PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

démocratie, élections, extrême-droite  - année 2024

  mise en ligne le 15 juillet 2024

« Écoute et humilité » : Les nouveaux militants Front populaire poursuivent la mobilisation sur le terrain

par Jean de Peña, et Nina Hubinet sur https://basta.media/

Un millier de personnes, souvent néo-militantes, ont participé à la campagne du Nouveau Front populaire à Marseille. Le mouvement, nommé “Réserve citoyenne”, entend bien continuer la bataille culturelle contre l’extrême droite.

La buvette est fermée, et aucun concert ou spectacle n’est prévu ce soir au jardin Levat. Mais près de 200 personnes se pressent devant la petite scène de cet ancien couvent reconverti en lieu culturel, dans le quartier de la Belle-de-mai, à Marseille.

La chaleur commence à retomber, et à l’ombre d’un des hauts murs du jardin, on s’embrasse, tout sourire, malgré les traits tirés. Celles et ceux qui se saluent chaleureusement ne se connaissaient pas, pour la plupart, il y a un mois. Mais ils et elles ont livré une bataille commune ces trois dernières semaines, de celles qui créent des liens forts.

Ce mercredi 10 juillet, trois jours après une victoire mêlée de surprise, de liesse, et de la conscience qu’il s’agit d’un sursis – en particulier dans les Bouches-du-Rhône, où 11 députés RN ont été élus, pour 5 du Nouveau Front populaire – une partie des membres de la Réserve citoyenne se retrouve pour envisager l’avenir de ce mouvement né de l’urgence.

« On va commencer par un jeu ’’brise-glace’’ : vous êtes des pissenlits et vous allez vous disséminer parmi vos voisins, pour vous asseoir à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas », annonce Quentin, l’un des « coordos » de la Réserve. Le vocabulaire évoquant un management bienveillant déclenche quelques rires, mais tout le monde s’exécute de bonne grâce, et chacun·e engage la conversation avec des inconnu·es.

« Pour la suite, il faut vraiment qu’on arrive à créer des espaces de rencontre et de discussion, dans tous les quartiers », pointe Alexandra. « Sans être dans une attitude descendante », souligne-t-elle. Son interlocuteur, Mathieu, opine du chef. « Cette campagne, ça m’a aidé à mieux comprendre pourquoi les gens votaient pour l’extrême-droite. Maintenant j’aimerais aller aider les militants dans les bastions RN autour de Marseille », embraye-t-il.

L’échange est à l’image de l’état d’esprit de la Réserve citoyenne, lancée par un militant marseillais bien connu, Kevin Vacher, au lendemain des élections européennes. Les techniques sont à première vue les mêmes que celles des partis politiques en période électorale : le millier de personnes qui ont été actifs sur le terrain – sur les 3000 inscrits sur les groupes Whatsapp – ont fait principalement des porte-à-porte et tractages, en particulier dans trois « swing circos », où la victoire du NFP était loin d’être acquise, mais pas impossible.

« Dans nos formations express, on a insisté sur la posture d’écoute et l’humilité… L’inverse du paternalisme longtemps pratiqué par la gauche », explique Kevin, 34 ans, engagé pour le logement digne, mais aussi en faveur d’une véritable démocratie participative, depuis plus d’une décennie.

Homogénéité sociale

Une humilité essentielle, d’autant que les néo-militants de la Réserve citoyenne sont socialement très homogènes : majoritairement des classes moyennes blanches du centre-ville. « J’avais peur que les gens ne soient pas très accueillants en voyant une bobo qui débarque dans les quartiers nord », raconte ainsi Julia, la trentaine, devenue rapidement l’un des piliers du groupe de la Réserve citoyenne dans la troisième circonscription, à cheval sur les 13e et 14e arrondissements de la ville, mélange de grandes cités déshéritées et des zones résidentielles acquises au RN.

« Mais en fait les gens étaient contents qu’on soit là. Et la discussion permettait souvent de dépasser un raisonnement motivé par la colère… On a eu le sentiment d’être utile », poursuit cette urbaniste, qui connaissait ces quartiers par son travail sur la rénovation urbaine à Marseille, « sans connaître les gens ».

« Ça faisait un moment que je m’étonnais de la déconnexion des militants du centre-ville vis-à-vis des quartiers nord, et que je voulais m’y investir, précise-t-elle. L’énergie de la réserve a été énorme… Maintenant j’ai envie de continuer. » Marie, Raphaël, Jordane, Sandro, Laure ou Maïté, camarades de porte-à-porte de Julia dans les 13e et 14e arrondissements, affichent la même envie. Reste à savoir comment la mettre en œuvre.

Ils et elles ont en tout cas bien conscience que le chemin sera long : malgré tous leurs efforts, le tout jeune candidat du NFP sur cette circonscription, Amine Kessaci (EELV), a finalement été battu par la députée RN sortante, à 835 voix près.

« Un grand merci à la Réserve citoyenne, sans laquelle rien n’aurait été possible », lançait celui-ci dimanche 7 juillet, en direction de la dizaine de « réservistes » présents à son QG de campagne. On le retrouve le 10 juillet au jardin Levat, où il est venu écouter les échanges. « Je sortais de la campagne des européennes, mes équipes étaient prêtes à mener bataille, mais déjà épuisées… Les gens de la réserve citoyenne ont été les moteurs de cette campagne dans ma circo, je leur dois beaucoup. » Le candidat EELV a ainsi réduit l’écart avec sa concurrente RN, passant de plusieurs milliers de voix en 2022 à moins d’un millier cette fois-ci, notamment grâce à l’action de la Réserve.

Même si ces derniers sont des nouveaux venu·es en politique, les dizaines de conversations qu’ils et elles ont eues avec les habitant·es de ces quartiers les vaccinent d’une certaine naïveté vis-à-vis de l’immense tâche dans laquelle ils veulent maintenant s’engager. Maïté évoque par exemple un monsieur rencontré le vendredi précédent, lors de son dernier porte-à-porte, à la cité des Lauriers. «  Il a commencé par une blague, disant qu’il allait tirer à pile ou face pour choisir son bulletin. »

Ce manager d’hôtel d’une cinquantaine d’années, d’origine marocaine, s’est avéré finalement être plutôt à gauche, et conscient de la menace que représentait le RN. Mais la boutade exprimait le fait qu’il était désabusé, lassé des promesses non tenues de la gauche, tout autant que blessé par le racisme ambiant. « Il m’a raconté que les clients de l’hôtel où il travaille étaient toujours étonnés que ce soit lui le manager, parce qu’il est arabe… ça m’a touchée », raconte Maïté, qui a travaillé un temps dans les quartiers nord, pour une association qui aide à l’implantation d’entreprises.

Les uns et les autres ont aussi pu mesurer l’ampleur de la « bollorisation » des esprits. Qu’il s’agisse de personnes racisées soutenant que Marine Lepen et son parti n’était pas raciste, ou d’électeurs de droite ou centristes considérant LFI comme un danger plus grand que le RN.

Laure se souvient d’une femme particulièrement véhémente, rencontrée aussi lors du dernier porte-à-porte de vendredi. « Pour elle, il était inconcevable de voter NFP à cause des Insoumis : “Ils ont foutu le bordel à l’Assemblée, c’est eux qui sont responsables de la situation dans laquelle on est !”, disait-elle. »

Et lorsque Laure lui a dit qu’elle militait pour le climat et avait peur d’être arrêtée si le RN arrivait au pouvoir, la dame en question a répliqué : « C’est le genre d’argument qui va plutôt me pousser à voter RN que NFP ! » Laure ne se fait pas d’illusion : reconstruire des repères politiques prendra des années. « Mais on a senti qu’il se passait quelque chose pendant ces portes-à-portes, que les rencontres et les discussions d’égal à égal pouvaient avoir un impact… C’est pour ça qu’on veut revenir régulièrement dans ces quartiers », témoigne-t-elle.

« Atelier de réarmement civique » ou concerts

Comment trouver les bons arguments face aux électeurs du RN ? Comment sortir de l’entre-soi ? Comment impliquer des habitant·es des quartiers populaires dans la Réserve ? Quelles relations doit-elle entretenir avec les partis politiques ? Les questions pleuvent, et les réponses ne seront logiquement pas apportées lors de cette soirée « défrichage ».

Mais après le grand débat, lors des ateliers thématiques en plus petits groupes, où l’on propose des actions concrètes, les réservistes semblent renouer avec l’enthousiasme de la campagne. « Il faut retourner dès cet été dans les quartiers où l’on est passé, pour conserver le lien avec les habitant·es », juge Marie, professeure des écoles à la retraite, et l’une des rares militantes encartées (au NPA) de la Réserve. « C’est la continuité et la régularité qui feront la qualité de ce lien. »

Pour la rentrée, les idées fusent aussi : Nicolas, urbaniste et artiste, veut organiser des « ateliers mobiles de réarmement civique », pour aider à s’inscrire sur les listes électorales. « Dans le bureau du 13e où j’étais assesseur, une vingtaine de personnes ont constaté le jour du vote qu’elles n’étaient pas inscrites. Et on a calculé qu’avec dix voix de plus par bureau, Amine aurait été élu », souligne-t-il.

Francisco suggère d’organiser des soirées culturelles, avec spectacle sur un thème en lien avec les préoccupations des habitant·es, en y réfléchissant en amont avec elleux, et en se coordonnant avec des associations locales qui font déjà un travail similaire. Et pourquoi pas coupler ces moments conviviaux avec l’inscription sur les listes électorales ?

« Moi je voudrais simplement mettre en place des rencontres régulières dans un quartier pour discuter des infos de la semaine », propose Luisa, elle-même habitante du 14e arrondissement. « A la fois pour démonter les intox des médias Bolloré et montrer l’impact de la politique sur la vie des gens. » Ça tombe bien, Clément a peu ou prou la même idée… On s’inscrit pour organiser ces futures actions, de nouveaux groupes Whatsapp dédiés sont créés.

À l’apéro qui suit cette première réunion « post-électorale » de la Réserve, on décide de créer encore un autre groupe… pour organiser des sit-in devant la Préfecture, jusqu’à ce que Emmanuel Macron nomme un Premier ministre issu du NFP. « Pour que les gens fassent à nouveau confiance à la gauche, il faut que les mesures sur lesquelles on a fait campagne soient appliquées. Sinon ça ne marchera pas », s’inquiète Marie. Toutes et tous ont bien conscience que ce qui joue là est de l’ordre de la dernière chance, et que « faire pression » sur ce qui se passe « dans les hautes sphères », est tout aussi essentiel que de repolitiser les habitant·es des quartiers populaires de Marseille.

  mise en ligne le 11 juillet 2024

Législatives 2024 :
Sophie Binet appelle à se joindre aux mobilisations du jeudi 18 juillet
« pour mettre l’Assemblée nationale sous surveillance »

Extraits du Direct après les législatives : journal du 11 juillet

                      sur www.humanite.fr


 

18h00 : Qui comme premier ministre ? L’impatience monte côté NFP...

Alors que les discussions se poursuivent au sein du Nouveau Front populaire, les élus de gauche mettent la pression sur les partis pour qu’ils accélèrent. Ils veulent qu’un nom sorte rapidement du conclave pour forcer la main à Emmanuel Macron. Mais pour définir le potentiel futur locataire de Matignon au sein du NFP, il faut déjà déterminer un mode de désignation…

17h50 : La Coordination rurale menace de sortir « les fourches » si les insoumis ou les écologistes entrent au gouvernement

La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français, a menacé de sortir « les fourches » en cas d’entrée au gouvernement des « insoumis » ou des écologistes, lors d’une mobilisation, jeudi, à l’occasion du passage du Tour de France dans son fief du Lot-et-Garonne.

« L’horreur absolue, pour nous, serait d’avoir au gouvernement Marine Tondelier ou un autre tocard ministre de l’écologie ou de l’agriculture », a déclaré le dirigeant syndical Serge Bousquet-Cassagne, qui a ajouté : « On aurait préféré que le Rassemblement national soit au pouvoir, on les a jamais essayés. »

16h21 : Ian Brossat alerte du « fléau » des violences transphobes à Paris

Sur X, Ian Brossat interroge le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet du « fléau » que sont les violences transphobes à Paris. Le sénateur communiste de Paris rappelle que « la région parisienne a récemment été le théâtre de deux actes transphobes d’une violence inouïe ». Ses déclarations font référence au meurtre d’une femme transgenre, Angélina, le 5 juillet dans l’Oise et à celui de Géraldine, dans le 16e arrondissement de Paris, ce mardi 9 juillet, à caractère transphobe.

Il demande à Gérald Darmanin quelles mesures concrètes compte-t-il mettre en place pour « améliorer les conditions d’accueil et de soutien des victimes d’infractions, d’insultes et de violence transphobes ».

13h55 : Olivier Faure fustige les propos de Gérard Larcher

Le sénateur des Yvelines Gérard Larcher avait affirmé, ce jeudi matin, sur la chaîne BFMTV, que si le président choisissait un premier ministre issu du NFP, il s’y opposerait et appellerait ses « amis » à « censurer ce gouvernement car ça ne correspond pas à la volonté profonde des Français. »

Dans la foulée, le premier secrétaire du parti socialiste a réagi sur X (ex-Twitter) : « LR a refusé de participer au front républicain. La gauche s’est désistée pour ses candidats sans aucun retour. Nous l’avons fait parce que nous connaissons le péril de l’extrême droite. Elle est là, la noblesse de la gauche ». Le député de la 11e circonscription de Seine-et-Marne a ajouté : « Dans les propos de Gérard Larcher je ne vois que sectarisme et cynisme. »

12h35 : Thierry Nier (CGT Cheminots) : ​​« Sept années de Macronisme, ça suffit »

Alors qu’Emmanuel Macron refuse de nommer un gouvernement NFP, la CGT cheminots appelle à des rassemblements devant les préfectures, le 18 juillet prochain, pour mettre la pression sur l’ouverture de la session parlementaire. Entretien avec son secrétaire général, Thierry Nier :

12h20 : Boris Vallaud (PS) « ne souhaite pas » de recours au 49.3

Le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud « ne souhaite pas » de recours à l’arme constitutionnelle du 49.3 malgré la situation de majorité relative de la gauche. « Nous ne pouvons pas reprocher une brutalisation du Parlement par Emmanuel Macron depuis sept ans et faire de même. N’imposons pas nos mesures, essayons de convaincre sur notre programme et de rassembler », juge le député dans un entretien à l’Express où il plaide à « un gouvernement de Front populaire » et « un parlement de Front républicain » qui respecte le verdict des urnes.

La députée écologiste Sandrine Rousseau a également appelé « à dire ”on n’utilisera pas le 49.3 et on accepte de perdre sur des textes”». « Je ne dis pas qu’on utilisera jamais le 49.3, mais je dis qu’il faut le proscrire autant que faire se peut, faire en sorte qu’on puisse avoir des majorités d’idées sur un certain nombre de sujets », a également estimé le sénateur communiste Ian Brossat sur Sud Radio.

12h01 : Pour aller plus loin : la menace RN écartée pour un temps, comment la société civile entend peser sur les politiques publiques

Alors que la menace d’une majorité absolue RN à l’Assemblée est écartée, tout reste désormais à (re) bâtir. Les acteurs associatifs et syndicaux réclament une prise en compte des préconisations de la société civile dans la construction des politiques publiques. L’enjeu : que l’extrême droite ne revienne pas plus forte demain.

Pour beaucoup, ce changement de paradigme passe forcément par l’union de la gauche. « Responsables de gauche, ne nous trahissez pas ! » exhortait d’ailleurs Lyes Louffok, militant pour les droits de l’enfant et candidat malheureux du Nouveau Front populaire (NFP) dans la première circonscription du Val-de-Marne, au soir du second tour des élections.

Même certitude du côté du collectif féministre NousToutes, qui attend « un gouvernement qui respecte la voix des urnes, avec un ou une premier·ère ministre qui soit féministe, antiraciste mais aussi écologiste et social·e », énumère Gwen, une militante.

Pour France Nature Environnement également, le programme du NFP est « le seul qui porte les vrais enjeux ». « Pour la Macronie et la droite, on voit bien que les enjeux écologiques se résument à la réduction carbone et à la transition écologique. C’est oublier les questions de la mer, de la biodiversité, des transports, etc. », plaide Antoine Gatet.

11h52 : Fabien Roussel (PCF) sur les négociations au sein du NFP : « il y a une volonté d’aboutir au plus vite »

À propos du nom du premier ministre et de la composition d’un gouvernement en négociation au Nouveau Front populaire, « il y a une volonté d’aboutir au plus vite pour répondre à l’attente des Français. J’ai moi-même fait part de mon impatience de façon assez forte », explique le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, dans un entretien à libération, tout en estimant qu’il « faut sans doute ce temps-là pour être solide dans notre union » et qu’il « ne faut surtout pas brutaliser la discussion ».

« Nous sommes tous d’accord sur le fait que nous n’irons pas dans une coalition qui nous lierait aux macronistes et qu’il est hors de question de rogner sur notre programme », constate aussi le communiste.

11h35 : Après Moody’s, le gouverneur de la Banque de France crie haro sur le programme du NFP

Après le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui agite le chiffon rouge de la faillite de la France, l’agence de notation Moody’s qui a menacé de dégrader sa note, c’est au tour du gouverneur de la banque de France de crier haro sur le programme du Nouveau Front populaire : « Je crois (…) que, dans la compétition économique, nos PME, nos entreprises ne peuvent pas être alourdies par des coûts salariaux excessifs, y compris le smic, et par des impôts trop lourds », a déclaré François Villeroy de Galhau, sur franceinfo, tout en reconnaissant ne pas avoir « d’évaluation de telle ou telle mesure ».

Ce qui ne l’empêche pas de livrer ses certitudes : « Ça serait très mauvais pour l’emploi tout de suite, et très mauvais pour le pouvoir d’achat à terme », a-t-il estimé à propos de l’augmentation du smic à 1 600 euros, sans tenir compte du fait que le NFP a prévu des mesures pour accompagner les petites et moyennes entreprises qui en auraient besoin.


 

11h25 : Philippe Poutou appelle à la mobilisation pour obtenir un gouvernement et une politique de gauche

Sur X, Philippe Poutou (NPA), candidat malheureux du Nouveau Front populaire, en a appelé, ce mercredi, à la mobilisation après la lettre adressée aux Français d’Emmanuel Macron. « Il est quand même très probable que pour obtenir un gouvernement de gauche menant une politique de gauche, il faille pousser très fort par en bas, par une mobilisation unitaire, des manifs, des grèves… C’est notre seule façon de contrer les manœuvres et l’hostilité des dominants », estime-t-il.

10h42 : Manon Aubry (FI) sur le nom du premier ministre NFP : « c’est une affaire d’heures »

« La lettre d’Emmanuel Macron est profondément choquante car il persiste dans un déni total de démocratie. Le Président refuse de reconnaître sa défaite et d’admettre la victoire du Front Populaire : c’est un coup de force politique inacceptable », a estimé ce matin sur franceinfo, l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. « Le problème n’a rien à voir avec le nom du Premier ministre » sur lequel le Nouveau Front populaire est en négociation, a-t-elle également estimé.

« C’est une affaire d’heures », a jugé l’insoumise à ce sujet tout en insistant : « Ce sera le plus rapidement possible mais il va falloir au bout d’un moment que le président de la République regarde la réalité en face, qu’il a perdu ces élections et qu’il fasse ce que tout président de la République démocrate devrait faire, c’est-à-dire nommer un premier ministre issu du premier bloc politique (de l’Assemblée). Faute de quoi, ce sera un coup de force démocratique. »

« J’appelle à une large mobilisation populaire, citoyenne, de la société civile autour du programme du Nouveau Front Populaire », a-t-elle ajouté, rappelant qu’en 1936 « les grandes conquêtes de la gauche ont été obtenues notamment grâce au mouvement social » et saluant, plus tard sur BFMTV, l’appel à la mobilisation pour le 18 juillet lancé par la CGT.


 

10h04 : Sophie Binet appelle à se joindre à la mobilisation du jeudi 18 juillet

« Je pense qu’il faut toutes et tous rejoindre ces rassemblements pour mettre l’Assemblée nationale sous surveillance et appeler au respect du vote populaire » a déclaré la secrétaire générale de la CGT a appelé, ce jeudi matin sur la chaîne LCI .

« Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire », écrivait la CGT Cheminots dans un communiqué, mercredi 10 juillet.


 


 

08h53 : Marylise Léon (CFDT) : « ce qui intéresse les Français, c’est comment on change leur vie »

« Ce qui me frappe dans la lettre d’Emmanuel Macron, c’est qu’il ne parle pas vraiment aux Français : il parle aux politiques », a estimé, sur France Inter, ce jeudi matin, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon.

« J’ai fait un courrier hier à l’ensemble des députés pour leur dire qu’il faut compter aussi sur la société civile, il faut s’appuyer sur les forces syndicales, les forces associatives, les ONG pour pouvoir réparer un peu notre démocratie parce qu’on est vite passé à autre chose mais on a frôlé la catastrophe », a-t-elle rappelé, estimant que « si le RN était arrivé au pouvoir, on aurait été dans une tout autre configuration et rien ne peut plus être comme avant ».

« Je suis un peu exaspérée d’entendre parler d’alliances entre formations politiques, moi ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les Français et les travailleurs que je représente, c’est ce qu’on va leur proposer concrètement, comment on change leur vie », a-t-elle ajouté.

« C’est légitime que ce bloc arrivé en tête pose ses conditions et que l’on parte de leur programme, c’est ce qu’ont demandé les citoyens. C’est important de respecter le vote », estime également la syndicaliste.


 


 

08h40 : Pour Sophie Binet (CGT), Emmanuel Macron a « deux choses toutes simples à faire »

« Je suis très inquiète parce qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas compris qu’il est président de la République et qu’il doit être garant du respect des institutions, de la démocratie et des urnes, rassembler le pays au lieu de jeter des bidons d’essence à chaque fois qu’il y a des incendies », a déclaré ce matin sur LCI, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.

« Le problème c’est qu’aujourd’hui Emmanuel Macron n’est même plus crédible dans son propre camp, qui est en train d’exploser, et qu’il joue une partition uniquement partisane. Il faut qu’il entende le résultat des urnes », a-t-elle ajouté à propos de la lettre adressée aux Français par le président de la République.

Selon la syndicaliste, le chef de l’État a « deux choses toutes simples à faire » : « La première, c’est demander à la force qui est arrivée en tête aux élections dimanche de désigner un premier ministre. Et la deuxième, c’est de laisser faire le parlement pour trouver des majorités de projet sur les réformes à faire pour le pays. »


 


 

07h43 : Sandrine Rousseau à propos de la proposition de premier ministre du NFP : « Nous mettons beaucoup trop de temps, nous devons sortir les noms »

Invitée de RMC ce matin, l’écologiste Sandrine Rousseau a jugé « inquiétante » la lettre adressée aux Français par Emmanuel Macron, évoquant notamment une « ambiguïté vis-à-vis du Rassemblement national ». « Je suis extrêmement inquiète. C’est dans ces moments qu’on voit les grands chefs d’État, et là manifestement on ne le voit », a-t-elle déclaré.

À propos du choix d’un nom d’un éventuel premier ministre par le Nouveau Front populaire, la députée a jugé que les discussions prenaient « beaucoup trop de temps » : « Nous devons sortir les noms », a-t-elle insisté pointant le risque d’ajouter de l’inquiétude à la situation tout en reconnaissant que les négociations se déroulent « dans le flou » du fait de l’attitude des autres forces politiques qui menace par exemple de censure immédiate un gouvernement qui comprendrait des insoumis.

« Le Nouveau Front populaire a été impulsé par un mouvement citoyen, social, là on est dans des trucs un peu boutiquiers. À gauche, il se passe toujours la même histoire : est-ce qu’on est là pour donner un élan ou savoir qui sera devant l’autre ? Aujourd’hui il ne nous faut pas tomber dans ce travers », a également estimé celle qui candidate pour la présidence de l’Assemblée nationale.


 

07h12 : La CGT Cheminot appelle à la mobilisation le 18 juillet

« Lors du dernier scrutin des élections législatives, nous avons franchi une première étape qui doit permettre de renouer avec le progrès social, mais le plus important reste à faire », estime la CGT Cheminot, dans un communiqué publié hier. « La CGT et ses organisations appellent solennellement Emmanuel Macron à respecter le résultat des urnes. Pas question de continuer sa politique économique et sociale violente. Le nouveau gouvernement doit être formé au plus vite, autour du programme du Nouveau Front Populaire », écrit également le syndicat alors que le président de la République à appeler à former un rassemblement de « tous les républicains » dans une lettre aux Français.

Pour faire face à ces manœuvres, l’organisation cheminote appelle à la mobilisation : « Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire. »

  mise en ligne le 11 juillet 2024

« Front populaire »,
si les mots ont un sens…

Denis Sieffert  sur www.politis.fr

La dissolution sauvage décidée par Emmanuel Macron a rebattu les cartes politiques d’un pays blessé. Si le RN a été contenu grâce à une forte participation, il a fortement progressé. Le Nouveau Front populaire a, lui, réussi un coup de maître, mais le plus dur commence.


 

Cette dissolution sauvage aura finalement quelques effets positifs. Elle aura infligé une défaite cuisante à Macron, l’apprenti sorcier, désormais seul en son palais, abandonné par un premier ministre qui travaille pour son propre compte. Mais méfions-nous tout de même de l’eau qui dort. Macron ne désespère pas de pourrir encore un peu plus la situation et d’inventer, le moment venu, une coalition de bric et de broc. Il a pour ça un avantage : les principes ne l’encombrent pas. En attendant, sa dissolution aura permis de dissiper en partie l’illusion d’une extrême droite « relookée ».

Le Rassemblement national n’a pas résisté à l’épreuve de la loupe. Derrière les bonnes manières d’une poignée de dirigeants propres sur eux, le couvercle s’est soulevé sur une puanteur de candidats racistes, antisémites, nazifiés, rémanence du pétainisme et de l’Algérie française. L’autre leçon positive de ces quelques jours qui ont ébranlé la France, c’est évidemment l’apparition éclair du Nouveau Front populaire. En une nuit, le 10 juin, le slogan lancé par François Ruffin a pris corps. Marine Tondelier, Olivier Faure, Manuel Bompard et Fabien Roussel ont montré une conscience aiguë de la gravité de la situation. On retiendra de cet épisode l’apparition d’une génération de dirigeants qui ont montré ce que peut la volonté en politique.

Mais, cela étant dit, ne nous laissons pas abuser par le miroir déformant de la mécanique électorale. L’extrême droite a été éloignée du pouvoir, pour un temps au moins, mais la réalité ne se compare pas à des sondages qui nous prédisaient le pire. La réalité, ce sont 10 millions de voix pour le RN, 143 sièges, soit 54 de plus qu’en 2022. La réalité, c’est surtout un pays blessé par sept ans de mépris de classe, de réformes imposées à coups de 49.3, et de manifestations durement réprimées, et qui veut que ça change. Certes, le Nouveau Front populaire a réussi un coup de maître, mais le plus dur commence. Les déclarations du dimanche soir manifestant une volonté d’appliquer « tout » le programme du Nouveau Front populaire sont de bonne guerre. Peuvent-elles résister au principe de réalité ?

On a beau nourrir les rêves les plus fous, il va bien falloir négocier. La gauche, son futur premier ministre ou sa future première ministre, va devoir extraire quelques points forts qui constitueront une ligne rouge et qui délivreront rapidement à nos concitoyens un message social clair pour une amélioration immédiate de la vie des gens. On ne cite plus beaucoup Lénine, et on a raison, mais le gauchisme est toujours « une maladie infantile ». À moins de vouloir absolument provoquer une crise dans la crise en forçant Macron à la démission. Mais en prenant alors le risque d’offrir à Marine Le Pen l’occasion d’une revanche. Et puis il y a à espérer un changement de méthode. La question n’est pas secondaire. « Passer du bruit et la fureur à la force tranquille », a résumé Ruffin.

Rompre avec la vieille politique. Celle que l’on a encore vue à l’œuvre en Seine-Saint-Denis, à Paris 20e et à Marseille, où Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi ont dû dépenser leur énergie à résister à des candidats dépêchés par la direction de LFI pour, avec des arguments de caniveau, régler des comptes internes à ce mouvement. Stalinisme pas mort ! On se félicite de leurs victoires à plates coutures qui sont celles de la démocratie. La morale de l’histoire, c’est qu’en quittant le groupe, ceux qui ont déplu à Jean-Luc Mélenchon, il y faut ajouter Clémentine Autain, risquent de renverser le rapport de force aux dépens de LFI. Enfin, dernière leçon de ce scrutin, soulignons cet autre effet réjouissant. On a enregistré un record de participation. On nous a si souvent dit que les élections n’intéressaient plus les Français. C’est tout le contraire, quand nos concitoyens pensent que leur vie peut s’en trouver changée.

Et puis, on m’autorisera un petit plaisir personnel en saluant la défaite de l’horrible Meyer Habib, ami de Netanyahou et des pires colons israéliens. Malheureusement, Yaël Lerer, qui a mené la bataille dans la circonscription des Français d’Israël, n’en a pas profité personnellement. Mais éloignons-nous un instant de l’Assemblée, car tout ne se joue pas au Palais-Bourbon. Le mouvement social, les syndicats peuvent peser à la rentrée sur le rapport de force. Puisqu’il est question de Front populaire, n’oublions pas que celui de 1936 n’aurait pas légué l’héritage social que l’on sait sans les grandes grèves et la mobilisation ouvrière. « Front populaire », les mots ont un sens.

  mise en ligne le 8 juillet 2024

 

Une victoire populaire, avant tout !

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Alors que les instituts de sondages, au soir du premier tour, annonçaient une potentielle majorité absolue au Rassemblement national, une forte mobilisation populaire a permis au Front populaire d’être la plus importante force politique à l’Assemblée nationale. Il faut, désormais, construire dessus.

« Bonjour Madame, est-ce qu’on pourrait parler quelques minutes des élections législatives ? » Cette phrase, cette semaine, a été répétée des milliers de fois. Des dizaines de milliers de fois, sans doute. Après l’annonce, par Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, une véritable mobilisation populaire est née pour faire face à la vague brune du Rassemblement national.

Celle-ci a pris plusieurs formes. Mais la principale, sans aucun doute, ce sont ces centaines de personnes qui ont décidé de se lancer, corps et âme, dans une campagne incertaine, au bord du vide. Comme nous vous l’avons raconté dans Politis, ce sont, en effet, des centaines – certainement des milliers – de citoyens, qui, chaque soir sont allés dans des circonscriptions « serrées » pour toquer, porte après porte, pavillon après pavillon, pour convaincre les indécis, pour expliquer les enjeux de cette élection. Et ainsi, contrer ce qu’on voulait, à tout prix, nous faire croire comme inéluctable : une majorité pour le Rassemblement national.

D’ailleurs, le leader de la France Insoumise ne s’y est pas trompé. Pour commencer sa prise de parole, Jean-Luc Mélenchon a tenu à saluer « l’effort et la mobilisation des milliers de femmes et d’hommes qui se sont dévoués sans compter pour parvenir au résultat qui est acquis ce soir ». Ceux-là mêmes, qui, par la force de leur conviction, ont déjoué tous les pronostics. Car il faut bien le dire : si le « barrage républicain » a permis aux macronistes de ne pas être totalement ridiculisés ce dimanche 7 juillet, ce n’est pas lui qui a donné la victoire au Nouveau Front populaire.

On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre.

En effet, selon une enquête d’Ipsos pour Le Parisien, près de 3 électeurs sur 4 du Nouveau Front Populaire au premier tour sont allés voter pour un candidat de l’ex majorité présidentielle en cas de duel face au Rassemblement national. C’est moins d’un électeur sur deux dans le cas inverse. Seulement 43 % des électeurs macronistes ont glissé un bulletin La France insoumise dans l’urne en cas de duel face au RN. Ce chiffre monte, maigrement, à 54 % dans un duel entre le RN et un candidat PS, Les Écologistes ou PCF. Pour les leçons de « républicanisme », on repassera.

Construire

Cette victoire est donc avant tout populaire. Elle est issue d’un travail de terrain que ni le Rassemblement national, ni la majorité présidentielle n’ont su effectuer. Et c’est peut-être le plus grand succès de ces résultats. On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre. De ce postulat, sain, il faut désormais construire. Maison par maison, foyer par foyer. Parce que si la victoire, ce 7 juillet, est aussi belle qu’inattendue, elle reste relative. Le Rassemblement National continue de progresser fortement avec plus de 50 nouveaux députés à l’Assemblée Nationale.

Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts.

Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts. Plusieurs députés importants de l’ancienne Nupes ont ainsi été défaits dans les urnes ce dimanche. Pour ne citer qu’eux, Rachel Keke, Pierre Darrhéville ou Sébastien Jumel. Des parlementaires qui étaient élus, bien souvent, dans des circonscriptions rurales. Et qui, malgré une intense mobilisation, ont échoué à quelques centaines de voix.

Ces défaites locales doivent nous laisser en éveil. Oui, le Nouveau Front populaire est désormais le bloc politique le plus important à l’Assemblée Nationale. Mais le plus dur reste à venir. En premier, réussir à maintenir cette forte mobilisation populaire dans des territoires où le RN prospère. Ce n’est que par ce travail de terrain, d’implantation, que la gauche réussira à faire reculer le parti de Marine Le Pen et ses idées. La nouvelle élection de François Ruffin – la troisième d’affilée – dans la première circonscription de la Somme, où le RN avait fait d’importants scores aux européennes, en est une bonne illustration. Là est son salut.

Mais pour cela, il faut que les nouveaux parlementaires du Nouveau Front populaire soient à la hauteur du moment. Ces milliers de citoyens, bien souvent non encartés, qui se sont mobilisés ces dernières semaines ne pardonneraient pas une énième trahison libérale. Ses électeurs non plus. « Le seul vote pour tout changer », pouvait-on lire en gras sur les tracts distribués dans les quatre coins du pays pour le NFP. Il faut, désormais, tenir la promesse.

 

  mise en ligne le 8 juillet 2024

Après les résultats à Montpellier :
« La bataille, ce sera demain,
à l’Assemblée nationale »

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Des centaines de personnes ont fêté la victoire du Nouveau Front populaire devant le bar associatif du Quartier Généreux. Une soirée assombrie par les résultats du département : le Rassemblement national remporte cinq des neuf circonscriptions de l’Hérault.

Montpellier (Hérault).–  S’il existait un adjectif pour définir une joyeuse sidération, il serait parfait pour décrire le frisson qui a traversé la foule, dimanche à 20 heures, devant le Quartier Généreux, un bar associatif de Montpellier. Quand les premiers résultats se sont affichés sur l’écran de télévision, les centaines de personnes massées devant la vitrine ont d’abord ouvert grands les yeux, vérifié que c’était bien réel puis hurlé de joie. « La gauche a gagné ! Le Nouveau Front populaire est devant ! », « Le RN est troisième ! Oui, troisième ! », font passer celles et ceux des premiers rangs aux personnes qui n’arrivent pas à apercevoir l’écran.

Un sourire presque hagard sur les lèvres, une femme d’une cinquantaine d’années est en larmes. Devant elle, un homme pleure dans les bras de sa compagne. « J’ai eu peur, tellement peur », soufflera-t-il quelques minutes plus tard. Les gens se serrent, s’étreignent, se rapprochent et entonnent un « Siamo tutti antifascisti », régulièrement chanté jusque tard dans la soirée.

Ce résultat, peu y croyaient avant 20 heures. La surprise est totale. « Nous sommes douze minutes avant la fin du monde », se désespérait ainsi Louise, en attendant les premières estimations. « J’ai l’impression qu’une météorite va nous tomber dessus », prédisait-elle, l’air sombre. Finalement, c’est un feu d’artifice, tiré à proximité du Quartier Généreux, qui est venu fendre le ciel quelques heures plus tard. « Montpellier est résolument une ville de gauche ! », s’enthousiasme un groupe d’ami·es.

Une bière à la main, Antoine et Aïssatou se disent « submergés par la victoire ». La jeune femme, qui se prépare à devenir professeure des écoles, évoque le « fort impact psychologique » de cette campagne et sa peur, « une peur de survie », en tant que femme racisée. « J’ai déjà une charge raciale même quand l’extrême droite n’est pas au pouvoir ? Là, c’était très compliqué à imaginer… »

Antoine, qui a pleuré à 20 heures, revient sur son émotion : « Des larmes de soulagement et de fierté. » La fierté d’avoir milité pendant trois semaines – ce qu’il n’avait plus fait depuis dix ans – et d’avoir vu « tant de monde entrer dans le mouvement ». « L’ alliance de tous les acteurs de la société civile, c’est ça qui m’a embarqué, poursuit-il. Plus que jamais il faut continuer, il faut investir tous les espaces. Moi je ressors avec ça, ce soir. »

Pendant que les discours des politiques s’enchaînent à la télévision et que Jordan Bardella est copieusement moqué, une bande de jeunes survoltés harangue les voitures qui passent près de la place Albert 1er. Les coups de klaxon sont incessants, comme un soir glorieux de finale de coupe du monde. Et ça va durer des heures.

Un grand drapeau français fend la foule, barré du message « Se réapproprier le drapeau ». « Et ouais, cest pas réservé aux footeux ou aux fachos ! », rigole une jeune femme. Arthur, qui porte l’étendard, acquiesce. « C’est notre France, c’est notre drapeau. » « Et notre France, elle est de gauche ! Elle est belle, ouverte et mixte ! », enchaîne Fiona à ses côtés. Drapeau palestinien sur les épaules, la jeune femme de 22 ans dit avoir eu « la boule au ventre » avant 20 heures. « On n’était pas confiants », concède-t-elle.

Soudain, l’ambiance s’assombrit devant l’entrée du bar. Les résultats des neufs circonscriptions de l’Hérault commencent à arriver et avec eux, de mauvaises nouvelles. Le candidat Nouveau Front populaire de la quatrième, Sébastien Rome, est battu par la candidate RN. Il était le député LFI sortant. C’est un coup dur pour les militant·es.

Un tableau, qui recense les résultats du département, se remplit peu à peu. Et les mines sont déconfites. Le Rassemblement national remporte cinq circonscriptions, le Nouveau Front populaire, quatre. En 2022, le RN en avait décroché trois. « On est contents des résultats nationaux mais au niveau local, c’est vraiment moche », déplore une bénévole du Quartier Généreux. « Il faut profiter de cette soirée, puis profiter de l’été pour se reposer mais à la rentrée, on se retrouve et on se remet à bosser ! », scande un autre au micro.

« Après ces résultats, il faudrait que la gauche reste solidaire mais c’est trop tôt pour parler de ça ! Ce soir, on profite », commente Natty, venue avec ses ami·es Illy et Mehdi. Ils ont entre 25 et 32 ans et ont rejoint la place Albert 1er pour « être avec une population de gauche ». « Ici, c’est un lieu safe, c’est surtout pour ça », ajoute Mehdi, qui ne se sent pas en sécurité face à la déferlante des violences racistes ces dernières semaines. « On sent des regards insistants. Et ça installe de la suspicion, on se demande qui a voté RN. Plus de dix millions de personnes qui ont voté pour ce parti au premier tour, c’est pas rien... », conclut le jeune homme, d’ores et déjà inquiet pour 2027.

« Malgré la joie ce soir, j’ai peur de la pente dans laquelle on descend. On y est, on y est toujours », estime également Fred pour qui les résultats de ces législatives ne sont qu’une étape. « La victoire d’aujourd’hui, c’est que le RN se sera pas au pouvoir. Mais la bataille ce sera demain, à l’Assemblée nationale », poursuit-il.

Murielle, bénévole au Quartier Généreux, abonde : « Je me demande ce que ça va donner à l’Assemblée. Je me demande si la gauche va rester unie. On l’a vu, avec la Nupes. Dès le lendemain ils ne se connaissaient plus ! » Surprise de voir autant de monde, et beaucoup de nouvelles têtes, à cette soirée du bar associatif et engagé, elle en est toutefois convaincue : « Cette société civile, elle, ne va pas se diviser. » Ce soir, Murielle veut profiter du souffle d’espoir et de joie qui balaie la foule. Et lève son verre bien haut : « Dans ce verre, il y a le seum de Bardella ! C’est la cuvée du Seum de Bardella ! »

  mise en ligne le 6 juillet 2024

Stopper la marée brune
qui monte depuis 40 ans

par Ivan du Roy sur https://basta.media/

Si le pire – l’arrivée à Matignon de l’extrême droite – peut encore être évité, ce ne sera qu’un sursis supplémentaire. La gauche et la société civile mobilisées doivent désormais répondre à des questions en suspens depuis trop longtemps.

L’extrême droite aura donc mis 40 ans pour être en mesure d’accéder au pouvoir par les urnes en France. Le 17 juin 1984, le Front national emmené par un certain Jean-Marie Le Pen réalisait sa première percée électorale lors d’un scrutin national, attirant 2,2 millions de voix (11 %) aux européennes. Hormis quelques soubresauts, le parti des Le Pen n’a cessé de progresser lentement mais sûrement depuis.

La gauche résiste encore à cette lente marée brune, mais pour combien de temps ? Avec 28 %, la dynamique du Nouveau Front populaire fait mieux que la Nupes en 2022, attirant 3 millions d’électeurs et d’électrices supplémentaires, grâce à la participation sans précédent depuis 30 ans pour ce type d’élection. Problème : l’extrême droite profite également de la mobilisation des abstentionnistes.

Avec 29,5 %, le RN double son nombre de voix comparé à 2022 (9,37 millions ce 30 juin 2024 contre 4,24 millions le 12 juin 2022), auxquelles s’ajoutent le ralliement d’une partie de la droite – les candidats soutenus par LR version Eric Ciotti avec l’appui du RN – qui permet au bloc d’extrême droite de peser 33 %. Ce bloc fait, dès le 1er tour, le plein en terme de voix comparé aux résultats cumulés de ses candidats à la présidentielle de 2022 – les plus de 10,5 millions de voix qui s’étaient portées sur Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.

Barrer la route de Matignon à l’extrême droite

Ce qui n’est pas le cas de l’union de la gauche à qui il manque, sur le papier, plus d’un million de voix quand on regarde les scores obtenus par ses candidats – dispersés – en 2022 (Jean-Luc Mélenchon pour LFI, Yannick Jadot pour Les Verts, Fabien Roussel pour le PCF et Anne Hidalgo pour le PS). Quant au bloc macroniste (20 %), s’il progresse très légèrement en voix (mais pas en pourcentage des voix exprimés) par rapport aux précédentes législatives, il s’effondre, perdant plus de 3 millions d’électeurs et électrices, comparé au résultat qu’avait obtenu Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle.

Lors du second tour du 7 juillet, pour éviter que l’extrême droite obtienne une majorité, tout dépendra donc de la réalité des désistements en faveur du candidat non-RN le moins mal placé dans les 239 circonscriptions où des triangulaires entre RN, Front populaire et Renaissance pourraient avoir lieu. Et bien évidemment de la capacité de l’électorat, qu’il soit de gauche, centriste, de droite « classique » ou abstentionniste selon les cas, à se résoudre à voter pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite.

Si la stratégie du barrage à l’extrême droite fonctionne encore malgré tout, le pays demeurera en sursis. Quelle que soit la situation qui émergera au soir du 7 juillet, un vaste travail d’introspection devra être mené, en particulier à gauche. Un travail d’introspection qui a toujours été remis à plus tard depuis 40 ans, encore moins depuis l’accession surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, aux dépens de Lionel Jospin, signe avant-coureur de ce qui se passe aujourd’hui.

Pourquoi un tel succès pour un parti raciste, anti-social, climatosceptique ?

Les excuses conjoncturelles, si elles sont à prendre en compte, ne suffisent pas à expliquer cette lente marée brune. Oui un certain traitement médiatique, au goût prononcé pour le buzz et les clichés simplistes, a contribué à dédiaboliser le RN, comme l’émergence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête, perçu comme encore plus à droite et outrancier. Oui la constitution d’un groupe de médias par Bolloré a accéléré la diffusion de la propagande et l’idéologie d’extrême droite à plus grande échelle. Mais la marée brune n’avait pas attendu ces vents favorables pour grossir.

Oui la réputation de la gauche politique est encore desservie par l’inconsistance de la présidence Hollande : son absence de vision à long terme sur le partage des richesses ou l’écologie, sa loi travail, ses crédits d’impôts sans conditions aux grandes entreprises, sa légitimation des obsessions de l’extrême droite sur l’immigration et l’islam, légitimation poursuivie par les récents gouvernements…

Oui, l’éclatement de la Nupes et le temps perdu à se déchirer et à brutaliser le débat – notamment depuis le 7 octobre – a encore coûté cher aux formations de gauche. Celles-ci ont agréablement surpris leur électorat en réussissant à former le Front populaire. Mais procrastiner sur les sujets de fond face à la montée de l’extrême droite a suffisamment duré.

Pourquoi une force politique, issue d’une tradition qui n’a strictement et historiquement rien apporté de positif à la France – et pire, qui est même synonyme de déshonneur, de rejet, de haine et de l’élimination d’une partie de ses citoyens – obtient de tels succès ? Pourquoi un projet raciste – remise en cause du droit du sol, stigmatisation des bi-nationaux, focalisation sur l’immigration (comprenez : suspicion et discrimination envers toutes les personnes non blanches) – attire toujours davantage d’électeurs et d’électrices dans une France, l’un des pays les plus mixtes en Europe, où la tolérance vis à vis des minorités progresse globalement depuis 30 ans ?

Pourquoi un parti, qui n’a aucun projet social, excepté des mesures opportunistes, et qui méprise tout ce qui constitue le modèle social français, continue de faire illusion sur ce sujet ? Pourquoi, alors que de plus en plus de Français vivent dans leur chair les conséquences du réchauffement climatique – inondations, canicules ou sécheresses – c’est le parti qui n’apporte strictement aucune réponse, niant même la question du réchauffement, qui continue d’être électoralement en tête ?

Pourquoi encore, ce parti qui n’a aucune vision en matière d’émancipation par l’éducation et par la culture, ne proposant uniquement que mesures autoritaires et sanctions, continue de séduire autant ? Comment la gauche, politique, syndicale, culturelle, associative, a-t-elle pu à ce point s’affaiblir, voire disparaître, dès qu’on s’éloigne des zones urbaines ?

Sortir de la paresse intellectuelle

Historien.ne.s, économistes, syndicalistes, chercheurs, scientifiques, défenseurs et défenseuses des droits humains, journalistes (en particulier les médias indépendants) et des dizaines de tribunes de la société civile ont beau pointer toutes ces contradictions – et bien avant ces échéances électorales – ; rien n’y fait. Cela ne semble avoir aucun impact. La marée brune poursuit sa route, là où, localement, la contradiction a disparu, sur les thématiques où les partis et penseurs de gauche ont trop longtemps pécher par paresse intellectuelle ou confort de l’entre-soi.

Abroger telle ou telle loi inique ne suffira pas ; ni augmenter le Smic sans expliquer aux petits employeurs comment ils seraient accompagnés ; ni demander plus de moyens pour les services publics sans travailler à leur réelle amélioration et organisation ; ni expliquer qu’il faudra davantage d’impôts sans s’attaquer à une gestion rigoureuse et efficiente de l’argent public ; ni prôner la transition écologique, la sobriété ou l’abandon des véhicules thermiques sans expliquer comment, concrètement, ne pas en exclure toute une partie de la population, en particulier en zone rurale. Se contenter d’appeler à la paix dans le monde ne fait pas non plus une politique extérieure. Cette liste est loin d’être exhaustive.

La gauche s’est déchirée pendant un an et demi avant de s’unir à nouveau face à la menace sous la pression, aussi, de son électorat. Elle est en capacité de rattraper son retard sur tous ses sujets. Elle peut s’appuyer sur la richesse de la réflexion, des expérimentations, des savoirs, accumulés par tout ceux et toutes celles qui refusent une aube brune.

  mise en ligne le 5 juillet 2024

« Ce bulletin de vote peut changer nos vies » :
à Champigny, Sophie Binet
en soutien au candidat NFP

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

La secrétaire générale de la CGT est venue soutenir Julien Léger dans la 5e circonscription du Val-de-Marne, où le communiste affrontera le macroniste Mathieu Lefèvre dans une triangulaire.

Les drapeaux rouges de la CGT sont de sortie devant l’Intermarché au cœur du quartier des Boullereaux, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Au micro, ce mercredi 3 juillet, Sophie Binet s’exprime : « Julien Léger est capable de travailler avec tout le monde sur la base de l’intérêt des salariés. Ce bulletin de vote peut changer nos salaires, nos retraites, nos vies. »

À quatre jours du second tour des législatives anticipées, la secrétaire générale de la CGT a effectué un premier déplacement pour apporter son soutien à un candidat dans la 5e circonscription du Val-de-Marne. « Indépendante mais pas neutre », la Confédération avait, dès le 18 juin, appelé à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP).

Perte de 20 policiers depuis 2021

Sophie Binet et le candidat campinois sont des connaissances de longue date au sein de la CGT. « Je connais Julien depuis longtemps, notamment durant le conflit contre la loi travail. C’est un militant droit, intègre et extrêmement courageux, mesure la cégétiste. À l’Assemblée, ce sera un député qui permettra d’inverser le rapport de force face au capital. Il défendra les droits des salariés, loin des jeux d’appareil. »

Avec 37,27 % des suffrages, Julien Léger talonne de peu le député sortant macroniste Mathieu Lefèvre (38,52 %), proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La candidate RN, Isabelle Huguenin-Richard (20,4 %), complète le casting de cette triangulaire sans être en mesure de l’emporter. « Moins de 800 voix nous séparent du candidat soutenu par tous les barons locaux de la droite, les réserves de voix sont dans nos quartiers populaires, estime le communiste. Ce député sortant ne s’est jamais déplacé dans nos quartiers pour réclamer des services publics, ni même a protesté contre la fermeture de la Poste au centre de Nogent-sur-Marne. »

Par la présence de Sophie Binet dans le quartier des Boullereaux, les militants locaux ont voulu mettre en lumière le recul des services publics. Dans la gare SNCF, les agents ont été remplacés par des machines, sur fond de privatisation des transports en Île-de-France. Surtout, les communistes réclament depuis de nombreuses années la réouverture du second commissariat dans la commune, depuis, transformé en un centre de santé.

« Jamais Mathieu Lefèvre n’a appuyé ces revendications. Pire, depuis 2021, nous avons perdu 20 policiers dans notre secteur ! » fustige Julien Léger. « Nous ne pouvons plus continuer avec les logiques économiques et sociales d’Emmanuel Macron, insiste Sophie Binet. L’élection de Julien se joue à quelques voix. Nous avons besoin de députés de la société civile comme Julien Léger et Lyes Louffok, militants des droits de l’enfant. Les deux circonscriptions de Champigny peuvent faire basculer la future majorité. »

Grève historique à l’Intermarché des Boullereaux

Les habitants du quartier ont aussi en mémoire la lutte des salariées de l’Intermarché, en septembre 2023. « Sur la quarantaine de salariés, 80 % ont tenu une grève de trois semaines, dont la plupart sont des femmes. Certains avaient vingt années d’ancienneté. Nous avons tout de suite reçu un fort soutien des habitants. La caisse de grève débordait. Les commerçants donnaient à manger aux grévistes », rappelle Laurence Viallefont, secrétaire de l’union locale CGT de Champigny-sur-Marne.

Pour Sophie Binet, « par leur mobilisation historique, ces salariées ont obtenu 100 euros d’augmentation pour tous, le respect des salariés par la direction, l’application des libertés syndicales, le paiement des heures supplémentaires et des jours » enfant malade ». C’est une belle victoire qui montre qu’il est possible d’obtenir des avancées sociales ».

De son côté, Julien Léger veut retenir la méthode victorieuse. « Ces femmes ont reçu le soutien des syndicats, des associations et des partis politiques. Les militants PCF ont été très actifs pour leur venir en aide. C’est cette union qui a permis de triompher sur le patron, comme un air de Front populaire avant l’heure. »

Selon le communiste, « le maire LR Laurent Jeanne et le député Mathieu Lefèvre n’ont pas trouvé une minute pour soutenir ces femmes. Nous ne devons plus laisser ce député, responsable de l’explosion des scores de l’extrême droite, en poste ». « L’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs parce qu’elle divise avec son racisme. Quatre militants RN ont été condamnés à six mois de prison pour avoir passé à tabac un homosexuel. Que se passera-t-il demain avec un gouvernement Bardella ? » fustige la secrétaire générale de la CGT. À Champigny, les digues ont d’ailleurs cédé. L’adjoint au maire chargé de la sécurité, Grégory Goupil, est également secrétaire régional d’Alliance 93… un syndicat de police d’extrême droite.


 

  mise en ligne le 5 juillet 2024

« Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? », la direction de la société HNET monte d’un cran dans ses propos racistes

Léo Schilling sur www.humanite.fr

La dirigeante d’une entreprise de nettoyage francilienne a tenu des propos racistes envers ses employés, en grève depuis le 20 juin. Elle a néanmoins dû négocier avec ses salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables

Ces propos racistes n’en finissent pas de susciter l’indignation. Alors que les travailleurs sans papiers du groupe francilien de nettoyage et d’entretien HNET étaient en grève depuis le jeudi 20 juin pour obtenir les documents auprès de la société pour lancer des procédures de régularisation, ainsi que des augmentations de salaires, la direction de l’entreprise est montée d’un cran ce mardi dans sa violence à l’encontre des travailleurs.

Ce jour-là, la cheffe d’entreprise, qui refusait jusque-là de négocier depuis plus de 10 jours, au point d’engager un maître-chien pour éloigner les grévistes, puis d’envoyer des lettres de convocation pour licenciement, est finalement allée à la rencontre de ses salariés. Devant plusieurs journalistes, elle a assuré d’abord, contre toute évidence, « il n’y a pas de travailleurs sans papiers », avant de tenir des propos ouvertement racistes : « Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? »

Gain de cause

Soutenus par la CNT, les travailleurs sans papiers ont finalement pu négocier avec la direction mardi 2 juillet au soir, et ont obtenu certaines garanties : la revalorisation de 10 % des salaires, ainsi que l’arrêt des procédures de licenciement, selon le syndicat. De plus, l’accord prévoit un « processus de régularisation et une future réunion sur les contrats et conditions de travail », à la rentrée, poursuit la CNT.

Dans un contexte politique nauséabond, cette victoire est une bouffée d’air frais pour ces salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables (sept jours sur sept, heures supplémentaires non rémunérées…), malgré vingt ans d‘ancienneté pour certains d’entre eux.


 


 

Et sur l’origine de cette grève :

Paris : les travailleurs sans papiers du groupe HNET en grève pour leurs droits

Léo Schilling sur www.humanite.fr

En grève depuis jeudi 20 juin, des salariés sans papiers du groupe de nettoyage HNET continuent de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail devant le siège de l’entreprise, pour le moment sans réponse de la part de leur employeur.

Sur les treize travailleurs sans papiers en grève, neuf sont présents ce mercredi 26 juin, dans le quinzième arrondissement de Paris, pour manifester devant les locaux de leur employeur, le groupe de nettoyage HNET. Ils scandent en chœur « pour tous les travailleurs, solidarité », et agitent des drapeaux de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT) Solidarité Ouvrière, qui les soutient, tout en tapant dans leurs mains et sur une poubelle. Un syndicaliste se tient à leurs côtés, avant qu’ils ne soient rejoints par un juriste de la CNT, chargé de défendre leurs droits.

« Non-respect du droit du travail »

Devant le siège de HNET, barricadé par la direction du groupe durant le week-end, le juriste Etienne Deschamps explique la situation et les revendications de ces travailleurs, des déclarations confirmées par les grévistes. Chargés de nettoyer et d’entretenir les parties communes de copropriétés ou encore de gérer les poubelles et le tri sélectif, ils pointent tous les manquements au droit du travail : « Les employeurs savent parfaitement que ces salariés sont sans papiers, sinon ils se comporteraient différemment. Certains travaillent sept jours sur sept, reçoivent des contrats de travail à temps partiel illicites, qui ne comportent pas les mentions légales, notamment la répartition des horaires dans la semaine ou le mois. Les heures supplémentaires ne sont pas forcément rémunérées, et les frais d’essence des salariés se déplaçant en scooter ne sont pas pris en charge. Depuis des années, les méthodes de l’entreprise sont celles d’un autre monde. »

Selon Etienne Deschamps, les mails et SMS envoyés aux employeurs pour proposer de négocier les conditions de travail des salariés n’ont pas trouvé de réponse, le groupe HNET se contentant de nier l’emploi de travailleurs sans papiers. La première étape est de porter la demande de régularisation des travailleurs : « Ils remplissent tous les critères de la circulaire Valls (texte administratif décrivant les critères de délivrance des titres de séjour), qui est toujours d’actualité : plus de trois ans d’ancienneté sur le territoire, vingt-quatre bulletins de salaire… l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Il faut que les entreprises comprennent qu’il faut négocier avec les salariés qui les enrichissent depuis des années. »

Un contexte électoral qui risque de précariser davantage ces travailleurs

Après une première journée de manifestation jeudi 20 juin, les grévistes ont été accueillis le lendemain par des maîtres-chiens, qui avaient apparemment du mal à maîtriser leurs animaux. « Une porte s’est ouverte, un chien est sorti sans laisse ni muselière, ce qui est illicite, et a mordu la première personne venue, un des collègues », raconte le juriste. D’après les déclarations des travailleurs, le maître-chien concerné aurait été embarqué par la police peu après. Les forces de l’ordre sont également revenues voir où en était la situation ce lundi, se contentant de discuter avec les grévistes, puis de quitter les lieux.

Contacté, le groupe HNET n’a pas répondu aux sollicitations de L’Humanité.


 


 

À Marseille, les femmes de chambre du Radisson entament leur 44e jour de grève

Pauline Achard sur www.humanite.fr

Les femmes de chambres du luxueux hôtel Radisson à Marseille, ne sont pas parvenues à faire plier leur direction à l’issue d’une médiation engagée, ce jeudi 4 juillet. Pour leur 44e jour de grève, elles poursuivront donc leur mobilisation ce vendredi, dès 9 heures 30, devant les portes de l’établissement, sur le Vieux-Port.

Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale

Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.

Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.

Déboutées de leurs demandes

Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.

Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.

Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.

Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.

Conditions de travail indignes

« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.

« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.

Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.

Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.

Un large soutien populaire

En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.

« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours, l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel », ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.

Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.


 


 

En plein divorce avec LFI,
François Ruffin garde son cap

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.

Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14h, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacée. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.

Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie.      Christophe

À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.

Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.

Le mépris

Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.

« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ces sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »

Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement

Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier « d’opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.

15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».

Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.

* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.

« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »

Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.

Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain.
F. Ruffin

Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ces joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.

François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. Mais c’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte à porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »

   mise en ligne le 4 juillet 2024

Législatives 2024 :
comment le RN est-il devenu
le catalyseur des violences en France  ?

Benjamin König sur www.humanite.fr

Agressions, menaces, insultes : l’arrivée potentielle de l’extrême droite au pouvoir semble ouvrir les vannes d’une violence raciste et politique inédite depuis des décennies. Le risque terroriste n’est pas à écarter de la part d’individus fascinés par les tueries d’Oslo ou de Christchurch. La France peut-elle entrer dans une période sombre ?

C’est un monde parallèle mais bien réel, qui rassemble des dizaines de milliers de personnes. Ils ont pour nom Ouest Casual ou Canal Natio ; des groupes de militants et sympathisants de l’extrême droite radicale, où l’on se prépare à passer à l’action. « Vous êtes prêts ? » demande un contributeur accompagnant son message d’images d’une bombe et d’une explosion.

On y relaie les dernières actions, les violences envers des militants de gauche, on liste les ennemis – antifascistes, militants du Nouveau Front populaire, personnes racisées, musulmans, juifs, féministes ou personnes LGBTQI+. On prend la pose lors de manifestations fascistes, avec des tee-shirts sur lesquels figure le slogan : « Au fusil, au couteau nous imposerons l’ordre nouveau. » On célèbre la violence qu’on attend impatiemment, peut-être suite aux élections législatives qui pourraient « déclencher des émeutes : espérons » !

« On est nazis, putain ! »

Au lendemain des européennes, de nombreux groupes d’extrême droite ont même pensé que l’heure de la « grande guerre raciale », comme ils la nomment, était venue. Dans le Vieux-Lyon, un des quartiers gangrenés par les groupuscules depuis des années, une cinquantaine de militants fascistes ont manifesté, agressant plusieurs personnes selon des témoignages, en scandant : « On est nazis, putain ! », « Islam hors d’Europe ! » Le soir du 9 juin, Gabriel Loustau, le fils d’un proche de Marine Le Pen, a agressé un homosexuel à Paris avec plusieurs acolytes se revendiquant du GUD, le Groupe union défense, une organisation historique de l’extrême droite.

Au commissariat, l’un d’eux s’est exclamé : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du pédé autant qu’on veut ! » et « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hitler reviendra… » Au-delà des cas emblématiques comme l’assassinat du rugbyman Federico Aramburu en 2022 par Loïk Le Priol, lui aussi membre du GUD, les actes de violence de l’extrême droite se multiplient. Marginaux durant longtemps, ils sont en nette hausse depuis 2022 : de 35 attaques graves perpétrées par l’extrême droite entre 2019 et 2022, elles ont bondi à 22 rien que pour 2023, selon le centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo. Et en cas d’arrivée du RN au pouvoir ?

Pour Pietro Castelli Gattinara, professeur de science politique à l’université libre de Bruxelles et chercheur à Sciences-Po, il convient de distinguer plusieurs formes de violence liée à des groupes d’activistes. « L’activisme extraparlementaire de l’extrême droite peut prendre trois formes principales : des actions individuelles et non revendiquées, comme une bonne partie de celles que nous avons vues pendant la crise des migrants ; des actions collectives non revendiquées, telles que l’infiltration dans des groupes de riverains, ce qui a été le cas d’actions à Dublin en 2023 ; et des actions collectives revendiquées telles que les blocages de bus ou de convois humanitaires transportant des demandeurs d’asile par des groupes tels que Forza Nuova en Italie », liste-t-il. Pour le spécialiste des extrêmes droites européennes, la particularité de la France est que cet activisme « est dominé par des acteurs non institutionnels, avec une distinction entre groupuscules et partis politiques, davantage qu’en Italie par exemple ».

Les lieux de culte de plus en plus ciblés

Au ministère de l’Intérieur, la menace est prise très au sérieux. Une source indique qu’elle constitue la priorité n° 2 après celle de l’islamisme radical, et concerne le terrorisme, la déstabilisation et la désinformation. En Allemagne, la violence d’extrême droite est même LA priorité. Ce qui inquiète le plus : qu’un individu passe à l’acte sur le modèle des tueries d’Utøya en Norvège (Anders Breivik en 2011) ou de Christchurch en Nouvelle-Zélande (Brenton Tarrant en 2019).

Ce dernier, qui avait assassiné 51 personnes dans deux mosquées, s’était radicalisé en France, s’imprégnant notamment de la théorie du « Grand Remplacement ». Un thème porté ouvertement par l’extrême droite française, y compris par Jordan Bardella, qui multiplie les allusions même s’il n’utilise pas ce terme précis. En France, le budget de la protection des édifices religieux est d’ailleurs en forte hausse, à commencer par les mosquées, selon notre source, et les synagogues.

Le 13 janvier dernier, une ou plusieurs personnes ont tenté d’incendier la mosquée de Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix. Celle de Guingamp avait été taguée de slogans racistes quelques semaines plus tôt. Et le 23 décembre 2022, un homme avait tué trois personnes en s’en prenant à un centre culturel kurde, à Paris.

En 2023, plusieurs événements ont contribué à une hausse à la fois des exactions et du vote d’extrême droite : les drames de Crépol, dans la Drôme, ou de la jeune Lola, à Paris, ont servi de marqueurs idéologiques. Des meurtres sordides instrumentalisés par l’ensemble de l’extrême droite, à la fois au sein des groupuscules et sur les plateaux télévisés.

Peser dans le débat public

À Romans-sur-Isère, une centaine de militants néonazis ont défilé dans les rues sous le regard apeuré et interloqué des habitants, quelques jours près le drame de Crépol. La haine de l’immigration a également donné lieu à des menaces envers des élus de la part de militants qui refusaient l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants, notamment dans l’ouest du pays, à Callac et Saint-Brevin-les-Pins, où le maire avait démissionné après que son domicile eut été incendié.

Le 22 avril dernier, dans une tribune au Monde, le directeur adjoint du centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo, Anders Ravik Jupskas, distinguait « deux types de violence : raciste, qui vise les minorités ethniques et religieuses, et anti-gauche, qui vise les opposants politiques. Les premières sont plutôt commises par des acteurs isolés, celles anti-gauche par des acteurs organisés ». Concernant ces dernières, la France figure en seconde position en Europe, avec quatre groupes principaux impliqués : le GUD, les Jeunesses nationalistes, les Zouaves – une émanation récente du GUD – et l’Action française, mouvement royaliste et maurrassien fondé à la fin du XIXe siècle.

Et pourtant, entre groupes organisés et individus isolés, la frontière est en réalité poreuse : dans les sciences sociales, « on remet en cause la notion de violences individuelles, car il est très rare qu’un cas soit isolé d’une action collective », précise Pietro Castelli Gattinara.

