publié le 29 décembre 2022
par Rachel Knaebel sur https://basta.media/
Avec la hausse des prix du gaz, la géothermie devient une alternative rentable. Les projets pour aller chercher la chaleur du sous-sol se multiplient en Ile-de-France, mais sont à l’arrêt en Alsace suite à des séismes.
Avec la flambée des prix du gaz, les sociétés de logements HLM font face à l’explosion des prix du chauffage collectif depuis quelques mois. Cette crise de l’énergie incite des communes à se tourner vers une source d’énergie locale et indépendante des marchés : la géothermie. « Avec les prix de l’énergie qui se sont envolés, beaucoup de collectivités nous ont sollicités ces derniers mois. On a cinq projets en cours », rapporte Marion Lettry, chargée de la transition énergétique au Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sipperec), un établissement public de la région parisienne chargé, entre autres, de développer les énergies renouvelables.
« Nous avons deux grands vastes développements en termes d’énergies renouvelables en Ile-de-France : du photovoltaïque sur les toits des bâtiments publics, et des réseaux de chaleur à base de géothermie profonde », explique-t-elle. La géothermie est une technique pour produire du chauffage, voire de l’électricité, à partir de la chaleur contenue dans les sous-sols.
La géothermie peut être de surface, quand la chaleur est puisée à moins de quelque centaines de mètres de profondeur ; ou profonde, quand on fore à plusieurs kilomètres. Plus on va loin dans le sol, plus la chaleur est élevée. En Ile-de-France, les réseaux de géothermie vont chercher de l’eau chaude contenue dans les sous-sols à environ 2000 mètres de profondeur. À cette distance, la chaleur puisée est suffisante pour chauffer logements et bâtiments collectifs, pas pour produire de l’électricité.
« Du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel »
Le Sipperec gère aujourd’hui cinq réseaux de chaleur géothermique en Ile-de-France [1]. Le réseau de Viry-Châtillon (Essonne) est en train de s’étendre et alimente notamment la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Un nouveau réseau de chaleur en géothermie va entrer en fonction d’ici trois ans pour alimenter 20 000 logements sur les communes des Lilas, du Pré-Saint-Gervais et de Pantin (Seine-Saint-Denis). « Une seule commune ne suffit pas pour que les réseaux soient économiquement viables. C’est pour cela qu’on les déploie en général sur deux ou trois villes », précise Marion Lettry.
Aux Lilas, « cela fait des années que le projet est dans les cartons, note Sander Cisinsky, adjoint au maire (PS) de la ville en charge des transitions. Il y a dix ans, les conditions n’étaient pas forcément réunies. Selon que les marchés du gaz étaient plus ou moins hauts, les réseaux de géothermie n’étaient alors pas forcément rentables. » Le projet a été relancé collectivement avec les deux autres communes au début du mandat municipal actuel, en 2020. « Entre le moment où on a fait les premières études et aujourd’hui, le coût a augmenté car on est soumis à la hausse du prix des matières premières et de la construction. Mais il n’y aucun doute sur le fait que le projet va produire du chauffage pour beaucoup moins cher que le coût de l’énergie actuel », ajoute l’élu. Les projets sont en plus largement subventionnés – jusqu’à un tiers des coûts – par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et la région [2].
Des réseaux de géothermie déjà dans les années 1980
Les réseaux de chauffage à base de géothermie ont commencé à se développer en Ile-de-France dès les années 1980. « C’était après le choc pétrolier, la géothermie était alors très compétitive. Ensuite, au fil des années 1990 et 2000, le prix des énergies fossiles était bas. Donc, les projets de géothermie se sont ralentis. La compétitivité n’était plus au un rendez-vous, retrace Marion Lettry. Le Sipperec a été à l’initiative de la relance de la géothermie en Ile-de-France dans les années 2010. »
Ce type de projets se réalisent assez vite, « en quatre ou cinq ans à partir du moment où la décision politique est prise », dit la responsable. Ils font par ailleurs travailler ensemble des villes qui ne sont pas forcément du même bord politique. « Quand on annonce que le prix de la chaleur sera bien moins cher que celui du gaz, qu’il ne sera pas soumis aux fluctuations du marché et que cela fait économiser 28 000 tonnes de CO2 par an, personne ne s’oppose au projet », assure le maire adjoint des Lilas Sander Cisinski. Une tonne de CO2 correspond à environ 3300 km effectués en voiture à essence.
Ces réseaux de chaleur renouvelables ne sont quand même pas totalement indépendants du prix du gaz. « On a peu d’appoint en gaz, car on dimensionne le réseau pour qu’il puisse fournir de la chaleur à tout moment, y compris dans les périodes très froides, précise la responsable du Sipperec. Nous sommes donc un peu impacté par les hausses du prix du gaz et de l’électricité, mais cela n’a rien à voir avec un réseau qui fonctionne entièrement au gaz. Aujourd’hui, sur les réseaux de chaleur au gaz, le prix de la chaleur a été multiplié par deux au minimum. Sur nos réseaux à base de géothermie, la hausse a été limitée à environ 30 %. » De quoi faire susciter l’intérêt des élu·e·s, habitant·e·s et sociétés HLM.
En Alsace, des séismes provoqués par des forages géothermiques
La France compte aujourd’hui une soixantaine de réseaux de chaleur urbains alimentés par la géothermie profonde, principalement en Ile-de-France, où environ 300 000 personnes sont chauffées grâce à ce système. Deux centrales électriques fonctionnent également avec la géothermie : Bouillante, en Guadeloupe, mise en service en 1986 ; et une autre à Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin), une installation scientifique européenne avant de devenir un site de production d’électricité géothermique. Dix-huit permis de recherche étaient en cours en 2019 pour développer des projets de production de chaleur ou d’électricité par géothermie profonde, en Guadeloupe, en Alsace, dans le Massif central, dans les Pyrénées, dans la Vallée du Rhône et à la Réunion.
« L’avantage de la géothermie, c’est la maitrise du coût. Une fois que les forages sont réalisés, la chaleur est locale et illimitée », vante Cédric Créton, ingénieur des mines, gérant d’un bureau d’étude et administrateur de l’association Alter Alsace Énergies, qui conseille les collectivités en matière d’énergies renouvelables. L’Alsace est l’un des territoires à fort potentiel. Sous la vallée du Rhin, à 5000 mètres de profondeur, la chaleur est assez élevée pour produire de l’électricité.
Deux entreprises, Géorhin (ex-Fonroche) et Électricité de Strasbourg (rattachée à EDF), y ont obtenu des permis d’exploitation pour quatre projets de centrales géothermique, dont une à Illkirch, à côté de Strasbourg. Mais en 2019, des séismes secouent la région. Ils auraient été provoqués par les forages de Foronche à Vendenheim, au nord de Strasbourg. D’autres séismes se produisent en 2020 et 2021.
Fin 2020, la préfecture du Bas-Rhin suspend tous les projets de géothermie en cours dans le département. « Les séismes successifs et intenses ont provoqué un profond traumatisme au sein de la population et une défiance à l’endroit de la géothermie profonde », constate alors une mission d’information de la métropole de Strasbourg. Des milliers d’habitants d’Alsace et d’Allemagne voient leurs maisons endommagées. Près de 4000 dossiers de demandes d’indemnisations sont déposés mi-2021. En mai dernier, la préfecture publie les résultats d’une expertise qui conclut à une responsabilité de la société Foronche. L’entreprise était allé trop vite et trop profond.
