PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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international & outre-mer  - 2024

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   mise en ligne le 30 déc 2024

Un cri depuis les ruines de Gaza : un appel à agir

par France Palestine Mental Health Network sur https://blogs.mediapart.fr/

L'attaque effroyable cette semaine sur l'hôpital Kamal Adwan dans le nord de Gaza, désormais sans infrastructure sanitaire, a amené nos réseaux pour la santé mentale en Palestine à pousser d'urgence ce cri d'effroi et d'indignation -- et à exhorter à agir.

Un cri depuis les ruines de Gaza : le génocide continuera tant que l'impunité d'Israël persiste

Les réseaux palestiniens de santé mentale dénoncent avec angoisse et indignation la destruction de l’hôpital Kamal Adwan qui témoigne encore du génocide en cours. Cet espace, censé abriter et soigner, a été consumé par les flammes, ses salles réduites en cendres par les forces militaires israéliennes dans une opération froidement calculée pour détruire.

Les ruines de l'espoir

L'attaque contre l'hôpital Kamal Adwan n'est pas seulement une tragédie, c'est une atrocité. Les patient.e.s, dont beaucoup d'enfants, ont été arrachés de leurs lits alors que l'hôpital était en proie aux flammes et aux assauts violents. Des dizaines de membres du personnel, dont son directeur, le Dr Hussam Abu Safiya, ont été emmenés de force. Leur sort reste incertain, tandis que la peur et le désespoir s'emparent de leurs familles et accablent ce qui reste de la communauté soignante de l'hôpital.

Ces incidents ne sont pas isolés. Depuis octobre 2023, Gaza est devenue un cimetière d’espoir, un cimetière collectif pour les Palestinien.ne.s. Plus de 45 000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s. Presque toute la population de Gaza a été déplacée. Le blocus se resserre comme un nœud coulant, et le système de santé de Gaza – un droit humain fondamental – est réduit en ruines. Les mots de l’Organisation mondiale de la santé sont sans appel : le système de santé de Gaza est systématiquement démantelé, ce qui constitue une « condamnation à mort pour des dizaines de milliers de personnes ».

Un cri de l'abîme

Que reste-t-il quand les hôpitaux brûlent ? Quand les médecins sont incarcérés, torturés et réduits au silence ? Quand les enfants manquent d’air parce que les bouteilles d’oxygène ne peuvent pas franchir les barrages ? Ce n’est pas une guerre. C’est une annihilation. C’est l’asphyxie lente et délibérée d’un peuple. C’est un génocide.

Chaque hôpital démoli, chaque patient.e  dans les décombres, chaque corps d’enfant sans vie extirpé des décombres – ce ne sont pas des accidents. Ce ne sont pas des « dommages collatéraux ». Ce sont des crimes contre l’humanité, des actes de génocide calculés, perpétrés sous les yeux d’un monde qui regarde en silence.

Où est la justice ? Où est l'humanité ? Que faudra-t-il pour réveiller le monde de son indifférence ?

Un appel au monde

Nous ne pouvons plus accepter l’impunité. Voici ce que nous exigeons :

  1. Il faut mettre un terme immédiat au génocide : les massacres à Gaza ne peuvent pas continuer. Le blocus est une condamnation à mort. Sa poursuite est une tache sur la conscience de l’humanité.

  2. Ouvrez les couloirs humanitaires : laissez passer les ambulances. Laissez les médicaments circuler. Laissez Gaza respirer.

  3. Protéger les établissements de santé : faire respecter les lois qui nous lient tous en tant qu’êtres humains. Protéger ce qui reste des hôpitaux et des cliniques de Gaza.

L'impunité qui tue

La neutralité face au génocide est une complicité. Chaque instant de silence et d’incapacité à demander des comptes à Israël alimente le feu qui consume Gaza. Chaque instant d’inaction permet à un autre hôpital de tomber, à un autre enfant de mourir, à une autre famille d’être déchirée.

C'est un cri qui s'élève des ruines de l'hôpital Kamal Adwan. C'est le cri des mères de Gaza qui enterrent leurs enfants. C'est le cri des médecins obligés de refuser l'accès aux mourants. Le monde entier vous regarde. Allez-vous agir ou détournerez-vous à nouveau le regard ?

Rejoignez la lutte pour la justice

Voici comment vous pouvez aider :

  1. Signez la pétition : Ajoutez votre voix à la campagne « Pas un hôpital de plus ».

  2. Signez la pétition Aucun enfant n'est une cible .

  3. Partagez cet article : Amplifiez le cri de Gaza en le partageant avec vos réseaux.

  4. Exigez des mesures : protégez les Gazaouïs MAINTENANT. Tenez Israël responsable de ses actes MAINTENANT. Contactez vos représentants gouvernementaux et exigez qu'ils protègent la population de Gaza et ses services de santé.

  5. Appelez les dirigeants mondiaux à imposer un embargo sur les armes à Israël MAINTENANT.

  6. Tenez compte de l’appel de la société civile palestinienne en faveur du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions : respectez ses directives et encouragez votre réseau à faire de même. 

Nous ne pouvons plus attendre

Ne pas réagir à la catastrophe en cours n’est pas une option.

Ce n’est pas seulement le cri de Gaza. C’est le cri de l’humanité pour la justice. La destruction de l’hôpital Kamal Adwan est une atteinte à tous les principes qui nous sont chers. C’est un appel à nous tous pour nous lever, parler et agir.

Que ce cri ne se taise pas. Qu'il résonne jusqu'à ce que justice soit rendue.

Ne détournez pas le regard. Ne restez pas silencieux. L’humanité doit agir.

AGISSEZ MAINTENANT.

C'EST NOTRE MOMENT DE CRÉER LE CHANGEMENT ET D'ARRÊTER LE GÉNOCIDE.

Voici le lien vers la version originale en anglais de cet appel:

https://docs.google.com/document/d/1h-VPwmDCicme0RTeOR0ORuqkRtidkQXZGIyOaRbmoSw/edit


 


 

Tribune : Gaza 2024 :
l’acte de décès de l’ordre mondial multilatéral

Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr

Alors que s’achève l’année, les récits des horreurs vécues par les Palestiniens à Gaza en 2024 se font plus rares dans les gros titres, au profit des sapins de Noël et des conseils culinaires sur les huîtres et le foie gras à acheter pour le réveillon. Les otages israéliens sont toujours détenus, et Gaza est détruite et 2024 restera à jamais le symbole poignant du désespoir, du cynisme, de l’injustice et de l’impuissance des grands de ce monde, l’acte de décès d’un ordre multilatéral établît après la seconde guerre mondiale.

Depuis 15 mois le désespoir d’un peuple de réfugiés, vivant dans une prison à ciel ouvert désormais décrite comme un cimetière d’enfants, l’un des lieux les plus proches de l’enfer sur Terre, Gaza.

Le cynisme des pays donneurs de leçons qui affichent de manière ostentatoire, à la moindre occasion, leur attachement aux droits humains aura des conséquences qui dépassent d’ores et déjà la sphère géographique du Moyen-Orient.

L’injustice de cette guerre asymétrique entre une puissance nucléaire surarmée et un peuple colonisé depuis plus de 75 ans nous rappelle une amère vérité : Gaza est la conséquence de conflits historiques et de luttes de pouvoir politiques. Elle met en lumière une cruelle réalité : les droits humains et la justice ne sont que des variables d’ajustement, dépendant de l’origine de la victime et de celle de l’agresseur. 

Une vie ne vaut pas une autre, nous le savions déjà ; désormais, cela nous est prouvé quotidiennement. 

Un racisme insidieux, bien enrobé dans des discours bien ficelés et pas toujours politiquement corrects, est distillé à longueur de journée dans des médias aux ordres. 

Gaza a été l’occasion pour certains issus de familles politiques au passé antisémite de parler de leur obsessions, l’immigration, l’insécurité, l’islamisme. Ils ont momentanément changé de cible mais la haine est toujours leur moteur.

Malgré les condamnations sincères, répétées et affirmées haut et fort des atrocités du 7 octobre et de la situation des otages, quiconque appelle à un cessez-le-feu est catalogué comme un soutien aux terroristes.

Israël est actuellement dirigé par des suprémacistes racistes. Leur objectif déclaré est l’expulsion des Palestiniens de leurs terres ancestrales. Comment le dire autrement ?

L’impuissance des plus hautes instances internationales à freiner ces criminels de guerre est manifeste. Les enquêtes de prestigieuses institutions comme le New York Times ou Le Monde sont qualifiées d’antisémites. Des ONG respectables, des politiciens, des artistes et des mouvements d’étudiants pacifiques sont accusés des pires maux. Les rapports d’Amnesty International et des Nations Unies sont clairs : les intentions génocidaires sont évidentes et les habitants de Gaza semblent être des oubliés de l’humanité. 

Les équipes de Médecins Sans Frontières n’ont jamais observé un tel nombre d’enfants et d’adolescents tués ou mutilés au cours des cinquante dernières années. La poursuite de cette tragédie soulève des questions cruciales sur l’impuissance des institutions onusiennes à faire respecter les droits de l’homme et à protéger les plus vulnérables.

Le droit de veto au Conseil de sécurité des grandes puissances est devenu un blanc-seing pour les plus forts. Les États-Unis l’ont utilisé des dizaines de fois pour bloquer une résolution condamnant Israël. L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency) est attaquée, certains craignant qu’il n’alimente des groupes extrémistes parce qu’une dizaine d’agents sur les plus de 30 000 employés ont exprimé des sympathies envers les Palestiniens. Un vieux rêve des Israéliens se réalise enfin : arrêter de financer l’UNRWA.

Les attaques contre l’ONU (Organisation des Nations Unies), symbole de l’ordre international établi après 1945 sont quotidiennes. L’ONU est régulièrement le théâtre de scènes ubuesques. Les résolutions votées par 90% des pays restent lettres mortes. Et attention ne dites surtout pas que la résolution 181 adoptée le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale des Nations unies a rendu la création d’Israël possible. Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies le 27 septembre 2024, Benyamin Netanyahou a osé qualifier de « plaisanterie » les 174 résolutions condamnant Israël depuis 2014. Selon lui, l’ONU ne serait plus qu’« une farce méprisable ». 

La Cour Pénale Internationale (CPI), après avoir émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre, a fait de même pour Netanyahou et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, recherchés pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité liés à la guerre à Gaza. Cette décision a été qualifiée d’« antisémite » par Netanyahou et jugée « scandaleuse » par le président américain, Joe Biden.

En janvier, la CIJ (Cour Internationale de Justice) a mis en garde Israël contre un « risque réel et imminent » de génocide et a appelé à « empêcher toute action relevant de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide ».

Le gouvernement français, dans une démarche où le ridicule dispute le grotesque, a accordé une immunité à Netanyahu et continue à vendre des armes à Israël. Le Premier ministre hongrois, quant à lui, s’est empressé de l’inviter, le Congrès et le Sénat américains, quelques jours auparavant, lui avaient offert une ovation debout.

La censure et l’autocensure entourant le génocide en cours à Gaza reflètent l’état de l’information en France. La droite et l’extrême droite se sont emparées d’importants médias. Les regroupements impressionnants de médias entre les mains de fortunes qui affichent ouvertement des positions réactionnaires font peur. Désormais, chaque prise de position en faveur des Palestiniens est qualifiée d’antisémitisme ou d’un islamo-gauchisme supposé.

Des médias entre les mains de richissimes personnes aux idéologies réactionnaires affichées adoptent une ligne éditoriale partisane non dissimulée. 

Tout cela se déroule sous le regard complaisant de l’Union européenne (UE), y compris de la France, qui confère à un État pratiquant l’apartheid envers ses propres citoyens arabes, un État qui affiche ouvertement une distinction entre ses citoyens en fonction de leur religion, une légitimité démocratique à travers des accords commerciaux et la vente d’armements.

L’engagement de la communauté internationale, notamment de l’Union européenne et de la France, soulève des questions. Bien que ces entités reconnaissent l’importance de protéger les droits des Palestiniens, leurs actions semblent souvent en contradiction avec leurs discours. 

Les critiques envers Israël sont rapidement étiquetées comme antisémites, instaurant un climat de peur et d’autocensure qui restreint le débat public sur la guerre actuelle et les injustices historiques. Ce faisant cette attitude alimente la montée de l’antisémitisme qui est une réalité indéniable et c’est bien le drame des conséquences incalculables de cette guerre.

Pour Anthony Samrani, corédacteur en chef du quotidien libanais L’Orient-Le Jour : « Gaza n’est pas qu’une guerre de plus. C’est un point de rupture. C’est le dernier clou dans le cercueil de l’ordre international, déjà affaibli par les événements du 11 septembre 2001. »

Il est légitime de se défendre et de dénoncer les attaques contre des civils et les prises d’otages mais l’Occident s’est objectivement rendu complice de la tragédie à Gaza en oubliant de rappeler que le droit à la défense revient à l’occupé, et que la colonisation est illégale. Gaza a rendu visible la fracture qui existait entre le sud et le nord ; le double standard est devenu évident.

L’Europe et la France en particulier sont les plus grands perdants, mais elles ne réalisent pas encore l’ampleur des dégâts. Il faudra peut-être des décennies pour reconstruire l’enclave palestinienne, mais il faudra bien plus que du temps et de l’argent pour rebâtir un ordre multilatéral crédible, que les grandes puissances ont piétiné à travers ce conflit.

Et finalement, il est clair que cette dynamique destructrice est entretenue pour empêcher l’émergence d’un dialogue constructif sur la paix. Dès lors il devient urgent de se poser la question fatidique à qui profite cette guerre ? Qui a intérêt à ce que la paix ne s’installe pas au Moyen-Orient ?

mise en ligne le 28 décembre 20324

Israël détruit le dernier hôpital du nord de Gaza

Marie Turcan sur www.mediapart.fr

L’armée israélienne a mis « hors service » le dernier hôpital fonctionnel du nord de Gaza, forçant des dizaines de blessés graves à quitter les lieux. Le directeur Hussam Abou Safiya, figure de la résistance palestinienne et du personnel soignant à Gaza, aurait été arrêté. 

C’était le dernier hôpital qui traitait des malades et blessé·es dans le nord de la bande de Gaza. Un « raid sur l’hôpital » Kamal-Adwan de Beit Lahia, lancé par les forces armées israéliennes, l’a « mis hors service » vendredi, a dénoncé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un communiqué. L’attaque aurait été perpétrée dans la matinée, causant la destruction de « plusieurs unités cruciales » de l’établissement de santé.

Dans un communiqué, le ministère de la santé du gouvernement à Gaza a indiqué que « les forces d’occupation [israéliennes] ont emmené des dizaines de membres du personnel médical de l’hôpital Kamal-Adwan, dont le [directeur] Dr Hussam Abou Safiya, vers un centre de détention pour les interroger ».

Les troupes israéliennes auraient mis le feu dans différentes zones de l’hôpital, notamment le bloc opératoire, toujours selon le ministre de la santé local, cité par Associated Press. L’armée israélienne affirme que l’hôpital aurait été utilisé comme base par des soldats du Hamas, sans en apporter de preuve.

L’OMS fait état de « soixante agents de santé et vingt-cinq patients dans un état critique », rappelant que « le démantèlement systématique du système de santé à Gaza est une peine de mort pour les dizaines de milliers de Palestiniens qui ont besoin de soins ». L’armée israélienne aurait ordonné l’évacuation de ces derniers patients vers un autre hôpital hors service, inapte à recevoir des personnes blessées, sans eau ni électricité. Les conditions de survie sont d’autant plus difficiles que de rudes intempéries s’abattent sur la bande de Gaza, des bourrasques glaciales faisant s’envoler les abris de fortune.

Le Réseau des ONG palestiniennes (PNGO) dénonce, dans un communiqué samedi, au moins cinq morts : « Le PNGO condamne fermement l’escalade des crimes de l’occupation israélienne contre le système de santé dans le nord de la bande de Gaza. Le secteur de la santé du PNGO fait référence à l’assaut de l’hôpital Kamal-Adwan par l’occupation israélienne, à l’évacuation forcée des malades et des blessés et au ciblage du personnel médical, qui a entraîné la mort de cinq d’entre eux et la destruction des installations hospitalières. »

Les témoignages des familles et du personnel de l’hôpital

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont l’heure d’enregistrement est difficile à authentifier précisément, montrent un drone quadricoptère larguer une bombe aux alentours de l’hôpital Kamal-Adwan en plein jour. Shurooq Saleh Khader al-Rantisi, une laborantine qui travaillait au centre hospitalier, raconte dans une autre vidéo diffusée par le journaliste palestinien Osama Abu Rabee que l’armée israélienne a demandé au personnel « d’évacuer le bâtiment » et a commencé à « brûler des documents » sur place.

Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions.     Un témoin évacué de l’hôpital Kamal-Adwan, interrogé par un journaliste palestinien

Sur d’autres images diffusées par l’armée israélienne, on voit une vingtaine d’hommes, certains sans pantalon, marcher en ligne, aux alentours de l’hôpital. Selon la journaliste Wizard Bisan, il s’agirait de docteurs qui auraient été contraints de se déshabiller et de quitter les lieux, mais il pourrait aussi s’agir de patient·es. La laborantine Shurooq Saleh Khader al-Rantisi rapporte aussi que l’armée aurait déshabillé le personnel hospitalier sur place avant d’en emmener une grande partie à l’extérieur.

« Avant-hier déjà, l’armée est arrivée dans la nuit, a tiré des missiles sur l’hôpital et ses alentours, rapporte un homme qui dit avoir été évacué de force de l’hôpital Kamal-Adwan avec sa femme et ses enfants. Hier [vendredi], l’armée est arrivée avec un mégaphone et a demandé au directeur de leur remettre tous les patients, blessés et malades. »

Il explique que les forces israéliennes auraient demandé à ce qu’ils et elles sortent dénudé·es du bâtiment avec les autres patient·es et leurs familles. Une fois arrivé·es à un « checkpoint » quasiment sans vêtements, ils et elles se seraient vu attribuer un numéro : « Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. » Toutes et tous seraient restés parqués là une grande partie de la nuit.

Le directeur de l’hôpital Hussam Abou Safiya aurait été arrêté

La situation actuelle du directeur de l’hôpital, Hussam Abou Safiya, inquiète également. Le directeur du ministère de la santé à Gaza assure que ce dernier a été « violemment battu par les forces d’occupation » avant d’être arrêté. 

Un compte Instagram officiel au nom du médecin, qui n’est pas alimenté uniquement par lui, a pourtant partagé un message dans lequel il est écrit que « tout ce qui a été écrit sur l’arrestation du Dr Hussam Abou Safia est faux, Dieu merci il va bien, mais les moyens et réseaux de communication sont très mauvais ». Sans plus de précisions, ni de preuve de son état, il est impossible de savoir si la publication a bien été envoyée par le concerné ou un membre de son entourage.

Aux alentours de midi, le compte Instagram a par ailleurs partagé une nouvelle vidéo, celle du média d’Aljazeera360 qui mentionne en légende l’arrestation du directeur et diffuse des images d’un ancien reportage. 

Le docteur est devenu une figure très visible de la résistance palestinienne, de par son engagement auprès des blessé·es sur le terrain et les nombreux témoignages qu’il a livrés à la presse internationale ces derniers mois. Début novembre, il rapportait à Mediapart une situation « épouvantable » et « jamais vue », qu’il essayait de capturer dans de rares vidéos. « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire », avait-il témoigné. 

Malgré des tentatives de prise de contact par Mediapart ce samedi, le téléphone du directeur ne semble pas recevoir nos messages.

Depuis le 22 décembre, il exhortait la communauté internationale à agir « avant qu’il ne soit trop tard » : « Les bombardements n’ont pas cessé de la nuit, des maisons et des bâtiments ont été détruits à proximité. Depuis ce matin, l’hôpital est visé par des bombes lâchées par des drones, qui continuent de menacer nos réserves en carburant et en oxygène », pouvait-on lire dans un communiqué.

« L’armée israélienne nous a ordonné d’évacuer l’hôpital », avait-il aussi prévenu dans une vidéo diffusée le 8 octobre. « Elle nous a dit que l’hôpital Kamal-Adwan allait devenir le prochain hôpital Al-Shifa si on n’évacuait pas. » Al-Shifa était le plus grand hôpital de la bande de Gaza, qui a été entièrement détruit par Israël après une attaque en novembre 2023, puis un nouvel assaut en mars 2024. 

« Il n’y a qu’un seul hôpital qui fonctionne dans le nord de la bande de Gaza et c’est Kamal-Adwan. Il n’y a ni eau ni médicaments », rappelait le 5 novembre la journaliste palestinienne Hind Khoudary. Sur son compte X, elle a plusieurs fois fait état de « raids » des forces israéliennes qui ont « commencé à fouiller les différents secteurs » du centre hospitalier dès le 25 octobre. 

Israël vide le nord de Gaza de sa population 

La ville de Beit Lahia est située au nord de Gaza, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. Le territoire a été ciblé par de nombreuses frappes israéliennes ces derniers mois, qui s’intensifient depuis le mois d’octobre, dans le but de vider le nord de la bande de Gaza de sa population. Le 6 octobre, Tsahal a ordonné aux habitant·es d’« évacuer » la zone pour se rendre dans le Sud, pourtant tout aussi peu sécurisé.

Le 26 octobre, un pâté de maisons d’une zone résidentielle a ainsi été rasé, causant la mort d’au moins vingt-deux personnes, selon le ministère de la santé local. Le 29 octobre, une frappe israélienne « a touché un immeuble résidentiel et tué environ cent personnes », une attaque que la France a officiellement condamnée par voie de communiqué. Dans la nuit du 4 au 5 novembre, un immeuble appartenant à la famille al-Masry situé tout au nord de l’enclave a aussi été bombardé, tuant au moins vingt-cinq personnes, rapportait l’agence de presse palestinienne Wafa.

La guerre que mène Israël à Gaza depuis les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 a causé la mort d’au moins 45 000 Palestinien·nes. 

Début décembre, la plus importante ONG de défense des droits humains Amnesty International a rendu un rapport, affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza. « Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a expliqué sa secrétaire générale, Agnès Callamard, après neuf mois d’enquête.

Deux semaines plus tard, c’est une organisation, Human Rights Watch, qui a indiqué que « les autorités israéliennes sont responsables du crime contre l’humanité d’extermination, et d’actes de génocide ».

« Les autorités israéliennes ont délibérément créé des conditions de vie visant à causer la destruction d’une partie de la population de Gaza, en privant intentionnellement les civils palestiniens de l’enclave d’un accès adéquat à l’eau, ce qui a probablement causé des milliers de morts », peut-on lire dans le rapport, rédigé à partir d’entretiens avec plus d’une centaine de Palestinien·nes, professionnels de santé et employé·es d’agences des Nations unies et d’organisations internationales.

Enfin, Médecins sans frontières (MSF) a dénoncé la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliqué que ce que ses équipes médicales observent sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours »

Ces déclarations s’appuient sur un rapport intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.

     mise en ligne le 28 décembre 2024

En Italie, le pouvoir mène une « chasse aux sorcières » contre les familles homoparentales

Cécile Debarge sur www.mediapart.fr

Le Parlement italien a adopté au mois d’octobre une loi qui criminalise le recours à la GPA, y compris dans les pays où la pratique est légale. Il s’agit désormais d’un « crime universel », dont les conséquences sur les familles concernées sont dévastatrices.

Milan et Padoue (Italie).– « Là, maintenant, c’est un peu la panique. » Assis dans la cuisine de son appartement, Gabriele* répète inlassablement ses craintes. La nuit est déjà tombée sur la province de Padoue, en Vénétie. À l’extérieur, le froid pique les joues, les couronnes de Noël décorent les portes et rien ne semble pouvoir troubler cette petite ville qui s’enfonce dans l’hiver. Mais chez lui, Gabriele le redit encore une fois : « C’est un peu la panique. » À regarder son visage et celui de son compagnon, Luca*, on comprend que c’est un euphémisme.

Le 16 octobre, le Sénat italien a adopté à 84 voix contre 58 la proposition de loi de la députée Maria Carolina Varchi, issue du parti Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni, transformant le recours à la gestation pour autrui (GPA) en « crime universel ». Dans les rangs des parlementaires d’extrême droite, on se réjouit de cette mesure qui « protège la dignité des femmes » et interdit de recourir aux « utérus à louer ». Les familles concernées risquent entre trois mois à deux ans de prison et une amende de 600 000 à 1 million d’euros.

À ce jour, personne ne sait comment cette loi sera appliquée. « On a beau essayer de se rassurer, face à l’inconnu, on a vraiment peur, on risque des poursuites pénales », explique Gabriele. Les questions se bousculent dans son esprit : « Est-ce que le recours à la GPA se concrétise au moment de signer les contrats ? De féconder les ovules ? Lorsque la grossesse est en cours ? » « On est peut-être déjà concernés », glisse son compagnon. « Ne pas savoir quand le crime est acté, c’est potentiellement vivre dans la terreur. Est-ce qu’on doit ne plus oser sortir de chez nous ? Est-ce que la police peut débarquer à la maison et saisir nos ordinateurs et nos téléphones ? On doit se mettre à télécharger des messageries chiffrées ? », demandent-ils ironiquement.  

Depuis que la loi Varchi a été adoptée, Gabriele et Luca se sont beaucoup interrogés sur leur choix. Fallait-il mettre sous le tapis un désir de famille né presque en même temps que leur couple, il y a dix-sept ans ? Les deux quadragénaires rembobinent l’année passée : leur tout premier voyage hors des frontières européennes pour démarrer le parcours de GPA au Canada, les questions intimes auxquelles ils ont dû répondre en anglais, les questionnaires de la clinique pour vérifier qu’ils étaient « aptes » à entreprendre le parcours…

Ils se souviennent aussi des montagnes russes émotionnelles qu’ils ont traversées à chaque fois qu’une étape était franchie ou qu’un obstacle surgissait. Ils évoquent la joie qui les a envahis lorsqu’une donneuse d’ovules s’est enfin manifestée. Aujourd’hui, Gabriele et Luca attendent une mère porteuse disposée à porter leur embryon. Au Canada, les délais sont plus longs qu’ailleurs – entre trois et cinq ans en moyenne. La GPA n’y est pas rétribuée. « Les femmes le font dans une démarche purement altruiste, c’est ce qui collait le plus à nos valeurs », soulignent les deux hommes.

La bataille culturelle du gouvernement Meloni

Pour le moment, Gabriele et Luca attendent les premiers retours en Italie des familles dont l’enfant est né à l’étranger ces dernières semaines. Si les pires scénarios de la loi Varchi se confirmaient, ils commenceraient à sérieusement envisager de quitter le pays. Tous deux font partie de l’association Familles arc-en-ciel, qui défend les droits des familles homoparentales. Ils ont toujours défendu leurs valeurs à visage découvert, mais préfèrent cette fois-ci ne pas donner leur véritable identité. « Ça touche des aspects de notre vie qui devraient rester personnels, déplore Gabriele. On nous compare à des trafiquants internationaux, des criminels de guerre. »

Le couple est aussi le seul dont le parcours de GPA est en cours à avoir accepté de témoigner pour Mediapart. En Italie comme ailleurs, la GPA concerne majoritairement des couples hétérosexuels rencontrant des problèmes d’infertilité. Également sollicitées, les associations spécialisées qui leur viennent en aide ont toutes formulé une réponse similaire : « Personne ne veut parler, la situation est trop délicate. » Peu après l’adoption de la loi, la ministre de la famille et de la natalité, Eugenia Roccella, a demandé aux médecins de signaler les cas d’enfants nés par GPA. « C’est une chasse aux sorcières », affirme Gabriele.

L’adoption de la loi Varchi s’inscrit dans la bataille culturelle plus large que le gouvernement de Giorgia Meloni a décidé de mener contre les familles homoparentales. En juin 2023, le parquet de Padoue avait invalidé les actes de naissance de trente-sept enfants de mères lesbiennes, en s’appuyant sur une circulaire du ministre de l’intérieur, Matteo Piantedosi. Ce texte ordonnait que seul le parent biologique soit reconnu sur les actes de naissance, là où les services d’état civil italiens avaient jusqu’alors toujours enregistré le nom des deux parents, quand bien même la loi sur les unions civiles de 2016 n’avait pas prévu les cas de filiation. En mars 2024, le tribunal administratif de Padoue a finalement cassé cette décision.

Ce qui me fait vraiment peur, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel. Maurizio, père de jumeaux nés par GPA

Lorsque la fameuse circulaire Piantedosi a été publiée au début de l’année 2023, Maurizio Nasi se trouvait à des milliers de kilomètres de l’Italie, dans une clinique du Missouri, aux États-Unis. C’est là que le quadragénaire milanais a assisté à la naissance de ses jumeaux, nés par GPA grâce à Stephanie, leur mère porteuse, dont la photo est désormais encadrée et accrochée dans la chambre des enfants. La pratique étant autorisée dans certains États américains, Maurizio et son conjoint ont tout fait dans la légalité.

Le tribunal local a établi aux deux hommes un certificat de naissance, par lequel ils sont bel et bien reconnus comme les pères de leurs enfants. Un mois après la naissance des jumeaux, la famille de Maurizio a regagné Milan. Le long voyage en avion a été éprouvant, chacun redoutant le passage des douanes. À l’aéroport, les policiers ont finalement accueilli le couple et leurs nourrissons avec de grands sourires. Ce n’est qu’au moment d’inscrire les enfants auprès de l’état civil de la mairie de Milan que les problèmes ont commencé.

« La mairie n’avait pas le droit de reconnaître notre document américain, raconte Maurizio. Pendant des mois, les enfants n’avaient pas le droit d’être en Italie car ils n’étaient officiellement liés ni à moi ni à mon compagnon. » Les jumeaux ayant un passeport américain, ils étaient en effet censés quitter le territoire italien au bout de trois mois. En l’absence d’inscription à l’état civil, ils n’avaient pas de résidence, ne pouvaient pas être inscrits au système de santé national, ni commencer leurs vaccinations, ni même être inscrits en crèche. « Quand les enfants sont si petits, on s’inquiète au moindre éternuement. Ne pas avoir de pédiatre ou ne pas pouvoir les vacciner, ça a été particulièrement cruel à l’égard des enfants », poursuit leur père, qui n’osait même plus les quitter des yeux à l’époque.

Les politiques en retard sur la société

Pour se sortir de cette situation inextricable, le couple a demandé un nouveau certificat aux États-Unis, afin que seul le nom du père biologique des jumeaux apparaisse. Un long parcours d’adoption a alors commencé pour son compagnon. Comme il est d’usage, les services sociaux sont venus régulièrement au domicile de la famille. « C’était la première fois qu’ils avaient le cas de deux papas et ce fut une belle rencontre », indique Maurizio.

Un avis très favorable a été rédigé. « Autour de nous, la société nous inclut totalement comme des parents et voit nos enfants comme des enfants comme les autres, c’est ce qui rend fou, ajoute-t-il. À l’aéroport, les douaniers ont été adorables, ils sont tous venus voir les bébés car eux voyaient avant tout des enfants, ce sont les politiques qui ne les voient pas ! Ils n’en ont rien à faire du bien-être de ces enfants qui existent déjà et qui existeront dans le futur. »

Notre entretien avec Maurizio est écourté par un appel de la crèche : son fils est malade, 39 de fièvre. Le soir, par message, l’homme tient à préciser : « Ce processus d’adoption est clairement pensé pour nous décourager, car dans le cas d’un couple hétérosexuel, il existe une procédure très rapide pour qu’un homme reconnaisse l’enfant de sa compagne alors que nous, nous devons démontrer que nous savons être parents. » Engagée en avril 2023, la procédure d’adoption du couple n’a toujours pas abouti. Officiellement, le deuxième père n’a aucune autorité parentale sur ses enfants.

« Ce qui me fait vraiment peur, conclut Maurizio, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel, c’est un stigmate social et un problème moral qu’on fait porter aux enfants. » Depuis l’adoption de la loi Varchi, plus de cinquante familles italiennes engagées dans des parcours de GPA ont demandé le soutien légal de l’Association Luca Coscioni, qui s’est proposée de défendre leur cause devant les tribunaux, si nécessaire.

    mise en ligne le 26 décembre 2024

La première année au pouvoir de Milei en Argentine : plus de pauvreté et d’incertitude

par Emma Bougerol sur https://basta.media/

Voilà un an que l’ultralibéral et conservateur Javier Milei est devenu président de l’Argentine. Les médias indés dressent le bilan de cette année, entre coupes budgétaires, précarisation et recul des droits des femmes et des minorités.

Le 10 décembre, c’était l’anniversaire que tout le monde n’a pas eu le cœur de fêter en Argentine. Cela fait un an que Javier Milei est président de ce pays d’Amérique latine. L’ultralibéral a pris la parole sur la chaîne nationale, le soir du premier anniversaire de son mandat. Il se félicite avant tout de son bilan économique, « la récession est terminée », dit-il, cité par elDiarioAR. Tout en ajoutant : « Cette année, vous avez déjà vu la tronçonneuse, mais elle consistait principalement à inverser les excès des dernières années kirchneristes [du nom de la présidente précédente, Cristina Kirchner, ndlr]. Maintenant vient la tronçonneuse profonde. »

La tronçonneuse, c’est le symbole des coupes dans le budget de l’État, promis lors de sa campagne – parfois en brandissant une véritable tronçonneuse. « Nous avons supprimé 34 000 emplois publics et nous faisons passer des tests d’aptitude aux autres », se félicite-t-il notamment. Pour 2025, il promet « une réforme fiscale, une réforme des retraites, une véritable réforme du travail, une réforme des lois sur la sécurité nationale, une profonde réforme pénale, une réforme politique et tant d’autres réformes que le pays attend depuis des décennies ».

« Une société plus inégale »

Ces coupes budgétaires ont certes permis de remettre certains compteurs économiques en meilleur état. « Cependant, au cours du deuxième trimestre de 2024, une augmentation sans précédent de la pauvreté a été enregistrée », note le média argentin. 55 % de la population vit maintenant sous le seuil de pauvreté, et 20 % dans une situation d’indigence.

Dans une analyse partagée sur le même site, la politologue et économiste Carolina Berardi note notamment que 168 000 emplois ont été supprimés depuis l’arrivée de Milei au pouvoir, dans le secteur public comme privé. « En revanche, des emplois "indépendants" ont été créés avec moins de droits (sans congés payés, ni primes, ni indemnités) », souligne-t-elle. La membre du Centre d’économie politique argentine conclut : « Ainsi, si un tout petit groupe peut se réjouir de cette année de présidence Milei, la majorité n’a pas vu son pouvoir d’achat s’améliorer. Le résultat de cette première année est donc une société plus inégale. »

De son côté, la revue argentine Crisis analyse « la gestion ultra-libérale de l’énergie en Argentine ». Le résultat ? « Augmentations massives des tarifs, profits extraordinaires pour une poignée d’entreprises et incertitude sur l’approvisionnement en électricité pendant l’été », écrivait le périodique indépendant en octobre.

Fermeture du ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité

Une autre revue, Citrica, parle d’une « honte diplomatique » de l’Argentine de Milei, seul pays à avoir voté contre une résolution de l’ONU pour les droits des peuples autochtones. « Il s’agit du premier vote au sein de cette instance depuis que Gerardo Werthein a pris la chancellerie, après le départ de Diana Mondino », souligne le média. Ce représentant a été nommé par le gouvernement Milei.

Mabel Bianco, féministe et médecin, dénonce dans un article de elDiarioAR le « démantèlement total » des politiques de genre. Elle rappelle la fermeture du ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité, le démantèlement du programme de prévention des grossesses chez les adolescentes ou encore la baisse drastique de moyens alloués au numéro téléphonique d’assistance aux victimes.

« Aujourd’hui, il ne reste plus rien de tout ce qui concerne la lutte contre la violence », affirme la militante argentine pour les droits des femmes. Selon elle, les « discours de haine » de Milei et de son entourage « génèrent une violence qui va au-delà des réseaux » : « Ceux et celles qui s’expriment, les ONG, les journalistes, des parlementaires sont persécutés. »

« Qu’attend la société argentine pour réagir ? » se demande El Salto. Le média espagnol souligne lui aussi les « coûts sociaux élevés » de ce début de mandat de Milei. Malgré une baisse de l’inflation, « l’effondrement de la consommation ainsi que l’augmentation de la pauvreté et de l’indigence suscitent des inquiétudes quant à la durabilité de l’expérience Milei ».

Le site se questionne sur les raisons de la montée de l’extrême droite dans le pays et sur le continent, et avance : « La réaction à la conquête des droits sociaux – tels que le droit à l’avortement, les droits des LGBTQI+, l’éducation sexuelle à l’école – est aggravée par le manque de sens, l’apathie et l’érosion de la politique traditionnelle. »

   mise en ligne le 25 décembre 2024

Appel à la protection du système de santé de Gaza

https://blogs.mediapart.fr/

Déclaration des réseaux de santé mentale de Palestine et de Médecins contre le génocide : « L'humanité ne doit pas détourner le regard ».

Les réseaux palestiniens de santé mentale et Médecins contre le génocide se joignent au Dr Hussam Abu Safiya, directeur de l'hôpital Kamal Adwan, pour demander à la communauté internationale  : ne restez pas silencieux face à la destruction systématique du système de santé de Gaza. Les attaques incessantes contre l'hôpital Kamal Adwan - un sanctuaire destiné à sauver des vies dans le nord de Gaza - font partie d'une campagne génocidaire délibérée. Ces attaques contre les hôpitaux et les cliniques, des lieux destinés à soigner et à abriter, ne sont pas des accidents de guerre ; ce sont les calculs froids de ceux qui voudraient voir un peuple entier disparaître.

Depuis quinze mois, les hôpitaux et les cliniques de Gaza sont transformés en scènes de crime. Les frappes aériennes détruisent les salles d'opération en plein milieu d'une intervention chirurgicale. Les enfants suffoquent lorsque les conduites d'oxygène sont coupées. Les parents cherchent leurs proches dans les décombres tandis que les médecins restent impuissants, leurs gants de chirurgie inutilisés et le cœur lourd. Il ne s'agit pas de « sous-produits tragiques », mais de crimes intentionnels contre l'humanité.Ils réduisent à néant la promesse du droit humanitaire international, en réduisant les Conventions de Genève à des mots creux.


Le monde regarde le système de santé de Gaza s'effondrer sous le siège et les bombardements. Les fournitures médicales sont bloquées aux frontières. Les ambulances n'ont pas le droit d'atteindre les blessés. Les outils les plus simples pour sauver des vies sont retenus. Il ne s'agit pas d'une simple négligence, mais d'une stratégie brutale d'attrition, qui prive un peuple de sa capacité à vivre, à guérir et à résister. Les conséquences psychologiques sont incommensurables. Imaginez la terreur dans les yeux d'un enfant lorsque les bombes tombent à nouveau, le désespoir dans la voix d'un chirurgien contraint de refuser un patient qui saigne. Les familles enterrent leurs enfants en silence, leurs cris étouffés par l'indifférence internationale.

Nous nous faisons l'écho de l'appel urgent et angoissé de l'hôpital Kamal Adwan :


1. Ouvrir un couloir humanitaire maintenant. Laissez les médicaments, le matériel chirurgical et les ambulances atteindre ceux qui meurent faute de recevoir les soins les plus élémentaires.

2. Protéger immédiatement les établissements et le personnel de santé. Exiger de la communauté internationale qu'elle applique les lois destinées à protéger les espaces et le personnel médicaux.

3. Mettre fin au blocus de Gaza. Ce siège, qui dure depuis des décennies, a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert où même la survie est considérée comme un privilège et non comme un droit.

L'humanité ne peut pas faire semblant de ne pas voir.

La neutralité face à un génocide est une complicité. Chaque bombe qui frappe l'hôpital Kamal Adwan, chaque infirmière forcée de voir un enfant disparaître, chaque vie perdue à cause d'un traitement refusé nous met tous en accusation.
Le monde nous regarde. Va-t-il une fois de plus assister sans rien faire à l'effondrement d'un autre hôpital, à l'étouffement  d'un autre enfant, à l'extinction d'un autre espoir fragile ? Ou se lèvera-t-il enfin pour rétablir le caractère sacré de la vie et le droit universel à la santé ?

 

Passez à l'action !

    Signez cette pétition urgente concernant « Pas un autre hôpital ». https://ujoin.co/campaigns/3307/actions/public?action_id=4319

    Signez la pétition « No Child A Target-Internationa » https://ujoin.co/campaigns/3351/actions/public?action_id=4410

    Écrivez à vos représentant·es, suivez ce lien https://ujoin.co/campaigns/3331/actions/public?action_id=4369

    Partagez cet article avec au moins 10 personnes de votre réseau.

En solidarité et avec une profonde tristesse,


 

Médecins contre le génocide

The Palestine Mental Health Networks
(Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Chili, Egypte, Etats-Unis, France, Irak, Irlande, Jordanie, Liban, Palestine, Royaume-Uni, Suède, Turquie)

Source : https://mondoweiss.net/2024/12/humanity-must-not-look-away-a-call-to-protect-gazas-healthcare-system/


 


 

Kamal Adwan : l’innommable se déroule sous nos yeux,
nous ne devons pas laisser faire

https://blogs.mediapart.fr/

Le 21 décembre, le docteur Hussam Abu Safia de l’hôpital Kamal Adwan dans le nord de la bande de Gaza lançait un appel de détresse : « les patients et nous sommes en train de mourir de faim ».

Le ministère de la santé de Gaza confirmait : « l’occupant a lancé une attaque généralisée contre l’hôpital Kamal Adwan. Il exige une évacuation immédiate. Il menace les vies de 80 malades. Il a lancé un ultimatum alors que cet hôpital est le seul à pouvoir encore apporter des soins dans le nord de la bande de Gaza. »

Des robots et des drones assiègent l’hôpital. Un appel à l’aide a été lancé à l’OMS et à l’UNRWA. « Un départ des malades, c’est leur mort assurée. »

Il n’y a pas de caméras sur place. Le contact a été perdu avec l’équipe médicale. Les forces d’occupation empêchent l’arrivée de tout secours.


 

L’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) lance un appel.

Faites connaître ces atrocités.

Mobilisez les médias, les associations, les politiques.

Il est inimaginable que ces crimes continuent de se dérouler sans qu’on puisse les arrêter.

Sauvons l’hôpital Kamal Adwan.
 

La Coordination nationale de l’UJFP, le 22 décembre 2024

mise en ligne le 24 déc 2024

À Mayotte, le soupçon de vies sacrifiées
après le cyclone Chido

Rémi Carayol sur www.mediapart.fr

Les habitants de l’île, notamment dans les bidonvilles, totalement rasés, ont attendu une semaine avant d’être aidés. Un tel délai interroge, en cette journée de deuil national : l’État a-t-il tout mis en œuvre pour sauver des vies ? 

Neuf jours après le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte, et alors que la France a observé, ce lundi, une journée de deuil national, une question doit être posée : les autorités ont-elles tout mis en œuvre pour sauver les vies qui pouvaient l’être ? Autrement formulé : l’État français a-t-il laissé mourir des gens, et si oui, pourquoi ?

Selon le dernier bilan officiel du ministère de l’intérieur, Chido aurait fait 35 mort·es et 4 136 blessé·es, dont 124 en « urgence absolue ». Mais tout le monde s’accorde à dire que ce bilan n’est que provisoire. Le 15 décembre, trente heures après le passage du cyclone, le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, évoquait au conditionnel « plusieurs centaines de morts », peut-être « quelques milliers ».

Sur le terrain, les retours sont contradictoires : certains affirment que les habitant·es des quartiers les plus dévastés, des bidonvilles que l’on retrouve partout sur l’île, mais plus particulièrement en Petite-Terre et dans la périphérie de Mamoudzou, le chef-lieu, comptent peu de mort·es dans leur entourage, et qu’ils n’ont eux-mêmes pas vu de cadavres ; d’autres parlent d’une odeur insupportable de corps en putréfaction qui monte de ces quartiers, et s’étonnent du faible nombre d’hommes et de femmes qu’ils et elles y croisent.

Une chose est sûre : personne, dans ces quartiers précaires constitués de maisons de tôle, n’a vu de secouristes dans les jours qui ont suivi la tempête. Sur les hauteurs de Kaweni, là où se trouverait le plus grand bidonville de l’île (on estime sa population entre 15 000 et 20 000 habitant·es), les premiers secours sont arrivés samedi dernier, soit au bout d’une semaine. Même constat dans les principaux bidonvilles de la zone : Cavani, M’tsapere, Doujani, Majicavo, ou encore La Vigie en Petite-Terre. Et cela ne vaut pas que pour les quartiers les plus touchés : dans de nombreux villages, il a fallu attendre plusieurs jours pour voir les premiers secours arriver.

L’étonnement d’Emmanuel Macron

Comment expliquer cette absence en dépit du message alarmiste du préfet et des images terrifiantes montrant l’état de dévastation de ces habitations ? « Si on craint des centaines voire des milliers de morts, pourquoi on n’envoie pas en urgence des secours, pour les compter, mais aussi pour essayer de sauver les survivants ? » se demande une assistante sociale de Petite-Terre qui a requis l’anonymat.

Emmanuel Macron s’en est lui aussi étonné jeudi, à son arrivée à Mayotte. Interpellé par la députée Estelle Youssouffa, qui parlait d’une « population ensevelie sous les décombres », et qui constatait qu’il n’y avait « pas de sauveteurs » et que « personne [n’avait] pu aller dans les zones totalement rasées », le président s’est tourné vers le préfet : « Personne n’est passé ? » « Pour l’instant on n’y est pas encore monté pour des raisons d’urgence sur les choses vitales », a répondu le haut fonctionnaire.

Dans un contexte de dégâts généralisés, les autorités ont visiblement préféré s’occuper en priorité des zones stratégiques, telles que l’aéroport, l’hôpital ou les centres de commandement des opérations, tous en partie abîmés par les vents. De nombreux abris (des écoles notamment) ont également été touchés par le cyclone, les routes ont été obstruées, et tous les réseaux (d’eau, de téléphonie et d’électricité) ont été coupés.

Des fonctionnaires qui ont requis l’anonymat rappellent que les communications étaient difficiles, voire impossibles, et que les déplacements étaient très compliqués. Pour autant, la question d’aller explorer ces quartiers entièrement rasés afin de sauver les survivant·es ou de récupérer les cadavres s’est-elle posée ? Et si oui, pourquoi rien n’a été entrepris ?

Sollicitée par Mediapart, la préfecture n’a pas donné suite à nos questions. Le ministère de l’intérieur s’est contenté de préciser que « depuis le dégagement des principaux axes des arbres et débris divers qui obstruaient les voies, les secours de la sécurité civile, de la gendarmerie nationale et de la police nationale progressent en fonction du déblaiement, de l’accessibilité aux différents secteurs de l’île fortement impactés par le cyclone et dont l’accès peut parfois s’avérer délicat, ainsi qu’en fonction de l’arrivée progressive des renforts humains et matériels qui permet de compléter et renforcer, à chaque arrivée, les moyens déjà engagés ».

Équipe renouvelée, manque de moyens

Certes, les autorités, surprises par la puissance de Chido, ont été dépassées par les événements. « C’est le bordel le plus complet, rien n’a été anticipé », souligne un ancien haut fonctionnaire qui a été en poste à Mayotte et qui suit les événements de près aujourd’hui (il a requis l’anonymat). Il rappelle que l’équipe dirigeante de la préfecture est en grande partie constituée de « nouveaux ». Le préfet, qui était auparavant sous-préfet dans le nord de la France, est arrivé en février. Son directeur de cabinet aussi. Le secrétaire général, lui, n’a pris son poste qu’au début de ce mois, en provenance du ministère des armées. Son adjoint a à peine plus de bouteille : il n’est arrivé qu’en juin sur l’île.

Mais cette relative méconnaissance du territoire, qui a abouti à des ratés dans l’aide apportée aux sinistré·es à partir de jeudi, ne peut pas expliquer la raison pour laquelle la priorité n’a pas été donnée aux secours dans les quartiers les plus meurtris.

D’autres sources évoquent le peu de moyens dont disposent les autorités sur place. Les pompiers par exemple : en début d’année, on en comptait 577 à Mayotte (243 professionnels et 334 volontaires), soit beaucoup moins qu’à La Réunion (2 325), qu’en Guadeloupe (1 442), qu’en Guyane (1 027) ou que dans les autres Services d’incendie et de secours (SDIS) relevant de la même catégorie (C, moins de 400 000 habitant·es), où la moyenne nationale est de 1 447 sapeurs-pompiers. Ils disposaient en outre de moyens limités (19 engins de secours, contre 36 en Guyane et 49 en moyenne dans l’ensemble des SDIS de catégorie C).

Mais tout de même, pourquoi n’ont-ils pas été envoyés dans les quartiers les plus touchés ? Le siège du SDIS à Mayotte se trouve dans la zone commerciale de Kaweni, au pied du bidonville. Des renforts avaient en outre été envoyés avant le cyclone : 35 sapeurs-pompiers étaient venus de La Réunion, dont une équipe cynotechnique et des spécialistes de l’unité de sauvetage-déblaiement, et 70 militaires du 7e Régiment d’instruction et d’intervention de la Sécurité civile étaient venus du Var.

Des questions sur le déploiement des forces

Pourquoi n’y a-t-on pas envoyé non plus les policiers et les militaires ? Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, avant le passage de Chido, la Police nationale comptait près de 770 agents sur l’île, et la gendarmerie 650. Le 16 décembre, la porte-parole de la gendarmerie nationale indiquait que 800 gendarmes étaient sur le terrain. Ils sont chargés de trois missions, précisait Laure Pezant sur France Info : « concourir aux secours », « éviter les troubles à l’ordre public [et] protéger les personnes et les biens », et enfin « reconnaître » et « dégager les axes ». Leur effectif a été porté à 1 200 les jours suivants (et à 850 policiers). Mais dans les bidonvilles et dans nombre de villages, personne ne les a vus « concourir aux secours ».

Le Détachement de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM), fort de 300 soldats basés en Petite-Terre, aurait également pu participer aux secours, de même que les quelque 800 volontaires du Régiment du service militaire adapté (RSMA), qui est basé dans le centre de la Grande-Terre, à Combani. Sur les réseaux sociaux et dans les reportages, on les a vus distribuer de l’eau et de la nourriture à partir de vendredi. Mais avant, où étaient-ils ?

Outre les communications rendues quasi impossibles, des fonctionnaires évoquent la difficulté de se déplacer, notamment dans les bidonvilles : situés sur des collines escarpées, ils ne disposent pas de routes viables et sont donc inaccessibles pour les véhicules. Mais s’y rendre à pied n’est pas impossible. Le bidonville de Kaweni se trouve à un petit kilomètre à vol d’oiseau de la préfecture, et plus près encore de la principale caserne de pompiers. Quant au quartier de la Vigie, il est situé à quelques centaines de mètres seulement du camp militaire de la Légion étrangère.

