mise en ligne le 31 décembre 2024
Gildas Bregain sur https://blogs.mediapart.fr/
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation. La mobilisation sociale est intense pour refuser cet hôpital au rabais.
Ce texte est volontairement très détaillé afin de vous informer de l’évolution du projet de reconstruction de l’hôpital de Redon, et des mobilisations sociales pour refuser tout hôpital au rabais. Nous espérons que cet exposé sera utile à certains et certaines d’entre vous qui nous lisez si vous rencontrez de pareilles difficultés ailleurs.
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation, alors même que l’ARS avait défendu l’idée de la reconstruction d’un nouveau bâtiment de 14 000 m² il y a quatre ans. Pour contester ce projet, un comité d’appui de l’Hôpital rassemble les élus locaux, les parlementaires, des représentants des personnels et des usagers. La population dans son ensemble s’est fortement mobilisée pour montrer son refus unanime de ce projet d’hôpital au rabais, en recourant à une diversité de modes d’action (pétition, manifestations, Randos militantes, photographies des associations avec une banderole, Chanson filmée des agents hospitaliers, etc.).
Comment en-est-on arrivé là ?
L’Hôpital de Redon (Centre Hospitalier Intercommunal de Redon-Carentoir, CHIRC) est un hôpital possédant des bâtiments sur 7 sites différents, et dans deux villes différentes, Redon et Carentoir. Le bâtiment principal, situé au cœur de la ville de Redon, est très vétuste, puisqu’il a été construit au début des années 1970. Cette vétusté génère des conditions de vie difficiles pour les personnels et les patients, des surcoûts importants en termes de dépenses énergétiques, mais aussi des dépenses supplémentaires de sécurité incendie (800 000 euros par an dans le recours à une équipe de sécurité incendie privée) car ce bâtiment central ne devrait plus accueillir depuis plusieurs années de lits d’hospitalisation de nuit. Cette vétusté du bâtiment central était connue depuis longtemps, et une rénovation avait été au départ envisagée, avant que l’on ne découvre que le bâtiment actuel ne respecte pas les conditions de sécurité et qu’il est donc impossible de maintenir les lits d’hospitalisation de nuit. Il est donc urgent de planifier la reconstruction d’un hôpital neuf, moderne et économe en énergies, répondant aux normes de sécurité et de bien-être pour les usagers et les professionnels.
Comme beaucoup d’hôpitaux publics, celui de Redon connaît un problème de recrutement de professionnels médicaux, dans un contexte de pénurie du personnel médical et paramédical. En 2023, l’Hôpital a connu des fermetures provisoires des urgences, et des menaces de fermetures de services, temporaires ou non, de services de soins tel qu’en anesthésie réanimation, maternité, l’unité de soins continus, le bloc opératoire, l’unité d’hospitalisation de psychiatrie.
L’Hôpital de Redon, comme l’ensemble des hôpitaux publics, est en déficit, et devra emprunter plusieurs dizaines de millions d’euros pour financer la
reconstruction du futur bâtiment, alors qu’il accumule chaque année des déficits importants (près de 1,6 millions d’euros pour 2022).
En 2020, et jusqu’à l’été 2023, l’Agence régionale de Santé avait approuvé le projet de construction d’un nouveau bâtiment central pour l’Hôpital (14000 m²), sur un terrain à quelques centaines de
mètres de l’Hôpital actuel, pour un coût estimé en 2020 à 47 millions d’euros. Au départ, l’ARS avait consenti à délivrer une subvention de 9 millions d’euros, puis 12 millions d’euros, puis
finalement 20 millions d’euros, pour la reconstruction de cet Hôpital.
En septembre 2023, l’Agence Régionale de Santé décide de rejeter ce scénario. D’une part, l’envolée des coûts de la construction amène une augmentation de près de 20% du coût de construction. D’autre part, une nouvelle étude sur l’adaptation des surfaces de l’Hôpital aux besoins médicaux du territoire est réalisée au début de l’année 2023, montrant deux choses : (1) le premier cabinet chargé de l’étude avait mal évalué la superficie de l’Hôpital actuel (une erreur de 2000 m²) ; (2) il est nécessaire de faire évoluer les surfaces envisagées : nécessité d’une salle d’endoscopie supplémentaire, doublement des salles de consultation, agrandissement de la cuisine. L’étude de l’assistant à la maîtrise d’ouvrage montre qu’il est nécessaire de reconstruire un bâtiment de 22 000 m² (soit un budget équivalent à 107 millions d’euros). Incité par l’ARS à proposer des solutions alternatives, rentrant dans le cadre budgétaire imposé, l’assistant à la maîtrise d’ouvrage propose une version dite « optimisée » de 16 000 m², qui s’accompagne de la réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit (de 134 à 117) avec un nombre de places d’accueil de jour similaires (25), et qui induit la suppression de l’Unité de soins palliatifs de 10 lits (considérée pourtant comme nécessaire), et l’externalisation d’autres services (comme la stérilisation, la cuisine).
Confrontée à des investissements supérieurs à ceux initialement prévus, l’ARS Bretagne décide de faire intervenir le Conseil National de l’Investissement en Santé (CNIS). Les experts du CNIS, après une visite rapide à l’Hôpital, proposent un nouveau scénario qui combine construction d’un bâtiment neuf de 5700 m², et rénovation partielle du bâtiment central (2500 m²), afin de limiter les dépenses à 40 millions d’euros (et la subvention de l’ARS à 20 millions d’euros comme initialement prévue). Une troisième phase de travaux est envisagée dans le futur, sans aucune garantie de financement ni planification temporelle. Cette proposition du CNIS, validée ensuite par l’ARS, avait de multiples conséquences concrètes :
- La superficie du bâtiment neuf (5700 m²) est largement insuffisante pour garantir le maintien du nombre actuel de lits d’hospitalisation. L’ARS indique que ce bâtiment pourrait accueillir 117 lits d’hospitalisation de nuit (contre 134 actuellement dans le bâtiment actuel, et 155 en 2020). La réduction du nombre de lits touche en particulier la chirurgie (qui passerait de 30 à 20 lits), et la maternité (qui passerait de 15 à 10 lits).
- Le maintien des services médicaux et annexes dans le bâtiment actuel n’était pas garanti, car seule la rénovation de 2500 m² était garantie par l’ARS dans la deuxième phase de travaux. De ce fait, le maintien d’un certain nombre de services, notamment des services annexes (pharmacie, cuisine, stérilisation) n’était pas garanti pour les prochaines décennies.
Les objectifs de l’ARS : Réguler la capacité d’hospitalisation complète à la baisse, et délivrer une subvention d’un montant faible, largement inférieur aux besoins, dans une logique de gestion de la pénurie.
Il faut reconnaître que l’Agence Régionale de Santé Bretagne a su déployer une multitude de stratégies pour atteindre son objectif : restreindre et cantonner dans des limites fixées arbitrairement les investissements nécessaires, dans un contexte où l’ARS souffre d’un sous-financement chronique : l’ARS Bretagne ne dispose que d’un budget de 416 millions d’euros pour financer la reconstruction de la vingtaine d’établissements hospitaliers bretons dans la décennie 2020-2030. Les besoins en financement nécessaires à la reconstruction des hôpitaux bretons nécessiteraient une multiplication au moins par trois du budget attribué dans le cadre du Plan Ségur (19 milliards d'euros sur 10 ans). Il est donc impératif d’augmenter les budgets dédiés à la santé à l’échelle nationale et inconcevable de les réduire sur ce sujet.
Lors de la délimitation des contours du futur projet hospitalier, l’objectif sanitaire poursuivi est encadré par la très forte contrainte budgétaire et l’absence de volonté d’investissement massif dans le secteur, et n’a pas vocation à satisfaire les besoins de santé locaux. Soulignons toutefois que l'ARS consent chaque année à délivrer à l’hôpital de Redon une subvention d’équilibre (de plusieurs millions d’euros parfois), ce qui lui permet de continuer à fonctionner.
Jusqu’en décembre 2024, l’ARS de Bretagne ne cesse de réaffirmer qu’elle ne dépensera pas plus de 20 millions d’euros pour le nouvel hôpital, tout en assumant le fait que le nouveau projet induit une réduction considérable du nombre de lits d’hospitalisation de nuit dans plusieurs services (maternité, chirurgie), et l’absence de création d’une unité de soins palliatifs. Ce nouveau projet hospitalier a été étudié et validé par le ministère de la santé en 2016/2017, quand tout nouveau projet devait supprimer 30% des lits. Cette politique de suppression des lits d’hospitalisation de nuit est poursuivie par les ministres de la Santé depuis plusieurs décennies, au nom d’une rationalité économique, de la dangerosité supposée des services des hôpitaux de proximité, et du recours plus fréquent aux soins ambulatoires de jour et à l’hospitalisation à domicile. Cette politique de réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit est absurde, et conduit à des conséquences désastreuses : maintien de certains patients sur des brancards aux urgences pendant des dizaines d’heures (avec les risques de mortalité accrus pour les personnes âgées) ; admission retardée ou impossible dans certains services hospitaliers ; transfert de certains patients dans les hôpitaux d’autres régions ou pays (c’est le cas pour les soins psychiatriques sous contraintes actuellement, du fait de la fermeture de plusieurs milliers de lits en psychiatrie pendant les dernières années).
Cette politique de réduction massive du nombre de lits hospitaliers n’est plus du tout d’actualité. La crise du COVID et la saturation d’un grand nombre de services d’urgences a en effet montré la nécessité de conserver un nombre suffisant de lits en aval et l’inanité d’une politique de gestion en flux tendu des services hospitaliers. L'ex-ministre de la santé Aurélien Rousseau avait promis à l'automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d'ici la fin de l'année ». Le comité d’appui de l’Hôpital exige donc que le futur projet d’hôpital conserve l’ensemble des lits d’hospitalisation complète actuels, nécessaires pour répondre aux besoins médicaux du territoire dont la population ne cesse d’augmenter et de vieillir. Nous souhaitons conserver l’ensemble des lits en maternité et en chirurgie, obtenir le retour des lits en néonatologie, augmenter le nombre de lits en soins palliatifs.
Si nous analysons de manière critique ce qui s’est passé pendant les dernières années, nous pouvons constater que l’ARS Bretagne a eu recours à de multiples stratégies :
- Pendant la période 2020-2023, une stratégie autoritaire et anti-démocratique de pilotage du projet de nouveau bâtiment, en refusant de diffuser à toutes les parties prenantes (élus, responsables syndicaux, usagers) le contenu des études de maîtrise d’ouvrage sur le projet de reconstruction de l’hôpital, et en cantonnant les discussions sur l’avancée du projet au sein d’un comité restreint à quelques personnes.
- l’absence d’approfondissement des études sur le coût de fonctionnement du futur hôpital, et l’absence de construction d’un plan de financement de la construction du futur hôpital, deux éléments qui ont contribué et contribuent encore au ralentissement du processus et retardent le lancement définitif du projet.
- En septembre 2023 : En cas d’augmentation significative des investissements nécessaires, rebattre les cartes et dénoncer le projet initial comme infaisable (en n’hésitant pas à se contredire et à remettre en cause des documents administratifs officiels donc).
- Sur le plan du discours, minimiser les besoins médicaux, en se fondant sur des données démographiques erronées (la population de l’agglomération de Redon, soit 66000 habitants, et non la population concernée résidant à moins de 35 kms de Redon, équivalent à environ 160 000 habitants), et légitimer la baisse du nombre de lits d’hospitalisation par le recours amplifié à l’ambulatoire.
- Dissuader les élus locaux de se mobiliser et de mobiliser la population en amont des manifestations, par le biais de lettres au contenu rassurant (tout en restant très imprécis).
- Exiger des directeurs successifs de l’Hôpital qu’ils promeuvent le projet de nouvel hôpital dans la presse[1].
- Reconnaissons-le, l’ARS mène aussi des actions positives, pour renforcer les coopérations au sein du Groupement hospitalier de territoire, pour éviter l’aggravation de la situation. La nouvelle directrice nommée en 2024 a ainsi favorisé le recrutement de nouveaux médecins spécialistes.
La population, les élus et les professionnels de santé de l’Hôpital, tous unanimes à dénoncer ce projet d’un hôpital au rabais !
Depuis l’annonce par l’ARS qu’elle rejetait le scénario initialement prévu de la reconstruction d’un bâtiment principal, au profit d’une solution moins coûteuse (un bâtiment neuf de 5700 m² + 2500 m² rénovés), tous les acteurs locaux se sont mobilisés pour contester ce projet d’un hôpital au rabais.
Une manifestation devant l’hôpital de Redon le samedi 27 janvier 2024 a rassemblé près d’un millier de personnes, en présence de nombreux élu-e-s, député-e-s, sénateurs et sénatrices, maires de nombreuses communes, des représentants des syndicats des personnels de l’hôpital (CGT et CFDT) et des représentants des usagers, dont l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux.
Une pétition qui a recueilli plus de 5000 signatures en ligne et plusieurs centaines sur papier et sur cartes postales, a été adressée à la ministre de la Santé. Les députés soutenant la mobilisation ont écrit à de multiples reprises aux ministres successifs de la santé pour avoir un entretien au sujet de l’hôpital (tout en délivrant symboliquement les pétitions et les cartes postale signées), sans succès jusqu’à aujourd’hui.
Dès le mois de février, un grand nombre d’associations du territoire se sont mobilisées, et se sont photographiées avec la banderole en soutien à la reconstruction d’un Hôpital à la hauteur des besoins. A la fin du mois de mars, une trentaine d’associations sportives, culturelles, de commerçants, s’étaient ainsi mobilisées[2].
Dans le même temps, le Comité d’appui de l’hôpital a organisé des réunions publiques dans plus d’une quinzaine de villes du territoire, au cours desquelles toutes les catégories sociales et tous les âges ont exprimé leurs besoins et leurs attentes parfaitement légitimes de naître, bien vivre et bien vieillir dans le Pays de Redon.
Le samedi 23 mars, près de 4000 personnes ont manifesté dans les rues de Redon pour clamer haut et fort leur droit d’accéder à des soins de qualité sans être contraints de faire plus d’une heure de route. Cette mobilisation exceptionnelle à l’échelle du territoire, démontre de manière remarquable à quel point l’avenir du Centre hospitalier de Redon-Carentoir mobilise très largement les citoyens et les forces vives du territoire.
A la fin de la manifestation du 23 mars, une délégation du comité d’appui a été reçue pendant 3 heures par le Sous-Préfet de Redon et par le directeur adjoint de l’ARS en Ille et Vilaine. Les membres de cette délégation ont réaffirmé la nécessité de respecter de manière impérative le projet médical et soignant, d’intégrer les services techniques et de conserver les lits d’hospitalisation dans le projet de futur hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet se sont voulus rassurants, tout en n’apportant aucune garantie. Minuscule victoire, l’ARS et la sous-préfecture ont accepté de diffuser l’ensemble des documents de travail et études aux membres du conseil de surveillance du centre hospitalier afin de garantir la complète transparence des informations. Les membres du comité d’appui ont déploré qu’aucun plan de financement viable du projet n’ait été présenté par les directions successives de l’Hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet ont indiqué que le financement des deux premières phases était acquis (avec une subvention de l’ARS à hauteur de 20 millions d’euros sur un total estimé à 40 millions d’euros), mais pas la troisième phase, évaluée globalement à 25 millions d’euros.
Au cours du mois de mai 2024, les syndicalistes de la CFDT du CHIRC ont fait une vidéo avec l’ensemble des professionnels de santé du Centre Hospitalier de Redon Carentoir, qui a rapidement fait un tabac sur les réseaux sociaux. Sur l’air de la Chanson des Restos du Cœur, ces professionnels réclament « un hôpital décent pour notre territoire » :
Je te promets pas le grand CHU/
mais juste de quoi te recevoir /
des m² et de la chaleur /
dans un hosto, un hosto du cœur /
Ce n’est pas vraiment ma faute si des lits ferment /
Mais ça le deviendra si on n’y change rien ! /
On mérite mieux qu’un hôpital au rabais !/[3]
Le samedi 25 mai 2024, environ 200 personnes ont participé à l’évènement « Bougeons-nous pour l’Hôpital ! A pied, à vélo, en tracteur ou en canoé… Tous mobilisés à Redon pour l’Hôpital », organisé par l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux. Deux convois de cyclistes sont partis de Peillac et de Langon, et un convoi de randonneurs à pied est parti de l’Île aux Pies. Un convoi de rameurs (en aviron et en canoé) a rejoint les cyclistes au Pont du Grand Pas à Sainte Marie, pour ensuite converger vers Redon. Ces randonnées, qui se sont déroulées dans une ambiance conviviale, ont été l’occasion de rencontrer des habitants, ainsi que des élus de plusieurs communes (Peillac, Saint-Perreux, Avessac, Langon, Bains-sur-Oust) et de sensibiliser la population sur la prochaine grande manifestation en défense de l’hôpital organisée le 13 juin par le comité d’appui de l’Hôpital. Arrivés à Redon, plusieurs représentants associatifs, syndicaux ou élus ont pris la parole, pour souligner le fait que le projet proposé ne permet en aucun cas de répondre aux besoins médicaux de la population concernée (160 000 Habitants), qui ne cesse d’augmenter. Ce projet aboutit à une diminution considérable du nombre de lits d’hospitalisation, ainsi qu’un fort risque de perdre des services médicaux et des services annexes (stérilisation, pharmacie, cuisine). Ils ont également insisté sur les revirements successifs de l’ARS, et son refus de financer l’hôpital à la hauteur des besoins de santé de la population et de garantir la réalisation de la troisième tranche des travaux. Ils ont déploré l’absence d’un véritable plan de financement pour le futur Hôpital.
Une nouvelle mobilisation réunissant plusieurs centaines de personnes a eu lieu le 13 juin en centre-ville de Redon. A la même période, une 3réunion est organisée avec le sous-préfet et des représentants de l’ARS, qui nous informent qu’un nouvel emplacement est à l’étude pour la reconstruction du futur bâtiment de l’hôpital (destruction d’un bâtiment existant, l’Hôtel Dieu), ce qui permettrait d’éviter toute une série de désagréments (suppression de parkings) et rapprocherait ce futur bâtiment de celui déjà existant. Toutefois, le projet de reconstruction conserve globalement la même dimension (désormais 2000 m² au sol), et l’ARS campe sur le montant de subventions de 20 millions d’euros. Le 25 juin, les membres du Conseil de surveillance de l’hôpital ont finalement émis un avis favorable avec des réserves sur le projet du nouveau bâtiment de l’hôpital, qui est désormais prévu à l’emplacement de l’Hôtel Dieu. Les réserves émises par les membres du conseil de surveillance sont de plusieurs ordres, en premier lieu l’absence d’un plan de financement, et l’insuffisance de la subvention de l’ARS ; et en second lieu le refus catégorique de toute réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuits (134 actuellement), notamment en maternité et en chirurgie.
En Octobre 2024, nous avons appris, à la suite d’une réunion avec la directrice de l’Hôpital et le président du Conseil de surveillance de l’Hôpital, que le projet, en l’état, n’était pas finançable par l’hôpital de Redon, qui se trouvait incapable d’investir le moindre euro dans la construction d’un nouveau bâtiment. En effet, les prévisions budgétaires tendent à indiquer que l’hôpital resterait déficitaire pendant les dix prochaines années. De plus, la direction de l’hôpital légitime la réduction du nombre de lits en maternité par le fait que le taux d’occupation des lits est d’environ 35% à l’année, et justifie l’absence de lits supplémentaires en soins palliatifs par le recours croissant à l’hospitalisation à domicile. Elle refuse de fournir des chiffres plus détaillés sur l’occupation quotidienne des lits dans ces services, et les taux des transferts de patients vers d’autres hôpitaux.
Suite à ces informations, l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux s’est réunie en assemblée plénière le 12 novembre. Dans un
communiqué, elle se dit « scandalisée par l’inertie des pouvoirs publics, qui refusent de financer la reconstruction du centre hospitalier de Redon Carentoir à la hauteur des besoins », et exige la
conservation du nombre de lits d’hospitalisation complète dans le futur hôpital.
Cadeau de Noël 2024 : une augmentation – insuffisante
- de la subvention de l’ARS pour faire accepter la perte de lits et l’absence de garantie de rénovation de l’ensemble des
services.
Finalement, le mardi 17 décembre 2024, de nouvelles informations ont été délivrées au conseil de surveillance du centre hospitalier, sans communication des documents au préalable. Les membres du conseil de surveillance ont appris qu’un plan global de financement pluriannuel de l’établissement (conçu sur 15 ans) intégrait le projet de construction et rénovation de l’hôpital.
Lors de cette réunion, les participants ont appris que l’Agence Régionale de Santé Bretagne avait augmenté sa subvention à hauteur de 30 millions d’euros. Cette augmentation de la subvention de l’ARS était indispensable pour permettre le financement de la construction du nouveau bâtiment, mais le montant reste largement insuffisant pour garantir l’extension de la superficie du nouveau bâtiment, et la rénovation du bâtiment actuel. Aucune précision n’est apportée pour savoir qui finance, et comment, le reste des investissements nécessaires.
A la stupéfaction des membres du conseil de surveillance, aucun plan de financement crédible couvrant l’ensemble des travaux n’est présenté, alors même que des promesses avaient été faites en ce sens par les services de l’Etat. De plus, le plan proposé repose sur le report de la Seconde étape de réhabilitation (concernant les services supports) à la période 2036-2039, en contradiction complète avec le calendrier présenté en conseil de surveillance de juin 2024 indiquant une fin des travaux en 2029/2030. Cette proposition de report est un très mauvais signe, aucune garantie n’étant apportée sur la réalisation de cette seconde phase de travaux. Dans un communiqué paru le 20 décembre 2024, le comité d’appui de l’Hôpital réaffirme avec force qu’il n’acceptera pas le saucissonnage du projet, et exige des garanties sur le financement de l’intégralité du projet de modernisation de l’hôpital.
Après des mois de mobilisation, la direction consent à fournir au conseil de surveillance des chiffres sur le taux d’occupation des lits dans certains services, en arguant que ces chiffres montrent une sous-occupation des lits d’hospitalisation complète actuels. Mais ces chiffres fournis sont des moyennes mensuelles, et non les chiffres quotidiens, ce qui rend difficile leur interprétation et ne permet pas de connaître les pics d’accueil. De plus, comme ce ne sont pas les données brutes, la méthode de comptage de cette occupation mérite d’être discutée et analysée : les représentants syndicaux ont en effet indiqué que les lits ne sont pas comptabilisés si les patients partent le matin, ou arrivent en fin de journée, ce qui engendre une sous-estimation de l’occupation des lits d’hospitalisation complète. D’autres données ne sont pas fournies, comme les taux de transferts de patients et les périodes d’absence de certains professionnels, qui pourraient permettre de mieux interpréter ces chiffres. La direction n’a d’ailleurs pas transmis d’information sur l’occupation des lits de soins palliatifs, alors même que nous savons que les quelques lits disponibles et éparpillés sont systématiquement occupés. Ces informations partielles délivrées ne permettent donc pas de légitimer cette baisse de lits à l’échelle de l’hôpital, ni de garantir l’absence de saturation des futurs services médicaux.
Pour toutes ces raisons, la mobilisation des citoyens et des citoyennes doit se poursuivre, pour exiger de l’ARS le maintien de la capacité de soin actuelle dans le futur hôpital. Il faut impérativement que la superficie du nouveau bâtiment soit augmentée, et qu’un quatrième étage soit prévu, pour s’assurer de la préservation du nombre de lits d’hospitalisation complète. Nous exigeons également de l’ARS une subvention équivalente à 70% du coût total de la construction/rénovation de l’hôpital (préférable à un montant en euros, qui peut s’avérer largement moindre que le coût final des travaux). Nous exigeons de l’Etat le respect de notre droit d’accéder à des soins de santé de qualité pour tous et toutes !
Gildas Brégain, co-référent avec Sophie Baconnet de l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux
[1] Par exemple, https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/lhopital-de-redon-na-jamais-eu-un-projet-de-cette-importance-estime-le-directeur-6032a8bc-c9b2-11ee-bd89-65961cacb703 ; https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/entretien-nous-ambitionnons-de-demarrer-le-chantier-de-lhopital-de-redon-en-septembre-2027-8a7ef5c2-8d5b-11ef-9d74-cdf49a297048.
[2] Pour plus de précisions sur l’ensemble des associations ayant soutenu l’initiative, voir les photographies sur le facebook du comité d’appui : https://www.facebook.com/people/Comit%C3%A9-dappui-de-lh%C3%B4pital-de-Redon-Carentoir/61557128660197/?sk=photos
[3] https://www.facebook.com/cfdt.chredoncarentoir/videos/les-professionnels-du-centre-hospitalier-intercommunal-redon-carentoir-chirc-don/819157493602524/
mise en ligne le 24 décembre 2024
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les salariés de l’entreprise de nettoyage, sous-traitante d’Air France, dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail. La journée la plus importante de leur mobilisation, lundi 23 décembre, laisse présager une fin d’année sous le signe de la colère.
En grève illimitée depuis le 12 décembre, une bonne centaine de salariés de la société de nettoyage Acna (Armement, cabine, nettoyage, avion), filiale de Servair et sous-traitante d’Air France, s’apprête à passer les fêtes sur le piquet.
Des représentants syndicaux de la CGT, de la CFDT, de SUD mais aussi la députée FI Julie Garnier et d’autres soutiens venus en nombre, se sont réunis lundi 23 décembre, entre 8 heures 30 et 10 heures 30, devant le siège, au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), pour la plus grande journée de débrayage en presque deux semaines de mobilisation. Chaque matin, les grévistes cessent le travail deux heures, avant de réitérer le soir, puis de terminer par un ultime arrêt entre 22 heures 30 et minuit et demi.
4 avions à nettoyer par jour
La fronde des salariés prend ancrage en 2018, lorsque Acna adopte un « accord de performance collective », sous couvert de problèmes financiers. « Depuis, nos conditions de travail ne cessent de se dégrader », soupire Salif, délégué CGT à Roissy. Le texte acte notamment la fin des week-ends prolongés, mis en place pour compenser la pénibilité des tâches qui leur incombent. Il souligne : « Monter et descendre des marches, devoir rester penché, s’accroupir… C’est extrêmement fatigant comme travail, surtout lorsque l’on vieillit. »
Déjà chargés de nettoyer quatre avions par jour à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, sur des vacations de 7 heures et 8 minutes, les salariés sont vent debout contre une nouvelle proposition d’aménagement du temps de travail présentée par la direction en avril, dans le cadre de négociations portant sur les précédents accords.
En échange de concessions, il s’agirait d’astreindre les employés à des journées dépassant les 8 heures, durant lesquelles ceux-ci devraient nettoyer cinq appareils, soit un de plus. « Cela implique une nouvelle augmentation de rendement, faisant suite à – entre autres – une fusion des services de nettoyage et d’armement ayant déjà intensifié notre polyvalence », note le cégétiste, Salif.
Répression de la lutte
Si les représentants syndicaux estiment avoir lancé un mouvement dans les clous, en remettant le 9 décembre un préavis de grève, listant la centaine de personnes souhaitant y prendre part, pour un premier débrayage quarante-huit heures plus tard, soit le 11 décembre, ce n’est pas l’avis de la direction.
Celle-ci a immédiatement fait parvenir des courriers à une centaine de salariés les convoquant à un entretien préalable en vue d’une « éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », invoquant une mobilisation « frauduleuse » dans une communication interne. Après que l’inspection du travail a estimé, dans un avis remis à la société le 20 décembre, que cette grève était réglementaire, la hiérarchie a finalement suspendu les convocations, souhaitant plutôt lancer une procédure judiciaire.
Dans cette même note, la direction souhaite que les « auteurs soient identifiés et leur responsabilité engagée à hauteur des lourds préjudices financiers et d’image subis par l’Acna ». Le délégué syndical CGT de Roissy CDG, Ghannouchi, n’a pas l’intention de baisser les bras face à ce qu’il qualifie de « répression de la lutte ».
mise en ligne le 19 décembre 2024
Chloé Decoursier sur www.humanite.fr
À la suite de la CGT, plusieurs dizaines d’élus ont appelé ce mardi le Premier ministre François Bayrou à « nationaliser temporairement » le groupe chimique Vencorex, en redressement judiciaire, afin d’éviter son « démantèlement ».
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre François Bayrou, 48 élus, à l’initiative des maires de communes concernées (Pont-de-Claix et Jarrie, en Isère) appellent à une « nationalisation temporaire » de l’entreprise Vencorex afin d’échapper à son « démantèlement ». Depuis le 23 octobre, la majorité des 550 salariés du groupe chimique sont en grève, bloquant la totalité du site de production placé en redressement judiciaire depuis septembre dernier.
Cette nationalisation, portée depuis plus d’un mois par la CGT, comme « unique solution », est aujourd’hui signée par des élus locaux et des représentants politiques tels que Fabien Roussel (PCF) Marine Tondelier (EELV) et Olivier Faure (PS). Tous dénoncent « un véritable scénario catastrophe » et demandent que cette mesure soit « étudiée sérieusement par les services de l’État ». Contrairement à une « position idéologique », cette « revendication pragmatique » vise à « se donner tous les moyens de sauvegarder l’activité du site », arguent-ils.
120 emplois supplémentaires menacés
Cette mobilisation a été déclenchée par l’absence de solutions concrètes pour le site, à l’exception d’une offre de reprise partielle, formulée par le groupe industriel chinois Wanhua (concurrent direct de Vencorex). L’offre de 1 million d’euros ne prévoyait initialement que la conservation de 25 emplois, revue à 50. Perspective « inacceptable » pour les signataires de la lettre, qui craignent un arrêt total du site et une menace pour « 3 000 emplois directs, voire 10 000 indirectement ».
Et les conséquences de cette fermeture ne s’arrêtent pas là. Le groupe Arkema, présent sur la plateforme de Jarrie, a déjà annoncé son intention de mettre la clé sous la porte en cas de cessation d’activité chez Vencorex, menaçant ainsi 120 emplois supplémentaires. De plus, la fermeture de l’entreprise mettrait en péril la mine de sel de Hauterives, exploitée par la société spécialisée dans le chlore Chloralp, dont le seul débouché est la plateforme de Pont de Claix. Cette mine produit le sel le plus pur d’Europe et bénéficie d’une réserve de 40 ans.
À noter que l’industrie chimique ne fonctionne pas de façon isolée. Chaque acteur est dépendant des autres : le sel produit par Vencorex, purifié sur la plateforme de Pont de Claix, est essentiel pour le secteur de la défense, l’aérospatiale, le nucléaire et l’industrie sanitaire. Par exemple, le chlore produit à Jarrie sert notamment à la fabrication de peroxydes utilisés dans les réacteurs nucléaires. Un démantèlement du fabricant chimique exposerait la France à une dépendance étrangère dont on ne peut connaître les conséquences à ce jour.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En redressement judiciaire, l’usine du Pont-de-Claix risque de tomber aux mains d’un groupe chinois que les salariés disent plus intéressé par les brevets que le sort des travailleurs. Un concentré des maux dont souffre l’industrie française.
En arrivant sur le site, on ne voit que lui. Au départ, ce n’était qu’un feu modeste, un timide brasier démarré à la va-vite sur ce qui était alors un rond-point planté devant l’usine. Mais depuis bientôt quarante jours, les grévistes l’alimentent inlassablement, à grand renfort de pneus, palettes et tronçons de bois, si bien qu’un spectaculaire monticule de cendres recouvre aujourd’hui le rond-point. « La comparaison va vous paraître bête, prévient Michaël, une lueur dansant dans les yeux. Mais ce feu, c’est un peu notre flamme olympique. Il ne s’éteint jamais. »
Ce feu qui refuse obstinément de mourir signale l’emplacement du piquet de grève des Vencorex, au Pont-de-Claix, en Isère, qui redoutent que leur usine ne tombe entre les mains d’un repreneur dont ils ne veulent pas. C’est aussi une manière de se rappeler au bon souvenir des habitants des environs : régulièrement, les grévistes y jettent des pneus, créant une épaisse colonne de fumée noire visible de toute l’agglomération. Et quand le mercure dégringole (la température est tombée à zéro degré il y a quelques jours, nous explique Michaël), les salariés se massent autour des flammes.
Licenciés ou rachetés ?
Michaël a 49 ans, dont vingt-sept passés à bosser dans cette usine qu’il connaît sur le bout des doigts – il travaille notamment à la surveillance des installations. C’est la première fois qu’il participe à une telle grève. « On se bat pour sauver nos emplois, dit-il simplement. Mais au bout de plus d’un mois de lutte, ça n’avance pas. On ne sait toujours pas si on va fermer, si on sera licenciés ou rachetés… » L’avenir de son entreprise tient à un fil, menacé par une offre de reprise qui pourrait liquider la quasi-totalité des quelque 400 emplois.
En redressement judiciaire, l’usine fabrique des substances chimiques entrant dans la composition de peintures et vernis spécialisés utilisés par de nombreuses branches industrielles (automobile, train, avion, construction…). La société a déposé le bilan en septembre, accusant des pertes vertigineuses : chaque trimestre, il lui manquait entre 15 et 20 millions d’euros de trésorerie. « Wanhua nous a fait couler », résume sombrement Michaël. Wanhua, c’est le nom du principal concurrent de Vencorex, un géant chinois de la chimie qui pèse 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ces dernières années, il a inondé le marché européen de produits à prix cassé.
« En gros, ils vendent les produits 25 % moins cher, nous apprend un expert du secteur. Les isocyanates (composants chimiques entrant dans la composition des vernis et peintures) sont vendus par Vencorex autour de 4 000 euros la tonne, mais Wanhua les écoule à 3 000 euros. C’est sans aucun doute du dumping. » Massivement subventionné par l’État chinois, le groupe a considérablement accru ses capacités de production, jusqu’à se retrouver surcapacitaire lorsque le marché local a ralenti : pour écouler le surplus, il a bien fallu trouver des débouchés… Et l’Europe est un marché bien plus ouvert que les États-Unis.
Autant dire que les salariés ont bondi en apprenant que le seul repreneur de l’usine était l’industriel chinois. Ce dernier en propose un prix dérisoire à l’actuel propriétaire, le thaïlandais PTT GC, qui semble pressé de s’en délester : 1 million d’euros. La somme fait grimacer Séverine Dejoux, représentante des salariés et élue CGT, attablée au calme sous le grand barnum du piquet de grève. « C’est le prix d’un appartement parisien, lance-t-elle avec humeur. Et ce n’est même pas la valeur de nos stocks. »
L’industriel veut reprendre un seul atelier de 46 salariés qui fabrique les produits finis. Il prévoit de se débarrasser du reste, important de Chine sa matière première. « L’une de nos craintes, c’est qu’il convoite nos brevets, poursuit la syndicaliste. Et notamment les Easaqua, des produits chimiques à base d’eau utilisés pour les revêtements, intéressants sur le plan environnemental. »
Surtout, le groupe pourrait mettre la main sur une unité de production performante, à un prix dérisoire, complète notre expert du marché : « Ils sont également en négociation pour reprendre des ateliers équivalents à Rayong (Thaïlande) et à Freeport (États-Unis). En cas de succès, Wanhua deviendrait le leader mondial du secteur. »
« Patriotisme » industriel ?
Il serait périlleux, néanmoins, d’opposer un quelconque « patriotisme » industriel face aux ambitions étrangères : les clients français de Vencorex, comme Arkema ou Seqens, ne se bousculent pas pour voler à son secours. Pire, les salariés les accusent d’avoir très largement participé à assécher les caisses de l’entreprise. « Nous vendions notre tonne de sel à Arkema au prix de 50 euros, précise Séverine Dejoux. Soit deux fois moins cher que notre prix de revient ! Ce sont des contrats historiques qui n’ont jamais été renégociés, même depuis l’envolée des prix de l’énergie. »
« Vencorex a servi de vache à lait à tous les industriels du secteur », résume Adrien Poirieux, référent Isère pour la Fnic CGT (industries chimiques). Interrogée, la direction d’Arkema ne répond pas sur les montants exacts, mais précise qu’il s’agit de contrats de long terme renouvelés tous les dix ans.
En un sens, le sort de l’usine offre un condensé chimiquement pur (si on ose dire) des maux dont souffre l’industrie française : ravages de la concurrence internationale, égoïsme des grands groupes, désengagement de l’État. Alertés, les responsables syndicaux et politiques de gauche ont fait le déplacement. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, s’y est rendue, suivie de Philippe Poutou (NPA) et de Fabien Roussel (PCF). Ce dernier a souligné à quel point l’entreprise est « essentielle à beaucoup de filières stratégiques et industrielles de notre pays », et appelé le gouvernement à une nationalisation immédiate, le temps de trouver un autre repreneur.
Le gouvernement, quant à lui, brille par sa discrétion. Et sa maladresse : lors d’une rencontre avec une délégation de salariés, le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, n’a rien trouvé de mieux à leur proposer qu’un selfie en sa précieuse compagnie… Les grévistes en râlent encore.
6 000 emplois menacés
Pourtant, la chute de Vencorex pourrait laminer toute une filière. « Toute l’activité en aval de l’usine serait touchée, rappelle Séverine Dejoux. L’onde de choc s’étendrait sur tout le Sud grenoblois et la vallée de la chimie, depuis Lyon jusqu’à la plateforme chimique du Roussillon. Soit au total 6 000 emplois menacés. »
Au Pont-de-Claix, la déflagration risque d’être terrible. Derrière les grilles de l’usine se devinent les superstructures de la plateforme chimique, petite ville de 120 hectares hérissée de dômes et de cheminées avec laquelle les habitants entretiennent une relation fusionnelle : dans le coin, tout le monde a un frère ou un parent qui y a travaillé. La première usine est sortie de terre en 1916, en plein conflit mondial, lorsque l’État décida de répliquer aux gaz asphyxiants de l’armée allemande en développant son propre arsenal.
Le site présentait le double avantage d’être situé hors de portée des tirs ennemis tout en étant facilement approvisionné en électricité par les centrales de la région. Le complexe chimique épouse ensuite l’histoire de l’industrie française : le faste des Trente Glorieuses (jusqu’à 2 500 salariés en 1975), les premières vagues de licenciements post-chocs pétroliers, la désindustrialisation galopante.
