PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

décembre 2025

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  mise en ligne le 14 sdécembre 2025

Mobilisations anti-Stérin :
une « diagonale de la résistance » s’élargit face à l’extrême droite

Guillaume Bernard et Rozenn Le Carboule sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce 4 décembre, plusieurs organisations appellaient à un rassemblement à Paris, où devait se tenir une Nuit du bien commun, liée au milliardaire d’extrême droite Pierre-Édouard Stérin. Une mobilisation qui s’inscrit dans la continuité de nombreuses autres.

« Pas de charité pour l’extrême droite »« Stérin miné »… Au Cirque électrique, à Paris, un petit groupe s’affaire à l’élaboration de slogans pour un rassemblement à venir, ce 4 décembre. Objectif : perturber la neuvième édition de La Nuit du bien commun parisienne, une soirée de levée de fonds cofondée par le milliardaire ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin, qui a lieu cette année aux Folies Bergères.

Derrière l’initiative figure notamment un nouveau collectif, la Section carrément anti-Stérin (Scas), un nom en clin d’œil à la Section carrément anti-Le Pen (Scalp), créée 40 ans plus tôt contre le Front national. Avec d’autres, le Scas multiplie, ces derniers mois, les actions visant à bloquer des projets financés par l’écosystème Stérin et qui répondent au projet politique du milliardaire. Comme l’avait révélé L’Humanité, en juillet 2024, le plan Périclès (pour Patriotes / Enracinés / Résistants / Identitaires / Chrétiens / Libéraux / Européens / Souverainistes), élaboré par Stérin, a pour but de favoriser une victoire électorale de l’extrême droite. Si le milliardaire s’est mis en retrait de l’organisation des Nuits du bien commun, la société Obole, qui produit l’événement, reste en partie financée par l’homme d’affaires.

Après une coalition pour « Désarmer Bolloré », l’appel à « ruiner La Nuit du bien commun » de ce 4 décembre, signé par une quarantaine d’organisations et syndicats, comme les Soulèvement de la terre ou la CGT Spectacles, s’inscrit ainsi dans la continuité de dizaines de mobilisations un peu partout en France, qui pour certaines ont porté leurs fruits.

Des Nuits du bien commun obligées de se tenir en visio

Le coup d’envoi de ces rassemblements a été donné le 6 mai dernier à Tours, pour mettre en lumière les « réseaux d’influence réactionnaires » qui se tissent à travers des associations lauréates des Nuits du bien commun « triées sur le volet par des proches du milliardaire et de sa galaxie », selon la Scas. S’affichant, pour la plupart, comme « aconfessionnelles » et « apolitiques », elles sont pourtant nombreuses à promouvoir des idées très conservatrices, comme le montre un projet d’enquêtes du collectif de journalistes pigistes Hors Cadre, soutenu par Basta!.

Rapidement, d’autres rassemblements ont essaimé dans les villes accueillant ces soirées caritatives, comme à Lyon, Toulouse, Angers, ou encore Aix-en-Provence, qui a marqué un réel tournant le 6 octobre. Ce matin-là, un piquet de grève est monté devant la salle de concert municipale (la 6Mic) qui doit accueillir « La Provence pour le Bien commun ». Une campagne intersyndicale appelle alors à construire « un front contre le fascisme et l’extrême droite dans la culture et le spectacle ». Sur la vingtaine de salarié·es de l’équipe « road » en charge de l’installation, embauché·es par l’entreprise Mimo, prestataire privilégié de La Nuit du bien commun, huit décident de faire grève. Sans parvenir, dans un premier temps, à empêcher le montage du lieu.

« En revanche, notre grève a eu de l’impact quand nous avons déplacé notre piquet sur la scène, sur les coups de 11 h 30. On a installé une nappe, on a fait un pique-nique, on a fait la sieste, et on a attendu », raconte l’un d’eux, Nono*, syndiqué au Stucs (syndicat de la culture et du spectacle de la CNT-SO). Menacés d’une intervention policière, les salarié·es sont alors informé·es d’une manifestation de soutien, rassemblant 250 personnes à l’extérieur. « C’est sans doute ce qui a découragé les organisateurs d’aller au bout. Ils risquaient un tel bazar si les forces de l’ordre intervenaient, que de toute façon leur soirée était fichue », analyse Nono. L’événement est finalement annoncé en visio : « On a d’abord pensé à une intox… mais les techniciens de Mimo sont venus démonter le plateau. C’est là qu’on s’est dit : c’est fou, on a gagné ! » se remémore le syndicaliste.

Ce succès en a inspiré d’autres : à Rennes, à la suite d’un appel à « la résistance » de la section locale du PS et d’un rassemblement sous l’égide des antifas rennais, La Nuit du bien commun prévue dans la capitale bretonne a dû, elle aussi, se tenir en distanciel, le 19 novembre dernier.

Naissance d’une « diagonale de la résistance »

En dehors des grandes villes, les mobilisations « anti-Stérin » et contre l’extrême droite se répandent également, cette fois pour alerter sur des projets réactionnaires financés par le milliardaire qui tentent de se développer dans des zones plus rurales. À Moulins, dans l’Allier, le collectif Laïque et républicain, fédérant partis de gauche, syndicats et associations de l’agglomération, demande en juin le retrait des subventions publiques accordées à « un spectacle historique sons et lumières », programmé en juillet.

Inspiré du Puy-du-Fou, celui-ci est en réalité mis en scène par Guillaume Senet, un militant d’extrême droite. Malgré le pédigrée du metteur en scène, le spectacle est largement soutenu par la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de l’Allier et la ville de Moulins, comme l’a montré une série d’enquêtes de Basta!« C’est le député (communiste) Yannick Monnet qui a été le premier lanceur d’alerte, quand il a vu passer ça dans les documents du conseil municipal », relate Vincent Présumey, professeur d’histoire-géographie et militant du SNES-FSU, qui a pris part à la mobilisation.

Celle-ci n’a finalement pas suffi à faire annuler le spectacle, mais a permis de mettre en lumière ses visées politiques et éducatives : « Inspirée par le succès » du spectacle, une école hors contrat visant à « évangéliser et transmettre la foi », nommée le Cours Zita, et derrière laquelle se cache de nouveau Guillaume Senet, n’a finalement pas ouvert comme prévu à la rentrée 2025.

« On a tenu le choc et on a franchi une étape », se réjouit Vincent Présumey, désormais en contact avec plusieurs autres collectifs. « On est en train de tisser une toile, qu’on a surnommée la diagonale de la résistance, car il se trouve que j’ai été invité dans plein de départements du centre de la France. »

Une alliance avec les luttes écologistes

Autre résistance locale : dans le Morvan, un collectif se mobilise contre l’ouverture du Cours Vauban, un collège privé hors contrat à Étang-sur-Arroux, en Saône-et-Loire. C’est le troisième établissement du réseau Excellence Ruralités, amplement financé par l’écosystème de Pierre-Edouard Stérin. Et pour cause : son directeur du développement, Paul-François Croisille, est également trésorier de La Nuit du bien commun depuis 2021, comme l’ont détaillé des enquêtes de Basta!.

« Des éléments de discours de l’école ont commencé à nous faire tiquer. Et, rapidement, un membre du collectif, documentaliste en CDI, a trouvé des liens avec toute une nébuleuse catholique traditionaliste », raconte Chloé Loyez, membre de Morvan mobilisation solidaire. Le groupe de citoyen·nes tente d’en informer le rectorat, la préfecture, la région et d’autres collectivités à travers une lettre ouverte, à laquelle se joignent la CGT Éducation, la FCPE, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et d’autres syndicats. Il organise également des réunions publiques pour alerter les habitant·es.

Contre toute attente, « ce qui a été le plus efficace pour retarder l’ouverture du Cours Vauban n’a toutefois pas du tout été le bien-être des enfants ou les liens avec l’extrême droite, mais le fait que les travaux aient lieu sur une zone humide », témoigne Chloé Loyez. Avec le soutien de France nature environnement, le collectif réussit à faire retarder les travaux.

Mais l’établissement finit par ouvrir le 1er septembre. « Quand on a alerté le rectorat, la préfecture, la mairie, on s’est retrouvé·es face à un mur, avec une telle inertie, si ce n’est une complicité de certains élus pour leur laisser le champ libre », regrette la membre du collectif, qui n’abandonne pas pour autant la bataille. « La question du devenir de cette zone humide n’est pas terminée. Et même si on ne réussit pas à faire fermer le Cours Vauban chez nous, on va les empêcher d’aller faire des dégâts ailleurs », défend-elle.

Mobilisations contre les écoles privées traditionalistes hors contrat

La « diagonale de la résistance » s’étend jusqu’en Sologne, où, là encore, un collectif d’habitant·es et de militant·es – Luttes locales centre – se mobilise contre l’Académie Saint-Louis de Chalès, à Nouan-le-Fuzelier – un pensionnat catholique hors contrat financé lui aussi par Stérin, et réservé aux garçons. Tandis que le collectif prépare un « manifeste pour la Sologne », il en profite pour dénoncer, fin avril, les soutiens de la « baronnie locale » à ce projet, parmi lesquels Alexandre Avril, maire de Salbris (Union des droites pour la République, alliée au RN). Rejoint par la FSU, le PCF local, plus de 30 organisations syndicales, associatives ou politiques, ainsi que plus de 160 personnalités, le collectif publie, en juillet, une lettre ouverte adressée aux pouvoirs publics.

La réponse de l’Académie Saint-Louis de Chalès suit quelques jours après sur Le Figaro Vox, signée par « 300 habitants du département [qui] défendent l’initiative au nom de la liberté d’enseignement »« Là on s’est dit que c’était une source d’informations », commente auprès de Basta! Katherine, de la coopération des luttes locales du Centre. « Donc, on a commencé à regarder qui étaient les signataires. Et on s’est rendu compte que c’étaient des entrepreneurs qui avaient des propriétés ou agences de conseil dans les secteurs de la finance, de l’immobilier, de la chasse. Que la plupart habitent en région Centre, mais que leurs entreprises ont leur siège social à Paris », décrit la militante.

Investigation citoyenne en Sologne

Cette investigation citoyenne, même si elle n’a pas permis de bloquer l’ouverture de l’établissement, a été riche d’enseignements : « Cela nous a permis de comprendre quelles étaient les attaches de l’Académie Saint-Louis sur le territoire. » Autrement dit, outre l’élu local Alexandre Avril, ce sont « une majorité de riches propriétaires, essentiellement parisiens, qui viennent faire de la chasse sur le territoire », analyse Katherine, qui a rassemblé ces informations dans une infographie détaillée.

Plus au sud-est, dans l’Ain, c’est une autre mobilisation contre un établissement catholique hors contrat pour filles qui a récemment porté ses fruits. À Châtillon-sur-Chalaronne, la Maison d’éducation Pauline-Marie-Jaricot, en partie financée par la Fondation pour l’école, proche de Pierre-Édouard Stérin, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de fermeture temporaire le 19 novembre.

Un an plus tôt, plusieurs organisations avaient commencé à alerter sur le projet pédagogique réactionnaire de l’école. « En plus de constater que le projet affiché était totalement aux antipodes de ce qu’on revendique, et même de ce que l’Éducation nationale peut préconiser, on a constaté que cette structure bénéficiait de soutiens publics », décrit Marie-Alix de Richemont, secrétaire générale de la CGT Éduc’action et membre du collectif Visa (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes). Avec le soutien de nombreuses organisations, comme la LDH ou le Collectif féministe de Bourg-en-Bresse, un rassemblement était organisé devant la mairie le 13 octobre.

Le tribunal administratif de Lyon a finalement suspendu l’arrêté préfectoral le 26 novembre, entraînant la réouverture de l’établissement, mais la mobilisation continue. Car, « au-delà de Monsieur Stérin, l’extrême droite semble s’intéresser de façon extrêmement forte à l’éducation, or quand on regarde ses programmes, nous sommes terrifiés », alerte Marie-Alix de Richemont, par ailleurs professeure d’espagnol. Parmi les lauréat·es de La Nuit du bien commun, qui se tient ce jeudi 4 décembre à Paris, figure notamment l’école libre hors contrat Jacinthe et François, qui vise à transmettre aux enfants « une éducation intégrale » et « un enseignement complet s’appuyant sur la foi catholique ».

 mise en ligne le 14 décembre 2025

60 000 millionnaires détiennent trois fois plus de richesse que la moitié de l’humanité

Hélène May et Marie Toulgoat sur www.humanite.fr

Pour son troisième bilan mondial, le World Inequality Lab, codirigé par l’économiste Thomas Piketty, insiste sur la concentration croissante des revenus et du patrimoine mondial entre les mains de quelques-uns.

