publié le 7 juin 2022
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Police Un refus d’obtempérer supposé, des tirs de fonctionnaires : une jeune femme est décédée, samedi 4 juin, à Paris. Un scénario déjà vu, qui pose à nouveau la question du comportement des agents et de leur formation.
Trois affaires, quatre morts. À Sevran (Seine-Saint-Denis), le 26 mars ; sur le Pont-Neuf, à Paris, le 24 avril, et samedi 4 juin, à nouveau à Paris : c’est le bilan, en moins de trois mois, de tirs policiers sur des véhicules dont les conducteurs sont accusés d’avoir refusé d’obtempérer. La dernière s’est déroulée samedi, en fin de matinée, dans le 18e arrondissement. Selon les sources policières, elle suit le même schéma que les précédentes – et pose les mêmes questions sur le comportement des policiers, leur formation, leurs conditions d’exercice.
Boulevard Barbès, la voiture aurait tenté d’échapper à un contrôle. Les fonctionnaires tirent à neuf reprises. Le chauffeur est grièvement blessé. Sa passagère décède le lendemain. Deux enquêtes ont été ouvertes à la suite de ce drame. La première, confiée à l’IGPN, vise les trois policiers pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ». Elle devra établir s’ils ont agi en situation de légitime défense. L’autre vise le conducteur et les occupants de la voiture pour « tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique ».
L’affaire a rapidement déclenché une polémique : le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a dénoncé sur Twitter « la peine de mort pour un refus d’obtempérer ». Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, lui a reproché d’utiliser les policiers « comme des otages d’une campagne électorale ». De son côté, Me Liénard, l’avocat des trois fonctionnaires, s’est fait entendre dans divers médias, mettant en avant le jeune âge de ses clients (entre 25 et 30 ans). « C’est la première fois qu’ils utilisent leurs armes », a-t-il fait valoir.
Une formation déficiente
Ce dernier point pose la question de la formation et de l’encadrement de ces policiers. « À 10 mètres du véhicule, si on a la possibilité de sauver sa peau, on doit éviter de tirer », recadre Anthony Caillé, de la CGT police. Selon lui, il y a bien un problème de gestion de ces situations extrêmes : « La formation initiale a été ramenée d’un an, ce qui est déjà insuffisant, à huit mois. Suivis de douze mois de stage. Avant, on se retrouvait n° 4 ou 5 dans un équipage, aujourd’hui on arrive directement adjoint du chef. On envoie ces gamins au casse-pipe ! »
En parallèle, la formation au maniement des armes est dramatiquement déficiente : « En Île-de-France, il manque entre 120 et 130 instructeurs de tir, rappelle Anthony Caillé, soit presque la moitié de l’effectif. Et on peine à accéder aux stands de tir. » Résultat : le minimum d’entraînement prévu, soit trois tirs de deux fois quinze cartouches par an, est rarement effectué. En outre, « il y a de plus en plus de policiers contractuels. C’est le même problème que dans les autres services publics. C’est comme les professeurs, sauf que nous manipulons des armes ».
Le syndicaliste pointe aussi les discours martiaux de certains politiques et médias : « Depuis dix ou quinze ans, on assiste à une surenchère pour libérer les conditions de tir des policiers. Chez les jeunes collègues, le message passe. » La loi de 2017 a modifié les conditions de tir des forces de police en cas de refus d’obtempérer. Depuis, selon l’IGPN elle-même, le nombre de tirs a augmenté de 50 %.
Chaque jour, retrouvez #LaMinutePolitique de Pierre Jacquemain sur www.regards.fr.
Une vidéo à voir sur : https://youtu.be/bAfv1ysVTW4
Le ciel est bleu. Le feu ça brûle et l’eau ça mouille. Et il parait même qu’il n’y a pas de fumée sans feu. La polémique suscitée par le tweet de Jean-Luc Mélenchon qui assure que « la police tue » est aussi absurde qu’infondée. Oui, la police tue. En France et à l’étranger. Pourquoi le nier ? Les exemples sont pléthoriques : d’Adama Traore en passant par Wissam El-Yamni, Claude Jean-Pierre ou Zyed Benna et Bouna Traoré : c’est factuel. La police tue. Qu’il s’agisse de cas de légitime défense ou de bavures policières, la police a tué. La police tue. En 2019, le site Basta recensait même 676 personnes tuées à la suite d’une intervention policière en à 43 ans.
Il y a dans la critique faite à Jean-Luc Mélenchon une forme de déni. Jean-Luc Mélenchon, comme il le rappelle ce matin sur France Inter, n’est pas anti-flic. Il est « contre l’usage disproportionné de la violence » et favorable à la formation d’une police républicaine. Pourquoi dit-il ça ? Parce que depuis l’entrée en vigueur d’une loi sur la légitime défense des policiers datant du 28 février 2017, les tirs des policiers et des gendarmes ont augmenté de 50%. Depuis cette date, les forces de l’ordre peuvent plus facilement faire usage de leur arme, notamment en cas de refus d’obtempérer. Une loi qui « est venue mettre de la confusion dans des textes qui étaient jusque-là très clairs », assure ce matin Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS sur France Info. Comment ne pas s’en inquiéter ?
Historiquement, l’usage des armes par les policiers devait être « absolument nécessaire, strictement nécessaire et absolument proportionnelle aux dangers encourus. La loi est venue introduire une notion un peu compliquée », explique le chercheur qui ajoute : « lorsqu’il y a refus d’obtempérer, et que le policier peut imaginer raisonnablement que la personne va porter atteinte ou risque de porter atteinte » aux membres des forces de l’ordre ou à n’importe qui, le policier peut tirer. Ce qui n’était pas le cas avant. Comment ne pas s’en inquiéter, disais-je ? C’est même l’IGPN qui a alerté, quelques mois seulement après l’entrée en vigueur de la loi, de ses effets sur la hausse significative des tirs par les policiers. Des tirs qui ont conduit et conduisent inévitablement à des drames.
Ça n’est donc pas faire injure aux policiers de dire que la police tue. Parce que tout simplement, on l’y autorise. La loi l’y autorise et plus encore cette loi du 28 février 2017 – une loi revendiquée de longue date par le syndicat de police, Alliance. La police tue. Ça ne fait peut-être pas plaisir à entendre mais c’est une réalité. De même que l’homme tue. C’est aussi une réalité. Ce qui ne veut pas dire que tous les hommes tuent. Que l’homme serait nécessairement un loup pour l’homme. Mais nier l’évidence, c’est s’empêcher de vouloir mettre le nez dans ce qui devrait constituer une urgence : celle de repenser notre police et la doctrine du maintien de l’ordre. Et à défaut d’une réforme de la police, la priorité pourrait être mise sur la formation des policiers. Parce que le premier problème de la police, comme le rappelle Jobard, c’est "le manque structurel de formation des policiers". Et une police mal formée, c’est une police qui se met en danger. Et nous avec.
Par Stéphane Sahuc sur www.humanite.fr
En twittant « La police tue », à propos de la mort d’une jeune femme victime de tirs de policiers se jugeant en état de légitime défense après un refus d’obtempérer, Jean-Luc Mélenchon a reposé le débat sur le rôle de ces agents dans notre société. En choisissant de nommer les choses dans leur terrible brutalité, il a créé les conditions pour que cela ne reste pas un simple fait divers.
La teneur des réactions qu’a suscitées ce tweet montre en effet que, pour certains, la police ne peut souffrir de critiques. Voire que ceux qui critiquent des policiers « nuisent à la République et à la démocratie », pour citer Christian Estrosi, ou se « déshonorent », selon Gérald Darmanin.
Pourtant, le débat autour de l’utilisation d’une arme à feu par des policiers au nom de la « légitime défense » n’est ni inepte ni anodin. Car ce concept n’est pas un point aveugle de la stratégie sécuritaire du pouvoir. Comme la doctrine du maintien de l’ordre musclé, il s’inscrit dans une logique de « violence légitime d’État » comme un outil au service d’une bourgeoisie et d’un pouvoir fortement contesté. La France des ronds-points, des mobilisations syndicales, des quartiers populaires goûte dans sa diversité cette « violence légitime ». C’est pour s’assurer de la loyauté de ceux qui l’exercent que la notion de « légitime défense » a été étendue, non pour que les policiers puissent défendre légitimement leur vie.
La modification de février 2017 des textes sur les conditions de l’usage des armes à feu par la police a eu comme conséquence que les tirs des policiers et gendarmes ont augmenté de 50 % cette année-là, selon une note interne de l’IGPN, la « police des polices ». Cette modification du concept de « légitime défense », certains syndicats policiers et partis de droite et d’extrême droite veulent la pousser plus loin encore en inventant une « présomption de légitime défense ». Si elle était adoptée, une telle mesure n’aurait comme conséquence que d’augmenter encore l’usage de la force. Et de renforcer le cercle vicieux : la peur de la police, le refus d’obtempérer, l’usage de l’arme, la bavure.
publié le 5 mai 2022
sur https://lepoing.net
Le Poing a reçu ce communiqué de presse que nous relayons :
Amnesty International interdit de parole publique par la Mairie de Montpellier.
Le groupe de Montpellier du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN Montpellier), avec la Campagne BDS France Montpellier et le soutien de nombreuses organisations, organise le 12 mai une rencontre autour du rapport d’Amnesty International « L’Apartheid israélien envers le peuple palestinien; Un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ».
Le rapport sera présenté par Jean-Claude Samouiller, vice-président d’Amnesty International France.
Pour cette rencontre, la MAN a fait une demande d’utilisation d’une salle municipale (Salon du Belvédaire – Corum). Cette demande a été dans un premier temps acceptée, et nous avons signé la convention, et commencé à communiquer pour cette soirée.
Or, le 2 mai, nous avons reçu un courrier daté du 29 avril nous informant de la résiliation de la convention d’utilisation de la salle ! Le motif évoqué est le suivant:
“D’après les éléments en notre possession, il s’avère que le bénéficiaire réel de cette convention d’occupation ne serait pas le MAN mais un collectif d’associations qui n’apparait pas dans la demande effectuée.
Par ailleurs, l’utilisation projetée ne correspondrait pas au motif apparaisant dans le formulaire de demande.”
Ces considérations sont bien évidemment complètement fausses !
– Le MAN, est bien le responsable qui a signé et “bénéficiaire” de la convention; ses militant-e-s seront présent-e-s, nous accueillerons les intervenants qui ont accepté de venir, nous participerons au débat.
– Le sujet “présentation du rapport d’Amnesty International“ est bien évidemment celui que nous avons inscrit dans le formulaire de demande !
Le soutien au peuple palestinien est une des causes majeures défendues par le MAN historiquement. Laisser croire que nous utiliserions cette cause pour autre chose, comme la mairie le fait pour dénoncer la convention, est méprisant.
Nous savons que la Mairie n’a bien sûr aucun des “éléments en sa possession” qui validerait son refus pour les motifs avancés. En revanche il est probable que le sujet de la conférence ne lui convienne pas. Dans ce cas, c’est de la censure politique. Un rapport qui parle d’un système d’appartheid concernant l’état israélien n’est certainement pas confortable pour la municipalité actuelle. Il aurait été beaucoup plus clair de donner directement le motif réel.
De fait, il devient impossible à Montpellier d’exposer la moindre critique envers l’Etat d’Israël, bien que ce dernier ne respecte pas le droit international, ni les Droits de l’Homme, et c’est ce que met en lumière le rapport d’Amnesty International.
Le MAN Montpellier proteste énergiquement contre ce qu’il considère comme une atteinte à sa liberté d’expression. En ce sens, notre avocat a déposé auprès du Tribunal Administratif un référé-liberté pour faire valoir nos droits, et que cesse cette censure politique de la Municipalité de Montpellier. Nous appelons tous les élus démocrates et sensibles à la cause des peuples opprimés à nous soutenir dans cette démarche.
MAN Montpellier, le 4 mai 2022
LE MAN DÉPOSE UN RÉFÉRÉ-LIBERTÉ AUPRÈS DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF.
LA RÉUNION AURA LIEU LE 12 MAI À 19H, LE LIEU sera confirmé si changement : Belvédère du Corum ou Carmagnole
publié le 20 avril 2022
Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr
Depuis de nombreuses années, les défenseurs des droits humains alertent sur l’accumulation de textes sécuritaires et le risque que ceux-ci tombent un jour entre de mauvaises mains. À quelques jours du second tour, cette menace risque de devenir une réalité.
« Essayez la dictature, et vous verrez ! » Cette invitation faite en janvier 2020 sur le ton de la provocation par Emmanuel Macron prend, à l’approche du second tour de l’élection présidentielle, une tout autre tonalité. Alors que l’extrême droite n’a jamais été si proche d’accéder au pouvoir, la bravade du président lancée à ceux dénonçant sa dérive autoritaire sonne, deux années plus tard, comme une menace bien réelle. Et si les Français prenaient Emmanuel Macron au mot ?
Entre les lois sécuritaires votées sous le mandat de Nicolas Sarkozy, celle sur le renseignement sous celui de François Hollande, l’inscription dans le droit commun de l’état d’urgence sous celui d’Emmanuel Macron, et d’une manière générale l’explosion des dispositifs de fichage et de surveillance durant les trois derniers quinquennats, Marine Le Pen disposera, de fait, d’un arsenal juridique répressif inédit dans l’histoire.
De nombreuses voix se sont élevées ces dernières années pour dénoncer cette érosion progressive de notre État de droit déjà l’œuvre, et pour alerter sur le danger que représenterait l’arrivée au pouvoir d’un régime autoritaire qui n’aurait plus qu’à utiliser ces outils pour mener une politique de répression de toute opposition.
« Nous construisons avec ces lois sécuritaires les outils de notre asservissement de demain, prévenait ainsi au mois de novembre 2020 l’avocat Patrice Spinosi. Le risque est réel de la victoire en 2022 ou en 2027 d’un leader populiste, un Trump à la française, poursuivait-il. Il trouvera alors tous les outils juridiques lui permettant de surveiller la population et de contrôler ses opposants politiques. Il sera trop tard pour regretter d’avoir voté ces lois quand un président, avec une moindre ambition démocratique, les appliquera avec une intention bien différente du gouvernement actuel. »
Les majorités successives ont systématiquement ignoré ces mises en garde, en estimant, comme l’a fait Emmanuel Macron, que la France n’est pas une « dictature » et en faisant peser sur les électeurs la responsabilité de l’avènement d’un tel régime.
Ce fut le cas par exemple à l’occasion du vote de la loi « Renseignement » du 24 juillet 2015, l’un des grands textes liberticides de ces quinze dernières années. Pour rappel, celui visait à inscrire dans le droit commun les pratiques dîtes « a-légales », c’est-à-dire les techniques de surveillance non autorisées par la loi mais tout de même employées par les services de renseignement.
Pour cela, la majorité socialiste a prévu sept « finalités » pour lesquelles les services sont désormais autorisés à utiliser certaines « techniques » : la pose de micros ou de caméras, l’utilisation de logiciels espions, d’IMSI-Catcher (des appareils permettant d’intercepter les données des téléphones mobiles se trouvant à proximité) ou encore l’installation sur le réseau internet de « boîtes noires » permettant d’opérer une surveillance algorithmique du trafic.
Il y a des outils que nous encadrons, mais des outils qui peuvent être demain des dangers.
Ce projet avait suscité une mobilisation particulièrement importante de la société civile et avait été critiqué par la plupart des autorités administratives indépendantes, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Au Parlement, plusieurs élus de tous bords avaient tenté d’alerter sur le caractère intrusif des techniques ainsi légalisées au regard des « finalités » extrêmement larges posées par la loi, pouvant facilement faire l’objet d’une instrumentalisation.
« Je ne veux pas que la loi, tombant dans des mains malintentionnées, soit un instrument qui porte atteinte à nos libertés fondamentales. Car, je le dis sereinement mais résolument, ce texte n’est pas un texte anodin : il revient à mettre des procédures d’exception dans le champ du droit commun », déclarait ainsi le député centriste Hervé Morin.
Avec ces nouvelles finalités, « les interceptions couvrent peu ou prou tout le champ de la vie nationale, poursuivait l’ancien ministre de la défense de Nicolas Sarkozy. Pour ne prendre que quelques exemples, la protection des engagements européens de la France, la défense des intérêts économiques “essentiels”, et non plus “majeurs”, la lutte contre les crimes et délits organisés, sans qu’il y ait de plancher de peine, les risques liés aux violences collectives, sont autant de champs permettant des atteintes graves à nos libertés, si les moyens mis en œuvres sont entre les mains de personnes mal intentionnées. »
Le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale Bruno Le Roux avait d’ailleurs reconnu ce risque. « Il y a des outils que nous encadrons, mais des outils qui peuvent être demain des dangers, avait-il admis sur France Inter. Il y a eu quelques fois dans l’histoire de notre démocratie des politiques qui ont pris un certain nombre de libertés avec la façon d’utiliser ces moyens, avec la façon d’utiliser les dispositifs. » Mais, dans le même temps, le député PS balayait cette hypothèse en assurant : « Avec nous, vous n’avez rien à craindre sur l’utilisation de ces outils. »
Cet argument a également été avancé au moment de la polémique qui avait accompagné la création du fichier de Titres électroniques sécurisés (TES). Le dimanche 30 octobre 2016, le gouvernement avait discrètement publié un décret actant la création d’un méga-fichier devant centraliser l’ensemble des données relatives aux passeports et cartes d’identité des Français : identité civile, couleur des yeux, taille, données familiales, photographie, signature manuscrite, éventuellement e-mail et numéro de téléphone, ainsi que les empreintes digitales récoltées lors de la délivrance d’un titre biométrique.
