PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

JANVIER 2025

    mise en ligne le 31 janvier 2025

Le Mouvement associatif alerte sur l’étranglement financier du secteur

Jérôme Hourdeaux sur www.mediapart.fr

Victime de coupes budgétaires toujours plus importantes, beaucoup d’associations voient leur survie menacée. Alors que de nombreux départements, régions, villes et l’État prévoient de nouvelles baisses de subvention, l’organisation nationale du Mouvement associatif a écrit au premier ministre.

Le Mouvement associatif sonne l’alarme. Jeudi 30 janvier, le réseau national a rendu publics un rapport et une lettre ouverte au premier ministre alertant sur les réductions budgétaires drastiques imposées aux associations. « Le contexte était déjà tendu. Désormais ça ne tient plus », a prévenu, lors d’une conférence de presse, la présidente du Mouvement associatif, Claire Thoury.

« Le secteur arrive à bout de souffle. Il y a des structures qui sont en train de mettre la clef sous la porte, et des structures qui existaient depuis longtemps », a-t-elle poursuivi. « Ce soir, nous tirons la sonnette d’alarme. Ça concerne toute la société. C’est cela que nous voulons faire comprendre. Est-ce cette société dont nous voulons vraiment ? », a conclu Claire Thoury.

« Le prochain vote du budget pourrait avoir un impact majeur sur le monde associatif, en raison des coupes sectorielles annoncées, du décalage dans son adoption et de la diminution des budgets des collectivités territoriales, dont certaines ont déjà prévenu qu’elles réduiraient significativement leurs subventions », avertit encore, dans son rapport, le Mouvement associatif qui fédère environ 700 000 associations – soit près d’une sur deux.

Ainsi, « les mesures budgétaires annoncées menacent […] 186 000 emplois de l’économie sociale et solidaire (au sein de laquelle on compte 80 % d’associations) », détaille de son côté le rapport intitulé « Que serait la vie quotidienne sans les associations ? ». Car c’est bien la survie de toute une partie du secteur qui est menacée, et ce depuis déjà plusieurs années. Selon le Mouvement associatif, il y a eu 1 110 procédures collectives en 2024, dont 489 liquidations. En 2022, il n’y avait que 766 procédures collectives pour 325 liquidations.

« Particulièrement critique »

Lors de la conférence de presse, le directeur général du Mouvement associatif, Mickaël Huet, a précisé que 29 % des associations avaient moins de trois mois de trésorerie en réserve et que 19 % étaient « dans une situation financière particulièrement critique ».

« Cette situation déstabilise un monde associatif déjà fragilisé depuis de nombreuses années, pris en tenailles entre une hausse continue des charges et une demande de plus en plus importante des bénéficiaires, alerte encore la lettre au premier ministre. En clair, les associations sont aujourd’hui dans l’impasse de devoir faire toujours plus avec moins. »

Le rapport cite plusieurs cas emblématiques de coupures de crédits à divers échelons territoriaux, et détaille leurs conséquences. Au niveau municipal, le Mouvement associatif évoque la situation des 14 000 associations et clubs sportifs de Toulouse, sur la sellette en raison du « “gel” par la mairie de 20 % des financements destinés aux clubs sportifs et de 40 % pour l’ensemble du secteur associatif ».

« À titre d’exemple, poursuit le rapport, l’association toulousaine MixaH, agissant pour la socialisation des personnes handicapées et des jeunes en difficulté par le biais d’échanges sportifs et éducatifs, subit de plein fouet les conséquences des coupes budgétaires. En plus de voir la subvention de la ville de Toulouse diminuer de 33 % par rapport à 2024, elle perd également le financement d’un poste adulte relais. […] Certaines actions, comme son intervention estivale auprès de plus de 60 jeunes des quartiers prioritaires, se retrouvent compromises. »

Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures.

À l’échelle départementale, ensuite, le rapport évoque le cas du « Val-de-Marne, où le Secours populaire perd 77 % de sa subvention triennale. La perte sera de 66 000 euros par an, et de 198 000 euros au total, alors que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 50 % depuis 2018 », détaille le Mouvement associatif. « La Croix-Rouge française et le Secours catholique sont également concernés par ces baisses de subventions val-de-marnaises, alors que ce département fait partie des plus pauvres de France hexagonale », souligne-t-il.

« Cela veut dire que l’on ne va pas pouvoir répondre à une détresse qui pourtant monte », a dénoncé, lors de la conférence de presse, le président du Secours catholique, Didier Duriez. « C’est très dur à vivre pour nous, pour nos bénévoles et pour nos salariés. » « Ces associations vont se trouver dans la situation de devoir dire à une famille si oui ou non ils pourront accueillir leur enfant en situation de handicap », a renchéri Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss).

Ce dernier a tenu a exprimer sa « colère » face à la situation. « Je ne connais pas une structure, quelle que soit sa taille, quel que soit son secteur, qui ne soit pas dans le rouge », a témoigné Daniel Goldberg en rappelant que les associations gèrent 30 % des Ehpad et de 85 à 90 % des structures de protection de l’enfance ou d’accueil de personnes en situation de handicap.

À l’échelle régionale, c’est la région Pays de la Loire qui est épinglée pour avoir annoncé en novembre 2024 « une réduction de son budget de 100 millions d’euros ». Ces économies passeront par « une réduction de 64 % des subventions dédiées à la commission culture, sport et associations, soit une baisse de 21 millions d’euros ». « Ces coupes pourraient entraîner la suppression d’activités, la fermeture de structures, une réduction de l’offre sociale, culturelle et sportive, écrit le Mouvement associatif, ainsi que la perte de 13 000 emplois dans l’économie sociale et solidaire, dont 84 % sont des emplois associatifs selon l’UDES », l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire.

Fonds national

Lors de la conférence de presse, Maxime Gaudais, directeur du Pôle, une association de coopération pour la filière musicale basée dans les Pays de la Loire, a estimé à 2 500 le nombre d’emplois intermittents qui seront touchés. Il a pris l’exemple de l’association Songo, gérant la salle nantaise Stereolux, elle aussi touchée par les coupes. « Pour eux, cela représente 19 concerts en moins, donc 43 groupes qui ne pourront pas jouer et donc 4 000 heures de travail qui seront perdues pour les artistes, les techniciens, les gens de la sécurité… », a détaillé Maxime Gaudais.

Enfin, le rapport prend soin de saluer le rôle joué par les associations d’outre-mer, notamment à Mayotte. « Bien que les associations locales aient subi de plein fouet les impacts des cyclones, elles ont été également les premières à intervenir, en mettant en place des actions d’urgence pour répondre aux besoins essentiels des populations les plus atteintes et soutenir la reconstruction », souligne le rapport.

Pour mettre fin à la crise financière du secteur, le Mouvement associatif fait plusieurs propositions : assurer leur « stabilité financière en maintenant sur les budgets 2025 le montant des subventions versées aux associations » ou encore « créer un fonds national de mobilisation pour la vie associative cogéré par des représentants des collectivités territoriales, de l’État et du monde associatif ».

Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques.

Ce fonds serait abondé par « la rétrocession volontaire de tout ou partie des intérêts des livrets bancaires d’épargne », « un relèvement des plafonds du régime mécénat d’entreprise sous condition de reversement au fonds », « une partie des fonds saisis et confisqués par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) et les intérêts que ceux-ci génèrent » et « la possibilité par les fondations reconnues d’utilité publique (Frup) de flécher une partie des fonds propres aujourd’hui non libérables ».

« Trop souvent, les associations sont des victimes collatérales de choix politiques », écrit le Mouvement associatif dans son adresse à François Bayrou. Or, « quand une association de solidarité perd des subventions, ce sont des familles en grandes difficultés financières qui ne pourront plus partir en vacances », poursuit-ilAvant d’expliquer : « Quand un club de sport n’a plus les moyens d’engager un animateur, ce sont des enfants qui devront renoncer à une activité sportive. Quand un festival s’arrête, c’est tout un territoire qui renonce à se retrouver dans un moment de convivialité. »

mise en ligne le 31 janvier 2025

Loi Asile et Immigration :
un an après, le triste bilan des droits bafoués

La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/

Communiqué commun : Fruit de deux ans de spectacle et de surenchère politique, cette loi bafoue l’ensemble des droits fondamentaux des personnes exilées. Un an après, Bruno Retailleau abroge la circulaire «Valls» et annonce qu’il veut s’attaquer à l’Aide médicale d’État et abolir le droit du sol à Mayotte.

Nos associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes et syndicats, continuent d’appeler à l’abrogation de la loi, et s’opposent à toute nouvelle atteinte aux droits humains, déjà réduits à peau de chagrin.

Il y a un peu plus d’un an, nos organisations se mobilisaient contre un énième projet de loi Asile et Immigration.

Votée de concert en décembre 2023 par la majorité présidentielle, la droite et l’extrême droite, la loi était promulguée en janvier 2024 après la censure d’une partie considérable de ses mesures par le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, nous alertons sur ses effets délétères que nous constatons au quotidien. Ces propositions, aussi outrancières qu’inhumaines, reposent trop souvent sur des logiques discriminatoires et racistes. Nous restons mobilisé·es pour contrer toute nouvelle mesure visant à réduire encore davantage les droits fondamentaux des personnes exilées.

Les premières mesures de la loi Asile et Immigration mises en œuvre sont parmi les plus répressives à l’encontre des personnes exilées. Contrairement aux promesses initiales, aucune disposition n’a été prise pour améliorer leur intégration. Nos organisations constatent que cette loi, fruit d’une vision obsessionnelle des migrations perçues comme une menace, n’a eu d’autre objectif que de renforcer une fabrique de personnes sans papiers, au prix d’une politique systématique d’enfermement et d’expulsion. L’ensemble des effets de la loi de 2024 n’est pas encore mesurable, car tous les décrets d’application n’ont pas été pris et toutes les mesures ne sont pas mises en œuvre.

Les responsables politiques et le gouvernement poursuivent leur surenchère insupportable inspirée par les extrêmes droites. En quelques mois, des propositions successives ont émergé : réintroduire les mesures censurées par le Conseil constitutionnel, allonger la durée de la rétention administrative, restreindre l’accès à la nationalité pour les personnes nées à Mayotte, ou encore supprimer l’Aide Médicale d’État (AME), pourtant essentielle à la santé de l’ensemble de la société. De plus, le sort de la circulaire « Valls » vient d’être scellé par la circulaire « Retailleau ». Celle-ci durcit considérablement l’accès à la régularisation des personnes sans-papiers (puisque parmi les critères drastiques retenus figure la durée de 7 ans de présence (au lieu de 5) pour pouvoir solliciter un titre de séjour. Cette course aux propositions les plus abjectes est d’autant plus préoccupante qu’elle intervient à l’heure où la France, comme le reste de l’Europe, doit préparer la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile adopté en mai 2024. Cet ensemble de textes va introduire une foule de nouvelles restrictions des droits des personnes exilées.

Au regard de la situation politique de la France, des pressions et des attaques contre les plus précaires, l’urgence n’est pas à la stigmatisation des personnes exilées. Ces dernières sont honteusement prises comme bouc émissaire par une classe politique incapable de garantir les droits fondamentaux. L’urgence est de proposer une politique d’accueil et de solidarité fondée sur le respect des droits, de la dignité humaine et des libertés de toutes et tous. C’est pourquoi nous, organisations, collectifs et associations, exigeons l’abrogation pure et simple de la loi Asile et Immigration de janvier 2024, et la mise en œuvre une politique migratoire centrée sur le respect des droits humains et la solidarité.

Pour aller plus loin

  • Document de décryptage inter associatif : Il dresse un premier panorama des terribles conséquences  de la loi Darmanin un an après la promulgation

  • Une vidéo en collaboration avec l’Instagramer « VivreMoinsCon » sur la question des OQTF et l’instrumentalisation de la menace à l’ordre public

Les dates de mobilisations à venir :

  • Vendredi 31 janvier à 15h, place Montparnasse (Paris) : manifestation contre un an de loi Darmanin, à l’initiative des collectifs de sans papiers.

  • Jeudi 6 février à 18h30, place de la République : CommémorAction des victimes des politiques migratoires aux frontières, à l’initiative des associations et collectifs de sans papiers.  Organisée simultanément dans différentes villes en France et plusieurs pays.

  • Samedi 22 mars 2025 : action mondiale contre le racisme et le fascisme.

Liste des organisations signataires :

Intercollectif (Collectif des Travailleurs Sans Papiers de Vitry, Collectif des Jeunes du parc de Belleville, Coordination Sans Papiers 75, Collectif des Sans Papiers de Montreuil, Collectif Sans Papiers 17ème Saint-Just, Coordination Sans Papiers 93 Saint-Denis, Gilets Noirs), Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), Ardhis, Caracol, CCFD-Terre Solidaire, CNAJEP, CRID, Dom’Asile, Droit à l’Ecole, Emmaüs France, Fédération Etorkinekin Diakité, Fédération nationale des Francas, Fédération Syndicale Unitaire, J’accueille, La Cimade, Les amoureux au ban public, Madera, Médecins du Monde, MRAP, Médecins Sans Frontières, Observatoire des Camps de Réfugiés, Oxfam France, Paris d’Exil, Pas Sans Nous, Patron·ne·s Solidaires Hauts de France, Réseau Éducation Sans Frontières, Réseau Hospitalité, Sidaction, Singa, Union syndicale Solidaires, Solidarités Asie France, Thot, Tous Migrants, UniR – Universités & Réfugié·e·s, Utopia 56.


 


 

OQTF : « Il faut que je tienne », le quotidien sous pression des personnes étrangères en rupture de droits

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 23 janvier, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a restreint les conditions d’admission exceptionnelle au séjour, après avoir multiplié les déclarations autour des OQTF et de sa future loi immigration. Les conséquences de ces orientations politiques sont très concrètes dans le quotidien des personnes étrangères ainsi que pour celles et ceux qui les aident. Reportage au sein de la plus grande permanence de la Cimade, association d‘aide juridique, à Paris.

D’ordinaire, Édith, médiatrice santé, accompagne des personnes étrangères en situation administrative précaire. Des personnes sans papiers. D’autres en rupture de leur droit au séjour. Certaines sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Ce matin-là devait être un matin ordinaire, dans son association versaillaise. Mais lorsqu’elle ouvre son ordinateur pour expliquer une démarche à une personne reçue à la permanence, c’est le choc : Édith découvre en ligne une OQTF qui lui est adressée… À elle.

La quadragénaire n’attend pas pour réagir. Quelques heures plus tard, la voilà dans un étroit bureau à l’étage de la permanence d’une autre association : la Cimade, spécialisée dans l’aide juridique aux personnes étrangères. Marie-Françoise, bénévole, épluche le dossier d’Édith. « Ça va aller, on va demander l’aide juridictionnelle, vous êtes dans les temps pour former un recours », déroule-t-elle d’une voix claire. Lorsqu’une personne reçoit une OQTF, le délai pour un recours n’est que de 30 jours. Certaines OQTF sans délai doivent être contestées, elles, dans les 48 heures.

Droite sur sa chaise, Édith lâche : « C’est dur d’être sans-papiers… Après deux ans ici… » Par moments, des larmes lui montent aux yeux, qu’elle ravale au plus vite. « Il faut que je tienne », souffle-t-elle en serrant les poings. Elle sort de son sac à main un petit bloc-notes, y retranscrit chaque consigne donnée par Marie-Françoise, remplit soigneusement les documents qu’on lui tend. Édith est loin d’être perdue : depuis sa formation de médiatrice en santé, elle a accompagné une multitude de gens dans les dédales administratifs. Sauf qu’aujourd’hui, c’est elle qui est à leur place.

À la permanence Cimade, « j’ai vu des gens très très malades »

Édith est née et a vécu toute sa vie au Cameroun avant d’arriver en France en 2023, pour y déposer une demande de titre de séjour pour soins. Elle souffre d’une maladie grave. Mais en novembre 2024, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), lui refuse cette carte de séjour d’un an, au motif qu’Édith pourrait « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans son pays d’origine. En toute logique, l’OQTF a suivi. Édith s’offusque : « Il y avait régulièrement des ruptures de stock. Là-bas, je ne pouvais pas avoir accès à mon traitement en continu », explique-t-elle.

Edith, médiatrice santé, accompagne des personnes étrangères en situation administrative précaire. Elle se trouve également, à sa surprise, sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Elle prend rendez-vous avec la Cimade pour initier une procédure de recours, le délai de 30 jours n’étant pas encore dépassé. Paris, le 19 décembre 2024. Crédits : Valentina Camu

En face, Marie-Françoise acquiesce, tout en envoyant un texto à un avocat en droit des étrangers pour lui proposer le dossier d’Édith. « J’ai vu des gens très, très malades. Quand on entend dans le débat public l’idée que ces personnes viendraient pour des soins de confort, pour de la chirurgie esthétique, c’est odieux. Odieux », confie-t-elle une fois Édith partie, en attendant la personne suivante.

Ancienne éducatrice spécialisée aujourd’hui à la retraite, Marie-Françoise a travaillé auprès de tribunaux pour enfants et comme responsable de foyers de l’Aide sociale à l’enfance. Elle a rejoint la Cimade il y a 15 ans. « Ça canalise mon militantisme, dit-elle en souriant. C’est utile directement. Et puis, on gagne parfois. » Les tribunaux administratifs déclarent illégales 20 % des OQTF qui leur sont présentées.

Circulaire Retailleau : des années d’illégalité supplémentaires

Au rez-de-chaussée de la permanence, la salle principale s’est remplie en quelques minutes. Une trentaine de personnes s’y trouvent. Les premières arrivées se sont réparties entre les bénévoles, assis aux quatre coins de la pièce. Leurs conversations s’empilent, formant un brouhaha continu. Parmi ces bénévoles, il y a Guy.

Cet ancien commercial a mis les pieds à la permanence pour la première fois il y a deux ans : « Je venais de sympathiser avec un Indien, peintre en bâtiment, dans un bar. Je me suis rendu compte qu’il n’avait pas de papiers, alors je suis venu trouver conseil ici. Je n’en suis jamais reparti, rapporte-t-il. Depuis juillet 2024, on constate une recrudescence des OQTF » déplore-t-il, tandis qu’une file de personnes patientent en silence sur des chaises multicolores.

Au rez-de-chaussée une salle accueille la permanence. Ce jeudi après-midi, les bénévoles reçoivent des personnes avec ou sans rendez-vous. Plusieurs dizaines attendent leur tour. Paris le 19 décembre 2024. Crédits : Valentina Camu

Le nombre d’OQTF a doublé en dix ans, avec une augmentation constante depuis le Covid (137 730 OQTF en 2023, 134 280 en 2022, 124 111 en 2021). « On priorise ceux qui présentent des menaces de troubles à l’ordre public », a soutenu le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau dans l’émission Complément d’Enquête du 24 janvier, qui rappelle pourtant que seules 1,4 % des personnes sous OQTF ont déjà été condamnées.

Quoi qu’il en soit, les recours engorgent le système judiciaire : les OQTF représentent près de 40 % du contentieux des tribunaux administratifs. Tandis que le taux d’exécution, lui, a été réduit de moitié en dix ans (de 17% à 8,5 %).

Dans le petit bureau de Marie-Françoise entre David*, un jeune homme sénégalais de 33 ans, sous OQTF après une demande d’asile refusée. Contrairement à Édith, David arrive trop tard : le délai de recours d’un mois est dépassé. Marie-France l’explique à son cousin venu l’accompagner pour tout lui traduire. Pour éviter l’expulsion, il lui faudra attendre trois longues années dans l’illégalité, à raser les murs, à éviter les contrôles de police. La loi du 26 janvier 2024 a en effet porté à trois ans la durée pendant laquelle une OQTF est valable donc susceptible d’entraîner l’expulsion, contre un an auparavant.

« Il va continuer de travailler au noir pendant ces trois ans, avant de faire une nouvelle demande de régularisation », soupire le proche de David. La régularisation par le travail lui sera alors envisageable s’il a travaillé pendant douze mois dans un secteur figurant sur la liste des métiers en tension et qu’il prouve trois ans de présence en France.

Une régularisation est aussi possible aussi via l’admission exceptionnelle au séjour pour motifs professionnels ou humanitaires, à la discrétion des préfets. Les conditions de ces admissions exceptionnelles étaient jusqu’ici définies par la circulaire Valls de 2012, qui exigeait trois à cinq ans de présence sur le territoire avec un certain nombre de fiches de paie. Or, dans une circulaire du 23 janvier 2025, Bruno Retailleau a relevé le seuil à sept ans de présence sur le sol français. La circulaire Retailleau exige aussi plus généralement qu’il y ait le moins d’utilisation possible de ce type d’admission exceptionnelle.

« Pour travailler, il faut un titre de séjour. Mais pour avoir un titre de séjour, il faut avoir travaillé »

Au rez-de-chaussée, c’est une femme présente depuis treize ans sur le territoire français sans avoir pu être régularisée qui vient s’asseoir à la table de Guy. Ludmila* est ukrainienne. Emmitouflée dans son manteau, elle étale sur la table le dossier qu’elle tente de constituer pour prouver dix ans de présence en France et ainsi obtenir le titre de séjour auquel elle a droit. Scolarisation de ses enfants, pass Navigo prouvant l’usage de transports en commun, impôts, quittances de loyer… « L’idée, dans un dossier comme ça, c’est de montrer que votre vie, elle est ici », lui résume Guy. 

Pendant toutes ces années, Ludmila a travaillé au noir en France pour subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants. « C’est bien ce qui est aberrant : pour travailler en France, il faut un titre de séjour ; mais pour avoir un titre de séjour, il faut prouver que l’on a travaillé », raille Guy. En fin de rendez-vous, Ludmila range chaque précieux document, un par un, dans des pochettes plastiques. Le tout tient dans un sac en toile rempli à ras bord. Une fois que Ludmila aura déposé son dossier, il faudra prendre son mal en patience. Elle habite dans le Val-d’Oise : « Vous n’aurez un rendez-vous que dans un an », précise Guy.

Soudain, derrière eux, un homme se lève avec fracas : « Cette association, je vous connais, ce sont de mauvais renseignements ! » peste-t-il. Les regards de ceux qui patientent sur les chaises se tournent vers lui. Les discussions s’interrompent une poignée de secondes. L’homme claque la porte, et tout reprend comme si de rien n’était.

« On sent une pression très forte depuis quelques mois. Avant, on n’avait pas de problèmes. Mais dernièrement, les gens sont fatigués. Et je les comprends, soupire Guy. Quand ils écoutent la télé, ils se disent : on aura jamais un titre. Dans le même temps, les préfets font ce qu’ils veulent. Donc quand Retailleau leur dit « vous serez jugés sur du chiffre », eh bien, ça donne du n’importe quoi. On voit des parents d’enfants français qui reçoivent des OQTF ! »

Dehors, d’un seul coup, il se met à pleuvoir des cordes. Deux bénévoles ouvrent grand la porte à ceux qui patientent à l’extérieur pour leur permettre de s’abriter un peu. « Cela ne garantit pas que vous allez pouvoir avoir votre rendez-vous, on ferme à 18 heures », précisent-elles. Tout le monde n’aura pas sa consultation aujourd’hui. Si la salle est comble, ce jeudi reste d’une affluence modérée. Il arrive que plus de 150 personnes patientent dehors, témoigne l’équipe.

Guy, lui, termine sa journée difficilement. Recroquevillée sur sa chaise, une femme mauritanienne vient lui demander conseil pour un regroupement familial. Elle a deux filles, dont l’une qu’elle a réussi à protéger de l’excision contre l’avis de son mari.

Elle voudrait faire venir ses autres enfants, restés avec les grands-parents au pays. « Votre mari, est-il gentil avec vous ? » s’enquiert Guy. « Non », souffle la femme. « Il vous frappe ? » « Oui ». Guy conserve sa voix douce. Il l’écoute encore un peu, avant d’orienter la femme vers un service de la Cimade spécialisé dans les violences faites aux femmes, en Seine-Saint-Denis.

« Elle respirait le mal-être », s’attriste Guy, qui prête attention au moindre signe envoyé par la personne assise en face de lui, notamment depuis une formation interne à la Cimade sur les violences faites aux femmes. Pendant quelques instants, le bénévole peine à répondre aux sollicitations de ses collègues, qui ne cessent de s’entraider à la volée sur leurs situations respectives. « Tu te fais cueillir comme ça, une fois par permanence, glisse-t-il. Après tu rentres chez toi et puis la nuit, quand tu t’endors, c’est difficile de ne pas repenser à elle. »

Article réalisé en collaboration avec Basta!

  mise en ligne le 30 janvier 2025

« On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », Vencorex tombe Arkema et la chimie française tremble

Khalil Auguste Ndiaye sur www.humanite.fr

Les salariés de l’usine d’Arkema à Jarrie (Isère) ont manifesté ce mercredi devant le siège de la multinationale. Ils dénoncent l’annonce par la multinationale de la suppression de 154 postes, qui fait suite au dépôt de bilan de son fournisseur de matière première, Vencorex. Les syndicats des deux sociétés craignent un effet de domino sur la chimie française.

Reçus à Paris par le ministre de l’Industrie Marc Ferraci ce mardi 28 janvier, les représentants des salariés de Vencorex repartent avec les idées plus floues qu’à leur arrivée. Alors que le gouvernement parle de « reconversion du site », les travailleurs de l’entreprise chimique craignent que le rachat par le concurrent chinois Wanhua et la fermeture da la majeure partie de la production de l’usine n’aient des répercussions importantes sur le secteur de la chimie en France. De premières conséquences qui s’observent déjà chez Arkema, acheteur principal du sel de Vencorex et dont une centaine de salariés ont manifesté le mécontentement devant le siège ce mercredi 29 janvier.

Une colère qui est surtout dirigée contre le plan social proposé le 21 janvier par le chimiste. Avec la fermeture d’une partie de leur usine à Jarrie (Isère), 154 des 344 employés du site vont perdre leur travail. Pour Carole Fruit, secrétaire générale de la CFDT Chimie Energie du Dauphiné Vivarais, « Arkema a profité de la fermeture de Vencorex comme effet d’aubaine pour déclencher ce plan social ». Selon elle, l’entreprise « aurait pu se positionner pour reprendre la production de sel de Vencorex et éviter cette situation ».

Une inaction que les salariés du chimiste voient comme un acte délibéré, attisant leur colère. « Produire du sel a un coût important », explique la secrétaire générale CFDT « et Vencorex le vendait à un prix dérisoire comparé au marché. Arkema ne s’est pas avancé pour reprendre l’activité, parce que ça leur fait des économies ». Des économies qui pourraient contenter les actionnaires du groupe, la multinationale ayant annoncé s’attendre à des bénéfices avant impôt pour 2024 dans la fourchette basse de ses prévisions (autour de 1,5 milliards d’euros). « On voit bien que les actions continuent de monter, mais les salariés sont vus comme des pions », fustige Carole Fruit.

54 postes conservés sur 464

Si le site d’Arkema à de Jarrie est menacé, c’est principalement à cause de la fermeture de l’usine de Vencorex, situées à quelques kilomètres, à Pont-de-Claix (Isère). Principal fournisseur de sel d’Arkema, Vencorex a déposé le bilan en septembre 2024 et est en procédure de redressement judiciaire. Depuis lors, une seule offre de reprise a été formulée… par le chinois Wanhua, un concurrent direct qui propose de ne garder que 54 des 464 salariés. Une situation inacceptable pour ces salariés qui ont sollicité le ministre de l’Industrie.

Pourtant « les réponses sont évasives » explique Séverine Dejoux, représentante de la CGT Vencorex. « On nous parle de reconversion du site mais, nous, on n’y croit pas » affirme la syndicaliste après la rencontre avec Marc Ferraci. « Un atelier de chimie, c’est spécifique. Ce n’est pas une casserole dans laquelle on fait n’importe quelle soupe », déclare-t-elle, dénonçant l’inaction de l’Etat et appelant ce dernier à nationaliser l’entreprise, tant pour sauvegarder les postes que pour l’avenir de la chimie en Auvergne-Rhône-Alpes. « On s’attendait à ce qu’Arkema formule une offre pour reprendre la production de sel, mais on se rend compte aujourd’hui qu’il n’y avait aucune intention de sauver Vencorex » déplore Séverine Dejoux.

Sans ce sauvetage, les salariés de Vencorex et d’Arkema craignent un effet de domino dans l’industrie chimique. « Toutes les plateformes chimiques sont interdépendantes : les produits des uns sont les matières premières des autres » explique Carole Fruit de la CFDT Arkema. Sans le sel de Vencorex, Arkema ne peut plus produire le chlore nécessaire au leader du nucléaire Framatome pour la transformation du zirconium dans son site à Jarrie.

Selon Les Echos, l’entreprise a dû créer une cellule de crise pour trouver une solution à ce manque d’approvisionnement. ArianeGroup est aussi touchée par cette fermeture, se fournissant en perchlorate d’ammonium, carburant nécessaire à la fusée Ariane et aux missiles de dissuasion nucléaire.

« En sauvant le premier maillon, on peut sauver toute la chaîne », souligne Séverine Dejoux, qui rappelle qu’« avec la fermeture de Vencorex, on s’attend à ce que les industries chimiques changent leurs manières d’opérer, ce qui aurait d’autres conséquences dans un futur proche ».

Plus encore, elle alerte sur le risque environnemental autour de la mine de sel de Pont-de-Claix : « Une production de sel ne s’arrête pas du jour au lendemain. Si on ne décomprime pas rapidement et régulièrement les mines où se trouve la saumure, il y a un enjeu écologique terrible pour la région avec l’effondrement des cavités ». La représentante CGT y voit également un gâchis, notant que « la mine a encore des réserves pour au moins 50 ans. Des discussions sont en cours avec le gouvernement pour sa reprise, mais tout est encore flou ».

Un flou qui continue d’inquiéter les salariés des deux entreprises. En colère, les employés d’Arkema « espèrent toujours que l’entreprise va se positionner, même si c’est tard » explique Carole Fruit. Du côté de Vencorex, Séverine Dejoux évoque « un combat qui ne va pas s’arrêter. Le ministre de l’Industrie ne veut pas nous entendre donc on va essayer d’interpeller le Premier Ministre ».

   mise en ligne le 30 janvier 2025

Territoires palestiniens occupés :

l’aide aux réfugiés condamnée

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Que vont devenir les activités de l’Unrwa, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, dans les territoires palestiniens ? Personne n’a la réponse, alors que deux lois bannissant l’agence onusienne, votées par la Knesset il y a trois mois, entrent en vigueur jeudi 30 janvier.

Jeudi 30 janvier, l’immense quartier général de l’Unrwa, l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, situé à Jérusalem-Est, gardera fermé son portail bleu ciel aux couleurs de l’ONU. La guérite des gardes, qui inspectent le châssis de chaque véhicule avec un miroir, sera vide. Les bureaux seront désertés, de même que les hangars de stockage, les garages, la station à essence, les parkings. Bref, la petite ville que constitue le siège de l’agence onusienne, dans le quartier de Sheikh Jarrah, sera transformée en cité fantôme.

L’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Danny Danon, a en effet envoyé, le 25 janvier, une lettre, qu’il a rendue publique sur le réseau social X, à António Guterres, secrétaire général de l’institution internationale, exigeant la fermeture du QG.

C’est la seule certitude, au moment de l’entrée en vigueur de deux lois votées par la Knesset (le Parlement israélien) et publiées le 30 octobre 2024 dans l’équivalent israélien du Journal officiel.

Les deux lois attaquent de front l’Unrwa. Elles constituent le point d’orgue d’une campagne de dénigrement déjà ancienne, qui a culminé avec l’accusation de complicité de l’agence avec le Hamas et les groupes armés palestiniens. Ainsi que Mediapart l’a rapporté (ici et là), ces attaques n’ont jamais été étayées par des preuves sérieuses.

La première loi interdit les « activités de l’Unrwa sur le territoire israélien » qui, dans l’esprit des législateurs, comprend Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël.

La seconde prohibe tout contact entre les membres des administrations israéliennes et celles et ceux de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens.

Un grand flou

Peu de précisions ont été apportées depuis quant à la mise en œuvre de ces textes. Le ministère des affaires étrangères israélien, contacté par Mediapart, n’avait pas répondu à l’heure de la publication de cet article.

Le journal Israel HaYom, proche de la droite israélienne, révélait en novembre 2024 que les terrains du quartier général de l’Unrwa allaient être saisis par l’Autorité foncière israélienne pour y construire 1 440 unités de logements. Autrement dit, pour agrandir la colonie juive de ce quartier de Jérusalem-Est qui entoure déjà le QG onusien.

Le 20 janvier, Yuli Yoel Edelstein, député du Likoud, parti de Benyamin Nétanyahou, a affirmé en ouverture d’un débat à huis clos de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, qu’il préside : « Je le dis sans équivoque : la loi sera appliquée. C’est fait et signé. Je propose à ces parties, et je les exhorte même, au lieu de perpétuer la souffrance, de trouver des solutions. »

Les Israéliens sont convaincus que si l’Unrwa disparaît, la question des réfugiés disparaîtra. Jørgen Jensehaugen (Institut de recherche sur la paix d’Oslo)

Il a également réitéré les accusations contre l’agence : « L’Unrwa, en plus d’être un générateur et un participant actif du terrorisme, est également une organisation qui perpétue le statut de réfugié. Les lois que nous avons adoptées il y a environ trois mois et qui doivent entrer en vigueur à la fin du mois constituent un changement historique. »

Par son champ d’action même, l’agence dérange : elle s’adresse, dans les territoires palestiniens occupés et dans les pays alentour, aux réfugiés de 1948, expulsés de chez eux par l’avancée des milices juives puis de l’armée israélienne, et à leurs descendants. Par son mandat, elle rappelle donc la permanence de la question des réfugié·es et de celle du droit au retour.

« Les Israéliens sont convaincus que si l’Unrwa disparaît, la question des réfugiés disparaîtra, explique Jørgen Jensehaugen, chercheur à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (Prio). Et vous pouvez continuer à argumenter que juridiquement et factuellement c’est faux, mais toute la pression, toute l’attaque politique contre l’Unrwa est basée sur cette croyance. »

Les conséquences concrètes de la mise en œuvre de ces deux textes sont difficiles à prévoir, et tous les experts contactés par Mediapart s’accordent sur ce point. Notamment parce que les textes sont très flous.

Mais elles seront « désastreuses », affirme un rapport de Prio publié le 22 janvier, qui poursuit : « Les effets exacts sont difficiles à prévoir. Ils varieront en fonction des champs d’opération et des secteurs dans lesquels l’Unrwa opère. »

Risque de rupture de l’aide et des services

D’ores et déjà, les employés internationaux de l’agence onusienne n’ont plus de visa de travail au-delà du 29 janvier. Cela signifie très concrètement qu’ils n’ont plus le droit d’exercer leur mandat à Jérusalem-Est, en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Ils ne sont plus protégés par l’immunité onusienne.

Cela implique aussi qu’ils ne peuvent plus exiger de passer un checkpoint israélien, par exemple entre Jérusalem et Ramallah, ou entre Naplouse et Tulkarem, ni un point de passage entre Israël et la bande de Gaza.

Quant aux quelque 5 000 employés palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée, ils pourraient eux aussi voir leurs déplacements entravés encore plus qu’aujourd’hui.

« Sur le terrain, en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza, nos interlocuteurs sont les militaires. Jusque-là, si nous étions bloqués à un barrage de l’armée, nous prenions contact avec notre service de liaison, qui lui-même s’adressait au service de l’armée [israélienne] compétent, le Cogat. À partir de là, ça pouvait prendre plusieurs heures, mais le message descendait du Cogat au soldat sur le barrage et nous finissions par passer, explique Jonathan Fowler, porte-parole de l’Unrwa. Qu’en sera-t-il à partir du 30 janvier ? Nous n’en savons rien. »

Nous assurons toute la chaîne logistique. En fait, nous sommes la chaîne logistique. Car c’est l’Unrwa qui stocke et distribue. Jonathan Fowler, porte-parole de l’Unrwa

L’interdiction de tout « contact », inscrite dans le deuxième texte de loi, n’est en effet pas définie. « Est-ce que parler à un militaire, c’est un contact ?, reprend Jonathan Fowler. Si c’est le cas, il n’y aura plus aucune possibilité de faire de la déconfliction. Par exemple, lors des incursions dans les camps de réfugiés en Cisjordanie, nous sommes informés par nos interlocuteurs dans l’armée israélienne que les enfants ne doivent pas quitter l’école. Si nous n’avons plus ce contact, la vie des enfants est en danger. C’est la même chose dans la bande de Gaza pour l’acheminement de l’aide et sa distribution. Sans cette coordination, on peut imaginer les pires scénarios. Y compris ne plus pouvoir utiliser le port d’Ashdod pour débarquer l’aide. »

Israël prétend pouvoir remplacer l’Unrwa par d’autres agences, comme le Programme alimentaire mondial (PAM) pour la distribution de nourriture ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la santé, et notamment pour la vaccination de la population de Gaza. 

Mais, assurent les experts, ces agences n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour remplacer l’Unrwa.

« Depuis le cessez-le-feu à Gaza, nous avons fait entrer de quoi nourrir plus de 1 million de personnes, expliquait Jonathan Fowler à Mediapart le 23 janvier. Certes, parfois avec la collaboration d’autres agences de l’ONU. Mais elles n’ont pas notre capacité. Nous avions avant la guerre 13 000 personnels à Gaza, beaucoup dans l’éducation. Aujourd’hui, nous avons 5 000 employés qui s’occupent de la logistique. Une agence comme le PAM en a 200. Comment pourrait-elle nous remplacer ? Nous assurons toute la chaîne logistique. En fait, nous sommes la chaîne logistique. Car c’est l’Unrwa qui stocke et distribue. »

Les cliniques et dispensaires de l’Unrwa assurent 3,5 millions de consultations par an.

L’interdiction de l’Unrwa, si elle est strictement appliquée comme l’exigent la droite et l’extrême droite israéliennes, désorganiserait l’ensemble de l’aide humanitaire, au moment où elle recommence à entrer massivement dans Gaza et où la population en a un besoin brûlant.

À plus long terme, au-delà de l’urgence absolue, aucune des institutions onusiennes ne peut mettre en place un réseau d’écoles et de centres de santé comparable à celui qui existe en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Près de la moitié des 650 000 élèves de l’enclave palestinienne, avant la guerre déclenchée le 7 octobre 2023, étaient scolarisé·s dans des écoles élémentaires de l’Unrwa. Ils sont plus de 45 000 en Cisjordanie. Les cliniques et dispensaires assurent 3,5 millions de consultations par an.

« D’un point de vue rationnel, une opération extérieure qui paie pour faire des choses qu’Israël aurait dû faire et qui réduit le risque d’escalade parce que les enfants sont à l’école, reçoivent une éducation et vivent une vie meilleure et plus stable, cela devrait être une bonne chose pour Israël, n’est-ce pas ?, poursuit Jørgen Jensehaugen. Ce devrait être une situation gagnant-gagnant pour Israël. Quelqu’un d’autre le fait pour qu’il n’ait pas à le faire. Et cela réduit le risque d’aggravation du conflit. Mais la haine idéologique envers l’Unrwa est telle que l’explication rationnelle n’a pas d’importance. »

Sur le papier, Israël s’est piégé avec ces deux textes. Car, rappelle le juriste international Johann Soufi, « il ne fait aucun doute qu’au regard du droit international, Israël en tant que puissance occupante des territoires palestiniens – à Gaza comme en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est – est tenu d’assurer la continuité des services publics. En réalité, l’Unrwa soulage Israël en fournissant des services qui, sinon, devraient être pris en charge, financièrement et logistiquement, par la puissance occupante ».

On imagine difficilement le gouvernement israélien reconnaître ses obligations de puissance occupante et prendre en charge services sociaux et écoles. L’option de l’Autorité palestinienne est hors de propos, étant donné son manque de moyens et son refus, politique et juridique, de se substituer à l’ONU.

« Israël et d’autres États préféreraient sans doute la création d’une nouvelle agence humanitaire aux fonctions similaires à celles de l’Unrwa, mais sans lien historique ou politique direct avec la question des réfugiés palestiniens de 1948, analyse Johann Soufi. Toutefois, cela ne se fera pas, car seule l’Assemblée générale de l’ONU, qui a créé l’Unrwa, peut mettre fin à son mandat et créer une nouvelle agence. Or, comme l’illustrent les résolutions adoptées ces dernières années, l’Assemblée générale soutient majoritairement la création d’un État palestinien et, en attendant, le rôle de l’Unrwa pour assurer l’assistance humanitaire et la gestion d’une grande partie des services publics. Nous nous dirigeons donc vers un blocage total – juridique, pratique et politique. »

Car dans les faits, aucun État capable de faire pression sur Israël ne viendra au secours de l’Unrwa. Les États-Unis sont acquis à Israël, et la présidence Trump fait de la détestation du multilatéralisme, symbolisé par les Nations unies, un mantra. Quant à l’Union européenne, largement divisée sur la guerre contre Gaza, elle fait montre depuis longtemps de son impuissance.

    mise en ligne le 29 janvier 2025

Austérité :
la saignée s’amplifie
pour le budget de l’État

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Environ 24 milliards d’euros de coupes dans les dépenses publiques : telle est la copie du budget 2025 rendue par le Sénat et qui sera proposée en commission mixte paritaire jeudi 30 janvier. La note finale s’annonce très salée.

Pour entrevoir des alternatives à cette austérité, on peut se rapporter à « Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible » paru le 18 janvier dans cette même rubrique de 100-paroles.fr

C’est parti pour être l’une des cures d’austérité budgétaire les plus rudes d’une année sur l’autre. Les coupes dans les dépenses publiques prévues dans la copie du projet de loi de finances 2025 votée au Sénat le 23 janvier, et qui sera discutée en commission mixte paritaire (CMP) à partir 30 janvier, sont particulièrement rudes.

À ce stade, le texte prévoit 24 milliards d’euros de baisse des dépenses de l’État par rapport à ce qui aurait permis de maintenir le même niveau de financement des services publics qu’en 2024. C’est plus que ce qu’affichait le gouvernement Michel Barnier dans son projet de loi de finances pour 2025 (− 21,5 milliards).

Tel est le résultat des calculs du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel, que l’Insoumis a recoupé à Bercy avec les cabinets des ministres des finances et des comptes publics.

Il faut ajouter à cela un coup de rabot d’environ 2 milliards d’euros dans le budget alloué aux collectivités locales et d’un peu plus de 8 milliards dans le budget de la sécurité sociale, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale. Soit un total d’environ 35 milliards d’euros de baisse des dépenses publiques à ce stade.

Côté recettes fiscales, la hausse annoncée par le gouvernement de François Bayrou serait de 18 milliards d’euros en 2025. Soit peu ou prou ce que prévoyait il y a quelques mois le gouvernement de Michel Barnier, moins la très polémique taxe sur l’électricité qui n’est plus à l’ordre du jour.

La surtaxe sur l’impôt sur les bénéfices des entreprises réalisant plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, censée rapporter 8 milliards d’euros en 2025, sera maintenue. Une incertitude subsiste toutefois sur la taxe sur les hauts revenus, qui doit rapporter 2 milliards d’euros aux caisses de l’État, mais qui pourrait être remplacée par une contribution sur les plus hauts patrimoines qui nécessiterait vraisemblablement une autre loi fiscale.

Objectif : un déficit public à 5,4 % du PIB

Bref, on arriverait à ce stade à un effort global d’environ 53 milliards d’euros dans le budget 2025. Un montant énorme pour atteindre l’objectif fixé par le ministre de l’économie et des finances Éric Lombard : une réduction du déficit public de 6,1 % en 2024 à 5,4 % du PIB cette année. « Le Sénat s’est montré très dynamique » pour réduire les dépenses publiques, s’est ainsi félicité le ministre lors d’une rencontre le 28 janvier avec l’Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). 

Cela étant dit, ces nouvelles coupes actées par la chambre haute du Parlement ont souvent été de l’initiative du gouvernement Bayrou : selon Éric Coquerel, les amendements de l’exécutif ont en effet ajouté 7 milliards d’euros de baisse supplémentaire de dépenses de l’État en quelques jours. 

La saignée budgétaire pour 2025 est donc totale. Parmi les missions qui prennent le plus cher, citons la mission « écologie, développement et mobilités durables », qui subirait à ce stade une coupe sèche de 2,9 milliards d’euros en volume dans son budget par rapport à 2024, mais aussi la recherche et l’enseignement supérieur (− 1,7 milliard), la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » (− 1,4 milliard), l’enseignement scolaire (− 1,1 milliard), ou l’agriculture (− 400 millions).

Et encore, ce n’est pas fini. Car le gouvernement s’est fait retoquer par le Sénat pour 1,4 milliard d’euros d’amendements coupant aveuglement dans certaines missions de l’État comme le logement, l’éducation ou le sport. Il y a fort à parier qu’il reviendra à la charge sur ces thèmes via des amendements au texte qui sera étudié par la CMP le 30 janvier.

Celle-ci est, rappelons-le, composée de sept député·es et sept sénateur·ices, dont six sont membres des oppositions (quatre à gauche et deux au Rassemblement national) et huit du « socle commun » soutenant l’action du gouvernement, qui peut donc s’appuyer sur une majorité. Voilà pourquoi la CMP devrait être assez rapidement « conclusive ».

En fait, si Éric Lombard et le reste du gouvernement Bayrou continuaient encore récemment les négociations avec des forces de gauche (socialistes et écologistes), notamment, c’était pour anticiper le coup d’après et s’éviter la censure lors de la semaine du 3 février. Semaine au cours de laquelle l’Assemblée nationale devra selon toute vraisemblance entériner l’accord de la CMP, et où un 49-3 et une motion de censure sont attendus.

Gloire au marché

Mais même si Éric Lombard semble être très ouvert à la discussion, comme il aime le répéter aux journalistes, sa stratégie de convaincre une partie de la gauche butera inévitablement sur une contradiction évidente : le budget qu’il porte est le plus rude avec les services publics au XXIe siècle.  

Et même du point de vue de la croissance économique, ce texte aura des effets délétères. Rappelons que le projet de budget de Michel Barnier, qui prévoyait un niveau global d’économies à peine supérieur à celui porté par François Bayrou, aurait réduit la croissance de 0,8 point de pourcentage, selon les calculs de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il y a donc de fait à attendre un impact négatif du même ordre avec le projet de budget discuté actuellement pour 2025.

D’ailleurs, Éric Lombard l’a admis face aux journalistes le 28 janvier : « Ce budget qui réduit le déficit surtout par la baisse des dépenses aura un effet [négatif – ndlr] sur la croissance. » Cependant, il semble croire dur comme fer qu’il atteindra tout de même son objectif de croissance du PIB en 2025 – certes excessivement modeste à + 0,9 % – grâce à une force supérieure : celle du marché. La perte d’activité économique liée aux coupes budgétaires serait en effet, selon lui, « compensée par le fait que les entrepreneurs et les marchés financiers seront rassurés ». À la bonne heure ! 

Pour le principal locataire de Bercy, le vote d’un budget d’austérité sur les services publics aura en fait pour effet positif de redonner stabilité et confiance au monde des affaires. Pour s’en assurer, celui qui fut dans les années 2000 et 2010 un cadre dirigeant de la BNP Paribas et de l’assureur Generali multiplie d’ailleurs les petites promesses à l’endroit de son ancien monde : aux Échos, il a par exemple affirmé que « la surtaxe d’impôt sur les sociétés ne s’appliquera qu’un an, au lieu de deux dans le projet du précédent gouvernement ».

Mais aussi que « le relèvement de la flat tax de 30 % sur les revenus du capital n’est plus d’actualité, ni aujourd’hui ni demain ». Ouf ! Les riches et les grandes entreprises peuvent dormir sur leurs deux oreilles : avec Éric Lombard, ils ne seront pas mis outre-mesure à contribution pour redresser les comptes de la nation dans les prochaines années. Sera-ce également le cas des services publics et du modèle social ? 

  mise en ligne le 29 janvier 2025

Une gauche
au bord de la rupture

Roger Martelli sur www.regards.fr

La gauche cherche toutes les occasions de s’écarteler. Est-ce vraiment de saison ?

C’est quoi cette mauvaise blague ? Trump est en train de tout casser chez lui ; Milei propose ­­­­de revenir avant la période des Lumières (voir notre article) ; l’extrême-droite se déploie partout. Et pendant ce temps-là, on rejoue la guerre des gauches. Hier, Marchais contre Mitterrand ; aujourd’hui, Mélenchon contre Hollande, « madame Irma » contre « le capitaine de pédalo ».

Le grand cirque ne se limite pas aux noms d’oiseaux. Toutes les occasions semblent bonnes pour aviver les clivages les plus insurmontables. L’arrogance impériale de Trump menace l’Europe ? La gauche ressort ses vieux affrontements. Dans une récente tribune publiée par Le Monde une partie de la gauche (la plus à droite de la gauche) se prononce en faveur d’une Europe fédérale au risque de ranimer les préventions d’une autre partie (les plus à gauche de la gauche) qui redoute cette logique, surtout quand l’influence de l’extrême droite est en dynamique dans toute l’Europe. Mais comment constituer un front efficace contre le trumpisme, s’il n’y a pas d’Europe, si l’Europe se contente de rester ce qu’elle est, ou si elle se fédéralise sur la base du pire ?

La guerre des deux gauches pour légitimer deux candidatures à la présidentielle

S’il n’y avait que cela… Selon les jours, l’essentiel serait de choisir entre la gauche sociale et la gauche sociétale, entre la gauche des tours et celle des bourgs, entre la gauche du communautarisme et celle de la laïcité. Tout ça pour quoi? Pour légitimer le fait que, à la prochaine et inéluctable présidentielle, on doit se préparer à deux candidatures au moins : une insoumise et une sociale-démocrate bon teint. Et pour faire bonne mesure, on inscrit cet affrontement dans les localités. À Villeneuve-Saint-Georges, les insoumis arrivés en tête n’ont pas su faire de place à l’autre liste de gauche. Il n’y aura donc pas de fusion des deux listes de gauche. Pathétique.

Ce n’est pas à Regards que l’on récusera l’idée que la gauche est historiquement polarisée. D’un côté, la conviction que l’égalité ne peut se déployer pleinement au sein de logiques capitalistes qui la nient absolument ; de l’autre, l’idée que la seule voie réaliste est de tenter dans le système de réduire le champ des inégalités. Cette polarité est une réalité. Elle est aussi une source de dynamisme, si elle n’est pas marquée par un déséquilibre trop grand.

Le débat à gauche doit être assumé. La gauche y est parvenue dans le passé : pourquoi n’y parviendrait-elle pas dans le présent, dans une situation profondément changée. La question n’est plus de déterminer qui, de la droite ou de la gauche, est la mieux placée pour assumer la gestion de l’État dans le cadre républicain installé. L’enjeu est de dire si ce cadre sera maintenu ou si nous allons entrer dans une phase nouvelle, post-démocratique et « illibérale ». Certains à gauche ont pu rêver que venait le temps du grand chambardement, du dégagisme libérateur, propice à toutes les ruptures. S’il y a du chambardement et du dégagisme, c’est vers la pire des régressions qu’il est en train de nous porter. Inutile de croire que l’expérience du pire remettra l’histoire dans le bon sens, comme les communistes ont pu croire, au début des années 1930 : l’exercice du pouvoir par les fascismes n’a pas relancé l’onde révolutionnaire. 

La tension entre les deux sensibilités à gauche peut tourner au désastre

Dans le passé, il y avait concurrence à l’intérieur de la gauche, mais la gauche et la droite formaient deux ensembles de force globalement équivalente et la droite, plus ou moins libérale, restait républicaine. Aujourd’hui, la gauche est cruellement affaiblie et c’est l’extrême-droite qui domine.

Dès lors, la tension entre deux sensibilités à gauche peut tourner au désastre. Si « deux gauches » doivent se partager les maigres ressources électorales de la gauche tout entière, autant admettre que seule une personnalité de droite peut l’emporter face au Rassemblement national. Or ce calcul n’a rien d’assuré. Et même si, à l’arrivée, la droite « classique » l’emporte, ce serait une droite dont le point d’équilibre est déplacé vers son extrême.

À la différence d’autres périodes où la concurrence à gauche au premier tour préparait le rassemblement du second tour, la question de l’union tend à devenir première, notamment dans la perspective d’une élection présidentielle. Si la gauche veut ne pas être cornérisée, elle doit se rassembler. Et si elle veut regagner une majorité, elle doit écarter les logiques politiques qui l’ont privée du soutien populaire. Ainsi, elle doit s’écarter de la logique qui s’est amorcée en France autour de 1982-1983, qui s’est déployée dans le cadre européen du « social-libéralisme » et qui a connu son apogée entre 2012 et 2017, avec le quinquennat de François Hollande. Y revenir, au nom du « réformisme » et du « réalisme », serait une aberration.

En 2017 et 2022, les scores de Jean-Luc Mélenchon et le camouflet enregistré par les autres candidatures à gauche ont déplacé le curseur vers la gauche. Cela a débouché à deux reprises sur un rassemblement à gauche, sous l’étiquette de la Nupes, puis du NFP. À deux reprises, ce rassemblement s’est appuyé sur un programme, marqué par le poids électoral de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise. Au-delà du détail des propositions, ce programme est un corps cohérent de propositions qui se nourrit de ce que la gauche de gauche a accumulé depuis 2002. Dira-t-on que c’est un programme de « rupture » ? Ce n’est pas un programme qui décide de la rupture avec un système, mais la logique générale de mobilisation qui suit ou ne suit pas la victoire électorale du programme. En 1936, c’est la grève qui impose la réalisation des grandes mesures du Front populaire ; après 1981, c’est l’atonie du mouvement social qui rend possible le retournement vers la « rigueur ». 

Ce n’est pas un programme qui décide de la rupture

Depuis 2022, la domination écrasante de Jean-Luc Mélenchon a déterminé la rapidité et l’allure générale du rassemblement. Il procédait de l’idée que les catégories populaires ne pouvaient être regagnées que par un retour aux valeurs fondatrices de la gauche. La base du rassemblement existe donc. Peut-être lui manque-t-il l’esprit et l’ambition d’un projet. La force de la gauche n’est ni dans un individu, ni dans un parti, mais dans un esprit d’unité et dans un projet dont le maître mot devrait être l’émancipation humaine. Si, au moment électoral décisif, ce n’est pas ce projet que nous mettons au cœur de la controverse publique, si l’enjeu énoncé est de savoir qui domine à gauche, nous n’aurons plus que les larmes pour pleurer. 

Cette conviction doit l’emporter. Chacun, à l’intérieur de la gauche, peut jouer sa partition, en fonction de son histoire et de ses convictions. Mais, à l’arrivée, ce ne seront pas « les » gauches qui se partageront les votes mais « la » gauche qui triomphera ou qui mordra la poussière.

  mise en ligne le 28 janvier 2025

Le Sénat, voix de la FNSEA

Pierre Jequier-Zalc  sur www.politis.fr

Ces 27 et 28 janvier, le Sénat a examiné une proposition de loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Mégabassines, pesticides, etc., celle-ci s’attaque violemment aux normes environnementales, au plus grand bonheur de la FNSEA.

Depuis le 7 juillet dernier, tous les yeux sont rivés sur l’Assemblée nationale. Encore ces dernières semaines, chaque jour est rythmé par des tractations politiques concernant le vote du budget. Censure ? 49.3 ? Dans ce flux continu de rebondissements, une actualité parlementaire est plutôt restée dans l’ombre. Une proposition de loi, que le Sénat a examinée ces 27 et 28 janvier. Pourtant, celle-ci, visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » (sic), est explosive.

Et pour cause, elle surfe sur la colère agricole pour prendre des mesures à rebours de toute considération environnementale : réautorisation des néonicotinoïdes, soutien aux projets de mégabassines, remise en cause des autorités environnementales et sanitaires, le texte ne fait pas dans le détail. Et comment s’en étonner ? À l’initiative de celui-ci, on retrouve Laurent Duplomb, et Franck Menonville, deux sénateurs de droite. Le premier, qui porte à bout de bras cette proposition de loi, a ainsi été… président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire.

Parce que c’est bien cela qu’il faut voir derrière cette attaque en règle contre l’environnement et l’avenir même du métier d’agriculteur : la marque de la FNSEA. Toutes ces mesures sont fortement inspirées d’un texte de loi rédigé par le syndicat agricole majoritaire à la fin de l’été et transmis aux parlementaires. Intitulé « Entreprendre en agriculture », celui-ci promet un « projet global » permettant de « donner une réelle ambition à l’agriculture française ». Et les mesures proposées par les deux sénateurs de droite y figurent, sans surprise, presque toutes. En novembre, sur la préfecture de Gap, la FNSEA avait même affiché une banderole : « PPL [proposition de loi, N.D.L.R.] Duplomb : la solution ».

Pourtant, comment croire une seule seconde que cette PPL est « de nature à répondre aux demandes du monde agricole », comme l’indique la FNSEA ? Depuis plus d’un an désormais, de nombreux paysans témoignent d’une importante colère. Celle-ci a d’ailleurs émergé en marge du syndicat majoritaire, pris de court l’hiver dernier. Au cœur des revendications des protestataires, figure la question du revenu dans une profession marquée par de très fortes inégalités.

L’idiocratie est en marche. D. Salmon

Ne cherchez pas plus longtemps, aucun article ne contient ne serait-ce qu’une demi-mesure pour tenter d’améliorer les revenus des agriculteurs les plus pauvres. « La méthode Duplomb c’est le moins-disant social et environnemental. Et, au bout du bout, c’est l’économie qui prend le pas sur la santé humaine et sur le vivant », raille Daniel Salmon, sénateur écolo, pour qui ce texte est l’illustration que « l’idiocratie est en marche ».

Comment ne pas lui donner raison, alors que le dérèglement climatique touche en premier lieu les agriculteurs, notamment les plus petits ? Peu importe, finalement, pour la majorité des sénateurs qui ont donc décidé de violemment s’attaquer aux normes environnementales pour promouvoir une agriculture intensive et productiviste à bout de souffle.

Une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.

Surtout, dans un contexte d’instabilité politique chronique, rien ne dit que ce texte ne soit pas rapidement transmis au Palais-Bourbon. La ministre actuelle de l’Agriculture, Annie Genevard, du même bord politique que Laurent Duplomb, est tout aussi attentive que son collègue aux demandes de la FNSEA. Et celui-ci a d’ailleurs mis en garde le gouvernement en novembre dernier, assurant qu’il « ne serait pas rapporteur de la loi d’orientation agricole » sans la garantie d’un examen rapide du texte. Il faut espérer qu’il n’ait pas obtenu gain de cause car le passage d’une telle loi serait dramatique pour l’environnement comme pour l’agriculture de notre pays.

   mise en ligne le 28 janvier 2025

Au nord de Marseille,
le plus grand marché informel de France
lutte pour sa survie

Par Samy Hage sur https://www.bondyblog.fr

Depuis trois mois, le marché de Gèze est à l’arrêt dans la cité phocéenne après un arrêté anti-vente à la sauvette. Face à l’absence de solutions politiques, les vendeurs se réunissent dans un syndicat inédit.

L’arrêt est brutal. Le 17 octobre dernier, la mairie de Marseille (divers gauche) signe un arrêté interdisant la vente à la sauvette dans le quartier très populaire de Gèze, au nord de la ville. Il vise le plus grand marché informel de France qui réunissait quotidiennement jusqu’à un millier de vendeurs.

Depuis, les descentes de police y sont quotidiennes. Les vendeurs, appelés Biffins, voient leur marchandise saisie. Certains ont même écopé d’amendes de 300 euros, l’équivalent d’un bon mois de vente pour les plus réguliers. L’arrêté a été prolongé mi-décembre alors que les Biffins s’apprêtaient à remonter leurs stands. Le tout, officiellement, pour des questions de tranquillité publique et de sécurité.

Il faut vraiment ne pas connaître le quartier pour ne pas comprendre l’importance de ce marché

« Il faut vraiment ne pas connaître le quartier pour ne pas comprendre l’importance de ce marché », peste Stéphanie Fernandez Recatala, présidente de l’association Indicible qui vient en aide aux Biffins. Ce marché géant est historiquement un lieu incontournable pour acheter des vêtements, accessoires et divers objets du quotidien pour quelques euros.

Pour les Biffins, « entre 17 et 84 ans » selon leur syndicat, c’est un complément de revenu indispensable, un travail de subsistance en langage sociologique. On y retrouve différents profils : travailleurs précaires, retraités avec une faible pension, étudiants, chômeurs…

Un marché organisé

En réaction, les marchands ont lancé un syndicat pour défendre cette économie parallèle. Chaque lundi, ils organisent une réunion qui attire toujours de nouveaux membres par le bouche-à-oreille. « Il faut payer ou c’est gratuit ? », demande timidement une nouvelle adhérente, venue grâce à une amie et collègue. Le syndicat est pour l’instant gratuit et compte environ 200 membres.

Ils réclament un marché encadré les week-ends autour d’un boulevard proche du marché actuel. Le tout, organisé par l’association Indicible, en charge de placer les Biffins et de nettoyer le site. Cette gestion serait financée par le coût de l’emplacement : cinq euros. Le projet s’attache à répondre aux problèmes avancés par la mairie pour justifier son arrêté.

Je n’ai jamais laissé un seul déchet à ma place

La Ville pointe en effet des disputes entre Biffins à causes des emplacements et la saleté des lieux, où des marchandises non vendues sont laissées sur la voie publique. Un argument qui agace Dounia*, qui ne vend plus depuis les descentes de police. « Je n’ai jamais laissé un seul déchet à ma place », répète-t-elle régulièrement au cours de la réunion.

