publié le 30 juin 2022
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Élu au terme d’un scrutin à suspense, le nouveau président insoumis de la commission des finances revient sur la manière dont il envisage son mandat. Il promet un changement de pratique profond.
Après ses déconvenues sur la questure, La France insoumise (LFI) a gagné, jeudi 30 juin à midi, la bataille de la présidence de la commission des finances. Au terme de plusieurs heures de suspense où se sont multipliées les suspensions de séance, le député insoumis de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, a été élu à l’un des postes les plus convoités de la législature.
Attribuée, selon le règlement de l’Assemblée nationale, à « un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition », cette présidence, qui fut naguère occupée par des socialistes (comme Dominique Strauss-Kahn, Henri Emmanuelli et, quelques années plus tard, Jérôme Cahuzac), et durant la dernière législature par l’élu Les Républicains (LR), passé depuis chez Emmanuel Macron, Éric Woerth, offre en effet un pouvoir important d’investigation en matière fiscale et budgétaire.
D’où la panique qui s’est emparée de la droite, ces dernières semaines, le député LR Julien Dive craignant que la commission ne devienne « l’antichambre de Mediapart », Gilles Carrez redoutant que l’Insoumis ne s’apprête à « jeter en pâture les dossiers fiscaux de particuliers, voire d’entreprises ». Éric Coquerel se présentait notamment face au député du Rassemblement national (RN) Jean-Philippe Tanguy, qui a dénoncé une « piraterie » après sa défaite. Marine Le Pen, elle, a parlé de « nouvelle trahison » en s’attaquant à ce qu’elle qualifie d’« extrême gauche sectaire ».
À gauche, l’investiture d’Éric Coquerel comme candidat commun de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) a donné lieu à des jours de négociations dans une ambiance parfois tendue, notamment avec le Parti socialiste (PS), où Valérie Rabault, ancienne rapporteure du budget, faisait figure de personnalité taillée pour le rôle. Si celle-ci obtient comme lot de consolation la vice-présidence de l’Assemblée, Éric Coquerel emporte aujourd’hui une victoire aussi symbolique que politique. Entretien.
Vous sortez victorieux de plusieurs heures d’un scrutin à suspense. Est-ce la gauche qui gagne à travers vous ?
Éric Coquerel : Je suis ému parce que c’est une victoire importante. Pour plein de raisons. D’abord, c’est la concrétisation, de fait, du rassemblement de toutes nos formations au sein de la Nupes. Il y a eu un sans-faute et nous avons vraiment travaillé de manière solidaire avec les socialistes, les communistes et les écologistes. Ma deuxième satisfaction, cette fois pour la démocratie, c’est aussi que la majorité a joué le jeu et n’a pas participé au vote, comme c’est l’usage.
Cela aurait en effet pu faire pencher le scrutin en faveur du candidat du Rassemblement national, comme cela a été le cas, hier, pour le vote du bureau de l’Assemblée lors duquel la majorité et la droite ont participé à l’élection de deux vice-présidents du RN…
Oui, il y avait de quoi être inquiet. Le risque était aussi que quelqu’un décide de prendre la tête d’un barrage anti-LFI en espérant fédérer les voix du milieu du Rassemblement national. Mais cela ne s’est pas passé, et il a semblé qu’il y a eu, cette fois-ci, une certaine étanchéité. Par ailleurs, j’ai siégé durant les cinq dernières années au sein de la commission des finances. Peut-être que le concret a, cette fois, primé sur certaines déclarations politiques visant à discréditer ma candidature.
Comment envisagez-vous votre mandat ?
Je pense que mon rôle est d’abord de faire respecter les droits de l’Assemblée. D’autant plus au sein d’une Assemblée où il n’y a pas de majorité absolue. J’ai vu que, ces dernières années, certains calendriers ont été souvent précipités de la part du gouvernement : tout à coup, en plein milieu de la loi de finances, nous, commissaires des finances, voyions tomber un projet de loi de finances rectificative et on ne pouvait rien faire. Cela ne se déroulera plus de la même manière.
Ensuite, je compte bien utiliser ma fonction en lien avec ce que sont les préoccupations de la Nupes. Par exemple, je veux travailler davantage sur l’évasion fiscale que sur la pertinence des baisses d’impôts. Je préfère aussi travailler sur les conséquences des politiques de diminution des dépenses publiques dans les ministères, dans les différents services publics, plutôt que de mettre l’accent sur l’État trop dépensier.
Certains à droite vous ont accusé de vouloir faire sortir les secrets fiscaux…
La commission a en effet des prérogatives propres sur les questions de secret fiscal, même si c’est encore peu utilisé. Mais il est hors de question pour moi, et je vous le dis d’autant plus volontiers qu’on a dit que j’allais fournir je ne sais quelle information à Mediapart [il rit], de créer un cabinet noir. Par contre, s’en servir pour amender, mettre au jour les problématiques d’optimisation fiscale qui sont plutôt de l’évasion fiscale, ça oui.
Vous devenez, de fait, la principale figure parlementaire de l’opposition à Emmanuel Macron ?
Oui, c’est clairement le poste le plus politique de l’Assemblée, le plus important en réalité. Et cela montre que la gauche est la principale opposition au pouvoir. Par ailleurs, je tiens à ajouter que je suis fier qu’un profil comme le mien – j’ai eu mon bac en candidat libre et j’ai passé la majeure partie de ma vie à travailler et à militer – puisse accéder à un tel poste.
publié le 20 juin 2022
par Cyril Pocréaux 20/06/2022 paru dans le Fakir n°(100)
Il y a quelques mois, on vous racontait la lutte victorieuse de Rachel Kéké, qui vient ce dimanche d’être élue députée, et de ses copines. C’est que des femmes de chambres contre le 6e groupe hôtelier mondial, c’était pas gagné d’avance. Alors, imaginez ce qu’elle pourra faire à l’Assemblée, Rachel !
« ‘‘Fermez vos gueules ! Fermez vos gueules’’, ils nous criaient. Et même, parfois, ils nous balançaient des trucs sur la tête depuis leurs fenêtres, de l’eau ou des canettes… » Rachel, la femme de chambre, secoue la tête : « Mais plus ils faisaient ça et plus ça nous donnait de la force. » C’est qu’ils étaient contrariés, les clients de l’Ibis Batignolles, à la lisière nord de Paris : pendant huit mois, Rachel et ses copines ont tenu le piquet de grève devant leur hôtel. Un conflit qui aura duré près de deux années.
On rembobine le film : juillet 2019, ces femmes de chambre de l’Ibis, employées de la STN, n’en peuvent plus. Marre des cadences, d’être payées à la chambre, de ne pas bénéficier d’une prime de panier pour manger le midi. « Les mutations pour les salariées en arrêt-maladie, ça a été la goutte d’eau, se souvient Sylvie. Le médecin du travail avait exigé que leur rythme passe de 20 à 10 chambres par jour. Alors, la direction les a mutées ! » Rachel poursuit : « Parce que, faut comprendre, c’est un métier qui détruit le corps, vraiment : on a des tendinites, des douleurs aux genoux. Ça rend malade. »
Le petit groupe identifie vite les responsables. « On est salariées de la sous-traitance, mais c’est Accor qui donne les ordres, non ?
Mais ils nous ballottaient comme un ballon de rugby. On a compris que le seul langage possible, ce serait la grève. » Certaines se découragent : elles étaient 34 filles au début, une
vingtaine rapidement. C’est là que Claude et Tiziri, de la CGT-HPE, se pointent sur place. « Quand il a vu ça, le patron de la STN nous a dit de ne surtout pas rester avec eux »,
rigole Sylvie. Raté : au bout d’une semaine, tout le monde est syndiqué.
Reste que « c’est dur, la grève dehors, surtout dans le froid, la pluie, la neige ». La lutte a débordé sur l’hiver. « Parfois, on n’en pouvait plus. Nos familles
s’inquiétaient pour nous, moi mes enfants me disaient d’arrêter. »
Des caisses de grève se mettent en place. Elles vont récolter, au final, 280 000 euros – dont 15 000 des postiers grévistes de Sud 92 ! Une fois réglés les frais d’avocats, de quoi tenir ces
deux années.
Car en face, Accor réagit : le groupe, quatre mille salariés, fait venir d’autres salariées pour compenser les débrayages. Alors, il faut faire du
bruit, plus de bruit, devant le siège du groupe, dans d’autres hôtels, avec des politiques et de la presse.
Et Accor comme STN finissent par céder, lors d’une ultime médiation, en mai dernier. « Leur image en souffrait, tellement elle était salie, analyse Rachel. On a saisi la cravate de
Sébastien Bazin, le PDG d’Accor, on lui a serré encore un peu plus, on lui a donné nos conditions et il les a acceptées à 99 %. »
Car elles gagnent sur quasi tout, au final : 7,30 euros de panier repas, travail à la pointeuse et non plus à la chambre, 20 minutes de pause le
midi, annulation des mutations, grévistes licenciées réintégrées. « Quand j’ai vu ma fiche de paye, ça a changé, aussi ! » En moyenne, entre 250 et 500 euros de plus par
mois.
« On a sorti la tête de l’eau comme la sardine sort de sa boîte. Avoir résisté au 6e groupe mondial, c’est une fierté. » En fait, « il manque juste l’internalisation, mais
ça va venir », prévient Rachel. La cravate de Bazin a du souci à se faire : l’appétit vient en gagnant.
D’ailleurs, c’est maintenant à une députée qu’il s’adressera, la prochaine fois qu’il devra parler à Rachel !
publié le 19 juin 2022
Sur www.humanite.fr dimanche 19 juin à 20h50
Selon les estimations de 20 heures, la gauche obtiendrait de 150 à 180 sièges et bouscule le camp présidentiel. L’extrême droite marque aussi des points avec un groupe de 80 à 100 élus.
Un véritable séisme politique. Le second tour des élections législatives bouleverse le paysage politique : la Macronie devrait se voir priver d’une majorité absolue tandis que la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) occupera une grande partie de l’Hémicycle. Mais l’extrême droite vient assombrir le tableau, avec un Rassemblement national qui devrait être doté d’un groupe bien plus puissant qu’attendu.
D’une soixantaine de sièges occupés par la gauche pendant le précédent quinquennat, les projections de l’Ifop disponibles à 20 heures lui en promettent de 150 à 180 (lire page 7). Qui l’aurait parié il y a seulement quelques mois, quand la gauche apparaissait divisée et marginalisée ? Mais cette percée, permise par l’union, n’a pas suffi à contrarier les institutions de la Ve République, qui confèrent l’avantage au président, en particulier depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier. « Quoi qu’il arrive, il se sera exprimé une très forte aspiration au changement et à la justice sociale. Il sera contraint d’en tenir compte », prévenait cependant le porte-parole du PCF, Ian Brossat, peu avant le vote.
Car, après un second tour aux allures de sévère revers, le chef de l’État sort extrêmement fragilisé de ce scrutin. Au moins une de ses ministres, Justine Benin, est battue en Guadeloupe (lire page 4). De 210 à 250 députés devraient composer sa majorité. Ainsi, les premières estimations de l’Ifop lui promettent qu’elle serait relative (lire page 9). Pourtant, le président a mouillé la chemise pour éviter d’avoir à composer avec d’autres forces. Bafouant la tradition républicaine, il ne s’est pas privé d’intervenir depuis l’Ukraine dans la campagne des législatives. « Je veux que nous mesurions le moment où nous avons à faire ce choix démocratique : à deux heures et demie d’avion de Paris, il y a la guerre », a-t-il martelé lors de son entretien diffusé à trois jours du scrutin sur TF1, renouvelant son vœu d’obtenir une majorité face au risque de « désordre ». En écho à cette OPA sur la République, ses lieutenants ont poursuivi la diabolisation, entamée dès avant le premier tour, des candidats de la gauche. Des « anarchistes d’extrême gauche », selon la ministre Amélie de Montchalin, inquiétée dans l’Essonne par le socialiste Jérôme Guedj. Avec un « projet de ruine économique du pays », selon son collègue au gouvernement Gabriel Attal (lire notre récit page 8).
Aucune figure de la Macronie n’a manqué de monter au front. Et pour cause : le rapport de forces est tel que le président doit se mettre en quête de nouvelles alliances. Malgré la perte de nombre de ses 100 députés (lire page 10), avec 60 à 70 élus, selon les projections de l’Ifop, LR pourrait bien devenir indispensable à Emmanuel Macron pour valider sa réforme des retraites ou pour contraindre les allocataires du RSA à des heures de travail gratuit. Des mesures pour lesquelles la droite classique n’aura pas trop à forcer sa nature. Mais même son renfort pourrait ne pas suffire. Et « Les Républicains » pourraient bien être tentés de pousser l’avantage. « Pour voter des textes, il faut que l’opposition soit considérée. Si le Parlement est bloqué, comment fait-on ? Au fur et à mesure des textes, si nos propositions sont retenues, nous voulons les voter », a prévenu, jeudi, le président du parti de droite, Christian Jacob.
L’autre fait majeur de la soirée est l’obtention d’un groupe à l’Assemblée nationale par l’extrême droite bien plus important qu’attendu (lire page 9). De surcroît, le premier depuis 1986, où elle avait bénéficié de la proportionnelle. Le Rassemblement national devrait pouvoir compter, selon les premières estimations, sur 80 à 100 sièges au Palais Bourbon sur 208 candidats restés en lice. Une ampleur mésestimée par les sondages d’entre deux tours et un signal des plus inquiétant après la qualification à la présidentielle pour la seconde fois de Marine Le Pen en avril dernier.
Le parti d’extrême droite peut remercier la Macronie. Avec des appels au barrage « au cas par cas », elle a fissuré encore davantage le front républicain, sur lequel elle a – à juste titre – pu compter au second tour de l’élection présidentielle. « Je sais très bien que nous avons des idées différentes et des valeurs communes », avait pourtant assuré, le 12 avril, à la gauche le désormais ex-président de l’Assemblée, Richard Ferrand, battu dimanche soir par la Nupes. Cette fois, outre les membres du gouvernement, nombre de candidats Ensemble ! défaits au premier tour ont jugé opportun de ne pas livrer de consigne de vote. Ou pire, de renvoyer dos à dos gauche et extrême droite. C’est le cas de l’ex-ministre Jean-Michel Blanquer, qui, battu dans le Loiret, au lieu d’inviter à soutenir le communiste Bruno Nottin face à son adversaire RN, a estimé que « l’extrême gauche est un danger aussi important que l’extrême droite » (lire notre reportage page 6).
De basses manœuvres pour tenter de compenser le vote anti-Macron, qui devait largement jouer en défaveur du camp présidentiel lors des plus de 270 duels Nupes-Ensemble !. Selon un sondage Opinion Way réalisé en amont du scrutin, 40 % des électeurs RN du premier tour étaient prêts à choisir le bulletin de la gauche, contre 11 % celui de la majorité présidentielle. Les fameux électeurs « fâchés pas fachos » que le chef de file de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon, avait appelé à faire le bon choix dimanche.
En revanche, la dynamique en faveur de la gauche n’aura pas permis de mobiliser suffisamment parmi les abstentionnistes. 54 % des électeurs ne se seraient pas rendus aux urnes dimanche, selon les estimations disponibles à 20 heures. Plus que la semaine précédente, où la non-participation s’est élevée à 52,49 %. Un record depuis 2017, où, entre les deux tours, l’abstention avait encore bondi de 6 points, passant de 51,3 % à 57,36 %.
La gauche a toutefois construit de solides bases pour aborder le quinquennat. Elle réoccupe le devant de la scène politique et pourrait entraver les plans d’Emmanuel Macron en comptant sur le renfort du mouvement social et climatique, plus que jamais décisif. À la gauche désormais de jouer de ses tout nouveaux atouts pour imposer les questions qui préoccupent vraiment les Français, pouvoir d’achat en tête.
Et sur www.mediapart.fr
Devant ses militants, à l’issue du deuxième tour des législatives, Jean-Luc Mélenchon s’est réjoui de la « déroute totale » du parti présidentiel, évoquant une « situation totalement inattendue, absolument inouïe ». « Nous avons réussi l’objectif politique que nous nous étions donné, en moins d’un mois de faire tomber celui qui avec autant d’arrogance avait tordu le bras de tout le monde pour être élu sans qu’on sache pour quoi faire », a-t-il déclaré. « C’est avant tout l’échec électoral de la Macronie, l’échec, plus grave, moral de ces gens qui donnaient des leçons à tout le monde de morale et qui se prétendaient le barrage à l’extrême droite et qui auront eu comme principal résultat d’en avoir renforcé les rangs », a-t-il insisté tout en regrettant le niveau élevé de l’abstention.
À ses troupes, et notamment à la jeune génération, il a adressé un « message de combat », évoquant les « opportunités incroyables » s’offrant à elle pour faire face « au changement climatique et à la grande crise financière ». « Vous disposez d’un magnifique outil de combat : la Nupes, ce sont ses parlementaire, ouvriers, ouvrières, salariés de tous ordres, de toutes les régions de France, arrivant par dizaines sur les bancs de l’Assemblée nationale », a-t-il lancé.
« Toutes les possibilités sont dans vos mains. Quant à moi je change de poste de combat, mais mon engagement est et demeurera dans les premiers de vos rangs, si vous le voulez bien », a-t-il affirmé. « Le grand jaillissement de l’histoire du plus profond de ce qu’est la France des rébellions et des révolutions a le visage de notre collectif, celui de l’union populaire », a-t-il martelé. Face à ce « monde finissant », a-t-il affirmé, « il faudra apporter des réponses fulgurantes. » « Pas un instant, a-t-il conclu, nous ne renonçons à l’ambition d’être ceux qui gouverneront ce pays et qui l’amène à un autre horizon. »
publié le 18 juin 2022
Fabien Gay sur www.humanite.fr
Qui aurait pu imaginer un seul instant, au soir du premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril dernier qui voyait une nouvelle fois la gauche éliminée du second tour, que, deux mois plus tard, une large coalition de la gauche et des écologistes, la Nupes, serait au coude-à-coude avec l’arc de rassemblement de la majorité présidentielle ? Et pourtant, c’est un fait, et la Nupes a déjà remporté son premier pari. En deux mois, elle a réussi à remobiliser, à redonner l’espoir qu’une autre majorité était possible, et que la retraite à 65 ans, le RSA conditionné au travail gratuit, les salaires bloqués et l’inflation ou plutôt la spéculation rampante n’étaient pas une fatalité.
Même si la gauche progresse de « seulement » 63 889 voix par rapport à 2017, son unité et son rassemblement lui permettent d’être présente au second tour dans quelque 400 circonscriptions (hors outre-mer), d’être en tête dans 194 d’entre elles, et d’avoir déjà quatre députés élus dès le premier tour. La Nupes sera même présente dans 61 circonscriptions face au Rassemblement national. Dès lors, il appartient à tous les démocrates, républicains et à la majorité présidentielle de parler haut et clair, comme la gauche a su le faire pour le second tour de la présidentielle, et de battre largement le RN, qui progresse de 1,3 million de voix par rapport à 2017. Loin d’être vaincue, l’extrême droite reste vivace et ses idées s’enracinent dans la société.
Ce premier tour est un camouflet pour Emmanuel Macron. Pour la première fois depuis l’instauration de la Ve République et alors que les institutions sont conçues pour confier au président élu une large majorité, il se pourrait que les électrices et les électeurs décident de ne pas confier cette majorité absolue, ni même relative, au chef de l’État. Ce serait inédit ! Si tel était le cas, il est possible et probable que le président se retrouve en difficulté pour imposer ses réformes libérales.
Après avoir fait le choix d’un non-débat lors de la campagne de l’élection présidentielle, c’est celui d’une campagne sous anesthésie qui a été retenu pour les législatives. En somme, Emmanuel Macron a pensé que, par le simple jeu des institutions malades de la Ve République, la majorité, à défaut d’exister dans les idées, serait du moins au rendez-vous des urnes.
Ce pari nauséeux – et bien peu démocratique – est raté. Et l’abstention très forte, qui a battu un nouveau record, devrait être entendue à l’Élysée comme un signal très politique. Elle traduit une non-adhésion au projet présidentiel ; et une majorité du peuple ne pense pas que la Macronie aura les réponses à la crise du pouvoir d’achat, à la crise climatique, à la crise du service public, dont l’hôpital et l’éducation sont les plus criantes illustrations, nécessitant d’urgentes solutions.
Les Français et Françaises veulent des réponses politiques à ces problématiques, auxquelles s’ajoute celle de la paix au niveau international. Voici donc le dernier défi des candidats et candidates de la Nupes pour le 19 juin : mobiliser les abstentionnistes par millions, pour être le plus nombreux possible dans la prochaine Assemblée, avec des députés de combat pour défendre l’augmentation des salaires, revenir à la retraite à 60 ans et répondre à l’urgence sociale et climatique.
publié le 18 juin 2022
Lucie Delaporte, Pauline Graulle et Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr
Renaissance de la gauche, affaiblissement de Macron, place de l’extrême droite… À la veille du second tour des législatives, Mediapart passe en revue les principales questions que pose le scrutin.
Une élection « extra-ordinaire », au sens propre. Boudé par plus de la moitié des inscrits (un peu moins de 48 % des électeurs se sont rendus aux urnes le 12 juin), le premier tour des législatives n’en a pas moins bousculé l’ensemble du paysage politique. Remettant au centre du jeu une gauche unie et conquérante, ce scrutin que tout le monde aurait cru joué d’avance a, pour une fois, ouvert le champ des possibles.
À l’évidence, et par un saisissant contraste avec la campagne d’entre-deux-tours de la Macronie, incapable d’appeler au front républicain contre l’extrême droite, c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) qui devrait tirer, dimanche, son épingle du jeu.
Quoi qu’il arrive, la gauche coalisée a ainsi réussi l’exploit de faire vaciller les certitudes du pouvoir. Réélu à la présidence de la République sans projet ni dynamique, Emmanuel Macron pourrait se retrouver, lundi, dans l’impossibilité de s’appuyer sur une majorité suffisamment large et stable pour gouverner à sa guise. Si elle advenait, cette situation, jamais vue depuis 30 ans, porte en elle une promesse : celle d’une revitalisation – par la voie parlementaire – de cette Ve République à bout de souffle.
Une « folie » pour la droite ; une aubaine pour la gauche qui compte bien pousser son avantage, à l’heure de la réforme des retraites, à l’orée du péril climatique, et alors que la guerre en Ukraine s’enlise et bouleverse les rapports internationaux.
Mélenchon à Matignon : rêve ou possible réalité ?
Le pari de Jean-Luc Mélenchon, tenant en haleine ses troupes en leur promettant qu’« un autre premier ministre est possible », aura-t-il permis le sursaut de participation indispensable à une possible victoire au second tour ?
Deux jours avant le scrutin, sur les bords du canal Saint-Martin où il avait convié la presse pour une dernière déclaration avant le week-end, le troisième homme de la présidentielle réaffirmait qu’il visait « la majorité absolue ». Quelques heures plus tôt sur BFMTV, il faisait d’ailleurs mine d’imaginer son lundi 20 juin au matin : « Je serai chez moi, j’attendrai le coup de téléphone du président de la République pour former le gouvernement. »
Mais les chances du leader de La France insoumise d’obtenir une majorité à même de le propulser à Matignon sont minces. « Tout peut arriver en théorie, mais il faudrait qu’il y ait une surmobilisation électorale entre les deux tours comme cela s’est produit aux législatives de 1988 et de 1997, explique Mathieu Gallard, directeur de recherche à l’institut Ipsos, qui envisage plutôt une stabilité du niveau de l’abstention dimanche. Mais quand cela arrive, c’est que les enjeux sont à la fois très forts et faciles à comprendre, ce qui n’est pas vraiment le cas de ce second tour. »
Autre problème : les reports de voix dans les quelque 400 circonscriptions où la Nupes s’est qualifiée la semaine dernière. Or, ajoute Mathieu Gallard, « autant Ensemble peut compter sur l’électorat Les Républicains », autant la gauche, partie unie dès le premier tour, ne peut pas espérer une réorientation massive de l’électorat au second, dans les 270 circonscriptions où elle affronte la majorité. Et si les électeurs du Rassemblement national (RN) font, sur le papier, figure d’arbitres du scrutin, une bonne partie d’entre eux devraient se réfugier dans l’abstention.
Reste désormais à savoir si la campagne de l’entre-deux-tours, lors de laquelle Jean-Luc Mélenchon a multiplié les appels du pied à la jeunesse et répété que la victoire était à portée de main, pourra déjouer les pronostics.
À quoi ressemblerait une Assemblée avec 150 ou 200 députés de gauche ?
En 2017, l’arrivée en masse d’une centaine de primo-élus La République en marche (LREM) – ces fameux « novices » décrits par le sociologue Étienne Ollion – n’avait finalement pas transformé en profondeur le rôle et la pratique parlementaires.
Cette fois, il faudra regarder du côté gauche de l’hémicycle pour sentir peut-être un vent de renouveau se lever sur l’Assemblée nationale. Si la Nupes parvient, comme elle l’espère, à faire élire au moins 150 députés, pléthore de nouvelles têtes feront, la semaine prochaine, leur entrée au Palais-Bourbon. « L’enjeu, c’est la représentation citoyenne, soulignait, lors de son dernier meeting de campagne à Paris, l’écologiste Julien Bayou. Imaginez : des punks à l’Assemblée, des activistes climat, des Rachel Keke ! »
Autant de profils politiques et sociologiques variés – boulanger, femme de chambre, trentenaires… – qui promettent de donner un sérieux un coup de jeune à l’Assemblée, où les écologistes feront aussi leur grand retour après cinq ans d’absence.
Au-delà des questions de casting, la gauche, qui sera répartie en quatre groupes (insoumis, socialiste, communiste, écologiste) « très actifs », comme l’a promis Mélenchon, a toutes les chances de devenir la première force d’opposition – une place occupée par le groupe Les Républicains (LR) durant les deux précédentes législatures. Ce qui lui ouvrirait de nouveaux droits, à commencer par l’obtention de postes stratégiques, comme la très en vue présidence de la commission des finances, la questure, deux ou trois vice-présidences de l’Assemblée…
À la clef, un temps de parole démultiplié, une présence renforcée dans les commissions où sont écrits les textes de loi, et une bataille politique et médiatique avec l’exécutif qui s’annonce homérique. Surtout si la gauche applique les méthodes des Insoumis qui, à seulement 17 députés, ont réussi à transformer l’Assemblée en caisse de résonance durant le dernier quinquennat.
Afin d’éviter la crise de croissance, la gauche parlementaire devra néanmoins se réinventer. Cette législature « sera un test déterminant pour voir si les Insoumis ont véritablement une culture parlementaire, ce qu’ils revendiquent dans leur programme », soulignait, fin mai, le spécialiste de la vie parlementaire, Olivier Rozenberg, dans nos colonnes.
Sans majorité absolue, le pays va-t-il devenir « ingouvernable » ?
Dans Le Figaro cette semaine, Édouard Philippe a feint de s’interroger : « Que ferait le pays si, dimanche 19 juin, une majorité relative nous empêchait largement d’agir ? » L’ancien premier ministre a agité le spectre d’une « France ingouvernable », promettant un « désordre politique », « une folie » et « une aventure ». La surenchère verbale du maire du Havre (Seine-Maritime) traduit, plus qu’une réalité, l’état d’inquiétude du camp présidentiel avant le scrutin.
Pourtant, l’hypothèse de voir les macronistes disposer d’une majorité relative à l’Assemblée nationale n’a rien d’extravagant. Elle a déjà pris forme en France, sous la présidence de François Mitterrand entre 1988 et 1993. Surtout, c’est la norme chez nos voisins allemands ou espagnols : en 16 ans à la tête du pays, Angela Merkel et la CDU-CSU, son parti, n’ont jamais bénéficié d’une majorité absolue.
En revanche, ce scénario viendrait bouleverser la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron et replacer le Parlement au cœur de la vie politique française. Il pourrait aussi avoir de sérieuses conséquences sur le fond de la politique gouvernementale. Quelle que soit l’option qu’il retient pour faire voter ses lois (lire ci-dessous), le chef de l’État devra faire des concessions et infléchir, dans un sens ou dans l’autre, certaines de ses orientations programmatiques.
Au sein même de la majorité, ce cas de figure viendrait briser le scénario échafaudé à l’Élysée d’un parti présidentiel quasiment hégémonique. Jugé fin mai comme le grand perdant de la répartition des investitures, Édouard Philippe, l’ancien premier ministre, verrait le poids politique de son parti, Horizons, considérablement renforcé par un tel résultat. Avec le MoDem de François Bayrou, la formation de droite macroniste pourrait s’avérer indispensable pour le gouvernement ; en mesure, donc, de peser sur les choix de l’exécutif.
Que fera Macron en cas de majorité relative ?
L’hypothèse selon laquelle la confédération présidentielle remporterait le plus grand nombre de sièges au Palais-Bourbon sans obtenir la majorité absolue placerait Emmanuel Macron face à une véritable équation politique et institutionnelle.
Lorsque celle-ci s’était posée aux gouvernements socialistes de François Mitterrand, ils y avaient répondu par la parade du « 49-3 ». Entre 1988 et 1993, Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy ont utilisé 39 fois cet article de la Constitution qui permet d’adopter une loi sans votes. Sauf qu’une réforme constitutionnelle est passée par là, en 2008, restreignant l’usage du « 49-3 » : celui-ci n’est désormais possible qu’une fois par session parlementaire, hors lois de finances.
Reste la solution politique. Selon le nombre de sièges qui lui manquent pour atteindre la barre des 289, le chef de l’État a plusieurs options : il peut débaucher des élu·es jugé·es compatibles, passer un pacte de coalition avec le parti Les Républicains (LR) ou encore décider de gouverner sans toucher aux équilibres parlementaires, composant des majorités au gré des textes. Autant d’options prévues par la Constitution, loin de la « folie » décrite par Édouard Philippe.
Il n’empêche que ce serait, pour la Macronie, un véritable tournant politique : après cinq ans de centralisme, le camp du chef de l’État serait contraint de repenser sa méthode de gouvernance et sa pratique politique. Une hypothèse que raillait Jean-Luc Mélenchon vendredi lors d’un point presse, renvoyant à la droite ses arguments catastrophistes. « Si Macron l’emporte, ça sera la IVe République dans la Ve République, puisqu’il y aura six partis sans accord entre eux, a lancé le chef de file de la Nupes. Si nous sommes élus, c’est l’ordre, la cohérence ; et eux, la pagaille permanente. »
Le RN : l’autre gagnant du scrutin ?
Dimanche, le Rassemblement national devrait, sauf surprise, dépasser le seuil symbolique des quinze députés pour pouvoir constituer un groupe à l’Assemblée nationale. Une première depuis l’instauration du scrutin majoritaire à deux tours en 1988, qui a fait disparaître l’extrême droite de l’hémicycle malgré sa constante progression dans les urnes.
Au lendemain du second tour de l’élection présidentielle de 2017, à laquelle Marine Le Pen avait recueilli près de 11 millions de voix, le FN n’avait pu faire entrer au Palais-Bourbon que huit députés, disposant de très peu de leviers pour peser dans les débats.
Cinq ans plus tard, après une campagne présentée comme perdue d’avance par Marine Le Pen (la logique des institutions devait offrir une majorité à Emmanuel Macron, expliquait-elle avant le 1er tour), la progression de l’extrême droite s’est à nouveau confirmée au premier tour où le parti a engrangé plus de 1,2 million de voix supplémentaires qu’en 2017 et ce, malgré une abstention record. Le RN est présent au second tour dans 208 circonscriptions, contre 119 en 2017.
Toujours plus fort dans ses bastions traditionnels, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, le RN a réussi à s’inviter sur des territoires nouveaux comme la Gironde ou la Guadeloupe. Preuve que le parti, malgré la grande faiblesse de certains de ses candidats, est en train d’enfoncer le verrou institutionnel qui a longtemps invisibilisé son inscription dans le paysage politique malgré un socle électoral de plus en plus large.
Lundi, lors d’une conférence de presse, le président par intérim du parti, Jordan Bardella, a affirmé que le score du premier tour devrait permettre « la multiplication par cinq du nombre de nos députés », soit une quarantaine. Un pari loin d’être irréaliste, qui marquerait une percée historique pour le RN.
publié le 17 juin 2022
Cyprien Caddeo et Diego Chauvet sur www.humanite.fr
Législatives Le second tour des élections, le 19 juin, déterminera le sens du quinquennat Macron. La Nupes peut-elle obtenir une majorité de députés, fût-elle relative, ou au moins en priver la Macronie ? On fait le tour des hypothèses.
Opportuniste, Macron à Kiev ? Le déplacement du président en Ukraine, assorti d’un passage au 20 heures de TF1 (lire page 6), à trois jours du second tour des législatives, a tout du fait de campagne déguisé. D’autant qu’Emmanuel Macron n’en est pas à son coup d’essai : le 14 juin, avant de s’envoler pour la Roumanie, il demandait à « ce qu’aucune voix ne manque à la République ». Sous-entendu, à Ensemble !, sa coalition. La République, c’est eux ? La gauche ne l’entend pas de cette oreille. Le second tour, dimanche 19 juin, constitue une occasion historique de renverser la table et de faire « bifurquer » le quinquennat vers une politique plus sociale et écologique. Au premier tour, la Nupes et Ensemble ! ont joué des coudes, l’union de la gauche arrivant d’un cheveu en tête (25,85 %, contre 25,78 %). « Ce second tour est un référendum entre les néolibéraux macronistes et les solidaristes de la Nupes », résume Jean-Luc Mélenchon. Dimanche, quatre scénarios se profilent : une majorité relative macroniste, une majorité absolue pour le chef de l’État, une majorité relative pour la Nupes, ou une majorité absolue, donc une cohabitation de gauche.
1. Macron en tête, mais sans majorité absolue
Dans ce scénario, Ensemble ! arrive en tête en nombre de sièges mais n’en glane pas suffisamment pour atteindre le seuil des 289 députés nécessaires pour la majorité absolue. Puisqu’il y a essentiellement des duels Nupes-Ensemble ! au second tour, cela veut dire aussi que la Nupes aurait autour de 200 sièges, au moins. Autrement dit, le chef de l’État n’aurait pas tout à fait les mains libres pour gouverner : sa majorité ne pourrait user du 49-3, sur les retraites par exemple (comme en 2020), car celui-ci engage la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Or, avec moins que la majorité absolue, la Macronie serait bien plus exposée aux motions de censure de l’opposition, et l’exécutif pourrait être renversé. « Quoi qu’il arrive, si cette hypothèse advenait, Macron serait plus faible que jamais, analyse Ian Brossat, porte-parole du PCF. Se serait exprimée une très forte aspiration au changement et à la justice sociale. Il sera contraint de tenir compte de tout ça. » Les macronistes devront aussi chercher des appuis en dehors de leur camp. À en juger par leurs réactions paniquées, ils ne sont pas prêts. « Une majorité relative serait une folie, s’affole l’ex-premier ministre Édouard Philippe dans le Figaro. Ce serait un désordre politique qui viendrait s’ajouter à l’instabilité et aux dangers du monde actuel. » Rien que ça. « Avec qui voudront-ils gouverner ? Y aura-t-il une convergence des droites ? » s’interroge, plus rationnel, le cadre socialiste Maxime des Gayets. Dans ce cas de figure, LR deviendrait un arbitre privilégié des réformes de la Macronie et serait en position de force dans les futures négociations (tout en ayant, paradoxe, perdu quasiment la moitié de ses effectifs de députés). À moins qu’Ensemble ! ne tente de débaucher chez les quelques députés régionalistes ou divers gauche.
Et la Nupes, alors ? Battue, elle resterait néanmoins, et de loin, la première force d’opposition à l’Assemblée. Elle obtiendrait la présidence, très stratégique, de la commission des Finances, traditionnellement dévolue au premier groupe d’opposition – à condition que la Macronie ne s’asseye pas sur la coutume. « Ce qui nous était inaccessible, tels que les référendums d’initiative partagée, les motions de censure, les commissions d’enquête parlementaire, c’est-à-dire un véritable contrôle de l’action du gouvernement, deviendrait envisageable », rappelle Julien Bayou, numéro un d’EELV.
2. Majorité macroniste, le scénario du pire
C’est la plus mauvaise hypothèse pour la Nupes, et la seule qui contenterait Emmanuel Macron. Avec 289 députés ou plus, Jupiter atteindrait son objectif d’avoir « une majorité solide » pour passer ses réformes a priori sans contrainte parlementaire : retraite à 65 ans, RSA conditionnés à 15 à 20 heures de travail hebdomadaire, marchandisation de l’école… En tout cas, il n’aurait pas à faire ce qu’il redoute le plus : devoir discuter avec d’autres forces politiques que la sienne, fût-ce « Les Républicains ». On connaît le mépris du chef de l’État pour le Parlement, pas assez rapide à son goût, et sa propension à abuser d’ordonnances et de décrets, quand il ne s’appuie pas tout simplement sur un conseil de défense. La création d’un « conseil national de la refondation », annoncé pour le 22 juin et où seront « discutées les réformes », est déjà une tentative évidente de contourner l’Assemblée en inventant une nouvelle institution ex nihilo.
En cas de victoire complète, les macronistes se réjouiront sans doute que les Français aient fait le choix de la « stabilité ». « Je ne suis pas certain qu’en cas de victoire de Macron, il y ait beaucoup plus de clarté », rétorque Maxime des Gayets, qui estime que la majorité sortante a « esquivé la confrontation démocratique » pour « éviter que certains débats ne soient tranchés par cette élection ». Reste que, malgré l’échec pour la Nupes, qui a fait campagne dans l’optique de remporter la victoire, la gauche augmenterait son nombre de députés. Elle se consolerait avec les prérogatives que lui offrent ces nouveaux élus (voir premier point). L’insoumise Clémence Guetté se veut optimiste, même dans ce scénario du pire : « On peut gagner, on fera tout pour. Mais dans ce cas-là, on a vu dans le mandat précédent que sa majorité a pu se fissurer. Et parfois, ça pouvait être très juste au niveau des votes. Alors qu’à gauche, nous n’étions qu’une soixantaine. La configuration sera différente, et on pourra bloquer. »
3. La Nupes a un pied à Matignon
La Nupes est en tête… mais faute d’atteindre le seuil des 289 députés, sa majorité n’est que relative. Ce serait une victoire politique évidente pour la gauche rassemblée et une déroute historique pour la majorité sortante. La gauche pourrait légitimement réclamer le gouvernement en tant que première force, mais une coalition LR-LaREM pourrait refuser de lui voter la confiance. Macron, d’un autre côté, serait privé de légitimité politique pour passer ses réformes de casse sociale. La France serait-elle alors ingouvernable, comme le martèle le président ? Le scénario n’est pas inédit : il a d’ailleurs déjà eu lieu en 1988. Le PS de Mitterrand n’avait glané que la majorité relative et a composé jusqu’en 1993 avec les communistes et le centre droit. « Ça créerait une situation inédite dans laquelle il est très difficile de se projeter, concède toutefois Clémence Guetté. Macron risquerait d’être à l’offensive sur la formation du gouvernement. » Mais la Nupes aurait une marge de manœuvre pour lui opposer des motions de censure (58 députés sont nécessaires pour en déposer, et il en faut 289 pour que l’exécutif soit renversé).
Il faudrait en tout cas que la gauche rassemblée se trouve des alliés pour passer ses propositions de loi comme l’augmentation du Smic ou la retraite à 60 ans . « On trouvera bien quelques renégats de LaREM, issus de la gauche, pour nous prêter main-forte, veut croire le communiste Ian Brossat, railleur . L’avantage des opportunistes, c’est qu’ils peuvent retourner leur veste dans les deux sens. » Ce « scénario à l’allemande » (en référence à la culture de la coalition outre-Rhin) signerait le retour d’un parlementarisme fort, où les groupes échangent et négocient, loin de la parodie qu’en a fait Macron.
4. La gauche s’assure une cohabitation
C’est l’objectif de la Nupes : obtenir une majorité absolue avec au moins 289 députés à l’Assemblée. Jouable, même si la marche est haute : il faudra un gros sursaut de mobilisation, notamment chez les 18-24 ans (69 % d’abstention au premier tour, selon Ipsos). Dans ce cas, la vie politique telle qu’on la connaissait depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017 basculerait. Le président de la République en a bien conscience, et c’est pour discréditer ce scénario qu’il a souligné durant la campagne que personne ne pourrait lui imposer le nom d’un premier ministre. « Macron ne pourra pas faire abstraction de la Constitution de notre pays et des rapports de forces politiques, lui rétorque l’insoumise Clémence Guetté. S’il ne nommait pas Mélenchon premier ministre, je rappelle qu’il y a tout de même un vote de confiance… »
La gauche deviendrait la première force politique du pays et, avec une majorité absolue, serait en mesure d’emporter le bras de fer contre l’Élysée. Un gouvernement issu de ses rangs serait alors nommé, avec Jean-Luc Mélenchon premier ministre, et c’est bien son programme qui commencerait à s’appliquer : Smic à 1 500 euros, revenu de 1 063 euros pour les jeunes, retraite à 60 ans, démarrage d’un vaste chantier de transition écologique… Bien entendu, celui-ci ne se mettrait pas en place sans rencontrer de fortes résistances. « La gauche au gouvernement a toujours rencontré des difficultés, rappelle le socialiste Maxime des Gayets. Et ce sont les mobilisations sociales » qui lui apporteront un appui décisif, selon lui. « Il faudra de toute façon construire des coalitions, partisanes mais aussi sociales, ajoute-t-il. C’est le principal enjeu. »
publié le 16 juin 2022
sur www.humanite.fr
Le 19 juin aura lieu le second tour des élections législatives. Et une nouvelle force peut s’imposer, celle des formations de gauche et écologistes unies sous la bannière de la Nupes. Au contraire de la majorité présidentielle, elle propose de porter immédiatement le Smic à 1 500 euros, de revenir à la retraite à 60 ans, de nationaliser EDF et Engie pour créer un grand service public de l’énergie, et de redonner vie, sens et moyens à tous les services publics de fonctionner sur tout le territoire pour assurer l’égalité républicaine. L’espoir est là, comme le démontrent des responsables et des candidats des différentes formations que nous avons interrogés.
Forte d'un programme commun, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale est qualifiée pour le second tour dans près de 400 circonscriptions.
« Nous prendrons l’argent là où il se trouve »
Olivier Faure, premier secrétaire du PS et candidat en Seine-et-Marne
« Il n’y a pas d’argent magique”, mais il y a des prestidigitateurs. Ceux-là savent faire oublier leur immense fortune pour se soustraire à l’impôt. Ils disposent à l’Élysée d’un complice. Le président s’était engagé à revenir sur ces cadeaux si aucun “ruissellement” n’était constaté, mais rien n’ébranle sa foi libérale. Le problème, c’est que, quand ce ne sont pas les plus riches qui paient, ce sont tous les autres à qui est présentée la facture ! La retraite à 65 ans n’a ainsi pas vocation à financer nos retraites. Elles le sont déjà. Le but est ailleurs.
Le gouvernement s’est engagé auprès de Bruxelles à honorer les 3 % de déficit du pacte de stabilité, qui a pourtant volé en éclats avec la crise sanitaire. Ce choix suppose une réduction annuelle de 80 milliards sur le budget de l’État. Comment le financer ? Pas par une fiscalisation des hauts revenus et des entreprises puisque c’est la promesse faite à ses soutiens. Quel plan caché ? La hausse de la TVA. Et si le gouvernement y renonçait parce qu’elle pourrait s’avérer coûteuse politiquement ? Il ne restera alors qu’à laisser se dégrader nos services publics.
La Nupes propose à l’inverse de prendre l’argent là où il se trouve. Alors, oui, nous rétablirons l’ISF et l’exit tax. Nous abrogerons la flat tax. Nous prélèverons sur les profits exceptionnels. Nous imposerons les bénéfices réalisés sur notre sol par les entreprises qui exfiltrent leurs profits pour échapper à la contribution au bien commun. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Revenir sur les privatisations et défendre notre outil industriel
« Faisons de la santé un bien commun »
Mathilde Panot, présidente du groupe FI à l’Assemblée et candidate dans le Val-de-Marne
La crise du Covid-19 a servi de révélateur à une situation déjà critique : dans le Val-de-Marne, à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, en octobre 2021, 5 enfants en situation d’urgence vitale n’ont pas pu être admis aux urgences pédiatriques faute de lits et de soignants. À l’hôpital gériatrique d’Ivry-sur-Seine, ce sont 100 lits fermés et 1 infirmière pour 82 patients. La Macronie est comptable de ce bilan : 4 milliards d’euros d’économie ont été imposés à l’hôpital public, les soignants sont épuisés et fuient la profession, 17 500 lits ont été fermés, dont 5 700 en plein Covid.
Partout où les services publics deviennent un décalque de l’entreprise, ils échouent à leur mission première d’intérêt général. Il nous faut sortir de la tarification à l’activité et instaurer le remboursement à 100 % des soins prescrits. La santé comme droit exige de rouvrir des maternités, des Ehpad à but non lucratif et des services d’urgence partout sur le territoire, et de lutter contre les déserts médicaux. Elle impose d’enclencher un plan massif de recrutement de soignants et de revalorisation des salaires. Elle exige de reconstruire le service public de la psychiatrie, d’augmenter les financements publics de la recherche et de développer la santé environnementale.
Mettre fin à la mainmise du marché dans la santé, c’est la consacrer comme bien commun. Telle est l’ambition humaniste que se donne la Nouvelle Union populaire écologique et sociale ! »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Faire passer la santé d’abord et reconstruire les établissements de santé publics
« Augmenter les salaires, c’est une urgence »
Fabien Roussel, secrétaire national du PCF et candidat dans le Nord
L’explosion des prix, dans de nombreux secteurs, impose d’augmenter au plus vite les salaires. Des millions de Français sont contraints de devoir choisir entre se nourrir, payer le loyer ou les factures de gaz et d’électricité. Pour d’autres, ce sont les sorties, les vacances qui passent à la trappe.
Il faut en finir avec cette politique de bas salaires imposée depuis des années par le Medef et les gouvernements successifs. C’est une urgence. Ni Macron ni Le Pen ne proposent d’augmenter les salaires ! Nous, nous proposons de revaloriser immédiatement le Smic à 1 923 euros brut (1 500 net). Dans la foulée, nous demanderons aux différentes branches professionnelles d’augmenter l’ensemble des salaires en revoyant les conventions. Dans le secteur public, c’est l’État qui décide : nous proposons d’augmenter de 10 % le point d’indice dès le 1er juillet, puis de 20 % dans les cinq prochaines années.
