mise en ligne le 30 novembre 2024
Par Jeanne Seguineau sur https://www.bondyblog.fr/
Le collectif “Jamais sans toit” se mobilise pour appeler la mairie du 19ᵉ arrondissement à ouvrir les portes du lycée désaffecté Georges Brassens à des familles à la rue. La semaine dernière, ils ont manifesté devant la mairie pour faire entendre leur voix.
Les températures glaciales n’ont pas stoppé la centaine de manifestants présents devant la mairie du 19ᵉ arrondissement, mercredi 20 novembre. Parmi eux, des militants du collectif, plusieurs représentants politiques et surtout, des hommes, des femmes, et de nombreux enfants en bas-âge, privés d’un domicile fixe et décent.
Depuis novembre 2023 et la décision de la région de réquisitionner cinq lycées parisiens désaffectés afin de les transformer en centres d’hébergement d’urgence, seulement trois de ces établissements ont été investis. Un vœu des élus Communistes et Citoyens a pourtant validé, lors du Conseil de Paris de mai 2024, la réquisition officielle et planifiée du lycée Brassens. Mais depuis, la mairie du 19ᵉ n’a rien entamé en ce sens.
François Dagnaud, maire PS du 19ᵉ, n’a pas caché son agacement vis-à-vis de cette proposition lors du conseil d’arrondissement du 5 novembre dernier. L’élu a invoqué la nécessité d’une « solidarité dans la solidarité », pour que la charge des missions sociales de Paris ne repose pas sur les seules épaules des arrondissements du nord est parisien. L’élu s’offusque par ailleurs que Fatoumata Koné, présidente du groupe des Écologistes parisiens, et d’autres lui prête ces propos : « Le 19ᵉ ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Ces propos ne sont pas audibles dans la retranscription de la séance publiée sur le site de la mairie, mais plusieurs élu.es soutiennent les avoir entendus. Malgré les réfutations du maire, l’épisode a mis le feu aux poudres. Contactée par la Bondy blog, la mairie n’a pas donné suite.
Le 19ᵉ trop solidaire ?
Lucie, membre de l’association des parents d’élèves, FCPE Jaurès, s’émeut du refus de la mairie d’ouvrir le Lycée Georges Brassens. « C’est une réponse absurde à une situation complètement catastrophique », réagit-elle. Pour Manon Luquet, représentante du collectif Jamais sans Toit IDF et suppléante d’Aymeric Caron, député LFI de la 18ᵉ circonscription, l’argument avancé par le maire du 19ᵉ n’est pas valable.
« L’arrondissement qui accueille le plus de personnes à la rue, c’est toujours le 18ᵉ. Par contre, le deuxième, c’est le 15ᵉ, qui n’est vraiment pas un arrondissement du nord est parisien », soutient-elle. L’associative a assisté la mairie du 18ᵉ dans l’ouverture du lycée Valadon comme centre d’hébergement d’urgence (CHU) pendant l’année écoulée. Cette dernière ne cache pas sa colère de voir un maire de gauche tenir de ces propos publiquement. « J’ai trouvé ça d’autant plus odieux que lors de ce conseil d’arrondissement, une famille de personnes sans-abri était présente. »
Face à la crainte du maire de voir le 19ᵉ devenir une terre d’accueil universelle, les citoyens et militants montrent au contraire une importante solidarité envers les familles en demande, qu’elles soient du 19ᵉ ou non. C’est le cas d’Alexia. « Il n’y a pas de quota de solidarité », s’insurge-t-elle. Cette habitante du 19ᵉ a, elle-même, écrit des lettres au maire en espérant se faire entendre. « C’est plus rassurant de travailler avec une mairie de gauche, on se dit qu’on aura un levier plus important », espère-t-elle.
Crise de l’hébergement d’urgence sur fond de querelle politique
Les élus communistes et des élus écologistes se voient aussi reproché de soutenir une décision prise par la présidente LR de la région Île-de-France. Une incohérence, pour la mairie socialiste. Camille Naget, conseillère du groupe Communistes et Citoyens à l’origine du vœu, en rit. « Si Valérie Pécresse était connue pour son engagement envers les personnes à la rue, ça se saurait. » En effet, cette décision de la région n’est pas tout à fait désintéressée.
En novembre 2023, la fermeture de sept lycées professionnels et technologiques parisiens choquait les élus de gauche. Ces derniers pointaient du doigt le manque de solutions apportées aux élèves de ces lycées, majoritairement issus de classes populaires et qui ont dû se réadapter à de nouveaux établissements, éloignés, en cours de cursus. « Ce lycée Brassens, on s’est battu contre sa fermeture, et aujourd’hui, on se bat pour sa réouverture dans une nouvelle forme », résume Camille Naget. Face à la levée de boucliers de l’opposition et une négociation d’une semaine, Valérie Pécresse a concédé l’ouverture de cinq de ces lycées en tant que CHU.
