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mise en ligne le 18 mai 2025
sur https://lepoing.net/
Ils étaient un millier à manifester depuis le quartier populaire de la Paillade jusqu’à la place de la Comédie ce samedi 17 mai pour commémorer les 77 ans du début de la Nakba et demander la fin du génocide en Palestine
Juché sur un camion stationné devant les halles de la Paillade, Manu, militant de la campagne BDS-Urgence Palestine Montpellier, harangue la foule : “Cela fait longtemps que BDS est présent à la Paillade, et on sait que ce quartier est mobilisé en faveur du peuple palestinien.”
Et en ce 17 mai, la manifestation prend un contexte tout particulier : il y a 77 ans, le 15 mai, commençait la Nakba (“catastrophe” en arabe), où en 1948, démarrait le début de l’expulsion des Palestiniens de leurs terres et du nettoyage ethnique : entre 700 000 et 750 000 palestiniens — sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires qui seront sous contrôle israélien à l’issue du conflit de 1948, ont fui ou ont été chassés de leurs terres.
“C’est une réalité toujours en cours”, rappelle une intervenante au micro. “Ce n’est pas seulement les expulsions, c’est aussi la famine, le manque d’eau, l’absence d’électricité, le blocus humanitaire.” À ce propos, six personnalités (Étienne Balibar, Sophie Bessis, Rony Brauman, Mona Chollet, Annie Ernaux et Edgar Morin) ont récemment lancé un appel au gouvernement Français pour demander à Israël “l’ouverture des points de passage afin que l’aide humanitaire soit distribuée par des organisations internationales, selon les normes du droit international”. Cet appel, relayé par l’Union Juive Française pour la Paix, vise à être signé par le plus grand nombre (lien pour signer en cliquant ici).
Le cortège, fourni d’un millier de personnes, a défilé de la Paillade à la Comédie en distribuant notamment aux passants des flyers appelant à signer la pétition contre la dissolution d’Urgence Palestine.
Le 21 mai à Montpellier, la Carmagnole (10 rue La Palissade) organise à 19 heures la présentation du livre « Gaza Mort Vie Espoir » avec deux de ses auteurs, Brigitte Challande et Pierre Stambul. Ce livre compile des récits de résistance quotidienne à Gaza depuis le 7 octobre, dont certains sont lisibles sur l’Agora du Poing.
mise en ligne le 17 mai 2025
Edwy Plenel sur www.mediapart.fr
« C’est une honte », s’est contenté de dire, le 13 mai sur TF1, Emmanuel Macron à propos de ce que fait Israël à Gaza et qu’il s’est refusé à qualifier. La véritable honte, c’est de s’en tenir à ces mots et de ne rien faire pour empêcher le génocide en cours. Au moins cent Palestiniens auraient encore perdu la vie dans des frappes vendredi.
« Une sinistre entreprise » : le 13 mai, Tom Fletcher, secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires humanitaires, commençait ainsi son exposé devant le Conseil de sécurité. Oui, une sinistre entreprise, insistait-il, que d’informer « à nouveau » la communauté internationale sur « l’atrocité du XXIe siècle dont nous sommes les témoins quotidiens à Gaza ».
Que dirons-nous aux générations futures ? a-t-il d’emblée lancé aux diplomates réunis à New York. Que « nous avons fait tout ce que nous pouvions » ? Des « mots vides de sens », cinglait-il, tant c’est l’inverse qui est vrai. L’état des lieux – des ruines, plutôt – qu’il a dressé mérite d’être longuement cité, ne serait-ce que pour l’histoire car, précisait-il, c’est « ce que nous voyons » et que, pourtant, le monde laisse faire, dans un mélange de complicité, d’indifférence et d’impuissance.
« Israël impose délibérément et sans honte des conditions inhumaines aux civils dans le territoire palestinien occupé. Depuis plus de dix semaines, rien n’est entré à Gaza – ni nourriture, ni médicaments, ni eau, ni tentes. Des centaines de milliers de Palestiniens ont, une fois de plus, été déplacés de force et confinés dans des espaces de plus en plus restreints, puisque 70 % du territoire de Gaza se trouve soit dans des zones militarisées par Israël, soit sous le coup d’ordonnances de déplacement. »
« Chacun des 2,1 millions de Palestiniens de la bande de Gaza est confronté au risque de famine. Un sur cinq risque de mourir de faim. Malgré le fait que vous ayez financé la nourriture qui pourrait les sauver. Les quelques hôpitaux qui ont survécu aux bombardements sont débordés. Les médecins qui ont survécu aux attaques de drones et de snipers ne peuvent pas faire face aux traumatismes et à la propagation des maladies.