Les grands groupes qui distribuent des dividendes ont les moyens de prendre en charge ces hausses. Pour aider les petites et moyennes entreprises, nous proposons de baisser les charges financières, d’assurances et d’énergie. Elles doivent aussi pouvoir bénéficier de crédits bancaires à taux bonifié. L’État doit les accompagner en conditionnant les aides aux entreprises à leur politique en matière de salaires.
C’est non seulement une question de dignité et de justice pour les salariés, mais aussi une condition pour sortir de la crise actuelle. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Augmenter les salaires et réduire les inégalités salariales dans l’entreprise
« La retraite à 60 ans, une victoire pour les précaires »
Gabriel Blasco, candidat Nupes-PCF dans l’Hérault
« Le bilan de Macron est déjà désastreux pour nos aîné-e-s, entre la loi grand âge abandonnée et la dégradation des conditions de vie des personnes âgées dans les Ehpad. Maintenant, c’est notre système de retraite qui se trouve dans le viseur de la droite, de Macron à Le Pen. Ils veulent, par dogmatisme, nous faire travailler plus longtemps et supprimer les régimes spéciaux. Nous, nous proposons de garantir une retraite digne : c’est un choix politique. “Il faut faire de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie”, disait Ambroise Croizat. Ce droit à la retraite à 60 ans sera une victoire pour les plus bas salaires et les plus précaires. Avec une retraite à 60 ans à taux plein, après quarante annuités de cotisation et une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles. Avec une retraite portée au minimum au niveau du Smic, des pensions revalorisées pour une carrière complète, et un minimum vieillesse au niveau du seuil de pauvreté. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Garantir une retraite digne
« L’inflation n’est plus vivable, bloquons les prix »
Rachel Kéké, candidate Nupes-FI dans le Val-de-Marne
« Je suis gouvernante dans l’hôtellerie à Paris, où, avec mes collègues, j’ai mené une lutte de vingt-deux mois pour améliorer nos conditions de travail. Nous avons fini par gagner ! Aux législatives, je suis face à une candidate de la majorité, Roxana Maracineanu, mais ils ne connaissent pas la vie des gens. Ils ne savent pas ce que c’est que de vivre avec un Smic pour nourrir une famille. À l’Assemblée, je ferai entendre la voix des travailleurs essentiels.
Avec une inflation de plus de 5 % depuis le début de l’année, ce n’est plus vivable. Je rencontre des parents qui n’arrivent plus à remplir leur chariot. Je rencontre des salariés de la grande distribution qui ne peuvent même plus faire leurs courses dans le magasin où ils travaillent. Pour d’autres, c’est le plein d’essence qui ampute leur salaire.
Nous nous battrons pour bloquer les prix de l’essence à 1,4 euro et pour garantir l’accès à un panier de produits, en particulier à cinq fruits et légumes de saison à prix bloqués. Nous maîtriserons aussi le prix des premières unités d’énergie pour que chacun puisse se chauffer décemment. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Éradiquer la pauvreté
« En finir avec le mépris dans l’éducation »
Mélanie Thomin, candidate Nupes-PS dans le Finistère
Il faut d’urgence s’attaquer aux inégalités dans le système éducatif et reconstruire une école émancipatrice. Cela commence par la prise en charge des frais – manuels, fournitures, cantine et transport scolaire – qui pèsent sur les familles les plus modestes. Près d’un million d’enseignants ont aussi été méprisés par le président sortant avec une politique verticale et autoritaire portée par Jean-Michel Blanquer. Il est temps de revaloriser ces personnels et de renforcer les moyens pour les établissements. Le recrutement d’enseignants, d’assistants d’éducation, d’assistants pédagogiques, de psychologues scolaires et d’AESH renforcera un modèle éducatif inclusif. De même, Parcoursup doit disparaître pour laisser la place à un service public national de l’orientation qui associera les régions. La société se construit avec les enfants et les jeunes d’aujourd’hui. Faisons toutes et tous en sorte que notre jeunesse soit au cœur des politiques de demain. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Reconstruire une école globale pour l’égalité et l’émancipation
« Une transition pour le climat et le pouvoir d’achat »
Julien Bayou, secrétaire national d’EELV et candidat à Paris
Emmanuel Macron est le champion de l’inaction climatique. Il a été condamné deux fois pour cela. Il a réintroduit les néonicotinoïdes, alors qu’il disait vouloir interdire le glyphosate. Il promettait 80 000 rénovations thermiques, qui auraient permis d’avoir moins chaud en été et de se chauffer correctement en hiver, tout en étant bénéfiques pour le climat. Il en a fait environ 2 500, soit 30 fois moins. La France est aussi le seul pays en Europe à ne pas avoir respecté ses objectifs de développement des énergies renouvelables.
Nous, nous prenons tout ça au sérieux. Notre programme prévoit de diminuer de 65 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Nous proposons un plan massif de rénovation thermique – sans avance et zéro reste à charge –, qui permettra d’agir en faveur du climat, mais aussi de l’emploi, de la santé et du pouvoir d’achat. Cela représente de 70 à 100 euros d’économies par mois, c’est-à-dire un treizième mois écolo. Faire la transition écologique, c’est pour demain, pour nos enfants. Mais c’est aussi pour aujourd’hui : si on était déjà passé à l’action, on serait moins dépendant du gaz russe, on souffrirait moins de la canicule. Si nous sommes dans la décennie pour le climat, cela ne signifie pas que l’on doit attendre dix ans pour agir. Pour la rénovation thermique, par exemple, il faut former des dizaines de milliers de personnes. Cela représente l’équivalent du grand plan lancé par Roosevelt aux États-Unis dans les années 1930. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Instaurer la souveraineté alimentaire par l’agriculture écologique et paysanne
« La sûreté doit être un droit garanti à tous »
Alice Assier Candidate Nupes-Génération·s en Haute-Garonne
Les gouvernements libéraux successifs ont organisé le démantèlement des missions de service public de la police. Avec la gauche, l’impunité ne vaudra pour personne. Et nous disons bien : pour personne. La sûreté doit être un droit garanti à toutes et tous. Le renforcement des moyens et de la formation de la police sera donc prioritaire. Nous rétablirons la police de proximité et arrêterons la contre-productive “politique du chiffre”. Le droit de manifester doit être garanti et donc la doctrine de maintien de l’ordre révisée. Mais la sécurité est une question globale, qui ne se résume pas à ce qu’en fait la droite. C’est pourquoi nous renforcerons les polices de l’environnement et de l’eau, pour garantir que nos biens communs soient protégés. »
Au programme de la Nupes 8 grands thèmes dont : Refonder la police pour garantir le droit à la sûreté
Bruno Vincens sur www.humanite.fr
Face au président qui promet un « désordre français » en cas de victoire de la gauche, Jean-Luc Mélenchon et la Nupes, en meeting à Toulouse, mardi, ont riposté, déroulant leur projet de justice sociale et climatique. Avec un impératif : ramener aux urnes, dimanche, les jeunes et les classes populaires.
Toulouse (Haute-Garonne), correspondance.
Primature : nom féminin désignant les fonctions du premier ministre. Mardi soir, lors de son meeting à Toulouse, Jean-Luc Mélenchon a usé de ce mot et élargi son acception, y incluant aussi le gouvernement et la politique bientôt à l’œuvre si la gauche unie gagne les élections législatives. « Le 19 juin, ce sera un référendum entre les néolibéraux macronistes et les solidaristes de la Nupes », annonce-t-il. Très vite, le candidat à Matignon vise Emmanuel Macron. Celui-ci, depuis le tarmac d’Orly d’où il s’envolait pour visiter les troupes françaises en Roumanie, avait, un peu plus tôt, mélangé ses casquettes de chef des armées et de chef de la coalition libérale, appelant à « ne pas ajouter un désordre français à un désordre mondial ».
La réponse de Jean-Luc Mélenchon est d’abord ironique : « Son bateau coule, Macron prend l’avion. » Puis, plus sérieuse : « La stabilité programmatique est chez nous. Nous savons où nous allons. Macron, c’est le chaos économique et aussi politique. Il ne peut pas se représenter en 2027, donc la guerre de succession dans son camp va commencer dès maintenant. » Et il soupçonne le président de la République d’avoir considéré ces législatives comme une simple formalité, d’où ce voyage à l’étranger programmé entre les deux tours.
« Le changement climatique provoque des destructions de masse »
Jean-Luc Mélenchon le souligne : « C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que la gauche présente au premier tour des candidats communs. » Il se dit « fier de ce que nous avons réussi en si peu de temps ». Et pose cette question : « Si les macronistes ne peuvent pas avoir la majorité absolue, c’est à cause de qui ? » « De la Nupes ! » répondent en chœur les presque deux mille personnes qui remplissent la salle Mermoz.
Si l’ambiance est chaude pour ce meeting toulousain, on ne le doit pas seulement au thermomètre qui affiche 37 °C, mais aussi à l’espoir que suscite la Nupes. « On est là ! On est là ! » entonne spontanément la foule. « Empêcher Macron de mener sa politique, c’est indispensable, c’est l’urgence absolue », explique Samuel, 28 ans. Parmi les mesures qu’il espère voir appliquées par la coalition de gauche, il cite en premier la retraite à 60 ans. Quant à Floriane, 27 ans, ingénieure dans l’aéronautique, elle attend de la Nupes « un progrès social et écologique, des investissements dans la transition énergétique ». Un programme réaliste ? « Oui, c’est une question de volonté politique. » De son côté, Mathieu, 42 ans, espère qu’une victoire signifiera « une clarification politique à gauche contre le libéralisme économique et une transition vers une société débarrassée des blocages du capitalisme ». Pour lui, le niveau de la participation au second tour sera « crucial ».
À la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a frôlé les 26 % en Haute-Garonne et les 37 % à Toulouse. Il se trouve ici en terrain favorable et sa venue a pour but de pousser l’avantage acquis le 12 juin : les candidats de la Nupes sont qualifiés pour le second tour dans les dix circonscriptions de la Haute-Garonne. La Nupes espérait ici quatre ou cinq députés, elle brigue désormais deux élus supplémentaires.
La dynamique est clairement de ce côté. Pour que l’essai soit transformé, il lui reste à convaincre les jeunes et les habitants des quartiers populaires de se rendre aux urnes. « Si les jeunes votent dimanche, la Nupes sera majoritaire ! » s’écrie la candidate Alice Assier, 25 ans, arrivée en tête dans la 10e circonscription. Dans un message vidéo, le responsable du PCF Pierre Lacaze, présent également dans la salle, exprime l’espoir des communistes de « mettre fin à la politique du président des riches » et de voir « la France entrer à nouveau, dimanche prochain, dans l’histoire du progrès social ». Pour y parvenir, « la question est de savoir combien de personnes vous allez mener au vote dimanche ! » lance Jean-Luc Mélenchon à l’adresse des militants présents.
Parmi les mesures de la coalition de gauche les plus attendues : la retraite à 60 ans.
Dans une vibrante allocution de près d’une heure et demie, le chef de file de la Nupes aborde les questions environnementales. « Le néolibéralisme est un système dangereux, incapable de se corriger de ses erreurs car, quand il en commet, il s’enrichit. Mais nous sommes en grand danger, prévient-il, le changement climatique provoque des destructions de masse. » L’insoumis embraye aussi sur un autre des grands enjeux qui opposent la Nupes à la Macronie et son « travailler plus ». « La retraite à 60 ans libère 830 000 postes de travail ! » martèle-t-il, refusant de voir se perpétuer des pensions de retraite inférieures à 80 % du Smic. « Il ne faut pas dire qu’il n’y a pas d’argent en France, il y en a beaucoup. » À l’approche d’un second tour décisif, Jean-Luc Mélenchon insiste sur le message que la gauche unie adresse à la société : « On va tout changer et on va le faire ensemble. »
publié le 15 juin 2022
Tribune collective sur www.politis.fr
Le programme de Macron sur les questions de santé n'est pas seulement très sommaire. Il prépare une aggravation des dérives constatées depuis 2017, alerte un groupe de médecins davantage séduits par le programme de la Nupes.
Les législatives ne concernent pas seulement nos choix individuels mais nous engagent collectivement. La prochaine assemblée nationale peut devenir un lieu d’arbitrages pour que les politiques de santé retrouvent leur vocation, celle d'un service public dédié au bien-être des personnes.
Nous sommes témoins de l’accélération historique des inégalités, de la destruction de nos environnements et de nos services publics sans oublier l’aggravation de la souffrance au travail. Nous sommes pris au piège d’une société dirigée par les forces de l’argent-roi. Celles-ci sont résolues à accélérer leurs projets avides et destructeurs, y compris sur notre santé.
Le premier mandat Macron a montré en cinq ans d’exercice ce qu’il sait faire : accélérer la réduction des moyens publics d’un bien pourtant proclamé commun. Dans les hôpitaux publics, la tarification à l’activité (T2A) est toujours là. La réduction puis la saignée des effectifs atteint le stade que nous savons (urgences débordées, pénuries de médicaments essentiels…). L’inégale répartition de l’offre de soins de ville reste la première cause « des déserts médicaux ». L’autoritarisme a prévalu dans les mesures d’une santé publique invoquée depuis le début de la pandémie de Covid. La prévention est de plus en plus focalisée sur les comportements des individus, que l'on culpabilise. Le Ségur de la santé n’a proposé que des demi-mesures. Sans parler des manquements graves à la solidarité avec les pays les plus démunis en matière de vaccins et autres équipements de protection. Or le programme affiché du président réélu, sur les questions de santé, est non seulement très sommaire mais il prépare une aggravation des dérives constatées depuis 2017 : recours aux partenariats public-privé dont on sait combien ils menacent l'intérêt public, pseudo-solutions pour les quartiers populaires et les zones éloignées des services (assistants médicaux, internes de 4e année, télémédecine déshumanisée…).
Les programmes de La France insoumise et de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), eux, sont bien plus explicites et séduisants.
Nous nous y retrouvons largement notamment dans leur logique de renforcement du service public et leur prise en compte des questions environnementales (lutte résolue contre les causes des inégalités sociales, amélioration du pouvoir d’achat, de la sécurité et de l’accès à une alimentation saine, souci d’éloigner les risques du nucléaire, préservation des ressources naturelles…). Elles renouent avec la dimension de « création de milieux favorables à la santé », pilier d’une ambitieuse approche de promotion de la santé visant le bien-être global des individus et de la société, telle que la prônait déjà en 1986 la Charte d’Ottawa. Ces propositions ouvrent la voie à une transition progressive et progressiste vers la refonte de notre système de soins et de santé à laquelle aspirent tant d’actrices et d'acteurs concerné·es. Outre les enjeux fondamentaux que représentent la prévention et la promotion de la santé, nous souhaitons insister sur la restructuration de l’offre de soins :
la réhabilitation des soins essentiels de première ligne car l’hôpital public doit être soulagé de la pression des soins et des urgences de premier recours ;
l’offre de soins n’a pas besoin de "plus de soins et d’examens", mais de soins appropriés ce qui implique une maîtrise des dérives de sur-diagnostics et de sur-prescriptions. La sur-médicalisation, tout autant que la sous-médicalisation, est ruineuse pour nos systèmes de protection sociale solidaires ;
la valorisation significative des professions paramédicales, en premier lieu pour les infirmier·es, aide-soignant·es et médecins généralistes qui travaillent au sein d’équipes pluri-professionnelles de proximité. Les centres de santé ainsi que les maisons médicales et de santé doivent devenir la porte d’entrée et de régulation des autres niveaux de soins. Intégrés au sein d’un réseau revalorisé, ils donneraient un nouvel élan à la Protection maternelle et infantile (PMI), à la santé scolaire, à la médecine du travail et aux Maisons des adolescents ;
la promotion du salariat et d’autres formes d’exercice en équipe. La mainmise des soins ambulatoires par « la médecine libérale à tarif libre » et l’exercice en solo, depuis les années 1927-1947, doivent être réexaminés.
le réseau hospitalier public, en aval de cette première ligne, doit non seulement être renforcé par plus de moyens mais surtout rompre avec la T2A et les concepts purement gestionnaires (Lean management, etc.) et du "tout virtuel". Avec l'appui des établissements privés sur la base d’un conventionnement de missions de service public.
la réhabilitation d’un pôle public du médicament promouvant une liste prioritaire (ou nomenclature) des médicaments jugés essentiels, comme en Suède et dans les pays qui ont suivi les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des politiques ambitionnant des soins de qualité pour tout·es, et une prévention prenant en comptes les conditions de vie et de travail, ainsi que le contexte environnemental : la possibilité s'ouvre enfin aujourd'hui avec la perspective de voir la Nupes peser sur les politiques publiques. Des espoirs sont permis. Ils sont à portée de nos bulletins le 19 juin prochains. Le temps est au choix : soit celui de l’acceptation du monde tel qu’il est, soit celui d’un avenir autre pour nos enfants et nos sociétés.
Signataires :
Dr Omar Brixi, médecin et enseignant de santé publique
Dr Marc Schoene, médecin de santé publique
Dr Georges Picherot, pédiatre hospitalier
Dr Patrick Lamour, médecin de médecine générale libéral
Dr Didier Febvrel, médecin de santé publique, ancien membre HCSP
Dr Michel Thomas, professeur honoraire de médecine interne
Par Geneviève Azam Membre d’Attac, sur www.politis.fr
Ce n’est pas la prétendue « science économique » qui nous sortira du marasme environnemental, car elle est incapable de faire place à l’imprévisible, au non-maîtrisable et au non-quantifiable.
La « science économique » officielle, après avoir disparu des écrans, retrouve sa mission et entre résolument en campagne électorale. Elle a son mot à dire sur la planification écologique. Soyons charitables, l’écologie n’a jamais été son fort. Au mieux, quand il en est question, les pollutions et les dégradations ne sont que de vagues « externalités » à traiter comme les autres. La « crise » écologique tient des insuffisances d’un marché à perfectionner. Mais cette fois une opportunité se fait jour. Tous ces désordres pourraient donner une nouvelle impulsion, sinon à une pensée déjà achevée, du moins au projet inachevé de formatage économique du monde. Un monde dessiné de pseudo-concepts répétés en boucle, comme « immunisés contre la contradiction », selon l’expression heureuse de Marcuse, du développement durable à la croissance verte et inclusive, de l’atome pacifique au charbon propre, de la transition à la résilience.
Après avoir renvoyé la planification économique au feu Gosplan du capitalisme étatique, voilà ces « scientifiques » qui empruntent les voies d’un plan écologique qui s’apparente à un Gosplan de marché, à un art de gouverner économique avec un État sous surveillance des marchés. Un « style économique » cher aux ordolibéraux (1), qui rangeaient le rapport Beveridge et le New Deal de Roosevelt dans les ferments d’un totalitarisme de type allemand.
Les désastres écologiques, imputés à des défauts de la rationalité humaine, se poursuivront.
Ces « scientifiques » ont imputé l’échec du Gosplan soviétique à l’État. Alors, au lieu des États soviétiques, guidés par une idéologie, c’est le marché qui doit organiser, veiller et corriger, selon les principes d’une « science » économique neutre dont ils sont les dépositaires et les missionnaires. Et voilà rejouée la scène d’une opposition entre État et marché, dont une des vertus est de masquer toute l’ingénierie, la planification et la bureaucratie nécessaires au fonctionnement du marché, sans compter le pouvoir répressif quand l’aspiration démocratique devient un obstacle à la réalisation du plan. Il est vrai, les économistes officiels ne peuvent imputer la faillite des Gosplan à la concentration des pouvoirs économiques ou à la confusion des pouvoirs économiques, « scientifiques » et politiques, tant ce monde est le leur.
Ainsi, le Gosplan néolibéral entend bien mettre le climat sous surveillance du marché. Nous savons que pour les plans soviétiques, précisément chiffrés, leur réalisation quantitative était devenue la finalité, l’impératif, quelle que soit la distance vis-à-vis du réel, qui devait s’adapter aux chiffres. Le plan pouvait inverser le sens du courant d’un fleuve si les besoins d’irrigation, chiffrés et planifiés, l’exigeaient. Ce sont les mêmes aberrations en matière de climat que nous promet le Gosplan néolibéral. L’objectif affiché est la neutralité carbone en 2050. Sans entrer dans la discussion sur cette neutralité, selon laquelle nous pouvons continuer à émettre à condition de compenser, la focalisation sur un objectif, avec une variable – la tonne de carbone émise ou « évitée » –, engage à une planification guidée par des montagnes de calculs, par une ingénierie statistique dépouillant le réel de sa complexité, des multiples interdépendances et de sa part non maîtrisable, extérieure aux plans humains. Il en découle l’énoncé de solutions comptables qui, mises bout à bout, devraient faire le compte pour 2050 mais aussi pour les échéances intermédiaires. Le plan sera réalisé, l’idéologie économique validée, et les désastres écologiques, imputés à des défauts de la rationalité humaine, se poursuivront.
Si nous avons besoin aujourd’hui d’une planification, c’est pour dessiner un horizon de sortie du désastre déjà en cours, pour organiser, avec des politiques publiques, la retraite au lieu de la fuite en avant, pour appuyer et faire grandir les résistances et les dissidences. Il ne s’agit pas d’opposer au plan du marché un simple contre-plan étatique, et de rejouer la scène de l’opposition État/marché avec les mêmes acteurs dans des rôles permutables. D’autant qu’il s’agit aussi de faire place à l’imprévisible, au non-maîtrisable et au non-quantifiable. Le vivant n’est pas planifiable. C’est l’enseignement des sciences du vivant, c’est l’expérience quotidienne de communautés qui affrontent les monstres écologiques et politiques accouchés du capitalisme, d’État ou de marché, et qui prolifèrent.
(1) Naissance de la biopolitique, Michel Foucault, Gallimard, 2004, p. 107-109.
publié le 13 juin 2022
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Comme en 2017, l’abstention reste le premier parti de France. Elle bat même un nouveau record, avec pour conséquence de n’ouvrir quasiment que des duels, pour le second tour des législatives 2022, le 19 juin prochain. Et donc de polariser davantage l’opposition entre Ensemble (majorité présidentielle) et la Nupes (alliance de gauche) qui finissent au coude à coude au premier tour.
Le premier enseignement du premier tour des législatives est une confirmation. Celle de l’existence de trois blocs dominant le paysage politique. Avec respectivement 25,75 %, 25,66 % et 18,68 %, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, la majorité présidentielle, la Nupes et le Rassemblement national réitèrent sensiblement les scores d’Emmanuel Macron, de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen du premier tour de la présidentielle. Seules différences : cette fois-ci, la gauche devance le RN et Les Républicains résistent mieux en dépassant de peu la barre des 10 % confirmant leur implantation territoriale.
Abstention : le grand désintérêt
Ce sont 25,7 millions d’inscrits sur les listes électorales qui ne se sont pas déplacés ce dimanche pour élire les députés pour les cinq ans à venir. Et un demi-million de plus qui ont voté blanc ou nul. Soit moins d’un électeur sur deux puisque seulement 23,25 millions de Français (47,5%) se sont rendus aux urnes. Encore moins qu’en 2017 où, pour la première fois, la participation à une élection législative avait été inférieure à 50 % (48,7%) .
Avec pour conséquence, un moindre nombre de candidats qualifiés pour le second tour, dans la mesure où, outre les deux premiers, toute autre qualification nécessitait 12,5 % des inscrits. Soit cette fois-ci : plus de 25 % des suffrages exprimés. Avec un tel seuil, le nombre de triangulaires se limite à 8 sur 577 circonscriptions, ce qui accentue le face-à-face entre la Nupes et la majorité présidentielle qui arrivent en tête à l’échelle nationale. Et leur donne un bonus pour le nombre de sièges dimanche prochain. Au second tour, ces deux listes se feront face dans 272 circonscriptions.
La majorité présidentielle en difficulté
Ensemble qui regroupe En Marche (nouvellement Renaissance), le Modem et Horizon fait moins bien qu’en 2017. Et même nettement moins bien puisque l’alliance présidentielle récolte 5,86 millions de voix dimanche, contre 7,3 millions de suffrages il y a cinq ans. Une chute de près d’un million et demi de voix. La comparaison est même plus sévère encore pour le résultat de dimanche au regard du score d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle le mois dernier : 9,78 millions de voix. Soit presque 4 millions de suffrages en moins.
Symbole de ce recul significatif : l’élimination au premier tour de Jean-Michel Blanquer dans le Loiret. Mais aussi le ballottage défavorable des ministres Amélie de Montchalin, Stanislas Guerini et Clément Beaune, menacés tous les trois de devoir quitter le gouvernement en cas d’échec dimanche prochain. Pour autant, en étant présente au second tour dans 420 circonscriptions, et arrivée en tête dans 203, l’alliance présidentielle reste favorite pour remporter les élections législatives le 19 juin. Selon les projections des instituts de sondage, elle pourrait obtenir entre 255 et 295 sièges au Palais Bourbon. Ce qui ne l’a met pas à l’abri de ne pas obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Pour la Nupes, une victoire, mais des faiblesses
Selon toutes vraisemblances l’alliance de la France Insoumise, du Parti communiste, d’Europe-Écologie-Les-verts et du Parti socialiste ne remportera pas la majorité dimanche prochain. À moins d’une mobilisation massive des abstentionnistes susceptibles de porter leurs suffrages sur la Nupes, la gauche devrait obtenir entre 150 et 190 sièges, contre au moins 255 pour les soutiens d’Emmanuel Macron.
Pour autant, le résultat de la Nupes devrait installer cette dernière comme la première force d’opposition au gouvernement à l’Assemblée nationale, alors qu’en 2017 cette position était tenue par la droite républicaine. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a réussi un coup politique majeur : devenir l’opposition parlementaire et transformer durablement le leadership à gauche, au-delà du moment présidentiel, en déplaçant son centre de gravité. Cela en marginalisant le Parti socialiste et Les Verts, contraints de s’associer à lui dans la Nupes pour espérer un groupe parlementaire.
Une bonne opération également du point de vue des résultats électoraux. En 2017, lorsque le leader de la France Insoumise choisissait de faire cavalier seul en espérant écraser ses concurrents à gauche, il perdait 4 millions de voix entre les présidentielles et les législatives. Ce coup-ci, en 2022, l’écart entre son nombre de voix le 10 avril et celui de la Nupes au premier tour des législatives n’est que de 1,88 million. L’alliance électorale de gauche réussit même à faire un score en pourcentage supérieur à celui de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle : 25,66 % contre 21,95 %.
Pour autant, ce succès ne doit pas masquer au moins deux faiblesses. La première étant que les 25,66 % obtenus dimanche restent inférieurs aux pourcentages obtenus par les quatre formations de l’alliance lors de la présidentielle : 30,61 %, qui étaient déjà historiquement bas pour la gauche. D’autant qu’il n’y a quasiment aucune réserve de voix. La seconde étant relative à l’abstention. L’élan constaté à la présidentielle, notamment dans les quartiers populaires, ne s’est pas vraiment reproduit dimanche. À titre de symbole, la Seine-Saint-Denis enregistre une abstention de plus de 61 %, même si les candidats de la Nupes arrivent largement en tête dans les douze circonscriptions du département le plus pauvre de France.
L’extrême droite progresse encore
Malgré une quasi-absence de campagne nationale conduite par Marine Le Pen et la concurrence de Reconquête dans 551 circonscriptions, le Rassemblement national progresse nettement. Et en tous points par rapport à 2017. D’abord avec des pourcentages en hausse : 18,6 % ce 12 juin contre 13,2 en 2017. Mais aussi en nombre de voix malgré une abstention en légère hausse : les candidats du RN ont obtenu 4,24 millions de suffrages contre 2,99 millions cinq ans plus tôt. Avec pour conséquence d’être présent au second tour dans 208 circonscriptions, en se payant le luxe d’arriver en tête en dans 110 d’entre-elles.
Ses bons résultats devraient lui ouvrir en grand les portes de l’Assemblée nationale. Le parti d’extrême droite peut prétendre obtenir entre 20 et 45 sièges, selon les projections des instituts de sondage. Et ainsi, avoir assez de députés pour constituer un groupe parlementaire, ce qui n’était pas arrivé depuis 1986, année où le Parti socialiste avait instauré la proportionnelle intégrale aux législatives.
De plus, aux scores du Rassemblement national, il faut ajouter ceux de Reconquête qui, même s’il ne se qualifie nulle part pour le second tour, enregistre presque un million de voix (4,24%). Et permet à l’extrême droite de largement dépasser les 20 %, alors qu’elle n’avait jamais réussi à passer la barre des 15 %.
La droite sauve une partie des meubles
La droite républicaine poursuit sa descente aux enfers. Mais moins durement qu’à la présidentielle. Alliée à l’UDI, Les Républicains obtiennent 2,43 millions de voix, soit 750000 de plus que Valérie Pécresse le 10 avril dernier. Mais deux fois moins qu’en 2017 où la droite avait enregistré près de 5 millions de suffrages. Présente au second tour dans 75 circonscriptions, elle pourrait espérer entre 50 et 80 sièges en ajoutant les 13 divers droite qualifiés au second tour.
Pour autant, cela lui ferait perdre sa place d’opposition principale au gouvernement à l’Assemblée nationale. Et les moyens qui vont avec. Seule consolation pour la droite, si la majorité présidentielle n’obtient pas la majorité absolue fixée à 289 sièges dimanche prochain, Les Républicains pourront être en position de négocier avec Ensemble, la coalition favorable à Emmanuel Macron.
62 dissidents du PS, 56 éliminations au premier tour
La Bérézina pour les socialistes opposés à l’accord avec la France Insoumise, conclut par la direction nationale du PS. Dimanche prochain, il n’en restera que 6 en lice sur les 62 circonscriptions où des socialistes bien implantés imaginaient damer le pion à la Nupes. Soit 90 % d’élimination. Et encore, parmi les qualifiés, Lamia El Aaraje dans la 15e circonscription de Paris a 24 points de retard sur la candidate de la Nupes. Seules trois circonscriptions semblent gagnables par des dissidents PS dans le Gers, les Pyrénées-Atlantique et le Pas-de-Calais.
Soit un sérieux coup de canif planté dans les ambitions de celles et ceux qui auraient pu s’imaginer un destin national, comme Carole Delga ou Michael Delafosse en Occitanie. Ou en tout cas qui affirmaient à travers le scrutin le souhait de proposer une alternative pour reconstruire une gauche de gouvernement, non inféodée à Mélenchon. Clairement un échec pour les dissidents PS à l’accord avec la Nupes. Une douche froide qui a contraint Carole Delga a changé son fusil d’épaule hier soir. Si elle n’a pas exprimé pour l’heure l’abandon de son projet « d’états généraux de la gauche » à la rentrée, elle a appelé à « faire barrage aux candidats d’extrême droite en votant pour le candidat le mieux placé, quelle que soit son étiquette ». Mais surtout, « dans les autres cas de figure (…), j’appelle clairement à voter pour les candidats de gauche contre la droite ».
La Nupes fait jeu égal au premier tour avec la majorité présidentielle. Emmanuel Macron est plus que jamais menacé de n’obtenir qu’une majorité relative dimanche prochain et la coalition n’a pas perdu tout espoir de lui imposer une coalition.
Le président le plus mal élu de la Cinquième république est soutenu par le parti présidentiel le plus faible jamais vu. Dans un scrutin marqué par un nouveau record d’abstention (52,49 % contre 51,3 % en 2017) la coalition autour d'Emmanuel Macron et la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) sont arrivées à quasi égalité dimanche lors du premier tour des élections législatives, avec 21.442 voix d'avance seulement pour Ensemble!, selon les résultats du ministère de l'Intérieur.L'alliance macroniste a remporté 25,75 % des voix et la Nupes autour de Jean-Luc Mélenchon 25,66 %.
Le pari de l’union est en cela gagné puisque la coalition mélenchoniste peut s’affirmer comme la première force d’opposition, titre dont se gargarisait depuis plusieurs années le parti de Marine Le Pen qui ne rassemble ce dimanche que 18,7 % des suffrages. Lesdidats LR, associé à l’UDI, peuvent se satisfaire de faire mieux que Valérie Pécresse mais restent loin derrière (11,4 %) ce qui ne manquera pas de leur faire perdre leur place de premier groupe d'opposition à l'Assemblée nationale.
Macron en échec
La Renaissance que souhaitait incarner le parti d’Emmanuel Macron en changeant de nom est en échec. La République en marche, seule, totalisait 28,21 % en 2017, son allié Modem obtenant lui 4,12 %. Toutes tendances réunies, en ajoutant à ces deux partis Horizons, le parti d’Édouard Philippe, et Agir, la majorité présidentielle sont en recul. Pour le président de la République c’est un avertissement sérieux.
Plusieurs figures de la Macronie comme Jean-Michel Blanquer ou Emmanuelle Wargon sont éliminés dès le premier tour. Des ministres sont menacées : Amélie de Montchalin, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires (31,46 %) est en mauvaise posture dans l’Essonne face au candidat PS-Nupes Jérôme Guedj (38,31 %). Également qualifié pour le second, le ministre délégué à l’Europe (35,81 %) est en mauvaise posture face à l’avocate Caroline Mécary, candidate de la Nupes (41,40 %). Stanislas Guérini, délégué général de LREM et nouveau ministre de la Transformation et de la Fonction publique, est également en ballotage défavorable dans la 3e circonscription de Paris où la candidate de la Nupes, Léa Balage El Mariky (38,66 %) le devance de plus de 6 points.
La majorité présidentielle ne compte, ce dimanche qu’un seul élu au premier tour : Yannick Favennec (Horiszons), député de la 3e circonscription de la Mayenne depuis 2002, réélu avec 57,13 %.
Quatre élus Nupes au 1er tour
La Nupes en revanche voit quatre de ses candidats, réélus ou élus dès le premier tour : Danièle Obono dans la 17e circonscription de Paris (57,07 %), Sarah Legrain dans la 16e circonscription de Paris (56,51 %), Sophia Chikirou dans la 6e circonscription de Paris (53,74 %), Alexis Corbière dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis (62,94 %).
Dans plus de 450 circonscriptions les candidats de la Nupes sont en mesure de se maintenir au second tour (170 candidats de gauche ou écologistes étaient dans ce cas en 2017), et souvent dans des ballotages favorables.
Si le camp Macron garde l'avantage dans les projections des 577 sièges de députés réalisées par les instituts de sondage, avec une fourchette de 255 à 295 sièges, devant la Nupes (150 à 210). Le jeu reste ouvert. En 2017, les mêmes projections promettaient jusqu’à 450 députés pour LREM, qui n’en a obtenu au final, avec le MoDem, « que » 350. Le nombre de sièges qu’obtiendront la Nupes et Ensemble ! (le nom usurpé de la confédération macroniste) dimanche prochain dépendra en effet à la fois de la mobilisation électorale – les jeunes et les quartiers populaires se sont peu mobilisés pour ce premier tour – et des reports de voix des candidats éliminés.
Les premières déclarations de Christophe Castener ou Olivia Grégoire, sur la consigne qu’ils donneront à leurs électeurs en cas de duel Nupes-RN sont à ce sujet inquiétantes. Interrogée sur France 2, la porte-parole du gouvernement a répondu : « Ce sont des débats locaux, pas un enjeu national. » Les électeurs de gauche qui n’ont jamais donné une voix à Marine Le Pen ou ses séides, permettant à Emmanuel Macron de l’emporter largement pourraient attendre des déclarations plus explicites.
publié le 12 juin 2022
Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr
Peut-on encore poser une question qui fâche au président de la République ?
Laura, lycéenne, n’a pas hésité jeudi 9 juin lors d’un bain de foule d’Emmanuel Macron. « Vous mettez à la tête de l’État des hommes qui sont accusés de viol et de violences par les femmes, pourquoi ? » Pendant que le président rétorque rapidement qu’il soutient à la fois la libération de la parole des femmes et la présomption d’innocence, la lycéenne ajoute: « S’il vous plaît, monsieur, répondez-moi », au sujet des nominations de Gérald Darmanin et Damien Abad au gouvernement. La vidéo a été largement partagée sur les réseaux sociaux, plusieurs citoyens reprenant à leur compte la question posée par Laura.
Surprise, la lycéenne l’a été plus encore le lendemain, puisqu’elle a reçu la visite hallucinante de gendarmes dans son lycée. « Ce n’est pas anodin d’être sortie de son cours pour être interrogée par la gendarmerie », a-t-elle réagi. « Notre action visait simplement à prendre en compte cette personne, qui s’était présentée comme victime, pour lui proposer de recueillir une éventuelle plainte », a fait savoir la gendarmerie du Tarn, Laura ayant confié qu’elle a été victime d’une agression sexuelle il y a quatre ans.
Mais très rapidement, les gendarmes parlent de la question posée au président de la République. « Ils m’ont dit: “Vous n’auriez pas dû faire ça, il y avait d’autres façons d’interpeller le président, en lui écrivant, par exemple” », raconte la jeune citoyenne, qui évoque une visite « ambiguë », proche de « l’intimidation », et se demande si les gendarmes ne sont pas venus « à la demande de quelqu’un ».
publié le 11 juin 2022
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Législatives En tête dans les dernières enquêtes d’opinion, la coalition qui réunit des candidats FI, PCF, PS et EELV peut s’imposer dans de nombreuses circonscriptions et disputer le pouvoir à LaREM et ses alliés. Mais le succès est à une condition : une participation massive.
Selon l’Ipsos, 51 % des sympathisants de gauche sont sûrs de voter dimanche, contre 60 % de ceux de LaREM.
Ce qui, au soir de sa disqualification de la présidentielle le 10 avril, apparaissait comme un pari un peu fou, se révèle à l’approche du scrutin comme une possibilité bien réelle. La victoire d’une gauche rassemblée au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) aux élections législatives s’est éloignée de la chimère au point de donner des sueurs froides à la Macronie. « Si vous votez massivement, vous renversez la table », a martelé, mercredi soir, Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Caen, à quelques kilomètres de la circonscription d’Élisabeth Borne, dont il espère ravir le poste à Matignon.
Le vent de panique qui souffle sur les ministres et prétendants de la majorité sortante s’est transformé au fil des jours en une diabolisation tous azimuts. Quand le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, évoque un « Chavez gaulois », le chef de file des députés LaREM, Christophe Castaner, renvoie le programme commun de la Nupes à « tous les clichés du monde soviétique ». Quand la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, dénonce une volonté de « bloquer le pays », son prédécesseur, Gabriel Attal, agite la menace de la « guillotine fiscale », tandis que son nouveau collègue et délégué général de LaREM, Stanislas Guerini, s’offusque « qu’on ne pourra plus manger trop gras ou trop sucré ». Le président de la République a lui-même pris la peine de monter à son tour au créneau : « Leur projet explique aux gens qu’on va leur interdire de couper les arbres chez eux. Il y a 20 taxations nouvelles. Ce n’est pas un bon projet pour le pays », a lancé Emmanuel Macron, en Seine-Saint-Denis, déroulant les éléments de langage servis depuis des jours.
une dynamique de campagne du côté du rassemblement de la gauche
« Quelque chose se passe. Ça n’a pas échappé à nos adversaires, alors ils ont choisi de faire campagne contre nous. Rien n’est trop gros », résume le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Un « There is no alternative » à la Margaret Thatcher derrière lequel se réfugie en catastrophe un camp présidentiel bousculé. Il faut dire que leurs habitudes sont bouleversées car, depuis le début des années 2000, le quinquennat combiné à l’inversion du calendrier électoral avait renvoyé les législatives au rang de confirmation presque automatique du vote de la présidentielle. Pas l’ombre d’une cohabitation depuis lors. « Le différentiel de mobilisation entre les deux scrutins profitait depuis 2002 au parti présidentiel du fait de l’effet de souffle de la présidentielle, qui remobilise cet électorat et démobilise les autres », explique le directeur général de l’Ifop, Frédéric Dabi.
Mais, cette fois, « rien n’est moins sûr », note le politologue. Le scénario est bien différent avec trois blocs (LaREM et ses alliés, extrême droite, et gauche) dans le même étiage à l’issue du premier tour du 10 avril, un président élu par défaut face au RN le 24 avril, et, depuis, une dynamique de campagne du côté du rassemblement de la gauche. La Nupes fait même la course en tête selon un sondage Ipsos réalisé cette semaine, avec 28 % des intentions de vote contre 27 % pour Ensemble (la coalition autour de LaREM) et 19,5 % pour le Rassemblement national. De même, selon la dernière enquête Ifop, avec respectivement 26 %, 25 % et 21 %. Le parti présidentiel et ses alliés voient aussi leur espoir – fondé sur un mode de scrutin sans proportionnelle – de maintenir, malgré tout, leur majorité absolue (289 sièges) s’amenuiser. Tandis que les projections de l’Ifop leur pronostiquaient, fin mai, de 275 à 310 sièges, elles en envisagent désormais de 250 à 290.
Reste un facteur clé : la mobilisation. « L’abstention est notre principale adversaire », résume le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, qui appelle les « 32 % d’électeurs qui ont choisi l’un des candidats de gauche à la présidentielle » à se rendre sans faute aux urnes. Un enjeu de taille quand, selon Ipsos, 51 % des sympathisants de gauche sont sûrs de voter dimanche contre 60 % de ceux de LaREM. En 2017, déjà, la participation était passée de 77,8 % à la présidentielle à 48,7 % quelques semaines plus tard, s’effondrant notamment parmi les jeunes et les classes populaires. Les enquêtes des instituts de sondage ne démentent pas, pour l’heure, le phénomène : entre 44 % et 48 % des sondés ont fermement l’intention d’aller voter. Parmi les moins de 35 ans, la proportion s’élève à 37 %, et elle est de 36 % parmi les ouvriers et 35 % chez les employés, selon l’Ipsos. Or, 51 % des 18-24 ans auraient l’intention de choisir un bulletin Nupes. La coalition « est sous la menace d’une abstention plus sociologique, liée à la jeunesse de son électorat potentiel. On sait, en effet, que lors des deux dernières élections législatives (2012 et 2017), les écarts de participation entre jeunes et seniors ont approché les 40 points », mesure l’institut Cluster17. Des différences qui laissent une place disproportionnée, au regard de ce qu’il pèse dans la société, à un électorat plus favorable à la droite. En particulier les plus âgés (65 % des plus de 70 ans entendent se rendre aux urnes), qui se sont massivement prononcés pour Emmanuel Macron à la présidentielle.
« Le chef de l’État a prévu de nous imposer la pire des crises d’austérité »
Ce sont également eux qui sont le moins hostiles, par exemple, à la retraite à 65 ans – et pour cause, ils ne sont pas concernés. Alors que 57 % des retraités y sont favorables, selon un sondage Elabe de fin avril, 64 % des Français s’y opposent (79 % parmi les catégories populaires). Or, derrière la mise en avant de vagues mesures pour le pouvoir d’achat promises pour juillet, tel est bien le projet du chef de l’État : retraite à 65 ans, RSA conditionné à des heures de travail, nouveau durcissement de l’assurance-chômage… « Et Emmanuel Macron s’est engagé auprès de la Commission européenne à ramener le déficit du budget de l’État à 3 %. À budget constant, il faut enlever 80 milliards d’euros, c’est l’équivalent du budget actuel du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Santé. Il a prévu la pire crise d’austérité dont on n’a jamais entendu parler », a rappelé le chef de file de la Nupes, à Caen. Soit le strict négatif du projet de la gauche unie, qui vise la relance par l’augmentation des salaires, à commencer par le Smic à 1 500 euros, le partage du travail avec la retraite à 60 ans, une répartition des richesses plus juste avec une vaste réforme fiscale, la relocalisation de la production combinée à la planification écologique, ou encore le réarmement des services publics… De nombreuses mesures largement approuvées, selon notre sondage Ifop (lire page 5).
S’il est encore temps de faire échec à la politique Macron pour les cinq années à venir et d’ouvrir la voie à des réformes de justice sociale et climatique, un seul moyen est à disposition : voter dimanche.
publié le 10 juin 2022
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
Les vieux réflexes de la bourgeoisie capitaliste ont repris le dessus. De l’extrême droite à toutes les variantes du macronisme, du grand patronat à la droite, aux médias propriétés de milliardaires, ce n’est que déchaînements, vociférations, contre vérités à l’encontre du programme de la coalition des gauches et des écologistes. Ce sera le « chaos » répètent – ils en cœur.
Comme en 1981, ils ne veulent absolument pas que les salaires et les prestations sociales augmentent ; que le Smic soit porté à 1 500 € ; que le point d’indice des fonctionnaires soit rehaussé d’au moins 10 %. Ils ne veulent pas entendre parler d’un retour de l’âge de la retraite à 60 ans ou d’investissements massifs pour une transition sociale et écologique permettant de vivre mieux, et d’une création massive d’emplois stables, sécurisés et ouverts aux formations modernes tout au long de la vie.
Si le programme de la Nupes manquait tant de sérieux, pourquoi la première ministre et les membres du gouvernement n’acceptent pas des débats contradictoires à la télévision. Ce serait un gage de clarté.
Un acte de démocratie permettant aux électrices et électeurs de faire un choix en connaissance de cause dimanche prochain.
En vérité, la macronie et les forces du capital redoutent ce scrutin qui, pour la première fois depuis de longues années, va permettre à celles et ceux qui le souhaitent d’exprimer par leur vote, avec cette fois une chance réelle de se faire entendre, leurs attentes de changements profonds.
Ils préfèrent miser sur une abstention massive des milieux populaires et de la jeunesse, c’est-à-dire chez ceux qui ont le plus à gagner d’un succès de la Nupes.
Car, les éléments du « chaos » sont bien là. L’hôpital ou encore l’éducation nationale sont affaiblis, rongés, minés par des décennies d’austérité. La crise écologique est d’une ampleur sans précédent. L’inflation galope, les chaînes logistiques d’approvisionnement et de production se disloquent et se bloquent maintenant dans certains secteurs.
Le fameux thème de la ré industrialisation rabâché à satiété par ceux-là mêmes qui ont délocalisé nos usines, n’est, en réalité, que le paravent pour faire passer de nouvelles diminutions des impôts sur les entreprises sans contrepartie.
La nouvelle contre-réforme des retraites n’est que le faux nez d’une exploitation renforcée du travail et de la mise en tension d’une société dans laquelle la route vers le travail pour les jeunes est parsemée d’embûches, de discriminations, d’inégalités, de salaires au rabais pendant que de plus en plus de seniors de moins de 60 ans se retrouvent sans emploi.
On ne compte plus les contrats à durée déterminée de courtes durées et le nombre de femmes à temps partiel imposé, rétribuées sous le Smic !
Les gardiens du temple de l’ordo libéralisme, qui courent les plateaux de télévision, veulent faire peur au quidam en chiffrant le coût du retour à la retraite à 60 ans à 100 milliards d’euros. Ce montant mériterait d’être discuté. Mais, ces mêmes donneurs de leçons en bonne gestion ne disent jamais un mot sur l’efficacité réelle des 130 milliards que l’État verse chaque année au secteur privé.