Il y a urgence. « Partout dans le monde, le niveau de vie stagne pour beaucoup, tandis que la richesse et le pouvoir sont encore plus concentrés au sommet », résument les économistes Jayati Ghosh et Joseph Stiglitz en introduction du rapport sur les inégalités mondiale 2026 rendu public ce 10 décembre. Celui-ci, pour sa troisième édition, dresse un panorama des disparités qui subsistent, et dressent des pistes pour les éradiquer. Tour d’horizon.

« Aujourd’hui, les 10 % les plus riches de la population mondiale gagnent plus que les 90 % restants, tandis que la moitié la plus pauvre de la population mondiale ne reçoit que moins de 10 % du revenu mondial total », selon ce nouveau bilan réalisé par plus de 200 chercheurs liés au World Inequality Lab (WIL) que codirige l’économiste Thomas Piketty.

Une concentration accrue

Et plus on monte dans l’échelle, plus le contraste est frappant. Ainsi, les 56 millions de personnes, qui représentent le 1 % les plus aisés, gagnent 2,5 fois plus que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Et les 0,1 %, autant que ces 2,8 milliards de personnes. C’est encore pire quand on regarde du côté des richesses accumulées : les 10 % les plus riches détiennent les trois quarts du patrimoine mondial contre 2 % pour la moitié la plus pauvre.

Là encore, l’écart s’accroît en montant dans l’échelle : « 0,001 % les plus riches, soit moins de 60 000 multimillionnaires, contrôlent aujourd’hui trois fois plus de richesse que la moitié de l’humanité réunie », contre le double en 1995. Il faut dire qu’après une phase intense de redistribution, la croissance profite aux hauts revenus. Depuis trente ans, les 0,001 % se sont enrichis de 5 % par an et les 560 personnes qui constituent les 0,00001 % de plus de 8 %.

Si cette concentration des richesses dans les mains de quelques-uns est mondiale, elle se double d’inégalités entre territoires. Ainsi, « l’individu moyen en Amérique du Nord et en Océanie gagne environ treize fois plus qu’un individu en Afrique subsaharienne et trois fois plus que la moyenne mondiale ». Cette situation, s’accompagne d’une inégalité encore plus prégnante dans les pays à faibles revenus, où la classe moyenne est quasiment inexistante.

Les femmes, grandes perdantes

Elle est aussi entretenue par un système financier mondial qui rend l’emprunt facile et peu coûteux pour les pays qui émettent des monnaies dites de réserve comme l’euro et le dollar. Cette situation génère « une version moderne d’échanges structurellement inégaux », à tel point que chaque année, « environ 1 % du PIB mondial (soit environ trois fois plus que l’aide au développement) est transféré des pays pauvres vers les pays riches ».

Selon les données du rapport, un groupe de personnes subi de fortes inégalités quel que soit le pays qu’elles habitent : les femmes. À l’échelle mondiale en effet, celles-ci ne gagnent que 28,2 % du revenu lié au travail. Cette donnée, qui fait état d’une extrême disparité entre les ressources que les femmes peuvent obtenir de leur activité par rapport aux hommes, stagne depuis des décennies : elles ne gagnaient que 27,8 % des revenus du travail en 1990, soit seulement 0,4 point de moins.

Cette inégalité s’explique par le fait que les femmes endossent une grande partie du travail qui ne donne lieu à aucune rémunération. Si beaucoup sont aujourd’hui salariées, elles s’occupent également de manière disproportionnée des tâches ménagères et du soin aux personnes.

À ne regarder que le travail qui donne lieu à une rémunération, les femmes ne gagnent que 61 % du revenu horaire des hommes, mais ce chiffre chute à 32 % tout type de travail confondu. Le tout en travaillant plus que les hommes : 53 heures hebdomadaires en moyenne contre 43.

Si cette situation connaît des disparités selon les zones du monde – les femmes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ne gagnent que 16 % des revenus du travail – aucune région n’est épargnée. Ainsi, en Europe, Amérique du Nord et en Océanie, où les inégalités sont les moins prononcées, les femmes ne gagnent tout de même que 40 % du revenu du travail.

Si de telles inégalités nuisent aux opportunités des femmes, elles interrogent sur la manière d’estimer la valeur du travail, fragilisent aussi les structures économiques des sociétés, mettent en garde les auteurs. « L’inégalité hommes-femmes est aussi une question d’inefficacité structurelle : les économies qui sous-évaluent le travail de la moitié de leur population compromettent leur propre capacité de croissance et de résilience. »

« Les divisions entre grandes et petites villes ont atteint des niveaux jamais vus »

Le rapport sur les inégalités mondiales fait état de disparités de richesses entre les nations, mais aussi de divisions territoriales entre les pays. Les économistes expliquent qu’il existe en effet des fractures au sein d’un même territoire, y compris dans les pays démocratiques et développés, entre les grands centres urbains et les petites villes ou régions rurales.

Ces fractures peuvent s’expliquer par un accès inégalitaire aux services publics, mais aussi aux opportunités d’emploi, ainsi que des différentes expositions aux chocs commerciaux. Un tel mécanisme est fortement visible en France, entre autres exemples, où les déserts médicaux et ou encore la fermeture de classes et de bureaux de poste excluent des services publics toute une partie de la population éloignée des grands centres urbains.

Problème, de telles inégalités territoriales entre citoyens d’un même pays ont tendance à « fracturer la cohésion sociale et à affaiblir les coalitions nécessaires aux réformes en faveur de plus de distribution », déplorent les auteurs du rapport.

Cette fracture territoriale se ressent particulièrement si l’on regarde les clivages politiques entre habitants des centres urbains et des petites villes. « Les divisions entre grandes et petites villes ont atteint des niveaux jamais vus depuis un siècle », remarquent les auteurs du rapport.

« En conséquence, les électeurs de la classe ouvrière sont désormais fragmentés entre les partis des deux côtés de l’échiquier politique ou privés de représentation forte, ce qui limite leur influence politique et renforce les inégalités », détaille l’étude. Les inégalités renforcent les fractures, qui renforcent les fractures : c’est un cercle vicieux.

Cette concentration croissante de la richesse a ainsi des conséquences politiques, souligne le WIL. C’est visible d’abord dans les sommes très importantes déversées dans les campagnes pas les super-riches, symbolisés par les 277 millions de dollars versés par Elon Musk à la campagne de Donald Trump pour la présidence des États-Unis.

Recompositions politiques

De l’autre côté du spectre social, on observe au contraire « le déclin à long terme de la représentation de la classe ouvrière dans les Parlements français, britannique et américain » qui entraîne « l’érosion de la représentation et remodèle les priorités politiques », souligne le WIL. Cela est en grande partie lié à l’effritement de l’adéquation entre partis de gauche et classes populaires, lesquelles se sont divisées avec l’expansion de l’éducation.

Ainsi, note le rapport, « de nombreux électeurs hautement diplômés mais relativement peu rémunérés (par exemple, les enseignants ou les infirmières) votent actuellement pour la gauche, tandis que de nombreux électeurs moins diplômés mais relativement mieux rémunérés (par exemple, les travailleurs indépendants ou les chauffeurs routiers) ont tendance à voter pour la droite ». À l’inverse, les plus aisés sont eux majoritairement restés affiliés aux partis de droite. Résultat, « un électorat divisé où les coalitions favorables à la redistribution ont plus de mal à se maintenir ».

Il n’y a pourtant pas de fatalité. « Les inégalités, rappelle le WIL, sont un choix politique » qui peut être défait. Redistribution via une politique fiscale ciblant les plus riches, accès large et gratuit aux services notamment d’éducation et de santé, lutte contre les inégalités de genre et refonte du système monétaire mondiale, autant d’outils qui peuvent être activés pour retrouver la dynamique d’égalité qui a triomphé après la Seconde Guerre mondiale et éviter le glissement vers l’extrême droite.

 

  mise en ligne le 13 décembre 2025

Europe : un « nouveau règlement de la honte » contre les exilés

La chronique de Francis Wurtz sur www.humanite.fr

En pleine période de célébration de la Déclaration universelle des droits de l’homme, tandis que Donald Trump prédisait à l’Europe la perspective d’un « effacement civilisationnel » en raison de sa politique migratoire, prétendument trop laxiste, les représentants du Parlement européen et ceux des États membres étaient, quant à eux, en train de négocier le contenu final d’une nouvelle réforme migratoire scélérate, durcissant encore les règles existantes, qui ne brillaient pourtant pas par leur humanité.

Il s’agit d’un règlement destiné à remplacer un texte de 2008, qualifié à l’époque par toutes les organisations de défense des droits humains de « directive de la honte ». Celle-ci prévoyait notamment l’harmonisation des lois des pays de l’Union européenne sur la durée de rétention des demandeurs d’asile, le temps de statuer sur leur sort : un titre de séjour ou l’expulsion. La durée maximale de rétention autorisée (qui était alors de trente-deux jours en France) fut portée… à dix-huit mois.

Dix-sept ans plus tard, le nouveau texte témoigne d’une radicalisation tous azimuts. D’abord, il s’agit cette fois, non d’une directive – modifiable, partiellement, par les Parlements nationaux –, mais d’un règlement, directement applicable tel quel dans le droit national. Ensuite, la durée maximale de rétention (passée entre-temps en France à quatre-vingt-dix jours) pourrait désormais être prolongée légalement jusqu’à deux ans. Enfin, tous les moyens sont bons pour faciliter « le retour » des personnes ayant demandé sans succès l’asile dans un pays de l’Union européenne. Le « retour » où ? Pas nécessairement dans le pays d’origine de la personne concernée.

Ainsi est-il prévu la création de « centres de retour », hors de l’Union européenne, vers lesquels pourraient être expulsées des personnes en séjour irrégulier dans l’attente de leur renvoi dans leur pays d’origine. La Grande-Bretagne avait inauguré cette pratique scandaleuse – et très coûteuse – par un accord avec le Rwanda ; la « postfasciste » Giorgia Meloni tente, contre la décision de la justice italienne, d’en faire autant avec l’Albanie.

« Ce projet consacrerait la déresponsabilisation de l’Union européenne et de ses États membres, qui s’affranchiraient entièrement du respect des droits fondamentaux, indispensable dans toute mesure de privation de liberté dans un État de droit », a souligné l’association France terre d’asile, qui qualifie ce texte d’« attaque sans précédent contre les droits fondamentaux des personnes étrangères 1 ».

Le règlement impose, en outre, aux États membres la mise en place de mesures pour détecter les personnes séjournant irrégulièrement sur leur territoire, au risque de voir s’étendre le profilage racial et les traitements discriminatoires, alerte la Cimade.

Quant aux pays du Sud qui bénéficient de longue date de préférences commerciales – comme celle d’exporter leurs produits de base vers l’Union européenne sans avoir à acquitter de droits de douane ou des taxes très réduites –, ils ont été avertis que ces préférences seraient, à partir du 1er janvier 2027, conditionnées à leur coopération en matière de contrôle migratoire et de réadmission de leurs ressortissants expulsés d’Europe. Enfin, sur la tragédie des migrants naufragés en Méditerranée : pas un mot.

Pourquoi de telles régressions éthiques de la part d’une Europe si fière de ses « valeurs » ? C’est le commissaire européen à la Migration, Magnus Brunner, lui-même, qui nous l’explique : « Nous devons regagner la confiance des citoyens2 ! » En s’alignant sur l’extrême droite ? Trump appréciera.

  1. Communiqué du 18 novembre 2025 ↩︎

  2. Interview à Euronews (2 décembre 2025) ↩︎

 

   mise en ligne le 13 décembre 2025

Au Havre, les dockers CGT empêchent le passage d’un conteneur suspecté d’abriter du matériel militaire français en route vers Israël

Manuel Sanson (Le Poulpe) sur www.mediapart.fr

Le syndicat CGT des dockers du port du Havre a tout récemment empêché le chargement d’un conteneur de matériel militaire français à destination d’une entreprise d’armement israélienne. De quoi remettre sur le devant de la scène la question très sensible des ventes d’armes à destination de l’État hébreu.