Le projet avait, cette fois encore, suscité un tollé et une forte mobilisation des défenseurs des droits humains. La Cnil, entre autres, avait souligné le danger que pouvait représenter un fichier centralisant les données biométriques de l’ensemble de la population. « Les données biométriques présentent la particularité de permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, qui est permanente dans le temps et dont elle ne peut s’affranchir, écrivait-elle. Ces données sont susceptibles d’être rapprochées de traces physiques laissées involontairement par la personne ou collectée à son insu et sont donc particulièrement sensibles. »
Alors que le gouvernement justifiait la constitution de ce fichier par un souci d’authentification des individus et de lutte contre le trafic de faux papiers, certains avaient rappelé à quel point la possibilité de dissimuler son identité avait pu être vitale dans l’histoire pour les personnes victimes de répression.
Dans un article publié en fin d’année 2017, le professeur d’informatique François Pellegrini et le professeur de sciences de l’information André Vitalis racontaient comment le zèle d’un inspecteur des registres de la population néerlandais avait servi l’occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale.
« Après avoir créé une carte d’identité infalsifiable, véritable chef-d’œuvre de documentation, écrivaient les deux universitaires, il mit au point un répertoire démographique général puis un répertoire alphabétique spécial pour les individus juifs, en recourant à la puissance de la mécanographie. Ces prouesses techniques servirent les responsables nazis dans leur politique d’extermination et conduisirent à la mort 73 % de la population juive vivant aux Pays-Bas. »
État d’urgence
Pourtant, interrogé sur ces dangers lors des questions au gouvernement du 15 novembre 2016, Bernard Cazeneuve avait repris le même argument que Bruno Le Roux. « Qu’adviendrait-il demain […] si un gouvernement d’une autre nature, animé de mauvaises intentions, arrivait aux affaires ?, s’interrogeait le ministre de l’intérieur. Tout d’abord, la meilleure façon d’éviter un tel gouvernement est de ne pas accorder ses suffrages à certains : que je sache, c’est la meilleure garantie politique pour éviter l’élection d’individus ayant des idées pernicieuses. »
Le mandat de François Hollande a également été celui de l’état d’urgence décrété au lendemain des attentats de Paris en novembre 2015 puis constamment renouvelé jusqu’à l’inscription par son successeur dans le droit de ses principales dispositions par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) d’octobre 2017.
Désormais, les autorités administratives peuvent, sur la seule base d’informations fournies par les services de renseignement, ordonner des perquisitions, rebaptisées « visites domiciliaires », assigner une personne à un périmètre géographique limité, l’obliger à pointer chaque jour au commissariat, geler des avoirs ou encore ordonner la fermeture de lieux de cultes.
Réveillez-vous mes chers collègues !
« Réveillez-vous mes chers collègues ! Le jour où vous aurez un gouvernement différent, vous verrez, quand vous aurez une droite extrême au pouvoir, vous verrez, c’est une folie que de voter cela ! », s’exclamait encore, le mercredi 30 janvier 2019, le député centriste Charles de Courson alors que l’Assemblée nationale examinait l’article 2 de la loi « anticasseurs » permettant aux préfets d’interdire à des personnes de manifester si elles constituent « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
La mesure avait finalement été retoquée par le Conseil constitutionnel. Mais les Sages avaient validé dans le même temps l’essentiel du texte dont les dispositions autorisent les policiers les véhicules et sacs en amont d’une manifestation et punissent d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende le fait de dissimuler, même partiellement, son visage dans un rassemblement.
Avalanche de textes sécuritaires
Une autre réforme menée sous le mandat d’Emmanuel Macron pourrait fortement intéresser un éventuel régime autoritaire. Au mois de décembre 2020, le gouvernement a publié une série de décrets modifiants le régime de trois fichiers : celui de la « prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP) utilisé par le renseignement territorial de la police, son équivalent pour la gendarmerie, celui de « gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique » (GIPASP) et enfin celui des « enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASO) utilisé dans le cadre des enquêtes réalisées sur les candidats à certaines professions, comme policier, magistrat ou agent de sécurité privée.
Ces fichiers étaient déjà destinés à recenser les individus représentant une menace pour l’ordre public comme certains manifestants ou des supporters violents. Désormais, il vise toute personne menaçant la « sûreté de l’État » et, surtout, il peut inclure de nouvelles informations, notamment celles relatives « à des opinions politiques, des convictions philosophiques, religieuses ou une appartenance syndicale ».
Cette avalanche de textes sécuritaires a permis au Rassemblement national de se présenter comme un défenseur des libertés individuelles. Marine Le Pen a ainsi pu qualifier d’« atteinte à nos grandes libertés individuelles » la loi sur la sécurité globale, un texte adopté en avril 2021 élargissant le domaine de la vidéosurveillance, offrant un cadre légal à l’usage de drones par la police et étendant les pouvoirs des polices municipales.
Marine Le Pen s’était également opposée à la loi séparatisme adoptée en juillet 2021 et qui comporte une série de mesures sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, la protection des fonctionnaires et des enseignants, l’encadrement de l’instruction en famille, le contrôle renforcé des associations, une meilleure transparence des cultes et de leur financement, ou encore la lutte contre les certificats de virginité, la polygamie ou les mariages forcés.
Pour la candidate d’extrême droite, ce texte présente le défaut de s’attaquer « à toutes les religions, alors que ce n’est pas un problème religieux. L’islamisme, c’est un problème idéologique ». « Madame Le Pen dans sa stratégie de dédiabolisation en vient à être dans la mollesse, il faut prendre des vitamines ! », lui avait alors rétorqué le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin.
Les gouvernements successifs ont déjà largement étendu le champ d’application des textes sécuritaires en vigueur. Des militants écologistes assignés à résidence au début de l’état d’urgence aux militants antinucléaires du Bure visés par une procédure antiterroriste, les détournements des lois d’exception ne cessent de se multiplier. Au mois de mars dernier, c’est le Groupe antifasciste Lyon et environs (Gale) qui a été visé par une procédure de dissolution fondée, pour la première fois, sur la loi séparatisme au motif qu’il provoquait « à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».
Comment imaginer que Marine Le Pen, si elle accédait au pouvoir, n’utiliserait pas cet éventail de mesures à sa disposition ? La candidate du Rassemblement national a déjà proféré à plusieurs reprises sa haine des « antifas », des « milices d’extrême gauche » qu’il faudrait dissoudre, des « punks à chien » de La France insoumise, des zadistes « crasseux » et autres « marginaux ». Pour arriver à ses fins, elle n’aurait qu’à suivre la voie tracée par ses prédécesseurs, donnant ainsi raison à ceux qui dénoncent depuis des années le caractère inique de tant de lois et la dérive sécuritaire de notre démocratie.
publié le 16 avril 2022
sur https://lepoing.net/
Dans le climat ambiant de cet entre deux tours nauséabond le Poing a reçu cette tribune signée par de nombreuses associations du mouvement social, nous la relayons
Depuis six mois, les dissolutions d’associations s’enchaînent à un rythme rarement connu sous la Ve République. Elles sont désormais annoncées triomphalement à la sortie du conseil des ministres ou sur twitter, contre un média, une association, un collectif… La loi « confortant le respect des principes de la République », dite « loi séparatisme », promulguée le 24 août 2021, a, comme le craignaient les opposant·es à son adoption, ouvert un boulevard aux pouvoirs publics désireux d’écarter celles et ceux qui entendent participer au débat démocratique par l’interpellation citoyenne et de faire taire les voix dissidentes, ou simplement critiques.
Après le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la CRI ont été dissoutes les associations Palestine Vaincra et Comité Action Palestine, et récemment le groupe antifasciste lyonnais (GALE). À chaque fois, l’arbitraire administratif et politique joue à plein : accusations sans preuves, reproches concernant des intentions supposées, ou des « complicités de fait » non établies, mises en cause pour des actes non imputables aux structures visées, etc.
Ainsi, des campagnes « appelant au boycott des fruits et légumes made in Israël » par un collectif de soutien à la cause palestinienne sont assimilées dans le décret de dissolution de Palestine Vaincra à un « appel à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens ». En 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a pourtant reconnu que l’appel au boycott relevait de la liberté d’expression et donné raison à onze militantes et militants français, condamnés après un tractage appelant à un tel boycott. Le boycott est un instrument politique et militant utilisé par de nombreuses associations et collectifs de consommateurs et ne saurait faire l’objet d’un encadrement conduisant à criminaliser celles et ceux qui le diffusent.
Sont également repris à l’encontre de ce collectif les arguments avancés hier pour dissoudre le Collectif contre l’Islamophobie en France. Il lui est reproché « de cultiver le sentiment d’oppression des « peuples musulmans » et ce « dans l’objectif de diffuser l’idée d’une islamophobie à l’échelle internationale ». Une cinquantaine d’associations, en novembre 2021, soulignaient déjà, dans un « Manifeste pour le droit des associations de choisir librement les causes qu’elles défendent [1] », l’étrange logique de cette accusation : « Des associations sont dissoutes par le gouvernement au motif absurde que dénoncer une injustice, ce serait justifier rétrospectivement – ou se rendre complice par avance – des actes violents, voire des actes de terrorisme, que d’autres ont commis ou commettront peut-être un jour en invoquant cette même injustice ».
Aux militants antifascistes lyonnais, dont le groupement a été dissout le 31 mars, il est reproché, en vrac, de participer à des manifestations non déclarées, autrement dit des « manif sauvages » et des « contre-rassemblements ». Le décret de dissolution indique notamment que « des sympathisants du GALE ont pris part à des manifestations contre le passe sanitaire, lesquelles se sont accompagnées de provocations et de jets de projectiles à l’encontre des forces de l’ordre », sans qu’il soit établi que ces personnes aient été effectivement membres de l’organisation dissoute, ni qu’elles aient participé à ces violences. Ce sont également des actions d’affichage dans les rues, ou de partage de visuels sur les réseaux sociaux, ainsi que des propos tenus par des artistes lors d’un festival, qui sont retenus dans l’acte de dissolution de l’organisation antifasciste lyonnaise.
Dans l’ensemble de ces cas de dissolutions, les services de police ont passé au scanner les réseaux sociaux des organisations ciblées à la recherche de commentaires haineux. Ce nouveau motif de dissolution est désormais autorisé, la loi sur « le respect des principes de la République » permettant de faire reposer sur les associations les propos tenus par des tierces personnes, même si celles-ci ne sont pas membres de l’organisation. À la lecture des décrets de dissolution on découvre pourtant que les investigations et les propos retenus à charge, portent sur des périodes largement antérieures à l’adoption de loi en août 2021, en violation manifeste du principe de non-rétroactivité.
Ces mesures de dissolution constituent une épée de Damoclès suspendue au-dessus de l’ensemble des associations et demain de toutes les organisations du mouvement social, au risque d’obliger leurs membres à une autocensure dommageable à la cause défendue. On ne peut exclure de surcroît que des personnes mal intentionnées déposent sur les réseaux sociaux des commentaires empoisonnés dans le but de nuire à l’image de telle ou telle association, ainsi exposée à la menace de dissolution.
Tous les espaces démocratiques d’expression et de protestation de la population se restreignent peu à peu. Le contrôle sur les manifestations s’accroît – allant de la contestation des parcours à l’interdiction pure et simple, la répression et les violences policières contre les manifestant·es vont sans cesse en s’aggravant. Au-delà, ce sont tous les outils militants traditionnels de la liberté syndicale et associative (tracts, boycott, appel à mobilisation, réseaux sociaux…) qui sont de plus en plus gravement entravés.
Les libertés d’expression, d’opinion, de réunion et de manifestation, pourtant garanties par les principes constitutionnels et les textes internationaux, se retrouvent mises à mal par la dérive d’un pouvoir qui détourne des textes présentés comme destinés à lutter contre le terrorisme afin de s’en servir à l’encontre de mouvements, de groupes et d’associations qui ont le malheur de déplaire au pouvoir en place. Si l’on estime que des activités ou des propos imputables à une association tombent sous le coup de la loi, il appartient à la justice d’en juger. Et non au ministre de l’intérieur de diligenter des enquêtes à charge, de décréter que telle activité ou tel propos est condamnable, puis de prononcer une sentence de mort de l’association sans autre forme de procès.
Nous appelons l’ensemble des organisations du mouvement social à dénoncer cette chasse aux associations et à construire une large mobilisation, au nom de la préservation des libertés et du pluralisme démocratique.
Parmi les premiers signataires, figurent notamment : Alternatiba, Attac, Droit au logement – DAL, Fédération des Finances CGT, Fédération nationale de la Libre Pensée, Fondation Copernic, GISTI, Syndicat de la magistrature, Union Syndicale Solidaires … la liste complète est sur le site de Le Poing.
publié le 5 avril 2022
sur https://www.lamule.media
L’Observatoire national des street-medics et secouristes volontaires a fait paraître ce jour un rapport d’enquête sur les victimes de violences prises en charge par les secours « inofficiels » durant les manifestations Gilets jaunes et Retraites, entre fin 2018 et début 2020. Ce rapport s’appuie sur le recensement, au fil de ces événements, effectué par la coordination de 87 groupes de street-medics partout en France. Il produit une estimation statistique établissant à près de 30 000 le nombre de personnes blessées par le maintien de l’ordre durant cette période. Une estimation dont la base scientifique est transmise et expliquée par le rapport.
La force de ce dernier est en effet de mettre en lumière les biais du chiffrage produit par le ministère de l’Intérieur. Si ce dernier recense 2495 victimes pour le seul mouvement des Gilets jaunes, il ne s’appuie que sur les chiffres des personnes blessées ayant pu être prises en charge par les sapeurs-pompiers lors des manifestations. Or, comme on a pu le constater lorsqu’on a fréquenté ces terrains, la plupart des personnes blessées en manifestation ne sont pas prises en charge par les secours, et ce pour plusieurs raisons : elles peuvent considérer leur traumatisme insuffisant à une prise en charge ou se contenter de celle, plus rapide, effectuée par les street-médics ; elles peuvent aussi avoir été empêchées d’atteindre les secours par les forces de l’ordre, ou ces derniers eux-mêmes avoir été empêchés d’accéder aux lieux. De manière générale, les secours officiels interviennent sur des cas de blessures graves, ou sur des personnes inanimées.
Le rapport met aussi en évidence une typologie des traumatismes causés par ces violences. Il montre d’abord que « 92,9% de ces blessures ont été causées par les armes, manoeuvres et actions des forces de l’ordre« , contre seulement 6% attribués à des causes externes ou au comportement des manifestant·es. « Deux tiers des atteintes (66,7%) sont des blessures traumatiques, principalement aux membres et à la tête, provoqués par des frappes de tonfa et de matraque, des lanceurs (LBD et flashball) et grenades cinétiques. » Le tiers restant correspond à des troubles non-traumatiques, principalement liés l’exposition aux gaz lacrymogènes. « Il est relevé par ailleurs, alors que la frappe de la tête est normalement proscrite, un nombre élevé de blessures traumatiques à la tête, plus d’une blessure sur six (18,1%). » Pour l’Observatoire, « il s’agit d’un taux particulièrement inquiétant au vu des risques pour la santé et la sévérité des blessures associées à cette zone. »
Dans l’ensemble, les street-medics relèvent que près de 10% seulement des victimes recensées ont nécessité une prise en charge professionnelle ou médicale d’urgence, et s’appuient notamment sur ce chiffre pour produire leur nouvelle estimation statistique. « Ces résultats, qui interrogent quant au respect des principes de proportionnalité et de nécessité constituant la base légale de l’usage de la force, soulèvent l’enjeu des risques et sur-risques élevés causés par les stratégies de maintien de l’ordre à la sécurité des manifestants, tant par leur violence directe que leur entrave de l’accès aux soins, et appellent à une profonde prise de conscience de ses conséquences sur l’exercice des droits des manifestants et à l’essentiel contrôle démocratique que doit exercer la société civile sur l’emploi de la force publique réalisée en son nom. »
Le rapport revient aussi longuement sur une étude plus générale des armements utilisés par les forces de l’ordre, et sur les effets des gaz lacrymogène sur la population exposée. On y apprend ainsi que, selon une méta-analyse produite en 2017, l’immense majorité (71%) des personnes blessé·es par des tirs d’armes cinétiques ou de grenades de désencerclement en contexte de maintien de l’ordre, l’ont été gravement, avec un taux effrayant (15%) de personnes en conservant un handicap (dont la moitié ayant été énucléées).
