Aussi, devons être convaincus du bien-fondé de prélever 90 % de chaque euro supplémentaire de revenus excédant 400 000 euros. Faut-il rappeler que le taux marginal d’imposition sur le revenu en France était de 70 % dans les années 1960, et 91 % aux États-Unis ? Leurs économies n’ont alors jamais été aussi florissantes et redistributives : la catastrophe annoncée n’aura donc pas lieu et les mesures de réparation de nos services publics et du pouvoir d’achat seront financées. Oui, le programme du Nouveau Front Populaire est chiffré, travaillé de longue date par les parlementaires des différents partis qui le défendent à chaque débat budgétaire, et il est surtout nécessaire.

Nécessaire parce que nous alertons depuis décembre 2023 sur les risques budgétaires qu’encourt notre pays. Et nous ne nous y sommes pas trompés : le 21 février 2024, le Ministre de l’Économie grevait par décret de 10 milliards d’euros les finances de l’État. Soit l’aveu que les prévisions du gouvernement étaient hasardeuses, ses politiques non financées et son budget insincère.

Si la désinformation conjuguée à l’offensive des forces du capital a donné l’illusion d’un programme « pire que celui du Rassemblement National », c’est bien que le capital, les marchés financiers, ceux qui s’accaparent les richesses produites par le travail mènent la bataille pour empêcher la formation d’un gouvernement du Nouveau Front Populaire.

Le conflit entre les intérêts du travail et ceux du capital est d’une pleine actualité. Là est l’urgence de passer d’une campagne d’offre électorale éclaire à une campagne de mobilisation populaire durable. Sans l’intervention multiforme de toutes et tous, du monde du travail, de la société civile, les tentatives de réformes du gouvernement de gauche demeureront extrêmement fragiles voire contrées. L’exigence d’une autre répartition des richesses doit être portée par le corps social et dépasser le cadre du Nouveau Front Populaire, qui seul, ne parviendra pas à obtenir le rapport de force vis-à-vis du capital et de la droite qui se coalisent et s’organisent.

  mise en ligne le 15 juillet 2024

 

« Écoute et humilité » : Les nouveaux militants Front populaire poursuivent la mobilisation sur le terrain

par Jean de Peña, et Nina Hubinet sur https://basta.media/

Un millier de personnes, souvent néo-militantes, ont participé à la campagne du Nouveau Front populaire à Marseille. Le mouvement, nommé “Réserve citoyenne”, entend bien continuer la bataille culturelle contre l’extrême droite.

La buvette est fermée, et aucun concert ou spectacle n’est prévu ce soir au jardin Levat. Mais près de 200 personnes se pressent devant la petite scène de cet ancien couvent reconverti en lieu culturel, dans le quartier de la Belle-de-mai, à Marseille.

La chaleur commence à retomber, et à l’ombre d’un des hauts murs du jardin, on s’embrasse, tout sourire, malgré les traits tirés. Celles et ceux qui se saluent chaleureusement ne se connaissaient pas, pour la plupart, il y a un mois. Mais ils et elles ont livré une bataille commune ces trois dernières semaines, de celles qui créent des liens forts.

Ce mercredi 10 juillet, trois jours après une victoire mêlée de surprise, de liesse, et de la conscience qu’il s’agit d’un sursis – en particulier dans les Bouches-du-Rhône, où 11 députés RN ont été élus, pour 5 du Nouveau Front populaire – une partie des membres de la Réserve citoyenne se retrouve pour envisager l’avenir de ce mouvement né de l’urgence.

« On va commencer par un jeu ’’brise-glace’’ : vous êtes des pissenlits et vous allez vous disséminer parmi vos voisins, pour vous asseoir à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas », annonce Quentin, l’un des « coordos » de la Réserve. Le vocabulaire évoquant un management bienveillant déclenche quelques rires, mais tout le monde s’exécute de bonne grâce, et chacun·e engage la conversation avec des inconnu·es.

« Pour la suite, il faut vraiment qu’on arrive à créer des espaces de rencontre et de discussion, dans tous les quartiers », pointe Alexandra. « Sans être dans une attitude descendante », souligne-t-elle. Son interlocuteur, Mathieu, opine du chef. « Cette campagne, ça m’a aidé à mieux comprendre pourquoi les gens votaient pour l’extrême-droite. Maintenant j’aimerais aller aider les militants dans les bastions RN autour de Marseille », embraye-t-il.

L’échange est à l’image de l’état d’esprit de la Réserve citoyenne, lancée par un militant marseillais bien connu, Kevin Vacher, au lendemain des élections européennes. Les techniques sont à première vue les mêmes que celles des partis politiques en période électorale : le millier de personnes qui ont été actifs sur le terrain – sur les 3000 inscrits sur les groupes Whatsapp – ont fait principalement des porte-à-porte et tractages, en particulier dans trois « swing circos », où la victoire du NFP était loin d’être acquise, mais pas impossible.

« Dans nos formations express, on a insisté sur la posture d’écoute et l’humilité… L’inverse du paternalisme longtemps pratiqué par la gauche », explique Kevin, 34 ans, engagé pour le logement digne, mais aussi en faveur d’une véritable démocratie participative, depuis plus d’une décennie.

Homogénéité sociale

Une humilité essentielle, d’autant que les néo-militants de la Réserve citoyenne sont socialement très homogènes : majoritairement des classes moyennes blanches du centre-ville. « J’avais peur que les gens ne soient pas très accueillants en voyant une bobo qui débarque dans les quartiers nord », raconte ainsi Julia, la trentaine, devenue rapidement l’un des piliers du groupe de la Réserve citoyenne dans la troisième circonscription, à cheval sur les 13e et 14e arrondissements de la ville, mélange de grandes cités déshéritées et des zones résidentielles acquises au RN.

« Mais en fait les gens étaient contents qu’on soit là. Et la discussion permettait souvent de dépasser un raisonnement motivé par la colère… On a eu le sentiment d’être utile », poursuit cette urbaniste, qui connaissait ces quartiers par son travail sur la rénovation urbaine à Marseille, « sans connaître les gens ».

« Ça faisait un moment que je m’étonnais de la déconnexion des militants du centre-ville vis-à-vis des quartiers nord, et que je voulais m’y investir, précise-t-elle. L’énergie de la réserve a été énorme… Maintenant j’ai envie de continuer. » Marie, Raphaël, Jordane, Sandro, Laure ou Maïté, camarades de porte-à-porte de Julia dans les 13e et 14e arrondissements, affichent la même envie. Reste à savoir comment la mettre en œuvre.

Ils et elles ont en tout cas bien conscience que le chemin sera long : malgré tous leurs efforts, le tout jeune candidat du NFP sur cette circonscription, Amine Kessaci (EELV), a finalement été battu par la députée RN sortante, à 835 voix près.

« Un grand merci à la Réserve citoyenne, sans laquelle rien n’aurait été possible », lançait celui-ci dimanche 7 juillet, en direction de la dizaine de « réservistes » présents à son QG de campagne. On le retrouve le 10 juillet au jardin Levat, où il est venu écouter les échanges. « Je sortais de la campagne des européennes, mes équipes étaient prêtes à mener bataille, mais déjà épuisées… Les gens de la réserve citoyenne ont été les moteurs de cette campagne dans ma circo, je leur dois beaucoup. » Le candidat EELV a ainsi réduit l’écart avec sa concurrente RN, passant de plusieurs milliers de voix en 2022 à moins d’un millier cette fois-ci, notamment grâce à l’action de la Réserve.

Même si ces derniers sont des nouveaux venu·es en politique, les dizaines de conversations qu’ils et elles ont eues avec les habitant·es de ces quartiers les vaccinent d’une certaine naïveté vis-à-vis de l’immense tâche dans laquelle ils veulent maintenant s’engager. Maïté évoque par exemple un monsieur rencontré le vendredi précédent, lors de son dernier porte-à-porte, à la cité des Lauriers. «  Il a commencé par une blague, disant qu’il allait tirer à pile ou face pour choisir son bulletin. »

Ce manager d’hôtel d’une cinquantaine d’années, d’origine marocaine, s’est avéré finalement être plutôt à gauche, et conscient de la menace que représentait le RN. Mais la boutade exprimait le fait qu’il était désabusé, lassé des promesses non tenues de la gauche, tout autant que blessé par le racisme ambiant. « Il m’a raconté que les clients de l’hôtel où il travaille étaient toujours étonnés que ce soit lui le manager, parce qu’il est arabe… ça m’a touchée », raconte Maïté, qui a travaillé un temps dans les quartiers nord, pour une association qui aide à l’implantation d’entreprises.

Les uns et les autres ont aussi pu mesurer l’ampleur de la « bollorisation » des esprits. Qu’il s’agisse de personnes racisées soutenant que Marine Lepen et son parti n’était pas raciste, ou d’électeurs de droite ou centristes considérant LFI comme un danger plus grand que le RN.

Laure se souvient d’une femme particulièrement véhémente, rencontrée aussi lors du dernier porte-à-porte de vendredi. « Pour elle, il était inconcevable de voter NFP à cause des Insoumis : “Ils ont foutu le bordel à l’Assemblée, c’est eux qui sont responsables de la situation dans laquelle on est !”, disait-elle. »

Et lorsque Laure lui a dit qu’elle militait pour le climat et avait peur d’être arrêtée si le RN arrivait au pouvoir, la dame en question a répliqué : « C’est le genre d’argument qui va plutôt me pousser à voter RN que NFP ! » Laure ne se fait pas d’illusion : reconstruire des repères politiques prendra des années. « Mais on a senti qu’il se passait quelque chose pendant ces portes-à-portes, que les rencontres et les discussions d’égal à égal pouvaient avoir un impact… C’est pour ça qu’on veut revenir régulièrement dans ces quartiers », témoigne-t-elle.

« Atelier de réarmement civique » ou concerts

Comment trouver les bons arguments face aux électeurs du RN ? Comment sortir de l’entre-soi ? Comment impliquer des habitant·es des quartiers populaires dans la Réserve ? Quelles relations doit-elle entretenir avec les partis politiques ? Les questions pleuvent, et les réponses ne seront logiquement pas apportées lors de cette soirée « défrichage ».

Mais après le grand débat, lors des ateliers thématiques en plus petits groupes, où l’on propose des actions concrètes, les réservistes semblent renouer avec l’enthousiasme de la campagne. « Il faut retourner dès cet été dans les quartiers où l’on est passé, pour conserver le lien avec les habitant·es », juge Marie, professeure des écoles à la retraite, et l’une des rares militantes encartées (au NPA) de la Réserve. « C’est la continuité et la régularité qui feront la qualité de ce lien. »

Pour la rentrée, les idées fusent aussi : Nicolas, urbaniste et artiste, veut organiser des « ateliers mobiles de réarmement civique », pour aider à s’inscrire sur les listes électorales. « Dans le bureau du 13e où j’étais assesseur, une vingtaine de personnes ont constaté le jour du vote qu’elles n’étaient pas inscrites. Et on a calculé qu’avec dix voix de plus par bureau, Amine aurait été élu », souligne-t-il.

Francisco suggère d’organiser des soirées culturelles, avec spectacle sur un thème en lien avec les préoccupations des habitant·es, en y réfléchissant en amont avec elleux, et en se coordonnant avec des associations locales qui font déjà un travail similaire. Et pourquoi pas coupler ces moments conviviaux avec l’inscription sur les listes électorales ?

« Moi je voudrais simplement mettre en place des rencontres régulières dans un quartier pour discuter des infos de la semaine », propose Luisa, elle-même habitante du 14e arrondissement. « A la fois pour démonter les intox des médias Bolloré et montrer l’impact de la politique sur la vie des gens. » Ça tombe bien, Clément a peu ou prou la même idée… On s’inscrit pour organiser ces futures actions, de nouveaux groupes Whatsapp dédiés sont créés.

À l’apéro qui suit cette première réunion « post-électorale » de la Réserve, on décide de créer encore un autre groupe… pour organiser des sit-in devant la Préfecture, jusqu’à ce que Emmanuel Macron nomme un Premier ministre issu du NFP. « Pour que les gens fassent à nouveau confiance à la gauche, il faut que les mesures sur lesquelles on a fait campagne soient appliquées. Sinon ça ne marchera pas », s’inquiète Marie. Toutes et tous ont bien conscience que ce qui joue là est de l’ordre de la dernière chance, et que « faire pression » sur ce qui se passe « dans les hautes sphères », est tout aussi essentiel que de repolitiser les habitant·es des quartiers populaires de Marseille.

mise en ligne le 13 juillet 2024

Après cinq jours de négociations,
le Nouveau Front populaire
en proie à mille et un doutes

Lucas Sarafian  sur www.politis.fr

Coalition, Premier ministre, contrat de gouvernement… Socialistes, écologistes, communistes et insoumis tentent d’imaginer des voies de sortie pour accéder au pouvoir. Mais encore faut-il réussir à accorder ses violons.

Pression maximale. Le Nouveau Front populaire (NFP) continue de négocier mais aucun accord n’est prêt à être signé. Cela fait cinq jours que la gauche réunifiée doit échafauder une réponse au camp présidentiel qui concentre toutes ses attaques sur les socialistes, les écologistes, les communistes et les insoumis. À l’image de ces nombreux macronistes qui annoncent défendre une motion de censure si des représentants de La France insoumise (LFI), voire certains membres des Écologistes, sont nommés dans un gouvernement du NFP.

Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion. T. Thiollet

Le 10 juillet, Emmanuel Macron en remet une couche. Après trois jours de silence, le Président publie une lettre aux Français dans laquelle il demande « à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines, l’État de droit, le parlementarisme, une orientation européenne et la défense de l’indépendance française, d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays ». Une manière, une nouvelle fois, de sous-entendre que LFI ne ferait pas partie des forces politiques républicaines au même titre que le Rassemblement national. Et de faire un appel du pied aux socialistes.

Mais Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, ne cède pas. « J’ai fait le choix du rassemblement de la gauche et je n’en bougerai pas », répond-il sur France 2. Pour Jean-Luc Mélenchon, « Emmanuel Macron fait du ‘front républicain’ une alliance politique qui devrait produire un gouvernement ou une majorité au Parlement. Il ne peut en être question. Le soi-disant ‘front’ n’est pas une alliance politique ». Le NFP est au pied du mur. Il y a urgence : la coalition des gauches doit s’entendre.

« Ajuster ses violons »

Pour François Thiollet, membre de l’exécutif des Écologistes, « la force du NFP, c’est l’unité. Macron semble chercher à temporiser en espérant la désunion. À nous, au contraire, d’affirmer que nous sommes prêts à gouverner et solides pour le faire ». Mais toujours rien. Aucune proposition de chef de gouvernement, aucune communication officielle. La gauche rame. « Tout le monde doit ajuster ses violons parce qu’on donne le sentiment de ne pas pouvoir y arriver », lâche le sénateur socialiste du Val-d’Oise Rachid Temal.

Les réunions se multiplient, les visioconférences aussi. Les échanges bilatéraux continuent. Des réunions secrètes se tiennent dans le 10e arrondissement de Paris, parfois jusque très tard dans la nuit. Au cœur des négociations, le maire de Marseille, Benoît Payan, Pierre Jouvet et Olivier Faure pour les socialistes, l’eurodéputé David Cormand et Marine Tondelier pour les écologistes, Paul Vannier, Manuel Bompard, Clémence Guetté et Aurélie Trouvé pour les insoumis et, Fabien Roussel, Igor Zamichiei et Christian Picquet pour les communistes.

Mais personne n’arrive à s’entendre. Qu’est-ce qui coince ? Tout d’abord, la composition du gouvernement. Certains socialistes, comme Philippe Brun, défendent un gouvernement qui prend en compte les équilibres parlementaires. En clair, former un exécutif qui compte des socialistes, des figures centristes, des macronistes et des élus de droite.

Les insoumis sont fermement opposés à ce type de gouvernement d’union nationale. Les socialistes rentrent désormais dans le rang, même si certains envisagent d’attirer des soutiens venus de l’aile gauche de la Macronie – des ponts existent entre Raphaël Glucksmann et certains représentants de cette frange du camp présidentiel. « Nous souhaitons un gouvernement du Nouveau Front populaire qui mette en œuvre des mesures majoritaires comme la hausse du smic ou l’abrogation de la réforme des retraites, dit un négociateur PS. Là où il peut y avoir quelques nuances, c’est sur la façon de construire des compromis avec la Chambre. »

Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis. R. Cardon

Deuxième point qui crée quelques débats : l’éventualité de construire des compromis avec le Parlement. Les insoumis veulent l’application pleine et entière du programme de rupture de ce contrat de législature du Nouveau Front populaire. Les communistes et les socialistes envisagent un gouvernement qui soit capable de discuter et de construire des compromis avec d’autres forces politiques, ces fameuses majorités texte par texte qu’Emmanuel Macron et ses exécutifs successifs n’ont jamais réussi à construire en situation de majorité relative.

Le désaccord est profond à gauche. « Les discussions doivent partir de la base de notre programme et, ensuite, nous devrons faire confiance à la culture du compromis. Il y a des propositions sur lesquelles les macronistes peuvent difficilement s’opposer comme les superprofits ou l’augmentation du smic. On se torture l’esprit avec les manœuvres, mais on peut accepter simplement le débat politique », estime le sénateur socialiste de la Somme, Rémi Cardon. Le député PS de l’Essonne Jérôme Guedj répète une formule : « Un gouvernement minoritaire qui répond aux aspirations majoritaires. »

Bras de fer

Le dernier point, c’est le casting. La répartition des ministères est une question, mais ce n’est pas celle qui crée le plus de discussions. De nombreux noms circulent comme celui de Cécile Duflot, défendue par les Écologistes, ou Éric Coquerel pour être à la tête du ministère de l’Économie. Mais qui pour Matignon ? L’hypothèse de Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a circulé. Tout comme le nom de Clémence Guetté, une députée LFI qui compte beaucoup dans l’appareil insoumis puisqu’elle a dirigé le programme de Jean-Luc Mélenchon durant la présidentielle de 2022. « Dans n’importe quelle situation de stress et d’urgence, elle aura un cap programmatique clair », dit le député insoumis Hadrien Clouet.

Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste.

Le nom d’Olivier Faure fait aussi son chemin. L’option est évoquée durant le bureau national du parti le 8 juillet et l’idée est même soutenue par l’ex-Président qui fait son retour à l’Assemblée, François Hollande, selon Libération. Le 9 juillet, le premier secrétaire du PS se dit « prêt à assumer cette fonction ». Pour le secrétaire général du Parti socialiste et eurodéputé Pierre Jouvet, Faure est « le seul profil qui peut rassurer et être Premier ministre ». Le bras de fer s’installe avec les insoumis. « Les socialistes ne veulent pas d’un insoumis et les insoumis ne veulent pas d’un socialiste », juge un cadre de gauche.

Le mouvement mélenchoniste estime que le groupe le plus important à l’Assemblée nationale doit proposer un nom pour la Primature. Le 11 juillet, les négociateurs proposent une liste de candidats potentiels : le coordinateur du mouvement, Manuel Bompard, la coprésidente de l’institut La Boétie, Clémence Guetté, la présidente du groupe insoumis à la chambre basse, Mathilde Panot, et le triple candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Le fondateur du mouvement insoumis est omniprésent médiatiquement depuis la création du NFP.

Mais écologistes, communistes et socialistes jugent que le fondateur de La France insoumise est trop clivant, pas assez consensuel pour créer du consensus à l’Assemblée et faire adopter des textes. « Clémence Guetté, Mathilde Panot, Johanna Rolland, Clémentine Autain, Marine Tondelier… Nous avons un nombre de personnes de grande qualité qui feront un gouvernement solide. L’enjeu, ce ne sont pas les destins individuels, mais notre destin collectif en tant que nation », estime la présidente sortante du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, pressentie pour être la candidate du NFP à la présidence de l’Assemblée nationale.

Les Écologistes veulent rester dans une position de neutralité – ce qui a tendance à agacer les socialistes – et avancent un argumentaire : c’est la méthode de désignation du Premier ministre qui résoudra les conflits. Les verts parlent d’un vote entre parlementaires, une idée soutenue initialement par les socialistes. Mais le temps presse. Car les groupes sont en pleine discussion pour se constituer. Et les discussions patinent toujours. Les composantes du NFP doivent absolument se mettre d’accord.

L’option Huguette Bello

Ce 12 juillet en fin de matinée, un nom circule dans le petit monde politico-journalistique : Huguette Bello. La présidente du conseil régional de La Réunion – symboliquement candidate aux européennes sur la liste de La France insoumise menée par Manon Aubry – est inconnue du grand public, mais elle a un profil idéal, selon les communistes qui poussent cette option discutée dans un conseil national du parti organisé ce jour, d’après L’Humanité. « J’ai effectivement proposé la candidature d’Huguette Bello », explique Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, sur BFMTV.

Selon lui, Huguette Bello aurait les compétences pour construire une majorité et « discuter avec le Président ». Mais cette option ne ravit pas les socialistes. « Elle n’a pas voté le mariage pour tous quand elle était députée. Catherine Vautrin a été écartée pour ces raisons. Je n’imagine pas le NFP valider cette candidature », considère Luc Carvounas, ex-député PS et maire d’Alfortville (Val-de-Marne). Le premier acte des négociations vient de se clore. Mais la petite pièce de théâtre ne fait que commencer.

Et en attendant, Emmanuel Macron joue sa propre partition, laissant entendre qu’il pourrait construire une coalition anti-NFP pour ravir à la gauche la présidence de l’Assemblée : le nom de Yaël Braun-Pivet circule, la droite pourrait approuver et le Rassemblement national pourrait ne pas s’y opposer – l’ex présidente de l’Assemblée nationale s’étant engagée à attribuer des postes au RN, comme la précédente législature, ce que la gauche refuse catégoriquement.

  mise en ligne le 12 juillet 2024

À quoi joue le Nouveau Front populaire ?

Basile André sur https://blogs.mediapart.fr/

La marche du RN vers le pouvoir a été interrompu par la fougue républicaine du peuple français. Mais, de ce sursis, le Nouveau Front populaire a décidé d'en faire une chienlit, en se noyant dans le torrent des égos politiques, lesquels sont par essence nuisibles à l’expression de l’intérêt général.

Dimanche dernier, à la surprise générale, le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections législatives, devant Ensemble et le Rassemblement national. Alors que nous étions promis au pire, le peuple français a fait montre de républicanisme, en empêchant Jordan Bardella et les siens d’accéder au pouvoir.

Ce vote nous oblige à faire preuve de lucidité.

La vague RN est loin d’être endiguée. Nous l’avons momentanément affaibli, à la faveur du sursaut populaire et d’un mode de scrutin qui freine considérablement son expansion, ce qui, d’ailleurs, n’est pas sans poser question. Contre le triomphalisme ambiant, je rappelle ici que le RN a rassemblé plus de 10 millions de voix et que 9 partis (PC, PS, FI, EELV, Ensemble, Modem, Horizons, UDI, LR) ont dû s’employer pour lui barrer la route de Matignon. Je rappelle également que la gauche hors métropole (cf. mon billet précédent) s’est fait balayer, réduisant encore un peu plus nos chances d’être majoritaire. 

À ce stade, nous avons simplement appliqué un pansement sur une jambe de bois. Il nous reste quelques mois pour répondre aux questions de fond qui nous ont été posées par les Françaises et les Français.

Ce vote nous oblige à faire preuve de responsabilité.

Hélas, depuis quelques jours, c’est loin d’être le cas.

Le Nouveau Front populaire est arrivé en tête des élections législatives. L’usage républicain veut donc que le chef de l’État se tourne vers nous pour former le nouveau gouvernement, sauf à se comporter comme Mac Mahon.

Mais comment pourrait-il le faire tandis que nous sommes incapables de proposer le nom d’un Premier ministre ? Comment pouvons-nous faire la démonstration de notre volonté de gouverner alors que nous sommes noyés dans le torrent des égos politiques, lesquels sont par essence nuisibles à l’expression de l’intérêt général ?

La lutte des places a remplacé la lutte des classes. Les stratégies personnelles l’emportent sur la vie des gens.

Le spectacle que nous donnons est pathétique. Il l’est d’autant plus que nous savons pertinemment qu’un gouvernement « NFP » a très peu de chances de survivre à une motion de censure.

Or, chaque jour qui passe renforce cette hypothèse, érode un peu plus notre légitimité démocratique et donne de la consistance au calcul cynique d’Emmanuel Macron. Dans un régime parlementaire, le chef de l’État doit se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes. Mais, avec notre attitude, nous lui donnons la capacité de laisser le temps aux autres partis politiques de constituer une coalition alternative.

Pour quels motifs ? Parce que la FI, au service de Jean-Luc Mélenchon, qui sait parfaitement qu’elle est trop clivante pour occuper Matignon, veut provoquer une crise politique avec le secret espoir d’obtenir des élections présidentielles anticipées ? Parce que le PS, redevenu force de gravité à gauche, veut faire la démonstration qu’il est impossible de gouverner avec les insoumis, ce qui justifiera la création d’une coalition élargie avec les macronistes ? Parce que les uns et les autres estiment que le pays est ingouvernable et qu’il faut mieux placer ses pions dans la perspective d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, dans un an ?

Et le peuple dans tout ça ? À quel moment les chefs à plume y pensent-ils dans leurs négociations de petits bourgeois ? Pas souvent, je le crains.

 C’est peut-être ça le fond du problème. Le champ politique est tellement endogame, tellement cloisonné, tellement peu représentatif de la société, qu’il a fini par se couper des réalités matérielles vécues par les citoyennes et les citoyens.

