mise en ligne le 12 janvier 2025
Jean-Christophe Le Duigou sur www.humanite.fr
Le ballet semble bien orchestré. Alors que la pression s’accentue pour une « remise à plat de la réforme des retraites » patronat, macronistes et leaders de la droite se coalisent pour empêcher toute remise en cause substantielle du texte. Acte premier, le nouveau Président du Conseil d’orientation des retraites -imposé il y a quelques mois- alerte sur « la dégradation de l’équilibre de nos finances sociales ». Patrick Martin le Président du Medef se saisit de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre pour appeler sur le perron de Matignon à « dépasser la concertation à venir sur l’aménagement de la dernière réforme des retraites pour remettre à plat le financement de la protection sociale dans son ensemble ». Est-ce à dire que le patronat est prêt à monnayer quelques concessions plus ou moins claires contre une mise en cause globale du système Entendez introduire la capitalisation et élargir le recours à la TVA, baptisée pour l’occasion « TVA Sociale » Il ne reste plus qu’à un ministre anonyme de susurrer que « le déficit est beaucoup plus important qu’annoncé » puis à quelques « experts » à prendre la plume pour vanter le régime de retraite par points.
Tous espèrent ainsi noyer le poisson. La priorité n’est-elle pas de revenir sur la réforme des retraites et l’allongement de la durée de cotisation ! Les salariés s’interrogent : où sont les marges de manœuvre ? Que veut dire rechercher un « compromis plus large » alors qu’il n’est pas question de sortir de l’approche comptable ? On s’y enfonce même un peu plus, ce que souhaite le gouvernement, en y impliquant les organisations syndicales.
« Priorité aux petites pensions » est une fausse fenêtre, bien vague, car il s’agit surtout exclure toute « hausse du coût du travail ». Ce qui veut bien dire que pour trouver 20 milliards d’euros les propositions, hormis quelques finasseries, devront nécessairement tourner autour de « nouveaux sacrifices »
Et si l’on discutait des vraies solutions ?
L’augmentation du nombre de retraités est bien sûr un défi. Mais qui peut réellement soutenir que les problèmes démographiques se sont brutalement aggravés dans la dernière période ? La réalité est plus simple, les marchés financiers sont là, estimant « illégitime » l’existence d’un système public de retraite par répartition, un système qui les prive d’un champ d’activités lucratives. Discuter du déficit dans le financement des retraites ou de la protection sociale en général n’a aucun sens, c’est un véritable débat sur une réforme des conditions générales de financement de l’État social qui est nécessaire.
Première mesure à envisager, remettre à plat le régime d’exonérations patronales si coûteux pour les comptes publics et si inefficace. Il y va de plus de 70 à 90 milliards d’euros. En second lieu des ressources additionnelles sont concevables en instaurant une contribution venant des revenus de la propriété et des revenus financiers des entreprises. Le surcroît de recettes pourrait atteindre 30 milliards d’euros.
Mais l’essentiel de la réponse dépend de l’emploi et d’une politique du travail ambitieuse. Le Conseil d’orientation des retraites avait produit il y a 10 ans un diagnostic sérieux montrant que la récession était à l’origine de la perte de beaucoup de cotisations, 20 milliards d’€ recettes annuelles pour le seul système de retraite, autant pour l’assurance maladie selon nous, soit beaucoup plus que le besoin de financement affiché pour l’ensemble des régimes sociaux.
L’assiette des cotisations c’est en effet la masse des femmes et des hommes qui travaillent. Une modulation des cotisations patronales en fonction des emplois créés ou supprimés par les entreprises pourrait contribuer à doper cette assise emploi/salaire.et à mieux répartir l’effort entre branches. L’évidence est là. Quand 6 à 7 millions de personnes sont, en France, écartées d’un véritable travail, il devient difficile d’assurer la pérennité des régimes de protection sociale.
mise en ligne le 12 janvier 2025
communiqué sur https://www.lacimade.org/
Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits. Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille […]
Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits.
Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille et Paris-Vincennes, deux hommes se sont suicidés. A Oissel, près de Rouen, un homme a cessé de s’alimenter ; son état de santé s’étant fortement dégradé, il a été transféré à l’hôpital, où il est décédé quelques jours après. En 2023 déjà, quatre personnes étaient mortes en rétention.
Ces décès auraient pu être évités si la vulnérabilité et l’état de santé -physique et mental- des personnes avaient été pris en considération par l’administration avant toute décision de placement.
Il est inacceptable que l’administration ne prenne pas toujours en compte les déclarations de ces personnes sur leur état de santé ou le suivi médical dont elles font déjà l’objet. Elle ignore également nos alertes récurrentes sur le contexte de tensions, d’angoisse et de violence qui prévaut dans les CRA, et sur les effets délétères de la rétention sur la santé mentale et physique des personnes enfermées.
Notre inquiétude aujourd’hui se veut d’autant plus grande que les actes d’automutilation, gestes désespérés et les tentatives de suicide se multiplient ces dernières semaines. Pourtant, malgré les drames successifs qui sont la conséquence d’une politique d’enfermement sans discernement et punitive, les pratiques n’évoluent pas et rien n’indique que l’administration a pris conscience de la gravité de la situation. Au contraire, les placements de personnes vulnérables ou souffrant de lourdes pathologies se poursuivent, et les préfectures persistent à maintenir enfermées des personnes pour lesquelles les médecins compétents ont constaté l’incompatibilité de leur état de santé avec la rétention. La loi du 26 janvier 2024 a permis d’enfermer plus longtemps des personnes dont les intérêts privés et familiaux se trouvent sur le territoire français, ou qui encourent des risques avérés pour leur vie en cas de retour dans leur pays d’origine, renforçant le choc et l’angoisse liés à la perspective de l’expulsion. Les annonces répétées sur une nouvelle prolongation de la durée maximale de rétention vont à rebours de nos constats sur l’impact de l’enfermement administratif sur la santé des personnes concernées.
Nos associations revendiquent une nouvelle fois un accès aux soins et une prise en charge médicale effective des personnes enfermées en CRA, pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Nous demandons aux préfectures un examen individuel et attentif des situations des personnes concernées avant l’édiction de toute décision de privation de liberté, dans le respect de leurs obligations légales.
Associations signataires :
Forum réfugiés
France terre d’asile
Groupe SOS Solidarités-Assfam
La Cimade
mise en ligne le 11 janvier 2025
sur https://lepoing.net/
Une nouvelle manifestation pour la Palestine a eu lieu ce samedi 11 janvier dans le centre de Montpellier. Le cortège a fini par rejoindre le commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue pour une action de désobéissance civile.
Comme à l’accoutumée, environ deux cent manifestant.es pro-Palestine se sont retrouvé.es sur la place de la Comédie dès 14h ce samedi 11 janvier. Déclaré par une vingtaine d’organisations, le défilé du jour s’est à nouveau retrouvé sur la Comédie après son habituel tour de ville. À noter la présence de quelques militant.es indépendantistes kanak.
Vers 16h, une centaine de personnes ont pris la direction du commissariat central, où cinq militant.es écologistes sont en garde à vue depuis la nuit du 10 au 11 janvier, accsé.es de « dégradation de véhicules en réunion » suite à une action de désobéissance civile. Après une heure, le gros des soutiens se sont dispersé.es, quelques écologistes restant sur place.
sur https://lepoing.net/
Une cinquantaine de personnes étaient rassemblées ce vendredi 10 janvier devant le commissariat de Lodève à l’appel de la Confédération Paysanne, en soutien à deux militant.es mis sous contrôle judiciaire en attente de leur procès.
Membres de l’Union Syndicale Solidaires, de partis de gauche, sympathisant.es, et bien sûr agriculteurs.trices : ils étaient une cinquantaine ce vendredi 10 janvier, réuni.es devant la gendarmerie de Lodève.
Le jeudi 5 décembre, cinq membres de la Confédération Paysanne étaient placé.es en garde à vue lors d’une action « contre les profiteurs du libre-échange et les prédateurs du revenu paysan » à la Bourse européenne de Commerce au Grand Palais de Paris. Deux d’entre eux, accusé.es de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique » et de « tentative d’intrusion », sont maintenant sous contrôle judiciaire, avec obligation de pointer régulièrement à la gendarmerie, en attendant leur procès le 4 février.
C’est donc en forme de pointage solidaire que le rassemblement du jour était organisé. « Si besoin nous enverrons au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau une OQSM (Obligation de Quitter Son Ministère) », plaisante un intervenant du syndicat paysan, en référence aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) distribuées aux sans-papiers.ères par le ministère.
« Quand on s’attaque à la finance et aux multinationales de l’agro-business, la répression est forte sur la lutte pour un autre système agricole, un autre commerce international, qui protège le revenu paysan, la santé, la planète et permette une alimentation de qualité pour toutes et tous. », a poursuivi la Confédération Paysanne, dénonçant un deux poids deux mesures dans la répression des syndicats d’agriculteurs. trices.
Le syndicat a ensuite fait mention de la nécessité d’établir une solidarité avec les paysans.nes de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. L’économie de l’île de l’océan indien repose en effet en bonne partie sur un nombre important de petites exploitations agricoles, et la Confédération Paysanne est à la tête de la Chambre d’Agriculture locale. Au niveau national, la Confédération Paysanne a mis en place une cagnotte de soutien pour les exploitant.es mahorais.es, et fait l’inventaire des besoins sur place, tout comme le Mouvement de Défense des Exploitant.es Familiaux (Modef), autre syndicat paysan classé à gauche.
Le rassemblement s’est conclu sur un appel à voter et faire voter pour les élections aux Chambre d’Agriculture 2025, qui auront lieu dans l’Hérault le 31 janvier.À noter la présence de Sébastien Rome, ancien député NUPES/FI de la quatrième circonscription de l’Hérault, venu appeler les syndicalistes à rejoindre le comité local du Nouveau Front Populaire.
mise en ligne le 11 janvier 2025
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Cette année encore, les hôpitaux publics sont en tension, alors qu’approche le pic d’une épidémie de grippe qui présente de nombreuses formes graves. Dans des urgences saturées, le risque de « morts inattendues » est au plus haut.
Les épidémies respiratoires hivernales se succèdent sans jamais tout à fait se ressembler. Après les années du covid, il y a eu celle des bronchiolites, qui ont frappé les enfants en 2022-2023.. L’année suivante a été marquée par le retour du covid à un haut niveau, fin 2023, combiné aux bronchiolites et suivi par la grippe.
Fin 2024, à la mi-décembre, un pic modeste de bronchiolites a été passé. En ce début d’année 2025, le covid est presque absent (0,6 % des hospitalisations). Cette fois, c’est la grippe qui domine. La première semaine de janvier, 5 % des personnes admises aux urgences et des personnes hospitalisées ont été testées positives aux virus de type A ou B, qui circulent en même temps cette année, détaillait Santé publique France le 8 janvier. Le nombre de cas groupés de grippes dans les Ehpad est également au plus haut. 6 % des certificats électroniques de décès mentionnaient la grippe début janvier.
Toujours selon Santé publique France, le pic de cette épidémie de grippe est moins haut que l’année passée, mais les hospitalisations sont plus nombreuses. Le virus occasionne donc plus de formes graves.
Les conséquences sont en revanche toujours les mêmes, parfaitement prévisibles : les urgences sont débordées car il n’y a pas assez de lits pour hospitaliser les malades graves qui s’y présentent. Dans de très nombreux services d’urgence, les soignant·es travaillent dans des lieux encombrés de brancards occupés par des malades en attente d’une hospitalisation, des heures, voire des jours durant.
De nombreuses études montrent que le temps d’attente aux urgences est corrélé à une plus forte mortalité. Par exemple, un travail mené par des membres de la Société française de médecine d’urgence, publié dans le Journal of the American Medical Association (Jama), a comparé les taux de mortalité de 1 598 patient·es âgé·es de plus 75 ans, une partie ayant passé une nuit aux urgences, une autre partie ayant été hospitalisée rapidement dans des services.
Le taux de mortalité des premiers et premières est de 15,7 %, contre 11,1 % pour les deuxièmes. Le syndicat Samu urgences de France parle de « morts inattendues », qui ne seraient pas survenues si la prise en charge des patient·es avait été plus rapide.
Des morts suspectes
Sans surprise, des morts suspectes sont rapportées ces derniers jours, notamment en Île-de-France. Selon Le Parisien, une jeune femme d’une vingtaine d’années est décédée mercredi 8 janvier à l’hôpital de Longjumeau (Essonne) après une journée d’attente dans un box des urgences. Une enquête interne est en cours. Toujours selon Le Parisien, une autre jeune femme de 26 ans est morte ce vendredi 10 janvier dans la salle d’attente des urgences de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Une enquête est également en cours, à l’initiative de la police cette fois.
Le 10 janvier, le ministère de la santé a indiqué à l’AFP que 87 hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, qui permet de rappeler du personnel et de déprogrammer des opérations non urgentes afin d’augmenter le nombre de lits disponibles. L’ouest de la France est particulièrement touché. Rien qu’en Bretagne, 34 établissements sont en plan blanc. L’agence régionale de santé l’a même déclenché au niveau départemental pour tous les établissements publics comme privés d’Ille-et-Vilaine. L’accès aux urgences est régulé au CHU de Rennes : avant de se présenter, les patient·es doivent passer par le 15, qui décide ou non d’un accès aux urgences.
Dans le Grand Est, région également très touchée, l’agence régionale de santé explique que le nombre de passages aux urgences pour syndrome grippal est, la première semaine de janvier, le « plus élevé observé ces dix dernières années ». Huit hôpitaux ont déclenché leur plan blanc, dont ceux de Reims (Marne) et de Metz (Moselle).
La situation est également très difficile en Loire-Atlantique : l’accès à tous les services d’urgence sera régulé à partir du 13 janvier, a annoncé l’agence régionale de santé des Pays de la Loire. Le CHU de Nantes et l’hôpital de Saint-Nazaire ont déclenché leur plan blanc. Dans Ouest-France, le directeur de l’hôpital de Saint-Nazaire explique qu’il « faudrait 30 places [d’hospitalisation] par jour alors qu’[il] ne peut en prendre que 20 », grâce au plan blanc. Ce sont donc dix malades en attente d’hospitalisation qui stagnent aux urgences, alors que celles-ci accueillent « entre 150 et 180 malades par jour », détaille le directeur.
Comme pour le covid, les plus à risque de formes graves sont les personnes âgées de plus de 65 ans et les personnes fragiles (immunodéprimées, diabétiques, atteintes de maladies respiratoires ou cardiovasculaires, etc.).
Tout porte à croire que, cette année encore, ces personnes fragiles se sont peu vaccinées, car les taux de vaccination contre la grippe sont en baisse constante, selon les données de Santé publique France. En 2023-2024, seules 47,7 % des personnes âgées de plus de 75 ans se sont vaccinées contre la grippe. En 2021-2022, ce taux était de 55,8 %.
Santé publique France rappelle les mesures de prévention à adopter : « le lavage des mains, l’aération des pièces et le port du masque en cas de symptômes (fièvre, mal de gorge ou toux), dans les lieux fréquentés et en présence de personnes fragiles ».
mise en ligne le 10 janvier 2025
Pierre Jequier-Zalc sdur www.politis.fr
Muté « dans l’intérêt du service » en 2022 par le rectorat de Versailles, l’agrégé contestait vivement cette mesure « sans fondement », accusant l’administration de discrimination syndicale. Ce 9 janvier, la justice oblige le rectorat à le réintégrer.
C’est une victoire dont même l’intéressé, grippé ce jeudi, a du mal à saisir la portée. Après deux ans et demi d’un combat sans relâche, Kai Terada, professeur de mathématiques agrégé, vient d’obtenir gain de cause. Dans un jugement sans aucune ambiguïté, le tribunal administratif de Versailles lui a donné raison, obligeant le rectorat à le réintégrer dans son établissement d’origine, le lycée Joliot-Curie de Nanterre, dans un délai de six mois.
Revenons deux ans et demi en arrière. En septembre 2022, Kai Terada est alors professeur de mathématiques à Joliot-Curie depuis seize ans. Il est aussi particulièrement engagé sur son territoire : cosecrétaire de Sud Éducation dans les Hauts-de-Seine, investi dans le Réseau Éducation sans frontières, figure de proue du mouvement Touche pas à ma ZEP, qui luttait pour garder les lycées dans l’éducation prioritaire en 2016 et 2017.
C’est dans ce contexte, qu’il reçoit, à la rentrée, un avis de suspension sans aucune justification. Un avis qui, rapidement, est suivi d’une « mutation dans l’intérêt du service ». A l’époque, Politis vous racontait en détail les justifications, plus que bancales, apportées par l’administration. Celle-ci considère alors ainsi que « le nom de Monsieur Kai Terada revient régulièrement comme participant activement en dehors des instances du dialogue social de l’établissement ainsi que de l’exercice normal d’une activité syndicale, à la dégradation du climat au sein de la communauté éducative ». Le tout, sans donner aucun fait précis et en reconnaissant même que « le comportement et les propos de Kai Terada ne sont pas constitutifs d’une faute de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire ».
« Un professeur irréprochable »
Dans la communauté éducative de Joliot-Curie – et bien plus largement -, cette décision avait suscité une très vive indignation, Kai Terada étant décrit par de très nombreux collègues comme quelqu’un de « calme », « d’intègre ». En résumé, « un professeur irréprochable ».
C’est d’ailleurs cette dichotomie entre une administration – incapable d’imputer le moindre fait précis à Kai Terada – et un nombre incalculable de témoignages en faveur de l’enseignant qui a convaincu le tribunal administratif de Versailles. Dans le jugement, que Politis s’est procuré, le tribunal juge ainsi que les notes produites par le rectorat « n’apportent, en tout état de cause, aucun élément quant à l’implication éventuelle de M. Terada dans les dysfonctionnement antérieurs ».
« Alors que le recteur de l’académie de Versailles n’a produit aucun compte-rendu des témoignages évoqués […], M. Terada produit pour sa part de très nombreux témoignages de ses collègues ou anciens collègues […], y compris d’enseignants membres de la liste concurrente à celle sur laquelle il figurait lors des élections, louant ses qualités d’écoute et de dialogue et niant toute implication de sa part dans les tensions apparues au sein des équipes pédagogiques », poursuit le jugement.
Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier. K. Terada
Contacté par Politis, Kai Terada a d’ailleurs voulu remercier, de manière appuyée, les nombreuses personnes – y compris ses anciennes directions – ayant témoigné en sa faveur. « Ce qui a été décisif, c’est la quantité phénoménale de témoignages que j’ai reçus. C’est grâce à eux, à mes collègues. Je mesure la chance d’avoir eu ce soutien. »
L’enseignant de mathématiques souligne aussi son soulagement de voir une instance balayer les nombreuses accusations – parfois très violentes – du rectorat. « Le jugement dit bien que le rectorat ne peut pas raconter ce qu’il veut pour muter ses personnels. Il est obligé de se justifier, et ça, c’est très important. »
« La lutte n’est pas terminée »
Le tribunal administratif de Versailles oblige donc le rectorat à réintégrer Kai Terada à son poste au sein du lycée Joliot-Curie, dans un délai de six mois et à lui verser 1 800 euros. Actuellement professeur à Saint-Germain-en-Laye, au lycée Jean-Baptiste Poquelin, l’enseignant souhaite terminer l’année. « Je ne veux pas abandonner mes élèves en cours de route. Je souhaite finir l’année proprement et, ensuite, revenir à Nanterre », explique-t-il.
Malgré cette victoire importante, il rappelle aussi que de nombreux autres collègues subissent encore ce genre de répression. « La lutte contre la répression n’est pas terminée, loin de là », assure-t-il. L’enseignant pense aussi que le rectorat n’hésitera pas à faire appel de la décision. Mais celui-ci n’est pas suspensif et ne remettra pas en cause, pour l’instant, la décision du tribunal administratif de Versailles. Une victoire, pleine d’abnégation, sans appel donc.
mise en ligne le 10 janvier 2025
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Contrôles accrus et sanctions, recours massif à la sous-traitance et à l’IA, moyens faméliques… La loi « plein emploi », entrée en vigueur le 1er janvier 2025, charrie une série de mesures délétères, dont les agents de France Travail et les usagers commencent déjà à faire les frais. Tandis que les chefs d’entreprise des secteurs en tension se frottent les mains.
La machine est cette fois bien lancée, et autant dire qu’elle semble se diriger à grande vitesse contre un mur. Après deux ans d’expérimentation dans plusieurs dizaines de départements et de bassins d’emploi, la loi dite pour le plein emploi est entrée en vigueur le 1er janvier 2025.
« La loi est passée, mais on ne sait pas comment ça va se passer. » La formule résume l’état d’esprit qui domine parmi les syndicats de France Travail. Le « nouveau réseau pour l’emploi », né de ces dispositions, promet en tout cas de susciter de redoutables secousses, tant pour les agents que pour les nouveaux demandeurs d’emploi affiliés, appelés à affluer dans les agences de l’opérateur public.
Quelque 1,2 million d’allocataires du RSA et leurs conjoints, les 1,1 million de 16-25 ans suivis par les missions locales ainsi que les 220 000 personnes en situation de handicap qu’épaule Cap emploi sont en effet désormais inscrits automatiquement dans les fichiers de France Travail, soumis à un contrat d’engagement imposant à une large part d’entre eux quinze heures d’activités hebdomadaires – dont les contours restent flous – sous peine de sanctions, qui peuvent aller jusqu’à la suspension de leur allocation.
« Il va falloir absorber le choc »
Le directeur général de France Travail, Thibaut Guilluy, a beau répéter à l’envi vouloir miser, à travers ce « nouveau réseau pour l’emploi », sur un « accompagnement rénové », syndicats et associations continuent de dénoncer l’esprit d’une loi essentiellement coercitive qui, selon les termes d’un rapport publié en décembre par le Secours catholique, « met au défi l’allocataire de démontrer qu’il mérite son RSA ». Sa mise en œuvre, sur fond de cure d’austérité, ne sera par ailleurs pas sans conséquences sur les fondements mêmes du service public de l’emploi.
Alors que les courriers annonçant les inscriptions automatiques ont commencé à partir et qu’un numéro vert a été diffusé, les agents de France Travail, chargés dans un premier temps d’orienter ces centaines de milliers de bénéficiaires auprès de leurs référents locaux ou nationaux, anticipent avec effroi la montagne à gravir.
« Cela va forcément entraîner un afflux de personnes dans les sites, où l’accueil repose sur très peu de collègues déjà à bout. Je ne vois par ailleurs pas comment on peut faire un suivi décent en gérant des portefeuilles de 500 personnes », pointe Francine Royon, représentante de la CGT France Travail en Île-de-France, selon qui, appliquer à la lettre cette loi supposerait que les conseillers « ne s’occupent plus du tout de l’accompagnement ».