En France, lors du mouvement des Gilets jaunes, 30 personnes ont été éborgnées, 5 personnes ont eu la main arrachée, et une personne, Zineb Redouane, est décédée après avoir été heurtée par une grenade lacrymogène à Marseille. Pour le cas de ces armes irritantes, qui peuvent aussi éborgner lorsqu’elles sont notamment tirées tendues sur une cible, le rapport compile la littérature scientifique autour des effets indésirables : « ces agents sont généralement présentés par les fabricants et autorités comme des moyens sans danger de neutralisation ou de dispersion de la foule aux effets limités tels que larmoiement, désorientation et douleurs transitoires. Cependant, les principales méta-analyses et synthèses épistémologiques disponibles dans la littérature sont beaucoup plus critiques sur les effets potentiels sur la santé de ces agents chimiques. Elles montrent que, au delà des effets immédiats et transitoires reconnus, les agents CS et OC peuvent occasionner des blessures modérées et sévères chez près d’un quart des personnes exposées. » Pour l’Observatoire des street-médics, plus de 310 000 personnes ont été affectées par les gaz lacrymogènes.
« Les effets observés comprennent un large éventail de symptômes tant sur l’organisme,
pouvant être aigus, persistants ou chroniques. Parmi les effets les plus sévères, il est rapporté au contact de l’œil une action irritante pouvant provoquer inflammations, érosions et diverses
blessures et maladies dégénératives ; au contact de la peau en grande quantité, des brûlures cutanées, cloques, réactions allergiques et autres maladies de peau ; à l’inhalation, des toux,
suffocations, oppressions thoraciques, mais aussi plus rarement œdème pulmonaire, apnée et arrêt respiratoire, ainsi que des difficultés respiratoires pouvant persister plusieurs semaines
après
l’exposition et un risque accru de développer des infections et maladies respiratoires chroniques ; à l’ingestion, une irritation du tractus gastro-intestinal pouvant provoquer
nausées, vomissements, diarrhées et hématémèse ; et plus généralement une action sur les neurones sensoriels périphériques associée à des effets chroniques
variés.«
Dans le premier numéro de notre revue Replica, nous avons longuement interrogé six blessé·es, mutilé·es ou traumatisé·es à vie par leur expérience du maintien de l’ordre.
L’intégralité du rapport et ses nombreux détails, est accessible en cliquant sur le lien suivant : https://obs-medics.org/wp-content/uploads/2022/04/Enquete-sur-les-Victimes-de-Violences-Policieres-en-Manifestation-Observatoire-des-Street-medics-2019-2020.pdf
publié le 15 mars 2022
Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Le ministre de l’Intérieur l’a annoncé triomphalement sur son compte Twitter à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 9 mars. Deux associations militant pour les droits d’un peuple subissant l’occupation d’un État voisin en violation du droit international ont été purement et simplement dissoutes. Les organisations en question avaient notamment recommandé un boycott des produits en provenance du pays agresseur. Et souhaitaient placer la question de cette occupation illégale au cœur du débat public. Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au gouvernement français.
Le collectif Palestine vaincra et le Comité Action Palestine, que Gérald Darmanin accuse d’appeler « à la haine, à la violence et à la discrimination », sont donc privés de toute existence légale depuis le jeudi 10 mars. « Depuis plus de trois ans, nos actions se faisaient dans le strict cadre légal, nos manifestations étaient déclarées, nous n’avons jamais fait autre chose qu’exprimer des opinions. Cette décision administrative arbitraire est contraire à l’État de droit », s’insurge Tom Martin, le porte-parole de Palestine vaincra.
Cette décision gouvernementale fait suite à une campagne de dénigrement relayée sur les réseaux sociaux, notamment par des députés LaREM, dont Sylvain Maillard, le porte-parole du parti macroniste, connu pour ses positions sur la droite, voire l’extrême droite israélienne, tandis que Franck Touboul, le président du Crif Midi-Pyrénées, appelait déjà en 2020, dans les colonnes de la Dépêche du Midi, à venir « démanteler manu militari » les stands de Palestine vaincra…
« Il y a un alignement de l’exécutif français sur la politique israélienne. Aujourd’hui, en France, le fait d’avoir des positions anticolonialistes ou même simplement antiracistes est interdit.
La menace pèse sur l’ensemble des forces associatives, démocratiques, sociales de ce pays. D’ailleurs nos camarades de SUD éducation, dont des députés LR demandent la dissolution, sont aussi visés », constate le porte-parole de Palestine vaincra, qui se dit « particulièrement révulsé » par les accusations d’antisémitisme dont son association fait l’objet de la part du ministre de l’Intérieur. « C’est un amalgame abject qui assimile la critique d’un État et d’une idéologie à de l’antisémitisme. Cela va dans le sens de déclarations d’Emmanuel Macron qui a déclaré que “l’antisionisme est le nouvel antisémitisme”. »
Les deux organisations dissoutes viennent de déposer un recours. En attendant, la FSU, Solidaires, la CGT, la France insoumise, le NPA, la LDH, le Mouvement pour la paix ou encore les Jeunes communistes se sont joints à une manifestation le week-end dernier à Toulouse, rassemblant plusieurs centaines de personnes pour témoigner de leur solidarité avec le collectif toulousain. Avec une question en tête : si nous ne réagissons pas, qui seront les prochains ?
publié le 14 mars 2022
par Olivier Doubre sur www.politis.fr
Après l’interpellation d’une dizaine d’ex-militants armés italiens des années 1970 en mai 2021, la justice française s’apprête à statuer sur les demandes d’extradition, parfois ubuesques, de Rome concernant ces septuagénaires qui ont construit leur vie loin des armes. Au mépris de la parole de la doctrine traditionnelle de la France.
La France va-t-elle revenir sur sa parole (d’État), donnée au début des lointaines années 1980 à quelque trois cents militantes et militants de l’extrême gauche italienne, qui s’étaient réfugiés sur son sol ? Ou, plutôt, rompra-t-elle son engagement vis-à-vis des dix derniers d’entre eux que l’Italie s’acharne à poursuivre, usant de « stratagèmes insupportables et scandaleux pour rendre imprescriptibles des infractions et des peines déjà prescrites, en particulier par le droit français » ?
C’est la question qu’a solennellement posée l’avocate Irène Terrel, membre de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) lors d’une conférence de presse organisée le 9 mars, s’apprêtant à en défendre un certain nombre lors des audiences devant la cour d’appel de Paris qui vont débuter le 23 mars. Car, près d’un demi-siècle après les faits, Rome n’a jamais renoncé à vouloir récupérer – et jeter dans ses geôles – cette dizaine de septuagénaires, la plupart grands-pères ou grands-mères de petits-enfants français. D’anciens militants parfois malades ayant tous reconstruit pacifiquement leur vie dans le respect de la légalité française, après avoir pris part à ce que nombre d’historiens ont qualifié de « guerre civile de basse intensité » durant les années 1970 en Italie.
Dans le contexte de l’après-68, le mouvement social, ouvrier et étudiant, atteignait dans la péninsule un niveau de mobilisation massif et unitaire rarement vu dans toute l’Europe occidentale. En guise de « réponse », des franges dévoyées des services de sécurité et de l’armée, souvent liées ou admiratrices du régime fasciste de Mussolini (1922-1943), utilisant mafias et groupuscules d’extrême droite, choisissaient délibérément de mettre en œuvre une « stratégie de la tension », avec nombre d’attentats meurtriers et aveugles (dans des trains, des gares, des banques) attribués faussement à d’hypothétiques « anarchistes ». Tout cela afin d’attiser un désir d’ordre et de pouvoir autoritaire au sein de la population. Depuis la bombe de piazza Fontana à Milan en décembre 1969, déposée dans une agence de la Banque nationale de l’agriculture (17 morts, 85 blessés), jusqu’à l’atroce explosion de la gare de Bologne, le 2 août 1980, bondée en ce jour de vacances d’été (85 morts, plus de 200 blessés).
En face, des dizaines, sinon des centaines, de petits groupes d’extrême gauche empoignaient alors les armes, volontiers convaincus que « la révolution est au bout du fusil » et que le mouvement social se devait de « répondre coup pour coup ». Le pouvoir inaugura alors une politique répressive en votant le premier corpus de lois d’exception qui constitue l’embryon de « l’antiterrorisme moderne », avec interrogatoires musclés, réduction des droits de la défense et peines collectives pour tous les membres d’un groupe armé, quelles que soient leurs responsabilités individuelles.
Mais, après des années de conflit, Rome ne sait plus bien comment sortir de cette violence diffuse. Alors que plusieurs milliers de militants sont condamnés à des dizaines d’années de réclusion, quelques centaines parviennent à s’enfuir à l’étranger. Or, le gouvernement socialiste italien de Bettino Craxi, en dépit de déclarations vengeresses, n’est pas mécontent de voir la France de François Mitterrand offrir une porte de sortie à quelques centaines d’entre eux et donc un « asile politique » : le président français officialise une politique d’accueil – et surtout d’apaisement –, lors du congrès de 1985 de la LDH (qui prendra le nom de « doctrine Mitterrand »), à condition qu’ils renoncent aux armes et respectent les lois françaises. Évitant ainsi, à la différence des Basques de l’ETA notamment, que la France ne devienne une base arrière des mouvements armés transalpins.
Au fil des décennies, nombre d’entre eux voient leurs peines ou leurs délits prescrits. Même si, dans une débauche de déclarations démagogiques, les gouvernements italiens (de toute couleur politique) continuent de crier vengeance, plus de quarante ans après, non sans espérer de faciles retombées électorales.
Emmanuel Macron, souhaitant resserrer ses liens avec l’Italie, envoie donc, par un matin d’avril 2021, à six heures, sa police chercher les douze derniers activistes réfugiés (dont les inculpations et peines ne sont pas encore prescrites) à leurs domiciles, fort bien connus, sous les yeux de leurs familles apeurées. Relâchés quelques heures plus tard, ils doivent passer dans les prochaines semaines devant la Chambre de l’instruction des cours d’appel de leurs lieux de résidence, compétentes en matière d’extraditions. Des tribunaux que tous connaissent bien, puisque ces juridictions ont déjà refusé leur renvoi en Italie… dans les années 1980 ! Deux sont décédés depuis…
Cet « accord de basse politique », comme le souligne la représentante de leurs familles, rompt donc avec « la parole donnée il y a quarante ans à des personnes dont la réinsertion a été prouvée depuis des décennies ». Mais la conférence de presse du 9 mars comptait deux participants plus inattendus, psychiatres et psychanalystes, représentants d’un collectif regroupant plus de 80 de leurs collègues, dont les docteurs Serge Hefez, Patrick Chemla, Heitor de Macedo et Paul Bretécher. Ce dernier justifie leur engagement en faveur de ces « asilés » par la France pour en avoir « accompagné certains dans leur reconstruction psychique, professionnelle, relationnelle et familiale, qui fut longue et difficile ».
Livrer ces dix personnes âgées à l’Italie « signifie les envoyer dans le couloir de la mort ». Et Heitor de Maceto d’ajouter : « S’ils ont “commis” à l’époque une réponse extrême, ce fut dans un contexte où le débat démocratique était alors largement empêché, mais la conséquence la plus terrifiante de cette vengeance d’État, servie par le pouvoir français, est pour les enfants et surtout les petits-enfants : comment vont-ils croire à un possible engagement de la parole donnée ? » Alors que ces anciens activistes ont tous, eux, respecté leur parole donnée à la France de respecter les lois françaises…
Me Irène Terrel ajoute alors que « s’il n’y a aucun fait nouveau et que l’autorité de la chose jugée devrait être un principe intangible, le droit français interdit aussi l’atteinte à la vie privée et familiale ». Et de décrire l’arrogance et le mépris dans ces procédures de l’Italie qui ose « s’agacer lorsque la Chambre de l’instruction demande des compléments d’information à des dossiers lacunaires et mal ficelés, dans un style assez insupportable, alors que du point de vue du droit français tout est prescrit depuis longtemps ! » Première audience, le 23 mars devant la cour d’appel de Paris.
publié le 4 mars 2022
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr
La grève du 8 mars, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, fera la part belle aux enjeux du travail. Égalité professionnelle, revalorisation des salaires dans les secteurs majoritairement féminins… Des organisations syndicales comptent mettre en avant ces luttes pour ce 8 mars particulier – parce qu’il s’inscrit en fin de quinquennat, au sortir d’une crise sanitaire supportée par les travailleuses du soin et du lien.
La grève du 8 mars de cette année aura une teneur particulière. D’abord, la solidarité internationale entre mouvements féministes sera plus que jamais à l’honneur. Lors d’une conférence de presse le 1er mars, les représentantes des collectifs et organisations signataires de l’appel unitaire ont exprimé leur soutien aux femmes d’Europe de l’Est, en première ligne du conflit. Ensuite, parce que les élections présidentielles approchent. La grève du 8 mars marquera donc la « fin d’un quinquennat qui n’a rien fait pour l’égalité professionnelle et les violences faites aux femmes », expose Sigrid Girardin, co-secrétaire générale du Snuep FSU.
Les organisations syndicales mobilisées pour cette journée (CGT, Solidaires, FSU,…) ont en commun des commissions internes dédiées à la lutte contre le sexisme et pour l’égalité professionnelle. Mais s’engager dans la grève du 8 mars n’a rien d’évident. Pour certains syndicats, historiquement moins mobilisées sur ces questions, « c’est plus laborieux », glisse Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT en charge de l’égalité femmes-hommes.
Même dans les syndicats les plus avancés, le mot d’ordre « grève féministe » fait grincer des dents. « Ça a interpellé dans nos syndicats. Certains hommes nous ont dit : “comment ça, une grève ? Une grève, c’est quelque chose de grave… Attention, il ne faut pas diviser le mouvement social…” » soupire Murielle Guilbert, de Solidaires.
Pourtant, construire un 8 mars unitaire, en y faisant peser des revendications salariales, est plus que jamais d’actualité. « Bien sûr, ce n’est pas que la question de l’égalité professionnelle. S’il y a des violences sexistes et sexuelles au travail, il n’y a pas d’évolution de carrière… S’il n’y a pas d’éducation non-sexiste, on rate aussi une marche importante… Tous ces sujets sont imbriqués », souligne Murielle Guilbert.
Tout de même : depuis deux ans, la crise sanitaire et sociale est passée par là. « Ce qu’on dénonce à longueur d’années a pris plus d’ampleur pendant cette pandémie », résume la responsable de Solidaires. Les femmes ont été les plus touchées par ses effets. Il y a la hausse des violences conjugales et intrafamiliales durant les confinements. La charge mentale décuplée. Mais aussi les conséquences sur l’emploi. D’après les chiffres du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, pas moins de 41 % des femmes ont vu leur revenu diminuer pendant la crise sanitaire. En juillet 2020, 11 % des femmes entre 18 et 34 ans ont déclaré avoir perdu leur emploi, contre 9 % des hommes.
« Il faut tirer les leçons de la crise », presse Sophie Binet de la CGT. Nombre de secteurs n’ont pas attendu pour le faire. Durant l’année et demie qui vient de s’écouler, des « mobilisations sans faille des femmes ont eu lieu. Et ce, dans des métiers très féminisés, qui n’ont pas bénéficié de politiques ambitieuses en termes de revalorisation salariale et de carrière. Il faut continuer à batailler auprès de ces femmes », appuie Sigrid Girardin de la FSU. Parmi ces dernières : les AESH. Leur lutte est citée en exemple par les intervenantes de la conférence de presse. « Elles sont à 93 % des femmes. Et elles gagnent moins de 800 euros par mois : sous le seuil de pauvreté » déplore Sigrid Girardin. Pourtant, les AESH sont à la croisée des deux prétendues « grandes causes » du quinquennat : le handicap, et les femmes.
D’autres franges du salariat majoritairement féminines se sont fait entendre ces derniers mois. Travailleuses sociales, infirmières, enseignantes, assistantes maternelles, soignantes… Autant de salariées de première et seconde ligne pendant la crise sanitaire. « On exige la revalorisation salariale de ces métiers féminisés, la reconnaissance de leurs compétences » martèle Murielle Guilbert.
En toute première ligne, demeurent les travailleuses sans-papiers. Celles-ci se retrouvent « dans des secteurs en tension, principalement dans le nettoyage » rappelle Ana Azaria, du collectif Femmes Égalité. Ces dernières bataillent pour obtenir une régularisation. Prétendre à une admission au titre du travail implique de disposer d’une promesse d’embauche… au SMIC, au minimum. Or, les secteurs où elles décrochent quelques heures sont très précaires. Ana Azaria dénonce une politique « hypocrite. On sait qu’elles sont là, et ça arrange tout le monde ! ». Avec l’engorgement des préfectures et la dématérialisation croissante, les casse-tête administratifs empirent. Certaines perdent leur titre de séjour au moment du renouvellement… Et leur emploi. Le cortège de la grève du 8 mars leur donnera la parole.
Sigrid Girardin insiste, elle sur les mobilisations de ces derniers mois dans la fonction publique. « Il y a un préjugé tenace : l’idée que les statuts dans la fonction publique protègeraient des inégalités. Or, c’est faux. Les femmes y gagnent un quart de moins de salaire que les hommes ! » De quoi rappeler la responsabilité de l’État, premier employeur en France. La lutte contre les inégalités professionnelles ne se jouent pas seulement dans le contrôle des employeurs privés.