Sécurité ou « négligence assumée » ?

Une autre raison est avancée : la sécurité des secours. Les pompiers et les forces de l’ordre sont régulièrement pris à partie par des jeunes dans ces quartiers. « S’y rendre sans protection peut être dangereux », souligne un fonctionnaire.

Les habitant·es de ces quartiers, dont une majorité sont des Comorien·nes originaires des autres îles et dont beaucoup ne disposent pas de papiers français, ont-ils été sacrifiés par la France en raison de leur situation administrative ? Jean-François Corty, le président de Médecins du Monde s’interroge : est-ce « une question de moyens » ou peut-on parler d’une « négligence assumée » ? Il admet que la situation n’était pas simple à gérer, que l’accès de ces quartiers est compliqué, que se posent des questions de sécurité, et que la priorité, dans cette situation, va aux blessé·es plutôt qu’aux mort·es.

« Dans ce genre de catastrophe, il n’y a pas souvent de blessés, et beaucoup plus de morts », souligne-t-il. Mais il rappelle que « ces populations sont négligées depuis des années », et que les bidonvilles de Mayotte « n’ont jamais été une priorité ».

Priorité aux blessé·es : c’est aussi ce qu’a défendu Estelle Youssouffa ce lundi matin sur France Inter. Il fallait « sauver les survivants », a-t-elle soutenu, or « dans les bidonvilles, il n’y a a priori plus âme qui vive ». Le problème est qu’on n’en sait rien, puisque personne n’y est allé avant ce samedi. Ce postulat de départ – ils et elles sont tous et toutes mort·es –, qui ne repose sur aucun élément concret, renvoie à la notion de peuples sacrifiés et transformés en « morts vivants », développée par le philosophe Achille Mbembe il y a quelques années dans un essai intitulé Nécropolitique.

Depuis des années, celles et ceux que l’on appelle « les clandestins » à Mayotte, qui vivent essentiellement dans les bidonvilles, font figure de « morts vivants » dont la vie ne compte pas, ou si peu aux yeux des autorités et des élu·es. « À Mayotte, la gestion de la migration révèle un nécropouvoir en ce qu’elle expose à la mort et détermine les conditions pour la vie en produisant l’illégalité d’une partie importante de la population de l’île », soulignait la chercheuse Nina Sahraoui dans un article publié en 2020. Elle évoquait notamment le cas des milliers de personnes qui ont péri dans la traversée entre Anjouan et Mayotte (70 km).

S’il n’existe aucune donnée fiable sur le sujet, on estime à plus de 10 000 le nombre de personnes disparues dans ce bras de mer entre 1995 (date de mise en place d’un visa entre Mayotte et les autres îles de l’archipel) et aujourd’hui. Certains vont jusqu’à avancer le chiffre de 30 000. Mais ces morts, qui sont liées à la politique répressive mise en place depuis une trentaine d’années par la France, sont souvent évacuées par les pouvoirs publics. Comme si elles ne comptaient pas.

Et il pourrait en être de même avec Chido où, après n’avoir pas pu (ou essayé de) sauver des vies, l’État pourrait être tenté d’ignorer les morts. Depuis plusieurs jours, les autorités laissent entendre qu’on ne saura probablement jamais combien de personnes le cyclone a tuées, arguant notamment du fait que des enterrements clandestins ont probablement déjà eu lieu. « Le bilan humain sera-t-il connu ? On n’est pas capable de le dire », a lancé dimanche soir le ministre démissionnaire chargé des outre-mer, François-Noël Buffet.

Encore une fois : on ne sait pas jusqu’à quel point l’État a failli. Mais le silence des autorités sur l’affectation des secours et les choix effectués est insupportable.

mise en ligne le 23 décembre 2024

Syrie : « vers un désastre humanitaire » après la chute du régime
de Bachar Al Assad

Lucas Lazo sur www.humanite.fr

Au nord-est de la Syrie, les autorités kurdes sont dépassées par l’afflux des plus de 100 000 déplacés qui ont fui les enclaves kurdes de Shahbah et Tal Rifaat dans la province d’Alep, assaillies par les milices affiliées à la Turquie en marge de l’offensive qui a conduit à la chute du régime de Bachar Al Assad. Plusieurs milliers d’entre elles ont trouvé refuge à Raqqa, d’autres ont préféré poursuivre vers Kobané, menacé par une offensive militaire de la Turquie et ses mercenaires. L’hiver rigoureux et la guerre font peser la menace d’une crise humanitaire d’ampleur sur ces populations vulnérables et déjà multidéplacées par les conflits.

D’une main tremblante, Zinab s’entête à raviver un poêle qui ne parviendra pas à réchauffer la pièce. De l’autre, elle sèche les larmes d’Amira, sa fille de 4 ans : « Elle n’arrête pas de pleurer depuis que nous sommes arrivés ici, elle m’implore de rentrer à Shahbah. » Mais c’est impossible. Avec sa mère et ses enfants, Zinab a fui, début décembre, les persécutions de l’Armée nationale syrienne (ANS), un groupe armé soutenu par la Turquie, contre les populations civiles kurdes, pour échouer dans les entrailles glaciales du stade de Raqqa.

Torture

Deux pupitres d’écoliers fatigués ont été abandonnés sur une travée du stade. C’est là que Foza Hammoud, responsable d’une association locale, a scrupuleusement recensé une grande partie des 5 000 familles déplacées et passées par l’enceinte sportive de Raqqa pour être enregistrées, avant qu’elles ne soient redirigées vers les écoles de la ville, toutes fermées pour les accueillir. Elle revient chaque jour pour s’assurer que Zinab et les sept familles qui n’ont pas eu la force de repartir, épuisées par une fuite éprouvante, ne manquent de rien. Foza laisse échapper un soupir : « Mais elles manquent de tout, de fioul pour se chauffer, de nourriture, d’eau minérale… ». Elle suit du regard les bambins qui se chamaillent les pieds nus dans leurs sandales de plastique : « … et de vêtements pour l’hiver. » Dans le vestiaire aux murs défraîchis, les quatre enfants de Zinab se serrent les uns contre les autres, abrités sous une couverture. Les yeux creusés par les cernes, elle les regarde un à un, comme pour les compter : « Ils étaient cinq… Nour est mort de froid sur la route, il avait quatre mois et demi. » Dans un murmure à peine audible, la mère ressasse « quatre mois et demi ».

Tout doucement, Zinab déroule le fil de leur exil. D’abord, la fuite précipitée d’Afrin, une ville frontalière de la Turquie au nord-ouest de la Syrie, en 2018, attaquée et occupée par les mercenaires de l’ANS. Puis ce matin du 30 novembre 2024 où les rumeurs de la guerre se sont de nouveau glissées dans leur vie. L’offensive éclair sur la ville d’Alep conduite par les islamistes d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC), avant de descendre sur Damas, a entraîné dans son sillage les combattants soutenus par la Turquie de l’ANS qui se sont emparés des territoires où s’étaient réfugiés les déplacés d’Afrin : Shahbah et Tal Rifaat. « Il a fallu tout abandonner et partir, à nouveau. Nous n’avions pas de voiture, alors pendant trois jours nous avons marché. Il faisait froid, nous n’avions rien à manger, pas de lait pour les bébés », témoigne Zinab. Un périple qui les conduit jusqu’au stade de Raqqa, de sinistre mémoire : les vestiaires sous les gradins dans lesquels s’est abritée la famille ont servi de centre de détention et de torture à l’« État islamique » de 2014 à 2017, avant la libération de la ville par les forces kurdes appuyées par la coalition internationale.

« L’enfer »

Zinab ne sait pas combien de temps elle pourra tenir dans ces conditions. Ses mains gercées fouillent dans un carton éventré qui traîne dans un recoin de la pièce. L’inventaire de ce qu’il lui reste la préoccupe : « Un peu de riz, des pâtes, et c’est à peu près tout, mais où voulez-vous qu’on aille ? » En dépit des efforts des autorités qui ont ouvert 70 centres d’accueil d’urgence, l’ONG NES Forum, en charge de la coordination de l’aide humanitaire dans la région, alerte sur une situation critique à Raqqa.

Les responsables du Croissant-Rouge kurde sont submergés par les arrivées et de nombreuses familles sont contraintes de chercher un refuge ailleurs, à Hassakeh, à Kamechliyé, ou à Kobané. Dans un grincement métallique, les grilles du stade de Raqqa s’ouvrent pour laisser passer un taxi jauni et chargé de ballots. En surgit une femme qui manque de s’effondrer d’épuisement. Elle revient de Kobané : « C’était l’enfer là-bas. »

Désastre

Dans les couloirs de l’hôpital de Kobané, des familles patientent à même le sol, transies de froid malgré d’épaisses couvertures. Huzar Muhammad Ali, le directeur du centre de santé, est démuni : les attaques de l’ANS sur la ville de Manbij et les tirs d’artillerie sur le pont de Qere Qozaq qui la relie à Kobané ont coupé la ligne d’approvisionnement de la ville. « Si cette situation est amenée à perdurer, nous devrons fermer l’hôpital », confie-t-il avec amertume en parcourant les salles de soins, avant d’énumérer : « Depuis deux jours, nous manquons de tout, d’anticoagulants, de traitements pour les maladies cardiaques… » Huzar est bien conscient que plusieurs centaines de familles réfugiées de Shahbah se sont installées en périphérie de la ville dans une concession automobile abandonnée. Il ouvre grand les mains pour souligner son impuissance : « Que voulez qu’on fasse ? Nous avons bien essayé d’ouvrir un centre d’urgence pour les prendre en charge, mais à l’hôpital, nous recevons déjà les victimes civiles des bombardements. Et avec le front à 20 kilomètres, les autorités ont fini par envoyer le personnel médical disponible en soutien des combattants. Nous nous dirigeons vers un désastre humanitaire. »

Des gamins abasourdis par le froid s’amusent à rebondir sur les amortisseurs d’une carcasse de voiture. Emmitouflé dans son long manteau de laine, Mustafa fait les cent pas devant le rideau de fer rouillé et désespérément clos de ce qui fut brièvement, peut-être, le centre d’urgence. Il répète inlassablement, comme si cela allait suffire à faire venir quelqu’un, n’importe qui : « J’ai besoin de médicaments pour ma fille. » Il poursuit, comme pour se justifier de la situation : « Il y avait trop de monde à Raqqa, nous avons préféré venir ici à Kobané, nous pensions que nous serions accueillis par des ONG. »

Autour de lui, des amas de silhouettes éparses se réchauffent en mettant le feu à des bâches de plastique. Pas de trace d’ONG. Les familles ont investi les guichets délaissés d’un vieux marché aux voitures d’occasion. Mustafa pousse la porte – une couverture fixée au chambranle – de son abri, découvrant une pièce nue. Il y a bien trois matelas contre un mur, mais ils sont dix-sept membres de sa famille à occuper l’espace. Sur le rebord de la fenêtre, deux petites fioles de sirop à moitié vide tiennent en équilibre. D’un ample geste de la main, Mustafa embrasse la pièce : « C’est la troisième fois que j’abandonne mon foyer, mais là, c’est de loin la pire. »


 


 

« On ne sait pas ce qui va se passer après, surtout s’ils islamisent tout » : des Arméniens aux Alaouites, les minorités syriennes dans le doute

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

À la veille de Noël, les chrétiens d’Alep, qui se réjouissent du départ du clan Assad, s’interrogent sur les décisions du nouveau pouvoir à leur égard. Dans les montagnes alaouites, les musulmans aussi observent avec peur la mise en place des premières mesures qui ne donnent aucun gage de dialogue réel au-delà des déclarations.

Alep, Homs, montagnes druzes (Syrie), envoyé spécial.

Elle est encore là et domine toujours la ville. Un symbole, un emblème pour les habitants d’Alep qui, toutes générations confondues, l’ont toujours vue sur ce promontoire, comme un signe rassurant. La citadelle. Cette fortification qui a traversé les âges appartient à tout le monde.

À l’instar de toutes les communautés, notamment arménienne, qui peuplent la ville depuis des centaines d’années, voire plus. Elle a failli s’écrouler lors des rudes combats qui ont détruit et divisé la cité entre 2012 et 2016. Les souks avoisinants ont disparu sous les flammes. Les échanges de tirs – armes automatiques ou mortiers – violaient ses murs. À l’est, les djihadistes appliquaient leur loi religieuse, à l’ouest le gouvernement de Damas imposait son ordre. Et pourtant, la citadelle est toujours là, pilier de dignité.

Alep, première ville prise par le HTC

Un nouveau drapeau flotte, accroché à la rocaille, balayant celui de l’ancien régime que personne ou presque ne regrette. Des centaines de Syriens reviennent flâner sur l’esplanade en contrebas. Des familles entières profitent de ce moment, déambulant, heureuses, sans peur.

Les enfants tirent leur père par la manche pour une barbe à papa. Les jeunes filles, bras dessus bras dessous, avec ou sans voile, lunettes aux montures épaisses sur le nez, marchent en rigolant. Des garçons les observent l’air de rien, sourire aux lèvres. La lumière est voilée – c’est l’hiver –, mais le soleil – et avec lui, la vie – brille à nouveau. Peu importe que des hommes, un semblant de treillis sur le dos, une arme en bandoulière, se tiennent là, tranquillement. Ravis de se prendre en photo, ils se reposent sur le rude escalier qui mène à l’enceinte fortifiée.

Deuxième ville la plus importante de Syrie, Alep est la première à être tombée aux mains des groupes islamistes regroupés au sein du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) lors de l’offensive lancée le 27 novembre. Personne n’a compris ce qui se passait.

Mais tout le monde s’est méfié. Ceux qui, à l’est, avaient subi le joug de ces mêmes hommes regroupés ensuite à Idleb (« dès qu’ils mettaient la main sur un objet ou une femme, ils s’en saisissaient », se rappelait une Alépoise rencontrée par l’Humanité en 2016) et ceux qui, soulagés de la chute du clan Assad, envisagent l’avenir avec crainte. C’est le cas des minorités ne faisant pas partie de la majorité musulmane sunnite. Les chiites, les Kurdes et les chrétiens. Parmi ces derniers, les Arméniens sont particulièrement inquiets.

Dans le restaurant qui leur sert également de club, l’accueil est chaleureux. Un sapin de Noël décoré de boules et de cloches dorées rajoute à l’atmosphère apaisée et rappelle la période particulière pour les chrétiens. Mais les visages se ferment lorsque les questions surgissent et parlent sous le couvert de l’anonymat.

L’anniversaire organisé est joyeux, mais plus d’arak ni de cognac arménien contrairement à l’habitude. Les magasins qui vendaient de l’alcool ont placé en vitrine des bouteilles d’eau et de soda. À l’intérieur, les étagères sont vides. Dans le grand parc, la statue d’Abou Firas Al Hamdani, surnommé « le poète d’Alep », a été recouverte d’une bâche.

Le HTC essaye de donner des garanties

Les Arméniens, eux, ne sont pas certains que « rien ne peut être pire que ce qu’on a connu ». Non pas qu’ils développent une quelconque nostalgie mais ils s’interrogent sur leur statut dans la Syrie de demain. Personne ne veut donner son nom. Comme ce commerçant – carrure de lutteur, yeux vifs – qui se réjouit de ne plus avoir à verser des sommes astronomiques aux tenants du parti Baas, celui de Bachar Al Assad. Il peut, enfin, vendre tranquillement ses pièces détachées pour automobiles.

« J’ai rencontré les responsables du HTC, ils m’ont dit qu’ils pensaient prendre seulement Alep et Hama (une ville plus au sud sur la route de Damas – NDLR). Pour moi, cela signifie qu’ils ne sont pas assez nombreux pour tout contrôler », assure-t-il. Il montre une vidéo de tombes chrétiennes saccagées à Hama. Depuis, des rencontres ont eu lieu entre les nouvelles autorités et les représentants de la communauté arménienne, décidant notamment de patrouilles de surveillance communes.

Monseigneur Magar Achkarian, archevêque d’Alep, du nord de la Syrie et de la zone côtière, se veut rassurant. Avec un ton de diplomate aguerri, il explique à l’Humanité que « les responsables du HTC – des gens d’Alep qui sont partis à Idleb – nous ont dit que tout allait prendre du temps, qu’il fallait des efforts communs ». Lors d’une rencontre avec les onze communautés, le HTC a donné des garanties, assure l’archevêque.

« Nous avons bien sûr peur qu’on nous impose une loi islamique notamment dans les écoles avec la séparation des filles et des garçons, mais on nous dit que cela ne se passera pas. » Il dit espérer « une nouvelle Constitution qui respectera les droits et les obligations de toutes les communautés, sans discrimination ». La nomination comme gouverneur d’Alep de Fawwaz Hilal, l’ancien premier ministre du gouvernement de salut à Idleb, régi par la loi islamique, ne rassure guère.

« Nous, les femmes, devons toujours combattre pour nos droits »

Rassurée, cette professeur de mathématiques rencontrée à Alep, ne l’est pas. Appelons-la Araxie pour, à sa demande, protéger son identité. Mariée, mère d’un garçon et d’une fille, elle répond sans détour : « Quand ils sont arrivés, j’ai immédiatement pensé au statut des femmes. »

Elle poursuit : « C’est normal, car nous, les femmes, nous devons toujours combattre pour nos droits et nos libertés. Nous avons peur qu’on nous retire le peu que nous ayons. » Elle précise que, « pour l’instant, personne ne nous interdit de travailler mais on ne sait pas ce qui va se passer après, surtout s’ils islamisent tout ».

Elle évoque des « petites choses qui se passent » comme ces étudiantes qui sortent de cours à qui on demande de se couvrir la tête et « les élèves inquiets, pas concentrés. Celles qui ont 12 ans se demandent comment elles vont vivre si on les oblige à porter le voile ». Beaucoup de parents interdisent à leurs enfants de sortir, assure Araxie.

Une juge témoigne de l’interdiction qui lui est faite, à cause de son genre, de continuer à exercer sa fonction jusqu’au début du mois de janvier. Elle a dû remplir un questionnaire d’évaluation et ne sait pas si elle pourra continuer à travailler. Les avocates seraient dans le même cas de figure. Et tous les personnels se demandent si les non-musulmans seront toujours intégrés dans le système judiciaire.

C’est d’autant plus inquiétant que la nouvelle autorité centrale ne donne pas d’indications. Dans la ville de Homs, le nouveau procureur a assuré que rien ne changerait. En revanche, le porte-parole du gouvernement récemment nommé, Obeida Arnaout, a affirmé : « Une femme est un élément important et honoré de la société, mais ses tâches doivent être en adéquation avec les rôles qu’elle peut jouer. »

La peur des Alaouites associés au clan Assad

Dans les montagnes alaouites (Jabâl al-Ansariya), qui s’étendent en Syrie comme une épine dorsale, on scrute avec appréhension ce qui est en train de se passer. Les Alaouites composent de 10 à 12 % de la population syrienne et sont répartis dans les villes de Lattaquié, Jablé, Banias, Tartous et dans des centaines de villages de montagne. C’est dans l’un d’eux que nous sommes reçus, où l’électricité ne parvient pas.

Dans sa maison, Habib, retraité de la compagnie des eaux, vit chichement. Une pièce unique aux murs laiteux. Quelques matelas en guise de péristyle et une table basse en bois. Il prépare son fume-cigarettes et avale une longue bouffée. Son épouse, Nada, sert le thé. Les gens du village sont là aussi, s’entassant dans la pièce où trône un pauvre poêle. Des familles qui tentent de survivre entre l’agriculture pour certains et la fonction publique pour d’autres. Hassan, le moukhtar (représentant de la communauté) est assis sur une chaise, attentif et ironique. « Ici, on cultive des rochers », lâche-t-il sarcastique.

Mohammad, 30 ans, prend d’abord la parole pour expliquer que les Alaouites ont été manipulés par la famille Assad, le père, Hafez, puis le fils, Bachar. Ils ont servi de chair à canon et des milliers d’entre eux ont croupi, voire sont morts dans les sinistres prisons du pays. « Si une personnalité émergeait de chez nous hors du cercle Assad, elle était exilée, emprisonnée ou étouffée. »

Une réalité méconnue et, pourtant, cette communauté est amalgamée au pouvoir qui a régné sur la Syrie pendant un demi-siècle parce que la famille Assad en est issue. « Aujourd’hui, notre peur est existentielle », note Mohammad. Comme les Arméniens, les Alaouites ont reçu des paroles d’apaisement du nouveau pouvoir, « mais, pour l’instant, ce ne sont que des mots. Le gouvernement actuel n’est composé que de membres du HTC, tous venus d’Idleb, tous sunnites et anciens du Front al-Nosra qui était lié à al-Qaida ».

Un dialogue national nécessaire

Leur grande crainte est une possible instauration de la charia. Le nouvel homme fort de la Syrie, Ahmed Al Charaa, ne confirme ni n’infirme cette idée. Mais, à Alep, une banderole a été déployée sur laquelle est inscrite une déclaration du ministre de la Justice, ancien juge religieux, Mohammad Alwaysi, qui vante la « vraie religion et sa noble charia ».

Comme pour brouiller les pistes, une autre banderole, au même endroit, cite le premier ministre qui, lui, parle « du peuple d’Alep ». Ce qui donne toute sa dimension à cette affirmation de Mohammad l’Alaouite : « Nous sommes prêts à nous battre pour empêcher qu’une religion prenne le dessus sur les autres. Nous travaillons à la constitution d’un front d’opposition face à des décisions imposées. » Il appelle de ses vœux un dialogue national « pour rassembler toutes les composantes de la société syrienne ». Une idée qui, en Syrie, fait son chemin.

À Alep comme à Homs et Damas, des sapins lumineux célèbrent néanmoins Noël « qui sera un peu triste », regrette Magar Achkarian, l’archevêque d’Alep. « Surtout à cause de la situation économique des gens. En tant que chrétiens, nous n’avons pas le droit de baisser les bras. La paix, la joie et l’égalité doivent s’installer partout. » Certains habitants ne cachent pas que, cette année, ils ne savent pas s’ils assisteront à la messe de minuit.


 


 

« Il n’y a pas de place pour le YPG-PKK dans l’avenir de la Syrie » : à Damas, les Kurdes directement menacés par la Turquie

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le ministre turc des Affaires étrangères, présent à Damas aux côtés du nouvel homme fort Ahmed Al Charaa (ex-Abou Mohammed Al Joulani), s’est comporté comme le représentant d’une puissance tutélaire. L’objectif affiché : en finir avec les combattants kurdes.

Damas (Syrie), envoyé spécial.

C’est sans doute la rencontre la plus importante de ces derniers jours pour Ahmed Al Charaa, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Il a laissé tomber son nom de guerre – Abou Mohammed Al Joulani – et troqué son treillis pour un costume et, pour la première fois, une cravate.

Si, le 22 décembre, il a mis les petits plats dans les grands, c’est qu’il recevait celui qui a pratiquement été son mentor politique et représentant de la puissance tutélaire turque, Hakan Fidan. Aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, ce dernier a longtemps été à la tête du MIT, les services de renseignements. À ce titre, il avait une relation privilégiée avec Al Charaa, y compris quand celui-ci frayait avec Daech et al-Qaida.

Les forces de protection kurdes visées par le HTC

À l’issue de leur entretien, les deux hommes ont tenu une conférence de presse assez déconcertante tant leurs rôles semblaient inversés. Ahmad Al Charaa a ainsi déclaré que son administration travaillait à la protection des minorités, soulignant l’importance de la « coexistence » dans ce pays multiethnique et multiconfessionnel.

Depuis deux semaines et la chute du régime baasiste, rien n’a encore été entrepris en ce sens : l’intérim n’est absolument pas inclusif et il se refuse à toute application de la résolution 2254 pour une transition du Conseil de sécurité de l’ONU.

Le dirigeant du HTC a eu cette phrase étonnante : « Nous nous efforçons de protéger les confessions et les minorités contre tout conflit entre elles », et contre les acteurs « extérieurs » qui tentent d’exploiter la situation « pour provoquer une discorde sectaire ». Il a également fait savoir que « la logique de l’État est différente de celle de la révolution, et nous ne permettrons pas la présence de toute arme échappant au contrôle de l’État ».

Une attaque claire envers les YPG

Si cela concerne tous les groupes armés du pays – y compris ceux de son propre camp, djihadistes massacreurs, qu’il entend intégrer dans une nouvelle armée nationale – il vise avant tout les forces de protection kurdes (YPG). Ces dernières avaient payé un lourd tribut dans la lutte contre l’État islamique et gardent toujours les combattants de Daech dans les camps de prisonniers.

Elles se trouvent désormais totalement abandonnées y compris par l’Union européenne (UE) et surtout les États-Unis. Pourtant, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti que le groupe islamiste tenterait de rétablir ses forces au cours de cette période.

Hakan Fidan n’a pas fait le déplacement à Damas pour rien. Alors qu’un journaliste lui demandait si la Turquie allait opérer une offensive dans le nord de la Syrie, c’est-à-dire en pays kurde, il a eu cette réponse dénuée d’ambiguïté : « Les YPG volent les ressources énergétiques du peuple syrien. Les YPG doivent être placés dans une position où ils ne menacent plus l’unité de la Syrie. Il n’y a pas de place pour le YPG-PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan – NDLR) dans l’avenir de la Syrie. Les YPG doivent se dissoudre au plus vite. Ce n’est pas le moment d’attendre et de voir. Nous devons agir immédiatement. »

Pour bien marquer sa puissance, le représentant d’Ankara, dont les troupes stationnent en Syrie, a ajouté : « L’intégrité territoriale de la Syrie n’est pas négociable. »


 


 

« Nous voulons la démocratie, pas un État religieux » : dans les rues de Damas, la revendication des femmes

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Une centaine de Syriennes se sont rassemblées dans le centre de la capitale pour faire valoir leurs droits et exiger d’être associées aux décisions concernant l’avenir, notamment sur la nature du régime. Elles refusent toute référence religieuse.

Damas (Syrie), envoyé spécial.

La Syrie vit une période assez exceptionnelle. Il n’est qu’à parcourir les rues de la capitale ou de n’importe quelle autre ville du pays pour s’en rendre compte. C’est l’effervescence. La parole se libère deux semaines après la dislocation du régime pour préparer l’avenir. Les initiatives se multiplient, encore embryonnaires mais suffisamment médiatisées pour alerter les nouvelles autorités.

La semaine dernière, un monteur de cinéma, Rami Nedal, a lancé sur Facebook l’idée d’une rencontre pour discuter sans tabou de toutes les questions. Le lendemain, des centaines de personnes se sont rassemblées sur la place des Omeyyades en scandant : « Nous voulons la démocratie, pas un État religieux », « La religion est à Dieu et la nation à tous », « La Syrie, État libre et séculier ». Seuls quelques combattants armés, certains cagoulés, étaient présents sur le lieu de la manifestation, déambulant parmi les protestataires.

Pour un État libre et sans la charia

Le 22 décembre, les femmes se sont également rassemblées en plein centre-ville. « Nous prenons les devants pour protéger les femmes syriennes », explique à l’Humanité Diana Jabbour, scénariste et l’une des organisatrices du rassemblement. « Si nous ne participons pas maintenant, nous n’aurons aucun rôle. » Un sentiment partagé par Saman Adouan, plasticienne.

« Nous ne voulons pas de la charia comme inspiratrice des lois et que l’État soit confessionnel », souligne-t-elle en ajoutant : « Le droit des femmes n’est pas seulement vestimentaire, il est beaucoup plus profond. »

Reste à savoir combien de temps le pouvoir issu des mouvances djihadistes tolérera ce type de manifestations. Mais cette prise de conscience multiple pourrait compliquer le dessein d’Ahmed Al Charaa, de facto à la tête du pays.

    mise en ligne le 22 décembre 2024

Ukraine-Russie :
vers des négociations, enfin ?

Par Francis Wurtz, député honoraire du parlement européen sur www.humanite.fr

Les négociations de paix en Ukraine « commenceront peut-être en hiver cette année » ! C’est le premier ministre polonais, Donald Tusk, le plus proche allié de Kiev – et futur président du Conseil européen durant le premier semestre 2025 – qui l’a annoncé le 10 décembre dernier. Poutine, de son côté, affirme que « si un souhait de négocier émerge, nous ne refuserons pas ». C’est encourageant, même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres !

Ainsi, le président Zelensky a accompagné son accord pour un cessez-le-feu de l’exigence de voir « placer sous le parapluie de l’Otan le territoire ukrainien que nous contrôlons ». Or, de son côté, Vladimir Poutine conditionne d’éventuels pourparlers au fait que ceux-ci se fondent « sur les documents sur lesquels on s’était entendus à Istanbul » au printemps 2022. De quel compromis russo-ukrainien s’agit-il ? Selon le quotidien allemand « Die Welt », il s’agirait d’un projet d’accord établi le 15 avril 2022 entre les deux belligérants, prévoyant, à l’époque, notamment… « une neutralité permanente » de l’Ukraine (1) .

L’autre enjeu crucial d’une telle négociation est naturellement le statut futur des territoires occupés par l’armée russe : le Donbass, voire la Crimée, reviendront-ils sous souveraineté ukrainienne ? Le réalisme de cette perspective divise désormais le « camp occidental ». Si Zelensky dit, aujourd’hui, penser pouvoir recouvrer la souveraineté ukrainienne de tous ces territoires « par la voie diplomatique », ses alliés semblent beaucoup plus dubitatifs. « On peut espérer que Trump refusera de se ranger aux exigences de Poutine (…). Mais il faut se confronter au réel », estime, par exemple, un collectif d’anciens diplomates français (2). Sous-entendu : l’Ukraine ne récupérera pas les territoires conquis par Moscou.

Une telle issue n’était pas fatale ! Il faut le répéter pour contribuer à tirer les bonnes leçons de l’épouvantable tragédie que représente cette guerre : une solution politique conforme au droit international était possible il y a plus de deux ans. Et aurait épargné des dizaines de milliers de victimes. Le chef d’état-major général des armées des États-Unis de l’époque, le général Mark Milley en personne, déclarait le 16 novembre 2022 : « La probabilité d’une victoire militaire ukrainienne, consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine (…) n’est pas élevée. » En revanche, « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent : c’est possible ! » (3). Le plus haut gradé des militaires américains prenait ainsi le contrepied du chef du Pentagone, le général Austin, dur parmi les durs, qui, quelques mois auparavant, lors d’une visite éclair à Kiev, avait défendu le principe de l’escalade militaire : « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements et le bon soutien », avait-il lancé, ajoutant : « Nous voulons voir la Russie affaiblie. » (4). Joe Biden optera pour la ligne dure, les dirigeants européens également, certains même avec zèle !

Ainsi a-t-on appris que, dès le 15 avril 2022, après les premiers pourparlers russo-ukrainiens évoqués plus haut, qui visaient précisément à avancer sur la voie d’une solution politique, l’aile dure des dirigeants européens s’était mise en branle. Aux dires de Poutine, le premier ministre britannique, Boris Johnson, se précipita à Kiev pour pousser l’exécutif ukrainien à refuser cette voie, au profit de la recherche d’une victoire militaire. Johnson a démenti cet épisode embarrassant, mais… le chef de la délégation ukrainienne, Davyd Arakhamia, l’a confirmé (5). Même si cela ne change rien à la responsabilité russe dans l’agression contre l’Ukraine, il faudra, le moment venu, approfondir la réflexion sur tous les enchaînements qui ont marqué et marquent encore le désastre de cette guerre. Dans l’immédiat, rien ne doit compromettre le cessez-le-feu espéré.

Notes :

(1) « Die Welt » (mai 2024)

(2) Tribune « Guerre en Ukraine : l’affrontement sanglant doit prendre fin » (« le Monde », 9 décembre 2024)

(3) « Ouest-France », 20 novembre 2022

(4) « L’Orient-le Jour », 25 avril 2022

(5) Conférence de presse de Davyd Arakhamia, novembre 2023

     mise en ligne le 21 décembre 2024

Isabelle Defourny (MSF) :
« Il y a vraisemblablement
un génocide en cours
à Gaza »

Justine Brabant sur www.mediapart.fr

Après Amnesty International, deux autres grandes organisations non gouvernementales, dont Médecins sans frontières, ont décidé d’évoquer publiquement et en des termes explicites la possibilité d’un génocide à Gaza. La présidente de MSF, Isabelle Defourny, revient sur ce choix.

En publiant, en décembre, un rapport qui concluait que « les autorités israéliennes commett[ai]ent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza », l’organisation de défense des droits humains Amnesty International avait exprimé un regret : être parmi les seules à assumer de poser ces mots.

L’organisation y déplorait la « vaste résistance et hésitation, surtout parmi les autres États, à conclure à l’intention génocidaire en ce qui concerne le comportement d’Israël à Gaza ».

Les lignes pourraient être en train de bouger à ce sujet. Pas tant au niveau des États que dans d’autres grandes ONG internationales, qu’elles soient spécialisées dans la défense des droits humains ou dans l’aide médicale d’urgence. Deux d’entre elles ont publié ces derniers jours des documents employant des termes, non pas similaires, mais comparables, afin de qualifier les actions menées par les autorités israéliennes à Gaza depuis plus d’un an.

Le 19 décembre, l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport estimant qu’« Israël commet[tait] le crime d’extermination et des actes de génocide à Gaza ». L’ONG tire ces conclusions d’un travail approfondi sur l’accès à l’eau, où elle détaille comment les autorités israéliennes « priv[e]nt intentionnellement les civils palestiniens d’un accès adéquat à l’eau à Gaza – ce qui a causé des milliers de morts », et « menace la survie des habitants » de l’enclave.

La veille, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) dénonçait, elle, la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliquait que ce que ses équipes médicales observaient sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours » dans l’enclave.

Ces déclarations s’appuient sur un rapport publié par MSF, intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.

Jusqu’à aujourd’hui, jamais l’organisation n’avait parlé de la possibilité d’un génocide aussi clairement et publiquement. Isabelle Defourny, médecin et présidente de MSF France, revient pour Mediapart sur le choix d’employer ces mots.

Mediapart : Qu’est-ce qui a conduit votre organisation à cette prise de parole publique, la plus explicite à ce jour de MSF concernant la possibilité d’un génocide commis par Israël à Gaza ?

Isabelle Defourny : Nous sommes présents à Gaza depuis quatorze mois. Dès le début, nous avons appelé (avec beaucoup d’autres) au cessez-le-feu. À partir de janvier 2024, nous nous sommes appuyés sur l’ordonnance de la Cour internationale de justice, qui a ordonné à Israël et aux autres États de prendre toutes les mesures pour éviter un génocide, pour appeler à cesser les livraisons armes, et dire à ces États qu’ils prenaient le risque d’être complices de ce qui pourrait être qualifié un jour de génocide.

Il y a plusieurs mois, nous nous sommes dit que nous voulions produire un rapport portant sur une année de présence à Gaza. L’objectif n’était pas de prouver ou non l’existence d’un génocide. Ce n’était pas une enquête d’experts de droits de l’homme, mais plutôt la synthèse de données quantitatives et qualitatives, de ce qu’on a fait et observé, qui nous est arrivé pendant une année.

Et nous sommes arrivés au mois octobre où… Vous savez, à Gaza, toutes les semaines, on est passés de situations horribles à des situations de plus en plus horribles. Nous sommes donc arrivés au mois d’octobre, où a été mis en place le plan pour vider le nord de Gaza. Nous avons eu des équipes dans cette zone qui ne pouvaient pas bouger, certains membres qui se sont fait tuer.

Nous expliquons, dans notre rapport, les massacres de civils à répétition, la destruction des infrastructures nécessaires à la survie, les déplacements forcés de population, le siège et l’obstruction systématique de l’aide humanitaire.

Nous disons que nous sommes face à un nettoyage ethnique évident. Et nous disons qu’il y a vraisemblablement, comme le disent de très nombreux experts, y compris des experts israéliens, un génocide en cours à Gaza. C’est la seule façon de décrire ce qui s’y passe aujourd’hui.

C’est important de le dire, non seulement parce que c’est ce qui se passe, mais aussi parce que le crime de génocide a ceci de particulier qu’avant d’être jugé et établi comme génocide, il doit être prévenu et empêché. Les États ont l’obligation de tout mettre en œuvre pour éviter qu’il se produise. Attendre qu’une Cour internationale de justice établisse qu’il y a un crime de génocide, ce serait trop tard.

Pourquoi le faire précisément maintenant ?

Isabelle Defourny : Depuis le début de ce conflit, nous essayons au mieux de témoigner de ce qui se passe. Pendant très longtemps, l’angle qui nous a semblé le plus utile et crédible était de témoigner sur des faits précis qui nous sont arrivés – certains d’ailleurs ont été repris par la CIJ : de parler dans la presse, publiquement, d’attaques précises sur des structures ou des voitures MSF, d’avoir des témoignages de nos médecins sur des blessés…

Cela nous paraissait important, crédible, inattaquable, sans avoir à qualifier une situation générale. Mais après un an de présence non-stop, c’est différent. Massacre après massacre…

C’est impossible de ne pas décrire la situation pour ce qu’elle est, et de ne pas rejoindre tous ces experts qui décrivent la situation comme un génocide.

Il faut dire, aussi, que nos équipes ont peur. Pour leur sécurité, parce qu’elles sont exposées au même titre que tous les civils, et parce qu’elles ont la trouille de ne plus pouvoir rentrer à Gaza, ou de ne plus y faire entrer de camions. Aujourd’hui, un nouveau ministère, le ministère de la diaspora et de l’antisémitisme, va être en charge de l’enregistrement des ONG et des visas. L’espace pour les organisations internationales ne fait que se réduire : on voit ce qui est arrivé à l’UNRWA, c’est un drame.

En un an, nous avons subi une quarantaine d’attaques et d’incidents graves causés par l’armée israélienne : des frappes aériennes, des bombardements, des incursions, des tirs sur des abris MSF, sur des convois MSF, des détentions arbitraires de personnels de MSF. Nous avons perdu huit collègues, huit personnels de MSF qui y sont morts.

Vous n’allez pas, comme Amnesty International, jusqu’à écrire qu’Israël « commet un génocide » à Gaza. Pourquoi ce choix des mots – qui sont, on l’imagine, pesés, vu la lourdeur du sujet ?

Isabelle Defourny : Oui, car nous estimons que ce sera aux cours, dont la Cour internationale de justice, de juger de l’existence du crime de génocide ou pas. C’est une détermination légale qui repose à la fois sur des actes et sur la question de « l’intentionnalité » de commettre ce crime.

La définition du génocide

Le génocide est défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 comme un acte « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », qu’il s’agisse de meurtres, d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, du transfert forcé d’enfants ou encore de la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Or, nous ne sommes pas en position d’affirmer ou d’enquêter sur l’intentionnalité, contrairement à des experts juridiques ou à des organisations de droits de l’homme.

Cela ne nous empêche pas, comme tout le monde, d’avoir bien entendu et lu des déclarations de nombreux responsables israéliens sur le fait qu’ils assimilaient toute la population de Gaza à des cibles légitimes. Nous ne sommes pas naïfs sur cette question-là, mais nous faisons une différence entre ça et enquêter sur la question de l’intentionnalité.

Mais encore une fois, cela fait un an que nous sommes sur place, que nous témoignons d’un massacre, puis d’un autre, puis d’un autre encore, des déplacements forcés, des attaques contre nous, du personnel médical assassiné, arrêté, torturé… C’est impossible de ne pas décrire la situation pour ce qu’elle est, et de ne pas rejoindre tous ces experts qui décrivent la situation comme un génocide.

La situation n’a jamais été aussi grave et violente qu’aujourd’hui. Dans le nord, ce sont des attaques incessantes sur la population pour vider cette partie de Gaza. Dans le sud, les bombardements ont repris ; zone humanitaire ou pas, jour et nuit, il y a des bombardements dans les zones qui étaient prétendument protégées. Et il y a très peu d’aide, particulièrement de nourriture, qui y rentre.

Dans le sud de Gaza, le peu de camions qui rentrent avec de l’aide sont pillés par des gangs palestiniens. C’est tellement tendu et chaotique, il y a une telle destruction de la société et de tout ordre possible, qu’on ne voit pas de solution sur les moyens de distribuer la nourriture nécessaire. La situation n’a jamais été aussi mauvaise, elle est même plus mauvaise encore que ce que nous décrivons dans notre rapport.

 

   mise en ligne le 20 décembre 2024

Mayotte : un élan de solidarité populaire pour venir en aide à l’archipel

Par Christiane Oyewo sur https://www.bondyblog.fr/

Moins d’une semaine après le passage du cyclone Chido qui a fait de nombreuses pertes matérielles et humaines à Mayotte, anonymes et professionnels s'organisent dans toute la France pour leur venir en aide. En Île-de-France, l’un des points de collecte se trouve dans un restaurant Comorien du 20ᵉ arrondissement de Paris.

Rennes, Marseille, Carcassonne ou encore Lyon, autant de villes dans lesquelles la population se mobilise pour venir en aide à Mayotte. En Île-de-France, l’un des rendez-vous a été donné dans le restaurant comorien Wusipi de Paris, dans le 20ᵉ arrondissement. C’est entre les tables et entouré de l’odeur de plats qui sortent de la cuisine que des personnes viennent déposer denrées alimentaires non périssables, bouteilles d’eau, vêtements, ou encore produits d’hygiène. Depuis mardi 17 décembre et jusqu’au samedi 21 décembre, le restaurant organise une collecte de dons.

Nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider

Pour Achiraffi Ghalil gérant du restaurant, face à cette catastrophe, venir en aide d’une quelconque façon était une évidence. « C’est une question de fraternité humaine », explique-t-il. Avant de préciser que tous les Comoriens ont de la famille à Mayotte. « On est comorien, ce sont nos frères ! » Un sentiment que partage Albechir, venu l’aider bénévolement avec la collecte aujourd’hui. « C’est important pour moi d’être là aujourd’hui, parce que Mayotte fait partie des Comores, ce sont nos frères et nos sœurs », abonde-t-il. Pour lui qui est né et a grandi aux Comores, plus que de la solidarité, « nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider. » 

Une participation importante pour les collectes de denrées

24 heures après le début de la collecte, le fond de la salle est déjà rempli avec les dons qui arrivent au fil de la journée. Beaucoup ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux, notamment Hafath et Saïd qui viennent déposer plusieurs sacs en famille. Hafath a entendu parler de la collecte sur Snapchat grâce à une amie qui l’a partagée. D’origine mahoraise et comorienne, si elle ne peut pas se rendre sur place, elle tient à aider son île comme elle le peut. Tout comme Saïd, qui a eu des nouvelles de leur famille récemment et se réjouit de ces collectes. « Pour le moment, la famille va bien, mais les dégâts sont une tragédie. Du coup, on a amené tout le nécessaire pour tout le monde. » Et effectivement, à l’intérieur des sacs, on trouve de la nourriture, des couches, du savon, du dentifrice…

Une tragédie dont nous ne connaissons pas la réelle ampleur compte tenu du réseau qui a été lourdement impacté. Sans compter la nourriture du restaurant, c’est aussi ce manque d’information et de moyen de communication qui a poussé Félicie à venir. « Vu ce qu’on voit comme images et le peu d’images qu’on voit, il faut aider ! Je me suis dit” prends la route et vas-y !” ».

Des dons d’argents défiscalisés davantage pour inciter à donner

En plus des vêtements, chaussures pour hommes, femmes et enfants, elle a aussi fait un petit don à la Fondation de France. Concernant les dons, le gouvernement a annoncé une réduction d’impôt de 75 % (au lieu de 66 % habituellement) pour les dons et versements effectués du 17 décembre 2024 au 17 mai 2025. Cette mesure concerne les dons, dans la limite de 1 000 euros, « au profit des associations et des fondations reconnues d’utilité publique œuvrant sur place ».

De son côté, le gérant du restaurant tient à préciser qu’il n’accepte pas d’argent : « On a eu des propositions, mais je refuse ». Il redirige alors les personnes vers des structures qui font des collectes d’argent comme la Croix-Rouge ou encore l’association Mvukisho Ye Masiwa ». D’autres associations comme le Secours Populaire, le Secours Catholique, la Fédération Nationale de la Protection Civile… œuvrent aussi sur place.

L’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite

« Il vaut mieux optimiser plutôt que de faire une multitude de petites structures et de semer la zizanie », estime Achiraffi Ghalil. Pour acheminer la collecte vers l’archipel, il compte sur ses fonds propres et sur d’autres citoyens qui vont donner spécifiquement pour ça. Comme vont le faire d’autres acteurs qui réceptionnent les collectes en Île-de-France. La première étape sera d’abord de tout faire parvenir à des sociétés d’import-export situées à Lyon ou Bordeaux (par camion ou via la Poste), pour que mardi prochain, le 24 décembre, des conteneurs en provenance de plusieurs villes de France puissent partir en bateaux en direction de Mayotte.

Achiraffi Ghalil est en lien avec d’autres collectes de la région, « l’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite ». Pour l’heure, il n’est pas encore possible de faire décoller ou atterrir des avions commerciaux, l’aéroport étant fermé jusqu’à nouvel ordre. Les denrées devraient donc arriver en bateau d’ici un peu moins de deux mois, voire au mieux une trentaine de jours.


 


 

« Même les pompiers
ne viennent pas » : dans le bidonville de Mavadzani,
les Mahorais les plus pauvres laissés à l’abandon

Marine Gachet sur www.humanite.fr

Ce quartier informel de la commune de Koungou a été durement frappé par le cyclone Chido, samedi 14 décembre. Alors que les jours passent, la population désespère de voir de l’aide arriver.

Koungou (Mayotte), correspondance particulière.

Dans le bidonville de Mavadzani, la case de Fayad est à terre. Et ici, comme dans de nombreux quartiers informels de Mayotte, la désespérance se mêle à la colère. « Aucune autorité n’est venue nous voir pour nous dire comment ça se passe maintenant, même les pompiers ne viennent pas », déplore-t-il.

Quatre jours après le passage du cyclone Chido, qui a ravagé ce quartier du village de Majicavo Koropa, rattaché à la commune de Koungou, les habitants sont plus que jamais isolés. Fayad n’a pas entendu parler de morts dans le quartier. En revanche, il note que si plusieurs blessés ont pu être conduits au centre hospitalier de Mayotte (CHM), avec l’aide des riverains, d’autres, aux blessures plus légères, demeurent encore ici.

« Depuis l’accalmie, on n’a vu personne »

Un peu plus loin, un père de famille nous montre la blessure de son fils, sur la plante du pied, causée par une branche le 14 décembre. « On a besoin d’aide », articule-t-il en français. Assani, un riverain habitant une maison en dur dans le quartier mitoyen de Massimoni, assure lui aussi n’avoir vu personne venir s’enquérir de l’état de santé des habitants.

« Ce que je trouve déplorable, c’est que, depuis l’accalmie, on n’a vu personne, alors que tous les fils électriques, les poteaux, étaient sur les routes et empêchaient tout le monde de sortir. Ni les pompiers ni les forces de l’ordre. Personne. Aucune autorité communale ou nationale n’est venue voir comment les gens allaient, faire l’état des besoins, définir les urgences. Et ce, jusqu’à aujourd’hui », déplore-t-il, ce mercredi 18 décembre. Un habitant qui écoute la conversation fait néanmoins remarquer qu’il a aperçu quelques gendarmes la veille.

Le contraste avec Mamoudzou et Petite-Terre met en colère plusieurs résidents. « On sait que les pouvoirs publics sont heureux, car ce sont eux qui ont tout détruit sur ce secteur ! s’emporte Fayad, en désignant une étendue vide de la colline sur laquelle se trouvait le bidonville. Et deux jours plus tard, la catastrophe a rasé à côté. » L’homme fait référence à la démolition de 468 cases au début du mois de décembre.

À Mayotte, dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, les services de l’État procèdent plusieurs fois par an à des décasages, en recourant à la loi Elan et, dans certains cas, à la loi Vivien. Le 2 décembre, une opération de ce type a été lancée à Mavadzani, réputé jusqu’alors pour être un des plus grands bidonvilles de l’île.

Sur l’ensemble des familles expulsées de leur habitation, 52 de nationalité française ou détenant un titre de séjour ont été relogées temporairement, dont une vingtaine dans une résidence inaugurée en octobre 2024, à Massimoni, en contrebas du bidonville. Ce mercredi, des murs manquent toujours à l’un des studios du bâtiment modulable, abîmé par le cyclone. « Quand on décase dans ce quartier il y a du monde, mais là, il n’y a plus personne », souligne ironiquement Assani.

« On était cachés sous le lit »

Le jour du cyclone, lui et d’autres habitants de maisons en dur ont abrité ceux des cases en tôles quand ils ont commencé à fuir le vent. « Puis, ça a soufflé tellement violemment que, finalement, on a attendu que ça se calme », relate Assani. Il poursuit en indiquant qu’ils ont retrouvé des personnes cachées à terre, sous leur toit, ou bien sous leur lit. C’est ce qu’a fait Asma*, 14 ans, avec sa famille quand Chido s’est déchaîné.

« Ça m’a choquée, j’étais triste. Mes frères et sœurs étaient en train de pleurer, et moi aussi. On était cachés sous le lit pour ne pas avoir mal. Nous n’avons pas été blessés. Puis des gens sont venus pour nous aider et on a pu s’enfuir », raconte-t-elle, avec un sourire timide entrecoupé de regards dans le vide.

« Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais, mais nous sommes des êtres humains, quand même. » Fayad, habitant de Mavadzani

Une situation qu’ont vécue la plupart des enfants de Mavadzani. Pendant que leurs parents s’attellent à ériger de nouvelles cases, eux se languissent d’avoir à boire et à manger. Car, pour l’instant, leur seule source d’eau est un puits en contrebas du bidonville. « Mais il y a de la boue dedans, elle est contaminée », souligne Fayad. Si pour l’instant la plupart des personnes évitent de la boire, il redoute que certains, finalement, s’y résolvent.

« On est vraiment dans la galère », souffle-t-il. Un hébergement d’urgence a pourtant été installé au collège de Majicavo Koropa, accueillant actuellement environ 300 personnes. Mais le mot ne semble pas être passé dans le quartier. « Il y a aussi des gens qui ont peur de se faire arrêter car ils n’ont pas les papiers ou pensent qu’il n’y a pas de place prévue pour eux », fait remarquer un ami de Fayad, soulignant qu’il est d’autant plus important que les autorités viennent les rencontrer pour leur expliquer ce qui est mis en place.

Cette navigation à vue n’est pas ressentie qu’à Mavadzani. Le gouvernement annonce depuis le début de la semaine la mise en place de moyens importants, de ponts aériens pour acheminer de l’eau, de la nourriture, du matériel et des renforts. Mais l’ensemble des habitants de l’île rencontrés dénoncent l’absence apparente des autorités dans les rues et le manque de consignes et d’indications claires.