La mine de Hauterives fait grise mine
Aujourd’hui, l’usine Vencorex est le poumon économique de la plateforme. Mais derrière ce conflit qui s’enlise se cache un autre enjeu. Pour fabriquer du chlore, l’usine a besoin d’être approvisionnée en sel par pipeline depuis la mine de Hauterives, à 80 kilomètres. « Vencorex est l’unique débouché de la mine, alerte Séverine Dejoux. Et avec l’arrêt de l’usine, les stocks de saumure (mélange d’eau et de sel) s’accumulent à Hauterives, à raison de 30 m3 par heure – l’équivalent d’une citerne. Que fera-t-on quand cela débordera ? On ne peut pas envoyer dans la nature une matière aussi polluante. »
Prévenue, la métropole grenobloise suit le dossier de très près. Il faut dire qu’elle a injecté des millions d’euros dans l’usine dans le cadre de la rénovation de l’électrolyseur (appareil servant à fabriquer le chlore), en 2016. « Avant la rénovation, la commune était classée en zone d’expropriation, rappelle Christophe Ferrari, président (PS) de la métropole. En effet, le risque que faisait peser la plateforme chimique, de type Seveso seuil haut (le plus sensible), était si élevé qu’il aurait fallu exproprier tout le monde ! L’État a fait ses calculs : devant le coût d’une telle opération, il a été jugé préférable d’investir dans la remise aux normes. »
La modernisation de l’électrolyseur a coûté 100 millions d’euros : la puissance publique y a consacré 34 millions, dont 25 en provenance de l’État, 6 de la métropole et 3 de la région. « Je considère que nous sommes en quelque sorte copropriétaires de l’outil industriel, estime Christophe Ferrari : c’est à ce titre que j’ai demandé au directeur de cabinet de Michel Barnier la nationalisation partielle du site. Si on ne se bat pas pour sauver nos plateformes chimiques, on sera contraints d’importer ce dont on a besoin. »
Sur le site, où on « se bat » depuis plus d’un mois, les salariés commencent à trouver le temps long. Nicolas jette des sapins dans les flammes pour raviver le brasier à l’approche de la nuit : « Ce feu symbolise peut-être notre colère », lâche-t-il. Puis, d’une voix calme mais qui ne souffre aucune contestation : « Les Chinois ont bon dos. En vingt ans ici, je n’ai pas vu le moindre investissement. Or, une industrie qui n’investit pas est une industrie qui crève. Les actionnaires ont toujours préféré toucher des dividendes plutôt que d’investir sur le futur… »
En parlant d’avenir, celui de son collègue Hugues, technicien chimiste, s’écrit en pointillé. Philosophe, il préfère se retourner sur le chemin parcouru. « La lutte procure des sentiments mélangés. Il y a l’usure bien sûr, mais aussi la fierté d’avoir tenu jusque-là. Faire grève, finalement, c’est le contraire de subir. C’est se sentir vivants. »
mise en ligne le 17 décembre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Les méchants grévistes de la logistique iront-ils jusqu’à prendre en otage le père Noël ? A l’approche des fêtes de fin d’année, cette question, souvent posée sur un mode catastrophiste, en prenant uniquement en compte l’intérêt des consommateurs, a fini par devenir un marronnier.
Pour preuve : en décembre 2023, deux syndicats du groupe de livraison Fedex Express, la CFDT et le SNSG, menacent leur direction d’un appel à la grève illimité. Les conditions de travail ne sont plus tenables, les cadences de plus en plus élevées et l’inflation, non compensée par la hausse des salaires, ronge le pouvoir d’achat. Rapidement, la machine médiatique s’emballe : les cadeaux de Noël seront-ils sous le sapin ? Mais les titres trop hâtifs oublient un paramètre : le manque de structuration syndicale du secteur de la logistique.
Car, si la logistique est un rouage essentiel du capitalisme mondialisé, et apparaît aujourd’hui comme l’une des cibles privilégiées de la lutte sociale, les grèves y sont toutefois rares et difficiles à organiser (voir notre article). Aussi, à l’hiver 2023, malgré le battage médiatique, la grève chez Fedex Express n’a pas lieu.
Une grève de Noël très suivie chez DHL
En ce mois de décembre 2024, c’est au tour de la branche française de la multinationale du transport de colis et de courrier DHL d’être mise sous les feux des projecteurs. Mais cette fois, la grève de Noël est suivie par les salariés. « Le conflit avait débuté avant Noël. La direction nous annonçait un nouveau calcul de l’intéressement, en ajoutant un objectif de réduction de l’absentéisme général. Cela revenait à enlever l’intéressement à tous les salariés du groupe et nous n’étions pas d’accord », résume Mohamed Benakouche, délégué syndical central CFDT à DHL Express (2e syndicat derrière FO). Les bonnes années, le syndicat estime que la prime d’intéressement rapporte entre 2200€ à 2500€. Une première date de grève est donc posée le 15 octobre. « Cela n’a pas donné grand chose. La direction nous a seulement accordé une prime de 300€, pour compenser la perte », poursuit le syndicaliste.
Alors, le 8 décembre, le mouvement durcit avec un départ en grève reconductible sur plusieurs sites à l’appel de tous les syndicats (CFDT, CFE-CGC- FO et CGT). Objectif : obtenir une prime de substitution qui comblera la perte de l’intéressement. « Le mouvement a été particulièrement suivi. Plus d’une cinquantaine de sites ont été concernés avec des mouvements plus forts dans la manutention aérienne, à Marignan, Lyon Saint-Exupéry et Roissy Charles-de-Gaulle. Dans un groupe qui compte 3000 salariés, on a dénombré jusqu’à 500 grévistes au plus fort du mouvement. En 33 ans de boîte, je n’avais jamais vu ça », assure Mohamed Benakouche.
« On sait désormais comment atteindre la direction »
Rapidement, les colis s’entassent dans les entrepôts. « La direction a multiplié les maladresses et les marques de mépris. Ils ont par exemple considéré qu’avancer d’une semaine le versement de notre 13eme mois était une mesure de nature à désamorcer la grève. A ce moment-là les salariés se sont dits qu’ils étaient vraiment pris pour des imbéciles », détaille le cédétiste. « La grève était terrible. Environ 80% des colis n’étaient pas collectés et pas livrés à temps », ajoute Alain Rochefeld, délégué syndical central CFE-CGC au sein de DHL Express.
Alors que le mouvement de grève chez DHL se prolonge, les médias télévisuels viennent faire des images des cartons qui s’emplient. La direction est sommée de rassurer le grand public et annonce dans un communiqué que des managers ont été « mobilisés [pendant la grève] afin de limiter l’impact pour les clients ». « Tous les colis qui devaient être livrés pour Noël », assure au Figaro Fatah Ziani, directeur des opérations DHL Express France. Corollaire : la direction doit lâcher du lest.
Ainsi, le 13 décembre, un accord de fin conflit est trouvé avec les quatre syndicats. Les salariés de DHL obtiennent 1000€ de prime supplémentaire. Ils s’ajoutent aux 300 précédemment obtenus. La direction leur assure également que les négociations annuelles obligatoires (NAO) de janvier commenceront à 2,2% d’augmentation salariale. « On pense que l’intéressement aurait pu être entre 1400 et 1500 euros cette année. Donc on trouve qu’on ne s’en sort pas trop mal », calcule Mohamed Benakouche. Le syndicat estime surtout avoir beaucoup appris lors du mouvement. « On sait désormais comment atteindre la direction. Ils jouent sur le pourrissement donc nous pouvons faire des actions plus chirurgicales », conclut Mohamed Benakouche.
mise en ligne le 13 décembre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que François Bayrou vient d’être nommé Premier ministre ce 13 décembre, plus de 132 actions contre la multiplication des licenciements ont eu lieu la veille, à l’appel de la CGT. Une première étape pour tenter d’imposer un moratoire contre les suppressions de poste.
« Un pas en avant, trois pas en arrière, c’est la politique du gouvernement», scande la foule. « Mais y a pas de gouvernement ! », s’amuse un manifestant. Ce 13 décembre sur les coups de 12h45, Emmanuel Macron a désigné François Bayrou Premier ministre. La nomination du gouvernement suivra. Mais quels que soient les noms des politiciens choisis, le chef de l’Etat n’esquisse pas la moindre volonté de bifurquer de son programme politique.
La veille, dans le froid de l’hiver lillois, les 200 à 300 personnes qui lançaient des slogans en avaient bien conscience. « Le futur Premier ministre mènera exactement la même politique qu’avant : la politique des capitalistes. Nous, les travailleurs, nous avons l’obligation de nous organiser par nous même pour répondre aux licenciements qui se multiplient », anticipait Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’union départementale CGT du Nord.
Alors, ce 12 décembre 2024, des enseignants, des soignants ou encore des postiers, appelés à la lutte par la CGT, Solidaires et FSU, poursuivaient leur bataille contre l’austérité dans la fonction publique lancée le 5 décembre. Mais leur mobilisation venait en renforcer une autre, plus inhabituelle et prévue de longue date : la lutte contre la multiplication des plans sociaux.
En effet, depuis plusieurs mois, la CGT ne cesse d’alerter sur la saignée industrielle en cours. La liste des plans de licenciement ne cesse de s’allonger : Michelin, ArcelorMittal, Vencorex, Auchan, Euralis, Magnetti Marelli, Solvay Salindres… Partout en France, des piquets sont montés devant les entreprises, souvent tenus les jours de réunion avec la direction. « On ne pouvait pas regarder le rouleau compresseur nous écraser un par un et rester là à rien faire », affirme Jean-Paul Delescaut..
Licenciements de masse
Il est vrai que les chiffres sont glaçants. La CGT dénombre entre 128 250 et 200 330 emplois menacés ou supprimés depuis septembre 2023. Un mouvement qui s’accélère puisque plus de 120 plans de licenciement ont été comptés sur la période juillet-novembre 2024, dont 89 sur la seule période septembre-novembre.
Les principaux secteurs concernés sont la métallurgie (13 000 emplois directs supprimés ou menacés), le commerce (10 000 emplois directs supprimés) ou encore le secteur public et associatif avec plus de 7 000 emplois supprimés. Pourquoi un tel marasme ?
« Il n’y a qu’à regarder, dans l’automobile. L’UE annonce la fin de la vente de moteurs thermiques en 2035. C’est demain ! Pourtant, aucun scénario n’est mis en place pour anticiper l’évolution de la filière alors que des centaines de milliers d’emplois sont concernés en France dans la métallurgie, le textile, la chimie, les industries du verre… La raison de ces plans sociaux massifs, c’est qu’on n’a aucune politique nationale pour répondre aux décisions des entreprises, qui ne pensent qu’aux profits de leurs actionnaires », dénonce Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Une mobilisation pensée d’en haut
C’est de là que née l’idée d’une mobilisation nationale. « Lors d’un au comité confédéral national (CCN) de novembre, nous sommes sortis avec cette date du 12 décembre. C’est une décision clairement prise d’en haut mais néanmoins attendue par les salariés. Si on ne dynamise pas les luttes pour sauvegarder l’emploi alors on sert à quoi ? », retrace Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Ainsi, ce 12 décembre, la CGT a recensé plus de 132 actions sur tout le territoire. Chiffre qui comprend une vingtaine d’assemblées générales de cheminots, également en grève ce jour-là. Des manifestations ont eu lieu devant les entreprises où des emplois sont menacés comme à la Fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan), Valeo/Soluroad à Amiens, Thales Alenia Space à Toulouse. Sud-Industrie était également mobilisé sur son usine Valéo de Saint-Quentin-Fallavier, mise en vente par le groupe. Des rassemblements ont été organisés devant les préfectures et quelques manifestations se sont déroulées en ville, comme à Lille. Au total, 73 départements sont concernés par des mouvements.
Pour autant, on reste loin d’un « décembre rouge », tel que souhaité par la centrale syndicale. De fait, dans la manifestation lilloise, les salariés directement touchés par les plans de licenciement, comme ArcelorMittal à Denain, sont rares à s’être déplacés. Onze salariés d’ArcelorMittal Dunkerque, pour la plupart des élus CGT, ont en revanche fait le déplacement et tiennent la banderole de tête. Leur secrétaire général, Gaëtan Lecocq, s’attend à ce que son groupe, déjà touché par 136 suppressions de poste, réduise encore ses effectifs dans le futur, et prétend bien alerter. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera », estime-t-il.
Plus loin dans la manifestation, Mathias, postier sur le centre de tri de Lesquin (59), alerte également sur le plan de licenciement discret, mais néanmoins massif, récemment mis en place à La Poste. « Environ 20 000 intérimaires sont actuellement laissés sur le carreau. On pense que la direction veut encore augmenter ses marges en augmentant la charge de travail et en rognant sur les effectifs », raconte-t-il.
Le plan de la CGT ?
Pour empêcher l’hémorragie d’emploi, la CGT demande avant tout une mesure d’urgence : un moratoire permettant de mettre un coup d’arrêt à tous les licenciements, dans l’attente de l’organisation d’assises de l’industrie. Dans l’idéal, ces assises donneraient lieu à une grande loi de réindustrialisation prenant en compte des objectifs en termes d’emploi, d’écologie, mais aussi de réduction du libre échange. « Nous travaillons avec des députés du NFP sur cette loi. Mais nous souhaitons aussi revenir sur des lois déjà actées comme la loi Florange », confie Sébastien Menesplier. Cette dernière impose actuellement la recherche d’un repreneur aux entreprises de plus de 1000 salariés, la CGT souhaite abaisser ce seuil à 50 salariés.
« Il faut que l’Etat assume son rôle de pilote dans le processus de réindustrialisation et ne laisse pas les patrons faire. C’est aussi pour cela que nous alertons sur l’argent public inconsidérément versé aux entreprises, sans contrôle, sans contrainte. Ce sont souvent ces mêmes entreprises qui licencient », dénonce le membre du bureau confédéral de la CGT. « On pense qu’il y a aussi de la place pour des nationalisations. En Italie, l’Etat a mis 1 milliard d’euro sur la table pour nationaliser l’ancienne aciérie Ilva », ajoute Gaëtan Lecocq d’ArcelorMittal Dunkerque.
Sébastien Menesplier ajoute : « Mais pour que nos revendications aboutissent, encore faut-il que le rapport de force soit en notre faveur. Or changer de gouvernement sans cesse, ça ne nous aide pas. Depuis des mois, on avance de trois pas pour reculer de sept… » Quant à se passer de l’Etat pour négocier ? « Ce serait possible si les investisseurs acceptaient de reprendre des usines sans apport d’argent public, or c’est de moins en moins le cas. Et pour ce qui est de la reprise en coopérative par les salariés, nous y sommes favorables mais c’est un processus très long et qui peut prendre 6 à 8 ans pour les reconversions », poursuit Sébastien Menesplier. Pour le cégétiste, une prochaine date de mobilisation contre les suppressions d’emploi pourrait être envisagée d’ici les mois de janvier ou de février.
Léa Darnay sur www.humanite.fr
Les salariés de l’Agco s’organisent contre les plans de licenciements annoncés par la direction. L’équipementier agricole prévoit la suppression de 133 postes sur l’ensemble du site beauvaisien alors qu’il a perçu de faramineuses aides publiques.
« Non aux 103 licenciements » est inscrit sur une banderole à l’entrée du constructeur d’engins agricoles Massey Ferguson. À côté, sur le pont Blaise-Pascal enjambant l’impressionnant site Agco de 54 hectares, des croix funéraires et des silhouettes recouvrent les barrières. Ce mardi 3 décembre, les salariés sont sortis en nombre pour contester le plan social d’ampleur annoncé par la direction du groupe Agco le 7 octobre dernier. « 103 croix symbolisant les 103 licenciements », commente Thierry Aury, conseiller municipal PCF de Beauvais, soutien de la première heure.
Ces décorations sont venues s’ajouter aux croix et palettes disposées par les 30 salariés du week-end de la Gima – équipementier agricole, dont Agco est le principal client et actionnaire – également victimes d’un plan social et économique depuis mai 2024. Au total, ce sont près de 2 000 personnes qui travaillent en cumulé sur ces deux sites appartenant à la multinationale américaine.
« Où est passé l’argent public ? »
Les racines du scandale remontent à 2019. Après avoir racheté la friche Froneri (anciennement Nestlé) pour étendre sa production, le PDG d’Agco commandite la construction d’un pont pour relier ses deux usines alors séparées par l’Avenue Blaise-Pascal. Le tout aux frais du contribuable. Ce ne sont pas moins de 13 millions d’argent public dont 6 millions de l’État qui financent la construction de l’ouvrage. En contrepartie, l’accord était la création d’emplois. Or, moins d’un an après la formidable inauguration le 15 décembre 2023, ce sont deux plans de licenciements annoncés, « sans compter des centaines de fins de contrats d’intérimaires ou de prestataires », insiste Thierry Aury.
Installés depuis mai dans une petite cabane de fortune construite devant le site pour mener la riposte, les salariés de la Gima rejoints petit à petit par leurs collègues de Massey Fergusson se demandent où est passé cet argent public. « Sans doute dans les poches des actionnaires », suppose un salarié en grève. « Ce n’est pas le pont Pascal-Blaise, mais le pont de l’Agco », ironise un autre.
Alors que des bouchons commencent à se former sur l’axe, Laurent Dormard, délégué syndical CGT de la Gima, s’interroge : « Si le pont servait à tous les Beauvaisiens, pourquoi le PDG a prononcé un discours lors de l’inauguration et donné des petits drapeaux avec le logo de l’Agco à tous les salariés pour qu’ils les agitent ? De plus, que les gens traversent une route ou un pont, ça ne change rien pour eux, il y a autant de bouchons qu’avant. En revanche, ils ont subi des travaux et déviations de route éprouvant durant deux ans. » Tandis que des conducteurs klaxonnent pour affirmer leur soutien, le syndicaliste regrette « le manque de reconnaissance consternant de la direction ».
« La promesse n’est certainement pas tenue »
L’incompréhension est totale pour les salariés. Si Thierry Lhotte, président de l’Agco France, assure « avoir créé des emplois » dans « l’Observateur de Beauvais », Laurent Dormard rectifie le tir : « Si on fait la soustraction, on est en déficit. Depuis un an, il se déroule des PSE déguisés : plus de 70 collègues prestataires, certains avec lesquels nous travaillons depuis des années, n’ont pas été renouvelés. Il faut ajouter les centaines d’intérimaires mis à la porte. En prime, les deux PSE annoncés. La promesse n’est certainement pas tenue. »
Thierry Lhotte affirme agir « dans un plan de réorganisation mondial au sein du groupe » visant à supprimer 6 % de son effectif sur l’ensemble de ses sites, sur fond « de crise agricole ». Pourtant, 2022 et 2023 furent des chiffres record pour la multinationale sur le site beauvaisien. « Aujourd’hui, on est revenu à la production de volumes qu’on faisait antérieurement à ces années record, détaille le délégué cégétiste. Néanmoins à l’époque, avec les mêmes volumes, on était autant. »
Une délocalisation dissimulée au profit des actionnaires
Pour les salariés, l’explication est ailleurs. Anthony, ingénieur au bureau d’études et militant CGT, accuse la volonté de « délocalisation dissimulée de la direction ». « Ils utilisent le terme offshoring pour rendre le processus plus acceptable, dénonce-t-il, mais ils nous ont clairement dit qu’un rétroviseur dessiné en Inde était moins cher que le même modèle dessiné en France. » Sur la centaine de postes supprimés annoncés, une grande partie concerne le bureau d’études regroupant environ 200 salariés. « On a le sentiment que les ingénieurs connaissent aujourd’hui le scénario vécu par les ouvriers dans les années 1980 », soupire l’ingénieur avant de dénoncer « la trahison dans le contrat social qui promettait du travail aux bac plus 2 ou 5 ».
La mobilisation et la solidarité sont compliquées au sein des entreprises. Si les 30 salariés du week-end de la Gima sont en grève depuis l’annonce du PSE, le soutien de leurs collègues de la semaine reste infime. Pour cause, « la direction affiche une pression énorme sur nos collègues », explique Laurent Dormard. « Ils les ont menacés avec les augmentations individuelles annuelles », accuse-t-il. Les élus de l’opposition dans l’Oise, menés par Thierry Aury, ont alors adressé une lettre au préfet, dans laquelle ils l’appellent « à ne pas homologuer le PSE de Gima » dans un premier lieu « unanimement rejeté par les délégués du personnel ». Ce plan « est une façon de nous pousser gentiment à la porte, se désole un salarié. Avec vingt-six ans de boîte, ils me proposent le minimum, soit 27 000 euros, c’est inhumain alors que j’ai trois enfants ».
Du côté du bureau d’études, le détail des postes touchés par le plan social reste encore inconnu. « La direction entretient ce flou volontairement, dénonce Anthony, les collègues ont peur d’être par la suite dans le viseur direct du PSE s’ils se mettent en grève. » Un collectif de salariés s’est alors formé pour contrer la décision unilatérale de la direction. Après l’action de décoration « du pont de l’Agco » effectuée le 3 décembre, le directeur a annoncé revoir le nombre de licenciés à la baisse, en passant à 94 licenciements. Toujours « inacceptable » pour les ingénieurs.
« Nous avons en face de nous un patronat décomplexé »
Avec l’aide des grévistes de la Gima, une réunion est organisée à l’union locale CGT de Beauvais, en présence de représentants de la fédération de la métallurgie. Éric Moulin, juriste pour la fédération, épluche le document du plan social, dans une atmosphère aussi froide que la salle dont le chauffage a lâché. Le juriste alerte sur un document « imbuvable et bourré d’incohérences à se demander si cela est fait exprès pour léser les salariés ». Des modalités tellement abstraites qu’elles ne permettent même pas aux salariés de se projeter dans le plan. « C’est comme si tu achetais une maison sans la visiter », ironise un ingénieur.
Frédéric Sanchez, secrétaire générale de la fédération de la métallurgie CGT, insiste auprès des travailleurs pour aller chercher le soutien de leurs collègues de production : « Lorsqu’on supprime et délocalise la recherche et le développement, la production suit généralement très vite le même chemin. » Le cégétiste accuse « un patronat décomplexé », auquel il est impératif « d’imposer un rapport de force construit ». Face « au monologue social de la direction », le collectif s’organise dans l’objectif commun « d’annuler tout simplement ce PSE ».
Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr
Auchan, Leroy Merlin, Chaussexpo... À l’occasion de la journée de mobilisation contre la vague de suppressions d’emplois, Mediapart dresse le portrait de syndicalistes du Nord qui se battent contre les licenciements dans ce secteur particulièrement malmené.
Lille (Nord).– Partout dans le pays, des entreprises ferment, licencient ou remercient leurs salarié·es de différentes manières. Les acronymes qui accompagnent cette casse sociale sont divers. Il y a les « PSE », pour plans de sauvegarde de l’emploi, qui sont en réalité des plans de licenciements, les « RCC », pour ruptures conventionnelles collectives, ou encore la « GEPP », pour gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise, qui permet de pousser les salarié·es hors des effectifs.
Si le secteur industriel est sur le devant de la scène, avec les fermetures médiatiques des usines de Michelin ou celles d’ArcelorMittal, le secteur du commerce n’est pas en reste. À l’occasion de la journée de mobilisation appelée par la CGT et Sud Solidaires en défense des quelque 300 000 emplois menacés que les syndicats ont recensé, et qui a donné lieu à des manifestations un peu partout en France, Mediapart dresse le portrait de syndicalistes du Nord qui se battent contre ces menaces, dans le secteur du commerce.
Fabien, en pleine négociation du plan de licenciements chez Auchan
Ces dernières semaines, Fabien Alliata court de réunion en réunion. Délégué syndical CFDT des services centraux France d’Auchan depuis dix-huit ans, il fait actuellement face au plus important plan de licenciements qu’il ait connu depuis son entrée dans le groupe, en 1990. En tout, 2 389 suppressions de postes et la fermeture d’une dizaine de magasins.
Les jours qui ont suivi l’annonce du plan, des magasins ont été envahis de salarié·es en colère, parfois accompagné·es de clients déçus, comme à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Selon Sophie Serra, déléguée syndicale centrale CGT à Auchan, récemment invitée sur le plateau de Mediapart, « aucun magasin ne sera épargné, il va y avoir des licenciements partout ».
Et puis il y a la casse sociale moins visible, celle des services centraux. Fabien Alliata est responsable de l’activité informatique au siège social de l’entreprise, qui se situe en banlieue de Lille. Dans les services centraux France, où il exerce, 461 postes sur 2 400 seront supprimés. D’autres emplois sont aussi concernés dans les services centraux internationaux, ainsi que dans le service des achats internationaux. En tout, rien qu’au siège, 784 postes devraient disparaître. « Et encore, ces chiffres ne disent pas tout, souligne le syndicaliste. Par exemple, en informatique, on ne compte pas tous les prestataires externes avec qui on ne travaillera plus. »
Pour Fabien Alliata, le projet est clair : Auchan souhaite mutualiser les entités qui composent son siège social pour licencier le plus possible. « Ceux qui sont poussés à la porte sont des commerciaux, des cadres, des informaticiens… Les managers de catégorie achat passent de trente à trois. »
« Depuis le début des années 2000, la situation d’Auchan ne cesse de se dégrader », constate-t-il. Dans la bouche du cadre, les raisons qui ont mené l’entreprise dans cette impasse s’entrechoquent. D’abord, le manque d’anticipation. « Auchan, c’est de gros hypermarchés. Sauf que ce modèle ne fonctionne plus. Les gens ne veulent plus passer des heures dans un très grand magasin bruyant. Et ça, Auchan a trop tardé à le comprendre. »
Ensuite, l’instabilité : « On a eu des changements de direction tous les deux-trois ans. Un canard sans tête qui court dans tous les sens. » Au premier semestre 2024, l’entreprise a accusé une perte de un milliard d’euros, provoquée par une chute de 5 % de ses ventes, au profit de ses concurrents à bas pris, comme Lidl, Aldi, Leclerc et Intermarché.
Plutôt que de regarder dans le rétroviseur, le militant CFDT tente de se tourner vers le futur de l’entreprise… et surtout de sauver les meubles. « Nous sommes en pleine négociation sur les mesures d’accompagnement. On réclame des reclassements dans le reste de la galaxie Mulliez, mais eux nous assurent que ce n’est pas un groupe. C’est vrai au niveau juridique, mais à la fin les actionnaires sont les mêmes : la famille Mulliez. »
« Ils pourraient tout à fait décider de reclasser certains licenciés d’Auchan dans d’autres structures qui leur appartiennent », maintient le syndicaliste. D’autant plus que cela a déjà été fait dans le passé. Et qu’une autre enseigne phare des Mulliez, Decathlon, a annoncé faire remonter à la holding familiale plus de un milliard de dividendes rien que sur l’année 2024.
Imane, Geoffrey et Julien, militants CGT de Leroy Merlin
Leroy Merlin, comme Weldom, Saint Maclou ou encore Bricocenter, appartiennent au groupe Adeo, qui fait aussi partie de la galaxie Mulliez. Pour 2023, le groupe a annoncé un bénéfice total de 1,143 milliard d’euros, dont un quart provenait de l’activité du groupe en Russie. Leroy Merlin a fini par se retirer du pays. Malgré cela, l’enseigne phare des Mulliez continue de faire progresser son chiffre d’affaires, de 1,3 % en 2023 pour atteindre 9,8 milliards. Cela ne l’a pas empêchée de réduire la masse salariale.
Au siège de Leroy Merlin, à Lezennes, dans la banlieue de Lille, c’est environ 225 salarié·es qui sont poussé·es vers la sortie, dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective. Nos nombreuses tentatives pour échanger avec des employé·es du siège se sont toutes heurtées à un mur du silence.
« C’est l’omerta totale dans notre entreprise. S’exprimer, quand il s’agit de remettre en cause les choix de l’entreprise, peut coûter cher », lâche Julien Gourguechon, conseiller de vente en peinture dans un magasin d’Amiens. S’il plante le décor ainsi, c’est parce qu’il est protégé par son mandat syndical, celui de responsable syndical central (CGT) de l’entreprise.
Pour Imane Haddach, déléguée syndicale centrale CGT de l’enseigne, les négociations autour de cette rupture conventionnelle collective se sont faites dans la précipitation : « On nous a annoncé la nouvelle en juin. La négociation s’est menée en période estivale, très rapidement et directement avec les élus du siège, sans consulter les organisations représentatives au niveau national. »
Selon elle, la volonté de la direction est de réduire au maximum la masse salariale. Et par tous les moyens. Au-delà de la RCC du siège, un accord de GEPP a été proposé aux comptables des magasins. « Leur métier a disparu puisqu’il a été centralisé au siège, poursuit-elle. En tout, cela concernait 190 personnes sur l’année 2024. Quelques-unes ont été reclassées, soit au siège, soit dans la logistique, le commerce ou derrière les caisses. Mais la plupart ont dû quitter les effectifs. C’est un PSE détourné et pas assumé. »
On allait au boulot avec l’inquiétude. On voyait bien que l’inflation prenait les gens au cou, qu’ils achetaient moins de chaussures. Francis Vanden Borre, ex-ouvrier chez Chaussexpo
Dans le magasin Leroy Merlin de Lesquin, près de Lille, la comptable qui travaillait depuis plusieurs années a été envoyée au siège. Après le départ de sa collègue, Geoffrey Leroy, délégué syndical du magasin, a constaté que « certaines tâches de facturation sont retombées sur des collègues du service après-vente, ou de la sécurité ».
« En plus de la RCC au siège, de la GEPP pour les comptables, la masse salariale est toujours amoindrie par le fait qu’on enregistre un turn-over énorme chez Leroy Merlin, de presque 18 %, ajoute Imane Haddach. Tous ceux qui partent ne sont pas forcément remplacés. »
« Pour eux, le plus important c’est de faire de bons résultats opérationnels pour verser le plus de dividendes possible, décrit Julien Gourguechon. S’ils n’arrivent pas à obtenir ces résultats par une expansion du chiffre d’affaires, ils les obtiendront en faisant des économies, de structure et en frais du personnel. Tant pis s’ils doivent licencier. »
Une analyse qu’il appuie sur les derniers chiffres communiqués : « Au 31 décembre 2023, Leroy Merlin a fait remonter à Adeo 320 millions d’euros de dividendes. Le groupe Adeo, dans le même temps, a versé 900 millions d’euros de dividendes à son actionnaire principal, les Mulliez. »
À 60 ans, Francis licencié après la liquidation de Chaussexpo
Le dos et les épaules abîmés par plusieurs décennies de travail physique, d’abord en tant qu’ouvrier agricole et chaudronnier, puis comme ouvrier de la logistique, Francis Vanden Borre retrouve ces jours-ci les bancs de l’école. Après avoir été licencié par Chaussexpo, enseigne du Nord qui a été liquidée en mars 2024, le sexagénaire a été envoyé en formation. Il passe une habilitation de cariste pour trouver un nouvel emploi dans la logistique.
« J’ai commencé à travailler à 19 ans, mais vu les décisions des derniers gouvernements, j’ai encore quelques années à travailler avant la retraite. Les métiers de la logistique sont très difficiles, c’est physique pour un sexagénaire comme moi mais je n’ai pas le choix. Je ne vais pas changer de métier maintenant. »
Avant cela, il s’est battu bec et ongles pour que son entreprise ne périclite pas. Entré dans les effectifs en 1987, il a connu toutes les mésaventures de l’entreprise. La marque, qui vendait des chaussures à bas prix dans tout le pays, a mis la clef sous la porte après deux importants plans de licenciements, en 2017 et en 2018, et après une procédure de redressement judiciaire qui a couru sur dix ans. En mars 2024, Chaussea a repris 71 des 177 magasins, et seulement 239 salarié·es sur 750.
« Après le covid, on a connu catastrophe sur catastrophe, raconte l’ancien délégué syndical CFDT. Les prix des matières premières, du transport et de l’électricité ont flambé. On a enregistré de grosses pertes au niveau financier. L’entreprise a dû commettre des erreurs dans sa stratégie, mais on tenait tous à Chaussexpo. On n’a pas réussi à la sauver. »
Depuis le premier plan de licenciements de 2017, actant la fermeture de 29 magasins et le licenciement de 80 personnes, les salarié·es ont toujours travaillé dans l’appréhension, assure Francis Vanden Borre : « On allait au boulot avec l’inquiétude. On voyait bien que l’inflation prenait les gens au cou, qu’ils achetaient moins de chaussures. En même temps, autour de nous, on voyait les magasins d’habillement et de chaussures fermer les uns après les autres, et puis ça a été notre tour. »
Dans le Nord, la litanie des suppressions d’emplois dans le commerce a en effet pris plusieurs visages en 2024. Ainsi, l’enseigne de prêt-à-porter Pimkie, mise en vente par la famille Mulliez en 2022 et rachetée par un consortium mené par Lee Cooper, Amoniss et Ibisler Tekstil, a fermé 36 magasins, sacrifiant 197 emplois dans les boutiques et 42 au siège à Villeneuve-d’Ascq.
L’enseigne Des marques et vous, qui propose habits et chaussures bradés, a aussi été placée en liquidation judiciaire en mai. L’entreprise a finalement trouvé un repreneur en fin d’année. Sur les 34 boutiques, un tiers fermera définitivement.
Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
Au total, 980 postes vont être supprimés à Thales Alenia Space et 540 emplois à Airbus Defence & Space. Leurs ingénieurs et techniciens manifestent, ce jeudi, à Toulouse à l’appel de la CGT.
On peut tutoyer les étoiles et voir le ciel tomber sur sa tête. Les salariés d’Airbus Defence & Space et de Thales Alenia Space (TAS) en ont fait l’amère expérience ces dernières semaines. Les directions des deux géants de l’aéronautique et du spatial ont, coup sur coup, annoncé des suppressions de postes visant leurs activités de fabrication de satellites.
Le plan « Proton » du premier fait sauter 2 043 postes, dont 540 en France. Le second vise à envoyer dans l’orbite d’autres filiales ou vers la retraite 980 personnes. Les travailleurs visés étant pour la grande majorité basés à Toulouse (424 à Airbus D & S ; 650 pour TAS), ils sont appelés par la CGT de Haute-Garonne à défiler, ce jeudi 12 décembre, dans la Ville rose, dans le cadre de la journée d’action pour l’emploi et l’industrie.
Sur le dos du personnel plutôt que sur les confortables bénéfices
Pour tenter d’amoindrir la facture sociale, les deux groupes ont annoncé des redéploiements et départs volontaires. Mais, dans les deux cas, ces coupes claires visent à « rationaliser l’organisation pour améliorer la compétitivité à l’avenir », comme l’explique la communication d’Airbus.
Ou, comme l’affirme à l’Humanité son homologue de TAS (1,02 milliard de bénéfices en 2023), « la direction a jugé utile de diminuer la voilure pour produire des satellites plus compétitifs et restaurer une croissance pérenne. En nous adressant aux marchés futurs, nous souhaitons assurer un haut niveau de profitabilité ».
Si les activités spatiales des deux groupes ne sont pas au diapason des autres activités de ces deux mastodontes (- 1,6 milliard d’euros pour Airbus D & S et – 45 millions d’euros pour TAS en 2023), les syndicats CGT des deux branches dénoncent la décision des directions de réaliser des plans d’économie sur les personnels plutôt que de puiser dans les confortables bénéfices de 2023 (3,789 milliards d’euros pour Airbus ; 1,02 milliard pour Thalès).
« Airbus et Thales sont de plus en plus financiarisés. La seule logique est la recherche de profitabilité à court terme à tout prix. Au contraire, l’enjeu d’une industrie comme le spatial devrait être d’investir sur le long terme, avec davantage d’implication de l’État, qui est à la fois actionnaire et client », plaide Camille Marcenat, élue CGT au CSE central d’Airbus.
Son homologue de TAS, Thomas Meynadier, objecte, expertises à l’appui, que « le plan de la direction n’a aucune assise industrielle. Le marché du spatial n’est pas en train de s’effondrer. Les satellites télécoms vont même connaître une croissance de + 33 % entre 2023 et 2028. Quant au plan de charge prévisionnel communiqué par la direction, il montre que la quantité de travail va occuper tous les effectifs, sans même prendre en compte le programme Iris² (constellation européenne de 300 satellites d’ici à 2030 – NDLR) qui nécessitera 250 personnes l’an prochain et 500 en 2026. Au lieu de supprimer des postes, TAS devrait plutôt embaucher » !
Pour ces représentants du personnel, un acteur pourrait illuminer le sombre horizon de ces activités satellites. Actionnaire de Thales et d’Airbus, l’État a les commandes en main pour éviter que les tâches effectuées dans des sites français ne soient délocalisées.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Ce 12 décembre, les salariés étaient appelés par la CGT, la FSU et Solidaires à battre le pavé alors qu’une vague de licenciements déferle sur le pays. Organisations syndicales et politiques de gauche réclament des mesures immédiates pour éteindre l’incendie.
« Face au chômage, on a tout essayé », assénait le président François Mitterrand, en 1993, dans un entretien passé depuis à la postérité, comme pour mieux renvoyer ses opposants dans le camp des idéalistes échevelés. Et face à la casse sociale, alors ? Tandis qu’une vague de licenciements et de fermetures d’usines déferle sur le pays, syndicats et partis de gauche tentent d’organiser la contre-offensive, face à un pouvoir politique résolu à l’impuissance.
Ce 12 décembre, la CGT et Solidaires, ainsi que la FSU dans le public, appellent les salariés à battre le pavé. Et dans les directions confédérales comme les états-majors politiques, on phosphore pour trouver des solutions d’urgence (crédibles) face à la crise. Passage en revue.
Un moratoire face à la casse sociale
Michelin, Auchan, Valeo… face aux grands groupes souvent profitables qui enchaînent les plans de licenciement, les salariés se sentent bien seuls. Pour sortir de l’impasse, la CGT préconise dans un premier temps l’instauration d’un moratoire sur les licenciements économiques, dans le cadre d’un renforcement de la loi Florange.
Pour mémoire, ce texte, voté en 2014 à la suite d’une promesse formulée un peu hâtivement par le candidat socialiste François Hollande, juché sur une camionnette face aux ouvriers de Florange, contraint un groupe qui veut fermer un site à chercher un repreneur, sous peine de voir le plan « social » retoqué par l’administration. Deux failles subsistent : les entreprises n’ont qu’une obligation de moyen, pas de résultat ; seules celles de plus de 1 000 salariés sont concernées.
La CGT veut abaisser ce seuil à 50 salariés. Dans le même temps, elle exige l’interdiction de « toute réduction d’effectif pendant toute la durée du processus » de recherche. Les entreprises à cours de trésorerie pourraient faire appel au chômage partiel sans perte de salaire pour les travailleurs.
La guerre aux licenciements boursiers
Le 3 décembre, le Parti communiste français (PCF) et la France insoumise (FI) ont déposé chacun une proposition de loi (PPL) visant à interdire les licenciements réalisés par des groupes engrangeant des bénéfices. « Actuellement, quand un licenciement économique est prononcé, le Code du travail retient quatre motifs, rappelle Julien Icard, professeur de droit social : les mutations technologiques, la cessation totale d’activité, les difficultés économiques et la réorganisation pour sauvegarde de la compétitivité. Ce sont souvent ces deux derniers motifs qui sont invoqués. » Précision capitale : le juge ne peut examiner la réalité et le sérieux du motif que si les salariés, déjà licenciés, saisissent les prud’hommes.
La PPL communiste déclare « sans cause réelle et sérieuse tout licenciement économique décidé par une entreprise qui a réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation positif au cours des deux années précédentes, a distribué des dividendes ou procédé à une opération de rachat d’actions ». Des entreprises comme Michelin ou Valeo sont directement visées. Au passage, les motifs de licenciement sont restreints par le texte : les problèmes de compétitivité ou les mutations technologiques ne sont plus retenus. La PPL insoumise se concentre pour sa part sur les entreprises ayant distribué des dividendes au cours de l’année écoulée.
Rien de farfelu sur le plan juridique, selon Julien Icard, qui rappelle toutefois que le principal écueil de ce type de proposition est de se voir censurée par le Conseil constitutionnel, au nom de la sacro-sainte liberté d’entreprendre : « Si les « sages » estiment que la loi accorde au juge un pouvoir de contrôle trop étendu sur la gestion de l’entreprise, ils censureront. » Les juristes que nous avons interrogés estiment que les PPL auraient de bonnes chances d’échapper à une censure, mais que rien n’est jamais garanti, tout étant affaire d’interprétation.
Dans sa PPL, le PCF s’attaque également au périmètre d’analyse des difficultés économiques. « En 2017, on a restreint l’appréciation du motif économique au territoire national, explicite Pascal Lokiec, professeur de droit. C’est un point crucial, car cela permet à des groupes internationaux prospères de licencier dans l’Hexagone dès que leur filiale française perd de l’argent. » Et il n’y a rien de plus facile pour une multinationale que « d’organiser » les difficultés de ladite filiale…
La chasse aux aides publiques
Ces dernières semaines, des multinationales comme Michelin, Auchan ou Valeo, abreuvées de Cice (crédit impôt compétitivité) ou de CIR (crédit impôt recherche), ont défrayé la chronique. Mais il n’existe pas grand-chose dans le droit pour contraindre des groupes qui licencient à rendre des comptes.