Il existe bien un index de l’égalité professionnelle dans les entreprises, développé par le ministère du Travail. Mais voilà : « 99,9 % des entreprises ont eu plus de 75 sur 100 à l’index, donc elles ne seront pas sanctionnées » relève Sophie Binet. Or, l’écart salarial entre hommes et femmes dans le privé est toujours de 28,5 % selon les derniers chiffres de l’INSEE. « On voit bien qu’il y a un problème…»
Et pour cause : cet index repose sur un système d’auto-notation. « Ni les syndicats ni l’inspection du travail n’ont un regard là-dessus. Encore moins un pouvoir de sanction », explique Sophie Binet. En outre, plusieurs modes de calcul lissent les écarts et seraient à revoir, selon elle. La CGT oeuvre en ce sens, au niveau national… Comme au niveau européen. Car une directive européenne sur la transparence salariale est en cours de négociation.
Mettre en lumière cet enjeu le 8 mars apparaît d’autant plus crucial. « On est très inquiets des positions que prendra Emmanuel Macron à ce sujet », indique Sophie Binet, alors que la France a pris la présidence de l’Union Européenne. Les organisations syndicales craignent que la directive ne suive le même modèle, peu efficient, de l’index utilisé en France. « L’index actuel, c’est l’inverse de la transparence… Il organise l’opacité sur les écarts de salaire », juge-t-elle.
« Le rôle des syndicats sur ces questions reste majeur, pour ce 8 mars et au-delà » conclut Murielle Guilbert. De la même manière que la CGT, Solidaires a lancé une campagne internationale sur l’égalité salariale. Une cause « centrale » pour l’année qui se joue, en raison des présidentielles. Mais aussi parce que le calendrier des mobilisations pourrait la porter haut et fort.
Les mobilisations actuelles dans le secteur de la santé, du travail social, ou encore la grève de la RATP du 25, dynamiseront le mois de mars. Sans compter la journée de grève interprofessionnelle du 17 mars. « C’est le mois que l’on appelle “le vent se lève”, parce qu’il y a plein de secteurs qui vont faire grève », sourit Murielle Guilbert. « On espère que le 8 mars sera un point important pour initier cette mobilisation interprofessionnelle ».
C’est aussi ce qu’espèrent les autres responsables d’organisations et de collectifs présentes lors de la conférence de presse du 1er mars. Toutes le concèdent : la pandémie a porté un coup aux mouvements sociaux. La grève du 8 mars leur apparaît comme l’occasion de mettre en lumière les secteurs qui sont malgré tout restés en lutte. Et, peut-être, d’impulser une nouvelle vitalité.
Luis Reygada sur www.humanite.fr
Travail Le rapport publié jeudi par Oxfam vient confirmer l’insuffisance des moyens mis en œuvre durant le quinquennat pour résorber le fossé des inégalités, notamment en matière professionnelle et économique.
Rendez-vous manqué. À cinq semaines du premier tour de l’élection présidentielle, le rapport rendu public ce 3 mars par l’ONG Oxfam (1) juge sévèrement le bilan du président Emmanuel Macron, qui avait promis de faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause nationale » de son quinquennat. Celui qui, en 2017, disait être un « candidat féministe » est loin de s’être montré à la hauteur des enjeux. « Nous prenons acte des efforts mais les mesures entreprises n’ont pas permis de transformer un système profondément sexiste, note le document de près de 50 pages. Les moyens ont été trop faibles et de multiples erreurs et ambiguïtés ont questionné la réalité de l’engagement. »
Les auteures du rapport reconnaissent que des engagements allant dans la bonne direction ont été pris par les pouvoirs publics en matière de « diplomatie féministe » et de « droits sexuels et reproductifs », mais l’action gouvernementale est qualifiée d’ « insuffisante » en matière de « budget dédié à l’égalité femmes-hommes » et de « lutte contre les violences ». Le compte n’y est pas du tout dans une société où « les femmes continuent de gagner et posséder moins que les hommes ». Le document pointe de nombreuses insuffisances tout en rappelant que les femmes « sont surreprésentées dans les emplois les plus précaires et les moins valorisés, exclues des sphères de pouvoir et assurent une part disproportionnée des tâches domestiques non rémunérées au sacrifice de leur vie professionnelle ».
« Ce qu’on attendait, c’étaient de grandes mesures structurelles qui transforment le système en profondeur », explique Sandra Lhote-Fernandes. « Il aurait fallu beaucoup plus d’ambition », insiste la responsable plaidoyer chez Oxfam France, qui remarque que la « grande cause du quinquennat » n’a bénéficié que de 0,25 % du budget de l’État. « Il y a un écart trop important entre l’affichage politique et la réalité des moyens alloués », souligne-t-elle. Si des actions ont bien été entreprises, comme le renforcement des obligations de transparence en matière d’égalité professionnelle, l’introduction de quotas dans la direction des grandes entreprises ou encore l’augmentation des salaires dans le secteur – très féminisé – de la santé, l’ONG juge néanmoins ces dispositions insuffisantes. « Oui le congé paternité a été allongé (de onze à vingt-huit jours – NDLR), mais on partait d’une situation scandaleuse », rappelle la responsable d’Oxfam. « Et ça reste insuffisant pour faire pleinement face aux enjeux d’égalité des droits, de répartition des tâches domestiques et parentales et de discrimination dans le cadre du travail. » Alors que l’Unicef préconise un congé parental payé d’au moins six mois pour les deux parents, Oxfam ne se prive pas de comparer les quatre semaines françaises aux seize semaines accordées en Espagne, trente-quatre au Danemark ou encore soixante-dix-huit en Suède.
D’autres mesures sont quant à elles carrément jugées contre-productives, comme l’index de l’égalité professionnelle. Des paramétrages de calcul biaisés permettraient en effet aux entreprises d’obtenir de très bons scores (note moyenne de 86/100 l’année dernière), reflétant donc assez mal la réalité. « L’index permet un certain “gender washing” et les entreprises peuvent se prévaloir d’une bonne image comme s’il n’y avait pas encore 16,5 % d’écart de salaire entre femmes et hommes à poste égal », souligne Sandra Lhote-Fernandes. La revalorisation des salaires des métiers fortement féminisés (institutrices, aide à la personne, entretien…) représente un autre point noir de ce quinquennat, tout comme le « droit à la garde d’enfants ». Alors qu’Emmanuel Macron avait promis l’ouverture de 30 000 places supplémentaires en crèche, on n’en dénombre aujourd’hui que la moitié. Les estimations les plus basses font pourtant état de besoins à hauteur de 230 000 places ! Sur 2,3 millions d’enfants de moins de 3 ans, 40 % n’ont aucune solution de garde, une situation qui représente un véritable frein à l’autonomisation économique des femmes, qui se voient obliger de renoncer à travailler pour s’occuper de leur progéniture.
« Il faut vraiment mettre les moyens sur la table et mettre en place des mesures ambitieuses si on veut transformer un système sexiste et patriarcal qui pénalise encore beaucoup trop les femmes », conclut Sandra Lhote-Fernandes. Son organisation attend un engagement fort du prochain président de la République et demande « 1 milliard d’euros et un plan d’urgence » pour réellement changer les choses. « Nous n’accepterons pas moins. »
(1) Rapport réalisé en collaboration avec Equipop et Care, avec la contribution de la Fondation des femmes, du Planning familial et de One France.>
publié le 18 février 2022
Faïza Zerouala sur www.mediapart.fr
Dans un rapport publié mardi soir, Claire Hédon alerte sur les difficultés auxquelles près de 10 millions de personnes sont confrontées dans leurs démarches numériques. Soulignant sa « forte inquiétude », elle pointe l’insuffisance des réponses de l’État.
Il ne faut pas attendre de Claire Hédon, Défenseure des droits, à l’orée de l’élection présidentielle, un commentaire cinglant et frontal envers la politique de dématérialisation engagée par Emmanuel Macron pour « simplifier » officiellement 250 démarches permettant d’accéder aux services publics.
Mais son constat est net : si le basculement dans le tout-numérique est réussi d’un certain point de vue et sur le plan quantitatif, cette politique laisse sur le bas-côté les plus démuni·es face à la chose numérique.
C’est ce volet que l’institution indépendante a choisi d’explorer dans un rapport rendu public mardi 15 février au soir, baptisé « Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ? ». En rebond d’un premier rapport consacré au sujet, la Défenseure des droits a en effet souhaité dresser un bilan des améliorations apportées – ou non – en matière d’accès des citoyennes et citoyens les plus fragiles et précaires aux services publics numériques. Elle en tire une « forte inquiétude » et regrette l’insuffisance des réponses de l’État.
En creux, Claire Hédon pointe tous les défauts d’une stratégie qui fragilise une large partie de la population : quelque 10 millions de personnes, selon ses estimations, rencontrent des obstacles pour faire valoir leurs droits. Lors de la présentation de cette étude à la presse, la Défenseure des droits a expliqué que « la dématérialisation est une chance et simplifie pour un grand nombre de personnes l’accès à un certain nombre de droits. Mais pour un certain nombre de personnes, ça va être compliqué, ça les éloigne à cause de difficultés techniques. » Sachant que 15 % des foyers ne sont pas équipés d’Internet à domicile. La pandémie a aussi révélé l'ampleur de cette fracture numérique.
Elle a été frappée par le fait que les délégués territoriaux lui ont raconté avoir eu « en face d’eux des réclamants épuisés, énervés, en colère parce qu’ils n’arrivaient plus à joindre personne… »
Claire Hédon a ainsi dénombré, en 2021, 90 000 saisines de son institution relatives à ces difficultés d’accès aux services publics (contre 35 000 en 2014), sur 115 000 reçues en tout.
Et de citer des exemples concrets d’entraves. « Nous avons des réclamants qui mettent six mois, un an, 18 mois à obtenir leur pension de retraite et qui se retrouvent sans rien pendant tout ce temps-là. » Alors que l’État fait tout pour encourager le dispositif Ma prime rénov’ qui vise à aider les ménages à améliorer l’efficacité énergétique de leur logement, le choix d’une procédure exclusivement numérique complique l’accès. Certaines personnes ratent des convocations de Pôle emploi, exclusivement envoyées par voie électronique, et se retrouvent radiées pour avoir manqué sans le savoir des rendez-vous avec leur conseiller ou conseillère.
La Défenseure des droits déplore qu’« on demande à l’usager de s’adapter au service public, [alors que] l’une des règles du service public, c’est de s’adapter aux usagers. Là, il y a un renversement : l’usager doit savoir faire et la responsabilité finale du bon fonctionnement de la démarche lui incombe ».
Dans l’introduction du rapport, Claire Hédon rappelle un autre paradoxe. « Les démarches numériques apparaissent comme un obstacle parfois insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale alors même que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux et aux services publics revêt un caractère vital. » Le risque : aggraver encore le phénomène de « non-recours » (voir notre article sur le RSA).
Les personnes âgées, étrangères et détenues sont particulièrement vulnérables aux effets de cette dématérialisation. Faute de parvenir à décrocher un rendez-vous en préfecture pour le renouvellement d’un titre de séjour, certaines se retrouvent sans récépissé et ont pu perdre leur emploi.
Claire Hédon tient à souligner que « chacun d’entre nous peut, un jour, rencontrer un blocage incompréhensible face à un formulaire en ligne, ne pas parvenir à joindre un agent, échouer à dénouer un problème, faute de dialogue ».
Daniel Agacinski, délégué général à la médiation, relève aussi, avec malice, que les sites sont plus ou moins accessibles selon leur objet : les services fiscaux le sont davantage que les sites de prestations sociales ou des préfectures.
Claire Hédon souligne toutefois une amélioration pour les personnes en situation de handicap : « 40 % des sites internet publics leur sont accessibles, même si ça veut dire que 60 % ne le sont pas. Mais c’est un progrès par rapport à notre dernier rapport, où c’était 12 %. Mais on n’est pas du tout encore 100 % accessibles. »
La dématérialisation doit se faire au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie.
Des solutions contre l’exclusion ont été proposées, comme les espaces France Services, mis en place pour garantir un accès aux services publics. Mais là encore, la Défenseure des droits pointe l’un des défauts majeurs du dispositif : les agent·es présent·es ne sont pas formé·es à tous les services et peuvent se trouver démuni·es face à certaines démarches complexes. « Ce n’est pas notre rôle de les évaluer mais ce serait bien que ce soit fait… », recommande Claire Hédon.
Le manque de vacataires, pour cause de difficulté à les recruter, s'avère une source d’inquiétude. La Défenseure des droits a d’ailleurs indiqué garder un œil sur les acteurs privés qui capitalisent sur les difficultés de certain·es à réaliser des démarches (comme nous le racontions ici). « Je suis choquée par ça, l’accès aux services publics doit rester gratuit. » Il revient à la répression des fraudes d’agir, précise Daniel Agacinski.
Autre regret : la plateforme Solidarité numérique, créée pour lutter contre l’illectronisme, vient de fermer ses portes. Les Passes numériques sont tout de même considérés comme une amélioration.
Pour rectifier la situation générale, la Défenseure des droits formule des préconisations et souhaite s’appuyer sur deux jambes « pour contribuer à ce que la dématérialisation se fasse au bénéfice de tous les usagers, et non au détriment d’une partie d’entre eux ».
Cela passe, selon elle, par un maintien du double accès aux services publics, le numérique ne pouvant être l’unique voie. Cet « omnicanal » (numérique, téléphone, courrier, guichet) n’est pas assez développé. Il faudrait également associer les usagers et usagères précaires à la conception des sites internet pour qu’ils soient accessibles à tous et toutes, engager un travail collectif pour « le droit à la connexion », renforcer les effectifs dans les préfectures débordées, permettre à chacun·e de se rétracter sur la dématérialisation des échanges avec les administrations.
La Défenseure préconise aussi de maintenir un contact sous forme de papier pour les démarches comportant des délais ou des notifications d’attribution, de révision ou de retrait de droits pour qu’aucun choix ne reste figé.
publié le 30 janvier 2022
par Pierre Jequier-Zalc sur https://basta.media
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé vouloir engager une procédure de dissolution à l’égard du site d’infos local et engagé « Nantes Révoltée ». En cause : le relais d’un appel à manifester contre l’extrême droite.
L’annonce a surpris. Mardi 25 janvier, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, la députée de LREM de Nantes, Valérie Oppelt, demande la dissolution du site d’infos engagé Nantes Révoltée. Une demande aussitôt exaucée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin : « Le groupement de fait d’ultragauche que vous évoquez, depuis la loi El-Khomri [la première loi Travail en 2016, ndlr], répète sans cesse des appels à la violence, et ce week-end évidemment, contre l’État, contre les policiers avec des propos absolument inacceptables. J’ai donc décidé d’engager le contradictoire qui permettrait la dissolution de ce groupement de fait. »
Cette annonce intervient à la suite d’une manifestation antifasciste, « pour la justice sociale » et en riposte à l’extrême droite, qui s’est déroulée vendredi 21 janvier dans les rues nantaises. Au cours de cette mobilisation, des dégradations matérielles ont été commises. Christelle Morançais, la présidente du parti LR dans les Pays-de-la-Loire, demande alors à Gérald Darmanin d’engager une procédure à l’égard du site Nantes Révoltée, qui a « relayé ces délits graves et inexcusables sur les réseaux sociaux ». En cause, le fait d’être le porte-voix, comme d’autres collectifs et syndicats, d’un appel à manifester et d’avoir couvert, ensuite, cette manifestation. Sa demande a donc trouvé écho au sein des députés locaux La République en marche, que ce soit auprès de Valérie Oppelt ou de l’ancien ministre de la Transition écologique, François de Rugy.
« En apprenant ça, on a été à la fois stupéfait, et amusé », rapporte à basta! l’équipe de Nantes Révoltée. « Christelle Morançais est une grande amie de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, deux personnalités qui ont été condamnées à de la prison ferme. On ne présente plus François de Rugy et ses homards [1]. Dites vous que ce sont ces gens qui prétendent savoir ce qu’est l’égalité et le droit en France…, répliquent les militants nantais avec ironie. Ils ne savent même pas ce qu’on est, c’est à dire un média indépendant, qui assume une ligne éditoriale engagée. »
Créé il y a dix ans, Nantes Révoltée se définit comme un « média autonome et engagé sur les luttes sociales et environnementales à Nantes et dans le monde ». Ce dernier mois, il revendique près de deux millions de personnes touchées par leur page Facebook. « On a sorti des informations, comme sur l’affaire Steve », précise un membre de Nantes révoltée. Steve Maia Caniço est mort noyé à Nantes en juin 2019 le soir de la fête de la musique suite à l’intervention brutale de la police (l’ex-préfet de Loire-Atlantique a été mis en examen pour cette intervention). « On est très suivis sur les réseaux sociaux, on a publié dix revues papiers qui se sont écoulées à plusieurs milliers d’exemplaires… On est un média, pas un groupement de fait », poursuit le Nantais.