« Je mène cette bataille contre le gouvernement Barnier qui est celui de Madame Pécresse, mais il se trouve que là, il y a une urgence, et si Madame Pécresse est d’accord avec notre lutte, moi, je suis pour la prendre au mot », assume Danièle Obono, députée de la 17ᵉ circonscription de Paris. « La France a un engagement envers la Convention des Droits des enfants. C’est une question humaniste, pas politique », appuie la députée.
Une proposition limitée mais importante
La lutte pour l’ouverture d’un nouveau CHU apparaît urgente et nécessaire alors que le froid s’installe. Mais quelle réponse concrète apportera-t-elle aux quelque 400 familles à la rue à Paris ? Awa, enceinte de 8 mois et maman de Moussa, 18 mois, raconte : « Souvent, on nous met une semaine dans la rue, une semaine à l’hôtel. C’est très difficile ». Malgré le confort minimal apporté par les CHU, c’est une réponse d’appoint qui vaut la peine de se battre pour Awa qui fait face à la neige et aux dangers de la rue. En France, la crise du logement, et par ricochet, la crise de l’hébergement d’urgence, laisse des centaines d’enfants à la rue, comme le petit Moussa.
mise en ligne le 30 novembre 2024
par Nolwenn Weiler sur https://basta.media/
Plusieurs syndicats agricoles appellent de nouveau à la mobilisation et à la solidarité. Mais derrière cette union de façade, se cache une profession traversée par de profondes inégalités.
Les campagnes françaises vont-elles, de nouveau, s’enflammer ? Alors que la Coordination rurale menace d’affamer les villes, la FNSEA appelle à une mobilisation générale à partir du lundi 18 novembre. La Confédération paysanne entend de son côté multiplier les actions pour exiger la régulation des marchés agricoles. Dans leur viseur : la menace de finalisation de l’accord de libéralisation du commerce entre l’Union européenne et certains pays d’Amérique du Sud, qui pourrait entraîner l’importation en Europe de centaines de milliers de tonnes de produits agricoles exonérés de droits de douane.
Mais les syndicats agricoles sont aussi fâchés du manque de suites données au vaste mouvement de colère de l’hiver dernier. « Ce que [les agriculteurs] veulent aujourd’hui, ce sont des résultats concrets dans leur cour de ferme » a déclaré Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, alors qu’il était en déplacement dans les Pays-de-Loire. « On est prêt à aller loin pour que nos revendications soient entendues », a t-il prévenu quelques jours plus tôt.
Une profession très inégalitaire
Il y aurait donc un monde agricole homogène, défendant ensemble des exploitations similaires et des intérêts communs. Mais cette unité de façade, convoquée dès que la colère gronde ou menace, empêche de réfléchir à ce qui différencie et divise au sein de la profession, qui est en fait l’une des plus inégalitaires du pays. D’un côté, les 10 % des ménages agricoles les plus pauvres touchent moins de 10 900 euros par an (soit environ 800 euros par mois). De l’autre, les 10 % les plus riches gagnent plus de 44 600 euros par an (environ 3700 euros par mois). Et encore, ces chiffres sont des moyennes, qui cachent les immenses fortunes autant que les vies de misère. L’abîme qui sépare les deux franges les plus extrêmes de la population agricole est plus profond que celui qui sépare les Français les plus pauvres des Français les plus riches. Loin d’être uniforme, le monde agricole est donc profondément fracturé.
Les discours valorisant la solidarité cachent aussi les inégalités de genre. Dans les fermes françaises, plusieurs milliers de femmes exercent encore sans statut et travaillent donc gratuitement (notre grand format). Celles qui ont un revenu touchent 30 % de moins que leurs homologues masculins. Et quand sonne l’heure de la retraite, elles perçoivent en moyenne 570 euros par mois, bien moins que ceux parmi les paysans les plus pauvres qui ne perçoivent déjà pas grand-chose – environ 870 euros par mois.
Pour ce qui est du partage de la terre, l’union est – là encore – de pure façade. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « près d’un quart des exploitations agricoles se partagent 1 % de la surface agricole utile (SAU), quand 5 % des plus grandes, d’une superficie supérieure à 214 hectares, s’octroient 25 % de la SAU ». Aggravé par la chute sans fin du nombre d’agriculteurs et agricultrices, cet accaparement des terres va de pair avec l’accumulation des fonds publics, notamment européens, dont le versement est indexé à la surface : 80 % des aides de la politique agricole commune (PAC) sont captées par 20 % des exploitants en Europe. L’augmentation des formes sociétaires, qui passent sous les radars des systèmes de régulation de la propriété foncière agricole, accentue ce problème de confiscations, qui porte préjudice aux personnes non issues du milieu agricole désireuses de s’installer.