Ce nouveau réseau fera certes intervenir plusieurs acteurs référents, dont les départements et les missions locales, mais ce sont bien les agents de France Travail qui seront aux premières loges. « Il va falloir absorber le choc », pointe Vincent Lalouette, secrétaire général adjoint de la FSU emploi.
Si l’opérateur public a échappé à la suppression de 500 postes prévue par le projet de loi de finances 2025 – avant son passage à la trappe par la censure à l’Assemblée nationale –, rien ne garantit qu’il ne sera pas sous le coup de la cure d’austérité annoncée par le gouvernement Bayrou. La question se pose dans les mêmes termes pour les conseils départementaux, également sous la menace de coupes budgétaires massives.
Thibaut Guilluy, lors d’une rencontre organisée en novembre dernier par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), avait reconnu ces entraves à demi-mot, concédant face à la mitraille de questions sur les moyens : « Je ne dis pas que ces 1,2 million de bénéficiaires du RSA retrouveront par enchantement un travail. »
Pour Denis Gravouil, secrétaire confédéral à la CGT, « Thibaut Guilluy est un boy-scout, qui en fait des tonnes sur l’accompagnement. Or, il sait pertinemment que cela demande des moyens considérables. Qui ne sont pas là ». Le représentant syndical en veut pour preuves « ces agents en pleurs, désemparés par les injonctions contradictoires, les incitant à satisfaire des taux de décrochés au téléphone, tout en étant tenus de ne pas accorder plus de douze minutes à chaque personne ». Même constat à la CFDT, qui estime que « ce projet de loi ne remplit pas la promesse d’un meilleur accompagnement vers un emploi durable et de qualité » car « (…) les moyens dédiés ne sont pas à la hauteur des ambitions ». Dès lors, comment faire plus avec moins ?
Augmentation de 60 % du budget dédié à la sous-traitance
« La sous-traitance est une conséquence logique de cette réforme parce que cela permet de contourner les plafonds d’emploi », répond Denis Gravouil. Guillaume Bourdic, représentant syndical à la CGT France Travail, estime même que le service public de l’emploi « va devenir une gare de triage au service des prestataires privés ». En 2024, le budget dédié à la sous-traitance aurait ainsi augmenté de 60 % par rapport à 2023, tandis que le budget prévu pour l’externalisation des relations entreprises s’élèverait à 9 millions d’euros, selon Francine Royon.
La syndicaliste voit depuis le début de l’année « s’enchaîner les signatures de contrats avec les boîtes privées ». Le dernier en date concernerait la prestation Agil’Cadres, destinée à faire assurer le suivi d’un tiers des publics cadres par des opérateurs privés de placement.
« La petite musique de la direction est déjà bien installée. Le discours se résume à cette logique : si on n’est pas capable de faire, c’est les autres qui feront », abonde Vincent Lalouette. Au détriment de la qualité d’accompagnement pour les usagers. Francine Royon évoque ainsi des témoignages faisant état d’une pression intenable exercée par les prestataires, tenus de remplir des objectifs de taux de retour à l’emploi, pour que les usagers acceptent sans broncher n’importe quel job.
C’est particulièrement flagrant, selon elle, dans le cas du contrat de sécurisation professionnelle (CSP), destiné aux personnes licenciées économiquement, un accompagnement privatisé à hauteur de 50 % en Île-de-France. « Les usagers nous disent qu’ils veulent absolument être suivis par des conseillers de France Travail car ils n’en peuvent plus des prestataires qui les envoient sur des postes très difficiles, uniquement des métiers en tension, au mépris de leur projet professionnel », relate la syndicaliste.
L’IA à tour de bras
Pallier l’absence de moyens, gagner du temps : ce sont aussi les exigences qui ont guidé un déploiement tous azimuts de l’intelligence artificielle (IA) au cours de ces deux années d’expérimentation. L’opérateur s’est ainsi doté de nouveaux outils, dont Chat FT, destiné à faciliter la rédaction des textes, surnommé par la direction « le compagnon de l’agent ».
Mais la loi plein emploi consacre l’usage de l’IA à plus grande échelle, à travers la plateforme unique et automatisée gérée par France Travail, regroupant l’ensemble des inscrits, qui seront dispatchés, selon leur profil supposé, en fonction d’éléments recueillis sur leur parcours, vers l’organisme dédié et dans les catégories jugées par l’algorithme appropriées.
« Le problème des algorithmes, c’est qu’on ne sait pas comment ils sont programmés », soulève Denis Gravouil. Pour Vincent Lalouette, cette automatisation va forcément conduire à des ratés : « Un charpentier, qui aura subi un accident du travail, sera renvoyé sur cette profession-là, alors que lui ne veut plus en entendre parler », pointe le représentant syndical.
Au-delà de l’orientation, l’IA sera également massivement mise à contribution pour le contrôle des demandeurs d’emploi. Les objectifs ne sont pas moindres, avec en vue un triplement du nombre de contrôles afin d’atteindre le chiffre de 1,5 million d’ici à 2027. Concrètement, cela se traduira par la généralisation d’un dispositif dit « CRE rénové » (contrôle de la recherche d’emploi) inclus dans le kit de la loi plein emploi. À savoir, une automatisation accrue des contrôles via des « faisceaux d’indice » émis par un système d’information, sur la base d’un algorithme générant des alertes, là où la compréhension des situations au cas par cas avait encore plus ou moins cours.
Une loi de la coercition
« Contrôle » et « sanctions ». La CGT chômeurs, au moment de la publication du projet de loi, avait fait le décompte de ces termes. Ils apparaîtraient plus de 80 fois. Pour Vincent Lalouette, la première mesure de coercition est l’obligation d’inscription faite à un public qui ne sera plus dans une démarche volontaire. « Concrètement, cela veut dire qu’une partie des gens qu’on va recevoir maintenant ne souhaitent pas être inscrits chez nous, au détriment de la relation de confiance qui doit s’établir entre les deux parties. »
Côté sanctions, si la parution du décret entérinant leur cadre n’est prévue que dans le courant du premier semestre 2025, des cas de suspension d’allocation auraient d’ores et déjà affecté des allocataires dans certains départements soumis à l’expérimentation. Cela aurait été notamment le cas dans le Nord, selon Vincent Lalouette.
Pour Francine Royon, ces sanctions sont révélatrices de « la véritable intention derrière cette loi, à savoir la volonté d’aller au plus près des demandes du patronat local, de faire correspondre la main-d’œuvre disponible aux besoins du patronat, sur des métiers en tension ».
C’est d’ailleurs la conclusion du bilan très critique de l’expérimentation menée dans les départements, publié en décembre dernier par des associations, dont le Secours catholique, qui montre que les embauches réalisées pendant cette période l’ont été essentiellement sur des emplois précaires dans des secteurs en tension, comme l’hôtellerie, la restauration, le soin à la personne.
Pour Guillaume Bourdic, de la CGT France Travail, « on est aux antipodes de l’accompagnement du demandeur d’emploi, mené en fonction de son histoire, ses qualifications, ses besoins, en tentant de faire le lien avec le marché du travail. Aujourd’hui, on part des besoins de l’employeur et on crée les conditions pour que les demandeurs d’emploi y répondent coûte que coûte ».
Des considérations qui semblent secondaires pour Emmanuel Macron qui, on a aujourd’hui tendance à l’oublier, avait fait de cette loi l’arme pour réduire le taux de chômage à 5 % d’ici à 2027.
Force est de constater, comme le souligne Denis Gravouil, que « cette réforme se fracasse aujourd’hui sur la réalité, alors que le chômage remonte à près de 8 % ». La question est de savoir pendant combien de temps encore l’exécutif pourra se permettre de cibler les plus précaires, à l’heure où les fermetures d’usines, les plans de suppression d’emplois et les licenciements économiques se succèdent en cascades.
Hayet Kechit sdur www.humanite.fr
La généralisation de la réforme du RSA, qui conditionne l’allocation à la réalisation de quinze heures d’activités par semaine, suscite la vive inquiétude de Claire Hédon. La Défenseure des droits pointe une réforme stigmatisante, aux antipodes du devoir de protection sociale.
Quelque 1,2 million d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) sont, depuis le 1er janvier 2025, inscrits d’office à France Travail et tenus, pour une large part d’entre eux, de s’acquitter d’au moins 15 heures d’activité hebdomadaire, via « un contrat d’engagement ». Cette réforme imposera en outre, selon des modalités qui restent à fixer par décret, la création d’une nouvelle sanction, dite de « suspension-remobilisation », susceptible de couper ce revenu de survie en cas de non-respect du contrat.
La Défenseure des droits, Claire Hédon, qui avait déjà rendu un avis très critique en juillet 2023 au moment des débats autour de ce projet de loi, continue de dénoncer une réforme « délétère », dont la généralisation précipitée à l’ensemble du territoire, sur fond d’absence de moyens, remettrait en cause, à ses yeux, la volonté affichée d’assurer un accompagnement de qualité.
Au moment des débats autour de la réforme du RSA, en juillet 2023, vous aviez émis un avis pointant des atteintes aux droits. Pouvez-vous préciser ce qui a motivé ces critiques ?
Claire Hédon : Nous avons fondé notre avis sur le rappel des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 qui imposent un devoir de protection sociale et de solidarité à la collectivité nationale, tenue de garantir aux plus vulnérables des moyens convenables d’existence.
Or ce conditionnement du RSA à quinze heures d’activité fragilise les effets de ce principe constitutionnel qui est censé garantir le droit à un revenu d’existence. On ne devrait pas pouvoir, par des sanctions, priver une personne de ses besoins élémentaires et donc de son reste à vivre.
Nous partageons le constat que la question de l’insertion a été de longue date bien trop négligée concernant les bénéficiaires du RSA, et avant cela du RMI (Revenu minimum d’insertion, qui a été remplacé par le RSA en 2009 – NDLR), mais je ne vois pas en quoi une amélioration de l’accompagnement, que nous estimons indispensable, devrait impliquer en parallèle des heures d’activité obligatoires et des sanctions.
Quelles sont aujourd’hui vos craintes alors que cette réforme vient d’entrer en vigueur ?
Claire Hédon : Notre première inquiétude concerne l’extension du dispositif, de manière précipitée, à l’ensemble du territoire, sans que soient prévus des moyens à la hauteur de l’enjeu. Cela risque tout simplement de rendre ineffectif le volet accompagnement de la réforme. Il faut noter que dans les départements ayant expérimenté ces quinze heures d’activité, il y a eu un renforcement important des moyens d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Comment les agents de France Travail, sans augmentation de leurs effectifs, vont-ils pouvoir assurer un accompagnement de qualité alors que les agences sont déjà pleines ? Or, si cet accompagnement fait défaut, les risques de suspension du RSA s’en trouveront multipliés.
« Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. »
La deuxième inquiétude concerne le fait que la dispense d’activité hebdomadaire, prévue par la réglementation pour les personnes rencontrant notamment des difficultés liées à l’état de santé, au handicap, à la situation de parent isolé, reste à l’initiative des bénéficiaires du RSA. Or nous savons bien que pour les personnes les plus précaires, souvent peu familiarisées avec les codes administratifs, une telle démarche est loin d’être évidente.
Nous craignons également les dérives liées aux « mises en situation professionnelle », contenues dans ces quinze heures d’activité, telles qu’elles ont été précisées par le décret du 30 décembre 2024. Cela mérite attention : il faut avoir la garantie que ces mises en situation contribuent réellement à l’insertion professionnelle des personnes concernées, qu’elles soient compatibles avec la recherche d’un emploi et qu’elles ne constituent pas un détournement du droit du travail.
Avez-vous eu des saisines dans le cadre des expérimentations menées dans les départements ?
Claire Hédon : Nous n’avons pour le moment pas encore été saisis sur des situations de suspension de l’allocation, mais nous sommes aussi face à un public peu coutumier de ce genre de démarches. Ce qui sera très instructif, ce sera d’obtenir de la Cnaf les chiffres liés à ces suspensions, département par département, notamment pour évaluer les inégalités de traitement sur le territoire.
Nous avons par ailleurs eu, dans le cadre de notre comité d’entente sur la précarité, des échanges avec les associations ; nous avons également rencontré le Conseil national de lutte contre les exclusions, composé pour moitié par des personnes concernées et en situation de précarité.
Cela a été très instructif de les entendre faire part de leurs inquiétudes sur ces quinze heures d’activité. Je crois qu’on ne mesure pas l’angoisse qu’on génère en faisant des lois de ce type. Il y a vraiment pour les personnes la peur de tout perdre et nous aurions aimé que le législateur puisse aussi entendre ce discours-là.
Comment analysez-vous les premiers résultats communiqués par l’exécutif sur cette expérimentation ?
Claire Hédon : On a comparé des choses qui ne sont pas comparables. L’expérimentation s’est concentrée, et c’est très légitime, sur les personnes nouvellement allocataires du RSA et parmi les plus proches de l’emploi. Il est dès lors peu surprenant que cela ait donné de bons résultats. Un meilleur accompagnement, tout de suite après la mise en place du dispositif, donne de meilleurs résultats en termes d’insertion.
On ne peut cependant transposer cela à la situation de personnes qui sont au RSA parfois depuis plus de dix ans. Au-delà de cela, il faut noter que ces résultats montrent qu’on reste largement sur du contrat précaire. Cette évaluation a considéré comme résultat d’insertion positif le fait de décrocher un CDD de six mois, dont on sait la fragilité.
Cette réforme signe-t-elle un changement de philosophie ?
Claire Hédon : Il y a en tout cas avec cette loi, que je trouve délétère et inquiétante du point de vue des droits, la poursuite d’un glissement qui entretient un certain imaginaire au sein de la société. Celui de personnes qui seraient au RSA par plaisir, se complairaient dans un rôle d’assistés, seraient responsables de leur situation et refuseraient de travailler.
Or ma connaissance de la grande précarité me démontre exactement l’inverse. Les personnes ont envie de travailler parce que le travail est un des moyens d’insertion. On contribue à créer une image stigmatisante des personnes précaires.
Or la culpabilité n’est pas placée du bon côté. L’inconscient collectif renvoie les personnes à cette question : « Qu’avez-vous raté dans la vie pour vous retrouver dans cette situation ? » Et moi, je pense que c’est exactement l’inverse. On devrait plutôt s’interroger sur ce que la société a raté pour qu’ils se retrouvent dans cette situation.
mise en ligne le 9 janvier 2025
Par Marie Astier sur https://reporterre.net/
Pour protéger les salariés exposés aux polluants éternels, la CGT lance le « collectif PFAS ». « On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! » affirme le syndicaliste Jean-Louis Peyren.
La CGT lance le 6 janvier un « collectif PFAS ». Une première dans le monde syndical, plutôt frileux sur le sujet des polluants éternels. Omniprésents dans nos produits du quotidien (poêles de cuisine, cosmétiques, emballages alimentaires, etc.), ceux-ci sont toxiques pour l’humain. Jean-Louis Peyren participe à la création de ce nouveau « collectif PFAS » , il est secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques CGT, en charge des questions santé-travail.
Reporterre : Pourquoi avoir décidé de faire de la question des PFAS un sujet prioritaire à la CGT ?
Jean-Louis Peyren : Les premiers concernés, ce sont les salariés. Ils les fabriquent, les utilisent dans le cadre de leur travail en tant que matière première. Il est légitime que l’on s’intéresse à cette problématique. On peut nous dire qu’on arrive un peu tard, mais c’est un sujet difficile à porter en tant que syndicaliste dans une entreprise.
Nos employeurs disent : « Si vous vous faites trop de bruit, on sera obligés de fermer et vous perdrez votre emploi. » Le salarié qui questionne l’impact des PFAS sur la santé et l’environnement deviendrait presque responsable de la fermeture de la boîte. Alors que les responsables, ce sont les pollueurs.
Les salariés ont plus peur de perdre leur emploi que leur santé. Il va falloir inverser les peurs. C’est aussi pour cela que la CGT a mis du temps à se positionner publiquement ; cela a nécessité de la pédagogie vis-à-vis des salariés. On ne veut pas travailler pour perdre sa santé, mais pour gagner sa vie.
Nous pensons que c’est en dénonçant la situation et en poussant les industriels à trouver des solutions alternatives que l’on sauvera nos emplois.
Pourquoi les travailleurs sont-ils les premières victimes des PFAS ?
Jean-Louis Peyren : Lorsque vous fabriquez un produit, vous y êtes exposé tous les jours. Surtout que les salariés sont mal protégés. Nos employeurs préfèrent aller vers des protections individuelles, par exemple des masques, plutôt que des protections collectives, comme une hotte aspirante. Or, les protections individuelles ne sont pas les plus efficaces. Quand vous êtes sur un poste pouvant être considéré comme exposé à des matières toxiques, vous avez un masque ; mais pas ceux qui gravitent autour. La hotte, elle, protège l’ensemble des salariés.
« Il faut interdire les PFAS ! »
Par ailleurs, le législateur a mis en place ce que l’on appelle les « valeurs limites d’exposition professionnelle ». Cela ne vous empêche pas d’être au contact de ces produits. Et ces valeurs sont établies produit par produit, pas à l’échelle de l’entreprise. Si vous fabriquez plusieurs produits différents, l’effet cocktail n’est pas pris en compte.
Comment réagissent les employeurs à cette demande de meilleure protection des salariés face aux PFAS ?
Jean-Louis Peyren : Quand on voit la levée de boucliers des industriels face à la proposition de loi d’interdire des PFAS… Et que, par exemple, Tefal continue à dire que la substance qui a remplacé le téflon dans ses poêles [le PTFE] n’est absolument pas dangereuse pour la santé... Il écrit même sur son site internet que l’on peut en ingérer de façon accidentelle. Comment voulez-vous qu’il pense à protéger ses salariés ?
Je rappelle quand même que le patron de Tefal a [en avril dernier] réuni les salariés Force ouvrière et CFDT devant l’Assemblée nationale, pour qu’ils disent que le téflon n’est pas si dangereux que cela [la proposition de loi, également approuvée par le Sénat, a en effet exclu les ustensiles de cuisine de l’interdiction des PFAS]. La situation est grave. Certains devront rendre des comptes plus tard.
La législation doit évoluer. Nous devons imposer un rapport de force face au lobbying des industriels.
Comment protéger la santé des salariés ?
Jean-Louis Peyren : Il faut interdire les PFAS ! On ne va pas continuer à fabriquer un produit dangereux simplement pour alimenter l’économie et faire travailler des personnes. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais il faut les remplacer.
Des analyses permettent-elles d’évaluer l’exposition des salariés ?
Jean-Louis Peyren : Des analyses ont été faites chez les salariés d’Arkema [le géant de la chimie] début 2024. Des PFAS ont été retrouvés en grande quantité dans le sang de certains salariés.
« On ne peut pas laisser les industriels être leurs propres gendarmes ! »
Mais il y a deux problèmes. D’abord, c’est l’entreprise qui a choisi les laboratoires d’analyses. Pour des questions de transparence, on demande à ce que ce soit aux organismes externes de les analyser. La médecine du travail, par exemple, peut faire les prises de sang, choisir des laboratoires. On ne peut pas laisser les industriels faire leur autocontrôle, être leurs propres gendarmes !
Par ailleurs, une fois que vous avez une quantité de PFAS mesurée dans le sang, on vous dit tout et son contraire : que certaines études disent que c’est dangereux, d’autres non [il n’y a pas d’interdiction générale des PFAS à l’échelle de l’Union européenne, et la majorité des quelque 12 000 PFAS aujourd’hui recensés passe sous les radars]. À un moment, il va falloir appliquer le principe de précaution, lister les PFAS, et faire reconnaître [par l’État] qu’ils sont dangereux, et peuvent provoquer certaines maladies.
On pourra ainsi faire appliquer le Code du travail, qui indique que l’employeur est responsable de la santé des travailleurs, et faire évoluer le tableau des maladies professionnelles.
En tant que syndicaliste, recueillez-vous des témoignages de malades dans les entreprises utilisant des PFAS ?
Jean-Louis Peyren : C’est difficile à dire. Quand un salarié déclenche un cancer, on peut avoir un doute. Mais il n’y a rien de scientifique dans ce que l’on constate. Par contre, quand on sonne l’alerte, ce serait bien que des scientifiques extérieurs à nos entreprises regardent si, réellement, il y a quelque chose ou pas.
Vous créez un collectif PFAS au sein de la CGT, quel est son but ?
Jean-Louis Peyren : Le but est d’abord de s’organiser, de travailler ensemble, car la CGT regroupe de nombreuses branches et métiers. Les syndicats d’Arkema et de Solvay [une usine chimique] devraient en faire partie, des syndicats de la métallurgie, la Fédération de la métallurgie aussi, l’Union départementale 69 (Rhône) et celle d’Auvergne-Rhône-Alpes.
On va essayer de travailler avec des associations écologistes et de riverains, avec des organismes comme le CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire].
On voudrait commencer par cartographier les plus fortes expositions aux PFAS, les comparer aux valeurs limites d’exposition et informer les salariés que, même quand les seuils ne sont pas dépassés, il peut y avoir un danger. Faire savoir que ces valeurs ne sont pas un blanc-seing pour polluer et mettre en danger les salariés.
Tout est à faire et à construire. Nous sommes comme en 1906, quand le premier médecin a dit qu’il y avait un problème avec l’amiante. Il a fallu attendre 1996 pour qu’elle soit interdite en France.
Jessica Stephan sur www.humanite.fr
Le syndicat a annoncé lundi la constitution d’un collectif pour protéger les salariés, qui sont les premiers exposés, et chercher des alternatives aux Pfas, ces substances extrêmement nocives pour la planète. Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social.
Textiles, emballages alimentaires, gaz réfrigérant… : les Pfas sont partout. Certains de ces polluants persistants dans l’environnement ont été classés « cancérogènes », d’autres « peut-être cancérogènes » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en décembre 2023.
Ces quelque 4 000 substances chimiques, per- et polyfluoroalkylées, sont connues pour leur résistance aux fortes chaleurs, leur imperméabilité, et leurs propriétés antiadhésives. Mais, avant leur arrivée dans nos placards et dans l’environnement, ce sont les salariés des usines qui y sont les premiers exposés. Un problème qui n’est pas sans rappeler celui de l’amiante, et dont la CGT a annoncé se saisir en constituant un « collectif Pfas » le 6 janvier dernier.
« Protéger les salariés, c’est éliminer le risque »
Son premier objectif est clair : « protéger au maximum les salariés », explique Jean-Louis Peyren, secrétaire fédéral à la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic) de la CGT et membre du collectif, une nécessité « s’il y a toxicité ».