Dans un rapport d’enquête parlementaire de 2021, les députés notaient déjà que les aides publiques ne sont jamais « conditionnées à l’interdiction de licencier, même lorsqu’elles portent dans le domaine social (aide à l’emploi, à l’apprentissage, formation) ». En droit français, il n’existe guère qu’une exception : l’article 1er de la loi Florange autorise les collectivités locales à demander le remboursement des aides à une entreprise qui ne jouerait pas le jeu de la recherche de repreneur. Seules les subventions accordées au cours des deux années précédentes sont visées.
La CGT réclame de passer aux cinq dernières années pour le remboursement, en cas de fermeture. De son côté, la CFDT veut « rendre transparente l’attribution de l’ensemble des aides publiques, suivre et évaluer leur utilisation, notamment par un avis conforme du CSE », mais aussi « exiger leur remboursement si l’entreprise en restructuration réalise des bénéfices ». Reste encore à déterminer le périmètre des aides ciblées. Et de rédiger une proposition de loi en ce sens.
L’État à la rescousse
Lorsqu’un grand groupe décide de fermer un site industriel, l’État a tout à fait le droit d’exiger sa nationalisation temporaire, le temps de trouver un repreneur par exemple, à condition d’indemniser le propriétaire. Mais, en pratique, les gouvernements rechignent à utiliser cette arme, essentiellement pour des raisons idéologiques. Face à l’actuelle vague de désindustrialisation, la CGT exhorte l’État à « se positionner en garant de l’avenir de notre patrimoine industriel » : entrée au capital, préemption des terrains et des outils de production, nationalisation.
Le syndicat prend l’exemple de l’usine chimique Vencorex (Isère), en redressement judiciaire, qu’un groupe chinois pourrait reprendre au prix d’une énorme casse sociale. La CGT estime que le géant français Arkema, l’un des principaux clients de Vencorex, devrait intervenir. Problème : la direction tricolore nous confirme qu’elle n’a aucune intention, pour l’heure, de racheter le site. « L’État est actionnaire d’Arkema, par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement, rappelle Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral de la CGT. C’est à lui de taper du poing sur la table pour que le groupe prenne ses responsabilités. »
Un droit de veto pour les élus du personnel
La CGT, tout comme Solidaires, réclame de longue date l’instauration d’un droit de veto pour les CSE en cas de restructuration. Une revendication vue d’un très bon œil par le politiste Guillaume Gourgues, qui estime que cela permettrait de redonner du pouvoir à des salariés aujourd’hui placés devant le fait accompli. Le chercheur rappelle qu’il fut un temps où l’État mettait directement les mains dans le cambouis. « Entre 1975 et 1986 existait l’autorisation administrative de licenciement, rappelle-t-il. Ce sont les inspecteurs du travail qui avaient pour mission de contrôler le motif économique avancé par les directions. »
Mais, selon ses recherches, les taux d’autorisation tournaient en pratique entre 90 % et 95 % : peu outillés pour analyser des comptes d’entreprise et accaparés par de nombreuses autres missions, les inspecteurs se sont retrouvés noyés sous la masse. « Le modèle de l’autorisation administrative du licenciement relevait d’une lubie bureaucratique, résume le chercheur. Il me semble beaucoup plus intéressant d’accorder des droits de veto aux salariés, au niveau de l’entreprise. Cela revient à repolitiser la question des licenciements : il en va de la répartition du pouvoir dans l’entreprise. »
mise en ligne le 11 décembre 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
La CGT et Sud Rail maintiennent leur préavis de grève reconductible à partir de ce mercredi soir, contre le démantèlement du Fret et contre le dumping social dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du TER. L’Unsa et la CFDT ne sont plus de la partie après avoir signé deux accords sociaux, le 6 décembre, avec la direction de la SNCF. Décryptage.
Les cheminots seront en grève à partir de ce mercredi 11 décembre au soir, dans le cadre d’un préavis de reconductible déposé par la CGT et Sud Rail. Après une première journée de grève le 21 novembre menée par l’intersyndicale CGT, Unsa, Sud, CFDT, l’unité syndicale n’est plus. L’Unsa et la CFDT ont retiré, vendredi 6 décembre, leurs propres appels à la grève reconductible à partir du 11.
C’est que les deux fédérations ont signé ce jour-là deux accords sociaux, l’un concernant le démantèlement du Fret, l’autre concernant l’ouverture à la concurrence des TER. « Compte tenu de tous ces éléments, du fait qu’on est dans un contexte où il n’y a pas de gouvernement en face (…), il vaut mieux suspendre maintenant et voir comment la mise en place concrète de tout ça va se passer », a déclaré à l’AFP le secrétaire général de la CFDT Cheminots, Thomas Cavel. La suspension de l’appel à la grève du 11 intervient « en responsabilité, dans un contexte où l’absence de gouvernement amoindri la capacité de négociation », précise la fédération dans son communiqué.
La CFDT et l’Unsa ne sont pas les seules à avoir signé le premier accord, celui sur le Fret. L’ensemble des quatre fédérations l’a fait. Car cet accord « répond en partie aux revendications des salariés concernés : c’est-à-dire l’application pendant 36 mois de toutes les dispositions règlementaires » garantissant le maintien des droits sociaux, expose Julien Troccaz de Sud Rail. 36 mois, au lieu des 15 mois initialement prévus. Ces trois ans sont le maximum pouvant être obtenu dans le cadre d’un accord de transition – contexte dans lequel s’inscrit la liquidation de Fret SNCF, qui doit être supplanté par Hexafret et Technis à compter du 1er janvier 2025.
« On a également réussi à obtenir le maintien de l’accès aux activités sociales pour les cheminots du Fret », se félicite aussi Sébastien Mourgues, secrétaire fédéral à la CGT cheminots. « C’est-à-dire tout ce que propose le comité d’entreprise en matière de vacances, culture… Ce basculement n’était pas prévu par l’accord de transition ».
L’accord TER, « une fumisterie »
Le TER, lui, ne dépend pas d’un accord de transition : il s’inscrit dans le cadre de la loi sur l’ouverture à la concurrence de 2009. Et à l’inverse du Fret, l’accord social TER mis sur la table n’a pas du tout fait l’unanimité, le 6 décembre. Seules la CFDT et l’UNSA l’ont signé.
Cet accord prolonge à 24 mois, au lieu de 15, les dispositions règlementaires existantes pour les agents TER. « Une fumisterie, une arnaque », balaie Sébastien Mourgues. Pourquoi ? Parce qu’à la SNCF, les services de ces agents sont fixés annuellement. Les modifications de leurs horaires ou services ne peuvent être actées qu’en décembre de chaque année.
Les 15 mois initialement prévus se seraient terminés en plein milieu de l’année 2026 : trop tôt, donc, pour imposer des changements, puisqu’il faut de toute façon attendre décembre 2026. En déplaçant le curseur à 24 mois, la direction a donc juste opéré un « accostage calendaire » résume Julien Troccaz. « Le minimum aurait été de mettre sur la table ce qui a été fait pour les collègues de FRET. À savoir un maintien des accords pendant trois ans ».
Des velléités de grève SNCF disparates selon les métiers
Jeudi, près de 80 assemblées générale de cheminots sont prévues à travers le territoire, selon le recensement de Sud. « Être transféré vers des entreprises privées, c’est un choc. Rappelons que ce sont 80 PME du rail, toutes avec des objectifs de rentabilité, qui vont débarquer dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du TER », souligne Julien Troccaz. « Hors de question que tout cela se traduise par du dumping social. Donc on continue le combat ».
Les velléités de se mettre en grève apparaissent très disparates selon les métiers. En Languedoc-Roussillon par exemple, la CGT annonce pas moins de 75 % de grévistes parmi les conducteurs TER… Contre 15 % parmi les conducteurs TGV, moins directement concernés.
« Si l’on avait maintenu l’unité, cela aurait donné confiance aux salariés, surtout à quelques jours du début du préavis de grève reconductible. On ne comprend pas le choix de l’UNSA et de la CFDT. On est déçus », exprime le responsable de Sud Rail. Sollicitées, l’UNSA et la CFDT n’ont pas donné suite pour le moment à nos demandes d’interview.
« Maintenir une activité syndicale sans résignation »
Cette désunion syndicale, largement relayée dans les médias, « est un argument patronal pour dégonfler la mobilisation », soupire Sébastien Mourgues. Mais c’est aussi un état de fait : quand bien même l’UNSA et la CFDT sont des syndicats minoritaires, cette désunion « pèse, surtout dans la tête des cheminots qui ne sont pas syndiqués », admet le secrétaire fédéral CGT.
L’incertitude politique démobilise aussi. Sans nouveau gouvernement nommé, difficile de dégager des lignes directrices. Quel sera l’interlocuteur politique dans les prochaines semaines, période de transformation aussi cruciale que tendue au sein de la SNCF ? « On ne sait pas trop où l’on va », soupire Sébastien Mourgues. « Mais on va maintenir une activité syndicale sans résignation », martèle Julien Troccaz. « Le point positif, déjà, c’est que l’on a réussi à imposer le sujet du Fret et de l’ouverture à la concurrence dans le débat public ».
Le 4 décembre, lors de la dernière table ronde tripartite entre les syndicats, la direction de la SNCF et le ministre des Transports démissionnaire François Durovray, ce dernier a balayé la demande de moratoire des quatre fédérations. Sébastien Mourgues veut encore y croire, malgré le timing de plus en plus restreint. « On interpellera le nouveau ou la nouvelle ministre », promet le secrétaire fédéral CGT. « Ce moratoire sur le Fret, il suffit juste de l’annoncer et de mettre en place une série de négociations dans les prochains mois. Des propositions, on en a plein à mettre sur la table. »
mise en ligne le 9 décembre 2024
Communiqué de presse intersyndical sur https://www.cgt.fr/
signé : CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, Solidaires, FSU, UNSA
Après la censure par l’Assemblée Nationale du gouvernement de Michel Barnier, notre pays bascule une fois encore dans une période d’instabilité politique forte.
Nos organisations ont collectivement salué en juillet dernier le sursaut démocratique et républicain remarquable des citoyens et citoyennes. Elles regrettent aujourd’hui que les enjeux sociaux aient été remisés au second plan.
Les attentes des travailleuses et travailleurs que nos organisations portent chaque jour demeurent plus que jamais d’actualité. Il y a urgence à ce que leur parole soit entendue et mieux prise en compte. Il est impératif que des réponses concrètes soient apportées rapidement.
Ces attentes portent sur de nombreux sujets de préoccupations du quotidien : augmenter les salaires et améliorer le pouvoir d’achat des salariés, des agentes et agents publics et des retraité.e.s, avoir les moyens de bien faire son travail, gagner enfin une réelle égalité femmes-hommes au travail, abroger la réforme des retraites, préserver notre modèle social.
Alors que chaque jour, dans tous les secteurs d’activité, les annonces de suppressions d’emplois se succèdent, il est indispensable de construire collectivement de nouvelles réponses à court, moyen et long terme pour éviter les licenciements. Il est également absolument nécessaire de construire une véritable politique industrielle pour assurer la réindustrialisation du pays au service de l’indispensable transformation écologique permettant de relocaliser, pérenniser et développer des emplois de qualité.
L’ensemble de nos services publics doit être réellement accessible partout sur le territoire et faire l’objet d’investissements massifs.
La construction d’un budget de l’Etat et de la Sécurité sociale guidés par des mesures de justice sociale et fiscale est plus que jamais indispensable.
Pour répondre à ces exigences sociales, démocratie sociale et démocratie parlementaire doivent retrouver pleinement leur rôle, en bonne intelligence. Dans la période qui s’ouvre, la place et le rôle de la négociation collective doivent être renouvelés, renforcés et respectés.
Alors que ces derniers mois ont profondément clivé le pays, jusque dans les collectifs de travail, nos organisations syndicales poursuivent leurs travaux contre le racisme et l’antisémitisme, contre toutes les formes de discrimination sur l’ensemble des lieux de travail
Notre pays traverse une situation inédite. Au vu de la gravité de la crise économique, sociale, environnementale et démocratique, l’heure doit être à la responsabilité. Nos organisations appellent le chef de l’Etat et l’ensemble des acteurs à faire primer l’intérêt général sur leurs intérêts individuels ou partisans de court terme.
Nos organisations continueront à rester en contact étroit afin de prendre toutes les initiatives nécessaires pour gagner des améliorations qui changent concrètement le quotidien dans les conditions de vie et de travail des travailleuses et des travailleurs.
Paris, le 5 décembre 2024
mise en ligne le 4 décembre 2024
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
La Fédération CGT Commerce et Services a appelé à se rassembler, mercredi 4 décembre au matin, devant le magasin Auchan de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne). Alors que la famille Mulliez s’est versé un milliard de dividendes via Décathlon tout en supprimant près de 2 400 emplois chez Auchan, le syndicat défend une proposition « de loi visant à imposer la traçabilité et la conditionnalité des aides publiques dont l’absence entraîne aujourd’hui des hémorragies sociales impunies ».
« Stop aux massacres sociaux, les entreprises doivent rendre des comptes ! » Un slogan qui a retenti dans les allées du magasin Auchan de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), à l’occasion d’une manifestation organisée, ce mercredi 4 décembre au matin, par la Fédération CGT Commerce et Services. Dès 9 h 30, ils ont été près de 200 salariés, principalement venus de la région parisienne mais aussi de Béziers, ou Clermont-Ferrand, à répondre à l’appel et à déambuler pacifiquement dans les allées du magasin, micro à la main, afin de dénoncer la violence du plan social qui s’abat sur l’enseigne.
Et pour cause. Alors même que Décathlon a versé un milliard d’euros de dividendes aux actionnaires de l’Association familiale Mulliez (AFM), Auchan, qui appartient au même empire (comprenant aussi Leroy Merlin, Kiabi, Flunch, Boulanger ou encore Norauto), a annoncé supprimer 2 389 emplois. Le tout alors que la fortune de la famille Mulliez s’élève à 52 milliards d’euros, comme l’a révélé l’Humanité. Tandis que les caisses du magasin de Fontenay sont bloquées par des salariés mobilisés et l’accès entravé par des charriots couchés au sol, ils sont nombreux à témoigner de leur situation. À l’instar de Carole, hôtesse de caisse depuis 28 ans et toujours au Smic, qui se bat pour dire non à ce plan social injuste.
Pour la Fédération CGT Commerce et Services, il s’agit de « dénoncer ces pratiques de voyou et d’exiger le maintien de tous les emplois », peut-on lire dans son communiqué publié mardi 3 octobre. « Grâce aux dispositifs légaux offerts par les gouvernements passés et actuels, agrémentés d’aides publiques généreuses, un même groupe peut, dans notre pays, rétribuer grassement des actionnaires et en même temps sacrifier les emplois », dénonce le syndicat.
Une loi pour conditionner les aides publiques
Le premier ministre, Michel Barnier, a lui-même dit vouloir « savoir » ce qu’Auchan et un autre groupe prévoyant des suppressions d’emplois, Michelin, « ont fait de l’argent public qu’on leur a donné ». Mais le gouvernement n’est pas pressé : le sujet est « encore en cours d’instruction », disait le cabinet du ministre de l’Économie Antoine Armand mi-novembre.
Face au scandale, les syndicats ne comptent pas rester l’arme au pied. La CFDT a ainsi appelé à la création d’une commission d’enquête « afin de pouvoir réellement comprendre à quoi l’argent public a été utilisé » par les différentes enseignes. De son côté, la Fédération CGT Commerce et Services a plaidé, mardi matin, pour une proposition « de loi visant à imposer la traçabilité et la conditionnalité des aides publiques dont l’absence entraîne aujourd’hui des hémorragies sociales impunies. Les entreprises doivent rendre des comptes sur l’usage de ces aides tout en garantissant le maintien des emplois ».
Un texte pour interdire les licenciements de masse et responsabiliser les entreprises que le député communiste Stéphane Peu, présent au rassemblement aux côtés d’autres élus dont son collègue insoumis Thomas Porte et le maire de Fontenay Jean-Philippe Gautrais, s’est engagé à relayer. Également sur place, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet a, pour sa part, défendu l’urgence d’un moratoire en France afin de stopper la vague de plans sociaux qui y sévit.
Pour l’heure, Auchan s’est contenté d’assurer que sa réduction d’impôts annuelle au titre du CICE, de 83 millions d’euros entre 2013 et 2018, avait été « intégralement utilisée pour les objectifs ciblés par ce dispositif », ajoutant avoir « payé 258 millions d’impôts et de taxes (hors taxes collectées : TVA, taxes sur les alcools, TICPE) et 607 millions d’euros de charges sociales pour la part patronale ».
De son côté, le président de l’enseigne Decathlon, Fabien Derville, a osé justifier le versement par cette société d’un milliard d’euros de dividendes à la famille Mulliez, en soulignant, dans un entretien paru mercredi dans La Voix du Nord, que l’objectif était « un usage plus créateur de valeur, pas de richesse ». « Le momentum n’était pas idéal au niveau médiatique », concède-t-il. Comme si le timing était le cœur du problème…
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
Decathlon va verser à son actionnaire, l’Association familiale Mulliez, un milliard d’euros de dividendes. Ce groupe détient aussi le distributeur Auchan, où près de 2 400 emplois sont menacés. La CFDT Decathlon appelle à une grève le 7 décembre.
Sébastien Chauvin, délégué syndical CFDT à Decathlon, où il travaille comme vendeur depuis dix-huit ans, ne décolère pas depuis l’annonce qui a été faite ce vendredi 29 novembre. Le groupe Decathlon s’apprête à verser un milliard d’euros de dividendes à l’Association familiale Mulliez (AFM), un de ses trois actionnaires principaux, alors que dans le même temps, Decathlon réduit ses effectifs et en demande toujours plus à ses salarié·es.
La direction de Decathlon a fait savoir à l’AFP que cette décision « s’inscrit dans une gestion équilibrée de l’entreprise ». Mais la somme reste difficile à digérer pour les syndicats. « Pas d’argent pour les négociations séniors, la mutuelle ou les NAO [négociations annuelles obligatoires – ndlr] », mais, dans le même temps, « les actionnaires familiaux ponctionnent un milliard d’euros de dividendes », a réagi sur sa page Facebook le premier syndicat, la CFTC.
La nouvelle est d’autant plus dissonante qu’une autre enseigne de la galaxie Mulliez, Auchan, a annoncé 2 389 suppressions d’emplois et la fermeture d’une dizaine de magasins et de trois entrepôts. La CFDT Decathlon appelle donc les 20 000 salarié·es de Decathlon en France à une grève le 7 décembre – fait rare dans l’histoire de l’enseigne, qui « cultive l’image d’une grande famille unie par la “passion du sport” », selon les sociologues Maxime Quijoux et Karel Yon. Sébastien Chauvin l’explique par le caractère exceptionnel de l’annonce et du contexte social.
Mediapart : Décathlon va verser un milliard d’euros de dividendes à un de ses trois actionnaires, l’Association familiale Mulliez. Comment réagissez-vous ?
Sébastien Chauvin : Cette somme est évidemment exorbitante. C’est plus que le résultat net que Decathlon a fait l’année dernière. C’est donc un peu plus d’un an de travail de l’ensemble des salariés de Decathlon dans le monde. C’est énorme, alors même qu’il y a des « profit warning » dans l’entreprise – c’est-à-dire des alertes quand on est en retard par rapport aux prévisions de rentabilité –, qu’on ferme les formations à cause de leur coût, et qu’on demande à tous les vendeurs de faire des efforts pour l’entreprise. Même si celle-ci se porte bien, on voit que c’est simplement pour enrichir des millionnaires.
Cette somme contraste avec l’année qui s’est écoulée pour les salarié·es de Decathlon ?
Sébastien Chauvin : Il y a eu mille emplois en moins – en équivalent temps complets – à Decathlon depuis le début de l’année. C’est l’équivalent de trois emplois à 35 heures par magasin. Cette baisse des effectifs est considérable depuis le début de l’année. Et nous parlons de salaires qui sont proches du Smic. Quelqu’un qui a entre dix et quinze ans d’ancienneté dans l’entreprise gagne 2 000 euros brut, et c’est 80 % des gens.
Au total, la casse sociale est colossale.
Comment interprétez-vous le fait que l’AFM se rémunère ainsi ?
Sébastien Chauvin : Cela sert à éponger les pertes de l’actionnaire chez Auchan. La galaxie Mulliez se refait sur le dos des salariés des enseignes du groupe de la galaxie Mulliez qui marchent bien. Cela peut paraître trivial, mais c’est ainsi : quand une entreprise les plombe, ils prennent davantage ailleurs. Au total, la casse sociale est colossale : au même moment où ils prennent 1 milliard d’euros à Decathlon, ils font des ruptures conventionnelles collectives à Leroy Merlin, ils suppriment 2 300 postes chez Auchan, et mille emplois à temps plein chez Decathlon.
À termes, craignez-vous pour l’enseigne Decathlon elle-même ?
Sébastien Chauvin : Pour l’instant, Decathlon marche bien en termes de rentabilité, mais on ferme des magasins, et on réduit leur surface. Il faut espérer que le marché du sport et du loisir tienne bon. Mais les choix stratégiques qui sont faits par la direction sont étonnants, voire discutables. Nous mettons en garde la direction et les salariés sur ces choix stratégiques, qui ont fait tant de dégâts chez Auchan.
Le groupe Decathlon a-t-il, comme Michelin, bénéficié d’aides publiques ?
Sébastien Chauvin : Tout à fait, et Decathlon n’a jamais répondu à nos demandes en CSE [comité social et économique] pour savoir comment était fléché l’argent issu du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). La CFDT demande donc l’ouverture d’une commission d’enquête afin de pouvoir réellement comprendre dans quoi l’argent public a été utilisé. À la base, cet argent public devait servir pour de l’embauche, de l’innovation, maintenir de l’emploi en France. Il a surtout servi à améliorer la rentabilité de ces entreprises, qui ne se sont pas privées de délocaliser. On a donné un chèque en blanc à des milliardaires.
Nos collègues d’Auchan, de Leroy Merlin et d’ailleurs se lèvent tous tôt, finissent tard et bossent le week-end. Et c’est sur eux qu’on vient taper dès qu’il faut faire un peu de rentabilité !
Vous appelez les 20 000 salarié·es de Decathlon à se mobiliser et à entrer en grève le samedi 7 décembre. Les grèves à Decathlon sont rares, car l’entreprise cultive l’image d’une grande famille unie par la « passion du sport ». Celle-ci sera-t-elle suivie ?
Sébastien Chauvin : La CFTC n’appelle pas à la grève, mais on a beaucoup de sympathisants, d’adhérents et d’élus CFTC qui vont soutenir notre mouvement. On fait grève parce que l’image de l’entreprise est salie par le comportement de nos propriétaires. C’est un manque de respect pour tous ceux qui en ont fait la richesse. De façon très symbolique, les personnes qui partagent ce point de vue sont appelées à faire la grève. Il faut que des gens dans l’entreprise soient les porte-parole de ce que pense une majorité silencieuse du comportement de nos dirigeants. On comprend que beaucoup de nos collègues ne peuvent pas se le permettre : les salaires sont proches du Smic et les fêtes approchent. Il y a aussi beaucoup de jeunes avec un turn-over important. Mais ceux qui le peuvent et qui partagent notre indignation sont invités à nous rejoindre, quelle que soit leur appartenance syndicale ou autres.
Qu’attendez-vous du pouvoir politique contre ces plans sociaux qui s’enchaînent ?
Sébastien Chauvin : J’espère que l’emploi des Françaises et des Français est la première préoccupation du pouvoir politique. À l’heure où il est difficile de boucler le budget de l’État, j’espère qu’il se pose des questions sur les dizaines de millions d’euros d’argent public qui ont été donnés à ces grosses entreprises qui, quelques années après, détruisent de l’emploi au nom de la rentabilité et de la rémunération de leurs actionnaires déjà milliardaires. Si l’État a besoin qu’on le dise plus fort, on haussera le ton.
Il faut que nous parlions d’une seule voix à Auchan, Michelin, Decathlon, Leroy Merlin : attention à la manière dont vous distribuez notre argent ! Nous sommes des contribuables, nous travaillons et nous souhaitons continuer à travailler. Il y a toujours cette petite musique sur les « fainéants ». Mais nos collègues d’Auchan, de Leroy Merlin et d’ailleurs se lèvent tous tôt, finissent tard et bossent le week-end. Et c’est sur eux qu’on vient taper dès qu’il faut faire un peu de rentabilité !
mise en ligne le 3 décembre 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Pour le socio-historien Laurent Frajerman, les sorties anti-fonctionnaires du ministre Guillaume Kasbarian peuvent renforcer la cohésion des agents publics, alors qu’une intersyndicale appelle à la mobilisation le 5 décembre.
Sommes-nous à la veille d’un mois de décembre brûlant sur le plan social ? Oui, si l’on en croit les syndicats. Dans la fonction publique, alors que l’exécutif veut notamment introduire trois jours de carence (pas de salaire lors des trois premiers jours d’un arrêt maladie), une intersyndicale (CGT, CFDT, UNSA, FSU, Solidaires, CFE-CGC et FA-FP) se mobilise le 5 décembre, avant que FO n’embraye seule du 10 au 12 décembre.
Dans le secteur privé, la CGT travaille à convergence des luttes pour l’emploi le 12 décembre pour endiguer la vague des fermetures d’entreprise et de plans sociaux. Ce même jour, les syndicats de la SNCF (CGT, Unsa, Sud, CFDT) lancent une seconde journée de grève pour sauver Fret SNCF et stopper la libéralisation des TER.
Comment décrypter la stratégie syndicale dans la fonction publique ?
Laurent Frajerman : Les syndicats travaillent à une mobilisation à vocation majoritaire. Les fonctionnaires font face à une offensive gouvernementale. Le mécontentement est palpable. L’exécutif est politiquement fragile. Un mouvement social peut le faire céder.
Mais, pour le moment, l’élan unitaire de la réforme des retraites s’est essoufflé. Les syndicats les plus combatifs tablent déjà sur une seconde journée d’action. Les précédentes mobilisations démontrent qu’un exécutif ne recule pas avec une journée d’action isolée, mais aussi que la grève reconductible ne fonctionne pas dans la fonction publique. Les syndicats devront trouver un équilibre entre réalisme et volontarisme pour créer une dynamique.
Pourquoi les syndicats de la fonction publique ne convergent-ils pas avec les calendriers d’actions du privé ou à la SNCF ?
Laurent Frajerman : C’est un choix assez logique. Les mots d’ordres sont sectoriels, sans problème unifiant, comme la réforme des retraites de 2023. Dans la fonction publique, les éléments mobilisateurs sont les trois jours de carence que l’exécutif veut imposer en cas d’arrêt maladie, ainsi que les propos anti-fonctionnaires du ministre. Guillaume Kasbarian est un éléphant dans un magasin de porcelaines.
En tirant trop sur cette corde, il renforce la cohésion et la mobilisation des agents. L’exécutif semble en prendre conscience. La ministre de l’Éducation a fini par ne pas reprendre à son compte les outrances de son collègue, en relevant la faiblesse des salaires des enseignants. Ainsi, côté gouvernemental, deux tactiques sont déployées.
Dans la fonction publique, les journées d’actions sont-elles encore opérantes ?
Laurent Frajerman : Oui, si elles sont majoritaires et s’inscrivent dans un processus de lutte. Pour les syndicats, le problème est double. D’un côté, la conflictualité recule chez les fonctionnaires d’État non enseignants et reste faible dans la santé et la fonction publique territoriale. De l’autre, le dialogue social est réduit à peau de chagrin. Les journées d’actions ne sont plus opérantes, par exemple, pour peser sur des négociations avec l’exécutif. Les syndicats doivent donc obtenir un rapport de force plus important, sans pour autant lasser leurs troupes en lançant des journées de grèves à répétition, peu préparées et finalement infructueuses.
Pourquoi Force ouvrière, 1er syndicat de la fonction publique d’État, ne s’inscrit pas dans une dynamique intersyndicale, en appelant seule à la grève du 10 au 12 décembre ?
Laurent Frajerman : La non-participation de FO à la journée d’action du 5 décembre est regrettable, mais ne sera pas décisive à mon avis. Elle représente 17 % de la fonction publique d’État et n’a pas la force d’impulser à elle seule une mobilisation importante, d’autant qu’elle est clairement minoritaire dans l’Éducation nationale, qui compte pour 80 % des grévistes.
Pour que cette journée soit une réussite, les syndicats doivent convaincre les grévistes occasionnels. Pour eux, une dynamique générale et une perspective de victoire importent d’abord. L’unité syndicale reste une boussole pour ceux qui ont l’habitude de faire grève, mais l’absence d’une seule organisation ne me semble pas pénalisante.
Plus globalement, que reste-t-il de l’intersyndicale de 2023 sur les retraites ?
Laurent Frajerman : Les rapports intersyndicaux sont meilleurs. Mais les organisations ont repris leurs habitudes. Elles ne sont pas parvenues à travailler à une plateforme revendicative élaborée, à des structures communes souples. Elles pourraient innover en associant davantage les salariés aux grands choix revendicatifs et à la conduite des luttes. Si les assemblées générales réunissent moins de monde qu’avant, les réseaux sociaux et internet permettent plus de transversalité.
La CGT table sur une convergence des luttes pour l’emploi dans le privé et à la SNCF le 12 décembre. La centrale peut-elle tirer bénéfice d’une situation politique instable ?
Laurent Frajerman : Les mobilisations partent des préoccupations immédiates des salariés. C’est le rôle des syndicats de faire monter le rapport de force et converger ces luttes. La perspective d’une motion de censure peut d’ailleurs les stimuler. La CGT s’est remise en ordre de marche, la confédération est de nouveau force de proposition.
Mais en même temps, son discours médiatique est assez politique. C’est sans doute un atout pour unifier ses structures. Mais attention à ne pas apparaître comme le syndicat de la gauche radicale plus que comme une force utile à tous les salariés.
mise en ligne le 2 décembre 2024
Lucie Delaporte sur www.mediapart.fr
L’encadrement des loyers, entré en vigueur cette semaine au Pays basque, est l’une des dernières victoires d’Alda. L’association, qui a transformé les rapports locatifs dans la région, a joué aussi un rôle essentiel dans la récente adoption de la loi dite « Airbnb ».
Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).– Le local est petit mais chaleureux. Il est surtout idéalement situé sur une des places principales de la ZUP de Bayonne. Dans ce lieu ouvert sept jours sur sept, les habitants de ce quartier populaire défilent pour parler de leurs problèmes de logement aux bénévoles d’Alda, l’association créée il y a tout juste quatre ans au Pays basque.
Ce matin-là, Amandine et Alban, venus avec leur gros dossier sous le bras, font le récit d’une location qui a viré au cauchemar. Après avoir reçu leurs clés par la poste, ils découvrent un appartement en désordre où traîne de la vaisselle sale. « Le chauffage ne marchait pas. On était en février. On a passé vingt-huit jours sans chauffage », souffle Amandine devant Lara Saget, coordinatrice du pôle « batailles du quotidien », qui prend des notes.
Coups de fil, courriers… Les relations avec la propriétaire s’enveniment. Au bout de trois mois, le couple décide de quitter cette location qui a si mal commencé. Mais la propriétaire refuse de leur rendre leur caution de 1 980 euros. Pire, elle leur envoie une facture de peinture de 3 500 euros pour remettre l’appartement en l’état. Pour ce type de situation, les membres de l’association indiquent les démarches à suivre, les recours. Mais là, coup de chance, Alda connaît cette propriétaire, déjà signalée pour non-respect du gel des loyers à la relocation. Une action en justice est en cours.
Actions coup de poing… joyeuses
Les récits d’abus en tout genre sont le lot quotidien de la permanence d’Alda. « Vu l’offre et la demande, les propriétaires se donnent tous les droits », commente Malika Peyraut, cofondatrice de l’association. Créée en 2020, à l’origine pour répondre aux besoins des habitants des quartiers populaires, elle s’est, de fait, spécialisée sur la question du logement, principale préoccupation au Pays basque. « Alda a été lancée par des militants de quartier eux-mêmes confrontés à des problèmes de logement », raconte Malika Peyraut.
Ces permanences – l’association en compte désormais quatre au Pays basque (à Bayonne, Hendaye, Ciboure et Saint-Jean-de-Luz) – permettent d’apporter une aide concrète aux habitants qui vivent un rapport de force avec leur propriétaire et qui n’imaginent souvent pas pouvoir agir ou faire respecter leurs droits, pour peu qu’ils les connaissent. Ces dernières années, le mot s’est répandu sur la côte basque : « Un problème de logement ? Va voir Alda ! »
Après Amandine et Alban, Mathieu, 45 ans, dont le dossier est suivi par l’association depuis quelques mois, vient faire le point sur sa situation. Quand il a reçu son « congé pour vente » du trois-pièces qu’il occupe depuis six ans, il a compris que les ennuis commençaient. Son compagnon et lui avaient six mois pour quitter les lieux et trouver une autre location. « Le problème, c’est qu’il y a très peu d’offre ici. On ne trouve rien…, raconte-t-il. Je suis en CDD saisonnier, donc je suis éliminé d’office du marché. Mon compagnon travaille dans une pizzeria et connaît beaucoup de monde, mais même en activant toutes nos connaissances, impossible de retrouver quelque chose dans nos moyens. »
On travaille ici, on vit ici, mais on n’arrive plus à se loger. Mathieu, saisonnier à Bayonne
Au fil des ans, le quadragénaire a vu l’intégralité des appartements de son immeuble transformés en Airbnb, l’autre grand fléau de la côte basque. « On est les seuls résidents à l’année. L’été, c’est Disneyland ici, ça défile. On travaille ici, on vit ici, mais on n’arrive plus à se loger et on est remplacés par des gens qui viennent ici dix jours par an ! », lance-t-il.
L’expertise de l’association a permis de déceler les failles dans la procédure de son congé pour vente et de la faire annuler. Leur bail a été renouvelé pour trois ans. Une bouffée d’air pour ce salarié précaire.
Grâce à ses permanences, Alda s’est aperçue qu’il y avait au Pays basque un nombre anormalement élevé de congés pour vente. En 2019, dernier chiffre disponible, le nombre de procédures au tribunal de Bayonne, un peu plus de trois cents, était ainsi supérieur au nombre de procédures dans les tribunaux de Lyon, Marseille, Toulouse, Nice et Nantes réunis. Sans doute parce que cela permet aux propriétaires de ce département touristique de se débarrasser de leurs locataires à l’année pour faire du Airbnb, bien plus rentable.
« Ces permanences nous donnent des yeux pour voir des phénomènes sinon invisibles », assure Malika Peyraut. À force de recevoir des habitants montrant des baux de deux ou trois mois, parfaitement illégaux, et d’éplucher les annonces des agences immobilières, l’association a mis le doigt sur le phénomène massif des baux frauduleux qui échappent la plupart du temps aux autorités. L’association a donc réorienté son action sur le sujet et mené une campagne de sensibilisation.
Car en plus de ce travail d’aide au quotidien des habitants des quartiers populaires, Alda s’est fait connaître au Pays basque pour ses actions coup de poing, souvent joyeuses.
En 2021, Alda réussit ainsi à mettre en location sur Airbnb la mairie d’Anglet, pour démontrer par l’absurde la défaillance des contrôles sur ce type d’annonces. « Situé en plein centre-ville, vous aurez accès aux commerces de proximité et grandes surfaces. Vue sur un parc invitant aux balades, où vous pourrez admirer des plantes exotiques et même y cueillir quelques olives ! », décrivait l’annonce immédiatement enregistrée et validée… par la mairie d’Anglet !
Une propriétaire impose une augmentation massive de loyer à Lahonce, petite commune dans l’arrière-pays, avec un prix à la location ressemblant à celui d’une villa en bord de mer ? Le collectif déboule avec des accessoires de plage, parasols et transats, pour dénoncer ce phénomène illégal mais très courant. Les images font le tour de la presse locale et des réseaux sociaux.
La tonalité des actions d’Alda n’est pas toujours celle du joyeux happening. En juillet dernier, pour défendre une locataire atteinte d’un cancer et contrainte à quitter son appartement par un congé pour reprise, mais qui demandait un sursis à l’issue du bail – faute, là encore, d’avoir trouvé une solution de relogement –, Alda a plutôt joué les boucliers humains. « Cette locataire, très malade, attendait une réponse pour un logement social. Elle demandait un sursis et continuait à payer son loyer. Malgré cela, la propriétaire est venue l’intimider physiquement pour lui dire de partir, raconte Malika Peyrault. Pour éviter l’expulsion le jour J, on a débarqué à quarante militants dans une posture de protection. »
La jeune association basque mène aussi la bataille dans les tribunaux pour lancer des messages au secteur où, crise du logement aidant, les fraudes se sont multipliées, généralement dans l’impunité la plus totale. Fin octobre, elle a fait condamner l’agence Homies Holidays à 10 000 euros d’amende et sa présidente à trois mois de prison avec sursis. À la signature du bail, les locataires devaient signer un préavis de départ anticipé daté juste avant l’été, ce qui permettait aux propriétaires de louer l’été, à la semaine, à des prix beaucoup plus intéressants.
« Beaucoup de nos actions restent anonymes et se terminent à l’amiable », souligne néanmoins Malika Peyraut. Un courrier à en-tête d’Alda suffit parfois à faire changer de point de vue un propriétaire indélicat… D’autant que les bénévoles n’hésitent pas à faire du « name and shame » si celui-ci persiste, en affichant sur de grandes banderoles le nom du ou de la récalcitrante lors de leurs actions.
« Le fait qu’on obtienne des victoires, parfois individuelles, parfois structurelles, cela vient casser dans les classes populaires le défaitisme et la résignation sur ces questions », assure-t-elle.
Le récit de ces victoires se fait notamment dans le journal qu’Alda distribue – à 40 000 exemplaires – dans les quartiers populaires du Pays basque. Les bénévoles le déposent directement sur les paillassons, pas dans les boîtes aux lettres. « Du coup, tu le ramènes chez toi, tu le regardes, cela ne part pas immédiatement à la poubelle », explique un bénévole.
Un poids au niveau national
L’entrée en vigueur lundi 25 novembre de l’encadrement renforcé des loyers au Pays basque est une des plus récentes victoires d’Alda. Le maire de Bayonne et président de la communauté d’agglomération, Jean-René Etchegaray, qui a porté politiquement ce sujet, reconnaît volontiers son rôle d’aiguillon.
« Alda joue son rôle sur le terrain, un rôle très positif. Ils ont un savoir-faire militant évident, sourit le maire de centre-droit, qui assure avoir établi avec l’association un dialogue constructif. Mais chacun reste dans son rôle. »
En août 2022, autre victoire. Après une campagne d’Alda, le préfet des Pyrénées-Atlantiques annonce la création d’un comité de lutte contre les baux frauduleux qui réunira les services de l’État et le parquet de Bayonne pour « envisager des procédures pénales, administratives et fiscales » contre les personnes qui fraudent en matière de location de logements. Une première en France.
Le droit de chacun d’avoir un logement doit passer avant la possibilité pour une
minorité d’en avoir plusieurs.
La plateforme Herrian Bizi (« se loger au pays »), dont fait partie Alda
C’est aussi grâce à leur intense lobbying contre la « airbnbisation » du Pays basque que la communauté d’agglomération a adopté en mars 2023 la règle de compensation. Les propriétaires qui veulent faire de la location saisonnière doivent obligatoirement proposer un autre bien équivalent à la location à l’année dans la même commune. « Un coup de frein à l’explosion des meublés de tourisme. On en a vu les effets immédiatement », confirme le maire de Bayonne.