Selon notre source au ministère de l’Intérieur, il existe au RN des gens qui font le lien avec les militants nationalistes radicaux, au sein d’une nébuleuse qui gravite autour de ces cercles, et maintiennent un contact proche avec Reconquête !, qui a servi de réceptacle institutionnel à la mouvance parfois qualifiée d’ultra-droite. Pour le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droite, ces groupes « ont des financements, des soutiens médiatiques et politiques. Ils veulent peser dans le débat public et influer sur Marine Le Pen », dont la ligne est parfois jugée un peu trop molle, stratégie de « dédiabolisation » oblige.

Quelles seraient leurs cibles ? Dans un entretien au Monde, l’ancien patron du renseignement intérieur (désormais au renseignement extérieur), Nicolas Lerner, indique que dix actions terroristes de l’ultra-droite ont été déjouées depuis 2017. Elles visaient des « élus, juifs, francs-maçons, musulmans ». Pour lui, « il est clair que la vie politique de notre pays peut avoir une influence sur la propension de certains groupes à passer à l’acte ».

Au-delà de ce genre d’actions, c’est aussi la multiplication d’actes de basse intensité – insultes, menaces, agressions – qui est susceptible d’exploser. Au sein du ministère de l’Intérieur, on concède que si le RN passe, on entre dans l’inconnu, avec un possible déchaînement.

Peu probable cependant qu’un RN au pouvoir ait intérêt à « couvrir » officiellement ce genre d’actes. Mais dans les discours, le laisser-faire, le harcèlement quotidien – y compris par une petite fraction de la police –, le risque existe. Il semble même inéluctable. D’autant que cette période de violences politiques a déjà commencé. Alors si, le 7 juillet, l’extrême droite parvenait au pouvoir ? Il est toujours possible d’éviter ce scénario noir.

mise en ligne le 4 juillet 2024

Législatives 2024 :
quatre mesures de gauche à prendre d’urgence

Stéphane Guérard, Nadège Dubessay et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr

Le programme du Nouveau Front populaire donne un cap aux futurs députés pour engager le bras de fer à l’Assemblée et changer le quotidien. La preuve par quatre.

Quels que soient la configuration de l’Assemblée dimanche soir et le rapport de force qui s’en dégage, les députés de gauche comptent imposer des mesures chocs afin de répondre aux demandes de changement qui se sont fait jour lors de ces législatives.

Porter le Smic à 1 600 euros net

Dans la foulée du programme du NFP, les députés de gauche de la future Assemblée comptent batailler pour que le Smic soit porté à 1 600 euros net, soit une hausse d’environ 15 % par rapport au niveau actuel. Pour répondre aux libéraux qui agitent le spectre d’une multiplication des faillites d’entreprises en cas d’envolée de leurs « coûts » salariaux, le NFP fait valoir plusieurs arguments.

D’abord, qu’une hausse des bas salaires relancera la consommation (moins on est riche, moins on épargne et plus on injecte son revenu supplémentaire dans l’économie), donc l’activité. Ensuite, qu’aucun des États qui a augmenté fortement son salaire minimum au cours des vingt dernières années (tels le Royaume-Uni, l’Ontario aux États-Unis, etc.) n’a connu de catastrophe économique, au contraire. Enfin, qu’il est toujours possible d’aider les PME à amortir le choc salarial que cela représenterait, par la création d’un fonds de compensation notamment.

Abroger la retraite à 64 ans

Adoptée par 49.3 il y a un an malgré un mouvement social historique, la réforme des retraites est revenue comme un boomerang au visage des macronistes. L’abrogation de l’âge légal de départ à 64 ans est tout à fait envisageable et apaiserait les esprits. Contrairement à ce qu’a affirmé Gabriel Attal, le régime universel des pensions ne ferait pas banqueroute en revenant aux 62 ans.

D’une part, la réforme de 2023 se met progressivement en place et n’a pas eu le temps de produire ses effets d’économies. D’autre part, l’augmentation du nombre d’années cotisées nécessaires (43 annuités) figurait déjà dans la réforme Touraine précédente, que l’actuelle ne fait qu’accélérer. Enfin, parce que le NFP propose de très nombreuses pistes de financement pour pallier le manque à gagner de l’abrogation (autour de 22 milliards d’euros, selon l’économiste Michaël Zemmour) ainsi que le sous-financement chronique dont souffre le régime.

La hausse de 0,25 point par an des cotisations sociales des salariés et employeurs prônée par le NFP couvrirait les deux tiers du coût de l’abrogation, en cinq ans. La taxation des revenus désocialisés ou défiscalisés (épargne salariale, prime Macron, intéressement, participation, dividendes, rachats d’actions…) ferait le reste.

Muscler l’émancipation par l’éducation

L’instruction est un ressort fondamental de lutte contre les idées d’extrême droite. Dans la dynamique du Nouveau Front populaire, les députés de gauche comptent bien renforcer le système scolaire grâce à trois mesures d’urgence : augmenter les salaires des enseignants comme de l’ensemble de la fonction publique pour rendre les carrières attractives ; abroger le « choc des savoirs » d’Attal en renforçant la liberté pédagogique des enseignants ; instaurer une « gratuité intégrale à l’école » (cantine, fournitures, transports, activités périscolaires) pour muscler le pouvoir de vivre des familles.

En confrontation directe avec le programme rance du RN, qui veut faire de l’école « le conservatoire vivant du patrimoine des savoirs accumulés depuis des siècles », la gauche entend aussi rompre avec la vision utilitariste de la Macronie d’un système éducatif orienté vers les seuls besoins des entreprises.

L’émancipation des élèves passe par un réinvestissement dans les locaux scolaires, la modulation des dotations des établissements – y compris privés – pour renforcer la mixité sociale, ainsi que l’abolition de Parcoursup et de la sélection dans les universités publiques.

Réanimer le système de santé

Relancer un système de santé atrophié par des années de sous-financements, alors que les besoins de la population vont grandissants, nécessite de changer les règles. Pour ce faire, les députés de gauche élus dimanche soir pourront s’inspirer des mesures phares contenues dans le programme NFP.

La lutte contre les déserts médicaux implique la régulation de l’installation des médecins et la participation des cliniques privées à la permanence des soins, avec la garantie d’un reste à charge zéro. Un plan de « rattrapage des postes manquants de fonctionnaires », particulièrement à l’hôpital public, un autre de recrutement dans le médico-social (Ehpad, IME, aide à domicile…) s’accompagneraient de la revalorisation des métiers et des salaires.

La constitution d’un pôle public du médicament combattrait efficacement les pénuries de médicaments. Et une vraie politique de prévention implique de s’attaquer aux polluants éternels (Pfas).

mise en ligne le 3 juillet 2024

Depuis les victoires électorales du RN,
les violences racistes déferlent

David Perrotin sur www.humanite.fr

Depuis le 9 juin, de multiples agressions racistes, verbales ou physiques, ont eu lieu dans toute la France. Plus d’une par jour, selon le décompte de Mediapart. Dans de très nombreux cas, les personnes mises en cause ont fait référence au Rassemblement national.

La liste n’est pas exhaustive mais reste inédite. Rarement la France aura connu, semble-t-il, autant d’agressions et de propos racistes dans une temporalité aussi réduite. 

Depuis le 9 juin et le résultat du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et l’annonce de la dissolution avec une victoire possible du parti d’extrême droite aux élections législatives, pas un jour ou presque ne se passe sans que la presse relate une agression.

Parfois très violentes, toujours racistes, celles-ci sont, dans de très nombreux cas, en lien avec le contexte politique, lorsque les mis en cause font explicitement référence au RN, à Marine Le Pen ou à Jordan Bardella. En à peine trois semaines, Mediapart dénombre au moins trente événements racistes signalés dans la presse. Plus d’un chaque jour. 

Un homme tabassé 

Les images diffusées le 1er juillet au tribunal de Bourg-en-Bresse sont glaçantes et presque insoutenables. À chaque coup porté par Maxime B., 25 ans, et Adrien V., 23 ans, la tête de la victime heurte la vitre de la porte avec fracas. Mourad B., 37 ans, avait simplement demandé aux deux jeunes hommes qui sortaient d’un restaurant de baisser le ton. En retour, il reçoit une pluie de coups et de nombreuses insultes racistes. « On est en France », « Descends, sale bougnoule », « Nique sa mère les bougnoules ». Maxime et Adrien ont été condamnés à quatre ans de prison dont un avec sursis.

Ce même 1er juillet, dans un village des Cévennes gardoises, Midi Libre raconte qu’un homme a passé la nuit à déambuler dans les rues de la commune de La Grand-Combe, fusil à la main, en tirant plusieurs coups de feu.  Selon plusieurs témoins, précise le parquet, « il vociférait des propos du type “À mort les Arabes” », avant d’être interpelé au petit matin. 

Sur son compte X, Tajmaât, « une plateforme collaborative pour la diaspora maghrébine », diffuse de nombreuses vidéos et témoignages d’agressions racistes. Le 30 juin, des images montrent une femme portant un voile ciblée par un individu à Paris. « C’est insupportable, il va falloir l’enlever [...]. C’est anti-France, cet islam est incompatible avec la France », lance-t-il alors que la victime précise être née en France. « L’invasion migratoire et l’invasion de l’islam, on n’en peut plus. [...] Vous êtes une ennemie de la France », ajoute-t-il. 

La veille de l’élection législative, le 29 juin, plusieurs plaintes ont été déposées pour des tags racistes retrouvés sur un mur et sur une route de deux villages, relate le Dauphiné libéré

Dans le Nord, le 28 juin, deux militants du Nouveau Front populaire (NFP) ont porté plainte après avoir été agressés par des « partisans du RN ». « Ils ont tenté de brûler une affiche du NFP, chanté Maréchal nous voilà, demandé à une militante musulmane de “rentrer dans son pays” en voulant lui “jeter du cochon dessus”. Une honte », écrivait le NFP local sur Twitter.

Une soirée xénophobe intitulée « Ausländer Raus » (« Les étrangers dehors », en français) devait se tenir le 28 juin dans un bar identitaire de Rouen. Après une bataille juridique avec le maire socialiste de la ville, les organisateurs ont décidé de l’annuler.

Une boulangerie incendiée 

Comme l’a raconté Mediapart, les attaques racistes visant des candidat·es, des militant·es ou des élu·es ont imprégné cette campagne électorale express comme jamais. « C’est extrêmement violent. On me dit que je vais retourner en Gambie, on me traite de singe. Des trucs d’un autre temps », déplorait par exemple le candidat NFP en Seine-Saint-Denis Aly Diouara, faisant référence aux messages reçus sur les réseaux sociaux mais aussi par e-mail. 

Dans la nuit du 26 juin, c’est une boulangerie d’Avignon, dans le Vaucluse, qui est incendiée et taguée à l’intérieur avec des inscriptions racistes et homophobes. Les mots « nègre », «PD », « dégage » étaient encore lisibles malgré les sept tentatives de départ de feu dénombrées par les enquêteurs. Depuis un an, le patron de la boulangerie employait un apprenti de nationalité ivoirienne. 

Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées.           Signalement reçu par SOS Racisme.

Toujours le 26 juin, selon nos informations, le service juridique de SOS Racisme a reçu le signalement d’une femme portant un voile victime de propos islamophobes. Alors qu’elle se baignait dans la piscine de sa résidence avec sa famille, Sonia* raconte avoir été prise à partie par ses voisines. « Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées », lui auraient-elles notamment lancé.

SOS Racisme a également reçu le signalement d’un propriétaire d’un restaurant de sushis pris à partie par un individu. Auprès du pôle juridique de l’association, il dit « ressentir depuis l’annonce de la dissolution un climat général où le racisme a lieu en toute impunité ». 

Le 25 juin à Thiais, dans le Val-de-Marne, un chauffeur de bus en service pour le ramassage scolaire est victime de menaces de mort et d’insultes racistes par un automobiliste garé sur une place réservée aux bus. « J’en ai marre des gens comme vous, bougnoules et renois, moi je vote RN, je vais te tuer, je vais te massacrer, je vais vous éradiquer », a-t-il notamment proféré, selon une source policière interrogée par France Info. L’automobiliste serait remonté dans sa voiture avant de percuter délibérément le chauffeur de bus au niveau des jambes. Si le mis en cause dément tout propos raciste, une enquête a été ouverte par le parquet.  

Des pompiers menacés et insultés

Le 25 juin, Karim Rissouli, journaliste sur France 5 où il présente notamment l’émission « C ce soir », dévoile sur Instagram le contenu d’un courrier anonyme raciste reçu à son domicile. « Franchement Karim, tu n’as pas compris le vote du 9 juin. [...] La seule et unique raison fondamentale du vote RN, c’est que le peuple français historique en a plein le cul de tous ces bicots, le reste c’est du bla-bla. Le “Souchien” [Français de souche – ndlr] ne t’acceptera jamais, ni toi, ni tes frérots, et même malgré le nombre vous ne posséderez jamais la France », est-il notamment écrit. 

D'autres journalistes dont Nassira El Moaddem du site Arrêt sur images et Mohamed Bouhafsi, chroniqueur de l'émission "C à vous" sur France 5, ont aussi publié des messages racistes les visant. 

Le 24 juin à Roanne, en marge d’une manifestation contre l’extrême droite, un individu s’en est pris à des manifestants en tenant plusieurs propos racistes et homophobes selon les témoins cités par Le Progrès. « Il a parlé des “bicots”, et laissé entendre qu’il en avait “ras-le-bol des Arabes” », écrit le quotidien. Il a ensuite asséné un coup de poing à l’un d’entre eux avant d’être laissé libre par la police municipale. Il ne sera interpelé que bien plus tard après avoir agressé une personne qui sera hospitalisée. 

Le maire LR de cette même ville, Yves Nicolin a été contraint de s’excuser le 2 juillet pour des propos racistes tenus lors d’une conférence de presse lundi. « Ceux qui sortent la nuit sortent plutôt l’été. C’est une race qui aime la chaleur et le beau temps. L’hiver, ils sont plus tranquilles », a déclaré l’édile devant une brigade de police municipale locale de nuit. 

Dimanche 23 juin, des sapeurs-pompiers de Vieux-Condé, dans le Nord, sont empêchés d’intervenir pour un malaise et reçoivent « menaces », « crachats » et « injures racistes » selon La Voix du Nord. Les mis en cause, un homme de 55 ans et une femme de 31 ans, ont été interpelés et sont poursuivis pour menaces de mort et rébellion. « Des pompiers veulent rentrer dans une maison pour aller aider quelqu’un de blessé. Et là, on leur dit “Non, vous, vous ne rentrez pas”, parce que le pompier s’appelle Mounir, précisait le candidat communiste Fabien Roussel quelques jours plus tard sur France Info. Ils ont dû rentrer dans leur camion sous les cris “On est chez nous, les bougnoules dehors !” » 

Après une fête locale le 22 juin près de Lunel, trois plaintes ont été déposées pour des violences en réunion dont une à caractère raciste selon Midi Libre. Un jeune de 19 ans raconte avoir été suivi par une voiture avant qu’elle ne s’arrête à son niveau et que quatre personnes, dont une avec un couteau, le frappent à la tête. « Quatre hommes m’ont ensuite saisi les bras et les jambes et m’ont jeté dans le canal puis m’ont plongé la tête sous l’eau, de force. Ils ont fait ça quatre ou cinq fois tout en me traitant de “sale Arabe”. “Tu n’as rien à faire ici”, criaient-ils. Ils disaient que je venais de Djihad City en faisant référence à Lunel », a témoigné la victime, qui a eu sept jours d’ITT, devant la police. 

Vive Zemmour, vive Jordan Bardella, je vais t’enculer ta mère, vive Bardella.            Signalement reçu par SOS Racisme.

Toujours le samedi 22 juin, cette fois-ci à Paris, l’ancien animateur de l’émission « Affaire conclue » sur France 2 et proche de Jean-Marie Le Pen, Pierre-Jean Chalençon, aurait tenu des propos racistes contre une journaliste d’origine marocaine lors d’un dîner chez des amis communs. Devant une dizaine de convives, selon Le Figaro, il est contredit lorsqu’il prend la défense du fondateur du Front national et s’en prend à la journaliste, selon sa plainte déposée depuis : « Je t’en... Les Arabes seront toujours des Arabes, rentre chez toi ! », lance-t-il. « Ta gueule sale bougnoule, rentre chez toi ! », ajoute-t-il selon la victime, avant de projeter au sol son téléphone portable. Si Pierre-Jean Chalençon conteste tous les propos, une plainte a été déposée le lendemain pour injure non publique en raison de l’origine.

Selon nos informations, le pôle juridique du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a été saisi après un quiz musical organisé le 22 juin lors d’une fête de village à Lepuix, près de Belfort. Des propos injurieux contre les immigrés ont été proférés, d’après des témoins. « Plusieurs personnes ont été choquées d’entendre qu’une équipe de participants s’appelait “Sale immigré”. “Cela a été dit plusieurs fois au micro”, a affirmé le militant écologiste Vincent Jeudy, qui a participé à ces festivités rassemblant plusieurs milliers de personnes », précise l’association. Une enquête a été ouverte par le parquet. 

Le Mrap annonce aussi déposer plainte contre la propagande électorale affichée en Meurthe-et-Moselle par le Parti de la France, groupuscule d’extrême droite, dont un membre, Pierre-Nicolas Nups, est candidat dans la 5e circonscription du département sous l’étiquette « Rassemblement de la droite nationale ». Ses affiches représentaient un enfant blond aux yeux bleus barré du slogan « Donnons un avenir aux enfants blancs »

L’association a également déposé plainte après les propos tenus par Daniel Grenon, député sortant du RN dans l’Yonne, lors d’un débat tenu avec son opposante le 1er juillet, et révélés par L’Yonne républicaine : « Sur 30 ou 40 postes, on ne peut se permettre d’avoir des binationaux. Des Maghrébins sont arrivés au pouvoir en 2016, ces gens-là n’ont pas leur place en haut lieu. » 

Le 21 juin, une chanson raciste et pro-RN, « Je partira pas », a été diffusée sur de nombreux réseaux sociaux d’extrême droite et a été relayée par Éric Zemmour, Gilbert Collard ou la militante Mila. « Quand va passer Bardella, tu vas retourner chez toi » ou « Pour toi, fini le RSA/Le bateau n’attend pas », peut-on notamment entendre. SOS Racisme et le MRAP ont effectué plusieurs signalements.  

Un adolescent roué de coups 

Le 20 juin à Paris, Kofi Yamgnane, ancien ministre et ancien élu socialiste d’une commune de Bretagne, est victime d’attaques racistes de la part d’un individu dans la rue. « Toi, tu as intérêt à te préparer à rentrer chez toi en Afrique », « On va vous foutre tous dehors », a asséné un passant en croisant sa route.

Le même jour, une mère de Sotteville-lès-Rouen a dénoncé l’agression raciste de son fils, d’origine franco-algérienne, de 14 ans à la sortie d’un cours de sport. Selon France Bleu, il a été agressé par trois jeunes hommes alors qu’il attendait sa mère. « Il a été insulté de “gratteur d’allocs” et roué de coups », précise la radio.

Toujours le 20 juin, « Envoyé spécial » diffuse le témoignage de Divine Kinkela, aide-soignante, victime des propos racistes de ses voisins à Montargis (Loiret) et militants RN. « Bonobo ! », « On fait ce qu’on veut, on est en France, on est chez nous ! », lui ont-ils notamment lancé selon la victime.

Devant les caméras de France 2, ladite voisine, fonctionnaire au tribunal judiciaire de Montargis suspendue depuis, chante « on est chez nous », lance « va à la niche » et dénigre la coupe de cheveux de la victime. Des pancartes « avec Marine et avec Bardella », et une casquette « Vivement le 9 juin avec Jordan Bardella » sont aussi visibles, accrochés sur la façade de leur maison. Plusieurs plaintes ont été déposées. 

Mi-juin à Chatou, dans les Yvelines, plusieurs résidents ont reçu des tracts ouvertement racistes intitulés « Monsieur le Maire, Stop aux Blacks à Chatou ! ». « Nous n’acceptons pas que Chatou devienne la Seine-Saint-Denis. Nous avons choisi d’habiter Chatou parce qu’il n’y avait pas de Blacks », peut-on lire entre autres propos racistes. « Ras-le-bol des Africains qui sont toujours dépendants de la France pour pouvoir survivre. » Au moins trois plaintes ont été déposées, rapporte Le Parisien

Le 19 juin 2024, un couple et leur enfant auraient été victimes d’une agression raciste, nous indique le pôle juridique de SOS Racisme. Karim* aurait été pris à partie par trois de ses voisins au sujet de l’emplacement de sa voiture. « Sale Arabe de merde, on va te ramener à la frontière… Sale race, votre place c’est pas ici, bande de Sarrasins de mes couilles », auraient-ils proféré, selon l’association. « À ces propos s’ajoutent “Vive Zemmour, Vive Jordan Bardella , je vais t’enculer ta mère, vive Bardella”. » Selon le signalement, les individus auraient frappé le père de famille à la hanche et l’un d’eux aurait menacé la famille avec un chien, « un pitbull sans muselière »

Le 18 juin 2024 dans le Tarn-et-Garonne, des ouvriers découvrent des tags racistes et antisémites sur les murs de la nouvelle mosquée de Montauban Es-Salam, en cours de construction. « Sales bougnoules », « rentrez chez vous », ont été inscrits à la bombe de peinture noire en plus de croix gammées, selon France 3 Occitanie. « C’est la cinquième fois que nous retrouvons ce genre de tags racistes, la dernière fois, c’était une tête de cochon », dénonce un membre de l’association musulmane de Montauban. 

Deux jours plus tôt, le 17 juin, le militant Karim Merimèche est pris à partie par des sympathisants du RN alors qu’il tractait pour le candidat sortant La France insoumise (LFI). « L’un des hommes m’a dit : “Rentre dans ton pays, sale bougnoule, dégage, rentre chez toi.” J’étais choqué, je n’ai rien dit et je me suis éloigné. Mais il a continué, en me traitant encore de “sale bougnoule de merde” et en disant à Mathilde [Regnaud, suppléante du candidat – ndlr] d’aller “se faire sauter par les bougnoules”. » Deux témoins de la scène parviennent à identifier l’homme. Karim Merimèche a porté plainte le lendemain pour injures à caractère racial.

Le 12 juin, c’est à La Côte-Saint-André, en Isère, que quatorze tags islamophobes ont été découverts sur les murs d’un parc. « Islam hors d’Europe », ou « anti-Arabes », pouvait-on notamment lire sur les clichés diffusés par France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.

Une situation « alarmante » pour les associations

Le 10 juin, comme le révélait Mediapart, des policiers se lâchaient lors de l’interpellation d’un jeune homme dans le XIarrondissement de Paris, et enchaînaient les propos racistes et homophobes. « Avec ta casquette de pédé qui se fait enculer par des migrants » ; « Quand ta mère et ta grand-mère se seront fait violer par des migrants, tu comprendras », ont-ils notamment déclaré, avant de diffuser, au commissariat, des chansons à la gloire de Jordan Bardella. 

Deux jours avant les élections européennes, le 7 juin 2024, SOS Racisme a été informé de la présence de deux tee-shirts, exposés sous forme d’étendards, sur le balcon d’un bâtiment. Sur le premier, les prénoms de « Marine et Jordan » étaient affichés avec cette autre inscription à la main : « Tous les immigrés dehors melons etc. ». Sur le deuxième tee-shirt, on pouvait lire « La France aux Français »

Avec ces trente propos, tags, événements ou agressions racistes en seulement trois semaines, les manifestations de violence semblent considérables et, de l’avis des associations, « évidemment sous-estimées ». « C’est une situation alarmante et inhabituelle. On sent vraiment qu’avec la montée de l’extrême droite, il y a une explosion des agressions racistes non seulement verbales mais aussi physiques », constate SOS Racisme. « On est face à des gens qui se disent que si le RN arrive au pouvoir, ils auront un appui institutionnel pour se comporter de la sorte », ajoute son président, Dominique Sopo. 

Mais combien de signalements ou de plaintes sont à déplorer ? Contactés, le ministère de l’intérieur et le parquet de Paris n’étaient pas en mesure de nous donner de chiffres. « On ne peut mesurer que plus tard si une augmentation est visible et en lien avec l’actualité », précise une source Place Beauvau. « Mais il y a évidemment un ressenti que la parole raciste se libère, à la télévision ou sur les réseaux sociaux notamment », ajoute-t-elle. La Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), elle, précise ne pas pouvoir s’exprimer sur le sujet, « période de réserve électorale oblige ». De son côté, le collectif de lutte contre l’islamophobie en Europe (CICE) dit avoir reçu « cent cinquante signalements » pour le seul mois de juin et précise qu’il s’agit « d’un record ».  

La victoire possible du Rassemblement national, ce parti d’extrême droite dont de nombreux candidats expriment ouvertement des propos sexistes, racistes, antisémites ou LGBTphobes, semble avoir incontestablement un lien avec ce déferlement de haine. Mais si libération de violence raciste il y a, celle-ci est loin d’être inexistante le reste du temps. Dans son rapport remis le 27 juin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait qu’en 2023, la France avait connu 32 % d’actes racistes supplémentaires et déplorait une augmentation exponentielle des actes racistes et une hausse inédite de l’antisémitisme. 


 

mise en ligne le 3 juillet 2024

Coupes budgétaires, chasse aux immigrés et aux pauvres : dans les villes et
à l'Assemblée,
on a déjà « essayé » le RN

Aurélien Soucheyre et Margot Bonnéry sur www.humanite.fr

Une petite musique monte selon laquelle le temps serait venu de donner sa chance au Rassemblement national, au motif qu’il n’a jamais été « essayé ». Rien n’est plus faux : dans les villes comme au Parlement, il pourrit depuis des années la vie de la population.


 

La phrase revient dans la bouche de plus en plus de Français, comme une fausse évidence : « Le Rassemblement national, on n’a jamais essayé. » Comme s’il ne restait comme solution qu’un saut dans l’inconnu afin de régler les problèmes du pays. Et pourtant, ces Français se trompent.

L’extrême droite, on a déjà essayé. Elle est aujourd’hui au pouvoir dans de nombreuses villes de France. Elle empêche déjà des textes de loi progressistes d’être adoptés à Paris ou à Bruxelles. Elle gouverne des pays en Europe. Et elle a dans l’histoire maintes fois montré son véritable visage.

Un climat délétère dans les communes

Depuis 2014, le RN gère dix villes en France. Vont-elles mieux ? Donnent-elles envie d’étendre la recette de l’extrême droite à l’ensemble du pays ? Certainement pas. L’une des premières décisions de Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont (Nord), a été de « supprimer les financements de l’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme, en plus de l’expulser de ses locaux ! » s’indigne l’ancien conseiller municipal d’opposition PCF David Noël.

À Hayange (Moselle), Fabien Engelmann a coupé le gaz et l’électricité au Secours populaire français, « faisant perdre tous les vivres conservés au congélateur à destination des plus modestes », dénonce Céline Léger, candidate FI aux législatives. Syndicats, associations de défense de droits, collectifs de solidarités sont régulièrement visés et taxés de « communautaristes » par les maires RN. Les subventions municipales leur sont coupées. Les clubs de sports collectifs trinquent aussi, au profit du développement des sports de combat.

Qu’y gagnent les citoyens ? De meilleurs services publics ? À Perpignan (Pyrénées-Orientales), Louis Aliot a « bloqué l’installation d’un foyer pour l’aide sociale à l’enfance », dénonce Michel Coronas, porte-parole départemental du PCF. Le maire RN a aussi privatisé la crèche, le funérarium et la piscine, ce qui a fait augmenter les prix. Partout les moyens sont alloués à la vidéosurveillance et au renforcement des équipes de police, comme si la sécurité était le seul besoin et la réponse à tout.

Les fonctionnaires, à Beaucaire (Gard), dénoncent être « poussés à bout et mis sous pression en permanence dans un climat délétère ». Les élus d’opposition et toutes les associations qui portent un autre message que celui du RN sont combattus sans relâche. « Nous sommes des pestiférés », témoigne un acteur culturel de Fréjus (Var) qui a dû déménager. À Perpignan, le directeur du Théâtre de l’Archipel a été viré et le festival de street art supprimé au motif que la programmation déplaisait.

« Ce qui caractérise la gestion du RN, c’est l’austérité, avec une baisse des dépenses publiques qui nuit avant tout aux plus pauvres et aux immigrés, lesquels sont sans cesse ciblés », mesure Alain Hayot. Le sociologue, anthropologue et ancien vice-président PCF de la région Paca pointe également l’offensive culturelle et identitaire du RN.

À Cogolin (Var), le maire Marc-Étienne Lansade a fait interdire des soirées de danse orientale. Et la municipalité de Beaucaire impose des menus avec du porc à l’école, officiellement au nom de la laïcité (ici détournée) et officieusement pour discriminer les musulmans et les juifs. « La création est attaquée. Toute la politique culturelle passe dans une défense d’un patrimoine fantasmé, comme au Puy du Fou », ajoute Alain Hayot.

Des votes antisociaux et réactionnaires au Parlement

Le RN est arrivé en tête au premier tour des législatives, dimanche 30 juin. Mais les députés d’extrême droite à l’Assemblée nationale, on n’aurait jamais essayé, vraiment ? Depuis 2022, ils sont 88 à siéger au Palais Bourbon. Que votent-ils qui permettrait de changer la vie des Français et d’améliorer leur quotidien ? Rien de rien. Tout comme les troupes d’Emmanuel Macron, ils se sont prononcés contre une hausse du Smic et des salaires, privant les Français d’un gain légitime en pouvoir d’achat.

Hostiles à une meilleure répartition des richesses, ils n’ont pas non plus soutenu, à l’instar encore une fois des macronistes, la proposition de la gauche d’indexer les salaires sur l’inflation. Et ce n’est pas fini : les députés RN ont voté contre le gel des loyers, pour la réduction des droits à l’assurance-chômage, contre le rétablissement de l’ISF, se plaçant résolument comme le gouvernement du côté des plus riches. Ils ont même voté contre une loi visant à lutter contre les déserts médicaux et contre la création d’un service public de la petite enfance, en plus de s’abstenir concernant l’instauration de prix planchers pour les agriculteurs.

Ils empêchent de fait, depuis des mois, l’adoption de réformes qui amélioreraient la vie des Français. Sur le plan économique et social, le bilan d’Emmanuel Macron est aussi le leur. Sans oublier ses choix au Parlement européen où le RN montre également son véritable visage, avec des votes défavorables à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, à la lutte contre les discours de haine à l’égard les personnes LGBTI+, à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, à un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et à l’instauration d’une taxe sur les superprofits. En résumé, le RN, les Français essaient déjà, et ça ne leur fait pas du bien.

De sulfureux alliés européens

Le panorama serait incomplet si on ne se penchait pas sur les alliés européens de Marine Le Pen et Jordan Bardella, et sur ce qu’ils mettent en place quand ils sont au pouvoir. S’il est exact que les Français n’ont jamais essayé Viktor Orban ou Giorgia Meloni, les Hongrois et les Italiens, eux, sont en train de le faire. Et ce qui arrive sur place est édifiant : à Budapest, le premier ministre en place impose aux femmes d’écouter les battements de cœur du fœtus avant tout avortement.

En Italie, Giorgia Meloni rend de plus en plus impossible l’accès à l’IVG. Les deux convergent aussi pour réformer les institutions : à Rome, la première ministre veut élaborer une Constitution taillée sur mesure permettant délire au suffrage universel direct le président du Conseil, selon un mode de scrutin qui lui assurerait la majorité absolue au Parlement.

Une dangereuse dérive qui soumettrait le pouvoir législatif à l’exécutif. En Hongrie, Viktor Orban a modifié le mode de scrutin électoral à son seul profit et mis la justice au pas, en plus de mettre en place des sanctions afin de soumettre la presse. Les droits de l’homme y sont de plus en plus bafoués concernant les réfugiés et les SDF. Ce qui n’empêche pas les ouailles de Le Pen de le citer en modèle.


 

  mise en ligne le 2 juillet 2024

Les leçons hongroises pour la France face au péril de l’extrême droite

par Corentin Léotard (pigiste à Mediapart ) sur https://blogs.mediapart.fr/

La Hongrie de Viktor Orbán est le laboratoire européen des politiques antilibérales que le Rassemblement National voudrait porter en France. Kristóf Szombati, universitaire et militant de gauche écologiste, a été aux premières loges pour observer l’avènement de l’« orbánisme » puis la mise en coupe réglée de la Hongrie. Entretien.


 

Kristóf Szombati est anthropologue et sociologue. Il a participé à la construction du parti écologiste LMP à la fin des années 2000, au moment où la gauche s’effondrait et laissait le terrain aux nationalistes. Il est actuellement chercheur postdoctorant à l’Université Humboldt de Berlin et est auteur de The Revolt of the Provinces: Anti-Gypsyism and Right-Wing Politics in Hungary, une analyse ethnographique et politique de la montée de la droite radicale en zones rurales en Hongrie.

 

Le Courrier d’Europe centrale : Êtes-vous surpris par le poids acquis par l’extrême-droite en France et par le fait que le Rassemblement National se trouve aujourd’hui aux portes du pouvoir ?

Kristóf Szombati : Pas tellement, vu comment le vent politique a tourné vers les nationalismes radicaux et un capitalisme national presque partout en Europe dans les dernières années. Le grand économiste politique Karl Polanyi nous a notamment appris que lorsque les élites politiques mettent en œuvre des politiques de marchandisation radicale qui nuisent à de larges pans de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, cela engendre des contre-mouvements sociaux qui promettent de défendre la société contre les excès les plus évidents de la marchandisation et les dislocations sociales les plus graves. Ces mouvements peuvent s’appuyer sur diverses idéologies et s’associer à des partis de gauche et de droite pour faire entendre leur voix et leurs revendications.

Alors que dans la période qui a suivi la grande récession de 2007-2008, nous avons vu émerger des contre-mouvements populistes de gauche, avant tout en Europe du Sud, mais aussi à d’autres endroits de l’UE, ces mouvements semblent aujourd’hui épuisés, laissant les griefs des perdants de l’austérité rampante et du recul lent mais certain de l’État-providence ouverts à la récupération par les nationalistes radicaux. Les contre-mouvements sociétaux sont particulièrement susceptibles de s’orienter vers la droite nationaliste et de s’y associer dans les situations où l’austérité est poursuivie par des partis prétendument de gauche, comme ce fut le cas en Hongrie entre 2006 et 2010. Les choses sont un peu différentes dans des pays comme la France, où seule une partie de la gauche a adopté un programme néolibéral et où les réformes néolibérales de la dernière décennie ont été imposées par un président libéral. Dans ce cas, la gauche est en mesure de conserver le rôle de défenseur de la société, du moins dans les zones urbanisées où les associations de gauche sont actives.

Pouvez-vous retracer succinctement la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000 avec Jobbik, puis comment le Fidesz l’a porté au pouvoir ?

Kristóf Szombati : En Hongrie, une variante antisémite du nationalisme radical est apparue dès 1990[i]. Toutefois, le parti qui portait ce programme n’a pas réussi à s’imposer, en partie parce que les communistes réformateurs ont d’abord réussi à se présenter comme les adversaires les plus crédibles du gouvernement de centre-droit et en persuadant les gens ordinaires qu’ils défendraient leurs intérêts. Les choses ont radicalement changé en 2006, lorsque le pays a été secoué par un énorme scandale politique après qu’il est apparu que les socialistes avaient menti aux électeurs sur le niveau du déficit budgétaire pour gagner les élections. Au lieu de présenter ses excuses et de démissionner, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány est resté au pouvoir et a commencé à mettre en œuvre un programme d’austérité sévère qui allait à l’encontre de la promesse sociale-démocrate de dédommager la classe moyenne pour les sacrifices qu’elle avait dû consentir au cours de la décennie qui a marqué la transition du socialisme d’État au capitalisme.

La gauche a perdu sa légitimité et plus de la moitié de ses électeurs en quatre années (de 2006 à 2010), et ses alliés libéraux ont été éjectés du parlement en 2010. L’effondrement de la confiance dans le gouvernement de centre-gauche a permis l’émergence d’une nouvelle variante du nationalisme radical. Il s’agit du parti Jobbik, qui a formulé son projet politique autour de la question sociale, en concentrant son attention sur la sous-classe racialisée des Roms et en promettant de mettre en œuvre un programme sévère de maintien de l’ordre, parallèlement à la ré-institutionnalisation de la ségrégation ethno-sociale dans les écoles. Ce programme radical a été bien accueilli dans les zones rurales, qui ont ressenti le plus durement l’impact des mesures d’austérité et du ralentissement de l’activité économique mondiale. Toutefois, en dehors de ces zones, les électeurs ont soutenu le programme politique apparemment plus modéré du parti Fidesz, qui ne promettait pas une rupture totale avec le néolibéralisme, mais plutôt une série d’éléments compensatoires pour la classe moyenne et le retrait de l’aide sociale aux personnes « réfractaires au travail ».

Une fois au pouvoir en 2010, le Fidesz a pris de court ses opposants en s’empressant d’occuper tous les postes de pouvoir et de rédiger une nouvelle constitution à Parti unique, sur laquelle ni les citoyens ni l’opposition n’ont été consultés. Cependant, le glissement du Fidesz d’un nationalisme modéré vers un nationalisme plus radical a réellement commencé en 2015 avec l’arrivée en Europe des réfugiés de Syrie. La campagne anti-immigrés du Fidesz s’est progressivement étendue à un programme antilibéral plus global, permettant à Orbán de s’ancrer dans le rôle de leader de la droite dure eurosceptique. Un rôle qu’il savoure manifestement, malgré le fait que son pouvoir en Europe est en déclin depuis son éjection du Parti Populaire européen en 2021 et l’apparition de Giorgia Meloni sur la scène politique. Toutefois, en Europe centrale, il reste le leader incontesté de l’illibéralisme, comme il aime à appeler son programme nationaliste radical.

Vous avez publié un ouvrage intitulé « The Revolt of the Provinces » (La révolte des provinces) qui analyse la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000. Quels sont ses principaux enseignements ?

Kristóf Szombati : L’austérité économique mise en œuvre par la gauche a joué un rôle important. Mais à côté de cela, dans les régions agricoles telles que celle où j’ai fait de la recherche anthropologique entre 2011 et 2014, l’adhésion à l’Union européenne a également joué un rôle. Avec le recul, il est clair que les petits et moyens entrepreneurs agricoles n’étaient pas bien préparés à affronter la concurrence sur le marché commun européen. Dans la région viticole où j’ai travaillé, l’afflux de vin bon marché en provenance d’Italie, d’Espagne et d’autres pays a durement frappé les petits et moyens producteurs, ne laissant survivre que ceux capables de produire des produits de qualité supérieure ou de combiner la viticulture avec le tourisme. Ce groupe social, que j’appelle la post-paysannerie pour signifier que ses membres ne vivent que partiellement du travail de la terre, s’est détourné pour de bon du parti socialiste au profit du Fidesz et du Jobbik. À cet égard, il convient de noter que le gouvernement Fidesz a fait beaucoup pendant les dernières quatorze années pour soutenir les viticulteurs hongrois et promouvoir la consommation du vin, ce qui a été très populaire et a aussi eu un impact économique dans ces régions.

Une dernière chose que je voudrais souligner dans la montée du Fidesz et du Jobbik a été la mise en œuvre d’une politique d’émancipation en faveur des Roms stratégiquement erronée. Le problème n’est pas que la gauche ait poussé à la déségrégation des écoles et à une réforme de l’aide sociale favorisant le groupe social le plus pauvre et le plus marginal de la société. Le problème est qu’elle a combiné ce programme d’émancipation de la sous-classe racialisée avec un programme néolibéral plus large, qui a nui aux travailleurs et à la petite bourgeoisie rurale, tout en promouvant un type de discours qui ne reconnaissait que les griefs des minorités opprimées. Ce mélange s’est avéré toxique dans la mesure où il a constitué un terrain fertile pour l’émergence de puissants ressentiments parmi les travailleurs et la petite bourgeoisie à l’égard des Roms marginalisés, qu’ils considéraient comme moins méritants qu’eux-mêmes, et à l’égard de l’élite dirigeante, dont ils percevaient les politiques comme fondamentalement injustes. Ce ressentiment à l’égard des minorités et le sentiment d’abandon et de colère à l’égard de l’élite de gauche-libérale ont poussé la majorité des travailleurs et de la petite bourgeoisie des zones rurales et en parties dans les moyennes villes dans les bras de la droite.

En France, lorsque l’on regarde à l’international, c’est avec l’Italie de Meloni que l’on compare la situation française. En Europe de l’Ouest, il y a cette tendance à considérer le phénomène Orbán comme un exotisme propre à l’ex-« bloc de l’Est ». Comment évalues-tu la place de la Hongrie d’Orbán par rapport à ce mouvement global de progression des nationalismes ?

Kristóf Szombati : Je pense que nous devons considérer la situation hongroise comme faisant partie intégrante de l’évolution du vent politique dans l’ensemble de l’Europe. Il est clair que l’Europe de l’Est, et en particulier la Hongrie, a subi la Grande Récession de 2007/2008 plus durement que l’Europe de l’Ouest. En d’autres termes, l’Europe occidentale disposait à l’époque de plus de réserves pour défendre les remparts du modèle social-démocrate. Ce dont nous avons été témoins au cours des 15 dernières années constitue un changement important à cet égard. Des pays comme l’Allemagne – où je vis et travaille actuellement – sont les témoins d’une crise profonde du modèle socio-économique d’Etat-providence, qui se traduit pour les gens ordinaires par l’application de l’austérité, accompagnée du détournement des électeurs ruraux du centre-gauche. L’argument que j’ai avancé concernant le mélange toxique de politiques réformistes néolibérales et d’émancipation des minorités s’applique également dans une certaine mesure à des pays comme l’Allemagne, où une partie de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie éprouve clairement du ressentiment à l’égard des populations immigrées et estime que, dans une situation socio-économique difficile, les dépenses sociales et les promesses de solidarité devraient être réservées à ceux qui sont nés dans le pays. L’émergence du parti social-conservateur Bündnis Sarah Wagenknecht (BSW) témoigne clairement de cette dynamique.

En d’autres termes, l’Europe occidentale semble avoir « rattrapé » l’Europe de l’Est, dans la mesure où les élites politiques se trouvent de plus en plus réticentes et incapables de protéger les citoyens les plus vulnérables contre les chocs de la guerre en Ukraine, la faiblesse relative de l’Europe face à ses principaux concurrents mondiaux et les coûts économiques et sociaux de la transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Cette convergence de l’économie politique ne signifie évidemment pas que la situation est la même partout. Les généalogies culturelles, sociales et politiques jouent un rôle important dans la montée de la droite radicale nationaliste, mais aussi dans la capacité de la société civile à résister ou au moins encadrer cette progression.

Dans le cas de la Hongrie, d’une part le Fidesz s’appuie fortement sur la logique culturelle historiquement sédimentée des relations patron-client. Mes recherches dans les petites villes de province montrent que le clientélisme est un mode efficace de consolidation du pouvoir, dans la mesure où il permet à ceux qui se situent au bas de cette hiérarchie pyramidale de jouir d’une certaine marge de manœuvre et de négocier avec ceux qui sont au-dessus d’eux pour accéder à certaines ressources et à certaines opportunités. Les observateurs occidentaux partent souvent du principe que le régime autoritaire d’Orbán piétine toutes les libertés. Si, du point de vue des droits formels, il est indéniable que les droits sociaux ont été réduits et que les citoyens sont exclus de la prise de décision politique en dehors des élections, les observateurs extérieurs ne voient souvent pas que le renforcement des réseaux informels de pouvoir permet à ceux qui sont prêts à négocier avec les détenteurs du pouvoir d’obtenir des faveurs importantes. Cela donne aux régimes autoritaires comme celui d’Orbán une grande flexibilité, tout en encourageant les citoyens à suivre la voie privée du clientélisme plutôt que les voies collectives et politiques du lobbying, de la pression et de la négociation.

On peut considérer qu’avec la Fidesz, la droite radicale et national-conservatrice est au pouvoir depuis quatorze ans en Hongrie. Quelles sont les conséquences les plus profondes, les plus graves pour le pays et la société ?

Kristóf Szombati : C’est précisément cette « informalisation » du pouvoir que je trouve la plus inquiétante, car l’une de ses conséquences est que les personnes qui n’ont pas accès aux réseaux informels de pouvoir se retrouvent marginalisées. Si, au cours des premières années, le gouvernement Fidesz a consacré beaucoup de ressources aux communautés les plus pauvres dans le cadre de son programme de travail public, ces dernières ont été fortement réduites au cours des dernières années. Le régime a essentiellement laissé les citoyens les plus pauvres et les plus marginalisés aux soins des églises chrétiennes qui, même si certaines d’entre elles font du bon travail, contribuent essentiellement à la consolidation de la marginalisation socio-économique dans la périphérie intérieure du pays. Cette décision d’abandonner les pauvres est tragique pour l’avenir du pays et laissera au régime qui lui succédera la tâche de développer la périphérie intérieure, ce qui sera très coûteux.

Mais en prenant du recul, nous voyons aussi que le modèle socio-économique du Fidesz ne repose pas seulement sur le dumping social, mais aussi sur la dévaluation délibérée de l’éducation publique, des soins de santé publics et, en fait, de tout le domaine public. Cette stratégie est censée, d’une part, servir les besoins de la compétitivité : des dépenses sociales moins élevées permettent de réduire les recettes, ce qui permet à l’État de maintenir les impôts sur le travail et les sociétés à des taux comparativement très bas. Le lent démantèlement des services publics – qui a des conséquences très réelles, comme le taux de décès élevé pendant la période du Covid, dépassant celui de la plupart des autres pays européens – fait donc partie de la stratégie économique plus large du régime, qui consiste à maintenir la main-d’œuvre hongroise à bas coût et à l’offrir aux capitaux manufacturiers étrangers. Il y a cependant un calcul politique plus cynique derrière tout cela. Il s’agit de la conviction qu’une société privatisée qui a renoncé à tout effort collectif et à tout réseau de solidarité – à l’exception de la famille sacralisée, qui est chargée de s’occuper de toutes sortes de problèmes – est plus facile à soumettre. Les dirigeants actuels de la Hongrie ne sont certainement pas les seuls à suivre ce calcul, mais ils l’ont poussé assez loin.

Tout n’est bien sûr pas transposable de la Hongrie à la France. Mais sur la base de cette expertise, vu de Hongrie, risquons-nous à faire un peu de prospective. Quels risques ferait porter un gouvernement RN pour la société française ? A quoi faudrait-il s’attendre ?

Kristóf Szombati : Je suis absolument certain qu’en France, sous un gouvernement dirigé par le RN, les choses se passeraient très différemment qu’en Hongrie. D’une part, bien que la France soit également un pays fortement centralisé, je ne pense pas qu’elle puisse être mise en coupe réglée comme un pays plus petit comme la Hongrie. D’autre part, je ne vois pas le RN acquérir une super-majorité parlementaire, comme l’a fait le Fidesz en Hongrie. Je suis à peu près certain que la société civile française opposera une plus grande résistance aux efforts visant à transformer les fondements du modèle social du pays. La gauche est moins délégitimée et beaucoup mieux ancrée socialement qu’elle ne l’était en Hongrie, et c’est une ressource sur laquelle nous n’avons pas pu compter en Hongrie.

L’expérience hongroise montre que le Fidesz, même dans une situation où il contrôle tous les leviers du pouvoir et une grande partie de l’espace médiatique, a été très sensible aux manifestations de grande ampleur qui touchent le cœur et les sautes d’humeur de sa base. Malgré la faiblesse générale des protestations et des pressions civiques, le gouvernement a toujours fait marche arrière lorsque les opposants – citoyens et politiques – ont été en mesure de formuler une critique d’une manière qui s’adressait à une partie significative de la base électorale du parti au pouvoir. C’est la bonne nouvelle, pour ainsi dire. La moins bonne nouvelle, c’est qu’Orbán a excellé dans l’art de proposer des politiques populaires qui lui permettent de conserver sa large base électorale interclassiste, et dans l’art d’engager des combats stratégiques avec des ennemis réels et imaginaires de manière à élaborer un récit de salut national.

Comme nous l’avons vu plus haut, il a également élaboré une stratégie économique qui convient au capital national et international. Enfin, et c’est un point que nous n’avons pas abordé, il a trouvé le moyen de maintenir la bureaucratie d’État à ses côtés et, malgré de graves tensions au sein du pouvoir judiciaire, d’établir un contrôle sur la quasi-totalité de l’appareil d’État.

Sachant à quel point certaines prédictions des sciences sociales ont échoué par le passé, je voudrais être très prudent. Disons donc que je ne serais pas très surpris si le RN, au cas où il parviendrait à s’emparer à la fois du poste de premier ministre et de la présidence, réussissait également à bâtir une hégémonie. N’oublions pas qu’une « Internationale » nationaliste radicale est quasiment en place : Le Pen a scruté de près Orbán et s’intéresse actuellement de très près à Meloni. Il s’agit donc d’un processus d’apprentissage collectif. Pour risquer un pronostic, si Bardella parvient à construire une majorité parlementaire, je m’attends à ce qu’il construise sa politique de pouvoir gouvernemental lentement et prudemment, en se concentrant sur l’équilibre entre les mesures phares du RN et celles qui sont populaires en dehors de la base du parti, en travaillant en coulisses pour construire un nouveau compromis entre le capital national et international, et en négociant avec les représentants clés de la bureaucratie d’État. Dans le cas de la France, ce dernier point semble être beaucoup plus difficile à résoudre qu’il ne le fut en Hongrie.

En parallèle de votre carrière universitaire, vous avez milité avec un parti de gauche écolo au tournant des années 2010, donc au moment même où Orbán s’emparait du pouvoir et commençait à le verrouiller. Avez-vous des conseils ou des réflexions utiles pour les militants de gauche en France ?

Kristóf Szombati : Rétrospectivement, je suis très critique à l’égard de nos efforts, par ailleurs héroïques, pour construire une alternative verte à partir de 2007. Nous avons commis une série d’erreurs stratégiques. Mais la tâche à laquelle nous étions confrontés, à savoir construire un parti vert à partir de rien, sans que la question du climat ne figure parmi les principales préoccupations des citoyens et sans pouvoir compter sur une infrastructure associative forte, sans parler de la situation politique, était très différente de celle à laquelle la gauche française et les forces écologistes sont confrontées aujourd’hui. Je trouve encourageante la volonté des différents mouvements de gauche de mettre de côté leurs différences et, en s’appuyant sur le modèle historique très important du Front populaire, de construire une alliance commune pour cette élection. J’espère que cette alliance se maintiendra après le vote des électeurs, car vu l’état du camp présidentiel, la société française ne sera probablement pas en mesure de résister à un gouvernement nationaliste radical sans une critique et une vision commune de la gauche et de l’écologie.

[i] Le Parti de la justice hongroise et de la vie, MIEP.

   mise en ligne le 1er juillet 2024

Le RN n’est pas l’ami des travailleurs,
la preuve par ses votes

Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr

Les élus du Rassemblement national ont beau prétendre défendre la classe ouvrière, à l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, ils ont voté ces dernières années comme les partis les plus libéraux, contre l’intérêt des salariés.

Dans l’espoir d’attirer le vote des travailleuses et des travailleurs, le Rassemblement national (RN) a souvent tenté de se positionner en défenseur de la classe laborieuse. Mais dans les faits, les votes de ses représentant·es à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen se sont souvent positionnés contre les intérêts des salarié·es. 

Contre l’augmentation du Smic

Dans son discours de lancement de campagne pour les élections européennes, Jordan Bardella, président du parti, a dit : « Une bonne économie, ce sont des bons salaires, c’est une juste rémunération et les salaires sont trop bas aujourd’hui dans notre pays. » Mais dans les faits, le RN vote contre l’augmentation du Smic. 

En juillet 2022, la Nouvelle Union populaire économique et sociale (Nupes) proposait l’augmentation du Smic à 1 500 euros nets. Il était alors de 1 329 euros net. Le Smic est indexé sur l’inflation, c’est une disposition du Code du travail, mais la Nupes proposait d’ajouter à cette indexation un coup de pouce supplémentaire. Les députés RN ont voté contre.

« Si vous passez votre temps à augmenter seulement le Smic, vous avez les classes moyennes qui voient leur pouvoir d’achat stagner depuis dix à quinze ans », justifiait Jean-Philippe Tanguy, arguant de la « boucle inflationniste » qui voudrait que plus les salaires sont hauts, plus les prix augmentent. Une théorie qui ne s’est pas vérifiée en 2023-2024 et que Mediapart a déjà déconstruite. En 2022, même le FMI a confirmé que la « boucle prix-salaires » est un récit conservateur.

Contre l’indexation des salaires sur l’inflation 

Dans son programme, le RN promet des « textes d’urgence » pour le « pouvoir d’achat ». Dans les faits, il a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation. Le système visant à faire automatiquement augmenter les salaires au fur et à mesure que les prix augmentent n’est pas une chimère : ce système instauré en 1952 a été supprimé en 1983 au moment du tournant de la rigueur du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. En novembre 2023, La France insoumise (LFI) a tenté de déterrer ce système et a mis au vote une proposition allant dans ce sens. 

En commission des affaires sociales le 22 novembre 2023, LFI a défendu la mesure, face à un gouvernement, une droite et une extrême droite unis. Victor Catteau, député RN, a justifié ainsi son vote de refus : « La proposition actuelle, bien qu’audacieuse, risque de nous mener vers un cercle perpétuel de hausse des salaires, de hausse des prix, et d’inflation. » 

Pour forcer les salariés en CDD à accepter un CDI

Dans leur programme, les responsables RN promettent une conférence sociale sur les salaires et les conditions de travail. Dans leurs discours, ils assurent être le parti des « travailleurs français ». Dans les faits, le parti a voulu doubler le gouvernement sur le thème de la précarisation des travailleurs, en proposant de forcer les salarié·es en CDD à accepter les CDI qui leur sont proposés. 

Fin 2022, le gouvernement a présenté une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, dont le but même pas masqué était de mettre encore plus sous pression les chômeurs et les chômeuses. L’extrême droite y a participé avec entrain. Marine Le Pen elle-même a déposé un amendement pour contraindre les salarié·es en CDD à accepter tout CDI proposé en fin de mission, sans quoi ils pourraient perdre leur droit à l’assurance-chômage. L’amendement a été rejeté le 5 octobre 2022.

Surfant, comme ses alliés libéraux, sur le mythe du chômeur qui ne veut pas travailler, le RN a présenté cet amendement en assurant que « certains salariés utilisent le système de l’assurance-chômage pour s’assurer des revenus entre deux CDD ». Pour rappel, il y a beaucoup plus de chômeurs que de postes vacants : moins de 348 000 postes vacants et 5,1 millions de demandeurs et demandeuses d’emploi… dont à peine plus de 40 % touchent une indemnisation.

Contre l’instauration de salaires minimum en Europe 

Dans son programme, le RN promet la revalorisation des « revenus du travail par une incitation forte à l’augmentation des salaires ». Dans les faits, le parti a voté contre l’instauration de salaires minimum en Europe. 

Les élu·es d’extrême droite ne se contentent pas d’attaquer les droits sociaux en France, ils le font aussi depuis leurs sièges de député·es européen·nes. En 2022, le Parlement européen votait une directive visant à assurer un salaire « suffisant pour un niveau de vie décent » aux travailleurs d’Europe. Cette mesure était présentée comme un outil permettant de relever les salaires de 25 millions d’européen·nes, notamment dans les pays de l’Est, réduisant l’effet de « dumping social » au sein de l’Union. Un vœu certes largement pieux étant donné que la fixation de salaires minimum reste une compétence nationale.

La directive a été adoptée sans les voix du RN, qui se sert pourtant régulièrement du thème du « dumping social » pour diviser les travailleurs. Pour se justifier, l’eurodéputée RN Dominique Bilde a publié un communiqué refusant que le Parlement européen se mêle des politiques sociales des États. Et a même promis plus de cadeaux aux patrons : « Nous défendons la mise en place de contrats d’entreprise, qui permettront aux employeurs d’être exonérés de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires, jusqu’à 3 Smic. »

C’est aussi la proposition portée par Jordan Bardella dans cette campagne des législatives. Comme si les macronistes n’avaient pas déjà abusé du « quoi qu’il en coûte ». Rien qu’en France, les aides publiques accordées aux entreprises – en comptant les exonérations de cotisations sociales sur les salaires – s’élèvent à des sommes exponentielles, entre 160 et 200 milliards par an. Un « pognon de dingue » a déjà été offert aux entreprises sous diverses formes sans que cela n’ait d’impact réel sur le nombre d’emplois, ni sur les salaires. 

Contre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes 

Dans son discours, Jordan Bardella se fait défenseur des femmes et adresse même une lettre numérique à « toutes les femmes du pays ». Il promet que « l’égalité hommes-femmes » est, pour son parti, un « principe non négociable ». Dans les faits, au Parlement européen, quand il y a des votes sur l’égalité salariale femmes-hommes, le RN s’abstient ou vote contre.

En 2020, les eurodéputé·es RN ont voté contre les mesures visant à faire reculer les inégalités femmes-hommes. Deux ans plus tard, quand le Parlement européen vote une directive visant l’instauration d’un cadre minimal pour rendre effectif le principe d’égalité des rémunérations entre les sexes, le RN s’abstient.

Pour justifier cette abstention, le RN, par le biais de l’eurodéputée Annika Bruna, a considéré qu’il n’était pas souhaitable de « conditionner la quasi-totalité des aides à l’UE à des actions favorisant l’égalité hommes-femmes ». Et de déplorer, chez nos confrères du Monde, que « la maîtrise de la démographie et des migrations » et la montée de l’islam ne soient pas évoquées davantage alors qu’ils sont, pour elle, « une menace forte pour les femmes »

Contre le gel des loyers 

Dans son programme, sur la question urgente de l’accès au logement, le RN ne dit… pas grand-chose. Le parti ne propose que deux mesures. La première est la priorité dans l’accès au logement social « pour les travailleurs des secteurs prioritaires ». La deuxième permettra aux propriétaires de louer ou vendre des passoires thermiques, en supprimant les interdictions liées au diagnostic de performance énergétique (DPE).

Et au Parlement, le RN a voté contre un amendement de gauche proposant le gel des loyers. En pleine crise inflationniste, à l’été 2022, le gouvernement a fait voter le principe de plafonnement des hausses de loyers. Pour les propriétaires, le message est clair : ils peuvent continuer à les augmenter, mais pas trop. Un an plus tard, en juin 2023, le gouvernement a fait voter le prolongement du « bouclier », qui plafonne à 3,5 % la hausse de l’indice de référence des loyers.

Ce « bouclier » proposé a été voté avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, formant une coalition contre la gauche qui estimait que cela entérinait l’autorisation faite aux propriétaires d’appliquer de nouvelles hausses. Plus ambitieuse, la gauche a présenté à l’Assemblée nationale comme au Sénat des amendements visant à geler les loyers des particuliers mais aussi des petites et moyennes entreprises. La majorité présidentielle, la droite et le RN ont voté contre.

   mise en ligne le 1er juillet 2024

Élections législatives :
les 10 points à retenir
du 1er tour

La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/

Le premier tour des élections législatives anticipées a eu lieu ce dimanche 30 juin. Forte participation, Rassemblement national en tête, triangulaires à venir, désistements, etc… Rapports de force vous résume ce que l’on peut en retenir. 

Un taux de participation proche d’une présidentielle

Avec un taux de participation de 66,71 %, le premier tour des élections législatives du 30 juin 2024 a un caractère hors norme. Surtout en considérant que les Français se sont déjà rendus aux urnes trois semaines plus tôt pour les Européennes. La participation est quatorze points au-dessus du scrutin du 9 juin 2024 qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale.

Elle est également au plus haut niveau des élections législatives de ces 25 dernières années. Pour trouver un taux de participation supérieur à ce dimanche, il faut remonter au scrutin de 1997 (68%), lorsque Jacques Chirac avait lui aussi dissous l’Assemblée. À titre de comparaison, le premier tour de la présidentielle de 2022 avait enregistré un taux de participation de 73 %.

Le Rassemblement national fait nettement plus que le plein de ses voix

L’alliance du Rassemblement national et d’une partie des Républicains autour d’Eric Ciotti arrive en tête du scrutin avec 33,15 % des suffrages exprimés et 10,6 millions de voix. Il enregistre 2,5 fois plus de votes que lors des législatives de 2022, où la participation n’avait pas atteint les 50 % et où il s’était présenté sans alliés.

Mais compte tenu du caractère particulier de ces élections législatives anticipées, dont l’enjeu ressemble à ceux d’une élection présidentielle, un comparatif avec le premier tour de la présidentielle de 2022 nous semble éclairant. Cette fois-là, le RN faisait 8 133 828 voix. Comparée à ses seules voix du 30 juin 2024 (9 377 297), sa progression est de 1,24 million de voix. En ajoutant les suffrages des ciottistes, cette progression est de quasiment 2,5 millions (+30%).

Avec de tels scores ce dimanche, l’extrême droite envoie à l’Assemblée nationale 39 candidats dès le premier tour. Une situation impensable en 2022. Par ailleurs, le RN sera présent au second tour dans 444 circonscriptions supplémentaires, et se retrouve dans 305 triangulaires et 5 quadrangulaires si l’on s’en tient aux résultats de dimanche soir, avant que ne soit connu l’étendue des désistements. Sur ces 444 circonscriptions où il reste qualifié, le Rassemblement national est en tête dans 258 d’entre elles, ce qui montre la force de sa poussée.

Nouveau Front Populaire : 32 élus, en tête dans 156 circonscriptions

Avec près de 9 millions de voix soit 27,99% des suffrages exprimés, le Nouveau Front populaire devrait pouvoir prétendre à 130 à 190 sièges. Les sondages sont toutefois à prendre avec d’immenses précautions puisqu’ils n’anticipent pas les effets des potentiels désistements du camp macroniste. Une majorité parlementaire du NFP semble cependant fortement improbable, rendant la question d’un éventuel premier ministre issu de ses rangs caduque.

Le NFP fait toutefois mieux que la Nupes en 2022 (25,78%), même si le taux de participation est différent de celui des législatives d’alors. La gauche unie emporte la première place dans 156 circonscriptions, avec 32 élus d’office. Mais elle se désiste, pour l’heure, dans 122 autres – lorsqu’elle arrive en 3e position – pour faire barrage à l’extrême droite.

Au sein de l’alliance de gauche, les Insoumis comptent d’ores et déjà 20 députés élus dès le premier tour, les socialistes 5, les écologistes 5, et les communistes 2. Le numéro un du Parti Communiste français Fabien Roussel a toutefois déjà été battu, dans sa circonscription, face à un candidat RN élu à la majorité absolue.

La coalition gouvernementale désavouée

L’échec est cuisant pour le camp présidentiel, dont le passage d’un statut de majorité à celui de minorité au sein de l’Assemblée nationale est bel et bien acté. Réunies sous la bannière Ensemble, les trois partis du camp présidentiel – Renaissance, Horizons et le Modem – agrègent péniblement 20,04 % des voix.

Seuls deux députés Ensemble ont été élus d’office au premier tour. Pour le reste, des candidats Ensemble sont qualifiés au second tour dans 319 circonscriptions, dont une soixantaine en occupant la première place. Lors des législatives en 2022, ils s’étaient qualifiés dans 417 circonscriptions. D’après les projections de sièges à l’assemblée, entre 60 et 90 sièges pourraient être obtenus… Contre 245 jusqu’ici.

Désistements en cas de triangulaire : que reste-t-il du barrage républicain ?

Du fait de la participation record à ces législatives, pas moins de 306 triangulaires et cinq quadrangulaires sont en jeu. Les candidats ont jusqu’à ce mardi 18h pour se maintenir ou se désister, au nom du barrage républicain contre le RN (voir la carte du journal Le Monde mise à jour au fil des déclarations).

Du côté du Nouveau Front Populaire, le message est clair : en cohérence avec le mot d’ordre « pas une voix pour le RN », les représentants du NFP ont affirmé que leurs candidats arrivés en troisième position se désisteront « sans condition » partout où le RN est en tête. C’est le cas dans 122 circonscriptions.

Le camp présidentiel fait davantage de circonvolutions. Près de 96 candidats Ensemble sont qualifiés au second tour en troisième position. Or, les prises de parole laissent entendre des désistements au cas par cas dans les circonscriptions où le candidat de gauche investi est issu de La France Insoumise. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a appelé aux désistements en faveur de tout candidat « qui défend comme nous les valeurs de la République ». Ce lundi matin, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a également appelé aux désistements et au vote en faveur du « camp social-démocrate », en excluant la France Insoumise. Édouard Philippe (Horizons) assume lui aussi une ligne ni RN, ni LFI. On comptabilise, à l’heure où nous écrivons ces lignes, 46 désistements chez Ensemble.

Du côté de Les Républicains, un communiqué paru dimanche soir tranche la question : aucune consigne de vote, aucun désistement. Les LR renvoient dos-à-dos les « outrances d’une extrême-gauche dominée par La France Insoumise » et le « programme démagogique » du RN.

Les Républicains : après la brèche ouverte par Ciotti, un maintien fragile

C’était une première dans l’histoire des Républicains : Éric Ciotti, le patron du parti, avait initié une alliance avec le RN dans la foulée de la dissolution. 63 candidats avaient été investis dans le cadre de cette alliance, dont une vingtaine seulement déjà engagés en politique avec l’étiquette LR. La quasi-totalité – 60 – s’est qualifiée pour le second tour.