« Aujourd’hui encore, l’hôpital européen de Gaza à Khan Younès a été bombardé une nouvelle fois, faisant encore plus de victimes civiles. Pour avoir visité ce qui reste du système médical de Gaza, je peux vous dire que la mort à cette échelle a un son et une odeur qui ne vous quittent pas. Comme l’a décrit un employé de l’hôpital, “les enfants crient lorsque nous enlevons le tissu brûlé de leur peau...” Et pourtant, on nous dit que “nous avons fait tout ce que nous pouvions”. […] »
Les alarmes de l’ONU
« Il n’y a pas que Gaza. La violence effroyable augmente également en Cisjordanie, où la situation est la pire que l’on ait connue depuis des décennies. L’utilisation d’armes lourdes, de méthodes de guerre militaires, d’une force excessive, de déplacements forcés, de démolitions et de restrictions de mouvement. Expansion continue et illégale des colonies. Des communautés entières détruites, des camps de réfugiés dépeuplés.
« Les colonies s’étendent et la violence des colons se poursuit à un niveau alarmant, parfois avec le soutien des forces israéliennes. Récemment, des colons ont enlevé une jeune fille de 13 ans et son frère de 3 ans. Ils ont été retrouvés attachés à un arbre. Devons-nous également leur dire que “nous avons fait tout ce que nous pouvions” ? »
Le lendemain de cet exposé, complété par celui d’Angélica Jácome, directrice de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) – « le risque de famine est imminent », a-t-elle averti –, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha) diffusait son bulletin hebdomadaire sur la situation à Gaza.
Chaque mercredi, il actualise le décompte du massacre : entre le 7 et le 14 mai 2025, à midi, 275 Palestinien·nes tué·es et 949 blessé·es ; entre le 7 octobre 2023 et le 14 mai 2025, au moins 52 928 Palestinien·nes tué·es et 119 846 blessé·es ; chiffres qui incluent les 2 799 personnes tuées et 7 805 blessées depuis le 18 mars 2025, date de la rupture du cessez-le-feu par Israël.
Deux jours plus tard, le 16 mai 2025, une autre agence des Nations unies, l’Unicef, dédiée à la protection de l’enfance, signalait « la mort d’au moins 45 enfants dans la bande de Gaza au cours des deux derniers jours » : « Depuis dix-neuf mois, Gaza est un cimetière pour les enfants et plus aucun endroit n’est sûr. Du nord au sud, ils sont tués ou blessés dans les hôpitaux, dans les écoles transformées en abris, dans des tentes de fortune ou dans les bras mêmes de leurs parents. Au cours des deux derniers mois seulement, dans l’ensemble de la bande de Gaza, plus de 950 enfants auraient été tués par des frappes. »
Ces chiffres, dans leur sécheresse, ne disent pas tout du désastre, cette destruction non seulement de vies humaines mais de l’existence même d’un peuple, de ses maisons, de ses lieux, de sa terre, de sa culture, bref de son monde.
Ils n’en épuisent même pas le décompte macabre : le 20 juillet 2024, une étude de la revue médicale The Lancet évaluait déjà les morts à 8 % de la population gazaouie, en ne se contentant pas de dénombrer les personnes tuées directement mais en incluant aussi une évaluation des décès provoqués par le blocus, la famine et les maladies.
Emmanuel Macron lors de l’émission « Les défis de la France » sur TF1, le 13 mai 2025. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart
Certes, le siège total que subit, depuis le 2 mars 2025, la bande de Gaza, ce petit territoire surpeuplé (365 kilomètres carrés pour 2,1 millions d’habitant·es), réveille quelques lucidités tardives. Mais, pour l’heure, il n’a rien changé à l’inaction du monde.
Interrogé sur TF1 au soir du 13 mai, le jour même de l’exposé devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Emmanuel Macron s’est refusé à évoquer un « génocide » durant les six pauvres minutes consacrées à la guerre de Gaza d’une interminable émission de plus de trois heures. L’affaire des seuls historiens, a-t-il asséné. En somme, quand tout sera fini, quand le crime aura été accompli, quand les vivant·es ne seront plus là pour en témoigner. Parce que nous n’aurons rien fait pour les sauver.
Au même moment, à New York, Tom Fletcher répondait par avance au président de la République française : « Vous disposez donc de ces informations. Aujourd’hui, la Cour internationale de justice (CIJ) examine la question de savoir si un génocide est en cours à Gaza. Elle examinera les témoignages que nous avons partagés. Mais il sera trop tard. Reconnaissant l’urgence, la CIJ a indiqué des mesures provisoires claires qui doivent être mises en œuvre maintenant, mais elles ne l’ont pas été. […] Alors, pour ceux qui ont été tués et ceux dont les voix sont réduites au silence : de quelles preuves supplémentaires avez-vous besoin maintenant ? Agirez-vous – de manière décisive – pour prévenir les génocides et garantir le respect du droit humanitaire international ? Ou direz-vous plutôt que “nous avons fait tout ce que nous pouvions” ? »
La honte, c’est de ne rien faire pour arrêter un génocide, sauver un peuple, sanctionner des dirigeants criminels, défendre le droit international
La question du génocide ne fait plus guère débat parmi les juristes et les humanitaires. Elle a été documentée par Amnesty International le 5 décembre 2024, par Médecins sans frontières le 18 décembre 2024, par Human Rights Watch le 19 décembre 2024, après l’avoir été, dès le 24 mars 2024, par Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés. Ce mot, qui qualifie et incrimine, décrit une volonté d’annihilation d’une partie du peuple palestinien. De destruction, d’effacement, de disparition.