Au niveau national, la petite association basque Alda n’est pas pour rien dans l’avancée des textes législatifs sur le logement. En premier lieu la loi dite « Airbnb », qui vient d’être adoptée à l’Assemblée et qui offre, enfin, une boîte à outils aux maires pour limiter leur folle expansion, responsable de l’assèchement du marché locatif. « Ils ont été des lanceurs d’alerte sur ce sujet effectivement, reconnaît le député socialiste des Pyrénées-Atlantiques Iñaki Echaniz, corapporteur du texte. En plus de leur force d’accompagnement, de leur force de mobilisation citoyenne, Alda est source de réflexions et de propositions. Ils font un travail très précieux pour les élus. »
Les bénévoles mènent en ce moment la bataille sur la prolifération des résidences secondaires, 21 % des logements au Pays basque, avec des pics à Biarritz (43 %) ou Saint-Jean-de-Luz (44 %).
Elle a soutenu l’envoi d’un manifeste à destination des futurs propriétaires de maisons secondaires, des notaires, des agences immobilières pour leur expliquer qu’il ne fallait plus aucune transformation de logement à l’année en résidence secondaire. « Le droit de chacun d’avoir un logement doit passer avant la possibilité pour une minorité d’en avoir plusieurs », assure la plateforme Herrian Bizi (« se loger au pays »), dont fait partie Alda.
Lutter contre ces résidences secondaires, c’est aussi lutter contre la bétonisation du Pays basque, un combat essentiel pour l’association, qui revendique un projet habité par l’urgence écologique. Alda est née dans le sillage de l’association basque Bizi !, créée en 2009 pour défendre la justice environnementale. Sa formule ? un travail de terrain, qui s’inscrit dans un écosystème militant issu du mouvement basque abertzale, que les militants ici préfèrent traduire par « régionaliste » plutôt qu’« indépendantiste ».
« On est des “radicalo-pragmatiques”, avance Xebax Christy, coprésident d’Alda, selon une formule beaucoup utilisée à l’association. À l’image d’un tissu associatif très dense, ce militant est aussi président d’Euskal Moneta, l’association qui gère l’Eusko, la monnaie basque lancée il y a onze ans avec ce slogan : « Choisir sa monnaie, c’est reprendre le pouvoir en main. »
À l’école d’Act Up et de l’indépendantisme basque
La thématique de l’épuisement militant a d’ailleurs été pensée par les fondateurs d’Alda, qui ont, pour la plupart, des attaches militantes multiples et ont appris sur le terrain ce qui peut, au fil du temps, défaire un collectif, aussi motivé soit-il.
Chez Alda, la pratique militante s’est beaucoup nourrie au mouvement Act Up, dont l’un des fondateurs d’Alda, Txetx Etcheverry, a été un compagnon de route. Rencontré dans son quartier du Petit Bayonne, cette figure emblématique de l’indépendantisme basque ne tient plus à être mise en avant. Il a passé le flambeau. Mais il revendique la filiation, pour les happenings, pour le savoir-faire militant, avec l’association de lutte contre le Sida.
« À Act Up, il fallait être efficace, il y avait une telle urgence, les gens étaient en train de mourir. Pas le temps de rester huit heures en réunion à blablater, confirme Bart, un bénévole à Alda. On prend des décisions via des méthodes claires. En deux heures, on traite 15 points. »
Mener des actions symboliques, souvent drôles, fait partie du pouvoir d’attraction du mouvement à l’extérieur comme à l’intérieur.
Txetx Etcheverry a aussi été à l’origine de la création de la Fondation Manu Robles-Arangiz Institutua, qui est le pendant, côté français, du syndicat basque « indépendantiste et de classe » ELA, très influent côté espagnol. C’est la fondation qui finance en partie les actions d’Alda, et notamment l’importante diffusion de son journal.
Sur le plan militant, « Alda s’est aussi nourrie de l’héritage du “community organizing” pensé par Saul Alinsky », précise Malika Peyraut, en référence au travail mené à Chicago, dans les années 1930, par ce sociologue devenu travailleur social et activiste, et consistant à redensifier le tissu associatif pour sortir de la délinquance et de la misère les jeunes du quartier Back of the Yards. L’homme était aussi connu pour ses happenings politiques et humoristiques.
Mener des actions symboliques, souvent drôles, fait partie du pouvoir d’attraction du mouvement à l’extérieur comme à l’intérieur. « On veut faire des actions qui donnent envie aux gens de venir », affirme Bart. « Quand on est des forçats du militantisme, on a envie d’avoir des trucs décalés », confirme une jeune militante.
L’association basque investit aussi beaucoup dans la formation de ses bénévoles, les questions de logement requérant souvent un certain niveau d’expertise. « Comme on essaie d’être sérieux, on a aussi attiré des gens qui connaissent bien le secteur et qui nous aident », raconte Malika Peyraut. Un ancien cadre d’un important bailleur social à Bordeaux vient ainsi de les rejoindre. Le matin où nous visitons la permanence de la ZUP des Gascons, deux jeunes élèves avocats, penchés sur leurs ordinateurs, nous expliquent avoir voulu faire leur stage de six mois ici, séduits par le projet de l’association.
Autant de compétences en plus pour l’association.
Devant les succès d’Alda, plusieurs collectifs et associations travaillant sur le logement sont venus se former auprès de l’association. Le modèle Alda est-il duplicable ? « Il y a une culture militante, un écosystème lié à notre histoire, à l’attachement à notre territoire qui est sans doute un peu exceptionnel », reconnaît le député Iñaki Echaniz. Au local de Bayonne, on discute du modèle d’Alda en buvant dans un mug bardé du drapeau breton. Un signe des récents échanges entre collectifs…
mise en ligne le 30 novembre 2024
Par Jeanne Seguineau sur https://www.bondyblog.fr/
Le collectif “Jamais sans toit” se mobilise pour appeler la mairie du 19ᵉ arrondissement à ouvrir les portes du lycée désaffecté Georges Brassens à des familles à la rue. La semaine dernière, ils ont manifesté devant la mairie pour faire entendre leur voix.
Les températures glaciales n’ont pas stoppé la centaine de manifestants présents devant la mairie du 19ᵉ arrondissement, mercredi 20 novembre. Parmi eux, des militants du collectif, plusieurs représentants politiques et surtout, des hommes, des femmes, et de nombreux enfants en bas-âge, privés d’un domicile fixe et décent.
Depuis novembre 2023 et la décision de la région de réquisitionner cinq lycées parisiens désaffectés afin de les transformer en centres d’hébergement d’urgence, seulement trois de ces établissements ont été investis. Un vœu des élus Communistes et Citoyens a pourtant validé, lors du Conseil de Paris de mai 2024, la réquisition officielle et planifiée du lycée Brassens. Mais depuis, la mairie du 19ᵉ n’a rien entamé en ce sens.
François Dagnaud, maire PS du 19ᵉ, n’a pas caché son agacement vis-à-vis de cette proposition lors du conseil d’arrondissement du 5 novembre dernier. L’élu a invoqué la nécessité d’une « solidarité dans la solidarité », pour que la charge des missions sociales de Paris ne repose pas sur les seules épaules des arrondissements du nord est parisien. L’élu s’offusque par ailleurs que Fatoumata Koné, présidente du groupe des Écologistes parisiens, et d’autres lui prête ces propos : « Le 19ᵉ ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Ces propos ne sont pas audibles dans la retranscription de la séance publiée sur le site de la mairie, mais plusieurs élu.es soutiennent les avoir entendus. Malgré les réfutations du maire, l’épisode a mis le feu aux poudres. Contactée par la Bondy blog, la mairie n’a pas donné suite.
Le 19ᵉ trop solidaire ?
Lucie, membre de l’association des parents d’élèves, FCPE Jaurès, s’émeut du refus de la mairie d’ouvrir le Lycée Georges Brassens. « C’est une réponse absurde à une situation complètement catastrophique », réagit-elle. Pour Manon Luquet, représentante du collectif Jamais sans Toit IDF et suppléante d’Aymeric Caron, député LFI de la 18ᵉ circonscription, l’argument avancé par le maire du 19ᵉ n’est pas valable.
« L’arrondissement qui accueille le plus de personnes à la rue, c’est toujours le 18ᵉ. Par contre, le deuxième, c’est le 15ᵉ, qui n’est vraiment pas un arrondissement du nord est parisien », soutient-elle. L’associative a assisté la mairie du 18ᵉ dans l’ouverture du lycée Valadon comme centre d’hébergement d’urgence (CHU) pendant l’année écoulée. Cette dernière ne cache pas sa colère de voir un maire de gauche tenir de ces propos publiquement. « J’ai trouvé ça d’autant plus odieux que lors de ce conseil d’arrondissement, une famille de personnes sans-abri était présente. »
Face à la crainte du maire de voir le 19ᵉ devenir une terre d’accueil universelle, les citoyens et militants montrent au contraire une importante solidarité envers les familles en demande, qu’elles soient du 19ᵉ ou non. C’est le cas d’Alexia. « Il n’y a pas de quota de solidarité », s’insurge-t-elle. Cette habitante du 19ᵉ a, elle-même, écrit des lettres au maire en espérant se faire entendre. « C’est plus rassurant de travailler avec une mairie de gauche, on se dit qu’on aura un levier plus important », espère-t-elle.
Crise de l’hébergement d’urgence sur fond de querelle politique
Les élus communistes et des élus écologistes se voient aussi reproché de soutenir une décision prise par la présidente LR de la région Île-de-France. Une incohérence, pour la mairie socialiste. Camille Naget, conseillère du groupe Communistes et Citoyens à l’origine du vœu, en rit. « Si Valérie Pécresse était connue pour son engagement envers les personnes à la rue, ça se saurait. » En effet, cette décision de la région n’est pas tout à fait désintéressée.
En novembre 2023, la fermeture de sept lycées professionnels et technologiques parisiens choquait les élus de gauche. Ces derniers pointaient du doigt le manque de solutions apportées aux élèves de ces lycées, majoritairement issus de classes populaires et qui ont dû se réadapter à de nouveaux établissements, éloignés, en cours de cursus. « Ce lycée Brassens, on s’est battu contre sa fermeture, et aujourd’hui, on se bat pour sa réouverture dans une nouvelle forme », résume Camille Naget. Face à la levée de boucliers de l’opposition et une négociation d’une semaine, Valérie Pécresse a concédé l’ouverture de cinq de ces lycées en tant que CHU.
« Je mène cette bataille contre le gouvernement Barnier qui est celui de Madame Pécresse, mais il se trouve que là, il y a une urgence, et si Madame Pécresse est d’accord avec notre lutte, moi, je suis pour la prendre au mot », assume Danièle Obono, députée de la 17ᵉ circonscription de Paris. « La France a un engagement envers la Convention des Droits des enfants. C’est une question humaniste, pas politique », appuie la députée.
Une proposition limitée mais importante
La lutte pour l’ouverture d’un nouveau CHU apparaît urgente et nécessaire alors que le froid s’installe. Mais quelle réponse concrète apportera-t-elle aux quelque 400 familles à la rue à Paris ? Awa, enceinte de 8 mois et maman de Moussa, 18 mois, raconte : « Souvent, on nous met une semaine dans la rue, une semaine à l’hôtel. C’est très difficile ». Malgré le confort minimal apporté par les CHU, c’est une réponse d’appoint qui vaut la peine de se battre pour Awa qui fait face à la neige et aux dangers de la rue. En France, la crise du logement, et par ricochet, la crise de l’hébergement d’urgence, laisse des centaines d’enfants à la rue, comme le petit Moussa.
mise en ligne le 30 novembre 2024
par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/
Plusieurs syndicats agricoles appellent de nouveau à la mobilisation et à la solidarité. Mais derrière cette union de façade, se cache une profession traversée par de profondes inégalités.
Les campagnes françaises vont-elles, de nouveau, s’enflammer ? Alors que la Coordination rurale menace d’affamer les villes, la FNSEA appelle à une mobilisation générale à partir du lundi 18 novembre. La Confédération paysanne entend de son côté multiplier les actions pour exiger la régulation des marchés agricoles. Dans leur viseur : la menace de finalisation de l’accord de libéralisation du commerce entre l’Union européenne et certains pays d’Amérique du Sud, qui pourrait entraîner l’importation en Europe de centaines de milliers de tonnes de produits agricoles exonérés de droits de douane.
Mais les syndicats agricoles sont aussi fâchés du manque de suites données au vaste mouvement de colère de l’hiver dernier. « Ce que [les agriculteurs] veulent aujourd’hui, ce sont des résultats concrets dans leur cour de ferme » a déclaré Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, alors qu’il était en déplacement dans les Pays-de-Loire. « On est prêt à aller loin pour que nos revendications soient entendues », a t-il prévenu quelques jours plus tôt.
Une profession très inégalitaire
Il y aurait donc un monde agricole homogène, défendant ensemble des exploitations similaires et des intérêts communs. Mais cette unité de façade, convoquée dès que la colère gronde ou menace, empêche de réfléchir à ce qui différencie et divise au sein de la profession, qui est en fait l’une des plus inégalitaires du pays. D’un côté, les 10 % des ménages agricoles les plus pauvres touchent moins de 10 900 euros par an (soit environ 800 euros par mois). De l’autre, les 10 % les plus riches gagnent plus de 44 600 euros par an (environ 3700 euros par mois). Et encore, ces chiffres sont des moyennes, qui cachent les immenses fortunes autant que les vies de misère. L’abîme qui sépare les deux franges les plus extrêmes de la population agricole est plus profond que celui qui sépare les Français les plus pauvres des Français les plus riches. Loin d’être uniforme, le monde agricole est donc profondément fracturé.
Les discours valorisant la solidarité cachent aussi les inégalités de genre. Dans les fermes françaises, plusieurs milliers de femmes exercent encore sans statut et travaillent donc gratuitement (notre grand format). Celles qui ont un revenu touchent 30 % de moins que leurs homologues masculins. Et quand sonne l’heure de la retraite, elles perçoivent en moyenne 570 euros par mois, bien moins que ceux parmi les paysans les plus pauvres qui ne perçoivent déjà pas grand-chose – environ 870 euros par mois.
Pour ce qui est du partage de la terre, l’union est – là encore – de pure façade. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « près d’un quart des exploitations agricoles se partagent 1 % de la surface agricole utile (SAU), quand 5 % des plus grandes, d’une superficie supérieure à 214 hectares, s’octroient 25 % de la SAU ». Aggravé par la chute sans fin du nombre d’agriculteurs et agricultrices, cet accaparement des terres va de pair avec l’accumulation des fonds publics, notamment européens, dont le versement est indexé à la surface : 80 % des aides de la politique agricole commune (PAC) sont captées par 20 % des exploitants en Europe. L’augmentation des formes sociétaires, qui passent sous les radars des systèmes de régulation de la propriété foncière agricole, accentue ce problème de confiscations, qui porte préjudice aux personnes non issues du milieu agricole désireuses de s’installer.
Tandis qu’ils et elles galèrent à trouver des fermes, des agriculteurs se taillent la part du lion, créant leurs propres sociétés pour agrandir des exploitations déjà immenses. Certaines atteignent plusieurs centaines d’hectares. Mediapart a révélé en mars 2023 comment le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, est désormais à la tête de 700 hectares via quatre sociétés, contrôlées par une holding, Spondeo. On est bien loin de l’image bucolique des fermes familiales de polyculture élevage que le syndicat majoritaire ne cesse de véhiculer, en les présentant comme « une singularité française qu’il faut promouvoir ». En fait de singularité française, on assiste à un mouvement d’agrandissement des fermes, qui favorise la monoculture, l’usage de pesticides, l’appauvrissement des sols et de la biodiversité. Soit la marche inverse à ce qu’il faudrait entreprendre pour limiter les effets du changement climatique, qui impacte si durement le monde agricole.
A la tête de fermes de plus en plus étendues, les agriculteurs font de plus en plus appel à des entreprises de sous-traitance du travail agricole (les ETA). Une équipe de chercheurs a calculé que la quantité de travail effectuée par ces entreprises a été multipliée par quatre ces dernières années, et le nombre de salariés par trois. Ces méga-structures « d’agriculture déléguée » laissent entrevoir des « stratégies et pratiques proches de celles du secteur industriel ». Dans certaines parties du territoire, on assiste au développement d’un sous-salariat, venu du sud de l’Europe, qui travaille dans des conditions honteuses, pour cueillir nos fruits et légumes.
Leur condition quotidienne est plus proche de celles des salariés intérimaires à qui on vole la force de travail au péril de leur santé que de celle des agri-manageurs fortunés qui ne mettent plus une botte dans leurs champs. Mais « la ruse de la FNSEA est de masquer, sous le vocable unitaire, les intérêts antagonistes du monde agricole, alors qu’elle ne représente que les dominants et les patrons de l’agriculture », analysait la sociologue Rose-Marie Lagrave, fine connaisseuse du monde agricole, au sortir de la crise de l’hiver. Cette fois encore, les plus puissants ont décidé de jouer la carte de l’unité qui tait les inégalités, étouffe les conflits et entrave l’émancipation.
mise en ligne le 9 octobre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
C’est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”. Prononcée le 9 septembre, la liquidation de Milee, entreprise de distribution publicitaire, a laissé 10000 salariés sur le carreau. Un mois plus tard, les déboires administratifs s’ajoutent à la précarité, créant des situations sociales dramatiques. Pour contraindre le ministère de l’Economie à réagir, la FILPAC-CGT organisait un rassemblement ce 8 octobre à Bercy.
“Il y a 10 000 licenciés… Mais bon, ici on n’est pas 10 000“. Face au ministère des finances, Marie-Ange Goyard a pris le micro et son courage à deux mains pour témoigner. Salariée de Milee depuis 2016, elle fait partie des rares ex-employés du distributeur d’imprimés publicitaires à avoir pu faire le déplacement jusqu’à Paris.
Ce 8 octobre 2024, seule une centaine de personnes, essentiellement des militants des syndicats CGT affiliés à la FILPAC-CGT (Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication) et des élus sont présents. La jeune femme de 37 ans, venue de Varennes-Sous-Dun (Saône-et-Loire), à 400km de Bercy, a du mal à comprendre : “l’info a peut-être mal circulé ? Les collègues n’avaient pas compris qu’il y avait possibilité de faire du covoiturage ?“
Marasme social
Prononcée le 9 septembre 2024, la liquidation de Milee (ex-Adrexo) est “la plus grosse catastrophe sociale en France depuis 40 ans”, insiste la CGT dans un communiqué du 1er octobre. Mais, paradoxalement, elle se déroule dans un quasi silence médiatique et en l’absence des salariés. Pour combler ce vide, la Filpac-CGT a déployé une grande banderole : “On mérite le respect”, représentant les visages de plusieurs d’entre elles et eux.
Sophie Binet, présente au rassemblement, résume d’une phrase : “Ils ont cru que vous étiez comme les publicités que vous distribuiez : jetables“. Mais la secrétaire générale de la CGT a beau poser des mots forts sur le marasme en cours, ils ne semblent pas à la hauteur de la détresse humaine. C’est que les salariés de Milee sont particulièrement précaires. Leurs contrats au SMIC, assurent souvent des revenus de complément à des femmes seules ou des retraités. “Sur les 10 000 licenciés, 1700 ont plus de 70 ans“, rappelle Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. “On reçoit des captures d’écran de compte en banque à découvert, avec marqué -600€, -800€…“, poursuit une syndicaliste.
Des sanglots dans la gorge, Marie-Ange Goyard rappelle qu’on est mardi, que le mardi, son conjoint fait la queue aux restos du cœur, pour elle et ses deux enfants. Son travail chez Milee ne leur a jamais assuré un quelconque confort. “J’avais un contrat en CDI de 20 heures, mais pour distribuer tout mon stock de pub, il m’en fallait au moins 35. J’étais payée 900 euros, mais là-dedans, il fallait prendre en compte l’essence, l’usure de la voiture, les heures non payées. Au final, je touchais parfois moins que le RSA. Il y a un documentaire là-dessus“, rappelle-t-elle. “Mais maintenant c’est pire, je ne peux pas m’inscrire au chômage, je ne peux pas retrouver de boulot, la boîte m’envoie voir un psy…à une heure de voiture de chez moi !“, déplore-t-elle.
Agir en urgence
Alors, pour les organisations syndicales, l’urgence est d’abord d’assurer des rentrées d’argent aux salariés. “Dans cette affaire, le respect le plus élémentaire du Code du travail n’est même pas assuré“, souligne Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee. Outre des retards réguliers de salaire, le mandataire judiciaire “ne s’estime pas en capacité de produire avant décembre les 10 000 attestations qu’il doit distribuer aux licenciés pour signifier la fin de leur contrat de travail”, explique Mediapart. Dramatique, puisque sans cette attestation, il est à la fois impossible de toucher le chômage et de signer un nouveau contrat de travail.
D’où la volonté de mettre la pression sur Bercy. “Actuellement, il n’y a que deux liquidateurs, il en faudrait au moins 10. Il y a une obligation de moyens qui n’est pas respectée“, ajoute Sébastien Bernard. Parallèlement, la CGT a engagé une bataille aux prud’hommes, moyen supplémentaire de presser le liquidateur et l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), qui verse les salaires. “Avec une procédure d’urgence, on peut espérer avoir des résultats au plus tôt d’ici 6 mois. C’est beaucoup trop long et c’est pour cela qu’il est nécessaire d’interpeller Bercy directement. En revanche, aux prud’hommes, nous pourrions contester les licenciement si nous arrivons à prouver qu’il y a une faute du côté des dirigeants. Et c’est loin d’être quelque chose d’impossible“, détaille Alexandra Dupuy, avocate de la FILPAC-CGT, qui va emmener les dossiers de plus de 200 ex-salariés de Milee devant les prud’hommes d’Aix-en-Provence.
La CGT soulève en effet certaines zones d’ombre dans la gestion financière de la holding aixoise Hopps, propriétaire de Milee, détenue par les trois actionnaires Eric Paumier, Guillaume Salabert et Frédéric Pons. “Où sont passés les 600 millions de la revente de Colis privé ?“, questionne Sophie Binet. Côté assemblée nationale, la députée LFI de la Somme Zahia Damdane a posé une question au gouvernement sur le paiement des salariés de Milee le 1er octobre et réitère ce 8 octobre.
Bataille de fond
Entre 2019 et 2023, le marché de l’imprimé publicitaire est passé de 10,4 milliards à 5,7 milliards d’imprimés. Mais alors que la mort du secteur, ou du moins son recalibrage certain, était annoncé de longue date, l’Etat n’a absolument pas anticipé le marasme social. “Il n’y a pas de stratégie de filière“, tance Sophie Binet. Outre les mesures d’urgence, les organisations syndicales tentent donc de porter des revendications de fond.
“Nous aimerions discuter de trois choses. D’abord une soulte pour les salariés de plus de 70 ans, qui leur permettrait une existence décente. Deuxièmement, il faut exiger que La Poste reprenne les salariés de Milee qui le souhaitent, comme elle l’a fait avec les employés de Médiaposte. Enfin il faut discuter de l’ouverture d’un fond de reconversion pour tous les salariés qui souhaiteraient faire autre chose“, soumet Jean-Paul-Dessaux de SUD-PTT. Pour la CGT : “Il s’agit de poser la question de l’avenir des métiers de portage de presse. Nous avons des idées, par exemple, le mutualiser avec la distribution de produits pharmaceutiques“, soumet la secrétaire générale de la CGT.
En attendant, pour parer au plus urgent, la manifestation devant Bercy a fait son petit effet. Les syndicats seront reçus par le directeur de cabinet du ministre de l’économie dans l’après-midi.
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Victime du plus grand plan de licenciement depuis quarante ans, une partie des 10 000 salariés du distributeur de prospectus n’a pas reçu de salaire depuis juillet. Les syndicats et politiques pointent la responsabilité croisée des pouvoirs publics et des actionnaires, et redoutent des drames.
Sous l’impressionnante arche du bâtiment qui accueille le ministère de l’Économie et des Finances, rue de Bercy, les feuilles rougissantes des jeunes arbres côtoient les drapeaux de la Fédération du livre, du papier et des communications (Filpac) de la CGT.
Un gros baffle alimenté par un bruyant groupe électrogène crache une série de tubes dansants qui doivent se frayer un chemin jusqu’aux oreilles des équipes du ministère. Les passants, plongés dans ce camaïeu de rouge aux allures de kermesse, semblent loin de saisir le cauchemar qui lie les travailleurs vêtus de leur chasuble à l’effigie du syndicat.
Car, pour les quelques salariés de l’entreprise Milee, ex-Adrexo, spécialiste de la distribution de prospectus, présents à Paris ce mardi 8 octobre, ce n’est rien de moins qu’un drame qui se joue depuis cet été. Alors que cette société a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Marseille, le 9 septembre, une partie des 10 000 employés qu’elle compte, en majorité des personnes âgées ou à temps partiel, attendent désespérément leurs salaires depuis plusieurs mois.
« On puise dans nos économies en attendant d’être payés »
Nadine1, engoncée dans sa veste couleur crème, observe le rassemblement un peu en retrait, adossée à une rambarde, l’épaule collée contre celle de son mari. Tous deux travaillent pour Milee, respectivement depuis quatre et huit ans, comme préparatrice et distributeur à Nancy.
La liquidation judiciaire de l’entreprise a brusquement interrompu tous les revenus du couple, qui a encore sa plus jeune enfant à charge. « Heureusement, on avait un peu de sous de côté, alors on puise dans nos économies en attendant d’être payés », explique calmement la préparatrice.
La situation est pourtant critique : le dernier salaire perçu par le couple date de juillet, et la situation les a contraints à revoir leurs projets de vie. « Nos économies devaient nous servir à payer notre déménagement très prochainement dans le Sud. Il est maintenant en stand-by », ajoute la Nancéienne.
« Mon homme va nous chercher à manger aux Restos du cœur »
Si Nadine et son mari tentent de faire bonne figure, et assurent dignement que leur frigo « encore plein » ne leur permet pas de se plaindre, certains de leurs collègues peinent à sauver la face. Marie-Ange, salariée à Roanne, laisse couler de nombreuses larmes derrière ses imposantes lunettes, secouée par des sanglots irrépressibles.
Mère de deux enfants, la distributrice, qui n’a pas reçu un centime depuis août, ne sait plus comment subvenir à ses besoins. « Mon homme, comme tous les mardis après-midi maintenant, va nous chercher à manger aux Restos du cœur », hoquette-t-elle.
Avec un salaire de 500 à 600 euros net par mois, son bas de laine est désespérément vide, et son moral au plus bas. « Tout ce qu’Éric Paumier (le directeur général de Milee – NDLR) m’a proposé, c’est un rendez-vous chez un psychologue. J’essaye de relativiser, les salaires seraient a priori bientôt versés par ordre alphabétique, mais c’est dur. On va finir comme les agriculteurs, on va se pendre quelque part », souffle-t-elle accablée.
Des salaires impayés depuis des mois
Contrairement à Marie-Ange, peu de travailleurs présents au rassemblement laissent leur émotion les submerger. Et pour cause : bien que Milee compte 10 100 salariés partout en France, de nombreuses personnes n’ont pas pu se rendre à Paris, faute de ressources.
En effet, une partie des employés concernés par un premier plan de licenciement, acté en juillet, n’ont pas vu l’ombre d’un euro depuis ce mois-là. Les autres, pourtant encore en activité jusqu’à début septembre, n’ont pas été payés depuis août. En cause, la lenteur des cabinets de liquidateurs et du régime de garantie des salaires (AGS).
Ce dernier a pour mission de mener à bien le licenciement des personnels en leur versant leur rémunération, mais aussi leur solde de tout compte et en leur remettant leur attestation employeur, condition sine qua non pour percevoir des indemnités de chômage. Le bruit court qu’il leur faudra attendre novembre, voire décembre pour voir ces tâches effectuées.
« Comment se fait-il qu’on laisse crever les gens comme ça en France ? »
Pour Alexandra Dupuy, avocate de la CGT dans cette procédure, la situation relève du jamais-vu. « Pour comparer, lorsque je me suis occupée des Scopelec, deux cabinets de liquidateurs ont été mandatés pour le licenciement de 2 500 personnes. Aujourd’hui, nous avons le même nombre de liquidateurs, mais pour 10 000 salariés. Alors, évidemment, il n’y a pas assez de moyens pour suivre les dossiers, faire les virements, transmettre les contrats de sécurisation professionnelle à France Travail ! » s’énerve-t-elle, à deux pas du ministère.
Et d’ajouter, en haussant la voix : « Le préjudice est extraordinaire pour les salariés. Comment se fait-il qu’on laisse crever les gens comme ça en France ? » Loin d’être une vue de l’esprit, cette hypothèse funeste est redoutée par les représentants syndicaux de la société de distribution.
« Si les sous ne tombent pas rapidement, on a peur que certains fassent des conneries. On a le cas d’une famille avec huit enfants qui ne peut plus se nourrir. On fait comment alors ? Il faut que les pouvoirs publics agissent », presse Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee.
Des choix stratégiques douteux
Avant d’en arriver à ce sinistre résultat, salariés et syndicats espèrent donc que leur présence devant le ministère va faire bouger les lignes. Ou en tout cas qu’elle permettra au gouvernement de saisir l’urgence de la situation et, pourquoi pas, de commencer à dresser la liste des responsabilités.
Puisque, si les fragilités de l’entreprise depuis plusieurs années n’étaient guère un secret de Polichinelle, l’heure est venue de faire les comptes pour les distributeurs lésés. En première ligne, ce sont les choix stratégiques des trois actionnaires repreneurs de Milee en 2017, dont Éric Paumier, directeur général et « serial entrepreneur passionné » selon sa propre description, qui interpellent.
Réunis dans le groupe Hopps, qui a racheté Milee pour un euro symbolique, les trois patrons ont pris, par exemple, la décision de vendre Colis Privé, filiale pourtant génératrice de revenus, pour 600 millions d’euros. Privé de sa vache à lait, Hopps a depuis accumulé les dettes, qui s’élevaient à 73 millions d’euros au 30 mai dernier, lorsque la société a été placée en redressement judiciaire.
Un véritable « drame social »
Bien qu’au bord du gouffre et dans l’incapacité de présenter son bilan comptable de l’année 2022 dans les délais légaux, le groupe Hopps aurait tout de même permis à Éric Paumier de se verser 70 millions d’euros de dividendes en 2023. La direction, à qui une mise en demeure a été adressée, n’a répondu aux salariés que par le silence.
« Le pire a sans doute été l’expérimentation Oui Pub », ajoute Samira Cheurfi, secrétaire fédérale de la CGT Filpac. Cette expérimentation, décidée par la loi et déployée dans 14 territoires, vise à interdire par défaut la distribution d’imprimés publicitaires non adressés pour lutter contre le gaspillage.
« J’avais dit à tout le monde que ce serait un drame social. Mediaposte, le deuxième gros acteur du marché, a réussi à réintégrer une grosse partie de ses salariés (4 700 – NDLR) vers La Poste, mais à Milee, que va-t-il se passer ? » déplore la représentante syndicale.
Plus uniquement une question de droit, mais une question de dignité
Se succédant au micro installé sous un petit barnum noir, rue de Bercy, plusieurs représentants politiques prêchent cette parole. « Il faut donner à La Poste les moyens d’embaucher les Milee », suggère Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, aux côtés de Léon Deffontaines et de députés FI.
Hilona, à moitié cachée par sa grosse écharpe et ses collègues, n’en est pas sûre. « Moi, je ne voudrais pas aller à La Poste, je voudrais complètement changer de métier. J’ai été trop déçue par Milee, par tous les retards de paiement des salaires depuis des années », soupire la préparatrice de Niort.
Elle n’a pas d’enfant à charge, mais un crédit sur le dos qu’elle craint de n’être plus en mesure de rembourser si les liquidateurs mettent trois mois de plus à la payer. Elle, et de nombreuses personnes présentes semblent partager le même avis : trouver une issue rapide à cette impasse n’est plus qu’une question de droit, mais aussi une question de dignité.
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Présente aux côtés des distributeurs de prospectus lésés par Milee, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, met en cause le manque d’anticipation du gouvernement et réclame un arrêt des plans de suppression d’emplois.
Que traduit la situation des salariés de Milee ?
Sophie Binet : La situation à Milee est l’illustration de l’absence de politique industrielle de ce gouvernement, qui prend des décisions sur un coin de table sans se préoccuper de leur impact social, comme cela a été le cas avec Oui Pub (dispositif expérimental visant à réduire la distribution d’imprimés – NDLR). On a besoin d’une vraie stratégie politique et industrielle sur la question de la distribution de la presse parce que, derrière, tout un secteur en pâtit. Au-delà des 10 000 de Milee se pose la question de l’impact sur les imprimeurs, sur le reste de la distribution, d’un possible report de l’activité sur La Poste. Tout ça doit s’organiser.
La situation à Milee est un énorme scandale social pour cette raison, mais aussi parce qu’il s’agit de 10 000 salariés qui n’ont strictement aucun revenu depuis trois mois. Cela fait des années que nous n’avons pas connu un plan social de cette ampleur. Pourtant, ce scandale aurait pu être évité si le gouvernement avait joué son rôle. Mais voilà trois mois que nous n’avons aucun interlocuteur, ni côté patronal ni côté gouvernemental.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Sophie Binet : On demande au gouvernement trois choses. Premièrement, de garantir le versement des salaires immédiatement, par l’AGS (Agence de garantie des salaires – NDLR). On nous répond qu’il faut à l’AGS quatre mois pour traiter le dossier parce qu’ils ne sont pas assez nombreux, mais ce n’est pas possible de laisser les salariés quatre mois sans aucun revenu. On demande également au gouvernement de faire toute la lumière sur la gestion financière de cette entreprise et sur le scandale que nous pressentons, puisque le groupe Hopps (propriétaire de Milee – NDLR) a revendu Colis privé pour 600 millions d’euros.
Où est passée cette somme ? Où est l’agent du siège ? Enfin, la CGT défend un projet économique et social sur la distribution de la presse, puisque Milee n’est que la partie émergée de l’iceberg. Depuis la fin de Presstalis pendant le Covid, aucun modèle pérenne n’a été trouvé pour la distribution de la presse. Il faut plancher sur un modèle durable et nous avons des idées. La CGT propose de travailler sur des mutualisations et des complémentarités, notamment avec la distribution de produits pharmaceutiques. Ce serait un projet tenable économiquement et écologiquement intéressant.
180 plans de licenciements, dont celui de Milee, sont en cours actuellement, selon la CGT. Que faire pour arrêter cette saignée d’emplois ?
Sophie Binet : La CGT demande un moratoire sur tous les licenciements. On sait que c’est possible puisque cela a été fait pendant le Covid. Il nous faut six mois pendant lesquels on arrêterait les licenciements pour construire des projets alternatifs en mettant autour de la table tous les acteurs possibles, comme la BPI, pour garantir la préservation de l’outil industriel et des qualifications. Nous sommes témoins d’une nouvelle saignée industrielle gravissime dans le pays. L’endiguer est une question essentielle pour notre avenir puisque les qualifications que l’on perd ne seront jamais retrouvées.
mise en ligne le 8 octobre 2024
par Sophie Chapelle sur https://basta.media/
En finir avec des prix devenus fous. Voilà plus d’un mois que les Martiniquais se mobilisent pour l’alignement des prix sur ceux de l’Hexagone. Ils font face à l’opacité des marges de la grande distribution, et au laisser-faire de l’État.
Une même boite d’œufs coûte cinq euros en Martinique contre deux euros dans l’hexagone. Qu’on regarde les prix des pâtes, de la farine, du lait, du beurre ou des fruits, ceux-ci sont deux à cinq fois plus élevés en Martinique qu’en France métropolitaine. L’eau en bouteille, un bien de première nécessité sur cette île qui subit des coupures d’eau régulières, peut atteindre des sommes indécentes : jusqu’à dix euros pour un pack ! L’application Kiprix, lancée par un jeune développeur installé près de Fort-de-France, montre bien ces écarts. En 2023 déjà, un rapport de l’Insee alertait sur des produits alimentaires en Martinique en moyenne 40% plus chers qu’en France métropolitaine !
Une double peine sur cette île où plus d’un-quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. C’est ce que dénonce Rodrigue Petitot notamment sur Tik Tok. Président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), il est l’une des figures de la contestation contre la vie chère en Martinique. Le mouvement est à l’initiative depuis le 1er septembre de blocages de supermarchés et de nombreuses manifestations, malgré les interdictions préfectorales. Il demande l’alignement des prix martiniquais sur ceux de l’Hexagone.
Quinze ans après un mouvement historique
En 2009, un intense mouvement social contre la vie chère avait duré quarante jours en Martinique. La grève générale avait notamment abouti à la création d’un observatoire des prix, à une réforme agraire et à la baisse de 20% des prix sur 2500 produits. « Sauf que 2009 à 2015, on a vu une montée en flèche des prix. Quinze ans après, les prix ne cessent d’augmenter à des proportions injustifiées,dénonce Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC sur Youtube. L’observatoire n’a aucune marge de manœuvre pour réguler les prix. Le seul effort depuis 2009 a été fourni par les collectivités pour baisser l’octroi de mer qui sert à financer les collectivités », dit-elle.
L’octroi de mer, créée en 1670 en Martinique, est une taxe qui s’applique aux importations, avec un taux variable selon les produits. Les documents qui répertorient les différents octrois de mer dans les territoires ultramarins font près de 1200 pages ! Cette taxe « représente près d’un tiers des ressources des communes », soulignait en mars dernier le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Près de la moitié des dépenses de personnel des collectivités en Martinique serait ainsi financé par cette taxe.
Revers de la médaille, l’octroi de mer, conjugué à la TVA, fait gonfler les prix de 7 % en moyenne. « Il faut revoir le système de taxation qui crée des inégalités, mais l’octroi de mer finance aussi directement les collectivités. Et on ne veut pas un affaiblissement de ces dernières, ni des aides sociales », prévient Aude Goussard du RPPRAC.
La grande distribution pointée du doigt
Pour le RPPRAC, c’est davantage du côté des acteurs de la grande distribution qu’il faut regarder. Le mouvement a envoyé un courrier recommandé le 1er juillet aux distributeurs alimentaires de Martinique et au préfet, en pointant leur responsabilité dans les « injustices criantes liées au prix de la consommation », et en exigeant des réponses concrètes dans les deux mois. Les enseignes de distribution, dominées par trois grands groupes – GBH, SAFO et CREO – ont fini par répondre à la dernière minute, le 31 août, en avançant que ces écarts de prix venaient de « contraintes structurelles » comme l’éloignement et le transport par bateau. C’est l’absence de propositions pour baisser les prix, suite à ce courrier, qui a marqué le début de mouvement.
En plus des taxes, les intermédiaires sont nombreux entre le producteur et le distributeur. « Alors qu’ils sont en général au nombre de trois en France hexagonale, en Martinique ils peuvent aller au-delà des quatorze » relève un rapport parlementaire sur le coût de la vie de juillet 2023. Ces intermédiaires facturent chaque étape de traitement de marchandises, prélevant leurs marges à chaque fois, faisant mécaniquement monter les prix.
Selon le rapporteur parlementaire, l’ancien député socialiste Johnny Hajjar, derrière la plupart de ces intermédiaires se trouveraient des entreprises appartenant aux grandes enseignes de distribution martiniquaises. Contactées par l’équipe d’Envoyé spécial, les entreprises ont reconnu posséder des sociétés qui interviennent dans la chaine logistique mais pas à chaque échelon.
