mise en ligne le 30 septembre 2024
Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr
La mort de Hassan Nasrallah ne permettra pas de neutraliser le Hezbollah ni d’assurer la paix dans la région, prévient le chercheur franco-libanais. Pire : le raid israélien risque de plonger le Liban dans une crise humanitaire massive, sous le regard passif de la communauté internationale.
Ziad Majed enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient à l’université américaine de Paris. Il est né à Beyrouth, où il s’est engagé en parallèle de son parcours universitaire au sein de la Croix-Rouge libanaise et du mouvement pour la démocratie et les droits humains. Figure reconnue en France et au Liban pour son expertise sur le sujet, il analyse pour Mediapart les conséquences potentielles de la mort de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, visé vendredi par une attaque israélienne.
Mediapart : Que vous inspire l’assassinat de Hassan Nasrallah ?
Ziad Majed : Il n’y a aucune ligne rouge pour les Israéliens. Ils peuvent tuer qui ils veulent, frapper là où ils veulent. La question dépasse le cadre de la figure de Hassan Nasrallah. Il y a un État qui franchit toutes les limites et les frontières pour assassiner, bombarder, avec souvent de la complicité dans le monde occidental.
J’ai toujours été opposé, comme beaucoup de Libanais, au Hezbollah pour des raisons politiques, culturelles et idéologiques, et au cours de la dernière décennie pour son engagement militaire en Syrie, à la demande de Téhéran, en soutien au régime criminel de Bachar al-Assad. Le parti est également accusé d’assassinats au Liban.
Mais il jouit d’une légitimité populaire au sein de la communauté chiite, traumatisée par les invasions israéliennes successives du Liban depuis 1978. Il y a, depuis, une longue histoire d’occupation militaire du Sud puis une guerre en 2006. Ce qui fait que le Hezbollah siège depuis 1992 au Parlement, dirige des conseils municipaux élus, tient des ministères et gère ses propres institutions sociétales.
L’assassinat vendredi de son secrétaire général, mené par des responsables israéliens accusés eux-mêmes de crimes contre l’humanité, arrive comme une nouvelle preuve d’un « exceptionnalisme » qui place Israël au-dessus du droit international. D’autant plus que le raid aérien a ravagé tout un quartier résidentiel de la banlieue de la capitale libanaise, laissant des dizaines de civils sous les décombres. Six bâtiments de plusieurs étages ont disparu tellement les bombes étaient puissantes.
Il y a donc chez une grande partie des Libanais une colère, semblable à celle des Palestiniens qui subissent depuis des décennies l’occupation, la colonisation et désormais une guerre génocidaire à Gaza, sous le regard passif de la « communauté internationale ».
Sa disparition est-elle, comme l’affirment Israël et les États-Unis, de nature à affaiblir, voire à neutraliser le Hezbollah ?
Ziad Majed : Quand on regarde l’histoire du Hezbollah, du Hamas ou même de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine – ndlr], il y a toujours eu des assassinats visant leurs principaux dirigeants. Nasrallah avait lui-même succédé à Abbas Moussaoui, assassiné début 1992 avec sa famille dans sa voiture par un avion israélien. Le fondateur du Hamas, Ahmed Yassine, a été visé par une attaque du même type en 2004, tout comme Yahia Ayach avant lui, et, plus récemment, Ismaël Haniyeh [tué le 31 juillet dernier dans une attaque israélienne en Iran – ndlr].
Il y a un vécu commun libanais qui réapparaît aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts.
À chaque fois, ces mouvements ont trouvé les moyens de recruter, de mobiliser et de remplacer leurs chefs. Évidemment, à court terme, la série d'assassinats à laquelle nous assistons affaiblit le Hezbollah. Mais tant qu’on ne s’adresse pas au cœur du problème, à savoir l’impunité israélienne, l’occupation et la colonisation, ces mouvements ne seront pas affaiblis à long terme. D’autres émergeront également pour poursuivre le combat contre les Israéliens. La force brutale et les assassinats n’ont jamais rien réglé dans cette région.
Vous êtes né à Beyrouth, vous y avez étudié, travaillé et vous vous y rendez encore régulièrement. Que percevez-vous de la réaction de la société libanaise à ce qui se passe depuis quelques jours ?
Dans un moment comme celui-ci, c’est la mémoire collective et individuelle qui refait surface. J’ai vécu la guerre pendant quinze ans, j’ai travaillé à la Croix-Rouge, j’ai connu l’invasion israélienne et le siège de Beyrouth en 1982, les bombardements et les massacres commis à cette époque. Comme la plupart des Libanais, j’y ai perdu des proches et des amis. Il y a un vécu commun libanais, déchirant et accablant, qui nous rattrape aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts, dont des secouristes, des journalistes, des femmes, des enfants…
De loin, on regarde les écrans avec beaucoup de colère et d’inquiétude. Et ce d’autant plus que nous sommes impuissants. Nous ne pouvons pas nous rendre sur place, les vols ont été annulés. Les maisons que l’on voit détruites, ce ne sont pas que des murs. Ce sont des histoires, des souvenirs, un tissu social, des histoires et des aspirations communes. La destruction est toujours traumatisante.
Et la reconstruction ne sera pas facile. Le pays est dans un état grave sur les plans économique et politique. Tout cela va créer d’énormes difficultés, avec des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Reconstruire une vie, que ce soit en retournant dans sa ville d’origine ravagée ou ailleurs, n’est jamais une tâche facile, que ce soit du point de vue psychologique ou matériel
Il y a en parallèle, comme dans n’importe quelle société, des divisions et des fractures. Certains Libanais sont aujourd’hui dans une forme de déni, ne réalisant pas à quel point la situation est dangereuse. D’autres, en revanche, traduisent cela par de la haine, par un nihilisme ou par une volonté de régler des comptes. C’est donc un moment de tension, de crainte et de risques.
Que pensez-vous de la comparaison entre ce qu’il se passe dans le sud du Liban et ce qu’il se passe dans la bande de Gaza ?
Ziad Majed : Je ne pense pas que, pour le moment, le Liban soit le théâtre d’un deuxième Gaza. Là-bas, les Israéliens détruisent systématiquement toutes les conditions de vie, d’où le qualificatif de guerre génocidaire. Il y a eu une politique de la faim, une destruction des hôpitaux et des dispensaires, des écoles et des universités, du patrimoine culturel, des champs agricoles, une pollution délibérée de l’eau. Tout cela s’ajoutant au massacre des populations civiles. Au Liban, on est encore loin d’un scénario pareil, même si beaucoup d’habitants commencent à le craindre.
Malgré tout ce que l’on voit sur place, Israël reste un partenaire privilégié de l’Union européenne et de l’État français.
En revanche, il peut exister une comparaison légitime avec Gaza au sud du fleuve Litani, dans les villes et villages les plus proches de la frontière. Dans cette zone, Israël a déjà utilisé à maintes reprises le phosphore blanc pour détruire les champs agricoles, comme cela a été documenté par des rapports internationaux. J’ai moi-même été du côté de la frontière en juin dernier, où la situation était déjà terrible ; je n’imagine pas à quel point les bombardements ont davantage dévasté les zones concernées. Les médiations et pressions internationales doivent avoir un effet pour éviter un second Gaza au sud du pays.
Justement : la communauté internationale, au premier rang de laquelle les grandes puissances occidentales, paraît bien en peine d’influer sur la situation dans la région. À quoi attribuez-vous cet échec ?
Ziad Majed : La diplomatie occidentale et ladite « communauté internationale » ne font pas leur travail pour arrêter la machine de guerre israélienne. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand Washington utilise son droit de veto au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour empêcher une condamnation de Tel-Aviv. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand on lui envoie en pleine guerre des armes, des munitions et des milliards de dollars. La politique américaine a encouragé Israël à aller plus loin dans ces guerres. Elle a permis à Nétanyahou d'élargir les fronts et de chercher la confrontation totale, pour rester plus longtemps au pouvoir.
Quid de la voix de la France, eu égard à ses liens historiques avec le Liban ?
Ziad Majed : Je pense toujours que la France a un rôle à jouer. Il n’est pas aussi décisif que le rôle américain, bien sûr. Mais la France, avec tous ses échecs diplomatiques, peut par exemple décider des sanctions contre des ministres israéliens, suspendre la coopération militaire ou sécuritaire, et surtout reconnaître l’État palestinien, puisqu’on répète soutenir la « solution à deux États ». À travers l’Union européenne, la France peut aussi pousser à une diplomatie commune faisant pression afin d’éviter le pire au Liban. Toutefois, la politique française est restée décevante.
Pour beaucoup de gens dans la région, en Palestine, au Liban ou ailleurs, l’Occident a une très grande responsabilité dans les guerres israéliennes. Évidemment, l’Occident n’est pas un ensemble homogène. Mais ce sont les gouvernements qui sont observés par les sociétés de l’autre côté de la Méditerranée, et ce sont les « valeurs universelles », le droit international et toute la crédibilité de ceux qui prétendaient les défendre qui se trouvent aujourd’hui sous les ruines en Palestine comme au Liban. Et cela est extrêmement dangereux pour notre avenir.
mise en ligne le 30 septembre 2024
Appel sur https://www.cgt.fr/
Mépris de démocratie !
La nomination de Michel Barnier comme Premier ministre tourne le dos au vote des Françaises et des Français : non seulement Emmanuel Macron ne tient pas compte du front qui a empêché l’extrême droite d’arriver au pouvoir, mais les reculs sociaux, rejetés dans les urnes, vont se poursuivre et risquent même de s’aggraver avec le soutien du RN.
La colère est forte
Alors que les services publics, à commencer par l’hôpital et l’école, sont gravement en danger, on nous promet une nouvelle et violente politique de baisse des dépenses publiques.
Les politiques concernées, telles que le travail, la santé, l’éducation, la recherche, l’environnement, devraient pourtant être des priorités absolues. Face au déficit, il faut au contraire augmenter les recettes ! Or cette solution est systématiquement rejetée, avec un refus dogmatique de mettre sur la table l’imposition des plus riches et la taxation des dividendes qui explosent.
L’austérité c’est toujours pour les mêmes !
Avec la bénédiction du patronat, Medef en tête, l’aggravation de la politique contre nos droits sociaux est aussi à l’ordre du jour : retraite, assurance chômage, sécurité sociale… Dans le même temps, tout augmente sauf nos salaires et notre pouvoir d’achat continue à baisser !
Double utilité de se mobiliser le 1er octobre
MANIFESTER pour gagner le vote par les député·es de mesures pour financer nos services publics, l’abrogation de la réforme des retraites et une loi qui indexe les salaires sur les prix. La fragilité politique du gouvernement est un point d’appui pour gagner des avancées concrètes !
FAIRE GRÈVE pour gagner des augmentations de salaire et l’ouverture de négociations dans chaque entreprise. Pas question que nos salaires ne suivent pas les prix alors que les dividendes explosent !
Toutes et tous en grève, dans l’unité la plus large, enclenchons la bataille pour :
augmenter les salaires du privé, le point d’indice dans la fonction publique et les pensions de retraite, assurer enfin l’égalité entre femmes et hommes ;
abroger la réforme des retraites et gagner de nouveaux droits ;
rénover et financer les services publics, dans tous les territoires, notamment l’école, l’hôpital, l’enseignement supérieur et la transition environnementale ;
défendre et développer l’emploi industriel.
Match retour contre la réforme des retraites
En 2023, nous avons été des millions de salarié·es, de jeunes et de retraité·es à nous mobiliser pendant six mois contre la réforme des retraites. Emmanuel Macron est passé en force, il a été sanctionné par une lourde défaite aux élections européennes puis législatives. Maintenant qu’il est encore plus minoritaire au parlement, nous pouvons gagner l’abrogation de la réforme des retraites par les député·es !
L’imposture sociale du rassemblement national
Le RN prétend augmenter notre pouvoir d’achat et défendre nos retraites, pourtant il a toujours voté contre l’augmentation des salaires et veut faire de nouveaux cadeaux aux employeurs en baissant les cotisations sociales. Le salaire net (en bas de la fiche de paye) c’est des euros pour vivre tout le mois. Le salaire brut (en haut de la fiche de paye) c’est des cotisations pour toute la vie (en cas de chômage, maladie et pour nos retraites) !
mardi 1er octobre - manifestation
Montpellier 11h au Peyrou
Sète 10h30 – place de la mairie
mise en ligne le 29 septembre 2024
Léa Petit Scalogna sur www.humanite.fr
L’édition 2024 de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre, est marquée par l’inquiétude des associations, syndicats et membres politiques de gauche. Le gouvernement Barnier et ses ministres hostiles à cette liberté inscrite dans la Constitution, pourraient constituer un nouveau frein à son accès.
Un clitoris géant, peint en violet vif. C’est la forme que prend l’ornement disposé fièrement sur le camion du syndicat Solidaires. « Pour réaffirmer notre liberté sexuelle et celle d’avorter, même si notre nouveau gouvernement a tendance à l’oublier », s’exclame une manifestante du cortège parisien de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre. Sa pancarte, artisanale, représente un cintre dessiné au marqueur noir avec un avertissement : « touche pas à mon avortement ». Le message semble tout droit s’adresser au casting gouvernemental dont les acteurs principaux redoublent de conservatisme et de tendances régressives quant aux droits fondamentaux. « Très paradoxalement, Emmanuel Macron constitutionnalise l’IVG en expliquant la préserver d’un potentiel gouvernement d’extrême droite, contextualise Hélène Bidard, adjointe PCF à la Mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes. Six mois après, il n’attend pas que le Rassemblement national soit au pouvoir pour nommer des ministres hostiles à l’IVG. »
Le palmarès de Michel Barnier en la matière, Premier ministre depuis le 5 septembre, remonte à l’époque où il siégeait au Palais Bourbon. En 1982, il vote contre le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Le plus âgé à occuper cette fonction sous la Ve République partage sa vision avec celle qu’il souhaitait nommer au ministère de la Famille, Laurence Garnier. La sénatrice des Républicains en a finalement été écartée pour être nommée au ministère de la Consommation. Avec Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, les trois nouveaux ministres s’étaient opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le 8 mars dernier. « En clair, ce gouvernement rassemble les pires réactionnaires de notre monde politique, ceux qui se battent pour le recul de nos droits », tranche Mathilde Panot. Arrachée sans leur vote, cette bataille de longue haleine demeure une fierté retranscrite dans la loi et sur les affiches distribuées aux passants.
Bien moins de lieux où il sera possible d’avorter
Un climat d’inquiétude flotte, malgré les chants féministes scandés. Sarah Durocher, présidente du Planning familial, redoute de nouvelles attaques extrêmes droitières contre les antennes de l’association. « Les signaux peu rassurants se multiplient : le RN gagne du terrain aux différentes élections, le gouvernement Barnier compte des ministres très conservateurs et nous venons de perdre un Ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». Le nouveau secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes est confié à la très peu convaincue, Salima Saa. En 2012, cette dernière jugeait le ministère des droits des femmes « ridicule », dans un article de Slate. « Elle va faire des miracles, je le sens », ironise une manifestante. Ses camarades s’esclaffent.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), s’alarme plutôt des « entraves » à l’application de cette liberté. Le chantier d’austérité budgétaire et d’affaiblissement des services publics débuté par le gouvernement Attal risque d’être poursuivi. « Cela signifie que des hôpitaux et des maternités de proximité vont être fermés et, mécaniquement, il y aura bien moins de lieux où il sera possible d’avorter », déplore Suzy Rojtman. C’est sans compter les 130 centres d’IVG qui ont dû fermer leurs portes, depuis quinze ans, faute de financement suffisant. Le baromètre du Planning familial, paru ce mercredi, dresse le triste constat de disparités territoriales notamment. « C’est inadmissible de devoir changer de département pour avorter », s’indigne Mathilde Panot. Cette réalité concerne 17 % des personnes selon les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees), en 2022. « Voilà ce qui arrive lorsqu’on applique une idéologie de droite libérale : des déserts médicaux et des freins à l’accès de l’IVG apparaissent. », affirme la secrétaire confédérale chargée de la mission femme-mixité à la CGT, Myriam Lebkiri, gilet violet sur le dos.
La privation de financement, une manière de s’attaquer à l’avortement
Les manques de financements pour garantir le droit à l’IVG se posaient déjà avant son inscription dans la Constitution. Le choix de la dénomination « droit » ou « liberté » ne concernait pas seulement une préférence langagière. Hélène Bidard explique : « Le mot « droit » implique que les moyens pour sa mise en place soient mobilisés. Et c’est de cette façon que la privation de financement devient une manière de s’attaquer à l’avortement ».
Le cortège, au pas hâtif, avance en direction du centre d’IVG de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Ce point d’arrivée symbolique permet d’affirmer leur présence féministe dans un lieu où se croisent les personnes concernées par l’avortement et parfois, des activistes anti-choix, anti-droits. Hélène Bidard a déjà eu affaire à eux. Par la voix de la Ville de Paris, l’élue a déposé plainte contre un site, « Les Survivants », qui diffusait des fake news et des discours culpabilisants au sujet de l’Interruption volontaire de grossesse, aujourd’hui fermé. « Ce n’est pas normal que ce soit la ville de Paris qui se charge d’agir contre ces militants anti-choix et leur arsenal numérique ! », s’exclame-t-elle. Comme pour lui répondre, Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, martèle : « Les anti-ivg ne lâchent jamais mais nous, encore moins ! »
sur https://lepoing.net/
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur la place de la Comédie, à Montpellier, ce samedi 28 septembre, pour la journée mondiale du droit à l’avortement, à l’appel de plusieurs organisations et association.
« Partout dans le monde, le droit de disposer de son corps est attaqué par le système patriarcal. L’avortement reste criminalisé dans 21 pays, exposant des millions de personnes à des peines sévères », énumère une militante place de la Comédie, devant quelques centaines de personnes réunies dans le cadre de la journée mondiale du droit à l’avortement. Si, en France, la « liberté » de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été inscrite dans la Constitution au début de l’année 2024, les militantes présentes dénoncent le fait que cette loi ne garantit pas l’accès au droit car elle ne contraint pas le gouvernement à lutter contre les freins à l’avortement.
Une prise de parole dénonce ainsi « 130 centres fermés en 15 ans » et le maintien de la double-clause de conscience, permettant à un professionnel de santé de refuser un acte d’une part pour des raisons personnelles ou professionnelles et d’autre part, pour des raisons morales ou religieuses, cette dernière possibilité ayant été prévue à la légalisation de l’avortement, en 1973.
Les organisations présentes, notamment le Planning familial, demande que le droit à la contraception soit aussi intégré à la Constitution. Autre problème pointé du doigt : le fait que la législation sur l’IVG ne reconnaisse pas l’ensemble des personnes concernées : personnes transgenres intersexe, ou non-binaire. De plus, les militantes soulignent « des inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG » avec plus de difficultés dans les zones rurales. Le cas de la fermeture de la maternité de Ganges, qui pratiquait l’IVG, a été évoqué.
Enfin, le contexte politique national a marqué ce rassemblement : « le gouvernement Barnier est ultra réactionnaire et réuni des figures de la lutte contre l’IVG et les droits LGBT et des gens qui ont voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. » Le rassemblement s’est ensuite dispersé après quelques slogans.
mise en ligne le 29 septembre 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Les vendanges du Champagne s’achèvent, en cette fin septembre, sous haute surveillance, un an après les décès de cinq travailleurs. Dans ce secteur qui pèse plus de 6 milliards, les abus en matière de droit du travail sont légion, du fait d’un recours croissant à des prestataires embauchant une main-d’œuvre immigrée. Reportage dans la Marne en collaboration avec Bastamag.
Sous les yeux soupçonneux des habitants, la camionnette rouge de la CGT traverse la place du village. Deux voitures l’escortent. En cette journée ensoleillée de mi-septembre, une dizaine de syndicalistes forme « la caravane des vendanges ». Le dispositif est pensé pour aller à la rencontre des travailleurs saisonniers du secteur. Par moments, quand la caravane passe, un habitant décroche son téléphone. Histoire de prévenir le voisin vigneron de l’arrivée imminente de la troupe.
« La dernière fois qu’ils ont vu des communistes, ici, c’était à la Libération ! » lance José Blanco, hilare. Le secrétaire général de la CGT Champagne est une figure de la région. Il est aussi passionné de son vignoble champenois, où il vit depuis toujours, remonté contre les scandales qui l’éclaboussent. « En Champagne, la vie d’un homme vaut moins qu’un kilo de raisins », répète-t-il à qui veut bien l’entendre.
Lors des dernières vendanges, en septembre 2023, cinq travailleurs sont décédés en Champagne. Le plus jeune d’entre eux, Rèda Najib, habitant de Reims, a été victime d’une crise cardiaque avant de tomber d’un engin agricole dans une vigne. Il était âgé de 19 ans. Après enquête, le parquet a conclu que la surexposition à la chaleur avait causé son décès. Les autres enquêtes sur les décès, en revanche, ont été classées sans suite. Le surnom de « vendanges de la honte » s’est depuis imposé aux syndicalistes du secteur, relayé par la presse locale.
Alors, les vendanges 2024 sont scrutées par tous : pouvoirs publics, médias, syndicats. Comme chaque année, près de 120 000 travailleurs affluent dans la région pour couper le raisin pendant une dizaine de jours. Une large majorité sont des travailleurs immigrés, venus d’Europe de l’Est ou, de plus en plus, d’Afrique.
Payés sous le Smic aux vendanges
« C’est notre première année ici », introduit Kacper, un jeune Polonais, la vingtaine, mains gantées, marcel blanc sur les épaules et tatouages dans le cou. « Pour tout le monde », précise-t-il en désignant de la tête ses camarades. Un à un, tous descendent la pente où s’alignent les vignes pour s’approcher des syndicalistes garés à leur hauteur. « Voici un rappel des tarifs horaires légaux, de vos droits par rapport aux pauses, au temps de travail… Pour vérifier vos contrats et vos fiches de paie », explique un militant en leur tendant un tract.
Ces fiches d’information, traduites en de multiples langues, se glissent facilement dans la poche des vendangeurs… Et font fureur : « On voit des photos de tracts circuler partout sur les réseaux sociaux entre les saisonniers, sourit José Blanco. Au moins, grâce à ça, les gars savent de quoi on parle. Ils peuvent aller voir leur patron et lui dire “voilà, c’est la loi”. »
« On est payés 19 centimes le kilo », indique Kacper, curieux de savoir si ce tarif est correct, ou s’il se fait avoir. « C’est en dessous du minimum qui doit être à 24 centimes brut le kilo », soupire José Blanco. Sauf que sur leur déclaration de pré-embauche auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA), il est indiqué une rémunération à la tâche de 19 centimes brut… la minute. Soit 11,40 euros brut de l’heure. Or, le Smic horaire est à 11,65 euros brut de l’heure. Qu’il s’agisse d’une rémunération à la journée ou au rendement (les deux existent pour les vendangeurs), un taux inférieur au Smic est évidemment illégal.
« On travaille dix heures par jour », témoigne aussi Kacper. La journée démarre à 7 h du matin. Or, à partir de 43 heures de travail hebdomadaire, les ouvriers doivent être rémunérés en heures supplémentaires (payées 50 % de plus). Les jeunes écarquillent les yeux : en une semaine de vendange, ils dépassent largement ce seuil.
Ces vendangeurs polonais apprennent également que la durée du transport, géré par leur employeur, constitue du temps de travail. Idem pour les repas : « On achète toute notre nourriture nous-mêmes », indique Yulia, une jeune vendangeuse qui découvre que son employeur a l’obligation légale de couvrir ce type de frais.
Autant de droits grignotés alors que la tâche est « très difficile », souligne Yulia. Il faut se baisser sans cesse pour ramasser les grappes, remonter encore et encore les pentes entre les rangées de vignes.
Les prestataires abaissent les salaires à des niveaux dérisoires
L’échange est interrompu par la brusque arrivée d’un camion blanc. Deux hommes, allure robuste et visage fermé, en descendent. Après de brèves présentations sous tension, les syndicalistes détalent. Le prestataire de main d’œuvre qui a recruté ces jeunes Polonaises et Polonais et envoyé ses hommes de main est bien connu dans le coin. « Et il n’est pas en odeur de sainteté », euphémise José Blanco.
Cette parcelle est pourtant celle d’un vigneron « qui livre chez Moët&Chandon », prestigieuse maison de Champagne (et propriété du groupe de luxe LVMH), affirme l’équipe de la CGT. « Les raisins de la misère arrivent chez Moët, résume José Blanco. Mais ce n’est pas Moët qui commande cela directement », nuance-t-il. De fait, c’est bien le vigneron qui a recours à un prestataire de main d’œuvre lequel, ensuite, rogne sur le Code du travail.
Là est tout l’enjeu : qui est responsable ? En 2018, 48 vendangeurs afghans ont été découverts dans des logements insalubres. À quelques kilomètres de là, au même moment, 77 autres travailleurs étaient entassés dans un café désaffecté. Un vaste trafic de « traite d’êtres humains », selon la justice, qui a identifié 200 victimes et condamné, quatre ans plus tard, deux prestataires. Mais pas les donneurs d’ordre. Il est difficile de retracer les responsabilités face à un système en « poupées russes : une société délègue à une autre, et ainsi de suite », décrit José Blanco.
Les prestataires se sont multipliés : d’abord des entreprises locales, puis, depuis une décennie, de plus en plus des prestataires étrangers : turcs, géorgiens, sri-lankais… « Il n’y a pas de prérequis : n’importe qui peut ouvrir une société de prestation de services, sans rien connaître au Champagne ni au droit du travail », déplore Philippe Cothenet, secrétaire général adjoint de la CGT Champagne.
« Nous sommes revenus au 19e siècle. Des gens attendent sur des parkings, au petit matin, on leur propose des sommes dérisoires pour travailler à la journée », décrit-il. Ainsi l’industrie champenoise, très réglementée, a continué de trouver des moyens de réduire les coûts de la main d’œuvre et d’engranger des bénéfices plus importants.
Sauver l’image de luxe
Logé sur les hauteurs de la commune de Chouilly (Marne), le château de Saran offre une vue imprenable sur le vignoble champenois. Une immense verrière laisse entrevoir le salon VIP dans lequel le milliardaire Bernard Arnault reçoit les plus prestigieux clients de Moët & Chandon ou Veuve Cliquot, propriétés du groupe LVMH.
« Vole pas le raisin de Bernard ! » lance un syndicaliste à un autre, pris la main dans le sac à empoigner une grappe de raisin, juste en face de la propriété. Tous deux s’esclaffent. Au bout de la chaussée, un agent de sécurité vient à leur rencontre. Maintenir l’image de luxe du Champagne à l’international est un enjeu fort. Car l’industrie pèse lourd. En 2023 comme en 2022, la filière a dépassé le seuil des six milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un record.
Le secteur tente donc de calmer les polémiques. « C’est la réputation d’une région et d’un savoir-faire reconnus dans le monde entier qui est menacée », reconnaît le Comité Champagne, regroupant plusieurs organisations de vignerons et grandes maisons de vin. « Il n’y a pas eu de défaillance collective en 2023, il n’y en aura pas davantage en 2024 : il est hors de question que des comportements individuels inadmissibles menacent la sécurité des travailleurs et la réputation de toute une filière », estime le Comité.
En juin, ce dernier a tout de même publié le plan d’action « Ensemble pour les vendanges de Champagne ». Il y rappelle les dispositions légales régissant le travail saisonnier, notamment en cas de fortes chaleurs : accès à l’eau, à des zones d’ombre, pauses adéquates… Surtout, le Comité rappelle aux viticulteurs que « le recours à un prestataire de services ne peut coûter moins cher que l’emploi direct ». Et alerte : « des prix trop bas peuvent être le signe de pratiques douteuses et doivent attirer votre attention ».
Les dérogations se multiplient, pourtant. Le 9 juillet, l’ex Premier ministre Gabriel Attal signait un décret autorisant la suppression du repos hebdomadaire obligatoire pour les travailleurs saisonniers. Ce décret concerne les régions agricoles à appellation d’origine contrôlée, dont la Champagne.
Quatre mois plus tôt, en mars 2024, l’ex gouvernement publiait aussi un arrêté catégorisant la filière Champagne et plus largement le secteur viticole dans la liste des “métiers en tension”. Cette liste permet de faciliter la venue de travailleurs étrangers hors Union européenne. De quoi accentuer la mise en concurrence des travailleurs d’Europe de l’Est et ceux d’Afrique de l’Ouest, craint l’union locale CGT d’Épernay.
« On tire les salaires vers le bas, les travailleurs sont exploités, mal logés, mal nourris, au détriment des travailleurs locaux. Les Français, bien sûr, ne veulent pas travailler à genou et pour quatre euros de l’heure. Après on dit qu’on ne trouve plus personne, fustige José Blanco, qui milite pour que tout le monde ait les mêmes conditions de travail dignes ».
Améliorations sur l’hébergement des vendanges
Sur le terrain, la volonté affichée de faire place nette n’en est pas moins palpable. Sur une parcelle d’un vigneron livrant chez Veuve Cliquot, une vingtaine de travailleurs lituaniens prennent leur pause. Parmi eux, Ingrid fait cliqueter un sécateur dans sa main, tout sourire. Cette mère de famille a l’air détendu. Cela fait douze jours qu’elle fait les vendanges.
« C’est la cinquième année que je reviens. Parfois, j’emmène mon fils et ma fille avec moi », raconte-t-elle. Par rapport à ses premières années, « les conditions sont meilleures aujourd’hui, assure-t-elle. Avant, on dormait dans des campements, avec des tentes. Il y avait beaucoup de bruit autour, trop de gens… C’était difficile de dormir. Maintenant, on dort dans un appartement, dans une petite ville . »
L’hébergement sous tente des travailleurs saisonniers est strictement interdit par la loi. Cette année, nombre de prestataires et vignerons ont opté pour des chambres d’hôtels, ou des Airbnb. « Il y a beaucoup moins de tentes dans les bois que nous avions repérées l’année dernière. Certains ont essayé de s’adapter ; d’autres essaient de planquer les saisonniers ailleurs », observe José Blanco. Le prestataire de services viticoles G2V a pour sa part ouvert un hébergement collectif pour 350 travailleurs, dans une ancienne base aérienne : la Base 112, à Bétheny. Avec l’appui de maisons de champagne et des autorités de la région.
Derrière les Lituaniens en pause s’alignent trois hommes en cravate. Ce sont des représentants de la maison Veuve Cliquot, présents pour vérifier le travail du prestataire WM (l’un des plus gros de la région) chez ce vigneron qui les livre. « C’est une très bonne chose ! C’est ce qu’on leur demande : qu’ils prennent leurs responsabilités », se satisfait José Blanco.
Menaces contre les syndicalistes
Assiste-t-on à un tournant dans le secteur ? Pas si sûr. Juste en face des vignes des Lituaniens, on aperçoit au loin, tout en haut d’une colline, un petit campement informel. Quelques heures après, la caravane de la CGT passe devant des tentes entassées sous un barnum bien visible, en bord de route. « Le maire, la police, la communauté de communes le savent bien, mais ne disent rien. On pourrait signaler… Ça va faire un signalement parmi tant d’autres », soupire José Blanco.
Tous les signalements sont transmis à l’Inspection du travail, voire au préfet. La veille encore, les syndicalistes ont découvert sur le terrain privé d’un vigneron, à Mancy, au sud d’Épernay, plusieurs tentes abritant des travailleurs tchèques, sous un hangar. Le vigneron les a repérés et menacés, selon leurs témoignages : « Vous êtes des bâtards, on vous retrouvera ». Dès le lendemain, les tentes avaient disparu. Idem sur un grand parking sablonneux où se trouvaient une trentaine de vendangeurs en tentes et caravanes. Aujourd’hui : plus de traces de campement. Fuite organisée par les prestataires ? Ou intervention rapide de l’Inspection du travail ?
Quoi qu’il en soit, la pratique illégale des campements perdure : sur la commune de Vize, cachées dans les bois, des tentes s’alignent dans le dépôt d’un viticulteur. Pas d’installation électrique ni de sanitaires suffisants en vue. Les syndicalistes s’approchent en essayant de ne pas se faire repérer. Ce jeu de cache-cache, dans une triangulaire entre syndicalistes, inspection du travail et prestataires, caractérise ces vendanges 2024.
Aux alentours de 18 h, alors que la caravane de la CGT est rentrée au bercail, la lumière du soir tombe sur la gare d’Épernay. Le square en face est occupé par une dizaine d’immigré.es d’Afrique francophone. Certains forment un cercle assis dans l’herbe, ou récupèrent des affaires dans les buissons. D’autres arrivent en marchant, comme Youniss, tout juste de retour de leur journée de vendange. C’est la troisième année que le jeune homme vient ici pour la saison. « Cette année il y a moins de raisins, donc il n’y a pas de travail tous les jours » , explique-t-il.
Lorsqu’on lui demande où il va dormir ce soir, Youniss reste évasif : « Dehors, dans la ville. » C’est que les forces de l’ordre circulent désormais, tôt le matin. Le ballet des prestataires récupérant les nouveaux arrivants à la gare s’en trouve entravé. Et les travailleurs africains qui dorment là sont à chaque fois vite évacués.
Faire place nette. La semaine dernière, néanmoins, certains s’entassaient bien le soir sur des cartons, enroulés dans une simple couverture, comme en témoignent plusieurs photos. Youniss et les autres feront de même cette nuit. Un peu plus dispersés que d’habitude, mais toujours là, quelque part, dans la capitale du Champagne.
mise en ligne le 28 september 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 28 septembre dans les rues de Montpellier pour dénoncer l’extension de la guerre menée en Palestine au Liban et la politique coloniale de l’État d’Israël
Alors que l’armée Israélienne a annoncé avoir tué Hassan Nashrallah, le chef du Hezbollah ce vendredi 27 septembre et que Tsahal continue ses bombardements au Liban, les soutiens à la Palestine de Montpellier réagissent. Ils étaient environ 500, ce samedi 28 septembre, pour dénoncer l’extension de la guerre menée par le gouvernement Netanyahou. “Le préfet nous a interdit de passer par la place de la Comédie“, a commencé José-Luis Moraguès, membre de BDS, une association non-violente de soutien au peuple Palestinien. Préfet, qui, plus tôt dans la semaine, avait reproché à BDS de “récupérer” de manière “malhonnête” les autres manifestations auxquelles l’association a récemment participé, telles que celles contre Macron du 7 et 21 septembre.
“C’est pour faire plaisir au CRIF [Conseil représentatif des institutions juive de France, dont la représentante régionale affirme avoir été huée et insultée lors d’un rassemblement sur la Place de la Comédie, ndlr]”, soufflait un proche des organisateurs.
“Ce qu’il se passe au Liban est la suite logique de ce qu’il se passe à Gaza”, a dénoncé une militante de BDS dans son intervention. “Netanyahou utilise les mêmes arguements que contre les palestiniens, ils disent que les libanais servent de boucliers humains à une organisation terroriste et que leurs maisons servent à cacher des armes. On en est au point où l’on voit sur les réseaux sociaux des vidéos de Palestiniens qui s’excusent auprès de Libanais pour ce qu’ils subissent, alors qu’ils n’y sont pour rien. Ces deux peuples ont la même lutte, la lutte contre une politique sioniste, coloniale et expansionniste qui a pour projet d’étendre toujours plus ses frontières.” Elle a également rappelé le fait que “rien qu’au mois d’aout, Israël a installé huit nouvelles colonies en Palestine. On a recensé, toujours pour le seul mois d’août, 206 actes de vol et de vandalisme touchant des palestiniens, notamment des vols de moutons.”
Le cortège s’est ensuite élancé dans la rue en scandant “Israël Casse-toi le Liban n’est pas à toi” , et s’est dispersé à la gare.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président palestinien a dénoncé l’attitude des États-Unis jeudi qui soutient Tel Aviv en mettant son veto à toutes résolutions condamnant son allié. Il a proposé une conférence internationale pour la paix.
C’est un Mahmoud Abbas combatif qui a pris la parole devant l’Assemblée générale de l’Onu le 26 septembre. Le président palestinien n’a pas mâché ses mots en s’écriant : « Arrêtez le génocide. Arrêtez d’envoyer des armes à Israël. » Devant les 193 membres il a lancé : « Arrêtez ce crime. Arrêtez-le maintenant. Arrêtez de tuer des enfants et des femmes » en rappelant que « le monde entier est responsable de ce que subit notre population à Gaza et en Cisjordanie », liant ainsi les deux territoires qui subissent les assauts de l’armée israélienne.
Washington entrave un cessez-le-feu
Il a également accusé les États-Unis d’avoir permis à Israël de poursuivre son assaut en opposant à plusieurs reprises leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu à Gaza. « Nous regrettons que les États-Unis, la plus grande démocratie du monde, aient entravé à trois reprises des projets de résolution du Conseil de sécurité exigeant qu’Israël respecte un cessez-le-feu », a insisté Mahmoud Abbas. « Les États-Unis se sont tenus seuls et ont dit : « Non, la bataille va continuer » ».
Le ministère israélien de la Défense a annoncé jeudi avoir obtenu un nouveau train d’aide militaire américaine, d’une valeur de 8,7 milliards de dollars « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël », en pleine escalade avec le Hezbollah libanais et en guerre à Gaza, ce qui minimise les déclarations de l’administration Biden quant à la volonté d’un cessez-le-feu, que ce soit avec le Hezbollah ou avec le Hamas. « Israël, qui refuse d’appliquer les résolutions des Nations unies, ne mérite pas d’être un membre de cette organisation internationale », a martelé le dirigeant palestinien très applaudi.