Le canal historique et majoritaire des Républicains, rejetant cette alliance, obtient 6,6 % des voix. Soit 4 % de moins qu’au premier tour des législatives 2022. Parmi les 101 circonscriptions dans lesquelles des candidats LR ou divers droite se sont qualifiés hier, seuls une trentaine y sont arrivés en tête. LR risque donc de voir son effectif de 61 parlementaires s’effriter, au vu de la force du RN et de la division créée par l’alliance Ciotti.

Après le 7 juillet : une majorité relative d’extrême-droite, une coalition centrale, ou une assemblée ingouvernable ?

Jordan Bardella martelait qu’il ne serait pas Premier ministre sans majorité absolue. Au lendemain du premier tour, décrocher les 289 sièges sur 577 nécessaires va être difficile pour le RN (mais pas impossible), au vu des désistements annoncés pour lui faire barrage. Ceci étant, après le 7 juillet, les alliances LR-RN vont être hautement stratégiques pour l’extrême-droite à l’Assemblée Nationale. Car le RN n’exclut pas de gouverner s’il « trouve des soutiens » pour construire une majorité relative, a souligné Sébastien Chenu, porte-parole du RN, réélu député hier. Reste à savoir si la ligne Ciotti peut embarquer davantage de députés LR dans son sillage.

Extrêmement affaiblie par cette dissolution et ces législatives, la minorité présidentielle commence, de son côté, à imaginer la constitution d’une nouvelle coalition centrale pour sauver les meubles. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a proposé de construire « des majorités de projets et d’idées » au sein de la nouvelle Assemblée. Mais qui pour répondre à un tel appel, à l’heure où le camp macroniste, critiqué de toutes parts, ne représentera a priori que la troisième force parlementaire ?

Il est probable, aussi, qu’aucune majorité ne puisse être obtenue par le jeu des alliances ou des coalitions. Auquel cas l’Assemblée nationale risque d’être « ingouvernable ». Pour faire passer les textes de loi de son gouvernement sans encombre, le Premier ministre doit pouvoir s’appuyer sur sa majorité au Parlement. Sans majorité claire, les oppositions parlementaires peuvent aisément adopter des motions de censure. Celles-ci provoquent le renversement du gouvernement. En outre, aucune nouvelle dissolution de l’Assemblée n’est possible avant au moins un an. Même une démission d’Emmanuel Macron suivie d’une présidentielle anticipée ne remettrait pas ce compteur à zéro.

Les contestataires de La France insoumise passent leur crash test

C’est un match dans le match qui s’est joué en terre insoumise à l’occasion de ces élections législatives. Plusieurs contestataires de la ligne imprimée par Jean-Luc Mélenchon avaient été débarqués des investitures de La France insoumise, malgré que l’accord express conclu entre les formations du Nouveau Front populaire ait prévu de reconduire les députés sortants. Mais Alexis Corbière, Raquel Garrido, Hendrik Davi et Danielle Simonnet se sont maintenus dans leur circonscription, face à des candidat.e.s nouvellement inverti.e.s par LFI.

Trois d’entre eux s’imposent au sortir du premier tour. Alexis Corbière devance Sabrina Ali Benali de presque quatre points en Seine-Saint-Denis, pendant qu’Hendrik Davi bascule juste devant Allan Popelard avec seulement 565 voix d’écart. Par contre, le résultat est sans appel dans la 15e circonscription de Paris. Danielle Simonet (41,87%) écrase Céline Verzeletti (22,87%) qui avait dû démissionner de ses mandats confédéraux de la CGT pour mener la bataille fratricide pilotée par la direction de LFI. Seule Raquel Garrido est largement battue par le candidat officiel LFI Aly Diouara en Seine-Saint-Denis : 23,65 % contre 33,11 %.

Quant à François Ruffin qui s’est écarté publiquement, avec fracas, de la ligne Mélenchon et pourrait faire les frais d’une défaite dans sa circonscription de la Somme : il est en ballottage défavorable face au Rassemblement national. Arrivé second et en recul par rapport à 2022, il bénéficiera cependant du désistement de la candidate Renaissance arrivée en troisième position. La seconde mi-temps commence donc.

Reconquête grand-remplacé par le Rassemblement national

Signe que les électeurs d’extrême droite imaginent la victoire de leur camp possible pour la première fois depuis 1945, le « vote utile » a joué à plein dans leurs rangs, à l’occasion de ce premier tour des législatives. Le parti d’Eric Zemmour n’enregistre que 240 000 voix (0,75%) dans 330 circonscriptions (sur 577) dans lesquelles il a présenté un candidat.

Lors des législatives de 2022, malgré une participation nettement inférieure, le parti d’Eric Zemmour cumulait quatre fois plus de voix : 964 775 (4,24%). Il y a encore trois semaines lors des élections européennes, Reconquête affichait 1,35 million de suffrages, malgré une assez faible participation à 51,5 %.

Raphaël Arnault et Philippe Poutou au second tour

Raphaël Arnault et Philippe Poutou, investis par la France insoumise sous la bannière du Nouveau Front Populaire, ont été utilisés comme des épouvantails par une grande partie de la classe politique lors de ces trois semaines de campagne. Le premier pour une supposée fiche S, liée à son activité de porte-parole au sein de l’organisation antifasciste Jeune garde.

Le second pour les positions de son parti le Nouveau Parti Anticapitaliste sur la situation en Palestine et les attaques du 7 octobre. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, est même allé jusqu’à propager le mensonge selon lequel Phillipe Poutou aurait été condamné pour apologie du terrorisme.

Dans leurs circonscriptions, ces candidats ont tous deux eu à faire face à des candidatures dissidentes de gauche. Ils sont pourtant parvenus à se qualifier pour le second tour. Pour Philippe Poutou, la bataille sera rude. « Mais comme on est un peu dingos on y croit », sourit-il sur ses réseaux sociaux. Ayant réuni 18,7% des suffrages, le candidat se retrouve opposé au député RN sortant, Christophe Barthès, qui a frôlé la majorité absolue au 1er tour (49,3%). Le candidat dissident de gauche est éliminé avec 12,7%, tout comme le macroniste (16,8%).

Pour Raphaël Arnault, la partie est mieux engagée. Dans la première circonscription du Vaucluse, le RN caracole en tête à 34,6%. Mais le porte-parole de la jeune Garde a réuni 24,7% des suffrages et pourra profiter du report des voix du candidat socialiste dissident qui avait réuni 18,2% des voix au 1er tour.

mise en ligne le 28 juin 2024

Julia Cagé : « La gauche devra affronter
les marchés financiers »

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

L’économiste, qui a initié un appel au rassemblement de la gauche et participé au chiffrage du programme du Nouveau Front populaire, défend les choix budgétaires de redistribution des richesses et de relance de l’économie. Elle analyse la situation politique inédite liée aux législatives anticipées.


 

Vous avez publié en septembre 2023 avec Thomas Piketty Une histoire du conflit politique en France, 1789-2022. Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle forme de conflit politique et électoral dans le pays, puisque l’extrême droite peut remporter des législatives pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays ?

Julia Cagé : Nous assistons au retour de la bipolarisation mais sous une forme extrêmement dangereuse et inconnue jusqu’alors, puisque c’est le RN qui a réussi l’union des droites autour d’un bloc que l’on pourrait qualifier de national libéral (le bloc RN, LR, Reconquête).

Comme nous l’avons souligné avec Thomas Piketty à la suite de notre livre, dans un document de travail publié lundi1 (1), les européennes ont marqué le début de ce processus de fragilisation du système de tripartition, avec la chute du bloc libéral central à moins de 15 % des voix. La question qui se pose désormais – et à laquelle personne n’a encore de réponse – est de savoir quelle forme exacte prendra cette bipartition dans le futur.

Ce qui semble le plus souhaitable serait un retour à une bipartition gauche-droite telle que celle que nous avons connue tout au long du XXe siècle, ce qui supposerait que le bloc social-écologique, aujourd’hui le Nouveau Front populaire (NFP), parvienne à élargir son électorat en direction des classes populaires, c’est-à-dire non seulement des abstentionnistes dans le monde urbain, mais, surtout et avant tout aujourd’hui, des électeurs RN dans les territoires ruraux.

Face au péril, vous avez initié un appel très largement signé pour un rassemblement à gauche. Cette union s’est faite, sous la bannière du NFP. Les cartes sont-elles dès lors rebattues et la gauche peut-elle, selon vous, l’emporter au moment où plus que jamais l’histoire l’y oblige ?

Julia Cagé : Oui, je pense que la gauche peut l’emporter car elle a deux chances de son côté : d’une part, elle est unie, avec le NFP, et, d’autre part – et c’est là que le parallèle avec 1936 me semble particulièrement intéressant –, elle est soutenue par l’ensemble de la société civile. Le NFP, ce ne sont pas seulement les femmes et les hommes politiques, les partis et les mouvements, ce sont les syndicats, les militants, les activistes, le monde de la culture comme celui de la recherche, les travailleurs, partout.

« Diaboliser à tout prix le RN n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche. »

C’est cela qui permet de créer une véritable dynamique. Il y a chez la société civile une volonté de participer à la construction du NFP, de le déborder aussi. Pour que la gauche, dès le 8 juillet, tienne l’ensemble de ses engagements. Et ça ne sera pas facile car elle aura contre elle plusieurs freins, à commencer par les marchés financiers. Mais elle aura surtout et avant tout derrière elle la dynamique de la société civile, car il n’y a jamais eu en France de grands progrès sociaux sans mouvements populaires.

Vous expliquez dans votre livre que le vote en France est à la fois un vote de classe et un vote territorial. Vous parlez de « classe géosociale ». Alors que le vote RN semble devenir un vote à la fois bourgeois et populaire, comment la gauche peut-elle répliquer ?

Julia Cagé : La clé est du côté du vote populaire rural, que la gauche doit absolument reconquérir. Il y a deux résultats importants sur ce point dans notre Histoire du conflit politique. D’une part, jamais la classe géosociale – c’est-à-dire non seulement le revenu, le patrimoine, l’éducation, la profession, etc. mais également le territoire où les individus vivent – n’a expliqué autant des différences de vote entre communes.

C’est fondamental si l’on veut comprendre la montée du RN : les électeurs ne votent pas RN parce qu’ils sont racistes, défiants ou malheureux ; ils votent RN parce que, au cours des dernières années, ils ont eu de moins en moins accès à des services publics de qualité, et parce qu’ils sont en souffrance du point de vue de leur pouvoir d’achat. Ils ont peur également d’être déclassés.

Cela ne veut pas dire que les élus du RN ne jouent pas sur les peurs, la montée des tensions, ne menacent pas les libertés tout comme la cohésion du pays et ne sont pas racistes ; mais s’il faut combattre ces élus, il faut convaincre leurs électeurs sur le terrain des idées. Diaboliser à tout prix le parti n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche.

Or, et c’est le second résultat important – qui, d’une certaine façon, peut nous rendre optimistes – ces classes populaires rurales, qui se tournent vers le RN, ont pour l’essentiel les mêmes préoccupations que les classes populaires urbaines qui, elles, votent à gauche : les services publics et le pouvoir d’achat. Les principaux déserts médicaux en France, c’est la Creuse et la Seine-Saint-Denis ! Le programme du NFP répond à ces préoccupations.

Vos travaux portent aussi sur les médias, dont la liberté et le pluralisme sont indispensables à la démocratie. Comment analysez-vous l’offensive d’une partie d’entre eux contre le NFP et la place prise par les médias bollorisés dans le débat public ?

Julia Cagé : Vincent Bolloré et l’utilisation à des fins idéologiques des nombreux médias dont il a fait l’acquisition puis pris le contrôle au cours des dernières années – au détriment de tout respect de l’indépendance des journalistes et ce malgré le courage des rédactions (celle d’i-Télé comme celle du Journal du dimanche, que les journalistes ont fini par quitter) – sont en partie responsables de la montée du RN. C’est d’ailleurs son objectif depuis le début. Malheureusement, ce n’est pas nouveau.

La recherche en sciences sociales a montré, depuis des années, l’influence des médias dans les comportements de vote. Un cas d’école, très bien étudié, est celui de Fox News aux États-Unis. En France, nous nous sommes longtemps crus protégés parce que le régulateur – historiquement le CSA, aujourd’hui l’Arcom – est censé garantir le respect du pluralisme interne de l’audiovisuel, public comme privé. Or, ce que l’on constate, c’est que ces règles sont insuffisantes et que l’Arcom n’a pas assez utilisé les armes à sa disposition. Où est le pluralisme sur CNews aujourd’hui ?

Pourquoi Europe 1 ne réagit en aucune façon aux injonctions de l’Arcom ? Si l’on ajoute à cela que le pluralisme externe n’est que trop peu assuré, du fait des insuffisances de la loi de 1986 et de la concentration croissante du secteur des médias, on se trouve face à un paysage médiatique qui, au lieu d’informer les citoyens et de les éclairer dans leurs choix, les désinforme en partie. C’est très grave. D’autant que cette offensive idéologique d’un Vincent Bolloré – et il n’est pas le seul – n’est plus propre au secteur des médias et s’étend à celui de l’édition.

Vous avez participé en tant qu’économiste au chiffrage du programme du NFP. Il prévoit d’augmenter les dépenses publiques afin d’améliorer la vie des citoyens, en imposant le capital et les plus fortunés. La droite et l’extrême droite considèrent que ce virage conduirait à un effondrement économique du pays. Que répondez-vous ?

Julia Cagé : Je réponds qu’ils se trompent. Et ce, pour plusieurs raisons. La science économique n’est pas une science dure – on peut difficilement prévoir l’avenir. Mais l’histoire économique nous apprend à tirer les leçons du passé. Or, que nous ont appris sept ans de macronisme ? Premièrement, que la politique budgétaire et fiscale qui a consisté à faire des cadeaux aux plus riches n’a eu aucun effet décelable sur l’investissement ou les créations d’emplois.

En revanche, elle a conduit à une augmentation très forte des inégalités. D’après Challenges, les 500 plus grandes fortunes sont passées depuis dix ans de 200 milliards d’euros (environ 10 % du PIB) à 1 200 milliards (50 % du PIB) ; d’après les dernières données du World Inequality Lab, les 1 % des fortunes les plus importantes atteignent les 3 500 milliards d’euros en France (soit 150 % du PIB) ! Et tout ça sans créer de la croissance supplémentaire et sans retour des plus riches.

Le projet du NFP, c’est un projet de justice sociale. Mais, au-delà, c’est une stratégie assumée d’investissement dans la formation, les universités et la recherche, la seule qui peut durablement faire progresser la productivité. Le tout avec les fondations d’une véritable social-démocratie à la française, avec un tiers des sièges pour les salariés dans les conseils d’administration des entreprises, comme cela se fait en Suède et en Allemagne depuis les années 1950, ce qui est la meilleure façon d’impliquer les travailleurs dans des stratégies d’investissement et de haute productivité à long terme.

De plus, ce projet est financé. Là où Macron a laissé filer la dette et les déficits bien avant la crise du Covid, le NFP propose de mettre une recette en face de chaque dépense. Il ne s’agit donc pas de faire de la dette supplémentaire, mais de faire contribuer une poignée de très aisés – ainsi que les grandes multinationales qui échappent à l’impôt – au financement de l’avenir.

Le chiffrage du NFP, prudent, ne prend pas en compte les possibles effets bénéfiques des mesures proposées. Est-il possible d’évaluer les retombées positives qu’auraient une hausse du Smic, un blocage des prix, un développement des services publics et une relance de l’emploi sur l’activité économique, la croissance et la consommation ?

Julia Cagé : Oui, nous aurions pu le faire… si on nous avait donné plus de trois semaines ! Je veux souligner que la dissolution fait partie de l’arsenal démocratique de notre pays et que l’on ne peut jamais regretter de faire entendre la voix des citoyens. Mais trois semaines pour la tenue d’une élection, c’est un véritable déni de démocratie.

Les gens n’ont pas eu le temps de s’inscrire sur les listes électorales, les partis ont dû s’organiser dans l’urgence. Emmanuel Macron faisait d’ailleurs le pari de leur désunion. Pari perdu : il a fallu moins d’une nuit pour permettre à l’idée d’un NFP de naître. Mais le président joue au poker avec notre démocratie.

« Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. »

Pour revenir à votre question, oui – et le NFP au pouvoir le fera pour préparer le prochain budget de l’État –, notre chiffrage peut être considéré comme conservateur du point de vue des recettes car nous ne prenons pas en compte la relance de la consommation qui sera engendrée par les gains de pouvoir d’achat des plus modestes.

À l’inverse, les cures d’austérité décidées par le gouvernement nuisent-elles à notre santé économique ?

Julia Cagé : Bien sûr. C’est l’erreur qui a été faite en Grèce à la suite de la crise financière, crise qui s’est ensuite étendue à toute l’Union européenne du fait des mesures austéritaires là où les États-Unis – qui ont fait le choix de la relance – ont sorti beaucoup plus rapidement la tête de l’eau. Et on voudrait à nouveau que l’État investisse moins ?

Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. Quand on voit que les plus jeunes ne se présentent même plus au concours d’enseignants, on se dit qu’il est urgent de revaloriser le point d’indice des fonctionnaires, etc. Et nous avons les moyens de le faire, pas en faisant plus de déficit, mais avec une fiscalité plus progressive.

Macron diabolise le NFP et la gauche, les plaçant au même niveau que l’extrême droite, ce qui détruit toujours plus le barrage républicain et offre un immense cadeau au RN…

Julia Cagé : Je pense que ceux qui mettent le NFP sur le même plan que le RN ont perdu toute boussole morale ; et plutôt que de donner des leçons sur les extrêmes, ils feraient mieux d’ouvrir des livres d’histoire. Qu’il y ait un conflit classiste sur la répartition des revenus et des patrimoines, cela est naturel. C’est ce qui a été au XXe siècle au centre de la bipartition et a conduit à des alternances politiques. On ne peut pas reprocher aux plus riches de vouloir moins de progressivité de l’impôt.

Mais le problème aujourd’hui, c’est que certains semblent oublier que le RN n’est pas un parti de « droite classique ». Certes, Marine Le Pen prône la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière. Mais il y a tout le reste : le racisme, la préférence nationale, la privatisation de l’audiovisuel public, les multiples atteintes aux libertés… et on mettrait ce parti sur le même plan que la gauche ? Que la gauche qui ne serait plus que « radicale » ? Mais radicale en quoi ?

Le programme économique du NFP, si on le compare à celui de 1981, pourrait être qualifié de « social-démocrate. ». En voulant se poser en « centre de la raison », en établissant cette rhétorique « moi contre les extrêmes », qui lui a permis de se maintenir au pouvoir malgré un socle électoral extrêmement étroit et extrêmement favorisé socialement, Macron a profondément dégradé la qualité du débat politique et public.

Il fait le lit du RN. Heureusement, face à ce danger, les gauches et les écologistes ont su dépasser leurs divisions pour créer le NFP. Elles ont également su garder leur boussole idéologique et appelé partout à faire battre le RN.

  1. « Le début de la fin de la tripartition ? Élections européennes et inégalités sociales en France, 1994-2024 », disponible sur https://wid.world/fr ↩︎

  mise en ligne le 28 juin 2024

Cédric Herrou : « Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble »

Hugo Boursier  et  Pauline Migevant sur www.politis.fr

L’agriculteur évoque ses craintes et ses espoirs depuis la vallée de la Roya, laboratoire de la répression migratoire à la frontière franco-italienne. « Pessimiste maintenant, optimiste plus tard », il appelle la gauche à s’enrichir des résistances de terrain.


 

"La gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. "

Cédric Herrou est un agriculteur et activiste aidant les personnes migrantes à la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya. Après 11 gardes à vue et plusieurs procès pour « aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers », il a été relaxé en 2021 grâce au principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Pour pérenniser l’accueil d’urgence, il a cofondé une communauté Emmaüs mêlant agriculture et social.

Les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.

La campagne des législatives a été plombée par les thèmes imposés par l’extrême droite. Alors que le premier tour aura lieu à la fin de la semaine, quels seraient les bons termes du débat, selon vous ?

Cédric Herrou : Je fais partie des gens qui sont dégoûtés de la politique. Est-ce qu’on a envie du pouvoir quand on est de gauche ? Est-ce que le système actuel donne de la place aux gens dénués d’égoïsme, d’une quête de profit personnel ? Est-ce que le pouvoir ne pervertit pas toujours ? Ce sont des questions que je me pose. Les élections ne répondent pas aux attentes des gens, et encore moins des précaires. La société se dépolitise. J’ai 45 ans, et depuis que j’ai commencé à lutter contre l’extrême droite, on me dit qu’elle va accéder au pouvoir tôt ou tard. Et quand elle arrive, les gens sont scotchés sur TikTok. À chaque scrutin, on ne réfléchit plus, on bricole des schémas. Le socle commun disparaît. Il s’effrite. Et le résultat qu’on a, ce sont deux mondes parallèles. C’est à se demander si on ne cherche pas la crise, collectivement. On affronte des problèmes climatiques immenses et pourtant on se préoccupe de choses futiles. On débat sur des choses qui ne sont pas à débattre.

Pensez-vous que la gauche est assez solide sur la compréhension des enjeux migratoires ?

Cédric Herrou : La gauche tente à nouveau de comprendre. En 2016, quand j’ai commencé à mener des actions, personne ou presque n’est venu me voir. Ce n’était vraiment pas un sujet qui intéressait. À droite, les élus n’envisagent ce sujet que dans une visée électoraliste. La question de la migration est difficile à aborder parce qu’elle est complexe. Sauf à la considérer comme la droite le fait, c’est-à-dire de manière simpliste en disant « non aux étrangers ». Défendre l’accueil, c’est bien plus exigeant intellectuellement que de dire stop à l’immigration. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs fois l’invitation de Cyril Hanouna à venir sur son plateau. Il me mettait face à Damien Rieu. C’est impossible de débattre avec quelqu’un d’aussi raciste. J’aurais eu besoin de trois minutes quand lui aurait lâché ses « arguments » en trente secondes.

C’est pour ça que la gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. Pour moi, traiter les électeurs du RN de fachos, c’est une connerie. Je ne parle pas des militants, bien sûr. Les autres sont des gens paumés qui ont peur que la télé devienne réelle. J’ai vu beaucoup de personnes solidaires avec des exilés mais qui votent extrême droite, juste parce que c’est facile à comprendre. Demandez le programme du RN dans la rue, les gens l’ont tous en tête : baisse des impôts, arrêt de l’immigration, lutte contre la violence. Le problème, c’est que les idées infusent. Et les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.

Emmanuel Macron a qualifié d’« immigrationniste » le programme du Nouveau Front populaire. Est-ce le signe ultime de la radicalisation du président sur l’enjeu des frontières ?

C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme.

Cédric Herrou : Les personnalités politiques manipulent : elles apprennent à sourire, à dire telle ou telle connerie au bon moment. Quand il dissout l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron pensait que la gauche ne pouvait pas se fédérer. Il s’est dit que le PS n’allait jamais se mettre avec La France insoumise. Ce calcul l’a conduit à prendre une tôle. Il voulait défoncer les LR, il l’a fait, mais la gauche a réussi à s’unir. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron est passé dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex, en 2020. On avait discuté. Il disait que c’était bien, ce que je faisais. Et après, il m’a dit qu’il fallait comprendre la peur du terrorisme que ressentaient les gens. Il a fait de lui-même le lien entre immigration et terrorisme. C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme. Et il tire toute la politique dans cette direction : le licenciement de Guillaume Meurice à France Inter en est en quelque sorte un exemple. Il y a dix ans, ce ne serait jamais arrivé. Preuve supplémentaire que l’on glisse petit à petit vers l’extrême droite.

L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie a-t-elle changé quelque chose pour les personnes qui arrivent dans la vallée de la Roya ?

Cédric Herrou : Je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de changements avec l’arrivée de Meloni. Auparavant, on entendait beaucoup parler de mafias qui venaient chercher de la main-d’œuvre directement dans les centres d’accueil de migrants. J’entends moins cela maintenant, parce qu’il y a moins de monde. En 2016, on distribuait 1 000 repas par soir à Vintimille. Là, on est entre 40 et 60 repas. La moitié des personnes qui en bénéficient se sont « sédentarisées » sur place, c’est-à-dire qu’elles sont SDF. Par contre, on nous rapporte le récit d’Italiens qui renvoient en Grèce des personnes qui ont été dénudées ou attachées sur les bateaux.

On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères.

Que craignez-vous d’un gouvernement d’extrême droite pour la gestion des frontières ?

Cédric Herrou : Il faut rappeler que le contrôle aux frontières est rétabli depuis 2015. Ce que préconise l’extrême droite est déjà effectif. Et ça n’a pas stoppé les flux migratoires. L’extrême droite est un mouvement d’idéologues qui stipule que mettre des flics aux points centraux de passages suffirait. Mais ça ne marche pas. La seule conséquence, c’est que les personnes mettent beaucoup plus de temps à passer et elles sont bien plus précaires quand les blocages se multiplient. Ce sont les points de fixation qui font naître les problèmes de passeurs, de proxénétisme et de pédophilie. On a oublié ce que ça voulait dire, dormir à la rue.

Tous les demandeurs d’asile ont dormi au moins une semaine dehors. Et bien plus longtemps pour une très grande majorité. Ça détruit les gens. Ça les rend fous. Et Emmanuel Macron le sait parfaitement. Il a créé les conditions d’un très bon accueil pour les Ukrainiens. Aucun Ukrainien n’a dormi à la rue. Quand j’entends qu’Éric Ciotti veut retirer l’aide médicale d’État, c’est un drame. La lecture médiatique, c’est d’un côté la gauche bisounours, de l’autre la droite pragmatique et l’extrême droite xénophobe. Mais ne pas soigner, ce n’est pas être pragmatique.

Craignez-vous que la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite décomplexe des violences émanant de citoyens ?

Cédric Herrou : On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères. La montée de l’extrême droite va rendre cela possible. On sait qu’on va avoir des problèmes. On en parle entre nous. La question est de savoir comment on continue à faire ce qu’on fait. Nous, à Emmaüs Roya, on ne dépend pas de subventions publiques. Mais je pense à tous les organismes qui accueillent les personnes étrangères avec ou sans papiers, il va y avoir un énorme problème. Précariser les personnes étrangères, les personnes qui ont la double nationalité, et entraver ces milliers d’associations qui les aident, ça va entraîner une précarité incroyable. Économiquement, il va être impossible de compenser l’arrêt des subventions. Rien que pour nous, il est compliqué de trouver de l’argent alors qu’on a une activité lucrative avec l’agriculture. Les chantiers d’insertion, le 115, si tout cela est précarisé, ça va être très difficile !

La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage.

À quel point pensez-vous que les réseaux de solidarité sont suffisamment solides dans la société civile pour pouvoir résister ?

Cédric Herrou : On restera en minorité. Il y a un glissement général à l’extrême droite. Je ne crois pas à un sursaut citoyen. Il faut réfléchir pour retrouver ce socle commun qui s’effrite. Et pour ça, il faudrait un choc. En attendant, l’union de la gauche est obligatoire, mais ce qu’il faut sur du long terme, c’est l’éducation populaire, aller parler aux gens. La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage. Il n’y a pas d’effet d’immédiateté. Il faut être nombreux, fédérer, et se faire le relais après la crise qui va venir. Sans une crise forte, je ne pense pas qu’on puisse prendre conscience de ce qu’est l’extrême droite.

Vous considérez que la société doit imploser pour créer un horizon nouveau ?

Cédric Herrou : Je crains qu’il faille en arriver là pour qu’on prenne conscience. Les gens ont la tête dans le guidon et se préservent dans ce monde fou. Sans forcément comprendre le monde extérieur. Les gens font du développement personnel et se coupent du monde. Ils travaillent sur eux. Il est dangereux de suivre un raisonnement pareil. Le développement se fait collectivement, pas personnellement. Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble. C’est ce qui avait été initié par les gilets jaunes, un mouvement populaire dans lequel on a vu des gens se retrouver sur des ronds-points pour discuter.

Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à l’institution judiciaire et administrative pour éviter le pire ?

Cédric Herrou : Ça va être compliqué. Je pense qu’on se retrouve à compter sur eux, mais qu’il faut s’en méfier. L’extrême droite va tout fragiliser. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourra s’opposer à elle. Elle va changer la Constitution, elle en est capable si elle fait de la bonne manipulation populiste. Malgré tout, je suis pessimiste pour maintenant, mais optimiste pour la suite. Il faut se réveiller, ensuite c’est la révolution, on fait le tour du cycle.

Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population.

Pourtant, en 2018, le Conseil constitutionnel avait fini par reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Ne pensez-vous pas que cette institution, que le système judiciaire dans son ensemble puisse limiter la casse ?

Cédric Herrou : J’ai quand même été en procès et j’ai effectué douze gardes à vue. Les Ciotti et autres luttent contre les principes républicains. Ce sont des gens aux antipodes de notre devise nationale. Si on la critique souvent, la justice reste un contre-pouvoir nécessaire, mais on risque de perdre cette institution. Peut-être qu’on ne parle pas assez de la chance d’être en France et d’avoir un système de santé, une école, une justice qui sont censés nous protéger.

Vous dites qu’il est dur de se fier à quoi que ce soit. En quoi croyez-vous ?

Cédric Herrou : Je suis en contact avec énormément d’acteurs de la société civile et on attend de la gauche qu’elle aille sur le terrain pour convaincre la population. Pour avoir des idées. On a l’impression que les politiques sont en vase clos et ne sont pas en lien avec les acteurs de terrain. Ils viennent nous voir, mais ne nous écoutent pas. Concernant l’immigration, il faut fédérer tous les acteurs qui gèrent l’immigration et la précarité à la place de l’État. Il faut développer un ministère de l’Immigration pour que celle-ci ne soit plus gérée par le ministère de l’Intérieur, qui ne l’appréhende que comme un potentiel trouble à l’ordre public. C’est un ministère paranoïaque.

Il faudrait solliciter les acteurs locaux, les scientifiques et les chercheurs. Mais aujourd’hui, les politiques demandent à des boîtes de conseil privées des idées de programme. Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population. Le travail est déjà fait, il faut que les politiques le synthétisent en travaillant sur le terrain. Les politiques et les médias ont une responsabilité énorme. Dans un monde parfait, la solution, on la trouve parce qu’elle existe déjà. Il faut se mettre autour d’une table avec des gens qui savent et non pas des gens qui sentent.

On vit dans une société où les politiques doivent tout savoir, mais c’est bien parfois de reconnaître qu’on ne sait pas. Aujourd’hui, on nous fait croire qu’on vote pour un premier ministre. On prend les gens pour des cons. Plus de 50 % de personnes ne votent pas. Lors de l’élection présidentielle de 2022, on avait fait un apéro chez moi pour regarder les résultats. Avec des gens qui ont une conscience politique. Pourtant, la moitié des personnes présentes n’avaient pas voté. C’est un problème démocratique énorme.

Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire.

Vingt millions de personnes ne votent pas, 30 % votent RN, mais ça reste très minoritaire. Enfin, on peut le voir comme ça. Beaucoup de gens ont délaissé le système politicien. Les gens comme moi, qui sont intéressés, doivent voter. Il faut que nos idées soient représentées. Leurs plans carriéristes à deux balles, je n’en ai rien à foutre : les Ruffin, Glucksmann, Tondelier, je m’en fiche. Je veux juste que nos idées soient représentées. Qu’ils viennent nous voir et nous écoutent. Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire. Les solutions sont sur le terrain, en bas de chez eux.

mise en ligne le 27 juin 2024

Législatives 2024 : sur TF1, le Nouveau Front populaire oppose la justice
sociale et fiscale
à Attal et Bardella

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

L’insoumis Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi 25 juin. Jeudi sur France 2, c’est le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui prendra le relais.

Alors que le vote pour le premier tour des élections législatives n’est plus que dans quelques jours, Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi soir. En tête des préoccupations des Français, le pouvoir d’achat a été le premier thème abordé.

L’augmentation du Smic, ce n’est pas « la lune » pour le NFP

Sur ce terrain, comme sur les autres, le premier ministre n’a que la continuité de la politique Macron à proposer, sous couvert de ne pas avoir « envie de faire croire à la lune ». Et tant pis pour l’accaparement de près de 100 milliards d’euros de la richesse produite par les actionnaires du CAC 40, en dividendes et rachats d’action. Le représentant, pour la soirée, du Nouveau Front populaire y a opposé le programme de justice sociale de la gauche unie qui comprend notamment le blocage des prix sur les produits de première nécessité et l’augmentation du Smic à 1600, assortie d’un accompagnement pour les plus petites entreprises.

Le prétendant du RN à Matignon a, lui, fait la preuve de l’indigence du projet de l’extrême droite en la matière plaidant la baisse de la TVA sur l’énergie – « ce n’est pas au budget de l’État de venir alimenter des profits gigantesques qui ont été réalisés ces dernières années par les industriels de l’agroalimentaire, par les énergéticiens », a opposé Manuel Bompard, s’interrogeant sur la confiance aveugle du RN en TotalEnergies pour ne pas augmenter ses marges plutôt que de baisser les prix.

Rigueur budgétaire contre juste contribution des plus riches

Surtout, Jordan Bardella s’est posé dans une opération séduction à l’égard du patronat et de la frange libérale de l’électorat, en garant du sérieux budgétaire, conditionnant du même coup ses rares mesures sociales – y compris la suppression totale de la dernière réforme des retraites – à un « audit des comptes de l’État », selon lui « maquillés par les gens au pouvoir ». « Je peux vous envoyer le rapport de la Cour des comptes, vous gagnerez du temps », lui a d’ailleurs répondu Gabriel Attal.

L’un et l’autre se sont retrouvés pour tenter de faire croire aux téléspectateurs que le NFP voulait augmenter les impôts pour tous. « 92 % des Français, c’est-à-dire tous ceux qui gagnent moins de 4 000 euros net par mois, paieront moins ou autant d’impôts qu’aujourd’hui ; et oui, il y aura davantage d’impôts pour les 8 % et en particulier pour les 1 % les plus riches et en particulier pour les 0,1 % les plus riches qui paient moins d’impôts, proportionnellement, que les classes moyennes », a répliqué le député FI sortant des Bouches-du-Rhône.

Les étrangers et les bi-nationaux, cibles du RN

Quant à l’immigration, obsession du RN et sujet sur lequel le gouvernement s’est livré à une course à l’échalote avec l’extrême droite ces derniers mois, Manuel Bompard à fustiger le discours xénophobe du parti de Jordan Bardella. « Quand vos ancêtres personnels sont arrivés en France, vos ancêtres politiques disaient précisément la même chose que ce que vous dites aujourd’hui. (…) (Ils) disai (ent) que les Italiens ne pouvaient pas s’intégrer en France, (ils) disai (ent) que les Espagnols ne pouvaient pas s’intégrer. Et on a construit ensemble ce beau pays qui s’appelle la France et on l’a construit aussi grâce à ces vagues d’immigration », a taclé l’insoumis rappelant « les immigrés en France ne coûtent pas de l’argent, ils rapportent de l’argent sur les dix dernières années ». « Personne ne part de son pays par plaisir. La première chose à faire est de s’attaquer aux causes qui forcent les gens à l’exil. J’assume de dire que quand une personne arrive en France, elle doit être accueillie dignement », a-t-il ajouté.

Le patron du Rassemblement national s’est aussi fait rattraper sur sa volonté de restreindre l’accès des Français bi-nationaux à certains postes. « Il y a 3,5 millions de Français qui sont stigmatisés par votre proposition », a critiqué Gabriel Attal. « La proposition du Rassemblement national d’interdire les emplois sensibles aux binationaux a blessé les trois millions de Français binationaux. Il est normal que les prétendants à certains emplois stratégiques soient soumis à une enquête. C’est déjà le cas. La proposition de Jordan Bardella vise uniquement à stigmatiser nos concitoyens binationaux », a également dénoncé Manuel Bompard.

mise en ligne le 27 juin 2024

Ces syndicalistes qui combattent
l’extrême droite
dans leur boîte

La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/

Plusieurs syndicats se sont lancés dans la bataille contre l’extrême droite en vue des prochaines élections législatives. Concrètement, cela signifie partir à la rencontre de ses collègues pour les convaincre. Rapports de force donne la parole à plusieurs d’entre eux pour un retour d’expérience.

Médico-social : la « déception » des oubliés du Ségur coûte cher politiquement

Pascal Letertre, secrétaire départemental Sud Santé Sociaux dans le Finistère :

« Dans le social et médico-social, les professionnels qui vont le plus voter pour le RN ne sont pas forcément dans l’éducatif, mais plutôt dans les métiers type agents techniques, administratifs, qui attendaient la prime Ségur et en ont été exclus. Cette exclusion a été très délétère dans notre secteur. Beaucoup de salariés disent : “on voit bien ce que le gouvernement actuel n’a pas fait pour nous. Et les syndicats ne servent à rien, ça fait trois ans que ça ne donne rien… Donc on va aller voter pour l’extrême droite”. Ces oubliés du Ségur, c’est à peu près 120 000 postes, 20 % des salariés du médico-social. Ça pèse très lourd, cette déception.

Les personnes ne vont pas forcément se confier à nous quand on va les voir sur site, mais on peut retrouver aussi ce type de discours sur des groupes Facebook, comme “les oubliés du Ségur”. À chaque fois, on essaie de leur expliquer les choses, en tant que syndicats, mais on s’en prend plein la tronche. Nous venons de signer l’extension du Ségur pour ces personnels là ; mais les gens ont du mal à avoir les bonnes informations et la façon dont ce dossier est géré par le gouvernement ajoute de la confusion.

Le côté positif tout de même, c’est que beaucoup de personnes sont revenues vers notre syndicat ces dernières semaines. On pensait que le contexte politique allait les effrayer, avec cette extrême droite dont l’un des objectifs est de faire sauter la “caste des syndicalistes”. Mais c’est l’inverse qui se produit.

On concentre donc nos forces dans des réunions les plus ouvertes possibles, en interprofessionnel. On crée aussi un maximum de liens avec d’autres types d’organisations et de collectifs, pour apporter les informations aux personnes qui ne souhaitent pas forcément se syndiquer mais essaient elles aussi de se mobiliser. Au-delà du Ségur, ou de ces élections, je trouve que quelque chose de fort est en train de se construire. »

Cheminots : « Il n’y a eu qu’un seul rendu de carte »

 Camille Cochin, syndicaliste CGT à la gare du Nord

« Dès la dissolution du 9 juin, on a commencé à s’agiter sur notre groupe WhatsApp. Le lendemain, on avait une réunion syndicale prévue dans la boîte et la question de faire barrage à l’ordre du jour était posée. Dans la foulée, nous avons organisé des tournées syndicales. Il a fallu expliquer à quelques jeunes adhérents que la CGT n’était pas un syndicat neutre mais sinon c’était assez évident pour tout le monde. Nous n’avons eu qu’un seul rendu de carte. On reste une profession particulière, avec une forte histoire d’engagement syndical. On a beaucoup de camarades au PCF. Tout cela donne une bonne capacité de mobilisation pour organiser des tournées. Le choc de la dissolution et la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite ont aussi fait revenir des adhérents qu’on ne voyait plus trop. Finalement, les retours sont plutôt bons, les personnes qui votent RN vont plus difficilement l’assumer devant nous parce qu’elles savent qu’il y aura du répondant. »

Industrie automobile : « Pas simple de discuter avec les collègues » quand l’extrême-droite gagne du terrain

 Rachid Karroumi, délégué syndical central adjoint de la CGT Renault :

« Chez nous, pas mal de salariés se sont orientés vers un vote extrême droite. Y compris au sein même du syndicat. On a d’abord adressé un courrier aux syndiqués pour leur rappeler nos valeurs et nos revendications… Tout en essayant d’être extrêmement habiles sur la manière dont on communique, puisque ce n’est pas simple de discuter avec les collègues sur ces sujets-là. D’ailleurs on nous reproche, souvent, d’être trop politiques.

Au sein de notre organisation syndicale, on se doit d’en prendre conscience : tout ce qui concerne le racisme et les autres formes de discrimination, ce sont nos valeurs et ça fait partie de nos revendications. Pourtant, concrètement, sur le terrain ou même dans nos syndicats, nous n’avons pas ces discussions-là. On devrait s’en emparer et les mettre sur la table au quotidien, en rediscuter sans cesse. Je crois que cela nous servira de leçon pour l’avenir.

La population s’est rajeunie dans le groupe Renault ces dernières années : la moyenne d’âge est en baisse, autour de 40 ans. Il y a un gros boulot à faire auprès de tous ces jeunes qui sont arrivés. La génération actuelle se désintéresse de la politique, mais par contre la politique, elle, s’intéresse à eux : il y a de nouvelles formes de communication, via TikTok notamment, et l’extrême droite vient vers cette jeunesse en promettant de leur apporter du sens, du pouvoir d’achat…

Il y a donc tout un travail de culture syndicale et politique à mener. Il faut insister sur les conditions de travail, sur la politique d’austérité menée par la direction de Renault, être présents sur les problématiques du quotidien des travailleurs. On a la certitude que les salariés, y compris les jeunes, feront alors le lien avec les enjeux politiques nationaux. L’extrême droite promet d’éliminer les organisations syndicales contestataires… C’est en valorisant sur le terrain sur ce que l’on a à proposer en termes de conditions sociales et conditions de travail que l’on pourra contrecarrer ces programmes politiques qui nous sont hostiles. »

 Logistique : « On travaille à Rungis, on commence à 4h du matin, ça va changer quoi pour nous ? »

Leïla*, employée de la logistique à Rungis (Val-de-Marne), ex-ouvrière syndiquée :

« Je travaille dans les fruits à Rungis, je fais du 39 heures semaine, on travaille 8 heures tous les jours. Nos heures supplémentaires sont payées à la toute fin de l’année, et si à l’inverse tu n’as pas fait tes 39h, ils te retirent le 13e mois. Franchement, c’est quoi ces règles, on est pas en France… Quand on parle politique, entre collègues, les gens se ferment vite et se désintéressent, ils disent : « ça va changer quoi pour nous ».

Surtout les jeunes qui sont au travail avec moi, ils s’en foutent, ils me disent : « on travaille à Rungis, on commence à 4h du matin, ça va changer quoi pour nous ? » Pour eux, c’est déjà perdu. Il y a un garçon qui a bac+2 et qui travaille dans les fruits avec moi. Il m’a dit « ils sont tous pareils : même si le RN passe, on aura rien, ça ne sera pas mieux ». C’est triste !

Je retrouve les mêmes discours dans ma cité : il y a des gens qui me disent « ça va changer quoi pour nous », « moi je ne vote pas », ou « il faut faire des procurations c’est compliqué ». Alors que si le RN passe, c’est fini pour nous. Moi je travaille, mais ça me fait peur quand même, je porte le voile dans la rue et tout… Après j’ai déjà 47 ans, c’est surtout pour les jeunes que ça m’inquiète !

J’étais syndiquée avant, mais suite à la fermeture de mon usine, j’ai eu du mal à retrouver du travail, alors je me tiens à distance de tout ça pour le moment. Mais au quotidien, je donne quand même des conseils à mes collègues. Je leur parle de tout ça, du travail, du code du travail, je leur dis « il faut faire ça, pas ça… » Les gens n’ont pas le choix d’accepter les conditions de travail car il faut manger, payer le loyer à la fin du mois, bien sûr. Mais il faut quand même être respecté ! »

Éducation : « En salle des profs, on en parle peu, mais tout le monde stresse »

 Roumana Nguyen, AESH dans un collège de Seine-Saint-Denis, syndiquée Sud :

« Au sein du collège, on en parle peu. Mes collègues, ça les affecte, ils savent tous pour qui ils vont voter. Tout le monde stresse. Mais on en parle seulement en off, entre personnes partageant les mêmes idées. On ne va pas développer en salle des profs, car on ne connaît pas le ressenti de chacun. Moi-même j’évite par exemple de relayer des contenus dans nos groupes Whatsapp, pour éviter qu’on dise : “elle fait de la propagande politique“.

Au niveau de mon syndicat, la période créée une émulation : on a eu quelques nouvelles adhésions. Et bien que Sud ne soit pas un gros syndicat, on arrive à rameuter pas mal de monde autour de nos actions. On invite à faire barrage au RN, mais sans appeler à voter Nouveau Front Populaire pour respecter la charte Amiens.

Après, moi je milite à côté de ça pour le candidat NFP de ma circonscription, député sortant réinvesti. Je vais dans la rue, sur les marchés. Je parle moins d’éducation : pour les gens ici, pour beaucoup issus de communautés africaines, maghrébines ou asiatiques, c’est le portefeuille qui les impacte, la précarité. Donc je fais plutôt de la pédagogie sur le sujet du social, de l’immigration, du racisme et de l’islamophobie. Mais ce qui est sûr c’est qu’ici, jeunes comme vieux, tout le monde sait très bien ce qu’est le RN et son histoire. »

Commerce : « On a fait évoluer notre tract pour expliquer comment faire une procuration »

 Marlène Papai, élue CGT au CSE de la FNAC Paris :

« Au magasin de la FNAC Saint-Lazare, il y a de nombreux jeunes salariés. Lors de notre premier tractage nous avons surtout dû expliquer le fonctionnement et l’importance du vote, détailler comment faire une procuration, car beaucoup l’ignoraient. Si bien qu’on a fait ajouter toute une partie sur la procuration à notre tract pour les diffusions à venir. Finalement on est assez peu entré dans une forme d’appel à vote. On a expliqué qu’on allait avoir un nouveau Premier ministre et qu’il allait prendre en charge la politique intérieure. On a insisté sur le fait que si le RN passe les travailleurs et les syndicats allaient en payer le prix.

Les retours étaient plutôt bons. C’est un magasin où la CGT est première aux élections professionnelles, où je travaille et où les employés ont l’habitude de voir des élus CGT. On passe régulièrement les voir tant pour les informer, obtenir des retours du terrain que pour leur parler de sujets sociétaux, comme la réforme des retraites. À l’époque on avait même réussi à constituer un cortège intersyndical en manifestation ! On s’occupe aussi des œuvres sociales… tout cela contribue à faire de nous des personnes écoutées. »

mise en ligne le 25 juin 2024

L'extrême droite est un danger pour nos libertés et la démocratie

CGT sur https://www.cgt.fr/actualites/f

Bardella a fait croire qu’il reviendrait sur la retraite à 64 ans... mais finalement, il fait machine arrière.

Même chose pour les salaires. Ils prétendent augmenter le salaire net en supprimant les cotisations sociales. Mais sans cotisations, pas de droits à la retraite, au chômage ou à l’assurance maladie

Les masques tombent, et ça n’est que le début. 

L’extrême droite c’est aussi la fin du droit de grève et des négociations salariales dans les entreprises.

À l’Assemblée nationale, le RN a voté contre l’augmentation du Smic, contre l’indexation des salaires sur l’inflation, contre la revalorisation des petites retraites. Des député·es RN ont même voté contre la constitutionnalisation de l’avortement

Ils préparent une destruction des services publics en les privatisant, alors que nous en avons déjà de moins en moins.

Bardella est le faux ennemi choisi par Macron qui continuera à œuvrer pour le patronat en dézinguant nos conditions de travail, nos salaires et nos services publics.

C’est un danger pour nos libertés et la démocratie.

Le RN n’est pas un parti comme les autres. Une fois entré à Matignon, il voudra garder le pouvoir à tout prix en s’attaquant à la justice, à la presse, aux syndicats et associations. C’est un danger mortel pour notre démocratie !

On ne se trompe pas de colère, on fait front !

La situation est tellement grave que, dans l’unité, les syndicats prennent leurs responsabilités pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’une extrême droite raciste, antisémite, homophobe et sexiste.

Depuis les élections européennes une vague populaire s’est levée : nous avons été des centaines de milliers à participer aux manifestations unitaires et populaires !

Ils nous divisent, la CGT rassemble

Le Nouveau Front Populaire doit répondre aux exigences sociales, comme en 1936 lorsque les salarié·es avec la CGT ont gagné les congés payés !

Rien ne nous sera donné : alertons nos familles, nos ami·es et nos collègues de travail du danger de l’extrême droite.

Le 30 juin et le 7 juillet, nous pouvons mettre enfin à l’ordre du jour des avancées sociales. Pas une voix ne doit manquer !

Partout, mobilisons-nous et votons pour :

  • Indexer tous les salaires sur les prix 

  • Augmenter le Smic à 1600 € net (soit 2000 € brut), tous les salaires et les pensions de retraite

  • Gagner l’annulation de la retraite à 64 ans et le retour à 60 ans

  • Des services publics partout pour toutes et tous et des moyens pour l’école et l’accès à la santé

  • Réindustrialiser le pays et répondre aux enjeux climatiques

  • Prendre en compte enfin la parole des salarié·es

La CGT appelle à s’organiser partout pour convaincre ses collègues, se réunir et participer aux mobilisations populaires pour nos droits et nos salaires.

Jeudi 27 juin, au travail et dans la rue mettons partout la pression populaire !

  mise en ligne le 24 juin 2024

Législatives 2024 :
derrière son « État fort », comment le RN veut détruire les services publics

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Derrière un discours édulcoré prônant une restauration de l’État, le programme du RN prévoit un plan massif d’allégement des cotisations et impôts qui conduirait à un assèchement des caisses publiques.

« Nous voulons un État fort, restauré dans sa capacité d’action. » À travers la feuille de route présentée ce lundi 24 juin devant les médias, dans un exercice censé dissiper l’opaque brouillard autour de son programme, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, est resté fidèle à la rengaine de Marine Le Pen.

Capitalisant d’élection en élection sur le sentiment d’abandon par l’État d’une partie de la population, la dirigeante d’extrême droite n’a eu de cesse, ces dernières années, d’afficher la volonté de « rendre à la fonction publique ses lettres de noblesse ». Une ambition qui ne résiste pas à la vacuité d’un programme qui n’apporte, au mieux, pas la moindre réponse au délitement avancé des services publics et menace même de les affaiblir.

C’est le constat dressé par Lucie Castets, co-porte-parole du collectif Nos services publics, pour qui ces incohérences sont symptomatiques de l’imposture au cœur même du projet du RN sur la question des services publics. Un regard attentif sur les quelques mesures économiques rendues publiques permettrait, selon elle, d’en déjouer aisément la mécanique.

Bataillon de réductions d’impôts

« En des termes flous, le RN tient un discours de façade, promettant de préserver le statut de la fonction publique et d’en renforcer les moyens. Or, les mesures fiscales prévues par le RN entrent en contradiction avec ce projet », analyse-t-elle. Et la fonctionnaire d’énumérer le bataillon de réductions d’impôts inscrites dans son programme.

À savoir : allégement des cotisations sociales payées par les employeurs – projet confirmé lundi par Jordan Bardella, qui prévoit d’exonérer les patrons de cotisations pendant cinq ans en contrepartie d’une augmentation de 10 % des salaires ; défiscalisation des heures supplémentaires ; réduction des taxes sur les donations ; baisse des impôts sur les successions, etc. « Tout cela alerte sur le fait que le RN ne sera pas en mesure d’apporter les fonds suffisants pour augmenter le niveau de présence des services publics ; pire, qu’il va en réduire les sources de financement », résume Lucie Castets.

Avec un manque à gagner de l’ordre de 40 milliards d’euros, selon l’Institut Montaigne, ces baisses de prélèvements obligatoires conduiraient, de fait, à un assèchement des caisses publiques, déjà malmenées par la politique d’allégement de cotisations sociales mise en œuvre par Emmanuel Macron.

Pour l’économiste Michaël Zemmour, les propositions du RN et leurs répercussions sociales s’inscrivent bel et bien dans le sillon tracé par Emmanuel Macron. « Le trait caractéristique de la politique du gouvernement actuel, c’est la baisse des prélèvements obligatoires, notamment sur les entreprises, donc la baisse des recettes, qui creuse les déficits (…). Le Rassemblement national, dans la ligne du gouvernement actuel, a tranché : il préfère continuer de privilégier une baisse des recettes », a analysé l’économiste sur le plateau de LCI, le 18 juin.

« À partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics » Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’UFSE-CGT

Le miroir aux alouettes tendu par le RN est, selon Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), « pure escroquerie » car, « à partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics ».

À l’exception, note toutefois le syndicaliste, des services régaliens de sécurité, notamment la police et la gendarmerie, pions stratégiques dans la feuille de route ultrarépressive du RN, qui vont, sans surprise, échapper à ce plan de définancement massif. Le projet réaffirmé par le président du RN est particulièrement limpide : « Nous voulons sanctuariser (l’État) dans ses fonctions régaliennes, à savoir la défense (…) », a-t-il ainsi déclaré, ce lundi, lors de l’exposé de ses orientations économiques et sociales.

La menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé

Rappelant la volonté du RN de faire baisser la dette publique d’ici à 2027, Christophe Delecourt pointe, en outre, la menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé, à travers des abandons de politiques publiques, des externalisations, des privatisations. À commencer par celle de l’audiovisuel public, sur lequel le RN n’a pas caché ses intentions.

Il n’aurait, à cet égard, qu’à appuyer sur l’accélérateur d’un train en marche pour parachever le désengagement généralisé de l’État. Le ralliement au parti d’extrême droite d’Éric Ciotti, chef de file contesté des « Républicains », les récents revirements de Jordan Bardella, notamment sur l’abrogation de la réforme des retraites, son programme, aussi flou que famélique, dès lors qu’il ne renvoie pas à ses obsessions migratoires, apparaissent comme autant de signaux d’une fuite en avant néolibérale.

Conditionnant toute mesure liée aux services publics, ayant trait à l’école ou la santé, à un audit des finances de l’État, Bardella s’est ainsi montré bien peu disert sur la lutte à mener contre leur délitement. Hormis la proposition de supprimer les agences régionales de santé, dont les missions seraient confiées aux préfets, et celle d’exonérer d’impôts des médecins retraités qui voudraient reprendre du service, sorties hier du chapeau, le RN continue d’avancer sans projet.

À défaut de proposer des moyens à hauteur des besoins, il continue d’aligner les poncifs, selon sa stratégie, jusqu’ici payante, d’en dire le moins possible. Jusqu’à quand ?

  mise en ligne le 24 juin 2024

TRIBUNE. Briser
« le mur de l’argent » !

Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat sur www.regards.fr

Pierre Khalfa et Jacques Rigaudiat, économistes et coauteurs de « Quoi qu’il en coûte. Sortir la dette des griffes de la finance  » (Textuel, 2022), reviennent sur la programme économique de la gauche dévoilé ce vendredi pour les élections législatives.

Le programme du Nouveau Front populaire (NFP) représente une rupture majeure avec les politiques menées depuis des décennies. Il permet d’engager la bifurcation rendue nécessaire par la double crise, écologique et sociale. Comme à chaque fois que la gauche propose des mesures audacieuses, les commentateurs traditionnels de la vie politique s’insurgent, moins contre le contenu précis de ces mesures, que sur la question de leur financement. L’originalité des arguments n’est pas vraiment au rendez-vous et nous assistons ainsi à un débat convenu. Même s’il est donc sans surprise, ce débat n’en est pas moins inévitable, car il renvoie au fameux « mur de l’argent » sur lequel tout projet émancipateur peut se briser.

Il faut d’abord remarquer qu’il n’est pas possible de présenter un programme de transformations profondes qui soit complètement « bouclé » macroéconomiquement, c’est-à-dire dont toutes les mesures seraient  a priori équilibrées. En effet, les modèles économétriques de prévision, qui se veulent l’image fidèle de l’économie telle qu’elle est, postulent par construction une stabilité des comportements, alors que l’objet même des politiques économiques et sociales projetées est de les transformer. 

Dire cela n’empêche pas d’avoir pleinement conscience des forces qui voudront contrarier la mise en œuvre du projet et des contraintes qu’elles s’efforceront de lui opposer ; il faut bien sûr, essayer de s’en prémunir. Nous n’insisterons pas sur la nécessaire réforme fiscale d’ampleur, qui vise à la fois à installer une justice fiscale et à redonner des marges de manœuvre financière à la puissance publique. Les baisses d’impôts ou de prélèvements en faveur des ménages les plus riches et des grandes entreprises se sont multipliées, elles coûtent chaque année 76 milliards au budget de l’État ; si on leur ajoute les subventions sans contrepartie accordées aux entreprises, de l’ordre de 170 milliards, qui font de ce modèle un « capitalisme sous perfusion », les marges de manœuvres, on le voit, sont réelles. Cette situation ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui ; déjà, en 2010, le rapport Champsaur-Cotis avait alerté sur ce problème et souligné que « en l’absence de baisse des prélèvements, la dette publique serait d’environ 20 points de PIB plus faible ». La situation n’a, depuis, fait qu’empirer.

Il est vrai cependant qu’une réforme fiscale, aussi importante soit-elle, ne suffira pas à financer les investissements massifs qui sont nécessaires tant pour remettre à niveau et développer des services publics en voie de déshérence, que pour lutter contre le dérèglement climatique. Outre, une remise en cause du partage actuel de la valeur ajoutée, il faudra donc s’endetter. Nous entendons déjà le cœur de nos contempteurs s’indigner en soulevant le niveau actuel de la dette et du déficit public. Au-delà du caractère convenu du discours, et du fait que le coût des intérêts de la dette n’a représenté en 2023 que 1,8 % du PIB contre près de 4 % à la fin des années 1990, nous ne pouvons balayer cette remarque d’un revers de main. Les turbulences actuelles sur le marché secondaire des obligations d’État ne sont qu’un avant-goût de ce qui risque de se passer si le NFP gagne les élections. En effet, il est clair que les marchés financiers ne vont pas s’accommoder sans réagir de la mise en œuvre d’un programme contradictoire avec leurs intérêts.

Disons-le, un bon État est un État qui s’endette. En effet la dette joue un rôle intergénérationnel. S’imposer un quasi-équilibre budgétaire, comme les règles actuelles de l’Union européenne le prescrivent, signifie, outre la purge austéritaire que cela implique,  que les investissements de long terme seront financés par les recettes courantes. Or ces investissements seront utilisés des décennies durant par plusieurs générations, il est donc absurde que leur financement ne soit assuré que par les recettes du moment. Respecter ces règles entraîne l’impossibilité, de fait, d’investir pour l’avenir. La dette permet de faire financer par des générations successives des infrastructures qu’elles utilisent. Elle joue donc un rôle fondamental dans le lien entre les générations. Le problème fondamental n’est pas la dette, mais le fait qu’elle soit sous l’emprise des marchés financiers.

Remarquons que certaines économies avancées comme le Japon ou les États-Unis ont un endettement  bien plus élevé que celui de la France sans que cela ne pose problème. En effet dans ces deux pays, la dette n’est pas soumise à la loi des marchés financiers, car ce sont essentiellement des institutions publiques nationales (banque centrale, institutions financières publiques) qui en achètent les titres. Il est donc nécessaire de dégager durablement le financement public de l’emprise des marchés.

Il faut pour cela créer un dispositif qui, comme jusqu’aux années quatre-vingt, garantira la stabilité du financement ; son cœur sera formé par un pôle public bancaire, édifié autour des institutions financières déjà existantes ; il permettra d’orienter l’épargne populaire vers les investissements sociaux et écologiques stratégiques décidés démocratiquement. N’étant pas soumis à la logique de la rentabilité financière, il pourra ainsi être un acheteur important et stable de titres de la dette publique. Par ailleurs, ce pôle pourra avoir accès aux liquidités fournies par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de ses opérations de refinancement, comme le permet l’article 123-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les titres de dette publique constituant un collatéral de très bonne qualité. Les institutions financières privées doivent quant à elles être soumises à un contrôle strict et avoir l’obligation de placer une partie de leurs actifs en titres de la dette au taux fixé par la puissance publique.

 Face au risque  de se fracasser sur « le mur de l’argent », il faut reprendre le contrôle de la finance.


 

  mise en ligne le 22 juin 2024

 

Législatives 2024 : « On va au combat ! », contre le RN,
le Nouveau Front populaire engage la bataille de la Somme

Anthony Cortes sur www.humanite.fr

Dans le département historiquement ouvrier de la Somme, le RN gagne peu à peu du terrain. Face à cette avancée, les candidats du Nouveau Front populaire, Léon Deffontaines, François Ruffin et Élodie Héren en tête, se mobilisent en urgence.

Face au grand départ des 24 Heures du Mans, qui peut rivaliser ? Sur l’écran plat qui trône au fond du Café de l’Avenir d’Hallencourt, commune rurale de 1 286 habitants de la Somme, des voitures, encore des voitures. Éric, 61 ans, gérant des lieux, campé derrière le comptoir, télécommande en main, l’assume. Qu’importe si, au même moment, près de 650 000 personnes défilent dans les rues du pays pour dire leur refus de l’extrême droite : il ne basculera pas sur les chaînes d’info. Parce qu’il est « passionné d’automobile », mais pas seulement. « Ils sont tous devenus dingues, souffle-t-il. Macron qui pète un câble, la droite qui s’allie à l’extrême droite, et la gauche qui retourne avec Mélenchon… Moi, je ne veux plus rien savoir d’eux ».

Il a pourtant toujours voté et le fait toujours, sans préciser pour qui. « Par devoir républicain » et héritage familial, promet-il. Lui, l’ancien de la vallée de la Nièvre, où ses parents, « des rouges en lutte », ont servi l’industrie textile toute leur vie. Avant de la voir décliner, puis s’éloigner. Lui-même l’a fait, un temps, jusqu’au moment où il fallait « aller bouffer ailleurs ». Suivront dix-neuf ans au volant, en tant que chauffeur routier, où il a pu côtoyer « tout ce que l’Europe compte de travailleurs exploités et mis en concurrence », puis la suite derrière ce bar. « Ici, on avait tout, raconte-t-il. Même il n’y a pas si longtemps : Goodyear, Whirlpool, ou même Veglia, qui fabriquait les compteurs et les tableaux de bord des bagnoles. C’est fini tout ça, on est condamnés à disparaître et tout le monde s’en fout. »

Un sentiment largement présent ici, où la boucherie doit fermer à la fin du mois tandis que le bureau de Poste est menacé. Que d’autres services tiennent bon, du cabinet infirmier à la boulangerie, n’y fait rien. C’est une « France oubliée », jure-t-on, « par les politiques, les médias, les urbains ». Alors on vote en conséquence : « Pour se signaler. » Le 9 juin dernier, dans cette commune dirigée par un socialiste, le Rassemblement national a recueilli près de 51 % des voix. Avec une participation importante (57 %). Qu’en sera-t-il à l’occasion des élections législatives anticipées ?

« Parler du quotidien et susciter l’espoir »

Au niveau de la troisième circonscription de la Somme, à laquelle appartient Hallencourt, le RN a obtenu lors des élections européennes un peu plus de 46 % des voix, reléguant le bloc de gauche sous la barre des 12 %. Léon Deffontaines, candidat PCF du Nouveau Front populaire ici même après avoir mené la liste Gauche unie, a conscience du défi auquel il se confronte. « On va au combat ! », lâche l’enfant du pays, déterminé, à la sortie de la préfecture d’Amiens où il vient de déposer sa candidature. « Il faut aller partout, s’adresser à tout le monde, mais pas n’importe comment, projette-t-il. Il faut leur parler d’eux, de leur quotidien, puis susciter l’espoir et construire ensemble. »

À ses côtés, Arnaud Petit, maire communiste de Woincourt, avait, en 2022, tenté sa chance sous les couleurs de la Nupes sur ce même territoire « très rural ». En quatrième place lors du premier tour, avec 16,88 % des voix, il n’avait pu qu’assister à l’élection d’Emmanuel Macquet (LR) à l’issue d’un duel serré face au RN. « Ça ne sera pas simple, mais on peut y croire, assure-t-il. Ici, l’électorat est volatil : on peut voter à gauche aux municipales et RN à la présidentielle, ou inversement. Tout le défi, c’est de convaincre ceux qui se sentent oubliés par le niveau national que la gauche peut porter la voix des gens d’ici et la faire exister à l’Assemblée. »

Dolorès Esteban, conseillère départementale PCF de la Somme, relève cependant plusieurs autres adversaires dans cette campagne. « Le sentiment de mépris ou d’abandon », parfois simplement caractérisé par une route en délabrement, « l’impression que le travail ne paie plus », alors qu’il a ici une valeur primordiale – pour l’individu, son épanouissement et son intégration, comme pour toute la collectivité. Sans oublier l’impression que les choix sont de plus en plus opérés sans consulter les habitants eux-mêmes, qu’ils soient justifiés ou pas.

De l’implantation « anarchique » d’éoliennes, qui a suscité ici un grand vent de révolte finalement ignoré – la Somme est désormais le département qui accueille le plus d’installations de ce type –, jusqu’à la suppression de centres médico-sociaux, qui ont rejoint les nouvelles « maisons des solidarités et de l’insertion » (MDSI), plus grandes mais moins nombreuses. Avec pour effet d’allonger les distances entre les ruraux et les soins…

« Il faut répondre à tout cela, tranche Léon Deffontaines. S’engager pour la réouverture de la ligne ferroviaire reliant Abbeville, dans la Somme, et Le Tréport, en Seine-Maritime. Tout faire pour que le travail soit à nouveau récompensé, agricole ou ouvrier. Peser de toutes nos forces pour faire baisser les factures d’énergie qui plombent ici l’industrie de la verrerie, notamment. Lutter contre la désertification médicale… » En clair : « Combattre la politique libérale macroniste, débusquer le RN qui ne fera que trahir les Français, comme il a déjà commencé à le faire sur la question de l’abrogation de la réforme des retraites. Et construire des perspectives. »

Sur un autre front de la Somme, la première circonscription, plus industrielle, François Ruffin et ses troupes entendent mener le même combat. Il n’est que 9 heures du matin, mais ils sont une bonne vingtaine à se préparer à aller frapper à toutes les portes que compte Flixecourt, cité ouvrière historique de 3 200 habitants connue pour avoir été l’une des places fortes de l’industrie textile. Réunis autour du député Picardie debout à la maison des associations de la commune, tous ont en tête les résultats locaux des élections européennes.