Prenons le cas du groupe GBH avec à sa tête Bernard Hayot et son fils Stéphane Hayot. « La famille Hayot contrôle non seulement les grandes surfaces, mais aussi le transport maritime, les entrepôts, et même les conteneurs dans lesquels sont acheminés les produits », relève Jérémy Désir, néopaysan martiniquais dans un article de Reporterre. Cette concentration verticale permet au groupe de se facturer à lui-même chaque étape de la chaîne logistique. Selon le rapport parlementaire, « cette multiplication d’acteurs est un moyen efficace de noyer l’accumulation des marges, tout en justifiant que les marges sont raisonnables prises individuellement ». Le pouvoir économique grandissant entre les mains de quelques grands groupes leur permet également de faire de vastes économies d’échelle.
La question des marges arrières pratiquée par les grands groupes comme GBH est aussi soulevée dans le rapport du député. Elles consistent en une entente légale entre le fournisseur et le distributeur. Lorsqu’un objectif de vente fixé est atteint, le fournisseur cède une partie de sa marge au distributeur, en toute opacité. Comme le note l’enquête parlementaire, « les auditions ont mis en avant l’opposition entre le secret des affaires et le contrôle des prix, des marges et des revenus ». Ainsi, les organismes comme l’Insee ou les observatoires des prix qui demandaient l’accès aux données sur les marges se sont vus opposer le secret des affaires, une loi adoptée en France en mars 2018 (transposée d’une directive européenne), qui crée un droit général au secret pour les entreprises et leur permet potentiellement de traîner devant les tribunaux quiconque porterait à la connaissance du public une information sur leurs activités.
Et l’État dans tout cela ? Il a jusque là fait le choix du laisser-faire. Auditionné en juin 2023 à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, avait conclu : « Les marges relèvent du secret des affaires. On peut les contrôler, mais pas les rendre publiques. Faisons attention car un excès de transparence risque de mettre en péril l’activité économique. » Or, c’est précisément ce secret des affaires qui sert de paravent à des groupes puissants pour abuser de leurs positions sur le marché de la distribution.
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès les premiers jours, entre couvre-feu et déploiement de la CRS 8. Trois tables-rondes sur la vie chère rassemblant les différentes partie-prenante se sont tenues ces dernières semaines. Elles ont abouti à un premier document de travail avec plusieurs pistes pour baisser les prix, permettre la transparence et renforcer l’autonomie alimentaire. Il a notamment été proposé que l’octroi de mer soit supprimé sur près de 6000 articles de première nécessité. « Nous notons que la grande distribution ne souhaite pas perdre un kopeck et compte beaucoup sur l’État », a déploré Aude Goussard à la sortie de la dernière table ronde. Les négociations doivent reprendre ce lundi 7 octobre.
Ces derniers jours, le RPPRAC a poursuivi les opérations « courses fictives » dans plusieurs enseignes du groupe GBH pour les bloquer. Un appel à la grève illimitée a également été lancé par la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) depuis le 26 septembre. Outre la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité, la CGTM entend poser la question des revalorisations salariales, des pensions de retraite et des minimas sociaux. Alors que les prix n’ont cessé d’augmenter depuis quinze ans, syndicats et mouvement citoyen martiniquais aspirent à inverser le rapport de force.
Théo Bourrieau sur www.humanite.fr
Depuis plus d’un mois, un important mouvement contre la vie chère a été lancé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens en Martinique. Lundi 7 octobre, des policiers ont tenté de déloger des manifestants qui menaient une action sur un rond-point du Lamentin. Cinq personnes ont été interpellées et au moins quatre blessées. Selon la préfecture, onze policiers ont également été blessés.
La réponse du gouvernement et de la préfecture de Martinique aux mouvements contre la vie chère semble toujours être la répression. Lundi 7 octobre au matin, le rond-point de Mahault, dans la commune du Lamentin, à une dizaine de kilomètres de Fort de France, est bloqué par des manifestants. Quelques heures plus tard, la préfecture envoie la désormais bien connue CRS8, spécialisée dans les « violences urbaines », qui s’est notamment illustrée pendant l’opération Wuambushu à Mayotte, ou dans de nombreuses manifestations en métropole, notamment pendant la réforme des retraites.
Une « répression policière » contre « des Martiniquais pacifiques »
La mission de la Compagnies républicaine de sécurité 8 : débloquer le rond-point, quitte à faire usage de la force. Des vidéos d’affrontements, ainsi que du président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) ensanglanté, ont fait le tour des réseaux sociaux. Dans un communiqué, l’association dénonce « avec la plus grande fermeté la répression policière exercée dans la commune du Lamentin contre des Martiniquais pacifiques qui, depuis 38 jours, se mobilisent contre la vie chère en Outre-Mer ».
« Nous ne tolérerons jamais l’usage de tirs de type LBD visant le visage et le cou des manifestants dans nos rues », ajoute les auteurs du communiqué. Au cours de ces affrontements, Rodrigue Petitot, dit le R, président du RPPRAC, a « été pourchassé et blessé à la main et à la jambe », affirme l’association, ajoutant qu’à sa connaissance, « deux militants ont également été tabassés et placés en garde à vue », et qu’une riveraine « a fait un malaise » à cause du gaz lacrymogène. Dans une autre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on y voit Aude Goussard, trésorière de l’association, violemment repoussée par un CRS.
Selon la préfecture, onze policiers, notamment victimes de jets de pierre, ont aussi été blessés. « Face à de tels comportements, les forces de sécurité intérieure ont fait usage de la force, dispersé l’attroupement et procédé à l’interpellation de 5 individus », écrit le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier dans un communiqué. Alors que la tension semblait être redescendue au cours de la journée de lundi, plusieurs véhicules en feu ont été signalés à Fort de France et un barrage enflammé aurait également été érigé au Lamentin, selon les informations du média France-Antilles Martinique.
Depuis le début du mois de septembre, un important mouvement contre la vie chère a été lancé, notamment par le RPPRAC. Selon l’Insee, les prix à la consommation en Martinique sont en moyenne plus élevés de 14 % que dans l’Hexagone. Pour la nourriture, cette différence atteint 40 %. Dépendante à 80 % des importations, l’île souffre d’une situation de quasi-monopole des distributeurs et des transporteurs. En Martinique, 44 300 ménages vivent sous le seuil de pauvreté. Soit 27 % de la population, et le mouvement contre la vie chère traverse différentes couches de la société. Quatre tables rondes ont été organisées par les autorités depuis le début de la crise, sans issue satisfaisante pour les protestataires. Une cinquième table ronde, qui devait se tenir lundi 7 octobre, a été repoussée sine die.
mise en ligne le 5 octobre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
En cette rentrée syndicale, Rapports de force a souhaité questionner la fonction de la grève et de la lutte syndicale. A quoi sert une journée d’action ? Pourquoi la grève est-elle si dure à faire prendre ? Doit-on miser sur les unions locales ou les fédérations ? Faut-il compter sur les permanents ? Entretien avec le sociologue Baptiste Giraud, auteur du livre Réapprendre à faire grève.
Baptiste Giraud, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille et membre du laboratoire LEST (Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail), est l’auteur de l’ouvrage Réapprendre à faire grève (PUF 2024). Entre 2005 et 2007, il a mené une enquête ethnographique au sein de l’Unions syndicale (US) CGT du commerce et des services de Paris. Son ouvrage est inspiré de sa thèse Faire la grève. Les conditions d’appropriation de la grève dans les conflits du travail en France, parue en 2009.
Ce 1er octobre, une intersyndicale (Solidaires, CGT, FSU) appelle à la grève sur le thème des retraites, de l’augmentation des salaires et des services publics. Or l’organisation d’une simple journée d’action, très ritualisée, ne semble pas permettre de faire reculer le gouvernement et le patronat. Pourquoi les syndicats maintiennent-ils malgré tout le principe des journées d’actions isolées ?
Baptiste Giraud : C’est un fait, le mouvement syndical a bien du mal à enrayer les réformes néolibérales depuis 20 ans. Malgré tout, la CGT maintient cette habitude des journées d’action. Dans ce contexte, il est légitime de se poser la question de leur utilité. Selon moi, il y a un triple espoir.
D’abord, créer un événement médiatique et politique. Le 1er octobre, malgré tout, on en parle. Les syndicats font exister leurs revendications dans l’espace médiatique et politique : la question salariale, celle du travail de manière plus large. Ce n’est pas rien dans la période.
Deuxièmement, c’est aussi un moyen de faire vivre l’organisation. C’est un temps qui permet de rassembler des militants qui, sinon, seraient largement absorbés par l’exercice de leur mandat d’entreprise. Je le détaille dans mon livre : le temps de préparation de l’action a parfois plus d’importance que l’action elle-même. C’est l’occasion de maintenir des réseaux militants, de réactiver des sections parfois dormantes, de créer de nouvelles solidarités, de sortir du quotidien…
Troisième point : une journée d’action peut-être un point d’appui dans les entreprises où les syndicats sont en capacité d’initier une immobilisation forte. C’est un effet pervers, mais n’oublions pas qu’en 2023 les syndicats ont obtenu des compromis locaux dans la pétrochimie, dans des entreprises du transport etc. C’est pour ça qu’il faut toujours se méfier de la manière dont on évalue les retombées d’une journée d’action. Tout ne se voit pas à l’échelle interprofessionnelle.
Si l’on s’accorde sur l’impossibilité de contrecarrer le gouvernement et le patronat par une simple journée d’action, ne faut-il pas que les syndicats, et notamment la CGT, élèvent le rapport de force et tentent d’initier des grèves reconductibles, en capacité de peser sur l’économie ?
Baptiste Giraud : Il faut d’abord rappeler que le syndicalisme français ne va pas bien. Il y a une nouvelle érosion du taux de syndicalisation. Alors que ce taux s’était stabilisé autour des 11% dans les années 90 et 2000, on est revenu à 10% en 2019. De plus, les adhérents participent de manière beaucoup plus limitée qu’auparavant à l’activité de leur syndicat. Ces derniers reposent sur le dévouement, l’abnégation, d’une poignée de militants qui cumulent les responsabilités. On a de plus en plus à faire à des syndicats de mandatés.
Enfin, il a de gros trous dans la raquette. Les grèves se concentrent dans certaines grandes entreprises ou dans la fonction publique et les syndicats sont absents de 4 entreprises sur 10. L’implantation syndicale est très fragile dans les secteurs les plus exploités du prolétariat, notamment ceux qui sont au cœur de mon ouvrage : les ouvriers et employés du commerce des services.
Aujourd’hui, je pense que ce qu’il ne faut pas occulter lorsqu’on débat des stratégies syndicales, c’est à quel point les directions syndicales sont contraintes par leurs faibles moyens. De plus, dans la direction de la CGT, une idée est très fortement intériorisée : appeler à des mots d’ordre plus volontaristes, plus radicaux, comme la grève reconductible, c’est s’exposer au risque de les voir échouer. Or un tel échec est vu comme un réel vecteur de démoralisation militante et de marginalisation du syndicat.
Comment expliquer que, malgré une précarité et une colère sociale croissante, les grèves ne fassent pas le plein ?
Baptiste Giraud : Il ne faut pas sous-estimer les difficultés à entrer dans la grève, surtout de manière prolongée, et le niveau de résignation. D’ailleurs, il y a un décalage entre les moyens que la CGT peut réellement mettre à disposition pour rendre la grève possible et la rhétorique de la grève, qui est abondante dans les congrès par exemple. Dans quantité d’entreprises, les militants CGT opèrent une nette séparation entre ce qui relève du champ de l’activité syndicale et ce qui relève de l’activité politique et gouvernementale, comme la réforme des retraites. De plus, même parmi eux, il n’y a pas forcément consensus sur la nécessité de s’opposer à ces réformes. Dans mon livre, je montre toutes les frictions que peut susciter la rencontre entre des militants très attachés à la pratique de la grève, qui en font une modalité centrale de l’action syndicale, et des salariés, voire des militants, qui en sont très éloignés.
Pour les militants de l’US CGT commerce et services de Paris, que j’ai suivis, comme pour de nombreux salariés des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste, le recours à la grève et à la manifestation ne va pas du tout de soi. C’est une modalité d’action qu’ils n’ont généralement jamais eu l’occasion d’expérimenter, souvent parce qu’ils n’ont pas pas eu d’expérience militante antérieure au syndicalisme.
C’est pourquoi certains participent aux grandes manifestations sans se mettre en grève, mais en utilisant leurs heures de délégation. Ils montrent ainsi que la section, ou le syndicat, est mobilisé, mais sans forcément chercher à entraîner les salariés avec eux. C’est une manière de marquer une adhésion au mot d’ordre de la mobilisation, mais aussi l’aveu de leur difficulté à s’y rallier de manière plus collective. D’ailleurs, on l’a bien vu pendant la bataille contre la réforme des retraites en 2023, la première modalité d’action pour les salariés reste la participation à la manifestation plutôt que l’engagement dans la grève.
Pour les permanents, c’est très clair. Ils disent d’un côté : “dans nos secteurs, la grève reste la modalité d’action la plus adaptée pour créer le rapport de force nécessaire face à l’employeur”. D’un autre : “il nous faut constamment nous adapter à ce que sont nos militants, à ce qu’ils veulent et peuvent faire”.
Si la seule réponse qui est apportée aux militants qui viennent solliciter l’aide des permanents, c’est tout de suite la stratégie de la grève, ça en éloigne beaucoup du syndicalisme, parce que ça les effraie. Pour les permanents, le plus important reste d’abord de les intégrer au syndicat pour leur transmettre des manières de penser et d’agir, pour montrer l’utilité de l’action collective. A partir de là, il peut y avoir une forme d’acculturation progressive, un apprentissage de la grève.
Mais vous montrez aussi que lorsqu’une grève se déclenche, notamment dans un conflit long, cela peut modifier durablement le rapport d’un salarié à son entreprise. Vous parlez alors de la grève comme d’un “moment d’émancipation”.
Baptiste Giraud : Dans le commerce et les services, les salariés sont souvent peu qualifiés, immigrés ou d’origine immigrée, et considérés par le patronat comme interchangeables. On observe dans ce secteur des formes d’autoritarisme patronales très violentes. La grève est alors l’occasion pour les salariés de s’émanciper et de renverser, au moins un temps, l’emprise du patron. Au début de certaines grèves que j’ai pu observer, il règne une certaine forme d’euphorie chez les salariés, liée à un soulagement et à un immense plaisir d’avoir osé défier ouvertement la direction.
Alors qu’ils exercent dans des professions très dévalorisées, c’est aussi le moyen pour eux de montrer l’utilité de leur travail. Sur le moyen terme, ces grèves rééquilibrent les rapports de force au sein de l’entreprise. Mais, à l’inverse, j’ai aussi suivi un conflit long dans un entrepôt où la grève s’est étirée et où elle a été très difficile à tenir pour les salariés. A la fin, les résultats ont été très limités. Ce n’est pas une expérience de la grève qui incite à renouveler l’expérience.
C’est pourquoi, du côté des permanents, on essaie aussi de valoriser les gains moraux, la dignité retrouvée face à l’employeur. Et ça je pense que c’est une dimension excessivement importante. En revanche, le “rendement militant” de la grève dans ce secteur peut paraître plus limité. Les grévistes ne rejoignent pas forcément le syndicat, et même lorsqu’ils le font, il est probable qu’on finisse par les perdre de vue lorsqu’ils changent d’entreprises. Or cela arrive très régulièrement. C’est pour cela que, parfois, les syndicalistes qui tentent de structurer ses secteurs ont le sentiment de tenter de reboucher un puits sans fond.
Vous montrez que la sociologie et la politisation des permanents de la CGT varie selon certains critères. Lesquels ? Comment cela influence-t-il le rapport à la grève de ces militants ?
Baptiste Giraud : On repère nettement la distance politique et sociale qui sépare les permanents des Unions Locales (UL) de la CGT de ceux des entreprises du commerce et des services et des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste. Les raisons de leur engagement dans le syndicalisme sont très différentes. Dans les UL, on retrouve beaucoup de militants qui ont une conception très politique du syndicalisme. Souvent, ce sont d’anciens ou d’actuels adhérents à une organisation politique. C’est cohérent : c’est dans les UL qu’ils trouvent du sens et du plaisir à se consacrer à une action syndicale qui n’est pas strictement corporative. Leur objectif est bien de créer des mobilisations et des solidarités militantes à l’échelle interprofessionnelle. Or, quand on regarde la sociologie des militants syndicaux d’entreprise, d’autant plus lorsqu’ils sont issus des classes populaires, la part des militants qui sont passés ou qui adhèrent encore à un parti politique décline fortement.
Au passage, c’est tout à l’honneur des syndicats que de rester l’un des rares espaces d’engagement qui permet l’organisation et la promotion de porte-paroles issus des classes populaires. Si on regarde la sociologie des militants syndicaux par rapport à celle des militants politiques, il y a vraiment un énorme écart. Les classes populaires ont déserté les partis politiques, ou plutôt, pourrait-on dire, les partis les ont abandonnées.
Le corollaire c’est qu’il y a, dans les entreprises, beaucoup de militants pour lesquels l’engagement syndical est vraiment déconnecté de tout engagement politique. Ils s’engagent souvent dans le syndicat à la suite d’un rapport conflictuel avec leur patron, dans le but de faire respecter la loi face à des abus. Ils ont souvent une démarche portée avant tout sur le légal.
On peut ajouter qu’ils n’ont pas forcément le temps de devenir des militants plus politiques. La décentralisation de la négociation collective et le renforcement du “dialogue social”, à défaut de produire des résultats, occupent pleinement leur mandat. De plus, dans les secteurs où les salariés sont généralement peu diplômés, il y a un véritable coût d’entrée dans la fonction de représentation syndicale. Il faut se former au droit, à l’économie… C’est un défi d’autant plus grand à relever que ces militants ont face à eux des patrons, parfois des DRH, bien plus diplômés qu’eux, spécialisés dans leur domaine, et qui leur opposent tout le mépris de classe possible.
Enfin, dans les petites entreprises du commerce, ils doivent composer avec les ressources militantes très limitées et l’autoritarisme patronal. La conséquence, c’est que le militantisme syndical se replie alors presque exclusivement sur ceux qui ont des mandats et donc le statut de salarié protégé.
Pour tenter de renforcer les secteurs les plus fragiles, et les moins en capacité de faire grève, ne faut-il pas utiliser les ressources des structures les plus pourvues de la CGT ?
Baptiste Giraud : Cette idée est un serpent de mer à l’intérieur de la CGT. Tout le monde voit bien qu’il y a un décalage dans la distribution des ressources à l’intérieur de l’organisation. Les composantes les plus richement dotées en argent et en permanence, ce sont les fédérations. Elles bénéficient de beaucoup de ressources liées au paritarisme et sont aussi en lien direct avec leurs syndicats.
La CGT a une culture d’organisation qui valorise beaucoup l’autonomie des structures. La direction confédérale dirige assez peu de choses, elle doit surtout s’efforcer de trouver des terrains d’entente entre les fédérations, notamment les plus dotées. L’effet pervers de cette organisation, c’est qu’elle limite la redistribution. La chimie, l’énergie, la SNCF, la fonction publique… ont beaucoup de ressources à la fois parce qu’elles ont davantage de militants, donc plus de rentrées de cotisations, mais aussi parce qu’elles ont une très longue histoire syndicale et qu’elles ont pu, par le passé, négocier des accords de droits syndicaux. Elles ont beaucoup de salariés mis à disposition, beaucoup de permanents. Cela n’existe pas du tout dans les nouveaux secteurs du prolétariat. Dans le commerce, la simple création d’une section syndicale est souvent l’objet de conflits dans l’entreprise. On est encore bien loin de passer des accords de droits syndicaux.
La réflexion sur le fait d’utiliser les ressources des grosses fédérations pour développer les secteurs les moins bien dotés paraît donc légitime. La CGT pourrait ainsi, par exemple, renforcer ses unions locales. Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, dans le meilleur des cas, il y a un seul permanent par UL. Et il n’est pas rare qu’il n’y en ait pas du tout et que ce soit un militant, généralement retraité, généralement issu du secteur public ou des grandes entreprises, qui assume la tâche. Or, seul, il ne peut pas faire autre chose que ce que j’appelle du “syndicalisme de pompier” : accueillir les salariés ou les adhérents isolés, les aider dans les procédures prud’hommes, les aider à organiser des élections professionnelles… C’est autant de temps qui n’est pas du tout disponible pour la dimension plus politique de leur rôle.
Alors, utiliser les ressources des grosses fédérations pour renforcer les UL, je pense que, théoriquement, tout le monde voit bien le l’enjeu. Mais il faut souligner que la question se pose à un moment où les grosses fédérations sont aussi percutées de plein fouet par les grosses restructurations liées à la libéralisation (du rail, de l’énergie etc). Si on se met à la place des dirigeants de ces fédérations, ils peuvent logiquement dire : “ce n’est pas le moment de nous affaiblir en interne”.
Une autre option ne consisterait-elle pas à penser des syndicats d’industrie locaux, qui regrouperaient tous les travailleurs d’une même convention collective sur un même territoire ?
Baptiste Giraud : Pour en avoir discuté avec elle, Sophie Binet a vraiment ça en tête. Je pense, et c’est un point de vue personnel, que ce serait intéressant. Cela permettrait d’éviter plusieurs écueils. D’abord, l’enfermement dans un syndicalisme d’entreprise. Aujourd’hui les syndicats d’entreprise forts sont très autonomes vis-à-vis de leur fédérations et plus encore de leurs unions locales. C’est d’ailleurs le syndicat lui-même qui choisit son délégué, sans aucun contrôle politique. Deuxième avantage, cela permettrait d’éviter la masse des adhérents isolés, qui ne sont rattachés à aucun syndicat d’entreprise. Enfin, on pourrait arrêter avec les syndicats très faibles, constitués de 2 ou 3 militants. On ne fait rien avec si peu de militants. A la place, on adhère au syndicat, par exemple de la logistique, de son territoire et, même si on change d’entreprise, on y reste affilié.
Mais ce n’est pas une mince affaire. Il y a une espèce de sacralisation du syndicat d’entreprise à la CGT parce que ses statuts, son organisation interne ont aussi été pensés dans un contexte où le tissu productif reposait sur les syndicats des grandes entreprises. C’était aussi une époque où la CGT était ultra politisée et fonctionnait du haut vers le bas. Aujourd’hui, ces dimensions là ont totalement disparu pour des raisons indépendantes de la volonté des directions syndicales, mais le frein idéologique reste. Bernard Thibault avait d’ailleurs proposé de modifier les statuts de la CGT pour obtenir que les syndicats d’entreprises ne puissent pas être montés en dessous de 10 adhérents. Il a dû renoncer, alors que ça paraissait juste une évidence.
Votre livre se concentre beaucoup sur le travail des permanents pour développer le syndicalisme et la grève. Mais ne craignez-vous pas que des personnes qui n’exercent plus réellement leur métier et vivent du syndicalisme perdent de vue leurs objectifs politiques et se concentrent finalement sur la conservation de leur poste ou les intérêts de leur structure ? Autrement dit : à trop compter sur les permanents, n’y a-t-il pas un risque de bureaucratisation du syndicat ?
Baptiste Giraud : Le terme de “bureaucratisation” aide à penser la professionnalisation du syndicalisme et les effets pervers qu’elle peut entraîner. Effectivement, on peut craindre que la défense des intérêts de l’organisation par un permanent, ou de sa propre carrière dans le syndicat, interfère avec l’organisation de la lutte. Tout cela est très vrai. D’un autre côté, cette catégorie est tellement fourre-tout qu’elle recouvre des réalités très variables. Les permanents de l’US que j’ai suivis peuvent être rangés parmi les professionnels du syndicalisme, “les bureaucrates”. Mais je peux vous dire qu’ils ne passent pas beaucoup de temps dans les bureaux et sont constamment sur le terrain, à former les militants et à organiser des luttes.
Il ne faut pas perdre de vue, et c’est une particularité du syndicalisme français, que les permanents, pour l’immense majorité d’entre eux, sont d’anciens militants d’entreprises. Ils ont une grande expérience de l’action syndicale, y compris dans sa dimension mobilisatrice. Ce n’est pas un modèle majoritaire en Europe, où les syndicalistes sont davantage recrutés sur la base de leurs diplômes, parce que leur rôle consiste d’abord à représenter le syndicat dans les négociations avec les employeurs.
C’est mon avis, mais je pense qu’une organisation syndicale de la taille et de l’ambition de la CGT ne peut pas exister sans permanent. Si toute action revendicative relève simplement de la bonne volonté des militants, on touche vite à des limites. En revanche, avoir un débat en interne sur : “à quoi peuvent servir les permanents?” et “est-ce que les permanents doivent à ce point être absorbés par l’institutionnel”, peut-être pertinent. Pour ma part, je pense que les syndicats devraient œuvrer à faire reconnaître des droits syndicaux interprofessionnels. C’est-à-dire le droit à disposer de permanents sur les territoires qui ne seraient pas destinés à siéger dans les instances du “dialogue social”, mais dont la fonction reconnue et légitime serait d’organiser les salariés.
mise en ligne le 2 octobre 2024
sur https://www.cgt.fr/
Ce mardi 1er octobre, à l’appel de la CGT, de la FSU, de Solidaires et des organisations de jeunesse, ce sont plus de 170 000 personnes qui ont défilé dans 190 villes de France pour exiger des augmentations de salaire et de pension, l’abandon de la réforme de l’assurance chômage, l’abrogation de la réforme des retraites et le financement de nos services publics.
De nombreux débrayages ont eu lieu dans les Ehpad, les hôpitaux, les services, l’industrie comme à Vencorex (Isère) et des milliers d’écoles ont vu leur fonctionnement perturbé par la grève. À l’appel de la FERPA, les retraité·es étaient largement mobilisé·es.
Gouvernement et patronat contraints à de premiers reculs
La mobilisation a forcé le Premier ministre à reconnaitre l’échec de la politique économique sociale et environnementale d’Emmanuel Macron et à annoncer :
l’augmentation du Smic de 2%, au 1er novembre, et la remise en cause d’une partie des exonérations de cotisations sociales en reconnaissant qu’elles représentent des trappes à bas salaire. La CGT demande qu’une nouvelle augmentation du Smic ait lieu en janvier et qu’elle soit suivie d’une augmentation du point d’indice dans la fonction publique et de l’augmentation de l’ensemble des salaires dans le privé ;
l’enterrement de la violente réforme de l’assurance chômage et la relance d’une négociation. C’est une grande victoire intersyndicale qui va éviter à 1 million de privé·es d’emploi de tomber dans l’extrême précarité ;
l’abandon du projet de réforme constitutionnelle de la Nouvelle Calédonie alors que l’acharnement du président de la République a ruiné l’économie du territoire et causé 13 morts.
Le Premier ministre a également effectué un recadrage salutaire de son ministre de l’Intérieur en rappelant son attachement à l’État de droit et son intransigeance face au racisme et à l’antisémitisme. Cela doit maintenant se traduire en actes concrets pour faire reculer l’Extrême droite et ses idées.
Un changement de méthode démocratique qui doit commencer par les retraites
Le Premier ministre a annoncé son souhait de redonner la main au parlement, aux acteurs sociaux et aux citoyen·nes Il doit donc s’engager à respecter
le vote des députés qui sont une majorité à être favorables à l’abrogation de la réforme des retraites.
L’ouverture d’un chantier pour « corriger la réforme des retraites » constitue, après 18 mois de déni et de passage en force présidentiel, une première reconnaissance de la violence de cette réforme.
La CGT appelle le Premier ministre à abroger la réforme et à organiser une conférence de financement de nos retraites.
Services publics : la mobilisation s’impose contre l’austérité
Sur l’essentiel et notamment sur le futur budget, le discours du Premier ministre est resté très flou. La priorité annoncée pour l’école, la santé et la petite enfance doit se traduire par un investissement budgétaire massif. Sur ce point, le Premier ministre n’a pris aucun engagement. Pire, il a dénoncé le niveau de la dépense publique. La vigilance et la mobilisation s’imposent pour empêcher une violente politique d’austérité. La grave paupérisation de nos hôpitaux, de nos écoles et de nos infrastructures impose un plan de financement ambitieux, pour répondre aux enjeux d’avenir, au défi environnemental, au vieillissement de la population et au désenclavement de nos territoires. De même, en matière d’industrie où, alors que la CGT lui a remis la liste des 170 plans de licenciements détruisant 100 000 emplois, le Premier ministre n’a fait aucune annonce concrète. Rien non plus sur la nécessaire augmentation des pensions des retraité·es.
La CGT appelle les salarié·es et les retraité·es à continuer à multiplier les luttes pour garder la main et gagner l’augmentation des salaires et des pensions, l’abrogation de la réforme des retraites, le financement de nos services publics et la relance de notre industrie.
Montreuil, le 1er octobre 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Entre 2 000 et 2 500 personnes ont battu le pavé à Montpellier ce premier octobre à l’appel de la CGT pour demander une augmentation des salaires et des pensions, mais aussi et surtout contre le nouveau gouvernement nommé par Michel Barnier
“La situation est dramatique”, Serge Ragazzacci, secrétaire de la CGT dans l’Hérault : “Michel Barnier est un homme de l’ancien monde, issu d’un groupe ultra minoritaire à l’Assemblée nationale et un gouvernement qui se retrouve complètement dépendant de l’extrême droite”, scande-t-il à la fin de la manifestation du 1er octobre à Montpellier pour la hausse des salaires et des pensions, qui a défilé du parc du Peyrou à la Comédie.
Pour le secrétaire départemental de l’Hérault, qui avait appelé à soutenir la candidature du Nouveau Front Populaire aux législatives en juin dernier, le discours habituellement purement syndical se teinte d’un réquisitoire plus politique que jamais : “Cette politique est éloignée du choix citoyen qui a été fait le 1er et 7 juillet dernier, fait par des gens qui ont parfois voté pour des candidats loin de leurs idées politiques. Ce vote montrait un refus de voir l’extrême-droite accéder au pouvoir et un refus de la réforme des retraites contre laquelle on s’est battu. Les retraites ont été le sujet principal de cette campagne, nous demandons toujours son abrogation.”
La jeunesse et les retraités mobilisés
Derrière le cortège syndical, un cortège étudiant dynamique et enjoué, parti depuis l’université Paul-Valéry, martèle : “La jeunesse emmerde le front national !” Livia Jampy, co-porte-parole du Syndicat de Combat Universitaire de Montpellier (SCUM) et par ailleurs membre des Jeunes Insoumis de Montpellier explique les raisons de leur mobilisation : “Le SCUM est mobilisé aux côtés de l’intersyndicale depuis la réforme des retraites. Avec ce nouveau gouvernement, les attaques contre les étudiants vont continuer : notre ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Patrick Hetzel, avait proposé, quand il était député, la création d’une commission d’enquête sur l’entrisme idéologique et les dérives islamo-gauchistes à la fac, on sait bien qu’il va pas instaurer les repas du CROUS à un euro pour tous ou initier la création de logements étudiants, donc il faut qu’on soit mobilisé.”
Plus calme, le cortège des retraités marche juste derrière. François militant de la CGT-retraités de l’Hérault, est lui aussi en colère contre le nouveau gouvernement, qui “tend vers l’extrême-droite.” “C’est symbolique de défiler le jour du discours de politique générale. Ils prévoient 25 milliards d’euros d’économies, on a peur de la suppression de l’indexation des pensions sur l’inflation.” Lui et ses camarades demandent le SMIC à 2 000 euros et “pas de retraites en dessous du SMIC”. A 2 000 euros, donc. “Mais le problème de cette journée, c’est qu’il n’y a pas de perspectives, il faudrait une grève générale…”, souffle-t-il.
Un cortège du Nouveau Front Populaire
Des perspectives, certains dans la manifestations en ont, et elles sont plus politiques que syndicales. C’est le cas des militants du local militant la Carmagnole, implanté dans le quartier Figuerolles, qui ont appelé à la création de “comités NFP” partout dans le département. Francis Viguier, l’un des piliers de ce local militant, explique : “Ces comités sont là pour que les citoyens s’organisent par la base. Le NFP est un outil indispensable pour lutter contre l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National, il faut que les gens s’emparent du programme, et le défendent, notamment sur la question de la retraite à 60 ans ou de la hausse du SMIC.” Une réunion des comités NFP a d’ailleurs lieu ce mardi 1er octobre à 18 h 30 à la Carmagnole.
Outre les partis de l’alliance de gauche (La France Insoumise, EELV, le Parti Communiste), on retrouve dans ce cortège des syndicalistes, comme Yann, militant syndical du SNESUP, venu avec le drapeau de son syndicat. “On n’est plus dans les revendications syndicales, car la question est plus politique que syndicale. Et le NFP reprend des revendications syndicales qu’on a depuis longtemps, comme par exemple la retraite à 60 ans.” Lui même impliqué dans le comité NFP du Pic-Saint-Loup, il remarque que si il y a une volonté d’impliquer les syndicats dans ces comités, les syndicalistes les rejoignent à titre individuel pour ne pas engager toute leur fédération.
Début septembre, Le Poing écrivait : “La capacité de mobilisation et de politisation du NFP, ou plutôt, de LFI pour l’essentiel, ne s’épanouit que lors des périodes électorales. Et la gauche a beau dénoncer, avec justesse, des élections volées, c’est aussi un formidable aveu de faiblesse. En somme, Emmanuel Macron leur dit « et maintenant, vous allez faire quoi ? » Et la gauche de répondre : « Eh bien, rendez-vous aux prochaines élections. »”
Peut-on vraiment attendre quelques choses des urnes ? C’est la question à laquelle nous tenterons de répondre dans un débat organisé par Le Poing le 12 octobre au Quartier Généreux, venez nombreux !
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr
Près de 170 000 manifestants selon les syndicats (95 000 selon l’Intérieur) ont défilé mardi 1er octobre à l’appel de la CGT, FSU et Solidaires et d’organisations lycéennes et étudiantes. Dans les rangs des différents secteurs en lutte, l’amertume et la lassitude autour de la nomination du gouvernement Barnier côtoie la détermination à rassembler les forces vives pour les mois à venir.
Au milieu des habitués des manifestations, des professionnels de secteurs en lutte depuis de longs mois, ou de celles et ceux qui n’ont pas manqué un rendez-vous contre la réforme des retraites, Sophie et Patricia font figure d’exception. Cette manifestation du 1er octobre est la première de toute leur carrière d’infirmières. Pour l’occasion, elles ont revêtu leur blouse blanche. C’est que cette fois, « il y a un ras-le-bol », résume Patricia, infirmière depuis plus de vingt ans.
En un an, le nombre de lits a été divisé par deux dans leur service d’un hôpital de l’est parisien. « Alors que l’on était censé améliorer la prise en charge des patients en soin palliatifs, on est passé de 10 lits à 5 », détaille Sophie, sa collègue. « Et de 6 infirmières de jour à 4… Tout en nous demandant d’intervenir aussi dans d’autres services. On nous demande d’être polyvalents, pour moins recruter ensuite ».
Sur fond de cette année de restrictions, la nomination du nouveau gouvernement de Michel Barnier a été la goutte de trop. « Ils veulent réduire notre budget, en embauchant moins de fonctionnaires. Cela va encore tout aggraver », craint Sophie. Une première mobilisation qui en annonce d’autres, donc, pour ces deux infirmières ? Rien n’est moins sûr. Car il n’y a qu’une seule issue, selon elles : « partir de l’hôpital », lâchent-elles en chœur, visages las. Patricia envisage une activité de réflexologue et massothérapeute en auto-entrepreneuse. Sophie, elle, songe à basculer dans le libéral, à domicile. « Une infirmière à l’hôpital, elle reste en moyenne sept ans avant de partir », rappelle cette dernière, elle-même en bout de course après sept ans d’expérience.
Loin devant ces deux infirmières, Roberta* marche seule, le pas décidé, remontant petit à petit la foule. Cette directrice de crèche, elle, a de l’énergie combative à revendre pour les mois à venir. « Où sont mes collègues ? On devrait être plus nombreux ! », tance la manifestante. Elle tient haut une pancarte pleine de couleurs sur laquelle il est écrit : « J’aime mon boulot mais : + d’euros, + de pros = – de bobos ». Ce n’est pas pour elle-même qu’elle a rejoint cette manifestation du 1er octobre – son poste de direction, elle l’adore – ; mais bien pour ses salariées. « Je suis là pour les représenter », insiste-t-elle. « Mes équipes sont épuisées. Par contre elles sont hyper motivées, c’est ce qui est paradoxal. Elles sont là pour les enfants, même si le salaire ne suit pas. On leur demande sans cesse des heures supplémentaires. Alors que c’est un métier difficile physiquement, psychologiquement, avec beaucoup de responsabilité. »
« Mieux faire circuler l’information sur les mobilisations »
Roberta dirige deux micro-crèches. Dans ces structures, le taux d’encadrement est d’une professionnelle pour six enfants de dix mois à 3 ans. « Est-ce normal d’assurer la sécurité émotionnelle, physique, les repas, les soins, de six enfants, en étant toute seule ? En plus, en faisant du ménage – comme on leur demande en micro-crèche ? », déplore Roberta. Les débuts de négociations avec le ministère obtenus par la lutte des professionnelles du secteur, l’an dernier, n’ont pas été satisfaisants à ses yeux. Quant au nouveau gouvernement : « on va dans une très mauvaise direction. Je crains que rien ne bouge, que les salaires ne soient toujours pas revalorisés ».
Alors, la directrice a elle-même fait circuler l’information sur la manifestation du 1er octobre dans son établissement. Ses salariées se sont mises en grève, et la micro-crèche a fermé, précise Roberta en souriant. « Les filles, souvent, ne sont même pas au courant des dates de mobilisation. C’est qu’on manque aussi de syndicats : certains grands groupes privés ont réussi à scinder les micro-crèches pour qu’il n’y ait pas de représentant du personnel », décrit-elle. La priorité pour renforcer la dynamique dans les mois qui viennent ? « Il faut un gros travail de communication pour mieux faire circuler l’information sur les mobilisations. Et renforcer la présence des syndicats », encourage Roberta.
Mouvement social contre le durcissement de la politique migratoire
Discrets, une poignée de salariés de l’Ofpra défilent au milieu du cortège. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, sous tutelle de l’Intérieur, est l’organisme chargé de traiter les demandes d’asile. À l’heure où Michel Barnier prononce son discours de politique générale, Charlotte* a rejoint cet après-midi la manifestation du 1er octobre « pour la façon dont on s’est fait avoir, sur toute la ligne, par ce nouveau gouvernement ». Cette agente de l’Ofpra craint surtout la nomination de Bruno Retailleau (LR) à l’Intérieur : « c’est compliqué d’envisager notre travail de manière sereine ».
Le ministre a déjà multiplié les prises de parole augurant un durcissement de la politique migratoire. Michel Barnier, lui, promet entre autres d’accélérer l’examen des dossiers d’asile, pour « un traitement plus efficace des demandes d’asiles ». Or, les agents de l’Ofpra sont déjà sous pression. C’était l’objet de la grève de 200 agents de l’Ofpra au mois de mars contre la « politique du chiffre » – un mouvement rare, donc très relayé. « La promesse d’une énième loi immigration, on commence à en avoir marre. À chaque fois, on descend d’un cran en termes de respect des demandeurs d’asile », souffle Charlotte.
Quelle résistance à cette dégradation imaginer dans les mois à venir ? La marge de manoeuvre est étroite : « On est un établissement indépendant dans le texte, mais dans la réalité on voit bien qu’on ne l’est pas. Dans quelques mois on va changer de directeur général : nommé par un gouvernement pareil, on n’a pas trop d’illusions », commente l’agente de l’Ofpra. Il faudra alors s’appuyer sur le mouvement social construit il y a quelques mois : « on a été très soutenu. Et on était tous d’accord pour dénoncer nos conditions de travail. Les négociations ont été mises en suspens en l’absence de nouveau gouvernement, mais quand ça repartira, je serai là », conclut-elle.