J’espère me tromper, mais il apparait désormais certain que nous passerons l’été avec Gabriel Attal et Bruno Le Maire, avant de voir débarquer un nouveau gouvernement de droite, à la philosophie austéritaire et ultra sécuritaire, quand l’époque appelle à la réparation de notre démocratie et à l’édification d’une véritable République laïque et sociale.

Je lis ici ou là que le Président de la République, Emmanuel Macron, se comporte comme Napoléon III. C’est juste. Mais en agissant ainsi, le Nouveau Front populaire lui donne raison.

 

  mise en ligne le 11 juillet 2024

« Front populaire »,
si les mots ont un sens…

Denis Sieffert  sur www.politis.fr

La dissolution sauvage décidée par Emmanuel Macron a rebattu les cartes politiques d’un pays blessé. Si le RN a été contenu grâce à une forte participation, il a fortement progressé. Le Nouveau Front populaire a, lui, réussi un coup de maître, mais le plus dur commence.


 

Cette dissolution sauvage aura finalement quelques effets positifs. Elle aura infligé une défaite cuisante à Macron, l’apprenti sorcier, désormais seul en son palais, abandonné par un premier ministre qui travaille pour son propre compte. Mais méfions-nous tout de même de l’eau qui dort. Macron ne désespère pas de pourrir encore un peu plus la situation et d’inventer, le moment venu, une coalition de bric et de broc. Il a pour ça un avantage : les principes ne l’encombrent pas. En attendant, sa dissolution aura permis de dissiper en partie l’illusion d’une extrême droite « relookée ».

Le Rassemblement national n’a pas résisté à l’épreuve de la loupe. Derrière les bonnes manières d’une poignée de dirigeants propres sur eux, le couvercle s’est soulevé sur une puanteur de candidats racistes, antisémites, nazifiés, rémanence du pétainisme et de l’Algérie française. L’autre leçon positive de ces quelques jours qui ont ébranlé la France, c’est évidemment l’apparition éclair du Nouveau Front populaire. En une nuit, le 10 juin, le slogan lancé par François Ruffin a pris corps. Marine Tondelier, Olivier Faure, Manuel Bompard et Fabien Roussel ont montré une conscience aiguë de la gravité de la situation. On retiendra de cet épisode l’apparition d’une génération de dirigeants qui ont montré ce que peut la volonté en politique.

Mais, cela étant dit, ne nous laissons pas abuser par le miroir déformant de la mécanique électorale. L’extrême droite a été éloignée du pouvoir, pour un temps au moins, mais la réalité ne se compare pas à des sondages qui nous prédisaient le pire. La réalité, ce sont 10 millions de voix pour le RN, 143 sièges, soit 54 de plus qu’en 2022. La réalité, c’est surtout un pays blessé par sept ans de mépris de classe, de réformes imposées à coups de 49.3, et de manifestations durement réprimées, et qui veut que ça change. Certes, le Nouveau Front populaire a réussi un coup de maître, mais le plus dur commence. Les déclarations du dimanche soir manifestant une volonté d’appliquer « tout » le programme du Nouveau Front populaire sont de bonne guerre. Peuvent-elles résister au principe de réalité ?

On a beau nourrir les rêves les plus fous, il va bien falloir négocier. La gauche, son futur premier ministre ou sa future première ministre, va devoir extraire quelques points forts qui constitueront une ligne rouge et qui délivreront rapidement à nos concitoyens un message social clair pour une amélioration immédiate de la vie des gens. On ne cite plus beaucoup Lénine, et on a raison, mais le gauchisme est toujours « une maladie infantile ». À moins de vouloir absolument provoquer une crise dans la crise en forçant Macron à la démission. Mais en prenant alors le risque d’offrir à Marine Le Pen l’occasion d’une revanche. Et puis il y a à espérer un changement de méthode. La question n’est pas secondaire. « Passer du bruit et la fureur à la force tranquille », a résumé Ruffin.

Rompre avec la vieille politique. Celle que l’on a encore vue à l’œuvre en Seine-Saint-Denis, à Paris 20e et à Marseille, où Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi ont dû dépenser leur énergie à résister à des candidats dépêchés par la direction de LFI pour, avec des arguments de caniveau, régler des comptes internes à ce mouvement. Stalinisme pas mort ! On se félicite de leurs victoires à plates coutures qui sont celles de la démocratie. La morale de l’histoire, c’est qu’en quittant le groupe, ceux qui ont déplu à Jean-Luc Mélenchon, il y faut ajouter Clémentine Autain, risquent de renverser le rapport de force aux dépens de LFI. Enfin, dernière leçon de ce scrutin, soulignons cet autre effet réjouissant. On a enregistré un record de participation. On nous a si souvent dit que les élections n’intéressaient plus les Français. C’est tout le contraire, quand nos concitoyens pensent que leur vie peut s’en trouver changée.

Et puis, on m’autorisera un petit plaisir personnel en saluant la défaite de l’horrible Meyer Habib, ami de Netanyahou et des pires colons israéliens. Malheureusement, Yaël Lerer, qui a mené la bataille dans la circonscription des Français d’Israël, n’en a pas profité personnellement. Mais éloignons-nous un instant de l’Assemblée, car tout ne se joue pas au Palais-Bourbon. Le mouvement social, les syndicats peuvent peser à la rentrée sur le rapport de force. Puisqu’il est question de Front populaire, n’oublions pas que celui de 1936 n’aurait pas légué l’héritage social que l’on sait sans les grandes grèves et la mobilisation ouvrière. « Front populaire », les mots ont un sens.

mise en ligne le 10 juillet 2024

« Désormais
tout commence »

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Une mobilisation historique de la société civile a permis au Nouveau Front populaire de déjouer les pronostics le 7 juillet. Malgré cette première victoire, tous et toutes appellent à la vigilance et à la construction d’un vrai mouvement de fond pour contrer l’extrême droite.

Le ouf a été immense. Au niveau du gouffre qui menaçait. En élisant 182 députés du Nouveau Front populaire (NFP) – plus 13 « divers gauche » – dimanche 7 juillet, les Français ont accordé à la gauche une majorité relative. Une victoire aussi réjouissante qu’inattendue qui doit beaucoup à une forte mobilisation de nombreux acteurs de la société civile. « C’est vraiment réjouissant que ça ait dépassé les partis », souligne Lumir Lapray, activiste au sein de collectifs citoyens qui ont activement participé à la campagne sur le terrain. « Donc, bien sûr, il faut savourer, mais aussi se placer dans une perspective de long terme. Et c’est peu dire qu’on n’a pas le vent dans le dos », poursuit-elle.

Ce son de cloche est partagé par l’intégralité de nos interlocuteurs, qu’ils soient leaders de syndicat, d’association environnementale ou chercheurs. « Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher », assène Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa, qui fait partie des cinq syndicats à avoir explicitement appelé à faire barrage au RN.

Il ne faut surtout pas baisser la garde. Maintenant il faut battre le fer, ne rien lâcher. D. Corona

Tous s’accordent pour dire que la première chose à faire pour faire reculer l’extrême droite est, le plus rapidement possible, de mettre en œuvre les politiques sociales ambitieuses du NFP. « Notre rôle, justement, est de continuer à pousser pour que le NFP tienne ses engagements », explique l’économiste Julia Cagé, qui liste trois mesures sur lesquelles un futur gouvernement du NFP ne devra absolument pas tergiverser. « La hausse du Smic à 1 600 euros, l’abrogation de la réforme des retraites, la mise en place d’un ISF efficace. Sur ces sujets-là, il ne faudra pas couper la poire en deux. Nous serons là pour le leur rappeler », promet-elle.

« Même avec un gouvernement du NFP, il y aura besoin de nos luttes sociales et écologiques, abonde Murielle Guilbert, codéléguée générale à l’Union syndicale Solidaires, à la fois pour appuyer ce qui se fait dans l’Hémicycle en montrant la légitimité des revendications sociales dans une assemblée où la gauche n’est pas majoritaire, et pour aller plus loin. » Elle rappelle ainsi que son organisation syndicale reste indépendante du NFP, et donc libre de toutes ses actions. Tout comme Greenpeace France qui le souligne, par la voix de son directeur général, Jean-François Julliard : « Dès le début, on a dit qu’on soutenait ce programme car c’est le plus ambitieux, mais ce n’est pas pour autant un chèque en blanc. Notre rôle sera d’être une vigie démocratique pour que les mesures soient réellement mises en œuvre. »

Reconquérir les électeurs du RN

Tous, forcément, ont en tête les dernières fois où la gauche a accédé au pouvoir. De l’attente que cela a créé, et de la déception qui a été engendrée par de trop nombreux renoncements et, pire, par l’application de réformes libérales. « Là, il faut montrer aux électeurs du RN qu’une vraie politique de gauche ambitieuse leur bénéficiera. En se donnant les moyens financiers de construire de nouveaux hôpitaux, de mieux couvrir le territoire de trains, en faisant la gratuité réelle de l’école, les électeurs RN reviendront vers la gauche », veut croire Julia Cagé.

La question de la reconquête des électeurs du Rassemblement national est en effet dans toutes les têtes. Car si la forte mobilisation populaire a évité le pire ce 7 juillet, le parti à la flamme a encore gagné plus de cinquante députés par rapport à 2022. S’installant, ainsi, toujours plus dans l’Hémicycle et sur le territoire. D’ailleurs, la polarisation entre territoires ruraux et urbains n’a jamais été aussi forte. De quoi questionner la stratégie à mener.

« Il faut peut-être qu’on lutte contre l’extrême droite de manière un peu différente en étant plus ancrés dans un certain nombre de lieux et de territoires où nous sommes très peu présents aujourd’hui », s’interroge Jean-François Julliard, qui concède que son association est «essentiellement basée en région parisienne et dans les grandes villes ». « C’est une réalité, pas un choix. Il y a des choses à repenser là-dessus », souffle-t-il.

Combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ? L. Lepray

Un travail de terrain qu’ont mené, ces trois dernières semaines, plusieurs milliers de militants qui ont passé leur journée et leur soirée à tracter, à faire du porte-à-porte ou du phoning dans les circonscriptions les plus incertaines. « On a gagné parce qu’on a outillé et organisé des gens », assure Lumir Lapray, qui craint que les partis politiques l’oublient un peu vite.

« Il faut déjà qu’ils se rendent compte du travail qui a été effectué. Et, ensuite, ils doivent nous donner un mandat et des fonds pour faire ce travail de terrain, chronophage mais plus que jamais nécessaire », poursuit la jeune femme, particulièrement inquiète que se reproduise la même chose qu’après les législatives en 2022. « J’ai été tellement déçue par la Nupes. Rien n’a été fait sur le terrain, rien. Et combien de territoires ruraux historiquement ancrés à gauche a-t-on perdus ? Il faut que les partis s’en rendent comptent et se mettent à notre service comme on s’est mis, bénévolement, au leur ces dernières semaines. Parce que le but, c’est de gagner en 2027 ! »

Bouchées doubles

Dans le monde du travail aussi le chantier est immense, alors que les catégories populaires – ouvriers et employés – se sont massivement tournées vers le Rassemblement national. « Lorsqu’on a pris position contre le RN, on a eu des remontées qui montraient un fort risque de division au sein du monde du travail, y compris dans notre syndicat », raconte Murielle Guilbert, pour qui « un énorme travail nous attend ». « Il faut parler de la question sociale et de la répartition des richesses sans occulter la problématique du racisme », poursuit la leader de Solidaires, qui assure que son syndicat va mettre les bouchées doubles sur les formations sur l’antiracisme.

Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. CGT

Face à un monde du travail de plus en plus atomisé, le dur rôle des syndicats est, dans cette période, de réinstaurer des collectifs forts, vraie barrière contre le vote RN. Pour cela, les organisations attendent beaucoup des mesures du Nouveau Front populaire. Mais comptent aussi sur leur unité qui leur a permis, ces derniers mois, de revenir sur le devant de la scène. « Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et de retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT. Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie », écrit ainsi la CGT dans un communiqué publié au lendemain du second tour.

Chez Solidaires, on confie aussi que le nombre d’adhésions est en forte hausse ces dernières semaines. « Plus, même, que lors de la réforme des retraites », glisse Murielle Guilbert. Face au danger de l’extrême droite, la société civile s’est donc largement mobilisée et outillée, permettant d’obtenir « un sursis ». Mais il appartient désormais au NFP de lui trouver un débouché politique dans les semaines, mois et années à venir. Urgemment. Sous peine de laisser l’extrême droite se rapprocher toujours plus du pouvoir.


 


 

Clémentine Autain :
« C’est le début de quelque chose. Maintenant,
il ne faut pas se rater »

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

La députée de Seine-Saint-Denis explique le chemin que le Nouveau Front populaire peut prendre pour gouverner malgré sa majorité relative. Elle acte aussi sa rupture avec La France insoumise et annonce la création d’une nouvelle force politique « au service du rassemblement ».

Sa victoire surprise à peine savourée, le 7 juillet au soir, le Nouveau Front populaire (NFP) doit affronter une équation complexe. Comment gouverner sans majorité absolue ? Quelles leçons tirer d’un scrutin qui a vu le Rassemblement national (RN) bondir de 88 à plus de 140 député·es ? Comment éviter que l’union de la gauche et des écologistes se fracture à nouveau ? Prise dans ce tourbillon, Clémentine Autain prend le temps d’analyser un paysage politique bouleversé.

La députée de Seine-Saint-Denis, réélue dès le premier tour avec plus de 62,65 % des suffrages exprimés, s’oppose à tout accord gouvernemental avec la Macronie et compte sur la mobilisation de la société civile pour soutenir le NFP. Elle acte aussi sa rupture avec La France insoumise (LFI) et affirme « entamer un processus de création d’une nouvelle force politique », avec d’autres, « pour donner une perspective à tous les orphelins d’une gauche radicale et démocratique ».

Mediapart : Le 7 juillet, le risque d’une majorité RN a été écarté et la gauche unie est arrivée en tête malgré la campagne menée par les médias Bolloré. L’hégémonie culturelle est-elle en train de changer de camp ?

Clémentine Autain : Le deuxième tour a corrigé l’élan du premier au lieu de l’amplifier. C’est un immense soulagement. On doit ce barrage réussi à la responsabilité des gauches et des écologistes qui se sont unis, alors que l’on n’y croyait plus, mais aussi à la mobilisation de syndicalistes, d’activistes, d’intellectuels et de très nombreuses citoyennes et citoyens. De l’appel initié par Julia Cagé aux Convois de la victoire, des milliers de personnes ont prêté main-forte partout, en s’auto-organisant, notamment dans des territoires qui ne nous étaient pas favorables.

Cette victoire est aussi liée au changement d’ambiance médiatique dans l’entre-deux-tours. C’est comme si des journalistes de grands médias, notamment du service public et de la presse locale, avaient été finalement pris de vertige. Enfin ils ont cessé de traquer les candidats LFI pour s’intéresser à ceux du RN qui donnent si bien la boussole de ce camp fait de racisme et de haine. La leçon générale qu’on peut en tirer, c’est que notre pays a de la ressource, il ne veut pas de l’extrême droite au pouvoir. Mais il ne faut pas que ce sursaut ne soit qu’un sursis. Si on ne traite pas les causes profondes qui poussent de plus en plus d’électeurs à se tourner vers le RN, qui passe malgré tout de 89 à 140 députés, nous irons dans le mur.

L’union des gauches et des écologistes sur un projet de transformation profonde, que j’ai défendue parfois contre vents et marées, a été efficace électoralement. Elle constitue un levier extraordinaire pour créer de l’espoir. Nous sommes maintenant au pied du mur : il faut consolider, structurer le NFP. Si ce rassemblement explose comme la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale], on passera à côté de nos responsabilités historiques. Nous n’avons pas encore de majorité, il reste la prochaine législative et la présidentielle à gagner. Dimanche soir, c’est notre point de départ. Et il est sacrément encourageant. C’est le début de quelque chose. Maintenant, il ne faut pas se rater.

Les responsables de gauche se disent prêts à gouverner et attendent d’Emmanuel Macron qu’il se tourne vers eux. Mais comment faire, alors que vous êtes encore plus minoritaires que les macronistes en 2022 ?

Clémentine Autain : L’extrême droite s’est pris une claque, elle ne peut pas gouverner. La Macronie est défaite, quoi qu’elle raconte sur les plateaux télé. Ce qui ressort du vote, c’est une envie de rompre avec quarante ans de politiques qui ont fait grandir le mal-travail et les inégalités, qui ont désindustrialisé le pays, maltraité les services publics, méprisé la voix du peuple, des décennies aussi meurtries par l’inaction climatique. Il y a de la rage dans ce pays, et l’envie d’autre chose. Le président de la République a dit qu’il entendait le résultat des urnes : il doit prendre acte que son orientation ne peut répondre à cette aspiration. Nous sommes les seuls à pouvoir apaiser les Français en leur apportant de la justice sociale et du respect. Nous y sommes prêts et nous devons au plus vite faire une proposition à Emmanuel Macron de premier ou première ministre.

Nous ne sommes pas au bout de la réflexion stratégique pour parler à toutes les catégories populaires, partout en France.

Des mesures très fortes peuvent être prises, y compris avec une majorité relative. D’abord, il faut gouverner sur une base claire, celle du programme du NFP, et pas dans le cadre d’une coalition avec Renaissance, qui serait le bricolage de deux visions de la société qu’on ne peut pas raccorder. On peut obtenir à l’Assemblée nationale une majorité texte par texte sur des sujets qui vont améliorer immédiatement la vie des Français, comme l’abrogation de la réforme des retraites. D’autres sujets ne passent pas par des lois mais par des décrets, comme le blocage des prix ou le Smic à 1 600 euros. Enfin, la majorité du pays soutient des pans entiers de notre programme. C’est cette force qu’il faudra donner à voir si nous gouvernons. En 1936, les congés payés ont été adoptés parce qu’une mobilisation immense réclamait à cor et à cri cette mesure qui n’était même pas dans le programme.

Il est faux de dire qu’on ne peut rien faire, tout comme il est faux de dire qu’on peut tout réaliser de nos engagements dans un cadre où on n’a pas de majorité. Mais ce qui est sûr, c’est que nous sommes les seuls à avoir la solution pour donner immédiatement du pouvoir de vivre dans la dignité. Si dans quinze jours on gouverne, la différence sera immédiatement perçue. Il se dit que la Macronie cherche une autre configuration, avec une alliance entre elle et Les Républicains. Un tel scénario serait une folie.

Malgré le succès du NFP, des circonscriptions de gauche ont basculé sous la poussée de l’extrême droite. « Attention aux illusions. En deux ans, l’extrême droite s’installe dans les terres ouvrières », a prévenu François Ruffin. Comment la gauche peut-elle réparer ce basculement d’une partie du vote populaire ?

Clémentine Autain : Il faut que l’on traduise les aspirations des habitants de tous les territoires, qu’ils et elles partout se sentent concernés par notre discours. Nous avons encore un gros travail à faire en la matière. Pour moi, la question des services publics est très importante pour faire reculer l’extrême droite et pour fédérer les mondes populaires de Sevran et de Pamiers, des Minguettes et d’Abbeville. Il y a une corrélation entre le dépérissement des services publics et le vote RN. Le sentiment de déclin sur lequel prospère l’extrême droite, c’est aussi la désindustrialisation. Il faut s’y attaquer, en relocalisant l’économie tout en la recentrant sur la satisfaction des besoins véritables. Ce sont deux piliers essentiels.

Mais si nous essuyons des défaites dans les circonscriptions de Fabien Roussel, de Caroline Fiat, de Pascale Martin ou encore de Charlotte Leduc, c’est-à-dire dans les territoires ruraux, c’est aussi parce que le discours de la gauche y a perdu pied. Le profil de LFI, qui lors des européennes s’est centrée quasi exclusivement sur la si juste cause palestinienne, a permis de créer un affect dans les quartiers populaires à forte population issue de l’immigration. Mais si on pense que c’est uniquement en confortant ces points de force qu’on peut être majoritaires dans le pays, on fait fausse route. Nous ne sommes pas au bout de la réflexion stratégique pour parler à toutes les catégories populaires, partout en France.

Par ailleurs, si le NFP progresse globalement, l’équilibre à l’intérieur de la gauche a bougé en faveur du PS et en défaveur de LFI. Attribuez-vous cela aux mêmes causes ?

Clémentine Autain : Nous sommes plusieurs dans le groupe LFI à avoir alerté sur le fait que notre stratégie depuis 2022 conduisait à ce rétrécissement. Nous sentions que l’adoption d’un profil très clivant, la dissonance féministe dans la gestion de l’affaire Quatennens, le défaut criant de démocratie interne ou encore le positionnement si critique des syndicats au moment de la réforme des retraites allaient conduire à un recul.

De même, nous aurions perdu moins de plumes et emmené bien plus largement dans la lutte pour le peuple palestinien massacré si nous avions été capables de poser les mots justes sur l’attaque du 7 octobre et si nous avions exprimé notre empathie à l’égard des juifs qui ont ressenti un traumatisme. Si certains mots posés par Jean-Luc Mélenchon étaient juste maladroits, s’ils avaient simplement été mal compris, pourquoi ne pas avoir réussi à éteindre la polémique insupportable visant à assimiler LFI à une bande d’antisémites ?

Je sais parfaitement la manipulation de l’opinion par nos ennemis sur ce sujet. Nous ne sommes pas dans un contexte bienveillant, nos adversaires se chargent de tout traquer et de tout amplifier, de manière totalement mensongère au besoin. Mais face à cela, au lieu de clarifier, de corriger, on a laissé une forme d’incompréhension s’installer. La voix de LFI a manqué de clarté. Certaines phrases, comme « l’antisémitisme est résiduel », font très mal.

Pour avoir formulé des critiques sur tous ces sujets, vous avez été exclue de facto de LFI. Sans appareil, n’avez-vous pas perdu la bataille, malgré la réélection des députés sortants non réinvestis par LFI (à l’exception de Raquel Garrido) ?

Clémentine Autain : D’abord, les électeurs ont tranché : les députés sortants non réinvestis Alexis Corbière, Hendrik Davi et Danielle Simonnet ont été réélus, et Raquel Garrido réalise un score très important dans un contexte local plus difficile. Quand on voit l’énergie démente dépensée par la direction insoumise dans cette campagne pour les faire perdre, au détriment de l’investissement contre le RN, on se dit que la victoire est immense. Et que l’appareil ne fait pas tout. C’est l’orientation la plus juste qui l’a emporté.

Le peuple de gauche veut la démocratie, il veut le pluralisme, il veut un autre profil que le bruit et la fureur. Comme tous ceux qui ont fait campagne ont pu le constater, une grande partie de nos électeurs sont en colère contre la stratégie de Jean-Luc Mélenchon depuis 2022. Celle-ci a laissé l’espace aux héritiers de la social-démocratie pour nous tondre la laine sur le dos. Résultat : ce sont eux qui progressent, pas nous – et les revers en ruralité sont sévères.

Le fait d’acter la rupture avec LFI est aussi pour moi un moyen de sortir des guerres fratricides pour me concentrer sur l’essentiel.

Pour autant, oui, il faut le dire : la bataille interne était en réalité perdue d’avance, car il n’y a pas de cadres de régulation démocratique à LFI, et donc de possibilité d’exprimer une autre option d’orientation que celle décidée par Jean-Luc Mélenchon et de la faire trancher par les militants. Au fond, comme disait Charlotte Girard, corédactrice du programme de 2017 qui a été poussée sans ménagement vers la sortie, « il n’y a pas moyen de ne pas être d’accord ». J’ai plusieurs fois émis des alertes à ce sujet. Après les législatives de 2022, j’ai pensé que nous saurions nous hisser à la hauteur de la nouvelle période politique. J’ai eu tort. Pourtant, sans régime interne démocratique, on ne peut pas devenir une force à vocation majoritaire.

La « purge » des députés sortants critiques de la direction de LFI pourrait être éclipsée par le contexte politique. A-t-elle laissé des traces ? 

Clémentine Autain : Ce qui me frappe, c’est qu’une culture politique s’est installée dans les rangs de LFI, celle de la peur qui éteint les cerveaux. Quel message envoie-t-on aux militants et aux élus quand on ne réinvestit pas, et de façon si brutale, des sortants comme Alexis Corbière, porte-parole et figure historique du mouvement ? Ce qui est clairement exprimé, c’est que si on ose critiquer, n’importe qui peut être dessoudé en vingt-quatre heures, sans même un coup de fil. Dans un groupe de soixante-quinze, seuls deux députés en dehors des concernés, de François Ruffin et de moi-même, ont dit publiquement leur désapprobation – Loïc Prudhomme et Michel Sala.

Je sais que ce n’est pas le reflet de la réalité : beaucoup estiment que cette façon de faire est inadmissible. Pourtant, le silence est d’or. Mais si l’on accepte de telles méthodes, le risque est de tout avaler par la suite. Et à la fin, même les purgeurs d’hier finiront par être les purgés de demain.

Ne nous y trompons pas : tout cela n’est pas une question purement interne qui serait déconnectée des grands enjeux politiques. Ce que l’on donne à voir de nous-mêmes ne peut pas être en contradiction totale avec les principes démocratiques et les slogans comme « l’humain d’abord », que nous prétendons vouloir mettre en œuvre dans le pays. À l’évidence, ces comportements jettent un soupçon sur ce que nous ferions si nous avions le pouvoir. 

Désormais, où allez-vous siéger à l’Assemblée nationale, et comment allez-vous faire valoir l’enjeu démocratique à l’intérieur du NFP ?