« Un accident industriel »
« Le contexte constitué d’une filière à forte intensité capitalistique assortie d’un risque financier initial très élevé, d’un encadrement juridique et des dispositions incitatives très fluctuantes, a pu contribuer à une culture du secret ou favoriser des prises de risque », analyse la mission d’information strasbourgeoise. En clair, l’opacité règne sur ces projets et la manière dont ils sont menés « Ce qui s’est passé à Vendeheim, c’est un accident industriel », résume de son côté Noé Imperadori, animateur de la filiale géothermie pour le Grand Est à l’association lorraine pour les énergies renouvelables. Un autre professionnel de la région parle d’une « atmosphère de cowboys » : des entrepreneurs trop pressés qui veulent forer au plus vite.
Une autre source de profits attirent des start-up de l’énergie, venue du secteur pétrolier : la perspective de filtrer l’eau géothermale qui remonte des profondeurs pour en extraire du lithium, minerai indispensable aux batteries électriques. Lithium de France, entreprise créée en 2020 a ainsi obtenu un permis de recherche en Alsace. Les professionnels des énergies renouvelables se veulent rassurant, pointant avant tout les procédés de l’entreprise Foronche. Des forages bien réalisés ne provoqueraient pas de séismes. Mais depuis la catastrophe de Vendenheim, les projets de géothermie suscitent de fortes oppositions dans la population alsacienne.
Un « projet purement spéculatif pour faire de l’électricité et la revendre »
Le forage en cause a été stoppé. Les trois autres projets sont toujours suspendus. « La question s’est posée de tout arrêter, mais cela remettrait en péril toute la politique énergétique de la collectivité. On compte beaucoup sur ces réseaux de chaleur pour alimenter la majorité de la ville de Strasbourg en chauffage », explique Cédric Créton, d’Alter Alsace énergie.
Plus au sud, dans les zones volcaniques d’Auvergne, le cas alsacien suscite la méfiance. Dans le village de Saint-Pierre-Roche (Puy-de-Dôme), une autre entreprise, créée il y a dix ans, TLS géothermie, associée à une filiale d’Engie, veut aussi forer pour chercher de l’eau chaude dans les sous-sols. Objectif : construire une centrale géothermique profonde qui produirait de l’électricité. Le chantier a démarré en octobre 2021.
« On s’est renseigné sur ce qui s’est passé ailleurs, et on a commencé à s’inquiéter quand on a vu que les apprentis sorciers de Vendenheim avaient réussi à faire trembler jusqu’au centre de Strasbourg, témoigne Jacques Adam, habitant de la région, qui s’oppose au projet au sein de l’antenne locale de France Nature Environnement. On sait bien qu’on a de l’eau chaude dans le sous-sol dans la région », ajoute-t-il. Dans le Cantal, à la station thermale de Chaudes-Aigues, une partie du village se chauffe depuis les années 1960 grâce à une source d’eau chaude locale. « Nous savons qu’il y a un potentiel. Mais là, avec ce genre de projets, ce n’est pas du tout la même échelle. Ce projet est purement spéculatif, c’est pour faire de l’électricité et la revendre. »
La géothermie de surface beaucoup plus facile à développer
Le dernier scénario de transition énergétique de l’association Négawatt recommande d’ailleurs un développement « modéré » de la géothermie profonde de très haute température, « par prudence ». Pour la géothermie de basse température, celle utilisée en Ile-de-France pour les réseaux de chauffage, les experts de Négawatt souligne que « le développement de son utilisation dépend des gisements disponibles », qui se trouvent essentiellement dans les bassins parisien et aquitain. L’association attend en revanche beaucoup de la géothermie de surface (jusqu’à 150 mètre de profondeur environ). Celle-ci ne fournit de la chaleur que d’une quinzaine de degrés, mais qui est ensuite valorisée par les pompes à chaleur.
Repère : En Ile-de-France, un service public local de géothermie
Les deux derniers réseaux de chaleur géothermique portés par le Sipperec sont totalement gérés par des acteurs publics : le Sipperec et les communes concernées. « Pour le réseau de Grigny-Viry, on a créé une société publique locale, dans laquelle le Sipperec est actionnaire majoritaire. Toutes les villes alimentées sont aussi actionnaires », précise Marion Lettry, du Sipperec. C’est également ce mode de portage public qui est choisi pour le projet des Lilas-Pantin-Pré-Saint-Gervais : « Il n’y a pas d’actionnaire privés. On a une totale maitrise du projet en particulier sur les aspects économiques. » Le réseau de Drancy-Bobigny est de son côté géré directement par le Sipperec en régie publique. Mais les réseaux antérieurs sont entre les mains du privés, exploité en délégation de service public. Celui de Bagneux et Châtillon est une filiale de l’entreprise Dalkia, aujourd’hui intégrée à EDF ; ceux d’Arcueil-Gentilly et de Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec, Montreuil sont des filiales d’Engie.
« La géothermie de surface est la plus en mesure de se développer facilement, abonde Noé Imperadori, de l’association Lorraine des énergies renouvelables. Nous ne sommes pas du tout sur les mêmes technologies que dans la géothermie profonde. Avec la géothermie de surface, vous n’avez aucun risque sismique. »
Il existe actuellement en France environ 200 000 installations de géothermie de surface, qui peuvent chauffer des bâtiments collectifs ou des logements individuels. Noé Imperadori cite l’exemple d’une mairie d’un village de Meurthe-et-Moselle, Pierre-la-Treiche, qui a installé un système de chauffage de ses locaux en géothermie de surface à l’occasion d’une rénovation en 2018. Coût de l’opération : 54 000 euros, en très grande partie subventionnée.
« L’investissement initial, surtout les forages, est assez élevé mais ensuite, vous n’avez plus d’achat de combustibles. Et la durée de vie d’un forage est très longue. Ceux sur sondes verticales [de l’au circule en circuit fermé dans un réseau de tubes disposés à la verticale dans des forages, qui permet de transférer la chaleur du sous-sols puis de l’acheminer jusqu’à la pompe à chaleur géothermique, ndlr]. ils sont garantis 50 ans. Les fabricants veulent augmenter la garantie à 100 ans. C’est la durée de vie d’une maison. » Et c’est plus que la durée de vie d’une centrale nucléaire.
[1] Sur les communes de Bagneux et Châtillon, Accueil et Gentilly, Rosny-sous-Bois, Noisy-le-Sec et Montreuil, Bobigny et Drancy et sur celles de Grigny et Viry-Châtillon.
[2] Les subventions de l’Ademe et la région Ile—de-France se sont par exemple élevées à 20 millions d’euros sur 70 millions du coût global du projet pour le réseau de chaleur géothermique de Bobigny-Drancy.
publié le 28 décembre 2022
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
Pendant que les écrans de télévision attiraient les yeux de milliards d’habitants de notre planète exclusivement vers la Coupe du monde de football, se déroulait dans l’indifférence, sans publicité, un événement d’une considérable importance à Montréal : la 15 e conférence de la convention sur la biodiversité biologique dite COP15. Cet enjeu, bien trop négligé, a pourtant à voir avec la qualité de l’oxygène que nous respirons grâce à la photosynthèse des plantes, avec l’eau que nous buvons, la production de notre nourriture, une partie grâce au minutieux travail de pollinisation des abeilles, l’autre grâce à l’activité incessante des vers de terre qui améliorent les sols, la séquestration du carbone dans le bois, les océans, les sols et sous-sol, la régulation du climat. Des enjeux essentiels pour la vie donc !