« On se renforce, on continue » après le 1er octobre
Un autre secteur a été mis en suspens cet été par l’absence de transition gouvernementale : l’énergie. En tête de manifestation, une immense banderole bleue « EDF-GDF 100% public » est déployée sur toute la largeur de la rue, tenue aux quatre coins par des manifestants. Gaël Farou, administrateur de la FNME CGT et agent EDF de la centrale nucléaire de Civaux, marche à côté. Ses collègues sont depuis de longs mois en lutte sur tous les fronts : salaires, réforme des retraites, annonce récente par EDF de la fermeture en 2027 de la centrale de Cordermais…
Sans compter la bataille constante « pour la renationalisation de tout le secteur de l’énergie, en arrêtant de le laisser au privé », résume Gaël Farou. Pour rappel, après un long mouvement social chez EDF contre le projet Hercule visant au démembrement du groupe, le Parlement a adopté en avril (contre l’avis du gouvernement) un texte sanctuarisant à 100% le capital d’EDF détenu par l’État.
Pour le reste, le changement ministériel a mis en suspens les négociations. Gaël Farou ne se fait pas d’illusion : « avec ce gouvernement et leur idéologie, on ne va pas vers ce que l’on souhaite ». Par ailleurs, après des mois de lutte notamment contre la réforme des retraites, beaucoup d’agents se disent : « je me mobilise, ça ne marche pas ; je vote, ça ne marche pas non plus… Cela pose de gros soucis démocratiques », pointe l’administrateur de la FNME CGT. Pour autant, ces luttes, loin de créer de la lassitude et de la désaffection syndicale, ont apporté des forces vives à la FNME CGT. Avec une remontée des nouvelles adhésions en un an jamais vue depuis des années. « Cela donne du baume au coeur, surtout dans cette période. Beaucoup de jeunes adhèrent, apportent leur pierre à l’édifice ». Alors pour les mois à venir, « on se renforce, on continue. »
*Le prénom de l’interlocutrice a été modifié afin de préserver son anonymat.
Yannis Angles et Khedidja Zerouali sur www.mediapartfr
Pendant que le premier ministre prononçait son discours de politique générale, les syndicats ont battu le pavé, réclamant l’abrogation de la réforme des retraites et la hausse des salaires. Dans la foule clairsemée, des militants syndicaux fatigués et inquiets.
Un bonnet phrygien sur la tête, un appareil photo dans les mains et une très longue barbe blanche. Assis confortablement sur la base du monument en hommage au républicain François Arago, Morgan regarde la foule défiler, prend des photos pour en garder trace et rejoindra ensuite ses camarades. « Je porte le symbole de la République, parce qu’en ce moment, elle est bafouée. »
À 75 ans, après une carrière à enchaîner les emplois dans la fonction publique, dans des mairies et des centres culturels, il enchaîne désormais les manifs. Comme tant d’autres dans le cortège, il a encore en mémoire et en jambes les très nombreuses manifestations qu’il a faites pour le retrait de la réforme des retraites.
Il se souvient aussi de la mobilisation pour le Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier et n’est pas étonné si, aujourd’hui, ce n’est pas la foule des grands jours. « C’est la reprise, il faut le temps que les gens se remettent en route, veut-il croire. Mais surtout, il y a la fatigue des manifs d’avant et le fait qu’on n’a rien obtenu avec elles. »
Ils l’avaient annoncé depuis plusieurs semaines, ce mardi 1er octobre devait être la manifestation phare de cette rentrée sociale. Ils l’avaient prévu pour le début des débats budgétaires. Elle a finalement eu lieu lors du discours de politique générale du premier ministre à l’Assemblée nationale.
D’une même voix, la CGT, FSU, Solidaires et quelques syndicats lycéens et étudiants (dont l’Unef et l’Union syndicale lycéenne) comptaient dénoncer dans la rue le déni de démocratie qui a suivi les élections législatives de juillet dernier, exiger le retrait de la réforme des retraites, celle de la réforme de l’assurance-chômage, mais aussi une hausse des salaires et des pensions. En somme, les syndicats s’étaient donné pour objectif de remettre les questions sociales au cœur des préoccupations politiques.
Pas d’illusions sur l’état des forces
Mais pas sûr que ce jour de mobilisation porte bien loin les voix des travailleurs et travailleuses puisque le cortège parisien était clairsemé, surtout composé de militant·es et de responsables syndicaux.
Comme Morgan, Manès Nadel, président de l’Union syndicale lycéenne, constate qu’il n’y a pas foule. Pour le militant lycéen, ce n’est pas sans lien avec le traitement médiatique de l’actualité politique : « Il y a de l’apathie, on le sent. […] En permanence, les médias dominants nous expliquent que la gauche fait tout mal et que ce qui se passe actuellement, c’est tout à fait normal. »
« Ce n’est pas un coup d’épée dans l’eau. 190 mobilisations dans toute la France, c’est une mobilisation qui est à la hauteur des journées d’action de ce type, se défend Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Cependant, sur les lieux de travail, il y a une grande fatigue démocratique et sociale des salariés. Ils ont le sentiment que se mobiliser dans la rue ou dans les urnes, ça ne sert plus à rien. » Et de citer des mobilisations sectorielles du syndicat qui ont permis des augmentions de salaires, notamment pour les métiers de l’action sociale ou encore pour les cheminot·es.
Il y a une grande fatigue démocratique et sociale des salariés. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
Si tous les représentants syndicaux présents au premier rang ne s’illusionnent pas sur l’état des forces, tous et toutes voient des opportunités dans ce brouillard politique. « Il y a une fenêtre pour obtenir l’abrogation de la réforme des retraites, assure Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, syndicats des enseignant·es. Il n’y a pas de majorité absolue à l’Assemblée, donc il y a encore des possibles retournements à aller chercher. […] Il n’est pas illusoire de penser qu’on peut obtenir le retour de la retraite à 62 ans. »
Et si les représentants syndicaux se réjouissent de voir chez Michel Barnier un infléchissement sur les retraites qu’ils ne percevaient pas dans le gouvernement précédent, tous et toutes sont unanimes : des amendements à la marge ne suffiront pas, ils veulent l’abrogation.
Une intersyndicale sans la CFDT
Bien que partageant des constats sur la nécessité d’abroger la réforme des retraites, ni Force ouvrière, ni la CFE-CGC, syndicat des cadres, ni la CFDT n’ont été de la partie. Une intersyndicale amputée qui détonne avec l’union affichée lors du mouvement de contestation face à la réforme des retraites.
« Ce n’est certainement pas la fin de l’intersyndicale. Les organisations travaillent ensemble sur des sujets importants et on continue d’échanger régulièrement ensemble », assure Sophie Binet.
En privé, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, ne fait pas mystère de son peu de goût pour les rituelles mobilisations de rentrée. Elle souligne cependant que « sur le terrain, les équipes syndicales sont à 10 000 lieues du gouvernement » et constate « un désintérêt global pour la politique dans les entreprises ».
En sortant de Matignon mardi 24 septembre, la numéro un de la CFDT s’était en tout cas dite satisfaite de la « rencontre constructive » qu’elle venait d’avoir avec le premier ministre, qu’elle a jugé « très attentif » sur les « attentes importantes des travailleurs et travailleuses, sur les enjeux de pouvoir d’achat, sur le travail et sur la transition écologique ».
Sophie Binet aussi a été reçue par Michel Barnier. Denis Gravouil, membre du bureau confédéral du syndicat, était également présent. Il décrit auprès de Mediapart un premier ministre soucieux de se montrer « très sympathique », un rendez-vous « cordial mais sans réponses ». « Nous, on n’était pas là pour boire le thé. Nous avions des revendications précises à porter », indique Denis Gravouil. Il énumère : « Un coup de pouce au Smic, des moyens pour l’hôpital et l’éducation ; l’abrogation de la réforme des retraites, l’assurance-chômage... Plein de sujets mais pas de réponses ! »
Ce gouvernement annonce vouloir faire des économies mais j’aimerais savoir où. Sur l’hôpital ? sur l’école ? Le service public est déjà bien abîmé…Roseline, aide-soignante
Selon lui, le premier ministre, « qui a répété trois fois qu’il ne sait pas pour combien de temps il est là », a brandi, pour chaque sujet, la situation budgétaire de la France. Depuis sa nomination, Michel Barnier ne cesse de dire que le déficit est « extrêmement grave ». En réponse, les représentants de la CGT lui ont martelé qu’il fallait « plus de recettes ». « Michel Barnier nous a dit : “Je vous écoute et je vous promets que je vous entends” » , se souvient Denis Gravouil, qui s’interroge : « Mais sur quoi ? »
Les représentantes de Solidaires ne pourraient pas en dire autant, elles n’ont pas été invitées. « Mais de toute façon on n’attend rien du tout de ce gouvernement ni de Michel Barnier », tranche Murielle Guilbert, codéléguée générale du syndicat.
Hadjia ne met pas plus d’espoirs dans le gouvernement actuel. Salariée de la fonction publique hospitalière et co-secrétaire du département Sud Santé 92, elle est particulièrement remontée vis-à-vis de l’actualité politique récente : « On ne peut pas laisser tout passer, la carotte que nous a mise Emmanuel Macron en ne respectant pas le vote du peuple est inacceptable. »
Dans le cortège, tous les soignants éprouvent la même inquiétude : que ce gouvernement continue de chercher à faire des économies sur le dos des services publics, alors que nombre d’entre eux sont déjà à l’os, à commencer par l’hôpital.
Roseline, chasuble CGT sur le dos et infirmière aux urgences dans un hôpital public des Hauts-de-Seine, n’a qu’un mot pour décrire l’état de délabrement de l’hôpital public : « Une catastrophe. » Et de poser la question : « Ce gouvernement annonce vouloir faire des économies mais j’aimerais savoir où. Sur l’hôpital ? sur l’école ? Le service public est déjà bien abîmé… » Dans une même phrase, elle raconte ses conditions de travail « désastreuses », les journées de travail « de douze heures », le sous-effectif permanent et, en bout de course, les patient·es maltraité·es par un hôpital sous financé.
Les enseignant·es ne disent pas autre chose. Cédric, professeur d’informatique en lycée et membre du syndicat SNUipp, ne se résigne pas pour autant. « Je suis syndicaliste, donc je suis obligé de continuer à croire que la lutte paye, sinon on laisse tout faire et on attend gentiment que l’extrême droite arrive au pouvoir pour terminer la destruction du modèle social français. Eh bien non. »
Sa collègue a ses côtés, professeure également, hoche la tête. « Ils ont volé le pouvoir et ils vont en profiter pour continuer à casser la fonction publique pour tout vendre à la découpe », avance-t-elle. Alors, vaille que vaille, ils seront de toutes les mobilisations, y compris les plus modestes, pour redire ce qu’ils ont déjà acté dans les urnes quelques mois plus tôt.
Des travailleurs sans papiers inquiets
Dans le cortège, les pancartes et les messages inscrits sur les chasubles disent l’inquiétude des habitué·es du mouvement social : le déni de démocratie, la destruction du service public, la stagnation des salaires quand les profits augmentent.
Et puis, au milieu du cortège, une dizaine d’autres manifestants portent une autre urgence : « Nous sommes des travailleurs sans papiers et sans droits, et ce gouvernement nous inquiète beaucoup », souffle El Hadji Dioum, représentant du collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) et préparateur de commandes pour l’entrepôt DPD France du Coudray-Montceaux dans l’Essonne.
Depuis trois ans et sans relâche, ils dénoncent « l’exploitation des sans papiers » et ont dû lutter de longs mois pour que ce sous-traitant de La Poste leur accorde les documents leur permettant de demander la régularisation par le travail. Ils sont de toutes les manifestations, de toutes les grèves, reconnaissables à leurs larges banderoles jaunes.
« On suit beaucoup l’actualité politique, assure El Hadji Dioum. Et pour nous, la nomination de Bruno Retailleau, c’est une catastrophe. » Et en effet, le nouveau ministre de l’intérieur a enchaîné les déclarations contre les immigré·es dès sa prise de poste, toutes plus violentes les unes que les autres. « On aimerait lui rappeler que, comme beaucoup d’autres immigrés, nous sommes des travailleurs. […] D’ailleurs, travaillant ou pas, tous ceux qui vivent sur le sol français participent à la vie de ce pays, devraient avoir le droit à la régularisation. »
Ce n’est sûrement pas le projet de Michel Barnier qui, lors de son discours de politique générale, a encore flatté l’extrême droite et son électorat, actant comme l’un des chantiers prioritaires de ce gouvernement celui de la « maîtrise de l’immigration ».
mise en ligne le 30 septembre 2024
Appel sur https://www.cgt.fr/
Mépris de démocratie !
La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre tourne le dos au vote des Françaises et des Français : non seulement Emmanuel Macron ne tient pas compte du front qui a empêché l’extrême droite d’arriver au pouvoir, mais les reculs sociaux, rejetés dans les urnes, vont se poursuivre et risquent même de s’aggraver avec le soutien du RN.
La colère est forte
Alors que les services publics, à commencer par l’hôpital et l’école, sont gravement en danger, on nous promet une nouvelle et violente politique de baisse des dépenses publiques.
Les politiques concernées, telles que le travail, la santé, l’éducation, la recherche, l’environnement, devraient pourtant être des priorités absolues. Face au déficit, il faut au contraire augmenter les recettes ! Or cette solution est systématiquement rejetée, avec un refus dogmatique de mettre sur la table l’imposition des plus riches et la taxation des dividendes qui explosent.
L’austérité c’est toujours pour les mêmes !
Avec la bénédiction du patronat, Medef en tête, l’aggravation de la politique contre nos droits sociaux est aussi à l’ordre du jour : retraite, assurance chômage, sécurité sociale… Dans le même temps, tout augmente sauf nos salaires et notre pouvoir d’achat continue à baisser !
Double utilité de se mobiliser le 1er octobre
MANIFESTER pour gagner le vote par les député·es de mesures pour financer nos services publics, l’abrogation de la réforme des retraites et une loi qui indexe les salaires sur les prix. La fragilité politique du gouvernement est un point d’appui pour gagner des avancées concrètes !
FAIRE GRÈVE pour gagner des augmentations de salaire et l’ouverture de négociations dans chaque entreprise. Pas question que nos salaires ne suivent pas les prix alors que les dividendes explosent !
Toutes et tous en grève, dans l’unité la plus large, enclenchons la bataille pour :
augmenter les salaires du privé, le point d’indice dans la fonction publique et les pensions de retraite, assurer enfin l’égalité entre femmes et hommes ;
abroger la réforme des retraites et gagner de nouveaux droits ;
rénover et financer les services publics, dans tous les territoires, notamment l’école, l’hôpital, l’enseignement supérieur et la transition environnementale ;
défendre et développer l’emploi industriel.
Match retour contre la réforme des retraites
En 2023, nous avons été des millions de salarié·es, de jeunes et de retraité·es à nous mobiliser pendant six mois contre la réforme des retraites. Emmanuel Macron est passé en force, il a été sanctionné par une lourde défaite aux élections européennes puis législatives. Maintenant qu’il est encore plus minoritaire au parlement, nous pouvons gagner l’abrogation de la réforme des retraites par les député·es !
L’imposture sociale du rassemblement national
Le RN prétend augmenter notre pouvoir d’achat et défendre nos retraites, pourtant il a toujours voté contre l’augmentation des salaires et veut faire de nouveaux cadeaux aux employeurs en baissant les cotisations sociales. Le salaire net (en bas de la fiche de paye) c’est des euros pour vivre tout le mois. Le salaire brut (en haut de la fiche de paye) c’est des cotisations pour toute la vie (en cas de chômage, maladie et pour nos retraites) !
mardi 1er octobre - manifestation
Montpellier 11h au Peyrou
Sète 10h30 – place de la mairie
mise en ligne le 29 septembre 2024
Léa Petit Scalogna sur www.humanite.fr
L’édition 2024 de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre, est marquée par l’inquiétude des associations, syndicats et membres politiques de gauche. Le gouvernement Barnier et ses ministres hostiles à cette liberté inscrite dans la Constitution, pourraient constituer un nouveau frein à son accès.
Un clitoris géant, peint en violet vif. C’est la forme que prend l’ornement disposé fièrement sur le camion du syndicat Solidaires. « Pour réaffirmer notre liberté sexuelle et celle d’avorter, même si notre nouveau gouvernement a tendance à l’oublier », s’exclame une manifestante du cortège parisien de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre. Sa pancarte, artisanale, représente un cintre dessiné au marqueur noir avec un avertissement : « touche pas à mon avortement ». Le message semble tout droit s’adresser au casting gouvernemental dont les acteurs principaux redoublent de conservatisme et de tendances régressives quant aux droits fondamentaux. « Très paradoxalement, Emmanuel Macron constitutionnalise l’IVG en expliquant la préserver d’un potentiel gouvernement d’extrême droite, contextualise Hélène Bidard, adjointe PCF à la Mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes. Six mois après, il n’attend pas que le Rassemblement national soit au pouvoir pour nommer des ministres hostiles à l’IVG. »
Le palmarès de Michel Barnier en la matière, Premier ministre depuis le 5 septembre, remonte à l’époque où il siégeait au Palais Bourbon. En 1982, il vote contre le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Le plus âgé à occuper cette fonction sous la Ve République partage sa vision avec celle qu’il souhaitait nommer au ministère de la Famille, Laurence Garnier. La sénatrice des Républicains en a finalement été écartée pour être nommée au ministère de la Consommation. Avec Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, les trois nouveaux ministres s’étaient opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le 8 mars dernier. « En clair, ce gouvernement rassemble les pires réactionnaires de notre monde politique, ceux qui se battent pour le recul de nos droits », tranche Mathilde Panot. Arrachée sans leur vote, cette bataille de longue haleine demeure une fierté retranscrite dans la loi et sur les affiches distribuées aux passants.
Bien moins de lieux où il sera possible d’avorter
Un climat d’inquiétude flotte, malgré les chants féministes scandés. Sarah Durocher, présidente du Planning familial, redoute de nouvelles attaques extrêmes droitières contre les antennes de l’association. « Les signaux peu rassurants se multiplient : le RN gagne du terrain aux différentes élections, le gouvernement Barnier compte des ministres très conservateurs et nous venons de perdre un Ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». Le nouveau secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes est confié à la très peu convaincue, Salima Saa. En 2012, cette dernière jugeait le ministère des droits des femmes « ridicule », dans un article de Slate. « Elle va faire des miracles, je le sens », ironise une manifestante. Ses camarades s’esclaffent.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), s’alarme plutôt des « entraves » à l’application de cette liberté. Le chantier d’austérité budgétaire et d’affaiblissement des services publics débuté par le gouvernement Attal risque d’être poursuivi. « Cela signifie que des hôpitaux et des maternités de proximité vont être fermés et, mécaniquement, il y aura bien moins de lieux où il sera possible d’avorter », déplore Suzy Rojtman. C’est sans compter les 130 centres d’IVG qui ont dû fermer leurs portes, depuis quinze ans, faute de financement suffisant. Le baromètre du Planning familial, paru ce mercredi, dresse le triste constat de disparités territoriales notamment. « C’est inadmissible de devoir changer de département pour avorter », s’indigne Mathilde Panot. Cette réalité concerne 17 % des personnes selon les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees), en 2022. « Voilà ce qui arrive lorsqu’on applique une idéologie de droite libérale : des déserts médicaux et des freins à l’accès de l’IVG apparaissent. », affirme la secrétaire confédérale chargée de la mission femme-mixité à la CGT, Myriam Lebkiri, gilet violet sur le dos.
La privation de financement, une manière de s’attaquer à l’avortement
Les manques de financements pour garantir le droit à l’IVG se posaient déjà avant son inscription dans la Constitution. Le choix de la dénomination « droit » ou « liberté » ne concernait pas seulement une préférence langagière. Hélène Bidard explique : « Le mot « droit » implique que les moyens pour sa mise en place soient mobilisés. Et c’est de cette façon que la privation de financement devient une manière de s’attaquer à l’avortement ».
Le cortège, au pas hâtif, avance en direction du centre d’IVG de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Ce point d’arrivée symbolique permet d’affirmer leur présence féministe dans un lieu où se croisent les personnes concernées par l’avortement et parfois, des activistes anti-choix, anti-droits. Hélène Bidard a déjà eu affaire à eux. Par la voix de la Ville de Paris, l’élue a déposé plainte contre un site, « Les Survivants », qui diffusait des fake news et des discours culpabilisants au sujet de l’Interruption volontaire de grossesse, aujourd’hui fermé. « Ce n’est pas normal que ce soit la ville de Paris qui se charge d’agir contre ces militants anti-choix et leur arsenal numérique ! », s’exclame-t-elle. Comme pour lui répondre, Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, martèle : « Les anti-ivg ne lâchent jamais mais nous, encore moins ! »
sur https://lepoing.net/
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur la place de la Comédie, à Montpellier, ce samedi 28 septembre, pour la journée mondiale du droit à l’avortement, à l’appel de plusieurs organisations et association.
« Partout dans le monde, le droit de disposer de son corps est attaqué par le système patriarcal. L’avortement reste criminalisé dans 21 pays, exposant des millions de personnes à des peines sévères », énumère une militante place de la Comédie, devant quelques centaines de personnes réunies dans le cadre de la journée mondiale du droit à l’avortement. Si, en France, la « liberté » de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été inscrite dans la Constitution au début de l’année 2024, les militantes présentes dénoncent le fait que cette loi ne garantit pas l’accès au droit car elle ne contraint pas le gouvernement à lutter contre les freins à l’avortement.
Une prise de parole dénonce ainsi « 130 centres fermés en 15 ans » et le maintien de la double-clause de conscience, permettant à un professionnel de santé de refuser un acte d’une part pour des raisons personnelles ou professionnelles et d’autre part, pour des raisons morales ou religieuses, cette dernière possibilité ayant été prévue à la légalisation de l’avortement, en 1973.
Les organisations présentes, notamment le Planning familial, demande que le droit à la contraception soit aussi intégré à la Constitution. Autre problème pointé du doigt : le fait que la législation sur l’IVG ne reconnaisse pas l’ensemble des personnes concernées : personnes transgenres intersexe, ou non-binaire. De plus, les militantes soulignent « des inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG » avec plus de difficultés dans les zones rurales. Le cas de la fermeture de la maternité de Ganges, qui pratiquait l’IVG, a été évoqué.
Enfin, le contexte politique national a marqué ce rassemblement : « le gouvernement Barnier est ultra réactionnaire et réuni des figures de la lutte contre l’IVG et les droits LGBT et des gens qui ont voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. » Le rassemblement s’est ensuite dispersé après quelques slogans.
mise en ligne le 29 septembre 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Les vendanges du Champagne s’achèvent, en cette fin septembre, sous haute surveillance, un an après les décès de cinq travailleurs. Dans ce secteur qui pèse plus de 6 milliards, les abus en matière de droit du travail sont légion, du fait d’un recours croissant à des prestataires embauchant une main-d’œuvre immigrée. Reportage dans la Marne en collaboration avec Bastamag.
Sous les yeux soupçonneux des habitants, la camionnette rouge de la CGT traverse la place du village. Deux voitures l’escortent. En cette journée ensoleillée de mi-septembre, une dizaine de syndicalistes forme « la caravane des vendanges ». Le dispositif est pensé pour aller à la rencontre des travailleurs saisonniers du secteur. Par moments, quand la caravane passe, un habitant décroche son téléphone. Histoire de prévenir le voisin vigneron de l’arrivée imminente de la troupe.
« La dernière fois qu’ils ont vu des communistes, ici, c’était à la Libération ! » lance José Blanco, hilare. Le secrétaire général de la CGT Champagne est une figure de la région. Il est aussi passionné de son vignoble champenois, où il vit depuis toujours, remonté contre les scandales qui l’éclaboussent. « En Champagne, la vie d’un homme vaut moins qu’un kilo de raisins », répète-t-il à qui veut bien l’entendre.
Lors des dernières vendanges, en septembre 2023, cinq travailleurs sont décédés en Champagne. Le plus jeune d’entre eux, Rèda Najib, habitant de Reims, a été victime d’une crise cardiaque avant de tomber d’un engin agricole dans une vigne. Il était âgé de 19 ans. Après enquête, le parquet a conclu que la surexposition à la chaleur avait causé son décès. Les autres enquêtes sur les décès, en revanche, ont été classées sans suite. Le surnom de « vendanges de la honte » s’est depuis imposé aux syndicalistes du secteur, relayé par la presse locale.
Alors, les vendanges 2024 sont scrutées par tous : pouvoirs publics, médias, syndicats. Comme chaque année, près de 120 000 travailleurs affluent dans la région pour couper le raisin pendant une dizaine de jours. Une large majorité sont des travailleurs immigrés, venus d’Europe de l’Est ou, de plus en plus, d’Afrique.
Payés sous le Smic aux vendanges
« C’est notre première année ici », introduit Kacper, un jeune Polonais, la vingtaine, mains gantées, marcel blanc sur les épaules et tatouages dans le cou. « Pour tout le monde », précise-t-il en désignant de la tête ses camarades. Un à un, tous descendent la pente où s’alignent les vignes pour s’approcher des syndicalistes garés à leur hauteur. « Voici un rappel des tarifs horaires légaux, de vos droits par rapport aux pauses, au temps de travail… Pour vérifier vos contrats et vos fiches de paie », explique un militant en leur tendant un tract.
Ces fiches d’information, traduites en de multiples langues, se glissent facilement dans la poche des vendangeurs… Et font fureur : « On voit des photos de tracts circuler partout sur les réseaux sociaux entre les saisonniers, sourit José Blanco. Au moins, grâce à ça, les gars savent de quoi on parle. Ils peuvent aller voir leur patron et lui dire “voilà, c’est la loi”. »
« On est payés 19 centimes le kilo », indique Kacper, curieux de savoir si ce tarif est correct, ou s’il se fait avoir. « C’est en dessous du minimum qui doit être à 24 centimes brut le kilo », soupire José Blanco. Sauf que sur leur déclaration de pré-embauche auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA), il est indiqué une rémunération à la tâche de 19 centimes brut… la minute. Soit 11,40 euros brut de l’heure. Or, le Smic horaire est à 11,65 euros brut de l’heure. Qu’il s’agisse d’une rémunération à la journée ou au rendement (les deux existent pour les vendangeurs), un taux inférieur au Smic est évidemment illégal.
« On travaille dix heures par jour », témoigne aussi Kacper. La journée démarre à 7 h du matin. Or, à partir de 43 heures de travail hebdomadaire, les ouvriers doivent être rémunérés en heures supplémentaires (payées 50 % de plus). Les jeunes écarquillent les yeux : en une semaine de vendange, ils dépassent largement ce seuil.
Ces vendangeurs polonais apprennent également que la durée du transport, géré par leur employeur, constitue du temps de travail. Idem pour les repas : « On achète toute notre nourriture nous-mêmes », indique Yulia, une jeune vendangeuse qui découvre que son employeur a l’obligation légale de couvrir ce type de frais.
Autant de droits grignotés alors que la tâche est « très difficile », souligne Yulia. Il faut se baisser sans cesse pour ramasser les grappes, remonter encore et encore les pentes entre les rangées de vignes.
Les prestataires abaissent les salaires à des niveaux dérisoires
L’échange est interrompu par la brusque arrivée d’un camion blanc. Deux hommes, allure robuste et visage fermé, en descendent. Après de brèves présentations sous tension, les syndicalistes détalent. Le prestataire de main d’œuvre qui a recruté ces jeunes Polonaises et Polonais et envoyé ses hommes de main est bien connu dans le coin. « Et il n’est pas en odeur de sainteté », euphémise José Blanco.
Cette parcelle est pourtant celle d’un vigneron « qui livre chez Moët&Chandon », prestigieuse maison de Champagne (et propriété du groupe de luxe LVMH), affirme l’équipe de la CGT. « Les raisins de la misère arrivent chez Moët, résume José Blanco. Mais ce n’est pas Moët qui commande cela directement », nuance-t-il. De fait, c’est bien le vigneron qui a recours à un prestataire de main d’œuvre lequel, ensuite, rogne sur le Code du travail.
Là est tout l’enjeu : qui est responsable ? En 2018, 48 vendangeurs afghans ont été découverts dans des logements insalubres. À quelques kilomètres de là, au même moment, 77 autres travailleurs étaient entassés dans un café désaffecté. Un vaste trafic de « traite d’êtres humains », selon la justice, qui a identifié 200 victimes et condamné, quatre ans plus tard, deux prestataires. Mais pas les donneurs d’ordre. Il est difficile de retracer les responsabilités face à un système en « poupées russes : une société délègue à une autre, et ainsi de suite », décrit José Blanco.
Les prestataires se sont multipliés : d’abord des entreprises locales, puis, depuis une décennie, de plus en plus des prestataires étrangers : turcs, géorgiens, sri-lankais… « Il n’y a pas de prérequis : n’importe qui peut ouvrir une société de prestation de services, sans rien connaître au Champagne ni au droit du travail », déplore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de la CGT Champagne.
« Nous sommes revenus au 19e siècle. Des gens attendent sur des parkings, au petit matin, on leur propose des sommes dérisoires pour travailler à la journée », décrit-il. Ainsi l’industrie champenoise, très réglementée, a continué de trouver des moyens de réduire les coûts de la main d’œuvre et d’engranger des bénéfices plus importants.
Sauver l’image de luxe
Logé sur les hauteurs de la commune de Chouilly (Marne), le château de Saran offre une vue imprenable sur le vignoble champenois. Une immense verrière laisse entrevoir le salon VIP dans lequel le milliardaire Bernard Arnault reçoit les plus prestigieux clients de Moët & Chandon ou Veuve Cliquot, propriétés du groupe LVMH.
« Vole pas le raisin de Bernard ! » lance un syndicaliste à un autre, pris la main dans le sac à empoigner une grappe de raisin, juste en face de la propriété. Tous deux s’esclaffent. Au bout de la chaussée, un agent de sécurité vient à leur rencontre. Maintenir l’image de luxe du Champagne à l’international est un enjeu fort. Car l’industrie pèse lourd. En 2023 comme en 2022, la filière a dépassé le seuil des six milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un record.
Le secteur tente donc de calmer les polémiques. « C’est la réputation d’une région et d’un savoir-faire reconnus dans le monde entier qui est menacée », reconnaît le Comité Champagne, regroupant plusieurs organisations de vignerons et grandes maisons de vin. « Il n’y a pas eu de défaillance collective en 2023, il n’y en aura pas davantage en 2024 : il est hors de question que des comportements individuels inadmissibles menacent la sécurité des travailleurs et la réputation de toute une filière », estime le Comité.
En juin, ce dernier a tout de même publié le plan d’action « Ensemble pour les vendanges de Champagne ». Il y rappelle les dispositions légales régissant le travail saisonnier, notamment en cas de fortes chaleurs : accès à l’eau, à des zones d’ombre, pauses adéquates… Surtout, le Comité rappelle aux viticulteurs que « le recours à un prestataire de services ne peut coûter moins cher que l’emploi direct ». Et alerte : « des prix trop bas peuvent être le signe de pratiques douteuses et doivent attirer votre attention ».
Les dérogations se multiplient, pourtant. Le 9 juillet, l’ex Premier ministre Gabriel Attal signait un décret autorisant la suppression du repos hebdomadaire obligatoire pour les travailleurs saisonniers. Ce décret concerne les régions agricoles à appellation d’origine contrôlée, dont la Champagne.
Quatre mois plus tôt, en mars 2024, l’ex gouvernement publiait aussi un arrêté catégorisant la filière Champagne et plus largement le secteur viticole dans la liste des “métiers en tension”. Cette liste permet de faciliter la venue de travailleurs étrangers hors Union européenne. De quoi accentuer la mise en concurrence des travailleurs d’Europe de l’Est et ceux d’Afrique de l’Ouest, craint l’union locale CGT d’Épernay.
« On tire les salaires vers le bas, les travailleurs sont exploités, mal logés, mal nourris, au détriment des travailleurs locaux. Les Français, bien sûr, ne veulent pas travailler à genou et pour quatre euros de l’heure. Après on dit qu’on ne trouve plus personne, fustige José Blanco, qui milite pour que tout le monde ait les mêmes conditions de travail dignes ».
Améliorations sur l’hébergement des vendanges
Sur le terrain, la volonté affichée de faire place nette n’en est pas moins palpable. Sur une parcelle d’un vigneron livrant chez Veuve Cliquot, une vingtaine de travailleurs lituaniens prennent leur pause. Parmi eux, Ingrid fait cliqueter un sécateur dans sa main, tout sourire. Cette mère de famille a l’air détendu. Cela fait douze jours qu’elle fait les vendanges.
« C’est la cinquième année que je reviens. Parfois, j’emmène mon fils et ma fille avec moi », raconte-t-elle. Par rapport à ses premières années, « les conditions sont meilleures aujourd’hui, assure-t-elle. Avant, on dormait dans des campements, avec des tentes. Il y avait beaucoup de bruit autour, trop de gens… C’était difficile de dormir. Maintenant, on dort dans un appartement, dans une petite ville . »
L’hébergement sous tente des travailleurs saisonniers est strictement interdit par la loi. Cette année, nombre de prestataires et vignerons ont opté pour des chambres d’hôtels, ou des Airbnb. « Il y a beaucoup moins de tentes dans les bois que nous avions repérées l’année dernière. Certains ont essayé de s’adapter ; d’autres essaient de planquer les saisonniers ailleurs », observe José Blanco. Le prestataire de services viticoles G2V a pour sa part ouvert un hébergement collectif pour 350 travailleurs, dans une ancienne base aérienne : la Base 112, à Bétheny. Avec l’appui de maisons de champagne et des autorités de la région.
Derrière les Lituaniens en pause s’alignent trois hommes en cravate. Ce sont des représentants de la maison Veuve Cliquot, présents pour vérifier le travail du prestataire WM (l’un des plus gros de la région) chez ce vigneron qui les livre. « C’est une très bonne chose ! C’est ce qu’on leur demande : qu’ils prennent leurs responsabilités », se satisfait José Blanco.
Menaces contre les syndicalistes
Assiste-t-on à un tournant dans le secteur ? Pas si sûr. Juste en face des vignes des Lituaniens, on aperçoit au loin, tout en haut d’une colline, un petit campement informel. Quelques heures après, la caravane de la CGT passe devant des tentes entassées sous un barnum bien visible, en bord de route. « Le maire, la police, la communauté de communes le savent bien, mais ne disent rien. On pourrait signaler… Ça va faire un signalement parmi tant d’autres », soupire José Blanco.
Tous les signalements sont transmis à l’Inspection du travail, voire au préfet. La veille encore, les syndicalistes ont découvert sur le terrain privé d’un vigneron, à Mancy, au sud d’Épernay, plusieurs tentes abritant des travailleurs tchèques, sous un hangar. Le vigneron les a repérés et menacés, selon leurs témoignages : « Vous êtes des bâtards, on vous retrouvera ». Dès le lendemain, les tentes avaient disparu. Idem sur un grand parking sablonneux où se trouvaient une trentaine de vendangeurs en tentes et caravanes. Aujourd’hui : plus de traces de campement. Fuite organisée par les prestataires ? Ou intervention rapide de l’Inspection du travail ?
Quoi qu’il en soit, la pratique illégale des campements perdure : sur la commune de Vize, cachées dans les bois, des tentes s’alignent dans le dépôt d’un viticulteur. Pas d’installation électrique ni de sanitaires suffisants en vue. Les syndicalistes s’approchent en essayant de ne pas se faire repérer. Ce jeu de cache-cache, dans une triangulaire entre syndicalistes, inspection du travail et prestataires, caractérise ces vendanges 2024.
Aux alentours de 18 h, alors que la caravane de la CGT est rentrée au bercail, la lumière du soir tombe sur la gare d’Épernay. Le square en face est occupé par une dizaine d’immigré.es d’Afrique francophone. Certains forment un cercle assis dans l’herbe, ou récupèrent des affaires dans les buissons. D’autres arrivent en marchant, comme Youniss, tout juste de retour de leur journée de vendange. C’est la troisième année que le jeune homme vient ici pour la saison. « Cette année il y a moins de raisins, donc il n’y a pas de travail tous les jours » , explique-t-il.
Lorsqu’on lui demande où il va dormir ce soir, Youniss reste évasif : « Dehors, dans la ville. » C’est que les forces de l’ordre circulent désormais, tôt le matin. Le ballet des prestataires récupérant les nouveaux arrivants à la gare s’en trouve entravé. Et les travailleurs africains qui dorment là sont à chaque fois vite évacués.
Faire place nette. La semaine dernière, néanmoins, certains s’entassaient bien le soir sur des cartons, enroulés dans une simple couverture, comme en témoignent plusieurs photos. Youniss et les autres feront de même cette nuit. Un peu plus dispersés que d’habitude, mais toujours là, quelque part, dans la capitale du Champagne.
mise en ligne le 27 septembre 2024
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT a été reçue à Matignon dans le cadre des « consultations » organisées par le premier ministre Michel Barnier. Abrogation de la réforme des retraites, retour sur celle de l’assurance chômage, augmentation des salaires… Sophie Binet y a porté les exigences de son syndicat, qui seront également défendues dans la rue le 1er octobre.
Adepte des « consultations », le premier ministre Michel Barnier – après les multiples rencontres avec différents partis politiques en vue de la constitution de son gouvernement – s’attelle désormais à recevoir les « partenaires sociaux ». Et ce mercredi matin, c’était au tour de Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT qui, dès sa sortie de Matignon, a appelé « les salariés et les retraités » à « se mobiliser très massivement par la grève et la manifestation » le 1er octobre prochain.
Il s’agit de se faire entendre avec force face à un gouvernement très à droite. Sur la réforme des retraites, par exemple, si Michel Barnier se dit prêt à « prendre le temps de (l’) améliorer », il n’est pas question d’aménagement à la marge pour Sophie Binet. « Il n’y a pas d’autres solutions que l’abrogation », estime la centrale de Montreuil qui propose également « une conférence de financement pour nos retraites ».
Pour les salaires, la retraite, l’emploi… rendez-vous le 1er octobre
De même concernant la réforme de l’assurance chômage qui mine les droits des privés d’emploi, la responsable syndicale a plaidé, auprès de Michel Barnier et de la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, « la nécessité de l’enterrer définitivement et de redonner la main aux acteurs sociaux » pour fixer les règles d’indemnisation. Sur ce point, « la ministre du Travail nous a dit qu’elle partageait le fait qu’il fallait redonner la main aux acteurs sociaux sur la question de l’emploi des seniors et de l’assurance chômage », a rapporté Sophie Binet, au terme d’un entretien d’une heure.
Alors que certains au sein de l’exécutif, sous couvert d’augmenter le pouvoir d’achat, reprenne une vieille idée libérale, également partagée par le RN, consistant à piocher dans une poche pour gonfler l’autre, elle a aussi mis en garde : « Il n'(est) pas question de prétendre augmenter le salaire net en baissant le salaire brut », au détriment de la protection sociale.
Et la syndicaliste de constater : « Le premier ministre nous a écoutés poliment, il nous a dit qu’il souhaitait être utile au pays », mais « nos inquiétudes demeurent, c’est la raison pour laquelle la CGT appelle les salariés à se mobiliser » le 1er octobre, aux côtés de la FSU et Solidaires.