Clémentine Autain : J’aurais aimé que nous ayons un groupe Nouveau Front populaire. Nous n’en prenons pas le chemin. Pour ma part, je n’ai qu’une obsession : conforter et développer l’union sur la base d’un projet porteur de changements profonds, sociaux et écologiques. Cela suppose de bâtir un mode de fonctionnement commun, avec a minima un intergroupe à l’Assemblée nationale, un cadre régulier d’animation du NFP et la possibilité d’adhésions directes. Jean-Luc Mélenchon lui-même m’a donné ce point au sujet du Front de gauche, en admettant que j’avais eu raison de plaider pour des adhésions directes à l’époque. Ne refaisons pas les mêmes erreurs.

Le NFP ne peut pas se résumer à un cartel d’organisations. Pourquoi le soir des résultats, le 7 juillet, n’y a-t-il pas eu l’image de l’union mais une succession de prises de parole des chefs de parti ? Si on veut donner de l’espoir, il faut donner à voir que ce rassemblement existe, qu’il est vivant, qu’il y a un cadre auquel on peut se référer, qui peut accueillir l’énergie militante qui s’est levée. Beaucoup veulent adhérer ou contribuer au NFP sans forcément choisir l’un des partis qui le composent. Si on permet ces adhésions directes, si on crée des espaces de dialogue avec le monde associatif, syndical, culturel, alors on sera à la hauteur du moment.

Il ne s’agit pas de faire le parti des “Insoumis insoumis”, même si les rassembler est déjà une étape.

Soyons lucides : le NFP est fragile. Je veux m’engager au service de tout ce qui peut cimenter l’union. Le fait d’acter la rupture avec LFI est aussi pour moi un moyen de sortir des guerres fratricides pour me concentrer sur l’essentiel : construire une majorité dans le pays pour combattre le mal-être, les injustices, l’inaction climatique. Pour contribuer à pérenniser le NFP, et sur une base réellement transformatrice, pour donner une perspective à tous les orphelins d’une gauche radicale et démocratique, je veux avec d’autres entamer un processus de création d’une nouvelle force politique.

Avec qui aura lieu ce processus ?

Clémentine Autain : Avec des groupes politiques déjà constitués, des activistes, des militants des quartiers populaires, de la jeunesse… Je propose un processus, la porte est ouverte. Il ne s’agit pas de faire le parti des « Insoumis insoumis », même si les rassembler est déjà une étape. Il y a la place pour une force qui porte un projet qui prenne les problèmes à la racine, avec une stratégie de conquête du pouvoir et un mode de vie interne qui respire, qui estime le vote légitime pour trancher les dissensus, et qui considère le pluralisme comme une richesse. Nous avons besoin d’un nouvel outil organisationnel au service du rassemblement, qui ouvre les bras aux militants déçus de LFI comme aux nouvelles énergies disponibles pour ce projet.

Je veux que ce soit un lieu où on travaille sur le fond, sur la stratégie, et pas en vase clos. Car il faut être lucide, on n’y est pas. J’en appelle au monde intellectuel : aidez-nous. On a des éléments de réponse : François Ruffin sur le mal-travail, moi sur les services publics comme fédérateur potentiel. Mais nous n’avons pas toutes les solutions. On a encore du chemin à faire, il faut un espace commun de travail et d’action.

Qui peut être premier ou première ministre du NFP ?

Clémentine Autain : Les députés du NFP ont leur mot à dire sur cette question. On ne peut pas être simplement une chambre d’enregistrement de la décision prise dans le cadre du cartel des partis, même si leur accord est essentiel. J’ai appelé à une réunion de l’ensemble des députés du NFP pour en débattre. Je ne désespère pas qu’elle ait lieu. La majorité du groupe le plus important en nombre du NFP ne peut pas décider pour tout le monde. C’est une règle qui n’est pas bonne. Je le dis dans un moment où on ne sait pas avec précision quel groupe du NFP sera le plus important. Il ne faudrait pas que LFI, qui a clamé que c’était le groupe arrivé en tête qui déciderait, se fasse prendre à son propre piège. Nous sommes très attendus. Il serait incompréhensible que l’on mette un temps infini à dégager une personnalité qui permette à toutes et tous de s’y retrouver. Ici comme ailleurs, nous n’avons pas le droit de décevoir.

mise en ligne le 9 juillet 2024

La démocratie
et la République
ont gagné !   Les exigences sociales doivent être entendues !

sur https://www.cgt.fr/actualites

La mobilisation citoyenne a déjoué le scénario catastrophe d’Emmanuel Macron qui, par sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, a créé le chaos et déroulé le tapis rouge au Rassemblement National. Une large majorité d’électeurs et d’électrices ont clairement exprimé leur refus de donner les clés du pays à l'Extrême droite.

Le Nouveau Front Populaire, porteur d’un programme prévoyant notamment l'augmentation des salaires et des pensions, l'abrogation de la réforme des retraites et l'investissement dans nos services publics, est arrivé en tête.

Espagne, Grande-Bretagne et maintenant la France : les réactionnaires sont battus sur la base d’attentes sociales fortes. En Europe, le choix est désormais clair : progrès social ou fascisme, le libéralisme n’est plus une alternative.

Le président de la République a été sévèrement sanctionné. 

Il a été totalement irresponsable en tentant jusqu’au bout de mettre dos à dos l’Extrême droite avec la gauche, contribuant ainsi à la légitimation du Rassemblement National et de son idéologie. 

Heureusement,
la majorité des organisations syndicales, la société civile, la jeunesse et les partis politiques républicains ont pris leurs responsabilités. Fidèle à son histoire, la CGT a continué de rappeler très fermement que le Rassemblement National est toujours un parti raciste, antisémite, homophobe, sexiste et violent et qu’il ne doit jamais être considéré comme un parti comme les autres.

La CGT demande solennellement à Emmanuel Macron de respecter le choix des urnes et d’appeler à la formation d'un nouveau gouvernement autour du programme du Nouveau Front Populaire qui est arrivé en tête.

Au-delà, les leçons doivent être tirées en profondeur pour contrer la progression continue du Rassemblement National, qui a obtenu un nombre de député·es record.

La CGT alerte. Les exigences sociales doivent être entendues : le travail doit permette de vivre dignement et les services publics doivent être développés dans tous les territoires. 

Pas question que le patronat, qui a brillé par sa complaisance envers l’Extrême droite, ait encore gain de cause.

Il faut rassembler le pays qui a été clivé de façon très violente et lutter avec détermination contre le racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie.  Il faut aussi renforcer les obligations déontologiques et l’indépendance des médias actuellement dans les mains de quelques milliardaires.

Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée. 

Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT.

Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie. Partout dans les territoires, la CGT va rencontrer les député·es républicains pour porter les exigences du monde du travail.

La CGT va réunir ses instances de direction pour décider de toutes les initiatives nécessaires et échanger avec l’intersyndicale et les associations pour continuer à avancer dans l’unité la plus large.


 


 

Sophie Binet (CGT) : « Le Nouveau Front populaire a un devoir de réussite, il ne doit ni trahir ni décevoir »

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Après la « victoire incroyable » de la gauche, Sophie Binet exige du président de la République qu’il respecte le verdict des urnes. La secrétaire générale de la CGT livre sa réflexion sur l’urgence de renouer avec le monde du travail et ses revendications. Une intersyndicale doit avoir lieu ce 9 juillet.


 

Au second tour, le barrage républicain a empêché le RN de faire main basse sur Matignon. Est-ce une satisfaction ?

Sophie Binet : C’est une victoire incroyable. La mobilisation citoyenne a réussi à déjouer tous les scénarios catastrophes préparés depuis l’Élysée. Emmanuel Macron organise le chaos pour dérouler le tapis rouge à Jordan Bardella.

La gauche a su s’unir sur un programme de rupture avec le macronisme malgré des divergences fortes. La majorité des syndicats, CGT et CFDT en tête, ont pris leurs responsabilités en appelant à barrer la route de Matignon à l’extrême droite.

La clarté des désistements a contribué à battre en brèche la stratégie du « ni, ni » de la Macronie. Nous avons forcé la droite et le centre à reconstruire un barrage républicain, même fragile. Les électeurs ont pris leurs responsabilités. Le peuple français a réaffirmé que notre République, ce n’était pas l’extrême droite.

La CGT a soutenu le programme du Nouveau Front populaire (NFP). La gauche, en majorité relative, devra faire des compromis. Quelles sont vos lignes rouges ?

Sophie Binet : Les exigences sociales doivent être entendues. La CGT scrutera de près les contenus sociaux du prochain exécutif. À commencer par l’abrogation de la réforme des retraites. C’est un point majeur. L’opposition à cette réforme a pesé lourd dans ce scrutin. Grâce à la pugnacité des organisations syndicales, nous avons déjà gagné l’abandon de la réforme de l’assurance-chômage.

Ce n’est pas une petite victoire. La CGT veut des réponses claires sur l’augmentation des salaires, du point d’indice des fonctionnaires et des pensions. Le Smic à 1 600 euros était dans le programme du NFP.

Cela correspond aux revendications de la CGT. Un calendrier doit préciser sa mise en œuvre. L’indexation des salaires est un impératif, car le RN prospère sur le déclassement du travail. Enfin, des moyens doivent être débloqués pour nos services publics.

Quelles places pour les questions industrielles ?

Sophie Binet : Quand on ferme une usine, c’est un député du RN qui est élu. Les aides versées aux entreprises doivent être remises à plat et conditionnées. Le septennat d’Emmanuel Macron a été extrêmement profitable aux grandes entreprises. Elles ont bénéficié d’au moins 60 milliards de cadeaux supplémentaires en termes de baisse d’impôts et profitent chaque année de 170 milliards d’aides sans condition, ni contrepartie.

Il faut une autre répartition des richesses. Le patronat doit passer à la caisse. La CGT attend des actes forts et rapides, notamment dans les luttes sociales en cours. L’avenir des centrales de Cordemais et Gardanne, mais aussi de la papeterie Chapelle Darblay, doit être garanti. La CGT réclame un moratoire sur les licenciements en cours.

Enfin, la privatisation de Fret SNCF doit cesser, avec un moratoire sur le plan de discontinuité. La CGT se tient prête à proposer un plan de développement du ferroviaire au prochain gouvernement.

Quel profil doit aller à Matignon ?

Sophie Binet : La CGT n’a pas à faire le casting du futur exécutif. Mais une aspiration au renouvellement a émergé dans cette dynamique populaire. La gauche est en situation de cohabitation avec Emmanuel Macron. Jusqu’au bout, le président essayera d’empêcher une politique de justice sociale, avec la complicité du patronat. Il continuera à jouer les pyromanes.

« Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays. »

Le futur gouvernement doit se donner les moyens de durer, il doit être composé de personnalités qui rassemblent et répondent aux exigences sociales du monde du travail. Le pays est fracturé. Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays.

La stratégie de clivage, du bruit et de la fureur, de polarisation, profite in fine à l’extrême droite. Nous n’avons pas besoin de jeter du sel en permanence sur le débat public. Le NFP a une obligation de réussite, il ne doit ni trahir ni décevoir.

Vous craignez des manœuvres de l’Élysée pour empêcher la gauche de gouverner ?

Sophie Binet : Par son silence, Emmanuel Macron cherche à s’asseoir sur le résultat des urnes. Le chef de l’État souhaite un gouvernement technique dans la continuité de sa politique néolibérale. Le résultat, nous le connaissons par avance et nous l’avons vu en Italie.

Une coalition sans contenu social propulsera Marine Le Pen à l’Élysée en 2027. Il serait irresponsable de repartir sur une majorité relative composée des macronistes et des LR.

Quelles initiatives la CGT va-t-elle prendre dans les jours à venir ?

Sophie Binet : Une intersyndicale se tiendra ce mardi soir. Avec les autres organisations syndicales, nous continuerons à chercher à rassembler le pays autour de nos revendications sociales et à empêcher un hold-up démocratique. Le patronat a brillé par sa complaisance envers l’extrême droite. Il n’est pas question qu’il bloque de futures avancées sociales.

La société civile a maintenu une pression populaire sur les partis de gauche. Cet attelage doit-il perdurer ?

Sophie Binet : La CGT rencontrera tous les députés élus, sauf ceux de l’extrême droite. Sans la mobilisation de la société civile, des députés républicains de tous bords n’auraient jamais été élus. Durant ce mois de campagne, une repolitisation de la société s’est opérée : la jeunesse, le mouvement ouvrier, les intellectuels, une partie du monde de la culture et du sport, des journalistes…

Les initiatives se sont multipliées. Il ne faut surtout pas laisser la politique aux politiciens. Ce souffle ne doit pas retomber, sinon Emmanuel Macron jouera avec le RN pour créer le chaos. La CGT continuera à se mêler des affaires politiques.

Le 7 juillet, le RN et ses alliés ont recueilli plus de 10 millions de voix. Le vote d’extrême droite progresse inexorablement dans le salariat. Comment inverser cette tendance ?

Sophie Binet : Nous sommes en sursis d’une arrivée du RN au pouvoir. La CGT alertait, souvent seule, de la progression de l’extrême droite chez les travailleurs. On ne pourra pas lutter contre le racisme sans lutter contre l’antisémitisme, car ces discriminations prennent des formes distinctes mais ont des ressorts communs.

Attention à ne minimiser ni l’un ni l’autre de ces fléaux et à surtout cesser de les mettre en opposition. Les actes racistes et islamophobes ont explosé ces dernières semaines sur les lieux de travail.

Par exemple, à Enedis, une salariée s’est fait traiter de sale négresse. La CGT va interpeller le patronat : quelle politique va-t-il mettre sur pied pour lutter contre le racisme ? Nous proposerons à l’intersyndicale de se saisir de ces enjeux.

Les formations de gauche sont-elles encore audibles dans le monde du travail ?

Sophie Binet : C’est un axe de travail que nous devons aborder avec la gauche politique. Des bastions ouvriers, comme dans les Bouches-du-Rhône, l’Est, le Nord, la Seine-Maritime basculent à l’extrême droite. Ce n’est pas qu’un vote sanction vis-à-vis d’Emmanuel Macron.

Dans une grande partie du salariat, l’extrême droite est un vote d’adhésion. Dans des duels face à la gauche, des salariés ont choisi le bulletin RN. La déstructuration du travail et l’explosion des collectifs de travail sont des accélérateurs de la progression du RN.

La question du travail doit-elle être centrale pour reconquérir les classes populaires ?

Sophie Binet : Oui. La gauche a trop délaissé le travail, tout comme les enjeux industriels. La gauche qui a gouverné sous François Hollande a démissionné face à la finance et a organisé le partage de la pénurie au sein du salariat, en opposant les cadres et les ouvriers. Des partis de gouvernement ont eu pour seule proposition aux présidentielles le revenu universel. 

« La gauche doit redevenir le parti du monde du travail. »

Au lieu de parler de salaire, la gauche a parlé de pouvoir d’achat. Des formations ont abandonné le combat pour l’amélioration collective des conditions de travail, en apportant des réponses segmentées pour la seule frange de celles et de ceux les plus en difficulté, en développant les aides sociales, tout en renonçant à affronter le capital. La gauche doit redevenir le parti du monde du travail.

Peut-on parler d’une même voix aux classes populaires de Seine-Saint-Denis, de Flixecourt ou de Saint-Amand-les-Eaux ?

Sophie Binet : C’est l’enjeu qui est devant nous. Sous le poids des mutations du travail, les catégories populaires sont devenues diverses. Ces dernières sont profondément clivées par le vote RN. La question sociale rassemble largement. Nous devons faire comprendre aux travailleurs l’importance d’une expression de classe. Sinon, le patronat continuera de dérouler son projet antisocial.

C’est en ce sens que l’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs : elle les fracture en les mettant en opposition selon la religion, la couleur de peau, la nationalité ; pendant ce temps-là le patronat a une paix royale et se frotte les mains ! Cependant, l’abstention reste le premier parti des ouvriers. Nous devons aussi les convaincre de l’utilité de voter.

Comment analysez-vous le rôle de la CGT dans cette séquence ?

Sophie Binet : Je suis très fière du déploiement de la CGT depuis l’annonce de la dissolution. Plus de 3 000 adhésions ont été réalisées. La CGT aurait pu agir comme d’autres, en faisant primer ses intérêts électoraux, et ne pas affronter certains salariés.

De nombreuses circonscriptions ont été gagnées à une poignée de voix. Sans l’investissement de la CGT, le résultat des urnes aurait été différent. Nous sommes restés fidèles à notre histoire. À chaque fois qu’une menace fasciste planait, la CGT a pris ses responsabilités. Nous avons tenté d’être à la hauteur de l’héritage de Benoît Frachon, Georges Séguy, Martha Desrumaux et Henri Krasucki.

  mise en ligne le 8 juillet 2024

Une victoire populaire, avant tout !

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Alors que les instituts de sondages, au soir du premier tour, annonçaient une potentielle majorité absolue au Rassemblement national, une forte mobilisation populaire a permis au Front populaire d’être la plus importante force politique à l’Assemblée nationale. Il faut, désormais, construire dessus.

« Bonjour Madame, est-ce qu’on pourrait parler quelques minutes des élections législatives ? » Cette phrase, cette semaine, a été répétée des milliers de fois. Des dizaines de milliers de fois, sans doute. Après l’annonce, par Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, une véritable mobilisation populaire est née pour faire face à la vague brune du Rassemblement national.

Celle-ci a pris plusieurs formes. Mais la principale, sans aucun doute, ce sont ces centaines de personnes qui ont décidé de se lancer, corps et âme, dans une campagne incertaine, au bord du vide. Comme nous vous l’avons raconté dans Politis, ce sont, en effet, des centaines – certainement des milliers – de citoyens, qui, chaque soir sont allés dans des circonscriptions « serrées » pour toquer, porte après porte, pavillon après pavillon, pour convaincre les indécis, pour expliquer les enjeux de cette élection. Et ainsi, contrer ce qu’on voulait, à tout prix, nous faire croire comme inéluctable : une majorité pour le Rassemblement national.

D’ailleurs, le leader de la France Insoumise ne s’y est pas trompé. Pour commencer sa prise de parole, Jean-Luc Mélenchon a tenu à saluer « l’effort et la mobilisation des milliers de femmes et d’hommes qui se sont dévoués sans compter pour parvenir au résultat qui est acquis ce soir ». Ceux-là mêmes, qui, par la force de leur conviction, ont déjoué tous les pronostics. Car il faut bien le dire : si le « barrage républicain » a permis aux macronistes de ne pas être totalement ridiculisés ce dimanche 7 juillet, ce n’est pas lui qui a donné la victoire au Nouveau Front populaire.

On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre.

En effet, selon une enquête d’Ipsos pour Le Parisien, près de 3 électeurs sur 4 du Nouveau Front Populaire au premier tour sont allés voter pour un candidat de l’ex majorité présidentielle en cas de duel face au Rassemblement national. C’est moins d’un électeur sur deux dans le cas inverse. Seulement 43 % des électeurs macronistes ont glissé un bulletin La France insoumise dans l’urne en cas de duel face au RN. Ce chiffre monte, maigrement, à 54 % dans un duel entre le RN et un candidat PS, Les Écologistes ou PCF. Pour les leçons de « républicanisme », on repassera.

Construire

Cette victoire est donc avant tout populaire. Elle est issue d’un travail de terrain que ni le Rassemblement national, ni la majorité présidentielle n’ont su effectuer. Et c’est peut-être le plus grand succès de ces résultats. On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre. De ce postulat, sain, il faut désormais construire. Maison par maison, foyer par foyer. Parce que si la victoire, ce 7 juillet, est aussi belle qu’inattendue, elle reste relative. Le Rassemblement National continue de progresser fortement avec plus de 50 nouveaux députés à l’Assemblée Nationale.

Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts.

Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts. Plusieurs députés importants de l’ancienne Nupes ont ainsi été défaits dans les urnes ce dimanche. Pour ne citer qu’eux, Rachel Keke, Pierre Darrhéville ou Sébastien Jumel. Des parlementaires qui étaient élus, bien souvent, dans des circonscriptions rurales. Et qui, malgré une intense mobilisation, ont échoué à quelques centaines de voix.

Ces défaites locales doivent nous laisser en éveil. Oui, le Nouveau Front populaire est désormais le bloc politique le plus important à l’Assemblée Nationale. Mais le plus dur reste à venir. En premier, réussir à maintenir cette forte mobilisation populaire dans des territoires où le RN prospère. Ce n’est que par ce travail de terrain, d’implantation, que la gauche réussira à faire reculer le parti de Marine Le Pen et ses idées. La nouvelle élection de François Ruffin – la troisième d’affilée – dans la première circonscription de la Somme, où le RN avait fait d’importants scores aux européennes, en est une bonne illustration. Là est son salut.

Mais pour cela, il faut que les nouveaux parlementaires du Nouveau Front populaire soient à la hauteur du moment. Ces milliers de citoyens, bien souvent non encartés, qui se sont mobilisés ces dernières semaines ne pardonneraient pas une énième trahison libérale. Ses électeurs non plus. « Le seul vote pour tout changer », pouvait-on lire en gras sur les tracts distribués dans les quatre coins du pays pour le NFP. Il faut, désormais, tenir la promesse.

 

  mise en ligne le 8 juillet 2024

Après les résultats à Montpellier :
« La bataille, ce sera demain,
à l’Assemblée nationale »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Des centaines de personnes ont fêté la victoire du Nouveau Front populaire devant le bar associatif du Quartier Généreux. Une soirée assombrie par les résultats du département : le Rassemblement national remporte cinq des neuf circonscriptions de l’Hérault.

Montpellier (Hérault).–  S’il existait un adjectif pour définir une joyeuse sidération, il serait parfait pour décrire le frisson qui a traversé la foule, dimanche à 20 heures, devant le Quartier Généreux, un bar associatif de Montpellier. Quand les premiers résultats se sont affichés sur l’écran de télévision, les centaines de personnes massées devant la vitrine ont d’abord ouvert grands les yeux, vérifié que c’était bien réel puis hurlé de joie. « La gauche a gagné ! Le Nouveau Front populaire est devant ! », « Le RN est troisième ! Oui, troisième ! », font passer celles et ceux des premiers rangs aux personnes qui n’arrivent pas à apercevoir l’écran.

Un sourire presque hagard sur les lèvres, une femme d’une cinquantaine d’années est en larmes. Devant elle, un homme pleure dans les bras de sa compagne. « J’ai eu peur, tellement peur », soufflera-t-il quelques minutes plus tard. Les gens se serrent, s’étreignent, se rapprochent et entonnent un « Siamo tutti antifascisti », régulièrement chanté jusque tard dans la soirée.

Ce résultat, peu y croyaient avant 20 heures. La surprise est totale. « Nous sommes douze minutes avant la fin du monde », se désespérait ainsi Louise, en attendant les premières estimations. « J’ai l’impression qu’une météorite va nous tomber dessus », prédisait-elle, l’air sombre. Finalement, c’est un feu d’artifice, tiré à proximité du Quartier Généreux, qui est venu fendre le ciel quelques heures plus tard. « Montpellier est résolument une ville de gauche ! », s’enthousiasme un groupe d’ami·es.

Une bière à la main, Antoine et Aïssatou se disent « submergés par la victoire ». La jeune femme, qui se prépare à devenir professeure des écoles, évoque le « fort impact psychologique » de cette campagne et sa peur, « une peur de survie », en tant que femme racisée. « J’ai déjà une charge raciale même quand l’extrême droite n’est pas au pouvoir ? Là, c’était très compliqué à imaginer… »

Antoine, qui a pleuré à 20 heures, revient sur son émotion : « Des larmes de soulagement et de fierté. » La fierté d’avoir milité pendant trois semaines – ce qu’il n’avait plus fait depuis dix ans – et d’avoir vu « tant de monde entrer dans le mouvement ». « L’ alliance de tous les acteurs de la société civile, c’est ça qui m’a embarqué, poursuit-il. Plus que jamais il faut continuer, il faut investir tous les espaces. Moi je ressors avec ça, ce soir. »

Pendant que les discours des politiques s’enchaînent à la télévision et que Jordan Bardella est copieusement moqué, une bande de jeunes survoltés harangue les voitures qui passent près de la place Albert 1er. Les coups de klaxon sont incessants, comme un soir glorieux de finale de coupe du monde. Et ça va durer des heures.

Un grand drapeau français fend la foule, barré du message « Se réapproprier le drapeau ». « Et ouais, cest pas réservé aux footeux ou aux fachos ! », rigole une jeune femme. Arthur, qui porte l’étendard, acquiesce. « C’est notre France, c’est notre drapeau. » « Et notre France, elle est de gauche ! Elle est belle, ouverte et mixte ! », enchaîne Fiona à ses côtés. Drapeau palestinien sur les épaules, la jeune femme de 22 ans dit avoir eu « la boule au ventre » avant 20 heures. « On n’était pas confiants », concède-t-elle.

Soudain, l’ambiance s’assombrit devant l’entrée du bar. Les résultats des neufs circonscriptions de l’Hérault commencent à arriver et avec eux, de mauvaises nouvelles. Le candidat Nouveau Front populaire de la quatrième, Sébastien Rome, est battu par la candidate RN. Il était le député LFI sortant. C’est un coup dur pour les militant·es.

Un tableau, qui recense les résultats du département, se remplit peu à peu. Et les mines sont déconfites. Le Rassemblement national remporte cinq circonscriptions, le Nouveau Front populaire, quatre. En 2022, le RN en avait décroché trois. « On est contents des résultats nationaux mais au niveau local, c’est vraiment moche », déplore une bénévole du Quartier Généreux. « Il faut profiter de cette soirée, puis profiter de l’été pour se reposer mais à la rentrée, on se retrouve et on se remet à bosser ! », scande un autre au micro.