Tandis qu’ils et elles galèrent à trouver des fermes, des agriculteurs se taillent la part du lion, créant leurs propres sociétés pour agrandir des exploitations déjà immenses. Certaines atteignent plusieurs centaines d’hectares. Mediapart a révélé en mars 2023 comment le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, est désormais à la tête de 700 hectares via quatre sociétés, contrôlées par une holding, Spondeo. On est bien loin de l’image bucolique des fermes familiales de polyculture élevage que le syndicat majoritaire ne cesse de véhiculer, en les présentant comme « une singularité française qu’il faut promouvoir ». En fait de singularité française, on assiste à un mouvement d’agrandissement des fermes, qui favorise la monoculture, l’usage de pesticides, l’appauvrissement des sols et de la biodiversité. Soit la marche inverse à ce qu’il faudrait entreprendre pour limiter les effets du changement climatique, qui impacte si durement le monde agricole.
A la tête de fermes de plus en plus étendues, les agriculteurs font de plus en plus appel à des entreprises de sous-traitance du travail agricole (les ETA). Une équipe de chercheurs a calculé que la quantité de travail effectuée par ces entreprises a été multipliée par quatre ces dernières années, et le nombre de salariés par trois. Ces méga-structures « d’agriculture déléguée » laissent entrevoir des « stratégies et pratiques proches de celles du secteur industriel ». Dans certaines parties du territoire, on assiste au développement d’un sous-salariat, venu du sud de l’Europe, qui travaille dans des conditions honteuses, pour cueillir nos fruits et légumes.
Leur condition quotidienne est plus proche de celles des salariés intérimaires à qui on vole la force de travail au péril de leur santé que de celle des agri-manageurs fortunés qui ne mettent plus une botte dans leurs champs. Mais « la ruse de la FNSEA est de masquer, sous le vocable unitaire, les intérêts antagonistes du monde agricole, alors qu’elle ne représente que les dominants et les patrons de l’agriculture », analysait la sociologue Rose-Marie Lagrave, fine connaisseuse du monde agricole, au sortir de la crise de l’hiver. Cette fois encore, les plus puissants ont décidé de jouer la carte de l’unité qui tait les inégalités, étouffe les conflits et entrave l’émancipation.
mise en ligne le 29 novembre 2024
Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que le RN tente régulièrement de se donner l’image d’un parti attentif aux souffrances sociales, son attitude lors du débat budgétaire révèle son peu de préoccupation pour la justice fiscale et sociale.
Pendant plus d’un mois, les députés ont débattu de deux textes budgétaires : le projet de loi de finances (PLF) et son équivalent pour la Sécurité sociale (PLFSS). Particulièrement mobilisés, en même temps que s’ouvrait le procès mettant en cause de parti de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens, les députés du Rassemblement national (RN) ont parfois joué la carte du « social » pour se positionner en contrepoint du gouvernement.
Un combat d’autant plus facile à mener que les travées de la droite et du centre de l’hémicycle ont, elles, pris la poussière. La manœuvre visait également à phagocyter des thématiques d’habitude portées par la gauche. « La gauche a trahi la cause populaire et n’existe plus que dans l’opposition au Rassemblement national. Votre bêtise politique vous sort de l’histoire et la place que vous occupez, nous la prendrons pour en faire quelque chose d’utile aux Français », a ainsi lancé le député RN Alexis Jolly lors de la niche parlementaire du parti qui avait lieu dans cette période de débats budgétaires.
En matière fiscale, le RN a voté en faveur de plusieurs amendements déposés par le Nouveau Front populaire (NFP). La taxation améliorée des Gafam (les géants du numérique, comme Google ou Amazon) ou le renforcement de la taxe sur les transactions financières ont ainsi semblé séduire le parti d’extrême droite. De même, l’instauration d’une contribution spécifique des hauts revenus, initialement pensée comme provisoire par le gouvernement, mais que la gauche a voulu rendre pérenne, a convaincu une grande majorité des députés du RN présents lors du vote.
Défense du capital plutôt que de la Sécurité sociale
Sur d’autres recettes fiscales possibles, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a défendu les intérêts des plus fortunés. Les députés d’extrême droite ont ainsi rejeté la hausse de la CSG sur les revenus du capital, la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises ou la proposition de taxe sur les hauts patrimoines de plus d’un million d’euros. Sans succès puisque ces amendements ont malgré tout été adoptés.
Le RN s’est aussi opposé à un article du projet de loi de finances visant à diminuer les exonérations de cotisations sociales patronales dont bénéficient actuellement les entreprises, tout particulièrement sur les salaires proches du Smic. Ces exonérations sur les salaires entre 1 et 1,6 Smic grèvent les caisses de la Sécurité sociale d’environ 40 milliards d’euros par an.
Leurs effets pervers sont aussi critiqués : elles favoriseraient des « trappes à bas-salaires » – les employeurs n’étant pas incités à augmenter les salaires pour continuer à bénéficier des exonérations – et contribueraient à la « smicardisation » des salariés. Comble de l’absurde, alors que c’est bien le gouvernement de Michel Barnier qui était à l’origine de cet article, seuls les députés du NFP ont défendu la mesure, contre un front s’étendant du centre jusqu’à l’extrême droite.