La rareté du réseau de communications après le passage du cyclone n’aidant pas. Le sentiment est donc d’être laissé à l’abandon, et Fayad désespère qu’on leur apporte un jour de l’eau potable. « Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais (ceux qui parlent la langue des Comores – NDLR), mais nous sommes des êtres humains, quand même », défend celui qui demande juste à ce qu’on leur donne accès à l’eau pour pouvoir remplir un bidon. Ce jour-là, 23 tonnes d’eau et de nourriture ont été acheminées à Mayotte par un gros-porteur A400M. Il revient aux communes de les distribuer.

* Le prénom a été modifié.

    mise en ligne le 18 décembre 2024

Une plainte déposée en France
contre un soldat israélien

Sarra Grira. sur https://orientxxi.info/

Alors que des centaines de Franco-israéliens sont potentiellement impliqués dans les crimes commis à Gaza, une série d’organisations de défense des droits humains ont déposé ce mardi 17 décembre, à Paris, une demande d’ouverture d’enquête contre l’un d’eux, Yoel O, soldat dans l’armée israélienne. Avec de nombreuses preuves à l’appui.

Nous publions ci-dessous un entretien avec Clémence Bectarte, avocate au Barreau de Paris, qui coordonne le groupe d’action judiciaire (GAJ) de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).

La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres palestiniennes et françaises Al-Haq, Al Mezan, Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de Yoel O., Franco-israélien qui a servi avec l’armée israélienne à Gaza dans le cadre de la campagne génocidaire menée par Israël contre les Palestinien.nes. Ce dernier est accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture et complicité de ces crimes commis contre des Palestinien.nes détenus en Israël.

Clémence Bectarte est avocate de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Al Haq, Al Mezan et le Palestinian Center for Human Rights (PCHR).

Sarra Grira.— Quelle est la signification de cette plainte ?

Clémence Bectarte. : Il faut souligner que c’est une plainte portée par des organisations palestiniennes. Celles-ci ont concentré leur travail depuis des années devant la Cour pénale internationale (CPI) en alimentant le bureau du procureur, bien avant, d’ailleurs, le 7 octobre 2023, sur tous les crimes liés à la colonisation israélienne, à l’apartheid et à de précédentes opérations militaires de l’armée israélienne sur Gaza. Cela a contribué à l’ouverture d’une enquête et à l’émission de deux mandats d’arrêt le 21 novembre 2024.

Mais les crimes commis sont d’une telle ampleur que la CPI seule ne suffira pas. Il n’y a bien évidemment aucune action possible devant la justice israélienne. Ce refus a été documenté à de nombreuses reprises et toutes les tentatives qui ont été faites par des victimes palestiniennes pour obtenir justice se sont heurtées à une impunité totale en Israël. L’activation de la justice qu’on appelle extraterritoriale, représente donc un levier essentiel. C’est d’abord une manière de rappeler la responsabilité de chaque État. Nous voulons aussi souligner cela à travers cette plainte, puisqu’elle concerne un Franco-Israélien. La responsabilité des autorités françaises à enquêter sur les allégations de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui peuvent être reprochées à un ressortissant français est d’autant plus grande. Nous savons que le nombre de soldats franco-israélien combattant dans l’armée israélienne dans cette opération militaire à Gaza est important, même si nous n’avons pas de chiffres précis.

Nous devons donc renvoyer chacun de ces États, lorsqu’ils sont compétents, à leur responsabilité. Il faut qu’ils prennent sa part à la lutte contre l’impunité et répondent à l’aspiration à la justice. C’est aussi ce message-là que nous voulons adresser à la justice et aux autorités françaises à travers le dépôt de cette plainte. Notre action s’inscrit dans un cadre plus vaste comme le souhaitent les organisations palestiniennes. Elles travaillent à saisir des justices européennes et au-delà pour que, à chaque fois que cela est possible, des enquêtes soient ouvertes qui visent à qualifier les crimes, et à nommer, voire sanctionner les responsables.

S.G. — Vous avez évoqué la responsabilité de la France. Dans le projet de plainte, vous mobilisez l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l’intention génocidaire, mais vous ne citez pas le dernier avis de la CIJ sur l’illégalité de l’occupation israélienne de Gaza, comme du reste des Territoires palestiniens occupés. Or, les soldats franco-israéliens ne participent pas seulement à des exactions, mais à une occupation illégale, selon la position officielle de la France.

C.B. Nous verrons comment l’enquête avance. Nous avons vraiment voulu concentrer cette plainte sur la torture, la persécution en tant que crime contre l’humanité. Ce que l’on voit dans la vidéo [voir ci-dessus] que nous présentons, ce sont des exactions de l’armée israélienne, et notamment la responsabilité du soldat franco-israélien contre lequel nous déposons cette plainte. C’était vraiment important de mettre l’accent sur le crime de torture et à son recours massif et généralisé.

C’est un aspect des crimes de l’armée israélienne qui n’est pour l’instant pas couvert dans le champ des mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et de Yoav Galant. Or, selon toutes les organisations qui travaillent sur le terrain, c’est un aspect important des crimes israéliens qu’il faut judiciariser, et sur lequel nous voulons déclencher des enquêtes. Les Palestiniens de Gaza sont arrêtés et torturés de la manière la plus brutale qui soit, en toute impunité. Bien sûr, nous pourrions l’élargir aux faits d’occupation, mais encore une fois, nous avons voulu — et c’est une décision réfléchie des organisations plaignantes — nous concentrer sur ces faits de torture, en présentant aussi d’autres témoignages pour montrer sa récurrence, son caractère systématique et généralisé. Des témoignages de Palestiniens de Gaza racontent auprès des organisations palestiniennes l’horreur qu’elles ont subie aux mains de l’armée israélienne au moment de leur arrestation.

S.G. — Pour revenir au cas particulier de ce soldat franco-israélien, il y avait déjà eu une plainte contre lui une première fois, mais qui n’a pas abouti. La différence cette fois, c’est qu’il y a des organisations comme la FIDH qui se constituent comme partie civile. Pourquoi c’est important ?

C.B. – Il y a deux formes de plainte que l’on peut déposer en France pour ce type de crimes : soit une plainte simple, soit une plainte avec constitution de partie civile. D’autres associations ont, sur la base de cette même vidéo, déposé une plainte simple auprès du Parquet du pôle Crimes contre l’humanité, ce qui laisse au procureur l’appréciation totale quant à la décision d’ouvrir une enquête ou non. Or, il a décidé de ne pas en ouvrir une et de classer cette plainte sans suite en septembre 2024.

C’est la raison pour laquelle nous utilisons aujourd’hui la plainte avec constitution de partie civile qui enclenche automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. C’est-à-dire que ce sont des juges d’instruction indépendants appartenant au pôle Crimes contre l’humanité qui vont être saisis. C’est ce même pôle qui a enquêté sur des crimes commis en Syrie, et qui enquête sur de nombreux crimes internationaux. C’est sa compétence exclusive.

C’était notre volonté : ne plus laisser cette marge d’appréciation au parquet, mais enclencher automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. Et dans le cadre de celle-ci, les cinq organisations plaignantes pourront se constituer partie civile et jouer pleinement leur rôle. C’est-à-dire d’abord, être entendues, apporter des éléments de preuve, faire des demandes d’actes pour que l’instruction avance, etc. Tel est notre objectif.

S.G. — Un des éléments marquants dans le dépôt de plainte, c’est le contexte de la guerre génocidaire que vous exposez au début en vous appuyant sur différents rapports qui ont été publiés jusque-là d’organisations internationales, de rapporteurs de l’ONU etc. On se dit que finalement, ce travail sert bien à quelque chose, au-delà de fournir de la matière pour les articles de presse ou pour documenter pour l’histoire la réalité de cette guerre…

C.B. L’impossibilité pour les ONG internationales de pouvoir enquêter et recueillir ces témoignages est un obstacle majeur mis en place par les autorités israéliennes. Mais, malgré cette interdiction, nous pouvons compter sur les organisations palestiniennes qui, dans des conditions extrêmement difficiles, continuent à faire un travail essentiel de documentation. Il y a aussi un certain nombre d’agences onusiennes, la CIJ, la CPI à travers l’émission des mandats d’arrêt, et des ONG internationales qui continuent de rassembler les preuves des exactions de l’armée israélienne pour les qualifier, pour les documenter et pour qu’elles servent aussi à des procédures judiciaires.

L’enjeu n’est pas seulement de dénoncer la réalité des crimes, mais aussi de se battre contre l’impunité dont on sait qu’elle est l’une des raisons, l’une des racines de la violence de cette guerre actuelle. Il n’y a jamais eu devant aucune instance de justice, qu’elle soit israélienne, internationale ou étrangère, de processus de justice satisfaisant pour les victimes palestiniennes. Même lorsqu’il y a des décisions, et on le voit bien avec d’une part les mesures provisoires ordonnées par la CIJ, et la décision au fond rendue sur la situation d’occupation, les autorités israéliennes leur opposent un mépris total. D’où l’urgence à faire en sorte que des enquêtes indépendantes soient ouvertes et qu’elles contribuent à qualifier les crimes commis à Gaza.

La vidéo incriminée

Le 19 mars 2024, une vidéo dévoilant des faits de violence contre plusieurs prisonniers palestiniens était postée par Younis Tirawi, un journaliste palestinien indépendant, sur le réseau social X. L’auteur de la vidéo y était identifié comme étant un ressortissant franco-israélien par le journaliste.

Dans cette vidéo d’une minute, réalisée de nuit, nous voyons des soldats de l’armée israélienne faire descendre de l’arrière d’un camion un homme vêtu d’une combinaison blanche ouverte laissant apparaître son dos et son torse. Ses yeux sont bandés, ses pieds sont nus et son cou est serré par un objet ressemblant à une corde. Ses mains sont attachées derrière son dos. À peine descendu, un soldat lui fait courber le dos, baisser la tête et l’emmène. Sur le dos du prisonnier, des marques et des cicatrices laissent penser qu’il a été battu et torturé. Une hypothèse que semble confirmer l’auteur de la vidéo qui, tout au long de cette scène, commente en français :

T’as vu ces enculés, mon neveu ? Ces fils de putain… Allez descends, fils de pute. Sur les pierres, voilà, enculé de ta mère. T’as vu ce petit fils de putain, là, regarde, il s’est pissé dessus. Regarde, je vais te montrer son dos, tu vas rigoler, regarde, ils l’ont torturé pour le faire parler. Wahou, t’as vu son dos ? Fils de putain.

Après une coupure dans la vidéo, nous voyons le prisonnier de la première scène et six autres hommes assis au sol et serrés les uns contre les autres. Ils sont tous vêtus d’une combinaison blanche, ont les yeux bandés et les mains attachées derrière le dos. L’auteur de la vidéo leur dit en français :

Bande d’enculés ! Fermez vos gueules ! Bande de salopes… Hein, vous étiez contents le 7 octobre, hein, bande de fils de pute.

« Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attends. »

Selon Younis Tirawi, l’auteur de cette vidéo serait Yoel O., un soldat franco-israélien qui serait actuellement en service et affecté à Gaza. Une capture d’écran d’une conversation Telegram de Yoel O. permet d’affirmer que cette vidéo a été réalisée en janvier 2024. Samuel O, identifié comme le neveu de Yoel O, serait la personne à l’origine de la diffusion de la vidéo dans un groupe intitulé « On arrache du Palestinien ». Tous deux seraient originaires de Lyon.

Yoel O. serait apparu dans un reportage sur une chaîne télévisée israélienne, visage couvert, afin de se prononcer sur cette affaire. Présenté comme soldat franco-israélien, il est interrogé au sujet de la vidéo et explique être menacé de poursuites. Il ajoute :

, mais je sais que c’est des conneries, ils ont pointé du doigt mon neveu et sa famille qui vivent en France, parce que c’est facile d’appeler à la haine contre lui.

Dans une conversation à propos de cette vidéo avec le journaliste Younis Tirawi, partagée sur le réseau social X, Samuel O. déclare :

Vous croyez quoi, vous ? Vous croyez que vous faites peur à qui ? Vous croyez que vous allez surprendre qui ? Et vous croyez que vous mettez des pressions à qui avec vos publications Twitter ? Je suis bien content qu’elle soit sortie cette vidéo. Voilà je te dis que je suis bien content et je suis très heureux. Comme ça maintenant vous savez dans le monde entier que quand nous on attrape des terroristes, on les torture. Point à la ligne.

Dans cette même conversation, Samuel O. affirme être lui-même un soldat. À Yanis Tirawi, qui évoque le risque de poursuites en France, il écrit :

Et bah qu’ils viennent » « J’suis à Lyon venez ! » « Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attend. [sic]

 

mise en ligne le 18 décembre 2024

À Mayotte, « personne n’est allé dans les bidonvilles prévenir la population »

Par Louise Mohammedi sur https://reporterre.net/

Prévention lacunaire de l’État, habitations exposées, peur des autorités, manque de dialogue... Les ravages causés à Mayotte par le cyclone Chido auraient pu être largement réduits, selon le géographe Fahad Idaroussi Tsimanda.

Après le passage du cyclone Chido samedi 14 décembre, les images de Mayotte ont des airs post-apocalyptiques. L’archipel est sous les décombres. Les bidonvilles ont été balayés par des rafales de vents dépassant les 220 km/h. L’hôpital, le port et l’aéroport ont été sérieusement endommagés. 15 000 foyers sont actuellement privés d’électricité et les habitants doivent survivre sans eau courante, et avec peu de provisions.

Pour Fahad Idaroussi Tsimanda, docteur en géographie et spécialiste des risques naturels et des vulnérabilités associé au Laboratoire de géographie et d’aménagement de Montpellier (Lagam), et habitant de Mayotte depuis un an, ces dégâts témoignent des lacunes de l’État vis-à-vis de la vulnérabilité d’un territoire pas préparé à un tel phénomène météorologique.

Reporterre — Était-il possible d’anticiper ce qu’il s’est passé à Mayotte ?

Fahad Idaroussi Tsimanda : Les conséquences du cyclone Chido étaient prévisibles. Mayotte est une zone à risque même si elle bénéficie de la protection naturelle de Madagascar qui réduit d’ordinaire l’intensité des phénomènes climatiques. Le dernier cyclone de cette ampleur remonte aux années 1930, donc la conscience du risque s’est peu à peu endormie. Ce type de catastrophe n’est donc pas envisagé dans la conscience collective.

« La France doit prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’île »

Cependant, les autorités mahoraises savaient qu’un tel phénomène allait toucher l’île. Elles auraient dû mettre en place un diagnostic et un dialogue avec les populations, mais rien n’a été fait. Et à l’approche du cyclone, personne ne s’est déplacé dans les bidonvilles pour prévenir la population. Seules des alarmes téléphoniques bruyantes écrites en français ont alerté les populations provenant des bidonvilles. Or, beaucoup d’habitants ne comprennent pas cette langue.

Au nord de l’île, des élagages auraient pu être faits pour éviter des chutes d’arbres, et des coupures de courant. Mais il n’y a pas assez de moyens. L’État se désolidarise et Mayotte ne peut affronter une telle crise. Nous ne devrions pas avoir à quémander de l’aide. La France connaît les risques, elle doit prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’île. Ces comportements dangereux contribuent à ce terrible spectacle qui aurait pu être en partie évité.



Les récits des évènements rapportent que dans les bidonvilles, zones les plus durement touchées par le cyclone, des habitants, pour bon nombre sans papiers, n’ont pas trouvé refuge dans les lieux en dur. Comment l’expliquer ?

Fahad Idaroussi Tsimanda : Les zones anthropisées sur lesquelles se trouvent ces bidonvilles sont fortement exposées. Les constructions y sont très précaires, bâties sur des pentes sujettes au mouvement de terrain. Avec le vent du cyclone Chido, quasiment toutes les maisons en tôles ont volé.

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles certains refusent de quitter leur domicile. Certains ont peur des vols, d’autres sous-estiment les dégâts d’un cyclone. Mais dans la majorité des cas, la population a peur des autorités. Selon les quelques témoignages que j’ai pu recueillir, certains ont cru à un stratagème pour les renvoyer chez eux.

Pourquoi le pouvoir français a-t-il échoué à prévenir la population d’une telle catastrophe ?

Fahad Idaroussi Tsimanda : On a une approche verticale avec des décisions paternalistes qui viennent de Paris. Nous devrions gérer la crise depuis la base. Nous sommes un territoire insulaire où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il faut nous donner les moyens directs et ne pas attendre les décisions parisiennes.

La France doit aller au contact de la population mahoraise avec une approche horizontale. Les politiques doivent discuter et sensibiliser. Tout cela aurait pu être fait avant le drame.

Sur place, les moyens déployés pour réparer les dégâts sont-ils suffisants ?

Fahad Idaroussi Tsimanda : Seules les forces locales ont commencé à débarrasser les routes, mais pour le moment [l’entretien a été réalisé le 16 décembre à 14 heures, heure de Paris] il n’y a aucune aide concrète. Nous n’avons pas d’arrivage d’eau ou de nourriture. Les rares moyens que nous avons pu regrouper avant la venue du cyclone vont s’amenuiser et nous n’aurons plus rien d’ici quelques jours. Nous sommes complètement isolés.

« Mayotte a toujours senti un désintéressement de la part de la métropole »

Mayotte a toujours senti un désintéressement de la part de la métropole, et cette crise est venue exacerber cette situation. Reste à voir les décisions des politiques dans les jours à venir. Va-t-on être considérés ? Les réponses doivent être données rapidement.

Face à la recrudescence d’épisodes climatiques de plus en plus violents, est-il encore possible de nous adapter ?

Fahad Idaroussi Tsimanda : Oui, mais il faudrait adapter les constructions et s’assurer tous les ans qu’elles soient solides. Dans la zone de l’océan Indien, les cyclones se forment d’est en ouest. Quand on a des toits construits avec des versants exposés est-ouest, les risques de destruction sont très élevés. Lors de la reconstruction, il faudrait par exemple élaborer des toitures du nord au sud pour renforcer les habitations et diminuer les risques.

Mais j’ai peur pour mon île. Nous assistons à un spectacle de désolation : les cultures ont été saccagées, les activités informelles dont dépendent les migrants sont à l’arrêt. Si nous avons à faire à ce type d’événements tous les ans, la vie insulaire deviendra très compliquée, voire impossible. Je me suis réinstallé à Mayotte il y a un an. Si ce type de phénomène devient régulier, il faudra partir.


 


 

« Ce qu’il nous faut, c’est
à manger, de l’eau et de l’électricité ! » : à Mayotte, l'urgence est partout

Axel Nodinot sur www.humanite.fr

Les Mahorais manquent cruellement d’eau, de nourriture et d’électricité. Des mesures doivent être déployées d’ici à la fin de la semaine. Le chaos pourrait être encore pire dans la plupart des communes, toujours coupées du monde.

Sa visite était à la mesure de sa posture vis-à-vis de Mayotte, déconnectée. Le ministre démissionnaire de l’Intérieur Bruno Retailleau a mobilisé de nombreux moyens pour se montrer, lundi, sur l’île. En réalité, seulement à Mamoudzou, la commune la moins touchée par le cyclone. Après un vol d’une dizaine d’heures, le Vendéen a réquisitionné la seule barge en état de marche pour rallier Grande-Terre.

« J’avais des habits et d’autres choses pour ma famille, mais avec ton ministre, j’ai dû attendre deux heures sur Petite-Terre, avec les sacs ! fulmine Safina, dont la mère a perdu de nombreuses affaires pendant Chido. Il sert à rien, ce qu’il nous faut, c’est à manger, de l’eau et de l’électricité ! »

La jeune femme pointe à raison des besoins vitaux qui ne sont plus garantis aux Mahorais, même si Bruno Retailleau a affirmé « mettre le paquet ». Le très droitier ministre a annoncé l’arrivée de 1 200 personnes d’ici à la fin de la semaine, mais son obsession sécuritaire n’est jamais très loin : 400 gendarmes supplémentaires seront déployés à Mayotte et des « blindés » seront sur les cargos qui convergent vers l’île au lagon.

Peut-être pour « penser au jour d’après » et expulser des sans-papiers qui ont tout perdu. Mardi matin, depuis La Réunion sans doute plus confortable, il annonçait également un couvre-feu de 22 heures à 4 heures, pour prévenir d’éventuels pillages par les bandes délinquantes.

De l’eau avant tout

Les bateaux amènent aussi de l’eau, accessoirement. Car les stocks des habitants s’amenuisent dangereusement et « les usines (de distribution) ne fonctionnent pas », a déclaré la société Mahoraise des Eaux, qui attend les résultats d’un état des lieux. La seule usine de dessalement du département, à Petite-Terre, a été remise en marche ce lundi après-midi.

Elle atteindra « 50 % de ses capacités dans 48 heures » et « 95 % le lundi 23 décembre ». Elle n’a par ailleurs jamais fourni les 5 300 mètres cubes par jour promis à sa construction. Les infrastructures mahoraises ne peuvent produire que 39 000 m3 – en saison des pluies – pour une demande quotidienne de 43 000 m3.

Après le cyclone, le manque est encore plus prononcé. Quelques points d’eau ont été mis en place pour la population de Petite-Terre et de Mamoudzou, qui y charrie ses bidons, seaux et bassines. Quant à la majeure partie des villages, toujours coupés du monde, nul ne sait quelle est leur situation. Le secrétaire d’État Thani Mohamed Soilihi s’est félicité du « pont aérien avec La Réunion » : chaque jour, entre 7 et 10 rotations d’avions apporteront aux Mahorais « 20 tonnes de nourriture et d’eau ».

L’agriculture et la pêche à l’agonie

Car « plus aucun arbre ne tient, nous risquons une crise alimentaire », a alerté le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni. D’habitude si verdoyante en saison des pluies, Mayotte manque maintenant de fruits, légumes et tubercules, la base de chaque repas, cueillis dans les champs familiaux ou achetés au marché du village.

Quant aux pêcheurs, dont la récolte matinale est elle aussi essentielle aux familles, la majorité de leurs embarcations ont été endommagées. L’acheminement de nourriture sur l’île est donc vital, mais la distribution à la population suscite déjà des craintes : la préfecture évoque « deux centres de vie » pour stocker et répartir équitablement les denrées. D’autres gagent que les centres communaux d’action sociale (CCAS) s’en chargeront, avec des risques de détournements.

Les supermarchés du 101e département français n’ont plus que quelques jours de stock. « Je vais essayer d’y aller aujourd’hui, on m’a dit que ça allait, même si on est limités sur certains produits », confie Safina. Les denrées de première nécessité comme le riz, le lait ou la farine, ainsi que les packs d’eau sont en effet rationnés.

« Mon inquiétude aussi, c’est que le mois de ramadan approche », précise Ben Issa Ousseni. Prévu de fin février à fin mars 2025, c’est l’événement majeur de l’île, où trente soirs durant chaque foyer prépare tour à tour de grands repas pour accueillir les siens. Cette année, ce formidable mois de solidarité pourrait être gâché par les pénuries.

Sans courant, plus d’argent

Certaines familles craignent également de fêter le ramadan à la bougie. L’électricité est coupée partout, sauf à Mamoudzou et Petite-Terre. « La ligne à haute tension est remise en marche », a prévenu Électricité de Mayotte (EDM), ce qui permettra de réalimenter l’usine de production d’eau et le port de Longoni, notamment. Ailleurs, EDM estime qu’il faudra « un mois » pour rétablir le courant, la majorité des câbles ayant été arrachés par le cyclone. Des renforts ont été envoyés par EDF.

Le réseau téléphonique est encore totalement coupé dans la majorité des communes. Depuis vendredi soir, les Mahorais d’Hexagone ignorent tout de leurs proches, multipliant les canaux de discussion pour essayer de glaner une photo, un vocal, un indice prouvant leur survie. Orange et SFR déplorent 110 antennes hors service sur 121, la majorité par manque d’électricité. Des opérateurs commencent à proposer leurs services gratuitement.

Sans courant, les petits commerçants ferment un à un, alors que deux tiers des entreprises mahoraises sont informelles. Les terminaux de paiement sont inutilisables, comme certaines caisses de supermarché et les distributeurs automatiques de billets. Et la nourriture du frigo ou du congélateur se perd. Toutes ces pénuries font agoniser les Mahorais, en plus d’un système de santé dévasté et de nombreux logements rasés.

À ce sujet, Bruno Retailleau a étalé tout son cynisme en affirmant « étudier la mise en place d’un fonds d’urgence » pour les personnes non assurées, soit la quasi-totalité de l’île. « La population mahoraise ne peut plus se satisfaire de visites de courtoisie et de discours déconnectés de la réalité ! » tonne le collectif Réunion Mayotte en action, qui craint aussi qu’Emmanuel Macron ne vienne que pour « faire de vaines promesses ».


 


 

« Mayotte nous montre qu’il y a des catastrophes climatiques auxquelles on ne pourra pas s’adapter »

Mickaël Correia sur www.mediapart.fr

Chercheuse spécialiste des ouragans à l’université d’Oxford, Stella Bourdin revient sur l’exceptionnalité du cyclone Chido qui a ravagé Mayotte et sur l’intensité croissante de ces épisodes, attisée par le dérèglement climatique.

Le cyclone tropical intense Chido qui a dévasté Mayotte samedi 14 décembre est l’un des plus violents à avoir frappé l’île en quatre-vingt-dix ans.

À une puissance rare – des vents de 226 kilomètres-heure ont été mesurés – s’ajoute une trajectoire exceptionnelle qui a conduit à la dévastation du territoire le plus pauvre de France. La totalité de l’habitat précaire a été détruit, 85 % des Mahorais·es sont sans électricité. Les morts pourraient se compter par milliers.

Stella Bourdin, chercheuse spécialiste des ouragans à l’université d’Oxford (Royaume-Uni), détaille pour Mediapart en quoi le cyclone Chido a été particulièrement intense, mais aussi pourquoi il est encore difficile d’établir un lien entre cette catastrophe climatique et le réchauffement planétaire.

Mediapart : Quelles sont les caractéristiques du cyclone Chido qui vient de dévaster Mayotte ? Est-ce un événement climatique exceptionnel ?

Stella Bourdin : Il faut d’abord rappeler que décembre marque le début de la saison cyclonique dans le bassin sud de l’océan Indien.

Météo-France avait prévu une saison au-dessus de la moyenne à cause de l’actuelle température élevée des eaux de surface de l’océan. Or l’énergie d’un cyclone, et donc son intensité, provient de la chaleur qu’il puise dans ces eaux océaniques.

Il existe toujours une grande part d’aléatoire quand un cyclone tropical se forme. Cela dépend des conditions environnementales externes, de sa trajectoire, de l’endroit précis que va atteindre le cyclone. Si on se réfère à l’échelle de Saffir-Simpson utilisée par les météorologues américains pour classer les ouragans, Chido est un cyclone de catégorie 4 sur une échelle de 5. C’est donc un événement extrême très intense et exceptionnel. Toutefois, d’un point de vue scientifique, Chido incarne un cyclone, qui, s’il est rare, reste statistiquement probable.

Vous disiez que dans l’océan Indien, la saison des cyclones débute à peine. Cela veut dire qu’un autre événement de ce type peut toucher la région ?

Stella Bourdin : Théoriquement oui, mais Chido étant déjà un événement climatique rare, il est encore moins probable qu’un deuxième cyclone touche spécifiquement Mayotte. Dans le sud de l’océan Indien, on dénombre en moyenne 9,3 cyclones par an. On pourrait donc avoir d’autres épisodes qui touchent La Réunion, Madagascar ou la côte est africaine, mais pas forcément avec la même intensité.

Chido est-il lié à l’intensification du changement climatique ?

Stella Bourdin : On ne peut pas encore le dire. Pour les cyclones tropicaux, ce qu’on appelle les études d’attribution [discipline définie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) comme « l’identification des causes des changements dans les caractéristiques du système climatique » – ndlr] sont compliquées à réaliser car ce sont des phénomènes trop rares.

Les premières études d’attribution rapides pour Chido seront peu conclusives – comme le montre déjà l’outil européen ClimaMeter –, on pourra avoir des études basées sur d’autres méthodes seulement d’ici quelques mois.

Ce dont on est sûr, c’est que sur une planète plus chaude, l’intensité de ces cyclones sera plus importante. En revanche, on ne sait pas encore s’ils seront plus fréquents à l’avenir. 

Il n’existe pas encore de signe détectable qui montre que ces cyclones sont un symptôme du réchauffement.

On comprend que les cyclones tropicaux, pour se former, ont besoin de certaines conditions météorologiques comme une forte humidité dans l’air, des eaux chaudes qui leur servent de « carburant » ou encore ce qu’on appelle le cisaillement du vent vertical, c’est-à-dire le fait que le vent en haute altitude soit plus puissant que celui en basse altitude. Tous ces facteurs peuvent être modifiés par les dérèglements climatiques, et on ne sait pas toujours si une variable peut l’emporter sur l’autre.

À titre d’illustration, l’an dernier, l’Atlantique était tellement chaud qu’on a eu pour cette région du globe une saison d’ouragans au-dessus de la moyenne. Pourtant, nous étions en période El Niño [un phénomène météorologique cyclique qui réchauffe le Pacifique en moyenne tous les deux à sept ans – ndlr], un mécanisme naturel qui a pour effet d’augmenter le cisaillement du vent et donc de freiner la formation de cyclones.

Que nous dit le Giec à propos de ces cyclones tropicaux ?

Stella Bourdin : Que l’on ne sait pas s’ils seront plus nombreux à mesure que le globe se réchauffe. Mais concernant les précipitations, la pluie étant l’élément le plus dangereux dans les cyclones, le Giec souligne que pour chaque degré de réchauffement en plus, sachant que nous sommes déjà dans un monde à + 1,2 °C, les précipitations augmentent de 7 %.

En octobre, des ouragans impressionnants comme Milton, qui a surtout frappé le sud-est des États-Unis, ou Kirk, qui a touché l’ouest de la France, ont surgi simultanément dans l’Atlantique. Ces épisodes, associés aujourd’hui au drame à Mayotte à la suite du passage de Chido, sont-ils la nouvelle normalité climatique ?

Stella Bourdin : Les prévisions annonçaient une saison cyclonique exceptionnelle dans l’Atlantique nord, et tout a été bien pire que prévu. Nous avons eu effectivement des événements très puissants comme Beryl, Kirk ou Helene, celui-ci ayant réussi à s’enfoncer dans les terres aux États-unis, jusqu’à faire des dégâts en Caroline du Nord.

Mais on ne peut dire si cela est directement lié au changement climatique. Si on plonge dans le passé, il n’existe pas encore de signe détectable qui montre que ces cyclones sont un symptôme du réchauffement.

2024 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée et elle sera la première année au-dessus de 1,5 °C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle. Comment s’adapter à des événements climatiques qui vont, avec la surchauffe planétaire, devenir plus intenses ?

Stella Bourdin : On a vu que les vents violents de Chido faisaient s’envoler les tôles des toits à Mayotte : une des premières mesures d’adaptation serait donc d’ériger des habitations qui puissent résister à ces cyclones tropicaux. Ensuite il y a la nécessité d’avoir des systèmes d’alerte et de prévention le plus opérationnels possible.

Cependant, ce qu’on a vu à Mayotte montre qu’il y a des catastrophes climatiques auxquelles on ne pourra pas s’adapter. On parle beaucoup de la nécessité de l’adaptation au changement climatique futur mais nous ne sommes même pas encore adaptés à la réalité climatique actuelle.

Ces catastrophes soulignent ainsi qu’il faut d’urgence tout faire pour réduire le plus possible nos émissions de gaz à effet de serre.

mise en ligne le 16 décembre 2024

Après le passage du cyclone Chido à Mayotte, des défaillances de l’État
à tous les étages

Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr

Le département le plus pauvre de France, en proie à une situation tragique tant dans les domaines de la santé, de l’école que du logement et de la sécurité, souffre d’un manque d’investissement patent de la part des pouvoirs publics.

Face au cyclone d’une extrême violence qui a dévasté l’archipel de Mayotte, Agnès Pannier-Runacher, ministre démissionnaire de la Transition écologique, a assuré sur X que le gouvernement est « 100 % mobilisé pour les Mahorais ». Alors que son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est attendu ce lundi sur place, en compagnie de son homologue des Outre-mer, des renforts de militaires ont également été annoncés.

C’est le minimum attendu d’un gouvernement. Sauf que, si l’État avait réellement pris ses responsabilités vis-à-vis du 101e département français, le plus pauvre de France, en proie à une situation catastrophique tant dans les domaines de la sécurité que de la santé, la justice ou l’école, les conséquences du cyclone Chido auraient sans doute été moindres.

Des habitants qui se sentent abandonnés

Les habitants l’ont dit et redit à de maintes reprises ces dernières années : ils se sentent abandonnés et secourus uniquement lorsque leur vie en dépend. C’est d’ailleurs le sens du rapport rédigé par l’inspection générale de six ministères (Intérieur, Justice, Affaires sociales, Finances, Éducation nationale et Affaires étrangères), révélé par Mediapart en mars 2023, alors que celui-ci était dissimulé par le gouvernement depuis janvier 2022.

« C’est une sorte de faillite généralisée des administrations publiques, notamment de l’État qui n’arrive pas à endiguer les multiples crises qui secouent l’archipel depuis longtemps », résumait l’auteur de l’article, Fabrice Arfi.

Comme l’écrit pudiquement l’Insee, Mayotte présente « des caractéristiques démographiques et sanitaires hors normes au regard des standards métropolitains » : 77 % de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté, soit cinq fois plus qu’en France.

Selon les derniers chiffres de l’Insee, le niveau de vie médian des habitants est sept fois plus faible qu’au niveau national : en 2018, la moitié de la population avait un niveau de vie inférieur à 3 140 euros par an. Et seules 30 % des personnes en âge de travailler ont un emploi. L’environnement y est également particulièrement dégradé avec une forte proportion d’habitat insalubre et un non-accès récurrent à l’eau courante.

« 6 000 à 10 000 enfants non scolarisés »

Le système de santé y est exsangue et, dans une île où près de la moitié des habitants a moins de 18 ans, les établissements scolaires sont saturés. « Un déficit de 1 200 classes à ce jour ; 55 % des élèves, en système d’enseignement en rotation, ne disposent que de deux jours d’enseignement par semaine », a rappelé, le 20 novembre dernier, le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), citant les « 6 000 à 10 000 enfants non scolarisés ».

« L’école est notre priorité nationale, il ne faut laisser personne au bord de la route, y compris nos jeunes Mahorais », a répondu Anne Genetet, la ministre de l’Éducation nationale, assurant que 138 millions d’euros seront débloqués dès 2025 pour construire de nouveaux bâtiments.

Des promesses auxquelles ne croient plus guère les principaux intéressés. « À Mayotte, il existe une expression en shimaoré pour désigner l’aspect » bricolé » et dérogatoire de l’action publique sur le territoire : on parle de l’État » magnégné ». (…) (Cela) désigne les nombreuses écoles construites par l’État en préfabriqués, signe d’un provisoire qui souvent dure à Mayotte, les routes bosselées, mais aussi la réglementation et le droit dérogatoire qui s’appliquent sur ce territoire. En bref, (cela) cristallise la critique d’un État » bricolé », qui ne serait pas le même qu’en métropole », analyse Clémentine Lehuger, docteure en science politique, dans un article de The Conversation.

Et de conclure : « La grille de lecture qui fait de l’immigration la clé de voûte de toutes les difficultés du territoire s’est largement imposée, alimentée par les services de l’État, occultant au passage les problèmes de sous-administration et de manque d’investissement en faveur du développement de Mayotte. »


 


 

Mayotte dévastée,
la faute à qui ?

Damien Gautreau sur https://blogs.mediapart.fr/

Alors qu'un terrible cyclone vient de frapper Mayotte et que le bilan s'annonce catastrophique, on peut déjà s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres dans ce territoire le plus pauvre de France.

Mayotte, dans l'archipel des Comores, est administrée par la France contre l'avis de l'ONU qui demande sa restitution aux autorités comoriennes. L’État français considère Mayotte comme son 101ème département mais pourtant traite le territoire comme nul autre.

Cette spécificité est en partie responsable de l'importance du bilan du cyclone Chido. Ce phénomène tropical, classé cyclone de catégorie 4, frappe Mayotte de plein fouet le samedi 14 décembre 2024. Les dégâts sont énormes et le bilan humain s'annonce lourd. Comment expliquer cela ?

Avec un taux de pauvreté de 77% et un taux de chômage de 34%, Mayotte explose tous les records. Le PIB/habitant, comme le revenu médian, y sont les plus faibles de France. L'île est habituée des problèmes d'électricité, de distribution d'eau, d’assainissement, de santé publique... Les établissements scolaires et hospitaliers sont insuffisants, tout comme les logements sociaux et les centres d'accueil.

Mayotte manque grandement d'infrastructures mais aussi de personnels tant elle souffre de sa mauvaise image. Pourtant, les investissements de l’État sont les plus faibles de France. Seulement 125.25 euros de Dotation Globale de Fonctionnement par habitants contre 381.44 euros dans la Creuse, 396.02 euros en Martinique et 564.14 euros en Lozère par exemple.

Alors que les besoins sont énormes, les investissements sont insuffisants, l’État n'est pas au rendez-vous. Les collectivités locales non plus ; entre fonds européens non dépensés, emplois fictifs, investissements non-adaptés et détournement de fonds1, le Département, comme les communes se moquent de leur population.

Les habitants sont donc livrés à eux-mêmes, en particulier ceux qui vivent dans les bangas, cases des bidonvilles, dont on estime le nombre à au moins 100,000 personnes. Les autorités se concentrent sur les opérations de décasages, sans offrir de réelles solutions de relogement, comme c'était encore le cas du 2 au 12 décembre sur la commune de Koungou. Le préfet se félicitait alors de l'action de ses services alors même qu'ils jetaient des familles entières à la rue.

Ces populations pauvres sont celles qui se sont trouvées en première ligne lors du passage du cyclone Chido et c'est en leur rang que l'on va dénombrer le plus de morts. Les laissés pour compte, souvent de nationalité comorienne, sont ici habitués à servir de boucs émissaires et beaucoup leur imputent tous les maux de l'île.

Cette fois il est clair qu'ils ne sont ni responsables du dérèglement climatique qui accroît la fréquence et l'intensité des catastrophes naturelles, ni responsables du sous-investissement chronique de l’État français à Mayotte, ni responsables du manque d'anticipation et de préparation des autorités locales.

Aujourd'hui Mayotte est ravagée, les bidonvilles sont rasés, les bâtiments publics sont endommagés, le réseau routier est impraticable, même l'aéroport n'est pas fonctionnel. Les habitants sont littéralement livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter sur personnes tant les responsables politiques ont montré leur inefficacité.

Espérons que ce triste événement serve de leçon et que Mayotte soit reconstruite de façon intelligente et harmonieuse, dans le vivre ensemble et le respect de chacun... on peut malheureusement en douter.


 

1) Andhanouni Said, maire de Chirongui en 2022 ; Mohamed Bacar, maire de Tsingoni en 2023 ; Daniel Zaidani, conseiller départemental en 2023 ; Salim Mdéré, conseiller départemental en 2024 ; Rachadi Saindou, prédisent de communauté d'agglomération en 2024 ; Mouslim Abdourahaman, maire de Bouéni en 2024 ; sont tous condamnés par la justice ; en 2024, Assani Saindou Bamcolo, maire de Koungou est poursuivi par la justice.

   mise en ligne le 15 décembre 2024

Syrie : trois questions pour tout comprendre après
la chute des Assad
qui secoue le Moyen-Orient

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

En Syrie, l’offensive partie d’Idleb le 27 novembre s’est achevée à Damas le 8 décembre avec la prise du pouvoir par l’alliance des djihadistes et d’autres forces, pour la plupart islamistes, avec le soutien de la Turquie. Trois questions se posent désormais pour saisir les enjeux futurs.

Il n’aura fallu qu’une offensive de douze jours pour faire tomber le pouvoir en place à Damas. Le 8 décembre, on apprenait que le président syrien Bachar Al Assad, en place depuis vingt-quatre ans, avait quitté le pays pour se réfugier à Moscou, certainement le seul pays où il se sent maintenant en sûreté. Il doit à la Russie et l’intervention militaire de l’automne 2015 d’avoir pu garder son siège.

Une rapidité confondante qui montre que le système mis en place par le parti Baas (nationaliste arabe et laïc) sous l’égide de la famille Al Assad était totalement vicié. Il était en train de pourrir de l’intérieur sans plus de soutien dans le pays, à l’exception de la minorité alaouite (d’où sont issus les Assad) qui se repliait sur elle-même, à Damas et le long de la côte méditerranéenne. Ce régime, haï par la population, est « tombé comme un fruit mûr », pour reprendre l’expression du géographe Fabrice Balanche, auteur d’un livre incontournable si l’on veut comprendre le processus qui a amené la chute de la maison Assad (« Les leçons de la crise syrienne », éditions Odile Jacob).

1 – Comment en est-on arrivé à la chute du régime de Bachar Al Assad ?

L’offensive a été lancée depuis la province d’Idleb, au nord, dominée par le leader djihadiste Ahmed Al Sharaa, plus connu sous son nom de guerre d’Abou Mohammed Al Jolani, à la tête d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Depuis plusieurs années se sont regroupés dans cette zone une multitude de groupes islamistes et de combattants djihadistes (y compris d’anciens membres de l’« État islamique »). Un cessez-le-feu conclu avec l’armée russe et sous l’égide de la Turquie a permis un rapprochement entre Ankara et Al Jolani. Rapprochement qui s’est traduit par une aide logistique et financière.

Les 10 000 soldats turcs n’ont pas fait que surveiller mais ont également formé ces islamistes. Comme l’explique Fabrice Balanche, « l’offensive lancée le 27 novembre par le HTC n’a pas été vraiment surprenante. Cela faisait déjà deux mois que l’armée syrienne s’était renforcée à Alep, sentant que quelque chose se préparait. De toute façon, Al Jolani ne faisait pas mystère de sa volonté de revanche à l’égard du régime syrien. Acculé dans ce réduit d’Idleb, il n’allait pas attendre pour l’éliminer que la guerre se termine en Ukraine et que la Russie puisse de nouveau mobiliser des forces vers la Syrie »

Une offensive facilitée, voire appuyée par Israël qui, en bombardant le Hezbollah libanais, a forcé l’organisation chiite à rapatrier ses troupes et donc à dégarnir le front d’Alep, première ville tombée aux mains des djihadistes en trois jours seulement. Une prise qui s’est transformée en signal à l’intérieur du pays. À Deraa, les forces du Front du sud, plus laïques, se sont rapidement mobilisées. À Soueïda, les Druzes sont également descendus dans les rues.

2 – Quels sont les objectifs des groupes islamistes désormais au pouvoir ?

Le HTC, force dominante, veut imposer une théocratie sunnite avec application de la charia. Au-delà, il est difficile de savoir exactement quel type de régime va être instauré. Al Jolani, soucieux sans doute de donner des gages aux pays occidentaux, a fait savoir que « la victoire que nous avons remportée est une victoire pour tous les Syriens. Bachar Al Assad a propagé le sectarisme et aujourd’hui notre pays appartient à nous tous ».

À tous ? L’entrée du leader djihadiste dans la mosquée des Omeyyades à Damas ressemblait étrangement à celle d’Al Bagdadi, l’émir de l’« État islamique », dans la mosquée de Mossoul, en Irak, dix ans auparavant. Mais si, dès la chute de Damas, le 8 décembre, le HTC a été placé sous les projecteurs, il ne faut pas ignorer les autres groupes qui ont participé à cette victoire, à commencer par l’Armée nationale syrienne, créée de toutes pièces par la Turquie.

Les Kurdes qui avaient combattu avec succès Daech, lui infligeant sa première défaite à Kobané il y a bientôt dix ans, sont maintenant dans le viseur turc. La ville de Manbij est tombée. Recep Tayyip Erdogan, le président turc, veut créer une zone tampon dans le nord de la Syrie, d’où il expulserait les Kurdes et, dans tous les cas, empêcherait la poursuite de l’expérience tentée avec la mise sur pied de l’Administration autonome du Nord et de l’Est syrien (AANES). Il s’agit pour Ankara d’y installer des communautés arabes et turkmènes, en rapatriant dans ce nord les réfugiés syriens se trouvant en Turquie.

Il est à noter que l’opposition syrienne qui était regroupée au sein du Conseil national syrien (CNS), forgée par la France avec l’accord des États-Unis, est devenue une coquille vide sans aucun poids. La seule manœuvre aurait été de voir l’un de ses membres devenir chef d’un gouvernement de transition, mais c’est Mohammad al-Bachir (président du « gouvernement de salut syrien », l’exécutif proclamé de la province d’Idleb par HTC) qui a été désigné et qui occupera la fonction jusqu’au 1er mars 2025.

3 – Quelles interférences internationales ?

Depuis 2011 et le début de la révolte, la Syrie est devenue un terrain d’affrontements entre puissances régionales et internationales. La Russie et l’Iran sont venues prêter main-forte à Bachar Al Assad alors que l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis soutenaient les islamistes. Moscou va maintenant essayer de sauver les deux bases (navale et aérienne) qu’elle détient. Téhéran doit à présent éviter un isolement après que les voies de ravitaillement du Hezbollah ont été coupées.

La Turquie a permis aux djihadistes du monde entier de passer par son territoire pour se rendre en Syrie. Quant aux États-Unis, ils ont vite compris qu’ils pouvaient utiliser la question kurde pour stationner des troupes dans les zones pétrolifères, pas tant pour les exploiter à leur profit que pour les utiliser en vue de futures négociations avec les différents groupes qui ne sauraient tarder à faire route vers Deir ez-Zor.

Enfin, Israël a soutenu l’offensive et s’est empressé, dès le 8 décembre, de prendre une partie du territoire syrien. Comme l’a dit Netanyahou : « La chute d’Assad est une journée historique pour le Moyen-Orient. C’est le résultat direct des attaques d’Israël contre le Hezbollah et l’Iran. Nous ne permettrons aucune force ennemie à nos frontières. » Que Tel-Aviv se réjouisse du succès des djihadistes n’est pas le moindre des paradoxes.

 

mise en ligne le 12 décembre 2024

L’ONU réclame un cessez-le-feu « immédiat » et « inconditionnel » à Gaza, les États-Unis et Israël votent contre

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Réunie ce mercredi 11 décembre, l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) a réclamé, à une très large majorité, un cessez-le-feu « immédiat » et « inconditionnel » dans la bande de Gaza. La résolution a été adoptée avec 158 voix pour, 13 abstentions et 9 contre, dont les États-Unis et Israël.

L’histoire se répète inlassablement. Comme à leur habitude, les États-Unis et Israël ont rejeté toute avancée en ce qui concerne les territoires palestiniens. Les deux alliés ont voté contre un appel – seulement symbolique et non contraignant – de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), qui réclamait, à une très large majorité, un cessez-le-feu « immédiat » et « inconditionnel » à Gaza.

« Nous sommes reconnaissants de ce soutien écrasant, a néanmoins déclaré l’ambassadeur palestinien à l’ONU, Riyad Mansour. Nous continuerons à frapper à la porte du Conseil de sécurité et de l’Assemblée jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu soit mis en place. » La résolution, adoptée sous les applaudissements par 158 voix pour, 9 contre et 13 abstentions, exige « un cessez-le-feu immédiat, inconditionnel et permanent » ainsi que « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Une formulation similaire au texte qui a été bloqué par les États-Unis, fin novembre, lors d’un Conseil de sécurité.

« Une blessure ouverte pour l’humanité »

La première puissance mondiale avait alors utilisé une énième fois son droit de veto afin de protéger son allié israélien, dont la politique génocidaire et coloniale ne cesse de s’amplifier depuis plus d’un an. « Gaza est le cœur sanglant de la Palestine et une blessure ouverte pour l’humanité », s’est insurgé Riyad Mansour, évoquant les images de souffrances qui devraient « hanter la conscience du monde ». Les États-Unis, qui insistent pour que la trêve soit conditionnée à la libération des otages, ont ainsi réaffirmé leur position face à l’Assemblée générale de l’ONU, ce mercredi 11 décembre.

La résolution, qu’il serait « honteux » d’adopter selon eux, « risque d’envoyer au Hamas le message dangereux qu’il n’y a pas besoin de négocier ou de libérer les otages », a déclaré avant le vote l’ambassadeur américain adjoint, Robert Wood, alors que le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a évoqué, dans le même temps, « une chance » d’accord pour cette libération.

La résolution adoptée par les Nations unies demande, par ailleurs, à son secrétaire général, Antonio Guterres, de présenter des « propositions » concrètes. L’Assemblée générale met notamment en avant l’existence de mécanismes établis et déjà testés auparavant. Par exemple en Syrie, suite au lancement de la guerre civile en 2011, lorsque les Nations unies ont eu besoin d’une aide internationale pour collecter des preuves de crimes commis sur place.

Une deuxième résolution, adoptée par 159 voix pour, 9 contre, 11 abstentions, appelle aussi Israël à permettre la poursuite des opérations de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) dans les territoires palestiniens. Pour rappel, le gouvernement israélien a adopté, le 28 octobre dernier, deux textes interdisant les activités en Israël de l’agence des Nations unies et prohibant aux responsables israéliens de travailler avec elle. Une décision qui fut dénoncée par le Conseil de sécurité de l’ONU – dont les États-Unis. Israël accuse sans preuve des employés de l’agence d’avoir participé aux attaques du 7 octobre.

Ces deux résolutions des Nations unies relèvent du symbolique, Israël n’ayant pas l’obligation de s’y conformer. L’Assemblée générale a cependant été l’occasion pour de nombreux pays d’affirmer leur soutien envers le peuple palestinien. Les représentants de dizaines d’États membres ont ainsi défilé à la tribune avant le vote.

« Gaza n’existe plus, elle est détruite, a par exemple fustigé l’ambassadeur slovène, Samuel Zbogar. L’Histoire est la plus dure des critiques contre l’inaction. » L’ambassadeur algérien adjoint, Nacim Gaouaoui, a quant à lui prévenu que « le prix du silence et de l’échec face à la tragédie palestinienne est lourd, et sera encore plus lourd demain ».