Les différentes pages de Nantes Révoltée sur les réseaux sociaux cumulent plus de 300 000 abonnés. À la suite de l’annonce du ministre de l’Intérieur, Didier Martin, le préfet de Loire-Atlantique a d’ailleurs déclaré dans les colonnes de Ouest-France que « Nantes Révoltée se revendique média, ont peut donc, par exemple, être confronté au respect de la liberté d’expression et de la liberté de la presse ».
C’est la question qui se pose après l’engagement de cette procédure : qu’est-ce qui pourrait justifier une telle dissolution ? A priori, elle s’appuierait sur l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure qui prévoit que « sont dissous, par décret en Conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». A priori... car, à ce jour, aucune procédure n’a encore réellement été engagée, comme le notent les quatre avocats du média indépendant, Raphaël Kempf, Aïnoha Pascual, Pierre Huriet, et Stéphane Vallée. « Nantes Révoltée n’a reçu aucun acte d’accusation et ignore ainsi tout des griefs qui lui seraient reprochés », écrivent-ils. Si cette (hypothétique) procédure est engagée, Nantes Révoltée aurait alors 15 jours, à partir de la notification administrative de la dissolution, pour répondre aux arguments du gouvernements.
Quels éléments pourraient justifier la dissolution d’un site d’infos engagé, critique à l’égard du gouvernement et qui relaie des appels à manifester ? « En l’état, la seule hypothèse qui vaille est que Nantes Révoltée déplaît à M. Darmanin, supposent les quatre avocats. Ainsi, pour M. Darmanin, il faudrait dissoudre toute organisation qui relaierait des appels à manifester si, ultérieurement, des dégradations ont été commises au cours de ladite manifestation. Cela n’est pas sérieux, et contraire aux principes républicains », ajoutent-ils.
Au sein de l’équipe de Nantes Révoltée, on analyse cette annonce comme la digne suite « d’un quinquennat néolibéral et autoritaire qui écrase toute les oppositions ». « Après plusieurs attaques contre les libertés publiques, ce gouvernement s’attaque cette fois à la liberté de la presse et à la liberté d’expression. Je pense que c’est un test, ils voient s’ils peuvent dissoudre un média indépendant », juge un membre de Nantes Révoltée.
Dans la foulée de la prise de parole du ministre de l’Intérieur dans l’hémicycle, de nombreuses personnalités politiques de gauche ont apporté leur soutien au média engagé. « Aucun média militant ne peut être tenu pour responsable du déroulement des évènements auquel il appelle », a, par exemple, tweeté le candidat à l’élection présidentielle Jean-Luc Mélenchon. « Nous remercions vivement les très nombreux messages de soutien que nous avons reçus. On observe que beaucoup de personnes ne sont pas dupes de cette attaque contre la liberté de la presse », a réagi l’équipe de Nantes Révoltée. Pour le média, empêcher cette dissolution est un vrai enjeu politique : « Il y a déjà eu la loi Sécurité globale, maintenant cette dissolution… La stopper est nécessaire pour endiguer cette casse des libertés. »
Jeudi matin, une pétition « Contre la dissolution de Nantes Révoltée - Pour la liberté d’expression », lancée par le média nantais, avait recueilli plus de 20 000 signatures.
sur https://lepoing.net
Gérald Darmanin, suite à la réclamation d’élus de droite et de la majorité (droite aussi, donc), a annoncé avoir engagé une procédure de dissolution contre Nantes Révoltée, média indépendant dont on vous laisse deviner où il se situe. Contre cette mise en scène délirante de la censure par le pouvoir d’un contre-pouvoir local essentiel, nous, médias libres, affirmons que nous ne laisserons pas advenir ce dangereux précédent.
Occupant la 34e position (sur 180) dans le classement de RSF sur la liberté de la presse, la France est régulièrement condamnée pour les nombreuses violations du droit d’informer dans le cadre du « nouveau schéma national de maintien de l’ordre » et de la loi dite de « sécurité globale » ; les manifestations sont devenues pour partie des zones de non-droit dans lesquelles le travail des journalistes, mais aussi l’action syndicale, sont de plus en plus compliqués à exercer, voire toujours plus dangereux, avec de nombreux cas de reporters blessés par tirs de LBD, matraqués, visés par des jets de gaz lacrymogène, arrêtés arbitrairement, ou privés brutalement de leur matériel de reportage. En outre, en 2020, au moins deux journalistes d’investigation ont été convoqués par l’IGPN dans le cadre d’enquêtes pour « recel de violation du secret professionnel ».
Et voilà donc que Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur d’un président de la République pour lequel les « journalistes » ne sont là que pour véhiculer avec dévotion sa sainte parole venue d’en haut, s’en prend frontalement et brutalement à l’un des nombreux médias indépendants et de proximité qui, dans tout le pays, dans les villes et villages, souvent à base de bénévolat et d’autofinancement, tentent de faire vivre l’éthique journalistique sobrement résumée par Albert Londres dans une formule souvent citée : « mettre la plume dans la plaie ». Donc : déplaire, déranger, mettre le(s) pouvoir(s) face à ses contradictions, ses violences et ses failles, et donner voix à celles et ceux qui ne l’ont pas.
Cette demande de dissolution bafoue les bases constitutionnelles du droit d’expression et d’information des citoyens.
Cette demande vient notamment, nous rapporte Nantes Révoltée dans son communiqué, de la responsable LREM de Nantes et de la présidente de la région Pays-de-la-Loire, qui se sont affirmées soucieuses de « ne plus laisser prospérer cette idéologie anarchiste et haineuse plus longtemps », affirmant que « depuis près de dix ans, des centaines de policiers et d’habitants ont été blessés au cours de ces manifestations violentes ».
L’équipe de Nantes Révoltée a dûment documenté, depuis des années, les violences policières exercées dans cette ville et remplit donc avec minutie et passion son rôle de contre-pouvoir médiatique local.
Pire : Nantes Révoltée est accusée de nuire « à l’image et à l’attractivité de la capitale régionale ». Comme si le rôle de tout organe de presse était de relayer complaisamment la propagande municipale ; au moins, le propos est clair : médias, faites-nous de la pub’, ou bien disparaissez.
Gérald Darmanin, à la tribune de l’Assemblée Nationale, réclame donc la dissolution du média, sur la base semble-t-il de l’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure, selon lequel « toutes les associations et groupement de faits qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens » peuvent être dissous par décret en conseil des ministres.
Problème : en tant que média documentant « les luttes sociales et environnementales », Nantes Révoltée, comme ils et elles le répètent avec insistance à chaque fois que cette accusation leur est faite, ne fait que relayer ces appels à manifester. Puis, en bon média local, ils se rendent dans ces manifestations afin de les couvrir et de rapporter ce qu’il s’y passe. En gros : Nantes Révoltée fait son travail.
C’est notamment Nantes Révoltée qui, le lendemain de la fête de la musique en 2019, avait publié les vidéos de la charge qui avait été fatale à Steve.
La dissolution pure et simple d’un média ayant simplement relayé des appels à manifestations et couvert ces dernières constituerait une atteinte directe aux droits fondamentaux, notamment à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, et serait un précédent aussi dangereux qu’inacceptable.
Nous, médias indépendants, sans peut-être pour certains partager totalement la ligne éditoriale de Nantes Révoltée, ne pouvons accepter ni rester silencieux devant cette énième attaque du pouvoir macroniste qui piétine maintenant depuis cinq trop longues années les principes de la démocratie dans laquelle nous sommes censés vivre.
S’en prendre à la liberté de la presse, s’en prendre à ce média, c’est s’en prendre à nous toutes, à nous tous.
Signez la pétition en soutien à Nantes Révoltée
Communiqué de la Ligue des Droits de l’Homme sur www.ldh-france.org
Mardi 25 janvier 2022, le ministre de l’Intérieur a annoncé devant la représentation nationale qu’il engageait un processus de dissolution administrative du média indépendant « Nantes Révoltée ». Cette nouvelle démarche du gouvernement constitue une étape inquiétante dans l’extension d’un outil politique de sanction collective attentatoire aux libertés fondamentales.
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a alerté à maintes reprises sur ces dérives. Elle rappelle que la liberté de la presse et plus largement la liberté d’expression, d’opinion et de libre critique sont des piliers fondamentaux sans lesquels le débat démocratique serait profondément entravé. Elle rappelle également que le gouvernement tire justement sa légitimité de ce processus démocratique. Si la liberté d’informer connaît des limites légales, l’intervention première du juge judiciaire, seul garant constitutionnel des libertés individuelles et d’indépendance, doit rester la voie privilégiée.
La multiplication de l’usage abusif de la dissolution administrative s’inscrit actuellement dans une volonté délibérée du pouvoir exécutif d’intimider et dans certains cas de réduire au silence les voix de contestation politique, bridant la liberté d’association et la liberté d’informer. La LDH agira, aux côtés de tous les défenseurs de l’Etat de droit et de l’idéal démocratique, pour contrarier ce projet visant à déstabiliser les équilibres institutionnels au profit du seul pouvoir exécutif.
La LDH demande l’interruption sans délai du processus de dissolution administrative du média « Nantes Révoltée ».
Paris, le 28 janvier 2022
publié le 23 janvier 2022
Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr
« La logique aurait voulu que les autorités adoptent une approche sanitaire et sociale » pour lutter contre l’épidémie de Covid-19, pointe la professeure de droit public Diane Roman, qui regrette que, « désormais, tout se résolve en termes de mesures policières ».
Cela fera bientôt deux années que notre société vit au rythme de l’épidémie de Covid-19. Face à cette crise sanitaire sans précédent, le gouvernement a pris des mesures tout aussi inédites, à commencer par un confinement général de la population décrété le 17 mars 2020.
Depuis, les Françaises et les Français ont appris à vivre en remplissant des auto-attestations ou en présentant leur passe sanitaire, désormais transformé en passe vaccinal, à l’entrée des lieux publics.
Pour pouvoir prendre ces mesures d’exception, le gouvernement a créé un nouvel état d’urgence sanitaire, calqué sur l’état d’urgence terroriste en vigueur entre novembre 2015 et octobre 2017. Il a été complété, au mois de mai dernier, par un régime de « gestion de la sortie de crise sanitaire » toujours en vigueur.
Ces deux années ont bouleversé notre État de droit et rogné un peu plus nos libertés. Pour analyser cette crise historique, Mediapart a interrogé Diane Roman, professeure de droit public à l’École de droit de la Sorbonne. Elle vient de publier ce 20 janvier chez Dalloz un essai intitulé La Cause des droits. Écologie, progrès social et droits humains.
Quel bilan tirez-vous des choix juridiques faits par le gouvernement pour gérer cette crise ? Y avait-il d’autres solutions ?
Diane Roman : une chose est frappante : le choix qui a été fait, d’emblée, d’une gestion de la crise sanitaire placée sur le terrain des mesures de police. Ce qui est tout de même étonnant car on s’attendrait à ce qu’elle soit placée sur le terrain de la santé, du social, du service public. La logique aurait voulu que les autorités adoptent une approche sanitaire et sociale. Mais, à la place, il y a eu une gestion exclusivement policière de la crise sanitaire.
La première mesure de police administrative prise par le gouvernement a été le confinement. Ce qui est un choix qui peut paraître assez obsolète, que l’on croyait cantonné au Moyen Âge, lorsque l’on mettait en quarantaine les personnes malades dans les villes.
Ensuite, le choix a été fait de se placer sur le terrain d’un nouvel état d’urgence, alors que nous sortions de deux années d’état d’urgence terroriste. Pour cet état d’urgence sanitaire, on a copié la loi de 1955, qui évoque effectivement des calamités publiques. Mais on aurait pu utiliser d’autres outils. Il existe l’article L3131-1 du code de la santé publique, qui donne des pouvoirs d’exception au gouvernement en cas de crise sanitaire. On aurait pu également invoquer la théorie des circonstances exceptionnelles, qui est d’origine jurisprudentielle.
Mais on dirait que, désormais, les pouvoirs publics, lorsqu’ils sont confrontés à une crise, ont le réflexe de recourir à un régime dérogatoire du droit commun en créant un état d’exception. Ce qui n’est pas neutre, car cela signifie qu’on leur confie des pouvoirs exorbitants du droit commun.
L’état d’urgence terroriste avait été renouvelé durant deux ans, puis ses principales mesures avaient été inscrites dans le droit commun par la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 30 juillet 2017. L’état d’urgence sanitaire risque-t-il de connaître le même sort ?
Il semble en tout cas que c’est vers cela qu’on se dirige. Les états d’urgence se banalisent et s’enchaînent. Et rien ne nous garantit qu’il n’y en aura pas d’autres à l’avenir. Nous vivons désormais dans une société où les états d’exception ont été totalement banalisés en étant appliqués sur le temps long. L’état d’urgence terroriste a été en vigueur durant deux ans, et nous en sommes quasiment à deux années d’état d’urgence sanitaire.
Stéphanie Hennette-Vauchez [professeure de droit publique à l’université Nanterre-Paris – ndlr] utilise l’image de l’interrupteur pour expliquer ce que devrait être l’état d’urgence : quelque chose qui ne peut être qu’allumé ou éteint. Avec la multiplication des différents régimes d’exception, on ne sait même plus sous lequel nous sommes. Si vous faites un sondage autour de vous en demandant si nous sommes sous état d’urgence, beaucoup de personnes ne sauront pas répondre. Entre les lois de déclenchement de l’état d’urgence, celles organisant la sortie de l’état d’urgence et les diverses autres dispositions, il n’y a plus de frontière claire. Il n’y a désormais plus d’interrupteur, mais un variateur qui permet d’aller plus ou moins loin dans les dispositions liberticides.
Désormais, tout se résout en termes de mesures policières. Chaque état d’urgence se termine en laissant en place des dispositions qui feraient hurler tout le monde. Dans un livre que nous avions coécrit, Stéphanie Hennette-Vauchez et moi avions fait le bilan de la dégradation de l’état de nos libertés. Et, lorsque l’on prend du recul, c’est effrayant.
Il suffit de se souvenir, par exemple, qu’en 1980, le Conseil constitutionnel avait censuré une loi autorisant les policiers à fouiller les coffres des véhicules. Quand on regarde la situation 40 ans plus tard, c’est vertigineux.
Le Conseil d’État a récemment jugé disproportionnés et censuré plusieurs arrêtés municipaux imposant une obligation générale du port du masque. Le juge administratif, souvent critiqué, a-t-il joué son rôle durant cette crise ?
J’avais été frappée par les propos que Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d’État, avait tenus dans une interview publiée par Le Monde en avril 2018. Il y expliquait que son institution ne devait pas être « uniquement un censeur ou un redresseur de torts » mais également « un acteur de la meilleure gouvernance publique ». « Nous aidons le gouvernement à atteindre les objectifs qu’il s’assigne », affirmait-il.
C’est tout à fait révélateur de l’ambiguïté du rôle du Conseil d’État, qui est à la fois une juridiction administrative et un conseiller du gouvernement. Et ce rôle facilitateur a été évident dans sa jurisprudence durant cette épidémie. Toutes les mesures prises ont été déférées et elles ont été toutes validées, avec un contrôle assez souple.
Ce qui a pu amener le Conseil d’État à dire tout et son contraire, comme sur le sujet du port du masque. Ainsi, au tout début de l’épidémie, la ville de Sceaux avait pris un arrêté imposant le port du masque dans l’espace public. Mais, dans une ordonnance rendue le 17 avril, le Conseil d’État avait censuré celui-ci au motif qu’il dépassait les politiques décidées au niveau national.
Puis, le gouvernement a fait volte-face. Et, alors qu’en principe une interdiction ne peut être générale et absolue, le Conseil d’État a estimé qu’imposer le port du masque sur l’ensemble d’une commune n’était pas disproportionné. Dans deux ordonnances rendues le 6 septembre 2020, il a justifié cette validation par le fait que cela rendait plus lisible et compréhensible l’obligation.
Plus récemment, le Conseil d’État est revenu à une jurisprudence plus classique. Mais il ne fait que revenir à ses fondamentaux.
Cette crise a introduit un nouvel organisme également chargé de conseiller le gouvernement : le Conseil scientifique. Que pensez-vous du rôle qu’il a joué ?
Avec le recul, je trouve qu’il y a eu une forte instrumentalisation du savoir médical et scientifique. Celle-ci a tout d’abord été institutionnelle. On a mis en place un Conseil scientifique composé de manière discrétionnaire. Or il existait déjà plusieurs organismes qui pouvaient jouer ce rôle, comme Santé publique France, le Comité consultatif national d’éthique ou encore la Haute autorité de la santé.
Il y a ensuite eu une instrumentalisation politique des avis scientifiques. Le gouvernement ne les a suivis que lorsque cela l’arrangeait. En fonction des choix politiques faits, on nous disait : « On s’en remet aux scientifiques », et, dans d’autres cas : « Leurs avis, on s’en passe. »
Les mesures de lutte contre l’épidémie sont décidées par l’exécutif lors de Conseils de défense dont les réunions sont classées secret-défense. Qu’est-ce qui justifie cette opacité ?