Mahmoud Abbas a également présenté une proposition en 12 points pour Gaza après la guerre. Il a appelé à un retrait israélien complet de l’enclave palestinienne, sans l’établissement de zones tampons ou la saisie d’une partie quelconque de Gaza. Il a déclaré que l’Autorité palestinienne, qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie occupée, devrait gouverner Gaza après la guerre en tant qu’élément d’un État palestinien, une vision qu’Israël rejette. « Nous ne demandons pas plus, mais nous n’accepterons pas moins », a-t-il insisté. Il a également appelé à une conférence internationale de paix sous les auspices de l’ONU dans un an et réitéré ses appels pour une solution à deux États.
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Le président de la République a été vivement interpellé à Montréal sur la position de la France concernant la guerre à Gaza à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. Emmanuel Macron a défendu ses plaidoyers en faveur d’un cessez-le-feu, mais la France rechigne toujours à la reconnaissance de l’État palestinien comme à décider de sanctions à l’égard d’Israël.
« Honte à vous », « Vous avez du sang sur les mains », « Macron démission ». À Montréal, des manifestants attendaient de pied ferme Emmanuel Macron à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. C’est sur la position de la France sur la guerre à Gaza, que le président de la République a été vivement interpellé dans la soirée de jeudi 26 septembre.
« C’est un génocide » qui est commis à Gaza, « vous pouvez l’arrêter », « vous offrez une couverture diplomatique » à l’État d’Israël, ont enchaîné deux des personnes mobilisées, dont une jeune femme palestinienne qui a expliqué avoir perdu sa fille à Gaza, a rapporté l’AFP. « La France envoie de l’argent et des armes qui tuent des innocents », « nous voulons des actes », « vous pouvez mettre la pression sur Israël », ont-ils martelé.
« Si vous ne pouvez rien changer, vous devez démissionner »
Le chef de l’État s’est appliqué à défendre sa position. « Soyons clairs, nous ne vendons pas d’armes, nous demandons un cessez-le-feu, nous sommes allés au Conseil de sécurité pour cela », a-t-il argumenté, quand bien même le ministre Sébastien Lecornu a reconnu, en janvier, que la France continuait à exporter « des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense ».
« En parallèle, nous devons travailler tous ensemble et décider ce que nous allons faire pour engager tous les pays de la région à stopper les groupes terroristes », a-t-il ajouté avant qu’une des manifestantes affirme que le mouvement islamiste palestinien Hamas n’était « pas un groupe terroriste mais de résistance ». « Non, ce que vous dites est inacceptable. Ils ont tué des centaines de personnes », a répliqué Emmanuel Macron en référence à l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre contre Israël. Exaspérée, la jeune femme a fini par lâcher : « Si vous êtes au pouvoir et ne pouvez rien changer, vous devez démissionner ! »
Impuissance volontaire
Le président a ensuite assuré le service après-vente auprès de la presse. « Je suis allé leur parler parce qu’il y a une vraie émotion dans toutes nos sociétés. On le voit bien sur à Gaza, les images qu’il y a, le drame qui s’y joue », a-t-il dit devant des journalistes. « Je comprends, je respecte cette émotion (…) À côté de cette émotion, il peut y avoir beaucoup de confusion », a-t-il poursuivi, en déplorant des « propos inacceptables à l’instant sur ce sujet ». « Je ne peux pas laisser dire tout et n’importe quoi non plus », a-t-il insisté.
Reste que la France, contrairement à l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, n’est pas passée aux actes quant à la reconnaissance de l’État palestinien. Si elle a, en effet, plaidé à l’ONU pour un cessez-le-feu, elle s’est faite discrète ou sur l’Accord d’association avec Israël que l’Union européenne pourrait suspendre jusqu’à la fin de la guerre ou sur la possibilité de sanctions.
Une impuissance volontaire qui caractérise aussi les États-Unis. Au moment même où le président Joe Biden défendait avec Emmanuel Macron une trêve au Liban, le ministère de la Défense israélien annonçait, selon franceinfo, avoir obtenu une nouvelle enveloppe d’aide militaire américaine, de 8,7 milliards de dollars, « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël ». Dont 3,5 milliards de dollars en vue de l’achat de matériel et équipement de guerre, et 5,2 milliards destinés aux systèmes de défense antiaériens.
mise en ligne le 28 septembre 2024
sur www.humanite.fr
Les salariés et les employés se sont beaucoup abstenus. Mais quand ils ont voté, ils ont été nombreux à choisir l’extrême droite. Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, et la candidate du NFP à Matignon, Lucie Castets, livrent leur analyse et dessinent des pistes pour la gauche et les syndicats.
Sans tirer des leçons en profondeur de la séquence électorale, « le sursaut ne sera qu’un sursis », prévient Sophie Binet. Le Rassemblement national (RN), entre les mains duquel s’est placé le nouveau gouvernement, reste en embuscade, prêt à conquérir le pouvoir. Il prospère sur les divisions du monde du travail orchestrées par le capitalisme contemporain.
Réunis au stand du Conseil national du PCF, à la Fête de l’Humanité, les deux responsables politiques et la syndicaliste alertent sur l’urgence de rassembler pour obtenir des victoires et appellent la gauche à se réconcilier avec les classes populaires.
Nous nous posons aujourd’hui la question de reconquérir le monde du travail face au RN. Comment en est-on arrivés là ?
Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT : Grâce à une mobilisation remarquable aux élections législatives, nous avons évité le pire. Cependant, sans une véritable prise de conscience, ce sursaut ne sera qu’un sursis. La CGT tire la sonnette d’alarme depuis longtemps, mais se sent isolée.
Lors de notre Comité confédéral national, nous avons décidé de placer la lutte contre l’extrême droite au cœur de notre stratégie syndicale, car elle menace non seulement le pays, mais aussi notre syndicalisme de lutte de classe. Emmanuel Macron a pu ignorer les urnes grâce à un accord avec le Rassemblement national (RN).
Pourquoi a-t-il pu se permettre de passer en force malgré notre magnifique mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’il savait que, en cas de motion de censure et de dissolution, la tripartition de la vie politique empêchait une alternative. Pourquoi avons-nous été en difficulté pour élargir la grève pendant la mobilisation contre la réforme des retraites ? Parce qu’une partie du monde du travail vote de façon structurelle pour l’extrême droite, fragilisant notre capacité à élargir la grève.
L’extrême droite est notre premier ennemi, car elle divise la classe ouvrière. Aujourd’hui, 50 % des ouvriers et 42 % des employés se sont abstenus au second tour, et ceux qui ont voté préfèrent largement le RN au Nouveau Front Populaire (NFP). La gauche doit reconquérir le monde du travail, en parlant de relocalisation industrielle sans tomber dans le nationalisme, et en abordant les tensions entre social et environnemental.
Dans l’automobile, par exemple, le basculement à l’électrique tel qu’il est organisé par les grands constructeurs implique des destructions de dizaines de milliers d’emplois. Il faut aussi proposer un avenir crédible à ceux qui se tournent vers le RN par nostalgie, en rendant visibles les inégalités créées par le capital et en luttant contre le racisme et l’antisémitisme.
Les salariés du privé ne sont pas seuls à voter RN. Quel est l’état d’esprit des fonctionnaires ?
Lucie Castets - Membre du collectif Nos services publics, candidate à Matignon pour le NFP : Ces dernières années, on n’a vu les services publics qu’à travers le prisme budgétaire. Nous avons toujours dit à l’inverse qu’ils doivent répondre aux besoins des citoyens. C’est à partir de ce postulat que l’on doit les financer. Les agents, eux, ont un peu perdu la foi dans leur métier, le sens de leur travail, parce qu’on leur a fait comprendre qu’ils pouvaient être remplacés par des entreprises privées.
Leur rémunération a décroché par rapport aux salaires du privé, le point d’indice ayant été extrêmement peu revalorisé ces dernières années. Tout cela a nourri une forme de sentiment de déclassement, au sein de la fonction publique, qui a pu nourrir à son tour un vote RN chez les fonctionnaires. Le Rassemblement national a également porté un discours faussement favorable aux services publics.
Fabien Roussel - Secrétaire national du PCF : Les salariés, qu’ils soient du public ou du privé, sont fiers de leur travail et de leur engagement, mais se sentent méprisés et abandonnés. Ces dernières années, on leur a enlevé des droits. On a supprimé les CHSCT. Leur avis ne compte plus. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, l’extrême droite a pris de nombreuses circonscriptions. Comme le souligne Sophie Binet, beaucoup d’ouvriers et d’employés se sont abstenus ou ont voté à l’extrême droite.
Ils expriment ainsi que la gauche ne leur parle plus, ne défend plus les usines et les ouvriers. Il y a eu les abandons, les trahisons des gouvernements de gauche. Ils ont vu les fermetures d’usines, les délocalisations. Des familles entières ont été brisées sur l’autel de la concurrence libre et non faussée. La gauche doit reprendre ce combat, reconstruire une stratégie industrielle respectueuse de l’environnement et des travailleurs.
Au PCF, nous portons ce projet, car produire des richesses dans notre pays est essentiel pour financer la protection sociale et la transition écologique. Mais il faut aller au-delà de taxer les dividendes : les salariés doivent avoir leur mot à dire sur la production et la distribution des richesses. Se réapproprier l’outil de travail est indispensable.
La bataille contre la réforme des retraites va se poursuivre, avec une journée d’action le 1er octobre. Comment peut-on gagner ensemble ?
Sophie Binet : De nombreux salariés ont voté et se retrouvent avec un premier ministre d’un parti ayant obtenu moins de 5 %, qui gouverne grâce à un accord avec le RN alors qu’on s’est mobilisés pour le battre. Cela crée un sentiment de démobilisation. Pour contrer ce fatalisme, nous devons obtenir des victoires concrètes, notamment l’abrogation de la réforme des retraites. Une majorité de députés est prête à le faire.
Le 1er octobre constitue donc le début du match retour contre cette réforme. Il est aussi crucial de se battre pour des augmentations de salaire, des moyens pour les services publics et l’arrêt des licenciements dans l’industrie. La CGT avait rendu publique, pendant les élections européennes, la liste des 70 000 emplois en cours de suppression. La politique de Macron a non seulement vidé les caisses de l’État, mais aussi affaibli notre industrie.
Nous devons également anticiper une éventuelle dissolution et les élections municipales de 2026, où l’extrême droite ambitionne de remporter 1 000 villes. En 2027, Marine Le Pen sera à coup sûr au second tour. L’unité est indispensable pour gagner, mais elle reste encore fragile. Notre fonctionnement intersyndical peut livrer quelques enseignements utiles au niveau politique : il faut dépasser les logiques hégémoniques et construire une alternative.
Lorsque nous avons appelé au Front populaire dès le lendemain de l’élection, c’est parce que nous savions qu’il n’était plus possible de battre l’extrême droite seulement en disant non. Les alternatives doivent être en rupture avec le libéralisme et la politique macroniste. Enfin, la gauche doit redevenir le parti du travail et repenser les relations entre syndicats et politique.
La CGT est indépendante, elle n’est pas neutre. Elle travaille à repolitiser le syndicalisme, tout en restant indépendante. Nos rôles, syndicaux et politiques, doivent être complémentaires et respecter les contre-pouvoirs. Dans les prochains mois, nous allons également mener un travail de syndicalisation. Parce que, là où il y a des déserts syndicaux, l’extrême droite progresse.
Lucie Castets : Nous devons expliquer ce que serait la mise en œuvre du programme du RN. Il plongerait la France dans une austérité budgétaire sans précédent. Son programme économique, c’est moins 50 milliards d’euros par an pour les collectivités et l’État. Il asphyxierait nos services publics.
Le RN passe son temps à dénigrer les fonctionnaires et les travailleurs. Comment régule-t-on les entreprises ? Il faut des agents publics formés, compétents, en nombre suffisant. Le RN propose exactement le contraire. Il faut le dire, le répéter, chacun à sa place, dès qu’on en a l’occasion. Enfin, le programme du RN s’attaque aux valeurs fondamentales des services publics que sont la solidarité et l’universalité. La préférence nationale signifie l’exclusion de certains de nos concitoyens.
Le projet du RN, c’est une France où l’on n’accède pas aux mêmes services, où l’on n’a pas les mêmes droits en fonction de sa nationalité ou de son lieu de résidence. Ses propositions sur les binationaux ont montré son vrai visage aux Français. La gauche ne sera forte que si elle est unie. Et l’unité n’est pas l’uniformité. C’est un message adressé par tous les militants que j’ai pu entendre lors des universités d’été.
Vous êtes pour l’union de la gauche, et nous en prenons acte. Nous sommes battus mais pas abattus, et nous allons continuer à construire un avenir et un projet pour la gauche. Nous avons lutté contre la loi immigration, contre la réforme des retraites. Il faut aussi donner à voir à nos compatriotes ce que la gauche au pouvoir est capable de faire. Nous disons aux Français que la politique peut faire beaucoup. Nous allons vous montrer un chemin que nous construirons ensemble.
Comment réaliser l’unité du monde du travail ?
Fabien Roussel : Tout est fait pour nous diviser et nous opposer entre nous. En fonction du lieu d’habitation de chaque Français, de sa classe sociale ; entre ceux qui ont un travail et ceux qui n’en ont pas ; entre les habitants de pavillons à la campagne et les citoyens des banlieues ; en fonction des religions… nous ferons tout pour nous rassembler. Nous appartenons tous à la classe du monde du travail. Nous subissons tous les ravages du capitalisme et les choix économiques qui sont faits. Nous sommes le nombre et nous allons leur reprendre le pouvoir. L’union du peuple de France, c’est notre objectif. L’union du salariat, tout simplement.
Nous, communistes, voulons jouer notre rôle qui consiste à faire prendre conscience que nous sommes une force et que nous affrontons la même domination, celle du capital. Je parle souvent de la sécurité. J’entends que la gauche ne s’en occuperait plus. C’est la droite au pouvoir qui a complètement réduit les moyens de notre police nationale et de notre gendarmerie.
Les premiers à souffrir de l’insécurité, du trafic de drogue, ce sont les habitants des quartiers populaires. On doit être les défenseurs de ces familles, de ces quartiers, être aux côtés des élus qui se battent pour exiger l’augmentation des moyens de la police, des enquêteurs, des douaniers… Nous voulons rassembler les citoyens sur ces questions. En République, nous sommes tous égaux, tous citoyens.
Sophie Binet : L’extrême droite prospère aussi sur l’explosion du monde du travail organisée par le capital. Il a mis en concurrence les travailleurs entre eux en délocalisant, en filialisant, en multipliant les statuts… Dans une centrale nucléaire, par exemple, il y a vingt, trente ou quarante patrons différents. Dans ce contexte, pour nous, syndicalistes, récréer une communauté d’intérêts est beaucoup plus compliqué qu’avant.
Pour lutter contre l’extrême droite, il faut mettre fin à cette déstructuration du travail, lutter contre la précarité, responsabiliser les donneurs d’ordres. Nous pourrons ainsi rassembler les travailleurs contre un même patron pour gagner les mêmes droits.
Nous avons besoin d’un discours très fort sur la solidarité. En 1944, l’horizon commun de la Sécurité sociale dans le programme du Conseil national de la Résistance a permis une rupture avec le fascisme. Il faut rompre également avec le discours misérabiliste à l’égard du monde du travail. Quand on travaille, on a des droits.
mise en ligne le 27 septembre 2024
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT a été reçue à Matignon dans le cadre des « consultations » organisées par le premier ministre Michel Barnier. Abrogation de la réforme des retraites, retour sur celle de l’assurance chômage, augmentation des salaires… Sophie Binet y a porté les exigences de son syndicat, qui seront également défendues dans la rue le 1er octobre.
Adepte des « consultations », le premier ministre Michel Barnier – après les multiples rencontres avec différents partis politiques en vue de la constitution de son gouvernement – s’attelle désormais à recevoir les « partenaires sociaux ». Et ce mercredi matin, c’était au tour de Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT qui, dès sa sortie de Matignon, a appelé « les salariés et les retraités » à « se mobiliser très massivement par la grève et la manifestation » le 1er octobre prochain.
Il s’agit de se faire entendre avec force face à un gouvernement très à droite. Sur la réforme des retraites, par exemple, si Michel Barnier se dit prêt à « prendre le temps de (l’) améliorer », il n’est pas question d’aménagement à la marge pour Sophie Binet. « Il n’y a pas d’autres solutions que l’abrogation », estime la centrale de Montreuil qui propose également « une conférence de financement pour nos retraites ».
Pour les salaires, la retraite, l’emploi… rendez-vous le 1er octobre
De même concernant la réforme de l’assurance chômage qui mine les droits des privés d’emploi, la responsable syndicale a plaidé, auprès de Michel Barnier et de la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, « la nécessité de l’enterrer définitivement et de redonner la main aux acteurs sociaux » pour fixer les règles d’indemnisation. Sur ce point, « la ministre du Travail nous a dit qu’elle partageait le fait qu’il fallait redonner la main aux acteurs sociaux sur la question de l’emploi des seniors et de l’assurance chômage », a rapporté Sophie Binet, au terme d’un entretien d’une heure.
Alors que certains au sein de l’exécutif, sous couvert d’augmenter le pouvoir d’achat, reprenne une vieille idée libérale, également partagée par le RN, consistant à piocher dans une poche pour gonfler l’autre, elle a aussi mis en garde : « Il n'(est) pas question de prétendre augmenter le salaire net en baissant le salaire brut », au détriment de la protection sociale.
Et la syndicaliste de constater : « Le premier ministre nous a écoutés poliment, il nous a dit qu’il souhaitait être utile au pays », mais « nos inquiétudes demeurent, c’est la raison pour laquelle la CGT appelle les salariés à se mobiliser » le 1er octobre, aux côtés de la FSU et Solidaires.
Surtout dans un contexte où le RN, contre lequel la CGT s’est mobilisée au moment des élections en participant au Nouveau Front populaire, est de nouveau placé au centre du jeu. « le premier ministre ne (peut) pas être l’objet des désidératas de Marine Le Pen », a taclé Sophie Binet, alors que Michel Barnier avait contraint la veille son ministre de l’Économie, Antoine Armand, à faire amende honorable pour avoir jugé que le parti d’extrême droite se situe hors de l’arc républicain. Sans compter que, sur le fond, le RN marque aussi des points avec une partie de son programme partagée par des ministres LR : Sophie Binet s’est ainsi dite « extrêmement inquiète d’entendre une partie des mots de l’extrême droite sortir de la bouche du ministre de l’Intérieur ».
mise en ligne le 27 septembre 2024
Martine Orange sur www.mediapart.fr
Signal d’une défiance croissante, pour la première fois depuis 2007, les taux d’intérêt français sont plus élevés que ceux de l’Espagne. Le gouvernement n’est pas à l’abri d’un scénario à la Liz Truss, la première ministre britannique poussée dehors par les marchés.
C’est le scénario noir qui circule dans les milieux d’affaires et dans les sphères du pouvoir depuis plusieurs semaines. Si le gouvernement ne se montre pas suffisamment sérieux en matière de finances publiques, préviennent-ils, il pourrait connaître le même sort éphémère que celui de la première ministre britannique Liz Truss, chassée en moins de quarante-cinq jours du pouvoir par les marchés financiers en octobre 2022.
La prédiction peut-elle se réaliser ? En tout cas, les derniers signaux envoyés par les marchés indiquent plus qu’un scepticisme, une méfiance, à l’égard des premières annonces austéritaires faites par le gouvernement en matière budgétaire et fiscale : pour la première fois depuis 2007, les taux de la dette française sont désormais supérieurs à ceux de l’Espagne, à 2,97 %. Ils sont désormais également supérieurs à ceux du Portugal et se rapprochent de plus en plus de ceux de l’Italie et de la Grèce.
Dans le même temps, l’écart entre les taux français et allemands à dix ans – qui sert de référence sur tous les marchés de la zone euro – a dépassé les 80 points de base (o,8 %) le 25 septembre, soit son plus haut niveau depuis sept ans.
« Les rendements français sont sous pression, alors qu’il est désormais évident que le gouvernement Barnier fait face au mieux à un futur difficile, au pire à un risque d’effondrement », analyse Mark Dowding, responsable des investissement à RBC Bluebay, dans le Financial Times.
Ce dernier épisode n’est qu’une étape de plus dans une longue dégradation du statut de la France, qui l’a longtemps protégée. « La dette publique de la France en pourcents du PIB est très supérieure à celle des autres pays ayant une note similaire », soulignait une note de l’Iéseg School en avril, relevant la complaisance des agences de notation à l’égard des situations acquises – ce qui au passage pourrait aussi s’appliquer à l’Allemagne, toujours considérée comme la référence européenne, en dépit de la crise existentielle qu’elle connaît.
En mai, Fitch puis S&P ont fini par acter cette divergence, en abaissant – un peu – la notation française, ce qui n’était pas arrivé depuis 2007. Depuis, la situation n’a fait qu’empirer. En décidant par surprise de dissoudre l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a détruit un peu plus la crédibilité du pays, en le privant d’un des derniers atouts qui lui restaient : la stabilité de ses institutions.
Les interminables semaines d’un pouvoir démissionnaire, les tractations diverses et variées pour former un gouvernement, les tangages pour déterminer la ligne à adopter sur fond de chiffres plus catastrophiques les uns que les autres ont convaincu les investisseurs financiers que désormais il existe un risque sur la France. Chambres d’enregistrement des marchés financiers, les agences de notation risquent de ne pas tarder à s’en mêler à leur tour.
Le contre-exemple espagnol
Le camouflet infligé par les marchés est d’autant plus rude pour les responsables français que ceux-ci saluent en creux la politique menée par le gouvernement socialiste espagnol. Celui-ci a pourtant décidé de s’extraire de l’orthodoxie financière prônée par l’Union européenne. Il a mis en œuvre depuis 2021 une politique publique cohérente, à rebours de tout ce que recommandent la droite et les responsables macronistes, qui revendiquent d’incarner « la compétence et l’expertise » dans la gestion des finances publiques.
En pleine crise de l’énergie, le gouvernement de Pedro Sánchez a d’abord commencé, avec le Portugal, par sortir du marché européen de l’électricité et plafonner le coût du mégawattheure à 100 euros, soit deux à trois fois moins que les prix européens de l’époque. Cela a servi à assurer une visibilité et une compétitivité à ses entreprises, une protection aux ménages pour un coût bien moindre que le bouclier tarifaire, censé pallier les errements du marché. Présentée comme provisoire, cette sortie semble appelée à devenir définitive, de l’avis de tous les observateurs.
En parallèle, alors que l’inflation s’abattait sur toutes les économies, il a instauré une fiscalité sur les superprofits, visant notamment les groupes d’énergie et les grands groupes. La fiscalité sur les grandes fortunes a été augmentée tandis que la TVA sur les produits de première nécessité a été abaissée. Le salaire minimum a été régulièrement augmenté, de 54 % en six ans : entre 2018 et 2024, il est passé de 750 euros net par mois à 1 200 euros, ce qui n’est plus très éloigné du smic français (1 400 euros), pour un coût de la vie bien moindre.
Comble de la provocation pour les droites et les extrêmes droites européennes : le Parti socialiste espagnol a même choisi de soutenir le projet d’initiative populaire visant à régulariser un demi-million d’étrangers sans papiers vivant en Espagne sans droit.
S’ils s’opposent par idéologie à cette politique, les tenants de l’orthodoxie budgétaire et autres adeptes de la politique de l’offre peuvent difficilement contester les résultats. Car la politique du gouvernement socialiste espagnol porte ses fruits. Et ils sont même surprenants.
Confrontée comme tous les autres pays à la crise du covid, à la montée de l’inflation, à la crise de l’énergie, aux tensions géopolitiques, l’Espagne a vu son déficit budgétaire passer de 6,73 % du PIB en 2021 à 3,64 % en 2023. Et elle espère passer sous la barre des 3 % en 2024, ce qui lui a évité, à la différence de la France, d’être sanctionnée pour déficit excessif.
Je mesure la chance d’hériter d’un tel bilan
économique.
Antoine Armand,
ministre de l’économie et des finances
Dans le même temps, son endettement, qui s’élevait à plus de 120 % du PIB en 2020, est tombé à 107 % en 2023. Sa productivité horaire a augmenté de 1,4 % en moyenne en 2019 et 2023, quand celle de la France a chuté de 3,66 %. Sa croissance a dépassé les 2,4 % en 2023, soit plus du double de celle de la zone euro. Ces derniers jours, la Banque centrale espagnole a revu la croissance à la hausse et table désormais sur 2,8 % d’augmentation du PIB cette année, quand la Banque de France espère un faible 1,1 % lié en partie au changement de la comptabilité nationale.
« À ce stade, un vent favorable souffle en faveur de l’Espagne, avec une amélioration potentielle de la dynamique de la dette, de la perception des investisseurs d’une dynamique de la croissance et même de la dynamique politique. Tous ces facteurs réunis font que l’Espagne est en pleine ascension », souligne Guy Miller, stratégiste dans le groupe Zurich Insurance. La France ne peut rien présenter de comparable.
Les membres des précédents gouvernements et les responsables de la droite auront peut-être un sentiment d’injustice, voire la sensation d’être incompris par les investisseurs financiers : ne mènent-ils pas la meilleure politique possible ? C’est en tout cas l’analyse de l’ancien ministre des finances, Bruno Le Maire, qui à son départ de Bercy, après sept années de mandat, s’est dit « fier d’avoir sauvé l’économie française ». Une vue partagée par son successeur à Bercy, Antoine Armand, qui assure « mesurer [s]a chance d’hériter d’un tel bilan économique ».
S’enfonçant dans le déni, le nouveau gouvernement a déjà annoncé la ligne dominante de sa conduite future : comme le souhaite Emmanuel Macron – ce qui nous a valu ces semaines de tergiversations –, il ne changera rien à la politique de l’offre mise en place depuis sept ans. Ou s’il doit le faire, ce sera à la marge. L’essentiel des efforts pour redresser les finances publiques et stabiliser la dette se fera par la réduction des dépenses.
Les conséquences de ces choix d’austérité sont déjà largement connues et documentées. Sans citer l’exemple extrême de la Grèce, qui quinze ans après ne s’est toujours pas remise de la thérapie de choc qui lui a été infligée, il suffit de prendre les chiffres actuels de la France. Les 15 milliards d’euros de gel de crédit décidés en février par le ministère des finances se retrouvent en partie dans la chute de la demande intérieure, dans la baisse de la croissance, dans la hausse du déficit budgétaire, qui, faute de rentrées fiscales suffisantes, notamment de TVA, est désormais annoncé autour de 6 % au lieu de 5,1 %.
Règles de base
Choisissant d’ignorer les effets d’entraînement des dépenses publiques – le fameux coefficient multiplicateur redevenu d’actualité à la faveur de la crise de la zone euro –, le gouvernement semble donc sur le point d’opter pour conserver ses largesses fiscales à l’égard de certains et réprimer la demande intérieure pour tous les autres, afin de stabiliser la dette. Au risque d’entraîner un effondrement de la croissance.
« Aussi longtemps que le taux d’intérêt moyen payé sur l’encours total de la dette est inférieur au taux de croissance du PIB nominal, donc à la somme de la croissance réelle et de l’inflation mesurée par la hausse du déflateur, la dette publique peut être stabilisée tout en gardant un déficit primaire », insistait la note d’Iéseg School, en rappelant quelques règles de base, oubliées ces dernières années.
Et c’est bien cela qui inquiète les investisseurs financiers. Tous notent le ralentissement prolongé de la zone euro, son décrochage par rapport aux États-Unis et à la Chine. Les restrictions sur la demande intérieure européenne pour juguler l’inflation commencent à se faire sentir par la restriction des profits des entreprises, donc des dividendes. Accentuer encore la pression austéritaire risque d’aggraver les déficits, et de condamner la France à une stagnation, voire à une déflation prolongée. L’inverse de ce qu’ils demandent désormais. Mais les responsables politiques, toujours aussi entichés de politique néolibérale assimilée à la bonne gestion, n’ont pas encore noté le changement.
En septembre 2022, Liz Truss, juste après sa nomination comme première ministre au Royaume-Uni, avait présenté une feuille de route dans la droite ligne du thatchérisme, censée recueillir les applaudissements des marchés. Elle y annonçait une large suppression d’impôt pour les entreprises et les plus fortunés, censée ruisseler par la suite pour soutenir l’investissement et la croissance. Et pour maîtriser les finances publiques, privées de recettes, elle prévoyait des dizaines de milliards de coupes dans les dépenses sociales et les services publics. La proposition n’a pas convaincu, déclenchant une crise monétaire sans précédent et la poussant vers la sortie.
La France n’est pas exactement exposée de la même manière que la Grande-Bretagne, en raison de son appartenance à la zone euro. Mais elle n’est pas à l’abri d’une réaction en chaîne des marchés financiers et de ce qui pourrait s’apparenter à une crise de la dette. Les marchés réussiraient alors à imposer leurs vues, là où les électeurs n’y sont pas parvenus
mise en ligne le 26 septembre 2024
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Selon un sondage d’Oxfam, une très grande part de la population est favorable à une imposition plus grande de l’héritage, des grandes entreprises et des particuliers les mieux lotis. Un appel du pied au gouvernement à l’heure où le déficit réclame de trouver de nouvelles recettes budgétaires.
« Je proposerai dans les prochains jours au Parlement des choix forts avec trois priorités, (dont celle de) réduire les dépenses publiques. » Contraint par le déficit de la France à trouver des solutions, le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, s’est entêté, lors de sa passation de pouvoir le 22 septembre, à vouloir serrer la ceinture du pays. Pourtant, une autre solution existe, et elle est par ailleurs largement acclamée par les Français.
Un sondage d’Oxfam, réalisé par le groupe Verian et rendu public ce jeudi, affirme que l’augmentation de la taxation des personnes les plus riches et des superprofits, loin d’être une idée repoussoir, est fortement plébiscitée, et ce quel que soit le bord politique du répondant.
Des propositions « justes » pour 75 % des sondés
Ainsi, 59 % des sondés sont favorables à une taxation des héritages plus élevée ; 76 % estiment qu’il faut rétablir l’ISF ; 84 % jugent qu’il faut taxer les superprofits ; 71 %, les dividendes. Pour 8 répondants sur 10, davantage imposer les personnes riches est une nécessité dans le contexte économique actuel, et cette proposition est estimée « juste » pour trois quarts d’entre eux.
Les résultats du sondage d’Oxfam sont ainsi en forte contradiction avec d’autres publiés dans la presse, comme le sondage Odoxa pour Challenges d’avril 2024. Celui-ci indiquait que 77 % des Français trouveraient l’impôt sur les successions injustifié.
« La façon dont on formule les questions a un impact. Nous avons voulu donner beaucoup de contexte, on s’est montrés très pédagogues. Cela change des questions biaisées et incomplètes », note Stanislas Hannoun, responsable de campagne « Justice fiscale et inégalités » chez Oxfam. Les personnes sondées par l’association ont ainsi pu prendre position en sachant précisément que le 0,1 % de la population héritant de plus de 13 millions d’euros ne paie en moyenne que 10 % d’impôts sur les successions.
Même les électeurs de droite plébiscitent la taxation des grandes fortunes
Étonnamment, les sympathisants du parti présidentiel Ensemble ou des « Républicains » partagent les mêmes opinions que le reste de la population sur la nécessité de davantage taxer les riches. « Un enseignement important, c’est qu’il y a un consensus sur l’adhésion, y compris chez les CSP + », note Stanislas Hannoun.
Selon lui, cette volonté quasi unanime d’une meilleure justice fiscale met le gouvernement au pied du mur et le somme de dégager ces recettes fiscales au lieu de réduire la dépense publique, à l’heure où 73 % des Français notent par ailleurs une détérioration de la qualité des services publics. « Ce sondage doit permettre d’envoyer des messages forts au gouvernement, et nous serons vigilants à ce qu’il se passera lors de l’examen du projet de loi de finances », estime Stanislas Hannoun.
Pour accompagner la publication du sondage, Oxfam propose 16 mesures de justice fiscale qui permettraient de dégager au moins 101 milliards d’euros de recettes et de contrecarrer le creusement des inégalités, exacerbées depuis 2017. Parmi ces mesures, l’ONG propose par exemple l’instauration d’un ISF climatique à destination des milliardaires les plus polluants, le réalignement de la fiscalité du capital sur celle du travail ou la taxation automatique des superprofits.
Inès Rubio sur www.humanite.fr
Ce jeudi devant l’Union des entreprises de proximité (U2P), le ministre de l’économie Antoine Armand a réitéré les propos de son collègue du Budget prononcé la veille devant la commission des finances de l’Assemblée : une réduction drastique des dépenses publiques sera leur principal remède au dérapage du déficit public.
Le Ministre chargé du budget a annoncé que la situation des finances publiques était préoccupante. Avec des projections encore plus pessimistes que le précédent locataire de Bercy, il estime désormais que le déficit public risquera de dépasser 6 % du PIB.
Dans la droite ligne de la politique menée en 2024 par Bruno le Maire, la solution privilégiée par le gouvernement pour contenir ce déficit est une nouvelle baisse des dépenses. « Ma vision c’est que nous redresserons les comptes en réduisant les dépenses » a affirmé Laurent Saint-Martin.
Une ligne directrice réitérée par Le Ministre de l’Économie Antoine Armand lors d’une allocution devant les membres de l’Union des entreprises de proximité (U2P), la troisième organisation patronale du pays. « Nous ne serons pas le gouvernement de l’impôt à tout-va, et je ne serai pas le ministre de la confiscation fiscale », a-t-il explicité.
Le gouvernement aveuglé par sa « politique de l’offre »
La hausse des recettes via une plus grande imposition des superprofits et des grandes fortunes plébiscitées par le Nouveau Front Populaire est reléguée au second plan, au mépris de l’urgence sociale mise en évidence par les professionnels de la protection de l’enfance qui manifestaient au moment de l’audition du Ministre.
Pourtant, même l’OCDE appelait récemment ses États membres à augmenter leurs recettes pour faire face à une dette mondiale qui s’est envolée ces dernières années. L’organisation internationale préconise une augmentation des impôts sur le patrimoine et davantage de taxes environnementales.
Des appels qui n’auront pas suffi à infléchir le cap du gouvernement, orienté vers une politique de l’offre (soutien aux entreprises) qui a « fait ses preuves » selon Laurent Saint-Martin, alors même qu’elle a conduit à l’ouverture par l’Union Européenne d’une procédure pour déficit excessif contre la France en juillet 2024.
mise en ligne le 26 septembre 2024
Ellen Salvi sur www.mediapart.fr
Deux personnes ont été tuées par balle à Saint-Louis, dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, à la suite d’une opération des forces de l’ordre qui recherchent une quinzaine d’individus. Depuis deux mois, cette tribu kanak, située en périphérie de Nouméa, est coupée du reste de l’archipel.
LesLes marches à pied interminables, les bras chargés de lourds paquets, les contrôles policiers, les files d’attente, les murs de sacs lestés, le bruit des drones, les coups de feu, l’odeur des bombes lacrymogène, les barbelés, le temps perdu, le souvenir des proches contraints de s’éloigner, celui du monde d’avant où l’on pouvait circuler en toute liberté et rejoindre la grande ville en vingt minutes... Depuis deux mois, les 1 500 habitant·es de la tribu kanak de Saint-Louis, située sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa, sont littéralement coupé·es du reste de l’archipel. Et subissent au quotidien les contraintes, l’isolement et la violence.
Dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, deux personnes y ont été tuées par balle, à la suite d’une opération des forces de l’ordre, qui était toujours en cours jeudi matin. Selon la chaîne NC la 1ère, les tensions sur place ont redoublé « lorsque les gens ont appris que le jeune homme transféré au Médipôle [le centre hospitalier de Nouméa – ndlr] avait succombé à ses blessures ». Un deuxième décès a été annoncé un peu plus tard. D’après des membres de la famille, il s’agit d’un jeune homme dont le corps aurait été retrouvé dans la rivière au petit matin. L’identité des deux victimes a été confirmée au Monde : Johan Kaidine, 29 ans, et Samuel Moekia, 30 ans.
L’objectif de cette opération spéciale était le même que celui qui a conduit les autorités françaises à mettre la pression sur Saint-Louis depuis des semaines : interpeller une quinzaine d’individus suspectés d’avoir participé aux violences qui ont été perpétrées dans ce fief indépendantiste. Le décès des deux jeunes Kanak porte à treize le nombre de morts depuis le début de la crise dans l’archipel.
Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dénoncé dans un communiqué « les méthodes barbares et humiliantes utilisées par les forces de l’ordre » et condamné « l’usage disproportionné de la force par les autorités de l’État français qui relève de pratiques coloniales ». « Ces actions ne font qu’aggraver la situation sur le terrain et éloigner la perspective d’une solution pacifique », écrit Aloisio Sako, chargé de l’animation du bureau politique du FLNKS.
Selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, la situation est devenue « intolérable ». « Ce qui se passe là-bas est terrible, je n’ai jamais vu ça, indique l’ancien président indépendantiste du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis. Il y a des militaires partout. Les gens souffrent, ils en ont marre. » « Les autorités ont mis la tribu sous cloche, sans aucune perspective, abonde le député Emmanuel Tjibaou, élu en juillet à l’Assemblée nationale. Les habitants ont l’impression d’être abandonnés, ils ont peur. »
Par la voix de leurs chefs coutumiers, ils réclament, jusqu’ici en vain, la levée des deux « verrous » installés le 20 juillet à l’entrée et à la sortie de la tribu, afin de répondre aux « exactions extrêmement graves », selon les mots du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, perpétrées sur les 4 à 5 kilomètres de la route provinciale numéro 1 (RP1) qui traverse la zone de Saint-Louis. Des barrages gardés par quatre escadrons de gendarmerie interdisent la circulation automobile. Et bloquent l’ensemble des populations du Mont-Dore Sud.
Les souvenirs de l’indigénat
« Ces verrous ont été installés [...] car la sécurité des usagers ne pouvait être assurée sur l’axe en raison des prises à partie extrêmement violentes de la part émeutiers », souligne le Haut-Commissariat auprès de Mediapart, faisant état de 690 tirs contre les forces de l’ordre et de 65 car-jackings, dont 34 commis avec usage ou menace d’une arme, répertoriés depuis le 13 mai. Si « le dispositif a permis de mettre un terme aux car-jackings très violents et particulièrement traumatisants pour les victimes, et de limiter les ouvertures du feu sur les forces de l’ordre », sa levée n’est pas à l’ordre du jour.
Fin août, après cinq semaines de « verrous », Eugène Decoiré, président du conseil des chefs de clan de Saint-Louis, et Yohan Wamytan, chef de branche, avaient défendu devant le tribunal administratif de Nouméa une requête en référé-liberté pour mettre fin à ce qu’ils appellent le « blocus de Saint-Louis ». « On ne peut pas enfermer une population, on est toujours français. Certes, on est kanak mais on est toujours français. On n’est pas du bétail », avait affirmé Yohan Wamytan devant le tribunal, selon des propos rapportés par NC la 1ère.
Une pétition, lancée par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et signée par de nombreux habitant·es de la tribu, a également circulé. « Depuis plusieurs semaines, nous vivons dans un état de siège, privés de nos droits les plus fondamentaux : liberté de circulation, droit à la sécurité, droit aux soins sanitaires et simplement, le droit de vivre libre et en paix, peut-on y lire. Cette situation minable mais surtout inhumaine, nous remémore la période de l’indigénat (1887-1947) notamment, durant laquelle le peuple kanak a été parqué violemment dans des réserves, tels des animaux. »
Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école… Yohan Wamytan, chef de branche à Saint-Louis
La requête en référé-liberté des représentants coutumiers de Saint-Louis a été rejetée, la justice ayant considéré que « la notion d’urgence à lever ces verrous n’était pas justifiée et que le rétablissement de la sécurité des usagers de la route provinciale était prioritaire ». Mais le tribunal administratif de Nouméa a de nouveau été saisi sur le même sujet par la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui dénonce à son tour « une atteinte grave à de multiples libertés fondamentales » et demande la réouverture immédiate de la RP1. L’audience est prévue vendredi 19 septembre.
L’installation de ces deux « verrous » a largement entravé le quotidien des habitant·es de Saint-Louis, qui évoquent des contrôles réguliers et des fouilles systématiques. « Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école..., raconte Yohan Wamytan à Mediapart. Beaucoup ont quitté la tribu pour préserver leur emploi, ils ont dû louer des appartements à l’extérieur. » Selon son cousin Roch Wamytan, « 700 personnes originellement de la tribu sont en dehors de celle-ci et ne peuvent rentrer chez elles ».
Des coupures d’électricité
Beaucoup évoquent aussi des coupures d’électricité, dont certaines ont duré trois à quatre jours, les réparations tardant à être réalisées. « On a dû jeter toute la nourriture », déplore Yohan Wamytan. « Les défaillances du système électrique sont notamment dues à des actes de vandalismes commis à l’intérieur de la tribu. Le risque de prise à partie des entreprises exploitantes du réseau électrique étant élevé, celles-ci ont à chaque fois voulu disposer des meilleures garanties de sécurité possibles de la part des responsables coutumiers avant d’envoyer leur personnel dans la tribu pour procéder aux réparations », justifie de son côté le Haut-Commissariat.
Destinataires de plusieurs témoignages, Emmanuel Tjibaou insiste sur les difficultés que rencontrent les habitant·es les plus fragiles de Saint-Louis « pour suivre les traitements médicaux ». Il parle notamment des « vieux », des personnes handicapées et des « dialysés ». Le député rapporte enfin des problèmes de réseau internet qui renforcent, selon lui, le sentiment d’isolement de la population. « Les gens ne savent plus ce qu’il se passe à l’extérieur de Saint-Louis », dit-il. Inversement, « à 10 kilomètres de la tribu, personne ne sait ce qu’il s’y passe », ajoute Yohan Wamytan.
Dans un entretien accordé début septembre à La Voix du Caillou, le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, Yves Dupras, a admis sans ambages que « cette situation de “verrous” est tout à fait anormale dans le fonctionnement d’un État de droit par rapport aux libertés publiques ». « Je le reconnais. Mais notre objectif est avant tout la sécurité des personnes et des biens », a-t-il précisé, rappelant que 13 personnes faisaient l’objet d’un mandat de recherche « pour des faits criminels ou pour des faits délictuels particulièrement graves commis à Saint-Louis ».
L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public...Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis
C’est ici qu’un gendarme a été tué par balle le 14 mai. Ici aussi que Rock Victorin Wamytan est mort le 10 juillet, victime, selon le parquet de Nouméa, d’un « tir de riposte » du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui intervenait ce jour-là au Mont-Dore. Ici enfin que les autorités coutumières multiplient les échanges avec les jeunes de la tribu pour y ramener le calme. « C’est difficile de leur faire entendre raison », reconnaît Roch Wamytan auprès de Mediapart, évoquant des jeunes « souvent radicalisés » par leur passage en prison.
« Souvent, ce sont des jeunes qui ont été envoyés au Camp-Est [le centre pénitentiaire de Nouméa – ndlr] à un jeune âge, suite à des incivilités. Cette prison a une capacité de 400 places mais 600 personnes y sont placées, a récemment répété le grand chef de Saint-Louis sur NC la 1ère. Ce qui bloque, c’est que des jeunes veulent aller au bout pour que naisse Kanaky [...] au-delà de Saint-Louis, dans d’autres endroits, certains veulent aussi continuer la lutte jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort ou l’indépendance. [...] Nous essayons de leur expliquer que l’indépendance passera par des négociations. »
Une punition collective
Roch Wamytan souligne l’incongruité de la situation, au regard des revendications politiques portées par les indépendantistes : « L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public... » Selon lui, tout est mis en œuvre pour sortir de cette crise. « Je suis optimiste, on va y arriver, a-t-il dit sur NC la 1ère. Je reconnais que les autorités avec lesquelles nous discutons font preuve de compréhension. Pourtant, au début, ce n’était pas évident. Ça ne sert à rien de mettre la pression, il faut savoir le contexte et ensuite poser les solutions pour résoudre ces conflits qui peuvent se résoudre… avec du temps. »
De son côté, le Haut-Commissariat refuse d’endosser la responsabilité de cette situation, créée selon lui « par le seul comportement des émeutiers, qui fait peser de lourdes contraintes pour les habitants de Saint-Louis comme sur les 10 000 habitants du Mont-Dore Sud, qui doivent utiliser quotidiennement un système de navettes maritimes pour rejoindre Nouméa, conduisant certains à être gênés dans leur vie quotidienne comme professionnelle et à perdre en qualité d’accès aux soins ». Et d’ajouter : « Factuellement, le danger engendré par les émeutiers fait peser des contraintes sur tous les habitants. »
Pour le juriste Antoine Leca, ancien chargé d’enseignement à l’université française du Pacifique et à l’université de la Nouvelle-Calédonie, ces « verrous » sont surtout une manière « de punir collectivement les habitants de Saint-Louis parce qu’ils constituent une tribu “coupable” d’abriter en son sein des jeunes qui ont opté pour l’action armée sans relever d’aucune structure identifiée ». Évoquant dans ce billet des « méthodes d’un autre temps [qui] sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française », il perçoit à Saint-Louis « le premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage ».
Pour le Haut-Commissaire, la tribu de Saint-Louis est une poche de résistance. Sa stratégie, c’est de l’isoler de l’agglomération du Grand Nouméa. Emmanuel Tjibaou, député de Nouvelle-Calédonie
À Paris comme en Nouvelle-Calédonie, la situation politique est à l’arrêt dans l’attente d’un nouveau gouvernement. « On n’a toujours pas d’interlocuteur », rappelle Roch Wamytan, qui plaide pour la mise en place rapide d’une mission internationale. « Les gens n’ont plus confiance dans le gouvernement français », affirme-t-il. Mercredi, veille de l’opération des forces de l’ordre à Saint-Louis, le « groupe de contact » sur la Nouvelle-Calédonie, présidé par Yaël Braun-Pivet, s’est retrouvé à l’Assemblée nationale pour un échange en visioconférence avec le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc.
L’occasion, pour le député Emmanuel Tjibaou, d’interroger le représentant de l’État dans l’archipel sur la situation dans la tribu, sans avoir évidemment aucune idée de ce qui se préparait. « Pour lui, Saint-Louis est une poche de résistance, ce sont les mots qu’il a employés, rapportait-il à Mediapart dans l’après-midi. Sa stratégie, c’est d’isoler cette poche de résistance de l’agglomération du Grand Nouméa. » L’élu kanak entend profiter de son mandat pour lancer une commission d’enquête afin d’« éclairer tout ce qu’il s’est passé depuis le 13 mai » dans l’archipel, considérant que « la CCAT a le dos large ».
Plusieurs membres de cette organisation politique proche du FLNKS sont toujours détenus dans des centres pénitentiaires de métropole. C’est notamment le cas de Christian Tein, qui a été désigné, samedi 31 août, président de l’alliance indépendantiste du FLNKS. « Mon frère, Joël Tjibaou, est lui aussi en prison, à Camp-Est », rappelle le député, fils de Jean-Marie Tjibaou, figure phare du mouvement qui avait signé les accords de Matignon en 1988 avant d’être assassiné.
Parmi les militant·es placé·es sous contrôle judiciaire dans le cadre de cette enquête visant « les commanditaires présumés » des révoltes qui ont embrasé l’archipel à partir de mi-mai, figure aussi Darewa Dianou, fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988. « Les jeunes qui se révoltent aujourd’hui sont les héritiers des événements de 1984-1988. Le risque, si les choses continuent comme ça, c’est que cet héritage se perpétue », conclut Roch Wamytan, persuadé que la seule réponse sécuritaire, à Saint-Louis comme ailleurs, ne pourra qu’envenimer la situation.
Boîte noire
Alerté depuis plusieurs semaines sur la situation à Saint-Louis, Mediapart a dans un premier temps souhaité envoyer un journaliste sur place, afin de rendre compte des contraintes que les « verrous » font peser sur le quotidien des habitant·es de la tribu. En faisant un point informel avec les équipes du Haut-Commissariat, celui-ci s’est vu répondre que l’accès à la zone ne lui serait pas autorisé. Interrogés par la suite sur le sujet, les services de l’État nous ont assuré que « l’accès de journalistes [n’était] absolument pas interdit », évoquant un « probable loupé ».
Cet article a été amendé jeudi matin (le 19), avec l’identité des victimes et le communiqué du FLNKS. Sauf mention contraire, tous les propos qui y sont cités ont été recueillis avant l’opération des forces de l’ordre menée dans la nuit de mercredi à jeudi (du 18 au 19).
mise en ligne le 25 septembre 2024
Inès Rubio sur www.humanite.fr
Une centaine de personnes étaient rassemblées devant le tribunal Judiciaire de Nanterre, lundi 23 septembre, en soutien aux travailleurs sans papiers. L’inspection du travail accuse leur employeur, RSI, de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans autorisation.
Une majorité des ex-employés constitués partie civile ont assisté, lundi 23 septembre, à la première audience du procès à Nanterre (Hauts-de-Seine) qui oppose l’État à la société d’intérim RSI. Ils étaient soutenus par le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île de France et l’intersyndicale du ministère du Travail pour affirmer leur droit à la justice et revendiquer une régularisation rapide. Une étape importante dans la lutte qu’ils mènent depuis trois ans.
En octobre 2021, environ 80 intérimaires initient un mouvement de contestation. Devant la mairie de Grigny (Essonne), ils maintiennent un piquet de grève pendant plus d’un an. Touré Mahamadou, l’un des grévistes, rappelle les raisons de leur mobilisation : « La société RSI refusait de nous fournir les documents Cerfa (nécessaires à la demande de titre de séjour – NDLR), les attestations de travail. Certains n’ont même pas reçu de fiches de paie, d’autres n’étaient payés qu’en liquide », raconte-t-il.
« On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement »
Le mouvement de ces travailleurs sans papiers conduit l’inspection du travail à entamer une enquête qui confirme que les grévistes ont effectivement travaillé pendant plusieurs mois, condition indispensable pour prétendre à un titre de séjour salarié temporaire. Un an après le début de leur mobilisation, ils peuvent enfin déposer leurs dossiers à la préfecture et obtiennent 83 récépissés de titres de séjour avec autorisation de travail pendant six mois. « On pensait que l’histoire était réglée, qu’on allait pouvoir travailler légalement », poursuit Touré Mahamadou. Le piquet de grève est levé et les 83 travailleurs trouvent un emploi.
Mais, brutalement, 65 récépissés sont interrompus et seulement 18 cartes de séjour temporaire délivrées. Pour ceux dont la situation reste irrégulière, le procès représente un espoir, bien que la justice ne puisse pas directement prononcer leur régularisation. « On n’attend pas d’argent, on veut être reconnus comme victimes, ce qui pourrait nous aider à être régularisés », précise Touré Mahamadou.
Les membres de l’intersyndicale du ministère du Travail (CGT, FSU, SUD travail) présents lors du rassemblement déplorent que la preuve apportée d’une relation de travail entre RSI et ses employés n’ait pas suffi à la régularisation des sans-papiers.
Sur le banc des accusés, manquent les entreprises de BTP
Au contraire, les contrôles de l’inspection du travail peuvent porter préjudice aux salariés irréguliers, qui sont licenciés sans indemnité. « Si on veut la fin du travail dissimulé, il faut la régularisation des sans-papiers », affirme Thomas Dessalles, de la CGT du ministère du Travail. Il appelle à ce que « les mesures appliquées dans les affaires traite des êtres humains, où un titre de séjour est délivré aux victimes pour les protéger, s’étendent aux cas de travail dissimulé ».
Maître Xavier Robin, avocat de plusieurs travailleurs sans papiers, se dit optimiste quant à l’issue du procès : « L’enquête de l’inspection du travail démontre que RSI était pleinement conscient de commettre du travail dissimulé. » Il regrette en revanche que la société d’intérim tente de se dédouaner en rejetant la responsabilité sur la directrice de l’agence de Gennevilliers.
Le collectif des travailleurs sans papiers de Vitry-Île-de-France estime pour sa part qu’il manque du monde sur le banc des accusés. « Les entreprises de BTP pour lesquelles travaillaient les intérimaires recrutés par RSI profitaient de leur vulnérabilité pour imposer des conditions de travail très dégradées », précise son communiqué.
L’audience a été reportée aux 29 et 30 avril, la juge ayant estimé que deux journées seraient nécessaires pour auditionner les 35 plaignants, et non une seule après-midi comme prévu.
mise en ligne le 25 septembre 2024
| Danielle Simonnet sur www.regards.fr
Les intertitres et la mise en gras de certains passages sont le fait du site 100-paroles.
La députée Danielle Simonnet nous livre son analyse des succès du Nouveau Front populaire aux législatives et les perspectives qu’elle aimerait lui voir prendre.
Au lendemain de la Fête de l’Huma, à gauche tout le monde en parle : « les tours et les bourgs ». Le débat sur la stratégie « À qui parler ? » s’enflamme entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin. Il ne faudrait pas qu’il en cache un autre, celui de l’enjeu de rester en campagne et pour cela, de pérenniser l’unité du Nouveau Front populaire et l’ancrer localement, durablement.
Pérenniser l’unité du Nouveau Front populaire
On en oublierait presque qu’il oppose deux personnalités politiques du NFP. Que personne n’oublie pourquoi la campagne des législatives s’est caractérisée par une participation record et une forte implication citoyenne de femmes et d’hommes qui, pour bon nombre d’entre elles et eux ne s’étaient parfois jamais engagé·es politiquement auparavant. Face à la menace de l’extrême droite, c’est l’unité de la gauche sur un programme en rupture tant avec Macron qu’avec les années Hollande qui a ressuscité l’espoir d’une victoire qui changerait réellement la vie des gens. Ces nouveaux citoyen·nes militant·es, ou militant·es syndicalistes et associatifs qui ont franchi le pas de participer à une campagne électorale se moquaient pour la plupart de l’étiquette du ou de la candidate, qu’elles et ils s’impliquent localement ou soient prêt·es à traverser la France pour le faire. Sans relativiser l’enjeu de la confrontation stratégique sur « À qui on doit s’adresser ? », la première priorité stratégique c’est de poursuivre cette unité. Tout le monde le veut-il réellement ? Comment créer les conditions pour que les partis du NFP y adhèrent vraiment ou en soient contraints par l’aspiration populaire ? Comment respecter que des débats traversent le NFP sans craindre que toute controverse puisse être instrumentalisée pour briser cette unité ?
Élargir le NFP au-delà des partis
Nous sommes dans une crise politique majeure, on peut même parler de crise de régime. En bafouant le résultat des urnes mettant en tête le NFP et en choisissant Barnier premier ministre, issu d’un parti qui a refusé le barrage républicain, Macron use et abuse de tous les rouages de la 5ème République. L’enjeu pédagogique de la bataille pour sa destitution n’est pas qu’une bataille « contre Macron », mais bien contre la 5ème République qui octroie tant de pouvoir au chef de l’exécutif qu’il peut en monarque mettre son veto du roi contre le suffrage des urnes pour poursuivre sa politique dans une alliance allant jusqu’à l’extrême droite. Si personne ne peut sincèrement se faire d’illusion sur l’aboutissement si peu probable de la démarche du recours à la destitution, l’instabilité gouvernementale dans un Parlement marqué par une tripolarisation est telle qu’elle peut à tout moment déboucher sur une démission du président de la République et des élections présidentielles et législatives anticipées bien avant 2027. La prochaine élection nationale risque bien de marquer la fin du sursis : ce sera la gauche ou l’extrême-droite. Le Nouveau Front populaire sera-t-il capable de désigner une seule candidature à la présidentielle ? S’il ne le fait pas, il n’y aura pas de candidat de gauche au second tour pour barrer la route à Marine le Pen. Cette candidature sera-t-elle bien attachée au projet d’en finir avec son propre mandat, en finir avec la fonction même de président de la République ? N’est-ce pas d’abord et avant tout ce débat, tant sur la 6ème République que sur les modalités conduisant à une seule candidature commune qui aurait dû marquer la fête de l’huma ?
Est-il envisageable de seulement « espérer » que cette unité du NFP tienne ? N’est-ce pas prendre le risque qu’à l’instar du délitement de la Nupes des logiques partidaires sectaires l’emportent et trouvent leurs prétextes de briser l’union ? D’ores et déjà à son sommet, force est de constater que le large cadre du rassemblement, partis politiques mais aussi syndicats et associations, qui s’est mis en mouvement dans la campagne ne se réunit pas régulièrement ni dans sa diversité. Le Nouveau Front populaire n’est pourtant pas qu’un simple cartel de partis. Où sont les acteurs du mouvement social, pourquoi ne sont-ils pas conviés aux discussions ? L’hypothèse que le RN défende un texte portant sur l’abrogation de la réforme des retraites n’exige-t-elle pas une réunion de tout le NFP ou un échange avec tous les syndicats qui étaient membres de l’intersyndicale dans la bataille contre la contre-réforme de Macron ?
Ancrer partout des groupes locaux du Nouveau Front populaire
À un bout du NFP, les nostalgiques des années Hollande-Cazeneuve aimeraient gagner le congrès de leur parti pour sortir du NFP quand, à l’autre bout, certains semblent n’attendre que le moment opportun pour reprendre une stratégie présidentielle populiste en solo. Personne ne peut faire mine de l’ignorer. N’oublions pas ce qui a permis de déclencher l’impérieuse nécessité d’un accord entre les partis : la manifestation des jeunes devant les locaux du parti d’EELV où se tenaient les discussions qui scandait : « Ne nous trahissez pas, unissez-vous ! » Plus que jamais, à la base, promouvoir des assemblées citoyennes du Nouveau Front populaire, pérennes et tournées vers l’extérieur pour s’ancrer sur l’ensemble des territoires est essentiel. Nous devons renforcer l’ancrage du NFP dans ses bastions, les circonscriptions gagnées dès le premier tour, renforcer celui des circonscriptions gagnées de justesse mais aussi développer une stratégie pour en conquérir de nouvelles pour gagner la majorité absolue. Les circonscriptions perdues de peu face au RN devraient faire l’objet d’une volonté collective de déployer des forces militantes et citoyennes pour reconquérir le terrain, dans la continuité des démarches type convois de la victoire. Il serait suicidaire pour la gauche de décréter d’abandonner certaines circonscriptions. Cette stratégie est incompatible avec celle qui viserait à ne s’intéresser qu’aux quartiers populaires des grandes métropoles et à la jeunesse.
Combattre le RN et son idéologie, partout
N’abandonnons pas une partie des classes populaires, des bourgs ou des sous préfectures au vote RN ! Cette stratégie ne relève pas que d’une parole volée à Jean-Luc Mélenchon, prise hors contexte. Elle a dicté celle de la France Insoumise lors des européennes et a été théorisée en interne. Dans le groupe insoumis à l’assemblée nationale, nous avons été plusieurs député.es à la contester et bien au-delà des « purgés ». Je me souviens encore de la dernière réunion à laquelle j’ai participé avant la purge, réunissant les parlementaires européens et les députés trois jours après la dissolution dans laquelle Jean-Luc Mélenchon vantait le succès du choix de se concentrer sur les quartiers populaires et la jeunesse, quand plusieurs députés déploraient au contraire l’échec à parler à l’ensemble de l’électorat populaire, y compris celui qui réside hors périphérie des métropoles. Parler d’une « nouvelle France », ce n’est pas parler de la créolisation du peuple, c’est induire qu’elle s’opposerait au présent à une « vieille France ». Aucune analyse électorale ne permet par ailleurs de démontrer qu’une reconquête de circonscription pour être majoritaire dans le pays peut se limiter au travail, bien évidemment déterminant, de regagner les abstentionnistes. Où donc est passée notre culture politique qui analysait le poison de l’extrême-droite comme l’arme du système capitaliste pour diviser les consciences de classes et les consciences républicaines pour maintenir et renforcer le pouvoir des dominants ? Le RN a capté 57% des ouvriers ! Nous restons minoritaires chez les employés ! La gauche doit, pour fédérer le peuple, reconquérir toutes les catégories populaires !
Rendre notre programme politique concret et rassembleur.
La question du travail, de sa rémunération, de ses conditions et de son sens, comme la question des services publics, sont des sujets centraux à même de fédérer les travailleuses et travailleurs où qu’ils résident. Même si je ne me retrouve pas dans les termes employés par François Ruffin, je partage sa conviction que nous devons, par le choix de nos thèmes mis en avant, en parlant du quotidien, contribuer à restaurer la dignité et rendre notre programme politique désirable et rassembleur. La question sociale doit redevenir centrale. Les enjeux écologiques doivent trouver leur traduction dans des mesures concrètes, populaires.
La mobilisation dans les grandes agglomérations et dans les quartiers populaires doit se poursuivre. Quand le PS avait abandonné les quartiers populaires et le combat antiraciste, la gauche a su, et notamment grâce aux insoumis, réincarner celles et ceux qui ne lâchent rien face à la déferlante raciste et islamophobes, alors que le Printemps républicain, par une instrumentalisation de la laïcité, n’a cessé de l’encourager. Lutter contre le racisme systémique, ne pas se taire mais agir pleinement contre les violences policières est une fierté collective, des combats à poursuivre et non à renier. Mais la lutte contre l’extrême-droite ne se mène pas en désertant là où elle se propage le plus ! La lutte contre un imaginaire fantasmé identitaire et si profondément réactionnaire, raciste, sexiste et LGBTPhobe derrière « l’antiwoke » ne se mènera pas que par la question sociale et la volonté de reverticaliser la conflictualité. Pour recréer une conscience de classe, il faut également mener la bataille culturelle contre les fantasmes qui attisent les haines.
Cette double bataille, sociale et culturelle, exige aussi de réinterroger nos pratiques militantes. Il ne s’agit pas de dénigrer l’utilité de distribuer des tracts et de coller des affiches, d’organiser des réunions publiques et des meetings. Mais pour sortir d’un entre soi, il est impératif d’explorer, poursuivre ou renforcer les démarches d’éducation populaire : portes à portes sur le modèle des enquêtes conscientisantes, démarches de type collecte de doléances et de témoignages, porteurs de parole sur les places passantes, mais aussi actions concrètes de solidarité type collectes, rencontres festives d’apéro, projections de films, bals populaires, repas de quartier ou kermesse etc. Savoir écouter et permettre à chacune et chacun de s’exprimer, créer du lien, des solidarités, refaire du collectif là où il n’y en a que trop peu : tout cela n’est peut être pas une condition suffisante pour arracher des femmes et des hommes à la résignation ou la colère solitaire, terreau de l’abstention, ou au rejet de l’autre comme ultime faux recours d’un sentiment de relégation ou une peur de déclassement, mais c’est très certainement une condition nécessaire.
Permettons l’expression à la base des besoins des gens
Puisque dans notre programme nous défendons l’idée de gouverner selon les besoins, sociaux et écologiques, pourquoi ne pas dérouler ce fil autour des besoins, pour constituer des assemblées des besoins ? La proposition a été faite par Clémentine Autain lors de son intervention au meeting unitaire des rencontres d’été du PS à Blois. Nous voulons convaincre que notre programme changerait la vie des gens. Permettons au plus grand nombre de s’exprimer sur ses besoins, individuels et collectifs, concrets, locaux comme nationaux, en tant qu’usager de services publics comme en tant que travailleuse et travailleur. Racisés ou non racisés, les intérêts pour une toute autre politique ne sont-ils pas les mêmes ? Les luttes des travailleurs sans papiers n’ont elles pas à chaque fois qu’elles ont été victorieuses débouché sur des luttes plus larges dans les boites, profittant à l’ensemble des salariés ? Voilà de quoi faire émerger des collectifs, déclencher ou soutenir des luttes locales. Voilà de quoi démontrer qu’un autre budget de la nation et une toute autre politique seraient nécessaires.
Voilà de quoi constituer des forces citoyennes mobilisées, attachées à l’unité et pouvant opérer, par leur seule existence, une pression positive sur les appareils pour poursuivre au sommet cette unité par l’exigence réaffirmée : « Unissez-vous, ne nous trahissez pas ! »
Restons plus que jamais en campagne. Chiche, on s’y met ?
Danielle Simonnet, députée membre du groupe Écologiste et social, co-fondatrice de l’APRES, ex-insoumise
mise en ligne le 24 septembre 2024
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
558 personnes ont été tuées et 1 835 blessées par les bombardements israéliens lundi 23 septembre. Au sud du Liban, c’est l’exode tandis que les morts s’accumulent. Tous les signaux sont au rouge alors que seul Israël veut un chaos régional.
Un record macabre a été battu au Liban par Benyamin Netanyahou et son armée : lundi, 558 personnes ont été tuées, dont 50 enfants et 94 femmes ; 1 835 ont été blessées, ce qui fait de cette journée la plus meurtrière depuis la guerre civile qui s’est déroulée entre 1975 et 1990.
Même au plus fort du conflit mené en 2006, de tels chiffres n’ont pas été atteints. L’état-major israélien a fait savoir qu’il avait frappé environ 800 cibles liées au Hezbollah dans le sud du Liban et la vallée de la Bekaa. Et toujours le même discours : « Parmi les cibles frappées, des bâtiments où le Hezbollah a caché des roquettes, des missiles, des lanceurs, des drones et des infrastructures terroristes supplémentaires. » Pas un mot pour les civils tués, les maisons détruites, le déplacement de milliers d’habitants forcés de fuir. Après l’attaque indiscriminée aux bipeurs piégés, rien ne semble pouvoir arrêter ce gouvernement.
Hezbollah ou Hamas, même rhétorique pour Netanyahou
« J’ai promis que nous changerions l’équilibre de la sécurité, l’équilibre des forces dans le Nord, c’est exactement ce que nous faisons », s’est félicité le premier ministre israélien. « Ce qui m’inquiète (c’est) la possibilité que le Liban ne se transforme (en) un autre Gaza ! » s’est au contraire inquiété le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, alors que la Maison de verre accueillait un sommet sur l’avenir.
Un drôle d’avenir pour les peuples de la région que leur concocte un Benyamin Netanyahou qui n’a jamais été aussi sûr de lui, renforcé dans son entreprise par l’inaction internationale. À Emmanuel Macron qui, penaud, lui demande de se calmer, l’indétrônable leader israélien, appuyé sur une extrême droite suprémaciste, rétorque que les pressions sont à exercer sur le Hezbollah libanais. Il avait déjà servi la même réponse en parlant, cette fois-là, du Hamas.
C’est donc impuissantes que les populations du monde entier assistent à ces nouveaux massacres. L’évidence est là : Israël veut que la région bascule une fois pour toutes dans le chaos.
Affaibli mais pas à terre, le « parti de dieu » réplique
On n’y est pas encore, mais il suffirait d’un rien. Malgré ses pertes, y compris de plusieurs de ses dirigeants, le Hezbollah continue à répliquer avec mesure et réclame un cessez-le-feu à Gaza.
À New York où il se trouve pour participer à l’Assemblée générale de l’ONU, le président iranien Massoud Pezeshkian a fait savoir : « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit. » Et d’ajouter : « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est ! »
Les États-Unis affirment également ne pas vouloir d’une déflagration régionale. Mais, malin, Netanyahou – qui n’a que mépris pour l’ONU – leur fait miroiter l’application d’une résolution datant de 2006 (la 1701), visant à repousser le Hezbollah au nord du fleuve Litani. Un prétexte pour celui qui n’a plus de salut que dans la guerre, quitte à ce que tout le monde sombre, y compris les Israéliens.
sur www.regards.fr
Bientôt 500 morts au Liban, après une semaine d’offensive israélienne. Et la France n’a que des mots à offrir en protection.
Le 19 septembre, Emmanuel Macron adresse un message vidéo aux Libanais : « La France se tient à vos côtés », assure le chef de l’État. La veille et l’avant-veille, au Liban et en Syrie, des explosions d’appareils électroniques ont fait près de 3000 blessés et 37 morts, selon les chiffres d’Amnesty international. Une opération si barbare – ce qui n’a pas empêché l’extase de certains journalistes français – que personne ne l’a revendiquée.
Qu’il y ait des tensions entre le gouvernement israélien et le Hezbollah libanais, ça ne date pas d’hier. Mais ces dernières semaines, la situation s’est aggravée. Au point que l’État hébreu bombarde allègrement le Liban, ciblant également la capitale Beyrouth. Le bilan est, pour l’heure, de 490 morts dont 24 enfants et 1240 blessés, selon les autorités libanaises.
Nous ne sommes plus dans la situation du début de l’année où les deux camps s’envoyaient des missiles à la frontière. Désormais, Israël attaque un État souverain. Et la France, pour l’instant, ne fait rien à part des vidéos et des discours.
Côté israélien, on part sur le même délire propagandiste qu’à Gaza : si les Libanais meurent, c’est parce qu’ils traînent trop près des cachettes des « terroristes » du Hezbollah. Sauf qu’il y a deux différences de taille : le Hezbollah est bien plus fort militairement que le Hamas ; le parti chiite est arrivé en tête des élections législatives de 2022, même s’il s’agissait alors d’une défaite puisque il perdait sa majorité absolue à la chambre des députés.
Et si le Hezbollah n’était plus, ces derniers temps, en odeur de sainteté auprès des Libanais, après les explosions de bipeurs et autres talkie-walkies, les hôpitaux ont pris en urgence ces victimes et l’on a même vu des membres de milices chrétiennes donner leur sang pour les sauver. Netanyahou va-t-il, comme avec le Hamas, relancer la popularité du Hezbollah ? Car, comme l’écrit l’éditorialiste Anthony Samrani dans le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, « en face, c’est Israël […] On peut vouer le Hezbollah aux gémonies, ce sont bien des Libanais, quelle que soit leur communauté, qui sont et vont être tués par l’armée israélienne. C’est bien le Liban qui sera détruit si le Hezbollah est défait. Le Hezbollah dévore le Liban de l’intérieur. Israël promet de l’annihiler depuis l’extérieur. Les deux menaces peuvent être existentielles, mais elles ne sont pas de même nature. Dresser entre elles une équivalence est une position intenable, encore plus en temps de guerre. Refonder le Liban avec le Hezbollah paraît illusoire. Y parvenir, si la moitié du pays est en ruines, est tout simplement impossible. »
Tout est dit. Reste le silence assourdissant de la diplomatie française, dont les Libanais attendent son traditionnel soutien.
La rédaction de Mediapart et Agence France-Presse sur https://www.mediapart.fr/
L’armée israélienne a indiqué mardi avoir visé la veille « 1 600 cibles terroristes ». Ces frappes contre le Hezbollah ont fait 558 morts lundi, selon un nouveau bilan, et se poursuivaient mardi.
Le bilan des intenses bombardements israéliens sur le Liban, lundi 23 septembre, « a atteint 558 morts, dont 50 enfants et 94 femmes », a annoncé mardi le ministre de la santé libanais, Firass Abiad, lors d’une conférence de presse. 1 835 personnes ont été blessées, a-t-il précisé. Ce bilan « dément toutes les allégations israéliennes selon lesquelles l’armée viserait des combattants », a-t-il ajouté.
« La vérité, malheureusement, est que la grande majorité, si ce n’est pas tous, sont des personnes non armées qui se trouvaient dans leurs maisons », a-t-il dit. Il s’agit du plus lourd bilan depuis la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006. Le ministre a indiqué que 16 secouristes et pompiers avaient été blessés et qu’un hôpital à Bint Jbeil, dans le sud du Liban, avait été visé par une frappe.
Mardi 24, les bombardements se sont poursuivis et l’armée israélienne a annoncé avoir frappé « des dizaines de cibles du Hezbollah dans de nombreuses régions du sud du Liban ». Les habitant·es d’un village de la région de Sidon, dans le sud du Liban, auraient reçu des appels plus tôt dans la matinée, leur demandant d’« évacuer leurs maisons immédiatement ». Selon l’ANI, l’agence nationale d’information libanaise, les frappes ont touché les régions du sud de Kfarkila, Roumine, Deir el-Zahrani, Doueir, Ebba et Zawtar, la région de Jal el-Bahr à Tyr mardi matin, Markaba et el-Haouch dans la nuit.
Mardi après-midi, une frappe israélienne « ciblée » a frappé un immeuble de six étages dans le quartier de Ghobeiry, en banlieue sud de Beyrouth. Trois des six étages ont été endommagés, selon l’ANI. Selon le quotidien israélien Haaretz, la cible de la frappe serait Talal Hamiyah, responsable des opérations du Hezbollah en dehors du Liban.
Les frappes, d’une intensité sans précédent depuis le début des échanges de tirs à la frontière israélo-libanaise en octobre 2023, ont visé « environ 1 600 cibles terroristes » au total, affirmait l’armée israélienne mardi en fin de matinée. Celle-ci a également signalé des explosions secondaires, « indiquant la présence d’armes stockées dans les bâtiments » visés. Selon l’armée israélienne, plus de 50 projectiles ont été lancés mardi matin depuis le Liban contre Israël, dont « la majorité » a été interceptée.
L’ONU sonne l’alarme
« Nous sommes extrêmement préoccupés par la grave escalade des attaques dont nous avons été témoins hier [lundi 23 – ndlr]. Des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de quitter leurs maisons hier et cette nuit, et leur nombre ne cesse d’augmenter », a déclaré un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Matthew Saltmarsh, lors d’un point de presse à Genève (Suisse). « Il s’agit d’une région qui a déjà été dévastée par la guerre et d’un pays qui ne connaît que trop bien la souffrance », a-t-il ajouté.
« Le tribut payé par les civils est inacceptable, et la protection des civils et des infrastructures civiles au Liban est primordiale. Le droit humanitaire international doit être respecté. Il est urgent de mettre fin aux hostilités », a affirmé le porte-parole du HCR.
« Nous sommes extrêmement alarmés par la brusque escalade des hostilités entre Israël et le Hezbollah, et nous appelons toutes les parties à cesser immédiatement la violence et à assurer la protection des civils », a déclaré de son côté une autre porte-parole du HCR, Ravina Shamdasani, lors du point de presse.
Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) appelle également « de toute urgence à une désescalade immédiate » et à ce que toutes les parties respectent leurs obligations en vertu du droit humanitaire international afin de garantir la protection des infrastructures civiles et des civils, y compris les enfants, les travailleurs humanitaires et le personnel médical.