Ils le portent sur leurs visages. Ici, Jordan Bardella a supplanté tous les candidats, recueillant plus de 57 % des voix. Manon Aubry, candidate de la France insoumise, n’a obtenu que 5,85 %. « Que les choses soient claires, avertit François Ruffin, au centre de la pièce. Avec un bloc de gauche à 26 % dans la circo, je n’existe pas à l’Assemblée le 7 juillet. Mais je veux du pessimisme actif : il y a une pente à remonter et nous pouvons le faire ! »

Une gauche « joyeuse et de proximité »

Pour cela, l’ancien journaliste égrène ses consignes. Représenter une « gauche joyeuse, généreuse, de proximité, qui embrasse le pays », rappeler les victoires locales, du sauvetage de l’école de la commune aux emplois sauvegardés chez Metex, à Amiens, grâce au soutien d’une large coalition de gauche, politique et syndicale. Et « insister sur un point commun » : « On n’en peut plus de Macron ». « Cette élection, c’est l’occasion de tourner la page de la Macronie. Le mépris, la casse sociale, les cadeaux aux plus riches… Mais pour rassembler autour de nous, il faut créer de la confiance, rassurer face au désordre. On a besoin de sécurité et notre gauche peut l’incarner, au contraire du RN. »

À 67 ans, Évelyne, ancienne professeur d’EPS d’un établissement de zone prioritaire, est venue donner de son temps pour cette opération porte à porte. Tract en main, elle promet de ne « pas lâcher », mais avoue avoir le cœur serré depuis trop longtemps face aux situations sociales observées dans son département. Vecteur déterminant du vote RN, selon elle. « Chaque jour, je croise des anciennes élèves avec des voitures qui ne tiennent pas debout, obligées d’enchaîner les kilomètres à leurs propres frais pour faire le ménage partout où elles le peuvent, raconte-t-elle. Ou des vieux, en autonomie chez eux, dans des situations de dénuement extrême, qui s’aventurent seuls dans la rue pour chercher leurs médicaments alors qu’ils n’ont plus toute leur tête… »

Il y a peu, Évelyne s’est heurtée à toute la détresse d’une amie, pharmacienne à Bernaville, à quelques kilomètres de là. Épuisée de devoir se charger de l’accueil de tant de personnes « affolées, perdues, abandonnées », alors qu’elle n’est pas censée en avoir les compétences. « Elle n’en peut plus, elle veut partir, rapporte-t-elle. Il faut apporter des réponses à ces situations que l’on retrouve partout ici. C’est cela que doit faire la gauche plutôt que de mettre le désordre à l’Assemblée. »

« De plus en plus de gens n’y arrivent plus », constate Bruno, 77 ans, ancien technicien supérieur chez Dunlop et militant de Picardie Debout depuis deux ans. Dans la Somme, 16,4 % des habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Un taux qui s’élève à 28 % chez les moins de 30 ans, selon l’Observatoire des territoires. « Ils ne savent plus quoi faire, vers qui se tourner, qui ou quoi pointer du doigt : les politiques, le gouvernement, les “assistés”, les étrangers, poursuit-il. Ils n’ont pas de réponse, juste la rage, et ils votent RN. Même si ça se retournera un jour contre nous. »

Créer du lien

Face à la maison de la culture d’Amiens, préfecture de la Somme, des centaines de personnes se rassemblent pour dire toute leur opposition à l’extrême droite. Dans leurs mains, des drapeaux des différents partis de gauche, des syndicats, et des pancartes. Elles avertissent : « L’Histoire nous regarde. » Élodie Héren, écharpe verte autour du cou, a fait le déplacement pour l’occasion depuis sa circonscription : la quatrième. Celle qui a élu, en 2022, l’ancien directeur de campagne de Marine Le Pen, Jean-Philippe Tanguy.

Au premier tour, il avait obtenu 32 % des voix, avant de l’emporter au second (54 %) face à Jean-Claude Leclabart, alors député macroniste sortant. Lors des européennes, dans ce même espace et avec un taux de participation équivalent (autour de 50 %), le RN a cette fois atteint 46 % des voix. « En deux semaines, il faut convaincre de passer de Bardella à la gauche, soutient l’écologiste. On est obligés d’y croire, mais le défi est corsé. »

Malgré les difficultés qui la contraignent à de très courtes nuits ces derniers temps (pénurie de papier limitant l’impression des affiches, délais restreints pour ouvrir un compte de campagne, légères divisions locales dans des circonscriptions voisines), la représentante du Nouveau Front populaire de cette circonscription entend, cependant, déloger ce pilier du RN de son siège.

« Pour y arriver, il faut avoir l’intention de créer du lien, estime-t-elle. Cette circonscription est très rurale, elle peine à garder ses habitants. Ce qu’il reste d’entreprises se trouve plutôt autour de la périphérie amiénoise, le transport collectif est peu développé, il faut donc prendre la voiture pour tout déplacement. Mais pour cela, il faut payer l’essence… Ce que de moins en moins de personnes peuvent faire. Plutôt que de se servir du sentiment de délaissement comme le fait le RN, qui disparaît une fois élu et ne parle jamais de son territoire à l’Assemblée, il faut lui apporter des réponses et faire pression pour que les choses changent. »

Un combat qu’Élodie Héren voit comme la première pierre du réveil de la gauche, à l’échelon local comme national. « Cette campagne doit nous permettre de nous recentrer sur nos fondamentaux pour faire barrage à l’extrême droite durablement et retrouver des moyens d’action, insiste-t-elle. Nous devons renouer avec les classes populaires, incarner à nouveau l’apaisement de la société, dessiner des possibles qui réunissent. » Plus qu’une bataille, une révolution. La gauche sait faire, même en quelques jours.

 

  mise en ligne le 21 juin 2024

« Vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? »

Hugo Boursier  sur www.politis.fr

Alors que le Planning familial a appelé à voter pour le Nouveau Front populaire, Sarah Durocher, sa présidente, revient sur cette décision et appelle à se mobiliser à la manifestation du 23 juin pour préserver les droits des femmes et des personnes LGBTQI+ face à l’extrême droite.

Le Planning familial, ce sont 450 000 personnes accompagnées chaque année, en plus des 150 000 jeunes dans 3 000 établissements scolaires. Des dizaines de milliers de femmes, souvent précaires, qui demandent des conseils pour un contraceptif, un avortement, entreprendre des démarches administratives ou pour dénoncer des violences conjugales. Et autant de personnes gay ou trans qui ont besoin de réconfort, de soin, d’informations ou d’aide face aux agressions qu’elles subissent.

Cette organisation, installée dans 80 départements, pourrait être rayée de la carte en cas de majorité de l’extrême droite à l’Assemblée nationale. Des risques importants en termes de rupture de droit et d’accès aux soins que Sarah Durocher, sa présidente, développe pour Politis, alors qu’une manifestation féministe est prévue à l’appel de nombreuses organisations ce dimanche 23 juin.

Pourquoi votre appel à voter Nouveau Front populaire vous semblait aussi nécessaire ?

Sarah Durocher (Planning familial) : On avait déjà appelé à voter pour un candidat : c’était en 1981 pour François Mitterrand, et en 2007, pour Ségolène Royal. Mais là, la situation est exceptionnelle, d’autant plus depuis notre position où l’on subit les conséquences de la montée en puissance de l’extrême droite depuis plusieurs années. Pour le Planning familial, c’était une question de survie, et donc pour les 450 000 personnes que l’on accueille tous les ans. On a décidé de se positionner clairement puisqu’on avait devant nous deux projets de société : un qui poursuivait notre politique d’accès aux droits pour les personnes qui en sont le plus éloignées, et l’autre qui veut censurer, attaquer, et assécher les finances du Planning. On n’avait pas le choix. Il fallait se positionner.

Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées.

Si le Rassemblement national arrive au pouvoir, que pourrait-il décider pour le Planning familial ?

Sarah Durocher : Les femmes pauvres, les femmes seules, non-blanches, handicapées ou sans-papiers, nous serons les premières ciblées. Depuis plusieurs années, des parlementaires demandent la baisse de nos financements, tout comme des élus locaux pour nos antennes départementales. Le Planning a toujours été attaqué parce qu’il veut une société plus juste. Les 89 députés du Rassemblement national légitiment l’action violente des mouvements d’extrême droite. Des locaux sont attaqués.

Plus le RN a de députés, plus les femmes sont en danger dans leurs droits les plus élémentaires. Nos financements seraient coupés, nos actions d’accompagnement pour avorter, de sensibilisation sur l’éducation sexuelle et affective, d’accès au droit et aux soins seraient limitées voire annulées. Comment les 150 000 jeunes vont-ils s’informer librement ? Où vont aller les femmes qui veulent avorter ? Le RN est un ennemi du droit des femmes.

La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi.

Après l’attaque des locaux du Planning familial en Gironde, dans la nuit du mardi au mercredi 8 février 2023, vous dénonciez le double jeu de l’extrême droite : « dédiabolisation d’un côté », « attaques répétées envers des organisations de l’autre ». Craignez-vous que son accession au pouvoir renforce cette logique ?

Sarah Durocher : Il y a un lien évident entre le RN et les groupuscules ultraviolents. L’extrême droite est la même partout : le fascisme, cela ne s’essaie pas parce que ce serait nouveau. Au lendemain des élections européennes où le RN est arrivé en tête, un jeune homosexuel s’est fait tabasser. Plus le RN est haut, plus il légitime ces exactions.

Dans une vidéo postée ce lundi, Jordan Bardella se présente comme un défenseur des « droits de la femme ». Il promet « le droit fondamental à disposer de son corps ». Pourtant, pour citer un exemple parmi d’autres, la moitié des députés RN (42 sur 88) a voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Votre prise de position est-elle aussi là pour soulever cette hypocrisie ?

Sarah Durocher : Il faut rétablir certaines vérités : le RN n’a aucune définition d’un programme féministe. Pas plus sur les questions LGBTQIA+. D’ailleurs, dans sa vidéo, Jordan Bardella n’en parle même pas. Comme si ces personnes n’existaient pas. Et sur l’avortement, déjà la moitié des députés a voté contre sa constitutionnalisation, mais en plus, ils se sont toujours opposés à l’allongement des délais d’IVG. Ils instrumentalisaient le droit des femmes. Jordan Bardella utilise le droit des femmes pour s’attirer leur vote ; pourtant, dès que l’extrême droite arrive au pouvoir, les femmes déchantent et luttent contre leur projet de société réactionnaire.

Le Planning familial est présent dans 80 départements. Jusqu’à quel point vous affaiblir aurait des conséquences sur la santé des femmes précaires, dont se réclame pourtant le RN ?

Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division.

Sarah Durocher : On a deux formes d’actions : des personnes viennent nous voir, et il y en a d’autres que l’on rencontre en se déplaçant dans des centres sociaux, des centres d’hébergement, des maisons à caractère social. Tout cela risque d’être sérieusement fragilisé. La politique du RN aura des conséquences sur nos mères, nos sœurs, nos amies, nos voisines, mais sur vous-même aussi, parce que l’on est tous et toutes concernées. Le RN a une politique nataliste et hétérocentrée. Ils repoussent l’idée d’un droit à l’avortement et placent l’hétérosexualité au rang de modèle. Mais le 8 juillet, on sera prêtes à riposter. On discutait déjà avec les Colombiennes et des Argentines pour savoir comment elles avaient lutté contre le fascisme chez elles. On pensait avoir 3 ans devant nous ; on a trois semaines.

« Le RN souhaite ramener les femmes à la maison et leur dire de faire des enfants »

Quand il s’adresse aux femmes, le RN cherche beaucoup à les diviser pour mieux discriminer celles que le parti rejette, à savoir les femmes racisées et surtout musulmanes. Comme si ces femmes s’opposaient. Que voudriez-vous répondre à cette stratégie ?

Sarah Durocher : On est un mouvement féministe et intersectionnel qui propose un accueil inconditionnel des personnes. On prend en compte l’ensemble des dominations que peuvent subir les personnes qui viennent nous voir. Diviser les femmes, c’est une spécialité de l’extrême droite. Pour nous, il n’y a pas de division. Si certaines femmes sont privilégiées, on vit toutes le patriarcat. D’ailleurs, vous avez déjà entendu le RN parler de patriarcat ? Jouer sur les questions d’insécurité migratoire en parlant des violences, c’est méconnaître ce fait établi par toutes les études : l’immense majorité des violeurs font partie de l’entourage de la victime. Le discours du RN n’est pas un discours d’émancipation des femmes : il souhaite les ramener à la maison et leur dire de faire des enfants.

Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population.

Il y a deux ans, votre campagne sur l’accueil d’hommes enceints au Planning avait suscité une vague de violence sur les réseaux sociaux de la part de l’extrême droite. Deux ans plus tard, c’est Emmanuel Macron lui-même qui déclare qu’il serait possible de « changer de sexe en mairie » si le NFP arrivait au pouvoir. Que signale ce glissement du macronisme à l’extrême droite ?

Sarah Durocher : On observe une offensive antitrans à travers toute la planète depuis plusieurs semaines. Le macronisme n’a jamais rien fait pour améliorer le quotidien des personnes trans ; pire, il laisse l’extrême droite les violenter. Emmanuel Macron plonge dans l’électoralisme de bas étage et participe à l’exclusion de toute une partie de la population. Cela s’accompagne aussi d’une désinformation générale et d’une invisibilisation des personnes trans que l’on ne voit jamais sur les plateaux télé. Le 8 juillet, je serai très inquiète pour elles. Mais le Planning sera toujours à leur côté.

Alors qu’un nouveau programme va être mis en place autour de la vie affective et sexuelle, des associations de la droite conservatrice et d’extrême droite, comme Parents vigilants, issus du mouvement de Zemmour, ont multiplié les pressions contre l’administration et les établissements scolaires. La sexualité a-t-elle été un sujet abandonné par la gauche ?

Sarah Durocher : L’éducation à la sexualité, c’est un projet de société. C’est une société moins violente, moins LGBTphobe, moins confrontée aux IST et au VIH. Cette société-là, c’est notre projet. C’est pour cette raison que nous sommes violemment attaquées par des associations fascistes comme Parents vigilants ou SOS Éducation. Parce que connaître ses droits, pouvoir choisir, c’est émancipateur. Or le projet de société que propose le RN est à mille lieues de celui-là. Mais la gauche ne s’en est pas saisie. Il faut désormais qu’elle dispose du courage politique suffisant pour faire siens ses sujets.

Le RN réserve l’éducation à la sexualité au cercle familial. Mais souvent, comme le montrent les études de sciences sociales, les familles peuvent aussi perpétuer voire renforcer les souffrances ou les oppressions…

Sarah Durocher : L’école, pour nous, doit parler d’éducation à la sexualité. La famille ne peut pas être toujours sécurisante sur ce sujet. Si vous avez un test de grossesse positif, vous pouvez être virée de chez vous. Si vous faites votre coming out, vous pouvez être viré de chez vous. Pourtant, le RN met en avant la famille comme si c’était un lieu où tout devait se régler. Alors que pour nous, les violences, la sexualité, c’est politique. Et ça doit être débattu, appréhendée collectivement. Le RN mène une stratégie de privatisation de questions dont doit s’emparer la société entière.

  mise en ligne le 20 juin 2024

À Montpellier, des néonazis « de plus en plus visibles, de plus en plus armés,
de plus en plus violents »

Prisca Borrel sur www.mediapart.fr

Une vingtaine de militants d’extrême droite montpelliérains accumulent les actes d’intimidation et les agressions violentes. Le 1er juin, ils s’en sont pris à une jeune femme trans avant de passer à tabac un syndicaliste. Une tension montée crescendo depuis plusieurs mois.

Montpellier (Hérault).– « J’allais chercher une bière au bar, quelqu’un m’a pris par l’épaule et m’a envoyé une grosse patate dans la bouche. » Tenues noires, capuches, manches longues, masques noirs… Lors du Festival des fanfares de Montpellier, samedi 1er juin, un groupe d’une dizaine de personnes s’est infiltré parmi les festivaliers pour en découdre. Dans leur ligne de mire ce soir-là, un syndicaliste connu pour son combat contre l’extrême droite. Dans sa plainte, il affirme avoir identifié deux de ses agresseurs, issus de groupuscules locaux et gravitant autour des colleurs d’affiche de Génération Z, la branche jeunesse du parti Reconquête.

À Montpellier, ville historiquement acquise à la gauche et réputée comme gay-friendly, le phénomène est nouveau. Ces dernières années, un groupe de gros bras néonazis multiplie les attaques. Leur visibilité et la violence de leurs actions, assumée sur les réseaux sociaux la plupart du temps, sont allées crescendo depuis 2022.

Dans leur viseur, des antifascistes assumés, mais aussi des militant·es de gauche et des sympathisant·es de la cause LGBT, qu’ils agressent ou intimident caméra en main. En deux ans, ils ont commis une dizaine d’exactions au moins, dont sept ces six derniers mois seulement. Une montée en puissance qui a pris une tournure particulière le 1er juin au Festival des fanfares.

Ce soir-là, il est près de 22 h 30 quand ils s’en prennent au syndicaliste, après une étrange balade durant laquelle des témoins affirment avoir été interrogés sur leurs opinions politiques. Le Festival des fanfares rassemble alors un monde fou autour de la place Henri-Krasucki, dans le quartier des Beaux-Arts. La bière coule à flots, l’ambiance est bon enfant, et le public habituel, à mille lieues des nostalgiques du IIIe Reich.

Alors, quand un groupe d’une dizaine de personnes fond sur un individu isolé, C. comprend que quelque chose déraille. « Ils étaient à plusieurs sur ce syndicaliste que je ne connaissais pas. Ils lui mettaient des coups sur le visage, et autour, personne ne bougeait. Alors j’en ai chopé un ou deux, et ils s’en sont pris à moi », poursuit l’homme, qui finira aux urgences le genou brisé. Selon des témoins, le groupe s’avère surentraîné et très bien organisé. « Des gens autour ont essayé de filmer, mais une partie du groupe était là pour éviter les images. Ils mettaient leurs mains. Ils ont cassé le téléphone d’un des témoins », confient des militant·es antifas de la Jeune Garde Montpellier.

Dans le chaos de la bagarre – puis auprès de la police –, le syndicaliste et le passant venu à sa rescousse ont affirmé avoir identifié deux militants d’extrême droite proches des groupuscules locaux : Dorian M., également aperçu lors d’opérations de tractage de Génération Z, et Ongwé L. G., proche du Bastion social, dissous en 2019, et du groupe local Jeunesse Saint-Roch. Deux militants que les antifascistes de la Jeune Garde identifient également dans le nouveau groupuscule du Bloc montpelliérain, créé début janvier.

Contacté, le Bloc n’a pas souhaité répondre à nos questions mais nous a néanmoins transmis la plainte que Dorian M. a déposée contre le journal d’information sur les luttes sociales Le Poing et d’un journaliste indépendant pour diffamation. Auprès de la police, le jeune homme affirme n’avoir pas participé au festival, et présenterait un alibi.

« Préviens ta famille, tu n’en as plus pour longtemps »

Fondateur du site Indextrême, qui référence les symboles des groupuscules en présence, Ricardo Parreira a quelque peu modifié ses habitudes sous la pression des néonazis. « Je ne me balade plus à Montpellier de la même façon », confie le journaliste, qui est devenu l’une de leurs cibles favorites au lendemain de la manifestation agricole du vendredi 26 janvier.

Ici, de nombreux groupes nationalistes et néonazis avaient en effet infiltré le cortège, et ce jour-là, une poignée d’entre eux le suivaient à la trace au fil de ses posts sur le réseau social X. « Avant de me trouver, ils avaient demandé à plusieurs personnes s’ils étaient Ricardo Parreira. Ils me cherchaient, et ils ont chopé un autre journaliste qui avait un accent, en pensant que c’était moi », raconte le quadragénaire d’origine portugaise.

Sur la place de la préfecture, quatre militants, dont les deux boxeurs présumés cités précédemment, finissent par l’interpeller et le somment de partir. « En fait, ici, c’est les Blancs », argue Dorian M. « Tu craches toute la journée sur les gens de la campagne, sur les Français de souche. Et eux ils crèvent la dalle. T’as rien à faire là », enchaîne son acolyte Ongwé L. G. Ce jour-là, les néonazis lui reprochent aussi de « cracher sur la terre de [leurs] ancêtres », d’être « anti-flic », et le qualifient de « traître blanc ». « Tu peux aller où tu veux mais cette manif, tu n’y mettras pas les pieds. »

Sur d’autres images, on aperçoit les mêmes militants repousser un autre journaliste, en se faisant passer pour des viticulteurs. Ou encore le fameux Dorian M., qui arborait déjà des gants coqués, en train d’enfiler une cagoule noire pour exfiltrer violemment un militant communiste venu échanger avec les paysans.

Peu après, Ricardo Parreira a été la cible de graves menaces sur les réseaux sociaux. « Préviens ta famille que tu en as plus pour longtemps. C’est pas une menace, tout est déjà prêt pour toi », l’avertit un inconnu sur X fin janvier. Sur un fil Telegram, des néonazis ont aussi utilisé une photo du journaliste, capturé lors de la manifestation agricole, pour lancer un appel au « tabassage » contre 100 euros.

Une série d’événements qui le poussent à rédiger une main courante en février, puis une plainte directe auprès du procureur début mars. « Je ne suis pas un militant antifa, je ne fais partie d’aucun groupe... Mais pour eux, ce que je fais avec Indextrême, c’est du sabotage. Je montre que derrière leurs symboles, il y a du néonazisme, du suprémacisme... Ça casse leur vitrine et leurs processus de recrutement », analyse Ricardo Parreira, de nouveau ciblé par des tags début mai, en amont d’une conférence donnée dans un bar associatif.

Les vidéos d’exactions diffusées sur les réseaux sociaux

Si ces attaques prennent souvent la forme d’expéditions punitives, des militants de cette mouvance nationaliste-révolutionnaire ont aussi pris l’habitude d’aller casser du gauchiste ou du queer lors de pérégrinations improvisées. Samedi 1er juin, avant les Fanfares, un groupe s’en est pris à une jeune femme trans dans le parc du domaine de Méric, où les militants du Bloc montpelliérain s’entraînent régulièrement.

Sur sa sacoche, c’est un sticker « Anti-transphobe action » qui a suffi à exciter ces « huit mecs baraqués ». « Tiens, c’est quoi cette merde ? », l’a interrogée l’un deux, avant d’exiger qu’elle le décolle. « Il a essayé d’arracher ma sacoche, il m’a un peu bousculée. Et comme il devenait violent, je la lui ai donnée », détaille la jeune femme de 19 ans, qui assure avoir été filmée par ses assaillants. Dans la foulée, terrifiée à l’idée d’être pistée, elle s’est réfugiée dans l’appartement d’une amie pour changer de tenue.

Le style vestimentaire, les muscles, le lieu, le mode opératoire, l’obsession transphobe et homophobe… tout ramène aux néonazis du coin, qui adorent diffuser les vidéos de leurs exactions, mises en scène comme des prises de guerre, sur le canal Telegram Ouest Casual.

En mars, on les voit par exemple isoler, gifler et humilier un jeune à peine pubère qui arborait un tee-shirt antifa, avant de lui voler son vêtement et de le forcer à effectuer un salut nazi. Même scénario pour un jeune homme qui arborait un tee-shirt du bar marseillais Le Molotov en octobre… « Montpellier, c’est l’Allemagne », conclut l’un de ces films en guise d’épilogue.

Membre du collectif d’animation du local associatif autogéré Le Barricade, visé par trois attaques entre 2020 et 2022, Claude* y décèle une stratégie de « guérilla » « Quand ils organisent des événements, c’est toujours dans des endroits tenus secrets. Et un jour, en général dans un rapport de force supérieur, ils vont surgir par-derrière, frapper et repartir. »

Un mode opératoire en tous points identique à l’agression de Marc* en avril 2022. Identifié à son look et au patch « contre les préjudices raciaux » collé sur son bomber, cet étudiant de 22 ans a été frappé à l’arrière du crâne à l’aide d’un poing américain, et traité de « sale gaucho ». Cette fois-ci encore, les agresseurs étaient cagoulés, masqués, « vêtus de noir de la tête aux pieds ». Et malgré un signalement précis du véhicule utilisé ce jour-là, pour l’heure, sa plainte n’a pas abouti.

Pour Claude, c’est justement ce sentiment d’impunité qui pose problème. « À mon sens, cet écosystème de violence politique est rendu possible parce qu’il bénéficie d’un laisser-faire de la part des forces de l’ordre locales », déplore-t-il. Pour lui, à force de passer entre les gouttes, les néonazis ont pris confiance. Une analyse partagée par les militant·es de la Jeune Garde, qui a vu la situation se détériorer. « Avant, leurs sorties étaient tardives. Maintenant, on les aperçoit de plus en plus tôt. Ils sont de plus en plus visibles, de plus en plus armés, de plus en plus violents... Ils sont poussés par la pratique et par l’entraînement. »

Des groupes autonomes qui se font et se défont

Au début des années 2020, à la faveur des mises en sommeil ou des dissolutions du Groupe Union Défense (GUD), de Génération identitaire ou encore de Bastion social, de nombreux militants issus de l’extrême droite se sont recomposés sous la forme de « petits groupes autonomes » dédiés à la baston.

Boostés par l’anonymat de collectifs insaisissables, puis par la candidature d’Éric Zemmour, qui leur a permis de se rencontrer en 2022, de se restructurer et de briser les logiques concurrentielles, « ils sont montés en puissance sur une stratégie d’agression », confirme encore Claude, du Barricade.

Entre 2019 et 2021, ces groupes de nervis avaient donc tenté un premier regroupement sous la bannière de la South Face. Selon des conversations privées révélées par le journal indépendant Rapports de force, des militants de Génération Z y étaient déjà très actifs. À l’image de Mathieu Moreira, un proche de Maya Bouisset (Reconquête), actuellement suppléante du candidat aux législatives Frédéric Bort (fraîchement exclu du RN) dans la 9e circonscription de l’Hérault.

Interrogé à ce sujet, Mathieu Moreira n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Les groupuscules violents d’extrême gauche nous harcèlent depuis des années à Montpellier, en usant de toutes les stratégies médiatiques possibles pour nous diffamer », rétorque en revanche la candidate Maya Bouisset, qui prétend aussi que les membres de Génération Z ne sont impliqués « dans aucune action violente ».

Après la mise en sommeil de la South Face, le groupe Montpellier nationaliste a pris le relais. Avant de s’éteindre à son tour, et de céder la place au Bloc montpelliérain, présent lors de la manifestation néonazie du C9M à Paris le 11 mai. À cette occasion, on pouvait les reconnaître au logo de leur cache-cou, revisitant le « flash and circle » créé par les fascistes britanniques dans les années 1930, accolé ici au pic Saint-Loup pour marquer le territoire.

Une quinzaine d’organisations de gauche appellent à un rassemblement en soutien aux victimes, samedi 22 juin.

Contacté, le procureur de Montpellier confirme avoir été saisi de trois faits susceptibles d’être imputés « aux mêmes mis en cause ». Confiée au service local de police judiciaire, l’enquête devrait être bouclée dans moins d’un mois.

De son côté, le cabinet du maire socialiste de Montpellier, Michaël Delafosse, invoque quant à lui la prudence. « Être habillé en noir, porter une capuche et avoir un masque chirurgical, c’est hélas aussi l’uniforme du choufeur [un guetteur pour les trafiquants de drogue – ndlr] de la cité Gély », compare un collaborateur proche du dossier.

Sceptique en l’absence « d’écusson nazi ou de croix celtique », ce dernier confirme que la police municipale n’a pas été sensibilisée à ce phénomène, qu’il juge « de basse intensité ». « Sur les Fanfares, il y a un système de filtrage que je connais par cœur. J’ai du mal à imaginer que la police municipale ait laissé entrer un groupe de huit individus masqués et casqués », doute-t-il encore.

Bien plus inquiètes, une quinzaine d’organisations de gauche appellent à un rassemblement en soutien aux victimes, samedi 22 juin. Roué de coups ce soir-là, le syndicaliste a écopé de quarante-deux jours d’ITT.

Boîte noire

* Claude, du local associatif le Barricade, et Marc, l’étudiant frappé en 2022, ont utilisé des prénoms d’emprunt.

Contactés, les membres du Bloc montpelliérain ont refusé de répondre à nos questions. Ils nous ont seulement transmis la plainte en diffamation déposée par Dorian M. contre le journal Le Poing.

 

mise en ligne le 20 juin 2024

Législatives :
« Je suis en colère
contre le patronat », dénonce Sophie Binet

Mathilde GOLLA sur https://www.ouest-france.fr/

Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.

Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?

Sophie Binet : La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.

Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.

Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.

Suspension de Guillaume Meurice de Radio France : la liberté d’expression est-elle en danger ?

Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?

Sophie Binet : Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.

On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national Sophie Binet

Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?

Sophie Binet : Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre (par jour par rapport à la normal, ndlr). 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.

Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.

Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.

La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.

Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?

Sophie Binet : Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.

Comment financer toutes ces mesures ?

Sophie Binet : Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.

Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?

Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclassement ?

Sophie Binet : Non, c’est un sujet auquel la CGT est très attachée. Le RN prospère sur cette idée de déclassement et au contraire on veut clairement y répondre. C’est pour ça que c’est très important d’indexer les salaires sur les prix. Ce n’est pas seulement le Smic que l’on veut augmenter, c’est tous les salaires pour garantir la reconnaissance des qualifications.

Mais cela ne nourrit-il pas l’inflation ?

Sophie Binet : Non, en Belgique ou au Luxembourg, les salaires sont indexés sur les prix. Il n’y a pas particulièrement plus d’inflation mais cela a augmenté les salaires et réduit le chômage. Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation.

Ce sont les profits qui ont fait augmenter l’inflation. Sophie Binet

En plus de vos consignes de vote, qu’allez-vous faire pour faire barrage au RN ?

Sophie Binet : On va se mobiliser avec les féministes ce week-end, et on va montrer combien le RN est un danger pour les droits des femmes. Nous avons aussi des grèves dans pas mal de professions : l’énergie, la chimie ou l’agroalimentaire, la culture. Elles sont mobilisées ce jeudi 20 juin 2024 et font le lien entre les licenciements, les revendications de salaires et aussi le danger du RN.

Et si le RN arrive au pouvoir, que ferez-vous ?

Sophie Binet : On met toutes notre énergie pour éviter l’arrivée de Jordan Bardella au pouvoir. On fait monter les luttes pour que le débat se fasse sur les questions sociales et pas sur les enjeux d’immigration. Ensuite on prendra nos décisions par étapes et collectivement, nous savons nous rassembler sur l’essentiel. Mais on ne débat pas avec l’extrême droite, on la combat.

Le patronat reste très silencieux, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Sophie Binet : Je suis très en colère contre le patronat. Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir en Italie, car elle est soutenue par les milieux d’affaires. C’est pareil pour le RN, c’est pour ça qu’il rétropédale sur la retraite. Ce sont des milliardaires qui font monter le RN, le rôle de Vincent Bolloré est connu, il a œuvré au rapprochement d’Éric Ciotti avec le RN.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités, il est d’un silence coupable face au danger de la montée de l’extrême droite. Il ne fait que faire primer ses intérêts financiers. Pour une partie du patronat, l’extrême droite n’est plus un problème.

Le patronat ne prend pas ses responsabilités. Sophie Binet

Concernant les accusations d’antisémitisme portées contre certains candidats, que dit la CGT ?

Sophie Binet : Le programme est très clair, il est spécifiquement contre l’antisémitisme et l’islamophobie.

  mise en ligne le 19 février 2024

Nouveau Front populaire :
comment s’engage-t-il pour les droits des étrangers et contre les discriminations ?

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Le programme de la gauche unie promet un véritable changement de paradigme quant à l’accueil des étrangers en France et à la lutte contre toutes les discriminations liées à l’origine ou à la religion.

La Fraternité et les valeurs humanistes et universalistes au lieu de la politique du bouc émissaire et la stigmatisation des étrangers qui a cours actuellement ! Telle est la promesse portée par le contrat de législature du Nouveau Front populaire.

Abrogation de la loi asile et immigration

Les responsables de tous les partis de gauche s’engagent à « garantir un accueil digne » des étrangers qui souhaitent rejoindre notre pays. Cela passe en premier lieu par l’abrogation de la loi « asile et immigration » promulguée au début de l’année 2024. « C’est plutôt salutaire puisque cette loi était plus répressive encore que les lois Pasqua. D’ailleurs, au moment de son vote, j’avais qualifié la loi Darmanin d’appel d’air pour les idées racistes. Hélas, les résultats des dernières élections en témoignent », réagit Stéphane Maugendre, avocat et président honoraire du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Sauver plus en mer

Il se félicite également de la proposition de « mettre en place d’une agence de sauvetage en mer et sur terre ». « C’est indispensable à l’heure où la Méditerranée est le charnier de l’Europe forteresse avec la complicité de l’agence Frontex. Tout ce qui peut permettre de sauver des vies et d’amener à la disparition de cette agence est positif », explique-t-il, rejoignant également les propositions du bloc de gauche concernant la nécessaire révision du pacte européen sur les migrations qui vient d’être adoptée.

Un meilleur accompagnement social

Le programme de la gauche prévoit également d’assurer, sur le territoire français, un accompagnement social et une autorisation de travailler pour les demandeurs d’asile. Une mesure de bon sens au regard de la réussite qu’a été l’accueil des Ukrainiens. « Permettre aux personnes de travailler, c’est leur permettre d’avoir une vie digne, de se loger, de s’intégrer. Et d’ailleurs, si les personnes sont autorisées à travailler, elles auront d’autant moins besoin d’accompagnement social », souligne l’avocat, qui salue également les mesures concernant la facilitation de l’accès aux visas, rappelant que « la maltraitance des exilés commence dans les consulats » et que « refuser les voies légales, c’est faire le jeu des profiteurs de l’immigration clandestine ».

Faciliter les procédures

L’attribution de cartes de résidents de 10 ans et la facilitation d’obtention de la nationalité française, également proposées par le pacte de gauche, sont des promesses que le président d’honneur du Gisti juge intéressantes dans la mesure où elles « favorisent une vie stable et permettent de s’investir dans la vie de la cité alors que le fait de devoir passer son temps à faire renouveler ses papiers précarise les personnes qui y sont contraintes ».

Il fait remarquer qu’en Europe, « il existe un titre de séjour sans limitation de durée pour les Extra-européens » et qu’il faudrait « le généraliser » . Néanmoins, comme le pointe le Collectif J’y suis j’y vote ! « la démocratie ne sera complète que lorsque toutes les résidentes et tous les résidents pourront choisir celles et ceux qui les représentent et prennent les décisions, notamment au niveau local, qui concernent leur vie quotidienne », Stéphane Maugendre regrette que le droit de vote des étrangers ne figure pas parmi les propositions du Nouveau Front Populaire.

Lutter contre toutes les formes de racisme et de discrimination

Enfin le représentant du Gisti salue le projet de « suppression des conditions empêchant le déplacement entre Mayotte et le reste du territoire » qui réaffirme que « la République est une et indivisible et qu’il ne peut y avoir de loi d’exception » et que « le système alliant droit du sol et droit du sang en France est partie intégrante du socle Républicain ».

Défendre les valeurs de la République, c’est aussi lutter contre toutes les formes de racisme, contre l’antisémitisme et l’islamophobie. C’est ce à quoi s’engage le Nouveau Front Populaire à travers une série de mesures visant à « donner à la justice les moyens de poursuivre et de sanctionner les auteurs de propos ou actes racistes, islamophobes et antisémites » et « instaurer un Commissariat à l’égalité doté d’un Observatoire des discriminations et de pôles spécialisés au sein des services publics et des cours d’appel ».

Est également prévu l’adoption d’un « plan de lutte contre les discriminations, notamment à l’embauche, à la santé et au logement, et le renforcement des sanctions ». Des propositions « globalement salvatrices » qui « font partie de celles que nous avons présentées aux candidats aux élections présidentielles et législatives de 2022 », salue Dominique Sopo, le président de SOS Racisme.

Celui-ci se montre plus nuancé quant à la proposition d’un « plan interministériel pour analyser, prévenir et lutter contre l’antisémitisme en France, notamment à l’école » et d’un autre « pour analyser, prévenir et lutter contre l’islamophobie en France, qui découle notamment de l’omniprésence des discours islamophobes dans certains médias, de presse écrite ou audiovisuelle. »

En effet même si selon lui, « dans la mesure où les haines sont multiples, il est intéressant de les prendre toutes à bras-le-corps », Dominique Sopo exhorte le Nouveau front populaire à ne pas « tomber dans une forme de spécialisation caricaturale : les Juifs se font agresser à l’école, les musulmans se font insulter dans les médias et les noirs se font discriminer à l’emploi et au logement. Les haines ne se cantonnent jamais à un secteur en particulier ! »

Enfin le président de SOS racisme rappelle les vertus de l’exemple et invite tous les partis corédacteurs de ce programme à « ne pas se payer simplement de mots » et à « montrer l’exemple en étant capable de s’ouvrir à toute la diversité de la société ». Et de signaler que sur la photo prise vendredi midi à la maison de la chimie… ne figure aucune personne noire.

   mise en ligne le 19 juin 2024

Le RN s’oppose à l’émancipation des femmes contrairement à ce que raconte Jordan Bardella

par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/

Le Rassemblement national compte sur le vote des femmes pour l’emporter aux législatives. Jordan Bardella et son parti sont pourtant de piètres défenseurs de leurs droits et s’opposent le plus souvent à leur émancipation.

En cinq ans, le Rassemblement national a beaucoup progressé dans l’électorat féminin. 30 % des femmes ont voté pour ce parti aux élections européennes du 9 juin, alors qu’elles n’étaient que 20 % en 2019. Leurs voix sont devenues si importantes que Jordan Bardella leur a lancé un appel ce lundi 17 juin via le réseau social X (anciennement Twitter) : « Femmes de France, le 30 juin et le 7 juillet vous voterez aussi pour vos droits. Je compte sur vous, votez ! » Mais les femmes peuvent-elles vraiment compter sur le RN pour défendre leurs droits ? Il est permis d’en douter.

Égalité salariale : un « non-sujet » pour les élu·es du RN

« A l’assemblée nationale nos députés se battent au quotidien pour obtenir des avancées », affirme Jordan Bardella dans sa courte allocution ce 17 juin appelant les femmes à voter aux élections législatives. Fin 2021, ces député·es ont pourtant choisi de ne pas prendre part au vote de la loi Rixain sur l’égalité salariale (à poste égal, une femme perçoit en moyenne un salaire inférieur de 10,5% à celui d’un homme). Et en juillet 2023, ils ont voté contre la loi renforçant l’accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique.

Au niveau européen, on relève également une franche hostilité aux droits des femmes à gagner correctement leur vie. En 2022, ils votent contre le salaire minimum européen, fondé sur « un niveau de vie décent » pour chaque État membre sachant que cette mesure concerne en grande majorité des femmes, les plus nombreuses parmi les bas et très bas salaires. En mai 2023, le RN s’abstient à propos de la directive européenne sur la transparence et l’égalité des rémunérations, dont le but était d’appliquer l’égalité de salaires entre femmes et hommes pour un travail identique ou de même valeur....

Violences sexistes et sexuelles : le RN méconnaît et nie le réel

Quand le RN dénonce les violences faites aux femmes, ils les lie systématiquement aux étrangers, alors même que les enquêtes de terrain – et ce depuis des années – documentent que le danger pour les femmes et les enfants vient très largement de leur entourage proche, tous milieux sociaux confondus. « Si je deviens Premier ministre, j’irai plus loin dans la défense des droits des femmes », « nous mènerons une lutte implacable contre l’insécurité », « nous reprendrons le contrôle de notre politique migratoire en expulsant les délinquants et criminels étrangers, en renforçant sévèrement les sanctions contre les violences faîtes aux femmes », répète ainsi Jordan Bardella en dépit de la réalité.

« Jordan Bardella est resté coincé sur l’image du violeur de rue, l’inconnu repoussant, comme si personne ne lui avait dit que dans 90 % des cas l’agresseur est quelqu’un que l’on connaît, souvent un proche. »

« Il est resté coincé sur l’image du violeur de rue, l’inconnu repoussant, comme si personne ne lui avait dit que dans 90 % des cas l’agresseur est quelqu’un que l’on connaît, souvent un proche », a répondu sur Twitter Hélène Devynck, l’une des victimes du présentateur vedette de TF1 Patrick Poivre d’Arvor, accusé d’avoir violé de très nombreuses femmes.

« Jamais aucune femme ne devrait craindre de sortir dans les rues quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit », a encore déclaré Jordan Bardella. La liberté des femmes est certes restreinte dans l’espace public, dessiné par et pour les hommes. Mais c’est bien au sein de leur foyer qu’elles sont le plus en danger face au violences physiques ou sexuelles, de même que les enfants.

En 2022, Marine Le Pen promettait (dans le cahier sécurité de son programme) que les conjoints ou ex-conjoints violents seraient « jugés dans des délais très brefs » et que les mesures de protection des victimes seraient « efficaces ». En 2018, pourtant, les députés de son parti s’étaient abstenus de voter la loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Marine Le Pen n’était même pas présente le jour du vote. En 2021, tous ses eurodéputés ont voté contre une résolution renforçant la lutte contre le harcèlement sexuel au sein des institutions de l’Union européenne, adoptée dans la foulée du mouvement MeToo.

En 2023, le RN s’est abstenu lors du vote du Parlement européen à propos de l’adoption de la Convention d’Istanbul sur « la prévention de la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ». Ce texte, juridiquement contraignant, oblige les gouvernements à prendre des mesures pour prévenir les violences, protéger les victimes et poursuivre les agresseurs.

Droits reproductifs : un soutien rare et hypocrite

La lutte contre les « déserts gynécologiques » fait partie des promesses annoncées par Jordan Bardella. L’expression avait été utilisée dès 2022 par Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle. Pour autant, elle ne mentionnait pas une seule fois le mot « femme » dans son livret Santé.

En mars 2024, une majorité des député·es RN ont voté pour l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution (46 sur 88). Les autres ont voté contre (12), se sont abstenu·es (14) ou n’étaient pas là (16). Mais en février 2022, alors que les député·es discutent d’un allongement du délai d’IVG de douze à quatorze semaines, les élu·es RN déposent un amendement contre.

Au niveau international, le soutien à l’IVG se révèle également à géométrie variable. En novembre 2020, le Parlement vote une résolution qui condamne les restrictions drastiques du droit à l’IVG en Pologne. Les 23 eurodéputé·es du RN votent contre cette condamnation. Ils récidivent un an plus tard considérant que le texte porte atteinte à la « souveraineté de la Pologne ».

En juillet 2022, alors que la Cour suprême des États-Unis vient de supprimer la protection constitutionnelle du droit à l’avortement, les eurodéputé·es adoptent une résolution pour affirmer la « nécessité de protéger ce droit ainsi que la santé des femmes, y compris dans l’Union européenne ». Mais les élu.es RN sont absents... Le 11 avril 2024, ces mêmes euro député·es se sont abstenu·es sur l’introduction du droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux.

Une vision fantasmée de la famille française

Des incitations fiscales aux prêts à taux zéro en passant par les subventions au troisième enfant, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella dessine un portrait très traditionnel de la famille, nombreuse de préférence. « Faire le choix de la natalité, c’est s’engager à assurer la continuité de la Nation, et la perpétuation de notre civilisation », lit-on dans le programme politique publié en 2022, qui omet de préciser que la parentalité reste un puissant facteur d’inégalité entre les femmes et les hommes en France. Le parti encourage le fait d’avoir des enfants avant trente ans, par des incitations financières, mettant de côté la réalité des femmes, qui ont leur premier enfant à 31 ans en moyenne désormais, notamment parce qu’elles choisissent de se consacrer à leur travail avant de devenir mères.

Évidemment, toutes les allocations et primes de politique familiale seront « réservées, exclusivement, aux familles dont au moins l’un des deux parents est Français ». Même l’allocation de soutien familial (ASF) ] – destinée aux familles monoparentales – sera réservée « aux familles françaises ». Qu’en sera-t-il pour les femmes étrangères, qui élèvent, seules, leurs enfants ? Et dont les pères, français, sont démissionnaires, quand ils ne sont pas carrément absents voire violents ? On l’ignore. La complexité du réel ne peut pas se fondre dans le programme du RN.

Enfonçant le clou, et creusant l’abîme pour les femmes sans papiers, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella s’est insurgé récemment de l’ouverture du droit à l’aide juridictionnelle aux personnes étrangères, mettant en ligne une pétition dénonçant un « gaspillage d’argent public ». Ce faisant, le parti d’extrême droite « omet » que les femmes étrangères sont, elles aussi, victimes de violences conjugales et qu’elles peuvent avoir besoin d’aide pour financer leurs procédures judiciaires. De plus, être étrangère met les femmes dans une position de grande vulnérabilité, en particulier vis à vis des violences sexuelles, et notamment à cause de leur précarité résidentielle.

Les droits menacés des LGBTQI+

En avril 2024, les eurodéputé·es RN on voté en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité et de la transidentité. Mais ce soutien aux minorités est rare. Le 11 mars 2021, ils ont refusé de déclarer l’UE « zone de liberté LGBTIQ » en réaction au recul des droits des minorités sexuelles en Hongrie et en Pologne. Même chose en octobre 2022, quand le Parlement européen avait dénoncé les crimes contre les personnes LGBTQI+ suite à un meurtre homophobe en Slovaquie.

« Dans tous les pays du monde ou l’extrême droite est au pouvoir, les droits des femmes, des minorités et des plus vulnérables sont ciblés », a rappelé la Fondation des femmes au lendemain des élections européenne du 9 juin. Le risque de hausse des agressions physiques dans l’espace public est réel, et il hante de nombreuses personnes. « En tant que personnalité publique lesbienne, très concrètement, ce serait pour moi vivre sous la menace directe de la mort. Les LGBTI déjà attaqués aujourd’hui seront véritablement en danger de mort demain » , affirmait l’élue parisienne Alice Coffin dans un article de Mediapart consacré à la « dédiabolisation » du RN et à sa possible accession au pouvoir.

« Les idées d’extrême droite sont allées jusqu’à inspirer plusieurs réformes délétères en France ces dernières années avec des conséquences particulièrement lourdes pour les femmes et toutes les minorités (loi immigration, réforme des retraites, assurance chômage, etc). Ces réformes liberticides et antisociales ont fait le lit de l’extrême droite accentuant le désespoir et la souffrance de toute une population », regrette un collectif de plus de 150 organisations françaises qui ont décidé de sonner des « alertes féministes » partout en France ce dimanche 23 juin. A rebours du programme qui nous attend si le RN arrivait au pouvoir, ce mouvement nous rappelle que les droits des femmes ne sont pas divisibles. S’en prendre à l’une d’entre elles revient à leur déclarer la guerre à toutes.

  mise en ligne le 17 juin 2024

L’ultralibéralisme du RN

Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr

Le programme du RN pour la Sécurité sociale est encore pire que ce qu’a fait Macron depuis son accession au pouvoir. Sa principale proposition pour augmenter les salaires est de supprimer une partie des cotisations sociales afin que les augmentations de rémunération ne coûtent quasiment rien aux employeurs. Il s’agit donc d’une mesure ultralibérale qui conduit à une casse de notre système de protection sociale, qui obligera chacun à payer directement son assurance santé auprès d’un assureur privé et son fonds de pension pour sa retraite.

La première étape décrite dans le programme, selon les économistes de l’Institut Montaigne très proches du patronat, chiffre à 10 milliards le manque de recettes pour la Sécurité sociale, soit autant que son déficit total en 2023. Il s’agit donc bien d’une politique qui vise à encore plus amputer les ressources de la Sécu qui sont déjà aujourd’hui insuffisantes pour répondre aux besoins de la population.

La conséquence est simple : pour pouvoir se soigner, il faudra payer de sa poche une assurance complémentaire dont le coût augmentera régulièrement, en proportion de la baisse des recettes de la Sécu. Mais cela est valable pour ceux qui pourront se la payer, ce qui ne sera sûrement pas le cas des petits salaires. Il y a donc bien tromperie sur la marchandise pour les ouvriers et les employés qui, en votant pour le RN, croient que cela améliorera leur pouvoir d’achat. Bien au contraire, ce sera une baisse globale.

Autre élément du programme du RN, la suppression de l’AME. En termes de santé publique, ce serait catastrophique, comme en témoigne l’exemple de l’Espagne qui a supprimé l’accès gratuit aux soins pour les étrangers en 2012 : hausse des maladies infectieuses avec une augmentation de la mortalité dans la population générale, car les microbes n’ont pas de nationalité.

Or, les bénéficiaires de l’AME dépensent annuellement 15 % de moins qu’un assuré social classique. Autre argument constamment mis en avant par le RN : la fraude des assurés sociaux, plus particulièrement d’origine immigrée, qui profiteraient honteusement du système. Là aussi, il s’agit d’un mensonge, les chiffres de l’assurance-maladie désignent clairement les fraudeurs : pour 80 %, les fraudes sont imputables aux professionnels de santé toutes catégories confondues, contre 20 % aux assurés sociaux.

Bien d’autres propositions du programme du RN concernant la santé s’appuient sur des mensonges désignant à tort les immigrés comme les responsables de toutes les difficultés de notre système de protection sociale. Ceux qu’il faut montrer du doigt et à qui il faut demander de rendre l’argent, ce sont les patrons et les professionnels de santé fraudeurs. Alors oui, il est légitime d’être en colère contre la dégradation de notre système de santé, mais ne nous trompons pas sur les causes et les responsables. Faites-le savoir autour de vous.

mise en ligne le 16 juin 2024

Dans la rue,
le peuple de gauche
fait front

Mathias Thépot et La rédaction de Mediapart sur www.mediapart.fr

À l’appel notamment de l’intersyndicale, entre 250 000 et 640 000 personnes se sont rassemblées le 15 juin dans les rues de 150 villes de France contre l’extrême droite. L’inquiétude sur la montée de la xénophobie en cas d’accès au pouvoir du Rassemblement national dominait dans les cortèges.

Un exemple à suivre ? Alors que l’unité du Nouveau Front populaire a été lourdement affaiblie par la « purge » lancée le 14 juin par La France insoumise (LFI) contre des député·es sortant·es ayant critiqué la ligne de Jean-Luc Mélenchon, le peuple de gauche a, lui, fait front commun dans la rue ce samedi 15 juin contre le risque de voir l’extrême droite accéder à Matignon.

La mobilisation lancée à l’appel de l’intersyndicale, des syndicats étudiants et de plusieurs associations telles que la Ligue des droits de l’homme ou SOS Racisme a parfois fusionné avec les marches des fiertés pour les droits des personnes LGBTQIA+, déjà prévues dans certaines villes comme Strasbourg, Rennes, Lille ou Montpellier (retrouvez ici le récit de la journée par la rédaction de Mediapart).

Au total, les manifestations contre le Rassemblement national (RN) auront rassemblé ce samedi 15 juin entre 250 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur, et 640 000 selon la CGT. Le syndicat a comptabilisé 182 rassemblements dans tout le pays, tandis que Beauvau n’en a décompté que 145 hors Paris.

Dans la capitale, justement, la CGT a annoncé 250 000 manifestant·es, quand la préfecture en a compté 75 000. Ailleurs, le ministère a notamment compté 12 000 manifestant·es à Marseille, 8 500 à Nantes, 8 000 à Rennes, 6 900 à Grenoble et 5 000 à Toulouse.

Muni·es de nombreuses pancartes aux slogans de type « Unité contre l’extrême droite », « R-Haine » ou « Jordan, Barre toi d’là », les manifestant·es témoignaient d’une envie d’agir et de se rassembler, près d’une semaine après le double choc des résultats des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale.

À Strasbourg, Lini, 22 ans manifestait pour la toute première fois de sa vie : « Je ne me suis pas posé la question, il fallait que j’aille dans la rue aujourd’hui. Pour ne pas me sentir passive et impuissante, c’est la seule chose que j’ai trouvée. »

À Vannes, Léa a elle aussi éprouvé le besoin de descendre dans la rue pour ressentir la cohésion sociale. « Je ne pense pas que cette manifestation va aider à plus mobiliser pour les élections législatives. Mais ça fait du bien de voir qu’on n’est pas tout seuls », affirme-t-elle. Portant son enfant de 15 mois « qui fait sa première manif’ » à bout de bras, elle venait ce samedi « pour qu’il ne grandisse pas sous un gouvernement Bardella ».

Peur des discriminations 

Du reste, le sentiment le plus dominant dans les cortèges était bien la crainte de voir grimper en flèche les discriminations en cas d’arrivée à Matignon du parti xénophobe lors des prochaines élections législatives qui se tiendront les 30 juin et 7 juillet. 

« Depuis dimanche, je suis paniqué et très angoissé », explique Elijah, 23 ans, étudiant en design graphique à Strasbourg. Je me dis que vraiment le RN peut aller jusqu’au bout. Personnellement, si ça arrive, ma vie va changer. Plusieurs membres de ma famille ont des visas de travail. Ils viennent du Sénégal et de Côte d’Ivoire. Mon copain aussi a un visa de travail, lui est arménien. Je peux vraiment être touché par leur politique, visé. Et ça me fait super peur. » 

De même, Sherryl, 32 ans, Camerounaise arrivée en France en août 2023, déchante. La jeune femme a fui son pays pour se balader « libre et sans peur » dans les rues. « Mon orientation sexuelle me mettait en danger, je suis partie et j’ai d’abord été en Russie », raconte-t-elle, avant de fuir l’homophobie systémique décrétée à Moscou pour Rennes, en Bretagne. « Je suis bien plus libre ici », se réjouit Sherryl, qui vient de demander l’asile en France. Mais « avec le RN, je suis quand même inquiète ». « On m’a dit qu’ils étaient proche de Poutine. Je sais ce qu’il pense de nous et ce qu’on peut craindre là-bas. »

À Marseille, Fatima risque également gros en cas d’arrivée du RN au pouvoir. Vivant et travaillant en France depuis 2016, elle multiplie les demandes de titre de séjour pour obtenir des papiers, en vain. Elle dit avoir « peur de l’avenir, de ce qu’il va arriver. Le Rassemblement national tente de tout casser et faire naître le chaos. Il tente de nier tout, même nous les personnes de l’immigration ».

Ancienne professeure de français en Algérie, elle ne rencontre que « des obstacles et des refus », et « aimerait qu’en France il y ait des gens humains, pas des sans-pitié qui négligent tout »

À Paris, Manelle, 26 ans, dit pour sa part craindre une montée en flèche de l’islamophobie. « J’habite dans le 93, mon père n’a pas de papiers français et mes sœurs sont toutes voilées. Aujourd’hui, j’ai peur pour ma famille entière. » Pour elle, une majorité RN au pouvoir encouragerait la « banalisation » des agressions islamophobes et racistes dans la rue, que plusieurs de ses sœurs ont déjà vécues. 

Non loin de là, sur la place de la République, Yaël et Laura, deux membres des Juives et juifs révolutionnaires (JJR), sont aussi venus manifester pour alerter sur « le danger de l’extrême droite pour les juifs ». « On n’est pas dupes, on sait qu’on est aussi visées par leur politique », explique Laura. Et Yaël de préciser : « On a aussi une solidarité avec les minorités que vise le RN. »   

C’est bien ce risque de montée de « l’insécurité d’extrême droite » qui a fait descendre Adrien, étudiant en droit à Grenoble, dans la rue : « L’insécurité, c’est un argument toujours utilisé par l’extrême droite, alors que moi je pense que c’est eux qui vont mettre dans une grande insécurité des millions de personnes, les juifs, les musulmans, les LGBT, les femmes. Toutes ces minorités, à la fin, ça fait une grande partie des Français. »  

Union chez les défenseurs de l'égalité 

Mobilisation syndicale oblige, les membres des cortèges évoquaient aussi les risques pesant sur les services publics et les droits des travailleurs en cas d’arrivée au pouvoir du Rassemblement national.

« Une partie des travailleurs croient voir son salut dans la flatterie facile des partis fascistes sans voir leur vrai visage », déplorait à Lille Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l'Union départementale CGT du Nord, taclant le « rétropédalage du RN sur l’âge de départ à la retraite », que le parti n’est plus bien sûr de soutenir depuis qu’il pense pouvoir récupérer des voix de LR (Les Républicains).

À Grenoble, un rassemblement d'environ 200 personnes a aussi eu lieu devant un bureau de poste récemment fermé. Une grande banderole annonçait : « 6 bureaux de poste en danger à Grenoble : sauvez-les. » 

À côté de ses camarades qui ont fustigé le désengagement de la direction de la Poste, Jean-Philippe, salarié du centre financier de la Banque postale grenobloise, pointait le lien direct entre les revendications locales et celles de la manifestation : « Le RN va mettre encore plus en péril le service public, voire le détruire complètement. Sa logique est la même que celle de la droite libérale et du patronat : privatiser et faire des économies. »

Présente dans le cortège parisien, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ne disait pas autre chose : « Le RN est le parti du mensonge et de l’imposture » pour les travailleurs et les travailleuses : « On le voit sur les retraites, ils ont déjà reculé. Ils ont prospéré sur l’absence d’alternative. Quand on ferme une usine, un service public, on fait monter le RN. La gauche a passé plus de temps à s’invectiver qu’à s’unir contre l’extrême droite. Et je n’oublie pas la banalisation orchestrée par Emmanuel Macron. »

Son alter ego de la CFDT, Marylise Léon, a aussi rappelé quelques fondamentaux idéologiques du parti xénophobe : « Il ne faut pas être dans la stigmatisation des électeurs du RN mais rappeler que la base du programme du RN, c’est la stigmatisation. On se souvient que Louis Aliot disait que les syndicats étaient les croquemorts de l’économie. C’est un parti qui a toujours voté contre l’égalité hommes-femmes. »

Cette unité syndicale affichée ce samedi contre l’extrême droite s’étendait même jusqu’aux collectifs réputés les plus radicaux.

Par exemple le collectif écologiste Extinction Rebellion (XR), dont Marcel, un militant, expliquait : « Normalement, à XR, on ne prend pas position pour un parti politique. Aujourd’hui, c’est la première fois qu’on appelle les abstentionnistes à voter pour le Nouveau Front populaire. » Le groupe a même prévu une campagne d’affichage pour l’occasion. 

« Avoir le RN au pouvoir nous amènerait à une agriculture encore plus intensive, ils sont pour le glyphosate, pour plus de pétrole et contre l’arrêt des voitures thermiques, explique-t-il, ce serait une énorme catastrophe et ce message écologiste est complètement invisibilisé. »

En fait, seules les « purges » chez LFI qui ont choqué à gauche ont assombri cette journée d’unité. « La gauche n’est pas qu’une question d’organisations mais de principes, a voulu rappeler le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure dans le cortège à Paris. Quand l’essentiel est en cause, nous n’avons pas le droit de ne pas nous rassembler ! »

Et la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier de lui emboîter le pas : « Le peuple de gauche a aussi le droit d’avoir de l’espoir. On va faire une promesse : ne rien lâcher. Ne jamais baisser la tête, ne jamais baisser les yeux, ne jamais baisser les bras. »

Également présente dans les cortèges parisiens, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale Mathilde Panot a de son côté éludé la polémique actuelle, se contentant d’une attaque, certes bien ciselée, à l’endroit du RN : « Oui l’extrême droite tue, traque les personnes transgenres ou les personnes monoparentales, oui elle veut “remigrer” nos concitoyens, oui elle est une arnaque sociale ! Mais il n’y a aucune fatalité ! Ce qui se joue est plus qu’une élection, c’est l’identité politique du peuple français. »

mise en ligne le 15 juin 2024

La manifestation contre l’extrême droite remplit déjà les rues de Montpellier

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/

Environ 7000 personnes ont participé à la manifestation contre l’extrême droite à Montpellier, ce vendredi 14 juin. Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans les près de 200 autres communes mobilisées ce week-end.

 Vendredi, 18 heures. L’heure et le jour de la manifestation contre l’extrême droite ne sont pas habituels dans la capitale héraultaise, mais la situation politique ne l’est pas plus, puisque Jordan Bardella (RN) pourrait devenir Premier ministre dans trois semaines.

Le rassemblement appelé par une cinquantaine d’organisations syndicales – dont la CGT, la CFDT, la  FSU, l’UNSA, et Solidaires – politiques et associatives ne cesse d’enfler, en moins d’une heure, il passe de quelques centaines à quelques milliers. Pour accueillir les retardataires qui sortent du travail, le camion-sono de la CGT crache la chanson anti-raciste des Berurier Noir « Salut à toi ». Un peu plus loin, l’organisation antifasciste Jeune Garde regroupe ses troupes autour d’un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où est inscrit « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ».

Les jeunes justement, et même parfois les très jeunes, sont particulièrement nombreux dans le défilé qui réunira jusqu’à près de 7000 personnes (4000 selon la police, 10 000 selon la CGT). Mais contrairement à la première protestation du lundi 10 juin, au lendemain de la dissolution, ils ne représentent pas 80 % des manifestants. Ce coup-ci, les organisations syndicales signataires de l’appel national ont mobilisé leurs militants. De même que les partis politiques qui composent le Front populaire qui s’est doté d’un programme de gouvernement, présenté le matin même, lors d’une conférence de presse à Paris.

Le Front populaire comme horizon

Parmi les retardataires, le maire PS de Montpellier, Michael Delafosse rejoint la manifestation avant qu’elle ne s’élance. Poignées de main enjouées aux responsables syndicaux présents en tête de cortège et échanges tout sourire avec les représentants du Parti communiste et ceux, adversaires de la veille, de la France Insoumise. L’ambiance est à l’union et elle infuse jusque dans le carré de tête syndical.

« En faisant la réforme contre tous les syndicats et contre la population, Macron a pris une lourde responsabilité antidémocratique. Il a fait le choix de faire monter l’extrême droite, a repris ses thèses racistes, il a fait passer la loi immigration et veut maintenant faire passer sa réforme de l’assurance chômage », fustige Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. Il fustige le chef de l’État et le Rassemblement national, « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs » et voit le salut dans la toute récente unité politique à gauche.

« Nous devons poursuivre dans l’unité du Front populaire jusqu’à être majoritaires dans le pays », assure le syndicaliste qui n’hésite pas à exhorter les manifestants à « aller voir les camarades abstentionnistes et ceux qui se sont trompés de bulletin de vote ». Quitte à faire un pas de côté vis-à-vis de la position traditionnelle de la CGT, de non-appel au vote pour un parti en particulier. Un peu plus nuancée après de nombreuses expériences de gauche déçues, la représentante locale de la Ligue des droits de l’Homme prévient : « on ne donne pas un blanc-seing aux politiques, il faut qu’ils travaillent avec le mouvement social ».

Une première manifestation massive

Derrière le premier tiers de la manifestation emmenée par l’intersyndicale locale, dans lequel les partis socialistes et communistes se mêlent aux syndicalistes, le cortège est plus bigarré. Les organisations de l’extrême gauche montpelliéraine sont toutes représentées et La France insoumise fait nombre. Dans cette partie du défilé, l’ambiance est plus revendicative, le public plus jeune et les non-habitués des manifestations munis de pancartes fabriquées à la main, plus nombreux. Les drapeaux ou banderoles des différents acteurs du mouvement social, de Greenpeace à la Confédération paysanne, en passant par Médecin de monde, le syndicat des avocats de France ou encore de la marche des fiertés, se mélangent. Enfin, on trouve un bloc antifasciste massif et particulièrement animé, dont la partie la plus structurée est conduite par la Jeune Garde.

A Lyon, le collectif « Fermons les locaux fascistes » organisait aussi une manifestation contre l’extrême droite ce vendredi, avant celle de l’intersyndicale dimanche. Sur la place des Terreaux, là aussi, des milliers de manifestants contre l’extrême droite (2000 selon la police, 5000 selon les organisateurs). Des chiffres qui laissent présager que la mobilisation sera importante dans l’ensemble des autres villes.


 


 

Montpellier :
une intersyndicale unie contre la montée de l’extrême-droite

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

La manifestation du vendredi 14 juin à Montpellier, contre la montée de l’extrême-droite, a rassemblé 10 000 personnes selon la CGT et 4 000 selon la police. Les syndicats appellent à la mobilisation, voire à la grève, en vue des législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet prochains pour ne laisser “aucune voix au Rassemblement National”

Un mouvement social est-il en train de naître pour pousser les candidatures du nouveau front populaire ? C’est ce que la manifestation montpelliéraine du 14 juin contre la montée de l’extrême-droite laisse entendre. Après une première mobilisation lundi 11 juin, tous les syndicats, à l’exception de Force Ouvrière et de la CGE avaient appelé à ce rendez-vous, qui a rassemblé 10 000 personnes selon les organisateurs et 4 000 selon la police. L’organisation antifasciste Jeune Garde était également présente avec un immense étendard signé de son logo et d’une banderole où l’on pouvait lire « Unité face à l’extrême droite, la jeunesse en première ligne ». A noter, la présence du maire de Montpellier, Michaël Delafosse, au début de la manifestation. L’édile PS, aussi anti-NUPES soit-il, s‘est prononcé cette semaine en faveur d’une union de la gauche “la plus large possible”.