C’est un processus indissociable de toute entreprise coloniale, d’appropriation d’un territoire et d’expropriation d’un peuple. Cette même semaine, les 14 et 15 mai, les Palestiniens commémoraient leur Nakba, la première « catastrophe », celle de 1948, qui, en vérité, ne s’est jamais interrompue – elle dure depuis soixante-dix-sept ans. « Un futuricide en Palestine », résume Stéphanie Latte Abdallah dans l’ouvrage collectif qu’elle a codirigé, Gaza, une guerre coloniale (Sindbad-Actes Sud) : « Depuis le 7 octobre 2023, les Gazaoui·es et les Palestinien·nes ont le sentiment de vivre une nouvelle Nakba, en raison d’une guerre génocidaire qui vise directement les civils et tout ce qui permet d’envisager un avenir à Gaza. »
« Actuellement en fuite » : sur la page du site de la Cour pénale internationale (CPI) qui lui est dédiée, tel est le statut du premier responsable de ces crimes, sous le coup d’un mandat d’arrêt délivré le 21 novembre 2024. Il se nomme Benyamin Nétanyahou, premier ministre au moment des faits, « suspecté d’être responsable des crimes de guerre consistant à affamer délibérément des civils comme méthode de guerre et à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile ; et des crimes contre l’humanité de meurtres, de persécutions et d’autres actes inhumains, du 8 octobre 2023 au moins jusqu’au 20 mai 2024 au moins ».
En avril, la fuite de ce suspect de haut vol – qui fuit aussi la justice de son propre pays où il est poursuivi pour corruption – l’a amené sans aucun tracas en Europe, hôte de la Hongrie de Viktor Orbán le 3 avril, puis aux États-Unis le 7 avril, reçu par Donald Trump à la Maison-Blanche. D’un continent à l’autre, il a même pu traverser sans encombre l’espace aérien français.
Depuis la nouvelle guerre d’Israël à Gaza alors même qu’une autre guerre se poursuit en Europe, celle de la Russie contre l’Ukraine, on ne compte plus les preuves de ce « double standard » occidental qui ruine le droit international.
Tandis que l’Europe, avec la France en première ligne, discute de nouvelles sanctions et rétorsions contre la Russie de Vladimir Poutine, rien n’est fait contre l’État d’Israël de Benyamin Nétanyahou. Diplomatiques, militaires, commerciales : la panoplie de mesures est pourtant vaste, et la liste des pays qui en font déjà l’objet est fournie – pas moins de vingt-huit, si l’on s’en tient aux seules sanctions économiques et financières.
Lors de son entretien télévisé du 13 mai, Emmanuel Macron n’a même pas mentionné la reconnaissance de l’État de Palestine, une initiative un temps évoquée qui, pourtant, resterait de l’ordre du symbole.
« C’est une honte », s’est contenté de dire le président français à propos de ce que fait Israël à Gaza. Non, la honte, c’est de ne rien faire pour arrêter un génocide, sauver un peuple, sanctionner des dirigeants criminels, défendre le droit international.
Une honte dont Emmanuel Macron et ses semblables devront rendre compte devant l’histoire, ainsi que le prophétisait, ce même 13 mai 2025, Tom Fletcher devant le Conseil de sécurité : « Pour ceux qui ne survivront pas à ce que nous craignons de voir arriver – au vu et au su de tous –, ce n’est pas une consolation de savoir que les générations futures nous demanderont des comptes dans cette enceinte. Mais elles le feront. Et si nous n’avons pas sérieusement fait “tout ce que nous pouvions”, nous devrions craindre ce jugement. »
mise en ligne le 16 mai 2025
Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Après trois ans, les premières négociations directes entre l’Ukraine et la Russie vont débuter en Turquie après de multiples contorsions diplomatiques. Cette réunion qui va enfin débuter vendredi 16 mai dans la matinée témoigne d'une faible volonté pour des pourparlers entre les deux protagonistes. En attendant la guerre se poursuit.
En cette quatrième année de guerre en Ukraine, Kiev et Moscou vont finalement débuter des négociations à Istanbul, ce vendredi matin. Cette réunion initialement bilatérale se tiendra sous différents formats notamment entre la « Fédération de Russie, l’Ukraine et la Turquie » a détaillé une source au ministère turc des Affaires étrangères qui jouera le rôle de médiateur.