C’est ce qui s’appelle tomber sur un os. Et un gros. En l’occurrence, le syndicat CGT des dockers du port du Havre, fort de plus de trois mille âmes obéissant comme un seul homme à l’organisation à laquelle ils sont affiliés.

Selon les informations du Poulpe, un conteneur de matériel militaire produit par l’entreprise française Aubert et Duval devait franchir les portes du terminal portuaire privé MSC, mercredi 10 décembre en fin de journée, pour être transporté à bord d’un navire de la compagnie ZIM en partance pour le port d’Haïfa. Il n’en sera rien finalement.

D’après nos renseignements, le syndicat CGT des dockers, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, a signifié mardi à la direction générale du terminal privé, propriété de l’armateur MSC, que le conteneur ne serait pas pris en charge.

« La direction générale a alerté la compagnie maritime ZIM qui, de fait, ne va pas l’acheminer au Havre. Une autre voie maritime va être envisagée », glisse au Poulpe une source portuaire sans pouvoir en dire plus. Le fait que les dirigeants du terminal privé aient accepté sans sourciller de dérouter ledit conteneur dès la montée au créneau des dockers semble prouver que ce dernier est rempli de matériel à usage militaire.

Difficile néanmoins d’obtenir des informations officielles sur le sujet. Questionnée, l’entreprise française, basée à Firminy (Loire), n’a pas répondu à nos questions précises sur le transfert avorté du conteneur vers le port du Havre. De son côté, le ministère des armées, chargé de superviser les ventes d’armes françaises à travers le monde, est resté mutique. MSC n’a, pour sa part, pas donné suite à nos sollicitations. « Personne ne vous communiquera la moindre information à ce sujet », prévient une source interne à l’entreprise.
Selon des informations que Le Poulpe a obtenues auprès des associations Palestinian Youth Movement et Urgence Palestine, la cargaison voyagerait sous un code particulier, correspondant à la classification « parties et accessoires des armes de guerre ». « Aubert et Duval est connu pour ses applications de défense terrestre, en particulier la fourniture de pièces forgées pour les armes de moyen et gros calibre », précise l’une de nos sources.

Selon ces mêmes informations, le réceptionnaire de ces éléments militaires français se trouve être l’entreprise d’armement israélienne Elbit Systems basée à Yoqneam, en Israël. Les pièces françaises seraient destinées à l’équipement de son nouvel obusier de 155 millimètres, le Sigma, en cours de déploiement au sein de l’armée israélienne.

Des précédents, au Havre et ailleurs

« Nous remercions les travailleurs du port et les syndicats de bloquer cette cargaison et saluons leurs contributions à la lutte et aux nécessaires sanctions du régime israélien », déclarent au Poulpe les deux associations, qui demandent « un embargo total sur les armes à destination d’Israël ».

Le veto des dockers du port du Havre n’est pas une première. En 2019 déjà, à la suite des révélations du média Disclose, ils avaient bloqué une cargaison d’armes, des éléments de canons Caesar à destination de l’Arabie saoudite, alors que la guerre au Yemen faisait rage.

Plus récemment, le syndicat CGT des dockers s’est aussi opposé au départ de matériel militaire, notamment fabriqué par Aubert et Duval, vers l’État hébreu depuis le port de Fos-sur-Mer, près de Marseille. Selon Disclose, l’entreprise de Firminy entendait livrer à Israël en juin dernier des « équipements pour des canons », sans plus de précisions.

La marchandise qui aurait dû être embarquée au Havre était-elle celle bloquée en juin à Fos-sur-Mer ? Rien ne permet de l’affirmer à ce stade, tant le sujet apparaît sensible et opaque. 

Selon nos informations, des manœuvres de brouillage des pistes sur la localisation exacte du conteneur auraient pu être mises en œuvre pour rendre plus discret le transport de ces marchandises sensibles et peut-être parer ainsi à toute action syndicale, juridique ou politique en lien avec la concrétisation de l’exportation.

« Il y a encore quelques jours, la “boîte” était localisée en Israël à Ashdod avant de réapparaître sur le sol français », glisse une source portuaire. 

En tout état de cause, ce transfert maritime avorté, au moins à ce stade, remet sur le devant de la scène la politique des ventes d’armes par la France à Israël.

Officiellement, la position de la France semble claire. « Dans le contexte de la guerre à Gaza, la politique d’exportation de la France à l’égard de l’État d’Israël est constante. La France ne livre pas d’armes à Israël mais autorise, dans le cadre d’un examen rigoureux des demandes d’exportations et en conformité avec ses engagements internationaux, la livraison de composants destinés à être intégrés dans des systèmes défensifs ou à être réexportés vers des pays tiers. Cet examen ne se limite pas à une analyse technique des matériels. Il inclut également une analyse des usages et des divers engagements pris. Il repose sur de nombreuses sources d’information qui relèvent de différents niveaux de confidentialité, allant de la protection du secret commercial à celui du secret de la défense nationale », a tout récemment répondu le ministère des armées à une question de la députée LFI Gabrielle Cathala.

Opacité

Qu’en est-il spécifiquement de la cargaison dont le chargement a été empêché au Havre ? Questionné sur ce point précis, le ministère des armées n’a pas non plus répondu.

De son côté, la directrice de la communication de la société Aubert et Duval assure que « l’entreprise respecte scrupuleusement les réglementations étatiques en matière d’exportation de produits militaires et de biens à double usage ». « Aubert & Duval ne vend donc aucun produit destiné aux forces armées israéliennes », ajoute-t-elle.

Plusieurs associations, à la suite de précédentes révélations du média Disclose, déplorent l’opacité dans laquelle s’opère le transfert de matériel militaire depuis la France vers Israël. Elles ont saisi la justice pour obtenir le blocage de toute vente d’armes mais ont été déboutées par la justice administrative, qui s’est déclarée incompétente pour juger du litige. 

« Avec les ordonnances de la Cour internationale de justice (CIJ), la France doit refuser ou suspendre l’export. La CIJ a clairement identifié un risque plausible de génocide et des violations systématiques du droit international humanitaire. Dans ces conditions, la France ne peut pas légalement autoriser des exportations de composants d’armes vers Israël. Les autoriser engage sa responsabilité internationale et potentiellement pénale (complicité par fourniture de moyens) », argumente de son côté Thomas, administrateur de Nidal, association juridique de la diaspora palestinienne en France, également mobilisée sur le dossier du conteneur havrais.

Pour rappel, la CIJ a délivré plusieurs mandats d’arrêt contre des dirigeants politiques israéliens, au premier chef le premier ministre Benyamin Nétanyahou.

En parallèle, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a estimé en avril 2024 que les États devaient désormais s’abstenir de transférer des armes vers Israël « afin de prévenir de nouvelles violations du droit international humanitaire et des abus et violations des droits humains ».

Selon Mediapart, les livraisons d’armes à destination d’Israël ont atteint, pour l’année 2024, un montant supérieur à 16 millions d’euros quand les commandes passées ont dépassé les 27 millions d’euros, un chiffre jamais atteint par le passé.

Manuel Sanson (Le Poulpe)

Boîte noire

Cet article a été publié par Le Poulpe jeudi 11 décembre 2025.

Le Poulpe.info est un journal en ligne consacré à la Normandie et ses principales villes, qui a noué un partenariat avec Mediapart, 


 

 

    mise en ligne le 12 décembre 2025

Liquidation de Brandt :
les larmes et la rage après le rejet du projet de reprise des salariés

Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr

Le tribunal de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire du dernier fabricant de gros électroménager en France. Le projet de société coopérative porté par les salariés et soutenu par l’État n’a pas été jugé viable. 750 personnes perdent leur emploi.

BrandtBrandt, Vedette, Sauter et De Dietrich. Toutes ces marques françaises d’électroménager disparaissent avec la liquidation judiciaire du groupe Brandt, prononcée jeudi 11 décembre par le tribunal des activités économiques de Nanterre (Hauts-de-Seine).

Ce sont 750 personnes qui vont être licenciées d’ici au 1er janvier 2026, et leurs salaires ne seront plus versés dès le 15 décembre. La nouvelle, tombée dans la matinée, a totalement assommé les salarié·es et les élus locaux. Le secrétaire de la CGT du groupe Brandt parle de « rage » ; le président de la région Centre-Val de Loire, de « choc ».

Les deux usines du groupe, qui vient de fêter ses cent ans, sont basées dans cette région, à Saint-Jean-de-la-Ruelle près d’Orléans (Loiret) et Vendôme (Loir-et-Cher). Elles emploient plus de 450 personnes. Outre ces deux sites de production, Brandt a son siège social dans les Hauts-de-Seine et un centre de service après-vente dans le Val-d’Oise.

Le groupe, propriété depuis 2014 du conglomérat algérien Cevital, subit la baisse généralisée des ventes du gros électroménager, elle-même liée au recul des ventes immobilières. Ayant besoin de 20 à 25 millions d’euros pour relancer son activité, Brandt avait été placé en redressement judiciaire en octobre 2025 afin de « favoriser l’arrivée d’un partenaire susceptible de soutenir l’entreprise ».

Sur le modèle de l’entreprise Duralex sauvée en 2024, les salarié·es de Brandt ont déposé un projet de Scop, société coopérative et participative, qui entendait préserver les deux usines et au moins trois cents emplois. Ce dossier était soutenu par Groupe Revive, spécialisé dans la reprise d’entreprises. Et, de façon plus inédite, par l’État.

Le gouvernement s’était en effet engagé à mettre 5 millions d’euros sur la table, tout comme la région Centre-Val de Loire et la métropole d’Orléans. Mais ces engagements publics n’ont pas convaincu le tribunal de Nanterre qui a rejeté l’offre de reprise, celle de la dernière chance – tous les autres repreneurs s’étant finalement retirés.

« Le tribunal a jugé que le projet n’était pas viable car il n’y avait pas d’industriel derrière le dossier », explique Jorge Carranho, délégué CFE-CGC de Brandt à Vendôme, joint par Mediapart. « Pour le tribunal, les financements publics ne sont pas suffisants pour sauver notre beau savoir-faire français. On espérait au moins une reprise partielle. On est dépités, on est affreusement dégoûtés, c’est un vrai gâchis », poursuit-il.

Occasion manquée

« On ne comprend pas, les soutiens étaient là, une mobilisation sans précédent avait été faite », déplore pour sa part François Bonneau, président socialiste de la région Centre-Val de Loire, auprès de l’Agence France-Presse. Quant aux ministres de l’économie et des finances (Roland Lescure) et de l’industrie (Sébastien Martin), ils visent, sans les nommer, les banques, ces « autres acteurs indispensables [qui] n’ont pas souhaité se positionner pour sauver Brandt ».

Ces dernières avaient en effet été appelées, par le gouvernement, à « jouer le jeu » pour venir en aide au groupe après le dépôt du projet de Scop. Dans un communiqué, Bercy a par ailleurs exprimé sa « profonde tristesse » devant la liquidation d’un « fleuron français ».

Le projet des salarié·es de reprise en coopérative était accompagné par la confédération générale des Scop et des Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif), qui regrette, dans un communiqué, « une occasion manquée pour l’industrie » quand « le modèle Scop s’impose pourtant comme une solution solide et éprouvée pour les reprises industrielles ». Selon le mouvement, il n’est « ni revendable ni délocalisable [et] garantit l’ancrage territorial de l’activité et sécurise les investissements publics comme privés ».

Après l’annonce de la décision judiciaire, des feux de palettes ont été allumés devant le site de Vendôme où sont employées 93 personnes. « Ici, la moyenne d’âge est comprise entre 50 et 55 ans », souligne le délégué CFE-CGC, Jorge Carranho, qui s’interroge sur l’avenir de ces salarié·es dans une France « désindustrialisée » et qui ne favorise pas franchement l’emploi des séniors. « Tout le monde a pris un gros coup de massue derrière la tête, j’ai devant moi des salariés qui ont des larmes dans les yeux », décrit-il, la voix tremblante.

J’en ai ras le bol de ce pays à la con. Serge Grouard, maire d’Orléans

Une cellule de soutien psychologique a été mise en place à l’usine. « On a des collègues chasseurs qui ont des armes chez eux. On a insisté pour cet accompagnement parce qu’on a peur pour certains », indique Khachatur Melkonyan, délégué CGT du site, interrogé par le quotidien régional La Nouvelle République.