Dans l’immédiat, le collectif défend des « protections collectives » adaptées à chaque situation de travail. « Par exemple, sur un poste de travail avec des émanations gazeuses de Pfas, la hotte aspirante est une solution », détaille Jean-Louis Peyren, car elle protège le travailleur concerné mais aussi ceux qui gravitent alentour.
Ce collectif naissant – l’idée a germé au printemps 2024 – compte une dizaine de membres : des syndicats CGT de sociétés concernées, la Fnic CGT, des unions et comités au niveau local. Et il a du pain sur la planche : l’omniprésence des Pfas rend la situation complexe. « Dans le meilleur des mondes, protéger les salariés, c’est éliminer le risque. Si le risque, ce sont les Pfas, il ne faut plus de Pfas. Mais on vit dans un monde où ils répondent à des besoins. »
Pour illustrer cela, Jean-Louis Peyren donne un exemple percutant : les combinaisons ignifugées des sapeurs-pompiers, qui en contiennent. « On ne va pas les interdire et dire aux pompiers d’aller sur le feu en chemise de bureau ! »
« Le caillou dans la chaussure dans l’entreprise »
À terme, il s’agit donc aussi de trouver « des alternatives ». Un enjeu sanitaire, environnemental, mais aussi social, selon Jean-Louis Peyren : « Ce n’est pas en niant la situation qu’on va sauver nos emplois, au contraire, c’est en la dénonçant, parce que cela va permettre de trouver des alternatives. » Mais l’argument est parfois difficile à faire entendre. « Derrière la problématique des Pfas, il y a aussi des problématiques sociales qu’on ne doit pas nier, précise-t-il. Il faut concilier les deux, en allant vers de moins en moins de Pfas. »
Le collectif fait face aux inquiétudes et aux attentes suscitées par l’annonce de sa constitution : « On est sollicités par les syndicats CGT pour savoir comment aborder le sujet. » C’est sa première étape de travail : les aider « à aborder le problème des Pfas dans les entreprises avec les salariés », indique Jean-Louis Peyren, qui reconnaît la difficulté en interne : « C’est compliqué. Il faut rassurer nos syndicats. Certains nous alertent parce que les salariés pensent qu’on est en train de supprimer leur emploi. »
D’autant que la mise en cause de ces polluants entraîne parfois des pressions des employeurs, déplore Jean-Louis Peyren : « On nous oppose le chantage à l’emploi. C’est vieux comme le monde… » L’enjeu financier ne se laisse jamais oublier : « Des gros lobbies industriels se mêlent de ces affaires. »
Jean-Louis Peyren prévient : « On va essayer, comme le font les associations et les partis écologistes, les associations de riverains, de faire le caillou dans la chaussure mais en interne, dans l’entreprise. »
mise en ligne le 9 janvier 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Dans la bande de Gaza, 2025 commence comme 2024 s’est terminé : par des massacres. Sous le feu de l’armée israélienne, au moins trois cents personnes sont mortes depuis le 1er janvier. Parallèlement, se déroule au Qatar un nouveau round de négociations pour un cessez-le-feu.
À lire les communiqués du ministère palestinien de la santé, les témoignages, à regarder sur les réseaux sociaux les vidéos postées depuis la bande de Gaza, on est pris de vertige.
Le mardi 7 janvier marque le 459e jour de guerre d’Israël contre la bande de Gaza.
Un an, trois mois et trois jours depuis le début de la guerre d’« éradication du Hamas », selon le but déclaré par Israël après les massacres du 7-Octobre perpétrés par la branche armée du mouvement islamiste et d’autres factions palestiniennes.
45 885 Palestiniens et Palestiniennes tué·es par les avions, les chars, les fusils, les bateaux et les drones israéliens, 109 196 blessé·es, et encore ce ne sont là que les victimes dûment enregistrées par le ministère palestinien de la santé.
Celui-ci indique 31 nouvelles vies supprimées le lundi 6 janvier, 48 le dimanche 5 janvier, 88 le 4 janvier, 59 le 3 janvier, 77 le 2, et 28 le mercredi 1er janvier.
Dimanche 5 janvier, devant les urgences de l’hôpital Al-Aqsa, dans le centre de l’enclave, le journaliste d’Al Jazeera en anglais Hani Mahmoud racontait les funérailles qui se succédaient sans relâche : « Nous pouvions ressentir un sentiment de frustration couplé à la tristesse et à la souffrance, ainsi qu’au fait que l’on permette que cela continue à se produire, un massacre de civils palestiniens dans leurs tentes, leurs camps, devant leurs maisons. »
Le lendemain, Ahmed Barakat, un habitant de Cheikh Radwan, quartier de Gaza-City, témoigne auprès d’Al Jazeera en anglais du bombardement d’un immeuble résidentiel vers une heure du matin, alors que les gens dormaient.
« Les morts sont éparpillés dans les rues. Nous essayons toujours de retrouver nous-mêmes certains de nos proches parce qu’il n’y a pas d’équipes de défense civile ou d’ambulances ici, a-t-il déclaré. Je ne sais pas à quoi m’attendre de plus. Je n’ai plus de mots. »
L’armée israélienne a indiqué, comme à son habitude, avoir visé des « cibles terroristes », selon sa terminologie, lors de ses bombardements sur Jabaliya, Cheikh Radwan, Shoujaya, Al-Bourej, Deir al-Balah, Khan Younès, Rafah, soit l’ensemble du territoire.
Pousser son avantage
Toujours devant l’hôpital Al-Aqsa, le journaliste Hani Mahmoud reprend : « L’armée israélienne justifie ces attaques par le fait qu’elle opérait contre des militants et des membres du Hamas dans toute la bande de Gaza, menant des centaines d’attaques ou de frappes dans toute la bande de Gaza, mais lorsque nous comparons ce récit à ce que nous voyons sur le terrain, l’écart semble se creuser de plus en plus entre ce que disent les déclarations et ce que nous voyons sur le terrain, les femmes et les enfants constituant la grande majorité des victimes. »
Cette violence accrue dans ce que de plus en plus d’historien·nes, de politistes, d’humanitaires et de diplomates s’accordent à qualifier de génocide, peut s’expliquer par la volonté des dirigeants politiques et militaires israéliens de pousser leur avantage.
Les négociations en vue d’un cessez-le-feu permettant un échange de prisonniers – otages encore retenus dans la bande de Gaza contre détenu·es palestinien·nes enfermé·es dans les geôles de l’État hébreu – avaient progressé, affirment des médiateurs, en décembre, tout en indiquant, sous couvert d’anonymat, que Benyamin Nétanyahou avait posé de nouvelles conditions – ce dont il est coutumier.
L’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas […]. Ce qui est totalement illusoire. Agnès Levallois, coordinatrice du « Livre noir de Gaza »
Les discussions indirectes ont finalement repris à Doha, au Qatar, dimanche 5 janvier, sous l’égide des médiateurs qataris, de diplomates canadiens et des alliés états-uniens d’Israël.
Dans ce type de circonstances, qui relèvent autant du bras de fer que de la diplomatie, chaque partie abat ses atouts.
« Quand les négociations reprennent, celui qui est le plus fort veut le montrer pour lâcher le moins possible dans les discussions, explique Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO et coordinatrice de l’ouvrage Le Livre noir de Gaza (Seuil). Nous avons constaté cela à chaque fois. Je suis en outre persuadée que l’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas, c’est-à-dire de lui retirer toute possibilité de jouer un rôle, politique ou militaire. Ce qui est totalement illusoire, mais qui s’inscrit dans la logique israélienne. »
Samedi 4 janvier, le Hamas a diffusé la vidéo d’une captive, Liri Albag, 19 ans, enlevée avec six autres soldates dans la base militaire de Nahal Oz le 7-Octobre. Les images ne sont pas datées, mais elles constituent la première preuve de vie de la jeune femme. Sa famille, qui a demandé à ce qu’elle ne soit pas publiée, a rendu public un communiqué dans lequel elle déclare : « Nous lançons un appel au premier ministre, aux dirigeants mondiaux et à tous les décideurs : il est temps de prendre des décisions comme si vos propres enfants étaient là ! »
Une liste d’otages surgit
Le sort des 97 otages, vivant·es ou mort·es, encore détenu·es reste au cœur des objectifs affichés du gouvernement Nétanyahou, même si beaucoup, dans l’opinion israélienne, lui reprochent de les avoir sacrifiés au profit d’autres buts : l’éradication du Hamas, la poursuite d’une guerre dont la fin est sans cesse reportée et la survie de sa coalition d’extrême droite.
Les factions palestiniennes qui retiennent prisonnières les 63 personnes présumées encore en vie, israéliennes et étrangères (un Népalais et six Thaïlandais), jouent évidemment de cette carte avec cynisme.
Le Hamas a remis une liste de 34 personnes, femmes, enfants et hommes de plus de 50 ans, pouvant être, selon lui, libérées dans le cadre de la première phase d’un accord. Cette liste, a indiqué un responsable du mouvement islamiste, lui a été communiquée par le gouvernement israélien, et ce dirigeant a affirmé dans le même temps avoir besoin d’une semaine de calme relatif pour vérifier qui est encore vivant et qui les détient.
Publiée d’abord par le quotidien de langue arabe à capitaux saoudiens Asharq al-Awsat, la liste a circulé et provoqué émoi et manifestations en Israël, où tout un chacun a en ligne de mire la prochaine investiture de Donald Trump, le 20 janvier.
Le nouveau président des États-Unis s’est fendu en décembre, sur son réseau Truth Social, d’une de ces déclarations tonitruantes dont il est familier : « Si les otages ne sont pas libérés avant le 20 janvier 2025, date à laquelle je prendrai fièrement mes fonctions de président des États-Unis, ce sera l’ENFER À PAYER au Moyen-Orient ! », promesse réitérée ces derniers jours.
« Cela ne veut pas dire qu’il est en faveur d’un règlement politique pour les Palestiniens, mais il veut, en arrivant à la Maison-Blanche, pouvoir dire : “La guerre est terminée”, et le mettre à son actif, reprend Agnès Levallois. Donc l’armée israélienne veut, en quelque sorte, mettre le paquet, au cas où elle devrait relâcher sa pression dans quelques semaines. »
L’état-major de l’État hébreu n’a en tout cas pas à s’inquiéter de manquer de munitions. En dernier cadeau à son allié indéfectible, Joe Biden va demander aux deux chambres états-uniennes d’approuver l’envoi à Tel-Aviv de missiles, obus et autres munitions pour 7,71 milliards d’euros. À deux semaines de la fin de son mandat, le démocrate ne risque pas de perdre son surnom de « Genocide Joe ».
Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr
Trois véhicules du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies, ont été touchés par les tirs de l’armée israélienne, lors d’une mission dans la bande de Gaza, dimanche 5 janvier. Une nouvelle attaque envers une organisation humanitaire, alors que la situation sanitaire ne cesse de s’aggraver au sein de territoires palestiniens toujours sous le feu des bombes.
Les mois s’enchaînent et se ressemblent pour les agences techniques des Nations unies (ONU), dont le rôle de terrain dans la bande de Gaza reste primordial. C’est au tour du Programme alimentaire mondial (PAM) d’accuser, lundi 6 janvier, l’armée israélienne d’avoir mis en péril sa mission humanitaire, essentielle pour une population meurtrie, affamée, assoiffée et en proie aux maladies. L’agence rattachée à l’ONU a alerté sur le fait que des soldats ont tiré, la veille, sur l’un de ses convois dans la bande de Gaza.
Les Nations unies condamnent ainsi « fermement » un nouvel épisode de violence au cours duquel trois véhicules – « clairement » identifiés – ont essuyé des coups de feu de la part des forces israéliennes, près du point de contrôle de Wadi Gaza. Et ce, « alors que le convoi avait reçu toutes les autorisations nécessaires des autorités israéliennes ». Seize balles ont été tirées, selon les témoignages des huit membres du PAM présents à bord des véhicules. Aucun blessé n’est à déplorer.
Les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente »
« Cet événement inacceptable est le dernier exemple en date témoignant de l’environnement de travail complexe et dangereux dans lequel le PAM et d’autres agences opèrent aujourd’hui » à Gaza, où les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente pour permettre la poursuite des opérations humanitaires », a insisté le PAM, qui appelle par ailleurs à ce que toutes les parties respectent le droit humanitaire international et permettent le passage de l’aide humanitaire en 26 pttoute sécurité.
L’armée israélienne a, de son côté, indiqué avoir reçu des informations concernant des tirs ayant visé le convoi du PAM, mais n’a pas souhaité préciser leur origine. « L’incident a été examiné, les procédures opérationnelles ont été clarifiées et les résultats de l’enquête seront analysés », a ainsi déclaré un porte-parole.
Ce n’est pas la première fois que des véhicules de Nation unies sont touchés par des tirs depuis que l’armée israélienne a débuté son entreprise génocidaire au sein des territoires palestiniens. Un employé de l’ONU, de nationalité indienne, avait notamment été tué, en mai 2024, alors qu’il se trouvait dans un véhicule des Nations unies. En août 2024, un premier véhicule du PAM avait déjà été visé par les forces israéliennes. Un incident qui l’avait poussé à suspendre momentanément les mouvements de son personnel dans la bande de Gaza.
De quoi aggraver la situation sur le terrain, où les agences techniques de l’ONU – Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme alimentaire mondial (PAM), Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) – s’avèrent indispensables afin de fournir à la population palestinienne des soins, de la nourriture et de l’eau potable.
Le sort réservé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) reste quant à lui en mémoire. Directement visé par le gouvernement israélien, qui est allé jusqu’à voter en faveur de son interdiction, fin octobre 2024, l’Unrwa a été la cible de l’armée israélienne, comme de soutiens du gouvernement dirigé par le premier ministre Benyamin Netanyahou. Le complexe de l’Unrwa situé à Jérusalem-est a, par exemple, été visé par des jets de pierre récurrents ou par des rassemblements visant à mettre la pression sur l’agence onusienne.
Gael Cérez (Médiacités) sur https://www.mediapart.fr/
Après l’interdiction de son exposition par la municipalité toulousaine, l’ONG Médecins sans frontières dénonce l’intention de la collectivité de cacher la souffrance des Palestiniens et les crimes commis par Israël. Et promet que l’exposition aura bien lieu dans les prochaines semaines.
Toulouse (Haute-Garonne).– Elle devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville, avec un vernissage annoncé le 11 janvier. Comme raconté par Mediapart, la mairie de Toulouse a renoncé à accueillir « We did what we could » (« On a fait ce qu’on a pu »), exposition réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui entend « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit ».
Pour le maire Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains), « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public ». Auprès de notre partenaire Mediacités, la présidente de MSF, Isabelle Defourny, assure de sa détermination à pouvoir exposer ces images à Toulouse dès que possible.
Mediacités : Que montrent ces photos aujourd’hui interdites dans la ville rose ?
Isabelle Defourny : C’est une exposition de photos prises par des photographes palestiniens et par du personnel de Médecins sans frontières dans la bande de Gaza. Elles montrent la réalité de la guerre menée par Israël et la souffrance de la population palestinienne, à travers l’expérience des soignants.
Elles montrent les afflux massifs de blessés dans les hôpitaux, les hôpitaux attaqués, les bombardements, la destruction de la ville, le manque de nourriture, le chaos qui s’installe, la société palestinienne anéantie. C’est un témoignage fort de la réalité de la situation actuelle.
MSF est toujours présent à Gaza, où elle compte 35 personnels internationaux et environ 800 personnels palestiniens. Votre ONG a perdu huit collaborateurs palestiniens depuis le début du conflit. Le titre de l’exposition est-il un hommage à leur mémoire ?
Isabelle Defourny : Le titre de l’exposition signifie « On a fait ce qu’on a pu ». C’est un médecin de Médecins sans frontières qui a écrit cette phrase sur un tableau de service de l’hôpital d’Al-Awda, après avoir reçu un ordre d’évacuation d’Israël. C’était le 20 octobre 2023 dans le nord de la bande de Gaza. Ce médecin s’appelait Mahmoud Abu Nujeila.
« Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. »
Avec d’autres soignants, ils ont décidé de rester parce qu’il y avait beaucoup de malades. Le 21 novembre, il a été tué par l’armée israélienne à la suite d’une frappe sur l’hôpital. Il a écrit cette phrase sur le tableau comme une sorte de testament. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ils ont été tués.
L’exposition a été présentée pour la première fois en octobre au musée mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Quels ont été les retours ?
Isabelle Defourny : L’exposition a eu beaucoup de succès. Il y avait beaucoup de monde à l’inauguration. De tous âges. Il n’y a eu aucun trouble. On sent qu’il y a un intérêt pour comprendre la réalité de ce qui se passe à Gaza. Cette réalité est peu visible, notamment parce qu’il n’y a pas d’accès à des médias étrangers et que, malheureusement, les journalistes palestiniens ne sont pas toujours pris suffisamment au sérieux.
Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. À Gaza, c’est un rôle qui est amplifié par le fait qu’on est parmi les rares témoins internationaux de cette guerre.
L’exposition devait être présentée à l’Espace diversités laïcité, un lieu municipal consacré à la lutte contre les discriminations, dans le cadre du festival Cinéma et droits de l’homme. Comment se sont passés les échanges avec la mairie ?
Isabelle Defourny : La mairie a affirmé à l’AFP qu’elle n’avait pas été informée de cette exposition avant décembre. Ce n’est pas exact. Nous avons envoyé tous les documents à la mairie en octobre. Le 5 novembre, la Mission égalité diversités de la mairie nous a dit qu’ils étaient satisfaits de nous accueillir. Ils ont ajouté qu’il faudrait contacter la police municipale pour mettre en place un protocole de sécurité habituel dans ce cadre d’événements.
Le 21 novembre, ils sont revenus vers nous en disant qu’il allait y avoir un second arbitrage et qu’ils nous tiendraient au courant. Nous nous sommes tournés vers eux régulièrement, mais nous n’avons pas eu de réponse jusqu’à ce qu’on reçoive cette lettre de refus, deux semaines avant le début de l’exposition.
Qui a signé cette lettre ?
Isabelle Defourny : Elle est signée par Fella Allal, conseillère municipale déléguée à la lutte contre les discriminations. Elle nous dit : « Malgré la qualité de notre partenariat, je ne pourrai malheureusement réserver de suite favorable à votre demande. »
Et elle le justifie par la récurrence de certaines manifestations qui sont radicalisées, par la prise de position de certains députés, par la tenue d’opérations inacceptables à Toulouse et en disant que la tenue de l’exposition pose un risque évident de trouble à l’ordre public.
Comment avez‐vous réagi à la lecture de cette lettre ?
Isabelle Defourny : Nous sommes consternés. L’interdiction en elle‐même est hyper choquante. Les raisons évoquées par le maire aussi. Il fait un amalgame entre une exposition présentée par une organisation humanitaire qui donne à voir la réalité de ce qui se passe à Gaza et des manifestations radicalisées, des actes antisémites répréhensibles et des prises de position de députés.
C’est une façon de nous décrédibiliser et de décrédibiliser les personnes qui veulent parler de Gaza. Cela participe aussi à rendre invisibles la souffrance de la population palestinienne et la réalité des crimes extrêmement graves qui y sont commis.
« Il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français. »
Parler de Gaza, dans le cadre d’un festival sur les droits de l’homme, cela semble évident. C’est l’endroit dans le monde où se passent aujourd’hui parmi les crimes les plus graves. C’est attesté par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, avec des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens.
Celles et ceux qui dénoncent la situation à Gaza subissent beaucoup de pression. Estimez‐vous qu’un nouveau cran a été franchi avec l’interdiction de cette exposition ?
Isabelle Defourny : Depuis le début du conflit, il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français, et particulièrement au niveau des chaînes de télévision. Quelques médias continuent à en parler et à permettre qu’on s’exprime sur ce qui se passe à Gaza sans directement être accusé d’antisémitisme ou d’être complètement partial.
C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe. C’est très choquant, mais ce n’est pas non plus complètement une surprise. C’est dans l’ambiance actuelle, malheureusement. Ce que je trouve vraiment terrible, c’est qu’à nouveau on parle d’une situation où la Cour internationale de justice a dit qu’il y avait un risque plausible de génocide, où la Cour pénale internationale lance des mandats d’arrêt pour crime contre l’humanité.
Avez‐vous échangé avec la mairie depuis l’interdiction ?
Isabelle Defourny : Non. Il est possible que le maire de Toulouse ait accès à des informations que nous n’avons pas sur de réels troubles possibles à l’ordre public. Dans ce cas‐là, ils auraient pu nous contacter pour qu’on échange ensemble afin de trouver une solution.
Ne pas avoir eu la moindre discussion avec eux et être informés seulement deux semaines avant l’exposition, cela montre bien le fait qu’il n’y avait pas de volonté de rendre visible cette exposition.
Par contre, nous avons reçu beaucoup de propositions de lieux pour que cette exposition se fasse à Toulouse. Nous sommes bien décidés à la faire dans les prochaines semaines.
mise en ligne le 8 janvier 2025
Bernard Marx sdur www.regards.fr
Le PS a entamé des négociations avec les ministres de l’économie et des comptes publics. À quelles fins ?
Ce mardi, Olivier Faure en a posé les enjeux de ces pourparlers sur France Inter avec une argumentation en 3 points :
1. Il faut un budget pour la France.
2. Le PS est ouvert au compromis parce que « s’il n’y a pas ce dialogue fécond, cela conduit à ce que l’extrême droite soit appelée au pouvoir, comme c’est le cas, en ce moment même, en Autriche ».
3. Les négociations vont porter essentiellement sur les retraites, les dépenses de services publics (éducation, santé…), le pouvoir d’achat et la justice fiscale.
En clair, si les négociations aboutissent, le PS ne voterait pas la censure, ni après la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier, ni sur le budget 2025. Il continuerait de s’opposer et de combattre la politique du gouvernement et notamment celle du duo Retailleau-Darmanin.
Le cas de l’Autriche est effectivement parlant. Mais la montée et l’arrivée de l’extrême droite à la direction du gouvernement autrichien ne sont pas seulement dues à l’échec des négociations entre les conservateurs et les sociaux-démocrates. Elles sont d’abord la conséquence des politiques qu’ils ont conduit ensemble ou séparément. Elles tiennent ensuite au renversement d’alliances décidé par les conservateurs qui ont choisi celle avec l’extrême droite. Elle sont dues, enfin, comme le souligne Romaric Godin dans Mediapart (voir plus bas), aux milieux économiques qui soutiennent ce renversement d’alliances. Elon Musk est loin d’être seul au monde.
S’agissant de l’Autriche, cela ne nous rajeunit pas. Mais s’agissant de la France, cela peut nous faire réfléchir. La censure, en janvier ou en mars du gouvernement Bayrou, l’enfoncement dans la crise politique et économique, voire la démission rapide d’Emmanuel Macron avec de nouvelles élections présidentielles dans l’urgence, ne seront pas propices à empêcher l’accession au pouvoir de l’extrême droite française.