Quant au vocable « pouvoir d’achat », il n’est qu’un gargarisme pour la majorité macroniste et les droites qui refusent toute augmentation des salaires et tout blocage des prix tandis que les profits flambent et que la rémunération des propriétaires-actionnaires est au zénith.
Rien n’est envisagé pour l’indexation des salaires sur les prix. Et les minimes chèques alimentation et énergie, dont la durée de vie ne dépassera pas le temps des élections, ne suffiront pas à éviter une nouvelle récession.
Voilà le chaos ! Voilà ce qui est tu !
Ce sont ces politiques successives dites de l’offre qui coûtent cher au budget de la nation comme l’a confirmé le comité d’évaluation du CICE et de la réforme du capital.
Le programme de la Nouvelle union populaire écologiste et sociale (Nupes) répond aux besoins humains et propose d’investir dans une nouvelle politique de progrès social par un nouveau type de relance, grâce à l’augmentation des salaires et des retraites, à la progressivité de l’impôt, à l’allocation autonomie pour les jeunes, à la garantie du droit au logement et au blocage des loyers, au développement des services publics, à une sécurité de l’emploi combinée aux formations indispensables pour réussir la transition écologique.
C’est cette cohérence qui fait peur aux puissances d’argent. C’est pourquoi les milieux dirigeants font planer la menace d’une réaction négative des marchés financiers. Dans ces conditions, où est la démocratie ? Où est le respect du vote des électrices et des électeurs ?
Oui, soyons clairs, cette alternative progressiste vise à inverser les priorités. Le travail au lieu du service au capital. Les services publics au lieu de la finance. L’agriculture paysanne au lieu des fermes usines et les traités de libre-échange pour assurer la qualité alimentaire. La démocratie participative au lieu de la présidentialisation du pouvoir et la monarchie à l’entreprise.
Un gouvernement des gauches et des écologistes peut se donner les moyens de défendre les travailleurs et les citoyens par l’appropriation publique de grandes banques, pour un nouveau crédit public dans le cadre d’un pôle public financier et bancaire démocratique. Ni la Banque centrale européenne, ni l’Allemagne n’auraient intérêt à s’opposer à cette politique de relance durable. Elle serait plutôt un facteur de stabilité en Europe pour faire face aux nuées orageuses qui s’amoncellent à l’horizon.
Au-delà des questions de faisabilité économique, l’enjeu est d’abord politique.
Doit-on accepter l’ordre social du monde tel qu’il est ? Doit-on conférer comme seul rôle au gouvernement de gérer les choses comme elles sont, au service des forces dominantes ? Ou, au contraire, ne doit-on pas redonner à la politique son rôle plein et entier pour engager une nouvelle construction démocratique, humaine, sociale, culturelle, environnementale ?
N’est-il pas temps de s’engager collectivement dans un nouveau projet associant le peuple - les travailleuses, les travailleurs, les citoyennes, les citoyens, les jeunes et les enfants- qui change l’ordre des priorités et conteste en tout point l’ordre a-social et anti-environnemental capitaliste.
Une modification des rapports de force permettrait une nouvelle cohérence progressiste et écologique. La régénération de la démocratie est au cœur des grands projets novateurs de planification écologique, d’un nouveau progrès social, de la refondation de la construction européenne et du retour d’une France actrice d’un monde solidaire, de paix et de coopération.
La démocratisation doit être au cœur des processus de productions, d’échanges et de distributions Cela passe par de nouvelles législations conférant de réels pouvoirs nouveaux des salariés dans l’entreprise.
Pour cela, il faut forcément revenir sur les contre-réformes du droit du travail et notamment de donner aux comités d’entreprise la possibilité d’un véto suspensif en cas de licenciement boursier.
Il est temps de permettre et d’assurer une participation effective des salariés et des usagers à la gestion des entreprises nationalisées et des services publics. Il est temps d’engager la dé-financiarisation de l’économie ; la mise en place d’un impôt sur les transactions financières ; et de viser l’éradication de l’évasion fiscale.
Il s’agit d’enfoncer des coins, dans le modèle de production capitaliste, avec des projets échappant à la logique marchande comme l’ont été en leur temps la création de la sécurité sociale par Ambroise Croizat ou le statut de la fonction publique par Maurice Thorez.
Voilà ce qui fait peur aux possédants et à leurs valets politiques.
En vérité, deux conceptions s’opposent : Celle du conservatisme et de la réaction qui veut faire croire aux lois immuables du marché et veut maintenir un système qui appauvrit les plus modestes et les classes moyennes pour enrichir les détenteurs de capitaux.
L’autre conception, celle d’un nouveau progressisme à la française, tirant les leçons du patent échec de ce qui s’est fait jusque-là. Celle-ci considère que le chômage, la misère, les inégalités, l’épuisement de la nature, le surarmement ne sont pas des fatalités. Ce projet fait de la dépense sociale, du développement et de la démocratisation des services publics pour une transition écologique, des leviers pour tout à la fois répondre aux aspirations populaires, aux défis de notre temps et pour une nouvelle efficacité sociale et économique.
Dimanche prochain, voter et faire voter pour les candidats de la Nupes, c’est créer les conditions pour que la vie de millions de nos concitoyens change dès le mois de juillet parce que les choix sociaux, politiques, économiques, éducatifs et culturels d’un véritable nouveau gouvernement partiraient des besoins populaires et non ceux des puissances financières. S’abstenir revient à voter contre soi-même et laisser le pouvoir aux dominants de décider de nos vies. C’est ce que recherche le pouvoir macronien. Bousculons ses plans. Changeons de cap ! Choisissons une majorité parlementaire et un gouvernement de la gauche de transformation !
publié le 9 juin 2022
Venues des 4 coins de la circonscription (Grabels, Pignan, Fabrègues, Celleneuve, Vic-la Gardiole, Frontignan, ..), une grosse centaine de citoyens ont participé à la dernière réunion publique de la NUPES pour le 1° tour des Législatives de dimanche prochain. Petit compte rendu et quelques photos.
De nombreuses et courtes interventions de militants de terrain ont montré comment le programme de la NUPES répondait aux problèmes de la population : précarité d’existence parmi les jeunes et les retraités, sous-effectif et difficulté du travail dans l’hopital, misère de la prise en charge des aînés dans un EHPAD, logements non entretenus par les bailleurs, difficulté d’accès à l’eau potable pour une partie de la population, dégradation de l’état de la Méditerranée, faible soutien des pouvoirs publics aux initiatives locales d’énergie renouvelable, violences policières et condamnation arbitraires des manifestants, nécessiter de faire renaître la démocratie, …
Et c’est un public enthousiaste qui a ovationné les propositions du candidat Sylvain Carrière et de sa suppléante Livia Jampy.
Rendez-vous donc les dimanches 12 et 19 juin pour battre les candidats du macronisme et ceux de l’extrême droite et envoyer à l’Assemblée Nationale une majorité de députés Nupes pour un gouvernement de gauche et politique sociale, écologique et démocratique.
publié le 8 juin 2022
Aurélien Soucheyr, eClotilde Mathieu, Marion d'Allard, Cyprien Boganda et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
La Macronie, le grand patronat et les instituts libéraux promettent une catastrophe financière en cas de victoire de la gauche aux législatives, quitte à fabriquer des dangers en racontant n’importe quoi. Florilège.
Voter pour la Nupes, mais c’est totalement irresponsable ! Voici la seule et unique ligne de défense de la Macronie et de ses sous-fifres, qui promettent la « faillite » et la « ruine » en cas de victoire de la gauche aux législatives. À les entendre, d’un seul coup, ou presque, les fruits et légumes disparaîtraient des étals, les distributeurs de billets tourneraient à vide et les entreprises licencieraient massivement. Jusqu’à l’ombre du moindre des arbres qui aurait des allures de char soviétique. Tout ça parce que la gauche veut financer la retraite à 60 ans, le Smic à 1 500 euros net et une relance basée sur la redistribution des richesses, le développement des services publics et la transition écologique ? « Boucle inflationniste », « pénuries et rationnements », « explosion du chômage et de la dette », « Frexit », « destruction économique et récession », « attaque des marchés financiers », « crise grecque en dix fois pire » et même futur comparable à celui de la « Corée du Nord », prédisent les chantres du système actuel. « There is no alternative ! » hurlent-ils en chœur.
C’est pourquoi l’Humanité a sélectionné une série de mensonges afin de les déconstruire en donnant la parole à d’autres économistes que des ultralibéraux. La Nupes, elle aussi, a tenu à se défendre, mardi, lors d’un point presse. Pour Jean-Luc Mélenchon, la Macronie « joue la carte de l’affolement », promet « l’hiver nucléaire et les sauterelles », mais « refuse le débat ». Car, que propose-t-elle en face ? La retraite à 65 ans, le « travail forcé » contre le RSA et un déficit public à 3 % du PIB. Soit « 80 milliards d’euros d’économies à réaliser » sur le dos du pays, mesure Jean-Luc Mélenchon qui évoque une « saignée » alors même que « l’État a commencé à s’effondrer et que les services publics ne tiennent plus », dont l’école et l’hôpital.
« Le libéralisme triomphant a fait la preuve de son incapacité absolue à gérer les crises qui sont devant nous », développe l’insoumis. « Le chaos économique n’est pas de notre côté », abonde la présidente du parlement de la Nupes, Aurélie Trouvé, qui pointe le déficit commercial de 100 milliards d’euros laissé par Macron. « Nous avons subi une perte de 48 milliards d’euros de recettes par an sous ce mandat, un déficit creusé par une politique au service des plus riches », ajoute l’eurodéputée FI Manon Aubry. Les irresponsables ne sont pas ceux que l’on croit. Et les arguments des macronistes ne tiennent pas. L’Allemagne n’a-t-elle pas organisé une hausse du Smic de 25 % ces dernières années ? Et l’Espagne et l’Angleterre, de 30 % ? « Nous avons chiffré notre projet. Même en prenant les estimations de la Banque de France qui nous sont les moins favorables, il tient », indique l’économiste Éric Berr, membre du parlement de la Nupes, qui pointe plusieurs erreurs dans les attaques de l’institut Montaigne et du think tank Terra Nova contre le programme de la Nupes. « Les économistes reconnus qui travaillent avec nous ne sont pas rémunérés par des multinationales », tacle au passage Aurélie Trouvé.
Même les conservateurs réalisent parfois l’ampleur de la mascarade macroniste : le Sénat, par exemple, a calculé que l’ISF ne faisait « fuir » que 0,2 % de ceux qui y étaient assujettis. « Ce qui attire les investissements, ce n’est pas le niveau d’imposition, c’est la taille du marché, le niveau de formation, les infrastructures, bref, les services publics », mesure Manon Aubry. « Et les taux d’intérêt réels n’ont jamais été aussi bas et aussi favorables », relève l’économiste Cédric Durand. Tous appellent à une « économie vertueuse, au service des besoins ». Notamment celui d’entendre enfin les experts du Giec pour éviter une catastrophe climatique : s’il y a bien un épouvantail qui n’est pas fabriqué de toutes pièces, c’est celui-là.
MENSONGE N° 1 : PÉNURIES.
Nicolas Bouzo, économiste : « Si vous bloquez les prix, des gens vont vendre à perte et vous allez avoir des phénomènes de rationnement. Donc, s’il veut bloquer les prix, Jean-Luc Mélenchon doit aller jusqu’au bout : blocage des prix et tickets de rationnement. »
Non seulement le blocage des prix est prévu par la loi, mais il a même été mis en œuvre par Emmanuel Macron pour les tarifs du gaz. Sans commentaire sur «l’argument» du ticket de rationnement, Léo Charles, maître de conférences en économie, explique que l’inflation actuelle s’inscrit dans une «boucle prix-profits». Selon l’économiste, il existe deux options pour l’appréhender. «Soit nous laissons les entreprises fixer et même contrôler les prix, comme c’est le cas actuellement. Le transfert se fait alors des ménages vers leurs profits, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat, donc sur la demande, avec le risque, in fine, d’une récession.» Soit «on propose le transfert inverse». C’est le sens de la proposition de la Nupes. «Le contrôle des prix, c’est la prise en charge par le profit de l’inflation», résume Léo Charles, qui rappelle que «les raffineurs, par exemple, ont vu leur taux de marge augmenter de 2300 % en un an», avec la hausse du pétrole. Enfin, rappelons qu’il est question d’une mesure temporaire, «le temps d’instaurer une véritable réforme fiscale et une augmentation des salaires», conclut l’économiste membre du parlement de l’Union populaire.
MENSONGE N° 2: INFLATION.
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie : « Une hausse du Smic et des salaires conduirait à une boucle inflationniste : les prix rattrapent les salaires et les salaires rattrapent les prix dans une espèce d’échelle de perroquet qui n’en finit pas, et ce sont les salariés qui finissent perdants. »
À en croire le ministre de l’Économie, l’augmentation des salaires serait la pire des façons de protéger le pouvoir d’achat des travailleurs : une fois que le patronat aurait mis le doigt dans l’engrenage, une spirale infernale s’enclencherait automatiquement, contribuant à faire flamber les prix. En réalité, ce scénario n’a rien de mécanique. Comme le soulignent les économistes Jonathan Marie et Virginie Monvoisin, sa matérialisation dépend du rapport de forces entre le capital et le travail au sein des entreprises. Au début des années 1970, « le taux de chômage était faible, les contrats de travail stables, les syndicats puissants et habitués à négocier des augmentations des salaires (…), et l’indexation des salaires tendait à être généralisée ». À l’époque, une boucle « salaires-prix » pouvait donc s’enclencher. Mais la situation est très différente aujourd’hui, avec la désindexation des salaires sur les prix et l’érosion du pouvoir de négociation des travailleurs, sur fond de chômage de masse et de recul des syndicats. Pourtant, les entreprises auraient les moyens d’augmenter les salaires, au vu de leur taux de marge stratosphérique (34,2 % en 2021 selon l’Insee).
MENSONGE N° 3 : RETRAITES.
Élisabeth Borne, première ministre : Annoncer aux Français qu’ils vont travailler moins, brandir la retraite à 60 ans, c’est leur mentir. Les promesses façon ‘‘demain, on rase gratis’’, les Français n’y croient pas.
Pour accuser la Nupes d’inconséquence financière concernant sa proposition d’un retour à la retraite à 60 ans à taux plein, Élisabeth Borne sort l’argument du déséquilibre démographique : « Si on veut préserver le système de retraite par répartition, (…) il faudra progressivement travailler un peu plus longtemps. » Mais la première ministre souffre de courte vue. Le Conseil d’orientation des retraites assure qu’à législation inchangée, « la part de la richesse nationale consacrée aux retraites passerait de 14,7 % du PIB en 2020 à 11,3 % en 2070 ». À court terme, le mal chronique dont souffre notre régime général est tout autre. « Le déficit actuel est dû à un définancement », résume l’économiste Michaël Zemmour, pour qui +0,1 % par an des cotisations vieillesse patronales et salariales enraillerait la diminution des pensions actuelles. La Nupes propose, elle, +0,25. Outre la fin des exonérations, la gauche ne manque pas de pistes d’abondement : 20 milliards d’euros avec une « contribution sociale sur les dividendes », près de 15 milliards en rapatriant l’épargne salariale, 10 milliards en cas de « retour au plein-emploi (autour de 4,5 % de taux de chômage, objectif partagé par le gouvernement), 6 milliards grâce à l’augmentation d’un point d’indice de la fonction publique, 5,5 milliards rien qu’avec l’égalité salariale femmes-hommes effective »…
MENSONGE N° 4 : DETTE PUBLIQUE.
Guillaume Hannezo, auteur de la note de Terra Nova. « Les marchés financiers se diront que la crise des dettes souveraines du début des années 2010 est de retour, avec la France dans le rôle de la Grèce, en dix fois plus gros.
Pour le think tank Terra Nova, l’arrivée de la Nupes au pouvoir entraînerait une explosion de la dette française, qui plongerait le pays dans un cauchemar analogue à celui vécu par la Grèce dans les années 2010-2011, lorsqu’elle fut la cible d’attaques spéculatives. La ficelle est un peu grosse. Le PIB français représente près de 20 % de celui de la zone euro, soit dix fois plus que celui de la Grèce à l’époque. On a du mal à imaginer comment la Banque centrale européenne (BCE) pourrait rester l’arme au pied en cas d’attaque des marchés contre l’Hexagone, qui ne manquerait pas de déstabiliser toute la zone euro : il lui suffirait de poursuivre sa politique d’achats de titres de dette français pour freiner la hausse des taux d’intérêt.
MENSONGE N° 5 : FREXIT.
Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS : « Le programme de Mélenchon, c’est la sortie de l’Europe. »
La Nupes n’a pas du tout l’intention de faire sortir la France de l’Union européenne. C’est pourtant également ce que crie le macroniste Olivier Véran : « Ce que Mélenchon propose, c’est un Frexit caché ! » Est-ce à dire que la retraite à 60 ans, le Smic à 1 500 euros et un financement massif de la transition écologique et sociale pousseraient les autres pays à bouter la France hors de l’euro et de l’UE ? « La désobéissance est déjà massive en Europe. La règle sur les déficits n’est pas respectée et la BCE rachète des titres de dettes des États malgré les traités et les pactes », mesure Thomas Coutrot. « Ce ne sont donc pas les traités qui seraient en cause, mais les choix politiques de redistribuer les richesses », précise l’économiste d’Attac. Au point de s’en prendre à la France si la Nupes gagne ? « Ce n’est ni dans l’intérêt de l’UE, ni dans celui de la Banque centrale européenne. Vu le poids de la France, si la BCE attaque notre pays, elle attaque en réalité l’UE et l’euro, et s’attaque elle-même, car la dette française est l’une des plus sûres et demandées au monde », ajoute l’économiste Éric Berr.
MENSONGE N° 6 : RÉCESSION.
Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef : « On ne peut pas commander l’économie depuis Matignon : les 700 000 chefs d’entreprise vont simplement dire ‘‘j’avais un CDD, je ne le renouvelle pas, j’avais un intérimaire, je ne le renouvelle pas’’ et, en quelques mois, ça va juste (...) plonger la France dans une récession grave. »
Il s’agit, pour le président du Medef, de faire croire que la production des entreprises ne se réaliserait qu’en fonction du « coût » du travail et non du carnet de commandes. Or, n’en déplaise au patron des patrons, « le but d’une entreprise est avant tout de produire » et non de gaver les actionnaires de dividendes, tance l’économiste Mireille Bruyère. Ainsi, « si elle a des clients, elle se débrouillera pour répondre à la demande ». Si tout ne se décide pas depuis Matignon, le niveau du Smic est décidé par le gouvernement. C’est le fameux coup de pouce. La Nupes devrait le mettre en place dès juillet pour que le salaire minimum atteigne 1 500 euros net. Ce qui pourrait entraîner une « dynamique » au niveau des branches. Or, « cette hausse du revenu des classes populaires » aura pour effet d’augmenter la « demande globale », assure-t-elle. « La responsabilité (et l’intérêt) des chefs d’entreprise sera d’accompagner ce mouvement, de satisfaire la demande, d’embaucher autant que nécessaire, poursuit, de son côté, Henri Sterdyniak. Ils bénéficieront pour cela, dans le cas de la planification écologique, d’aides à la réindustrialisation et à la relocalisation ; de crédits à taux faibles, voire nuls, du secteur bancaire en grande partie socialisé. »
MENSONGE N° 7 : INÉGALITÉS.
Olivier Véran, ministre des Relations avec le Parlement : « Le programme de Mélenchon ferait exploser de fait les inégalités sociales en faisant à nouveau progresser le chômage parce qu’il n’y aurait plus d’investissement en France, parce que les entreprises auraient du mal à se fournir. »
Pour l’ex-ministre de la Santé, seul le ruissellement, à savoir « le modèle qui repose sur un modèle de croissance, de production piloté par les grandes entreprises mises en concurrence » serait valable pour réduire les inégalités, explique l’économiste Mireille Bruyère. Et contredire ce modèle, « serait une catastrophe ». Or, poursuit-elle, « dernièrement, les inégalités se sont surtout développées à l’intérieur du salariat, au sein des entreprises. Les écarts salariaux ont été multipliés par 10 avec l’explosion des hauts salaires ». D’ailleurs, résume de son côté Henri Sterdyniak, « les économies capitalistes sont marquées par la croissance des inégalités sociales, l’instabilité financière et la montée des périls écologiques ». Un bilan auquel s’attaque frontalement le programme de la Nupes en créant « une nouvelle dynamique économique basée sur la satisfaction des besoins fondamentaux ». Ainsi, poursuit l’économiste, « la mise en œuvre du programme de la gauche se traduirait par une hausse de la demande, à la fois du fait des hausses de salaires et des prestations sociales et des hausses de l’investissement public ou privé subventionné (rénovation des logements, énergies renouvelables, transports collectifs, rénovation écologique des infrastructures…) ».
publié le 4 juin 2022
Diego Chauvet et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
À l’approche d’élections législatives décisives et inédites, Jean-Luc Mélenchon veut convaincre les classes populaires de voter pour les candidats de la gauche rassemblés au sein de la Nupes. Il est possible de « vivre autrement, affirme-t-il. Pour cela, il faut répartir différemment le fruit de la richesse produite entre capital et travail ». Entretien
Le chef de la France insoumise pense que l’on peut déjouer le scénario d’une abstention massive. « Notre camp a gagné en cohésion et en clarté. »
Jean-Luc Mélenchon en est convaincu : « la force d’entraînement fera la décision », lors des élections législatives des 12 et 19 juin. Le score de la gauche, sous la bannière de la Nupes, pourrait en effet bouleverser le rapport de forces dans l’Hémicycle, au point de contrecarrer les projets de réformes du président Emmanuel Macron et de contenir l’extrême droite. Le vote des jeunes et des classes populaires, qui comptent parmi les plus abstentionnistes, sera déterminant. Pour « l’Humanité magazine », le chef de file de la France insoumise, qui compte faire son entrée à Matignon, revient sur sa stratégie de conquête et d’exercice du pouvoir, son rapport au peuple, à la lutte des classes et à la planification écologique, ainsi qu’au combat contre les discriminations.
Avec l’inflation, le pouvoir d’achat est plus que jamais la préoccupation majeure des Français. Emmanuel Macron, qui promet une loi à l’été, comme Marine Le Pen durant la présidentielle se sont emparés de cette question. En quoi faites-vous la différence ?
En prenant la mesure de la gravité de la situation et en apportant des réponses concrètes, à l’inverse des propositions creuses de monsieur Macron. Voyez sa « prime » de 6 000 euros, par exemple. Le chiffre claque fort. Mais il n’y a rien d’obligatoire : tout dépend du bon vouloir du patron. L’an dernier, la « prime » n’a été donnée qu’à 20 % des salariés. C’est du verbiage. Pourtant, 400 000 personnes sont devenues pauvres durant le quinquennat. Quant à Marine Le Pen, elle a jeté l’éponge. Quand elle parle, c’est pour dire qu’elle ne peut pas gagner l’élection. C’est un renfort direct à Macron. Pour nous, c’est le contraire : précis et concret avec un vrai changement de vie à la clé. C’est le Smic à 1 500 euros net, la retraite à 60 ans avec 40 annuités, le dégel du point d’indice, le blocage des prix et des loyers à la baisse… Nous voulons éteindre les incendies inflationnistes dus à la spéculation en faisant payer les profits, pas les gens.
Vos adversaires vous reprochent des mesures infinançables...
Oui, on a l’habitude de ce genre de commentaires. Notre scénario économique est passé par la matrice économique de la Banque de France : nos 250 milliards de dépenses génèrent 267 milliards de cotisations, des taxes. Nous gérons mieux qu’eux.
Ceux qui ont le plus intérêt aux changements sont aussi ceux qui votent le moins. L’abstention est-elle l’ennemie à abattre pour les législatives ?
Notre camp a gagné en cohésion et en clarté. Cela sera entraînant face à une droite désunie. Tous les sondages nous placent en tête, sauf un qui réduit à 47 % la participation seulement. Du jamais-vu. Et la situation est totalement nouvelle. La coutume faisait des législatives une formalité administrative après la présidentielle. Elle est prise à revers. Qui sera mobilisé ou pas, en effet ce sera déterminant. C’est la force d’entraînement qui fera la décision. D’où l’importance des slogans qui montrent clairement le chemin victorieux : troisième tour de la présidentielle, appel à m’élire premier ministre en élisant une majorité de députés Nupes. D’ores et déjà, de nombreux indices montrent que les jeunes et les quartiers populaires restent mobilisés. À l’inverse, parmi les classes moyennes supérieures – celles gagnant plus de 2000 euros –, l’illusion Macron s’est épuisée. La start-up nation ne fait plus recette. Beaucoup ne veulent plus brûler leur vie pour des illusions.
Nous voulons éteindre les incendies inflationnistes dus à la spéculation en faisant payer les profits, pas les gens. Un vrai changement de vie à la clé.
Face au RN, ambitionnez-vous toujours de convaincre les « fâchés pas fachos » ?
Évidemment. Encore faut-il bien comprendre ce qui se passe. Refusons la thèse selon laquelle les milieux populaires sont acquis à Le Pen. Car la fraction du peuple la plus opprimée, la plus dépossédée, est de notre côté. Nous sommes la première force à la présidentielle chez les revenus de moins de 1 000 euros, dans le 1 % des villes les plus pauvres, chez les chômeurs, les CDD, les intérimaires. On tient la bonne méthode : dire crûment que l’on peut vivre autrement, et que pour cela il faut répartir différemment le fruit de la richesse produite entre capital et travail.
Au fil des rendez-vous électoraux, vous êtes passé d’une stratégie populiste de gauche à l’union de la gauche avec la Nupes pour ces législatives. Pourquoi ?
Quand j’ai quitté le Parti socialiste, il y a quatorze ans, sa stratégie le condamnait à mort. Il rêvait d’un compromis avec le capitalisme financier transnational de notre temps. C’est impossible, car sa vocation est de déréguler sans fin. L’affrontement avec ce social-libéralisme suicidaire qui l’y aidait était nécessaire. Dès lors, l’union était impossible tant que le pôle de la rupture n’était pas central. Tout simplement parce qu’il est impossible d’unir la classe salariale et le peuple contre ses propres intérêts. La dernière présidentielle a tranché. Les gens en ont par-dessus la tête de cette société. Après avoir rendu centrale la ligne de la rupture, tendre la main n’est pas un changement de pied, c’est une nouvelle étape de la même stratégie : l’Union populaire. C’est pourquoi notre accord n’est pas qu’électoral, il est programmatique, avec 650 mesures. Quand toute la gauche dit oui à la planification écologique ou à la retraite à 60 ans avec 40 annuités, quelque chose de substantiel est acquis.
Si vous arrivez au pouvoir, comment comptez-vous vous assurer des marges de manœuvre face au capital ?
Tenir tête au capital financier est une rude tâche. Pour l’instant, nous avons un rapport de forces électoral. Mais il ne suffira pas à lui seul. Avec des mesures comme le Smic à 1 500 euros qui bouscule toute la grille de salaires, nous encouragerons les mobilisations sociales. Quand elles ont fait défaut, l’union de la gauche du passé a échoué. C’est vrai : le rapport de forces entre le capital financier et la société qu’il parasite peut paraître aujourd’hui très défavorable pour nous. Mais c’est une apparence, car tout le modèle d’économie productive sur lequel il est installé est en panne. Par exemple les chaînes longues d’approvisionnement, qui permettent de négocier le coût du travail toujours plus à la baisse, se sont rompues à l’occasion du Covid et on voit la difficulté à les remettre en route. Surtout, le marché est incapable de proposer la moindre solution à la crise. Au contraire, il l’alimente. Le marché, c’est le chaos et ça se voit. Les dirigeants ne valent pas mieux. Par exemple, l’augmentation des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne n’aura aucune conséquence sur l’inflation. Ça ne fera baisser ni le prix de l’essence, ni celui du blé. En revanche, cela contractera la demande. Dès lors, le capital productif lui-même est à son tour mis au pied du mur. Notre politique a besoin d’investissements, de relocalisation et de production pour faire la bifurcation écologique. Un nouveau compromis social est donc possible avec le capital productif. Mais, s’il n’en veut pas, on se passera de lui.
Quand la gauche dit oui à la planification écologique ou à la retraite à 60 ans, quelque chose de substantiel est acquis.
Et dans ce cas, jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?
Aussi loin que la nécessité le commandera. On fera sans lui via les pôles publics que nous avons prévus. Prenons un exemple : ou bien Sanofi et quelques autres grands groupes comprennent qu’il faut relocaliser la production des molécules pharmaceutiques sur notre territoire, ou bien on le fait sans eux. Le plus important est de réamorcer le cycle de la confiance démocratique : voter sert à quelque chose ! Et le mandat populaire sera respecté.
Dans « l’Ère du peuple », vous décriviez le peuple urbain comme l’acteur de la révolution citoyenne. Qu’en est-il des zones dites périphériques, désindustrialisées ou encore des entreprises comme lieu d’affrontement de classes ?
Ma thèse décrit un acteur politique nouveau : le peuple. Pourquoi ? Parce que le nombre de gens dont la vie dépend de l’accès aux réseaux collectifs et de leur nature publique ou privée constitue un ensemble de rapports sociaux qui matrice toute la société. D’ailleurs, les plus grandes insurrections sont liées à l’impossibilité d’y accéder. La mise en cause de l’accès à ces réseaux-là a été le point de départ des gilets jaunes. Le peuple inclut la classe salariale et ces zones périurbaines. Ceci dit, attention à un certain simplisme sociologique qui réduit les individus à une seule de leurs facettes. Ils sont des sujets sociaux mais aussi de culture, de tradition. Enfin dans l’entreprise, c’est surtout le statut social des salariés qui compte.
Car le capital financier a réussi à disloquer nos forces sociales, en multipliant les CDD, les contrats d’intérim, les contrats de mission… Vous pouvez avoir sur le même chantier des gens qui font exactement la même tâche, mais qui dépendent de 4, 5, 6 entreprises. Le devoir de notre gouvernement sera l’homogénéisation sociale des salariés. C’est pourquoi la titularisation immédiate des 800 000 contractuels des fonctions publiques n’est pas juste une mesure sociale. C’est aussi une mesure politiquement unificatrice. Dans le secteur privé, c’est pareil. Il s’agit d’imposer des quotas maximaux : 5 % de CDD pour les grandes entreprises, 10 % pour les petites, et l’interdiction du travail détaché. À quoi s’ajoutent des mesures de démocratie dans l’entreprise qui reconstruisent politiquement la classe salariale. L’Union populaire est un projet d’unification du peuple et de la société.
Alors pourquoi affirmez-vous que « le paradigme révolutionnaire n’est plus un paradigme de classe » ?
À propos du concept de classe, Karl Marx dit des choses différentes. Tantôt que le rapport social capital-travail constitue la classe révolutionnaire, tantôt que c’est sa conscience d’elle-même. Mais pour lui les deux faisaient un tout : à la fois une relation sociale et une conscience d’une alternative. Je fais de même. Comment le peuple devient-il le nouvel acteur ? D’abord, c’est son rapport au réseau du collectif : cette relation sociale matérielle explique la lutte populaire contre l’oligarchie qui s’est approprié les réseaux. Ensuite, c’est sa conscience collective. Elle l’entraîne loin. Qui comprend qu’il y a des biens communs met le pied dans le communisme. Car cela impose une limite au droit de propriété. Le paradigme révolutionnaire, pour moi, c’est donc l’intérêt général humain. Le projet en découle : l’harmonie entre les êtres humains et avec la nature. Pourquoi ne pas parler de révolution socialiste ? Parce que la « révolution citoyenne » a un contenu socialiste, mais elle a aussi un contenu écologique et démocratique. Sa motivation fondamentale est de reprendre le contrôle, dans sa vie et dans la cité. Et dans l’entreprise au cœur du rapport social capitaliste. Jean Jaurès disait : « Les ouvriers sont rois dans la cité parce qu’ils votent. Ils restent serfs dans l’entreprise. »
Quand on 1er tour, les cités populaires votent pour moi, c'est du communautarisme ? Et quand au 2e tout elles votent pour Macron, c'est quoi ?
L’entreprise reste donc un lieu clé de cet affrontement…
La citoyenneté y est à conquérir. C’est une des clés de la bifurcation écologique, qui nécessite de savoir ce que l’on produit et comment. L’autre clé, c’est la commune, parce que c’est la structure de base, le compte-gouttes du peuple politique.
Avec le vote des banlieues populaires qui vous a été très favorable à la présidentielle, il vous est reproché – par Emmanuel Macron notamment – une forme de communautarisme. Que répondez-vous ?
Quand au premier tour, les cités populaires votent massivement pour moi, c’est du communautarisme ? Et quand au deuxième tour elles votent massivement pour monsieur Macron, c’est quoi ? Ça suffit les insultes ! Les gens qui y vivent sont déterminés par des logiques de survie qui touchent tous les aspects de leur vie, les aspects sociaux, mais aussi les aspects humains, culturels. Ils ont voté pour les insoumis et ils voteront Nupes par dignité sociale, et aussi parce qu’ils adhèrent à l’idée que je me fais du rapport de l’État à la religion. La laïcité est une séparation du religieux et du politique. Ce n’est pas un athéisme d’État. Monsieur Macron n’est pas à la hauteur de son rôle avec de tels propos.
Lutte contre les discriminations et universalisme sont-ils conciliables, et si oui, comment les articuler ?
L’universalisme est une ligne d’horizon, des droits égaux pour tous. Mais elle bute tous les jours sur le contraire : les discriminations, les inégalités, la brutalité des relations hommes-femmes… Notre engagement consiste à lever tous ces obstacles pour atteindre l’égalité réelle des droits. La conciliation entre les deux est évidente de notre point de vue. Ce sont les libéraux et leurs discriminations sociales incessantes qui y échouent. Chez nos adversaires, existe une forme d’obscurantisme qui consiste à rendre la question insoluble. Ils opposent l’universalisme et la foi religieuse. C’est absurde : on peut être un parfait universaliste et être croyant. L’autre obscurantisme, c’est de faire passer des faits de science pour une ligne politique. L’intersectionnalité est un outil de sociologie pour voir comment s’empilent les discriminations. Depuis Frantz Fanon, c’est un thème assez banal. Monsieur Blanquer et madame Vidal, avec leur chasse absurde à l’islamo-gauchisme, ont été trop loin. Nous avons d’abord subi cette bataille, mais nous reprenons la main.
Qui comprend qu'il y a des biens communs met le pied dans le communisme. Car cela impose une limite au droit de propriété.
Au-delà du résultat des législatives, quels vœux formez-vous pour l’avenir de la Nupes ?
Nous aimerions qu’elle soit pérenne. D’abord capable de coordonner l’action institutionnelle. Pour cela, il y aura un intergroupe parlementaire. Il faudrait aussi qu’elle soit capable d’organiser et d’impulser les actions à la base. Car sans mobilisation, le pouvoir de l’Union populaire serait affaibli. Si nous ne sommes pas majoritaires, la pérennité sera la condition à remplir pour la suite, maintenant qu’on a déterminé où est le centre de gravité politique à gauche.
publié le 3 juin 2022
Nicolas Cheviron sur www.mediapart.fr
Depuis la fermeture de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), abandonnée par son principal client, Renault, avec l’assentiment de l’État, la consternation et la colère contre le gouvernement prévalent dans le bassin de Decazeville. La gauche unie derrière un candidat ouvrier pourrait en tirer profit.
Viviez-Decazeville (Aveyron).– Marie n’a pas voté à la présidentielle. Elle n’ira pas non plus déposer son bulletin dans l’urne le 12 juin pour élire le nouveau député de la deuxième circonscription de l’Aveyron. Par une froide journée de la fin du mois de novembre 2021, avec d’autres camarades, elle a brûlé sa carte électorale devant l’usine dont elle a été mise à la porte après trente-trois ans de service.
Une petite flambée qui n’a pas dû les réchauffer bien longtemps, mais qui leur semblait nécessaire pour dire leur dégoût des politiques et de leurs paroles lénifiantes, tandis que sombrait la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM) avec 333 salarié·es à son bord. « Pour moi, de toute façon, ils se valent tous, maugrée la secrétaire. Bruno Le Maire [ministre de l’économie – ndlr] qui nous a fait de belles promesses mais n’a rien fait concrètement, Carole Delga [présidente socialiste du conseil régional d’Occitanie – ndlr] qui est arrivée après la bataille… »
En ce week-end prolongé de l’Ascension, plusieurs ex-salarié·es de la SAM profitent d’un beau soleil de fin d’après-midi pour taquiner le bouchon sur le boulodrome de Viviez, à moins de deux kilomètres de leur ancienne usine. Il y a là Gilles, 31 ans à la SAM, « dont vingt et un ans en travail de nuit », qui fustige la « nullité » de l’État et son « incapacité à écouter le bas de l’échelle », « à taper du poing sur la table et dicter ses conditions à Renault, en tant qu’actionnaire ». Ce bouliste émérite admet avoir voté pour Marine Le Pen aux deux tours de la présidentielle, parce que « c’est le ras-le-bol ».
Il y a aussi P., vingt-trois ans d’ancienneté à la logistique de l’usine, qui ne veut pas donner son nom, mais s’indigne des propositions de reclassement reçues - « un poste de boucher-charcutier, des missions à Lille, à Saint-Étienne… » – et de l’attitude de l’agent chargé de son contrat de sécurisation professionnelle (CSP), qui « ne cherche pas du travail mais est là juste pour nous fliquer ». P. ne dit pas pour qui il a voté en avril dernier, mais glisse tout de même dans la conversation que dans la région, « on est passé du vote anti-extrême droite au vote anti-Macron ».
Au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est arrivé largement en tête dans les cinq municipalités de la communauté de communes de Decazeville – 14 100 habitant·es au total –, suivi par Marine Le Pen dans trois d’entre elles. Au deuxième tour, la candidate du Rassemblement national (RN) s’est imposée dans trois communes – Aubin, Viviez et Cransac. Une première dans ce bastion ouvrier de gauche, où la proportion de bulletins nuls et blancs a cette année atteint des records, en laissant le champ libre à l’extrême droite.
Les renoncements du gouvernement
La trajectoire de la SAM est celle d’une entreprise encore florissante au tournant du XXIe siècle, avec un carnet de commandes diversifié et quelque 650 employé·es en 2010, mais qui, du fait de choix hasardeux – une stratégie d’expansion au moment de la crise de l’automobile de 2007-2008 et une relation de plus en exclusive avec Renault – s’est rapidement retrouvée exsangue et soumise aux décisions du constructeur automobile. Le 23 novembre 2021, celui-ci signait l’arrêt de mort de son fournisseur de carters de moteurs, en refusant de soutenir un plan de reprise.
À ce moment-là, la SAM avait beau avoir passé le cap des véhicules hybrides et électriques, et disposer d’un département de recherche et de développement performant, la régie avait déjà transféré ses moules en Espagne, dans le cadre d’une stratégie plus vaste de délocalisation de ses approvisionnements. Trois jours plus tard, le tribunal de commerce de Toulouse (Haute-Garonne) prononçait la liquidation judiciaire de l’entreprise.
L’État, qui détient 15 % des actions du groupe Renault – provisionné à l’été 2020 de 5 milliards d’euros sous forme de prêt garanti (PGE) pour l’aider à passer la période de crise pandémique – s’était dit prêt, un peu plus tôt dans le mois, à injecter quelque 5,5 millions d’euros dans le plan de reprise. Pourtant, quelques semaines plus tard, il soutenait la décision du géant de l’automobile. « Il n’y a pas d’offre crédible pour la reprise de SAM, disons les choses de manière honnête et transparente », avait tranché Bruno Le Maire, le 24 novembre, sur France Info.
L’histoire de la SAM ne s’est pas arrêtée là. Elle est devenue un récit de lutte, avec une occupation de l’usine pendant 154 jours pour empêcher le démantèlement des machines par les administrateurs judiciaires, jusqu’à la sortie des deux cents derniers combattants et combattantes, sous une haie d’honneur, le 25 avril. « Cela a été très dur sur le plan émotionnel, comme un deuil, une famille que tu quittes. J’ai vu beaucoup de collègues hommes pleurer, des gens que tu n’imaginerais pas, relate Ghislaine Gistau, salariée de la SAM pendant vingt-six ans, déléguée CGT qui a participé aux négociations. Mais il y a aussi une grande fierté parce qu’on a tout fait pour trouver des solutions. »
Les ouvriers et les ouvrières ont en effet déplacé des montagnes, en trouvant un repreneur potentiel et en obtenant des garanties des collectivités territoriales sur la sécurisation de l’outil de travail, condition de leur sortie de l’usine. Le candidat à la reprise s’appelle MH Industries et semble avoir les reins solides. Basée dans le Lot, cette entreprise emploie 350 salarié·es réparti·es sur six sites chacun spécialisés dans un domaine, de la fonderie de la pièce à l’usinage, du traitement de la surface à la peinture et au montage – une complémentarité lui permettant de proposer des « solutions globales » à ses clients.
Le carnet d’adresses de MH Industries dénote aussi une certaine versatilité, puisque la firme travaille avec l’aéronautique, la défense, l’industrie, le ferroviaire, l’électronique, le bâtiment… Tout le contraire de la SAM. Le patron, Matthieu Hède, « est quelqu’un qui nous a fait une bonne impression, un industriel dont la stratégie a été payante, commente Ghislaine. L’idée est de créer deux cents emplois sur six ans, en conservant une partie de la fonderie à la SAM et en y installant les autres activités de MH Industries, qui en ferait son navire amiral ».
Le retrait des services publics, le départ des entreprises
L’entreprise, déjà soutenue à hauteur de 1,2 million d’euros par la région Occitanie pour mener ses études, a jusqu’au 30 juin pour présenter une offre d’achat des équipements de la SAM. Jusqu’à cette date, la région, qui est également en négociation avec le dernier propriétaire de la SAM, le groupe chinois Jinjiang, pour le rachat des terrains et des bâtiments, finance leur location et l’électricité. La communauté de communes, elle, prend en charge le gardiennage du site.
Reste une inconnue de taille : Renault acceptera-t-il de donner, avec quelques commandes, le coup de pouce jugé nécessaire pour relancer rapidement l’activité de la fonderie ? Ghislaine veut y croire. « Nous avons tout un stock de pièces brutes et usinées, ça pourrait avoir un intérêt pour eux », dit-elle. Peut-être l’État saura-t-il, cette fois, tordre le bras au constructeur ? Le candidat Nupes (Nouvelle Union populaire écologique et sociale) sur la circonscription s’y engage. « Si je suis élu député, je ferai le maximum pour obliger Renault à lancer cette entreprise en lui fournissant un carnet de commandes », assure Laurent Alexandre, jusqu’ici étiqueté LFI, rencontré au marché de Decazeville.
Le maire d’Aubin, commune de 3 750 habitant·es au cœur de l’ancien bassin minier, évoque aussi le retrait des services publics, la fermeture de la maternité et du centre de dialyse, le départ des entreprises. Il parle également des projets qui piétinent, comme le projet Phénix d’une usine de recyclage de batteries de voiture usagées, porté par une autre entreprise aveyronnaise, la Snam, qui devait créer 600 emplois en six ans et aurait ainsi pu absorber une partie des laissés-pour-compte de la SAM.
Mais le PDG de la Snam, Éric Nottez, a été limogé début mai par son conseil d’administration et remplacé par un dirigeant allemand, faisant craindre un arrêt du projet ou sa relocalisation hors de France. « On se bat en permanence pour conserver le peu qu’on a, même pas pour faire avancer les choses, affirme Laurent Alexandre, qui continue de travailler comme ouvrier un jour par semaine dans l’usine d’aéronautique Ratier-Figeac (Lot). Les gens ici vivent tout ça comme une injustice, ils pensent que les politiques les considèrent comme des citoyens de seconde zone. Il y a de la colère, du fatalisme. »
Le candidat de la Nupes veut croire en ses chances d’enlever la circonscription à La République en marche (LREM). Au cours des trois dernières décennies, celle-ci a souvent changé de bord politique. Sur les cinq communes du bassin, la victoire semble à portée de main. Les scores additionnés des quatre partis coalisés au premier tour de la présidentielle y oscillent entre 37 et 41 % des suffrages exprimés.
Face à lui, le candidat macroniste Samuel Deguara, ex-directeur adjoint de cabinet au ministère de l’agriculture, va devoir quant à lui répondre de l’inaction du gouvernement sur le dossier SAM. Celui-ci n’est d’ailleurs pas mentionné dans les tracts de campagne LREM. Reste à savoir si le candidat ouvrier réussira aussi à convaincre dans les zones plus rurales qui composent le reste de sa circonscription.
<< Nouvelle zopublié le 2 juin 2022
Julia Hamlaoui, Emilio Meslet et Alex Marinello sur www.humanite.fr
En meeting à Paris, aux côtés des candidats de la Nupes, Jean-Luc Mélenchon a appelé les abstentionnistes à saisir, lors des législatives des 12 et 19 juin, «l’occasion extraordinaire de tourner la page» de la désastreuse politique Macron.
« Dormez bourgeois, il n’y a pas de problème ». Le conseil vient de Jean-Luc Mélenchon qui a lu le Figaro avant de se rendre au meeting de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) à Paris mercredi soir. « Union de façade derrière Mélenchon pour masquer les divisions », titre ce matin-là le quotidien. « C’est surtout vous qui voulez masquer l’union », réplique l’insoumis devant 1 500 personnes, selon les organisateurs.
Entouré des candidats parisiens de la gauche unie aux législatives, il sourit de ces commentaires qui « ne ressortent de leur boîte que quand ils ont la trouille ». « C’est la première fois depuis la naissance de la Ve République et surtout depuis l’inversion du calendrier, qu’on donne, trois semaines avant le vote, l’opposition en tête alors même que l’élection présidentielle a à peine un mois », ajoute-t-il.
L’écologiste Julien Bayou ne dit pas autre chose : « On est là prêt à nous battre pour la justice sociale et climatique. Dans le camp d’en face, eux, ils sont stressés car on commence déjà à dire que la majorité automatique n’est plus à porter de main », lance le secrétaire national d’EELV taclant, au passage, ceux qui « estimaient que la gauche et les écologistes étaient incapables de s’entendre et même irréconciliables. Ceux-là sont chez Macron et on ne s’en plaint pas du tout ».