« Après ces résultats, il faudrait que la gauche reste solidaire mais c’est trop tôt pour parler de ça ! Ce soir, on profite », commente Natty, venue avec ses ami·es Illy et Mehdi. Ils ont entre 25 et 32 ans et ont rejoint la place Albert 1er pour « être avec une population de gauche ». « Ici, c’est un lieu safe, c’est surtout pour ça », ajoute Mehdi, qui ne se sent pas en sécurité face à la déferlante des violences racistes ces dernières semaines. « On sent des regards insistants. Et ça installe de la suspicion, on se demande qui a voté RN. Plus de dix millions de personnes qui ont voté pour ce parti au premier tour, c’est pas rien... », conclut le jeune homme, d’ores et déjà inquiet pour 2027.

« Malgré la joie ce soir, j’ai peur de la pente dans laquelle on descend. On y est, on y est toujours », estime également Fred pour qui les résultats de ces législatives ne sont qu’une étape. « La victoire d’aujourd’hui, c’est que le RN se sera pas au pouvoir. Mais la bataille ce sera demain, à l’Assemblée nationale », poursuit-il.

Murielle, bénévole au Quartier Généreux, abonde : « Je me demande ce que ça va donner à l’Assemblée. Je me demande si la gauche va rester unie. On l’a vu, avec la Nupes. Dès le lendemain ils ne se connaissaient plus ! » Surprise de voir autant de monde, et beaucoup de nouvelles têtes, à cette soirée du bar associatif et engagé, elle en est toutefois convaincue : « Cette société civile, elle, ne va pas se diviser. » Ce soir, Murielle veut profiter du souffle d’espoir et de joie qui balaie la foule. Et lève son verre bien haut : « Dans ce verre, il y a le seum de Bardella ! C’est la cuvée du Seum de Bardella ! »

 

  mise en ligne le 6 juillet 2024

Stopper la marée brune
qui monte depuis 40 ans

par Ivan du Roy sur https://basta.media/

Si le pire – l’arrivée à Matignon de l’extrême droite – peut encore être évité, ce ne sera qu’un sursis supplémentaire. La gauche et la société civile mobilisées doivent désormais répondre à des questions en suspens depuis trop longtemps.

L’extrême droite aura donc mis 40 ans pour être en mesure d’accéder au pouvoir par les urnes en France. Le 17 juin 1984, le Front national emmené par un certain Jean-Marie Le Pen réalisait sa première percée électorale lors d’un scrutin national, attirant 2,2 millions de voix (11 %) aux européennes. Hormis quelques soubresauts, le parti des Le Pen n’a cessé de progresser lentement mais sûrement depuis.

La gauche résiste encore à cette lente marée brune, mais pour combien de temps ? Avec 28 %, la dynamique du Nouveau Front populaire fait mieux que la Nupes en 2022, attirant 3 millions d’électeurs et d’électrices supplémentaires, grâce à la participation sans précédent depuis 30 ans pour ce type d’élection. Problème : l’extrême droite profite également de la mobilisation des abstentionnistes.

Avec 29,5 %, le RN double son nombre de voix comparé à 2022 (9,37 millions ce 30 juin 2024 contre 4,24 millions le 12 juin 2022), auxquelles s’ajoutent le ralliement d’une partie de la droite – les candidats soutenus par LR version Eric Ciotti avec l’appui du RN – qui permet au bloc d’extrême droite de peser 33 %. Ce bloc fait, dès le 1er tour, le plein en terme de voix comparé aux résultats cumulés de ses candidats à la présidentielle de 2022 – les plus de 10,5 millions de voix qui s’étaient portées sur Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.

Barrer la route de Matignon à l’extrême droite

Ce qui n’est pas le cas de l’union de la gauche à qui il manque, sur le papier, plus d’un million de voix quand on regarde les scores obtenus par ses candidats – dispersés – en 2022 (Jean-Luc Mélenchon pour LFI, Yannick Jadot pour Les Verts, Fabien Roussel pour le PCF et Anne Hidalgo pour le PS). Quant au bloc macroniste (20 %), s’il progresse très légèrement en voix (mais pas en pourcentage des voix exprimés) par rapport aux précédentes législatives, il s’effondre, perdant plus de 3 millions d’électeurs et électrices, comparé au résultat qu’avait obtenu Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle.

Lors du second tour du 7 juillet, pour éviter que l’extrême droite obtienne une majorité, tout dépendra donc de la réalité des désistements en faveur du candidat non-RN le moins mal placé dans les 239 circonscriptions où des triangulaires entre RN, Front populaire et Renaissance pourraient avoir lieu. Et bien évidemment de la capacité de l’électorat, qu’il soit de gauche, centriste, de droite « classique » ou abstentionniste selon les cas, à se résoudre à voter pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite.

Si la stratégie du barrage à l’extrême droite fonctionne encore malgré tout, le pays demeurera en sursis. Quelle que soit la situation qui émergera au soir du 7 juillet, un vaste travail d’introspection devra être mené, en particulier à gauche. Un travail d’introspection qui a toujours été remis à plus tard depuis 40 ans, encore moins depuis l’accession surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, aux dépens de Lionel Jospin, signe avant-coureur de ce qui se passe aujourd’hui.

Pourquoi un tel succès pour un parti raciste, anti-social, climatosceptique ?

Les excuses conjoncturelles, si elles sont à prendre en compte, ne suffisent pas à expliquer cette lente marée brune. Oui un certain traitement médiatique, au goût prononcé pour le buzz et les clichés simplistes, a contribué à dédiaboliser le RN, comme l’émergence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête, perçu comme encore plus à droite et outrancier. Oui la constitution d’un groupe de médias par Bolloré a accéléré la diffusion de la propagande et l’idéologie d’extrême droite à plus grande échelle. Mais la marée brune n’avait pas attendu ces vents favorables pour grossir.

Oui la réputation de la gauche politique est encore desservie par l’inconsistance de la présidence Hollande : son absence de vision à long terme sur le partage des richesses ou l’écologie, sa loi travail, ses crédits d’impôts sans conditions aux grandes entreprises, sa légitimation des obsessions de l’extrême droite sur l’immigration et l’islam, légitimation poursuivie par les récents gouvernements…

Oui, l’éclatement de la Nupes et le temps perdu à se déchirer et à brutaliser le débat – notamment depuis le 7 octobre – a encore coûté cher aux formations de gauche. Celles-ci ont agréablement surpris leur électorat en réussissant à former le Front populaire. Mais procrastiner sur les sujets de fond face à la montée de l’extrême droite a suffisamment duré.

Pourquoi une force politique, issue d’une tradition qui n’a strictement et historiquement rien apporté de positif à la France – et pire, qui est même synonyme de déshonneur, de rejet, de haine et de l’élimination d’une partie de ses citoyens – obtient de tels succès ? Pourquoi un projet raciste – remise en cause du droit du sol, stigmatisation des bi-nationaux, focalisation sur l’immigration (comprenez : suspicion et discrimination envers toutes les personnes non blanches) – attire toujours davantage d’électeurs et d’électrices dans une France, l’un des pays les plus mixtes en Europe, où la tolérance vis à vis des minorités progresse globalement depuis 30 ans ?

Pourquoi un parti, qui n’a aucun projet social, excepté des mesures opportunistes, et qui méprise tout ce qui constitue le modèle social français, continue de faire illusion sur ce sujet ? Pourquoi, alors que de plus en plus de Français vivent dans leur chair les conséquences du réchauffement climatique – inondations, canicules ou sécheresses – c’est le parti qui n’apporte strictement aucune réponse, niant même la question du réchauffement, qui continue d’être électoralement en tête ?

Pourquoi encore, ce parti qui n’a aucune vision en matière d’émancipation par l’éducation et par la culture, ne proposant uniquement que mesures autoritaires et sanctions, continue de séduire autant ? Comment la gauche, politique, syndicale, culturelle, associative, a-t-elle pu à ce point s’affaiblir, voire disparaître, dès qu’on s’éloigne des zones urbaines ?

Sortir de la paresse intellectuelle

Historien.ne.s, économistes, syndicalistes, chercheurs, scientifiques, défenseurs et défenseuses des droits humains, journalistes (en particulier les médias indépendants) et des dizaines de tribunes de la société civile ont beau pointer toutes ces contradictions – et bien avant ces échéances électorales – ; rien n’y fait. Cela ne semble avoir aucun impact. La marée brune poursuit sa route, là où, localement, la contradiction a disparu, sur les thématiques où les partis et penseurs de gauche ont trop longtemps pécher par paresse intellectuelle ou confort de l’entre-soi.

Abroger telle ou telle loi inique ne suffira pas ; ni augmenter le Smic sans expliquer aux petits employeurs comment ils seraient accompagnés ; ni demander plus de moyens pour les services publics sans travailler à leur réelle amélioration et organisation ; ni expliquer qu’il faudra davantage d’impôts sans s’attaquer à une gestion rigoureuse et efficiente de l’argent public ; ni prôner la transition écologique, la sobriété ou l’abandon des véhicules thermiques sans expliquer comment, concrètement, ne pas en exclure toute une partie de la population, en particulier en zone rurale. Se contenter d’appeler à la paix dans le monde ne fait pas non plus une politique extérieure. Cette liste est loin d’être exhaustive.

La gauche s’est déchirée pendant un an et demi avant de s’unir à nouveau face à la menace sous la pression, aussi, de son électorat. Elle est en capacité de rattraper son retard sur tous ses sujets. Elle peut s’appuyer sur la richesse de la réflexion, des expérimentations, des savoirs, accumulés par tout ceux et toutes celles qui refusent une aube brune.

  mise en ligne le 28 juin 2024

Cédric Herrou : « Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble »

Hugo Boursier  et  Pauline Migevant sur www.politis.fr

L’agriculteur évoque ses craintes et ses espoirs depuis la vallée de la Roya, laboratoire de la répression migratoire à la frontière franco-italienne. « Pessimiste maintenant, optimiste plus tard », il appelle la gauche à s’enrichir des résistances de terrain.


 

"La gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. "

Cédric Herrou est un agriculteur et activiste aidant les personnes migrantes à la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya. Après 11 gardes à vue et plusieurs procès pour « aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers », il a été relaxé en 2021 grâce au principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Pour pérenniser l’accueil d’urgence, il a cofondé une communauté Emmaüs mêlant agriculture et social.

Les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.

La campagne des législatives a été plombée par les thèmes imposés par l’extrême droite. Alors que le premier tour aura lieu à la fin de la semaine, quels seraient les bons termes du débat, selon vous ?

Cédric Herrou : Je fais partie des gens qui sont dégoûtés de la politique. Est-ce qu’on a envie du pouvoir quand on est de gauche ? Est-ce que le système actuel donne de la place aux gens dénués d’égoïsme, d’une quête de profit personnel ? Est-ce que le pouvoir ne pervertit pas toujours ? Ce sont des questions que je me pose. Les élections ne répondent pas aux attentes des gens, et encore moins des précaires. La société se dépolitise. J’ai 45 ans, et depuis que j’ai commencé à lutter contre l’extrême droite, on me dit qu’elle va accéder au pouvoir tôt ou tard. Et quand elle arrive, les gens sont scotchés sur TikTok. À chaque scrutin, on ne réfléchit plus, on bricole des schémas. Le socle commun disparaît. Il s’effrite. Et le résultat qu’on a, ce sont deux mondes parallèles. C’est à se demander si on ne cherche pas la crise, collectivement. On affronte des problèmes climatiques immenses et pourtant on se préoccupe de choses futiles. On débat sur des choses qui ne sont pas à débattre.

Pensez-vous que la gauche est assez solide sur la compréhension des enjeux migratoires ?

Cédric Herrou : La gauche tente à nouveau de comprendre. En 2016, quand j’ai commencé à mener des actions, personne ou presque n’est venu me voir. Ce n’était vraiment pas un sujet qui intéressait. À droite, les élus n’envisagent ce sujet que dans une visée électoraliste. La question de la migration est difficile à aborder parce qu’elle est complexe. Sauf à la considérer comme la droite le fait, c’est-à-dire de manière simpliste en disant « non aux étrangers ». Défendre l’accueil, c’est bien plus exigeant intellectuellement que de dire stop à l’immigration. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs fois l’invitation de Cyril Hanouna à venir sur son plateau. Il me mettait face à Damien Rieu. C’est impossible de débattre avec quelqu’un d’aussi raciste. J’aurais eu besoin de trois minutes quand lui aurait lâché ses « arguments » en trente secondes.

C’est pour ça que la gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. Pour moi, traiter les électeurs du RN de fachos, c’est une connerie. Je ne parle pas des militants, bien sûr. Les autres sont des gens paumés qui ont peur que la télé devienne réelle. J’ai vu beaucoup de personnes solidaires avec des exilés mais qui votent extrême droite, juste parce que c’est facile à comprendre. Demandez le programme du RN dans la rue, les gens l’ont tous en tête : baisse des impôts, arrêt de l’immigration, lutte contre la violence. Le problème, c’est que les idées infusent. Et les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.

Emmanuel Macron a qualifié d’« immigrationniste » le programme du Nouveau Front populaire. Est-ce le signe ultime de la radicalisation du président sur l’enjeu des frontières ?

C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme.

Cédric Herrou : Les personnalités politiques manipulent : elles apprennent à sourire, à dire telle ou telle connerie au bon moment. Quand il dissout l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron pensait que la gauche ne pouvait pas se fédérer. Il s’est dit que le PS n’allait jamais se mettre avec La France insoumise. Ce calcul l’a conduit à prendre une tôle. Il voulait défoncer les LR, il l’a fait, mais la gauche a réussi à s’unir. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron est passé dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex, en 2020. On avait discuté. Il disait que c’était bien, ce que je faisais. Et après, il m’a dit qu’il fallait comprendre la peur du terrorisme que ressentaient les gens. Il a fait de lui-même le lien entre immigration et terrorisme. C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme. Et il tire toute la politique dans cette direction : le licenciement de Guillaume Meurice à France Inter en est en quelque sorte un exemple. Il y a dix ans, ce ne serait jamais arrivé. Preuve supplémentaire que l’on glisse petit à petit vers l’extrême droite.

L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie a-t-elle changé quelque chose pour les personnes qui arrivent dans la vallée de la Roya ?

Cédric Herrou : Je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de changements avec l’arrivée de Meloni. Auparavant, on entendait beaucoup parler de mafias qui venaient chercher de la main-d’œuvre directement dans les centres d’accueil de migrants. J’entends moins cela maintenant, parce qu’il y a moins de monde. En 2016, on distribuait 1 000 repas par soir à Vintimille. Là, on est entre 40 et 60 repas. La moitié des personnes qui en bénéficient se sont « sédentarisées » sur place, c’est-à-dire qu’elles sont SDF. Par contre, on nous rapporte le récit d’Italiens qui renvoient en Grèce des personnes qui ont été dénudées ou attachées sur les bateaux.

On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères.

Que craignez-vous d’un gouvernement d’extrême droite pour la gestion des frontières ?

Cédric Herrou : Il faut rappeler que le contrôle aux frontières est rétabli depuis 2015. Ce que préconise l’extrême droite est déjà effectif. Et ça n’a pas stoppé les flux migratoires. L’extrême droite est un mouvement d’idéologues qui stipule que mettre des flics aux points centraux de passages suffirait. Mais ça ne marche pas. La seule conséquence, c’est que les personnes mettent beaucoup plus de temps à passer et elles sont bien plus précaires quand les blocages se multiplient. Ce sont les points de fixation qui font naître les problèmes de passeurs, de proxénétisme et de pédophilie. On a oublié ce que ça voulait dire, dormir à la rue.

Tous les demandeurs d’asile ont dormi au moins une semaine dehors. Et bien plus longtemps pour une très grande majorité. Ça détruit les gens. Ça les rend fous. Et Emmanuel Macron le sait parfaitement. Il a créé les conditions d’un très bon accueil pour les Ukrainiens. Aucun Ukrainien n’a dormi à la rue. Quand j’entends qu’Éric Ciotti veut retirer l’aide médicale d’État, c’est un drame. La lecture médiatique, c’est d’un côté la gauche bisounours, de l’autre la droite pragmatique et l’extrême droite xénophobe. Mais ne pas soigner, ce n’est pas être pragmatique.

Craignez-vous que la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite décomplexe des violences émanant de citoyens ?

Cédric Herrou : On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères. La montée de l’extrême droite va rendre cela possible. On sait qu’on va avoir des problèmes. On en parle entre nous. La question est de savoir comment on continue à faire ce qu’on fait. Nous, à Emmaüs Roya, on ne dépend pas de subventions publiques. Mais je pense à tous les organismes qui accueillent les personnes étrangères avec ou sans papiers, il va y avoir un énorme problème. Précariser les personnes étrangères, les personnes qui ont la double nationalité, et entraver ces milliers d’associations qui les aident, ça va entraîner une précarité incroyable. Économiquement, il va être impossible de compenser l’arrêt des subventions. Rien que pour nous, il est compliqué de trouver de l’argent alors qu’on a une activité lucrative avec l’agriculture. Les chantiers d’insertion, le 115, si tout cela est précarisé, ça va être très difficile !

La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage.

À quel point pensez-vous que les réseaux de solidarité sont suffisamment solides dans la société civile pour pouvoir résister ?

Cédric Herrou : On restera en minorité. Il y a un glissement général à l’extrême droite. Je ne crois pas à un sursaut citoyen. Il faut réfléchir pour retrouver ce socle commun qui s’effrite. Et pour ça, il faudrait un choc. En attendant, l’union de la gauche est obligatoire, mais ce qu’il faut sur du long terme, c’est l’éducation populaire, aller parler aux gens. La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage. Il n’y a pas d’effet d’immédiateté. Il faut être nombreux, fédérer, et se faire le relais après la crise qui va venir. Sans une crise forte, je ne pense pas qu’on puisse prendre conscience de ce qu’est l’extrême droite.

Vous considérez que la société doit imploser pour créer un horizon nouveau ?

Cédric Herrou : Je crains qu’il faille en arriver là pour qu’on prenne conscience. Les gens ont la tête dans le guidon et se préservent dans ce monde fou. Sans forcément comprendre le monde extérieur. Les gens font du développement personnel et se coupent du monde. Ils travaillent sur eux. Il est dangereux de suivre un raisonnement pareil. Le développement se fait collectivement, pas personnellement. Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble. C’est ce qui avait été initié par les gilets jaunes, un mouvement populaire dans lequel on a vu des gens se retrouver sur des ronds-points pour discuter.

Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à l’institution judiciaire et administrative pour éviter le pire ?

Cédric Herrou : Ça va être compliqué. Je pense qu’on se retrouve à compter sur eux, mais qu’il faut s’en méfier. L’extrême droite va tout fragiliser. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourra s’opposer à elle. Elle va changer la Constitution, elle en est capable si elle fait de la bonne manipulation populiste. Malgré tout, je suis pessimiste pour maintenant, mais optimiste pour la suite. Il faut se réveiller, ensuite c’est la révolution, on fait le tour du cycle.

Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population.

Pourtant, en 2018, le Conseil constitutionnel avait fini par reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Ne pensez-vous pas que cette institution, que le système judiciaire dans son ensemble puisse limiter la casse ?

Cédric Herrou : J’ai quand même été en procès et j’ai effectué douze gardes à vue. Les Ciotti et autres luttent contre les principes républicains. Ce sont des gens aux antipodes de notre devise nationale. Si on la critique souvent, la justice reste un contre-pouvoir nécessaire, mais on risque de perdre cette institution. Peut-être qu’on ne parle pas assez de la chance d’être en France et d’avoir un système de santé, une école, une justice qui sont censés nous protéger.

Vous dites qu’il est dur de se fier à quoi que ce soit. En quoi croyez-vous ?

Cédric Herrou : Je suis en contact avec énormément d’acteurs de la société civile et on attend de la gauche qu’elle aille sur le terrain pour convaincre la population. Pour avoir des idées. On a l’impression que les politiques sont en vase clos et ne sont pas en lien avec les acteurs de terrain. Ils viennent nous voir, mais ne nous écoutent pas. Concernant l’immigration, il faut fédérer tous les acteurs qui gèrent l’immigration et la précarité à la place de l’État. Il faut développer un ministère de l’Immigration pour que celle-ci ne soit plus gérée par le ministère de l’Intérieur, qui ne l’appréhende que comme un potentiel trouble à l’ordre public. C’est un ministère paranoïaque.

Il faudrait solliciter les acteurs locaux, les scientifiques et les chercheurs. Mais aujourd’hui, les politiques demandent à des boîtes de conseil privées des idées de programme. Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population. Le travail est déjà fait, il faut que les politiques le synthétisent en travaillant sur le terrain. Les politiques et les médias ont une responsabilité énorme. Dans un monde parfait, la solution, on la trouve parce qu’elle existe déjà. Il faut se mettre autour d’une table avec des gens qui savent et non pas des gens qui sentent.

On vit dans une société où les politiques doivent tout savoir, mais c’est bien parfois de reconnaître qu’on ne sait pas. Aujourd’hui, on nous fait croire qu’on vote pour un premier ministre. On prend les gens pour des cons. Plus de 50 % de personnes ne votent pas. Lors de l’élection présidentielle de 2022, on avait fait un apéro chez moi pour regarder les résultats. Avec des gens qui ont une conscience politique. Pourtant, la moitié des personnes présentes n’avaient pas voté. C’est un problème démocratique énorme.

Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire.

Vingt millions de personnes ne votent pas, 30 % votent RN, mais ça reste très minoritaire. Enfin, on peut le voir comme ça. Beaucoup de gens ont délaissé le système politicien. Les gens comme moi, qui sont intéressés, doivent voter. Il faut que nos idées soient représentées. Leurs plans carriéristes à deux balles, je n’en ai rien à foutre : les Ruffin, Glucksmann, Tondelier, je m’en fiche. Je veux juste que nos idées soient représentées. Qu’ils viennent nous voir et nous écoutent. Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire. Les solutions sont sur le terrain, en bas de chez eux.

mise en ligne le 20 juin 2024

Législatives :
« Je suis en colère
contre le patronat », dénonce Sophie Binet

Mathilde GOLLA sur https://www.ouest-france.fr/

Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.

Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?

Sophie Binet : La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.

Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.

Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.

Suspension de Guillaume Meurice de Radio France : la liberté d’expression est-elle en danger ?

Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?

Sophie Binet : Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.

On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national Sophie Binet

Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?

Sophie Binet : Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre (par jour par rapport à la normal, ndlr). 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.

Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.

Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.

La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.

Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?

Sophie Binet : Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.

Comment financer toutes ces mesures ?

Sophie Binet : Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.

Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?

Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclassement ?

Sophie Binet : Non, c’est un sujet auquel la CGT est très attachée. Le RN prospère sur cette idée de déclassement et au contraire on veut clairement y répondre. C’est pour ça que c’est très important d’indexer les salaires sur les prix. Ce n’est pas seulement le Smic que l’on veut augmenter, c’est tous les salaires pour garantir la reconnaissance des qualifications.

Mais cela ne nourrit-il pas l’inflation ?

Sophie Binet : Non, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur les prix. Il n’y a pas particulièrement plus d’inflation mais cela a augmenté les salaires et réduit le chômage. Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.

Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation. Sophie Binet

En plus de vos consignes de vote, qu’allez-vous faire pour faire barrage au RN ?

Sophie Binet : On va se mobiliser avec les féministes ce week-end, et on va montrer combien le RN est un danger pour les droits des femmes. Nous avons aussi des grèves dans pas mal de professions : l’énergie, la chimie ou l’agroalimentaire, la culture. Elles sont mobilisées ce jeudi 20 juin 2024 et font le lien entre les licenciements, les revendications de salaires et aussi le danger du RN.

Et si le RN arrive au pouvoir, que ferez-vous ?

Sophie Binet : On met toutes notre énergie pour éviter l’arrivée de Jordan Bardella au pouvoir. On fait monter les luttes pour que le débat se fasse sur les questions sociales et pas sur les enjeux d’immigration. Ensuite on prendra nos décisions par étapes et collectivement, nous savons nous rassembler sur l’essentiel. Mais on ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat.

Le patronat reste très silencieux, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Sophie Binet : Je suis très en colère contre le patronat. Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, car elle est soutenue par les milieux d’affaires. C’est pareil pour le RN, c’est pour ça qu’il rétropédale sur la retraite. Ce sont des milliardaires qui font monter le RN, le rôle de Vincent Bolloré est connu, il a œuvré au rapprochement d’Éric Ciotti avec le RN.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités, il est d’un silence coupable face au danger de la montée de l’extrême droite. Il ne fait que faire primer ses intérêts financiers. Pour une partie du patronat, l’extrême droite n’est plus un problème.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités. Sophie Binet

Concernant les accusations d’antisémitisme portées contre certains candidats, que dit la CGT ?

Sophie Binet : Le programme est très clair, il est spécifiquement contre l’antisémitisme et l’islamophobie.

mise en ligne le 17 juin 2024

Gabriel Zucman :
« La France pourrait,
dès la mi-juillet,
taxer efficacement les ultrariches »

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Couplé à une taxe anti-exil fiscal, un impôt sur la fortune est possible à l’échelle d’un seul pays comme la France, estime l’économiste Gabriel Zucman. Il n’y a donc pas de fatalité, selon lui, à subir l’exode fiscal des plus riches si l’on veut les taxer davantage.

L’économisteL’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’École d’économie de Paris, porte depuis plusieurs années au niveau mondial l’idée d’un impôt sur les grandes fortunes. Il estime que la campagne accélérée pour les élections législatives, qui se tiendront les dimanches 30 juin et 7 juillet, est une bonne occasion de remettre sur la table la proposition d’un impôt sur les patrimoines des milliardaires, ridiculement imposés en France. 