La CGT appelle à voter ET à faire grève”

Nous sommes fiers que nos syndicats soient unis pour que ce front populaire puisse repousser l’extrême-droite et obtenir une majorité de gauche !”, s’exclamait Serge Ragazzacci, secrétaire général de l’Union départementale CGT 34, s’exprimant au nom de l’intersyndicale locale. “Jordan Bardella ne retirera pas la réforme des retraites, car il veut rassurer le patronat. L’extrême-droite est toujours défavorable aux travailleuses et aux travailleurs. Nous appelons à voter, et à faire grève dès la semaine prochaine pour soutenir le front populaire.” Des mouvements syndicaux sont dore et déjà attendus dans l’énergie, et chez les cheminots le 21 juin. Des cheminots qui seront en meeting à Montpellier le 27 juin avec les candidats du front populaire pour évoquer la question des transports. “Nous devons nous servir du contexte pour mettre la pression sur les conditions de travail, le ciment du front populaire c’est le mouvement social”, a précisé Serge Ragazzacci.

Si un mouvement social est en train de naître, les syndicats vont-ils appeler ouvertement appeler à voter pour l’union de la gauche ? “Le SNESUP-FSU va soutenir le Front Populaire”, répondait Yann Leredde, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier et syndiqué au SNESUP. “La prochaine étape, c’est que tous les syndicats appellent à voter front populaire. Tant pis pour la charte d’Amiens [texte fondateur du syndicalisme en France qui revendique l’indépendance vis-à-vis des partis politiques et de l’État, NDLR], c’est ça ou la peste brune. En tout cas, la situation nous soude, on est là avec la CFDT alors que d’habitude on ne se parle pas. Bon, on les chambre un peu sur Laurent Berger [ancien patron de la CFDT dont le nom a été évoqué comme un potentiel premier ministre en cas de victoire du Front Populaire aux législatives, NDLR], mais on est ensemble.”

Chez Solidaires, l’appel au vote pour le Front Populaire semble moins évident, comme l’expliquait David, syndiqué à Sud Education. “Notre mot d’ordre, c’est pas une voix pour l’extrême-droite. L’objectif répond à deux urgences : battre le RN pour éviter de devoir lutter contre dans la rue, en dévoilant sa supercherie sociale, et imposer nos idées pour une vraie rupture sociale en construisant des mobilisations contre un potentiel gouvernement de gauche.”

Même la Confédération Paysanne a rejoint l’appel de l’intersyndicale. Pour Amandine Mallantes, représentante de la zone Méditerranéenne du syndicat agricole, l’enjeu est de dénoncer la récupération politique du RN sur la crise agricole. “Ils ont joué sur l’antilibéralisme pour séduire les agriculteurs, oui, ils ont peur qu’on interdise les pesticides et que ça impacte leurs rendements. Le point positif, c’est que la FNSEA [syndicat agricole majoritaire, NDLR], a appelé à faire barrage contre l’extrême-droite. De notre côté, on va aller voir les candidats du Front Populaire pour les pousser à s’engager sur la question des prix planchers et des revenus pour qu’on puisse vivre de notre travail.”

La manifestation s’est ensuite dispersée au Peyrou, et un gros millier de jeunes ont continué de défiler dans les rues en scandant “La jeunesse emmerde le front national”.

Du côté des perspectives, un rassemblement pour dénoncer les violences d’extrême-droite, appelé par plusieurs syndicats et organisations (Solidaires, l’UCL, le NPA…) a été annoncé samedi 22 juin à 11 heures sur la place Krasucki, lieu où un militant syndical a été agressé par des néonazis pendant le festival des fanfares.

  mise en ligne le 14 juin 2024

Nouveau Front Populaire :
la justice fiscale pour financer
un programme ambitieux

Pierric Marissal sur www.humanite.fr

Renforcer la progressivité de l’impôt, aller chercher l’argent dans les poches des profiteurs de crises, faire cotiser les revenus financiers pour financer la protection sociale… Quoique en disent les néolibéraux, les propositions du Nouveau Front populaire sont finançables.

Pour voir et télécharger   le contrat de législature du Nouveau Front populaire : https://www.humanite.fr/wp-content/uploads/2024/06/LHumanite-presente-le-programme-du-Nouveau-Front-Populaire.pdf


 

Lors de la conférence de presse de présentation du programme du nouveau Front populaire, ce vendredi midi, Olivier Faure l’a affirmé : « Nous ferons en sorte de financer ce projet très ambitieux en le prenant dans la poche de ceux qui en ont les moyens ». Les mesures fiscales sont très nombreuses et détaillées, pour apporter les sources de financements aux très nombreuses réformes sociales et écologiques listées dans ce programme. Nous avons demandé l’expertise du fiscaliste et porte-parole d’Attac Vincent Drezet, pour analyser et chiffrer, dans la mesure, du possible ces propositions.

Des mesures de politique et de justice fiscale très attendues

Il s’agit de rétablir la progressivité de l’impôt sur le revenu (14 tranches), de rendre progressive également la CSG (la contribution sociale généralise est une source de financement de la protection sociale). Le programme entend rétablir un impôt sur la fortune renforcé avec un volet climatique (si l’ancien ISF avait été maintenu en l’état, il aurait rapporté 4,5 milliards d’euros de plus) ; de supprimer le prélèvement forfaitaire unique (alias flat tax, qui instaure un plancher d’imposition pour les très riches) et rétablir l’exit tax (prélèvement sur les contribuables déplaçant leur résidence fiscale à l’étranger), deux mesures qui pourrait rapporter entre 1,9 et 3 milliards d’euros selon les estimations.

Il propose d’auditer les niches fiscales pour supprimer celles qui sont inefficaces, injustes et polluantes, et de réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif, en ciblant les plus hauts patrimoines.

Le principe de toutes ces mesures est d’en finir avec la pseudo-théorie du ruissellement, en faisant moins reposer le poids de l’impôt sur les classes populaires et moyennes, ainsi d’avantage sur les plus riches.

Vincent Drezet se dit globalement très favorable à ces mesures. Il rappelle que « les niches fiscales présentent un coût élevé de 90 milliards d’euros par an, auxquelles il faut ajouter le coût de mesures dites « déclassées » comme la niche Copé, supprimer les moins efficaces permettrait de facilement récupérer 10 milliards d’euros à court terme ». Et si on ajoute les niches sociales, le coût total s’élève à 200 milliards d’euros par an économisés.

Le fiscaliste insiste sur ce point, pour renforcer le volet financement de la protection sociale du programme du nouveau Front Populaire. Celui-ci propose notamment de « soumettre à cotisation les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action et les heures supplémentaires ». Ce point est très important puisque, selon Oxfam, 71 % des bénéfices des 100 plus grosses entreprises françaises partent dans des rémunérations aux actionnaires, non soumises à cotisation. Soit 75 milliards d’euros en 2021. Vincent Drezet estime que cette mesure pourrait rapporter en cumulé entre 19 et 21 milliards d’euros à la solidarité nationale.

Pour participer au financement du régime général des retraites, le programme propose d’augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans la cotisation (patronale) vieillesse.

Le programme du Front populaire propose par ailleurs une taxation renforcée des transactions financières. Attac, à l’origine du concept, ne peut qu’être d’accord. Rappelons qu’une simple taxe de 0,01 % rapporterait jusque 11 milliards par an à la France, selon les calculs de l’association.

« L’ensemble de ces mesures rendraient le système fiscal plus juste et plus rentable, résume Vincent Drezet. Cela renforcerait également le consentement à l’impôt car, contrairement à ce que prétendent les néolibéraux, la population éprouve un ras-le-bol des injustices fiscales et sociales et pas un simple ras-le-bol fiscal ».

Combattre l’évasion fiscale à l’échelle européenne

Le programme du Nouveau Front Populaire n’occulte pas l’enjeu européen de sa politique fiscale. Il propose d’« adopter un mécanisme d’harmonisation sociale par le haut entre États Membres pour mettre fin au dumping social et fiscal », et de « passer au vote à la majorité qualifiée au conseil pour les questions fiscales ».

Des propositions ciblées s’en prennent aux paradis fiscaux qui sévissent au cœur de l’Europe. Car l’évasion fiscale des multinationales représente 85 % des 100 à 120 milliards d’euros qui échappent chaque année à l’administration fiscale française. « L’orientation est bonne, remarque Vincent Drezet, reste à savoir comment faire ». Comme le fiscaliste n’est pas avare de propositions, il suggère la création d’un « serpent fiscal et social européen ».

« Concrètement, cela passe par une harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés (IS), assorti d’un taux plancher de 25 % pour éviter la course à la baisse de l’IS, par une harmonisation de la TVA intracommunautaire (très fraudée), la création d’un impôt européen sur les bénéfices des grands groupes… », énumère-t-il. En plus de renflouer les caisses, ces mesures auraient le mérite de renforcer la coopération en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales à l’échelle communautaire.

Le programme reprend aussi l’idée d’une taxation des superprofits au niveau européen, porté par l’économiste Gabriel Zucman. Une ponction de 2 petits pour cent dans le patrimoine des milliardaires européens rapporterait 42,3 milliards d’euros.

Vincent Drezet demande enfin aux futurs parlementaires du Nouveau Front Populaire de ne pas oublier deux points importants. « La fiscalité locale mérite des bases rénovées, et il faudrait renforcer l’ensemble des services (DGFiP, douanes, Tracfin, services judiciaires spécialisés) engagés dans la lutte contre la fraude fiscale et, plus largement, la délinquance en col blanc », suggère le fiscaliste.

  mise en ligne le 14 juin 2024

Front Populaire : quelles sont les mesures annoncées par les partis de gauche

La rédaction sur www.humanite.fr

Lors de la première conférence de presse du mouvement, ce vendredi 14 juin à Paris, les représentants des forces de gauche ont présenté un programme de gouvernement articulé autour de 3 temps : les 15 premiers jours, les 100 premiers jours et les mois suivants. Voici les principales mesures annoncées.

Les forces de gauche se sont accordées « pour faire front populaire » autour d’un programme partagé et soutenir des candidatures uniques. L’alliance rassemble les Écologistes, La France insoumise, le Parti communiste français, le Parti socialiste, Génération·s, le NPA et la Gauche républicaine et socialiste tout en poussant à une mobilisation des associations, des forces syndicales et des acteurs de la société civile.

Les mesures qui seraient prises dans les tout premiers jours :

Décréter l’état d’urgence sociale

  • Bloquer les prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants par décret, et renforcer le bouclier qualité-prix pour les outre-mer

  • Abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron passant l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ainsi que les réformes de l’assurance-chômage

  • Augmenter le minimum contributif (pension de retraite pour une carrière complète) au niveau du SMIC et le minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté

  • Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1 600 € net, par la hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires (intégralement compensée pour les collectivités territoriales), augmenter les indemnités des stagiaires, le salaire des apprentis et des alternants

  • Engager les négociations commerciales en garantissant un prix plancher et rémunérateur aux agriculteurs et en taxant les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution

  • Revaloriser les APL de 10 %

Relever le défi climatique

  • Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières

  • Adopter un moratoire sur les mégabassines

  • Mettre en place des règles précises de partage de l’eau sur l’ensemble des activités

Défendre le droit au logement

  • Relancer la construction du logement social en revenant sur les coupes de Macron pour les organismes HLM de 1,4 milliard d’euros annuels

  • Créer les places d’accueil d’hébergement d’urgence permettant un accueil inconditionnel et procéder dans les situations d’urgence à la réquisition des logements vides nécessaires pour loger les sans-abri

Réparer les services publics

  • Organiser une conférence de sauvetage de l’hôpital public afin d’éviter la saturation pendant l’été, proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour ses personnels

  • Redonner à l’école publique son objectif d’émancipation en abrogeant le « choc des savoirs » de Macron, et préserver la liberté pédagogique

  • Faire les premiers pas pour la gratuité intégrale à l’école : cantine scolaire, fournitures, transports, activités périscolaires

  • Augmenter le montant du Pass’Sport à 150 euros et étendre son utilisation au sport scolaire en vue de la rentrée

Apaiser

  • Relancer la création d’emplois aidés pour les associations, notamment sportives et d’éducation populaire

  • Déployer de premières équipes de police de proximité, interdire les LBD et les grenades mutilantes, et démanteler les BRAV-M

Retrouver la paix en Kanaky-Nouvelle Calédonie

  • Abandonner le processus de réforme constitutionnelle visant au dégel immédiat du corps électoral. C’est un geste fort d’apaisement qui permettra de retrouver le chemin du dialogue et de la recherche du consensus. À travers la mission de dialogue, renouer avec la promesse du « destin commun », dans l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa et d’impartialité de l’État, en soutenant la recherche d’un projet d’accord global qui engage un véritable processus d’émancipation et de décolonisation.

Mettre à l’ordre du jour des changements en Europe

  • Refuser les contraintes austéritaires du pacte budgétaire

  • Proposer une réforme de la Politique agricole commune (PAC)

Les grandes orientations pour répondre à « l’urgence de la paix »

Plusieurs mesures sont proposées visant à répondre à cette urgence, autour de trois axes :

  • Promouvoir une diplomatie française au service de la paix

  • Agir pour un cessez-le-feu immédiat à Gaza et pour une paix juste et durable

  • Défendre l’Ukraine et la paix sur le continent européen

Le programme du Nouveau Front Populaire s’articule autour de trois temps :

  • 15 premiers jours : la rupture. « Une seule priorité pour le gouvernement du Nouveau Front Populaire dès son installation : répondre aux urgences qui abîment la vie et la confiance du peuple français. Nous en finirons avec la brutalisation et la maltraitance des années Macron. Nous adopterons immédiatement 20 actes de rupture pour répondre à l’urgence sociale, au défi climatique, à la réparation des services publics, à un chemin d’apaisement en France et dans le monde. Pour que la vie change dès l’été 2024. »

  • 100 premiers jours : l’été des bifurcations. « Passés les 15 premiers jours, une session extraordinaire s’ouvrira à l’Assemblée nationale, où les groupes du Nouveau Front Populaire sont majoritaires, puis une seconde à la rentrée, après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques. Le Parlement tient une place beaucoup plus importante dans le type de gouvernement promu par le Nouveau Front Populaire. Les députés sont particulièrement associés et/ou à l’initiative de 5 paquets législatifs pour amorcer les grandes bifurcations dont le pays a besoin. D’abord, à la suite des mesures d’urgence par décret, la présentation d’une grande loi permet de rattraper et d’améliorer la situation sociale des Français grandement paupérisés par 7 ans de macronisme et 3 ans d’inflation. Deux grandes lois permettront d’entamer la reconstruction des deux services publics les plus cruciaux : santé et éducation. Une loi énergie climat permettra de jeter les bases de la planification écologique. Enfin, le premier projet de loi de finances rectificative sera présenté pour abolir les privilèges des milliardaires. »

  • Les mois suivants : les transformations. « Une fois ces grands chantiers lancés, tout reste à faire pour tout changer ! Ce sera la tâche du gouvernement et des députés du Nouveau Front Populaire, en lien constant avec la société mobilisée, notamment les syndicats, associations, collectifs. L’ambitieux programme législatif de transformation que le Nouveau Front Populaire se fixe pour les mois suivants est largement issu des propositions et revendications produites par cette société mobilisée. Sa cohérence globale c’est l’application pleine et entière du programme suivant : liberté, égalité, fraternité. Son cap c’est l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. »

Dans le préambule de ce programme, les formations de gauche expliquent : « Le Nouveau Front Populaire rassemble des femmes et des hommes issus d’organisations politiques, syndicales, associatives et citoyennes qui s’unissent pour construire un programme de rupture avec la politique d’Emmanuel Macron, répondant aux urgences sociales, écologiques, démocratiques et pour la paix.

Nous combattons le projet raciste et de casse sociale de l’extrême droite et voulons l’empêcher d’arriver au pouvoir. Nous refusons les attaques contre nos libertés démocratiques et la répression vis-à-vis des forces sociales et associatives, particulièrement bafouées ces dernières années.

Nous luttons contre la multiplication des discours de haine et contre la prolifération des menaces et des violences qui abîment notre démocratie.

C’est pourquoi notre majorité et nos parlementaires s’engagent à porter ces principes éthiques tout au long de la mandature en refusant la diffusion de fausses informations, la calomnie, le cyberharcèlement, et les incitations à la haine, y compris sur internet.

En donnant une majorité de députés au Nouveau Front Populaire, les Françaises et les Français écriront une nouvelle page de l’histoire de France. »

 

  mise en ligne le 13 juin 2024

En matière d’économie,
le RN dit
tout et son contraire

Youmni Kezzouf et Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Jordan Bardella ne veut plus abroger la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, revenant sur une promesse du mouvement d’extrême droite. Une nouvelle preuve du glissement néolibéral du programme économique du RN qu’il n’assume pas encore clairement.

Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. En l’espace de quelques jours, les cadres du Rassemblement national (RN) ont de nouveau illustré la capacité de leur mouvement à dire tout et son contraire en matière d’économie, cette fois-ci au sujet de l’abrogation de la réforme des retraites de 2023 d’Emmanuel Macron repoussant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Réforme combattue farouchement par les député·es RN à l’Assemblée nationale.

Dans la droite ligne du programme de Marine Le Pen en 2022, qui refusait tout allongement de l’âge de départ, le député RN Thomas Ménagé déclarait lundi 10 juin sur BFMTV, au lendemain de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron : « Nous reviendrons sur la réforme injuste des retraites portée par Emmanuel Macron. »

Et de préciser qu’en cas d’accession du parti xénophobe à Matignon, « il y aura une réforme juste, celle que Marine Le Pen proposait pendant la présidentielle, que [le RN a] proposée dans l’hémicycle, lors du débat des retraites il y a quelques mois », soit concrètement le retour à la retraite à 60 ans pour les personnes entrées dans la vie active avant l’âge de 20 ans.

Mais le lendemain, questionné sur RTL sur une éventuelle abrogation de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron, le président du RN, Jordan Bardella, s’est montré beaucoup plus mesuré : « Nous verrons... J’ai la lucidité et l’honnêteté de dire aux Français que la situation économique dont nous allons hériter dans un pays qui pulvérise sous Emmanuel Macron les records de déficits commerciaux, de déficits publics et de dettes, sera compliquée. »

Au journal Le Monde, Renaud Labaye, secrétaire général du groupe RN à l’Assemblée, a même confirmé que le retour à la retraite à 60 ans pour les personnes ayant travaillé avant 20 ans, l’une des mesures phares du programme de Marine Le Pen de 2022, ne figurerait pas dans la plateforme programmatique du parti pour les prochaines élections législatives. Un sacré rétropédalage !

En façade, le Rassemblement national explique son revirement par la situation dégradée des finances publiques laissée par le chef de l’État. « L’ardoise d’Emmanuel Macron va être terrible », prévenait Sébastien Chenu sur le plateau de CNews mardi. Mais l’argument est un peu court. Et ce, pour une raison simple : le niveau élevé du déficit public ne date pas d’hier.

Lorsque le RN proposait il y a peu l’abrogation de la réforme Macron de 2023, les finances publiques étaient sensiblement dans le même état qu’actuellement. Il y a certes eu, fin mars, une réévaluation à la hausse du déficit public par l’Insee de 4,9 % à 5,5 % du PIB pour 2023. Mais avouons qu’il en faut tout de même peu pour que le RN tourne casaque et perde de vue ses supposés grands principes sociaux.

Alliance avec LR 

Une raison plus évidente au revirement du Rassemblement national sur les retraites est la perspective d’une alliance électorale pour les législatives avec le parti Les Républicains (LR) annoncée mardi 11 juin par son président Éric Ciotti – depuis exclu du parti. Les LR militent historiquement pour les réformes néolibérales, dont le recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans.

Pour le RN, il faut donc montrer patte blanche auprès d’un parti qui juge sévèrement les positions économiques du mouvement d’extrême droite. Pour preuve le 23 mars, sur la scène d’un meeting de sa tête de liste François-Xavier Bellamy, Éric Ciotti n’avait pas de mots assez durs sur le programme de celui qui est désormais son allié. « N’égarez pas votre vote au Rassemblement national !, exhortait-il. Ils accentueraient la dégringolade financière et budgétaire avec leur programme économique qui réhabilite l’assistanat. Ils nous isoleraient davantage dans le monde. »

Pour ne pas brusquer les LR, le député RN Julien Odoul tempérait lui aussi mercredi sur France Info l’idée de s’accrocher coûte que coûte à l’abrogation de la réforme des retraites de Macron : « Quand vous constituez un gouvernement d’union nationale, vous mettez autour de la table des gens qui ne pensent pas tous la même chose, a-t-il argué. Notre combat pour une retraite juste avec départ à 60 ou 62 ans, nous y sommes profondément attachés. Mais dans le cadre de cette union, l’objectif, c’est de se rassembler sur des points qui font consensus avec Les Républicains. »

Et le député RN de lister le « grand nombre de points d’accord » qu’il partage avec LR sur les questions d’autorité ou d’immigration. Certes, pour connaître clairement les points d’accord sur le terrain économique, il faudra repasser.

Peut-être en apprendrait-on davantage si le programme économique du RN, préparé par le député Jean-Philippe Tanguy, chargé de ces questions au parti, et censé être prêt depuis le mois de janvier, était publié. Interrogée sur TF1 sur l’imminence de cette publication avant le scrutin du 30 juin, Marine Le Pen a répondu... par un éclat de rire : « On pourrait le publier, mais la réalité, c’est que le président de la République a choisi vingt jours pour ces élections, nous allons concentrer nos efforts sur des propositions très claires issues de notre projet. »

À droite en économie 

Du reste, il y a fort à parier que le prochain millésime économique du RN sera plus libéral que le précédent qui avait été publié pour l’élection présidentielle de 2022 ; le programme de 2022 ayant été lui-même plus libéral que celui de 2017. La prise de position récente de Jordan Bardella sur le sujet des retraites est, de ce point de vue, cohérente avec la droitisation des propositions économiques du RN.

Rappelons que les mesures empruntées à la gauche – retraite à 60 ans pour tous, défense des 35 heures, sauvegarde du statut de la fonction publique, remise en cause de la loi travail –, qui avaient permis au parti d’extrême droite de gagner un électorat populaire en 2017, n’avaient pas été préservées dans le programme de 2022.

Outre les mesures économiques xénophobes de « préférence nationale » pour l’attribution des aides sociales – qui sont une constante à travers les années chez le RN –, le programme économique de 2022 faisait en effet la part belle aux baisses d’impôts (TVA, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, impôt sur l’héritage, etc.) et de cotisations sociales. Des mesures que des partis comme LR ou LREM n’auraient pas reniées.

Une critique macroniste à côté de la plaque

Plutôt que d’élaborer une critique clinique de la faisabilité des propositions économiques du Rassemblement national (RN), la Macronie préfère lui intenter un procès… en socialisme. Il fallait oser. « Votre programme économique est le plus marxiste qui n’ait jamais été proposé en France depuis une quarantaine d’années », martelait le 4 juin dernier Bruno Le Maire à l’Assemblée nationale à l’endroit des député·es RN, entretenant le confusionnisme le plus total : il n’est jamais question, ni de près ni de loin, de lutte des classes dans le programme économique du parti d’extrême droite.

L’exécutif aurait pu axer sa critique sur les propositions indignes du RN visant à instaurer la « préférence nationale » pour l’attribution des aides sociales. Que nenni ! Il préfère cibler les rares mesures d’inspiration de gauche reprises par l’extrême droite : la nationalisation des autoroutes et la restauration de l’âge de la retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans. « Comment financeront-ils ce qu’ils ont proposé, la fin de la réforme des retraites et les 60 ans ? La renationalisation des autoroutes et tant et tant de réformes ? », a fait mine de questionner Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse qui s’est tenue le mercredi 12 juin. À chacun ses combats…

Des propositions réellement de « gauche », il ne restait dans le programme de 2022 du RN que la nationalisation des autoroutes et le retour de l’âge du départ à la retraite – certes édulcoré par rapport à 2017 – à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant 20 ans.

Depuis lors le RN poursuit, discrètement mais sûrement, la droitisation de son discours économique, se rapprochant de plus en plus des positions du parti présidentiel. Il n’y avait qu’à voir la campagne de Jordan Bardella pour les élections européennes, durant laquelle il a tout fait pour plaire aux lobbys économiques.

À chaque intervention face à une fédération patronale, il multipliait les phrases de type « économiquement, je suis raisonnable » ou « il faut que le décideur politique ait conscience qu’il ne sait pas mieux que le chef d’entreprise ». Difficile de faire plus pro-business.

« On m’a fait savoir que je devais rassurer les milieux économiques », assumait-il face aux dirigeants du Mouvement des entreprises de France (Medef), leur assurant qu’il était « pro-start-up », pro « croissance » et même favorable à l’union des marchés de capitaux en Europe. Voilà qui a (enfin) le mérite de la clarté.

  mise en ligne le 12 juin 2024

Violence d’extrême droite :
« Certains militants seront tentés de se dire :
"On a le champ libre" »

par Maël Galisson sur https://basta.media/

Les succès électoraux des partis d’extrême droite en Europe, et la perspective d’une victoire de Marine Le Pen en France en 2027, vont-ils contribuer à « libérer » encore plus la violence des groupes racistes ? Le chercheur Jean-Yves Camus répond.

Jean-Yves Camus est directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès.

Basta! : Quelle lecture faites-vous de cette série d’actes violents perpétrés par l’extrême droite en Bretagne depuis fin 2022 ?

Jean-Yves Camus : Ces évènements détonnent un peu dans une région qu’on a souvent décrite comme étant moins perméables que les autres régions de France au Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN). Dans une partie de la Bretagne, il y a une tradition de gauche assez vivace. Je pense par exemple à Saint Brieuc, dans les Côtes d’Armor, où l’extrême droite s’est pourtant manifestée de manière violente à plusieurs reprises ces derniers mois. Dans les années 60/70, Saint-Brieuc a été une des rares municipalités tenues par le Parti socialiste unifié (PSU), symbole d’une « Bretagne rouge » qu’on retrouve encore par exemple avec le maire de Carhaix.

Ceci étant, il s’est effectivement déroulé récemment toute une série d’évènements extrêmement importants en Bretagne, en particulier cette campagne d’intimidations des élus de la mairie de Callac qui a abouti au retrait du projet d’implantation de familles de réfugiés. Face à la pression des manifestations, face à la tournure médiatique que prenait l’affaire et aux menaces proférées sur les élus, la mairie a fini par jeter l’éponge. Je pense que ça a été perçu par l’extrême droite comme une première brèche dans laquelle il fallait s’enfoncer. La seconde brèche, c’est ce qu’il s’est passé à Saint-Brévin-Les-Pins[Début 2023, le projet d’ouverture d’un Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) à Saint-Brévin-les-Pins (44) a suscité une violente opposition alimentée par de nombreuses organisations d’extrême droite, parmi lesquelles le parti d’Éric Zemmour, Reconquête !. Cette violence a culminé le 22 mars 2023 quand le domicile du maire, Yannick Morez, a été la cible d’un incendie volontaire, entraînant la démission de l’élu.]].

Comment caractériser les groupes à l’origine de ces violences ? Peut-on distinguer des différences idéologiques, des stratégies et modalités d’actions différentes ?

Jean-Yves Camus : Le mouvement antifasciste a réalisé une cartographie assez précise des groupes d’extrême droite radicale, qui se sont multipliés depuis les différentes vagues de dissolution en 2013, en 2019 et 2021.

En Bretagne, ce qui me frappe quand on regarde cette carte, c’est qu’il existe désormais non seulement des groupes assez conséquents dans les deux grandes métropoles que sont Nantes et Rennes, mais également dans des villes plus modestes, telles que Vannes, où s’est implanté le groupuscule An tour-tan. Par ailleurs, des membres de l’ex Alvarium, désormais Rassemblement des Étudiants de Droite (RED) basé à Angers, viennent très souvent intervenir en Bretagne.

Il y a également des actions disséminées un petit peu partout sur le territoire breton, notamment par exemple à Lorient ou à Saint Brieuc. Il s’agit-là d’un phénomène assez nouveau. Saint-Brieuc est une ville sans tradition d’extrême droite. Pourtant, ces derniers mois, plusieurs lieux alternatifs ont été confrontés à des agressions de cette mouvance.

Violences d’extrême droite

Basta! a recensé une cinquantaine d’exactions de janvier 2023 à mai 2024 commises en Bretagne et Loire-Atlantique. Elles sont classées en quatre catégories, par ordre de gravité, des tags racistes ou néo-nazis aux violences physiques, en passant par les menaces et les incendies (contre la maison d’un élu) et tentatives d’incendie (contre des mosquées notamment).

On peut distinguer un certain nombre de « sous familles » dans cette extrême droite radicale. Il existe des groupes issus de scissions de l’Action Française, en particulier représentés par L’Oriflamme à Rennes et par Korser à Nantes. On recense également des groupes de hooligans politisés relativement actifs, notamment à Rennes.

Il y a aussi un petit milieu d’extrême droite dont la base idéologique reste l’autonomisme breton, qui s’est compromis de manière conséquente dans la collaboration avec l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale. Le Parti National Breton (PNB) se raccroche à ce courant et est toujours actif dans la région.

Une des autres particularités de l’ouest de la France, ce sont les catholiques intégristes. On retrouve ainsi des traditionnalistes restés fidèles à Rome, tels que la Fraternité Saint-Pierre, qui en général ne s’engagent pas dans des actions violentes, mais aussi des traditionnalistes de la Fraternité Saint-Pie X, ainsi qu’une implantation de Civitas (dissoute en août 2023), qui eux sont davantage portés sur l’action militante.

Et puis sont présents également des sédévacantistes, qui considèrent que le trône pontifical est vacant depuis Pie XII [décédé en 1958, dont le pontificat a été très critiqué pour sa complaisance vis à vis du fascisme et du nazisme, ndlr] et que tous les papes ultérieurs ont été élus de manière illégitime. Ils ne sont pas très nombreux, mais ils sont très nettement surreprésentés dans les départements d’Ille-et-Vilaine et des Pays-de-Loire, notamment dans la région nantaise. Leurs fils de discussion Telegram sont particulièrement actifs et guère sympathiques.

Le site internet Breizh info, qui se présente comme un média, a pris également de l’ampleur ces dernières années et contribue à la visibilité de toute cette mouvance.

Que permet ce type d’actions violentes ? Est-ce une manière de recruter de nouveaux militants ?

Jean-Yves Camus : Incontestablement, ce genre d’actions leur donne de la visibilité. Certains groupes décident aussi d’investir un « lieu de vie » afin de faire de la formation militante, à l’image par exemple de ce qu’ont fait les militants de l’Alvarium à Angers ou du Bastion social à Lyon. Il s’agit de lieux de rencontres, d’échanges et de projections qui visent à rompre avec la routine sectaire consistant à ne se réunir qu’entre-soi mais, au contraire, cherche à recruter de nouveaux militants à l’extérieur.

Quels liens existent entre cette série d’actes violents et des partis tels que Reconquête ! ou le Rassemblement National ?

Jean-Yves Camus : Reconquête ! s’est greffé très rapidement sur les manifestations de Callac et de Saint-Brévin, avant de s’éclipser – a priori suite aux consignes de la direction du parti – après l’incendie volontaire dont a été victime le maire, Yannick Morez.

Dans sa logique de dédiabolisation, le Rassemblement National s’est tenu à l’écart. Après, je ne dis pas qu’aucun militant ou sympathisant du RN n’est venu participer, mais pour le RN, il n’y avait aucun intérêt à ce que ses militants affichent leurs couleurs dans le cadre de manifestations assez peu maîtrisables.

Est-ce que ce phénomène de violences de l’extrême droite se retrouve ailleurs, en France ou en Europe ?

Jean-Yves Camus : En France, on observe une augmentation des attaques de l’extrême droite, dans la région lyonnaise notamment, mais aussi à Bordeaux, où le groupuscule Bordeaux nationaliste a été dissous début 2023, ou encore à Paris, où des actions violentes en marge du match de foot France-Maroc ont toutefois pu être empêchées grâce à l’intervention des forces de l’ordre.

Au niveau européen, en particulier en Pologne, en Allemagne, en Grande-Bretagne et en France, on observe une montée des intimidations à l’encontre des élus provenant, notamment mais pas uniquement, de groupes nationalistes et xénophobes qui les interpellent sur des questions d’immigration et de droit d’asile.

Toutefois, la situation varie selon les pays. En Allemagne, l’État est dans une optique de répression systématique. Les mesures de surveillance ont ainsi été renforcées autour de l’Alternative für Deutschland (AFD), qui est pourtant un parti politique légal et représenté au Bundestag et au Parlement européen.

Dans d’autres pays, la réaction est beaucoup plus faible. En Grèce, où l’Aube Dorée était devenue un véritable gang criminel qui n’hésitaient pas à tuer un certain nombre de ses adversaires politiques, l’État a fini par reprendre la main. Un certain nombre des dirigeants de ce groupe ont été condamnés. Malgré cela, depuis leur cellule, les dirigeants tentent de relancer leur mouvement.

La possible perspective d’une victoire du RN lors des élections législatives début juillet, voire de Marine Le Pen à la présidentielle de 2027 risquerait-elle de libérer encore davantage cette violence des groupes fascistes ?

Jean-Yves Camus : Un tel évènement pourrait avoir un effet de décompensation chez des militants actifs depuis longtemps, qui ont rongé leur frein depuis des années sans réussir à conquérir le pouvoir et qui sont plein de hargne envers leurs adversaires, dont la liste est longue : les « gauchistes », les personnes LGBTQI+, les immigrés, les Juifs, les magistrats… Certains militants seront peut-être effectivement tentés de se dire : « On a le champ libre ».

Cette liste sans fin d’ennemis illustre une vision du monde totalitaire et paranoïaque. Rien d’autre qu’eux n’a le droit de s’exprimer librement.

L’État use de dissolutions et d’interdictions de colloques, de concerts et autres évènements pour lutter contre ces groupes. Mais une fois dissous, ces groupes se reconstituent aussitôt sous un autre nom. Par ailleurs, ces séries de dissolutions et d’interdictions mettent « une pression sous le couvercle de la cocotte-minute » qui pourra s’avérer un jour difficile à gérer. Le nombre de personnes appartenant à ces groupes d’extrême droite est estimé à environ 3500 personnes, dont 1300 fichés S. C’est loin d’être sans importance.

 

   mise en ligne le 11 juin 2024

« Les exigences sociales doivent être entendues » : Face au RN, cinq syndicats appellent à manifester ce week-end

Clémentine Eveno n sur www.humanite.fr

Après les résultats historiques du Rassemblement national et la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, cinq syndicats - la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires - appellent à manifester ce week-end. « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues », estiment ces organisations, via un communiqué publié lundi 10 juin.

Après le choc, place à l’action. Cinq syndicats nationaux – la CGT, la CFDT, l’Unsa, FSU et Solidaires – lancent un appel commun : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues ! », selon leur communiqué, publié lundi 10 juin. « Nous appelons à manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d’alternatives de progrès pour le monde du travail », affirment les cinq organisations. Une invitation à se mobiliser, accompagnée d’une dizaine de mesures pour améliorer la vie des travailleuses et des travailleurs.

Cet appel est publié au lendemain du résultat historique de l’extrême droite aux élections européennes avec 31,47 % des suffrages pour le Rassemblement national et 5,47 % pour la liste Reconquête de Marion Maréchal. Un véritable séisme politique, suivi de près par l’annonce du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale.

Un pari fou du chef de l’État qui a poussé les communistes, écologistes, socialistes et « insoumis », à se mettre d’accord pour un « front populaire » lundi 10 juin au soir, en vue des élections législatives du 30 juin et 7 juillet prochains. Les cinq syndicats signataires font également front commun, et ne comptent pas laisser les régressions sociales et démocratiques remporter cette bataille électorale exprès.

« Il faut un sursaut démocratique et social »

Après avoir relevé que l’abstention et l’extrême droite avaient atteint un « record lors des élections européennes », et souligné que si la tendance se retrouve « dans toute l’Europe, la France est le pays dans lequel les listes d’extrême droite font le score le plus élevé », les syndicats rappellent qu’ils alertent depuis des années sur la « crise sociale et démocratique ».

Leurs représentants dénoncent la politique de sape de droits à l’endroit des travailleurs, qui a créé le terreau propice au Rassemblement national : « Une politique qui tourne le dos au social et qui crée du déclassement, l’abandon de nos industries et de nos services publics, le passage en force contre la mobilisation historique contre la réforme des retraites, l’absence de perspectives de progrès et la banalisation des thèses racistes, constituent le terreau sur lequel l’extrême droite prospère. » Les syndicalistes plaident ensemble pour « un sursaut démocratique et social. »

Rappelant la « lourde responsabilité » que prend Emmanuel Macron d’organiser des élections législatives en trois semaines, le communiqué renvoie aux régressions sociales à l’œuvre, dans l’histoire mais aussi actuellement en Italie et en Argentine, pour mettre en garde contre une possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives.

Des régressions qui sont toujours plus délétères pour les travailleurs et les plus vulnérables : « austérité pour les salaires et les services publics, réformes constitutionnelles remettant en cause l’indépendance de la justice et le rôle des syndicats, attaques contre les droits des femmes et des personnes LGBTQIA +, remise en cause du droit à l’IVG » mais aussi des politiques racistes qui opposent les travailleurs entre eux. Les votes d’extrême droite en France ou en Europe sont « toujours défavorables aux travailleuses et aux travailleurs », martèlent les syndicats.

Une dizaine de mesures concrètes pour répondre à l’urgence sociale

Pour lutter contre ce poison brun et engendrer un réel sursaut, une dizaine de revendications sociales fortes est listée. À commencer par le renoncement immédiat à la réforme de l’assurance chômage, mais aussi à la réforme des retraites ou encore l’augmentation des salaires.

La défense des services publics est également mise en avant, comme leur accès garanti « à toutes et tous sans condition de nationalité et sur tout le territoire ». L’accent est mis, en particulier, sur le nécessaire investissement massif dans l’école, la recherche, le système de santé, de prise en charge de la dépendance, et le système de justice.

Une refonte de la démocratie sociale à tous les niveaux – entreprise, branche, territoire et interprofessionnel – est demandée, mais aussi la mise en place de mesures de justice fiscale, ainsi que l’instauration de l’égalité salariale et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Les syndicats appellent, en outre, à la « régularisation pour tous les travailleurs et travailleuses étranger·es sur la base d’un certificat de travail ».

Ils font également part de leur volonté de transformer l’industrie pour qu’elle soit plus durable, mais aussi d’engager la création de nouveaux droits pour les travailleurs « afin d’anticiper les transformations environnementales et de sécuriser leur emploi ».

Ces revendications, qui accompagnent l’appel à manifestation ce week-end, arrivent dans la foulée de mobilisations populaires. Des rassemblements spontanés ont eu lieu sur la place de la République, après l’annonce d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, dimanche 9 juin. Le lendemain, les rassemblements se sont multipliés dans plusieurs villes de France comme à Marseille, Lille, Rennes, ou Nantes à l’appel d’organisations de jeunesse et de syndicats étudiants.

Des mobilisations relayées et encouragés par la CGT avant même l’appel commun à tous les syndicats, dans un communiqué lundi 10 juin. La confédération y invite « le monde du travail à se syndiquer, à s’organiser, à participer à toutes les initiatives de mobilisation contre l’extrême droite et contre la politique d’Emmanuel Macron ».

 

 

mise en ligne le 11 juin 2024

 

Mieux que le barrage,
le Front

Pierre Jacquemain  sur www.politis.fr

Après le score historique de l’extrême droite aux européennes, l’heure est à la mobilisation. Il reste deux semaines pour expliquer le danger républicain du RN et faire émerger un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, ramenant les citoyens vers un chemin d’espoir.

À lire aussi sur www.politis.fr

Un espoir nommé Front populaire Front populaire : naissance d’un accord, renaissance de l’espoir Face à l’extrême droite, un bloc syndical et citoyen déterminé

Macron, démission ? Et si le président ne finissait pas son second mandat

Interrogeons-nous sérieusement un instant : qui aurait le plus à craindre d’un gouvernement dirigé par une probable coalition allant de Jordan Bardella à Marion Maréchal en passant par Nicolas Dupont-Aignan et François Asselineau ? Si l’on en juge les expériences politiques de nombreux pays dirigés par l’extrême droite, les femmes, les étrangers, les jeunes, les pauvres, les racisés, les militants écologistes et syndicaux, les personnes LGBTI seraient les principales victimes de cette coalition.

Comment expliquer, alors, que les ouvriers de France ont voté à 52 % pour le RN aux élections européennes – même si le RN arrive en tête désormais dans toutes les catégories socioprofessionnelles ? Comment comprendre que les jeunes sont toujours plus nombreux qu’aux élections précédentes à voter pour eux – avec + 11 % ? Ou encore que les femmes, qui ont toujours moins voté pour les partis d’extrême droite, soient aujourd’hui 32 % à leur faire confiance – c’est dix points de plus qu’en 2019 ?

TikTok, le réseau social où Bardella semble séduire une partie de la jeunesse, n’est pas une explication à la hauteur du succès. Pas plus que la sympathie de Marine Le Pen pour la famille des félidés. Les raisons sont à chercher ailleurs, et il se peut qu’elles se situent entre colère sociale et ressentiment d’une grande partie de la population qui ne considère plus la gauche et les écologistes comme porteurs d’un projet émancipateur qui réponde à ses attentes.

Modèles étrangers

Dans un excellent article de nos amis de Basta !, les régimes hongrois et polonais sont décrits comme le modèle de ce qui pourrait nous arriver en France : contrôle de la justice, de la presse et des arts par le gouvernement, attaques contre les ONG, racisme et xénophobie d’État, remises en cause des libertés et droits fondamentaux, enfermement systématique des exilés. On peut aussi aller faire un tour du côté de l’Italie pour voir comment sa nouvelle égérie, Giorgia Meloni, a supprimé les minima sociaux et expédié durablement plusieurs millions de personnes dans la misère.

Sur le même sujet : En Italie, l’extrême droite accable les pauvres

Pas franchement les amis des plus faibles, les copains de Marine Le Pen. Pas plus les amis des femmes, en ouvrant la voie aux anti-IVG dans les hôpitaux. Ou encore des homosexuels, en interdisant par exemple aux autorités locales d’enregistrer à l’état civil les enfants de couples gays et lesbiens. Les intellectuels et la culture sont pareillement dans le viseur de Meloni, qui assume mener une guerre civilisationnelle, à l’instar de Viktor Orbán ou encore Javier Milei en Argentine qui, après six mois de pouvoir, a vu la moitié de sa population plonger dans la pauvreté.

Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République.

Mais alors, se peut-il que près de 40 % des électeurs soient à ce point naïfs quant au sort qui les attend en plébiscitant celles et ceux qui légiféreront contre leurs intérêts ? Non, et le croire serait une erreur, de même que penser qu’il y aurait 40 % de xénophobes en France serait faire fausse route. La gauche et les écologistes devront s’interroger sérieusement sur leur abandon, parfois leur mépris, des classes populaires. Toute la gauche. Les partis, les syndicats, les intellectuels, les artistes, les associations.

Sur le même sujet : Front populaire : à gauche, la naissance d’un accord signe d’espoir

Mais l’heure est à la mobilisation. Il reste trois semaines pour convaincre que Bardella est un danger pour la République. Pas seulement de marteler qu’il est d’extrême droite : cela ne suffit plus. Pas plus qu’il ne suffira de « faire barrage » – même s’il faut s’y résoudre partout où cela sera nécessaire, alors que le patron des LR Éric Ciotti annonce un accord avec le RN. Car au-delà du barrage, la perspective d’un « Front populaire » large, enthousiaste, qui s’inscrit dans la durée, peut ramener les citoyens vers un chemin d’espoir. Politis y prendra toute sa part.

  mise en ligne le 10 juin 2024

Après la dissolution, le peuple de gauche appelle les partis au sursaut

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Après la sidération, place à l’action. Au lendemain du coup de tonnerre de la dissolution, annoncée par Emmanuel Macron, la mobilisation est engagée pour mettre en échec le RN. La société civile entend bien se faire entendre : personnalités du monde du travail, de la culture, syndicalistes, militants associatifs multiplient les appels à une union de la gauche.

Beaucoup appréhendaient le jour où l’extrême droite se hisserait aux portes du pouvoir. Ce moment tant redouté est arrivé. Mais après le choc du score de l’extrême droite au scrutin européen du 9 juin et la stupéfaction suscitée par Emmanuel Macron avec l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’heure est à l’action.

Alors que les formations de gauche cherchent le chemin d’un rassemblement, avec l’horizon d’un « front populaire » aux élections législatives anticipées du 30 juin, la société civile n’entend pas rester spectatrice.

C’est le sens de l’appel lancé par 350 personnalités du monde politique, intellectuel, militant et artistique, parmi lesquelles Julia Cagé, Esther Duflo, Didier Fassin, Hervé Le Tellier, Lydie Salvayre, Cyril Dion ou encore Ariane Ascaride, paru dans le Monde, le 10 juin. « Les partis politiques n’y arriveront pas seuls. Il faut que les citoyens et citoyennes s’en mêlent pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour », écrivent-ils, dans cette tribune intitulée « L’union des gauches et des écologistes, maintenant ! »

Devant le constat d’échec de la gauche, qui vient de démontrer que lorsqu’elle est désunie, elle ne pèse guère, la société civile appelle à faire bloc. « L’extrême droite arrive toujours au pouvoir quand la gauche est divisée », déclarait il y a quelques semaines Sophie Binet. L’histoire lui a malheureusement donné raison.

Dimanche soir, sur le réseau social X, la secrétaire générale de la CGT n’a d’ailleurs pas manqué de pointer la responsabilité du président de la République : « L’extrême droite atteint ce soir un niveau record. Emmanuel Macron en porte la première responsabilité et joue avec le feu en organisant des élections en moins de trois semaines. »

« Je ne veux pas avoir peur »

Comme souvent, les premiers à avoir réagi sont les jeunes, qui dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée, dimanche soir, se sont rassemblés place de la République, à Paris. Pancartes en main, certains d’entre eux ont escaladé la statue centrale pour y inscrire au feutre noir les slogans « Union des gauches » et « Union contre le capital et le fascisme ».

Pour la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), l’Unef (Union nationale des étudiants de France) et les manifestants présents, affiliés ou non à une organisation, l’objectif était le même : lancer un appel populaire exhortant les formations de gauche à se rassembler. « Si je suis venue ce soir, c’est parce que je ne veux pas avoir peur. J’ai besoin de me sentir entourée, de chanter et de crier », confie Shania, qui a voté dimanche pour la première fois.

« Les jeunes doivent continuer à se mobiliser. Cette jeunesse est en colère. Elle a honte de ce qui s’est passé ce soir », témoigne la secrétaire générale de l’Unef, Hania Hamidi, en appelant à la mobilisation dans la rue et dans les urnes pour « sortir du libéralisme et du fascisme que Macron instaure ».

Venu dire sa colère lors de ce rassemblement spontané, Paul n’a qu’un mot à la bouche : le sursaut de la gauche. « Nous avons besoin de mettre en avant nos idées communes : politiques sociales, environnementales, messages forts pour la paix. »

Les partis invités à « mettre leurs divergences de côté »

Malgré les dissonances à gauche, tous appellent, pour contrer le RN, à faire cesser les querelles entre les différents partis. Triste mais pas résigné, Fouad supplie les rivaux de gauche de « mettre leurs divergences et leur ego de côté » pour convaincre ceux qui se sont abstenus ou même qui se sont tournés vers l’extrême droite. « Les Français, notamment les jeunes, sont en perte de repères politiques. Certains se tournent vers des partis qui promettent monts et merveilles, mais qui ne tiendront pas leurs promesses une fois au pouvoir. »

Les craintes sont largement partagées. Certains sont gagnés par le doute, comme l’agriculteur Cédric Herrou, militant de la solidarité avec les migrants, qui attend de voir : « Je les jugerai en fonction de leur capacité au sacrifice pour l’intérêt commun. »

D’autres, comme le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), lancent un appel très concret : « Dans chaque circonscription, il ne doit y avoir qu’un seul candidat de notre camp, celui de ceux qui se sont opposés à la loi travail, à la réforme des retraites, à la loi asile et immigration, à la casse de l’assurance- chômage. » « Séparés, nous ouvrons la voie du pouvoir à l’extrême droite », prévient la tribune publiée dans le Monde.

Sollicité par l’Humanité, l’écrivain Laurent Binet ne dit pas autre chose : « Il revient à une gauche divisée d’essayer de sauver ce qui peut l’être encore, à savoir, pour aller vite, un État de droit qui tienne à peu près debout. (…) Cette fois, sans vouloir être trop grandiloquent, c’est vraiment l’union ou la mort. Il va donc falloir se mettre d’accord très vite. »

Depuis dimanche soir, des personnalités de tous horizons, de Greenpeace au collectif #NousToutes, s’expriment en faveur d’un front uni de la gauche pour un projet de justice féministe, sociale, antiraciste, écologiste.

Le mouvement social s’inscrit dans cet élan. « Pour battre l’extrême droite, le monde du travail a besoin d’espoir et de perspectives en rupture avec la politique d’Emmanuel Macron. Il faut répondre à l’urgence sociale et environnementale, avec des propositions fortes pour augmenter les salaires et les pensions, défendre notre industrie et nos services publics, et gagner le droit à la retraite à 60 ans », invite la CGT. La CFDT appelle elle aussi « plus que jamais à combattre l’extrême droite ». L’intersyndicale devait se réunir ce lundi soir pour décider de la marche à suivre.

« En nous serrant les coudes, nous pouvons gagner »

Pour tous, la menace de l’extrême droite au pouvoir n’est pas une fatalité. « Si les bonnes volontés parviennent à lever ces obstacles, alors rien n’empêche de transformer la crise dans laquelle le macronisme nous a plongés en opportunité », écrit avec espoir Laurent Binet, dans une allusion à février 1934 : « Les ligues fascistes défilaient dans les rues mais le fascisme n’était pas une fatalité puisque, deux ans plus tard, advenait le Front populaire. »

Chez Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac et cofondatrice du collectif Les Rosies, l’optimisme est aussi de mise : « Dans ces heures sombres, la sidération ne doit pas prendre le dessus. Car tout n’est pas perdu, loin de là : en nous serrant les coudes, nous pouvons gagner. Les forces politiques et sociales de gauche ont une responsabilité historique. »

 

 

   mise en ligne le 10 juin 2024

Législatives 2024 : la gauche discute d’une potentielle union

Emilio Meslet sur www.humanite.fr

Malgré une campagne européenne parfois houleuse, les formations progressistes entendent répondre à la demande de rassemblement venue du peuple de gauche. Les négociations ont débuté lundi 10 juin et doivent aboutir avant dimanche 16 juin.

Depuis dimanche soir, 21 heures, une question taraude les électeurs du camp progressiste. Ils sont nombreux à avoir partagé leurs inquiétudes teintées d’espoir sur les réseaux sociaux : la gauche saura-t-elle s’unir pour affronter ensemble les périlleuses législatives des 30 juin et 7 juillet ? Le temps presse, les candidats ont jusqu’au dimanche 16 juin à 18 heures pour se manifester auprès des services de l’État.

D’ici là, la Nupes n’étant qu’un souvenir, le rassemblement est à reconstruire après une campagne européenne houleuse entre les différentes listes. Mais, en quelques heures, après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le ton a drastiquement changé. Les attaques ad hominem ont laissé place aux mains tendues devant le risque de voir l’extrême droite accéder au pouvoir.

Si bien que les négociations entre les quatre principaux partis – PS, FI, les Écologistes et le PCF – ont démarré ce lundi. Avec de bonnes chances d’aboutir, selon des représentants de chaque formation, auxquelles Emmanuel Macron a tendu un piège croyant profiter de la division. Mais, avec un bloc pesant 31,6 % des suffrages et 7,8 millions de voix, si on cumule les scores des quatre listes, la gauche peut espérer concurrencer sérieusement le RN.

Bientôt la constitution d’un « Front populaire » ?

« On ne peut pas faire autre chose que l’union, assure Ian Brossat, porte-parole du PCF. Elle est une évidence devant balayer toute autre forme de considération. Sinon, l’Histoire nous jugera. » « Un seul candidat de gauche dans chaque circonscription, le 30 juin », demande donc Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste. Même son de cloche chez les socialistes et chez les Verts. « Nous sommes confiants car nous avons des habitudes de travail commun, notamment entre nos parlementaires », assure François Thiollet, secrétaire national adjoint des Écologistes.

Ces trois formations ont commencé les discussions dès le matin, sans la direction de la FI mais avec un invité : l’insoumis-frondeur François Ruffin, lequel espère porter une candidature unique de la gauche en 2027. Dimanche soir, peu après l’annonce d’un nouveau scrutin par le chef de l’État, il avait appelé à la constitution d’un « Front populaire » pour défaire les macronistes comme les libéraux : « L’union est possible avec tout le monde. Je le dis à Marine Tondelier, Fabien Roussel, Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon : est-ce qu’on veut gagner ensemble ou perdre séparés ? » « Nous travaillons à un rassemblement large, sous la bannière proposée par François Ruffin, assurait Chloé Ridel, porte-parole du PS, lundi, en milieu de journée. C’est le cadre de discussion. »

Vers 16 heures, au siège des Écologistes, la FI a officiellement été intégrée aux échanges, après que son coordinateur Manuel Bompard a également appelé à former une coalition, tout en se disant favorable à un « nouveau Front populaire ». « La situation exige de travailler à l’unité et à la clarté pour battre le Rassemblement national et gouverner le pays », a-t-il publié sur X. De là à imaginer le retour de la Nupes dans son format de 2022 ? Peu probable.

Mis à part la formation de Jean-Luc Mélenchon, personne ne souhaite reconduire la même alliance de « domination d’un groupe sur les trois autres », comme le dit André Chassaigne, président PCF du groupe GDR au Palais Bourbon. « Nous sommes dans une situation nouvelle, où il faut élargir et travailler plus sereinement en respectant les différences de chacun », plaide-t-il.

Communistes, socialistes et Verts souhaitent notamment revoir le programme commun, lequel comportait plus de 600 mesures. « Il faut un nombre limité de mesures sur lesquelles faire campagne », pense l’écologiste François Thiollet, alors que la campagne ne durera que deux semaines après le dépôt des investitures.

« La Nupes n’existant plus, son programme non plus. Et nous n’avons pas le temps de bâtir un projet fouillé. Il faut avancer avec quelques mesures comme l’abrogation de la réforme des retraites, l’indexation des salaires sur l’inflation, le refus des traités de libre-échange ou la reconnaissance de l’État de Palestine », liste André Chassaigne.

Les insoumis s’accrochent aux oripeaux de la Nupes

De son côté, le PS souhaite aussi revoir nettement le rapport de force au sein de l’alliance en se basant sur son score aux européennes (13,8 %) : « Je ne m’alignerai pas sur ce que dit Jean-Luc Mélenchon ! » clame Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui n’exclut plus d’alliance avec l’ancien triple candidat à la présidentielle. Ce qui pourrait fracturer son propre parti, dont l’aile droite a toujours été contre une alliance avec la FI.

Mais, selon Chloé Ridel, une coalition est possible si elle présente « un projet renouvelé qui tient compte des élections » : « Elles ont tranché une ligne sur les questions géopolitiques, sur l’Europe, sur le soutien aux peuples opprimés sans le deux poids, deux mesures », affirme Chloé Ridel.

« Nous avons réussi à la présidentielle et fait élire 151 députés Nupes aux législatives sur un programme de rupture. Les gens voteront pour nous si nous sommes clairs », rétorque l’insoumise Aurélie Trouvé. Le résultat en progrès de la liste portée par Manon Aubry (9,8 %) donne du poids à la FI pour négocier : les insoumis ne veulent pas d’un autre projet.

Ils restent persuadés que l’union de la Nupes, qu’ils avaient proposée aux européennes, aurait évité la dissolution et permis de faire le match avec l’extrême droite. « Le programme de la Nupes était arrivé en tête au premier tour des législatives de 2022. Il faut continuer à le défendre. On ne va pas en changer tous les six mois ! » tranche un cadre. Mais, devant le risque fasciste, les lignes peuvent bouger. D’autant plus si d’autres forces font pression pour que l’union aboutisse.

Plusieurs organisations de la société civile, telles que la CGT, la Ligue des droits de l’homme ou encore #NousToutes, ont appelé à faire front. « Il faut élargir aux syndicats et aux associations. On attend qu’ils prennent leurs responsabilités en se prononçant politiquement pour faire battre le RN et mettre fin à la casse sociale et écologique du gouvernement », espère François Thiollet. Et Boris Vallaud, président du groupe PS, d’abonder : « Le rassemblement de tous les électeurs de gauche et écologistes doit s’ouvrir au-delà des partis. » Toutes les aides seront donc les bienvenues pour mettre en échec l’extrême droite dans une campagne éclair.

mise en ligne le 8 juin 2024

« Flemme » et
« sentiment de gâchis » : l’électorat de gauche
face aux européennes

Nejma Brahim, Caroline Coq-Chodorge, Mathieu Dejean, Fabien Escalona et Mathilde Goanec sur www,mediapart,fr

Face aux listes séparées, le « peuple de gauche » apparaît déboussolé. Beaucoup iront voter malgré tout pour faire grossir le total des gauches face à l’extrême droite. Mais le choix s’avère un casse-tête souvent insoluble.  

La scène se passe sur un marché de Villeurbanne (Rhône). « Vous, au moins, vous ne risquez pas de vous faire engueuler », s’entendent dire des militants qui tractent pour Génération·s, le petit parti hamoniste, qui a décidé de ne pas ajouter de la division à la division et appelle simplement à voter pour l’une des trois principales listes de gauche. « Détrompez-vous, répondent-ils, on se fait engueuler parce qu’on refuse de choisir ! »

À quelques jours du scrutin européen du 9 juin, l’électorat de gauche qui n’est pas déjà encarté a de quoi être déboussolé. Après l’avoir mobilisé sur des candidatures uniques aux législatives de 2022 – une première historique –, les quatre forces qui composaient la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) se présentent en ordre dispersé. 

Paradoxalement, la variété de l’offre ne rend pas le choix plus aisé ni plus agréable. C’est ce que racontent les citoyennes et citoyens engagé·es à gauche, côté société civile, que Mediapart a interrogé·es. « Perdus », « en colère », « déçus » et « déprimés ». Les mots qu’ils et elles utilisent témoignent d’un état d’abattement avancé. Alors que beaucoup avaient adhéré avec enthousiasme il y a deux ans à l’avènement de la Nupes, les voilà majoritairement désemparé·es. 

Entre les têtes de liste respectives de La France insoumise (Manon Aubry), des Écologistes (Marie Toussaint), du Parti socialiste-Place publique (Raphaël Glucksmann) et du Parti communiste français (Léon Deffontaines), bien souvent le choix s’avère cornélien. Et cela énerve. « Que la gauche française et européenne soit dans cet état est d’une extrême tristesse. On a l’impression que c’est le dernier tournant avant la mort », lâche Anne Gervais, médecin hépatologue et membre du Collectif inter-hôpitaux. 

Toute une partie du « peuple de gauche » mobilisé – même si notre échantillon ne prétend pas à l’exhaustivité – instruit le procès d’appareils politiques qui ont préféré défendre leurs intérêts particuliers plutôt que donner un espoir d’alternative crédible à l’extrême droite et au macronisme. « L’objectif qui m’anime, celui de l’union, a reculé de trois cases, déplore Lumir Lapray, ancienne candidate de la Nupes non encartée, qui travaille désormais pour l’ONG Avaz. J’irai tout de même voter, mais avec un gros sentiment de gâchis. Je leur en veux pour cela. »

Le poids de la question palestinienne

Esther, ancienne de la Primaire populaire (qui tentait de pousser les partis de gauche à s’unir à la présidentielle de 2022), s’érige aussi contre les « logiques boutiquières des partis » qui mènent leur barque aux dépens des électeurs et électrices de gauche inquiets de la « fascisation de la société ». « On est à trois ans d’une élection que le Rassemblement national peut gagner, et l’attitude des partis de gauche confirme à mes yeux leur déconnexion de la vie des gens », déplore-t-elle, inquiète de la participation des électeurs et électrices de gauche ordinaires alors que « même [elle] », plus politisée que la moyenne, a « la flemme de voter »

Esther se rendra pourtant dans son bureau de vote le 9 juin, probablement pour voter LFI en espérant assurer un siège à Rima Hassan, la juriste franco-palestinienne en 7e position sur la liste de Manon Aubry. « J’ai été confortée par le fait que LFI se fasse dégommer par les médias et attaquer d’un point de vue démocratique », explique-t-elle en référence aux annulations de conférences et aux convocations pour « apologie du terrorisme », qui l’ont choquée.

Le sujet de la guerre à Gaza s’est fortement invité dans le scrutin, avec pour effet de déterminer certains votes. La criminalisation dont le mouvement propalestinien a fait l’objet et l’engagement de LFI en soutien conduisent le rédacteur en chef de la revue Frustration, Nicolas Framont, à voter le 9 juin alors qu’il a pour habitude de s’abstenir aux européennes. Sur le réseau social X, celui-ci affirme : « Je ne pense pas que le Parlement européen puisse changer quoi que ce soit, mais je crois qu’il est important de soutenir les partis qui résistent au maccarthysme ambiant. » 

Même si elle est « déroutée » par la division des gauches qu’elle vit comme une « trahison » après l’espoir soulevé par l’union en 2022, la militante antiraciste Nadhéra Beletreche – ex-candidate de la Nupes issue de la société civile sur le quota des écologistes – est aussi sur cette ligne : « Les Insoumis ont le positionnement le plus clair et constant sur les violences policières, la Palestine, les questions décoloniales, et ils ont eu cette capacité à aller chercher Rima Hassan : c’est important », explique-t-elle. 

Mais les sujets internationaux peuvent être invoqués dans un autre sens. « Plutôt proche des positions de [l’Insoumis] François Ruffin », la médecin Anne Gervais préfère se tourner vers des partis davantage favorables à l’intégration européenne pour ce scrutin. « Face à la Chine, aux États-Unis, à la Russie, on a besoin d’une Europe forte, explique-t-elle. J’aime bien le discours de Raphaël Glucksmann, mais je regarde aussi le positionnement des groupes, et les socialistes européens sont en cogestion avec les centristes. Je vais donc me tourner vers les écologistes, dont les propositions et les votes me paraissent plus pertinents. »

De la pitié pour les Écologistes

Si elle n’est pas la seule à choisir cette option, beaucoup de nos interlocuteurs et interlocutrices mettent en avant la campagne poussive des Écologistes et la crainte que leur liste ne passe pas la barre des 5 % de suffrages exprimés, nécessaire pour envoyer des élu·es au Parlement européen. « Les écolos font du bon taf au niveau européen, juge un activiste, mais franchement, c’est le “vote miskin” [terme exprimant une pitié mêlée de compassion – ndlr]. Je ne comprends pas leur campagne, ils font de la peine. » 

« Je vais voter Toussaint car elle est compétente, mais sa campagne est à chier, lâche une universitaire engagée à gauche, qui préfère garder l’anonymat. Les écolos ne jouent pas de l’argument des 5 %, car c’est l’argument de la loose, mais ils devraient le faire. Ils souffrent du fait que le vote Glucksmann apparaît comme le vote utile pour faire se croiser les courbes. Mais ajouter cinq ou six députés est un vote utile aussi. »

Esther explique son hésitation à ce propos : « L’écologie doit être centrale dans nos combats. D’un point de vue symbolique, si les Verts font un très mauvais score, le message est terrible. » Contributeur régulier au Club de Mediapart, Arthur Porto se dit motivé par l’écologie comme « question principale pour notre devenir commun », mais ne perçoit pas encore « l’élan qui [lui] semble nécessaire » dans la liste de Marie Toussaint. Pas convaincu non plus par les campagnes de LFI et du PS, il reste à ce stade dans l’expectative. 

Même « manque d’enthousiasme » chez Lumir Lapray, qui estime que chaque liste a « des trucs à la fois intéressants et problématiques ». Saluant l’engagement social de LFI et des positions « courageuses » sur la Palestine, elle regrette nombre d’expressions de Jean-Luc Mélenchon et l’agressivité envers Raphaël Glucksmann. Concernant ce dernier, elle se sent « alignée sur les sujets européens » et trouve « chouette » que sa dynamique menace la liste macroniste, mais craint les répercussions de son éventuel succès.