Le choix de la Turquie comme lieu de rencontre par le président russe est déjà un signal diplomatique. Depuis le début de la guerre, Ankara a servi d’intermédiaire entre les deux administrations, en livrant des armes à l’Ukraine notamment des drones et en refusant d’appliquer des sanctions contre Moscou. Le président turc Recep Tayyip Erdogan avait obtenu la signature de « l’initiative céréalière de la mer Noire » avec la Russie, l’Ukraine et les Nations unies en juillet 2022.
Des positions trop antagonistes
De fortes tensions ont émaillé les modalités d’une telle réunion. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky qui a fait le déplacement à Ankara, jeudi pour rencontrer son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, a critiqué la délégation russe, la qualifiant de « pure façade ». Cette dernière est composée du conseiller présidentiel, Vladimir Medinski, accompagné par le vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Galouzine et le vice-ministre de la Défense Alexandre Fomine.
Quelques instants plus tard, Moscou a répliqué. La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova a qualifié de « clown » le dirigeant ukrainien, jetant un doute sur l’issue de ces discussions. Petit rappel, Vladimir Medinski a fait partie des négociateurs ayant abouti à un accord entre l’Ukraine et la Russie en mars 2022. Les deux délégations de l’époque avaient réussi à lever un certain nombre d’obstacles afin de permettre la signature d’un projet de cessez-le-feu par les deux présidents. Sous pression britannique notamment, Volodymyr Zelensky s’était retiré de l’accord final.
« Nous sommes qu’aux prémices des négociations. Les positions sont encore extrêmement antagonistes entre les deux administrations. Pour la délégation russe, Vladimir Medinski qui a porté le projet d’accord au printemps 2022, réclame que ce texte soit le point de départ. Une chose inenvisageable pour Kiev surtout que Moscou souhaite que les nouvelles conquêtes territoriales soient intégrées », estime l’ancien ambassadeur de France en Russie, Jean de Gliniasty.
Au final, le président ukrainien a dépêché une délégation ukrainienne qui « aura un mandat pour un cessez-le-feu » et sera dirigée par le ministre de la Défense, Roustem Oumerov. Ces revirements confirment qu’avant le début de ces pourparlers, les deux protagonistes n’ont pas voulu reconnaître les difficultés d’une telle rencontre et la mise en place d’un processus de paix. Dans une forme de bras de fer diplomatique, chacun a tenté de rejeter l’échec sur l’autre.
« Les deux puissances ne souhaitent pas réellement négocier pour deux raisons différentes. Le président russe veut poursuivre la guerre tout en négociant afin de continuer à engranger des gains sur le terrain. Le président Zelensky ne peut pas signer une paix aujourd’hui. La population ukrainienne ne lui pardonnerait pas, d’avoir subi trois années de guerre, des milliers de morts, des destructions, pour finalement acter la perte de territoires », note Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS.
Trump prêt à se rendre en Turquie
Pour les États-Unis, le conseiller spécial Steve Witkoff et le secrétaire d’État Marco Rubio sont également en Turquie. Ce dernier qui doit rencontrer son homologue ukrainien, Andriy Sybiga a estimé, jeudi : « Je ne pense pas que nous ayons de grandes attentes quant à ce qui se passera demain ». Même position du président Donald Trump qui a soutenu l’initiative russe de négociation directe. Le milliardaire a jugé qu’il pourrait se rendre également « vendredi » sur place en cas de progrès dans les discussions. Avant d’affirmer : « Rien ne se passera (…) tant que (Poutine) et moi ne serons pas ensemble. »
« L’Europe juge de son côté que l’Ukraine doit négocier en position de force et que c’est à Kiev d’accepter des pourparlers, juge Jean de Gliniasty. Elle laisse aux États-Unis, à l’Ukraine et à la Russie le processus diplomatique. Après, un dialogue peut débuter alors que le conflit perdure. Cela s’avère être le cas, dans la majorité des guerres. Seulement, Moscou refuse un cessez-le-feu pour maintenir ses objectifs militaires tout en tentant de normaliser ses relations avec Washington. Une stratégie qui s’avère risquée. »
En attendant, les choses bougent sur le front. À son tour CNN, citant deux officiels états-uniens, confirme que la Russie rassemblerait des forces pour une prochaine offensive ce printemps, « destinée à s’emparer d’une plus grande partie du territoire ukrainien ». De son côté, Vladimir Poutine a limogé le commandant des forces terrestres de l’armée russe, Oleg Salioukov avant de le nommer secrétaire adjoint du Conseil de sécurité russe. C’est un important organe consultatif qui se réunit régulièrement autour du président.
mise en ligne le 16 mai 2025
Loïc Le Clerc sur www.regards.fr
Un an après les révoltes en Nouvelle Calédonie, la crise s’installe. En jeu : la capacité à sortir d’un rapport colonial, ici comme ailleurs. L’histoire nous enseigne les conséquences d’un entêtement buté et absurde.