« Maintenant, il faut que cela se concrétise dans les urnes »
Dans la salle, militants et sympathisants de gauche partagent cet enthousiasme. « En élisant les députés de la Nupes, le peuple sera enfin entendu. On va y arriver, j’en suis convaincu », affirme Yannis, un aide-soignant de 49 ans. Le rassemblement de la gauche est aussi applaudi : « C’est très positif surtout que le programme est vraiment un programme de rupture », salue un participant tandis qu’à quelques mètres Olivier assure que pour lui l’objectif est « d’au moins éviter que Macron n’obtienne une majorité absolue ».
« On a subi pendant 5 ans, on a beaucoup dit qu’on avait la gauche la plus stupide du monde parce qu’on n’était pas en capacité de se parler. Mais l’union, ça y est, c’est fait », reprend en écho depuis l’estrade de la salle Olympe de Gouges la candidate PS Dieynaba Diop.
À Paris l’union reste parfois compliquée. La capitale compte la seule circonscription où le PS soutient officiellement une candidate dissidente, Lamia El Aaraje, alors que l’accord a investi l’insoumise Danielle Simonnet. Venue des Yvelines, Gina, une intérimaire de 27 ans, note cependant que « sur le terrain tout le monde est mobilisé : communistes, insoumis, écologistes, socialistes et même des militants du NPA ». « L’ambiance est extraordinaire, on sent qu’il y a une vraie dynamique. Maintenant, il faut que cela se concrétise dans les urnes », abonde un militant écologiste de la 8e circonscription de Paris.
« L’enjeu, c’est le quatrième bloc »
Car tous ont bien conscience que tout dépendra de la mobilisation… des électeurs. Alors que la présidentielle a dessiné un paysage où 3 blocs font jeu égal (LaREM et ses alliés, le RN et la gauche), « l’enjeu, c’est le 4e bloc » soit les 12 millions d’abstentionnistes, martèle Jean-Luc Mélenchon estimant que « si les gens pensent qu’on peut gagner, ils vont descendre par paquets, par grappes, par wagons, de tous les côtés ils arriveront ».
Le leader de la France insoumise estime que « si les gens pensent qu’on peut gagner, ils vont descendre par paquets, par grappes, par wagons, de tous les côtés ils arriveront » pour voter pour la Nouvelle Union.
Chloé, une étudiante de 21 ans, elle, a franchi le pas peu avant la présidentielle puis : « Je me suis rendu compte que les législatives sont tout aussi importantes », confie-t-elle. Si les sondages annoncent pour l’heure une forte abstention (au-delà des 51,3 % de 2017), notamment des jeunes, ils sont 71 % des moins de 35 ans, selon Ipsos, à estimer que la volonté de conquérir Matignon affichée par la Nupes permet de susciter davantage d’intérêt pour les législatives.
« On n’est pas là pour témoigner ni grappiller quelques postes, on est là pour gagner et changer la vie. Cette campagne rencontre un succès qui va au-delà de nos espérances. Ce rassemblement attendu par tant de gens, depuis tant d’années fait que l’espoir renaît », croit aussi Julien Bayou qui en profite pour lancer un malicieux « La République, c’est nous ».
Ce n'est pas une question de principe
Et pour la Nupes, l’urgence se mesure au nombre de voyants passés au rouge. « Plus le temps passe, plus le débat se clarifie, assure Ian Brossat, dans les travées. Gilles Le Gendre a promis un ‘’tapis de bombes’’ si la majorité actuelle est reconduite. En clair : soit on choisit la stagnation des salaires et la retraite a 65 ans, soit on choisit le camp du progrès social », résume le porte-parole du PCF, renvoyant au programme de la gauche et à ses 650 mesures dont l’augmentation des salaires et la retraite à 60 ans.
Pour beaucoup, c’est loin d’être une question de principe : « Je viens d’un milieu populaire, raconte un jeune alternant, l’augmentation des minima sociaux comme du Smic à 1 500 euros permettraient vraiment d’améliorer la vie de mes parents. » « Depuis cinq ans ils nous ont menti, tous les jours sur tous les sujets et ils veulent recommencer », embraye au micro Céline Malaisé, candidate PCF face à la porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire : « en guise de mesure pour le pouvoir d’achat, ce gouvernement intérimaire nous annonce en fanfare le maintien du bouclier tarifaire. Mais qu’apprend-on finalement ? Que le blocage n’est que temporaire et sera rattrapé en 2023 », poursuit-elle.
Le revirement de Roux de Bézieux
Côté redistribution des richesses, le programme de la Nupes ne passe pas inaperçu, note également Jean-Luc Mélenchon qui s’amuse du changement de ton du président du Medef. En février, Geoffroy Roux de Bézieux jugeait le candidat FI d’alors « prêt à gouverner ». S’il prédisait qu’en cas de victoire les patrons arrêteraient « d’embaucher, d’investir », il estimait aussi que ce ne serait « pas le chaos comme certains le disent ». Et voilà que ce mercredi il le juge « prêt à mener la France dans le chaos ».
L’inquiétude montée d’un cran du patron des patrons est jaugée comme un signe encourageant de plus par le prétendant à Matignon qui rappelle tout de même : « Il dit qu’on taxe tout le monde. Mais non jusqu’à 4 000 euros de revenus personnels, vos impôts vont baisser mais les 5 (plus grosses fortunes, NDLR) qui ont autant que 27 millions c’est clair ils vont nous voir arriver ».
Sur le ton humoristique, le message à l’adresse des chefs d’entreprise se veut tout aussi clair : « Aucun entrepreneur ne renoncera à servir un consommateur. Par conséquent je n’ai pas une seconde de doute sur le fait que de toute façon ils feront ce qu’il y a lieu de faire. Mais si vous m’agacez trop, je suis obligé de vous dire que je me suis aperçu que le déficit de l’État est de 150 milliards et que c’est exactement la somme qui leur a été donnée en crédit d’impôt… »
Pouvoir d’achat en berne, sécheresse, hôpitaux et éducation au bord du gouffre, recul de la démocratie… « On a une occasion extraordinaire de tourner la page », insiste le chef de file de la Nupes, promettant des « mesures d’urgence mais aussi des mesures plus en profondeur » pour la « bifurcation écologique et sociale ».
Des propos qui font écho parmi ceux qui vivent au quotidien le désastre engendré par la « start-up nation » : « Je travaille dans un hôpital psychiatrique et, à force de lits fermés et de médecins en moins, des patients qui en ont pourtant besoin doivent attendre 6 mois avant un premier rendez-vous, pour les enfants c’est même jusqu’à 2 ans », raconte Olivier. Si Jean-Luc Mélenchon ne peut assurer « du jour au lendemain » d’un changement total « de paradigme », il s’y engage : « du jour au lendemain nous ferons cesser l’enfer ».
Justice. Deux décisions attendues vendredi
Le Conseil d’État se prononce vendredi sur le refus du ministère de l’Intérieur d’attribuer le label « Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) » aux candidats investis par le rassemblement de la gauche, qui a déposé un recours. Les partenaires de la Nupes dénoncent une manœuvre politique visant à diviser les scores de la gauche entre FI, PS, EELV et le PCF, alors même que le nuancier politique diffusé aux préfets autorise les candidats de la majorité présidentielle à se présenter sous la dénomination « Ensemble », qui rassemble LaREM, le Modem, Horizons, etc. Problème : l’appellation « Ensemble » est aussi le nom de la formation de Clémentine Autain créée en 2013. La députée FI et candidate Nupes en Seine-Saint-Denis a donc intenté une action en justice au tribunal judiciaire de Paris, pour faire interdire le nom de la coalition macroniste, qui rendra aussi son verdict vendredi.
sur www.humanite.fr
Jean-Luc Mélenchon a renoué avec l'exercice du meeting, mercredi soir à Paris pour galvaniser les troupes de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes), à douze jours du premier tour des législatives. L'Humanité s'est glissé dans le rassemblement avec de jeunes militants afin de recueillir leurs sentiments.
Le meeting a eu lieu dans une jauge plus modeste qu'à la présidentielle. Mais 1 500 personnes se sont tout de même pressées à la salle Olympe de Gouges dans le XIe arrondissement de Paris, certaines ayant même dû rester suivre le meeting sur un écran placé à l'extérieur.
Plusieurs candidats à Paris étaient présents, du secrétaire national d'EELV Julien Bayou à l'antispéciste Aymeric Caron en passant par la communiste Céline Malaisé.
"Le plus important aujourd'hui, c'est l'écologie et c'est le seul mouvement qui peut nous donner de l'espoir", nous explique Léonie, étudiante en science politique à l'université Panthéon-Assas avant d'ajouter : "Pour nous jeunes qui avons connu les mandats de Sarkozy, Hollande et Macron, c'est réellement une source d'espoir."
La dynamique des gauches rassemblées
Jean-Luc Mélenchon, qui depuis quelques semaines savoure la dynamique des gauches rassemblées, a livré un discours passionné, versant dans le stand-up humoristique à certains moments.
Pour Quentin Gidoin, salarié à la Bibliothèque Nationale de France, actuellement au cœur d'un mouvement social : "J'ai envie d'y croire, je fais parti d'une génération qui a souvent subi les élections les unes après les autres avec cette gauche qui répondait aux logiques libérales et je suis heureux ce soir d'être là."
La Nupes au coude-à-coude avec LaREM
Si la Nupes est au coude-à-coude avec LaREM et ses alliés sur le total national des voix, autour de 28%, selon les projections des sondeurs, le chef des Insoumis explique : "Notre point haut est supérieur à leur point bas." Or "si les gens pensent qu'on peut gagner, ils vont descendre voter par paquet, par grappe, par wagon", a assuré le tribun insoumis, suscitant des "On va gagner" sonores dans la salle.
"C'est le programme le plus construit aujourd'hui, qui permet de traiter l'ensemble des sujets sur les conditions de travail, sociales et démocratiques mais également écologique", tient à souligner Léa Catala, salariée à la ville de Paris. La jeune militante précise : "Mélenchon 1er ministre, c'est aussi pour lutter contre l'abstention, donc oui ça me donne de l'espoir".
LFI, EELV, PS, PCF, Générations, "nous nous sommes rassemblés pour dire au pays, nous sommes une alternative si vous avez compris que ça ne peut plus durer comme c'est là", a déclaré Jean-Luc Mélenchon.
Or il y a urgence, a-t-il exhorté, car "l'Etat s'effondre autour de nous" : école et hôpital en difficulté, montée de la pauvreté, "inaction climatique" et même "pour assurer la tranquillité d'un match de foot".
Processus démocratique
"Déjà j'ai apprécié qu'on ait un meeting de cette taille pour les élections législatives. Il n'y a pas que l'élection présidentielle, il y a aussi une Assemblée nationale qui a son importance dans le processus démocratique", nous explique Rémi, étudiant en conception de jeux vidéos.
"Sa stratégie est intelligente mais le “Jean-Luc Mélenchon Premier ministre” ne doit pas effacer ceux qui ne sont pas fans de la première heure", observe Ian Brossat, ancien directeur de campagne du candidat communiste Fabien Roussel.
Julien Bayou confie pour sa part être "agréablement surpris" du fonctionnement de la Nupes : "C'est fluide dans la coordination, ça prend sur le terrain, on a fixé quelques grands axes de campagne et chacun a ses manières de communiquer."
Giovana Gravier, étudiante en Communication souligne : "On a senti le besoin de s'engager, c'est nous le futur et ce programme correspond à nos convictions."ne de texte >>
publié le 29 mai 2022
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Campagne L’Humanité a décidé de suivre la confrontation entre Bruno Nottin et l’ex-ministre de l’Éducation nationale, à Montargis, dans le Loiret. Vendredi, un groupe d’activistes anti-Blanquer est venu prêter main-forte à la campagne du candidat de la Nupes.
Une petite foule s’est rassemblée sur les gradins qui bordent le canal de Briare, en plein cœur de Montargis, pour le meeting de Bruno Nottin, candidat PCF-Nupes pour les législatives. Et soudain, devant eux surgit… Jean-Michel Blanquer lui-même ! Le ministre défroqué – au sens littéral du terme puisque sous sa veste de costume il porte un simple caleçon de bain – toise le public avec mépris puis lance un tonitruant : « Bonsoir les gauchistes ! » Et tout le monde éclate de rire. Car tous savent déjà que ce Blanquer-là est en réalité « Jean-Michel Planquer », ou Nour Durand-Raucher dans la vraie vie, conseiller EELV de Paris mais surtout parfait sosie du vrai Blanquer et âme du collectif Ibiza. Ce groupe informel de militants s’est fait connaître en dansant en maillot de bain en plein mois de janvier sous les fenêtres du ministère de l’Éducation nationale, afin de dénoncer ce ministre en vacances à Ibiza à la veille d’une rentrée sous la menace d’une nouvelle vague de Covid.
Le vendredi 27 mai, ils sont arrivés à une dizaine à la gare de Montargis pour mobiliser autour la campagne de la Nupes contre le candidat Blanquer, directement parachuté depuis l’Élysée. Direction le lac de Châlette-sur-Loing, tout proche, pour une baignade collective – vrai-faux ministre en tête – et une réunion rapide sur une table de pique-nique. L’argent réuni grâce à une cagnotte a servi à imprimer un millier de tracts avec, au recto, le portrait de « Jean-Michel Planquer » et, au verso, le vrai bilan du vrai Blanquer : 7 500 suppressions de postes de professeurs en cinq ans, triplement des démissions, salaires inférieurs de 20 % à la moyenne des enseignants dans l’OCDE, catastrophique réforme du bac, Parcoursup…
Entre ces activistes essentiellement parisiens et les militants locaux, on se regarde un peu, mi-amusés, mi-étonnés, mais la sauce prend. Joanna, aide-soignante non loin de là, pose l’ambiance dans la circonscription : « Benoît Digeon (le maire LR de Montargis – NDLR) est un ancien commerçant, il a fait poser une guirlande à 43 000 euros dans la principale rue du centre-ville. Imagine ce qu’on aurait pu faire avec cet argent pour les habitants des quartiers populaires de Chautemps ou de la Chaussée… où il ne va jamais ! » Mais trêve de discussion, il faut passer à l’action. La troupe s’ébranle vers le cœur de ville, enfile maillots de bain et colliers de fleurs à la terrasse d’un café, sous les regards interloqués des clients, puis envahit la rue avec une sono tonitruante qui diffuse une version électro de Vamos a la playa.
« Je n’ai pas envie qu’il casse la circonscription ! »
Un dispositif qui ne suffit pas à détromper certains passants, comme ce couple persuadé d’avoir croisé le vrai Jean-Michel Blanquer, après que le faux a pris la pose devant… la vraie permanence – fermée – de l’ancien ministre. Alicia, elle, sait parfaitement pourquoi elle est là : « Blanquer a cassé l’école pendant cinq ans, explique cette professeure des écoles et militante à SUD éducation. Je n’ai pas envie qu’il casse la circonscription ! » Marie, enseignante elle aussi, est carrément venue tout exprès de l’Essonne : « Il faut dénoncer son bilan pitoyable, ce qu’il a fait au service public. Il était temps qu’il s’en aille, et je serais très contente qu’il n’y ait pas de suite à son histoire ! » « Tous les enseignants de France regardent Montargis et attendent la sanction de Blanquer ! » résume Ian Brossat, porte-parole du candidat Fabien Roussel à la présidentielle, lors du meeting.
« Nous sommes forts parce que nos adversaires reprennent les batailles que nous menons depuis des années », lance à son tour Bruno Nottin. Comme celle de la construction d’un IUT dans ce territoire sans enseignement supérieur. Ou celle d’un centre de santé, alors que les habitants doivent se débrouiller avec une petite dizaine de médecins : « À Montargis, on le demande depuis douze ans ; à Châlette, on l’a fait ! » tonne le candidat. Sa suppléante, Francine Phesor, connaît bien le sujet : aide-soignante et adjointe chargée de la santé au sein de la municipalité communiste de Châlette, elle nous précise que le centre municipal de santé, ouvert fin 2017, reçoit désormais « 5 000 patients par an, dont plus de la moitié (53 %) ne vient pas de Châlette mais du reste de l’agglomération. »
Dans cette circonscription qui a toujours été à droite, « nous avons une fenêtre », estime Bruno Nottin. Ce qu’est venu confirmer un sondage Ifop pour le JDD, paru dimanche : derrière le candidat RN, en tête avec 28 %, Blanquer (23 %) et Nottin (22 %) s’y tiendraient dans un mouchoir de poche – avec, au vu de cette journée de vendredi, des dynamiques bien différentes. Qui sait ce qui se passerait le 19 juin si le candidat de la gauche enfin rassemblée affrontait, selon ses propres termes, « l’imposture sociale » du RN ?
publié le 28 mai 2022
Sébastien Crépel sur www.humanite.fr
Depuis le 7 mai et l’officialisation de l’alliance autour de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron a un problème qui chamboule ses plans pour les législatives. Pour une majorité de Français (57 %), la gauche est en mesure de gagner les élections, selon un récent sondage Ipsos.
Quelle logique improbable a conduit à faire cohabiter dans un même gouvernement Pap Ndiaye et Gérald Darmanin ? Un historien réputé, pour lequel le « racisme structurel » et les violences policières sont des réalités à reconnaître et à combattre, aux côtés de l’homme qui trouve Marine Le Pen « trop molle ». La raison de cet attelage tient en cinq lettres : Nupes. Sans l’accord scellé entre toutes les composantes de gauche dans la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, jamais Jean-Michel Blanquer, le pourfendeur de « l’islamo-gauchisme » et du « wokisme », ces inventions de droite, n’aurait dû céder la place à son antithèse, un universitaire spécialiste de la condition noire et des discriminations.
Depuis le 7 mai et l’officialisation de l’alliance autour de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron a un problème qui chamboule ses plans pour les législatives. Pour une majorité de Français (57 %), la gauche est en mesure de gagner les élections, selon un récent sondage Ipsos. La composition du gouvernement d’Élisabeth Borne s’en ressent. Plusieurs de ses ministres ne sont là que pour donner le change et doivent leur nomination à l’apparition de la Nupes dans le paysage politique. Pap Ndiaye fait partie de ceux-là, parmi d’autres qui n’ont « de gauche » que les références sur leur CV des cabinets dans lesquels ils ont fait carrière. L’arbre « décolonial » cache ainsi une forêt de ministres conservateurs et rétrogrades aux postes stratégiques.
Le but de l’opération Pap Ndiaye est de réinstaller, avec la complicité de l’extrême droite, le duel Emmanuel Macron face à Marine Le Pen, autour des opinions supposées du nouveau ministre, dont la nomination est une véritable aubaine pour le Rassemblement national. L’extrême droite et la droite « républicaine » dans son sillage font mine de voir dans le gouvernement un Conseil des soviets dans lequel se serait glissé Malcolm X. Et de dénoncer, à coups d’accusations grotesques et, pour tout dire, racistes, le danger pour la République que représenterait l’accession d’un lecteur de Frantz Fanon et d’Aimé Césaire à la tête de l’éducation nationale. Pendant ce temps, perdu en polémiques aussi ridicules que venimeuses – dans le droit-fil de celle sur le burkini à Grenoble –, le débat public est détourné des solutions aux préoccupations essentielles auxquelles l’apparition de la gauche unie avait redonné pleinement droit de cité, à l’instar des salaires, des prix et des retraites.
Que personne ne s’y trompe : la gauche et ses électeurs n’ont rien à gagner à se laisser distraire des combats sociaux, comme on essaie de les y inciter pour mieux les diviser et les démobiliser. La France aisée acquise à Emmanuel Macron, elle, ne s’y laissera pas prendre, et ne votera pas pour ou contre le burkini, pour ou contre le « wokisme », mais pour la retraite à 65 ans, pour la baisse des « charges » et des impôts qui la touchent. À l’inverse, une majorité de députés de gauche se gagnera si la conviction l’emporte que le Smic net à 1 500 euros est possible dès le 1er juillet pour faire face à l’inflation sur les produits de la vie courante, ou que l’on peut partir à la retraite à 60 ans avec une bonne pension pour laisser son emploi à un jeune. Ce sont ces débats que redoutent Emmanuel Macron et Élisabeth Borne. Il reste deux semaines avant le premier tour pour les y contraindre.
Par Le Stagirite sur www.lemediatv.fr
En interview, Jean-Luc Mélenchon part du principe que la Première ministre Elisabeth Borne mènera une politique libérale. Les journalistes croient pouvoir y repérer un procès d’intention : “mais quand même, elle vient de la gauche ! On ne peut pas savoir ce qu’elle fera puisque ses intentions nous sont inaccessibles.”
Mais Mélenchon justifie ses anticipations de l’action future de Borne par ses actions passées, qui ne sont que l’application stricte du macronisme : privatisation des autoroutes, ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence, fin du statut du cheminot, réforme de l’assurance-chômage…
Qu’une ministre issue de la technocratie d’Etat ou d’entreprise, ayant appliqué avec rigueur les réformes de droite d’un gouvernement de droite, continue dans cette voie une fois Première ministre, cela semble évident, et se passe de démonstration. C’est bien plutôt à celui qui croit en la possibilité d’une rupture de prouver son point. Ici ce n’est pas Mélenchon le sophiste, ce sont les journalistes, car ils inversent la charge de la preuve.
Quoi qu’il en soit, en faisant semblant qu’il existe un vrai débat pour savoir si Borne est de droite ou de gauche, ces journalistes et commentateurs installent dans le débat public l’idée que la future politique gouvernementale pourrait être différente de celle qu’on a subie jusqu'ici, et rendent moins audible l’idée qu’il faille imposer à Macron un Premier ministre de gauche, ou du moins une forte opposition de gauche au Parlement.
publié le 25 mai 2022
Par Clément Gros sur www.regards.fr
Ils seront peut-être, le 19 juin prochain, élus députés sous l’étiquette de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Nous sommes allés à la rencontre de dix de ces candidats, inconnus du grand public, pour comprendre le sens de leur engagement.
C’est la candidate de gauche qui sera face à Éric Zemmour. Et depuis cette annonce, le rythme de campagne de cette enseignante d’une classe de CM2 s’est accéléré : « Les caméras se sont braquées sur la circo et désormais cela n’arrête pas », témoigne la candidate. Rien pour lui faire peur, Sabine Cristofani-Viglione est habituée au militantisme. D’une famille communiste, elle a très tôt participé à la vie politique, « et je me suis toujours dit que dès que mes enfants seraient grands, je m’engagerais dans la politique plus sérieusement. Me voilà donc candidate ». Avec Blanquer à l’Éducation depuis cinq ans, dit-elle, ses cinquantaines de protocoles, l’absence d’augmentation salariale et le mépris continu pour la profession, la candidate sait bien ce que la lutte politique a de plus difficile. Le mépris constant des dominants. Dès lors, elle nous raconte le parcours scolaire de son fils. Il a eu besoin d’une AESH pour étudier dans de bonnes conditions : « Les professeurs ne sont pas formés pour l’inclusion. D’autre part, les heures allouées pour les AESH sont insuffisantes, mon fils ne bénéficiait que de sept heures par semaine ». Et dans beaucoup de cas, il y a une mutualisation : l’AESH s’occupe de plusieurs élèves, ce qui ne répond évidemment pas aux besoins individuels. De ces expériences, Sabine Cristofani-Viglione remarque un grand écart entre la couverture médiatique de la circonscription, montrant Éric Zemmour à la rencontre des habitants du Golfe de Saint Tropez et la réalité du terrain. « Dans les terres, je vois personnellement des habitants à qui on ne donne pas les moyens de vivre décemment. Des gens qui touchent 1000 euros de retraites survivent malgré tout, mais il faut leur permettre de vivre. C’est pourquoi je représente la Nupes ».
Nathalie Krawezynski - 3ème circonscription de la Savoie
(Gauche 29,87%, Le Pen 26,24%, Macron 24,85%)
Originaire du quartier des Izards à Toulouse, la candidate Nupes a fait des « dizaines et dizaines » de métiers : femme de ménage, animatrice de rue, aide à domicile, remplaçante en maison d’accueil spécialisée polyhandicap, AESH, puis artisane d’art, avant de devenir agente administrative dans un lycée professionnel à Chambéry. De ses multiples expériences, elle en a tiré une volonté de s’engager dans le lien social, et veut caractériser son action par l’ouverture, maître mot de sa campagne. Par exemple, ce fut une militante engagée dans le mouvement des gilets jaunes : « Cela est resté pour moi comme un lieu formidable d’échange. À force de discuter avec des gens qui ne partageaient pas mes opinions politiques, les idées infusent et les choses évoluent ». Justement sur les idées : selon la candidate, l’éducation est le pilier de tout bien commun. Elle a vu de son poste actuel, et depuis la réforme de l’apprentissage en 2018, les lycéens devenir une main d’oeuvre de substitution. « On apprend à nos enfants à être un bon employé, à dire oui au patron et à se taire, cela m’est insupportable ». Car concrètement en Savoie, les apprentis font de la concurrence aux saisonniers : « Il y a un dumping social dans notre région, les saisonniers qui avaient réussi à obtenir un statut, se retrouvent maintenant en difficulté pour trouver un emploi ». Autre problème majeur auquel est confronté la Savoie : l’eau. « Le changement climatique pousse les collectivités à faire reculer en altitude les stations. Et le problème est que la montagne s’urbanise ». L’hiver, les stations multiplient par dix leur consommation d’eau. « On va même jusqu’à creuser à l’aplomb des sources d’eau potables du fait des projets d’aération pour le tunnel Lyon-Turin. Ce creusement est autorisé par dérogation locale du préfet, malgré qu’il entraîne une pollution de l’eau potable ».
L’eau justement. C’est également un problème constant pour Michèle Roux, paysanne à la retraite, après une carrière croisée entre son exploitation, son poste de professeure dans un lycée agricole et son engagement syndical. « J’ai toujours été proche des luttes. Par exemple, j’ai occupé la ferme des 1000 vaches, une bataille qui a duré dix ans au total ». Un projet mené par un industriel du bâtiment ayant pour but de susciter un rendement financier maximal de l’exploitation du lait, notamment avec des méthaniseurs puissants. Le problème est que cela venait alimenter la crise du lait et abaisser encore d’avantage son prix. Les autres producteurs locaux se retrouvant donc forcés de baisser eux aussi leur prix, alors qu’ils vendaient déjà à perte. « De mon côté, j’ai vu avec le dérèglement climatique, une évaporation de l’eau beaucoup plus rapide. On a dû trouver des solutions alternatives pour nos exploitations mais peu viables d’un point de vue écologique ». Michèle Roux nous raconte alors que le forage des nappes phréatiques, ou l’utilisation de l’eau de mer deviennent les alternatives. « Sauf que l’eau de mer salinise les sols, ce qui atteint fortement la qualité de ceux-ci, jusqu’à affecter la production végétale ». Pour la candidate, la véritable solution est alors de penser la production via une quantité limitée pour ensuite mieux la partager : « C’est l’ambition de l’agriculture paysanne ».
L’eau toujours. Avant de devenir artisan à Belle-Île-en-Mer, Karol Krichner est sorti d’une école de commerce lyonnaise, et a rejoint dans la foulée le célèbre cabinet d’audit KPMG. Il a finalement suivi une formation pour se convertir dans la maîtrise du bâtiment, et s’est investi avec ces deux employés dans des chantiers de l’île bretonne. 2020 marque alors une nouvelle étape de sa vie, dès lors qu’il décide de s’investir dans la campagne municipale. « Je suis devenu conseiller municipal d’une liste minoritaire et me suis basé dans la commission d’urbanisme. Mais je m’engage avant tout bénévolement, par exemple pour développer une monnaie locale. C’est aussi pourquoi je refuse d’être encarté, je ne veux ne pas appartenir à un camp ». L’enjeu pour lui est de montrer par son action politique « qu’il ne suffit pas nécessairement de changer grand chose pour montrer aux gens qu’on peut faire avancer leurs conditions de vie ». Sa candidature prend alors du sens, « devant les enjeux auxquels fait face le monde ». Seulement, la tâche est difficile car sa circonscription a toujours été de droite depuis 1958. « Mais nous réfléchissons plus loin que cet accord électoral, notre objectif est de le faire vivre au niveau local sur le long terme. Le véritable sujet est comment faire vivre l’union sur le long terme ». Et il y a du travail, car sa circonscription concentre des enjeux très investis par le programme de la Nupes. « Notre circo concentre trois îles où les jeunes du pays ne peuvent plus se loger du fait de la spéculation immobilière. Un cadre légal existerait pour lutter contre cela mais il faut y ajouter de la volonté politique ». Selon lui, les îles devraient être déclarées zones tendues pour le logement, ce qui permettrait par exemple d’encadrer les loyers. Le candidat est donc prêt à mener le combat législatif mais le plus important reste « de prendre à bras le corps les sujets devant nous avec tous les citoyens concernés ». La question de l’eau en priorité, sur une île où les habitants sont dépendants de l’eau de pluie. Dérèglement climatique ce faisant, le risque de pénurie demeure alors constant.
« Dans ma vie, j’ai beaucoup travaillé en intérim. D’abord un an dans le nettoyage, puis 12 ans chez Nestlé, 13 ans chez Faurecia, comme ouvrière de production avant de devenir cariste pendant 20 années ». Aujourd’hui sans mission, Annick Prévot nous explique n’avoir jamais fait de politique avant le mouvement des gilets jaunes. Ce qu’il l’a conduite elle aussi à candidater sur liste aux élections municipales de 2020. Car selon elle, « si on ne s’intéresse pas à la politique alors la politique s’intéresse à nous, et de manière violente ». Désormais, elle souhaite améliorer la vie des citoyens : « J’ai discuté avec des gens qui n’arrivent pas à vivre décemment, et là on découvre des choses scandaleuses ». Un exemple : « les artisans subissent une TVA à 20%, alors même que c’est 13% pour de la revente sans modifications ». Prête également pour le combat législatif, la candidate de l’Oise affirme que si les ouvriers ont à apprendre de la politique, la réciproque doit aussi fonctionner : « Les politiques ont à apprendre des ouvriers ». C’est donc slogan en tête qu’elle mènera cette campagne. « Je me dis qu’il faut à l’Assemblée moins de carriéristes et plus de caristes ».
Cédric Briolais aura à affronter Aurore Bergé, une fidèle macroniste jamais récompensée pour ses bons et loyaux services. Lui est machiniste de formation à la RATP et a mené 50 jours de grève pour lutter contre la réforme des retraites à partir de Décembre 2019. Aujourd’hui devenu agent de station, il travaille de 5h à 13h30, et consacre le reste de son temps à la campagne. « Pendant notre grève, les seuls soutiens politiques que nous avons reçus étaient ceux de la France Insoumise. C’est à ce moment là que j’ai eu la chance de rencontrer Eric Coquerel et Mathilde Panot et me suis investi dans le mouvement ». Cédric Briolais a donc participé au livret thématique sur la question des transports et compte bien continuer à lutter pour promouvoir une autre politique des transports. « Quand je vois qu’il faut plus d’une heure pour faire Rambouillet-Paris, je voudrais que l’on défende mieux ce service public. Une politique des transports permettrait de casser les barrières entre quartiers populaires et centre de la ville ».
Ouvrier métallurgique, président d’un syndicat et maire de sa commune depuis 2014, Arnaud Petit veut répondre au problème de représentativité dans les instances politiques. « Je me sens proche des problématiques des gens, car j’ai un métier qui est celui de la majorité des habitants de ma circonscription ». En réalité, son territoire est assez pauvre – selon ses mots – cumulant les situations de bas salaires. « Les habitants sont souvent obligés de travailler à deux. Et une fois deux Smic dans le foyers, ont du mal à finir le mois. C’est paradoxal du point de vue des patrons qui se plaignent de manquer de main d’œuvre. Seulement au bout d’un temps, les salariés refusent des postes mal payés avec des conditions de travail difficiles et c’est légitime ». Autre problème dans la circonscription : le manque de ressources allouées aux petites communes. « Nos jeunes n’ont aucun moyens de s’émanciper. Et donc les inégalités se reproduisent. La politique est de fermer les petites écoles : la difficile mobilité dans la région fait que les conditions d’accès à l’école de nos jeunes sont ici difficiles ». Alors ce sapeur-pompier volontaire aura pour tâche de venir en aide de ces territoires oubliés.
« On a commencé cette campagne avec 2000 tracts, puis finalement grâce à la forte mobilisation et la dynamique militante, nous avons fait 60.000 boîtes aux lettres ». Arrivé en France à 17 ans en 1985, depuis Dakar au Sénégal où il a grandi, Amadou Dème est fier d’être devenu aujourd’hui collaborateur politique à Grigny. « Je sens un élan car des gens qui s’étaient éloignés de la politique s’en rapprochent à nouveau. Si les forces ont été affaiblies ces dernières années, la Nupes suscite un espoir ». Avec sa suppléante, Amadou Dème veut donc en profiter pour porter des sujets qui concernent des milliers de familles et dont on ne prend pas le temps de parler. « Le handicap doit par exemple devenir un sujet politique, le législateur ne parvient jamais à s’en saisir ». Lui veut être un député présent auprès de la vie des quartiers, comme il l’a toujours fait en tant que collaborateur politique. « La députée macroniste, personne ne l’a connait, elle est revenue faire la cérémonie du 8-Mai, des élus témoignent ne l’avoir jamais vu ». L’objectif est donc de réinvestir la représentation nationale localement et de faire de la Nupes une force présente au quotidien des habitants de la circonscription.
Sortie du Conservatoire nationale supérieure d’art dramatique, il y a de cela 25 ans, May Bouhada se définit comme une femme de théâtre. À la fois artiste et réalisatrice, toujours liée par un engagement politique, elle s’engage dans la transmission de son art via les territoires. Au-delà de cela, elle a aussi porté la question de la place des femmes dans l’art. « Dans notre histoire, c’est comme si les femmes n’existaient pas. Je suis fier donc de travailler sur la question du matrimoine. De faire connaître des femmes comme Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma ». Et en fin de compte, cet engagement historique dans le secteur de la culture couvre beaucoup d’autres questions. « Car l’intelligence, la créativité ne se pensent pas sans le corps ». La candidate se dit alors enthousiaste des dynamiques d’union de la gauche. « À Fontenay-sous-Bois nous avons réussi grâce à l’union de mieux nourrir nos enfants. Nous sommes à 60% de bio dans les cantines et voulons aller vers 100% ». Elle aimerait alors porter le sujet de l’écologie auprès des classes populaires. « Les enfants ont aujourd’hui une moins bonne espérance de vie qu’auparavant, dire qu’on va promouvoir 30 minutes de sport par jour est insuffisant. Il faut porter des politiques publiques globalisantes mêlant santé, écologie, le tout bien sûr accessible à tous ». Dans sa dernière pièce, May Bouhada retrace l’histoire d’une « gamine » dont le grand-père vient de mourir. Elle part alors à la rencontre des terres où il a vécu, sur un fond de réalisme climatique. Plus que jamais, le théâtre devient alors politique et philosophique. Et la candidate compte bien se saisir de son art pour mener cette campagne.
Militant depuis 10 ans, désormais collaborateur parlementaire de François Ruffin, Damien Maudet, c’est ce citoyen « politisé » qui avait interpellé Emmanuel Macron sur la situation de l’hôpital public en ce début d’année 2022. « J’ai commencé à lutter dans ma cité universitaire de Limoges. À un moment où celle-ci était en travaux, tous les étudiants se sont retrouvés sur le marché immobilier. Et cela fait que Limoge est devenue une zone tendue pour se loger ». Dès lors, il fallait trouver une solution pour que tout le monde puisse se reloger à des prix acceptables. Son premier combat s’est alors soldé par une réussite, puisque Limoges Habitat a mis à disposition des logements pour compenser la perte de ceux de la cité universitaire. Puis, il s’est battu contre la loi Travail en 2016. Puis, il a mené la plus longue occupation universitaire contre la sélection à l’Université et la réforme du statut des cheminots. Arrivé à Lyon puis à Paris pour finir ses études, il raconte avoir conscientisé la violence sociale tout au long de son parcours. « Je n’ai pas eu l’impression de subir plus qu’un autre la violence symbolique que l’on inflige à un étudiant faisant son chemin de Limoges jusqu’à Paris. Par contre le fait que je suis l’un des seuls de mes classes d’école à avoir fait ce parcours, raconte ce que la société a de violent ». Une fois son diplôme en poche, Damien Maudet a rencontré Francois Ruffin et longuement travaillé sur la thématique du film « Debout les femmes ». « Je retire une fierté de ce que l’on a fait sur ce sujet. On a mis en lumière la triple sanction auxquelles étaient confrontés les auxiliaires de vie sociale, les AESH ou les femmes de ménages. La sanction économique avec des salaires souvent autour de 800€, la sanction symbolique d’être considérée comme ‘celles qui torchent des culs’. Et puis, la sanction du temps libre indisponible, ces femmes là travaillent de 8h à 20h tous les jours ». C’est de ces sujets que le candidat veut se saisir pour mener campagne, mais toujours dans une ambiance festive. « On organise des matchs de foot ou des concerts, on a besoin d’introduire de la joie dans cette élection, à l’heure où les gens ont de l’amertume face à la politique ».
publié le 24 mai 2022
Sur www.humanite.fr
Sous un soleil éclatant, la caméra de l'Humanité a retrouvé le candidat Loïc Pen, pour une séquence de tractage au marché de Creil. Le médecin urgentiste est investi par la Nupes aux législatives, dans cette 7e circonscription de l'Oise.
"Ce serait bien, qu'enfin, les gens qui vivent les problèmes, essaient de les résoudre à l'Assemblée nationale /.../ on a une femme de chambre, un toubib, des infirmiers, un boulanger, un ouvrier qui vivent les choses et qui voient finalement comment on peut résoudre une partie des problématiques qu'on a dans nos vies professionnelles et quotidiennes" tient à préciser le candidat de la Nupes, dès notre arrivée au marché de Creil.
Loïc Pen fait partie de ces nouveaux visages de la Nupes, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, qui regroupe les principales formations de gauche qui ont fait le choix de l'union afin de peser à l'Assemblée nationale. Et pourtant, Loïc est loin d'être un novice en politique. Il milite depuis de nombreuses années au PCF et s'était déjà porté candidat aux élections législatives de 2012 dans cette même circonscription.
Médecin urgentiste au centre hospitalier Laënnec de Creil, situé dans l'ancien bassin sidérurgique de l'Oise, il a été particulièrement combatif pour défendre l'idée d'un véritable plan d'urgence pour l'hôpital public.
L'ancien chef de service des urgences est une figure de la lutte des personnels soignants et de la crise de l'hôpital. Il a également exercé en tant que chroniqueur vidéo pour l'Humanite.fr durant la crise sanitaire.
Une majorité à gauche
"L'objectif est de re-mobiliser les électeurs car la plupart ont bien pris conscience qu'ils ne veulent pas de Macron et ils commencent à avoir la perception que ces législatives peuvent donner une majorité à gauche" déclare le militant communiste.
Marie-France Boutroue, retraitée de Villers-Saint-Paul, une petite commune de la 7e circonscription, nous explique : "Ça demande énormément d'explications car les citoyens se retrouvent avec un seul candidat à gauche, de l'union populaire, donc ça perturbe les électeurs".
Conquérir cette circonscription
Sur cette terre de gauche, puisque les habitants de Creil ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête au premier tour de la Présidentielle avec 56,13% des voix, l'ambition est claire : conquérir cette circonscription, acquise à la droite depuis 15 ans.
"Cette élection avec ce rassemblement est vécu comme un possible 3e tour pouvant donner une majorité de gauche au Parlement qui finalement changera réellement les choses. Pour la première fois et depuis longtemps, Il y a une dynamique et un véritable espoir qui se lève", précise Loïc Pen.
De vraies valeurs de gauche
Pour Karim Boukhachba, 2e maire adjoint de Creil, loïc Pen est l'homme de la situation : "Les habitants ont vu son travail pour mobiliser le personnel hospitalier mais aussi la population et aujourd'hui, il est identifié comme une personne qui va défendre de vraies valeurs de gauche à l'Assemblée nationale"
"On a un fort soutien des élus de cette circonscription, dont la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, donc on s'appuie sur tous ces soutiens pour organiser des porte-à-porte, des rencontres publiques et des distributions de tracts. Le collectif de campagne se rassemble tous les soirs pour élaborer les thèmes à developper pour les semaines suivantes" souligne le médecin candidat.
"Je vous invite, tous mes amis de Creil, à voter pour Loïc Pen. Vous ne serez pas déçus, il va bien nous défendre à l'Assemblée nationale" lance avec un grand sourire en direction de notre caméra, David Koya Guetta, agent de sécurité et habitant de Creil.
publié le 20 mai 2022
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
Une puissante demande de solutions progressiste aux crises et pour l’amélioration du sort des classes populaires s’est exprimée le 10 avril, lors du premier tour de l’élection présidentielle par le vote pour les divers candidats de gauche. C’est bien ce qui inquiète les milieux dirigeants. Ils savent la puissance du désir d’unité populaire pour rechercher un chemin qui conduise à une vie meilleure, maintenant, dès le mois de juillet.
Les pleurnichards médiatiques, qui ont usé tant de salive et d’encre pour faire croire qu’ils se désolaient de la désunion des forces de gauche et écologistes, sèchent vite leurs larmes. Ils sont désormais vent debout et montrent les dents face à la coalition des gauches et des écologistes en vue des élections législatives, qu’ils présentent maintenant comme la catastrophe du siècle.
Les menaces de guerre nucléaire et le réchauffement climatique ne sont pas grand-chose pour eux, comparés à l’hypothèse d’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale.
En vérité, ils savent que les dominations politiques et sociales, le mépris du monde du travail et de la culture, sont contestés par un mouvement populaire qui refuse les injonctions des milieux financiers, des croqueurs de dividendes, des exploiteurs du travail salarié et des profiteurs de guerre.
Dans les cercles dirigeants et dans les dîners mondains, dans une partie de la grande presse, propriété de quelques oligarques, on malaxe, on dissèque, on déchiffre et on chiffre les programmes des forces de gauche, on cherche les failles, les différences et les divergences. On divise. On demande aux militants et aux élus socialistes de ne pas quitter le bateau du social libéralisme qui prend l’eau de toute part. La nomination à Matignon d’une factotum-techno, présentée comme venant de la gauche vise à la fois à tenter de contrer la gauche à la veille des législatives tout en rassurant le grand patronat.
Tout ceci poursuit l’objectif d’accréditer que la seule politique possible est libérale et de démontrer que la gauche de transformation sociale et écologique ne peut pas gouverner. Qu’elle mènerait au chaos.
Quel chaos donc pour les neuf millions de personnes qui ne peuvent plus se nourrir convenablement, pour celles qui ne peuvent accéder à un logement correct et celles qui ne peuvent plus payer leur loyer ? De quel chaos s’agit-il pour les millions de nos concitoyens qui terminent le mois à l’euro près ?
Quel chaos pour l’artisan ou le paysan asphyxié par la banque ? Quel chaos pour celles et ceux qui ne « sont rien » pour le président de la République ? Quel chaos pour les travailleurs et les jeunes des quartiers populaires qui se lèvent tôt pour un salaire de misère quand leurs enfants subissent le contrôle au faciès, les discriminations à l’embauche, les suspicions et le racisme ?
Toutes et tous ont fait connaître leur pressante demande de changement à l’occasion du premier tour des élections présidentielles en octroyant plus de 11 millions de voix aux candidats de gauche et écologistes. D’autres, en s’abstenant, ont exprimé cette même aspiration.
Elles et ils sont la majorité. C’est bien ce qui inquiète les milieux dirigeants. Ils savent la puissance du désir d’unité populaire pour rechercher un chemin qui conduise à une vie meilleure, maintenant, dès le mois de juillet.
Ils savent qu’une victoire de la gauche et des écologistes est possible. On retrouve aujourd’hui l’ambiance politique créée par les partisans du vote « oui » lors de la campagne du référendum sur le traité constitutionnel européen. À l’époque, cela n’empêcha pas le « NON » de l’emporter.
Inacceptable pour ces « démocrates », qui ont créé les conditions de violer l’expression majoritaire de notre peuple comme dans d’autres pays européens, sans parler de ceux où il a été refusé de donner la parole aux citoyens par peur d’obtenir le même refus de leur diktat.
Ce vote manifestait déjà, de la part des classes populaires, un puissant rejet du système. Son viol a encore élargi les fractures. Depuis les mouvements sociaux et citoyens, comme celui des gilets jaunes ou des jeunes pour le climat, n’ont cessé de se déployer, contre les reculs de l’âge de la retraite, contre l’austérité et la vie chère, contre la dégradation et la privatisation des services publics, contre les lois de destruction du code du travail, pour défendre le climat et changer nos systèmes productifs, contre le racisme et l’antisémitisme et pour l’égalité femmes-hommes.
Si ces mouvements n’ont pas convergé en un même point au même moment, ils sont l’expression de ce qui travaille en profondeur la société. Ils se retrouvent dans le fort espoir qui marque la préparation de ces élections législatives après tant de déceptions, de frustrations et de mépris.
Une puissante demande de solutions progressiste aux crises et pour l’amélioration du sort des classes populaires s’est exprimée le 10 avril, lors du premier tour de l’élection présidentielle, sur fond de l’accélération des recompositions politiques.
Ce sont ces aspirations majoritaires que veulent contrer ensemble, le parti macroniste, la droite et l’extrême droite venue en renfort la semaine dernière, en actant que le président doit avoir sa majorité à l’Assemblée nationale. Bref, comme à chaque moment clef de l’histoire, le « cercle de la raison » capitaliste s’active.
Leurs ancêtres criaient déjà « plutôt Hitler que le Front populaire ». Aujourd’hui, ils les paraphrasent et clament que le Pen et Mélenchon seraient la même chose. Ce faisant, ils veulent peut-être faire rentrer en force l’extrême droite à l’Assemblée, pour renforcer les politiques réactionnaires.
Or, l’immense majorité de nos concitoyens ne veut pas de la retraite à 65 ans, ni d’un dégel factice du point d’indice des agents de la fonction publique en deçà de l’actuelle inflation, ni des travaux obligatoires en échange d’un maigre RSA ; pas plus que du saccage de l’école, de l’hôpital et de la sécurité sociale.
La majorité populaire veut des actions concrètes sur les « salaires, les prix et les profits », la modernisation et la démocratisation des services publics. L’idée même d’une appropriation nouvelle des moyens de production et bancaires pour une nouvelle cohérence sociale et environnementale est en débat.
Vivre mieux exige des processus de rupture avec la domination capitaliste sur le travail et la création, la vie des individus, des animaux et la nature. Voilà pourquoi la bataille est si âpre. La conjonction d’une mobilisation électorale et d’une mobilisation sociale peut créer les conditions des changements tant attendus et pour les rendre durables. C’est possible maintenant.
par Michel Soudais sur www.politis.fr
En se dotant d’un programme de transformation, que défendront ses candidats communs, la coalition de gauche montre qu’elle n’est pas un simple cartel électoral et affiche clairement ses ambitions.