Pour justifier ses prises de position sur les sujets fiscaux, le RN a un argument récurrent : le soutien aux PME et TPE, qu’il faudrait protéger. En réalité, son soutien aux acteurs économiques français dépasse largement le cadre de la petite entreprise. Le parti s’est ainsi vivement opposé au retour d’un impôt sur la très grande fortune demandé par le NFP, et à un ISF climatique – un impôt ciblant notamment les 63 milliardaires français dont le patrimoine émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % de la population française.
Le RN porte voix des 1% les plus riches
Le positionnement du RN a, ici aussi, permis de faire échouer la gauche. Le député RN Matthias Renault a ainsi critiqué les « taxes de la gauche » tout en dénonçant l’absence des députés de la droite et du centre. Une situation qui n’a pas manqué de faire réagir le président de la commission des finances de l’Assemblée, l’insoumis Éric Coquerel. « Pourquoi voulez-vous qu’ils [les députés de droite et du centre] soient plus nombreux, puisqu’ils savent qu’ils vous ont pour voter contre toutes les propositions fiscales et sociales ? »
Le débat sur l’ISF a aussi été l’occasion pour le RN de ressortir sa proposition phare d’un impôt sur la fortune financière (IFF), présente dans son programme lors des dernières élections législatives. Le parti souhaite ainsi remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), une version déjà très au rabais de l’ancien ISF, par ce nouvel IFF qui exclurait de son assiette la résidence principale des personnes imposées. Un cadeau à destination des plus riches comme le montraient nos confrères de Politis : une toute petite minorité des Français les plus riches est concernée par cet impôt et la résidence principale bénéficie déjà d’un abattement fiscal.
La mesure n’a pas convaincu le reste de l’Assemblée et a été rejetée, tout comme d’autres amendements du parti qui visaient à rehausser d’une tranche les seuils d’imposition de l’IFI, ce qui en aurait exonéré certaines personnes, et aurait permis aux autres de bénéficier d’un taux plus clément. Pour justifier ces mesures pro-riches, le parti d’extrême droite a osé évoquer l’inflation dans l’exposé de son amendement, avant d’affirmer qu’« injuste en son principe et excessif dans ses dispositions, l’IFI doit du moins être réservé aux personnes dont le patrimoine est réellement important ».
La première tranche de l’IFI concerne pourtant les personnes dotées d’un patrimoine de plus de 1,3 million d’euros, soit les 1 % de la population les plus dotés en patrimoine, selon l’Observatoire des inégalités. Une catégorie à laquelle appartient d’ailleurs Marine Le Pen.
Étrangers, culture, écologie : cibles de l’austérité
La préoccupation du RN pour l’inflation n’est pas aussi flagrante quand elle concerne les classes populaires. Les propositions qui attirent la sympathie du parti se résument essentiellement à des baisses de taxes sur les prix de l’électricité et du gaz. Le parti d’extrême droite promeut en parallèle des mesures qui rendent plus coûteux l’accès à certains services publics. Il veut ainsi mettre en place une « taxe lapin », soit une facturation de la consultation à un patient ne s’étant pas présenté à son rendez-vous médical ou bien un « ticket modérateur » pour la justice, soit une somme minimale que devrait dépenser tout justiciable s’il veut faire appel à un avocat, y compris s’il a des faibles revenus.
Le parti d’extrême droite s’attaque ensuite tout particulièrement à certaines catégories de la population. Sans surprise, les personnes étrangères constituent sa première cible. Il veut ainsi les priver de la prime d’activité (qui bénéficie aux personnes qui travaillent), de l’aide médicale d’État (AME) et veut réserver l’hébergement d’urgence aux personnes en situation régulière. Le parti propose également d’instaurer trois jours de carence en cas d’arrêt maladie pour les agents de la fonction publique, un projet sur lequel il rejoint le gouvernement.
Les députés RN ont par ailleurs apporté leur soutien à un amendement de leur allié Éric Ciotti visant à ôter aux intermittents du spectacle la possibilité de lisser leurs revenus, souvent instables, sur plusieurs années pour le calcul de leurs impôts. Dans l’exposé écrit qui accompagne son amendement, l’ancien président des Républicains élargit sa critique au régime de l’intermittence dans son ensemble, le qualifiant de « niche fiscale ».
Réforme des retraites : récupération politique
L’examen du budget aura également amené une nouvelle fois le RN à s’exprimer sur la réforme des retraites. Alors qu’au printemps 2023, il n’avait pas soutenu la mobilisation dans les rues et les entreprises contre l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, le parti cherche depuis régulièrement à se réapproprier cette lutte qui suscite un large engouement dans la population. Le 29 octobre, un amendement du NFP est examiné dans l’hémicycle pour rétablir la retraite à 62 ans.