Les réticences de la mairie

Cette proposition, la mairie ne semble pas vouloir l’entendre. Yannick Ohanessian, adjoint marseillaisais chargé de la tranquillité publique, à l’origine de l’arrêté, est catégorique. « Ce qu’ils proposent n’est pas un site, c’est une avenue. » L’élu dit alors soutenir le projet d’un marché intérieur et quotidien. Il pourrait se tenir dans un ancien entrepôt du quartier. Son fonctionnement serait assez proche. Il serait géré par une association en charge de la propreté et de la sécurité des lieux. Selon lui, la quasi-totalité des Biffins demanderait un lieu clos pour un éventuel marché organisé. L’adjoint ne parait donc pas reconnaître le nouveau syndicat comme un interlocuteur légitime puisque cela ne correspond pas aux revendications du syndicat.

Le projet de marché couvert n’a en réalité rien de nouveau. Il est défendu de longue date par l’association francilienne Amelior. Yannick Ohanessian n’hésite alors pas à jouer la carte de la concurrence entre les projets. « Il y a quelques militants qui instrumentalisent le sujet », affirme-t-il énigmatiquement. Il faut dire que les liens ne sont pas bons entre les associations, Stéphanie Fernandez Recatala est une ancienne d’Amelior, partie en mauvais terme avant de fonder Indicible.

Il n’y a pas de concurrence, mais de la place pour deux

Cette défense a le don d’agacer l’intéressée. « Il n’y a pas de concurrence, mais de la place pour deux. Le projet d’Amelior, c’est 200 places. Le week-end, il peut y avoir jusqu’à 1 200 Biffins », assure Stéphanie Fernandez Recatala. Un chiffre confirmé par Amelior, qui précise qu’un système de roulement entre Biffins est prévu. La présidente d’Indicible dénonce aussi une forme double discours de la part de la Ville alors que le projet d’Amelior est dans l’impasse depuis des mois.

Un projet qui patine

À ce sujet, le directeur d’Amelior, Samuel Le Cœur, avance quelques problèmes en interne, mais surtout la délicate réhabilitation du lieu fourni par la mairie. « Le site est pourri et dès lors que c’est en intérieur, c’est un établissement recevant du public, avec beaucoup de normes », résume-t-il. Il affirme ne pas avoir de retour de la mairie depuis septembre alors qu’il demande davantage de subventions pour mener le projet à bien. « Ce n’est pas gratuit certes, mais toujours moins cher que la répression », assène le directeur.

L’association attend par ailleurs une subvention promise par Euroméditerranée, établissement public chargé de requalifier le quartier avec pléthore de logements, équipements et bureaux neufs. Cette transformation est spontanément pointée du doigt par le syndicat de Biffins comme un accélérateur de la soudaine répression. L’établissement, administré par l’État et les collectivités locales, avait promis 20 000 euros de subventions au projet d’Amelior, qui les attend toujours.

Face à cela, Euroméditerranée répond que la subvention reste dans les cartons et renvoie la balle à la Ville. « C’est un projet de la mairie. Tant que le projet est à l’arrêt, on ne va pas subventionner. Ça reste de l’argent public », explique l’établissement. Même discours quant à l’arrêté : « C’est une décision de la ville, sans doute pour des raisons de sécurité ».

La situation urge pour les Biffins

De son côté, Kada, secrétaire de syndicat, se montre assez indifférent à ce débat. Pour cet agent d’entretien dans des tours de bureaux, l’urgence est de pouvoir reprendre son activité après trois mois sans complément de revenus. « Intérieur ou extérieur, on a juste besoin d’une place pour vendre », souffle-t-il.

Les Biffins se retrouvent donc coincés entre une lenteur politique et une brouille entre associations alors que la situation devient critique et se généralise dans la ville. Parmi les nouvelles têtes ce lundi, Fatna est marchande à Noailles, quartier populaire dans l’hypercentre également prisé par les Biffins. Cette retraitée, fourrure et larges lunettes de soleil, raconte avoir écopé de 300 euros d’amendes lors d’une descente de police. Sa marchandise, encore rangée dans son caddie, a été saisie. « Je voulais aller à Gèze mais apparemment ça n’existe plus. Il me reste plein de jolis vêtements à vendre. » Comme beaucoup, elle a dû à faire appel à sa famille pour s’en sortir après cette perte de revenu.

Dans ce cadre, le discours de la Ville ne donne guère de motifs d’espoirs aux Biffins de Gèze comme de Noailles. Interrogé sur le sujet début janvier lors des traditionnels vœux à la presse, le maire de Marseille, Benoît Payan (DVG), s’est montré satisfait de la mesure d’arrêté municipal. « Le dispositif a montré que ça fonctionnait. Nous allons continuer [l’arrêté] sur Gèze. » L’élu annonce même envisager une extension de l’arrêté au quartier de Noailles et insiste sur le renforcement du dispositif policier. Ce lundi 20 janvier, pas de nouvel arrêté, mais un « plan tranquillité » qui démarre pour le quartier de Noailles avec une trentaine d’agents mobilisés contre la vente à la sauvette. Pas de nouvelles en revanche pour le sort des marchands.

    mise en ligne le 27 janvier 2025

À Paris, des lycéens étrangers expulsés de leurs logements
en pleine année scolaire

Yannis Angles sdur www.mediapart.fr

Une centaine de lycéens étrangers, jusque-là logés dans des logements individuels à Paris, sont contraints dès la fin janvier de les quitter pour rejoindre des centres d’hébergement d’urgence à travers la France. Un bouleversement qui menace leur poursuite d’études.

« Là, ils me mettent dans la merde avec leur décision », lâche Armi* en passant les grilles du centre d’hébergement d’urgence La Boulangerie, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les visages des quatre lycéens sont ternes et déconfits. Jeudi 23 janvier au soir, ils viennent de visiter leur nouveau « chez-eux », une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.

Il y a peu, ces jeunes vivaient dans des logements individuels, disséminés à travers Paris, gérés par les associations Aurore et Urgence Jeunes. En décembre, ils apprenaient que la prise en charge toucherait à sa fin en juin, ce sera finalement dès le 27 janvier, comme le révèlent Mediapart et StreetPress.

Aujourd’hui, ils se retrouvent ici, dans ce grand foyer pour adultes en difficulté, loin de la stabilité qu’ils avaient pu connaître. « Je ne suis pas content du tout, mais je n’ai pas le choix », explique Habib, en dernière année de CAP, visiblement remué après la visite du centre. Rejoindre ce nouveau centre d’hébergement, alors même qu’ils suivent des parcours de formation allant du CAP au BTS, bouleverse leur quotidien, leurs études et leur avenir.

Cette situation découle d’une décision prise en décembre 2024 par la préfecture de Paris, qui n’a pas voulu reconduire ce dispositif d’hébergement destiné à une centaine de lycéen·nes. Il était pourtant renouvelé chaque année depuis 2015 et financé par la préfecture d’Île-de-France, le rectorat et la mairie de Paris.

Informée depuis plusieurs mois de l’arrêt prochain de ces hébergements, une source à la mairie affirme : « On a négocié tout ce qu’on a pu pour que ça n’arrive pas. » La fin du dispositif est une décision purement politique, selon ce connaisseur du dossier : « Dès que les jeunes sont majeurs, certains veulent envoyer le signal qu’ils ne sont pas bienvenus sur le territoire français et considèrent que les héberger, quand bien même ils sont scolarisés, c’est envoyer un mauvais signal et créer un “appel d’air”. » Contactés, la préfecture et le rectorat ne nous ont pas répondu à l’heure où nous écrivons ces lignes.

La nouvelle est tombée il y a une semaine. Un choc pour ces jeunes lycéen·nes et leurs professeur·es. « On ne pensait pas qu’ils allaient le mettre en application en plein milieu de l’année scolaire », déplore un enseignant qui les accompagne.

Un lieu inadapté aux jeunes

Alhassane*, élève en dernière année de BTS, témoigne de son mal-être : « Depuis, je ne suis plus concentré sur les cours, je m’inquiète pour mon avenir. Ça me perturbe dans mes révisions et dans mon travail. » Mais pour d’autres, ces jeunes ont « de la chance de rester à Paris », aurait, selon plusieurs témoins, lancé un représentant du préfet lors d’une réunion.

Pour Alhassane, la « chance » a une drôle de saveur. « On se retrouve à dix dans un dortoir avec des adultes qu’on ne connaît pas, je ne vois pas où est la chance », explique-t-il, visiblement en colère. Il a tenté en vain de négocier pour être logé en foyer pour jeunes travailleurs : « On ne voulait pas nous entendre, on doit appliquer et c’est tout. »

Les enseignant·es qui les accompagnent, eux aussi, s’inquiètent de ce déménagement dans des centres d’hébergement d’urgence. « Il y a du personnel, et des démarches administratives sont proposées, mais le lieu n’est pas adapté pour des jeunes et encore moins en formation », insiste l’un d’eux.

Ce constat est partagé par un responsable du centre d’hébergement, qui, lors de la visite, a reconnu auprès des jeunes que cet établissement n’était pas conçu pour les recevoir. Tout semble avoir été fait dans la précipitation. À la sortie, ce même responsable le confirme : « Je n’ai été informé qu’il y a quelques jours que ces jeunes devraient être accueillis ici. »

Les conditions matérielles, également, soulèvent des inquiétudes : « Les lits sont dans un mauvais état, les draps sont déchirés », a constaté Drary lors de la visite. Pour ces jeunes, la transition vers cette vie en collectivité ne paraît pas bénéfique pour leur avenir.

« Il n’y a pas de lieu pour réviser, et le soir, certains vont vouloir dormir alors que je dois réviser », explique l’un d’eux. Pour Armi, en alternance, le plus inquiétant, c’est la localisation du centre et l’impossibilité de maintenir son emploi et ses études. « Je travaille à l’opposé du lieu qu’on m’impose aujourd’hui, ça va être intenable », prédit-il.

Tous ont le sentiment ce soir-là de faire un pas en arrière dans leur intégration. Après avoir signé leur contrat d’habitation mensuel, qui devra se renouveler tous les mois jusqu’à la fin de leurs études, en juin, aucun ne restera dormir. Ils ne sont pas encore prêts à rejoindre immédiatement le dortoir et quitter leur vie d’avant. Ils veulent d’abord encaisser le coup et retourner dans leur ancien logement tant qu’ils en ont les clés, avant de se lancer dans un déménagement forcé.

Pour les autres jeunes bénéficiant jusqu’ici du dispositif et qui ne sont pas en année diplômante, il faut carrément quitter Paris, pour s’installer dans diverses villes à travers la France, où ils devraient rejoindre des centres d’accueil. Un départ précipité en plein milieu de l’année scolaire, qui ne leur garantit pas de pouvoir poursuivre leurs formations.

« Aucune information, ni garantie, n’est fournie quant à la possibilité pour eux de continuer leur parcours, notamment pour ceux inscrits dans des filières spécifiques, comme les formations aux métiers de l’industrie », précise un courriel émanant d’un service de la préfecture qu’a pu consulter Mediapart.

« Je préfère retourner dormir dans la rue »

« Ils ne vont jamais pouvoir reprendre leur formation à leur arrivée, on est en janvier », déplore un professeur. Une décision qui entraîne d’autres conséquences : « S’ils n’ont plus de formation, comment vont-ils faire pour renouveler leur titre de séjour étudiant ? »

C’est le cas de Mati*, rencontré lors de l’assemblée générale (AG) organisée le 24 janvier à la Bourse du travail à Paris par les syndicats enseignants et les associations qui accompagnent les élèves. Installé à Paris depuis plus de trois ans, il refuse d’être envoyé en province : « Je ne partirai pas, je préfère retourner dormir dans la rue. » Sa peur est de tout perdre : son alternance, sa formation et ses démarches pour obtenir ses papiers. Depuis sept mois, il apprend le métier de cuisinier dans un restaurant.

Pour lui, la fin du dispositif signifie un retour à la case départ. « Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi dehors à Stalingrad pendant sept mois », confie-t-il. Avant d’envisager un retour sous les ponts, il garde espoir de trouver un logement par ses propres moyens.

« J’ai confiance en mon patron. Je lui ai expliqué ma situation, il va m’aider à trouver un logement », affirme-t-il, cherchant à se rassurer. Une décision radicale que comprend Hélène Kolinka, cofondatrice de l’association Droit à l’école. « Entre avoir un logement en région et ne plus avoir de patron ni d’école, le choix est vite fait pour certains », confirme-t-elle, à la sortie de l’AG.

Pendant les deux heures de l’AG du vendredi 24, toutes les associations, syndicats et collectifs présents ont discuté des stratégies à adopter pour mobiliser. Parmi les présents, des membres de l’association Urgence Jeunes, qui reconnaissent dans cette situation un scénario déjà vécu.

Il y a deux ans, des jeunes avaient été transférés en logements d’urgence, avant que la préfecture ne décide, quelques mois plus tard, d’une remise à la rue. Les membres de l’AG se demandent si ce n’est pas le même objectif qui se cache derrière cette décision : à ce jour, aucune garantie écrite n’assure qu’ils pourront rester jusqu’en juin dans les centres d’hébergement d’urgence.

Des actions sont donc envisagées : des débrayages de la part des enseignant·es, des manifestations et même des occupations, afin de rendre la situation de cette centaine de jeunes plus visible et que leurs revendications soient entendues. Parmi elles : le maintien et l’extension du dispositif pour les lycéens, le fait qu’aucun·e jeune ne soit contraint·e de quitter Paris, l’ouverture de lieux d’hébergement dédiés à tous les jeunes qui en ont besoin, jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Mais pour le moment, la consigne est inchangée : tous ces lycéens devront quitter leurs logements au plus tard le 11 février, et la plupart devront quitter Paris.


 


 

Saint-Denis : un avant-goût du « jour d’après » ?

par Alain Bertho, anthropologue sur https://blogs.mediapart.fr/

Un jeune de la Plaine Saint-Denis surnommé « le maire des banlieusards » qui consacre son énergie à promouvoir la créativité de la banlieue et la solidarité, a encore été arrêté le 25 janvier. Sans ménagement et sans raison claire. Tel est le visage inquiétant de « l’ordre » promu par le ministre de l’intérieur : harceler la vie populaire.

La scène est violente. Filmée, elle est immédiatement virale sur les réseaux locaux.

Vers 14 h 30, à quelques mètres de son domicile avenue du Président Wilson à Saint-Denis, non loin du local associatif « le Pont Commun», installé dans l’ancienne gare RER, Salim à peine sorti de chez lui pour aller chercher son frère, est maîtrisé, mis à terre, menotté et embarqué au commissariat central.  Vidéo 1 Vidéo 2

Un harcèlement ciblé

Salim Dabo a 26 ans. La Plaine Saint-Denis qui l’a vu grandir est encore son port d’attache. Son hyperactivité ne lui a pas rendu son enfance facile. Il y puise aujourd’hui une énergie au service des autres. Un concert organisé en septembre 2021, Streetparty One, pour respirer après le COVID le rend très vite populaire.
Son association Univers Project fondée en 2022, se donne comme ambition de créer « des opportunités pour les jeunes de banlieue en organisant des événements culturels, sportifs et solidaires » : organisation d’événements culturels, maraudes solidaires, programmes éducatifs et sportifs

En 2024, il investit à sa façon le choc des JO pour les familles et les jeunes du territoire soudain à la fois assigné.e.s à résidence par le zonage sécuritaire et le prix des transports et confronté.e.s à un maillage policier sans précédent. Il a même les honneurs du Monde

Est-ce pour cela que le 9 novembre, à la sortie d’une des activités éducatives de son programme  Bel Air, avec d’autres jeunes, il fait l’objet d’un contrôle aussi musclé qu’inexpliqué ?

Victime de techniques d’immobilisation illégales, il est arrêté et mis en garde à vue durant 24 heures puis relâché sans explication. Salim réclame alors une enquête rapide et transparente » et « exige des autorités compétentes qu’elles prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits fondamentaux des habitants de Saint-Denis » car « la sécurité, loin d’être une justification pour de telles dérives, doit se bâtir dans le respect de la dignité humaine et de la légalité. » 

Ce 25 janvier, alors qu’il préparait une maraude solidaire, Salim est encore tabassé. Cinq heures après son arrestation, il est toujours en garde à vue et n’a vu ni médecin, ni avocat quand Éric Coquerel, député de la Plaine, parvient à le voir.
Il est finalement transféré à l’hôpital et vu par un médecin. Des examens sont prescrits et la garde à vue est suspendue le temps de l’hospitalisation. Sa libération intervient le lendemain vers 15 heures. Aucune charge n’est retenue contre lui.

Le harcèlement  contre sa famille n’est pas nouveau. Contrôles et arrestations se succèdent depuis des années dans un contexte récurrent d’acharnement raciste contre les jeunes.

Un cap a été franchi

Pourtant, aujourd’hui, le sentiment domine qu’un cap a été franchi. Pour les militantes et militants des associations, collectifs et organisations, qui connaissent toutes et tous Salim, cette arrestation arbitraire est hélas exemplaire du climat que fait régner sur une ville populaire, les priorités politiques du pouvoir et de son incontournable Ministre de l’Intérieur. 

Ce genre de situation se multiplie de façon inquiétante à Saint-Denis : le harcèlement semble politiquement ciblé. On ne sait pas encore pourquoi, le vendredi 24 au soir, devant le café La table ronde en centre-ville, policiers en civil sont intervenus violemment sans brassards d’identification au milieu d’un groupe de jeunes et ont ensuite lancé une grenade lacrymogène.

Mais on imagine comprendre pourquoi, il y a déjà quelque temps, un groupe qui rentrait à La Plaine a été contrôlé et interpellé sur la passerelle enjambant le canal et (quatre mineurs ont été embarqués). Ces jeunes sortaient d’une réunion qui avait rassemblé 120 personnes aux Francs Moisins pour apaiser les  violences opposants des jeunes des deux quartiers (La Plaine et Francs Moisins). 

La cible du commissariat est à l’évidence la capacité l’auto-organisation de cette jeunesse dans laquelle Salim Dabo joue, avec d’autres, un rôle de premier plan.

Ce harcèlement est directement  politique. Sans filtre, puisque ce sont ses mauvaises fréquentations communistes et insoumises qui lui sont explicitement reprochées lors de ses gardes à vues.

Comme une sorte de laboratoire du pire. 

L’expérience vécue par la population d’une des villes les plus pauvres de la France métropolitaine, mais aussi de la ville qui a le plus voté pour le Nouveau Front Populaire dès le premier tour des législatives, est celle d’une sorte de laboratoire du pire. 

Depuis 2020, la ville est déjà confrontée à une équipe municipale menée par un maire officiellement socialiste, qui s’applique à défaire les services publics locaux qui avaient fait de Saint-Denis une ville de solidarité et de partage.  Les antennes jeunesses sont laissées à l’abandon, des ludothèques ferment, les bus n’assurent plus la liaison entre les cités et le centre-ville, les habitants sinistrés sont laissés à leur sort après un incendie comme les femmes isolées avec leur enfants sans abri, les centres de loisir sont sous encadrés, les écoles grelottent, les personnels sont réprimés, la police municipale multiplie les dérapages….

Syndicats, associations, collectifs font front, se concertent, échangent leur expérience, s’organisent ensemble. Cette mise en réseau des mobilisations est un des objectifs que s’est donné le Comité local du Nouveau Front Populaire qui a organisé un forum le 7 décembre malgré le refus de la mairie de lui accorder une salle.

En juin 2024, celle ville s’est mobilisée contre la menace du Rassemblement National. Mais chacune et chacun le sait : les gouvernements Barnier et Bayrou réactualisent cette menace au quotidien : la présence de Bruno Retailleau dans les deux gouvernements successifs de la droite extrémisée n’est pas un simple effet d’affichage. Le clin d’œil appuyé au RN ne se résume pas à des déclarations « provocatrices ». On ne négocie rien avec un tel personnage !

Son « chantier » concernant la lutte contre « l'immigration illégale mais aussi légale »  annoncé dès son intervention à l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024 a d’ores et déjà des effets dévastateurs.  

A Saint-Denis, la  sous-préfecture ne se contente pas de recevoir les demandeuses et demandeurs de cartes de séjour et de renouvellement dans des conditions indignes. Elle est devenue une fabrique systématique de sans-papiers. Des titulaires de carte de séjour de 10 ans sont piégés par des délais interminables qui les mettent hors la loi, hors de l’emploi et de toute protection sociale. Des rendez-vous (qui font déjà l’objet d’un marché noir) sont annulés du jour au lendemain. Des familles sont systématiquement précarisées.

A cette dévastation, le pouvoir ne veut admettre aucune résistance organisée, surtout pas par les victimes elles-mêmes. Surtout pas en montrant la capacité d’intelligence collective, de solidarité que portent des figures populaires comme Salim et d’autres. 

Ici, des femmes et des hommes sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne, dans leur survie à la  vérité des tentations de plus en plus extrêmes des classes dirigeantes et à l’abandon d’une partie de la gauche. 

Ici, la guerre à la vie populaire semble déclarée. Comme un avant-goût du "jour d’après " tant redouté : celui de la victoire officielle du RN. 

Ici, qui peut comprendre qu’on ne censure pas sans condition un tel gouvernement ?

Ici, la résistance a commencé, à la fois comme protection immédiate des personnes et comme construction d’un commun solidaire, d’un autre lendemain possible.

   mise en ligne le27 janvier 2025

« Nous sommes pris au piège » : en RDC, Goma sous la menace d’un « carnage »

Benjamin König sur www.humanite.fr

Après plusieurs semaines de combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, la capitale de l’est du pays pourrait chuter dans les prochains jours, voire les prochaines heures. Le nombre de civils tués reste inconnu, mais un désastre est à craindre.

Une question de jours, voire d’heures, avant que Goma ne tombe. Un mois après le début d’une nouvelle offensive du Mouvement des rebelles du 23 mars (M23), la grande ville de la province du Nord-Kivu, qui compte 1 million d’habitants et autant de réfugiés venus de la région, est toujours l’objet d’une guerre sans merci, sur fond de pillages des ressources minières pour le compte du Rwanda et de multinationales européennes et états-uniennes.

Le M23, groupe antigouvernemental créé par d’anciens officiers congolais, armé et soutenu par 3 000 à 4 000 soldats rwandais, attaque désormais les forces armées de la RDC (FARDC) et les groupes locaux appelés Wazalendo (patriotes, en swahili), aux portes de la ville.

Selon des personnels de l’ONU présents sur place avec la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et des représentants diplomatiques, des soldats du M23 et rwandais sont entrés dans plusieurs quartiers de la capitale régionale.

Deux casques bleus tués

Dimanche 26 janvier, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence pour évoquer la situation dans l’est de la RDC, condamnant le « mépris éhonté » de la souveraineté de la RDC. La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a exhorté les Nations unies à agir : « Aujourd’hui, les victimes ne sont pas seulement congolaises, cette attaque est dirigée contre l’Afrique tout entière, que dis-je, contre l’humanité entière, les balles rwandaises frappent indistinctement les Sud-Africains, les Tanzaniens, les Malawites, les Burundais, les Uruguayens tous frères et sœurs venus pour la paix », a-t-elle déclaré. Allusion aux casques bleus de la Monusco, dont deux sont morts au cours des dernières quarante-huit heures, un Sud-Africain et un Uruguayen. Onze autres ont été blessés et sont soignés à l’hôpital des Nations unies de Goma.

La représentante spéciale de l’ONU en RDC, Bintou Keita, également cheffe de la Monusco, a indiqué que les routes et l’aéroport étaient bloqués : « Nous sommes pris au piège », a-t-elle déclaré. Comme des centaines de milliers de civils et de réfugiés regroupés dans Goma. Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a rappelé que les attaques sur les civils et les personnels de l’ONU constituent des crimes de guerre.

L’offensive du M23 et des soldats rwandais est foudroyante : en moins de quinze jours, les rebelles ont pris la ville de Masisi, puis, la semaine dernière, celle de Sake, coupant ainsi Goma du reste du pays. C’est lors de ces combats que le gouverneur militaire de la région, Peter Cirimwami, a été tué le 23 janvier.

Dimanche, le président kényan, William Ruto, a annoncé réunir « dans les quarante-huit heures » un sommet de la Communauté des États d’Afrique de l’Est, avec la présence des présidents respectifs de la RDC et du Rwanda, Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Ce dernier a comme à son habitude évoqué une « posture défensive » et « une menace à la sécurité du Rwanda ».

L’est de la RDC est le théâtre, depuis trente ans et les conséquences du génocide des Tutsis au Rwanda, de guerres sur fond de vengeance contre les Hutus génocidaires, mais également de prédation et de pillages des ressources minières et agricoles. La chute de Goma pourrait provoquer une immense catastrophe : le gouvernement congolais a dit ce lundi vouloir « éviter le carnage ».


 


 

Il serait facile de mettre fin aux agissements du Rwanda en RDC

Jason Stearns sur https://blogs.mediapart.fr/

Jason Stearns est professeur associé à l'université Simon Fraser et auteur de « The War That Doesn't Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo ».

La semaine dernière, dans l'est de la République démocratique du Congo, le groupe rebelle M23 s'est emparé de la ville lacustre de Sake. Selon les informations disponibles ce lundi 27 janvier au matin, ses combattants seraient entrés dans la ville de Goma. Les dirigeants occidentaux semblent paralysés dans la gestion de nombreux conflits, mais cela ne devrait pas être le cas en RDC. Il serait facile d'agir car le principal instigateur du conflit du M23 est le gouvernement du Rwanda, un pays dépendant de l'aide étrangère.

La semaine dernière, dans l'est de la République démocratique du Congo, le groupe rebelle M23 s'est emparé de la ville lacustre de Sake. Le week-end dernier, les combats ont également embrasé Goma, une ville de 1,5 million d'habitants entourée de centaines de milliers de personnes déplacées. Selon les informations disponibles ce lundi 27 janvier au matin, ses combattants seraient entrés dans la ville.

Les dirigeants occidentaux semblent paralysés dans la gestion de nombreux conflits, mais cela ne devrait pas être le cas en RDC.

Dans ce pays, plus de 6 millions de personnes sont déplacées, dont au moins un tiers à cause du conflit du M23. Le fait qu'ils ne l'aient pas fait amène de nombreux Congolais à conclure que personne ne s'en préoccupe. D'autres, de plus en plus nombreux, croient à une conspiration plus sinistre : si les puissants restent les bras croisés alors que les Congolais souffrent, c'est qu'ils le veulent bien. Il n'est pas étonnant que la popularité de la Russie soit en hausse auprès des Congolais.

Il serait facile d'agir, car le principal instigateur du conflit du M23 est le gouvernement du Rwanda, un pays dépendant de l'aide étrangère. Selon six rapports d'un groupe d'experts des Nations unies, le Rwanda a envoyé des milliers de soldats à la frontière, déployant des missiles sol-air, des tireurs d'élite, des véhicules blindés et des forces spéciales. Les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont tous condamné les actions du Rwanda.

Mais les paroles ne valent pas grand-chose. Les critiques formulées à l'encontre du Rwanda sont souvent contredites par d'autres actions. Au milieu des violences, les dirigeants du Commonwealth se sont réunis à Kigali en 2022, et l'UE a accordé 40 millions d'euros pour soutenir le déploiement de la force de défense rwandaise (la même armée qui a participé à l'assaut contre la RDC) au Mozambique. L'UE et ses États membres investissent également plus de 900 millions de dollars au Rwanda dans le cadre du programme Global Gateway.

Sous l'ancien gouvernement conservateur, le Royaume-Uni avait l'intention d'envoyer les demandeurs d'asile au Rwanda afin de décourager l'immigration clandestine. La France, qui a joué un rôle moteur dans les décisions de l'UE, s'est montrée désireuse de maintenir les troupes rwandaises dans le nord du Mozambique, où elles protègent les installations gazières offshore de TotalEnergies contre les rebelles islamistes. Certains fonctionnaires européens sont plus favorables aux diplomates rwandais, bien organisés, qu'à leurs homologues congolais.

Les diplomates rwandais affirment que leur armée n'est pas déployée en RDC, mais que si elle l'était, ce serait pour protéger la communauté tutsie congolaise et leurs propres frontières contre les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR comprennent des combattants qui ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.

Ce récit, cependant, renverse la séquence historique. C'est l'émergence du M23 qui a conduit à une augmentation des discours de haine contre les Tutsi et à une collaboration entre l'armée congolaise et les FDLR. Le gouvernement congolais doit certes s'attaquer aux discriminations et mettre fin à son soutien aux groupes armés. Mais le M23 a exacerbé les maux qu'il cite.

Le Rwanda, dont au moins un tiers du budget provient de l'aide des donateurs, compte sur sa réputation pour attirer les touristes et les investisseurs. L'Association nationale de basket-ball des États-Unis s'est associée au Rwanda dans le cadre de sa Ligue africaine de basket-ball. Les maillots des clubs de football Paris Saint-Germain et Arsenal portent la mention « Visit Rwanda ». Le pays est candidat à l'organisation d'une course de Formule 1. Le président Paul Kagame aime s'afficher avec des célébrités telles qu'Idris Elba et Kendrick Lamar, peut-être dans l'espoir que leur rayonnement déteindra sur lui.

Dans le passé, les donateurs ont utilisé ce moyen de pression. En 2012, ils ont suspendu le versement de 240 millions de dollars d'aide en raison d'une ingérence présumée en RDC. Barack Obama a appelé Kagame et lui a demandé de cesser de soutenir le M23. En l'espace de quelques mois, l'aide a cessé et le M23 s'est effondré.

Cette fois-ci, nous semblons vivre dans un monde différent - un monde dans lequel la migration, les investissements commerciaux et d'autres préoccupations nationales sont plus importants que l'humanitaire, et où l'apathie l'emporte sur la solidarité. Un monde où nous dénonçons avec indignation l'agression russe en Ukraine, mais où nous haussons les épaules lorsque des millions de personnes sont déplacées en Afrique centrale.

  mise en ligne le 26 janvier 2025

La Martinique retrouve son leader de la lutte contre la vie chère

Julien Sartre sur www.mediapart.fr

Condamné à de la prison avec sursis pour violation de domicile et intimidation, Rodrigue Petitot est sorti de détention vendredi 24 janvier et a déjà appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». La mobilisation se poursuit aussi au Parlement et devant le tribunal de commerce.

Cela n’a pris que quelques minutes avant que son image et sa parole ne se répandent à nouveau de façon virale sur les réseaux sociaux et dans la presse. En sortant de prison, avant d’aller effectuer une peine aménagée à son domicile, Rodrigue Petitot, dit le « R », a tenu un discours devant ses partisans galvanisés.

« Ce n’est pas une menace, ce n’est pas une intimidation : je demande à M. Manuel Valls de venir nous rencontrer afin qu’on puisse avoir de vraies réponses ! », exhortait le leader martiniquais du mouvement contre la vie chère, depuis le siège de l’association qu’il préside à Fort-de-France, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC).

Visiblement pas découragé par le mois et demi de détention qu’il vient d’effectuer à la prison de Ducos, Rodrigue Petitot a appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». Pour lui et ses partisans, rassemblés en nombre dans les rues de Fort-de-France et au QG du RPPRAC, ce vendredi 24 janvier était avant tout un jour de « libération ».

Après deux jours de procès, Rodrigue Petitot a été reconnu coupable de violation de domicile, d’outrages et d’actes d’intimidation, pour s’être introduit dans la résidence préfectorale, le 11 novembre dernier. Le militant était venu demander une rencontre avec le ministre des outre-mer de l’époque, François-Noël Buffet, de passage sur l’île.

Le « R » « risquait vingt ans de prison et la juridiction n’a pas voulu abandonner toutes les préventions mais le plus important est qu’il recouvre la liberté ! », se félicite auprès de Mediapart un de ses avocats, Me Eddy Arneton. Condamné à un an de prison intégralement assorti du sursis dans cette affaire dite « de la résidence préfectorale », Rodrigue Petitot est pourtant loin d’être libre.

Condamné à dix mois de prison dans une autre affaire pour avoir tenu des propos assimilés à de l’intimidation d’élus, il effectuera sa peine à domicile, avec un bracelet électronique. « Nous espérons que cette décision mettra un terme au cycle de judiciarisation qui a été enclenché et sollicité par le ministre de l’intérieur, en violation du principe de séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif », poursuit Me Arneton.

La sortie de prison de Rodrigue Petitot constitue-t-elle une victoire pour le mouvement contre la vie chère, lancé en Martinique en septembre dernier ? « Pas encore, répond Me Max Bellemare, un des conseils de Rodrigue Petitot. Nous avons été entendus sur plusieurs points et notre client a été relaxé de plusieurs accusations, mais il y aura une victoire lorsqu’on aura modifié le système complètement et que les prix de nombreux produits auront été baissés. La finalité, c’est bien cela, une réduction sensible des prix. »

Signé en octobre dernier après les premières semaines de mobilisation et de blocage de supermarchés, un « protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère » a été paraphé par les opérateurs économiques, les services de l’État, les organisations syndicales et les élus locaux, à Fort-de-France. Le RPPRAC n’y a pas apposé sa signature, dénonçant un nombre trop faible de produits concernés et un impact limité sur les prix dans les rayons des supermarchés.

Au fil des semaines et jusque dans la parole du gouvernement, le débat s’est focalisé sur le rôle joué par le groupe Bernard Hayot (GBH), importateur, distributeur et acteur majeur de l’économie ultramarine, basé en Martinique. « J’en ai déjà parlé et je continue à le faire malgré les réactions et les pressions : certains grands groupes très performants ont un rôle d’étouffement économique dans les outre-mer », dénonçait par exemple le ministre des outre-mer, Manuel Valls, lors de l’examen de la proposition de loi socialiste contre la vie chère.

La vie chère débattue dans la niche PS

Portée par la députée socialiste de Martinique Béatrice Bellay, la proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer », a été adoptée à une écrasante majorité par les député·es ce jeudi 23 janvier. Examinée dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe socialiste, le texte prévoit un renforcement, une extension et un alignement sur les prix de l’Hexagone du « bouclier qualité-prix » (BQP), dispositif de modération du coût des denrées alimentaires, existant de longue date dans les départements d’outre-mer (DOM).

Le texte prévoit aussi d’interdire les positions dominantes dans le secteur de la distribution, de renforcer les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et un encadrement strict des marges des importateurs.

Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les débats étaient riches en références à la mobilisation martiniquaise et à Rodrigue Petitot. « Il ne s’agit rien de moins que de tenir notre parole, engagée lors de longues séances de travail en Martinique », s’est souvenu le député socialiste de Martinique Jiovanny William, en défendant un amendement qui étend le bouclier qualité-prix aux produits de grande consommation. Ainsi, l’extension du BQP à la téléphonie, aux assurances, aux frais bancaires ou encore aux pièces détachées pour automobiles (dont les prix peuvent être de 400 % supérieurs à ce qu’ils sont dans l’Hexagone) a fini par faire consensus. 

L’Insee a documenté à plusieurs reprises des surcoûts de plus de 40 % en Martinique et dans le reste de l’outre-mer. Les produits alimentaires sont particulièrement impactés par ces écarts de prix, alors que les revenus sont en moyenne inférieurs de plus de 30 % dans les collectivités ultramarines. Le texte adopté jeudi 25 janvier en première lecture par l’Assemblée nationale doit maintenant être voté par le Sénat.

Un article de cette proposition de loi prévoit d’aggraver les sanctions contre les entreprises qui ne publient pas leurs comptes comme la loi les y oblige, passé un certain seuil.

Mis également en cause par une enquête journalistique de Libération pour ses « profits suspects » et la multiplication des intermédiaires – et donc des marges abusives via ses nombreuses filiales –, le groupe GBH s’est défendu à plusieurs reprises face à des commissions d’enquête parlementaires, devant le Sénat et l’Assemblée nationale. Sommé de publier ses comptes par des lanceurs d'alerte qui ont déposé plainte devant le tribunal de commerce de Fort-de-France, GBH affirme s’être conformé à ses obligations légales.

Prévue jeudi 23 janvier, l’audience consacrée à cette affaire a été reportée au 13 février prochain : le temps pour le tribunal d’analyser les documents qui lui ont effectivement été transmis, mais pas de quoi calmer la vindicte populaire, en particulier en raison de la collision avec le calendrier judiciaire du « R ». Lors de son allocution largement diffusée sur les réseaux sociaux, Rodrigue Petitot faisait référence à ce renvoi d’audience en expliquant que lui n’avait bénéficié d’aucune clémence ni d’aucun report dans l’examen de ce que lui reproche la justice.

   mise en ligne le 26 janvier 2025

Comment Donald Trump veut
« nettoyer » Gaza de ses habitants

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le président états-unien veut que l’Égypte et la Jordanie accueillent les habitants de Gaza. Il rêve de « faire le ménage ». Une idée qui plaît à Netanyahou et l’extrême droite israélienne.

Entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou, l’entente est parfaite. Ils ont en commun un cynisme et un mépris avéré pour les Palestiniens. Pendant quinze mois, le premier ministre israélien a pratiqué une politique génocidaire sans merci. Le nouveau président états-unien, à peine installé à la Maison-Blanche, pousse pour finir le travail. Dans une déroutante déclaration effectuée samedi 25 janvier, il a comparé la bande de Gaza dévastée par la guerre et plongée dans une grave crise humanitaire à un « site de démolition » : « J’aimerais que l’Égypte accueille des gens. On parle d’environ 1,5 million de personnes, on fait tout simplement le ménage là-dedans et on dit : ”Vous savez, c’est fini.” »

Pendant qu’Elon Musk, déjà en charge de purges au sein de l’administration américaine, intervient au congrès de l’AfD en Allemagne, Trump, lui, parle tout simplement de déportation des Palestiniens. « Vous savez, au fil des siècles, ce site a connu de nombreux conflits. Et je ne sais pas, quelque chose doit se passer », a-t-il renchéri en explicitant son idée : « Je préférerais m’impliquer avec certaines nations arabes et construire des logements à un autre endroit où ils pourraient peut-être vivre en paix pour une fois. » Le trublion a suggéré un déplacement « temporaire ou à long terme » des Gazaouis.

Sur les 200 prisonniers palestiniens libérés, 70 bannis de Palestine

Il a également indiqué qu’il avait félicité la Jordanie pour avoir accepté avec succès des réfugiés palestiniens, faisant savoir au roi Abdallah II : « J’aimerais que vous en accueilliez davantage, car je regarde toute la bande de Gaza en ce moment, et c’est un désastre. C’est un véritable désastre. » Trump a ensuite annoncé le déblocage d’une livraison de bombes de plus de 900 kilogrammes pour son allié israélien. L’administration de l’ancien président Joe Biden avait suspendu l’année dernière les livraisons de telles armes.

Avec cette nouvelle approche, Donald Trump s’aligne sur la volonté affichée par Israël depuis le début de la guerre, à savoir expulser les Palestiniens de la bande de Gaza. Ce nettoyage ethnique plaît au ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, qui l’a fait savoir dans un communiqué : « L’idée de les aider à trouver d’autres endroits où commencer une vie meilleure est une excellente idée. »

Ces déclarations arrivent au moment opportun pour Benyamin Netanyahou et sonnent comme un soutien sans faille et sans condition. Ce qui permet au premier ministre israélien de ne pas respecter ses engagements concernant le retrait total de ses troupes du sud du Liban, comme le prévoyait l’accord conclu.

De même, les Gazaouis déplacés dans le Sud, qui devaient avoir la permission de retourner dans le Nord, en sont toujours empêchés par l’armée israélienne sous prétexte que lors de l’échange de samedi, les quatre captives israéliennes étaient des soldates, alors qu’une civile devait être dans le lot. Sur les 200 prisonniers palestiniens libérés, 70 ont été bannis de Palestine et contraints de rester en Égypte.

Ces dernières séquences, ajoutées aux promesses qu’aurait faites Trump de laisser Netanyahou reprendre les bombardements à Gaza, augurent mal de la suite, l’entame de négociations sur les modalités de la deuxième phase, à savoir « une fin définitive de la guerre ». En somme, Trump et Netanyahou disent aux Palestiniens : « La valise ou le cercueil. »


 


 

L’annexion illégale de
la Cisjordanie par Israël boostée par Trump

Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr

Alors que le cessez-le-feu dans la bande de Gaza est en vigueur depuis le 19 janvier et qu’un nouvel échange de prisonniers et d’otages a eu lieu ce samedi 25 janvier, les partisans de l’annexion de la Cisjordanie se font plus bruyants et plus violents que jamais en Israël. En témoignent les attaques de ces derniers jours dans le nord du territoire palestinien.

Le cessez-le-feu à Gaza, qui connaît samedi 25 janvier un nouvel échange de captifs et de captives (voir notre encadré), se fera-t-il au prix de l’annexion progressive de la Cisjordanie par le gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël ?

À peine investi lundi 20 janvier, Donald Trump, qui s’attribue le mérite de la bien fragile trêve à Gaza, a envoyé un signal funeste en annulant le décret de son prédécesseur Joe Biden, qui avait poussivement pris en février 2024 une mesure certes dérisoire mais très symbolique : des sanctions financières contre plusieurs colons israéliens accusés de violences contre des Palestinien·nes en Cisjordanie occupée.

De quoi galvaniser les partisans d’un « Grand Israël » de la Méditerranée au Jourdain, qui rêvent d’annexer totalement le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, qu’ils désignent par l’appellation biblique de « Judée-Samarie ». Pas une semaine sans qu’ils redoublent de violence, colonisent ou tentent de coloniser de nouvelles terres en toute impunité.

Depuis le 7-Octobre, dans l’ombre des massacres à Gaza et au mépris du droit international, on assiste même à une accélération inédite de la politique de colonisation en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. 

Au moins 850 Palestiniens y ont été tués par l’armée israélienne ou par des colons, selon le ministère palestinien de la santé, tandis qu’une trentaine d’Israéliens, dont des soldats, y sont morts dans des attaques palestiniennes ou dans des opérations militaires, selon Israël.

Un exemple parmi des dizaines d’autres : fin juin 2024, Israël a accaparé la plus vaste étendue de terres en Cisjordanie depuis trente ans et les accords de paix d’Oslo en 1993. 1 270 hectares dans la vallée du Jourdain ont été déclarés « propriétés d’État » pour favoriser l’expansion de colonies israéliennes.

Lundi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, une cinquantaine d’extrémistes juifs a attaqué à la tombée de la nuit, à coups de pierres et de cocktails incendiaires, les villages d’Al-Funduq et de Jinsafut, dans le nord de la Cisjordanie. Sous le regard passif de soldats israéliens.

Dans cette commune en zone C, c’est-à-dire sous contrôle total de l’armée israélienne, la police est intervenue « au bout d’une heure seulement », a raconté au journal Le Monde Luay Tayim, maire du village. 

Les colons venus en découdre entendaient « venger » l’assassinat, début janvier, de trois habitants de la colonie de Kedoumim toute proche, où vit l’un des plus zélés promoteurs d’une annexion totale de la Cisjordanie, le colon et ministre israélien des finances d’extrême droite, et vice-ministre de la défense, Bezalel Smotrich, qui a voté contre l’accord avec le Hamas. 

200 Palestiniens libérés en contrepartie de quatre soldates israéliennes

Quatre soldates israéliennes, retenues à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ont été libérées samedi 25 janvier par le Hamas en contrepartie de la libération de 200 Palestiniens détenus dans les prisons d’Israël, dont une grande partie est incarcérée sous le régime de la détention administrative, c’est-à-dire de manière arbitraire, sans charge ni procès. C’est le deuxième échange de captifs depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier.

Daniella Gilboa, Karina Ariev, Liri Albag et Naama Levy, qui avaient été enlevées dans une base militaire, ont retrouvé la liberté dans la matinée, au cours d’un échange mis en scène par le Hamas. Elles sont désormais prises en charge dans un hôpital en Israël.  

Une partie des Palestiniens libérés a été accueillie par une foule en liesse à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. D’autres ont été envoyés en Égypte à bord d’autobus, « expulsés » par Israël, selon le média d’État égyptien Al-Qahera News. Seize autres Palestiniens ont été transférés vers la bande de Gaza, où Israël conditionne le retour des déplacé·es du sud vers le nord de Gaza à la libération de l’otage Arbel Yehud, qui serait « en bonne santé », selon deux dirigeants du Hamas.

Sur la liste des Palestiniens libérés ce samedi, figure Mohammed Tous, 69 ans et membre du Fatah, plus ancien Palestinien détenu sans discontinuer par Israël, avec près de quatre décennies passées derrière les barreaux.

Le ministre suprémaciste, qui menace de faire tomber le gouvernement si Israël ne reprend pas la guerre à Gaza à l’issue de la première phase du cessez-le-feu, réclame qu’Al-Funduq soit réduit en ruines comme le camp de Jabaliya l’a été dans le nord de Gaza. 

Il a salué sur le réseau social X la première mesure de Trump en faveur des colons : « Votre soutien inébranlable et sans compromission […] est un témoignage de votre intense relation avec le peuple juif et notre droit historique sur notre terre ». Tout comme l’autre figure de l’extrême droite israélienne, Itamar Ben-Gvir, qui a démissionné dimanche 19 janvier de son poste de ministre de la sécurité nationale pour dénoncer l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas palestinien.

Opération « Mur de fer »

Tandis que la terreur coloniale frappe Al-Fundunq et Jinsafut, au surlendemain de l’entrée en vigueur d’une trêve à Gaza et au lendemain de l’investiture de Donald Trump, les autorités israéliennes ont déplacé la guerre sur un autre des multiples fronts qu’elles ont ouverts depuis le 7-Octobre en lançant, au nom de « la lutte contre le terrorisme », une nouvelle offensive meurtrière en Cisjordanie.

Baptisée « Mur de fer », appuyée par des bulldozers, des avions et des véhicules militaires blindés, la vaste opération de l’armée et du service de renseignement intérieur israéliens vise le camp de réfugié·es, accolé à la ville de Jénine, également dans le nord du territoire. Un bastion historique de la lutte armée palestinienne, régulièrement attaqué, qui se trouve en zone A, soit sous contrôle de l’Autorité palestinienne (AP). 

Qu’importe le zonage, Israël investit le camp à sa guise, régnant par la force et humiliant encore un peu plus la bien faible et décriée AP, qui doit urgemment se réformer en profondeur, ainsi que son leader, l’impopulaire et indéboulonnable Mahmoud Abbas (qui s’est décidé, à reculons, sous intense pression diplomatique, en novembre 2024, à commencer à organiser sa succession, un sujet tabou pour lui, en désignant Rauhi Fattouh, un de ses fidèles, pour lui succéder si des raisons de santé l’empêchaient de gouverner). 

Le président de l’Autorité palestinienne, qui fêtera ses 90 ans en 2025 et revendique la gouvernance de Gaza, a tout fait ces dernières semaines pour prouver à Trump, à Israël et à la communauté internationale qu’il était capable de conduire son peuple en Cisjordanie comme demain dans l’enclave anéantie par quinze mois de bombardements massifs.

« Méthodes de guerre », selon l’ONU

Mais l’offensive israélienne, qui a déjà fait en moins d’une semaine plus de quatorze morts et des dizaines de blessés, parmi lesquels des soignants palestiniens, est un cinglant désaveu. Elle intervient quatre jours après la conclusion d’un accord mettant fin à près de deux mois de combat entre les groupes armés du camp de Jénine et les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Depuis plusieurs semaines, ces dernières menaient dans le camp une offensive sans précédent contre ceux qu’elles dénoncent comme étant des « groupes palestiniens hors la loi » semant « le chaos et la fraude ».

Dans un communiqué, le Hamas accuse l’AP de « collaboration avec Israël », de « crime et de trahison du sang des martyrs », et dénonce une coordination sécuritaire avec le colonisateur « devenue extrêmement dangereuse, s’opposant totalement à la position du peuple palestinien et des organisations palestiniennes ».

Jeudi 23 janvier, au troisième jour de l’opération israélienne, des centaines d’habitant·es ont quitté les rues boueuses du camp de Jénine, emportant quelques affaires. « Ils veulent faire comme à Gaza », réagit auprès de Mediapart un Palestinien de Jénine.

Vendredi 24 janvier, l’ONU a condamné l’usage par Israël « de méthodes de guerre » et « le recours illégal à la force létale » à Jénine. Les opérations israéliennes « suscitent de graves inquiétudes quant à un recours inutile ou disproportionné à la force, notamment aux méthodes et moyens développés pour la guerre, en violation du droit international des droits de l’homme, des normes et standards applicables aux opérations de maintien de l’ordre », a déclaré Thameen al-Kheetan, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits humains.

« En s’abstenant constamment, au fil des ans, de demander des comptes aux membres de ses forces de sécurité responsables d’homicides illégaux, Israël non seulement viole ses obligations en vertu du droit international, mais risque également d’encourager la répétition de tels homicides », a encore ajouté le porte-parole.

Alors que le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a promis par téléphone au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou mercredi 22 janvier un « soutien inébranlable » à Israël, alors que l’équipe de Donald Trump compte de fervents pro-israéliens, dont Mike Huckabee, figure de la droite chrétienne évangélique et ardent partisan de la colonisation, nommé au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël, pour qui « l’occupation, ça n’existe pas », tout comme la Palestine et le peuple palestinien, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, s’alarme « de la menace existentielle » qui pèse sur « l’intégrité et la contiguïté du territoire palestinien occupé de Gaza et de Cisjordanie » et se dit « profondément préoccupé ».

« De hauts responsables israéliens parlent ouvertement d’une annexion formelle de la totalité ou de parties de la Cisjordanie dans les mois qui viennent. Toute annexion de la sorte serait une très grave violation du droit international », a-t-il confié lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient, lundi 20 janvier.

Personne n’oublie le plan dit « de paix » non abouti de Donald Trump en 2020 lors de son premier mandat. Vanté par ce dernier comme « le deal du siècle », il enterrait définitivement ce qui était la base des négocations jusqu’ici (le tracé des frontières de 1967 et Jérusalem comme capitale des deux États) et prévoyait l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par Israël, qui aurait notamment la souveraineté sur la vallée du Jourdain et Jérusalem comme « capitale d’Israël indivisible ».

Sans surprise, le plan avait suscité la colère du peuple palestinien. Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, l’avait immédiatement rejeté, ainsi que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.


 


 

Gaza : la CNCDH pointe

les hypocrisies françaises

Justine Brabant sur www.mediapart.fr

La Commission nationale consultative des droits de l’homme a demandé au gouvernement, jeudi 23 janvier, de retirer ses déclarations sur « l’immunité » de Benyamin Nétanyahou et rappelle que la France doit « prévenir le crime de génocide » par « tous les moyens à sa disposition ».

Multiplier les déclarations sur le respect du droit international humanitaire est une chose. Les mettre en pratique avec constance en est une autre. Les autorités françaises devraient démontrer qu’elle ne se contentent pas de paroles mais qu’elles mènent également des « actions concrètes » dans ce domaine, estime la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une déclaration adoptée le 23 janvier, que Mediapart a pu consulter et qui fait explicitement référence à la guerre menée par Israël à Gaza.

Ces derniers mois, les autorités françaises ont multiplié les discours et les initiatives pour défendre le droit international humanitaire, ce pan du droit international qui s’applique aux conflits armés et vise à en limiter les conséquences (il impose entre autres de protéger les non-combattant·es et interdit d’utiliser certaines armes et méthodes de guerre trop destructrices).

En septembre 2024, Paris lançait ainsi, avec cinq autres États, une initiative mondiale « visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire ». Le respect de ce droit figure parmi les piliers de la stratégie humanitaire française 2023-2027. Il est régulièrement mentionné comme une priorité par les diplomates français·es.

Mais à l’épreuve des faits, la France n’a pas toujours été exemplaire. Le 27 novembre 2024, le ministère des affaires étrangères laissait entendre que la France pourrait ne pas appliquer le mandat d’arrêt pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, contredisant toutes les déclarations précédentes de la diplomatie française.

La CNCDH, qui est l’institution chargée de veiller à l’application par la France du droit international humanitaire, appelle aujourd’hui la France à « retirer formellement » cette déclaration. « Déclarer qu’un chef de gouvernement frappé d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pourrait bénéficier d’une immunité » est non seulement « en contradiction avec la jurisprudence nationale », mais aussi avec « la jurisprudence de la Cour pénale internationale en la matière » et avec les obligations de la France en tant que signataire des Conventions de Genève, souligne la Commission.

La volte-face du Quai d’Orsay au sujet de Nétanyahou avait été interprétée, à l’époque, comme un gage donné aux autorités israéliennes afin qu’elles acceptent d’intégrer Paris aux discussions sur un cessez-le-feu au Liban. Entre ne pas transiger sur ses principes et les fouler aux pieds pour afficher un petit succès diplomatique, l’exécutif français a choisi.

Mieux contrôler les ventes d’armes françaises

« C’est en prenant des engagements à long terme, et non en adoptant des positions conjoncturelles par opportunité politique ou diplomatique […] que peut être créé un environnement propice au respect du droit international humanitaire », tance la CNCDH dans sa déclaration, votée à l’unanimité de ses membres (soixante-quatre personnes, représentant·es de grandes ONG, syndicats, expert·es des droits humains, représentant·es de cultes, universitaires, magistrat·es, avocat·es et parlementaires).

La Commission rappelle également à Paris ses obligations en matière de contrôle des ventes d’armes. Tout en « salu[ant] » les mots d’Emmanuel Macron qui avait appelé début octobre 2024 à « cesse[r] de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza », la CNCDH recommande à la France d’aller jusqu’au bout de cette logique – et de ses obligations internationales – en « suspend[ant] tout transfert d’armes » à destination de « tout État à travers le monde » s’il existe « le moindre doute quant à une utilisation de ces armes non conforme au droit international ».

Une recommandation qui pourrait s’appliquer aux ventes d’armes françaises au Myanmar, à l’Arabie saoudite, à l’Éthiopie… mais aussi, potentiellement, à Israël. Car si Emmanuel Macron a de fait exclu les ventes d’armes pouvant être utilisées à Gaza, l’État français n’est pas allé jusqu’à prononcer un embargo total sur les exportations vers Israël (qui mène également des opérations en Cisjordanie, par exemple).

Alors qu’un nombre croissant de juristes, d’historiens et d’ONG qualifient la guerre menée par Israël à Gaza de génocide, la CNCDH rappelle également à la France qu’elle a, en vertu de ses engagements internationaux, obligation de « prévenir le crime de génocide et d’user de tous les moyens à sa disposition pour empêcher la survenance de ce crime ou le faire cesser ».

« Dans un monde où les conflits sont marqués par des violations massives du droit international humanitaire et où il est visiblement très difficile damener les belligérants eux-mêmes à le respecter, les États tiers, extérieurs au conflit, ont un rôle majeur à jouer », estime la rapporteuse du texte de la CNCDH, Julia Grignon, qui est directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et professeure de droit international humanitaire à l’université Laval, à Québec (Canada).

La Commission revient enfin sur la fourniture d’aide dans l’enclave palestinienne de Gaza, longtemps privée de vivres en raison d’un blocus mis en place par Israël. « L’aide humanitaire ne devrait jamais être conditionnée, ni même influencée, par des motifs d’ordre politique, diplomatique ou stratégique », exhorte-t-elle. Avec en tête, notamment, le rôle problématique des États-Unis à ce sujet.

« Lorsque les Américains font des largages d’aide humanitaire depuis les airs alors que sur le terrain il n’y a personne pour coordonner sa distribution, et que cela donne lieu à des émeutes, cela n’est pas faire de l’aide : c’est juste un faire-valoir, une démonstration de communication », regrette Julia Grignon.

La juriste pointe le contraste « criant » entre les condamnations des exactions russes en Ukraine et les réactions bien plus mesurées lorsqu’il s’agit de condamner celles d’Israël. « Ce n’est pas parce qu’on [les États occidentaux – ndlr] est amis avec Israël, et parce qu’Israël n’est pas la Russie ou la Chine, qu’on ne doit pas avoir les mêmes exigences en matière d’accès à l’aide humanitaire. »

« Quand il s’est agi de dénoncer les crimes de la Russie, les voix étaient unanimes. Quand la CPI s’est saisie de la question, les voix étaient unanimes. Et tout à coup, parce que c’est Israël, il n’y a plus du tout d’unanimité », regrette-t-elle.

 

   mise en ligne le 25 janvier 2025

Victoire pour les urgences de Villeneuve-Saint-Georges : la grève paie aussi à l’hôpital

par Guillaume Étievant sur https://www.frustrationmagazine.fr/

Se mettre en grève est toujours une décision délicate, que l’on évolue dans le secteur privé ou public. Les représailles des employeurs peuvent être lourdes, et tout le monde ne peut pas se permettre de renoncer à plusieurs jours de salaire. À l’hôpital, l’enjeu est d’autant plus complexe entre l’engagement des soignants à assurer la sécurité des patients et la nécessité de défendre leurs conditions de travail, qui ont un impact direct sur la qualité des soins. Pourtant, malgré ces obstacles, la lutte peut porter ses fruits. Les salariés de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) viennent d’en apporter une démonstration éclatante. Grâce à leur détermination, ils ont obtenu satisfaction sur l’ensemble de leurs revendications. Cette victoire syndicale illustre avec force que, même dans un secteur aussi sensible que la santé, la solidarité et la persévérance permettent d’imposer des avancées concrètes. 

L’année a débuté dans la révolte aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, où l’ensemble des soignants ont engagé un bras de fer avec la direction. Les conditions de travail y sont, comme dans de nombreux hôpitaux, absolument insoutenables, avec des dizaines de patients dormant sur des brancards, faute de lits disponibles, et obligés de se laver dans les couloirs entre deux paravents. Les difficultés se sont renforcées ces dernières années, avec la fermeture de plusieurs hôpitaux aux alentours. Les salariés se sont donc mis en grève, soutenus par la CGT, et la mobilisation fut impressionnante : elle a duré 11 jours, avec un taux de grévistes atteignant 100%. Les revendications portaient sur le manque criant de personnel, la saturation constante des urgences et l’insuffisance des moyens matériels. Grâce à leur détermination, les grévistes ont obtenu la satisfaction de l’intégralité de leurs demandes, en particulier la création de 14 emplois supplémentaires pour occuper 7 postes 24H/24H.

En se déclarant gréviste, le personnel envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé                   David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne

Faire grève dans un hôpital n’a rien d’évident, car personne n’a envie de mettre en risque la santé des patients. Les soignants et les autres personnels hospitaliers disposent théoriquement du droit de cesser le travail pour défendre leurs revendications, mais l’hôpital public, en tant que structure assurant des soins vitaux, est soumis à l’obligation de continuité du service public de la santé. L’administration hospitalière établit ainsi une liste de personnels dits « assignables », c’est-à-dire qui seront obligés de travailler tout en se déclarant grévistes sans perdre en rémunération. “ Vu la situation de sous-effectif aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, 100% des grévistes étaient en réalité assignables”, nous explique David François, Secrétaire de l’Union Syndicale Départementale CGT Santé Action Sociale du Val-de-Marne. Les grèves dans les hôpitaux prennent souvent d’autres formes que l’arrêt complet du travail, par exemple le personnel mettant des brassards, organisation des piquets de grèves, ou faisant des « grèves » administratives, c’est-à-dire suspendant certaines tâches administratives, telles que le codage des actes médicaux, la transmission de données ou les réunions budgétaires, tout en poursuivant pleinement les soins octroyés aux patients. Mais cela peut exposer à des sanctions disciplinaires.

« Puisque le personnel ne peut pas arrêter son travail auprès des patients afin de ne pas compromettre leur santé, la pression s’exerce autrement, par la présence aux piquets de grèves et par le fait qu’en se déclarant gréviste, il envoie un signal fort à la direction : si les revendications ne sont pas prises en compte, une partie des effectifs pourrait démissionner ou se mettre en arrêt maladie prolongé », nous indique David Francois. « La grève permet aussi d’attirer l’attention médiatique », ajoute-t-il, ayant eu l’occasion d’être interrogé par BFM TV., dont la journaliste a elle-même admis l’utilité de la grève.

Les grèves se multiplient dans le secteur hospitalier

Les mouvements sociaux se multiplient dans le secteur hospitalier du Val-de-Marne en ce moment. Depuis le 3 décembre dernier, une grève illimitée se poursuit à l’hôpital gériatrique Émile-Roux de Limeil-Brévannes. Actuellement, 8 % des infirmiers et aides-soignants y sont en grève pour alerter sur la situation de sous-effectifs et la maltraitance des patients qu’elle favorise. Face à des situations de sous-effectifs chroniques (un agent pour 36 patients au lieu de deux précédemment), ils alertent sur des situations intenables, où souffrance au travail et maltraitance des patients se mêlent quotidiennement. Ils exigent l’embauche de quinze postes d’infirmiers et de 20 postes d’aides-soignants. Pour le moment, la direction ne répond à ces demandes concrètes que par des propositions abstraites de « Comité de suivi » et de « réflexions ».  La grève a été reconduite le 16 janvier dernier. Elle s’étend peu à peu à d’autres établissements : trois services de l’hôpital Albert-Chenevier sont désormais également en grève pour exiger plus de moyens. En effet, la direction a imposé une diminution du ratio soignant / lit, qui n’est souvent pas atteint sans recours à l’intérim ou aux heures supplémentaires.

Autres exemples ailleurs en France : depuis le 15 janvier dernier, une grève illimitée a été lancée par la CGT à l’hôpital de Morlaix (Finistère), alors que la veille 21 patients avaient dormi dans les couloirs des urgences. Un préavis de grève vient également d’être déposé dans les hôpitaux publics marseillais face à la saturation des chambres mortuaires : sur une capacité de 74 places pour des défunts à la Timone, 82 sont en ce moment conservés sur place. Un corps en putréfaction a même dû être stocké au sous-sol de l’hôpital.