« La journée d’hier a été la pire que le Liban ait connue depuis dix-huit ans. Cette violence doit cesser immédiatement », a affirmé de son côté la représentante adjointe de l’Unicef au Liban, Ettie Higgins, en liaison vidéo depuis Beyrouth.
Les autoroutes du sud du Liban, à destination de Beyrouth, étaient dans la nuit de lundi à mardi bondées de personnes fuyant les attaques israéliennes. Dans l’après-midi de lundi, la capitale du Liban, Beyrouth, a également fait l’objet de bombardements massifs.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’était inquiété dimanche que le Liban devienne un « autre Gaza », près d’un an après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste et d’autres groupes palestiniens le 7 octobre 2023.
Après presque un an de guerre dans la bande de Gaza, le front s’est déplacé vers le nord d’Israël et la frontière avec le Liban, où les échanges de tirs s’intensifient entre le puissant Hezbollah, allié du Hamas et soutenu par l’Iran, et l’armée israélienne. La semaine dernière, Israël a porté un coup à l’organisation en parvenant à faire exploser des pagers et des talkies-walkies utilisés par le Hezbollah. Ce dernier a promis de continuer à attaquer Israël « jusqu’à la fin de l’agression à Gaza ».
L’Iran met en garde contre « un nouveau Gaza »
« Nous ne devons pas permettre que le Liban devienne un nouveau Gaza aux mains d’Israël », a déclaré mardi le président iranien, Massoud Pezeshkian, lors d’une interview avec CNN.
Lundi, le chef d’État avait accusé Israël de vouloir « élargir » le conflit au Moyen-Orient, soulignant que cela ne « bénéficierait à personne » et insistant sur le fait que Téhéran ne cherchait pas à « déstabiliser » la région. « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit », a-t-il déclaré à New York (États-Unis) lors d’une table ronde avec des journalistes.
Massoud Pezeshkian, un réformateur qui a prêté serment fin juillet, fait ses débuts à l’ONU où il participe à l’Assemblée générale annuelle des Nations unies. « Nous avons essayé de ne pas répondre. Ils n’ont cessé de nous dire que la paix était à portée de main, peut-être dans une semaine ou deux », a-t-il affirmé, semblant faire référence à la mort d’Ismaïl Haniyeh, ex-chef politique du Hamas tué en Iran le 31 juillet dans une attaque imputée à Israël, ainsi qu’aux négociations sur un cessez-le-feu à Gaza.
« Mais nous n’avons jamais atteint cette paix insaisissable. Chaque jour, Israël commet de nouvelles atrocités et tue de plus en plus de personnes – des personnes âgées, des jeunes, des hommes, des femmes, des enfants, des hôpitaux, d’autres infrastructures », a-t-il ajouté. Il n’a pas répondu directement à la question de savoir si l’Iran répondrait désormais plus directement à Israël.
« Nous entendons toujours dire que le Hezbollah a tiré une roquette. Si le Hezbollah ne faisait même pas ce minimum, qui le défendrait ? », a dit le président iranien. « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est », a-t-il insisté.
La France demande une réunion du Conseil de sécurité
Les États-Unis sont opposés à une invasion terrestre du Liban et vont présenter des « idées concrètes » à leurs partenaires cette semaine à l’ONU pour apaiser ce conflit, a confié un haut responsable états-unien.
« Nous sommes au bord d’une guerre totale » au Liban, a de son côté averti le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, tandis que la France a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité durant cette semaine diplomatique déjà surchargée.
La Chine s’est dite mardi « profondément choquée » par les pertes humaines consécutives aux frappes israéliennes. « La Chine accorde une attention particulière aux tensions actuelles entre le Liban et Israël et est profondément choquée par le grand nombre de victimes causées par ces opérations militaires », a indiqué lors d’un point presse régulier Lin Jian, un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, en réponse à une question sur les attaques israéliennes. « La Chine s’oppose aux violations de la souveraineté et de la sécurité du Liban, et s’oppose et condamne toutes les actions qui portent atteinte à des civils innocents », a souligné le porte-parole.
Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, avait affiché lundi, lors d’une rencontre à New York avec son homologue libanais Abdallah Bou Habib, un ferme soutien au Liban. « Nous sommes fermement opposés aux attaques aveugles contre les civils », a indiqué le ministre, selon un communiqué diffusé mardi. « Quelle que soit l’évolution de la situation, nous serons toujours aux côtés de la justice, aux côtés de nos frères arabes, dont le Liban », a assuré le diplomate chinois.
Hadi Al-Sayed, journaliste libanais à Al-Mayadeen, a été tué lundi dans le bombardement de son domicile dans le sud du pays, a annoncé mardi le média en ligne.
mise en ligne le 24 septembre 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr
Depuis 5 heures ce matin, les routiers ont lancé des opérations escargots en soutien aux mobilisations contre la vie chère qui secouent la Martinique depuis plus de trois semaines.
« Une portion de la population se retrouve dans une misère extrême. Ce sont des personnes âgées seules avec de petites retraites, des enfants dont les parents n’arrivent pas à les nourrir correctement », expliquait une porte-parole du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), la semaine dernière à France24. Depuis le 1er septembre, le collectif multiplie les manifestations et les blocages devant les supermarchés de l’île. En Martinique, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, alors que plus du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’exigence d’un alignement des prix sur ceux de l’Hexagone, qui fédère de larges secteurs de la population martiniquaise.
Un mouvement qui ne cesse de s’étendre
En plus des actions de blocage devant des supermarchés et des affrontements émeutiers avec la police qui secouent régulièrement les quartiers de Sainte-Thérèse depuis début septembre, plusieurs professions se sont jointes au mouvement de protestation. La semaine dernière, c’étaient les taxis qui interrompaient leurs courses. Ce mardi, c’est au tour de l’Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles de Martinique (SMT Unostra). Le syndicat patronal appelle les routiers martiniquais à une opération molokoï ce mardi. Les chauffeurs ont donc lancé des opérations escargot sur plusieurs points de l’île ce matin, provoquant d’importants ralentissements.
Jeudi, ce sera au tour des salariés et de la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) de se mobiliser. En fin de semaine dernière, le syndicat a déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible couvrant l’ensemble des secteurs d’activité. « L’ensemble des agents de la Fonction Publique (Territoriale, Hospitalière, État), ainsi que les salariés des entreprises assurant une mission de service public, sont appelés à se joindre au mouvement », annonce la CGTM qui revendique « le relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2 000 euros nets par mois, l’indexation sur l’inflation et la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité ». Déjà la semaine dernière, les syndicats de la zone aéroportuaire appelaient à la tenue d’assemblées générales afin de préparer les travailleurs à une mobilisation générale. Ils dénonçaient notamment un « climat de violence, d’arrestations et de poursuites judiciaires, mis en place par l’administration préfectorale contre les manifestants pour la baisse des prix ».
La répression comme réponse aux demandes d’égalité
Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès le premier jour. Le 1er septembre, quelques heures avant le premier rassemblement du RPPRAC, un de ses responsables était interpellé par la police. Depuis, le préfet de Martinique a instauré un couvre-feu le 18 septembre, dans un contexte d’affrontements nocturnes avec la police dans certains quartiers de Fort-de-France. Un couvre-feu déjà étendu et prolongé jusqu’à jeudi.
Parallèlement, le gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie et de police en Martinique. Parmi eux, le déploiement de la CRS 8 sur l’île a créé un certain émoi et ravivé de vieilles blessures. Il s’agit en effet du premier envoi d’une unité de CRS en Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, où trois jeunes avaient été tués par la police. Un signal inquiétant que ne vient pas démentir les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Celui-ci, lors de sa prise de fonction lundi 22 septembre, n’a eu de cesse de marteler sa volonté de rétablir l’ordre.
Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.
Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.
Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?
Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…
Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?
Jiovanny William : Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.
Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?
Jiovanny William : Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.
Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.
Quel rôle a eu l’inflation ?
Jiovanny William : L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.
Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.
La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…
Jiovanny William : Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.
Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?
Jiovanny William : Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.
Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…
Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?
Jiovanny William : On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.
Le RN est-il une menace en Martinique ?
Jiovanny William : Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.
mise en ligne le 23 septembre 2024
https://lepoing.net/
Face aux manque de crédits alloués par l’État, les enseignants du collège des Salins à Villeneuve-lès-Maguelone, commune proche de Montpellier, appellent à un rassemblement mardi 24 septembre à 12 h 30
“Crédits pédagogiques inexistants”, difficulté à remplacer un vidéoprojecteur hors d’usage, manque de photocopieuses pour imprimer les cours, stocks de matériels non renouvelés rendant impossible des travaux pratiques en sciences, parents davantage mis à contributions pour acheter les livres à lire en français… La liste des griefs est longue pour les enseignants du collège des Salins de Villeneuve-lès-Maguelone, qui parlent de “collège en faillite”.
“Le chef d’établissement nous a présenté la situation telle quelle à la pré-rentrée, il nous avait dit qu’on avait même pas le budget pour les carnets de liaisons, mais finalement on les a eu”, décrit Fabienne Lecomte, professeure de musique au collège et syndiquée au SNES. “Pour l’instant, on peut encore tirer des photocopies, mais il faut supplier pour les avoir et on nous fait comprendre que ça ne pourra pas durer. On ne comprend pas, en décembre dernier, quand les budgets ont été arrêtés, on avait encore des fonds de roulement. Certaines matières sont de moins en moins dotées, moi par exemple, en musique, j’ai 50 euros pour cette année, ça va qu’on a déjà acheté des instruments à percussions les années précédentes…”
Dans leur communiqué appelant à un rassemblement devant le collège à 12 h 30 le mardi 24 septembre, les enseignants mettent en parallèle ce manque de moyens avec les “423 milliards consacrés à la loi de programmation militaire d’ici 2030, 160 millions pour la militarisation de la jeunesse via le SNU” et “un kit de 200 euros par élève financé pour moitié par les collectivités territoriales et l’État dans les écoles et les établissements qui « expérimentent » l’uniforme”.
Ils demandent donc que priorité soit faite à l’école publique, et exigent d’être reçus par le chef d’établissement, le Conseil départemental et l’inspection académique, et envisagent des mouvements de grève selon les réponses apportées. “Ceux qui en souffrent le plus, ce sont nos élèves”, souffle Fabienne Lecomte.
mise en ligne le 23 septembre 2024
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
Le récit d’une opposition entre deux stratégies de réduction du déficit dissimule un même objectif : appliquer une austérité massive au pays. Dans les deux cas, la destruction de l’État social et des services publics est assurée.
DepuisDepuis que, lors de sa première intervention télévisée le 6 septembre, le premier ministre Michel Barnier a indiqué qu’il ne « [s]’interdi[sait] pas plus de justice fiscale », les fuites se multiplient et les esprits s’échauffent. Après la publication d’informations de presse indiquant que le chef du gouvernement envisageait de relever quelques impôts pour aider à réduire le déficit, le camp macroniste s’est cabré sur son refus de toute hausse d’impôts.
Reste à savoir ce que cette bataille des récits signifie. Y a-t-il une véritable prise de conscience que les politiques de baisse d’impôts ont été un échec et sont intenables ? On pourrait le croire, alors que même le gouverneur de la Banque de France, le très orthodoxe François Villeroy de Galhau, a appelé dans un entretien au Parisien à « lever le tabou des hausses d’impôts ».
À bien y regarder, pourtant, on en est loin. Le débat ne porte pas sur la politique économique et son efficacité, mais uniquement sur les moyens de réduire le déficit public. La réduction du déficit devient donc le centre de gravité de la politique économique. Et c’est le premier piège de ce débat.
On entend souvent que, pour réduire le déficit, on a le choix entre les hausses d’impôts ou les baisses de dépenses. Et ce serait autour de ce dilemme que tournerait le choix politique français actuel. Rien n’est, en réalité, plus trompeur.
« Austérité expansive »
En réalité, le déficit français ne se résorbe pas parce que la politique de l’offre menée pendant sept ans par Bruno Le Maire a été un échec absolu : on a assuré un taux de rendement du capital supérieur à celui de la croissance en subventionnant entreprises et actionnaires. Mais l’État prend à sa charge cette différence et, comme cette hausse du taux de rendement ne conduit pas à une hausse de la croissance, alors le déficit ne se résorbe pas.
Le débat entre Michel Barnier et Gabriel Attal sur les « hausses d’impôts » évite soigneusement ce bilan. Il reporte le centre du choix sur des solutions qui ne prennent pas en compte le cœur du problème : la réduction systémique du potentiel de croissance, qui, au reste, n’est pas un fait propre à la France, et l’incapacité de la politique de l’offre à répondre à ce défi.
Lorsque le débat se résume à la manière de réduire le déficit, on part donc du principe que le déficit est le principal problème du pays. Et c’est cela le fondement même de la politique d’austérité. Ce qui est sous-entendu dans ce débat est que la réduction du déficit public va permettre de favoriser la croissance future et que, partant, la seule question est de savoir comment partager « l’effort temporaire ».
Ce sur quoi Michel Barnier, François Villeroy de Galhau et Gabriel Attal sont parfaitement d’accord est que la réduction directe du déficit permettra de « redresser le pays », bref ils sont d’accord sur ce que l’on appelait jadis « l’austérité expansive », laquelle avait été, en 2010, saluée par Jean-Claude Trichet et avait conduit aux erreurs de la crise européenne de 2010-2016. Or cette priorité mériterait discussion alors que les taux nominaux baissent, que la France n’a aucune difficulté à se refinancer et que le déficit provient d’un manque de recettes et non d’un excès de dépenses.
En se focalisant sur ce faux choix, un second piège se referme. La position de ceux qui, soudain, veulent lever les « tabous fiscaux » ne trahit pas une volonté de préserver les services publics, l’État social ou les classes moyennes. L’enjeu est évidemment politique. Michel Barnier et François Villeroy de Galhau ont une forme de lucidité qui manque cruellement aux élus macronistes. Ils savent que l’application d’une politique d’austérité sévère est impossible si elle n’est pas enrobée d’un discours de « justice fiscale » dans un pays qui a fortement soif de cette dernière.
La stratégie de contournement de Michel Barnier
Aussi leur stratégie est-elle la suivante. Relever légèrement quelques impôts, comme l’impôt sur les sociétés ou le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, voire en créer quelques-uns comme sur les « superprofits » afin de donner l’impression que les plus riches et les entreprises participent à l’effort. Et puisque l’effort est « partagé », alors il faudra que le reste du pays, c’est-à-dire les services publics et l’État social, apporte son écot.
De cette façon, on justifie une politique de réduction des dépenses tout en préservant le capital. D’abord parce que l’on propose des hausses d’impôts réduites : on évoque dans le meilleur des cas 5 milliards d’euros sur les 20 milliards de consolidation budgétaire envisagés pour 2025.
Or, rien que sur le premier quinquennat macron, les baisses d’impôts sur les entreprises étaient de 50 milliards d’euros par an, auxquelles s’ajoutent les baisses pour les ménages centrées sur les plus riches, comme la fin de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la fin globale de la taxe d’habitation et la mise en place du PFU. Ces hausses ne seront donc qu’une goutte d’eau.
Et cela sera d’autant plus vrai qu’elles permettront de ne pas ouvrir le débat sur les exonérations de cotisations, le vrai cœur de la politique de l’offre, ni sur les subventions diverses au secteur privé. Le capital en sera quitte pour un paiement modeste et on pourra passer aux choses sérieuses : la contraction des dépenses. Pour le dire crûment : la stratégie de Michel Barnier est de proposer au capital un paiement modeste pour non seulement sauver l’essentiel, mais aussi voir s’ouvrir de nouvelles « opportunités » par la destruction des services publics et de l’assurance sociale.
L’offre semble très attrayante et très raisonnable : payer quelques milliards pour sauver plusieurs dizaines de milliards de gains, des aides publiques massives et de futures possibilités de marchandisation, mais aussi pour imposer un récit qui justifie une austérité qui viendra frapper les ménages les plus fragiles.
On mesure donc en retour le niveau de fanatisation des macronistes, incapables d’envisager la possibilité de lâcher du lest à court terme. Tout cela est assez logique : le caractère dévastateur de la politique menée depuis 2017 fait qu’une part minime de la population en a profité au détriment des autres. Les élus macronistes s’attachent à ces gains. Les proches de Michel Barnier estiment que les dégâts sociaux et politiques sont tels qu’il faut une stratégie de contournement pour pouvoir poursuivre cette politique de classe.
L’ancien premier ministre britannique Rishi Sunak avait ouvert la voie de cette stratégie en 2022. En s’opposant aux baisses d’impôts de Liz Truss, il a relevé le taux de l’impôt sur les sociétés de 19 % à 25 % pour réduire le déficit. Mais cette décision ne va pas, en réalité, adoucir sa politique d’austérité, de même que certaines promesses de baisses d’impôts.
En imposant un débat dans ces termes, Michel Barnier et François Villeroy de Galhau tendent en réalité un piège à la gauche et à ses électeurs : celui de se laisser tromper par une « justice fiscale » de façade afin d’accepter un budget de violence sociale. Le danger n’est pas mince, car on accepterait alors l’idée que la réduction du déficit est bel et bien l’objectif prioritaire de la politique économique, au détriment des enjeux réellement centraux que sont la dégradation des services publics, la pression sur les salariés et la crise écologique. C’est dans ce piège que sont tombés les travaillistes britanniques, qui ont annoncé récemment leur propre politique d’austérité.
Des hausses d’impôts, pour quoi faire ?
En réalité, les hausses d’impôts sur le capital et les plus riches n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans une politique de transformation où la société parvient à s’extraire de sa dépendance à l’accumulation du capital. Dans le cas contraire, et particulièrement lorsque les hausses d’impôts ne servent qu’à réduire le déficit, elles prennent la forme d’un piège douloureux.
Bien sûr, la politique fondée sur les hausses d’impôts est plus attrayante qu’une politique se limitant à la seule baisse des dépenses publiques, c’est-à-dire à la destruction des services publics et de l’État social. Mais les hausses d’impôts sur la rentabilité du capital visant à réduire le déficit, et seulement cela, conduiront inévitablement à une réaction du capital.
La question n’est pas de savoir si les capitalistes peuvent supporter une hausse de leurs impôts – ils le peuvent indéniablement – mais bien plutôt de savoir s’ils accepteront sans broncher ou s’ils prendront des mesures de réduction de leurs coûts pour protéger leur taux de rendement et le but de toute production capitaliste, l’accumulation. Et ici, la réponse est évidemment négative.
Si donc on relève les impôts sans prendre des mesures parallèles de contraintes sur les entreprises ou de réorganisation de la production ou de soutien à la demande, ce que Michel Barnier n’envisagera jamais, alors on s’expose à un affaiblissement de la croissance, qui viendra encore augmenter la demande d’austérité sur les dépenses. C’est la politique qu’avait modestement menée François Hollande de 2012 à 2014 avant de rentrer dans le rang et de venir quémander la bienveillance du capital avec son « pacte de responsabilité » qui l’avait mené à réformer le marché du travail.
On pourrait résumer la situation de cette façon : la hausse des impôts pour réduire le déficit ne remet pas en cause le pouvoir du capital et sa capacité à diriger non seulement l’économie mais aussi la société. La raison en est simple : si toute la politique économique repose sur les recettes de taxes fondées sur le succès de l’accumulation du capital, alors la politique se soumet à cette logique. In fine, la société reste enchaînée au besoin de produire du profit, à n’importe quel prix.
Ces hausses d’impôts au nom de la « justice fiscale » peuvent même prendre la forme d’une piqûre de rappel du pouvoir du capital sur la société. Ceux qui, soudain, défendent la « justice fiscale » en sont conscients. Aussi faut-il toujours se souvenir que les hausses d’impôts sont des moyens et non des fins en soi. L’enjeu de ce pourquoi on augmente les impôts est plus important que la hausse elle-même. Il faut se méfier des ruses de ceux qui n’hésiteront pas à agiter la « justice fiscale » pour faire passer une politique de répression sociale.
mise en ligne le 18 septembre 2024
sur https://basta.media/
Une journée de grève interprofessionnelle est annoncée le 1er octobre par plusieurs organisations syndicales et de jeunesse. Des organisations de retraité·es seront aussi dans la rue pour exiger l’augmentation des pensions. Voici leur appel.
Nos organisations syndicales et de jeunesse appellent à manifester et à faire grève pour qu’enfin les urgences sociales, exprimées dans les mobilisations comme dans les urnes, soient entendues !
Retraites, salaires, services publics, c’est sur ces sujets centraux pour la population que nous pouvons gagner et arracher des victoires au moment où le président de la République et l’alliance jusqu’à l’extrême droite cherchent à imposer contre la volonté générale le maintien du cap libéral et autoritaire.
Nous avons été des millions à nous mobiliser pendant plus de six mois contre la retraite à 64 ans. Emmanuel Macron a décidé de passer en force mais a été sanctionné par une lourde défaite aux élections législatives. Nous pouvons donc maintenant gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
« Des moyens financiers et humains »
Nos salaires, pensions, bourses et minima sociaux ne peuvent plus régresser face à l’inflation ! C’est la raison pour laquelle nous rejoignons l’appel des organisations de retraité·es ce même 1er octobre pour exiger l’augmentation des pensions et des salaires, un Smic à 2000 euros et l’indexation des salaires sur l’inflation. Partout, dans les entreprises et les administrations, faisons grève pour obtenir l’augmentation de nos salaires et la fin des inégalités entre les femmes et les hommes !
Nos services publics sont à bout de souffle. Exigeons les moyens financiers et humains pour l’hôpital, les soins, l’éducation, l’enseignement supérieur, la recherche, l’environnement… pour permettre l’accès de tous et toutes à des services publics de qualité.
Les licenciements se multiplient dans l’industrie car les grands groupes continuent à délocaliser. Pourtant, les dividendes atteignent des records et, chaque année, 170 milliards d’euros d’aides publiques sont distribués sans contrepartie aux entreprises. Mobilisons-nous pour gagner l’arrêt immédiat de tous les licenciements, la relocalisation et la transformation environnementale de notre industrie !
« Rapport de force clair et massif »
Les jeunes sont parmi les premier·es à subir ces politiques de casse sociale. Il est urgent de mettre la jeunesse en protection sociale, de réformer le système des bourses et d’abolir la sélection à l’entrée de l’université.
Le 1er octobre marque le début des discussions sur le budget de l’État et de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale. C’est le moment de gagner qu’enfin les plus riches et les multinationales soient taxés pour financer nos services publics, la justice sociale et environnementale. C’est le moment de gagner l’abrogation de la réforme des retraites !
C’est maintenant qu’il faut peser et gagner. Ce ne sera possible que par un rapport de force clair et massif. Toutes et tous en grève le 1er octobre.
Signataires : CGT, FSU, Solidaires, Unef, Union étudiante, Union Syndicale Lycéenne
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Patrick Martin, le président du Medef multiplie les contacts avec les syndicats pour tenter de renouer un dialogue. La CGT, elle, entend maintenir le rapport de force avec la mobilisation du 1er octobre. Deux stratégies pour reprendre la main face à un exécutif aux abonnés absents.
Le public présent en nombre, dans un Forum social bondé, samedi 14 septembre, à la Fête de l’Humanité, dit tout de l’importance de l’événement. Durant près de deux heures, Patrick Martin (Medef) et Sophie Binet (CGT) ont exposé leurs points de vue, parfois âprement, sur l’actualité économique et sociale.
« Oui, il faut augmenter les salaires », a fini par concéder le patron des patrons, plutôt surpris des applaudissements. « Cela suppose que nos entreprises soient plus performantes d’un côté et que, d’autre part, on revisite nos régimes sociaux », a toutefois précisé Patrick Martin, pointant là l’un des nombreux désaccords avec la secrétaire générale de la CGT sur l’avenir de la protection sociale.
Côté patronat, ce débat illustre la volonté de Patrick Martin de renforcer le « dialogue social », mis à mal par plusieurs années d’accords défavorables au monde du travail et d’ingérence de l’État dans les rouages du paritarisme. « Je ne suis pas chaud pour le ménage à trois avec l’État », avait-il lancé lors des universités de rentrée du Medef.
Deux jours avant sa venue à la Fête de l’Humanité, le patron des patrons avait d’ailleurs convié les numéros un des centrales syndicales chez lui, dans la région lyonnaise, pour un dialogue informel à l’occasion des Worldskills, une compétition internationale des métiers. Les numéros un de la CFTC, Cyril Chabanier, et de Force ouvrière, Frédéric Souillot, avaient fait le déplacement, accompagnés de François Asselin, de la CPME.
Le budget 2025 dans le viseur
Face à un exécutif affaibli, les organisations syndicales et patronales entendent pousser leur avantage. La machine de la démocratie sociale avait été enrayée en avril, après l’échec des négociations sur l’emploi des seniors. Parmi les dossiers sur la table, l’assurance-chômage, alors que l’Élysée parie toujours sur la casse des droits des salariés privés d’emploi. D’ailleurs, depuis ce lundi 16 septembre, les collaborateurs du premier ministre Michel Barnier reçoivent à tour de rôle les organisations de salariés et d’employeurs.
Côté CGT, la feuille de route revendicative est connue : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, égalité femmes-hommes et défense des services publics. Ces mots d’ordre sont partagés par Solidaires et la FSU, qui appellent aussi à participer à la journée de mobilisation interprofessionnelle du 1er octobre, date butoir de la présentation du budget aux députés.
« Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation, nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter », prévient Sophie Binet dans un entretien à l’Humanité magazine.
Et la secrétaire générale de la CGT de conclure : « J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. » Le ton de la rentrée sociale est donné.
mise en ligne le 18 septembre 2024
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Ces prochaines années, 25 milliardaires français transmettront 460 milliards d’euros à leurs enfants. Mais, à cause des niches fiscales, l’État passera à côté d'un sacré pactole. Dans son dernier rapport, Oxfam chiffre le manque à gagner et alerte sur les conséquences de ce séparatisme des ultra-riches pour les finances publiques et la société française.
Chaque année, à l’approche de l’été, les Échos Patrimoine et Le Conservateur (une entreprise spécialisée dans la gestion des fortunes) nous servent le même sondage, assurant que « les Français sont toujours résolument hostiles aux droits de succession ». En juin dernier encore, 74 % des Français les estimaient trop élevés. Ce chiffre est repris partout, faisant de la fiscalité sur l’héritage l’impôt le plus impopulaire du pays.
« Mais c’est une manière de piéger et de verrouiller le débat public, il n’y a qu’à voir les intérêts de ceux qui ont commandé le sondage », rétorque Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France. Pour preuve, l’ONG, qui sort ce mardi un rapport sur la question, a commandé un autre sondage qui permet d’inverser la tendance : 60 % des Français se montrent favorables à une taxation plus forte des héritages les plus élevés – il suffisait de poser la question autrement.
Un totem de la droite
Mais la droite, et l’extrême droite en particulier, qui défend avec constance l’abolition de toute fiscalité sur la succession, s’est saisie avec opportunisme de l’impopularité de la question. « Ils osent même parler d’impôt sur la mort, déplore Vincent Drezet, fiscaliste et porte-parole d’Attac. Ils profitent du fait qu’on ne connaisse globalement pas le sujet jusqu’à ce qu’on soit directement concerné. » En effet, 75 à 80 % des héritages ne sont pas taxés du tout. Une proportion stable depuis une vingtaine d’années. Pourtant, l’écrasante majorité des Français continue de surestimer le taux d’imposition sur les successions.
Il y a une urgence politique à ce que la situation change. « Tout le débat public autour du projet de loi de finances à venir tourne autour des coups de rabot sur les services publics et des économies à réaliser. Avec ce rapport et nos préconisations, nous proposons de nouvelles recettes, indolores pour 98 à 99 % de la population », assure Cécile Duflot.
Quand 9 Français sur 10 touchent au maximum 100 000 euros d’héritage, 1 sur 1 000 hérite de 13 millions. Et grâce aux multiples niches fiscales dont ils bénéficient, le taux d’impôt moyen sur les successions des super riches est de 10 % seulement, alors qu’ils devraient se voir appliquer un taux marginal de 45 %, au-delà de 1,8 million d’euros hérités.
« Les plus riches sont obsédés par l’idée de transmettre leur patrimoine »
Adepte des chiffres chocs, Oxfam a calculé que, ces prochaines années, l’optimisation fiscale de l’héritage des milliardaires français qui ont plus de 70 ans ferait perdre 160 milliards d’euros aux caisses de l’État. Ceux-ci ne sont que 25, mais ils vont transmettre plus de 460 milliards d’euros de patrimoine à leurs héritiers.
Théoriquement, si l’on appliquait un taux de prélèvement maximal à 45 %, plus de 200 milliards de revenu fiscal reviendraient aux caisses publiques. De quoi remédier au déficit budgétaire. Mais comme, en moyenne, les successions les plus riches ne sont imposées qu’à 10 %, les finances publiques ne devraient même pas récupérer 50 milliards…
Deux niches fiscales sont particulièrement nocives pour les recettes de l’État. L’assurance-vie, le produit d’épargne très apprécié, permet de transmettre 152 000 euros nets d’impôts lors d’une succession et de payer un taux réduit sur le reste. Dans son rapport « Repenser l’héritage », paru fin 2021, le Conseil d’analyse économique estimait que cet abattement représentait un manque à gagner de 4 à 5 milliards d’euros par an pour l’État.
Le pacte Dutreil permet aussi de transmettre son entreprise, comme ses actions (y compris des titres boursiers détenus partout dans le monde), avec un abattement fiscal de 75 %, et ce, sans plafond. « À l’origine, cette disposition était prévue pour permettre la continuité de l’activité. Mais ce qui peut se comprendre pour la transmission d’une boulangerie à ses enfants ne peut pas être mis sur le même plan pour des actions LVMH », explique Layla Abdelké Yakoub, autrice du rapport d’Oxfam ; 40 % du montant total transmis via ce pacte Dutreil concernent des successions de plus de 60 millions d’euros… L’absence de plafonnement de la mesure apparaît d’autant moins justifiable.
« Les plus riches sont obsédés par l’idée de transmettre leur patrimoine », remarque Vincent Drezet. Et quand les dispositions françaises ne suffisent pas, ceux-ci vont voir l’offre des pays voisins. « La Belgique était un temps très à la mode, puisqu’il y a une exonération d’impôt sur la transmission des actifs professionnels, poursuit le porte-parole d’Attac. Mais, ces dernières années, le Portugal promet aux retraités français qui y ont acheté de l’immobilier et qui y résident depuis dix ans un taux imbattable d’imposition à zéro pour cent sur leur succession. »
Vers une France des héritiers
Ce rapport d’Oxfam répond à une urgence démographique tout autant que politique. La part de la fortune héritée dans le patrimoine des Français est désormais de 60 % (c’était 35 % en 1970) et cette tendance devrait s’aggraver, car les baby-boomers ont accumulé 20 % de patrimoine de plus que les générations précédentes.
On le voit déjà chez les ultra-riches : 7 des 9 Français devenus milliardaires en 2024 sont des héritiers de grandes familles, des dynasties Dassault, Rocher et Louboutin en l’occurrence. Et la moitié des milliardaires du pays ont désormais plus de 70 ans. Plus que jamais et si la fiscalité ne bouge pas, la France va devenir une société d’héritiers. Ce constat fait consensus puisque le premier à avoir lancé l’alerte est le Conseil d’analyse économique, rattaché à Matignon.
Dans ses préconisations, Oxfam défend un impôt plus juste et progressif. « Nous voulons rendre la fiscalité sur l’héritage populaire ! » lance ainsi Cécile Duflot. Ce qui implique de mettre fin à des bizarreries comme celle de la faible taxation des successions directes (parents et grands-parents) par rapport aux indirectes (frères et sœurs, oncles et tantes), bien plus imposées. « Ce n’est pas normal d’être proportionnellement plus prélevé lorsqu’on hérite de 15 000 euros de sa tante sans enfant, que lorsqu’on reçoit 15 millions de ses parents », tance la directrice d’Oxfam.
L’ONG propose aussi de réformer les niches fiscales, d’instaurer un plafond de 2 millions d’euros au pacte Dutreil et de supprimer l’abattement spécifique aux assurances-vie. Se fondant sur les chiffres du Conseil d’analyse économique, Oxfam estime que ces quelques mesures permettraient de récupérer entre 9 et 19 milliards par an, selon l’endroit où l’on place les curseurs. Soit de doubler l’efficacité de l’impôt sur l’héritage. Dont 7 milliards sur le magot des milliardaires.
>
mise en ligne le 17 septembre 2024
Anthony Cortes sur www.humanite.fr
Au-delà des invectives et des petites phrases échangées entre eux, cette joute ouvre un débat de fond pour l’ensemble de la gauche. Doit-elle concentrer ses forces sur un électorat bien précis et acquis ou élargir sa cible vers des terres plus hostiles ?
« Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaires, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis, ce n’est jamais perdre son temps ! » a clamé François Ruffin à l’Agora de la Fête de l’Humanité, ce samedi 14 septembre.
Terminé le temps des salamalecs. Entre Jean-Luc Mélenchon, fondateur de la France insoumise, et François Ruffin, député Picardie debout ! (et ex-FI) de la Somme, l’heure est plutôt aux clés de bras, à l’affrontement stratégique. « Il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires ! a lancé le premier lors de la manifestation du 7 septembre. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps. Là, se trouve la masse des gens qui ont intérêt à une politique de gauche. »
Une position qui n’est pas née à cette occasion. En novembre 2023, lors d’un colloque de l’Institut La Boétie, le fondateur de la FI déclarait : « Le gros de la troupe, qui va nous faire gagner, ce sont les quartiers populaires où on vote pour nous à 80 % au premier tour, mais où 30 % seulement vont voter. Si nous montons à un niveau égal à celui de la participation du reste de la société, nous avons gagné. »
Une ligne que François Ruffin déplore, au point de signaler son « désaccord moral et électoral profond ». « Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaires, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis, ce n’est jamais perdre son temps ! » a-t-il clamé à l’Agora de la Fête de l’Humanité, ce samedi 14 septembre, lors d’une discussion vive mais constructive sur la question.
Créer des ponts ou les couper
Au sujet de ces débats, le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, observe que « la classe ouvrière existe autant dans les campagnes que dans les banlieues. La gauche doit s’adresser aux classes populaires, à une partie de la France qui s’en détourne. La question du travail doit être centrale et nous permettre de rassembler tous les Français ». Comment ? En créant des ponts à partir de problématiques communes, selon lui : « Les déserts médicaux sont partout. Quand la classe des riches mène une guerre sociale, c’est contre les classes populaires. »
En effet, la France rurale n’est plus uniquement paysanne depuis longtemps. Désormais, les classes populaires, garnies d’ouvriers, sont nombreuses dans deux espaces : les banlieues des métropoles, mais aussi dans la ruralité. Comme le décrit le sociologue Julian Mischi dans ses travaux, plus on s’éloigne du cœur des agglomérations, plus la part des ouvriers dans la population augmente.
Si elle est de 14 % dans l’agglomération parisienne et de 22 % dans les autres métropoles, elle dépasse 25 % dans le périurbain et 30 % dans les zones rurales… Si les deux espaces, quartiers et campagnes, s’abstiennent massivement, reste une différence majeure : les premiers votent à gauche, les seconds à l’extrême droite.
À la ligne de Roussel et Ruffin, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, répond : « J’assume de dire que nos efforts doivent se poursuivre contre l’abstention chez les jeunes et dans les quartiers populaires. » Et si certains pensent qu’il faut « prioritairement » aller chercher d’autres électeurs, « qu’ils le fassent » ! « Nous sommes dans une coalition où chacun essaye d’apporter sa pierre à la réussite du NFP », indique-t-il, tout en soulignant que les jeunes et les plus pauvres n’habitent pas que dans les grandes villes.
Reste que, dans son livre Itinéraire, ma France en entier, pas à moitié, François Ruffin accuse Jean-Luc Mélenchon d’être devenu « un épouvantail à électeurs » en dehors des banlieues. Donc de pénaliser la gauche.
Ruralité et vote RN
Raphaël Arnault, député FI du Vaucluse, refuse, lui, « d’aller convaincre des racistes », mais appelle à « obtenir des victoires sociales », notamment avec les associations antiracistes, pour changer la donne. À la différence de Jean-Luc Mélenchon ce samedi 14 septembre, qui, se penchant sur le fort taux de vote RN dans les zones rurales, a déclaré : « C’est une erreur de penser que l’on peut voter facho alors qu’on est juste fâché. Et ne croyez pas ceux qui disent qu’il suffit de dire à quelqu’un ”viens, on va se battre pour de meilleurs salaires, un meilleur service de santé, pour l’école“ pour qu’il dise aussitôt ”ah, je ne suis plus raciste“. » Les mouvements sociaux sont pourtant, de façon historique, des vecteurs de conscientisation de classe : il est faux de dire que la lutte n’apprend rien.
La gauche doit-elle donc renoncer à tenter de convaincre l’électorat populaire et rural du RN ? D’autant que, selon le sociologue Félicien Faury, celui-ci se « solidifie progressivement » à mesure qu’il se « normalise »… « Dans les quartiers comme dans les villages, il y a un sentiment d’impuissance, de relégation, un besoin d’être considéré comme les autres, une disparition des services publics qui construit l’isolement, mais aussi une identité de soi de moins en positive, observe Marie Pochon, députée EELV de la Drôme. S’investir pour créer des ponts, ce n’est pas abandonner la radicalité d’un projet antiraciste, écologiste, social et égalitaire, c’est tout le contraire. » Le débat est ouvert.