Toute la journée, des élu·es ou représentant·es de l’État ont défilé devant les deux usines Brandt. Joseph Zimet, préfet de Loir-et-Cher, est venu dire ses regrets devant « la fin d’une épopée industrielle vendômoise et nationale ». Selon lui, le « miracle » attendu ne s’est pas produit et il convient maintenant de « s’occuper de l’humain, des salariés sous le choc, à quelques jours des fêtes de fin d’année ». Plus tôt, le syndicaliste CFE-CGC avait lancé, écœuré, devant les journalistes de France 3 : « Dans vingt et un jours, on est tous licenciés... Bonne année ! »

À Saint-Jean-de-la-Ruelle, où se trouve le plus gros site de production de Brandt avec 350 salarié·es, le maire (divers droite) d’Orléans, Serge Grouard – également président de la métropole –, a dénoncé devant la presse « un manque de temps pour convaincre les banques de la viabilité du projet ».

Selon lui, « il manquait 4 millions pour empêcher cette marque de disparaître au profit des produits chinois ». Face au micro de la radio locale, Serge Grouard a été plus véhément : « On a été tenus à l’écart de tout ce qui se passait dans la coulisse car on ne compte pas […]. Ça va être vendu aux enchères pour quelques millions et ça va être racheté par les Chinois, j’en ai ras le bol de ce pays à la con. »

Les Scop, plus pérennes

Sur les réseaux sociaux, des responsables politiques y sont également allé·es de leur commentaire. Pour le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, la fin de Brandt « est le symbole de la France d’Emmanuel Macron, une France à l’arrêt qui a perdu un à un tant de ses fleurons industriels ».

Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, s’en prend à la décision de liquidation judiciaire : « Il est temps de se demander pourquoi de tels tribunaux ont une telle opportunité de tout refuser et de tout détruire. Il faut établir un droit de préemption des salariés sur les entreprises qu’ils veulent racheter. »

Quant au secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, il envoie ses « pensées émues » aux salarié·es et à leurs familles « abandonnés avant Noël » puis lance : « Honte au gouvernement. Honte aux banques qui n’ont pas cru dans le projet de coopérative. »

Plein d’amertume, le communiqué de la confédération des Scop et des Scic tient à rappeler que le modèle coopératif « favorise l’implication des salariés » grâce à « son fonctionnement démocratique » et surtout « oriente l’entreprise vers la stabilité de long terme » avec « un taux de pérennité à cinq ans de dix points supérieurs à celui de l’ensemble des entreprises françaises », à 79 % contre 69 %. 

 

  mise en ligne le 12 décembre 2025

Accord de Paris :
dix ans plus tard,
que reste-t-il du traité ?

Par Emmanuel Clévenot sur https://reporterre.net/

Le 12 décembre 2015, la signature de l’Accord de Paris offrait une lueur d’espoir dans la lutte contre le chaos climatique. Dix ans plus tard, les signaux sont au rouge et cette boussole semble plus fragile que jamais.

Un coup de marteau aux répercussions historiques. Il y a dix ans jour pour jour, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères et président de la COP21, scellait l’adoption de l’Accord de Paris. Assis à ses côtés, François Hollande l’enlaçait aussitôt sous une pluie d’acclamations. Les archives des journaux télévisés de l’époque en témoignent : dans un même élan, les émissaires des 195 nations présentes se levèrent de leur siège pour saluer ce que l’on qualifiait alors de « grande victoire pour l’humanité ».

Une décennie plus tard, le multilatéralisme a pris un coup de vieux et cette scène de liesse revêt désormais un aspect archaïque. Le 22 novembre, la COP30 au Brésil s’est clôturée dans une ambiance chaotique, sous les huées de diplomates dont les objections ont été ignorées par la présidence. Un fiasco tendant à devenir coutumier de ces fins de conférences, à l’image de celui observé un an auparavant lors de la 29e édition en Azerbaïdjan.

L’esprit de l’Accord de Paris s’est-il totalement évaporé ? Et qu’en est-il des résultats concrets de ce traité universel ? Retour en cinq points clés sur les dix années de cette boussole climatique, porteuse d’espoir mais aussi de maintes déceptions.

1. Un objectif phare désormais inatteignable

Limiter la hausse de la température planétaire bien en deçà de 2 °C en comparaison au niveau préindustriel, et de préférence sans dépasser la barre de 1,5 °C. Tel était et demeure l’objectif phare de l’Accord de Paris. Pourtant, dix ans après sa signature, la Terre est en surchauffe : les onze années écoulées ont été les onze plus chaudes depuis le début des relevés météorologiques en 1850 ; l’année 2025 est en passe de devenir la deuxième plus chaude de l’Histoire, et la précédente a été la première à franchir 1,5 °C, d’après l’observatoire Copernicus.

« Le dépassement est désormais inévitable »

Pour que l’accord soit officiellement enfreint, ce seuil devra être dépassé sur plusieurs décennies. Toutefois, le couperet est imminent : à ce jour, Copernicus estime le réchauffement à +1,4 °C. « Le dépassement est désormais inévitable », a d’ailleurs confirmé le patron des Nations unies, António Guterres, en amont de la COP30. « Cela est dû à l’insuffisance des mesures prises en faveur du climat au cours des dernières années », a abondé Jim Skea, président du Giec, le groupe d’experts établissant le consensus scientifique sur la crise climatique.

Peut-on dès lors parler d’échec total de la mission ? Jusque dans les années 2010, la Terre filait droit vers une hausse du thermomètre de 4 °C à l’horizon de la fin du siècle. À présent, les politiques climatiques mises en place dans chaque pays conduisent la planète vers +2,8 °C. Autrement dit, l’Accord de Paris correspond à une période d’infléchissement de la hausse de nos émissions de carbone, qu’il a, a minima, permis d’encadrer et d’encourager. Mais son objectif phare tombera à coup sûr à l’eau. Reste à œuvrer pour que ce dépassement soit le plus temporaire possible.

2. Toujours plus de fossiles et d’émissions de CO2

Freiner la hausse des températures nécessite en premier lieu une réduction colossale des émissions de gaz à effet de serre. En 2024, quelque 57,7 gigatonnes d’équivalent CO2 ont été rejetées par les humains dans l’atmosphère. Un chiffre en augmentation de 13 % depuis 2010, d’après une étude publiée le 4 novembre par un organe de l’ONU. L’abandon progressif des hydrocarbures apparaît dès lors comme la clé principale pour stopper cette tendance et atteindre le plus tôt possible le pic des émissions.

Problème : l’accord adopté en 2015 ne fait pas explicitement référence à ce point précis. « Il ne s’agit pas là d’un impensé des négociations climat, mais le résultat d’un rapport de force entretenu par les États souhaitant protéger leurs intérêts financiers et géostratégiques dans les énergies fossiles », écrit dans un récent rapport Gaïa Febvre, chargée des politiques internationales au Réseau Action Climat.

Et les répercussions une décennie plus tard sont palpables : leur production ne cesse d’augmenter, et pas moins de 1 570 nouveaux projets d’extraction de pétrole et de gaz ont été comptabilisés par Reclaim Finance depuis l’Accord de Paris. Même la France — pays berceau du traité se targuant d’incarner une diplomatie climatique ambitieuse — soutient activement la multinationale TotalEnergies, dont deux tiers des investissements seront encore consacrés aux hydrocarbures en 2030.

Bonne nouvelle, en revanche : il y a dix ans, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projetait que les renouvelables constitueraient un tiers de la production mondiale d’électricité d’ici 2040. Avec seize ans d’avance, l’objectif a été accompli l’an passé, précise La Croix. Malheureusement, cette percée ne s’opère pas aux dépens des combustibles fossiles mais nourrit seulement une demande accrue en énergie.

3. Une boussole perdant son cap

En dépit de ces chiffres démoralisants, l’Accord de Paris demeure la seule véritable boussole internationale dans la bataille contre la crise climatique. Retrait des États-Unis de Donald Trump, tensions géopolitiques croissantes dans le monde, pandémie de Covid-19… « Il a démontré sa résilience malgré les crises successibles, note Gaïa Febvre. Il reste le seul outil multilatéral ratifié par 194 États dont nous disposons aujourd’hui. »

Conçu sans date d’expiration, le traité pose un cap. Un horizon commun et partagé : celui de 1,5 °C. Pour s’y tenir, les Parties sont chargées de formuler tous les cinq ans des engagements de réduction de leurs émissions. Baptisés CDN dans le jargon diplomatique, ces plans devaient d’ailleurs être révisés cette année. Malheureusement, 95 % des pays n’ont pas respecté la date butoir du 10 février pour soumettre leurs copies mises à jour. Et bien qu’un délai supplémentaire de sept mois ait été accordé aux retardataires, beaucoup manquent à l’appel.

« Un bien commun très précieux dans le contexte géopolitique actuel »

Et pour ceux ayant rendu leurs devoirs, le constat est peu réjouissant : fin octobre, les Nations unies déploraient que les nouvelles feuilles de route publiées conduiraient à des réductions d’émission de gaz à effet de serre de 11 à 24 % d’ici 2035, en comparaison à 2019. Pour respecter la trajectoire fixée, ce pourcentage devrait s’élever à 57 %. Traduction : le compte n’y est pas.

Là résulte toute l’ambiguïté de l’accord adopté en 2015. Celui-ci est juridiquement contraignant dans la théorie, mais contraindre un État à respecter ses engagements est dans les faits impossible, analyse Marta Torre-Schaub, juriste et directrice de recherche au CNRS.

4. Le fossé se creuse entre Nord et Sud global

D’autant qu’un autre obstacle freine la mise en œuvre du traité : les financements. Son article 9 prévoit que « les pays développés fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement ». Ce, car les premiers sont historiquement responsables de la crise climatique affectant aujourd’hui davantage les seconds. Avec le départ fracassant du président climatodénialiste des États-Unis, ce devoir repose désormais grandement sur l’Union européenne. Et celle-ci, désireuse de ne pas porter seule ce poids, pointe du doigt la Chine… pour l’instant exonérée de participation financière obligatoire.

Résultat ? Les pays se déchirent sur cette question financière, creusant un fossé de plus en plus grand entre le Nord et le Sud global. Le fiasco de la COP29 en Azerbaïdjan en est l’illustration même : bien loin des 1 300 milliards de dollars nécessaires à la transition des États vulnérables, les pays les plus riches s’y sont engagés à fournir 300 milliards de dollars par an à l’horizon 2035. Un accord jugé « ridicule » et « néocolonialiste », au regard de la dette climatique. Faute d’argent suffisant, les pays les plus pauvres ne peuvent dès lors s’engager sur des feuilles de route ambitieuses qu’ils ne pourraient ensuite financer. Et se boucle ici le cercle vicieux.

5. Et maintenant ?

Aussi nombreuses soient les critiques et les réformes à apporter à l’actuelle gouvernance internationale sur le climat, « les COP et les accords qui en découlent sont probablement le signe le plus tangible de la possibilité de faire vivre une forme de multilatéralisme, une arène où entretenir l’idée de la construction d’un monde commun », ajoute Marta Torre-Schaub. « On peut les voir avec cynisme, mais l’autre solution, c’est la guerre de tous contre tous, ce qui fait probablement de l’Accord de Paris un bien commun très précieux dans le contexte géopolitique actuel », abonde dans le même article du CNRS l’anthropologue Jean Foyer.

S’il ne peut à lui seul inverser le cours du réchauffement, l’Accord de Paris a donc le mérite de montrer la direction vers laquelle le monde doit se diriger : « Sortir des énergies fossiles, financer équitablement la transition et garantir qu’elle soit juste pour tous, résume Oxfam. L’Histoire retiendra celles et ceux qui auront choisir d’agir… et ceux qui auront renoncé. »

 

 mise en ligne le 11 décembre 2025

« Ce sujet touche des millions de nos concitoyens : la gauche réclame une loi pour renforcer et étendre l’encadrement des loyers après 2026

Eléonore Houée sur www.humanite.fr

Alors que le dispositif d’encadrement des loyers arrivera à son terme en novembre 2026, dans sa forme expérimentale, trois députés et trois sénateurs issus de la gauche entendent le pérenniser et le généraliser.

À Lille, Lyon ou encore Montpellier, a permis de lutter contre le mal-logement. Dans la capitale, les locataires ont pu économiser près de 1 700 euros par an, selon l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur). instaure des plafonds fixés par la loi, mais ne connaît qu’une forme expérimentale depuis la loi Élan (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), instaurée en 2018 et prolongée jusqu’au 26 novembre 2026.