Quelques jours seulement après la fin de la grève aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges, un événement tragique est venu y rappeler l’urgence de la situation dans les hôpitaux : le décès d’une jeune femme de 26 ans dans la salle d’attente de cet hôpital. Les morts dans les hôpitaux se multiplient ces dernières années, ce n’est malheureusement pas étonnant : une étude récente, publiée dans la revue scientifique JAMA Internal Medicine,  a démontré une hausse de la mortalité de près de 40 % quand les patients sont obligés de passer la nuit sur les brancards à cause du manque de lits disponibles.

Depuis 2013, on dénombre 43 500 lits d’hôpitaux en moins en France

Cette situation ne vient pas de nulle part : près de 4 900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023. Depuis 2013, c’est 43 500 lits qui ont été perdus en France. 160 hôpitaux, publics et privés, ont fermé entre 2013 et 2023. Rappelons qu’Aurélien Rousseau, alors ministre de la Santé macroniste, avait promis à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année ». Ça n’a évidemment pas été le cas. Il est aujourd’hui député du NFP. La récente annonce par François Bayrou d’une augmentation de l’ONDAM (objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale) de 2,8 % à 3,3 % pour l’année 2025 semble convenir aux socialistes, mais elle est largement insuffisante. Elle sera en partie absorbée par l’inflation, qui entraîne des hausses des coûts de fonctionnement des hôpitaux, laissant ainsi peu de marge pour des améliorations concrètes des services de santé. La Fédération Hospitalière de France estime qu’une augmentation de l’ONDAM de l’ordre de 6 % serait nécessaire pour répondre adéquatement aux lourdes problématiques actuelles du système de santé, notamment en matière de recrutements et d’investissements.

Les grèves dans le secteur hospitalier, si difficiles à mettre en œuvre, ont une importance cruciale, pour améliorer immédiatement les conditions de travail des soignants et la qualité d’accueil des patients, c’est-à-dire, concrètement, éviter que des gens meurent sur des brancards. Au-delà des enjeux spécifiques au monde hospitalier, ces mobilisations rappellent à l’ensemble des travailleurs que la grève demeure l’un des outils les plus puissants pour défendre leurs droits et viser l’émancipation collective.

 

   mise en ligne le 25 janvier 2025

Environnement, travail forcé : Paris continue de torpiller le « devoir de vigilance » des entreprises

Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr

D’après des documents obtenus par Mediapart, la France plaide désormais pour un « report “sine die” » de la directive européenne destinée à lutter contre les violations de droits humains et les dégâts environnementaux commis par les entreprises. Une prise de position « irresponsable », jugent des ONG.

C’est l’un des textes les plus ambitieux adoptés lors du précédent mandat européen à Bruxelles. Il doit permettre à l’UE d’amorcer rien de moins qu’une « révolution juridique », en contraignant les entreprises à lutter contre les violations de droits humains et les dégâts environnementaux.

Mais la France, par la voix de son nouveau ministre de l’économie, Éric Lombard, continue son travail de sape contre ce texte emblématique sur le « devoir de vigilance », pourtant déjà entré en vigueur. D’après des documents confidentiels que Mediapart s’est procurés vendredi 24 janvier, tout comme le journal Politico, Paris plaide pour « une pause réglementaire massive », qui passe par la « révision de législations, même adaptées récemment, dont il apparaît qu’elles ne sont pas adaptées au nouveau contexte de concurrence internationale exacerbée ».

Parmi ces législations figure donc celle sur le devoir de vigilance, adoptée le 24 avril 2024 au Parlement européen, et en cours de transposition, jusqu’en 2026, par les États membres. D’après les éléments de langage fournis par ses services, Éric Lombard a plaidé mardi 21 janvier, lors de l’Ecofin – la réunion des ministres de l’économie de l’UE –, pour un « report sine die de l’entrée en vigueur de la directive ». Jusqu’à présent, les adversaires du texte réclamaient un report de un à deux ans.

En théorie, ce report doit permettre, pour Paris, d’introduire des « améliorations législatives » au texte. En priorité : relever les seuils, pour réduire le nombre d’entreprises qui seront soumises à ce devoir de vigilance. Dans la directive adoptée (qui était déjà un sérieux compromis) ne sont concernées que les entreprises qui comptent au moins 1 000 salarié·es et affichent un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d’euros. Paris réclame des seuils encore plus élevés : au moins 5 000 salarié·es, et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Bercy ne s’est pas arrêté là et propose aussi de revenir sur l’un des points les plus sensibles du texte, qui fit l’objet d’âpres débats entre capitales et Parlement européen en 2023 et 2024 : l’inclusion, ou non, des banques dans le périmètre du texte. Soucieuse de protéger son secteur financier, la France avait tout fait pour obtenir l’exclusion du secteur : les banques n’étaient pas forcées à la « vigilance » sur les activités des clients qu’elles financent.

Mais une clause de « revoyure » avait tout de même été fixée, à horizon deux ans, pour en rediscuter. C’est dans ce cadre que le ministre a proposé, sans détour, la « suppression de la clause de revue visant à fixer des exigences supplémentaires pour les entreprises financières règlementaires ». En clair : mettre les banques à l’abri, de manière définitive – et tant pis si les parlementaires européen·nes en avaient décidé autrement.

« Scandaleux et non démocratique »

D’après les calculs d’un collectif d’ONG françaises, les modifications proposées par Paris reviendraient à sortir du périmètre du texte pas moins de 70 % des entreprises aujourd’hui concernées. Alors même que l’ONG néerlandaise Somo avait déjà calculé que le texte original, dans sa mouture de 2024, n’allait concerner que 3 400 des 32 millions d’entreprises dans l’UE.

Cette position française n’est pas tout à fait nouvelle. Lors de son discours devant la conférence des ambassadrices et ambassadeurs, le 6 janvier, Emmanuel Macron avait fait de la « simplification » la priorité du « réveil européen » qu’il appelle de ses vœux. « On doit faire une pause réglementaire massive, mais on doit revenir sur des réglementations, y compris récentes, qui entravent notre capacité à innover », avait déjà expliqué le chef de l’État.

Mais c’est la première fois que le nouveau ministre de l’économie se montre aussi précis – « report sine die » – dans son opposition au texte sur le devoir de vigilance en particulier. « La France reprend sans filtre les demandes des lobbies pour torpiller la directive devoir de vigilance, commente Juliette Renaud, coordinatrice des Amis de la Terre France. Après avoir déjà affaibli le texte pendant les négociations, le gouvernement français se refait aujourd’hui la voix du patronat en demandant son report indéfini pour le détricoter davantage. C’est absolument scandaleux et non démocratique ! »

Cette activiste fait notamment référence à la position de l’Association française des entreprises privées (Afep), datée du 17 janvier, sur la simplification administrative. Ce lobby réclamait déjà le « report » – sans fixer aucun délai – du texte, le temps de réaliser une étude d’impact de la directive sur la compétitivité des entreprises européennes... Dès novembre 2024, BusinessEurope, le Medef européen, avait signé une lettre ouverte qui s’inquiétait de la « complexité » et de l’« incertitude » créées par cette directive. Paris semble parfaitement aligné sur ces éléments de langage.

La position française, qui piétine des années de débat à Bruxelles sur le sujet, coïncide avec la volonté de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui avait plaidé, dès novembre, pour une simplification de textes déjà existants, dont celui sur le devoir de vigilance, officiellement afin de lutter contre la « bureaucratie ». L’exécutif bruxellois est censé présenter sa proposition, connue sous le nom d’« omnibus », d’ici fin février. Les ONG s’inquiètent des remises en cause massives des principaux acquis du mandat précédent obtenus dans le cadre du Pacte vert.

Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, le ministère de l’économie n’a pas répondu.

 

    mise en ligne le 24 janvier 2025

ArcelorMittal Dunkerque :
la CGT se prépare
face à la menace de licenciements

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

Le site ArcelorMittal de Dunkerque est le plus grand site sidérurgique de France. Mais, alors que la direction de la multinationale avait annoncé un investissement massif permettant de moderniser l’outil, elle a récemment fait marche arrière. Sans cet argent, pas moins de 3200 emplois directs et tout un bassin d’emploi et de vie sont en danger. Face à cette menace, la CGT se prépare et a organisé un meeting ce 23 janvier.

« Si on fait ce meeting, c’est pour alerter la population locale. » Dans la salle de l’Avenir, lieu historique des luttes ouvrières dunkerquoises construit par les dockers, Gaëtan Lecocq se prépare à mener bataille. Le secrétaire général de la CGT ArcelorMittal Dunkerque alerte depuis des mois :

« On nous dit que les ouvriers sont fiers de venir travailler dans l’entreprise, alors pourquoi des démissions records ? Pourquoi autant de sanctions ? Oui, avant j’étais fier de travailler chez ArcelorMittal. Mais maintenant l’outil est pourri. Les hauts fourneaux sont dans un état catastrophique. On est en sous-effectif partout et tout le monde s’en fout. Les salariés et les sous-traitants n’ont plus envie de venir travailler. S’il faut finir par sortir les engins et bloquer Dunkerque, on le fera ». 

Alors que la multinationale avait promis, en 2024, 1,8 Md d’investissements (dont 850 M d’argent public français et européen) pour décarboner les hauts fourneaux de Dunkerque (entre 3% et 6% des émissions de CO2 en France), les salariés ne voient toujours pas la couleur de l’argent. De son côté, ArcelorMittal se dit en attente de décisions de soutien de l’Union Européenne alors que le marché américain est fermé et que la Chine pratique un dumping social et environnemental. La multinationale déplore aussi « un coup de l’énergie trop haut » et « des baisses de débouchés en Europe ».

Or, c’est simple, résume le cégétiste, qui craint que des milliers de licenciements ne s’ajoutent aux 136 consécutifs à la récente fermeture des sites de Denain et Reims. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera ». En attendant, deux jours mensuels de chômage partiel ont été actés pour les trois premiers mois de l’année.

« ArcelorMittal organise le sous investissement »

Catastrophiste la CGT ? Rien n’est moins sûr. Les dernières annonces du patron n’ont pas été rassurantes. Entendu ce 22 janvier par la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, a déclaré que « tous les sites européens présentent aujourd’hui des risques de fermeture ». Il a plaidé pour la mise en place de quotas d’importation pour limiter l’entrée d’acier chinois. Un argument contrecarré par le député communiste André Chassaigne.

« On ne peut pas tout expliquer par la concurrence chinoise. Certes, la Chine produit 54% de l’acier mondial, mais 93% est destiné à son marché intérieur, notamment pour répondre à la demande des groupes occidentaux qui se sont installés dans l’empire du milieu. En réalité, la dynamique d’exportation d’acier chinois vers l’Europe est plutôt en retrait depuis 15 ans. En revanche, il y a bien une accélération de l’importation d’acier en Europe, mais depuis l’Inde, pays de Monsieur Mittal. Ne serait-ce pas Mittal qui se sert de l’Europe pour écouler ses propres productions indiennes. En réalité, vous laissez dépérir les sites [français] au profit de l’Inde et du Brésil. »

L’analyse est appuyée par la députée insoumise Aurélie Trouvé, ex-présidente d’Attac, présente au meeting de Dunkerque.

« ArcelorMittal organise le sous investissement pour délocaliser ses entreprises vers les Etat-Unis, mais surtout vers le Brésil et l’Inde. Il y a une raison à cela : nourrir les dividendes des actionnaires. C’est un risque majeur pour notre sidérurgie française et pour notre industrie en général car le métal est la base essentielle de toute l’industrie. » 

La CGT ArcelorMittal Dunkerque en ordre de bataille

« Ce meeting, c’est pour alerter nos politiques, qu’ils tapent un grand coup sur la table », explique Gaëtan Lecocq. La CGT ArcelorMittal Dunkerque tente aussi de construire des solidarités locales, pour peser davantage dans la balance. « Au mois de juillet, on s’est réunis avec les sous-traitants. Que ce soit le cuistot du restaurant d’entreprise, la femme de ménage, la maintenance, qui désormais est externalisée, tout le monde est concerné. Et ici, ça peut partir comme un coup de fusil », prévient le cégétiste qui se rappelle le mouvement de grève de décembre 2023, qui avait suivi l’annonce de réquisition des grévistes.

    mise en ligne le 24 février 2025

Elsa Faucillon : « La mer Méditerranée devrait être
un espace humanitaire »

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

La députée communiste des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon a fait adopter une résolution pour créer une flotte européenne de sauvetage en mer Méditerranée, où des milliers d’exilés perdent la vie chaque année.

Il manque à l’Union européenne (UE) une flotte pour venir au secours des exilés en mer Méditerranée. Tel est le constat d’une résolution, déposée par la députée communiste Elsa Faucillon, adoptée en commission des Affaires européennes et inscrite au journal officiel le mardi 21 janvier. Au moins 25 000 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la grande bleue depuis 2014.

Pourquoi la nécessité d’une telle flotte ?

Elsa Faucillon : Le nombre de morts est très important. On laisse aux seules ONG la tâche immense d’aller secourir les migrants en mer Méditerranée. Leur action est très largement entravée par des mesures prises par des États membres de l’UE, entravée par des discours politiques, entravée juridiquement par des procès qui leur sont faits, entravés financièrement. Il n’y a même pas en France de ligne budgétaire pour les subventionner. Pour notre part, nous considérons que la Méditerranée devrait être un espace humanitaire.

Avec ce texte, nous souhaitons faire reconnaître qu’il y a une responsabilité des États membres. Dans les auditions que nous avons menées, la principale critique émise contre notre texte est qu’il n’y a pas d’assise juridique pour une flotte de sauvetage européenne. Or, une responsabilité juridique, ça se crée. Sa seule absence démontre que l’UE se déresponsabilise. Il n’est nullement question de recherche et de sauvetage en mer dans le Pacte asile immigration.

L’UE ne peut circonscrire sa responsabilité aux seules frontières terrestres. Car elle a une responsabilité sur les causes de départ des exilés. Et puis tout simplement, nous nous devons d’avoir une solidarité européenne afin que ne soient pas laissés seuls les pays du Sud confrontés à la question de l’arrivée de migrants.

Quel chemin va-t-il falloir emprunter pour que cette résolution se concrétise ?

Elsa Faucillon : La lutte ! Cette résolution est le début d’un long chemin. Cette résolution va être envoyée à la Commission européenne et au gouvernement. Elle ouvre des portes pour discuter avec eux. Cela nécessite de créer des alliances avec des députés et des eurodéputés pour unir nos forces et faire avancer cette proposition de résolution.

En 2023, un texte similaire, présenté par la députée Renew Fabienne Keller, a été voté par le Parlement européen. L’idée est de montrer qu’il y a différentes initiatives adoptées soit dans des États membres, soit au niveau européen.

« Tout l’urbanisme est destiné à repousser les migrants. »

Il y a aussi toutes les batailles avec les ONG, la société civile. Il est nécessaire de faire cheminer cette résolution et d’unir les forces de celles et ceux qui veulent conjurer les morts en Méditerranée.

Dans la Manche aussi, des exilés meurent en tentant de rejoindre le Royaume-Uni. La France doit-elle changer d’approche ?

Elsa Faucillon : Évidemment. Les ministres de l’Intérieur successifs savent bien que la militarisation des frontières n’empêche nullement les départs. Elle ne fait que rendre les traversées plus dangereuses et fait augmenter le nombre de morts. L’année 2024 a d’ailleurs été la plus meurtrière.

Il y a eu des révélations faites par un consortium de journalistes sur l’emploi de gaz lacrymogène sur des bateaux, sur des approches qui font chavirer les navires. Avec des députés du Nouveau Front populaire, nous avons demandé une commission d’enquête sur les conséquences des accords du Touquet avec le Royaume-Uni.

La commission devrait également sur les conséquences pour les communes du littoral. Tout l’urbanisme est destiné à repousser les migrants. Elle doit aussi examiner tous les effets de militarisation de la frontière et de criminalisation de l’action des associations.

La question de restaurer des voies sûres pour l’immigration vers l’Europe est-elle posée ?

Elsa Faucillon : Même une flotte européenne de sauvetage n’empêchera pas qu’il y ait des morts. Les passages continueront. Aussi, les voies sûres sont la seule vraie solution pour éviter toutes ces morts. L’offensive xénophobe a rangé une telle exigence du côté des « no-border » (antifrontières). Mais une telle proposition n’est pas de cet ordre. De nombreuses associations portent cette proposition. Nous souhaitons y travailler.

Nous soutiendrons une proposition de Léa Balage El Mariky (députée écologiste, NDLR) pour que les demandeurs d’asile puissent avoir l’autorisation de travailler plus tôt qu’ils ne l’ont aujourd’hui.

Nous essayons de porter des perspectives pour ne pas être que dans la contre-offensive, en étant lucides sur la période dans laquelle nous vivons. La question migratoire est au cœur du conflit politique et des prises de pouvoir par les nationalistes, populistes et xénophobes.

On est dans un moment de basculement où l’on voit se renverser nos principes : « La solidarité, c’est le mal. Défendre les droits de l’homme, c’est laxiste ». Il faut être à la hauteur du contre-récit à produire, à la fois avec des propositions législatives mais aussi une bataille idéologique et culturelle.


 


 

« Au moins sept ans »
sur le territoire, laïcité et apprentissage de la langue française : Retailleau enfonce les sans-papiers dans la précarité

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, en déplacement dans les Yvelines ce vendredi 24 janvier, a annoncé le durcissement de la circulaire Valls. Fidèle à sa politique réactionnaire, l’ancien sénateur renforce les conditions pour que « l’étranger sans papiers », sous couvert de justifier son adhésion aux « principes de la République », puisse être régularisé. De quoi permettre aux préfectures de refuser la moindre demande sans grande difficulté.

Une filiation idéologique qui n’est guère étonnante, mais qui n’en reste pas moins inquiétante pour les premiers concernés : les exilés sans-papiers. Le ministre de l’Intérieur, « très proche » de l’idéologie raciste du groupuscule Némésis et trouvant « honteux » que la gauche se réjouisse du décès de Jean-Marie le Pen, Bruno Retailleau a annoncé la modification de la circulaire Valls, du nom de l’actuel ministre des Outre-mer – et notamment auteur de la saillie raciste « Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos », lors d’une visite d’Évry, en Essonne, sous le gouvernement Hollande.

Cette dernière est utilisée par les préfectures pour régulariser – par le travail ou pour motif familial – plus de 30 000 sans-papiers, chaque année. Mise en place en 2012, elle permet ainsi à un exilé en situation irrégulière de demander une « admission exceptionnelle au séjour » pour motif familial, économique ou étudiant, à une préfecture.

« Elle doit demeurer une voie exceptionnelle »

Bruno Retailleau a décidé de durcir le texte, notamment sur le volet de la régularisation. « La voie d’admission exceptionnelle au séjour (AES) n’est pas la voie normale d’immigration et d’accès au séjour, a-t-il lancé, à travers une circulaire de trois pages adressée aux préfets et révélée par le Figaro. Visant des étrangers en situation irrégulière, elle doit demeurer une voie exceptionnelle. » Le ministre de l’Intérieur doit présenter cette nouvelle circulaire, annonce d’un durcissement des régularisations, déjà réalisées au compte-goutte, lors d’une conférence de presse organisée à Versailles (Yvelines), vendredi 24 janvier, dans l’après-midi.

Son projet politique est clair, et annoncé tel quel au sein de la circulaire : « La maîtrise des flux migratoires, en particulier par la lutte contre l’immigration irrégulière, et le renforcement de l’intégration des étrangers en France constituent les priorités du gouvernement. » Bruno Retailleau poursuit ainsi son entreprise de radicalisation – appuyée par un camp macroniste qui lui laisse les mains libres – en s’inscrivant dans les thématiques chères à l’extrême droite.

Tenant d’une ligne raciste et autoritaire, l’ancien sénateur républicain a répété, au cours de ces dernières semaines, son intention de revoir la circulaire Valls, déjà restrictive en créant une sélectivité au sein des exilés et en érigeant en totem « l’intégration » de ces derniers.

Des patrons qui peinent à recruter et veulent régulariser des employés, des étudiants qu’une université veut conserver… Si la circulaire Valls permet, en théorie, à un exilé en situation irrégulière d’arranger sa situation, les préfectures n’ont aucune obligation. Elles peuvent ainsi refuser d’accéder à une demande, quelle que soit la justification. Si la circulaire Retailleau ne change pas, à proprement parler, les critères pour obtenir cette « admission exceptionnelle au séjour », elle demande clairement aux préfets de serrer – une nouvelle fois – la vis en matière de régularisation.

Une présence d’au moins sept ans

Bruno Retailleau insiste notamment sur l’adhésion de « l’étranger sans papiers » aux « principes de la République ». Comprendre ici : la laïcité, la maîtrise de la langue française, l’obtention d’un diplôme français. De plus, la circulaire rédigée par le ministre de l’Intérieur spécifie que les demandeurs jugés comme étant des « menaces à l’ordre public » sont exclus. Soit une continuation implicite de son acharnement en faveur du rétablissement de la double peine.

Enfin, pour être admissible, un travailleur sans-papiers doit en théorie vivre depuis au moins trois ans en France et justifier d’au moins deux ans de travail. Dans la nouvelle circulaire, ce laps de temps est rallongé : « Une durée de présence d’au moins sept ans constitue l’un des indices d’intégration pertinent. » Si cette circulaire ne modifie pas les autres modes de régularisation établies par la loi, elle doit servir de cadre pour les préfectures, qui auront donc à leur disposition un nouveau bagage de motifs de refus. De quoi donner une marge de manœuvre toujours plus importante afin de ne pas accepter des dossiers de candidature.

En 2023, la circulaire a permis à 34 724 demandeurs d’obtenir des papiers – 11 525 au titre du travail, 22 167 pour motif familial, et un millier sous statut d’étudiant -, selon les données du ministère de l’Intérieur. Soit seulement une hausse de 0.3 % par rapport à 2022. L’actualisation de la liste des métiers en tension dans lesquels les travailleurs sans-papiers peuvent être régularisés doit, quant à elle, être publiée « fin février », a annoncé la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, dimanche 19 janvier. Pour rappel, cette mise à jour est prévue par la loi immigration promulguée début 2024… et applaudie par l’extrême droite, le Rassemblement national en tête.

 

   mise en ligne le 23 janvier 2025

Dans l’eau du robinet, une contamination massive par les polluants éternels

par Alexandre-Reza Kokabi sur https://reporterre.net/

L’eau du robinet est largement contaminée par les PFAS, selon une enquête menée dans 30 communes par UFC-Que choisir et Générations futures. La réglementation française est loin des standards adoptés dans d’autres pays.

L’eau du robinet est massivement contaminée aux PFAS, révèlent UFC-Que choisir et Générations futures. L’association de consommateurs et l’ONG publient une étude alarmante sur la présence des PFAS, ces « polluants éternels », dans l’eau en France. Les analyses ont été menées sur trente communes. 96 % des échantillons présentent des traces de ces substances perfluorées, connues pour leur persistance dans l’environnement et leurs effets toxiques potentiels. Des études lient déjà certaines à des risques accrus de cancers, de maladies thyroïdiennes ou de troubles hormonaux.

Parmi les trente-trois PFAS recherchés, le TFA (acide trifluoroacétique), issu de la dégradation de pesticides fluorés et d’autres composés industriels, se révèle particulièrement préoccupant. Il a été détecté dans vingt-quatre des trente échantillons analysés, avec des concentrations records dans le Xe arrondissement de Paris (6 200 nanogrammes par litre), à Lille (290 ng/l) et Lyon (120 ng/l). Certaines zones, comme Tours ou les environs de Rouen, affichent des « cocktails » impressionnants de polluants : jusqu’à onze PFAS différents relevés dans un seul prélèvement.

La faute aux rejets industriels et agricoles

« L’eau du robinet est le premier aliment que nous consommons. Or, nous constatons qu’elle est systématiquement contaminée par ces substances issues de décennies de rejets industriels et agricoles dans les cours d’eau et les nappes phréatiques », dit Olivier Andrault, chargé de mission alimentation à l’UFC-Que choisir. Et si des dispositifs de filtration et de dépollution de l’eau du robinet existent, « ils ne permettent pas d’éliminer efficacement les PFAS », déplore-t-il.

Malgré cette présence généralisée, ces concentrations en PFAS restent conformes à la législation française — bien moins stricte que celles d’autres pays. Elle fixe un seuil de 100 ng/l pour un ensemble de vingt PFAS, un niveau bien au-dessus des normes danoises (2 ng/l pour 4 PFAS) et étasuniennes (4 ng/l pour 2 PFAS). À titre de comparaison, aux États-Unis, six des échantillons analysés en France seraient jugés non conformes, et avec la norme danoise, ce chiffre grimperait à quinze sur trente.

Alors que certains pays européens ont déjà adopté des seuils drastiques, la France continue d’appliquer des normes peu contraignantes, notamment en ignorant la présence du TFA dans les contrôles règlementaires. « C’est un véritable angle mort. Les autorités ne surveillent pas le TFA, donc elles ne considèrent pas qu’il y a un problème. Pourtant, nos analyses montrent qu’il est présent absolument partout, qu’il s’agit probablement du contaminant le plus répandu dans les robinets de France », constate François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Il exige le retrait rapide des pesticides contenant le TFA, comme le Flufenacet.

Une réforme des normes françaises nécessaire

L’UFC-Que choisir et Générations futures plaident pour une réforme profonde des normes en vigueur. Elles demandent un abaissement des seuils autorisés, une évaluation toxicologique du TFA et son intégration dans les contrôles de l’eau potable, ainsi qu’un renforcement des restrictions sur les PFAS, notamment ceux issus de pesticides.

Elles appellent également à une responsabilisation des industriels et des producteurs de pesticides, estimant que le coût de la dépollution ne doit pas reposer sur les consommateurs. Il a été récemment chiffré, par le quotidien Le Monde, à 100 milliards d’euros par an en Europe.

Au-delà des seuils et des chiffres, c’est toute une approche qui doit changer. « Aujourd’hui, les molécules chimiques sont évaluées sur la base des données fournies par leurs fabricants eux-mêmes. Cela crée un biais profond dans l’estimation de leur dangerosité. Il ne devrait pas falloir attendre des décennies de preuves accumulées pour agir », regrette Olivier Andrault.

« Ne pas attendre des décennies de preuves pour agir »

Alors que la directive européenne sur la qualité de l’eau potable entrera en application en 2026, les associations espèrent que la France en profitera pour adopter des mesures plus protectrices. En attendant, elles appellent les parlementaires à relancer la proposition de loi, portée par le député écologiste Nicolas Thierry, visant à interdire ces substances dans les produits du quotidien et à renforcer la responsabilité des pollueurs.

Les ONG alertent aussi sur les pressions des lobbys industriels dans les discussions européennes sur la restriction des PFAS. « Le projet est en train d’être démantelé par une multiplication des dérogations », alerte Olivier Andrault. « Sans volonté politique forte, la contamination de l’eau aux polluants éternels se poursuivra pendant des décennies », prévient François Veillerette.


 


 

Paris, Lille, Rouen… Ce que l’on sait sur le polluant éternel qui contamine l’eau du robinet de nombreuses villes

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Un polluant éternel très compliqué à éliminer de l’eau, l’acide trifluoroacétique (TFA), pouvant avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers, a été retrouvé dans l’eau du robinet d’une large majorité des villes où il a été recherché. Les deux études distinctes à l’origine de ces découvertes, publiées jeudi 23 janvier, ont été menées d’une part par le laboratoire Eurofins et d’autre part par les associations UFC-Que Choisir et Générations futures.

L’Europe devrait débourser 2 000 milliards d’euros sur vingt ans pour supprimer les « polluants éternels » (PFAS, pour substances per- et polyfluoroalkylées) des eaux et des sols. Et l’un d’eux, très compliqué à éliminer, l’acide trifluoroacétique (TFA), est présent dans l’eau du robinet de nombreuses communes de France, et dans la grande majorité des cas à des taux excédant le seuil théorique de qualité.

C’est ce que révèlent deux campagnes de mesures, rendues publiques ce jeudi 23 janvier par le journal Le Monde, et conduites séparément par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations futures d’une part, et par le laboratoire d’analyse Eurofins d’autre part. La substance a été retrouvée dans l’eau de 24 communes sur 30 par la première campagne, et dans 61 des 63 échantillons lors de la seconde.

Quasi indestructibles, ces « polluants éternels » regroupent plus de 4 700 molécules et s’accumulent avec le temps dans l’air, le sol, les rivières, jusque dans le corps humain. Ils peuvent avoir des effets sur la fertilité ou favoriser certains cancers.

Des normes flottantes

Mais comment peut-on jauger de la toxicité de la concentration de la substance dans l’eau du robinet ? Pour les métabolites de pesticides potentiellement toxiques (dits « pertinents »), la limite de qualité dans l’eau potable est fixée par la réglementation à une concentration de 100 ng/L, rappelle Le Monde.

Problème : dans le cas du TFA, alors même qu’il s’agit bien d’« un métabolite pertinent » en raison de sa « toxicité préoccupante » pour le développement, selon la Commission Européenne, ce n’est pas ce seuil qui est appliqué en France. En effet, la direction générale de la santé (DGS) a choisi de déroger à cette norme, selon une note publiée le 23 décembre 2024, dont le quotidien se fait l’écho.

La DGS annonce ainsi s’aligner sur les valeurs provisoires de l’Allemagne, soit une valeur sanitaire de 60 000 ng/L (au-dessous de laquelle le risque est présumé nul), et « une trajectoire de réduction vers une concentration inférieure à 10 microgrammes par litre [soit 10 000 ng/L] ».

Ce seuil, rappelle Le Monde, est cent fois plus élevé que le seuil de 100 ng/L, qui s’applique en théorie à tous les métabolites de pesticides problématiques. Il doit s’appliquer à partir de 2026 aux vingt PFAS jugés « prioritaires » dans l’Union européenne, dont le TFA ne fait pour l’instant pas partie. Pour l’heure, les pays européens ont chacun des normes totalement différentes. Ainsi, les Pays-Bas ont établi une valeur guide sanitaire de 2 200 ng/L pour le TFA dans l’eau potable.

Paris arrive au second rang en termes de concentration

Et les résultats des campagnes révélés ce jeudi sont inquiétants. Selon l’étude initiée par Générations futures et l’UFC-Que choisir, l’acide trifluoroacétique (TFA) a été retrouvé dans l’eau de 24 communes sur 30. Il dépasse à lui seul, dans 20 communes, la norme référence en Europe de 100 nanogrammes/litre pour les vingt PFAS réglementés, qui doit entrer pleinement en vigueur en 2026.

Plus en détail, parmi les 30 communes dont l’eau a été analysée, le record est détenu par Moussac (Gard), avec 13 000 nanogrammes par litre (ng/L) de TFA dans l’eau distribuée. Ce qui n’est pas étonnant, souligne l’enquête, étant donné que la commune se situe près de Salindres, où une usine du groupe Solvay produisait du TFA jusqu’en septembre 2024.

Paris arrive au second rang en matière de concentration, avec 6 200 ng/l. L’échantillon a été prélevé en novembre 2024 dans le 10e arrondissement. Il s’agit d’une concentration 62 fois supérieure au seuil de qualité en vigueur pour les métabolites de pesticides pertinents (100 ng/L), auquel le TFA devrait être soumis. La ville de Bruxerolles, dans la Vienne, complète ce podium, avec 2 600 ng/l.

D’autres agglomérations sont également concernées, comme Fleury-les-Aubrais (Loiret), près d’Orléans (1 600 ng/L), ou encore Lille (290 ng/L) et Rouen (250 ng/L).

Des taux élevés de concentration à Nantes, La Rochelle, Palaiseau…

Les résultats de l’autre campagne menée par le laboratoire d’analyse Eurofins sont encore plus alarmants. Dans 61 des 63 échantillons prélevés par le laboratoire dans autant de communes en novembre 2024, le TFA est mesuré à des concentrations supérieures au seuil de 100 ng/L. Jusqu’à 35 fois plus, à Marange-Silvange, près de Metz, en Moselle.

Des concentrations importantes ont été également relevées à Nantes (2 700 ng/L), La Rochelle (2 500 ng/L) ou Palaiseau (2 500 ng/L) en Essonne. Dans le milieu du classement, Rennes (1 100 ng/L), Lyon (920 ng/L), Nancy (830 ng/L) ou Marseille (760 ng/L) se situent sous la valeur sanitaire néerlandaise, mais encore largement au-dessus du seuil des 100 ng/L.

Au-delà de la problématique de la réglementation, si le TFA n’est pas, comme le souligne l’enquête, « aussi dangereux que les PFOA ou PFOS », interdits en Europe depuis plusieurs années, des zones d’ombre subsistent sur la toxicité du TFA et il est « quasi indestructible dans l’environnement », souligne l’étude réalisée par l’UFC-Que Choisir et l’ONG environnementale Générations Futures.

Le TFA est issu de la dégradation d’un perturbateur endocrinien

Or, le TFA est en France « très peu – pour ne pas dire jamais – recherché par les agences régionales de santé lors des contrôles des eaux potables », déplore l’étude de ces deux associations, qui souligne qu’il est souvent issu de la dégradation du flufénacet, herbicide classé comme perturbateur endocrinien fin septembre par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa).

« Si une substance active (ici, le flufénacet) est un perturbateur endocrinien, alors ses métabolites (dont le TFA) doivent être considérés par défaut comme pertinents » et donc contrôlés, estime Pauline Cervan, toxicologue de Générations Futures, citée dans l’enquête.

Le problème, selon Julie Mendret, chercheuse à l’université de Montpellier, réside dans le fait que le TFA est « moins bien retenu » que d’autres PFAS par les techniques de décontamination de l’eau dans les usines d’eau potable, aussi bien celles s’appuyant sur des charbons actifs, que celles à base de filtration membranaire.

    mise en ligne le 23 janvier 2025

10 Palestiniens tués et des dizaines de blessés : avec le feu vert de Donald Trump, Israël intensifie
ses opérations en Cisjordanie occupée

Lina Sankari sur www.humanite.fr

L’armée israélienne a lancé l’opération « Mur d’acier » à Jénine, faisant déjà dix morts et trente-cinq blessés. Elle couvre également les attaques de colons armés et masqués. Elle a en outre bouclé 898 points dans les territoires palestiniens.

Après la bande de Gaza, la Cisjordanie ? Israël n’aura pas attendu. Au lendemain de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, qu’elle a sans doute pris pour un feu vert, l’armée israélienne a lancé, le 21 janvier, une opération d’envergure, baptisée « Mur d’acier », dans la ville et le camp de réfugiés de Jénine (nord).

Sous couvert d’« éradiquer le terrorisme », selon les termes du premier ministre Benyamin Netanyahou, dix habitants ont été tués et 35 autres blessés dans des bombardements et attaques des forces spéciales. En lieu et place d’opération « antiterroriste », le ministère palestinien des Affaires étrangères et des expatriés dénonce des « attaques brutales menées par des milices de colons armés ».

Des attaques qui se sont poursuivies mercredi 22 janvier, Jénine étant dans la matinée prise sous les tirs nourris et les explosions. « La situation est très difficile. L’armée d’occupation a rasé au bulldozer toutes les routes menant au camp de Jénine et à l’hôpital », a déclaré à l’AFP le gouverneur de la ville, Kamal Abu Rub. « Il y a des tirs et des explosions. Un avion survole la zone », a-t-il ajouté, faisant état de nombreuses arrestations.

Assauts sur des villages par des colons armés et masqués

La veille, le ministère palestinien des Affaires étrangères évoquait également des assauts sur les villages d’Al-Funduq et Jinsafut, à l’est de Qalqilya, à la frontière avec Israël, où cinquante colons armés et masqués, sous protection de l’armée israélienne, ont mis le feu à des habitations, des commerces et vandalisé des véhicules, blessant 21 personnes. « Les autorités d’occupation, parfaitement au courant des origines et des bases des attaquants, n’ont pris aucune mesure pour empêcher ces actes et, dans de nombreux cas, sont intervenues pour réprimer les Palestiniens qui tentaient de se défendre », précise le communiqué du ministère.

Les vagues de libération de Palestiniens donnent régulièrement lieu à ce type d’interventions pour récupérer les détenus fraîchement relâchés.

Ces raids ne peuvent susciter l’étonnement. Le 17 janvier, le ministre de la Défense Israël Katz avait annoncé la libération de colons placés en détention administrative, anticipant l’accord avec le Hamas.

Ces attaques israéliennes interviennent dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Hamas et Israël dont un volet concerne la libération de prisonniers palestiniens. Les vagues de libération de Palestiniens donnent régulièrement lieu à ce type d’interventions pour récupérer les détenus fraîchement relâchés. Le 16 janvier dernier, avant l’accord, l’armée israélienne a mené des raids, capturant vingt-deux Palestiniens dont d’anciens prisonniers, à Bethléem, Tubas, Tulkarem et Ramallah, selon l’agence turque Anadolu.

898 lieux bouclés en Cisjordanie

Cette décision, a expliqué le dirigeant du Likoud, vise à « transmettre un message clair de renforcement et d’encouragement des colonies ». Hier, à peine installé dans le bureau ovale, Donald Trump a également révoqué un décret de son prédécesseur Joe Biden visant à sanctionner les colons s’adonnant à des violences.

Le ministère des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne a, à cet égard, mis « en garde contre de telles tentatives d’attiser la violence en Cisjordanie comme prétexte pour reproduire les crimes de génocide et de déplacement qu’Israël a commis à Gaza et les étendre à la Cisjordanie, ouvrant la voie à un désordre brutal pour faciliter son annexion ». L’Autorité palestinienne demande ainsi le démantèlement des milices, l’assèchement de leurs sources de financement et à la fin de leur protection politique et juridique.

Jénine est la cible régulière d’opérations militaires israéliennes. Le 14 janvier, six Palestiniens y avaient été tués dans une attaque aérienne. Mais en décembre, ce sont les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne qui ont lancé un raid afin de débusquer les combattants.

L’armée israélienne aurait en outre bouclé 898 entrées des gouvernorats, villes et camps de réfugiés palestiniens à grand renfort de points de contrôle militaires et de barrières métalliques. Autant de mesures qui durcissent encore les possibilités de circulation et renforcent l’apartheid.

« Ce n’est pas à ça que ressemble un cessez-le-feu », a dénoncé dans la soirée du 21 janvier, après le lancement de la nouvelle attaque de l’armée, B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains dans les territoires occupés. « Loin de retenir le feu contre les Palestiniens, a ajouté l’association, les actions d’Israël démontrent qu’il n’a aucune intention de le faire. Au lieu de cela, il se contente de déplacer son attention de Gaza vers d’autres zones qu’il contrôle en Cisjordanie. »

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est dit de son côté « très inquiet », appelant Israël « à faire preuve d’une retenue maximale et à utiliser la force mortelle uniquement quand elle est absolument inévitable pour protéger des vies ».

   mise en ligne le 22 janvier 2025

« Qu’est-ce qu’il y a de "social" dans un plan social ? » : la CGT s’invite à Bercy pour dénoncer
les suppressions d’emplois

Samuel Eyene sur www.humanite.fr

Face aux 300 000 emplois qui sont supprimés ou menacés, près de 500 militants de la CGT venus de toute la France se sont rassemblés, mercredi, face au ministère de l’Économie, pour défendre l’industrie et l’emploi.

Étendards rouges sur fond vert de la pyramide de gazon et de verre, la centaine de drapeaux flottant devant Bercy a de quoi trancher avec la grise muraille du ministère de l’Économie et des Finances qui se dresse en face. Ce mercredi 22 janvier est un jour de lutte. Les fédérations chimie, métallurgie, énergie, construction, verre et céramique, commerce, organismes sociaux et du livre (Filpac) de la CGT avaient appelé les salariés touchés par les plans sociaux en cours, menaçant 300 000 emplois, à manifester leur colère.

Le lieu n’a pas été choisi au hasard. Le gouvernement restant passif face à cette casse sociale, les syndicats ont décidé de secouer le ministère en charge de l’Industrie, avec son Ciri (comité interministériel de restructuration industrielle), chargé de venir en aide aux sociétés de plus de 400 salariés en difficulté et qui en font la demande.

« Le ministre de l’Industrie a dit qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement »

« Dans nos 11 branches professionnelles de la chimie, nous comptons plus de 70 plans antisociaux. Antisociaux, persiste et signe Serge Allègre, secrétaire général de la Fnic CGT. Car, mes camarades, une bonne fois pour toutes, ne parlons plus de plans sociaux, car qu’y a-t-il de social dans un PSE si ce n’est la destruction de nos vies, de nos familles ? »

Micro en main au centre du barnum dressé pour l’occasion, le cégétiste de la chimie peste contre les coups de boutoir portés aux travailleurs de l’industrie. De fait, en deux décennies, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 14 % à 9 % selon la Banque mondiale. « Cela représente 1 million d’emplois directs perdus en France dans l’industrie sur la même période », estime-t-il, exigeant l’arrêt de tous les plans « antisociaux » et l’interdiction de tous les licenciements.

Valeo, Auchan, Michelin… la liste noire des suppressions de postes s’allonge chaque jour. Ce mardi, Arkema, multinationale tricolore de la chimie, a annoncé envisager de supprimer 154 des 344 postes de son usine de Jarrie, en Isère, prétextant que cette décision est la conséquence de la mise en redressement judiciaire de son fournisseur Vencorex.

Pourtant, dénonce au micro Séverine Dejoux, élue CGT au CSE de Vencorex, « Arkema pouvait reprendre l’activité et faire en sorte que Vencorex ne tombe pas, mais elle n’a pas voulu négocier les prix de la matière première. Maintenant, elle se sert de ce qui nous arrive pour faire croire qu’elle n’a d’autre choix que de fermer son site ».

La représentante des salariés dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire est chaudement applaudie par les manifestants, en hommage à la longue lutte de soixante-trois jours des travailleurs de l’usine du Pont-de-Claix. « Nous avons signé un protocole de fin de grève en pensant que nous avions suffisamment mis le bazar pour être entendus à Paris. Mais, dès la reprise du travail, plus personne ne s’est soucié de notre sort, lâche la syndicaliste amère. Quand nous avons rencontré le ministre de l’Industrie, la seule chose qu’il a été capable de nous dire est qu’il allait nous aider à obtenir une prime de licenciement. »

Sophie Binet dénonce « l’hypocrisie » du gouvernement

Au-dessus de Bercy, les nuages gris s’amoncellent. Le demi-millier de personnes massées écoutent Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, dénoncer « l’hypocrisie » du gouvernement, rappelant que son organisation avait déjà remis en octobre à Michel Barnier, chef du gouvernement de l’époque, la liste des 200 plans de licenciement en cours dans l’Hexagone.

« En janvier, nous avons rencontré le nouveau premier ministre, François Bayrou, et nous lui avons également remis la liste des plans qui s’élèvent désormais à 300. Mais, dans son discours de politique générale, il n’a pas dit un mot sur la question des licenciements en cours. Combien faudra-t-il de premiers ministres pour avoir enfin un gouvernement qui ait le courage d’affronter les multinationales ? » s’agace-t-elle.

Dans ce contexte de licenciements, le rassemblement parisien du jour sert aussi à regonfler le moral des personnes en lutte. Thomas Launay, délégué syndical CGT de l’entreprise française de fabrication d’articles de caoutchouc pour l’industrie automobile Paulstra Hutchinson à Segré (Maine-et-Loire), se fond parfaitement dans cette foule de corps multicolore.

Avec deux autres collègues, le quadragénaire a pris le train pour Paris aux aurores pour participer à la mobilisation. Son site n’est pas directement menacé pour l’heure mais il est venu vivre ce moment « qui régénère ». Les sourires sont nombreux. Les rires aussi. « Continuer de danser encore », crache une enceinte posée sur un camion. Les grévistes n’attendent plus passivement des réactions de Bercy. Tout va à point à qui sait prendre.


 


 

Aides publiques et casse sociale : les patrons d’Auchan et ArcelorMittal sur le grill face aux députés

Cyprien Boganda et Stéphane Guérard sur www.humanite.fr

Ce mercredi, les dirigeants d’Auchan et ArcelorMittal ont été auditionnés par la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale. Face aux députés qui les accusaient de supprimer des milliers d’emplois en dépit d’aides publiques conséquentes, ils sont restés inflexibles.

Cordial sur la forme, musclé sur le fond. Durant une heure et demie, Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail et président d’Auchan France, a été soumis à un feu roulant de questions posées par les députés de la commission des Affaires économiques, présidée par Aurélie Trouvé (FI), réunis ce mercredi matin. En novembre, Auchan a en effet annoncé un énorme plan de restructuration, menaçant quelque 2 400 emplois et une quinzaine de magasins.

Face aux questionnements nourris sur le montant des aides publiques empochées par Auchan, la stratégie de redressement du groupe et les reclassements possibles des salariés licenciés au sein de la galaxie des Mulliez, propriétaires d’Auchan, Guillaume Darrasse est resté droit dans ses bottes, non sans montrer quelques rares signes d’agacement.

Le patron d’Auchan reste évasif

Sur les aides publiques, il n’a jamais répondu aux députés qui lui demandaient le montant de l’enveloppe globale (exonérations de cotisations sociales comprises), mais il a donné quelques précisions (invérifiables) quant à la ventilation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice) : selon lui, sur les quelque 430 millions d’euros touchés entre 2013 et 2018, 212 millions auraient été versés sous forme de rémunération aux salariés (intéressement et participation), 139 millions investis pour la « compétitivité et l’innovation » et 80 millions dans la transition écologique.

Interrogé sur la bonne fortune des Mulliez (52 milliards d’euros de patrimoine), le dirigeant a botté en touche, expliquant qu’il « n’était pas le représentant » de la famille, mais que des reclassements ponctuels de salariés licenciés au sein des enseignes de la galaxie étaient étudiés.

Surtout, Guillaume Darrasse a assumé la gigantesque casse sociale, mettant cette décision sur le compte de la crise du modèle de l’hypermarché, « tellement spécifique qu’il s’est peut-être un peu trop regardé lui-même et n’a pas senti les évolutions du marché ».

Pour Arcelor, c’est toujours la faute des autres

La faute aux autres, c’est aussi le principal argument qu’a développé Alain Le Grix de la Salle, nouvellement nommé président d’ArcelorMittal France après toute une vie de « fierté » passée à monter les échelons au gré des fusions-acquisitions.

C’est contraint et forcé par « le manque de visibilité sur l’environnement réglementaire » en Europe, par la concurrence déloyale de la Chine dont l’acier se déverse sur le Vieux Continent « à un prix inférieur à nos coûts de revient », par les « surcapacités mondiales », par « l’explosion des prix de l’énergie » avec « des prix du gaz ici quatre fois supérieurs à ceux aux États-Unis », ainsi que par « la chute de 20 % la demande en acier en Europe » que le groupe sidérurgiste procède à la fermeture de ses sites de Reims et Denain (135 postes supprimés, auxquels s’ajoutent 28 postes en moins à Strasbourg et Valence). Voilà aussi pourquoi le deuxième groupe mondial a gelé son projet à 1,8 milliard d’euros, dont 850 millions de l’État, d’électrification des hauts fourneaux de Dunkerque.

Côté « plans sociaux », le dirigeant s’en remet aux négociations en cours, soulignant que les effectifs en France (15 400) n’ont pas diminué depuis 2019. Taclé sur le manque d’investissements, il met en avant le milliard et demi dépensé en cinq ans et le fait que, si l’Europe répond à ses demandes, les milliards pleuvront à nouveau. En attendant, ArcelorMittal serait sevré d’aides publiques : 75 petits millions touchés, hors crédit impôt recherche et prise en charge du chômage partiel. Quant au 1,5 milliard versé en 2024 en dividendes et rachats d’action, « il est normal que les actionnaires soient rétribués ». Circulez, il n’y a rien à voir.

    mise en ligne le 22 janvier 2025

Orange, Perpignan, Mantes-la-Ville : la casse sociale dans les villes RN

Jean-François Poupelin (Mediavivant)

Dans cette nouvelle enquête sur scène, Mediavivant s’intéresse à la politique sociale du RN dans trois villes emblématiques administrées par des maires élus sous l’étiquette du Rassemblement national. ( https://youtu.be/kOnGoE42JBM )

Durant les dernières élections législatives, Marine Le Pen, la cheffe de file des député·es Rassemblement national (RN), haranguait : « Si vous voulez plus de social, votez RN ! »

Depuis sa prise de pouvoir en 2011, Marine Le Pen tente de « dédiaboliser » le parti d’extrême droite en se montrant plus préoccupée par les plus fragiles. 

Mais ce positionnement ne résiste pas à la réalité. Pendant l’examen des projets de loi de finances 2025, les député·es RN ont avant tout défendu les plus riches. Ils ont par exemple rejeté la surtaxe exceptionnelle des entreprises et la taxation des patrimoines de plus de 1 million d’euros.

Il y a encore plus parlant : les politiques menées au niveau local par les maires d’extrême droite. Dans les villes, cela fait en effet longtemps qu’on « a essayé » le RN et ce, dès 1995, avec les victoires du FN à Toulon, Vitrolles, Marignane et Orange. Dix-sept villes sont aujourd’hui gérées soit par des majorités Rassemblement national, soit avec le soutien du parti ou celui de Reconquête, le parti du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour.

Au-delà des trois piliers idéologiques – à savoir la baisse des impôts, le renforcement de la sécurité et la suppression des subventions aux associations jugées « communautaristes » –, leurs maires partagent la même passion pour la casse sociale.

Pour Mediavivant, Jean-François Poupelin s’est rendu dans trois villes dirigées par l’extrême droite – Orange, Mantes-la-Ville et Perpignan – pour y étudier leurs politiques en direction de la petite enfance, de la jeunesse, l’offre de services publics, d’accompagnement des plus précaires ou encore la gestion du personnel.

Orange, sous la dynastie Bompard

À Orange, cela fera trente ans en juin prochain que Jacques Bompard a fait basculer la deuxième ville du Vaucluse, avec 30 000 habitant·es, à l’extrême droite. Ces trois décennies permettent de voir les effets sur le long terme de cette idéologie.

Jean-François Poupelin a enquêté sur la situation dans les cités de Fourches-Vieilles et de l’Aygues. Sur scène, il interviewe des témoins directs de la dégradation des services publics.

« La ville s’est transformée. Il n’y a plus de lien social. Tout ce qui se passe est au sud de la ville, pour des populations qu’on va qualifier de “blanches”, déplore Brigitte Laouriga, fondatrice du centre social Pierre-Estève dans le quartier de l’Aygues. Les laissés-pour-compte, les quartiers populaires […] ont complètement été abandonnés. Il n’y a plus de centres sociaux à Orange. »

Kamel Majri, directeur de Laissez les fers, un chantier d’insertion installé dans le quartier périphérique de Fourches-Vieilles, regrette aussi le manque de soutien dans les quartiers populaires. « On a essayé de résister. On a créé une maison des services publics à un moment. […] On y est arrivés plus ou moins bien mais, petit à petit, on s’est épuisés », explique-t-il sur scène.

La génération perdue de Mantes-la-Ville

Mantes-la-Ville est la seule ville d’Île-de-France à avoir basculé à l’extrême droite. Mantes-la-Ville, c’est une petite cité-dortoir de 20 000 habitant·es posée au nord-ouest de Paris avec une forte population ouvrière et immigrée. L’ancien maire RN, Cyril Nauth, n’est resté qu’un mandat, entre 2014 et 2020. Mais ces six années lui ont suffi pour assécher des services publics et mettre à mal un tissu associatif souvent précieux pour les plus fragiles.

Les associations ont vu les subventions de la mairie se réduire de façon drastique, voire disparaître comme pour le FC Mantois, un club de foot. D’autres structures n’ont plus eu la possibilité d’utiliser des locaux municipaux, comme la Ligue des droits de l’Homme.

Dans cette partie, sur scène, la politologue Christèle Marchand-Lagier, spécialiste du vote d’extrême droite et maîtresse de conférences à l’université d’Avignon, explique que des pouvoirs locaux d’extrême droite vont accentuer le désengagement de l’État, créant une hiérarchie entre les populations, à Mantes-la-Ville comme dans les autres villes gérées par l’extrême droite.

« Vous avez des citoyens qui sont distingués comme étant des citoyens supérieurs dans ces communes du RN », analyse-t-elle. Christèle Marchand-Lagier expose également un désengagement des forces politiques dans certaines communes d’extrême droite : « À Orange, il n’y a plus de gauche, il n’y a plus de droite. Dans le nord du Vaucluse, on a le choix entre l’extrême droite et l’extrême droite. »

Perpignan, la purge sociale

Perpignan a basculé en 2020. C’est la plus grande ville gérée par le Rassemblement national, elle compte 120 000 habitant·es.

Elle est dirigée par Louis Aliot, vice-président du RN, un des moteurs de la « dédiabolisation » du parti fondé par Jean-Marie Le Pen, et ancien compagnon de Marine Le Pen. Il a aussi été député européen, ce qui lui vaut d’ailleurs d’être inquiété dans l’affaire des assistants parlementaires du FN. Il risque dix-huit mois de prison, dont six ferme, et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Il pourrait donc devoir rendre son écharpe de maire et ne pas pouvoir se représenter en 2026.

Perpignan est aussi une ville extrêmement pauvre, avec neuf quartiers prioritaires de la politique de la ville.

« Je pense que le maire [Louis Aliot – ndlr] a le souci de marier le respect des grands équilibres financiers – car on lui reprocherait, s’il appauvrissait la ville – et, en même temps, de maintenir à niveau des politiques publiques qui sont demandées. Vous dites la sécurité, c’est aussi ce qui est demandé. […] La politique sociale ne va pas se réduire à ça, mais on a quand même une responsabilité du quotidien qu’il faut absolument préserver », défend Philippe Mocellin, le directeur général des services à la mairie de Perpignan.

Des associations qui interviennent en soutien aux plus démuni·es font pourtant les frais de cette politique. Dans cette partie, Jean-François Poupelin a enquêté sur la fragilisation de structures comme Le fil à métisser qui soutient des familles gitanes dans le quartier Saint-Jacques, ou le club sportif du Haut-Vernet.

Les maires ou anciens maires d’extrême droite de Mantes-la-Ville et d’Orange n’ont pas répondu aux sollicitations de Mediavivant.

« Extrême droite, la casse sociale », une enquête sur scène à regarder en intégralité sur Mediavivant.  ( https://mediavivant.fr/extreme-droite-la-casse-sociale/non-classe/replay-extreme-droite-la-casse-sociale/ )

Boîte noire

Cette enquête est signée par Mediavivant, un jeune média marseillais partenaire de Mediapart, qui renouvelle radicalement les modes de récit journalistique : depuis un peu plus d’un an, l’équipe organise chaque mois la présentation, sur scène et en public, d’une enquête inédite, racontée par le ou la journaliste qui l’a menée. Ces récits restent ensuite accessibles sur le site de Mediavivant. ( https://mediavivant.fr/ )

   mise en ,ligne le 21 janvier 2025

Trump : Vers une démondialisation
agressive et dangereuse

Louis Mollier-Sabet sur www.regards.fr

Les règles économiques et commerciales de la mondialisation qui a dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Le commerce n’est plus envisagé au service de la paix et d’un monde unifié. Tout l’inverse : les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique. L’État américain est entièrement à son service.

Il y a les gens que l’on voit aux mariages et aux enterrements. Et puis il y a Donald Trump, qui orchestrera le 20 janvier prochain un baroque mélange des deux. La grand-messe de l’extrême droite mondiale restera comme la date de la liquidation définitive d’un monde bâti sur la victoire de la Seconde guerre mondiale puis sur l’effondrement soviétique… et l’avènement d’un monde de la loi du plus fort. L’économie mondialisée et libre-échangiste construite successivement par les accords de Bretton Woods en 1944, puis le consensus de Washington dans les années 1980 et l’OMC en 1995 ne survivront pas à ce dernier coup de boutoir.

Jeter les moins productifs et conserver les plus efficaces

Sur le plan intérieur, la doctrine néolibérale de dérégulation, de privatisation et de restriction des dépenses budgétaires a de beaux jours devant elle, et le mandat de Donald Trump la portera au plus haut. Cela fait bien longtemps que l’État par ses diverses politiques sert les grandes entreprises américaines. La plus emblématique restant l’intégration du « complexe militaro industriel ». Mais cela s’accompagnait de règles dans l’attribution des marchés, de souvenirs de lois anti-trust, de règles sociales pour régir le code du travail ou assurer au fil des ans quelques protections aux Américains.

Comme le proclame si joliment Mark Zuckerberg, la nouvelle doctrine est de jeter les moins productifs et de conserver les plus efficaces. Mieux, c’est dans la maison du magnat de l’immobilier élu président, à Mar a Lago que se négocient les futurs marchés, que se préemptent les prochaines affaires. Elon Musk a non seulement propulsé ses idées d’extrême droite en soutenant Trump, mais il a valorisé considérablement toutes ses sociétés. Et ce n’est qu’un début.
Au niveau international, on voit déjà que la pression mise par Trump pour que le cessez-le-feu à Gaza s’articule à la relance en format xxl des accords d’Abraham. Sur les bords de la méditerranée, il espère voir s’ériger un nouveau Dubaï. Ce serait bon pour toutes les affaires, licites et illicites.
Cela fait longtemps que plus personne ne croit à « la mondialisation heureuse » : on va vers une démondialisation brutale et dangereuse.

« Go find another sucker ! »

Même si ces dernières années la Chine avait souvent pris le relai des financements internationaux auprès des pays du sud, le FMI et la Banque mondiale avaient dû intégrer d’autres critères de développement que la seule rentabilité et efficacité des capitaux. Ils constituaient un ultime recourt pour les pays les plus pauvres, qui ce faisant le payaient très cher. Trump n’en a cure et a déjà annoncé son mépris à leur égard et son désengagement. Les tarifs douaniers délirants, discrétionnaires et variables selon les pays sont totalement contraires aux règles de l’OMC. Trump s’en moque tout autant. Il écrase tout sur son passage.

« Go find another sucker ! » (« Allez trouver un nouveau pigeon ! »), a lancé le 47° président en direction des BRICS avant même son entrée en fonction, si d’aventure leur venait l’idée de se desserrer de l’étau du dollar.

Certes tout ceci n’est pas neuf. « Trump est le plus affirmatif, mais on assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama », résume Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. L’auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte). Il rappelle qu’une des dernières lois passées par Obama a mis en place un groupe de travail pour « défendre la supériorité américaine en matière d’intelligence artificielle », composé de parlementaires et de dirigeants des grandes sociétés de la tech qui allaient devenir les GAFAM. Les traités de libre-échange interdisent pourtant de tels soutiens à un secteur ou à une entreprise en particulier. Trump a embrayé avec les sanctions sur la Chine et Biden n’a pas changé de cap avec son fameux Inflation Reduction Act déclinant de nombreuses politiques industrielles protectionnistes, certaines focalisées sur les industries technologiques.

Le libre-échange abandonné par les libéraux eux-mêmes

En un sens, ces politiques illustrent « l’hypocrisie » de la position libre-échangiste des Etats unis. Benjamin Bürbaumer explique : « Quand le libre-échange les arrange, les Etats-Unis le promeuvent partout. Mais quand les choses se compliquent et que cela ne se fait plus à leur bénéfice avec le rattrapage technologique et commercial de la Chine, ils lâchent complètement cette doctrine. »

L’ancien économiste de la Banque mondiale, Branko Milanovic, a lui aussi noté que ce sont ces économistes orthodoxes qui ont progressivement abandonné la doctrine libérale. Clauses miroirs, politiques de sanctions commerciales, politiques migratoires restrictives… autant de mesures dorénavant défendues par la presse d’affaires, et qui contreviennent par définition aux principes fondateurs de la globalisation et de ses institutions. « Comment imaginer qu’une mission de la banque mondiale en Egypte pourrait recommander de baisser les tarifs douaniers, alors qu’en même temps, son membre le plus important économiquement et doctrinairement – les Etats-Unis – est en train de les augmenter ? » explique l’économiste spécialiste de la pauvreté et des inégalités dans un article récent.

Un système international est en train de péricliter. Lequel prendra sa place ? Si le monde merveilleux de la globalisation néolibérale du FMI n’avait rien d’un paradis terrestre, celui du chaos multipolaire agressif dominé par les technologies américaines et les énergies fossiles n’a pas encore livré tous ses secrets. Rien ne dit qu’il sera plus clément.

 

   mise en ligne le 21 janvier 2025

Guerre à Gaza : « L’attente était extrêmement difficile », le soulagement des 90 Palestiniens libérés par Israël

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Conformément aux termes du cessez-le-feu, 90 prisonniers palestiniens ont été libérés par Israël, dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 janvier, et recueillis dans la ville de Ramallah, au nord de Jérusalem. Trois otages israéliens ont été libérés par le Hamas quelques heures plus tôt.

Deux bus se sont lancés sur une route de Beitunia, peu après minuit, lundi 20 janvier. Leur direction : Ramallah, le siège de l’Autorité palestinienne. Les deux véhicules ont rapidement été suivis par des centaines de personnes. L’ambiance était au soulagement, à la joie, à l’impatience. Les drapeaux palestiniens et des différentes factions palestiniennes flottaient par dizaines, tandis que des chansons résonnaient dans les rues.

À l’ouverture de leurs portes, une foule en liesse a accueilli avec des larmes de joie, des embrassades et des feux d’artifice, 90 prisonniers palestiniens libérés par Israël de la prison militaire d’Ofer, en Cisjordanie occupée, et d’un centre de détention à Jérusalem. À leur bord se trouvent majoritairement des femmes, des enfants et d’anciens prisonniers.

Placée en isolement durant les cinq derniers mois

Et notamment des prisonniers politiques, comme la membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) Khalida Jaffar, dont la libération a fait figure de symbole des conditions de détention au sein des prisons israéliennes. Cheveux blanchis, visage marqué et corps amaigri, elle s’est révélée grandement affaiblie. Arrêtée fin décembre 2023 en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, la femme politique sexagénaire était détenue sans charge et a été placée en isolement durant les cinq derniers mois.