Anthony Cortes sur www.humanite.fr
Invités à réfléchir à l'union des classes populaires pour battre le Rassemblement national, Raphaël Arnault, François Ruffin, Marie Pochon et Nicolas Sansu ont débattu, parfois vivement, de cette urgence vitale pour la gauche.
Il y a des repas de famille plus agités que d’autres. Alors que la gauche peine à séduire les classes populaires, préférant bien souvent l’abstention massive ou le Rassemblement national, quatre de ses représentants élus face à des candidats d’extrême droite étaient réunis ce samedi à l’Agora de la Fête de l’Humanité pour répondre à une question essentielle pour conquérir le pouvoir. Comment unir les classes populaires pour défaire le RN ? Autour de la table, les députés Marie Pochon (Les écologistes), Nicolas Sansu (PCF), François Ruffin (Picardie debout) et Raphaël Arnault (FI).
Quelques jours après la sortie de François Ruffin dans L’Obs, déclarant qu’un « désaccord électoral et moral s’est creusé avec Jean-Luc Mélenchon » à la suite des propos du leader insoumis appelant à « mobiliser la jeunesse et les quartiers populaires » et à « laisser tomber tout le reste », c’est peu dire que le député de la Somme était attendu par les militants insoumis et leur représentant du jour, Raphaël Arnault, élu dans le Vaucluse. Dès son entrée en scène, à l’annonce de son nom, des huées se sont largement fait entendre, mêlés aux applaudissements tout aussi nombreux. Résultat : une atmosphère volcanique. Jusqu’à la première prise de parole de l’insoumis.
Le racisme, principale épine dans le pied
Soulignant l’utilité d’un tel débat « dans une période de clarification politique », Raphaël Arnault a tout d’abord tenu à se faire le porte-voix « d’une colère qui s’agite dans la salle ». « François, je te le dis avec la plus grande sincérité : tu as blessé énormément de camarades, notamment la jeunesse, lance-t-il alors. Pour pointer le problème de ce que cela veut dire politiquement, notamment sur la question antiraciste, plus que jamais centrale. Si on esquive cette question, on est mort ».
Et de poursuivre, tout en rappelant à l’ordre les militants les plus véhéments « parce que le but est à l’échange » : « Tu es dans la faute politique. Diviser les classes populaires entre elles n’est pas la bonne façon d’entrevoir la période politique. La principale épine dans le pied, c’est ce racisme qui pollue les classes populaires. Je voudrais qu’on arrête cette illusion qui dirait que, tout d’un coup, un vote d’extrême droite est apparu. Non, il y a un vote de droite historiquement fort dans les classes populaires rurales, et ce vote se radicalise ».
« Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis ce n’est jamais perdre son temps »
Comment poursuivre la lutte, selon lui ? « Ce qu’on a à faire, ce n’est pas d’aller séduire des racistes, tranche-t-il. C’est d’obtenir des victoires sur le terrain social en tendant les bras aux mouvements antiracistes ». Une prise de parole conclue par la reprise en choeur de Siamo tutti antifascisti. Un chant qui n’était pas dirigé vers François Ruffin.
Le député de la Somme a rapidement répondu à Raphaël Arnault. Tenant en premier lieu à le « féliciter » pour sa victoire, tout en lui demandant : « Veut-on vraiment unir les classes populaires ? C’est la première question. Et là, j’ai un désaccord moral et électoral profond dans la durée avec Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise ». Une première prise de parole qui provoque autant de défiance que d’adhésion dans l’assistance.
« Mettons les choses sur la table, annonce-t-il. Quand il dit qu’il faut tout faire pour la jeunesse et les quartiers populaires et le reste on laisse tomber, qui ici est d’accord avec cette ligne ? Levez les mains ! ». Seule une poignée de mains se lèvent. « Voilà ! Vous pouvez me huer, mais vous savez, en 2022, au lendemain des législatives, alors que dans ma Picardie il y avait zéro députés avant, on en a eu huit. Le midi rouge ? Basculé à l’extrême droite ! Le médoc, des terres ouvrières, populaires, qui ont envoyées des députés socialistes et communistes pendant un siècle à l’Assemblée nationale ? Basculé. Le choix de Jean-Luc Mélenchon est suicidaire, il ne nous permet pas d’être majoritaire, c’est un choix de l’abandon et de la défaite. Il nous faut tout faire pour toutes les classes populaires. Il s’agit de ne laisser tomber personne. Gagner en Picardie comme en Seine-Saint-Denis ce n’est jamais perdre son temps ».
Et d’ajouter, cette fois uniquement sous les applaudissements : « C’est un danger pour les quartiers populaires et pour les personnes racisées d’être isolées politiquement du reste du pays. Il nous faut les raccrocher. Face à une extrême droite qui construit des murs, le rôle de la gauche est de détruire ces murs. Il y a un immense commun entre les quartiers populaires et les campagnes populaires. Il y a un chemin pour les unir ».
Convaincre en dehors des cercles de la gauche
Des intentions auxquelles souscrit Marie Pochon, députée de la Drôme, s’appuyant sur sa campagne victorieuse en 2024 : « Je ne perds rien de ma radicalité et qui anime l’ensemble de mes engagements, mais pour gagner, il me faut aller chercher plus loin que les seules voix de gauche. Sinon, la prochaine fois, ça ne passera pas. Il faut aller convaincre des gens qui ont mis des bulletins de vote différents qu’on a perdus au fil des échéances électorales. Et c’est particulièrement important dans les territoires ruraux. Il faut aller convaincre en dehors de nos cercles ».
Si, selon elle, « dans les villages », il n’y a plus de « fierté d’exister », en dehors du fait de se dire « vrai français », ou « vrai bonhomme », « il y a beaucoup de choses à déconstruire, mais il faut mener ce travail ». « Et faire ça, ce n’est pas abandonner la radicalité de notre projet », précise-t-elle.
« Il faut unir, rebondit Nicolas Sansu, député PCF du Cher. Aujourd’hui, beaucoup raisonnent entre ‘nous’ et ‘eux’. Il faut faire que le ‘nous’ soit un combat collectif contre un ‘eux’ qui représente les 500 plus grosses fortunes qui s’enrichissent comme jamais depuis qu’Emmanuel Macron est président. Là on fait des ponts entre toutes les classes populaires ! ».
En se tournant vers Raphaël Arnault, l’élu communiste avertit : « Il ne faut pas faire d’anathèmes. Ici, il n’y a que des combattants pour le progrès social. Surtout, il faut être lucide : quoi que l’on dise, nous avons perdu toute une partie de notre pays. ne pas le voir serait un drame. Dans tous les territoires désindustrialisés, nous avons perdu la bataille idéologique. Il faut se battre pour recréer des solidarités. Pour cela, nous devons nous ouvrir davantage aux associations, aux syndicats, au peuple. C’est cela qui donnera un projet politique pour tous ».
L’antiracisme partout
« Croyez-vous aux “fâchés pas fachos” ? », demande-t-on ensuite à Raphaël Arnault. « Je pense que vous connaissez la réponse, évacue-t-il d’un rire. Accordons-nous sur une chose : nous avons tous conscience que toute personne qui met un bulletin RN dans l’urne n’est pas un néo-fasciste en puissance. En revanche, nier qu’ils sont racistes, c’est gravissime ».
Marquant un temps d’arrêt, il revient sur sa campagne. « Certains camarades m’ont dit : attention, tu parles trop d’islamophobie, d’antiracisme… On a tellement intégré le discours des réactionnaires et des classes possédantes, qu’on en vient à réfléchir comme eux. Mais on ne doit pas reculer sur ces questions, comme on ne doit pas le faire sur le sujet de la Palestine ! ».
François Ruffin reprend la parole. « Je m’adresse à vous avec gravité. Nous avons obtenu un répit, une dernière chance, mais pas plus. La lame de fond en faveur du RN, elle se poursuit. Cela doit nous demander du sang froid pour trouver la meilleure stratégie, lance-t-il, sous des applaudissements qu’il interrompt, justifiant ne pas « chercher les applaudissements ». L’antiracisme, il est évident et permanent quand on est dans un coin comme le mien. Quand on défend les usines de Picardie, on sait que bon nombre de salariés sont des racisés. Quand on défend les auxiliaires de vie, les aides à domicile, on défend à la fois les femmes racisées qui exercent ces fonctions dans les métropoles que les femmes blanches qui font les mêmes métiers dans les campagnes. Et quand j’ai défendu Whirlpool, qu’est-ce que j’entendais ? Que c’était la faute des étrangers. Qu’est-ce que je fais ? Je réponds à ce qu’ils disent, mais ça ne suffit pas. Je reviens avec un tract qui parle de leur PDG, de son immense baraque, de ses moyens, et je raconte ça. Il faut des images pour leur montrer qui est leur véritable adversaire. Et c’est un autre que celui que leur montre la télé. Non ce n’est pas l’immigré, ce sont ceux qui se gavent ».
Et de terminer, plaisantant autour d’une ambiance qui se « réchauffe » largement : « Si on veut unir les classes populaires, il est évident qu’il faut combattre le racisme pour casser les barrières ». En coulisses, néo et ancien insoumis se serrent la main. Et tous les débatteurs en conviennent en sortie de scène : « On s’est dit les choses ».
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
À la Fête de l’Huma, les militants de gauche, en première ligne pour voir la vague Rassemblement national se reconstituer, racontent leurs confrontations concrètes aux agressions de l’extrême droite. Au même moment pourtant, la gauche se divise, à leur grand dam.
Brétigny-sur-Orge (Essonne).– Du sursaut au sursis, du sursis au fiasco ? Il y a trois mois, la formation du Nouveau Front populaire (NFP) pour présenter des candidatures uniques aux législatives anticipées et endiguer la menace d’une prise de pouvoir du Rassemblement national (RN) avait suscité un immense espoir. Une campagne militante inédite sur tout le territoire permettait à cette coalition inespérée de la gauche et des Écologistes d’arriver en tête le 7 juillet, provoquant un ample soulagement.
Depuis pourtant, les nuages s’amoncellent au-dessus de l’alternative émergente. Non seulement Emmanuel Macron a fait le choix de fouler aux pieds le résultat des urnes en nommant Michel Barnier à Matignon, mais l’alliance menace de s’effondrer sur elle-même. Nulle manifestation commune le 7 septembre pour dénoncer le coup de force du président ; nulle journée parlementaire commune du NFP ; nulle position commune sur la destitution ou la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites que le RN entend présenter dans sa niche parlementaire le 31 octobre (LFI a annoncé déposer sa propre proposition à ce sujet dans sa niche, tandis que le communiste Léon Deffontaines a laissé entendre qu’il fallait voter celle du RN)…
Pire : après les coups de boutoir des opposant·es à Olivier Faure au Parti socialiste (PS) pour rompre l’union en se séparant de La France insoumise (LFI), c’est maintenant François Ruffin, député de la Somme en rupture avec LFI, qui instruit son procès. Non pas que des débats de fond à gauche n’ont pas lieu d’être, mais le moment et les mots sont parfois particulièrement mal choisis.
Les médias Bolloré et les caciques du RN se disent à raison qu’ils n’ont plus qu’à écouter siffler les balles jusqu’à la prochaine dissolution. « Je suis convaincue qu’il y aura à l’issue de ces dix mois des nouvelles élections législatives », a d’ailleurs savouré Marine Le Pen lors de la rentrée parlementaire du RN. À la Fête de l’Huma ce week-end, où le débat acrimonieux entre François Ruffin et Raphaël Arnault (député LFI du Vaucluse) a étalé ces fractures au grand jour samedi, l’humeur militante était donc maussade.
Des nouvelles du front
À 66 ans, Pascal Morandi se dit « plus malheureux qu’en colère » de voir son département du Cher, autrefois rouge vif, virer au brun d’élection en élection sans que les états-majors des partis de gauche ne semblent en prendre la mesure. « D’autant plus que je suis d’origine immigrée, ça prend aux tripes ! », dit-il en évoquant son grand-père, qui avait fui le fascisme en Italie. Il ajoute, comme pour opposer un retour de terrain aux théories surplombantes qui s’esquissent sur le sujet : « Les gens qui votent RN ne le font pas “pour essayer”, ce sont des racistes dans l’âme, c’est tout. »
Militant au Parti communiste français (PCF) depuis vingt ans, après s’être remis de longues années d’alcoolisme – il est désormais un des responsables de l’association Vie libre, qui lutte contre les addictions –, Pascal Morandi raconte comment l’ambiance dans son petit village berrichon de cent habitants s’est transformée : « C’est très difficile à vivre, comme une imprégnation progressive. Avant quand je collais des affiches, les tracteurs s’arrêtaient, on discutait. Aujourd’hui, je ne le fais plus tout seul, et toujours en plein jour, car c’est devenu risqué. » Aux législatives, la digue contre le RN a encore tenu dans le département, mais de justesse.
Sa « musette de combat » en bandoulière et l’insigne des républicains espagnols rivé au revers de sa veste, le militant narre, les larmes aux yeux, le jour où son grand-père l’a amené, à sept ans, voir un ami à lui rescapé des camps de la mort : « Je n’ai pas dormi pendant plusieurs nuits. Voilà pourquoi aujourd’hui je ne peux pas voir le RN en couleur. Et face à ça, il n’y a pas d’autre solution que l’unité populaire. »
Autant dire que l’attitude des dirigeant·es de gauche ces dernières semaines le laisse dubitatif : « Quand Jean-Luc Mélenchon dit qu’il faut laisser tomber le travail militant en dehors de la jeunesse et des quartiers populaires, il ne m’aide pas sur le terrain, même si je suis très heureux qu’il y ait une jeunesse qui soit prête à en découdre », dit-il.
Le discours de François Ruffin, ami du député communiste du Cher Nicolas Sansu, ne le laisse logiquement pas insensible, même s’il se garde des hommes providentiels. Toujours est-il qu’il alerte sombrement : « Les chiffres d’attaques contre des mosquées et des synagogues sont éloquents. Les conditions d’un soulèvement fasciste sont réunies. » Beaucoup des sympathisant·es de gauche rencontré·es à la Fête de l’Huma, qui ont tracté, fait du porte-à-porte et argumenté comme jamais pendant les législatives anticipées sont hanté·es par les mêmes angoisses.
Sarah, travailleuse sociale de 44 ans, bleu de travail des Rosies (un collectif qui milite pour les droits des femmes) sur le dos, raconte avoir vécu un surprenant contraste quand elle a déménagé de banlieue parisienne il y a quelques années pour aller vivre dans un village rural en périphérie éloignée de Rennes, d’où elle est originaire, avec son conjoint d’origine sénégalaise et leurs trois enfants. Au collège, sa fille métisse de quinze ans lui raconte les insultes racistes qu’elle entend, et ses camarades qui souhaitent à voix haute la victoire de Jordan Bardella.
« Quand on a vu la carte du résultat des européennes, entièrement marron avec quelques minuscules points roses, on s’est dit : “Merde, dans tous nos bleds le RN arrive en tête, que s’est-il passé ?” », relate-t-elle en sirotant un café dans les allées de la Fête.
Quand elle refait le film du NFP, son visage s’illumine : la victoire libératrice du 7 juillet vécue en direct avec les quelques couples mixtes du village, l’accord sur Lucie Castets pour Matignon, le coup de maître de Jean-Luc Mélenchon proposant un gouvernement du NFP sans LFI… Mais il s’assombrit quand vient la suite : le déni démocratique d’Emmanuel Macron, les vieux loups du PS qui font tanguer l’alliance, Ruffin qu’elle « adore », mais dont les dernières sorties « alimentent la critique du NFP »… Désormais, la peur a repris le dessus.
« Je crains qu’on se dirige vers une société en silos, avec les fans de tuning que je ne rencontrerai jamais d’un côté, et les gauchos qui font de la vannerie en osier de l’autre. La gauche doit faire en sorte que ces mondes se rencontrent, sinon c’est la haine qui va l’emporter », défend-elle, très pessimiste sur l’avenir politique de la France, en enjoignant les cadres nationaux des partis à davantage écouter leurs élus locaux.
Un problème de leadership
Toutes et tous déclarent leur amertume de constater qu’une fois de plus, le NFP pourrait n’avoir été qu’un réflexe de survie des appareils partisans, et que ces derniers retombent dans une guerre fratricide pour s’imposer aux autres. C’est le cas de Clara et Alicia, deux amies d’enfance de 24 ans originaires du Vercors, attablées au soleil en face du stand du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).
La première est étudiante à Sciences Po Paris, la seconde diplômée d’école d’architecture à Grenoble (Isère). « À chaque échéance électorale, l’omniprésence du RN se confirme, mais c’est comme si les partis l’oubliaient dans l’intervalle. Pourtant la vague RN est là depuis sept ans, et les militants d’extrême droite se sentent désormais autorisés à passer à l’acte », dénoncent-elles.
Toutes deux sont convaincues qu’il faut prendre acte que le vote RN est un vote d’adhésion raciste, et qu’il faut prendre à bras-le-corps la lutte antiraciste sans céder aux intimidations d’un paysage médiatique de plus en plus droitier.
Aussi voient-elles d’un mauvais œil les tentatives de recomposition à gauche autour d’une ligne plus consensuelle incarnée par le PS. « Lucie Castets a un profil consensuel sur les services publics, mais j’aimerais l’entendre sur les sujets qui font plus mal, comme l’antiracisme. On a beau diaboliser le discours de Jean-Luc Mélenchon, ça parle aux gens, ce n’est pas peanuts », plaide Clara, qui s’est mobilisée pour la Palestine à Sciences Po.
Elles aspirent à ce que la gauche tienne tous les bouts, qu’elle ne cède pas aux stéréotypes opposants les bourgs et les tours, et surtout qu’elle ne soit pas « attentiste » dans la lutte contre le RN.
Devant l’immense stand de la fédération du Nord du PCF, Nicole et Philippe, retraités de 64 et 69 ans, sont bien placés pour partager cette inquiétude. Le couple réside dans une commune située à vingt kilomètres d’Arras (Pas-de-Calais). « Maintenant, quand on dit qu’on est du Pas-de-Calais, les gens nous disent : “Ah oui, le pays de Marine Le Pen”. C’est douloureux, avant c’étaient les mines ! », rappelle Philippe, qui travaillait comme responsable de fabrication à Stora Enso, une des plus grandes usines françaises de papier, qui a fermé en 2014.
Ces sympathisants communistes, « enfants de fermiers gaullistes », ont encore les années Hollande en travers de la gorge, et se méfient toujours du PS. Ils témoignent de l’enracinement du RN qui ne cesse de labourer le terrain près de chez eux. Encore récemment ils ont aperçu, stupéfaits, Jordan Bardella dans le petit village de Lécluse, dans le Nord. « Autour de chez nous, on voit des affiches “Devenez patriotes”, et il y a même des chasseurs qui prétendent faire la “chasse aux migrants” », narrent-ils, dépités. Eux continueront de tenir la digue, « contre les racistes, les pétainistes, les copains de Poutine et de Trump ».
S’ils n’ont rien contre Jean-Luc Mélenchon, qui les a parfois « épatés », ils jugent qu’il ferait mieux maintenant de se mettre en retrait. D’autant plus depuis qu’il a suggéré de ne plus miser que sur la jeunesse et les quartiers populaires : « Qu’un orateur pareil puisse dire ça, c’est triste », regrettent-ils. Ils lui préfèrent une autre équipe : « Roussel, Ruffin, Tondelier. C’est le noyau de dirigeants pour les gueux ! », rigolent-ils.
En filigrane, le problème de leadership de la gauche remonte à la surface de ces témoignages. Si toutes et tous souhaitent l’union de la gauche pour 2027 – et peut-être plus tôt si nécessaire –, aucune personnalité ne s’impose et les partis eux-mêmes sont tétanisés par leurs tensions internes sur cette question.
Pourquoi ne pas miser sur Lucie Castets, sur laquelle le NFP s’est mis d’accord pour Matignon ? « Lucie Castets, c’est un bon compromis, c’est une jeune femme de conviction dans laquelle beaucoup pourraient se reconnaître », espère Nicole. Ruffin aussi, lui semble capable. D’ici là, il faut que l’union tienne. Et la partie n’est pas gagnée.
mise en ligne le 17 septembre 2024
Rosa Moussaoui, Sébastien Crépel et Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Diplomatie Loin de la rhétorique néoconservatrice qui prévaut dans son camp, à droite, Dominique de Villepin plaide pour un nouvel ordre mondial fondé sur la justice et sur la paix.
Comme chef de la diplomatie, il fut, en 2003, le visage du « non » à la croisade de George W. Bush en Irak. Il fait aujourd’hui entendre une voix critique sur les questions internationales, dénonçant la guerre d’anéantissement que livre l’État d’Israël aux Palestiniens de Gaza, plaidant pour une relation nouvelle avec le Sud, appelant à privilégier la diplomatie plutôt que le recours à la force pour résoudre les conflits. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin était, dimanche, l’invité de l’Agora à la Fête de l’Humanité.
« Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang/Vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair/Mais le ciel et l’air/Sont les mêmes pour vous et pour nous. » Que vous inspirent ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwich ?
Dominique de Villepin : La poésie nous rappelle à la conscience de notre humanité commune. Nous avons tous le même devoir : arrêter cette escalade meurtrière. Le 7 octobre, ne l’oublions pas, c’est 1 200 morts et plus de 240 otages. À partir de là, l’engrenage de la vengeance sans limite, sans proportion, a conduit, à Gaza, à ce bilan effarant de 40 000 morts, dont 30 000 femmes et enfants, issus de la population civile. Ce bilan, qu’il nous faut regarder en face, est lié à un choix de réponse par la force de la part d’une démocratie soutenue par les États-Unis et par les autres démocraties.
Alors même que nous aurions la capacité, et c’est cela que je trouve particulièrement révoltant, d’introduire de la mesure dans la réponse israélienne. D’abord, parce que nous aidons économiquement Israël, y compris sur les territoires de la colonisation. Ensuite, parce que nous apportons à ce pays une aide militaire – c’est particulièrement vrai s’agissant des États-Unis. Et nous le faisons, en quelque sorte, en fermant les yeux sur cet engrenage de la violence dont nous savons qu’il ne peut conduire à rien.
Ceux qui plaident pour continuer la guerre, pour aller « jusqu’au bout », oublient une réalité fondamentale. Nous sommes dans une guerre dite « contre le terrorisme » qui ne peut être gagnée en employant le seul langage de la force. Surtout si cette logique de force est sans objectif politique. Benyamin Netanyahou répète que son but, c’est l’éradication du Hamas. Il est contredit par son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui dit lui-même que le Hamas a été désarmé.
À Gaza, tous les services de renseignements disent que le point d’achoppement des négociations, le corridor de Philadelphie, dans le sud de Gaza, n’a pas lieu d’être maintenu par Israël. Sur ce point, une entente est possible : on pourrait engager un cessez-le-feu qui permettrait de libérer de nombreux otages, comme cela a été possible une première fois. Mais le gouvernement Netanyahou cherche surtout à se maintenir au pouvoir. Le premier ministre israélien joue sa survie personnelle et judiciaire. D’où la persistance d’une politique ultraconservatrice et fondamentaliste, celle de Ben-Gvir et Smotrich, auxquels il est associé. Cet engrenage de la violence est sans issue.
Entre les victimes du 7 octobre et celles de Gaza, partagez-vous le constat d’un double standard, d’une empathie sélective ?
Dominique de Villepin : Le drame, c’est l’invisibilisation de la mort à Gaza. Il ne s’agit pas de nier l’horreur, ni la barbarie du 7 octobre. Mais tous ces morts ont un visage. Tous ces morts s’inscrivent dans un lignage, dans un souvenir. Comment fait-on son deuil de ces morts qui n’existent pas ?
Vous avez cité Mahmoud Darwich ; je garde la mémoire des vers de Paul Celan : « Alors vous montez en fumée dans les airs/alors vous avez une tombe au creux des nuages. » Quelles sont les sépultures de ces enfants et de ces femmes à Gaza, dans un territoire où même les cimetières sont bombardés ? Heureusement, il reste une conscience internationale. Tous, nous avons le devoir d’ouvrir les yeux.
La France apporte son soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou. Comment pourrait-elle retrouver une voix crédible, indépendante, écoutée pour dégager des alternatives de paix au Proche-Orient ?
Dominique de Villepin : Nous avons défendu le droit international en Ukraine mais que faisons-nous à Gaza ? Ce droit international, depuis 1947, est bafoué au Proche-Orient. La Cour internationale de justice s’est prononcée sur l’illégalité de la colonisation. Elle a dit son inquiétude sur ce qui pourrait conduire à un éventuel génocide. La Cour pénale internationale a mis en accusation des responsables israéliens et, également, même si je ne fais pas de parallèle, des responsables du Hamas.
Si nous sommes capables de faire gagner la justice à Gaza, c’est tout l’ordre mondial que nous pourrons refonder. Ce conflit est né avec la création de l’État d’Israël, au lendemain de cet immense traumatisme de la Shoah, mais aussi de cette immense injustice faite aux Palestiniens restés sans terre. Avec la Nakba, 700 000 personnes ont été contraintes au départ.
Vous avez à plusieurs reprises réaffirmé votre attachement à une solution à deux États, à la reconnaissance par la France d’un État de Palestine…
Dominique de Villepin : Reconnaître le droit du peuple palestinien, accepter une solution à deux États, c’est garantir la sécurité d’Israël. Je n’ignore rien de l’immense choc, en Israël, du 7 octobre, qui a ravivé la mémoire de la Shoah. Cet État refuge, tout à coup, montrait ses limites. Le mythe d’un État capable de tout sécuriser par des armes sophistiquées s’est effondré. Une seule arme pourra garantir la sécurité du peuple israélien. C’est la justice qui permettra aux deux peuples de vivre ensemble.
La seule solution pour les esprits les plus radicaux comme Benyamin Netanyahou, c’est l’extension du conflit, avec le rêve d’une guerre totale. On voit bien comment Israël pourrait, si le conflit s’étend, solliciter l’aide américaine. Les Israéliens ne peuvent pas seuls détruire le Hezbollah et s’en prendre à l’Iran, avec une vraie menace sur le plan nucléaire. Le schéma de Benyamin Netanyahou, c’est la politique du pire.
Au contraire, la réponse, dans le cadre de la solution à deux États, réside dans une administration pour tous les territoires occupés : Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. Une administration qui pourrait prendre en main ces territoires le plus tôt possible, sous l’égide internationale, avec une Autorité palestinienne rénovée, légitime et crédible, avec une force internationale d’interposition. Un tel scénario exige des interlocuteurs prêts à avancer, du côté israélien comme du côté palestinien. Il implique un réengagement de la communauté internationale en faveur de la justice et de la paix. Liquider le Hamas, ce n’est pas liquider les Palestiniens, ni la question palestinienne.
Jamais la question palestinienne n’a été aussi prégnante, incontournable, nécessaire à la création d’un nouvel ordre mondial. Si la communauté internationale veut éviter le spectre d’une guerre globale, mondialisée, elle doit offrir un avenir aux peuples, changer la perspective du monde.
Toute voix critique du gouvernement israélien s’expose à l’infamante accusation d’antisémitisme. Vous-même avez été la cible de tels procédés. Comment l’avez-vous vécu ?
Dominique de Villepin : Toute instrumentalisation de l’antisémitisme nuit à la lutte indispensable contre l’antisémitisme. Nous sommes dans un monde où les réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu ne cessent de polariser les jugements et les opinions publiques. Cette logique de clivage est permanente. Nous devons donc nous méfier de l’instrumentalisation de nos paroles.
Mais ceux qui lancent ces accusations refusent en fait le débat. Je suis prêt à parler avec tout le monde. Et cette liberté fait peur à ceux qui refusent le dialogue et veulent le clore avec des étiquettes : « Antisémite », « anti-Israélien », « antisioniste ». Non ! Nous devons prendre le risque du débat. Un devoir s’impose quand on fait de la politique : assumer ses convictions.
La France a choisi elle aussi, au Sahel, la voie de la « guerre contre le terrorisme »…
Dominique de Villepin : Derrière cette guerre contre le terrorisme, et souvent derrière l’emploi de la force, il y a, sous-jacente, cette pensée magique du changement de régime qui réglerait tout. La politique du changement de régime, défendue par les néoconservateurs américains, s’est déployée en Irak, en Libye, en Syrie. Avec pour résultat le chaos que l’on sait. Elle est encore omniprésente sur la scène internationale, face à l’Iran, face à la Russie.
Je crois au contraire que l’ordre international tel qu’il a été défini en 1945 et tel qu’il devra être refondé implique l’acceptation du principe de non-ingérence, qui n’est pas synonyme de désintérêt pour les droits de l’homme. Toute leçon donnée aux autres doit commencer par soi-même. Regardez ce qui s’est passé le 6 janvier 2021 avec l’invasion du Capitole à Washington. Est-ce l’image d’une grande démocratie ? La confusion idéologique conduit les démocraties occidentales à s’égarer dans la surenchère. Or il n’y a pas d’issue dans la surenchère.
Qu’est-ce qui distingue le spectre de la « guerre globale » contre laquelle vous mettez en garde des conflits mondiaux du XXe siècle ?
Dominique de Villepin : Le spectre de la guerre globale est présent dans beaucoup de nos discours, y compris parfois dans la politique des sanctions. Les deux tiers de l’humanité ne suivent pas nos politiques de sanction. Les Brics, eux, se posent la question de vivre sans ce dernier tiers, en commerçant par le biais d’échanges qui ne passeraient pas par le dollar, par les marchés internationaux. C’est la construction d’un monde parallèle qui peu à peu va nous isoler. Tout cela change les mentalités du monde.
Et si la France veut rester capable de parler au Brésil, à l’Afrique du Sud, à l’Algérie, à l’Indonésie, nous devons construire un langage commun hors de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. C’est aussi la question posée à l’Otan : doit-elle se projeter vers l’Asie pour contenir l’influence chinoise ? Cette logique d’élargissement des conflits, de guerre totale, nous menace. Au contraire, l’Europe doit préserver son indépendance, son autonomie stratégique. Elle doit construire son identité et sa souveraineté dans un grand partenariat avec le Sud global. L’avenir est là.
Le président Biden se dit « déterminé à mettre l’Ukraine dans la meilleure position possible pour l’emporter ». Comment initier un processus diplomatique conduisant à la désescalade ?
Dominique de Villepin : Ce conflit a déjà fait 300 000 victimes, on voit bien qu’il ne mène nulle part. Comment faire en sorte que la Russie ait intérêt à ne pas aller plus loin, à transiger ? C’est la question stratégique aujourd’hui sur la table. Nous devons être capables de dire là où peut se nouer une paix raisonnable. C’est compliqué, avec l’enjeu territorial au Donbass et en Crimée. Mais la question du statut de l’Ukraine, de sa neutralité, se pose aussi, comme celle des garanties de sécurité.
Redoutez-vous le retour de Donald Trump ?
Dominique de Villepin : Donald Trump prétend qu’il va faire la paix en Ukraine en 24 heures. Ça paraît peu raisonnable. Il a sans doute son idée sur Gaza ; elle ne passe sans doute pas par la création d’un État palestinien. Mais cela peut produire un réveil. Les Européens finiront peut-être par comprendre que les États-Unis, quoi qu’il arrive, privilégieront, comme ils l’ont fait avec Barack Obama, une continuité historique et diplomatique qui ne va pas dans le sens de l’Europe.
L’obsession des États-Unis, c’est l’Asie-Pacifique, avec l’objectif d’empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Ce n’est pas l’enjeu pour l’Europe. Nous n’avons pas partie liée avec les États-Unis sur l’ensemble de leur vision stratégique mondiale. L’Europe doit comprendre qu’elle a des intérêts communs avec le Sud global. Il faut être capable de mettre les pieds dans le plat.
Mario Draghi, l’ancien gouverneur de la BCE, fait justement le constat d’un décrochage économique de l’Europe. Il préconise un grand plan européen d’investissement. Michel Barnier, lui, a pour mission de conduire en France un plan d’austérité sans précédent. Quelles peuvent en être les conséquences économiques, sociales, politiques ?
Dominique de Villepin : L’austérité est toujours un renoncement. On peut choisir le sérieux budgétaire face à la dette tout en restant exigeant sur la nécessité de préserver la croissance. Nous avons besoin, comme les Américains et comme les Chinois, de relancer nos économies dans un moment où la différenciation se fait dans la grande bataille numérique, technologique. Cela exige des sommes colossales.
Mario Draghi parle de 800 milliards d’euros par an. C’est un immense effort, les États-Unis l’ont fait. Il faut être capable de cette audace. Le drame de la France, c’est que la start-up nation s’est faite à périmètre constant. Le résultat, c’est que nous sommes aujourd’hui dans un pays étriqué, qui rapetisse, ne pense pas, un pays égoïste. L’avenir, c’est au contraire la capacité d’offrir à chacun une perspective. Et cela suppose de renier la politique du rabot.
La dissolution de l’Assemblée nationale a ouvert une crise inédite sous la Ve République. Peut-elle se muer en crise de régime ?
Je ne suis pas forcément le mieux placé pour parler de dissolution… Mais je me permets de dire quand même que cette dernière dissolution n’a rien à voir avec la précédente. Là, j’avoue qu’on a un maître ès dynamite. Se couper de l’exigence démocratique, c’est courir le risque d’une crise de régime. Je l’ai dit dès le lendemain des législatives : il fallait faire les choses dans l’ordre, en respectant les Français.
Une force est arrivée en tête, il fallait lui donner sa chance. Est-ce que cela aurait duré ? Est-ce que le Nouveau Front populaire (NFP) aurait eu l’audace d’étendre ses lignes pour constituer un gouvernement qui puisse avoir une majorité ? Ce n’était pas au président de la République d’y répondre à la place du NFP. Nous sommes dans une situation très singulière : c’est le parti arrivé en dernier qui forme le gouvernement. Reconnaissez quand même un mérite à ce choix : il donne raison à la parole évangélique. « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ! »
Michel Barnier est un homme d’expérience, de dialogue, il l’a prouvé à Bruxelles. Bruxelles n’est pas le Parlement français. Je lui souhaite bon courage, avec le RN aux aguets. Mais il ne faut pas désespérer de la démocratie : nous avons d’autres options. L’expérience d’un gouvernement de front républicain mériterait peut-être d’être tentée. Vous avez devant vous un gaulliste : j’ai la mémoire de 1944. Un gouvernement d’union nationale, en cas de crise majeure, pourrait être une réponse. Ce que je souhaite, c’est que personne ne joue la politique du pire. Parce que le pire, nous savons tous où cela conduit.
Camille Bauer sur www.humanite.fr
Professeure de français à l’université al-Aqsa, Falestine Rusrus a raconté à la Fête de l’Humanité l’horreur de la vie dans l’enclave palestinienne et la destruction complète du système scolaire.
Son cri de désespoir a déchiré la Fête de l’Humanité. De sa voix tremblante, au bord des larmes, Falestine Rusrus, directrice du département de français à l’université al-Aqsa de Gaza, est venue témoigner de l’enfer qu’elle a vécu. « J’habite dans le nord de la bande de Gaza. Ils m’ont obligée à me déplacer vers le Sud, juste pour chercher un peu de sécurité pour mes enfants. On ne savait pas où aller. On se déplaçait d’un endroit à l’autre juste pour trouver un lieu sûr. Et puis on est restés sans rien manger, sans eau potable. On a attendu l’aide humanitaire dans les écoles. On faisait des queues, de longues queues, juste pour avoir un litre d’eau potable par semaine, pour six personnes. C’est ça qu’on vit à Gaza », a-t-elle raconté à l’espace débats du Village du monde.
« Les enfants ont fait leur rentrée sous les décombres des maisons »
Au-delà de son cas personnel, Falestine Rusrus a rappelé que « des enfants sont restés sous les décombres sans même qu’on ait pu les enterrer. Des familles entières sont mortes assassinées. ”Assassinées”, j’insiste sur le mot. Quand on te dit que tu peux aller dans un endroit pour y être en sécurité, mais qu’une fois que tu arrives, on te bombarde, ça n’est pas une guerre, c’est un crime, un génocide. Les responsables israéliens de ces crimes de guerre doivent payer. C’est l’humanité qu’on assassine à Gaza. »
L’enseignante qu’elle a été est aussi venue rappeler l’écroulement du système éducatif. « Je suis professeure de français depuis 2006. Pendant toutes ces années, j’ai toujours essayé, avec les générations successives de Palestiniens, de planter de l’espoir, de la liberté. Je leur ai dit : ”Parler en français, c’est pour parler de vous-même, pour vous exprimer, pour voyager, pour aller voir le monde, pour vivre.” C’est ça le sens. Mais maintenant, il n’y a plus d’universités à Gaza. Tout le système éducatif est complètement détruit. Il n’y a plus d’écoles, plus de jardins d’enfants. Il n’y a plus rien du tout. Et pourtant, si vous regardez sur les réseaux sociaux, vous y verrez la détermination du peuple palestinien, dont les enfants ont fait leur rentrée scolaire sous les décombres des maisons… »
Le courage, la résilience des Palestiniens ont transparu tout au long du témoignage de Falestine Rusrus. « On nous dit : ”Partez, vous n’avez pas le droit d’être là !” Mais c’est notre pays, notre terre. Les Palestiniens ont vraiment du mérite. Après une histoire d’occupation longue de plus de soixante-seize ans, on insiste toujours sur le droit à la liberté, le droit du peuple. Je ne sais pas quelle génération verra ce jour où la Palestine fêtera son indépendance et sa liberté. J’aimerais bien que mes enfants voient ce jour-là. »
mise en ligne le 16 septembre 2024
sur https://france.attac.org/
Imposer les plus fortunés et les superprofits, supprimer les privilèges fiscaux, renforcer les moyens de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales… sont autant de pistes pour rééquilibrer un système fiscal mis à mal par les politiques néolibérales impulsées par Emmanuel Macron.