Le rapport préparatoire à cette conférence n’a pas caché les problématiques : 75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins sont, selon ce document très documenté, « sévèrement altérés » par les activités humaines.
Un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies alors que durant les cinquante dernières années les effectifs de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont diminué d’un tiers. La vitesse actuelle de réduction des espèces est telle, que l’on parle d’une sixième extinction massive, comparable à celle qui avait entraîné la disparition des dinosaures, il y a… 66 millions d’années.
En cause ? L’artificialisation des sols, les pollutions et dégradation des milieux naturels ; la surexploitation des ressources naturelles renouvelables, la pêche industrielle, la chimisation et l’industrialisation de la production agricole, les dérèglements climatiques, la destruction d’animaux sauvages.
La trop grande indifférence humaine envers la biodiversité fait naître un double risque : l’extinction des espèces animales et végétales et la prolifération de nouveaux virus comme ceux responsables du Covid, d’Ebola ou de la grippe aviaire.
La conférence de Montréal se devait donc de prendre en urgence des dispositions de protection et d’amélioration de la biodiversité. Ella a émis avec insistance un certain nombre d’orientations indispensable, positives pour les États qui voudront bien les mettre en œuvre : la protection de 30 % des aires marines, côtières, terrestres et d’eaux douces et la restauration « d’au moins 30 % » des aires dégradées d’ici 2030 ; la réduction de l’utilisation de produits néfastes à l’environnement, la réorientation des aides à l’agriculture afin de favoriser la biodiversité, une aide bien modeste pour les pays du Sud afin de financer les projets dédiés au vivant.
Cet accord est donc bienvenu. Il convient une nouvelle fois de noter qu’il n’y a pas de solution à la protection et l’amélioration de la biodiversité sans discussion et décisions dans un cadre mondial, loin de toutes tentations souverainistes. En clair : l’oiseau migrateur sentinelle de la biodiversité ne connaît pas de frontières. Il ne servirait à rien de le protéger dans un pays, s’il ne l’était pas ailleurs, là où il migre et se reproduit une partie de l’année. C’est donc un nouveau type de coopérations internationales, loin des principes de concurrence ou de l’esprit des traités de libre-échange qui est à l’ordre du jour pour assurer la sécurité humaine et celle de l’environnement.
Le raisonnement est le même à propos de l’eau, de l’air ou des insectes.
La protection, l’amélioration, la restauration de la nature nous obligent à considérer d’abord sa haute « valeur d’usage », son statut de bien commun nécessitant de lui laisser ses capacités de reproduction à l’opposé de son exploitation renforcée ou une utilisation conduisant à l’affaiblir ou à la détruire.
On ne peut donc apporter de solutions convenables à ces défis en continuant de considérer la nature comme une variable d’ajustement de l’économie marchande capitaliste. Or, tel est le point faible de la conférence de Montréal. Il n’est encadré d’aucun calendrier précis, ni d’aucune contrainte à la demande des États et des grandes sociétés transnationales.
Ainsi des objectifs généraux, positifs, peuvent n’être que des mots dès lors qu’ils n’ont pas ou peu d’implications concrètes. Il en est d’ailleurs de même de notre charte nationale pour l’environnement qui prescrit de « concilier la protection et la mise en valeur de l’environnement avec le développement économique et le progrès social ».
En réalité, c’est toujours le primat des impératifs économiques de rentabilité capitaliste sur les enjeux écologiques. L’intérêt des grandes multinationales de la chimie est de vendre des pesticides et des insecticides, celui des chaînes de supermarché est de développer la pêche industrielle. La pression sur les prix agricoles à la production a éliminé les petits paysans et favorisé une agriculture industrielle. La destruction de la forêt amazonienne est pour une large part le résultat des traités de libre-échange et de la mise en concurrence des paysanneries du monde entier.
Tous les États et l’Union européenne devraient à la suite de cette conférence délibérer et inscrire dans tous leurs textes un principe de non-régression écologique et social. À défaut, le texte de la conférence sera interprété pour obtenir le statu quo, alors qu’il y a urgence. Ainsi, si dans son esprit le texte demande en apparence la réduction des pesticides, les mots qui l’accompagnent sont plus vagues : « réduire le risque des pesticides et des produits hautement dangereux de 50 % » ne veut pas dire réduire de moitié l’utilisation de ces produits chimiques destructeurs des insectes, des sols tout en étant néfaste pour la santé.
De même l’avancée que constitue la protection d’un tiers des aires terrestres, marines, côtières ne comporte aucune déclinaison pour aucun pays. Enfin il convient de lier plus et mieux, bouleversements climatiques, menaces sur la biodiversité, progrès social et appropriations sociales et citoyennes de grandes entreprises afin de pouvoir piloter la transformation écologique et sociale des modes de production et de distribution…
Elle ne sera possible que par une maîtrise citoyenne de la production par les travailleurs eux-mêmes. De même une nouvelle politique agricole et alimentaire ne se fera que si les paysans-travailleurs en lien avec les consommateurs en sont les maîtres. Autant de conditions pour « démarchandiser » la nature et de réussir l’indispensable bifurcation écologique et sociale. Les modifications climatiques sont facteurs de perte de biodiversité. En retour, protéger et restaurer la biodiversité est une solution pour contrer le réchauffement car elle est un atout pour réduire l’émission de gaz à effet de serre.
Déjà une multitude d’associations, d’organisation d’intérêt public - dont il conviendrait de se rapprocher - militent en ce sens quand ils agissent pour les circuits courts, la défense de la pêche raisonnée et durable, la protection des zones humides essentielles à la préservation de la biodiversité, une gestion collective des forêts comme puits de carbone, contre l’artificialisation des sols, pour augmenter les moyens affectés à la recherche, pour la réorientation des aides publiques à l’agriculture vers des pratiques agroécologiques.
Des modifications législatives et constitutionnelles vont aussi être indispensables pour faire valoir un principe de non-régression écologique et pour un contrôle des impacts sur la biodiversité de tout acte gouvernemental ou législatif. La survie de l’humanité est liée à celle des espèces végétales et animales trop négligées. Puisse les conclusions de cette conférence mondiale sur la biodiversité faire prendre conscience de la situation de notre commun monde et de ses biens communs dont la préservation est antinomique avec la loi de l’argent et appelle à s’engager sur les voies du post-capitalisme.
publié le 22 novembre 2022
Mickaël Correia sur www.mediapart.fr
Alors que la COP27 s’achève par un accord minimaliste, Amy Dahan, chercheuse émérite au CNRS, revient sur la « fabrique de la lenteur » que sont devenus ces sommets sur le climat. Elle appelle à rénover les institutions et les règles qui organisent la mondialisation, pour contraindre les pays à respecter leurs engagements climatiques, sous peine de sanctions.
FautFaut-il mettre fin aux COP, ces grands sommets sur le climat, qui incarnent désormais plus une foire expo du greenwashing qu’une enceinte de coopération internationale face au plus grand défi de l’humanité au XXIe siècle ?
Alors que la première COP s’est déroulée en 1995 et que les émissions globales augmentent irrémédiablement, l’utilité même de ces réunions est à questionner. Et ce, d’autant plus que limiter le réchauffement global à + 1,5 °C, objectif phare de l’accord de Paris de 2015, est en passe de devenir irréalisable.
Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS, étudie l’histoire des négociations climatiques et est la coautrice de Gouverner le climat ? 20 ans de négociations climatiques (avec Stefan C. Aykut, Presses de Sciences Po, 2015). Elle estime que la gouvernance du climat ne devrait plus être enclavée au sein des COP, mais être discutée au sein de divers sommets diplomatiques et des institutions économiques mondiales.
Depuis 30 ans, le droit international économique l’emporte sur l’urgence climatique. Amy Dahan demande que les instances de régulation internationale de la mondialisation, comme l’Organisation mondiale du commerce ou la Banque mondiale, soient rénovées pour – a contrario des COP – créer des mécanismes contraignant les pays à respecter leurs engagements climatiques.
Mediapart : En 2015 dans votre livre , vous parliez d’un « schisme de réalité » entre la gouvernance du climat via les COP et la dégradation inexorable du climat. On a l’impression, après cette COP27 et en pleine crise énergétique, que ce hiatus s’est depuis énormément creusé...
Amy Dahan : Effectivement, alors que les émissions globales ne cessent d’augmenter, les COP n’arrivent même pas à ce que les États les plus riches tiennent leur promesse de verser chaque année 100 milliards de dollars aux pays du Sud. C’est une somme très modeste eu égard aux capitaux énormes mobilisés dans l’économie mondiale, mais ces engagements, pris en 2009 lors de la COP15, n’avaient atteint que 83 milliards de dollars en 2020.
La prise en main du péril climatique a été très longtemps isolée des problèmes (et des investissements) de politiques industrielles, énergétiques et économiques, tant globales que nationales, indispensables pour relever ce défi. Les COP ne sont basées que sur des consensus et des engagements volontaires sans jamais questionner les règles de la mondialisation économique et financière débridée, à l’origine de la catastrophe climatique.
A contrario, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres accords bilatéraux font appliquer des règles contraignantes et des sanctions qui protègent l’économie mondialisée. En somme, depuis 30 ans, le droit international du commerce et de l’investissement l’emporte sur l’urgence climatique.
Nous parlons donc d’un « schisme de réalité » pour nommer l’écart entre la gouvernance onusienne des COP censée se saisir du risque climatique et une réalité du monde multiforme faite de compétitions et de concurrences féroces, qui lui échappe en très grande partie. Ce hiatus se traduit aussi de façon temporelle entre la dégradation accélérée du climat et une fabrique de la lenteur dans les négociations.
Sortir des énergies fossiles ne se passera pas dans les COP.
Pour vous donner un exemple, le traité sur la charte de l’énergie, entré en vigueur en 1998, vise à protéger les investissements étrangers du secteur de l’énergie. Mais il a surtout restreint le déploiement de politiques climatiques. Il a permis aux industriels de poursuivre les Pays-Bas qui souhaitaient fermer des centrales au charbon, ou encore l’Italie qui voulait interdire des forages pétroliers offshore.
La France et plusieurs autres pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne ou la Pologne viennent d’annoncer leur décision de se retirer de ce traité : c’est une des toutes premières fois que des règles nées de la mondialisation sont reconnues comme antinomiques avec la lutte contre le changement climatique.
Cela nous montre que sortir des énergies fossiles ne se passera pas dans les COP. Et que pour que le monde effectue sa transition écologique, il faut radicalement modifier le paysage politique et économique de la régulation mondiale.
Mediapart : C’est-à-dire qu’il faut mettre en œuvre des mécanismes contraignants pour mettre fin aux énergies fossiles ?
Amy Dahan : Le mot « énergie » ne figure même pas dans l’accord de Paris de 2015. La sortie des énergies fossiles n’a été évoquée qu’à la COP de Glasgow en 2021, sans que les modalités concrètes ou les difficultés des pays pour cette sortie aient jamais été l’objet de discussions.
Et ce « schisme de réalité » s’est encore plus creusé à l’aune de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique, qui a mis à nu le fait que l’on n’est pas tous ensemble pour sauver le climat, qu’on n’avait pas tous les mêmes intérêts.
Il faut que la sortie des énergies fossiles soit prise en main en dehors des COP, devenues une enceinte d’une lenteur incroyable, et ayant peu de prise avec le réel. Tous les mécanismes de contrôle, de rehaussement et de vérification des engagements des pays sont en panne. Entre le G7 et le G20, il y a sans doute davantage de possibilités dans ces institutions d’avancer sur la sortie du charbon.
L’énergie pourrait faire par exemple l’objet d’un traité international qui encourage et protège l’investissement public dans les énergies renouvelables et sanctionne l’utilisation du charbon.
Mediapart : Une autre limite des COP est celle de l’objectif des + 1,5 °C, inscrit dans l’accord de Paris mais qui apparaît désormais inatteignable. Récemment, plus de mille scientifiques ont déclaré qu’il n’est « plus acceptable d’affirmer publiquement » que limiter le réchauffement global à + 1,5 °C soit possible. Qu’en pensez-vous ?
Amy Dahan : Depuis 20 ans, l’idée de ne pas atteindre le seuil dangereux de 2 °C était un objectif coproduit par les scientifiques et les politiques et disposait ainsi d’une double légitimité. Il s’était imposé depuis la COP de Copenhague en 2009 et paraissait aller de soi. Pourtant, dans les revues scientifiques, en 2015, il y avait déjà un débat entre chercheurs, climatologues et sciences économiques et sociales, sur la possibilité ou non de limiter d’ici la fin du siècle le réchauffement à 2 °C.
Dans les réunions intermédiaires en vue de préparer la COP21 de Paris, on a vu monter avec surprise la volonté des pays du Sud les plus vulnérables de voir inscrire dans les accords climatiques internationaux ce chiffre de limitation du réchauffement de + 1,5 °C. Pour ces pays, + 1,5 °C signifie des impacts climatiques énormes, voire la disparition de certains États insulaires du Pacifique. Ce seuil avait donc une légitimité politique incontestable. Il a été inscrit dans le texte de l’accord.
L’objectif de 1,5 °C de réchauffement, déjà inatteignable en pratique, est finalement contreproductif, car conduisant à l’inaction.
Mais dans la négociation, ce fut une monnaie de singe, car toute compensation ou velléité de judiciarisation des dégâts pour les pays vulnérables a été supprimée, interdite par un veto américain. Surtout l’objectif de 1,5 °C ne paraît pas réaliste.
Pour le respecter, tous les scientifiques soulignent qu’il faudrait des efforts massifs et immédiats. Et cela aurait inévitablement des conséquences sociales, politiques et économiques majeures. Or tout le problème est que le texte de l’accord ne dit justement rien de ces conséquences, c’est-à-dire rien des modalités concrètes des transformations colossales qu’il faut enclencher.
Afficher ce chiffre irréaliste, ou encore asséner comme certains, après la sortie du dernier rapport du Giec, en août 2021, que « l’humanité dispose de trois ans pour réduire ses émissions de CO2 » n’est pas un bon message. L’objectif déjà inatteignable en pratique est finalement contreproductif, car conduisant à l’inaction.
Mediapart : Quel serait alors le bon message à véhiculer ?