Opposition immédiate du RN qui, par la voix du député Thomas Ménagé, appelle le NFP à « un peu de sérieux » en arguant d’une impossibilité juridique d’abroger la réforme des retraites par amendement en raison de l’article 40 de la Constitution. Lequel dispose qu’un amendement n’est pas recevable lorsque son adoption « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Souhaitant incarner un « parti de gouvernement » soucieux des règles, le RN a alors en tête sa propre loi d’abrogation qu’il souhaitait présenter deux jours plus tard, durant sa niche parlementaire. Une initiative qui a fait long feu, le camp gouvernemental ayant réussi à vider de sa substance le texte du RN en s’appuyant justement sur ce même article 40. Le 4 novembre, après ce coup politique raté, le parti apporte finalement son soutien à un nouvel amendement du NFP visant à abroger la réforme des retraites.
Le RN en soutien du gouvernement Barnier
Si les débats sur la partie « recettes » du projet de loi de finances ont pu être menés à leur terme, il n’en est pas de même pour sa partie « dépenses », qui n’a pas été examinée. Le RN n’a donc pas eu à se positionner sur les coupes budgétaires souhaitées par le gouvernement. Toutefois, plusieurs de ses amendements ont été examinés en commission des finances. Associés à son contre-projet de budget, ces amendements dessinent le visage austéritaire du parti.
Il entend ainsi diminuer de plus de 4 milliards d’euros les crédits alloués aux acteurs culturels, aux associations (et plus spécifiquement celles œuvrant dans le champ de l’enseignement scolaire ou de l’écologie), à l’enseignement supérieur (et tout particulièrement aux sciences humaines et sociales), ou encore aux fonctionnaires travaillant dans le champ de l’écologie. Concernant ces derniers, le parti d’extrême droite fait converger son mépris de l’écologie avec une haine sociale : « Les fonctionnaires bureaucrates ont démontré leur inutilité voire leur incompétence […], ce qui justifie d’enlever des crédits de personnel », justifie le RN dans l’exposé de son amendement.
C’est véritablement au moment du vote de l’entièreté de la partie « recettes » du projet de loi de finances que le parti de Marine Le Pen montre son désintérêt pour les questions sociales. Alors que vote après vote, les députés de gauche avaient réussi à transformer le projet initial du gouvernement, le parti d’extrême droite a décidé d’unir ses voix à celles de la droite et du centre pour voter contre le texte. Des voix précieuses pour le camp gouvernemental qui a pu rétablir sa version initiale du texte avant de le présenter au Sénat.
À l’issue de son examen par la chambre haute, le projet de loi de finances reviendra à l’Assemblée nationale. Selon toute vraisemblance, Michel Barnier devrait alors mobiliser le 49.3 pour le faire adopter en l’état, ce qui suscitera une motion de censure de la part des députés du NFP. Le RN la votera-t-il ?
Alors qu’il l’a longtemps exclu, le parti pourrait s’y résoudre, remobilisé par les ennuis judiciaires de Marine Le Pen, elle et plusieurs cadres du parti étant accusés d’avoir mis en place un système de détournement de fonds publics européens, avec un préjudice estimé à 7 millions d’euros. Encore une fois, c’est davantage la volonté de faire un coup politique qu’une réelle préoccupation sociale qui guidera les députés d’extrême droite.
mise en ligne le 29 novembre 2024
par Pauline Londeix sur www.humanite.fr
« Nous sommes face à une campagne d’anéantissement de la population de Gaza », déclarait, à son retour du territoire en octobre, Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans frontières France. Au même moment, l’Organisation mondiale de la Santé déclarait avoir perdu contact avec ses équipes dans le nord de la bande de Gaza. Déjà, en décembre 2023, l’OMS martelait que la population sur place était en « grand danger ».
En février 2024, son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, ajoutait : « Gaza est devenue une zone de mort (…). Une grande partie du territoire a été détruite. Plus de 29 000 personnes sont mortes, beaucoup d’autres sont portées disparues, présumées mortes, et beaucoup, beaucoup d’autres sont blessées. » Pénuries de denrées alimentaires, de médicaments et autres produits de première nécessité, effondrement du système de santé. Depuis plus d’un an, organisations internationales et ONG dénoncent une situation atroce.
En mars 2024, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF, témoignait : « Chaque jour, nous sommes les témoins d’horreurs inimaginables. Nous, comme tant d’autres, avons été horrifiés par le massacre massif du 7 octobre. Nous sommes horrifiés par la réponse d’Israël ; une guerre de punition collective, une guerre sans règles, une guerre à tout prix. » Il concluait : « Les attaques contre les services de santé sont des attaques contre l’humanité. » Le 14 novembre dernier, le Comité spécial des Nations unies estimait que les méthodes de guerre d’Israël à Gaza comprenaient « l’utilisation de la famine comme arme de guerre ».
Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ?