Ils avaient décidé de s’unir par des accords bilatéraux dans lesquels avaient été couchés quelques points de programme. Les partis politiques engagées dans la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) ont dévoilé jeudi leur « programme partagé de gouvernement » pour les législatives. Fruit d’un travail collectif réunissant des représentants de LFI, d’EELV, du PS, du PCF et de Génération.s, il comprend 650 mesures et est publié sur le site internet de la Nupes.
Parmi elles : smic à 1.500 euros net, hausse des salaires, retraite à 60 ans, blocage des prix, réhaussement des ambitions climatiques de la France, passage à une agriculture écologique et paysanne, rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) avec un volet climatique, progressivité de l’impôt sur les sociétés pour favoriser les TPE-PME, recrutement de 100 000 soignants, réduction du nombre d’élèves par classe, passage à la 6e République, référendum d'initiative citoyenne…
« Lutter contre l'irresponsabilité écologique »
« L'idée n'a pas été d'aboutir à une fusion idéologique », a affirmé Jean-Luc Mélenchon en présence du premier secrétaire du PS Olivier Faure, et du secrétaire national d'EELV Julien Bayou, mais en l'absence du chef des communiste Fabien Roussel, « retenu dans sa circonscription, a indiqué Ian Brossat, porte-parole du PCF, par la fermeture du site de Vallourec à Saint-Saulve », une commune située dans une circonscription voisine de la sienne.
Ce programme se positionne « dans une rupture maîtrisé, raisonné, mais ferme » par rapport au « système dans lequel nous vivons, un système d'indifférence et d'irresponsabilité écologique, de prédation en matière économique et capitaliste, et de négation de la démocratie », a déclaré le chef de file de la France insoumise, candidat à Matignon si les électeurs et les électrices envoient à l’Assemblée nationale une majorité de député.es Nupes.
« Si nous gagnons, c'est notre programme qui s'appliquera. Rien ne sera négocié avec le chef de l'État », a-t-il affirmé. « Quand il y aura un problème, c'est le Parlement qui tranchera. » Car la Nupes revendique de s’inscrire « dans une démarche de reparlementarisation de la République française » par contraste avec « l'hyper présidentialisation » d'Emmanuel Macron, a insisté Jean-Luc Mélenchon.
Cette feuille de route compte huit chapitres : progrès social, emplois et retraites ; écologie, biodiversité, climat, biens communs et énergie ; partage des richesses et justice fiscale ; services publics : santé, éducation, culture, sport ; 6e République et démocratie ; sûreté et justice ; Union européenne et internationale. Chacun d’entre eux se clos sur une liste de « nuances », où les organisations qui soutiennent le programment font part de leurs désaccords. Elles portent notamment sur l’Europe ou le nucléaire et seront arbitrées « par le parlement », a-t-il été précisé.
Le texte recense 33 « nuances » sur 650 mesures et ne concerne donc que 5 % d’entre elles. Preuve que les partenaires ont « cherché le dépassement de [leurs] divergences », comme l’a affirmé Olivier Faure en confirmant que tous ont « bien la volonté ensemble d’être une gauche de transformation ». Avec ce projet « construit en une quinzaine de jours, en moins de temps qu'il a fallu pour Macron pour se trouver un Premier ministre, a renchérit Julien Bayou, nous voulons nous donner les moyens de gagner et de changer la vie du plus grand nombre ».
C Pierre Jacquemain sur www.regards.fr
Hier, toutes les composantes de la NUPES ont présenté son programme partagé avec ses 650 mesures.
Hier, toutes les composantes de la NUPES avaient donné rendez-vous à la presse pour présenter son programme partagé. Ils y croient. Et les sondages leur donnent raison d’y croire. En juin prochain, Jean-Luc Mélenchon peut s’installer à Matignon et mettre en place les 650 mesures du programme commun : le SMIC à 1500 euros net, le blocage des prix, la retraite à 60 ans, la règle verte, la 6ème République, le RIC ou encore le bouclier logement.
Il est reproché tout et son contraire à cette nouvelle force politique qui se créé à l’occasion des législatives. Les journalistes sont d’ailleurs à l’unisson avec la droite et l’extrême droite pour dénoncer à longueur de journée un accord électoral, un accord opportuniste. Et pourtant, à moins d’un mois du scrutin, quelles sont les familles politiques à pouvoir présenter un projet politique avec autant de précision ?
Même les points de désaccord sont mentionnés dans le programme. Et ces désaccords seront tranchés par le Parlement. Oui, parce qu’on a oublié que le Parlement avait une fonction majeure : lieu de débat, d’expression de ses convictions, d’échange contradictoire. Et à la fin, après avoir échangé ses arguments, c’est le vote qui s’impose. Un vote en conscience.
C’est vrai que ça n’est pas vraiment l’image du Parlement qu’on a eu jusque-là. Parlement godillot. Députés playmobils. Les députés de la majorité présidentielle ont toujours voté d’un seul homme. Qu’importent les idées, qu’importent les désaccords, l’enjeu : faire bloc derrière un homme. Le président de la République. Ça n’est pas ça la politique…
Ainsi la NUPES qu’on critique abondamment pour n’être qu’une coalition de façade tant les désaccords seraient importants assume de ne pas tout partager. Pas d’accord sur les violences policières ou sur la légalisation du cannabis ? Le parlement tranchera. Pas d’accord sur la sortie du nucléaire ? Le parlement tranchera. Pas d’accord sur la GPA ? L’accord NUPE prévoit un débat au Parlement. Et le Parlement tranchera. Pareil sur la nationalisation des banques, tout le monde n’est pas d’accord. Le parlement tranchera. Sortie du commandement intégré de l’OTAN ? Le Parlement tranchera et nul doute que LFI même si elle devait être majoritaire à gauche, sera mise en minorité par ses alliés et l’opposition de droite qui n’y est pas favorable. C’est le risque que prend la formation de Jean-Luc Mélenchon.
Qu’importe donc, le parlement tranchera. Tout ça est écrit noir sur blanc dans le programme de la NUPES que l’on peut consulter sur le site dédié. Et c’est suffisamment rare pour être relevé. Et là aussi, on aimerait voir les autres prétendants à gouverner le pays étaler dans l’espace public, comme le font les membres de cette union de la gauche et des écologistes, ce qui rassemble et ce qui divise. C’est honnête, transparent et les électeurs savent à quoi s’attendre. Après tout, que savons-nous de la nouvelle alliance de la majorité présidentielle ? Sur les retraites par exemple, est-ce que c’est la ligne Horizon ou la ligne En Marche / Renaissance qui l’emportera ? Nous n’en savons rien.
En tout cas sur l’essentiel, la NUPES l’assure : 95% des propositions présentées dans l’accord sont partagées. Mais on compte sur les détracteurs de la NUPES, qu’ils soient politiques ou journalistes, pour ne parler que des 5% restants… En tout cas en juin, c’est les électeurs qui trancheront.
Fabien Gay sur www.humanite.fr
Avec son nouveau gouvernement, Macron veut continuer son programme de régression sociale. Une alternative est possible : c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). l faut maintenant faire grandir le mouvement populaire, pour battre les droites et l’extrême droite, et transformer l’espoir en réalité à portée de vote.
Fidèle à l’adage sportif disant qu’on ne change pas une équipe qui gagne (pour les plus riches du pays), Élisabeth Borne devrait annoncer une composition gouvernementale dans la continuité de la précédente équipe. Peu importe le casting, le contenu des régressions sociales annoncées ne laisse place à aucun doute. Loin d’avoir entendu les messages de cette élection présidentielle et tout en contournant le débat sur son bilan, le président Emmanuel Macron veut imposer un rouleau compresseur antisocial : retraite à 65 ans, RSA conditionné à du travail gratuit, coupes budgétaires de 10 milliards pour les collectivités, autonomie des écoles et du système de santé, inaction climatique.
Pourtant, l’urgence sociale est là et le Giec nous alerte : nous n’avons plus que trois ans pour changer de système, sous peine de menaces lourdes sur nos vies et la planète. Pour rejeter le scénario mortifère d’un macronisme tout-puissant à l’Élysée, comme à l’Assemblée, une alternative est possible : c’est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Elle a présenté jeudi son programme, qui pose les bases d’une législature de changements concrets, réels et immédiats, mais aussi durables. Hausse du Smic, blocage des prix, création d’emplois par la transition écologique, services publics revitalisés et renforcés. Il y a notamment une nécessité à redonner les moyens à l’hôpital public de fonctionner. La fermeture de services d’urgences nocturnes, comme à Bordeaux récemment, en est l’illustration. Avec une Assemblée nationale souveraine et porteuse des aspirations populaires, c’est vers un renouveau démocratique que nous devons aller.
Loin des caricatures qui en sont faites par les milieux financiers et les droites qui prédisent déjà un chaos en cas de victoire de la Nupes, il faut maintenant faire grandir le mouvement populaire, pour battre les droites et l’extrême droite, et transformer l’espoir en réalité à portée de vote.
publié le 17 mai 2022
par Pierre Jequier-Zalc sur https://basta.media
Le Conseil d’État a suspendu lundi 16 mai le décret de dissolution du groupe antifasciste lyonnais GALE. Lors de l’audience, les avocats ont démontré le flou des accusations et l’atteinte aux libertés fondamentales que cette dissolution engendrait.
« D’un point de vue des libertés publiques, cet article est beaucoup trop souple. Si on l’interprète comme le ministère de l’Intérieur est en train de le faire, s’en est tout simplement fini du droit de manifester ». Cet article, dont parle l’avocat au Conseil d’État Antoine Lyon-Caen, représentant le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), menacé de dissolution par Gérald Darmanin, c’est le premier alinéa de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure.
Il prévoit les motifs de dissolution administrative d’association et de groupement de fait, et a été modifié par la loi séparatisme, promulguée en août 2021. Dans sa version antérieure, il prévoyait de pouvoir dissoudre les groupes « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Désormais il est possible pour le ministère de l’appliquer pour ceux « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
En décidant de dissoudre le GALE le 30 mars dernier, le gouvernement s’est uniquement basé sur cette modification, une première depuis le passage de la loi. C’est aussi la première fois depuis 40 ans qu’un groupe d’extrême-gauche serait dissous. Pour contester cette décision, le GALE, par l’intermédiaire de ses avocats Olivier Forray et Agnès Bouquin, a déposé début avril un référé liberté auprès du conseil d’État. Le but : suspendre ce décret et créer un précédent pour éviter à l’avenir un usage jugé excessif de cet article.
« Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère »
Dans une salle d’audience imposante, les trois griefs faits au groupe antifasciste lyonnais ont donc été abordés devant les juges des référés du Conseil d’État le 11 mai. Avec des stratégies bien distinctes de part et d’autres. D’un côté, la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, justifie cette dissolution par l’accumulation de faits présentés comme des agissements violents ou des provocations à la violence et à la haine contre les forces de l’ordre et l’extrême-droite.
En face, les avocats du GALE et Axel F., présenté par le ministère comme le leader du groupe essaient de démonter, point par point, les faits reprochés. « Je suis stupéfait de l’imprécision dont fait preuve le ministère. Si on vérifie chacun des faits, à chaque fois on se retrouve sur une contrevérité », assène l’un des avocats du groupe, Olivier Forray. L’avis des défenseurs du GALE été suivi par le Conseil d’État, qui a estimé dans une décision rendue le 16 mai que « les éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne permettent pas de démontrer que la GALE a incité à commettre des actions violentes et troublé gravement l’ordre public ».
« Le Gale inscrit sa stratégie dans la récurrence d’actions violentes », avançait le décret de dissolution, qui listait ensuite les rassemblements, manifestations ou actions durant lesquelles le GALE ou ses membres supposés auraient commis des violences.
Un rassemblement contre une manifestation d’un groupuscule d’extrême-droite en octobre 2017 est par exemple pointé du doigt. « En marge de la manifestation, on a trouvé des marteaux, des bombes de peinture, des gants coqués et le mot d’ordre était de marcher de manière déterminée sans faire marche arrière. Donc on considère que c’est une provocation à la violence, c’est un appel à l’affrontement », affirme le ministère de l’Intérieur.
« Alex F. était interdit de manifestation ce jour-là, donc il n’était pas présent. Aucun membre supposé du GALE n’a été interpellé ou condamné à la suite de cet évènement. Et l’appel à ce rassemblement n’émanait pas du Gale mais du NPA [Nouveau parti anticapitalisme] », rétorque les avocats du groupe antifasciste. Antoine Lyon-Caen enfonce le clou : « Quand je vous écoute, je suis très inquiet. Forcément il faut de la détermination pour manifester. Si à chaque fois qu’on est déterminé on tombe sous le coup de cet article L212-1, c’est très inquiétant… »
ACAB, un outrage ou une « invention subtile » ?
Au fil des faits reprochés au GALE, le ministère n’arrive presque jamais à les prouver. La seule violence avérée est un affrontement avec des militants du groupe d’extrême-droite Civitas, qui avaient infiltré une manifestation anti-passe sanitaire. Malgré l’absence de plainte, sept militants antifascistes sont poursuivis pour cette confrontation. Quatre d’entre ont été placés en détention provisoire pour ces faits puis simplement condamnés à une amende de 4e classe (135 euros). « Mon client a reconnu qu’il avait mis une claque et a été condamné par une simple contravention. Voilà de quoi nous parlons aujourd’hui », souligne Olivier Forray.
Les débats se concentrent ensuite sur le deuxième grief, les « invectives et les appels à la haine contre les forces de l’ordre ». Là encore, les faits allégués par le ministère de l’Intérieur se délitent. À titre d’exemple, ce dialogue tournant autour d’un post Facebook du GALE où les auteurs racontent le déroulé d’une manifestation, écrivant entre autre que « la première bataille commence et une pluie d’œufs et de peinture rose s’abat sur les flics (…) la BAC [brigade anti-criminalité] repart en courant sous une pluie de bouteilles et de pavé ». Avant de conclure en souhaitant à leur lecteur un « joyeux ACAB day ».
« Alex F. : « Le post est un récit de ce qu’il s’est passé. Les faits s’étaient déjà déroulés. C’est fait avec une pointe d’humour et des slogans historiques dans le milieu de la gauche radicale. »
Ministère de l’intérieur : « Le sigle ACAB, qui veut dire all cops are bastards (tous les flics sont des bâtards), a une signification particulière. C’est un outrage et une incitation à la haine contre les policiers. Le fait de se féliciter de ces actions les légitime et constitue une incitation à se réjouir et à les réitérer. »
Antoine Lyon-Caen : « Le post est humoristique. ACAB ce n’est pas une injure. Initialement, ça fait état de l’origine populaire des policiers. La formule aux États-Unis n’a rien d’injurieux, elle a été inventée pour marquer la tension qui existe au sein de la police d’être né dans les milieux populaires et d’intervenir dans ces mêmes milieux. C’est ça la bâtardise initiale. Pourquoi la police prend-elle toujours négativement une invention subtile ? »
Sur les publications faites sur les réseaux sociaux du groupe, la décision du Conseil d’État est claire : « Les juges des référés observent que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence. Si le groupement tient des propos radicaux et parfois brutaux, ou relaie avec une complaisance contestable les informations sur les violences contre les forces de l’ordre, on ne peut considérer que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes ».
« On ne peut pas reprocher à un organisateur de festival de ne pas avoir censuré "tout le monde déteste la police" »
Quelques secondes plus tard, même type d’échanges sur l’Antifa Fest, un festival de musique qui avait créé la polémique à droite et à l’extrême droite en décembre 2021. En cause, la présence de drapeaux siglés « ACAB » et le slogan « tout le monde déteste la police » entonné sur scène par un groupe de rap.
Alex F. : « Il est vrai que je fais partie de l’association – déclarée en préfecture - qui organise ce festival. J’ai l’impression qu’on ne peut plus critiquer la police sur une scène musicale, on ne peut plus blasphémer la police et la justice. À l’époque, Georges Brassens le faisait par exemple. Il n’y a jamais eu de problèmes à ce festival organisé depuis 2013. »
Ministère de l’intérieur : « Je ne me laisserai pas entraîner sur le terrain de la liberté d’expression. Évidemment qu’on peut critiquer la police et la justice mais pas quand on légitime les actions violentes. C’est un ensemble, chaque fait n’est pas l’objet d’une provocation. Mais la manœuvre générale du GALE c’est de dire : à bas l’état fasciste et youpi c’est très bien qu’on s’en prenne à la police et allez-y, allez-y encore ! C’est ça qui est critiquable. »
Antoine Lyon-Caen : « Lorsque le Conseil d’État a fait une analyse détaillée de la loi séparatisme, il a validé le texte mais a précisé qu’il appelait à des motifs précis. On ne peut pas juste dire : il y a une espèce d’atmosphère. Je pense que tout ce qui justifie la dissolution doit être des faits précis. Là ce n’est pas le cas. Au festival, il n’y a aucune provocation. Il faut accepter que les artistes soient appelés à dire des choses désagréables pour le pouvoir. On ne peut pas reprocher à un organisateur de festival de ne pas avoir censuré "tout le monde déteste la police". Il faut que le ministère de l’intérieur accepte que ce débat ait lieu. »
« L’outrecuidance de qualifier de nazi ceux qui sont ouvertement nazis »
Ces dialogues illustrent parfaitement la teneur des débats qui se sont essentiellement concentrés sur la vision que le GALE a de la police. « On navigue d’un fait à l’autre et le ministère essaie de créer un lien, une perspective entre eux alors qu’il n’y en a pas. Le but est de critiquer, notamment la police, dans le cadre de la liberté d’expression. Ce que font d’ailleurs des syndicats de police à l’encontre de la justice », ironise Olivier Forray, faisant notamment référence à la manifestation organisée par le syndicat de police Alliance pour « la présomption de légitime défense ».
Le dernier grief, les appels et la légitimation du recours à la violence contre les mouvements d’extrême-droite, est finalement assez peu abordé. Seul des graffitis « Morts aux nazis » dans un local d’un groupuscule d’extrême-droite est débattu. Ce qui donne d’ailleurs lieu à un échange assez lunaire.
« Olivier Forray : « Ce mot, "nazi", a été apposé dans ce local pour des raisons claires et limpides. Nous sommes en train de débattre de la privation de la liberté d’expression de la GALE parce qu’elle a l’outrecuidance de qualifier de nazi ceux qui sont ouvertement nazis. Peut-on priver de liberté un groupe et des gens pour cela ? Donc le GALE et ses avocats assument cette action. »
Ministère de l’intérieur : « Quand bien même ils seraient nazis, il y a des armes légales pour lutter contre cela. Dans l’histoire, il y a eu d’autres stigmatisations de personnes sous couvert de justification. En stigmatisant une personne, quelque soit son pedigree, on légitime les violences contre cette personne. On appelle à une vendetta juste parce que le GALE saurait qui est bien et qui est mal. »
Alex F. : « Apparemment on ne peut pas stigmatiser les nazis… »
À la suite de cette audience, le Conseil d’État a donc jugé que le décret de dissolution du groupe représentait une « atteinte grave et manifestement illégale aux libertés d’association, de réunion, d’expression et d’opinion » . Il l’a donc suspendu, dans l’attente d’une procédure sur le fond qui devrait intervenir dans plusieurs mois. « La GALE ressurgit (...), on ne dissout pas une révolte qui gronde », a réagi sur Twitter le groupe antifasciste lyonnais qui, avant la décision, n’avait plus le droit d’utiliser ses réseaux sociaux.
« Le dossier était vide mais on n’avait pas l’expérience de cette instance donc on est vraiment content et contente. C’est une victoire collective, de nos avocats, de nos soutiens. Après, ce n’est qu’une étape, la lutte continue », confient à Basta! des sympathisants du GALE qui annoncent qu’ils vont reprendre « le travail de veille contre les violences de l’extrême-droite et de la police ainsi que les relais de divers appels à solidarité » sur leurs réseaux sociaux.
Cette décision de la plus haute juridiction administrative intervient quelques jours seulement après une autre suspension : celle des dissolutions de deux collectifs pro-palestiniens, Comité Action Palestine et Palestine Vaincra. Si cette décision se basait sur d’autres arguments juridiques, pour le gouvernement, c’est le deuxième camouflet en quelques jours. Qui prouve que l’usage de cet article controversé s’appuie parfois plus sur des objectifs politiques que sur des arguments juridiques.
publié le 17 mai 2022
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Nupes - Déterminée à « défendre les intérêts des habitants », notamment sur le pouvoir d’achat, l’écologiste Marine Tondelier portera les couleurs de la gauche face à la candidate d’extrême droite.
Pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), certains combats en vue des législatives de juin sont des plus emblématiques. C’est le cas du côté d’Hénin-Beaumont, où Marine Tondelier (EELV) affrontera pour la troisième fois la candidate du RN, Marine Le Pen. En 2017, cette dernière avait réuni 46 % au premier tour, et la gauche, dispersée, avait été disqualifiée. Cinq ans plus tard, le scénario est sensiblement différent : « J’ai toujours porté l’union, et là c’est l’union qui va me porter », se réjouit l’écologiste.
Vous avez été investie par la Nupes dans une circonscription hautement symbolique puisque vous ferez face à Marine Le Pen. Comment abordez-vous cette campagne ?
Marine Tondelier : Nous avons depuis cinq ans une députée fantôme vue à la télévision mais très absente localement, à part pendant les campagnes ou quelques commémorations. Nous avons besoin d’une députée pour de vrai. Notre territoire ne manque pas de combats : les rénovations de cités minières promises par l’État n’avancent pas ; des pollutions graves, notamment sur l’ancien site de Metaleurop, ont des conséquences financières, sanitaires et posent un problème de reconversion… Ces quelques exemples montrent la nécessité d’une députée qui défende les intérêts des habitants et travaille de concert avec les élus. L’alliance inédite et historique de la gauche est porteuse d’énormément d’espoir. L’enjeu désormais, c’est qu’elle ne se résume pas à une succession de logos sur le papier. Nous allons mettre en place une assemblée populaire de la circonscription qui se réunira tous les mercredis pour que les idées, les besoins puissent s’exprimer et être traduits en actions. Ce travail ne s’arrêtera pas au soir du second tour mais se poursuivra pendant tout le mandat, pour faire ce que Marine Le Pen ne fait pas.
Le RN s’est saisi de la question du pouvoir d’achat. Que lui opposez-vous ?
Marine Tondelier : Ce sujet touche beaucoup de monde ici. La question est de savoir à quoi nous a servi Marine Le Pen pendant cinq ans ? La réponse : à rien. À l’Assemblée, elle n’a rien réussi à contrer ni fait aboutir quelque idée que ce soit, heureusement d’ailleurs. Et localement, son mandat n’a apporté ni changement pour les habitants ni lien avec la circonscription. Après l’avoir battue à la présidentielle, il faut maintenant combattre la politique d’Emmanuel Macron : alors que le RN n’aura au mieux que 30 à 40 députés, le seul vote utile pour cela aux législatives est celui pour la Nupes avec sa dynamique de troisième tour. Et nous mettrons en place sitôt élus le Smic à 1 500 euros net, le blocage des prix et la retraite à 60 ans sans décote.
Comme opposante dans une municipalité RN, vous avez eu affaire à ses méthodes d’exercice du pouvoir. Comment réagissez-vous au progrès de l’extrême droite à la présidentielle ?
Marine Tondelier : J’ai été très soulagée qu’ils échouent au second tour, et il faudra tout mettre en œuvre pour qu’il en soit de même en 2027. Car je vis, à petite échelle, à Hénin-Beaumont ce que donne l’exercice du pouvoir par le Rassemblement national avec un rejet de l’altérité et un sentiment de toute-puissance. Tant que vous ne vous opposez pas frontalement, tout va bien. Mais sous les airs d’ouverture qu’ils se donnent, ils se sentent autorisés à opposer à ceux qui leur résistent un rouleau compresseur d’intimidations et d’invectives. Le but est à la fois de tenter de nous faire craquer mais aussi d’en faire un exemple dissuasif. Quand on voit ce dont ils sont capables avec les petits outils d’une ville de 27 000 habitants, on se dit qu’avec les moyens d’une région et a fortiori de l’État, ce serait terrible.
Certaines des propositions de la Nupes, comme la désobéissance aux règles européennes, font grincer des dents une partie du PS mais aussi certains écologistes ou anciens d’EELV. La rupture est-elle consommée ?
Marine Tondelier : D’abord, ces gens ne se considèrent pas tous comme de gauche, ou ne sont pas tous considérés comme de gauche. La vérité, c’est que nous avons fait en quelques jours ce qui n’avait pas été réussi en plusieurs années. Évidemment, nous ne sommes pas d’accord sur tout, sinon nous serions dans le même parti. Sur l’Europe, il n’aura échappé à personne que notre ligne n’est pas exactement celle des insoumis, et ce sera le débat des élections européennes. Le terme de désobéissance a fait beaucoup réagir mais la France désobéit déjà à l’Europe. Par exemple, sur la qualité de l’air, elle ne respecte pas les seuils réglementaires fixés par les directives. De même pour la sacro-sainte règle de l’austérité, dont tout d’un coup, pendant le Covid, les pays ont pu se dispenser. Nous sommes profondément pour la construction européenne, mais cela ne signifie pas que cette Union européenne là nous convient parfaitement. Nous voulons y rester, mais la changer.
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Jean Castex a donné sa démission trois semaines après la réélection d’Emmanuel Macron à un second quinquennat. Une heure plus tard, le suspense sur le nom de son remplaçant était dissipé, après de longues spéculations dans la presse. Ce sera une remplaçante. Élisabeth Borne passe du ministère du Travail à Matignon.
« Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non pour soutenir les idées que je porte, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite […] J’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir », annonçait Emmanuel Macron devant ses partisans au soir du second tour de l’élection présidentielle. Une déclaration qui comme les promesses électorales n’engage que ceux qui y croient. Alors que le président de la République doit largement sa réélection au vote des électeurs de gauche, tel un pied de nez, il nomme Élisabeth Borne trois semaines plus tard au poste de Premier ministre pour conduire sa politique.
Élisabeth Borne : un lourd bilan antisocial
Derrière le symbole de la nomination d’une femme au poste de Premier ministre, donnant une apparence progressiste au second mandat d’Emmanuel Macron, se cache une politique sociale particulièrement brutale. Élisabeth Borne a déjà occupé trois maroquins ministériels au cours des cinq dernières années. Celui du transport de mai 2017 à septembre 2019. Puis ceux de la Transition écologique de juillet 2019 à septembre 2020 et du Travail au moment de la nomination de Jean Castex.
Si son passage à l’écologie n’a pas profondément marqué les esprits, elle a conduit deux des réformes emblématiques du quinquennat. La première en 2018 au ministère des Transports. Élisabeth Borne a porté le projet de loi « pour un nouveau pacte ferroviaire ». Si le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, se défendait de privatiser la SNCF, le texte modifiait pourtant le statut de l’entreprise, la transformant au 1er janvier 2020 en société anonyme. Même si pour le moment, ses capitaux sont exclusivement détenus par l’État. À la même date, le statut de cheminot disparaissait pour les nouveaux embauchés. Avec les droits associés évidemment. Autre élément de cette réforme : l’ouverture à la concurrence. D’abord sur les lignes régionales dès 2019, puis sur les lignes TGV en 2020 et 2021.
L’autre réforme majeure de liquidation de droits sociaux de ce quinquennat restera bien sûr celle de l’assurance chômage. Celle qui déclarait en février 2021 « je suis une femme de gauche. La justice sociale et l’égalité des chances sont les combats de ma vie » a conduit à son terme la réforme la plus antisociale des cinq dernières années, initiée par Muriel Pénicaud en 2018. Ici, la possibilité d’ouvrir à une indemnisation est passée de 4 mois à 6 mois pour les chômeurs, pendant que la possibilité de recharger des droits entre deux petits boulots passait d’un mois à six mois. Et comme si cela ne suffisait pas, le décret final change complètement le mode de calcul du salaire journalier de référence permettant de calculer le montant des allocations. Évidemment pas au bénéfice des chômeurs.
Une méthode à craindre pour la réforme des retraites
Si Élisabeth Borne a un lourd bilan de dégradation des droits des cheminots et des demandeurs d’emploi sur le fond, elle se distingue également sur la forme. D’abord dans le dossier de la SNCF où elle n’a quasiment rien consenti à l’une des plus longue grève cheminote, durant plus de deux mois et portée par les quatre syndicats représentatifs de l’entreprise ferroviaire. Ensuite, dans le dossier de l’assurance chômage, elle a tenu son cap, malgré l’hostilité de l’ensemble des organisations syndicales de salariés. Et même face au désaveu du Conseil d’État en novembre 2020. Elle n’a pas ménagé sa peine pour imposer au forceps, quitte à mettre en œuvre quelques coups tordus, sa réforme de l’assurance chômage. Et ce, même lorsque l’Unédic mettait en cause les chiffrages du ministère pour présenter sous un jour moins défavorable sa réforme.
La gestion de ces deux dossiers ne présage rien de bon pour celui à venir des retraites. Même si à l’heure où nous écrivons rien n’est certain, les éléments distillés pendant la campagne électorale laissent supposer la tenue d’une grande conférence sociale au début de l’été pour lancer le projet. Au regard des multiples réunions que l’ancienne ministre du Travail a tenu, sans les écouter, avec les organisations de salariés, sur le dossier du chômage, il est à parier que ces réunions n’auront pour fonction que de dire au grand public : on discute. Même si évidemment, il est peu probable qu’Élisabeth Borne, la nouvelle Première ministre, négocie.
publié le 16 mai 2022
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
Les familles populaires souffrent, mais les profits des groupes pétroliers montent aussi vite que le prix des carburants. Les chantiers de transformation immédiate sont immenses. Ils peuvent vite améliorer la vie quotidienne.
Le rassemblement de la nouvelle union populaire écologique et sociale, NUPÉS, est l’atout à la disposition de chacune et de chacun pour soi et sa famille. Il met ces changements tant attendus à portée de vote, dès le premier tour, dimanche 12 juin.
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Entre le mois de mars 2019 et le mois de mars dernier, le prix de l’huile de tournesol est passé de 1,83 € à 2,29 € le litre. Celui de la farine de 0,90 € à 2,29 € le kg. Celui du filet de bœuf de 39,30 € à 43,07 € le kilo, celui des tomates de 2,97 € à 4,09 € le kilo. On pourrait ajouter encore d’autres exemples, comme l’augmentation des prix des carburants pour se chauffer ou se déplacer, notamment pour se rendre au travail. La bouteille de gaz est passée de 34,35 € à 37,30 €. On ne remplit plus sa cuve de fioul de 1 000 litres à moins de 1 560 € alors que la même quantité coûtait 950 € il y a trois ans.
Le litre de super est passé de 1,47 € à 1,96 € tandis que le gasoil affiche en moyenne plus de 2 € contre 1,46 € en 2019. La même tendance s’observe pour le gasoil non routier qu’utilisent les paysans et les pêcheurs.
La vie devient chaque semaine plus dure pour les familles populaires alors que la rémunération du travail, les pensions de retraite et les prestations sociales stagnent. Les prix des matières premières indispensables à la production industrielle, comme le coton, la pâte à papier, le caoutchouc, l’acier, le cuivre, l’aluminium, l’énergie montent en flèche jusqu’à parfois 80 % d’augmentation, renchérissant tous les coûts de production.
Et nous parlons ici du moins mauvais scénarios, celui dans lequel il n’y a pas de pénurie conduisant à ralentir les chaînes de production ou à fermer des usines. D’ailleurs, curieusement, on n’entend plus le disque rayé des économistes de droite se pavanant sur les plateaux de télévision pour expliquer doctement que le fameux « coût du travail » serait la cause fondamentale de notre baisse de compétitivité.
Jamais ils ne soulèvent la question des prix des matières premières importées, des coûts du transport et de l’énergie comme facteurs de dégradation de la compétitivité. S’ils le faisaient, ils seraient contraints de reconnaître les douloureux méfaits de la mondialisation capitaliste financiarisée.
L’abandon de pans entiers de nos productions industrielle et agricole se paie aujourd’hui avec plus de 100 milliards de déficits commerciaux, des pénuries et les augmentations de prix pour les familles populaires.
La relance industrielle et agricole ne peuvent plus être des sujets de beaux discours gouvernementaux mais des priorités. Les familles populaires souffrent, mais les profits des groupes pétroliers montent aussi vite que le prix des carburants et ceux des géants mondiaux des transports battent tous les records.
Ceux de la seule grande multinationale française de fret CMA-CGM dépassent maintenant ceux de Total.
Une part importante des hausses actuelles des prix des carburants n’est pas liée à des difficultés d’approvisionnement mais le résultat de spéculations et d’un jeu géopolitique dangereux dans le cadre de l’insupportable guerre déclenchée par le maître du Kremlin contre le peuple ukrainien. La part des prix du pétrole dans le prix final des carburants est deux fois moins importante que les taxes étatiques.
Il en est de même pour les prix des matières premières alimentaires, particulièrement des pâtes et du pain. Il n’y a pas de manque de blé en Europe. Simplement, le prix du blé est fixé chaque jour à la bourse de Chicago par quatre à cinq firmes transnationales et les marchés financiers qui spéculent sur des anticipations de production liées à la guerre et aux modifications climatiques. La part du blé à 400 € la tonne, ne représente que 8 centimes d’euros dans une baguette de pain.
Il serait donc intéressant de disposer de la décomposition des différents coûts dans la fabrication alimentaire alors que ni le paysan, ni le boulanger ne s’y retrouvent. Cela pourrait être un intéressant sujet d’investigation d’une commission d’enquête parlementaire.
Une nouvelle majorité et un nouveau gouvernement de gauche populaire et écologiste devraient dès juillet prendre des initiatives internationales en lien avec les citoyens, les peuples et d’autres gouvernements pour faire cesser ces spéculations.
Ils devraient aussi, d’urgence, améliorer substantiellement la vie quotidienne de millions de personnes en passant le Smic à 1 800 € brut, en faisant rattraper le point d’indice des agents des fonctions publiques, en augmentant les prestations sociales qui devraient être indexées sur l’inflation, comme les devraient l’être les retraites sur les salaires. Les pensions de retraite ne devraient être inférieures au smic.
Ces décisions pourraient être prises dès le mois de juillet, ainsi qu’un premier blocage des prix des produits alimentaires indispensables et de l’énergie. De même une initiative spécifique, en lien avec les autorités européennes, devrait être décidée pour les 9 millions de personnes qui aujourd’hui ne peuvent manger que grâce à l’action solidaire d’associations tel le Secours populaire français.
Une telle majorité d’union populaire et le gouvernement qui en serait issu devraient préparer rapidement une conférence sociale préparatoire à une loi d’urgence pour le pouvoir d’achat et le travail stable avec la fin des contrats précaires, la création d’emplois stables, un immense effort de formations dans le cadre d’un grand plan de transformation sociale, démocratique et écologique.
À ceci devrait s’ajouter des initiatives nouvelles, en lien aussi avec les institutions européennes dont la banque centrale européenne, afin d’éviter une remontée des taux d’intérêts des prêts bancaires qui renchérirait le prix des crédits, la dette des ménages, celles des entreprises et des collectivités et de L’État.
Le débat pour transformer la construction européenne est bien sur la table, puisque le président de la République vient de proposer de retenir la proposition du Parlement européen de renégocier les traités. Pourquoi alors chercher querelle à la coalition de la nouvelle union populaire ?
Les chantiers de transformation immédiate sont immenses. Ils peuvent vite améliorer la vie quotidienne. Le rassemblement de la nouvelle union populaire écologique et sociale est l’atout à la disposition de chacune et de chacun pour soi et sa famille. Il met ces changements tant attendus à portée de vote, dès le premier tour, dimanche 12 juin.
Sohir Belabbas sur www.humanite.fr
La syndicaliste CGT, figure de la lutte victorieuse des femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles à Paris, est candidate de la Nupes aux législatives dans la 7e circonscription du Val-de-Marne.
Une femme de chambre députée ? La candidature enthousiasme. Samedi 8 mai, à la convention de la Nupes, le public l’acclame debout durant son discours enflammé. Au lendemain de son investiture, Rachel Kéké n’en revient pas de l’engouement suscité : « C’était, comme disent les jeunes, un truc de ouf ! »
Sur le trajet qui mène à Stains, à l’assemblée générale d’un collectif de militants des quartiers populaires, la candidate à la députation fait défiler les vidéos virales de son intervention sur son téléphone. On la revoit parée de son bazin violet, « la tenue africaine de fête que je portais le jour de la signature de la fin du conflit », précise-t-elle.
« La sous-traitance, c’est la maltraitance »
Ce conflit, c’est celui qui a opposé les femmes de chambre de l’hôtel Ibis des Batignolles au puissant groupe Accor et son sous-traitant de nettoyage, STN. En juillet 2019, elle se lance avec trente-trois employées, soutenues par la CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques), dans une lutte pour revendiquer des conditions de travail et de rémunération dignes.
Sur les piquets de grève, une formule est née : « La sous-traitance, c’est la maltraitance. » Celles qui se désignent comme « les guerrières des Batignolles » dénoncent les cadences infernales, les mutations, les heures supplémentaires non payées, les agressions sexuelles, dont un viol qui aurait été commis par un ancien directeur de l’hôtel.
Au terme d’une lutte de vingt-deux mois, dont huit mois de grève, elles arrachent entre 250 et 500 euros d’augmentation de salaire, une prime de panier et la fin du travail à la chambre pour un paiement à l’heure. « 99 % de nos revendications », comme aime à le répéter la gouvernante. « La lutte, ça paye ! » La victoire les dépasse : « Des journalistes sont venus du Japon pour nous interviewer ! »
Depuis, Rachel Kéké a rejoint la France insoumise car elle estime que « leurs équipes étaient là jusqu’à la victoire ». Ce dimanche-là, la candidate est invitée à rencontrer le collectif autonome On s’en mêle, qui avait appelé à voter Union populaire au premier tour de l’élection présidentielle. Dans la salle de spectacle municipale, les retrouvailles sont chaleureuses avec Ahmed Berrahal, camarade de la CGT-RATP.
Sa verve et son sens de l’anaphore
Très vite après la présentation du programme, la militante de 47 ans prend le micro devant les quelque 200 participants : « C’est nous, les personnes des quartiers populaires, les femmes issues de l’immigration, c’est nous qui faisons ces métiers essentiels. » Avec sa verve et son sens de l’anaphore, la syndicaliste emporte la salle dans la même ferveur que la veille.
Il est temps d’aller à l’Assemblée nationale pour dire stop et pour voter des lois concrètes ! »
Rachel Kéké
Arrivée à Paris à l’âge de 26 ans, la jeune Ivoirienne a multiplié les galères pour régulariser sa situation, trouver un logement et un travail stable. La mère de cinq enfants connaît les difficultés rencontrées par « les papas et les mamans sous-traités » qui enchaînent les boulots sur des horaires décalés, avec de grosses amplitudes, pour des salaires de misère. « Cette situation ne nous donne pas les moyens d’éduquer nos enfants dans nos quartiers. Donc, il est temps d’aller à l’Assemblée nationale pour dire stop et pour voter des lois concrètes ! »
« De toute façon, on n’a pas le choix, il faut lutter ! »
Mais la bataille n’est pas gagnée d’avance. En 2017, au premier tour des législatives, le bloc libéral (LaREM, LR, DVD) raflait plus de 60 % des voix sur la circonscription qui compte les communes de Chevilly-Larue, Fresnes, L’Haÿ-les-Roses, Thiais et Rungis. L’abstention atteignait 52 %. Jean-Jacques Bridey (LaREM, ex-PS) l’avait emporté face au républicain Vincent Jeanbrun. Le très droitier maire de L’Haÿ-les-Roses rempile.
Pour remplacer le député sortant, qui traîne des casseroles liées à des frais de bouche exorbitants et une affaire de détournement de fonds publics, la Macronie a choisi de parachuter la ministre des Sports, Roxana Maracineanu. Mais le paysage politique a évolué depuis 2017 : excepté à Rungis, Mélenchon est arrivé partout en tête du premier tour de l’élection présidentielle dans une circonscription globalement à droite. Il réalise une surprenante percée, comprise entre 8 et 11 points, par rapport à 2017.
« De toute façon, on n’a pas le choix, il faut lutter ! » lance avec évidence l’habitante de Chevilly-Larue qui veut mener une campagne joyeuse. Son premier projet de loi ? « Revaloriser tous les métiers essentiels. J’ai combattu Accor, je saurai tenir tête au ministre du Travail, si besoin », assure-t-elle sur le chemin du retour. Elle repart avec le soutien du collectif et de ses collègues. Fière, légitime et déterminée, Rachel Kéké est en route pour prolonger le combat.
publié le 15 mai 2022
Aurélien Soucheyre sur wwwhumanite.fr
Rassemblée au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), la gauche voit son centre de gravité s’affirmer de nouveau du côté de ses fondamentaux historiques : révolutionnaires, démocratiques et plébéiens.
L’historien Roger Martelli analyse l’émergence de la Nupes à l’aune de deux histoires pour grande partie liées. Celle du courant révolutionnaire, démocratique et plébéien, né en 1789, et celle de la gauche, tiraillée entre deux composantes majeures : une force de rupture avec le monde existant, l’autre de composition avec le système en place. Il retrace les grandes étapes observées depuis la Révolution française et s’attarde sur l’évolution de la gauche, en particulier depuis les années 1990.
Vous avez qualifié la création de la Nupes d’ « union inattendue ». Elle s’est, de plus, réalisée avec un centre de gravité très à gauche. Est-ce si surprenant en France ?
C’est surtout la poursuite d’une histoire, celle d’un pays qui, il y a plus de deux siècles, est entré dans la modernité bourgeoise et capitaliste sur la base d’une révolution massivement populaire. De ce fait, depuis 1789, il y a dans notre pays, à la différence de beaucoup d’autres, une gauche qui est marquée par la présence en continu d’un courant révolutionnaire, démocratique et plébéien. Il est plus ou moins sur le devant de la scène. Il peut être très dynamique, par exemple lors de la Révolution française, de celle de 1848, de la Commune de Paris, des grands mouvements ouvriers des XIX e et XX e siècles, dont celui du Front populaire, et lors du programme commun. Il peut aussi être plus en retrait, mais il ne disparaît jamais, quoi qu’on ait pu croire. Nous nous sommes habitués, après 1981, à une gauche dominée par un Parti socialiste tenté de plus en plus par des compromissions avec le courant ultralibéral dominant. Mais cela n’a pas été toujours le cas, loin de là. Le socialisme de Jaurès et de Guesde avant 1914, puis le communisme après 1920 ont coloré fortement le paysage de la gauche, en la tirant vers sa gauche. Pendant quelques décennies, entre la Libération et la fin des années 1970, c’est même le communisme qui était en tête de toute la gauche. Au fond, on pourrait dire que le plus « normal », chez nous, est que la gauche soit bien à gauche. Pas le contraire…
Quel rapport avec les élections législatives de 2022 ?
À mon avis, le rapport est double. Tout d’abord, après le désastreux quinquennat de Hollande, on voit réapparaître sur le devant de la scène une gauche qui, à nouveau, met son discours sur le registre de la rupture avec les logiques gestionnaires dominantes. Par ailleurs, cette gauche se présente sous une forme ouvertement unitaire. Ce n’est que la quatrième expérience d’union depuis 1920 : avant 2022, on a connu le Front populaire après 1934, l’union de la gauche et le programme commun après 1972, et la gauche plurielle entre 1997 et 2002. L’alliance actuelle s’inscrit dans cette continuité, mais de manière originale. Les trois premières unions ont précédé ou suivi des échéances électorales. Elles ont parfois conclu des accords programmatiques, plus ou moins longuement discutés à l’avance et plus ou moins fournis, comme en 1936 et en 1972. Elles ont débouché sur des accords électoraux qui se limitaient à la règle ancienne du désistement automatique au second tour. En 2022, c’est différent. Pour la première fois, la gauche se rassemble non pas avant ou après une séquence électorale, mais à l’intérieur même d’une séquence, entre la présidentielle et les législatives, avec un accord dès le premier tour sur plus de 500 circonscriptions, et un programme adopté rapidement, sur la base proposée par la force qui a emporté la compétition à gauche lors de la présidentielle, à savoir la France insoumise. Mais, quelles que soient les particularités, le fil rouge est pour l’essentiel le même : le refus de considérer que l’inégale distribution des richesses, des savoirs et des pouvoirs serait une fatalité, complété par l’objectif de rompre avec une tendance dominante.
Ce refus a-t-il toujours irrigué les deux partis qui ont dominé la gauche au XX e siècle, à savoir le PCF puis le PS ?
C’est évidemment plus compliqué que cela et il ne faut jamais oublier que la gauche se décline à la fois au singulier et au pluriel : la gauche est une et elle est polarisée. Deux tendances différentes la traversent ainsi en longue durée. Celle qui considère que le système en place conduit par nature aux inégalités et que quiconque veut l’égalité doit chercher à rompre avec ce système ; celle qui pense que l’on peut travailler à l’égalité à l’intérieur du système, en s’adaptant à lui. Au XX e siècle, la gauche de rupture s’est exprimée majoritairement dans le déploiement du PCF ; la gauche d’accommodement a été dominée par le PS. À tout moment, la question a été de savoir qui donnait le ton : en 2017 et 2022, comme à la présidentielle de 1969, c’est la gauche de gauche qui le fait. Ce qui change, c’est son équilibre interne. Pendant longtemps, la force du PCF a tenu à ce qu’il apportait trois choses : un raccord entre les perspectives politiques et un univers populaire et ouvrier, une espérance sociale nourrie par le mythe soviétique et des formules de rassemblement à gauche. L’utopie s’est retournée contre lui, crise du soviétisme aidant et, faute de transformer suffisamment leur outil, les communistes ont laissé le PS les devancer en s’accaparant la dynamique du programme commun.
Le socialisme de Jaurès et de Guesde avant 1914, puis le communisme après 1920 ont coloré fortement le paysage de la gauche.
Qu’en a-t-il fait ?