Amy Dahan : Le message du Giec est meilleur. Il martèle depuis 2018 que « chaque demi-degré compte ». Passer de 1,5 à 2 °C de réchauffement engage des conséquences climatiques bien plus catastrophiques pour la planète et les sociétés humaines. Abandonner le slogan des 1,5 °C aurait un fort retentissement symbolique, clament certains. Mais en réalité, qu’a-t-on vraiment fait pour ne pas dépasser ce seuil d’ici à la fin du siècle, alors que nous sommes déjà à 1,1 °C de réchauffement aujourd’hui ?
Par ailleurs, cette notion de température moyenne globale génère de fausses compréhensions : il faut réaliser que lorsqu’on parle de 1,5 °C à 2 °C de réchauffement global, cela signifie, vu l’inertie thermique des océans, en réalité + 4 °C sur les surfaces continentales. Et les climatologues sont en train de se rendre compte que ce ne sont pas forcément les régions intertropicales qui sont les plus menacées par les dérèglements climatiques. L’Europe de l’Ouest a connu un réchauffement beaucoup plus rapide que prévu.
Mediapart : Faut-il mettre fin aux COP ou bien les « réinventer » ?
Amy Dahan : La prochaine COP s’annonce encore pire : elle sera à nouveau organisée dans un pays non démocratique, à Dubaï aux Émirats arabes unis, qui font partie avec l’Arabie saoudite des forces d’obstruction régulières dans les négociations climatiques ou lors de la validation onusienne des rapports du Giec.
Je crois qu’il ne faut pas tuer les COP, ne serait-ce que parce que c’est un espace diplomatique crucial pour les pays du Sud. Mais elles ne vont pas résoudre le problème. L’essentiel selon moi, depuis l’accord de Paris, c’est qu’il faut reterritorialiser la question climatique. La transformation écologique qui s’impose est titanesque. Chaque gouvernement, région et ville doit s’atteler à implanter des politiques climatiques, à déployer un mix énergétique écologique.
Cette transformation ne pourra pas se faire en catimini. Elle devra être largement débattue et socialement juste, pour rencontrer une adhésion sociale et populaire. La sobriété ne peut plus être considérée comme liberticide et punitive. Elle est le premier pas pour un raccourcissement des horizons et une localisation des enjeux, car le dérèglement est ici et maintenant.
L’Union européenne doit mettre en conformité sa volonté d’être un leader climatique international avec une vision d’une nouvelle économie qui prenne en compte les limites planétaires. Dans notre monde aujourd’hui disloqué, on ne peut plus fonctionner avec l’économie libérale mise en place depuis les années 1990 et qui a fait le lit de la crise climatique.
On doit, par exemple, faire en sorte que les bénéfices gigantesques des majors énergétiques servent à financer la décarbonation de nos sociétés. Il faut casser cette dynamique économique libérale et lever définitivement les pare-feux qui ont été mis en place entre la réalité du climat aujourd’hui et les traités et mécanismes économiques internationaux qui contraignent l’action climatique.
publié le 19 novembre 2022
Observatoire des Multinationales sur https://multinationales.org/fr/
En matière de climat, l’ennemi numéro un, ce sont les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) - c’est-à-dire, parmi les grandes entreprises françaises, TotalEnergies. Mais beaucoup d’autres groupes ont des liens étroits et des intérêts partagés avec le géant pétrolier et le secteur des énergies fossiles en général. Ce qui explique leur opposition à un action climatique décisive.
En matière de lutte contre le réchauffement climatique, le secteur des énergie fossiles – charbon, pétrole et gaz – est de loin la première source d’émission de gaz à effet de serre au niveau global, et donc aussi la première cible des régulateurs que des activistes. En France, c’est principalement TotalEnergies, l’une des premières majors pétrolières et gazières au monde, qui se retrouve sous le feu des projecteurs et des critiques. Rien de plus normal, si l’on veut s’attaquer au problème à la racine. Mais ne faut pas oublier que les énergies fossiles sont profondément enracinées et intégrées dans tout le reste de l’économie, quel que soit le secteur d’activité.
Aujourd’hui, les défenseurs du climat s’efforcent de couper les flux de financement du secteur des énergies fossiles, de saper son crédit politique, et plus largement de le rendre « infréquentable ». En retour, les géants du charbon, du pétrole et du gaz (ayant renoncé au moins publiquement à la posture climato-sceptique qui a longtemps été la leur) s’efforcent de convaincre le public et leurs décideurs qu’ils sont engagés dans une transition vers des sources d’énergie moins polluantes et qu’ils « font partie de la solution ». Dans ce combat, les multinationales comme TotalEnergies peuvent compter sur les solides appuis dont il bénéfice parmi les entreprises des autres secteurs économiques, grâce aux liens commerciaux et personnels tissés avec elles, et plus largement dans la société à travers leur politique de financement et de mécénat.
Le CAC40 compte deux groupes relevant directement du secteur des énergies fossiles, la major pétrolière TotalEnergies et le groupe gazier Engie. Tous deux ne communiquent aujourd’hui que sur leurs investissements dans les énergies vertes, mais leur activité reste très largement ancrée dans l’exploitation du pétrole et du gaz.
Par le jeu des liens croisés entre entreprises via les sièges aux conseils d’administration, les dirigeants de TotalEnergies sont également impliqués (ou l’ont été récemment) dans la gouvernance de 17 autres groupes, et ceux d’Engie dans 8 autres groupes du CAC. Quasiment toutes les sociétés de l’indice ont dans leurs instances de gouvernance une personne employée par le secteur des énergies fossiles.
Ces liens personnels au niveau des instances de gouvernance des entreprises reflètent des liens économiques plus profonds. Quasiment tous les autres groupes du CAC40 ont un modèle industriel et commercial reposant sur l’utilisation massive de charbon, de pétrole et de gaz, ou ont des intérêts partagés avec le secteur des énergies fossiles.
C’est le cas des groupes des secteurs automobile et aérien (Airbus, Renault, Safran, Stellantis, Thales) dont l’activité et la croissance, en dépit de leurs promesses vertes, continuent de reposer sur une consommation massive de carburants fossiles et qui génèrent également des émissions importantes via les pneumatiques ou les systèmes de freinage. C’est le cas des groupes financiers (BNP Paribas, Axa, Crédit agricole, Société générale) qui alimentent en fonds le secteur des fossiles et qui en tirent des revenus substantiels. De nombreux industriels utilisent le pétrole et le gaz comme matière première (chimie, engrais) ou bien ont des activités importantes de services au secteur des hydrocarbures. Même les groupes du CAC40 spécialisés dans la communication, la publicité et les relations publiques – Publicis et Vivendi (Havas) notamment – sont régulièrement pointés du doigt pour leurs missions au service du secteur des énergies fossiles ou de pays pétroliers comme l’Arabie saoudite.
Aucune de ces entreprises n’a un intérêt réel à une sortie des énergies fossiles – condition pourtant indispensable pour éviter une élévation catastrophique des températures globales. Elles tendent donc à s’aligner sur les positions et les discours des multinationales du pétrole et du gaz dans le cadre d’une « coalition de l’inertie climatique » : il ne faut pas aller trop vite, il ne faut surtout pas prendre de mesures ambitieuses pour réduire certains usages (comme l’a proposé la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle le CAC40 s’est opposé en bloc), il faut miser sur le développement d’hypothétiques technologies « vertes » qui permettront de régler peut-être le problème un jour...