Le recours au Conseil de défense s’inscrit dans l’approche militaire adoptée par Emmanuel Macron dès le début de l’épidémie. Nous sommes « en guerre » contre le virus. Mais cela crée un manque de transparence certain. On peut comprendre que l’on mette en place un Conseil de défense en matière d’antiterrorisme car il y a des données qui ne doivent pas être divulguées. Mais quand on lutte contre un virus, quel est l’intérêt ? Au contraire, il faudrait informer pour rassurer.
À la place du Conseil de défense, on aurait pu utiliser les institutions existantes ou mettre en place des états généraux, comme cela a été fait en matière de bioéthique ou d’environnement. On va dire que je suis une universitaire enfermée dans sa bulle, qu’il fallait agir vite. Mais si la population n’est pas convaincue par les mesures prises, cela ne sert à rien.
Cela fait de nombreuses années que les gouvernements successifs justifient leurs lois sécuritaires par l’argument selon lequel il faudrait abandonner certaines libertés en échange d’une préservation de notre sécurité. Avec cette crise, est-ce un nouveau front qui s’ouvre dans la dérive liberticide ? Après avoir opposé libertés et sécurité, va-t-on opposer libertés et santé ?
Cette idée de conciliation entre les droits individuels et les objectifs d’ordre public n’est pas nouvelle. Cette question se pose dès 1789 et tout l’exercice consiste à essayer de les concilier.
La première loi sur la santé publique date de 1902. Et on retrouve ces questions dans les débats qu’a suscités le mouvement hygiéniste de la fin du XIXe siècle. Par exemple, lorsque le préfet Poubelle a obligé les Parisiens à jeter leurs ordures dans des conteneurs, pour des raisons de santé publique et de prévention des maladies, cela avait créé un vrai scandale. Cette mesure était notamment vue comme une menace contre la corporation des chiffonniers.
Il y a donc toujours eu des restrictions des droits individuels dans le but de préserver la santé publique. Ce qui est nouveau, c’est la nature des mesures prises. Avant, l’État avait une approche basée sur la santé publique, le service public, la prévention, l’assainissement, la vaccination, l’accès aux soins… Il y avait une dimension sociale très forte. Or aujourd’hui, il n’y a plus qu’une dimension policière.
Malgré des manifestations régulières contre le passe sanitaire ou le vaccin, la France affiche un taux de vaccination satisfaisant. Le confinement, lui, avait été globalement respecté. Comment jugez-vous la réaction des Français face à cette crise?
Il est très difficile de savoir ce que ressentent globalement les Français. Mais, d’après ce que je vois autour de moi, j’ai l’impression que ce qui prédomine, c’est un grand sentiment de lassitude.
On peut avoir deux lectures. Dans la première, optimiste, il faut reconnaître que les Français ont été admirables de courage et de patience. Il y a eu également une forte solidarité qui s’est exprimée, notamment envers les soignants et les salariés de la « deuxième ligne » [les salariés, souvent en situation précaire, ayant dû continuer à travailler durant le confinement dans les secteurs tels que le nettoyage, les transports, le bâtiment, certains commerces… - ndlr], tout du moins au début de l’épidémie.
Et puis il y a une lecture pessimiste. Ce que nous avons vécu, en termes de restriction de nos libertés, est inédit. Lors du premier confinement, on a mis en place, du jour au lendemain, un état d’exception et on a enfermé l’ensemble des Français, avec l’obligation de respecter une procédure absurde reposant sur la signature d’auto-attestations pour pouvoir sortir. Quand on voit à quel point il a été facile d’enfermer toute une population et de la contraindre à suivre une procédure tatillonne, cela donne le vertige.
De plus, les mesures ont à l’évidence pesé plus particulièrement sur les personnes des classes défavorisées. Tout d’abord parce que ce n’est pas la même chose d’être confiné dans un immeuble d’un quartier populaire que dans une maison sur l’île de Ré. Ensuite parce que les contrôles ont été comme toujours ciblés sur certaines populations et certains quartiers.
Ces discriminations mettent en lumière le décalage avec le discours qu’a pu tenir le gouvernement sur ces fameux salariés de « deuxième ligne ». À l’occasion de cette crise, ils ont révélé le rôle indispensable qu’ils jouent dans notre société et on leur a rendu hommage durant le confinement. Pourtant, ils ont ensuite été totalement oubliés de la reconnaissance nationale.
Ne peut-on pas espérer que cette crise sans précédent serve une prise de conscience sur certains sujets, comme la santé, l’écologie… ?
J’en parlais avec mes deux enfants, qui ont 16 et 18 ans, qui me racontaient comment ils avaient vécu ces deux années. Ils en parlaient comme d’un événement historique. Pour les jeunes, cela fait déjà partie de ces événements pour lesquels on se demandera dans plusieurs années : « Tu te souviens quand… ? » Il est certain que cela marquera l’histoire.
Ce qui me frappe, c’est qu’au début, on pensait au « monde d’après ». On imaginait que cette crise allait changer les choses, que la société ne serait plus pareille. Pourtant, deux ans plus tard, les choses semblent déjà être revenues comme avant.
Malheureusement, il y a une incapacité à penser l’avenir, à se projeter. On devrait apprendre de ce qu’il s’est passé et s’interroger sur la place des services publics, les moyens alloués à l’hôpital… Je ne comprends pas que l’on ne parle pas durant cette campagne électorale, par exemple, de l’aménagement des bâtiments publics. À l’université, les salles ne sont pas ventilées et n’ont pas de capteurs de CO2.
On sait qu’il s’agit seulement de la première épidémie de ce type. Pour des raisons écologiques, notamment la déforestation, on sait qu’il y en aura d’autres. Pourtant, nos responsables politiques restent enfermés dans une vision court-termiste.
Il faut un nouveau projet politique, ne serait-ce que pour affronter la crise écologique majeure qui s’annonce. On ne peut plus continuer à fonctionner avec un cadre idéologique datant du XVIIIe siècle. Cela nous concerne tous.
publié le 28 décembre 2021
Sur https://altermidi.org
Les amendements adoptés au Sénat constituent une régression par rapport à la situation actuelle et à la loi Sapin 2 de 2017, qui donnait une définition large du lanceur d’alerte. Les sénateurs ont annulé l’essentiel des dispositions progressistes de la proposition de loi Waserman sur les lanceurs d’alerte.
La proposition de loi Waserman, transposant la directive européenne sur les lanceurs d’alerte, a été débattue le 15 décembre à la commission des lois du Sénat. Alors que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, les sénateurs ont annulé l’essentiel des dispositions progressistes du texte.
Pire, les amendements qu’ils ont adoptés constituent une régression par rapport à la situation actuelle et à la loi Sapin 2 de 2017, qui donnait une définition large du lanceur d’alerte. A l’inverse, ces amendements prévoient notamment que :
La définition du lanceur d’alerte est limitée à celles et ceux qui dénoncent des « violations graves » de la loi, alors qu’aujourd’hui il faut dénoncer des faits contraires à l’intérêt général pour être considéré comme lanceur d’alerte. Une régression majeure ! Avec cette définition Antoine Deltour (affaire LuxLeaks) n’aurait pas été reconnu comme lanceur d’alerte et aurait été condamné par les tribunaux.
Les syndicats et les ONG perdent la possibilité d’accompagner les lanceurs d’alerte. La directive prévoit pourtant la possibilité pour les personnes morales d’être facilitateurs d’alerte, d’accompagner les lanceurs d’alerte et d’être protégées contre les représailles
Les protections pour les lanceurs d’alerte prévues par la directive et la proposition de loi ont été considérablement rognées. Par exemple, suite aux amendements des sénateurs, les lanceurs d’alerte ne seraient plus protégés de poursuites au pénal
Les possibilités de saisir la presse sont sévèrement limitées, alors qu’il s’agit souvent de la seule façon de faire entendre les alertes. Avec une telle rédaction de la loi, la lanceuse d’alerte de 3M (masques anti-amiante défectueux) n’aurait pas pu rendre publique son alerte.
Le Sénat ouvre la possibilité aux multinationales de mettre en place leurs canaux d’alerte à l’échelle mondiale et pour l’ensemble du groupe. Si les alertes des salarié.e.s français.e.s sont uniquement traitées aux Etats-Unis, leurs chances d’être entendues seront encore plus maigres qu’aujourd’hui…
Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres :
« Ces amendements sont contraires à la directive sur de nombreux points, à commencer par la clause de régression prévue par la directive. Nous avons gagné cette directive de haute lutte, grâce à la mobilisation d’Eurocadres, de ses syndicats affiliés et de la coalition d’ONG et de journalistes que nous avons créé. Nous ne laisserons pas faire les tentatives de détricotage ! ».
Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-CGT estime [qu’] « il s’agit d’une très grave régression. Nous appelons les sénateurs à rétablir la version initiale de la proposition de loi lors de son examen en séance plénière, le 19 janvier prochain. Nous nous méfions des manœuvres conduisant à jouer la montre pour empêcher l’adoption de la proposition de loi avant la fin de la session parlementaire. La responsabilité du président de la République est engagée : alors que la France prend la présidence de l’Union Européenne, l’exécutif doit garantir la transposition la plus favorable de cette directive essentielle pour les libertés ».
Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT
« Ces amendements démontrent l’influence des lobbys sur le Parlement et la volonté de museler journalistes, lanceurs d’alerte et syndicats. Le gouvernement doit protéger la liberté d’informer et d’être informé, garantie démocratique fondamentale, qui permet l’organisation de contre-pouvoirs citoyens face aux multinationales ».
publié le 13 décembre 2021
surr https://lepoing.net/
Le 11 avril 2018, en plein mouvement social contre la sélection à l’université, les serveurs de la faculté Paul-Valéry sont attaqués, rendant impossible la tenue d’examens exceptionnellement prévus en ligne pour contourner le blocage du campus par les étudiants mobilisés. N’ayant pas pu identifier de coupable, le tribunal de Montpellier poursuit trois jeunes pour refus de prélèvement d’ADN et de communication de code téléphonique. Le procès – et le rassemblement de soutien – se tiendront ce mercredi 15 décembre à 14 heures devant le palais de justice de Montpellier.
Au printemps 2018, la France est en ébullition. Des dizaines de facultés sont bloquées pour exiger le retrait de la loi ORE, dont l’objectif principal est d’accroitre la sélection sociale à l’université en empêchant un bachelier d’avoir automatiquement accès à la faculté de son choix. Concrètement, depuis l’instauration de cette réforme, le bachelier doit se rendre sur une application web, Parcoursup, pour formuler des vœux d’affection qui peuvent être refusés sans justification, à la discrétion d’un algorithme automatisant la discrimination des plus pauvres.
À Montpellier, la mobilisation est puissante, avec des semaines d’occupation active, des manifestations dynamiques et des assemblées générales régulières des étudiants et du personnel. La réaction ne se fait pas attendre. D’abord fasciste, avec le tabassage d’étudiants à la faculté de droit, puis policière, avec l’investissement, par une cinquantaine de policiers, d’un amphithéâtre alors vide pour y prélever de l’ADN et promettre que les étudiants mobilisés seront tenus pour responsables des centaines de milliers d’euros de dégâts occasionnés par l’occupation, selon la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal.
Quand les serveurs sont physiquement mis hors service, alors que la direction avait tout misé sur les examens en ligne pour casser le mouvement, la même ministre promet dans la foulée des poursuites judiciaires. Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Le 5 décembre 2019, un an et demi après les faits, quatre jeunes sont violemment perquisitionnés et placés en garde à vue suite à une plainte relayée par la ministre. Seulement voilà, le dossier est vide, à tel point que le parquet n’a pas d’autre choix que de renoncer aux poursuites. « Toute l’enquête a prouvé que les mesures brutales […] infligées à ces jeunes étaient totalement injustifiées dénonce le syndicat Unef Cage Montpellier. Et au lieu de leur présenter des excuses, le procureur les poursuit pour des “délits” survenus au cours de ces gardes à vue », à savoir le refus de communication de code téléphonique et de prélèvements d’ADN (selon nos informations, des prélèvements auraient pourtant bien été effectués à l’insu des gardés à vue). L’association Le Barricade parle d’un « harcèlement judiciaire » et d’une « tentative d’intimidation ».
Le procès se tiendra ce mercredi 15 décembre au palais de justice de Montpellier, place Pierre Flotte, avec un appel à rassemblement à 14 heures devant les grilles du tribunal.
publié le 8 décembre 2021
Dans plusieurs directions régionales de l’entreprise, les représentants du personnel perçus comme trop remuants affirment subir des pressions et écoper de multiples sanctions. La justice est saisie. Second volet de notre enquête.
Cécile Hautefeuille et Dan Israel sur www.ùmediapart.fr
Troubles du sommeil, syndrome dépressif, traitement médicamenteux et suivi psychiatrique… Ces quatre dernières années, la santé de Nabila*, salariée en région parisienne chez Lidl, s’est dégradée au rythme des griefs, sanctions et mise au placard qu’elle dit avoir subis de manière répétée depuis qu’elle détient un mandat syndical.
Son avocate, Agnès Cittadini, dépeint « une dégradation fulgurante de ses conditions de travail » liée à ses fonctions de représentante du personnel, et attaque Lidl devant le conseil des prud’hommes pour « discrimination syndicale » et « harcèlement moral ».
Rattachée à la « DR 6 », la direction régionale de Barbery (Oise), et embauchée il y a 30 ans, Nabila n’avait jusqu’alors « jamais reçu la moindre sanction », souligne Agnès Cittadini. Au contraire, elle avait « bénéficié de promotions successives, jusqu’à obtenir la qualité de cadre en 2015 ».
Tout bascule en 2018, quelques mois après l’obtention d’un mandat syndical. Les griefs tombent en cascade. Au total, Nabila écope d’un avertissement, de deux mises à pied disciplinaires et d’une procédure de licenciement, refusée par l’Inspection du travail (qui doit valider les licenciements des représentants du personnel). La décision, que Mediapart a pu consulter, souligne que certains faits lui sont reprochés alors qu’ils ont eu lieu lorsqu’elle n’était pas présente dans l’entreprise.
Le récit de Nabila et de son avocate rejoint celui de nombreux autres militants syndicaux. Ils confirment qu’un peu partout en France, des salarié·es se sentent mis·es sous pression par leur hiérarchie et développent un fort mal-être, comme Mediapart l’a raconté dans le premier volet de cette enquête. Mais ils soulignent aussi que chez Lidl, le fait d’être syndiqué·e ou proche d’une organisation identifiée comme opposée à la direction peut avoir de lourdes conséquences.
Invitée à réagir aux nombreux récits rassemblés par Mediapart, la direction de l’entreprise nous a indiqué « regretter » que nos questions « se focalisent exclusivement sur des situations, pour certaines dramatiques, qui heureusement ne reflètent absolument pas notre politique d’entreprise et le quotidien de nos 45 000 collaborateurs ».
« Nous ne nions pas que, au sein d’une communauté de cette taille, le dialogue social à l’échelle de certains magasins ou secteurs puisse être complexe, de même que certaines situations individuelles peuvent donner lieu à des conflits interpersonnels, des mesures disciplinaires et éventuellement des recours devant les juridictions compétentes », indique l’entreprise.
Mais elle insiste : « Il est évident que Lidl France n’approuve ni ne tolère en aucune manière des comportements contraires à la loi, aux valeurs de l’entreprise, susceptibles de porter atteinte au libre exercice du droit syndical et à la sécurité de ses salariés ».
Outre la pluie de sanctions, Nabila raconte pourtant avoir été « placardisée » depuis son retour du confinement, au printemps 2020. Le télétravail lui avait d’abord été refusé pendant cette période, sans explication et en « violation directe de l’accord d’entreprise de la société », souligne Me Cittadini.
« Je suis revenue fin mai, se souvient Nabila. On m’a alors informée que mon collègue, exerçant les mêmes fonctions que moi, reprenait toutes les responsabilités et les tâches. Ils ont essayé de m’affecter à un autre bureau, dans un espace avec les secrétaires, et non plus avec les cadres. »
Plusieurs de ses collègues ont rédigé des attestations confirmant ses dires. Certains racontent qu’ils n’ont plus le droit de la solliciter et doivent uniquement se tourner vers le nouveau venu. Nabila n’est plus conviée aux réunions, comme en attestent des plannings que nous avons pu consulter.
« Le directeur régional m’a dit : “On ne veut plus travailler avec toi. On n’a plus confiance en toi, tu n’as plus confiance en nous” », relate-t-elle. Et elle ajoute : « Lidl, ce n’est pas le problème. L’entreprise est belle. Le problème, ce sont les dirigeants. »
J’ai tenu, j’ai tenu pour ne pas les laisser gagner. Mais au bout d’un moment, la mise au placard, c’est trop dur
En septembre 2021, Nabila a écrit à Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France. Elle lui a décrit sa mise au placard et sa souffrance : « Aujourd’hui, je craque. Rejoindre mon poste chaque matin est devenu un supplice. » Le responsable politique lui a répondu dix jours plus tard et a adressé un courrier au directeur régional, lui demandant de « porter une attention particulière » à la situation de la salariée.