Pour éviter que le dispositif ne disparaisse, plusieurs élus de gauche proposent une loi non seulement pour le pérenniser, mais aussi pour que d’autres municipalités s’en saisissent. Seules 70 communes l’appliquent, l’État n’acceptant plus les candidatures depuis 2022. « Ce sujet touche des millions de nos concitoyens », défend le sénateur communiste Ian Brossat.

Amendes renforcées contre les propriétaires abusifs

La députée Danielle Simonnet, également à l’initiative, voit dans cette proposition une façon de « garantir un loyer pour toutes et tous, y compris dans les territoires ultramarins ». Ces derniers ne pouvaient en effet pas prétendre à l’application de cette mesure avant une loi du 13 juin 2025.

Surtout, il s’agit d’abaisser le plafond à 10 %, de simplifier les démarches pour les villes et de renforcer les contrôles et les sanctions. À titre d’exemple, 32 % des loyers dépassent encore les plafonds fixés par la loi, un chiffre qui explose dans la banlieue de Paris. La présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, qui porte aussi la PPL, se veut rassurante : « L’encadrement des loyers n’a pas provoqué de recul de l’offre locative. »

Un article de la PPL permet aux collectivités de récupérer les amendes en cas de non-respect des propriétaires. En ce qui concerne le délai de contestation de la part d’un locataire, effectif seulement à Paris, un article prévoit son allongement à trois ans, quand il n’est que de trois mois aujourd’hui.

Ian Brossat insiste quant à lui sur la problématique des propriétaires qui abusent des compléments de loyer, devenu un prétexte pour gonfler les prix locatifs, mais qui pèse sur les plus précaires. « Si vous habitez à côté d’une station de métro, vous pouvez en payer un ! »

Sanctions et contrôle renforcés contre les propriétaires hors-la-loi

La proposition impose « une interdiction de complément de loyer si le diagnostic de performance énergétique n’est pas valide », indique Danielle Simonnet. Les parlementaires entendent davantage contraindre les propriétaires en voulant rendre obligatoire la justification « du caractère exceptionnel » du bien et ajouter « des critères d’exclusion du complément ».

Du côté du gouvernement, le ministre de la Ville et du Logement, Vincent Jeanbrun, ne semble pas fermé à la pérennisation de l’encadrement des loyers, d’après le sénateur communiste. Cela dit, « l’enjeu des élections municipales est réel », prévient la députée Cyrielle Chatelain.

D’autant plus que la candidature de Rachida Dati à la mairie de Paris menace le dispositif. La ministre de la Culture souhaite en effet mettre fin à la mesure, une demande qu’elle a formulée lors des dernières élections municipales, en 2020.


 


 

Encadrement des loyers :
la pérennisation du dispositif se joue aujourd’hui à l’Assemblée Nationale

Pierre Cazemajor et Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Ce jeudi 11 décembre, à l’occasion de la niche parlementaire du Parti socialiste, l’Assemblée nationale examinera la proposition de loi déposée par le député Inaki Echaniz pour pérenniser l’encadrement des loyers.

Une proposition de loi visant à pérenniser l’encadrement des loyers sera examinée aujourd’hui à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la niche socialiste. Pour Jacques Baudrier, adjoint PCF à la maire de Paris, le constat est clair : « Il y a une tension terrible sur le parc locatif privé. On essaye de réguler ça avec l’encadrement des loyers. L’objectif, c’est de le pérenniser. » Sans intervention législative, prévient-il, « l’encadrement pourrait s’arrêter à la fin de l’expérimentation en 2026 ». La proposition portée par le député Inaki Echaniz arrive donc « au bon moment ».

Signe d’une dynamique nouvelle, « il y a d’importantes convergences transpartisanes, observe l’élu communiste, à part le Rassemblement national qui s’y oppose totalement ». Même le ministre du Logement, Vincent Jeanbrun, aurait confié au député socialiste « qu’il n’était pas opposé à l’encadrement », rapporte Barbara Gomes, conseillère déléguée au logement (PCF). À ses yeux, les réticences restantes « ne reposent sur rien sinon des fantasmes. »

De bonnes chances d’être votée

Il faut dire que sur le terrain, le dispositif produit des effets tangibles. Fiona, jeune parisienne, en a fait l’expérience : « On était trois en colocation. Lorsqu’on est rentrées, on payait chacune 730 euros, puis c’est passé à 800. » Après avoir vu un affichage de la Ville, elle dépose un signalement. Résultat : « On a récupéré 7 000 euros. » Le logement dépassait le plafond légal.

Pour Jacques Baudrier, ces résultats devraient peser dans le vote : « Tous les arguments de ceux qui sont contre sont totalement hors du réel. On a de très bons espoirs que ce soit voté demain. » Si le texte est adopté à l’Assemblée, il devra encore passer par le Sénat. « Ça tombe bien : le groupe communiste a une niche en février », rappelle-t-il. « Le logement est plus que jamais une question d’intérêt général, conclut Barbara Gomes. L’encadrement des loyers ne résoudra pas à lui seul la crise, mais il permet au moins d’en contenir les effets. »


 


 

Pourquoi il faut sauver
l'encadrement des loyers

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Ce dispositif, appliqué dans près de 70 communes, est encore très inégalement respecté par les bailleurs, selon le Baromètre de l’encadrement des loyers publié ce 4 septembre par la Fondation pour le logement. Les associations de défense des locataires et de lutte contre le mal-logement réclament sa pérennisation et des contrôles renforcés.

« À l’heure où le logement est le premier poste de dépense des ménages et où les expulsions locatives ont explosé pour atteindre 25 000 ménages en 2024, ce dispositif est on ne peut plus précieux, car il concourt à la modération des loyers », martèle Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le Logement, qui publie pour la cinquième année un Baromètre de l’encadrement des loyers.

Une règlementation inégalement appliquée 

Depuis 2019, à Paris par exemple, ce dispositif a permis aux locataires d’économiser, en moyenne, 1700 euros par an, selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR). Mais cette réglementation, plébiscitée par les locataires et appliquée désormais dans près de 70 communes, est encore très inégalement respectée par les bailleurs, selon les territoires. Les résultats sont satisfaisants dans les grandes villes entrées récemment dans le dispositif, en particulier à Montpellier, où seulement 12 % des loyers proposés sont au-dessus des plafonds légaux, ou encore à Lyon-Villeurbanne (24 %) et Bordeaux (25 %). Ils restent moyens à stables à Paris (31 %) et à Lille (31 %), villes pionnières de l’encadrement.

Les tendances sont en revanche inquiétantes en banlieue parisienne, notamment à Est-Ensemble (38 %) et Plaine-Commune (59 %) où le respect de l’encadrement a fortement chuté en un an, atteignant des niveaux inédits de dépassement des loyers-plafonds. Quant aux nouveaux entrants, ils affichent de premiers résultats à améliorer, avec 38 % de dépassements des loyers en Pays Basque et 45 % à Grenoble. Au total, dans l’ensemble des villes analysées, 32 % des annonces dépassent les plafonds de loyers, un chiffre en hausse de 4 points par rapport à 2024. « L’encadrement des loyers se diffuse mais son respect est de plus en plus inégal », résume la Fondation. 

La palme du dépassement de loyer aux petites surfaces et passoires thermiques

Le plus grave, c’est que les loyers crevant le plafond sont ceux des personnes les plus fragiles (personnes seules, étudiants, etc.) car ils concernent les petites surfaces, les appartements mal isolés et les meublés : 90% des logements de 10m2 ou moins sont surévalués, et les propriétaires de passoires thermiques (classées G) n’hésitent pas non plus à gonfler la note. Enfin, les meublés s’avèrent aussi particulièrement concernés : 41 % d’annonces illégales, contre 27 % pour les locations nues.

C’est pourquoi la Fondation pour le logement réclame des contrôles renforcés, d’autant qu’« à l’instar des bailleurs privés, les agences et les plateformes de locations n’hésitent pas à publier en toute illégalité des annonces avec un loyer dépassant le plafond autorisé », souligne Eléonore Schmitt, chargée de plaidoyer à la Fondation pour le logement. « Beaucoup d’annonces illégales sont publiées par des multipropriétaires, ajoute Antoine Boussard, coordinateur de la Brigade associative inter-locataires (BAIL), ce qui rend le rapport de force assez inégal dans un contexte de grande tension du marché locatif privé. »

Exiger des propriétaires le remboursement des trop-perçu

Le responsable de cet organisme, qui accompagne les locataires souhaitant faire respecter leurs droits, notamment en demandant le réajustement de leurs loyers et le remboursement des sommes trop perçues, plaide pour des dispositifs de contrôle renforcés en amont par les pouvoirs publics, « pour éviter que la charge administrative du respect de la loi repose uniquement sur le locataire victime ». Certaines villes comme Paris ou Lyon sont cependant très réactives et ont mis en place des plateformes de signalement pour les locataires abusés. Dans la capitale, depuis l’entrée en vigueur du dispositif, 4000 signalements ont permis aux locataires de se faire rembourser 3300 euros de trop perçu.

« L’heure est désormais au renforcement du contrôle du respect de cette loi utile mais trop longtemps négligée par l’État, et surtout à sa pérennisation », plaide la Fondation pour le logement. En effet, l’encadrement des loyers, rendu possible par la loi Alur de 2014, puis restreint par la loi Elan de 2018 aux seules collectivités volontaires, est un dispositif expérimental qui doit s’achever en novembre 2026. Saluant les différentes initiatives parlementaires en faveur d’une loi sur l’encadrement des loyers, le directeur de la Fondation pour le logement a annoncé qu’avec une dizaine d’associations, son organisation lançait une grande pétition. Une manière de donner le coup d’envoi de sa campagne pour pérenniser et améliorer l’encadrement des loyers. À quelques mois des élections municipales, les citoyens pourront interpeller les candidats sur cette question.

 

 mise en ligne le 11 décembre 2025

Addictions : la France persiste à stigmatiser les salles de shoot au détriment de la prévention et de la protection des usagers

Pierre Cazemajor sur www.humanite.fr

Ce jeudi 11 décembre, Emmanuel Macron réunit de nouveau les acteurs de la lutte contre le narcotrafic. Alors que l’exécutif durcit sa réponse punitive, l’exemple des haltes soins addictions, ou « salles de shoot », dont plusieurs projets ont été bloqués, illustre les entraves politiques et idéologiques, en dépit des résultats solides et documentés depuis près de dix ans.

Les acteurs de la lutte contre les trafics de drogue sont de nouveau convoqués, ce jeudi, à l’Élysée par le chef de l’État. Lors de la première réunion le 18 novembre, après la mort de Mehdi Kessaci, assassiné à Marseille (Bouches-du-Rhône), Emmanuel Macron leur avait demandé « d’amplifier » leur action en adoptant la même approche que pour le « terrorisme », stigmatisant au passage les usagers, qui seraient responsables des violences liées au narcotrafic.

C’est oublier que les échecs successifs de la lutte contre ce fléau incombent surtout aux responsables politiques et à un manque d’ambition en matière de santé publique. L’exemple des haltes soins addictions (HSA), dites « salles de shoot », en est un exemple éclairant.

Réduire les overdoses grâce aux salles de consommation sécurisées

Il en existe actuellement deux en France, l’une à Paris, l’autre à Strasbourg (Bas-Rhin). Créées en 2016, à titre expérimental, elles visent à répondre au problème des milliers de personnes qui consomment chaque jour des stupéfiants dans la rue. Sur le terrain, le principe même de ces structures ne fait plus débat.

« Ce sont des espaces de consommation sécurisés pour un public extrêmement précaire, explique Benjamin Tubiana-Rey, de la Fédération Addiction. On y vient avec son produit, on consomme dans des conditions sanitaires correctes, sous l’œil d’infirmiers, d’éducateurs, de travailleurs sociaux. Cela permet de réduire les overdoses, les infections, et d’orienter vers le soin ou le sevrage. »

Pour Céline Debaulieu, responsable du sujet à Médecins du monde, les effets de ces salles ne laissent aucune place au doute : « Les HSA réduisent drastiquement le nombre de seringues dans l’espace public, apaisent le quartier et servent de marche entre la rue et d’autres dispositifs de soins et d’insertion. »

Une étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale estimait, en 2021, que les deux salles avaient permis d’éviter à Paris et Strasbourg 69 % des overdoses, 71 % des passages aux urgences, 77 % des infections graves, tout en prévenant une part des contaminations par le VIH et l’hépatite C.