« Si c’est pour permettre le retour du PS anti-Nupes, je ne veux pas donner ma voix à ça », explicite l’ex-candidate aux législatives. « Si Glucksmann arrive trop haut, on aura un problème, abonde notre universitaire anonyme. Le Nouvel Obs fera une couverture identique à celle qu’il avait faite pour Jadot en 2019 [qualifié de “géant vert” – ndlr] et ça fera beaucoup de mal à l’union pour 2027. »

Des choix qui s’annoncent tardifs 

Dans ce champ d’inconnues, certaines des personnes interrogées tentent de transformer en critères de choix les questions qui fondent leur engagement actuel. C’est le cas de Marie-Christine Vergiat, ancienne eurodéputée communiste, aujourd’hui vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et membre du réseau EuroMed Droits, qui lutte pour la défense des exilé·es en France et ailleurs dans le monde. En l’espèce, elle constate la rareté des prises de position sur le sujet dans la campagne des communistes. 

« LFI et les Verts disent sensiblement la même chose : la régularisation pour tous, des voies sûres et légales de migration, un statut de réfugié climatique, et une dénonciation du rôle de Frontex, analyse-t-elle. Mais à choisir, je trouve que les Verts vont plus loin. Ils ont un attachement à des visions concrètes. » 

« Les socialistes sont pour un accueil digne des personnes, mais disent tout de suite que celui-ci ne doit pas être inconditionnel », ajoute Marie-Christine Vergiat, en regrettant aussi, chez les Insoumis, l’insistance sur « les causes profondes des migrations » : « Cela laisse entendre que ce sont les problématiques liées au développement qui poussent les personnes à migrer, or c’est complètement faux. »

L’enjeu de la santé conforte Anne Gervais dans son tropisme envers des listes ouvertement pro-européennes. « Le sujet du médicament ne peut être traité qu’à l’échelle de l’UE, explique-t-elle. Ce n’est qu’à ce niveau qu’on peut produire les 150 molécules les plus importantes pour ne plus dépendre de la Chine. Face aux multinationales du médicament, la France ne peut pas non plus réguler seule les prix et lutter contre les pénuries. » 

Lus Chauveau, proche du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) et professeur des écoles dans un établissement bilingue en Bretagne, se dit « très attaché à [son] territoire ». Il ne voit pas d’un bon œil le côté « jacobin » des Insoumis ni « les thématiques “parisiennes” du programme de Raphaël Glucksmann ». Mais dans la mesure où « l’autodétermination des peuples [lui] tient à cœur », il juge « rédhibitoire » l’indice de toute complaisance envers l’agression russe de l’Ukraine, tout en recherchant une liste en défense forte d’un État palestinien. Son casse-tête n’est pas près d’être résolu… 

Beaucoup le résoudront au dernier moment. « Dans mon entourage, témoigne Esther, c’est encore tôt pour que certaines personnes se décident. Les gens ne s’y intéressent pas encore de ouf. » Lumir Lapray confirme : « Autour de moi, parmi les gens de gauche pas militants politiques, 90 % ne savent toujours pas ce qu’ils vont faire. » Et elle ? « Je suis sûre d’aller voter… et de décider dans l’isoloir. »

mise en ligne le 8 juin 2024

Européennes 2024 :
à gauche, l’ISF européen sur le haut de la pile

Lola Ruscio sur www,humanite,fr

La gauche propose d’imposer les plus grosses fortunes dans chaque pays d’Europe, pour financer l’urgence sociale et la transition écologique. Plus de 200 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires pourraient être récupérés, selon une étude.

Cette idée fait (presque) l’unanimité à gauche. Alors que les ménages voient leurs factures s’envoler, mettre à contribution les grandes fortunes au niveau européen, au moment où celles-ci affichent des revenus insolents, est devenu un impératif, selon les insoumis, les écologistes et les socialistes. Ces derniers veulent créer un impôt sur la fortune (ISF) à l’échelle continentale.

Manon Aubry, cheffe de file des insoumis aux élections du 9 juin, table sur une taxe visant les « 1 à 2 % les plus fortunés ». Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes, s’appuie pour sa part sur une étude réalisée en 2023 par son groupe au Parlement européen.

Celle-ci indique qu’une taxation de 0,5 % des plus riches, au sein de chaque État européen, rapporterait 213 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, dont 65 milliards d’euros pour la France. Et Raphaël Glucksmann, qui porte la liste PS, participe à l’initiative citoyenne européenne « Tax The Rich », qui prévoit que « les contribuables dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros paient l’équivalent de 2 % de leur fortune en impôts en Europe ».

Empêcher une « concurrence fiscale délétère »

Les communistes, évidemment, veulent eux aussi taxer les plus gros patrimoines. Mais ils ne souhaitent pas que l’Union européenne puisse elle-même collecter l’impôt. Frédéric Boccara, économiste et candidat sur la liste PCF menée par Léon Deffontaines, voit dans la création d’un ISF européen une « fuite en avant vers le fédéralisme ». Il invite donc à ce que chaque pays s’entende pour se doter d’un ISF national.

Plutôt qu’une taxe continentale unique, le PCF prône une « convergence fiscale » vers le haut avec la mise en place de niveaux d’imposition plancher, dans le cadre d’une « Europe de coopération entre les peuples ». Il s’agit d’empêcher une « concurrence fiscale délétère » entre les États membres et de renouer avec le principe de subsidiarité régissant les relations au sein de l’UE. « En défendant un ISF européen, on passe à côté de certains enjeux. Il faut agir sur la Banque centrale européenne. Nous proposons de créer un fonds européen pour les services publics, qu’elle alimenterait avec sa création monétaire », plaide Frédéric Boccara.

Plus largement, toute la gauche déplore un traitement injustement différencié entre, d’un côté, une poignée d’ultraprivilégiés à qui l’on permet d’échapper à l’impôt, de l’autre, les citoyens ordinaires à qui l’on demande sans cesse des efforts supplémentaires. « Nous, ce que l’on veut montrer, c’est que l’Europe peut être un vecteur de progrès social et de justice », assure Raphaël Glucksmann.

« Les ultrariches ne sont quasiment plus taxés dans l’Union européenne », dénonce également sa colistière Aurore Lalucq, alors que, au-delà des particuliers, l’ensemble de la gauche appelle à ce que chaque pays taxe les superprofits des entreprises.

À droite, pas question de taxer les riches

Pour la droite, en revanche, il n’est pas question de renflouer les comptes en taxant le capital. À chaque fois que la question de l’ISF européen a été remise dans le débat des européennes, Valérie Hayer a refusé sa création. Ni la crise sanitaire, ni la flambée des prix, ni la montée de l’extrême droite, surfant sur les fractures sociales, ni le besoin de financer la transition climatique n’ont entamé ses certitudes.

Interrogée à ce sujet, le 21 mai, sur LCI, l’eurodéputée sortante estime que toute tentative d’harmonisation fiscale à l’échelle de l’Europe serait vouée à l’échec au motif que « les ultrariches iraient alors s’installer à Dubai ou ailleurs ». « Pour les faire rester en Europe, la taxation des ultrariches doit se faire au niveau international », assure-t-elle. Le premier problème, c’est qu’aucune étude économique ne valide les propos de la candidate sur une prétendue fuite des riches. Le deuxième, c’est que la Macronie fait tout pour éviter d’instaurer un ISF, qu’il soit national, européen ou international…

Reste à savoir que faire des recettes fiscales générées. Les très riches étant les plus gros pollueurs, Marie Toussaint souhaite les mettre à contribution avec un « ISF climatique ». « Il faut dégager des moyens publics d’investissement pour financer la transition écologiste », estime la tête de liste des Verts. Mais le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, fidèle défenseur des intérêts des milliardaires, écarte déjà toute possibilité de débat : « Un ISF vert qui toucherait 10 % des contribuables, je dis non. » Depuis le Parlement européen, la gauche devrait poursuivre le combat pour plus de justice fiscale.

mise en ligne le 7 juin 2024

Européennes 2024 :
cinq questions auxquelles
la gauche veut
apporter des réponses

Anthony Cortes sur www,humanite,fr

Pour contrer les difficultés rencontrées par les Français dans leur vie quotidienne, l’Europe peut être une solution. Illustration autour de cinq questions clés, auxquelles tentent de répondre les listes de gauche, avant le vote 9 juin.

Factures d’électricité et pouvoir d’achat

Comment faire baisser les factures d’électricité et gagner autant en pouvoir d’achat ? Cette question, beaucoup de Français se la posent. Selon une enquête de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), 26 % d’entre eux ont connu des difficultés à payer la note en 2023, contre 14 % en 2020. Et pour cause : entre 2022 et 2024, le prix de l’électricité a bondi d’un peu plus de 40 %…

Face à ce constat, plusieurs solutions sont portées par les candidats de gauche aux européennes. En premier lieu : sortir du marché européen de l’électricité pour éviter la spéculation sur ce bien essentiel. « Le marché européen de l’électricité, tel qu’il fonctionne, a fortement pénalisé la France en indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz », dénonce Léon Deffontaines, tête de liste du PCF.

Pour lui, comme pour Manon Aubry, cheffe de file FI, il est urgent de revenir à un monopole public de l’énergie et à des tarifs réglementés calculés à partir des coûts de production pour éviter l’envolée des prix. Un avis que ne partagent pas totalement socialistes et écologistes et leurs représentants respectifs, Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint, qui souhaitent plutôt une « réorientation du marché ».

Salaires et emplois

Le travail paie-t-il suffisamment ? Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFSE), qui s’est penché sur l’évolution du niveau de vie des Français entre 2019 et 2023, les revenus issus du travail, qui « augmentent moins vite que l’inflation », grèvent le pouvoir de vivre.

Pour mettre fin à cette situation, la gauche avance des pistes au niveau européen. « Nous proposons une autre politique budgétaire et monétaire, martèle le communiste Léon Deffontaines. Elle est la condition de l’augmentation des revenus des Européens et des Européennes. L’austérité a coûté cher, tant en matière d’emplois et de salaires que de dynamisme économique et technologique. »

En plus de cela, poursuit-il, « une véritable politique industrielle à l’échelle de l’Union » doit être mise en place. Une aspiration partagée par Manon Aubry, qui entend également mettre en place les conditions d’une « relocalisation de l’industrie ».

Pour créer de nouvelles opportunités d’emplois sur tout le territoire, Raphaël Glucksmann propose de « généraliser la garantie locale de l’emploi (dispositif d’emplois financés par les pouvoirs publics répondant à des besoins sociaux et environnementaux – NDLR) pour créer des millions de nouveaux emplois dans des secteurs utiles aux territoires » au niveau européen. Et les écologistes proposent de créer des emplois, notamment, en généralisant les 32 heures et la semaine de quatre jours sur le continent.

Services publics pour tous

« D’ici à 2025, il y aura 50 milliards d’euros de coupes dans les services publics, alertait il y a peu, dans nos colonnes, Sigrid Gérardin, numéro deux de la liste PCF. Il n’y a plus d’investissements et l’éducation risque d’être asphyxiée par les coupes budgétaires qui s’établissent déjà à 600 millions d’euros en 2024. » Peut-on remédier à cette situation par la voie européenne ?

« À l’échelle de l’Europe, des pôles publics associant les services publics nationaux, et permettant l’intervention des organisations syndicales européennes, pourraient constituer un cadre pour des mutualisations et des coopérations à géométrie choisie », peut-on lire dans le programme de sa liste. Les communistes entendent également « mettre en place un observatoire des services publics en Europe » impliquant des usagers, des syndicalistes et des parlementaires nationaux, pour veiller à leur maintien et à leur bon fonctionnement.

Chez la FI, Manon Aubry revendique aussi son intention de refuser « la privatisation et la mise en concurrence des services publics et les coupes dans les dépenses publiques ». Tout comme Marie Toussaint, pour les écologistes, qui veut « garantir l’accès effectif aux services publics pour tous ».

Transition écologique

Au début de l’année, la Commission européenne affichait une énième fois ses objectifs pour atteindre la neutralité carbone. À savoir : une réduction de 55 % des émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, et zéro émission nette en 2050. Comment y parvenir ?

À chaque candidat de gauche sa recette, ou presque. Pour Léon Deffontaines, il est important d’apporter des « investissements lourds » pour à la fois décarboner et relocaliser l’industrie, réaliser la rénovation thermique des bâtiments et « favoriser le couple fret ferroviaire et maritime et fluvial ». Le plan climat de son parti s’appuie sur le mix entre nucléaire et énergies renouvelables pour relever ce défi.

Les écologistes veulent inscrire dans les traités européens le respect du climat et des limites planétaires. Ils proposent aussi d’investir 260 milliards d’euros publics par an pour la transition climatique et prendre le contrôle des entreprises pétrogazières.

Pour la FI, comme d’ailleurs pour les Verts et le PCF, il est aussi urgent de « mettre fin aux accords de libre-échange » entre l’UE et le reste du monde. « Une folie en matière d’écologie », selon le programme de Manon Aubry : « Les coûts climatiques des accords de libre-échange sont bien souvent supérieurs aux soi-disant avantages économiques. » Pour limiter les échanges internationaux, Raphaël Glucksmann plaide plutôt pour la mise en place d’une loi « Achetez européen » qui réservera en priorité la commande publique aux productions du continent.

Droits et libertés

Alors que l’extrême droite gagne du terrain dans toute l’Europe et fait reculer les droits des citoyens partout où elle prend le pouvoir, l’Union a-t-elle la capacité de les garantir ? « Nous souhaitons faire aboutir le projet de directive globale et universelle de l’UE contre toutes les discriminations, pour combattre toutes les formes de racisme et de discriminations, liées aux origines, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre », défendent les insoumis.

Un projet dans la droite ligne de ce que proposent les communistes, selon qui tous les commissaires européens devraient avoir à élaborer une feuille de route sur la manière dont ils entendent réaliser les « objectifs d’égalité femmes-hommes et la défense des droits des femmes, mais aussi l’éradication de la pauvreté et de la faim ».

Deux formations qui, tout comme celles de Marie Toussaint et de Raphaël Glucksmann, prévoient d’inscrire le droit à l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux.

   mise en ligne le 7 juin 2024

Européennes : à gauche, quatre programmes pour deux philosophies

Fabien Escalna sur www,mediapart,fr

Après des candidatures uniques aux législatives, était-il pertinent de présenter au moins quatre listes de gauche ? Les programmes révèlent des approches distinctes de l’intégration européenne, mais laissent penser que des regroupements étaient possibles. 

En juin 2022, ils étaient quatre partis à avoir lié leur sort dans la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) : La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et Les Écologistes. À l’approche du scrutin des européennes du 9 juin, les mêmes se présentent en ordre dispersé, malgré les espérances en faveur de l’union. 

Les quatre listes concurrentes proposent quatre programmes différents, désormais disponibles et comparables. Ces textes reflètent des logiques de distinction visibles dans la campagne en cours mais aussi, plus profondément, des identités partisanes anciennes. En ce sens, la pluralité des listes à gauche n’est pas complètement artificielle. Néanmoins, des regroupements sur le fond auraient été possibles, permettant de minimiser le risque de « gâcher » des voix si des listes ne franchissent pas le seuil des 5 % de suffrages exprimés, indispensable pour obtenir des sièges. 

Seuls deux types de rapport à l’Union européenne (UE) émergent. Sans surprise, les communistes et les Insoumis s’avèrent plus critiques que les socialistes et les écologistes, et moins favorables à la perspective d’approfondir l’intégration dans un sens supranational. Les premiers avaient d’ailleurs fait liste commune à l’époque du Front de gauche, en 2014, et font la même référence au « non » bafoué du peuple français au traité établissant une Constitution pour l’Europe, lors du référendum de 2005. Les seconds assument explicitement de vouloir des avancées fédérales. 

En deçà de ces différences de conception de l’intégration, qui n’occupent pas le Parlement européen au quotidien, plusieurs propositions se retrouvent sur l’ensemble des listes. Leur existence est cohérente avec une homogénéité de vote assez élevée des eurodéputé·es français·es de gauche lors de la législature finissante, malgré leur appartenance à des groupes différents. C’est ce que remarquait la politiste Laura Chazel dans une note en faveur de l’union. Elle y repérait une « convergence » à l’œuvre sur toutes les questions, y compris institutionnelles, à rebours des oppositions caricaturales entre « eurosceptiques » et « proeuropéens ». 

Des orientations communes

Les quatre listes partagent par exemple plusieurs revendications concernant les droits des femmes et des minorités sexuelles. Elles défendent l’inscription du droit à la contraception et à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et la « clause de l’Européenne la plus favorisée », qui consisterait en un alignement contraignant des législations nationales sur les dispositions les mieux-disantes pour les femmes. Toutes les listes défendent également la reconnaissance des unions entre personnes de même sexe et des liens de filiation à travers toute l’UE, afin que couples et familles y circulent sans entrave. 

La critique de la politique migratoire de l’UE les réunit aussi, notamment à travers la remise en cause de Frontex, qualifiée d’« agence meurtrière » par LFI. Les quatre programmes proposent de garantir le sauvetage en mer des exilé·es et évoquent « des voies légales et sécurisées » de migration. Une position qui peut sembler classiquement humaniste, mais qui fonde une opposition au pacte récemment adopté sur la question par l’UE, et se heurtera à la demande d’un nouveau tour de vis répressif de la part de quinze États membres. 

L’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale.

Avec davantage de variations dans le détail et la radicalité des propositions, d’autres orientations communes sont repérables. Le libre-échange jusque-là pratiqué par l’UE est dénoncé, au profit d’une politique commerciale subordonnée à des objectifs écologiques, sociaux et de développement des pays tiers.

Les quatre listes se retrouvent aussi pour demander un rôle actif de la Banque centrale européenne (BCE) dans la transition écologique (à travers une sélectivité du crédit) et dans la libération des États membres de la dépendance aux marchés financiers (en prenant en charge directement une partie de leur endettement).

Toujours sur le terrain économique et social, l’ensemble de la gauche défend des projets pour davantage de justice fiscale, avec des impositions minimales ou supplémentaires des multinationales, des ménages les plus riches et des transactions financières. Tous les partis proposent aussi un changement de logique dans la politique agricole commune, pour garantir des revenus décents mais conditionner les aides, et mettre fin à leur biais en faveur des grandes exploitations. Enfin, sur le plan institutionnel, même les moins fédéralistes partagent l’exigence de plus de pouvoirs pour le Parlement européen vis-à-vis de la Commission. 

Des priorités différentes 

Cela étant dit, la rhétorique et les thèmes mis en avant par les quatre listes diffèrent assez nettement. 

Les écologistes affirment d’emblée avoir été « les seuls à dire la vérité sur la crise environnementale ». Parmi leurs « dix combats pour la justice et le vivant », les cinq premiers concernent directement des politiques d’atténuation et d’adaptation au « nouveau régime climatique ». Si la guerre en Ukraine est mise en avant pour pointer les « dépendances énergétiques » de l’UE, c’est la pandémie du covid qui est surtout mobilisée pour légitimer un projet orienté vers « la pleine santé des personnes et la pleine santé de la planète »

Favorables à un « saut fédéral » préparé par une « assemblée constituante », les écologistes espèrent carrément la mise en place d’une « armée européenne ». Le PS et Place publique se gardent bien d’aller jusque-là, mais ont choisi de dramatiser le scrutin autour de la capacité des démocraties libérales européennes à se protéger d’agressions extérieures et de leurs propres dérives internes. 

« La première priorité, c’est de donner à l’Europe les moyens de se défendre », peut-on lire dans un programme qui plaide pour une « puissance écologique européenne » – notion défendue par Raphaël Glucksmann dans une longue tribune publiée par Le Grand Continent. Tout le texte peut être lu comme une façon de conjurer une situation dans laquelle « l’Europe est consommatrice de sécurité américaine, d’énergie qatarie ou saoudienne et de biens chinois ». Comme la liste des Écologistes, celle du PS souligne que les objectifs écologiques et sociaux sont aussi une manière de reproduire la viabilité et la légitimité de nos États de droit.  

Du côté du PCF et de ses alliés rangés sous la bannière de la Gauche unie, l’ensemble du propos est centré sur les intérêts du « monde du travail ». Le conflit sur les retraites et les protestations des agriculteurs sont ainsi évoqués dès l’introduction. La liste, qui refuse la notion d’« économie de guerre », fustige à plusieurs reprises la dépendance de l’UE envers l’impérialisme des États-Unis (le seul ciblé aussi explicitement) et son « bras armé » l’Otan. « La social-démocratie et les écologistes, est-il écrit, s’engagent dans une dynamique fédéraliste et atlantiste incapable de répondre aux exigences populaires. »

Symétriquement, un coup de griffe est donné à LFI en affirmant que « ne parler que de désobéissance […] n’ouvrirait pas la moindre perspective positive ». Pourtant, la liste du PCF est celle qui va le plus loin dans cette direction en appelant « à garantir la primauté de la Constitution française, et celle des autres États membres, sur le droit européen ». La phrase fait écho à une polémique déclenchée en 2021, lorsque la Pologne gouvernée par des ultraconservateurs avait tenté de défendre ses réformes judiciaires selon ce principe. 

La perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée par le PCF et LFI.

Les Insoumis, eux, se contentent de prévenir qu’ils sont prêts à la désobéissance envers les « règles incompatibles avec [leur] programme » national. La mention, qu’ils avaient réussi à introduire dans les engagements de la Nupes aux législatives, n’est reprise ni dans le programme du PS ni dans celui des Écologistes.

Les premiers chapitres du texte insoumis sont centrés sur la sortie des politiques néolibérales. La notion de « planification écologique », déclinée à l’échelle de l’UE, reprend l’objectif des écologistes d’un « mix énergétique 100 % renouvelables en 2050 » – autrement dit sans nucléaire, au contraire des communistes et des socialistes. 

« L’Europe de la défense » est qualifiée de « miroir aux alouettes », et la perspective de votes à la majorité qualifiée, en politique étrangère et de défense, est refusée. Ce dernier point est partagé avec le PCF, contre les socialistes et les écologistes. Le programme insoumis pointe « l’alliance militaire que les États-Unis créent contre [la Chine] » et plus largement « la stratégie états-unienne d’escalade des tensions à travers le globe ».

Il évoque toujours, à propos de l’Ukraine, l’idée contestée d’une « conférence sur les frontières et la sécurité collective en Europe ». Et consacre une section entière à la situation à Gaza, signe de l’importance singulière accordée à cet enjeu en comparaison des autres listes.

De manière générale, la lecture des quatre documents confirme la difficulté de l’exercice programmatique dans le cadre des élections européennes. Cette remarque vaut pour l’ensemble des listes, mais s’applique particulièrement à gauche où la volonté de transformation des politiques publiques et de l’ordre institutionnel est la plus forte.

Les ambitions affichées sont en effet très élevées au regard de ce que permet réellement le scrutin du 9 juin, à savoir déterminer les eurodéputé·es français·es qui rejoindront une institution qui n’est qu’un des rouages – et pas le plus puissant – de la mécanique décisionnelle de l’UE. 

Beaucoup des dispositions proposées nécessitent un changement des traités, ou au moins des rapports de force impliquant les exécutifs des États membres. La faiblesse de la gauche radicale, dans ce système complexe qui déjoue ses préférences fondamentales, rend assez logique son tropisme envers la désobéissance. En décalage avec son slogan de campagne – « La force de tout changer » –, LFI est d’ailleurs assez franche sur « les premières tâches » de ses eurodéputé·es : « Bousculer les institutions, lancer l’alerte, bloquer la Commission européenne et arracher des avancées. »

De leur côté, les socialistes et les écologistes affirment crânement le « réalisme » de leurs propositions face aux risques de « chaos » liés au statu quo. Ils comptent davantage sur des relais dans les gouvernements nationaux, mais risquent eux aussi de se retrouver dans une position très défensive lors de la prochaine législature.

Face au sabotage de nombreux textes progressistes par le gouvernement d’Emmanuel Macron, toutes les forces de gauche pourront au moins se retrouver dans l’idée qu’une alternance nationale en 2027 est indispensable à leurs projets européens. Leur capacité à la susciter est cependant plus douteuse que jamais.

  mise en ligne le 1er juin 2024

Le tournant patronal du Rassemblement National,
prélude de son arrivée au pouvoir ?

William Bouchardon sur https://lvsl.fr/

Déjeuners avec les grands patrons français, positionnement géopolitique de plus en plus atlantiste, opposition au libre-échange largement adoucie… Porté par d’excellents sondages, le Rassemblement National prépare activement sa potentielle arrivée au pouvoir en se rapprochant des milieux économiques et en tournant définitivement la page de l’ère Philippot. Qu’il s’agisse de rencontres avec des figures du monde des affaires, de changements programmatiques ou de refonte des alliances avec les autres partis d’extrême-droite, le RN est toujours discret sur ces évolutions. Il sait en effet que son électorat populaire en sera la première victime.

Mais où était Jordan Bardella ? Pendant des semaines, l’ultra-favori de l’élection européenne a séché tous les débats télévisés, envoyant ses lieutenants à sa place. Certes, en acceptant les invitations, il aurait été la cible de toutes les attaques et avait donc plus à perdre qu’à gagner. Bien sûr, il a aussi fait quelques meetings et tourné des vidéos pour ses réseaux sociaux. Mais le dauphin de Marine Le Pen semble surtout s’être employé à convaincre un groupe jusqu’alors assez réticent à l’arrivée du pouvoir du RN : le patronat.

Opération séduction devant les patrons

En plus des discours officiels adressés au MEDEF, à la confédération des PME, aux mouvements des entreprises de taille intermédiaires (METI), à FranceInvest ou à Croissance Plus, le jeune prodige lepéniste et sa patronne ont multiplié les déjeuners secrets avec nombre de figures du monde des affaires français. De Pierre Gattaz, ancien président du MEDEF, à Henri Proglio, ancien PDG d’EDF et Veolia, en passant par des membres du clan Dassault, de plus en plus de personnalités du monde de l’entreprise veulent échanger avec les deux têtes du Rassemblement National. Sophie de Menthon, dirigeante du mouvement patronal Ethic, Alexandre Loubet, directeur de campagne de Jordan Bardella et Sébastien Chenu, député RN, se chargent alors de caler les rendez-vous et de réserver des restos chics et discrets.

Certes, les motivations des intéressés divergent : certains sont déçus par Macron – qui a pourtant redoublé d’efforts depuis 10 ans pour séduire ce groupe social – tandis que d’autres cherchent surtout à nouer des contacts « au cas où ». Habitués à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, les grands chefs d’entreprises ont longtemps entretenu des contacts tant avec le Parti Socialiste (PS) qu’avec la droite (UMP/Les Républicains), avant que Macron ne rassemble ces deux écuries autour de sa personne. Mais cette ère semble sur sa fin : ne pouvant se représenter, le chef de l’Etat fait face à une guerre des égos entre ses successeurs potentiels. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire… les candidats sont nombreux, mais aucun ne se détache vraiment du lot. Pour les grands patrons français, qui ont toujours vécu en grande partie de la commande publique, il serait donc hasardeux de tout miser sur le camp macroniste. Dès lors, prendre attache avec le Rassemblement National est une façon d’assurer la préservation de leurs intérêts.

De Pierre Gattaz, ancien président du MEDEF, à Henri Proglio, ancien PDG d’EDF et Veolia, en passant par des membres du clan Dassault, de plus en plus de personnalités du monde de l’entreprise veulent échanger avec les deux têtes du Rassemblement National.

Pour les séduire, le parti d’extrême-droite redouble d’efforts. Sur les salaires d’abord, le parti s’oppose résolument à leur hausse, alors qu’il prétend pourtant défendre le pouvoir d’achat des Français. Le parti s’est ainsi systématiquement opposé à la hausse du SMIC ou à l’indexation des salaires sur l’inflation et préfère promettre une hausse des salaires obtenue en baissant les cotisations sociales qui assurent pourtant le bon fonctionnement de la Sécurité sociale. Une position identique à celle du camp présidentiel. Toujours en matière de pouvoir d’achat, le groupe s’oppose aussi au blocage des prix proposé par la France insoumise et ses alliés et s’est abstenu lors du vote sur l’instauration d’un prix minimum sur les produits agricoles, demande centrale des paysans mobilisés début 2024. Citons également la ferme opposition du RN à la loi Zéro Artificialisation Nette et plus largement aux règles environnementales, dont les patrons ne cessent de se plaindre qu’elles entravent leur business. Le parti s’est aussi fait le relai à de très nombreuses reprises des demandes des lobbys, par exemple dans les domaines de la santé, du bâtiment ou de l’automobile. Enfin, bien qu’il se déclare pour le retour partiel à la retraite à 60 ans, le RN n’a jamais soutenu les mobilisations syndicales pour s’opposer à la réforme conduite par Macron. 

L’enterrement définitif de l’ère Philippot

Outre cette défense constante des intérêts des grands groupes, le camp lepéniste envoie également d’autres signaux remarqués aux patrons français. Citons en particulier la tribune de Marine Le Pen sur la dette publique dans Les Echos, quotidien économique de Bernard Arnault, dans laquelle elle reprend tous les poncifs libéraux entendus depuis des décennies. Surtout, le parti semble avoir enfin réussi à s’entourer d’un aréopage de conseillers de l’ombre aux CV bien remplis. Ce « cercle des Horaces », qui rassemble hauts-fonctionnaires, anciens conseillers ministériels et cadres de grandes entreprises, fournit aux leaders du parti des notes oscillant entre guerre de civilisation et plaidoyer du libéralisme économique. Ce cabinet secret est chapeauté par François Durvye, directeur général d’Otium Capital, le fonds d’investissement du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Edouard Stérin, un exilé fiscal en Belgique candidat au rachat de l’hebdomadaire Marianne. Durvye a notamment accueilli Marine Le Pen dans son manoir en Normandie pour préparer le débat de second tour en 2022, avec quelques conseillers clés, dont Jean-Philippe Tanguy. Issu des rangs de l’ESSEC et du parti de Nicolas Dupont-Aignan, le député RN de la Somme est l’un des plus actifs du groupe à l’Assemblée et dans les médias, en particulier sur les questions économiques.

Dès le départ de Philippot et de ses troupes, la sortie de l’euro et le référendum sur le Frexit sont abandonnés, car ils effraient les électeurs issus de la droite traditionnelle, notamment les retraités obsédés par la stabilité, dont le parti essaie de capter les votes.

Avec cette équipe de grandes fortunes et d’obsédés de la dérégulation, Marine Le Pen et Jordan Bardella sont enfin parvenus à tourner la page de l’ère Florian Philippot. Fidèle lieutenant de Marine Le Pen jusqu’en 2017, cet énarque n’avait pas seulement contribué à la fameuse « dédiabolisation » : il avait aussi lourdement pesé sur le programme du RN en l’articulant autour du souverainisme, avec une volonté explicite de dépasser le clivage gauche-droite et de réunir le camp du « non » au référendum de 2005. Jusqu’en 2017, le FN défend donc une forme de sortie de l’euro, un référendum sur le Frexit ou encore le retrait du commandement intégré de l’OTAN. Sans défendre explicitement une sortie du cadre européen et atlantiste, le parti est alors, avec la France Insoumise, très critique de ces pertes de souveraineté monétaire, militaire, économique et politique. Cet héritage est désormais très largement liquidé. Dès le départ de Philippot et de ses troupes, la sortie de l’euro et le référendum sur le Frexit sont abandonnés, car ils effraient les électeurs issus de la droite traditionnelle, notamment les retraités obsédés par la stabilité, dont le parti essaie de capter les votes.

L’opposition au libre-échange, qui a toujours été une des craintes majeures des patrons vis-à-vis du RN, notamment ceux tournés vers l’export, est elle aussi en train d’être largement adoucie. Certes, le parti est contraint à un jeu d’équilibriste sur cette question, tant elle est fondamentale pour les milieux populaires victimes de la mondialisation. Dans son programme européen, le RN plaide ainsi pour une « concurrence loyale » au sein du marché européen, sans préciser ce que recouvre cette notion, ainsi que pour la « priorité nationale » dans la commande publique, formellement interdite par les traités de l’UE. Une profonde réforme de ces derniers sera donc nécessaire pour appliquer ces promesses. Le RN ne manque certes pas d’idées sur la question, notamment un référendum pour faire à nouveau primer la Constitution française sur le droit européen et la transformation de la Commission européenne en secrétariat du Conseil, institution réunissant les chefs d’Etats. Des propositions plutôt intéressantes pour que l’Union européenne soit une véritable « Europe des nations » plutôt qu’un proto-Etat supranational, mais qui nécessitent d’avoir des soutiens dans les autres Etats pour aboutir.

Or, si le RN peut théoriquement s’appuyer sur ses alliés d’extrême-droite à travers le continent, tous ne soutiennent pas une politique protectionniste. En témoigne ainsi le fait que 60% des eurodéputés du groupe Identité et Démocratie, auquel appartient le RN, ont voté pour le récent accord de libre-échange entre l’UE et la Nouvelle-Zélande ! De même, lors du vote sur les accords avec le Chili et le Kenya fin janvier, en pleine mobilisation des agriculteurs : le RN s’est abstenu, tandis que ses partenaires étrangers approuvaient largement les deux textes. De quoi sérieusement douter des promesses protectionnistes du parti.

Sur le plan géopolitique, l’évolution du Rassemblement National est également notable. Sans doute redevable au pouvoir russe, qui lui a accordé deux prêts en 2014 pour un total de 11 millions d’euros, Marine Le Pen a longtemps défendu un rapprochement avec le Kremlin, tout comme son allié italien Matteo Salvini. Cette position se matérialise notamment par le soutien à l’annexion de la Crimée et une série de rencontres, notamment une entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine en mars 2017, juste avant l’élection présidentielle. Longtemps admiratrice du dictateur russe, Marine Le Pen a finalement été contrainte de défendre du bout des lèvres l’Ukraine depuis deux ans. Si elle a critiqué l’inefficacité des sanctions économiques contre Moscou et l’instrumentalisation du conflit à des fins politiciennes, ses propositions sur le sujet restent vagues et pleines de contradictions. Ces hésitations sont sans doute le reflet de la guerre d’influence que livre Jordan Bardella à sa patronne : le président du parti s’est, à plusieurs reprises, positionné explicitement dans le camp atlantiste et pour le maintien dans toutes les instances de l’OTAN, alors que Marine Le Pen est plus nuancée sur la question.

Recomposition de l’extrême-droite européenne

Ce tournant atlantiste et pro-européen est une forme de retour à la ligne originale du parti lorsqu’il était dirigé par Jean-Marie Le Pen. Se présentant alors comme le « Reagan français » et assumant un programme très libéral sur le plan économique, le père de Marine Le Pen était également un fervent défenseur de l’OTAN et de la construction européenne, qu’il voyait comme des remparts contre le communisme alors en place à l’Est de l’Europe. A l’époque, cette opposition frontale à la gauche permet au Front National de sortir brièvement de l’isolement politique, entre 1986 et 1988, lorsque le parti obtient ses premiers députés et apporte un soutien décisif à la droite traditionnelle pour gouverner cinq régions, qui lui offre quelques vice-présidences en échange. Excepté ce bref interlude, et malgré un affaiblissement continu depuis l’ère Sarkozy, le « cordon sanitaire » empêchant l’union des droites tient toujours de manière officielle.

Sur ce plan, l’élection européenne de 2024 pourrait marquer un tournant. L’extrême-droite progresse en effet sur tout le continent et les gouvernements reposant sur des accords entre la droite traditionnelle et l’extrême-droite se multiplient (Italie, Suède, Finlande, Croatie…). Fragilisée par plusieurs scandales, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, issue du Parti populaire européen (PPE, droite) n’exclut d’ailleurs pas de conclure une alliance avec le groupe des Conservateurs et Réformistes Européens (CRE, extrême-droite) pour se maintenir au pouvoir. Depuis plus d’un an, elle ne rate ainsi jamais une occasion d’afficher sa proximité avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni, dont le parti Fratelli d’Italia détient l’une des plus importantes délégations d’eurodéputés du groupe CRE.

Rassemblant également le parti Droit et Justice polonais (PiS), les Démocrates de Suède et le parti espagnol Vox, ce groupe se distingue de l’autre groupe d’extrême-droite au Parlement européen, dénommé Identité et Démocratie (ID), sur deux aspects : la politique étrangère et la volonté de s’allier avec la droite traditionnelle. Tandis que les partis membres du groupe CRE ont toujours affirmé leur atlantisme et leur ouverture à l’union des droites, ceux du groupe ID sont davantage pro-russes et souvent isolés par leur radicalité. On retrouve notamment dans ce second groupe le Rassemblement National et la Lega de Matteo Salvini, ainsi que l’AfD allemande. Cette dernière est de plus en plus infréquentable : après les révélations sur une réunion secrète destinée à planifier un plan de « remigration » de deux millions de personnes d’origine étrangère vivant en Allemagne, l’AfD s’est à nouveau illustrée récemment en tentant de réhabiliter une partie des SS… 

La présence remarquée de Marine Le Pen au forum « Viva 2024 » à Madrid indique sa volonté de se rapprocher de partis notoirement atlantistes comme Fratelli d’Italia ou Vox.

Face à cet allié encombrant dont les outrances desservent sa stratégie de notabilisation, le RN a décidé de quitter le groupe ID et de rejoindre les CRE après le 9 juin, tout comme la Lega et le Fidesz de Viktor Orban. Des ralliements qui ont été mis en scène lors d’un grand rassemblement à Madrid le 19 mai, où les leaders de l’extrême-droite européenne étaient rejoints par des figures latino-américaines dont le Président argentin Javier Milei et un ministre du gouvernement Nethanyahou. Intitulée « Viva 2024 », cette démonstration de force a permis de renforcer les liens autour d’un agent réactionnaire commun. La présence remarquée de Marine Le Pen sur place indique sa volonté de se rapprocher de partis notoirement atlantistes comme Fratelli d’Italia ou Vox, ce qui peut rassurer un certain pan de l’électorat jusqu’alors inquiet des accointances russes du RN.

Un électorat moins populaire mais toujours plus large

Cette stratégie de respectabilité s’est également incarnée par l’arrivée de plusieurs personnalités sur la liste européenne du Rassemblement National, notamment Fabrice Leggeri, ancien directeur de l’agence de gestion des frontières extérieures de l’UE Frontex, énarque, normalien et haut-fonctionnaire au Ministère de l’intérieur. Ce ralliement largement médiatisé a été mis en avant par le RN comme une preuve de plus de sa capacité à gouverner grâce à des profils expérimentés et donc supposés « sérieux ». Sauf que cette « expérience » pose question : Fabrice Leggeri est visé par des plaintes pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité de tortures en raison de la coopération de Frontex avec les gardes-côtes libyens, qui appartiennent pour beaucoup à des milices pratiquant le trafic d’êtres humains. Pour le sérieux, on repassera aussi : le RN demandait la suppression de Frontex, qu’il qualifiait de « supplétif des passeurs », lorsque Leggeri la dirigeait…

Malgré les énormes incohérences du RN, notamment entre les postures prétendant défendre les Français populaires face aux riches et la réalité de son programme et de ses votes, le pari semble fonctionner. En plus de conserver son socle populaire de vote contestataire, le parti d’extrême-droite attire de plus en plus de classes moyennes et de retraités. Cette dernière catégorie d’électeurs est souvent décisive : alors que les jeunes et les plus pauvres votent peu, les seniors se déplacent massivement. Un phénomène d’autant plus fort lors d’élections intermédiaires comme les européennes, où environ 50% des électeurs s’abstiennent. Avec cette progression chez les retraités, Bardella ferait donc sauter le « plafond en béton armé » qui a longtemps empêché son parti de remporter les élections. Si une victoire du RN à la prochaine présidentielle n’est pas encore acquise, sa probabilité ne fait donc que grandir.

Si le rejet viscéral du macronisme et l’argument du « le RN, on a pas encore essayé » jouent bien sûr un rôle important, résumer l’addition de votes populaires et de votes bourgeois en faveur du parti lepéniste à la seule volonté de « renverser la table » est trop simpliste. Comme l’explique le chercheur Félicien Faury, qui a interrogé nombre d’électeurs frontistes dans le Sud de la France, le parti parvient à fédérer différentes classes sociales autour d’un discours commun visant à faire porter la douleur des réformes néolibérales sur les étrangers, qui seraient aujourd’hui « assistés ». Ainsi, le parti refuse par exemple de construire plus de logements sociaux, mais entend en expulser les immigrés pour que davantage de Français en bénéficient. Au-delà du racisme, la popularité croissante de ce genre de thèses est directement corrélée à la résignation des Français : quoi que l’on fasse, les réformes libérales finissent par s’appliquer. 

Le RN parvient à fédérer différentes classes sociales autour d’un discours commun visant à faire porter la douleur des réformes néolibérales sur les étrangers, qui seraient aujourd’hui « assistés ». 

Pour convaincre les Français qu’une autre société est possible, la gauche aura donc fort à faire. Avec une telle popularité des idées défendues par Bardella et Le Pen, invoquer la peur de l’inconnu et l’histoire du parti ne fonctionne plus. Plus que jamais, il lui faut pointer les contradictions du RN et son agenda anti-social afin de démontrer quels intérêts l’extrême-droite défendra réellement si elle parvient au pouvoir. Mais pour cela, encore faut-il que la « gauche » en question soit crédible. Les trahisons et attaques anti-sociales des parangons de la « mondialisation heureuse », du « rêve européen » et autres sociaux-démocrates rêvant de renouer avec le hollandisme sont en effet les premières raisons de l’essor initial du RN.

   mise en ligne le 28 mai 2024

Européennes 2024 : « Monsieur Bardella,
vous êtes un faussaire
de la question sociale 
»

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Huit des principales têtes de liste aux élections européennes ont débattu lundi 27 mai au soir sur BFMTV. Le candidat du Rassemblement national Jordan Bardella a tenté de se présenter en défenseur des classes populaires mais a été ramené à la réalité des votes de l’extrême droite par le communiste Léon Deffontaines et l’insoumise Manon Aubry.


 

« À l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat, d’augmenter les salaires, vos députés ont voté contre », a recadré Léon Deffontaines face au candidat d'extrême droite.

À moins de deux semaines des élections européennes du 9 juin, les huit principales têtes de liste ont débattu lundi 27 mai sur BFMTV. Parmi les thèmes abordés, l’écologie, la défense européenne, l’immigration mais aussi le pouvoir d’achat. Sur ce terrain, le candidat du Rassemblement national a tenté de jouer la carte sociale face à la Macronie. Une victoire de Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, signifierait une « réforme de l’assurance-chômage, augmentation des prix du gaz, désindexation des pensions de retraite sur l’inflation, fin des moteurs thermiques à l’horizon 2035 », a-t-il notamment lancé. Mais, tout au long du débat, il a trouvé du répondant.

« Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces »

« Systématiquement, à l’Assemblée nationale, lorsqu’il y avait une opportunité d’améliorer le pouvoir d’achat des Françaises et des Français, d’augmenter les salaires, monsieur Bardella, la main dans la main avec Emmanuel Macron, vos députés ont voté contre », a rappelé la tête de liste communiste Léon Deffontaines. « La réalité, c’est que vous êtes un faussaire de la question sociale », a-t-il embrayé rappelant que, de son côté, il « souhaite que chaque Français puisse acheter un poulet fermier, mais si on veut leur permettre d’acheter un poulet fermier français, eh bien faut que les Français vivent mieux. Et donc ça pose la question de l’indexation des salaires sur l’inflation ».

Quant au niveau de vie des retraités dont fait mine de se préoccuper le candidat d’extrême droite : « Votre projet politique, c’est d’exonérer davantage de cotisations sociales. Moins de cotisations sociales, ça veut dire plus de sécurité sociale, donc plus de droit à la retraite, plus d’assurance maladie. Ça veut dire que c’est le système à l’américaine. Ce que nous ne dépensons dans les cotisations sociales, ce sera multiplié par deux ou trois », a déroulé Léon Deffontaines, face à un Jordan Bardella lançant : « Mais de quoi vous parlez ? » En l’occurrence, de la proposition du RN, défendu notamment lors de la dernière présidentielle, qui consiste à aller piocher dans le salaire brut pour augmenter le net.

Et s’adressant aux potentiels électeurs du RN : « À celles et ceux qui par désespoir de cause pensent voter contre Macron en votant Jordan Bardella : on est déjà en train d’essayer, c’est la même politique économique. Vous pensez voter pour des colombes, vous votez pour des rapaces qui vous font les poches, voilà la réalité de l’extrême droite », a lancé le candidat communiste.

« Un Emmanuel Macron de rechange »

Terrain glissant également sur le prix de l’électricité pour le patron du Rassemblement national, qui a expliqué vouloir faire « le choix de sortir des règles de tarification des prix au niveau européen [afin que] la France bénéficie d’un prix français de l’électricité » et refuser « le principe qui consiste à permettre à l’Allemagne de décider du montant de l’électricité et du montant des factures pour les familles françaises et pour nos entreprises ». Et ce, alors qu’au Parlement européen, il a « refusé de s’opposer » au marché européen de l’électricité, lui a fait remarquer la tête de liste insoumise Manon Aubry qui l’avait d’ailleurs interpellé sur le sujet.

« Vous prétendez souvent défendre les Françaises et les Français, mais la réalité monsieur Bardella c’est que quand il s’agit de voter sur l’ISF, sur l’augmentation du salaire minimum, sur la réduction des écarts de salaire au sein des entreprises, vous votez systématiquement contre, aux côtés d’ailleurs des macronistes. Avec vous, les grandes fortunes et les plus riches ont en quelque sorte trouvé un Emmanuel Macron de rechange » a-t-elle lancé, avant d’interpeller le candidat d’extrême droite : « Dites aux Françaises et aux Français ce que vous avez voté sur le marché européen de l’électricité ? » Sans succès.

Jordan Bardella a aussi tenté l’invective, en appelant « Staline » le candidat communiste : « L’héritage de mon parti en France, c’est Manouchian au Panthéon, et vous, c’est Pétain à l’île d’Yeu. À chaque fois que l’on parle des travailleurs, à chaque fois que je m’exprime, vous êtes mal à l’aise », a répliqué Léon Deffontaines.

Convention des partis d'extrême droite à Madrid : les alliés peu présentables du Rassemblement National

Renaud Dély sur www.francetvinfo.fr

À moins d'un mois des élections européennes, l'extrême-droite européenne s'est rassemblée dimanche à Madrid dans le cadre d'un meeting organisé par le parti nationaliste espagnol Vox. Sur place, Marine Le Pen, a appelé au rassemblement de l'ensemble des formations souverainistes afin de "réorienter" l'UE".

Marine Le Pen a participé, dimanche 19 mai, à Madrid à une convention de dirigeants d’extrême droite organisée par le parti espagnol Vox. Officiellement, elle voulait soigner sa stature internationale en s’affichant aux côtés de quelques dirigeants étrangers, comme le président argentin Javier Milei ou la présidente du conseil italien Giorgia Meloni qui s’est d’ailleurs contentée d’envoyer un message vidéo.  

Marine Le Pen a aussi profité de cette tribune pour s’attaquer au "duo Macron- Von der Leyen" qu’elle accuse de s’être mis au service du "séparatisme et de la submersion migratoires" en voulant "faire disparaître les frontières". Une charge qui ne l’empêche pourtant pas de ne plus vouloir sortir de l’espace Schengen, qui a instauré la libre circulation des personnes en Europe.

Deux groupes pour les formations d'extrême droite

Marine Le Pen a aussi plaidé pour l'union des partis nationalistes en Europe. Ce n'est pas gagné quand on observe les profondes divisions qui opposent les formations d’extrême droite. Au Parlement européen, elles sont divisées en deux groupes, celui des "Conservateurs et réformistes européens", dominé par Giorgia Meloni, plutôt libéral, résolument atlantiste et soutien de l’Ukraine, et l’autre, baptisé "Identité et démocratie", au sein duquel siègent les élus du RN, très étatiste, foncièrement pro-russe et séduits par Vladimir Poutine. C’est toujours une gageure de bâtir une alliance européenne de partis nationalistes qui sont, par définition, attachés à la défense de leur pré carré national. S’afficher avec ses alliés étrangers, c’est souvent assez risqué pour le RN.

 Certains de ces partis sont peu présentables et continuent de dire tout haut ce que Marine Le Pen s’interdit de susurrer tout bas au nom de la fameuse "dédiabolisation". Ainsi, le parti espagnol Vox s’applique-t-il à réhabiliter la mémoire et l’héritage du dictateur Franco. Les Allemands de l’AfD, absents dimanche à Madrid mais alliés du RN à Strasbourg, ont rencontré à l’automne des cadres néonazis pour envisager l’expulsion de plusieurs millions d’étrangers ou d’Allemands d’origine étrangère.

L’initiative avait froissé le RN. Sans oublier le président argentin, Javier Milei, qui s’attaque, comme il l’avait promis de façon drastique et brutale aux dépenses sociales de l’État. Marine Le Pen pourfend l’ultra-libéralisme à Paris mais applaudit son champion argentin de passage en Europe. "Avoir un bon copain, c’est ce qu’il y a de meilleur au monde", disait la chanson. Il y a en quand même certains que Marine Le Pen devrait éviter si elle veut faire croire que l’extrême droite a vraiment changé.

   mise en ligne le 15 avril 2024

Européennes 2024 :
la gauche débat
par meetings interposés

Cyprien Caddeo, Anthony Cortes, Florent LE DU, Diego Chauvet et Emilio Meslet sur www.humanite.fr

De jeudi soir à dimanche, les quatre principales listes de gauche ont organisé leurs grands raouts militants, avec pour objectif de marquer leur spécificité en vue du scrutin de juin.

Envoyés spéciaux à Montpellier, Nantes, Amiens et Paris

Tous le savent. Au cœur de ces élections européennes se joue une course dans la course. Une place dans la hiérarchie interne du bloc de gauche, qu’esquisseront les résultats au soir du 9 juin, avec pour enjeu le rapport de force en vue de 2027. Ce week-end, du 11 au 14 avril, il fallait donc s’éparpiller façon puzzle, aux quatre points cardinaux du pays (ou presque), pour voir les principaux candidats de gauche débattre par meetings interposés.

Presque un cliché : aux communistes le Nord industrieux, la Somme balafrée par la désindustrialisation ; aux insoumis Montpellier, dans le Midi jeune et universitaire ; aux socialistes Nantes, dans cet Ouest où la rose ne se fane pas ; aux écologistes, enfin, le 20e arrondissement de Paris, symbole de la gauche urbaine.

L’occasion pour chacun de mesurer ses forces militantes. Les socialistes revendiquent la plus forte influence : 3 000 personnes seraient venues soutenir Raphaël Glucksmann samedi, contre 1 500 pour le meeting de Léon Deffontaines (PCF) jeudi soir, 1 000 pour Manon Aubry (FI) et 300 pour Marie Toussaint (Écologistes) dimanche. Mais le scrutin ne se gagnera pas à l’applaudimètre. Aussi les différents candidats ont tout fait pour marquer leurs différences et s’adresser à différents segments de l’électorat.

Quand Léon Deffontaines cherche à mobiliser les « déçus de la gauche », pour passer le cap des 5 % nécessaires pour avoir des élus, à travers un discours axé sur la souveraineté industrielle, Raphaël Glucksmann entend plutôt unir les déçus de la Macronie, à sa droite, et ceux de la Mélenchonie, à sa gauche. Avec pour objectif de remettre la social-démocratie sur les rails du pouvoir.

Une impasse, aux yeux de ses adversaires, dont les insoumis, qui se revendiquent de « la flamme de la Nupes » et renvoient les socialistes à leur implication dans la politique libérale de l’UE. Les écologistes, eux, peinent à retrouver leur dynamique de 2019 et ont joué ce dimanche la carte de la jeunesse. Tour d’horizon d’un week-end très politique.

À Montpellier, Manon Aubry prépare « l’après-Macron »

La France insoumise a la culture de la lutte jusque dans les échanges de slogans. Le meeting de Manon Aubry au Corum de Montpellier, ce dimanche 14 avril, n’a pas encore débuté et les travées se remplissent doucement. Mais déjà, un bras de fer se joue. D’un côté, des « Palestine vivra, Palestine vaincra », scandés notamment par des militants de l’Association France Palestine Solidarité, keffiehs sur la tête ou les épaules. Et de l’autre, quelques « Union populaire », lancés par des bénévoles débordés par la vigueur des premiers.

Pourtant, la capitale de l’Hérault est connue pour être une terre insoumise : en 2022, lors de l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon y a recueilli 40,73 % des suffrages exprimés. Mais comme beaucoup ici, Clotilde, 75 ans, ex-employée de la fonction publique et militante syndicale à la CFDT, est venue « pour cette cause avant tout ». « Cette liste est la seule à être claire en défendant un État palestinien, argue-t-elle. L’actualité le nécessite ! »

Ce n’est pas un hasard si, après la cheffe de file insoumise pour les élections européennes, Rima Hassan, candidate en septième position, est l’autre star de la journée. Acclamée, la juriste engagée de longue date pour la Palestine insiste : c’est un véritable « sujet européen » parce que « l’Europe arme le régime génocidaire israélien », comme elle l’a dénoncé en appelant à un cessez-le-feu.

Ponctuant son propos de « nous sommes tous des Palestiniens », la candidate a également dressé des parallèles entre la situation en Ukraine et celle au Proche-Orient pour mieux placer la FI « dans le camp de la paix » : « Des colères peuvent jaillir les plus belles des espérances. Se battre pour les droits de chacun, c’est au fond sauver ce que nous avons en commun : notre humanité. »

Le programme de la Nupes comme point de départ

Si Manon Aubry a tenté de faire la synthèse entre les mots de Rima Hassan et ceux d’un autre candidat présent, Anthony Smith, inspecteur des finances et syndicaliste CGT, un temps à la tribune pour défendre son « idéal porteur de droits et d’émancipation sociale », l’eurodéputée s’est surtout démarquée par sa volonté de préparer « l’après-Macron ».

Non sans clin d’œil à la tête de liste du mouvement Place publique et du Parti socialiste. « J’ai vu hier, à Nantes, Jean-Marc Ayrault, et avant lui François Hollande, souhaiter le succès de Raphaël Glucksmann, a-t-elle décrit, provoquant l’hilarité de la salle. Manifestement, certains rêvent de revenir à l’avant-Macron. »

Un président de la République plusieurs fois chargé par Manuel Bompard, coordinateur national de la France insoumise, quelques minutes auparavant. Pour son « attitude belliqueuse » à l’est de l’Europe, comme pour sa politique fiscale ou son action environnementale : « Quand son gouvernement, après avoir vidé les recettes de l’État en multipliant les cadeaux aux multinationales, dit qu’il faut faire 10 milliards d’euros d’économies, c’est le budget de la transition écologique qui est fauché en premier lieu, c’est le bouc émissaire de toutes les difficultés. »

La solution ? Le programme de feu la Nupes, selon Manon Aubry, qui a brandi le document au pupitre comme un carton rouge pour l’exécutif. Un « point de départ », assume-t-elle, sur la route qui mène à 2027.

À Nantes, Raphaël Glucksmann entre Ukraine et gages de gauche

Réactiver l’image d’une « gauche de gouvernement » sans se faire taxer de nouveau Hollande ou, pire, de Macron bis. Entre la droite macroniste d’un côté et le reste de la gauche de l’autre, Raphaël Glucksmann, le PS et Place publique veulent continuer à tenir ce délicat couloir qui les place, selon les derniers sondages, en troisième position des élections européennes du 9 juin. Derrière Jordan Bardella (RN) et Valérie Hayer (Renaissance), mais loin devant Manon Aubry (FI), Marie Toussaint (les Écologistes) et Léon Deffontaines (PCF), avec 13 % d’intentions de vote.

Devant 3 000 personnes au Zénith de Nantes (Loire-Atlantique), samedi, la tête de liste sociale-démocrate a ainsi insisté sur ces marqueurs de gauche, appuyé par Olivier Faure, premier secrétaire du PS, qui a plaidé pour une « Europe puissante, qui n’est pas le cheval de Troie du néolibéralisme ».

Taxer les super-riches, les superprofits, les dividendes, le kérosène…

Raphaël Glucksmann ne renie pour autant rien sur le volet international, qui lui permet d’appuyer sa différence avec les insoumis et les communistes. À Nantes, l’eurodéputé sortant mobilise d’entrée le thème phare de sa campagne : le soutien à l’Ukraine.

Repensant à ces « jeunes Ukrainiens bravant les balles de snipers, un drapeau étoilé dans les mains » sur la place Maïdan en 2014, il insiste : « Un peuple ne se soulève pas pour une technostructure, pour des normes. Il se soulève pour une vision du monde, une conception de la dignité humaine. Nous devons être dignes de cette vision de l’Europe. »

Mais, côté gauche, Raphaël Glucksmann a dévoilé plusieurs propositions axées sur l’écologie et un « protectionnisme européen ». Il a avancé l’idée d’un « Buy European Act qui réserve en priorité les commandes publiques européennes aux productions européennes dans tous les secteurs de la transition ». Un des axes de la « révolution écologique européenne » que ses colistiers appellent de leur vœu, alors qu’Aurore Lalucq, numéro 4 sur la liste PS-Place publique, renvoie Valérie Hayer à son « greenwashing ».

La tête de liste Renaissance est désormais la cible de Raphaël Glucksmann, qui a pour objectif affiché d’arriver non seulement en tête de la gauche, mais aussi devant la liste présidentielle : « Mme Hayer veut des règles budgétaires, nous, on veut des règles climatiques. On veut obliger les États à investir. Qui paie ? »

Le candidat du PS revendique un « budget fort » et propre à l’Union européenne basé sur la justice fiscale : taxes sur les superprofits, les grandes fortunes, les dividendes, les rachats d’actions mais aussi la spéculation financière, le kérosène… Image savoureuse : à cette proposition, le public se met à scander « taxez les riches », alors qu’au premier rang s’affichent des anciens cadres de la Hollandie, à l’instar de l’ex-premier ministre Jean-Marc Ayrault. Comme un rappel : les discours radicaux des socialistes n’engagent parfois que ceux qui y croient.

À Amiens, Léon Deffontaines, chantre du « productivisme vert »

Une heure avant le « coup d’envoi » de la campagne de Léon Deffontaines, plusieurs centaines de personnes se pressent déjà devant le centre Mégacité d’Amiens (Somme). Si la tête de liste communiste multiplie les réunions publiques et les déplacements depuis plusieurs semaines, ce 11 avril marque le premier grand meeting de la « gauche unie pour le monde du travail », avec le scrutin du 9 juin en ligne de mire. Les 1 500 participants ont afflué de plusieurs départements des Hauts-de-France.

Ils sont militants communistes, syndicalistes, simples curieux… Certains ne votent pas encore, comme Lucas, 16 ans, venu avec son père. « Je viens pour mieux connaître ce monde-là, celui de la politique », explique-t-il. Le paternel vote à gauche, mais il dit « suivre de loin la campagne ». Il y a les convaincus aussi, militants comme Christian Lahaergue, de la section du PCF de Compiègne-Noyon. « Je n’ai pas oublié ce qu’il s’est passé avec Ian Brossat », redoute-t-il en faisant allusion à une bonne campagne qui s’était terminée par un résultat décevant en 2019. « Cette fois, je ne la sens pas trop mal, veut croire Christian. La liste est pas mal, c’est une sorte d’union. Et on a un programme qui tient la route. » Le communiste se dit toutefois inquiet par la multitude de listes présentées pour le 9 juin.

Et justement, pour ce grand meeting dans la Somme, Léon Deffontaines cherche à se démarquer des autres, avec l’appui du secrétaire national Fabien Roussel. « Nous sommes la seule liste qui défend le productivisme vert, lance le dirigeant du PCF. Nous sommes des écolos-cocos. » Les communistes entendent mettre accent sur la relocalisation de l’activité industrielle pour faire baisser à la fois le chômage et la pollution à l’importation, tandis que leurs adversaires à gauche sont renvoyés au « libéralisme » (pour le PS) ou à la « décroissance » (pour les insoumis et les écologistes).

La technocratie Bruxelloise en ligne de mire

Alors que le public scande « Léon à Bruxelles », les candidates et candidats issus du monde du travail enchaînent les prises de parole. La syndicaliste CGT de Vertbaudet Manon Ovion explique s’être engagée sur la liste de la « gauche unie » pour « poursuivre le combat » mené dans son entreprise. « Qui de mieux que des travailleurs pour représenter des travailleurs ? interroge-t-elle. Nous produisons la richesse au travail, il est temps qu’on impose aux patrons de la partager. » Ouvrier retraité de l’industrie automobile, Fabien Gâche veut « mettre fin au règne de la concurrence entre les peuples en harmonisant par le haut le niveau social des travailleurs européens avec de bons salaires indexés sur l’inflation ».

« En 2005, notre victoire a été usurpée, ils nous ont piétinés, ils nous ont méprisés », rappelle aussi le candidat communiste en faisant allusion au traité de Lisbonne, qui avait imposé les termes du TCE (le traité constitutionnel européen), rejeté trois ans plus tôt. « Main dans la main, la droite et les socialistes de Glucksmann ont organisé cette fraude démocratique. »

« Les technocrates bruxellois », qui « éloignent toujours plus les peuples des institutions », en prennent aussi pour leur grade. « La gauche a déçu, constate Léon Deffontaines. Mais une nouvelle ère s’ouvre. Ensemble, nous sommes la gauche unie pour le monde du travail et nous allons reprendre la main en France et en Europe. » Dans la salle, les alliés du PCF sur la liste conduite par Léon Deffontaines applaudissent.

L’eurodéputé sortant Emmanuel Maurel, de la Gauche républicaine et socialiste, fustige à la tribune « l’austérité qui casse les services publics ». L’ex-sénatrice Marie-Noëlle Lienemann est également présente en soutien de la « gauche unie ». À l’issue du meeting, des militants se disent « regonflés ». « Il nous reste à dépasser les 5 % pour avoir des députés », en conclut Dominique, venu de Chaumont, dans l’Oise.

À Paris, Marie Toussaint agite la menace du « grand recul écologique »

Un aveu pour commencer, répété deux fois. « Notre début de campagne n’a pas rencontré d’adhésion populaire », lâche Marie Toussaint, tête de liste écologiste aux européennes, devant un parterre de 300 personnes. La faute au « backlash », alors que la Macronie et l’extrême droite ont désigné les défenseurs de l’environnement comme des « ennemis de l’intérieur », selon Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti. Alors, pour sortir la tête de l’eau dans cette « campagne difficile » qui la voit plafonner entre 6 et 7 % dans les sondages, Marie Toussaint a décidé, pour son troisième meeting, d’être plus offensive. Et de marteler les fondamentaux : « Nous allons tenir bon et aller chercher un bon score avec les dents. Parce que le climat ne peut souffrir d’attendre cinq ans de plus. »

Depuis la Bellevilloise, dans le XXe arrondissement de Paris, l’eurodéputée a d’abord voulu s’adresser à sa base militante, réunie par les Jeunes écologistes. Elle a en mémoire la campagne réussie de 2019, menée par Yannick Jadot (13,5 %) et portée par les marches pour le climat réunissant des millions de jeunes à travers l’Europe.

« Bardella ? Deux tiers de vide, un tiers de haine »

Pour espérer remonter d’ici au 9 juin, c’est eux qu’il faut convaincre. Par exemple, en rappelant qu’elle est celle qui a fait condamner l’État français pour inaction climatique grâce à l’« Affaire du siècle » : « Je suis une enfant de l’écologie de combat, celle qui ne se contente pas de pérorer dans les salons, mais qui tous les jours protège le vivant. » Avoir des élus verts change la vie, voilà le message. Car ils ont « fait éclater le Dieselgate », « mis fin à la pêche électrique en Europe » ou « obtenu l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution ».

« Il faut avoir un contre-discours face à l’extrême droite, qui essaie de séduire les jeunes », estime Annah Bikouloulou, secrétaire des Jeunes Écologistes. Conseil suivi par la cheffe : « Le programme de Bardella : deux tiers de vide, un tiers de haine. Mais ça marche… parce que des années de dépolitisation ont préparé les esprits à se soumettre aux bonimenteurs de bas étage. »

Marie Toussaint a, pour séduire la jeunesse, abattu une nouvelle carte programmatique : un revenu européen de formation. « Une bourse européenne pour tous les jeunes afin qu’ils financent leurs études, en sortant d’une logique familialiste », résume Abdoulaye Diarra, ex-syndicaliste étudiant candidat, en huitième position sur la liste.

Une façon de contrer l’envolée de Raphaël Glucksmann, tête de liste socialiste peu identifiée sur les questions sociales. « Le risque, c’est de s’endormir le 9 juin en ayant voté Raphaël Glucksmann et de se réveiller le 10 juin avec le retour de François Hollande, tacle Marie Toussaint. Avec les écologistes, au moins les choses sont claires. » Aux jeunes, elle dit « gardez espoir » car ils sont « la clé de la réussite de notre bataille » : « Face au grand recul écologique, il faut un grand combat. » Mais avant, provoquer un sursaut dans la campagne.

  mise en ligne le 6 avril 2024

Élections européennes :
pourquoi l’UE
doit être démocratisée

Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr

L’un des plus grands espaces démocratiques au monde, coconstruit entre plusieurs nations, souffre de graves tares antidémocratiques et de l’hypocrisie des pays membres. Le 9 juin, les peuples européens ont l’occasion de reprendre la main sur leur destin.

Près de 420 millions de citoyens européens vont se rendre aux urnes du 6 au 9 juin prochain pour élire leurs 720 eurodéputés. Soit le deuxième plus important scrutin démocratique au monde, derrière l’Inde. Mais, surtout, un exemple sans équivalent de coconstruction politique entre 27 nations différentes qui vont toutes se retrouver pour une élection commune, convaincues qu’elles partagent un destin lié. Derrière ce tableau flatteur, la situation est pourtant loin d’être idyllique.