Il en va de même pour Dalal Al-Arouri, sœur du défunt numéro deux du Hamas, Saleh Al-Arouri – tué à Beyrouth (Liban) -, qui a été arrêtée en janvier 2024. « L’attente était extrêmement difficile. Mais grâce à Dieu, nous étions certains que nous serions libérés un jour », se réjouit la journaliste Bouchra al-Tawil, emprisonnée en mars 2024.

« Le dossier des prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes est un sujet central de la vie politique et sociale des Palestiniens, rappelle Salah Hamouri, avocat et ancien prisonnier politique palestinien, dans une vidéo publiée par le collectif français Urgence Palestine, dimanche 19 janvier. C’est un des moyens de destruction de la vie des Palestiniens utilisé par l’occupant israélien. »

Ces 90 détenus palestiniens ont été libérés après que le Hamas en ait fait de même en relâchant trois otages israéliens, quelques heures plus tôt. Il s’agit de l’israélo-britannique Emily Damari, de l’israélo-roumaine Doron Steinbrecher, toutes deux capturées au kibboutz Kfar Aza, ainsi que de Romi Gonen, enlevée au festival de musique Nova, lors de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023.

Exilés vers le Qatar ou la Turquie

Annoncé par les médiateurs – Qatar, États-Unis, Égypte -, mercredi 15 janvier, l’accord ambitionne à terme, selon Doha, de déboucher sur la « fin définitive » du conflit. Selon ses termes, 33 Israéliens doivent être libérés dans une première phase de six semaines. En échange, les autorités israéliennes ont annoncé qu’elles libéreraient 1 900 Palestiniens, dans le même délai. L’accord de trêve précise, par ailleurs, que 236 Palestiniens condamnés à perpétuité, pour avoir commis ou participé à des attaques ou attentats, seront quant à eux exilés, essentiellement vers le Qatar ou la Turquie.

Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, a déclaré qu’« entre trois et quatre femmes enlevées » seraient « libérées chaque semaine ». Un haut responsable du Hamas a, de son côté, indiqué que la prochaine libération aurait lieu « samedi prochain ».

Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, des milliers de déplacés palestiniens ont pris la route pour rentrer chez eux au milieu d’un paysage apocalyptique. Le tout après qu’Israël ait poursuivi les bombardements sur la bande de Gaza – qui ont tué huit Palestiniens, selon la Défense civile gazaouie – jusqu’au dernier moment. « Nous n’avons même pas pu trouver l’emplacement exact de nos maisons », s’est désolée Maria Gad el-Haq, qui fait partie des 2,4 millions de Palestiniens dont la majorité a été déplacée par la guerre, lors de son retour à Rafah (nord de Gaza).

L’entrée en vigueur de l’accord, intervenu à la veille du retour à la Maison Blanche de Donald Trump, nourrit l’espoir d’une paix durable dans les territoires palestiniens, ravagés par l’entreprise génocidaire – longue de quinze mois – du gouvernement israélien. La crainte d’une reprise des attaques reste cependant prégnante, alors que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a prévenu qu’Israël se réservait « le droit de reprendre la guerre si besoin ».

     mise en ligne le 20 janvier 2025

La gauche
repart comme en 14

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Comment bien commencer la semaine ? Par un truc sympa ? On a hésité : allez, va pour la gauche. On vous réserve l’investiture de Donald Trump pour demain.

Le week-end fut celui de l’étalage des tensions au sein de la gauche ; il s’achève avec une élection partielle à Grenoble et une lourde défaite du candidat LFI/NFP. Lyes Louffok perd par 35% contre 65% pour la candidate macroniste qui a fait le plein. La circonscription n’est certes pas un bastion de la gauche ; il y eut longtemps un député socialiste passé à la macronie, Olivier Véran. Mais ce n’est pas non plus une terre de mission. Le député sortant était LFI/NFP, élu dans une triangulaire. Et si on cumule les résultats des listes de gauche aux européennes, la circonscription pointe à la 57eme place pour la gauche.

Cette défaite n’a pourtant rien d’inattendue. Au soir du premier tour, il était difficile de croire à une victoire. Surement que l’abstention du groupe socialiste lors de la censure a désemparé une partie de l’électorat NFP… mais pas au point d’aller voter LFI. Bien que sympathique, la candidature d’un combattant pour le droit des enfants n’est pas parvenue à mobiliser et l’abstention fut forte -comme souvent lors des partielles. Pour finir, le NFP perd 6% en 6 mois. Dans l’affrontement sans retenue, la gauche désespère. Parce qu’elle est faible politiquement au double sens du terme : on ne sait pas trop ce qu’elle dit ni si elle peut gagner, surtout face à la marée montante de l’extrême droite.

Les socialistes ont justifié leur non-vote de la censure par une étrange formule de leur secrétaire national à la tribune de l’Assemblée « faire la politique du pire c’est faire la pire des politiques, celle qui conduit Marine le Pen au pouvoir ». Cette appréciation sera sans doute la même dans 6 mois, dans un an. Conduira-t-elle à ne jamais censurer le gouvernement, quel que soit sa politique et son budget ? On ne fera pas le reproche aux socialistes d’avoir de l’inquiétude face à ce qui semble chaque jour une menace plus pressante. Il y a une folie à relativiser le risque, à présumer de ses forces face au danger immense.

Mais alors, quand on est un parti qui compte, qui se veut responsable, on se doit d’avoir une stratégie. La procrastination n’en est pas une. La fracturation de la gauche non plus. Et ça vaut aussi pour les Insoumis. Les noms d’oiseaux qui fusent n’ont pour effet – et sans doute pour volonté – que d’inscrire cette division et de légitimer plusieurs candidatures présidentielles. Magnifique les gars !

Les Insoumis disent une chose claire : il faut une autre logique, une rupture sinon on va dans le mur : celui du climat, de la pauvreté, de la mise à mal de la démocratie. D’autres murs se dressent aussi : la guerre, la corruption, le désespoir de la jeunesse. Ils ont un projet et un programme. Ils se préparent à les défendre lors d’une présidentielle qu’ils croient imminente. Ils ne sont pas obligés de chercher à embarquer leurs partenaires dans un désir d’accélération du calendrier. Si Macron doit démissionner il le fera parce que la situation est totalement bloquée et qu’il y sera contraint. Pas parce qu’on l’aura provoqué. En revanche, ils ont raison de se préparer : le rythme des évènements nous échappe. Pourquoi n’adoptent-ils pas une politique rassembleuse ? Pourquoi prétendre que les socialistes sont alliés au RN pour sauver macron ? C’est un peu rustre comme analyse. En vérité, ces mots heurtent même ceux qui n’ont pas le vote socialiste chevillé au corps (ils ne sont plus si nombreux). Les Insoumis devraient se défaire de leur assurance d’avoir, in fine et au bout du compte, le vote des classes moyennes … A Grenoble cela ne s’est pas produit. Pas du tout même. Ils pourraient même douter que ces invectives sont attendus par le monde populaire.

Quant aux socialistes, ils devraient se convaincre de la faible attractivité de la logique du moindre mal, celle qui veut qu’éviter la suppression de 4000 postes d’enseignants est mieux que leur suppression ; que la non mise en œuvre des jours de carences est mieux que leur mise en œuvre, etc… Ces temps-là sont révolus. Parce que les dangers sont évidemment bien plus grands qu’une dette et qu’une mauvaise note des agences de notation. Parce que les blocages ne se lèveront que par une autre politique. Et que la gauche ne peut laisser au RN le discours de la rupture. Les socialistes semblent y renoncer et se faisant, ils valorisent même à leur corps défendant la solution d’extrême droite.

Il reste quelques semaines pour se ressaisir.

 

   mise en ligne le 20 janvier 2025

Mayotte, n’ajoutons pas un désastre politique à la catastrophe naturelle

La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/l

(La Cimade : Association de solidarité active avec les personnes migrantes)

Il y a un mois, le cyclone Chido a frappé l’île de Mayotte, laissant des dégâts considérables. Aujourd’hui, la situation reste dramatique : les infrastructures sont détruites, les habitant.es sont privé.es de logements adéquats et le passage de la tempête Dikeledi a augmenté la difficulté pour les habitant.es d’accéder aux services essentiels et de se procurer les denrées de première nécessité.

Dans ce contexte, les différentes déclarations outrancières de responsables politiques, les premières annonces gouvernementales, évoquant systématiquement la question migratoire comme centrale et première, remettant en cause l’inconditionnalité des réponses qui devraient être apportées à tou·tes les habitant·es de l’ile aujourd’hui menacé·es dans la satisfaction de leurs besoins vitaux, sont inacceptables et dangereuses pour l’avenir de l’ensemble du territoire.

Des mesures discriminatoires  pour la reconstruction

Dans le cadre des mesures prises en  gestion de la crise, le préfet de Mayotte a pris un arrêté en date du 3 janvier 2025 restreignant la vente de tôles, pourtant essentielles à la reconstruction des habitations détruites par le cyclone. Cette mesure, qui oblige les habitants à fournir un justificatif d’identité et de domicile pour acheter des tôles, touche particulièrement les personnes migrantes en situation administrative précaire. Déjà fragilisées par des années de politiques migratoires de plus en plus sécuritaires, ces personnes sont désormais empêchées de reconstruire leur foyer. Si la lutte contre l’habitat indigne et précaire doit être pour l’île une priorité partagée, il est inacceptable d’empêcher aujourd’hui des populations de subvenir à des besoins vitaux en matière de mise à l’abri ; sans proposer de surcroît aucun autre accompagnement au relogement.

Des expulsions qui aggravent la précarité et la souffrance

Dans ce contexte déjà difficile, la reprise des placements, des interpellations et des expulsions du centre de rétention administrative (CRA) dès le début du mois de janvier vient alourdir la situation des personnes en situation administrative précaire. Ces mesures de répression, en pleine urgence sanitaire, aggravent la précarité, l’angoisse et l’incertitude de cette population, la plus durement touchée par la catastrophe naturelle. Nous condamnons cette politique répressive et inhumaine, qui frappe les plus fragiles au moment où l’urgence est de répondre à leurs besoins vitaux.

Une priorité : un véritable accès de toutes et tous aux ressources essentielles

Les défis de Mayotte ne se limitent pas à la reconstruction. L’accès à l’eau potable et aux hébergements d’urgence demeure une problématique majeure. De nombreuses personnes sinistrées restent sans abri, et les conditions de vie dans les centres d’hébergement sont particulièrement difficiles, avec un manque d’infrastructures sanitaires et alimentaires. Les établissements scolaires, temporairement réquisitionnés comme hébergements d’urgence, commencent à être évacués pour la rentrée scolaire imminente. Les solutions proposées par l’État, telles que l’hébergement sous tente, se révèlent inadéquates, notamment en raison de la saison des pluies, et n’apportent pas de solutions pour l’ensemble des personnes concernées.

Dans ce contexte, les différentes déclarations gouvernementales pointant la soi-disant urgence de « traiter les questions migratoires », de remettre en cause le droit du sol, d’annoncer de nouvelles mesures restrictives en matière d’accès aux séjour, de nouvelles augmentations des expulsions… sont particulièrement indécentes au vu des urgences vitales rencontrées par les habitant·es de Mayotte. Et contribueront dramatiquement, une énième fois, à exacerber les tensions et divisions au sein de la société, au lieu de penser et mettre en œuvre pour le territoire des mesures justes et durables en matière d’aménagement, de lutte contre la précarité, d’éducation, d’accès aux services publics…

Alors que l’île est ainsi confrontée à une double crise — celle du cyclone et celle des politiques publiques injustes et inefficaces.


 

La Cimade appelle à une réponse urgente, respectueuse des droits humains de toutes et tous, véritablement tournée vers l’avenir et non plus focalisée sur la seule stigmatisation d’une partie de la population.

    mise en ligne le 19 janvier 2025

La facture d’électricité va fondre de 15 % au 1er février : C'est bien mais…

Pauline Achard sur www.humanite.fr

Les tarifs réglementés de vente d’électricité vont baisser de 15 % en moyenne au 1er février 2025, conformément à ce qu’a proposé la Commission de régulation de l’énergie ce jeudi. Une baisse atténuée par la fin du bouclier tarifaire.

Depuis cet été, les annonces contradictoires quant à l’évolution de la facture d’électricité au 1er février 2025 ont pullulé. À mesure que les gouvernements et projets de budget se succèdent, le sujet enflamme les débats opposant Matignon à une gauche soudée. À deux semaines de la date butoir, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a finalement tranché. L’autorité, dirigée par Emmanuel Wargon, a proposé ce jeudi 16 janvier dans un communiqué une baisse moyenne de 15 % pour les consommateurs souscrivant au Tarif réglementé de vente de l’électricité (TRVE).

Parmi ceux qui verront leur facture s’alléger à compter du 1er février : les 20,4 millions d’abonnés au « tarif bleu » d’EDF et les 4 millions de foyers inscrits aux offres qui y sont indexées. « Concrètement, les tarifs réglementés de vente de l’électricité s’élevaient en moyenne à 281 euros par mégawattheure (MWh) depuis le 1er février 2024. La CRE propose de les établir à 239 euros par MWh au 1er février 2025, soit une baisse en moyenne de 42 euros », précise le communiqué.

Cette baisse est en grande partie due au déclin des prix de marché de gros. Il s’agit en réalité d’un retour progressif à la normale après qu’une grave crise énergétique a éclaté en 2022, déclenchée par la guerre en Ukraine. « Cette baisse de 15 % est bien loin de rattraper les 40 % de hausse subie par les Français en trois ans, souligne le secrétaire national adjoint de la FNME-CGT, Fabrice Coudour. La CRE continue d’intégrer dans son calcul une part adossée aux prix des marchés de gros, alors que l’on voit bien que l’usager est toujours perdant ».

Fin du bouclier tarifaire

L’allègement de l’addition sera par ailleurs amoindri par la levée totale du « bouclier tarifaire ». En effet, pour enrayer les effets de la crise sur les factures des usagers, sous le coup d’une affolante flambée des prix, l’État avait abaissé en 2022 à moins d’un euro par MWh le prix de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). Pour mémoire, début 2024, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie, l’avait rehaussée à 21 euros, ce qui s’était traduit par une augmentation des factures de 10 % en février 2024, pour une hausse totale de 15 % sur l’année.

Après avoir échappé à une fixation à 50 euros par MWh voulue par gouvernement de Barnier, et qui aurait coûté 3 milliards d’euros par an aux consommateurs, cette accise retrouvera en fin de compte son niveau d’avant crise, un an plus tard, soit 33 euros par MWh. Si l’ancien locataire de Bercy a martelé qu’il faudrait à terme passer à la caisse pour rembourser ce bouclier tarifaire, le cégétiste Fabrice Coudour s’inquiète ainsi de voir cette taxe poursuivre son ascension dans les années à venir.

Des milliards investis dans le réseau

Par ailleurs, le Tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE), qui représente environ 30 % de la facture d’électricité, sera lui aussi revu à la hausse. Cette rétribution de la part d’acheminement énergétique, fixé tous les quatre ans par la CRE, va bondir de 2,9 % au 1er février, après avoir augmenté de 4,8 %, soit 7,7 % au total.

« Cette augmentation est notamment due à une croissance forte des dépenses prévisionnelles d’investissement (de 2,1 milliards d’euros par an en 2023 à 6,4 milliards en 2028 pour RTE et de 4,9 milliards d’euros par an en 2023 à 7 milliards en 2028 pour Enedis (…), au développement de l’éolien en mer, à l’adaptation au changement climatique et à la modernisation du réseau vieillissant », précise le régulateur d’énergie. Au vu de l’importante baisse des prix de gros en 2024, la commission a décidé en décembre d’anticiper le mouvement tarifaire d’août 2025 à février 2025, pour éviter les effets yoyos. Les détails de ce programme d’investissement seront présentés par RTE à l’occasion d’une conférence de presse le 27 janvier prochain.

Enfin, Fabrice Coudour rappelle que cette baisse de 15 % est loin de concerner tous les usagers. Les plus de 11 millions de foyers qui ont choisi, eux, une offre de marché proposée par EDF, devraient, au contraire voir leur facture augmenter, après avoir bénéficié de baisses auparavant.

    mise en ligne le 19 janvier 2025

Cessez-le-feu à Gaza :
le soulagement
et la colère

Lénaïg Bredoux et Joseph Confavreux     sur www.mediapart.fr

Après plus de quinze mois d’une guerre meurtrière menée par Israël à Gaza, déclenchée par les attaques du Hamas le 7-Octobre, une trêve va enfin entrer en vigueur dimanche 19 janvier. Pour les populations civiles et les otages, on ne peut que s’en réjouir. Mais sans rien oublier.

Enfin. Les armes doivent cesser, dimanche 19 janvier, à 10 heures 15, dans la bande de Gaza. Après quinze mois et dix jours d’une guerre épouvantable, Israël et le Hamas sont parvenus à un accord de cessez-le-feu sous l’égide du Qatar et des États-Unis.

La joie, le soulagement, l’amertume : tout se mêle dans la population palestinienne, qui a payé un tribut si lourd qu’il est difficile à mesurer, et auprès des familles d’otages israélien·nes, qui n’ont, pour beaucoup, cessé de critiquer la politique de leur premier ministre Benyamin Nétanyahou. Trois d’entre eux sont sorties de Gaza dimanche, et remises à la Croix Rouge.  Il s’agit de Rumi Gonen, Emily Damari et Doron Shtanbar Khair.

On ne peut que partager cet espoir, même infime, revenu des enfers. Depuis plus de quinze mois, et les attaques meurtrières menées par le Hamas et d’autres groupes palestiniens en Israël le 7-Octobre, des millions de Palestinien·nes et de manifestant·es, partout dans le monde, réclamaient ce cessez-le-feu. Des campus états-uniens ou belges aux rues tunisiennes, des défilés parisiens à l’appel de plus de 160 mathématicien·nes, au sein même d’une partie de la population israélienne, la demande des sociétés était pressante, à rebours de la plupart de leurs gouvernants.

L’espoir, pourtant, est fragile. L’avenir de la trêve est incertain. L’accord prévoit trois phases de mise en œuvre du cessez-le-feu : les contours des deuxième et troisième étapes sont encore flous ; le jeu politique interne au gouvernement israélien, voire la concurrence au sein du camp palestinien, peuvent conduire à tout moment à une reprise du conflit.

Donald Trump ne l’envisage pas dans les prochains jours, lui qui est officiellement investi président des États-Unis lundi 20 janvier. « La reprise de la guerre ne m’apparaît pas être une option réaliste, espère Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, dans un entretien à Mediapart. Cela fait partie des excès de Nétanyahou de dire qu’il va continuer la guerre. La pression sera trop forte et Trump ne le laissera pas faire machine arrière. »

Un accord fragile

En toile de fond, comme l’explique la chercheuse Amélie Férey, à l’Institut français des relations internationales (Ifri), affleure le rêve de Trump d’obtenir le prix Nobel de la paix dont son prédécesseur Barack Obama avait été honoré, en obtenant un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. 

Mais en présence de tels acteurs – Trump, Nétanyahou et ses alliés suprémacistes juifs, le Hamas –, la sérénité n’est pas une option, la défiance est de mise. Personne ne sait d’ailleurs de quoi l’avenir politique de la région sera fait, à commencer par celui de la Palestine. Qui sait ce que Nétanyahou, dont le maintien au pouvoir ne dépend que de la guerre sans fin ni but qu’il a menée, a obtenu en Cisjordanie en échange du retrait de son armée de Gaza ? Qui peut prédire ce que Gaza pourra devenir sous la surveillance plus qu’étroite d’Israël ? 

Qui sait ce que Trump veut ? Et qui peut s’illusionner sur un monde plus pacifique avec à sa tête un fasciste milliardaire ? « C’est d’ailleurs paradoxal que cette espèce de brute, qui détruit la démocratie dans son pays et l’ordre mondial, soit la personne à laquelle on se raccroche pour envisager une solution raisonnable. Il n’est pas porté par des principes et des idéaux, mais par un opportunisme purement transactionnel », prévient encore l’historien Élie Barnavi. 

La souffrance infinie des Palestiniens

L’espoir, surtout, est teinté d’une profonde colère à la mesure de la tristesse, infinie, des populations civiles. En Israël, les attaques du 7-Octobre ont fait 1 200 victimes, pour l’essentiel civiles, et profondément atteint un pays qui se croyait à l’abri et se présentait comme un « foyer » sûr pour l’ensemble des juifs et des juives du monde. Son identité même a été touchée.

La réaction de Benyamin Nétanyahou et de son gouvernement d’extrême droite a dépassé l’entendement. Devant une communauté internationale au mieux impuissante au pire complice – États-Unis en tête –, l’armée israélienne a provoqué la mort de plus de 46 000 personnes recensées par le ministère de la santé palestinien, dont un « nombre ahurissant » d’enfants selon l’Unicef. Un chiffre validé par l’ONU mais qui pourrait être largement sous-estimé.

Le 10 janvier, une étude publiée par la revue britannique The Lancet estime que le nombre de morts à Gaza au cours des neuf premiers mois de la guerre entre Israël et le Hamas était alors de 64 260. Un chiffre supérieur de 41 % à celui du ministère de la santé de l’enclave sur cette même période.

Le territoire est détruit à 80 %, il n’y a plus d’universités, presque plus d’hôpitaux, des villes sont devenues des villages… Des mots nouveaux sont (ré)apparus : le « futuricide », porté par la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah pour décrire la destruction de l’histoire et de l’avenir de Gaza ; l’« urbicide », concept forgé dans les années 1960 qui se traduit comme la volonté politique de détruire la ville au sens large, et même de « domicide », qui concerne la destruction des possibilités d’habitation ;  l’« éducide », avec la fin des écoles et de la scolarisation des enfants de Gaza ou encore le « culturicide », soit la politique d’anéantissement culturel et identitaire menée par Israël. 

Un génocide, et la bataille juridique qui s’ouvre

Un autre mot s’est aussi imposé, depuis quinze mois, pour décrire ce qui se passe à Gaza : celui de « génocide ». Immédiatement brandi par les soutiens des Palestinien·nes, il est désormais utilisé par des ONG ayant pignon sur rue, qui ont eu l’occasion de mesurer l’ampleur de l’anéantissement de Gaza, de Médecins sans frontières (MSF) à Amnesty International.

Il est aussi présent dans les instances internationales, même si c’est alors le plus souvent comme adjectif : « guerre génocidaire », « intentions génocidaires », « processus génocidaire »

Et il est également revendiqué par des historiens spécialistes de la Shoah, tel l’Israélien Amos Goldberg, qui reconnaît qu’il lui a fallu du temps pour accepter de l’employer, dans la mesure où, expliquait-il, « les Israéliens et beaucoup d’autres pensent que tous les génocides doivent ressembler à la Shoah, mais c’est faux »

L’historien Omer Bartov a lui aussi changé de pied, et jugé, à l’aune de sa connaissance historique des processus génocidaires, qu’il était désormais nécessaire d’employer un tel terme pour décrire les actions du gouvernement israélien.

Dans les premiers temps de la destruction de Gaza, les activistes l’employaient d’abord pour souligner que toute l’histoire n’avait pas commencé le 7 octobre 2023 et que la guerre qui débutait alors à Gaza ne pouvait être lue seulement comme une guerre de représailles, mais devait être inscrite dans un projet de long terme d’élimination de la présence du peuple palestinien sur la majeure partie de la Palestine historique. 

Dans les mois suivants, l’inflation de son usage fut corrélée à l’espoir que l’obligation de prévenir le crime de génocide, contenue à l’article I de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, puisse faire cesser l’horreur en direct qui ne faisait que s’accentuer à Gaza.

Aujourd’hui, alors que ce n’est pas le degré d’horreur qui sépare les crimes contre l’humanité du crime de génocide, mais l’intentionnalité de détruire tout ou partie d’un peuple, s’ouvre une possibilité accrue, si Gaza redevient accessible, pour les experts juridiques de documenter la nature précise des actes criminels commis par le gouvernement israélien, avec la complicité notable de plusieurs chancelleries occidentales. 

A priori, si l’on suit l’article II de la convention de 1948, il est peu probable que les responsables israéliens puissent échapper à une telle accusation. L’article II est en effet ainsi rédigé : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Au vu de ce qui s’est passé à Gaza pendant quinze mois, on voit mal comment a minima « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale » des Palestinien·nes ne pourrait pas être reconnue juridiquement. 

Du droit et de la politique

L’histoire récente nous rappelle néanmoins que, même en imaginant que le droit international ne sorte pas aussi en lambeaux de ces quinze mois d’atrocités après avoir été piétiné par Israël avec l’appui de la première puissance mondiale, nombre des pires atrocités des dernières décennies n’ont pas été reconnues comme des génocides. En raison d’une interprétation souvent restrictive des juridictions nationales et internationales et des difficultés à établir l’intentionnalité des crimes.

Meurtre d’environ 300 000 personnes au Darfour, mise à mort de plus de 1 million de personnes pendant la guerre du Biafra au Nigeria à la fin des années 1960, déportation et meurtre d’environ 100 000 Kurdes par le régime de Saddam Hussein à la fin des années 1980, disparitions forcées et assassinats d’environ 500 000 personnes par le régime d’Assad en Syrie ou encore massacres de milliers de Yézidis par l’État islamique en 2014… On discutera sans doute longtemps, d’un point de vue juridique, de la qualification de génocide à Gaza.

Comme on l’a vu lors des audiences devant la Cour internationale de justice, l’argumentaire portera sur l’intentionnalité, en insistant sur la dimension de « réponse » au 7-Octobre et sur l’argument que l’armée israélienne avait les moyens d’un anéantissement encore plus total de Gaza.

Mais, d’un point de vue politique, l’emploi d’un tel terme paraît légitime et nécessaire pour au moins trois raisons.

D’abord, reconnaître l’ampleur de ces quinze mois de crimes du gouvernement extrémiste israélien, mais aussi la complicité et l’impuissance qui les ont entourés puisqu’encore une fois, ce qui fait la spécificité du crime de génocide, ce n’est pas le degré d’horreur dans la destruction, mais l’obligation qu’il y a à le prévenir. La spécificité du carnage de Gaza, par rapport à de précédents massacres, est sans doute d’avoir été à ce point couvert et visible, grâce au travail des journalistes palestinien·nes, dont nombre d’entre eux l’ont payé de leur vie jusqu’à ces derniers jours.

Ensuite, on peut espérer sauver le droit international et les principes qui l’ont fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale en faisant en sorte que les responsables des massacres à Gaza soient traduits en justice, comme la Cour pénale internationale (CPI) le demande pour son architecte en chef, Benyamin Nétanyahou. Enfin, faire de cette reconnaissance la promesse d’un pays pour les Palestinien·ne : car reconnaître le génocide subi à Gaza, c’est aussi reconnaître une dette morale, celle de garantir la protection future de ce peuple dans le cadre d’un État protecteur.

Cette nécessité politique doit néanmoins s’accompagner d’une exigence qui n’a pas toujours été tenue par celles et ceux qui ont refusé tout débat sur l’emploi du terme dès le 7 octobre 2023, et accusaient de complicité avec le sionisme toutes celles et ceux qui n’y recouraient pas, ou pas encore : ne pas en faire l’occasion de minimiser le génocide des juifs d’Europe – ou de nier la réalité de l’antisémitisme qui traverse nos sociétés – et délégitimer le droit à Israël d’exister, comme le prévoit le droit international.  

Reconnaître la dimension génocidaire de Gaza n’enlève rien ni à la réalité de la Shoah, ni à ce qu’elle peut avoir d’unique dans l’histoire. Il doit aussi être possible de donner leurs droits aux Palestinien·nes, notamment à un État, sans remettre en cause l’existence d’Israël dans les frontières de 1967, même si ce pays refuge est devenu un État voyou.

L’indécence des impuissants

Vu depuis de la France, il y a enfin une indécence à voir certains gouvernements, à commencer par le nôtre, et les commentateurs sur les plateaux télé, célébrer ce cessez-le-feu après avoir, pendant des mois, systématiquement ignoré la souffrance des Palestinien·nes, criminalisé les actions de soutien à Gaza, et répété que le soutien à Israël était indéfectible au risque d’être qualifié·e d’antisémite – antisémitisme dont les actes ont par ailleurs « explosé » depuis le 7-Octobre, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Le débat public a été littéralement étouffant ces derniers mois, au point de voir une exposition de Médecins sans frontières interdite à Toulouse, ou une potière et céramiste de 24 ans traquée dans la Drôme pour avoir écrit « STOP MASSACRE À GAZA » sur un mur. Sans parler de l’autocensure de milliers de personnes racisées, notamment d’origine ou de culture arabes, craignant les répercussions ici d’un soutien trop visible aux Palestinien·nes, au point de s’interroger sur leur place en France. 

Les attaques du 7-Octobre, et leur violence extrême, ont parfois fait vriller les esprits au point d’entendre à la radio ou à la télé à l’occasion de la mort du cofondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, multicondamné pour négationnisme, antisémitisme, incitation à la haine à de nombreuses reprises, que le danger ne venait plus de l’extrême droite mais de la gauche… C’est tout cela, aussi, qui est à reconstruire.

    mise en ligne le 18 janvier 2025

Budget 2025 : non, l’austérité n’est pas le seul horizon possible

Mathias Thépot sur www.mediapart.fr

Comme son prédécesseur, François Bayrou propose pour 2025 une baisse des dépenses publiques jamais vue. Il estime que la situation des comptes du pays ne lui donne pas d’autre choix. Ce qui n’est pas exact. 

« La baisse des dépenses publiques est la plus importante qu’aucun gouvernement ait jamais présentée devant le Parlement. » Lors de son discours au Sénat mercredi 15 janvier qui marquait la reprise des discussions parlementaires autour du budget 2025, le nouveau premier ministre François Bayrou a détaillé ses intentions en matière de finances publiques.

Reprenant à son compte une grande partie du budget du gouvernement de Michel Barnier pourtant censuré, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a expliqué qu’il comptait « mobiliser l’équivalent de 30 milliards de baisse de dépenses » pour 2025. Du jamais-vu.

Tous les ministères seront mis à contribution, a-t-il dit dans une logique similaire à celle de son prédécesseur. À cela il faut ajouter des recettes fiscales en hausse d’environ 20 milliards d’euros – dont 10 milliards de contributions exceptionnelles demandées aux grandes entreprises et aux plus riches. Un niveau équivalent, là aussi, à ce que proposait le gouvernement censuré de Michel Barnier.

C’est donc un effort budgétaire de plus de 50 milliards d’euros que le gouvernement Bayrou compte appliquer au pays en 2025 pour atteindre un déficit public de 5,4 % du PIB. Un tel coup de rabot aura nécessairement un impact négatif sur l’activité. Pour rappel, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estimait que le budget Barnier – dont l’effort global présenté était d’environ 60 milliards d’euros – aurait coûté en termes de croissance 0,8 point de PIB à la France en 2025. 

François Bayrou a aussi confirmé qu’il comptait faire passer le déficit en dessous de 3 % du PIB en 2029, soit un effort supplémentaire d’environ 100 milliards d’euros dans les années à venir. « Si nous ne prenons pas à bras-le-corps la question du rééquilibrage des finances publiques, alors tout ce que nous ferons par ailleurs sera vain », a martelé le premier ministre qui, rappelons-le, a fait de la dette publique son principal combat politique depuis de nombreuses années.

Problème : « réaliser 150 milliards économies d’ici à 2029 – en incluant 2025 – est un choc massif qui représente un effort trop important, à mon sens, pour les services publics (santé, éducation, etc.). Cela risque de faire vraiment très mal », estime François Geerolf, économiste à l’OFCE.

Procédure de déficit excessif 

Mais c’est un mal nécessaire, nous disent le gouvernement et ses alliés. D’abord parce que la dette a atteint un niveau qu'ils jugent inacceptable – 3 300 milliards d’euros – et que les déficits publics se sont envolés – plus de 6 % en 2024, après 5,5 % en 2023. Ensuite, les marchés financiers commenceraient à spéculer sur la dette française : l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne – le spread, dans le jargon financier – pour un emprunt sur dix ans sur les marchés s’est agrandi de 0,4 point de pourcentage en 2024. Ainsi le taux de l’obligation française à dix ans est désormais de 3,4 %.

Enfin, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par le Conseil de l’Union européenne au cours de l’été 2024. Bref, « si nous voulons être cohérents avec nos engagements européens et la crédibilité de la France, nous devons faire un effort important », a martelé le 15 janvier sur BFMTV le très éphémère ministre macroniste de l’économie Antoine Armand.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches.

Même le Parti socialiste (PS) semble partager ce constat, puisqu’il n’a pas voté le 16 janvier la motion de censure du gouvernement Bayrou. Ce dernier a certes promis au PS de réduire sa cure d’austérité d’environ 3 milliards d’euros en 2025, dont 2 milliards sur l’hôpital public et les remboursements d’assurance-maladie, ainsi que de rouvrir les discussions sur la réforme des retraites de 2023. Mais sans pour autant perturber ses grands équilibres budgétaires pour 2025. Cela a pourtant suffi à s’éviter la censure du centre-gauche, qui se résigne donc à cette cure d’austérité inédite pour 2025.

Un autre horizon est possible 

Est-ce là une preuve que la politique budgétaire proposée par François Bayrou est la seule possible, vu le contexte actuel bouillant ? pas forcément. D’abord, disons-le, il n’est pas question ici de contester ici l’état préoccupant de la situation budgétaire de la France. « La situation des finances publiques est insatisfaisante », confirme Benjamin Lemoine, sociologue chercheur au CNRS et expert du sujet de la dette.

Mais le problème, selon lui, est que « le diagnostic est systématiquement mal posé, et ce sciemment : ce sont les services publics et l’État social qui sont sur le banc des accusés du déficit public ». Or, les vrais « responsables de l’appauvrissement de l’État » sont les politiques de l’offre menées depuis dix ans, faites de « baisses délibérées des recettes et des cotisations ». Politiques qui, pour le gouvernement actuel et ses prédécesseurs, « restent considérées comme l’horizon indépassable de l’attractivité et de la compétitivité de l’économie française », déplore Benjamin Lemoine.

Depuis 2017, Emmanuel Macron a en effet réduit les impôts de plus de 50 milliards d’euros par an, dont une majorité au bénéfice des entreprises et des plus riches, tout en serrant la vis côté dépenses sociales (chômage et retraites notamment). Ces baisses d’impôts, pointées récemment dans un rapport de la Cour des comptes sur les finances locales, sont en grande partie responsables de l’assèchement des recettes fiscales. Or c’est ce manque de recettes fiscales qui a creusé un trou béant de quelque 50 milliards d’euros dans les comptes publics entre septembre 2023 et la fin 2024.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que ce dérapage incontrôlé des finances publiques n’a pas joué dans la décision du chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale début juin afin que son camp n’ait pas à assumer seul, lors des discussions budgétaires de l’automne 2024, l’échec cuisant de sa politique de l’offre.

On n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve “in fine” sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise.           Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux

Or, c’est en réaction à la dissolution que les marchés financiers ont commencé à s’inquiéter et que les taux de la dette française ont anormalement grimpé. Et dans la foulée, la France a été mise sous procédure de déficit excessif par Bruxelles. Bref, en quelques mois la situation budgétaire s’est considérablement dégradée par la seule faute de l’exécutif en place. Problème : pour y remédier, François Bayrou nous dit qu’il faut continuer à faire comme avant, tout en baissant encore davantage les dépenses car « la dette est une épée de Damoclès au-dessus du pays ».

Pour les économistes critiques de cette politique de l’offre austéritaire, il y a donc tout un discours à déconstruire. D’abord, la dette n’est pas « un fardeau » comme on l’entend trop souvent, rappelle Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre des Économistes atterrés.

« Il faut raisonner de manière plus globale. Il y a certes un niveau de dette de 52 000 euros par personne en France. Mais en face de cette dette, il y a un actif – les infrastructures publiques, les hôpitaux, les écoles, etc. – dont la valeur est supérieure ! Ainsi, selon les calculs d’économistes faits récemment, chaque français naît en fait avec une richesse nette de 12 000 euros par personne. »

Par ailleurs, déplore l’économiste atterré, « on n’entend jamais dans le débat public que, chaque fois que l’État s’endette de 1 euro, cet euro se retrouve in fine sous forme de revenu dans les poches d’un ménage ou d’une entreprise ».

Un autre angle mort du débat public est l’aspect distributif incroyablement injuste. En effet, « dans le cas précis de la France, la dette distribue des revenus du bas vers le haut », nous dit Benjamin Lemoine. C’est donc Robin des bois… mais à l’envers !

En effet, en baissant les taxes sur les riches et les grandes entreprises, les derniers gouvernements ont fait grimper les déficits, et donc l’État s’est endetté. Sauf que ce sont ensuite les plus riches, ceux-là même qui ont vu leurs comptes en banque gonfler grâce aux baisses de taxes, qui achètent les titres de dette publique – via leur assurance-vie ou un autre véhicule financier – dont ils perçoivent des intérêts ! Les riches sont donc doublement gagnants.

En revanche, pour les plus démunis et les classes moyennes, c’est l’inverse. Car pour remédier aux problèmes de dette publique, les derniers gouvernements ont le plus souvent décidé de sacrifier, en les appauvrissant, « sur l’autel d’une “dette comme fardeau universel”, les services publics et l’État social, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », déplore Benjamin Lemoine.

Ce seul mécanisme pervers devrait questionner les politiques économiques d’austérité qui sont menées. Et laisser la porte ouverte à un nouvel horizon où les riches seraient davantage mis à contribution, et les politiques de relance par l’investissement public ne seraient plus tuées dans l’œuf.

Un risque financier, vraiment ? 

Par ailleurs, on oppose souvent aux tenants des politiques de relance par la dépense publique le danger qu’ils fassent exploser les déficits à court terme et soient immédiatement sanctionnés par les marchés financiers. Un argument de courte vue. « Si vous avez une dette publique importante mais beaucoup d’épargne du côté privé, comme c’est le cas de la France où le taux d’épargne des ménages est de 18 %, il n’y a aucune raison de connaître une crise de la dette », tempère François Geerolf.

Pour le dire trivialement, ajoute l’économiste, « quand les riches ne savent pas quoi faire de leur argent, et ce n'est pas le cas qu'en France, ils l’épargnent et cela aide à soutenir la dette publique. Ce n’est pas pour rien que les agences de notation sont attentives à cet indicateur du taux d’épargne privée… ».

Que ce soit par des résidents ou des étrangers, la dette française reste d’ailleurs très demandée sur les marchés financiers. L’économiste au CNRS et à l’université Paris-Dauphine Anne-Laure Delatte aime rappeler qu’à chaque fois que l’agence France Trésor (AFT) procède à une adjudication de titres de dette, « il y a environ deux fois plus de demande que de bons émis ».

En outre, il faut savoir que les créanciers de la France n’ont pas intérêt à spéculer à outrance sur sa dette publique. « Certaines banques et compagnies d’assurance ont en effet beaucoup de titres souverains dans leur bilan. Or, on sait que quand les taux d’intérêt des actifs remontent, leur valeur de marché baisse, ce qui fait peser un risque sur le bilan des institutions financières qui les possèdent. C’est ce mécanisme qui a provoqué les faillites du Crédit suisse et de la banque de la Silicon Valley », rappelle Éric Berr.

Enfin, l’éléphant dans la pièce de ce débat est le rôle de la Banque centrale européenne (BCE). Car depuis 2015, elle intervient massivement à chaque emballement des marchés sur les dettes des pays de la zone euro, afin d’éviter de revivre le calvaire de la crise grecque. Elle l’a montré récemment en intervenant pour sauver l’Italie. Et il semble impensable qu’elle n’en fasse pas de même pour la France, si cela se révélait nécessaire. 

« La force de frappe de la BCE est en capacité de calmer les marchés à tout moment, parce que laisser dévisser trop longtemps la France porte un risque systémique : pour le système bancaire et l’ensemble de la zone euro », confirme Benjamin Lemoine.

Tutelle des technocrates 

Cependant, prétendre qu’une politique budgétaire diamétralement opposée à celle menée par François Bayrou serait sans conséquence du point de vue des marchés ne serait pas exact. « Il y a un ambiguïté maintenue délibérément sur le risque financier de la France », pointe Benjamin Lemoine.

Les technocrates de la BCE l’ont d’ailleurs reconnu lors d’une réunion après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron : ils préféraient laisser monter dans un premier temps les tensions sur la dette française car « idéologiquement la contrainte de marché est considérée comme saine : elle sert les intérêts d’un gouvernement austéritaire en maintenant la pression sur la population et les services publics », analyse Benjamin Lemoine.

Cette vision rigoriste est partagée par la Commission européenne, dont on sait pourtant que les règles budgétaires – celle du déficit à 3 % du PIB notamment – sont totalement désuètes et ont amené durant les années 2010 au décrochage de l’économie de la zone euro par rapport à l’économie des États-Unis. Un pays qui de son côté ne s’encombre pas de règles internes quand il s’agit de relancer la croissance par les déficits publics. 

« À la suite de la crise des dettes de la zone euro [qui débute en 2010 – ndlr], les règles budgétaires européennes auraient dû être changées radicalement. Mais cela a été un rendez-vous raté et l’on en paie encore le prix », déplore François Geerolf. Même son de cloche du côté d’Éric Berr, qui regrette que « la politique économique reste corsetée par les règles européennes qui visent à favoriser l’épargne sur l’endettement et à éviter toute politique économique de gauche dite progressiste ». 

C’est là tout le problème du rôle des institutions européennes dans le débat sur la dette : que ce soit à la BCE ou à Bruxelles, l’austérité budgétaire est préférée car elle relèverait du bon sens. Or, conclut Benjamin Lemoine, « ces orientations n’ont rien de neutre, elles servent socialement les intérêts des plus aisés et sont, pour ces raisons-là, au goût des marchés financiers et de la technostructure européenne ». Et aussi de François Bayrou.

   mise en ligne le 18 janvier 2025

Pourquoi Israël
s’est résolu
au cessez-le-feu
 avec le Hamas

Amélie Ferey sur www.mediapart.fr

Après quinze mois de destructions extrêmes, il aura fallu une élection aux États-Unis pour tout changer. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, après maints retournements, a finalement accepté un accord temporaire. Mais à quel prix ?

L’atmosphère en Israël, depuis jeudi 16 janvier, oscille entre l’espoir du retour des otages et d’une forme de normalité, avec une pause dans la guerre, et l’amertume. Beaucoup d’Israélien·nes rejettent cet accord, considéré comme une reddition. « L’éradication » du Hamas promise par Benyamin Nétanyahou n’a pas eu lieu. Pire, pour les tenants du « Grand Israël », cet accord compromet la possibilité d’une annexion pure et simple de Gaza, ou au moins de sa partie nord.

Les familles des soldat·es tombé·es à Gaza (407 depuis le début de l’offensive terrestre, dont 50 au cours des trois derniers mois) se sont réunies dès mercredi soir devant la résidence de Nétanyahou, rue Balfour, à Jérusalem, pour protester contre ce qu’elles perçoivent comme un gâchis.

Vendredi 17, à la mi-journée, le cabinet de sécurité israélien a approuvé l’accord pour un cessez-le-feu et un échange d’otages contre des prisonniers et prisonnières. Le gouvernement doit désormais l’approuver à son tour. Une réunion était prévue plus tard dans la journée. 

Mais jeudi soir, Itamar Ben Gvir, le ministre à la tête de la formation suprémaciste Otzma Yehudit (« Puissance juive »), a annoncé que son parti quitterait la coalition si l’accord de cessez-le-feu était approuvé. Ben Gvir s’est également vanté d’avoir à deux reprises empêché un accord avec le Hamas pour la libération des otages, embarrassant ainsi Nétanyahou, qui avait toujours attribué l’échec des négociations au mouvement palestinien.

Cependant, depuis le ralliement du parti de Gideon Saar à son ancien rival Nétanyahou, en septembre, Ben Gvir n’est plus dans une position de faiseur de rois. Même s’il quittait le gouvernement, le premier ministre israélien disposerait toujours d’une majorité à la Knesset (le Parlement) et ne serait donc pas contraint de jouer son avenir politique dans de nouvelles élections.

Amertume et soulagement

En revanche, la survie politique de Ben Gvir n’est pas du tout assurée : en claquant la porte, il prend le risque de se marginaliser pour longtemps, à moins de recourir à des actions violentes contre les institutions israéliennes. Dans une déclaration jeudi, il a précisé que son parti serait prêt à rejoindre le gouvernement si les combats contre le Hamas reprenaient après la trêve.

Le parti du ministre des finances, Bezalel Smotrich, représentant du sionisme religieux et fervent défenseur des colons, a annoncé jeudi qu’il resterait au gouvernement pendant la première phase de l’accord mais en sortirait si la guerre ne reprenait pas à l’issue des quarante-deux jours.

En dépit de ces rodomontades politiques, l’atmosphère en Israël est empreinte d’émotion : le possible retour d’une partie des otages suscite autant d’espoir que d’angoisse à l’idée qu’un scénario tant espéré puisse s’effondrer à la dernière minute. Ce cessez-le-feu, même temporaire, répond à un sentiment de lassitude après quinze mois de guerre, le conflit le plus long pour Israël depuis sa création en 1948. L’économie israélienne a souffert, les gens sont fatigués de la guerre, les réservistes rechignent à répondre à l’appel.

La perspective de poursuites à l’international, comme pour ce soldat israélien impliqué dans un probable crime de guerre ayant dû fuir le Brésil, inquiète les Israélien·nes, dont les voyages sont fréquents, par goût mais aussi pour échapper – même brièvement – au quotidien du pays. Ainsi, l’amertume vis-à-vis de ce que beaucoup considèrent comme un mauvais accord est tempérée par une forme de soulagement.

Ce que contient l’accord… et ses zones de flou

Ce soulagement semble toutefois devoir être de courte durée. En effet, quelle crédibilité et quelle longévité accorder à cet accord ? La première phase est la plus détaillée, ce qui laisse planer des doutes sur la concrétisation des trois suivantes.

Cet accord prévoit un cessez-le-feu initial de quarante-deux jours, débutant dimanche 19 janvier à 12 h 15 (heure d’Israël), avec une suspension des opérations militaires et des vols de surveillance à Gaza. Les survols quotidiens, ainsi que la menace représentée par les drones et les avions de chasse, aggravent le stress post-traumatique des habitant·es de Gaza. Mohand al-Ashram, un musicien gazaoui, avait ainsi posté une vidéo devenue virale dans laquelle il tentait de rassurer les enfants dont il avait la charge en transformant leur vrombissement en musique.

Cette phase sera accompagnée d’un retrait progressif des forces israéliennes. Ces quarante-deux jours doivent être rythmés par la libération progressive de 33 otages, en échange de prisonniers et prisonnières palestinien·nes. Pour chaque femme ou enfant libéré par le Hamas, Israël libérera 30 femmes et enfants palestinien·nes, conformément aux listes fournies par le Hamas. Pour chaque adulte libéré, Israël libérera 30 prisonniers malades ou ayant des peines inférieures à quinze ans.

Pour le Hamas, ce cessez-le-feu sonne comme une victoire symbolique.

Les habitant·es déplacé·es de Gaza pourront progressivement retourner dans leurs foyers à partir du septième jour. Dès le premier jour, l’aide humanitaire sera augmentée : entrée de 600 camions par jour, y compris du carburant et des équipements essentiels pour la reconstruction et les services hospitaliers.

La phase 2, plus incertaine, prévoit un cessez-le-feu permanent, la libération des otages restants et le retrait complet des forces israéliennes.

Enfin, la phase 3 énonce des grands principes de la reconstruction de Gaza, sur une période de trois à cinq ans, supervisée par l’ONU, le Qatar et l’Égypte.

Pour le Hamas, ce cessez-le-feu sonne comme une victoire symbolique. Cependant, il ne peut occulter l’ampleur des souffrances endurées par les Gazaoui·es depuis quinze mois : des dizaines de milliers de personnes mortes et blessées, et la destruction de plus de 70 % de l’enclave.

L’équation régionale a changé

L’équation régionale a considérablement évolué depuis le 7 octobre 2023. C’est elle qui sera déterminante pour l’avenir. Les armes servent en effet à modifier un rapport de force sur le terrain afin de préparer une négociation politique – à laquelle elles ne peuvent en aucun cas se substituer. Or, la question politique posée par les Palestinien·nes à Israël est celle de leur autodétermination, et donc de la création d’un État palestinien. Sans cela, ni les une·s ni les autres ne pourront vivre en paix dans la région. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Un paradoxe émerge : alors que Donald Trump s’est entouré de personnalités notoirement pro-israéliennes et favorables à la ligne politique défendue par Nétanyahou, donc soutenant une politique annexionniste, ce sont elles qui assument aujourd’hui la responsabilité politique de ce cessez-le-feu.

Pendant de longs mois, le monde a observé avec un mélange de stupeur et de dégoût l’impuissance de l’administration Biden sur ce dossier, ce qui a suscité de nombreuses interrogations sur l’existence réelle de leviers américains sur Israël. La leçon tirée de la séquence actuelle, ou du moins du récit qui en est fait, est que tout repose sur la volonté politique. Dans ce cas précis, Trump capitalise sur son style politique direct et brutal.

Steve Witkoff, juif et partisan notoire du Likoud (le parti de Benyamin Nétanyahou), désigné pour être l’envoyé spécial de Trump au Proche-Orient, est arrivé samedi 11 janvier à Jérusalem. Le premier ministre lui a fait savoir qu’il le recevrait après shabbat, mais Witkoff a répondu qu’il n’attendrait pas. Nétanyahou a donc cédé et s’est déplacé, démontrant qu’il ne souhaitait pas risquer de se brouiller avec le locataire de la Maison-Blanche. Rappelons que Trump avait très mal vécu, après la tentative avortée de la prise du Capitole, les félicitations adressées par Nétanyahou à Joe Biden, qu’il avait perçues comme un manque de loyauté.

L’effet Trump, l’enjeu iranien

Les leviers américains existent donc bel et bien. Mais lesquels ont été actionnés pour obtenir un cessez-le-feu quasi identique à celui proposé au printemps dernier ? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Il est toutefois probable que Trump a usé, par l’intermédiaire de Witkoff, de la carotte et du bâton.

Le bâton, en l’occurrence, repose sur l’aide militaire colossale des États-Unis, qui s’élève à 3,8 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent des enveloppes exceptionnelles pour couvrir les coûts de la guerre et l’achat de munitions, principalement américaines.

La carotte, quant à elle, réside dans la stratégie états-unienne à l’égard de l’Iran. Si Nétanyahou peut se vanter d’avoir affaibli le Hamas et le Hezbollah, ainsi que d’avoir précipité la chute de Bachar al-Assad, une épine – de taille – reste dans son pied : la possibilité, ou même la probabilité d’un Iran nucléaire. Pour détruire militairement le programme nucléaire iranien, Israël a besoin du soutien actif des États-Unis. Est-ce un sujet qui a été discuté lors de ces négociations ?

Rien n’indique, pourtant, que Trump soit favorable à une telle éventualité.

Le futur locataire de la Maison-Blanche n’a pas digéré que Barack Obama ait obtenu le prix Nobel de la paix en 2009, alors que lui-même avait été l’architecte des accords d’Abraham, ces accords de normalisation entre les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et Israël. Il avait déjà cherché à capitaliser à l’international en se présentant comme l’homme mettant fin au conflit israélo-palestinien, notamment avec sa tentative de « deal du siècle », menée sous l’égide de Jared Kushner.

Pour son deuxième mandat, il a clairement annoncé vouloir mettre fin à deux guerres : la guerre russo-ukrainienne et celle au Proche-Orient. Et ce, avant même son investiture, prévue pour le 20 janvier.

L’idée a été lancée de l’organisation d’une conférence à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, sur la création d’un État palestinien.

Cela s’inscrit dans une mise en scène presque « magique » du triomphe de la volonté politique de Trump. Pour lui, la perspective d’un prix Nobel de la paix semble décisive, et la question de la normalisation avec l’Arabie saoudite devient alors centrale. Tous les regards se tournent donc vers Riyad : que pourrait négocier l’Arabie saoudite en échange d’une normalisation avec Israël sous l’égide américaine ?

Dans cette séquence diplomatique, la France pourrait avoir un rôle à jouer. À la suite de la visite d’État du président Macron à Riyad, l’idée a été lancée de l’organisation d’une conférence à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, sur la création d’un État palestinien. Cet événement est prévu pour juin prochain.

Une résolution du conflit ne pourrait qu’arranger Mohammed ben Salmane (MBS), dans le cadre de son projet Vision 2030. La perspective de reconstruire Gaza et, pourquoi pas, d’en faire une sorte de nouveau Dubaï sur la Méditerranée, à condition d’obtenir de solides garanties (notamment celle de la création d’un État palestinien), permettrait également à MBS de s’assurer le soutien de la jeunesse saoudienne, profondément émue par les souffrances des Gazaoui·es diffusées sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Ce scénario – pour l’instant relevant de l’utopie – suppose de grandes concessions de la part d’Israël. Reste à savoir si un Iran non nucléaire peut être échangé contre la création d’un État palestinien ou, à tout le moins, un retour à l’esprit des accords d’Oslo.

   mise en ligne le 17 janvier 2025

Profit(s)

Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Pendant ce temps-là, les actionnaires se gavent…

Rengaine « Dividendes : les groupes du CAC 40 n’ont jamais été aussi généreux ». Vous ne rêvez pas : ainsi titrait les Échos, ce mardi 14 janvier, avant même la déclaration de politique générale de François IV à l’Assemblée nationale. Même pour le quotidien économique appartenant à Bernard Arnault, les mots ont un sens : « Les 40 fleurons de la Bourse de Paris n’ont jamais redistribué autant d’argent à leurs actionnaires. »

L’année dernière, entre les dividendes et les rachats d’actions, ces groupes ont en effet reversé 98,2 milliards d’euros via des dividendes et des rachats d’actions, selon la lettre spécialisée Vernimmen. Rassurons-nous, il ne s’agit que d’une petite hausse de 1 % par rapport à 2023. Mais c’est un nouveau pic, un record. À titre de comparaison, les versements aux actionnaires sont désormais plus de 60 % supérieurs à leur niveau de 2019, juste avant le trou d’air de 2020 lié à l’épidémie de Covid.

D’où le titre de l’Humanité, le 15 janvier : « Le pactole à 100 milliards d’euros ». La financiarisation sans fin de l’économie se poursuit, comme si de rien n’était. Pendant ce temps-là, François IV vantait les mérites des multinationales qui, selon lui, « font honneur à la France et contribuent à sa richesse », jurant de les prémunir contre des « augmentations exponentielles d’impôts et de charges ». La même rengaine, toujours…

Riches Quand on entend « nouveau », traduire : « renouveau ». Émergence, résurgence. Rupture, enchaînement. Et ainsi de suite. Les ultralibéraux ne font que prendre la suite. Il n’y a que dans les feuilletons à l’ancienne qu’on pouvait lire « suite et fin ». Pas dans les conduites du capitaliste de base, du prédateur pour lequel le fric règne en maître absolu. Avec la décrépitude des colifichets honorifiques, l’argent pour l’argent est devenu la seule médaille pour de vrai, l’unique logique. Pas, ou peu, de concurrents.

Le flouze globalisé n’a plus grand monde en face. Ses rivaux, courage, savoir, abnégation, travail, culture, ont été relégués en coulisses. N’importe quel citoyen sexagénaire issu des classes instruites bénéficie encore d’une infirmité qui ne se reproduira plus de sitôt : avoir grandi dans un monde, celui des fonctionnaires et des professions libérales, où l’argent n’était pas une valeur. Et quasiment une antivaleur.

Chanceux que nous fûmes, d’avoir entendu un leader socialiste dire, il n’y a pas si longtemps que ça, en 2006, dans une émission de télé : « Oui, je n’aime pas les riches, j’en conviens. » Le même homme devint plus tard Normal Ier, accédant à la fonction suprême, en 2012. Oserait-il réitérer ces propos, aujourd’hui ? Chiche ?

Corollaire Ce qu’une culture tient pour sacré peut se définir, à toutes fins utiles, comme ce qui n’est pas à vendre. Panique chez les libéraux de tout poil quand ils viennent à buter sur de l’inaliénable et de l’inévaluable. Car, pour eux, tout est à vendre, à condition de réaliser des profits. Les lieux, les salariés, tout, même les actions en Bourse.

Résultats à deux chiffres obligatoires. Bien sûr, on parle de la Chine, des États-Unis, de la « mondialisation financière » un peu partout. Mais, à l’image de la France, l’Europe ne montre pas l’exemple. Elle aussi vole de record en record. Après un millésime 2023 déjà exceptionnel, les groupes européens ont à nouveau versé un montant historique de dividendes à leurs actionnaires. Selon une étude de la société de gestion Allianz Global Investors, les groupes cotés du Vieux Continent ont distribué 440 milliards d’euros en 2024.

Vous avez bien lu. Et ce montant progressera assurément dans les années qui viennent, préviennent les experts, qui, selon eux, augmentera de 4 % en 2025 à 459 milliards et frôlera les 500 milliards en 2026… Conclusion ? Mauvais temps pour le progressisme en Occident, tant il se vérifie que « l’oubli du passé est mortel au progrès ». Ce « progrès » tant vanté par Mac Macron II.

Alors, quoi ? Dans le recroquevillement du temps historique utile et nos horizons de mémoire en peau de chagrin, regardons le peu d’espace que l’omniprésence du présent laisse à la démangeaison prophétique, et à son corollaire, l’envie du Grand Soir… et de l’humain d’abord !

    mise en ligne le 17 janvier 2025

Ces syndicats qui combattent
l'extrême droite dans leurs rangs

Certains sont plus fermement antifascistes que d’autres

Par Daphné Deschamps sur https://www.streetpress.com

Depuis quelques années, les syndicats français sont frappés par la montée de l’extrême droite dans leurs rangs, malgré une histoire et des valeurs ancrées à gauche. Toutes les formations ne font pas preuve de la même intransigeance.

L’annonce a provoqué un coup de tonnerre dans le petit milieu des syndicalistes de l’Assemblée nationale avant les fêtes. Au Palais Bourbon, la section de la confédération chrétienne CFTC a nommé à sa direction Rémi Scholtz, attaché parlementaire affilié au député du Rassemblement national (RN) Timothée Houssin. L’info, révélée par Challenges, a déclenché une levée de boucliers chez les autres mouvements de l’Hémicycle et un casse-tête pour la CFTC. Déjà, car la confédération n’est pas sûre que l’homme soit adhérent… « On ne sait pas quoi faire, peut-être qu’il n’a pas encore été intégré dans nos fichiers, mais cela nous met en porte-à-faux avec les autres syndicats de l’Assemblée nationale. Si son adhésion est confirmée, on traitera la question avec attention », assure son président Cyril Chabanier. La CFTC a pris position contre le RN en 2022, mais ne souhaite pas exclure ses militants tant qu’ils ne soutiennent pas ouvertement le programme du parti lepéniste ou tiennent des propos racistes. « Les collaborateurs parlementaires font un métier difficile, qui mérite d’être défendu, et tous peuvent se syndiquer chez nous. Nous ne demandons jamais à nos adhérents leur couleur politique. Par contre, s’ils prennent des positions qui vont à l’encontre des valeurs de la CFTC, nous les exclurons sans aucun problème », certifie-t-il.

Le profil de Rémi Scholtz laisse peu de doute quant à son positionnement sur l’échiquier politique : auteur d’un livre sur son vécu chez les Scouts d’Europe, souvent accusés de traditionalisme, voire d’intégrisme, il est allé en faire la promotion dans des médias marqués à l’extrême droite : Boulevard Voltaire, Valeurs actuelles ou encore la webtélé identitaire TV Libertés. Il s’est aussi fendu d’un long entretien sur la chaîne YouTube du mouvement national-catholique Academia Christiana, pas vraiment en accord avec les valeurs plutôt « cathos de gauche » du syndicat.

Plus l’extrême droite se normalise et progresse dans les bureaux de vote, plus les cas comme Rémi Scholtz se multiplient. Un sacré dilemme pour leurs centrales, alors que la plupart sont opposées à l’extrême droite ou au Front national (FN) depuis des années, parfois dès les années 1930 pour la Confédération générale du travail. StreetPress a sondé une dizaine de syndicats pour connaître leurs façons de lutter, entre ceux prêts à se couper d’une partie de leurs membres, ceux qui sont dans le dialogue et la formation, et ceux qui s’en cognent. Tour d’horizon.

Viens me le dire au local

Pendant les législatives, la CFDT a recensé pas moins de huit de leurs adhérents qui se sont présentés à la députation sous une étiquette d’extrême droite. L’un d’eux a même été élu : Maxime Amblard. Il incarne désormais la première circonscription de la Meuse, sur les bancs du RN. Ces huit candidats ont tous été exclus de leur confédération, tout comme une suppléante qui militait à la CGT. À l’inverse, un surveillant pénitentiaire encarté chez Force ouvrière a été candidat suppléant du parti lepéniste dans les Hautes-Pyrénées, sans être écarté.

« Les syndicats se débrouillent en général en autonomie », lance Thierry, adhérent de Sud Collectivités territoriales.

« Les sections qui ont 700-800 adhérents ont des structures adaptées, mais plus elle est petite, plus c’est compliqué. »

Dans le milieu, un des premiers cas médiatisés a eu lieu à la CGT en janvier 2011. Fabien Engelmann est alors secrétaire de la section de Nilvange (57). Sauf qu’il se présente aussi aux élections cantonales sous la bannière FN et défend publiquement leurs thèses et leurs propositions, y compris les plus racistes. Le syndicat entame immédiatement une procédure d’exclusion à son encontre. Problème réglé ? Pas vraiment : sa section le soutient, et la CGT se retrouve obligée d’exclure ses 27 membres, alors qu’Engelmann porte plainte pour discrimination politique contre la Cégète. Devenu maire FN d’Hayange (57) en 2014, il mène depuis dix ans des politiques anti-sociales, racistes et islamophobes.