Mediapart : L’idée d’un nouvel impôt sur la fortune réémerge à gauche en ce début de campagne aux élections législatives. Son rétablissement figure dans l’accord pour un Nouveau Front populaire intervenu jeudi 13 juin au soir. Pourquoi faut-il, selon vous, remettre sur la table le sujet de la taxation du patrimoine des ultrariches ? 

Gabriel Zucman : D’abord parce qu’il y a une forte demande de l’opinion publique pour abolir les privilèges fiscaux. Les milliardaires ont des taux d’imposition ridiculement faibles en France. Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, leur taux effectif est de moins de 2 %, en raison du recours généralisé aux sociétés holdings. Normalement pierre angulaire de la progressivité du système fiscal, l’impôt sur le revenu échoue à remplir sa mission. La France est un paradis fiscal pour les milliardaires : si tous partaient demain s’installer aux îles Caïmans, cela ne changerait quasiment rien aux recettes du Trésor public !

Il n’y a en fait que l’impôt sur les bénéfices payé par les entreprises qu’ils possèdent qui touche in fine les milliardaires. Ce qui fait que, tous impôts compris, leur taux de prélèvement obligatoire est de l’ordre de 27 %, selon les chiffres de l’Institut des politiques publiques, quand le Français moyen paie – à nouveau tous impôts compris – un peu plus de 50 %. Il y a là une différence de traitement injustifiable.

Quel nouvel impôt sur le patrimoine des très riches faudrait-il instaurer en France ? 

Gabriel Zucman : Il faut tirer les leçons du passé : ne pas simplement ressusciter l’ISF [impôt sur la fortune, supprimé par Emmanuel Macron en 2018 – ndlr] mais créer un nouvel impôt sur les ultrariches. L’ISF échouait à taxer les plus grandes fortunes car trop de niches fiscales lui étaient adossées. Il faudrait, à mon sens, prendre exemple sur l’impôt proposé par Bernie Sanders aux États-Unis durant la primaire démocrate en 2020, qui taxait progressivement, et sans exonération, les patrimoines supérieurs à 32 millions de dollars au taux de 1 %, ceux supérieurs à 50 millions à 2 %, jusqu’à 8 % au-dessus de 10 milliards. 

On pourrait s’en inspirer en France en instaurant un impôt sur le patrimoine de 1 % au-delà de 10 millions d’euros, 2 % au-delà de 20 millions d’euros, 3 % au-delà de 100 millions, jusqu’à 8 % au-delà de 10 milliards. Cela pourrait rapporter de 30 à 40 milliards d’euros par an au fisc français, un montant tout à fait significatif. 

Ne craignez-vous pas que l’on oppose à votre proposition que les riches s’en iront de France pour aller dans un pays à la fiscalité plus favorable, car c’est l’ordre des choses ? 

Gabriel Zucman : C’est toujours le risque – et c’est pourquoi il faut coupler cet impôt sur le patrimoine à une taxe sur l’exil fiscal. Concrètement, les contribuables fortunés vivant depuis longtemps en France continueraient à être soumis à l’impôt français – par exemple pendant dix ans – s’ils décidaient de s’installer dans un pays à fiscalité avantageuse. Prenons l’exemple d’un milliardaire qui déménagerait de Paris vers la Suisse : le fisc français viendrait alors collecter la différence entre l’impôt dû dans son nouveau pays de résidence et ce qu’il payait jusqu’ici en France. L’administration fiscale française jouerait en quelque sorte le rôle de collecteur fiscal de dernier ressort. 

Il est techniquement possible de mettre en œuvre une telle proposition car, depuis 2018, il y a un échange automatique des données bancaires entre les établissements financiers d’une centaine de pays – dont la Suisse, le Belgique ou le Luxembourg – et l’administration fiscale française.  

Il faut le marteler : l’exil fiscal n’est pas une loi de la nature qui rendrait impossible, au niveau national, d’entreprendre quoi que ce soit pour taxer les milliardaires au motif qu’ils s’en iraient. Un futur gouvernement français pourrait très bien, dès la mi-juillet, mettre en œuvre une taxation unilatérale des ultrariches, couplée à ce mécanisme de taxation des exilés fiscaux afin d’enrayer la mécanique de la concurrence fiscale internationale. Cela rapporterait rapidement des milliards aux caisses de l’État, qui pourraient être immédiatement réinvestis dans les services publics. 

Il y a un besoin massif d’investissements dans les services publics, que ce soit dans l’éducation, la santé ou les infrastructures. Gabriel Zucman

Oui mais tout de même, ce serait branle-bas de combat dans le milieu des affaires parisien, qui serait, sans aucun doute, vent debout contre une telle proposition… 

Gabriel Zucman : Bien sûr. Il ne faut pas être naïf et sous-estimer la capacité de mobilisation des personnes concernées. Cela dit, il faut rappeler que ce n’est pas aux milliardaires de décider quels doivent être les taux d’imposition qui s’appliquent à eux, mais aux citoyens français, par le vote. C’est la démocratie.

Et même chez les plus fortunés, de plus en plus commencent à comprendre le caractère insoutenable de la situation actuelle, qui voit, je le rappelle, les milliardaires avoir des taux d’imposition deux fois plus faibles que le reste de la population. Ce privilège alimente la montée des inégalités, et en retour un fort sentiment de défiance vis-à-vis des institutions. C’est une mauvaise chose pour le pays, y compris pour les grandes fortunes elles-mêmes, qui n’ont économiquement pas intérêt au délitement de la cohésion sociale.

Mais surtout, il y a un besoin massif d’investissements dans les services publics, que ce soit dans l’éducation, la santé ou les infrastructures. Ces biens publics sont le moteur de la croissance économique et la clé de l’attractivité future de la France. L’abolition des privilèges fiscaux pour financer ces investissements aurait toutes les chances d’être un pari gagnant économiquement – en plus d’améliorer la situation sur le terrain des inégalités et de la justice sociale. 

Nous avons beaucoup parlé de la France, mais la taxation des plus riches est un sujet qui doit aussi se coordonner à une échelle plus large…  

Gabriel Zucman : À mon sens, il nous faut avoir trois niveaux d’action. Au niveau mondial d’abord, il est nécessaire de réécrire les traités de la mondialisation, de sortir de la logique de la concurrence fiscale et de mettre au cœur de la coopération internationale la lutte contre les inégalités, contre l’opacité financière et pour l’harmonisation fiscale. C’est le sens de mon travail avec l’Observatoire européen de la fiscalité, par exemple pour œuvrer à la création d’un impôt minimum mondial sur les ultrariches.  

Ensuite, on peut faire d’énormes progrès dans cadre de coalitions entre pays. Un accord international n’est pas indispensable pour lutter contre l’évasion fiscale ; nul besoin d’unanimité. 

L’exemple le plus clair en est donné par l’accord signé par de nombreux pays en 2021 pour mettre en œuvre un taux minimum d’impôt sur les bénéfices de 15 % – certes trop faible – pour les sociétés multinationales. Il y a dans cet accord une clause de « collecteur fiscal de dernier ressort » qui, lorsque certains pays rechignent à appliquer l’impôt minimal, autorise les autres à surtaxer les multinationales de façon à ce que leur taux effectif atteigne tout de même 15 %. 

Pour être concret, en Europe où s’applique cet accord depuis le 1er janvier 2024, les pays auront bientôt le droit de surtaxer les bénéfices des multinationales américaines ou chinoises – deux pays qui n’appliquent pas l’impôt minimum – pour que ces dernières soient assujetties aux mêmes règles que les entreprises du Vieux Continent.  

Enfin, il est possible d’agir au niveau national, comme je l’ai déjà expliqué pour la France, par exemple en créant un impôt sur la fortune sans niche fiscale couplé à un dispositif anti-exil fiscal.

Le fait que Joe Biden fasse de la taxation des ultrariches un thème central de sa campagne témoigne d’un changement de mentalité rapide et puissant au sein des élites démocrates. Gabriel Zucman

L’impôt sur la fortune a-t-il le vent en poupe au niveau international ? 

Gabriel Zucman : Si l’on prend d’abord le cas des États-Unis, on voit que le président Joe Biden, qui avait pourtant fait campagne en 2020 contre la proposition portée par Bernie Sanders et Elisabeth Warren de taxer les plus riches, l’a en grande partie reprise à son compte durant son mandat en tentant (pour le moment en vain) de faire voter une « billionaire income tax ». 

Et il a cette année inscrit dans son programme cette proposition pour se faire réélire. Le fait que Joe Biden, qui ne vient pas vraiment de l’aile gauche du Parti démocrate, fasse de la taxation des ultrariches un thème central de sa campagne témoigne d’un changement de mentalité rapide et puissant au sein des élites démocrates. 

Il faut ensuite parler de ce qu’il se passe actuellement au G20, grâce au volontarisme du Brésil, qui en exerce actuellement la présidence, et qui a fait de la question de la taxation coordonnée des très grandes fortunes une priorité de son agenda. C’est une première, G20 et G7 confondus ! J’ai été invité en février à parler devant les ministres des finances du G20 pour formuler des propositions en la matière – en l’occurrence un impôt minimum sur les milliardaires mondiaux, égal à 2 % de leur patrimoine – dont les modalités techniques seront précisées dans un rapport publié à la fin du mois.

Ce qui m’a frappé dans la réponse des ministres, ce sont les retours positifs de la plupart des pays. Que ce soit en Afrique, en Amérique du Sud ou en Europe, de nombreux gouvernements ont salué l’initiative brésilienne d’inscrire ces sujets à l’agenda, et depuis trois mois de plus en plus se rallient à la proposition que nous portons. Cela illustre la demande mondiale pour plus de justice fiscale que l’on perçoit dans les enquêtes d’opinion, et la pression démocratique croissante pour ce type de mesures, partout plébiscitées par les opinions publiques.

  mise en ligne le 14 juin 2024

Nouveau Front Populaire :
la justice fiscale pour financer
un programme ambitieux

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Renforcer la progressivité de l’impôt, aller chercher l’argent dans les poches des profiteurs de crises, faire cotiser les revenus financiers pour financer la protection sociale… Quoique en disent les néolibéraux, les propositions du Nouveau Front populaire sont finançables.

Pour voir et télécharger   le contrat de législature du Nouveau Front populaire : https://www.humanite.fr/wp-content/uploads/2024/06/LHumanite-presente-le-programme-du-Nouveau-Front-Populaire.pdf


 

Lors de la conférence de presse de présentation du programme du nouveau Front populaire, ce vendredi midi, Olivier Faure l’a affirmé : « Nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui en ont les moyens ». Les mesures fiscales sont très nombreuses et détaillées, pour apporter les sources de financements aux très nombreuses réformes sociales et écologiques listées dans ce programme. Nous avons demandé l’expertise du fiscaliste et porte-parole d’Attac Vincent Drezet, pour analyser et chiffrer, dans la mesure, du possible ces propositions.

Des mesures de politique et de justice fiscale très attendues

Il s’agit de rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu (14 tranches), de rendre progressive également la CSG (la contribution sociale généralise est une source de financement de la protection sociale). Le programme entend rétablir un impôt sur la fortune renforcé avec un volet climatique (si l’ancien ISF avait été maintenu en l’état, il aurait rapporté 4,5 milliards d’euros de plus) ; de supprimer le prélèvement forfaitaire unique (alias flat tax, qui instaure un plancher d’imposition pour les très riches) et rétablir l’exit tax (prélèvement sur les contribuables déplaçant leur résidence fiscale à l’étranger), deux mesures qui pourrait rapporter entre 1,9 et 3 milliards d’euros selon les estimations.

Il propose d’auditer les niches fiscales pour supprimer celles qui sont inefficaces, injustes et polluantes, et de réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif, en ciblant les plus hauts patrimoines.

Le principe de toutes ces mesures est d’en finir avec la pseudo-théorie du ruissellement, en faisant moins reposer le poids de l’impôt sur les classes populaires et moyennes, ainsi d’avantage sur les plus riches.

Vincent Drezet se dit globalement très favorable à ces mesures. Il rappelle que « les niches fiscales présentent un coût élevé de 90 milliards d’euros par an, auxquelles il faut ajouter le coût de mesures dites « déclassées » comme la niche Copé, supprimer les moins efficaces permettrait de facilement récupérer 10 milliards d’euros à court terme ». Et si on ajoute les niches sociales, le coût total s’élève à 200 milliards d’euros par an économisés.

Le fiscaliste insiste sur ce point, pour renforcer le volet financement de la protection sociale du programme du nouveau Front Populaire. Celui-ci propose notamment de « soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action et les heures supplémentaires ». Ce point est très important puisque, selon Oxfam, 71 % des bénéfices des 100 plus grosses entreprises françaises partent dans des rémunérations aux actionnaires, non soumises à cotisation. Soit 75 milliards d’euros en 2021. Vincent Drezet estime que cette mesure pourrait rapporter en cumulé entre 19 et 21 milliards d’euros à la solidarité nationale.

Pour participer au financement du régime général des retraites, le programme propose d’augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans la cotisation (patronale) vieillesse.

Le programme du Front populaire propose par ailleurs une taxation renforcée des transactions financières. Attac, à l’origine du concept, ne peut qu’être d’accord. Rappelons qu’une simple taxe de 0,01 % rapporterait jusque 11 milliards par an à la France, selon les calculs de l’association.

« L’ensemble de ces mesures rendraient le système fiscal plus juste et plus rentable, résume Vincent Drezet. Cela renforcerait également le consentement à l’impôt car, contrairement à ce que prétendent les néolibéraux, la population éprouve un ras-le-bol des injustices fiscales et sociales et pas un simple ras-le-bol fiscal ».

Combattre l’évasion fiscale à l’échelle européenne

Le programme du Nouveau Front Populaire n’occulte pas l’enjeu européen de sa politique fiscale. Il propose d’« adopter un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre États Membres pour mettre fin au dumping social et fiscal », et de « passer au vote à la majorité qualifiée au conseil pour les questions fiscales ».

Des propositions ciblées s’en prennent aux paradis fiscaux qui sévissent au cœur de l’Europe. Car l’évasion fiscale des multinationales représente 85 % des 100 à 120 milliards d’euros qui échappent chaque année à l’administration fiscale française. « L’orientation est bonne, remarque Vincent Drezet, reste à savoir comment faire ». Comme le fiscaliste n’est pas avare de propositions, il suggère la création d’un « serpent fiscal et social européen ».

« Concrètement, cela passe par une harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés (IS), assorti d’un taux plancher de 25 % pour éviter la course à la baisse de l’IS, par une harmonisation de la TVA intracommunautaire (très fraudée), la création d’un impôt européen sur les bénéfices des grands groupes… », énumère-t-il. En plus de renflouer les caisses, ces mesures auraient le mérite de renforcer la coopération en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales à l’échelle communautaire.

Le programme reprend aussi l’idée d’une taxation des superprofits au niveau européen, porté par l’économiste Gabriel Zucman. Une ponction de 2 petits pour cent dans le patrimoine des milliardaires européens rapporterait 42,3 milliards d’euros.

Vincent Drezet demande enfin aux futurs parlementaires du Nouveau Front Populaire de ne pas oublier deux points importants. « La fiscalité locale mérite des bases rénovées, et il faudrait renforcer l’ensemble des services (DGFiP, douanes, Tracfin, services judiciaires spécialisés) engagés dans la lutte contre la fraude fiscale et, plus largement, la délinquance en col blanc », suggère le fiscaliste.

  mise en ligne le 14 juin 2024

Front Populaire : quelles sont les mesures annoncées par les partis de gauche

La rédaction sur www.humanite.fr

Lors de la première conférence de presse du mouvement, ce vendredi 14 juin à Paris, les représentants des forces de gauche ont présenté un programme de gouvernement articulé autour de 3 temps : les 15 premiers jours, les 100 premiers jours et les mois suivants. Voici les principales mesures annoncées.

Les forces de gauche se sont accordées « pour faire front populaire » autour d’un programme partagé et soutenir des candidatures uniques. L’alliance rassemble les Écologistes, La France insoumise, le Parti communiste français, le Parti socialiste, Génération·s, le NPA et la Gauche républicaine et socialiste tout en poussant à une mobilisation des associations, des forces syndicales et des acteurs de la société civile.

Les mesures qui seraient prises dans les tout premiers jours :

Décréter l’état d’urgence sociale

  • Bloquer les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants par décret, et renforcer le bouclier qualité-prix pour les outre-mer

  • Abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron passant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ainsi que les réformes de l’assurance-chômage

  • Augmenter le minimum contributif (pension de retraite pour une carrière complète) au niveau du SMIC et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté

  • Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1 600 € net, par la hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires (intégralement compensée pour les collectivités territoriales), augmenter les indemnités des stagiaires, le salaire des apprentis et des alternants

  • Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution

  • Revaloriser les APL de 10 %

Relever le défi climatique

  • Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières

  • Adopter un moratoire sur les mégabassines

  • Mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités

Défendre le droit au logement

  • Relancer la construction du logement social en revenant sur les coupes de Macron pour les organismes HLM de 1,4 milliard d’euros annuels

  • Créer les places d’accueil d’hébergement d’urgence permettant un accueil inconditionnel et procéder dans les situations d’urgence à la réquisition des logements vides nécessaires pour loger les sans-abri

Réparer les services publics

  • Organiser une conférence de sauvetage de l’hôpital public afin d’éviter la saturation pendant l’été, proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour ses personnels

  • Redonner à l’école publique son objectif d’émancipation en abrogeant le « choc des savoirs » de Macron, et préserver la liberté pédagogique

  • Faire les premiers pas pour la gratuité intégrale à l’école : cantine scolaire, fournitures, transports, activités périscolaires

  • Augmenter le montant du Pass’Sport à 150 euros et étendre son utilisation au sport scolaire en vue de la rentrée

Apaiser

  • Relancer la création d’emplois aidés pour les associations, notamment sportives et d’éducation populaire

  • Déployer de premières équipes de police de proximité, interdire les LBD et les grenades mutilantes, et démanteler les BRAV-M

Retrouver la paix en Kanaky-Nouvelle Calédonie

  • Abandonner le processus de réforme constitutionnelle visant au dégel immédiat du corps électoral. C’est un geste fort d’apaisement qui permettra de retrouver le chemin du dialogue et de la recherche du consensus. À travers la mission de dialogue, renouer avec la promesse du « destin commun », dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa et d’impartialité de l’État, en soutenant la recherche d’un projet d’accord global qui engage un véritable processus d’émancipation et de décolonisation.

Mettre à l’ordre du jour des changements en Europe

  • Refuser les contraintes austéritaires du pacte budgétaire

  • Proposer une réforme de la Politique agricole commune (PAC)

Les grandes orientations pour répondre à « l’urgence de la paix »

Plusieurs mesures sont proposées visant à répondre à cette urgence, autour de trois axes :

  • Promouvoir une diplomatie française au service de la paix

  • Agir pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza et pour une paix juste et durable

  • Défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen

Le programme du Nouveau Front Populaire s’articule autour de trois temps :

  • 15 premiers jours : la rupture. « Une seule priorité pour le gouvernement du Nouveau Front Populaire dès son installation : répondre aux urgences qui abîment la vie et la confiance du peuple français. Nous en finirons avec la brutalisation et la maltraitance des années Macron. Nous adopterons immédiatement 20 actes de rupture pour répondre à l’urgence sociale, au défi climatique, à la réparation des services publics, à un chemin d’apaisement en France et dans le monde. Pour que la vie change dès l’été 2024. »

  • 100 premiers jours : l’été des bifurcations. « Passés les 15 premiers jours, une session extraordinaire s’ouvrira à l’Assemblée nationale, où les groupes du Nouveau Front Populaire sont majoritaires, puis une seconde à la rentrée, après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques. Le Parlement tient une place beaucoup plus importante dans le type de gouvernement promu par le Nouveau Front Populaire. Les députés sont particulièrement associés et/ou à l’initiative de 5 paquets législatifs pour amorcer les grandes bifurcations dont le pays a besoin. D’abord, à la suite des mesures d’urgence par décret, la présentation d’une grande loi permet de rattraper et d’améliorer la situation sociale des Français grandement paupérisés par 7 ans de macronisme et 3 ans d’inflation. Deux grandes lois permettront d’entamer la reconstruction des deux services publics les plus cruciaux : santé et éducation. Une loi énergie climat permettra de jeter les bases de la planification écologique. Enfin, le premier projet de loi de finances rectificative sera présenté pour abolir les privilèges des milliardaires. »

  • Les mois suivants : les transformations. « Une fois ces grands chantiers lancés, tout reste à faire pour tout changer ! Ce sera la tâche du gouvernement et des députés du Nouveau Front Populaire, en lien constant avec la société mobilisée, notamment les syndicats, associations, collectifs. L’ambitieux programme législatif de transformation que le Nouveau Front Populaire se fixe pour les mois suivants est largement issu des propositions et revendications produites par cette société mobilisée. Sa cohérence globale c’est l’application pleine et entière du programme suivant : liberté, égalité, fraternité. Son cap c’est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. »

Dans le préambule de ce programme, les formations de gauche expliquent : « Le Nouveau Front Populaire rassemble des femmes et des hommes issus d’organisations politiques, syndicales, associatives et citoyennes qui s’unissent pour construire un programme de rupture avec la politique d’Emmanuel Macron, répondant aux urgences sociales, écologiques, démocratiques et pour la paix.

Nous combattons le projet raciste et de casse sociale de l’extrême droite et voulons l’empêcher d’arriver au pouvoir. Nous refusons les attaques contre nos libertés démocratiques et la répression vis-à-vis des forces sociales et associatives, particulièrement bafouées ces dernières années.

Nous luttons contre la multiplication des discours de haine et contre la prolifération des menaces et des violences qui abîment notre démocratie.

C’est pourquoi notre majorité et nos parlementaires s’engagent à porter ces principes éthiques tout au long de la mandature en refusant la diffusion de fausses informations, la calomnie, le cyberharcèlement, et les incitations à la haine, y compris sur internet.

En donnant une majorité de députés au Nouveau Front Populaire, les Françaises et les Français écriront une nouvelle page de l’histoire de France. »

 

 

   mise en ligne le 11 juin 2024

« Les exigences sociales doivent être entendues » : Face au RN, cinq syndicats appellent à manifester ce week-end

Clémentine Eveno n sur www.humanite.fr

Après les résultats historiques du Rassemblement national et la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, cinq syndicats - la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires - appellent à manifester ce week-end. « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues », estiment ces organisations, via un communiqué publié lundi 10 juin.

Après le choc, place à l’action. Cinq syndicats nationaux – la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires – lancent un appel commun : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues ! », selon leur communiqué, publié lundi 10 juin. « Nous appelons à manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d’alternatives de progrès pour le monde du travail », affirment les cinq organisations. Une invitation à se mobiliser, accompagnée d’une dizaine de mesures pour améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs.

Cet appel est publié au lendemain du résultat historique de l’extrême droite aux élections européennes avec 31,47 % des suffrages pour le Rassemblement national et 5,47 % pour la liste Reconquête de Marion Maréchal. Un véritable séisme politique, suivi de près par l’annonce du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.

Un pari fou du chef de l’État qui a poussé les communistes, écologistes, socialistes et « insoumis », à se mettre d’accord pour un « front populaire » lundi 10 juin au soir, en vue des élections législatives du 30 juin et 7 juillet prochains. Les cinq syndicats signataires font également front commun, et ne comptent pas laisser les régressions sociales et démocratiques remporter cette bataille électorale exprès.

« Il faut un sursaut démocratique et social »

Après avoir relevé que l’abstention et l’extrême droite avaient atteint un « record lors des élections européennes », et souligné que si la tendance se retrouve « dans toute l’Europe, la France est le pays dans lequel les listes d’extrême droite font le score le plus élevé », les syndicats rappellent qu’ils alertent depuis des années sur la « crise sociale et démocratique ».

Leurs représentants dénoncent la politique de sape de droits à l’endroit des travailleurs, qui a créé le terreau propice au Rassemblement national : « Une politique qui tourne le dos au social et qui crée du déclassement, l’abandon de nos industries et de nos services publics, le passage en force contre la mobilisation historique contre la réforme des retraites, l’absence de perspectives de progrès et la banalisation des thèses racistes, constituent le terreau sur lequel l’extrême droite prospère. » Les syndicalistes plaident ensemble pour « un sursaut démocratique et social. »

Rappelant la « lourde responsabilité » que prend Emmanuel Macron d’organiser des élections législatives en trois semaines, le communiqué renvoie aux régressions sociales à l’œuvre, dans l’histoire mais aussi actuellement en Italie et en Argentine, pour mettre en garde contre une possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives.

Des régressions qui sont toujours plus délétères pour les travailleurs et les plus vulnérables : « austérité pour les salaires et les services publics, réformes constitutionnelles remettant en cause l’indépendance de la justice et le rôle des syndicats, attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA +, remise en cause du droit à l’IVG » mais aussi des politiques racistes qui opposent les travailleurs entre eux. Les votes d’extrême droite en France ou en Europe sont « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs », martèlent les syndicats.

Une dizaine de mesures concrètes pour répondre à l’urgence sociale

Pour lutter contre ce poison brun et engendrer un réel sursaut, une dizaine de revendications sociales fortes est listée. À commencer par le renoncement immédiat à la réforme de l’assurance chômage, mais aussi à la réforme des retraites ou encore l’augmentation des salaires.

La défense des services publics est également mise en avant, comme leur accès garanti « à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire ». L’accent est mis, en particulier, sur le nécessaire investissement massif dans l’école, la recherche, le système de santé, de prise en charge de la dépendance, et le système de justice.