Depuis plus d’un an, l’armée israélienne a causé la mort d’au moins 44 805 morts, juste dans la bande de Gaza, selon les données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, et ce chiffre continue de grimper. La Défense civile locale a notamment indiqué que 21 personnes – parmi lesquelles plusieurs enfants – ont été tuées par les frappes d’avions de chasse israéliens, dans la soirée de ce mercredi 11 décembre. Soit dans la foulée de l’appel lancé par l’Assemblée générale des Nations unies.

     mise en ligne le 10 décembre 2024

Nouvelle-Calédonie :
« La France, elle fait la guerre avec qui ici ? »

Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

Six mois après le début des révoltes en Nouvelle-Calédonie, Mediapart est retourné dans l’un des foyers de l’insurrection. Concentré des « logiques néocoloniales » à l’œuvre dans l’archipel, la tribu de Saint-Louis a subi une lourde répression et perdu trois jeunes, tués par le GIGN. Les familles y ruminent leur colère et leur tristesse, mais restent déterminées à poursuivre la lutte.

Saint-Louis (Nouvelle-Calédonie).– Assise devant sa maison avec une tasse de café, Marie-Berthe Boano regarde l’allée de terre qui serpente jusqu’à la grande route. « J’attends le jour où je vais le voir arriver par là », dit-elle en pointant le bout du chemin. Ses yeux sont brillants, mais sa tête est haute et sa voix ne souffre d’aucune vibration. « J’ai la haine de ce qu’il s’est passé. Depuis le départ de mon frère, je ne sors plus d’ici. J’ai la rage, je ne veux plus croiser les gendarmes. »

Cela fait cinq mois que Marie-Berthe n’a plus quitté Saint-Louis. Cinq mois que son neveu et son grand frère sont montés dans un avion militaire pour être placés en détention provisoire à 17 000 kilomètres de chez eux. Cinq mois qu’elle attend le retour de Dimitri et de « Bichou », l’autre nom de Christian Tein, nouveau président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), considéré par la justice comme l’un des principaux « commanditaires » des révoltes qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie depuis le 13 mai.

Situé sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa, Saint-Louis est un concentré de ce que le député Emmanuel Tjibaou qualifie de « logiques néocoloniales ». Un petit bout de terre dans un archipel perdu au milieu de l’océan Pacifique, où les autorités françaises ont assumé une répression guerrière, installant à l’entrée et à la sortie de la tribu deux imposants « verrous » de sécurité, censés répondre aux violences qui y ont été perpétrées.

C’est ici qu’un gendarme a été tué le 14 mai*. Ici aussi que des dizaines d’automobilistes ont été victimes de car-jackings et que les forces de l’ordre ont essuyé d’incessants coups de feu. Ici enfin que trois jeunes Kanak sont morts, tués par les forces du GIGN. Ils s’appelaient Rock Victorin Wamytan, dit « Banane », Samuel Moekia et Johan Kaidine. Ils avaient respectivement 38, 30 et 29 ans. Rares sont celles et ceux à avoir entendu parler d’eux en métropole, mais à Saint-Louis, leur souvenir est sur toutes les lèvres.

Les fantômes de l’indigénat

Fin septembre, cinq autres personnes se sont rendues à la police, quelques jours après une menace on ne peut plus explicite du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Louis Le Franc : « Je suis extrêmement déterminé à rouvrir la route, avait-il déclaré dans Le Monde. On ira chercher tous ceux qui sèment le trouble à Saint-Louis. Et je n’ai qu’un conseil à leur donner, c’est de se rendre. C’est la seule issue qui leur sauvera la vie. »

La route est désormais rouverte à la circulation en journée, mais la présence des forces de l’ordre est encore massive. Sur le chemin qui mène à la case de la grande chefferie, un véhicule blindé a été posté bien en évidence sur le bas-côté. Le vrombissement des drones est devenu une rumeur quotidienne. La surveillance est maximale, pesante, envahissante (voir notre boîte noire). « C’est dur, témoigne Fernand Dawano, l’un des « vieux » de la tribu. Depuis le mois de mai, on est remontés cent ans en arrière. On a été cantonnés, comme au temps de l’indigénat. »

Hormis quelques traces sur le bitume, il ne reste plus rien des barrages indépendantistes qui ont émaillé l’ensemble de l’archipel pendant plusieurs semaines. « On maintient toujours la pression, on laisse nos drapeaux », affirme cependant Marie-Berthe, en pointant fièrement les couleurs de la Kanaky qui flottent partout. Comme les autres « mamans » de la tribu, la sœur de Bichou s’est largement mobilisée contre la réforme du corps électoral qu’entendait imposer Emmanuel Macron.

Moins visibles que les hommes dans les reportages télévisés friands de cagoules et de barrages en feu, les femmes kanak ont toujours joué un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance, en soutenant leurs frères, leurs cousins et leurs enfants. À Saint-Louis, elles sont une quarantaine, « plus les filles », à se retrouver régulièrement depuis le début de l’année. « On est toujours ensemble, on se réunit les week-ends pour échanger, on s’entraide, explique Marie-Berthe. On était là sur les barrages, chacune apportait quelque chose, on faisait la marmite. On s’est bouffé des lacrymogènes. »

Les jeunes de 2024, ils sont plus rebelles dans leurs têtes. Rolande, habitante de Saint-Louis

Après avoir écouté les échanges de sa section de base de l’Union calédonienne (UC), principal parti indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, la sœur de Bichou rejoint les autres « mamans » de la tribu dans un lieu baptisé « Ainsi va la vie », espace communautaire – autrement appelé nakamal – où se boit notamment le kava, une plante aux effets anxiolytiques interdite en métropole. Une partie de bingo se prépare autour d’une grande nappe colorée. Le moment est sérieux, mais les joueuses acceptent tout de même de le suspendre pour parler de leurs enfants.

La plupart d’entre eux sont aujourd’hui détenus au Camp Est, le centre pénitentiaire surpeuplé et indigne de Nouméa ; d’autres ont été envoyés dans des prisons métropolitaines ; trois sont morts. « C’est trop pour nous. On veut continuer la lutte, mais pas comme ça », répètent-elles à l’unisson, déplorant aussi bien l’évolution des moyens de répression que la « mentalité des jeunes ». « Mon fils par exemple, j’ai eu du mal à l’arrêter. Il me disait : “Mam, moi c’est une lutte que je dois faire jusqu’à la mort.” Mais face à l’État, on est démunis », témoigne l’une des femmes attablées au nakamal.

Marie-Line a six enfants. Elle était évidemment à leurs côtés sur les barrages, comme d’autres le furent avec elle durant sa propre jeunesse. En 1984, au début des Événements qui ont meurtri la Nouvelle-Calédonie pendant quatre années de quasi-guerre civile, cette nièce de Bichou avait 20 ans. « On allait sur les barrages avec quelques tantines. On aidait à brûler les pneus, à mettre les cailloux. Ça chauffait un peu, mais pas comme cette année. »

« Ce petit fond d’injustice »

Les magasins pillés, les usines brûlées, les car-jackings… C’est la première fois que les femmes de Saint-Louis observent de telles actions. « C’est une autre génération, ils sont plus turbulents. Ils nous disent : “1984, c’était le temps des vieux, nous, on n’a pas la même méthode” », poursuit Marie-Line. « On garde une forme de contrôle sur la jeunesse, mais ce n’est plus comme avant, constate aussi Marie-Berthe. Ils sont sortis de notre combat, ils ont dérapé. » « Les jeunes de 2024, ils sont plus rebelles dans leurs têtes », complète Rolande.

Installée à l’ombre sur une banquette de voiture brinquebalante, cette grand-mère kanak raconte le quotidien des jeunes de la tribu, mâtiné de violence, de grande précarité et de « ce petit fond d’injustice » qui plane depuis toujours sur leur existence. « Ils ne trouvent jamais de travail, même quand ils ont passé des diplômes en France… » Depuis des décennies, les inégalités sociales croissantes en Nouvelle-Calédonie sont venues nourrir le terreau de la lutte pour l’indépendance.

Cette dernière a tout naturellement traversé les générations, comme un héritage génétique sur lequel il n’est même pas besoin de poser les mots « colonisation », « répression » ou « domination », tant celles-ci sont palpables, partout, tout le temps. « C’est dans notre sang », affirme Rolande. « On est nés dans le berceau de la Kanaky. Je suis née comme ça et mes enfants aussi », insiste Marie-Berthe en revisitant son enfance, passée entre les comités politiques où elle suivait « papa » et les parloirs du Camp Est, où ses frères faisaient déjà des séjours réguliers.

Comme tous les anciens, la sœur de Bichou parle du passé au présent. Elle évoque de la même façon la mort de Banane et celle de Leopold Dawano, 17 ans, tué le 6 novembre 1987, « juste là, en bas », lors d’une opération de gendarmerie. Elle ferme les yeux et convoque ses peurs d’enfant : « On était sur la route, il y avait l’hélicoptère au-dessus de nos têtes. Ils nous pointaient avec leur fusil, en nous disant de partir sinon ils allaient tirer. Mon papa nous a dit de tous nous asseoir. On n’a pas bougé. »

C’est la première fois que j’ai vu le peuple se réveiller, j’ai eu des frissons. Marie-Hélène Dawano, habitante de Saint-Louis

Quarante ans après, Marie-Berthe n’a toujours pas bougé, mais elle n’a plus peur, même si « rien n’a changé ». « C’est toujours la même stratégie de l’État : rentrer chez nous et tout casser. » Depuis le mois de mai, les maisons de la famille Tein ont fait l’objet de plusieurs « descentes » des forces de l’ordre, qui ont « traumatisé les petits ». « Moi je me suis même fait pointer par un pistolet sur la tempe, relate la quinquagénaire. C’était un lundi matin, ils sont rentrés dans la maison, ils m’ont mise à genoux. » « La France, elle fait la guerre avec qui ici ? Nous, on n’est pas en guerre », interroge son frère Gérald.

La peur est un sentiment que Marie-Hélène Dawano dit, elle aussi, n’avoir jamais connu sur les barrages indépendantistes, « même quand les gendarmes [les] bombardaient ». La jeune femme, plus connue sous le nom de « Joly », a participé à toutes les manifestations pacifiques organisées par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) avant le 13 mai, dont le sit-in de la place des Cocotiers à Nouméa. « C’est la première fois que j’ai vu le peuple se réveiller, j’ai eu des frissons. »

Ce jour-là, quand elle a vu la foule affluer, Joly a pris conscience que le peuple kanak se relevait enfin, mais elle s’est immédiatement dit que « ça allait faire des problèmes à Bichou ». Quelques mois plus tard, et malgré l’effervescence de la lutte, la fierté des drapeaux et la solidarité retrouvée des membres de la tribu, le bilan qu’elle dresse est dramatique : la plupart de ses proches sont en prison et son frère, Banane, est mort. « Je n’aime pas le Camp Est, mais j’aurais préféré qu’il y aille, plutôt que d’être couché sous le grand pin, au cimetière. »

La jeune femme regrette la façon dont son frère avait choisi de lutter, « son délire à lui » comme il disait. « Sur les car-jackings par exemple, je pense qu’on a d’autres moyens, dit-elle. C’est ça qui a fait tout déraper. » Plusieurs fois, elle a voulu le raisonner, mais il l’évitait et fuyait la discussion. « Le jour de sa mort, j’étais à table, j’avais posé ma montre à côté de moi, je la regardais. J’étais sûre qu’il allait venir me voir. Mais je ne l’ai jamais revu. » Banane a été tué le 10 juillet par le tir d’un sniper du GIGN, posté à des centaines de mètres.

Dans les ruines de l’église de Saint-Louis, dont sa « bande » et lui avaient fait leur quartier général après en avoir chassé les religieuses, on aperçoit encore l’impact de la première balle qui l’a touché. Les jeunes de la tribu ont creusé dans le mur pour la récupérer et y glisser une fleur. C’est pour eux et pour les générations futures que l’ensemble de la tribu entend continuer la lutte. Pour « aller chercher Kanaky sans condition », comme le hurlent les graffitis de Saint-Louis.

Boîte noire

* L’enquête sur les circonstances de la mort du gendarme est toujours en cours.

Ce reportage a été réalisé le 13 novembre 2024. Ce jour-là, Saint-Louis avait redéployé les drapeaux de la Kanaky, comme le fait chaque tribu tous les 13 du mois depuis le début des révoltes en Nouvelle-Calédonie. Notre venue a été particulièrement observée par les forces de l’ordre, un drone survolant nos têtes à plusieurs reprises.

Alors qu’elle marchait le long de la route aux côtés de Joly, la photographe Delphine Mayeur a soudainement été stoppée par un véhicule de gendarmerie se mettant en travers de son chemin pour un contrôle d’identité, suivi de questions pour le moins intrusives sur les raisons de notre présence en ces lieux et le sujet précis de notre article. Questions auxquelles nous n’avions pas à répondre, comme nous le leur avons rappelé.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de reportages réalisés par Mediapart en novembre 2024, six mois après l’explosion des révoltes dans l’archipel.


 


 

Après 40 ans de lutte, les revendications des peuples autochtones de Guyane restent entières

Helene Ferrarini (Guyaweb) sur www.mediapart.fr

Les 8 et 9 décembre 1984, un rassemblement amérindien se tenait au village kali’na d’Awala, à l’ouest de la Guyane. Ce fut l’acte fondateur du militantisme autochtone guyanais. Le discours politique prononcé par Félix Tiouka est devenu un texte fondamental pour les luttes autochtones en Guyane.

Le 9 décembre 1984, le président de la jeune Association des Amérindiens de Guyane française, Félix Tiouka, prononce une « adresse au gouvernement et au peuple français », intitulée « Notre terre, nous l’aimons et nous y tenons »Il y expose la « situation de dominés » des Amérindiens de Guyane, descendants des premiers habitants présents avant l’arrivée des Européens. Et réclame le « droit à prendre en main [leur] propre développement économique, social et culturel »

Ce même jour, il y a quarante ans, Félix Tiouka dénonce « l’incurie séculaire de [leur] tuteur légal, le gouvernement français ». S’adressant au représentant de l’État français présent sur place, en la personne du sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni, il affirme : « Nous savons fort bien que le gouvernement que vous représentez se trouve à la fois juge et partie dans cette affaire puisqu’il représente d’abord et avant tout les intérêts de la majorité blanche. »

C’est une première. Jusqu’alors, les rassemblements amérindiens se cantonnaient à des manifestations culturelles. En 1984, à Awala, des revendications politiques sont clairement énoncées et la situation des autochtones guyanais·es est dénoncée publiquement. C’en est trop pour le sous-préfet de Saint-Laurent, qui quitte les lieux.

Mais le lendemain, c’est le préfet de l’époque, Bernard Courtois, qui se rend à Awala pour discuter avec les militants autochtones, marquant le début d’un nouveau rapport entre l’État français et les Amérindien·nes de Guyane.

 « Demeurer amérindiens »

La plupart des « revendications territoriales, économiques, sociales et culturelles » énoncées en 1984 sont toujours d’actualité. « Nous refusons de considérer comme valable l’option de l’assimilation progressive à la société dominante, affirme alors Félix Tiouka. Nous voulons demeurer amérindiens et conserver notre langue, notre culture, nos institutions propres. » La pierre angulaire de cette affirmation identitaire réside dans la question foncière : les Amérindiens veulent « obtenir la reconnaissance de [leurs] droits de premiers occupants ».

Encore aujourd’hui, 94 % du foncier en Guyane appartient à l’État, qui a appliqué lors de la colonisation le principe de terra nullius, considérant les terres guyanaises comme « vacantes et sans maître », gommant ainsi des millénaires de présence autochtone. Les Amérindiens, quant à eux, soutiennent n’avoir « jamais renoncé à [leur] souveraineté et à [leurs] territoires ».

1984 et la mobilisation qui a suivi ont permis quelques avancées sur le sujet. Depuis 1987, un décret permet à des « communautés d’habitants tirant traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt » de bénéficier de zones de droit d’usage collectif (Zduc). En 1988, la commune d’Awala-Yalimapo, peuplée d’Amérindien·nes kali’na, est créée par division d’avec celle de Mana. Depuis, elle se veut un laboratoire de ce que peut être une gouvernance autochtone dans le cadre institutionnel français.

Mais la question foncière reste entière ; elle a d’ailleurs ressurgi lors du mouvement social de 2017 au cours duquel les autochtones ont obtenu la promesse d’un transfert de 400 000 hectares par l’État. Sans aboutissement à ce jour.

Propriété collective de la terre

Les peuples autochtones conservent un rapport à la terre radicalement opposé à celui de l’État français. « Nous ne comprenons pas […] pourquoi la notion de propriété privée de la terre qui est la vôtre doit primer sur la notion de propriété collective qui est la nôtre », soulignait Félix Tiouka en 1984. 

Pour la juriste Marine Calmet, qui a publié le discours d’Awala dans son récent ouvrage Décoloniser le droit (éditions Wildproject, 2024), ce texte « expose avec une très grande force et pédagogie la différence fondamentale entre le droit coutumier amérindien, qui repose sur l’usage collectif de la terre et le souci de préserver la nature, et les principes radicalement inverses du droit français, qui privilégie les intérêts individuels et corporatifs, et qui conduit à l’effondrement du vivant et à l’accroissement logique des inégalités sociales ».

« C’est toujours d’actualité parce que rien n’a été acté ! Nos revendications n’ont pas abouti, constate avec amertume Guillaume Kouyouri, militant de la première heure. On est toujours en train de répéter les choses, les mêmes termes. Même si c’est dit autrement, c’est la même chose. » Pour lui, le bilan est maigre. « Nos mobilisations ont permis de faire un peu connaître les problématiques des peuples autochtones de Guyane en France. Nous sommes allés à l’ONU. »

Les Amérindien·nes de Guyane, représenté·es par Alexis Tiouka, ont pris part au cycle de négociations onusiennes qui a abouti en 2007 à la Déclaration des droits des peuples autochtones. Mais là aussi, leurs revendications restent entières. L’État français ne reconnaît toujours pas les peuples autochtones. Et n’a pas signé la Convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes et tribaux, seul texte international à être juridiquement contraignant sur le sujet.

Renouvellement du militantisme

« Le rapport de force numérique est en notre défaveur, on est trop peu nombreux », analyse Guillaume Kouyouri. Alors qu’ils étaient environ 4 000 en 1984, les Amérindiens de Guyane seraient aujourd’hui entre 10 et 15 000 personnes, soit moins de 5 % de la population régionale.

Toutefois, les mots de Félix Tiouka – « le refus de [s’]assimiler aux envahisseurs » – résonnent toujours avec acuité auprès des nouvelles générations militantes. « 1984, c’est le moment intellectuel du combat autochtone », pour Florencine Édouard, 48 ans, qui a participé à la fondation de l’Onag (Organisation des nations autochtones de Guyane) en 2010.

Le point commun de toutes nos luttes, c’est de défendre notre culture, notre identité, face à la volonté de nous effacer du monde. Clarisse Da Silva, militante pour les droits des autochtones

Pour Clarisse Da Silva, 24 ans, c’est aussi une référence. Lorsqu’elle s’est engagée dans le militantisme autochtone à l’âge de 17 ans pendant le mouvement social de 2017, le discours de Félix Tiouka a fait partie des tout premiers textes qui lui ont été présentés. « J’ai été très étonnée qu’il y ait ça. C’était assez réconfortant de voir que quelque chose avait été fait depuis longtemps, et à la fois dingue de se dire qu’on en était toujours là. »

En 2023 et 2024, la jeune femme a porté la parole des autochtones de Guyane aux Nations unies. Suppléante du député Davy Rimane (La France insoumise), Clarisse Da Silva préside actuellement la JAG (Jeunesse autochtone de Guyane), fer de lance des mobilisations contre le projet minier Montagne d’Or et la centrale à hydrogène à proximité du village kali’na de Prospérité. « Le point commun de toutes nos luttes, c’est de défendre notre culture, notre identité, face à la volonté de nous effacer du monde. »

Pour Clarisse Da Silva, le discours de 1984, « c’est le début de la résistance dans le domaine politique, qui dit : on est présents ». Quarante ans plus tard, les autochtones de Guyane sont toujours là pour faire entendre leur voix.


 

Boîte noire

Cet article a été publié mardi 10 décembre 2024 par Guyaweb.

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  mise en ligne le 9 décembre 2024

La chute de la tyrannie
de Bachar el-Assad ouvre des possibles... et de nombreuses interrogations

par Ivan du Roy        sur https://basta.media/

L’heure est à la fête pour les Syriens. La chute du régime sanguinaire de Bachar el-Assad ouvre enfin des perspectives dans un pays martyrisé par une décennie de guerre civile et de répression féroce. Mais de grandes incertitudes demeurent.

Les événements ont évolué très rapidement depuis la publication de notre article le 6 décembre. En écho à l’offensive rebelle partie de l’enclave d’Idlib, de nombreuses villes syriennes se sont soulevées contre le régime, lâché par la plus grande partie de son armée et de ses cadres. Dans la nuit du 8 au 9 décembre, le dictateur Bachar Al-Assad et sa famille auraient fui à Moscou alors que d’autres membres de son clan se réfugiaient aux Émirats arabes unis. Des factions rebelles venues du sud ont pris le contrôle de la capitale, Damas, et fait leur jonction avec la milice Hayat Tahrir Al-Sham (Organisation de libération du Levant, HTS) venue d’Alep, au nord, proclamant la libération du pays à la télé publique syrienne.

Le 8 décembre, du Liban aux villes d’Europe, en passant par la Turquie, des centaines de milliers de réfugiés syriens ont fêté la chute de la tyrannie Assad. Des milliers de prisonniers politiques, de toutes opinions, sont en train d’être libérés des geôles du régime, en particulier celle de Saidnaya, proche de Damas, que l’on peut considérer comme un véritable camp de concentration – entre 2011 et 2015, plus de 13 000 personnes y ont été pendues, selon les rapports d’Amnesty International de l’époque. Des équipes de « casques blancs » – un collectif de défense civile fondée en 2013 dans les zones rebelles – y examinent chaque couloir et sous-sol à la recherche de cellules souterraines

Les questions sur la suite posées en fin d’article demeurent d’actualité. L’opposition et ses multiples composantes – milices d’obédience islamiste et salafiste, forces d’autodéfense kurde ou druze, minorité chrétienne ou alaouite, mouvements laïcs historiquement opposés au régime… – vont-elles réussir à créer les bases d’un futur État respectant la diversité politique, culturelle et religieuse ? Ou la guerre civile va-t-elle se poursuivre entre différentes factions, avec le risque que les milices islamistes l’emportent et installent une nouvelle forme d’oppression ? La Turquie d’Erdoğan va-t-elle tenter de prendre le contrôle des zones administrées par les Kurdes ? L’État islamique, dont des groupes armés subsistent dans le désert syrien, vont-ils profiter du chaos pour se reconstruire ? Et le gouvernement de Netanyahou en Israël, dont l’armée a déjà pris le contrôle de zones frontalières en Syrie au prétexte de la garantie de sa sécurité, mais en violation du droit international, va-t-il en profiter pour annexer des territoires ? Comment la communauté internationale accompagnera-t-elle la nouvelle Syrie pour éviter que les démons – tyrannie, nettoyage ethnique ou djihad global – ne ressurgissent ? Une fois finies la fête et les réjouissances liées à la fin d’une tyrannie d’un demi-siècle, ces questions seront cruciales pour l’avenir de la Syrie.

Plus de 300 000 civils tués. 13 millions de déplacés et réfugiés, soit 60 % de la population, dont la moitié exilée hors du pays (en Turquie, au Liban, en Jordanie ou en Europe). Telle était la situation de la Syrie, après plus d’une décennie de guerre civile, laissant un pays divisé en trois zones : le sud, l’ouest et le centre aux mains du régime Assad et de son « Armée arabe syrienne » (AAS), soutenu par ses alliés russes et iraniens ; au nord-est de l’Euphrate, une zone contrôlée par les « Forces démocratiques syriennes » (FDS), à dominante kurde, occasionnellement appuyée par la coalition occidentale anti-État islamique ; l’enclave autour d’Idlib, au nord-ouest, accolée à la Turquie, où s’étaient repliés les groupes armés opposants au régime. Certains sont d’obédience islamiste, comme le principal d’entre eux, la milice Hayat Tahrir Al-Sham (Organisation de libération du Levant, HTS), d’autres ont été vassalisés par la Turquie d’Erdoğan pour contrer l’influence kurde, comme l’Armée nationale syrienne (ANS). Près de 3 millions de personnes survivaient dans cette « poche » d’Idlib, assiégée au sud par le régime depuis 2019 comme nous vous le racontions à l’époque.

Les rebelles ont profité de l’affaiblissement du régime

Ce conflit à bas bruit avait peu à peu disparu de nos écrans et des colonnes de nos journaux. Seul un lointain écho nous en parvenait encore par la présence et les récits des réfugiés syriens en Europe. Fin novembre, le brasier s’est rallumé. Les rebelles ont profité de l’affaiblissement du régime et de ses alliés – la dictature du clan Assad est au bord de la banqueroute, ne tenant que grâce au clientélisme et à la corruption, les expérimentées milices du Hezbollah sont retournées au Sud Liban combattre l’armée israélienne, les moyens de l’armée russe sont concentrés contre l’Ukraine, enfin, le régime iranien est occupé à réprimer la contestation en son sein. Et ont lancé une offensive surprise fin novembre. Alep, ville martyre qui avait été rasée par le régime et l’aviation de Poutine, a été reprise par la rébellion dès le 1er décembre. Les habitants qui avaient fui la répression du régime ont commencé à y revenir. Les regards se concentrent désormais plus au sud, sur les villes d’Hama, que vient de capturer la milice HTS ce 5 décembre, et d’Homs.

Hama est à la fois stratégique et symbolique. Elle contrôle l’axe entre Alep, au nord, et Damas, la capitale, au sud. La ville constitue également un point de passage entre la façade méditerranéenne à l’ouest et la vallée de l’Euphrate à l’est. « Compte tenu de l’importance militaire, politique et symbolique de Hama, son contrôle par l’opposition représenterait “un facteur de démoralisation et de défaite psychologique” qui affecterait de manière significative le moral du régime et de ses troupes, marquant ainsi “le premier pas vers un effondrement total, qui pourrait être observé à Damas”, explique le chercheur syrien Abdul Rahman Al-Haj dans le média indépendant Enab Baladi. Ce média en ligne a été créé en 2011 par un groupe de journalistes et d’activistes au moment du soulèvement pacifique contre la dictature Assad – soulèvement réprimé dans le sang qui s’est ensuite mué en guerre civile. « Hama revêt une importance symbolique, car elle a été le théâtre du "plus grand" massacre de l’histoire syrienne en 1982, qui a coûté la vie à environ 40 000 civils et a représenté un tournant dans la consolidation du pouvoir de la famille Assad », poursuit le média.

Frappe russe sur une maternité

Pendant que la rébellion progresse vers le sud, le régime Assad et son allié russe font ce qu’ils savent faire le mieux : bombarder et massacrer les civils. « Les forces de défense civile des casques blancs basées à Idlib, d’où les insurgés ont lancé leur attaque, ont déclaré que les frappes aériennes russes avaient touché cinq établissements de santé, dont une maternité. Au moins 18 personnes ont été tuées et 35 blessées, ont-ils déclaré, ajoutant qu’ils craignaient que ces chiffres n’augmentent », rapporte The Guardian. Preuve que le régime est aux abois, Assad vient de signer un décret augmentant de 50 % le salaire des militaires, décrit dans un autre article Enab Baladi (à titre indicatif, un fonctionnaire syrien perçoit entre 20 et 40 dollars par mois, la valeur de la monnaie nationale s’étant fortement dégradée).

Une fois Hama dépassée, l’objectif des rebelles du HTS est désormais Homs, 3ème ville du pays et dernière grande étape avant Damas. Sa capture isolerait Damas de la zone littorale, et pourrait précipiter la chute du régime Assad. Ce retournement de la situation syrienne laisse plusieurs questions en suspens. Le régime parviendra-t-il à freiner l’offensive rebelle ? Celle-ci aura alors seulement redessiné la carte d’une Syrie divisée, la zone contrôlée par le régime se réduisant au littoral, la guerre civile larvée se poursuivant à bas bruit. Ou la dictature du clan Assad père et fils, au pouvoir depuis plus de 50 ans, s’effondrera-t-elle ? Dans ce cas, quelle nouvelle forme d’État la remplacera ?

HTS, une version syrienne des talibans afghans ?

L’organisation HTS est la force rebelle dominante. Elle est dirigée par un Syrien, Abou Mohammed Al-Joulani, ancien professeur d’arabe, ayant combattu l’armée états-unienne en Irak aux côtés d’Al-Qaïda. Le groupe islamiste ne prône pas un « djihad global » : il a rompu avec Al-Qaïda depuis 2016 et s’est opposé aux partisans de l’État islamique. Le groupe a conclu une sorte de pacte de non-agression avec les Forces démocratiques syriennes à dominante kurde – au contraire de l’ANS pilotée par la Turquie pour les combattre.

Depuis le début de l’offensive rebelle, HTS multiplie les communiqués se voulant rassurants vis-à-vis de l’ensemble des communautés syriennes – Alaouites, Chrétiens, Ismaéliens, Chiites ou Druzes. « Vous avez le droit de vivre en liberté […]. Nous dénonçons les agissements de l’organisation État islamique contre les Kurdes, y compris l’esclavage des femmes […]. Nous sommes avec les Kurdes pour bâtir la Syrie de demain », a par exemple assuré HTS dans un message à destination des Kurdes.

Reste qu’il demeure un groupe islamiste rigoriste, une version syrienne des talibans afghans – pour l’instant d’apparence plus tolérante. S’il renverse le régime, continuera-t-il de respecter la pluralité des opinions et des cultures ? Ses dirigeants s’engageront-ils sur le chemin d’une réconciliation nationale et d’une représentation démocratique de l’ensemble des courants politiques ? Restera-t-il imperméable aux pressions turques qui veulent isoler les Kurdes ? Qu’adviendra-t-il des minorités religieuses et culturelles, et, surtout, des femmes syriennes ? Seront-elles considérées comme des citoyennes à part entière ou progressivement effacées de l’espace public comme les Afghanes ? Le clan Assad a détruit son propre pays pour demeurer au pouvoir. Espérons que la rébellion ne se muera pas en nouvel oppresseur, un de plus dans un Proche-Orient martyrisé.

 

mise en ligne le 7 décembre 2024

Autodétermination et guerres d’influence : où en est le Sahara occidental ?

Les délimitations du territoire du Sahara Occidental sont issues du traité de Lalla Maghnia de 1845 – avant la convention algéro-marocaine de 1972. Ce legs colonial a été conservé par les États africains après la décolonisation, au nom de l’utis possedetis juris, l’intangibilité des frontières, principe adopté par l’Organisation de l’Union Africaine en 1964 au Caire.

Frontières coloniales et ressources naturelles

L’histoire tumultueuse du Sahara s’explique en partie par son caractère hautement stratégique : il comporte un enjeu de ressources naturelles, avec des gisements de phosphate – indispensable à la fabrication d’engrais agricoles – qu’exploite le Maroc par le biais de l’Office Chérifien des Phosphates, ainsi qu’une zone côtière poissonneuse. Les investissements français ne sont pas étrangers à la reconnaissance du 30 juillet. Lors de la visite d’État d’Emmanuel Macron fin octobre, près de 22 accords stratégiques ont été signés dans divers domaines, dont le phosphate, pour un montant total estimé à dix milliards d’euros.

Les ventes du secteur des phosphates et ses dérivés représentent 32 milliards de dirhams en 2024, un chiffre en hausse de 5,3 %. Selon un rapport de l’OCP, le chiffre d’affaires de l’entreprise s’élève à 43,2 milliards de dirhams en juin 2024. Nuance tout de même : la mine de Boucraâ représente 8 % seulement de la production totale de roche de phosphate et cette dernière coûte 2,5 fois plus cher à extraire à Boucraâ qu’à Khouribga, principale zone d’exploitation de l’OCP dans la région Beni Mellal-Khénifra, au Nord du Maroc.

L’entreprise OCP, monopole d’État, assure par ailleurs le lancement de « projets sociaux » auprès des populations locales, sans que l’on sache si cela bénéficie aux natifs sahraouis ou aux dakhilis, Marocains non-sahraouis qui y vivent. Selon le rapport 2024 du Haut-Commissariat au Plan, les régions du Sahara enregistrent un taux de chômage de 20,4 % au premier trimestre, un des plus élevés du Royaume. Les Sahraouis, comme le reste du pays, sont soumis à un encadrement social strict du Makhzen – l’appareil politico-administratif de l’État marocain -, par des réseaux formels et informels de contrôle vis-à-vis de la société civile, du patronat, des syndicats, des partis politiques, etc. Et ce malgré des avantages accordés comparativement au reste de la population marocaine – notamment des régions rurales et de l’Atlas – en termes fiscaux, d’accès à l’emploi et de subventions publiques.

La richesse du Sahara Occidental en fait l’objet de toutes les convoitises. Si les États occidentaux s’alignent aujourd’hui sur le Maroc pour en profiter, d’autres puissances régionales courtisent le Front Polisario. C’est le cas de l’Algérie, soutien historique du mouvement indépendantiste. Les traités signés en 1961 entre le Royaume du Maroc et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne avaient permis un accord sur la renégociation des frontières héritées de la colonisation française. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, la question n’est pas réglée. D’une part, fort de la légitimité acquise par le FLN avec l’indépendance et la direction du mouvement des non-alignés, le Président Ahmed Ben Bella souhaitait remettre en cause l’accord noué par Ferhat Abbas en 1961.

D’autre part, Allal El Fassi, dirigeant de l’Istiqlal, [parti visant à remplacer le protectorat par une monarchie constitutionnelle NDLR], avait émis l’idée d’un grand Maroc dès 1950. Une vision territoriale irrédentiste dont les frontières s’étendait jusqu’au fleuve du Sénégal, sur l’ensemble de la Mauritanie actuelle et une partie du Sahara algérien. Il a joué un rôle important dans l’imaginaire algérien et la décision de ne pas respecter l’accord signé en 1961, aboutissant à la guerre des Sables de 1963. Les frontières algéro-marocaines sont finalement définies par une convention de 1972, ratifiée par l’Algérie en 1973 puis par le Maroc en 1992. Dès lors, le soutien financier et politique du régime algérien au Front Polisario, justifié par un récit anticolonialiste, fut aussi motivé par des intérêts économiques – liés aux ressources halieutiques et souterraines – et liés au leadership régional.

Du Bled-Siba à « l’Afrique utile » : le destin contrasté du Sahara Occidental

Ce récit du grand Maroc s’appuie sur l’ère précoloniale, le Sahara occidental étant antérieurement peuplé par des tribus berbères. De l’une d’entre elles, les Sanhaja, sont issus les Almoravides, dynastie qui devait conquérir le Maroc du nord et la péninsule ibérique musulmane à partir du XIè siècle. Par la suite, de nombreux actes d’allégeances religieuses – bay’a – devaient être formulés par les tribus sahraouis au Sultan du Maroc – un fait officiellement reconnu par la Cour Internationale de Justice en 1975. Celle-ci entérine la reconnaissance entre le Bled-Makhzen, régions soumises à l’autorité administrative du Makhzen, et le Bled-Siba, plus autonomes, mais néanmoins liées par des allégeances religieuses à celui-ci.

Le Bled-Siba était un conglomérat de tribus avec une organisation sociale basée sur l’autonomie tribale. La réalité se satisfait donc mal d’une simple opposition des tribus au Makhzen, puisque ce dernier a joué un rôle de conciliation et de médiation des litiges intertribaux. Un argument mis en avant par le Maroc lors de sa requête auprès de la Cour internationale de justice, qui a mobilisé des actes juridiques censés prouver l’allégeance des tribus sahraouis.

Ces relations ont évolué avec la formation du Maroc contemporain. Au XIXème siècle, l’Empire marocain connaît une crise majeure, marquée par un endettement auquel il consent pour tenter d’asseoir sa domination sur les régions contestataires. La dette marocaine, de nature coloniale, s’explique aussi par son déficit commercial, cumulé au gré des traités inégaux et des exportations massives de capitaux qui lui sont imposées.

Une période de décadence dont les empires européens ont profité : en 1860, l’empire chérifien perd la guerre contre le Royaume d’Espagne et signe le traité de Wad-Ras. Le Maroc doit payer une indemnité de guerre, reconnaît la souveraineté espagnole sur les villes méditerranéennes Ceuta et Melilla (toujours en vigueur) et rétrocède à Madrid la cité atlantique de Sidi Ifni.

Il est question du partage du Maroc lors de la conférence de Berlin. Celle-ci officialise, en 1884, le futur morcellement du pays, avec le contrôle de l’Espagne sur le Rio de Oro et le Sahara occidental. Le traité de Fès de 1912 officialise le protectorat français, avant qu’un second accord franco-espagnol institue la domination espagnole au Nord, à Ifni et au Sahara occidental.

Cette situation dure jusqu’à la fin du protectorat français en 1956. Les revendications marocaines vis-à-vis du Sahara commencent aussitôt. Le Royaume demande alors à l’Organisation des Nations Unies d’inscrire le Sahara espagnol dans la liste des territoires à décoloniser. L’intérêt de l’Espagne se renforce lorsqu’un gisement important de phosphate est découvert à Bou Crâa, dans la province de Laâyoune. Cette découverte va enclencher la phase de la « seconde occupation coloniale », marquée par une provincialisation du territoire, passant par sa militarisation et des investissements importants, destinés à moderniser ses infrastructures. C’est donc la découverte du phosphate qui a fait basculer le Sahara dans la catégorie coloniale de l’« Afrique utile ».

Mutations du nationalisme sahraoui

Après la fin du protectorat français, une faction de l’armée marocaine – l’Armée de Libération Nationale Sud – combat les Espagnols dans le Sahara.  En 1958, lors de la bataille d’Ifni, l’opération franco-espagnole dite « Écouvillon » est lancée. L’État central préfère se focaliser sur les affaires intérieures et dissout l’ALN Sud qui essuie une lourde défaite, avec la complicité tacite du Sultan. Cet événement acte le divorce entre une partie des Sahraouis et le pouvoir, posant les premiers fondements d’un nationalisme sahraoui.

Dans la continuité des affrontements entre les Sahraouis et l’Espagne, l’Organisation Avancée pour la Libération du Sahara est créée par Mohamed Sidi Ibrahim Bassiri à la fin des années 1970. Il disparaît par enlèvement, après la répression espagnole d’un campement contestataire sahraoui à Zemla. Les étudiants sahraouis qui se mobilisent sur les pas de Bassiri sont imprégnés d’idéaux socialistes et panarabes. Au point que certains aspirent d’abord à une révolution dans tout le Maghreb plutôt qu’à un État sahraoui. Ils rapportent avoir rencontré un grand nombre d’acteurs politiques marocains à la fin des années 70, dont le ministre de l’Intérieur de Hassan II, Driss Basri, qui n’avait alors pas accordé le moindre intérêt à leur demande.

Auprès du principal syndicat ouvrier de l’époque, l’UMT (Union Marocaine du Travail), les militants sahraouis déclarent même « qu’ils veulent rester dans l’orbite marocaine pour peu qu’on les aide à libérer leur pays du joug espagnol » – avant d’être finalement arrêtés par les autorités. Par la suite, les autorités marocaines répriment par balles une manifestation pacifique sahraouie à Tan-Tan en 1972, sur ordre du ministre de la Défense, le général Oufkir. C’est le « premier divorce entre Rabat et une jeunesse qui, à l’époque, est soucieuse de libérer les régions sahariennes mais a encore foi que ces terres étaient marocaines » selon Mohamed El Yazghi, figure de la gauche marocaine et compagnon de route de Mehdi Ben Barka. Une année plus tard, le Front Polisario voit le jour, scellant l’union d’étudiants sahraouis de Rabat et de combattants sahraouis de Mauritanie, dans un contexte de division des tribus sur la question de l’autodétermination.

Quelques années plus tard, l’Espagne se retire finalement du Sahara, après la ratification des accords de Madrid de 1975 qui partagent la souveraineté du Sahara entre le Maroc et la Mauritanie. La monarchie est affaiblie par deux tentatives de coups d’État récents. Dans ce moment incertain, Hassan II avait lancé la Marche verte de 1975 : 350 000 civils marocains pénètrent dans le Sahara, fortement encouragés par le Makhzen et accompagnés par l’armée, sans que l’Espagne n’intervienne. Le Maroc récupère de facto l’administration du Sahara occidental.

Le Royaume tente alors de créer un consensus national autour de la question du Sahara pour réaffirmer sa légitimité – face aux menaces des islamistes du Cheikh Yassine, des fractions putschistes de l’armée, de la gauche communiste avec le Parti marxiste-léniniste Ila Al Amame, et des syndicats. Le « parachèvement de l’intégrité territoriale » sert alors de supplément d’âme à un régime fragilisé.

Le camp progressiste et l’opposition de gauche adoptent eux-mêmes une position intransigeante concernant le Sahara dès les années 1970. Parfois au-delà de celle du Makhzen. La reconquête du Sahara est alors perçue comme la dernière étape de l’indépendance. Omar Benjelloun, syndicaliste et militant marxiste, farouche opposant à Hassan II, préconisait en 1975 la récupération du territoire par la lutte armée plutôt qu’une marche pacifique. L’exploitation commune des ressources sahariennes devait jeter les bases d’un Maghreb uni. Lorsque Hassan II déclare son « acceptation de l’organisation d’un référendum au Sahara sous l’égide et le contrôle de l’Organisation des Nations unies dès le début du mois de janvier » à la tribune de l’OUA en 1981, c’est Abderrahim Bouabid, fondateur de l’Union Socialiste des Forces Populaires, qui s’y oppose, au prix de plusieurs années de prison. 

La seule opposition à cette doctrine se trouve alors uniquement du côté du parti marxiste-léniniste Ila Al Amame, par la voix de son leader Abraham Serfaty. Celui-ci reconnaît l’existence d’un peuple sahraoui, et la nécessité d’un référendum d’autodétermination. Un positionnement qui l’amènera également à être condamné à 17 ans de prison, avant d’être déclaré persona non grata au Maroc jusqu’en 1999.

Lorsque l’Espagne se retire en 1976, partageant le territoire entre le Maroc et la Mauritanie, le Front Polisario proclame la République Arabe Sahraouie Démocratique. La Mauritanie signe un accord de paix avec le Front Polisario en 1979 et se retire, laissant le Maroc seul sur le territoire. L’OUA reconnaît la RASD en 1984, occasionnant le départ du Maroc de l’organisation avant son retour en 2017.

Dilemmes juridiques

Face à une absence de perspectives de résolution du conflit, les Nations Unies, par la voix de son secrétaire général d’alors Javier Pérez De Cuellar, mettent sur la table, en 1988, des « propositions de Règlement » devant aboutir à terme à un référendum au Sahara occidental. L’ensemble des parties accepte ces propositions sur le principe et sous conditions, et se réunissent même pour la première fois. Ces « propositions de règlement » ne verront finalement jamais le jour. L’absence de l’Algérie lors des négociations n’y est pas pour rien, selon un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Le 20 juin 1991, un cessez-le-feu est signé sous l’égide de l’Organisation de l’Union Africaine et de l’Organisation des Nations Unies, suivi d’un plan de paix prévoyant un référendum d’autodétermination en 1992 (résolution 690) et la mise en place de la mission onusienne MINURSO. 

Depuis, de nombreuses missions de la MINURSO ont formulé des propositions, toujours refusées par l’une des parties : la montagne a finalement accouché d’une souris. En 2007, le Maroc dépose aux Nations Unies un projet d’autonomie, sans option référendaire, refusé par le Front Polisario et soutenu par de nombreux pays européens. Depuis, des affrontements militaires sporadiques éclatent autour du mur de séparation et dans la zone tampon. Le champ du conflit s’est déplacé sur le terrain juridique, avec de nombreux recours formulés par le Front Polisario auprès de la justice européenne. La dernière en date, le 4 octobre 2024, a notamment permis d’aboutir à une décision d’annulation de la CJUE – Cour de Justice de l’Union Européenne – des accords de pêche et d’agriculture concernant la zone du Sahara, signés entre l’Union européenne et le Royaume en 2019. Cela fait suite à de premières annulations en 2015 – accord agricole de 2012 – et en 2021 – accord de pêche de 2019 – sur lesquelles la juridiction était finalement revenue.

La résolution du conflit semble enrayée. La dernière proposition en date de l’envoyé de la MINURSO (octobre 2024), Staffan de Mistura, a été rejetée par l’ensemble des parties. Il proposait une souveraineté partagée entre le Maroc et le Front Polisario.

La résolution du conflit semble enrayée. La dernière proposition en date de l’envoyé de la MINURSO (octobre 2024), Staffan de Mistura, a été rejetée par l’ensemble des parties. Il proposait une souveraineté partagée entre le Maroc et le Front Polisario. Dans un premier temps, une régionalisation accrue, avec l’assurance d’une véritable autonomie, de la protection des libertés civiles et politiques, la libération des détenus, devait être mise en place. Ce plan jure avec le caractère centralisé et autoritaire du Makhzen, et ses liens avec de puissants notables sahraouis qui lui sont inféodés. Ils ont investi le champ institutionnel marocain en nouant des liens clientélaires ; il suffit pour s’en convaincre de considérer l’exemple d’El Khattat Yanja, ancien professeur de mathématiques du Front Polisario devenu « baron des affaires » puis député de l’Istiqlal, des grandes familles sahariennes des Ould Errachid, dont l’un des membres est député-maire de Laâyoune, ou encore des Dehram. Dans ce cadre, la question de la légitimité des nouvelles institutions prévues par le plan d’autonomie est posée, tant ses dirigeants pourraient être aisément cooptés par le Makhzen.

Cette contrainte posée par la caractéristique tribale du Maroc pourrait être résolue par l’installation d’une monarchie réellement parlementaire et décentralisée, assurant une véritable séparation des pouvoirs. Les conditions matérielles d’un tel changement ne sont cependant pas réunies, tant elles impliquent une rupture avec le paradigme institutionnel actuel. Cette donnée amène la nécessité d’engager un vaste processus de démocratisation, par un travail de conscientisation préalable à un changement radical de société.

L’option référendaire proposée par la MINURSO pose d’autres difficultés. Une telle concession du Makhzen pourrait entraîner sa chute ; la période d’instabilité qui en résulterait au Maghreb pourrait ouvrir la voie au développement de groupes djihadistes et de milices. Dans une lettre ouverte à Mohamed VI, le journaliste et opposant Aboubakr Jamaï écrivait ces mots lourds de sens : « L’évolution du dossier du Sahara n’est pas favorable au Maroc. Notre opinion publique sent confusément que notre cause est sur une pente glissante. Elle pressent aussi qu’un dénouement défavorable à ce conflit augurera d’une période d’instabilité probablement cataclysmique pour l’avenir du pays. La monarchie aura beaucoup de mal à survivre à un tel échec, et le pays en paiera un prix élevé. »

Il faut ajouter que le recensement des populations, préalable à un référendum, fait l’objet de nombreux angles morts. Le Maroc a procédé à une politique de peuplement du Sahara avec l’incitation à l’installation pour des Marocains non-locaux – dakhilis – et des Sahraouis de l’Oued Noun, notamment par des avantages fiscaux. De plus, de nombreux Sahraouis se trouvent dans un camp de réfugiés à Tindouf, en Algérie voisine. Et toutes les tentatives de recensement dans ces camps formulées par l’ONU ont été refusées par Alger.

Ce plan questionne également les modalités d’indépendance du Front Polisario, fondées sur le paradigme de l’État-nation. Celui-ci entre en tension avec le caractère historiquement nomade des tribus et de leur présence au-delà des frontières coloniales, sur l’ensemble du désert du Sahara et jusqu’en Égypte. Se pose également la question de la viabilité économique d’un État sahraoui indépendant, riche de ressources naturelles abondantes mais pauvre en facteurs de production.

Apparaît aujourd’hui la nécessité de tables-rondes avec l’ensemble des parties prenantes du conflit, et la consultation démocratique des Sahraouis dans le respect de la pluralité tribale qui les caractérise. Un processus à engager en considérant les évolutions historiques et leurs enjeux sous-jacents, sans oblitérer les instrumentalisations à l’œuvre dans le cadre des tensions algéro-marocaines, où le Sahara occidental sert de variable d’ajustement. Des querelles endémiques en forme d’impasse, qui bloquent l’avenir des pays du Maghreb et leur intégration régionale. L’économiste Fouad Abdelmoumni estime le coût de la « non-intégration » à plus de 2 % du PIB marocain. La première pierre de ce projet était l’Union du Maghreb Arabe, une organisation regroupant les cinq pays du Maghreb et dont le conseil des chefs d’État ne s’est plus réuni depuis 1994. 

La question sahraouie demeure épineuse. Dans la continuité de la tension entre souveraineté territoriale consacrée par le droit international et allégeances tribales dans ses modalités précoloniales, la mission de l’ONU n’a pas donné satisfaction. Les solutions proposées par les différentes parties souffrent de contradictions qui semblent aujourd’hui difficilement dépassables, dans un contexte d’enjeux autour de la rente extractive et de rivalités forgées par une histoire tumultueuse et des récits concurrents. Une situation qui s’enlise, au détriment des premiers concernés.

  mise en ligne le 6 décembre 2024

Israël commet un génocide à Gaza, selon
Amnesty International

Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr

Dans un rapport circonstancié, la plus importante ONG de défense des droits humains conclut qu’Israël commet un génocide contre la population palestinienne de Gaza. Elle déplore également la « résistance », « surtout parmi les autres États », à parvenir à cette conclusion.

Israël commet un génocide à Gaza. Telle est la conclusion d’un rapport de l’organisation de défense des droits humains Amnesty International rendu public jeudi 5 décembre. 

Après neuf mois d’enquête, l’équipe de chercheuses, de chercheurs et d’expert·es juridiques de l’ONG conclut ce document de 300 pages, intitulé « Nous avons l’impression d’être des sous-humains », en affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza. 

« Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a insisté Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, lors d’une conférence de presse à La Haye (Pays-Bas).

C’est la première fois depuis le 7-Octobre qu’une ONG de défense des droits humains, et pas n’importe laquelle, la plus importante au monde, produit un rapport aussi dense et détaillé documentant un tel crime à Gaza. 

Défini et érigé en infraction par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par les Nations unies en 1948, repris tel quel par le Statut de Rome qui fonde la Cour pénale internationale (CPI), le génocide, dont la définition ne fut formalisée qu’après la Shoah, désigne tout acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». 

Il se distingue du crime contre l’humanité ou du crime de guerre par une intention spécifique et demeure particulièrement difficile à prouver, comme l’expliquait à Mediapart l’avocat franco-britannique Philippe Sands. 

Protestations israéliennes

Alors que l’usage de ce terme, créé en 1944 par le juriste juif polonais Raphael Lemkin, déclenche en Occident des polémiques enflammées qui rendent le débat impossible, Amnesty International rejoint les conclusions d’historiens parmi les plus grands spécialistes du génocide, notamment de la Shoah, comme les Israéliens Amos Goldberg et Omer Bartov. 