Il aurait fallu pour cela que le Nouveau Front populaire ait sérieusement labouré le terrain d’un projet, d’un programme, d’une mobilisation active de la société. Bref qu’il ait fait Front populaire. Mais un compromis sur le budget ne créera pas en soi une situation plus favorable. Cela risque tout aussi bien d’être « encore un instant, monsieur le bourreau ». Qui pourrait prédire autre chose qu’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France si le dialogue entre le « socle commun » du gouvernement Bayrou et la gauche social- démocrate ne change pas la trajectoire d’une politique qui enfonce le pays et une grande majorité de la population dans un déclin sans espérance ?
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
Herbert Kickl, président du FPÖ, a été chargé par le président autrichien de constituer un gouvernement. Il devrait s’allier avec les conservateurs, dont l’aile proche des milieux économiques a soutenu ce renversement des alliances.
Par un renversement spectaculaire des alliances, l’extrême droite autrichienne arrive aux portes du pouvoir. Lundi 6 janvier, le président fédéral de la République d’Autriche, Alexander Van der Bellen, a reçu Herbert Kickl, chef du parti d’extrême droite FPÖ, dans son palais de la Hofburg. Il lui a officiellement confié la charge de constituer un nouveau gouvernement. S’il y parvient, Herbert Kickl sera le premier chancelier d’extrême droite de la république alpine depuis la Seconde Guerre mondiale.
La pilule a dû être délicate à avaler pour le président autrichien, ancien porte-parole des Verts, élu comme candidat indépendant en 2016 face au candidat du FPÖ, et réélu au premier tour en 2022. Alexander Van der Bellen a toujours été perçu comme un rempart contre l’extrême droite. Mais la situation politique ne lui laissait plus le choix. « Une des plus importantes charges constitutionnelles du président fédéral est de s’assurer que le pays dispose d’un gouvernement fédéral qui fonctionne », a précisé le communiqué de la Hofburg annonçant la nomination de Herbert Kickl.
Ce dernier va désormais mener des négociations avec la droite conservatrice autrichienne de l’ÖVP qui, dimanche, par la voix de son secrétaire général, Christian Stocker, s’est dite « prête à répondre à une invitation » du FPÖ pour former un gouvernement. L’affaire semble donc entendue : le FPÖ est arrivé en tête des élections fédérales du 29 septembre 2024, avec 28,9 % des voix contre 26,2 % à l’ÖVP. Les deux partis disposent d’une majorité au Conseil national, la chambre basse du Parlement.
Ces événements peuvent évoquer ce qui s’est passé en 2000, lorsque le conservateur Wolfgang Schüssel, pourtant arrivé troisième des élections fédérales de 1999, avait dirigé une alliance avec le FPÖ de Jörg Haider. La stratégie de l’ÖVP était alors de confronter l’extrême droite au pouvoir afin de lui faire perdre de la crédibilité. Le pari avait été temporairement réussi, et le FPÖ s’était fracturé et affaibli, retombant à 10 % des voix.
En réalité, la situation est très différente. Le FPÖ a soldé sa crise des années 2000. Il est devenu le premier parti d’Autriche en se radicalisant. Et c’est lui qui va diriger le gouvernement. Le potentiel chancelier fédéral, Herbert Kickl, est connu pour ses liens avec les milieux néonazis et identitaires. La volte-face de l’ÖVP n’est pas, comme en 2000, un choix tactique, c’est un choix stratégique qui consiste à fermer les yeux sur la nature du FPÖ pour conserver le pouvoir dans des domaines que les conservateurs jugent essentiels. L’ère politique qui s’ouvre en Autriche est donc complètement nouvelle.
L’échec de la coalition à trois
Comment en est-on arrivés là ? La tragédie s’est jouée en cinq actes, comme c’est de rigueur. Après les élections du 29 septembre, le premier acte met en scène une tentative de coalition excluant le FPÖ. Cet essai est mené par le chancelier conservateur sortant, Karl Nehammer. À ce moment, l’ÖVP exclut toute alliance avec l’extrême droite, insistant précisément sur le caractère infréquentable de Herbert Kickl.
En décembre, Christian Stocker affirme ainsi : « Ceux qui collaborent avec l’extrême droite en Europe sont intolérables en tant qu’hommes politiques. » S’adressant à Herbert Kickl, il ajoute : « Monsieur Kickl, personne ne veut de vous dans cette maison [la chancellerie – ndlr] et personne n’a besoin de vous non plus dans cette république. »
L’ÖVP entame donc des négociations à trois avec les sociaux-démocrates du SPÖ et le petit parti libéral Neos. L’idée est de construire un gouvernement fédéral disposant d’une majorité assez large et faisant barrage au FPÖ. Mais les négociations traînent en longueur. La construction d’un budget, notamment, pose problème. ÖVP et SPÖ défendent des positions très éloignées. Après soixante-quatorze jours de négociations, le 3 janvier, Neos décide de quitter la table des discussions. Pour les libéraux, celles-ci ne sont pas à la hauteur des « défis du moment ». Dans les faits, Neos ne parvient pas à faire valoir ses idées de vastes réformes fiscales.
Le deuxième acte s’ouvre. Karl Nehammer et le chef du SPÖ, Andreas Babler, décident de tenter de renouveler la « grande coalition ». Mais les discussions sont toujours aussi délicates sur le plan budgétaire.
ÖVP et SPÖ sont d’accord sur la nécessité d’une consolidation budgétaire. Pourtant, le déficit public autrichien n’est pas alarmant. En 2023, il a atteint 2,6 % du PIB, contre 3,3 % en 2022. Le problème de l’Autriche est bien plutôt sa croissance qui, sur un an, a stagné au troisième trimestre (− 0,1 %) et, plus largement, son modèle économique. Mais en Autriche, la pression des milieux économiques, et notamment financiers, pour réduire le déficit est très forte.
Reste que l’ÖVP et le SPÖ ne sont pas d’accord sur la méthode à employer pour réduire le déficit. Les sociaux-démocrates réclament que les plus riches soient mis à contribution et proposent une taxe bancaire alourdie et la réduction des subventions au diesel. Tout cela est inacceptable pour l’ÖVP, qui veut repousser l’âge de départ à la retraite et relever la TVA.
Rapidement, une partie de l’ÖVP semble juger le compromis avec le SPÖ impossible. Selon les révélations de la presse autrichienne, ce sont les milieux économiques au sein du parti conservateur qui ont alors mené la danse.
Samedi 4 janvier, alors que les sociaux-démocrates ont déjà abandonné deux points importants de leur programme – le rétablissement d’un impôt sur les successions et d’un impôt sur le patrimoine –, l’ÖVP, et notamment son « aile économique », rejette toute demande de surtaxe bancaire. En fin d’après-midi, après une suspension de séance, Karl Nehammer annonce à Andreas Babler qu’il rompt les négociations. Dans la foulée, il annonce sa démission de la chancellerie fédérale et de la direction de l’ÖVP.
La volte-face des milieux économiques
S’ouvre alors le troisième acte, celui du retournement des alliances de l’ÖVP. Un des artisans de cette ouverture des conservateurs à l’extrême droite semble être Wolfgang Hattmannsdorfer, nouveau président de la Chambre économique, une structure qui représente les entreprises auprès du monde politique. Il est favori pour remplacer Karl Nehammer à la tête de l’ÖVP et, peut-être, pour devenir vice-chancelier.
Le scénario qui semble s’être dessiné est que « l’aile économique » de l’ÖVP a considéré que le prix à payer pour une grande coalition, notamment une augmentation de la taxe bancaire, était trop élevé. Elle a trouvé des appuis parmi certains dirigeants du parti qui gouvernent déjà des Länder avec le FPÖ, et sont habitués à manier une rhétorique xénophobe. C’est notamment le cas de Johanna Mikl-Leitner, présidente de la région de Basse-Autriche, qui vient de déclarer qu’elle engage un « combat contre l’islam ». Selon le quotidien viennois Der Standard, elle aurait soutenu le tournant au sein de l’ÖVP.
En finir avec la grande coalition pour accepter de rejoindre un gouvernement avec le FPÖ supposait évidemment de sacrifier Karl Nehammer, défenseur de la ligne dure contre l’extrême droite. En passant, cela permettait de faire avancer l’agenda personnel d’un Wolfgang Hartmannsdorfer tout en préservant les intérêts des secteurs économiques protégés par l’ÖVP. Logiquement, Christian Stocker a traduit cette nouvelle orientation de la droite autrichienne par son invitation à la négociation avec le FPÖ.
Le quatrième acte se joue à la Hofburg, dimanche 5 janvier. Alexander Van der Bellen peut-il jouer ce rôle de rempart qui lui a valu ses deux élections à la présidence fédérale ? En octobre, il avait pu éviter de charger Herbert Kickl de former un gouvernement, en dépit de la première place du FPÖ, parce que l’ÖVP de Karl Nehammer avait exclu toute alliance avec lui. Malgré ses 27 %, le FPÖ était isolé et incapable de former un gouvernement.
Les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ sont concordants. Georg Knill, président de l’Alliance industrielle autrichienne
Avec la révolution de palais chez les conservateurs, les choses ont changé. Dans une conférence de presse, dimanche 5 janvier, le président doit le reconnaître en constatant que les voix contre une alliance avec l’extrême droite « se sont faites plus silencieuses » ces derniers jours. Une litote pour constater le renversement des alliances de l’ÖVP. Dès lors, ses options étaient limitées.
Sa première possibilité aurait été de dissoudre le Conseil national. Mais cette dissolution n’est possible, selon l’article 29 de la Constitution, qu’une seule fois pour le même motif. Autrement dit, si Alexander Van der Bellen dissout le Conseil national et que les élections renvoient un Parlement de même facture, il devra se soumettre et nommer Herbert Kickl chancelier. Or les enquêtes d’opinion laissaient entrevoir un renforcement du FPÖ. Cette dissolution, intervenant trois mois après le dernier scrutin, n’aurait pas sorti le pays de la crise politique.
Nommer un gouvernement technique non plus, dans la mesure où l’ÖVP, désormais mûr pour une alliance avec le FPÖ, ne l’aurait pas nécessairement soutenu. Un tel gouvernement aurait été un moyen de forcer une grande coalition après l’échec des négociations. Il ne restait donc que deux options à Alexander Van der Bellen : sa propre démission ou la nomination de Herbert Kickl. Dimanche soir, en invitant ce dernier à la Hofburg, il a choisi cette deuxième option. Et il l’a confirmée lundi matin.
Un profil inquiétant
Le cinquième acte s’écrit en ce moment. C’est la construction de cette nouvelle alliance sur des bases qui restent à définir, mais qui semblent devoir découler des événements précédents. L’ÖVP a choisi de s’allier avec le FPÖ sur la base de priorités économiques. C’est sur ce point qu’il va défendre ses positions. Il pourra compter sur un appui prononcé des milieux économiques. Le président de l’Alliance industrielle autrichienne, Georg Knill, qui n’avait eu de cesse de fustiger le programme « ennemi de l’économie » du SPÖ durant la campagne électorale, s’est réjoui lundi que les programmes économiques de l’ÖVP et du FPÖ soient « concordants ».
Le FPÖ devra sans doute abandonner quelques promesses économiques, sur les retraites ou le salaire des fonctionnaires, mais le jeu en vaut la chandelle. D’abord parce que les milieux économiques, du moins ceux de l’ÖVP, seront sans doute ravis de lutter contre ce que Herbert Kickl appelle le « communisme du climat » : réduction des subventions aux énergies vertes et réduction des normes environnementales.
Mais surtout, il y a fort à parier que l’ÖVP lui laisse les coudées franches sur la question de la répression policière, des migrants, des discriminations. Alexander Van der Bellen a certes posé des limites au nouveau gouvernement : respect de la séparation des pouvoirs, de l’État de droit, des droits des minorités, de l’indépendance des médias et de l’appartenance à l’Union européenne.
Mais l’exemple italien et surtout l’exemple hongrois montrent bien que la stratégie de l’extrême droite est moins d’instaurer directement une dictature que de détruire sournoisement les fondements de la démocratie. Souvent avec l’appui de la droite traditionnelle.
De ce point de vue, le profil du FPÖ de 2025 est inquiétant. Son programme et ses propos visent les demandeurs et demandeuses d’asile et les minorités sexuelles et de genre, mais aussi les mineurs de moins de 15 ans condamnés qu’il veut envoyer en prison. Herbert Kickl défend la déchéance de nationalité pour les Autrichiens naturalisés condamnés, le retour aux méthodes éducatives des années 1950 ou encore l’établissement de « traîtres au peuple ».
Le point le plus délicat à résoudre sera sans doute la politique étrangère. Le FPÖ, allié du Rassemblement national (RN) au Parlement européen, est encore très eurosceptique, et il est surtout ouvertement prorusse.
En mars 2023, les députés de ce parti ont ainsi quitté les bancs du Parlement qui accueillait le président ukrainien. Mais il semble qu’il y ait de la bonne volonté des deux côtés. Ce sera sans doute un point de friction avec l’ÖVP, qui est un parti europhile et très largement pro-occidental. Mais au regard de leur volte-face, les conservateurs semblent prêts à faire bien des concessions pour éviter toute levée sur les banques ou les plus riches.
Le cas autrichien confirme donc une tendance qui semble s’accélérer depuis les derniers mois de 2024. Une part croissante du monde économique semble s’être radicalisée pour défendre ses intérêts. Dans des économies stagnantes comme l’Autriche, le capital est déterminé à ne faire aucune concession qui puisse réduire sa rentabilité. En cela, l’extrême droite, qui est, de son côté, prête à respecter les intérêts des puissances économiques et qui bénéficie d’un soutien croissant de la population, devient son alliée naturelle et utile
mise en ligne le 8 janvier 2025
Yannis Angles sur www.mediapart.fr
Depuis le 10 décembre, l’établissement culturel est occupé par plus de 250 personnes. Propriétaire des lieux, la mairie de Paris n’a aucune solution d’hébergement pérenne à leur proposer. Dans l’attente, ces jeunes exilés continuent de lutter, et, pour certains, de rêver.
La musique résonne à la Gaîté lyrique, dès lors que l’on passe la porte. Au premier étage, en haut des marches, on aperçoit un petit groupe de jeunes en train de danser alors que d’autres réinstallent leurs effets personnels dans la salle de spectacle parisienne, après le passage le matin de l’entreprise d’entretien venue faire un grand nettoyage des sols. Les jeunes récupèrent leurs affaires dans des sacs avec leur nom, puis redisposent leur couchage en rangs d’oignons à l’identique, à côté de leur compagnon de galère.
Depuis le 10 décembre, la Gaîté lyrique n’accueille plus de concerts, mais des mineur·es sans papiers. Au premier jour de l’occupation, le lieu culturel a tant bien que mal tenté de rester ouvert au public, en diminuant drastiquement sa programmation, avec à la clé plusieurs centaines de milliers d’euros de pertes. Une seule exposition demeurait accessible jusqu’au mardi 17 décembre. Puis, l’annonce est tombée par communiqué : « La Gaîté lyrique est dans l’incapacité de maintenir les conditions pour permettre l’accueil du public dans les espaces. »
Les conditions de vie sont pourtant loin d’être idéales. Le personnel de l’établissement a souligné dans un autre communiqué que le lieu « ne dispose pas des espaces sanitaires nécessaires pour offrir une solution d’hébergement respectueuse et digne ». Un constat partagé par les résident·es. « On est au chaud, mais on n’a rien pour se laver ni pour faire à manger », raconte un jeune, Barry, délégué du groupe. Chaque jour, il doit sortir pour trouver ce qui manque : une douche, un endroit pour laver ses vêtements, par exemple. « On va à l’hôtel de Ville pour la douche, mais il n’y en a qu’une pour plus de 250 personnes », rapporte-t-il.
Les revendications de ces occupants temporaires et des associations qui les accompagnent tiennent en quelques mots : un toit pour tous, un centre d’accueil pérenne et la réquisition des bâtiments vides. Dans le même temps, Le Monde a rapporté que la préfecture de Paris avait informé les chefs d’établissement des lycées parisiens de non-reconduction d’un dispositif d’hébergement d’urgence logeant une centaine de lycéens. L’horizon semble donc, pour 2025, tout aussi bouché que l’an passé.
Pas le cœur à la fête
La nuit du réveillon, Yared*, un Éthiopien de 15 ans, se lève de son couchage pour venir à notre rencontre. Il s’inquiète d’abord de savoir si nous sommes de la police, beaucoup ce soir viendront nous poser la même question. Il est arrivé il y a trois jours. Avant de trouver refuge à la Gaîté lyrique, Yared avait passé quelques jours à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) pour récupérer de sa traversée de l’Espagne. « Je ne pensais pas être si mal accueilli à mon arrivée en France », lâche-t-il, fatigué de ce qu’il endure depuis. Juste à côté de lui, la tête enfouie sous la couette, un autre jeune tente de trouver le sommeil, malgré la musique et la lumière.
En attendant le repas, assis à une table, cinq de leurs compagnons écoutent une bénévole leur faire une dictée. D’autres en profitent pour se retrouver autour d’un baby-foot, se poser pour discuter, ou même se refaire une beauté. Installé sur un tabouret, un très jeune garçon, comme saucissonné dans un sac-poubelle, se fait couper les cheveux par un jeune qui manie la tondeuse avec dextérité.
Il est 20 heures, la musique s’arrête, un petit groupe de délégués s’active, le repas vient d’arriver. Pour célébrer cette nouvelle année, ni petits-fours ni champagne. Comme tous les soirs, une portion de riz au poulet est distribuée aux quelque 250 résident·es, le tout financé à l’aide des dons reçus sur leur cagnotte en ligne. Mais avant de manger, une petite assemblée générale est organisée autour de deux thèmes principaux, la lutte pour un toit et des papiers, et la vie collective. Chacun des occupants et occupantes peut prendre le micro, parfois pour des détails, comme le rappel d’éteindre les téléphones la nuit, afin de respecter le sommeil des autres, ou encore le respect de la propreté des lieux communs.
Un temps d’échange qui se conclut avec la distribution du repas. Certains ont juste le temps de finir qu’ils sont déjà sur la piste de danse pour profiter jusqu’au bout de la nuit de ce temps de cohésion. À l’extérieur, dans le froid et le calme de la nuit, un occupant de la Gaîté lyrique est assis sur le rebord de la fenêtre de la Poste voisine. Il enchaîne les cigarettes de manière frénétique. Ce soir, il n’a pas le cœur à la fête. Il s’est isolé pour trouver un coin de calme. L’occasion pour lui de tenter d’appeler sa famille au pays et de prendre des nouvelles. « Je laisse les autres profiter de la fête, je rentrerai avant l’extinction des feux à 0 h 30 », confie-t-il, tout en allumant une nouvelle cigarette, perdu dans ses pensées.
« Difficile de tenir le coup »
Barry, le délégué du groupe, n’a pas été reconnu mineur, et se bat contre cette décision en appel devant le tribunal administratif, « mais cela peut durer six mois, un an ou même plus », dénonce-t-il. Durant ce délai, aucune solution ne lui a été proposée, donc c’est le retour à la rue. « J’ai habité un mois vers la station de métro Pont-Marie, dans une tente, c’était très difficile », explique-t-il. La routine était la même chaque jour : le soir à partir de 18 heures, il allait chercher sa tente là où il l’avait cachée le matin même, avec la crainte que la police ne l’ait détruite. Chaque jour, un réveil identique : « Vers 5 heures ou 6 heures, la police venait nous évacuer. »
Abdourahaman, 16 ans, a vécu lui aussi pendant trois mois sous le Pont-Marie qui relie l’île Saint-Louis au quai de l’Hôtel-de-Ville, dans le IVe arrondissement de Paris. Aujourd’hui, il a trouvé refuge à la Gaîté, sans que cela règle pour autant tous ses problèmes : « On est plus de 250 personnes à s’entasser ici, c’est difficile de tenir le coup aussi longtemps », raconte-t-il.
Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Léa Filoche, adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris
Avant l’étape Gaîté lyrique, Barry et Abdourahaman ont découvert le Collectif des jeunes du parc de Belleville, déjà à l’œuvre dans d’autres occupations de lieux publics parisiens comme l’Académie du climat, le Cent-Quatre, puis la Maison des métallos, des opérations ayant toujours conduit à des mises à l’abri provisoires par les pouvoirs publics. Depuis, les deux jeunes gens ont décidé de s’investir au sein du collectif en tant que délégués, un rôle important lors d’une occupation. « Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer », dit Barry, qui ne chôme effectivement pas entre la préparation des repas, la gestion des plannings, l’organisation des assemblées générales ou encore la médiation nécessaire quand surviennent les conflits, inévitables dans cette gigantesque colocation informelle, entamée il y a plus de trois semaines.
Même si les services municipaux se sont rendus régulièrement à leur rencontre, Barry dénonce l’absence de solution concrète. Léa Filoche, adjointe chargée des solidarités, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris, considère que l’ensemble des lieux d’hébergement prévus sont déjà tous saturés. « Je n’ai plus de gymnases. Je n’ai plus de solutions. J’ai déjà 500 mineurs pris en charge », affirme-t-elle.
L’adjointe explique se sentir bien seule face à cette situation qu’elle qualifie « d’intenable » et à laquelle elle n’estime plus avoir les moyens de répondre. « Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Mais il ne veut pas les accueillir, il préfère les laisser à la rue que de s’approprier ces lieux », dénonce l’adjointe.
Alors que l’occupation s’installe dans le temps, que peuvent espérer Barry et Abdourahaman ainsi que leurs compagnons de lutte pour l’année de 2025 ? « [Avoir] gain de cause et enfin un logement stable et digne », espère Abdourahamane. Barry, qui rêve de devenir journaliste, espère pour sa part que cette nouvelle année sera celle où ils obtiendront une certaine stabilité pour tous : « Je veux qu’on puisse aller à l’école, travailler et pouvoir construire notre futur. »
* Les prénoms des personnes qui témoignent ont été changés pour assurer leur anonymat.
Par Louise Sanchez Copeaux sur https://www.bondyblog.fr/
Au sein de ce lieu culturel occupé depuis trois semaines, les jeunes migrants du collectif ont organisé une assemblée générale autour des violences qu’ils subissent. Reportage.
Alors que l’occupation du lieu culturel parisien dure depuis trois semaines, le jeudi 2 janvier s’est tenue une assemblée générale autour du thème des violences policières. Organisée par les occupants et les mineurs isolés du Collectif des jeunes du Parc de Belleville, cette rencontre a permis à plusieurs intervenants de témoigner sur le sujet.