Une refonte de la démocratie sociale à tous les niveaux – entreprise, branche, territoire et interprofessionnel – est demandée, mais aussi la mise en place de mesures de justice fiscale, ainsi que l’instauration de l’égalité salariale et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les syndicats appellent, en outre, à la « régularisation pour tous les travailleurs et travailleuses étranger·es sur la base d’un certificat de travail ».

Ils font également part de leur volonté de transformer l’industrie pour qu’elle soit plus durable, mais aussi d’engager la création de nouveaux droits pour les travailleurs « afin d’anticiper les transformations environnementales et de sécuriser leur emploi ».

Ces revendications, qui accompagnent l’appel à manifestation ce week-end, arrivent dans la foulée de mobilisations populaires. Des rassemblements spontanés ont eu lieu sur la place de la République, après l’annonce d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin. Le lendemain, les rassemblements se sont multipliés dans plusieurs villes de France comme à Marseille, Lille, Rennes, ou Nantes à l’appel d’organisations de jeunesse et de syndicats étudiants.

Des mobilisations relayées et encouragés par la CGT avant même l’appel commun à tous les syndicats, dans un communiqué lundi 10 juin. La confédération y invite « le monde du travail à se syndiquer, à s’organiser, à participer à toutes les initiatives de mobilisation contre l’extrême droite et contre la politique d’Emmanuel Macron ».

 

 

mise en ligne le 11 juin 2024

Mieux que le barrage,
le Front

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Après le score historique de l’extrême droite aux européennes, l’heure est à la mobilisation. Il reste deux semaines pour expliquer le danger républicain du RN et faire émerger un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, ramenant les citoyens vers un chemin d’espoir.

À lire aussi sur www.politis.fr

Un espoir nommé Front populaire Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir Face à l’extrême droite, un bloc syndical et citoyen déterminé

Macron, démission ? Et si le président ne finissait pas son second mandat

Interrogeons-nous sérieusement un instant : qui aurait le plus à craindre d’un gouvernement dirigé par une probable coalition allant de Jordan Bardella à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau ? Si l’on en juge les expériences politiques de nombreux pays dirigés par l’extrême droite, les femmes, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les racisés, les militants écologistes et syndicaux, les personnes LGBTI seraient les principales victimes de cette coalition.

Comment expliquer, alors, que les ouvriers de France ont voté à 52 % pour le RN aux élections européennes – même si le RN arrive en tête désormais dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Comment comprendre que les jeunes sont toujours plus nombreux qu’aux élections précédentes à voter pour eux – avec + 11 % ? Ou encore que les femmes, qui ont toujours moins voté pour les partis d’extrême droite, soient aujourd’hui 32 % à leur faire confiance – c’est dix points de plus qu’en 2019 ?

TikTok, le réseau social où Bardella semble séduire une partie de la jeunesse, n’est pas une explication à la hauteur du succès. Pas plus que la sympathie de Marine Le Pen pour la famille des félidés. Les raisons sont à chercher ailleurs, et il se peut qu’elles se situent entre colère sociale et ressentiment d’une grande partie de la population qui ne considère plus la gauche et les écologistes comme porteurs d’un projet émancipateur qui réponde à ses attentes.

Modèles étrangers

Dans un excellent article de nos amis de Basta !, les régimes hongrois et polonais sont décrits comme le modèle de ce qui pourrait nous arriver en France : contrôle de la justice, de la presse et des arts par le gouvernement, attaques contre les ONG, racisme et xénophobie d’État, remises en cause des libertés et droits fondamentaux, enfermement systématique des exilés. On peut aussi aller faire un tour du côté de l’Italie pour voir comment sa nouvelle égérie, Giorgia Meloni, a supprimé les minima sociaux et expédié durablement plusieurs millions de personnes dans la misère.

Sur le même sujet : En Italie, l’extrême droite accable les pauvres

Pas franchement les amis des plus faibles, les copains de Marine Le Pen. Pas plus les amis des femmes, en ouvrant la voie aux anti-IVG dans les hôpitaux. Ou encore des homosexuels, en interdisant par exemple aux autorités locales d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples gays et lesbiens. Les intellectuels et la culture sont pareillement dans le viseur de Meloni, qui assume mener une guerre civilisationnelle, à l’instar de Viktor Orbán ou encore Javier Milei en Argentine qui, après six mois de pouvoir, a vu la moitié de sa population plonger dans la pauvreté.

Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République.

Mais alors, se peut-il que près de 40 % des électeurs soient à ce point naïfs quant au sort qui les attend en plébiscitant celles et ceux qui légiféreront contre leurs intérêts ? Non, et le croire serait une erreur, de même que penser qu’il y aurait 40 % de xénophobes en France serait faire fausse route. La gauche et les écologistes devront s’interroger sérieusement sur leur abandon, parfois leur mépris, des classes populaires. Toute la gauche. Les partis, les syndicats, les intellectuels, les artistes, les associations.

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Mais l’heure est à la mobilisation. Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République. Pas seulement de marteler qu’il est d’extrême droite : cela ne suffit plus. Pas plus qu’il ne suffira de « faire barrage » – même s’il faut s’y résoudre partout où cela sera nécessaire, alors que le patron des LR Éric Ciotti annonce un accord avec le RN. Car au-delà du barrage, la perspective d’un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, peut ramener les citoyens vers un chemin d’espoir. Politis y prendra toute sa part.

  mise en ligne le 10 juin 2024

Après la dissolution, le peuple de gauche appelle les partis au sursaut

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Après la sidération, place à l’action. Au lendemain du coup de tonnerre de la dissolution, annoncée par Emmanuel Macron, la mobilisation est engagée pour mettre en échec le RN. La société civile entend bien se faire entendre : personnalités du monde du travail, de la culture, syndicalistes, militants associatifs multiplient les appels à une union de la gauche.

Beaucoup appréhendaient le jour où l’extrême droite se hisserait aux portes du pouvoir. Ce moment tant redouté est arrivé. Mais après le choc du score de l’extrême droite au scrutin européen du 9 juin et la stupéfaction suscitée par Emmanuel Macron avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’heure est à l’action.

Alors que les formations de gauche cherchent le chemin d’un rassemblement, avec l’horizon d’un « front populaire » aux élections législatives anticipées du 30 juin, la société civile n’entend pas rester spectatrice.

C’est le sens de l’appel lancé par 350 personnalités du monde politique, intellectuel, militant et artistique, parmi lesquelles Julia Cagé, Esther Duflo, Didier Fassin, Hervé Le Tellier, Lydie Salvayre, Cyril Dion ou encore Ariane Ascaride, paru dans le Monde, le 10 juin. « Les partis politiques n’y arriveront pas seuls. Il faut que les citoyens et citoyennes s’en mêlent pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour », écrivent-ils, dans cette tribune intitulée « L’union des gauches et des écologistes, maintenant ! »

Devant le constat d’échec de la gauche, qui vient de démontrer que lorsqu’elle est désunie, elle ne pèse guère, la société civile appelle à faire bloc. « L’extrême droite arrive toujours au pouvoir quand la gauche est divisée », déclarait il y a quelques semaines Sophie Binet. L’histoire lui a malheureusement donné raison.

Dimanche soir, sur le réseau social X, la secrétaire générale de la CGT n’a d’ailleurs pas manqué de pointer la responsabilité du président de la République : « L’extrême droite atteint ce soir un niveau record. Emmanuel Macron en porte la première responsabilité et joue avec le feu en organisant des élections en moins de trois semaines. »

« Je ne veux pas avoir peur »

Comme souvent, les premiers à avoir réagi sont les jeunes, qui dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, dimanche soir, se sont rassemblés place de la République, à Paris. Pancartes en main, certains d’entre eux ont escaladé la statue centrale pour y inscrire au feutre noir les slogans « Union des gauches » et « Union contre le capital et le fascisme ».

Pour la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), l’Unef (Union nationale des étudiants de France) et les manifestants présents, affiliés ou non à une organisation, l’objectif était le même : lancer un appel populaire exhortant les formations de gauche à se rassembler. « Si je suis venue ce soir, c’est parce que je ne veux pas avoir peur. J’ai besoin de me sentir entourée, de chanter et de crier », confie Shania, qui a voté dimanche pour la première fois.

« Les jeunes doivent continuer à se mobiliser. Cette jeunesse est en colère. Elle a honte de ce qui s’est passé ce soir », témoigne la secrétaire générale de l’Unef, Hania Hamidi, en appelant à la mobilisation dans la rue et dans les urnes pour « sortir du libéralisme et du fascisme que Macron instaure ».

Venu dire sa colère lors de ce rassemblement spontané, Paul n’a qu’un mot à la bouche : le sursaut de la gauche. « Nous avons besoin de mettre en avant nos idées communes : politiques sociales, environnementales, messages forts pour la paix. »

Les partis invités à « mettre leurs divergences de côté »

Malgré les dissonances à gauche, tous appellent, pour contrer le RN, à faire cesser les querelles entre les différents partis. Triste mais pas résigné, Fouad supplie les rivaux de gauche de « mettre leurs divergences et leur ego de côté » pour convaincre ceux qui se sont abstenus ou même qui se sont tournés vers l’extrême droite. « Les Français, notamment les jeunes, sont en perte de repères politiques. Certains se tournent vers des partis qui promettent monts et merveilles, mais qui ne tiendront pas leurs promesses une fois au pouvoir. »

Les craintes sont largement partagées. Certains sont gagnés par le doute, comme l’agriculteur Cédric Herrou, militant de la solidarité avec les migrants, qui attend de voir : « Je les jugerai en fonction de leur capacité au sacrifice pour l’intérêt commun. »

D’autres, comme le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), lancent un appel très concret : « Dans chaque circonscription, il ne doit y avoir qu’un seul candidat de notre camp, celui de ceux qui se sont opposés à la loi travail, à la réforme des retraites, à la loi asile et immigration, à la casse de l’assurance- chômage. » « Séparés, nous ouvrons la voie du pouvoir à l’extrême droite », prévient la tribune publiée dans le Monde.

Sollicité par l’Humanité, l’écrivain Laurent Binet ne dit pas autre chose : « Il revient à une gauche divisée d’essayer de sauver ce qui peut l’être encore, à savoir, pour aller vite, un État de droit qui tienne à peu près debout. (…) Cette fois, sans vouloir être trop grandiloquent, c’est vraiment l’union ou la mort. Il va donc falloir se mettre d’accord très vite. »

Depuis dimanche soir, des personnalités de tous horizons, de Greenpeace au collectif #NousToutes, s’expriment en faveur d’un front uni de la gauche pour un projet de justice féministe, sociale, antiraciste, écologiste.

Le mouvement social s’inscrit dans cet élan. « Pour battre l’extrême droite, le monde du travail a besoin d’espoir et de perspectives en rupture avec la politique d’Emmanuel Macron. Il faut répondre à l’urgence sociale et environnementale, avec des propositions fortes pour augmenter les salaires et les pensions, défendre notre industrie et nos services publics, et gagner le droit à la retraite à 60 ans », invite la CGT. La CFDT appelle elle aussi « plus que jamais à combattre l’extrême droite ». L’intersyndicale devait se réunir ce lundi soir pour décider de la marche à suivre.

« En nous serrant les coudes, nous pouvons gagner »

Pour tous, la menace de l’extrême droite au pouvoir n’est pas une fatalité. « Si les bonnes volontés parviennent à lever ces obstacles, alors rien n’empêche de transformer la crise dans laquelle le macronisme nous a plongés en opportunité », écrit avec espoir Laurent Binet, dans une allusion à février 1934 : « Les ligues fascistes défilaient dans les rues mais le fascisme n’était pas une fatalité puisque, deux ans plus tard, advenait le Front populaire. »

Chez Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac et cofondatrice du collectif Les Rosies, l’optimisme est aussi de mise : « Dans ces heures sombres, la sidération ne doit pas prendre le dessus. Car tout n’est pas perdu, loin de là : en nous serrant les coudes, nous pouvons gagner. Les forces politiques et sociales de gauche ont une responsabilité historique. »

 

 

   mise en ligne le 10 juin 2024

Législatives 2024 : la gauche discute d’une potentielle union

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Malgré une campagne européenne parfois houleuse, les formations progressistes entendent répondre à la demande de rassemblement venue du peuple de gauche. Les négociations ont débuté lundi 10 juin et doivent aboutir avant dimanche 16 juin.

Depuis dimanche soir, 21 heures, une question taraude les électeurs du camp progressiste. Ils sont nombreux à avoir partagé leurs inquiétudes teintées d’espoir sur les réseaux sociaux : la gauche saura-t-elle s’unir pour affronter ensemble les périlleuses législatives des 30 juin et 7 juillet ? Le temps presse, les candidats ont jusqu’au dimanche 16 juin à 18 heures pour se manifester auprès des services de l’État.

D’ici là, la Nupes n’étant qu’un souvenir, le rassemblement est à reconstruire après une campagne européenne houleuse entre les différentes listes. Mais, en quelques heures, après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le ton a drastiquement changé. Les attaques ad hominem ont laissé place aux mains tendues devant le risque de voir l’extrême droite accéder au pouvoir.

Si bien que les négociations entre les quatre principaux partis – PS, FI, les Écologistes et le PCF – ont démarré ce lundi. Avec de bonnes chances d’aboutir, selon des représentants de chaque formation, auxquelles Emmanuel Macron a tendu un piège croyant profiter de la division. Mais, avec un bloc pesant 31,6 % des suffrages et 7,8 millions de voix, si on cumule les scores des quatre listes, la gauche peut espérer concurrencer sérieusement le RN.

Bientôt la constitution d’un « Front populaire » ?

« On ne peut pas faire autre chose que l’union, assure Ian Brossat, porte-parole du PCF. Elle est une évidence devant balayer toute autre forme de considération. Sinon, l’Histoire nous jugera. » « Un seul candidat de gauche dans chaque circonscription, le 30 juin », demande donc Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste. Même son de cloche chez les socialistes et chez les Verts. « Nous sommes confiants car nous avons des habitudes de travail commun, notamment entre nos parlementaires », assure François Thiollet, secrétaire national adjoint des Écologistes.

Ces trois formations ont commencé les discussions dès le matin, sans la direction de la FI mais avec un invité : l’insoumis-frondeur François Ruffin, lequel espère porter une candidature unique de la gauche en 2027. Dimanche soir, peu après l’annonce d’un nouveau scrutin par le chef de l’État, il avait appelé à la constitution d’un « Front populaire » pour défaire les macronistes comme les libéraux : « L’union est possible avec tout le monde. Je le dis à Marine Tondelier, Fabien Roussel, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon : est-ce qu’on veut gagner ensemble ou perdre séparés ? » « Nous travaillons à un rassemblement large, sous la bannière proposée par François Ruffin, assurait Chloé Ridel, porte-parole du PS, lundi, en milieu de journée. C’est le cadre de discussion. »

Vers 16 heures, au siège des Écologistes, la FI a officiellement été intégrée aux échanges, après que son coordinateur Manuel Bompard a également appelé à former une coalition, tout en se disant favorable à un « nouveau Front populaire ». « La situation exige de travailler à l’unité et à la clarté pour battre le Rassemblement national et gouverner le pays », a-t-il publié sur X. De là à imaginer le retour de la Nupes dans son format de 2022 ? Peu probable.

Mis à part la formation de Jean-Luc Mélenchon, personne ne souhaite reconduire la même alliance de « domination d’un groupe sur les trois autres », comme le dit André Chassaigne, président PCF du groupe GDR au Palais Bourbon. « Nous sommes dans une situation nouvelle, où il faut élargir et travailler plus sereinement en respectant les différences de chacun », plaide-t-il.

Communistes, socialistes et Verts souhaitent notamment revoir le programme commun, lequel comportait plus de 600 mesures. « Il faut un nombre limité de mesures sur lesquelles faire campagne », pense l’écologiste François Thiollet, alors que la campagne ne durera que deux semaines après le dépôt des investitures.

« La Nupes n’existant plus, son programme non plus. Et nous n’avons pas le temps de bâtir un projet fouillé. Il faut avancer avec quelques mesures comme l’abrogation de la réforme des retraites, l’indexation des salaires sur l’inflation, le refus des traités de libre-échange ou la reconnaissance de l’État de Palestine », liste André Chassaigne.

Les insoumis s’accrochent aux oripeaux de la Nupes

De son côté, le PS souhaite aussi revoir nettement le rapport de force au sein de l’alliance en se basant sur son score aux européennes (13,8 %) : « Je ne m’alignerai pas sur ce que dit Jean-Luc Mélenchon ! » clame Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui n’exclut plus d’alliance avec l’ancien triple candidat à la présidentielle. Ce qui pourrait fracturer son propre parti, dont l’aile droite a toujours été contre une alliance avec la FI.

Mais, selon Chloé Ridel, une coalition est possible si elle présente « un projet renouvelé qui tient compte des élections » : « Elles ont tranché une ligne sur les questions géopolitiques, sur l’Europe, sur le soutien aux peuples opprimés sans le deux poids, deux mesures », affirme Chloé Ridel.

« Nous avons réussi à la présidentielle et fait élire 151 députés Nupes aux législatives sur un programme de rupture. Les gens voteront pour nous si nous sommes clairs », rétorque l’insoumise Aurélie Trouvé. Le résultat en progrès de la liste portée par Manon Aubry (9,8 %) donne du poids à la FI pour négocier : les insoumis ne veulent pas d’un autre projet.

Ils restent persuadés que l’union de la Nupes, qu’ils avaient proposée aux européennes, aurait évité la dissolution et permis de faire le match avec l’extrême droite. « Le programme de la Nupes était arrivé en tête au premier tour des législatives de 2022. Il faut continuer à le défendre. On ne va pas en changer tous les six mois ! » tranche un cadre. Mais, devant le risque fasciste, les lignes peuvent bouger. D’autant plus si d’autres forces font pression pour que l’union aboutisse.

Plusieurs organisations de la société civile, telles que la CGT, la Ligue des droits de l’homme ou encore #NousToutes, ont appelé à faire front. « Il faut élargir aux syndicats et aux associations. On attend qu’ils prennent leurs responsabilités en se prononçant politiquement pour faire battre le RN et mettre fin à la casse sociale et écologique du gouvernement », espère François Thiollet. Et Boris Vallaud, président du groupe PS, d’abonder : « Le rassemblement de tous les électeurs de gauche et écologistes doit s’ouvrir au-delà des partis. » Toutes les aides seront donc les bienvenues pour mettre en échec l’extrême droite dans une campagne éclair.

mise en ligne le 8 juin 2024

« Flemme » et
« sentiment de gâchis » : l’électorat de gauche
face aux européennes

Nejma Brahim, Caroline Coq-Chodorge, Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Mathilde Goanec sur www,mediapart,fr

Face aux listes séparées, le « peuple de gauche » apparaît déboussolé. Beaucoup iront voter malgré tout pour faire grossir le total des gauches face à l’extrême droite. Mais le choix s’avère un casse-tête souvent insoluble.  

La scène se passe sur un marché de Villeurbanne (Rhône). « Vous, au moins, vous ne risquez pas de vous faire engueuler », s’entendent dire des militants qui tractent pour Génération·s, le petit parti hamoniste, qui a décidé de ne pas ajouter de la division à la division et appelle simplement à voter pour l’une des trois principales listes de gauche. « Détrompez-vous, répondent-ils, on se fait engueuler parce qu’on refuse de choisir ! »

À quelques jours du scrutin européen du 9 juin, l’électorat de gauche qui n’est pas déjà encarté a de quoi être déboussolé. Après l’avoir mobilisé sur des candidatures uniques aux législatives de 2022 – une première historique –, les quatre forces qui composaient la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) se présentent en ordre dispersé. 

Paradoxalement, la variété de l’offre ne rend pas le choix plus aisé ni plus agréable. C’est ce que racontent les citoyennes et citoyens engagé·es à gauche, côté société civile, que Mediapart a interrogé·es. « Perdus », « en colère », « déçus » et « déprimés ». Les mots qu’ils et elles utilisent témoignent d’un état d’abattement avancé. Alors que beaucoup avaient adhéré avec enthousiasme il y a deux ans à l’avènement de la Nupes, les voilà majoritairement désemparé·es. 

Entre les têtes de liste respectives de La France insoumise (Manon Aubry), des Écologistes (Marie Toussaint), du Parti socialiste-Place publique (Raphaël Glucksmann) et du Parti communiste français (Léon Deffontaines), bien souvent le choix s’avère cornélien. Et cela énerve. « Que la gauche française et européenne soit dans cet état est d’une extrême tristesse. On a l’impression que c’est le dernier tournant avant la mort », lâche Anne Gervais, médecin hépatologue et membre du Collectif inter-hôpitaux. 

Toute une partie du « peuple de gauche » mobilisé – même si notre échantillon ne prétend pas à l’exhaustivité – instruit le procès d’appareils politiques qui ont préféré défendre leurs intérêts particuliers plutôt que donner un espoir d’alternative crédible à l’extrême droite et au macronisme. « L’objectif qui m’anime, celui de l’union, a reculé de trois cases, déplore Lumir Lapray, ancienne candidate de la Nupes non encartée, qui travaille désormais pour l’ONG Avaz. J’irai tout de même voter, mais avec un gros sentiment de gâchis. Je leur en veux pour cela. »

Le poids de la question palestinienne

Esther, ancienne de la Primaire populaire (qui tentait de pousser les partis de gauche à s’unir à la présidentielle de 2022), s’érige aussi contre les « logiques boutiquières des partis » qui mènent leur barque aux dépens des électeurs et électrices de gauche inquiets de la « fascisation de la société ». « On est à trois ans d’une élection que le Rassemblement national peut gagner, et l’attitude des partis de gauche confirme à mes yeux leur déconnexion de la vie des gens », déplore-t-elle, inquiète de la participation des électeurs et électrices de gauche ordinaires alors que « même [elle] », plus politisée que la moyenne, a « la flemme de voter »

Esther se rendra pourtant dans son bureau de vote le 9 juin, probablement pour voter LFI en espérant assurer un siège à Rima Hassan, la juriste franco-palestinienne en 7e position sur la liste de Manon Aubry. « J’ai été confortée par le fait que LFI se fasse dégommer par les médias et attaquer d’un point de vue démocratique », explique-t-elle en référence aux annulations de conférences et aux convocations pour « apologie du terrorisme », qui l’ont choquée.

Le sujet de la guerre à Gaza s’est fortement invité dans le scrutin, avec pour effet de déterminer certains votes. La criminalisation dont le mouvement propalestinien a fait l’objet et l’engagement de LFI en soutien conduisent le rédacteur en chef de la revue Frustration, Nicolas Framont, à voter le 9 juin alors qu’il a pour habitude de s’abstenir aux européennes. Sur le réseau social X, celui-ci affirme : « Je ne pense pas que le Parlement européen puisse changer quoi que ce soit, mais je crois qu’il est important de soutenir les partis qui résistent au maccarthysme ambiant. » 

Même si elle est « déroutée » par la division des gauches qu’elle vit comme une « trahison » après l’espoir soulevé par l’union en 2022, la militante antiraciste Nadhéra Beletreche – ex-candidate de la Nupes issue de la société civile sur le quota des écologistes – est aussi sur cette ligne : « Les Insoumis ont le positionnement le plus clair et constant sur les violences policières, la Palestine, les questions décoloniales, et ils ont eu cette capacité à aller chercher Rima Hassan : c’est important », explique-t-elle. 

Mais les sujets internationaux peuvent être invoqués dans un autre sens. « Plutôt proche des positions de [l’Insoumis] François Ruffin », la médecin Anne Gervais préfère se tourner vers des partis davantage favorables à l’intégration européenne pour ce scrutin. « Face à la Chine, aux États-Unis, à la Russie, on a besoin d’une Europe forte, explique-t-elle. J’aime bien le discours de Raphaël Glucksmann, mais je regarde aussi le positionnement des groupes, et les socialistes européens sont en cogestion avec les centristes. Je vais donc me tourner vers les écologistes, dont les propositions et les votes me paraissent plus pertinents. »

De la pitié pour les Écologistes

Si elle n’est pas la seule à choisir cette option, beaucoup de nos interlocuteurs et interlocutrices mettent en avant la campagne poussive des Écologistes et la crainte que leur liste ne passe pas la barre des 5 % de suffrages exprimés, nécessaire pour envoyer des élu·es au Parlement européen. « Les écolos font du bon taf au niveau européen, juge un activiste, mais franchement, c’est le “vote miskin” [terme exprimant une pitié mêlée de compassion – ndlr]. Je ne comprends pas leur campagne, ils font de la peine. » 

« Je vais voter Toussaint car elle est compétente, mais sa campagne est à chier, lâche une universitaire engagée à gauche, qui préfère garder l’anonymat. Les écolos ne jouent pas de l’argument des 5 %, car c’est l’argument de la loose, mais ils devraient le faire. Ils souffrent du fait que le vote Glucksmann apparaît comme le vote utile pour faire se croiser les courbes. Mais ajouter cinq ou six députés est un vote utile aussi. »

Esther explique son hésitation à ce propos : « L’écologie doit être centrale dans nos combats. D’un point de vue symbolique, si les Verts font un très mauvais score, le message est terrible. » Contributeur régulier au Club de Mediapart, Arthur Porto se dit motivé par l’écologie comme « question principale pour notre devenir commun », mais ne perçoit pas encore « l’élan qui [lui] semble nécessaire » dans la liste de Marie Toussaint. Pas convaincu non plus par les campagnes de LFI et du PS, il reste à ce stade dans l’expectative. 