« Depuis ce courrier, et le déclenchement de la procédure prud’homale, je suis de nouveau invitée aux réunions, explique Nabila. Mais, au fond, rien n’a changé. Je suis là physiquement, mais je suis inexistante pour eux. Mon téléphone ne sonne jamais. Et au quotidien, je fais des factures. »
Jointe quelques jours avant la publication de cet article, la salariée nous a confié être en arrêt maladie depuis peu. « J’ai tenu, j’ai tenu pour ne pas les laisser gagner. Mais au bout d’un moment, la mise au placard, c’est trop dur. »
En Bretagne, les équipes syndicales peuvent elles aussi témoigner de la violence qui les a visées pendant plusieurs années. En septembre, le suicide de Catherine Lucas, responsable du magasin de Lamballe (Côtes-d’Armor), a jeté une lumière crue sur la souffrance de certains des salarié·es de cette direction régionale basée à Ploumagoar, près de Guingamp (Côtes-d’Armor). Les responsables syndicaux n’ont pas été épargnés.
Comme cela a été le cas pour Nabila, Jean-Marc Boivin, responsable CFE-CGC entré en 1993 dans l’entreprise et élu sans discontinuer depuis 2001, a découvert un jour que son employeur avait publié une offre d’emploi correspondant exactement à son poste, dans son supermarché.
Frédéric Nelleau, autre responsable du syndicat des cadres, a été licencié en juillet 2021, officiellement pour avoir refusé de se voir rattaché hiérarchiquement à un cadre d’échelon identique au sien. Il raconte qu’en 2017, après des travaux dans les locaux de la direction régionale, où il était basé, il avait découvert qu’il ne disposait plus de bureau.
« Avant les élections professionnelles de juin 2019, le directeur régional avait essayé de faire de nous les rouages de son action, en échange d’un regard favorable sur notre organisation, signalent les deux élus du syndicat des cadres. Quand nous avons décliné, il a fait passer le message que nous ne serions jamais élus. »
Raté, le syndicat rafle les six sièges disponibles pour représenter les cadres et les agents de maîtrise. Mais la suite est plus rude. Frédéric Nelleau a fait les comptes. « Deux ans après l’élection, le constat est sans équivoque », seuls deux des élus sont encore présents à leur poste.
Le licenciement de Frédéric Nelleau a été approuvé par l’Inspection du travail, mais ce n’est pas tout : « Mon suppléant est en arrêt pour dépression, un responsable syndical a été pris pour cible et a été hospitalisé pour burn-out et est toujours en arrêt, et une autre élue a été mise à pied alors qu’elle n’avait connu aucun problème auparavant dans l’entreprise en presque 20 ans », décompte-t-il.
À la CGT, Arnaud Rouxel partage le constat. « Début 2020, le directeur régional m’a glissé dans un couloir que je n’avais plus trop ma place dans l’entreprise », se remémore-t-il. « Discrimination syndicale, mesures dirigées contre les représentants des salariés, sanctions contre des grévistes pouvant aller jusqu’au licenciement sous des prétextes futiles… », tente-t-il de résumer.
Neuf dirigeants régionaux ont été placés en garde à vue le 16 février, puis réentendus en juin.
Des faits sur lesquels porte en grande partie l’enquête judiciaire actuellement menée par une juge d’instruction de Saint-Brieuc, pour « harcèlement moral » et « discrimination syndicale par un employeur ». Déclenchée par l’envoi de deux courriers au procureur par Arnaud Rouxel à l’été 2020, l’enquête a conduit à l’audition de plusieurs dizaines de salarié·es et ex-salarié·es.
Neuf dirigeants régionaux ont été placés en garde à vue le 16 février, puis réentendus en juin. « Les salariés Lidl entendus ne reconnaissent pas les faits qui leur sont reprochés et qui, évidemment, ne correspondent absolument pas à la politique de l’entreprise », précise Lidl.
Une dizaine de procédures sont aussi en cours aux prud’hommes de Guingamp, pour contester des sanctions et des licenciements jugés abusifs, visant des salariés catalogués comme proches de la CGT ou de la CFE-CGC. Un salarié, syndiqué CGT mais non détenteur d’un mandat syndical, attaque ainsi son licenciement en juillet 2020, qu’il juge dénué de fondement.
Ce salarié a déjà réussi à faire annuler une première sanction disciplinaire – une mise à pied de trois jours – qui le visait pour avoir quitté son poste avant la fin de sa journée de travail, après s’être blessé au pied.
Dans leur jugement du 15 novembre dernier, les prud’hommes de Guingamp ont estimé que la sanction était « disproportionnée », ont retenu « les circonstances vexatoires de la procédure disciplinaire », qui s’est déroulée au moment du mariage du salarié, et lui ont accordé 1 000 euros de dommages et intérêts.
Je suis devenue amie avec deux délégués du personnel. Mon directeur m’a d’abord lancé des sous-entendus : il fallait que je choisisse mieux mes amis
Parfois, les attaques visent même des personnes qui n’ont pas dévié du chemin tracé par la direction. Cela a été le cas pour la responsable d’un magasin proche de Landerneau (Finistère). En décembre 2019, les salarié·es du magasin s’étaient mis·es en grève, pendant ses vacances.
Elle n’y était pour rien, mais cette mobilisation lui a été violemment reprochée lors d’un rendez-vous au siège régional le mois suivant. La responsable a été tellement secouée par l’échange qu’elle est en arrêt depuis. Ses collègues ne s’attendent pas à la voir revenir dans l’entreprise.
Des récits similaires nous ont été rapportés dans d’autres directions régionales. Sarah*, ex-salariée de Lidl en région parisienne, s’est ainsi vu reprocher une simple proximité avec des syndicalistes. « Je suis devenue amie avec deux délégués du personnel. Mon directeur m’a d’abord lancé des sous-entendus : il fallait que je choisisse mieux mes amis car ce n’était pas bon pour mon image, raconte-t-elle. Puis sont venus les reproches : je ne faisais plus l’affaire. Il m’a dit qu’il ne voulait plus de moi et m’a suggéré d’accepter une rupture conventionnelle, ce que j’ai fait. »
Dans l’Hérault, c’est tout un cercle de salariés gravitant autour de la CAT, la Confédération autonome du travail, qui se dit victime de mesures de rétorsion, comme l’a révélé France Bleu Hérault fin septembre. Selon nos informations, ils sont près d’une vingtaine à avoir saisi les prud’hommes, ou à être sur le point de le faire, à la suite de sanctions jugées abusives : des mises à pied, et des licenciements pour au moins trois d’entre eux.
Tous sont rattachés à la « DR 22 », la direction régionale de Béziers. Mediapart a rencontré la plupart de ces salariés ou ex-salariés. Ils décrivent des conditions de travail catastrophiques, ponctuées de pressions, menaces et représailles.
Plusieurs d’entre eux expliquent avoir été ouvertement mis en garde sur leur proximité, avérée ou supposée, avec la CAT ; ou avoir reçu des remarques, voire des menaces, émanant de collègues syndiqués dans des organisations considérées comme plus proches de la direction.
J’avais toujours dans ma poche une lettre dans laquelle j’expliquais avoir mis fin à mes jours à cause de mon travail
Nous avons également rencontré Pierre*, qui travaille depuis plus de dix ans chez Lidl. Il dit avoir reçu des sanctions, immédiatement après s’être syndiqué. En un an, il a essuyé un avertissement, une mise à pied d’une journée, puis une menace de licenciement.
Il attaque par ailleurs Lidl pour « harcèlement moral », pour des faits antérieurs à ses rapprochements syndicaux. Il décrit « un acharnement » contre lui, survenu après un changement de hiérarchie en 2018. Cadence infernale et reproches permanents seraient alors devenus son quotidien.
En 2019, sa souffrance devient insupportable. « Pendant six mois, j’avais toujours dans ma poche une lettre dans laquelle j’expliquais avoir mis fin à mes jours à cause de mon travail. Pour que personne ne puisse dire que c’était à cause de problèmes personnels », finit-il par lâcher, la gorge serrée.
Il jure avoir alerté à plusieurs reprises de ses difficultés, sans jamais être pris au sérieux. Ni par sa hiérarchie ni par les ressources humaines. Un soir, Pierre rentre chez lui « en pleurs » et prend rendez-vous avec la médecine du travail.
« Mon responsable a essayé de m’en dissuader. Selon lui, mes problèmes étaient d’ordre personnel. J’étais dans un sale état en allant au rendez-vous, j’ai failli percuter un camion sur la route. En me voyant, le docteur m’a dit : “Vous n’y retournez pas. Vous oubliez Lidl.” J’ai été arrêté quatre mois. Je pleurais tout le temps, je ne pouvais même plus passer devant l’entrepôt. »
À son retour, Pierre ne ressent aucune bienveillance à son égard, au contraire. « On m’a affecté à la chasse aux souris dans les locaux, raconte-t-il. Ça a duré trois mois. » Les yeux baissés, il confie la suite, plus douloureuse encore. « Le jour où j’ai pu réintégrer mon bureau, ma responsable et l’agent de maintenance se sont levés sans un mot, ont pris leurs ordinateurs et sont allés s’installer ailleurs. Je me suis retrouvé tout seul. »
C’est également après son retour d’arrêt maladie que Pierre se rapproche d’une organisation syndicale et que, selon lui, les sanctions commencent à tomber. En janvier 2021, il écrit à son directeur régional pour l’alerter sur sa situation et ses conditions de travail.
« Je ne suis pas le seul à les subir, mais la peur fait que personne n’ose en parler. Avec ce courrier, je sais que je joue ma carrière, mais si je le fais, c’est qu’il y a un risque et que je ne veux pas revivre 2015 », poursuit-il, en référence au suicide de Yannick Sansonetti, le 29 mai 2015, à l’entrepôt de Rousset (Bouches-du-Rhône). Ce suicide a valu à Lidl une condamnation définitive au civil pour faute inexcusable de l’employeur et une mise en examen pour « homicide involontaire ».
Toujours dans l’Hérault, Hervé*, un jeune cariste, raconte une situation ahurissante. Dans une affaire sans lien direct avec sa proximité avec la CAT, il affirme avoir été giflé et menacé de mort, sur son lieu de travail, par deux collègues qui n’étaient, selon lui, pas en service ce soir-là.
Il dénonce la réaction de l’entreprise : « Mes collègues ont écopé de trois et huit jours de mise à pied. Moi, j’en ai pris cinq, alors que je n’ai pas répliqué ! Et Lidl n’a même pas fait de déclaration d’accident du travail dans la foulée ! J’ai réussi à l’obtenir trois mois plus tard, avec l’aide de la CAT », raconte-t-il.
Cet incident l’a profondément marqué. « Cela fait un an que je suis en arrêt. L’entreprise refuse d’adapter mes horaires afin de m’éviter de croiser ces deux personnes. Je ne peux pas y retourner si ma sécurité n’est pas assurée et ça me pèse, confie-t-il. J’attaque Lidl pour sanction abusive et pour la déclaration tardive d’accident du travail. »
Au cours de cette enquête, nous avons également rencontré un autre syndicaliste, qui attaque lui aussi Lidl aux prud’hommes pour « discrimination syndicale ». Il ne souhaite dévoiler ni le nom de son syndicat, ni la direction régionale à laquelle il est rattaché : Lidl lui a, selon son récit, déconseillé d’apparaître dans notre article.
Il se dit aujourd’hui « détruit syndicalement et discrédité ». « Les salariés savent que s’ils s’approchent trop de moi, ils ont 50 % de chance d’être licenciés », commente-t-il sèchement.
Un constat partagé par les militants syndicaux bretons, qui ont organisé un rassemblement en hommage à Catherine Lucas devant leur direction régionale, le 27 septembre. « Des gens ont eu peur de venir, de se montrer avec nous. Ils nous disent : “Tu comprends, on me promet un magasin” », assure l’un.
« Une des victoires de la direction, c’est la peur qu’ils ont installée. Et c’est vrai que les gens avec qui je m’affiche dans l’entrepôt risquent de se mettre en danger », considère un autre.
Certains élus du personnel font le choix du confort personnel plutôt que du confort général. Et certains directeurs régionaux peuvent jouer de cela
Comme d’autres, ailleurs en France, ils pointent également la manière dont la direction monte les syndicats les uns contre les autres, s’appuyant régulièrement sur certaines organisations pour faire passer sa politique au niveau local.
« Certains élus du personnel font le choix du confort personnel plutôt que du confort général. Et certains directeurs régionaux peuvent jouer de cela », commente Alain Haraczaj, le responsable national de la CFE-CGC. Sollicités pour recueillir leur point de vue, les responsables de FO et de l’Unsa n’ont pas retourné nos appels.
Un peu partout, pourtant, à la faveur peut-être des articles qui se multiplient depuis plusieurs semaines dans la presse, les choses semblent évoluer doucement. Le 5 octobre,la directrice exécutive des ressources humaines, Anne Broches – par ailleurs suppléante du député La République en marche Guillaume Gouffier-Cha (Val-de-Marne) – a rencontré les équipes de la CGT et de la CFE-CGC en Bretagne.
Sur place, le directeur régional a surtout annoncé son départ pour début janvier et certaines poursuites disciplinaires ont été interrompues depuis que la justice enquête. Et à la direction régionale de Cambrai (Nord), un directeur régional avait déjà quitté son poste en 2020.
Le responsable national CGT Thierry Chantrenne, rattaché à cette région, raconte : « Les tensions ont démarré très rapidement à l’arrivée de ce responsable en 2018. En moins d’un mois, c’était la grande valse. Les responsables de magasin ont été convoqués, et surtout ceux qui avaient une certaine ancienneté ont été remplacés par des petits jeunes, formés à la main du nouveau DR. »
Je veux leur montrer que je ne lâcherai pas
Selon son récit, la CGT a également été visée. « La direction s’est est prise à un délégué syndical CGT de l’entrepôt, qui faisait son boulot de responsable syndical. Nous estimons qu’une cabale a été montée contre lui, dit Thierry Chantrenne. Son licenciement a été refusé trois fois par l’Inspection du travail et sa tutelle, jusqu’au ministère du travail. Et pour contester le refus de ce licenciement, l’entreprise est allée jusqu’au tribunal administratif. »
Le délégué syndical a fini par quitter l’entreprise, « mais nous avions réuni assez de preuves pour établir la discrimination syndicale, et nous l’avons signalée au procureur de la République », déclare Thierry Chantrenne. Une enquête a été confiée à la gendarmerie, qui s’apprêtait à entendre le directeur régional, juste avant qu’il ne soit muté.
Un mois après les révélations de France Bleu, des salariés de l’Hérault ont été reçus au siège de Rungis. La procédure disciplinaire lancée contre Pierre a par ailleurs été suspendue, Lidl vient de l’en avertir par courrier. Il est revenu récemment d’arrêt maladie, contre la recommandation de son médecin. Il souffle : « Je me sens mieux armé et je veux leur montrer que je ne lâcherai pas. »
publié le 27 octobre 2021
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Lundi 25 octobre, au petit matin. Le nouveau préfet “bulldozer” de l’Hérault, Hugues Moutouh, ordonne l’expulsion d’un bâtiment squatté par plusieurs familles albanaises. Malgré des relogements prévus par la mairie, des demandes de droit d’asile en cours d’examen, et un accompagnement validé par… la préfecture. Résultat : un aller simple pour Tirana, des mesures d’OQTF et de placement en CRA.
Jusqu’à tout récemment, trois familles étaient installées au 13 rue Rigaud, tout près de l’avenue Clémenceau. La première d’entre elle quitte le squat le dimanche 24 octobre, s’étant vu proposé un hébergement d’urgence par le 115.
Pour les deux autres, la fin de l’occupation de cet ancien bâtiment des douanes est moins heureuse : lundi 25 au matin, les habitants restants -six adultes et neuf enfants âgés de quatorze mois à dix-huit ans- sont expulsés par huissier de justice et policiers.
Les familles albanaises étaient pourtant suivies par une cohorte d’associations : Réseau Education Sans Frontières (RESF), la Cimade, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), en lien avec les services de la mairie de Montpellier. Cette même mairie de Montpellier qui s’apprêtait à rendre disponible un logement temporairement vacant, via un bail intercalaire, aux deux familles restantes. L’occupation illégale était donc officiellement sur point de cesser.
Le tissu associatif montpelliérain reste donc dubitatif sur les motifs avancés par le préfet Moutouh. Les familles sont sans histoires, enchaînent les contrats de travail, les enfants sont tous scolarisés. Le père de la famille Bushati a pour projet de rebâtir une entreprise de BTP, après la faillite de la sienne en Albanie, qui employait 25 salariés. La famille entière est éligible à la circulaire Valls, en raison de sa présence depuis plus de cinq ans sur le territoire français, des enfants scolarisés dans le pays, et de la dernière venue de la fratrie, née sur le sol de l’Hexagone. Et devait donc disposer d’un titre de séjour sous peu. Les familles bénéficient du soutien de nombreux parents d’élèves dans les établissements que fréquentent les mômes. Même la mairie de Montpellier, impliquée dans le travail social, et qui a appris l’expulsion après coup, s’en indigne vivement !