Le 7 avril 1803, Toussaint Louverture mourrait au Fort de Joux, dans le Doubs. Cela faisait sept mois que le héros de Saint-Domingue (l’actuelle Haïti) croupissait dans cette geôle de la République. Son tort ? Avoir mené la révolte des esclaves, avoir été tant révolutionnaire au point de faire des mots de liberté, égalité et fraternité des actes. Saint-Domingue n’abolissait pas seulement l’esclavage, elle s’affranchissait des Empires, notamment français, pour devenir la première République noire du monde. Toussaint Louverture avait porté la République mais il avait défié la France. La « perle des Antilles » finira par obtenir son indépendance, mais la sanction de la France sera immense : 200 ans plus tard, les Haïtiens payent encore ce lourd tribut, une dette colossale pour compenser le manque à gagner esclavagiste et colonialiste. Haïti est un enfer, gangrenée par la corruption, la violence et la misère.
La France n’apprend-elle rien de ses erreurs ? La question se pose à l’heure où la crise s’installe profondément en Nouvelle-Calédonie.
Voilà bientôt un an que Christian Tein, l’un des leaders du mouvement indépendantiste kanak, et six autres personnes sont enfermés à l’autre bout du monde, au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin). Ils sont traités comme de dangereux criminels insurrectionnels alors que tous les témoignages rendent compte de leur pacifisme et de leur ouverture au dialogue. Ils sont accusés par le gouvernement d’avoir fomenté les « émeutes » de mai 2024 – émeutes « gérées » par la France à grands renforts militaires, ayant causé la mort de onze Kanaks.
Les raisons de la colère commencent à s’accumuler à Nouméa. Il y a ces référendums sur l’indépendance dont le processus dure depuis 1988. Il y a cette idée des macronistes de réformer le code électoral, l’année dernière, pour donner plus de poids aux électeurs blancs – farouchement contre l’indépendance. Le camp dit loyaliste se radicalise, au point qu’aujourd’hui, la situation politique devient absurde : Manuel Valls, ministre des outre-mer, a désormais plus de facilité à discuter avec les indépendantistes, les loyalistes étant arc-boutés sur leur position de dominants. Emmanuel Macron leur vient en renfort : « La France serait moins grande et moins belle sans la Nouvelle-Calédonie. »
L’affaire est coloniale. La droite et l’extrême droite ne s’y trompent pas. Ils ne comptent pas perdre une nouvelle fois la guerre d’Algérie… Mais nous ne sommes plus au XXe siècle ! L’île est exsangue économiquement (et nécessite d’importants financements pour reconstruire), encore traumatisée par la violence de l’année 2024.
Le gouvernement ne saurait ignorer un peuple qui demande le respect et le choix. Pour trouver le chemin de la démocratie, il faudra trouver autre chose que l’interdiction des manifestations et la suspension des réseaux sociaux. Si la démocratie c’est aussi permettre à chacun de se projeter dans l’avenir, il est décisif que les projets soient sur la table et que la définition du corps électoral soit consensuelle. La République française doit se réinventer, élargir ses conceptions qui ne tiennent pas compte de l’historie, des cultures, des réalités géographiques et politiques. Et même géostratégiques. Sinon, la crise perdurera ad nauseam.
En 1998, une inscription a été faite au Panthéon, en hommage à Toussaint Louverture. En faudra-t-il une pour les Kanaks, dans 200 ans ?
mise en ligne le 14 mai 2025
L’histoire jugera les soutiens au génocide en cours en Gaza. Après les bombardements, les déplacements forcés, les humiliations, le gouvernement d’extrême droite israélien utilise la faim comme arme de guerre, avec une cruauté sans limites, qui laisse peu de doute sur ses intentions. Cette situation terrifiante a beau être rigoureusement documentée par de nombreuses ONG, hier encore par Médecins du monde, les acharnés du soutien inconditionnel à Israël continuent de nier les crimes contre l’humanité en cours à Gaza et en Cisjordanie.
« Je pense qu’il n’y a pas de famine à Gaza, a osé Arno Klarsfeld. S’il y avait une famine, il y aurait des milliers d’enfants dénutris et maigres comme les images de survivants de camps de concentration, ce n’est pas ce que je vois. » Ce sommet d’obscénité n’est malheureusement pas anecdotique. Passons sur la comparaison suggérée avec les camps nazis, dont ceux qui en usent ne semblent pas réaliser le mal qu’ils font à la mémoire de la Shoah.
Mais puisque Arno Klarsfeld et ses amis lepénistes du Rassemblement national font mine de ne pas voir, nous avons choisi de leur montrer la réalité. Dure, insoutenable. Celle d’enfants gazaouis aux joues creusées, la peau sur les os. À quel point faut-il être aveuglé par la haine pour ne pas avoir blêmi depuis le début des bombardements israéliens face aux images de mères palestiniennes tenant leur enfant sans vie dans leurs bras ? À Gaza, rapportait une ONG dans The Guardian en décembre, 96 % des enfants pensent que leur mort est imminente et 49 % souhaitent mourir.