Il s’est petit à petit intégré dans les logiques dominantes. Sous le poids du néolibéralisme et des effets de la mondialisation capitaliste, il a glissé progressivement vers le social-libéralisme. Le point culminant a été atteint avec le quinquennat de Hollande. Mais les élections présidentielles de 2017 et 2022, où le PS a été lourdement sanctionné, ont dit et redit que les électeurs de gauche, en tout cas ceux qui sont restés à gauche et ne sont pas partis chez Macron, ne veulent pas de cette orientation, contraire aux valeurs de la gauche. Sans doute, une fois passée la période électorale, on ne devra pas limiter à cinq années l’examen critique de ce qui a plongé le mouvement populaire dans l’incertitude et la gauche politique dans le désarroi. Nous devrons alors relire et tenter de comprendre l’ensemble du processus qui, depuis 1983 et le tournant de la « rigueur », a désorienté le socle populaire et désarmé la gauche. Mais on peut convenir dès maintenant que le dernier conseil national du PS a opéré une première et salutaire clarification. Tel qu’il est, affaibli, ce parti semble avoir pris conscience que, s’il veut retrouver une place dans les constructions à gauche, il doit effacer les effets d’un passé récent. C’est un bon début, et il est très significatif que le noyau de l’opposition à Olivier Faure soit porté par les acteurs du quinquennat de Hollande, qui, eux, ne veulent tirer aucune leçon du passé.
Comment s’est affaibli le PS alors que la composante plébéienne et révolutionnaire de la gauche se reconstituait jusqu’à devenir majoritaire aujourd’hui ?
Ce qui se produit aujourd’hui vient de loin. Le processus s’est amorcé dès les années 1990, avant de se développer dans les années 2000. Le grand cauchemar des années 1980, c’était le triomphe du néolibéralisme et, partout dans le monde occidental, le reflux du mouvement ouvrier. Mais, dès le milieu des années 1990, on a vu s’amorcer un regain critique : le mouvement social de novembre-décembre 1995, puis la victoire législative en 1997 en ont été les signaux les plus marquants. Après l’échec de l’expérience Jospin, en 2002, la tendance s’est renforcée : c’est la dynamique majoritaire du non au projet de traité constitutionnel européen, puis l’essai malheureusement avorté des collectifs antilibéraux en 2006. Et il y a, enfin, l’apparition du Front de gauche en 2008, qui accélère le tout et débouche sur les scores croissants de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017. Ce que nous vivons aujourd’hui est le fruit de cette longue bataille, où chacun a joué son rôle à sa façon. Cet effort collectif offre aujourd’hui à la gauche la possibilité d’entrer dans une nouvelle ère de son histoire.
La demande de rassemblement est massive dans le peuple de gauche et, dans cette situation politique, l’union est une clé incontournable.
Qu’est-ce qui a, selon vous, déterminé la création de la Nupes ?
Il y a, d’un côté, la longue évolution de la gauche. Mais, l’autre point de départ, c’est quand même cette présidentielle assez étonnante, et cela dès le premier tour. On nous annonçait une élection pliée d’avance, avec le tandem Macron-Le Pen et une gauche à la dérive. À l’arrivée, nous avons trois candidats qui ramassent les trois quarts des suffrages exprimés, laissant tous les autres dans les profondeurs du classement. Et ces trois candidats se trouvent à la tête de trois familles politiques, ce qui structure la suite. L’ordre est significatif. La première famille est celle de droite : elle rassemble certes 36 % des voix, mais, en dévorant la droite classique, Emmanuel Macron a affaibli et divisé la droite tout entière. La deuxième famille, c’est l’extrême droite, qui gagne 5 % et monte à 32 % des voix. Mais elle est, elle aussi, divisée, et l’on sait que les législatives sont souvent compliquées pour le RN. Enfin, la troisième famille, avec un peu moins de 32 %, c’est la gauche, qui était donnée par les sondages autour de 25 à 27 % il y a encore quelques mois. Cette gauche se trouve restructurée, avec un Jean-Luc Mélenchon qui arrive très largement en tête et qui, contrairement à 2017, tend la main à ses concurrents de gauche. Rien n’était gagné d’avance, mais écologistes, communistes et socialistes acceptent la main tendue. Ils ont eu raison de le faire : la demande de rassemblement est massive dans le peuple de gauche et, dans cette situation politique complexe et mouvante, l’union est une clé incontournable. Elle seule en effet offre les plus grandes chances de faire élire un maximum de députés et même, pour la toute première fois, il existe une opportunité pour qu’une législative se gagne à gauche après qu’a été perdue une présidentielle, quelques semaines plus tôt. Beaucoup disaient dépassé le clivage droite-gauche : manifestement, il a retrouvé tout son sens, au point que cette union apparaît désormais comme la véritable menace aux yeux du pouvoir macronien. Si la droite est si hargneuse contre la Nupes, c’est parce que la gauche s’est remise à lui faire peur. Voilà que la droite se vautre à nouveau dans le mensonge et l’exagération : très bonne nouvelle !
Une victoire vous semble-t-elle envisageable ?
Un possible s’est ouvert : la gauche doit se saisir de cette occasion et de cet élan. Elle a repris des couleurs et commence à retrouver ce qui faisait sa force au XX e siècle. Mais elle a encore un immense travail intellectuel, organisationnel et pratique devant elle, quel que soit le résultat des législatives. Il est vrai que le vote Mélenchon a su opérer une conjonction entre une part des populations les plus exploitées et discriminées de la société française, dans les quartiers populaires des grandes agglomérations, et une couche d’intellectuels souvent jeunes, mais souvent réduits à des tâches et des rémunérations qui ne sont pas à la hauteur de leurs compétences et qualifications. Mais cela ne doit pas cacher que, en dehors des grandes villes et des banlieues ouvrières, la gauche n’a pas suffisamment retrouvé le chemin des catégories populaires, qui trop souvent s’abstiennent ou, par déception et désillusion, regardent du côté de l’extrême droite. Du reste, elle doit retisser ce qui a été détissé, construire un processus de rupture avec les logiques dominantes, renforcer ses valeurs constitutives et changer ses modes d’organisation pour les adapter à la société d’aujourd’hui, comme elle a commencé à le faire sur les questions écologiques. Elle doit se montrer force de subversion, proposer et bâtir une nouvelle ère. Cela suppose de se raccorder encore plus à un mouvement social et populaire beaucoup plus composite qu’autrefois, se lier davantage à toutes les formes de contestation qui s’élèvent face au système de domination et d’aliénation constitutif du capitalisme. Il faut accoler à la colère la conscience et l’espérance : là est la clé pour l’avenir, pour la gauche comme pour le mouvement populaire.
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Altermondialiste, avocate, boulanger, soignant… et bientôt députés ? La Nouvelle Union populaire met en avant la diversité de ses candidats et des luttes qu’ils incarnent. Portraits de quatre d’entre eux.
L’avocate nordiste qui veut un droit pour les générations futures
Sarah Kerrich-Bernard Avocate et secrétaire de la fédération PS du Nord
La théorie des gauches irréconciliables édictée par Manuel Valls, elle n’y a jamais cru. « De là où je viens, dans les Hauts-de-France, c’est impossible d’y apporter du crédit : c’est l’union qui a nous permis d’envoyer à nouveau des élus à la région », assure Sarah Kerrich-Bernard, maintenant candidate socialiste dans une circonscription du Nord. Alors, samedi, sur l’estrade de la convention de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, cette avocate en droit public s’est sentie « galvanisée », car « enfin on a parlé des sujets qui intéressent les gens ». La socialiste de 29 ans a notamment parlé d’écologie et de son souhait de voir naître un « droit des générations futures ». « Nous allons passer des États solitaires aux États solidaires. Nous allons créer un nouveau contrat de civilisation que nous inscrivons dans le temps et avec les autres espèces », a-t-elle annoncé, enthousiasmée par le rassemblement.
Nous allons créer un nouveau contrat de civilisation que nous inscrivons dans le temps et avec les autres espèces.
Elle s’est revue en 2010 lorsque, à 17 ans, elle pousse la porte de la fédération PS du Nord pour y adhérer avec « l’envie de participer à un combat plus grand » que soi. Le parti à la rose est alors « celui qui pouvait fédérer » la gauche. Aujourd’hui, à cause des trahisons du quinquennat Hollande, il s’est « désagrégé », au point qu’avec le score d’Anne Hidalgo (1,7 %), Sarah Kerrich-Bernard était au bord de la rupture avec le PS : « Soit le parti faisait le choix de l’union, soit il faisait le mauvais choix et je ne voyais pas comment continuer. » Le conseil national, dont elle est membre après avoir soutenu deux fois l’actuel numéro 1, Olivier Faure, choisit la première option. Et elle décide de relever le drapeau socialiste dans une région qui ne compte plus aucun député socialiste depuis 2017. Après avoir été responsable départementale des Jeunes socialistes puis conseillère régionale, Sarah Kerrich-Bernard est désormais à la tête de la deuxième plus grosse fédération socialiste du pays. D’origine marocaine, cette fille d’enseignants compte maintenant s’asseoir sur les bancs de l’hémicycle du Palais-Bourbon.
Le boulanger solidaire qui ne voulait pas faire de politique
Stéphane Ravacley Artisan
Une grève de la faim comme entrée en politique. En janvier 2021, Stéphane Ravacley, boulanger à Besançon depuis 1985, voit soudain la presse débarquer dans son fournil pour relayer son combat en faveur de son apprenti guinéen, Laye Fodé Traoré. Mineur isolé, celui-ci venait de recevoir, à ses 18 ans, une obligation de quitter le territoire français, et doit sa régularisation à la lutte acharnée de son patron. Ce dernier, qui n’avait « jamais voulu faire de la politique », va alors fonder avec d’autres entreprises dans la même situation l’association Patrons solidaires pour « battre le fer ensemble contre les préfectures » et porter, avec le sénateur PS Jérôme Durain, une proposition de loi. Elle se fracassera sur la « grande déconnexion entre les élus et la réalité du terrain », que le boulanger, candidat dans la 2e circonscription du Doubs, veut « révolutionner » en posant son tablier sur les bancs du Palais-Bourbon.
À l’Assemblée nationale, c’est son parcours, son ancrage sur le terrain et son « humanisme » qui guideraient sa députation. Le boulanger de 53 ans veut poursuivre son combat pour les mineurs isolés, étrangers comme français, en proposant de « les accompagner jusqu’à 25 ans et non 18 ans pour les protéger et les insérer doucement dans le monde du travail ». Il serait aussi un des premiers députés artisans et veut porter « la voix des petites entreprises des villages et petites villes », qu’il veut « redynamiser en réimplantant l’artisanat ». Originaire d’une famille de paysans de Bonnevent-Velloreille, commune de moins de 400 habitants en Haute-Saône, il promet aussi de défendre le monde de l’agriculture, avec le but de le « sortir de sa dépendance vis-à-vis de la grande distribution ».
Investi par EELV, Stéphane Ravacley ne prendra pas pour autant sa carte au parti afin de « garder (sa) liberté de ton et de conscience ». Pour faire de la politique autrement et « pour les gens », il se forme depuis quelques mois à l’Académie des futurs leaders pour apprendre à « construire un argumentaire et savoir rester soi-même dans ses prises de parole, pour ne surtout pas singer le monde politique ». F. L. D.
Un médecin communiste à élire de toute urgence
Loïc Pen Médecin urgentiste à l’hôpital de Creil (Oise)
Cette fois, il y va pour gagner. Déjà candidat du PCF en 2007 et 2012 dans la 7e circonscription de l’Oise, Loïc Pen se présentait pour faire vivre les idées communistes. En 2022, il a de réelles chances de les porter à la tribune de l’Assemblée nationale . « C’est la première fois qu’on a une gauche rassemblée et crédible pour gagner », assure le médecin de 54 ans. Ce malgré un score important de l’extrême droite dans cette circonscription à la présidentielle, dont il combat l’imposture sociale avec les diverses forces militantes de gauche, qui n’ont pas attendu la Nupes pour s’unir.
Dans cette bataille, il peut compter sur des convictions certaines et intactes depuis près de quarante ans. En 1984, avant ses 16 ans, le tournant de la rigueur du PS et le mouvement pour la libération de Mandela le poussent à adhérer au PCF. Ses idéaux et ses combats se renforceront au fil de son parcours professionnel. Médecin urgentiste à l’hôpital de Creil (Oise), il vit de près « l’austérité qui pèse sur les services publics, aujourd’hui dans un état de déliquescence proche de l’effondrement en ce qui concerne l’hôpital public ».
Lui qui espère, avec la gauche rassemblée, « faire élire des gens qui connaissent les problématiques réelles de différents secteurs » souhaite continuer à exercer à l’hôpital, même dans un temps réduit, s’il devient parlementaire. « Je ne veux pas perdre cet ancrage et le vécu quotidien, qui est très nourrissant », explique celui qui a aussi été chroniqueur vidéo pour l’Humanité, pendant la crise sanitaire. Comme urgentiste et syndicaliste CGT, Loïc Pen a ainsi développé des idées et des solutions concrètes pour stopper cette spirale mortifère pour les services publics de la santé : « Réinvestir massivement dans l’hôpital, arrêter d’emprunter à des taux pas possible aux banques privées, balayer la tarification à l’activité, repenser la gouvernance pas seulement à l’hôpital mais dans toute la santé… » Actuellement responsable du service de l’unité pénitentiaire rattaché à l’hôpital de Beauvais, Loïc Pen souligne aussi « les liens extrêmement étroits entre la médecine et le social », qui guideraient ses prises de parole et de position à l’Assemblée.
La militante altermondialiste qui a toujours été d’attaque contre le néolibéralisme
Aurélie Trouvé Agronome et ancienne porte-parole d’Attac
Qu’il vente, qu’il neige ou qu’il pleuve, elle ne fait jamais défaut à la lutte. Dans la rue, elle a toujours été là, souvent en tête de cortège ou micro à la main. Pendant quinze ans, Aurélie Trouvé a été l’un des visages de l’altermondialisme, tantôt porte-parole d’un contre-G7, tantôt candidate, « pour le symbole », à la tête du Fonds monétaire international (FMI) face à Christine Lagarde. Mais, début décembre, celle qui est alors porte-parole de l’ONG Attac décide de tourner la page pour entrer en politique. Son objectif ? « La conquête des institutions ». Comment ? En rejoignant la campagne de Jean-Luc Mélenchon. « Psychologiquement, ça a été dur mais je suis convaincue d’avoir fait le bon choix : je suis restée dans la même famille », raconte-t-elle, la gorge serrée.
La candidate se réclame de cette « gauche bolivarienne qui a concrètement transformé la vie des gens ».
Aujourd’hui, Aurélie Trouvé, habitante de Seine-Saint-Denis depuis une quinzaine d’années, est candidate dans la très populaire 9e circonscription du département, où la sortante FI Sabine Rubin ne brigue pas un nouveau mandat. Ici, Jean-Luc Mélenchon a tutoyé les 50 % au premier tour de la présidentielle. « C’est là que l’on vit puissance 10 les dégâts sociaux et environnementaux de Macron. Je ne voulais pas aller ailleurs », explique cette agronome de 42 ans.
Dans son dernier livre, le Bloc arc-en-ciel, elle rêvait d’unir « le rouge du syndicalisme et du communisme, le vert de l’écologie, le violet du féminisme, le jaune des insurrections populaires et le spectre multicolore des luttes antiracistes et LGBTQ+ ». Ces dernières semaines, Aurélie Trouvé a été l’une des chevilles ouvrières de l’accord entre les gauches pour former la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, dont elle préside le parlement de campagne. Inspirée par la première campagne d’Evo Morales en Bolivie, où elle a fait un stage en 2002, elle se réclame de cette « gauche bolivarienne qui a concrètement transformé la vie des gens ». Pour changer la vie des Français, cette coureuse de demi-fond à haut niveau voudrait porter une mesure à l’Assemblée nationale : les cantines bio, locales et 100 % gratuites pour tout le monde.
publié le 14 mai 2022
Cyprien Caddeo et Florent LE DU sur www.humanite.fr
La gauche rassemblée a lancé sa campagne des législatives, le 7 mai à Aubervilliers. Avec un objectif : gouverner et imposer une rupture avec le quinquennat Macron. Smic à 1 400 euros, retraite à 60 ans, allocation pour les 18-25 ans, retour de l’ISF, renationalisations, planification écologique… Demandez le programme de cohabitation.
Petit exercice de projection. Nous sommes le 19 juin. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) obtient plus de 289 sièges de députés à l’Assemblée nationale. À l’Élysée, Emmanuel Macron tempête : pas le choix, même si ça lui brûle les tripes, il doit nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon. Darmanin, Le Maire, Véran, Borne, Blanquer… tout le cortège se met en marche vers la sortie. Insoumis, communistes, écologistes et socialistes s’installent dans les ministères. Maintenant, il s’agit de gouverner et de ne pas décevoir. De montrer que le contre-récit progressiste au néolibéralisme se traduit en actes.
« Nous ne sommes pas en train de régler je ne sais quel congrès entre nous, prévient Jean-Luc Mélenchon, le samedi 7 mai, depuis les Docks d’Aubervilliers, où a été lancé le coup d’envoi de la campagne de la Nupes. Nous posons un acte de résistance collective à une ère de maltraitance sociale, écologique et démocratique. Cet accord ne nous permettra de gagner que si nous convainquons que notre programme, nos idées correspondent à l’intérêt général humain. » « C’est un programme de réformes heureuses pour changer la vie des Français », abonde Fabien Roussel, secrétaire national du PCF. Alors comment « changer la vie » des gens, concrètement ?
Retraites et salaires
Tout le monde s’accorde au sein de l’union sur le chantier prioritaire : le pouvoir d’achat, préoccupation première des Français. Retour vers le futur, le 19 juin. Face à l’inflation nourrie par le double effet de la reprise post-Covid et de la guerre en Ukraine, la nouvelle majorité organise le blocage des prix sur les produits de première nécessité. Les prix à la pompe sont stabilisés – les grands pétroliers comme TotalEnergies, 16 milliards de dollars de bénéfice sur l’année 2021, sont contraints de mettre la main à la poche.
Cette mesure d’urgence s’accompagne d’une autre de plus long terme. « Dès le 1er juillet, avec notre nouvelle majorité, le Smic sera augmenté à 1 400 euros net, les salaires vont augmenter de 100 euros tout de suite, avec un salaire brut, avec des cotisations pour financer la Sécu », détaille Fabien Roussel. Car l’augmentation du salaire minimum tirerait, mécaniquement, l’ensemble des paies à la hausse. La Nupes convoque d’ailleurs, avec les syndicats, une convention pour une « renégociation générale des salaires ». La majorité de gauche cherche aussi à mettre fin aux insupportables images d’étudiants faisant la queue pour bénéficier d’aides alimentaires : un revenu minimum d’autonomie, fixé à 1 063 euros, est donc adopté pour les 18-25 ans pour la rentrée 2022. « Ce seront des améliorations rapides et concrètes du quotidien, des portefeuilles qui s’épaississent et des prix qui n’augmentent plus », s’enthousiasme Manon Aubry, eurodéputée FI et négociatrice des accords. De vraies mesures de soutien au pouvoir d’achat aussi, loin de la politique des chèques et des primes de Macron, qui cherche à tout prix à éviter la mise à contribution du capital.
C’est l’autre grand chantier de la Nupes. Plus besoin, pour la génération née entre 1961 et 1969, de se gratter la tête dans l’espoir de comprendre combien de trimestres supplémentaires elle va devoir trimer pour avoir le droit à une retraite complète. Oublié, le coup de massue, pour les moins de 50 ans, persuadés de devoir travailler jusqu’à 65 ans, minimum. Le « gouvernement Mélenchon » veut rétablir la retraite à 60 ans, avec 40 annuités pour une pension complète, et sans décote. « Il n’y aura plus une pension complète au-dessous du Smic », promet la Nupes.
Planification écologique
Des jeunes aux seniors, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale se fixe comme cap de « changer la vie » pour toutes les générations. Y compris celles à naître, menacées par la hausse des températures et l’exctinction d’une partie du vivant. « Les renoncements de Macron sont honteux, la Convention citoyenne sur le climat étant le paroxysme du cynisme», tance le numéro un d’EELV, Julien Bayou. Quoi de mieux qu’une colocation forcée avec la gauche pour l’obliger à se verdir ? C’est le sens de la planification écologique, qui « irriguera toutes les mesures économiques », défend Manon Aubry. Une fois le premier budget bouclé, à l’automne 2022, 200 milliards d’euros seront injectés dans le renouvelable, la rénovation thermique et un grand plan de relocalisations. De quoi créer des emplois tout en diminuant notre empreinte carbone. Un plan contre les sécheresses, de plus en plus fréquentes, devra être adopté. Enfin, la Nupes défend l’adoption de la règle verte – ne pas prendre à la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer.
Services Publics
La Nupes s’assume comme une gauche de gouvernement, où la puissance publique bande les muscles face aux appétits dévorants du marché. C’est un des fronts portés par le PCF : l’État remettra la main sur les autoroutes, les aéroports, EDF, Engie. Des nationalisations pour les remettre au service des gens et non de la rente privée, et qui permettent un meilleur contrôle des prix. La fonction publique sera aussi remplumée. Pour répondre aux parents d’élèves inquiets des classes surchargées et des enseignants lessivés, les profs et les accompagnants scolaires seront recrutés en nombre et ils verront leurs salaires revalorisés. Enfin, pour que plus personne n’ait la douleur de voir sa grand-mère ou son grand-père maltraité par des entreprises cyniques comme Orpea, sera lancé un service public du grand âge.
Fiscalité
Sueurs froides chez les libéraux : la politique sociale et économique de la Nupes requiert un « pognon de dingue ». Pour financer ses ambitions, la gauche prévoit d’aller chercher l’argent là où il est, dans les poches des fortunés, en rétablissant l’impôt sur la fortune et en supprimant la flat tax. « Aujourd’hui, quand vous vivez de vos dividendes, vous êtes moins imposé que ceux qui payent l’impôt sur le revenu », tacle le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Sur cet impôt, la Nupes propose l’instauration de 14 tranches progressives, ce qui se traduirait par des baisses d’impôts dès 2023 pour les revenus de moins de 4 000 euros mensuels. Enfin, le « gouvernement Mélenchon » escompte faire la chasse aux grands évadés fiscaux.
Une démocratie refondée
À nouvelle politique, nouvelle pratique institutionnelle. Alors que l’Europe a longtemps fracturé les gauches entre elles, les membres de la Nupes s’accordent sur le fait de désobéir ponctuellement aux traités européens s’ils font obstacle au progrès social et écologique. Le peuple, du reste, sera davantage consulté au sein d’une hypothétique VIe République, plus parlementaire – lancer un processus constituant nécessitera cependant le concours d’Emmanuel Macron… Les citoyens pourront, grâce au référendum d’initiative citoyenne, être force de proposition à l’Assemblée nationale. Les communistes poussent aussi pour plus de démocratie dans l’entreprise, en ouvrant aux salariés plus de droits d’intervention et de décision, notamment dans les conseils d’administration.
En cas de victoire, la Nupes veut aller vite, consciente qu’Emmanuel Macron conserve une cartouche contre une éventuelle cohabitation : le droit présidentiel à dissoudre l’Assemblée et convoquer de nouvelles élections. Manon Aubry tempère : « Que Macron n’accepte pas les résultats des législatives serait une nouvelle illustration des travers de la Ve République, cela révélerait encore la nécessité de changer les institutions. Mais ce n’est pas ça qui doit nous préoccuper, notre seule boussole ce sont les gens, et comment on améliore leurs existences. »
Le négociateur pour le PCF, Igor Zamichiei, défend un accord qui acte une clarification à gauche et permettra, si la nouvelle union populaire sort gagnante des législatives, d’améliorer immédiatement la vie des Français.
L’accord signé à gauche est-il à vos yeux historique ?
Igor Zamichiei :C’est un accord porteur d’espoir. Un accord inédit qui permet d’affronter une situation de grave danger pour les droits sociaux et démocratiques, menacés par Emmanuel Macron. C’est aussi un accord qui permet de se donner les meilleures chances de faire élire des députés de gauche en juin, et comme nous l’espérons de conquérir une majorité à l’Assemblée nationale. C’est possible et c’est ce qu’attendent des millions de Français qui ne veulent pas du projet de notre président de la République, et qui au contraire défendent des mesures courageuses de transition sociale et écologique. La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) porte cette forte ambition. C’est le cœur de ce que nous avons lancé en commun pour les législatives.
Que peut apporter cette alliance de gauche si elle l’emporte ?
Il y aura immédiatement de grandes réformes : le smic à 1 400 euros net, la retraite à 60 ans pour tous, un revenu d’autonomie pour les jeunes, des créations d’emplois massives dans les services publics, notamment dans la santé et l’éducation, ou encore la renationalisation d’EDF et d’Engie. Autant de mesures attendues qui vont changer très rapidement la vie des Français. Les communistes ont insisté pour que la Nupes défende des propositions structurelles pour réorienter nos modes de production, améliorer la démocratie en entreprise et reconquérir le pouvoir sur l’argent avec la création d’un grand pôle financier public. Les négociations sur ce programme ont été exigeantes à gauche, car nous n’arrivions pas tous avec les mêmes logiques et les mêmes priorités, mais nous avons très vite convergé sur de nombreuses batailles et solutions communes.
La gauche a-t-elle aujourd’hui changé de centre de gravité ?
Nous sommes arrivés à un moment de clarification. Non seulement notre famille politique est désormais indéniablement ancrée du côté de la gauche radicale, mais le Parti socialiste lui-même a validé un accord qui se trouve très éloigné de ce que le PS faisait la dernière fois qu’il a exercé le pouvoir, sous François Hollande. De ce point de vue, le PS a fait un vrai choix politique, en repoussant les logiques austéritaires. C’est une bonne nouvelle. Nous avions besoin que les socialistes rejoignent cette union pour être à la hauteur de la riposte que nous préparons face à Macron et contre l’extrême droite. Notre union est ainsi forte de sa cohérence, de son projet, et de la diversité de tous ceux qui la composent.
Quelle campagne commune est prévue ?
Nous lançons à la fois une campagne autour d’un programme partagé, et 577 campagnes où chaque candidat portera la Nupes dans toutes les circonscriptions du pays. Nous allons défendre ce projet national tout en le faisant entrer en résonance avec les attentes locales. Jamais les forces de gauche ne s’étaient ainsi entendues sur une répartition globale des circonscriptions. Bien sûr, nous pouvons comprendre que, dans cette situation, il y ait localement des tensions, car un certain nombre d’acteurs de terrain pouvaient se sentir les plus légitimes pour être candidats. Mais l’accord national doit être respecté, car il est la condition de notre union et de notre ambition : obtenir une majorité à l’Assemblée pour changer la vie des Français.
L’alliance entend décrocher un grand nombre de sièges, voire la majorité, les 12 et 19 juin, et imposer un autre scénario. Voici toutes les raisons d’y croire.
Comment une gauche arrivée troisième à l’élection présidentielle pourrait-elle gagner les élections législatives ? D’abord, si l’on compare 2017 et 2022, l’ensemble des forces de gauche (32 %) a progressé de 4 points. Les premiers sondages réalisés en vue du prochain scrutin indiquent des intentions de vote dans cet étiage, voire supérieures. Mais la principale différence avec 2017 est la présence de candidatures uniques et donc de potentielles performances électorales bien supérieures. Il y a cinq ans, seuls 167 candidats de gauche étaient parvenus à atteindre le second tour des élections législatives. Dans plusieurs dizaines de circonscriptions, les différents candidats de gauche s’étaient neutralisés, laissant le champ libre à LaREM et RN au second tour.
En projetant les résultats des trois blocs (gauche, libéraux, extrême droite) à la présidentielle sur chacune des 577 circonscriptions, le bloc de gauche se classe dans les deux premiers dans 291 d’entre elles. Un gain considérable qui pourrait encore être accentué par la configuration du prochain scrutin. En effet les libéraux avancent divisés entre Renaissance (ex-LaREM) et ses alliés d’une part et LR d’autre part. Si des accords pourront discrètement se nouer entre LR et la majorité pour ne pas présenter de candidats dans certaines circonscriptions, les voix de droite devraient être divisées au premier tour. Il en va de même à l’extrême droite, puisque le parti Reconquête ! de Zemmour et le Rassemblement national de Le Pen partiront séparément. Cet éclatement des deux autres blocs offre à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) des possibilités supplémentaires de figurer au second tour. Dans cette configuration, la Nupes pourrait être en tête dans 241 circonscriptions, le RN 159 et Renaissance 139 d’entre elles. Les réalités locales et l’implantation de LR devraient cependant troubler ces projections. La force de la gauche au premier tour pourrait se transformer en faiblesse au second, faute de réserves de voix. L’attitude des électeurs des candidats éliminés pèsera lourd.
Si l’arithmétique électorale indique des possibilités pour l’union à gauche, tout sera cependant affaire de dynamique politique. L’abstention traditionnellement supérieure de plus de 20 points à la présidentielle sera une des clés du scrutin. La possibilité de la mise en œuvre de diverses mesures sociales pourrait bouleverser la donne. Les premières enquêtes d’opinion semblent indiquer le début d’un désir de gauche, puisque 35 % des Français disent vouloir une victoire de cette alliance pour le prochain scrutin, devant le RN à 29 % et LaREM à 26 %. 20 % des électeurs de Macron au premier tour de la présidentielle formulent ce souhait, signe d’un élargissement possible. Si cette dynamique continue, rien n’est interdit jusqu’à l’obtention d’une majorité relative, voire absolue, à l’Assemblée. Nul doute cependant que majorité présidentielle comme droite et extrême droite passeront les semaines à venir à tenter de discréditer la Nouvelle Union populaire. Le combat est rude mais pas ingagnable.
par Didier Gelot Ancien secrétaire général de l’Observatoire national de la pauvreté sur www.humanite.fr
Avec la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, la rupture avec les politiques néolibérales est à portée de main. S’il y a un domaine où l’urgence sociale est forte, c’est celui de la lutte contre la pauvreté. Si les revenus des patrons du CAC 40 ont doublé entre 2020 et 2021 (Carlos Tavares a touché 66 millions d’euros), plus de 9 millions de personnes vivent avec moins de 1 100 euros par mois, et 5 millions avec moins de 870 euros.
Dans ce cadre, Emmanuel Macron, afin de s’attirer les votes populaires, propose de reprendre une mesure annoncée dès 2017. Il s’agit du versement automatique des prestations sociales (RSA, prime d’activité, aides au logement, allocation de solidarité spécifique, allocations familiales), ce qu’il appelle la « solidarité à la source », en référence au prélèvement des impôts.
Ce projet viserait à lutter contre le non-recours aux prestations sociales, chiffré à 10 milliards d’euros par an. Il avait déjà donné lieu en 2019 à une concertation, suivie en 2021 par un rapport de Fabrice Lenglart, remis à Jean Castex. Il s’agit de sortir d’un système d’attribution des aides sociales qui se traduit par le fait qu’un tiers des potentiels allocataires des minima sociaux ne les perçoivent pas, par manque de connaissance ou par crainte de stigmatisation.
Que peut-on penser de cette proposition ? Répondra-t-elle aux attentes des millions de personnes qui vivent dans la précarité ? Séduira-t-elle, comme l’espère son initiateur, les électeurs des quartiers populaires ?
Pour répondre à ces questions, il faut resituer ce projet dans le contexte des autres mesures qui l’accompagnent.
Emmanuel Macron a indiqué que le versement automatique des aides sociales serait accompagné d’un durcissement des conditions de leur attribution. Il conditionne le versement du RSA à « l’obligation de consacrer quinze à vingt heures par semaine pour une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle ». Cette conditionnalité remet au goût du jour le postulat libéral selon lequel les allocataires des minima sociaux préféreraient vivre de l’« assistanat » que de leur travail. Partant d’une revendication de l’ensemble des associations de lutte contre la pauvreté (passer des droits quérables à une automaticité des droits), on aboutit à une remise en cause de la possibilité reconnue aux plus pauvres de disposer, sans conditions si ce n’est de ressources, des aides sociales en vigueur.
Dans le cadre de son second mandat, Emmanuel Macron envisage aussi la fusion des différents minima sociaux en un dispositif unique (le revenu universel d’activité) qui relève de la même logique. L’enjeu est de baisser le niveau des prestations sociales, pourtant déjà insuffisant. Aujourd’hui, le total des prestations sociales représente 60 milliards d’euros par an (le fameux « pognon de dingue »). Il s’agit aussi de mettre fin à la possibilité de percevoir plusieurs allocations relevant de champs différents : allocations familiales d’un côté et aides sociales sous conditions de ressources de l’autre. Ce projet pose la question de l’individualisation versus conjugalisation/familialisation du versement d’une telle prestation. Ces options obéissent en effet à des logiques différentes. La première fait le choix de l’émancipation individuelle (une femme doit être financièrement indépendante de son mari, comme un jeune de ses parents). Les deux autres prennent en compte tous les revenus du ménage, quels que soient les rapports interfamiliaux.
Face à ces projets néfastes, la Nouvelle Union populaire propose un véritable plan d’éradication de la pauvreté. Augmentation du Smic à 1 400 euros ; création, sans contreparties et dès 18 ans, d’une garantie d’autonomie versée automatiquement (elle viendra compléter les actuels minima sociaux afin qu’aucune personne ne continue à vivre sous le seuil de pauvreté) ; interdiction des coupures d’eau, d’électricité et de gaz et création d’un pôle public permettant de gérer l’ensemble de ces biens communs ; blocage du prix des produits de première nécessité. Tout cela dans le cadre d’une justice fiscale à même de dégager les budgets nécessaires à ces mesures d’urgence.
On peut être certain que les jeunes et les habitants des quartiers populaires sauront faire la différence entre ces deux logiques, et qu’ils voteront en masse en juin prochain pour les candidats de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale.
publié le 13 mai 2022
Florent LE DU sur www.humanite.fr
Législatives Les macronistes, l’extrême droite et jusqu’aux dissidents du PS dénoncent la nouvelle union de manière caricaturale. La preuve que la dynamique électorale se situe bien à gauche, et que ses adversaires sont fébriles.
L’accord à gauche ? C’est, au choix : « Des anciens laïcards et des nouveaux islamistes, des nageuses en burkini et des zadistes en poncho », pour Éric Zemmour. La « banqueroute » assurée, pour Christophe Castaner. « Une véritable pétaudière, une sorte de salmigondis idéologique », pour le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand. Une « union d’extrême gauche et antirépublicaine » à laquelle il faut faire « barrage », pour Jordan Bardella. Certains signes ne trompent pas. Quand la gauche essuie une pluie d’attaques agressives et farfelues, c’est qu’elle peut conquérir le pouvoir. Depuis que le PCF, EELV et le PS se sont alliés à la France insoumise autour de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), le festival des « paniques morales » et d’arguments caricaturaux bat son plein. « Attendez-vous à ce que ce soit compliqué. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur », prévenait Jean-Luc Mélenchon le 1er Mai. Même l’hebdomadaire de droite le Point titre ainsi son dernier numéro : « Mélenchon, l’autre Le Pen », dans l’espoir de renverser le barrage républicain contre la gauche.
De la droite à son extrême droite en passant par les dissidents « socialistes », tous ont adopté la stratégie de la diabolisation de la gauche. Avec comme objectif final de maintenir leur position au pouvoir, comme principaux opposants ou comme tenants de partis historiques. Réunissant ses candidats, le 10 mai, Emmanuel Macron les a prévenus que la bataille, cette fois, se jouerait ainsi contre l’ « extrême gauche », qui serait « unie sur une seule chose, la décroissance ». Pour lui, la retraite à 60 ans, le Smic à 1 400 euros, l’allocation d’autonomie pour les jeunes, le blocage des prix, la justice fiscale (qui finance en partie les précédentes mesures) ne constitueraient même pas des avancées sociales, au motif qu’ « il n’y a pas de projet de progrès social qui se fait sur le déficit : ce serait sur le dos de nos enfants » ! La prétendue infaisabilité ou le coût du projet de la Nupes sont mis en avant à longueur de plateaux pour alerter sur « la folie du programme de Jean-Luc Mélenchon », comme le qualifie le patron des députés LaREM, Christophe Castaner (lui-même ancien membre du PS) .
La lutte contre les inégalités sociales serait
« dangereuse »
C’est pourtant d’abord une question de choix politiques et économiques, que la droite, macronienne ou non, tente ainsi de restreindre. « Quand toute la gauche était de gauche, ces mesures étaient classiques, pas extrémistes, rappelle Vincent Tiberj, sociologue et professeur à Sciences-Po Bordeaux. Le programme de la Nupes s’insère dans une tradition économique différente et veut remettre en scène un choix de politique économique, ce que le PS avait fini par abandonner. Emmanuel Macron considère que l’économie de marché délimite le champ de la raison. » Donc, que toute proposition de plus grande redistribution ou de lutte contre les inégalités sociales serait « dangereuse » ou « ne pourrait pas être tenue », comme l’a souligné la députée LaREM Aurore Bergé .
De telles attaques rappellent la campagne présidentielle de 2017, mais pas celle d’avril dernier. « Les macronistes n’avaient pas d’inquiétude concernant Mélenchon à la présidentielle, observe l’historien Damon Mayaffre, spécialiste de l’analyse du discours politique. Pas d’inquiétude, donc pas de nécessité d’agiter le chiffon rouge comme c’est le cas maintenant. » Mais, en se déchaînant sur la Nupes, ses adversaires valident le constat que la dynamique de campagne se trouve désormais à gauche, ce qui commence à faire stresser la Macronie . Car, la traditionnelle démobilisation des électeurs entre la présidentielle et les législatives (- 25 points en 2017) pourrait être moindre chez les électeurs de la Nupes galvanisés par le rassemblement, ce qui réduit aussi le risque d’élimination de la gauche dès le premier tour dans plusieurs circonscriptions. Or, en 2017, dans 231 d’entre elles, des candidats LaREM l’avaient emporté au second tour face à un concurrent LR, RN ou divers droite. Ce pourrait être une autre paire de manches face à un candidat de gauche, notamment si un « Tout sauf Macron » s’applique .
La droite macronienne, qui a tout fait pendant cinq ans pour désigner Marine Le Pen comme son adversaire, grince donc des dents. « C’est beaucoup plus simple d’en appeler à la République face à l’extrême droite, que de parler inégalités sociales, redistribution et de leur bilan en la matière », estime Vincent Tiberj. « Aujourd’hui, Emmanuel Macron doit réviser sa stratégie. Envoyer quelques signaux, sinon à la gauche, du moins aux réfractaires du PS, mais aussi, en même temps, se livrer à une diabolisation de la gauche », abonde le sociologue Éric Fassin. La présentation du « paquet » de mesures en faveur du pouvoir d’achat, prévue « à l’été », pourrait ainsi être avancée à l’avant-premier tour des législatives.
Dans le même temps, ses candidats, comme Manuel Valls ou Aurore Bergé, considèrent que la Nupes est « antirépublicaine ». Le chef de l’État l’a même qualifiée de « communautariste ». « C’est dans la continuité du premier mandat de Macron, avec des ministres qui parlaient d’islamo-gauchisme, de wokisme, analyse Damon Mayaffre. La difficulté des macronistes à répondre à la gauche sur le fonds économique et social les encourage à agiter ces paniques morales, à montrer que ces adversaires sont tous ou presque antirépublicains. C’est stratégique mais aussi idéologique. Il y a une vraie rupture et une peur sociale des dominants autour des mesures de la Nupes. »
Dans cette entreprise de caricature éhontée d’une « gauche bolchevique mangeuse d’enfants », certains grands médias nationaux et intellectuels osent tout. Le Figaro redoute « le soleil bolivarien sur une piscine municipale envahie de burkinis ». Pour Alain Finkielkraut, « Jean-Luc Mélenchon mise sur le grand remplacement pour accéder au pouvoir », tandis que Valeurs actuelles titre sur « La menace islamo-gauchiste ».
Anathèmes et attaques grotesques pour ne pas débattre du fond des propositions
Car, l’extrême droite n’est pas en reste. S’il a renoncé à viser Matignon, considérant que « la logique des institutions » veut que le président ait la majorité, le Rassemblement national compte bien rester l’opposant principal d’Emmanuel Macron. Et en matière d’insultes caricaturales, il sait faire. Son président Jordan Bardella voit dans la Nupes une « ZAD de toutes les idéologies les plus dangereuses pour notre pays, les communautaristes et les islamo-gauchistes », quand Marine Le Pen évoque « l’opposition qui va défendre le burkini à la piscine, veut ouvrir les prisons, régulariser les clandestins, désarmer la police ». Là encore, un moyen de ne pas débattre sur le fond. Car, la dynamique de la gauche crée une autre alternative que celle de l’extrême droite au macronisme, notamment sur le pouvoir d’achat. Le programme social de la gauche, désormais discuté, dévoile par ricochet l’imposture de Marine Le Pen.
En quelques jours, la gauche aura donc considérablement perturbé ses adversaires. Avant même la signature de l’accord, des socialistes s’indignaient déjà de ce rassemblement. Dans le sillage de François Hollande, les éléphants socialistes ont dénoncé à travers cet accord une « reddition ». « Le PS a perdu son âme, il s’est soldé pour pas cher », a ainsi déclaré Julien Dray, qui tance un pacte « électoraliste ». « C’est risible, répond l’eurodéputée FI Manon Aubry. Cet accord se base sur des idées et plus de 300 propositions, issues de discussions très poussées », qui devraient être annoncées ce week-end.
Le programme, justement, semble un peu trop à gauche pour des gens qui revendiquent l’étiquette sans en épouser les idées. L’ex-dirigeant du PS Jean-Christophe Cambadélis porte sur ce projet une analyse tout en mesure dans l’Opinion : « On se retrouverait dans la situation de la Corée du Nord. » Dans le camp « écolo », des critiques fusent aussi de la part de personnalités ayant renoncé aux préceptes de la gauche depuis longtemps, comme Daniel Cohn-Bendit ou – plus surprenant – José Bové. Ces deux-là ont cosigné une tribune dans le Monde critiquant la signature de l’accord par EELV qui aurait ainsi « sacrifié l’essentiel : le principe démocratique et l’universalité ». « Cela nous raconte surtout la clarification dans ces partis, avec des détracteurs de l’accord qui se situent en fait du côté de l’économie de marché », estime Vincent Tiberj.
Du centre, de droite ou d’extrême droite, les détracteurs de la Nupes vont devoir se positionner sur le fond, sur les propositions de la gauche. D’autant que sa dynamique pourrait permettre d’imposer un agenda politique et des thèmes longtemps mis au second plan face à l’insécurité et l’immigration.
publié le 9 mai 2022
Week-end très politique avec la naissance à gauche de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale). Quelles conséquences à gauche et pour la majorité présidentielle ? Frédéric Sawicki, professeur de science politique, est l’invité de #LaMidinale.
ET À LIRE...
Sur l’alliance de la NUPES
« Rien n’est jamais naturel dans la vie sociale et politique mais il y a une naturalité qui s’explique par l’état des rapports de force et des règles du jeu politique. »
« Il était assez logique d’anticiper qu’il y aurait une pression à une convergence ou à des accords minimums qui par le passé ont concerné le PS et le PCF - même quand ils n’étaient pas d’accord. »
« On aurait pu penser que l’actualité ukrainienne en pleine présidentielle aurait créé des fractures au sein de la gauche. Ces fractures demeurent mais elles ont été surmontées pour des raisons d’opportunités. »
« Pour des partis comme le parti communiste, le parti socialiste ou écologiste qui ont fait moins de 5% à l’élection présidentielle, la survie même de l’organisation supposait de pouvoir espérer rembourser les dépenses non remboursables du fait de ne pas avoir obtenu 5%, les rendait très dépendants du fait d’obtenir ou pas des députés. C’était un profond stimuli. »
« Du côté de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, il faut quand même saluer le fait qu’à la différence de 2017 d’emblée, sans attendre le deuxième tour, Mélenchon et son mouvement ont joué la carte des élections législatives. »
« On aurait pu imaginer que, poussés par le ressentiment et la déception, Mélenchon et les siens adoptent une position de revanche et de volonté d’hégémonie totale et d’élimination du PCF, du PS et des verts. Ça n’est pas ce qu’ils ont fait. La sagesse l’a emporté. »
« LFI est encore un parti qui a peu de relais et de figures locales contrairement aux socialistes, communistes et écologistes. Il aurait été suicidaire de se priver de ces relais là pour gagner une majorité à l’élection législative. »
« Cette convergence d’une stratégie sage s’est en partie traduite sinon des renoncement du moins des édulcorations sur un certain nombre de propositions programmatiques, a favorisé une espèce de mariage qui n’est pas un mariage global : on n’est pas dans le cadre de la polygamie, on est dans une succession de relations monogames. »
Sur le caractère programmatique et politique de l’accord
« La dynamique première de l’accord vient d’abord de la contrainte du jeu électoral et de la survie des organisations partisanes. »
« La France insoumise a accepté de tendre la main très largement, ce qui n’était pas évident dès le départ. »
« Les écologistes et les socialistes ont accepté d’avaler un certain nombre de couleuvres notamment sur la question européenne. »
« Un tel accord reste assez peu précis dans les détails de ce que serait une politique à mener et on peut penser que ça déboucherait immanquablement sur des difficultés pour mettre un contenu précis. »
Sur l’état des rapports de force à gauche
« Les 22% de Mélenchon ne correspondent pas à un vote d’adhésion total au programme de Jean-Luc Mélenchon - c’est rarement le cas pour une élection présidentielle, ça l’est encore moins dans cette configuration-là. »
« Beaucoup d’électeurs se sont mobilisés au dernier moment pour faire barrage à Marine Le Pen, en votant pour le candidat qui avait l’expérience, le charisme, qui a su incarner une opposition forte au gouvernement d’Emmanuel Macron. À partir de là, les autres partenaires de la gauche étaient tout à fait fondés à considérer que le poids électoral de cette élection présidentielle n’était pas représentatif. »
« Les élections régionales, municipales et européennes ont montré qu’il y avait un électorat instable et très partagé entre les écologistes, socialistes, communistes, insoumis voire même quelques macronistes. »
Sur les discussions et les négociations à gauche
« Si on prend l’histoire des accords programmatiques à gauche, notamment le programme commun en 1981, cela ne s’est pas fait sur un coup de dés ou sur une seule élection. Tout a pris de longues années. Donc là, nous pouvons déplorer qu’entre 2017 et 2022, il n’y ait jamais eu de rencontres pour négocier. Tout cela s’est fait dans la précipitation. »
« Une des raisons pour lesquelles je suis plutôt optimiste, est qu’on est en train de reparlementariser notre vie politique. C’est à dire qu’il s’agit -non pas de dire que le programme sera celui-là à la virgule prêt- mais qu’il y a des orientations qui vont dans le bon sens, et qui seront ensuite discutées par une majorité parlementaire, qui resterait plurielle. La France insoumise a accepté que chaque groupe continue d’avoir sa propre autonomie. »
« Cela prend en compte la complexité des questions posées, par exemple sur le sujet du nucléaire. Nous ne pouvons pas imaginer que la France sorte du nucléaire ou y reste, simplement suite à une négociation de coin de table. »
Sur la ligne politique du Parti socialiste
« Du côté insoumis, on voit bien une centralité autour de Jean-Luc Mélenchon. Preuve en est, si la décision de s’allier avec le parti socialiste, était passée par les militants, on n’est pas sûr que cela serait passé. Il y a une haine des socialistes du côté des militants insoumis. »
« Le fait qu’Olivier Faure ait accepté d’entériner la loi El Khomri, a été un acte très fort d’un point de vue symbolique. Cela veut dire que les socialistes réfutent une partie non négligeable du bilan de François Hollande. Et là ce n’est pas de la tactique : il y a depuis 2017 une forte opposition dans le parti socialiste entre ceux qui considèrent que le quinquennat Hollande a permis un certain nombre d’avancées -le mariage pour tous mais aussi la prise en compte de la pénibilité au travail- et ceux qui considèrent que globalement cela a été un échec. »
« Et là, Olivier Faure a saisi avec son équipe, l’occasion de solder le bilan du quinquennat Hollande, c’est une manière de reconnaître que le parti socialiste a un regard lucide et critique sur ce qui a été fait. Il serait donc prêt à refonder quelque chose d’autre, et passer dans un nouveau cycle de son histoire. »
« Le monde des partis politiques n’est pas déconnecté des différentes idéologies qui existent dans la société. L’idéologie néo-libérale a profondément pénétré la société, y compris dans les classes populaires, qui considèrent que le travail est quelque chose de bien, et qu’il faut récompenser le mérite. Voir même à considérer que ceux touchant les aides vivent aux crochets de la société. »
« Le parti socialiste a perdu un électorat au profit d’Emmanuel Macron voulant des réformes sociales tout en continuant l’économie de marché. Rester sur une position politique, qui est celle d’une gauche radicale, est se condamner à rester longtemps minoritaire. Une grosse minorité certes, mais une grosse minorité reste une minorité. »
Sur les risques de dissidences
« Dans ce système d’élection, il y aura toujours des dissidences car les partis ont tendance à utiliser ces élections pour parachuter des candidats, ou faire des accords avec les autres partis, et localement les militants ne sont en général jamais contents des décisions prises par le haut. »
« Nous avons un parti insoumis derrière une figure très centralisée, qui va investir des candidats avec une légitimité faiblement démocratique. Je ne sais pas si les militants de la France insoumise de Villeurbanne sont absolument ravis à l’idée d’avoir à soutenir Gabriel Amard. De voir des candidats qui non seulement ne sont pas du parti des militants écologistes, socialistes ou communistes, et qui en plus vont devoir soutenir des candidats sans légitimité territoriale, ne peut que créer des résistances. »
« Le PS ou le PCF ne peuvent rien faire contre les dissidents, à part les exclure ou les priver de financement, mais cela n’a jamais empêché les dissidences. On verra bien, mais on peut s’attendre à un nombre de dissidences importantes ».