A l’initiative d’Attac, 87 personnalités et responsables d’associations et de syndicats signent cette tribune en vue des discussions autour du projet de loi de finances 2025.
Engager des coupes budgétaires drastiques tout en se refusant « en même temps » d’imposer les plus riches et les grandes entreprises : telle est l’orientation de la politique fiscale injuste et inefficace impulsée par Emmanuel Macron. Le président de la République a eu beau reconnaître le problème que pose la diminution des recettes fiscales, il a pourtant déclaré qu’aucune augmentation d’impôt n’était envisagée. En qualifiant l’idée d’une hausse d’impôt de « maladie française », il a confirmé qu’il n’y avait, à ses yeux, aucune alternative à l’austérité budgétaire. Loin des aspirations des Français·es qui sont favorables, selon les enquêtes d’opinion, à des hausses d’impôts à condition qu’elles ciblent les entreprises qui font le plus de profits et les plus aisés.
Ce choix a déjà eu de lourdes conséquences : les financements des services publics, de la protection sociale et de la lutte contre le dérèglement climatique sont frappés de plein fouet. Si cette politique fiscale était maintenue, il est à prévoir que les besoins sociaux et écologiques seront une fois de plus sacrifiés sur l’autel de l’austérité, aggravant davantage les inégalités. Dans une période d’affaiblissement du consentement à l’impôt, de distension du lien social, d’inquiétude face à l’avenir, l’extrême droite ne peut que tirer profit de cette politique injuste et injustifiée. Le chef de l’État, qui entend imposer ces vues malgré des désaveux électoraux et une situation politique complexe qu’il a lui-même créée, porterait alors une responsabilité immense dans cet échec global, démocratique, social, économique et écologique.
Répondre aux urgences sociales et écologiques
Sourd aux attentes d’une immense partie de la population, le gouvernement a multiplié les attaques contre notre modèle social, pourtant déjà bien fragilisé. Il a engagé un plan de coupes budgétaires qu’il entend mettre en œuvre coûte que coûte pour 2025. Le financement des urgences sociales et écologiques est clairement dans le viseur : aux 10 milliards d’euros d’économies prévues pour 2024 (1) pourraient s’ajouter 16 milliards d’euros d’économies supplémentaires qui toucheraient notamment le travail et la transition écologique. Le choix des secteurs visés est éloquent… Pendant ce temps, des coups répétés sont portés au logement social, au financement de l’hôpital public et de la protection sociale, et le ministre démissionnaire de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a engagé au cours des derniers mois un travail de sape de la fonction publique en remettant en cause le statut des fonctionnaires, l’un des piliers du modèle social français. Rarement un pouvoir n’aura été aussi dogmatique dans ses choix.
Face à cette orientation écologiquement, socialement et économiquement délétère, de nombreuses voix s’élèvent pour formuler des propositions à portée de la main visant à rétablir le principe de justice fiscale et rééquilibrer un système fiscal mis à mal par les politiques néolibérales. A l’évidence, un tel rééquilibrage permettrait de combattre les inégalités et de renforcer le consentement à l’impôt, pilier d’une démocratie digne de ce nom. Il permettrait également de dégager les recettes nécessaires pour répondre aux besoins sociaux, relever les défis écologiques et énergétiques et contribuer à la solidarité à l’égard des pays du Sud Global, en première ligne du dérèglement du climat.
Une solution : la justice fiscale
Pour faire face à ces enjeux, nous avons besoin d’une action publique ambitieuse et d’une meilleure répartition fiscale. Nous rappelons à ce titre plusieurs principes : l’action publique et la protection sociale doivent avoir les moyens nécessaires pour répondre aux besoins de la population et pour préserver l’environnement ; les choix fiscaux et budgétaires doivent poursuivre la satisfaction de l’intérêt général et non des intérêts particuliers, ils doivent faire l’objet d’un véritable débat citoyen ; une fiscalité plus juste suppose de mettre à contribution les personnes et les entreprises de manière progressive, en fonction de leurs richesses et de leurs capacités contributives. Cela suppose de rétablir l’égalité devant l’impôt et de combattre résolument son évitement.
Sur cette base, et pour répondre au « ras-le-bol des injustices fiscales », plusieurs pistes se dessinent pour engager, à court terme, un rééquilibrage : d’abord mettre davantage les plus fortunés à contribution à travers une imposition du patrimoine juste et efficace. Ensuite, mettre fin aux privilèges fiscaux nuisibles à l’environnement et bénéficiant aux plus riches, mieux imposer les rentes de toutes sortes, comme les superprofits et les superdividendes, défendre la nécessité d’une véritable taxe sur les transactions financières et d’un relèvement de l’imposition des multinationales au sein de l’Union européenne, et enfin renforcer à tous niveaux les moyens de lutte contre les différentes formes d’évasion et de fraude fiscales.
Ces mesures sont légitimes et nécessaires. Nous appelons à participer aux différentes initiatives qui seront engagées pour défendre leur mise en œuvre, en particulier à l’occasion de la discussion sur le projet de loi de finances 2025. Nous appelons également la population à s’emparer de ces questions qui n’appartiennent qu’à elle, pour qu’un vrai débat citoyen s’engage et débouche sur des mesures de justice qui permettraient ainsi de « refaire société ».
(1) Avec notamment 200 millions de coupes sur le budget de l’apprentissage et autant sur la formation professionnelle, 400 millions d’euros pour le Fonds vert censé aider les collectivités territoriales, un milliard d’économies sur la rénovation énergétique et autant sur l’aide au développement.
mise ligne le 16 septembre 2024
Ludovic Finez sur www.humanite.fr
Relayée en France par la CGT, la mobilisation syndicale mondiale du 13 septembre chez ArcelorMittal a dénoncé les trop nombreux morts dans le groupe et réclamé une véritable politique industrielle.
Dunkerque (Nord), correspondance particulière.
Au moins 314 décès de 2012 à 2023, dans des mines et des aciéries au Kazakhstan, en Afrique du Sud, au Brésil, en Espagne, en France, au Maroc, en Ukraine, en Pologne aux États-Unis… Voilà l’effrayant bilan dressé par le réseau syndical mondial IndustriAll au sein du groupe ArcelorMittal. Les mineurs du Kazakhstan ont payé un tribut particulièrement lourd, avec 51 morts rien qu’en 2023.
« Arrêtons l’hécatombe » : c’est sous ce mot d’ordre qu’IndustriAll appelait à la mobilisation, vendredi 13 septembre, dans les sites du géant de l’acier à travers le monde. En France, les métallos CGT ont répondu à l’appel, en organisant des rassemblements à Dunkerque, Reims, Florange et Fos-sur-Mer.
À Dunkerque, ils sont plusieurs dizaines à se réfugier sous les tonnelles rouges à chaque averse, au milieu du vaste rond-point devant l’entrée de l’usine, qui emploie 3 000 CDI et 1 500 sous-traitants. « Il y a un an, un haut-fourneau a flambé (à Dunkerque). On passe parfois à côté de catastrophes et pour nous, c’est un problème d’investissement », confie Philippe Verbeke, de la Fédération métallurgie CGT, salarié d’un autre site ArcelorMittal, celui de Mardyck, qui, à quelques kilomètres de là, lamine l’acier produit à Dunkerque.
Une vitrine derrière laquelle tout se dégrade
Sous la pluie, Gaëtan Lecocq, de la CGT ArcelorMittal Dunkerque, s’empare du micro : « Quand on écoute les médias et la direction, tout va bien chez nous. Ce n’est qu’une vitrine, car la situation ne fait que se dégrader. Au départ, il était prévu d’investir pour que la durée de vie du haut-fourneau n° 4 soit portée à 2050. Puis, on est passé à 2040, avec plusieurs centaines de millions d’euros économisés. Enfin, en juin, on nous annonce qu’on va juste poser des rustines, pour tenir jusque 2029, dans le meilleur des cas. »
ArcelorMittal annonce un objectif de décarbonation de 30 % d’ici à 2030. Mais, en attendant d’annoncer la localisation de ces investissements, le groupe « fait monter les enchères entre les différents gouvernements européens, pour obtenir un maximum de fonds publics, ainsi qu’une électricité au prix le plus bas », souligne Philippe Verbeke. Imposer des commissions de suivi et des contreparties aux aides publiques – en embauches et investissements – est précisément une autre revendication de la journée.
« Nous voulons mettre la pression sur le futur ministre de l’Industrie pour une maîtrise publique de la filière », résume le responsable CGT, qui évoque des participations de l’État dans les entreprises quand la situation l’exige, voire la nationalisation, mais aussi la réduction du temps de travail, de meilleurs salaires et des départs anticipés en retraite pour prendre en compte la pénibilité.
Inquiétudes chez ThyssenKrupp et Valdunes
L’objet de la mobilisation est de mettre en lumière tout le secteur sidérurgique. Ainsi, chez ThyssenKrupp, deux sites français, dans le Nord et l’Est, pourraient faire les frais des manœuvres actionnariales du milliardaire Daniel Kretinsky. Inquiétudes également chez Valdunes, le dernier fabricant français de roues de train, dont la forge est installée à Dunkerque et le site d’usinage à Valenciennes.
Son rachat par le français Europlasma, au prix de 119 licenciements pour 190 emplois sauvés, s’est accompagné d’une promesse de 35 millions d’euros d’investissement sur trois ans, aidés par l’État. « Au bout de six mois, nous n’avons pas de nouvelles, il y a de quoi être inquiet », confie Philippe Lihouck, délégué CGT à la forge. Actuellement, la production est proche de zéro, la direction arguant d’une nécessaire remise à plat des relations avec les clients. Philippe Lihouck évoque un contrat avec le tchèque Bonatrans « mis de côté » et un autre, avec une entreprise indienne, qui « a capoté ».
Optimisme prudent chez Ascometal
Venus également en voisins, Jean-Louis Clarys et Tony Neuts-Roubelat affichent de leur côté une prudence plus optimiste. Leur usine dunkerquoise d’aciers spéciaux fait partie des sites Ascometal, avec ceux d’Hagondange, Custines (Meurthe-et-Moselle) et Saint-Étienne (Loire), repris par le fonds anglais Greybull Capital. Ce dernier, également largement soutenu par l’État, a conservé 760 salariés, dont les 170 du Nord, et supprimé 23 postes dans la holding à Hagondange.
« On n’a pas beaucoup de boulot, admettent les deux élus CGT, car le redressement judiciaire nous a fait perdre des clients et nous avons besoin que nos fournisseurs reprennent confiance. » Mais les objectifs d’amener la production annuelle à 60 000 tonnes, le double de 2023, leur « paraissent sérieux ». Autre motif d’espoir : la programmation de 10 millions d’euros d’investissement pour remettre en route le laminage de l’usine, arrêté en 2021.
mise en ligne le 15 septembre 2024
Léa Darnay sur www.humanite.fr
La justice a commencé à étudier la plainte de huit ouvriers qui ont effectué des travaux de rénovation dans des conditions déplorables de logement, de travail et de sécurité.
Quand il se remémore son calvaire vécu en 2022 avec sept autres collègues, Rayane* a une formule simple : « C’étaient des conditions de travail horribles ». L’ancien travailleur sans-papiers et ses compagnons d’infortune ont connu l’enfer après avoir été recrutés pour rénover le château d’automne de Chambry, en Seine-et-Marne.
Assistés depuis par la CGT de Seine-et-Marne et son secrétaire général Patrick Masson, ils ont fini par porter plainte pour traite d’êtres humains contre leurs anciens patrons d’une même famille. Mardi 10 septembre, les huit hommes se sont retrouvés au Tribunal judiciaire de Meaux pour la première audience d’une procédure qui s’annonce exemplaire.
Repéré dans une zone industrielle, là où les entrepreneurs profitent de la situation des sans-papiers pour les embaucher à un salaire misérable, Rayane est engagé pour réaliser des travaux de maçonnerie. Aucune protection ne lui est donnée : ni casque, ni chaussures de sécurité. Pas question pour autant de ne pas exécuter les tâches toutes plus dangereuses les unes que les autres. Lors de l’été caniculaire de 2022, l’ouvrier passe plus d’un mois à nettoyer le toit au jet à pression, sans protection ni lien de sûreté, surveillé de près par un maître de chantier tatillon.
Un patron qui n’en est pas à son coup d’essai
Les heures supplémentaires sont fréquentes, mais les salaires ne suivent pas. « J’avais négocié 1 200 euros, mais finalement il me donnait ce qui l’arrangeait, parfois 900 euros, d’autres fois 1 000 », raconte Rayane. Et des congés payés ? « Jamais, répond-il. Le dimanche était le seul jour de repos de la semaine. »
Le château, dans un état désastreux, n’était pas habitable. Pourtant, Rayane l’affirme : « On était logé là où on travaillait ». Les ouvriers ont dû se débrouiller pour trouver des lits, des plaques de cuissons, des fenêtres et des fils électriques. « Le patron avait seulement installé un compteur », explique-t-il.
Dépourvu de chauffage, le logement qu’ils rénovaient possède des sanitaires dans un état abject d’insalubrité. Un dépôt sauvage d’amiante se trouve dans les bois du château, où les travailleurs ont dû plusieurs fois travailler à proximité. Qu’importe la santé. « Soit tu travaillais, soit tu dégageais », reprend Rayane.
« Si le problème était très grave, il nous laissait aller aux urgences, mais sans nous y emmener. » Un clou planté dans le pied ne constituait pas un motif de gravité : « Ce n’était rien d’après le patron. Mon collègue blessé s’est soigné tout seul. De toute façon s’il partait, il le virait. »
Les témoignages de ses collègues se ressemblent : conditions de travail indignes, conditions d’hébergements catastrophiques. Ce n’est qu’une part de ce qui est reproché aux employeurs poursuivis. Le père, la mère et leur fille sont accusés de délit au droit d’urbanisme, de travail dissimulé, d’exécution de travaux non autorisé par un permis de construire ou encore d’emploi d’étranger en situation irrégulière. Le patron n’en est pas à son premier procès : fraudes, escroquerie… Avec cette affaire s’ajoute la traite d’êtres humains, à propos de laquelle il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
La prochaine audience a été renvoyée au 4 février 2025 à la demande des avocats de l’employeur, qui réclament un troisième défenseur et mettent en cause la réception tardive de certains documents. Mais l’Urssaf va elle aussi mettre à profit ce temps supplémentaire pour finir de chiffrer le manque à gagner en termes de cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales. Un renvoi qui arrange aussi les plaignants, puisque d’anciens salariés sans-papiers ont annoncé vouloir se constituer partie civile.
* Le prénom a été changé
mise en ligne le 15 septembre 2024
Fabien Escalona sur www.mediapart.fr
Le politiste Vincent Tiberj conteste l’idée d’une droitisation « par en bas » de la société. Il préfère pointer la responsabilité des élites médiatiques et politiques, sur fond de désaffiliation politique croissante des citoyens. Mais la gauche serait imprudente d’y voir un contre-récit rassurant.
La droitisation du pays est devenue un lieu commun, au point que Nicolas Sarkozy pouvait affirmer avec certitude au Figaro, fin août, que « la France est de droite, sans doute comme elle ne l’a jamais été ». Le diagnostic est pratique, car il appuie le choix d’Emmanuel Macron de ne pas laisser sa chance à la gauche de former un gouvernement, et semble confirmé par l’évolution du paysage électoral depuis la fin du quinquennat Hollande.
Depuis des années, le politiste Vincent Tiberj conteste cette supposée évidence. Avec un certain courage, au vu des seuils électoraux inédits franchis par le Rassemblement national (RN), il persiste avec conviction en publiant La Droitisation française. Mythe et réalités (PUF). Le phénomène existerait bien « dans la parole médiatique et dans la vie politique », mais en décalage, voire en contradiction avec les mouvements de la société elle-même, qui ne se réduit ni à ses élites dirigeantes, ni même au corps électoral qui vote.
L’auteur délivre de nombreuses informations et développe une démonstration convaincante à bien des égards, mais dont les angles morts justifient que le débat soit prolongé. Au-delà de ses propres intentions, le risque est que des interprétations excessivement « rassuristes » soient tirées de son travail, qui ne saurait se résumer à l’existence d’un potentiel électoral « à portée de main » pour la gauche. D’ailleurs, dans une allusion au morceau de Dougie MacLean, le chercheur de Sciences Po Bordeaux prévient : il faut « se préparer à la tempête »…
L’enjeu de la mesure de l’opinion
Le premier chapitre du livre est un mini-traité de bon usage des enquêtes d’opinion. Vincent Tiberj rappelle à quel point ces dernières sont indispensables, ou en tout cas « la moins mauvaise solution » pour cerner les attitudes qui structurent la population dans son ensemble. Il souligne cependant combien leur qualité est variable, selon la manière dont les questions sont construites et administrées. Autrement, des sondages ponctuels administrés à 1 000 personnes avec d’énormes biais ne doivent pas conduire à des jugements hâtifs.
Pour sa part, Tiberj a construit avec soin des « indices longitudinaux de préférences », qui évitent ces biais et agrègent les attitudes des Français·es dans trois champs : les questions socioéconomiques, les questions culturelles, et la tolérance à l’égard de l’immigration et des minorités religieuses et ethno-raciales. Observables sur le temps long, en l’occurrence depuis la fin des années 1970, les évolutions de ces trois indicateurs démentent le postulat d’une droitisation générale de la société.
Les opinions favorables à la redistribution ne se situent certes pas à leur niveau maximal enregistré, mais pas à leur plus bas non plus, si bien qu’« il n’y a pas eu de conversion générale au libéralisme économique », note-t-il. Sur les deux autres terrains, c’est même une « gauchisation » de l’opinion qui s’observe. La hausse du niveau d’instruction et le renouvellement générationnel en ont été des moteurs importants, mais aussi, ce qui est moins souvent évoqué, une « socialisation inversée » par laquelle les enfants font bouger leurs parents et leurs grands-parents.
Comment, dès lors, comprendre le paysage électoral de 2024 ? Soit les instruments de mesure sont défectueux, soit il faut chercher l’explication ailleurs. Vincent Tiberj estime que ses indicateurs « restent particulièrement solides » et qu’« il n’existe pas à [s]a connaissance de meilleure manière de mesurer les évolutions d’opinion ». Les chercheurs les moins convaincus par sa thèse ne les remettent d’ailleurs pas radicalement en cause. Ils pointent plutôt que certaines évolutions de l’opinion sont négligées ou trop diluées dans ces indicateurs agrégés.
Le politiste Luc Rouban, qui s’apprête à publier Les Ressorts caché du vote RN (Presses de Sciences Po), maintient que l’opinion se durcit ces dernières années sur le terrain de la répression pénale, avec « une demande de sanctions plus fortes ». La non-reconnaissance au travail et le mépris social seraient, selon lui, une autre « machine à produire du vote lepéniste ». C’est aussi ce que défendait Bruno Palier dans nos colonnes l’an dernier, lorsqu’il mettait en garde sur les effets électoraux du passage en force de la réforme des retraites.
Enfin, si Luc Rouban admet que l’équilibre budgétaire ne fait pas rêver les foules, il affirme qu’un « libéralisme entrepreneurial », valorisant l’autonomie, atteint « des niveaux très élevés, notamment chez les jeunes ».
Plus largement, on peut faire valoir que l’évanouissement des alternatives au capitalisme, prégnantes dans les imaginaires jusqu’aux années 1970, n’est pas véritablement mesuré dans les enquêtes d’opinion. Or les gauches ont besoin pour mobiliser d’une « construction projective forte », comme le dit Roger Martelli, et d’« éléments d’identification et d’espérance sociale » qui font défaut bien au-delà du cas français.
Les clés d’un paradoxe
Vincent Tiberj, en tout cas, offre une palette d’explications au décalage entre l’opinion telle qu’il la mesure dans la société et le résultat des urnes. Responsables politiques et puissances médiatiques sont notamment pointés comme les agents d’une « droitisation par en haut ».
De fait, toute une série de filtres existent entre l’opinion publique d’un côté et les comportements électoraux de l’autre. Ces derniers dépendent aussi de ce dont on parle et de la manière dont on en parle, dans la mesure où de nombreuses personnes sont ambivalentes – soit que leurs attentes sont contradictoires, soit qu’elles sont tiraillées entre des dispositions antagonistes, dont on ne peut prédire lesquelles prendront le dessus.
Ainsi, le « cadrage » de certains événements va compter (par exemple les émeutes urbaines, selon qu’elles soient mises en lien avec les violences policières et la ségrégation territoriale, ou avec les faillites parentales et le rôle néfaste des écrans). De même, ce qui est mis à l’agenda a son importance (lorsque le débat public se concentre sur l’immigration et l’insécurité, le RN « joue à domicile », parfois aidé en cela par ses supposés adversaires).
À cet égard, explique Vincent Tiberj, l’émergence de médias audiovisuels très droitiers, ainsi que les réseaux sociaux qui réduisent l’exposition à des informations dissonantes, sont de nature à « enclencher une spirale de renforcement idéologique ». « Si la droitisation semble s’être répandue, écrit-il, c’est parce qu’il existe bien une chambre d’écho intellectuel et médiatique et qu’elle rencontre son public suffisamment nombreux, bien que largement minoritaire. »
C’est du côté des manquements de l’offre politique qu’il faudrait chercher les causes de la « non-traduction » en votes des tendances progressistes de la société.
Le politiste insiste, par ailleurs, sur ce qu’il appelle la « grande démission » civique. Celle-ci se traduit par une grève des urnes assumée et par un effondrement des sympathies partisanes. Toutes les forces politiques sont concernées par ce désenchantement radical, qui s’accentue dans les nouvelles générations, même si Tiberj souligne que la gauche a particulièrement souffert du quinquennat Hollande.
En clair, c’est du côté des manquements de l’offre politique qu’il faudrait chercher les causes de la « non-traduction » en votes des tendances progressistes de la société. S’agissant de l’abstention, le chercheur suggère qu’elle frappe en particulier les milieux qui pourraient exprimer ces tendances dans les urnes. « Culturellement, écrit-il, les générations les plus ouvertes sont aussi celles où domine le vote intermittent. […] Quant aux valeurs socioéconomiques, c’est manifestement le pôle redistributeur qui pâtit le plus de ces évolutions du vote. »
Gare aux illusions à gauche
Outre les nuances évoquées plus haut sur ce qui est mesuré dans l’opinion publique, on peut conserver quelques interrogations et nourrir des craintes quant à la réception de ce travail à gauche, comme en témoigne le récent texte triomphaliste de Manuel Bompard, coordinateur national de La France insoumise (LFI), assurant que la clé des futures victoires électorales se trouve dans le « quatrième bloc » abstentionniste.
Si l’on en reste à la séquence électorale 2022-2024, plusieurs scrutins de portée nationale se sont succédé, avec des taux de participation variant entre 47 % et 74 %, sans que le score cumulé des gauches décolle de son étiage autour de 30 % des suffrages exprimés. Même s’il est toujours possible de « faire mieux », jusqu’à quel niveau de participation faut-il monter pour voir s’élargir cette taille électorale ? L’auteur évoque une « divergence » entre citoyens et électeurs, mais on se demande à partir de quand ils seraient amenés à coïncider.
Vincent Tiberj évoque également « un défaut d’incarnation évident » à gauche. Or, même si l’image globale de la gauche a été flétrie depuis l’ère Hollande, cela fait plusieurs années que Jean-Luc Mélenchon s’en veut le champion sur la base d’une rupture avec l’ancien président de la République, et que même à la tête du PS, Olivier Faure a largement répudié son héritage. Si ce n’est pas l’objet du livre, on aurait aimé que cette question soit davantage affrontée, au moins pour que soient dessinés en creux les critères d’une incarnation plus performante.
Les leaders de la gauche changeraient-ils, au demeurant, que des handicaps structurels persisteraient pour leurs remplaçant·es. C’est le cas du recul du syndicalisme et de l’atomisation du monde professionnel, auxquels l’auteur consacre pour le coup plusieurs pages. Si des dispositions progressistes existent à l’état latent dans la société, il ne faudrait pas conclure, à gauche, que le bon message électoral suffise à les activer. Sans réseaux d’interconnaissance et figures locales de respectabilité pour le traduire, dans des espaces sociaux et territoriaux divers, ce message risque de ne pas atteindre assez de cibles.
Plus fondamentalement, on peut se demander si la distinction entre droitisation « par en haut » et « par en bas » est tenable jusqu’au bout. Lorsqu’une portion de l’électorat ne change pas de valeurs mais se met à voter RN, il est difficile d’affirmer qu’elle ne s’est pas droitisée ou qu’elle ne le serait que dans sa décision de vote, qui n’est pas un geste négligeable. Sans doute que des acteurs « d’en haut » ont contribué à déterminer ce comportement, mais cela était vrai aussi lorsque cette portion votait sagement pour des partis de gouvernement.
Par le passé en effet, les filtres entre l’opinion et les urnes ont pu davantage fonctionner à l’inverse, au détriment de l’extrême droite, alors que la société était bien plus sexiste, homophobe, xénophobe et raciste. On peut se féliciter qu’il en ait été ainsi, mais était-ce davantage normal qu’aujourd’hui ? Le décalage entre les attitudes mesurées dans la société et le comportement du corps électoral ne doit pas être nécessairement perçu comme une anomalie, mais comme le fruit d’une lutte politique ordinaire, dans laquelle il n’y a pas d’autre choix que d’injecter assez de force et de ruse pour l’emporter.
En somme, l’ouvrage de Vincent Tiberj est précieux pour dé-fataliser les discours paresseux sur l’évidente et inéluctable droitisation du pays. Mais autant ne pas tomber dans un autre travers, qui consisterait à imaginer une France « de gauche » n’attendant que d’être réveillée pour accéder à l’existence électorale.
mise en ligne le 14 septembre 2024
sur https://www.francetvinfo.fr/
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déploré la mort de six membres de l'UNRWA dans cette frappe. L'armée israélienne affirme avoir visé "des terroristes".
La Défense civile de Gaza a annoncé que 18 personnes, dont des collaborateurs de l'ONU, ont été tuées mercredi 11 septembre dans une frappe aérienne israélienne sur une école de Nuseirat transformée en abri pour déplacés, l'armée israélienne affirmant avoir visé des "terroristes" du Hamas.
Selon l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, six membres de l'organisation sont morts. "Il s'agit du plus grand nombre de morts parmi nos collaborateurs en une seule fois", écrit-elle sur le réseau social X.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a confirmé le décès de collaborateurs onusiens."Une école transformée en refuge pour 12 000 personnes a à nouveau été visée par des frappes aériennes israéliennes aujourd'hui. Six de nos collègues figurent parmi les morts", a-t-il déploré.
"Ce qui se passe à Gaza est totalement inacceptable", a souligné Antonio Guterres, déclarant que "ces violations dramatiques du droit humanitaire international doivent cesser immédiatement".
Israël évoque "une frappe de précision"
Dans un communiqué, l'armée israélienne a déclaré de son côté que son aviation avait "mené une frappe de précision sur des terroristes qui opéraient à l'intérieur d'un centre de commandement du Hamas" dans l'école Al-Jouni. Les services de presse du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza ont affirmé que l'école, qui est gérée par l'UNRWA, abritait environ 5 000 personnes déplacées au moment de la frappe.
Ces derniers mois, l'armée israélienne a frappé plusieurs écoles dans la bande de Gaza, les accusant d'abriter des centres de commandement du Hamas, ce que le mouvement islamiste palestinien nie. Des dizaines de milliers de personnes déplacées ont trouvé refuge dans des établissements scolaires depuis que la guerre à Gaza a commencé, après l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre.
mise en ligne le 14 septembre 2024
sur www.humanite.fr
Après Lucie Castets reçue vendredi 13 septembre, les quatre représentants des formations qui constituent le NFP se sont donné rendez-vous à l’Agora de l’Humanité. Au menu : riposte au hold-up d’Emmanuel Macron sur les élections et unité de la gauche.
C’est traditionnellement l’un des débats les plus suivis de l’Agora, celui des responsables de la gauche. En cette année politique qui s’est accélérée depuis la dissolution prononcée par Emmanuel Macron au soir des élections européennes, l’Agora est en surchauffe.
Avec 11 millions de voix aux élections législatives, le poids du RN « nous place devant une responsabilité immense, vis-à-vis de vous, les citoyens et de la République », souligne Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF. Ajoutant : « nous avons une obligation de résultat », et la condition première à cette obligation, c’est que « nous devons rester unis, être plus forts pour changer la France, changer la vie des gens ».
« Préserver cette unité comme un bien commun »
Mais comment faire tandis qu’Emmanuel Macron a choisi d’assurer sa survie politique en donnant les clés de Matignon à la droite ? « C’est de préserver cette unité comme un bien commun qui va nous permettre de construire et d’avancer, rappelle le responsable communiste. C’est continuer d’avancer ensemble, comme on le fait depuis deux mois, débattre, devant vous comme on le fait maintenant ». « Nous avons réussi à faire élire 193 députés, qui font que nous sommes la première force coalisée à l’assemblée nationale. C’est un point d’appui pour nous opposer à la politique de la droite et de l’extrême droite ».
Le réalisme prévaut aussi chez Fabien Roussel : « Il faut aussi que nous nous disions que ce n’est pas suffisant. Nous avons gagné, mais nous n’avons pas assez gagné. La prochaine fois, il faudra gagner plus. »
Dans une Agora débordant de public de toute part, quelqu’un crie « un seul parti ! » Réponse de l’écologiste Marine Tondelier : « Je ne crois pas en un seul parti. Écologiste, je crois beaucoup à la biodiversité. Si le NFP a fonctionné, c’est qu’il allait de Philippe Poutou à François Hollande. » La salle, jamais à court de facétie, laisse entrevoir de quel côté elle penche et scande alors : « Poutou ! Poutou ! Poutou ! »
Alors oui, « nous sommes quatre forces politiques avec des histoires, des propositions qui nous rassemblent mais qui aussi sont différentes. Ces différences et ces nuances doivent continuer de faire débat entre nous, respectueusement, sans insulte et sans dispute », relève Fabien Roussel.
« Je ne veux plus qu’on se balance des tacles »
Marine Tondelier abonde : « Je ne veux plus qu’on se balance des tacles. » La responsable écologiste poursuit : « Je le dis à tout le monde, y compris aux opposants internes à Olivier Faure. Je les ai trouvés très perméables aux critiques des macronistes. Quand j’ai entendu dire des gens du NFP : vous avez eu Michel Barnier, c’est de votre faute. Vous n’avez pas voulu de Cazeneuve, je ne suis même pas sûr que tous les socialistes passent le contrôle technique macroniste… »
En fait, reprend Olivier Faure, « la droite a peur qu’on puisse l’emporter ». « Le problème n’était pas les ministres insoumis, mais le programme du Nouveau Front Populaire. » Il déplore d’entendre « à chaque fois les mêmes arguments quand la gauche est proche du pouvoir ; la gauche c’est la faillite, c’est l’incapacité à bien gérer, c’est ceux qui vident les poches » des gens. Au contraire, clame le premier secrétaire du PS, « je prends comme un honneur qu’il y ait des Français de droite qui ont peur de nous voir ensemble. Ils nous aiment divisés ». Et de prévenir : « Sans les insoumis, un Front populaire devient un front minoritaire. »
61 % des électeurs de gauche pensent qu’il faudrait une candidature unique du NFP en 202,7 selon un récent sondage. Avant cette échéance majeure, il y a l’urgent selon Manuel Bompard (FI). Face au coup de force de Macron qui ne veut pas reconnaître la réalité des unes, « je crois qu’il faut répondre de la manière suivante : censure, mobilisation, destitution ». « Oui, j’assume de dire que face au coup de force antidémocratique (…) d’Emmanuel Macron, il faut utiliser tous les moyens à notre disposition. Oui, la procédure de destitution du président est un de nos moyens. Elle sera examinée ce mardi en bureau de l’Assemblée. Le NFP y étant majoritaire, je pense que cette procédure pourra continuer à avancer (…) Peut-être qu’il ne tombera pas parce qu’il y a eu un accord secret entre Emmanuel Macron et le RN ». Mais, assure l’insoumis, rien n’est possible « sans mobilisation populaire ».
« La question qui nous est posée c’est comment on fait »
« Quand l’essentiel est en jeu, résume Olivier Faure, la gauche a toujours su se retrouver. La gauche a toujours été antifasciste ». Il n’en fallait pas plus pour déclencher dans la salle un intermède musical : le public entonne évidemment un Siamo tutti antifascisti !
Lutter contre l’extrême droite, « personne ne dira l’inverse, convient Manuel Bompard. La question qui nous est posée c’est comment on fait ». C’est déjà l’heure d’un bilan, pour le responsable insoumis. « J’ai déjà dit que l’idée qu’il faudrait mettre de côté certains sujets pour battre l’extrême droite était contreproductive, il faut affronter la substitution du clivage de classe par un autre clivage, en fonction de l’origine, de la couleur de peau », défend-il. « Ne commettons pas l’erreur de penser que le clivage dans le pays est géographique, ne faisons pas l’erreur de croire que la jeunesse et les quartiers populaires n’existent que dans les villes et métropoles », poursuit-il, dans une allusion à la position de François Ruffin. Et de souligner un chiffre : 45 % des logements sociaux sont situés hors des agglomérations de plus de 200 000 habitants.
Marine Tondelier l’assure, même s’il y a eu un regain de participation aux dernières législatives, la crise démocratique n’est pas réglée pour autant : « Quand vous retournez voter pour la première fois depuis longtemps et qu’on vous met Barnier à Matignon après, ça ne vous donne pas envie de recommencer ». C’est pourquoi elle défend une action qui va au-delà des partis, et associe associations, syndicats… Ce qu’elle appelle un « écosystème NFP ». Quand on est écologiste, on ne se refait pas.
Gaël De Santis et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
Nouveaux défis pour le Nouveau Front populaire, mobilisations sociales, lutte contre l’austérité, abrogation de la réforme des retraites… Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon Lucie Castets, et la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ont échangé, pendant plus d’une heure et demie vendredi 13 septembre, devant une foule compacte à la Fête de l’Humanité.
Devant une foule compacte rassemblée devant le stand national des communistes à la Fête de l’Humanité, le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, la candidate du Nouveau Front populaire à Matignon Lucie Castets, et la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet ont échangé, pendant plus d’une heure et demie, vendredi 13 septembre, sur la riposte au coup de force d’Emmanuel Macron.
« Le 1er octobre doit être le début du retour de la mobilisation contre la réforme des retraites », a prévenu d’emblée Sophie Binet. Alors que les ministres démissionnaires comme le nouveau chef du gouvernement, Michel Barnier, essaie déjà de préparer les esprits à l’austérité, la contre-offensive s’organise aussi en vue de l’examen des prochains budgets de l’État et de la Sécurité sociale.
« La politique de l’offre a vidé les caisses »
« La question de l’argent, c’est capital. Le capital s’occupe beaucoup d’argent. Il faudra qu’on s’en occupe aussi ! », explique Fabien Roussel. Et de l’argent il y en a : « En 2007 au début du mandat Sarkozy, les 500 plus grandes fortunes représentaient 270 milliards d’euros, soit 14 % du PIB. En 2012, elles pesaient déjà 320 milliards d’euros. On en est maintenant à 1 200 milliards d’euros, soit 41 % du PIB », rappelle le dirigeant communiste qui assure également qu’il faut « reconstruire une industrie verte, forte » car il s’agit aussi de « créer des richesses pour financer des besoins ». « Si nous voulons financer la protection sociale et la transition écologique, poursuit-il, il nous faut produire des richesses. »
« La politique de l’offre » d’aide aux entreprises « a vidé les caisses », relève de, son côté, la dirigeante de la CGT. Un constat partagé par Lucie Castets : « Le gouvernement nous a mis dans une situation de procédure de déficit excessif. C’est très rare dans l’histoire. Les responsables en sont le président de la République et le ministre des Finances qui ont refusé d’activer le levier fiscal » pour augmenter les recettes de l’État, juge celle qui est devenue le visage du NFP, ajoutant que celui-ci « a un programme financé et finançable ».
La lutte contre l’extrême droite, au cœur des mobilisations lors des législatives, reste également à l’ordre du jour alors que Marine Le Pen et Jordan Bardella sont prêts à adouber Michel Barnier tout en se prétendant du côté des classes populaires. « Nous devons dire ce à quoi correspond le programme du Rassemblement national, lance Lucie Castets. Il correspondra à une politique d’austérité importante, avec 50 milliards d’euros de recette en moins. C’est un programme qui asphyxie nos services publics. C’est un programme qui dénigre les fonctionnaires, la fonction publique mais aussi les travailleurs, dont ils disent qu’il faut réduire le nombre en parlant d’une « administration obèse ». »
Pour arracher des victoires dans les semaines à venir, le Nouveau Front populaire, dont l’élan a été soutenu dès l’origine par des syndicats et des associations, fait face à de nombreux défis. « À gauche, il faut éviter la logique hégémonique », prévient Sophie Binet, qui estime également qu’« il faut repolitiser le syndicalisme » tout en sortant « d’une logique d’instrumentalisation » du syndicalisme par les politiques. En se tournant vers Lucie Castets et Fabien Roussel, la syndicaliste enchaîne : « Nous avons besoin que vous exerciez le pouvoir. On se fera un plaisir d’exercer un contrepouvoir exigeant. »
Et pour y parvenir, l’union fait la force, ont estimé, unanimes, les trois dirigeants. « Nous sommes les plus nombreux, on va leur reprendre le pouvoir. Pour ce, il faut l’unité des salariés ».