Plus récemment, le syndicat Solidaires Finances publiques a tenté d’exclure localement un militant antivax de Dijon (21). Mais celui-ci, soutenu par le bureau local, a argué qu’il n’était « pas facho, juste antivax », et s’est même invité à des réunions nationales pour défendre son cas. Dans le Vaucluse, une section de Sud Solidaires Routes a été « défédéralisée », comprenez exclue, en 2018, après de multiples publications racistes au sujet de la situation migratoire à Calais. « Le vote s’est fait immédiatement, et à l’unanimité », se souvient Thierry, syndicaliste au sein de Sud Collectivités Territoriales. Ce dernier se rappelle de deux militants exclus il y a quatre ans. L’une expliquait qu’il « fallait parler à tout le monde », l’autre « trouvait carrément que Marine Le Pen était super ». « On a bien fait, puisqu’on les a retrouvées défendant la ligne “Tout sauf Macron” pendant le second tour des élections présidentielles de 2022 », continue Thierry.

Dans la Sarthe, un cadre du Snepap, le syndicat des personnels de l’administration pénitentiaire de la Fédération syndicale unitaire (FSU), s’est pris en photo avec Marion Maréchal-Le Pen en pleine campagne aux européennes de 2024, raconte Joscelin Gutterman, membre du collectif intersyndical Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA). Sa ligne de défense, « je parle à tout le monde, je ne fais pas de politique et, de toute façon, ils seront bientôt au pouvoir », lui a valu une désolidarisation de la FSU, qui a indiqué gérer ça « en interne ».

Le cas FO

Parmi les syndicats, plusieurs sont pointés du doigt pour leur passivité, dont Force ouvrière (FO). La confédération ne voit pas d’inconvénient à ce que certains de ses adhérents se présentent sous les couleurs de l’extrême droite, tant que la responsabilité syndicale n’est pas un argument de campagne. Deux de ses cadres font par exemple partie de la majorité d’extrême droite du maire de Béziers (34), Robert Ménard, depuis des années, comme StreetPress le révélait en 2024.

La ligne du mouvement repose sur une lecture très critiquée par les autres organisations qui se revendiquent de la charte d’Amiens (80), un des textes fondateurs du syndicalisme de lutte. Celle-ci définit notamment le syndicat de lutte comme indépendant des partis politiques. La preuve pour FO qu’elle n’a aucun droit de regard sur les positions de ses adhérents. « La charte d’Amiens, c’est un cache-sexe », soupire un salarié de la confédération. Ce dernier assure qu’en interne, « plusieurs responsables syndicaux sont identifiés comme intellectuellement proches du RN, mais tout le monde s’en fout » :

« On a un vrai problème de renouvellement des cadres, on fait avec ce qu’on a et on prend des gens de plus en plus poreux. »

Il poursuit : « La réalité de l’engagement syndical fait qu’on va avoir de plus en plus de cas de ce type. Le vrai problème, c’est l’acceptation institutionnelle. Qu’est-ce qui justifie d’accepter de discuter avec les députés RN, alors qu’avant, c’était pas le cas ? »

En octobre dernier, lors d’un meeting organisé à la Mutualité, le secrétaire général de FO Frédéric Souillot aurait même déclaré qu’il fallait voter la motion de censure RN du gouvernement « les yeux fermés » :

« Ça envoie un signal fort, surtout que nous avions théorisé six mois avant qu’il ne fallait pas prendre position aux législatives pour préserver notre indépendance… »

Les élus RN mènent une politique anti-sociale

Le dialogue avec les élus d’extrême droite, de plus en plus nombreux, est une véritable problématique pour les syndicats. Un militant de Solidaire explique :

« Quand tu as une usine menacée de fermeture dans un département où tous les députés sont au RN, c’est compliqué de dire aux salariés en grève : “Non, on ne leur parlera pas”. »

« L’avantage, c’est qu’ils y vont pas trop pour le moment, mais la question s’est déjà posée », souffle un élu CGT d’une usine métallurgique. « Les élus RN mènent une politique anti-sociale, ils n’ont rien à faire là, car ils ne défendent pas réellement les travailleurs », explique Aurélien Boudon, secrétaire national de Solidaires. Il renchérit :

« Notre objectif sera toujours de les chasser, mais ce n’est pas toujours simple, surtout face à un discours du type : “Tous les soutiens sont bons à prendre”. Les chasser sans pédagogie auprès des travailleurs, c’est presque contre-productif. »

Même questionnement en cas de nomination d’un gouvernement d’extrême droite. « La question du boycott ou non de réunions ministérielles est en débat », avance Aurélien Boudon. Néanmoins, pour les syndicalistes dans la fonction publique, cela signifierait refuser de rencontrer son employeur. Une gageure quand un mouvement veut défendre les salariés et a besoin de dialoguer… avec les patrons. Une problématique qui existe déjà dans les villes et métropoles dirigées par le RN.

Dialogue et formation

Face à la montée de l’extrême droite, les syndicats locaux sont de plus en plus nombreux à chercher des solutions pour former leurs militants et s’armer intellectuellement. 308 sections de la CGT, CFDT ou Solidaires se tournent par exemple vers le collectif antifasciste VISA, qui existe depuis 1996. « Depuis 2022, nous avons doublé notre volume d’adhérents, avec une première vague suite aux élections de 2022, une deuxième après le congrès de la CGT en 2023, et une troisième après les dernières législatives, où à peu près une quarantaine de syndicats nous ont rejoint », pointe Joscelin Gutterman, membre du conseil d’administration de VISA et cheminot syndiqué à Sud Rail.

Le collectif a « énormément de demandes de formations ou d’interventions à des congrès locaux ». VISA effectue aussi une veille pour vérifier si des militants de la mouvance sont dans les syndicats.

« On tient toujours à appuyer sur la différence de traitement à accorder, selon les cas : le militant est-il candidat à des élections sous l’étiquette d’un parti d’extrême droite, ou partage-t-il simplement ses idées ? Est-il possible de le faire sortir de ce logiciel ? »

L’organisation contacte régulièrement les syndicats pour les alerter sur la présence de tels profils dans leurs rangs, avec plus ou moins de succès. Joscelin Gutterman pointe trois « cas de figure » : « Soit le syndicat concerné réagit directement, il lance en général une procédure d’exclusion qui se gère en interne. Soit on ne reçoit tout simplement pas de réponse et dans ce cas, on relance, à différents niveaux, avant de publiciser l’affaire en dernier recours. » Dernière possibilité :

« Ou alors, on reçoit des insultes, on se fait traiter de censeurs, de fascistes… »

Et, selon à quel syndicat écrit VISA, ils savent « plus ou moins à quelle réponse s’attendre à l’avance ». Les relations sont particulièrement tendues avec FO et la CFE-CGC. Pour la seconde, les crispations ont récemment concerné leur affilié Action et démocratie, un syndicat de l’Éducation nationale. Son secrétaire fédéral, Joost Fernandez, est adhérent Reconquête et même responsable du « pôle école » du parti d’Eric Zemmour. Alerté, VISA a prévenu le mouvement. Dans un mail que StreetPress a pu consulter, le président d’Action et démocratie a répondu que son organisation se revendiquait d’une « neutralité politique ». Et que si les adhérents « ont fort heureusement leur propre sensibilité », la direction « ne veut pas la connaître, car cela n’a aucun intérêt quand ces personnes sont animées par le désir d’aider leur prochain ». Vu le programme du parti zemmouriste, c’est une certaine idée du prochain. La CFE-CGC, à qui une copie de tous les échanges a été adressée, n’a jamais répondu.

À l’inverse, contacté après des prises de position de l’UNSA Police au sujet des révoltes après le meurtre de Nahel Merzouk en juin 2023 à Nanterre, le secrétaire de l’UNSA a répondu à VISA en prenant au sérieux le courrier, et en se dissociant publiquement de ces propos.

La crainte d’entrisme

Pour tous ces syndicalistes, l’inquiétude reste la même : pour le moment, le Rassemblement national n’a pas lancé de stratégie d’entrisme dans leurs rangs. Mais que se passera-t-il si c’est le cas ? Cela peut mener à des explosions dans certains syndicats, surtout « les moins solides sur leurs appuis antifascistes ». D’où l’urgence pour VISA de continuer son travail. « En 2024, nous avons touché 3.000 personnes, dont 1.000 en formations. Sur les dix dernières années, ce sont 10.000 syndicalistes qui ont rencontré notre organisation », calcule Joscelin Gutterman. Avec une pointe d’amertume dans la voix, il conclut :

« Même si on se félicite de l’existence d’une prise de conscience, on est comme les Restos du Coeur : si de plus en plus de gens ont besoin de nous, c’est que le problème s’accentue. »

Contactés, FO, CFE-CGC, le Medef et l’UNSA n’ont pas répondu aux questions de StreetPress. Pas plus que le RN.

   mise en ligne le 16 janvier 2025

La censure
reste pour après

Roger Martelli sur www.regards.fr

François Bayrou a échappé à la censure, comme prévu. Il ne perd rien pour attendre. Mais la gauche a trébuché sur ce coup. Il ne faut pourtant pas se résigner au pire.

Le PS a fini par décider de ne pas voter la censure du gouvernement Bayrou. Il a tort. La politique annoncée par François Bayrou reste ouvertement dans la lignée de son prédécesseur qui, lui, avait été sanctionné par la représentation parlementaire. Il a écarté toutes les demandes de fond venues de la gauche, sociales, institutionnelles ou écologiques. Il s’est contenté de lâcher des miettes et de faire des promesses… de gascon. En ne se joignant pas à la censure proposée par leurs partenaires, les socialistes ne gagneront aucune sympathie sur leur droite, mécontenteront du côté gauche et ajouteront une nouvelle pelletée de sable dans la machine déjà grippée du Nouveau front populaire.

Faut-il pour autant hurler à la trahison à la brisure irrémédiable de l’alliance à gauche ? Ce n’est pas raisonnable. Tout d’abord parce qu’il y a, dans une décision de censure ou de non-censure, une part inextricable de choix de fond et de tactique. C’est l’avenir qui dira si la décision finale de la direction socialiste annonce un changement de cap, voire un retour à la case François Hollande, ou si elle est simplement un geste pour ne pas apparaître comme des facteurs de blocage et d’aggravation de la crise politique. Le PS doit simplement savoir que si son choix d’un jour ne signe pas inéluctablement la mort du NFP, il aggrave un peu plus le doute populaire sur la solidité de l’alliance et sur sa capacité à contenir la menace persistante du Rassemblement national.

On peut donc regretter la décision socialiste et ne pas acter pour autant la fin de l’espoir qu’avaient suscités les alliances bienvenues de 2022 et de 2024. Nul ne doit oublier que la gauche ne peut espérer atteindre la majorité que si elle écarte les conceptions funestes des « deux gauches » irréconciliables et si elle se persuade qu’elle a l’obligation de cultiver en même temps sa diversité et son unité.

Le PS doit donc au plus vite montrer, par des actes significatifs, qu’il reste dans l’esprit d’un abandon des errements du social-libéralisme à la mode hollandaise. Quant aux autres forces de gauche, à commencer par la France insoumise, elles se doivent d’écarter tout espoir de tirer profit du dérapage socialiste. Au jeu du chat et de la souris, c’est la gauche tout entière qui risque d’en payer un peu plus le prix.

Au fond, ce que dit avant tout le nouvel épisode parlementaire, c’est que le faiseur et le tombeur de rois est toujours le Rassemblement national. La gauche est une force qui compte dans l’arène parlementaire. Elle n’en est pas moins très minoritaire parmi celles et ceux qui votent et elle n’a pas contredit pour l’instant le fait que les catégories populaires ont perdu pour l’essentiel la confiance en elle qui faisait sa force.

Convainquons-nous plutôt de ce que la reconquête ne passera ni par la radicalité de la posture, au risque de l’enfermement minoritaire, ni par la modération affectée, au risque de la compromission. Ou bien la gauche rassemblée fait la démonstration patiente qu’elle a un projet fidèle à ses valeurs et novateur dans son approche, une perspective indissociablement combative et rassurante, ou bien elle laisse à la pire des solutions la capacité à imprimer sa marque sur le cours des choses

   mise en ligne le 16 janvier 2025

Guerre à Gaza :
après 465 jours,
enfin un cessez-le-feu

Cédric Clérin sur www.humanite.fr

On n’osait plus y croire. Après 465 jours de martyre, les Gazaouis peuvent enfin entrevoir une lueur d’espoir. Un accord de cessez-le-feu comprenant un échange d’otages et de prisonniers a été trouvé entre Israël et le Hamas avec le concours des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte.

Il aura donc fallu attendre que son ami Donald Trump soit sur le point d’entrer en fonction pour que Benyamin Netanyahou finisse par accepter d’arrêter une guerre qui a depuis longtemps pour seule conséquence de ruiner la vie des Gazaouis et pour seul but de tenter d’anéantir la perspective d’un État palestinien viable.

La nouvelle est excellente, mais elle montre également en creux que de longs mois ont été perdus et que la pression américaine aurait pu depuis longtemps cesser l’ignominie de se commettre sous les yeux du monde. S’il s’agit d’être prudent – l’accord de cessez-le-feu ne signifie pas encore la certitude de la fin de la guerre –, on ne peut s’empêcher à la fois de mesurer l’ampleur du désastre et d’enfin regarder l’avenir.

Le bilan depuis le 7 octobre 2023 est absolument terrifiant. Une société israélienne meurtrie par les attaques terroristes du Hamas et replongée dans une peur dont le tragique de l’histoire a bien souvent accablé les juifs. Une population gazaouie décimée, où les morts sont estimés entre 40 000 et 70 000, soit près de 3 % de la population. L’équivalent de 2 millions de morts à l’échelle de la France. Le territoire est détruit, et les conditions de vie des survivants sont effroyables. Le retour d’une aide humanitaire massive est l’enjeu immédiat pour des centaines de milliers de personnes.

Cette tragédie a dépassé les frontières si disputées des territoires palestiniens. Du Liban à la Syrie en passant par l’Iran, les répliques du 7 octobre ont bouleversé la région. Elles ont également profondément ébranlé les capitales occidentales et mis au jour la lâcheté de nombre de dirigeants devant ce drame. Il faudra tirer les enseignements de ces quinze mois en enfer. Il faudra aussi très vite se projeter dans l’après pour permettre enfin aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre ensemble côte à côte. Pour l’heure, ce sont les cris de joie à Gaza qui vont remplacer le bruit des bombes. C’est une part d’humanité qui renaît.


 


 

Après la destruction, Palestiniens et Israéliens dépossédés de leur paix

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

La signature d’un cessez-le-feu ouvre de nouvelles questions politiques et géopolitiques. Et les puissances régionales et mondiales risquent de s’en saisir au détriment des principaux concernés.

Enfin les armes vont se taire à Gaza. L’accord de cessez-le-feu négocié et prêt depuis le mois de mai va enfin voir le jour : Benjamin Netanyahou qui le refusait y est aujourd’hui contraint. Que de temps perdu, de morts, de souffrances et de destructions auraient pu être évités.

Aujourd’hui, c’est le moment du soulagement, de la joie pour les familles des 33 otages israéliens kidnappés le 7 octobre 2023. Ils vont enfin être libérés, à raison de quatre par jour. Qui sont-ils ? On ne sait pas qui vit encore. Comment vont-ils ? Ils vont avoir besoin de l’amour des leurs pour revivre.

Ce sera la fête dans les familles palestiniennes qui vont revoir leurs proches, 1000 d’entre eux vont sortir des terribles geôles israéliennes où se pratiquent la torture et les pires sévices. On rêve que Marwane Barghouti soit des leurs. Sans trop y croire, tant il incarne un ultime espoir politique pour les Palestiniens.

Pour les Gazaouis ce sera le répit et les larmes devant le désastre de leur pays dévasté, systématiquement pour que la vie soit impossible. Ils vont compter leurs morts (64 000 officiellement), leurs blessés à jamais.

Ce cessez-le-feu est annoncé pour 42 jours. C’est déjà un déchirement : la guerre ne peut pas reprendre. C’est insensé : peut-on retuer les morts, détruire un pays en ruine ? Le cessez-le-feu doit devenir un accord de paix.

Dans les prochains jours, l’aide humanitaire est attendue dans la bande de Gaza où elle a été empêchée par l’armée et le pouvoir d’extrême droite israélien. La fluidité de l’accès aux humanitaires sera un des tout premiers enjeux.

Et déjà la suite, celle des prochains jours et celle du plus long terme, est dans toutes les têtes.

Il va falloir assurer l’effectivité de l’arrêt des combats. Il s’en est vu tant et tant des trêves et des cessez-le-feu qui ne sont pas respectés. Aujourd’hui encore les bombes tombent sur Gaza.

Le plus dur est à venir : inventer le futur des Palestiniens qui passe par l’avènement d’un État palestinien vivable et la vie commune des deux peuples, israélien et palestinien.

Les organisations palestiniennes cherchent à construire une unité politique : il y va de leur participation et de leur poids dans les plans qui vont s’échafauder sur leur devenir. La très faible Autorité palestinienne va composer avec le Hamas qui, bien sûr, n’a pas été éradiqué par les armes. Qui pouvait le croire ?

Pourtant, le gouvernement Israélien et les forces politiques palestiniennes ne vont pas négocier entre eux. Affaibli par les conflits et leur discrédit, Palestiniens et Israéliens sont relégués dans le vestibule des discussions qui vont s’ouvrir. La résonance du conflit dans les opinions publiques – notamment parmi les jeunes – en fait un enjeu politique mondial. Mais aussi d’équilibre régional.

Un nouveau Moyen-Orient va se négocier entre puissances.

L’arrivée dès ce lundi de l’administration Trump s’accompagnera de plans favorables à Israël et ses visées expansionnistes, ainsi qu’au business, évidemment.

Le devenir du Liban, convoité et en danger, est en jeu.

La récente chute du pouvoir Syrien et ses effets en chaine sur la région pèsera dans le redessin. Autour de la table prendront place les pays du golfe qui ont accru leur influence, notamment le Qatar. L’Arabie Saoudite ne laissera pas la solution s’élaborer sans elle. Il y aura aussi la présence ou l’ombre portée de l’Égypte, l’Iran, la Turquie. Tous se pousseront des coudes.

Le sujet principal des discussions ne sera pas l’établissement de la paix reposant sur les intérêts des Palestiniens et des Israéliens. Ils seront instrumentalisés pour d’autres considérations, celles de la stabilité, de la redéfinition des zones d’influence, de la recherche de belles affaires économiques.

Beau travail.

   mise en ligne le 15 janvier 2025

Handicap à l’école : les AESH en grève le 16 janvier face à « l’absence d’engagement politique »

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Dans cette longue période d’instabilité politique, les accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH) peinent à faire avancer leurs revendications pour sortir de la précarité, malgré les petites victoires de ces dernières années. Quatre syndicats appellent à une journée de grève des AESH et assistants d’éducation (AED) ce jeudi 16 janvier.

Ce jeudi, les syndicats FSU, CGT éduc’action, Sud éducation et SNALC mènent une journée de grève des AESH pour exiger « l’amélioration de leurs conditions d’emploi et bénéficier d’une meilleure reconnaissance professionnelle ». Deux jours après le discours de politique générale du Premier ministre François Bayrou, les syndicats déplorent dans un communiqué commun « la valse à la tête des ministères et l’absence d’engagement politique concret », qui ont ces derniers mois « mis un coup d’arrêt à tout espoir d’amélioration significative de la situation ».

Ces deux dernières années, les AESH et les AED ont obtenu une série de petites victoires parmi lesquelles une nouvelle grille indiciaire, l’accès à une indemnité de fonction, à la prime inflation et à une prime REP. Ou encore, la possibilité d’accéder à un CDI au bout de trois ans d’ancienneté. Pourtant, ces professionnelles – en majorité des femmes – demeurent souvent bloquées sous le seuil de pauvreté.

Dans leur communiqué, les syndicats tirent la sonnette d’alarme : les AESH sont de plus en plus nombreuses à quitter le métier. Dans certaines régions, le manque de professionnelles devient criant. Un exemple : dans le Puy-de-Dôme, ce sont pas moins de 360 élèves notifiés, c’est-à-dire ayant droit en théorie à un accompagnement, qui n’en disposent d’aucun. En outre, « de nombreux élèves accompagnés ne bénéficient en réalité que de quelques heures », précisent la branche départementale 63 des syndicats appelant à la grève.

La grève des AESH rappelle la faiblesse des mesures pour sortir de la précarité

Si la promesse du précédent gouvernement Borne était une augmentation salariale de 10 % pour les AESH à la rentrée 2023, le compte n’y est pas. Le principal levier utilisé a été celui des primes et des indemnités ; pas de la revalorisation salariale. « Le gouvernement a fait énormément de communication alors que sur la fiche de paie, ce n’est pas ça », commentait auprès de Rapports de Force Virginie Schmitt, AESH et membre de la CGT éduc’action. « Avec l’inflation galopante et le prix du gasoil, se loger, se nourrir, se chauffer ou se déplacer, ça devient de plus en plus compliqué pour les AESH ».

Face à cette question de la précarité, le ministère a proposé une disposition pour la prise en charge financière par l’État du temps de travail des AESH sur la pause du midi. Celle-ci a été inscrite dans le Code de l’éducation par la loi du 27 mai 2024. Jusqu’ici, ce temps de travail supplémentaire basé sur le volontariat était à la charge des collectivités. « Cela ne fonctionnait pas puisque les collectivités ne payaient pas pour ça », explique Manuel Guyader, AESH, de Sud Education.

Mais ce qui pourrait sembler une avancée constitue, selon lui, une fausse bonne idée. D’abord parce que « la prise en charge du temps méridien, c’est un métier : celui des animateurs et animatrices périscolaires. L’argument c’est de dire que les AESH peuvent tout faire, accompagner tous les aspects de la vie de l’enfant en situation de handicap… Mais cela relève d’une vision très validiste », estime-t-il. Surtout, le problème principal demeure : « le gouvernement refuse de reconnaître que nos 24h sont un temps plein », conclut-il.

À l’occasion de la grève du 16 janvier, les syndicats font valoir plusieurs solutions. La reconnaissance d’un temps complet sur la base des 24 heures, sans ajout du périscolaire, en fait partie. Mais aussi la création d’un corps de fonctionnaire de catégorie B dans la fonction publique d’état, pour reconnaître pleinement le métier d’AESH. Ou encore, des recrutements à la hauteur des besoins complétés par, comme le suggère Sud Éducation, « la création de brigades de remplacement pour assurer le remplacement des collègues absent·es ».


 


 

Les AESH sont en grève car « les grands perdants »  des dernières réformes  « sont les élèves handicapés » 

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) seront en grève ce jeudi 16 janvier. Virginie Cassand, leur représentante Snes-FSU dans l’académie de Paris, alerte sur l’effet délétère des récentes réformes pour les élèves et le personnel et insiste sur la nécessité de reconnaître leurs compétences.

Devenue accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) en 2009 dans le cadre d’un contrat aidé, Virginie Cassand a attendu trois ans pour être titularisée, mais sans que son contrat de droit public prenne en compte son ancienneté.

Aujourd’hui en poste dans un lycée professionnel parisien, la syndicaliste et ses collègues seront en grève, ce jeudi, pour exiger de meilleures conditions de travail, une reconnaissance professionnelle et dénoncer des réformes préjudiciables à l’avenir des élèves.

À quoi ressemble le quotidien d’une AESH ?

Virginie Cassand (AESH, représentante Snes-FSU) : Notre mission est d’aider l’élève en situation de handicap (mental, sensoriel ou physique) à accéder aux apprentissages scolaires, lui faciliter les gestes de la vie quotidienne (déplacements en fauteuil, port du plateau-repas, installation du matériel scolaire en classe, etc.) et favoriser sa socialisation, notamment pour les élèves introvertis ou ayant des troubles du spectre autistique. Il faut savoir s’adapter aux besoins de chaque élève et à son niveau.

Cette année, j’accompagne une jeune fille qui a besoin de reformulation des consignes, je repère avec elle les mots importants dans les textes, etc. Auparavant j’ai accompagné deux jeunes malvoyants dans la même classe, l’un maîtrisant parfaitement son ordinateur, l’autre pas du tout. C’est toujours délicat quand on doit partager son temps entre deux élèves et que l’un accapare toute notre attention, il faut jongler pour ne pas en défavoriser un !

Jusqu’en 2019 et la mise en place des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial), dans le cadre de la loi « pour une école de la confiance » voulue par Jean-Michel Blanquer, on accompagnait rarement plus de deux élèves la même année.

Qu’est-ce qui a changé depuis la création de ces Pial ?

Virginie Cassand : Cette réforme est une catastrophe. Elle vise avant tout à afficher un plus grand nombre d’enfants bénéficiant de l’accompagnement d’un ou une AESH. Aujourd’hui, des collègues se retrouvent avec 5 à 11 élèves à accompagner, une heure ou deux par semaine. Plus aucun suivi des apprentissages n’est possible.

Parallèlement, un élève handicapé peut avoir trois accompagnants différents dans la même semaine. Comment tisser un lien de confiance dans ces conditions ? Les grands perdants sont les élèves pour qui la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a notifié « aide mutualisée » : dans ce cas, contrairement à ceux notifiés « aide individualisée », aucun nombre d’heures d’accompagnement n’est précisé.

Ce sont donc les académies qui décident, et cela peut aboutir à ce qu’un élève handicapé bénéficie seulement d’une heure par semaine. L’accompagnement est de plus en plus dilué, ça devient ridicule.

Quelles sont vos craintes quant à l’évolution de vos missions ?

Virginie Cassand : Une nouvelle réforme qui se profile pour la rentrée 2025. On voudrait nous imposer le pôle d’appui à la scolarité (PAS), qui conduirait les AESH à accompagner non plus les élèves pour lesquels la MDPH a notifié ce besoin, mais « tous les élèves à besoins particuliers », à savoir les porteurs de handicap mais aussi les allophones, ceux qui souffrent de maladies justifiant un projet d’accueil individualisé, etc.

La MDPH ne serait plus sollicitée : ce serait une équipe éducative qui proposerait un accompagnement. Le risque, c’est que seuls les élèves « perturbateurs », à cause de troubles du comportement, soient repérés et accompagnés. Tous ceux qui rencontrent des difficultés mais ne dérangent pas seront oubliés. Par ailleurs, on n’a pas de nouvelles des recrutements prévus pour assurer ces missions supplémentaires.

Quelles sont vos revendications ?

Virginie Cassand : Au regard de l’intensité de notre travail, nous réclamons un temps complet à vingt-quatre heures par semaine. Les compétences très étendues que nous devons déployer justifient une reconnaissance en tant que fonctionnaire de catégorie B (au lieu de C actuellement). Nous demandons donc une revalorisation de notre grille indiciaire et qu’au lieu de nous endormir avec des primes, le point d’indice soit dégelé.

Il faudrait aussi que les AESH soient correctement formés aux différents types de handicap – ainsi d’ailleurs que l’ensemble des équipes éducatives. Aujourd’hui, on voit débarquer dans les classes de jeunes AESH de niveau bac, absolument pas préparés et qui se retrouvent en échec. Leur formation se fait sur le tas, ou via des tutoriels en ligne. Ce n’est acceptable ni pour eux, ni pour les élèves qu’ils accompagnent.

Hélas, vingt ans après la grande loi de 2005 sur le handicap, l’école inclusive n’est encore qu’un projet. Pourtant, la baisse démographique était l’occasion de réduire les effectifs dans les classes et de mieux repérer les élèves qui ont besoin d’accompagnement. Mais on préfère fermer des classes. Ce sont des économies de court terme, au détriment de l’avenir des élèves.

    mise en ligne le 15 janvier 2025

Retraites : les deux bobards de François Bayrou pour ne pas toucher à la réforme

Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/

La dette de l’État serait pour moitié due au financement des retraites ? Et la future négociation proposée aux syndicats et au patronat serait « sans tabou » ? Ce 14 janvier, lors de son discours de politique générale, le Premier ministre François Bayrou a aligné au moins deux mensonges. Leur but ? Permettre que la réforme soit modifiée le moins possible. Décryptage avec l’économiste Michaël Zemmour.

1 : La dette publique serait due au financement des retraites

« Sur les plus de 1000 milliards de dette supplémentaire accumulés par notre pays ces dix dernières années, les retraites représentent 50 % de ce total. » C’est avec un mensonge que François Bayrou a commencé son discours de politique générale ce 14 janvier. « Il a repris une histoire qui a circulé il y a longtemps, selon laquelle le déficit du budget de l’Etat serait dû aux retraites…Ce n’est basé sur rien », souffle Michaël Zemmour. 

Le calcul du Premier ministre semblait pourtant imparable. L’État finance chaque année 55 milliards d’euros de budget des retraites. Multiplié par 10, on atteint 550 Mds, soit un peu plus de la moitié des 1000 Mds de dettes. « Sauf que cela revient à considérer que chaque centime versé par l’État dans ce cadre est issu de l’emprunt, ça n’a aucun sens », poursuit l’économiste. Ce dernier rappelle que la France a choisi un mode de financement mixte pour son système de retraite. Avant tout un financement via cotisation sociales, complété par une somme versée par l’État.

« L’État paie les retraites des fonctionnaires, qui ne sont pas plus généreuses que celles du privé. D’autre part on a fait le choix de financer une partie du système des retraites par les ressources publiques parce qu’on ne voulait pas augmenter les cotisations. Dans ce cadre, considérer que la dette est due au financement des retraites n’a pas plus de sens que de considérer qu’elle serait, par exemple, due au budget du ministère des Armées. D’après le mode de calcul du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), on serait plutôt aux alentours de 60 Mds de dette sur dix ans dus au financement des retraites », continue l’économiste.

2 : Pour Bayrou, une renégociation des retraites « sans tabou »

Alors qu’une suspension de la reforme des retraites de 2023 était attendue par une partie de la gauche et semblait pouvoir le protéger d’une future censure, François Bayrou a finalement annoncé une simple phase de « renégociation rapide » de la réforme, sans aucune suspension. Pour mieux faire passer la pilule, le Premier Ministre a toutefois souhaité une négociation « sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l’âge de la retraite ». Seule ligne rouge : la nouvelle mouture de la réforme ne devra pas coûter plus cher que l’ancienne.

Les syndicats et le patronat sont ainsi invités à se réunir pour des négociations qui devraient durer 3 mois à partir de la date de remise d’un rapport de la Cour des comptes sur l’état actuel du système de retraites, demandé par le Premier ministre.

Mais la renégociation aura lieu dans un cadre particulièrement défavorable aux organisations de salariés. Tout d’abord parce que, « plus le temps passe, plus le nombre de personnes qui voient leur âge légal de départ et leur durée de cotisation décalés par la dernière réforme augmente », explique Michaël Zemmour. Mais surtout parce que « si aucun accord n’est trouvé, c’est la réforme actuelle qui s’appliquera », a assuré François Bayrou.

Or, qui peut croire que le patronat acceptera tranquillement de revenir sur une réforme qui lui convenait s’il n’y est pas contraint ? « On ne voit pas très bien ce qui empêche le MEDEF de venir à la table des négociations et de constater leur échec. C’est un scénario que l’on connait très bien car c’est celui que l’on observe lors des négociations sur l’assurance chômage (voir notre article)», estime Michaël Zemmour.

En effet, si les organisations syndicales veulent à la fois revenir sur les mesures d’âge et l’augmentation de la durée de cotisation sans creuser le déficit du régime, elles doivent aller chercher de nouvelles recettes. La CGT propose d’ailleurs de longue date des pistes pour récupérer jusqu’à 40 Mds d’euros pour les retraites. Le syndicat souhaite par exemple soumettre à cotisation l’intéressement et la participation, pour 2,2 Mds de recettes. Ou encore récupérer 24 Mds en soumettant les revenus financiers aux cotisations sociales. 

Il va sans dire que l’augmentation de ces cotisations représente une ligne rouge pour les organisations patronales, qui se battent au contraire pour leur diminution. La future négociation « sans tabou » semble déjà bien contrainte.


 


 

Un « conclave » pour les « partenaires sociaux » : sur la réforme des retraites, comment François Bayrou renvoie la patate chaude

Naïm Sakhi sur www.humanite.fr

Non content de renvoyer la patate chaude des retraites aux « partenaires sociaux », chargés de s’accorder sur une réforme d’ici à l’automne, François Bayrou s’est lancé dans une démonstration malhonnête sur le financement du régime.

Ni suspension ni abandon, mais un chèque en blanc pour le patronat. Sur le sujet brûlant des retraites, François Bayrou n’a pas saisi la main tendue par une partie de la gauche pour apaiser le pays. A contrario, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre s’est livré à un enfumage en règle.

D’abord sur le financement. « Notre système de retraite verse chaque année 380 milliards d’euros de pensions. Or, les employeurs et les salariés du privé et du public versent à peu près 325 milliards par an, en additionnant les cotisations salariales et patronales », assure le locataire de Matignon.

Et d’ajouter, au sujet des 55 milliards restants, qu’ils seraient déboursés « par le budget des collectivités publiques, au premier chef de celui de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards. Or nous n’en avons pas le premier sou. Chaque année le pays emprunte cette somme. »

« Une manipulation grossière des données »

La démonstration du premier ministre est malhonnête. En réalité, François Bayrou reprend à son compte la thèse du « déficit caché des retraites », brandie par Jean-Pascal Beaufret, haut fonctionnaire proche des milieux patronaux.

Ce dernier explique que les régimes de retraite des agents de l’État (fonctionnaires de l’État, agents des hôpitaux et des collectivités locales), présentés à l’équilibre, sont en réalité en déficit : c’est l’État employeur qui comble le trou, au moyen de surcotisations.

Mais ce qu’il présente comme une générosité indue de l’État n’est qu’une façon de compenser un déséquilibre démographique qu’il crée lui-même, comme le rappelle Régis Mezzasalma, de la CGT : « François Bayrou considère qu’il y a un déficit caché dans les retraites des fonctionnaires. Certes l’État compense avec son budget les reculs de cotisations des employeurs publics. Mais ces reculs sont dus aux non-recrutements de fonctionnaire et au gel des rémunérations », tance le conseiller confédéral sur les questions de retraite à la CGT.

De son côté, François Hommeril, président de la CFE-CGC, dénonce « une manipulation grossière des données. » « Le Premier ministre parle de l’équilibre du système sans différencier public et privé. Or les retraites des fonctionnaires ne sont pas un régime par répartition. Mais il entend faire contribuer collectivement l’ensemble des travailleurs, y compris du privé, pour compenser le non-équilibre du public par l’impôt », poursuit-il.

Une mission flash commandée à la Cour des comptes

Assurant que la réforme de 2023 était « vitale pour notre pays et notre modèle social », François Bayrou entend, en guise de diversion, « remettre en chantier la question des retraites. » D’abord, en commandant une mission flash à la Cour des comptes sur le financement de notre système de retraite.

Ensuite, en convoquant un « conclave » entre les syndicats et patronat, dès ce vendredi 18 janvier. Ces organisations devront parvenir en trois mois à un accord « d’équilibre et de meilleure justice », à compter de la remise du rapport de la Cour des comptes. Sans quoi la réforme de 2023 continuera de s’appliquer.

« En somme, on nous contraint à négocier avec un pistolet sur la tempe. C’est une impasse annoncée, résume Mezzasalma. Les précédentes négociations sur l’assurance-chômage et l’emploi des seniors montrent que le patronat n’est pas dans une démarche de mieux-disant pour les salariés. »


 


 

Michaël Zemmour : « Il n’y a pour l’instant aucune remise en cause de la réforme des retraites »

Dan Israel sur www.mediapart.fr

L’économiste, spécialiste du système des retraites, doute de la pertinence de la « remise en chantier » annoncée par François Bayrou. Pour l’heure, le patronat n’a aucun intérêt à trouver un accord avec les syndicats.

Les retraites avant tout. Le 14 janvier, le premier ministre François Bayrou a démarré sa déclaration de politique générale avec ses propositions pour le système de retraite français. Il a écarté toute « suspension » – alors que le Parti socialiste (PS) pensait avoir réussi à l’imposer – de la réforme de 2023, qui décale progressivement l’âge de départ légal à 64 ans et porte la durée de cotisation à quarante-trois ans.

C’est une simple « remise en chantier » qui a été proposée. Réunis une première fois le 17 janvier, les syndicats et le patronat devront s’appuyer sur le résultat d’une « mission flash » de la Cour des comptes portant sur l’état financier du régime. Ils auront trois mois pour rediscuter de la réforme, mais sans toucher à son cadrage financier. S’ils trouvent un accord, François Bayrou a promis que leurs propositions seraient reprises dans une loi. Mais s’ils échouent, la réforme de 2023 continuera à s’appliquer.

« C’est l’ingrédient pour des discussions qui ne mènent à rien : les gens pour qui la meilleure solution est de ne pas toucher à la réforme n’ont aucun intérêt à s’engager dans la négociation », souligne l’économiste Michaël Zemmour, l’un des meilleurs experts du système de retraite, très critique de la réforme de 2023 et de sa logique d’économie.

Il alerte également sur le fait que le premier ministre insiste sur une prétendue dette cachée du régime, qui est récusée par tous les spécialistes du sujet.

Mediapart : Dès le début de son discours, mardi, François Bayrou a insisté sur l’enjeu de la dette publique, assurant que le déficit du régime des retraites représentait la moitié des 100 milliards d’euros de dette accumulés en dix ans par la France. Il reprend là un calcul qu’il défend depuis décembre 2022, selon lequel le déficit du système serait de l’ordre de 40 à 45 milliards d’euros par an, alors que le système était bénéficiaire en 2022 et 2023, et déficitaire de seulement 6 milliards en 2024. Comment expliquer cette théorie ?

Michaël Zemmour : François Bayrou reprend à son compte une thèse assez fantaisiste qui est récusée par les économistes ou les spécialistes des retraites. Cette idée a fait l’objet de plusieurs démontages, notamment par le Conseil d’orientation des retraites (COR), par son ancien président Pierre-Louis Bras, mais aussi par l’actuel président Gilbert Cette [un économiste très proche d’Emmanuel Macron – ndlr], y compris dans le dernier rapport du COR.

Il s’agit d’une comptabilité alternative et fantaisiste. En France, le système de retraite repose sur un financement mixte : des cotisations [payées par les salarié·es et les employeurs – ndlr] et des contributions de l’État – pour plein de raisons différentes : il y a des fonctionnaires dont les retraites sont payées par l’État, des cotisations sociales à compenser dans certains cas, de la solidarité…

Le raisonnement de François Bayrou consiste à dire que tout ce qui est financé par l’État serait financé par de la dette. Une idée qui ne s’appuie sur… rien. Son discours est très inquiétant, parce qu’en inventant une dette cachée des retraites, il rejoue la dramatisation autour de l’idée que les caisses sont vides et qu’il faudrait trouver de nouvelles mesures d’économie.

Le système des retraites n’est donc toujours pas en danger ?

Michaël Zemmour : Le système de retraites est globalement financé. Dans sa comptabilité, le COR prévoit certes un déficit persistant, de l’ordre de 0,5 point du produit intérieur brut (PIB) [le COR prévoit 0,4 % de déficit à l’horizon 2030, soit une dizaine de milliards d’euros – ndlr], mais les dépenses sont stables, et tendanciellement un peu en baisse.

En revanche, alors que le nombre de retraité·es va augmenter, l’État a prévu de se désengager progressivement du financement, au nom du fait que le nombre de fonctionnaires diminue. Donc, le déficit qui est prévu à l’avenir ne vient pas d’une hausse des dépenses, mais d’une baisse des recettes, en raison de la baisse programmée de la partie financée par l’État.

Contrairement à ce qui était espéré par une partie de la gauche, François Bayrou n’a finalement proposé ni « abrogation » ni « suspension » de la réforme des retraites, mais une simple « remise en chantier ». Qu’est-ce que cela veut dire pour les personnes qui partent à la retraite dans les prochains mois ?

Michaël Zemmour : Dans l’immédiat, cela ne veut rien dire. Il n’y a pour l’instant aucune remise en cause de la réforme, qui se déroule comme prévu. À chaque fois qu’on avance dans le temps, on a de nouvelles générations touchées par la réforme, qui vont connaître des conditions de départ plus dures. Plus on attend pour prendre une décision, plus ces générations se voient appliquer la réforme.

Le fait que la réforme ne soit pas arrêtée et qu’elle continue à se dérouler joue sur la discussion, parce que plus la conclusion tarde, plus la réforme s’applique.

Si j’ai bien compris le discours de François Bayrou, il envisage une modification possible pour la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera appliquée en 2026. Donc, la génération née en 1963, qui aura 62 ans en 2025, se verra appliquer pleinement la réforme, sans aucune restriction. Elle sera concernée par un âge de départ de 62 ans et 9 mois, et par une durée de cotisation de quarante-deux ans et demi.

Les discussions entre les syndicats et le patronat devraient s’engager dans les prochains jours. François Bayrou a indiqué que tous les paramètres seraient mis sur la table, y compris l’âge de départ, mais que le cadrage financier ne pourrait pas bouger. Cette négociation vous semble-t-elle bien partie ?

Michaël Zemmour : Non. Tout cela laisse plus que perplexe, pour plusieurs raisons. D’abord, le fait que la réforme ne soit pas arrêtée et qu’elle continue à se dérouler joue sur la discussion, parce que plus la conclusion tarde, plus la réforme s’applique.

La deuxième chose, c’est que, comme l’a dit le premier ministre, si les discussions à venir entre les syndicats et les organisations patronales ne débouchent pas sur un accord, la réforme s’appliquera. Ça, c’est l’ingrédient pour des discussions qui ne mènent à rien : les gens pour qui la meilleure solution est de ne pas toucher à la réforme n’ont aucun intérêt à s’engager dans la négociation.

Cette configuration est exactement celle qu’on a vue lors de toutes les négociations récentes sur l’assurance-chômage : l’État enjoint aux partenaires sociaux de négocier, mais en leur donnant un cadre de négociations dont on sait à l’avance qu’il ne peut pas aboutir. On ne peut jamais prédire l’avenir, mais cela rend quand même tout à fait improbable qu’il y ait un réel processus qui s’engage.

Et le troisième élément à garder en tête, c’est le discours du premier ministre sur cette espèce de dette cachée des retraites, une grille de lecture qui n’est pas conforme au consensus sur les retraites. Là où les partenaires sociaux cherchent une alternative à la réforme, et donc des financements pour revenir dessus, il leur dit en gros qu’avant cela, il leur faudra trouver d’autres financements pour le système actuel.

Peut-on rappeler quels sont les paramètres sur lesquels on pourrait jouer, hormis l’âge légal de départ ou la durée de cotisation ?

Michaël Zemmour : Les autres leviers d’équilibre macroéconomique du système de retraite sont les recettes, prioritairement les cotisations, et le montant des pensions. En théorie, les partenaires sociaux pourraient aussi discuter d’autres sujets, comme le calcul des droits, l’égalité femmes-hommes ou la pénibilité. Ces sujets n’ont pas été traités correctement par les réformes précédentes. Mais la tension actuelle et le poids de la réforme de 2023 sont tels que cela paraît très improbable. Il semble que pour la majorité des syndicats, arrêter la réforme de 2023 est un préalable à ce que des discussions sereines aient lieu.

Et on peut imaginer que les organisations patronales, qui ont soutenu la réforme de 2023, ne seront pas très motivées pour discuter.

Michaël Zemmour : La raison pour laquelle il n’y a pas eu le début d’un accord entre partenaires sociaux sur cette réforme, c’est que le gouvernement avait dit qu’il voulait ajuster le système, mais sans y mettre un centime de recettes supplémentaire.

Or, les organisations syndicales, dans leur diversité, disaient être favorables à l’équilibre financier, mais sans qu’il se fasse uniquement sur la réduction des droits des retraité·es. Elles estiment que l’équilibre doit se faire, en partie ou dans sa totalité, grâce à des recettes supplémentaires.

Le Medef [l’organisation patronale majoritaire – ndlr], lui, n’est pas d’accord pour mettre des recettes supplémentaires dans le régime, et on ne voit pas très bien ce qui le pousserait à s’écarter de cette position. Lorsque le premier ministre dit : « Venez négocier, mais s’il n’y a pas d’accord, la réforme continue à s’appliquer », cela n’ouvre donc pas de cadre de discussion nouveau.

Et même si un accord finissait par être trouvé, encore faudrait-il que le Parlement le vote, comme l’a promis François Bayrou…

Michaël Zemmour : Un vote serait effectivement très incertain. Nous avons cet engagement verbal du premier ministre. Mais il renvoie à un horizon où on n’est pas sûr que le gouvernement en place sera toujours là, ni qu’il aura une majorité pour valider l’accord qui aurait été trouvé.

Enfin, il y a une forme d’ambiguïté sur le rôle qui est donné aux partenaires sociaux. Autant pour l’Unédic [qui gère les caisses de l’assurance-chômage – ndlr] ou l’Agirc-Arrco [qui pilote les retraites complémentaires – ndlr], ils ont un intérêt concret à conclure des accords, car ils gèrent ensemble directement ces caisses. Mais pour le système des retraites [de base – ndlr], on leur demande de discuter, alors qu’ils n’ont finalement aucun pouvoir ni aucune certitude sur ce qu’il se passera derrière.

 

   mise en ligne le 14 janvier 2025

 Le PS retourne-t-il
à ses vieilles lunes ?
Et faut-il s’en réjouir ?

Catherine Tricot sur www.regards.fr

Que vont décider les socialistes dans les prochains jours, les prochains mois ? Une nouvelle « clarification à gauche » avec l’éclatement du NFP, est-elle un passage obligé ?

A la veille de la déclaration de politique générale, le suspens est entier : que dira François Bayrou, notamment au sujet des retraites ? Abrogation ? Suspension pour 6 mois ? Suspension du recul de l’âge de départ ? Quel sera le point d’équilibre du budget de l’État ? Les concessions, s’il y en a, permettront-elles aux socialistes de ne pas censurer le gouvernement, eux qui veulent éviter une présidentielle anticipée ? 

A gauche, bruisse à nouveau l’accusation de trahison faite aux socialistes. Ceux qui reviennent de très loin (Anne Hidalgo a engrangé 1,75% des voix à la présidentielle de 2022), vont-ils repartir aussi loin que les avait menés le quinquennat de François Hollande ? Bon débarras ? Clarification ? Faut-il se réjouir de voir les socialistes revenir clairement à une politique dont la raison serait celle des marchés ? On n’en est pas là. Depuis 2022, le PS a fait le choix de s’allier aux autres forces de gauche et de se réinscrire dans cet espace. Mais une telle évolution droitière est une possibilité inscrite dans leur histoire. 

Si le PS revenait aux logiques sociales-libérales, celles qui font de la bonne santé du capital le moteur de la dynamique des sociétés, ce serait affligeant. Mais quand et où le PS a-t-il produit un travail pour penser autrement l’avenir ? Ne cherchez pas : il en va du droit d’inventaire du mandat Hollande comme de celui des mandats de Mitterrand : on attend toujours. 

Prenons du recul : cette éventualité d’un PS qui lâche la gauche est-elle réjouissante ? Quand les socialistes abandonnent la gauche, celle-ci peut, parfois, voir son flanc gauche se conforter. Mais aujourd’hui, elle recule globalement et se trouve encalminée dans une minorité politique particulièrement dangereuse. 

Demain ou après-demain, lors des prochaines élections présidentielles, il faut que la gauche soit solide sur ses valeurs et ses objectifs pour faire face à la menace de l’extrême droite. Le mieux serait que la gauche soit unie. Pour cela, il faudrait qu’elle s’en occupe sérieusement, c’est-à-dire pas seulement du casting et pas au dernier moment. 

Mais si elle ne devait pas être unie, si le PS part à la dérive comme on l’appréhende, sera-t-il possible de gagner une dynamique majoritaire pour s’opposer à Le Pen/Bardella ? Quand le PS dévisse, il ne dévisse pas seul. Une partie de ses soutiens se cramponne à gauche ; une partie l’accompagne ; la plupart abandonnent. Le PS paierait cher cette évolution. La candidature insoumise élargirait peut-être son espace mais, en tout état de cause, la possibilité de victoire serait lourdement affectée.

Voir le PS tout lâcher pour préserver la stabilité et éviter une présidentielle anticipée n’est pas souhaitable. Le PS doit revenir à la raison et se convaincre définitivement que l’espace social-libéral est tout petit et déjà pris et que l’extrême droite engrange sur le désespoir social et sur la faiblesse d’une gauche de changement. 

Le choix des communistes et des écologistes comptera. Leurs attitudes et leurs positions détermineront le centre de gravité : tout pour la stabilité ou tout pour dégager une autre voie ?

Ceci dit, l’entêtement de la droite, des macronistes et du Président pourrait bien conduire les socialistes à abandonner leurs chimères. Le pire n’est jamais certain et la gauche peut se ressouder.

 

   mise en ligne le 14 janvier 2025

« S’il n’y en a plus,
les gens partiront » :
dans le nord de Gaza, l’enjeu crucial du
dernier hôpital

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Le récent raid israélien contre l’hôpital Kamal-Adwan, dans le nord du territoire palestinien, et l’arrestation de son directeur ont rappelé à quel point les structures de santé sont en danger, et combien sont visés les soignants. Mediapart s’est entretenu avec deux d’entre eux.

L’image appartient désormais aux représentations iconiques et elle restera le symbole de la destruction des infrastructures de santé par l’armée israélienne dans la bande de Gaza et du courage des soignant·es de l’enclave palestinienne, dédié·es à leur tâche jusqu’au bout : un homme vu de dos, vêtu d’une blouse blanche qui lui bat les flancs, se dirige vers un char israélien tapi au milieu des ruines. Tout est détruit et immobile, tout est marron et gris, ferraille et morceaux de béton, sauf la blouse blanche en mouvement.

Cette image est la dernière du docteur Hossam Abou Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, avant son arrestation par l’armée israélienne, puis sa disparition, le 27 décembre 2024. L’établissement a été brûlé par les soldats, le personnel et les patient·es arrêté·es après des semaines d’attaques incessantes, alors que le nord de la bande de Gaza est soumis à un siège draconien depuis début octobre 2024 et que les populations sont poussées à quitter la zone.

Après avoir nié détenir le médecin, les autorités de Tel-Aviv ont reconnu le maintenir incommunicado. Le 9 janvier, un tribunal militaire d’Ashkelon a annoncé prolonger son emprisonnement sans inculpation jusqu’au 13 février. La veille, l’organisation de défense des droits humains Al-Mezan, qui représente la famille du médecin, a indiqué qu’interdiction était faite à son avocat de lui rendre visite jusqu’au 22 janvier.

Son sort est donc inconnu, mais des témoignages inquiétants, de la part de Palestiniens libérés ces derniers jours du centre de détention de Sde Teiman, font état de la présence du docteur Hossam Abou Safiya en ce lieu, connu pour ses pratiques systématiques de la torture, et de mauvais traitements qu’il aurait subis dès son arrestation.

Lundi 13 janvier, sa famille a été informée qu’il avait été transféré à la prison d’Ofer, connue elle aussi pour les tortures qui y sont infligées aux détenus palestiniens.

Une campagne internationale de soutien exigeant la libération immédiate de Hossam Abou Safiya a été lancée, reprise aux quatre coins du monde, notamment dans le monde médical. Le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiyeh fait florès sur les réseaux sociaux. Aux États-Unis, un groupement de soignant·es intitulé Doctors Against Genocide a lancé une pétition, alors que la plus grande association de pédiatres du pays a interpellé le secrétaire d’État Antony Blinken. En France, un collectif de soignant·es du CHU de Toulouse relaie les appels pour sa libération. Ce ne sont là que quelques exemples, le mouvement est devenu viral.

L’effondrement du système de santé

Le pédiatre, particulièrement depuis le début du siège du nord de la bande de Gaza, incarne à la fois la résistance aux attaques israéliennes contre les infrastructures médicales, la mauvaise conscience d’une communauté internationale incapable de protéger soignant·es et patient·es, et pour beaucoup un héros. Plusieurs fois par semaine, il diffusait des vidéos pour alerter sur la catastrophe et communiquait avec les journalistes étrangers. Il témoignait ainsi dans Mediapart de l’horreur en cours.

Il a aussi payé cher, à titre personnel : un de ses fils a été tué en octobre 2024 par une attaque de drone dans l’enceinte de l’hôpital Kamal-Adwan. Et lui-même a été blessé un mois plus tard.

L’armée israélienne a justifié les assauts puis la destruction de l’hôpital par son argument habituel : comme les autres établissements hospitaliers attaqués, Kamal-Adwan était en fait un centre de commandement du Hamas. D’ailleurs, a-t-elle annoncé, elle a arrêté pas moins de 240 membres du mouvement islamiste en « vidant » l’hôpital.

Le docteur Hossam Abou Safiya serait un « agent terroriste » d’un « rang élevé ».

« Je le connais bien, il n’a rien à voir avec le Hamas, assure Mkhaimar Abou Saada, professeur de science politique, aujourd’hui réfugié aux États-Unis. Mais il s’exprimait, alertait, prenait le monde à témoin. Il gênait les Israéliens. »

Plus diplomatiquement, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 3 janvier, le haut-commissaire aux droits humains, Volker Türk, a répondu aux allégations israéliennes.

« Dans la plupart des cas, Israël affirme que les hôpitaux sont utilisés de manière abusive à des fins militaires par des groupes armés palestiniens. Je viens d’ailleurs de recevoir une lettre de l’ambassadeur d’Israël affirmant que l’hôpital Kamal-Adwan a été militarisé par le Hamas et que les forces israéliennes ont pris des mesures extraordinaires pour protéger la vie des civils en s’appuyant sur des renseignements crédibles, explique le diplomate. Cependant, Israël n’a pas fourni d’informations suffisantes pour étayer bon nombre de ces affirmations, qui sont souvent vagues et générales. Dans certains cas, elles semblent contredire les informations publiquement disponibles. »

Un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) publié le 31 décembre pointe les attaques contre les hôpitaux entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024 et l’effondrement presque total du système de santé de l’enclave palestinienne qui en résulte.

Pour les Israéliens, que vous soyez un soignant ne change rien. Nous sommes visés comme tout le reste de la population.          Dr Mohamed Abou Moughaisib (MSF)

« Nous ne comptons plus les patients qui décèdent de maladies ordinaires, car ces décès-là ne sont simplement pas enregistrés, affirme le docteur Mohamed Abou Moughaisib, coordinateur médical de Médecins sans frontières (MSF) dans le sud et le centre de la bande de Gaza. Mais des nouveau-nés meurent d’hypothermie ! Parce qu’il n’y a pas de vêtements chauds, pas de couvertures, les gens ont fui sans rien prendre, en pensant qu’ils quittaient leurs maisons pour quelques jours. »

L’armée israélienne a mené plus de 136 raids aériens sur 27 hôpitaux pendant la période étudiée par le rapport du HCDH. Autrement dit, l’aviation de l’État hébreu a massivement bombardé des infrastructures de santé protégées par le droit international humanitaire. Sur les 38 hôpitaux, 22 ne sont plus en état de fonctionner, plus de 1 150 soignant·es ont été tué·es lors des raids israéliens, des centaines arrêté·es.

« Hossam Abou Safiya n’est pas le premier soignant à être arrêté par les Israéliens, mais il représente quelque chose de particulier : c’est un pédiatre renommé, un professionnel très respecté. Avant la guerre, tout le monde voulait que son enfant soit soigné par le docteur Abou Safiya, explique le docteur Mohamed Abou Moughaisib. Et il aurait pu quitter Gaza, car il a un passeport russe, mais il a refusé. Il est resté pour diriger Kamal-Adwan et apporter des soins à la population. »

Tout·e soignant·e, à Gaza, a en tête le sort du directeur du service orthopédique de l’hôpital Al-Shifa, Adnan al-Bourch, mort sous la torture à Sde Teiman en avril 2024.

« C’est la quatrième fois »

« Pour les Israéliens, que vous soyez un soignant ne change rien, affirme Mohamed Abou Moughaisib. Nous sommes visés comme tout le reste de la population, et traités de la même façon quand nous sommes arrêtés. Les témoignages que nous avons recueillis de collègues détenus puis relâchés vont tous dans ce sens-là : en prison, tout le monde est torturé. Tout le monde. Sans exception. »

« Il semble que ces tortures visent à obtenir des informations sur les otages, car les Israéliens pensent que certains ont été soignés dans certains hôpitaux, explique Mkhaimar Abou Saada. Mais ça ne justifie en rien ces traitements dégradants, ni la destruction des infrastructures médicales. »

Adnan al-Bourch, chirurgien réputé, officiait à l’hôpital Al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza, quand il a été arrêté, car Al-Shifa avait été largement détruit par les raids israéliens.

Le docteur Mohamed Selha dirige aujourd’hui cet établissement, le dernier à pouvoir assurer des soins dans le nord de la bande de Gaza, complètement coupé du reste du territoire palestinien, après la destruction de Kamal-Adwan et la mise hors service de l’hôpital indonésien. Mediapart s’est longuement entretenu avec lui par téléphone le 8 janvier.

Ce jour-là, une fois de plus, les chars et les snipers israéliens se sont positionnés autour de l’établissement, interdisant toute sortie et toute entrée. Un siège toujours en cours. « C’est la quatrième fois, racontait le médecin. La première fois, en novembre 2023, les Israéliens ont détruit deux départements de patients, tués trois de nos médecins, et blessé trois autres. En décembre 2023, un sniper a tiré sur un infirmier et deux aides-soignants, les trois sont morts. En octobre 2024, notre chirurgien orthopédiste Mohamed Abed a été arrêté alors qu’il opérait à Kamal-Adwan, à quelques centaines de mètres. Nous ne savons rien de lui. »

L’objectif des Israéliens est de vider le nord de la bande de Gaza de ses habitants.           Mohamed Selha, directeur de l’hôpital Al-Awda

L’établissement comptait 100 lits avant la guerre. Sa capacité a été réduite à 50. « Récemment, nous avons réussi à en ouvrir huit de plus », nous a déclaré avec fierté le docteur Mohamed Selha. Pour le reste, c’est le grand dénuement : « Nous avons 11 médecins, mais un seul chirurgien général, et un seul gynécologue, et 29 infirmiers. Sur nos 58 patients, 56 présentent des blessures qui nécessiteraient des actes orthopédiques, des explorations abdominales, des opérations chirurgicales. Les deux autres sont des femmes qui viennent d’accoucher. »

Depuis le début du siège, tous les patients et patientes ont été déplacé·es dans les couloirs et des pièces sans fenêtre. « Sinon, c’est trop dangereux, il y a des snipers », reprend Mohamed Selha, qui ajoute que l’hôpital n’a plus de vitres ni de portes, « ce qui pose un problème en plein hiver, il fait très froid et il pleut ».

Depuis la destruction de l’hôpital Kamal-Adwan, les conditions sont encore plus difficiles : « Nous n’avons pas d’unité d’oxygène, et c’est Kamal-Adwan qui nous fournissait ce service. Du coup, on est obligé de pomper manuellement l’oxygène, explique Mohamed Selha. On référait aussi les cas nécessitant des soins intensifs, car nous ne sommes pas équipés. Et les prématurés. Nous n’avons pas d’incubateurs. »

Le directeur fait tourner un générateur de midi à 15 heures, pour stériliser le matériel, effectuer des opérations indispensables, faire fonctionner la pompe du puits. Avant le siège, les habitant·es encore présent·es autour de l’hôpital venaient recharger leurs téléphones portables et chercher de l’eau. « J’aurais besoin de 700 litres de carburant par jour pour le générateur, assure Mohamed Selha. Ces 700 litres doivent durer au moins dix jours. »

Tout est restreint. Patient·es, accompagnateurs et personnel reçoivent un repas par jour. « Il y a quelques jours, le CICR a réussi à nous apporter des boîtes de conserve de thon et de bœuf, se réjouit le médecin. C’est formidable, ça faisait deux mois que nous n’en avions pas eu et que nous mangions des haricots et du pain. »

Dans ce terrible huis clos, Mohamed Selha doit encore gérer les tensions dues à la peur, à l’épuisement, à la promiscuité de soixante-trois soignant·es, femmes et hommes, qui travaillent, dorment, mangent ensemble depuis des mois sans quitter l’hôpital, loin de leurs familles.

« J’organise beaucoup d’activités communes, on chante, on danse, on partage nos sentiments, raconte-t-il. J’ai une formation en soutien psychologique et en gestion du stress, et je mets toutes ces techniques en œuvre. Ça nous permet de continuer à travailler. »

Travailler fait tenir. Soigner permet de rester debout. « Nous sommes logés à la même enseigne que tout le monde, nous subissons les bombardements des bateaux, des avions, les tirs des quadricoptères vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, explique Mohamed Abou Moughaisib. L’autre jour, j’en ai vu un tirer sur un enfant aveugle qui marchait dans la rue ! Alors pour beaucoup d’entre nous, faire notre travail de soignants nous distrait de tout ça. »

« Nous serons peut-être les prochains à être tous arrêtés, et Al-Awda détruit, reconnaissait au téléphone le docteur Mohamed Selha. Car l’objectif des Israéliens est de vider le nord de la bande de Gaza de ses habitants. Et les gens nous le disent : s’il n’y a plus d’hôpitaux, ils partiront. »

   mise en ligne le 13 janvier 2025

Incendies en Californie :
les stars d’abord

Pauline Bock  sur www.politis.fr

Certains médias ont préféré s’émouvoir du sort des villas des vedettes plutôt que parler des personnes plus vulnérables ou d’écologie. Première chronique en partenariat avec le site Arrêt sur images.