Sur l’attentisme d’Emmanuel Macron
« Macron a déjà évolué ne serait-ce qu’en s’engageant à désigner un premier ministre qui ait une sensibilité sociale et environnementale marquée. Ça veut plutôt dire qu’il irait chercher son Premier ministre vers le centre-gauche. »
« Là où Macron est embêté, c’est qu’il doit composer avec le passé - à commencer par ses anciens ministres qui estiment que leur place est importante et qu’ils doivent être reconduits. »
« Macron a beaucoup marginalisé Edouard Philippe. »
« La stratégie pour l’instant est plutôt une stratégie centriste et centrale : ne pas trop se marquer à droite et puis envoyer des signaux. »
« Je pense qu’on peut s’attendre à un Premier ministre qui sera de sensibilité social-écolo, pas trop techno. »
« Il y a une fébrilité de la part de la majorité présidentielle. »
« La grande inconnue, c’est le taux de participation. »
« Il y a eu une frustration d’une campagne présidentielle très courte et on peut s’attendre à une participation plus importante qu’attendue aux législatives. »
« Il y a beaucoup d’éléments qui peuvent perturber le jeu des législatives pour Macron avec notamment la possibilité de triangulaires plus nombreuses qu’attendues si la participation est plus importante. »
« L’hypothèse d’une majorité relative est très forte de même qu’aucun bloc n’ait de majorité à lui tout seul. »
publié le 2 mai 2022
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Le 1er mai a rassemblé près de 210 000 personnes sur tout le territoire selon la CGT (116 500 selon l’Intérieur). A peine plus que l’an dernier. Nombre d’entre elles auraient souhaité un 1er mai d’ampleur, pour donner le ton dans la foulée de la réélection d’Emmanuel Macron. A Paris comme à Montpellier, les organisations politiques étaient particulièrement présentes, l’œil tournées vers les législatives. Mais au-delà, les manifestants s’interrogent sur ce qui pourrait déclencher un mouvement social conséquent dans les prochains mois.
« C’est dommage, c’est un moment qui aurait pu être plus important », glisse Jean-François, syndiqué à Sud Santé Sociaux, à la fin de la manifestation montpelliéraine du 1er mai. Celle-ci a réuni près de 2 000 personnes selon les organisateurs. Elles étaient près de 4 000 à Marseille ; 1500 à Grenoble ; ou encore 21 000 à Paris selon le cabinet Occurrence travaillant pour plusieurs médias (50 000 selon la CGT).
Dès dimanche après-midi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fustigé « des violences inacceptables » de la part de « casseurs » émaillant le cortège parisien. Le même jour, une quinzaine de militants d’extrême-droite ont attaqué le cortège du 1er mai à Angers. Une vidéo revendiquant l’agression a été postée sur leur canal Telegram. Sur cet événement, l’Intérieur n’a pas dit un mot.
Un 1er mai pris dans l’attente des législatives
Sous le soleil de Montpellier, la mobilisation du jour n’aura pas eu l’ampleur des grands 1er mai. Dans la foulée du second tour des présidentielles, « je m’attendais à plus de monde », déplore Rachid, salarié du secteur des transports, syndiqué à FO. « Mais je pense que les partis politiques sont plus occupés par les élections législatives. Ils n’ont pas beaucoup communiqué pour le 1er mai… Ils ont oublié le plus important. Généralement, il y a beaucoup de monde ramené par les syndicats et les partis politiques. Aujourd’hui, c’est timide ».
Léonore, enseignante, syndiquée FSU, est venue manifester pour marquer la pression du mouvement social dès la réélection d’Emmanuel Macron. Mais même elle a les yeux tournés vers l’échéance des législatives. Et vers les négociations en cours entre partis de gauche autour de l’Union Populaire. « J’espère bien qu’on aura une majorité parlementaire de gauche. Sinon, on va passer les cinq prochaines années à souffrir. Et on va courber l’échine », lâche-t-elle avec amertume.
Dans le cortège, d’autres demeurent combatifs. Et ce, peu importe la composition parlementaire qui sortira des législatives. « Pour nous, quoi qu’il arrive, le troisième tour, c’est dans la rue », insiste Rachid. Lui et son camarade militant Mohammed, défilant à ses côtés, n’attendent rien des législatives. « Quels que soient les politiques mises en place, on sait que la classe ouvrière va se faire démonter. La sécurité sociale, le système de retraites, tout ce que les anciens ont acquis… On a beaucoup perdu dans les dix dernières années. Avec la réélection de Macron, ça va s’accélérer. Personnellement, je n’y crois plus, aux politiques : je crois à la rue, aux manifestations », conclut-il.
« Il faut qu’il y ait un choc »
Alors que s’ouvre un nouveau quinquennat Macron, certains ont perdu l’espoir d’un sursaut du mouvement social. Léonore, par exemple, n’y croit plus trop. Elle aimerait un mouvement de l’ampleur des Gilets Jaunes, « mais j’ai des doutes. Je suis pragmatique… » Plus loin dans le cortège, Isabelle, éducatrice spécialisée et syndiquée Sud Santé Sociaux, songe : « c’est comme si on avait pas encore touché le fond suffisamment. On nous appuie encore sur la tête, et tant qu’il y a un peu d’air qui passe, on est contents. Mais nous, on veut des grands courants d’air ! »
D’autres croient encore à un nouvel élan. Sans arriver à déterminer ce qui l’enclenchera. « Il faut qu’il y ait un choc », estime Mohammed, de FO. Le militant évoque le contexte économique actuel, avec une inflation à 4,8 % en avril. Et la hausse du prix de l’énergie. Le gouvernement avait mis en place un bouclier tarifaire pour limiter l’impact de cette hausse sur les ménages, en amont des élections. « Je suis persuadé que ce sera fini à la rentrée, ou alors en août quand tout le monde sera au bord de la plage… La facture d’électricité et de gaz sera alors multipliée par trois ou quatre à la fin d’année. Ça peut faire bouger les choses », croit Mohammed. Il surveille aussi le mouvement étudiant : beaucoup « galéraient déjà à se nourrir et se loger » dans le quinquennat qui vient de s’achever.
Salaires, retraites et protection sociale : les batailles à mener
En attendant des manifestations plus massives, plusieurs militants misent sur les luttes pour les salaires, plus discrètes. « En interne, dans les entreprises, beaucoup de salariés bougent » soutient Rachid. Lors de l’année écoulée, les batailles autour des négociations salariales se sont multipliées. « En quinze ans » de travail dans le secteur des travaux publics, Mohammed confirme : c’est la première fois qu’il voyait de telles mobilisations.
« Il faut œuvrer dans les boîtes. Il y a des choses qui ont bougé, des mobilisations qui ont permis à des salariés de se poser des questions », abonde Isabelle, l’éducatrice spécialisée, en évoquant les mobilisations du médico-social ces derniers mois autour de la prime Ségur.
Au-delà des salaires, la réforme des retraites annoncée par Emmanuel Macron, avec un report de l’âge légal de départ à 65 ans, est dans tous les esprits. « Il y a aussi un troisième sujet : tout ce qui concerne Pôle Emploi, la Sécurité sociale, l’URSSAF… », ajoute Rachid. « On risque d’aller ver un modèle purement capitaliste. Les syndicats de travailleurs qui y siègent n’auront plus leur mot à dire. C’est tout un système que l’on est en train de démanteler ».
La réforme des retraites, et les autres atteintes annoncées au système de protection sociale, pourront-t-elle enclencher de fortes dynamiques dans la rue ? « Parfois, il y a de grands thèmes comme ça qui ne mobilisent pas. Et parfois, on ne s’y attend pas, mais il y a un ras-le-bol qui s’accumule, et une seule goutte d’eau fait tout déborder », philosophe Jean-François, en arrivant sur la place de la Comédie où s’achève le 1er mai montpelliérain.
sur https://rapportsdeforce.fr/
Une quinzaine de militants d’extrême droite ont attaqué la manifestation du 1er mai à Angers, dénonce dans un communiqué de presse l’Union syndicale Solidaires du Maine-et-Loire. Une affirmation confirmée par la publication hier soir d’une vidéo revendiquant l’agression, postée sur le canal Telegram sur lequel les militants d’extrême droite affichent leurs actions violentes.
Selon le syndicat Solidaires, « une première provocation a eu lieu au début de la manifestation à 11 h. Les marches de l’Église Notre-Dame-des-Victoires située sur cette même place Imbach (lieu de départ du défilé) étaient alors occupées par les nervis de l’extrême droite locale. » Une heure plus tard, au retour de la manifestation sur la place Imbach, les militants d’extrême droite, toujours présents, ont chargé le cortège avec à leur tête, selon Solidaires, le porte-parole de l’Alvarium, un groupuscule local dissous en novembre dernier par décret du ministre de l’Intérieur.
Si les assaillants ont été repoussés par les manifestants, puis les forces de l’ordre comme le montrent les images, cette attaque dirigée contre un défilé de la journée de lutte des travailleurs à Angers est un signe, un de plus, d’une recrudescence des actions violentes de l’extrême droite.
publié le 25 avril 2022
par Ivan du Roy sur https://basta.media/
Emmanuel Macron a été réélu en partie grâce à l’électorat de gauche par devoir antifasciste. Après avoir évité le pire, il s’agit désormais de s’atteler à proposer le meilleur : une réelle alternative aux législatives de juin.
« La vraie bonne nouvelle, c’est la fin de la campagne présidentielle la plus raciste de l’histoire », a commenté l’avocat Yassine Bouzrou, habitué à défendre les personnes victimes de violences policières arbitraires [1]. Le « barrage » à l’accession au pouvoir de l’extrême droite a tenu, mais à quel prix ? Le délire raciste du « grand remplacement » s’est répandu jusque dans les rangs de la droite républicaine ; pendant des mois, l’extrême droitisation du débat a été allègrement relayée par certaines télévisions ; Marine Le Pen et son projet d’exclusion et de régression sociale ont été banalisés comme jamais ; les questions d’intérêt général ont été reléguées à quelques maigres débats.
Bien que défaite, l’extrême droite gagne du terrain
Pour la troisième fois en cinq élections présidentielles, l’extrême droite a accédé au second tour. Et pour la première fois elle dépasse la barre des 40 %, gagnant 2,6 millions de voix par rapport au scrutin précédent, arrivant en tête dans 30 départements (dont les cinq d’Outre-mer) contre deux en 2017. Marine Le Pen recueille près de 8 millions de suffrages supplémentaires par rapport à son père en 2002. C’est dire l’état du pays, quand plus de 13 millions d’électeurs et d’électrices sont prêts, par adhésion, par colère, par relativisme ou par totale défiance, à faire le choix de l’extrême droite. Seize millions d’abstentionnistes et votants blancs ou nuls ont refusé de se prêter à ce dilemme cornélien.
Macron ne doit sa réélection qu'à 5,5 millions de voix d'avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002
En face, Emmanuel Macron ne doit sa réélection qu’à 5,5 millions seulement de voix d’avance sur Marine Le Pen. Il en comptait 10 millions de plus en 2017, et Jacques Chirac 20 millions face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Voilà la tendance lourde qu’il va nous falloir contrecarrer, à moins de continuer à marcher, tels des somnambules, vers le désastre annoncé.
Emmanuel Macron a perdu deux millions de voix par rapport à 2017 (58,5 % des suffrages exprimés contre 66 % il y a cinq ans). Il ne recueille que 38,5% des voix, si l’on prend en compte l’ensemble des inscrits – l’un des plus bas socles électoraux sous la 5e République. Il ne doit ce second mandat qu’au douloureux report d’une grande partie de l’électorat de gauche, dont le niveau d’abnégation est à saluer. Pensons aux enseignants, aux soignants, à celles et ceux qui font malgré tout tourner les services publics, aux salariés, ouvriers, agriculteurs qui assurent la production de richesses et qui n’ont pas cédé aux sirènes de l’extrême droite, aux étudiants appauvris, tous et toutes largement méprisés pendant le premier quinquennat.
« J’ai conscience que ce vote m’oblige », a déclaré le président de la République devant ses partisans réunis sur le Champ de Mars, à Paris, le soir du 24 avril. À quelques centaines de mètres de là, les premières grenades lacrymogènes du quinquennat étaient tirée sur des manifestants, autour du Châtelet ou de la place de la République. On sait le peu de crédit que l’on peut placer dans la parole macronienne. D’autant que le discours présidentiel du 24 avril est aussi creux qu’un powerpoint réalisé par un cabinet de conseil grassement rémunéré : « Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux au service de notre pays, de notre jeunesse », a-t-il lancé, au terme d’une campagne où le président sortant a refusé tout débat – sauf avec l’extrême droite – et tout véritable bilan critique de son premier quinquennat.
À gauche, la nécessité absolue de refonder une dynamique
Malgré ce sinistre contexte, les électeurs et électrice de gauche « ont fait le job ». Ils et elles ont, au premier tour, redonné quelques couleurs à la possibilité d’une véritable alternative entre le néolibéralisme méprisant du président sortant et la société d’exclusion et de discrimination souhaitée par Le Pen. Le « bloc de gauche » y a progressé de plus d’un million de voix, malgré ses divisions, malgré les ralliements opportunistes au macronisme, malgré les entraves médiatiques, malgré l’absence de débat de fond. Au second tour, en dépit du coût « moral », ils et elles ont largement contribué à ne pas donner donner les clés du pays à l’extrême droite.
La vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans
Désormais, c’est aux états-majors des partis de gauche – Union populaire et insoumis, écologistes, communistes, socialistes, anticapitalistes – de prouver leur sens des responsabilités. Cela semble plutôt en bonne voie, un accord national en vue des élections législatives de juin est en train de se négocier pour éviter un mortifère éparpillement des candidatures. Objectif : imposer, au mieux, une cohabitation à Emmanuel Macron, ou, au minimum, renforcer de manière conséquente le nombre d’élus combatifs (la gauche, dans toutes ses composantes, ne comptait qu’un peu plus d’une soixantaine de député sur 577, 28 socialistes, 17 insoumis, 15 communistes, une poignée de non inscrits). Reste à sortir de l’entre-soi pour poursuivre la dynamique naissante, à convaincre un électorat lassé qui risque de s’abstenir, à montrer que des changements concrets, au-delà des beaux slogans, sont encore possibles. Ce ne sera pas une mince affaire.
Il n’y a pas que les partis : la vie démocratique et la possibilité de construire des alternatives ne se résument pas à une frustrante tragédie électorale tous les cinq ans. Les syndicats, les associations petites ou grandes, les collectifs de lutte, bref, toutes les forces œuvrant pour l’émancipation individuelle et collective, ont également leur rôle à jouer. Elles doivent, elles aussi, sortir d’un relatif entre-soi et s’ouvrir. En parallèle, nombre de citoyens doivent ré-apprendre à s’en servir et à s’y engager. Ce sera bien moins pénible et bien plus enthousiasmant que devoir s’infliger une nouvelle corvée électorale d’ici cinq ans. Avec un risque accru de se conclure tragiquement.
publié le 25 avril 2022
Florent LE DU sur www,humanite,fr
Selon l’historienne Ludivine Bantigny, des leçons doivent être tirées pour enrayer la croissance électorale de Le Pen et consorts. Ludivine Bantigny Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Rouen-Normandie
Jamais l’extrême droite française n’a été aussi forte depuis la Libération. Le soulagement de la défaite de Marine Le Pen ne peut faire oublier ce terrible constat. Face à un camp extrémiste qui n’en finit plus d’être normalisé et de progresser, le combat d’idées devient de plus en plus difficile mais d’autant plus nécessaire. Pour l’universitaire Ludivine Bantigny, coautrice de l’essai Face à la menace fasciste (Textuel, 2021), cette lutte doit être menée à deux niveaux : démonter sans relâche les impostures du RN et y opposer une autre alternative.
Marine Le Pen a réuni plus de 13 millions de voix au second tour. Malgré la défaite, cette présidentielle peut-elle être vue par l’extrême droite comme une victoire ?
C’est forcément une petite victoire. Ses thèses se sont encore plus banalisées pendant cette campagne, au point que Marine Le Pen puisse se faire passer pour une modérée. Et son score progresse. Des digues sont encore tombées dans l’entre-deux-tours. Des journalistes se sont même demandé si elle était vraiment d’extrême droite, de supposés intellectuels ont soutenu que non… Quant aux résultats, l’extrême droite atteint désormais un score d’autant plus terrorisant qu’on finit par s’y accoutumer. Cette progression paraît même parfois inéluctable, même si on peut et doit encore se battre pour qu’elle cesse. Les législatives seront une étape importante, avec le danger que l’extrême droite soit plus puissante politiquement, puisse se montrer parfaitement légitime dans le système et faire la démonstration qu’elle est prête à prendre le pouvoir.
Quand l’extrême droite est à ce point normalisée, comment peut-on la faire reculer ?
D’une part, il y a sans doute un travail journalistique qui doit être intensifié. Ce n’est pas acceptable que l’extrême droite argumente sans véritable contradiction comme aujourd’hui. On ne peut hélas plus vraiment compter sur ces médias détenus par des puissances d’argent. Ceux qui gardent une indépendance ont donc un travail immense à faire. Un travail d’explication du véritable projet de Le Pen, d’enquête aussi sur l’appareil du RN, ses cadres, à quelles idéologies ils se rattachent, leurs prises de décision… Il y a finalement, dans l’Histoire, assez peu d’exemples d’une extrême droite qui progresse mais a su être repoussée à temps. Au moment de l’affaire Dreyfus, elle était très haute et a pu être combattue par la construction d’une gauche forte. On peut penser aussi au Front populaire, qui a affaibli les ligues, bien qu’elles soient réapparues ensuite. Étant donné le cynisme des politiques actuellement menées et leur violence, il paraît compliqué d’imaginer que l’extrême droite va reculer. Mais la gauche peut progresser et montrer qu’il y a une autre alternative.
Le score relativement élevé d’une gauche de rupture au premier tour et la perspective d’un rassemblement pour les législatives constituent-ils des motifs d’espoir ?
Cette gauche de justice sociale doit devenir puissante, enthousiasmante. L’Union populaire a su convaincre grâce à un programme bien construit, avec un mélange de tradition réformiste, au sens vrai et fort du terme, et des traits d’anticapitalisme. La gauche doit savoir parler d’alternative, montrer que ce n’est pas en désignant des boucs émissaires que la situation va s’arranger. Parler à toutes les catégories populaires également : il existe encore un fort mépris de classe envers des personnes qui se tournent vers Le Pen parce qu’elles sont dans des situations de détresse sociale terribles. Pour trouver une puissance collective, l’unité est également très importante. La perspective d’avoir une opposition rassemblée, forte, à défaut de cohabitation, redonne de l’espoir. On a vu ces dernières années des députés de gauche qui savent se battre, proposer des alternatives. Avec l’appui des mobilisations sociales, il y a besoin de cette gauche pour montrer qu’une autre voie est possible.
Quel rôle peuvent avoir les mouvements sociaux dans la lutte contre l’extrême droite ?
Un mouvement social est l’occasion pour chacun de prendre la parole, de se sentir légitime à s’exprimer, à montrer sa réalité sociale. Cela permet aussi de créer des solidarités, de mettre des mots sur des colères et de sortir des gens de l’isolement. C’est fondamental car le RN se nourrit de ce désespoir et de cet isolement. Le mouvement des gilets jaunes n’était pas homogène politiquement, mais, partout où c’était possible, les discussions ont aussi consisté à contrer les idées de l’extrême droite, et sur les ronds-points beaucoup ont été convaincus. C’est par la lutte que les progrès sociaux peuvent arriver et qu’on peut montrer que les idées du RN n’apportent en réalité aucune réponse aux contestations. Le mouvement social est un moment de clarification.
publié le 23 avril 2022
edito de l’Actu Hebdo CGT sur https://r.newsletter.cgt.fr/
Enfant, j’écoutais avec attention les histoires de mon grand père, soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. À l’école, je découvrais les mécanismes de la montée du fascisme et les horreurs de la guerre.
Puis, dans mon parcours militant à la CGT, j’ai rencontré d’anciens résistants. J’écoutais Cécile Rol Tanguy m’expliquer, avec humilité, comment elle cachait “juste” – ce sont ses mots – des armes dans le landau de son bébé.
Comme de nombreux militants, je me suis souvent posé la question : moi, qu’aurais-je eu le courage de faire ?
Je n’ai jamais connu de situation aussi extrême… J’espère ne jamais en connaître. Mais cette histoire, ces histoires individuelles, font souvent écho à mon engagement quotidien.
Être là, ne pas se taire, sacrifier une journée de salaire ou encore glisser une enveloppe dans une urne pour barrer la route à l’extrême droite...
Ces gestes peuvent apparaitre dérisoires au regard de ce passé ou de ce qui se passe sur la planète. Pourtant, réunis, ils permettent de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société où nous pouvons vivre et lutter tous ensemble.
Alors, dimanche j’irai voter. Et lundi, quoi qu’il advienne, je poursuivrai le combat.
Plus que jamais, j’irai préparer le 1er mai, convaincre mes collègues d’aller manifester pour la paix, de meilleurs salaires et pour une retraite à 60 ans pour tous.
publié le 23 avril 2022
Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr
Il y a cinq ans, une partie de l’électorat de gauche refusait de voter Macron au second tour de l’élection présidentielle, en raison de profonds désaccords politiques. Cinq ans plus tard, ces abstentionnistes font le chemin retour vers les urnes, afin d’éviter le possible accident électoral en faveur de Marine Le Pen.
Quelques jours après le premier tour, Mediapart a donné la parole aux électeurs et électrices, ayant le plus souvent voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour et qui s’apprêtaient à s’abstenir ou voter blanc pour le second. Dans un contexte de grande incertitude, incertitude qui perdure après le débat en demi-teinte entre Macron et Le Pen mercredi 20 avril 2022, la question des reports de voix de l’électorat de gauche reste l’une des clés du scrutin présidentiel.
Mais d’autres citoyennes et citoyens, souvent engagé·es politiquement ou dans le domaine associatif, prennent au contraire 2022 à rebours de 2017. Ils et elles se sont abstenu·es, et sans regret, il y a cinq ans, mais iront voter Macron cette fois-ci. Certain·es le clament même haut et fort, pour convaincre. Dans ces témoignages se lit bien sûr la peur de l’extrême droite, une colère intacte contre l’actuel président de la République, mais également plusieurs des fractures de la société, qui resteront béantes après le 24 avril.
Sarah*, fonctionnaire, votera Macron « sans aucun état d’âme »
« En 2017, j’ai voté blanc au second tour, pour la première fois de ma vie. Cela a été un tournant dans ma pratique du vote, clairement. J’ai compris que je pouvais ne pas choisir quand l’offre ne me convenait pas. Il faut dire que, vu mon âge, je n’ai pas voté en 2002 et qu’ayant grandi dans le Val-de-Marne, la gauche était le plus souvent au second tour. Dans l’entre-deux tours, en 2017, tout le monde avait cette discussion avec tout le monde, je me suis même disputée avec ma mère. Mais j’étais sûre de mon choix et je ne l’ai pas regretté. Depuis, aux élections locales et intermédiaires, je me suis abstenue plusieurs fois, quand le second tour se jouait à droite uniquement.
En 2022, je vais choisir le bulletin Macron sans aucun état d’âme, sans affect, car cette pratique de l’abstention m’a en quelque sorte libérée. Je mets moins de choses dingues dans un bulletin. Au premier tour cette année, j’ai voté Mélenchon après avoir passé cinq ans à me plaindre de la ligne stratégique de La France insoumise, simplement car c’était la première force à gauche. Le choix de ce second tour est tout aussi pragmatique, car les sondages ne donnent pas un gros écart entre Macron et Le Pen, or je veux sûre qu’elle ne passe pas.
L’ambiance médiatique, politique, est également différente. Il y a aujourd’hui effectivement trois blocs, un bloc autour de Macron, un bloc de gauche et un bloc d’extrême droite. La prise de pouvoir est possible aux législatives, avec une alliance entre le Rassemblement national, Reconquête! de Zemmour et la droite des Républicains. C’est ce qui me fait peur. Mais rien n’a donc changé dans mon rapport à Macron. Il a été président pendant cinq ans, je sais à quel point je suis opposée à son programme et à quel point il m’insupporte.
Ma volonté, c’est aussi qu’il y ait le plus d’écart possible entre les deux pour que passe le message de la spécificité du Rassemblement national, y compris vis-à-vis de mon camp politique. Même si, paradoxalement, je suis très contente de la position de Mélenchon, comme en 2017. Je vais voter Macron sans même y réfléchir, mais c’est très simple pour moi de comprendre pourquoi on ne peut pas. »
Mélanie, journaliste, votera pour la première fois au second tour depuis 2002
Ancienne militante à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), « fondamentalement d’extrême gauche », engagée dans le secteur associatif, Mélanie a participé à la manifestation contre l’extrême droite, dimanche 17 avril 2022 à Paris, avec cette pancarte qui résume sa position : « To do list : 24 avril, battre Le Pen ; 1er Mai dans la rue ; législatives, battre Macron. »
« En 2002, j’ai pris un bulletin Chirac sur lequel j’ai écrit “ni facho ni escroc”, un vote nul, à destination de celui qui dépouille ou des historiens. En 2017, je savais déjà qui était Macron, je connaissais son pedigree, je ne voulais absolument pas voter pour lui. Toute la journée de dimanche, j’étais mal quand même… Je suis mariée avec un Sénégalais – il a la nationalité française maintenant et va voter Macron –, nos enfants sont métis. Je ressentais un peu d’angoisse mais le rapport de force permettait que je vote blanc. Le lendemain de l’élection, il y a eu une manif contre le nouveau président à Paris, j’y suis allée, mais j’avais le dos bloqué, impossible de tourner la tête à gauche, ça m’a marquée !
Cette année la question s’est très peu posée. Je suis hyper inquiète. Même si les sondages disent que l’écart se desserre, je ne suis pas rassurée. J’ai même une copine, avec qui j’ai milité pourtant auprès des migrants, qui m’a annoncé qu’elle ne souhaitait pas la victoire de Macron contre Le Pen ! Mon vote ne sera pas un blanc-seing, et je sais bien qu’Emmanuel Macron va s’asseoir dessus. »
Guillaume Floris, bibliothécaire, syndiqué à la FSU, refuse le scénario hongrois ou brésilien
Il y a cinq ans, pas question pour ce militant insoumis de voter Macron. Pour le second tour de 2022, son positionnement a changé. Guillaume Floris a participé activement aux deux campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon, entre Montreuil et Poitiers.
« En 2017, je pensais sincèrement qu’il n’y avait aucun risque que Marine Le Pen gagne, et donc pas question en plus de cautionner la politique libérale et ultra autoritaire d’Emmanuel Macron, qu’on avait connu comme ministre de l’économie au moment de la loi Travail, sous François Hollande.
Ces cinq dernières années, je me suis dit que je ferais pareil. Ce sont les dernières semaines qui m’ont fait changer d’avis. Les sondages, bien sûr, mais aussi ce que je sens autour de moi. J’ai participé à de nombreuses manifestations de gilets jaunes ces dernières années et, dans ces réseaux, des gens ont basculé dans un vote viscéralement anti-Macron. Syndicalement, c’est la même chose, la politique économique “euphémisée” du précédent quinquennat, nous nous la sommes prise en pleine poire sous ce mandat. Et il annonce encore des mesures sociales terribles pour les cinq ans à venir.
J’entends dans ces deux milieux deux choses : des gens qui assument d’aller voter l’une contre l’autre, ou des silences, parfois éloquents. À ceux qui hésitent, je demande qu’on regarde ce qui se passe en Hongrie, au Brésil, le déchaînement des violences sociales et racistes. Cette année, Viktor Orbán a gagné pour la troisième fois en écrasant toute l’opposition unie. Il l’a pliée comme jamais car pendant les deux derniers mandats, il a réussi à mettre au pas les médias et la justice. On ne prend pas ce risque-là.
Il n’y a pas de désaccord entre ma position et celle de La France insoumise, auprès de laquelle je milite. L’introduction de la consultation des militants et militantes à ce sujet était très claire, il n’y a pas de maux pires que l’extrême droite. Mais il y a aussi une préoccupation dans ce choix de ne pas donner de consigne de vote, d’entendre que c’est une violence terrible de glisser un vote Macron pour certains, pour les éborgnés, pour les parents des enfants qu’on a mis à genoux, les mains sur la tête, à Mantes-la-Jolie. »
Pour Yasmina Kettal, infirmière, le « risque est plus grand car la société est à genoux »
Cette habitante de Saint-Denis, membre du collectif Inter-Urgences, très engagée, fut la présidente d’un jour de Mediapart le 31 janvier 2020. Yasmina Kettal était également présente dans la manifestation qui a tenté d’approcher Emmanuel Macron, lors d’un de ses rares déplacements de campagne, dans la commune de Saint-Denis (93), le 21 avril 2022, pour lui faire entendre les critiques sur sa politique sociale.
« J’ai changé d’avis, par rapport à 2017, par peur, il n’y a pas d’autres mots. À la fois du score de Marine Le Pen au premier tour, mais aussi parce que de plus en plus de gens, épuisés par les cinq années passées au pouvoir d’Emmanuel Macron, n’iront pas voter. Je comprends tout à fait ce refus de faire barrage : c’est comme à l’hôpital, nous prenons des coups toutes les cinq secondes, et c’est encore à nous de faire tenir l’édifice quand il va mal ! Mais j’habite en banlieue parisienne, je suis une Arabe. Pour moi et les miens, le danger avec Marine Le Pen est bien plus grand. S’il faut se salir les mains, je m’en tape. Oui, Macron a fait et dit des choses autoritaires, dangereuses, islamophobes, mais il n’est pas issu d’un parti nazi, qui a un programme affiché xénophobe, qui pour nous les binationaux est une terrible menace. Avec Marine Le Pen, tout sera permis.
Le risque est plus grand aussi parce que la société est à genoux ! En réalité, ce qui m’inquiète, ce ne sont pas les millions de personnes qui ont voté pour elle, mais surtout de ne pas être sûre que nous pourrons en face résister. Parce que ceux qui le faisaient à gauche sont épuisés, mais aussi parce que la masse n’a plus la capacité de résister.
Je vois bien, dans les milieux militants, que cette question fait débat : j’en conclus qu’on n’a pas la même vie ni les mêmes craintes. Là où je vis, on attend moins des politiques qu’ils changent notre vie, peut-être. Nous sommes bien au-delà de l’amertume, c’est quasiment de la survie.
Alors, entendre parler des législatives, du premier ministre, alors qu’on est tous morts de trouille, je ne comprends pas bien, même si je ne saisis pas tout des stratégies politiques. Concentrons-nous sur dimanche. Je trouve cela décalé et ça m’a un peu intriguée, pour le dire poliment. Je pense aussi que les consignes de vote sont parfois contreproductives, mais déjà si on pouvait parler de la victoire de Marine Le Pen comme d’un risque potentiel et problématique, cela me rassurerait.
J’ai vécu le Covid, première version, en Seine-Saint-Denis, dans l’un des hôpitaux les plus touchés par le virus, je vomis Macron à cause de ce qu’il nous a fait subir, mais vraiment, on n’a pas le choix. »
Omar Slaouti, élu d’opposition à Argenteuil (Val-d’Oise), refuse de passer d’une « sorte de racisme d’État à un État raciste »
Dans Mediapart, Omar Slaouti expliquait en 2017 les raisons de son abstention, pour « casser le cercle vicieux entre fascisme et néolibéralisme ». Cinq ans plus tard, le coauteur du livre Racismes de France, a rejoint avec d’autres militant·es des quartiers populaires l’initiative On s’en mêle, qui appelait à voter Mélenchon au premier tour, et Macron au second.
« Nous sommes un certain nombre à penser qu’il y a une différence de nature entre Macron et Marine Le Pen. L’un a largement aidé au processus de fascisation, via des dispositifs institutionnels comme la loi Séparatisme, l’autre est prête à graver dans le marbre de la Constitution la discrimination raciale et religieuse. On passerait en somme d’une sorte de racisme d’État à un État raciste.
Cette grille de lecture a été bien perçue dans les quartiers populaires, où le vote Mélenchon au premier tour était déjà un vote de raison et de sauvegarde. Il traduisait une adhésion à un partage des richesses, une société plus alerte sur les questions écologiques, mais aussi et parfois surtout un choix pour mettre fin aux propos et lois discriminatoires.
Et pour le second tour, il n’y a aucune raison que cette grille de lecture puisse se dissoudre. Si on veut le dire un peu vite, le vote blanc semble compliqué pour les non-Blancs car on joue notre peau, dans la période. Tout Français que nous sommes après la deuxième ou troisième génération, nous avons encore des familles qui ont une carte de résidence de dix ans et qui pourraient tout perdre, pour ne rien dire des sans-papiers et des migrants. On se rappelle aussi que nous avons eu un projet de déchéance de nationalité sous une présidence socialiste, qu’est-ce qui se passerait sous Le Pen ?
Contrairement à 2017, la crise institutionnelle est telle que celles et ceux qui nous gouvernent ont perdu toute crédibilité, l’abstention est souvent massive et donc les choses les plus obscures peuvent poindre. C’est beaucoup plus grave qu’il y a cinq ans, y compris parce que la construction d’un “ennemi intérieur” sous le macronisme laisse des traces.
L’extrême droite au premier tour, en comptant tous ses candidats en lice, a réalisé un score faramineux. Il y a une adhésion. Le seul ruissellement sous ce quinquennat auquel on a assisté, c’est celui de la discrimination, du racisme. Ça a si bien fonctionné que les Le Pen et Zemmour ont tiré les marrons du feu.
Il y a différentes logiques qui entrent en jeu dans ce second tour, et elles ne sont pas concurrentes. Si on parle de la tactique de Mélenchon, par exemple, elle répond à des logiques qui consistent à ne pas froisser, ne pas fissurer le cadre unitaire qui s’est constitué autour de lui. D’où nous parlons, nous avons les coudées plus franches, et nous pouvons parler plus cash.
Ce qui est sûr, c’est que tout ira plus vite, plus fort si Le Pen passe. C’est cette accélération de l’histoire qui nous fait dire qu’il va falloir avec beaucoup de difficulté voter Macron. Ce n’est pas un vote d’adhésion mais de raison, et il va nous permettre de nous compter. On peut jouer un troisième tour social, et au-delà pérenniser un bloc de gauche fort aux législatives. »
publié le 22 avril 2022
Par Kamelia Ouaissa sur https://www.bondyblog.fr/
Cette élection présidentielle est la première pour notre contributrice Kamélia Ouaissa. Mais après une campagne fantôme, marquée par l'absence de débats d'idées et la primauté l'extrême-droite, l'heure est maintenant venue de faire un choix pour le second tour. Alors que Marine Le Pen n'a jamais été aussi proche d'accéder au pouvoir, notre contributrice ne peut se résoudre à l'idée de lui laisser la chance de nuire aux plus fragiles. Edito
Après la tristesse, la déception puis la colère, c’est la peur et la confusion qui prennent place. Au lendemain des résultats du premier tour et même si la pilule est encore difficile à avaler, il faut réfléchir à quoi faire. Je me suis demandée si, au final, mon vote pouvait vraiment faire pencher la balance, pire encore si mon rôle de citoyenne avait, encore, une réelle valeur en France. Voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite ou ne pas voter et laisser une potentielle voix gratuite au fascisme.
Inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention, une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.
Je ne voulais pas que ce dilemme se pose une nouvelle fois, 5 ans après. Il est cependant inconcevable de laisser, par le vote blanc ou l’abstention, une possibilité à l’extrême droite d’être au pouvoir.
Peur d’être considérée comme française de seconde zone. Peur de l’État de non-droit dans lequel les résidents étrangers, les exilés, les musulmans et musulmanes visibles seront. Peur pour nos libertés d’expression, de culte, d’opinion, de conscience, ou de manifestation. Il va donc falloir aller voter pour le bourreau social de ce quinquennat et ce pour éviter à une Le Pen de diriger mon pays.
Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours, je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de ‘trop molle’.
Cette élection se résume à un vote simple : voter pour le moins pire des pires, voter pour éviter la catastrophe. J’ai peur que le résultat de mon vote soit dévastateur. Mais je suis terrifiée que le Rassemblement National prenne le contrôle d’une laïcité déjà mise à mal. Une présidence qui mènerait vers tant de nouvelles discriminations avec une islamophobie accentuée lors de ce quinquennat. Malgré tout ce que veulent nous faire croire Gérald Darmanin et Emmanuel Macron depuis l’entre-deux tours. Et je n’oublierai pas que le Ministre de l’Intérieur avait qualifié Marine Le Pen de “trop molle” quand il s’agissait de laïcité.
Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.
À 20 ans, ma première élection est aussi ma première expérience du « devoir de citoyenneté ». Je n’imaginais pas que ce vote soit aussi douloureux tant sur un plan humain que psychologique. Mon devoir citoyen a laissé place à l’urgence sourde contre la montée de l’extrême-droite provoquée par celui-là même qui était au pouvoir.
La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.
Le barrage à l’extrême droite repose principalement sur l’envie de protéger les miens, ceux qui me ressemblent, d’un sort qui pourrait leur être fatal. La préférence nationale prônée par Marine Le Pen, pour l’accès aux droits les plus élémentaires comme le logement, la protection sociale, ou l’emploi, m’empêche de laisser faire.
Ce qui est sûr c’est que les cinq prochaines années vont être douloureuses. Parce que je suis une jeune femme, maghrébine, musulmane, habitante d’un quartier populaire et issue d’une famille modeste.
Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.
Tout se profile à devenir de plus en plus compliqué au cours de ce prochain quinquennat, qui nous promet entre autres un RSA sous condition de travail, une retraite à 65 ans, alors qu’à 62 ans, 25% des Français les plus pauvres sont déjà morts.
On va continuer à protester, se mobiliser, regrouper tout ce qui est à notre portée pour se faire entendre. Ne pas faiblir c’est un peu l’idée. Mon vote sera celui qui me permettra de moins souffrir et cette idée est déjà compliquée à imaginer.
Kamelia Ouaissa
publié le 19 avril 2022
Petrs Borel professeur de français en lycée sur https://blogs.mediapart.fr
Je ne voterai pas Macron ce dimanche. Il ne s'agit nullement d'une manifestation de colère ou de dégoût mais d'un choix mûrement réfléchi dont je tiens à rendre compte pour répondre à ceux qui penseraient qu'une telle décision serait irresponsable.
Je ne voterai pas Macron dimanche. Et je tiens à préciser tout de suite que ma décision n’est pas l’expression d’un mouvement de colère ou de dégoût face à la politique de l’actuel locataire de l’Elysée mais résulte d’un choix mûrement réfléchi reposant sur une réflexion parfaitement rationnelle dont j’entends m’expliquer ici, non dans le but de convaincre qui que ce soit, mais pour qu’on ne considère pas que ma décision serait irresponsable.
Commençons d’abord par clarifier un point précis : je ne mets pas un signe égal entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Je sais que la politique de la première, si tant est qu’elle puisse la mettre en œuvre, serait pire que celle du second. Et pourtant ce n’est pas ce qui peut me convaincre de mettre un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas suffisant, dans l’époque troublée où nous vivons, d’éviter momentanément le pire. Il faut réfléchir à long terme si on ne veut pas se retrouver dans cinq ans confrontés aux mêmes problèmes qui, s’ils ne sont pas réglés, reviendront encore et encore.
Je n’avais déjà pas voté Macron au deuxième tour de l’élection de 2017. Pour deux raisons. La première peut être considérée comme irrationnelle, elle reposait sur l’intuition, vague mais persistante, que Macron n’était pas le gentil démocrate qu’il avait l’air d’être et que derrière la figure du gendre idéal se cachait en réalité un personnage autoritaire ayant une conception verticale du pouvoir. La deuxième, parfaitement rationnelle quant à elle, reposait sur l’idée que la politique néolibérale qu’il entendait mettre en œuvre allait mécaniquement faire augmenter le taux de mécontentement dans ce pays et par là accroître l’assise électorale du Rassemblement national. Malheureusement, car j’aurais préféré que mes prévisions fussent fausses, je suis obligé de constater que sur ces deux points je ne m’étais pas vraiment trompé. Et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à supporter, durant la campagne de second tour de 2017, le discours infantilisant d’une bonne partie des médias à l’égard de ceux qui avaient fait le même choix que moi.
Confrontés à un choix qui est le même que celui que nous avons dû faire il y a cinq ans, il nous faut donc nous livrer à un peu de prospective. Imaginons que ceux qui représentent les forces progressistes, mettons les électeurs de gauche, ceux qui ont voté Mélenchon et quelques autres, votent tous pour Macron pour assurer sa réélection, que se passerait-il ? Il serait bien sûr réélu, dans la foulée obtiendrait une majorité à l’assemblée, et il continuerait, comme il l’a déjà annoncé, à mener une politique néolibérale de casse du service public, de destruction du code du travail, de stigmatisation des chômeurs et des précaires. Le taux de pauvreté continuerait à augmenter tandis que les milliardaires continueraient d’accroître leurs fortunes. Comment imaginer dans ces conditions que le problème de la montée de l’extrême-droite auquel nous croyions avoir momentanément échappé en votant Macron puisse se résorber ? Il ne fera au contraire que croître.
Pour savoir de quoi le paysage électoral de demain sera fait, il faut observer le paysage actuel : on a constaté lors du premier tour que l’électorat se divisait en trois blocs sensiblement égaux. D’une part un bloc de gauche progressiste et réformiste représenté par les votes LFI, EELV, PCF, d’autre part un bloc de droite néolibérale représenté par les votes EM et LR, et enfin un bloc d’extrême-droite représenté par les votes RN, Reconquête et Debout la France. La question qui nous intéresse est évidemment de savoir comment et dans quel sens peut évoluer ce rapport de force. On peut raisonnablement penser que le bloc néolibéral sortirait affaibli d’un deuxième quinquennat Macron. D’abord pour des raisons purement mécaniques de pyramide des âges : l’électorat d’Emmanuel Macron se recrute essentiellement chez les plus de soixante-cinq ans. Ces électeurs seront donc dans cinq ans moins nombreux.
Si on regarde bien les chiffres, ce bloc sort en réalité considérablement affaibli du premier quinquennat de Macron : en 2017, les scores cumulés de Macron et Fillon représentaient au premier tour 44 % des suffrages exprimés ; en 2022, les scores de Macron et Pécresse ne représentent plus que 32 % soit une baisse de plus de dix points. Le bloc de gauche progressiste, lui se maintient à peu près, progressant légèrement de 27 % à 29 %. Le seul bloc qui connaisse une progression significative est celui constitué par l’extrême-droite, il s’établissait à 27 % en 2017, il est dorénavant à 32 %.
Comme il n’est pas raisonnable de penser que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, on peut imaginer que dans cinq ans, nous aurons un recul du bloc néolibéral, une légère progression du bloc de gauche progressiste et une forte augmentation du bloc d’extrême-droite. La question est de savoir dans quelles proportions. Imaginons qu’au deuxième tour le bloc néolibéral soit éliminé. On se retrouverait donc avec un second tour entre la gauche et l’extrême-droite. On le sait le barrage républicain fonctionne à gauche, assez peu à droite. Peu de chance donc que le bloc néolibéral se mobilise en faveur du bloc progressiste et social, ce qui donnerait toutes les chances à l’extrême-droite de remporter l’élection. Et le rapport de force ne serait pas le même qu’aujourd’hui.
Imaginons maintenant que Marine Le Pen soit élue en 2022. Les forces de résistance à l’extrême-droite sont encore vives dans le pays. On peut raisonnablement parier sur le fait que les électeurs s’opposant au RN se mobilisent pour les législatives. Et il suffit de regarder la carte électorale des résultats du premier tour pour constater que Marine Le Pen n’arrive en premier que dans une quarantaine de départements et encore parfois d’une courte tête devant Emmnuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Il serait donc pour elle particulièrement difficile, voire impossible d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.