Le leader insoumis avait estimé, lors de la manifestation du 7 septembre contre le « hold-up de Macron », qu’il fallait mobiliser jeunesse et quartiers populaires. « Tout le reste, on perd notre temps », avait ajouté le triple candidat à la présidentielle, lors d’une discussion avec des militants. « Nous sommes tous une même classe, la classe des travailleurs », au-delà des différences de couleur, de lieu d’habitation, de religion, a jugé Fabien Roussel vendredi.
mise en ligne le 13 septembre 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
C‘est devenu un marronnier ces dernières années. Chaque trimestre ou chaque année, les journaux titrent sur un record de dividendes versés aux actionnaires dans le monde. L’année 2024 ne devrait pas faire exception, au regard des chiffres à l’échelle planétaire. En revanche, la baisse de la part des revenus du travail fait plus rarement la une. Pourtant, celle-ci est confirmée par l’OIT.
L’Organisation internationale du Travail (OIT) alerte sur l’aggravation des inégalités. Selon son rapport de septembre 2024 sur les Perspectives sociales et de l’emploi dans le monde, la part des revenus du travail a baissé de 0,6 point à l’échelle planétaire entre 2020 et 2022.
De quoi s’agit-il ? La part des revenus du travail mesure la proportion du revenu total d’une économie que les personnes gagnent en travaillant. Celle-ci est tombée à 52,3 % en 2022. Ces revenus s’additionnent aux revenus du capital pour former le revenu total d’une économie, rappelle l’OIT.
Vingt ans de baisse des revenus du travail
a pandémie de Covid-19 explique en partie la baisse observée entre 2020 et 2022, mais la diminution de la part des revenus du travail se poursuit depuis au moins 20 ans. En effet, depuis 2004, cette part a chuté de 1,6 point. Pour la seule année 2024, cela représente une perte de 2 400 milliards de dollars pour les travailleurs à l’échelle mondiale. La principale cause de cette baisse au cours des deux dernières décennies est l’évolution technologique, notamment l’automatisation. Si l’OIT note qu’elles ont « stimulé la productivité et la croissance économique », l’organisation précise que « les travailleurs n’ont pas bénéficié équitablement des gains qui en ont découlé ».
Pour noircir encore le tableau, les inégalités ne se limitent pas à la répartition des revenus entre capital et travail. En plus d’une distribution inégale de cette répartition selon les zones géographiques, l’écart de revenu entre les femmes et les hommes reste immense et ne se réduit que très marginalement. En moyenne, dans le monde, lorsqu’un homme gagne 1 $, une femme ne gagne que 0,518 $. En 2005, une femme gagnait 0,47 $. À rythme constant, l’égalité ne serait atteinte qu’en 2221.
Je travaille, tu travailles, ils profitent
Si la part des revenus du travail baisse dans le monde, on ne peut pas en dire autant de celle du capital. Mardi 10 septembre, le cabinet Janus Henderson a annoncé qu’au second trimestre 2024, les grandes entreprises cotées ont distribué 606,1 milliards de dollars à leurs actionnaires. Soit 5,8 % de plus que l’année précédente, déjà marquée par un record – tout comme les années 2022 et 2021.
L’Europe est particulièrement bien placée du point de vue de la répartition mondiale des dividendes. Elle enregistre une progression de 7,7 %, grâce à des montants records en France, en Italie, en Suisse et en Espagne, explique le rapport. La France affiche à elle seule 58,6 milliards de dollars sur les 204,6 milliards absorbés par les actionnaires. Des chiffres qui devraient éclairer les débats sur le déficit budgétaire et le prochain projet de loi de finances en France, alors que tout indique que le gouvernement de Michel Barnier prépare une cure d’austérité.
mise en ligne le 13 septembre 2024
Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr
À l’occasion de la Fête de l’Humanité, nous publions notre baromètre annuel, en partenariat avec l’Ifop. Il montre une percée du nombre de personnes se déclarant de gauche et fières de l’être, et un consensus autour de plusieurs mesures économiques emblématiques. L’effet NFP ? En partie, mais celui-ci peine encore à convaincre de sa pérennité.
La courte victoire du Nouveau Front populaire (NFP) aux dernières législatives illustre-t-elle une percée des idées de gauche dans l’opinion ? Question cruciale pour les formations de gauche et les mois à venir. Celle-ci irrigue le 11e baromètre de l’Humanité, réalisé en partenariat avec l’Ifop, que nous publions chaque année pour la Fête de l’Humanité qui se tient ce week-end, dans l’Essonne.
Premier enseignement de cette enquête : l’arrivée en tête du NFP n’a pas suscité d’inversion du positionnement politique des sondés. Il y a toujours moins de personnes qui se déclarent de gauche (44 %, contre 43 % en septembre 2023) que de droite (56 %, dont 13 % à l’extrême droite – un record). « Mais, attention, la gauche existe encore et même plus que jamais, si l’on prend du recul sur ces dix dernières années, relève Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. Il n’y a jamais eu autant de personnes de gauche qui se déclarent fières de l’être (74 %, contre 56 % en 2014) et qui pensent que la gauche peut gouverner sans se renier (81 %). »
Pour le sondeur, il y a un « effet d’éloignement temporel du quinquennat Hollande » : le souvenir des promesses trahies s’estompe, tandis que la politique d’Emmanuel Macron, clairement perçue comme de droite par 81 % des Français qui se déclarent de gauche (11 % d’entre eux estiment même que le président mène une politique d’extrême droite), réactive toujours plus un clivage net.
« Si la séquence, des européennes à la nomination de Michel Barnier, a opéré une clarification, c’est celle-ci, note Frédéric Dabi : à gauche, on ne croit plus qu’Emmanuel Macron représente une forme d’ “en même temps”, il est clair aux yeux de ses électeurs qu’il est de droite. »
Consensus sur les superprofits et les aides aux entreprises
Conséquence : cet électorat de gauche, qui attend de manière nette une autre forme de politique – ce qui est conforme aux résultats des législatives – et estime que la gauche est tout à fait en capacité d’appliquer son programme, contrairement au discours médiatique dominant, voit d’un mauvais œil l’hypothèse d’un accord du Nouveau Front populaire avec la Macronie : 56 % des Français de gauche estiment qu’un gouvernement NFP qui accueillerait des personnalités issues du bloc macroniste ne serait plus en mesure d’appliquer une politique de gauche. Ce serait, pour ainsi dire, faire entrer le loup dans la bergerie.
Alors qu’Emmanuel Macron a fait barrage à un gouvernement du NFP avec Lucie Castets pour première ministre, le baromètre de l’Humanité montre que plusieurs mesures phares de la coalition de gauche auraient remporté un large assentiment des Français.
Trois propositions, notamment, font l’objet d’un consensus auprès des sondés de gauche comme de l’ensemble des citoyens. Tout d’abord, la lutte contre l’accaparement des richesses (plébiscitée par 91 % des Français de gauche et par 88 % de l’ensemble des Français), à l’heure où 10 % des plus riches détiennent plus de 50 % du patrimoine total, selon les chiffres de 2024 de la Banque de France.
Ensuite, le conditionnement des aides aux entreprises à des contreparties sociales et environnementales (gauche : 89 % d’opinion favorable ; ensemble des Français : 87 %) et, enfin, la taxation des profits des multinationales (gauche : 90 % ; ensemble des Français : 83 %). « On est en plein dans le programme du NFP, donc la bataille culturelle est loin d’être perdue, notamment sur les marqueurs économiques », note Frédéric Dabi.
Sur ces points, une gauche qui appliquerait son programme se superposerait aux attentes des Français. Une majorité de Français se montrent également favorables à l’abrogation de la réforme des retraites (63 %) et à la suppression du 49.3 (66 %). Quasiment deux ans après l’adoption au forceps du texte, preuve est faite qu’Emmanuel Macron a toujours une large majorité, plurielle, contre lui, sur ce point.
Immigration et insécurité, les mots qui clivent
Le directeur de l’Ifop relève ainsi une forme « d’homogénéisation des positions » sur certains thèmes, loin du mythe d’une France polarisée à l’extrême, où les citoyens ne parleraient plus la même langue : « La question des services publics, par exemple, n’est plus seulement un marqueur de gauche. Même à droite, désormais, on considère que le recul des services publics est synonyme de déclin pour un territoire. »
Reste toutefois à la gauche d’incarner encore plus l’idée que c’est elle, bien plus que la droite et les gouvernements en place, qui fait des services publics une priorité. Frédéric Dabi note également que « d’un point de vue déclaratif, les interrogés valident le clivage gauche-droite, mais dans les faits, il y a de nombreux items où les positions ne sont pas tant antagonistes et convergent. C’est surtout sur les marqueurs sociétaux que le clivage reste marqué entre la gauche et la droite ».
Sans surprise, c’est en effet sur les questions d’immigration et d’insécurité que l’on relève le plus fort clivage. À gauche, 55 % des sondés estiment que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte à la France, contre 23 % à droite. De même, si à gauche le fait d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les municipales est perçu positivement (66 % sont pour), 64 % des personnes de droite y sont défavorables.
Les marqueurs sécuritaires, ultra-sollicités par le reste des interrogés, ne sont pas prioritaires dans le panel de gauche, qui identifie la meilleure répartition des richesses, la hausse des salaires et la protection de l’environnement comme les trois chantiers prioritaires d’un gouvernement progressiste.
Le baromètre enseigne donc que la gauche dispose d’une majorité d’idées en France, au-delà de son propre camp, sur des mesures phares de son programme économique. Mais aussi qu’il lui reste à convaincre sur la question de l’antiracisme (73 % des gens de gauche estiment qu’un racisme systémique a cours en France, contre 58 % à droite), de l’écologie (à droite, ils sont 57 % à penser qu’elle est compatible avec le capitalisme), ou encore des violences policières (72 % des Français de gauche considèrent qu’elles existent, contre 47 % pour ceux de droite).
Des doutes quant à l’avenir de l’union
Malgré le bel espoir qu’il a suscité et le score inattendu qu’il a réalisé lors des dernières législatives, le Nouveau Front populaire, en tant que tel, ne fait pourtant pas consensus. Tout d’abord, la coalition de gauche revient comme le mot perçu le plus négativement par les Français classés à droite, où il fait figure d’épouvantail (devant les mots « immigration », « communisme » et « grève »). « Il est clair qu’à droite, on craint que le NFP n’arrive au pouvoir et n’applique son programme, malgré les points de convergence observés », relève Frédéric Dabi.
Mais, à gauche aussi, l’enthousiasme est mesuré : seuls 52 % des sondés se déclarant de gauche estiment que le terme « Nouveau Front populaire » a une connotation positive. Comment expliquer cette méfiance ? « Il y a, dans les Français qui se déclarent de gauche, de nombreuses personnes de tendance sociale-démocrate qui voient cette alliance comme trop radicale, ou penchant encore trop du côté de Jean-Luc Mélenchon, même si celui-ci est bien plus en retrait qu’à l’époque de la Nupes », analyse Frédéric Dabi.
En témoigne la percée au baromètre de l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann parmi les personnalités citées comme incarnant le mieux la gauche. Surtout, 61 % d’entre eux estiment que le NFP sera amené à se désunir et à disparaître. « C’est à peu près le même pourcentage qu’avec la Nupes, l’an dernier, note le sondeur. Le souvenir de la désunion de la précédente alliance ne plaide pas en faveur du Nouveau Front populaire, pour beaucoup. »
Ce pessimisme quant à la pérennité de l’alliance électorale née des législatives est d’autant plus net que, dans le même temps, les Français de gauche attendent toujours une candidature unique (à 61 %) en 2027. En clair, pour vaincre les doutes, le NFP devra montrer sa capacité à trancher l’épineuse question d’une incarnation commune à la présidentielle, sans que l’obstacle n’ait raison de sa solidité. Et organiser le nécessaire débat entre les deux grandes familles de la gauche, ni irréconciliables, ni conciliantes l’une envers l’autre : la gauche de rupture et la social-démocratie.
mise en ligne le 12 septembre 2024
Roger Martelli sur https://regards.fr
Courant après une « opinion publique » abreuvée des thèses de l’extrême droite, la gauche en finit par prendre le « problème » migratoire pour acquis.
En Allemagne, le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, a décidé de renforcer les contrôles aux frontières pour lutter contre l’immigration clandestine. Au Danemark, qui avait été en 1952 le premier pays au monde à ratifier la convention de Genève sur les réfugiés, les socialistes se sont mis à assumer une politique migratoire qui fait de leur pays un champion des restrictions migratoires.
Est-ce la réalité des problèmes sociaux qui pousse à ce choix ? Non. On s’y résout parce que l’extrême droite a imposé son credo anti-immigration comme une donnée d’évidence. Et, comme toujours lorsqu’elle marque des points, il se trouve des forces pour expliquer que les questions posées par elle sont pertinentes et qu’il faut simplement y répondre autrement. En Allemagne, Sahra Wagenknecht le dit depuis longtemps, alors même qu’elle a été une figure de l’aile gauche de Die Linke. Et ses propos ont trouvé chez nous à l’époque des échos favorables, y compris au sein de La France insoumise.
Nous revoilà en tout cas au point de départ, à un moment où la scène politique européenne s’infléchit vers la droite. Il ne faut pas donner des armes à l’extrême droite. Chercheurs, militants associatifs, experts du dossier migratoire peuvent toujours expliquer que les mouvements migratoires n’ont rien d’un tsunami, que le « grand remplacement » est une absurdité, que la montée des flux migratoires est un phénomène mondial (voir encadré ci-dessous), etc., les responsables n’en ont cure : si « l’opinion publique » pense que l’immigration est un « problème », il faut le traiter comme tel.
La nouvelle politique migratoire devra mettre en balance les intérêts de tous au lieu de pousser à fond le curseur dans une seule direction. Le défi est considérable : anticiper les « crises migratoires » annoncées par les instances situées en première ligne ; mobiliser au plus tôt les moyens humains nécessaires (et pas seulement sous forme d’emplois précaires) ; rappeler les réussites tout autant que les échec de l’intégration ; saluer le rôle majeur des immigrés dans les emplois « essentiels » (et pas seulement par temps de pandémie) ; relayer publiquement les travaux qui, tels ceux de l’OCDE dans son rapport sur l’année 2001, démontrent que l’immigration rapporte plus au budget public qu’elle ne lui coûte ; rompre avec une logique perverse qui voudrait faire de l’intégration – voire de l’assimilation – une condition d’entrée sur le territoire, alors que l’intégration à la nation s’est toujours effectuée à force de temps, sur une ou deux générations, au prix d’un effort mutuel de toutes les parties. Bref, sortir du déni.
François Héran, Immigration : le grand déni, Seuil, La République des idées, 2023
On conviendra ici que la réalité des migrations se prête mal au jeu des oppositions extrêmes, à la sanctification des murs comme à l’affirmation éthique du « no border ». Mais quand, à gauche, on commence à expliquer que « nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde », on finit très vite par se trouver pris dans un engrenage qui, au nom du réalisme, conduit à des reculs successifs et, à l’arrivée, à l’abandon même des valeurs. Car, le contrôle accru des frontières n’étant en aucun cas une solution, s’y engager conduit inexorablement à devoir aller toujours plus loin dans la solution répressive. Cela ne pose aucun problème si, comme à l’extrême droite, on pense que la clôture nationale est en elle-même une valeur.
Mais si l’on s’y refuse, on doit avoir d’autres ambitions que celles de faire mieux que la droite ou l’extrême droite et, en aucun cas, on ne peut laisser croire qu’une gestion humaine volontaire des flux migratoires repose d’abord sur des moyens techniques de contrôle. Pour « accueillir » – et comment ne pas le faire quand on sait que les migrations continueront d’augmenter à l’échelle planétaire ? –, il faut une société compatible avec l’exigence de partage, de solidarité, d’impératif absolu des droits humains, d’inclusion et non d’exclusion.
Si la gauche n’est pas capable de se porter à ce niveau de projet, si elle n’installe pas le récit de cette société nécessaire et possible, elle se perdra elle-même et elle perdra, sur le terrain des valeurs tout autant que sur celui du réalisme.
mise en ligne le 2 septembre 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
Après le cirque indigne d’une démocratie qui a mené à la nomination de Michel Barnier à Matignon, la secrétaire générale de la CGT promet une rentrée des plus offensives. Sophie Binet entend pousser le rapport de force lors de l’examen du budget à l’Assemblée. Nous l’avons rencontrée avant son passage à la Fête de l’Humanité et la journée de mobilisation du 1er octobre.
La CGT n’entend pas laisser de répit à Emmanuel Macron. Jeudi 5 septembre, près d’une heure après la nomination de Michel Barnier à Matignon, « l’Humanité magazine » rencontrait Sophie Binet. La secrétaire générale de la CGT avait déjà annoncé une journée de mobilisation le 1er octobre, jour où arrive le budget 2025 devant les députés. Après le déni de démocratie du chef de l’État, cette date prend une tournure bien plus politique, alors que la cégétiste, une des figures de l’élan populaire post-dissolution, entend arracher des avancées sociales.
Après les législatives, vous vous attendiez à un coup de force d’Emmanuel Macron. C’est chose faite avec Michel Barnier à Matignon. Le chef de l’État devra-t-il se résoudre à amoindrir, voire abandonner sa politique économique pour apaiser le pays ?
Sophie Binet : C’est une évidence. D’abord, les électeurs ont pris leurs responsabilités pour battre l’extrême droite. Ensuite, la politique économique et sociale d’Emmanuel Macron a été lourdement sanctionnée. En multipliant les cadeaux aux plus riches, Bruno Le Maire et le chef de l’État ont creusé le déficit de 1 000 milliards depuis 2017. Un millier d’élèves handicapés n’ont pu être scolarisés à la rentrée. Il n’y a jamais eu autant d’enseignants contractuels, c’est-à-dire sans formation. Les urgences arrivent en bout de course. Le bilan d’Emmanuel Macron est une catastrophe.
En cherchant à neutraliser une motion de censure du RN, le président de la République a une nouvelle fois joué avec l’extrême droite, au détriment du sursaut républicain dans l’entre-deux-tours…
Sophie Binet : En plaçant le RN en faiseur de rois, Emmanuel Macron s’assoit sur le vote des Français. Marine Le Pen aura le pouvoir de vie ou de mort sur Michel Barnier. Le chef de l’État s’est placé en situation de dépendance à l’extrême droite. Dans toutes les autres démocraties parlementaires, c’est la force politique arrivée en tête qui a la responsabilité de construire une majorité. C’est seulement si elle n’y parvient pas que les autres partis prennent la main. En réalité, Emmanuel Macron veut conserver son pouvoir personnel. Or, président de la République ne signifie pas avoir les pleins pouvoirs. Sa politique est fluctuante sauf dans un domaine : ses orientations économiques au service des puissants. C’est pour maintenir cette politique économique qu’Emmanuel Macron a écarté le NFP de Matignon.
En réponse, la CGT appelle à une journée de mobilisation le 1er octobre. Quelles sont les priorités de la CGT ?
Sophie Binet : Ce sont les syndicats de retraités qui ont initié le 1er octobre. Nous l’avons confédéralisé car c’est une date unitaire. C’est aussi le jour de l’arrivée du budget 2025 à l’Assemblée. Cet exercice est central pour nos vies. Sans mobilisation nous risquons une violente austérité : jours de carence, franchises médicales, coupes dans les services publics. Nous le disons à Michel Barnier : pour redynamiser nos services publics, les impôts des plus riches et des multinationales devront augmenter.
De plus, il est intolérable que les 170 milliards d’aides publiques à destination des entreprises ne soient pas conditionnées à des impératifs sociaux et environnementaux. Nous irons arracher les augmentations de salaire, à commencer par l’indexation sur les prix et une réévaluation du Smic. Sans mobilisation, Emmanuel Macron continuera sa politique de casse sociale. Mais, grâce au sursaut populaire à la suite de la dissolution, le chef de l’État n’a jamais été aussi fragilisé. Après avoir évité le pire, l’arrivée de Bardella à Matignon, nous voulons gagner le meilleur. Macron ne comprend que le rapport de force. Or, la force est avec nous. Ne nous laissons pas emporter par le fatalisme, ayons conscience des points marqués depuis 2022.
Lesquels ?
Sophie Binet : Nous avons empêché une victoire du RN. La gauche est arrivée en tête des législatives anticipées, ce qu’aucun commentateur n’avait prédit. Emmanuel Macron ne contrôle plus rien dans le pays. Sa capacité d’action est contrainte par le Parlement. Le gouvernement Barnier va être le plus faible de la Ve République. Le chef de l’État a dû abandonner les réformes d’assurance-chômage, du logement, de l’audiovisuel public, de la fonction publique, du Code du travail.
Ces victoires ont été arrachées par la mobilisation et par les urnes. Sans la dissolution, nous nous préparions à une rentrée de résistance. Nous sommes désormais en situation de conquête sociale. Qui aurait annoncé, un an en arrière, que le débat de cette rentrée serait l’abrogation de la réforme des retraites ? Une majorité de députés s’y disent disposés. Quoi qu’en pense le gouvernement Barnier, les députés font la loi. Si l’exécutif a la moindre hésitation, je les invite à organiser un référendum. Le résultat sera sans appel.
En l’état actuel du rapport de force, est-il possible d’imposer un meilleur partage des richesses ?
Sophie Binet : Le patronat fait primer les intérêts des actionnaires sur celui des entreprises. Le programme du NFP était dérangeant pour le Medef parce qu’il opère un rééquilibrage en faveur du monde du travail. Le patronat a brillé par son silence complaisant face à l’extrême droite. Or, la montée du racisme s’opère aussi sur les lieux de travail. Si le patronat se comporte en simple corporation défendant seulement ses intérêts économiques de court terme, alors il n’a plus de légitimité dans le débat démocratique. Nous devrons affronter le capital pour le faire céder. Cela nécessite de grandes mobilisations sociales.
Le 1er octobre n’est pas une journée de témoignage pour se retrouver entre militants syndicaux. Nous voulons gagner des avancées concrètes pour nos vies. J’appelle les salariés, dans les entreprises, à chiffrer leurs besoins de hausses salariales et à les exiger de leurs patrons en se mettant en grève à compter du 1er octobre. J’appelle les milliers de salariés de l’industrie menacés par des plans de licenciement à s’emparer de cette journée pour défendre leurs emplois. Le délabrement de nos services publics est un problème, pas seulement pour les fonctionnaires, nous voulons gagner le financement nécessaire. Sur l’ensemble du territoire, les députés doivent être interpellés. La réforme des retraites a été introduite au Parlement par un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Nous pouvons la défaire lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025.
Solidaires et la FSU appellent également à se mobiliser le 1er octobre. Mais vous n’êtes pas suivi par l’ensemble de l’intersyndicale. Sans retomber dans les divisions des années 2010, faut-il entrevoir la fin d’une dynamique unitaire issue du mouvement de 2023 ?
Sophie Binet : Lors du 1er mai, les commentateurs avaient prédit la fin de l’intersyndicale, l’ensemble des organisations n’étant pas dans la rue. Dès le lendemain, nous nous sommes retrouvés contre la réforme de l’assurance-chômage. Une majorité d’organisations syndicales se sont mobilisées contre l’extrême droite. Oui, nous avons des stratégies et histoires syndicales différentes. Mais cela n’impacte pas notre dynamique unitaire. Nous faisons primer ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise. D’ailleurs nous avons tenu une intersyndicale le 9 septembre. Une campagne unitaire contre le racisme et l’antisémitisme dans les entreprises sera prochainement lancée. Enfin, au lendemain du scrutin législatif, sept organisations syndicales ont signé une plateforme revendicative commune interpellant l’exécutif : abrogation de la réforme des retraites, hausse des salaires, défense de l’industrie et financement des services publics.
Dans ce contexte politique, aucune grève n’a été impulsée durant les jeux Olympiques. Assumez-vous cette stratégie ?
Sophie Binet : La grève ne se décrète pas. Je n’ai malheureusement pas de bouton rouge « grève générale » sur mon bureau. Les salariés se mettent en grève sur leurs revendications. La CGT a déposé des préavis, durant les JO, dans de nombreux secteurs. La cérémonie d’ouverture a failli ne pas se tenir, parce que les organisateurs refusaient de payer dignement les danseurs. Et, à trois jours de l’événement, nous avons gagné le doublement des rémunérations. Idem à la Monnaie de Paris, qui frappait les médailles olympiques. Nous avons obtenu des primes pour compenser le surcroît de travail. Ces salariés n’étaient pas favorables à déposer des préavis. Ils étaient fiers de travailler à la réussite des jeux Olympiques.
En fin de compte, il n’y a pas eu de grèves parce que les salariés ne l’ont pas souhaité. Il faut arrêter le fantasme des pseudo-grèves par procuration. Les cheminots, les énergéticiens, les dockers… ne supportent plus ces discours. Chacun doit prendre ses responsabilités, non pas quelques secteurs professionnels. Durant le mouvement des retraites, ces secteurs dans lesquels la CGT est la plus implantée se sont sentis très seuls pour construire les grèves reconductibles. Les énergéticiens ont tenu cinquante jours, les dockers pas loin d’un mois, idem chez les éboueurs… Ils le paient cash avec une terrible répression antisyndicale et plus de 1 000 procédures ouvertes contre nos militants et nos dirigeants.
La charte sociale des JO, négociée par Bernard Thibault, doit-elle s’inscrire dans la loi ?
Sophie Binet : Cette charte a permis de diviser par quatre le nombre d’accidents du travail sur les chantiers. Aucun accident mortel n’est à déplorer. Il n’y a donc pas de fatalité. Ces mesures doivent être généralisées à tous les secteurs d’activité. Cela implique de recruter des inspecteurs du travail, de créer de nouvelles prérogatives pour les délégués du personnel en commençant par restaurer les CHSCT et de limiter la sous-traitance.
Quelle adaptation de la CGT aux mutations du salariat ?
Durant le mouvement contre les retraites, les grèves ne se sont pas étendues parce que les déserts syndicaux sont trop nombreux. Les taux de syndicalisation sont faibles. Il faut rompre avec le syndicalisme par procuration, encourager ceux qui partagent le discours de la CGT à se syndiquer. La CGT a des transformations à opérer et une réflexion interne est engagée. Nos formes de syndicalisation doivent s’adapter aux petites et moyennes entreprises, en développant les syndicats de territoire.
Par exemple, dans la construction, des syndicats départementaux regroupent des salariés de différentes entreprises. Depuis la dissolution, plusieurs milliers de syndiqués nous ont rejoints, notamment des jeunes, des femmes et des cadres. C’est très positif. Mais cela doit s’accompagner d’un travail dans la durée pour porter spécifiquement les revendications des salariés les plus qualifiés sans que cela n’invisibilise les ouvriers et les employés, qui doivent rester le centre de gravité de la CGT.
En dix-huit mois comme secrétaire générale, vous avez multiplié les déplacements dans les entreprises. Quel est le pouls dans le monde du travail ?
Sophie Binet : Malgré une participation record, la moitié des ouvriers et 42 % des employés n’ont pas voté lors des législatives. Les raisons structurelles de cette abstention sont inquiétantes, à commencer par la distanciation des partis de gauche et du monde du travail. La gauche a souvent trahi les attentes. Elle doit redevenir le parti du travail. Rien n’est jamais écrit d’avance. C’est par notre mobilisation collective, y compris de la CGT, que nous avons arraché le résultat du 7 juillet. Cela doit nous donner confiance en l’avenir. Pour éviter l’extrême droite, nous connaissons les prérequis : l’union des forces de gauche, sur un programme de rupture, accompagné d’une reconnexion avec le monde du travail.
Pour sortir de la dualité emploi contre transition écologique, la CGT travaille à des contre-projets industriels dans les territoires. Quelle est cette méthode ?
Sophie Binet : La CGT pense, avec les travailleurs, à la transformation des moyens de production. Les contradictions entre le social et l’environnement ne se dépasseront pas d’en haut. Le chantage à l’emploi qu’exerce le patronat fait monter l’extrême droite. À Tefal, la CGT a eu le courage d’affronter le patronat qui veut continuer à produire des poêles avec des polluants éternels et menace de fermer l’usine. Pour cela, nous avons croisé les points de vue entre les salariés, les citoyens et les scientifiques. Et nous travaillons activement à des alternatives aux polluants éternels.
À gauche, entre les syndicats, les ONG et les partis, nous devons pousser le débat pour dépasser nos désaccords. On doit se dire qu’il n’existe pas d’énergie sans impact environnemental. Or nous avons besoin d’énergie pour relocaliser notre industrie, améliorer nos conditions de vie et répondre au basculement des voitures thermique vers l’éclectique. Il s’agit donc, en la matière, de définir une balance coût/inconvénient. À ce stade, il nous semble impossible de sortir des énergies fossiles sans électricité nucléaire. Je ne crois pas que nous soyons prêts à recouvrir nos espaces naturels d’éoliennes, de panneaux solaires et de barrages.
Le combat des Duralex, à La Chapelle-Saint-Mesmin, a marqué l’actualité sociale de l’été. La CGT, majoritaire, n’a pas soutenu la transformation de l’usine en Scop. Quelles sont vos réticences ?
Sophie Binet : Nous sommes inquiets sur la solidité financière et industrielle de la Scop. Cependant, le projet a été retenu et nous devons tout faire pour sa réussite. L’absence d’exécutif est préjudiciable. La commande publique peut pérenniser l’entreprise. Les collectivités et l’éducation nationale doivent se fournir chez Duralex.
Les élus locaux de tous bords se sont mobilisés pour sauver une marque iconique. Je note que le rapport de force, impulsé par la CGT depuis trente ans, a forcé un changement de discours sur l’industrie que nous étions bien seuls à défendre.
mise en ligne le 11 septembre 2024
par Samy Archimède (Splann !) sur https://basta.media
Malgré de forts taux de cancers à Saint-Nazaire, les pouvoirs publics restent conciliants avec les pollueurs. Selon Splann !, TotalEnergies a enterré une étude sur l’exposition importante à des substances cancérogènes. Sans réaction de la préfecture.
« Enfin le grand air ! » Lorsqu’il s’installe à Pornichet (Loire-Atlantique) avec son épouse, en février 2018, Didier Ott s’imagine couler des jours tranquilles dans cette station balnéaire cossue, à 12 km à l’ouest de Saint-Nazaire. Loin, très loin de la pollution parisienne qui le faisait tousser. Par curiosité, l’ancien ingénieur informatique polytechnicien se penche sur les chiffres d’Air Pays de la Loire. En épluchant les relevés de l’association chargée de surveiller la qualité de l’air dans la région, il découvre que l’atmosphère de l’agglomération est bien moins pure qu’il ne l’avait imaginé. Il est aussi interpelé par le nombre de personnes frappées par le cancer dans son voisinage.
Les données de l’Observatoire régional de la santé (ORS) des Pays de la Loire confirment son impression : depuis plus de vingt-cinq ans, le bassin nazairien affiche un bilan de santé peu reluisant comparé au reste de la Loire-Atlantique. Le risque d’avoir un cancer du poumon y est plus élevé (+19 %) que dans le reste du département. Pour le cancer du nez, de la bouche, du pharynx, du larynx, de la trachée ou de l’œsophage, la différence est encore plus nette : +28 %. Au total, selon l’ORS, les hommes habitant à Saint-Nazaire et dans les communes alentour meurent beaucoup plus souvent avant 65 ans (+42 %) que la moyenne des Français.
Pour Michel Bergue, l’ancien sous-préfet de Saint-Nazaire, l’explication est simple : « Ce n’est pas la pollution industrielle qui cause le cancer. C’est le tabac et l’alcool. » Une affirmation sans base scientifique, émise en 2019, et qui continue de faire scandale dans le milieu ouvrier nazairien, comme nous l’avons constaté au cours de notre enquête.
« L’alcool n’explique pas tous les cancers »
Saint-Nazaire a beau être bordée par de jolies plages et avoir pour voisines La Baule et Pornichet, c’est une ville industrielle où cohabitent, en fonction de l’orientation des vents, fumées des Chantiers de l’Atlantique, rejets de peinture d’Airbus et effluves de leurs sous-traitants. Un cocktail auquel il faut ajouter les arômes de « beurre » de Cargill liés à la fabrication de ses huiles de tournesol et susceptibles de provoquer des maladies respiratoires. Mais aussi les émanations du producteur d’engrais chimiques Yara (à 9 km à vol d’oiseau) et les composés organiques volatiles (COV) de la raffinerie TotalEnergies (à 12 km).
« D’un côté, la préfecture met l’accent sur le tabac et l’alcool. De l’autre, les associations pointent du doigt la pollution industrielle. La vérité est probablement entre les deux », estime la médecin Juliette Heinrich, autrice en novembre 2023 d’une thèse sur « les facteurs de risques de cancers » dans l’agglomération. « L’alcool y semble plus présent que dans le reste de la France. Mais ça n’explique pas tous les cancers, en particulier pas les cancers du poumon », assure-t-elle à Splann !. D’autant plus qu’« il n’existe pas de données sur le tabagisme à l’échelon de la Carène », la communauté d’agglomération de Saint-Nazaire et son estuaire.
Les intérêts économiques défendus par la préfecture
Didier Ott, lui, suspecte l’existence d’un lien entre pollution industrielle et cancers. L’ancien Francilien est devenu en quelques années un véritable spécialiste de la qualité de l’air. Son obsession : démasquer les pollueurs et réduire l’exposition des riverains aux particules nocives. Membre de la Ligue des droits de l’homme, il a rejoint dans leur combat des habitants installés de longue date dans l’agglomération, comme Philippe Dubac et Christian Quélard. Ces derniers ont créé en 2015 l’association Vivre à Méan-Penhoët (Vamp), du nom d’un vieux quartier ouvrier nazairien, pour empêcher l’extension de Rabas Protec, un sous-traitant d’Airbus spécialisé dans le traitement de surface de pièces d’avion.
« L’entreprise prévoyait d’utiliser, à 200 mètres d’une école et à 30 mètres des premières habitations, des produits anti-corrosifs particulièrement dégueulasses », raconte Philippe Dubac. Notamment du chrome VI, classé cancérogène certain par le Centre international de recherche contre le cancer. Saisi par VAMP, le tribunal administratif de Nantes donne raison à l’association en novembre 2018.
Deux semaines plus tard, la préfecture signe malgré tout un arrêté permettant à l’entreprise de continuer à utiliser ces produits. Son argument ? Préserver « l’intérêt général tiré des graves conséquences d’ordre économique et social qui résulteraient de la suspension de l’activité de la société Rabas Protec et impactant notablement la filière régionale du secteur aéronautique ». Cerise sur le gâteau, le ministère de la Transition écologique dépose peu après une requête contre la décision du tribunal administratif de Nantes. Une décision pourtant « favorable à la santé des riverains », s’indigne le président de Vamp, Christian Quélard. L’État préférerait-il préserver des intérêts économiques au détriment de la santé des Nazairiens ? Le ministère n’a pas souhaité nous répondre.
Depuis plus de dix ans, des associations de riverains bataillent à coup de pétitions, de manifestations, de réunions publiques et d’interventions dans la presse, pour tenter de faire la lumière sur les pollutions industrielles et leur impact sanitaire. Dès 2013, l’AEDZRP, association de riverains basée à Donges (où se trouve la raffinerie TotalEnergies), rejointe ensuite par Vamp, demande à la Préfecture la mise en place d’une étude épidémiologique. En vain. Alarmés par les chiffres de mortalité par cancers des habitants de l’agglomération, le sénateur Yannick Vaugrenard (PS) et la députée Audrey Dufeu (LREM) portent la parole des associations jusqu’à l’Assemblée nationale et au ministère de la Santé.
« Il n’est pas acceptable, après la publication des chiffres de l’an passé, de devoir attendre aussi longtemps pour la mise en place de cette étude », écrit Audrey Dufeu en octobre 2020 dans un communiqué de presse. Cinq mois plus tard, la préfecture lâche enfin du lest. Mais au lieu de s’engager dans une étude épidémiologique, elle opte pour une simple étude de zone. Objectif : identifier les sources de pollution et évaluer les risques sanitaires. Un comité d’orientation stratégique pilote cette étude. Y siègent le sous-préfet de Saint-Nazaire, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), des cabinets d’étude, des chercheurs et des associations comme Vamp et l’AEDZRP.
Interrogée par Splann !, la préfecture de Loire-Atlantique annonce que « près de 200 sites » potentiellement polluants et « 47 substances » nocives ont été identifiés dans le cadre de cette étude de zone. Elle voit dans ces chiffres la preuve d’une « étude ambitieuse ». En réalité, si la majorité des sites classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ont répondu au questionnaire (facultatif) visant à répertorier les substances dangereuses qu’ils produisent ou stockent, c’est loin d’être le cas des autres entreprises, souvent sous-traitantes. Seules 16 des 94 sociétés non classées ICPE contactées ont accepté de fournir ces informations.