Dans son dernier ouvrage, « Une étrange défaite, sur le consentement à l’écrasement de Gaza » (éditions la Découverte, 2024), le sociologue Didier Fassin se livre à une brillante analyse de la façon dont le massacre abominable du Hamas et la prise d’otages, puis la « réponse » israélienne qui a suivi sont traités : « Le langage a été abîmé quand on a appelé « antisémites » les demandes d’arrêter de tuer des civils, « morale » une armée qui déshumanise ses ennemis, « riposte » une entreprise d’anéantissement, « guerre Israël-Hamas » une opération militaire ouvertement menée contre les civils palestiniens. La pensée a été étouffée lorsqu’on a empêché les débats, interdit des conférences, annulé des expositions, imposé des procureurs pour garantir l’orthodoxie, eu recours aux forces de l’ordre pour réprimer des étudiants sur les campus. »
Alors que jamais autant de femmes (6 000) et d’enfants (11 000) n’ont été tués dans un conflit récent, combien de morts faudra-t-il encore pour que la communauté internationale agisse enfin ? Didier Fassin poursuit ainsi : « Pour des responsables politiques et des personnalités intellectuelles des principaux pays occidentaux, à de rares exceptions près, (il paraît être devenu) acceptable la réalité statistique que les vies des civils palestiniens valent plusieurs centaines de fois moins que les vies des civils israéliens. (…) La déshumanisation de l’ennemi est la perte de l’humanité de celui qui la prononce. »
Pour écrire sur ce sujet qui pourtant occupe mes pensées quotidiennement, il m’a fallu de longs mois. Certaines situations plongent dans un état de sidération. Pourtant il y a une urgence à agir. L’impuissance de la communauté internationale à imposer un cessez-le-feu et son « consentement », pour reprendre les termes de Fassin, à cette guerre qui tue principalement des civils creusent la tombe des valeurs, affichées du moins, du monde occidental.
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Les guerres israéliennes contre la bande de Gaza, la Cisjordanie et le Liban détruisent les vies et les territoires. Elles abîment aussi la crédibilité de l’Occident, enfermé pour l’essentiel dans un soutien univoque à Israël. Vue depuis le monde arabe, voici l’histoire d’une chute morale.
Il a beaucoup été question d’Occident lors du premier Sommet international des pensées arabes organisé conjointement par le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep) et l’Institut du monde arabe, à Paris, les 14 et 15 novembre 2024.
Non que l’Occident ait été le sujet de ce moment exceptionnel qui a rassemblé, pendant deux jours et en un même lieu, pas moins de 32 intellectuel·les arabes venu·es d’un peu partout. Mais il a traversé les dix tables rondes et les discussions.
Car les complexes relations entre le monde arabe et l’Occident, qui remplissent des bibliothèques entières, se sont durcies avec la guerre génocidaire d’Israël en cours à Gaza, l’annexion rampante et violente de la Cisjordanie et la destruction partielle du Liban. Ce sont, plus précisément, les appuis à Israël apportés par nombre d’États, de partis politiques, d’institutions académiques, de médias et d’intellectuel·les occidentaux à l’État hébreu qui ont été interrogés.
Mediapart s’est entretenu avec huit de ces penseurs et penseuses arabes présentes à Paris. Ils et elles viennent d’horizons divers – les sciences politiques, les études sur le genre et le développement, l’histoire contemporaine, la philosophie, les médias, l’anthropologie, la sociologie. Originaires de différents pays arabes, du Liban, d’Égypte, de Tunisie, de Palestine, ils et elles vivent et travaillent dans des universités occidentales, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux États-Unis, ou dans des institutions du Moyen-Orient, au Qatar, en Cisjordanie, en Égypte, au Liban.
Tou·tes ont l’habitude de voyager d’un pays à l’autre, pour des rencontres intellectuelles, amicales et familiales, tou·tes parlent plusieurs langues, tou·tes naviguent avec facilité dans les pensées tant occidentales qu’arabes.
Assignation à origine
Pourtant, ces intellectuel·es polyglottes et cosmopolites constatent un divorce, depuis le 7-Octobre, dans les relations avec l’Occident. Bien sûr, ils et elles n’ignoraient rien de l’histoire complexe et houleuse des deux rives de la Méditerranée. Mais dans ce domaine aussi, le 7-Octobre marque une rupture de nature.
« J’ai, depuis le 7-Octobre, la sensation d’être en permanence sous surveillance, parce que je suis une chercheuse arabe, et ce n’est pas du tout bienveillant. Cela m’a amenée, au départ, à une forme d’autocensure, dont j’ai mis du temps à me débarrasser, raconte la Franco-Tunisienne Leyla Dakhli, historienne, membre du CNRS et affectée actuellement au Centre Marc-Bloch de Berlin. Être décrédibilisée parce qu’on pense que mon origine, et non mes recherches, détermine ce que je dis, est très difficile à supporter. »
Cette assignation à leur origine, la plupart des intellectuel·les en poste dans des institutions européennes ou américaines la ressentent. Ils s’en disent « sidérés ». « Parler des régimes arabes ne pose aucun problème, mais s’exprimer sur la Palestine est quasiment interdit, poursuit Fadi A. Bardawil, Libanais, anthropologue et enseignant à l’université Duke, à Durham (États-Unis). Mais il faut souligner que les intellectuel·les arabes ne sont pas les seul·es victimes de cette machine de répression. »
En cause ici, l’accusation d’antisémitisme brandie aussitôt qu’une critique contre Israël est émise, et qu’importe si les crimes de guerre et violations massives de la loi internationale sont documentés. « On glisse systématiquement de la Palestine vers l’antisémitisme. Mais ces guerres n’ont pas lieu en France ou en Allemagne, elles se déroulent à Gaza et au Liban, alors pourquoi toujours ramener ça à un débat européen sur l’antisémitisme ? C’est accuser les Arabes de véhiculer un antisémitisme historiquement pourtant bien européen », reprend Leyla Dakhli.