L’ONG s’inscrit aussi dans les pas de plusieurs institutions, organisations et personnalités qui avaient produit divers rapports mais pas de la même envergure (ceux de la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires occupés, Francesca Albanese, du Comité spécial des Nations unies chargé d’enquêter sur les méthodes de guerre israéliennes, ou encore de la Fédération internationale des droits de l’homme). 

Israël a aussitôt rejeté et dénoncé le rapport : « L’organisation déplorable et fanatique Amnesty International a une fois de plus produit un rapport fabriqué de toutes pièces, entièrement faux et basé sur des mensonges », a indiqué le ministère israélien des affaires étrangères dans un communiqué. 

Pour Israël, le seul « massacre génocidaire » a été perpétré le 7 octobre 2023 « par l’organisation terroriste Hamas contre des citoyens israéliens ». « Depuis lors, les citoyens israéliens sont soumis à des attaques quotidiennes sur sept fronts différents », écrit le ministère, qui assure qu’« Israël se défend contre ces attaques en agissant en pleine conformité avec le droit international ».

Pour l’ONG, les Palestiniens subissent trois actes sur les cinq qualifiant le terme de génocide.

Amnesty International, qui affirme n’avoir pu, malgré des tentatives répétées, établir le dialogue avec les autorités israéliennes, n’a pas choisi au hasard de rendre public son réquisitoire à La Haye. C’est ici que siège la Cour internationale de justice (CIJ), la principale instance judiciaire des Nations unies, qui évoquait dès janvier 2024 des « risques plausibles de génocide » à Gaza et a prononcé plusieurs mesures conservatoires contraignantes au cours des mois qui ont suivi, qui n’ont pas été mises en œuvre par Israël.

C’est aussi ici que se trouve la CPI. Celle-ci a émis le 21 novembre des mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, son ancien ministre de la défense, Yoav Gallant, et le chef de la branche armée du Hamas, Mohammed Deïf.

Les juges de la CPI ont retenu contre les dirigeants israéliens plusieurs charges du procureur Karim Khan, en particulier le crime de guerre consistant à faire de la famine une arme de guerre, et les crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains. Ils ont en revanche écarté la plus sensible d’entre elles : l’incrimination d’extermination en tant que crime contre l’humanité, tout en concluant cependant qu’il existe « des motifs raisonnables de croire qu’il a été commis ». Les juges de la CPI, tout comme le procureur, n’ont pas retenu la qualification de génocide. Et c’est aussi à eux que s’adresse Amnesty International.

Pour l’ONG, les Palestinien·nes subissent, depuis le début de l’offensive de l’État d’Israël sur la bande de Gaza occupée, trois actes sur les cinq qualifiant le terme de génocide selon la Convention de 1948 : meurtres de membres du groupe, atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, et soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. 

La « destruction » des habitants de Gaza

« Depuis plus d’un an, la population palestinienne de Gaza a été déshumanisée et traitée comme un groupe de sous-humains ne méritant pas le respect de ses droits fondamentaux, ni de sa dignité », dénonce l’ONG, qui recense les multiples « déclarations génocidaires et déshumanisantes du gouvernement israélien » appelant à ou justifiant la « destruction » des habitant·es de Gaza.

« Le fait que les autorités israéliennes considèrent la destruction de la population palestinienne comme nécessaire pour détruire le Hamas ou comme une conséquence acceptable de cet objectif, le fait qu’elles voient les Palestinien·nes comme une population sacrifiable ne méritant aucune considération, attestent de leur intention génocidaire », écrit l’ONG. 

Elle déploie aussi l’histoire longue des politiques israéliennes d’apartheid, d’occupation ainsi que les mesures de séparation visant spécifiquement Gaza, assurant qu’elles ont « préparé le terrain pour les actes génocidaires ».

À ce jour, la guerre à Gaza, d’une ampleur, d’une portée et d’une durée sans précédent, a fait plus de 44 000 morts, dont plus de 13 000 enfants, 105 000 blessé·es, dont plus de 22 000 vont garder de graves séquelles. Un nombre de victimes réelles sous-estimé, rappelle Amnesty International, car il ne prend pas en compte les personnes disparues, celles qui se trouvent encore sous les décombres et les personnes décédées à cause de la famine, de l’eau insalubre ou par faute d’accès aux soins.

Attaques indiscriminées, préjudices physiques et mentaux graves, blessures irréversibles, détentions au secret et torture, destructions matérielles sans précédent, déplacements forcés et arbitraires, aide humanitaire entravée, famine intentionnelle, terres agricoles dévastées, système de santé anéanti, conditions sanitaires indignes… L’ONG documente l’ampleur des attaques contre la population palestinienne à Gaza et la répétition d’actes destructeurs visant systématiquement le même groupe. 

Elle revient notamment sur l’offensive sur Rafah, « lancée une semaine après que le ministre des finances Bezalel Smotrich, membre du cabinet ministériel israélien de sécurité, a appelé explicitement à la destruction de la ville en faisant référence au récit biblique bien connu de vengeance absolue dans lequel la destruction d’une nation entière, le peuple Amalek, est ordonnée ». Quelques mois plus tôt, fin octobre et début novembre 2023, lors d’une des phases les plus dévastatrices, c’était Benyamin Nétanyahou qui avait invoqué en référence la destruction totale du peuple Amalek.

Le génocide comme moyen militaire

À propos de l’intentionnalité, un des critères du crime de génocide, auquel elle consacre un chapitre, l’ONG affirme que « les actions d’un État peuvent servir le double objectif d’atteindre un résultat militaire et de détruire un groupe en tant que tel » : « Le génocide peut aussi être un moyen d’atteindre un objectif militaire. En d’autres termes, il est possible de conclure à un crime de génocide lorsque, pour parvenir à un certain objectif militaire ou jusqu’à y parvenir, l’État entend essayer de détruire un groupe protégé, comme moyen de parvenir à une fin »

L’organisation, qui appuie son enquête sur des dizaines de témoignages, des centaines d’images satellitaires, de vidéos, de photos, déplore la « vaste résistance et hésitation, surtout parmi les autres États, à conclure à l’intention génocidaire en ce qui concerne le comportement d’Israël à Gaza ». « Cette résistance a déjà entravé par le passé la justice et l’obligation de rendre des comptes concernant des conflits dans le monde et doit être évitée à l’avenir », prévient l’ONG. 

Si l’application de la notion légale de génocide à la guerre menée à Gaza suscite des controverses brûlantes, un autre terme sans réalité juridique, apparu dans les années 1990, lors du conflit en ex-Yougoslavie, et qui pour certains, relève d’une forme de génocide, est de plus en plus brandi : celui de nettoyage ethnique, aussi désigné par diverses expressions comme épuration ethnique.

L’un des derniers en date à l’utiliser ? Un faucon, qui fut un des acteurs d’une politique violente à l’égard des Palestinien·nes, l’ancien ministre de la défense israélien et chef de l’armée Moshé Yaalon. Il a accusé, samedi 30 novembre, son pays de commettre des crimes de guerre et un « nettoyage ethnique » dans la bande de Gaza, provoquant un tollé au sein de la classe politique. « La route sur laquelle on est entraînés, c’est la conquête, l’annexion et le nettoyage ethnique, a-t-il déclaré lors d’une interview sur la chaîne privée DemocratTV. […] Il n’y a plus de Beit Lahiya, plus de Beit Hanoun, l’armée intervient à Jabaliya et en réalité on nettoie le terrain des Arabes. »

Il avait récemment soutenu les soldats qui avaient menacé de ne pas se présenter à l’armée comme réservistes, disant que s’il « avait été officier dans l’armée d’Hitler », il aurait refusé de faire certaines choses, tout en ajoutant qu’il « ne comparait pas » avec la situation en Israël.

    mise en ligne le 5 décembre 2024

La Turquie profite de la chute d’Alep pour combattre les forces kurdes

Yann Pouzols sur www.mediapart.fr

Alors que ses négociations avec le régime d’Assad étaient au point mort, Ankara est la grande gagnante de la chute de la ville d’Alep. Le régime d’Erdogan en profite pour lancer sa propre offensive contre les Kurdes dans le nord-ouest de la Syrie.

Istanbul (Turquie).– L’avancée des rebelles islamistes syriens a surpris jusqu’à leur parrain d’Ankara. L’offensive menée par Hayat Tahrir al-Cham (HTS), depuis la région que contrôle le groupe radical dans la province d’Idlib et dont l’ampleur devait être limitée, a finalement débouché, samedi 30 novembre, sur la déroute totale des troupes du dictateur syrien Bachar al-Assad, et la prise de la ville d’Alep, d’où les rebelles avaient été chassés en 2016.

Préparée de longue date, cette offensive aurait été repoussée sous la pression de la Turquie, qui menait ces derniers mois des négociations avec Bachar al-Assad pour obtenir, notamment, un retour d’une partie des réfugié·es syrien·nes installé·es en Turquie et une alliance contre les forces kurdes syriennes, qui contrôlent certaines zones du pays déchiré par une guerre civile depuis 2011.

« Je pense qu’ils évitaient aussi d’attaquer alors que le Hezbollah libanais [dont les milices sont présentes en soutien au régime d’Assad depuis la bataille de Qousseir en 2013 – ndlr] était encore en conflit avec Israël, afin de ne pas se faire accuser de soutenir Tel-Aviv », explique Erhan Keleşoğlu, universitaire spécialisé dans les relations internationales à l’université d’Istanbul. Le cessez-le-feu conclu fin novembre a ouvert la voie.

Sous le feu des bombardements de l’aviation et de l’artillerie russes – Moscou est, avec l’Iran, un autre soutien majeur d’Assad – et syriennes qui s’étaient intensifiés ces dernières semaines, les rebelles ont fini par lancer une offensive destinée, au départ, à déplacer les lignes de front, mais qui a débouché sur une avancée fulgurante et la prise d’Alep. Hayat Tahrir al-Cham et les groupes qui lui sont alliés ont même progressé plus au sud, jusqu’à la banlieue de la ville de Hama, où des combats sont en cours.

La prise d’Alep a déclenché un tonnerre d’applaudissements dans les rangs des soutiens au pouvoir islamo-nationaliste de Recep Tayyip Erdoğan, qui ne cachent pas leur nostalgie de l’Empire ottoman, voire leur velléité expansionniste. « Alep est turque et musulmane, jusqu’à la moelle ! », s’est laissé emporter mardi 3 novembre Devlet Bahçeli, leader de l’extrême droite du MHP et indispensable allié d’Erdoğan, alors que la photo de rebelles pro-turcs déployant un drapeau turc sur les murs de la citadelle de la ville fait le tour des réseaux et de la presse pro-gouvernementale.

Deux offensives parallèles 

Dans ce même discours, Bahçeli promettait de « continuer à nettoyer chaque recoin de la vermine à figure humaine », comprendre les Kurdes de Syrie, contre lesquels Ankara a lancé, en parallèle, une offensive le 30 novembre.

Car, si Ankara a donné le feu vert à l’assaut lancé par Hayat Tahrir al-Cham (et les groupes djihadistes internationaux, notamment ouzbeks, tchétchènes et ouïghours qui l’épaulent) contre le régime d’Assad, les rebelles directement financés par la Turquie, dans leur écrasante majorité, n’y participaient pas. Ces groupes de mercenaires syriens, arabes et turkmènes qu’Ankara a par le passé déployés en Libye et dans le Haut-Karabagh sont réunis dans une structure baptisée Armée nationale syrienne.

Les groupes de mercenaires sont notamment connus pour leur indiscipline et les violences qu’ils exercent sur les populations civiles (avec de nombreux cas de viols, pillage et enlèvements contre rançon documentés par l’ONU et des associations de défense des droits humains) dans les zones qu’ils occupent dans le nord de la Syrie.

Les Forces démocratiques syriennes, qui ont vaincu le « califat » de l’État islamique avec l’aide de la coalition menée par Washington, sont la bête noire d’Ankara.

L’effondrement du front tenu par les troupes d’Assad a créé un vide de pouvoir dans lequel se sont engouffrées ces troupes, qui ont attaqué la région de Tell Rifaat, au nord d’Alep, tenue par les forces kurdes et où résident de nombreux déplacés qui avaient fui ces mêmes mercenaires lors de la conquête de la région voisine d’Afrin, en 2018.

Ces forces majoritairement kurdes baptisées Forces démocratiques syriennes (FDS), qui ont vaincu le « califat » de l’État islamique avec l’aide de la coalition internationale menée par Washington, sont la bête noire d’Ankara en raison de leur proximité évidente avec la guérilla kurde de Turquie, le PKK.

Les troupes kurdes ont rapidement reflué de la zone, tandis que des milliers de civils tentaient de s’échapper vers les autres zones tenues par les FDS, plus au sud et à l’est. « Ils savent qu’elles ne sont pas en position de force et que ces zones sont difficiles à tenir et elles font donc le choix de se retirer pour se repositionner plus loin », explique l’universitaire Mesut Yeğen, spécialiste de la question kurde.

Erdoğan espère le feu vert de Trump

La prochaine cible de l’offensive des brigades pro-turques est désormais, plus à l’est, la ville de Manbij, dernière grande localité tenue par les forces démocratiques syriennes à l’ouest de l’Euphrate, cette zone d’où la Turquie entend les chasser, avantagée par l’absence de troupes américaines sur place, celles-ci se concentrant uniquement à l’est de l’Euphrate, en attendant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Celui-ci, espère Ankara, pourrait donner l’ordre à ses soldats de se retirer, donnant à la Turquie le feu vert pour poursuivre plus avant ses attaques.

La Turquie mène donc deux offensives différentes, l’une vers le sud, celle d’HTS, qu’elle soutient de loin, en espérant que l’avancée des rebelles islamistes la placera en position de force à la table des futures négociations avec le régime d’Assad et ses alliés internationaux ; l’autre, vers l’est, menée par ses supplétifs de l’Armée nationale syrienne contre les Kurdes et leurs alliés arabes locaux.

Cette double offensive débouche sur des tensions qui commencent à se faire jour entre les deux forces, HTS refusant pour le moment d’attaquer les quartiers kurdes d’Alep de Cheikh Maqsoud et d’Achrafieh, qui seraient encore tenus par les forces démocratiques syriennes, afin de se concentrer sur la lutte contre les troupes d’Assad. HTS reproche également ouvertement aux mercenaires pro-turcs d’être trop inféodés aux intérêts d’Ankara en ne privilégiant pas la lutte contre le régime de Damas, et de se livrer au pillage au détriment des populations civiles.

« Ces groupes sont connus pour leur proportion à se livrer au pillage, ils ont même l’habitude de se combattre entre eux pour savoir qui obtiendra la plus grande part de butin », explique Erhan Keleşoğlu. Des dizaines de milliers de civils fuient les zones conquises par ces troupes et des récits circulent, y compris parmi les familles réfugiées à l’étranger – dont une en France qui affirme avoir perdu deux de ses membres, des Kurdes de confession yézidie, qui auraient été abattus à un check-point.

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, les supplétifs pro-turcs auraient exécuté « au moins dix hommes et une femme » et procédé à des arrestations arbitraires de jeunes hommes kurdes.

Conséquences sur d’éventuels pourparlers de paix en Turquie 

Les nombreuses images, diffusées sur les réseaux, de mercenaires de l’Armée nationale syrienne insultant et molestant des femmes et des hommes kurdes attaché·es et habillé·es en civil, nourrissent aussi la colère des Kurdes de Turquie. Mardi 3 décembre, une manifestation à Istanbul a été dispersée par la police qui a procédé à quatre-vingt-quatre arrestations, quatre des manifestants ont été placés en détention provisoire pour « propagande d’une organisation terroriste ».

Le pouvoir d’Ankara, par la voix de Devlet Bahçeli, avait pourtant laissé planer en octobre la possibilité de négociations de paix avec la guérilla kurde du PKK et son fondateur emprisonné depuis 1999, Abdullah Öcalan. « Cela ne veut pas dire que la perspective des négociations disparaît, Ankara peut simplement chercher à négocier depuis une position de force », estime Erhan Keleşoğlu.

« Les frontières tracées entre les Kurdes sont artificielles, les Kurdes de Turquie et de Syrie sont un seul et même peuple, les familles se trouvent parfois des deux côtés de la frontière, comment voulez-vous que le pouvoir parle de paix aux uns tout en attaquant les autres ? », interroge Ebru Günay, ancienne députée du parti pro-kurde de Turquie, le DEM, et présidente de la commission des affaires internationales du parti.

« Si le pouvoir veut vraiment entamer des négociations, alors il doit lever l’isolement qui pèse sur Öcalan, lui permettre de voir ses avocats, sa famille et les responsables politiques kurdes. Mais une chose est certaine : on ne peut pas mener des négociations si un climat de confiance réciproque n’est pas établi », estime-t-elle.

mise en ligne le 29 novembre 2024

Notre humanité
est morte à Gaza

par Pauline Londeix sur www.humanite.fr

« Nous sommes face à une campagne d’anéantissement de la population de Gaza », déclarait, à son retour du territoire en octobre, Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières France. Au même moment, l’Organisation mondiale de la Santé déclarait avoir perdu contact avec ses équipes dans le nord de la bande de Gaza. Déjà, en décembre 2023, l’OMS martelait que la population sur place était en « grand danger ».

En février 2024, son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ajoutait : « Gaza est devenue une zone de mort (…). Une grande partie du territoire a été détruite. Plus de 29 000 personnes sont mortes, beaucoup d’autres sont portées disparues, présumées mortes, et beaucoup, beaucoup d’autres sont blessées. » Pénuries de denrées alimentaires, de médicaments et autres produits de première nécessité, effondrement du système de santé. Depuis plus d’un an, organisations internationales et ONG dénoncent une situation atroce.

En mars 2024, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF, témoignait : « Chaque jour, nous sommes les témoins d’horreurs inimaginables. Nous, comme tant d’autres, avons été horrifiés par le massacre massif du 7 octobre. Nous sommes horrifiés par la réponse d’Israël ; une guerre de punition collective, une guerre sans règles, une guerre à tout prix. » Il concluait : « Les attaques contre les services de santé sont des attaques contre l’humanité. » Le 14 novembre dernier, le Comité spécial des Nations unies estimait que les méthodes de guerre d’Israël à Gaza comprenaient « l’utilisation de la famine comme arme de guerre ».

Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ?

Dans son dernier ouvrage, « Une étrange défaite, sur le consentement à l’écrasement de Gaza » (éditions la Découverte, 2024), le sociologue Didier Fassin se livre à une brillante analyse de la façon dont le massacre abominable du Hamas et la prise d’otages, puis la « réponse » israélienne qui a suivi sont traités : « Le langage a été abîmé quand on a appelé « antisémites » les demandes d’arrêter de tuer des civils, « morale » une armée qui déshumanise ses ennemis, « riposte » une entreprise d’anéantissement, « guerre Israël-Hamas » une opération militaire ouvertement menée contre les civils palestiniens. La pensée a été étouffée lorsqu’on a empêché les débats, interdit des conférences, annulé des expositions, imposé des procureurs pour garantir l’orthodoxie, eu recours aux forces de l’ordre pour réprimer des étudiants sur les campus. »

Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ? Didier Fassin poursuit ainsi : « Pour des responsables politiques et des personnalités intellectuelles des principaux pays occidentaux, à de rares exceptions près, (il paraît être devenu) acceptable la réalité statistique que les vies des civils palestiniens valent plusieurs centaines de fois moins que les vies des civils israéliens. (…) La déshumanisation de l’ennemi est la perte de l’humanité de celui qui la prononce. »

Pour écrire sur ce sujet qui pourtant occupe mes pensées quotidiennement, il m’a fallu de longs mois. Certaines situations plongent dans un état de sidération. Pourtant il y a une urgence à agir. L’impuissance de la communauté internationale à imposer un cessez-le-feu et son « consentement », pour reprendre les termes de Fassin, à cette guerre qui tue principalement des civils creusent la tombe des valeurs, affichées du moins, du monde occidental.


 


 

Guerre au Proche-Orient : l’effondrement moral de l’Occident

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Les guerres israéliennes contre la bande de Gaza, la Cisjordanie et le Liban détruisent les vies et les territoires. Elles abîment aussi la crédibilité de l’Occident, enfermé pour l’essentiel dans un soutien univoque à Israël. Vue depuis le monde arabe, voici l’histoire d’une chute morale.

Il a beaucoup été question d’Occident lors du premier Sommet international des pensées arabes organisé conjointement par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep) et l’Institut du monde arabe, à Paris, les 14 et 15 novembre 2024.

Non que l’Occident ait été le sujet de ce moment exceptionnel qui a rassemblé, pendant deux jours et en un même lieu, pas moins de 32 intellectuel·les arabes venu·es d’un peu partout. Mais il a traversé les dix tables rondes et les discussions.

Car les complexes relations entre le monde arabe et l’Occident, qui remplissent des bibliothèques entières, se sont durcies avec la guerre génocidaire d’Israël en cours à Gaza, l’annexion rampante et violente de la Cisjordanie et la destruction partielle du Liban. Ce sont, plus précisément, les appuis à Israël apportés par nombre d’États, de partis politiques, d’institutions académiques, de médias et d’intellectuel·les occidentaux à l’État hébreu qui ont été interrogés.

Mediapart s’est entretenu avec huit de ces penseurs et penseuses arabes présentes à Paris. Ils et elles viennent d’horizons divers – les sciences politiques, les études sur le genre et le développement, l’histoire contemporaine, la philosophie, les médias, l’anthropologie, la sociologie. Originaires de différents pays arabes, du Liban, d’Égypte, de Tunisie, de Palestine, ils et elles vivent et travaillent dans des universités occidentales, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis, ou dans des institutions du Moyen-Orient, au Qatar, en Cisjordanie, en Égypte, au Liban.

Tou·tes ont l’habitude de voyager d’un pays à l’autre, pour des rencontres intellectuelles, amicales et familiales, tou·tes parlent plusieurs langues, tou·tes naviguent avec facilité dans les pensées tant occidentales qu’arabes.

Assignation à origine

Pourtant, ces intellectuel·es polyglottes et cosmopolites constatent un divorce, depuis le 7-Octobre, dans les relations avec l’Occident. Bien sûr, ils et elles n’ignoraient rien de l’histoire complexe et houleuse des deux rives de la Méditerranée. Mais dans ce domaine aussi, le 7-Octobre marque une rupture de nature.

« J’ai, depuis le 7-Octobre, la sensation d’être en permanence sous surveillance, parce que je suis une chercheuse arabe, et ce n’est pas du tout bienveillant. Cela m’a amenée, au départ, à une forme d’autocensure, dont j’ai mis du temps à me débarrasser, raconte la Franco-Tunisienne Leyla Dakhli, historienne, membre du CNRS et affectée actuellement au Centre Marc-Bloch de Berlin. Être décrédibilisée parce qu’on pense que mon origine, et non mes recherches, détermine ce que je dis, est très difficile à supporter. »

Cette assignation à leur origine, la plupart des intellectuel·les en poste dans des institutions européennes ou américaines la ressentent. Ils s’en disent « sidérés ». « Parler des régimes arabes ne pose aucun problème, mais s’exprimer sur la Palestine est quasiment interdit, poursuit Fadi A. Bardawil, Libanais, anthropologue et enseignant à l’université Duke, à Durham (États-Unis). Mais il faut souligner que les intellectuel·les arabes ne sont pas les seul·es victimes de cette machine de répression. »

En cause ici, l’accusation d’antisémitisme brandie aussitôt qu’une critique contre Israël est émise, et qu’importe si les crimes de guerre et violations massives de la loi internationale sont documentés. « On glisse systématiquement de la Palestine vers lantisémitisme. Mais ces guerres n’ont pas lieu en France ou en Allemagne, elles se déroulent à Gaza et au Liban, alors pourquoi toujours ramener ça à un débat européen sur l’antisémitisme ? C’est accuser les Arabes de véhiculer un antisémitisme historiquement pourtant bien européen », reprend Leyla Dakhli.

L’Occident est devenu inaudible

« Au nom de la réparation des torts historiques, les pays européens responsables de la Shoah, en premier lieu l’Allemagne, mais aussi l’Autriche, la France, avalisent ce qui est fait à un autre peuple, assène Gilbert Achcar, sociologue franco-libanais, professeur à l’université SOAS de Londres. Parce que ces pays ont tiré une leçon étriquée, nationaliste et ethnocentrée de la Shoah : plus jamais ça, mais uniquement plus jamais ça aux juifs et seulement aux juifs. Alors qu’ils auraient pu en tirer une leçon universelle : plus jamais ça, à aucun peuple. »

Appui politique et militaire à Israël dans ses guerres, notamment de la part des États-Unis, incapacité des États européens à nommer la guerre génocidaire contre Gaza, injonction à taire toute critique de l’État hébreu, censure : l’Occident n’applique sa prétention de porter haut les droits humains, de promouvoir la justice et l’égalité qu’à une catégorie d’êtres humains, affirment les intellectuel·les arabes, unanimes.

Et si ce n’est guère nouveau, si Fadi A. Bardawil, l’anthropologue, rappelle qu’Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, puis Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, ont en leur temps férocement critiqué cet Occident qui, tout en se gargarisant de son « humanisme » et de ses « valeurs », les piétinait en colonisant les peuples, le moment que nous vivons marque un tournant dramatique.

Ce qui choque, [c’est] un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques.     Samer Frangie, professeur à l’université américaine de Beyrouth

« Nous avons conscience du regard raciste de l’Occident sur nous, monde arabe, depuis des siècles. Mais il y a un avant et un après-Gaza. À cause de l’ampleur des crimes et de leur durée. Ce n’est pas une semaine de tueries, c’est plus d’un an, et l’Occident s’acharne à défendre la moralité de ce qui se passe !, déplore Elizabeth Suzanne Kassab, philosophe, chercheuse au Doha Institute for Graduate Studies. Que les gouvernements soutiennent cette politique criminelle ne nous surprend pas. Mais que les médias et les institutions académiques emboîtent le pas, c’est incroyable. Que la liberté d’expression soit réprimée au sein même des sociétés occidentales, quelle honte ! L’Occident a perdu là ce qui lui restait de crédibilité. »

« Ce qui choque, ce n’est pas le double langage occidental, que nous connaissons depuis longtemps, mais un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques d’une façon extraordinairement vulgaire, assène Samer Frangie. Dans le domaine des médias, celui sur lequel je travaille, on a vu des manigances de rédacteurs en chef du New York Times, de Sky News, la BBC qui a viré des journalistes arabes. Avant, ceux qui faisaient passer des messages pro-israéliens essayaient de respecter certaines normes. C’est fini. Voir ces institutions prêtes à sacrifier tout le capital, tout le crédit accumulé, c’est un choc. »

D’où qu’ils parlent, les penseurs et penseuses arabes partagent ce même constat, dont les élites politiques et intellectuelles occidentales n’ont pas forcément conscience : elles sont devenues inaudibles dans une bonne partie du monde.

« C’est la fin de la prétention libérale de l’Occident. Le refus, pendant plusieurs mois, de la plupart des États occidentaux d’appeler à un cessez-le-feu signifie un soutien à l’agression, sans même mentionner le financement et l’armement d’Israël par les États-Unis, qui font de cette guerre la première guerre conjointe américano-israélienne, assène Gilbert Achcar. La juxtaposition de l’Ukraine et de Gaza, le deux poids et deux mesures absolument flagrant ont totalement discrédité l’Occident. Sa prétention à parler au nom de valeurs est morte, et sans pouvoir de ressusciter. »

Mise en question, aussi, la prétention à participer au développement des pays du Sud et porter les valeurs d’égalité et de non-discrimination.

« Nombre d’organisations internationales et d’ONG prétendaient défendre les droits des femmes en Palestine, promouvoir leur émancipation, leur accession à des postes de décision. Et ces mêmes organisations aujourd’hui sont réticentes à condamner le génocide et l’épuration ethnique dont sont victimes les femmes palestiniennes, parce qu’elles considèrent Israël comme une oasis de démocratie et de liberté dans le monde arabe, s’insurge Islah Jad, Palestinienne. Les viols en Ukraine commis par l’armée russe ont suscité des condamnations et de fortes déclarations. Ceux, documentés, commis contre les Palestinien·nes dans les prisons israéliennes ne rencontrent que le silence. »

Et la professeure à l’université de Bir Zeit, spécialiste du genre et du développement, le dit tout net : « C’est du racisme doublé d’hypocrisie. Parce que nous ne sommes pas blancs. Nous en sommes encore à la mission civilisatrice de l’Occident, c’est effrayant. »

L’onde de choc du soutien massif des pays occidentaux et de leurs élites aux guerres israéliennes sera forte et longue. Nul ne se risque bien sûr à en prédire les natures. Mais déjà s’esquissent des tendances. « L’hypocrisie de l’Occident est établie, mais les valeurs qui ont été développées en Occident et qui sont vues comme des valeurs occidentales ne sont pas à jeter, parce qu’en fait leur validité n’est pas intimement liée au monde occidental. Il faut les désancrer du socle occidental », juge Fadi A.Bardawil.

Il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes.    Gilbert Achcar, sociologue, professeur à Londres

Se séparer, se donner les moyens de ne plus dépendre de cet Occident qui exige, par exemple, des preuves de condamnation de ce que lui voit comme du terrorisme, de purge des bénéficiaires des ONG arabes, toute personne proche de l’islam politique devant être écartée, voilà une autre tentative de séparation en cours.

« Nous cherchons des fonds ailleurs, du côté d’Arabes riches qui veulent se montrer actifs. Nous organisons aussi des réseaux d’entraide et de solidarité pour pallier la rupture avec tel ou tel bailleur », explique Lina Attalah, journaliste et activiste, fondatrice du média égyptien indépendant Mada Masr.

« Des jeunes chercheurs installés dans des universités occidentales, las de se sentir toujours épiés, de devoir sans arrêt se justifier, sont en train d’essayer de rentrer dans leur pays ou d’obtenir un poste dans les pays du Golfe. Pour l’instant, ce sont des choix individuels et encore limités », observe Nadim Houry, juriste franco-libanais, directeur du think tank Arab Reform Initiative.

« Pour les conséquences plus générales, il est trop tôt, poursuit-il. On voit poindre du nihilisme dans une partie de cette jeunesse déjà frappée par les contre-révolutions et des crises économiques très fortes, et qui voit devant ses yeux une hypocrisie occidentale incroyable. Cela débouchera-t-il sur une forme de djihadisme ? C’est difficile de le déterminer aujourd’hui. »

L’onde de choc ne se limitera pas à l’Occident. Les régimes arabes le savent, qui, sans soutenir ouvertement Israël, n’ont rien fait pour arrêter ses guerres et soutenir les Palestinien·nes et les Libanais·es. Leur impuissance, voulue ou subie, les pousse à davantage encore de crispation.

« La colère n’épargne pas les régimes arabes qui ont normalisé avec Israël et continuent jusqu’à présent », constate Nadim Houry. « La justification de la paix avec Israël était le traité de paix en échange d’une tranquillité économique et politique, et tout est un mensonge, souligne Lina Attalah. Nous souffrons de dettes abyssales et un génocide est commis à nos portes, que notre gouvernement est incapable d’arrêter ou même de freiner. »

L’espoir d’un nouvel universalisme

Au cœur de cette catastrophe en cours, qui risque d’emporter l’Occident avec le monde arabe, ces intellectuel·les croient en la construction d’un nouvel universalisme, en la solidité de liens déjà existants aujourd’hui renouvelés et en la mondialisation d’une certaine jeunesse.

« Nous avons découvert un réseau de médias indépendants, dont fait partie Mediapart, un réseau global, qui réussit à démonter les infox et offre un récit alternatif à celui des entreprises médiatiques mainstream, se réjouit Samer Frangie. Des liens se sont tissés et nous réussissons à bousculer ce qui ressemble de plus en plus à un dogme. »

« Entre le génocide, la montée du néofascisme au niveau international, dont l’élection de Donald Trump est le dernier avatar, la crise écologique, nous n’avons aucune raison d’être optimistes. En revanche, il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes, ose Gilbert Achcar. Ces jeunes juifs américains et cette toute petite minorité de juifs israéliens me donnent un peu d’espoir. »

« Nous voyons des gens manifester en solidarité avec nous, contre les positions de leurs gouvernements et les mensonges de leurs médias, et c’est fondamental. Car nous voyons se déployer un universalisme qui reconnaît et respecte l’autre », affirme Islah Jad.

« La sensibilité des jeunes Arabes activistes aujourd’hui, post-2011, est plus universaliste. Ils voient la Palestine comme la voient aussi des jeunes Américains ou Européens. Dans ce contexte, la Palestine est devenue le symbole de l’injustice globale du colonial, du racisme, du récit dominant et du contrôle des ressources, explique Nadim Houry. La Palestine n’a jamais été aussi universelle. »

mise en ligne le 8 octobre 2024

En Martinique, les citoyens ont des propositions concrètes
contre la vie chère

par Sophie Chapelle sur https://basta.media/

En finir avec des prix devenus fous. Voilà plus d’un mois que les Martiniquais se mobilisent pour l’alignement des prix sur ceux de l’Hexagone. Ils font face à l’opacité des marges de la grande distribution, et au laisser-faire de l’État.

Une même boite d’œufs coûte cinq euros en Martinique contre deux euros dans l’hexagone. Qu’on regarde les prix des pâtes, de la farine, du lait, du beurre ou des fruits, ceux-ci sont deux à cinq fois plus élevés en Martinique qu’en France métropolitaine. L’eau en bouteille, un bien de première nécessité sur cette île qui subit des coupures d’eau régulières, peut atteindre des sommes indécentes : jusqu’à dix euros pour un pack ! L’application Kiprix, lancée par un jeune développeur installé près de Fort-de-France, montre bien ces écarts. En 2023 déjà, un rapport de l’Insee alertait sur des produits alimentaires en Martinique en moyenne 40% plus chers qu’en France métropolitaine !

Une double peine sur cette île où plus d’un-quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. C’est ce que dénonce Rodrigue Petitot notamment sur Tik Tok. Président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC), il est l’une des figures de la contestation contre la vie chère en Martinique. Le mouvement est à l’initiative depuis le 1er septembre de blocages de supermarchés et de nombreuses manifestations, malgré les interdictions préfectorales. Il demande l’alignement des prix martiniquais sur ceux de l’Hexagone.

Quinze ans après un mouvement historique

En 2009, un intense mouvement social contre la vie chère avait duré quarante jours en Martinique. La grève générale avait notamment abouti à la création d’un observatoire des prix, à une réforme agraire et à la baisse de 20% des prix sur 2500 produits. « Sauf que 2009 à 2015, on a vu une montée en flèche des prix. Quinze ans après, les prix ne cessent d’augmenter à des proportions injustifiées,dénonce Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC sur Youtube. L’observatoire n’a aucune marge de manœuvre pour réguler les prix. Le seul effort depuis 2009 a été fourni par les collectivités pour baisser l’octroi de mer qui sert à financer les collectivités », dit-elle.

L’octroi de mer, créée en 1670 en Martinique, est une taxe qui s’applique aux importations, avec un taux variable selon les produits. Les documents qui répertorient les différents octrois de mer dans les territoires ultramarins font près de 1200 pages ! Cette taxe « représente près d’un tiers des ressources des communes », soulignait en mars dernier le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. Près de la moitié des dépenses de personnel des collectivités en Martinique serait ainsi financé par cette taxe.

Revers de la médaille, l’octroi de mer, conjugué à la TVA, fait gonfler les prix de 7 % en moyenne. « Il faut revoir le système de taxation qui crée des inégalités, mais l’octroi de mer finance aussi directement les collectivités. Et on ne veut pas un affaiblissement de ces dernières, ni des aides sociales », prévient Aude Goussard du RPPRAC.

La grande distribution pointée du doigt

Pour le RPPRAC, c’est davantage du côté des acteurs de la grande distribution qu’il faut regarder. Le mouvement a envoyé un courrier recommandé le 1er juillet aux distributeurs alimentaires de Martinique et au préfet, en pointant leur responsabilité dans les « injustices criantes liées au prix de la consommation », et en exigeant des réponses concrètes dans les deux mois. Les enseignes de distribution, dominées par trois grands groupes – GBH, SAFO et CREO – ont fini par répondre à la dernière minute, le 31 août, en avançant que ces écarts de prix venaient de « contraintes structurelles » comme l’éloignement et le transport par bateau. C’est l’absence de propositions pour baisser les prix, suite à ce courrier, qui a marqué le début de mouvement.

En plus des taxes, les intermédiaires sont nombreux entre le producteur et le distributeur. « Alors qu’ils sont en général au nombre de trois en France hexagonale, en Martinique ils peuvent aller au-delà des quatorze » relève un rapport parlementaire sur le coût de la vie de juillet 2023. Ces intermédiaires facturent chaque étape de traitement de marchandises, prélevant leurs marges à chaque fois, faisant mécaniquement monter les prix.

Selon le rapporteur parlementaire, l’ancien député socialiste Johnny Hajjar, derrière la plupart de ces intermédiaires se trouveraient des entreprises appartenant aux grandes enseignes de distribution martiniquaises. Contactées par l’équipe d’Envoyé spécial, les entreprises ont reconnu posséder des sociétés qui interviennent dans la chaine logistique mais pas à chaque échelon.

Opacité sur les marges

Prenons le cas du groupe GBH avec à sa tête Bernard Hayot et son fils Stéphane Hayot. « La famille Hayot contrôle non seulement les grandes surfaces, mais aussi le transport maritime, les entrepôts, et même les conteneurs dans lesquels sont acheminés les produits », relève Jérémy Désir, néopaysan martiniquais dans un article de Reporterre. Cette concentration verticale permet au groupe de se facturer à lui-même chaque étape de la chaîne logistique. Selon le rapport parlementaire, « cette multiplication d’acteurs est un moyen efficace de noyer l’accumulation des marges, tout en justifiant que les marges sont raisonnables prises individuellement ». Le pouvoir économique grandissant entre les mains de quelques grands groupes leur permet également de faire de vastes économies d’échelle.

La question des marges arrières pratiquée par les grands groupes comme GBH est aussi soulevée dans le rapport du député. Elles consistent en une entente légale entre le fournisseur et le distributeur. Lorsqu’un objectif de vente fixé est atteint, le fournisseur cède une partie de sa marge au distributeur, en toute opacité. Comme le note l’enquête parlementaire, « les auditions ont mis en avant l’opposition entre le secret des affaires et le contrôle des prix, des marges et des revenus ». Ainsi, les organismes comme l’Insee ou les observatoires des prix qui demandaient l’accès aux données sur les marges se sont vus opposer le secret des affaires, une loi adoptée en France en mars 2018 (transposée d’une directive européenne), qui crée un droit général au secret pour les entreprises et leur permet potentiellement de traîner devant les tribunaux quiconque porterait à la connaissance du public une information sur leurs activités.

Et l’État dans tout cela ? Il a jusque là fait le choix du laisser-faire. Auditionné en juin 2023 à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, avait conclu : « Les marges relèvent du secret des affaires. On peut les contrôler, mais pas les rendre publiques. Faisons attention car un excès de transparence risque de mettre en péril l’activité économique. » Or, c’est précisément ce secret des affaires qui sert de paravent à des groupes puissants pour abuser de leurs positions sur le marché de la distribution.

Revaloriser les salaires

Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès les premiers jours, entre couvre-feu et déploiement de la CRS 8. Trois tables-rondes sur la vie chère rassemblant les différentes partie-prenante se sont tenues ces dernières semaines. Elles ont abouti à un premier document de travail avec plusieurs pistes pour baisser les prix, permettre la transparence et renforcer l’autonomie alimentaire. Il a notamment été proposé que l’octroi de mer soit supprimé sur près de 6000 articles de première nécessité. « Nous notons que la grande distribution ne souhaite pas perdre un kopeck et compte beaucoup sur l’État », a déploré Aude Goussard à la sortie de la dernière table ronde. Les négociations doivent reprendre ce lundi 7 octobre.

Ces derniers jours, le RPPRAC a poursuivi les opérations « courses fictives » dans plusieurs enseignes du groupe GBH pour les bloquer. Un appel à la grève illimitée a également été lancé par la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) depuis le 26 septembre. Outre la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité, la CGTM entend poser la question des revalorisations salariales, des pensions de retraite et des minimas sociaux. Alors que les prix n’ont cessé d’augmenter depuis quinze ans, syndicats et mouvement citoyen martiniquais aspirent à inverser le rapport de force.


 


 

Crise en Martinique :
cinq interpellations et plusieurs blessés
après des affrontements
sur un point de blocage
contre la vie chère

Théo Bourrieau sur www.humanite.fr

Depuis plus d’un mois, un important mouvement contre la vie chère a été lancé par le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens en Martinique. Lundi 7 octobre, des policiers ont tenté de déloger des manifestants qui menaient une action sur un rond-point du Lamentin. Cinq personnes ont été interpellées et au moins quatre blessées. Selon la préfecture, onze policiers ont également été blessés.

La réponse du gouvernement et de la préfecture de Martinique aux mouvements contre la vie chère semble toujours être la répression. Lundi 7 octobre au matin, le rond-point de Mahault, dans la commune du Lamentin, à une dizaine de kilomètres de Fort de France, est bloqué par des manifestants. Quelques heures plus tard, la préfecture envoie la désormais bien connue CRS8, spécialisée dans les « violences urbaines », qui s’est notamment illustrée pendant l’opération Wuambushu à Mayotte, ou dans de nombreuses manifestations en métropole, notamment pendant la réforme des retraites.

Une « répression policière » contre « des Martiniquais pacifiques »

La mission de la Compagnies républicaine de sécurité 8 : débloquer le rond-point, quitte à faire usage de la force. Des vidéos d’affrontements, ainsi que du président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) ensanglanté, ont fait le tour des réseaux sociaux. Dans un communiqué, l’association dénonce « avec la plus grande fermeté la répression policière exercée dans la commune du Lamentin contre des Martiniquais pacifiques qui, depuis 38 jours, se mobilisent contre la vie chère en Outre-Mer ».

« Nous ne tolérerons jamais l’usage de tirs de type LBD visant le visage et le cou des manifestants dans nos rues », ajoute les auteurs du communiqué. Au cours de ces affrontements, Rodrigue Petitot, dit le R, président du RPPRAC, a « été pourchassé et blessé à la main et à la jambe », affirme l’association, ajoutant qu’à sa connaissance, « deux militants ont également été tabassés et placés en garde à vue », et qu’une riveraine « a fait un malaise » à cause du gaz lacrymogène. Dans une autre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, on y voit Aude Goussard, trésorière de l’association, violemment repoussée par un CRS.

Selon la préfecture, onze policiers, notamment victimes de jets de pierre, ont aussi été blessés. « Face à de tels comportements, les forces de sécurité intérieure ont fait usage de la force, dispersé l’attroupement et procédé à l’interpellation de 5 individus », écrit le préfet de Martinique Jean-Christophe Bouvier dans un communiqué. Alors que la tension semblait être redescendue au cours de la journée de lundi, plusieurs véhicules en feu ont été signalés à Fort de France et un barrage enflammé aurait également été érigé au Lamentin, selon les informations du média France-Antilles Martinique.

Depuis le début du mois de septembre, un important mouvement contre la vie chère a été lancé, notamment par le RPPRAC. Selon l’Insee, les prix à la consommation en Martinique sont en moyenne plus élevés de 14 % que dans l’Hexagone. Pour la nourriture, cette différence atteint 40 %. Dépendante à 80 % des importations, l’île souffre d’une situation de quasi-monopole des distributeurs et des transporteurs. En Martinique, 44 300 ménages vivent sous le seuil de pauvreté. Soit 27 % de la population, et le mouvement contre la vie chère traverse différentes couches de la société. Quatre tables rondes ont été organisées par les autorités depuis le début de la crise, sans issue satisfaisante pour les protestataires. Une cinquième table ronde, qui devait se tenir lundi 7 octobre, a été repoussée sine die.

  mise en ligne le 8 octobre 2024

Alain Gresh : « On ne peut pas éluder la question : as-tu le droit d’aller construire un État là où il y a déjà un autre peuple ? »

sur www.regards.fr

Référence incontournable à nos yeux, nous avons rencontré Alain Gresh pour lui poser les questions qui nous taraudent – et nous divisent parfois – sur la lutte des Palestiniens, notamment depuis le 7 octobre 2023.


 

Regards. Le peuple palestinien est un des plus opprimés. Or, il n’a pas bénéficié ces dernières décennies d’un soutien international à la hauteur de cette oppression. Les résolutions de l’ONU sont impuissantes. Comment construire une stratégie qui agrège des soutiens, comme a su le faire l’ANC en Afrique du Sud par exemple ?

Alain Gresh : La comparaison entre l’ANC (Congrès national africain, parti de Nelson Mandela, ndlr) et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) est intéressante. Ce n’est pas le rapport à la lutte armée qui les différencie. Jusqu’au bout, l’ANC a utilisé la lutte armée. Le combat contre l’Apartheid a bénéficié d’un large soutien international, d’un appui du mouvement des non-alignés, de l’aide effective du camp socialiste, y compris militaire avec le rôle des troupes cubaines qui ont contribué à briser la machine de guerre sud-africaine. Enfin, le soutien massif aux sanctions contre le régime de l’apartheid que personne ne cherchait à criminaliser ou à accuser de « racisme antiblancs ». Dans sa lutte, l’ANC a bénéficié de la présence des communistes sud-africains, dont beaucoup des dirigeants étaient juifs (et d’ailleurs hostiles au sionisme). Ils ont aidé à dégager la perspective d’une Afrique du Sud « arc-en-ciel » face à ceux qui prônaient un « pouvoir noir ».

Ce large appui a permis de limiter le rôle de la violence dans la stratégie de l’ANC car le soutien international dessinait une perspective politique de sortie de l’apartheid. Ce ne fut pas le cas des Palestiniens, en partie à cause du poids de « la question juive » en Occident et aussi du fait que désormais il n’y a pas (encore) de contrepoids aux États-Unis. Le poète Mahmoud Darwich disait : « Le monde s’intéresse à nous uniquement parce qu’on s’affronte aux juifs ». Il pensait avant tout aux pays occidentaux. D’autre part, l’OLP a été l’objet des rivalités entre les États arabes, plusieurs d’entre eux ont créé leur propre faction en son sein pour influer sur sa ligne. Le soutien aux Palestiniens s’arrêtait là où les intérêts des États arabes commençait. Chacun privilégiait ses intérêts. Les Jordaniens voulaient le contrôle de la Cisjordanie. Les Syriens cherchaient à contrôler le Liban et se sont heurtés aux Palestiniens. L’Égypte, plus distante, a cessé de les soutenir à partir de l’accord de Camp David de 1978 signé par Sadate. Au Liban, où les organisations palestiniennes se sont installées à la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’OLP est devenu un État dans l’État et a été entrainé dans la guerre civile libanaise à partir de 1975.

Les stratégies des mouvements de soutien aux Palestiniens semblent assez éclatées. Certains se battent pour l’égalité des droits entre les citoyens d’un même État. D’autres en faveur de l’autodétermination des Palestiniens. D’autres pour la création d’un État palestinien. D’autres, enfin, pour le respect du droit international. Ça fait beaucoup d’objectifs pour ce combat. C’est moins limpide que le slogan « US go home » des manifestations pendant la guerre du Viêt-Nam…

Alain Gresh : Les mobilisations qu’on a pu connaitre en faveur du Viêt-Nam étaient plus politiques, au sens étroit du terme. Et elles s’inscrivaient dans un contexte différent, celui des guerres anticoloniales mais aussi celui de la Guerre froide.

« Le caractère colonial est consubstantiel au projet sioniste et il apparaît dans toute son horreur à Gaza. »

Sur le territoire de la Palestine, il n’y a pas de solution politique à court terme. L’égalité des droits entre tous les habitants qui y vivent, 7,5 millions de Palestiniens et 7,5 millions de Juifs israéliens, me semble un objectif concret et immédiat, auquel il est difficile de s’opposer sur le plan des principes. La réalité sur le terrain est que l’État unique existe… et c’est Israël. Il contrôle tout le territoire et impose sa loi – une loi qui n’est pas la même pour tous les habitants qui y vivent, d’où la qualification de situation d’apartheid qui est de plus en plus largement reconnue par les organisations internationales comme Amnesty ou même israélienne comme B’tselem. Donc se battre pour l’égalité des droits est quelque chose tangible. Qui peut être contre ?

Le mouvement étudiant aux États-Unis, et ailleurs, est idéaliste : ces étudiants se battent pour le respect du droit international. C’est, à mes yeux, la seule voie qui peut mener à une solution, même si elle est étroite ; elle a été esquissée par la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale, mais ceux-ci subissent de terribles pressions occidentales. Le combat pour le droit international ne concerne pas que la Palestine. On vit, notamment depuis le 11 septembre 2001, la destruction du droit international, avec l’invention de « la guerre préventive » et l’invasion de l’Irak, avec l’ouverture de camps de torture à Abou Ghraib ou à Guantanamo. C’est une tendance inquiétante.

Les États qui s’opposent à l’agression israélienne ne sont pas tous mus par des motifs idéalistes. Ni la Russie, ni la Chine, ni la Turquie, ni l’Inde ne se désolent de la destruction du système international. Ils pourront en profiter demain en arguant du cynisme occidental. Au nom de quoi, si ce n’est de la géopolitique, pourra-t-on critiquer l’invasion par ces puissances ou par d’autres d’un de leurs voisins ? Ceux qui portent une autre vision, comme l’Afrique du Sud ou le mouvement citoyen, ne pèsent pas encore assez pour inverser la tendance.

Aujourd’hui la remise en cause de l’existence même de l’État d’Israël s’exprime. Israël est qualifié d’État colonial, parfois du fait des occupations illégales en Cisjordanie, parfois du fait de sa création sur des terres palestiniennes. Et Jérusalem répond par des accusations d’antisémitisme. Comment abordez-vous cette question ?

Alain Gresh : Pour moi la création de l’État d’Israël est un fait colonial qui n’est ni isolé, ni le résultat de la Shoah, ni l’aboutissement logique de l’histoire juive. À la veille de la guerre de 1967, l’orientaliste Maxime Rodinson publiait « Israël, fait colonial ? » dans la revue de Sartre et Beauvoir Les Temps modernes. Il concluait ainsi son article : « Je crois avoir démontré, dans les lignes qui précèdent, que la formation de l’État d’Israël sur la terre palestinienne est l’aboutissement d’un processus qui s’insère parfaitement dans le grand mouvement d’expansion européo-américain des XIXème et XXème siècles pour peupler ou dominer les autres terres ». La formation d’Israël repose sur un colonialisme de peuplement. Avec la Kanaky, la Palestine est un des très rares cas où colons et autochtones sont en nombre équivalent. En Amérique du Nord comme en Australie, les colons ont exterminé les peuples autochtones. Le plus souvent, les colons sont des minorités.