Chaque jour compte. Le tic-tac résonne à Gaza. L’inertie des dirigeants européens en est d’autant plus insupportable. Ici et là, parfois bien tardivement, des voix commencent à s’élever et de plus en plus de personnalités osent enfin dénoncer les crimes du gouvernement Netanyahou. Tant mieux !
Tout ce qui peut contribuer à mettre fin au calvaire des Palestiniens est bon à prendre. Mais il faudra plus que des paroles et des symboles. L’Union européenne n’a encore formulé aucune menace de sanctions, aucune révision de l’accord d’association avec Israël. La lâcheté et les bons sentiments sont inefficaces contre la faim.
Par Pauline Vacher et Charles Cuau sur https://reporterre.net/
Dans le sud de la Syrie, les agriculteurs de la vallée du Yarmouk vivent sous la menace constante des incursions militaires israéliennes. Depuis décembre, ils sont privés d’accès à leurs terres et confrontés à une crise de l’eau.
Kowaya et Al-Qoseyr (vallée du Yarmouk, Syrie), reportage
Depuis les hauteurs du village de Kowaya, Adnan (le prénom a été modifié) observe à distance ses champs de concombres, en contrebas dans la vallée du Yarmouk, aux portes du Golan annexé et de la Jordanie. Trop dangereux pour lui d’y descendre. « Je préfère envoyer mes fils. Ils sont jeunes et pourront courir si les Israéliens débarquent », dit-il avec un regard inquiet tourné vers la Jazira.
Cet ancien poste-frontière syrien a été reconverti en base militaire par les troupes israéliennes quelques jours après la chute du régime de Bachar el-Assad, en décembre 2024. Comme la plupart des habitants de ce village agricole, Adnan vit désormais dans la crainte des incursions de l’armée israélienne.
Le 8 décembre, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a unilatéralement mis fin à « l’accord de désengagement » de 1974 entre Israël et la Syrie, qui instaurait une zone tampon démilitarisée entre les deux pays, séparant le Golan annexé de la Syrie. Les troupes israéliennes ont, au mépris du droit international, pris possession de cette zone, s’avançant également en territoire syrien. Depuis la base de la Jazira, elles mènent régulièrement des incursions dans la vallée du Yarmouk.
« Si les soldats vous trouvent dans vos champs, ils vous emmènent »
Le 25 mars à Kowaya, des bombardements israéliens ont tué au moins six personnes, dont une femme, selon le ministère des Affaires étrangères syrien. Une tentative d’incursion des forces israéliennes dans le village avait alors provoqué des affrontements avec des habitants armés. Face à l’intensité des bombardements, plusieurs familles ont fui vers les villages voisins. À Nawa, le 3 avril, neuf Syriens ont été tués lors d’affrontements avec l’armée israélienne, venue se positionner à proximité du barrage d’Al-Jabaliya.
Le prétexte d’une menace sécuritaire
Cette région rurale, où les familles dépendent quasi exclusivement de l’agriculture, est éminemment stratégique pour Israël. Depuis que ses troupes ont pris possession de la zone tampon, l’État hébreu cherche à l’étendre de facto à l’intérieur du territoire syrien en réalisant des incursions sur quelques kilomètres pour faire fuir les agriculteurs. Officiellement, il s’agit de démilitariser la zone et de désarmer les populations locales. Les habitants répliquent qu’ils ne possèdent que des fusils de chasse destinés à protéger leurs champs des sangliers. Pour les hommes du village, l’objectif du pays voisin est clair : prétexter une menace sécuritaire pour les chasser et occuper leurs terres.
« Si les soldats vous trouvent dans vos champs, ils vous emmènent. Ensuite, vous êtes interrogé pendant un ou deux jours sur la présence d’armes, puis relâché », raconte Enad (le prénom a été modifié), également agriculteur dans le village de Kowaya. Certains agriculteurs arrêtés par l’armée israélienne ont été contraints de signer une déclaration leur interdisant de retourner sur leur exploitation. Les anciens détenus refusent de s’exprimer. Il leur a été explicitement interdit de parler aux journalistes sous peine d’une nouvelle arrestation.
« Ils viennent au moins deux fois par semaine, dit Adnan. C’est impossible de travailler dans ces conditions. » Pour que ses concombres soient vendables, ils doivent avoir la bonne taille, donc être récoltés très régulièrement. Alors, quand vient ce moment, ses fils se précipitent pour couper ce qu’ils peuvent, quitte à laisser des légumes sur place pour les récupérer un autre jour. « Habituellement, on dort sur place pour protéger les champs des sangliers, mais maintenant, c’est trop dangereux », raconte Adnan.