Il est légitime de cibler les énergies fossiles et les multinationales dont c’est le cœur d’activité. Mais il ne faut pas sous-estimer les soutiens sur lesquels ils peuvent compter dans l’ensemble du monde économique.
publié le 20 octobre 2022
Politis publie une lettre aux membres du gouvernement endossée par les organisations de la société civile. Elles demandent à la France de se retirer, comme l'Espagne, du traité entré en vigueur en 1988, jugé nocif, et de voter contre sa version rénovée, à quelques semaines du début de la COP27.
Le gouvernement français va devoir se prononcer d'ici à mi-novembre sur le maintien de la France au sein du très décrié Traité sur la charte de l'énergie, ce Traité nocif qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique.
Alors que le Haut conseil pour le climat vient de publier un avis qui recommande « un retrait coordonné du TCE et par la France et les Etats-membres de l'UE », que l'Espagne, les Pays-Bas et la Pologne ont annoncé s'en retirer – après l'Italie dès 2015 – et que la France est désormais poursuivie par un investisseur allemand au titre du TCE, plus d'une trentaine d'organisations de la société civile écrivent à plusieurs ministres du gouvernement pour les appeler à ce que la France se retire au plus vite du Traité sur la charte de l'énergie et vote contre le projet de TCE rénové lors du prochain vote du Conseil des ministres de l'UE.
À quelques semaines de la COP27 sur le climat (6 novembre-18 novembre), et alors que le GIEC a mis à l'index le TCE comme un frein aux politiques climatiques ambitieuses, les organisations invitent également toutes celles et ceux qui le souhaitent à se joindre à cette action en envoyant la même lettre par cet outil électronique.
« La France doit sortir du Traité sur la charte de l'énergie »
Le 19 octobre 2022
Destinataires :
Bruno Le Maire, Ministre de l'économie et des finances
Christophe Béchu, Ministre de la transition écologique
Agnès Pannier-Runacher, Ministre de la transition énergétique
Olivier Becht, Ministre délégué au commerce extérieur
Laurence Boone, secrétaire d'Etat chargée de l'Europe
A l'heure où la catastrophe climatique s'aggrave, les tensions géopolitiques s'accentuent et les prix de l'énergie s'envolent, comment la France pourrait-elle rester membre d'un traité, le Traité sur la charte de l'énergie, qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique d'ampleur dont le besoin et l'urgence se font sentir de toute part ?
Comment accepter de rester membre d'un traité qui permet à des industriels de poursuivre des États pour leurs politiques de fermeture de centrales au charbon (Pays-Bas), d'interdiction de forages pétroliers (Italie), de restriction sur l'utilisation des techniques d'exploitation les plus néfastes (Slovénie), ou d'adaptation des mesures de soutien aux énergies renouvelables (Espagne, France) (1) ?
Cela fait désormais de nombreuses années que nos organisations alertent quant aux dangers que représente le Traité sur la charte de l'énergie (2), et plus d'un million de personnes en Europe ont signé une pétition pour demander l'UE et les États-membres à se retirer du TCE (3). Après avoir été menacée de poursuites au moment de l'examen de la Loi Hulot sur les hydrocarbures, au point que celle-ci soit édulcorée, la France est désormais poursuivie par un investisseur allemand suite à la révision à la baisse des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque, décidée en 2020 (4).
La France va-t-elle rester sans réagir face à ce traité nocif tant pour la transition énergétique que pour la capacité des pouvoirs publics de réguler finement le secteur ? Nos organisations invitent toutes celles et ceux que ce Traité révolte à nous rejoindre (https://s.42l.fr/Exit-TCE-Maintenant) pour appeler solennellement le gouvernement français à ce que la France :
se retire du Traité sur la Charte de l'énergie
vote contre le projet de nouveau Traité sur la charte de l'énergie lors du prochain vote du Conseil des ministres de l'UE
intervienne pour empêcher l'intégration d'autres pays du Sud à ce Traité nocif
Signé en 1994 et entré en vigueur en 1998, le TCE est un vestige du passé : il visait à encourager et à protéger les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur de l'énergie, en particulier dans les pays de l'ex-Union soviétique. Trente ans plus tard, cela n'a plus aucun sens : alors que l'urgence climatique impose une fermeture accélérée d'un certain nombre d'infrastructures fossiles existantes et une régulation fine du secteur de l'énergie, le TCE fragilise considérablement la capacité des pouvoirs publics à assurer à la fois la sécurité énergétique et climatique des populations.
Les principes qui fondent le TCE (protection des investisseurs, non-prise en compte des enjeux climatiques, etc) ne tiennent aucun compte des immenses défis climatiques et énergétiques auxquels nous sommes confrontés.
Face aux critiques, l'Union européenne a consenti à accepter un processus de modernisation du TCE. Après plusieurs années de négociations, loin de régler les problèmes soulevés, ce traité modernisé prévoit de prolonger la protection des investissements dans les énergies fossiles sur une trop longue période, ainsi que d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges.
Alors que ces nouvelles dispositions pourraient être entérinées d'ici mi-novembre par le Conseil de l’UE, puis lors d’une conférence des États-membres du TCE le 22 novembre prochain, il est plus que nécessaire que le gouvernement français annonce voter contre ce nouveau TCE et, en suivant l'exemple d'autres pays européens tels que l'Espagne, se retire du TCE.
Veuillez recevoir l'expression de nos plus sincères salutations.
Organisations signataires :
350.org, Alternatiba, Attac France, Bloom, CADTM France, CCFD-Terre Solidaire, Comité Pauvreté et Politique, Confédération Paysanne, Droit Au Logement, Emmaüs International, Energie de Nantes, Escape-jobs, France Nature Environnement, GAFE-FRANCE, Générations Futures, GERES, Greenpeace, Institut Veblen, LDH (Ligue des droits de l'Homme), Les Amis du Monde Diplomatique, Makesense, Notre Affaire A Tous, Reclaim Finance, Réseau Roosevelt IDF, Sherpa, Pour un réveil écologique, Union syndicale Solidaires, Unis Pour Le Climat et la biodiversité, Youth For Climate, Pour un réveil écologique,
Voir ces liens pour avoir plus de détails sur le cas des Pays-Bas, de l'Italie, de la Slovénie.
280 organisations appellent les États de l’UE à sortir du Traité sur la charte de l’énergie, décembre 2019.
Pétition « Sortez du TCE maintenant » signée par plus d'un million de personnes en Europe.
Voir ces liens sur les pressions de l'entreprise canadienne Vermilion sur la Loi Hulot et sur les poursuites par un investisseur allemand contre la France
Marion d'Allard sur www.humanite.fr
Les Pays-Bas viennent d’annoncer leur retrait du TCE, qui offre aux géants des énergies fossiles la possibilité de se retourner contre des États si ces derniers optent pour des politiques contraires à leurs intérêts. Une victoire pour le climat.
Rotterdam (Pays-Bas). En 2019, l’entreprise allemande Uniper avait attaqué le pays, s’estimant lésée par la fermeture programmée des centrales à charbon d’ici à 2030. T
Après l’Espagne il y a quelques jours et avant la Pologne, les Pays-Bas viennent d’annoncer, par la voix du ministre néerlandais de l’Environnement, la sortie du pays du traité sur la charte de l’énergie (TCE). Ce texte, a simplement déclaré Rob Jetten, « ne peut pas être concilié avec l’accord de Paris ».