Même « manque d’enthousiasme » chez Lumir Lapray, qui estime que chaque liste a « des trucs à la fois intéressants et problématiques ». Saluant l’engagement social de LFI et des positions « courageuses » sur la Palestine, elle regrette nombre d’expressions de Jean-Luc Mélenchon et l’agressivité envers Raphaël Glucksmann. Concernant ce dernier, elle se sent « alignée sur les sujets européens » et trouve « chouette » que sa dynamique menace la liste macroniste, mais craint les répercussions de son éventuel succès.

« Si c’est pour permettre le retour du PS anti-Nupes, je ne veux pas donner ma voix à ça », explicite l’ex-candidate aux législatives. « Si Glucksmann arrive trop haut, on aura un problème, abonde notre universitaire anonyme. Le Nouvel Obs fera une couverture identique à celle qu’il avait faite pour Jadot en 2019 [qualifié de “géant vert” – ndlr] et ça fera beaucoup de mal à l’union pour 2027. »

Des choix qui s’annoncent tardifs 

Dans ce champ d’inconnues, certaines des personnes interrogées tentent de transformer en critères de choix les questions qui fondent leur engagement actuel. C’est le cas de Marie-Christine Vergiat, ancienne eurodéputée communiste, aujourd’hui vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et membre du réseau EuroMed Droits, qui lutte pour la défense des exilé·es en France et ailleurs dans le monde. En l’espèce, elle constate la rareté des prises de position sur le sujet dans la campagne des communistes. 

« LFI et les Verts disent sensiblement la même chose : la régularisation pour tous, des voies sûres et légales de migration, un statut de réfugié climatique, et une dénonciation du rôle de Frontex, analyse-t-elle. Mais à choisir, je trouve que les Verts vont plus loin. Ils ont un attachement à des visions concrètes. » 

« Les socialistes sont pour un accueil digne des personnes, mais disent tout de suite que celui-ci ne doit pas être inconditionnel », ajoute Marie-Christine Vergiat, en regrettant aussi, chez les Insoumis, l’insistance sur « les causes profondes des migrations » : « Cela laisse entendre que ce sont les problématiques liées au développement qui poussent les personnes à migrer, or c’est complètement faux. »

L’enjeu de la santé conforte Anne Gervais dans son tropisme envers des listes ouvertement pro-européennes. « Le sujet du médicament ne peut être traité qu’à l’échelle de l’UE, explique-t-elle. Ce n’est qu’à ce niveau qu’on peut produire les 150 molécules les plus importantes pour ne plus dépendre de la Chine. Face aux multinationales du médicament, la France ne peut pas non plus réguler seule les prix et lutter contre les pénuries. » 

Lus Chauveau, proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et professeur des écoles dans un établissement bilingue en Bretagne, se dit « très attaché à [son] territoire ». Il ne voit pas d’un bon œil le côté « jacobin » des Insoumis ni « les thématiques “parisiennes” du programme de Raphaël Glucksmann ». Mais dans la mesure où « l’autodétermination des peuples [lui] tient à cœur », il juge « rédhibitoire » l’indice de toute complaisance envers l’agression russe de l’Ukraine, tout en recherchant une liste en défense forte d’un État palestinien. Son casse-tête n’est pas près d’être résolu… 

Beaucoup le résoudront au dernier moment. « Dans mon entourage, témoigne Esther, c’est encore tôt pour que certaines personnes se décident. Les gens ne s’y intéressent pas encore de ouf. » Lumir Lapray confirme : « Autour de moi, parmi les gens de gauche pas militants politiques, 90 % ne savent toujours pas ce qu’ils vont faire. » Et elle ? « Je suis sûre d’aller voter… et de décider dans l’isoloir. »

mise en ligne le 8 juin 2024

Européennes 2024 :
à gauche, l’ISF européen sur le haut de la pile

Lola Ruscio sur www,humanite,fr

La gauche propose d’imposer les plus grosses fortunes dans chaque pays d’Europe, pour financer l’urgence sociale et la transition écologique. Plus de 200 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires pourraient être récupérés, selon une étude.

Cette idée fait (presque) l’unanimité à gauche. Alors que les ménages voient leurs factures s’envoler, mettre à contribution les grandes fortunes au niveau européen, au moment où celles-ci affichent des revenus insolents, est devenu un impératif, selon les insoumis, les écologistes et les socialistes. Ces derniers veulent créer un impôt sur la fortune (ISF) à l’échelle continentale.

Manon Aubry, cheffe de file des insoumis aux élections du 9 juin, table sur une taxe visant les « 1 à 2 % les plus fortunés ». Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes, s’appuie pour sa part sur une étude réalisée en 2023 par son groupe au Parlement européen.

Celle-ci indique qu’une taxation de 0,5 % des plus riches, au sein de chaque État européen, rapporterait 213 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, dont 65 milliards d’euros pour la France. Et Raphaël Glucksmann, qui porte la liste PS, participe à l’initiative citoyenne européenne « Tax The Rich », qui prévoit que « les contribuables dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros paient l’équivalent de 2 % de leur fortune en impôts en Europe ».

Empêcher une « concurrence fiscale délétère »

Les communistes, évidemment, veulent eux aussi taxer les plus gros patrimoines. Mais ils ne souhaitent pas que l’Union européenne puisse elle-même collecter l’impôt. Frédéric Boccara, économiste et candidat sur la liste PCF menée par Léon Deffontaines, voit dans la création d’un ISF européen une « fuite en avant vers le fédéralisme ». Il invite donc à ce que chaque pays s’entende pour se doter d’un ISF national.

Plutôt qu’une taxe continentale unique, le PCF prône une « convergence fiscale » vers le haut avec la mise en place de niveaux d’imposition plancher, dans le cadre d’une « Europe de coopération entre les peuples ». Il s’agit d’empêcher une « concurrence fiscale délétère » entre les États membres et de renouer avec le principe de subsidiarité régissant les relations au sein de l’UE. « En défendant un ISF européen, on passe à côté de certains enjeux. Il faut agir sur la Banque centrale européenne. Nous proposons de créer un fonds européen pour les services publics, qu’elle alimenterait avec sa création monétaire », plaide Frédéric Boccara.

Plus largement, toute la gauche déplore un traitement injustement différencié entre, d’un côté, une poignée d’ultraprivilégiés à qui l’on permet d’échapper à l’impôt, de l’autre, les citoyens ordinaires à qui l’on demande sans cesse des efforts supplémentaires. « Nous, ce que l’on veut montrer, c’est que l’Europe peut être un vecteur de progrès social et de justice », assure Raphaël Glucksmann.

« Les ultrariches ne sont quasiment plus taxés dans l’Union européenne », dénonce également sa colistière Aurore Lalucq, alors que, au-delà des particuliers, l’ensemble de la gauche appelle à ce que chaque pays taxe les superprofits des entreprises.

À droite, pas question de taxer les riches

Pour la droite, en revanche, il n’est pas question de renflouer les comptes en taxant le capital. À chaque fois que la question de l’ISF européen a été remise dans le débat des européennes, Valérie Hayer a refusé sa création. Ni la crise sanitaire, ni la flambée des prix, ni la montée de l’extrême droite, surfant sur les fractures sociales, ni le besoin de financer la transition climatique n’ont entamé ses certitudes.

Interrogée à ce sujet, le 21 mai, sur LCI, l’eurodéputée sortante estime que toute tentative d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Europe serait vouée à l’échec au motif que « les ultrariches iraient alors s’installer à Dubai ou ailleurs ». « Pour les faire rester en Europe, la taxation des ultrariches doit se faire au niveau international », assure-t-elle. Le premier problème, c’est qu’aucune étude économique ne valide les propos de la candidate sur une prétendue fuite des riches. Le deuxième, c’est que la Macronie fait tout pour éviter d’instaurer un ISF, qu’il soit national, européen ou international…

Reste à savoir que faire des recettes fiscales générées. Les très riches étant les plus gros pollueurs, Marie Toussaint souhaite les mettre à contribution avec un « ISF climatique ». « Il faut dégager des moyens publics d’investissement pour financer la transition écologiste », estime la tête de liste des Verts. Mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, fidèle défenseur des intérêts des milliardaires, écarte déjà toute possibilité de débat : « Un ISF vert qui toucherait 10 % des contribuables, je dis non. » Depuis le Parlement européen, la gauche devrait poursuivre le combat pour plus de justice fiscale.

mise en ligne le 7 juin 2024

Européennes 2024 :
cinq questions auxquelles
la gauche veut
apporter des réponses

Anthony Cortes sur www,humanite,fr

Pour contrer les difficultés rencontrées par les Français dans leur vie quotidienne, l’Europe peut être une solution. Illustration autour de cinq questions clés, auxquelles tentent de répondre les listes de gauche, avant le vote 9 juin.

Factures d’électricité et pouvoir d’achat

Comment faire baisser les factures d’électricité et gagner autant en pouvoir d’achat ? Cette question, beaucoup de Français se la posent. Selon une enquête de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 26 % d’entre eux ont connu des difficultés à payer la note en 2023, contre 14 % en 2020. Et pour cause : entre 2022 et 2024, le prix de l’électricité a bondi d’un peu plus de 40 %…

Face à ce constat, plusieurs solutions sont portées par les candidats de gauche aux européennes. En premier lieu : sortir du marché européen de l’électricité pour éviter la spéculation sur ce bien essentiel. « Le marché européen de l’électricité, tel qu’il fonctionne, a fortement pénalisé la France en indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz », dénonce Léon Deffontaines, tête de liste du PCF.

Pour lui, comme pour Manon Aubry, cheffe de file FI, il est urgent de revenir à un monopole public de l’énergie et à des tarifs réglementés calculés à partir des coûts de production pour éviter l’envolée des prix. Un avis que ne partagent pas totalement socialistes et écologistes et leurs représentants respectifs, Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint, qui souhaitent plutôt une « réorientation du marché ».

Salaires et emplois

Le travail paie-t-il suffisamment ? Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFSE), qui s’est penché sur l’évolution du niveau de vie des Français entre 2019 et 2023, les revenus issus du travail, qui « augmentent moins vite que l’inflation », grèvent le pouvoir de vivre.

Pour mettre fin à cette situation, la gauche avance des pistes au niveau européen. « Nous proposons une autre politique budgétaire et monétaire, martèle le communiste Léon Deffontaines. Elle est la condition de l’augmentation des revenus des Européens et des Européennes. L’austérité a coûté cher, tant en matière d’emplois et de salaires que de dynamisme économique et technologique. »

En plus de cela, poursuit-il, « une véritable politique industrielle à l’échelle de l’Union » doit être mise en place. Une aspiration partagée par Manon Aubry, qui entend également mettre en place les conditions d’une « relocalisation de l’industrie ».

Pour créer de nouvelles opportunités d’emplois sur tout le territoire, Raphaël Glucksmann propose de « généraliser la garantie locale de l’emploi (dispositif d’emplois financés par les pouvoirs publics répondant à des besoins sociaux et environnementaux – NDLR) pour créer des millions de nouveaux emplois dans des secteurs utiles aux territoires » au niveau européen. Et les écologistes proposent de créer des emplois, notamment, en généralisant les 32 heures et la semaine de quatre jours sur le continent.

Services publics pour tous

« D’ici à 2025, il y aura 50 milliards d’euros de coupes dans les services publics, alertait il y a peu, dans nos colonnes, Sigrid Gérardin, numéro deux de la liste PCF. Il n’y a plus d’investissements et l’éducation risque d’être asphyxiée par les coupes budgétaires qui s’établissent déjà à 600 millions d’euros en 2024. » Peut-on remédier à cette situation par la voie européenne ?

« À l’échelle de l’Europe, des pôles publics associant les services publics nationaux, et permettant l’intervention des organisations syndicales européennes, pourraient constituer un cadre pour des mutualisations et des coopérations à géométrie choisie », peut-on lire dans le programme de sa liste. Les communistes entendent également « mettre en place un observatoire des services publics en Europe » impliquant des usagers, des syndicalistes et des parlementaires nationaux, pour veiller à leur maintien et à leur bon fonctionnement.

Chez la FI, Manon Aubry revendique aussi son intention de refuser « la privatisation et la mise en concurrence des services publics et les coupes dans les dépenses publiques ». Tout comme Marie Toussaint, pour les écologistes, qui veut « garantir l’accès effectif aux services publics pour tous ».

Transition écologique

Au début de l’année, la Commission européenne affichait une énième fois ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone. À savoir : une réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, et zéro émission nette en 2050. Comment y parvenir ?

À chaque candidat de gauche sa recette, ou presque. Pour Léon Deffontaines, il est important d’apporter des « investissements lourds » pour à la fois décarboner et relocaliser l’industrie, réaliser la rénovation thermique des bâtiments et « favoriser le couple fret ferroviaire et maritime et fluvial ». Le plan climat de son parti s’appuie sur le mix entre nucléaire et énergies renouvelables pour relever ce défi.

Les écologistes veulent inscrire dans les traités européens le respect du climat et des limites planétaires. Ils proposent aussi d’investir 260 milliards d’euros publics par an pour la transition climatique et prendre le contrôle des entreprises pétrogazières.

Pour la FI, comme d’ailleurs pour les Verts et le PCF, il est aussi urgent de « mettre fin aux accords de libre-échange » entre l’UE et le reste du monde. « Une folie en matière d’écologie », selon le programme de Manon Aubry : « Les coûts climatiques des accords de libre-échange sont bien souvent supérieurs aux soi-disant avantages économiques. » Pour limiter les échanges internationaux, Raphaël Glucksmann plaide plutôt pour la mise en place d’une loi « Achetez européen » qui réservera en priorité la commande publique aux productions du continent.

Droits et libertés

Alors que l’extrême droite gagne du terrain dans toute l’Europe et fait reculer les droits des citoyens partout où elle prend le pouvoir, l’Union a-t-elle la capacité de les garantir ? « Nous souhaitons faire aboutir le projet de directive globale et universelle de l’UE contre toutes les discriminations, pour combattre toutes les formes de racisme et de discriminations, liées aux origines, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre », défendent les insoumis.

Un projet dans la droite ligne de ce que proposent les communistes, selon qui tous les commissaires européens devraient avoir à élaborer une feuille de route sur la manière dont ils entendent réaliser les « objectifs d’égalité femmes-hommes et la défense des droits des femmes, mais aussi l’éradication de la pauvreté et de la faim ».

Deux formations qui, tout comme celles de Marie Toussaint et de Raphaël Glucksmann, prévoient d’inscrire le droit à l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux.

   mise en ligne le 7 juin 2024

Européennes : à gauche, quatre programmes pour deux philosophies

Fabien Escalna sur www,mediapart,fr

Après des candidatures uniques aux législatives, était-il pertinent de présenter au moins quatre listes de gauche ? Les programmes révèlent des approches distinctes de l’intégration européenne, mais laissent penser que des regroupements étaient possibles. 

En juin 2022, ils étaient quatre partis à avoir lié leur sort dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) : La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et Les Écologistes. À l’approche du scrutin des européennes du 9 juin, les mêmes se présentent en ordre dispersé, malgré les espérances en faveur de l’union. 

Les quatre listes concurrentes proposent quatre programmes différents, désormais disponibles et comparables. Ces textes reflètent des logiques de distinction visibles dans la campagne en cours mais aussi, plus profondément, des identités partisanes anciennes. En ce sens, la pluralité des listes à gauche n’est pas complètement artificielle. Néanmoins, des regroupements sur le fond auraient été possibles, permettant de minimiser le risque de « gâcher » des voix si des listes ne franchissent pas le seuil des 5 % de suffrages exprimés, indispensable pour obtenir des sièges. 

Seuls deux types de rapport à l’Union européenne (UE) émergent. Sans surprise, les communistes et les Insoumis s’avèrent plus critiques que les socialistes et les écologistes, et moins favorables à la perspective d’approfondir l’intégration dans un sens supranational. Les premiers avaient d’ailleurs fait liste commune à l’époque du Front de gauche, en 2014, et font la même référence au « non » bafoué du peuple français au traité établissant une Constitution pour l’Europe, lors du référendum de 2005. Les seconds assument explicitement de vouloir des avancées fédérales. 

En deçà de ces différences de conception de l’intégration, qui n’occupent pas le Parlement européen au quotidien, plusieurs propositions se retrouvent sur l’ensemble des listes. Leur existence est cohérente avec une homogénéité de vote assez élevée des eurodéputé·es français·es de gauche lors de la législature finissante, malgré leur appartenance à des groupes différents. C’est ce que remarquait la politiste Laura Chazel dans une note en faveur de l’union. Elle y repérait une « convergence » à l’œuvre sur toutes les questions, y compris institutionnelles, à rebours des oppositions caricaturales entre « eurosceptiques » et « proeuropéens ». 

Des orientations communes

Les quatre listes partagent par exemple plusieurs revendications concernant les droits des femmes et des minorités sexuelles. Elles défendent l’inscription du droit à la contraception et à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et la « clause de l’Européenne la plus favorisée », qui consisterait en un alignement contraignant des législations nationales sur les dispositions les mieux-disantes pour les femmes. Toutes les listes défendent également la reconnaissance des unions entre personnes de même sexe et des liens de filiation à travers toute l’UE, afin que couples et familles y circulent sans entrave. 

La critique de la politique migratoire de l’UE les réunit aussi, notamment à travers la remise en cause de Frontex, qualifiée d’« agence meurtrière » par LFI. Les quatre programmes proposent de garantir le sauvetage en mer des exilé·es et évoquent « des voies légales et sécurisées » de migration. Une position qui peut sembler classiquement humaniste, mais qui fonde une opposition au pacte récemment adopté sur la question par l’UE, et se heurtera à la demande d’un nouveau tour de vis répressif de la part de quinze États membres. 

L’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale.

Avec davantage de variations dans le détail et la radicalité des propositions, d’autres orientations communes sont repérables. Le libre-échange jusque-là pratiqué par l’UE est dénoncé, au profit d’une politique commerciale subordonnée à des objectifs écologiques, sociaux et de développement des pays tiers.

Les quatre listes se retrouvent aussi pour demander un rôle actif de la Banque centrale européenne (BCE) dans la transition écologique (à travers une sélectivité du crédit) et dans la libération des États membres de la dépendance aux marchés financiers (en prenant en charge directement une partie de leur endettement).

Toujours sur le terrain économique et social, l’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale, avec des impositions minimales ou supplémentaires des multinationales, des ménages les plus riches et des transactions financières. Tous les partis proposent aussi un changement de logique dans la politique agricole commune, pour garantir des revenus décents mais conditionner les aides, et mettre fin à leur biais en faveur des grandes exploitations. Enfin, sur le plan institutionnel, même les moins fédéralistes partagent l’exigence de plus de pouvoirs pour le Parlement européen vis-à-vis de la Commission. 

Des priorités différentes 

Cela étant dit, la rhétorique et les thèmes mis en avant par les quatre listes diffèrent assez nettement. 

Les écologistes affirment d’emblée avoir été « les seuls à dire la vérité sur la crise environnementale ». Parmi leurs « dix combats pour la justice et le vivant », les cinq premiers concernent directement des politiques d’atténuation et d’adaptation au « nouveau régime climatique ». Si la guerre en Ukraine est mise en avant pour pointer les « dépendances énergétiques » de l’UE, c’est la pandémie du covid qui est surtout mobilisée pour légitimer un projet orienté vers « la pleine santé des personnes et la pleine santé de la planète »

Favorables à un « saut fédéral » préparé par une « assemblée constituante », les écologistes espèrent carrément la mise en place d’une « armée européenne ». Le PS et Place publique se gardent bien d’aller jusque-là, mais ont choisi de dramatiser le scrutin autour de la capacité des démocraties libérales européennes à se protéger d’agressions extérieures et de leurs propres dérives internes. 

« La première priorité, c’est de donner à l’Europe les moyens de se défendre », peut-on lire dans un programme qui plaide pour une « puissance écologique européenne » – notion défendue par Raphaël Glucksmann dans une longue tribune publiée par Le Grand Continent. Tout le texte peut être lu comme une façon de conjurer une situation dans laquelle « l’Europe est consommatrice de sécurité américaine, d’énergie qatarie ou saoudienne et de biens chinois ». Comme la liste des Écologistes, celle du PS souligne que les objectifs écologiques et sociaux sont aussi une manière de reproduire la viabilité et la légitimité de nos États de droit.  

Du côté du PCF et de ses alliés rangés sous la bannière de la Gauche unie, l’ensemble du propos est centré sur les intérêts du « monde du travail ». Le conflit sur les retraites et les protestations des agriculteurs sont ainsi évoqués dès l’introduction. La liste, qui refuse la notion d’« économie de guerre », fustige à plusieurs reprises la dépendance de l’UE envers l’impérialisme des États-Unis (le seul ciblé aussi explicitement) et son « bras armé » l’Otan. « La social-démocratie et les écologistes, est-il écrit, s’engagent dans une dynamique fédéraliste et atlantiste incapable de répondre aux exigences populaires. »

Symétriquement, un coup de griffe est donné à LFI en affirmant que « ne parler que de désobéissance […] n’ouvrirait pas la moindre perspective positive ». Pourtant, la liste du PCF est celle qui va le plus loin dans cette direction en appelant « à garantir la primauté de la Constitution française, et celle des autres États membres, sur le droit européen ». La phrase fait écho à une polémique déclenchée en 2021, lorsque la Pologne gouvernée par des ultraconservateurs avait tenté de défendre ses réformes judiciaires selon ce principe. 

La perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée par le PCF et LFI.

Les Insoumis, eux, se contentent de prévenir qu’ils sont prêts à la désobéissance envers les « règles incompatibles avec [leur] programme » national. La mention, qu’ils avaient réussi à introduire dans les engagements de la Nupes aux législatives, n’est reprise ni dans le programme du PS ni dans celui des Écologistes.

Les premiers chapitres du texte insoumis sont centrés sur la sortie des politiques néolibérales. La notion de « planification écologique », déclinée à l’échelle de l’UE, reprend l’objectif des écologistes d’un « mix énergétique 100 % renouvelables en 2050 » – autrement dit sans nucléaire, au contraire des communistes et des socialistes. 

« L’Europe de la défense » est qualifiée de « miroir aux alouettes », et la perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée. Ce dernier point est partagé avec le PCF, contre les socialistes et les écologistes. Le programme insoumis pointe « l’alliance militaire que les États-Unis créent contre [la Chine] » et plus largement « la stratégie états-unienne d’escalade des tensions à travers le globe ».

Il évoque toujours, à propos de l’Ukraine, l’idée contestée d’une « conférence sur les frontières et la sécurité collective en Europe ». Et consacre une section entière à la situation à Gaza, signe de l’importance singulière accordée à cet enjeu en comparaison des autres listes.

De manière générale, la lecture des quatre documents confirme la difficulté de l’exercice programmatique dans le cadre des élections européennes. Cette remarque vaut pour l’ensemble des listes, mais s’applique particulièrement à gauche où la volonté de transformation des politiques publiques et de l’ordre institutionnel est la plus forte.

Les ambitions affichées sont en effet très élevées au regard de ce que permet réellement le scrutin du 9 juin, à savoir déterminer les eurodéputé·es français·es qui rejoindront une institution qui n’est qu’un des rouages – et pas le plus puissant – de la mécanique décisionnelle de l’UE. 

Beaucoup des dispositions proposées nécessitent un changement des traités, ou au moins des rapports de force impliquant les exécutifs des États membres. La faiblesse de la gauche radicale, dans ce système complexe qui déjoue ses préférences fondamentales, rend assez logique son tropisme envers la désobéissance. En décalage avec son slogan de campagne – « La force de tout changer » –, LFI est d’ailleurs assez franche sur « les premières tâches » de ses eurodéputé·es : « Bousculer les institutions, lancer l’alerte, bloquer la Commission européenne et arracher des avancées. »

De leur côté, les socialistes et les écologistes affirment crânement le « réalisme » de leurs propositions face aux risques de « chaos » liés au statu quo. Ils comptent davantage sur des relais dans les gouvernements nationaux, mais risquent eux aussi de se retrouver dans une position très défensive lors de la prochaine législature.

Face au sabotage de nombreux textes progressistes par le gouvernement d’Emmanuel Macron, toutes les forces de gauche pourront au moins se retrouver dans l’idée qu’une alternance nationale en 2027 est indispensable à leurs projets européens. Leur capacité à la susciter est cependant plus douteuse que jamais.

   mise en ligne le 6 juin 2024

Mais bon sang !
Pourquoi
taxer le patrimoine ?

Martial Toniotti, économiste au LIDAM/CORE (Louvain Institute of Data Analysis and Modeling in economics and statistics) de l’UCLouvain, membre de Carta Academica, un collectif d'universitaires belges (https://www.cartaacademica.org/).
sur https://blogs.mediapart.fr/

Durant cette campagne électorale, le sujet de la taxation du patrimoine est au centre de beaucoup de discussions. Et ce n’est pas le cas uniquement en Belgique. Il fait l’objet d’une attention croissante dans de nombreux pays. Mais au fond, pourquoi taxer le patrimoine ? Par Martial Toniotti.

Dans le sillage des travaux des économistes Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, le sujet des inégalités est de nouveau au centre des débats depuis quelques années.  Face à ce constat, des voix diverses, allant des syndicats à certains milliardaires philanthropes en passant bien évidemment par des partis politiques, mettent à l’agenda la taxation du patrimoine. Selon la plupart des propositions, ce sont les 1 %, voire les 5 % des plus nantis, qui sont visés. L’objectif est qu’ils contribuent davantage à l’effort collectif. À l’inverse, les détracteurs d’une telle taxe mettent en avant ses dangers potentiels : d’abord, elle risquerait de faire fuir le capital vers les pays voisins dès lors que les personnes visées tenteraient d’éviter cet impôt. Ensuite, elle nuirait à la prospérité en réduisant les moyens des plus fortunés pour investir dans l’économie belge et générer de la croissance.