Ces jeunes dénoncent la violence d’État qui rythme leur quotidien, qu’elle soit policière, institutionnelle ou judiciaire. « Tout ce qu’on subit en France n’est pas normal. On ne peut aller nulle part, on ne peut que se promener et c’est là qu’on se fait violenter », relate un délégué du collectif de Belleville avant de céder la parole.
Gardes à vue, agressions physiques…
Au micro, trois jeunes hommes témoignent. Ils racontent que, le plus souvent, les violences sont précédées de contrôles d’identité ou de titre de transports ou même de visites à l’hôpital pour se soigner. Gavey*, 16 ans, raconte s’être fait poursuivre dans le métro, à la station Denfert-Rochereau. « Les policiers ont cassé mon casque, mon sac à dos, m’ont tiré et frappé de tous les côtés », témoigne-t-il. L’adolescent a passé près de 24 heures au commissariat, où les coups ont continué à pleuvoir tout au long de la nuit, assure-t-il.
Abdoulaye évoque, lui, une interpellation violente et injustifiée. Le 18 décembre, après la manifestation en vue de la journée internationale des migrants, il se fait attraper devant l’entrée du métro et est accusé d’avoir touché un policier. « Il m’a menotté, on m’a emmené de force au commissariat. Je voulais prévenir l’association Utopia 56, mais on m’a pris mon téléphone, mes affaires et refusé tout ce que je demandais », dénonce-t-il.
Sa garde à vue a duré 48 heures. Il n’a pu parler qu’à un avocat qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu depuis. « On m’a tendu un papier et on m’a dit que j’étais obligé de le signer. On m’a aussi dit de donner mes empreintes si je ne voulais pas faire trois ans de prison », raconte-t-il, abasourdi. Le papier en question, que nous avons consulté, fait état d’une reconnaissance de culpabilité et d’un rappel à la loi.
La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien
Le dernier témoignage commence aussi dans le métro, à Jaurès. Selon le mineur, des contrôleurs l’ont frappé et ont essayé de fouiller son sac alors qu’il descendait les escaliers. « On ne m’a même pas demandé mon nom. J’ai refusé la fouille, car ils n’étaient pas policiers, mais la police est arrivée et m’a emmené en garde à vue », rapporte ce dernier.
« La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien », souffle l’adolescent. Les violences policières commises sur les personnes exilé.es sont documentées par les associations. Dans un rapport publié par plusieurs d’entre elles, dont Médecins du monde, quelque 450 cas de violences policières envers des migrants vivant à la rue, en Île-de-France, sont recensées. Un chiffre largement sous-estimé, selon ces associations, qui dénoncent des pratiques « systémiques ».
Les familles de victimes de violences policières en soutien
Les violences d’État ne sont pas seulement subies par les jeunes sans papiers. C’est un combat commun, appellent les intervenantes extérieures. En tant que représentantes des comités de Vérité et Justice pour les victimes décédées aux mains de la police, deux mères sont venues témoigner de leur soutien.
Très émue, Amanda raconte l’histoire de Safyatou, Salif et Ilhan, son fils. Âgés respectivement de 17, 13 et 14 ans le 13 avril 2023, les trois enfants se sont fait percuter en scooter par la police dans le 20ᵉ arrondissement, en sortant de la mosquée pendant le ramadan. Grièvement blessé, Ilhan a quand même été emmené en garde à vue.
Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes
« La police n’est pas seulement violente, elle est raciste. Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes », déplore Amanda devant l’assemblée. Et de conseiller aux jeunes présents de ne pas rester seuls dans l’espace public.
La mère de Lamine Dieng est, elle aussi, présente. Son fils est décédé le 17 juin 2007 suite à un plaquage ventral lors d’un contrôle de police. Elle rappelle l’importance de s’organiser, d’avoir des initiatives collectives et autonomes. « C’est comme si tout ce que faisaient les jeunes noirs était criminalisable par la police », s’émeut-elle. Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng a établi depuis longtemps des revendications concrètes et effectives contre les violences policières. Parmi elles, l’interdiction du plaquage ventral, de la clé d’étranglement, du pliage ou des lanceurs de balles de défense (LBD).
S’informer et se rassembler
Au cours des discussions, plusieurs intervenants prennent la parole pour partager des conseils concrets et proposer des initiatives. Des membres de l’assemblée Anti-CRA (centres de rétention administratifs) d’Île-de-France proposent d’animer un atelier à la Gaîté sur les réflexes à avoir en cas d’arrestation et de rétention.
« Dans les CRA, la police décide de tout : de la durée des visites, des placements en isolement, de quand faire des fouilles », expliquent les militants. Ces derniers rappellent les décès de Mohammed, un homme d’origine égyptienne en mai 2023 au CRA de Vincennes. Régulièrement, les associations dénoncent les conditions de rétention dans ces centres dans lesquels se multiplient les décès et les suicides.
Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité
Des avocats de la Legal Team (collectif d’avocats contre la répression) sont également présents pour partager leurs analyses et apporter quelques recommandations. « Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité et ne vous considèrent pas. Mais il faut quand même bien connaitre vos droits », recommande Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.
Ce dernier insiste sur l’importance de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue. « Le médecin n’est pas toujours un ami, l’avocat peut en revanche prendre vos blessures en photos, les constater, assister à vos échanges avec la police…», fait-il remarquer. Sa consœur met en garde contre la violence judiciaire et psychologique qui succède aux violences policières. « L’IGPN vous verra non pas comme une victime, mais comme l’auteur d’une infraction. Il ne faut pas porter plainte contre la police avec trop d’espoir. Je conseille de prendre cette décision avec la détermination et l’accompagnement nécessaire », insiste-t-elle.
Entretenir des conditions de vie en collectif
L’occupation a commencé mardi 10 décembre 2024. Certains jours, des rassemblements ont lieu devant la Gaîté Lyrique à 18 heures, suivis par des AG où se discute l’organisation du quotidien au sein des lieux. Malgré les efforts du collectif, les conditions de vie sont difficiles.
« On ne dort pas normalement, on ne mange pas normalement, on ne se lave pas normalement… C’est la première fois que je reste dans une occupation. Ça commence à être fatiguant », raconte Mohammed, 16 ans. « La vie ici avec les autres est un peu compliquée. On est là toute la journée alors parfois, on s’énerve. Parfois, quelqu’un se fait mal à cause des tensions. C’est difficile », confie Bouba, 17 ans.
L’État et la mairie de Paris ne répondent pas aux revendications des occupants. Du côté de la mairie, l’adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.es, Léa Filoche, expliquait à Mediapart que malgré les logements vides nombreux à Paris, « c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin ».
On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut
Les mineurs isolés se heurtent alors non seulement à la violence, mais à l’inaction des institutions. Mohammed se rappelle tous les rendez-vous qu’on lui a donnés en Île-de-France, qui n’ont jamais abouti. Ces interminables démarches l’épuisent. « Il n’y a pas de solutions ici à Paris. Je pense qu’à la campagne, ça peut être mieux, ou à Lyon, Marseille… », envisage-t-il. Bouba déplore l’inaction de la mairie de Paris. « Avant, j’étais devant l’Hôtel de Ville, j’ai dormi sur les quais de Seine pendant quatre mois. On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut », constate-t-il.
Ce que la majorité des jeunes occupants attendent, c’est d’être officiellement reconnu mineur, d’être “confirmé” pour accéder à leurs droits. « Même confirmés, les jeunes doivent savoir que les problèmes ne se terminent pas, il reste encore beaucoup de défis. On est logés, mais affectés dans un bâtiment, mélangés avec ceux qui n’ont pas été reconnus mineurs. On n’a pas le droit de sortir, d’avoir notre propre argent. Il n’y a pas d’eau potable, pas assez d’eau chaude pour tout le monde. On m’a transféré parce que je ne me laissais pas faire et je posais des questions sur ces conditions de vie », témoigne un mineur à distance, via un message pré-enregistré et diffusé lors du rassemblement.
Alors que l’occupation dure depuis presque un mois, la Gaîté Lyrique a fermé le lieu au public le 17 décembre et a suspendu sa programmation culturelle. Dans des communiqués, la direction se joint à leurs revendications et presse la Ville de Paris de trouver une solution de relogement pour tous les occupants.
*Tous les prénoms ont été modifiés
mise en ligne le 7 janvier 2025
Grégory Marin sur www.humanite.fr
Le journal satirique, rigolard et irrévérencieux, a changé de ton et de cible depuis quelques années. L’influence de son ancien directeur Philippe Val, flirtant à l’époque avec le pouvoir sarkozyste, se ressent à nouveau.
C’est l’histoire d’un canard sauvage qui a fini par être domestiqué, promu « symbole mondial de la liberté d’expression contre l’obscurantisme » par ceux-là mêmes qu’hier il brocardait. La critique est de Daniel Schneidermann, dans un livre à paraître aux éditions du Seuil, le Charlisme raconté à ceux qui ont jadis aimé Charlie. Depuis 2015, après l’attentat qui a laissé la rédaction exsangue, le journal a changé. Mais, à bien y regarder, la dérive était déjà importante, dès 1992 et la renaissance de l’hebdomadaire.
Journal irrévérencieux héritier de Hara-Kiri, Charlie Hebdo « meurt » en 1981. Provisoirement. Car le chansonnier Philippe Val lorgne le titre. En 1991, il avait pris la tête de l’équipe rédactionnelle de la Grosse Bertha, hebdomadaire satirique et « bordélique » dans lequel œuvraient Cabu et Charb. À « un éclat de rire par page » succède un précepte cher à Val : « Il faut des indignations », rapportera la rédaction après son départ. Déjà se dessinaient les contours de son projet futur, dévoilé à l’été 1992 lorsque Charlie Hebdo reparaît : « On ne rigole plus. »
Un changement d’époque
Malgré la présence des grands anciens, Wolinski et Cavanna, Charlie Hebdo va se mettre à « reproduire peu à peu les positions dominantes », analysait Mathias Reymond pour Acrimed en 2008. « Dans les années 1970, Cabu s’insurgeait “contre toutes les guerres” et collectionnait les procès intentés par l’armée. » En 1999, il soutient, avec la majorité de la rédaction (à l’exception de Charb et Siné) et dans la roue de Val, l’intervention militaire de l’Otan au Kosovo.
Dans le numéro 361 du 19 mai 1999, « Riss, qui n’écrit pas d’ordinaire », prend la place de la chronique de Charb, reprochant « aux pacifistes d’être des collabos », souligne Reymond. Même ton pour la campagne sur le traité constitutionnel européen de 2005 : Val « conduit une campagne véhémente et caricaturale contre les partisans du “non” au référendum », souligne Acrimed.
Lors du festival de Groland de Quend, en 2007, Charb, enregistré par Pierre Carles, prenait ses distances : « Val est tellement atypique dans Charlie Hebdo. (…) Si j’étais directeur d’un journal, (…) il n’y aurait pas Val dans le journal. En tout cas, ce qu’il exprime dans le journal, ça n’existerait pas. » Il sera exaucé deux ans après. Trop tard pour corriger les effets négatifs : après les décès des dessinateurs Gébé et Bernar, les départs des journalistes Olivier Cyran, François Camé, Anne Kerloc’h, Michel Boujut, Mona Chollet, Lefred Thouron partira à la suite d’un dessin sur Patrick Font, le chansonnier et ex-comparse sur scène du directeur, en procès pour pédophilie.
Dans le même temps arrivent des plumes plus consensuelles : le dessinateur Joann Sfar, l’ex-patron de France Inter Jean-Luc Hees, Renaud Dély et Philippe Lançon de Libération, Anne Jouan du Figaro. Et surtout l’essayiste Caroline Fourest, qui, aujourd’hui, relativise les morts d’enfants palestiniens.
« Islamo-gauchisme » et jet-set
Fiammetta Venner, déjà en poste à Charlie, et elle vont mener, avec la bénédiction de Val, très ouvertement pro-israélien, la lutte interne contre « l’islamo-gauchisme ». La publication des caricatures de Mahomet, en 2006, sera instrumentalisée, et la figure de la « petite conne » musulmane aussi utilisée que celle du prédicateur islamiste, rapprochant du journal des personnalités éloignées de la gauche radicale, comme Bernard-Henri Lévy.
Charlie va entrer dans d’autres cercles, des plateaux télé de Thierry Ardisson aux marches du Festival de Cannes. En 2005, Philippe Val confiait au magazine TOC qu’il entendait « légitimer le titre aux yeux des gens qui constituent le milieu de l’information et avec qui (il) entret(enait) des rapports cordiaux ». « Plus jamais le charlisme ne parviendra à s’arracher de l’orbite dévorante du pouvoir », écrit Schneidermann.
Ce sont surtout les prétentions de Val à intégrer les cercles politiques qui vont cliver. Le 2 juillet 2008, Siné écrit dans une chronique consacrée à Jean Sarkozy que le « fils de » vient « de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit » ! Bien que l’information, publiée par Libération, émane du patron de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, Siné est cloué au pilori par « le milieu de l’information ». Il doit répondre d’antisémitisme. Pourtant soutenu par Cavanna, Tignous, Honoré, il sera viré.
Sans doute l’analyse de Cavanna, dans Mohicans (Julliard), de Denis Robert, se révèle juste : « La débâcle (du journal – NDLR) a commencé avec le travail de sape de Val, pour qui Charlie Hebdo n’était qu’un marchepied vers une carrière de lèche-cul politique », lâchait-il. Car même si Charlie a continué avec une embellie sur le plan des idées entre le départ de Philippe Val en 2009 pour France Inter et la mort de Charb, son remplaçant, en 2015, son influence persiste.
Des combats contre les puissants, et pour l’écologie, menés à coups de fous rires rageurs, ne subsistent que de rares traces, effacées par l’obsession anti-islamiste, voire quelquefois antimusulmane. Sans doute ceux qui se proclament les chantres de la liberté d’expression, aujourd’hui, sont plus Printemps républicain que Charlie canal historique.
mise en ligne le 7 janvier 2024
MattiefloNogi sur https://blogs.mediapart.fr/
(les intertitres et la mise en gras sont le fait de 100-paroles)
Ils nous ont volé « la République », ils nous ont volé « la laïcité », ne leur laissons pas « le travail ». Au sens propre, comme au figuré, reprenons le travail !
Ce billet d'un simple sympathisant de la gauche et des écolos propose quelques réflexions, bien inspirées par les idées de F. Ruffin.
Aux côtés de la “république” et de la “laïcité” et probablement d’autres, la notion “travail” est depuis quelques années victime d’une récupération réactionnaire. De Sarkozy à Macron, ils semblent ne plus avoir que “la valeur travail” en tête. Autrefois, notion essentielle des forces humanistes et du progrès, elle devient désormais un totem de la droite, des libéraux, voire de l’extrême-droite. Projet émancipateur, source de statut, de revenus, de protection et de fierté, le travail est en train de basculer et il devient progressivement un marqueur important dans la bataille d’idées qui fait rage.
Le travail selon la droite
Exemple révélateur, les macronistes ont presque toujours ce mot à la bouche. Lors de son discours de politique générale en janvier 2024, G.Attal déclarait : « Ma première priorité, ça va être de continuer à soutenir la France qui travaille. Il y a beaucoup de Français qui sont au rendez-vous de leurs responsabilités tous les jours, qui travaillent, parfois dans des conditions difficiles, qui font tourner le pays. »
Notons déjà le “continuer à soutenir”, avec un sens de l’ironie qu’on ne lui soupçonne pas, il fait sans doute référence à la retraite à 64 ans, mesure rejetée par 90% des travailleurs. “Des français qui sont au rendez-vous de leur responsabilité” ; le bon travailleur pour eux c’est donc celui qui surtout ne se plaint pas, prend ses responsabilités et travaille sans rien attendre en retour. L’apologie de l’effort, un peu surannée, mais qui va si bien avec leur conservatisme, n’est pas loin. Il faut comprendre, en creux, que l’adversaire c’est bien sûr celui qui ne veut pas travailler, le fainéant qui se gave d’allocations, mais jamais l’actionnaire dont les dividendes explosent (ici).
Pour eux, défendre le travail, c’est pour qu’il paye plus que l’inactivité (ex : ici). Le sous-entendu est clair, il y a ceux qui travaillent dur et ceux qui profitent. Pas question évidemment d’augmenter les salaires pour qu’ils rapportent plus, la cible désignée à la vindicte populaire c’est celui qui ne travaille pas : le demandeur d’emploi, forcément bénéficiaire d’allocations, alors que dans les faits, seulement un chômeur sur deux bénéficie d’allocations chômage. Naturellement, il est responsable, voire coupable de sa situation, puisqu’il “suffit de traverser la rue”. Pourtant les chercheurs nous rappellent qu’en aucun cas, les allocations chômage ne peuvent rapporter plus que le salaire (lire ici).
Les bénéficiaires du RSA? Ce sont forcément des profiteurs. Plutôt que de les voir comme des privés d’emploi aux situations personnelles complexes, ils sont de plus en plus fréquemment considérés comme des parasites. Grâce au gouvernement actuel, pour recevoir le RSA (607€ pour une personne seule et c’est déjà trop pour eux) le bénéficiaire devra faire 15 heures d'activité par semaine. Comment ? Avec qui ? Peu importe, l’enjeu c’est de créer une démarcation entre les allocataires et ceux qui travaillent durement : “La France qui se lève tôt”. Il s’agit d’insister sur la responsabilité individuelle, plutôt que d’offrir une solidarité minimale alors même que la société ne peut offrir un emploi décent à tous. C’est le principe des politiques dite “d’activation”, si chères à nos gouvernants, qui ont pour finalité de forcer les bénéficiaires à accepter n'importe quel emploi. Peu importe que l’effet sur le terrain soit nul (lire ici), ce qui compte c’est l’affichage.
La logique est la même avec le projet du gouvernement de réduire la durée des allocations pour les plus de 55 ans. S’ils sont au chômage c’est un choix. Il faut donc réduire la durée de leur allocation. Encore une fois, il s’agit de montrer du doigt des coupables.
En prétendant “défendre la valeur travail” (jamais les travailleurs d’ailleurs, terme trop daté pour leur novlangue de cabinet de conseils), c’est bien le travail au quotidien qu’ils attaquent : report de l’âge de la retraite, réduction du pouvoir des salariés dans l’entreprise (ordonnance Macron de 2017 qui réduit l’importance des délégués du personnel), baisse de la protection contre le chômage… Il s’agit finalement d’exiger toujours plus aux travailleurs et de réduire leur protection.
Difficile de comprendre dans ces conditions ce qu’ils défendent au juste. Il apparaît clairement que leur objectif est autre : instaurer un clivage entre les travailleurs et créer un ennemi de l’intérieur ; celui qui ne travaille pas. Dans “Je vous écris du Front de la Somme”, F. Ruffin souligne qu’à l’ancienne division “nous” contre “ils” c’est-à-dire les travailleurs contre les capitalistes, ils veulent ajouter une troisième ligne de rupture “eux” : les profiteurs, les chômeurs, bien souvent les immigrés voire les fonctionnaires. Glorifier le travail comme le font les libéraux et l’extrême droite n’a qu’un objectif : sauvegarder l’ordre établi et la domination du capital, et morceler le “camp des travailleurs”.
Quand on regarde de plus près l’état du travail en France après leurs années de politique qui vise à défendre le travail, il n’y a pourtant pas de quoi pavoiser.
Le terme “smicardisation” s’entend de plus en plus fréquemment. Pour cause, le réveil est difficile : en 2022, 17,3% des salariés sont au SMIC. Ils n’étaient que 10% en 2012. Beau résultat pour ceux qui veulent que le travail paie. Lorsqu’ils souhaitent “désmicardiser” la France, il s’agit sans aucun doute de supprimer le SMIC, une lourdeur de plus pour ceux qui veulent tout libérer (“libérer”, une autre notion probablement victime de la récupération réactionnaire).
A crier partout que le travail doit payer plus que l’inactivité, ils oublient sciemment de dire que le travail ne paie pas suffisamment. Un salarié sur six est au salaire minimum, incontestablement les salaires décrochent. Le constat est pire si on se limite aux salariés à temps-partiel : ils sont 37% au salaire minimum. Petits revenus et temps partiel subi ; le halo du chômage regroupe environ 13% de la population (ici), l’emploi est avant tout un “mal-travail”. Pire, les revenus baissent à cause de l’inflation : Le salaire mensuel a baissé de 2,6% en 2 ans, alors qu’en 2008-2009 et 2012-2013, au plus fort de la précédente crise, les salariés n’avaient pas perdu de pouvoir d’achat. Cette perte de revenus ne vient pas de nulle part : les dividendes explosent en France depuis la fin du Covid.
Au-delà de la question du salaire, et sans doute avant elle, il y a celle de la sécurité au travail et de sa pénibilité, terme que notre Président “n’adore pas” (ici).
Et pourtant le travail fait souffrir en France. Premièrement, il tue : environ 700 morts chaque année, soit deux par jours (ici). Ensuite, il abîme de plus en plus : comme le souligne F.Ruffin (ibid.) : "En 1984, il y avait 12% des salariés qui subissaient trois contraintes physiques, aujourd’hui c’est 34%.” Deux morts par jour, un tiers des salariés qui font face à des contraintes physiques, il faudrait sans doute ajouter au tableau les nombreux cas de mal-être, de burn-out, de perte de sens. Évidemment, cela ne concerne pas tous les salariés, et nombreux sont ceux pour qui le travail peut encore être une source d’épanouissement. Malheureusement, ils ne sont plus que la moitié à considérer qu’ils peuvent encore avoir une influence sur les décisions qui les concernent dans leur entreprise, contre 65% dans le reste de l’Europe (dossier Alternatives Économiques février 2024).
Pourtant, les français sont attachés à leur travail et ils en attendent beaucoup.
C’est une particularité des français, qui explique sans doute notre relation complexe avec le travail, entre 1999 et 2018, plus de 60 % des Français déclaraient que le travail était très important dans leur vie, contre 50 % pour les Danois, les Hollandais, les Allemands ou les Britanniques (source : Bigi, M., Méda, D. Prendre la mesure de la crise du travail en France. SciencesPo, laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.) Cette appréciation est partagée en France par toutes les catégories de population, y compris par les étudiants et les retraités qui sont généralement moins concernés par le sujet.
La France est ainsi « l’un des pays européens où les attentes par rapport au travail sont les plus élevées : au-delà du salaire, les Français attendent de leur travail qu’il soit intéressant et leur fournisse un cadre fort de sociabilité”. (source ibid.)