Des incendies d’une ampleur gigantesque dévastent la région de Los Angeles aux États-Unis. Vingt-quatre morts, 130 000 personnes évacuées, plus de 9 000 bâtiments et maisons détruits par des feux dévorants, portés par des vents extrêmement puissants, et un foyer d’incendie plus important que la superficie totale de Paris : c’est la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la ville.

De nombreux habitant·es de Los Angeles ont tout perdu. On peut lire, dans Le Monde, le témoignage de voisins qui ont vu tout leur quartier brûler ; d’un couple à la retraite qui a fui avec sa chèvre pour seule possession. Des Français expatriés dans la Cité des anges témoignent également, par exemple sur BFMTV : eux aussi ont vu leur maison partir en flammes.

Les stars font partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles.

Mais ce n’est pas sur ces gens que se focalise une partie de la couverture médiatique française de la catastrophe. C’est, bien sûr, sur les paillettes de Hollywood et les répercussions de l’incendie sur les stars françaises. « Patrick Bruel annonce que sa maison est ‘partie en fumée’ » (BFMTV) ; « ‘Je suis dévastée’ : la villa de Laeticia Hallyday détruite par les flammes à Los Angeles » (Le Parisien) ; « Le ‘cœur brisé’, Paris Hilton a vu en direct ‘sa maison brûler à la télévision’ » (TF1) ; « ‘On a tout perdu’ : Laeticia Hallyday pleure la destruction de sa maison dans l’incendie de Los Angeles » (BFMTV, encore) ; « Tom Hanks, Anthony Hopkins, Ben Affleck… ces stars d’Hollywood évacuées ou dont la maison a brûlé à cause des incendies » (Le Parisien, encore).

Trompeur

Alors, oui : si même les stars de Hollywood sont touchées par la catastrophe climatique – car ces incendies hors normes sont avant tout causés par la crise climatique : c’est la sécheresse extrême qui les a déclenchés –, peut-être qu’elles vont enfin mettre leur influence mondiale au service de la lutte contre le réchauffement. Ou peut-être pas : elles font, après tout, partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles et la production excessive de CO2.

Mais, dans tous les cas, les mettre ainsi en avant comme les grandes victimes de cette catastrophe est trompeur : Laeticia Hallyday n’a pas vraiment « tout perdu ». Patrick Bruel a vu brûler son « autre refuge », ce qui signifie que ça n’est pas son « refuge » principal. Paris Hilton n’est pas la seule à avoir « le cœur brisé », mais tout l’espace médiatique qu’elle occupe ne sera pas dédié aux milliers d’inconnu·es qui n’ont pas la chance d’être né·es héritier·ères et pour qui la perte est bien plus colossale.

Plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday (…) qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es.

D’autant plus qu’il y a quelques mois, des compagnies d’assurances ont modifié les contrats de milliers d’habitant·es de la région de Los Angeles – dont beaucoup de gens à Pacific Palisades, le quartier qui a presque entièrement été détruit par les flammes – pour des questions de risques… d’incendie. Ces gens ont tout perdu et ne toucheront même pas les assurances pour lesquelles ils ont cotisé pendant des années. Et n’ont pas la fortune des stars pour reconstruire leur vie ailleurs.

Double traitement

Cette avalanche de témoignages d’habitant·es désespéré·es d’avoir perdu leur toit, on ne l’a pas autant observée dans les médias quand Mayotte se relevait tant bien que mal du cyclone Chido. La catastrophe était pourtant aussi destructrice, et la population dans une situation bien plus précaire. Mais on ne voit pas Mayotte sur nos écrans de cinéma : plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday, ou de « Français expatriés » qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es, apparemment.

C’est le fameux « double traitement médiatique » occidental, celui qui s’illustrait au début de la guerre en Ukraine en 2022 dans les propos d’un journaliste de BFM : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime […]. On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie. » Saupoudrez ces « Européens qui sont comme nous » de quelques paillettes hollywoodiennes, et vous obtenez la couverture française des incendies de Los Angeles.


 


 

Incendies à Los Angeles :
cris de terreur, goût de cendre et parfum de lutte des classes

Antoine Portoles sur www.humanite.fr

Tandis que les mégafeux continuaient de ravager le nord et l’ouest de la Cité des anges ce dimanche, la surmédiatisation des pertes matérielles subies par les stars hollywoodiennes fait l’objet de vives critiques. Elle occulte le drame qui se joue pour les plus modestes.

Les habitants de Los Angeles les ont baptisés « Palisades Fire » ou « Eaton Fire », du nom des quartiers partis en fumée : les mégafeux qui se sont déclenchés mardi en Californie continuent de semer la terreur. Selon un dernier bilan des autorités locales, au moins 24 personnes ont perdu la vie dans les incendies. Après une courte accalmie, plusieurs foyers de feu risquent à tout moment de reprendre leur course infernale.

D’Anthony Hopkins à Paris Hilton en passant par Mel Gibson, ou encore Laetitia Hallyday et Patrick Bruel côté français, depuis cinq jours, les médias ont les yeux rivés sur les stars qui ont perdu leur villa dans la Cité des anges. « Dans des quartiers pauvres aussi, tout a brûlé. Il y a presque une forme d’indécence car les millionnaires qui ont quitté leur maison en ont rejoint une autre ; dans les quartiers populaires, les gens ont tout perdu, ils n’ont pas de maison de substitution », a rappelé la climatologue Françoise Vimeux dans l’émission C dans l’air, sur France 5.

Tous exposés, pas tous égaux

Si Pacific Palisades est un quartier du Nord-Ouest qualifié de huppé en raison des nombreuses propriétés de stars qui s’y trouvent, des populations moins aisées y vivent également. Elles n’ont pas eu droit à la même considération. Plus au nord, la localité – frappée de plein fouet – d’Altadena est peuplée par une forte communauté afro-américaine.

Ce quartier populaire a longtemps servi de refuge pour les familles noires qui fuyaient le racisme systémique en Californie. « Contrairement aux pertes matérielles des célébrités à Malibu, la dévastation à Altadena illustre en quoi les incendies aggravent les inégalités », a souligné la Black Entertainment Television (BET).

« L’approche ”people” du désastre invisibilise les plus vulnérables, s’y limiter est indécent. Personnellement, elle me blesse », s’est indigné le climatologue et coauteur du Giec Christophe Cassou sur X. Le scientifique a vécu à Altadena durant son prédoctorat. « Les incendies montrent cependant que l’extrême richesse ne permet pas de se protéger des feux et de leurs impacts rendus plus sévères dus au changement climatique. Face à l’inimaginable, serions-nous finalement tous exposés, égaux ? » questionne-t-il.

Tous exposés, assurément. Mais pas tous égaux. Sur X, un résident a mis le feu aux poudres en sollicitant le contact d’une société de pompiers privée pour protéger sa résidence à Pacific Palisades : « Je paierai n’importe quel montant », a-t-il conclu, avant de supprimer son message. De quoi raviver les critiques à Los Angeles contre ces services privés de lutte contre les incendies à louer. On peut se demander si ces « soldats du feu VIP » se circonscriraient ou non à la seule villa de leur client, abandonnant les plus modestes aux affres de la désolation.

« Jusqu’à maintenant, le patrimoine des riches et leur statut social ont fait que très souvent, ils n’ont pas eu à craindre les conséquences du réchauffement climatique (…). Est-ce que ce qu’il s’est passé va les pousser à être plus militants ? » s’est interrogé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, ce dimanche, au micro de RTL. Une prise de conscience nécessaire à l’heure où leur mode de vie, fortement émetteur en CO2, est, nous le répètent les scientifiques, une des causes de la crise climatique.

  mise en ligne le 13 janvier 2025

« On mentait éhontément » : comment le Groupe Bernard Hayot s’est enrichi en creusant la pauvreté
en outre-mer

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Plus importante multinationale en Outre-mer, le Groupe Bernard Hayot (GBH) profite de sa mainmise sur les secteurs de la grande distribution ou du secteur automobile pour imposer des marges exorbitantes à ses clients. Dans une enquête publiée ce jeudi 9 janvier, Libération dévoile les pratiques frauduleuses du groupe, entre omerta imposée à ses employés et mensonges à ses partenaires commerciaux comme à l’État français.

Le Groupe Bernard Hayot (GBH) est hégémonique en Outre-mer. L’entreprise réalise près de 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce à son contrôle de la grande distribution, de l’agriculture, du secteur automobile ou de l’industrie, tant dans les Antilles, qu’en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, à la Réunion ou à Mayotte.

Des territoires qui ont en commun de subir des situations sociales et économiques fragiles, alors que le niveau de vie des habitants ne suit pas la voracité du groupe industriel tentaculaire – qui a aussi investi l’Amérique du Sud ou la Chine. Les produits alimentaires sont, par exemple, en moyenne 42 % plus chers en Martinique qu’en France métropolitaine, selon les estimations de l’Insee.

« La consigne est de ne divulguer aucun chiffre »

Régulièrement pointée du doigt pour les marges exorbitantes qu’il applique sur ses produits, GBH entretient un mystère absolu sur sa stratégie commerciale et, surtout, sur ce que lui rapporte sa marchandise. « En Outre-mer, très peu d’entreprises déposent leurs comptes », a tenté de justifier le directeur général du groupe, Stéphane Hayot, devant la Commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales, en mai 2023.

Mais alors que quatre citoyens ont saisi le tribunal de commerce de Fort-de-France (Martinique) pour dénoncer ses pratiques, en décembre dernier, et que des révoltes ont eu lieu pour protester contre le coût de la vie, les langues commencent à se délier au sein du groupe. Le journal Libération a ainsi pu consulter plusieurs dizaines de documents internes – « comptes d’exploitation, prix d’achat, marges, taux de rentabilité… » -, divulgués par un cadre de GBH, « plus en adéquation avec les valeurs » de son employeur.

Premier élément à retenir de son témoignage : la direction du groupe maintient bien l’omerta au sein même de sa structure afin d’éviter la moindre fuite. « La consigne est de ne divulguer aucun chiffre à personne, pas même à nos équipes », alerte le témoin s’étant entretenu avec Libération. Une manne d’informations auquel ce dernier a eu accès grâce à son positionnement dans l’entreprise : il fait partie des 170 hauts cadres de GBH, là où la multinationale compte plus de 16 000 employés à travers le monde.

Libération donne l’exemple du secteur automobile. « Sur chaque vente de véhicule de marque Dacia, Renault ou Hyundai, les concessions de GBH réalisent une marge nette comprise entre 18 % et 28 %, soit trois à quatre fois celles pratiquées en métropole, résume le quotidien. En clair, pour un modèle vendu aux alentours de 20 000 euros, une concession peut gagner plus de 5 000 euros net, même après les éventuelles promotions et efforts commerciaux. »

L’impunité et la mainmise de GBH sur le marché sont telle que le groupe peut se permettre de dissimuler le prix des véhicules neufs mis en vente sur son site, sans que cela interpelle de futurs clients. Il en va de même pour leurs partenaires, eux aussi victime de la culture du secret en vigueur dans l’entreprise : « On mentait éhontément aux constructeurs », raconte le cadre de GBH. De fait, les tarifs affichés dans les concessions étaient modifiés en amont des visites commerciales, afin de cacher la marge que réalise le groupe aux constructeurs.

37 % de parts de marché dans le secteur de la grande distribution

Puis, lorsque vient le moment de justifier de telles marges – jusqu’à plus de 45 % plus chères qu’en métropole – pour une voiture, GBH utilise l’excuse du transport de sa marchandise jusqu’aux points de vente. Or, l’octroi de mer et la TVA qui concernent GBH représentent entre 15 % et 20 % du prix de vente final… soit quasiment le même taux de TVA que celui pratiqué en métropole. « En clair, contrairement aux affirmations de la multinationale, les frais d’approche ne permettent pas d’expliquer pourquoi les voitures vendues par ses concessions ultramarines » sont si chères, résume Libération.

Des révélations qui, si elles se concentrent sur le secteur automobile, mettent aussi en lumière l’hégémonie de GBH sur de nombreux secteurs. Par exemple l’alimentaire : environ 37 % des parts de marché dans le secteur de la grande distribution à la Réunion et 45 % des dépenses de consommation courante des ménages réunionnais sont prises en charge par le groupe, qui s’est développé grâce au colonialisme et l’esclavagisme.

Pour rappel, descendant d’une famille de colons arrivés à la Martinique en 1680, héritier d’une fortune opulente bâtie sur l’exploitation de « l’or blanc » – le sucre – par l’esclavage, le béké Bernard Hayot a fait du groupe qu’il a fondé en 1960 une multinationale florissante sur le dos de ses clients. En attendant, pendant que les habitants des Antilles, de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, de la Réunion et de Mayotte peinent à subvenir à leurs besoins, GBH profite de marges qui peuvent atteindre jusqu’à 25 % de son chiffre d’affaires annuel.

   mise en ligne le 12 janvier 2025

Retraite :
réformer la réforme

Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr

Le ballet semble bien orchestré. Alors que la pression s’accentue pour une « remise à plat de la réforme des retraites » patronat, macronistes et leaders de la droite se coalisent pour empêcher toute remise en cause substantielle du texte. Acte premier, le nouveau Président du Conseil d’orientation des retraites -imposé il y a quelques mois- alerte sur « la dégradation de l’équilibre de nos finances sociales ». Patrick Martin le Président du Medef se saisit de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre pour appeler sur le perron de Matignon à « dépasser la concertation à venir sur l’aménagement de la dernière réforme des retraites pour remettre à plat le financement de la protection sociale dans son ensemble ». Est-ce à dire que le patronat est prêt à monnayer quelques concessions plus ou moins claires contre une mise en cause globale du système Entendez introduire la capitalisation et élargir le recours à la TVA, baptisée pour l’occasion « TVA Sociale » Il ne reste plus qu’à un ministre anonyme de susurrer que « le déficit est beaucoup plus important qu’annoncé » puis à quelques « experts » à prendre la plume pour vanter le régime de retraite par points.

Tous espèrent ainsi noyer le poisson. La priorité n’est-elle pas de revenir sur la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation ! Les salariés s’interrogent : où sont les marges de manœuvre ? Que veut dire rechercher un « compromis plus large » alors qu’il n’est pas question de sortir de l’approche comptable ? On s’y enfonce même un peu plus, ce que souhaite le gouvernement, en y impliquant les organisations syndicales.

« Priorité aux petites pensions » est une fausse fenêtre, bien vague, car il s’agit surtout exclure toute « hausse du coût du travail ». Ce qui veut bien dire que pour trouver 20 milliards d’euros les propositions, hormis quelques finasseries, devront nécessairement tourner autour de « nouveaux sacrifices »

Et si l’on discutait des vraies solutions ?

L’augmentation du nombre de retraités est bien sûr un défi. Mais qui peut réellement soutenir que les problèmes démographiques se sont brutalement aggravés dans la dernière période ? La réalité est plus simple, les marchés financiers sont là, estimant « illégitime » l’existence d’un système public de retraite par répartition, un système qui les prive d’un champ d’activités lucratives. Discuter du déficit dans le financement des retraites ou de la protection sociale en général n’a aucun sens, c’est un véritable débat sur une réforme des conditions générales de financement de l’État social qui est nécessaire.

Première mesure à envisager, remettre à plat le régime d’exonérations patronales si coûteux pour les comptes publics et si inefficace. Il y va de plus de 70 à 90 milliards d’euros. En second lieu des ressources additionnelles sont concevables en instaurant une contribution venant des revenus de la propriété et des revenus financiers des entreprises. Le surcroît de recettes pourrait atteindre 30 milliards d’euros.

Mais l’essentiel de la réponse dépend de l’emploi et d’une politique du travail ambitieuse. Le Conseil d’orientation des retraites avait produit il y a 10 ans un diagnostic sérieux montrant que la récession était à l’origine de la perte de beaucoup de cotisations, 20 milliards d’€ recettes annuelles pour le seul système de retraite, autant pour l’assurance maladie selon nous, soit beaucoup plus que le besoin de financement affiché pour l’ensemble des régimes sociaux.

L’assiette des cotisations c’est en effet la masse des femmes et des hommes qui travaillent. Une modulation des cotisations patronales en fonction des emplois créés ou supprimés par les entreprises pourrait contribuer à doper cette assise emploi/salaire.et à mieux répartir l’effort entre branches. L’évidence est là. Quand 6 à 7 millions de personnes sont, en France, écartées d’un véritable travail, il devient difficile d’assurer la pérennité des régimes de protection sociale.

    mise en ligne le 12 janvier 2025

En rétention, une fin d’année 2024 tragique : décès et actes de désespoir
se multiplient

communiqué sur https://www.lacimade.org/

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits. Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille […]

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits.

Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille et Paris-Vincennes, deux hommes se sont suicidés. A Oissel, près de Rouen, un homme a cessé de s’alimenter ; son état de santé s’étant fortement dégradé, il a été transféré à l’hôpital, où il est décédé quelques jours après. En 2023 déjà, quatre personnes étaient mortes en rétention.

Ces décès auraient pu être évités si la vulnérabilité et l’état de santé -physique et mental- des personnes avaient été pris en considération par l’administration avant toute décision de placement.

Il est inacceptable que l’administration ne prenne pas toujours en compte les déclarations de ces personnes sur leur état de santé ou le suivi médical dont elles font déjà l’objet. Elle ignore également nos alertes récurrentes sur le contexte de tensions, d’angoisse et de violence qui prévaut dans les CRA, et sur les effets délétères de la rétention sur la santé mentale et physique des personnes enfermées.

Notre inquiétude aujourd’hui se veut d’autant plus grande que les actes d’automutilation, gestes désespérés et les tentatives de suicide se multiplient ces dernières semaines. Pourtant, malgré les drames successifs qui sont la conséquence d’une politique d’enfermement sans discernement et punitive, les pratiques n’évoluent pas et rien n’indique que l’administration a pris conscience de la gravité de la situation. Au contraire, les placements de personnes vulnérables ou souffrant de lourdes pathologies se poursuivent, et les préfectures persistent à maintenir enfermées des personnes pour lesquelles les médecins compétents ont constaté l’incompatibilité de leur état de santé avec la rétention. La loi du 26 janvier 2024 a permis d’enfermer plus longtemps des personnes dont les intérêts privés et familiaux se trouvent sur le territoire français, ou qui encourent des risques avérés pour leur vie en cas de retour dans leur pays d’origine, renforçant le choc et l’angoisse liés à la perspective de l’expulsion. Les annonces répétées sur une nouvelle prolongation de la durée maximale de rétention vont à rebours de nos constats sur l’impact de l’enfermement administratif sur la santé des personnes concernées.

Nos associations revendiquent une nouvelle fois un accès aux soins et une prise en charge médicale effective des personnes enfermées en CRA, pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Nous demandons aux préfectures un examen individuel et attentif des situations des personnes concernées avant l’édiction de toute décision de privation de liberté, dans le respect de leurs obligations légales.

Associations signataires :

  • Forum réfugiés

  • France terre d’asile

  • Groupe SOS Solidarités-Assfam

  • La Cimade

   mise en ligne le 11 janvier 2025

Montpellier : la manif
pro-Palestine rejoint
le commissariat où 5 écolos sont en garde à vue

sur https://lepoing.net/

Une nouvelle manifestation pour la Palestine a eu lieu ce samedi 11 janvier dans le centre de Montpellier. Le cortège a fini par rejoindre le commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue pour une action de désobéissance civile.

Comme à l’accoutumée, environ deux cent manifestant.es pro-Palestine se sont retrouvé.es sur la place de la Comédie dès 14h ce samedi 11 janvier. Déclaré par une vingtaine d’organisations, le défilé du jour s’est à nouveau retrouvé sur la Comédie après son habituel tour de ville. À noter la présence de quelques militant.es indépendantistes kanak.

Vers 16h, une centaine de personnes ont pris la direction du commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue depuis la nuit du 10 au 11 janvier, accsé.es de « dégradation de véhicules en réunion » suite à une action de désobéissance civile. Après une heure, le gros des soutiens se sont dispersé.es, quelques écologistes restant sur place.


 


 

La Confédération Paysanne
à la gendarmerie de Lodève en soutien à deux paysan.nes sous contrôle judiciaire

sur https://lepoing.net/

Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées ce vendredi 10 janvier devant le commissariat de Lodève à l’appel de la Confédération Paysanne, en soutien à deux militant.es mis sous contrôle judiciaire en attente de leur procès.

Membres de l’Union Syndicale Solidaires, de partis de gauche, sympathisant.es, et bien sûr agriculteurs.trices : ils étaient une cinquantaine ce vendredi 10 janvier, réuni.es devant la gendarmerie de Lodève.

Le jeudi 5 décembre, cinq membres de la Confédération Paysanne étaient placé.es en garde à vue lors d’une action « contre les profiteurs du libre-échange et les prédateurs du revenu paysan » à la Bourse européenne de Commerce au Grand Palais de Paris. Deux d’entre eux, accusé.es de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et de « tentative d’intrusion », sont maintenant sous contrôle judiciaire, avec obligation de pointer régulièrement à la gendarmerie, en attendant leur procès le 4 février.

C’est donc en forme de pointage solidaire que le rassemblement du jour était organisé. « Si besoin nous enverrons au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau une OQSM (Obligation de Quitter Son Ministère) », plaisante un intervenant du syndicat paysan, en référence aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) distribuées aux sans-papiers.ères par le ministère.

« Quand on s’attaque à la finance et aux multinationales de l’agro-business, la répression est forte sur la lutte pour un autre système agricole, un autre commerce international, qui protège le revenu paysan, la santé, la planète et permette une alimentation de qualité pour toutes et tous. », a poursuivi la Confédération Paysanne, dénonçant un deux poids deux mesures dans la répression des syndicats d’agriculteurs. trices.

Le syndicat a ensuite fait mention de la nécessité d’établir une solidarité avec les paysans.nes de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L’économie de l’île de l’océan indien repose en effet en bonne partie sur un nombre important de petites exploitations agricoles, et la Confédération Paysanne est à la tête de la Chambre d’Agriculture locale. Au niveau national, la Confédération Paysanne a mis en place une cagnotte de soutien pour les exploitant.es mahorais.es, et fait l’inventaire des besoins sur place, tout comme le Mouvement de Défense des Exploitant.es Familiaux (Modef), autre syndicat paysan classé à gauche.

Le rassemblement s’est conclu sur un appel à voter et faire voter pour les élections aux Chambre d’Agriculture 2025, qui auront lieu dans l’Hérault le 31 janvier.À noter la présence de Sébastien Rome, ancien député NUPES/FI de la quatrième circonscription de l’Hérault, venu appeler les syndicalistes à rejoindre le comité local du Nouveau Front Populaire.

      mise en ligne le 11 janvier 2025

Au pic de la grippe,
les urgences hospitalières sont à nouveau encombrées de brancards

Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr

Cette année encore, les hôpitaux publics sont en tension, alors qu’approche le pic d’une épidémie de grippe qui présente de nombreuses formes graves. Dans des urgences saturées, le risque de « morts inattendues » est au plus haut.

Les épidémies respiratoires hivernales se succèdent sans jamais tout à fait se ressembler. Après les années du covid, il y a eu celle des bronchiolites, qui ont frappé les enfants en 2022-2023.. L’année suivante a été marquée par le retour du covid à un haut niveau, fin 2023, combiné aux bronchiolites et suivi par la grippe.

Fin 2024, à la mi-décembre, un pic modeste de bronchiolites a été passé. En ce début d’année 2025, le covid est presque absent (0,6 % des hospitalisations). Cette fois, c’est la grippe qui domine. La première semaine de janvier, 5 % des personnes admises aux urgences et des personnes hospitalisées ont été testées positives aux virus de type A ou B, qui circulent en même temps cette année, détaillait Santé publique France le 8 janvier. Le nombre de cas groupés de grippes dans les Ehpad est également au plus haut. 6 % des certificats électroniques de décès mentionnaient la grippe début janvier.

Toujours selon Santé publique France, le pic de cette épidémie de grippe est moins haut que l’année passée, mais les hospitalisations sont plus nombreuses. Le virus occasionne donc plus de formes graves.

Les conséquences sont en revanche toujours les mêmes, parfaitement prévisibles : les urgences sont débordées car il n’y a pas assez de lits pour hospitaliser les malades graves qui s’y présentent. Dans de très nombreux services d’urgence, les soignant·es travaillent dans des lieux encombrés de brancards occupés par des malades en attente d’une hospitalisation, des heures, voire des jours durant.

De nombreuses études montrent que le temps d’attente aux urgences est corrélé à une plus forte mortalité. Par exemple, un travail mené par des membres de la Société française de médecine d’urgence, publié dans le Journal of the American Medical Association (Jama), a comparé les taux de mortalité de 1 598 patient·es âgé·es de plus 75 ans, une partie ayant passé une nuit aux urgences, une autre partie ayant été hospitalisée rapidement dans des services.

Le taux de mortalité des premiers et premières est de 15,7 %, contre 11,1 % pour les deuxièmes. Le syndicat Samu urgences de France parle de « morts inattendues », qui ne seraient pas survenues si la prise en charge des patient·es avait été plus rapide.

Des morts suspectes

Sans surprise, des morts suspectes sont rapportées ces derniers jours, notamment en Île-de-France. Selon Le Parisien, une jeune femme d’une vingtaine d’années est décédée mercredi 8 janvier à l’hôpital de Longjumeau (Essonne) après une journée d’attente dans un box des urgences. Une enquête interne est en cours. Toujours selon Le Parisien, une autre jeune femme de 26 ans est morte ce vendredi 10 janvier dans la salle d’attente des urgences de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Une enquête est également en cours, à l’initiative de la police cette fois.

Le 10 janvier, le ministère de la santé a indiqué à l’AFP que 87 hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, qui permet de rappeler du personnel et de déprogrammer des opérations non urgentes afin d’augmenter le nombre de lits disponibles. L’ouest de la France est particulièrement touché. Rien qu’en Bretagne, 34 établissements sont en plan blanc. L’agence régionale de santé l’a même déclenché au niveau départemental pour tous les établissements publics comme privés d’Ille-et-Vilaine. L’accès aux urgences est régulé au CHU de Rennes : avant de se présenter, les patient·es doivent passer par le 15, qui décide ou non d’un accès aux urgences.

Dans le Grand Est, région également très touchée, l’agence régionale de santé explique que le nombre de passages aux urgences pour syndrome grippal est, la première semaine de janvier, le « plus élevé observé ces dix dernières années ». Huit hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, dont ceux de Reims (Marne) et de Metz (Moselle).

La situation est également très difficile en Loire-Atlantique : l’accès à tous les services d’urgence sera régulé à partir du 13 janvier, a annoncé l’agence régionale de santé des Pays de la Loire. Le CHU de Nantes et l’hôpital de Saint-Nazaire ont déclenché leur plan blanc. Dans Ouest-France, le directeur de l’hôpital de Saint-Nazaire explique qu’il « faudrait 30 places [d’hospitalisation] par jour alors qu’[il] ne peut en prendre que 20 », grâce au plan blanc. Ce sont donc dix malades en attente d’hospitalisation qui stagnent aux urgences, alors que celles-ci accueillent « entre 150 et 180 malades par jour », détaille le directeur.

Comme pour le covid, les plus à risque de formes graves sont les personnes âgées de plus de 65 ans et les personnes fragiles (immunodéprimées, diabétiques, atteintes de maladies respiratoires ou cardiovasculaires, etc.).

Tout porte à croire que, cette année encore, ces personnes fragiles se sont peu vaccinées, car les taux de vaccination contre la grippe sont en baisse constante, selon les données de Santé publique France. En 2023-2024, seules 47,7 % des personnes âgées de plus de 75 ans se sont vaccinées contre la grippe. En 2021-2022, ce taux était de 55,8 %.

Santé publique France rappelle les mesures de prévention à adopter : « le lavage des mains, l’aération des pièces et le port du masque en cas de symptômes (fièvre, mal de gorge ou toux), dans les lieux fréquentés et en présence de personnes fragiles ».

 

   mise en ligne le 10 janvier 2025

Info Politis : À Nanterre,
l’enseignant Kai Ter contre le rectorat de Versailles

Pierre Jequier-Zalc  sdur www.politis.fr

Muté « dans l’intérêt du service » en 2022 par le rectorat de Versailles, l’agrégé contestait vivement cette mesure « sans fondement », accusant l’administration de discrimination syndicale. Ce 9 janvier, la justice oblige le rectorat à le réintégrer.

C’est une victoire dont même l’intéressé, grippé ce jeudi, a du mal à saisir la portée. Après deux ans et demi d’un combat sans relâche, Kai Terada, professeur de mathématiques agrégé, vient d’obtenir gain de cause. Dans un jugement sans aucune ambiguïté, le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison, obligeant le rectorat à le réintégrer dans son établissement d’origine, le lycée Joliot-Curie de Nanterre, dans un délai de six mois.

Revenons deux ans et demi en arrière. En septembre 2022, Kai Terada est alors professeur de mathématiques à Joliot-Curie depuis seize ans. Il est aussi particulièrement engagé sur son territoire : cosecrétaire de Sud Éducation dans les Hauts-de-Seine, investi dans le Réseau Éducation sans frontières, figure de proue du mouvement Touche pas à ma ZEP, qui luttait pour garder les lycées dans l’éducation prioritaire en 2016 et 2017.

C’est dans ce contexte, qu’il reçoit, à la rentrée, un avis de suspension sans aucune justification. Un avis qui, rapidement, est suivi d’une « mutation dans l’intérêt du service ». A l’époque, Politis vous racontait en détail les justifications, plus que bancales, apportées par l’administration. Celle-ci considère alors ainsi que « le nom de Monsieur Kai Terada revient régulièrement comme participant activement en dehors des instances du dialogue social de l’établissement ainsi que de l’exercice normal d’une activité syndicale, à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative ». Le tout, sans donner aucun fait précis et en reconnaissant même que « le comportement et les propos de Kai Terada ne sont pas constitutifs d’une faute de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire ».

« Un professeur irréprochable »

Dans la communauté éducative de Joliot-Curie – et bien plus largement -, cette décision avait suscité une très vive indignation, Kai Terada étant décrit par de très nombreux collègues comme quelqu’un de « calme », « d’intègre ». En résumé, « un professeur irréprochable ».

C’est d’ailleurs cette dichotomie entre une administration – incapable d’imputer le moindre fait précis à Kai Terada – et un nombre incalculable de témoignages en faveur de l’enseignant qui a convaincu le tribunal administratif de Versailles. Dans le jugement, que Politis s’est procuré, le tribunal juge ainsi que les notes produites par le rectorat « n’apportent, en tout état de cause, aucun élément quant à l’implication éventuelle de M. Terada dans les dysfonctionnement antérieurs ».

« Alors que le recteur de l’académie de Versailles n’a produit aucun compte-rendu des témoignages évoqués […], M. Terada produit pour sa part de très nombreux témoignages de ses collègues ou anciens collègues […], y compris d’enseignants membres de la liste concurrente à celle sur laquelle il figurait lors des élections, louant ses qualités d’écoute et de dialogue et niant toute implication de sa part dans les tensions apparues au sein des équipes pédagogiques », poursuit le jugement.

Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier. K. Terada

Contacté par Politis, Kai Terada a d’ailleurs voulu remercier, de manière appuyée, les nombreuses personnes – y compris ses anciennes directions – ayant témoigné en sa faveur. « Ce qui a été décisif, c’est la quantité phénoménale de témoignages que j’ai reçus. C’est grâce à eux, à mes collègues. Je mesure la chance d’avoir eu ce soutien. »

L’enseignant de mathématiques souligne aussi son soulagement de voir une instance balayer les nombreuses accusations – parfois très violentes – du rectorat. « Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier, et ça, c’est très important. »

« La lutte n’est pas terminée »

Le tribunal administratif de Versailles oblige donc le rectorat à réintégrer Kai Terada à son poste au sein du lycée Joliot-Curie, dans un délai de six mois et à lui verser 1 800 euros. Actuellement professeur à Saint-Germain-en-Laye, au lycée Jean-Baptiste Poquelin, l’enseignant souhaite terminer l’année. « Je ne veux pas abandonner mes élèves en cours de route. Je souhaite finir l’année proprement et, ensuite, revenir à Nanterre », explique-t-il.

Malgré cette victoire importante, il rappelle aussi que de nombreux autres collègues subissent encore ce genre de répression. « La lutte contre la répression n’est pas terminée, loin de là », assure-t-il. L’enseignant pense aussi que le rectorat n’hésitera pas à faire appel de la décision. Mais celui-ci n’est pas suspensif et ne remettra pas en cause, pour l’instant, la décision du tribunal administratif de Versailles. Une victoire, pleine d’abnégation, sans appel donc.

   mise en ligne le 10 janvier 2025

« Satisfaire coûte que coûte les besoins du patronat » : avec la loi plein emploi,
la précarité à marche forcée

Hayet Kechit sur www.humanite.fr

Contrôles accrus et sanctions, recours massif à la sous-traitance et à l’IA, moyens faméliques… La loi « plein emploi », entrée en vigueur le 1er janvier 2025, charrie une série de mesures délétères, dont les agents de France Travail et les usagers commencent déjà à faire les frais. Tandis que les chefs d’entreprise des secteurs en tension se frottent les mains.

La machine est cette fois bien lancée, et autant dire qu’elle semble se diriger à grande vitesse contre un mur. Après deux ans d’expérimentation dans plusieurs dizaines de départements et de bassins d’emploi, la loi dite pour le plein emploi est entrée en vigueur le 1er janvier 2025.

« La loi est passée, mais on ne sait pas comment ça va se passer. » La formule résume l’état d’esprit qui domine parmi les syndicats de France Travail. Le « nouveau réseau pour l’emploi », né de ces dispositions, promet en tout cas de susciter de redoutables secousses, tant pour les agents que pour les nouveaux demandeurs d’emploi affiliés, appelés à affluer dans les agences de l’opérateur public.

Quelque 1,2 million d’allocataires du RSA et leurs conjoints, les 1,1 million de 16-25 ans suivis par les missions locales ainsi que les 220 000 personnes en situation de handicap qu’épaule Cap emploi sont en effet désormais inscrits automatiquement dans les fichiers de France Travail, soumis à un contrat d’engagement imposant à une large part d’entre eux quinze heures d’activités hebdomadaires – dont les contours restent flous – sous peine de sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la suspension de leur allocation.

« Il va falloir absorber le choc »

Le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, a beau répéter à l’envi vouloir miser, à travers ce « nouveau réseau pour l’emploi », sur un « accompagnement rénové », syndicats et associations continuent de dénoncer l’esprit d’une loi essentiellement coercitive qui, selon les termes d’un rapport publié en décembre par le Secours catholique, « met au défi l’allocataire de démontrer qu’il mérite son RSA ». Sa mise en œuvre, sur fond de cure d’austérité, ne sera par ailleurs pas sans conséquences sur les fondements mêmes du service public de l’emploi.

Alors que les courriers annonçant les inscriptions automatiques ont commencé à partir et qu’un numéro vert a été diffusé, les agents de France Travail, chargés dans un premier temps d’orienter ces centaines de milliers de bénéficiaires auprès de leurs référents locaux ou nationaux, anticipent avec effroi la montagne à gravir.

« Cela va forcément entraîner un afflux de personnes dans les sites, où l’accueil repose sur très peu de collègues déjà à bout. Je ne vois par ailleurs pas comment on peut faire un suivi décent en gérant des portefeuilles de 500 personnes », pointe Francine Royon, représentante de la CGT France Travail en Île-de-France, selon qui, appliquer à la lettre cette loi supposerait que les conseillers « ne s’occupent plus du tout de l’accompagnement ».

Ce nouveau réseau fera certes intervenir plusieurs acteurs référents, dont les départements et les missions locales, mais ce sont bien les agents de France Travail qui seront aux premières loges. « Il va falloir absorber le choc », pointe Vincent Lalouette, secrétaire général adjoint de la FSU emploi.

Si l’opérateur public a échappé à la suppression de 500 postes prévue par le projet de loi de finances 2025 – avant son passage à la trappe par la censure à l’Assemblée nationale –, rien ne garantit qu’il ne sera pas sous le coup de la cure d’austérité annoncée par le gouvernement Bayrou. La question se pose dans les mêmes termes pour les conseils départementaux, également sous la menace de coupes budgétaires massives.

Thibaut Guilluy, lors d’une rencontre organisée en novembre dernier par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), avait reconnu ces entraves à demi-mot, concédant face à la mitraille de questions sur les moyens : « Je ne dis pas que ces 1,2 million de bénéficiaires du RSA retrouveront par enchantement un travail. »

Pour Denis Gravouil, secrétaire confédéral à la CGT, « Thibaut Guilluy est un boy-scout, qui en fait des tonnes sur l’accompagnement. Or, il sait pertinemment que cela demande des moyens considérables. Qui ne sont pas là ». Le représentant syndical en veut pour preuves « ces agents en pleurs, désemparés par les injonctions contradictoires, les incitant à satisfaire des taux de décrochés au téléphone, tout en étant tenus de ne pas accorder plus de douze minutes à chaque personne ». Même constat à la CFDT, qui estime que « ce projet de loi ne remplit pas la promesse d’un meilleur accompagnement vers un emploi durable et de qualité » car « (…) les moyens dédiés ne sont pas à la hauteur des ambitions ». Dès lors, comment faire plus avec moins ?

Augmentation de 60 % du budget dédié à la sous-traitance

« La sous-traitance est une conséquence logique de cette réforme parce que cela permet de contourner les plafonds d’emploi », répond Denis Gravouil. Guillaume Bourdic, représentant syndical à la CGT France Travail, estime même que le service public de l’emploi « va devenir une gare de triage au service des prestataires privés ». En 2024, le budget dédié à la sous-traitance aurait ainsi augmenté de 60 % par rapport à 2023, tandis que le budget prévu pour l’externalisation des relations entreprises s’élèverait à 9 millions d’euros, selon Francine Royon.

La syndicaliste voit depuis le début de l’année « s’enchaîner les signatures de contrats avec les boîtes privées ». Le dernier en date concernerait la prestation Agil’Cadres, destinée à faire assurer le suivi d’un tiers des publics cadres par des opérateurs privés de placement.

« La petite musique de la direction est déjà bien installée. Le discours se résume à cette logique : si on n’est pas capable de faire, c’est les autres qui feront », abonde Vincent Lalouette. Au détriment de la qualité d’accompagnement pour les usagers. Francine Royon évoque ainsi des témoignages faisant état d’une pression intenable exercée par les prestataires, tenus de remplir des objectifs de taux de retour à l’emploi, pour que les usagers acceptent sans broncher n’importe quel job.

C’est particulièrement flagrant, selon elle, dans le cas du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), destiné aux personnes licenciées économiquement, un accompagnement privatisé à hauteur de 50 % en Île-de-France. « Les usagers nous disent qu’ils veulent absolument être suivis par des conseillers de France Travail car ils n’en peuvent plus des prestataires qui les envoient sur des postes très difficiles, uniquement des métiers en tension, au mépris de leur projet professionnel », relate la syndicaliste.

L’IA à tour de bras

Pallier l’absence de moyens, gagner du temps : ce sont aussi les exigences qui ont guidé un déploiement tous azimuts de l’intelligence artificielle (IA) au cours de ces deux années d’expérimentation. L’opérateur s’est ainsi doté de nouveaux outils, dont Chat FT, destiné à faciliter la rédaction des textes, surnommé par la direction « le compagnon de l’agent ».

Mais la loi plein emploi consacre l’usage de l’IA à plus grande échelle, à travers la plateforme unique et automatisée gérée par France Travail, regroupant l’ensemble des inscrits, qui seront dispatchés, selon leur profil supposé, en fonction d’éléments recueillis sur leur parcours, vers l’organisme dédié et dans les catégories jugées par l’algorithme appropriées.

« Le problème des algorithmes, c’est qu’on ne sait pas comment ils sont programmés », soulève Denis Gravouil. Pour Vincent Lalouette, cette automatisation va forcément conduire à des ratés : « Un charpentier, qui aura subi un accident du travail, sera renvoyé sur cette profession-là, alors que lui ne veut plus en entendre parler », pointe le représentant syndical.

Au-delà de l’orientation, l’IA sera également massivement mise à contribution pour le contrôle des demandeurs d’emploi. Les objectifs ne sont pas moindres, avec en vue un triplement du nombre de contrôles afin d’atteindre le chiffre de 1,5 million d’ici à 2027. Concrètement, cela se traduira par la généralisation d’un dispositif dit « CRE rénové » (contrôle de la recherche d’emploi) inclus dans le kit de la loi plein emploi. À savoir, une automatisation accrue des contrôles via des « faisceaux d’indice » émis par un système d’information, sur la base d’un algorithme générant des alertes, là où la compréhension des situations au cas par cas avait encore plus ou moins cours.

Une loi de la coercition

« Contrôle » et « sanctions ». La CGT chômeurs, au moment de la publication du projet de loi, avait fait le décompte de ces termes. Ils apparaîtraient plus de 80 fois. Pour Vincent Lalouette, la première mesure de coercition est l’obligation d’inscription faite à un public qui ne sera plus dans une démarche volontaire. « Concrètement, cela veut dire qu’une partie des gens qu’on va recevoir maintenant ne souhaitent pas être inscrits chez nous, au détriment de la relation de confiance qui doit s’établir entre les deux parties. »

Côté sanctions, si la parution du décret entérinant leur cadre n’est prévue que dans le courant du premier semestre 2025, des cas de suspension d’allocation auraient d’ores et déjà affecté des allocataires dans certains départements soumis à l’expérimentation. Cela aurait été notamment le cas dans le Nord, selon Vincent Lalouette.

Pour Francine Royon, ces sanctions sont révélatrices de « la véritable intention derrière cette loi, à savoir la volonté d’aller au plus près des demandes du patronat local, de faire correspondre la main-d’œuvre disponible aux besoins du patronat, sur des métiers en tension ».

C’est d’ailleurs la conclusion du bilan très critique de l’expérimentation menée dans les départements, publié en décembre dernier par des associations, dont le Secours catholique, qui montre que les embauches réalisées pendant cette période l’ont été essentiellement sur des emplois précaires dans des secteurs en tension, comme l’hôtellerie, la restauration, le soin à la personne.

Pour Guillaume Bourdic, de la CGT France Travail, « on est aux antipodes de l’accompagnement du demandeur d’emploi, mené en fonction de son histoire, ses qualifications, ses besoins, en tentant de faire le lien avec le marché du travail. Aujourd’hui, on part des besoins de l’employeur et on crée les conditions pour que les demandeurs d’emploi y répondent coûte que coûte ».

Des considérations qui semblent secondaires pour Emmanuel Macron qui, on a aujourd’hui tendance à l’oublier, avait fait de cette loi l’arme pour réduire le taux de chômage à 5 % d’ici à 2027.

Force est de constater, comme le souligne Denis Gravouil, que « cette réforme se fracasse aujourd’hui sur la réalité, alors que le chômage remonte à près de 8 % ». La question est de savoir pendant combien de temps encore l’exécutif pourra se permettre de cibler les plus précaires, à l’heure où les fermetures d’usines, les plans de suppression d’emplois et les licenciements économiques se succèdent en cascades.


 


 

Réforme du RSA : « On ne peut priver
une personne de son reste à vivre », dénonce la défenseure des droits

Hayet Kechit sdur www.humanite.fr

La généralisation de la réforme du RSA, qui conditionne l’allocation à la réalisation de quinze heures d’activités par semaine, suscite la vive inquiétude de Claire Hédon. La Défenseure des droits pointe une réforme stigmatisante, aux antipodes du devoir de protection sociale.

Quelque 1,2 million d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) sont, depuis le 1er janvier 2025, inscrits d’office à France Travail et tenus, pour une large part d’entre eux, de s’acquitter d’au moins 15 heures d’activité hebdomadaire, via « un contrat d’engagement ». Cette réforme imposera en outre, selon des modalités qui restent à fixer par décret, la création d’une nouvelle sanction, dite de « suspension-remobilisation », susceptible de couper ce revenu de survie en cas de non-respect du contrat.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, qui avait déjà rendu un avis très critique en juillet 2023 au moment des débats autour de ce projet de loi, continue de dénoncer une réforme « délétère », dont la généralisation précipitée à l’ensemble du territoire, sur fond d’absence de moyens, remettrait en cause, à ses yeux, la volonté affichée d’assurer un accompagnement de qualité.

Au moment des débats autour de la réforme du RSA, en juillet 2023, vous aviez émis un avis pointant des atteintes aux droits. Pouvez-vous préciser ce qui a motivé ces critiques ?

Claire Hédon : Nous avons fondé notre avis sur le rappel des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 qui imposent un devoir de protection sociale et de solidarité à la collectivité nationale, tenue de garantir aux plus vulnérables des moyens convenables d’existence.

Or ce conditionnement du RSA à quinze heures d’activité fragilise les effets de ce principe constitutionnel qui est censé garantir le droit à un revenu d’existence. On ne devrait pas pouvoir, par des sanctions, priver une personne de ses besoins élémentaires et donc de son reste à vivre.

Nous partageons le constat que la question de l’insertion a été de longue date bien trop négligée concernant les bénéficiaires du RSA, et avant cela du RMI (Revenu minimum d’insertion, qui a été remplacé par le RSA en 2009 – NDLR), mais je ne vois pas en quoi une amélioration de l’accompagnement, que nous estimons indispensable, devrait impliquer en parallèle des heures d’activité obligatoires et des sanctions.

Quelles sont aujourd’hui vos craintes alors que cette réforme vient d’entrer en vigueur ?

Claire Hédon : Notre première inquiétude concerne l’extension du dispositif, de manière précipitée, à l’ensemble du territoire, sans que soient prévus des moyens à la hauteur de l’enjeu. Cela risque tout simplement de rendre ineffectif le volet accompagnement de la réforme. Il faut noter que dans les départements ayant expérimenté ces quinze heures d’activité, il y a eu un renforcement important des moyens d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.

Comment les agents de France Travail, sans augmentation de leurs effectifs, vont-ils pouvoir assurer un accompagnement de qualité alors que les agences sont déjà pleines ? Or, si cet accompagnement fait défaut, les risques de suspension du RSA s’en trouveront multipliés.

« Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. »

La deuxième inquiétude concerne le fait que la dispense d’activité hebdomadaire, prévue par la réglementation pour les personnes rencontrant notamment des difficultés liées à l’état de santé, au handicap, à la situation de parent isolé, reste à l’initiative des bénéficiaires du RSA. Or nous savons bien que pour les personnes les plus précaires, souvent peu familiarisées avec les codes administratifs, une telle démarche est loin d’être évidente.

Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. Cela mérite attention : il faut avoir la garantie que ces mises en situation contribuent réellement à l’insertion professionnelle des personnes concernées, qu’elles soient compatibles avec la recherche d’un emploi et qu’elles ne constituent pas un détournement du droit du travail.

Avez-vous eu des saisines dans le cadre des expérimentations menées dans les départements ?

Claire Hédon : Nous n’avons pour le moment pas encore été saisis sur des situations de suspension de l’allocation, mais nous sommes aussi face à un public peu coutumier de ce genre de démarches. Ce qui sera très instructif, ce sera d’obtenir de la Cnaf les chiffres liés à ces suspensions, département par département, notamment pour évaluer les inégalités de traitement sur le territoire.

Nous avons par ailleurs eu, dans le cadre de notre comité d’entente sur la précarité, des échanges avec les associations ; nous avons également rencontré le Conseil national de lutte contre les exclusions, composé pour moitié par des personnes concernées et en situation de précarité.

Cela a été très instructif de les entendre faire part de leurs inquiétudes sur ces quinze heures d’activité. Je crois qu’on ne mesure pas l’angoisse qu’on génère en faisant des lois de ce type. Il y a vraiment pour les personnes la peur de tout perdre et nous aurions aimé que le législateur puisse aussi entendre ce discours-là.

Comment analysez-vous les premiers résultats communiqués par l’exécutif sur cette expérimentation ?

Claire Hédon : On a comparé des choses qui ne sont pas comparables. L’expérimentation s’est concentrée, et c’est très légitime, sur les personnes nouvellement allocataires du RSA et parmi les plus proches de l’emploi. Il est dès lors peu surprenant que cela ait donné de bons résultats. Un meilleur accompagnement, tout de suite après la mise en place du dispositif, donne de meilleurs résultats en termes d’insertion.

On ne peut cependant transposer cela à la situation de personnes qui sont au RSA parfois depuis plus de dix ans. Au-delà de cela, il faut noter que ces résultats montrent qu’on reste largement sur du contrat précaire. Cette évaluation a considéré comme résultat d’insertion positif le fait de décrocher un CDD de six mois, dont on sait la fragilité.

Cette réforme signe-t-elle un changement de philosophie ?

Claire Hédon : Il y a en tout cas avec cette loi, que je trouve délétère et inquiétante du point de vue des droits, la poursuite d’un glissement qui entretient un certain imaginaire au sein de la société. Celui de personnes qui seraient au RSA par plaisir, se complairaient dans un rôle d’assistés, seraient responsables de leur situation et refuseraient de travailler.

Or ma connaissance de la grande précarité me démontre exactement l’inverse. Les personnes ont envie de travailler parce que le travail est un des moyens d’insertion. On contribue à créer une image stigmatisante des personnes précaires.

Or la culpabilité n’est pas placée du bon côté. L’inconscient collectif renvoie les personnes à cette question : « Qu’avez-vous raté dans la vie pour vous retrouver dans cette situation ? » Et moi, je pense que c’est exactement l’inverse. On devrait plutôt s’interroger sur ce que la société a raté pour qu’ils se retrouvent dans cette situation.

    mise en ligne le 9 janvier 2025

La CGT contre les PFAS :
« Il faut les interdire pour protéger les salariés ! »

Par Marie Astier sur https://reporterre.net/

Pour protéger les salariés exposés aux polluants éternels, la CGT lance le « collectif PFAS ». « On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! » affirme le syndicaliste Jean-Louis Peyren.

La CGT lance le 6 janvier un « collectif PFAS ». Une première dans le monde syndical, plutôt frileux sur le sujet des polluants éternels. Omniprésents dans nos produits du quotidien (poêles de cuisine, cosmétiques, emballages alimentaires, etc.), ceux-ci sont toxiques pour l’humain. Jean-Louis Peyren participe à la création de ce nouveau « collectif PFAS » , il est secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques CGT, en charge des questions santé-travail.


 

Reporterre : Pourquoi avoir décidé de faire de la question des PFAS un sujet prioritaire à la CGT ?

Jean-Louis Peyren : Les premiers concernés, ce sont les salariés. Ils les fabriquent, les utilisent dans le cadre de leur travail en tant que matière première. Il est légitime que l’on s’intéresse à cette problématique. On peut nous dire qu’on arrive un peu tard, mais c’est un sujet difficile à porter en tant que syndicaliste dans une entreprise.

Nos employeurs disent : « Si vous vous faites trop de bruit, on sera obligés de fermer et vous perdrez votre emploi. » Le salarié qui questionne l’impact des PFAS sur la santé et l’environnement deviendrait presque responsable de la fermeture de la boîte. Alors que les responsables, ce sont les pollueurs.

Les salariés ont plus peur de perdre leur emploi que leur santé. Il va falloir inverser les peurs. C’est aussi pour cela que la CGT a mis du temps à se positionner publiquement ; cela a nécessité de la pédagogie vis-à-vis des salariés. On ne veut pas travailler pour perdre sa santé, mais pour gagner sa vie.

Nous pensons que c’est en dénonçant la situation et en poussant les industriels à trouver des solutions alternatives que l’on sauvera nos emplois.

Pourquoi les travailleurs sont-ils les premières victimes des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Lorsque vous fabriquez un produit, vous y êtes exposé tous les jours. Surtout que les salariés sont mal protégés. Nos employeurs préfèrent aller vers des protections individuelles, par exemple des masques, plutôt que des protections collectives, comme une hotte aspirante. Or, les protections individuelles ne sont pas les plus efficaces. Quand vous êtes sur un poste pouvant être considéré comme exposé à des matières toxiques, vous avez un masque ; mais pas ceux qui gravitent autour. La hotte, elle, protège l’ensemble des salariés.

« Il faut interdire les PFAS ! »

Par ailleurs, le législateur a mis en place ce que l’on appelle les « valeurs limites d’exposition professionnelle ». Cela ne vous empêche pas d’être au contact de ces produits. Et ces valeurs sont établies produit par produit, pas à l’échelle de l’entreprise. Si vous fabriquez plusieurs produits différents, l’effet cocktail n’est pas pris en compte.

Comment réagissent les employeurs à cette demande de meilleure protection des salariés face aux PFAS ?

Jean-Louis Peyren : Quand on voit la levée de boucliers des industriels face à la proposition de loi d’interdire des PFAS… Et que, par exemple, Tefal continue à dire que la substance qui a remplacé le téflon dans ses poêles [le PTFE] n’est absolument pas dangereuse pour la santé... Il écrit même sur son site internet que l’on peut en ingérer de façon accidentelle. Comment voulez-vous qu’il pense à protéger ses salariés ?

Je rappelle quand même que le patron de Tefal a [en avril dernier] réuni les salariés Force ouvrière et CFDT devant l’Assemblée nationale, pour qu’ils disent que le téflon n’est pas si dangereux que cela [la proposition de loi, également approuvée par le Sénat, a en effet exclu les ustensiles de cuisine de l’interdiction des PFAS]. La situation est grave. Certains devront rendre des comptes plus tard.

La législation doit évoluer. Nous devons imposer un rapport de force face au lobbying des industriels.

Comment protéger la santé des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Il faut interdire les PFAS ! On ne va pas continuer à fabriquer un produit dangereux simplement pour alimenter l’économie et faire travailler des personnes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut les remplacer.

Des analyses permettent-elles d’évaluer l’exposition des salariés ?

Jean-Louis Peyren : Des analyses ont été faites chez les salariés d’Arkema [le géant de la chimie] début 2024. Des PFAS ont été retrouvés en grande quantité dans le sang de certains salariés.

« On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! »

Mais il y a deux problèmes. D’abord, c’est l’entreprise qui a choisi les laboratoires d’analyses. Pour des questions de transparence, on demande à ce que ce soit aux organismes externes de les analyser. La médecine du travail, par exemple, peut faire les prises de sang, choisir des laboratoires. On ne peut pas laisser les industriels faire leur autocontrôle, être leurs propres gendarmes !

Par ailleurs, une fois que vous avez une quantité de PFAS mesurée dans le sang, on vous dit tout et son contraire : que certaines études disent que c’est dangereux, d’autres non [il n’y a pas d’interdiction générale des PFAS à l’échelle de l’Union européenne, et la majorité des quelque 12 000 PFAS aujourd’hui recensés passe sous les radars]. À un moment, il va falloir appliquer le principe de précaution, lister les PFAS, et faire reconnaître [par l’État] qu’ils sont dangereux, et peuvent provoquer certaines maladies.

On pourra ainsi faire appliquer le Code du travail, qui indique que l’employeur est responsable de la santé des travailleurs, et faire évoluer le tableau des maladies professionnelles.

En tant que syndicaliste, recueillez-vous des témoignages de malades dans les entreprises utilisant des PFAS ?

Jean-Louis Peyren : C’est difficile à dire. Quand un salarié déclenche un cancer, on peut avoir un doute. Mais il n’y a rien de scientifique dans ce que l’on constate. Par contre, quand on sonne l’alerte, ce serait bien que des scientifiques extérieurs à nos entreprises regardent si, réellement, il y a quelque chose ou pas.

Vous créez un collectif PFAS au sein de la CGT, quel est son but ?

Jean-Louis Peyren : Le but est d’abord de s’organiser, de travailler ensemble, car la CGT regroupe de nombreuses branches et métiers. Les syndicats d’Arkema et de Solvay [une usine chimique] devraient en faire partie, des syndicats de la métallurgie, la Fédération de la métallurgie aussi, l’Union départementale 69 (Rhône) et celle d’Auvergne-Rhône-Alpes.

On va essayer de travailler avec des associations écologistes et de riverains, avec des organismes comme le CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire].

On voudrait commencer par cartographier les plus fortes expositions aux PFAS, les comparer aux valeurs limites d’exposition et informer les salariés que, même quand les seuils ne sont pas dépassés, il peut y avoir un danger. Faire savoir que ces valeurs ne sont pas un blanc-seing pour polluer et mettre en danger les salariés.

Tout est à faire et à construire. Nous sommes comme en 1906, quand le premier médecin a dit qu’il y avait un problème avec l’amiante. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit interdite en France.


 


 

La CGT annonce la création
d’un collectif Pfas
pour s’attaquer aux polluants éternels

Jessica Stephan sur www.humanite.fr

Le syndicat a annoncé lundi la constitution d’un collectif pour protéger les salariés, qui sont les premiers exposés, et chercher des alternatives aux Pfas, ces substances extrêmement nocives pour la planète. Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social.

Textiles, emballages alimentaires, gaz réfrigérant… : les Pfas sont partout. Certains de ces polluants persistants dans l’environnement ont été classés « cancérogènes », d’autres « peut-être cancérogènes » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en décembre 2023.

Ces quelque 4 000 substances chimiques, per- et polyfluoroalkylées, sont connues pour leur résistance aux fortes chaleurs, leur imperméabilité, et leurs propriétés antiadhésives. Mais, avant leur arrivée dans nos placards et dans l’environnement, ce sont les salariés des usines qui y sont les premiers exposés. Un problème qui n’est pas sans rappeler celui de l’amiante, et dont la CGT a annoncé se saisir en constituant un « collectif Pfas » le 6 janvier dernier.

« Protéger les salariés, c’est éliminer le risque »

Son premier objectif est clair : « protéger au maximum les salariés », explique Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic) de la CGT et membre du collectif, une nécessité « s’il y a toxicité ».

Dans l’immédiat, le collectif défend des « protections collectives » adaptées à chaque situation de travail. « Par exemple, sur un poste de travail avec des émanations gazeuses de Pfas, la hotte aspirante est une solution », détaille Jean-Louis Peyren, car elle protège le travailleur concerné mais aussi ceux qui gravitent alentour.

Ce collectif naissant – l’idée a germé au printemps 2024 – compte une dizaine de membres : des syndicats CGT de sociétés concernées, la Fnic CGT, des unions et comités au niveau local. Et il a du pain sur la planche : l’omniprésence des Pfas rend la situation complexe. « Dans le meilleur des mondes, protéger les salariés, c’est éliminer le risque. Si le risque, ce sont les Pfas, il ne faut plus de Pfas. Mais on vit dans un monde où ils répondent à des besoins. »

Pour illustrer cela, Jean-Louis Peyren donne un exemple percutant : les combinaisons ignifugées des sapeurs-pompiers, qui en contiennent. « On ne va pas les interdire et dire aux pompiers d’aller sur le feu en chemise de bureau ! »

« Le caillou dans la chaussure dans l’entreprise »

À terme, il s’agit donc aussi de trouver « des alternatives ». Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social, selon Jean-Louis Peyren : « Ce n’est pas en niant la situation qu’on va sauver nos emplois, au contraire, c’est en la dénonçant, parce que cela va permettre de trouver des alternatives. » Mais l’argument est parfois difficile à faire entendre. « Derrière la problématique des Pfas, il y a aussi des problématiques sociales qu’on ne doit pas nier, précise-t-il. Il faut concilier les deux, en allant vers de moins en moins de Pfas. »

Le collectif fait face aux inquiétudes et aux attentes suscitées par l’annonce de sa constitution : « On est sollicités par les syndicats CGT pour savoir comment aborder le sujet. » C’est sa première étape de travail : les aider « à aborder le problème des Pfas dans les entreprises avec les salariés », indique Jean-Louis Peyren, qui reconnaît la difficulté en interne : « C’est compliqué. Il faut rassurer nos syndicats. Certains nous alertent parce que les salariés pensent qu’on est en train de supprimer leur emploi. »

D’autant que la mise en cause de ces polluants entraîne parfois des pressions des employeurs, déplore Jean-Louis Peyren : « On nous oppose le chantage à l’emploi. C’est vieux comme le monde… » L’enjeu financier ne se laisse jamais oublier : « Des gros lobbies industriels se mêlent de ces affaires. »

Jean-Louis Peyren prévient : « On va essayer, comme le font les associations et les partis écologistes, les associations de riverains, de faire le caillou dans la chaussure mais en interne, dans l’entreprise. »

  mise en ligne le 9 janvier 2025

Gaza : pour négocier en position de force,
Israël redouble les tueries

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Dans la bande de Gaza, 2025 commence comme 2024 s’est terminé : par des massacres. Sous le feu de l’armée israélienne, au moins trois cents personnes sont mortes depuis le 1er janvier. Parallèlement, se déroule au Qatar un nouveau round de négociations pour un cessez-le-feu.

À lire les communiqués du ministère palestinien de la santé, les témoignages, à regarder sur les réseaux sociaux les vidéos postées depuis la bande de Gaza, on est pris de vertige.

Le mardi 7 janvier marque le 459e jour de guerre d’Israël contre la bande de Gaza.

Un an, trois mois et trois jours depuis le début de la guerre d’« éradication du Hamas », selon le but déclaré par Israël après les massacres du 7-Octobre perpétrés par la branche armée du mouvement islamiste et d’autres factions palestiniennes.

45 885 Palestiniens et Palestiniennes tué·es par les avions, les chars, les fusils, les bateaux et les drones israéliens, 109 196 blessé·es, et encore ce ne sont là que les victimes dûment enregistrées par le ministère palestinien de la santé.

Celui-ci indique 31 nouvelles vies supprimées le lundi 6 janvier, 48 le dimanche 5 janvier, 88 le 4 janvier, 59 le 3 janvier, 77 le 2, et 28 le mercredi 1er janvier.