Loin de nous l’idée de faire un tri entre bons et mauvais migrants, mais force est de constater que même les profils les plus “start-ups nation” compatibles n’émeuvent pas M. Moutouh. Les associatifs tentent une explication : les pays du Maghreb, le Mali, la Guinée, bloquent les entrées de migrants expulsés par les autorités françaises, rendant compliquées les expulsions. Pour remplir des objectifs chiffrés, qu’on pourra brandir à volonté face au premier Zemmour venu, les services de l’Etat, préfectures en tête, se tournent donc vers les étrangers venus de pays vers lesquels il est facile d’expulser. Explication d’autant plus plausible qu’on en apprend plus sur l’incroyable acharnement des autorités : la troisième famille, composée d’un couple avec trois enfants ( la mère en attend un quatrième ), pourtant relogée par le 115, est poursuivie, recherchée, traquée par la police.. En vain pour l’instant.
Et il vaut mieux croiser les doigts pour que les forces de l’ordre ne lui mettent pas les pattes dessus. La famille Bushati a été emmenée directement vers un avion, direction la ville albanaise de Tirana. Seuls à bord, avec quatorze policiers en guise d’escorte ! Les associatifs en lien avec la famille Bushati expliquent sa coopération au moment de l’embarquement : “Cette famille est très soucieuse de ses enfants, chaque jour d’école depuis le début de l’occupation du squat ils les faisaient partir vers leurs établissements scolaires dès 6h30 du matin, pour éviter qu’ils ne soient confrontés à d’éventuelles visites des huissiers de justice.” Les autres personnes arrêtées sont soit sous le coup d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), soit en Centre de Rétention Administrative (CRA) en attendant leur expulsion.
Pour les associations qui suivent ces familles, la communication de la préfecture sur l’expulsion enchaîne mensonges éhontés et assertions douteuses. “Déboutées de leurs demandes de statut de réfugié, ces personnes se sont maintenues en situation irrégulière sur le territoire national”, peut-on lire dans le communiqué de presse signé par le cabinet du préfet, à propos de la famille Bushati qui attend pourtant ses titres de séjours… Plus loin : “Une procédure de cession était engagée par le service des Domaines de l’Etat”. En français moins https://lepoing.net/montpellier-le-bulldozer-hugues-moutouh-expulse-et-traque-des-familles-albanaises/administratif, le bâtiment était soit disant en cours de revente. Pourtant, depuis dix huit mois que le squat est ouvert, les familles albanaises n’ont pas vu une seule personne, une seule visite… On garde en tête l’exemple du squat de la rue Bonnard, expulsé avec pertes et fracas, et qui depuis plus d’un an maintenant reste vide et inutilisé.
Ce qui ne fait aucun doute par contre, c’est que la confiance relative qui pouvait être de mise entre milieu associatif et services préfectoraux est brisée. L’accompagnement des familles était le résultat d’une coopération entre assos, mairie, et… préfecture ! Même schéma que pour les récentes expulsions de bidonvilles, avec des mois voir des années de travail social, (financé par les services de l’Etat, comble du grotesque sinistre), foutus en l’air. Mentionnons également l’arrestation à la gare Sud de France le 8 octobre de plusieurs sans-papiers venus assister à un évènement déclaré en préfecture, le Contre Sommet Afrique France.
Le discours tenu par les associations impliquées dans l’accompagnement de ces familles albanaises, lors d’une conférence de presse au bar Le Dôme, est sombre, désabusé : “On va vers une mutation de nos pratiques en profondeur. Si on ne peut plus accorder un minimum de crédit à la cohérence des politiques des représentants de l’Etat, à leur parole même, on va devoir orienter de plus en plus nos pratiques vers la clandestinité !”
Lundi 25 octobre, le même jour que l’expulsion d’un squat habité par des familles albanaises, le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh a envoyé la police démanteler un troisième bidonville de Montpellier, avenue Nina Simone.
Moutouh est en guerre. Quelques heures à peine après que deux familles albanaises soient expulsées de leur habitation squattée près de l’avenue Clémenceau, et pendant que l’une d’entre elles était embarquée dans un avion direction Tirana, un troisième bidonville de Montpellier, situé avenue Nina Simone, a été démantelé par la police.
Les 59 habitants sont pour le moment relogés dans un ancien EHPAD réquisitionné par les services de la préfecture. Mais ne pourront y rester après la fin de la trêve hivernale, le 30 avril 2022.
La préfecture justifie sa décision en mettant en avant l’incendie du 16 septembre, survenu dans des circonstances troubles. Cette nuit-là, une riveraine aurait aperçu un homme circuler autour du campement vers 5h du matin, juste avant le début du sinistre. Un autre témoin, interviewé par le média Rapports de Force, dit avoir aperçu à la même heure deux hommes en scooter lancer deux bouteilles d’essence enflammées sur des caravanes vides. Une dizaine de véhicules ont été détruits par les flammes, sans qu’aucune victime ne soit à déplorer.
Ce n’était pas le premier incendie, mais le troisième depuis le début du mois d’août. De nombreuses intimidations auraient également été exercées sur les habitants. L’avocate de plusieurs familles de ces bidonvilles, maître Elise de Foucault, a déposé une plainte auprès du procureur de la République. La troisième évacuation également, après celles du campement du Mas Rouge et du camp dit de “Zénith 2”, respectivement le 1er et le 8 septembre.
Pour le moment la préfecture de l’Hérault ne s’est pas scandalisée de ces mystérieux actes d’extrême violence, et semble faire peser en pratique toutes leurs conséquences sur les habitants des camps de fortune montpelliérains.
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publié le 18 octobre 2021
Aurélien SoucheyreLatifa Madani sur www.humanite.fr
Pour la première fois, un président a commémoré physiquement les massacres des Algériens, à Paris, il y a soixante ans. Mais, plutôt que de reconnaître la responsabilité de l’État, il s’est contenté d’accuser le préfet de l’époque, Maurice Papon.
Des fleurs jetées à l’eau et aucun mot. Le chef de l’État a beau regarder la Seine, il ne dit rien. Samedi 16 octobre, depuis le pont de Bezons (Hauts-de-Seine), Emmanuel Macron est devenu le premier président de la République à commémorer physiquement le 17 octobre 1961, lors d’une cérémonie. Il aura fallu attendre soixante ans… Soixante ans pour que ce « massacre d’État », comme l’affirme l’historien Emmanuel Blanchard, ait droit à pareille initiative officielle. Devant ce fleuve où tant de personnes furent noyées par la police, lors d’une nuit d’enfer où des centaines de manifestants algériens furent assassinés par les prétendues « forces de l’ordre ».
Soixante ans… Il faudra pourtant attendre encore pour que le sommet de l’État reconnaisse pleinement la responsabilité qui fut la sienne, cette nuit-là. Car au lourd silence durant le recueillement, Emmanuel Macron a répondu par un court communiqué. L’Élysée a certes tenu à « rendre hommage à la mémoire de toutes les victimes ». Mais son texte fait mention de « plusieurs dizaines » de tués quand il est établi qu’il y en eut bien plus de 100… Enfin, la présidence de la République assène que « les crimes commis cette nuit-là par Maurice Papon sont inexcusables pour la République ». Une façon de se dédouaner sur le seul préfet de police de l’époque. Ce coupable idéal, puisqu’il fut prouvé des années plus tard qu’il participa à la déportation des juifs pendant la Seconde guerre mondiale, n’a pourtant pas agi seul.
« Pas plus que Didier Lallement aujourd’hui, le préfet Maurice Papon n’orientait la répression sur sa seule initiative. Les responsables politiques du crime d’État sont : le premier ministre Michel Debré, le ministre de l’Intérieur Roger Frey, ainsi que le général de Gaulle, qui laissa faire », a réagi Fabrice Riceputi. L’historien, auteur d’ Ici on noya les Algériens (éditions le Passager clandestin), ajoute que « de Gaulle a décoré et chaudement félicité Maurice Papon pour avoir “tenu Paris”. Il l’a maintenu en poste jusqu’en 1967 »… Et pourtant, Emmanuel Macron a pris grand soin de condamner des « crimes inexcusables pour la République », au lieu de parler de crimes « de » la République. « On est bien en deçà de ce qu’on attendait. Papon sert de coupable expiatoire. C’est une occasion manquée pour la vérité », a regretté auprès de Mediapart Mehdi Lallaoui, cofondateur de l’association Au nom de la mémoire.
Samia Messaoudi, cofondatrice de la même structure qui œuvre inlassablement pour que la pleine lumière soit faite sur le 17 octobre 1961, est elle aussi amère. « Quand nous avons été contactés par l’Élysée pour participer à la cérémonie de samedi, nous avons accepté à condition que cette nuit sanglante, ce massacre, soit reconnu comme un crime d’État par les plus hautes autorités du pays », raconte-t-elle. Les services de l’Élysée lui ont indiqué que le « président allait faire un geste, dire un mot », avant de finalement la prévenir que le recueillement serait silencieux. « Nous avons hésité, puis nous sommes finalement venus. Samedi, quand Monsieur Macron m’a serré la main, je lui ai rappelé que nous étions là pour que soit reconnu le crime d’État et pour que soient nommés les responsables de la répression. Il ne m’a pas répondu. Dix minutes plus tard, nous avons reçu le communiqué de l’Élysée. Hélas, c’est la déception totale. »
Historiens, associations, collectifs et partis politiques regrettent ainsi que Macron se soit contenté d’un petit pas en avant, sans avoir le courage de vraiment regarder l’histoire en face, comme il le prétendait. « La vérité sur ce crime d’État est aujourd’hui connue et partiellement assumée par les responsables politiques de notre pays. Pourtant, malgré quelques avancées, il manque la reconnaissance officielle, par l’État, de sa responsabilité, de celle des dirigeants et de la police de l’époque », a annoncé EELV. Le PS a également réclamé « la condamnation, par le président de la République, de cette répression sanglante et de ceux qui l’ont organisée et/ou couverte ». « Je demande que la France assume ses responsabilités et déclare solennellement que l’institution policière française, des hauts fonctionnaires français, des responsables politiques français se sont rendus coupables d’un crime d’État il y a soixante ans, et qu’ils ont ainsi déshonoré la République », a de son côté fait savoir Fabien Roussel.
Le secrétaire national du PCF réclame aussi la création « d’une commission d’enquête indépendante qui aura accès à toutes les archives officielles et à tous les témoignages sans exception, afin de faire toute la lumière sur la terreur coloniale dont ont été victimes les Algériens de France ». Il demande « qu’un lieu soit consacré à Paris aux événements d’octobre 1961, conformément au vote du Sénat en octobre 2012 », en plus de « faire de la date du 17 octobre 1961 une journée d’hommages aux victimes des crimes du colonialisme ».
Si la gauche regarde cette répression d’État pour ce qu’elle est, la droite cherche encore et toujours à relativiser, minimiser ou travestir l’histoire. Le député LR Éric Ciotti estime ainsi qu’Emmanuel Macron s’est livré à une « propagande victimaire antifrançaise indécente ». « Criminaliser notre histoire est une faute », ajoute la parlementaire du même parti, Michèle Tabarot. La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, aurait de son côté « aimé que le président associe la mémoire des 22 policiers morts dans des attentats FLN ». S’il faut refaire un peu d’histoire, faisons-la : quelques mois avant la fin de la guerre d’Algérie, alors que les négociations d’Évian qui vont déboucher sur l’indépendance sont déjà ouvertes, la police de Maurice Papon, donc celle de l’État, se livre à des exactions quotidiennes : rafles, tabassages, tortures contre les Algériens… Le FLN, qui avait interrompu les attentats contre les policiers, décide de les reprendre. Déterminé à poursuivre l’escalade de violence, Maurice Papon promet, lors des funérailles d’un policier, que « pour un coup porté, nous en porterons dix ».
La réponse sera celle du massacre du 17 octobre… qui vise des travailleurs immigrés, lesquels manifestaient pacifiquement contre le couvre-feu discriminatoire qui leur était imposé. Sans défense, ils sont traqués par des « gardiens de la paix » dont la mission n’est pourtant pas de se venger sur des innocents… Le rapport de Jean Geronimi, en 1999, indique que la répression policière s’abat tout en étant couverte par les autorités supérieures. Le nombre de corps de « Nord-Africains » repêchés dans la Seine augmente tout au long de l’année 1961, les 17 et 18 octobre constituant un « pic ». « Macron a fait le minimum », regrette ainsi Daabia, 80 ans, présent dans le défilé parisien de dimanche. « 17 octobre, on n’oublie pas, 17 octobre crime d’État ! » ont scandé les manifestants, ajoutant : « L’État a ordonné, Papon a exécuté ! » Parmi les 3 000 personnes rassemblées, la jeune Rym ne mâche pas ses mots : « Macron n’a même pas parlé, il se fout de nous. La cérémonie était totalement verrouillée. Il se perd dans ses calculs électoralistes. » « On ne peut pas limiter la responsabilité à Papon, il faut avoir le courage de reconnaître celle de l’État », a conclu Kamel, militant associatif, qui a marché jusqu’à Saint-Michel, où les manifestants se sont arrêtés face à la Seine.
publié le 16 octobre 2021
sur https://blogs.mediapart.fr/marche-des-solidarites
A l'appel de 16 collectifs de Sans-Papiers, de la Marche des Solidarités et de plus de 100 organisations, partis politiques et syndicats, nous manifesterons les 15 et 22 octobre en direction de la préfecture de Paris et du ministère de l'Intérieur pour exiger la levée des OQTF et IRTF des 7 de Montpellier. Ci-dessous le texte d'appel et la liste des premiers signataires.
Contre-Sommet Afrique-France
Liberté pour les 7 de Montpellier !
Le jeudi 7 octobre à Montpellier, huit jeunes Africains sans-papiers ont été arrêtés sur le quai de la gare quelques heures avant le début du contre-sommet Afrique-France annoncé depuis plusieurs mois et organisé par un collectif d’organisations locales et nationales. La préfecture de police et le Ministère de l’intérieur ont été prévenus de cet évènement et n’ont interdit ni les réunions, ni les manifestations au programme. Pourtant le matin du 1er jour de ce contre-sommet, la préfecture a envoyé des policiers procéder à des arrestations ciblées et discriminatoires sur le quai de la gare.
Seul ce groupe de Maliens, de Sénégalais et d’Ivoiriens, qui avait pris le train au sein d’une délégation de 24 membres de différents collectifs de la région parisienne a été arrêté et emmené en garde à vue. On les a contrôlés au faciès et parce qu’ils sont descendus du train en groupe, parce qu’ils étaient Africains et qu’ils venaient contester, de manière organisée, la politique du gouvernement. Deux d’entre ont été transférés en centre de rétention avant d’être enfin libérés 5 jours plus tard grâce, entre autres, à une riposte et une mobilisation rapides qui ont commencé le jour-même devant le commissariat de Montpellier. Cinq autres sont sortis des locaux de la police avec OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) assortie d’une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français) dès jeudi 7 octobre.
Après la rafle, le bannissement et les barreaux.
Cette opération de police est extrêmement grave quand, dans le même temps, le président de la République proclamait sans sourciller que le sommet de Montpellier visait à promouvoir la jeunesse africaine et le soutien à la société civile et à la démocratie. Deux jeunes Africains ont été incarcérés sous la menace d’une expulsion pour avoir osé (!) s’organiser aux côtés de la société civile en France (associations, syndicats, partis) et revendiquer l’égalité des droits.
L'interdiction de retour sur le territoire français qui vise les 7 jeunes qui ont participé au contre-sommet est une décision prise par le préfet associée à l'obligation de quitter la France (OQTF). Qui ne sait que pour ceux et celles qui ont parcouru 8000 kms, traversé l’enfer de la Lybie et la méditerranée, revenir en arrière est impossible ?
C’est pourquoi l’IRTF soit condamne à l’errance ceux et celles qui partent, soit prive de tous leurs droits ceux et ou celles qui contreviennent à l’obligation de quitter l’espace Schengen. Harceler les migrant.e.s, les priver de leurs droits et les expulser, telle est la devise du ministère de l'intérieur, à l'ère Macron.
Liberté et démocratie.
La situation des 7 interpellés est notre cause à toutes et tous. Que certains d’entre nous soient arrêtés pour le simple fait de contester la politique du pouvoir est un déni de nos droits à toutes et tous. Mais aussi parce que leur combat est celui de la justice et de la liberté.
Nous exigeons la levée immédiate des OQTF et IRTF des 7 de Montpellier !
« Nous sommes l'histoire. Avec nos choix, nos croyances, nos erreurs, nos idéaux, nos espoirs de justice que personne ne pourra jamais réprimer. » Mimmo Lucano maire de Riace, 3 octobre 2021.
parmi les premiers signataires :
des Collectifs de Sans-Papiers, BDS France-Montpellier, CADTM France, Droit Au Logement (DAL), La Carmagnole Montpellier, Cimade Montpellier, LDH Montpellier, MRAP, RUSF 34, Union syndicale Solidaires, Ensemble, France Insoumise, NPA, Parti de Gauche 34