Des attentes très fortes vis-à-vis du travail font ainsi face à des salaires insuffisants, une pénibilité qui va croissante, et un sens au travail qui s’étiole. Le cocktail s’avère explosif. Pourtant nos gouvernants ne semblent pas considérer ces sujets comme essentiels. Ils semblent oublier que la plupart des travailleurs ont à coeur de bien faire leur métier. “Le plaisir du travail bien fait” et “l’art du métier” sont une composante majeure du dynamisme des entreprises, et à trop maltraiter le travail, les risques de décrochage sont importants comme le montrait il y a quelques années Jacques Généreux dans “la Déconommie”.
Face à cela, que serait-il possible de faire pour défendre le travail dans les faits et non dans les mots? Proposons, en toute modestie, quelques pistes.
Tout d’abord, il est indispensable de poursuivre la bataille des idées, “tenir la tranchée” et rappeler inlassablement à quel point les gouvernements successifs ont abîmé le travail. Face aux offensives des médias aux mains de millionnaires, aux éditorialistes au service des puissants, il faut rappeler partout que le chômeur ne choisit pas de l’être, mais subit un système qui n’offre pas sa chance à tout le monde, que le bénéficiaire du RSA n’est pas un profiteur mais qu’il bénéficie d’une solidarité pour faire face à une situation difficile, que le fonctionnaire n’est pas un fainéant mais œuvre comme il peut au bien commun, que le migrant n’est pas là pour voler notre travail mais contribuer à la richesse nationale, que les cotisations sociales ne sont pas des charges mais des contributions pour assurer la protection de tous face aux aléas de la vie, et enfin que le salaire n’est pas un coût mais une richesse. Là où ils cherchent à nous diviser, à cliver, il faut rassembler largement tout ceux qui n’ont que leur travail pour vivre et qui, le plus souvent, souhaitent le faire bien.
Ensuite, il semble important de soutenir l’aspiration de tous ceux qui souhaitent travailler mieux. Un mouvement porté par une jeune génération en quête de sens, de nombreuses organisations, le secteur de l’ESS, le mouvement coopératif (une belle illustration avec les Licoornes) et tous ceux qui souhaitent entreprendre autrement, et qui intègrent d’ambitieux principes de démocratie, de partage, de défense de l’environnement ou de relocalisation dans leurs modèles. Il s’agit de ne pas d’être dupes, et dénoncer ceux qui pratiquent seulement l'affichage et le greenwashing (lire ici) en maintenant un système destructeur fondé sur l’exploitation de la nature, mais bien de valoriser et défendre, ceux qui sont intègres dans leur démarche peut contribuer à asseoir leur place dans l'économie et redonner du sens pour de nombreux travailleurs.
Enfin, évidemment, il faudra réclamer haut et fort la défense des salaires et des conditions de travail, en sortant du piège tendu par les modèles type “prime Macron” ou baisse des “cotisations sociales” qui donnent d’un côté et reprennent de l’autre. Cela est essentiel. Il peut s’agir de limiter les écarts de salaires de 1 à 20 dans l’entreprise ou encore d’indexer les salaires sur l’inflation. Augmenter les salaires peut toutefois être inutile dans un contexte de forte inflation. Une piste intéressante, peut-être plus efficace et vertueuse pour notre démocratie, pourrait être d’agir du côté des charges incompressibles de tout un chacun en portant une politique ambitieuse de renforcement des services publics : le logement en premier lieu (logements sociaux, rénovation…), éducation et soins de qualité et gratuits, politique pour les transports en commun et les mobilités alternatives, voire renforcement du service public de l’énergie… Les services publics sont bien “le capital de ceux qui n’en ont pas” et apportent de précieux moyens à tous les citoyens.
Face aux risques politiques, économiques, sociaux et climatiques qui nous font face (précédent billet : quel est le moment ?), reprendre le travail ouvre un horizon supplémentaire pour proposer une alternative mobilisatrice.
mise en ligne le 6 janvier 2025
par Catherine Tricot sur www.regards.fr
Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.
Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.
Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.
Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.
La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.
Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne.
Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.
Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.
L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État.
mise en ligne le 6 jenvier 2025
par Rob Grams sur https://www.frustrationmagazine.fr/
Ce 1er janvier, la réforme du RSA, expérimentée jusqu’à présent dans certains territoires, a été généralisée à l’ensemble du pays. Concrètement, les allocataires du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant, pour rappel) vont être inscrits d’office à France Travail, ex-Pôle Emploi, et devront réaliser obligatoirement 15h d’activités par semaine, qui vont de l’atelier réalisation de CV à de « l’immersion en entreprise », c’est-à-dire du travail gratuit. S’ils ne font pas leurs heures, les Conseils généraux, qui versent le RSA, pourront le suspendre et, concrètement, laisser ces gens déjà très pauvres crever de faim. Que l’on ne s’y trompe pas : la réforme du RSA est une mesure de mise au pas de toute la société, en terrorisant les plus pauvres et en faisant peur aux autres.
L’objectif de faire travailler les gens en contrepartie du RSA n’est pas juste celui, parfaitement ignoble, d’humilier les ultra-pauvres, les précaires, les chômeurs sans droits, les SDF, les jeunes, les gens fracassés par la vie qui ne sont plus en mesure de travailler. Il n’a pas pour simple vue de conforter les fractions les plus ignares des franges bêtement droitières et bourgeoises de la population dans leur vision stéréotypée et facile d’allocataires du RSA fumant des joints devant des documentaires animaliers, grassement nourris et logés sur l’argent du contribuable.
Il poursuit un second objectif, tout aussi grave que le premier : réduire le prix du travail à des niveaux en-dessous du seuil de subsistance. Car faire travailler en échange d’une allocation, ce n’est plus une aide sociale, c’est un nouveau type de contrat de travail, un contrat où l’on fera travailler les gens à des salaires qui ne leur permettent même pas de manger et de se loger. On a donc ici l’une des plus offensives les plus violentes de la bourgeoisie depuis au moins un siècle.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a rendu un avis le 19 décembre dernier. Cet avis devrait alerter tous les défenseurs de la démocratie puisqu’elle estime que la réforme du RSA « porte atteinte aux droits humains ». Elle dénonce notamment un « dispositif qui subordonne le versement d’un revenu minimum de subsistance à la réalisation d’une contrepartie », d’autant que le montant actuel du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant) « ne permet, par ailleurs, pas de vivre de façon digne ».
La CNCDH « alerte également sur la régression du droit à l’accompagnement social s’il se transforme en un contrôle sur l’effectivité de la remise au travail. Il risque en effet de contribuer à la maltraitance institutionnelle – tant auprès de la population ayant besoin de cette protection et y ayant droit que du côté des agents des administrations chargés d’appliquer des règles imprécises et/ou incomprises. »
La réforme du RSA : la création d’un nouveau salaire minimum à moins de 500 euros par mois
Car dans un pays qui connaît un chômage de masse (environ 7,4%, auxquels il faudrait rajouter les nombreux radiés injustement) en raison des politiques lamentables de Macron, de sa clique de bourgeois et de ses prédécesseurs du Parti socialiste, faire travailler de force pour des tarifs grotesques (moins de 7 euros de l’heure, donc) les ultra-pauvres remplit une fonction : remplacer les emplois nécessitant peu ou pas de diplôme, normalement payés au SMIC, par des faux emplois, se rapprochant du travail forcé que l’on retrouve dans les dictatures très archaïques.
On retrouve un peu ce genre de dynamiques avec les stages étudiants : alors que l’on fait croire qu’ils sont censés bénéficier aux étudiants, ils permettent de remplacer et de mettre en concurrence les jeunes arrivants sur le “marché du travail” par des stagiaires dociles, sous-payés, à qui l’on apprend que se faire exploiter est une chance et une opportunité. Cela permet donc de faire drastiquement baisser les salaires à l’embauche de ces jeunes, ainsi que leur capacité de négociation et d’exigence, et donc, à moyen terme, de faire baisser le revenu des travailleurs en général.
Pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ?
Même chose pour les services civiques, dispositif créé en 2010 par Martin Hirsch sous Nicolas Sarkozy et censé favoriser “l’engagement de citoyenneté” des “jeunes de 16 à 25 ans” mais qui font en réalité passer pour du volontariat la situation de jeunes qui, ne trouvant pas de travail (comment en trouver si les postes ont été transformés en stages et en services civiques ?), n’ayant même pas encore l’âge pour toucher le RSA, sont donc obligés d’accepter de travailler pour 473 euros par mois.
De la même manière : faire travailler les gens au RSA, c’est mécaniquement mettre beaucoup plus de gens au RSA. Car pourquoi embaucher quelqu’un au SMIC quand on peut avoir des travailleurs pour 7 euros de l’heure ? Comme le soulignait à raison un internaute, faire travailler 20h par semaine le 1,95 million d’allocataires du RSA revient à trouver chaque mois 160 millions d’heures de travail. Où sont-elles alors que partout on cherche du boulot ? La réponse est simple : chez ceux et celles qui travaillent déjà.
Ainsi transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Il permet également un net renforcement du rapport de force favorable à la bourgeoisie en rendant quasi-impossible la démission, déjà très compliquée en temps normal. Macron avait promis que nous pourrions toucher le chômage en cas de démission, ce n’est évidemment pas le cas (ou du moins il faut lire les astérisques pour comprendre les conditions délirantes dans lesquelles cela est possible). Le RSA est donc la seule garantie de pouvoir éventuellement subvenir à ses besoins vitaux si vous avez besoin de démissionner face à une situation insupportable. Avec cette mesure, vous saurez désormais que si vous démissionnez, vous ne quitterez votre travail que pour en trouver un autre, ou vous serez également exploités mais cette fois pour moins de 500 euros par mois.
Le chômage est un job à plein temps
En dépit d’un fantasme droitier où le chômage et le RSA seraient un loisir de oisif, beaucoup de gens cherchent du boulot et n’en trouvent pas. Trouver un travail dans ce pays où la bourgeoisie règne en maître et impose toutes ses règles tient du parcours du combattant et ce, à tout âge et presque à tous niveaux de diplôme.
La réforme renforce le flicage sur les chômeurs en se mêlant de tous les aspects de leur vie, et surtout de la façon dont ils occupent leurs journées. C’est pourquoi, dans son avis, la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que la réforme menace les libertés individuelles : « En renforçant le contrôle de l’emploi du temps des personnes sommées de s’investir pour un nombre d’heures donné dans une recherche professionnelle, certaines dispositions de la réforme renforcent les risques d’intrusion disproportionnée dans la vie privée des allocataires et de leur famille, du fait du partage de données personnelles sensibles à grande échelle. »
C’est évidemment quelque chose que les bourgeois et les macronistes (ce sont les mêmes) font semblant d’ignorer puisqu’ils n’ont jamais eu besoin de se bouger pour trouver un emploi : ça leur tombe dans les mains grâce au piston (on dit “réseau” chez eux) depuis qu’ils ont 20 ans.
Donc chercher un boulot, à considérer qu’on soit apte au travail – et ce n’est pas toujours le cas lorsque l’on est au RSA (pas seulement pour des raisons physiques, qui semblent être les seules parfois acceptées par les droitards) – est un travail à plein temps. Car oui : écrire et envoyer des lettres de motivation et des CV (surtout lorsqu’on est pas à l’aise avec l’informatique), passer des tas d’entretiens humiliants, faire des tonnes de rendez-vous inutiles de flicage au Pôle Emploi et des formations abrutissantes, se déplacer en direct dans les entreprises pour quémander un emploi… tout ça prend un temps et une énergie folle, que l’on n’a pas si l’on travaille en plus 20 heures par semaine.
Un projet qui traduit la nullité en économie de nos dirigeants
La vision du chômage comme un choix individuel montre bien le désintérêt complet et la parfaite nullité des bourgeois dans le domaine de l’économie (qu’ils confondent avec le “business”). Ou a minima leur profonde mauvaise foi. Le niveau de chômage d’un pays dépend évidemment de tendances macroéconomiques lourdes, de politiques économiques et de rapports de force entre les travailleurs et le capital. Quand, après 2008, le chômage explose, sans d’ailleurs jamais retrouver depuis son niveau antérieur, ce n’est pas parce que la crise des subprimes aurait subitement déclenché chez les gens une immense vague de flemme et de fainéantise. Et lorsque les Grecs furent touchés de plein fouet avec d’un coup plus de 50% de chômage chez les jeunes, ce n’est pas parce qu’ils avaient tous collectivement décidé de prendre une année sabbatique ! A quel degré de bêtise faut-il être pour penser ça ?
Ainsi, transformer le RSA en un salaire en-dessous des minima sociaux ne vise pas que les personnes au RSA, il cible l’ensemble des travailleurs en participant à une baisse généralisée des salaires.
Le taux de chômage et le nombre d’allocataires du RSA a autant à voir avec la motivation de ces derniers que le prix de l’essence à la pompe en a avec la vôtre quand vous allez à la station-service : on ne rend pas responsable un individu victime d’une situation économique nationale ou mondiale.
Dans cette logique, la transformation, en 2009, du RMI (le revenu minimum d’insertion, créé sous le gouvernement de Michel Rocard en 1988) en RSA (revenu de solidarité active), c’est-à-dire un an après le début d’une crise économique gravissime, avait déjà porté un premier coup de semonce à cette aide sociale en renforçant le flicage des allocataires (obligations de pointage à Pôle Emploi, de s’inscrire à des formations inutiles, etc.), rendant les concernés responsables de leur situation.
Ne pas être apte à travailler, ou ne pas pouvoir gagner sa vie grâce à son travail, ce n’est pas être un fainéant
L’idée répandue par des bourgeois sans aucune expérience, qui gagnent leur vie en faisant bosser les autres, que les allocataires du RSA seraient des “fainéants” ne résiste pas deux secondes à l’épreuve de la réalité.
Voici quelques exemples, parmi des milliers d’autres, où l’on peut être au RSA :
Vos enfants en bas âge viennent de mourir dans un accident de voiture. Les macronistes avaient voulu faire baisser le congé deuil d’un enfant de 12 à 5 jours avant de se rétracter devant le tollé. En réalité, endurer un deuil ne prend ni 12, ni 5 jours. Vous “décidez” alors de démissionner – vous ne toucherez pas le chômage, puisqu’on n’y a pas droit quand on démissionne. Vous êtes donc au RSA. Est-ce qu’il est normal de vous forcer à bosser ?
Les SDF, 300 000 en France, on les force à bosser? Les personnes qui ont eu un problème avec la drogue et qui essayent doucement d’en sortir, on les force à bosser ?
Les femmes harcelées sexuellement au travail, qui savent qu’elles n’ont aucune chance aux prud’hommes et qui décident donc de poser leur démission, on les force à bosser ?
Les agriculteurs qui bossent 80 heures par semaine mais qui ne gagnent pas un rond, on les fait bosser 20 heures de plus ? Les personnes qui ont un problème de santé (environ 40% des bénéficiaires du RSA) ou un problème de dépression (environ 36% des bénéficiaires du RSA), on les force à bosser ?
Et les plus âgés en fin de droits ? Ceux qui n’ont pas encore 64 ans si la réforme des retraites est maintenue et qui ne trouveront quand même plus de boulot parce que les employeurs leur riront au nez et qu’ils sont épuisés, on les force à bosser ?
J’ai moi-même été au RSA quelques mois. Je venais de finir mes études, et je n’avais plus droit à rien, si ce n’est à rembourser mon prêt étudiant. Au bout d’un mois et demi j’avais trouvé un job (ce qui est une chance). Sauf que paf, nous sommes en mars 2020 : Macron annonce le confinement généralisé. Mon employeur décale mon entrée jusqu’à nouvel ordre – 3 mois donc. Qu’est-ce que j’étais censé faire selon les bourgeois ? Demander le RSA a-t-il fait de moi un fainéant ? J’aurais dû manger des racines pendant trois mois et déménager dans un carton ? Ou bien aller à leurs travaux forcés et me mettre en danger ainsi que mes proches ?
Voilà les réalités derrière les a priori moisis de cette bourgeoisie cruelle, ignare, hors-sol, cynique à en crever.
Pas envie de bosser ? Et alors ?
Mais allons plus loin. Quand bien même une minuscule minorité “profiterait” du RSA, refusant de se tuer à la tâche pour le capital, de faire des jobs pourris, inintéressants, nuisibles pour l’environnement et pour l’intérêt commun, et alors quoi ? 500 euros c’est peu dire que ce n’est pas la grande vie : on sait que cet argent sera entièrement dépensé et donc réinjecté dans l’économie. En quoi cela serait si grave ? Leur absence de travail – et encore faudrait-il accepter la définition capitaliste du travail qui ne valorise que ce qui a une valeur marchande, c’est-à-dire une valeur pour le capital, car donner de son temps pour des associations c’est du travail, le travail domestique c’est du travail, écrire pour Frustration c’est du travail… – ne serait pas “récompensée”, on donnerait simplement à ces derniers de quoi se nourrir !
En quoi cela serait plus grave que le fonctionnement du capitalisme où les riches ne gagnent de l’argent ni par leur travail, ni par leurs efforts ou leur “mérite” mais par leur propriété, c’est-à-dire en faisant bosser les autres et en volant le fruit de leur travail ? Bernard Arnault cumule plus de 150 milliards d’euros, soit 25 millions d’années de RSA, et le problème ce serait des personnes qui n’ont pas de quoi se nourrir et se loger et à qui on donne 500 euros par mois ?
Il est plus qu’urgent que nous leur fassions changer de priorité.
Par Richard Dethyre, fondateur de l’Apeis et auteur de la pièce « comment ils ont inventé le chômage ». sur www.humanite.fr
Le RMI ancêtre du RSA a été créé en 1985 par le gouvernement Rocard pour verser une prestation minimale à tous ceux qui après avoir été licenciés avaient épuisé leur droit aux Assedic. Cette mesure inaugure en France toutes les actions destinées à « lutter contre cette nouvelle pauvreté issue du chômage de masse ».
Le I, l’insertion promise du RMI était l’habillage destiné à ne pas laisser s’installer les gens dans ce type de statut ni qu’on imagine qu’on pouvait percevoir une prestation sans contrepartie. L’insertion promise n’a jamais été garantie. Car l’emploi promis, l’insertion n’ont jamais été au rendez-vous. Ce sont des millions de sans travail qui ont dû se rabattre sur cette perfusion sociale minimale. Bien entendu, tous les plans relais, stages SIVP, TUC, SRA, etc. ont assuré au divers gouvernement que tous ceux qui passent par les dispositifs ne figurent pas dans les statistiques mensuelles du chômage.
Le relais pris par le RSA, n’a pas modifié les choses. Mais, nous sommes dans une société plus dure. Les campagnes permanentes contre les profiteurs, les feignants, ceux qui ne veulent même pas traverser la rue… alors qu’il n’y a qu’à se baisser, ont pour effet de retourner l’opinion contre la victime qui devient coupable. Aujourd’hui, une majorité des gens pensent que proposer une activité en échange du versement du RSA serait une bonne chose pour tout le monde. Bah c’est vrai quoi, les villes ne sont pas bien propres et on ne doit pas verser d’allocations sans contrepartie non ?
J’ai consulté à nouveau les études consacrées aux « bénéficiaires » du RSA : 85, 90, 95 % selon les années disent toutes que leur demande numéro un c’est d’accéder à un emploi… qu’on ne leur propose pas ! il y a officiellement malgré toutes les mesures destinées à le dissimuler 5 millions 750 000 chômeurs et seulement 350 000 emplois disponibles.
D’ailleurs, si les Wauquiez et autres ayatollahs du travail sans contrat regardaient les études de la DRESS accessible à tous, ils constateront le caractère récurrent de l’aller-retour entre l’emploi précaire, court et le retour au RSA. Car un contrat court, n’ouvre pas de droit à l’assurance chômage. Entre 2011 et 2020 : 2 sur 5 soit 40 % ont connu au moins une sortie et une nouvelle entrée. Et 1 sur 10 a connu au moins deux sorties suivies d’au moins deux entrées sur la période citée.
Plus de 5 milliards de fonds du RSA ne sont pas alloués à leurs bénéficiaires. Le non-recours est une spécialité bien française. Pourquoi ne perçoivent-ils pas cette prestation ? Pour une majorité, c’est « la honte qui arrive en tête », suivie par « croyant ne pas y avoir droit » et « découragé par les démarches »…
Ces hommes politiques, faut-il qu’ils n’aient aucune décence, aucune empathie, aucun respect de toutes celles et tous ceux, qu’ils considèrent être des gens en trop… Ces mères célibataires de plus en plus nombreuses, ces 6 chômeurs sur 10 non-indemnisés, ces trop vieux pour travailler mais pas assez pour la retraite.
Petit conseil aux prestataires visés par le retour du travail sans contrat. Si vous n’êtes pas encore bénévole actif d’une association, vous pourriez en créer une qui aurait pour objet : « informer et aider ceux qui ne perçoivent pas le RSA mais qui y ont droit à le percevoir »… ça aurait plein de vertus, briser l’isolement, se solidariser et pourquoi pas partir en manifestation collectivement pour aller botter le cul aux Wauquiez et consorts qui s’empiffrent avec l’argent public en réceptions obscènes où chaque repas coûte 1 100 euros.
mise en ligne le 5 janvier 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.
Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.
Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.
Des vœux pieux et beaucoup de non-dits
Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».
Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).
C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».
Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.
Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.
En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.
Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr
500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.
« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.
« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.
Des exactions contre les communautés
Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.
« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.
Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.
« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.
« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.
mise en ligne le 5 janvier 2025
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Dans la Manche, en Méditerranée centrale ou sur « la route de l’Atlantique », le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont perdu la vie aux frontières de l’Europe a atteint des records en 2024. L’indifférence aussi.
Faudrait-il inventer, à l’occasion des fêtes de fin d’année et des bilans annuels chiffrés, un baromètre de l’indifférence ? Une décennie après l’abandon par les Italiens de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum, il révélerait sans doute les abysses d’inhumanité dans lesquels sombrent les États européens face aux drames migratoires qui se jouent à leurs frontières maritimes.
Trois personnes, au moins, ont encore trouvé la mort, dimanche 29 décembre, vers 6 heures du matin, au large de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, alors qu’elles tentaient de rejoindre les côtes britanniques par la mer. Cette nouvelle tragédie porte à 75 le nombre de personnes mortes noyées à la frontière franco-britannique en 2024.
40 000 morts en Méditerranée depuis 2014
Ce « record » est la conséquence directe des politiques répressives mises en œuvre dans le cadre des accords sécuritaires passés entre Londres et Paris et de la surdité volontaire que les autorités opposent aux appels incessants des élus et associations à un changement radical dans la gestion du phénomène migratoire à nos frontières.
Penser qu’il faudrait permettre, à des personnes en quête d’un refuge, de circuler dans un cadre légal et d’être systématiquement assistées lorsqu’elles se trouvent en danger de mort n’est pourtant pas de l’idéalisme. C’est du pragmatisme, si tant est que le respect de la vie humaine reste une valeur cardinale. Les chiffres de l’année écoulée laissent malheureusement craindre que ce ne soit plus le cas pour les dirigeants des pays membres de l’Union européenne.