Si les Français sont majoritaires à trouver l’Union européenne (UE) « utile », ils sont aussi 60 % à la juger « déconnectée ». Près de 55 % déclarent s’en « méfier ». Et seuls 53 % la considèrent suffisamment « démocratique », selon un sondage Kantar. À Bruxelles, dirigeants, élus et fonctionnaires s’entendent même autour d’une formule pour résumer la situation : on y parle de « déficit démocratique ».

Des traités adoptés sans les peuples

Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, évoquait en son temps un « despotisme bénin » pour décrire le fonctionnement des institutions européennes. Si quelques avancées ont eu lieu année après année, notamment le renforcement du rôle du Parlement européen, plusieurs exemples tiennent du scandale démocratique.

Le Ceta, traité de libre-échange entre l’UE et le Canada, a ainsi été négocié dans l’opacité et le dos des peuples, tout en étant appliqué de manière anticipée, depuis sept ans, sans même avoir été ratifié par l’ensemble des parlements nationaux. Celui de Chypre a voté contre, ce qui aurait dû faire tomber l’accord commercial, mais en l’absence de notification de ce vote par le gouvernement chypriote, l’UE ferme les yeux. En France, le Sénat a rejeté le Ceta, et l’Assemblée pourrait faire de même. Mais la tête de liste macroniste aux européennes, Valérie Hayer, affirme que même en cas de vote contre des députés, le traité « pourrait » très bien rester en vigueur.

Un flagrant déni de démocratie que les dirigeants de l’Union assument. Jean-Claude Juncker, ex-président de la Commission européenne, avait déclaré en 2015 qu’« il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Une phrase ahurissante qui résume parfaitement ce qui s’est passé avec le traité constitutionnel européen (TCE), en 2005. Les Français et les Néerlandais votent contre le texte lors d’un référendum. Avant que son contenu ne soit repris en 2007 dans le traité de Lisbonne, ratifié sans être soumis aux urnes…

Les Irlandais, de leurs côtés appelés à se prononcer lors d’un scrutin national, rejettent le traité de Lisbonne en 2008. « Qu’à cela ne tienne, ils revoteront ! » note Denis Ferré1. Les Irlandais sont en effet de nouveau convoqués aux urnes, et priés de bien voter cette fois-ci : en 2009, ils se prononcent finalement pour ce texte. « Ces épisodes où s’exprime le mépris des peuples laissent des traces », relève Denis Ferré, pour qui il y a un « grand paradoxe à prétendre vouloir corriger un déficit démocratique, tout en refusant de le faire de la manière la plus démocratique qui soit ».

Pas de démocratie sans démocratisation du pouvoir économique

Ces traités constituent de plus des « freins structurels à la démocratie dans l’UE, puisqu’ils intègrent un seul modèle économique précis, à savoir libéral », note Francis Wurtz. L’eurodéputé PCF de 1979 à 2009 pointe que « l’Europe de la coopération entre les peuples, l’Europe sociale et l’Europe des services publics s’est ici vue distancée par l’Europe des marchés et de la libre concurrence ». Et comme il n’existe aucune démocratie sans démocratisation du pouvoir économique, le PCF et sa tête de liste pour 2024, Léon Deffontaines, tout comme les insoumis, appellent aujourd’hui non seulement à modifier les traités, mais aussi à reprendre le contrôle de la Banque centrale européenne, « qui a un pouvoir énorme, qui a la main sur les finances, qui fixe les taux d’intérêt, mais qui reste en dehors de tout contrôle politique. Même les Américains encadrent davantage leur banque centrale que ne le font les Européens », relève Francis Wurtz.

Autant d’angles morts antidémocratiques qui abîment l’Union de l’intérieur. Et ce d’autant plus que cette instance supranationale a un besoin vital d’être exemplaire, les États-nations ne pouvant mettre en partage leur souveraineté que dans la plus grande transparence s’ils veulent que les peuples suivent. Ces mêmes États sont pourtant les premiers responsables de la situation actuelle. « Bruxelles, c’est nous. Ce n’est pas une entité abstraite qui surplombe le continent. L’ensemble des décisions sont prises par les États membres. Il est très rare, voire impossible, qu’un choix de la Commission se fasse sans l’aval de la France. Le traité de Lisbonne a été adopté sur décision du gouvernement français. Les directives qui suivent se font avec son accord », estime Federico Santopinto.

« L’Union souffre d’un déficit démocratique parce que les États membres le veulent. Il y a une grande hypocrisie : l’UE leur permet de faire passer des textes qu’ils n’oseraient pas défendre à l’échelle nationale. Ils disent ”Ah, c’est l’Europe”. Mais en réalité, c’est du côté des capitales européennes qu’il faut sonner pour réclamer des comptes », insiste le directeur de recherche à l’Iris. Et d’ajouter : « ce sont les États qui refusent au Parlement européen tout pouvoir fiscal et tout droit d’initiative parlementaire. Ce sont aussi les États qui refusent que la Commission soit élue par les citoyens par crainte qu’elle se légitimise à leurs yeux et prenne ainsi davantage de pouvoir ».

Dans ce jeu de dupes, l’espace de pouvoir à conquérir pour les citoyens se situe plus que jamais au Parlement européen. « Tout est rapport de force, et ce Parlement est notre porte d’entrée. Ses pouvoirs sont sous-estimés, en particulier sur le plan législatif. La Commission propose les directives, mais le Parlement peut les réécrire. Les commissaires sont proposés par les États, mais le Parlement peut les infirmer. La France a tout fait pour bloquer la directive sur les travailleurs des plateformes, et c’est la gauche européenne qui a finalement remporté cette bataille », insiste Francis Wurtz.

L’eurodéputé honoraire appelle à « relever le défi de l’Europe, parce que nous ne répondrons à aucun des grands enjeux sans commun, sans lutte coordonnée dans tous les pays de l’UE dans le respect de tous. Pour y parvenir, il faut une union des nations et des peuples souverains et associés ». Et que les citoyens se mêlent au maximum de l’UE, pour reprendre la main sur leur destin.

Historien et auteur de Les Français et l’Europe, de Schuman à Macron. Entre rêves et réalités, Eyrolles, 178 pages, 12 euros.

  mise en ligne le 2 avril 2024

Élections européennes : extrême droite, droite, gauche... qui vote quoi au Parlement européen ?

Diego Chauvet sur www.humanite.fr

Les eurodéputés français votent très différemment selon qu’ils sont de gauche ou de droite au Parlement européen. À quelques mois des prochaines élections, prévues le 9 juin, l’analyse des scrutins clés permet aussi de dévoiler un double discours, dont le RN est spécialiste.

Début mars, la cheffe de file des macronistes pour les élections européennes, Valérie Hayer, a lancé que son concurrent de la liste socialiste, Raphaël Glucksmann, votait « à 90 % » comme les eurodéputés Renaissance. « Le chiffre exact, c’est 80 %. Je vote aussi à 86 % avec Marie Toussaint et les Verts, et même à 76 % avec Manon Aubry et la France insoumise », lui a répondu le fondateur de Place publique. Mais alors, les députés européens voteraient-ils en grande partie de la même façon, quelle que soit leur appartenance politique ?

D’un point de vue statistique, on pourrait en avoir l’impression. La diversité et la masse des sujets abordés à Strasbourg expliquent cette large part de votes en commun. Mais la quantité ne fait pas la qualité. Et c’est en examinant les grands dossiers, forcément les plus clivants, que des différences très nettes apparaissent entre les différentes familles politiques.

C’est bien sûr le cas sur les traités de libre-échange. Si la droite, la Macronie et l’extrême droite se sont prétendues les défenseurs des paysans lors de leur lutte, fin janvier, l’examen de leur vote au Parlement européen révèle un double langage… Dernier exemple en date, le scrutin sur l’accord de libre-échange avec le Chili, en janvier 2024. Ce jour-là, l’élu RN Thierry Mariani ne participe pas au vote. L’eurodéputé LR Arnaud Danjean s’abstient. La macroniste Marie-Pierre Vedrenne vote pour, avec les autres élus de son groupe Renew. Les socialistes européens alliés à Raphaël Glucksmann votent également pour. Seul Emmanuel Maurel, membre du groupe La Gauche et candidat sur la liste conduite par Léon Deffontaines, s’y oppose avec les élus écologistes et insoumis.

Jordan Bardella, qui se présente en défenseur de la cause agricole, vote finalement pour la PAC

Mais où sont passées les déclamations en faveur de la « souveraineté » des agriculteurs français affichées par l’ensemble des forces politiques ? « À chaque fois, le groupe La Gauche est le seul à s’opposer » à ces traités de libre-échange, rappelle ainsi la tête de liste insoumise Manon Aubry. À gauche, elle n’est pas la seule à faire campagne sur ce clivage majeur : « Nous sommes une force politique qui conteste l’ensemble des accords de libre-échange », insiste également le communiste Léon Deffontaines dans sa campagne.

La politique agricole commune (PAC), premier budget de l’Union européenne (UE), révèle elle aussi les clivages à l’œuvre et le double langage du RN. En novembre 2021, l’eurodéputé et patron du RN, Jordan Bardella, qui ne cesse de fustiger les écologistes et « les dirigeants politiques qui se sont succédé à la tête du pays comme à la tête de l’UE » comme responsables de la crise agricole, vote finalement pour la PAC actuellement en vigueur.

Les eurodéputés Renaissance en font autant, tout comme les élus LR. Plus hypocrites encore, ils s’opposent au plafonnement des aides à 60 000 euros par exploitation : cette mesure aurait permis de redistribuer une partie du budget de la PAC vers les petites exploitations, le système actuel privilégiant les plus grandes. À l’inverse, la gauche française a voté contre la PAC, des écologistes aux insoumis, en passant par les socialistes, et bien sûr Emmanuel Maurel.

Gauche et droite françaises s’opposent également sur la réforme des règles budgétaires européennes. Les gouvernements de l’UE se sont mis d’accord, début février, sur un retour aux règles de 3 % du PIB de déficit public, et de 60 % de dette, après la pause décidée durant la crise du Covid. Une véritable cure d’austérité est donc prévue en Europe. Les annonces du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, prévoyant de nouvelles coupes budgétaires de 10 milliards d’euros en 2024, puis de 20 milliards supplémentaires en 2025 en France, découlent de cet accord. Et au Parlement européen, qui doit en discuter ce printemps, les eurodéputés de gauche français sont les seuls à s’insurger contre le retour de cette règle.

François-Xavier Bellamy contre l’application du principe de l’égalité salariale entre hommes et femmes

Même son de cloche concernant les politiques écologiques. Le mouvement Bloom a écrit un rapport sur les votes des eurodéputés. Les groupes politiques du Parlement s’y retrouvent classés en trois catégories : « les bâtisseurs » pour la gauche, les « hypocrites » au centre droit, et les « casseurs » à droite et à l’extrême droite. Les sociodémocrates y sont notés 16,6 sur 20. Les écologistes, 19,8 et les députés de La Gauche, 19. Mais c’est en regardant les notes par délégations nationales qu’apparaissent des différences au sein des groupes eux-mêmes. Les écologistes français y sont notés 19,92 sur 20, les insoumis 19,71, tandis que les socialistes français font mieux que leurs collègues européens avec une moyenne de 19,03 sur 20…

Les eurodéputés RN, eux, obtiennent la note de 3,8. Les LR, de 5,5. Et la Macronie, 14,63, soit « une note honorable », selon le coordinateur de l’étude Alessandro Manzotti, mais qui masque mal plusieurs ambiguïtés. Valérie Hayer a, par exemple, voté contre la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un fonds social pour le climat, du 8 juin 2023.

D’autres votes marquent clairement le positionnement des têtes de listes françaises. Le LR François-Xavier Bellamy a ainsi voté contre la résolution visant à renforcer l’application du principe de l’égalité de rémunération, pour un travail égal ou de valeur égale, entre hommes et femmes, le 30 mars 2023. En dépit de ses grands discours contre les régimes antidémocratiques, Raphaël Glucksmann s’est, lui, prononcé contre la résolution du 24 novembre 2022 déplorant la situation des droits de l’Homme au Qatar. Jordan Bardella, enfin, s’est abstenu lors d’une résolution visant à combattre le harcèlement sexuel dans l’Union européenne et appelant à l’évaluation de MeToo, en juin 2023. Il a également voté contre un texte rappelant les droits des femmes, adopté en novembre 2021, un an après l’interdiction de l’avortement en Pologne.

Le « détail » a donc son importance derrière les pourcentages annoncés en bloc par les uns et les autres. Et il apparaît indéniable que sur les sujets fondamentaux pour les politiques européennes, avec des retombées nationales conséquentes, les électeurs auront un vrai choix à faire, le 9 juin.

   mise en ligne le 26 mars 2024

Européennes : Ruffin engage la gauche sur le « front de la Somme »

Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr

Mobilisés en soutien aux salariés de l’usine Metex à Amiens, Manon Aubry, Léon Deffontaines et Marie Toussaint ont dénoncé d’une même voix, autour de François Ruffin, le laisser-faire de l’Europe face au dumping chinois. À l’initiative, le député picard veut mettre la question sociale au centre des européennes.

Amiens (Somme).– C’est encore une fois par la Picardie que la question sociale s’invite dans la séquence électorale – et par une usine menacée de fermeture, donc. Ce 25 mars, l’Insoumise Manon Aubry, le communiste Léon Deffontaines et l’écologiste Marie Toussaint, têtes de liste de leurs partis respectifs aux élections européennes du 9 juin, ainsi que la socialiste Chloé Ridel, candidate sur la liste Parti socialiste-Place publique, se sont retrouvé·es sur le parking de l’usine Metex, dans la zone industrielle d’Amiens-Nord (Somme).

Cette fabrique de lysine (un acide aminé essentiel pour l’alimentation animale et la production pharmaceutique) est placée en redressement judiciaire. Près de 300 emplois sont menacés. « À défaut d’avoir réussi à mettre tout le monde sur la même liste, on a mis tout le monde sur le même parking », commente Guillaume Ancelet, président du microparti Picardie debout, qui voit dans cette lutte « un cas d’école pour forcer le gouvernement à mettre ses paroles sur la réindustrialisation en actes ».

Au micro, le député de La France insoumise (LFI) François Ruffin distribue la parole devant quelques centaines de salarié·es aux gilets fluo de leurs syndicats. Habitué à couvrir la série noire des délocalisations dont son département est victime depuis des décennies (il l’a rebaptisé le « front de la Somme »), l’ancien journaliste de Fakir a préparé les esprits aux interventions politiques, qui ne sont pas toujours les bienvenues.

Depuis près d’un an, il alerte le gouvernement et pousse discrètement le dossier, en vain. « C’est notre dixième rencontre [avec les salarié·es], nous avons fait preuve d’une grande patience. Maintenant, 300 foyers se demandent comment demain ils vont remplir leur frigos : c’est de l’angoisse qui monte ! », lance-t-il. Les éventuels repreneurs ont jusqu’au 6 mai pour déposer leurs offres – deux groupes, l’un français, l’autre sud-coréen, seraient intéressés.

Le temps de la médiatisation est donc venu, selon une mécanique bien huilée dans la geste ruffiniste. François Ruffin a une longue expérience des batailles désespérées contre les fermetures d’usines, en particulier sur son territoire, les plus emblématiques étant celles de Goodyear (fermée en 2014) et de Whirlpool (fermée en 2018).

Les élections européennes peuvent offrir à la lutte des Metex une fenêtre d’opportunité. « Les oreilles des ministres, celles des partis, s’ouvrent un peu. Il faut mettre la production au cœur de cette campagne des européennes. Je ne peux pas promettre qu’on va gagner, mais je peux promettre que cette fermeture ne passera pas comme une lettre à la poste », s’engage-t-il, généreusement applaudi par des salarié·es aux mines déterminées.

La gauche unie pour défendre le travail

Sur les banderoles qui entourent l’imposante usine biotechnologique, les causes du marasme s’étalent en un slogan lapidaire : « La Chine nous tue. L’Europe cautionne ». Metex, dernière usine d’Europe à produire de la lysine, pourrait fermer à cause de l’ouverture de l’Europe au marché chinois, où le produit est deux fois moins cher, mais cinq fois plus polluant.

« On nous parle d’écologie, mais quand on vient aux actes, l’Europe laisse les produits chinois inonder notre marché, quitte à sacrifier nos emplois, déplore ainsi Samir Benyahya, délégué syndical CFDT (majoritaire dans l’usine amiénoise). Nous sommes les oubliés d’un système européen très bureaucratique. » Il fait référence aux mesures antidumping au niveau européen, qui traînent en longueur alors que la trésorerie de l’usine est à sec.

Le communiste Léon Deffontaines, Amiénois lui aussi, peut en témoigner : « C’est un département qui vit au rythme des directives européennes. Amiens a d’ailleurs souvent été le point névralgique de luttes pour l’emploi au niveau national. C’est concrètement une des grandes questions posées par ces élections européennes : la défense du tissu industriel. Cette affaire est symptomatique de l’Europe qui mène droit dans le mur en mettant les travailleurs en concurrence déloyale. »

Si l’Union européenne est aussi particulièrement pointée du doigt, c’est qu’elle a supprimé ses quotas sucriers depuis 2017 (la lysine est fabriquée à base de sucre), ce qui fait varier fortement ses cours. Questionné par François Ruffin sur les droits de douane sur la lysine, le ministre de l’industrie a répondu : « La lysine fait aujourd’hui l’objet d’un droit de douane de 6,3 % à l’importation. […] Sur demande de plusieurs États-membres, un contingent tarifaire s’est ouvert sur la lysine depuis 2020. À ce jour, ce contingent permet d’importer 300 000 tonnes de lysine par an en exemption de droits de douane. »

Face à cette machine infernale du dumping européen et extra-européen, la gauche fait front commun sous le mot de « protection », voire de « protectionnisme ». Au micro devant les salarié·es, Manon Aubry prend ainsi Emmanuel Macron aux mots : « Macron a dit que déléguer à d’autres notre capacité à produire était une folie. Oui, dépendre de la concurrence chinoise, c’est une folie environnementale, c’est une folie du point de vue industriel, et c’est une folie pour 300 salariés qu’on laisse sur le carreau. Et cette folie, ils la continuent en signant à tour de bras des accords de libre-échange ! »

En aparté, l’écologiste Marie Toussaint impute aussi la situation à « l’absence de protection de notre économie » : « Ce qui distingue la gauche et les écologistes, c’est qu’on ne veut pas se laisser dicter l’avenir par le modèle juridique du capital mondialisé. »

Le retour du protectionnisme

Que la gauche et les écologistes s’alignent globalement sur cette question – même si des divergences demeurent sur le degré de confiance dans les institutions européennes pour changer la donne – est pris comme un signe de progrès par François Ruffin. Celui-ci avait publié en 2011 un « journal intime de [s]es pulsions protectionnistes » : « C’était alors très mal vu de parler de protectionnisme. Maintenant tout le monde en convient : si on veut avoir une politique industrielle dans le pays, il faut une politique commerciale cohérente. »

En filigrane, François Ruffin instruit le procès du Parti socialiste (PS) qui, lorsqu’il gouvernait, n’a fait qu’accompagner ces effets de la mondialisation. « Mon camp s’est coupé de sa branche ouvrière. Jacques Delors a fait l’élargissement de l’Union européenne, et François Lamy l’OMC. On a eu des campagnes entières de gauche socialiste dans lesquelles on ne prononçait pas le mot “ouvrier” parce qu’il puait. Les mots ont changé, heureusement », résume le député-reporter, qui s’est imposé en 2017 sur une terre où l’extrême droite ne cesse de progresser depuis 2012, sur les ferments de la désolation laissée par la désindustrialisation.

L’inquiétude sur les bénéfices électoraux que le Rassemblement national (RN) pourrait tirer de la situation, une nouvelle fois, aux européennes du 9 juin, hante la gauche, et François Ruffin en particulier. Dans son dernier livre, Mal-travail. Le Choix des élites, François Ruffin écrit : « Le mépris du travailleur engendre la défiance du citoyen. […] Et surtout via des bulletins pour le RN. Avec une gauche qui n’incarne plus naturellement, spontanément, le “parti du travail”. »

Léon Deffontaines, qui avait fait campagne pour lui en 2017 (Ruffin avait réussi à rallier toute la gauche, hors PS, derrière lui), abonde : « La montée de l’extrême droite ici s’explique par un sentiment de déclassement, mais aussi par une déception de la gauche. Avant, la colère des ouvriers s’exprimait par un vote de gauche. Mais beaucoup de ses promesses sont restées lettre morte, et aujourd’hui beaucoup de gens pensent que c’est le RN qui défend le travail. »

Au début du rassemblement, ce 25 mars, le suppléant du député RN Jean-Philippe Tanguy (de la circonscription voisine), Philippe Théveniaud, était présent, avec la candidate du RN qui avait affronté François Ruffin, Nathalie Ribeiro-Billet.

S’ils ont été rapidement refoulés par les syndicalistes, leur présence en dit long. « On le sent : quand on sort d’Amiens, la montée de l’extrême droite est puissante, tout comme le rejet dont la gauche fait l’objet », commente Arthur Lalan, secrétaire fédéral du Parti communiste français (PCF) de la Somme. « À la campagne, les gens n’ont pas le même rapport aux institutions que dans les villes, conclut-il. François a le discours qu’ont eu les communistes pendant des années, et qui n’a pas bougé. Espérons que cela suffise. »

   mise en ligne le 2 mars 2024

IVG dans la Constitution : « Il faudra toujours lutter pour le droit d’avorter », lance Annie Ernaux

Kareen Janselme sur www.humanite.fr

Le lendemain d’un vote historique du Sénat ouvrant la voie à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, les féministes veulent s’appuyer sur cette étape positive pour étendre ce droit à toute l’Europe.

Une ovation. Quand Annie Ernaux gravit les marches de l’estrade, plus de 200 personnes se lèvent pour l’applaudir joyeusement et l’acclamer longuement, telle une rock star. La prix Nobel de littérature incarne l’une des voix précieuses qui a défendu le droit des femmes à disposer de leur corps. Elles sont jeunes et nombreuses à être venues ce soir à la table ronde organisée par la revue féministe La Déferlante pour lancer son numéro sur l’avortement. Coïncidence des agendas, ce rendez-vous a lieu au lendemain du vote du Sénat qui va permettre d’inscrire l’IVG dans la Constitution. Une première mondiale.

Aux côtés d’Annie Ernaux, sont venues débattre Sarah Durocher, présidente du planning familial, et Mounia El Kotni, anthropologue de la santé. L’amphithéâtre du tiers lieu parisien Césure est rempli à craquer. Des centaines de personnes ont dû rebrousser chemin faute de places. Dans la salle, la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, qui avait porté en 2022 une première proposition de loi et qui a ardemment défendu le projet de loi pour la révision de la Constitution est au premier rang. Sa collègue à l’Assemblée Sandrine Rousseau et la députée insoumise Mathilde Panot sont à ses côtés.

« Il aura fallu tout ce temps »

« Je me disais en arrivant ici, entame Annie Ernaux, qu’en 1964, je cherchais partout une femme qui veuille bien me mettre une sonde dans le ventre pour avorter et là (c’est) dans la Constitution ! L’IVG est un droit, enfin non une liberté garantie, et il a fallu tout ce temps. Soixante ans… » Rappelant que des femmes sont mortes jusqu’à la loi Veil en 1975 en France lors d’interruptions volontaires de grossesse illégales, expérience personnelle qu’elle-même relate dans son livre L’Évènement, l’écrivaine a prévenu que cette étape législative n’était pas une fin : « C’est le début de quelque chose de nouveau et pour lequel il va falloir encore et toujours lutter. »

Sarah Durocher s’est battue pendant deux ans pour que ce texte prenne vie. « On sait que c’est fragile. On sait qu’il faut absolument avancer sur ce droit-là, jamais stagner. L’entrée de ce droit dans la Constitution c’est vraiment ça, mais il a été un compromis de la part des associations et des parlementaires. Ce n’est pas l’écriture qu’on voulait. Mais on a gagné. 80 % des Français et des Françaises sont d’accord pour faire rentrer l’avortement dans la Constitution (…) C’est une victoire d’une société qui dit que plus jamais on ne remettra en cause ce droit-là. »

La militante est par ailleurs totalement consciente des embûches perpétuelles, des attaques régulières des antennes du planning familial, des menaces au quotidien, des sites trompeurs des anti-choix qui manipulent des jeunes femmes en détresse, de l’absence de soutien de l’État qui ne réalise jamais de campagne d’information sur le droit à l’IVG, de l’absence réelle de moyens. « Que sont des droits inscrits si on ne peut pas les mettre en pratique ? », interroge concrètement l’anthropologue Mounia El Kotni.

La Constitution française, un tremplin pour l’Europe

« L’avortement est toujours un enjeu, on le voit partout », reprend, lucide, Annie Ernaux. Depuis le vote des sénateurs et cette promesse qui se concrétise de graver ce droit dans la Constitution, Sarah Durocher confie être sollicitée de toute part pour aider d’autres pays à convaincre aussi leurs législateurs. Une campagne européenne est désormais en préparation, avec un appel à signer en ligne « stop au contrôle de nos corps ! Pour un accès sans risque et gratuit à l’avortement dans toute l’Europe ». Parce que 20 millions de femmes dans l’Union n’ont pas accès à l’avortement, la Constitution française peut désormais servir de tremplin pour permettre à chacune de choisir et décider en son nom propre.


 


 

Italie : dans les régions, Giorgia Meloni et ses alliés mettent en danger l’IVG

Luna Guttierez  sur www.politis.fr

À la tête de la majorité des régions d’Italie, la coalition de la cheffe de l’exécutif italien fait tout pour restreindre l’accès à l’avortement. Pour pallier la détérioration du service public et les procédures complexes, des associations féministes s’organisent.

Des panneaux publicitaires anti-choix montrant des images d’embryon s’affichent de plus en plus ostensiblement dans les villes italiennes : « 9 biologistes sur 10 me reconnaissent comme un être humain. Et toi ? », peut-on lire sur certains d’entre eux. Lors de sa campagne électorale de 2022, Giorgia Meloni avait mis un point d’honneur à relancer la natalité dans une Italie vieillissante.

La patronne du parti postfasciste Fratelli d’Italia, devenue présidente du Conseil des ministres, avait affirmé ne pas vouloir revenir sur la loi 194, adoptée en 1978, qui dépénalise l’avortement. Pourtant, l’arrivée au pouvoir de son camp politique dans des régions a fragilisé l’accès à l’IVG en Italie. Le discours de ses proches alliés en témoigne : « Oui, l’avortement fait malheureusement partie du droit des femmes », avait affirmé la ministre de la Famille et de la Natalité, Eugenia Roccella sur la chaîne Rai 1, le 20 janvier 2023.

Ils ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible. M. Toschi

La coalition de droite formée de Fratelli d’Italia, de La Lega Nord (le mouvement de Matteo Salvini, d’extrême droite) et de Forza Italia (Antonio Tajani, centre-droit), a conquis le territoire au fur et à mesure des élections régionales. Elle est au pouvoir dans la majorité des régions, qui sont autonomes et compétentes en matière de santé publique. « Ils ne peuvent pas supprimer la loi, alors ils rendent l’avortement impossible. Dans les régions où les fascistes sont au pouvoir, c’est encore plus compliqué pour les femmes », dénonce la gynécologue Marina Toschi.

« La plupart des régions qui sont passées sous La Lega et les fascistes ne se mettent pas à jour sur les directives nationales. Certaines régions sont restées sur un délai de sept semaines pour l’IVG médicamenteuse alors qu’un décret l’a augmenté à neuf. C’est très court, l’acte chirurgical est beaucoup plus pénible », détaille-t-elle.

Après la prise du second médicament, alors que les douleurs sont intenses, les femmes sont obligées de rester dans les services. L’hospitalisation est une dépense supplémentaire pour les elles alors qu’elle n’est pas nécessaire. « Ils rendent l’intervention la plus pénible possible », atteste Mirella Parachini, ancienne gynécologue et membre de la Fédération internationale des professionnels de l’avortement et de la contraception (Fiapac).

L’abandon de l’hôpital public

Les partis au pouvoir dans ces régions contraignent l’accès à l’IVG de diverses manières. D’abord par la faiblesse des budgets consacrés. Beaucoup de régions investissent peu dans les hôpitaux publics alors que l’avortement est autorisé uniquement dans les structures publiques ou conventionnées (partiellement publiques). De fait, l’acte n’est pas considéré comme n’importe quelle autre intervention médicale. « L’hôpital public s’effondre tandis que les établissements privés catholiques sont subventionnés. C’est injuste de partager l’argent public avec des structures privées, déjà riches et financées », atteste Marina Toschi.

La Lega, qui gouverne la région de la Lombardie, finance des planning familiaux privés catholiques. « On retrouve ces centres d’aide à la vie dans toutes les régions. Le manque de planning familial public est devenu terrible dans toute l’Italie », témoigne Marina Toschi. Sans structures indépendantes de toute idéologie, les femmes sont peu informées et ne savent pas comment avorter. « Dans ma ville, à Pérouse, on est passé de douze plannings familiaux publics à trois. La région a coupé les aides, résultat : ils ferment », souffle la gynécologue.

À Pérouse, on est passé de douze plannings familiaux publics à trois. M. Toschi

La région du Piémont, dirigée par Fratelli d’Italia, a, elle, versé un million d’euros de fonds publics à des associations pro-vie pour « soutenir les femmes enceintes ». À l’initiative du vote qui a permis le versement de cette somme, un conseiller régional de Fratelli d’Italia, Maurizio Marrone, a décidé de mettre en place des « salles d’écoute » dirigées par les anti-choix dans les hôpitaux publics. Cela pour « aider les femmes à surmonter les raisons qui pourraient les pousser à avorter ».

Les anti-choix au centre des politiques pour la famille

Ces associations sont très présentes dans les plannings familiaux et hôpitaux. En 2023, l’association Pro-vita déclare avoir fait changer d’avis 449 femmes dans le Piémont. Ces associations versent de l’argent aux femmes qui renoncent à avorter. « Ce n’est pas pour l’enfant, c’est pour empêcher l’avortement », affirme Marina Toschi. La région de Vénétie préfère aussi attribuer le budget pour la famille à des anti-choix plutôt qu’en faveur de politiques de soutien aux familles.

Un amendement à la loi 194 propose d’obliger les femmes à écouter le cœur de l’embryon avant d’avorter.

Le gouvernement « ne fait rien pour contenir l’anti-avortisme alors que la radicalisation de ses groupes augmente avec le soutien international de ses sympathisants », dénonce Giorgia Alazraki, sage-femme et vice-présidente à l’association italienne des non-objecteurs de conscience (Laiga). Elle confie que ces groupes ont organisé un marathon de 40 jours pour « prier contre l’avortement » devant l’hôpital de Modène.

Ils ont porté une proposition d’initiative populaire de 106 000 signatures qui a été examinée par les députés ce lundi 26 février, dans laquelle un amendement à la loi 194 propose d’obliger les femmes à écouter le cœur de l’embryon avant d’avorter. Un procédé que l’allié hongrois de Meloni, Viktor Orbán, a déjà mis en œuvre pour dissuader les femmes – allant même jusqu’à faire inscrire dans la Constitution la protection du fœtus.

Mentalité conservatrice

En Italie, les procédures sont longues et compliquées. Il faut d’abord détenir un certificat d’avortement d’un médecin. Difficile à trouver car « 63,4 % sont des objecteurs de conscience », selon Giorgia Alazraki. Puis, un délai de réflexion d’une semaine est ensuite imposé. Ensuite, la femme doit trouver l’hôpital et le gynécologue qui accepte de pratiquer l’IVG. « Sur 560 hôpitaux qui ont la possibilité d’avoir le service d’IVG disponible, 335 seulement, le pratiquent. L’objection de conscience est prônée aussi par les infirmières et les anesthésistes alors qu’ils ne provoquent pas l’IVG », détaille la sage-femme. Selon elle, l’État devrait faire en sorte que chaque hôpital dispose d’une équipe de non-objecteurs dans le service pour assurer le droit à l’IVG.

Sur 560 hôpitaux qui ont la possibilité d’avoir le service d’IVG disponible, 335 seulement, le pratiquent. G. Alazraki

L’avortement n’est pas enseigné dans les écoles de médecine : « Ça ne sert à rien puisque dans beaucoup d’hôpitaux, il n’y a pas de service IVG », explique Marina Toschi. En moyenne dans les établissements la pratiquant, deux gynécologues sur dix acceptent l’intervention, mais ils ne sont pas toujours disponibles. Les autres, objecteurs de conscience, ne veulent pas se cantonner à cette seule activité, « cela ne rapporte pas beaucoup d’argent. Les femmes sont obligées de traverser plusieurs régions avant de trouver un centre qui s’occupe d’elles », affirme la gynécologue.

L’obsession de la natalité, un danger pour les femmes

Certaines se rendent à l’étranger, mais beaucoup n’ont pas les moyens. Dans la société italienne encore très influencée par le catholicisme, se faire avorter est perçu comme une honte. « Quand je croise des patientes dans la rue, elles font comme si elles ne me connaissaient pas », détaille Marina Toschi. Ce silence met en danger les femmes, beaucoup sont obligées d’avorter illégalement à cause des procédures trop complexes, du manque d’information et de planning familial. Elles achètent clandestinement des pilules abortives et ne sont ni conseillées ni accompagnées. « Des patientes les avaient mis dans leur vagin au lieu de les prendre par voie orale. Quand des douleurs se déclarent, si elles vont à l’hôpital, elles peuvent avoir des amendes de 10 000 euros. »

« Meloni parle de la promotion de natalité avec des primes pour soutenir les nouvelles mères. Elle donne des miettes, ça ne suffit pas. Ça démontre l’incapacité à bien gérer la question », affirme Mirella Parachini. Elle explique que c’est en investissant dans le service public, dans les plannings familiaux pour le suivi de grossesse et dans les crèches gratuites que les femmes auront envie d’avoir des enfants. « Si on veut que les femmes fassent des enfants, il faut les soutenir. En Italie, le droit du sol n’existe pas alors qu’il pourrait augmenter la natalité, mais avant tout, Meloni désire préserver ‘la race pure italienne’ », explique Marina Toschi.

Initiatives citoyennes

Plusieurs associations féministes comme Laiga, Non Una di Meno et l’association Luca Coscioni s’engagent au quotidien pour améliorer les conditions d’accès à l’avortement. Campagnes d’information et de sensibilisation, hot lines, manifestations, conférences à l’ONU, sites internet, accompagnements, fonds pour les plannings familiaux : les bénévoles sont mobilisés sur tous les fronts. Sur le site de Laiga, une carte répertorie toutes les informations sur les structures où les femmes peuvent avorter : « il a fallu appeler tous les hôpitaux d’Italie », témoigne Giorgia Alazraki.

Comme les universités n’enseignent pas l’avortement, nous le faisons, c’est fondamental. M. Parachini

Des réseaux de solidarité importants se sont créés entre gynécologues et militants. Les femmes sont accompagnées et orientées dans leur démarche à travers un large maillage territorial de médecins et hôpitaux ouverts à la pratique. Giorgia s’est occupée d’une jeune fille de 13 ans qui a découvert sa grossesse au bout de 20 semaines. « Il nous restait trois semaines. C’était court mais nous avons pu trouver une solution. » Mirella Parachini organise avec l’Association Luca Coscioni des formations à l’IVG pour les médecins. « Comme les universités n’enseignent pas l’avortement, nous le faisons, c’est fondamental », explique-t-elle.

Pour rendre l’avortement possible, Giorgia Alazraki demande un site clair et institutionnel du ministère expliquant les procédures et les réseaux de support : « Cela pourrait aider le ministère à voir qu’il n’y a pas de structures. » Diversifier la pratique de l’IVG à d’autres professionnels comme les sages-femmes ou les médecins de famille réduirait l’attente : « plus on engage de personnels, plus il sera simple de trouver rapidement le lieu où avorter », conclut Giorgia.

Changer la loi 194 et la rendre effective

« La loi, c’est un beau papier écrit, mais son application n’est pas effective », explique Marina Toschi. Même si l’objection de conscience est légale, l’hôpital ou le médecin doit garantir l’exécution de l’intervention. « La loi oblige à orienter la patiente vers une structure qui organise l’IVG. Ce n’est pas appliqué, ils disent simplement qu’ils ne le font pas et l’État ne procède à aucun contrôle », explique Mirella Parachini.

L’organisation des régions ne permet pas l’accès simple à l’avortement mais les mentalités des gynécologues évoluent : « Les jeunes médecins sont plus investis dans le combat pour le droit des femmes à disposer de leurs corps », affirme Mirella Parachini. La loi 194 comporte son lot de confusion juridique : « Il est inscrit qu’une femme peut avorter en invoquant des raisons de santé mentales ou physiques. L’argument du libre choix n’est même pas inscrit », détaille-t-elle. Avec son association Luca Coscioni, elle souhaite modifier en profondeur le texte pour inclure de nouvelles notions qui permettrait un réel accès à l’IVG.

En France, les détracteurs de la constitutionnalisation de l’IVG arguent qu’aucune menace ne plane sur ce droit, issu de la loi Veil de 1974. Pourtant, partout en Europe les mouvements conservateurs montent en puissance. Et le cas italien résonne plus que jamais ici, alors que l’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution doit être votée lundi 4 mars au Congrès, réunissant le Parlement à Versailles.

  mise en ligne le 29 février 2024

Marine Le Pen en phase
avec le patronat français

Romaric Godin sur www.mediapart.fr

L’ancienne cheffe du Rassemblement national publie une tribune dans « Les Échos » pour paraître crédible sur le plan budgétaire. Les signes d’une évolution inquiétante du capitalisme français.

La « normalisation » de Marine Le Pen atteint les rives du capital. Jeudi 29 février, l’ancienne candidate du Rassemblement national (RN) a eu les honneurs des pages opinions du seul quotidien économique de France, Les Échos, propriété du groupe de luxe LVMH. Elle publie donc en page 13 de l’édition papier un « point de vue » titré : « Face au mur de la dette, l’urgence d’une stratégie nationale ». Avec un appel de une.

Le texte de Marine Le Pen répond à ce qui a été longtemps présenté comme la faiblesse de son parti : la « crédibilité » économique. Cette crédibilité n’est pas une bénédiction métaphysique – les échecs patents et répétés de la science économique orthodoxe auraient, dans ce cas, placé des cohortes d’économistes sur les listes de France Travail –, elle est le produit de forces sociales dominantes validant ou ne validant pas certaines propositions.

Dans ce cadre, il convient de ne pas sous-estimer la portée de la publication de ce petit texte. Sa diffusion même dans un journal dirigé par l’homme le plus riche de France, Bernard Arnault, vaut bénédiction. Mais cette onction va évidemment de pair avec le contenu proposé par la dirigeante d’extrême droite.

Cette dernière agite en effet la panique d’une crise de la dette publique en s’appuyant, bien sûr, sur les chiffres habituels, le ratio de la dette brute sur le PIB, le montant nominal de la dette, la comparaison du montant des intérêts versés aux budgets des ministères, mais aussi en reprenant à son compte les critiques du président de la Cour des comptes Pierre Moscovici.

Quête de crédibilité

« Cette dérive des finances publiques constitue un péril pour la souveraineté nationale dans un contexte de taux d’intérêt durablement durables », martèle la députée. On croirait entendre Édouard Philippe (Horizons) qui, précisément, trois jours auparavant, dans les colonnes du quotidien libertarien L’Opinion, déclarait, que la dette publique « [devait] être une obsession politique, parce que lorsqu’on la laisse filer on perd progressivement sa souveraineté ».

On saisit donc sans peine la quête de respectabilité qu’engage ici Marine Le Pen qui, dans la première partie de son texte, reprend des arguments qui ne seront pas étrangers aux lecteurs réguliers des Échos. Ainsi, un éditorial du 18 janvier mettait en garde contre la « montagne de dettes » de l’État en s’appuyant sur la même mise en garde de Pierre Moscovici.

Marine Le Pen se présente comme une alternative non pas au système économique dominant, mais dans le système économique dominant.

L’expression « mur de la dette » elle-même est présente dans le titre d’une opinion rédigée le 21 juin 2022 par Agnès Verdier-Molinié, la directrice de l’institut Ifrap, prophétesse préférée des médias généralistes pour annoncer l’effondrement du pays sous le poids de sa dette publique.

Marine Le Pen adopte ainsi sans difficulté la critique libertarienne du macronisme, jugé trop dépensier, et qui, jusqu’ici, semblait être surtout l’apanage d’Édouard Philippe et du parti Les Républicains. Elle fustige l’objectif, qui suppose pourtant une austérité sévère, de ne ramener le déficit à 3 % « qu’en 2027 ». « Tant pis pour l’avenir », estime-t-elle.

Ce qui est intéressant, c’est que cette critique est une critique interne au néolibéralisme. Et c’est précisément où Marine Le Pen voulait en arriver : se présenter comme une alternative non pas au système économique dominant, mais dans le système économique dominant.

La reprise des vieilles rengaines

Marine Le Pen a beau jeu de proposer une « stratégie ordonnée de redressement budgétaire » qui flatte les réflexes des classes dominantes du pays. Les propositions qui suivent dans cette tribune visent ainsi principalement à rétablir l’équilibre budgétaire par la réduction rapide des dépenses.

La méthode proposée reprend aussi les propositions habituelles des politiques adeptes de l’austérité depuis des décennies en France. La suppression des « agences, autorités ou commissions » est un passage obligé de la démagogie budgétaire visant à faire croire à une « gabegie » de l’État français, alors même que les dépenses de fonctionnement de ce dernier sont dans la moyenne européenne.

Marine Le Pen ne montre aucune volonté de rétablir l’équilibre budgétaire par une imposition plus juste.

Marine Le Pen, ici, se place dans les pas de Jean-Pierre Raffarin, de Nicolas Sarkozy et même encore récemment de Gabriel Attal, qui, tous, ont annoncé leur volonté d’en finir avec les « comités Théodule », lesquels ne sauraient être à l’origine de la situation dégradée des finances publiques.

Dans la même veine, Marine Le Pen annonce la lutte contre la « fraude fiscale et sociale », sans réellement entrer dans le détail. Or, là aussi, depuis longtemps, tous les gouvernements ont annoncé une politique sérieuse de lutte contre la fraude, à commencer par celui de Jean Castex, dont le ministre des comptes publics Gabriel Attal avait lancé un grand plan dans le même esprit, comme, avant lui, Gérald Darmanin.

Tout cela a fait chou blanc, non sans raison : la fraude fiscale n’est qu’une part de l’optimisation fiscale, bien légale, elle. Le problème réside aussi dans les montagnes de baisses de cotisations et d’impôts qui bénéficient aux entreprises depuis maintenant plus de trois décennies. Mais Marine Le Pen ne montre aucune volonté de rétablir l’équilibre budgétaire par une imposition plus juste. Ce sujet est d’ailleurs totalement absent de son texte.

Bien au contraire, l’ancienne présidente du RN propose « la recréation d’une économie de production enracinée, entièrement tournée vers la création de valeur ». Un turbo-capitalisme national qui s’appuiera sur de nouveaux soutiens au capital identifié comme français, notamment par la « fin des normes sclérosantes », le « refus de la concurrence internationale déloyale » et « la mise en œuvre de la préférence nationale pour les entreprises françaises ».

Bref, un État protecteur, au service des capitalistes locaux. Un libertarianisme à l’intérieur, soutenu à l’extérieur par le protectionnisme. Une vision qui n’est pas étrangère à certaines formes de néolibéralisme comme l’ordolibéralisme allemand. Et là encore, ce n’est pas un hasard tant cette pensée allemande fascine une grande partie du capitalisme français, qui a passé les trois dernières décennies à se comparer au « modèle allemand ».

Au reste, cette idée n’est pas si étrangère au macronisme lui-même qui, depuis la crise sanitaire, ne cesse de parler de souveraineté et agite même l’idée d’une forme de protectionnisme européen. Or c’est le seul possible dans le cadre de l’UE, qui a compétence dans ce domaine – rappelons que le Frexit n’est plus dans le programme du RN.

La répression sociale et ethnique comme politique budgétaire

Pour financer cet État nounou du capital, il faudra sabrer dans les dépenses sociales. C’est ce que Marine Le Pen propose en reprenant là encore une vieille lubie néolibérale : celle de diviser les « bonnes » et les « mauvaises » dépenses publiques. Elle souhaite ainsi diviser le budget entre un « budget d’investissement », qui pourrait être financé par la dette, et un « budget de fonctionnement », qui devrait être à l’équilibre.

Mais cette idée que le « fonctionnement » représente de mauvaises dépenses cache le fait que celles-ci permettent de faire fonctionner les services publics et sont déjà très largement insuffisantes au regard des besoins. L’état déplorable des hôpitaux et de l’éducation nationale ne dit rien d’autre que cette insuffisance des dépenses de fonctionnement.

Évidemment, la députée RN dirige son regard ailleurs, vers la baisse des « transferts sociaux » qui lui permet de reprendre un classique du discours néolibéral : celui sur les assistés. En cela, elle s’inscrit parfaitement dans le chœur dirigé par l’actuel premier ministre qui, depuis son arrivée à Matignon, n’a cessé d’opposer la « classe moyenne » à ceux qui « vivent sans travailler » des aides sociales. Là encore, cette démagogie permet à Marine Le Pen d’être parfaitement intégrée dans les attentes des élites économiques.

Mais l’élément principal de la stratégie budgétaire de la candidate du RN à la présidence est l’immigration. Elle reprend dans le texte publié par Les Échos les éléments de son programme de 2022 sur les « 16 milliards d’euros d’économies » à réaliser par la discrimination ouverte des étrangers.

Évidemment, c’est un leurre complet. Priver une partie de la population de prestations sociales n’aidera nullement l’économie du pays. Quant au prétendu effet sur « la baisse de rémunération des Français », il est non seulement contestable, mais il ne doit pas tromper.

Quand bien même − ce qui est illusoire − il n’y aurait plus d’immigrés en France, le patronat trouverait d’autres moyens pour peser sur les salaires des Français, et il y a fort à parier qu’il le ferait avec l’aide de l’État. La destruction de l’assurance-chômage n’a pas d’autre fonction, et la baisse des transferts sociaux, comme la fin des « normes sclérosantes » promise par Marine Le Pen, n’augure rien de bon pour les salariés du pays.

Les leçons de la tribune

Que retenir de cette publication ? D’abord que Marine Le Pen, sur le plan économique, tente de se situer dans une optique de réforme libérale-nationale du capitalisme français et qu’elle adopte désormais les mots et les propositions de l’opposition de droite au néolibéralisme macroniste.

Ensuite qu’elle est aidée dans cette quête de crédibilité par le journal « officiel » des élites économiques françaises. Ce n’est pas un détail que Les Échos accepte de publier une opinion où l’on propose ouvertement, pour des raisons budgétaires, de discriminer une partie de la population. Une proposition évidemment contraire à la Constitution, mais qui semble être désormais suffisamment « acceptable » dans certains milieux pour n’être qu’une « opinion » dans un journal économique.

Enfin, la position de Marine Le Pen est très fortement facilitée par l’évolution du macronisme lui-même, qui tend, de ce point de vue, les verges pour se faire fouetter. Non seulement la majorité a décidé, dans la panique, de refaire de la dette publique une priorité, alors que son bilan en la matière n’est guère réjouissant, mais elle a ouvert des discussions où Marine Le Pen peut s’engouffrer : lutte contre « l’assistanat » et discrimination sociale avec la remise en cause de la couverture médicale universelle (aujourd’hui appelée Puma). Comment Marine Le Pen pourrait-elle apparaître comme « extrémiste » alors que ses propositions se situent sur ces mêmes niveaux ?

Ce que dit cette publication est assez inquiétant : le capitalisme français est désormais prêt à considérer l’option de l’extrême droite comme acceptable parce que, précisément, elle répond à ses demandes. Autrement dit, le RN se situe dans la zone de crédibilité définie par les élites économiques françaises. 

  mise en ligne le 22 février 2024

Au Panthéon, Manouchian
mis au supplice
du verbe macronien

Antoine Perraud sur www.mediapart.fr

La translation des restes de Missak et Mélinée Manouchian au Panthéon a donné lieu à deux ou trois moments magnifiques, dont « L’Affiche rouge » chantée par Feu! Chatterton. Néanmoins, tout fut terni par l’accaparement et l’embrouillamini du pouvoir.

Où est le peuple ? Voilà bientôt cent ans, le 23 novembre 1924, le cercueil de Jean Jaurès entrait au Panthéon. Parti de l’Assemblée nationale, il était accompagné d’une foule de prolétaires, avec en tête les mineurs de Carmaux. Le Paris bourgeois tremblait d’effroi, rappelle, dans La Gauche en France depuis 1900, un professeur à Sciences Po de l’autre siècle, Jean Touchard. Celui-ci, sur un balcon familial du boulevard Saint-Germain, avait alors assisté à la frousse de la haute.

Aucun danger pour Manouchian. Pas un chat ou presque : The show must go on, place aux seules caméras. À l’extérieur, il pleut et la foule n’est de toute façon pas prévue : persona non grata. À l’intérieur, sous la coupole du Panthéon, les huiles de la République patientent – un Lionel Jospin émacié et, côte à côte, mais qui n’ont rien à se dire, Édith Cresson et Laurent Fabius.

Il y a le Parti communiste réduit à Fabien Roussel. Au fond près du radiateur, des collégiens, filles et garçons, s’agitent en s’apercevant sur les écrans, comme dans un stade de football – la réalisation jouera au chat et à la souris toute la cérémonie avec une telle joie d’être filmés, interrompue dès qu’elle s’exprime.

En attendant, c’est l’heure de meubler. France 2 est sage comme une image et se lance dans du micro-trottoir avec la léthargie du pêcheur quand rien ne mord. CNews déroule avec vaillance sa propagande en plateau : « Patriotisme républicain qui fait défaut aujourd’hui […] La France n’est pas un droit. Il faut l’aimer pour obtenir la nationalité. On a trop octroyé. » Julien Dray, qui représente ici la gauche, ose ceci : « Ces étrangers n’aimaient pas seulement des paysages, mais ce que représentait symboliquement la France depuis la Révolution. » Un démon passe…

Voici le président de la République, qui s’est transporté sur place. La bibliothèque Sainte-Geneviève à main droite, il tourne le dos à la tour Clovis du lycée Henri-IV – où il accomplit une partie de sa scolarité dans les années 1990. Tout à l’heure, Patrick Bruel, qui suivit une partie de sa scolarité au lycée Henri-IV dans les années 1970 (en de plus petites classes), lira la lettre de Manouchian à Mélinée. On appelle cela l’entre-soi.

Sur « la place des grands hommes », le président se livre à son passe-temps favori depuis Henry Hermand – Daniel Cordier et quelques autres en firent les frais : le détournement de vieillards. Il embarque vers le saint des saints deux résistants communistes, chacun dans sa 98e année : Léon Landini et Robert Birenbaum. Une prise de guerre en temps de paix.

Sur CNews, alors que la présentatrice Laurence Ferrari fait les gros yeux à ceux « qui ont tendance à dénigrer et réviser notre histoire », l’un des commensaux de la chaîne Bolloré, Alexandre Devecchio, pérore ainsi : « Pour les jeunes qui ont du mal à s’intégrer, il y a là un récit national qui peut aider. » Et comme à CNews on stigmatise ceux qui ont tendance à réviser notre histoire, il est martelé une fois pour toutes que « la Résistance est venue de la droite et de l’Action française ».

Attention, ça commence ! Nous sommes « rue Edmond-Rostand » (c’est en réalité une place), assure France 2. Résonne l’appel aux morts devant une immense reproduction de l’Affiche rouge. La question d’époque, « Des libérateurs ? », qui surmontait les visages indomptables, appelait une objection voilà quatre-vingts ans. La réponse est à présent positive. Cela ne fait pas un pli. Et cela fait du bien.

« Mort pour la France »

Les noms des vingt et trois éclatent dans la nuit, par la voix de Serge Avédikian, qui met à chaque fois l’accent pour faire retentir, sous la pluie et les étoiles, toutes les consonances étrangères possibles. C’est beau et puissant. Avant que ne réponde, après chaque patronyme, un déchirant : « Mort pour la France. »

Et ce « mort pour la France », qui souvent ne veut pas dire grand-chose sur tant de monuments de la Grande Guerre – « On croit mourir pour la patrie mais on meurt pour les industriels », dénonçait Anatole France dans L’Humanité il y a tout juste un siècle –, ce « mort pour la France » sonne enfin juste.

Les deux cercueils de Missak et Mélinée sont ensuite hissés sur les épaules de soldats de la Légion étrangère − faisons mine de ne retenir de cette troupe d’assaut que sa qualité de Compagnon de la Libération. S’enclenche le fameux pas lent idoine : « Un, un, deux, trois. »

Des haltes sont prévues rue Soufflot. Ce sera le pire du « en même temps ». L’empilement rococo ; un p’tit côté « on trouve tout à la Samaritaine » ; du « en veux-tu en voilà ». Tout cela résulte sans doute de l’apport d’une fourmilière de conseillers du prince, qui n’ont pas compris l’essentiel : commémorer, c’est choisir.

Alors ignorons Ils sont tombés de Charles Aznavour entonné par… la maîtrise populaire de l’Opéra-Comique (bonjour les oxymores). Glissons sur une interprétation faussement polyphonique et résolument sirupeuse de La Complainte du partisan – alors que la musique d’Anna Marly et les paroles d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, comme avait su les sublimer Leonard Cohen, empoignent en toute autre circonstance.

Le Chant des partisans, heureusement, résiste, s’impose et donne la chair de poule : « Ami si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place », avaient composé Kessel et Druon, en tapant en rythme sur une table, tels des proto-rappeurs, dans un modeste hôtel du Surrey. C’était en 1943, trois mois avant que Manouchian et les autres fussent coffrés.

Aujourd’hui, c’est le premier jour du Congrès antifasciste, qui se tient à la salle Pleyel.
Carnets de Missak Manouchian

Mais voici que Missak s’évade. Ce sont les mots de ses carnets qui s’échappent, par la voix de comédiens se passant le relais – Lisa Toromanian, ou encore le fabuleux Serge Bagdassarian de la Comédie-Française : « Aujourd’hui, j’ai déposé ma demande de naturalisation. » Manouchian est là, tout près, au Luxembourg, ce jardin qu’il aimait tant, quand il écrivit cela.

Ses mots s’élancent vers notre vil aujourd’hui. Des télescopages donnent aux vivants le courage de continuer le combat, face à la hure du lepénisme qui ne cesse de fouir le sol démocratique prêt à se dérober : « Aujourd’hui, c’est le premier jour du Congrès antifasciste, qui se tient à la salle Pleyel. »

Un programme de vie jaillit des carnets de Manouchian : « Se consacrer à la lutte sociale […] Un grand poème germe dans mon esprit. » Et soudain, neuf mots tout neufs, qui cinglent, comme pour décrire la cérémonie voulue par le pouvoir, cette panthéonisation tenue en lisière, sans le peuple, sans la révolte, sans l’internationalisme (terme interdit de séjour) : « Autour de moi, on dirait que chaque chose vieillit. »

La démonstration va en être donnée avec le discours du président Macron. Mais avant, il y aura eu un autre moment sublime, qui se hissa presque à la hauteur du thrène bramé ici même, en décembre 1964 – soixante ans déjà –, par André Malraux. Il y aura eu L’Affiche rouge d’Aragon-Ferré, chantée par Feu! Chatterton. Calme de possédés, frénésie cadavéreuse, typhon intime, souveraineté secrète. Rien ne parut plus beau, plus bouleversant, plus essentiel.

Subséquemment : trajectoire en toboggan ! Petite tribune, petit Macron. « Et toujours le même président », se cabre la France entière. La grandeur, c’est de déléguer. De Gaulle laissa donc la parole à Malraux. Il fallait toute la mauvaise foi et le vieux fond pétainiste d’Alain Robbe-Grillet pour oser proférer qu’un discours du ministre d’État chargé des affaires culturelles du général, « c’était pire qu’Adolf Hitler ! ».

Le 20 avril 1995, lors de la cérémonie de translation de Marie Curie, François Mitterrand, très malade mais enlevant son manteau parce que le président Lech Wałęsa avait ôté le sien sous le péristyle du Panthéon balayé par le vent : cela avait de la gueule.

Sous les yeux las et l’ouïe rebutée d’un public déçu d’avance, le président semble conjuguer sans fin le verbe récupérer. Je récupère, tu récupères, il récupère, nous récupérons…

En 1996, pour la panthéonisation d’André Malraux – commentée pour la télévision par un drôle de duo : Alain Peyrefitte et Régis Debray –, ce fut Maurice Schumann qui officia. Il était quasiment aveugle, mais fit semblant de lire un discours appris par cœur : « La mort, parce qu’elle a conféré l’éternité à son angoisse… » Chapeau bas !

Or voici qu’en ce 21 février 2024, Macron macronne. Ivre d’être soi-même et d’être là, il abuse des silences appelés soupirs en musique, il impose avec les mots qu’il enfile une sorte de rubato dégoulinant, à la manière de certains interprètes de Chopin avant guerre. Il regarde furtivement de côté puis semble se rengorger, en le pensant si fort que nous l’entendons : « L’ai-je bien prononcé ? »

Un vrai flipper à paroles

Tout est attendu, convenu, conformiste, superficiel, artificiel. Nous n’en pouvons plus d’entendre ce vieux disque rayé, dont nous anticipons chaque ficelle usée jusqu’à la corde. Le président paraphrase Aragon. Fier de sa culture de khâgneux endormi sur ses lauriers – le contraire de l’autodidacte Manouchian toujours sur le qui-vive sprirituel –, le locataire de l’Élysée fait fuser de ses fiches des citations qui partent dans tous les sens : un vrai flipper à paroles.

C’est répétitif et redondant, vain, à l’image d’un pan précédent de la cérémonie, quand le portique du Panthéon, transformé en fond d’écran ou en boule à neige à coups de pixels, résumait la vie de Manouchian. Mêlant le kitsch et l’empoignant, le politique et le folklorique. Pour qu’il n’en restât rien ; pour que tout s’annulât.

Emmanuel Macron arbore le masque de l’émotion. Son regard se voudrait à la fois lointain et intérieur. Il nous vend son labeur désincarné pour de l’inspiration tripale. Il met du cœur là où il n’y en a pas. Il joue l’empathie, toujours chez lui absente. Il simule l’émotion, feint les affects, prend ses vessies rhétoriques pour des lanternes oratoires et fait passer son indécrottable boursouflure pour simplicité bienveillante.

Cabotin odéonien qui ne dupe plus personne, il n’habite pas son texte. Sous les yeux las et l’ouïe rebutée d’un public déçu d’avance, il semble conjuguer sans fin le verbe récupérer. Je récupère, tu récupères, il récupère, nous récupérons…

« Insolents, tranquilles, libres », dit-il, comme pour dépolitiser ces militants si politiques. Puis il s’adresse à la dépouille : « Vous entrez ici toujours ivre de vos rêves. » Non, non et non : Manouchian n’était pas ivre de ses rêves, mais soucieux de ses combats.

France 2 pense à la suite et feuilletonnise déjà : la prochaine panthéonisation de Robert Badinter pose problème, puisque sa veuve entend reposer plus tard auprès de lui – toujours très délicat, le service public. CNews y va franco. On y cause « héroïsme patriotique ». On y entend : « Sauver la France », comme si, chez Bolloré, on reprenait un cantique du temps de l’ordre moral : « Sauvez, sauvez la France, au nom du Sacré Cœur. »

C’est encore plus retors. La chaîne d’extrême droite voudrait que nous nous enfonçassions ceci dans le crâne : « La victoire contre le nazisme a eu lieu, elle est acquise. Ce qui menace la France, l’ennemi mortel d’aujourd’hui, c’est contre quoi s’est dressé un autre héros : Arnaud Beltrame. » Mission accomplie : un officier supérieur de gendarmerie français vient d’être symboliquement substitué, en fin de cérémonie, à un militant communiste apatride d’origine arménienne.

Les images de la célébration qui s’achève laissent entrevoir, à droite de l’écran, sur la place du Panthéon, côté mairie du Ve arrondissement, des rangées de sombres berlines officielles. Après avoir rendu hommage à Missak et Mélinée Manouchian, après avoir vanté les FTP-MOI de la Résistance, nos excellences, qui roulent carrosse, vont partir derechef nous concocter des lois antisociales ; sans oublier de bien faire la courte échelle à l’extrême droite.


 


 

Manouchian au Panthéon :
le double jeu de Macron

Hugues Le Paige (journaliste-réalisateur) sur https://blogs.mediapart.fr/

L'entrée des Manouchian au Panthéon et l'hommage rendu aux Francs-tireurs et partisans − Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) est une réparation tardive mais indispensable à leur égard. Elle illustre aussi le double langage d'Emmanuel Macron qui se sert de la politique mémorielle pour se refaire une virginité politique.

Qui ne se réjouirait pas de l’entrée de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée au Panthéon ? Ouvrir les portails du temple de la République à l’un des responsables des Francs-tireurs et partisans − Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) à qui la France avait refusé par deux fois d’accorder la nationalité est d’abord un acte de réparation[1]. Elle comble, au moins partiellement- le trou noir d’une mémoire historique jusque-là soigneusement entretenue par tous les pouvoirs de la République. Enfin, des communistes, des internationalistes, de toutes origines (Juifs — en majorité-, Arméniens, Espagnols, Italiens, Polonais, Roumains et tant d’autres) ont droit à la reconnaissance de leur combat et de leur sacrifice pour la France et un autre monde. Ce n’est pas rien quand on connaît la conception étroite et souvent partiale de l’histoire officielle de la résistance.

Oui, de ce point de vue, on ne peut que se réjouir de voir entrer au Panthéon celui qui incarne « L’Affiche Rouge », celle ou les nazis dénonçaient « l’armée du crime, commandée par des étrangers et inspirés par les Juifs ». Et pourtant ce geste décidé par le Président de la République charrie sa part d’ombre et de double jeu. Car c’est bien le même Macron qui vient de faire adopter une loi sur l’immigration dont le Rassemblement National a pu proclamer triomphalement qu’elle représentait sa « victoire idéologique ». L’introduction de la préférence nationale, la mise en cause du droit du sol, l’alignement sur toutes les mesures réclamées à cor et à cri par l’extrême droite qui dicte désormais sa loi à la droite traditionnelle, le tout sur le regard complice du macronisme : voilà qui corrompt l’initiative mémorielle du chef de l’État. Emmanuel Macron est coutumier du fait : il sait utiliser la mémoire, le seul domaine où il affirme des principes, pour tenter de se refaire une virginité politique, mais du même coup il prend le risque de dénaturer la portée de ses propres initiatives.

La seule présence de Marine Le Pen ce 21 février au Panthéon en est la preuve. Par l’incessante pratique tacticienne de la triangulation, de la manipulation et de la confusion politique permanente, Macron a pris le risque de faire du Rassemblement National le maître du jeu et sans doute le futur vainqueur des prochaines échéances électorales alors qu’il avait été élu pour lui faire barrage. L’opportunisme présidentiel lui tient lieu de projet et les coups médiatiques remplacent les valeurs qu’il prétend porter.

Cela n’enlève rien à l’importance symbolique et historique de l’entrée des Manouchian au Panthéon même si d’autres parrains leur auraient fait honneur.

[1] Dans son discours au Panthéon, ce 21 février, Emmanuel Macron a regretté que « La France ait alors oublié sa vocation d’asile ». Et aujourd’hui ? Toute son intervention en hommage à Manouchian et à ses camarades contredisait la politique menée par  ses gouvernements. Double langage qui lui a aussi permis de saluer les communistes comme ceux-ci ne l’ont jamais entendu. "Est-ce  ainsi que les hommes font de la politique ?"  (pour ceux qui ont entendu le discours macronien…)


 


 

Manouchian :
la police française
insulte la mémoire
des résistants communistes

Olivier Doubre  sur www.politis.fr

Lors de la cérémonie d’entrée au Panthéon des héros de la Résistance immigrée communiste et internationaliste, Mélinée et Missak Manouchian, la police parisienne a empêché toute manifestation populaire d’antifascisme ou d’appartenance politique dans la foule. Récit.

Quelques minutes après 19 heures, mercredi 21 février. Les cercueils de Mélinée et Missak Manouchian remontent la rue Soufflot vers le Panthéon, portés par des soldats de la Légion étrangère, sous une pluie battante qui ne veut pas cesser. Ils s’arrêtent quelques mètres après le croisement avec la rue Saint-Jacques. L’émotion est palpable dans la foule, compacte, amassée derrière les barrières de sécurité. Des poings se lèvent.

Puis, de la terrasse d’un café qui jouxte le cortège, partent quelques cris : « Vive le combat antifasciste ! » ; « À bas le fascisme ! » puis, bientôt plus nombreux : « No pasarán ! » 
Peu après la lecture d’extraits des carnets de Missak Manouchian, les cercueils reprennent leur montée vers la cathédrale laïque en haut de la rue. Sous les applaudissements du public, nombreux, massé de chaque côté de la chaussée. Et le « Chant des partisans » alors de s’élever, interprété par le chœur de la Garde républicaine.

Mais à peine deux minutes plus tard, trois agents de la police parisienne en uniforme, dont l’un est même cagoulé, entrent dans le petit espace clos et bondé de la terrasse couverte du café d’où sont partis les quelques slogans criés joyeusement durant moins d’une minute. Contrôle des papiers, questions agressives pour les quelques « criards » qu’ils avaient dû repérer du dehors, à travers les vitres détrempées de la terrasse abritée.