À cela s’ajoute une économie évaluée à 11 millions d’euros de frais médicaux, dont 6 millions pour Paris. Les usagers décrivent eux-mêmes un changement net dans une récente lettre ouverte : « Avant, on était au moins 50 par terre, les gens se shootaient dans les parkings. La salle nous permet d’être en sécurité, d’avoir du matériel propre et du soutien. »

La ligne dure de Darmanin freine les dispositifs de réduction des risques

Malgré ce bilan, leur développement demeure entravé par des blocages politiques, l’État privilégiant la répression au soin. La France ne compte toujours que deux salles de shoot dont la pérennité n’est toujours pas assurée. Un amendement vient d’ailleurs d’être voté par l’Assemblée nationale pour prolonger l’expérimentation à Paris et Strasbourg jusqu’à fin 2027. « On nous a empêchés d’en ouvrir d’autres, tranche Benjamin Tubiana-Rey. Les besoins sont identifiés, mais les projets sont bloqués. »

À Lille (Nord), où la mairie – dirigée jusqu’en mars dernier par Martine Aubry (PS) – soutenait le projet, la HSA était pourtant sur le point d’ouvrir. Marie-Christine Staniec-Wavrant, adjointe au maire déléguée à la santé, raconte : « Tout était prêt et validé à tous les niveaux. On en était au stade du recrutement du personnel. La préfecture, le commissariat central de police, le ministre de la Santé nous soutenaient. Tout le monde nous soutenait. »

Mais en juin 2021, tout bascule lorsque Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, adresse une lettre au préfet du Nord pour signifier sa « ferme opposition » au projet, estimant que « la drogue ne doit pas être accompagnée mais combattue ».

À Marseille, la mécanique est comparable. Marianne, du collectif Je dis oui ! – un collectif né après l’arrêt brutal du projet pour soutenir la création des HSA –, retrace les étapes : un projet est lancé en 2022 ; un an après, un comité de pilotage réunissant l’agence régionale de santé, la mairie, la préfecture et les associations valide une adresse. « Le lieu cochait toutes les cases : proche des zones de consommation sans être en plein dedans, accessible, et appartenant à la mairie, qui était favorable », explique-t-elle. Architecte mandaté, usagers consultés, offres d’emploi prêtes : l’ouverture était envisagée début 2024.

Mais la salle ne verra finalement pas le jour. Lors de la réunion du 17 janvier 2024, la préfecture se rétracte brutalement. « C’est ce qui a tué le projet », résume Marianne. Et ce, alors que la mairie se dit toujours pleinement « convaincue de la nécessité de doter Marseille d’une HSA ». Contactée par l’Humanité, la préfecture des Bouches-du-Rhône n’a pas souhaité expliquer ce revirement.

Un gouvernement qui ignore délibérément les données scientifiques

Pourquoi freiner des dispositifs dont l’efficacité est documentée ? Pour les acteurs de terrain, la réponse tient moins aux données qu’à la manière dont l’État conçoit la politique de lutte contre les stupéfiants. D’autant que les arguments avancés contre les HSA ne résistent pas à l’épreuve des faits. « Les HSA ne créent pas un phénomène : elles répondent à une consommation préexistante dans le secteur », rappelle Benjamin Tubiana-Rey.

Les données publiques contredisent, elles aussi, le récit d’une insécurité grandissante autour des haltes. Un rapport d’octobre 2024, commandé par Gérald Darmanin et réalisé par l’inspection générale des affaires sociales ainsi que l’inspection générale de l’administration, confirme que « les salles n’engendrent pas de délinquance, voire sont susceptibles de faire baisser le nombre de délits commis par leurs usagers ». À Strasbourg, la salle « n’a généré aucune activité de deal » ; et à Paris, « de nombreux riverains estiment que la HSA améliore le quartier et réclament son maintien ».

Les prises de position officielles illustrent pourtant le fossé entre les faits et la ligne défendue par l’État. Le 25 septembre 2025, le préfet des Bouches-du-Rhône, Georges-François Leclerc, déclarait : « Si vous créez une HSA, cela veut dire que vous assumez que vous n’interpellerez pas dans la zone. Or, la priorité est à la répression. » Même logique du côté de Gérald Darmanin, qui justifiait déjà son refus à Lille par la « fixation des consommateurs » et les « troubles associés ».

Pour Anne Souyris, sénatrice écologiste et autrice d’une proposition de loi visant à inscrire les HSA dans le droit commun, le constat est sans appel : « L’impasse est politique. Cela fait dix ans que ces deux salles existent et toutes les évaluations concluent à leur efficacité. La seule critique récurrente, c’est qu’il n’y en a pas assez. »

C’est à ce niveau que Benjamin Tubiana-Rey situe, lui aussi, le cœur du problème. « Les oppositions sont généralement plus idéologiques que basées sur les effets réels de ces salles, soutient-il. Certains pensent qu’on ”laisse consommer”, mais tout le monde n’est pas en capacité d’arrêter sa consommation du jour au lendemain. Les HSA, c’est une réponse pragmatique à un problème concret, pas de la morale. »

Le choix de la répression

Si les salles peinent à ouvrir, c’est donc surtout parce que l’État continue de privilégier le volet répressif. « La prévention reste le parent pauvre. Ce n’est pas une maladresse : c’est un choix politique », explique Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, interrogé récemment dans l’Humanité. Il cite un exemple emblématique : le fonds de concours Drogues, alimenté par les saisies liées au trafic.

« Aujourd’hui, 90 % de cet argent va à la répression et 10 % à la prévention. (…) Si l’État voulait vraiment faire de la prévention et y mettre les moyens, il pourrait se servir de cet outil budgétaire immédiatement mobilisable. Des centaines de millions d’euros pourraient ainsi abonder de vraies politiques de prévention. » À Lille, Marie-Christine Staniec-Wavrant partage le point de vue : « On a assisté à une victoire du ministre de l’Intérieur sur le ministre de la Santé. L’exécutif privilégie le répressif, en dépit de toutes les évaluations de terrain. »

Pour Anne Souyris, cette priorité donnée au sécuritaire révèle un blocage plus profond. « On a en France l’une des scènes de consommation de drogue les plus importantes d’Europe, explique-t-elle. La pérennité des HSA s’impose. Mais sur le sujet, et encore plus à l’approche des municipales, tout le monde devient frileux. » Et de conclure : « Les HSA, c’est une solution à plein de problèmes, notamment de sécurité, et une réponse aussi au narcotrafic. Si on ne travaille pas sur la détresse sociale, on n’arrivera jamais à rien. Les mafias se nourrissent de la désespérance : il faut prendre le problème par les deux bouts, pas seulement par la répression. »


 


 

Montpellier : À Figuerolles, une pétition réclame le retour de la prévention sociale face aux problèmes de drogue

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Après une première pétition appelant à fermer le square du Père-Bonnet face à la hausse des nuisances liées à la consommation de drogues, des habitants et associations de Figuerolles lancent un texte alternatif. Ils demandent non pas la fermeture du parc, mais la restauration des dispositifs sociaux

Le square du Père-Bonnet, à Figuerolles, cristallise depuis plusieurs années les inquiétudes d’une partie des habitants. Comme le rapportait Midi Libre, plusieurs riverains disent assister à une hausse marquée des consommations de drogues dures dans le parc, à des violences verbales et physiques, ainsi qu’à des situations jugées préoccupantes sur le plan sanitaire et sécuritaire. Une première pétition, signée par des résidents excédés, demandait la fermeture pure et simple du square.

En réaction, un collectif d’habitants et d’associations du quartier publie une seconde pétition. Tout en décrivant les mêmes constats — présence accrue de consommateurs de crack et de cocaïne, tensions, agressions, seringues abandonnées —, les signataires ciblent avant tout l’effondrement des dispositifs de prévention et d’accompagnement social.

Selon eux, la dégradation de la situation coïncide avec la diminution des moyens accordés au Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) Réduire Les Risques. Son accueil de jour, La Boutik, assurait jusque-là une présence quotidienne de médiation et des maraudes régulières. Depuis la fin des financements publics, l’association ne peut plus maintenir qu’une seule maraude hebdomadaire. Les pétitionnaires estiment que cette absence de relais sociaux renforce les vulnérabilités et alimente le sentiment d’abandon institutionnel.

Ils demandent donc la restauration des financements du CAARUD afin de rétablir des maraudes quotidiennes, ainsi que l’ouverture de structures d’hébergement et de lieux d’accueil à bas seuil. Ils appellent également à la mise en place d’un dispositif mobile de réduction des risques pour désengorger l’espace public et limiter les dangers sanitaires.

Le texte critique une stratégie jugée « uniquement sécuritaire », estimant que la présence policière ne peut suffire face à des phénomènes relevant de la santé publique et de la précarité sociale. Les signataires s’adressent à la mairie, à la préfecture, à l’ARS et à l’ensemble des pouvoirs publics, réclamant des « politiques publiques à la hauteur des enjeux ».

Accès à la pétition en cliquant ici.

 

 mise en ligne le 10 décembre 2025

ArcelorMittal: «Le RN bloque la nationalisation,
il nous l’a mise à l’envers !»

par Pierre Joigneaux sur https://fakirpresse.info/

« Le RN soi-disant le parti des ouvriers ? On pouvait sauver 15 000 emplois, sur le terrain on se bat comme des chiens… » Et pourtant, donc, le Rassemblement national fait obstacle à une proposition de loi proposant la nationalisation d’ArcelorMittal, en déposant 300 amendements ! Alors, sauver les emplois de Gaëtan, Aline, Reynald, et la production d’acier en France ? Non : le RN préfère protéger les intérêts des actionnaires.

« C’est une honte. Le RN soi-disant le parti des ouvriers, de la classe populaire ? On pouvait sauver 15 000 emplois, ça fait un an et demi qu’on se bat comme des chiens, comme des acharnés… » Gaëtan, ouvrier d’ArcelorMittal Dunkerque, héros de notre série vidéo « On va pas s’mentir », en a gros sur le cœur. Pour Fakir, il réagit à une nouvelle tombée ce lundi 24 novembre au soir : le parti d’extrême droite bloque une proposition appelant à nationaliser ArcelorMittal, portée par la députée Aurélie Trouvé (LFI). Comment ? En faisant de l’obstruction parlementaire. « Le RN claque 300 amendements avec des points virgules ? Si on ne nationalise pas, on va perdre 80 000 emplois sur le territoire français. Le RN nous l’a mise à l’envers. » Selon l’économiste Thomas Dallery, 84 700 emplois directs, indirects et induits sont en effet menacés.

67 % des Français sont favorables à la nationalisation d’ArcelorMittal, selon un sondage Ifop. Dont Emmanuel Lechypre, l’éditorialiste libéral qui écume les plateaux pour défendre le Capital, c’est dire ! Alors Emmanuel : la nationalisation, la seule solution ? « Et comment ! […] L’État se fait arnaquer par le premier bonimenteur qui passe. Quand vous avez laissé partir tous les fleurons de l’industrie française sans rien faire, et qu’on se retrouve aujourd’hui avec le niveau d’industrie le plus bas de tous les grands pays industrialisés… »

Pourquoi ce positionnement du RN qui prétend à tout bout de champ défendre les « petits contre les gros », combattre « la mondialisation » ? Alors même que le parti d’extrême droite compte dans ses rangs Frédéric Weber, ancien syndicaliste d’ArcelorMittal, qui se prononçait en faveur de la nationalisation du site de Florange en 2012 ? Parce que le Rassemblement national défend les intérêts du capital, des milliardaires, pas des ouvriers ni de l’industrie en France, comme on le documente chaque semaine chez Fakir. Et comme ça saute aux yeux, aujourd’hui, avec le dossier d’Arcelor Mittal. 

 

 mise en ligne le 10 décembre 2025

Les 8 mesures phares
du budget de la Sécu 2026 

Ludovic Simbille et Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Ce 9 décembre, le budget de la Sécurité sociale pour l’année 2026 a été adopté à une courte majorité. Les plus grandes régressions sociales prévues par le gouvernement ne verront pas le jour. Mais si le pire a été évité, ce budget ne prévoit que de très faibles améliorations et quelques régressions notables. Rapports de Force fait le point.

C’est passé. De treize voix. Mais c’est passé. Ce 9 décembre les députés ont adopté à une courte majorité parlementaire (247 pour, 234 contre, 93 abstentions) le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2026.