Plus de 40 000 exilés, selon l’Organisation mondiale pour les migrations, ont péri en Méditerranée centrale depuis 2014, dont 2 368 au cours de l’année qui s’achève, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et les ONG, comme SOS Méditerranée, qui tentent inlassablement de secourir ces damnés parmi les damnés sont régulièrement attaquées à des fins médiatico-politiciennes.
9 757 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’Espagne en 2024
Médecins sans frontières a par exemple annoncé dix jours avant Noël la fin de ses opérations de secours dans cette zone, expliquant que « les lois et politiques italiennes » rendent « impossible la poursuite du modèle opérationnel actuel ».
Cependant, dans le nord de la France, comme en Méditerranée centrale, les logiques visant à rendre impraticables, plutôt qu’à les sécuriser, les voies de migration n’empêchent aucunement les personnes contraintes à l’exil de partir. Elles choisissent d’autres chemins, dans le même but, en prenant toujours plus de risques.
C’est ainsi que depuis près de cinq ans ladite « route de l’Atlantique » est de plus en plus pratiquée par ceux et celles qui cherchent un refuge européen. En partance de pays de l’Ouest africain, comme la Mauritanie, des milliers de nos semblables tentent de rejoindre les îles espagnoles des Canaries.
Et, là aussi, en l’absence de voies légales et sécurisées, le morbide décompte a explosé. En 2024, selon l’association ibérique Caminando Fronteras, 9 757 femmes, hommes et enfants ont rejoint les profondeurs de l’océan plutôt que les côtes espagnoles. Soit 58 % de plus qu’en 2023, victimes de l’indifférence.
mise en ligne le 4 janvier 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
Les récentes annonces de rupture des accords de coopération militaire par le Tchad et le Sénégal puis la Côte d'Ivoire ont à nouveau placé la question des relations franco-africaines sur le devant de la scène. Derrière des réalités différentes demeure un enjeu central pour la politique étrangère tricolore : quand va-t-elle se rendre compte que l’ordre néocolonial vacille ?
Lorsque Jean-Noël Barrot s’est envolé de Ndjamena le 28 novembre, le ministre des Affaires étrangères, reconduit dans le gouvernement Bayrou, ressemblait au ravi de la crèche. Satisfait d’avoir évoqué « la crise la plus grave de notre époque », celle du Soudan voisin. À peine avait-il mis le pied dans l’avion que le Tchad annonçait, par la voix de son homologue, Abderaman Koulamallah, la rupture brutale de l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays depuis 1976, alors que près de 1 000 soldats français sont encore stationnés dans un pays stratégique pour la France : « Il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques selon les priorités nationales. »
Le même jour, c’est le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, qui sur France 2 estimait que « la souveraineté (du Sénégal) ne s’accommode pas de la présence de bases militaires ». Des propos réitérés à l’occasion des vœux du 1er janvier, avec « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 ». À Dakar, environ 350 soldats français sont encore cantonnés en plein cœur de la ville. Une présence qui dure depuis… près de cent ans.
Enfin, toujours lors des vœux de nouvelle année, c’est cette fois-ci un allié fidèle – voire un affidé – de Paris qui annonçait la rétrocession de la base française où 1 000 soldats sont stationnés : « Nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire », a déclaré le chef d’État Alassane Ouattara, lui aussi forcé de prendre en compte ce thème devenu majeur pour les jeunesses africaines.
Double revers diplomatique
Ces nouvelles remises en question suivent celles beaucoup plus conflictuelles des trois pays ayant connu des coups d’État militaires depuis 2021 : Mali, puis Burkina Faso, enfin Niger, où les derniers soldats ont plié bagage à la va-vite voici un an. Pour René Lake, politologue et administrateur du site SenePlus, « le double revers diplomatique infligé à la France marque une étape critique dans les relations franco-africaines », mettant l’accent sur « des décisions qui soulignent un rejet grandissant de l’ordre néocolonial par les nations africaines ».
Que s’est-il passé pour que Tchad, Sénégal et aujourd’hui Côte d’Ivoire dénoncent à quelques jours d’intervalle cette présence militaire, en des termes quasiment identiques ? Malgré des discours et des causes similaires, les situations sont très différentes. « Dans des pays comme le Sénégal et le Tchad, cette revendication s’exprime de manière variée, mais elle converge autour de principes communs : autonomie économique, contrôle des ressources nationales et respect des choix politiques locaux », décrypte René Lake.
Ces décisions revêtent toutefois un caractère propre à chaque pays. Au Sénégal, la question des bases militaires françaises avait déjà été soulevée par le président Abdoulaye Wade dès les années 2000. Elle avait été au cœur des préoccupations des Sénégalais lors de l’élection présidentielle de mars dernier, puis les législatives de novembre, remportées par le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
« Camouflet pour Macron »
Mais il s’agit, bien évidemment, d’un « camouflet pour Macron, qui s’inscrit dans un processus amorcé dès la fin de la guerre froide, en 1989 », analyse Félix Atchadé, médecin et responsable du collectif Afrique du PCF. Selon lui, « Paris, malgré les mutations de l’ordre mondial, parvenait encore à maintenir son influence sur ses anciennes colonies. Aujourd’hui, cet ordre vacille. »
En juin 2024, conscient de ces remises en question, Emmanuel Macron avait annoncé une réduction des effectifs dans tous les pays, Sénégal et Côte d’Ivoire inclus. Il avait pompeusement nommé Jean-Marie Bockel « envoyé personnel en Afrique », avec la charge de remettre un rapport sur le sujet après discussions avec les chefs d’État concernés.
Or la fuite de plusieurs éléments de ce rapport, remis à Emmanuel Macron le 25 novembre, a, semble-t-il, agacé Bassirou Diomaye Faye et ses compatriotes. Car, si Jean-Marie Bockel évoquait un dialogue mené « dans un état d’esprit positif », le même préconisait néanmoins de garder une centaine de soldats à Dakar… de façon unilatérale.
Au Tchad, malgré la véhémence de la première réaction, les enjeux sont en réalité d’ordre diplomatique. Pour le dire en des termes crus, « Barrot a complètement déconné », blâme Guy Labertit, ancien délégué national Afrique du PS et auteur d’Anticolonialement vôtre (Karthala, 2024). D’autant qu’au Tchad – comme ailleurs – Emmanuel Macron « est très attaqué pour avoir adoubé Mahamat Déby », rappelle-t-il.
Allusion à la passation de pouvoir verrouillée par l’héritier d’Idriss Déby, le père, tué en 2021 après trente et un ans d’un pouvoir autocratique appuyé par la France. « Au Tchad, avec Barrot, c’est la Françafrique qui continue, de la façon la plus bête qui soit », déplore Guy Labertit.
Lors de sa visite éclair, Jean-Noël Barrot a exigé la neutralité du Tchad dans la guerre au Soudan voisin, où Mahamat Déby est un soutien des rebelles de Hemetti. Cette rupture « ne concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle », a précisé Mahamat Déby, tandis que son premier ministre, Allamaye Halina, indiquait que la décision « s’inscrit dans une volonté de renforcer la souveraineté nationale et de réévaluer les accords internationaux ». Cela signifie « qu’ils veulent rediscuter », décrypte Guy Labertit.
Les ruptures brutales avec les trois pays dirigés par les militaires et unis dans l’Alliance des États du Sahel (AES), Mali, Burkina Faso et Niger, où la France ne compte même plus d’ambassadeur, semblent avoir servi de leçon. « Finalement, je suis heureux de voir ce qui se passe, car nous avons toujours voulu la fin de la Françafrique », résume Guy Labertit. Le hic est que cela se fait au détriment de ce que pourrait être une véritable politique étrangère, comme l’analyse René Lake : « La question fondamentale est : la France continuera-t-elle de s’accrocher à une posture réactive, dictée par le maintien de ses intérêts stratégiques et économiques, ou bien adoptera-t-elle une approche proactive et transformatrice, axée sur la reconnaissance des aspirations africaines ? » Il serait plus que temps.
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.
Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.
Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».
Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».
« Nous sommes horrifiées et préoccupées »
La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».
Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».
Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.
« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin
Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.
De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.
« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.
De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.
L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.
D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.
Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.
Aucun signe de vie du directeur
Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.
Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.
« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.
Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.
L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.
« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.
Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz
« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.
La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.
Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.
Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »
Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.
Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.
En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.
Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »
Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».
Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.
L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou
Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.
« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».
Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.
Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.
Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?
Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.
Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.
On parle pourtant de négociations…
Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.
Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?
Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.
Que peuvent donc faire les Palestiniens ?
Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.
Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.
Que voulez-vous dire ?
Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique
mise en ligne le 3 janvier 2025
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.
Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.
Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.
« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »
Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».
« Il ne nous attaque jamais frontalement »
Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.
« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »
En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »
Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.
« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »
« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.
La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.
« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »
Un engagement citoyen qui résiste malgré tout
Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »
À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.
C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).
La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.
Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »
Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements
Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.
Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.
Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.
Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.
« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.
Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.
Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible
« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »
L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.
Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».
« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »
Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.
« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.
« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »
Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.
*Le prénom a été modifié.
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.
Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.
Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.
Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?
Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.
Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?
Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.
Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.
Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?
Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.
Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.
Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…
Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.
Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.
mise en ligne le 3 janvier 2025
Par Lilia Aoudia sur https://www.bondyblog.fr
Cette année, ATD Quart Monde a fait de la lutte contre la maltraitance institutionnelle sa priorité. Dans son rapport sorti en septembre, l’association formule quatre propositions pour en sortir sur la base de témoignages de personnes en situation de pauvreté et de personnels maltraités par les institutions. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.
C’est un baromètre d’un nouveau genre que propose ATD Quart Monde. À l’issue d’un travail de deux ans avec les personnes concernées, l’organisation documente la maltraitance institutionnelle à l’endroit des plus précaires et ouvre des pistes de changement. Entretien avec Benoît Reboul-Salze, délégué national d’ATD Quart Monde.
Benoît Reboul-Salze : Il y a la définition telle qu’elle a été prévue par la loi depuis 2022. Suite aux scandales dans les EHPAD et les crèches, la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance a été créée en 2018. Mais je préfère partir de l’avis des personnes avec qui nous sommes engagés.
La maltraitance institutionnelle, c’est un jeune de 17 ans qui dépend de l’aide sociale à l’enfance et qui va être lâché seul en plein vide une fois majeur. C’est une maman enceinte de son troisième enfant qui appelle à l’aide parce qu’elle est à la rue et à qui on répond après plusieurs heures d’attente : « Désolé, il n’y a pas de place pour vous, rappelez demain ». C’est une personne au RSA qui n’a pas vu passer un courriel atterri dans ses spams et qui se retrouve désinscrite et privée d’aide pendant un mois. Et on a plein d’exemples comme ça.
Les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la précarité
Il y a la maltraitance institutionnelle vécue du côté des personnes en situation de pauvreté, mais aussi celle vécue du côté des agents des institutions. Ces derniers souffrent de leur impuissance face à des demandes urgentes auxquelles ils ne peuvent pas répondre par manque de moyens ou d’organisation. Certains essayent des solutions à leur niveau. D’autres abandonnent parce qu’ils ont l’impression d’avoir perdu le sens de leur profession. Il y a un terrible paradoxe, car les institutions ont été créées pour être garantes de l’accès au droit, mais aujourd’hui leur manière de fonctionner enfonce un peu plus les personnes pauvres dans la spirale de la précarité.
Benoît Reboul-Salze : Elle est subie par énormément de personnes dans la société, mais elle s’installe beaucoup plus durablement chez les plus pauvres. D’abord parce qu’ils ont moins de moyens pour se défendre. Quand on a été discriminé toute sa vie, on a peur, on a honte. Ils accumulent des difficultés tous les jours et sur tous les sujets possibles. On l’a mesuré dans des territoires dans lesquels était expérimenté le RSA conditionné. Les employés de France Travail ont tendance à se concentrer sur les gens qui ont le plus de facilité à trouver un travail.
On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place
Nous, on ne veut pas d’une société qui favorise l’exclusion sociale. On veut une société dans laquelle tout le monde trouve sa place. On parle toujours du devoir des personnes précaires, mais il ne faut jamais oublier qu’il y a d’abord les droits garantis par la Constitution et par les pactes internationaux que la France a signés.
Benoît Reboul-Salze : On a travaillé pendant deux ans avec des personnes en situation de pauvreté, des agents et des responsables institutionnels. À l’issue de ce travail, on a identifié 16 causes et mécanismes de la maltraitance institutionnelle qu’on a regroupées en quatre familles. La première famille de causes qu’on identifie correspond aux choix politiques qui ne répondent pas aux besoins de la lutte contre la pauvreté. Lorsque les politiques sont fondées sur des préjugés tels que « les pauvres sont des fainéants », « les pauvres sont des fraudeurs », « les pauvres ne sont pas en capacité d’aller travailler »… Et bien forcément, la politique élaborée va être faussée parce qu’elle n’aura pas été pensée avec les personnes concernées.
On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé
La deuxième famille est liée à la première : on vit dans une société de méfiance et d’incompréhension où on n’arrive pas à communiquer les uns avec les autres. Il faut qu’on soit solidaires, qu’on apprenne à se rencontrer. La troisième famille concerne la méfiance de la part des institutions. On part du principe que les bénéficiaires sont des fraudeurs. Aujourd’hui, plus on est pauvre, plus on est contrôlé. Mais la fraude des pauvres est une pauvre fraude quand on la compare à la fraude fiscale.
Cette méfiance institutionnelle provoque le non-recours, la non-effectivité des droits. Aujourd’hui, 50 % des gens qui ont droit à l’aide de solidarité pour les personnes âgées (ASPA) ne la demandent pas. 34 % des personnes éligibles au RSA ne le demandent pas. Des études publiques montrent que 17 % des Français ne demandent pas leur droit à des aides sociales parce qu’ils craignent le contrôle et l’intrusion des services sociaux dans leur vie. Enfin, la quatrième grande famille repose sur le fonctionnement des institutions. C’est la question de la dématérialisation par exemple.
De plus en plus, il faut avoir recours à Internet et c’est hyper maltraitant pour des gens qui ne savent pas lire, pas écrire, qui ne maîtrisent pas le calcul. Même des gens qui savent utiliser un smartphone ne sont pas forcément à l’aise pour envoyer un courriel à la Caisse d’allocation familiale de leur région. Les institutions veulent augmenter la dématérialisation pour des questions d’efficacité et de gestion de budget, mais dans les faits, ça pénalise beaucoup de gens.
Benoît Reboul-Salze : Les chiffres le confirment. Depuis une vingtaine d’années, on constate une vraie dégradation de la lutte contre la pauvreté et avec une réelle augmentation de l’exclusion sociale. Et c’est d’autant plus flagrant ces dernières années avec les réformes liées au logement qui ont entraîné des réductions de l’Aide personnalisée au logement (APL) ou encore un manque de logements sociaux.
Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés
On peut parler aussi des domaines de la santé et de l’école. La dernière mesure sur les groupes de niveau est une catastrophe pour nous. Mais l’exclusion des plus précaires ne concerne pas uniquement le gouvernement Macron. Tous les politiques ont eu, à un moment ou à un autre, des petites phrases qui font mal et qui font que les gens se sentent encore plus stigmatisés.
Benoît Reboul-Salze : On peut parler de bienveillance institutionnelle lorsque l’institution joue son rôle de garante de l’accès au droit. C’est le cas lorsqu’une personne précaire trouve du soutien auprès d’une assistante sociale, par exemple. L’idée, c’est de réussir à placer le curseur entre les différentes situations du quotidien. Dans le cadre d’une liste de logements prioritaires, soit le logement proposé correspond aux attentes du demandeur et dans ce cas l’institution sera considérée comme bienveillante. Soit, le logement présenté est insalubre et dans ce cas, il y a maltraitance.
La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions
Au-delà de la maltraitance institutionnelle, on trouve la violence systémique qui dépend de la structure sociale et qui induit une forme de reproduction. La violence systémique, c’est quand on ne donne pas les moyens à France Travail de remplir ses missions. Cette faille se répercute à la fois sur les agents qui se retrouvent à devoir accompagner 400 personnes dans un chemin de retour à l’emploi au lieu de 40. Mais aussi sur les bénéficiaires qui voient les délais de traitement de leurs démarches s’allonger.
Le passage de la bientraitrance à la maltraitrance tient en une question : est-ce que les institutions ont les moyens de leur ambition ? Certaines d’entre elles trouvent le moyen de dépasser cette maltraitance. Il y a des missions locales qui se sont affranchies du justificatif de domicile par exemple. Il est demandé par toutes les institutions dans le cadre de démarches administratives, mais selon la loi, il reste facultatif. Ça peut paraître anodin, mais en réalité, cette adaptation permet d’accueillir les jeunes plus librement sans qu’on leur demande un million de papiers pour justifier de l’aide qu’on leur apporte.
Dans le maltraitomètre, il existe plein d’autres situations : quand il n’y a plus de services publics dans le quartier, quand on n’écrit ou qu’on ne parle pas bien le français, quand on est en difficulté et qu’on a besoin d’être accompagné dans une démarche. Le maltraitomètre est un outil intéressant pour se situer, prendre conscience de sa place, dialoguer et se poser des questions.
Benoît Reboul-Salze : On a quatre grands axes. Le premier, c’est de respecter la Constitution. Il faut garantir des moyens convenables d’existence inconditionnels, insaisissables à tout le monde. Le terme “inconditionnel” n’est pas dans la constitution, mais c’est nous qui l’ajoutons parce qu’on souhaite que personne ne puisse se retrouver en dessous d’un certain seuil. Aujourd’hui, ce seuil, on estime qu’il est à 50 % du revenu médian, donc autour de 935 euros par mois pour une personne seule.
Le deuxième axe absolument essentiel, c’est de remettre de l’humain dans les services publics. Ça implique d’arrêter de dématérialiser à tout-va. On n’est pas contre la numérisation, mais il faut former des professionnels à accueillir les personnes très pauvres et ça passe par des moyens humains. Le troisième ensemble consiste à s’assurer de l’effectivité des droits. Une des raisons pour laquelle les droits ne sont pas effectifs, c’est souvent parce que les formulaires de démarches sont compliqués, d’autant plus pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec le vocabulaire administratif.
Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance
Nous, on propose que les formulaires soient conçus avec les ayants droit pour plus de compréhension. Nos mesures existent pour tout le monde. Mais si on les bâtit avec ceux qui ont le plus de difficultés, on est sûrs que personne ne sera laissé sur le carreau. Enfin, le quatrième axe, c’est de faciliter les recours juridiques et administratifs. Aujourd’hui, si vous avez un trop perçu de la CAF, peu importe la raison, on va vous demander de rembourser. Il faut pouvoir faire un recours efficace, simple, immédiat, et pas un recours qui va prendre des mois.
Quand il y a des audiences devant la justice, il faut que les personnes concernées puissent avoir les documents suffisamment en avance pour les lire et les travailler. Des vies humaines sont en jeu. Les personnes en situation de pauvreté ont besoin d’être soutenues par des personnes qui s’engagent dans un accompagnement durable et bienveillant. Si on n’arrive pas à respecter ce principe de confiance, on n’arrivera jamais à dépasser la maltraitance.
mise en ligne le 2 janvier 2025
DAL fédération sur https://blogs.mediapart.fr/
À peine élu, Macron déclarait : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ; je ne veux plus avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus ». 7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé. Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour exiger l'application de la loi de réquisition sur les immeubles vides et l’abrogation de la loi Kasbarian. Rendez-vous dimanche 5 janvier à St Lazare, Cour de Rome.
À peine élu, Macron déclarait le 27/7/2017 : « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement, je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, perdus, c’est une question de dignité, d’humanité ».
7 ans plus tard, le nombre de sans-abris a plus que doublé et est passé de 143.000 à 330.000, celui des personnes privées de logement personnel est passé de 896.000 à 1.098.000... celui des demandes HLM de 2,2 à 2,7 millions de familles...
Il n’a pas livré « bataille » car il a pactisé avec les spéculateurs et les gentrifieurs, il a criminalisé les locataires en difficulté et les occupants sans titre avec la loi Kasbarian-Bergé et construit toujours moins de logements sociaux !
Pourtant, la France compte 3,1 millions de logements vacants et 9 millions de mètres carrés de bureaux vacants soit 200 000 logements. L’Ile de France compte 416.000 logements vacants et Paris 116 000.
Qu’attend Macron pour faire appliquer la loi de réquisitions sur les logements et bureaux vacants de riches propriétaires ?
Entre 1945 et les années 90, plus de 130 000 réquisitions avaient été prononcées, à Paris.
30 ans après l’occupation de la rue du Dragon, le 18 décembre 1994 et la dernière vague de réquisition qui s’en est suivie en 1995 (1200 logements réquisitionnés), l’État n’a plus le courage d’appliquer cette loi.
Or elle est nécessaire pour sauver des vies, des femmes, des enfants, des personnes handicapées ou âgées, d’hommes, dont la vie ne tient plus qu’à un fil...
Le maire aussi peut réquisitionner en vertu de ses pouvoirs de police, dans l’urgence. Enfin le Préfet peut transférer son pouvoir aux métropoles ou aux communautés de commune. Encore faut-il qu’elles le demandent, même celles de gauche ne l’ont pas fait.
En attendant d’édifier les logements sociaux en nombre suffisants, de baisser les loyers qui n’ont jamais été aussi chers et de juguler la spéculation :
Nous appelons à marcher dimanche 5 janvier à 15h, pour dénoncer des immeubles vides dans Paris, et pour exiger :
L’application de la loi de réquisition sur les immeubles vides,
L’abrogation de la loi Kasbarian et de toutes les lois et dispositifs qui pénalisent les occupants d’habitats de survie (bidonvilles, cabane, caravanes, squat d’immeubles vides...) !
Premiers signataires :
AG logement 94, ATMF, Bagagerue, CAD, Collectif des Jeunes du Parc de Belleville, Construire, COPAF, CSP75, DAL, Femmes Egalité, FSU, FUIQP, Héro-ïnes 95, Jamais Sans Toit, La Marche des Solidarités, OST, Pas sans nous, Soupirail, Solidaires étudiant-e-s Paris Banlieue, SUD logement Social, Union Syndicale Solidaires, UTOPIA 56.
Avec le soutien de : PEPS, gauche éco-socialiste.
mise en ligne le 2 janvier 2025
par Emma Bougerol sur https://basta.media/
Pauline Perrenot est journaliste pour l’observatoire des médias Acrimed et autrice du livre Les Médias contre la gauche (Agone, 2023). Elle décrypte les mécanismes de l’extrême-droitisation des médias et rappelle le rôle essentiel des médias indés.