L’Occident est devenu inaudible
« Au nom de la réparation des torts historiques, les pays européens responsables de la Shoah, en premier lieu l’Allemagne, mais aussi l’Autriche, la France, avalisent ce qui est fait à un autre peuple, assène Gilbert Achcar, sociologue franco-libanais, professeur à l’université SOAS de Londres. Parce que ces pays ont tiré une leçon étriquée, nationaliste et ethnocentrée de la Shoah : plus jamais ça, mais uniquement plus jamais ça aux juifs et seulement aux juifs. Alors qu’ils auraient pu en tirer une leçon universelle : plus jamais ça, à aucun peuple. »
Appui politique et militaire à Israël dans ses guerres, notamment de la part des États-Unis, incapacité des États européens à nommer la guerre génocidaire contre Gaza, injonction à taire toute critique de l’État hébreu, censure : l’Occident n’applique sa prétention de porter haut les droits humains, de promouvoir la justice et l’égalité qu’à une catégorie d’êtres humains, affirment les intellectuel·les arabes, unanimes.
Et si ce n’est guère nouveau, si Fadi A. Bardawil, l’anthropologue, rappelle qu’Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme, puis Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, ont en leur temps férocement critiqué cet Occident qui, tout en se gargarisant de son « humanisme » et de ses « valeurs », les piétinait en colonisant les peuples, le moment que nous vivons marque un tournant dramatique.
Ce qui choque, [c’est] un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques. Samer Frangie, professeur à l’université américaine de Beyrouth
« Nous avons conscience du regard raciste de l’Occident sur nous, monde arabe, depuis des siècles. Mais il y a un avant et un après-Gaza. À cause de l’ampleur des crimes et de leur durée. Ce n’est pas une semaine de tueries, c’est plus d’un an, et l’Occident s’acharne à défendre la moralité de ce qui se passe !, déplore Elizabeth Suzanne Kassab, philosophe, chercheuse au Doha Institute for Graduate Studies. Que les gouvernements soutiennent cette politique criminelle ne nous surprend pas. Mais que les médias et les institutions académiques emboîtent le pas, c’est incroyable. Que la liberté d’expression soit réprimée au sein même des sociétés occidentales, quelle honte ! L’Occident a perdu là ce qui lui restait de crédibilité. »
« Ce qui choque, ce n’est pas le double langage occidental, que nous connaissons depuis longtemps, mais un sacrifice, de la part des institutions occidentales, de tous les critères déontologiques et éthiques d’une façon extraordinairement vulgaire, assène Samer Frangie. Dans le domaine des médias, celui sur lequel je travaille, on a vu des manigances de rédacteurs en chef du New York Times, de Sky News, la BBC qui a viré des journalistes arabes. Avant, ceux qui faisaient passer des messages pro-israéliens essayaient de respecter certaines normes. C’est fini. Voir ces institutions prêtes à sacrifier tout le capital, tout le crédit accumulé, c’est un choc. »
D’où qu’ils parlent, les penseurs et penseuses arabes partagent ce même constat, dont les élites politiques et intellectuelles occidentales n’ont pas forcément conscience : elles sont devenues inaudibles dans une bonne partie du monde.
« C’est la fin de la prétention libérale de l’Occident. Le refus, pendant plusieurs mois, de la plupart des États occidentaux d’appeler à un cessez-le-feu signifie un soutien à l’agression, sans même mentionner le financement et l’armement d’Israël par les États-Unis, qui font de cette guerre la première guerre conjointe américano-israélienne, assène Gilbert Achcar. La juxtaposition de l’Ukraine et de Gaza, le deux poids et deux mesures absolument flagrant ont totalement discrédité l’Occident. Sa prétention à parler au nom de valeurs est morte, et sans pouvoir de ressusciter. »
Mise en question, aussi, la prétention à participer au développement des pays du Sud et porter les valeurs d’égalité et de non-discrimination.