Après des semaines de négociations, de dépôts d’amendements et de tractations, les parlementaires ont réussi à accoucher d’un budget de compromis. Les mesures les plus violentes socialement, comme le doublement des franchises médicales, le gel des prestations sociales et des pensions de retraites, ou encore le grand coup de rabot passé dans le budget des hôpitaux ne verront pas le jour. Mais si le pire a été évité, ce budget ne prévoit que de très faibles améliorations et quelques régressions notables.

Ce vote est important car la version définitive du PLFSS pourrait bien être celle adoptée ce 9 décembre par l’Assemblée nationale. En effet, même si le texte doit encore repasser par le Sénat, le gouvernement a toujours le pouvoir de demander aux députés de statuer définitivement, en application de l’article 45 de la Constitution.

1 : Budget quand même à la baisse pour l’assurance maladie

Au cœur des débats parlementaires, encore une heure à peine avant le vote du texte : l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Et pour cause, la première version du PLFSS annonçait le pire budget de l’hôpital depuis quinze ans, avec un ONDAM qui n’augmentait que de 2,1 % en 2026. Or l’augmentation des maladies chroniques et l’inflation font naturellement grimper les dépenses de santé d’environ 4 % chaque année. Toute augmentation inférieure implique donc des économies sur la santé. Au bout des débats parlementaires, l’ONDAM a finalement été porté à 3% par un amendement du gouvernement. Il reste toutefois inférieur à l’ONDAM de 2025 qui était de 3,6%.

2 : Abandon du gel des minimas sociaux et du doublement des franchises 

Parmi les mesures les plus controversées pour maîtriser ces dépenses de santé : le doublement des franchises médicales et de la participation forfaitaire sur les médicaments, les consultations, les actes paramédicaux et pour le transport sanitaire. Autant sénateurs que députés ont voté contre cette augmentation du reste à charge au patient.

Autre mesure polémique non retenue en seconde lecture à l’Assemblée nationale : le gel des minimas sociaux. Sébastien Lecornu préconisait à l’origine une « année blanche » pour les prestations sociales (allocations familiales, RSA, prime d’activité, APL…) et pensions retraites. Traduction : les montants de ces prestations et pensions devaient être gelés en 2026, et non pas indexés sur l’inflation comme c’est le cas chaque année pour éviter une perte de pouvoir d’achat. 

3 : Léger décalage de la réforme des retraites

Une autre mesure a été au centre des attentions, celle qui a fait dire à Marylise Léon, secrétaire général de la CFDT, qu’il faut « absolument voter », ce PLFSS. Il s’agit du décalage -et non de la suspension- de la réforme des retraites mise en place en 2023 par Élisabeth Borne. C’est l’aboutissement d’un compromis entre le gouvernement et le Parti socialiste, qui a permis la non-censure de Sébastien Lecornu et de son équipe. 

L’augmentation d’un trimestre par an de l’âge légal de départ à la retraite, prévu initialement jusqu’à 2030, s’interrompt cette année. L’actuel âge légal de départ reste donc à 62 ans et 9 mois. Le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein est lui aussi gelé. Il restera à 170 trimestres au lieu de 172. Le dégel de la réforme est prévu au 1er janvier 2028. En attendant, les personnes nées entre 1964 et 1968, qui devraient partir à la retraite entre 2026 et 2030 pourront partir plus tôt que prévu. Mais seulement de trois mois.

4 : Retraites des mères

Autre amendement qui promet un léger mieux, cette fois pour les mères. Leur retraite ne sera plus forcément calculée sur les 25 meilleures années. Si la future retraitée a un enfant, les 24 meilleures années seront prises, si elle en a 2 ou plus, seules les 23 meilleures années seront prises en compte. De quoi rehausser quelque peu le montant de leur retraite. Pour rappel, la retraite des femmes est inférieure de 27% à celle des hommes, selon l’OCDE. 

Le PLFSS 2026 prévoit un accès légèrement facilité au dispositif de carrière longue pour les femmes salariées du privé. Ces dernières pouvaient comptabiliser 8 trimestres, au titre de la naissance, de l’éducation ou de l’adoption d’un enfant. Mais ces trimestres étaient dits « non cotisés » et n’entraient pas dans le calcul pour un départ anticipé. Le PLFSS prévoit d’en transformer deux en trimestres cotisés. Pour les fonctionnaires, un amendement  permettrait par ailleurs aux mères fonctionnaires de bénéficier d’un trimestre de bonification pour chaque enfant né à compter de 2004.

5 : Plafonnement des arrêts de travail : un mois d’arrêts de travail 

Avant d’être à la retraite, un changement non négligeable attend les salariés au 1er janvier. Celles et ceux qui cessent pour la première fois le travail à cause d’une maladie ou d’un accident devront retourner voir leur médecin un mois après. En deuxième lecture, les députés ont rétabli la limitation du premier arrêt de travail à une durée d’un mois et à deux mois lors d’un éventuel renouvellement. Selon les situations, les médecins pourront déroger à cette règle en le motivant sur leur feuille de prescription. Le Sénat avait rejeté cette mesure au motif qu’elle encombrait les professionnels de santé déjà surchargés. A l’origine, le gouvernement prévoyait de limiter à 15 jours le premier arrêt de travail s’il est prescrit par un médecin de ville et 30 jours s’il est à l’hôpital.

Jusqu’à présent, les salariés n’étaient soumis à aucune durée maximale lors d’une mise en pause professionnelle. Hors ALD, les indemnités maladies pouvaient être perçues pendant 360 jours par période de trois ans. Au prétexte d’un suivi médical régulier, le gouv18 pternement cherche ainsi à restreindre la hausse de l’absentéisme au travail et à maîtriser les dépenses d’indemnités journalières. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), celle-ci ont augmenté de 28,9 % entre 2010 et 2019, puis de 27,9 % entre 2019 et 2023. Un autre bon moyen d’éviter les répétitions de ces arrêts serait d’améliorer des conditions de travail, pour rappel, un salarié sur deux s’estime en détresse psychologique.

6 : Un nouveau congés naissance

C’est peut-être la réelle avancée créée par le PLFSS pour les travailleuses et travailleurs de ce pays. La version 2026 prévoit l’entrée en vigueur d’un congé de naissance. Chacun des nouveaux parents pourra prendre deux mois de congés pour accueillir le nouveau-né, soit d’affilée, soit en fractionné.

De ce que prévoyait le gouvernement, le premier mois serait indemnisé à 70% du salaire, le second à 60%. Prévu pour entrer en vigueur en 2027, les députés ont finalement avancé l’échéance au 1er janvier prochain. Ce nouveau temps dédié à l’arrivée du nouvel enfant se cumulera avec les congés maternité et paternité, déjà existant. Cette promesse d’Emmanuel Macron, formulée dès 2024, entre dans sa stratégie de relance de la natalité, désormais en berne en France.

7 : Défiscalisation des heures sup’ 

Les déductions de cotisations patronales sur les heures supplémentaires ont été étendues aux entreprises de plus de 250 salariés par l’Assemblée nationale. Cette réduction de 0,50 euro par nouvelle heure provient d’un amendement issu des rangs Les Républicains (LR). Censé récompenser « la France qui travaille », celle « de l’effort et du mérite », ce dispositif « a fait ses preuves sous Sarkozy », croit savoir Thibault Bazin, à l’origine de la mesure.

Alors président de la République, Nicolas Sarkozy avait en effet mis en place cette mesure en 2007. Le fameux « travailler plus pour gagner plus ». Pourtant, l’impact de cette « défiscalisation » sur la quantité d’heures travaillées, sur l’emploi, ou le revenu des ménages les plus modestes n’avait pas été démontré. En revanche, « employé et employeur peuvent s’accorder pour déclarer chaque mois des heures supplémentaires fictives afin de bénéficier des allègements et se partager cette manne fiscale », écrit le cercle des économistes. Défiscalisez, défiscalisez, défiscalisez, en restera-t-il quelque chose ?

8 : Hausse de la CSG sur les revenus du patrimoine

Via un amendement du Parti socialiste, l’Assemblée nationale souhaitait augmenter la CSG sur les revenus du patrimoine (Contribution sociale généralisée). Cet impôt, qui finance la Sécurité sociale, devait passer de 9,2% à 10,6%. Le sénat, majoritairement à droite, s’y était opposé. En seconde lecture à l’Assemblée nationale, un compromis a finalement été trouvé.

 Un amendement a exclu de cette hausse les revenus liés à l’épargne et l’investissement locatif (assurance-vie, plus-values immobilières, PEL, plan d’épargne populaire, etc.), qui restent taxés à 9,2 %. Forcément, cette hausse d’impôt rapporte moins que prévu à la Sécu : 1,5 milliards d’euros au lieu de 2,8.

 

 

mise en ligne le 9 décembre 2025

Comptes fermés et refus de virement : ces banques françaises qui empêchent la solidarité avec la Palestine

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Fermetures de compte, refus de virement, contrôles renforcés… Depuis presque deux ans, les organismes financiers multiplient les mesures restrictives contre les soutiens du peuple palestinien. Dans le même temps, les banques continuent d’alimenter, sans vergogne, la colonisation israélienne.

Depuis plus d’un an, des associations, des collectifs et des particuliers engagés dans la solidarité avec le peuple palestinien dénoncent une série de blocages bancaires en France. Le phénomène touche des structures militantes, mais aussi des ONG et des citoyens agissant dans le cadre du droit humanitaire.

Depuis 2024, plusieurs témoignages indiquent que des plateformes de collecte comme GoFundMe ont, par ailleurs, bloqué des millions d’euros destinés aux civils palestiniens. Les organismes financiers opposent à chaque fois à leurs clients l’application des règles de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Pour les associations, collectifs et personnes concernées, ces pratiques s’inscrivent surtout dans une logique de criminalisation de la solidarité avec la lutte du peuple palestinien.

Les témoignages étaient déjà nombreux fin 2024, provenant notamment de clients de la Banque postale et de la Caisse d’épargne qui auraient subi le blocage de plusieurs transferts d’argent vers la Cisjordanie et Gaza. Sollicitées par l’Humanité, les deux banques n’ont pas souhaité répondre.

Mais l’Association France Palestine solidarité (Afps) le confirme. « Ce qui passait il y a quelques années ne passe plus. Chaque envoi doit désormais être adossé à une convention détaillée, avec budget et objectifs », explique Anne Tuaillon, présidente nationale de l’association.

Entre « consignes implicites » et « frilosités locales »

Certaines antennes locales font part, par ailleurs, de difficultés quand elles cherchent à ouvrir un compte. « On a l’impression que ce sont des consignes implicites, mais cela peut être aussi des frilosités locales », poursuit la responsable associative. Quoi qu’il en soit, les conséquences de ces pratiques du milieu bancaires sont concrètes. En Palestine, des projets agricoles ou sanitaires sont retardés, alors que la situation humanitaire, notamment à Gaza, est qualifiée d’« apocalyptique » par l’ONU.

Le cas de l’Union juive française pour la paix (UJFP) illustre parfaitement cette dérive. Elle aide depuis plusieurs années une coopérative agricole gazaouie qui a bien failli être privée des apports financiers de l’association, cette dernière s’étant tournée vers un autre organisme bancaire. Car, après vingt ans de relation avec le Crédit coopératif, en juillet 2024 son compte a été définitivement fermé.

« Sans explication, sans rien, dénonce Pierre Stambul, porte-parole de l’organisation juive antisioniste. La banque a reçu 4 000 lettres de protestation. On lui a donné toutes les preuves de traçabilité : l’identité de notre correspondant à Gaza, les rapports d’utilisation des fonds. Rien n’y a fait. »

Pour l’UJFP, aucune des réponses fournies par le Crédit coopératif ne « tient debout », son porte-parole dénonçant « une logique de suspicion infamante » et « un étranglement financier délibéré de l’aide à Gaza » qui rend la banque « complice de génocide ».

Interrogé par l’Humanité, Pascal Pouyet, directeur général du Crédit coopératif, se défend : « Nous accompagnons des ONG partout dans le monde, y compris en Palestine. Mais nous devons garantir la traçabilité des flux. Si elle n’est pas suffisante, nous ne pouvons pas poursuivre. »

Concernant l’UJFP, il affirme que la procédure de clôture du compte a été menée après « neuf mois d’échange et de dialogue », bien au-delà du délai légal, pour démontrer une tentative de conciliation. Néanmoins, il refuse d’en expliquer les motifs, invoquant une « position très asymétrique » due à la réglementation LCB-FT, qui lui « interdit d’en parler ».