« Depuis qu’Israël occupe la ville, plus une goutte d’eau ne nous parvient »
Aux incursions israéliennes, s’ajoute une pénurie d’eau croissante. Tout le long de la vallée du Yarmouk, l’irrigation dépend de la rivière éponyme, des nappes phréatiques et des barrages. Or, à cause du changement climatique, les pluies se font rares. Le barrage de Saham al-Golan, qui alimente le sud de la région, est désormais quasiment à sec. « Cette année, il n’y a eu aucune pluie. Les barrages ne se sont pas remplis et une grosse partie de mes plants sont morts », se désole Hani Al-Jamaoui, un agriculteur du village d’Al-Qoseyr, un peu plus en amont.
Saham al-Golan dépend en partie du ruissellement du barrage d’Oum Al-Adham, situé dans le Golan et sous contrôle israélien depuis décembre. « Depuis qu’Israël occupe la ville, plus une goutte d’eau ne nous parvient, affirme Anwar Al-Jamaoui, cousin de Hani, qui cultive également des terres. Tous les villages et les exploitations voisines sont asséchés. » Désemparés, Hani et d’autres agriculteurs de la région se sont tournés vers le responsable des ressources en eau du gouvernorat de Deraa, espérant qu’il puisse s’entretenir avec les autorités israéliennes. Ils demandaient la réouverture du barrage d’Oum Al-Adham, comme c’est censé être le cas en période de sécheresse, mais cette requête est restée sans réponse.
Enjeux géopolitiques
Hani possède aussi des champs en contrebas de la vallée du Yarmouk, à la frontière jordanienne. Pour les irriguer, il dépend du barrage d’Al-Wehda, situé à cheval entre les deux pays. Sous le régime de Bachar el-Assad, l’accès à cette zone sensible était strictement contrôlé. Désormais, la situation s’est assouplie, mais le niveau de l’eau a drastiquement baissé. La Jordanie puise davantage que ce que le barrage peut réellement fournir, tandis que la Syrie construit de petits barrages en amont et pompe dans les nappes phréatiques.
Résultat : le niveau du Yarmouk baisse et les tensions montent entre Amman et Damas. Pour Hani, cela se traduit par une irrigation de plus en plus incertaine, qui menace ses récoltes. Par ailleurs, bien que les opérations militaires israéliennes n’aient pas pour but officiel de s’emparer de l’eau du Yarmouk, il est un enjeu stratégique pour l’Etat hébreu, car le fleuve est l’affluent majoritaire du Jourdain, essentiel à son approvisionnement en eau.
« Ici, tout est détruit. Il n’y a plus d’école, plus de services, plus rien »
Certains agriculteurs plus aisés ont installé des pompes pour puiser l’eau des nappes ou du barrage d’Al-Wehda et la faire remonter vers les cultures. Mais une fois les installations en place, il faut encore acheter le carburant nécessaire à leur fonctionnement, dont le prix a explosé. Quelques familles ont opté pour des panneaux solaires, mais il faut souvent se regrouper à deux ou trois pour réunir les fonds nécessaires. « Je n’ai pas les moyens d’un tel investissement, j’arrive déjà à peine à m’en sortir, dit Hani, en montrant la vitre brisée de son salon qu’il ne peut réparer. Ici, tout est détruit. Il n’y a plus d’école, plus de services, plus rien. »
À l’entrée de Kowaya, trois carcasses de char rouillent au bord de la route, vestiges des combats entre l’ancien régime et l’État islamique, qui se sont affrontés ici jusqu’en 2018. « Les chefs locaux ont demandé à Damas de les enlever, mais le gouvernement n’ose pas intervenir à cause d’Israël », regrette Hani. Beaucoup ont le sentiment que le nouveau président par intérim, Ahmed Al-Charaa, privilégie la stabilité régionale à leur existence.
Alors, pour assurer leur sécurité, les hommes et les jeunes du village organisent leurs propres patrouilles. Mais le sentiment d’abandon est palpable. « On a demandé de l’aide aux nouvelles autorités de Damas. On nous a répondu de ne pas provoquer les Israéliens », déplore Enad, amer. Ils se sont aussi tournés vers les postes locaux des Nations unies. En vain.
L’avenir semble bouché. Les incursions israéliennes empêchent l’accès aux terres, l’eau devient rare et les infrastructures sont en ruine. À Kowaya comme dans les villages voisins, certains envisagent de partir. Adnan, lui, n’a pas encore les moyens de fuir, mais il économise et prévoit de vendre son exploitation, « au rabais s’il le faut ».
mise en ligne le 11 mai 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Le documentaire « Un médecin pour la paix » veut retracer l’itinéraire édifiant du médecin palestinien Izzeldin Abuelaish, qui prônait la paix malgré l’assassinat par l’armée israélienne de trois de ses filles et de l’une de ses nièces en 2009. Mediapart s’est entretenu avec un homme en colère.
La scène est terrifiante. Elle se déroule sur un plateau de télévision israélien, en direct. Un journaliste, Shlomi Eldar, tient un téléphone portable en main, il a mis le haut-parleur. Des cris de douleur, des hurlements de terreur, des supplications s’en échappent : « Ils ont tué mes filles, mon Dieu, ils ont tué mes filles ! »
Cette voix, toute de désespoir, est celle du docteur Izzeldin Abuelaish, elle vient de Gaza, plus exactement du camp de réfugié·es de Jabaliya.