Une victoire pour la société civile et les défenseurs de l’environnement, un pas de plus vers l’abandon de ce texte d’un autre âge qui offre aux géants des énergies fossiles une arme juridique puissante pour protéger leurs intérêts privés au détriment de l’intérêt général et de la lutte contre le réchauffement climatique.
Un tribunal d’arbitrage
Pour comprendre de quoi il est question, il faut remonter au mitan des années 1990. En 1994 précisément, lorsque, à peine sortie de la guerre froide, l’Europe, craignant pour ses approvisionnements en pétrole et en gaz, va créer un arsenal légal visant à une « intégration harmonieuse » des marchés de l’énergie entre l’Union européenne et l’ex-bloc soviétique.
Entré en vigueur en 1998, le TCE est à ce jour signé par 53 pays dont l’ensemble de l’Union européenne (à l’exception de l’Italie), les anciens États soviétiques, le Yémen, le Japon ou encore l’Afghanistan. Contraignant, cet accord comprend, entre autres leviers, la possibilité offerte à une entreprise énergétique de se tourner vers un tribunal d’arbitrage – une justice privée parallèle – et d’attaquer un État qui viendrait à prendre des mesures susceptibles d’affecter la rentabilité de ses investissements. Une aubaine pour les géants des énergies fossiles qui trouvent là le moyen de poursuivre leurs activités climaticides.
L’Europe sort peu à peu de sa cécité
En 2020, relevait Attac, 131 cas de litige opposant des sociétés privées à des États au nom du TCE étaient ainsi recensés, « dont 67 % portant sur des cas intra-UE ». Parmi eux, l’entreprise allemande Uniper qui, en 2019, a attaqué les Pays-Bas s’estimant lésée par la fermeture programmée des centrales à charbon d’ici à 2030. Trois ans auparavant, l’Italie, sortie du TCE en 2016, en avait également fait les frais, condamnée à verser 180 millions d’euros à la compagnie britannique Rockhopper à la suite d’un moratoire décrété sur les forages offshore. Et la France n’est pas épargnée. Pour la première fois de son histoire, Paris est mis devant un tribunal d’arbitrage au nom du TCE par la firme allemande Encavis AG pour avoir modifié les tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque.
Face à l’incompatibilité notoire du TCE avec le vote et l’application de politiques énergétiques qui répondent enfin au défi climatique, un vaste chantier de « modernisation » du traité a été lancé il y a quatre ans. Trop lentes, trop peu ambitieuses, les discussions patinent et l’Europe sort peu à peu de sa cécité. C’est dans ce contexte que le retrait des Pays-Bas accentue encore la pression sur la France. Alors que le vote solennel sur la nouvelle mouture du TCE doit avoir lieu le 22 novembre, en Mongolie, les États ont jusqu’à fin octobre pour déterminer leur position. L’occasion pour Emmanuel Macron de poser des actes sur ses grands discours.
publié le 6 octobre 2022
Jade Lindgaard sur www.mediapart.fr
L’exécutif annonce de nombreuses mesures pour réduire la consommation d’énergie de 10 % d’ici à 2024. Mais presque tout est basé sur le volontariat et les moyens de mise en œuvre restent flous.
LeLe gouvernement a dévoilé au matin du jeudi 6 octobre les mesures de son plan de sobriété. L’objectif, déjà fixé par la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne, est de réduire de 10 % les consommations énergétiques d’ici à 2024. Issues de groupes de travail qui réunissent depuis juin dernier des représentantes et représentants patronaux et syndicaux, des collectivités locales et des services de l’État, des feuilles de route sont proposées par secteur : État, entreprises, tertiaire, industries, transports, logement, numérique, sport et collectivités locales.
L’exécutif mise tout sur la chasse au gaspillage, et entend concilier trois principes à ses yeux fondamentaux : la souveraineté nationale, en se libérant du gaz russe, la maîtrise du pouvoir d’achat, en limitant les factures énergétiques des Français·es, et l’enjeu climatique, en accélérant la réduction des gaz à effet de serre – le pays est en retard sur ses engagements. « Ce n’est pas un plan de réduction de l’activité économique de la France », a tenu à préciser le cabinet de la première ministre. Depuis un salon d’entrepreneurs, le Bpifrance Inno Génération (Big), Emmanuel Macron a enfoncé le clou : « Cela ne veut pas dire “produire moins” ou “aller vers une économie de la décroissance”. Pas du tout, la sobriété ça veut juste dire “gagner en efficacité” en traquant à chaque instant les coûts cachés [...] tout ce qu’on peut faire pour produire encore davantage mais en dépensant moins. »
Parmi les mesures annoncées, qui avaient été éventées par Le Parisien : limitation de la température à 19 °C – et à 18 °C les jours de tension sur le réseau d’électricité –, suppression de l’eau chaude dans les bâtiments publics, plafond à 110 km/h pour les fonctionnaires en déplacement professionnel, hausse de l’indemnité de télétravail ainsi que du forfait de mobilité durable pour 80 000 agent·es de la fonction publique, réduction du chauffage dans les gymnases et les piscines, bonus sobriété pour les ménages qui baissent leur consommation, aide pour remplacer sa chaudière à gaz par une pompe à chaleur, etc.
Pas d’obligation réglementaire, peu de décrets – ceux sur l’extinction de la publicité lumineuse la nuit et sur l’interdiction de la climatisation et du chauffage en cas de porte ouverte ont été publiés jeudi matin. Selon le gouvernement, le plan sobriété repose sur la « co-construction » et la libre initiative des acteurs économiques, qui sont invités à communiquer sur une plateforme les mesures qu’ils ont l’intention d’appliquer. « Si la nation tout entière arrive à tenir cet objectif, qui est purement volontariste – il ne faut pas de décret, de loi, de choses compliquées–, si on se mobilise tous pour le tenir, dans les pires scénarios on passe l’hiver », a affirmé Emmanuel Macron jeudi matin. Le 10 octobre, le gouvernement va lancer une campagne d’information sur les écogestes : « Chaque geste compte ».
Tout cela suffira-t-il à baisser de 10 % les consommations énergétiques ? Tout va dépendre de la réalité de la mise en œuvre des mesures et de leur échelle d’application. Quel suivi sera mis en place ? Avec quel système de contrôle ? Qui pour conseiller les ménages et quels moyens humains pour aller régler les chaudières et les thermostats du pays ? Si l’exécutif est sérieux dans ses intentions d’économies d’énergie, il va lui falloir déployer d’importants moyens humains et matériels d’accompagnement concret et local des ménages et des acteurs économiques.
Sur www.greenpeace.fr
Jeudi 4 octobre, le gouvernement doit présenter son plan de sobriété énergétique qui a pour objectif de réduire la consommation énergétique du pays de 10% d’ici 2024 dans un contexte de risque de pénurie cet hiver et de forte inflation des prix de l’électricité.
Pour Greenpeace France, ce plan, qui se fait attendre depuis des années, doit être à la hauteur du défi énergétique et de l’urgence climatique. S’il se cantonne à une campagne de communication et à un guide de petits gestes purement incitatifs, en faisant l’impasse sur des mesures structurantes et pérennes en faveur de la justice sociale et de la protection du climat, le gouvernement ratera le coche.
“Sensibiliser à la sobriété est essentiel, surtout si cela permet de faire baisser la facture des ménages, mais on ne réglera ni la crise énergétique ni la crise climatique uniquement avec des gestes individuels et des incantations. Pour être efficace, ce plan doit proposer des mesures ambitieuses et être guidé par le souci d’une juste répartition de l’effort.