« Nombre d’organisations internationales et d’ONG prétendaient défendre les droits des femmes en Palestine, promouvoir leur émancipation, leur accession à des postes de décision. Et ces mêmes organisations aujourd’hui sont réticentes à condamner le génocide et l’épuration ethnique dont sont victimes les femmes palestiniennes, parce qu’elles considèrent Israël comme une oasis de démocratie et de liberté dans le monde arabe, s’insurge Islah Jad, Palestinienne. Les viols en Ukraine commis par l’armée russe ont suscité des condamnations et de fortes déclarations. Ceux, documentés, commis contre les Palestinien·nes dans les prisons israéliennes ne rencontrent que le silence. »
Et la professeure à l’université de Bir Zeit, spécialiste du genre et du développement, le dit tout net : « C’est du racisme doublé d’hypocrisie. Parce que nous ne sommes pas blancs. Nous en sommes encore à la mission civilisatrice de l’Occident, c’est effrayant. »
L’onde de choc du soutien massif des pays occidentaux et de leurs élites aux guerres israéliennes sera forte et longue. Nul ne se risque bien sûr à en prédire les natures. Mais déjà s’esquissent des tendances. « L’hypocrisie de l’Occident est établie, mais les valeurs qui ont été développées en Occident et qui sont vues comme des valeurs occidentales ne sont pas à jeter, parce qu’en fait leur validité n’est pas intimement liée au monde occidental. Il faut les désancrer du socle occidental », juge Fadi A.Bardawil.
Il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes. Gilbert Achcar, sociologue, professeur à Londres
Se séparer, se donner les moyens de ne plus dépendre de cet Occident qui exige, par exemple, des preuves de condamnation de ce que lui voit comme du terrorisme, de purge des bénéficiaires des ONG arabes, toute personne proche de l’islam politique devant être écartée, voilà une autre tentative de séparation en cours.
« Nous cherchons des fonds ailleurs, du côté d’Arabes riches qui veulent se montrer actifs. Nous organisons aussi des réseaux d’entraide et de solidarité pour pallier la rupture avec tel ou tel bailleur », explique Lina Attalah, journaliste et activiste, fondatrice du média égyptien indépendant Mada Masr.
« Des jeunes chercheurs installés dans des universités occidentales, las de se sentir toujours épiés, de devoir sans arrêt se justifier, sont en train d’essayer de rentrer dans leur pays ou d’obtenir un poste dans les pays du Golfe. Pour l’instant, ce sont des choix individuels et encore limités », observe Nadim Houry, juriste franco-libanais, directeur du think tank Arab Reform Initiative.
« Pour les conséquences plus générales, il est trop tôt, poursuit-il. On voit poindre du nihilisme dans une partie de cette jeunesse déjà frappée par les contre-révolutions et des crises économiques très fortes, et qui voit devant ses yeux une hypocrisie occidentale incroyable. Cela débouchera-t-il sur une forme de djihadisme ? C’est difficile de le déterminer aujourd’hui. »
L’onde de choc ne se limitera pas à l’Occident. Les régimes arabes le savent, qui, sans soutenir ouvertement Israël, n’ont rien fait pour arrêter ses guerres et soutenir les Palestinien·nes et les Libanais·es. Leur impuissance, voulue ou subie, les pousse à davantage encore de crispation.
« La colère n’épargne pas les régimes arabes qui ont normalisé avec Israël et continuent jusqu’à présent », constate Nadim Houry. « La justification de la paix avec Israël était le traité de paix en échange d’une tranquillité économique et politique, et tout est un mensonge, souligne Lina Attalah. Nous souffrons de dettes abyssales et un génocide est commis à nos portes, que notre gouvernement est incapable d’arrêter ou même de freiner. »
L’espoir d’un nouvel universalisme
Au cœur de cette catastrophe en cours, qui risque d’emporter l’Occident avec le monde arabe, ces intellectuel·les croient en la construction d’un nouvel universalisme, en la solidité de liens déjà existants aujourd’hui renouvelés et en la mondialisation d’une certaine jeunesse.
« Nous avons découvert un réseau de médias indépendants, dont fait partie Mediapart, un réseau global, qui réussit à démonter les infox et offre un récit alternatif à celui des entreprises médiatiques mainstream, se réjouit Samer Frangie. Des liens se sont tissés et nous réussissons à bousculer ce qui ressemble de plus en plus à un dogme. »
« Entre le génocide, la montée du néofascisme au niveau international, dont l’élection de Donald Trump est le dernier avatar, la crise écologique, nous n’avons aucune raison d’être optimistes. En revanche, il existe des raisons d’espérer : une partie de la jeunesse, dans cet Occident dominateur, rejette cette domination et proclame sa solidarité avec les victimes, ose Gilbert Achcar. Ces jeunes juifs américains et cette toute petite minorité de juifs israéliens me donnent un peu d’espoir. »
« Nous voyons des gens manifester en solidarité avec nous, contre les positions de leurs gouvernements et les mensonges de leurs médias, et c’est fondamental. Car nous voyons se déployer un universalisme qui reconnaît et respecte l’autre », affirme Islah Jad.
« La sensibilité des jeunes Arabes activistes aujourd’hui, post-2011, est plus universaliste. Ils voient la Palestine comme la voient aussi des jeunes Américains ou Européens. Dans ce contexte, la Palestine est devenue le symbole de l’injustice globale du colonial, du racisme, du récit dominant et du contrôle des ressources, explique Nadim Houry. La Palestine n’a jamais été aussi universelle. »