Basta! : Selon une information du Parisien du 19 décembre, l’émission « Touche pas à mon poste ! » (TPMP), présenté par Cyril Hanouna sur C8, s’arrêterait en février. Ça y est, c’est bon, c’est la fin de la surreprésentation de l’extrême droite à la télé ?
Pauline Perrenot : Évidemment non, ça ne règle pas le problème. Compte tenu de la structuration du paysage médiatique et des phénomènes de concentration, Hanouna peut sortir par la fenêtre C8 mais re-rentrer sur le devant de la scène médiatique par la porte d’Europe 1 – où il officie d’ailleurs déjà – de CNews ou même du Journal du dimanche… Tous ces médias sont possédés par Bolloré.
D’autre part, si la question de la banalisation de l’extrême droite se résumait aux médias détenus par Vincent Bolloré, ça se saurait. Ils sont évidemment à l’avant-poste de la contre-révolution réactionnaire. Mais chez Acrimed, non seulement on inscrit ce processus dans une temporalité plus longue, mais on refuse également le mythe qui postule une étanchéité entre les médias de Bolloré et le reste du paysage médiatique. Les médias qui occupent une position dominante et légitime dans le champ journalistique sont aussi concernés par la question de la normalisation de l’extrême droite.
Quel constat dressez-vous à Acrimed sur la présence médiatique de l’extrême droite ?
Quand on parle d’extrême-droitisation, on parle d’une banalisation des idées d’extrême droite, de ses visions du monde, mais également de la crédibilisation des représentants des extrêmes droites au sens large – dans le champ politique et au-delà.
L’histoire n’a donc pas commencé avec la montée en puissance de Bolloré dans le paysage médiatique, dont la droitisation épouse une trajectoire parallèle à celle du champ politique : si l’on regarde par exemple les travaux d’Ugo Palheta sur le processus de fascisation en France, on comprend que l’on fait face à de nombreuses dynamiques (le tournant néolibéral des politiques publiques ; le durcissement autoritaire de l’État ; le renforcement du nationalisme et du racisme ; la montée du Front national ; l’affaiblissement politique du prolétariat) qui ont cours depuis les années 1970-1980.
S’agissant des grands médias, avec Acrimed, on essaye de mettre en lumière les mécanismes et les tendances lourdes qui, selon nous, ont contribué en miroir à normaliser l’extrême droite. Il y a, d’abord, la consolidation d’un pôle frontalement réactionnaire : l’extension de l’empire Bolloré, mais aussi la surreprésentation d’un grand nombre de commentateurs réactionnaires – « experts », intellectuels, journalistes, etc. – légitimés de longue date par des médias « acceptables ».
Ensuite, on a essayé de beaucoup documenter comment les médias ont participé à co-construire les cibles de la peur et de la haine : comment les obsessions de l’extrême droite (insécurité, immigration, autorité, islam) ont non seulement occupé une place de plus en plus centrale dans l’agenda médiatique, mais aussi comment les cadrages de ces thématiques ont progressivement épousé la grille de lecture qu’en donnent les partis de droite, en particulier dans l’audiovisuel et dans une large partie de la presse hebdomadaire.
Le troisième angle, c’est celui de la dépolitisation de la politique et, singulièrement, la dépolitisation et la peopolisation de l’extrême droite. Là, on s’intéresse beaucoup plus au journalisme politique en tant que tel, au triomphe du commentaire aux dépens du reportage ou de l’enquête : la focalisation sur le jeu politicien au détriment des enjeux de fond, l’emprise de la communication sur l’information politique, les mésusages des sondages, la façon dont les cadres du RN ont été surreprésentés et mis en scène comme la principale force d’ « opposition » aux partis de gouvernement, etc.
Enfin, on étudie la façon dont la mutilation du pluralisme au sens large profite à l’extrême droite. Sur les questions économiques, sociales, internationales, etc., on assiste à une disqualification systématique de la gauche, celle qui entend rompre avec les dogmes néolibéraux et le cours autoritaire et réactionnaire de la vie politique, comme des idées et des cadrages qu’elle défend.
Sur le plan socio-économique par exemple, l’accompagnement médiatique des politiques néolibérales (et donc la délégitimation de toute alternative progressiste) aura largement alimenté un sentiment de fatalisme vis-à-vis de l’ordre établi, lequel caractérise en partie le vote RN.
« On assiste à une disqualification systématique de la gauche »
Ces dynamiques ne sont pas uniformes selon les médias, elles sont entretenues plus ou moins consciemment par les professionnels, mais ce sont des tendances dominantes qui contribuent à normaliser l’extrême droite et ce, depuis plusieurs décennies.
Juste pour mettre les choses au clair avant de continuer : les médias sont-ils les seuls responsables de la dédiabolisation de l’extrême droite ?
Pauline Perrenot : Les travaux de sociologie et de science politique sur l’extrême droite permettent de comprendre les conditions matérielles, sociales, économiques, politiques, etc. qui ont contribué sur le long terme à la progression (notamment électorale) de l’extrême droite dans la société. On a toujours dit, pour notre part, que les médias dominants n’étaient pas les premiers responsables de cet enracinement.
Mais en tant que co-organisateurs du débat public, producteurs d’informations et de représentations du monde social, ils jouent un rôle effectif de légitimation. Il faut comprendre ce rôle en tant que tel : ni le surdéterminer, ni le sous-estimer. Quand on parle de banalisation, de crédibilisation, il faut entendre ces mots pour ce qu’ils sont et ne leur faire dire ni plus ni moins.
On voit de nombreux chroniqueurs et chroniqueuses issus de la presse d’extrême droite invités sur des chaînes de télé (par exemple, Juliette Briens, militante identitaire et qui travaille pour le magazine d’extrême droite L’Incorrect, invitée comme chroniqueuse sur BFM). Il y a donc une porosité, une continuité entre des médias d’extrême droite et des médias dits « traditionnels » ?
Pauline Perrenot : Il ne faut pas penser les médias Bolloré comme des médias « cloisonnés ». Il ne s’agit pas de mettre un signe égal entre toutes les lignes éditoriales, ça n’aurait pas de sens. Mais il faut en effet souligner un continuum dans la fabrique et le mode de traitement de l’information. La circulation médiatique des commentateurs réactionnaires – et, par conséquent, de leurs idées et discours – est un très bon exemple à cet égard. Parmi eux, l’un des cas les plus spectaculaires, c’est Zemmour.
Avant de basculer dans le jeu politique, il a été journaliste et éditorialiste. Il a construit sa carrière au Figaro mais il a aussi travaillé pour Marianne, RTL, i-Télé… C’est le salarié qui est resté le plus longtemps à l’antenne de « On n’est pas couché », l’émission de Laurent Ruquier sur France 2. Tout au long des années 2010, Éric Zemmour a sorti des livres qui ont fait l’objet d’un battage médiatique quasi systématique.
De nombreux médias perçus comme « légitimes » et « respectables » ont donc vraiment contribué à construire son capital médiatique. Alors quand CNews lui a offert un fauteuil régulier en 2019 pour la fameuse émission « Face à l’info » – qui a été pensée comme une rampe de lancement pour sa carrière politique –, la chaîne a capitalisé sur une notoriété entretenue pendant près de 30 ans par les autres médias.
Si on ne prend pas en compte cette complaisance continue des chefferies médiatiques à l’égard de cet agitateur (parmi d’autres …), on ne peut pas comprendre ce qui a été appelé le « phénomène Zemmour » fin 2021 et début 2022. Il y a eu un emballement médiatique absolument délirant. À Acrimed, on est vraiment tombés de notre chaise à ce moment-là, en voyant la surface médiatique qu’il a occupée, la complaisance avec laquelle il a été reçu, la façon dont les intervieweurs et intervieweuses ont complètement renoncé à contrecarrer ces thèses.
Cette séquence a été tout à la fois un symptôme et un accélérateur de la normalisation médiatique de l’extrême droite et du racisme. Elle était un révélateur, également, de la manière dont fonctionne le théâtre médiatique : la low-costisation du débat, la prime au spectaculaire, le mimétisme, etc.
Quel est le rôle de la concentration des médias dans tout cela ?
Pauline Perrenot : Elle a plusieurs rôles. Comme les pouvoirs publics ont renoncé à toute mesure contraignante en matière de propriété et de concentration des moyens d’information et de communication, évidemment, les industriels milliardaires ont les mains libres. Bolloré, ce n’est pas que CNews : c’est maintenant de la presse écrite, de la radio.
Mais c’est aussi une présence à d’autres niveaux de la chaîne de production et de diffusion de l’information et de la culture : il possède les points de vente Relay, des salles de spectacle, un institut de sondage (CSA, groupe Havas, une filiale de Vivendi) ainsi que des groupes d’édition. Ce double phénomène de concentration, à la fois horizontale et verticale, permet vraiment d’édifier un empire médiatique ici mis au service d’un combat politique clairement campé à l’extrême droite, dont Bolloré n’a d’ailleurs jamais fait mystère.
Au-delà du phénomène de concentration et du cas Bolloré, c’est bien le mode de propriété capitalistique des moyens d’information et la financiarisation des médias qui posent un problème majeur. De ce mode de propriété capitalistique découlent toutes les contraintes commerciales qui pèsent sur la production de l’information et formatent le débat public « low cost » tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il y a un nivellement par le bas terrible, un triomphe du commentaire et du bavardage, qui excède de loin les frontières des chaînes d’information en continu à proprement parler.
« Les pouvoirs publics ont renoncé à toute mesure contraignante en matière de propriété et de concentration des moyens d’information »
C’est un modèle qui, à bien des égards, favorise l’extrême droite.
Sur les plateaux notamment, les commentateurs réactionnaires nagent comme des poissons dans l’eau. C’est flagrant. Ils commentent les sondages biaisés, montent en épingle des faits divers, invectivent, idéologisent des ressentis, etc. Ils se nourrissent des idées reçues qui irriguent la pensée médiatique dominante depuis des décennies. La plupart du temps, ils n’ont pas besoin de remettre en cause les cadrages des journalistes et peuvent alterner les provocations et les contre-vérités sans être repris.
A contrario, c’est beaucoup plus compliqué pour des acteurs (politiques, associatifs, intellectuels, etc.) en capacité d’apporter une contradiction étayée aux thèses libérales, sécuritaires, racistes et xénophobes. Ils sont non seulement sous-représentés, mais les contraintes des dispositifs entravent, pour ne pas dire empêchent structurellement leur expression.
En Belgique, les médias de l’audiovisuel public wallon refusent de donner la parole en direct à l’extrême droite, pour ne pas la laisser diffuser ses idées sans cadre ou contradiction possible. Cela pourrait-il être une solution ?
Pauline Perrenot : Je pense que le problème est plus large, notamment parce que le processus d’extrême-droitisation ne repose pas que sur des personnalités étiquetées « extrême droite »… Depuis les années 1970, les responsables politiques ont progressivement légitimé les slogans sécuritaires, y compris la gauche de gouvernement, mais aussi les mots d’ordre autoritaires, nationalistes et identitaires.
Ça s’est encore accéléré au cours des années 2010 et plus encore à partir de 2015. Les gouvernements d’Emmanuel Macron ont ensuite entravé méthodiquement les conquis sociaux des travailleurs, les libertés publiques, les droits des étrangers, emprunté au répertoire et au vocabulaire de l’extrême droite pour aujourd’hui construire des alliances objectives avec elle…
S’agissant des médias, encore une fois, beaucoup des thèses de l’extrême droite sont ventilées par des professionnels qu’on ne peut pas soupçonner de voter à l’extrême droite. Un exemple m’a toujours paru très symptomatique : en septembre 2021 sur France 2, la rédaction d’« Élysée 2022 », une émission politique très regardée (on parle de millions de téléspectateurs) avait organisé un « face à face » entre Valérie Pécresse et Gérald Darmanin.
À cette occasion, ce sont les deux présentateurs, et non leurs invités, qui ont introduit dans le « débat » la thèse raciste et complotiste du « grand remplacement » : Léa Salamé et Thomas Sotto, deux professionnels qui occupent une position professionnelle et symbolique très importante dans le champ journalistique, valorisés par une grande partie de leurs pairs.
« Le processus d’extrême-droitisation ne repose pas que sur des personnalités étiquetées “extrême droite” »
Quand on parle d’imposition et de légitimation des préoccupations de l’extrême droite, là, on est en plein dedans.
La façon de cadrer l’information, de mettre à l’agenda certains sujets plutôt que d’autres, de systématiquement légitimer certains acteurs et d’en discréditer d’autres, tout cela constitue le « bruit médiatique ». Et il faut dire que celui-ci aura largement acclimaté les publics à des visions du monde réactionnaires.
Évidemment, on sait comment sont structurées les rédactions. On sait qu’il y a de très nombreux journalistes qui n’ont pas la main sur leurs sujets, qui travaillent dans des conditions désastreuses et qui sont soumis à l’autoritarisme de leur hiérarchie. Ils doivent faire mille métiers en un, et n’ont donc pas forcément la latitude et les marges de manœuvre nécessaires, ne serait-ce que pour réfléchir à comment ils souhaiteraient traiter un sujet.
Si la droitisation est transversale dans les médias dominants, elle est aussi un processus qui opère par le haut du champ journalistique, là où se concentre le pouvoir éditorial, parmi les directions sociologiquement solidaires des intérêts des classes dirigeantes. Christophe Barbier résumait très bien leur état d’esprit : « Aujourd’hui la peur de Mélenchon est plus grande que la peur de Le Pen ». Il n’y a pas besoin d’en dire plus.
Dans ce contexte, quel est le rôle des médias indépendants ?
Pauline Perrenot : Le travail des médias indépendants est colossal. Basta!, StreetPress, Mediapart, Arrêt sur images, Acrimed, Le Monde diplomatique, Reporterre, Le Média, Blast, Le Bondy Blog… Beaucoup de médias indépendants font non seulement un travail d’enquête sur l’extrême droite en tant que telle, ses pratiques, ses politiques, son idéologie, mais ils incarnent aussi un véritable pluralisme.
C’est dans ces médias qu’on va donner une place plus importante aux reportages et à l’enquête sociale. Ils ont aussi des cadrages et des façons de problématiser « l’actualité » qu’on ne voit pas ailleurs – et ça, sur tout un tas de sujets. Enfin, dans ces médias, on entend des personnes rarement – pour ne pas dire jamais – sollicitées par les médias dominants, qu’on pense à des militants associatifs, antifascistes, des chercheurs, des chercheuses, des intellectuels...
Sans le travail d’information des médias indépendants, le pluralisme serait dans un état encore plus lamentable. Cela étant dit, ces médias ne « font pas l’agenda » et restent moins « légitimes », généralement moins suivis. C’est l’une des raisons pour lesquelles Acrimed appelle à ne jamais perdre de vue la transformation radicale des médias, laquelle ne pourra pas faire l’économie de mesures ambitieuses visant à libérer l’information de la marchandisation et de l’emprise des industriels milliardaires.
mise en ligne le 1er janvier 2025
Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Dans une ambiance festive, 150 Yvelinois de plus de 60 ans accompagnés par le SPF ont pu clore 2024 sur un Bateau-Mouche parisien.
« À la nouvelle année ! » Jeannot lève son verre en direction des passants, qui font signe aux passagers du Bateau-Mouche depuis le bord du quai. « Pour une fois c’est nous que l’on envie ! » s’exclame le sexagénaire avec fierté. Pour ce retraité, cette minicroisière sur la Seine est une première. « C’est formidable ! Je n’étais jamais monté sur ce type d’embarcation. En plus nous sommes traités comme des rois », se réjouit-il en sortant son téléphone pour photographier la tour Eiffel.
Ce 31 décembre, le Mantevillois est l’un des 150 seniors des Yvelines à participer à ce repas festif, proposé par le SPF (Secours populaire français) des Yvelines, avec l’appui de la Fondation de France. Ce repas de fête destiné à rompre leur isolement leur a été proposé par les bénévoles des permanences du SPF qui maillent le département.
Oublier le quotidien
« Il faut souvent insister un peu, explique Martine, qui œuvre à l’antenne de Versailles. Certains ont perdu l’habitude de sortir et pensent que ce genre d’événement n’est pas pour eux. Mais en général, en rentrant, ils ont des étoiles dans les yeux et demandent à revenir l’année suivante. »
C’est le cas de Monique, 63 ans. Un peu intimidée, cette femme sans lien familial et très marquée par une vie jalonnée d’épreuves s’est décidée à venir après un Noël en solitaire. « C’était un peu triste, au moins ici il y a de l’animation. Je n’étais jamais montée sur un Bateau-Mouche, c’est très agréable de glisser sur l’eau », sourit-elle. Pour tous, cette parenthèse est bienvenue.
« Durant quelques heures, on oublie nos problèmes quotidiens, les soucis qu’on se fait pour les enfants… » témoigne Marinette, une mère de famille camerounaise de 61 ans qui vient pour la deuxième fois. Arrivés d’Ukraine en mars 2022 pour fuir les bombardements, Ivan et Gloria, un couple de sexagénaires, regardent défiler les monuments parisiens et observent le ballet des serveurs et serveuses en habit qui s’affairent autour des tables.
« On se sent comme des touristes, ça permet d’oublier un peu la guerre qui frappe notre pays », raconte Ivan. « Actuellement nous sommes hébergés à Maurepas, les Français sont très généreux, mais on aimerait pouvoir rentrer dans notre pays en 2025 », complète son épouse.
Déterminés à faire la fête
Pour d’autres ; ce repas est l’occasion de passer un moment entre amis ou d’échapper aux contraintes de leur foyer. Anita et Muriel, 68 et 60 ans, ont toutes deux travaillé dans la grande distribution. Copines de longue date, elles fréquentent la permanence du SPF d’Aubergenville. Brunes aux yeux clairs, un petit haut noir à paillettes pour chacune, elles pourraient passer pour des sœurs, ce qui les amuse.
« Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » Muriel, 60 ans
Déterminées à faire la fête, elles sont en train de choisir les chansons qu’elles interpréteront lors du karaoké qui suivra le repas. La plus âgée est venue malgré l’inquiétude qui la ronge au sujet de la santé de Didier, son mari, qui n’a pu l’accompagner. Pour Muriel, cette journée signe son indépendance retrouvée après des années passées sous l’emprise d’un homme toxique. « Je ne sortais plus. Désormais, j’ai décidé de prendre du temps pour moi ! » assure-t-elle.
Parmi les autres duos, Nassira et Selim savourent ce moment en contemplant Paris. Septuagénaires, ces parents de sept enfants, « qui ont tous fait des études universitaires », sont arrivés d’Algérie dans les années 1970. Elle était sage-femme, lui, ingénieur en travaux publics. « On s’est saignés pour nos enfants, aujourd’hui ils ont tous un bon métier », relate Nassira. D’ailleurs toute la famille sera réunie pour le 1er janvier. « Mais avant on s’offre une évasion en amoureux », rigole Selim en prenant la main de son épouse.
À la table voisine, Claudia et Monica, deux sexy sexagénaires mantevilloises qui se sont connues aux thés dansants organisés par une association de leur ville, se sont pomponnées pour l’occasion. « C’était le bon jour pour se mettre sur son 31 », plaisante Éric, leur voisin, lui aussi très élégant, en savourant son œuf en meurette.
Qui sera suivi d’une dorade avec des petits légumes puis d’une profiterole à la mousse de poire avec une sauce au caramel, « une tuerie », selon Maïmouna, 72 ans. Elle est venue avec son amie Aziza et d’autres femmes marocaines de Chanteloup-les-Vignes. Habituées du SPF, elles sont parties ensemble quelques jours au bord de la mer à l’automne grâce à l’association.
Créer du lien
Un séjour dont se rappelle bien Huguette Bitor-Jirot, la référente seniors de la fédération des Yvelines du SPF. « Cela permet de créer du lien et parfois, au bout de plusieurs jours, les gens finissent par se confier, alors que par honte de leur situation ils s’étaient murés dans le silence. On a ainsi pu aider une femme victime de violence de la part de son conjoint, alors que cela faisait des années qu’elle subissait les coups et qu’elle n’en avait jamais parlé à personne », révèle la longue dame blonde aux cheveux courts tout en gardant un œil sur la salle pour s’assurer que tout se passe bien.
De fait, l’ambiance est plutôt bonne, rythmée par les accords d’un pianiste qui interprète des airs de chansons célèbres durant le repas. Mais le bateau s’enflamme quand vient l’heure du karaoké. Anita et Muriel ouvrent le bal avec un duo remarqué sur la Bonne du curé d’Annie Cordy, enchaînent avec l’entêtant Pour un flirt de Michel Delpech, avant de laisser la place à Éric, qui suscite pas mal d’émotions en entonnant Mistral gagnant de Renaud.
S’ensuivent des tentatives plus ou moins réussies d’interprétations de Dalida ou de Claude François, qui ont le mérite de susciter fous rires et encouragements. Avant de quitter les lieux, alors que la ville s’illumine, une chenille géante fait se lever l’assemblée, dont les membres semblent peu pressés de rejoindre les bus pour regagner les Yvelines.
Pascal Rodier, le responsable de l’antenne des Yvelines, à l’initiative de l’événement, affiche un sourire ému. Pour ce fils de cheminot et d’une communiste engagée au SPF, salarié de l’association depuis 2001, « il faudrait pouvoir organiser davantage de moments festifs de cette nature ». Hélas, déplore-t-il, « désormais l’essentiel de nos ressources se concentre sur les distributions alimentaires car les besoins ont explosé ces dernières années ».
mise en ligne le 1er janvier 2025
par Roger Martelli sur www.regards.fr
François Bayrou est enfin parvenu à Mayotte. Il en profite pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane.
Tout son temps devrait se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. Il pourrait se dire que, pour bâtir des solutions concrètes, le devoir de l’État est de rassurer et d’apaiser : il choisit au contraire d’attiser les braises.
En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – en enfant né à Mayotte de parent étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne explicitement avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».
« Comme partout sur le territoire national »… Alors que les phénomènes migratoires vont s’amplifier dans les décennies à venir, alors que s’impose à l’échelle planétaire la nécessité d’un traitement concerté et humain, alors qu’il s’agit d’abord d’accueillir et d’insérer, c’est la clôture que le gouvernement met à l’ordre du jour. Que chacun reste chez soi et que l’on préserve un entre-soi garanti par la naissance et la filiation : connaissez-vous plus irresponsable qu’une telle politique ?
Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. Ce faisant, il enferme la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Or, quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. S’il faut avancer, ce n’est pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.
François Bayrou joue un jeu inefficace et dangereux à Mayotte même. Au-delà, il légitime un peu plus la pression exercée par le Rassemblement national. Et il ouvre en grand la boîte de Pandore. Au prétexte des « caractéristiques et contraintes particulières » reconnues aux territoires ultramarins, il enfonce un clou supplémentaire dans la conception historique du droit du sol.