Ceux qui s’opposent à l’analyse de Maxime Rodinson, invoquent souvent l’influence des idées communistes, notamment avec la vie collective et le partage dans les Kibboutz. Il ne s’agit pas de nier la sincérité de cette « passion communiste » qui animait certains émigrants juifs, mais d’analyser leur pratique réelle. Combien de massacres et de crimes se sont fait au nom du Bien et de la Civilisation ? Au sein même de l’Internationale communiste, les luttes furent rudes pour rompre avec les anciennes tendances coloniales de la social-démocratie. Le dirigeant Vietnamien Hô Chi Minh fut de ces militants. Rodinson écrivait ainsi : « Le cas de l’utopie sioniste n’était pas, de ce point de vue, différent de celui des utopies socialistes du type de l’Icarie de Cabet. Il s’agit de trouver un territoire vide, vide non pas forcément par l’absence réelle d’habitants, mais une sorte de vide culturel. En dehors des frontières de la civilisation […], on pouvait librement insérer, au milieu de populations plus ou moins arriérées et non contre elles, des «colonies» européennes qui ne pouvaient être, pour employer anachroniquement un terme récent, que des pôles de développement. »

Pour moi, le caractère colonial est consubstantiel au projet sioniste et il apparait dans toute son horreur à Gaza. Certes, Israël est vécu comme un pays refuge ultime mais sa légitimité est aussi liée au sentiment de supériorité sur les indigènes propre à la mentalité coloniale. Encore une fois, ce sentiment de supériorité n’était pas propre au mouvement sioniste.

L’histoire longue est convoquée pour légitimer la localisation de l’État d’Israël. Pourtant Theodor Herzl, le fondateur du sionisme politique, avait lui-même envisagé une installation des juifs en Argentine ou au Congo. Faire droit à une revendication millénariste ouvrirait la porte à des conflits sans fin tout autour du globe. La question est alors : est-ce que les Juifs forment un peuple ? Pour moi non, pas un peuple, au sens de peuple-nation traditionnel. Je ne me considère pas comme membre du peuple juif. Ma tradition du judaïsme n’a rien à voir avec Israël. Ma tradition du judaïsme, c’est l’internationalisme, c’est les luttes. Il y a une tradition historique du judaïsme qui a apporté énormément à l’humanité et qu’Israël cherche à effacer. Et cet apport à l’humanité est d’autant plus grand qu’il n’est pas nationaliste.

Mais même si on accepte que les Juifs forment une nation, au nom de quoi auraient-ils le droit de construire un État là où vit et travaille un autre peuple ? Il faut relire le livre Peuple juif ou problème juif ? de Maxime Rodinson. Le sionisme a imposé une vision de l’histoire juive qui ne serait qu’une permanence de persécutions, mais il n’y a pas de problème juif dans les pays arabes jusqu’aux années 1930. C’est la création d’Israël qui envenime les choses dramatiquement. De par l’histoire, ils ont été considérés comme une sorte de 5ème colonne, tout à fait à tort. Les pays arabes portent une responsabilité mais il n’y a pas d’antisémitisme éternel. Aujourd’hui, en Europe, il y a un antisémitisme, mais les Juifs ne sont pas menacés, ils sont protégés par l’État, ils sont protégés par tous les partis politiques, sauf l’extrême droite. Ils sont largement acceptés par la population comme le prouvent toutes les études de la Commission nationale consultative des droits humains (CNCDH).

L’idée d’une solution par la formation d’un seul État plurinational sur l’ensemble du territoire a émergé. Mais force est de constater que ceux qui portent cette solution brandissent bien souvent le drapeau palestinien et parlent de Palestine. Un tel projet politique, s’il devait être soutenu, ne peut être incarné ni par le drapeau palestinien ni par le drapeau israélien. Il faut inventer autre chose, à la manière de ce que l’ANC est parvenue à faire avec le concept de « nation arc-en-ciel »…

Alain Gresh : C’est vrai. Et vous savez qui a fait, entre autres, cette proposition ? Kadhafi, peu avant les printemps arabes. Il a signé une tribune dans le New York Times titrée « Ispalestine »… Les Juifs ont subi une terrible injustice ; mais les Palestiniens ont payé pour ces crimes commis par des Européens. Il faut le prendre en compte. Maintenant, comment est-ce que l’idée d’un État unique peut se traduire sur le terrain ? Je ne sais pas. D’abord, est-ce que ce serait un État de ses citoyens ou est-ce un État binational ? En Afrique du Sud, c’est un État des citoyens, mais en même temps avec des droits pour les Zoulous et autres nations africaines… À mes interlocuteurs arabes, je posais toujours la question : est-ce un État arabe, membre de la Ligue arabe ? Et alors, que fait-on de l’hébreu ? On ne va pas passer de la situation actuelle à une espèce d’État démocratique constitué et accepté comme ça, sur la base d’une « défaite » d’Israël. Il faut construire les conditions d’une lutte commune qui prépare à une coexistence qui permettent d’avancer progressivement.

Ce que prouve l’exemple sud-africain ou algérien, c’est qu’on ne peut pas gagner si on ne brise pas le front intérieur du pays dominateur ou colonisateur. La grande erreur de l’OLP, même au temps d’Arafat, était de croire que la solution était dans les mains des États-Unis. J’ai toujours été convaincu qu’Israël est assez puissant pour résister aux pressions (toujours très mesurées) américaines. Donc, si on veut avancer, il faut briser le front intérieur israélien. À certains moments, on a pu penser que c’était possible, qu’il y avait des forces dans la société israélienne pour cela.

Vous dites ne pas voir d’issue notamment compte tenu des 700 000 colons installés en Cisjordanie. Cela motive aussi la proposition d’un seul État binational. Et quelle serait la solution pour les Palestiniens expulsés, tout aussi nombreux ?

Alain Gresh : Si on a accordé aux Juifs du monde le « droit du retour » en Israël, pourquoi ne pas l’accorder aux Palestiniens ? Le droit au retour est très important. C’est une partie de l’identité palestinienne : le fait de pouvoir rentrer chez soi, retrouver ses origines, ses racines. Mais cela ne signifie pas « Ici c’était ma maison, t’es là, tu dégages, je rentre chez moi ». Pour les réfugiés, la solution ne peut être que par étapes et ne peut être décidée que par les Israéliens et les Palestiniens. Le droit international dit « deux États », mais la partie sur laquelle il faut faire pression, c’est Israël. Faisons-le.

« On ne peut pas fermer toutes les routes vers la paix et s’étonner du choix de la violence. »

La population israélienne, malgré ses traumatismes que je comprends et qui ont été ravivés le 7 octobre 2023, a vécu ces dix dernières années avec l’extension de l’occupation et de la colonisation, sans aucune conséquence pour elle. La plupart des Israéliens ne voyaient pas de Palestiniens, sauf quand ils faisaient leur service militaire dans les territoires occupés. La construction de colonies n’est pas seulement illégale, c’est un crime de guerre selon le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les Israéliens doivent payer un prix pour cette occupation. Les Français ont payé le prix de la colonisation. La France n’aurait jamais quitté l’Algérie s’il n’y avait pas eu un demi-million de soldats français mobilisés pour maintenir l’ordre. Si cette lutte, même dans sa dureté, n’avait pas été menée, les Algériens seraient toujours sous occupation. Si les Israéliens ne paient aucun prix pour une occupation qui s’éternise, ils ne se retireront jamais. Le « prix », ce sont des sanctions internationales, comme la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël. J’aime aussi l’idée que si les Palestiniens ne peuvent pas venir en France sans visa, il faut appliquer cette règle à « leurs voisins » qui vivent sur le même territoire, c’est-à-dire aux colons.

Que pensent les Palestiniens ?

Alain Gresh : Un des problèmes reste l’éclatement de la scène politique palestinienne. Le Fatah d’Arafat est divisé. Son dirigeant, Mahmoud Abbas, est considéré par la plupart des Palestiniens comme un collaborateur et l’Autorité palestinienne comme un instrument aux mains d’Israël. Le Hamas a acquis une popularité qu’il faut comprendre. Les études d’opinion à Gaza montrent que, du fait de sa gestion, il était impopulaire : les gens n’ont pas envie de vivre sous un État autoritaire, qui limite les libertés, celles des femmes en particulier, etc. En même temps, pour les Palestiniens, le 7-Octobre fut une opération politico-militaire qui a stoppé la normalisation entre le monde arabe et Israël et remis la question palestinienne à l’agenda mondial. On ne peut pas fermer toutes les routes vers la paix et s’étonner du choix de la violence.

Comment caractérisez-vous le Hamas ?

Alain Gresh : Est-ce une organisation terroriste ? Il n’existe pas d’organisation dont l’idéologie est le terrorisme, il y a des organisations et des États qui utilisent la violence contre les civils. C’est le cas d’Israël et du Hamas. Le Hamas est une organisation politique. Elle est traversée par des courants et elle fluctue selon les moments. Par exemple, il y a eu en 2022 un projet d’accord entre le Fatah et le Hamas, discuté depuis longtemps, dont l’une des clauses était le renoncement à toute opération sur le territoire israélien. S’ils avaient signé cela, il n’y aurait pas eu le 7-Octobre. Mais on sait désormais que Netanyahou a fait capoter ce projet, en jouant des divisions entre le Hamas et le Fatah. Le premier ministre israélien ne veut pas d’un interlocuteur palestinien avec qui il aurait l’obligation de négocier.

Est-ce que Marwan Barghouti, prisonnier depuis plus de 20 ans et que l’on présente comme le Mandela palestinien, représente un élément de la solution ?

Alain Gresh : Réellement, je ne sais pas. Je pense que oui. Les prisonniers palestiniens sont un des éléments de la solution. Il y a une société des prisonniers palestiniens avec une entente entre eux qui dépasse leurs divergences et leur appartenance à une organisation. À plusieurs reprises, ce sont eux qui ont proposé des textes qui pouvaient permettre un accord entre le Hamas et le Fatah. Et dans l’accord dont je parlais, le Hamas acceptait l’idée d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale. Donc je pense que cette communauté des prisonniers peut compter. Mais attention à ne pas fantasmer un sauveur. On n’en parle pas assez, mais la torture dans les prisons israéliennes est généralisée. Les prisonniers sont maintenus à l’isolement. Il y a eu des informations selon lesquelles Barghouti avait été maltraité, battu… Je ne sais pas quel est son état de santé, physique et mental, à l’heure actuelle.


 


 

Pourquoi il faut libérer le leader palestinien Marwan Barghouti emprisonné depuis 25 ans en Israël ?

Axel Nodinot sur www.humanite.fr

Membre du Conseil législatif palestinien, le dirigeant du Fatah attend depuis plus de vingt-deux ans sa libération, qui serait porteuse d’unité et de paix.

Vingt-deux ans, cinq mois et vingt-deux jours. Voilà bientôt un quart de siècle que Marwan Barghouti est transféré d’une geôle israélienne à l’autre, à Megiddo, entre Jénine et Haïfa, à Ofer, au sud de Ramallah, ou Ayalon, au sud de Tel-Aviv. Celui que l’on surnomme le « Mandela palestinien » a été enlevé le 15 avril 2002, lors de la seconde Intifada (2000-2005), et jugé lors d’un procès inique à cinq peines de prison à perpétuité pour « terrorisme ».

Malgré sa captivité, il a été réélu député au Conseil législatif depuis 1996, sous les couleurs jaune et noir du Fatah. Mais, au fond de sa cellule, cette figure de la politique palestinienne a enduré bien des sévices. Les gardiens font régulièrement subir à Marwan Barghouti, outre les longs mois qu’il passe à l’isolement, toutes sortes d’agression, comme à d’autres, parmi les quelque 9 000 détenus palestiniens en Israël. Ces derniers ne peuvent compter sur le droit international humanitaire, piétiné dans les prisons israéliennes comme il l’est à Gaza, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie.

Une cellule sans lit ni fenêtre, comme à l’isolement

En mars dernier, ses proches s’alarmaient : il avait été roué de coups, « à tel point qu’il avait le visage en sang », affirmait à l’Humanité Qadoura Fares, chef de la commission palestinienne pour les affaires des détenus et des ex-prisonniers. Son épaule a été déboîtée, et le monde sait que la vie peut lui être arrachée du jour au lendemain tant qu’il est derrière les barreaux.

À Ayalon, il serait détenu dans une cellule sans lit ni fenêtre, comme à l’isolement. En 2017, avec des centaines d’autres prisonniers, il lançait une grève de la faim pour améliorer les conditions de détention. Relayée par les ONG, cette initiative a permis des visites familiales plus nombreuses et un meilleur suivi médical.

Marwan Barghouti, même en prison, fait peur à Israël, qui s’est toujours refusé à l’échanger ou à le libérer. Ce natif de Kobar, au nord de Ramallah, demeure la figure qui pourrait rassembler le peuple de Palestine, et incarner une paix qui semble actuellement hors de portée.

Marwan Barghouti pourrait réanimer une Autorité palestinienne exsangue

En 2006, il était à l’origine du Document des prisonniers palestiniens, un texte politique qui prône l’unité du mouvement national palestinien et défend la solution à deux États dans les frontières de 1967. Le Document a conduit à des discussions entre le Fatah et le Hamas, mais aussi entre les Palestiniens et Israéliens, lesquels ont rejeté la proposition.

Marwan Barghouti pourrait réanimer une Autorité palestinienne exsangue et discréditée aux yeux des siens. C’est pourquoi ce leader résiste, même après plus de deux décennies d’incarcération. Son courage est porté par le soutien et l’espoir d’un peuple entier, et par le combat de son épouse, Fadwa Barghouti, qui ne cesse d’alerter, partout dans le monde, sur le sort de son mari.

Sa libération pourrait bouleverser le Proche-Orient et offrir enfin une issue à la folie meurtrière que ses peuples subissent aujourd’hui. En 2015, dans une lettre envoyée à l’Humanité depuis la cellule 28 de la prison de Hadarim, il écrivait : « Le dernier jour de l’occupation sera le premier jour de paix. »

 

  mise en ligne le 7 octobre 2024

Un an après le 7 octobre : « Les autorités israéliennes imposent une terreur afin de forcer les Palestiniens au départ », analyse Dominique Vidal

Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

Coauteur de « Palestine-Israël. Une histoire visuelle », Dominique Vidal analyse les conséquences du 7 octobre et revient sur le terrorisme d’État mené par le gouvernement israélien d’extrême droite depuis des années.Dominique Vidal est historien et journaliste, spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient.


 

Quels enseignements tirez-vous de l’année écoulée depuis le 7 octobre 2023 ?

Dominique Vidal : La surprise générale m’étonne encore. Évidemment que l’on ne pouvait pas prévoir le 7 octobre, ni la suite. Mais cette riposte disproportionnée du gouvernement israélien relève d’une politique inscrite dans ce que représentent Benyamin Netanyahou et l’extrême droite. Le premier ministre israélien n’est aucunement l’otage de ses alliés gouvernementaux : le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Vingt ans auparavant, la pensée de Netanyahou avait déjà été analysée. Elle provient de son père, professeur d’histoire juive, Ben-Zion Netanyahou, l’un des hommes les plus engagés dans l’extrême droite israélienne.

Il a été, dans les années 1930, le secrétaire particulier de Vladimir Jabotinsky, fondateur du courant sioniste le plus réactionnaire, dit « révisionniste ». À tel point qu’en 1962, Ben-Zion Netanyahou décida de fuir le « socialisme » israélien en s’exilant aux États-Unis. Ses fils ont été élevés dans les idées de Jabotinsky, dont la pensée est présentée dans le texte de 1923 « la Muraille de fer », où il appelle à écraser les Arabes pour pouvoir ensuite faire un accord de bonne foi avec eux. Cette idéologie est reprise désormais par l’ensemble de la classe politique, à la seule exception des partis dits « arabes » et du Parti communiste israélien.

Depuis les États-Unis, Benyamin Netanyahou a retenu de l’histoire d’Israël que la seule chose qui compte, c’est la force. La génération suivante, avec son fils Yaïr, est aussi révélatrice. Cet ultranationaliste, qui se trouve depuis un an en Floride, a servi de figure pour la campagne du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), en 2020, sur une affiche qui prône une Europe chrétienne.

Indiscutablement, l’action du Hamas le 7 octobre est une opération terroriste car elle a visé en majorité des civils. On a eu 1 200 morts environ et 250 otages. Cela ne veut pas dire pour autant que le Hamas se résume à un mouvement terroriste. Netanyahou et son gouvernement ont mené également avec la « riposte » une campagne terroriste. Nous n’avons jamais connu un nombre de morts aussi élevé dans l’histoire des conflits du Proche-Orient. Lorsqu’on évoque les guerres d’Israël, elles faisaient en moyenne entre 3 000 et 10 000 morts : 3 000 du côté israélien et 10 000 du côté arabe. L’essentiel étant des soldats.

Enfin, le 7 octobre, c’est une forme de résistance palestinienne qui n’a pas trouvé de manière politique de s’exprimer. Après soixante-quinze ans de domination israélienne, de guerres, de terres spoliées, d’oliviers arrachés, de jeunes tués, elle a choisi la violence, y compris les actions terroristes. Ce n’est pas nouveau. Le Hamas avait perpétré l’essentiel des attentats kamikazes en Israël au moment de la seconde Intifada.

Vous avez qualifié de terrorisme les actions du gouvernement israélien. Mais des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ont eu lieu et la justice internationale a évoqué le risque de crime de génocide. Qu’en pensez-vous ?

Dominique Vidal : Après quarante ans de travail sur le Proche-Orient, il s’agit de la pire période que j’ai connue. Depuis un an, Benyamin Netanyahou a tué, détruit et se met à en faire de même au Liban. À l’ONU, on évoque plus de 100 000 morts sur une population de 2,3 millions de personnes. Une proportion inouïe. Le bilan de 40 000 donné par le ministère de la Santé du Hamas prend en compte les morts identifiés. Or, il y a évidemment des milliers de cadavres sous les gravats, sachant que 70 % des infrastructures ont été détruites.

C’est pour cela que j’utilise le terme « terroriste ». Les autorités israéliennes imposent une terreur afin de forcer les Palestiniens au départ : une nouvelle Nakba. Yoav Gallant a parlé, dès le début de l’opération militaire à Gaza, d’une « guerre contre des animaux humains » et expliqué clairement qu’il fallait les priver d’électricité, d’eau, de nourriture, de médicaments. Netanyahou mène une guerre contre un mouvement dont la naissance et le développement ont été instrumentalisés politiquement par la droite israélienne, surtout en laissant le Qatar apporter des sommes considérables.

À Gaza comme en Cisjordanie, le gouvernement israélien veut-il faire disparaître tout État palestinien ?

Dominique Vidal : Le but est, d’une manière ou d’une autre, de pouvoir expulser un grand nombre de Palestiniens, notamment de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, avec un système d’annexion. Jusque-là, l’extrême droite israélienne parlait de colonisation. Depuis Donald Trump, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem et les accords d’Abraham, le ministre Bezalel Smotrich multiplie les décisions qui vont au-delà avec des mesures préparant une véritable annexion de la Cisjordanie. À Gaza, il faudra des années pour reconstruire quelque chose. Le second objectif du gouvernement est d’imposer l’hégémonie d’Israël dans toute la région mais sans occupation physique. Le Liban rentre dans cette logique.

C’est la première fois dans l’histoire qu’un État qui possède une armée extrêmement puissante mène une guerre sans objectifs affichés. Pourtant, Israël a une pratique de négociation avec le Hamas. En 2011, le soldat franco-israélien Gilad Shalit avait été échangé contre un millier de prisonniers palestiniens. Cette fois-ci, Netanyahou semble prêt à laisser mourir les otages. D’où sa difficulté à gérer leurs familles, dont le mouvement réclame l’arrêt de la guerre pour pouvoir négocier leur libération.

Au niveau international, quel impact a eu la guerre à Gaza ?

Dominique Vidal : L’effet indiscutable, c’est l’isolement d’Israël, qui a atteint des proportions jamais connues. En Afrique, la représentante d’Israël a été évincée du sommet de l’Union africaine. En Amérique latine, il y a eu toute une série de mesures, de sanctions, voire de ruptures des relations. En Europe, sur la question de la reconnaissance, un certain nombre de pays ont franchi le pas.

Dans le monde arabe, le processus de normalisation avec Israël a été freiné. Les opinions y sont clairement hostiles désormais. La guerre a pris une telle proportion qu’aucun dirigeant saoudien ne peut plus signer les accords d’Abraham sans une perspective d’État pour les Palestiniens.

Ce qui se produit ringardise notre grille de lecture traditionnelle du monde et du Proche-Orient en particulier. Il faut la revoir complètement. Les puissances régionales ont une position géopolitique qui ne ressemble en rien à ce qui était celle de l’ancien « tiers-monde » ou des « non-alignés ». Certes, on retrouve aujourd’hui nombre de mêmes pays mais leur politique n’a rien de comparable avec le projet de Bandung.

A-t-elle servi au Sud global afin d’assumer sa place ?

Le plus insupportable, ce sont les deux poids deux mesures, qui servent à maintenir une forme de gestion du monde par les États-Unis et leurs alliés, mais face à une partie du Sud. De l’Ukraine au Sahel, ce qui est frappant, c’est qu’une majorité d’habitants du monde, via les représentations étatiques, ont condamné l’invasion russe de l’Ukraine mais aussi refusé de prendre à leur compte les sanctions décidées par les Occidentaux. De même, Washington n’a pas appliqué une quelconque sanction contre Israël.

Depuis des années, l’Assemblée générale des Nations unies vote sur une résolution prônant « le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à un État », presque dans les mêmes termes. Seuls quatre pays l’ont refusée lors du dernier vote : les États-Unis, la Micronésie, les îles Marshall et Nauru. L’objectif, le seul possible, c’est évidemment l’égalité des droits de tous ceux qui vivent sur cette terre. Après, ils choisiront la forme institutionnelle qui permet la coexistence de deux États. Le plus urgent est un cessez-le-feu.


 


 

« Les accusations contre l’UNRWA visent à délégitimer la mémoire des réfugiés palestiniens », dénonce Tamara Alrifai

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

Israël cible depuis des décennies l’Office pour les réfugiés palestiniens des Nations unies (UNRWA). Des attaques qui se sont amplifiées depuis le 7 octobre. Sa porte-parole, Tamara Alrifai, dénonce la mort de 223 employés de l’agence onusienne qui assuraient l’aide humanitaire à Gaza.

Depuis le lancement des bombardements israéliens contre les habitants de la bande de Gaza, le 8 octobre 2023 et les opérations militaires, l’UNRWA s’est transformée à 100 % en agence humanitaire ; 1,9 million des 2,2 millions de Gazaouis ont été déplacés, rappelle Tamara Alrifai ; elle est Directrice des relations extérieures et de la communication de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA). L’agence s’occupe de trouver des abris, distribuer de la nourriture et fournir de l’eau à Gaza et au Liban.

L’UNRWA est-elle encore en mesure de jouer son rôle ?

Tamara Alrifai : Nous sommes la plus grande agence des Nations unies à Gaza. Et à toutes les guerres, nous devenons le plus gros opérateur humanitaire d’urgence. Cette fois-ci, nous avons tout de suite transformé nos écoles et bâtiments en lieux sécurisés, même si certains ont subi des attaques. 

Cette guerre a déplacé 1,9 million des 2,2 millions de Gazaouis. Pour la plupart d’entre eux, ils cherchent un refuge dans les écoles de l’UNRWA ou s’installent autour, dans des tentes. Nous leur avons fourni de l’eau, de la farine, de l’aide alimentaire, mais aussi des services de santé primaires.

Nous avons continué à travailler, au prix d’un bilan humain très élevé. Nous avons perdu 223 employés et nous avons subi 200 incidents de sécurité sur nos locaux : des abris, des centres de santé ont été endommagés. Près de 560 personnes ont été tuées à l’intérieur de nos abris.

Vos bâtiments ont donc été touchés ?

Tamara Alrifai : Soixante-trois pour cent de tous les immeubles de Gaza ont été détruits ou endommagés, selon le Centre satellitaire des Nations Unies. Plus de 70 % des écoles de l’UNRWA ont été endommagées.

Êtes-vous alerté des opérations militaires ?

Tamara Alrifai : Nous partageons tous les jours nos localisations avec les parties en conflit pour protéger nos bâtiments. Nous les informons également de nos trajets pour acheminer la farine, l’eau et le matériel médical. Nous avons dix centres de santé primaires qui fonctionnent et nous avons 100 équipes médicales qui font le tour des abris.

Tous les jours, l’armée israélienne publie des notices d’évacuation, que nous appelons des notices de déplacement forcé. Des plans ordonnent d’évacuer tel ou tel quartier ; 91 % du territoire de Gaza – l’un des plus densément peuplés au monde – ont subi des ordres de déplacements forcés. Malgré ces notifications, les gens ne savent pas où aller. Et des bombardements ont touché des quartiers pourtant déclarés sécurisés par Israël.

Y a-t-il des dégâts dans les camps de réfugiés au Liban ?

Tamara Alrifai : Nous gérions avant le conflit trois camps au Liban du Sud, où résidaient 20 000 personnes. Nous avons ouvert des abris dans dix de nos camps. Nous y avons reçu 3 500 personnes.

Certains de vos employés ont été accusés, en janvier, par Israël, d’avoir joué un rôle dans les attentats du 7 octobre. Une enquête a pourtant montré que l’agence avait un « cadre solide » pour s’assurer de la neutralité de son action. Les financements suspendus à la suite de ces accusations sans preuve ont-ils été rétablis ?

Tamara Alrifai : Des seize gouvernements qui avaient suspendu leur financement, quinze les ont rétablis. Les États-Unis, non. Nous avons vu une augmentation des financements de certains États, et nous avons de nouveaux financements venant d’États qui ne sont pas des financeurs habituels.

Nous avons de nouveaux financements privés. Mais, même avec les augmentations d’autres gouvernements et les donations privées, nous n’avons pas comblé le vide laissé par les États-Unis, qui étaient notre plus gros donateur.

Depuis des années, l’UNRWA fait face à des allégations politisées. Elles visent à délégitimer une agence onusienne qui représente la mémoire collective des réfugiés palestiniens. Aujourd’hui, les 5,9 millions de personnes enregistrées auprès de l’UNRWA sont les descendants des 750 000 personnes qui ont dû partir de chez elles entre 1946 et 1948. Nous prenons ces allégations au sérieux. Dans le cadre de ce conflit polarisant, nous nous devons d’être le plus neutre et transparent possible.

Le secrétaire de l’UNRWA a missionné une enquête conduite par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, et menée par trois centres de recherche. Ses résultats ont montré que l’UNRWA avait déjà des systèmes solides pour garantir la neutralité de son personnel.

Elle a émis 50 recommandations que nous mettons en œuvre pour nous assurer que le personnel de l’UNRWA reste neutre à tout moment. L’enquête demandée par le secrétaire général portait sur 19 noms qui, selon Israël, auraient été impliqués dans les horribles attaques du 7 octobre. Aucun de ces noms n’a été retenu à 100 % comme étant impliqué dans les attaques.

Selon Israël, le maintien du statut de réfugié palestinien empêcherait l’intégration dans les pays d’accueil. Qu’en pensez-vous ?

Tamara Alrifai : La définition du réfugié palestinien et le droit au retour sont inclus dans des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. Décider de la définition et du futur des réfugiés palestiniens n’est pas du ressort de l’UNRWA. L’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution sur le droit des réfugiés palestiniens à des services de base que fournit l’UNRWA.

On ne peut confondre le statut de réfugié palestinien, le droit au retour et les services que l’UNRWA est tenue de fournir en l’absence de solution politique. Nous parlons ici d’une population de réfugiés palestiniens dans les territoires palestiniens occupés – Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza –, mais aussi en Syrie, au Liban et en Jordanie.

Il faut donc une solution politique qui couvre les 5,9 millions de réfugiés. Tant qu’il n’y a pas d’accord sur le sort de ces derniers, tous les trois ans, l’Assemblée générale de l’ONU prolonge le mandat de l’UNRWA. Mais nous ne recevons jamais le budget suffisant. La situation est plus dramatique encore avec la guerre à Gaza et au Liban. Pour finir l’année, nous en appelons à l’augmentation des contributions des États membres votant pour notre mandat.

Quelles conséquences concrètes aurait une disparition de l’UNRWA ?

Tamara Alrifai : Il faudrait une décision de l’Assemblée générale de l’ONU. Et en l’absence d’une solution politique, il faudrait définir quel est le statut des réfugiés palestiniens, s’ils ne sont plus représentés par l’UNRWA. Concrètement, dans quelles écoles, dans quels centres de services primaires iraient-ils ?

Tout réfugié a droit à des services de base, à l’éducation, à la santé. Il faudrait trouver une autre solution que l’UNRWA. Tant que nous receverons un vote de confiance de l’Assemblée générale des Nations unies, nous continuerons à fournir ces services, à représenter les réfugiés palestiniens et à défendre leurs droits.

 

  mise en ligne le 7 octobre 2024

Guerre au Proche-Orient : la Cour pénale internationale sous haute pression

Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr

Les juges de la CPI n’ont toujours pas statué sur les mandats d’arrêt requis par le procureur Karim Khan contre les dirigeants israéliens il y a plus de quatre mois. Un délai inhabituel, qui s’explique par les pressions, manœuvres et requêtes multiples exercées contre la Cour et ses décisions.

Julian Fernandez est un fin connaisseur des rouages de la Cour pénale internationale (CPI), étant l’un des neuf experts à siéger au sein de la Commission consultative pour l’examen des candidatures au poste de juge. Professeur à l’université Panthéon-Assas, à Paris, il prédisait le 22 mai dans Mediapart que la délivrance – ou non – de mandats d’arrêt contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, son ministre de la défense, Yoav Gallant, ainsi que trois leaders du Hamas, Yahya Sinouar, Ismaël Haniyeh et Mohammed Deif, surviendrait « dans un délai de trois à six semaines ». 

Plus de quatre mois après, les juges de la chambre préliminaire de la CPI n’ont toujours pas statué. Malgré l’insistance du procureur Karim Khan, à l’origine de la requête, déposée le 20 mai, qui les presse de faire le nécessaire, car « tout retard injustifié dans ces procédures porte atteinte aux droits des victimes »

Entre-temps, deux des cinq mis en cause par Karim Khan pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont morts, assassinés par l’armée israélienne : Mohammed Deif, le chef militaire du Hamas, a été tué le 13 juillet lors d’un bombardement dans le sud de Gaza, et Ismaël Haniyeh, le chef politique du Hamas, a été tué le 31 juillet à Téhéran (Iran), où il s’était rendu pour assister à la cérémonie d’investiture du président Massoud Pezechkian. La guerre continue de faire rage et s’étend désormais au Liban. Plus de 41 000 personnes sont mortes à Gaza, des centaines au Liban, à chaque fois majoritairement des civils.

« Dépasser la limite des quatre mois crée un précédent extrêmement dangereux, s’alarme l’avocat en droit international Johann Soufi. Le mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine avait pris trois semaines au maximum. Il est impossible que les juges ne délivrent pas les mandats d’arrêt, ou alors ce serait la fin de la CPI, la fin de la justice internationale. » 

Début août, l’Association des juristes pour le respect du droit international (Jurdi), dont sont membres Johann Soufi et Julian Fernandez, associée à la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), a déposé devant la CPI un mémoire réaffirmant « l’urgence absolue, pour la chambre préliminaire, de délivrer les mandats d’arrêt conformément à la demande du procureur, compte tenu de la gravité des crimes encore en cours à Gaza et ailleurs ainsi que du risque de génocide constaté par la Cour internationale de justice (CIJ) ».

Première défense officielle d’Israël

Comment expliquer que les trois juges de la CPI, la Roumaine Iulia Motoc, le Français Nicolas Guillou et la Béninoise Reine Alapani-Gansou, n’aient toujours pas tranché, alors que la justice internationale est accusée de double standard, à un moment crucial de l’histoire, que la CPI est vue comme « une institution partiale ou partielle, qui ne s’intéresserait qu’aux situations ne heurtant pas directement les intérêts des Occidentaux », pour reprendre les mots de Julian Fernandez ? 

C’est que, sans surprise, les pressions et les manœuvres sont multiples pour empêcher la CPI, qui siège à La Haye (Pays-Bas), d’émettre des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens. 

Vendredi 20 septembre, une semaine avant le déplacement du premier ministre israélien à New York, à l’Assemblée générale des Nations unies (où il a prononcé un discours critiquant la CPI), l’État d’Israël a présenté pour la première fois une contestation officielle devant les juges.

Au travers de deux mémoires, pour l’heure restés confidentiels, l’État hébreu qui, contrairement à l’Autorité palestinienne, ne reconnaît pas la CPI (le pays a signé mais pas ratifié le traité de Rome de 1998, fondateur de l’instance), remet en cause la compétence juridictionnelle de la Cour ainsi que la légalité de la requête du procureur.

Pour les autorités israéliennes, la CPI est incompétente « en ne donnant pas à Israël la possibilité d’exercer son droit d’enquêter lui-même sur les allégations ». « Aucune autre démocratie dotée d’un système juridique indépendant et respecté comme celui qui existe en Israël n’a été traitée de cette manière préjudiciable par le procureur », a dénoncé Oren Marmorstein, porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères. Avant de s’appuyer sur la « multitude d’États de premier plan, d’organisations et d’experts de par le monde » qui « partagent les positions présentées par Israël ».

Contestation de la compétence de la Cour

Tout au long de l’été, Israël a pu compter sur les manœuvres de pays alliés et de moult organisations, ONG, think tanks, du Royaume-Uni à l’Argentine, en passant par le sénateur américain Lindsey Graham, l’Association du barreau israélien, l’Association internationale des avocats et juristes juifs, etc., pour empêcher la délivrance de mandats d’arrêt et retarder considérablement la décision des juges. 

L’un des premiers à ouvrir le bal fut le Royaume-Uni, le 10 juin. Reprenant l’argument du gouvernement israélien, de l’Allemagne et d’autres amici curiae, « amis de la cour », autorisés à déposer des observations juridiques, il a contesté la compétence de la Cour pour émettre des mandats d’arrêt contre des ressortissants israéliens, car l’Autorité palestinienne aurait renoncé à ce pouvoir au moment de la signature des accords d’Oslo II, en septembre 1995.

Le 26 juillet, après l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste, le Royaume-Uni a finalement déclaré ne plus vouloir soumettre d’observations à la Cour. Qu’importe, il avait ouvert les vannes. Quatre jours plus tôt, le 22 juillet, plus d’une soixantaine d’États, organisations, individus, avaient ainsi été autorisés par les juges de la chambre préliminaire I de la CPI à soumettre leurs mémoires sur le sujet, pour et contre toute action ultérieure. Un processus jamais vu en vingt-deux ans d’existence de la CPI, à un stade aussi précoce de la procédure et alors que les juges décident normalement seuls. 

L’association Jurdi et la FIDH ont saisi l’occasion pour rendre leur implacable mémoire, dénonçant « un abus de procédure » dans la démarche britannique, « entravant la bonne administration de la justice »

Les deux organisations démontent, point par point, les arguments sur l’incompétence de la Cour et alertent : « Si la CPI, comme les autres juridictions internationales, n’avait aucune compétence propre et n’exerçait sa compétence que lorsque celle-ci était expressément ou implicitement déléguée par les États, sa capacité à remplir son mandat serait compromise. Une telle interprétation du Statut de Rome priverait la Cour de toute efficacité et légitimité. » 

« La “théorie de la délégation” suppose en effet une symétrie entre la compétence de la Cour et celle des juridictions nationales, poursuivent Jurdi et la FIDH. Non seulement cette conception contredit les dispositions du Statut – qui permettent par exemple à la Cour de poursuivre les ressortissants d’États non parties et les chefs d’État ou de gouvernement – mais elle va aussi à l’encontre de la pratique de la Cour. En effet, celle-ci a, à plusieurs reprises, délivré des mandats d’arrêt contre des ressortissants d’États non parties au Statut de Rome, y compris contre des personnes bénéficiant d’une immunité, ou pour des crimes qui n’existaient pas dans l’ordre juridique interne des États concernés. »

Une Cour rodée aux pressions

Ce n’est pas la première fois que la CPI se retrouve sous le feu des pressions. Elle est même rodée. En 2020, en représailles aux investigations ouvertes sur des crimes de guerre commis par l’armée des États-Unis en Afghanistan, l’administration Trump avait imposé des sanctions économiques et des restrictions de voyage à de hauts fonctionnaires de la CPI. 

En mai, peu avant de déposer sa requête et de la rendre publique pour mieux se protéger, le procureur Karim Khan, rompu à titre personnel aux menaces de toutes parts (Moscou avait notamment ouvert, en mars 2023, une enquête contre lui pour « attaque contre le représentant d’un État étranger »), avait dénoncé « toutes les tentatives visant à entraver, à intimider ou à influencer » les employé·es de son bureau. Dans un communiqué, il avait rappelé que ces entraves pouvaient « constituer une infraction contre l’administration de la justice » et que « l’intimidation et le trafic d’influence, que ce soit par la contrainte ou la persuasion », étaient interdits.

Il visait implicitement Benyamin Nétanyahou et ses alliés, États-Unis en tête, qui n’ont pas caché leur hostilité dès l’annonce de la décision de requérir des mandats d’arrêt. Le président américain Joe Biden l’a jugé « scandaleuse », assurant qu’il n’y avait pas d’équivalence entre Israël et le Hamas. Son secrétaire d’État, Antony Blinken, a dénoncé « une honte », ajoutant par ailleurs que la CPI n’avait « pas de juridiction » sur Israël. 

La CPI n’en est pas à ses premières pressions dans le dossier israélo-palestinien. Quelques jours après l’annonce de Khan, une enquête du quotidien britannique The Guardian, du média indépendant israélo-palestinien +972 Magazine et de Local Call, publiée le mardi 28 mai, révélait l’ampleur des pressions exercées pendant près d’une décennie par Yossi Cohen, directeur des services de renseignement israéliens (Mossad), sur la prédécesseure de Karim Khan, l’ancienne procureure de la CPI Fatou Bensouda, en poste de 2012 à 2021. Des accusations réfutées par Israël.

Par tous les moyens (surveillance, piratage, diffamation, menaces, etc.), il s’agissait de contraindre la procureure à cesser toute poursuite pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre Israël dans les territoires palestiniens. La procureure enquêtait depuis 2021. Comme Karim Khan, Fatou Bensouda ne s’est pas laissé intimider. Malgré le coût quotidien au fil des neuf années.

Selon des témoignages partagés avec un petit groupe de collaborateurs de la CPI, Yossi Cohen, qui aurait agi en « messager non officiel » de Benyamin Nétanyahou, aurait dit à Fatou Bensouda : « Vous devriez nous aider et nous laisser prendre soin de vous. Vous ne voulez pas vous lancer dans des activités qui pourraient compromettre votre sécurité ou celle de votre famille. »

Dans cette guerre secrète, désormais connue du monde entier, les services secrets israéliens seraient allés jusqu’à surveiller de près la famille de Fatou Bensouda, obtenant des transcriptions d’enregistrements secrets de son mari dans le but de lui nuire. L’une des sources de l’enquête a assuré qu’il n’y avait aucune hésitation en interne à espionner l’avocate gambienne : « Elle est noire et africaine, alors qui s’en soucie ? »


 


 

Guerre à Gaza : la Cour pénale internationale, une institution sous pression

Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr

Chargée de juger les auteurs de crimes internationaux, la Cour pénale internationale s’est saisie en particulier des cas de Benyamin Netanyahou et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant. Elle pourrait délivrer contre eux des mandats d’arrêt.

Les spécialistes du droit international sont unanimes : avec Gaza, la Cour pénale internationale (CPI) ne joue pas seulement sa crédibilité, elle joue sa survie. « La Palestine est un cas test », résume François Dubuisson, enseignant de droit international à l’université libre de Bruxelles.

« Si la Cour échoue à poursuivre équitablement les criminels, quels qu’ils soient, alors sa légitimité même (pourrait) être remise en question », estime Triestino Mariniello, professeur de droit à l’université John Moores de Liverpool, rappelant le procès en « deux poids deux mesures » dont fait l’objet l’institution. « L’invasion de l’Ukraine a valu un mandat d’arrêt à Vladimir Poutine, salué par l’Occident, rappelle-t-il. À Gaza, les auteurs de crimes doivent, eux aussi, être poursuivis. »

Chaque année des menaces

Quinze années que les autorités palestiniennes frappent à la porte de cette institution judiciaire, créée en 2002 à La Haye pour juger les auteurs de crimes internationaux (génocide, crimes de guerre, etc.), et dont ni les États-Unis, ni la Russie, ni Israël ne sont membres.

Quinze années pendant lesquelles, à mesure que s’étendait la colonisation israélienne, la légitimité de la Palestine s’accroissait jusqu’à être considérée, en 2015, comme État partie. À chaque avancée, des menaces. « Il faut un certain courage aux membres de la Cour pour faire face aux intimidations », estime François Dubuisson.

Dernière étape, peut-être la plus cruciale : en mai 2024, le procureur Karim Khan demande à la chambre de l’instruction de délivrer des mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, de son ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que de trois dirigeants du Hamas (deux ont été tuésdepuis dans des bombardements israéliens). Immédiatement, les accusations d’antisémitisme fusent.

Douze sénateurs américains menacent le procureur et ses proches de représailles. Le financement de la Cour est remis en question. Pour la première fois dans son histoire, cette dernière décide de rendre publiques ces pressions. Depuis, c’est sur le terrain juridique que se recentre le débat.

Gagner du temps ?

Royaume-Uni, Allemagne, République tchèque… aidés par des armées de juristes, plusieurs alliés d’Israël contestent par écrit la légitimité de la Cour. L’État israélien serait seul compétent pour enquêter sur ses dirigeants, avancent les uns. La justice israélienne est équitable, allèguent les autres. « Rien de tout cela n’est sérieux, rétorque François Dubuisson. Le seul objectif de ces démarches est de gagner du temps. »

Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense seront-ils, un jour, jugés à La Haye ? « S’ils sont visés par un mandat d’arrêt, ils peuvent échapper à l’interpellation en évitant les États membres de la CPI », explique François Dubuisson. Ces poursuites constitueraient néanmoins une gêne considérable. « Difficile, pour l’Occident, de continuer à considérer de tels accusés comme des alliés. » Le temps presse. Chaque jour, de nouvelles bombes, de nouveaux morts. « Attention, avertit Triestino Mariniello, une justice trop tardive est une non-justice. »


 


 

Comment la Cour internationale de justice s’est portée au secours du peuple palestinien

Elisabeth Fleury sur www.humanite.fr

Le 19 juillet, dans un avis historique, la Cour internationale de justice (CIJ) condamne l’occupation du territoire palestinien, somme Israël de s’en retirer « dans les plus brefs délais » et ordonne « à tous les États » d’œuvrer en ce sens. Depuis, les bombardements se sont intensifiés.

Pendant qu’Israël répliquait à l’attaque du 7 octobre par un déluge de feu, les magistrats de la Cour internationale de justice (CIJ) réfléchissaient à un problème épineux, posé un an plus tôt par l’Assemblée générale de l’ONU : « Les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Une question cruciale et inédite.

Pour la première fois, le principal organe judiciaire des Nations unies allait examiner l’occupation israélienne sur la durée, depuis ses origines en 1967. Dans le contexte des bombardements massifs sur Gaza, l’avis de la cour, même consultatif, était plus qu’attendu. D’où une certaine fébrilité à l’approche des audiences publiques.

Du 19 au 26 février 2024, coiffée de perruque et vêtue de robe herminée, la fine fleur des juristes internationaux défile face aux 15 juges austères de la cour, siégeant à La Haye. À la barre, partisans et détracteurs de la politique hégémonique d’Israël s’affrontent. Sans recours à la force. Dans un langage policé. Et le respect des usages. Au nom de concepts universels : souveraineté des États, d’un côté ; droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de l’autre.

300 pages de condamnation sans appel de l’occupation du territoire palestinien et de la politique de colonisation d’Israël

L’avis de la CIJ, rendu le 19 juillet 2024, tranche clairement en faveur de ce dernier. Sur presque 300 pages, c’est une condamnation sans appel de l’occupation du territoire palestinien et de la politique de colonisation d’Israël. « Cet avis est un tournant, estime Rafaëlle Maison, professeure de droit à l’université Paris Sud. Il ne condamne pas les pratiques de l’occupation, mais l’occupation elle-même. »

S’analysant comme une annexion, l’occupation est contraire à un principe fondamental, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle est donc illicite « en soi », affirme la CIJ. Conséquence logique : Israël doit y mettre fin « dans les plus brefs délais », doit « cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation » et a « l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées », indiquent les juges. Leurs injonctions vont bien au-delà d’Israël. « Elles s’adressent à tous les États », rappelle Rafaëlle Maison.

Ces derniers, sommés de « ne pas reconnaître comme licite » l’occupation d’Israël, ont notamment l’obligation de « ne pas entretenir, en ce qui concerne le territoire palestinien occupé ou des parties de celui-ci, de relations économiques ou commerciales avec Israël qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire ». Pour Rafaëlle Maison, pas de doute, « cela peut évidemment s’appliquer aux ventes d’armes ».

Le 13 septembre, à l’issue d’une session extraordinaire d’urgence, l’Assemblée générale des Nations unies a détaillé les modalités de mise en œuvre de cet avis historique. Sa résolution impose le retrait d’Israël du territoire palestinien, « y compris l’espace aérien et l’espace maritime » et oblige « tous les États » à œuvrer en ce sens. Elle fixe un délai : douze mois. Depuis, la campagne de bombardements intensifs s’est étendue dans le Liban du Sud.

  mise en ligne le 4 octobre 2024

Cisjordanie :
à Al-Mughayyir,
les attaques incessantes des colons

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Ce village de Cisjordanie a été pris d’assaut par 400 colons, en avril. Un jeune Palestinien a été tué. Depuis, quasiment chaque jour, une descente violente des occupants israéliens empêche les Palestiniens d’accéder à leurs champs.

Bonnet vissé sur la tête, la barbe frémissante sous le vent qui balaie les collines de la Cisjordanie, Fayez Abou Alia, d’un geste de la main, montre les magnifiques oliviers alignés dans la vallée, en contrebas. Un vert changeant au gré des feuilles qui donne au paysage des airs de tableau impressionniste. Mais ici, point de chevalet. Nous sommes dans le village d’Al-Mughayyir, à 25 kilomètres à l’est de Ramallah par la route « normale » – si tant est que ce mot a encore un sens dans cette région…

Un itinéraire essentiel pour les habitants, qui peuvent ainsi se rendre rapidement dans la grande ville pour des formalités administratives ou des consultations médicales. Une route vitale, en somme, que la puissance israélienne occupante coupe régulièrement. Un moyen supplémentaire de mettre la pression sur les Palestiniens, de leur gâcher leur quotidien.

Au lieu de la demi-heure habituelle, il nous aura ainsi fallu près d’une heure trente pour arriver à Al-Mughayyir en passant par des routes étroites aux bas-côtés mal assurés et truffés de nids-de-poule.

Un village encerclé par les colonies israéliennes

Le village est situé dans une zone montagneuse surplombant la vallée du Jourdain. Ce qui en fait une cible de choix pour les colonies israéliennes environnantes, notamment celle de Shilo, qui l’encerclent presque totalement. La manœuvre est en cours.

C’est ce que nous montre Fayez Abou Alia, solidement appuyé sur sa canne, conséquence d’une blessure datant de la première Intifada (1987-1993), alors qu’il n’avait pas 14 ans. Il anime la branche locale de l’Union des comités agricoles. Une association qui aide les paysans en leur fournissant du matériel mais qui documente également la violence des colons, notamment les destructions et les vols de bétail.

Les autorités israéliennes multiplient les interventions pour empêcher les Palestiniens de rendre publiques ces exactions. Un jeune villageois qui participait à ce travail de révélations s’est retrouvé vingt-sept mois en détention administrative. Fayez, lui, a reçu des menaces par téléphone d’un officier du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien.

Une vie dans la peur permanente

« Vous voyez le mirador ? demande-t-il en pointant du doigt la colline en face, dès que nous essayons de descendre pour nous occuper des oliviers, l’armée est prévenue et arrive aussitôt pour nous en empêcher. Lorsqu’on parvient à accéder à l’oliveraie, on ne peut rester au mieux que 10 minutes. »

En réalité, Al-Mughayyir est un village assiégé. Le mot n’est pas trop fort. Les 4 500 habitants vivent dans la peur permanente. Nous voici dans la maison d’Afif Abou Alia surnommé Abou Jihad, dont le fils Jihad est mort le 12 avril dernier, comme le rappelle une large banderole tendue sur la façade de la bâtisse.

« C’était un vendredi, se souvient-il comme si c’était hier. Alors que nous étions tous à la mosquée, environ 400 colons ont attaqué le village. » La veille, un jeune d’une colonie avait été retrouvé mort dans un ravin avec son âne. Immédiatement, sans preuve, les Israéliens ont accusé les paysans palestiniens et organisé une marche punitive.

« Personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde »

« Ils se sont regroupés plus bas, il y avait des voitures et même des bus. Ils étaient comme des fous. Certains brandissaient des couteaux. Ils ont même poignardé des moutons », raconte Fayez. Devant la résistance des villageois, les colons s’en sont pris à deux habitations isolées, ont mis le feu à des voitures et tout ce qui pouvait brûler.

Les pompiers, arrivés de Taybeh, ont été bloqués par les soldats. « Deux colons ont tiré. Jihad a été touché. Il est mort. Il devait se marier au mois de septembre », précise le père en tirant nerveusement sur sa cigarette. Les yeux d’Abou Jihad sont secs. Son chagrin, il le partage avec sa famille et ses proches.

« Nous devons nous défendre. Ce qui fait le plus mal, c’est ce sentiment d’abandon, cette impression que personne ne fait rien pour nous protéger, ni les pays arabes, ni le reste du monde. C’est pour ça que, lorsqu’on a vu les missiles iraniens dans le ciel, nous avons tous crié de joie et les youyous des femmes ont retenti. Quelqu’un, enfin, s’intéressait à nous. »

« Le colon est à la fois le juge et l’assassin »

Lorsque vous lui demandez, naïvement, s’il a tenté une action en justice après la mort de son fils, Abou Jihad vous regarde comme s’il essayait de discerner si votre question est vraiment sérieuse.