Surtout dans un contexte où le RN, contre lequel la CGT s’est mobilisée au moment des élections en participant au Nouveau Front populaire, est de nouveau placé au centre du jeu. « le premier ministre ne (peut) pas être l’objet des désidératas de Marine Le Pen », a taclé Sophie Binet, alors que Michel Barnier avait contraint la veille son ministre de l’Économie, Antoine Armand, à faire amende honorable pour avoir jugé que le parti d’extrême droite se situe hors de l’arc républicain. Sans compter que, sur le fond, le RN marque aussi des points avec une partie de son programme partagée par des ministres LR : Sophie Binet s’est ainsi dite « extrêmement inquiète d’entendre une partie des mots de l’extrême droite sortir de la bouche du ministre de l’Intérieur ».
mise en ligne le 25 septembre 2024
Inès Rubio sur www.humanite.fr
Une centaine de personnes étaient rassemblées devant le tribunal Judiciaire de Nanterre, lundi 23 septembre, en soutien aux travailleurs sans papiers. L’inspection du travail accuse leur employeur, RSI, de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans autorisation.
Une majorité des ex-employés constitués partie civile ont assisté, lundi 23 septembre, à la première audience du procès à Nanterre (Hauts-de-Seine) qui oppose l’État à la société d’intérim RSI. Ils étaient soutenus par le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île de France et l’intersyndicale du ministère du Travail pour affirmer leur droit à la justice et revendiquer une régularisation rapide. Une étape importante dans la lutte qu’ils mènent depuis trois ans.
En octobre 2021, environ 80 intérimaires initient un mouvement de contestation. Devant la mairie de Grigny (Essonne), ils maintiennent un piquet de grève pendant plus d’un an. Touré Mahamadou, l’un des grévistes, rappelle les raisons de leur mobilisation : « La société RSI refusait de nous fournir les documents Cerfa (nécessaires à la demande de titre de séjour – NDLR), les attestations de travail. Certains n’ont même pas reçu de fiches de paie, d’autres n’étaient payés qu’en liquide », raconte-t-il.
« On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement »
Le mouvement de ces travailleurs sans papiers conduit l’inspection du travail à entamer une enquête qui confirme que les grévistes ont effectivement travaillé pendant plusieurs mois, condition indispensable pour prétendre à un titre de séjour salarié temporaire. Un an après le début de leur mobilisation, ils peuvent enfin déposer leurs dossiers à la préfecture et obtiennent 83 récépissés de titres de séjour avec autorisation de travail pendant six mois. « On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement », poursuit Touré Mahamadou. Le piquet de grève est levé et les 83 travailleurs trouvent un emploi.
Mais, brutalement, 65 récépissés sont interrompus et seulement 18 cartes de séjour temporaire délivrées. Pour ceux dont la situation reste irrégulière, le procès représente un espoir, bien que la justice ne puisse pas directement prononcer leur régularisation. « On n’attend pas d’argent, on veut être reconnus comme victimes, ce qui pourrait nous aider à être régularisés », précise Touré Mahamadou.
Les membres de l’intersyndicale du ministère du Travail (CGT, FSU, SUD travail) présents lors du rassemblement déplorent que la preuve apportée d’une relation de travail entre RSI et ses employés n’ait pas suffi à la régularisation des sans-papiers.
Sur le banc des accusés, manquent les entreprises de BTP
Au contraire, les contrôles de l’inspection du travail peuvent porter préjudice aux salariés irréguliers, qui sont licenciés sans indemnité. « Si on veut la fin du travail dissimulé, il faut la régularisation des sans-papiers », affirme Thomas Dessalles, de la CGT du ministère du Travail. Il appelle à ce que « les mesures appliquées dans les affaires traite des êtres humains, où un titre de séjour est délivré aux victimes pour les protéger, s’étendent aux cas de travail dissimulé ».
Maître Xavier Robin, avocat de plusieurs travailleurs sans papiers, se dit optimiste quant à l’issue du procès : « L’enquête de l’inspection du travail démontre que RSI était pleinement conscient de commettre du travail dissimulé. » Il regrette en revanche que la société d’intérim tente de se dédouaner en rejetant la responsabilité sur la directrice de l’agence de Gennevilliers.
Le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île-de-France estime pour sa part qu’il manque du monde sur le banc des accusés. « Les entreprises de BTP pour lesquelles travaillaient les intérimaires recrutés par RSI profitaient de leur vulnérabilité pour imposer des conditions de travail très dégradées », précise son communiqué.
L’audience a été reportée aux 29 et 30 avril, la juge ayant estimé que deux journées seraient nécessaires pour auditionner les 35 plaignants, et non une seule après-midi comme prévu.
mise en ligne le 24 septembre 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Depuis 5 heures ce matin, les routiers ont lancé des opérations escargots en soutien aux mobilisations contre la vie chère qui secouent la Martinique depuis plus de trois semaines.
« Une portion de la population se retrouve dans une misère extrême. Ce sont des personnes âgées seules avec de petites retraites, des enfants dont les parents n’arrivent pas à les nourrir correctement », expliquait une porte-parole du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), la semaine dernière à France24. Depuis le 1er septembre, le collectif multiplie les manifestations et les blocages devant les supermarchés de l’île. En Martinique, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, alors que plus du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’exigence d’un alignement des prix sur ceux de l’Hexagone, qui fédère de larges secteurs de la population martiniquaise.
Un mouvement qui ne cesse de s’étendre
En plus des actions de blocage devant des supermarchés et des affrontements émeutiers avec la police qui secouent régulièrement les quartiers de Sainte-Thérèse depuis début septembre, plusieurs professions se sont jointes au mouvement de protestation. La semaine dernière, c’étaient les taxis qui interrompaient leurs courses. Ce mardi, c’est au tour de l’Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles de Martinique (SMT Unostra). Le syndicat patronal appelle les routiers martiniquais à une opération molokoï ce mardi. Les chauffeurs ont donc lancé des opérations escargot sur plusieurs points de l’île ce matin, provoquant d’importants ralentissements.
Jeudi, ce sera au tour des salariés et de la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) de se mobiliser. En fin de semaine dernière, le syndicat a déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible couvrant l’ensemble des secteurs d’activité. « L’ensemble des agents de la Fonction Publique (Territoriale, Hospitalière, État), ainsi que les salariés des entreprises assurant une mission de service public, sont appelés à se joindre au mouvement », annonce la CGTM qui revendique « le relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2 000 euros nets par mois, l’indexation sur l’inflation et la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité ». Déjà la semaine dernière, les syndicats de la zone aéroportuaire appelaient à la tenue d’assemblées générales afin de préparer les travailleurs à une mobilisation générale. Ils dénonçaient notamment un « climat de violence, d’arrestations et de poursuites judiciaires, mis en place par l’administration préfectorale contre les manifestants pour la baisse des prix ».
La répression comme réponse aux demandes d’égalité
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès le premier jour. Le 1er septembre, quelques heures avant le premier rassemblement du RPPRAC, un de ses responsables était interpellé par la police. Depuis, le préfet de Martinique a instauré un couvre-feu le 18 septembre, dans un contexte d’affrontements nocturnes avec la police dans certains quartiers de Fort-de-France. Un couvre-feu déjà étendu et prolongé jusqu’à jeudi.
Parallèlement, le gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie et de police en Martinique. Parmi eux, le déploiement de la CRS 8 sur l’île a créé un certain émoi et ravivé de vieilles blessures. Il s’agit en effet du premier envoi d’une unité de CRS en Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, où trois jeunes avaient été tués par la police. Un signal inquiétant que ne vient pas démentir les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Celui-ci, lors de sa prise de fonction lundi 22 septembre, n’a eu de cesse de marteler sa volonté de rétablir l’ordre.
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.
Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.
Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?
Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…
Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?
Jiovanny William : Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.
Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?
Jiovanny William : Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.
Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.
Quel rôle a eu l’inflation ?
Jiovanny William : L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.
Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.
La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…
Jiovanny William : Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.
Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?
Jiovanny William : Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.
Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…
Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?
Jiovanny William : On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.
Le RN est-il une menace en Martinique ?
Jiovanny William : Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.
mise en ligne le 23 septembre 2024
https://lepoing.net/
Face aux manque de crédits alloués par l’État, les enseignants du collège des Salins à Villeneuve-lès-Maguelone, commune proche de Montpellier, appellent à un rassemblement mardi 24 septembre à 12 h 30
“Crédits pédagogiques inexistants”, difficulté à remplacer un vidéoprojecteur hors d’usage, manque de photocopieuses pour imprimer les cours, stocks de matériels non renouvelés rendant impossible des travaux pratiques en sciences, parents davantage mis à contributions pour acheter les livres à lire en français… La liste des griefs est longue pour les enseignants du collège des Salins de Villeneuve-lès-Maguelone, qui parlent de “collège en faillite”.
“Le chef d’établissement nous a présenté la situation telle quelle à la pré-rentrée, il nous avait dit qu’on avait même pas le budget pour les carnets de liaisons, mais finalement on les a eu”, décrit Fabienne Lecomte, professeure de musique au collège et syndiquée au SNES. “Pour l’instant, on peut encore tirer des photocopies, mais il faut supplier pour les avoir et on nous fait comprendre que ça ne pourra pas durer. On ne comprend pas, en décembre dernier, quand les budgets ont été arrêtés, on avait encore des fonds de roulement. Certaines matières sont de moins en moins dotées, moi par exemple, en musique, j’ai 50 euros pour cette année, ça va qu’on a déjà acheté des instruments à percussions les années précédentes…”
Dans leur communiqué appelant à un rassemblement devant le collège à 12 h 30 le mardi 24 septembre, les enseignants mettent en parallèle ce manque de moyens avec les “423 milliards consacrés à la loi de programmation militaire d’ici 2030, 160 millions pour la militarisation de la jeunesse via le SNU” et “un kit de 200 euros par élève financé pour moitié par les collectivités territoriales et l’État dans les écoles et les établissements qui « expérimentent » l’uniforme”.
Ils demandent donc que priorité soit faite à l’école publique, et exigent d’être reçus par le chef d’établissement, le Conseil départemental et l’inspection académique, et envisagent des mouvements de grève selon les réponses apportées. “Ceux qui en souffrent le plus, ce sont nos élèves”, souffle Fabienne Lecomte.
mise en ligne le 18 septembre 2024
sur https://basta.media/
Une journée de grève interprofessionnelle est annoncée le 1er octobre par plusieurs organisations syndicales et de jeunesse. Des organisations de retraité·es seront aussi dans la rue pour exiger l’augmentation des pensions. Voici leur appel.
Nos organisations syndicales et de jeunesse appellent à manifester et à faire grève pour qu’enfin les urgences sociales, exprimées dans les mobilisations comme dans les urnes, soient entendues !
Retraites, salaires, services publics, c’est sur ces sujets centraux pour la population que nous pouvons gagner et arracher des victoires au moment où le président de la République et l’alliance jusqu’à l’extrême droite cherchent à imposer contre la volonté générale le maintien du cap libéral et autoritaire.
Nous avons été des millions à nous mobiliser pendant plus de six mois contre la retraite à 64 ans. Emmanuel Macron a décidé de passer en force mais a été sanctionné par une lourde défaite aux élections législatives. Nous pouvons donc maintenant gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
« Des moyens financiers et humains »
Nos salaires, pensions, bourses et minima sociaux ne peuvent plus régresser face à l’inflation ! C’est la raison pour laquelle nous rejoignons l’appel des organisations de retraité·es ce même 1er octobre pour exiger l’augmentation des pensions et des salaires, un Smic à 2000 euros et l’indexation des salaires sur l’inflation. Partout, dans les entreprises et les administrations, faisons grève pour obtenir l’augmentation de nos salaires et la fin des inégalités entre les femmes et les hommes !
Nos services publics sont à bout de souffle. Exigeons les moyens financiers et humains pour l’hôpital, les soins, l’éducation, l’enseignement supérieur, la recherche, l’environnement… pour permettre l’accès de tous et toutes à des services publics de qualité.
Les licenciements se multiplient dans l’industrie car les grands groupes continuent à délocaliser. Pourtant, les dividendes atteignent des records et, chaque année, 170 milliards d’euros d’aides publiques sont distribués sans contrepartie aux entreprises. Mobilisons-nous pour gagner l’arrêt immédiat de tous les licenciements, la relocalisation et la transformation environnementale de notre industrie !
« Rapport de force clair et massif »
Les jeunes sont parmi les premier·es à subir ces politiques de casse sociale. Il est urgent de mettre la jeunesse en protection sociale, de réformer le système des bourses et d’abolir la sélection à l’entrée de l’université.
Le 1er octobre marque le début des discussions sur le budget de l’État et de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale. C’est le moment de gagner qu’enfin les plus riches et les multinationales soient taxés pour financer nos services publics, la justice sociale et environnementale. C’est le moment de gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
C’est maintenant qu’il faut peser et gagner. Ce ne sera possible que par un rapport de force clair et massif. Toutes et tous en grève le 1er octobre.
Signataires : CGT, FSU, Solidaires, Unef, Union étudiante, Union Syndicale Lycéenne
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Patrick Martin, le président du Medef multiplie les contacts avec les syndicats pour tenter de renouer un dialogue. La CGT, elle, entend maintenir le rapport de force avec la mobilisation du 1er octobre. Deux stratégies pour reprendre la main face à un exécutif aux abonnés absents.
Le public présent en nombre, dans un Forum social bondé, samedi 14 septembre, à la Fête de l’Humanité, dit tout de l’importance de l’événement. Durant près de deux heures, Patrick Martin (Medef) et Sophie Binet (CGT) ont exposé leurs points de vue, parfois âprement, sur l’actualité économique et sociale.
« Oui, il faut augmenter les salaires », a fini par concéder le patron des patrons, plutôt surpris des applaudissements. « Cela suppose que nos entreprises soient plus performantes d’un côté et que, d’autre part, on revisite nos régimes sociaux », a toutefois précisé Patrick Martin, pointant là l’un des nombreux désaccords avec la secrétaire générale de la CGT sur l’avenir de la protection sociale.
Côté patronat, ce débat illustre la volonté de Patrick Martin de renforcer le « dialogue social », mis à mal par plusieurs années d’accords défavorables au monde du travail et d’ingérence de l’État dans les rouages du paritarisme. « Je ne suis pas chaud pour le ménage à trois avec l’État », avait-il lancé lors des universités de rentrée du Medef.
Deux jours avant sa venue à la Fête de l’Humanité, le patron des patrons avait d’ailleurs convié les numéros un des centrales syndicales chez lui, dans la région lyonnaise, pour un dialogue informel à l’occasion des Worldskills, une compétition internationale des métiers. Les numéros un de la CFTC, Cyril Chabanier, et de Force ouvrière, Frédéric Souillot, avaient fait le déplacement, accompagnés de François Asselin, de la CPME.
Le budget 2025 dans le viseur
Face à un exécutif affaibli, les organisations syndicales et patronales entendent pousser leur avantage. La machine de la démocratie sociale avait été enrayée en avril, après l’échec des négociations sur l’emploi des seniors. Parmi les dossiers sur la table, l’assurance-chômage, alors que l’Élysée parie toujours sur la casse des droits des salariés privés d’emploi. D’ailleurs, depuis ce lundi 16 septembre, les collaborateurs du premier ministre Michel Barnier reçoivent à tour de rôle les organisations de salariés et d’employeurs.
Côté CGT, la feuille de route revendicative est connue : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, égalité femmes-hommes et défense des services publics. Ces mots d’ordre sont partagés par Solidaires et la FSU, qui appellent aussi à participer à la journée de mobilisation interprofessionnelle du 1er octobre, date butoir de la présentation du budget aux députés.
« Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation, nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter », prévient Sophie Binet dans un entretien à l’Humanité magazine.
Et la secrétaire générale de la CGT de conclure : « J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. » Le ton de la rentrée sociale est donné.
mise ligne le 16 septembre 2024
Ludovic Finez sur www.humanite.fr
Relayée en France par la CGT, la mobilisation syndicale mondiale du 13 septembre chez ArcelorMittal a dénoncé les trop nombreux morts dans le groupe et réclamé une véritable politique industrielle.
Dunkerque (Nord), correspondance particulière.
Au moins 314 décès de 2012 à 2023, dans des mines et des aciéries au Kazakhstan, en Afrique du Sud, au Brésil, en Espagne, en France, au Maroc, en Ukraine, en Pologne aux États-Unis… Voilà l’effrayant bilan dressé par le réseau syndical mondial IndustriAll au sein du groupe ArcelorMittal. Les mineurs du Kazakhstan ont payé un tribut particulièrement lourd, avec 51 morts rien qu’en 2023.
« Arrêtons l’hécatombe » : c’est sous ce mot d’ordre qu’IndustriAll appelait à la mobilisation, vendredi 13 septembre, dans les sites du géant de l’acier à travers le monde. En France, les métallos CGT ont répondu à l’appel, en organisant des rassemblements à Dunkerque, Reims, Florange et Fos-sur-Mer.
À Dunkerque, ils sont plusieurs dizaines à se réfugier sous les tonnelles rouges à chaque averse, au milieu du vaste rond-point devant l’entrée de l’usine, qui emploie 3 000 CDI et 1 500 sous-traitants. « Il y a un an, un haut-fourneau a flambé (à Dunkerque). On passe parfois à côté de catastrophes et pour nous, c’est un problème d’investissement », confie Philippe Verbeke, de la Fédération métallurgie CGT, salarié d’un autre site ArcelorMittal, celui de Mardyck, qui, à quelques kilomètres de là, lamine l’acier produit à Dunkerque.
Une vitrine derrière laquelle tout se dégrade
Sous la pluie, Gaëtan Lecocq, de la CGT ArcelorMittal Dunkerque, s’empare du micro : « Quand on écoute les médias et la direction, tout va bien chez nous. Ce n’est qu’une vitrine, car la situation ne fait que se dégrader. Au départ, il était prévu d’investir pour que la durée de vie du haut-fourneau n° 4 soit portée à 2050. Puis, on est passé à 2040, avec plusieurs centaines de millions d’euros économisés. Enfin, en juin, on nous annonce qu’on va juste poser des rustines, pour tenir jusque 2029, dans le meilleur des cas. »
ArcelorMittal annonce un objectif de décarbonation de 30 % d’ici à 2030. Mais, en attendant d’annoncer la localisation de ces investissements, le groupe « fait monter les enchères entre les différents gouvernements européens, pour obtenir un maximum de fonds publics, ainsi qu’une électricité au prix le plus bas », souligne Philippe Verbeke. Imposer des commissions de suivi et des contreparties aux aides publiques – en embauches et investissements – est précisément une autre revendication de la journée.
« Nous voulons mettre la pression sur le futur ministre de l’Industrie pour une maîtrise publique de la filière », résume le responsable CGT, qui évoque des participations de l’État dans les entreprises quand la situation l’exige, voire la nationalisation, mais aussi la réduction du temps de travail, de meilleurs salaires et des départs anticipés en retraite pour prendre en compte la pénibilité.
Inquiétudes chez ThyssenKrupp et Valdunes
L’objet de la mobilisation est de mettre en lumière tout le secteur sidérurgique. Ainsi, chez ThyssenKrupp, deux sites français, dans le Nord et l’Est, pourraient faire les frais des manœuvres actionnariales du milliardaire Daniel Kretinsky. Inquiétudes également chez Valdunes, le dernier fabricant français de roues de train, dont la forge est installée à Dunkerque et le site d’usinage à Valenciennes.
Son rachat par le français Europlasma, au prix de 119 licenciements pour 190 emplois sauvés, s’est accompagné d’une promesse de 35 millions d’euros d’investissement sur trois ans, aidés par l’État. « Au bout de six mois, nous n’avons pas de nouvelles, il y a de quoi être inquiet », confie Philippe Lihouck, délégué CGT à la forge. Actuellement, la production est proche de zéro, la direction arguant d’une nécessaire remise à plat des relations avec les clients. Philippe Lihouck évoque un contrat avec le tchèque Bonatrans « mis de côté » et un autre, avec une entreprise indienne, qui « a capoté ».
Optimisme prudent chez Ascometal
Venus également en voisins, Jean-Louis Clarys et Tony Neuts-Roubelat affichent de leur côté une prudence plus optimiste. Leur usine dunkerquoise d’aciers spéciaux fait partie des sites Ascometal, avec ceux d’Hagondange, Custines (Meurthe-et-Moselle) et Saint-Étienne (Loire), repris par le fonds anglais Greybull Capital. Ce dernier, également largement soutenu par l’État, a conservé 760 salariés, dont les 170 du Nord, et supprimé 23 postes dans la holding à Hagondange.
« On n’a pas beaucoup de boulot, admettent les deux élus CGT, car le redressement judiciaire nous a fait perdre des clients et nous avons besoin que nos fournisseurs reprennent confiance. » Mais les objectifs d’amener la production annuelle à 60 000 tonnes, le double de 2023, leur « paraissent sérieux ». Autre motif d’espoir : la programmation de 10 millions d’euros d’investissement pour remettre en route le laminage de l’usine, arrêté en 2021.
mise en ligne le 15 septembre 2024
Léa Darnay sur www.humanite.fr
La justice a commencé à étudier la plainte de huit ouvriers qui ont effectué des travaux de rénovation dans des conditions déplorables de logement, de travail et de sécurité.
Quand il se remémore son calvaire vécu en 2022 avec sept autres collègues, Rayane* a une formule simple : « C’étaient des conditions de travail horribles ». L’ancien travailleur sans-papiers et ses compagnons d’infortune ont connu l’enfer après avoir été recrutés pour rénover le château d’automne de Chambry, en Seine-et-Marne.
Assistés depuis par la CGT de Seine-et-Marne et son secrétaire général Patrick Masson, ils ont fini par porter plainte pour traite d’êtres humains contre leurs anciens patrons d’une même famille. Mardi 10 septembre, les huit hommes se sont retrouvés au Tribunal judiciaire de Meaux pour la première audience d’une procédure qui s’annonce exemplaire.
Repéré dans une zone industrielle, là où les entrepreneurs profitent de la situation des sans-papiers pour les embaucher à un salaire misérable, Rayane est engagé pour réaliser des travaux de maçonnerie. Aucune protection ne lui est donnée : ni casque, ni chaussures de sécurité. Pas question pour autant de ne pas exécuter les tâches toutes plus dangereuses les unes que les autres. Lors de l’été caniculaire de 2022, l’ouvrier passe plus d’un mois à nettoyer le toit au jet à pression, sans protection ni lien de sûreté, surveillé de près par un maître de chantier tatillon.
Un patron qui n’en est pas à son coup d’essai
Les heures supplémentaires sont fréquentes, mais les salaires ne suivent pas. « J’avais négocié 1 200 euros, mais finalement il me donnait ce qui l’arrangeait, parfois 900 euros, d’autres fois 1 000 », raconte Rayane. Et des congés payés ? « Jamais, répond-il. Le dimanche était le seul jour de repos de la semaine. »
Le château, dans un état désastreux, n’était pas habitable. Pourtant, Rayane l’affirme : « On était logé là où on travaillait ». Les ouvriers ont dû se débrouiller pour trouver des lits, des plaques de cuissons, des fenêtres et des fils électriques. « Le patron avait seulement installé un compteur », explique-t-il.
Dépourvu de chauffage, le logement qu’ils rénovaient possède des sanitaires dans un état abject d’insalubrité. Un dépôt sauvage d’amiante se trouve dans les bois du château, où les travailleurs ont dû plusieurs fois travailler à proximité. Qu’importe la santé. « Soit tu travaillais, soit tu dégageais », reprend Rayane.
« Si le problème était très grave, il nous laissait aller aux urgences, mais sans nous y emmener. » Un clou planté dans le pied ne constituait pas un motif de gravité : « Ce n’était rien d’après le patron. Mon collègue blessé s’est soigné tout seul. De toute façon s’il partait, il le virait. »
Les témoignages de ses collègues se ressemblent : conditions de travail indignes, conditions d’hébergements catastrophiques. Ce n’est qu’une part de ce qui est reproché aux employeurs poursuivis. Le père, la mère et leur fille sont accusés de délit au droit d’urbanisme, de travail dissimulé, d’exécution de travaux non autorisé par un permis de construire ou encore d’emploi d’étranger en situation irrégulière. Le patron n’en est pas à son premier procès : fraudes, escroquerie… Avec cette affaire s’ajoute la traite d’êtres humains, à propos de laquelle il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
La prochaine audience a été renvoyée au 4 février 2025 à la demande des avocats de l’employeur, qui réclament un troisième défenseur et mettent en cause la réception tardive de certains documents. Mais l’Urssaf va elle aussi mettre à profit ce temps supplémentaire pour finir de chiffrer le manque à gagner en termes de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Un renvoi qui arrange aussi les plaignants, puisque d’anciens salariés sans-papiers ont annoncé vouloir se constituer partie civile.
* Le prénom a été changé
mise en ligne le 2 septembre 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après le cirque indigne d’une démocratie qui a mené à la nomination de Michel Barnier à Matignon, la secrétaire générale de la CGT promet une rentrée des plus offensives. Sophie Binet entend pousser le rapport de force lors de l’examen du budget à l’Assemblée. Nous l’avons rencontrée avant son passage à la Fête de l’Humanité et la journée de mobilisation du 1er octobre.
La CGT n’entend pas laisser de répit à Emmanuel Macron. Jeudi 5 septembre, près d’une heure après la nomination de Michel Barnier à Matignon, « l’Humanité magazine » rencontrait Sophie Binet. La secrétaire générale de la CGT avait déjà annoncé une journée de mobilisation le 1er octobre, jour où arrive le budget 2025 devant les députés. Après le déni de démocratie du chef de l’État, cette date prend une tournure bien plus politique, alors que la cégétiste, une des figures de l’élan populaire post-dissolution, entend arracher des avancées sociales.
Après les législatives, vous vous attendiez à un coup de force d’Emmanuel Macron. C’est chose faite avec Michel Barnier à Matignon. Le chef de l’État devra-t-il se résoudre à amoindrir, voire abandonner sa politique économique pour apaiser le pays ?
Sophie Binet : C’est une évidence. D’abord, les électeurs ont pris leurs responsabilités pour battre l’extrême droite. Ensuite, la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron a été lourdement sanctionnée. En multipliant les cadeaux aux plus riches, Bruno Le Maire et le chef de l’État ont creusé le déficit de 1 000 milliards depuis 2017. Un millier d’élèves handicapés n’ont pu être scolarisés à la rentrée. Il n’y a jamais eu autant d’enseignants contractuels, c’est-à-dire sans formation. Les urgences arrivent en bout de course. Le bilan d’Emmanuel Macron est une catastrophe.
En cherchant à neutraliser une motion de censure du RN, le président de la République a une nouvelle fois joué avec l’extrême droite, au détriment du sursaut républicain dans l’entre-deux-tours…
Sophie Binet : En plaçant le RN en faiseur de rois, Emmanuel Macron s’assoit sur le vote des Français. Marine Le Pen aura le pouvoir de vie ou de mort sur Michel Barnier. Le chef de l’État s’est placé en situation de dépendance à l’extrême droite. Dans toutes les autres démocraties parlementaires, c’est la force politique arrivée en tête qui a la responsabilité de construire une majorité. C’est seulement si elle n’y parvient pas que les autres partis prennent la main. En réalité, Emmanuel Macron veut conserver son pouvoir personnel. Or, président de la République ne signifie pas avoir les pleins pouvoirs. Sa politique est fluctuante sauf dans un domaine : ses orientations économiques au service des puissants. C’est pour maintenir cette politique économique qu’Emmanuel Macron a écarté le NFP de Matignon.
En réponse, la CGT appelle à une journée de mobilisation le 1er octobre. Quelles sont les priorités de la CGT ?
Sophie Binet : Ce sont les syndicats de retraités qui ont initié le 1er octobre. Nous l’avons confédéralisé car c’est une date unitaire. C’est aussi le jour de l’arrivée du budget 2025 à l’Assemblée. Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter.
De plus, il est intolérable que les 170 milliards d’aides publiques à destination des entreprises ne soient pas conditionnées à des impératifs sociaux et environnementaux. Nous irons arracher les augmentations de salaire, à commencer par l’indexation sur les prix et une réévaluation du Smic. Sans mobilisation, Emmanuel Macron continuera sa politique de casse sociale. Mais, grâce au sursaut populaire à la suite de la dissolution, le chef de l’État n’a jamais été aussi fragilisé. Après avoir évité le pire, l’arrivée de Bardella à Matignon, nous voulons gagner le meilleur. Macron ne comprend que le rapport de force. Or, la force est avec nous. Ne nous laissons pas emporter par le fatalisme, ayons conscience des points marqués depuis 2022.
Lesquels ?
Sophie Binet : Nous avons empêché une victoire du RN. La gauche est arrivée en tête des législatives anticipées, ce qu’aucun commentateur n’avait prédit. Emmanuel Macron ne contrôle plus rien dans le pays. Sa capacité d’action est contrainte par le Parlement. Le gouvernement Barnier va être le plus faible de la Ve République. Le chef de l’État a dû abandonner les réformes d’assurance-chômage, du logement, de l’audiovisuel public, de la fonction publique, du Code du travail.
Ces victoires ont été arrachées par la mobilisation et par les urnes. Sans la dissolution, nous nous préparions à une rentrée de résistance. Nous sommes désormais en situation de conquête sociale. Qui aurait annoncé, un an en arrière, que le débat de cette rentrée serait l’abrogation de la réforme des retraites ? Une majorité de députés s’y disent disposés. Quoi qu’en pense le gouvernement Barnier, les députés font la loi. Si l’exécutif a la moindre hésitation, je les invite à organiser un référendum. Le résultat sera sans appel.
En l’état actuel du rapport de force, est-il possible d’imposer un meilleur partage des richesses ?
Sophie Binet : Le patronat fait primer les intérêts des actionnaires sur celui des entreprises. Le programme du NFP était dérangeant pour le Medef parce qu’il opère un rééquilibrage en faveur du monde du travail. Le patronat a brillé par son silence complaisant face à l’extrême droite. Or, la montée du racisme s’opère aussi sur les lieux de travail. Si le patronat se comporte en simple corporation défendant seulement ses intérêts économiques de court terme, alors il n’a plus de légitimité dans le débat démocratique. Nous devrons affronter le capital pour le faire céder. Cela nécessite de grandes mobilisations sociales.
Le 1er octobre n’est pas une journée de témoignage pour se retrouver entre militants syndicaux. Nous voulons gagner des avancées concrètes pour nos vies. J’appelle les salariés, dans les entreprises, à chiffrer leurs besoins de hausses salariales et à les exiger de leurs patrons en se mettant en grève à compter du 1er octobre. J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. Le délabrement de nos services publics est un problème, pas seulement pour les fonctionnaires, nous voulons gagner le financement nécessaire. Sur l’ensemble du territoire, les députés doivent être interpellés. La réforme des retraites a été introduite au Parlement par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Nous pouvons la défaire lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.
Solidaires et la FSU appellent également à se mobiliser le 1er octobre. Mais vous n’êtes pas suivi par l’ensemble de l’intersyndicale. Sans retomber dans les divisions des années 2010, faut-il entrevoir la fin d’une dynamique unitaire issue du mouvement de 2023 ?
Sophie Binet : Lors du 1er mai, les commentateurs avaient prédit la fin de l’intersyndicale, l’ensemble des organisations n’étant pas dans la rue. Dès le lendemain, nous nous sommes retrouvés contre la réforme de l’assurance-chômage. Une majorité d’organisations syndicales se sont mobilisées contre l’extrême droite. Oui, nous avons des stratégies et histoires syndicales différentes. Mais cela n’impacte pas notre dynamique unitaire. Nous faisons primer ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. D’ailleurs nous avons tenu une intersyndicale le 9 septembre. Une campagne unitaire contre le racisme et l’antisémitisme dans les entreprises sera prochainement lancée. Enfin, au lendemain du scrutin législatif, sept organisations syndicales ont signé une plateforme revendicative commune interpellant l’exécutif : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, défense de l’industrie et financement des services publics.
Dans ce contexte politique, aucune grève n’a été impulsée durant les jeux Olympiques. Assumez-vous cette stratégie ?
Sophie Binet : La grève ne se décrète pas. Je n’ai malheureusement pas de bouton rouge « grève générale » sur mon bureau. Les salariés se mettent en grève sur leurs revendications. La CGT a déposé des préavis, durant les JO, dans de nombreux secteurs. La cérémonie d’ouverture a failli ne pas se tenir, parce que les organisateurs refusaient de payer dignement les danseurs. Et, à trois jours de l’événement, nous avons gagné le doublement des rémunérations. Idem à la Monnaie de Paris, qui frappait les médailles olympiques. Nous avons obtenu des primes pour compenser le surcroît de travail. Ces salariés n’étaient pas favorables à déposer des préavis. Ils étaient fiers de travailler à la réussite des jeux Olympiques.
En fin de compte, il n’y a pas eu de grèves parce que les salariés ne l’ont pas souhaité. Il faut arrêter le fantasme des pseudo-grèves par procuration. Les cheminots, les énergéticiens, les dockers… ne supportent plus ces discours. Chacun doit prendre ses responsabilités, non pas quelques secteurs professionnels. Durant le mouvement des retraites, ces secteurs dans lesquels la CGT est la plus implantée se sont sentis très seuls pour construire les grèves reconductibles. Les énergéticiens ont tenu cinquante jours, les dockers pas loin d’un mois, idem chez les éboueurs… Ils le paient cash avec une terrible répression antisyndicale et plus de 1 000 procédures ouvertes contre nos militants et nos dirigeants.
La charte sociale des JO, négociée par Bernard Thibault, doit-elle s’inscrire dans la loi ?
Sophie Binet : Cette charte a permis de diviser par quatre le nombre d’accidents du travail sur les chantiers. Aucun accident mortel n’est à déplorer. Il n’y a donc pas de fatalité. Ces mesures doivent être généralisées à tous les secteurs d’activité. Cela implique de recruter des inspecteurs du travail, de créer de nouvelles prérogatives pour les délégués du personnel en commençant par restaurer les CHSCT et de limiter la sous-traitance.
Quelle adaptation de la CGT aux mutations du salariat ?
Durant le mouvement contre les retraites, les grèves ne se sont pas étendues parce que les déserts syndicaux sont trop nombreux. Les taux de syndicalisation sont faibles. Il faut rompre avec le syndicalisme par procuration, encourager ceux qui partagent le discours de la CGT à se syndiquer. La CGT a des transformations à opérer et une réflexion interne est engagée. Nos formes de syndicalisation doivent s’adapter aux petites et moyennes entreprises, en développant les syndicats de territoire.
Par exemple, dans la construction, des syndicats départementaux regroupent des salariés de différentes entreprises. Depuis la dissolution, plusieurs milliers de syndiqués nous ont rejoints, notamment des jeunes, des femmes et des cadres. C’est très positif. Mais cela doit s’accompagner d’un travail dans la durée pour porter spécifiquement les revendications des salariés les plus qualifiés sans que cela n’invisibilise les ouvriers et les employés, qui doivent rester le centre de gravité de la CGT.
En dix-huit mois comme secrétaire générale, vous avez multiplié les déplacements dans les entreprises. Quel est le pouls dans le monde du travail ?
Sophie Binet : Malgré une participation record, la moitié des ouvriers et 42 % des employés n’ont pas voté lors des législatives. Les raisons structurelles de cette abstention sont inquiétantes, à commencer par la distanciation des partis de gauche et du monde du travail. La gauche a souvent trahi les attentes. Elle doit redevenir le parti du travail. Rien n’est jamais écrit d’avance. C’est par notre mobilisation collective, y compris de la CGT, que nous avons arraché le résultat du 7 juillet. Cela doit nous donner confiance en l’avenir. Pour éviter l’extrême droite, nous connaissons les prérequis : l’union des forces de gauche, sur un programme de rupture, accompagné d’une reconnexion avec le monde du travail.
Pour sortir de la dualité emploi contre transition écologique, la CGT travaille à des contre-projets industriels dans les territoires. Quelle est cette méthode ?
Sophie Binet : La CGT pense, avec les travailleurs, à la transformation des moyens de production. Les contradictions entre le social et l’environnement ne se dépasseront pas d’en haut. Le chantage à l’emploi qu’exerce le patronat fait monter l’extrême droite. À Tefal, la CGT a eu le courage d’affronter le patronat qui veut continuer à produire des poêles avec des polluants éternels et menace de fermer l’usine. Pour cela, nous avons croisé les points de vue entre les salariés, les citoyens et les scientifiques. Et nous travaillons activement à des alternatives aux polluants éternels.
À gauche, entre les syndicats, les ONG et les partis, nous devons pousser le débat pour dépasser nos désaccords. On doit se dire qu’il n’existe pas d’énergie sans impact environnemental. Or nous avons besoin d’énergie pour relocaliser notre industrie, améliorer nos conditions de vie et répondre au basculement des voitures thermique vers l’éclectique. Il s’agit donc, en la matière, de définir une balance coût/inconvénient. À ce stade, il nous semble impossible de sortir des énergies fossiles sans électricité nucléaire. Je ne crois pas que nous soyons prêts à recouvrir nos espaces naturels d’éoliennes, de panneaux solaires et de barrages.
Le combat des Duralex, à La Chapelle-Saint-Mesmin, a marqué l’actualité sociale de l’été. La CGT, majoritaire, n’a pas soutenu la transformation de l’usine en Scop. Quelles sont vos réticences ?
Sophie Binet : Nous sommes inquiets sur la solidité financière et industrielle de la Scop. Cependant, le projet a été retenu et nous devons tout faire pour sa réussite. L’absence d’exécutif est préjudiciable. La commande publique peut pérenniser l’entreprise. Les collectivités et l’éducation nationale doivent se fournir chez Duralex.
Les élus locaux de tous bords se sont mobilisés pour sauver une marque iconique. Je note que le rapport de force, impulsé par la CGT depuis trente ans, a forcé un changement de discours sur l’industrie que nous étions bien seuls à défendre.
mise en ligne le 14 juillet 2024
Samuel Eyene sur www.humanite.fr
Huit mois après avoir remis en marche l’usine, les travailleurs de l’usine de papier emblématique de la Meuse se retrouvent à nouveau en difficulté. Des promesses non tenues par leur ancien propriétaire et un sous-investissement du nouveau renvoie l’entreprise en redressement judiciaire.
C’est l’histoire d’une reprise d’activité qui ne s’est pas passée comme prévu. Un an seulement après son rachat par le fonds allemand Accursia Capital, la papeterie Stenpa (ex-Stenay Papers) anciennement détenue par le groupe finlandais Ahlstrom, a été placé en redressement judiciaire, vendredi 5 juillet, par le tribunal de commerce de Bar-le-Duc. « Accursia Capital et Ahlstrom ne semblent pas respecter leurs engagements vis-à-vis des salariés », a dénoncé l’intersyndicale CGT-FO dans un communiqué.
« Le nouvel actionnaire n’a pas eu de projet industriel »
Un nouveau coup de massue pour les 124 salariés de l’usine spécialisée dans la fabrique de papiers destinés à l’emballage ou encore à la fabrication d’étiquettes. Déjà, en mars 2023, ils avaient dû faire face à la décision d’Ahlstrom de cession du site en raison d’une baisse du nombre de commande. Un plan social avait alors été lancé le 7 avril 2023 avant qu’un repreneur, trouvé en urgence, ne fasse irruption.
Des nouvelles bobines de papiers avaient vu le jour en novembre 2023. Et les travailleurs, las d’une longue lutte de cinq mois, se croyaient sauvés. Retour à la case départ, un an plus tard. La faute à des accords non respectés par l’ancien propriétaire, d’après les syndicats.