Des données officielles peu fiables
Autre carence : les particules ultrafines, notamment celles contenues dans les fumées de soudage, véritable serpent de mer aux Chantiers de l’Atlantique, sont exclues de l’étude en dépit de leur caractère cancérogène avéré (lisez la précédente enquête « À Saint-Nazaire, le coût humain des bateaux de croisière »).
Quant aux polluants présents dans le sol, ils ont dans un premier temps été tout simplement évacués de l’étude. Sous l’insistance des associations, la préfecture a finalement accepté de réaliser des prélèvements dans des jardins potagers. Mais la méthodologie utilisée rend très sceptique Thierry Lebeau, professeur à l’Université de Nantes, spécialiste depuis vingt ans de la pollution des sols et membre du comité d’orientation stratégique de l’étude de zone : « Le nombre de prélèvements prévus (entre 14 et 36) est très faible et ne permettra pas de tirer des conclusions fiables quant au risque d’exposition des populations de la zone d’étude aux contaminations des sols ». De plus, insiste-t-il, « les potagers ne représentent qu’une partie infime du territoire étudié. »
L’état des eaux souterraines ne semble pas préoccuper davantage la préfecture qui a répondu à Splann ! : « La majorité des puits n’a pas d’usage. Lorsqu’il y a un usage, celui-ci concerne l’arrosage des potagers et/ou des plantes. » Elle a malgré tout décidé de confier à l’Agence régionale de santé (ARS) une campagne de prélèvements sur des puits privés à Saint-Nazaire. Résultat : des pollutions aux métaux lourds bien moins importantes que celles révélées il y a un an par l’association Vamp.
Agir face au silence des autorités
Quel crédit accorder à l’étude de zone si elle est réalisée à partir de données parcellaires et d’échantillons non représentatifs ? La question hante de plus en plus les associations de riverains. Pour Didier Ott, il faut continuer à montrer du doigt les pollueurs et faire pression sur les pouvoirs publics. L’ancien ingénieur informatique a répertorié toutes les sources de pollutions industrielles connues dans l’estuaire.
À chaque manifestation devant la sous-préfecture, il déambule avec une grande carte des « émetteurs de polluants dangereux dans l’air » accrochée à son cou. Comme le 14 octobre 2023, lors d’un rassemblement contre le fabricant d’engrais industriel Yara : « Il faut m’expliquer pourquoi, à Saint-Nazaire, on a deux stations qui mesurent les émissions des voitures ou du chauffage au bois, mais pas la pollution industrielle ! », s’insurge le retraité, par ailleurs représentant de l’AEDZRP au sein de l’association Air Pays de la Loire.
L’association chargée de la surveillance de la qualité de l’air dans la région calcule quotidiennement un indice global de qualité de l’air qui prend en compte cinq polluants : les particules grossières (dites PM10), les particules fines (PM2,5), l’ozone, le dioxyde d’azote et le dioxyde de soufre. « C’est le ministère de la Transition écologique qui définit cette liste », précise David Bréhon. D’autres polluants tels que le benzène sont mesurés depuis des années autour de la raffinerie. « Mais aujourd’hui, seuls 11 polluants sont réglementés », détaille-t-il, alors qu’il en existe « des dizaines et des dizaines d’autres ». Pour Didier Ott, « il y a un silence assourdissant, un voile pudique mis sur la pollution, ici. Comme si elle n’existait pas ! ».
TotalEnergies enterre une étude cruciale
L’absence de mesures de polluants en continu empêche de connaître en temps réel le niveau de concentration des substances auxquelles la population est exposée en cas d’accident industriel. C’est ce que montre l’accident intervenu le 21 décembre 2022, en fin de journée, à la raffinerie de Donges. Dans la nuit, 770 000 litres de carburant (selon TotalEnergies) se déversent d’un réservoir vers la cuvette de rétention suite à une maintenance défaillante, mettant en danger des centaines de riverains pendant plusieurs jours. Alors que les vents amènent les effluves toxiques jusqu’au bourg de Donges, la préfecture communique dès le 22 décembre sur son site Internet : « Fuite d’essence à la raffinerie de Donges : pas d’impact sanitaire pour la population. »
Le rapport d’Air Pays de la Loire publié le 13 janvier 2023, soit trois semaines après l’accident, révélera pourtant des pics très élevés de composés organiques volatiles dans l’air. Plus troublant encore : l’étude d’impact confiée par TotalEnergies à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) est restée bloquée dans les placards du groupe pétrolier. Remise le 20 janvier 2023, elle démontrait que dans certains quartiers de Donges, la concentration moyenne journalière de l’air en benzène, substance classée cancérogène certaine, a dépassé le seuil d’exposition aigu acceptable pendant les quatre jours qui ont suivi la fuite d’essence. Contacté à ce sujet, TotalEnergies n’a pas souhaité répondre.
Ce rapport, pourtant réalisé par un institut spécialisé réputé pour son indépendance, n’a visiblement pas plu à TotalEnergies. L’entreprise a donc refait elle-même les calculs en utilisant une autre méthodologie pour parvenir, au bout de quatorze mois, à un contre-rapport truffé de formules mathématiques et de graphiques… que l’Ineris n’a pas tardé à tailler en pièces dans un « avis critique » que Splann ! s’est procuré. L’institut national de l’environnement et des risques y pointe des « méthodes de calcul inadaptées », « de nombreuses imprécisions », ainsi que des données essentielles invérifiables, comme le volume d’essence déversé lors de l’accident. Quant à l’évaluation des risques sanitaires, principal objet de la demande préfectorale, elle est « totalement absente » du rapport présenté par TotalEnergies, indique l’Ineris.
« L’État essaye de mettre les problèmes sous le tapis »
Comment expliquer une lacune aussi grave ? Pourquoi les Dongeois n’ont-ils toujours pas été informés, 20 mois après l’accident, des concentrations de benzène très élevés auxquels certains ont été exposés ? Interrogée par Splann !, la préfecture de Loire-Atlantique nous renvoie à la prochaine commission de suivi de site (CSS) de la raffinerie prévue ce vendredi 6 septembre à 15h à la mairie de Donges. Elle ajoute que « de nombreuses informations liées à cet accident ont déjà été communiquées aux acteurs locaux (à travers notamment le partage des mesures de qualité de l’air sur internet, ou l’organisation d’une réunion sur ce thème en janvier 2024) ». Sans pour autant répondre clairement à nos questions.
« La préfecture ne pouvait clairement pas ignorer l’existence du rapport de l’Ineris transmis à TotalEnergies dans le mois qui a suivi la fuite d’essence. Les bras m’en tombent », soupire une source proche du dossier, qui a souhaité rester anonyme. « Encore une fois, l’État essaye de mettre les problèmes sous le tapis. » L’AEDZRP, qui avait alerté les pouvoirs publics, dès le mois de janvier 2023, sur les conséquences de ces concentrations de benzène sur les riverains, dénonce pour sa part « l’écran de fumée mis en place par l’industriel avec la bénédiction de l’État ».
Autant dire que la prochaine CSS de la raffinerie risque d’être mouvementée. Cette instance censée favoriser l’information des citoyens sur les sites Seveso, pilotée par le sous-préfet, rassemble une fois par an des représentants de TotalEnergies, des salariés, des collectivités territoriales, des associations de riverains et l’agence régionale de santé. Le sous-préfet et l’Agence régionale de santé (ARS) pourront difficilement éviter cette question : vingt mois après les faits et en l’absence d’étude sanitaire, comment identifier et suivre médicalement les personnes exposées ?
L’alliance des riverains, chercheurs et syndicats
Mais pour TotalEnergies, cette question est hors sujet. Dans le document de synthèse que la multinationale s’apprête à présenter devant la CSS, elle affirme : « Aucun signalement n’a été transmis à l’ARS concernant un effet sur la santé des riverains des quartiers les plus proches. S’il y avait eu des effets sur la santé, ceux-ci auraient été une potentielle diminution de faible intensité de la prolifération lymphocytaire, qui serait potentiellement réversible sur la durée. »
Malgré des relations tendues avec les pouvoirs publics, les associations de riverains marquent des points et créent des ponts avec des chercheurs et des organisations syndicales. Ils sont devenus une source d’information indispensable aux yeux des journalistes de la presse quotidienne régionale. Leur combat fait écho à celui qui mobilise depuis quatorze ans, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) des habitants, des salariés, des représentants syndicaux et des chercheurs au sein d’un institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions (IECP).
Ce dernier mène des études participatives, en s’appuyant sur un observatoire de 120 volontaires, afin de mieux caractériser les liens entre les fumées émises par le complexe pétrochimique et la santé de la population. « Il aurait fallu faire ça il y a 60 ans », lâche son directeur Philippe Chamaret, ingénieur chimiste de formation. Alors que les particules PM10 [les plus grosses] étaient les seules à être mesurées, l’IECP a mis en place un dispositif de suivi des particules ultrafines, les plus dangereuses pour la santé. Celles, précisément, que la préfecture de Loire-Atlantique a exclues de son étude de zone.
mise en ligne le 11 septembre 2024
Florent LE DU sur www.humanite.fr
Snobé par le président de la République pour Matignon, le Nouveau Front populaire entend s’imposer comme la principale alternative à un bloc bourgeois s’étendant de Macron à Le Pen.
En juin, Emmanuel Macron vendait sa dissolution comme un accélérateur de « clarification » politique. C’est finalement lui, trois mois plus tard, qui l’a réalisée en refusant de nommer une personnalité de gauche à Matignon, lui préférant un élu LR adoubé par l’extrême droite. Pour mieux signifier l’emprise du RN sur cette coalition qui ne dit pas son nom, son président Jordan Bardella a même annoncé, ce week-end, placer Michel Barnier « sous surveillance démocratique ».
La clarification d’Emmanuel Macron pourrait donc aboutir à un système politique proche de celui d’avant 2017, avec un clivage droite-gauche net, à la différence près que le cordon sanitaire entre la droite et son extrême s’estompe… « Désormais, les choses sont claires : nous sommes la seule opposition à la politique de casse sociale qui va être menée par Michel Barnier et son futur gouvernement puisque tous les autres le soutiennent ou l’ont adoubé, estime le sénateur PCF Ian Brossat. La droite et le RN devront être tenus pour responsables des politiques menées par le futur gouvernement. »
Vers un NFP « transformé » ?
Cyniquement, et à condition de limiter les dégâts dans les mois à venir, ce nouveau bloc bourgeois peut-il devenir à terme une aubaine pour la gauche ? « Le sujet est trop grave pour se réjouir de ce cartel des droites. Mais c’est une clarification qui montre que nous sommes la seule alternative à la politique menée depuis au moins sept ans », reconnaît le député Génération.s Benjamin Lucas, qui siège dans le groupe écologiste et social.
Déjà, à gauche, les prochaines échéances électorales, possiblement dans moins d’un an en cas de nouvelle dissolution, sont dans les têtes. Plusieurs cadres parlent ainsi de « campagne permanente » avec la nécessité de convaincre sans cesse de nouveaux électeurs, en plus de pérenniser le rassemblement entre partis. « Nous devons tenir bon et ne pas céder à une forme de désespérance, estime Ian Brossat. N’oublions pas que si nous n’avions pas construit le NFP, Bardella serait à Matignon. »
« Le NFP a créé un espoir et celui-ci ne doit pas se dissiper. C’est un devoir vis-à-vis de nos électeurs de continuer à travailler ensemble », abonde le député FI Éric Coquerel. Y compris avec le PS dans son ensemble, alors que le parti semble se diviser en deux, notamment autour d’une alliance avec la France insoumise ? « Si nous parlons du PS qui est sur la ligne Olivier Faure, oui. C’est ce parti avec lequel nous discutons, le reste ne nous concerne pas réellement. Même si nous voyons bien que certains ont tendance à marquer contre leur camp. »
Dépasser le stade de la coalition d’appareils
Reste que, pour tenir bon face au gouvernement Barnier avant d’aller chercher les 90 sièges qui lui manquent pour atteindre la majorité absolue, le NFP pourrait évoluer. C’est en tout cas ce que souhaitent certaines personnalités échaudées par l’éclatement passé de la Nupes. « Il nous faut dépasser le stade de la coalition d’appareils, avance Benjamin Lucas. Transformer le NFP pour qu’il soit aussi un outil démocratique, organisé sur les territoires, permettant de construire une politique commune, ce que nous n’avons pas réussi à faire avec la Nupes. »
« Il y a des enjeux de structuration à l’échelle locale. On a vu dans les manifestations, samedi dernier, qu’il y a une demande que le NFP persiste, comme représentation de la gauche unie mais aussi d’un outil qui dépasse les partis. C’est un enjeu particulièrement important pour le PS », ajoute le député socialiste Arthur Delaporte.
Au sein de chaque formation, la question se pose également de trouver une organisation dans laquelle chacun garde le même objectif commun. À tel point que Clémentine Autain, qui a quitté la FI en juin, souhaite « structurer de bas en haut » le NFP, notamment pour réfléchir à une méthode de désignation du candidat à la présidentielle de 2027. « Lucie Castets est pour l’instant l’incarnation que le Nouveau Front populaire existe et est possible. Elle a un rôle à jouer », précise-t-elle également.
Les députés NFP font le serment, au moins aujourd’hui, de travailler de manière étroite à l’Assemblée nationale dont les travaux dans l’Hémicycle reprendront au plus tard le 1er octobre. Dans l’opposition, le NFP espère peser davantage que la Nupes lors de la législature précédente. Et ce dès le vote crucial du budget. « Ce sera une bataille parlementaire extrêmement importante, qui peut se terminer par une motion de censure, présente Éric Coquerel, président de la commission des Finances. Il nous faudra donc montrer qu’une alternative existe avec un gouvernement Lucie Castets, montrer notre crédibilité à exercer le pouvoir. Cela passe par faire voter un maximum d’amendements. » Seul contre un bloc des droites en formation, le NFP entend s’imposer comme unique option pour changer de politique.
mise en ligne le 10 septembre 2024
Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel, Luc Chagnon sur https://www.francetvinfo.fr/
Une frappe israélienne sur une zone humanitaire fait au moins 40 morts. La Défense civile de Gaza a annoncé que la zone humanitaire d'al-Mawasi à Khan Younès, avait été touchée par une frappe dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 septembre. Elle a également fait état de 60 blessés ainsi que "15 personnes disparues".
Tsahal ordonne de nouvelles évacuations dans la bande de Gaza. Une carte appelant à évacuer différents quartiers du nord-ouest de l'enclave palestinienne "considérés comme des zones de combat dangereuses" a été publiée sur le réseau social X par un porte-parole de l'armée israélienne. Tsahal, qui poursuit son offensive, avait pourtant annoncé début janvier avoir "achevé le démantèlement de la structure militaire" du Hamas dans le nord.
"Depuis 11 mois, il n'y a jamais vraiment eu de zones sûres [dans la bande de Gaza]." Déclare Jean-François Corty, président de Médecins du Monde,
#ISRAEL_PALESTINE "Le droit humanitaire n'est pas du tout respecté" par Israël dans son offensive dans la bande de Gaza, affirme sur franceinfo Jean-François Corty, médecin et président de Médecins du monde. "On est sur des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au quotidien", affirme le médecin après la frappe israélienne sur la zone humanitaire d'al-Mawassi, à Khan Younès, qui a fait au moins 40 morts et 60 blessés.
#ISRAEL_PALESTINE L'offensive israélienne dans la bande de Gaza a fait 41 020 morts depuis octobre dernier, selon le nouveau bilan quotidien du ministère de la Santé du Hamas. Au moins 32 personnes ont été tuées ces dernières 24 heures, selon le mouvement islamiste. Suivez notre direct.
#ISRAEL_PALESTINE "Je condamne fermement les frappes aériennes meurtrières menées aujourd'hui par Israël dans un secteur densément peuplé, une zone humanitaire définie par Israël à Khan Younès où s'abritaient des personnes déplacées", a déclaré l'émissaire de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient dans un communiqué. Il ajouté que "les civils ne devaient jamais être utilisés comme boucliers humains", en référence aux déclarations de l'armée israélienne affirmant avoir visé un centre de commandement du Hamas.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Engagé pour la paix au Proche-Orient, Gershon Baskin a souvent négocié avec le Hamas. Il explique les difficultés des discussions actuelles, les blocages à l’œuvre et appelle à la reconnaissance d’un État de Palestine.
Fondateur et directeur du Centre de recherche et d’information Israël-Palestine (Ipcri), Gershon Baskin a été l’initiateur et le négociateur pour Israël de discussions secrètes entre Israël et le Hamas pour la libération, en 2011, de plus de 1 000 prisonniers palestiniens, dont Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas dans la bande de Gaza, en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé en 2006.
Sur quelles bases se sont fondées les discussions actuelles sous l’égide des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar ? Quels sont les sujets abordés ?
Gershon Baskin : Les négociations qui se poursuivent depuis deux mois et demi portent sur le plan que le président Biden a présenté publiquement en mai. Celui-ci comprend un accord en trois étapes dont la première, censée durer quarante-deux jours, implique un cessez-le-feu. Israël devrait alors se redéployer hors des zones peuplées et, durant ces six semaines, le Hamas libérerait 32 otages.
À ma connaissance, une liste de noms est actuellement discutée. Dans le cadre de ces négociations, les Américains poussent pour qu’Israël se désengage du corridor de Philadelphie (zone de 14 kilomètres le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza – NDLR), qu’ils considèrent comme une zone peuplée. Au Caire et à Doha, les négociations ont porté sur le retrait des forces israéliennes de cinq à huit postes militaires le long de ce corridor de Philadelphie, durant les six semaines de cessez-le-feu.
Sur ce point, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’accord. L’Égypte et le Hamas s’y opposent, et les Israéliens refusent de se retirer de cette zone. Quoi qu’il en soit, je pense que c’est une mauvaise stratégie, car personne ne sait ce qu’il se passera après ces quarante-deux jours.
Je plaide pour un cessez-le-feu de trois semaines, prémice à un cessez-le-feu total, le retrait israélien de Gaza, la libération de tous les otages israéliens et d’un nombre convenu de prisonniers palestiniens retenus dans les prisons israéliennes. J’ai demandé au Hamas de dire aux Égyptiens et aux Qataris de travailler en ce sens. Je leur ai tout communiqué, ainsi qu’aux Américains et aux Israéliens.
Comment se déroulent ces discussions puisque Israël et le Hamas ne se parlent pas directement ?
Gershon Baskin : Lorsque vous n’avez pas de discussion directe, les conversations sont complexes. Les trois parties – les États-Unis, le Qatar et l’Égypte – ont chacune leurs propres intérêts, leur propre façon de communiquer. Vous ne savez jamais si les messages qui sont livrés sont fidèles à ce que vous avez énoncé.
Vous ne savez pas non plus si les réponses que vous recevez sont retransmises de façon exacte. Les documents écrits sont donc les seuls sur lesquels il est possible de compter mais ils n’aident pas à une compréhension optimale. Chacun se concentre sur la forme, parfois au détriment du fond. C’est, selon moi, une très mauvaise façon de mener des négociations.
Qu’est-ce qui empêche un accord ?
Gershon Baskin : Le Hamas ne signera pas un accord qui ne met pas fin à la guerre, et Netanyahou ne l’acceptera pas si cela met fin à la guerre. Tous les autres points sont des détails : prisonniers, redéploiement, couloir de Philadelphie…
Comment le Hamas peut-il prendre des décisions alors qu’Ismail Haniyeh a été tué et que Yahya Sinouar se cache ?
Gershon Baskin : Tous les dirigeants sont consultés, qu’ils soient à Gaza, en Cisjordanie, à Doha, à Istanbul ou à Beyrouth. Le Hamas a également tenté de consulter ceux qui se trouvent dans les prisons israéliennes. En vain. Ils essaient de parvenir à un consensus mais n’y arrivent pas toujours.
Au deuxième mois de la guerre, déjà, certains membres du Hamas m’indiquaient que Yahya Sinouar n’était pas le seul décideur. Lorsqu’une décision est prise, elle est annoncée par le chef du Hamas à Beyrouth, Oussama Hamdan. Et même s’il y a désaccord, tout le monde se plie à cette décision.
Khalil Al Hayya, l’adjoint de Sinouar, se trouve hors de Gaza depuis le début de la guerre. Au cours des deux dernières semaines, il a publié des déclarations sur le compte Telegram de l’organisation en signant de son nom. Cela apparaît comme l’expression finale du Hamas. C’est un fait nouveau.
Quel est l’objectif de Netanyahou ?
Gershon Baskin : Rester au pouvoir ! C’est ce qui le préoccupe. Ne pas avoir une commission d’enquête nationale et ne pas devoir se présenter aux élections. Demeurer en poste aussi longtemps qu’il le peut car il croit au mythe de la destruction totale du Hamas.
Benyamin Netanyahou veut éliminer Yahya Sinouar. Mais la mort récente de six otages israéliens a un peu changé la donne. Si Yahya Sinouar est tué, le Hamas exécutera tous les otages. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire et tout le monde le comprend.
Dans ce contexte, quel est le but de l’offensive israélienne en Cisjordanie ?
Gershon Baskin : L’offensive en Cisjordanie se poursuit depuis le 7 octobre. Elle s’intensifie ces derniers temps, avec son lot de morts et de destructions. Ben-Gvir et Smotrich (ministres israéliens d’extrême droite de la Sécurité nationale et des Finances – NDLR) veulent une explosion en Cisjordanie pour pouvoir faire comme à Gaza : détruire les infrastructures, les habitations et forcer les habitants à partir.
Dans le même temps, les Palestiniens ne peuvent plus venir travailler en Israël et commencent à mourir de faim. Les écoles sont fermées parce que l’Autorité palestinienne, en faillite, ne peut plus payer les salaires des enseignants. Des centaines de milliers de jeunes sont dans les rues, ce qui alimente un climat de tension.
Nous assistons à un retour de l’utilisation de voitures piégées et de kamikazes, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la deuxième Intifada. C’est très dangereux et c’est exactement ce que certains pyromanes du gouvernement israélien veulent.
Comment les Israéliens réagissent-ils ?
Gershon Baskin : Ils ne savent pas ce qui se passe. Ils sont aveugles, ils ne regardent pas, ils s’en fichent, ils sont toujours dans le traumatisme du 7 octobre et ils ont peur que cela puisse se reproduire depuis la Cisjordanie. Ils entendent dans les médias israéliens que le terrorisme se développe dans ce territoire palestinien, qu’il y a de plus en plus d’attaques, de plus en plus de cellules terroristes, de plus en plus d’armes en circulation…
Les gens vivent dans la crainte. Alors, lorsqu’ils entendent que l’armée israélienne entre chaque nuit en Cisjordanie et tue des Palestiniens, ils sont soulagés. Ils ne comprennent pas que tout cela, en réalité, ne fait que jeter de l’huile sur le feu.
Est-ce à dire qu’ils ne considèrent pas que la libération des otages est liée à un accord de paix ou à un accord final sur l’État palestinien ?
Gershon Baskin : Personne ne parle d’un accord de paix. Personne n’évoque les négociations ou la solution à deux États. Nous tentons de faire comprendre aux gens que si nous parvenons à mettre fin à la guerre à Gaza, si la guerre au Liban s’arrête aussi, alors, peut-être qu’Israël permettra aux Palestiniens de retourner travailler en Israël. Peut-être. Mais si nous n’essayons pas, cela va continuer. La situation économique est vraiment désespérée. Les Palestiniens n’ont plus d’argent pour acheter de quoi manger.
Certes, la solution à deux États est revenue dans les discussions internationales, ce qui est important, mais elle n’a pas encore irrigué les consciences en Israël. Cela se produira peut-être après les prochaines élections. Mais tant que Netanyahou sera premier ministre, il n’y aura pas de discussion sur un processus de paix et une solution à deux États.
Y a-il des tiraillements entre l’administration américaine et Netanyahou ?
Gershon Baskin : Oui, il existe un conflit entre l’administration américaine et Netanyahou. Le contexte électoral pèse lourd. Biden n’étant plus candidat, il pourrait être amené à prendre des décisions qu’il n’envisageait pas. Kamala Harris aimerait que cette guerre se termine car cela n’aide pas sa campagne.
Israël dépend des États-Unis, que ce soit pour l’utilisation du veto à l’ONU ou la livraison d’armes. Les Américains ont de multiples canaux pour faire passer des messages clairs à Israël, en privé, ou publiquement si les discussions à huis clos échouent.
Est-il important que la communauté internationale reconnaisse un État palestinien ?
Gershon Baskin : Il faut que cela devienne un fait accompli (en français dans le texte) qui supprimerait le veto d’Israël sur la question de l’État palestinien. Cela ne changera pas l’occupation, mais forcera à une réorganisation dans la société civile et les politiques en Israël et en Palestine. Cette reconnaissance permettra de faire comprendre qu’un processus de paix relève d’une négociation régionale pour la stabilité, la sécurité, le développement économique.
C’est la voie à suivre pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais nous allons avoir besoin d’un coup de pouce de la part des Américains et des Européens sur ce point. Tous les pays qui n’ont pas reconnu et Israël et la Palestine doivent le faire.
Mathieu Dejean sur www.mediaprt.fr
Le sociologue Christian Laval analyse la nomination de Michel Barnier à Matignon sous l’angle de la « fédération des droites » contre l’accession au pouvoir de la gauche. Un déni de démocratie « logique », selon lui, au regard de l’histoire longue du néolibéralisme.
Comment expliquer l’insolente aisance – même s’il a pris son temps – avec laquelle Emmanuel Macron a nommé un premier ministre de droite, Michel Barnier, après que la coalition de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), est arrivée en tête des élections législatives du 7 juillet ?
Pour le sociologue Christian Laval, auteur de nombreux ouvrages sur le néolibéralisme (parmi lesquels La Nouvelle Raison du monde en 2010 et Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie en 2016, avec le philosophe Pierre Dardot), ce coup de force institutionnel qui vient piétiner les messages des urnes a tout à voir avec le projet économique et politique néolibéral.
« Ce que les néolibéraux refusent et perçoivent comme une véritable pathologie sociale, c’est que les “masses” puissent, en se coalisant – y compris dans le cadre légal de la démocratie participative –, remettre en cause le fonctionnement auto-équilibré du marché », écrivait-il dans un livre collectif, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme (Lux, 2021). C’est à cette aune qu’il interprète la fusion des droites opérée par Emmanuel Macron et l’avènement d’un « véritable cordon sanitaire punitif » pour faire barrage à la gauche.
Mediapart : Emmanuel Macron vient de nommer Michel Barnier à Matignon. Comment interprétez-vous cette décision ? Quel est le calcul politique ?
Christian Laval : Après avoir essayé, en vain, de diviser le Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron n’a plus eu d’autre solution que de chercher à obtenir la fédération des droites : le macronisme, Les Républicains et l’extrême droite. La nomination de Michel Barnier lui permet à la fois de préserver les acquis du macronisme – la réforme des retraites, celles de l’assurance-chômage, la politique de l’offre – et de donner des gages au Rassemblement national (RN). Michel Barnier est l’homme du référendum sur l’immigration, du « bouclier constitutionnel » [contre « la poussée migratoire » et « l’immigration subie » – ndlr], celui qui a proposé de déroger aux traités européens en matière de justice.
C’est donc un calcul de rassemblement, non pas des Français, mais des droites. C’est l’inverse du front républicain : un front anti-populaire pour assurer une politique qui mélange la xénophobie du RN et la politique pro-néolibérale du macronisme. Le coût politique de cette opération est élevé : le gouvernement se met sous le contrôle du RN, qui lui dictera sa ligne de conduite sur la question de l’immigration. Au passage, le RN va complètement abandonner le volet social de son programme. D’une certaine façon, la vraie nature du RN apparaîtra : un néolibéralisme masqué, qui veut combiner une politique de forteresse et une politique pro-capitaliste assumée.
Emmanuel Macron a justifié son refus de nommer Lucie Castets à Matignon au nom de la « stabilité institutionnelle ». Mais celle-ci ne semble guère plus assurée avec ce premier ministre, qui pourrait lui aussi être censuré s’il n’a pas le « soutien sans participation » du RN. Que cache en vérité cet argument ?
Christian Laval : En écartant Lucie Castets, Macron est surtout guidé par un impératif, qui est la quintessence de son double mandat : en aucun cas et sous aucun prétexte il ne faut appeler une première ministre qui risquerait d’appliquer la partie la plus dangereuse du programme du NFP, notamment le détricotage des réformes néolibérales les plus emblématiques et les plus impopulaires dans l’opinion, mais les plus populaires parmi les classes dirigeantes françaises et européennes.
Il lui faut donc un homme qui reste sous contrôle des droites, c’est-à-dire dans les limites qu’il a lui-même fixées, celles de la conservation à tout prix de la logique pro-business et des politiques favorables aux intérêts des classes dominantes dont il est le mandataire.
Pour vous qui avez étudié l’histoire du néolibéralisme, cette suspension du résultat d’un vote démocratique au nom d’impératifs économiques est-elle surprenante ?
Christian Laval : Non, c’est même dans la logique des choses. Le résultat du vote n’a de conséquences que facultatives, car la démocratie ne consiste pas pour les néolibéraux à respecter le suffrage universel mais à défendre par-dessus toutes les contingences électorales l’ordre de marché, les « lois économiques » et le sacro-saint droit du capital à gouverner nos existences. L’État de droit a pour eux un sens très particulier, c’est l’État du droit de la propriété et du capital. Autrement dit, l’État de droit en régime capitaliste, c’est d’abord l’État du droit privé, et la démocratie, c’est toujours l’affaire de l’oligarchie « raisonnable ».
Évidemment, c’est un peu gênant pour ceux qui croient à la démocratie libérale parlementaire, au suffrage universel, à la souveraineté du peuple ou à la République. Comment faire pour rendre compatibles cet ordre de marché et un suffrage universel toujours potentiellement risqué ? On ne peut pas faire un coup d’État tous les matins pour garantir « l’ordre normal des choses », ce serait assez mal vu, et le calcul coûts-bénéfices ne serait pas forcément favorable.
Du côté de la Macronie, le NFP c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif.
On peut faire revoter par exemple quand le vote n’est pas conforme aux attentes, cela s’est déjà vu. Ou on peut contester le résultat du vote, ça s’est vu aussi, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Personne n’a gagné, personne n’a perdu. C’est un tour de passe-passe à trois temps : nier la réalité, mobiliser toutes les droites pour faire barrage à la gauche, diviser la gauche.
Pour ce faire il faut un diable, il est tout trouvé. Mélenchon est instrumentalisé par les droites et les médias contre le NFP, et la radicalité parlementaire de LFI est elle-même retournée comme un argument contre le NFP. En ce sens, LFI, tout à ses dépens, acquiert son utilité dans ce tour de prestidigitation mis en scène par Macron. Mélenchon a essayé de contrer la manœuvre par sa proposition de soutien sans participation à un gouvernement Castets. Mais, de toute façon, au-delà de la comédie élyséenne, Macron ne comptait pas la nommer première ministre.
Au cours de son histoire, le néolibéralisme a pris des formes diverses, y compris parfois violentes en faisant « le choix de la guerre civile », pour reprendre le titre d’un livre collectif auquel vous avez participé. Ce à quoi nous assistons en France est-il une sorte de retour à une version autoritaire du néolibéralisme ?
Ce n’est certainement pas un « retour » à une version autoritaire, car le néolibéralisme est en lui-même autoritaire. Pour une raison simple : le néolibéralisme est beaucoup plus qu’une idéologie ou une politique économique favorable au capital. C’est une stratégie qui consiste à mettre en œuvre par tous les moyens un certain type de société conçue comme un marché concurrentiel et à imposer une certaine anthropologie de l’homme identifié à une sorte d’entreprise. En somme, pour les néolibéraux, il s’agit de défaire ce qui se présente comme autant de limites à l’expansion de la raison capitaliste dans la société, et de construire une réalité sociale et humaine nouvelle, en harmonie avec la logique du capital, et cela dans tous les secteurs de l’existence bien au-delà de l’économie stricto sensu.
Les moyens peuvent être ouvertement brutaux, parfois très violents – on le voit en ce moment en Argentine. Ou plus doux, par la propagande, par le contrôle des médias, par la transformation des programmes scolaires, que sais-je encore. La combinaison des moyens est le cas le plus fréquent. En France, on joue aussi bien de la matraque policière que du matraquage des médias, et depuis longtemps déjà. Pensons aux « gilets jaunes » ou à la répression des mouvements écologistes.
Ce que nous avons montré dans Le Choix de la guerre civile, à partir d’une relecture systématique des principaux doctrinaires du néolibéralisme, c’est que cette entreprise politique a une grande cohérence stratégique et une tout aussi grande variété de moyens. L’objectif à atteindre est répété à longueur de discours et d’éditoriaux, et il est devenu d’autant plus « évident » qu’un système de contraintes objectives a fini par le rendre naturel, acceptable, voire désirable.
On a vu comment on a méprisé le résultat du référendum sur le traité européen en 2005, on a vu comment la « troïka » a traité la Grèce de Syriza en 2015. Toutes les recettes sont bonnes, elles peuvent être d’ailleurs anciennes. L’un des procédés les plus courants, c’est de faire peur. Effrayer, diaboliser, faire horreur. Trouver des boucs émissaires, des ennemis intérieurs, des islamo-gauchistes à toutes les portes, des wokistes à tous les carrefours. Les droites réunies se livrent à une guerre culturelle permanente, et nombre d’intellectuels y participent.
Ces derniers jours, on a observé une convergence entre le RN et la Macronie dans le rejet du programme du NFP, qui conduirait, selon eux, à un « effondrement économique du pays ». Comment interpréter ce rapprochement ?
Christian Laval : Pour que rien ne change vraiment dans la redistribution des richesses, ou disons plus globalement dans l’ordre économique, il faut l’union des trois droites : droite du centre, droite de droite et extrême droite. C’est indispensable. Le RN n’a aucun intérêt à ce qu’une politique de gauche authentique advienne, car la prospérité de son fonds de commerce démagogique – les « petits », les « oubliés », les « sans-grade », etc. – risquerait d’en souffrir en faisant revenir vers la gauche une fraction des classes populaires qui l’a désertée.
La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenu préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Du côté de la Macronie, le NFP, c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif. Et c’est bien normal car il y a plus de proximité entre les trois droites qu’entre chacune des droites et le NFP. C’est ce que Macron a voulu vérifier en recevant des droites successivement l’assurance de la motion de censure contre un gouvernement NFP. Le NFP fait ainsi l’expérience de son isolement lorsque les droites construisent autour de lui un véritable cordon sanitaire punitif, lorsqu’elles se liguent pour lui faire barrage.
Craignez-vous que l’extrême droite profite de la situation ?
Christian Laval : L’extrême droite est très forte, plus forte que jamais, mais elle a été mise en échec au second tour des législatives anticipées. Elle tient pourtant sa revanche en montrant son utilité pour le maintien de l’ordre des choses. Le Pen ne dit rien, mais sa force tient justement dans la silencieuse menace qu’elle fait peser sur la suite. Les gouvernements à venir ne vont tenir que par la bienveillance des droites mais aussi du RN devenu indispensable au barrage contre la gauche. Il faudra bien lui donner des gages et le remercier d’une manière ou d’une autre.
C’était déjà le cas avec la majorité relative de la précédente assemblée. La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenue préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Des appels à mobilisation sont lancés sur les mots d’ordre de « respect de la démocratie » et de « destitution » de Macron. Les mouvements sociaux ont été mis à rude épreuve ces dernières années. Peuvent-ils encore quelque chose ?
Les mouvements sociaux ont montré leur force par le nombre de gens mobilisés et par leur détermination, mais aussi leur faiblesse : ils n’ont pas gagné, ils ont été méprisés, ils se sont arrêtés sur des échecs. Peuvent-ils encore quelque chose ? La réponse tient au rapport des mouvements sociaux à la politique. Il faut reposer la question du cloisonnement entre le social et le politique. Les syndicats sont censés ne pas intervenir sur le terrain politique, ne pas se mêler de politique. Mais le Medef, la CGPME ou la FNSEA se gênent-ils pour faire de la politique active, pour être des acteurs politiques à part entière ?
Les choses peuvent changer. Le NFP pourrait offrir un cadre plus large que les partis. Ce cadre devrait pouvoir être investi par toute la société, par toutes les victimes des politiques néolibérales, par les citoyens engagés, les syndicats de salariés, les associations, les artistes, les chercheurs, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et bien d’autres. Si le NFP reste une alliance électorale entre partis, il risque fort d’avoir le même destin que le Front de gauche ou la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr]. Il sera vite la proie des rivalités de partis et de leurs chefs.
Il faut d’urgence « démocratiser » le NFP, en faire un bien commun de tous les gens de gauche. Ce sera la condition d’avoir un candidat unique en 2027. Sinon on recommencera toujours la même histoire. Il faudra encore et encore faire barrage à l’extrême droite en votant pour un clone de Macron à la prochaine élection présidentielle. Il n’est d’ailleurs pas certain que ce sera toujours le cas. Mais on peut craindre que les partis n’y consentent pas facilement d’eux-mêmes, car cela les mettrait sous la pression unitaire de la base et des citoyens.