Contrôle d’identité et confiscation des drapeaux

Les regards fixent les agents. Les papiers d’identité de quelques « suspects » sont examinés. Jusqu’à ce que les agents invitent vertement deux d’entre eux à les suivre à l’extérieur. On ne les reverra pas. Sans que l’on puisse en savoir davantage sur la suite de leur soirée. Beaucoup des témoins présents échangent et expriment alors, prudents, sans trop d’éclats de voix, d’une table à l’autre de la terrasse du café, leur révolte devant la scène à laquelle ils viennent d’assister. 


On peine à croire que dans de telles circonstances, la police française ait conservé certaines de ses ‘bonnes’ vieilles habitudes.

Quelques dizaines de mètres plus bas, à l’angle de la rue Soufflot et du boulevard St-Michel, avait lieu à peu près simultanément une autre intervention des agents de police. Avec quelques drapeaux du PCF, une poignée de militants s’était rassemblée au bas de la rue Soufflot. Là où les soldats de la Légion étrangère allaient bientôt porter les dépouilles du couple de résistants communistes arméniens des FTP-MOI jusque devant la tribune où sont rassemblés les familles des défunts et les corps constitués de la République – dont la présidente du groupe parlementaire du Rassemblement national, Marine Le Pen.

Au moment où allait débuter la cérémonie, des policiers se sont empressés de venir confisquer à ces militants leurs drapeaux tricolores et ceux de leur parti. Sans doute pour ne pas faire tache sur les vidéos de l’événement, retransmises sur écrans géants devant la foule imposante venue rendre un dernier hommage aux résistants immigrés, exécutés jour pour jour il y a 80 ans. On peine à croire que dans de telles circonstances, la police française ait conservé certaines de ses « bonnes » vieilles habitudes.

mise en ligne le 12 février 2024

Les Oudéa-Castéra,
un archétype des
« patrons d’État »

Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr

Ex-dirigeante d’Axa et de Carrefour, Amélie Oudéa-Castéra, la ministre qui a perdu l’Éducation nationale mais gardé les Sports, a, par ses gaffes, lapsus et aveux, beaucoup éclairé les citoyens depuis un mois. Retour avec le sociologue François-Xavier Dudouet sur cette exception française des « patrons d’État » qui, en privatisant ou en pantouflant, ont fini, après celle des services publics et de la puissance publique, par creuser leur propre tombe.

Son mandat aura été court au ministère de l’Éducation nationale, mais reconnaissons une qualité à Amélie Oudéa-Castéra : en quelques semaines, cette femme qui, avec un patrimoine évalué à 7 millions d’euros, figure en bonne place sur le podium du gouvernement, aura offert aux citoyens une magistrale leçon de sociologie de la classe dirigeante en France.

À son corps défendant, certes. Mais avec ses déclarations sur l’école privée, puis sur le mérite – « mon seul héritage, c’est l’amour du travail bien fait » – et, enfin, pour dénoncer le « symbole d’une caste de privilégiés à abattre » qu’elle incarnerait, elle a, ricanent même certains, « fait plus que Pierre Bourdieu en des décennies au Collège de France ».

C’est très exagéré, bien sûr, mais il reste sans doute des enseignements à tirer… Directeur de recherche au CNRS et auteur, avec Antoine Vion, de Sociologie des dirigeants de grandes entreprises, François-Xavier Dudouet a bien voulu se prêter à l’exercice.

Un bref passage dans l’administration après être sortie de l’ENA comme conseillère référendaire à la Cour des comptes, des actions gratuites glanées chez Axa ou Carrefour, des jetons de présence chez Lagardère, Plastic Omnium ou Eurazeo… Quelle place occupe Amélie Oudéa-Castéra, avec son mari Frédéric Oudéa, parmi les grands patrons ?

François-Xavier Dudouet : On les avait repérés à la fin des années 2000 quand, avec Éric Grémont, nous travaillions sur les grands patrons en France. Frédéric Oudéa venait de prendre la tête de la Société générale et Amélie Oudéa-Castéra était rentrée chez Axa.

Parmi les dirigeants qu’on étudiait, c’était les seuls à former un couple au sein du CAC 40. Ils étaient passés tous les deux par l’ENA, puis par les hautes sphères de l’État avant d’aller pantoufler au sommet des grandes entreprises financières du pays. Frédéric Oudéa est resté un peu plus longtemps dans les rouages du pouvoir politique que sa femme.

Elle, elle a très vite pris le virage du privé. Le couple offre un archétype, très caractéristique, de ce que l’on appelle les « patrons d’État ». Mais, en fait, les Oudéa-Castéra, c’est une queue de comète : si les « patrons d’État » n’ont pas disparu, ils sont quand même en grande difficulté aujourd’hui.

Qu’entendez-vous par là ?

François-Xavier Dudouet : Dans les années 1980-1990, l’industrie financière française était dirigée par des inspecteurs des finances. BNP Paribas et Axa constituaient un axe majeur dans le CAC 40, au centre du réseau entrecroisé des sièges dans les conseils d’administration. Ces dix dernières années, tout a été bouleversé.

Les grandes entreprises se sont autonomisées pour se concentrer sur le seul but de servir de la valeur actionnariale. Les logiques transnationales et mondialisées, longtemps limitées aux employés, ont atteint les cadres dirigeants : à la tête des groupes français, mieux vaut aujourd’hui plaire aux marchés financiers et parler anglais que tutoyer les ministres.

On peut voir un signe de cet amenuisement de l’« atout État » dans le parcours même d’Amélie Oudéa-Castéra : si elle a amassé des actions gratuites, on ne peut pas dire qu’elle ait fait une grande carrière dans le CAC 40 ! C’est une femme d’appareil : privé ou public, peu importe, pourvu qu’elle puisse faire carrière et, le cas échéant, s’enrichir…

Là, elle s’en sort par un retour vers le pouvoir politique. Mais pour les autres, ce n’est pas du tout l’aboutissement de la carrière. À la sortie de Polytechnique, beaucoup fuient le pays pour partir dans la finance ou les start-up, ou aller faire de la recherche à Stanford ou Berkeley. La France n’est plus l’horizon ultime.

Quel rôle jouent les « patrons d’État » dans ce phénomène ?

François-Xavier Dudouet : Depuis les années 1970-1980, la puissance économique de la France a été démantelée : dans le viseur, on trouve les services publics forts, émanation d’un État tentaculaire avec une administration dirigée par une élite que Bourdieu décrivait comme une « noblesse d’État ».

Dans cette dynamique historique qui tend à disqualifier l’État-nation, les « patrons d’État » ont, en France, joué un rôle décisif. Ces gens incarnent la crise. Ils sont issus de l’État, ils ont été produits par l’État, leur carrière est liée à l’État… Et en même temps, ce sont peut-être les derniers, car ce sont eux qui ont privatisé les entreprises publiques et affaibli les services publics.

Ils parachèvent la destruction de l’État tel qu’on l’a connu. Dans le paysage, Emmanuel Macron apparaît comme le fossoyeur ultime, qui attaque même la haute fonction publique en supprimant l’ENA et en détricotant les grands corps de l’État.

Ce qui ramène à l’aveu d’Amélie Oudéa-Castéra sur l’éducation…

François-Xavier Dudouet : Oui, ce qu’elle a dit sur le privé et le public, c’est insupportable, c’est maladroit… et en même temps, c’est vrai ! Ses propos dévoilent une fracture profonde au sein du système scolaire qui ne touche pas que les plus aisés mais l’ensemble de la population. Dans les années 1970-1980, dans la jeunesse du couple Oudéa-Castéra, l’enjeu, ce n’était pas d’aller dans l’enseignement privé.

Frédéric Oudéa a fait tout son parcours dans le public, par exemple. Il fallait vraiment des convictions très profondes pour chercher à éviter le public. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. S’il n’y avait que Stanislas, on pourrait régler aisément les choses, mais le privé se développe partout.

Amélie Oudéa-Castéra fait scandale parce qu’elle dévoile, sans le vouloir, ce qu’elle est, mais aussi ce qui est : l’aboutissement d’une destruction des services publics et de l’État à l’œuvre depuis des décennies. C’est indicible parce que ça signifie que, derrière la fracture scolaire, si l’école n’est plus là pour unir le pays et fonder la légitimité de l’ordre social, c’est la paix civile qui est potentiellement menacée…

Sociologie des dirigeants de grandes entreprises, de François-Xavier Dudouet et Antoine Vion, la Découverte, collection « Repères », janvier 2024.

mise en ligne le 8 février 2024

À Lyon,
des identitaires violents
bien connectés
aux partis traditionnels

Daphné Deschamps et Arthur Weil-Rabaud sur www.mediapart.fr

Deux militants du groupuscule identitaire des Remparts, dont son ancien porte-parole, ont été condamnés mardi à de la prison ferme pour une agression raciste à Lyon. Candidats à des élections pour le RN et LR, leurs profils mettent en lumière les liens entre le groupe d’extrême droite et la politique partisane.

Lyon (Rhône).– Vendredi 2 février, à Lyon, la fin de soirée de K., M. et T. vire au drame. Les trois amis ont une première altercation avec plusieurs militants identitaires dans un bar dansant de la place des Terreaux, dans le centre-ville. Une fois dehors, une bagarre éclate. L’un des militants identitaires fait alors usage d’un couteau et porte une dizaine de coups au visage et au cou des trois victimes. Le plus sévèrement touché passe la nuit au bloc opératoire et s’en tire avec dix jours d’ITT (incapacité totale de travail). Ses deux amis en auront moins de huit, mais sont traumatisés par l’agression.

Parmi leurs agresseurs se trouvent une figure majeure et un militant des Remparts, organisation d’extrême droite locale héritière de Génération identitaire (GI) : son ancien porte-parole, Sinisha Milinov, et Pierre-Louis Perrier, un jeune militant âgé de 20 ans et auteur des coups de couteau. Mardi 6 février, les deux hommes ont été condamnés pour « violences aggravées à caractère raciste » : Sinisha Milinov a écopé de seize mois de prison dont six ferme, Pierre-Louis Perrier de trente-six mois dont douze avec sursis. Ils ont également interdiction d’apparaître dans le Rhône et sont inéligibles pendant cinq ans.

Outre leurs engagements au sein du groupuscule identitaire, Sinisha Milinov et Pierre-Louis Perrier entretiennent des liens avec d’autres partis ou organisations, classés à droite ou à l’extrême droite : des Républicains (LR) à Reconquête, en passant par le Rassemblement national (RN) ou la Cocarde, un syndicat étudiant proche des formations de Marine Le Pen et Éric Zemmour. Et leur cas n’est pas isolé aux Remparts.

Le CV de Sinisha Milinov est bien chargé. Passé par une bonne partie des chapelles de l’extrême droite lyonnaise, le militant a fait ses armes à Génération identitaire avant la dissolution du groupe. En 2020, l’étudiant, également engagé auprès de la Cocarde, est candidat aux élections municipales et métropolitaines à Villeurbanne sur une liste RN. Il devient ensuite responsable de la section lyonnaise de la Cocarde, avec laquelle il pratique la provocation.

À Lyon comme ailleurs, la dissolution de GI n’affecte pas beaucoup les identitaires, qui se renomment « Remparts ». Milinov en devient le porte-parole et profite, comme nombre de ses camarades, de la présidentielle de 2022 pour devenir un des « adhérents pionniers » de Reconquête. Entre-temps, il a été impliqué dans plusieurs actions violentes, dont une confrontation avec des militants antifascistes au cours de laquelle il s’était armé d’un couteau. Depuis septembre 2023, Sinisha Milinov se consacre à sa carrière d’influenceur identitaire, mais continue de fréquenter les Remparts.

D’une liste LR-LREM-UDI... aux Remparts

Arrêté à ses côtés vendredi 2 février au matin, Pierre-Louis Perrier a un profil assez rare chez les radicaux. L’auteur des coups de couteau, qui fait partie des proches de l’ancien porte-parole des Remparts, s’est présenté aux élections départementales de 2021 dans le canton de Saint-Vallier (Drôme) en tant que candidat suppléant sur une liste rassemblant des candidat·es issus de LR, de La République en marche (LREM, ex-Renaissance) et de l’UDI. Âgé de 18 ans à l’époque, il était même le plus jeune candidat du département.

Aux Remparts, les connections avec les partis et organisations politiques sont nombreuses. Antoine Jaumouillé, qui milite sous le pseudonyme « Antoine Durand », est le nouveau porte-parole du groupuscule depuis le départ de Milinov. En parallèle, il a aussi pris la tête de la Cocarde Lyon, réglant ainsi ses pas sur celui de son mentor. Il conduit la liste de la Cocarde pour les élections étudiantes au Crous, qui ont lieu cette semaine.

Sur cette liste, on trouve en cinquième position un autre militant des Remparts, Augustin Patzelt, un proche de Pierre-Louis Perrier. Les deux militants fréquentent régulièrement les gradins de l’Olympique lyonnais, dans la tribune de Lyon 1950, un groupe ultra qui penche fortement à l’extrême droite. 

Stéphane Ravier donne conférence aux identitaires

Les jeunes militants des Remparts s’inscrivent dans la tradition de leurs aînés, qui entretenaient aux aussi des liens avec le parti des Le Pen. Fin novembre, plusieurs militants affiliés au groupuscule ont été interpellés par les forces de l’ordre alors qu’ils collaient en hommage à Thomas, tué lors d’une soirée à Crépol (Drôme), et « contre le racisme anti-blancs ». Parmi eux : deux anciens candidats RN.

Historique de la mouvance identitaire lyonnaise, Roxane Chaudesaigues s’est présentée dans l’Ain aux élections départementales puis régionales en 2015 sous l’étiquette du Front national. Cette défenseuse de la suprématie blanche a depuis évolué vers Éric Zemmour. Il y a quelques mois, à l’occasion de la Fête des moissons organisée près de Lyon par Reconquête, elle prenait ainsi la pose avec la tête de liste aux prochaines élections européennes Marion Maréchal, au côté d’un autre militant des Remparts.

Parmi les personnes arrêtées fin novembre pour le collage, on retrouve aussi un certain Adam. Sous son pseudonyme « Aubert », il était le contact privilégié de la section lyonnaise de Génération identitaire. C’est pourtant sous son vrai nom, Adam Vega, que le militant préside Top Sport Rhône, l’association qui occupe l’Agogé, la salle de boxe des identitaires. Et c’est sous ce nom qu’il est apparu sur une liste du RN, lors des élections métropolitaines lyonnaises de 2020, aux côtés d’une autre militante identitaire, sympathisante des Remparts, Lucie I.

Enfin, l’un des anciennes figures du groupe, Adrien Ragot, dit « Lasalle » − condamné en juin 2022 pour avoir lui aussi fait usage d’un couteau dans les rues lyonnaises − a fréquenté les rangs de Reconquête − plus précisément ceux de sa branche jeunesse Génération Z − aux côtés de Sinisha Milinov. Les deux apparaissent dès 2021 sur des photos de soirée « entre militants » postées par Génération Z Auvergne-Rhône-Alpes, en compagnie notamment d’Hilaire Bouyé, le vice-président et coordinateur national du mouvement.

Les liens entre le groupuscule d’extrême droite et la politique « traditionnelle » se concrétisent également au sein de la Traboule, le bar des identitaires à Lyon, où des figures connues viennent donner des conférences. Récemment, on y a ainsi vu le sénateur Stéphane Ravier, ancien RN passé chez Reconquête, ou encore le fondateur de l’Institut Iliade, Jean-Yves Le Gallou, référence intellectuelle de la Nouvelle Droite, ancien membre du RN, qui a longtemps conseillé les Le Pen, avant de soutenir Éric Zemmour.

Boîte noire

Contactés par Mediapart, les Remparts de Lyon, le Rassemblement national de la jeunesse (RNJ) Rhône, Reconquête Rhône, et Les Républicains Drôme n’ont pas donné suite à nos sollicitations.

Daphné Deschamps et Arthur Weil-Rabaud sont journalistes indépendant·es, spécialistes de l’extrême droite. Elle et il signent ici leur premier article pour Mediapart.


 


 

Enquête : comment l’extrême droite s’arme légalement en France

Romane Frachon et Mathieu Burgalassi sur www.humanite.fr

En France, de nombreux attentats meurtriers sont commis avec des armes légales. Si la législation se veut stricte, il n’est en fait pas si difficile de s’armer. Et l’extrême droite en profite.

Le 19 mars 2022, à Paris, l’international de rugby Federico Martín Aramburú boit un verre à la terrasse du bar Le Mabillon. À côté de lui, un groupe tient des propos racistes. Il intervient, une bagarre éclate, on les sépare. Federico Martín Aramburù règle la note et prend le chemin de son hôtel avec son associé Shaun Hegarty. Sur le retour, une jeep les rattrape. Deux hommes en descendent, les mêmes qui tenaient des propos racistes au Mabillon. Ils sont armés, hors de contrôle. Six coups de feu partent. Federico Martin Aramburù s’effondre. Il meurt dans la nuit.

Première surprise de l’enquête : les tireurs auraient dû se trouver en prison. Ce sont des militants d’extrême droite qui ont tabassé et torturé Édouard Klein, leur ancien chef au GUD. Selon le journal « Marianne », ils ont bénéficié d’une libération sous caution payée par un proche de Marine Le Pen. Deuxième surprise, selon Me Christophe Cariou-Martin, l’avocat de Shaun Hegarty, les armes utilisées étaient « parfaitement légales ». Il s’agissait de « revolvers à poudre noire, une arme de catégorie D, en vente libre, sans permis ». Chez l’un d’entre eux, les enquêteurs trouvent même une dizaine d’armes de ce type, rangées à côté d’une statuette de Hitler et d’un exemplaire de « Mein Kampf ». Comment ces hommes fichés S, membres d’un mouvement raciste et en attente d’un jugement pour violences volontaires, ont-ils pu conserver légalement leurs armes jusqu’au jour du meurtre ?

Est-il si facile de s’armer en France ? Michel Baczyk, président de la Fédération française de tir, nuance : « En termes de législation, on applique la loi européenne ; seules quatre fédérations ont l’autorisation du ministère des Sports pour acquérir des armes : celles de tir, de chasse, de ball-trap et de ski. » Il reconnaît néanmoins qu’une fois affiliés à ces fédérations, les Français peuvent avoir accès à « toutes sortes d’armes légalement, de l’arbalète jusqu’à des fusils de guerre – attention, pas en rafales, c’est strictement interdit ». Jean-Michel Dapvril, directeur délégué aux affaires juridiques de la Fédération nationale des chasseurs, admet lui aussi qu’il est possible pour les membres de sa fédération d’acquérir « jusqu’à 12 armes ». Mais il rappelle que « la loi s’est considérablement resserrée ».

« On aimerait que l’État ne réduise pas la voilure sur les contrôles »

Depuis 2011, un fichier administratif géré par le ministère de l’Intérieur, le Finiada, recense toutes les personnes soumises à des interdictions d’acquisition et de détention d’armes. « Dès que vous êtes dans le fichier, vous êtes bloqué, vous ne pouvez ni acquérir une arme ni obtenir un permis de chasser », indique le responsable de la fédération. D’ailleurs, que ce soit à la FN chasse ou la FF Tir, tout le monde est formel : « On vérifie toujours au Finiada en amont de chaque inscription. »

Selon le ministère de l’Intérieur, plus de 100 000 personnes sont actuellement inscrites au Finiada et, en 2020, 1 600 d’entre elles ont essayé d’acquérir une arme malgré leur interdiction. Un contrôle qui semble se renforcer, comme l’explique Jean-Michel Dapvril : « Quand le dispositif Finiada a démarré, on avait 400 contrôles positifs par an ; maintenant, c’est plutôt dans les 1 200. » Pour autant, la mesure n’est pas vécue négativement. Michel Baczyk complète : « On voit nos armes comme un outil de sport, mais on sait que la dérive peut arriver, donc on comprend le contrôle. » Un avis que partage Jean-Michel Dapvril : « On aimerait que l’État ne réduise pas la voilure sur les contrôles ; en fait, les chasseurs veulent plus de contrôles et plus de police de la chasse. »

Si le système semble efficace, il n’est pas sans défaut. Des angles morts existent. David Durand, auteur d’un article intitulé « Porosité du contrôle des utilisateurs d’armes » dans la revue « Sécurité globale », ne mâche pas ses mots : « Même après les graves attentats des années 2015-2016 et les récents événements liés au terrorisme ( « Charlie Hebdo”, le Bataclan et Nice – NDLR), le contrôle des personnes dans le tir sportif reste, en l’état actuel, poreux et peu performant. »

Il pointe du doigt une juridiction s’intéressant davantage à la détention qu’à l’utilisation : « Dans le monde du tir français, des non-licenciés peuvent utiliser des armes par le biais d’initiations payantes ou sur invitation d’un tireur licencié. La France ne dispose toujours pas de moyens techniques pour contrôler ces utilisateurs d’armes. » N’importe qui peut ainsi apprendre à tirer sans rejoindre une fédération, donc sans être soumis à une vérification auprès du Finiada. Une faille d’ailleurs exploitée en 2015 par Samy Amimour et Charaffe Al Mouadan, deux des terroristes du Bataclan. Ils avaient suivi des cours de tir en passant par une société privée qui organisait des sessions d’initiation à l’usage des armes de poing et des armes longues.

Le député FI Thomas Portes a été alerté sur ces stages : « C’est un vrai sujet, un moyen détourné de former des gens au maniement des armes qui ne demande aucun contrôle ou justification. Vous venez, on vous met une arme entre les mains et on vous apprend à tirer. » Son collègue de la Nupes, Aurélien Taché, partage ce constat : « On voit des stages de type survivalistes où les gens font du maniement d’armes sans être rattachés à la moindre association agréée. Des stages bien loin de tout esprit sportif et souvent » vendus comme des séminaires de combat » », écrit David Durand. « C’est une pratique qui existe et contre laquelle on se bat, s’agace Michel Baczyk, de la FF Tir, il faudrait que tous les stages d’initiation au tir soient faits par des formateurs qui ont des brevets fédéraux et des diplômes d’État. » Un souhait qui nécessiterait un changement de la loi. En attendant, de nombreuses sociétés privées continuent de vendre des initiations au tir hors de tout contrôle étatique.

Le pistolet à poudre noire : en accès libre et prisé de l’extrême droite ?

Toutefois, pour Thomas Portes, le plus gros du sujet n’est pas là : « On a un vrai problème avec les catégories d’armes et surtout avec les armes à poudre noire. » Christophe Cariou-Martin, l’avocat de Shaun Hegarty, développe : « Ce sont des armes à feu de catégorie D qui sont en vente libre sans aucune contrainte, si ce n’est celle d’être majeur. » Ce que confirme Michel Baczyk, de la FF Tir : « Pour les armes de catégorie D, il n’y a aucune vérification du casier ou du Finiada, elles peuvent être achetées et détenues librement. » Il nuance tout de même : « C’est dur à utiliser, il faut savoir ce qu’on fait pour ne pas qu’elles vous explosent à la figure. »

Des armes en tout cas suffisamment fonctionnelles pour permettre l’assassinat de Federico Martín Aramburú en 2022. « Ce sont des armes létales, qui ont été utilisées pour tuer jusqu’au XXe siècle ! tempête Christophe Cariou-Martin. Quand vous voyez la force de l’impact d’une balle à poudre noire sur des plaques d’acier, c’est tout simplement effroyable. » Ces armes sont en vente sur de nombreux sites Internet. La marque Pietta propose même des modèles de revolvers à six coups, à 195 euros. Et il ne s’agit pas de pétoires usées, mais d’armes neuves, en parfait état de marche.

Le député Thomas Portes se désole : « Ce sont des armes qui tuent mais qui peuvent être achetées sur simple dépôt d’une pièce d’identité, même par des gens déjà condamnés pour des actions violentes. » Pour lui « l’affaire Martín Aramburú montre qu’il faut agir sur la classification et restreindre l’accès légal aux armes à poudre noire ». Une proposition de renforcement du contrôle qui semble séduire les fédérations : « Sur les armes à poudre noire, on trouverait normal que tous les utilisateurs soient aussi encadrés et contrôlés que nous », estime Jean-Michel Dapvril, du côté des chasseurs.

Cet encadrement semble d’autant plus urgent que les affaires criminelles qui impliquent des armes de catégorie D se multiplient. Outre le meurtre de Federico Martín Aramburú, l’affaire dite de la famille Gallicane en est un exemple frappant. Il s’agissait d’un groupuscule survivaliste constitué de supporters d’Éric Zemmour qui s’étaient filmés en train de tirer sur des caricatures racistes et antisémites avec des revolvers à poudre noire. Un type d’arme retrouvé aussi lors des perquisitions chez Logan Nisin, le terroriste d’extrême droite condamné à neuf années de prison pour avoir planifié des tentatives d’assassinat visant Jean-Luc Mélenchon et Christophe Castaner. D’ailleurs, concernant les violences d’extrême droite, le recours à des armes légales est presque toujours systématique.

« L’extrême droite théorise le fait de s’armer, il y a une culture des armes à feu. Les militants se préparent à combattre de manière violente et militaire les gens qui sont face à eux », relève Thomas Portes. « Dans l’extrême droite française, l’arme est un symbole politique », ajoute Aurélien Taché. Aussi les influenceurs d’extrême droite ont-ils pris l’habitude de conseiller leurs followers sur les meilleurs moyens de s’armer légalement. Par exemple, le youtubeur d’extrême droite Tireur Zéro (12 100 abonnés) a proposé plusieurs vidéos sur les armes à feu en vente libre. Parmi ses « conseils » : comment obtenir une arme à poudre noire mais, surtout, quels modèles peuvent être détournés et utilisés avec des munitions standards. On y apprend que, en France, le célèbre fusil Winchester utilisé par Schwarzenegger dans « Terminator II » s’achète sans permis. Une arme que l’on peut pourtant utiliser avec des cartouches de calibre 12 classiques, ce qui devrait la classer parmi les armes de chasse nécessitant un permis.

Évidemment, ce n’est pas la dimension sportive qui intéresse ces influenceurs racistes. Dans sa vidéo sur le survivalisme, le youtubeur d’extrême droite Code-Reinho (328 000 abonnés) conseille lui aussi la poudre noire et ne cache pas ses intentions. Selon lui, s’armer, c’est se préparer à tirer sur ceux qu’il surnomme les « chances pour la France », comprenez les immigrés. Interrogé à ce propos, Michel Baczyk, de la FFTir, s’irrite : « Ce genre de tireur qui prend une licence en sous-marin, c’est une grosse problématique que l’on a… Il y a quelque temps, on a dû sanctionner une personne qui faisait du tir sur des silhouettes humaines. »

« Il faut à peine six mois au stand de tir pour rapporter une arme de poing chez soi »

Joint par « l’Humanité », Nico1, un détenteur d’armes à feu qui a été longtemps proche de l’extrême droite, témoigne : « C’est sûr qu’il n’y a rien de bien compliqué à s’armer en France. » D’après lui, les armes à poudre noire ne sont que le sommet émergé de l’iceberg : « C’est facile d’accès au début, mais on réalise vite qu’en fait, ce n’est pas compliqué de passer le permis de chasse, et qu’il faut à peine six mois au stand de tir pour rapporter une arme de poing chez soi. » De nombreux militants d’extrême droite semblent avoir fait le même constat. Claude Sinké, ancien candidat FN, auteur de l’attaque de la mosquée de Bayonne en 2019, avait utilisé un fusil à pompe et un pistolet 9 mm : deux armes qu’il détenait grâce à sa licence de tireur sportif. Valentin Marcone, le survivaliste qui avait abattu deux personnes en 2022, était lui aussi un tireur sportif en club et l’arme utilisée pour ses meurtres était parfaitement légale.

Un scénario qui tend à se répéter, notamment lorsque des réseaux d’extrême droite sont démantelés. Par exemple, en 2021, les armes du groupuscule Honneur & Nation – qui voulait commettre des attentats contre une loge maçonnique et le ministre Olivier Véran – étaient toutes enregistrées pour du tir sportif. Une situation qui rappelle celle du groupuscule Action des forces opérationnelles – qui voulait assassiner des femmes portant le foulard et des imams –, dont la grande majorité des armes était aussi détenue grâce à des licences de tir sportif et des permis de chasse.

Si les experts et les fédérations semblent réclamer un durcissement des règles, du côté du ministère de l’Intérieur, rien ne bouge. Un rapport parlementaire s’est bien penché, en novembre 2023, sur l’activisme violent. Mais, si la dangerosité de la menace identitaire est constatée, les armes légales ne sont pas évoquées. Pire, le ministère de l’Intérieur vient d’acter une nouvelle mesure autorisant les bureaux de tabac à vendre des munitions. Depuis le 1er janvier 2024, chacun peut donc se procurer des cartouches de catégories C et D chez son buraliste. Deux ans après l’assassinat de Federico Martín Aramburú, les balles utilisées pour son meurtre s’achètent comme un simple paquet de cigarettes.

Malgré la gravité de la situation, actuellement, rien n’est mis en œuvre pour interdire l’acquisition d’armes létales sans permis et hors de tout contrôle fédéral par des mouvements suprémacistes. Aucun projet de loi, aucun amendement, aucun décret ministériel. Pour Aurélien Taché, cela prouve que le problème relève moins d’un angle mort de la législation que d’un aveuglement du ministère : « Dès qu’on sort du djihadisme, il y a une absence de volonté politique sur le sujet terroriste, insiste le député écologiste. Le dernier rapport d’Europol prévient que la moitié des attentats d’extrême droite sur le sol européen ont eu lieu en France, mais l’extrême droite n’est toujours pas considérée comme une menace sérieuse par le gouvernement. »

Si Thomas Portes partage cette analyse, il est moins diplomate : « Ne rien faire sur les armes quand on voit la situation actuelle du terrorisme d’extrême droite, c’est assumer une volonté de laisser faire. » Rappelant les amitiés passées de Gérald Darmanin avec le mouvement royaliste, collaborationniste et antisémite Action française, pour lequel le ministre a publié cinq articles en 2008, Thomas Portes considère qu’il est « toujours un militant d’extrême droite » et que « cela a un impact sur la gestion sécuritaire du terrorisme ». Nico, le détenteur d’armes, résume : « Si rien ne change, on va forcément avoir de plus en plus d’attentats d’extrême droite dans les années à venir. » Malgré de multiples relances, le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Son nom a été changé à sa demande pour sa sécurité.

  mise en ligne le 8 février 2024

L'exception agricole française :
de gauche à droite...
qui propose quoi ?

Anthony Cortes et Florent LE DU sur www.humanite.fr

La mobilisation paysanne et ses racines très profondes ont consacré l’idée d’engager une « exception agricole » pour sauver notre agriculture. Sauf qu’en fonction de la formation politique, les définitions de ce concept sont, en réalité, très différentes.

Les barrages sont levés, mais tout n’est pas réglé. À quelques mois des élections européennes, la crise agricole a propulsé au premier plan de l’actualité politique une proposition-slogan, « l’exception agriculturelle ». Référence directe au principe d’« exception culturelle » qui encourage la diversité des productions cinématographiques françaises par un système de subventions plutôt que de l’abandonner aux lois du marché, elle revêt en revanche plusieurs définitions selon qui l’exprime, de la gauche à l’extrême droite.

La gauche d’opposition au marché

Du côté de la première, pendant cette crise agricole, François Ruffin, député insoumis de la Somme, a été le premier à dégainer cette cartouche. Dans les colonnes de « Libération », le Picard proclame : « On a sorti la culture des accords de libre-échange : sans cela, il n’y aurait plus de cinéma français, pas de Justine Triet aux Oscars. Il faut faire de même pour l’agriculture : sortir la terre, ses fruits, nos assiettes de la mondialisation ! » Oui, mais comment ? « C’est une crise du marché, une crise du libre-échange, qui réclame une réponse “de gauche“, poursuit-il. Réguler le libre-échange, réguler le marché. La politique agricole commune (PAC) l’a longtemps fait : quotas d’importation, quotas de production, prix minimums, coefficients multiplicateurs… Mais, à Bruxelles comme à Paris, nous avons des ayatollahs de la concurrence. »

Une position qui n’est pas nouvelle dans son camp. En 2022, Jean-Luc Mélenchon (FI) plaidait déjà en faveur d’un refus des accords de libre-échange et de partenariat économique en cours de négociation et la sortie de « ceux déjà négociés par l’UE », mais aussi des prix planchers français « fixés chaque année par le ministère de la Production alimentaire à l’issue d’une conférence sur les prix rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs ».

Bien avant cette campagne, en 2019, le Parti communiste français portait déjà la possibilité de prendre cette voie, évoquant avant l’heure la nécessité d’une « exception agricole ». À l’époque, Ian Brossat, alors tête de liste du PCF pour les élections européennes, s’engageait pour « la mise en place d’une assurance publique agricole permettant de couvrir les risques climatiques, sanitaires et environnementaux, gérée par les acteurs de l’agriculture et l’État, et non pas par des actionnaires qui ne pensent qu’au profit ». Un volontarisme que l’on retrouve dans le programme présidentiel de Fabien Roussel, trois ans plus tard : « Il faut sortir ce secteur des logiques marchandes et instaurer une exception agricole : les biens et services qui visent à assurer nos besoins alimentaires doivent être soustraits du jeu du marché libéral. »

Des intentions que Jonathan Dubrulle, ingénieur agronome et animateur de la commission agriculture du PCF, décrypte : « Cette volonté très ferme d’agir sur les prix et la répartition de la valeur, c’est aussi vouloir renverser les rapports sociaux d’ordre capitaliste, c’est certainement ce qui nous démarque du reste des formations politiques. » Dans le détail, en plus de refuser les accords de libre-échange parce que « les biens agricoles ne peuvent être troqués, en acceptant par exemple l’importation de viande bovine sud-américaine dans l’espoir d’obtenir des marchés publics sur le BTP et les Télécom chez eux », les communistes entendent déterminer les prix à l’échelle nationale à l’occasion de « conférences permanentes territoriales » pour « tendre par une négociation équilibrée, sans rapport de force commercial avec des centrales d’achat en position de force, vers un partage de la valeur ajoutée agro-alimentaire ».

La social-démocratie de la « régulation »

Chez les socialistes, difficile de déterminer une position claire et constante sur la question. Alors qu’en 2020, par une tribune parue dans « Libération », certains de ses caciques, tel son premier secrétaire, Olivier Faure, ou le sénateur Patrick Kanner, demandaient que « notre pays (défende) auprès des Nations unies la reconnaissance d’une exception agricole et alimentaire », ce n’était plus le cas deux ans plus tard, où cette possibilité était totalement absente du programme de la candidate Anne Hidalgo comme des éléments de langage de ses secrétaires nationaux.

Pour autant, même en 2020, cette « exception » socialiste n’a rien à voir avec celle des communistes ou des insoumis… « Une nouvelle régulation des marchés agricoles, basée sur le ”juste échange”, peut se substituer au dogme du libre-échange, écrivent-ils. Car, comme l’avait souligné Edgard Pisani (ancien ministre de l’Agriculture du général de Gaulle – NDLR), ”le monde aura besoin de toutes les agricultures du monde pour nourrir le monde“. Nous devons inventer une nouvelle génération de traités fondés sur des règles équitables et qui s’inscrivent dans un nouveau multilatéralisme. »

Comment expliquer ces circonvolutions ? « On le dit peut-être parfois autrement, mais on en parle toujours, c’est une constante, évacue Dominique Potier, député du Parti socialiste. Notre position, ce n’est pas de renoncer aux échanges internationaux, mais d’échanger juste ce qu’il faut et de façon équitable. Mais je préfère parler d’exception agriculturelle plutôt qu’agricole, notre proposition n’a pas vocation à être démagogique et souverainiste. »

Une position qui se rapproche de celle des écologistes, qui entendent davantage travailler sur une exception européenne plus que nationale. « Je n’ai pas de problème avec le fait de parler d’exception agricole, mais favoriser une production locale ne doit pas nous faire perdre de vue notre idéal européen, développe Marie Pochon, députée verte de la Drôme. On n’est pas là pour nous mettre en concurrence les uns les autres ou rétablir des frontières. Une exception européenne, c’est travailler à l’harmonisation des normes pour garantir un marché équitable à l’intérieur des frontières de l’UE. »

La droite libérale avance masquée

« Je le dis ici solennellement : il y a et il doit y avoir une exception agricole française. » Depuis l’Assemblée nationale, à l’occasion de sa déclaration de politique générale mardi 30 janvier, le premier ministre Gabriel Attal s’est essayé aux grandes annonces, bien que sans contenu, pour le monde agricole. Cette agriculture qui « constitue l’un des fondements de notre identité, de nos traditions », a-t-il assuré, soucieux de brosser dans le sens du poil des paysans qui n’entendent pas revenir au calme. Deux jours plus tard, le premier ministre est revenu à la charge, sans donner davantage de substance à ce concept. « L’exception agricole française, c’est hisser au plus haut (notre) souveraineté, a-t-il déclaré. C’est une question de fierté et d’identité de notre pays. »

Ce n’est pas la première fois que la Macronie s’empare de la formule. En 2020, Emmanuel Macron affirme : « La France a une exception agricole qui est forte et qu’il faut défendre. Celle d’une agriculture de terroir avec des exploitations qui sont à taille humaine et avec une production d’alimentation de qualité. » Sauf que, entre le soutien aux méga-bassines, symbole d’une agriculture intensive, les renoncements multiples sur la question des pesticides, et les traités de libre-échange… toute l’action du gouvernement va à rebours de ces paroles creuses. Si les mouvements de blocage ont poussé Emmanuel Macron à engager un bras de fer avec l’Union européenne sur la question du Mercosur, qu’il avait jusqu’ici soutenu, celui-ci a fermé les yeux sur le Ceta, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, ratifié en 2019 par l’Assemblée nationale.

Légèrement à sa droite, « Les Républicains » (LR) n’ont pour leur part jamais utilisé l’expression. Et pour cause. Qui imagine la droite française contester la direction donnée par le Parti populaire européen (PPE) – dont elle est membre – à l’Union européenne ? Avec, pour conséquence, l’écrasement de notre agriculture par la concurrence internationale… D’autant que sur son site, encore aujourd’hui, le PPE n’amorce aucune remise en question : « Le groupe PPE estime que le libre-échange et la mondialisation ont sensiblement amélioré le niveau de vie de la population et réduit la pauvreté au sein de l’UE et à travers le monde. »

L’extrême droite et ses contradictions

Au même titre qu’ils cherchent à récupérer le mouvement des agriculteurs, le Rassemblement national et son président Jordan Bardella tentent de s’approprier depuis deux semaines l’expression d’« exception agriculturelle ». En l’adossant à leurs mots usuels, du « patriotisme économique » à la « défense de cette part inestimable de notre identité française ». Mais le RN est bourré de contradictions. Marine Le Pen et son parti veulent par exemple « un moratoire sur les accords de libre-échange », ce qui n’empêche pas leurs partenaires européens du groupe Identité et Démocratie d’avoir majoritairement voté pour les traités avec la Nouvelle-Zélande, le Chili ou encore le Ceta. Surtout, son « exception agriculturelle » passerait par une « nationalisation de la politique agricole commune ». Qui peut avoir deux issues.

Première option : sortir de la PAC, comme le proposait Marine Le Pen en 2017 et l’a suggéré Jordan Bardella le 20 janvier avant de se rétracter. « Ce serait priver les agriculteurs français des aides de l’Union européenne, je ne sais pas comment ils feraient sans », avait alors réagi le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel. Deuxième option : « Prendre la main sur les aides de la PAC pour mieux les redistribuer », détaille le programme du RN.

Une grande hypocrisie, quand on sait que tous ses eurodéputés ont voté contre le plafonnement des aides qui auraient permis une meilleure répartition, avant de voter pour le texte de la PAC 2023-2027. « Jordan Bardella et les autres ont validé ce système qui fait que 80 % des subventions vont aux plus gros exploitants, sans par ailleurs de prix garantis pour les paysans et sans encadrement des marges de la grande distribution », détaille l’eurodéputée FI Manon Aubry.

Là où le Rassemblement national est constant, en revanche, c’est sur son attaque démagogique de « l’idéologie de l’écologie punitive » et de la « tyrannie des ONG », que Jordan Bardella tient pour « responsables » de la situation des paysans français. En clair, l’extrême droite ne veut pas de mesures écologiques tout court, votant contre l’interdiction du glyphosate, la réduction des pesticides, et soutenant sans condition le modèle agricole productiviste.

mise en ligne le 3 février 2024

Cabinets de conseil : l’Assemblée valide
en première lecture
une proposition de loi vidée de sa substance
par le gouvernement

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

L’Assemblée nationale a adopté jeudi 1er février en première lecture la proposition de loi des sénateurs communistes visant à encadrer les dépenses de conseil des pouvoirs publics, dans une version largement détricotée par les amendements du gouvernement. Pour la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure de cette loi au palais du Luxembourg, « le texte de l’Assemblée nationale multiplie les reculs ».

L’Assemblée nationale a adopté, jeudi 1er février en première lecture, la proposition de loi des sénateurs communistes visant à encadrer les dépenses de conseil des pouvoirs publics, dans une version largement détricotée par les amendements du gouvernement. Deux changements majeurs ont été validés par rapport à la version adoptée par le Sénat : l’intégration des collectivités de plus de 100 000 habitants au champ d’application du texte et le fait que cette loi ne s’appliquera pas aux prestations de conseil déjà en cours au moment de sa promulgation.

Le gouvernement souhaitait en effet étendre la loi aux collectivités territoriales (communes, département, régions) de plus de 100 000 habitants. Si l’intention est louable, elle n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact, déplore Nicolas Sansu. Cela pourrait conduire le Sénat, où l’influence des élus locaux est importante, à enterrer purement et simplement le texte en deuxième lecture. Les députés sont en revanche parvenus à rétablir, contre l’avis du gouvernement, une disposition prévoyant une déclaration d’intérêts obligatoire pour les consultants et les cabinets sollicités par l’administration.

Le risque d’un enterrement de la loi au Sénat

Le gouvernement de Gabriel Attal était à la manœuvre pour vider de sa substance cette proposition de loi sur les cabinets de conseil. Cette dernière avait été votée à l’unanimité au Sénat fin 2022, sous l’impulsion de la communiste Éliane Assassi, après les révélations dans l’affaire McKinsey.

Lors de l’examen du texte, jeudi 1er février, à l’Assemblée nationale, le gouvernement faisait désormais marche arrière, comme l’a souligné le co-rapporteur du texte, le député PCF Nicolas Sansu. Plusieurs amendements, examinés mercredi soir en commission, avaient été ainsi transmis par l’exécutif. Ils en disent long sur la philosophie qui anime le gouvernement de Gabriel Attal.

Ce dernier souhaitait une réécriture des articles 3 et 4, qui instaurent une obligation de publier les recours aux cabinets de conseil. L’article 5 bis visant à interdire de confier à un cabinet de conseil la rédaction d’une étude d’impact sur une nouvelle loi est également dans le viseur.

Les amendements exigés par le gouvernement conduiraient à « réduire » les pouvoirs de contrôle de la Haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP), selon Nicolas Sansu. Par ailleurs, les sanctions ne seraient plus administratives, mais pénales, les rendant plus difficiles à appliquer. Pour Éliane Assassi et Arnaud Bazin (LR), « le texte de l’Assemblée nationale multiplie les reculs » et « n’est pas à la hauteur des constats alarmants de la commission d’enquête ».

    publié le 31 janvier 2014

Logement, santé, climat :
ce qu'il faut retenir de la déclaration de politique générale très à droite de Gabriel Attal

Florent LE DU sur www.humanite.fr

Le premier ministre a tenu, ce mardi, sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale. Avec plusieurs annonces, en particulier sur le travail et la sécurité, et la réduction des droits comme ligne de conduite.

À droite toutes. Après une longue et creuse allocution sans fond, bourrée de slogans vides – « La France ne sera jamais un pays qui subit », « France rime avec puissance » –, Gabriel Attal a finalement montré le cap qu’il comptait tenir. Celui d’une casse sociale appauvrissant toujours plus les plus démunis ; d’un autoritarisme marchant sur les pas de la droite et son extrême ; et d’une incapacité à prendre la mesure de l’urgence écologique.

« Gabriel Thatcher a pris la parole. Rien pour les travailleurs, rien pour les agriculteurs, rien pour les services publics. Rien pour alléger nos factures. C’est la France qui s’appauvrit », a réagi Fabien Roussel, secrétaire national du PCF à l’issue de cette déclaration de politique générale. « C’est un mix entre le libéralisme de Thatcher et le militarisme des anciennes dictatures de l’Est », abonde l’écologiste Sandra Regol.

Les quatre groupes parlementaires de gauche n’ont pas tardé à déposer une motion de censure. Pour la soutenir, ils ne manqueront pas d’arguments. Car, si les annonces du premier ministre en direction des agriculteurs ont été rares, Gabriel Attal a en revanche promis une quinzaine de mesures, qui font souvent froid dans le dos.

Travail : rendre les salariés corvéables

Une bonne partie de son allocution, Gabriel Attal s’est comporté en exécuteur testamentaire d’Emmanuel Macron, dressant un bilan laudateur de son action depuis sept ans. En particulier sur le travail, avançant un taux de chômage qui serait le plus bas « depuis vingt-cinq ans »… En omettant que le chiffre est le fruit des réformes de l’allocation-chômage retirant leurs droits à plusieurs milliers de sans-emploi. Et Gabriel Attal ne compte pas s’arrêter là.

Dans le but de « réinterroger notre modèle », il veut supprimer l’allocation de solidarité spécifique (ASS) qui prolonge l’indemnisation du chômage tout en cotisant jusqu’à la retraite pour les privés d’emploi les plus âgés. « Ce sont des annonces qui risquent de tiers-mondiser la France », alerte Fabien Roussel.

Une mesure terrible socialement, qui faisait débat au sein même de la majorité, dans les coursives de l’Assemblée nationale, mardi. Les quelque 400 000 bénéficiaires de cette ASS ne toucheraient alors plus que le RSA… Et devront travailler pour cela ! En effet, Gabriel Attal souhaite qu’en 2025, les allocataires du RSA soient, dans tous les départements, contraints à une activité de quinze heures hebdomadaires.

Par ailleurs, le premier ministre fait peser une nouvelle épée de Damoclès sur l’assurance-chômage, indiquant qu’en cas de trajectoire financière négative, il adresserait « une lettre de cadrage » aux partenaires sociaux. Une façon de tordre le bras à ces derniers pour réduire les droits des chômeurs. Enfin, le Code du travail pourrait encore perdre en épaisseur, Gabriel Attal promettant une « nouvelle étape » aux ordonnances de 2017, dont les effets sur la protection des salariés ont été destructeurs.

Autorité : la lune de miel avec le RN se poursuit

Clamant un « réarmement civique », Gabriel Attal se veut un chantre de l’autorité, enchaînant des slogans qui sentent bon la naphtaline et le paternalisme : « Dès le plus jeune âge, il faut en revenir à un principe simple : Tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter.” »

Il promet des « sanctions adaptées pour les mineurs de moins de 16 ans » en créant des « travaux d’intérêt éducatif », sorte de travaux d’intérêt général (TIG), qui ne peuvent être prononcés pour les moins de 16 ans. Des TIG qui pourraient en revanche être distribués aux parents d’enfants commettant des délits.

Un mépris du droit et de la morale. Comme une réponse uniquement autoritaire, jamais sociale, aux révoltes de juin 2023 après la mort du jeune Nahel à Nanterre. « Nous avons un gouvernement totalement déconnecté et qui a un rapport uniquement autoritaire avec la jeunesse », a ainsi fustigé l’insoumis Louis Boyard.

Logement : le social va perdre du terrain

En pleine crise du pouvoir d’achat, le premier ministre ne pouvait rester silencieux sur une dépense qui correspond à un tiers du budget des ménages : le logement. Il assure qu’il va doper l’offre par un choc des normes : « Revoir les DPE, simplifier l’accès à MaPrimeRénov’, faciliter la densification, lever les contraintes sur le zonage, accélérer les procédures. » Dans une vingtaine de territoires, les formalités seront accélérées pour créer 30 000 logements en trois ans, sur le modèle de ce qui a été fait à l’occasion des jeux Olympiques.

Mais, alors même que Gabriel Attal assure « soutenir le logement social », il prévoit de revenir sur le plancher de 25 % par ville, prévu par la loi SRU. Ce, au prétexte de « soutenir les couches moyennes » (dont beaucoup restent éligibles au logement social, comme 80 % de la population) en intégrant les logements intermédiaires à ce plancher de 25 %. Le tout en nourrissant un discours opposant ces dernières aux classes populaires.

Santé : régulariser les médecins, laisser tomber les malades ?

Tout en maintenant son cap droitier que « la lutte contre l’immigration illégale doit continuer à s’intensifier », Gabriel Attal veut régulariser nombre de médecins étrangers et même « nommer un émissaire chargé d’aller (les) chercher ». « Le comble du cynisme, dénonce le premier secrétaire du PS Olivier Faure. Ne pas régulariser les travailleurs premiers de corvée et sans papiers, mais envoyer un émissaire dans les pays étrangers pour les piller de leurs médecins. »

D’autant que, dans le domaine de la santé et de l’immigration, Gabriel Attal veut aussi s’attaquer à un droit essentiel pour les exilés qui n’ont pas la chance d’être médecins, en réformant l’aide médicale d’État comme l’exigent LR et le RN.

Par ailleurs, le premier ministre n’a apporté aucune réponse aux hôpitaux publics saturés, aux déserts médicaux, à la pénurie de médicaments. Il a préféré taper sur les patients avec une mesure anti-lapins : « Je souhaite un principe simple : quand on a rendez-vous chez le médecin et qu’on ne vient pas sans prévenir, on paye. »

Climat : satisfait de son inaction, Attal tape sur les écologistes

Fustigeant ce qu’il nomme comme l’extrême droite « l’écologie punitive », Gabriel Attal assure : « On ne fera pas l’écologie sans le peuple. » Ce qui n’a pas posé de problème de conscience à l’exécutif au moment de réformer les retraites.

Faut-il en conclure tout simple que le gouvernement « ne fera pas l’écologie » tout court ? En assurant soutenir une « écologie des solutions », ou « écologie à la française », son objectif a surtout été de caricaturer la gauche et les écologistes qui voudraient, selon lui, « une écologie de la brutalité ».

Concrètement, hormis la création d’un « service civique écologique qui rassemblera 50 000 jeunes prêts à s’engager pour le climat » et un plan de réduction du plastique pour 50 groupes industriels, Gabriel Attal n’a fait aucune annonce précise. Préférant se réfugier derrière des slogans – « oui, nous ferons rimer climat avec croissance » –, qui dénotent surtout un grave manque d’ambition.

La crise des agriculteurs :

Suspension des négociations UE-Mercosur

« À l’heure actuelle, l’analyse de la Commission est que les conditions pour conclure des négociations avec le Mercosur ne sont pas réunies », a affirmé Éric Mamer, porte-parole de la Commission européenne mardi. Des discussions vont se poursuivre entre les négociateurs des institutions.

« L’Union européenne poursuit son objectif d’atteindre un accord qui respecte les objectifs de l’UE en matière de durabilité et qui respecte nos sensibilités, notamment dans le domaine agricole », a ajouté le porte-parole. Lundi, la présidence française affirmait que les négociations avaient été interrompues en raison de l’opposition du pays. « Notre compréhension, c’est qu’elle (la Commission) a bien instruit ses négociateurs de mettre fin aux sessions de négociation qui étaient en cours au Brésil », avait souligné l’Élysée.

Dérogation sur les jachères

La Commission européenne envisage l’adoption d’une nouvelle dérogation aux règles sur les jachères, prévues par la politique agricole commune (PAC), a annoncé l’institution ce mardi. La nouvelle PAC impose de garder 4 % de jachères ou surfaces non productives.

Le porte-parole de la Commission européenne, Éric Mamer, a indiqué l’intention de l’exécutif d’examiner une proposition sur « une dérogation temporaire à ces règles », dans la « continuation » de l’exemption accordée en 2023 du fait de la guerre en Ukraine. Plusieurs États, dont la France, réclamaient la poursuite de cette dérogation.

Convoi pour Rungis

Un convoi de 200 agriculteurs, parti du Lot-et-Garonne en direction de Rungis et mené par la Coordination rurale, devait faire escale dans la nuit entre Vierzon (Cher) et Orléans (Loiret). L’arrivée devait se faire dans la journée du 31 janvier, au marché international de Rungis, dans le Val-de-Marne.

  publié le 18 janvier 2024

Face à la
xénophobie ambiante,
quel sursaut ?

sur www.humanite.fr

Le vote de la loi sur l’asile et l’immigration a reçu le soutien du Rassemblement national. Cela se produit dans un contexte où, chaque jour, le matraquage idéologique en faveur du repli identitaire est incessant sur les réseaux sociaux, dans les médias, etc. Comment réagir ? 4 personnalités prennent position.


 

La parole raciste s’est libérée. La mobilisation de celles et ceux qui refusent la haine de l’autre sous toutes ses formes est urgente

par Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Le vote, le 19 décembre 2023, d’une loi sur l’asile et l’immigration, xénophobe et raciste, la plus dure jamais adoptée en France depuis quarante ans, semble avoir agi comme un électrochoc. Il faut s’en féliciter. Mais cette loi n’est qu’un révélateur exemplaire du poison qui s’est infiltré dans notre société au moins depuis 2002. Nicolas Sarkozy comme ministre de l’Intérieur, puis comme président de la République a sans hésiter repris le vocabulaire et une partie des propositions du FN. En 2007, il créa un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et, en 2010, rattacha, pour la première fois dans l’histoire de la République, l’immigration au ministère de l’Intérieur.

Autrement dit, l’immigration est devenue une question de sécurité et non plus d’intégration rattachée au ministère des Affaires sociales. Les mêmes politiques ont été poursuivies sous la présidence de François Hollande. Peu à peu, ces tentatives de récupération des voix se portant sur l’extrême droite n’ont fait que banaliser ses idées, et le RN a vu ses scores exploser (Marine Le Pen récoltant plus de 13 millions de voix au second tour en 2017). Le tout sans surprise puisque les électeurs·trices préféreront toujours l’originale à la copie. Et ainsi, le 19 décembre 2023, Marine Le Pen a pu, tranquillement, revendiquer une victoire idéologique.

La parole raciste s’est totalement libérée. Tout est la faute de l’étranger, de l’autre, du différent, de celui ou celle qui n’a pas la bonne couleur de peau ou la bonne religion. Les passages à l’acte sont de plus en plus nombreux et des groupuscules d’ultra-droite s’affichent sans hésiter pour manifester dans les rues.

Tout cela rappelle tristement les années 1930. Alimenter la haine de l’autre est la solution la plus facile pour celles et ceux qui refusent de combattre ou de prendre à bras-le-corps les inégalités et les discriminations de toute nature qui fracturent la société française.

Oui, un sursaut est nécessaire. Il passe par la mobilisation de toutes celles et tous ceux qui refusent ce retour de la haine de l’autre, dont les formes se corrèlent les unes aux autres. Le raciste est le plus souvent tout aussi antisémite qu’islamophobe et sexiste, homophobe ou transphobe… Quand on regarde l’indice de tolérance produit chaque année par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), on est en droit d’être optimiste : il est actuellement de 64 %, contre 58 % en 2013, et la CNCDH souligne que son évolution polarise de façon croissante les écarts en fonction de l’âge et de l’appartenance politique.

C’est de cohésion et d’égalité dont notre société a besoin. Il est temps de comprendre que l’égalité, l’égalité réelle de l’accès à tous les droits, pour toutes et pour tous, doit se construire « en même temps » dans tous les champs de la société et qu’il est contre-productif d’opposer les combats les uns aux autres. Ce défi est devant nous. C’est un enjeu majeur pour construire un nouveau projet de société apte à reconquérir celles et ceux qui boudent les urnes.


 

L’extrême droite se présente aujourd’hui comme une alternative. La contre-offensive doit donc être menée projet contre projet

par Roger Martelli, historien

C’est un environnement global qui décide si le racisme et la xénophobie sont en activité ou en sommeil. Le nôtre est déterminé par cette évolution longue qui a vu se succéder et s’imbriquer la crise du soviétisme, les reculs de l’État social et les déstructurations produites par la longue hégémonie de l’ultralibéralisme. Dès lors, l’incertitude et l’inquiétude se conjuguent, alors même que s’étiole la conviction qu’est possible une société différente de celle qui nous enserre et qui nous contraint.

L’image de la gauche reste associée à l’époque du soviétisme et de l’État-providence, tandis que le macronisme et la droite sont confondus avec la mondialisation et ses effets, déstabilisateurs pour les plus fragiles. Écartée longuement du pouvoir par l’opprobre des fascismes européens, l’extrême droite se présente ainsi comme une alternative à des forces jugées révolues. Elle le peut d’autant plus qu’elle a su imposer au fil des années sa thématique de l’identité au détriment de celle de l’égalité et qu’elle a pu cultiver les obsessions de la guerre des civilisations. Plus récemment, elle a enfin travaillé à investir le champ des demandes sociales les plus urgentes et les plus immédiates.

La force de l’extrême droite tient toutefois avant tout à la cohérence de son projet. Dans un monde instable et dangereux, elle promeut le rêve de la protection absolue par l’hermétisme des frontières et par la défense des identités acquises. Elle relie ces objectifs à celui de la lutte contre l’assistanat : au sein d’un modèle concurrentiel assumé et dans un monde aux ressources limitées, elle joue sur le sentiment que le plus réaliste est de réduire le nombre de ceux qui se partagent la richesse disponible. Se replier sur le cocon de l’État-nation, écarter les parasites au profit de ceux qui travaillent, tenir à distance l’étranger et valoriser la proximité de la préférence nationale : tel serait l’horizon unique du possible et du souhaitable.

Toute contre-offensive suppose bien sûr, comme un préalable, de déconstruire pièce par pièce le discours des droites extrêmes, de ne leur faire aucune concession, de se débarrasser de cette fausse évidence selon laquelle elles poseraient de bonnes questions mais donneraient de mauvaises réponses. Mais cet effort de détricotage rationnel ne produira ses effets que si l’on peut l’adosser à un projet de société humaniste et rassurant, qui redonne confiance dans l’avenir, qui associe la colère à l’espérance, et qui permette ainsi aux catégories populaires dispersées de devenir un peuple politique maître de son destin.

La droite nous propose de conjuguer la confiance, le marché et l’ordre ; l’extrême droite suggère l’inquiétude, la protection et le mur. Si elle veut s’imposer face à ces projets, la gauche doit valoriser une société rassemblée par l’égalité, la citoyenneté, la solidarité et la sobriété. Et elle doit légitimer ce projet par le réalisme du rassemblement politique et social à gauche qu’elle promeut en même temps que lui.


 

Au-delà des fantasmes sur la question migratoire, la lutte contre l’extrême droite nécessite un engagement politique et social sur le terrain.

par Assan Lakehoul, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF)

La loi immigration votée par les macronistes, LR et le RN nous indigne. En faisant le pari, dont on connaît déjà l’inefficacité, de dégrader l’accueil pour dissuader les personnes migrantes de venir en France, le texte va enfoncer des êtres humains dans l’extrême pauvreté et dans une précarité administrative aux conséquences désastreuses. Pourtant, les données statistiques et démographiques sur l’immigration sont loin des fantasmes alimentés par l’extrême droite, repris en chœur par la droite et le gouvernement.

Au-delà de la seule question migratoire, le vote de cette loi marque un tournant important. Pour la première fois de l’histoire de la Ve République, les idées de l’extrême droite arrivent au pouvoir. Pire, elles le font par la voix de celui qui a été élu pour s’y opposer. Cela témoigne d’une extrême droitisation de la vie politique, y compris de la droite dite républicaine, qui fait de l’accession au pouvoir du RN une issue désormais probable.

Face à la montée des idées d’extrême droite, notamment dans la jeunesse, l’appel à la morale ne suffira pas. Se contenter de clamer haut et fort que les idées de l’extrême droite sont nauséabondes ne suffit plus. Pendant ce temps-là, tout une partie des jeunes, des travailleuses, des travailleurs voient dans le RN la seule solution contre le « système ».

C’est en faisant la démonstration que l’engagement politique autour d’un projet de transformation sociale est efficace que nous les ferons reculer. C’est en organisant les jeunes, en se battant pour des victoires concrètes que nous prouverons qu’il existe une alternative crédible au repli nationaliste comme au capitalisme déshumanisant.

C’est sur un contenu clair, et dans les actes, que nous ferons reculer l’extrême droite. Cela fait maintenant vingt ans que se succèdent tribunes et appels aux « valeurs humanistes », sans que l’extrême droite recule, bien au contraire. Ce n’est pas en restant entre nous, gens de gauche aux valeurs « supérieures » que nous convaincrons. Disons cela non pas par cynisme, mais avec lucidité, avec l’espoir de faire changer les choses et faire reculer pour de bon l’extrême droite.

Nous appelons l’ensemble des organisations de jeunesse progressistes à nous rejoindre dans des batailles utiles répondant aux besoins et aspirations de la jeunesse. Organisons des fronts larges contre Parcoursup et pour un système éducatif émancipateur. Unissons-nous pour lutter contre la réforme du lycée professionnel pour permettre à chaque jeune d’avoir un avenir, quelle que soit sa filière. Battons-nous ensemble pour la dignité au travail pour permettre à notre génération d’appartenir à un projet commun.

Unissons nos voix pour parler de paix et de solidarité entre les peuples. Cette action, c’est une action de terrain, un travail de fourmi, pour parler à tous les jeunes, sans aucune exclusive. Allons convaincre un par un chaque jeune qu’une alternative est possible, et que celle-ci ne réside pas dans le rejet ou l’exclusion. C’est une tâche de longue haleine qui peut être ingrate, sûrement peu médiatique, mais elle est nécessaire. Il est encore temps.


 

Comme dans les années 1930, l’autre est dépeint comme une menace. Menons le combat de résistance à l’instar des anciens qui ont libéré notre pays.

Par Carine Picard-Niles, présidente de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt

L’étranger, source de tous nos maux, ou quand l’histoire se répète ! À partir de 1930, une série de lois et de décrets se sont succédé afin de rendre responsables « ces immigrés qui prennent le travail des Français » dans un pays qui vient de subir la grande crise mondiale de 1929. L’hospitalité de la France est rendue contraignante pour les étrangers, « qui menacent la sécurité nationale ». Le langage guerrier de l’époque n’est pas sans rappeler celui du président Macron dans ses vœux aux Français le 31 décembre 2023. Tout comme cette loi immigration vient faire écho à l’activisme législatif d’avant 1936.

En 1936, tous ces immigrés, qui avaient fui le fascisme en Espagne, en Italie, au Portugal, vont entrer en résistance et s’unir aux partis de gauche et aux grands syndicats pour créer le Front populaire, permettant aux ouvriers d’hier d’arracher de grandes avancées sociales. Ces conquis sociaux, toujours en vigueur, nous protègent mais continuent d’aiguiser l’appétit des ultralibéraux malgré la réponse unitaire de nos syndicats et partis politiques.

En 2024, toutes et tous, nous avons dans nos veines du sang d’immigré, sang espagnol, portugais, polonais, italien, puis tunisien, algérien, marocain, africain, indien, avec des ancêtres ayant fui une guerre ou un risque climatique. La Seconde Guerre mondiale a été une période d’extermination d’êtres humains par d’autres êtres humains, autoproclamés « supérieurs ».

1934-1944-2024. En août prochain, nous célébrerons le 80e anniversaire de la fin de cette période inhumaine et dévastatrice sur notre sol qu’a été la guerre. Presque tous les survivants de cette période ont disparu ou leurs voix s’éteignent. Allons-nous être condamnés à revivre ce pan de l’histoire ? Le travail a toujours attiré les immigrés, avec l’assentiment des patrons dans tous les pays. Mais, à chaque fois, les gouvernements rendent responsable des crises sociales ou économiques l’étranger, celui qui est différent, le jeune, la femme…

Face à une xénophobie ambiante et aux conflits mondiaux, il faut se rappeler l’histoire et accompagner celui qui arrive afin que cet étranger ne le reste pas. C’est le rôle d’un État fort pourvu de services publics protecteurs, autonomes, justes, de proximité, avec des moyens financiers et humains pour évaluer, contrôler et agir en sanctionnant justement, si besoin, le profiteur.

Et qui profite le plus ? Celui qui perçoit un peu plus d’allocations qu’il ne le devrait ou bien celui qui détourne des millions d’euros et que personne ne croise dans son HLM ? Faisons taire ces « supercheries » d’un État qui stigmatise une catégorie et crée des clivages. La misère, cette misère décrite dans les Misérables de Victor Hugo et qui revient à l’assaut de notre pays « riche » est le terreau fertile de la haine, de la xénophobie, du racisme, de l’antisémitisme. Elle est voulue et entretenue par les plus riches qui voient en elle un moyen de pression sur les plus pauvres, lesquels sont prêts à se battre pour un téléphone, une télévision…

Il est de notre devoir de renverser cette régression humaine sociale et économique pour que chacun trouve sa place et que nos anciens, nos parents, grands-parents, résistants, ne soient pas morts pour rien. Soyons dignes d’eux pour notre jeunesse, pour un avenir sans guerre.

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