« Pour faire simple, lors de la reprise de la papeterie, l’ancien propriétaire Ahlstrom s’est engagé à trouver des commandes afin de l’aider à redémarrer. L’accord devait durer six mois. Cela a bien fonctionné au début. L’usine a repris son activité en octobre de l’année dernière avec près de 100 tonnes de commandes », raconte Alain Magisson, secrétaire du comité social et économique (CSE) et délégué CGT.
Mais la suite a été plus laborieuse. Le nombre de commandes a diminué et le précédent propriétaire a cessé de jouer « son rôle dans l’accompagnement. Il s’est même placé en concurrence de la papeterie de Stenay », poursuit le cégétiste.
Seulement, Ahlstrom n’est pas le seul tenu pour responsable dans les nouvelles difficultés. Les erreurs proviennent également « du nouvel actionnaire, qui n’a pas eu de projet industriel ni les moyens pour soutenir la société », précise Matej Kurent, directeur général de la papeterie Stenpa.
Ainsi, le CSE a alerté la direction et sommé Accursia de venir sur le site. Ce qu’elle n’a pas fait, contraignant une partie des délégués syndicaux à se déplacer en juin au siège munichois du fonds d’investissement pour obtenir des réponses… insatisfaisantes.
« La direction d’Accursia nous a expliqué comment elle opère. Elle reprend des entreprises dont les actions chutent à zéro et s’occupent de les relancer sans toutefois y investir le moindre centime, s’indigne Alain Magisson. Si la papeterie devient rentable, elle empruntera de l’argent auprès des banques. Mais Accurcia, lui, n’avance ni n’investit aucune somme. Il ne prend aucun risque ».
Difficile, dans ces conditions pour l’intersyndicale d’entrevoir un avenir radieux. L’usine meusienne fait donc face au péril d’une liquidation judiciaire au 30 septembre si aucun repreneur ne se fait connaître d’ici là.
mise en ligne le 10 juillet 2024
Marie-Sylvie Prudhomme et Marc Bertrand sur https://www.francebleu.fr/infos/
Depuis hier soir mardi, l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne tourne au ralenti. A l'appel de la CGT, de nombreux salariés ont débrayé pour réclamer de meilleurs salaires. La grève est reconductible.
Selon la CGT, 80 % des salariés du site de Condat-sur-Trincou sont en grève ce mercredi matin © Radio France - Marc Bertrand
Depuis mardi soir, les salariés de l'usine Mademoiselle Desserts de Condat-sur-Trincou en Dordogne sont en grève à l'appel de la CGT. Un mouvement organisé dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) pour les salaires. Ce mercredi 10 juillet dans la matinée, ils étaient une cinquantaine de salariés grévistes réunis devant l'entrée de l'usine de Valade, qui emploie près de 500 personnes.
100 euros bruts pour tous les salariés
Le mouvement est très suivi selon le syndicat qui annonce un chiffre de 80% de grévistes, alors que la direction parle de 37,5% sur la journée. Mardi soir, au moment de la prise de service du personnel de nuit, aucune des 12 lignes de production ne fonctionnaient. Ce mercredi matin, trois lignes sur 12 étaient en activité selon l'entreprise.
La CGT réclame une augmentation de 100 euros bruts par mois pour l'ensemble du personnel. De son côté, la direction propose une augmentation de salaire de 2%, soit environ 40 euros en moyenne, qui suit l'inflation. L'entreprise fait remarquer que les salariés ont touché une prime d'intéressement de 4.000 euros au mois de mai, pour les récompenser des bons résultats de l'entreprise.
La grève est reconductible
L'autre site de Mademoiselle Desserts en Dordogne qui emploie 35 personnes à Thenon est également touché par le mouvement mais dans une moindre mesure. Quatre salariés étaient en grève mercredi matin, selon l'entreprise.
La grève est reconductible, annonce la CGT. La dernière réunion des NAO doit se dérouler vendredi 12 juillet, le syndicat compte mettre la pression sur la direction d'ici là. L'année dernière, en 2023, les salariés avaient obtenu une augmentation de 103 euros bruts par mois après trois jours de grève.
mise en ligne le 9 juillet 2024
sur https://www.cgt.fr/actualites
La mobilisation citoyenne a déjoué le scénario catastrophe d’Emmanuel Macron qui, par sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale, a créé le chaos et déroulé le tapis rouge au Rassemblement National. Une large majorité d’électeurs et d’électrices ont clairement exprimé leur refus de donner les clés du pays à l'Extrême droite.
Le Nouveau Front Populaire, porteur d’un programme prévoyant notamment l'augmentation des salaires et des pensions, l'abrogation de la réforme des retraites et l'investissement dans nos services publics, est arrivé en tête.
Espagne, Grande-Bretagne et maintenant la France : les réactionnaires sont battus sur la base d’attentes sociales fortes. En Europe, le choix est désormais clair : progrès social ou fascisme, le libéralisme n’est plus une alternative.
Le président de la République a été sévèrement sanctionné.
Il a été totalement irresponsable en tentant jusqu’au bout de mettre dos à dos l’Extrême droite avec la gauche, contribuant ainsi à la légitimation du
Rassemblement National et de son idéologie.
Heureusement, la majorité des organisations syndicales, la société civile, la jeunesse et les partis politiques républicains ont pris
leurs responsabilités. Fidèle à son histoire, la CGT a continué de rappeler très fermement
que le Rassemblement National est toujours un parti raciste, antisémite, homophobe, sexiste et violent et qu’il ne doit jamais être considéré comme
un parti comme les autres.
Au-delà, les leçons doivent être tirées en profondeur pour contrer la progression continue du Rassemblement National, qui a obtenu un nombre de député·es record.
La CGT alerte. Les exigences sociales doivent être entendues : le travail doit permette de vivre dignement et les services publics doivent être développés dans tous les territoires.
Pas question que le patronat, qui a brillé par sa complaisance envers l’Extrême droite, ait encore gain de cause.
Il faut rassembler le pays qui a été clivé de façon très violente et lutter avec détermination contre le racisme, l'antisémitisme et l'islamophobie. Il faut aussi renforcer les obligations déontologiques et l’indépendance des médias actuellement dans les mains de quelques milliardaires.
Le sursaut populaire citoyen ne doit pas s’arrêter, il doit s’organiser dans la durée.
Depuis les élections européennes, des milliers de salarié·es et retraité·es ont fait le choix de se syndiquer à la CGT.
Cette dynamique doit s’amplifier pour permettre aux travailleuses et travailleurs de reprendre le pouvoir sur leur travail et leur vie. Partout dans les territoires, la CGT va rencontrer les député·es républicains pour porter les exigences du monde du travail.
La CGT va réunir ses instances de direction pour décider de toutes les initiatives nécessaires et échanger avec l’intersyndicale et les associations pour continuer à avancer dans l’unité la plus large.
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après la « victoire incroyable » de la gauche, Sophie Binet exige du président de la République qu’il respecte le verdict des urnes. La secrétaire générale de la CGT livre sa réflexion sur l’urgence de renouer avec le monde du travail et ses revendications. Une intersyndicale doit avoir lieu ce 9 juillet.
Au second tour, le barrage républicain a empêché le RN de faire main basse sur Matignon. Est-ce une satisfaction ?
Sophie Binet : C’est une victoire incroyable. La mobilisation citoyenne a réussi à déjouer tous les scénarios catastrophes préparés depuis l’Élysée. Emmanuel Macron organise le chaos pour dérouler le tapis rouge à Jordan Bardella.
La gauche a su s’unir sur un programme de rupture avec le macronisme malgré des divergences fortes. La majorité des syndicats, CGT et CFDT en tête, ont pris leurs responsabilités en appelant à barrer la route de Matignon à l’extrême droite.
La clarté des désistements a contribué à battre en brèche la stratégie du « ni, ni » de la Macronie. Nous avons forcé la droite et le centre à reconstruire un barrage républicain, même fragile. Les électeurs ont pris leurs responsabilités. Le peuple français a réaffirmé que notre République, ce n’était pas l’extrême droite.
La CGT a soutenu le programme du Nouveau Front populaire (NFP). La gauche, en majorité relative, devra faire des compromis. Quelles sont vos lignes rouges ?
Sophie Binet : Les exigences sociales doivent être entendues. La CGT scrutera de près les contenus sociaux du prochain exécutif. À commencer par l’abrogation de la réforme des retraites. C’est un point majeur. L’opposition à cette réforme a pesé lourd dans ce scrutin. Grâce à la pugnacité des organisations syndicales, nous avons déjà gagné l’abandon de la réforme de l’assurance-chômage.
Ce n’est pas une petite victoire. La CGT veut des réponses claires sur l’augmentation des salaires, du point d’indice des fonctionnaires et des pensions. Le Smic à 1 600 euros était dans le programme du NFP.
Cela correspond aux revendications de la CGT. Un calendrier doit préciser sa mise en œuvre. L’indexation des salaires est un impératif, car le RN prospère sur le déclassement du travail. Enfin, des moyens doivent être débloqués pour nos services publics.
Quelles places pour les questions industrielles ?
Sophie Binet : Quand on ferme une usine, c’est un député du RN qui est élu. Les aides versées aux entreprises doivent être remises à plat et conditionnées. Le septennat d’Emmanuel Macron a été extrêmement profitable aux grandes entreprises. Elles ont bénéficié d’au moins 60 milliards de cadeaux supplémentaires en termes de baisse d’impôts et profitent chaque année de 170 milliards d’aides sans condition, ni contrepartie.
Il faut une autre répartition des richesses. Le patronat doit passer à la caisse. La CGT attend des actes forts et rapides, notamment dans les luttes sociales en cours. L’avenir des centrales de Cordemais et Gardanne, mais aussi de la papeterie Chapelle Darblay, doit être garanti. La CGT réclame un moratoire sur les licenciements en cours.
Enfin, la privatisation de Fret SNCF doit cesser, avec un moratoire sur le plan de discontinuité. La CGT se tient prête à proposer un plan de développement du ferroviaire au prochain gouvernement.
Quel profil doit aller à Matignon ?
Sophie Binet : La CGT n’a pas à faire le casting du futur exécutif. Mais une aspiration au renouvellement a émergé dans cette dynamique populaire. La gauche est en situation de cohabitation avec Emmanuel Macron. Jusqu’au bout, le président essayera d’empêcher une politique de justice sociale, avec la complicité du patronat. Il continuera à jouer les pyromanes.
« Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays. »
Le futur gouvernement doit se donner les moyens de durer, il doit être composé de personnalités qui rassemblent et répondent aux exigences sociales du monde du travail. Le pays est fracturé. Nous avons besoin d’une gauche de rupture capable de gouverner et d’apaiser le pays.
La stratégie de clivage, du bruit et de la fureur, de polarisation, profite in fine à l’extrême droite. Nous n’avons pas besoin de jeter du sel en permanence sur le débat public. Le NFP a une obligation de réussite, il ne doit ni trahir ni décevoir.
Vous craignez des manœuvres de l’Élysée pour empêcher la gauche de gouverner ?
Sophie Binet : Par son silence, Emmanuel Macron cherche à s’asseoir sur le résultat des urnes. Le chef de l’État souhaite un gouvernement technique dans la continuité de sa politique néolibérale. Le résultat, nous le connaissons par avance et nous l’avons vu en Italie.
Une coalition sans contenu social propulsera Marine Le Pen à l’Élysée en 2027. Il serait irresponsable de repartir sur une majorité relative composée des macronistes et des LR.
Quelles initiatives la CGT va-t-elle prendre dans les jours à venir ?
Sophie Binet : Une intersyndicale se tiendra ce mardi soir. Avec les autres organisations syndicales, nous continuerons à chercher à rassembler le pays autour de nos revendications sociales et à empêcher un hold-up démocratique. Le patronat a brillé par sa complaisance envers l’extrême droite. Il n’est pas question qu’il bloque de futures avancées sociales.
La société civile a maintenu une pression populaire sur les partis de gauche. Cet attelage doit-il perdurer ?
Sophie Binet : La CGT rencontrera tous les députés élus, sauf ceux de l’extrême droite. Sans la mobilisation de la société civile, des députés républicains de tous bords n’auraient jamais été élus. Durant ce mois de campagne, une repolitisation de la société s’est opérée : la jeunesse, le mouvement ouvrier, les intellectuels, une partie du monde de la culture et du sport, des journalistes…
Les initiatives se sont multipliées. Il ne faut surtout pas laisser la politique aux politiciens. Ce souffle ne doit pas retomber, sinon Emmanuel Macron jouera avec le RN pour créer le chaos. La CGT continuera à se mêler des affaires politiques.
Le 7 juillet, le RN et ses alliés ont recueilli plus de 10 millions de voix. Le vote d’extrême droite progresse inexorablement dans le salariat. Comment inverser cette tendance ?
Sophie Binet : Nous sommes en sursis d’une arrivée du RN au pouvoir. La CGT alertait, souvent seule, de la progression de l’extrême droite chez les travailleurs. On ne pourra pas lutter contre le racisme sans lutter contre l’antisémitisme, car ces discriminations prennent des formes distinctes mais ont des ressorts communs.
Attention à ne minimiser ni l’un ni l’autre de ces fléaux et à surtout cesser de les mettre en opposition. Les actes racistes et islamophobes ont explosé ces dernières semaines sur les lieux de travail.
Par exemple, à Enedis, une salariée s’est fait traiter de sale négresse. La CGT va interpeller le patronat : quelle politique va-t-il mettre sur pied pour lutter contre le racisme ? Nous proposerons à l’intersyndicale de se saisir de ces enjeux.
Les formations de gauche sont-elles encore audibles dans le monde du travail ?
Sophie Binet : C’est un axe de travail que nous devons aborder avec la gauche politique. Des bastions ouvriers, comme dans les Bouches-du-Rhône, l’Est, le Nord, la Seine-Maritime basculent à l’extrême droite. Ce n’est pas qu’un vote sanction vis-à-vis d’Emmanuel Macron.
Dans une grande partie du salariat, l’extrême droite est un vote d’adhésion. Dans des duels face à la gauche, des salariés ont choisi le bulletin RN. La déstructuration du travail et l’explosion des collectifs de travail sont des accélérateurs de la progression du RN.
La question du travail doit-elle être centrale pour reconquérir les classes populaires ?
Sophie Binet : Oui. La gauche a trop délaissé le travail, tout comme les enjeux industriels. La gauche qui a gouverné sous François Hollande a démissionné face à la finance et a organisé le partage de la pénurie au sein du salariat, en opposant les cadres et les ouvriers. Des partis de gouvernement ont eu pour seule proposition aux présidentielles le revenu universel.
« La gauche doit redevenir le parti du monde du travail. »
Au lieu de parler de salaire, la gauche a parlé de pouvoir d’achat. Des formations ont abandonné le combat pour l’amélioration collective des conditions de travail, en apportant des réponses segmentées pour la seule frange de celles et de ceux les plus en difficulté, en développant les aides sociales, tout en renonçant à affronter le capital. La gauche doit redevenir le parti du monde du travail.
Peut-on parler d’une même voix aux classes populaires de Seine-Saint-Denis, de Flixecourt ou de Saint-Amand-les-Eaux ?
Sophie Binet : C’est l’enjeu qui est devant nous. Sous le poids des mutations du travail, les catégories populaires sont devenues diverses. Ces dernières sont profondément clivées par le vote RN. La question sociale rassemble largement. Nous devons faire comprendre aux travailleurs l’importance d’une expression de classe. Sinon, le patronat continuera de dérouler son projet antisocial.
C’est en ce sens que l’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs : elle les fracture en les mettant en opposition selon la religion, la couleur de peau, la nationalité ; pendant ce temps-là le patronat a une paix royale et se frotte les mains ! Cependant, l’abstention reste le premier parti des ouvriers. Nous devons aussi les convaincre de l’utilité de voter.
Comment analysez-vous le rôle de la CGT dans cette séquence ?
Sophie Binet : Je suis très fière du déploiement de la CGT depuis l’annonce de la dissolution. Plus de 3 000 adhésions ont été réalisées. La CGT aurait pu agir comme d’autres, en faisant primer ses intérêts électoraux, et ne pas affronter certains salariés.
De nombreuses circonscriptions ont été gagnées à une poignée de voix. Sans l’investissement de la CGT, le résultat des urnes aurait été différent. Nous sommes restés fidèles à notre histoire. À chaque fois qu’une menace fasciste planait, la CGT a pris ses responsabilités. Nous avons tenté d’être à la hauteur de l’héritage de Benoît Frachon, Georges Séguy, Martha Desrumaux et Henri Krasucki.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT est venue soutenir Julien Léger dans la 5e circonscription du Val-de-Marne, où le communiste affrontera le macroniste Mathieu Lefèvre dans une triangulaire.
Les drapeaux rouges de la CGT sont de sortie devant l’Intermarché au cœur du quartier des Boullereaux, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Au micro, ce mercredi 3 juillet, Sophie Binet s’exprime : « Julien Léger est capable de travailler avec tout le monde sur la base de l’intérêt des salariés. Ce bulletin de vote peut changer nos salaires, nos retraites, nos vies. »
À quatre jours du second tour des législatives anticipées, la secrétaire générale de la CGT a effectué un premier déplacement pour apporter son soutien à un candidat dans la 5e circonscription du Val-de-Marne. « Indépendante mais pas neutre », la Confédération avait, dès le 18 juin, appelé à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP).
Perte de 20 policiers depuis 2021
Sophie Binet et le candidat campinois sont des connaissances de longue date au sein de la CGT. « Je connais Julien depuis longtemps, notamment durant le conflit contre la loi travail. C’est un militant droit, intègre et extrêmement courageux, mesure la cégétiste. À l’Assemblée, ce sera un député qui permettra d’inverser le rapport de force face au capital. Il défendra les droits des salariés, loin des jeux d’appareil. »
Avec 37,27 % des suffrages, Julien Léger talonne de peu le député sortant macroniste Mathieu Lefèvre (38,52 %), proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La candidate RN, Isabelle Huguenin-Richard (20,4 %), complète le casting de cette triangulaire sans être en mesure de l’emporter. « Moins de 800 voix nous séparent du candidat soutenu par tous les barons locaux de la droite, les réserves de voix sont dans nos quartiers populaires, estime le communiste. Ce député sortant ne s’est jamais déplacé dans nos quartiers pour réclamer des services publics, ni même a protesté contre la fermeture de la Poste au centre de Nogent-sur-Marne. »
Par la présence de Sophie Binet dans le quartier des Boullereaux, les militants locaux ont voulu mettre en lumière le recul des services publics. Dans la gare SNCF, les agents ont été remplacés par des machines, sur fond de privatisation des transports en Île-de-France. Surtout, les communistes réclament depuis de nombreuses années la réouverture du second commissariat dans la commune, depuis, transformé en un centre de santé.
« Jamais Mathieu Lefèvre n’a appuyé ces revendications. Pire, depuis 2021, nous avons perdu 20 policiers dans notre secteur ! » fustige Julien Léger. « Nous ne pouvons plus continuer avec les logiques économiques et sociales d’Emmanuel Macron, insiste Sophie Binet. L’élection de Julien se joue à quelques voix. Nous avons besoin de députés de la société civile comme Julien Léger et Lyes Louffok, militants des droits de l’enfant. Les deux circonscriptions de Champigny peuvent faire basculer la future majorité. »
Grève historique à l’Intermarché des Boullereaux
Les habitants du quartier ont aussi en mémoire la lutte des salariées de l’Intermarché, en septembre 2023. « Sur la quarantaine de salariés, 80 % ont tenu une grève de trois semaines, dont la plupart sont des femmes. Certains avaient vingt années d’ancienneté. Nous avons tout de suite reçu un fort soutien des habitants. La caisse de grève débordait. Les commerçants donnaient à manger aux grévistes », rappelle Laurence Viallefont, secrétaire de l’union locale CGT de Champigny-sur-Marne.
Pour Sophie Binet, « par leur mobilisation historique, ces salariées ont obtenu 100 euros d’augmentation pour tous, le respect des salariés par la direction, l’application des libertés syndicales, le paiement des heures supplémentaires et des jours » enfant malade ». C’est une belle victoire qui montre qu’il est possible d’obtenir des avancées sociales ».
De son côté, Julien Léger veut retenir la méthode victorieuse. « Ces femmes ont reçu le soutien des syndicats, des associations et des partis politiques. Les militants PCF ont été très actifs pour leur venir en aide. C’est cette union qui a permis de triompher sur le patron, comme un air de Front populaire avant l’heure. »
Selon le communiste, « le maire LR Laurent Jeanne et le député Mathieu Lefèvre n’ont pas trouvé une minute pour soutenir ces femmes. Nous ne devons plus laisser ce député, responsable de l’explosion des scores de l’extrême droite, en poste ». « L’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs parce qu’elle divise avec son racisme. Quatre militants RN ont été condamnés à six mois de prison pour avoir passé à tabac un homosexuel. Que se passera-t-il demain avec un gouvernement Bardella ? » fustige la secrétaire générale de la CGT. À Champigny, les digues ont d’ailleurs cédé. L’adjoint au maire chargé de la sécurité, Grégory Goupil, est également secrétaire régional d’Alliance 93… un syndicat de police d’extrême droite.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Léo Schilling sur www.humanite.fr
La dirigeante d’une entreprise de nettoyage francilienne a tenu des propos racistes envers ses employés, en grève depuis le 20 juin. Elle a néanmoins dû négocier avec ses salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables
Ces propos racistes n’en finissent pas de susciter l’indignation. Alors que les travailleurs sans papiers du groupe francilien de nettoyage et d’entretien HNET étaient en grève depuis le jeudi 20 juin pour obtenir les documents auprès de la société pour lancer des procédures de régularisation, ainsi que des augmentations de salaires, la direction de l’entreprise est montée d’un cran ce mardi dans sa violence à l’encontre des travailleurs.
Ce jour-là, la cheffe d’entreprise, qui refusait jusque-là de négocier depuis plus de 10 jours, au point d’engager un maître-chien pour éloigner les grévistes, puis d’envoyer des lettres de convocation pour licenciement, est finalement allée à la rencontre de ses salariés. Devant plusieurs journalistes, elle a assuré d’abord, contre toute évidence, « il n’y a pas de travailleurs sans papiers », avant de tenir des propos ouvertement racistes : « Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? »
Gain de cause
Soutenus par la CNT, les travailleurs sans papiers ont finalement pu négocier avec la direction mardi 2 juillet au soir, et ont obtenu certaines garanties : la revalorisation de 10 % des salaires, ainsi que l’arrêt des procédures de licenciement, selon le syndicat. De plus, l’accord prévoit un « processus de régularisation et une future réunion sur les contrats et conditions de travail », à la rentrée, poursuit la CNT.
Dans un contexte politique nauséabond, cette victoire est une bouffée d’air frais pour ces salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables (sept jours sur sept, heures supplémentaires non rémunérées…), malgré vingt ans d‘ancienneté pour certains d’entre eux.
Et sur l’origine de cette grève :
Léo Schilling sur www.humanite.fr
En grève depuis jeudi 20 juin, des salariés sans papiers du groupe de nettoyage HNET continuent de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail devant le siège de l’entreprise, pour le moment sans réponse de la part de leur employeur.
Sur les treize travailleurs sans papiers en grève, neuf sont présents ce mercredi 26 juin, dans le quinzième arrondissement de Paris, pour manifester devant les locaux de leur employeur, le groupe de nettoyage HNET. Ils scandent en chœur « pour tous les travailleurs, solidarité », et agitent des drapeaux de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT) Solidarité Ouvrière, qui les soutient, tout en tapant dans leurs mains et sur une poubelle. Un syndicaliste se tient à leurs côtés, avant qu’ils ne soient rejoints par un juriste de la CNT, chargé de défendre leurs droits.
« Non-respect du droit du travail »
Devant le siège de HNET, barricadé par la direction du groupe durant le week-end, le juriste Etienne Deschamps explique la situation et les revendications de ces travailleurs, des déclarations confirmées par les grévistes. Chargés de nettoyer et d’entretenir les parties communes de copropriétés ou encore de gérer les poubelles et le tri sélectif, ils pointent tous les manquements au droit du travail : « Les employeurs savent parfaitement que ces salariés sont sans papiers, sinon ils se comporteraient différemment. Certains travaillent sept jours sur sept, reçoivent des contrats de travail à temps partiel illicites, qui ne comportent pas les mentions légales, notamment la répartition des horaires dans la semaine ou le mois. Les heures supplémentaires ne sont pas forcément rémunérées, et les frais d’essence des salariés se déplaçant en scooter ne sont pas pris en charge. Depuis des années, les méthodes de l’entreprise sont celles d’un autre monde. »
Selon Etienne Deschamps, les mails et SMS envoyés aux employeurs pour proposer de négocier les conditions de travail des salariés n’ont pas trouvé de réponse, le groupe HNET se contentant de nier l’emploi de travailleurs sans papiers. La première étape est de porter la demande de régularisation des travailleurs : « Ils remplissent tous les critères de la circulaire Valls (texte administratif décrivant les critères de délivrance des titres de séjour), qui est toujours d’actualité : plus de trois ans d’ancienneté sur le territoire, vingt-quatre bulletins de salaire… l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Il faut que les entreprises comprennent qu’il faut négocier avec les salariés qui les enrichissent depuis des années. »
Un contexte électoral qui risque de précariser davantage ces travailleurs
Après une première journée de manifestation jeudi 20 juin, les grévistes ont été accueillis le lendemain par des maîtres-chiens, qui avaient apparemment du mal à maîtriser leurs animaux. « Une porte s’est ouverte, un chien est sorti sans laisse ni muselière, ce qui est illicite, et a mordu la première personne venue, un des collègues », raconte le juriste. D’après les déclarations des travailleurs, le maître-chien concerné aurait été embarqué par la police peu après. Les forces de l’ordre sont également revenues voir où en était la situation ce lundi, se contentant de discuter avec les grévistes, puis de quitter les lieux.
Contacté, le groupe HNET n’a pas répondu aux sollicitations de L’Humanité.
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les femmes de chambres du luxueux hôtel Radisson à Marseille, ne sont pas parvenues à faire plier leur direction à l’issue d’une médiation engagée, ce jeudi 4 juillet. Pour leur 44e jour de grève, elles poursuivront donc leur mobilisation ce vendredi, dès 9 heures 30, devant les portes de l’établissement, sur le Vieux-Port.
Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale
Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.
Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.
Déboutées de leurs demandes
Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.
Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.
Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.
Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.
Conditions de travail indignes
« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.
« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.
Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.
Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.
Un large soutien populaire
En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs
revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.
« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon
courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours,
l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou
encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel »,
ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du
film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.
Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.
Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14h, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacée. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.
Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie. Christophe
À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.
Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.
Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.
« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ces sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »
Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement
Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier « d’opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.
15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».
Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.
* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.
« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »
Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.
Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est
certain.
F. Ruffin
Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ces joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.
François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. Mais c’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte à porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »
mise en ligne le 2 juillet 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Ce mardi 2 juillet, jour de Conseil social et économique du CHU de Montpellier, environ 80 personnes sont venues en soutien au personnel du service de chirurgie psychiatrique, en grève pour s’opposer à des suppressions de postes et de lits
8 heures, des blouses blanches se dirigent vers l’hôpital depuis le tramway avec des pancartes. “C’est
normal de soutenir les collègues en grève”, soufflent-elles.
Sur place, dans la cour du conseil de surveillance de l’hôpital de la Colombière, environ 80 personnes, dont l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, UNSA) sont réunies devant le lieu qui doit accueillir une
demi heure plus tard le Conseil social et économique du CHU pour protester contre des suppressions de postes et de lits au service de chirurgie
pediatrique.
Pierre Renard, délégué CGT, explique :“La direction veut supprimer trois lits en semaines, et trois de plus le weekend, dans le service de chirurgie pédiatrique, et supprimer cinq postes : quatre puéricultrices et une auxiliaire de puériculture, sur un service de 27 agents, au motif qu’il y aurait un taux d’occupation des lits insuffisants. Les assises de la pédiatrie préconisent une puéricultrice pour 4 ou 5 enfants, là, on serait à une puéricultrice pour 10 ou 11 enfants. Selon des études dont celle de la revue The Lancet ,un patient en plus par infirmier, augmenterait de 7 % le risque de décès. Passer de six à dix patients ferait passer le risque de décès à 30 %. La direction nous parle de rentabilité quand on parle de qualité de soins. La grève lancée aujourd’hui est illimitée, tant que les salariés voudront se mobiliser. L’intersyndicale est là, ça fait penser à l’union de la gauche, et même si on ne parle pas de politique, il va falloir avancer tous ensemble pour défendre l’hôpital.”
“C’est rare de voir une intersyndicale unie”, renchérit Laurent Blanc, délégué syndical Force Ouvrière. “Les soins ne sont pas quantifiables”, argue de son côté le représentant de la CFDT, évoquant “le stress et l’angoisse” des familles des patients face à ces suppressions de postes et de lits. Quant aux grévistes, elles ont décliné nos demandes d’entretiens, par peur de sanctions ou de représailles.
8 h 30, grévistes et syndicats pénètrent la salle du CSE. Les journalistes tentent de les suivre mais la direction du CHU s’y oppose. Une heure et demi plus tard, à la sortie du CSE, Pierre Renard commente : “On leur a proposé une réorganisation du service avec un bilan d’ici six mois, mais aucun accord n’a été trouvé. On parle de soins, ils nous parlent de chiffres, c’est impossible de s’entendre, la grève continue.”
La décision concernant la suppression des lits et des postes sera mise au vote au prochain CSE le 25 juillet, et l’intersyndicale entend bien voter contre.
Contactée, la direction du CHU n’a pas donné suite à nos sollicitations.
mise en ligne le 21 juin 2024
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
En raison de l’échec des « négociations annuelles obligatoires » (NAO), l’intersyndicale a lancé, jeudi 20 juin, un mouvement de grève, et a empêché l’impression du quotidien du lendemain, ce vendredi 21 juin. L’augmentation des salaires est la principale revendication.
Les travailleurs du quotidien régional Ouest-France ne comptent pas se laisser faire. À l’appel du SNJ, CFE-CGC, CGT, et FO, un mouvement de grève a été lancé le jeudi 20 juin, empêchant l’impression du journal en version papier ce vendredi 21 juin, ont rapporté les syndicats dans un communiqué.
Cette mobilisation d’ampleur est due à l’échec des négociations annuelles obligatoires (NAO) : « Le directoire a refusé toute augmentation générale » lors de la négociation annuelle du mardi 18 juin, explique l’intersyndicale. Un rejet des négociations marqué par « un directoire qui s’est déplacé devant les délégués syndicaux », en expliquant « que Ouest-France n’est pas en mesure d’envisager un plan de rattrapage de l’inflation, ni d’accorder ne serait-ce qu’1 % d’augmentation aux salariés », dénoncent les organisations.
Grève des rotativistes
Parmi les salariés en grève, les rotativistes se sont mobilisés. Les techniciens qui assurent l’impression du journal ont voté la grève dans la nuit du jeudi 20 juin au vendredi 21 juin : « Et si on n’a pas de retour (de la direction), on a également voté pour faire grève la nuit suivante », a déclaré à l’AFP Olivier Heurtault, secrétaire général de la section FO des rotativistes, jeudi 20 juin.
Les rotativistes assurent les impressions sur deux sites, à Chantepie, en périphérie de Rennes (Ille-et-Vilaine), et à la Chevrolière, en limite de Nantes (Loire-Atlantique). De cette imprimerie sortent également les quotidiens Presse Océan, Le Courrier de l’Ouest et Le Maine Libre, qui appartiennent au groupe Ouest-France. Ces titres ne devraient donc pas sortir en édition papier non plus vendredi, bien qu’ils ne soient pas concernés par le mouvement de grève.
« Les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années »
Des journalistes font également grève. Le refus d’augmenter les salaires est au cœur de leur mobilisation : « La direction a fait état de mauvais résultats pour rejeter nos demandes d’augmentation », a déclaré à l’AFP Christelle Guibert, représentante syndicale SNJ. « L’an dernier, on n’a pas eu de vraies NAO », regrette la syndicaliste.
Seuls les plus bas salaires, soit 60 % des salariés, ont obtenu une revalorisation. Olivier Heurtault abonde. Cette absence d’augmentation depuis plusieurs années est pour lui « inadmissible », « alors que les dix plus gros salaires de Ouest-France se sont augmentés de 12 % sur les trois dernières années ». Des chiffres contestés par la direction, selon laquelle ils ont été revus à la hausse de 8,8 % et non 12 % « alors que sur la même période les salaires ont augmenté de 10 % ».
Les salariés de Ouest-France auraient bénéficié d’augmentations générales par pallier, entre un et trois pour cent, ainsi que « d’augmentations individuelles, notamment liées à des évolutions de statut », a défendu Caroline Tortellier. La chargée de la communication externe du groupe Ouest-France a estimé aussi que « les discussions se poursuivent, le dialogue n’est pas rompu. »
Mais les syndicats sont très loin de partager ce point de vue. Tout comme, ils réfutent l’idée que le groupe n’aurait pas les moyens de procéder à des revalorisations et font notamment valoir que le groupe s’est porté candidat auprès de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) en vue de développer une chaîne de télévision nationale sur la TNT. Un investissement, selon les syndicats, de « 70 millions d’euros ».
Si les revendications sont avant tout salariales, elles concernent également le positionnement éditorial du titre. Dans un tract publié le 17 juin, consulté par Le Monde, la CFDT demande à la direction de « dénoncer le risque d’un régime raciste en France ». « Entre le risque de déplaire à une partie de nos lecteurs et la défense des principes d’une démocratie qui reste humaniste, Ouest-France, né de la Résistance, doit choisir son camp », ajoute le syndicat dans un contexte de résultats historiques du Rassemblement national.
Et le mouvement de grève engagé ne devrait pas s’arrêter là. Un appel à sa reconduction aurait été émis ce vendredi 21 juin, menaçant la publication du journal de ce samedi 22 juin, selon les informations du Monde. Un préavis de grève est également envisagé pour le 30 juin prochain, jour du premier tour des élections législatives anticipées.
mise en ligne le 20 juin 2024
Mathilde GOLLA sur https://www.ouest-france.fr/
Dans une interview à « Ouest France », Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelle à voter pour le nouveau Front populaire aux élections législatives, et à se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, prend la parole après la dissolution décidée par le président de la République, Emmanuel Macron, et avant les élections législatives du 30 juin et du 7 juillet. Elle appelle à voter pour le Nouveau Front Populaire et à faire barrage au Rassemblement national.
Vous appelez à voter pour le Front populaire. N’est-ce pas une décision inédite pour la CGT ?
Sophie Binet : La CGT ne donne pas de consigne de vote mais nous donnons notre avis à partir des programmes. Ce n’est pas la première fois de notre histoire, loin de là ! On l’a fait quand l’extrême droite était en situation d’accéder au pouvoir en 2002 en 2017 ou en 2022 où nous avions appelé à faire barrage.
Nous sommes dans un contexte où l’enjeu n’est pas seulement d’empêcher le pire mais aussi de gagner le meilleur.
Déjà en 1936 la CGT avait appelé à voter pour le Front populaire puis en 1945 pour la coalition des forces de gauche qui portaient le programme du conseil national de la résistance, et encore en 1974, en 1981 mais aussi en 2012 où la CGT avait appelé à battre Nicolas Sarkozy.
Suspension de Guillaume Meurice de Radio France : la liberté d’expression est-elle en danger ?
Notre position n’est donc pas inédite, la CGT a toujours pris ses responsabilités de façon très claire. Nous sommes indépendants mais pas neutres ! Cette décision forte a été prise collectivement, par le parlement de la CGT à l’issue d’un vote quasi unanime. Cela s’explique, car il y a le feu au lac : si on ne fait rien, l’extrême droite peut arriver au pouvoir. La CGT ne peut pas rester les bras croisés. Nous devons mettre toutes nos forces dans cette bataille contre l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Cette décision entraîne-t-elle des divisions au sein de la CGT ?
Sophie Binet : Non, car on a pris cette décision ensemble après une semaine de débats. Les seuls que cela dérange sont ceux qui sont favorables au Rassemblement national mais nous allons au débat de façon frontale avec eux. La position de la CGT est très claire. On ne peut pas être militant de la CGT et encore moins aux responsabilités, si on est au Rassemblement national. C’est incompatible.
On ne peut pas être militant à la CGT si on est au Rassemblement national Sophie Binet
Mais 24 % de vos sympathisants ont voté pour le RN. N’allez-vous pas vous priver d’eux ?
Sophie Binet : Oui c’est un risque, mais être très clair nous permet aussi de gagner de nouveaux et nouvelles syndiqués. Depuis dix jours, notre nombre d’adhésions a été multiplié par quatre (par jour par rapport à la normal, ndlr). 24 % c’est une proportion importante, mais c’est dix points de moins qu’à l’échelle nationale. L’extrême droite, le racisme, l’antisémitisme ou le sexisme sont incompatibles avec les valeurs de la CGT. On a déjà exclu des syndiqués pour ça et on n’hésitera pas à le refaire. Le RN n’est pas un parti comme les autres. Nous avons une position constante : on ne débat pas avec le Rassemblement national, on le combat.
Emmanuel Macron a une responsabilité très forte quant à la situation actuelle. Je suis tellement en colère contre lui et ce choix de dissolution, qui n’était pas justifié. C’est la décision d’un seul homme, ce qui confirme que le président a trop de pouvoir.
Quand un homme seul peut lancer une « grenade dégoupillée », c’est grave, car c’est de nos vies dont il s’agit. J’ai beaucoup de mal à dormir depuis dix jours à cause de ça. Je pense que je ne suis pas la seule.
La gauche a aussi sa responsabilité et on leur a demandé de s’unir et d’arrêter de trahir les attentes des travailleuses et des travailleurs. C’est pour cela que la CGT a lancé un appel à l’union, mais sur un programme de rupture avec le néolibéralisme. On est très content de voir que cet appel a été entendu.
Vous souscrivez à tout le programme du nouveau Front populaire ?
Sophie Binet : Non, ce n’est pas le programme de la CGT même s’il reprend beaucoup de nos idées notamment les dix propositions de l’intersyndicale. Notamment le fait d’abroger la réforme des retraites et de l’assurance chômage, d’investir dans les services publics, d’augmenter les salaires, de relocaliser l’industrie. Il reprend aussi beaucoup de propositions de la CGT comme la retraite à 60 ans, l’indexation des salaires sur l’inflation, l’augmentation du Smic à 2 000 euros bruts, le fait de créer un pôle public du médicament ou un pôle public bancaire. Ces mesures sont positives mais il y a aussi des manques : on demande un moratoire sur les licenciements en cours. Il faut aussi mettre en place une sécurité sociale professionnelle et environnementale pour ne pas opposer le social et l’environnemental. Enfin, il faut sortir les prix de l’énergie de la spéculation pour baisser les tarifs pour les ménages comme pour les entreprises.
Comment financer toutes ces mesures ?
Sophie Binet : Ces réformes, évidemment il faut qu’elles soient financées. Il y a des leviers à actionner et notamment les aides publiques aux entreprises qui atteignent un record, c’est 170 milliards d’euros chaque année. Un exemple : Sanofi a touché un milliard de crédit impôt recherche pour les entreprises en dix ans tout en divisant par deux ses effectifs de chercheurs.
Il faut aussi supprimer les 50 milliards de cadeaux fiscaux offerts par Emmanuel Macron aux plus riches en commençant par rétablir l’ISF et la CVAE. Il faudrait aussi taxer les dividendes et les rachats d’action. Enfin ce que je note, c’est que dès que l’on parle d’avancées sociales on nous culpabilise sur le financement. Mais à quoi sert l’économie si elle n’améliore pas le quotidien des gens et pas seulement celui des plus riches ?
Le risque, aussi, des mesures proposées, c’est de smicardiser encore un peu plus la France et d’accentuer le sentiment de déclasseme