Un peu agacé, il répond : « Ça ne sert à rien. Le colon est à la fois le juge et l’assassin. Les colons et les militaires sont les mêmes. Porter plainte, c’est se mettre dans le collimateur des soldats et des services de renseignements israéliens. C’est se mettre en danger. C’est se trouver menacé, voire arrêté. »

Ayham Abou Nuaim, qui pratique l’élevage, cultive du blé et du houblon pour les animaux, en sait quelque chose. Depuis le 7 octobre 2023, il n’a plus accès à sa terre. « Je suis harcelé presque tous les jours par des colons qui viennent en jeep. Souvent, ils me volent des moutons et même le bois que je stocke pour l’hiver. »

Complicité absolue entre l’armée et les colons

Sur une vidéo, on voit des adolescents arriver. L’un d’entre eux porte un revolver à la ceinture. Ils bousculent le père d’Ayham. « Je l’ai montrée à un officier qui m’a dit que si je montrais ça au bureau de coordination et de liaison du district (DCO, censé établir une connexion entre les polices israélienne et palestinienne – NDLR), ils viendraient m’arrêter. »

C’est d’autant plus difficile qu’un des frères de Jihad est en détention administrative depuis vingt mois. Il risquerait d’en faire les frais puisque le dossier est secret et que son enfermement peut être renouvelé autant de fois que le juge militaire le décide sans avoir à communiquer ses raisons y compris aux avocats du prisonnier. Selon l’association Addameer, basée à Ramallah, plus de 3 300 Palestiniens se trouvent dans ce cas.

Une situation qui n’est pas nouvelle. « Depuis qu’il y a des colonies autour du village, nous sommes attaqués. Mais ça a augmenté en nombre et en intensité depuis le 7 octobre de l’année dernière », rappelle Fayez Abou Alia.

La violence est partout

La veille de notre arrivée, l’armée est entrée à Al-Mughayyir, accompagnée de colons. Ils ont rassemblé les jeunes hommes et les ont pris en photo un par un. Puis ils sont passés dans chaque magasin du village pour récupérer les enregistrements vidéo des caméras de surveillance que les commerçants installent justement pour enregistrer les exactions et les dégâts occasionnés à leurs boutiques par les colons.

Ils font même des clichés des vêtements que portent les Palestiniens pour avoir plus de possibilités de repérer ceux qui, parfois masqués, résistent à la violence de l’occupation. Lors des perquisitions, les soldats fouillent ainsi dans les penderies et les affaires personnelles, en profitant pour voler des bijoux et de l’argent, avance un villageois.

La violence est partout. Pas un jour sans qu’un incident n’éclate.

« Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer »

Husam Abou Alia (en Palestine, les villages sont composés de grandes familles de milliers de personnes, les Abou Alia sont, à Al-Mughayyir, l’une des plus importantes) est ambulancier.

« Il y a un mois, les colons sont venus jeter des pierres et ont sérieusement blessé quelqu’un. Je portais ma chasuble du Croissant-Rouge palestinien, mais ils m’ont empêché de passer. » Un vieil homme a tenté d’intervenir, il a été frappé par les soldats.

« Je suis alors descendu de mon ambulance et j’ai demandé aux militaires pourquoi ils faisaient ça. L’un d’entre eux m’a demandé d’approcher et m’a dit qu’il allait m’expliquer. Lorsque je me suis trouvé face à lui, il m’a aspergé de gaz poivre. »

« Nous allons rester sur notre terre »

La récolte des olives est prévue le 20 octobre. Que va-t-il se passer ? La situation économique des villageois d’Al- Mughayyir est dramatique. « Autrefois, je tirais 80 gallons d’huile d’olive de mes fruits. L’an dernier, seulement 5. On avait demandé un permis à l’armée. On a eu droit à un seul jour, jusqu’à 15 heures. Mais, à 10 h 30, les soldats sont arrivés et nous ont fait partir. »

Abou Jihad, Husam, Fayez ou Ayham, tous disent leur « peur constante ». Mais tous ajoutent : « Ça ne veut pas dire qu’on va lâcher. Nous allons rester sur notre terre. Ce dont nous avons besoin, c’est que notre moral remonte, sentir que nous ne sommes pas seuls. »

Alors que le soleil commence à décliner, ils nous conseillent de partir. Les colons peuvent arriver. Il en va ainsi d’une journée ordinaire d’un paysan palestinien.


 


 

Grand Israël : tout comprendre de cette idéologie incarnée politiquement par Benyamin Netanyahou

Bruno Odent szur www.humanite.fr

Depuis sa première arrivée au pouvoir en 1996, Benyamin Netanyahou s’est appliqué à torpiller toute velléité de vraie négociation avec les Palestiniens pour promouvoir Eretz Israël, un État dans la dimension des royaumes juifs de la Bible.

« Eretz Israël », la priorité absolue donnée à l’émergence du grand Israël dans ses frontières prétendument bibliques, est une constante de la politique de Benyamin Netanyahou qui se laisse repérer à chaque étape de sa carrière politique.

Quand il accède pour la première fois au poste de premier ministre, en 1996, il surfe sur une vague très droitière du mouvement sioniste. Avec son parti, le Likoud, Netanyahou va s’opposer avec la plus grande virulence aux accords d’Oslo, passés avec l’OLP dans l’objectif de faire émerger une « paix fondée sur l’émergence de deux États laïques ».

Une définition biblique floue, qui laisse place à l’interprétation

Nous sommes au lendemain de l’assassinat de Yitzhak Rabin, le dirigeant israélien qui fut cosignataire avec Yasser Arafat des accords d’Oslo. Benyamin Netanyahou engage son pays dans un tournant qui va l’éloigner toujours plus de cette perspective.

Son objectif sera la remise en selle d’un nationalisme israélien selon un schéma qui ne débouche sur aucun avenir pour la partie palestinienne. Tout doit être au final subordonné à la mise en place d’Eretz Israël, fût-ce, aujourd’hui, en liquidant les Palestiniens de Gaza ou en étendant la guerre au Liban.

Eretz Israël correspond au « grand Israël » de la Bible. Ce procédé divin permet de justifier une annexion complète des territoires occupés de Cisjordanie, affublés du patronyme « Judée-Samarie », qui ne correspond plus à aucune donnée historique, humaine et terrestre contemporaine.

Ce qui n’empêche pas l’administration israélienne d’en user comme d’une évidence géographique. De plus, Dieu n’ayant jamais fourni à ce sujet d’informations précises et concrètes, toutes les interprétations sont ouvertes sur les limites de ce « grand Israël ».

Une idéologie issue d’un sionisme ultraréactionnaire

La communauté internationale s’est toujours refusée à prendre de front ce type d’arguments, un peu comme si l’affirmation relevait finalement d’une sorte de bien-fondé théocratique par définition indiscutable. Pourtant, dès le premier gouvernement Netanyahou, il était possible de mettre à nu l’idéologie de celui qui allait marquer les trente années suivantes au Proche-Orient par sa fuite en avant nationaliste et belliciste.

Le journaliste Dominique Vidal démasquait ainsi dès cette époque « les origines de la pensée de M. Netanyahou » 1. La référence obsessionnelle du personnage est un certain Vladimir Jabotinsky, théoricien d’un sionisme ultraréactionnaire fondé sur l’autoritarisme et la violence.

Netanyahou allait recevoir un appui marqué de l’Occident sur ce terrain idéologique. Alors président, Donald Trump, sous influence lui-même des chrétiens évangéliques, décide de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, dont Netanyahou veut faire la « capitale éternelle » de son État juif, en dépit des positions fermes adoptées par une communauté internationale soucieuse de respecter l’identité palestinienne de la cité.

Le tollé international n’y suffira pas. Depuis, l’administration Biden n’a jamais émis le moindre souhait de revenir en arrière. Comme si Eretz Israël était devenu intouchable.

Le Monde diplomatique de novembre 1996.

   mise en ligne le 30 septembre 2024

Ziad Majed : « La force brutale et les assassinats n’ont jamais rien réglé dans cette région »

Ilyes Ramdani sur www.mediapart.fr

La mort de Hassan Nasrallah ne permettra pas de neutraliser le Hezbollah ni d’assurer la paix dans la région, prévient le chercheur franco-libanais. Pire : le raid israélien risque de plonger le Liban dans une crise humanitaire massive, sous le regard passif de la communauté internationale.

Ziad Majed enseigne la science politique et les études du Moyen-Orient à l’université américaine de Paris. Il est né à Beyrouth, où il s’est engagé en parallèle de son parcours universitaire au sein de la Croix-Rouge libanaise et du mouvement pour la démocratie et les droits humains. Figure reconnue en France et au Liban pour son expertise sur le sujet, il analyse pour Mediapart les conséquences potentielles de la mort de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, visé vendredi par une attaque israélienne.

Mediapart : Que vous inspire l’assassinat de Hassan Nasrallah ?

Ziad Majed : Il n’y a aucune ligne rouge pour les Israéliens. Ils peuvent tuer qui ils veulent, frapper là où ils veulent. La question dépasse le cadre de la figure de Hassan Nasrallah. Il y a un État qui franchit toutes les limites et les frontières pour assassiner, bombarder, avec souvent de la complicité dans le monde occidental.

J’ai toujours été opposé, comme beaucoup de Libanais, au Hezbollah pour des raisons politiques, culturelles et idéologiques, et au cours de la dernière décennie pour son engagement militaire en Syrie, à la demande de Téhéran, en soutien au régime criminel de Bachar al-Assad. Le parti est également accusé d’assassinats au Liban.

Mais il jouit d’une légitimité populaire au sein de la communauté chiite, traumatisée par les invasions israéliennes successives du Liban depuis 1978. Il y a, depuis, une longue histoire d’occupation militaire du Sud puis une guerre en 2006. Ce qui fait que le Hezbollah siège depuis 1992 au Parlement, dirige des conseils municipaux élus, tient des ministères et gère ses propres institutions sociétales. 

L’assassinat vendredi de son secrétaire général, mené par des responsables israéliens accusés eux-mêmes de crimes contre l’humanité, arrive comme une nouvelle preuve d’un « exceptionnalisme » qui place Israël au-dessus du droit international. D’autant plus que le raid aérien a ravagé tout un quartier résidentiel de la banlieue de la capitale libanaise, laissant des dizaines de civils sous les décombres. Six bâtiments de plusieurs étages ont disparu tellement les bombes étaient puissantes.

Il y a donc chez une grande partie des Libanais une colère, semblable à celle des Palestiniens qui subissent depuis des décennies l’occupation, la colonisation et désormais une guerre génocidaire à Gaza, sous le regard passif de la « communauté internationale ».

Sa disparition est-elle, comme l’affirment Israël et les États-Unis, de nature à affaiblir, voire à neutraliser le Hezbollah ?

Ziad Majed : Quand on regarde l’histoire du Hezbollah, du Hamas ou même de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine – ndlr], il y a toujours eu des assassinats visant leurs principaux dirigeants. Nasrallah avait lui-même succédé à Abbas Moussaoui, assassiné début 1992 avec sa famille dans sa voiture par un avion israélien. Le fondateur du Hamas, Ahmed Yassine, a été visé par une attaque du même type en 2004, tout comme Yahia Ayach avant lui, et, plus récemment, Ismaël Haniyeh [tué le 31 juillet dernier dans une attaque israélienne en Iran – ndlr].

Il y a un vécu commun libanais qui réapparaît aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts.

À chaque fois, ces mouvements ont trouvé les moyens de recruter, de mobiliser et de remplacer leurs chefs. Évidemment, à court terme, la série d'assassinats à laquelle nous assistons affaiblit le Hezbollah. Mais tant qu’on ne s’adresse pas au cœur du problème, à savoir l’impunité israélienne, l’occupation et la colonisation, ces mouvements ne seront pas affaiblis à long terme. D’autres émergeront également pour poursuivre le combat contre les Israéliens. La force brutale et les assassinats n’ont jamais rien réglé dans cette région.

Vous êtes né à Beyrouth, vous y avez étudié, travaillé et vous vous y rendez encore régulièrement. Que percevez-vous de la réaction de la société libanaise à ce qui se passe depuis quelques jours ?

Dans un moment comme celui-ci, c’est la mémoire collective et individuelle qui refait surface. J’ai vécu la guerre pendant quinze ans, j’ai travaillé à la Croix-Rouge, j’ai connu l’invasion israélienne et le siège de Beyrouth en 1982, les bombardements et les massacres commis à cette époque. Comme la plupart des Libanais, j’y ai perdu des proches et des amis. Il y a un vécu commun libanais, déchirant et accablant, qui nous rattrape aujourd’hui. En un an, nous comptons déjà plus de 1 500 morts, dont des secouristes, des journalistes, des femmes, des enfants…

De loin, on regarde les écrans avec beaucoup de colère et d’inquiétude. Et ce d’autant plus que nous sommes impuissants. Nous ne pouvons pas nous rendre sur place, les vols ont été annulés. Les maisons que l’on voit détruites, ce ne sont pas que des murs. Ce sont des histoires, des souvenirs, un tissu social, des histoires et des aspirations communes. La destruction est toujours traumatisante.

Et la reconstruction ne sera pas facile. Le pays est dans un état grave sur les plans économique et politique. Tout cela va créer d’énormes difficultés, avec des centaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Reconstruire une vie, que ce soit en retournant dans sa ville d’origine ravagée ou ailleurs, n’est jamais une tâche facile, que ce soit du point de vue psychologique ou matériel

Il y a en parallèle, comme dans n’importe quelle société, des divisions et des fractures. Certains Libanais sont aujourd’hui dans une forme de déni, ne réalisant pas à quel point la situation est dangereuse. D’autres, en revanche, traduisent cela par de la haine, par un nihilisme ou par une volonté de régler des comptes. C’est donc un moment de tension, de crainte et de risques.

Que pensez-vous de la comparaison entre ce qu’il se passe dans le sud du Liban et ce qu’il se passe dans la bande de Gaza ?

Ziad Majed : Je ne pense pas que, pour le moment, le Liban soit le théâtre d’un deuxième Gaza. Là-bas, les Israéliens détruisent systématiquement toutes les conditions de vie, d’où le qualificatif de guerre génocidaire. Il y a eu une politique de la faim, une destruction des hôpitaux et des dispensaires, des écoles et des universités, du patrimoine culturel, des champs agricoles, une pollution délibérée de l’eau. Tout cela s’ajoutant au massacre des populations civiles. Au Liban, on est encore loin d’un scénario pareil, même si beaucoup d’habitants commencent à le craindre.

Malgré tout ce que l’on voit sur place, Israël reste un partenaire privilégié de l’Union européenne et de l’État français.

En revanche, il peut exister une comparaison légitime avec Gaza au sud du fleuve Litani, dans les villes et villages les plus proches de la frontière. Dans cette zone, Israël a déjà utilisé à maintes reprises le phosphore blanc pour détruire les champs agricoles, comme cela a été documenté par des rapports internationaux. J’ai moi-même été du côté de la frontière en juin dernier, où la situation était déjà terrible ; je n’imagine pas à quel point les bombardements ont davantage dévasté les zones concernées. Les médiations et pressions internationales doivent avoir un effet pour éviter un second Gaza au sud du pays.

Justement : la communauté internationale, au premier rang de laquelle les grandes puissances occidentales, paraît bien en peine d’influer sur la situation dans la région. À quoi attribuez-vous cet échec ?

Ziad Majed : La diplomatie occidentale et ladite « communauté internationale » ne font pas leur travail pour arrêter la machine de guerre israélienne. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand Washington utilise son droit de veto au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour empêcher une condamnation de Tel-Aviv. On ne peut pas prétendre faire pression sur Israël quand on lui envoie en pleine guerre des armes, des munitions et des milliards de dollars. La politique américaine a encouragé Israël à aller plus loin dans ces guerres. Elle a permis à Nétanyahou d'élargir les fronts et de chercher la confrontation totale, pour rester plus longtemps au pouvoir.

Quid de la voix de la France, eu égard à ses liens historiques avec le Liban ?

Ziad Majed : Je pense toujours que la France a un rôle à jouer. Il n’est pas aussi décisif que le rôle américain, bien sûr. Mais la France, avec tous ses échecs diplomatiques, peut par exemple décider des sanctions contre des ministres israéliens, suspendre la coopération militaire ou sécuritaire, et surtout reconnaître l’État palestinien, puisqu’on répète soutenir la « solution à deux États ». À travers l’Union européenne, la France peut aussi pousser à une diplomatie commune faisant pression afin d’éviter le pire au Liban. Toutefois, la politique française est restée décevante.

Pour beaucoup de gens dans la région, en Palestine, au Liban ou ailleurs, l’Occident a une très grande responsabilité dans les guerres israéliennes. Évidemment, l’Occident n’est pas un ensemble homogène. Mais ce sont les gouvernements qui sont observés par les sociétés de l’autre côté de la Méditerranée, et ce sont les « valeurs universelles », le droit international et toute la crédibilité de ceux qui prétendaient les défendre qui se trouvent aujourd’hui sous les ruines en Palestine comme au Liban. Et cela est extrêmement dangereux pour notre avenir.

  mise en ligne le 28 september 2024

 

“Solidarité avec le peuple Libanais” : à Montpellier, les soutiens à la Palestine réagissent à l’extension du conflit

Elian Barascud sur https://lepoing.net/

Environ 500 personnes ont manifesté ce samedi 28 septembre dans les rues de Montpellier pour dénoncer l’extension de la guerre menée en Palestine au Liban et la politique coloniale de l’État d’Israël

Alors que l’armée Israélienne a annoncé avoir tué Hassan Nashrallah, le chef du Hezbollah ce vendredi 27 septembre et que Tsahal continue ses bombardements au Liban, les soutiens à la Palestine de Montpellier réagissent. Ils étaient environ 500, ce samedi 28 septembre, pour dénoncer l’extension de la guerre menée par le gouvernement Netanyahou. “Le préfet nous a interdit de passer par la place de la Comédie“, a commencé José-Luis Moraguès, membre de BDS, une association non-violente de soutien au peuple Palestinien. Préfet, qui, plus tôt dans la semaine, avait reproché à BDS de “récupérer” de manière “malhonnête” les autres manifestations auxquelles l’association a récemment participé, telles que celles contre Macron du 7 et 21 septembre.

C’est pour faire plaisir au CRIF [Conseil représentatif des institutions juive de France, dont la représentante régionale affirme avoir été huée et insultée lors d’un rassemblement sur la Place de la Comédie, ndlr]”, soufflait un proche des organisateurs.

Ce qu’il se passe au Liban est la suite logique de ce qu’il se passe à Gaza”, a dénoncé une militante de BDS dans son intervention. “Netanyahou utilise les mêmes arguements que contre les palestiniens, ils disent que les libanais servent de boucliers humains à une organisation terroriste et que leurs maisons servent à cacher des armes. On en est au point où l’on voit sur les réseaux sociaux des vidéos de Palestiniens qui s’excusent auprès de Libanais pour ce qu’ils subissent, alors qu’ils n’y sont pour rien. Ces deux peuples ont la même lutte, la lutte contre une politique sioniste, coloniale et expansionniste qui a pour projet d’étendre toujours plus ses frontières.” Elle a également rappelé le fait que “rien qu’au mois d’aout, Israël a installé huit nouvelles colonies en Palestine. On a recensé, toujours pour le seul mois d’août, 206 actes de vol et de vandalisme touchant des palestiniens, notamment des vols de moutons.”

Le cortège s’est ensuite élancé dans la rue en scandant “Israël Casse-toi le Liban n’est pas à toi” , et s’est dispersé à la gare.


 


 

Gaza : « Arrêtez d’envoyer des armes à Israël », lance Mahmoud Abbas à l’ONU

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Devant l’Assemblée générale des Nations unies, le président palestinien a dénoncé l’attitude des États-Unis jeudi qui soutient Tel Aviv en mettant son veto à toutes résolutions condamnant son allié. Il a proposé une conférence internationale pour la paix.

C’est un Mahmoud Abbas combatif qui a pris la parole devant l’Assemblée générale de l’Onu le 26 septembre. Le président palestinien n’a pas mâché ses mots en s’écriant : « Arrêtez le génocide. Arrêtez d’envoyer des armes à Israël. » Devant les 193 membres il a lancé : « Arrêtez ce crime. Arrêtez-le maintenant. Arrêtez de tuer des enfants et des femmes » en rappelant que « le monde entier est responsable de ce que subit notre population à Gaza et en Cisjordanie », liant ainsi les deux territoires qui subissent les assauts de l’armée israélienne.

Washington entrave un cessez-le-feu

Il a également accusé les États-Unis d’avoir permis à Israël de poursuivre son assaut en opposant à plusieurs reprises leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu à Gaza. « Nous regrettons que les États-Unis, la plus grande démocratie du monde, aient entravé à trois reprises des projets de résolution du Conseil de sécurité exigeant qu’Israël respecte un cessez-le-feu », a insisté Mahmoud Abbas. « Les États-Unis se sont tenus seuls et ont dit : « Non, la bataille va continuer » ».

Le ministère israélien de la Défense a annoncé jeudi avoir obtenu un nouveau train d’aide militaire américaine, d’une valeur de 8,7 milliards de dollars « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël », en pleine escalade avec le Hezbollah libanais et en guerre à Gaza, ce qui minimise les déclarations de l’administration Biden quant à la volonté d’un cessez-le-feu, que ce soit avec le Hezbollah ou avec le Hamas. « Israël, qui refuse d’appliquer les résolutions des Nations unies, ne mérite pas d’être un membre de cette organisation internationale », a martelé le dirigeant palestinien très applaudi.

Mahmoud Abbas a également présenté une proposition en 12 points pour Gaza après la guerre. Il a appelé à un retrait israélien complet de l’enclave palestinienne, sans l’établissement de zones tampons ou la saisie d’une partie quelconque de Gaza. Il a déclaré que l’Autorité palestinienne, qui gouverne certaines parties de la Cisjordanie occupée, devrait gouverner Gaza après la guerre en tant qu’élément d’un État palestinien, une vision qu’Israël rejette. « Nous ne demandons pas plus, mais nous n’accepterons pas moins », a-t-il insisté. Il a également appelé à une conférence internationale de paix sous les auspices de l’ONU dans un an et réitéré ses appels pour une solution à deux États.


 


 

« Honte à vous » : Emmanuel Macron interpellé sur Gaza au Canada

Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

Le président de la République a été vivement interpellé à Montréal sur la position de la France concernant la guerre à Gaza à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. Emmanuel Macron a défendu ses plaidoyers en faveur d’un cessez-le-feu, mais la France rechigne toujours à la reconnaissance de l’État palestinien comme à décider de sanctions à l’égard d’Israël.

« Honte à vous », « Vous avez du sang sur les mains », « Macron démission ». À Montréal, des manifestants attendaient de pied ferme Emmanuel Macron à sa sortie d’une conférence de presse avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. C’est sur la position de la France sur la guerre à Gaza, que le président de la République a été vivement interpellé dans la soirée de jeudi 26 septembre.

« C’est un génocide » qui est commis à Gaza, « vous pouvez l’arrêter », « vous offrez une couverture diplomatique » à l’État d’Israël, ont enchaîné deux des personnes mobilisées, dont une jeune femme palestinienne qui a expliqué avoir perdu sa fille à Gaza, a rapporté l’AFP. « La France envoie de l’argent et des armes qui tuent des innocents », « nous voulons des actes », « vous pouvez mettre la pression sur Israël », ont-ils martelé.

« Si vous ne pouvez rien changer, vous devez démissionner »

Le chef de l’État s’est appliqué à défendre sa position. « Soyons clairs, nous ne vendons pas d’armes, nous demandons un cessez-le-feu, nous sommes allés au Conseil de sécurité pour cela », a-t-il argumenté, quand bien même le ministre Sébastien Lecornu a reconnu, en janvier, que la France continuait à exporter « des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense ».

« En parallèle, nous devons travailler tous ensemble et décider ce que nous allons faire pour engager tous les pays de la région à stopper les groupes terroristes », a-t-il ajouté avant qu’une des manifestantes affirme que le mouvement islamiste palestinien Hamas n’était « pas un groupe terroriste mais de résistance ». « Non, ce que vous dites est inacceptable. Ils ont tué des centaines de personnes », a répliqué Emmanuel Macron en référence à l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre contre Israël. Exaspérée, la jeune femme a fini par lâcher : « Si vous êtes au pouvoir et ne pouvez rien changer, vous devez démissionner ! »

Impuissance volontaire

Le président a ensuite assuré le service après-vente auprès de la presse. « Je suis allé leur parler parce qu’il y a une vraie émotion dans toutes nos sociétés. On le voit bien sur à Gaza, les images qu’il y a, le drame qui s’y joue », a-t-il dit devant des journalistes. « Je comprends, je respecte cette émotion (…) À côté de cette émotion, il peut y avoir beaucoup de confusion », a-t-il poursuivi, en déplorant des « propos inacceptables à l’instant sur ce sujet ». « Je ne peux pas laisser dire tout et n’importe quoi non plus », a-t-il insisté.

Reste que la France, contrairement à l’Espagne, l’Irlande ou la Norvège, n’est pas passée aux actes quant à la reconnaissance de l’État palestinien. Si elle a, en effet, plaidé à l’ONU pour un cessez-le-feu, elle s’est faite discrète ou sur l’Accord d’association avec Israël que l’Union européenne pourrait suspendre jusqu’à la fin de la guerre ou sur la possibilité de sanctions.

Une impuissance volontaire qui caractérise aussi les États-Unis. Au moment même où le président Joe Biden défendait avec Emmanuel Macron une trêve au Liban, le ministère de la Défense israélien annonçait, selon franceinfo, avoir obtenu une nouvelle enveloppe d’aide militaire américaine, de 8,7 milliards de dollars, « en soutien à l’effort militaire en cours d’Israël ». Dont 3,5 milliards de dollars en vue de l’achat de matériel et équipement de guerre, et 5,2 milliards destinés aux systèmes de défense antiaériens.

  mise en ligne le 26 septembre 2024

Nouvelle-Calédonie :
le calvaire
des oubliés de Saint-Louis

Ellen Salvi sur www.mediapart.fr

Deux personnes ont été tuées par balle à Saint-Louis, dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, à la suite d’une opération des forces de l’ordre qui recherchent une quinzaine d’individus. Depuis deux mois, cette tribu kanak, située en périphérie de Nouméa, est coupée du reste de l’archipel.

LesLes marches à pied interminables, les bras chargés de lourds paquets, les contrôles policiers, les files d’attente, les murs de sacs lestés, le bruit des drones, les coups de feu, l’odeur des bombes lacrymogène, les barbelés, le temps perdu, le souvenir des proches contraints de s’éloigner, celui du monde d’avant où l’on pouvait circuler en toute liberté et rejoindre la grande ville en vingt minutes... Depuis deux mois, les 1 500 habitant·es de la tribu kanak de Saint-Louis, située sur la commune du Mont-Dore, à une quinzaine de kilomètres de Nouméa, sont littéralement coupé·es du reste de l’archipel. Et subissent au quotidien les contraintes, l’isolement et la violence.

Dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 septembre, deux personnes y ont été tuées par balle, à la suite d’une opération des forces de l’ordre, qui était toujours en cours jeudi matin. Selon la chaîne NC la 1ère, les tensions sur place ont redoublé « lorsque les gens ont appris que le jeune homme transféré au Médipôle [le centre hospitalier de Nouméa – ndlr] avait succombé à ses blessures ». Un deuxième décès a été annoncé un peu plus tard. D’après des membres de la famille, il s’agit d’un jeune homme dont le corps aurait été retrouvé dans la rivière au petit matin. L’identité des deux victimes a été confirmée au Monde : Johan Kaidine, 29 ans, et Samuel Moekia, 30 ans.

L’objectif de cette opération spéciale était le même que celui qui a conduit les autorités françaises à mettre la pression sur Saint-Louis depuis des semaines : interpeller une quinzaine d’individus suspectés d’avoir participé aux violences qui ont été perpétrées dans ce fief indépendantiste. Le décès des deux jeunes Kanak porte à treize le nombre de morts depuis le début de la crise dans l’archipel.

Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a dénoncé dans un communiqué « les méthodes barbares et humiliantes utilisées par les forces de l’ordre » et condamné « l’usage disproportionné de la force par les autorités de l’État français qui relève de pratiques coloniales ». « Ces actions ne font qu’aggraver la situation sur le terrain et éloigner la perspective d’une solution pacifique », écrit Aloisio Sako, chargé de l’animation du bureau politique du FLNKS.

Selon plusieurs témoignages recueillis par Mediapart, la situation est devenue « intolérable ». « Ce qui se passe là-bas est terrible, je n’ai jamais vu ça, indique l’ancien président indépendantiste du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis. Il y a des militaires partout. Les gens souffrent, ils en ont marre. » « Les autorités ont mis la tribu sous cloche, sans aucune perspective, abonde le député Emmanuel Tjibaou, élu en juillet à l’Assemblée nationale. Les habitants ont l’impression d’être abandonnés, ils ont peur. »

Par la voix de leurs chefs coutumiers, ils réclament, jusqu’ici en vain, la levée des deux « verrous » installés le 20 juillet à l’entrée et à la sortie de la tribu, afin de répondre aux « exactions extrêmement graves », selon les mots du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, perpétrées sur les 4 à 5 kilomètres de la route provinciale numéro 1 (RP1) qui traverse la zone de Saint-Louis. Des barrages gardés par quatre escadrons de gendarmerie interdisent la circulation automobile. Et bloquent l’ensemble des populations du Mont-Dore Sud.

Les souvenirs de l’indigénat

« Ces verrous ont été installés [...] car la sécurité des usagers ne pouvait être assurée sur l’axe en raison des prises à partie extrêmement violentes de la part émeutiers », souligne le Haut-Commissariat auprès de Mediapart, faisant état de 690 tirs contre les forces de l’ordre et de 65 car-jackings, dont 34 commis avec usage ou menace d’une arme, répertoriés depuis le 13 mai. Si « le dispositif a permis de mettre un terme aux car-jackings très violents et particulièrement traumatisants pour les victimes, et de limiter les ouvertures du feu sur les forces de l’ordre », sa levée n’est pas à l’ordre du jour.

Fin août, après cinq semaines de « verrous », Eugène Decoiré, président du conseil des chefs de clan de Saint-Louis, et Yohan Wamytan, chef de branche, avaient défendu devant le tribunal administratif de Nouméa une requête en référé-liberté pour mettre fin à ce qu’ils appellent le « blocus de Saint-Louis ». « On ne peut pas enfermer une population, on est toujours français. Certes, on est kanak mais on est toujours français. On n’est pas du bétail », avait affirmé Yohan Wamytan devant le tribunal, selon des propos rapportés par NC la 1ère.

Une pétition, lancée par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et signée par de nombreux habitant·es de la tribu, a également circulé. « Depuis plusieurs semaines, nous vivons dans un état de siège, privés de nos droits les plus fondamentaux : liberté de circulation, droit à la sécurité, droit aux soins sanitaires et simplement, le droit de vivre libre et en paix, peut-on y lire. Cette situation minable mais surtout inhumaine, nous remémore la période de l’indigénat (1887-1947) notamment, durant laquelle le peuple kanak a été parqué violemment dans des réserves, tels des animaux. »

Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école… Yohan Wamytan, chef de branche à Saint-Louis

La requête en référé-liberté des représentants coutumiers de Saint-Louis a été rejetée, la justice ayant considéré que « la notion d’urgence à lever ces verrous n’était pas justifiée et que le rétablissement de la sécurité des usagers de la route provinciale était prioritaire ». Mais le tribunal administratif de Nouméa a de nouveau été saisi sur le même sujet par la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui dénonce à son tour « une atteinte grave à de multiples libertés fondamentales » et demande la réouverture immédiate de la RP1. L’audience est prévue vendredi 19 septembre.

L’installation de ces deux « verrous » a largement entravé le quotidien des habitant·es de Saint-Louis, qui évoquent des contrôles réguliers et des fouilles systématiques. « Depuis qu’on ne peut plus sortir en voiture, tout est compliqué : le ravitaillement, l’accès aux soins, accompagner les enfants à l’école..., raconte Yohan Wamytan à Mediapart. Beaucoup ont quitté la tribu pour préserver leur emploi, ils ont dû louer des appartements à l’extérieur. » Selon son cousin Roch Wamytan, « 700 personnes originellement de la tribu sont en dehors de celle-ci et ne peuvent rentrer chez elles ».

Des coupures d’électricité

Beaucoup évoquent aussi des coupures d’électricité, dont certaines ont duré trois à quatre jours, les réparations tardant à être réalisées. « On a dû jeter toute la nourriture », déplore Yohan Wamytan. « Les défaillances du système électrique sont notamment dues à des actes de vandalismes commis à l’intérieur de la tribu. Le risque de prise à partie des entreprises exploitantes du réseau électrique étant élevé, celles-ci ont à chaque fois voulu disposer des meilleures garanties de sécurité possibles de la part des responsables coutumiers avant d’envoyer leur personnel dans la tribu pour procéder aux réparations », justifie de son côté le Haut-Commissariat.

Destinataires de plusieurs témoignages, Emmanuel Tjibaou insiste sur les difficultés que rencontrent les habitant·es les plus fragiles de Saint-Louis « pour suivre les traitements médicaux ». Il parle notamment des « vieux », des personnes handicapées et des « dialysés ». Le député rapporte enfin des problèmes de réseau internet qui renforcent, selon lui, le sentiment d’isolement de la population. « Les gens ne savent plus ce qu’il se passe à l’extérieur de Saint-Louis », dit-il. Inversement, « à 10 kilomètres de la tribu, personne ne sait ce qu’il s’y passe », ajoute Yohan Wamytan.

Dans un entretien accordé début septembre à La Voix du Caillou, le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, Yves Dupras, a admis sans ambages que « cette situation de “verrous” est tout à fait anormale dans le fonctionnement d’un État de droit par rapport aux libertés publiques ». « Je le reconnais. Mais notre objectif est avant tout la sécurité des personnes et des biens », a-t-il précisé, rappelant que 13 personnes faisaient l’objet d’un mandat de recherche « pour des faits criminels ou pour des faits délictuels particulièrement graves commis à Saint-Louis ».

L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public...Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis

C’est ici qu’un gendarme a été tué par balle le 14 mai. Ici aussi que Rock Victorin Wamytan est mort le 10 juillet, victime, selon le parquet de Nouméa, d’un « tir de riposte » du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), qui intervenait ce jour-là au Mont-Dore. Ici enfin que les autorités coutumières multiplient les échanges avec les jeunes de la tribu pour y ramener le calme. « C’est difficile de leur faire entendre raison », reconnaît Roch Wamytan auprès de Mediapart, évoquant des jeunes « souvent radicalisés » par leur passage en prison.

« Souvent, ce sont des jeunes qui ont été envoyés au Camp-Est [le centre pénitentiaire de Nouméa – ndlr] à un jeune âge, suite à des incivilités. Cette prison a une capacité de 400 places mais 600 personnes y sont placées, a récemment répété le grand chef de Saint-Louis sur NC la 1ère. Ce qui bloque, c’est que des jeunes veulent aller au bout pour que naisse Kanaky [...] au-delà de Saint-Louis, dans d’autres endroits, certains veulent aussi continuer la lutte jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort ou l’indépendance. [...] Nous essayons de leur expliquer que l’indépendance passera par des négociations. »

Une punition collective

Roch Wamytan souligne l’incongruité de la situation, au regard des revendications politiques portées par les indépendantistes : « L’État nous demande de faire la police mais nous refuse la compétence de l’ordre public... » Selon lui, tout est mis en œuvre pour sortir de cette crise. « Je suis optimiste, on va y arriver, a-t-il dit sur NC la 1ère. Je reconnais que les autorités avec lesquelles nous discutons font preuve de compréhension. Pourtant, au début, ce n’était pas évident. Ça ne sert à rien de mettre la pression, il faut savoir le contexte et ensuite poser les solutions pour résoudre ces conflits qui peuvent se résoudre… avec du temps. »

De son côté, le Haut-Commissariat refuse d’endosser la responsabilité de cette situation, créée selon lui « par le seul comportement des émeutiers, qui fait peser de lourdes contraintes pour les habitants de Saint-Louis comme sur les 10 000 habitants du Mont-Dore Sud, qui doivent utiliser quotidiennement un système de navettes maritimes pour rejoindre Nouméa, conduisant certains à être gênés dans leur vie quotidienne comme professionnelle et à perdre en qualité d’accès aux soins ». Et d’ajouter : « Factuellement, le danger engendré par les émeutiers fait peser des contraintes sur tous les habitants. »

Pour le juriste Antoine Leca, ancien chargé d’enseignement à l’université française du Pacifique et à l’université de la Nouvelle-Calédonie, ces « verrous » sont surtout une manière « de punir collectivement les habitants de Saint-Louis parce qu’ils constituent une tribu “coupable” d’abriter en son sein des jeunes qui ont opté pour l’action armée sans relever d’aucune structure identifiée ». Évoquant dans ce billet des « méthodes d’un autre temps [qui] sont hélas celles qui ont été transplantées en Algérie par l’armée française », il perçoit à Saint-Louis « le premier acte d’une nouvelle guerre coloniale, qui ne veut pas dire son nom mais révèle déjà son visage ».

Pour le Haut-Commissaire, la tribu de Saint-Louis est une poche de résistance. Sa stratégie, c’est de l’isoler de l’agglomération du Grand Nouméa. Emmanuel Tjibaou, député de Nouvelle-Calédonie

À Paris comme en Nouvelle-Calédonie, la situation politique est à l’arrêt dans l’attente d’un nouveau gouvernement. « On n’a toujours pas d’interlocuteur », rappelle Roch Wamytan, qui plaide pour la mise en place rapide d’une mission internationale. « Les gens n’ont plus confiance dans le gouvernement français », affirme-t-il. Mercredi, veille de l’opération des forces de l’ordre à Saint-Louis, le « groupe de contact » sur la Nouvelle-Calédonie, présidé par Yaël Braun-Pivet, s’est retrouvé à l’Assemblée nationale pour un échange en visioconférence avec le haut-commissaire de la République, Louis Le Franc.

L’occasion, pour le député Emmanuel Tjibaou, d’interroger le représentant de l’État dans l’archipel sur la situation dans la tribu, sans avoir évidemment aucune idée de ce qui se préparait. « Pour lui, Saint-Louis est une poche de résistance, ce sont les mots qu’il a employés, rapportait-il à Mediapart dans l’après-midi. Sa stratégie, c’est d’isoler cette poche de résistance de l’agglomération du Grand Nouméa. » L’élu kanak entend profiter de son mandat pour lancer une commission d’enquête afin d’« éclairer tout ce qu’il s’est passé depuis le 13 mai » dans l’archipel, considérant que « la CCAT a le dos large ».

Plusieurs membres de cette organisation politique proche du FLNKS sont toujours détenus dans des centres pénitentiaires de métropole. C’est notamment le cas de Christian Tein, qui a été désigné, samedi 31 août, président de l’alliance indépendantiste du FLNKS. « Mon frère, Joël Tjibaou, est lui aussi en prison, à Camp-Est », rappelle le député, fils de Jean-Marie Tjibaou, figure phare du mouvement qui avait signé les accords de Matignon en 1988 avant d’être assassiné.

Parmi les militant·es placé·es sous contrôle judiciaire dans le cadre de cette enquête visant « les commanditaires présumés » des révoltes qui ont embrasé l’archipel à partir de mi-mai, figure aussi Darewa Dianou, fils d’Alphonse Dianou, leader indépendantiste tué à Ouvéa en 1988. « Les jeunes qui se révoltent aujourd’hui sont les héritiers des événements de 1984-1988. Le risque, si les choses continuent comme ça, c’est que cet héritage se perpétue », conclut Roch Wamytan, persuadé que la seule réponse sécuritaire, à Saint-Louis comme ailleurs, ne pourra qu’envenimer la situation.

Boîte noire

Alerté depuis plusieurs semaines sur la situation à Saint-Louis, Mediapart a dans un premier temps souhaité envoyer un journaliste sur place, afin de rendre compte des contraintes que les « verrous » font peser sur le quotidien des habitant·es de la tribu. En faisant un point informel avec les équipes du Haut-Commissariat, celui-ci s’est vu répondre que l’accès à la zone ne lui serait pas autorisé. Interrogés par la suite sur le sujet, les services de l’État nous ont assuré que « l’accès de journalistes [n’était] absolument pas interdit », évoquant un « probable loupé ».

Cet article a été amendé jeudi matin (le 19), avec l’identité des victimes et le communiqué du FLNKS. Sauf mention contraire, tous les propos qui y sont cités ont été recueillis avant l’opération des forces de l’ordre menée dans la nuit de mercredi à jeudi (du 18 au 19).

   mise en ligne le 24 septembre 2024

Au Liban, plus de 500 morts
suite aux bombardements israéliens : le chaos régional comme objectif de Benyamin Netanyahou

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

558 personnes ont été tuées et 1 835 blessées par les bombardements israéliens lundi 23 septembre. Au sud du Liban, c’est l’exode tandis que les morts s’accumulent. Tous les signaux sont au rouge alors que seul Israël veut un chaos régional.

Un record macabre a été battu au Liban par Benyamin Netanyahou et son armée : lundi,  558 personnes ont été tuées, dont 50 enfants et 94 femmes ; 1 835 ont été blessées, ce qui fait de cette journée la plus meurtrière depuis la guerre civile qui s’est déroulée entre 1975 et 1990.

Même au plus fort du conflit mené en 2006, de tels chiffres n’ont pas été atteints. L’état-major israélien a fait savoir qu’il avait frappé environ 800 cibles liées au Hezbollah dans le sud du Liban et la vallée de la Bekaa. Et toujours le même discours : « Parmi les cibles frappées, des bâtiments où le Hezbollah a caché des roquettes, des missiles, des lanceurs, des drones et des infrastructures terroristes supplémentaires. » Pas un mot pour les civils tués, les maisons détruites, le déplacement de milliers d’habitants forcés de fuir. Après l’attaque indiscriminée aux bipeurs piégés, rien ne semble pouvoir arrêter ce gouvernement.

Hezbollah ou Hamas, même rhétorique pour Netanyahou

« J’ai promis que nous changerions l’équilibre de la sécurité, l’équilibre des forces dans le Nord, c’est exactement ce que nous faisons », s’est félicité le premier ministre israélien. « Ce qui m’inquiète (c’est) la possibilité que le Liban ne se transforme (en) un autre Gaza ! » s’est au contraire inquiété le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, alors que la Maison de verre accueillait un sommet sur l’avenir.

Un drôle d’avenir pour les peuples de la région que leur concocte un Benyamin Netanyahou qui n’a jamais été aussi sûr de lui, renforcé dans son entreprise par l’inaction internationale. À Emmanuel Macron qui, penaud, lui demande de se calmer, l’indétrônable leader israélien, appuyé sur une extrême droite suprémaciste, rétorque que les pressions sont à exercer sur le Hezbollah libanais. Il avait déjà servi la même réponse en parlant, cette fois-là, du Hamas.

C’est donc impuissantes que les populations du monde entier assistent à ces nouveaux massacres. L’évidence est là : Israël veut que la région bascule une fois pour toutes dans le chaos.

Affaibli mais pas à terre, le « parti de dieu » réplique

On n’y est pas encore, mais il suffirait d’un rien. Malgré ses pertes, y compris de plusieurs de ses dirigeants, le Hezbollah continue à répliquer avec mesure et réclame un cessez-le-feu à Gaza.

À New York où il se trouve pour participer à l’Assemblée générale de l’ONU, le président iranien Massoud Pezeshkian a fait savoir : « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit. » Et d’ajouter : « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est ! »

Les États-Unis affirment également ne pas vouloir d’une déflagration régionale. Mais, malin, Netanyahou – qui n’a que mépris pour l’ONU – leur fait miroiter l’application d’une résolution datant de 2006 (la 1701), visant à repousser le Hezbollah au nord du fleuve Litani. Un prétexte pour celui qui n’a plus de salut que dans la guerre, quitte à ce que tout le monde sombre, y compris les Israéliens.


 


 

Liban : Netanyahou tue des Libanais
et Macron fait des vidéos

sur www.regards.fr

Bientôt 500 morts au Liban, après une semaine d’offensive israélienne. Et la France n’a que des mots à offrir en protection.

Le 19 septembre, Emmanuel Macron adresse un message vidéo aux Libanais : « La France se tient à vos côtés », assure le chef de l’État. La veille et l’avant-veille, au Liban et en Syrie, des explosions d’appareils électroniques ont fait près de 3000 blessés et 37 morts, selon les chiffres d’Amnesty international. Une opération si barbare – ce qui n’a pas empêché l’extase de certains journalistes français – que personne ne l’a revendiquée.

Qu’il y ait des tensions entre le gouvernement israélien et le Hezbollah libanais, ça ne date pas d’hier. Mais ces dernières semaines, la situation s’est aggravée. Au point que l’État hébreu bombarde allègrement le Liban, ciblant également la capitale Beyrouth. Le bilan est, pour l’heure, de 490 morts dont 24 enfants et 1240 blessés, selon les autorités libanaises.

Nous ne sommes plus dans la situation du début de l’année où les deux camps s’envoyaient des missiles à la frontière. Désormais, Israël attaque un État souverain. Et la France, pour l’instant, ne fait rien à part des vidéos et des discours.

Côté israélien, on part sur le même délire propagandiste qu’à Gaza : si les Libanais meurent, c’est parce qu’ils traînent trop près des cachettes des « terroristes » du Hezbollah. Sauf qu’il y a deux différences de taille : le Hezbollah est bien plus fort militairement que le Hamas ; le parti chiite est arrivé en tête des élections législatives de 2022, même s’il s’agissait alors d’une défaite puisque il perdait sa majorité absolue à la chambre des députés.

Et si le Hezbollah n’était plus, ces derniers temps, en odeur de sainteté auprès des Libanais, après les explosions de bipeurs et autres talkie-walkies, les hôpitaux ont pris en urgence ces victimes et l’on a même vu des membres de milices chrétiennes donner leur sang pour les sauver. Netanyahou va-t-il, comme avec le Hamas, relancer la popularité du Hezbollah ? Car, comme l’écrit l’éditorialiste Anthony Samrani dans le quotidien francophone L’Orient-Le Jour, « en face, c’est Israël […] On peut vouer le Hezbollah aux gémonies, ce sont bien des Libanais, quelle que soit leur communauté, qui sont et vont être tués par l’armée israélienne. C’est bien le Liban qui sera détruit si le Hezbollah est défait. Le Hezbollah dévore le Liban de l’intérieur. Israël promet de l’annihiler depuis l’extérieur. Les deux menaces peuvent être existentielles, mais elles ne sont pas de même nature. Dresser entre elles une équivalence est une position intenable, encore plus en temps de guerre. Refonder le Liban avec le Hezbollah paraît illusoire. Y parvenir, si la moitié du pays est en ruines, est tout simplement impossible. »

Tout est dit. Reste le silence assourdissant de la diplomatie française, dont les Libanais attendent son traditionnel soutien.


 


 

Israël lance une nouvelle vague de bombardements au Liban

La rédaction de Mediapart et Agence France-Presse sur https://www.mediapart.fr/

L’armée israélienne a indiqué mardi avoir visé la veille « 1 600 cibles terroristes ». Ces frappes contre le Hezbollah ont fait 558 morts lundi, selon un nouveau bilan, et se poursuivaient mardi. 

Le bilan des intenses bombardements israéliens sur le Liban, lundi 23 septembre, « a atteint 558 morts, dont 50 enfants et 94 femmes », a annoncé mardi le ministre de la santé libanais, Firass Abiad, lors d’une conférence de presse. 1 835 personnes ont été blessées, a-t-il précisé. Ce bilan « dément toutes les allégations israéliennes selon lesquelles l’armée viserait des combattants », a-t-il ajouté.

« La vérité, malheureusement, est que la grande majorité, si ce n’est pas tous, sont des personnes non armées qui se trouvaient dans leurs maisons », a-t-il dit. Il s’agit du plus lourd bilan depuis la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël en 2006. Le ministre a indiqué que 16 secouristes et pompiers avaient été blessés et qu’un hôpital à Bint Jbeil, dans le sud du Liban, avait été visé par une frappe.

Mardi 24, les bombardements se sont poursuivis et l’armée israélienne a annoncé avoir frappé « des dizaines de cibles du Hezbollah dans de nombreuses régions du sud du Liban ». Les habitant·es d’un village de la région de Sidon, dans le sud du Liban, auraient reçu des appels plus tôt dans la matinée, leur demandant d’« évacuer leurs maisons immédiatement ». Selon l’ANI, l’agence nationale d’information libanaise, les frappes ont touché les régions du sud de Kfarkila, Roumine, Deir el-Zahrani, Doueir, Ebba et Zawtar, la région de Jal el-Bahr à Tyr mardi matin, Markaba et el-Haouch dans la nuit. 

Mardi après-midi, une frappe israélienne « ciblée » a frappé un immeuble de six étages dans le quartier de Ghobeiry, en banlieue sud de Beyrouth. Trois des six étages ont été endommagés, selon l’ANI. Selon le quotidien israélien Haaretz, la cible de la frappe serait Talal Hamiyah, responsable des opérations du Hezbollah en dehors du Liban.

Les frappes, d’une intensité sans précédent depuis le début des échanges de tirs à la frontière israélo-libanaise en octobre 2023, ont visé « environ 1 600 cibles terroristes » au total, affirmait l’armée israélienne mardi en fin de matinée. Celle-ci a également signalé des explosions secondaires, « indiquant la présence d’armes stockées dans les bâtiments » visés. Selon l’armée israélienne, plus de 50 projectiles ont été lancés mardi matin depuis le Liban contre Israël, dont « la majorité » a été interceptée. 

L’ONU sonne l’alarme

« Nous sommes extrêmement préoccupés par la grave escalade des attaques dont nous avons été témoins hier [lundi 23 – ndlr]. Des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de quitter leurs maisons hier et cette nuit, et leur nombre ne cesse d’augmenter », a déclaré un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), Matthew Saltmarsh, lors d’un point de presse à Genève (Suisse). « Il s’agit d’une région qui a déjà été dévastée par la guerre et d’un pays qui ne connaît que trop bien la souffrance », a-t-il ajouté.

« Le tribut payé par les civils est inacceptable, et la protection des civils et des infrastructures civiles au Liban est primordiale. Le droit humanitaire international doit être respecté. Il est urgent de mettre fin aux hostilités », a affirmé le porte-parole du HCR.

« Nous sommes extrêmement alarmés par la brusque escalade des hostilités entre Israël et le Hezbollah, et nous appelons toutes les parties à cesser immédiatement la violence et à assurer la protection des civils », a déclaré de son côté une autre porte-parole du HCR, Ravina Shamdasani, lors du point de presse.

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) appelle également « de toute urgence à une désescalade immédiate » et à ce que toutes les parties respectent leurs obligations en vertu du droit humanitaire international afin de garantir la protection des infrastructures civiles et des civils, y compris les enfants, les travailleurs humanitaires et le personnel médical.