Il doit par exemple s’accompagner d’une rénovation globale des passoires énergétiques qui doit bénéficier en premier
lieu aux plus précaires.
Enfin, si l’intention du gouvernement est réellement de faire “la chasse au gaspi”, pourquoi ne pas interdire complètement les écrans publicitaires comme nous le demandons?[1]
commente Nicolas Nace, chargé
de campagne transition énergétique pour Greenpeace France.
Plus globalement, Greenpeace France réaffirme la nécessité d’engager une vraie transition énergétique basée sur la sobriété et l’efficacité énergétique et le 100% renouvelables.
L’association souscrit également aux huit conditions du Réseau Action Climat pour un plan de sobriété efficace et juste.
1] Un récent décret du gouvernement propose une extinction des écrans publicitaires uniquement entre 1h et 6h du matin (soit en dehors des pointes de consommation) et comporte de nombreuses exceptions
publié le 4 juillet 2022
Marine Cygler sur www.humanite.fr
Des chênes verts qui s’adaptent pour produire moins de feuilles et moins de glands, voici les premiers résultats d’une étude menée dans l’Hérault depuis 2003 pour évaluer la réponse de la forêt méditerranéenne aux conséquences du changement climatique.
Jean-Marc Orcival mesure le carbone qui entre dans la forêt lors de la photosynthèse et celui qui en sort lors de la respiration. Photo Hemis via AFP
Parcourir la forêt de chênes verts située à quelques encâblures du village de Puéchabon, dans l’Hérault, c’est entrer dans une expérience scientifique à ciel ouvert. Ici, grâce à un dispositif de gouttières qui interceptent 30 % des précipitations, des chercheurs ont créé artificiellement une aridification du climat à laquelle devra faire face la forêt méditerranéenne avec le changement climatique. Comment réagira-t-elle à la sécheresse ?
Cette expérience d’exclusion de pluie qui se déroule depuis presque vingt ans est l’une des plus longues au monde. Aussi, elle apporte déjà quelques précieux éléments : dans les parcelles partiellement privées de pluie, les arbres ont moins de feuilles et produisent moins de fruits, ce qui interroge les écologues sur la capacité de régénération de la forêt du futur.
Le futur s’est dangereusement rapproché
En 2000, les prévisionnistes tablaient sur une réduction de 30 % des précipitations à la fin du siècle. En 2003 a commencé une expérience au long cours consistant à couvrir un tiers de la surface de trois parcelles de 100 m2 par des gouttières qui récupéraient l’eau de pluie, laquelle n’atteignait donc jamais le sol. L’objectif : simuler la sécheresse future.
Sauf que le futur s’est en fait dangereusement rapproché. « Au début de l’expérience, on imaginait simuler le climat de 2100. On se rend compte aujourd’hui qu’étant donné l’augmentation des températures ce sera le climat de 2035 », explique Jean-Marc Limousin, chercheur au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du CNRS
Au fur et à mesure des travaux de prévision, il est devenu évident que le Bassin méditerranéen serait particulièrement impacté par le changement climatique. Les températures y augmentent et les précipitations y diminuent bien plus vite que la moyenne mondiale. « Cela n’a pas d’intérêt de se pencher sur les précipitations telles quelles : ce qui est important pour les arbres, c’est la vitesse à laquelle le réservoir dans le sol va s’évaporer. Et pour ça, c’est la température qui compte », poursuit-il.
Moins de transpiration et de photosynthèse
Avec son collègue Jean-Marc Ourcival, ils suivent certains arbres en particulier, marqués par des rubans colorés. Depuis un réseau de passerelles aériennes qui permet d’accéder à la cime des arbres, à environ 4 mètres du sol, ils comptent les feuilles et récoltent les fruits dans des filets. « La réaction principale des arbres à la sécheresse imposée est la réduction de 20 à 25 % du nombre de feuilles », constate Jean-Marc Limousin. « En 2003, on pensait que les feuilles allaient changer de forme et de taille, alors que c’est leur nombre qui est impacté par l’aridification », fait remarquer Jean-Marc Ourcival, qui voit là un bon exemple de l’importance de l’expérimentation.
Réduire ce que les scientifiques appellent l’indice foliaire est une stratégie d’adaptation car, s’il y a moins de feuilles, il y a moins de perte d’eau par transpiration. « Mais cela veut dire aussi qu’il y a moins de photosynthèse : au bout de deux-trois ans, on a vu que les arbres s’acclimataient en devenant plus économes, plus lents », poursuit Jean-Marc Limousin. De fait, la photosynthèse, qui permet aux végétaux de fabriquer leur matière organique, est un ensemble de réactions biochimiques se déroulant dans les feuilles.
Que les parcelles soient privées d’eau ou non, les chercheurs se sont rendu compte qu’une sécheresse printanière avait un impact particulièrement négatif sur la croissance des chênes verts. En effet, c’est normalement durant cette saison, quand il fait assez chaud sans que le climat soit trop sec, que les arbres poussent. La croissance s’arrête en revanche l’été, quand les arbres ferment les stomates de leurs feuilles pour éviter la perte d’eau par la transpiration, ce qui empêche aussi la photosynthèse.
L’enjeu de la régénération
« La question qui se pose déjà aujourd’hui, c’est de savoir si les arbres vont s’arrêter de pousser en juin ou fin juillet… », indique Jean-Marc Limousin. Cela dit, pour l’instant, la privation d’eau n’empêche pas les arbres de pousser. Ils ont moins de feuilles, certes, mais ils croissent. « Si le bois ne pousse pas, il meurt. L’arbre n’a pas le choix, il est obligé de grandir chaque année. C’est donc la priorité absolue », détaille le chercheur.
En revanche, le chercheur s’inquiète que les arbres des parcelles sèches produisent moins de fleurs et de fruits que les parcelles qui ne sont pas privées d’eau. 40 % de glands en moins : c’est loin d’être anecdotique. « C’est une information importante pour l’avenir de la forêt. Dans quelques années, avec l’aridification, pourra-t-elle se régénérer ? » interroge-t-il.
Une forêt domaniale transformée en laboratoire grandeur nature
La forêt domaniale de Puéchabon est étudiée depuis 1984 par des chercheurs du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier, rattaché au CNRS. « C’est une forêt qui n’est plus exploitée depuis quatre-vingts ans. Lorsque nous en avons fait un site expérimental, une problématique d’écologie pure s’est imposée. L’idée : observer ce que devient une forêt sans gestion, coupe ni intervention humaine », explique Jean-Marc Ourcival.
Puis, en 1998, quand la communauté scientifique a été convaincue de la réalité du changement climatique, se souvient le chercheur, l’Union européenne a lancé de grands projets de recherche. À Puéchabon, il s’est agi de savoir combien un écosystème laissé à sa libre évolution était capable de pomper de carbone.
Aussi des tours de flux que l’on entend siffler mesurent en permanence le carbone qui entre dans la forêt lors de la photosynthèse et celui qui sort lors de la respiration. Résultat : la forêt de Puéchabon fixe 2,5 tonnes de carbone par hectare et par an. Las, une sécheresse printanière, comme il s’en produit de plus en plus souvent, et ce bilan s’effondre à 1 tonne de carbone par hectare et par an.