Dimanche 5 janvier, devant les urgences de l’hôpital Al-Aqsa, dans le centre de l’enclave, le journaliste d’Al Jazeera en anglais Hani Mahmoud racontait les funérailles qui se succédaient sans relâche : « Nous pouvions ressentir un sentiment de frustration couplé à la tristesse et à la souffrance, ainsi qu’au fait que l’on permette que cela continue à se produire, un massacre de civils palestiniens dans leurs tentes, leurs camps, devant leurs maisons. » 

Le lendemain, Ahmed Barakat, un habitant de Cheikh Radwan, quartier de Gaza-City, témoigne auprès d’Al Jazeera en anglais du bombardement d’un immeuble résidentiel vers une heure du matin, alors que les gens dormaient.

« Les morts sont éparpillés dans les rues. Nous essayons toujours de retrouver nous-mêmes certains de nos proches parce qu’il n’y a pas d’équipes de défense civile ou d’ambulances ici, a-t-il déclaré. Je ne sais pas à quoi m’attendre de plus. Je n’ai plus de mots. »

L’armée israélienne a indiqué, comme à son habitude, avoir visé des « cibles terroristes », selon sa terminologie, lors de ses bombardements sur Jabaliya, Cheikh Radwan, Shoujaya, Al-Bourej, Deir al-Balah, Khan Younès, Rafah, soit l’ensemble du territoire.

Pousser son avantage

Toujours devant l’hôpital Al-Aqsa, le journaliste Hani Mahmoud reprend : « L’armée israélienne justifie ces attaques par le fait qu’elle opérait contre des militants et des membres du Hamas dans toute la bande de Gaza, menant des centaines d’attaques ou de frappes dans toute la bande de Gaza, mais lorsque nous comparons ce récit à ce que nous voyons sur le terrain, l’écart semble se creuser de plus en plus entre ce que disent les déclarations et ce que nous voyons sur le terrain, les femmes et les enfants constituant la grande majorité des victimes. »

Cette violence accrue dans ce que de plus en plus d’historien·nes, de politistes, d’humanitaires et de diplomates s’accordent à qualifier de génocide, peut s’expliquer par la volonté des dirigeants politiques et militaires israéliens de pousser leur avantage.

Les négociations en vue d’un cessez-le-feu permettant un échange de prisonniers – otages encore retenus dans la bande de Gaza contre détenu·es palestinien·nes enfermé·es dans les geôles de l’État hébreu – avaient progressé, affirment des médiateurs, en décembre, tout en indiquant, sous couvert d’anonymat, que Benyamin Nétanyahou avait posé de nouvelles conditions – ce dont il est coutumier.

L’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas […]. Ce qui est totalement illusoire. Agnès Levallois, coordinatrice du « Livre noir de Gaza »

Les discussions indirectes ont finalement repris à Doha, au Qatar, dimanche 5 janvier, sous l’égide des médiateurs qataris, de diplomates canadiens et des alliés états-uniens d’Israël.

Dans ce type de circonstances, qui relèvent autant du bras de fer que de la diplomatie, chaque partie abat ses atouts.

« Quand les négociations reprennent, celui qui est le plus fort veut le montrer pour lâcher le moins possible dans les discussions, explique Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO et coordinatrice de l’ouvrage Le Livre noir de Gaza (Seuil). Nous avons constaté cela à chaque fois. Je suis en outre persuadée que l’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas, c’est-à-dire de lui retirer toute possibilité de jouer un rôle, politique ou militaire. Ce qui est totalement illusoire, mais qui s’inscrit dans la logique israélienne. »

Samedi 4 janvier, le Hamas a diffusé la vidéo d’une captive, Liri Albag, 19 ans, enlevée avec six autres soldates dans la base militaire de Nahal Oz le 7-Octobre. Les images ne sont pas datées, mais elles constituent la première preuve de vie de la jeune femme. Sa famille, qui a demandé à ce qu’elle ne soit pas publiée, a rendu public un communiqué dans lequel elle déclare : « Nous lançons un appel au premier ministre, aux dirigeants mondiaux et à tous les décideurs : il est temps de prendre des décisions comme si vos propres enfants étaient là ! »

Une liste d’otages surgit

Le sort des 97 otages, vivant·es ou mort·es, encore détenu·es reste au cœur des objectifs affichés du gouvernement Nétanyahou, même si beaucoup, dans l’opinion israélienne, lui reprochent de les avoir sacrifiés au profit d’autres buts : l’éradication du Hamas, la poursuite d’une guerre dont la fin est sans cesse reportée et la survie de sa coalition d’extrême droite.

Les factions palestiniennes qui retiennent prisonnières les 63 personnes présumées encore en vie, israéliennes et étrangères (un Népalais et six Thaïlandais), jouent évidemment de cette carte avec cynisme.

Le Hamas a remis une liste de 34 personnes, femmes, enfants et hommes de plus de 50 ans, pouvant être, selon lui, libérées dans le cadre de la première phase d’un accord. Cette liste, a indiqué un responsable du mouvement islamiste, lui a été communiquée par le gouvernement israélien, et ce dirigeant a affirmé dans le même temps avoir besoin d’une semaine de calme relatif pour vérifier qui est encore vivant et qui les détient.

Publiée d’abord par le quotidien de langue arabe à capitaux saoudiens Asharq al-Awsat, la liste a circulé et provoqué émoi et manifestations en Israël, où tout un chacun a en ligne de mire la prochaine investiture de Donald Trump, le 20 janvier.

Le nouveau président des États-Unis s’est fendu en décembre, sur son réseau Truth Social, d’une de ces déclarations tonitruantes dont il est familier : « Si les otages ne sont pas libérés avant le 20 janvier 2025, date à laquelle je prendrai fièrement mes fonctions de président des États-Unis, ce sera l’ENFER À PAYER au Moyen-Orient ! », promesse réitérée ces derniers jours.

« Cela ne veut pas dire qu’il est en faveur d’un règlement politique pour les Palestiniens, mais il veut, en arrivant à la Maison-Blanche, pouvoir dire : “La guerre est terminée”, et le mettre à son actif, reprend Agnès Levallois. Donc l’armée israélienne veut, en quelque sorte, mettre le paquet, au cas où elle devrait relâcher sa pression dans quelques semaines. »

L’état-major de l’État hébreu n’a en tout cas pas à s’inquiéter de manquer de munitions. En dernier cadeau à son allié indéfectible, Joe Biden va demander aux deux chambres états-uniennes d’approuver l’envoi à Tel-Aviv de missiles, obus et autres munitions pour 7,71 milliards d’euros. À deux semaines de la fin de son mandat, le démocrate ne risque pas de perdre son surnom de « Genocide Joe ».


 


 

Un « événement inacceptable » : à Gaza, un convoi humanitaire de l’ONU de nouveau visé par des tirs de l’armée israélienne

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Trois véhicules du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies, ont été touchés par les tirs de l’armée israélienne, lors d’une mission dans la bande de Gaza, dimanche 5 janvier. Une nouvelle attaque envers une organisation humanitaire, alors que la situation sanitaire ne cesse de s’aggraver au sein de territoires palestiniens toujours sous le feu des bombes.

Les mois s’enchaînent et se ressemblent pour les agences techniques des Nations unies (ONU), dont le rôle de terrain dans la bande de Gaza reste primordial. C’est au tour du Programme alimentaire mondial (PAM) d’accuser, lundi 6 janvier, l’armée israélienne d’avoir mis en péril sa mission humanitaire, essentielle pour une population meurtrie, affamée, assoiffée et en proie aux maladies. L’agence rattachée à l’ONU a alerté sur le fait que des soldats ont tiré, la veille, sur l’un de ses convois dans la bande de Gaza.

Les Nations unies condamnent ainsi « fermement » un nouvel épisode de violence au cours duquel trois véhicules – « clairement » identifiés – ont essuyé des coups de feu de la part des forces israéliennes, près du point de contrôle de Wadi Gaza. Et ce, « alors que le convoi avait reçu toutes les autorisations nécessaires des autorités israéliennes ». Seize balles ont été tirées, selon les témoignages des huit membres du PAM présents à bord des véhicules. Aucun blessé n’est à déplorer.

Les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente »

« Cet événement inacceptable est le dernier exemple en date témoignant de l’environnement de travail complexe et dangereux dans lequel le PAM et d’autres agences opèrent aujourd’hui » à Gaza, où les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente pour permettre la poursuite des opérations humanitaires », a insisté le PAM, qui appelle par ailleurs à ce que toutes les parties respectent le droit humanitaire international et permettent le passage de l’aide humanitaire en 26 pttoute sécurité.

L’armée israélienne a, de son côté, indiqué avoir reçu des informations concernant des tirs ayant visé le convoi du PAM, mais n’a pas souhaité préciser leur origine. « L’incident a été examiné, les procédures opérationnelles ont été clarifiées et les résultats de l’enquête seront analysés », a ainsi déclaré un porte-parole.

Ce n’est pas la première fois que des véhicules de Nation unies sont touchés par des tirs depuis que l’armée israélienne a débuté son entreprise génocidaire au sein des territoires palestiniens. Un employé de l’ONU, de nationalité indienne, avait notamment été tué, en mai 2024, alors qu’il se trouvait dans un véhicule des Nations unies. En août 2024, un premier véhicule du PAM avait déjà été visé par les forces israéliennes. Un incident qui l’avait poussé à suspendre momentanément les mouvements de son personnel dans la bande de Gaza.

De quoi aggraver la situation sur le terrain, où les agences techniques de l’ONU – Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme alimentaire mondial (PAM), Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) – s’avèrent indispensables afin de fournir à la population palestinienne des soins, de la nourriture et de l’eau potable.

Le sort réservé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) reste quant à lui en mémoire. Directement visé par le gouvernement israélien, qui est allé jusqu’à voter en faveur de son interdiction, fin octobre 2024, l’Unrwa a été la cible de l’armée israélienne, comme de soutiens du gouvernement dirigé par le premier ministre Benyamin Netanyahou. Le complexe de l’Unrwa situé à Jérusalem-est a, par exemple, été visé par des jets de pierre récurrents ou par des rassemblements visant à mettre la pression sur l’agence onusienne.


 


 

Exposition sur Gaza annulée à Toulouse :
« C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe »

Gael Cérez (Médiacités) sur https://www.mediapart.fr/

Après l’interdiction de son exposition par la municipalité toulousaine, l’ONG Médecins sans frontières dénonce l’intention de la collectivité de cacher la souffrance des Palestiniens et les crimes commis par Israël. Et promet que l’exposition aura bien lieu dans les prochaines semaines.

Toulouse (Haute-Garonne).– Elle devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville, avec un vernissage annoncé le 11 janvier. Comme raconté par Mediapart, la mairie de Toulouse a renoncé à accueillir « We did what we could » (« On a fait ce qu’on a pu »), exposition réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui entend « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit »

Pour le maire Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains), « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public ». Auprès de notre partenaire Mediacités, la présidente de MSF, Isabelle Defourny, assure de sa détermination à pouvoir exposer ces images à Toulouse dès que possible.

Mediacités : Que montrent ces photos aujourd’hui interdites dans la ville rose ? 

Isabelle Defourny : C’est une exposition de photos prises par des photographes palestiniens et par du personnel de Médecins sans frontières dans la bande de Gaza. Elles montrent la réalité de la guerre menée par Israël et la souffrance de la population palestinienne, à travers l’expérience des soignants.

Elles montrent les afflux massifs de blessés dans les hôpitaux, les hôpitaux attaqués, les bombardements, la destruction de la ville, le manque de nourriture, le chaos qui s’installe, la société palestinienne anéantie. C’est un témoignage fort de la réalité de la situation actuelle.

MSF est toujours présent à Gaza, où elle compte 35 personnels internationaux et environ 800 personnels palestiniens. Votre ONG a perdu huit collaborateurs palestiniens depuis le début du conflit. Le titre de l’exposition est-il un hommage à leur mémoire ? 

Isabelle Defourny : Le titre de l’exposition signifie « On a fait ce qu’on a pu ». C’est un médecin de Médecins sans frontières qui a écrit cette phrase sur un tableau de service de l’hôpital d’Al-Awda, après avoir reçu un ordre d’évacuation d’Israël. C’était le 20 octobre 2023 dans le nord de la bande de Gaza. Ce médecin s’appelait Mahmoud Abu Nujeila.

« Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. »

Avec d’autres soignants, ils ont décidé de rester parce qu’il y avait beaucoup de malades. Le 21 novembre, il a été tué par l’armée israélienne à la suite d’une frappe sur l’hôpital. Il a écrit cette phrase sur le tableau comme une sorte de testament. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ils ont été tués.

L’exposition a été présentée pour la première fois en octobre au musée mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Quels ont été les retours ?

Isabelle Defourny : L’exposition a eu beaucoup de succès. Il y avait beaucoup de monde à l’inauguration. De tous âges. Il n’y a eu aucun trouble. On sent qu’il y a un intérêt pour comprendre la réalité de ce qui se passe à Gaza. Cette réalité est peu visible, notamment parce qu’il n’y a pas d’accès à des médias étrangers et que, malheureusement, les journalistes palestiniens ne sont pas toujours pris suffisamment au sérieux.

Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. À Gaza, c’est un rôle qui est amplifié par le fait qu’on est parmi les rares témoins internationaux de cette guerre.

L’exposition devait être présentée à l’Espace diversités laïcité, un lieu municipal consacré à la lutte contre les discriminations, dans le cadre du festival Cinéma et droits de l’homme. Comment se sont passés les échanges avec la mairie ?

Isabelle Defourny : La mairie a affirmé à l’AFP qu’elle n’avait pas été informée de cette exposition avant décembre. Ce n’est pas exact. Nous avons envoyé tous les documents à la mairie en octobre. Le 5 novembre, la Mission égalité diversités de la mairie nous a dit qu’ils étaient satisfaits de nous accueillir. Ils ont ajouté qu’il faudrait contacter la police municipale pour mettre en place un protocole de sécurité habituel dans ce cadre d’événements.

Le 21 novembre, ils sont revenus vers nous en disant qu’il allait y avoir un second arbitrage et qu’ils nous tiendraient au courant. Nous nous sommes tournés vers eux régulièrement, mais nous n’avons pas eu de réponse jusqu’à ce qu’on reçoive cette lettre de refus, deux semaines avant le début de l’exposition.

Qui a signé cette lettre ?

Isabelle Defourny : Elle est signée par Fella Allal, conseillère municipale déléguée à la lutte contre les discriminations. Elle nous dit : « Malgré la qualité de notre partenariat, je ne pourrai malheureusement réserver de suite favorable à votre demande. »

Et elle le justifie par la récurrence de certaines manifestations qui sont radicalisées, par la prise de position de certains députés, par la tenue d’opérations inacceptables à Toulouse et en disant que la tenue de l’exposition pose un risque évident de trouble à l’ordre public.

Comment avez‐vous réagi à la lecture de cette lettre ?

Isabelle Defourny : Nous sommes consternés. L’interdiction en elle‐même est hyper choquante. Les raisons évoquées par le maire aussi. Il fait un amalgame entre une exposition présentée par une organisation humanitaire qui donne à voir la réalité de ce qui se passe à Gaza et des manifestations radicalisées, des actes antisémites répréhensibles et des prises de position de députés.

C’est une façon de nous décrédibiliser et de décrédibiliser les personnes qui veulent parler de Gaza. Cela participe aussi à rendre invisibles la souffrance de la population palestinienne et la réalité des crimes extrêmement graves qui y sont commis.

« Il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français. »

Parler de Gaza, dans le cadre d’un festival sur les droits de l’homme, cela semble évident. C’est l’endroit dans le monde où se passent aujourd’hui parmi les crimes les plus graves. C’est attesté par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, avec des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens.

Celles et ceux qui dénoncent la situation à Gaza subissent beaucoup de pression. Estimez‐vous qu’un nouveau cran a été franchi avec l’interdiction de cette exposition ?

Isabelle Defourny : Depuis le début du conflit, il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français, et particulièrement au niveau des chaînes de télévision. Quelques médias continuent à en parler et à permettre qu’on s’exprime sur ce qui se passe à Gaza sans directement être accusé d’antisémitisme ou d’être complètement partial.

C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe. C’est très choquant, mais ce n’est pas non plus complètement une surprise. C’est dans l’ambiance actuelle, malheureusement. Ce que je trouve vraiment terrible, c’est qu’à nouveau on parle d’une situation où la Cour internationale de justice a dit qu’il y avait un risque plausible de génocide, où la Cour pénale internationale lance des mandats d’arrêt pour crime contre l’humanité.

Avez‐vous échangé avec la mairie depuis l’interdiction ?

Isabelle Defourny : Non. Il est possible que le maire de Toulouse ait accès à des informations que nous n’avons pas sur de réels troubles possibles à l’ordre public. Dans ce cas‐là, ils auraient pu nous contacter pour qu’on échange ensemble afin de trouver une solution.

Ne pas avoir eu la moindre discussion avec eux et être informés seulement deux semaines avant l’exposition, cela montre bien le fait qu’il n’y avait pas de volonté de rendre visible cette exposition.

Par contre, nous avons reçu beaucoup de propositions de lieux pour que cette exposition se fasse à Toulouse. Nous sommes bien décidés à la faire dans les prochaines semaines.

    mise en ligne le 8 janvier 2025

Le Parti socialiste en quête d’un compromis fécond

Bernard Marx sdur www.regards.fr

Le PS a entamé des négociations avec les ministres de l’économie et des comptes publics. À quelles fins ?

Ce mardi, Olivier Faure en a posé les enjeux de ces pourparlers sur France Inter avec une argumentation en 3 points :

  • 1. Il faut un budget pour la France.

  • 2. Le PS est ouvert au compromis parce que « s’il n’y a pas ce dialogue fécond, cela conduit à ce que l’extrême droite soit appelée au pouvoir, comme c’est le cas, en ce moment même, en Autriche »

  • 3. Les négociations vont porter essentiellement sur les retraites, les dépenses de services publics (éducation, santé…), le pouvoir d’achat et la justice fiscale. 

En clair, si les négociations aboutissent, le PS ne voterait pas la censure, ni après la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, ni sur le budget 2025. Il continuerait de s’opposer et de combattre la politique du gouvernement et notamment celle du duo Retailleau-Darmanin.

Le cas de l’Autriche est effectivement parlant. Mais la montée et l’arrivée de l’extrême droite à la direction du gouvernement autrichien ne sont pas seulement dues à l’échec des négociations entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Elles sont d’abord la conséquence des politiques qu’ils ont conduit ensemble ou séparément. Elles tiennent ensuite au renversement d’alliances décidé par les conservateurs qui ont choisi celle avec l’extrême droite. Elle sont dues, enfin, comme le souligne Romaric Godin dans Mediapart (voir plus bas), aux milieux économiques qui soutiennent ce renversement d’alliances. Elon Musk est loin d’être seul au monde.

S’agissant de l’Autriche, cela ne nous rajeunit pas. Mais s’agissant de la France, cela peut nous faire réfléchir. La censure, en janvier ou en mars du gouvernement Bayrou, l’enfoncement dans la crise politique et économique, voire la démission rapide d’Emmanuel Macron avec de nouvelles élections présidentielles dans l’urgence, ne seront pas propices à empêcher l’accession au pouvoir de l’extrême droite française.

Il aurait fallu pour cela que le Nouveau Front populaire ait sérieusement labouré le terrain d’un projet, d’un programme, d’une mobilisation active de la société. Bref qu’il ait fait Front populaire. Mais un compromis sur le budget ne créera pas en soi une situation plus favorable. Cela risque tout aussi bien d’être « encore un instant, monsieur le bourreau ». Qui pourrait prédire autre chose qu’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France si le dialogue entre le « socle commun » du gouvernement Bayrou et la gauche social- démocrate ne change pas la trajectoire d’une politique qui enfonce le pays et une grande majorité de la population dans un déclin sans espérance ?


 


 

Le chef de l’extrême droite appelé à former un gouvernement en Autriche

Romaric Godin sur www.mediapart.fr

Herbert Kickl, président du FPÖ, a été chargé par le président autrichien de constituer un gouvernement. Il devrait s’allier avec les conservateurs, dont l’aile proche des milieux économiques a soutenu ce renversement des alliances. 

Par un renversement spectaculaire des alliances, l’extrême droite autrichienne arrive aux portes du pouvoir. Lundi 6 janvier, le président fédéral de la République d’Autriche, Alexander Van der Bellen, a reçu Herbert Kickl, chef du parti d’extrême droite FPÖ, dans son palais de la Hofburg. Il lui a officiellement confié la charge de constituer un nouveau gouvernement. S’il y parvient, Herbert Kickl sera le premier chancelier d’extrême droite de la république alpine depuis la Seconde Guerre mondiale.

La pilule a dû être délicate à avaler pour le président autrichien, ancien porte-parole des Verts, élu comme candidat indépendant en 2016 face au candidat du FPÖ, et réélu au premier tour en 2022. Alexander Van der Bellen a toujours été perçu comme un rempart contre l’extrême droite. Mais la situation politique ne lui laissait plus le choix. « Une des plus importantes charges constitutionnelles du président fédéral est de s’assurer que le pays dispose d’un gouvernement fédéral qui fonctionne », a précisé le communiqué de la Hofburg annonçant la nomination de Herbert Kickl.

Ce dernier va désormais mener des négociations avec la droite conservatrice autrichienne de l’ÖVP qui, dimanche, par la voix de son secrétaire général, Christian Stocker, s’est dite « prête à répondre à une invitation » du FPÖ pour former un gouvernement. L’affaire semble donc entendue : le FPÖ est arrivé en tête des élections fédérales du 29 septembre 2024, avec 28,9 % des voix contre 26,2 % à l’ÖVP. Les deux partis disposent d’une majorité au Conseil national, la chambre basse du Parlement.

Ces événements peuvent évoquer ce qui s’est passé en 2000, lorsque le conservateur Wolfgang Schüssel, pourtant arrivé troisième des élections fédérales de 1999, avait dirigé une alliance avec le FPÖ de Jörg Haider. La stratégie de l’ÖVP était alors de confronter l’extrême droite au pouvoir afin de lui faire perdre de la crédibilité. Le pari avait été temporairement réussi, et le FPÖ s’était fracturé et affaibli, retombant à 10 % des voix.

En réalité, la situation est très différente. Le FPÖ a soldé sa crise des années 2000. Il est devenu le premier parti d’Autriche en se radicalisant. Et c’est lui qui va diriger le gouvernement. Le potentiel chancelier fédéral, Herbert Kickl, est connu pour ses liens avec les milieux néonazis et identitaires. La volte-face de l’ÖVP n’est pas, comme en 2000, un choix tactique, c’est un choix stratégique qui consiste à fermer les yeux sur la nature du FPÖ pour conserver le pouvoir dans des domaines que les conservateurs jugent essentiels. L’ère politique qui s’ouvre en Autriche est donc complètement nouvelle.

L’échec de la coalition à trois

Comment en est-on arrivés là ? La tragédie s’est jouée en cinq actes, comme c’est de rigueur. Après les élections du 29 septembre, le premier acte met en scène une tentative de coalition excluant le FPÖ. Cet essai est mené par le chancelier conservateur sortant, Karl Nehammer. À ce moment, l’ÖVP exclut toute alliance avec l’extrême droite, insistant précisément sur le caractère infréquentable de Herbert Kickl.

En décembre, Christian Stocker affirme ainsi : « Ceux qui collaborent avec l’extrême droite en Europe sont intolérables en tant qu’hommes politiques. » S’adressant à Herbert Kickl, il ajoute : « Monsieur Kickl, personne ne veut de vous dans cette maison [la chancellerie – ndlr] et personne n’a besoin de vous non plus dans cette république. »

L’ÖVP entame donc des négociations à trois avec les sociaux-démocrates du SPÖ et le petit parti libéral Neos. L’idée est de construire un gouvernement fédéral disposant d’une majorité assez large et faisant barrage au FPÖ. Mais les négociations traînent en longueur. La construction d’un budget, notamment, pose problème. ÖVP et SPÖ défendent des positions très éloignées. Après soixante-quatorze jours de négociations, le 3 janvier, Neos décide de quitter la table des discussions. Pour les libéraux, celles-ci ne sont pas à la hauteur des « défis du moment ». Dans les faits, Neos ne parvient pas à faire valoir ses idées de vastes réformes fiscales.

Le deuxième acte s’ouvre. Karl Nehammer et le chef du SPÖ, Andreas Babler, décident de tenter de renouveler la « grande coalition ». Mais les discussions sont toujours aussi délicates sur le plan budgétaire.

ÖVP et SPÖ sont d’accord sur la nécessité d’une consolidation budgétaire. Pourtant, le déficit public autrichien n’est pas alarmant. En 2023, il a atteint 2,6 % du PIB, contre 3,3 % en 2022. Le problème de l’Autriche est bien plutôt sa croissance qui, sur un an, a stagné au troisième trimestre (− 0,1 %) et, plus largement, son modèle économique. Mais en Autriche, la pression des milieux économiques, et notamment financiers, pour réduire le déficit est très forte.

Reste que l’ÖVP et le SPÖ ne sont pas d’accord sur la méthode à employer pour réduire le déficit. Les sociaux-démocrates réclament que les plus riches soient mis à contribution et proposent une taxe bancaire alourdie et la réduction des subventions au diesel. Tout cela est inacceptable pour l’ÖVP, qui veut repousser l’âge de départ à la retraite et relever la TVA.

Rapidement, une partie de l’ÖVP semble juger le compromis avec le SPÖ impossible. Selon les révélations de la presse autrichienne, ce sont les milieux économiques au sein du parti conservateur qui ont alors mené la danse.

Samedi 4 janvier, alors que les sociaux-démocrates ont déjà abandonné deux points importants de leur programme – le rétablissement d’un impôt sur les successions et d’un impôt sur le patrimoine –, l’ÖVP, et notamment son « aile économique », rejette toute demande de surtaxe bancaire. En fin d’après-midi, après une suspension de séance, Karl Nehammer annonce à Andreas Babler qu’il rompt les négociations. Dans la foulée, il annonce sa démission de la chancellerie fédérale et de la direction de l’ÖVP.

La volte-face des milieux économiques

S’ouvre alors le troisième acte, celui du retournement des alliances de l’ÖVP. Un des artisans de cette ouverture des conservateurs à l’extrême droite semble être Wolfgang Hattmannsdorfer, nouveau président de la Chambre économique, une structure qui représente les entreprises auprès du monde politique. Il est favori pour remplacer Karl Nehammer à la tête de l’ÖVP et, peut-être, pour devenir vice-chancelier.

Le scénario qui semble s’être dessiné est que « l’aile économique » de l’ÖVP a considéré que le prix à payer pour une grande coalition, notamment une augmentation de la taxe bancaire, était trop élevé. Elle a trouvé des appuis parmi certains dirigeants du parti qui gouvernent déjà des Länder avec le FPÖ, et sont habitués à manier une rhétorique xénophobe. C’est notamment le cas de Johanna Mikl-Leitner, présidente de la région de Basse-Autriche, qui vient de déclarer qu’elle engage un « combat contre l’islam ». Selon le quotidien viennois Der Standard, elle aurait soutenu le tournant au sein de l’ÖVP.

En finir avec la grande coalition pour accepter de rejoindre un gouvernement avec le FPÖ supposait évidemment de sacrifier Karl Nehammer, défenseur de la ligne dure contre l’extrême droite. En passant, cela permettait de faire avancer l’agenda personnel d’un Wolfgang Hartmannsdorfer tout en préservant les intérêts des secteurs économiques protégés par l’ÖVP. Logiquement, Christian Stocker a traduit cette nouvelle orientation de la droite autrichienne par son invitation à la négociation avec le FPÖ.

Le quatrième acte se joue à la Hofburg, dimanche 5 janvier. Alexander Van der Bellen peut-il jouer ce rôle de rempart qui lui a valu ses deux élections à la présidence fédérale ? En octobre, il avait pu éviter de charger Herbert Kickl de former un gouvernement, en dépit de la première place du FPÖ, parce que l’ÖVP de Karl Nehammer avait exclu toute alliance avec lui. Malgré ses 27 %, le FPÖ était isolé et incapable de former un gouvernement.

Les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ sont concordants. Georg Knill, président de l’Alliance industrielle autrichienne

Avec la révolution de palais chez les conservateurs, les choses ont changé. Dans une conférence de presse, dimanche 5 janvier, le président doit le reconnaître en constatant que les voix contre une alliance avec l’extrême droite « se sont faites plus silencieuses » ces derniers jours. Une litote pour constater le renversement des alliances de l’ÖVP. Dès lors, ses options étaient limitées.

Sa première possibilité aurait été de dissoudre le Conseil national. Mais cette dissolution n’est possible, selon l’article 29 de la Constitution, qu’une seule fois pour le même motif. Autrement dit, si Alexander Van der Bellen dissout le Conseil national et que les élections renvoient un Parlement de même facture, il devra se soumettre et nommer Herbert Kickl chancelier. Or les enquêtes d’opinion laissaient entrevoir un renforcement du FPÖ. Cette dissolution, intervenant trois mois après le dernier scrutin, n’aurait pas sorti le pays de la crise politique.

Nommer un gouvernement technique non plus, dans la mesure où l’ÖVP, désormais mûr pour une alliance avec le FPÖ, ne l’aurait pas nécessairement soutenu. Un tel gouvernement aurait été un moyen de forcer une grande coalition après l’échec des négociations. Il ne restait donc que deux options à Alexander Van der Bellen : sa propre démission ou la nomination de Herbert Kickl. Dimanche soir, en invitant ce dernier à la Hofburg, il a choisi cette deuxième option. Et il l’a confirmée lundi matin.

Un profil inquiétant

Le cinquième acte s’écrit en ce moment. C’est la construction de cette nouvelle alliance sur des bases qui restent à définir, mais qui semblent devoir découler des événements précédents. L’ÖVP a choisi de s’allier avec le FPÖ sur la base de priorités économiques. C’est sur ce point qu’il va défendre ses positions. Il pourra compter sur un appui prononcé des milieux économiques. Le président de l’Alliance industrielle autrichienne, Georg Knill, qui n’avait eu de cesse de fustiger le programme « ennemi de l’économie » du SPÖ durant la campagne électorale, s’est réjoui lundi que les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ soient « concordants ».

Le FPÖ devra sans doute abandonner quelques promesses économiques, sur les retraites ou le salaire des fonctionnaires, mais le jeu en vaut la chandelle. D’abord parce que les milieux économiques, du moins ceux de l’ÖVP, seront sans doute ravis de lutter contre ce que Herbert Kickl appelle le « communisme du climat » : réduction des subventions aux énergies vertes et réduction des normes environnementales.

Mais surtout, il y a fort à parier que l’ÖVP lui laisse les coudées franches sur la question de la répression policière, des migrants, des discriminations. Alexander Van der Bellen a certes posé des limites au nouveau gouvernement : respect de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit, des droits des minorités, de l’indépendance des médias et de l’appartenance à l’Union européenne.

Mais l’exemple italien et surtout l’exemple hongrois montrent bien que la stratégie de l’extrême droite est moins d’instaurer directement une dictature que de détruire sournoisement les fondements de la démocratie. Souvent avec l’appui de la droite traditionnelle.

De ce point de vue, le profil du FPÖ de 2025 est inquiétant. Son programme et ses propos visent les demandeurs et demandeuses d’asile et les minorités sexuelles et de genre, mais aussi les mineurs de moins de 15 ans condamnés qu’il veut envoyer en prison. Herbert Kickl défend la déchéance de nationalité pour les Autrichiens naturalisés condamnés, le retour aux méthodes éducatives des années 1950 ou encore l’établissement de « traîtres au peuple ».

Le point le plus délicat à résoudre sera sans doute la politique étrangère. Le FPÖ, allié du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, est encore très eurosceptique, et il est surtout ouvertement prorusse.

En mars 2023, les députés de ce parti ont ainsi quitté les bancs du Parlement qui accueillait le président ukrainien. Mais il semble qu’il y ait de la bonne volonté des deux côtés. Ce sera sans doute un point de friction avec l’ÖVP, qui est un parti europhile et très largement pro-occidental. Mais au regard de leur volte-face, les conservateurs semblent prêts à faire bien des concessions pour éviter toute levée sur les banques ou les plus riches.

Le cas autrichien confirme donc une tendance qui semble s’accélérer depuis les derniers mois de 2024. Une part croissante du monde économique semble s’être radicalisée pour défendre ses intérêts. Dans des économies stagnantes comme l’Autriche, le capital est déterminé à ne faire aucune concession qui puisse réduire sa rentabilité. En cela, l’extrême droite, qui est, de son côté, prête à respecter les intérêts des puissances économiques et qui bénéficie d’un soutien croissant de la population, devient son alliée naturelle et utile

   mise en ligne le 8 janvier 2025

Plus de 250 jeunes sans papiers occupent toujours la Gaîté lyrique, à Paris

Yannis Angles sur www.mediapart.fr

Depuis le 10 décembre, l’établissement culturel est occupé par plus de 250 personnes. Propriétaire des lieux, la mairie de Paris n’a aucune solution d’hébergement pérenne à leur proposer. Dans l’attente, ces jeunes exilés continuent de lutter, et, pour certains, de rêver.

La musique résonne à la Gaîté lyrique, dès lors que l’on passe la porte. Au premier étage, en haut des marches, on aperçoit un petit groupe de jeunes en train de danser alors que d’autres réinstallent leurs effets personnels dans la salle de spectacle parisienne, après le passage le matin de l’entreprise d’entretien venue faire un grand nettoyage des sols. Les jeunes récupèrent leurs affaires dans des sacs avec leur nom, puis redisposent leur couchage en rangs d’oignons à l’identique, à côté de leur compagnon de galère.

Depuis le 10 décembre, la Gaîté lyrique n’accueille plus de concerts, mais des mineur·es sans papiers. Au premier jour de l’occupation, le lieu culturel a tant bien que mal tenté de rester ouvert au public, en diminuant drastiquement sa programmation, avec à la clé plusieurs centaines de milliers d’euros de pertes. Une seule exposition demeurait accessible jusqu’au mardi 17 décembre. Puis, l’annonce est tombée par communiqué : « La Gaîté lyrique est dans l’incapacité de maintenir les conditions pour permettre l’accueil du public dans les espaces. »

Les conditions de vie sont pourtant loin d’être idéales. Le personnel de l’établissement a souligné dans un autre communiqué que le lieu « ne dispose pas des espaces sanitaires nécessaires pour offrir une solution d’hébergement respectueuse et digne ». Un constat partagé par les résident·es. « On est au chaud, mais on n’a rien pour se laver ni pour faire à manger », raconte un jeune, Barry, délégué du groupe. Chaque jour, il doit sortir pour trouver ce qui manque : une douche, un endroit pour laver ses vêtements, par exemple. « On va à l’hôtel de Ville pour la douche, mais il n’y en a qu’une pour plus de 250 personnes », rapporte-t-il.

Les revendications de ces occupants temporaires et des associations qui les accompagnent tiennent en quelques mots : un toit pour tous, un centre d’accueil pérenne et la réquisition des bâtiments vides. Dans le même temps, Le Monde a rapporté que la préfecture de Paris avait informé les chefs d’établissement des lycées parisiens de non-reconduction d’un dispositif d’hébergement d’urgence logeant une centaine de lycéens. L’horizon semble donc, pour 2025, tout aussi bouché que l’an passé.

Pas le cœur à la fête

La nuit du réveillon, Yared*, un Éthiopien de 15 ans, se lève de son couchage pour venir à notre rencontre. Il s’inquiète d’abord de savoir si nous sommes de la police, beaucoup ce soir viendront nous poser la même question. Il est arrivé il y a trois jours. Avant de trouver refuge à la Gaîté lyrique, Yared avait passé quelques jours à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) pour récupérer de sa traversée de l’Espagne. « Je ne pensais pas être si mal accueilli à mon arrivée en France », lâche-t-il, fatigué de ce qu’il endure depuis. Juste à côté de lui, la tête enfouie sous la couette, un autre jeune tente de trouver le sommeil, malgré la musique et la lumière.

En attendant le repas, assis à une table, cinq de leurs compagnons écoutent une bénévole leur faire une dictée. D’autres en profitent pour se retrouver autour d’un baby-foot, se poser pour discuter, ou même se refaire une beauté. Installé sur un tabouret, un très jeune garçon, comme saucissonné dans un sac-poubelle, se fait couper les cheveux par un jeune qui manie la tondeuse avec dextérité.

Il est 20 heures, la musique s’arrête, un petit groupe de délégués s’active, le repas vient d’arriver. Pour célébrer cette nouvelle année, ni petits-fours ni champagne. Comme tous les soirs, une portion de riz au poulet est distribuée aux quelque 250 résident·es, le tout financé à l’aide des dons reçus sur leur cagnotte en ligne. Mais avant de manger, une petite assemblée générale est organisée autour de deux thèmes principaux, la lutte pour un toit et des papiers, et la vie collective. Chacun des occupants et occupantes peut prendre le micro, parfois pour des détails, comme le rappel d’éteindre les téléphones la nuit, afin de respecter le sommeil des autres, ou encore le respect de la propreté des lieux communs.

Un temps d’échange qui se conclut avec la distribution du repas. Certains ont juste le temps de finir qu’ils sont déjà sur la piste de danse pour profiter jusqu’au bout de la nuit de ce temps de cohésion. À l’extérieur, dans le froid et le calme de la nuit, un occupant de la Gaîté lyrique est assis sur le rebord de la fenêtre de la Poste voisine. Il enchaîne les cigarettes de manière frénétique. Ce soir, il n’a pas le cœur à la fête. Il s’est isolé pour trouver un coin de calme. L’occasion pour lui de tenter d’appeler sa famille au pays et de prendre des nouvelles. « Je laisse les autres profiter de la fête, je rentrerai avant l’extinction des feux à 0 h 30 », confie-t-il, tout en allumant une nouvelle cigarette, perdu dans ses pensées.

« Difficile de tenir le coup »

Barry, le délégué du groupe, n’a pas été reconnu mineur, et se bat contre cette décision en appel devant le tribunal administratif, « mais cela peut durer six mois, un an ou même plus », dénonce-t-il. Durant ce délai, aucune solution ne lui a été proposée, donc c’est le retour à la rue. « J’ai habité un mois vers la station de métro Pont-Marie, dans une tente, c’était très difficile », explique-t-il. La routine était la même chaque jour : le soir à partir de 18 heures, il allait chercher sa tente là où il l’avait cachée le matin même, avec la crainte que la police ne l’ait détruite. Chaque jour, un réveil identique : « Vers 5 heures ou 6 heures, la police venait nous évacuer. »

Abdourahaman, 16 ans, a vécu lui aussi pendant trois mois sous le Pont-Marie qui relie l’île Saint-Louis au quai de l’Hôtel-de-Ville, dans le IVarrondissement de Paris. Aujourd’hui, il a trouvé refuge à la Gaîté, sans que cela règle pour autant tous ses problèmes : « On est plus de 250 personnes à s’entasser ici, c’est difficile de tenir le coup aussi longtemps », raconte-t-il.

Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Léa Filoche, adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris

Avant l’étape Gaîté lyrique, Barry et Abdourahaman ont découvert le Collectif des jeunes du parc de Belleville, déjà à l’œuvre dans d’autres occupations de lieux publics parisiens comme l’Académie du climat, le Cent-Quatre, puis la Maison des métallos, des opérations ayant toujours conduit à des mises à l’abri provisoires par les pouvoirs publics. Depuis, les deux jeunes gens ont décidé de s’investir au sein du collectif en tant que délégués, un rôle important lors d’une occupation. « Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer », dit Barry, qui ne chôme effectivement pas entre la préparation des repas, la gestion des plannings, l’organisation des assemblées générales ou encore la médiation nécessaire quand surviennent les conflits, inévitables dans cette gigantesque colocation informelle, entamée il y a plus de trois semaines.

Même si les services municipaux se sont rendus régulièrement à leur rencontre, Barry dénonce l’absence de solution concrète. Léa Filoche, adjointe chargée des solidarités, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris, considère que l’ensemble des lieux d’hébergement prévus sont déjà tous saturés. « Je n’ai plus de gymnases. Je n’ai plus de solutions. J’ai déjà 500 mineurs pris en charge », affirme-t-elle.

L’adjointe explique se sentir bien seule face à cette situation qu’elle qualifie « d’intenable » et à laquelle elle n’estime plus avoir les moyens de répondre. « Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Mais il ne veut pas les accueillir, il préfère les laisser à la rue que de s’approprier ces lieux », dénonce l’adjointe.

Alors que l’occupation s’installe dans le temps, que peuvent espérer Barry et Abdourahaman ainsi que leurs compagnons de lutte pour l’année de 2025 ? « [Avoir] gain de cause et  enfin un logement stable et digne », espère Abdourahamane. Barry, qui rêve de devenir journaliste, espère pour sa part que cette nouvelle année sera celle où ils obtiendront une certaine stabilité pour tous : « Je veux qu’on puisse aller à l’école, travailler et pouvoir construire notre futur. »

* Les prénoms des personnes qui témoignent ont été changés pour assurer leur anonymat.


 


 

À la Gaîté Lyrique, les jeunes du parc de Belleville s’organisent contre les violences d’État

Par Louise Sanchez Copeaux sur https://www.bondyblog.fr/

Au sein de ce lieu culturel occupé depuis trois semaines, les jeunes migrants du collectif ont organisé une assemblée générale autour des violences qu’ils subissent. Reportage.

Alors que l’occupation du lieu culturel parisien dure depuis trois semaines, le jeudi 2 janvier s’est tenue une assemblée générale autour du thème des violences policières. Organisée par les occupants et les mineurs isolés du Collectif des jeunes du Parc de Belleville, cette rencontre a permis à plusieurs intervenants de témoigner sur le sujet.

Ces jeunes dénoncent la violence d’État qui rythme leur quotidien, qu’elle soit policière, institutionnelle ou judiciaire. « Tout ce qu’on subit en France n’est pas normal. On ne peut aller nulle part, on ne peut que se promener et c’est là qu’on se fait violenter », relate un délégué du collectif de Belleville avant de céder la parole.

Gardes à vue, agressions physiques…

Au micro, trois jeunes hommes témoignent. Ils racontent que, le plus souvent, les violences sont précédées de contrôles d’identité ou de titre de transports ou même de visites à l’hôpital pour se soigner. Gavey*, 16 ans, raconte s’être fait poursuivre dans le métro, à la station Denfert-Rochereau. « Les policiers ont cassé mon casque, mon sac à dos, m’ont tiré et frappé de tous les côtés », témoigne-t-il. L’adolescent a passé près de 24 heures au commissariat, où les coups ont continué à pleuvoir tout au long de la nuit, assure-t-il.

Abdoulaye évoque, lui, une interpellation violente et injustifiée. Le 18 décembre, après la manifestation en vue de la journée internationale des migrants, il se fait attraper devant l’entrée du métro et est accusé d’avoir touché un policier. « Il m’a menotté, on m’a emmené de force au commissariat. Je voulais prévenir l’association Utopia 56, mais on m’a pris mon téléphone, mes affaires et refusé tout ce que je demandais », dénonce-t-il.

Sa garde à vue a duré 48 heures. Il n’a pu parler qu’à un avocat qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu depuis. « On m’a tendu un papier et on m’a dit que j’étais obligé de le signer. On m’a aussi dit de donner mes empreintes si je ne voulais pas faire trois ans de prison », raconte-t-il, abasourdi. Le papier en question, que nous avons consulté, fait état d’une reconnaissance de culpabilité et d’un rappel à la loi.

La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien

Le dernier témoignage commence aussi dans le métro, à Jaurès. Selon le mineur, des contrôleurs l’ont frappé et ont essayé de fouiller son sac alors qu’il descendait les escaliers. « On ne m’a même pas demandé mon nom. J’ai refusé la fouille, car ils n’étaient pas policiers, mais la police est arrivée et m’a emmené en garde à vue », rapporte ce dernier.

« La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien », souffle l’adolescent. Les violences policières commises sur les personnes exilé.es sont documentées par les associations. Dans un rapport publié par plusieurs d’entre elles, dont Médecins du monde, quelque 450 cas de violences policières envers des migrants vivant à la rue, en Île-de-France, sont recensées. Un chiffre largement sous-estimé, selon ces associations, qui dénoncent des pratiques « systémiques ».

Les familles de victimes de violences policières en soutien

Les violences d’État ne sont pas seulement subies par les jeunes sans papiers. C’est un combat commun, appellent les intervenantes extérieures. En tant que représentantes des comités de Vérité et Justice pour les victimes décédées aux mains de la police, deux mères sont venues témoigner de leur soutien.

Très émue, Amanda raconte l’histoire de Safyatou, Salif et Ilhan, son fils. Âgés respectivement de 17, 13 et 14 ans le 13 avril 2023, les trois enfants se sont fait percuter en scooter par la police dans le 20ᵉ arrondissement, en sortant de la mosquée pendant le ramadan. Grièvement blessé, Ilhan a quand même été emmené en garde à vue.

Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes

« La police n’est pas seulement violente, elle est raciste. Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes », déplore Amanda devant l’assemblée. Et de conseiller aux jeunes présents de ne pas rester seuls dans l’espace public.

La mère de Lamine Dieng est, elle aussi, présente. Son fils est décédé le 17 juin 2007 suite à un plaquage ventral lors d’un contrôle de police. Elle rappelle l’importance de s’organiser, d’avoir des initiatives collectives et autonomes. « C’est comme si tout ce que faisaient les jeunes noirs était criminalisable par la police », s’émeut-elle. Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng a établi depuis longtemps des revendications concrètes et effectives contre les violences policières. Parmi elles, l’interdiction du plaquage ventral, de la clé d’étranglement, du pliage ou des lanceurs de balles de défense (LBD).

S’informer et se rassembler

Au cours des discussions, plusieurs intervenants prennent la parole pour partager des conseils concrets et proposer des initiatives. Des membres de l’assemblée Anti-CRA (centres de rétention administratifs) d’Île-de-France proposent d’animer un atelier à la Gaîté sur les réflexes à avoir en cas d’arrestation et de rétention.

« Dans les CRA, la police décide de tout : de la durée des visites, des placements en isolement, de quand faire des fouilles », expliquent les militants. Ces derniers rappellent les décès de ​​Mohammed, un homme d’origine égyptienne en mai 2023 au CRA de Vincennes. Régulièrement, les associations dénoncent les conditions de rétention dans ces centres dans lesquels se multiplient les décès et les suicides.

Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité

Des avocats de la Legal Team (collectif d’avocats contre la répression) sont également présents pour partager leurs analyses et apporter quelques recommandations. « Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité et ne vous considèrent pas. Mais il faut quand même bien connaitre vos droits », recommande Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.

Ce dernier insiste sur l’importance de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue. « Le médecin n’est pas toujours un ami, l’avocat peut en revanche prendre vos blessures en photos, les constater, assister à vos échanges avec la police…», fait-il remarquer. Sa consœur met en garde contre la violence judiciaire et psychologique qui succède aux violences policières. « L’IGPN vous verra non pas comme une victime, mais comme l’auteur d’une infraction. Il ne faut pas porter plainte contre la police avec trop d’espoir. Je conseille de prendre cette décision avec la détermination et l’accompagnement nécessaire », insiste-t-elle.

Entretenir des conditions de vie en collectif

L’occupation a commencé mardi 10 décembre 2024. Certains jours, des rassemblements ont lieu devant la Gaîté Lyrique à 18 heures, suivis par des AG où se discute l’organisation du quotidien au sein des lieux. Malgré les efforts du collectif, les conditions de vie sont difficiles.

« On ne dort pas normalement, on ne mange pas normalement, on ne se lave pas normalement… C’est la première fois que je reste dans une occupation. Ça commence à être fatiguant », raconte Mohammed, 16 ans. « La vie ici avec les autres est un peu compliquée. On est là toute la journée alors parfois, on s’énerve. Parfois, quelqu’un se fait mal à cause des tensions. C’est difficile », confie Bouba, 17 ans.

L’État et la mairie de Paris ne répondent pas aux revendications des occupants. Du côté de la mairie, l’adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.es, Léa Filoche, expliquait à Mediapart que malgré les logements vides nombreux à Paris, « c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin ».

On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut

Les mineurs isolés se heurtent alors non seulement à la violence, mais à l’inaction des institutions. Mohammed se rappelle tous les rendez-vous qu’on lui a donnés en Île-de-France, qui n’ont jamais abouti. Ces interminables démarches l’épuisent. « Il n’y a pas de solutions ici à Paris. Je pense qu’à la campagne, ça peut être mieux, ou à Lyon, Marseille… », envisage-t-il. Bouba déplore l’inaction de la mairie de Paris. « Avant, j’étais devant l’Hôtel de Ville, j’ai dormi sur les quais de Seine pendant quatre mois. On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut », constate-t-il.

Ce que la majorité des jeunes occupants attendent, c’est d’être officiellement reconnu mineur, d’être “confirmé” pour accéder à leurs droits. « Même confirmés, les jeunes doivent savoir que les problèmes ne se terminent pas, il reste encore beaucoup de défis. On est logés, mais affectés dans un bâtiment, mélangés avec ceux qui n’ont pas été reconnus mineurs. On n’a pas le droit de sortir, d’avoir notre propre argent. Il n’y a pas d’eau potable, pas assez d’eau chaude pour tout le monde. On m’a transféré parce que je ne me laissais pas faire et je posais des questions sur ces conditions de vie », témoigne un mineur à distance, via un message pré-enregistré et diffusé lors du rassemblement.

Alors que l’occupation dure depuis presque un mois, la Gaîté Lyrique a fermé le lieu au public le 17 décembre et a suspendu sa programmation culturelle. Dans des communiqués, la direction se joint à leurs revendications et presse la Ville de Paris de trouver une solution de relogement pour tous les occupants.

*Tous les prénoms ont été modifiés

     mise en ligne le 7 janvier 2025

Philippe Val, celui qui a vendu l'âme de Charlie Hebdo

Grégory Marin sur www.humanite.fr

Le journal satirique, rigolard et irrévérencieux, a changé de ton et de cible depuis quelques années. L’influence de son ancien directeur Philippe Val, flirtant à l’époque avec le pouvoir sarkozyste, se ressent à nouveau.

C’est l’histoire d’un canard sauvage qui a fini par être domestiqué, promu « symbole mondial de la liberté d’expression contre l’obscurantisme » par ceux-là mêmes qu’hier il brocardait. La critique est de Daniel Schneidermann, dans un livre à paraître aux éditions du Seuil, le Charlisme raconté à ceux qui ont jadis aimé Charlie. Depuis 2015, après l’attentat qui a laissé la rédaction exsangue, le journal a changé. Mais, à bien y regarder, la dérive était déjà importante, dès 1992 et la renaissance de l’hebdomadaire.

Journal irrévérencieux héritier de Hara-Kiri, Charlie Hebdo « meurt » en 1981. Provisoirement. Car le chansonnier Philippe Val lorgne le titre. En 1991, il avait pris la tête de l’équipe rédactionnelle de la Grosse Bertha, hebdomadaire satirique et « bordélique » dans lequel œuvraient Cabu et Charb. À « un éclat de rire par page » succède un précepte cher à Val : « Il faut des indignations », rapportera la rédaction après son départ. Déjà se dessinaient les contours de son projet futur, dévoilé à l’été 1992 lorsque Charlie Hebdo reparaît : « On ne rigole plus. »

Un changement d’époque

Malgré la présence des grands anciens, Wolinski et Cavanna, Charlie Hebdo va se mettre à « reproduire peu à peu les positions dominantes », analysait Mathias Reymond pour Acrimed en 2008. « Dans les années 1970, Cabu s’insurgeait “contre toutes les guerres” et collectionnait les procès intentés par l’armée. » En 1999, il soutient, avec la majorité de la rédaction (à l’exception de Charb et Siné) et dans la roue de Val, l’intervention militaire de l’Otan au Kosovo.

Dans le numéro 361 du 19 mai 1999, « Riss, qui n’écrit pas d’ordinaire », prend la place de la chronique de Charb, reprochant « aux pacifistes d’être des collabos », souligne Reymond. Même ton pour la campagne sur le traité constitutionnel européen de 2005 : Val « conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du “non” au référendum », souligne Acrimed.

Lors du festival de Groland de Quend, en 2007, Charb, enregistré par Pierre Carles, prenait ses distances : « Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo. (…) Si j’étais directeur d’un journal, (…) il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas. » Il sera exaucé deux ans après. Trop tard pour corriger les effets négatifs : après les décès des dessinateurs Gébé et Bernar, les départs des journalistes Olivier Cyran, François Camé, Anne Kerloc’h, Michel Boujut, Mona Chollet, Lefred Thouron partira à la suite d’un dessin sur Patrick Font, le chansonnier et ex-comparse sur scène du directeur, en procès pour pédophilie.

Dans le même temps arrivent des plumes plus consensuelles : le dessinateur Joann Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, Renaud Dély et Philippe Lançon de Libération, Anne Jouan du Figaro. Et surtout l’essayiste Caroline Fourest, qui, aujourd’hui, relativise les morts d’enfants palestiniens.

« Islamo-gauchisme » et jet-set

Fiammetta Venner, déjà en poste à Charlie, et elle vont mener, avec la bénédiction de Val, très ouvertement pro-israélien, la lutte interne contre « l’islamo-gauchisme ». La publication des caricatures de Mahomet, en 2006, sera instrumentalisée, et la figure de la « petite conne » musulmane aussi utilisée que celle du prédicateur islamiste, rapprochant du journal des personnalités éloignées de la gauche radicale, comme Bernard-Henri Lévy.

Charlie va entrer dans d’autres cercles, des plateaux télé de Thierry Ardisson aux marches du Festival de Cannes. En 2005, Philippe Val confiait au magazine TOC qu’il entendait « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui (il) entret(enait) des rapports cordiaux ». « Plus jamais le charlisme ne parviendra à s’arracher de l’orbite dévorante du pouvoir », écrit Schneidermann.

Ce sont surtout les prétentions de Val à intégrer les cercles politiques qui vont cliver. Le 2 juillet 2008, Siné écrit dans une chronique consacrée à Jean Sarkozy que le « fils de » vient « de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit » ! Bien que l’information, publiée par Libération, émane du patron de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, Siné est cloué au pilori par « le milieu de l’information ». Il doit répondre d’antisémitisme. Pourtant soutenu par Cavanna, Tignous, Honoré, il sera viré.

Sans doute l’analyse de Cavanna, dans Mohicans (Julliard), de Denis Robert, se révèle juste : « La débâcle (du journal – NDLR) a commencé avec le travail de sape de Val, pour qui Charlie Hebdo n’était qu’un marchepied vers une carrière de lèche-cul politique », lâchait-il. Car même si Charlie a continué avec une embellie sur le plan des idées entre le départ de Philippe Val en 2009 pour France Inter et la mort de Charb, son remplaçant, en 2015, son influence persiste.

Des combats contre les puissants, et pour l’écologie, menés à coups de fous rires rageurs, ne subsistent que de rares traces, effacées par l’obsession anti-islamiste, voire quelquefois antimusulmane. Sans doute ceux qui se proclament les chantres de la liberté d’expression, aujourd’hui, sont plus Printemps républicain que Charlie canal historique.

 

    mise en ligne le 7 janvier 2024

Reprenons le travail

MattiefloNogi sur https://blogs.mediapart.fr/

(les intertitres et la mise en gras sont le fait de 100-paroles)

Ils nous ont volé « la République », ils nous ont volé « la laïcité », ne leur laissons pas « le travail ». Au sens propre, comme au figuré, reprenons le travail !

Ce billet d'un simple sympathisant de la gauche et des écolos propose quelques réflexions, bien inspirées par les idées de F. Ruffin.

Aux côtés de la “république” et de la “laïcité” et probablement d’autres, la notion “travail” est depuis quelques années victime d’une récupération réactionnaire. De Sarkozy à Macron, ils semblent ne plus avoir que “la valeur travail” en tête. Autrefois, notion essentielle des forces humanistes et du progrès, elle devient désormais un totem de la droite, des libéraux, voire de l’extrême-droite. Projet émancipateur, source de statut, de revenus, de protection et de fierté, le travail est en train de basculer et il devient progressivement un marqueur important dans la bataille d’idées qui fait rage.

Le travail selon la droite

Exemple révélateur, les macronistes ont presque toujours ce mot à la bouche. Lors de son discours de politique générale en janvier 2024, G.Attal déclarait : « Ma première priorité, ça va être de continuer à soutenir la France qui travaille. Il y a beaucoup de Français qui sont au rendez-vous de leurs responsabilités tous les jours, qui travaillent, parfois dans des conditions difficiles, qui font tourner le pays. »

Notons déjà le “continuer à soutenir”, avec un sens de l’ironie qu’on ne lui soupçonne pas, il fait sans doute référence à la retraite à 64 ans, mesure rejetée par 90% des travailleurs. “Des français qui sont au rendez-vous de leur responsabilité” ; le bon travailleur pour eux c’est donc celui qui surtout ne se plaint pas, prend ses responsabilités et travaille sans rien attendre en retour. L’apologie de l’effort, un peu surannée, mais qui va si bien avec leur conservatisme, n’est pas loin. Il faut comprendre, en creux, que l’adversaire c’est bien sûr celui qui ne veut pas travailler, le fainéant qui se gave d’allocations, mais jamais l’actionnaire dont les dividendes explosent (ici). 

Pour eux, défendre le travail, c’est pour qu’il paye plus que l’inactivité (ex : ici). Le sous-entendu est clair, il y a ceux qui travaillent dur et ceux qui profitent. Pas question évidemment d’augmenter les salaires pour qu’ils rapportent plus, la cible désignée à la vindicte populaire c’est celui qui ne travaille pas : le demandeur d’emploi, forcément bénéficiaire d’allocations, alors que dans les faits, seulement un chômeur sur deux bénéficie d’allocations chômage. Naturellement, il est responsable, voire coupable de sa situation, puisqu’il “suffit de traverser la rue”. Pourtant les chercheurs nous rappellent qu’en aucun cas, les allocations chômage ne peuvent rapporter plus que le salaire (lire ici).

Les bénéficiaires du RSA? Ce sont forcément des profiteurs. Plutôt que de les voir comme des privés d’emploi aux situations personnelles complexes, ils sont de plus en plus fréquemment considérés comme des parasites. Grâce au gouvernement actuel, pour recevoir le RSA (607€ pour une personne seule et c’est déjà trop pour eux) le bénéficiaire devra faire 15 heures d'activité par semaine. Comment ? Avec qui ? Peu importe, l’enjeu c’est de créer une démarcation entre les allocataires et ceux qui travaillent durement : “La France qui se lève tôt”. Il s’agit d’insister sur la responsabilité individuelle, plutôt que d’offrir une solidarité minimale alors même que la société ne peut offrir un emploi décent à tous. C’est le principe des politiques dite “d’activation”, si chères à nos gouvernants, qui ont pour finalité de forcer les bénéficiaires à accepter n'importe quel emploi. Peu importe que l’effet sur le terrain soit nul (lire ici), ce qui compte c’est l’affichage.

La logique est la même avec le projet du gouvernement de réduire la durée des allocations pour les plus de 55 ans. S’ils sont au chômage c’est un choix. Il faut donc réduire la durée de leur allocation. Encore une fois, il s’agit de montrer du doigt des coupables.

En prétendant “défendre la valeur travail” (jamais les travailleurs d’ailleurs, terme trop daté pour leur novlangue de cabinet de conseils), c’est bien le travail au quotidien qu’ils attaquent : report de l’âge de la retraite, réduction du pouvoir des salariés dans l’entreprise (ordonnance Macron de 2017 qui réduit l’importance des délégués du personnel), baisse de la protection contre le chômage… Il s’agit finalement d’exiger toujours plus aux travailleurs et de réduire leur protection. 

Difficile de comprendre dans ces conditions ce qu’ils défendent au juste. Il apparaît clairement que leur objectif est autre : instaurer un clivage entre les travailleurs et créer un ennemi de l’intérieur ; celui qui ne travaille pas. Dans “Je vous écris du Front de la Somme”, F. Ruffin souligne qu’à l’ancienne division “nous” contre “ils” c’est-à-dire les travailleurs contre les capitalistes, ils veulent ajouter une troisième ligne de rupture “eux” : les profiteurs, les chômeurs, bien souvent les immigrés voire les fonctionnaires. Glorifier le travail comme le font les libéraux et l’extrême droite n’a qu’un objectif : sauvegarder l’ordre établi et la domination du capital, et morceler le “camp des travailleurs”.

Quand on regarde de plus près l’état du travail en France après leurs années de politique qui vise à défendre le travail, il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser.

Le terme “smicardisation” s’entend de plus en plus fréquemment. Pour cause, le réveil est difficile : en 2022, 17,3% des salariés sont au SMIC. Ils n’étaient que 10% en 2012. Beau résultat pour ceux qui veulent que le travail paie. Lorsqu’ils souhaitent  “désmicardiser” la France, il s’agit sans aucun doute de supprimer le SMIC, une lourdeur de plus pour ceux qui veulent tout libérer (“libérer”, une autre notion probablement victime de la récupération réactionnaire).

A crier partout que le travail doit payer plus que l’inactivité, ils oublient sciemment de dire que le travail ne paie pas suffisamment. Un salarié sur six est au salaire minimum, incontestablement les salaires décrochent. Le constat est pire si on se limite aux salariés à temps-partiel : ils sont 37% au salaire minimum. Petits revenus et temps partiel subi ; le halo du chômage regroupe environ 13% de la population (ici), l’emploi est avant tout un “mal-travail”. Pire, les revenus baissent à cause de l’inflation : Le salaire mensuel a baissé de 2,6% en 2 ans, alors qu’en 2008-2009 et 2012-2013, au plus fort de la précédente crise, les salariés n’avaient pas perdu de pouvoir d’achat. Cette perte de revenus ne vient pas de nulle part : les dividendes explosent en France depuis la fin du Covid. 

Au-delà de la question du salaire, et sans doute avant elle, il y a celle de la sécurité au travail et de sa pénibilité, terme que notre Président “n’adore pas” (ici). 