Nous nous retrouverions confrontés comme cela a déjà été le cas dans la cinquième République à un gouvernement de cohabitation. Mieux, il se pourrait qu’aucun des groupes parlementaires n’obtienne la majorité absolue, ce qui forcerait la présidente de la République à former un gouvernement de coalition. Il y aurait donc pendant cinq ans une forme de statu quo qui n’engagerait pas les réformes économiques et écologiques annoncées par la France Insoumise, mais qui ne se livrerait pas non plus à la casse sociale promise par Emmanuel Macron. On serait donc dans la politique du moindre mal. Une telle situation permettrait de surcroît de clarifier les positions de chacun, les débats à l’assemblée et au sein du gouvernement permettant à l’ensemble des citoyens de se faire une opinion sur les différentes options proposées, ce qui, généralement, se révèle favorable à la gauche.
Certes, me dira-t-on, mais pourquoi serait-il préférable que cette situation arrive maintenant plutôt que dans cinq ans ? Parce que, comme je le disais, dans cinq ans le rapport de force ne sera plus le même. Emmanuel Macron à l’orée de son quinquennat promettait d’être un rempart contre l’extrême-droite. Cinq ans ont passé et on a pu constater que l’actuel président ne s’est pas contenté d’être une passoire face au fascisme mais qu’il s’est révélé être une passerelle. Nous nous sommes habitués à l’intolérable, nous avons accepté l’inacceptable. Nous ne rappellerons pas les tentes de migrants lacérés, les mains arrachés, les yeux crevés, les morts, parce qu’il faut le souligner, le régime sous lequel nous vivons tue et a tué. Faut-il évoquer les discours de plus en plus droitiers qui trouvent notamment Marine Le Pen « un peu molle », la dérive autoritaire sans précédent qui fait de la France selon les observateurs internationaux « une démocratie défaillante » ?
Et comment pourrait-il en être autrement ? Face aux contestations sociales des politiques qu’il met en oeuvre, le bloc néolibéral est entraîné dans une escalade sans fin vers toujours plus de répression et d’autoritarisme. À mesure que ses forces s’affaiblissent, il est obligé de s’adosser au bloc d’extrême-droite pour pouvoir maintenir son emprise sur la société. La police a été ainsi laissée en roue libre. L’extrême-droitisation des discours dans la sphère médiatique est ainsi devenue la norme au point que Jean-Luc Mélenchon, le seul homme politique d’envergure à ne jamais avoir cédé sur les principes républicains, a été taxé d’ambiguïté. Au point que la candidate d’un parti censément républicain reprenne à son compte l’expression de « grand remplacement ». Macron réélu, il n’y a aucune raison pour que cette fuite en avant s’interrompe. Les discours d’extrême-droite vont continuer à saturer l’espace médiatique et vont infuser encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait dans l’ensemble de la société.
Face à cela, quelle possibilité aurons-nous de répliquer ? Les syndicats ont été affaiblis, ils continueront à l’être. L’école pouvait jouer jusqu’ici le rôle de contre-pouvoir. Mais là encore, le travail de sape entamé avec Blanquer va se poursuivre et s’amplifier. On le voit déjà, les enseignants porteurs de valeurs de gauche sont menacés, ils le seront encore plus avec le pouvoir accru des chefs d’établissement et des directeurs d’école. L’école dans son ensemble va subir une caporalisation sans précédent où ceux qui prônent une éducation émancipatrice seront priés d’aller voir ailleurs et de dégager. Ce que nous annonce Emmanuel Macron a le mérite d’être assez clair : apprentissage dès la cinquième, augmentation des frais d’inscription à l’université. Le but évident est de transformer l’ensemble des classes populaires en employés corvéables à merci, surtout pas d’en faire des citoyens éclairés et émancipés.
Comment imaginer dans ces conditions qu’une conscience de gauche puisse émerger dans les jeunes générations qui obtiendront le droit de vote dans les cinq ans à venir ? Si l’on ajoute à cela la récente nomination d’un catho traditionaliste à la tête du conseil supérieur des programmes et le fait que la plupart des éditeurs de manuels scolaires soient tombés sous la coupe de Bolloré, le tableau a de quoi saisir d’effroi l’électeur de gauche.
On connaît la métaphore : plongée directement dans une casserole d’eau bouillante, une grenouille en saute immédiatement échappant ainsi à la mort. En revanche, plongée dans la même casserole d’eau tiède placée sur le feu, ses défenses s’affaiblissent progressivement et elle finit par mourir ébouillantée sans réagir. Emmanuel Macron nous amène inexorablement à nous habituer à l’inacceptable, il prépare ainsi bien plus sûrement la victoire idéologique de l’extrême-droite que pourrait ne le faire Marine Le Pen. Imagine-t-on la réaction des médias si Marine Le Pen avait fait en matière de répression ne serait-ce que la moitié de ce qu’Emmanuel Macron a accompli ? On imagine dorénavant l’argumentaire : « ce que nous faisons n’est pas pire que ce qu’Emmanuel Macron a fait ».
Arrivé à ce point de mon raisonnement, il convient d’envisager les principaux arguments que l’on pourrait m’opposer pour m’inciter à voter Macron. J’entends les examiner un par un afin de bien prouver que j’y ai réfléchi.
1. L’élection de Marine Le Pen encouragerait le passage à l’acte de factions d’extrême-droite qui prônent la violence.
Pas besoin d’être un observateur avisé pour se rendre compte que c’est, dans une large mesure, déjà le cas. On a pu assister à des appels au meurtre sur les réseaux sociaux sans que cela ne semble émouvoir grand monde. On assiste à des actions coups de poing contre des militants de gauche, les forces d’extrême-droite n’ont pas attendu l’élection de Marine Le Pen pour se manifester dans l’espace public. La question n’est pas tant de savoir si ces forces se manifesteraient que de déterminer quelle résistance la société serait en mesure de lui opposer. Mon analyse est qu’une élection de Marine Le Pen rendrait ces manifestations de force plus scandaleuse pour l’ensemble des médias et de l’opinion publique. Le rapport de force médiatique s’inverserait : l’extrême-droite redeviendrait l’ennemi puisqu’il s’agirait pour le bloc néolibéral de reconquérir le pouvoir, en s’alliant au besoin avec la gauche sociétale.
2. Marine Le Pen pourrait passer outre le pouvoir du parlement en utilisant le référendum pour imposer une modification de la constitution lui donnant davantage de pouvoirs.
Comme nous l’avons dit, le rapport électoral n’est pas favorable aux idées d’extrême-droite, on peut raisonnablement tabler sur le fait qu’une majorité de deux tiers des électeurs s’opposerait dans les urnes à un tel projet. Et comme nous l’avons dit, il y a des risques non négligeables que le rapport de force ne soit pas le même dans cinq ans.
3. Une fois au pouvoir, l’extrême-droite ne le lâche pas.
Sur quels exemples s’appuie-t-on pour étayer cette affirmation ? La Hongrie ? La Russie (si tant est que Poutine soit d’extrême-droite) ? Ce sont des régimes qui n’ont pas une culture démocratique bien ancrée et qui vivent dans la nostalgie d’une époque où leur place sur la scène internationale était liée à une forme de régime autoritaire. Les démocraties illibérales que sont en train de devenir la Turquie d’Erdogan et l’Inde de Modi ? Ces démocraties ont vécu pendant des années avec un parti dominant qui écrasait tous les autres et dont l’effondrement a permis l’émergence d’un pouvoir autoritaire marqué par l’intégrisme religieux. Si on veut comparer ce qui est comparable, il faudrait rapprocher la France d’autres pays semblables où l’extrême-droite a été amenée à exercer des responsabilités, soit l’Italie, l’Autriche ou encore les Etats-unis. On constatera que, dans ces trois exemples, l’alternance a eu lieu et que l’extrême-droite a été chassée par les urnes.
Fort de ce raisonnement et les principales objections qu’on pouvait lui opposer ayant été écartées, il conviendrait en toute logique que je ne me contente pas de ne pas voter Macron mais, comme certains électeurs de gauche comptent le faire, que j’aille jusqu’à poser un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. Je ne le ferai pas. Pour deux raisons. La première est viscérale : tout dans mon parcours et dans ma vision du monde m’oppose au projet porté par Marine Le Pen et je me refuse à lui apporter ma caution même dans une perspective purement tactique. La deuxième est que mon analyse repose sur une série de suppositions qui ne sont que des suppositions. Autrement dit je ne suis pas certain d’avoir raison. Et je pourrais difficilement me pardonner de m’être trompé.
Je me cantonnerai donc à m’abstenir (ou à voter blanc, je n’ai pas encore décidé) en vertu du raisonnement qui me semble le plus rationnel dans la circonstance présente : si Marine Le Pen est élue cette fois-ci, c’est qu’elle le sera dans une proportion encore plus large en 2027. Plutôt que de jouer le castor, il convient donc de tout mettre en œuvre pour que cette élection soit la moins nocive possible.
J’ajouterai pour finir que mon choix n’est pas définitivement arrêté. Ceux qui pensent que j’ai intérêt à voter Macron peuvent encore essayer de me convaincre. Mais il va falloir être plus convaincant que les partisans de cette option ne l’ont été jusqu’à présent. Je m’étonne du fait que ceux qui se présentent comme le camp de la raison essayent essentiellement de peser sur mes affects. Donc je vous le dis de façon à ce que ce soit clair : inutile de jouer la carte de la culpabilisation, je ne suis pas responsable de la montée de l’extrême-droite, inutile également de jouer sur la peur. J’aurai de toute façon peur quelle que soit l’issue du scrutin, mais c’est précisément parce que je ne me laisse pas dominer par la peur qui est souvent mauvaise conseillère que je ne voterai pas Macron ce dimanche. Maintenant si vous avez des arguments rationnels à faire entendre, je suis prêt à en tenir compte.
Un commentaire, parmi d’autres
Par Gil DELHOUME
Merci pour ces éclairages très bienvenus ; je partage votre argumentaire très solide . Personnellement je vais voter Macron parce-que mon fils et mes frères ont de bonnes têtes d'arabes . Si aujourd'hui la BAC les arrête , les tutoie et les rudoie sans vergogne quasi toutes les semaines , que sera leur quotidien sous un régime qui autorisera/encouragera une totale désinhibition ? Quel sera le sort de mes élèves irakiens et syriens séjournant en France depuis peu avec des statuts provisoires ?
publié le 19 avril 2022
Albin Wagener - Enseignant-chercheur en analyse de discours et communication sur https://blogs.mediapart.fr
L’Histoire est pleine de ces moments où les citoyennes et les citoyens, en légitime état d’exaspération, ont fini par faire de très mauvais choix pour de très bonnes raisons. Et dans l’ambiance politique délétère et inquiétante de ce mois d’avril 2022, si le pire n’est jamais certain, il reste néanmoins possible.
Que les choses soient claires : non, je ne vais pas m’évertuer à donner des leçons de morale ou des consignes de vote. Tout simplement parce que je pense que tout le monde est suffisamment grand pour faire des choix en pleine intelligence, et aussi parce que je pense comprendre les raisons des tentations qui se trouvent désormais devant nous. Oui, la gueule de bois est encore palpable, quelques jours après les résultats de cet abominable 10 avril. Oui, nous aurions aimé, pour beaucoup, un second tour différent, avec une affiche qui ne serait ni une redite de 2017, ni la résultante de la prophétie auto-réalisatrice des instituts de sondage.
La campagne a été dure et épuisante. Dans nos cœurs, les braises de la colère sont encore vives, et il faudra beaucoup de temps pour faire oublier les trahisons et les attaques incompréhensibles, et encore plus pour solder sereinement ce qui méritera d’être discuté. Mais il faudra le faire, pour ne pas finir comme la queue de comète d’un Parti socialiste qui aura, jusqu’au bout, préféré le déni et la bassesse à la lucidité d’une auto-analyse qui l’aurait honoré. Les forces de gauche en sont donc là, divisées mais présentes, face à l’affiche d’un second tour qu’on déteste profondément, pour des raisons objectives qu’il s’agira de regarder en face. Laissons le temps aux émotions, elles doivent s’exprimer. Mais faut-il pour autant que ces émotions nous encouragent à faire un choix irréversible, ce dimanche 24 avril 2022 ?
Ne nous leurrons pas : nous n’allons pas élire un président, mais choisir l’ennemi contre lequel nous allons nous battre pour les cinq prochaines années – sauf si un heureux sursaut de l’Histoire permet à l’Assemblée nationale de nous offrir l’une de ces inspirantes cohabitations dont elle a le secret. D’aucuns diront que cela a sans doute statistiquement peu de chances d’arriver si l’on regarde l’Histoire récente, mais ceci ne doit pas pour autant nous empêcher de lutter pour tout faire pour le matérialiser. Après tout, l’Histoire, c’est aussi écrire de nouvelles pages.
Choisir son ennemi constitue un art délicat. Le choix que nous avons en face de nous peut paraître cornélien : la perversion méprisante du néolibéralisme d’un côté, et la monstrueuse tentation du fascisme de l’autre. Et en cette période pré-fasciste, on sait à quel point il ne faut pas grand-chose pour que les mauvais choix se concrétisent et se matérialisent rapidement. D’un côté, nous pourrions donc reconduire un Président contre lequel nous avons appris à nous battre, qui a tout fait pour banaliser l’extrême-droite et installer la casse sociale et climatique comme mantra politique. Oui, si nous choisissons Emmanuel Macron, tout cela continuera, c’est indubitable. De l’autre côté, nous pourrions tenter le saut vers l’inconnu, se dire qu’après tout, on a jamais essayé, et que « foutu pour foutu », on va « faire péter » le système en envoyant un « message » en votant Marine Le Pen.
Sauf qu’il n’est pas si inconnu que ça, ce saut. Et sans aller effleurer les points Godwin trop évidents dont regorge le XXè siècle, il suffit de regarder les évolutions récentes au sein de plusieurs démocraties, pour se rendre compte de ce que voter pour un parti d’extrême-droite signifie, concrètement. Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro au Brésil, Viktor Orban en Hongrie, Vladimir Poutine en Russie, les frères Kaczynski en Pologne : les exemples sont nombreux et nous enseignent ce que nous sommes en droit de savoir avant de choisir. Avec, pour tous ces dirigeants, une constante qui n’aura échappé à personne : la tentation de modifier la loi et la constitution pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, le musèlement rapide de toute opposition, la persécution officielle des minorités et des communautés, et l’excitation de groupuscules qui finissent par agir comme des milices violentes, légitimées par un pouvoir qui les adoube tacitement.
Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ? Le programme du Rassemblement National, si sa lecture vous en dit, fait froid dans le dos. Et si Marine Le Pen semble s’être refait une virginité en tant qu’éleveuse de chats, surfant avec paresse et facilité sur une banalisation de ses idées servie, au hasard, aussi bien par CNews, Cyril Hanouna ou Karine Lemarchand, il n’en reste pas moins que ses lieutenants n’ont rien de divertissants personnages ; certains d’entre eux pourraient même faire passer Eric Zemmour pour un provocateur gentillet. D’abord, il convient de tordre le cou à ce qui n’est qu’une hypothèse fragile : le fait que Marine Le Pen, une fois au pouvoir, n’aurait de toute façon aucune majorité pour pouvoir gouverner. D’abord, cela n’est pas écrit, et ce jeu est particulièrement dangereux ; le jeu des institutions ne garantit ni risque de réécriture constitutionnelle par référendum (les chefs d’Etat que j’ai cités ont tous tenté d’en passer par là, d’une façon ou d’une autre), et l’Histoire récente de la Vè République montre à quel point les législatives offrent bien souvent une majorité confortable à la personne à qui l’on offre le mandat présidentiel.
Plus concrètement, cela signifie que les plus fragiles seront les premières victimes d’une politique économique qui, par ailleurs, est à la fois particulièrement erratique et totalement incertaine. Je ne parle même pas de la banalisation du racisme, de l’islamophobie, de l’antisémitisme, de l’homophobie, de la transphobie, de l’oubli complet des personnes en situation de handicap, du recul très net des droits des femmes et de l’appauvrissement des plus précaires. Je ne parle pas non plus de l’arrivée au pouvoir d’une présidente qui devra bien plus au Kremlin qu’au mandat que les françaises et les français lui auront confié. Je ne parle pas non plus, enfin, des groupuscules d’extrême-droite qui se sentiront parfaitement légitimés pour passer à l’action – et qui feront passer les récentes agressions lyonnaises pour de gentils petits tours de chauffe.
Nous savons comment nous battre contre les infectes contorsions du néolibéralisme. Mais une chose est claire : nous savons que lorsque l’extrême-droite arrive au pouvoir, elle ne laisse aucun espace à celles et ceux qui luttent contre elle, parce qu’elle déteste la démocratie. Dans son ADN, c’est l’autoritarisme qui domine. Nous pourrons dire adieu à la presse libre, et bonjour à des verbalisations ou des emprisonnements de celles et ceux qui seront considérés comme des opposants : qu’il s’agisse des mouvements pour le climat ou de simples associations de quartiers, toutes celles et tous ceux qui auront pour ambition de faire vivre la vie démocratique en seront empêchés. Ce n’est pas une menace : c’est une réalité qui s’écrira ici, comme elle s'est déjà écrite ailleurs, parfois de manière irréversible.
Bien évidemment, alors que l’espace médiatique a très largement participé à la banalisation des idées d’extrême-droite et que les instituts de sondage sont devenus des acteurs à part entière de la vie démocratique et du processus électoral, on a l’impression que tout cela peut paraître exagéré. Est-ce si grave de voter pour quelqu’un qui, à la télé, a l’air plutôt sympa et que l’on traite avec déférence ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un devant qui les médias se couchent pour lui offrir le journaliste qu’elle désire pour une interview ? Est-ce si grave de voter pour quelqu’un dont on voit circuler les idées sur des émissions de divertissement que tout le monde regarde ? Oui. Ce n’est pas parce que l’espace médiatique est coupable de lâcheté et de complicité idéologique, ou que les instituts de sondage font mine d’observer la vie politique en produisant des enquêtes d’opinion toutes les 6 heures que la réalité n’en est pas moins celle-là : le fascisme existe, il est présent dans ce pays, il tue, il a déjà tué, et il tuera encore plus si nous lui donnons les clés du pouvoir.
Ce dimanche 24 avril, je n’irai pas élire un Président. J’irai choisir l’ennemi que je combattrai pour les 5 prochaines années, afin de structurer des luttes qui nous rendront plus solides pour les échéances électorales à venir. Je n’oublie rien. Je suis triste, amer et en colère, bien sûr. Je comprends que l’on soit tenté par un autre vote que celui d’Emmanuel Macron, si difficile à glisser dans l’urne, pour tant de raisons plus que légitimes. Je ne le ferai ni avec bonheur, ni avec sentiment du devoir accompli, et je m’en voudrai chaque jour qui passera. Mais jamais je ne pourrai supporter d’avoir contribué indirectement à l’installation d’un régime fasciste, qui ciblera mes frères, mes amies, les luttes en lesquelles je crois, les mouvements dans lesquels je m’engage. Et qui donnera une toute autre ampleur aux violences policières, au racisme systémique, aux discriminations abjectes et à la toxicité médiatique.
Nous avions tout pour faire changer notre société et imaginer un avenir meilleur. C’est décevant, c’est une occasion manquée, ça fait mal, c’est démoralisant, et nous enrageons toutes et tous – à raison, même si la projection des élections législatives doit nous permettre de conserver une véritable dynamique, pleine d'espoir. Oui, des gens vont souffrir sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, et nous devrons nous organiser pour lutter, rester solidaires, et aider celles et ceux qui en auront besoin. Cela ne sera pas facile, souvent décourageant, et toujours dégueulasse. Mais avec tout ce que ce prochain quinquennat m’inspire, je peux vous assurer d’une chose : ce qui nous attend, si nous choisissons le programme nationaliste et populiste de Marine Le Pen, n’aura vraiment rien à voir. Dans un cas, nous devront nous battre beaucoup pour limiter les dégâts et obtenir de maigres avancées : ce ne sera pas le paradis. Dans l’autre cas, ce sera l’enfer.
Et un commentaire parmi bien d’autres :
Par PoussiereDeGrizzly
Mais avec le choix de l'ennemi Macron, que vont apporter 5 années encore plus dures de droite néolibérale ? Ces 5 années risquent de muscler l'extrême droite et ce sera un raz de marée de fascisme à la prochaine présidentielle, un autoritarisme dévergondé et ravageur ! On peut se demander s'il ne vaut mieux pas affronter immédiatement un ennemi fachiste pas encore assez mûr... Depuis 2002 il paraît que la gauche recule pour mieux sauter ... Toujours avec le même résultat, l'affaiblissement constant. Donc je ne vois pas de solution miracle pour le vote du second tour, la seule carte positive étant d'obtenir un maximum de députés insoumis, ou proches, aux législatives. Je voterai blanc mais participerai encore plus aux luttes.
publié le 18 avril 2022
Par Astrid de Villaines sur https://www.huffingtonpost.fr/
LFI a lancé une grande consultation sur sa base de 215 292 soutiens apportés à Jean-Luc Mélenchon. Ils préfèrent le bulletin blanc, nul ou l'abstention.
POLITIQUE - Les urnes insoumises ont parlé. Comme en 2017, Jean-Luc Mélenchon a consulté sa base (environ 300.000 personnes) pour lui demander ce qu’elle comptait faire au second tour de la présidentielle 2022.
L’Insoumis en chef n’a pas proposé l’option “Marine Le Pen” qu’il combat et proposait à ses troupes trois options: vote blanc ou nul, abstention ou vote pour Emmanuel Macron. Les résultats sont sans appel: ce n’est pas le président de la République qui arrive en tête de cette consultation.
Selon les résultats transmis par le mouvement ce 17 avril, sur 215.292 participants au vote, 37,65% d’entre eux ont choisi le vote blanc ou nul et 28,96% disent qu’ils s’abstiendront, soit un total de 66,61% qui ne votera pas pour Emmanuel Macron.
Arrivé en deuxième position, le bulletin de vote pour le président sortant n’obtient que 33,40% des sondés, soit un tiers des personnes ayant répondu. “Le résultat de cette consultation n’est pas une consigne donnée à qui que ce soit (...) Chacun conclura et votera en conscience, comme il l’entend”, précise le communiqué de La France insoumise qui publie ces résultats.
En 2017, une consultation similaire avait amené environ 240 000 Insoumis à choisir à 36,12% pour le vote blanc ou nul, à 34,83% pour Emmanuel Macron, et à 29,05% pour l’abstention.
publié le 17 avril 2022
.James Gregoire et David Perrotin sur www.mediapart.fr
Des milliers de personnes ont défilé dans toute la France ce samedi pour « dire non à l’extrême droite ». Au sein de la gauche, comme dans le cortège parisien, deux tendances cohabitent : ceux qui iront faire barrage et les abstentionnistes
Ce samedi à Paris et en plein soleil, la foule était déterminée à dire « non à l’extrême droite » tout en dénonçant la politique d’Emmanuel Macron. Près de 22 000 personnes (dont 9 200 à Paris selon la préfecture et 40 000 selon les organisateurs) ont en effet répondu présent à l’appel unitaire à rassemblements - partout en France et dans la capitale - lancé par une centaine d’organisations de la société civile.
« En rejetant Marine Le Pen, il s'agit d'empêcher l'avènement d'un projet de société destructeur de l’État de droit, de la république démocratique sociale et solidaire que nous défendons chaque jour », précisait le communiqué publié la veille par les organisateurs, à l’instar de la LDH, SOS Racisme, la CGT, le Syndicat de la magistrature ou encore le Syndicat national des journalistes.
Si dans toutes les têtes s’imposaient les images des mobilisations massives de 2002 lorsque Jean-Marie Le Pen avait accédé au premier tour, tous se sont rendus à l’évidence : l’antifascisme mobilise beaucoup moins. « On voit que les idées d’extrême droite ont bien fait leur chemin depuis », regrette Cécile, 67 ans, qui est partagée entre colère et amertume face à une mobilisation « si faible ».
Ce 1er mai 2002, environ 1,3 million de personnes, dont 400 000 à Paris, avaient battu le pavé dans toute la France pour « faire barrage par leur vote à Jean-Marie Le Pen ». Une mobilisation qui restera comme une des plus importantes avec celles organisées après l’attentat contre Charlie Hebdo.
« Menu sur place ou à en pleurer »
Les temps ont cette fois-ci bien changé. Si Marine Le Pen n’a jamais été aussi proche d’accéder au second tour, l’inquiétude des personnalités politiques et syndicales s’est faite bien discrète. À l’exception de quelques têtes, (Olivier Besancenot, Audrey Pulvar, Danielle Simonnet, Jérôme Rodriguez…), la manifestation comptait surtout des militants ou des membres d'associations antiracistes. Depuis dimanche, la gauche n’a cette fois-ci pas su ou voulu déployer son énergie pour motiver les foules.
Les slogans déployés tout au long du parcours entre Nation et République, illustrent quant à eux le dilemme vécu aujourd’hui par une large partie de la gauche. Ceux pour qui « dire non à l’extrême droite » implique de voter « une fois encore » pour Emmanuel Macron et qui l’affichent de différentes manières sur leurs pancartes : « Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue », « Ni Macron, ni Le Pen, mais surtout pas Le Pen », ou « Menu sur place ou à en pleurer ». Et les autres qui revendiquent leur future abstention.
Au milieu de nombreux chants revendicatifs, une voix grave et rocailleuse résonne. Les sourcils froncés, épais, mis en valeur par le kaki de sa veste,
Sylvain veut montrer son opposition pure et simple à Marine Le Pen : « Je viens d’une famille de travailleurs. On est des purs prolos. Voter Macron, ce n’est pas accepter le
capitalisme, c’est refuser le fascisme. »
Indépendamment de son origine sociale, Sylvain votera Emmanuel Macron dans une semaine, tout comme il avait voté Chirac en 2002. Il estime que le barrage républicain est plus important que
tout : « En 2017, je n’ai pas voté parce que c’était sûr que Macron allait gagner, mais là, quand tu vois le score que font Le Pen et Zemmour, je suis inquiet »,
confie-t-il.
Une crainte partagée par Anzoumane Sissoko, membre de la Marche des solidarités, qui a organisé la manifestation : « Le mot d’ordre est clair : aucune voix pour Le Pen ! » Mais avec cette marche, il souhaite aussi dénoncer « cinq ans de politique répressive d’Emmanuel Macron » et cite comme exemple la loi « séparatisme », les « détentions arbitraires de personnes exilées », et l’absence « d’avancée sociale en cinq ans ».
Au milieu des drapeaux qui s’agitent et de la foule qui chante, Alexis, 27 ans, avance tranquillement. Cet agent d’accueil a profité du week-end ensoleillé pour montrer son opposition au choix qui lui est « imposé » : « Je refuse de voir une raciste à la tête d’un pays comme la France », lance-t-il, tout en continuant de taper de mains pour soutenir les « siamo tutti antifascisti » de la foule. Lui qui a voté Yannick Jadot au premier tour et comptait s’abstenir avant de se raviser, tente alors une comparaison : « Macron ce n’est pas le mieux, loin de là, mais entre la gastro et le Covid, j’ai choisi. »
Dans le parcours, un cortège de la fédération parisienne du Parti socialiste ne passe pas inaperçu et reçoit quelques insultes. « C’était une évidence d’être ici aujourd’hui », insiste Alexandre, 50 ans et militant socialiste qui justifie malgré tout son vote pour Anne Hidalgo : « La question qu’on devrait me poser, c’est pourquoi je ne peux pas voter pour Mélenchon », poursuit-il. Il montre son T-shirt avec une inscription pro-Ukraine pour dénoncer les positions « pro-Poutine de Mélenchon ».
Des militants socialistes, communistes et de la LFI défilent
Plus loin dans le cortège, des militants du Parti communiste distribuent des tracts montrant Fabien Roussel appeler « au rassemblement ». Julien, 46 ans, a justement voté pour le candidat communiste et dit aujourd’hui « s’en mordre les doigts ». Avec sa pancarte « Ne cédez pas au R-haine » et son fils de 16 ans à ses côtés, il martèle l’importance de battre l’extrême droite dimanche 24 avril. « C’est trop dangereux de confier le pouvoir à l’extrême droite. Cinq ans de Macron seront difficiles, mais il faudra se battre pour défendre encore et encore nos droits », explique-t-il. Plus loin, Yann 35 ans, déambule avec la tête de Jean-Luc Mélenchon collée à son costard trois-pièces. Militant de La France insoumise, il défend le vote barrage : « On a le choix avec deux extrêmes droites au second tour, je voterai pour la moins pire des deux ».
Il aborde ensuite les sondages montrant que 30 % des électeurs de Mélenchon au premier tour voteraient Marine Le Pen au second, et veut relativiser. « Je n’y vois pas quelque chose de négatif. Cela signifie qu’on a réussi à faire en sorte que des gens qui auraient voté Le Pen au premier tour, ont finalement voté Mélenchon. Qu’on les perde face à Macron au second tour, c’était inéluctable », juge-t-il, estimant que c’est « déjà un petit pas contre l’extrême droite ».
Lucile, 39 ans, tient une pancarte avec cette interrogation : « Abstention = collaboration ? ». « Je veux faire réfléchir ceux qui comptent s’abstenir. Pour moi, ceux qui n’iront pas voter Macron, ne veulent pas voir que c’est un privilège. Le privilège de ceux qui ne sont pas directement concernés par la politique de Le Pen », explique-t-elle avant de dénoncer l’autre effet, selon elle, d’une abstention massive. « On croit que la France est massivement à droite, mais si les abstentionnistes votaient, on verrait que c’est une illusion ».
Le rejet du « vote barrage »
Comme à Marseille, Lyon, Poitiers ou Grenoble, les manifestants parisiens scandaient leur peur et leur colère de voir Marine Le Pen au pouvoir. De nombreux jeunes pourtant défilaient aussi pour rejeter cette fois-ci « tout barrage ». « Je suis abstentionniste, mais je suis présente aujourd’hui pour montrer qu’il y a une différence entre la politique et l’électoralisme », témoigne Laure, 35 ans.
« On a craché à la figure de tous les gens qui ne votent pas, mais les gens devraient ouvrir les yeux. La jeunesse de ce pays est ultra-politisée. Il va falloir comprendre qu’elle rejette désormais ce système et qu’un véritable changement passera par la rue », estime la jeune femme qui regrette « cette France de plus en plus à droite ». Le second tour se résume selon elle en un seul choix : « le fascisme ou l’autoroute vers le fascisme ». Face à elle, des pancartes affichent cette tendance plus radicale : « Nos pavés ne rentrent pas dans vos urnes », ou « À bas l’État, les flics et les fachos ».
Lucas, 24 ans, qui manifeste pour la première fois de sa vie, n’ira pas voter non plus pour le second tour. La pancarte qu’il tient sert de justification. Il exhibe le visage de Macron affublé d’un gilet jaune, un œil blessé par un LBD. « Je ne peux pas voter pour Macron, lui qui est responsable de toutes les violences policières qu’on a pu voir pendant le quinquennat. »
Si cette élection est pour beaucoup « un remake » de 2002 ou de 2017, la colère a pris le pas sur les certitudes de faire cette fois-ci barrage à Marine Le Pen. Ceux qui iront glisser un bulletin Macron, ne veulent même pas blâmer ceux qui resteront chez eux. « J’irai voter contre Le Pen tout en comprenant ceux qui n’y arrivent pas », explique Clémence 37 ans. Et de lâcher : « Faut bien que certains s’y collent ».
publié le16 avril 2022
Ricardo Parreira sur : https://www.lamule.media/
Ce jeudi soir, 14 avril 2022, vers 21 : 30, entre dix et quinze militants d’extrême droite ont attaqué, pour la deuxième fois depuis l’ouverture du nouveau local (samedi 11 décembre 2021), l’association Le Barricade. Dans une action très rapide et de grande violence, les militants fascistes ont jeté un fumigène bleu à l’intérieur de l’espace, puis des bouteilles de vodka/Manzana vides et des pierres vers les personnes qui se tenaient tranquillement à l’intérieur. Également, la baie vitrée de l’entrée fut brisée.
Sous le choc, les personnes présentes ont tenté de se défendre ; « l’utra gauche, vas-y viens ! » Ont crié les fafs, qui ont rapidement commencé à fuir vers l’avenue de Maurin.
Évidement, le lieu associatif Le Barricade, qui rassemble des personnes d’horizons différents, luttant pacifiquement pour partager des idées sociales de gauche, dérange les fascistes à Montpellier. Ces fafs, violents et plein de rage, sans crainte de représailles, mettent consciemment en danger l’intégrité physique des paisibles usagers qui profitent de cet espace alternatif.
Pour un des membres de l’association, ce genre d’attaque peut avoir pour objectifs de susciter la peur et d’éloigner les nouveaux membres, car l’association devient de plus en plus populaire à Montpellier.
publié le 15 avril 2022
Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr
Derrière sa fade campagne, la candidate d’extrême droite défend un programme brutal, profondément xénophobe et autoritaire, qui mettrait la France au ban des démocraties européennes.
Sourire, en toute circonstance, et mesurer chacun de ses mots en public. Dans cette campagne qu’elle a voulue « de proximité », et centrée sur le pouvoir d’achat, Marine Le Pen a joué la contre-programmation. Attendue sur les thématiques habituelles de l’extrême droite – immigration, insécurité, islam –, la candidate du Rassemblement national (RN), assurée pour sa troisième candidature d’être déjà parfaitement identifiée sur ces sujets, les a stratégiquement remisées à l’arrière-plan.
Écumant les marchés en faisant des selfies, celle qui s’est déclarée « lassée du bruit et de la fureur » a voulu se montrer proche des Français confrontés aux difficultés du quotidien. Face à la candidature d’Éric Zemmour qui multipliait les sorties racistes et xénophobes, Marine Le Pen a offert cette image « assagie », apparaissant miraculeusement « recentrée », en comparaison de l’ancien journaliste du Figaro.
Une prouesse au regard de l’incroyable brutalité de son projet, pourtant. Un projet qui, sur bien des aspects, ferait basculer le pays dans un régime autoritaire à la hongroise avec des conséquences humaines, sociales pour des millions de résidents étrangers difficile à imaginer.
Si la candidate du RN ne cesse de revendiquer son attachement aux « valeurs de la République » et au droit, rappelant à l’envi qu’elle est une ancienne avocate, son programme piétine en réalité tous les droits fondamentaux.
Pour habiller de légalité la « priorité nationale », soit la priorité d’accès à l’emploi, au logement ou aux aides sociales aux Français, Marine Le Pen s’est adjoint les services de l’ancien magistrat Jean-Paul Garraud. Afin d’écarter les critiques en « inconstitutionnalité » qui entourent depuis des années cette mesure phare du programme de l’extrême droite, l’ancien député Les Républicains (LR), rallié au RN, a déjà rédigé un projet de loi. « Nous sommes prêts à gouverner, nos mesures sont applicables », ne cesse d’ailleurs de répéter la candidate qui sait combien lui a coûté en 2017 son image d’amateurisme.
Marine Le Pen a décidé de passer par « un projet de loi sur l’immigration » soumis à référendum qui entérinerait la fameuse « priorité nationale ». Dans l’exposé des motifs, elle affirme qu’« organiser un référendum sur les questions essentielles de la maîtrise de l’immigration, de la protection de la nationalité et de l’identité françaises et de la primauté du droit national permettra de rétablir, par “la voie la plus démocratique qui soit”, pour reprendre l’expression du général de Gaulle, et donc de manière incontestable, la volonté souveraine du peuple français ».
Comme la « priorité nationale » est aujourd’hui anticonstitutionnelle, car contraire au principe constitutionnel d’égalité, la candidate RN veut faire sauter tous les verrous du droit susceptibles d’entraver sa politique xénophobe. Ne pouvant s’appuyer sur l’article 89 pour modifier la Constitution – lequel nécessite que le projet soit discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat, avant d’être adopté en termes identiques par les deux chambres –, elle veut donc recourir à l’article 11, soit le recours au référendum, en arguant que de Gaulle l’a bien utilisé en 1962 dans ce cas de figure.
À l’époque, de Gaulle s’était assis sur les avis du Conseil constitutionnel, et depuis la jurisprudence est claire : l’article 11 ne peut servir à modifier le texte fondamental. Si elle décidait de passer malgré tout en force, le Conseil constitutionnel n’aurait plus son mot à dire car, détaille son programme, « le Conseil constitutionnel ne peut examiner une loi adoptée par référendum ». Interrogée sur France Inter sur les graves réserves émises par le constitutionnaliste Dominique Rousseau, Marine Le Pen l’a traité de « constitutionnaliste d’extrême gauche » et a raillé son « niveau d’incompétence », ce qui donne une idée assez claire de la manière dont, une fois au pouvoir, elle traiterait les contre-pouvoirs.
Son projet de « priorité nationale », rappellent tous les juristes consultés par Mediapart, contrevient pourtant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui interdit d’opérer une distinction entre les Français et les étrangers dans l’accès aux droits fondamentaux. Le terrain est préparé puisque, dans sa famille politique, tout un travail de sape a été fait sur le « droitdelhommisme », accusé d’entraver la souveraineté populaire et dénoncé dès 1997 par Jean-Marie Le Pen.
L’idée de créer un « bouclier constitutionnel » établissant que la France ne serait plus soumise au droit international, et notamment européen s’il entre en contradiction avec la nouvelle Constitution, n’a, selon les juristes consultés par Mediapart, que peu de sens du point de vue du droit.
En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie.
« Le droit international des droits humains postule sa propre primauté à l’égard de toutes les normes juridiques internes », rappelle le juriste Yannick Lecuyer, maître de conférences à l’université d’Angers (Maine-et-Loire). L’argument avancé de la souveraineté ne tient pas, souligne-t-il, car « ces textes ont été ratifiés par la France. On est dans tout sauf de la négation de souveraineté ». Il rappelle aussi que la France peut évidemment choisir de tourner le dos à la Convention européenne des droits de l’homme : « En droit, tout est possible et la France rejoindrait le club très fermé de la dictature des colonels et de la Russie. »
Si les États européens ont ratifié ces traités, c’est précisément pour servir de garde-fou à une « dictature des majorités », c’est-à-dire empêcher qu’un dirigeant élu sur un programme qui contreviendrait à la dignité humaine ait les mains totalement libres. « On peut décider de ne pas suivre une décision de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne se passera rien, mais on se met au ban des démocraties qui ont décidé que le respect des droits humains était garant de la paix », renchérit Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université de Paris-Nanterre.
Appliquer aux ressortissants de l’Union européenne la « priorité nationale » contrevient également au droit européen. Refuser l’accès à l’emploi ou au logement social est contraire notamment à la charte des droits fondamentaux de l’UE. Ce serait une sorte de « Frexit » de fait, qui ne serait pas sans conséquence pour la France.
« La priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes
Tout cela empêcherait-il Marine Le Pen d’appliquer son programme ? Sans doute que non. On sait qu’un habillage légaliste a permis à certains États européens de glisser vers des régimes de plus en plus autoritaires, à l’instar de la Hongrie de Viktor Orbán, qui constitue un modèle revendiqué pour Marine Le Pen.
Au-delà des considérations juridiques, « la priorité nationale » aurait des conséquences dévastatrices pour des millions de personnes. Priver potentiellement près de 5 millions de résidents étrangers, parmi lesquels 38 % d’Européens, de l’accès au travail, au logement social, au RSA, aux allocations familiales ou aux soins médicaux (hors situation d’urgence) provoquerait un chaos social difficile à imaginer.
« Penser que les étrangers quitteront le territoire parce qu’ils n’ont plus ces prestations, c’est le fantasme de l’extrême droite qui croit que ces étrangers sont venus pour les prestations sociales. Cela n’a rien à voir, on le sait, avec la réalité des migrations. Ceux qui sont là depuis longtemps ne repartiront pas mais certains seront plongés dans la misère », prévient Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales et expert pour le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).
Le programme de la candidate du RN tend à rendre la vie des étrangers en situation régulière le plus difficile possible : suppression du regroupement familial, suppression du droit du sol et naturalisation « au mérite ». Un étranger qui n’aurait pas trouvé de travail au bout d’un an n’aurait plus droit au séjour en France, et l’aide médicale d’État serait aussi supprimée.
Pour les clandestins, le séjour illégal devenant un délit, les fonctionnaires auraient l’obligation de les dénoncer en vertu de l’article 40. En contradiction là encore avec le droit international et européen, l’asile dans la France de Marine Le Pen serait rendu pratiquement impossible.
Au-delà de cette xénophobie institutionnalisée, le programme de Marine Le Pen sur la sécurité pose aussi tous les jalons d’un exercice autoritaire du pouvoir. Dans un État qui se serait affranchi du carcan de la Déclaration universelle des droits de l’homme, comment interpréter la proposition d’instaurer une légitime défense pour les forces de l’ordre ?
La partie du projet consacrée à la lutte contre le terrorisme est l’une des plus inquiétantes de son programme en ce qu’il soumet la pratique de la religion musulmane à l’arbitraire le plus complet.
Le texte s’appuie sur le projet de loi de Marine Le Pen « visant à combattre les idéologies islamistes » et rédigé comme une contre-proposition à la loi sur le « séparatisme ». Peinant à définir précisément « l’idéologie islamiste » dans son premier article, il décline ensuite tous les moyens pour empêcher la diffusion de cette « idéologie » dans la société.
« Interdire une idéologie, on ne voit pas très bien la frontière avec le délit d’opinion. Si les mots ont un sens, une idéologie, c’est un système de pensée », prévient la juriste Stéphanie Hennette-Vauchez, pour qui ce texte « est en rupture avec la Déclaration des droits de l’homme qui a fait entrer le droit français dans la modernité ».
La pratique de l’islam soumise au pouvoir discrétionnaire de l’administration
L’autrice de La Démocratie en état d’urgence (Seuil, 2022) pointe à ce sujet « la puissance rhétorique et politique du danger, de l’urgence, de l’exception qui s’est installée dans la manière de gouverner ». Et qui permet, au nom de la lutte contre le terrorisme, de revenir sur des droits fondamentaux comme la liberté de conscience ou la liberté de culte.
Alors que « l’idéologie islamiste » n’est pas clairement définie, le projet de Marine Le Pen prévoit un contrôle de la diffusion des livres jeunesse, des œuvres cinématographiques susceptibles de la propager. Pour ceux qui douteraient du caractère « extensif » de l’application d’une telle loi, c’est elle qui permettrait à Marine Le Pen d’interdire le voile dans l’espace public – d’ailleurs toutes les « tenues islamistes », sans plus de précisions, seraient interdites.
Son projet autorise aussi le licenciement de tout salarié ayant « diffusé » cette idéologie et permet qu’un fonctionnaire refuse un logement ou une prestation sociale à cet « islamiste » présumé. Autant dire une pratique de l’islam sous surveillance constante et soumise à un effrayant pouvoir discrétionnaire.
Difficile face à ce tableau de souscrire à l’idée d’une Marine Le Pen assagie, amie des chats et du karaoké.
publié le 14 avril 2022
Franck Cartelet sur www.humanite.fr
Depuis mercredi13 avril 2022, des étudiants occupent l’université de la Sorbonne à Paris. Ils protestent contre les choix de société prônés par Emmanuel Macron et Marine Le Pen, à une semaine du second tour de l’élection présidentielle. Et espèrent que leur mobilisation va s'étendre.
Certains ont passé la nuit là, investissent les amphithéâtres, manifestent devant le bâtiment. Plus d'une centaine d'étudiants de la Sorbonne et d’autres établissements du supérieur ont protesté ce jeudi 14 avril contre le « non-choix » qui s’offre à eux pour le second tour de l’élection présidentielle. Nombre d’entre eux ont l’impression d’être « laissés sur le carreau », « pas entendus », alors que les 18-24 ans ont voté à 31% pour Jean-Luc Mélenchon et que 40% des moins de 34 ne sont pas allés voter dimanche 10 avril.
« Nous, les jeunes, avons majoritairement voté à gauche, on veut avoir le choix de notre avenir » explique Lola, étudiante à Sciences Po Strasbourg. Elle refuse, comme beaucoup de ses camarades, de choisir entre « un gouvernement qui a sabré la jeunesse pendant 5 ans » et qui n’a pas embrassé les urgences climatiques et sociales comme priorités, et de l’autre côté « un pouvoir fasciste ».
S'abstenir ou non
« Aujourd’hui, soit on s’abstient, pour renvoyer un message fort… Ou alors on vote Macron, parce que ça sera toujours le moins pire », concède l’étudiante, qui réfléchit déjà à comment occuper la rue pendant les 5 prochaines années.
Après avoir affirmé ne pas savoir si elle allait s’abstenir ou non, Marie, étudiante en droit à Nanterre, semble néanmoins avoir déjà tranché: « C’est vrai que si l’extrême-droite passe, derrière, ce sont les minorités qui vont devoir subir ces choix-là », reconnaît l’étudiante qui questionne sa responsabilité dans un tel scénario. « Je pense que je vais voter Macron, même si ça me fait mal », finit-elle par lâcher, tout en insistant bien sur une chose : la nécessité de poursuivre la mobilisation après le vote, et de renforcer les ponts entre les divers mouvements de contestation.
La Sorbonne fermée
Antoine Boulanger, enseignant et élu CGT des enseignants à la faculté des lettres de la Sorbonne, se félicite de cet élan chez les étudiants. « Je pense qu’on ne peut être qu’enthousiasmés et heureux de voir que, loin d’être abattus par ce résultat catastrophique, les étudiants se mobilisent contre d’un côté l’ultra-libéralisme et de l’autre, un même programme ultra-libéral doublé d’une politique raciste et autoritaire », développe-t-il.
« Au lieu d’ouvrir les facs et de dire, “exprimez-vous, débattez”, le gouvernement envoie la police », regrette cet enseignant, alors que la direction de la Sorbonne a basculé les cours en distanciel et fermé ses portes aux étudiants jusqu’au 16 avril inclus.
Sébastien Bourdon sur www.mediapart.fr
À Paris, le syndicat étudiant « La Cocarde », proche du Rassemblement national, a revendiqué le déblocage d’un bâtiment de Sciences Po en compagnie de membres de l’UNI et de Génération Zemmour. L’occupation de la Sorbonne a également fait face à une attaque dans la nuit.
Depuis l’annonce des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, un mouvement étudiant naissant tente de faire entendre sa voix, notamment autour du slogan « Ni Macron ni Le Pen ». Les tentatives de blocages et d’occupations de bâtiments universitaires se multiplient en France, avec succès pour l’heure en ce qui concerne les locaux historiques de la