M. Pouyet affirme, en outre, n’avoir subi aucune « pression ni de l’État français, ni de la Banque de France, ni de la Commission européenne, ni d’Israël, ni des États-Unis » pour prendre sa décision, qui se justifie, selon lui, par la seule application du cadre légal.

Il en veut pour preuve les relations entretenues par la banque avec l’ONG Handicap international, dont les transferts vers la Palestine continuent. Une réponse qui laisse l’UJFP sceptique. « S’il n’y a pas de directive spéciale concernant la Palestine, alors pourquoi ces blocages ciblés existent-ils ? » questionne Pierre Stambul.

Au Parlement, la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge a interrogé le ministre de l’Économie sur ces questions. « Existe-t-il une directive visant les associations pro-palestiniennes ? » Le gouvernement a répondu par la négative. Pour lui, seules s’appliquent les règles générales de vigilance financière. La députée LFI Élisa Martin a, pour sa part, sondé la Banque de France.

Cette dernière lui a fait la même réponse que celle donnée à l’Humanité : « Il n’existe pas de consigne spécifique. Les banques sont tenues au respect de règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ces obligations sont mises en œuvre selon une approche par les risques, guidée notamment par des orientations de l’Autorité bancaire européenne. Pour mémoire, les autorités françaises ont rappelé l’importance de l’accès aux services financiers par les associations exerçant des actions de solidarité internationale. »

Ces dénégations sont loin d’apaiser les inquiétudes. « Si aucune consigne n’existe, pourquoi ces blocages se multiplient-ils depuis 2024 ? interroge, de nouveau, Anne Tuaillon. face à une zone grise où la peur du risque se transforme en interdiction de fait. »

De prétendues « petites opérations » suspectes

À Rennes, l’expérience vécue par la Dre Catherine Lescolan et par son mari a également provoqué un tollé. Cette anesthésiste, élue femme de l’année par les lecteurs de Ouest-France, s’est rendue à Gaza en mission médicale fin 2024. Elle a aidé, en lien avec le consulat de France, à évacuer plusieurs enfants blessés et à accueillir des réfugiés. Depuis, elle témoigne sans relâche sur la situation humanitaire.

En septembre 2025, elle a reçu une lettre recommandée du Crédit mutuel de Bretagne lui signifiant que ses comptes, ainsi que ceux de son mari, seraient clôturés sous soixante jours. Aucun motif écrit. « demandé pourquoi : silence, dénonce-t-elle. Puis, après médiatisation, le directeur général nous a appelés évoquant des « petites opérations » suspectes. Un virement de 30 euros à une traductrice, un chèque de 50 euros de l’AFPS pour des frais de déplacement, 400 euros à un ami franco-palestinien en difficulté… Tout avait un lien avec la Palestine. »

Elle questionne alors son banquier : « Est-ce que vous me soupçonnez de financer le terrorisme ? » La banque a fini par faire marche arrière. « Mais sans jamais fournir d’explication écrite », précise Catherine Lescolan.

Consulté par l’Humanité, l’organisme bancaire reste évasif : « Nous devons respecter le cadre légal et les obligations réglementaires. Nous ne motivons pas les décisions de clôture. Dans ce cas précis, la cliente a apporté des justificatifs conformes, ce qui nous a conduits à stopper la procédure. »

Pour l’antenne rennaise de l’AFPS, cette volte-face ne dissipe pas le malaise. « Dans un contexte où les banques françaises continuent de financer l’économie israélienne, comment ne pas voir une forme de rétorsion contre un engagement humaniste ? » questionne l’association.

La colonisation israélienne toujours financée par les banques françaises

Car, pendant que ces militants doivent justifier 30 euros envoyés à une traductrice, les grands groupes bancaires, eux, continuent de financer des entreprises impliquées dans la colonisation israélienne. Le dernier rapport de Don’t Buy Into Occupation est, à ce titre, accablant. Entre 2021 et 2024, pas moins de 180,3 milliards d’euros auraient été accordés en prêts et souscriptions à 58 sociétés actives dans les colonies. S’y ajoutent 156,4 milliards d’euros en actions et obligations. Parmi les organismes financeurs : la BNP Paribas pour 28,1 milliards d’euros, le Crédit agricole pour 22,77 milliards, la Société générale pour 12,63 milliards.

On y retrouve aussi les acteurs financiers directement impliqués dans les blocages qui concernent les acteurs de la solidarité en France. La BPCE, maison mère du Crédit coopératif, a investi à raison de 3,33 milliards d’euros, le Crédit mutuel, 2,35 milliards et La Banque postale, plus de 1 milliard.

Ces fonds soutiennent des géants comme Alstom, Siemens, Caterpillar, Airbnb ou Booking.com, tous cités par l’ONU pour leur rôle dans l’implantation illégale de colonies israéliennes. « Les institutions financières ont la responsabilité d’éviter de faciliter les violations des droits humains », rappelle le rapport. Une responsabilité que les banques semblent moins zélées à respecter que lorsqu’il s’agit de la prétendue conformité réglementaire entraînant la fermeture des comptes de militants solidaires.

Au-delà des chiffres, c’est la liberté d’association qui est attaquée. « Ce qui devrait être fluide devient kafkaïen, résume Anne Tuaillon. On pousse des groupes à contourner le système, à passer par des circuits parallèles. C’est dangereux. » Pierre Stambul abonde : « On nous oblige à bricoler, alors qu’on agit en toute transparence. Cette opacité nourrit la suspicion et fragilise la solidarité. »

En clair, dans un contexte où la Cour internationale de justice juge l’occupation israélienne des territoires palestiniens illégale et où l’ONU alerte sur le risque de génocide des Gazaouis, les organismes bancaires français ferment, « par peur du risque », des comptes d’organismes et de personnes tentant de venir en aide aux Palestiniens, mais continuent d’alimenter un système de colonisation jugé illégal par le droit international.

Face à cela, élus, ONG et citoyens solidaires réclament des règles claires, une transparence accrue et la fin des financements complices. De quoi simplement répondre à ce qui devrait être une exigence, pour les banques, de cohérence entre discours éthiques et pratiques. À moins que nous assistions tout bonnement à une forme de financiarisation du contrôle politique.


 

La justice internationale étranglée financièrement

À la suite de l’émission des mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale (CPI) en novembre 2024 visant le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et son ex-ministre de la Défense Yoav Gallant, les États-Unis ont répliqué par l’imposition de sanctions directes contre des responsables de l’institution : le procureur, ses adjoints et six juges, dont le Français Nicolas Guillou.

Les mesures coercitives qu’ils subissent se traduisent par de graves difficultés bancaires. Ils ont notamment perdu la possibilité d’utiliser leurs cartes bancaires internationales, entravant directement leur travail et leur vie personnelle. Plus largement, l’effet dissuasif de ces sanctions s’étend à l’institution elle-même car, pour minimiser les risques légaux, les institutions financières internationales choisissent plutôt de se conformer aux exigences américaines, refusant désormais, de manière préventive, certaines transactions avec la CPI et des organisations civiles collaboratrices.


 

 

mise en ligne le 9 décembre 2025

483 plans sociaux sont en cours selon la CGT :
les rats ont bien
quitté le navire

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

La CGT dénombre plus de 483 plans sociaux en cours, a annoncé Sophie Binet, mise en examen pour avoir dénoncé cette saignée organisée par le patronat. La confédération syndicale tiendra les rencontres du made in France le 12 mars prochain, au siège de la Scop de Duralex, dans le Loiret.

Qu’importent les coups de pression, la CGT tient bon. Mise en examen pour avoir déclaré « les rats quittent le navire », au sujet du chantage à l’emploi du patronat, Sophie Binet a dévoilé le nouveau recensement des « plans de sauvegarde de l’emploi » (PSE) effectué par la confédération. Cette « liste noire », dixit la CGT, comprend désormais 483 plans, avec à la clef 107 562 emplois menacés ou supprimés, dont 46 560 pour le seul secteur de l’industrie. « Lors de notre première alerte, il y a dix-huit mois, en mai 2024, nous étions les premiers à dénoncer une vague de désindustrialisation », a rappelé lors d’une conférence de presse la secrétaire générale de la CGT.

Depuis, la centrale n’a eu de cesse d’interpeller les différents exécutifs. « Nous avons remis cette liste noire à chaque nouveau premier ministre, accompagnée de nos propositions, expose la cégétiste. Nous étions à 130 plans sociaux en mai 2024, sous Gabriel Attal. Puis 180 quand nous avons rencontré Michel Barnier. 250 en janvier, avec François Bayrou et 400 en septembre, lors de notre rendez-vous avec Sébastien Lecornu. »

Face à cette casse sociale, la centrale organisera des rencontres du made in France, le 12 mars 2026, au siège de la Scop de Duralex. La verrerie, dans le Loiret, fait partie « des seules bonnes nouvelles qui ont été arrachées par la lutte des salariés », selon la cégétiste.

« Avec la politique de l’offre, il n’a jamais été aussi facile de licencier en France »

Une saignée industrielle dont Sophie Binet tient pour responsable le chef de l’État, Emmanuel Macron. « Avec la politique de l’offre, il n’a jamais été aussi facile de licencier en France », tance-t-elle. Selon la responsable syndicale, « la baisse du coût du travail combinée aux aides publiques versées aux entreprises a permis que les taux de marge dépassent 32 %, contre 28 % en 2013. Les grands groupes vont bien : 100 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires du CAC 40 ».

Pas en reste, Jean-Louis Peyren, de la fédération des industries chimiques de la CGT (Fnic-CGT), abonde : « Il nous faut sortir de la seule logique de l’extrême profitabilité, du rendement à court terme, de la finance contre le travail. » Ainsi, la confédération met en avant cinq propositions d’urgence pour préserver les capacités productives, dont un moratoire sur le licenciement.


 

Face à l’absence d’un mécanisme d’État capable d’anticiper les risques pour l’emploi, la CGT plaide pour l’instauration d’une cellule nationale de crise, pilotée par Bercy et qui rassemblerait les syndicats, la Banque publique d’investissement, la Caisse des dépôts, la Banque de France et les services de l’État. Une organisation qui serait déclinée dans les territoires.

« Au-delà de la bataille de la sauvegarde de Duralex par ses salariés, il est nécessaire de trouver de l’argent. La levée de fonds citoyenne a permis de récolter 5 millions d’euros, note Philippe Thibaudet, de la fédération verre et céramique. Mais l’électrification du four coûterait plus de 25 millions d’euros. Nous avons besoin d’une coordination des acteurs autour de l’entreprise. »

Depuis vingt ans, la filière du verre a perdu 50 % de ses emplois : « Une fois que l’outil de travail a disparu, il ne repousse pas. » Un constat que partage aussi Stéphane Flégeau, pour la fédération de la métallurgie : « Dans l’Allier, Erasteel, ouvert depuis 1846, voit la quasi-totalité de ses 200 emplois menacés. Il s’agit de l’unique entreprise qui recycle les batteries en France et qui fait vivre un territoire entier. »

Nationalisations ciblées

La CGT plaide également pour des entrées au capital, des préemptions, voire des nationalisations ciblées. Notamment dans l’acier, avec ArcelorMittal, « sans quoi nous perdrons une production stratégique », prévient Sophie Binet. À cela s’ajoute le remboursement des aides publiques pour les entreprises qui réalisent des bénéfices. « À Sanofi, ces aides ont permis de financer les départs de l’entreprise », déplore Jean-Louis Peyren. En dix ans, le groupe pharmaceutique a procédé à quatre plans de licenciement, tout en ayant empoché plus de 1 milliard d’euros au titre du crédit impôt recherche (CIR).

Enfin, outre le droit d’appel avec effet suspensif, la CGT entend garantir au comité social et économique (CSE) l’accès complet aux données de reprise de site, les « data rooms ». Des informations qui pourraient aider les cégétistes à déposer des projets de reprise. « S’agissant des papeteries de Condat, la CGT porte, avec les salariés, un projet de reprise en société coopérative d’intérêt collectif (Scic), par l’intermédiaire d’une association, Condat Peppers, note Carlos Tunon, de la fédération du livre (Filpac-CGT). Cette offre fait partie des cinq reçues par le tribunal. Bercy ne nous donne aucune aide. » Reste que, sans remise en question de la politique de l’offre, la liquidation du tissu industriel se poursuivra.


 

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