Et pourtant le travail fait souffrir en France. Premièrement, il tue : environ 700 morts chaque année, soit deux par jours (ici). Ensuite, il abîme de plus en plus : comme le souligne F.Ruffin (ibid.) : "En 1984, il y avait 12% des salariés qui subissaient trois contraintes physiques, aujourd’hui c’est 34%.” Deux morts par jour, un tiers des salariés qui font face à des contraintes physiques, il faudrait sans doute ajouter au tableau les nombreux cas de mal-être, de burn-out, de perte de sens. Évidemment, cela ne concerne pas tous les salariés, et nombreux sont ceux pour qui le travail peut encore être une source d’épanouissement. Malheureusement, ils ne sont plus que la moitié à considérer qu’ils peuvent encore avoir une influence sur les décisions qui les concernent dans leur entreprise, contre 65% dans le reste de l’Europe (dossier Alternatives Économiques février 2024). 

Pourtant, les français sont attachés à leur travail et ils en attendent beaucoup.

C’est une particularité des français, qui explique sans doute notre relation complexe avec le travail, entre 1999 et 2018, plus de 60 % des Français déclaraient que le travail était très important dans leur vie, contre 50 % pour les Danois, les Hollandais, les Allemands ou les Britanniques (source : Bigi, M., Méda, D. Prendre la mesure de la crise du travail en France. SciencesPo, laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.) Cette appréciation est partagée en France par toutes les catégories de population, y compris par les étudiants et les retraités qui sont généralement moins concernés par le sujet.

La France est ainsi « l’un des pays européens où les attentes par rapport au travail sont les plus élevées : au-delà du salaire, les Français attendent de leur travail qu’il soit intéressant et leur fournisse un cadre fort de sociabilité”. (source ibid.)

Des attentes très fortes vis-à-vis du travail font ainsi face à des salaires insuffisants, une pénibilité qui va croissante, et un sens au travail qui s’étiole. Le cocktail s’avère explosif. Pourtant nos gouvernants ne semblent pas considérer ces sujets comme essentiels. Ils semblent oublier que la plupart des travailleurs ont à coeur de bien faire leur métier. “Le plaisir du travail bien fait” et “l’art du métier” sont une composante majeure du dynamisme des entreprises, et à trop maltraiter le travail, les risques de décrochage sont importants comme le montrait il y a quelques années Jacques Généreux dans “la Déconommie”. 

Face à cela, que serait-il possible de faire pour défendre le travail dans les faits et non dans les mots? Proposons, en toute modestie, quelques pistes. 

Tout d’abord, il est indispensable de poursuivre la bataille des idées, “tenir la tranchée” et rappeler inlassablement à quel point les gouvernements successifs ont abîmé le travail. Face aux offensives des médias aux mains de millionnaires, aux éditorialistes au service des puissants, il faut rappeler partout que le chômeur ne choisit pas de l’être, mais subit un système qui n’offre pas sa chance à tout le monde, que le bénéficiaire du RSA n’est pas un profiteur mais qu’il bénéficie d’une solidarité pour faire face à une situation difficile, que le fonctionnaire n’est pas un fainéant mais œuvre comme il peut au bien commun, que le migrant n’est pas là pour voler notre travail mais contribuer à la richesse nationale, que les cotisations sociales ne sont pas des charges mais des contributions pour assurer la protection de tous face aux aléas de la vie, et enfin que le salaire n’est pas un coût mais une richesse. Là où ils cherchent à nous diviser, à cliver, il faut rassembler largement tout ceux qui n’ont que leur travail pour vivre et qui, le plus souvent, souhaitent le faire bien. 

Ensuite, il semble important de soutenir l’aspiration de tous ceux qui souhaitent travailler mieux. Un mouvement porté par une jeune génération en quête de sens, de nombreuses organisations, le secteur de l’ESS, le mouvement coopératif (une belle illustration avec les Licoornes) et tous ceux qui souhaitent entreprendre autrement, et qui intègrent d’ambitieux principes de démocratie, de partage, de défense de l’environnement ou de relocalisation dans leurs modèles. Il s’agit de ne pas d’être dupes, et dénoncer ceux qui pratiquent seulement l'affichage et le greenwashing (lire ici) en maintenant un système destructeur fondé sur l’exploitation de la nature, mais bien de valoriser et défendre, ceux qui sont intègres dans leur démarche peut contribuer à asseoir leur place dans l'économie et redonner du sens pour de nombreux travailleurs. 

Enfin, évidemment, il faudra réclamer haut et fort la défense des salaires et des conditions de travail, en sortant du piège tendu par les modèles type “prime Macron” ou baisse des “cotisations sociales” qui donnent d’un côté et reprennent de l’autre. Cela est essentiel. Il peut s’agir de limiter les écarts de salaires de 1 à 20 dans l’entreprise ou encore d’indexer les salaires sur l’inflation. Augmenter les salaires peut toutefois être inutile dans un contexte de forte inflation. Une piste intéressante, peut-être plus efficace et vertueuse pour notre démocratie, pourrait être d’agir du côté des charges incompressibles de tout un chacun en portant une politique ambitieuse de renforcement des services publics : le logement en premier lieu (logements sociaux, rénovation…), éducation et soins de qualité et gratuits, politique pour les transports en commun et les mobilités alternatives, voire renforcement du service public de l’énergie… Les services publics sont bien “le capital de ceux qui n’en ont pas” et apportent de précieux moyens à tous les citoyens.

Face aux risques politiques, économiques, sociaux et climatiques qui nous font face (précédent billet : quel est le moment ?), reprendre le travail ouvre un horizon supplémentaire pour proposer une alternative mobilisatrice.

  mise en ligne le 6 janvier 2025

Mayotte, la gauche attendue

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Macron, Bayrou et Le Pen se sont rendus à Mayotte et ont fait entendre leurs visions de la reconstruction de l’île. Bien vite, sûrement, entendrons-nous les visions de la gauche.

Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.

Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.

Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.

Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.

La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.

Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne. 

Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.

Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.

L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État.

mise en ligne le 6 jenvier 2025

Pourquoi le travail obligatoire au RSA est la pire mesure de Macron

par Rob Grams sur https://www.frustrationmagazine.fr/

Ce 1er janvier, la réforme du RSA, expérimentée jusqu’à présent dans certains territoires, a été généralisée à l’ensemble du pays. Concrètement, les allocataires du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant, pour rappel) vont être inscrits d’office à France Travail, ex-Pôle Emploi, et devront réaliser obligatoirement 15h d’activités par semaine, qui vont de l’atelier réalisation de CV à de « l’immersion en entreprise », c’est-à-dire du travail gratuit. S’ils ne font pas leurs heures, les Conseils généraux, qui versent le RSA, pourront le suspendre et, concrètement, laisser ces gens déjà très pauvres crever de faim. Que l’on ne s’y trompe pas : la réforme du RSA est une mesure de mise au pas de toute la société, en terrorisant les plus pauvres et en faisant peur aux autres.

L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les fractions les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable. 

Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici l’une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle. 

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis le 19 décembre dernier. Cet avis devrait alerter tous les défenseurs de la démocratie puisqu’elle estime que la réforme du RSA « porte atteinte aux droits humains ». Elle dénonce notamment un « dispositif qui subordonne le versement d’un revenu minimum de subsistance à la réalisation d’une contrepartie », d’autant que le montant actuel du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant) « ne permet, par ailleurs, pas de vivre de façon digne ».

La CNCDH « alerte également sur la régression du droit à l’accompagnement social s’il se transforme en un contrôle sur l’effectivité de la remise au travail. Il risque en effet de contribuer à la maltraitance institutionnelle – tant auprès de la population ayant besoin de cette protection et y ayant droit que du côté des agents des administrations chargés d’appliquer des règles imprécises et/ou incomprises. »

La réforme du RSA : la création d’un nouveau salaire minimum à moins de 500 euros par mois

Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois et de ses prédécesseurs du Parti socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure, donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques. 

On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous-payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.

Pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?

Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy et censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en services civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois. 

De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ? Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà. 

Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires

Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois. 

Le chômage est un job à plein temps

En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître et impose toutes ses règles tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.  

La réforme renforce le flicage sur les chômeurs en se mêlant de tous les aspects de leur vie, et surtout de la façon dont ils occupent leurs journées. C’est pourquoi, dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que la réforme menace les libertés individuelles : « En renforçant le contrôle de l’emploi du temps des personnes sommées de s’investir pour un nombre d’heures donné dans une recherche professionnelle, certaines dispositions de la réforme renforcent les risques d’intrusion disproportionnée dans la vie privée des allocataires et de leur famille, du fait du partage de données personnelles sensibles à grande échelle. »

C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.

Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail – et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) – est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivation et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi… tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on n’a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine. 

Un projet qui traduit la nullité en économie de nos dirigeants

La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”).  Ou a minima leur profonde mauvaise foi. Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand, après 2008, le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes, ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?

Ainsi, transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires. 

Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale. 

Dans cette logique, la transformation, en 2009, du RMI (le revenu minimum d’insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (revenu de solidarité active), c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles, etc.), rendant les concernés responsables de leur situation. 

Ne pas être apte à travailler, ou ne pas pouvoir gagner sa vie grâce à son travail, ce n’est pas être un fainéant  

L’idée répandue par des bourgeois sans aucune expérience, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.

Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :

Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. En réalité, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on n’y a pas droit quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?

Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser?  Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?

Les femmes harcelées sexuellement au travail, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?

Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaine mais qui ne gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ?  Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?

Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 64 ans si la réforme des retraites est maintenue et qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?

J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est-ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant trois mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?

Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever. 

Pas envie de bosser ? Et alors ?

Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir ! 

En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ? 

Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité. 


 


 

« Le RSA ou
un contrat de travail »

Par Richard Dethyre, fondateur de l’Apeis et auteur de la pièce « comment ils ont inventé le chômage ». sur www.humanite.fr

Le RMI ancêtre du RSA a été créé en 1985 par le gouvernement Rocard pour verser une prestation minimale à tous ceux qui après avoir été licenciés avaient épuisé leur droit aux Assedic. Cette mesure inaugure en France toutes les actions destinées à « lutter contre cette nouvelle pauvreté issue du chômage de masse ».

Le I, l’insertion promise du RMI était l’habillage destiné à ne pas laisser s’installer les gens dans ce type de statut ni qu’on imagine qu’on pouvait percevoir une prestation sans contrepartie. L’insertion promise n’a jamais été garantie. Car l’emploi promis, l’insertion n’ont jamais été au rendez-vous. Ce sont des millions de sans travail qui ont dû se rabattre sur cette perfusion sociale minimale. Bien entendu, tous les plans relais, stages SIVP, TUC, SRA, etc. ont assuré au divers gouvernement que tous ceux qui passent par les dispositifs ne figurent pas dans les statistiques mensuelles du chômage.

Le relais pris par le RSA, n’a pas modifié les choses. Mais, nous sommes dans une société plus dure. Les campagnes permanentes contre les profiteurs, les feignants, ceux qui ne veulent même pas traverser la rue… alors qu’il n’y a qu’à se baisser, ont pour effet de retourner l’opinion contre la victime qui devient coupable. Aujourd’hui, une majorité des gens pensent que proposer une activité en échange du versement du RSA serait une bonne chose pour tout le monde. Bah c’est vrai quoi, les villes ne sont pas bien propres et on ne doit pas verser d’allocations sans contrepartie non ?

J’ai consulté à nouveau les études consacrées aux « bénéficiaires » du RSA : 85, 90, 95 % selon les années disent toutes que leur demande numéro un c’est d’accéder à un emploi… qu’on ne leur propose pas ! il y a officiellement malgré toutes les mesures destinées à le dissimuler 5 millions 750 000 chômeurs et seulement 350 000 emplois disponibles.

D’ailleurs, si les Wauquiez et autres ayatollahs du travail sans contrat regardaient les études de la DRESS accessible à tous, ils constateront le caractère récurrent de l’aller-retour entre l’emploi précaire, court et le retour au RSA. Car un contrat court, n’ouvre pas de droit à l’assurance chômage. Entre 2011 et 2020 : 2 sur 5 soit 40 % ont connu au moins une sortie et une nouvelle entrée. Et 1 sur 10 a connu au moins deux sorties suivies d’au moins deux entrées sur la période citée.

Plus de 5 milliards de fonds du RSA ne sont pas alloués à leurs bénéficiaires. Le non-recours est une spécialité bien française. Pourquoi ne perçoivent-ils pas cette prestation ? Pour une majorité, c’est « la honte qui arrive en tête », suivie par « croyant ne pas y avoir droit » et « découragé par les démarches »…

Ces hommes politiques, faut-il qu’ils n’aient aucune décence, aucune empathie, aucun respect de toutes celles et tous ceux, qu’ils considèrent être des gens en trop… Ces mères célibataires de plus en plus nombreuses, ces 6 chômeurs sur 10 non-indemnisés, ces trop vieux pour travailler mais pas assez pour la retraite.

Petit conseil aux prestataires visés par le retour du travail sans contrat. Si vous n’êtes pas encore bénévole actif d’une association, vous pourriez en créer une qui aurait pour objet : « informer et aider ceux qui ne perçoivent pas le RSA mais qui y ont droit à le percevoir »… ça aurait plein de vertus, briser l’isolement, se solidariser et pourquoi pas partir en manifestation collectivement pour aller botter le cul aux Wauquiez et consorts qui s’empiffrent avec l’argent public en réceptions obscènes où chaque repas coûte 1 100 euros.

    mise en ligne le 5 janvier 2025

Après l’étonnant voyage à Damas des ministres français et allemand,
les questions demeurent

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.

Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.

Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.

Des vœux pieux et beaucoup de non-dits

Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».

Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).

C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».

Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.

Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.

En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.


 


 

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité » :
à Strasbourg, les Alévis dénoncent les exactions contre les minorités en Syrie

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.

« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.

« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.

Des exactions contre les communautés

Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.

« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.

Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.

« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.

 

    mise en ligne le 5 janvier 2025

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014, 9 757 en rejoignant l’Espagne : toujours plus d’exilés disparus
dans l’indifférence en 2024

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la Manche, en Méditerranée centrale ou sur « la route de l’Atlantique », le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont perdu la vie aux frontières de l’Europe a atteint des records en 2024. L’indifférence aussi.

Faudrait-il inventer, à l’occasion des fêtes de fin d’année et des bilans annuels chiffrés, un baromètre de l’indifférence ? Une décennie après l’abandon par les Italiens de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum, il révélerait sans doute les abysses d’inhumanité dans lesquels sombrent les États européens face aux drames migratoires qui se jouent à leurs frontières maritimes.

Trois personnes, au moins, ont encore trouvé la mort, dimanche 29 décembre, vers 6 heures du matin, au large de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, alors qu’elles tentaient de rejoindre les côtes britanniques par la mer. Cette nouvelle tragédie porte à 75 le nombre de personnes mortes noyées à la frontière franco-britannique en 2024.

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014

Ce « record » est la conséquence directe des politiques répressives mises en œuvre dans le cadre des accords sécuritaires passés entre Londres et Paris et de la surdité volontaire que les autorités opposent aux appels incessants des élus et associations à un changement radical dans la gestion du phénomène migratoire à nos frontières.

Penser qu’il faudrait permettre, à des personnes en quête d’un refuge, de circuler dans un cadre légal et d’être systématiquement assistées lorsqu’elles se trouvent en danger de mort n’est pourtant pas de l’idéalisme. C’est du pragmatisme, si tant est que le respect de la vie humaine reste une valeur cardinale. Les chiffres de l’année écoulée laissent malheureusement craindre que ce ne soit plus le cas pour les dirigeants des pays membres de l’Union européenne.

Plus de 40 000 exilés, selon l’Organisation mondiale pour les migrations, ont péri en Méditerranée centrale depuis 2014, dont 2 368 au cours de l’année qui s’achève, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et les ONG, comme SOS Méditerranée, qui tentent inlassablement de secourir ces damnés parmi les damnés sont régulièrement attaquées à des fins médiatico-politiciennes.

9 757 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’Espagne en 2024

Médecins sans frontières a par exemple annoncé dix jours avant Noël la fin de ses opérations de secours dans cette zone, expliquant que « les lois et politiques italiennes » rendent « impossible la poursuite du modèle opérationnel actuel ».

Cependant, dans le nord de la France, comme en Méditerranée centrale, les logiques visant à rendre impraticables, plutôt qu’à les sécuriser, les voies de migration n’empêchent aucunement les personnes contraintes à l’exil de partir. Elles choisissent d’autres chemins, dans le même but, en prenant toujours plus de risques.

C’est ainsi que depuis près de cinq ans ladite « route de l’Atlantique » est de plus en plus pratiquée par ceux et celles qui cherchent un refuge européen. En partance de pays de l’Ouest africain, comme la Mauritanie, des milliers de nos semblables tentent de rejoindre les îles espagnoles des Canaries.

Et, là aussi, en l’absence de voies légales et sécurisées, le morbide décompte a explosé. En 2024, selon l’association ibérique Caminando Fronteras, 9 757 femmes, hommes et enfants ont rejoint les profondeurs de l’océan plutôt que les côtes espagnoles. Soit 58 % de plus qu’en 2023, victimes de l’indifférence.

    mise en ligne le 4 janvier 2025

La France en Afrique : derrière les bases militaires, la remise en question d’un système néocolonial

Benjamin König sur www.humanite.fr

Les récentes annonces de rupture des accords de coopération militaire par le Tchad et le Sénégal puis la Côte d'Ivoire ont à nouveau placé la question des relations franco-africaines sur le devant de la scène. Derrière des réalités différentes demeure un enjeu central pour la politique étrangère tricolore : quand va-t-elle se rendre compte que l’ordre néocolonial vacille ?

Lorsque Jean-Noël Barrot s’est envolé de Ndjamena le 28 novembre, le ministre des Affaires étrangères, reconduit dans le gouvernement Bayrou, ressemblait au ravi de la crèche. Satisfait d’avoir évoqué « la crise la plus grave de notre époque », celle du Soudan voisin. À peine avait-il mis le pied dans l’avion que le Tchad annonçait, par la voix de son homologue, Abderaman Koulamallah, la rupture brutale de l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays depuis 1976, alors que près de 1 000 soldats français sont encore stationnés dans un pays stratégique pour la France : « Il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques selon les priorités nationales. »

Le même jour, c’est le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, qui sur France 2 estimait que « la souveraineté (du Sénégal) ne s’accommode pas de la présence de bases militaires ». Des propos réitérés à l’occasion des vœux du 1er janvier, avec « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 ». À Dakar, environ 350 soldats français sont encore cantonnés en plein cœur de la ville. Une présence qui dure depuis… près de cent ans.

Enfin, toujours lors des vœux de nouvelle année, c’est cette fois-ci un allié fidèle – voire un affidé – de Paris qui annonçait la rétrocession de la base française où 1 000 soldats sont stationnés : « Nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire », a déclaré le chef d’État Alassane Ouattara, lui aussi forcé de prendre en compte ce thème devenu majeur pour les jeunesses africaines.

Double revers diplomatique

Ces nouvelles remises en question suivent celles beaucoup plus conflictuelles des trois pays ayant connu des coups d’État militaires depuis 2021 : Mali, puis Burkina Faso, enfin Niger, où les derniers soldats ont plié bagage à la va-vite voici un an. Pour René Lake, politologue et administrateur du site SenePlus, « le double revers diplomatique infligé à la France marque une étape critique dans les relations franco-africaines », mettant l’accent sur « des décisions qui soulignent un rejet grandissant de l’ordre néocolonial par les nations africaines ».

Que s’est-il passé pour que Tchad, Sénégal et aujourd’hui Côte d’Ivoire dénoncent à quelques jours d’intervalle cette présence militaire, en des termes quasiment identiques ? Malgré des discours et des causes similaires, les situations sont très différentes. « Dans des pays comme le Sénégal et le Tchad, cette revendication s’exprime de manière variée, mais elle converge autour de principes communs : autonomie économique, contrôle des ressources nationales et respect des choix politiques locaux », décrypte René Lake.

Ces décisions revêtent toutefois un caractère propre à chaque pays. Au Sénégal, la question des bases militaires françaises avait déjà été soulevée par le président Abdoulaye Wade dès les années 2000. Elle avait été au cœur des préoccupations des Sénégalais lors de l’élection présidentielle de mars dernier, puis les législatives de novembre, remportées par le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).

« Camouflet pour Macron »

Mais il s’agit, bien évidemment, d’un « camouflet pour Macron, qui s’inscrit dans un processus amorcé dès la fin de la guerre froide, en 1989 », analyse Félix Atchadé, médecin et responsable du collectif Afrique du PCF. Selon lui, « Paris, malgré les mutations de l’ordre mondial, parvenait encore à maintenir son influence sur ses anciennes colonies. Aujourd’hui, cet ordre vacille. »

En juin 2024, conscient de ces remises en question, Emmanuel Macron avait annoncé une réduction des effectifs dans tous les pays, Sénégal et Côte d’Ivoire inclus. Il avait pompeusement nommé Jean-Marie Bockel « envoyé personnel en Afrique », avec la charge de remettre un rapport sur le sujet après discussions avec les chefs d’État concernés.

Or la fuite de plusieurs éléments de ce rapport, remis à Emmanuel Macron le 25 novembre, a, semble-t-il, agacé Bassirou Diomaye Faye et ses compatriotes. Car, si Jean-Marie Bockel évoquait un dialogue mené « dans un état d’esprit positif », le même préconisait néanmoins de garder une centaine de soldats à Dakar… de façon unilatérale.

Au Tchad, malgré la véhémence de la première réaction, les enjeux sont en réalité d’ordre diplomatique. Pour le dire en des termes crus, « Barrot a complètement déconné », blâme Guy Labertit, ancien délégué national Afrique du PS et auteur d’Anticolonialement vôtre (Karthala, 2024). D’autant qu’au Tchad – comme ailleurs – Emmanuel Macron « est très attaqué pour avoir adoubé Mahamat Déby », rappelle-t-il.

Allusion à la passation de pouvoir verrouillée par l’héritier d’Idriss Déby, le père, tué en 2021 après trente et un ans d’un pouvoir autocratique appuyé par la France. « Au Tchad, avec Barrot, c’est la Françafrique qui continue, de la façon la plus bête qui soit », déplore Guy Labertit.

Lors de sa visite éclair, Jean-Noël Barrot a exigé la neutralité du Tchad dans la guerre au Soudan voisin, où Mahamat Déby est un soutien des rebelles de Hemetti. Cette rupture « ne concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle », a précisé Mahamat Déby, tandis que son premier ministre, Allamaye Halina, indiquait que la décision « s’inscrit dans une volonté de renforcer la souveraineté nationale et de réévaluer les accords internationaux ». Cela signifie « qu’ils veulent rediscuter », décrypte Guy Labertit.

Les ruptures brutales avec les trois pays dirigés par les militaires et unis dans l’Alliance des États du Sahel (AES), Mali, Burkina Faso et Niger, où la France ne compte même plus d’ambassadeur, semblent avoir servi de leçon. « Finalement, je suis heureux de voir ce qui se passe, car nous avons toujours voulu la fin de la Françafrique », résume Guy Labertit. Le hic est que cela se fait au détriment de ce que pourrait être une véritable politique étrangère, comme l’analyse René Lake : « La question fondamentale est : la France continuera-t-elle de s’accrocher à une posture réactive, dictée par le maintien de ses intérêts stratégiques et économiques, ou bien adoptera-t-elle une approche proactive et transformatrice, axée sur la reconnaissance des aspirations africaines ? » Il serait plus que temps.

    mise en ligne le 4 janvier 2025

« Nous sommes horrifiées et préoccupées » : deux rapporteures de l’ONU alertent sur les « sommets d’impunité » d’Israël contre le droit à la santé des Palestiniens

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.

Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.

Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».

Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».

« Nous sommes horrifiées et préoccupées »

La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».

Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».

Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.

« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin

Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.

De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.

« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.

De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).


 


 

Guerre à Gaza : avec la destruction de l’hôpital Kamal Adwan, Israël anéantit
le système de santé palestinien

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.

L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.

D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.

Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.

Aucun signe de vie du directeur

Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.

Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.

« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.

Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.

L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.

« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.

Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz

« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.

La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.

Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »

Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.

En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.

Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »

Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».

Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.

L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou

Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.

« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».

Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.


 


 

« Netanyahou n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu » :
le Dr Mustapha Barghouti dénonce
le nettoyage ethnique en cours à Gaza

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.

Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.

Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?

Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.

Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.

On parle pourtant de négociations…

Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.

Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?

Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.

Que peuvent donc faire les Palestiniens ?

Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.

Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.

Que voulez-vous dire ?

Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique

    mise en ligne le 3 janvier 2025

« Il ne nous attaque jamais frontalement » : à Perpignan, les acteurs de la solidarité menacés
par le maire RN Louis Alliot

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.

« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »

Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».

« Il ne nous attaque jamais frontalement »

Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.

« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »

En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »

Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.

« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »

« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.

La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.

« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »

Un engagement citoyen qui résiste malgré tout

Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »

À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.

C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).

La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.

Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »

Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements

Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.

Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.

Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence


 


 

« Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer "des marrons" » : à la frontière franco-espagnole la répression raciste envers les exilés s’intensifie

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.

Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.

« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.

Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.

Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible

« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »

L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.

Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».

« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »

Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.

« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.

« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »

Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.

*Le prénom a été modifié.


 


 

« Les ONG ne doivent pas hésiter à saisir la justice pour se défendre » : alerte l’avocat Vincent Fillola face à la recrudescence des attaques politico-médiatiques

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.

Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.

Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.

Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?

Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.

Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?

Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.

Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.

Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?

Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.

Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.

Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…

Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.

Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.

    mise en ligne le 3 janvier 2025

Maltraitance institutionnelle :
« On ne veut pas d’une société qui favorise l’exclusion sociale »

Par Lilia Aoudia sur https://www.bondyblog.fr

Cette année, ATD Quart Monde a fait de la lutte contre la maltraitance institutionnelle sa priorité. Dans son rapport sorti en septembre, l’association formule quatre propositions pour en sortir sur la base de témoignages de personnes en situation de pauvreté et de personnels maltraités par les institutions. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.

C’est un baromètre d’un nouveau genre que propose ATD Quart Monde. À l’issue d’un travail de deux ans avec les personnes concernées, l’organisation documente la maltraitance institutionnelle à l’endroit des plus précaires et ouvre des pistes de changement. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.

Qu’est-ce que la maltraitance institutionnelle ?

Benoît Reboul-Salze : Il y a la définition telle qu’elle a été prévue par la loi depuis 2022. Suite aux scandales dans les EHPAD et les crèches, la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance a été créée en 2018. Mais je préfère partir de l’avis des personnes avec qui nous sommes engagés.

La maltraitance institutionnelle, c’est un jeune de 17 ans qui dépend de l’aide sociale à l’enfance et qui va être lâché seul en plein vide une fois majeur. C’est une maman enceinte de son troisième enfant qui appelle à l’aide parce qu’elle est à la rue et à qui on répond après plusieurs heures d’attente : « Désolé, il n’y a pas de place pour vous, rappelez demain ». C’est une personne au RSA qui n’a pas vu passer un courriel atterri dans ses spams et qui se retrouve désinscrite et privée d’aide pendant un mois. Et on a plein d’exemples comme ça.

Les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la précarité

Il y a la maltraitance institutionnelle vécue du côté des personnes en situation de pauvreté, mais aussi celle vécue du côté des agents des institutions. Ces derniers souffrent de leur impuissance face à des demandes urgentes auxquelles ils ne peuvent pas répondre par manque de moyens ou d’organisation. Certains essayent des solutions à leur niveau. D’autres abandonnent parce qu’ils ont l’impression d’avoir perdu le sens de leur profession. Il y a un terrible paradoxe, car les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la spirale de la précarité.

Donc les personnes précaires sont les principales cibles de cette maltraitance ?

Benoît Reboul-Salze : Elle est subie par énormément de personnes dans la société, mais elle s’installe beaucoup plus durablement chez les plus pauvres. D’abord parce qu’ils ont moins de moyens pour se défendre. Quand on a été discriminé toute sa vie, on a peur, on a honte. Ils accumulent des difficultés tous les jours et sur tous les sujets possibles. On l’a mesuré dans des territoires dans lesquels était expérimenté le RSA conditionné. Les employés de France Travail ont tendance à se concentrer sur les gens qui ont le plus de facilité à trouver un travail.

On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place

Nous, on ne veut pas d’une société qui favorise l’exclusion sociale. On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place. On parle toujours du devoir des personnes précaires, mais il ne faut jamais oublier qu’il y a d’abord les droits garantis par la Constitution et par les pactes internationaux que la France a signés.

À quoi est due la maltraitance institutionnelle ?

Benoît Reboul-Salze : On a travaillé pendant deux ans avec des personnes en situation de pauvreté, des agents et des responsables institutionnels. À l’issue de ce travail, on a identifié 16 causes et mécanismes de la maltraitance institutionnelle qu’on a regroupées en quatre familles. La première famille de causes qu’on identifie correspond aux choix politiques qui ne répondent pas aux besoins de la lutte contre la pauvreté. Lorsque les politiques sont fondées sur des préjugés tels que « les pauvres sont des fainéants », « les pauvres sont des fraudeurs », « les pauvres ne sont pas en capacité d’aller travailler »… Et bien forcément, la politique élaborée va être faussée parce qu’elle n’aura pas été pensée avec les personnes concernées.

On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé

La deuxième famille est liée à la première : on vit dans une société de méfiance et d’incompréhension où on n’arrive pas à communiquer les uns avec les autres. Il faut qu’on soit solidaires, qu’on apprenne à se rencontrer. La troisième famille concerne la méfiance de la part des institutions. On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé. Mais la fraude des pauvres est une pauvre fraude quand on la compare à la fraude fiscale.

Cette méfiance institutionnelle provoque le non-recours, la non-effectivité des droits. Aujourd’hui, 50 % des gens qui ont droit à l’aide de solidarité pour les personnes âgées (ASPA) ne la demandent pas. 34 % des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas. Des études publiques montrent que 17 % des Français ne demandent pas leur droit à des aides sociales parce qu’ils craignent le contrôle et l’intrusion des services sociaux dans leur vie. Enfin, la quatrième grande famille repose sur le fonctionnement des institutions. C’est la question de la dématérialisation par exemple.

De plus en plus, il faut avoir recours à Internet et c’est hyper maltraitant pour des gens qui ne savent pas lire, pas écrire, qui ne maîtrisent pas le calcul. Même des gens qui savent utiliser un smartphone ne sont pas forcément à l’aise pour envoyer un courriel à la Caisse d’allocation familiale de leur région. Les institutions veulent augmenter la dématérialisation pour des questions d’efficacité et de gestion de budget, mais dans les faits, ça pénalise beaucoup de gens.

On parle souvent d’Emmanuel Macron comme le président des riches, est-ce que son mandat a accentué cette exclusion des plus précaires ?

Benoît Reboul-Salze : Les chiffres le confirment. Depuis une vingtaine d’années, on constate une vraie dégradation de la lutte contre la pauvreté et avec une réelle augmentation de l’exclusion sociale. Et c’est d’autant plus flagrant ces dernières années avec les réformes liées au logement qui ont entraîné des réductions de l’Aide personnalisée au logement (APL) ou encore un manque de logements sociaux.

Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés

On peut parler aussi des domaines de la santé et de l’école. La dernière mesure sur les groupes de niveau est une catastrophe pour nous. Mais l’exclusion des plus précaires ne concerne pas uniquement le gouvernement Macron. Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés.

ATD Quart Monde a justement réalisé un maltraitomètre, une sorte de baromètre avec différents niveaux allant de la bienveillance institutionnelle à la violence systémique. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?

Benoît Reboul-Salze : On peut parler de bienveillance institutionnelle lorsque l’institution joue son rôle de garante de l’accès au droit. C’est le cas lorsqu’une personne précaire trouve du soutien auprès d’une assistante sociale, par exemple. L’idée, c’est de réussir à placer le curseur entre les différentes situations du quotidien. Dans le cadre d’une liste de logements prioritaires, soit le logement proposé correspond aux attentes du demandeur et dans ce cas l’institution sera considérée comme bienveillante. Soit, le logement présenté est insalubre et dans ce cas, il y a maltraitance.

La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions

Au-delà de la maltraitance institutionnelle, on trouve la violence systémique qui dépend de la structure sociale et qui induit une forme de reproduction. La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions. Cette faille se répercute à la fois sur les agents qui se retrouvent à devoir accompagner 400 personnes dans un chemin de retour à l’emploi au lieu de 40. Mais aussi sur les bénéficiaires qui voient les délais de traitement de leurs démarches s’allonger.

Le passage de la bientraitrance à la maltraitrance tient en une question : est-ce que les institutions ont les moyens de leur ambition ? Certaines d’entre elles trouvent le moyen de dépasser cette maltraitance. Il y a des missions locales qui se sont affranchies du justificatif de domicile par exemple. Il est demandé par toutes les institutions dans le cadre de démarches administratives, mais selon la loi, il reste facultatif. Ça peut paraître anodin, mais en réalité, cette adaptation permet d’accueillir les jeunes plus librement sans qu’on leur demande un million de papiers pour justifier de l’aide qu’on leur apporte.

Dans le maltraitomètre, il existe plein d’autres situations : quand il n’y a plus de services publics dans le quartier, quand on n’écrit ou qu’on ne parle pas bien le français, quand on est en difficulté et qu’on a besoin d’être accompagné dans une démarche. Le maltraitomètre est un outil intéressant pour se situer, prendre conscience de sa place, dialoguer et se poser des questions.

Quelles sont vos revendications au sein d’ATD Quart Monde pour lutter contre la maltraitance institutionnelle ?

Benoît Reboul-Salze : On a quatre grands axes. Le premier, c’est de respecter la Constitution. Il faut garantir des moyens convenables d’existence inconditionnels, insaisissables à tout le monde. Le terme “inconditionnel” n’est pas dans la constitution, mais c’est nous qui l’ajoutons parce qu’on souhaite que personne ne puisse se retrouver en dessous d’un certain seuil. Aujourd’hui, ce seuil, on estime qu’il est à 50 % du revenu médian, donc autour de 935 euros par mois pour une personne seule.

Le deuxième axe absolument essentiel, c’est de remettre de l’humain dans les services publics. Ça implique d’arrêter de dématérialiser à tout-va. On n’est pas contre la numérisation, mais il faut former des professionnels à accueillir les personnes très pauvres et ça passe par des moyens humains. Le troisième ensemble consiste à s’assurer de l’effectivité des droits. Une des raisons pour laquelle les droits ne sont pas effectifs, c’est souvent parce que les formulaires de démarches sont compliqués, d’autant plus pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec le vocabulaire administratif.

Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance

Nous, on propose que les formulaires soient conçus avec les ayants droit pour plus de compréhension. Nos mesures existent pour tout le monde. Mais si on les bâtit avec ceux qui ont le plus de difficultés, on est sûrs que personne ne sera laissé sur le carreau. Enfin, le quatrième axe, c’est de faciliter les recours juridiques et administratifs. Aujourd’hui, si vous avez un trop perçu de la CAF, peu importe la raison, on va vous demander de rembourser. Il faut pouvoir faire un recours efficace, simple, immédiat, et pas un recours qui va prendre des mois.

Quand il y a des audiences devant la justice, il faut que les personnes concernées puissent avoir les documents suffisamment en avance pour les lire et les travailler. Des vies humaines sont en jeu. Les personnes en situation de pauvreté ont besoin d’être soutenues par des personnes qui s’engagent dans un accompagnement durable et bienveillant. Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance.

 

   mise en ligne le 2 janvier 2025

Marche pour l’application de la loi de réquisition des immeubles vides

DAL fédération sur https://blogs.mediapart.fr/

À peine élu, Macron déclarait : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ; je ne veux plus avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus ». 7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé. Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour exiger l'application de la loi de réquisition sur les immeubles vides et l’abrogation de la loi Kasbarian. Rendez-vous dimanche 5 janvier à St Lazare, Cour de Rome. 


 

À peine élu, Macron déclarait le 27/7/2017 : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement, je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus, c’est une question de dignité, d’humanité ».

7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé et est passé de 143.000 à 330.000, celui des personnes privées de logement personnel est passé de 896.000 à 1.098.000... celui des demandes HLM de 2,2 à 2,7 millions de familles...

Il n’a pas livré « bataille » car il a pactisé avec les spéculateurs et les gentrifieurs, il a criminalisé les locataires en difficulté et les occupants sans titre avec la loi Kasbarian-Bergé et construit toujours moins de logements sociaux !

Pourtant, la France compte 3,1 millions de logements vacants et 9 millions de mètres carrés de bureaux vacants soit 200 000 logements. L’Ile de France compte 416.000 logements vacants et Paris 116 000.

Qu’attend Macron pour faire appliquer la loi de réquisitions sur les logements et bureaux vacants de riches propriétaires ?

Entre 1945 et les années 90, plus de 130 000 réquisitions avaient été prononcées, à Paris.

30 ans après l’occupation de la rue du Dragon, le 18 décembre 1994 et la dernière vague de réquisition qui s’en est suivie en 1995 (1200 logements réquisitionnés), l’État n’a plus le courage d’appliquer cette loi.

Or elle est nécessaire pour sauver des vies, des femmes, des enfants, des personnes handicapées ou âgées, d’hommes, dont la vie ne tient plus qu’à un fil...

Le maire aussi peut réquisitionner en vertu de ses pouvoirs de police, dans l’urgence. Enfin le Préfet peut transférer son pouvoir aux métropoles ou aux communautés de commune. Encore faut-il qu’elles le demandent, même celles de gauche ne l’ont pas fait.

En attendant d’édifier les logements sociaux en nombre suffisants, de baisser les loyers qui n’ont jamais été aussi chers et de juguler la spéculation :

Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour dénoncer des immeubles vides dans Paris, et pour exiger :

  • L’application de la loi de réquisition sur les immeubles vides,

  • L’abrogation de la loi Kasbarian et de toutes les lois et dispositifs qui pénalisent les occupants d’habitats de survie (bidonvilles, cabane, caravanes, squat d’immeubles vides...) !

Premiers signataires :

AG logement 94, ATMF, Bagagerue, CAD, Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, Construire, COPAF, CSP75, DAL, Femmes Egalité, FSU, FUIQP, Héro-ïnes 95, Jamais Sans Toit, La Marche des Solidarités, OST, Pas sans nous, Soupirail, Solidaires étudiant-e-s Paris Banlieue, SUD logement Social, Union Syndicale Solidaires, UTOPIA 56.

Avec le soutien de : PEPS, gauche éco-socialiste.

    mise en ligne le 2 janvier 2025

« Si la banalisation de l’extrême droite
se résumait
aux médias Bolloré,
ça se saurait »

par Emma Bougerol sur https://basta.media/

Pauline Perrenot est journaliste pour l’observatoire des médias Acrimed et autrice du livre Les Médias contre la gauche (Agone, 2023). Elle décrypte les mécanismes de l’extrême-droitisation des médias et rappelle le rôle essentiel des médias indés.

Basta! : Selon une information du Parisien du 19 décembre, l’émission « Touche pas à mon poste ! » (TPMP), présenté par Cyril Hanouna sur C8, s’arrêterait en février. Ça y est, c’est bon, c’est la fin de la surreprésentation de l’extrême droite à la télé ?

Pauline Perrenot : Évidemment non, ça ne règle pas le problème. Compte tenu de la structuration du paysage médiatique et des phénomènes de concentration, Hanouna peut sortir par la fenêtre C8 mais re-rentrer sur le devant de la scène médiatique par la porte d’Europe 1 – où il officie d’ailleurs déjà – de CNews ou même du Journal du dimanche… Tous ces médias sont possédés par Bolloré.

D’autre part, si la question de la banalisation de l’extrême droite se résumait aux médias détenus par Vincent Bolloré, ça se saurait. Ils sont évidemment à l’avant-poste de la contre-révolution réactionnaire. Mais chez Acrimed, non seulement on inscrit ce processus dans une temporalité plus longue, mais on refuse également le mythe qui postule une étanchéité entre les médias de Bolloré et le reste du paysage médiatique. Les médias qui occupent une position dominante et légitime dans le champ journalistique sont aussi concernés par la question de la normalisation de l’extrême droite.

Quel constat dressez-vous à Acrimed sur la présence médiatique de l’extrême droite ?

Quand on parle d’extrême-droitisation, on parle d’une banalisation des idées d’extrême droite, de ses visions du monde, mais également de la crédibilisation des représentants des extrêmes droites au sens large – dans le champ politique et au-delà.

L’histoire n’a donc pas commencé avec la montée en puissance de Bolloré dans le paysage médiatique, dont la droitisation épouse une trajectoire parallèle à celle du champ politique : si l’on regarde par exemple les travaux d’Ugo Palheta sur le processus de fascisation en France, on comprend que l’on fait face à de nombreuses dynamiques (le tournant néolibéral des politiques publiques ; le durcissement autoritaire de l’État ; le renforcement du nationalisme et du racisme ; la montée du Front national ; l’affaiblissement politique du prolétariat) qui ont cours depuis les années 1970-1980.

S’agissant des grands médias, avec Acrimed, on essaye de mettre en lumière les mécanismes et les tendances lourdes qui, selon nous, ont contribué en miroir à normaliser l’extrême droite. Il y a, d’abord, la consolidation d’un pôle frontalement réactionnaire : l’extension de l’empire Bolloré, mais aussi la surreprésentation d’un grand nombre de commentateurs réactionnaires – « experts », intellectuels, journalistes, etc. – légitimés de longue date par des médias « acceptables ».

Ensuite, on a essayé de beaucoup documenter comment les médias ont participé à co-construire les cibles de la peur et de la haine : comment les obsessions de l’extrême droite (insécurité, immigration, autorité, islam) ont non seulement occupé une place de plus en plus centrale dans l’agenda médiatique, mais aussi comment les cadrages de ces thématiques ont progressivement épousé la grille de lecture qu’en donnent les partis de droite, en particulier dans l’audiovisuel et dans une large partie de la presse hebdomadaire.

Le troisième angle, c’est celui de la dépolitisation de la politique et, singulièrement, la dépolitisation et la peopolisation de l’extrême droite. Là, on s’intéresse beaucoup plus au journalisme politique en tant que tel, au triomphe du commentaire aux dépens du reportage ou de l’enquête : la focalisation sur le jeu politicien au détriment des enjeux de fond, l’emprise de la communication sur l’information politique, les mésusages des sondages, la façon dont les cadres du RN ont été surreprésentés et mis en scène comme la principale force d’ « opposition » aux partis de gouvernement, etc.

Enfin, on étudie la façon dont la mutilation du pluralisme au sens large profite à l’extrême droite. Sur les questions économiques, sociales, internationales, etc., on assiste à une disqualification systématique de la gauche, celle qui entend rompre avec les dogmes néolibéraux et le cours autoritaire et réactionnaire de la vie politique, comme des idées et des cadrages qu’elle défend.

Sur le plan socio-économique par exemple, l’accompagnement médiatique des politiques néolibérales (et donc la délégitimation de toute alternative progressiste) aura largement alimenté un sentiment de fatalisme vis-à-vis de l’ordre établi, lequel caractérise en partie le vote RN.

« On assiste à une disqualification systématique de la gauche »

Ces dynamiques ne sont pas uniformes selon les médias, elles sont entretenues plus ou moins consciemment par les professionnels, mais ce sont des tendances dominantes qui contribuent à normaliser l’extrême droite et ce, depuis plusieurs décennies.

Juste pour mettre les choses au clair avant de continuer : les médias sont-ils les seuls responsables de la dédiabolisation de l’extrême droite ?

Pauline Perrenot : Les travaux de sociologie et de science politique sur l’extrême droite permettent de comprendre les conditions matérielles, sociales, économiques, politiques, etc. qui ont contribué sur le long terme à la progression (notamment électorale) de l’extrême droite dans la société. On a toujours dit, pour notre part, que les médias dominants n’étaient pas les premiers responsables de cet enracinement.

Mais en tant que co-organisateurs du débat public, producteurs d’informations et de représentations du monde social, ils jouent un rôle effectif de légitimation. Il faut comprendre ce rôle en tant que tel : ni le surdéterminer, ni le sous-estimer. Quand on parle de banalisation, de crédibilisation, il faut entendre ces mots pour ce qu’ils sont et ne leur faire dire ni plus ni moins.

On voit de nombreux chroniqueurs et chroniqueuses issus de la presse d’extrême droite invités sur des chaînes de télé (par exemple, Juliette Briens, militante identitaire et qui travaille pour le magazine d’extrême droite L’Incorrect, invitée comme chroniqueuse sur BFM). Il y a donc une porosité, une continuité entre des médias d’extrême droite et des médias dits « traditionnels » ?

Pauline Perrenot : Il ne faut pas penser les médias Bolloré comme des médias « cloisonnés ». Il ne s’agit pas de mettre un signe égal entre toutes les lignes éditoriales, ça n’aurait pas de sens. Mais il faut en effet souligner un continuum dans la fabrique et le mode de traitement de l’information. La circulation médiatique des commentateurs réactionnaires – et, par conséquent, de leurs idées et discours – est un très bon exemple à cet égard. Parmi eux, l’un des cas les plus spectaculaires, c’est Zemmour.

Avant de basculer dans le jeu politique, il a été journaliste et éditorialiste. Il a construit sa carrière au Figaro mais il a aussi travaillé pour Marianne, RTL, i-Télé… C’est le salarié qui est resté le plus longtemps à l’antenne de « On n’est pas couché », l’émission de Laurent Ruquier sur France 2. Tout au long des années 2010, Éric Zemmour a sorti des livres qui ont fait l’objet d’un battage médiatique quasi systématique.

De nombreux médias perçus comme « légitimes » et « respectables » ont donc vraiment contribué à construire son capital médiatique. Alors quand CNews lui a offert un fauteuil régulier en 2019 pour la fameuse émission « Face à l’info » – qui a été pensée comme une rampe de lancement pour sa carrière politique –, la chaîne a capitalisé sur une notoriété entretenue pendant près de 30 ans par les autres médias.

Si on ne prend pas en compte cette complaisance continue des chefferies médiatiques à l’égard de cet agitateur (parmi d’autres …), on ne peut pas comprendre ce qui a été appelé le « phénomène Zemmour » fin 2021 et début 2022. Il y a eu un emballement médiatique absolument délirant. À Acrimed, on est vraiment tombés de notre chaise à ce moment-là, en voyant la surface médiatique qu’il a occupée, la complaisance avec laquelle il a été reçu, la façon dont les intervieweurs et intervieweuses ont complètement renoncé à contrecarrer ces thèses.

Cette séquence a été tout à la fois un symptôme et un accélérateur de la normalisation médiatique de l’extrême droite et du racisme. Elle était un révélateur, également, de la manière dont fonctionne le théâtre médiatique : la low-costisation du débat, la prime au spectaculaire, le mimétisme, etc.

Quel est le rôle de la concentration des médias dans tout cela ?

Pauline Perrenot : Elle a plusieurs rôles. Comme les pouvoirs publics ont renoncé à toute mesure contraignante en matière de propriété et de concentration des moyens d’information et de communication, évidemment, les industriels milliardaires ont les mains libres. Bolloré, ce n’est pas que CNews : c’est maintenant de la presse écrite, de la radio.

Mais c’est aussi une présence à d’autres niveaux de la chaîne de production et de diffusion de l’information et de la culture : il possède les points de vente Relay, des salles de spectacle, un institut de sondage (CSA, groupe Havas, une filiale de Vivendi) ainsi que des groupes d’édition. Ce double phénomène de concentration, à la fois horizontale et verticale, permet vraiment d’édifier un empire médiatique ici mis au service d’un combat politique clairement campé à l’extrême droite, dont Bolloré n’a d’ailleurs jamais fait mystère.

Au-delà du phénomène de concentration et du cas Bolloré, c’est bien le mode de propriété capitalistique des moyens d’information et la financiarisation des médias qui posent un problème majeur. De ce mode de propriété capitalistique découlent toutes les contraintes commerciales qui pèsent sur la production de l’information et formatent le débat public « low cost » tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il y a un nivellement par le bas terrible, un triomphe du commentaire et du bavardage, qui excède de loin les frontières des chaînes d’information en continu à proprement parler.

« Les pouvoirs publics ont renoncé à toute mesure contraignante en matière de propriété et de concentration des moyens d’information »

C’est un modèle qui, à bien des égards, favorise l’extrême droite.

Sur les plateaux notamment, les commentateurs réactionnaires nagent comme des poissons dans l’eau. C’est flagrant. Ils commentent les sondages biaisés, montent en épingle des faits divers, invectivent, idéologisent des ressentis, etc. Ils se nourrissent des idées reçues qui irriguent la pensée médiatique dominante depuis des décennies. La plupart du temps, ils n’ont pas besoin de remettre en cause les cadrages des journalistes et peuvent alterner les provocations et les contre-vérités sans être repris.

A contrario, c’est beaucoup plus compliqué pour des acteurs (politiques, associatifs, intellectuels, etc.) en capacité d’apporter une contradiction étayée aux thèses libérales, sécuritaires, racistes et xénophobes. Ils sont non seulement sous-représentés, mais les contraintes des dispositifs entravent, pour ne pas dire empêchent structurellement leur expression.

En Belgique, les médias de l’audiovisuel public wallon refusent de donner la parole en direct à l’extrême droite, pour ne pas la laisser diffuser ses idées sans cadre ou contradiction possible. Cela pourrait-il être une solution ?

Pauline Perrenot : Je pense que le problème est plus large, notamment parce que le processus d’extrême-droitisation ne repose pas que sur des personnalités étiquetées « extrême droite »… Depuis les années 1970, les responsables politiques ont progressivement légitimé les slogans sécuritaires, y compris la gauche de gouvernement, mais aussi les mots d’ordre autoritaires, nationalistes et identitaires.

Ça s’est encore accéléré au cours des années 2010 et plus encore à partir de 2015. Les gouvernements d’Emmanuel Macron ont ensuite entravé méthodiquement les conquis sociaux des travailleurs, les libertés publiques, les droits des étrangers, emprunté au répertoire et au vocabulaire de l’extrême droite pour aujourd’hui construire des alliances objectives avec elle…

S’agissant des médias, encore une fois, beaucoup des thèses de l’extrême droite sont ventilées par des professionnels qu’on ne peut pas soupçonner de voter à l’extrême droite. Un exemple m’a toujours paru très symptomatique : en septembre 2021 sur France 2, la rédaction d’« Élysée 2022 », une émission politique très regardée (on parle de millions de téléspectateurs) avait organisé un « face à face » entre Valérie Pécresse et Gérald Darmanin.

À cette occasion, ce sont les deux présentateurs, et non leurs invités, qui ont introduit dans le « débat » la thèse raciste et complotiste du « grand remplacement » : Léa Salamé et Thomas Sotto, deux professionnels qui occupent une position professionnelle et symbolique très importante dans le champ journalistique, valorisés par une grande partie de leurs pairs.

« Le processus d’extrême-droitisation ne repose pas que sur des personnalités étiquetées “extrême droite” »

Quand on parle d’imposition et de légitimation des préoccupations de l’extrême droite, là, on est en plein dedans.

La façon de cadrer l’information, de mettre à l’agenda certains sujets plutôt que d’autres, de systématiquement légitimer certains acteurs et d’en discréditer d’autres, tout cela constitue le « bruit médiatique ». Et il faut dire que celui-ci aura largement acclimaté les publics à des visions du monde réactionnaires.

Évidemment, on sait comment sont structurées les rédactions. On sait qu’il y a de très nombreux journalistes qui n’ont pas la main sur leurs sujets, qui travaillent dans des conditions désastreuses et qui sont soumis à l’autoritarisme de leur hiérarchie. Ils doivent faire mille métiers en un, et n’ont donc pas forcément la latitude et les marges de manœuvre nécessaires, ne serait-ce que pour réfléchir à comment ils souhaiteraient traiter un sujet.

Si la droitisation est transversale dans les médias dominants, elle est aussi un processus qui opère par le haut du champ journalistique, là où se concentre le pouvoir éditorial, parmi les directions sociologiquement solidaires des intérêts des classes dirigeantes. Christophe Barbier résumait très bien leur état d’esprit : « Aujourd’hui la peur de Mélenchon est plus grande que la peur de Le Pen ». Il n’y a pas besoin d’en dire plus.

Dans ce contexte, quel est le rôle des médias indépendants ?

Pauline Perrenot : Le travail des médias indépendants est colossal. Basta!, StreetPress, Mediapart, Arrêt sur images, Acrimed, Le Monde diplomatique, Reporterre, Le Média, Blast, Le Bondy Blog… Beaucoup de médias indépendants font non seulement un travail d’enquête sur l’extrême droite en tant que telle, ses pratiques, ses politiques, son idéologie, mais ils incarnent aussi un véritable pluralisme.

C’est dans ces médias qu’on va donner une place plus importante aux reportages et à l’enquête sociale. Ils ont aussi des cadrages et des façons de problématiser « l’actualité » qu’on ne voit pas ailleurs – et ça, sur tout un tas de sujets. Enfin, dans ces médias, on entend des personnes rarement – pour ne pas dire jamais – sollicitées par les médias dominants, qu’on pense à des militants associatifs, antifascistes, des chercheurs, des chercheuses, des intellectuels...

Sans le travail d’information des médias indépendants, le pluralisme serait dans un état encore plus lamentable. Cela étant dit, ces médias ne « font pas l’agenda » et restent moins « légitimes », généralement moins suivis. C’est l’une des raisons pour lesquelles Acrimed appelle à ne jamais perdre de vue la transformation radicale des médias, laquelle ne pourra pas faire l’économie de mesures ambitieuses visant à libérer l’information de la marchandisation et de l’emprise des industriels milliardaires.

   mise en ligne le 1er janvier 2025

« Je n’étais jamais montée
sur un Bateau-Mouche », le 31 décembre
le Secours populaire invite 150 seniors à un repas gastronomique sur la Seine

Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr

Dans une ambiance festive, 150 Yvelinois de plus de 60 ans accompagnés par le SPF ont pu clore 2024 sur un Bateau-Mouche parisien.

« À la nouvelle année ! » Jeannot lève son verre en direction des passants, qui font signe aux passagers du Bateau-Mouche depuis le bord du quai. « Pour une fois c’est nous que l’on envie ! » s’exclame le sexagénaire avec fierté. Pour ce retraité, cette minicroisière sur la Seine est une première. « C’est formidable ! Je n’étais jamais monté sur ce type d’embarcation. En plus nous sommes traités comme des rois », se réjouit-il en sortant son téléphone pour photographier la tour Eiffel.

Ce 31 décembre, le Mantevillois est l’un des 150 seniors des Yvelines à participer à ce repas festif, proposé par le SPF (Secours populaire français) des Yvelines, avec l’appui de la Fondation de France. Ce repas de fête destiné à rompre leur isolement leur a été proposé par les bénévoles des permanences du SPF qui maillent le département.

Oublier le quotidien

« Il faut souvent insister un peu, explique Martine, qui œuvre à l’antenne de Versailles. Certains ont perdu l’habitude de sortir et pensent que ce genre d’événement n’est pas pour eux. Mais en général, en rentrant, ils ont des étoiles dans les yeux et demandent à revenir l’année suivante. »

C’est le cas de Monique, 63 ans. Un peu intimidée, cette femme sans lien familial et très marquée par une vie jalonnée d’épreuves s’est décidée à venir après un Noël en solitaire. « C’était un peu triste, au moins ici il y a de l’animation. Je n’étais jamais montée sur un Bateau-Mouche, c’est très agréable de glisser sur l’eau », sourit-elle. Pour tous, cette parenthèse est bienvenue.

« Durant quelques heures, on oublie nos problèmes quotidiens, les soucis qu’on se fait pour les enfants… » témoigne Marinette, une mère de famille camerounaise de 61 ans qui vient pour la deuxième fois. Arrivés d’Ukraine en mars 2022 pour fuir les bombardements, Ivan et Gloria, un couple de sexagénaires, regardent défiler les monuments parisiens et observent le ballet des serveurs et serveuses en habit qui s’affairent autour des tables.

« On se sent comme des touristes, ça permet d’oublier un peu la guerre qui frappe notre pays », raconte Ivan. « Actuellement nous sommes hébergés à Maurepas, les Français sont très généreux, mais on aimerait pouvoir rentrer dans notre pays en 2025 », complète son épouse.

Déterminés à faire la fête

Pour d’autres ; ce repas est l’occasion de passer un moment entre amis ou d’échapper aux contraintes de leur foyer. Anita et Muriel, 68 et 60 ans, ont toutes deux travaillé dans la grande distribution. Copines de longue date, elles fréquentent la permanence du SPF d’Aubergenville. Brunes aux yeux clairs, un petit haut noir à paillettes pour chacune, elles pourraient passer pour des sœurs, ce qui les amuse.

« Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » Muriel, 60 ans

Déterminées à faire la fête, elles sont en train de choisir les chansons qu’elles interpréteront lors du karaoké qui suivra le repas. La plus âgée est venue malgré l’inquiétude qui la ronge au sujet de la santé de Didier, son mari, qui n’a pu l’accompagner. Pour Muriel, cette journée signe son indépendance retrouvée après des années passées sous l’emprise d’un homme toxique. « Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » assure-t-elle.

Parmi les autres duos, Nassira et Selim savourent ce moment en contemplant Paris. Septuagénaires, ces parents de sept enfants, « qui ont tous fait des études universitaires », sont arrivés d’Algérie dans les années 1970. Elle était sage-femme, lui, ingénieur en travaux publics. « On s’est saignés pour nos enfants, aujourd’hui ils ont tous un bon métier », relate Nassira. D’ailleurs toute la famille sera réunie pour le 1er janvier. « Mais avant on s’offre une évasion en amoureux », rigole Selim en prenant la main de son épouse.

À la table voisine, Claudia et Monica, deux sexy sexagénaires mantevilloises qui se sont connues aux thés dansants organisés par une association de leur ville, se sont pomponnées pour l’occasion. « C’était le bon jour pour se mettre sur son 31 », plaisante Éric, leur voisin, lui aussi très élégant, en savourant son œuf en meurette.

Qui sera suivi d’une dorade avec des petits légumes puis d’une profiterole à la mousse de poire avec une sauce au caramel, « une tuerie », selon Maïmouna, 72 ans. Elle est venue avec son amie Aziza et d’autres femmes marocaines de Chanteloup-les-Vignes. Habituées du SPF, elles sont parties ensemble quelques jours au bord de la mer à l’automne grâce à l’association.

Créer du lien

Un séjour dont se rappelle bien Huguette Bitor-Jirot, la référente seniors de la fédération des Yvelines du SPF. « Cela permet de créer du lien et parfois, au bout de plusieurs jours, les gens finissent par se confier, alors que par honte de leur situation ils s’étaient murés dans le silence. On a ainsi pu aider une femme victime de violence de la part de son conjoint, alors que cela faisait des années qu’elle subissait les coups et qu’elle n’en avait jamais parlé à personne », révèle la longue dame blonde aux cheveux courts tout en gardant un œil sur la salle pour s’assurer que tout se passe bien.

De fait, l’ambiance est plutôt bonne, rythmée par les accords d’un pianiste qui interprète des airs de chansons célèbres durant le repas. Mais le bateau s’enflamme quand vient l’heure du karaoké. Anita et Muriel ouvrent le bal avec un duo remarqué sur la Bonne du curé d’Annie Cordy, enchaînent avec l’entêtant Pour un flirt de Michel Delpech, avant de laisser la place à Éric, qui suscite pas mal d’émotions en entonnant Mistral gagnant de Renaud.

S’ensuivent des tentatives plus ou moins réussies d’interprétations de Dalida ou de Claude François, qui ont le mérite de susciter fous rires et encouragements. Avant de quitter les lieux, alors que la ville s’illumine, une chenille géante fait se lever l’assemblée, dont les membres semblent peu pressés de rejoindre les bus pour regagner les Yvelines.

Pascal Rodier, le responsable de l’antenne des Yvelines, à l’initiative de l’événement, affiche un sourire ému. Pour ce fils de cheminot et d’une communiste engagée au SPF, salarié de l’association depuis 2001, « il faudrait pouvoir organiser davantage de moments festifs de cette nature ». Hélas, déplore-t-il, « désormais l’essentiel de nos ressources se concentre sur les distributions alimentaires car les besoins ont explosé ces dernières années ».

    mise en ligne le 1er janvier 2025

Mayotte :
le jeu dangereux de Bayrou

par Roger Martelli sur www.regards.fr

Sur l’archipel, le premier ministre relance le débat sur le droit du sol. Inopérant pour soulager Mayotte et désastreux pour la République.

François Bayrou est enfin parvenu à Mayotte. Il en profite pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane.

Tout son temps devrait se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. Il pourrait se dire que, pour bâtir des solutions concrètes, le devoir de l’État est de rassurer et d’apaiser : il choisit au contraire d’attiser les braises.

En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – en enfant né à Mayotte de parent étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne explicitement avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».

« Comme partout sur le territoire national »… Alors que les phénomènes migratoires vont s’amplifier dans les décennies à venir, alors que s’impose à l’échelle planétaire la nécessité d’un traitement concerté et humain, alors qu’il s’agit d’abord d’accueillir et d’insérer, c’est la clôture que le gouvernement met à l’ordre du jour. Que chacun reste chez soi et que l’on préserve un entre-soi garanti par la naissance et la filiation : connaissez-vous plus irresponsable qu’une telle politique ?

Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. Ce faisant, il enferme la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Or, quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. S’il faut avancer, ce n’est pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.

François Bayrou joue un jeu inefficace et dangereux à Mayotte même. Au-delà, il légitime un peu plus la pression exercée par le Rassemblement national. Et il ouvre en grand la boîte de Pandore. Au prétexte des « caractéristiques et contraintes particulières » reconnues aux territoires ultramarins, il enfonce un clou supplémentaire dans la conception historique du droit du sol.

Version imprimable | Plan du site
© pcf cellule st Georges d'Orques