C’est dans ce contexte que j’ai publié le 23 mai dernier une étude dans la revue Regards Économiques, dont l’objectif est d’estimer le revenu que génèrerait une telle taxe. En prenant une méthodologie semblable à celle du Bureau Fédéral du Plan, je suis arrivé à une fourchette entre 8.9 milliards et 13.2 milliards d’euros de revenu. Pour arriver à ce résultat, j’ai pris des données publiées par la Banque Nationale de Belgique au début de l’année et y ai appliqué la proposition dites « 1-2-3 », 1 % de taxation à partir d’un patrimoine d’un million d’euros, 2 % à partir de 2 millions et 3 % au-delà de 3 millions. Quelques jours plus tard, une lettre ouverte signée par 600 capitaines d’industrie a voulu remettre au centre de l’attention les effets néfastes que la taxation du patrimoine aurait sur l’économie belge. 

Revenons sur quelques aspects de ce débat et ce qu’en dit la recherche en économie. 

L’évasion fiscale est limitée. 

Lorsque des économistes calculent les revenus qui seront générés par une taxation du patrimoine, ils prennent en compte qu’une partie des individus soumis à la taxe changent leur comportement pour l’éviter. Pour ce faire, ils se basent sur les données des taxes ayant été instaurées dans le passé ou dans d’autres pays. Dans mon étude, je reprends la méthodologie que le Bureau Fédéral du Plan a adoptée dans un travail publié en début d’année. L’étude en question, publiée dans le journal Fiscal Studies, arrive à la conclusion, en se basant sur la littérature existante, que si une taxe sur le patrimoine est mise en place correctement, elle devrait provoquer une élasticité de l’assiette taxable par rapport à la taxation entre 7 et 17. Cela veut dire que si 100 € sont soumis à la taxation du patrimoine, si la taxe est de 1 %, il devrait rester, après ajustement des comportements des individus, entre 83 et 93 € à taxer. 

L’évitement de la taxe reste donc limité. Si on regarde maintenant l’exemple de la France, où un impôt sur la fortune a été appliqué pendant de nombreuses années, les résultats sont les mêmes : l’exode fiscal s’est avéré limité, comme le montre l’étude à ce sujet de Gabriel Zucman. Ainsi, contrairement à une croyance tenace à ce sujet, les “Riches” ne vont pas tous fuir. 

Le revenu du capital est moins taxé que le revenu du travail 

Une étude de l’Université d’Anvers a montré la différence en termes de taxation dans plusieurs pays d’Europe entre un ménage dont le revenu serait issu du travail et un autre ménage qui aurait le même revenu, mais venant d’un revenu du capital. Le constat est sans appel : la différence en termes de taxe est énorme.  

Cela vient au moins en partie du fait qu’il est difficile de taxer les gains sur le capital. Imaginons que j’aie des parts comme actionnaire dans une entreprise. Cette année, elles augmentent d’un million d’euros en valeur. Doit-on taxer cette augmentation comme un revenu ? Auquel cas, que faisons-nous si l’année suivante la valeur baisse ? Même s’il arrive dans un second temps, l’impôt sur le patrimoine permet en partie de corriger cette inégalité face à l’impôt sur le revenu entre, d’une part, la personne qui travaille et, d’autre part, celle qui perçoit des gains sur capitaux.  

Les inégalités ne peuvent pas augmenter sans fin 

Il est bien documenté que dans la plupart des économies occidentales, les inégalités de patrimoine et de revenu augmentent depuis les années 70. Même si les données pour la Belgique sont parcellaires et se contredisent, selon la World Inequality Database, le top 1 % des ménages les plus fortunés dans notre pays possède deux fois plus que la moitié la plus pauvre de la population. 

Un impôt sur le patrimoine permettrait de s’assurer que ces inégalités restent sous contrôle. Cela pourrait permettre d’éviter la polarisation que l’on voit à l’œuvre en Europe et que tant déplorent. Dans un récent rapport, l’OCDE indique qu’un des arguments pour l’instauration d’un impôt sur le patrimoine est le fait que cela encouragerait l’égalité des chances entre les individus. Ici même, en Belgique, l’économiste Paul De Grauwe rappelle régulièrement le danger démocratique de laisser les inégalités augmenter. 

Un impact économique, certes, mais lequel ? 

L’impact sur l’activité économique d’un impôt sur le patrimoine ne fait pas consensus. Le Bureau Fédéral du Plan pense que cet impact sera modérément faible. Dans le cas de la France, une étude citée par le Bureau Fédéral du Plan montre même que cet impact fut nul ou très faible avec l’introduction de l’Impôt sur la Fortune (ISF). Ce n’est pas un supposé « impact économique » qui a poussé la France à retirer cette mesure mais des choix politiques. 

Mais ce n’est pas toute l’histoire : un article récent publié par le très prestigieux Quarterly Journal of Economics montre qu’un impôt sur le patrimoine permettrait en fait d’augmenter l’activité économique, augmenter la productivité et diminuer les inégalités. Par quel mécanisme ? Étant donné que la taxation ne dépend pas du revenu du patrimoine, mais seulement de sa valeur, cela donne une incitation à rediriger le capital vers des usages plus productifs. Ce qui augmenterait la prospérité collective. 

Pour un vrai débat démocratique sur la question, contre la défense d’intérêts particuliers 

Quand on l’analyse de plus près, un impôt sur le patrimoine n’a pas nécessairement les défauts qu’on lui attribue, que ça soit la supposée fuite des capitaux ou l’atteinte à l’activité économique.  Avec le pacte budgétaire voté au niveau européen en avril 2024, la prochaine législature devra d’une manière ou d’une autre trouver de l’argent ; on parle de 30 milliards d’euros chaque année. Et cela, sans compter les investissements nécessaires pour décarboner notre économie, qui profiteront aux générations futures et sont essentiels au maintien d’une croissance économique à l’avenir. Un impôt sur le patrimoine est une des solutions permettant de trouver une partie de cet argent. Il existe beaucoup d’autres dispositifs pour arriver au même objectif, il s’agit maintenant de trouver ceux qui sont politiquement désirables. 

Il faut un vrai débat démocratique sur la question, où les arguments scientifiques et politiques s’entremêlent pour décider quels dispositifs seront mis en place. C’est le cœur même d’une campagne électorale. 

L’objectif de cette chronique est surtout d’ouvrir ce débat en se basant sur des faits et en explicitant les visions du monde divergentes. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une bataille d’intérêts particuliers. Notre démocratie mérite mieux.

mise en ligne le 5 juin 2024

Gauche divisée, un danger pour l’Europe

Dominique Plihon sur www,politis,fr

La menace plane de l’élection d’une majorité de droite et d’extrême droite au Parlement européen. Face à elle, à défaut de liste unique, les partis de gauche doivent s’entendre sur des combats communs prioritaires.

La campagne électorale pour les européennes se déroule avec une gauche divisée. Il est vrai qu’il n’y a jamais eu de liste commune pour cette élection et que l’Europe a toujours constitué une pomme de discorde pour la gauche française. Cette situation s’explique en grande partie par les idées fausses qui règnent autour des positions des uns et des autres, sur la base de différences souvent surjouées par les partis eux-mêmes. La question de l’Ukraine est ainsi instrumentalisée alors même que la politique étrangère et de défense est l’affaire des États et du Conseil européen, le Parlement communautaire n’ayant qu’un rôle consultatif.

Et si des divergences réelles existent sur les conditions d’éventuelles négociations et l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, tous les partis de gauche ont fermement condamné l’agression de la Russie et soutenu le droit du peuple ukrainien à se défendre. Plus récemment, ils ont condamné les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’envoi de troupes au sol.

Votes convergents

Comme l’a montré la Fondation Rosa-Luxemburg, les positions des partis de gauche sur l’Europe sont plus proches qu’elles ne l’ont jamais été, ce que démontrent les votes convergents à près de 80 % en moyenne de leurs eurodéputés sur la dernière législature (1). En janvier, Les Écologistes, LFI et le PS ont voté au Parlement européen d’une même voix pour s’opposer au nouveau cadre de discipline budgétaire proposé par la Commission.

La menace que l’on voit poindre actuellement est l’élection d’une majorité de droite et d’extrême droite au Parlement européen. En Italie et dans les pays scandinaves (Finlande, Suède, Danemark) sont venues au pouvoir des coalitions dominées par des partis adversaires de l’immigration et des politiques écologiques, défenseurs de l’identité nationale, qui rejoignent en cela le gouvernement autoritaire et nationaliste de la Hongrie. Cette nouvelle majorité pourrait agréger des partis nationalistes décidés à bloquer les politiques communes européennes.

Face à cette menace, à défaut de liste unique, les partis de gauche devraient admettre publiquement qu’ils peuvent s’entendre sur des combats communs pour construire une Europe enfin démocratique, sociale et écologique (2). Ces combats doivent en priorité inverser le cours néolibéral de l’intégration européenne. Les partis de gauche sont tous d’accord pour faire cesser la primauté du droit de la concurrence sur les droits sociaux, pour promouvoir une politique d’investissement pour la bifurcation écologique, ou encore pour instaurer un ISF vert européen et faire de l’Europe le premier continent à lutter efficacement contre la fraude fiscale. Qui peut croire à une divergence réelle entre Les Écologistes, LFI, le PCF et la direction actuelle du PS sur ces questions ?

(1) L’union fait la force ?, Laura Chazel, Fondation Rosa-Luxemburg, Bruxelles, mars 2023.

   mise en ligne le 1er juin 2024

La gauche aussi veut
en découdre avec le RN

Catherine Tricot sur | https://regards.fr

Face à l’incapacité de la Macronie à contrer Le Pen, Ruffin veut croire que la gauche, elle, le peut.

Dans deux semaines on aura voté. Bien sur les élections européennes ne décident pas des équilibres institutionnels français. Mais par le fait politique qu’elles constituent, par la photo du rapport de force qu’elles révèlent, elle comptera pour la suite. Gabriel Attal face à Jordan Bardella n’est pas parvenu à enrayer la punition annoncée pour les macronistes.

Alors Emmanuel Macron, en sauveur, veut s’y coller. Il défi en duel Marine Le Pen. Évidemment, ce débat-là n’aura pas lieu. Le RN continue de monter à la faveur des images violentes qui nous parviennent jour après jour de Nouvelle Calédonie ou d’ailleurs. Il leur suffit d’attendre.

Les macronistes sont bien incapables de répondre à la colère et aux demandes de changement. Seule la gauche peut le faire. Les deux semaines qui nous séparent de l’élection doivent en être une occasion. Les arguments se cherchent pour contrer l’impression d’inexorable ascension de l’extrême droite. Ils ne forment pas encore une langue commune mais on voit que la gauche veut s’y mettre. Pas seulement la gauche politique mais aussi sociale (écoutez la prise de position de la présidente de la ligue des droits de l’homme dans #LaMidinale de Regards), syndicale (entendez Sophie Binet sur Mediapart).

Écoutez encore la conférence donnée par François Ruffin sur le plateau des Glières affirmer que « la colère fait des émeutes, seul l’espoir fait des révolutions ». Le fil rouge de cette intervention a été de convaincre qu’on peut battre Marine Le Pen en 2027. Ruffin a encore du mal à embarquer les foules quand il lance son slogan « Et à la fin c’est nous qu’on va gagner ». Dans l’assistance polie, rares sont ceux qui y croient. Lui en tout cas le veut. Et pour cela il livre ses propositions. Parmi les plus martelées : donner espoir, cesser d’être le parti de la litanie des catastrophes. Deuxième proposition : parler à tous, y compris aux électeurs du RN. Troisième idée développée : pas seulement vivre ensemble mais faire ensemble. Et enfin, ne pas revenir aux échecs du passé : assurer une rupture, « faire l’unité dans la clarté ».

Ruffin est un homme mobile intellectuellement. À la bonne heure. Comment ne pas s’interroger avec inquiétude ? Il ne renonce pas à son credo : rassembler autour de la question sociale. Mais il renonce à la valorisation de « la haine » au profit de la construction d’un espoir. Il tire parti de son désenclavement et affirme : « Je suis social et démocrate ».

Ruffin ne fait pas mystère de se préparer pour être le possible candidat de rassemblement de toute la gauche en 2027. Il n’est pas le seul. Mais pour être celui ou celle qui peut gagner, il faudra être la personne mieux capable d’embarquer les différentes forces politiques de gauche mais aussi et surtout les forces sociales, syndicales, les militants et les motivés. Ça, ce n’est pas encore à son agenda. Le peut-il ?

  mise en ligne le 19 mai 2024

Derrière la
« nouveauté » Glucksmann,
le vieux PS en embuscade

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Loin du renouveau de la social-démocratie écologique qu’ambitionne de porter l’essayiste de Place Publique, bon nombre de candidats éligibles sur la liste socialiste sont de purs apparatchiks. Parmi eux : un aficionado de CNews, une défenseuse de l’A69 ou une macrono-compatible.

Attention, un candidat peut en cacher d’autres. Déjà critiquée en interne pour son manque de représentativité sociale, la liste emmenée par Raphaël Glucksmann (Place Publique) aux européennes, officiellement publiée ce samedi par le ministère de l’intérieur, en dit long sur les contradictions idéologiques au sein du parti à la rose, qui tente d’afficher, depuis quelques années, une rupture claire avec les années Hollande.

Bon nombre de place éligibles (une quinzaine) ont ainsi été confiées à des profils bien loin de la promesse de renouvellement incarnée par l’eurodéputé sortant. La faute aux « affres de la démocratie », plaide-t-on chez les proches d’Olivier Faure, où l’on rappelle que la liste a été constituée selon les règles de l’art solférinien. Autrement dit, en fonction du résultat récolté par chaque texte d’orientation lors du dernier congrès de Marseille, où le premier secrétaire est arrivé dans un mouchoir de poche avec son opposant interne, Nicolas Mayer-Rossignol, dont la candidature coagulait trois pourfendeuses de l’alliance avec les Insoumis : la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy, la maire de Paris Anne Hidalgo et Carole Delga.

C’est ainsi grâce à son « poids » dans l’appareil que la présidente du conseil régional d’Occitanie a imposé, à la 12e place, Claire Fita, sa vice-présidente à la culture à la région. Fille d’un maire PS local, biberonnée à la « gauche cassoulet » en vigueur dans le Sud-Ouest, cette ancienne vallsiste défend avec le même acharnement que son mentor la construction de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

Un projet contesté par l’ensemble des écologistes mais aussi par… Olivier Faure (il s’en expliquait ici) et Raphaël Glucskmann qui, récemment interrogé sur ce point par Reporterre, a voulu rassurer ses futurs électeurs : « L’A69 n’est pas un projet européen. [...] De toute façon, lorsque des partis forment une alliance, ça ne signifie pas pour autant qu’ils partagent les mêmes positions sur l’ensemble des projets menés à l’échelle locale. Ces désaccords n’influencent en rien le programme que nous comptons porter au Parlement européen avec le Parti socialiste. »

Après une âpre bataille interne, Anne Hidalgo a quant à elle réussi à hisser son mari, Jean-Marc Germain, à la 7e place, lui assurant de fait une élection dans un fauteuil. Relativement discret, ce polytechnicien n’en est pas moins un pur apparatchik du PS, où il est entré il y a une trentaine d’années pour y réaliser une carrière à l’ombre de Martine Aubry, puis de sa propre épouse, qu’il a conseillée avec l’insuccès que l’on sait lors de sa désastreuse campagne présidentielle.

Ancien « frondeur » sous l’ère Hollande, lors de laquelle il a été le rapporteur du contesté accord national interprofessionnel (ANI) flexibilisant le marché du travail – « un bon accord de sécu-sécurité » (sic) dira-t-il à l’époque dans une formule à tout le moins sibylline –, il tentera d’ailleurs sa chance, en vain, pour intégrer le gouvernement de Manuel Valls.

François Kalfon, le « sniper » de CNews

Mais c’est sans conteste la candidature de François Kalfon, devenu en quelques semaines la tête de Turc des concurrents insoumis sur les réseaux sociaux, qui semble le plus dépareiller avec le « style » politique d’une Aurore Lalucq ou d’un Raphaël Glucksmann.

Résolument opposé à la Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) – comment s’associer à un parti ayant dans ses rangs Taha Bouhafs ?, avait-il argué au moment de la conclusion de l’accord –, cet ex-chevènementiste a écumé, comme collaborateur, les cabinets ministériels et municipaux, passant par à peu près tout ce que la rue de Solférino comptait de chapelles.

Cofondateur du courant « Gauche populaire » avec, entre autres, le fondateur du Printemps républicain Laurent Bouvet, puis membre du premier cercle de Dominique Strauss-Kahn pour la présidentielle de 2012, François Kalfon, qui fut le conjoint de la communicante d’EuroRSCG Anne Hommel, réalisera par la suite un virage sur l’aile en se faisant nommer directeur de campagne d’Arnaud Montebourg en 2016. En 2018, il rejoint la motion « arc-en-ciel » de Luc Carvounas au congrès d’Aubervilliers après avoir soutenu Benoît Hamon à la présidentielle.

Accumulant les échecs électoraux, comme sa défaite aux municipales à Melun (Seine-et-Marne) en 2014, il ne parviendra jamais à être élu sur son nom, obtenant, par les bonnes grâces de Claude Bartolone, une place tout en haut de la liste aux régionales de 2015 en Île-de-France. Lors de la campagne du printemps 2021, il est pourtant sèchement rayé de la liste d’union de la gauche par Olivier Faure – qu’il exècre, et réciproquement –, qui lui préfère un... camarade du PRG (Parti radical de gauche).

À défaut de s’imposer par les urnes dans le jeu politique, l’ancien « monsieur opinion » du PS a su faire fructifier son capital médiatique. Celui qui a longtemps eu son rond de serviette sur CNews – il jure à Mediapart n’avoir « jamais touché un euro » pour ses prestations – est rapidement devenu le bon client « toutologue » sur les plateaux télé, devisant, jusqu’à très récemment, avec Eugénie Bastié ou Mathieu Bock-Cotté sur « l’écoterrorisme » ou la « récession sexuelle ».

Désormais prié par Raphaël Glucksmann de déserter les chaînes de l’empire Bolloré, il n’aime pourtant rien tant que sortir le Kärcher contre un Jean-Luc Mélenchon qualifié tantôt de « criminel », tantôt de « tyran d’extrême gauche », pourfendre les « dingos wokistes », déplorer la « police des mœurs » instaurée, selon lui, par le « néoféminisme », ou dézinguer l’écologie « dogmatique » et ses représentants – à l’instar de Greta Thunberg, qui lui fait dire « qu’on a loupé quelque chose dans notre éducation ».

Un CV qui fait s’interroger beaucoup de monde, même au PS : comment François Kalfon a-t-il réussi à se voir proposer sur un plateau d’argent un siège en or au Parlement européen ? En réalité, le meilleur ennemi du premier secrétaire n’en serait-il pas arrivé là sans Philippe Doucet, avec lequel il a mené la fronde contre Olivier Faure derrière la hollandaise Hélène Geoffroy. Condamné mi-décembre 2023 à deux ans d’inéligibilité pour une histoire de marchés truqués, l’ancien maire d’Argenteuil (Val-d’Oise) a bien été obligé de céder sa place, pour le plus grand bonheur de son acolyte.

Ce dernier n’a pourtant jamais caché qu’il ne portait pas spécialement Raphaël Glucksmann dans son cœur, estimant, comme d’autres éléphants du parti, que sa première candidature aux européennes 2019 incarnait « l’effacement » du PS. Mais depuis, le vent a tourné à mesure que grimpait la courbe des intentions de votes : « Raphaël Glucksmann a pris une densité très forte », jure aujourd’hui François Kalfon, qui estime que « si on est de gauche et un peu écolo, cette candidature “attrape-tout”, au bon sens du terme, [leur] permettra de battre Valérie Hayer ».

S’il est élu le 9 mai, François Kalfon retrouvera en tout cas sur les bancs du Parlement européen sa collègue de motion et protégée d’Hélène Geoffroy Murielle Laurent. Illustre inconnue, y compris au PS, la maire de Feyzin, commune de moins de 10 000 habitants de l’agglomération lyonnaise, a elle aussi été propulsée à la 6e place à la surprise générale.

Un choix d’autant plus déroutant que l’intéressée s’est, comme l’a révélé Mediacités, plusieurs fois rapprochée de La République en marche (LREM), préférant donner son parrainage à Emmanuel Macron plutôt qu’à Benoît Hamon en 2017, ou figurant sur la liste de David Kimelfeld, dissident macroniste, lors des élections métropolitaines à Lyon en 2020.

« Son flirt avec La République en marche lui vaut d’être déférée devant la commission des conflits du Parti socialiste », qui décidera de ne pas la suspendre, raconte Mediacités, auprès de qui l’édile s’est récemment justifié : « C’est Macron qui a changé de cap politique, pas moi. Je suis socialedémocrate. Je ne regrette pas d’être restée au PS. » On ne saurait mieux dire.

   mise en ligne le 15 avril 2024

Européennes 2024 :
la gauche débat
par meetings interposés

Cyprien Caddeo, Anthony Cortes, Florent LE DU, Diego Chauvet et Emilio Meslet sur www.humanite.fr

De jeudi soir à dimanche, les quatre principales listes de gauche ont organisé leurs grands raouts militants, avec pour objectif de marquer leur spécificité en vue du scrutin de juin.

Envoyés spéciaux à Montpellier, Nantes, Amiens et Paris

Tous le savent. Au cœur de ces élections européennes se joue une course dans la course. Une place dans la hiérarchie interne du bloc de gauche, qu’esquisseront les résultats au soir du 9 juin, avec pour enjeu le rapport de force en vue de 2027. Ce week-end, du 11 au 14 avril, il fallait donc s’éparpiller façon puzzle, aux quatre points cardinaux du pays (ou presque), pour voir les principaux candidats de gauche débattre par meetings interposés.

Presque un cliché : aux communistes le Nord industrieux, la Somme balafrée par la désindustrialisation ; aux insoumis Montpellier, dans le Midi jeune et universitaire ; aux socialistes Nantes, dans cet Ouest où la rose ne se fane pas ; aux écologistes, enfin, le 20e arrondissement de Paris, symbole de la gauche urbaine.

L’occasion pour chacun de mesurer ses forces militantes. Les socialistes revendiquent la plus forte influence : 3 000 personnes seraient venues soutenir Raphaël Glucksmann samedi, contre 1 500 pour le meeting de Léon Deffontaines (PCF) jeudi soir, 1 000 pour Manon Aubry (FI) et 300 pour Marie Toussaint (Écologistes) dimanche. Mais le scrutin ne se gagnera pas à l’applaudimètre. Aussi les différents candidats ont tout fait pour marquer leurs différences et s’adresser à différents segments de l’électorat.

Quand Léon Deffontaines cherche à mobiliser les « déçus de la gauche », pour passer le cap des 5 % nécessaires pour avoir des élus, à travers un discours axé sur la souveraineté industrielle, Raphaël Glucksmann entend plutôt unir les déçus de la Macronie, à sa droite, et ceux de la Mélenchonie, à sa gauche. Avec pour objectif de remettre la social-démocratie sur les rails du pouvoir.

Une impasse, aux yeux de ses adversaires, dont les insoumis, qui se revendiquent de « la flamme de la Nupes » et renvoient les socialistes à leur implication dans la politique libérale de l’UE. Les écologistes, eux, peinent à retrouver leur dynamique de 2019 et ont joué ce dimanche la carte de la jeunesse. Tour d’horizon d’un week-end très politique.

À Montpellier, Manon Aubry prépare « l’après-Macron »

La France insoumise a la culture de la lutte jusque dans les échanges de slogans. Le meeting de Manon Aubry au Corum de Montpellier, ce dimanche 14 avril, n’a pas encore débuté et les travées se remplissent doucement. Mais déjà, un bras de fer se joue. D’un côté, des « Palestine vivra, Palestine vaincra », scandés notamment par des militants de l’Association France Palestine Solidarité, keffiehs sur la tête ou les épaules. Et de l’autre, quelques « Union populaire », lancés par des bénévoles débordés par la vigueur des premiers.

Pourtant, la capitale de l’Hérault est connue pour être une terre insoumise : en 2022, lors de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon y a recueilli 40,73 % des suffrages exprimés. Mais comme beaucoup ici, Clotilde, 75 ans, ex-employée de la fonction publique et militante syndicale à la CFDT, est venue « pour cette cause avant tout ». « Cette liste est la seule à être claire en défendant un État palestinien, argue-t-elle. L’actualité le nécessite ! »

Ce n’est pas un hasard si, après la cheffe de file insoumise pour les élections européennes, Rima Hassan, candidate en septième position, est l’autre star de la journée. Acclamée, la juriste engagée de longue date pour la Palestine insiste : c’est un véritable « sujet européen » parce que « l’Europe arme le régime génocidaire israélien », comme elle l’a dénoncé en appelant à un cessez-le-feu.

Ponctuant son propos de « nous sommes tous des Palestiniens », la candidate a également dressé des parallèles entre la situation en Ukraine et celle au Proche-Orient pour mieux placer la FI « dans le camp de la paix » : « Des colères peuvent jaillir les plus belles des espérances. Se battre pour les droits de chacun, c’est au fond sauver ce que nous avons en commun : notre humanité. »

Le programme de la Nupes comme point de départ

Si Manon Aubry a tenté de faire la synthèse entre les mots de Rima Hassan et ceux d’un autre candidat présent, Anthony Smith, inspecteur des finances et syndicaliste CGT, un temps à la tribune pour défendre son