« La journée d’hier a été la pire que le Liban ait connue depuis dix-huit ans. Cette violence doit cesser immédiatement », a affirmé de son côté la représentante adjointe de l’Unicef au Liban, Ettie Higgins, en liaison vidéo depuis Beyrouth.

Les autoroutes du sud du Liban, à destination de Beyrouth, étaient dans la nuit de lundi à mardi bondées de personnes fuyant les attaques israéliennes. Dans l’après-midi de lundi, la capitale du Liban, Beyrouth, a également fait l’objet de bombardements massifs.

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’était inquiété dimanche que le Liban devienne un « autre Gaza », près d’un an après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée par l’attaque sans précédent du mouvement islamiste et d’autres groupes palestiniens le 7 octobre 2023.

Après presque un an de guerre dans la bande de Gaza, le front s’est déplacé vers le nord d’Israël et la frontière avec le Liban, où les échanges de tirs s’intensifient entre le puissant Hezbollah, allié du Hamas et soutenu par l’Iran, et l’armée israélienne. La semaine dernière, Israël a porté un coup à l’organisation en parvenant à faire exploser des pagers et des talkies-walkies utilisés par le Hezbollah. Ce dernier a promis de continuer à attaquer Israël « jusqu’à la fin de l’agression à Gaza ».

L’Iran met en garde contre « un nouveau Gaza »

« Nous ne devons pas permettre que le Liban devienne un nouveau Gaza aux mains d’Israël », a déclaré mardi le président iranien, Massoud Pezeshkian, lors d’une interview avec CNN.

Lundi, le chef d’État avait accusé Israël de vouloir « élargir » le conflit au Moyen-Orient, soulignant que cela ne « bénéficierait à personne » et insistant sur le fait que Téhéran ne cherchait pas à « déstabiliser » la région. « Nous savons mieux que quiconque que si une guerre plus importante devait éclater au Moyen-Orient, cela ne bénéficierait à personne dans le monde. C’est Israël qui cherche à élargir ce conflit », a-t-il déclaré à New York (États-Unis) lors d’une table ronde avec des journalistes.

Massoud Pezeshkian, un réformateur qui a prêté serment fin juillet, fait ses débuts à l’ONU où il participe à l’Assemblée générale annuelle des Nations unies. « Nous avons essayé de ne pas répondre. Ils n’ont cessé de nous dire que la paix était à portée de main, peut-être dans une semaine ou deux », a-t-il affirmé, semblant faire référence à la mort d’Ismaïl Haniyeh, ex-chef politique du Hamas tué en Iran le 31 juillet dans une attaque imputée à Israël, ainsi qu’aux négociations sur un cessez-le-feu à Gaza.

« Mais nous n’avons jamais atteint cette paix insaisissable. Chaque jour, Israël commet de nouvelles atrocités et tue de plus en plus de personnes – des personnes âgées, des jeunes, des hommes, des femmes, des enfants, des hôpitaux, d’autres infrastructures », a-t-il ajouté. Il n’a pas répondu directement à la question de savoir si l’Iran répondrait désormais plus directement à Israël.

« Nous entendons toujours dire que le Hezbollah a tiré une roquette. Si le Hezbollah ne faisait même pas ce minimum, qui le défendrait ? », a dit le président iranien. « Curieusement, nous sommes toujours considérés comme l’auteur de l’insécurité. Mais regardez la situation telle qu’elle est », a-t-il insisté. 

La France demande une réunion du Conseil de sécurité

Les États-Unis sont opposés à une invasion terrestre du Liban et vont présenter des « idées concrètes » à leurs partenaires cette semaine à l’ONU pour apaiser ce conflit, a confié un haut responsable états-unien.

« Nous sommes au bord d’une guerre totale » au Liban, a de son côté averti le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, tandis que la France a demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité durant cette semaine diplomatique déjà surchargée.

La Chine s’est dite mardi « profondément choquée » par les pertes humaines consécutives aux frappes israéliennes. « La Chine accorde une attention particulière aux tensions actuelles entre le Liban et Israël et est profondément choquée par le grand nombre de victimes causées par ces opérations militaires », a indiqué lors d’un point presse régulier Lin Jian, un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, en réponse à une question sur les attaques israéliennes. « La Chine s’oppose aux violations de la souveraineté et de la sécurité du Liban, et s’oppose et condamne toutes les actions qui portent atteinte à des civils innocents », a souligné le porte-parole.

Le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, avait affiché lundi, lors d’une rencontre à New York avec son homologue libanais Abdallah Bou Habib, un ferme soutien au Liban. « Nous sommes fermement opposés aux attaques aveugles contre les civils », a indiqué le ministre, selon un communiqué diffusé mardi. « Quelle que soit l’évolution de la situation, nous serons toujours aux côtés de la justice, aux côtés de nos frères arabes, dont le Liban », a assuré le diplomate chinois.

Hadi Al-Sayed, journaliste libanais à Al-Mayadeen, a été tué lundi dans le bombardement de son domicile dans le sud du pays, a annoncé mardi le média en ligne.

   mise en ligne le 24 septembre 2024

Martinique : la mobilisation
contre la vie chère s’étend

Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr

Depuis 5 heures ce matin, les routiers ont lancé des opérations escargots en soutien aux mobilisations contre la vie chère qui secouent la Martinique depuis plus de trois semaines.

« Une portion de la population se retrouve dans une misère extrême. Ce sont des personnes âgées seules avec de petites retraites, des enfants dont les parents n’arrivent pas à les nourrir correctement », expliquait une porte-parole du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), la semaine dernière à France24. Depuis le 1er septembre, le collectif multiplie les manifestations et les blocages devant les supermarchés de l’île. En Martinique, les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés qu’en métropole, alors que plus du quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’où l’exigence d’un alignement des prix sur ceux de l’Hexagone, qui fédère de larges secteurs de la population martiniquaise.

Un mouvement qui ne cesse de s’étendre

En plus des actions de blocage devant des supermarchés et des affrontements émeutiers avec la police qui secouent régulièrement les quartiers de Sainte-Thérèse depuis début septembre, plusieurs professions se sont jointes au mouvement de protestation. La semaine dernière, c’étaient les taxis qui interrompaient leurs courses. Ce mardi, c’est au tour de l’Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles de Martinique (SMT Unostra). Le syndicat patronal appelle les routiers martiniquais à une opération molokoï ce mardi. Les chauffeurs ont donc lancé des opérations escargot sur plusieurs points de l’île ce matin, provoquant d’importants ralentissements.

Jeudi, ce sera au tour des salariés et de la Confédération générale du travail de Martinique (CGTM) de se mobiliser. En fin de semaine dernière, le syndicat a déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible couvrant l’ensemble des secteurs d’activité. « L’ensemble des agents de la Fonction Publique (Territoriale, Hospitalière, État), ainsi que les salariés des entreprises assurant une mission de service public, sont appelés à se joindre au mouvement », annonce la CGTM qui revendique « le relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2 000 euros nets par mois, l’indexation sur l’inflation et la mise en place d’un contrôle des prix des produits de première nécessité ». Déjà la semaine dernière, les syndicats de la zone aéroportuaire appelaient à la tenue d’assemblées générales afin de préparer les travailleurs à une mobilisation générale. Ils dénonçaient notamment un « climat de violence, d’arrestations et de poursuites judiciaires, mis en place par l’administration préfectorale contre les manifestants pour la baisse des prix ».

La répression comme réponse aux demandes d’égalité

Loin de s’éroder, le mouvement tend à s’élargir, malgré la pression des pouvoirs publics dès le premier jour. Le 1er septembre, quelques heures avant le premier rassemblement du RPPRAC, un de ses responsables était interpellé par la police. Depuis, le préfet de Martinique a instauré un couvre-feu le 18 septembre, dans un contexte d’affrontements nocturnes avec la police dans certains quartiers de Fort-de-France. Un couvre-feu déjà étendu et prolongé jusqu’à jeudi.

Parallèlement, le gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie et de police en Martinique. Parmi eux, le déploiement de la CRS 8 sur l’île a créé un certain émoi et ravivé de vieilles blessures. Il s’agit en effet du premier envoi d’une unité de CRS en Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959, où trois jeunes avaient été tués par la police. Un signal inquiétant que ne vient pas démentir les déclarations du nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Celui-ci, lors de sa prise de fonction lundi 22 septembre, n’a eu de cesse de marteler sa volonté de rétablir l’ordre.


 


 

Illettrisme, chômage, santé, démographie… « En Martinique, tous les voyants sont au rouge »

Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

Le député socialiste Jiovanny William déplore l’absence de politiques publiques pour la Martinique, en proie à une colère violente liée à l’augmentation des prix du fait de l’inflation.

Alors que le premier ministre n’a toujours ni gouvernement ni budget à proposer à la France, en Martinique, la colère a redoublé du fait de l’explosion des coûts de la vie. Le député socialiste Jiovanny William revient pour Mediapart sur les pistes d’amélioration possibles, en dépit de son pessimisme sur la volonté d’action de l’État.

Mediapart : Où en est-on aujourd’hui des violences urbaines en Martinique ?

Jiovanny William : Le couvre-feu permet que les choses se calment. Après, il y a des poches d’insécurité, il y a eu des coups de feu et des tirs à balles réelles sur des policiers… Certains accès sont bloqués sur Le Lamentin, et Fort-de-France est quasiment sinistrée, avec des lampadaires tombés au sol, qui obstruent le passage. Le maire a lancé un appel au calme et au retour à la discussion. Nous, parlementaires, partageons cette ligne, et nous avons écrit des communiqués en ce sens…

Que dites-vous sur le fond de ce mouvement ?

Jiovanny William : Nous sommes sur une poudrière. Il y a une manifestation avec un objectif noble et louable, celui de lutter contre la vie chère. Mais en marge, il y a des casseurs que je n’assimile pas aux manifestants.

Le problème de la « vie chère » est ancien en Martinique, qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres cette fois ?

Jiovanny William : Oui, tout le monde se souvient du feu en 2009. Aujourd’hui, nous vivons un remake. La situation économique est extrêmement compliquée dans nos îles. Le problème de fond, c’est qu’il y a eu une défiance vis-à-vis du monde économique et de la grande distribution représentée par des Békés. Or le préfet a organisé des tables rondes sur le sujet du pouvoir d’achat avec des industriels, et ces débats n’ont pas été retransmis publiquement… Ce sentiment d’opacité a été l’une des étincelles qui ont mis le feu aux poudres.

Il y a aussi les personnalités qui mènent le mouvement. M. Petitot [Rodrigue Petitot, président du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) – ndlr] connaît beaucoup de personnes capables de faire ce type d’actes. Ça a incité les fauteurs de trouble. Quand il y a des blocages, il y a des exactions, des casses, des ronds-points bloqués avec des pneus, des arbres, et ça dégénère.

Quel rôle a eu l’inflation ?

Jiovanny William : L’inflation s’est ajoutée au différentiel de prix qui est déjà énorme avec la France hexagonale : + 37 % en moyenne de plus sur les produits de consommation ! Un paquet de couches vaut 50 % de plus en Martinique, un panier moyen est 40 % plus cher sur des produits de première nécessité… Cela est dû à l’octroi de mer, au coût du transport et aux nombreux intermédiaires (grossistes, transitaires…) qui font leur marge, en plus de la grande distribution qui fait elle aussi sa marge… Avec l’inflation, tout a encore augmenté.

Nous avons des observatoires qui démontrent chaque année les augmentations des produits de consommation. En parallèle, nos revenus et nos retraites sont plus bas que dans la France hexagonale. Tout cela fait un cocktail explosif.

La collectivité territoriale de Martinique a proposé une exonération partielle de l’octroi de mer…

Jiovanny William : Oui, sur certains produits. Mais dans le même temps, il faut que la grande consommation fasse des efforts, de même que les transporteurs, comme CMA-CGM qui a 67 % du marché. Sinon, on ne verra pas de baisse. L’État doit aussi faire des efforts sur les taxes douanières. Pouvoirs publics, grande distribution, intermédiaires… Tout le monde doit faire un geste.

Comptez-vous sur le prochain gouvernement s’il voit le jour ?

Jiovanny William : Écoutez, nous sommes au quatrième ministre des outre-mer. Sur les quatre, au moins trois n’ont rien eu à faire des outre-mer. À part Jean-François Carenco [2022–2023 – ndlr] qui avait été préfet de Guadeloupe, ils ne connaissaient rien et n’avaient d’ailleurs aucune envie d’être ministres des outre-mer.

Donc, oui, un ministre de plein exercice, qui connaît les outre-mer et qui ne vient pas pour aller voir les ballets folkloriques et boire du punch pourrait changer un peu les choses. Avant, il y avait un comité interministériel d’outre-mer qui est désormais au niveau zéro. Personne n’arrive à se projeter dans l’avenir, en particulier les entreprises. Tous nos voyants sont au rouge : l’illettrisme, le chômage, la santé, la démographie…

Attendez-vous quelque chose de la séquence budgétaire à venir ?

Jiovanny William : On nous parle de réduction de budget, ça ne va donc faire qu’empirer les choses et personne en Martinique n’est serein. Côté parlementaires, nous allons nous organiser et demander des choses, par exemple une continuité territoriale sur le fret comme en Corse, qui fait que ça enlève de la pression sur les produits… Mais on sait que le 49-3 passera.

Le RN est-il une menace en Martinique ?

Jiovanny William : Mélenchon est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle, au second, c’était Marine Le Pen. En 2024, pour la première fois, le Rassemblement national était présent dans les quatre circonscriptions de l’île. Et autre événement tristement historique : un candidat RN est arrivé au deuxième tour des élections en Martinique. C’est aussi un indicateur que le RN monte sérieusement en puissance et cela risque de continuer comme ça si rien ne s’arrange pour les habitants.

  mise en ligne le 17 septembre 2024

Dominique de Villepin :
« Nous avons le devoir d’arrêter l’escalade meurtrière à Gaza »

Rosa Moussaoui, Sébastien Crépel et Vadim Kamenka sur www.humanite.fr

Diplomatie Loin de la rhétorique néoconservatrice qui prévaut dans son camp, à droite, Dominique de Villepin plaide pour un nouvel ordre mondial fondé sur la justice et sur la paix.

Comme chef de la diplomatie, il fut, en 2003, le visage du « non » à la croisade de George W. Bush en Irak. Il fait aujourd’hui entendre une voix critique sur les questions internationales, dénonçant la guerre d’anéantissement que livre l’État d’Israël aux Palestiniens de Gaza, plaidant pour une relation nouvelle avec le Sud, appelant à privilégier la diplomatie plutôt que le recours à la force pour résoudre les conflits. L’ancien premier ministre Dominique de Villepin était, dimanche, l’invité de l’Agora à la Fête de l’Humanité.

« Vous fournissez l’épée, nous fournissons le sang/Vous fournissez l’acier et le feu, nous fournissons la chair/Mais le ciel et l’air/Sont les mêmes pour vous et pour nous. » Que vous inspirent ces vers du poète palestinien Mahmoud Darwich ?

Dominique de Villepin : La poésie nous rappelle à la conscience de notre humanité commune. Nous avons tous le même devoir : arrêter cette escalade meurtrière. Le 7 octobre, ne l’oublions pas, c’est 1 200 morts et plus de 240 otages. À partir de là, l’engrenage de la vengeance sans limite, sans proportion, a conduit, à Gaza, à ce bilan effarant de 40 000 morts, dont 30 000 femmes et enfants, issus de la population civile. Ce bilan, qu’il nous faut regarder en face, est lié à un choix de réponse par la force de la part d’une démocratie soutenue par les États-Unis et par les autres démocraties.

Alors même que nous aurions la capacité, et c’est cela que je trouve particulièrement révoltant, d’introduire de la mesure dans la réponse israélienne. D’abord, parce que nous aidons économiquement Israël, y compris sur les territoires de la colonisation. Ensuite, parce que nous apportons à ce pays une aide militaire – c’est particulièrement vrai s’agissant des États-Unis. Et nous le faisons, en quelque sorte, en fermant les yeux sur cet engrenage de la violence dont nous savons qu’il ne peut conduire à rien.

Ceux qui plaident pour continuer la guerre, pour aller « jusqu’au bout », oublient une réalité fondamentale. Nous sommes dans une guerre dite « contre le terrorisme » qui ne peut être gagnée en employant le seul langage de la force. Surtout si cette logique de force est sans objectif politique. Benyamin Netanyahou répète que son but, c’est l’éradication du Hamas. Il est contredit par son ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui dit lui-même que le Hamas a été désarmé.

À Gaza, tous les services de renseignements disent que le point d’achoppement des négociations, le corridor de Philadelphie, dans le sud de Gaza, n’a pas lieu d’être maintenu par Israël. Sur ce point, une entente est possible : on pourrait engager un cessez-le-feu qui permettrait de libérer de nombreux otages, comme cela a été possible une première fois. Mais le gouvernement Netanyahou cherche surtout à se maintenir au pouvoir. Le premier ministre israélien joue sa survie personnelle et judiciaire. D’où la persistance d’une politique ultraconservatrice et fondamentaliste, celle de Ben-Gvir et Smotrich, auxquels il est associé. Cet engrenage de la violence est sans issue.

Entre les victimes du 7 octobre et celles de Gaza, partagez-vous le constat d’un double standard, d’une empathie sélective ?

Dominique de Villepin : Le drame, c’est l’invisibilisation de la mort à Gaza. Il ne s’agit pas de nier l’horreur, ni la barbarie du 7 octobre. Mais tous ces morts ont un visage. Tous ces morts s’inscrivent dans un lignage, dans un souvenir. Comment fait-on son deuil de ces morts qui n’existent pas ?

Vous avez cité Mahmoud Darwich ; je garde la mémoire des vers de Paul Celan : « Alors vous montez en fumée dans les airs/alors vous avez une tombe au creux des nuages. » Quelles sont les sépultures de ces enfants et de ces femmes à Gaza, dans un territoire où même les cimetières sont bombardés ? Heureusement, il reste une conscience internationale. Tous, nous avons le devoir d’ouvrir les yeux.

La France apporte son soutien inconditionnel à Benyamin Netanyahou. Comment pourrait-elle retrouver une voix crédible, indépendante, écoutée pour dégager des alternatives de paix au Proche-Orient ?

Dominique de Villepin : Nous avons défendu le droit international en Ukraine mais que faisons-nous à Gaza ? Ce droit international, depuis 1947, est bafoué au Proche-Orient. La Cour internationale de justice s’est prononcée sur l’illégalité de la colonisation. Elle a dit son inquiétude sur ce qui pourrait conduire à un éventuel génocide. La Cour pénale internationale a mis en accusation des responsables israéliens et, également, même si je ne fais pas de parallèle, des responsables du Hamas.

Si nous sommes capables de faire gagner la justice à Gaza, c’est tout l’ordre mondial que nous pourrons refonder. Ce conflit est né avec la création de l’État d’Israël, au lendemain de cet immense traumatisme de la Shoah, mais aussi de cette immense injustice faite aux Palestiniens restés sans terre. Avec la Nakba, 700 000 personnes ont été contraintes au départ.

Vous avez à plusieurs reprises réaffirmé votre attachement à une solution à deux États, à la reconnaissance par la France d’un État de Palestine…

Dominique de Villepin : Reconnaître le droit du peuple palestinien, accepter une solution à deux États, c’est garantir la sécurité d’Israël. Je n’ignore rien de l’immense choc, en Israël, du 7 octobre, qui a ravivé la mémoire de la Shoah. Cet État refuge, tout à coup, montrait ses limites. Le mythe d’un État capable de tout sécuriser par des armes sophistiquées s’est effondré. Une seule arme pourra garantir la sécurité du peuple israélien. C’est la justice qui permettra aux deux peuples de vivre ensemble.

La seule solution pour les esprits les plus radicaux comme Benyamin Netanyahou, c’est l’extension du conflit, avec le rêve d’une guerre totale. On voit bien comment Israël pourrait, si le conflit s’étend, solliciter l’aide américaine. Les Israéliens ne peuvent pas seuls détruire le Hezbollah et s’en prendre à l’Iran, avec une vraie menace sur le plan nucléaire. Le schéma de Benyamin Netanyahou, c’est la politique du pire.

Au contraire, la réponse, dans le cadre de la solution à deux États, réside dans une administration pour tous les territoires occupés : Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. Une administration qui pourrait prendre en main ces territoires le plus tôt possible, sous l’égide internationale, avec une Autorité palestinienne rénovée, légitime et crédible, avec une force internationale d’interposition. Un tel scénario exige des interlocuteurs prêts à avancer, du côté israélien comme du côté palestinien. Il implique un réengagement de la communauté internationale en faveur de la justice et de la paix. Liquider le Hamas, ce n’est pas liquider les Palestiniens, ni la question palestinienne.

Jamais la question palestinienne n’a été aussi prégnante, incontournable, nécessaire à la création d’un nouvel ordre mondial. Si la communauté internationale veut éviter le spectre d’une guerre globale, mondialisée, elle doit offrir un avenir aux peuples, changer la perspective du monde.

Toute voix critique du gouvernement israélien s’expose à l’infamante accusation d’antisémitisme. Vous-même avez été la cible de tels procédés. Comment l’avez-vous vécu ?

Dominique de Villepin : Toute instrumentalisation de l’antisémitisme nuit à la lutte indispensable contre l’antisémitisme. Nous sommes dans un monde où les réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu ne cessent de polariser les jugements et les opinions publiques. Cette logique de clivage est permanente. Nous devons donc nous méfier de l’instrumentalisation de nos paroles.

Mais ceux qui lancent ces accusations refusent en fait le débat. Je suis prêt à parler avec tout le monde. Et cette liberté fait peur à ceux qui refusent le dialogue et veulent le clore avec des étiquettes : « Antisémite », « anti-Israélien », « antisioniste ». Non ! Nous devons prendre le risque du débat. Un devoir s’impose quand on fait de la politique : assumer ses convictions.

La France a choisi elle aussi, au Sahel, la voie de la « guerre contre le terrorisme »…

Dominique de Villepin : Derrière cette guerre contre le terrorisme, et souvent derrière l’emploi de la force, il y a, sous-jacente, cette pensée magique du changement de régime qui réglerait tout. La politique du changement de régime, défendue par les néoconservateurs américains, s’est déployée en Irak, en Libye, en Syrie. Avec pour résultat le chaos que l’on sait. Elle est encore omniprésente sur la scène internationale, face à l’Iran, face à la Russie.

Je crois au contraire que l’ordre international tel qu’il a été défini en 1945 et tel qu’il devra être refondé implique l’acceptation du principe de non-ingérence, qui n’est pas synonyme de désintérêt pour les droits de l’homme. Toute leçon donnée aux autres doit commencer par soi-même. Regardez ce qui s’est passé le 6 janvier 2021 avec l’invasion du Capitole à Washington. Est-ce l’image d’une grande démocratie ? La confusion idéologique conduit les démocraties occidentales à s’égarer dans la surenchère. Or il n’y a pas d’issue dans la surenchère.

Qu’est-ce qui distingue le spectre de la « guerre globale » contre laquelle vous mettez en garde des conflits mondiaux du XXe siècle ?

Dominique de Villepin : Le spectre de la guerre globale est présent dans beaucoup de nos discours, y compris parfois dans la politique des sanctions. Les deux tiers de l’humanité ne suivent pas nos politiques de sanction. Les Brics, eux, se posent la question de vivre sans ce dernier tiers, en commerçant par le biais d’échanges qui ne passeraient pas par le dollar, par les marchés internationaux. C’est la construction d’un monde parallèle qui peu à peu va nous isoler. Tout cela change les mentalités du monde.

Et si la France veut rester capable de parler au Brésil, à l’Afrique du Sud, à l’Algérie, à l’Indonésie, nous devons construire un langage commun hors de la confrontation entre les États-Unis et la Chine. C’est aussi la question posée à l’Otan : doit-elle se projeter vers l’Asie pour contenir l’influence chinoise ? Cette logique d’élargissement des conflits, de guerre totale, nous menace. Au contraire, l’Europe doit préserver son indépendance, son autonomie stratégique. Elle doit construire son identité et sa souveraineté dans un grand partenariat avec le Sud global. L’avenir est là.

Le président Biden se dit « déterminé à mettre l’Ukraine dans la meilleure position possible pour l’emporter ». Comment initier un processus diplomatique conduisant à la désescalade ?

Dominique de Villepin : Ce conflit a déjà fait 300 000 victimes, on voit bien qu’il ne mène nulle part. Comment faire en sorte que la Russie ait intérêt à ne pas aller plus loin, à transiger ? C’est la question stratégique aujourd’hui sur la table. Nous devons être capables de dire là où peut se nouer une paix raisonnable. C’est compliqué, avec l’enjeu territorial au Donbass et en Crimée. Mais la question du statut de l’Ukraine, de sa neutralité, se pose aussi, comme celle des garanties de sécurité.

Redoutez-vous le retour de Donald Trump ?

Dominique de Villepin : Donald Trump prétend qu’il va faire la paix en Ukraine en 24 heures. Ça paraît peu raisonnable. Il a sans doute son idée sur Gaza ; elle ne passe sans doute pas par la création d’un État palestinien. Mais cela peut produire un réveil. Les Européens finiront peut-être par comprendre que les États-Unis, quoi qu’il arrive, privilégieront, comme ils l’ont fait avec Barack Obama, une continuité historique et diplomatique qui ne va pas dans le sens de l’Europe.

L’obsession des États-Unis, c’est l’Asie-Pacifique, avec l’objectif d’empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Ce n’est pas l’enjeu pour l’Europe. Nous n’avons pas partie liée avec les États-Unis sur l’ensemble de leur vision stratégique mondiale. L’Europe doit comprendre qu’elle a des intérêts communs avec le Sud global. Il faut être capable de mettre les pieds dans le plat.

Mario Draghi, l’ancien gouverneur de la BCE, fait justement le constat d’un décrochage économique de l’Europe. Il préconise un grand plan européen d’investissement. Michel Barnier, lui, a pour mission de conduire en France un plan d’austérité sans précédent. Quelles peuvent en être les conséquences économiques, sociales, politiques ?

Dominique de Villepin : L’austérité est toujours un renoncement. On peut choisir le sérieux budgétaire face à la dette tout en restant exigeant sur la nécessité de préserver la croissance. Nous avons besoin, comme les Américains et comme les Chinois, de relancer nos économies dans un moment où la différenciation se fait dans la grande bataille numérique, technologique. Cela exige des sommes colossales.

Mario Draghi parle de 800 milliards d’euros par an. C’est un immense effort, les États-Unis l’ont fait. Il faut être capable de cette audace. Le drame de la France, c’est que la start-up nation s’est faite à périmètre constant. Le résultat, c’est que nous sommes aujourd’hui dans un pays étriqué, qui rapetisse, ne pense pas, un pays égoïste. L’avenir, c’est au contraire la capacité d’offrir à chacun une perspective. Et cela suppose de renier la politique du rabot.

La dissolution de l’Assemblée nationale a ouvert une crise inédite sous la Ve République. Peut-elle se muer en crise de régime ?

Je ne suis pas forcément le mieux placé pour parler de dissolution… Mais je me permets de dire quand même que cette dernière dissolution n’a rien à voir avec la précédente. Là, j’avoue qu’on a un maître ès dynamite. Se couper de l’exigence démocratique, c’est courir le risque d’une crise de régime. Je l’ai dit dès le lendemain des législatives : il fallait faire les choses dans l’ordre, en respectant les Français.

Une force est arrivée en tête, il fallait lui donner sa chance. Est-ce que cela aurait duré ? Est-ce que le Nouveau Front populaire (NFP) aurait eu l’audace d’étendre ses lignes pour constituer un gouvernement qui puisse avoir une majorité ? Ce n’était pas au président de la République d’y répondre à la place du NFP. Nous sommes dans une situation très singulière : c’est le parti arrivé en dernier qui forme le gouvernement. Reconnaissez quand même un mérite à ce choix : il donne raison à la parole évangélique. « Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers ! »

Michel Barnier est un homme d’expérience, de dialogue, il l’a prouvé à Bruxelles. Bruxelles n’est pas le Parlement français. Je lui souhaite bon courage, avec le RN aux aguets. Mais il ne faut pas désespérer de la démocratie : nous avons d’autres options. L’expérience d’un gouvernement de front républicain mériterait peut-être d’être tentée. Vous avez devant vous un gaulliste : j’ai la mémoire de 1944. Un gouvernement d’union nationale, en cas de crise majeure, pourrait être une réponse. Ce que je souhaite, c’est que personne ne joue la politique du pire. Parce que le pire, nous savons tous où cela conduit.


 


 

« Des familles entières sont mortes assassinées » : rescapée de l’enfer de Gaza, une professeure de français témoigne 

Camille Bauer sur www.humanite.fr

Professeure de français à l’université al-Aqsa, Falestine Rusrus a raconté à la Fête de l’Humanité l’horreur de la vie dans l’enclave palestinienne et la destruction complète du système scolaire.

Son cri de désespoir a déchiré la Fête de l’Humanité. De sa voix tremblante, au bord des larmes, Falestine Rusrus, directrice du département de français à l’université al-Aqsa de Gaza, est venue témoigner de l’enfer qu’elle a vécu. « J’habite dans le nord de la bande de Gaza. Ils m’ont obligée à me déplacer vers le Sud, juste pour chercher un peu de sécurité pour mes enfants. On ne savait pas où aller. On se déplaçait d’un endroit à l’autre juste pour trouver un lieu sûr. Et puis on est restés sans rien manger, sans eau potable. On a attendu l’aide humanitaire dans les écoles. On faisait des queues, de longues queues, juste pour avoir un litre d’eau potable par semaine, pour six personnes. C’est ça qu’on vit à Gaza », a-t-elle raconté à l’espace débats du Village du monde.

« Les enfants ont fait leur rentrée sous les décombres des maisons »

Au-delà de son cas personnel, Falestine Rusrus a rappelé que « des enfants sont restés sous les décombres sans même qu’on ait pu les enterrer. Des familles entières sont mortes assassinées. Assassinées”, j’insiste sur le mot. Quand on te dit que tu peux aller dans un endroit pour y être en sécurité, mais qu’une fois que tu arrives, on te bombarde, ça n’est pas une guerre, c’est un crime, un génocide. Les responsables israéliens de ces crimes de guerre doivent payer. C’est l’humanité qu’on assassine à Gaza. »

L’enseignante qu’elle a été est aussi venue rappeler l’écroulement du système éducatif. « Je suis professeure de français depuis 2006. Pendant toutes ces années, j’ai toujours essayé, avec les générations successives de Palestiniens, de planter de l’espoir, de la liberté. Je leur ai dit : Parler en français, c’est pour parler de vous-même, pour vous exprimer, pour voyager, pour aller voir le monde, pour vivre.” C’est ça le sens. Mais maintenant, il n’y a plus d’universités à Gaza. Tout le système éducatif est complètement détruit. Il n’y a plus d’écoles, plus de jardins d’enfants. Il n’y a plus rien du tout. Et pourtant, si vous regardez sur les réseaux sociaux, vous y verrez la détermination du peuple palestinien, dont les enfants ont fait leur rentrée scolaire sous les décombres des maisons… »

Le courage, la résilience des Palestiniens ont transparu tout au long du témoignage de Falestine Rusrus. « On nous dit : Partez, vous n’avez pas le droit d’être là !” Mais c’est notre pays, notre terre. Les Palestiniens ont vraiment du mérite. Après une histoire d’occupation longue de plus de soixante-seize ans, on insiste toujours sur le droit à la liberté, le droit du peuple. Je ne sais pas quelle génération verra ce jour où la Palestine fêtera son indépendance et sa liberté. J’aimerais bien que mes enfants voient ce jour-là. »

  mise en ligne le 14 septembre 2024

Guerre dans la bande de Gaza : une frappe israélienne sur une école fait au moins 18 morts, dont plusieurs collaborateurs de l'ONU

sur https://www.francetvinfo.fr/

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a déploré la mort de six membres de l'UNRWA dans cette frappe. L'armée israélienne affirme avoir visé "des terroristes".

La Défense civile de Gaza a annoncé que 18 personnes, dont des collaborateurs de l'ONU, ont été tuées mercredi 11 septembre dans une frappe aérienne israélienne sur une école de Nuseirat transformée en abri pour déplacés, l'armée israélienne affirmant avoir visé des "terroristes" du Hamas.

Selon l'UNRWA, l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, six membres de l'organisation sont morts. "Il s'agit du plus grand nombre de morts parmi nos collaborateurs en une seule fois", écrit-elle sur le réseau social X.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a confirmé le décès de collaborateurs onusiens."Une école transformée en refuge pour 12 000 personnes a à nouveau été visée par des frappes aériennes israéliennes aujourd'hui. Six de nos collègues figurent parmi les morts", a-t-il déploré.

"Ce qui se passe à Gaza est totalement inacceptable", a souligné Antonio Guterres, déclarant que "ces violations dramatiques du droit humanitaire international doivent cesser immédiatement".

Israël évoque "une frappe de précision"

Dans un communiqué, l'armée israélienne a déclaré de son côté que son aviation avait "mené une frappe de précision sur des terroristes qui opéraient à l'intérieur d'un centre de commandement du Hamas" dans l'école Al-Jouni. Les services de presse du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza ont affirmé que l'école, qui est gérée par l'UNRWA, abritait environ 5 000 personnes déplacées au moment de la frappe.

Ces derniers mois, l'armée israélienne a frappé plusieurs écoles dans la bande de Gaza, les accusant d'abriter des centres de commandement du Hamas, ce que le mouvement islamiste palestinien nie. Des dizaines de milliers de personnes déplacées ont trouvé refuge dans des établissements scolaires depuis que la guerre à Gaza a commencé, après l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre.

mise en ligne le 10 septembre 2024

Guerre au Proche-Orient : Une frappe israélienne sur une zone humanitaire fait au moins 40 morts

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel, Luc Chagnon sur https://www.francetvinfo.fr/


 

Une frappe israélienne sur une zone humanitaire fait au moins 40 morts. La Défense civile de Gaza a annoncé que la zone humanitaire d'al-Mawasi à Khan Younès, avait été touchée par une frappe dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 septembre. Elle a également fait état de 60 blessés ainsi que "15 personnes disparues"


 

Tsahal ordonne de nouvelles évacuations dans la bande de Gaza. Une carte appelant à évacuer différents quartiers du nord-ouest de l'enclave palestinienne "considérés comme des zones de combat dangereuses" a été publiée sur le réseau social X par un porte-parole de l'armée israélienne. Tsahal, qui poursuit son offensive, avait pourtant annoncé début janvier avoir "achevé le démantèlement de la structure militaire" du Hamas dans le nord.


 

"Depuis 11 mois, il n'y a jamais vraiment eu de zones sûres [dans la bande de Gaza]." Déclare Jean-François Corty, président de Médecins du Monde,

#ISRAEL_PALESTINE "Le droit humanitaire n'est pas du tout respecté" par Israël dans son offensive dans la bande de Gaza, affirme sur franceinfo Jean-François Corty, médecin et président de Médecins du monde. "On est sur des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au quotidien", affirme le médecin après la frappe israélienne sur la zone humanitaire d'al-Mawassi, à Khan Younès, qui a fait au moins 40 morts et 60 blessés.


 

#ISRAEL_PALESTINE L'offensive israélienne dans la bande de Gaza a fait 41 020 morts depuis octobre dernier, selon le nouveau bilan quotidien du ministère de la Santé du Hamas. Au moins 32 personnes ont été tuées ces dernières 24 heures, selon le mouvement islamiste. Suivez notre direct.

#ISRAEL_PALESTINE "Je condamne fermement les frappes aériennes meurtrières menées aujourd'hui par Israël dans un secteur densément peuplé, une zone humanitaire définie par Israël à Khan Younès où s'abritaient des personnes déplacées", a déclaré l'émissaire de l'ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient dans un communiqué. Il ajouté que "les civils ne devaient jamais être utilisés comme boucliers humains", en référence aux déclarations de l'armée israélienne affirmant avoir visé un centre de commandement du Hamas.


 


 

Gaza : « Netanyahou n’acceptera pas un accord si cela met fin à la guerre »

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Engagé pour la paix au Proche-Orient, Gershon Baskin a souvent négocié avec le Hamas. Il explique les difficultés des discussions actuelles, les blocages à l’œuvre et appelle à la reconnaissance d’un État de Palestine.

Fondateur et directeur du Centre de recherche et d’information Israël-Palestine (Ipcri), Gershon Baskin a été l’initiateur et le négociateur pour Israël de discussions secrètes entre Israël et le Hamas pour la libération, en 2011, de plus de 1 000 prisonniers palestiniens, dont Yahya Sinouar, l’actuel chef du Hamas dans la bande de Gaza, en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit, capturé en 2006.

Sur quelles bases se sont fondées les discussions actuelles sous l’égide des États-Unis, de l’Égypte et du Qatar ? Quels sont les sujets abordés ?

Gershon Baskin : Les négociations qui se poursuivent depuis deux mois et demi portent sur le plan que le président Biden a présenté publiquement en mai. Celui-ci comprend un accord en trois étapes dont la première, censée durer quarante-deux jours, implique un cessez-le-feu. Israël devrait alors se redéployer hors des zones peuplées et, durant ces six semaines, le Hamas libérerait 32 otages.

À ma connaissance, une liste de noms est actuellement discutée. Dans le cadre de ces négociations, les Américains poussent pour qu’Israël se désengage du corridor de Philadelphie (zone de 14 kilomètres le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza – NDLR), qu’ils considèrent comme une zone peuplée. Au Caire et à Doha, les négociations ont porté sur le retrait des forces israéliennes de cinq à huit postes militaires le long de ce corridor de Philadelphie, durant les six semaines de cessez-le-feu.

Sur ce point, à ma connaissance, il n’y a pas eu d’accord. L’Égypte et le Hamas s’y opposent, et les Israéliens refusent de se retirer de cette zone. Quoi qu’il en soit, je pense que c’est une mauvaise stratégie, car personne ne sait ce qu’il se passera après ces quarante-deux jours.

Je plaide pour un cessez-le-feu de trois semaines, prémice à un cessez-le-feu total, le retrait israélien de Gaza, la libération de tous les otages israéliens et d’un nombre convenu de prisonniers palestiniens retenus dans les prisons israéliennes. J’ai demandé au Hamas de dire aux Égyptiens et aux Qataris de travailler en ce sens. Je leur ai tout communiqué, ainsi qu’aux Américains et aux Israéliens.

Comment se déroulent ces discussions puisque Israël et le Hamas ne se parlent pas directement ?

Gershon Baskin : Lorsque vous n’avez pas de discussion directe, les conversations sont complexes. Les trois parties – les États-Unis, le Qatar et l’Égypte – ont chacune leurs propres intérêts, leur propre façon de communiquer. Vous ne savez jamais si les messages qui sont livrés sont fidèles à ce que vous avez énoncé.

Vous ne savez pas non plus si les réponses que vous recevez sont retransmises de façon exacte. Les documents écrits sont donc les seuls sur lesquels il est possible de compter mais ils n’aident pas à une compréhension optimale. Chacun se concentre sur la forme, parfois au détriment du fond. C’est, selon moi, une très mauvaise façon de mener des négociations.

Qu’est-ce qui empêche un accord ?

Gershon Baskin : Le Hamas ne signera pas un accord qui ne met pas fin à la guerre, et Netanyahou ne l’acceptera pas si cela met fin à la guerre. Tous les autres points sont des détails : prisonniers, redéploiement, couloir de Philadelphie…

Comment le Hamas peut-il prendre des décisions alors qu’Ismail Haniyeh a été tué et que Yahya Sinouar se cache ?

Gershon Baskin : Tous les dirigeants sont consultés, qu’ils soient à Gaza, en Cisjordanie, à Doha, à Istanbul ou à Beyrouth. Le Hamas a également tenté de consulter ceux qui se trouvent dans les prisons israéliennes. En vain. Ils essaient de parvenir à un consensus mais n’y arrivent pas toujours.

Au deuxième mois de la guerre, déjà, certains membres du Hamas m’indiquaient que Yahya Sinouar n’était pas le seul décideur. Lorsqu’une décision est prise, elle est annoncée par le chef du Hamas à Beyrouth, Oussama Hamdan. Et même s’il y a désaccord, tout le monde se plie à cette décision.

Khalil Al Hayya, l’adjoint de Sinouar, se trouve hors de Gaza depuis le début de la guerre. Au cours des deux dernières semaines, il a publié des déclarations sur le compte Telegram de l’organisation en signant de son nom. Cela apparaît comme l’expression finale du Hamas. C’est un fait nouveau.

Quel est l’objectif de Netanyahou ?

Gershon Baskin : Rester au pouvoir ! C’est ce qui le préoccupe. Ne pas avoir une commission d’enquête nationale et ne pas devoir se présenter aux élections. Demeurer en poste aussi longtemps qu’il le peut car il croit au mythe de la destruction totale du Hamas.

Benyamin Netanyahou veut éliminer Yahya Sinouar. Mais la mort récente de six otages israéliens a un peu changé la donne. Si Yahya Sinouar est tué, le Hamas exécutera tous les otages. Il n’y a aucune raison de ne pas le croire et tout le monde le comprend.

Dans ce contexte, quel est le but de l’offensive israélienne en Cisjordanie ?

Gershon Baskin : L’offensive en Cisjordanie se poursuit depuis le 7 octobre. Elle s’intensifie ces derniers temps, avec son lot de morts et de destructions. Ben-Gvir et Smotrich (ministres israéliens d’extrême droite de la Sécurité nationale et des Finances – NDLR) veulent une explosion en Cisjordanie pour pouvoir faire comme à Gaza : détruire les infrastructures, les habitations et forcer les habitants à partir.

Dans le même temps, les Palestiniens ne peuvent plus venir travailler en Israël et commencent à mourir de faim. Les écoles sont fermées parce que l’Autorité palestinienne, en faillite, ne peut plus payer les salaires des enseignants. Des centaines de milliers de jeunes sont dans les rues, ce qui alimente un climat de tension.

Nous assistons à un retour de l’utilisation de voitures piégées et de kamikazes, ce qui n’était plus le cas depuis la fin de la deuxième Intifada. C’est très dangereux et c’est exactement ce que certains pyromanes du gouvernement israélien veulent.

Comment les Israéliens réagissent-ils ?

Gershon Baskin : Ils ne savent pas ce qui se passe. Ils sont aveugles, ils ne regardent pas, ils s’en fichent, ils sont toujours dans le traumatisme du 7 octobre et ils ont peur que cela puisse se reproduire depuis la Cisjordanie. Ils entendent dans les médias israéliens que le terrorisme se développe dans ce territoire palestinien, qu’il y a de plus en plus d’attaques, de plus en plus de cellules terroristes, de plus en plus d’armes en circulation…

Les gens vivent dans la crainte. Alors, lorsqu’ils entendent que l’armée israélienne entre chaque nuit en Cisjordanie et tue des Palestiniens, ils sont soulagés. Ils ne comprennent pas que tout cela, en réalité, ne fait que jeter de l’huile sur le feu.

Est-ce à dire qu’ils ne considèrent pas que la libération des otages est liée à un accord de paix ou à un accord final sur l’État palestinien ?

Gershon Baskin : Personne ne parle d’un accord de paix. Personne n’évoque les négociations ou la solution à deux États. Nous tentons de faire comprendre aux gens que si nous parvenons à mettre fin à la guerre à Gaza, si la guerre au Liban s’arrête aussi, alors, peut-être qu’Israël permettra aux Palestiniens de retourner travailler en Israël. Peut-être. Mais si nous n’essayons pas, cela va continuer. La situation économique est vraiment désespérée. Les Palestiniens n’ont plus d’argent pour acheter de quoi manger.

Certes, la solution à deux États est revenue dans les discussions internationales, ce qui est important, mais elle n’a pas encore irrigué les consciences en Israël. Cela se produira peut-être après les prochaines élections. Mais tant que Netanyahou sera premier ministre, il n’y aura pas de discussion sur un processus de paix et une solution à deux États.

Y a-il des tiraillements entre l’administration américaine et Netanyahou ?

Gershon Baskin : Oui, il existe un conflit entre l’administration américaine et Netanyahou. Le contexte électoral pèse lourd. Biden n’étant plus candidat, il pourrait être amené à prendre des décisions qu’il n’envisageait pas. Kamala Harris aimerait que cette guerre se termine car cela n’aide pas sa campagne.

Israël dépend des États-Unis, que ce soit pour l’utilisation du veto à l’ONU ou la livraison d’armes. Les Américains ont de multiples canaux pour faire passer des messages clairs à Israël, en privé, ou publiquement si les discussions à huis clos échouent.

Est-il important que la communauté internationale reconnaisse un État palestinien ?

Gershon Baskin : Il faut que cela devienne un fait accompli (en français dans le texte) qui supprimerait le veto d’Israël sur la question de l’État palestinien. Cela ne changera pas l’occupation, mais forcera à une réorganisation dans la société civile et les politiques en Israël et en Palestine. Cette reconnaissance permettra de faire comprendre qu’un processus de paix relève d’une négociation régionale pour la stabilité, la sécurité, le développement économique.

C’est la voie à suivre pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Mais nous allons avoir besoin d’un coup de pouce de la part des Américains et des Européens sur ce point. Tous les pays qui n’ont pas reconnu et Israël et la Palestine doivent le faire.

  mise en ligne le 16 juillet 2024

Espagne : l’embellie économique boostée par le progrès social

Luis Reygada sur www.humanite.fr

Aux antipodes des prédictions des conservateurs, l’Espagne, gouvernée par une coalition progressiste, voit sa croissance largement surpasser la moyenne des pays de la zone euro.

Janvier 2020. Le socialiste Pedro Sánchez passe un accord de gouvernement avec Unidas Podemos (UP) – composé de partis situés à sa gauche – sur la base d’un programme résolument progressiste. Un gouvernement de coalition est formé, il vise à faire de l’Espagne une « référence pour la protection des droits sociaux en Europe », soit résorber les mesures néolibérales et antisociales qui flagellent la population depuis plus de dix ans.

Abrogation des aspects les plus néfastes de la réforme du travail, réforme fiscale ambitieuse avec des hausses d’impôts pour les plus riches et les grandes entreprises, augmentation du salaire minimum, mesures en matière de logement, de transition écologique, de lutte contre les inégalités, etc. L’accent social – ainsi que féministe – est omniprésent et fait alors hurler les porte-voix de la bourgeoisie et du grand patronat.

Du jamais vu en 15 ans

Le moment est historique – il s’agit du premier gouvernement de coalition depuis 1936 – et toute la droite pousse des cris d’orfraie, dénonce l’alliance du PSOE avec la « gauche radicale », et accuse Sánchez de pousser le pays vers l’abîme avec une politique « irresponsable et dangereuse ». Le devenir de la stabilité économique, prétendument au cœur de leurs préoccupations, vise surtout à effrayer l’opinion publique.

Pour les conservateurs, pas de doute : avec les hausses des dépenses publiques et les mesures de protection sociale, le programme de la coalition « embrasse le communisme bolivarien », décourage les investisseurs, augmente la dette publique, nuit à l’emploi et à la compétitivité espagnole. Sans parler de la discipline budgétaire. Quatre ans après, force est de constater que c’est tout le contraire qui s’est produit.

La droite n’y croit pas, la gauche le fait

Les résultats macroéconomiques du gouvernement de coalition – qui a vu Sumar remplacer UP en novembre 2023 – sont bons, voire très bons, malgré l’impact de la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine. Les politiques de relance, qui forment un bouclier social protecteur vis-à-vis des familles, des travailleurs et des PME, ont porté leurs fruits et permis d’atteindre des chiffres records en matière d’emploi – jamais vus en quinze ans.

À cela s’ajoutent la hausse du salaire minimum (passé en quatre ans de 900 à 1 134 euros), les réformes qui ont permis aux travailleurs de recouvrer des droits, l’augmentation des retraites ou encore la création d’un revenu de solidarité active.

Les budgets « anti-austéritaires », la mise en place d’une taxe sur les transactions financières, sur les grandes fortunes ou encore sur les bénéfices exceptionnels des grands groupes financiers et de l’énergie, les plus de 200 autres lois approuvées depuis 2020 n’ont pas freiné l’économie.

La situation budgétaire a été plus solide que prévu l’an dernier. Avec une croissance annuelle de 2,5 %, l’économie espagnole a largement dépassé la moyenne de la zone euro (cinq fois inférieure), allant même jusqu’à se hisser sur la première marche du podium devant les autres principales économies européennes. La droite espagnole ne voulait pas y croire, la coalition progressiste au pouvoir l’a pourtant fait.

  mise en ligne le 14 juillet 2024

« Des boules humaines de flipper » 
forcées à se déplacer :
à Gaza, 90 Palestiniens tués par Israël dans une zone « sécurisée »

Pierre Barbancey surwww.humanite.fr

Au moins 90 personnes, dont la moitié serait des enfants, ont été tuées samedi 13 juillet lors d’une frappe ordonnée par Benyamin Netanyahou ciblant un dirigeant du Hamas. Le secrétaire général de l’ONU compare la condition des civils à des « boules humaines de flipper », forcées de se déplacer.

Al-Mawasi est censée être une zone humanitaire sécurisée. C’est en tout ce que prétend l’armée israélienne qui, à plusieurs reprises, a exhorté les Palestiniens à s’y rendre après avoir émis des ordres d’évacuation d’autres parties de la bande de Gaza.

Mais le commissaire général de l’organisme des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, avait prévenu qu’aucune zone n’était en réalité sécurisée. Il avait raison. Samedi 13 juillet, Israël a lancé une frappe sur ce quartier densément peuplé, faisant au moins 90 morts (dont la moitié d’enfants) et 300 blessés.

« Je ne pouvais même pas dire où j’étais, ou ce quil se passait », a expliqué à l’agence Reuters Sheikh Youssef, un résident de la ville de Gaza qui est actuellement déplacé dans la région d’Al-Mawasi. « J’ai quitté la tente et regardé autour de moi : toutes les tentes ont été renversées, des parties de corps, des corps partout, des femmes âgées jetées par terre, de jeunes enfants en morceaux. » Ce même jour, une frappe sur le camp d‘Al-Shati, en bordure de la ville de Gaza, plus au nord, a fait au moins 20 morts.

Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux montrent beaucoup d’enfants morts

Officiellement, Israël cherchait à tuer le chef militaire du Hamas, Mohammed Deïf, mais Benyamin Netanyahou, sans un mot pour les civils tués, a avoué qu’il ne savait pas si Deïf et un autre commandant du Hamas avaient été tués. Il « va bien et supervise directement les opérations des brigades al-Qassam (la branche armée du Hamas – NDLR) et de la résistance », a fait savoir un responsable du m