Shlomi Eldar, visiblement bouleversé, interroge : « Si quelqu’un de l’armée israélienne nous écoute, il faut envoyer des ambulances », et il donne l’adresse du médecin. Puis il ôte son oreillette, disant : « Je ne vais pas raccrocher, je ne peux pas raccrocher, mais je vais quitter le plateau. »
Izzeldin Abuelaish, ce soir-là, a perdu trois filles, Besan, Mayar, Aya, et une nièce, Nour. D’un double tir de char. Intentionnel.
C’était le 16 janvier 2009. Depuis déjà presque trois semaines, l’armée israélienne menait une nouvelle guerre contre Gaza. Pire que les précédentes. Moins horrible que les suivantes.
Cette scène est montrée dans le documentaire de Tal Barda sorti en France le 23 avril 2025, Un médecin pour la paix. La réalisatrice franco-américaine, née et grandie à Jérusalem, a voulu raconter l’histoire du docteur Izzeldin Abuelaish après avoir lu son livre, Je ne haïrai point (éd. J’ai lu, 2012), et l’avoir rencontré.
Le film a été tourné avant octobre 2023. Il est d’ailleurs émouvant de contempler ces vues d’une bande de Gaza encore debout, avec ses immeubles ocre et gris, ses ruelles du camp de réfugié·es de Jabaliya, ses moments de farniente sur la plage, ses saluts entre voisins. Ces scènes ordinaires d’une ville vibrante avant sa destruction totale.
Aujourd’hui, des milliers de pères éplorés
Aujourd’hui, des Izzeldin Abuelaish, il y en a des milliers, à Gaza. Des milliers de pères qui ont vu, sous leurs yeux, leurs filles et leurs garçons assassiné·es. Depuis octobre 2023, 15 613 enfants ont été massacré·es, selon un bilan arrêté le 5 mai 2025 par l’Unicef, et 34 173 blessé·es, dont beaucoup amputé·es à vif, handicapé·es à jamais.
Il y a des milliers de parents endeuillés et brisés.
Mais il n’y a qu’un Izzeldin Abuelaish, tant le destin individuel de cet homme fait exception.
D’abord parce que l’opinion israélienne n’a pas pu échapper, cette fois-là, à la guerre que son gouvernement et son armée menaient à quelques dizaines de kilomètres des plages de Tel-Aviv. La guerre faisait des victimes, innocentes, et les téléspectateurs et téléspectatrices les touchaient du doigt. Elles avaient des prénoms, des photos et des âges. Le père éploré avait un nom, un visage, et un ami israélien, Shlomi Eldar, qui se transformait en porte-voix de ses cris.
Ensuite parce qu’Izzeldin Abuelaish n’était pas un Palestinien parmi d’autres. Le natif du camp de Jabaliya parle hébreu couramment. Gynécologue, il travaille dans un hôpital israélien. Il passe tous les jours le checkpoint d’Erez pour se rendre de sa maison, en bordure de Gaza-ville, où il vit avec ses huit enfants, jusqu’au service d’obstétrique de Tel-Hashomer, près de Tel-Aviv. Spécialisé dans les problèmes d’infertilité, il permet à des femmes, israéliennes et palestiniennes, juives, musulmanes et chrétiennes, d’avoir des enfants. Il a touché ses collègues avec son premier deuil, celui de son épouse, morte en 2007 d’une leucémie.
Bref, en 2009, il est une figure idéale pour incarner une paix en marche, même si celle-ci boite sérieusement depuis plusieurs années.
Après l’assassinat de ses filles et de sa nièce, le docteur Izzedin part à l’autre bout du monde, ou presque, avec ses enfants survivants.
La paix ne sera pas obtenue par la force. La paix est le fruit d’un choix. Izzeldin Abuelaish
Et depuis Toronto, où il vit et exerce désormais, il poursuit une double quête : la paix entre les peuples et la reconnaissance, par l’État d’Israël, de sa responsabilité dans le double tir de char sur son appartement, qui a tué Besan, Mayar, Aya et Nour.
C’est cela que Tal Barda a voulu saisir. Cette volonté de celui qui a été cinq fois nominé pour le prix Nobel de la paix de ne jamais renoncer.
La réalisatrice le saisit presque toujours enthousiaste, même quand les tribunaux israéliens refusent de reconnaître la responsabilité de l’armée israélienne. Même quand il retourne à Gaza, discute avec des cousins, frères, connaissances bien plus sceptiques que lui.
Et aujourd’hui ? Aujourd’hui alors que l’intention génocidaire du gouvernement israélien ne fait plus de doute, alors que si seulement quatre jeunes filles étaient tuées dans une journée, ce jour-là serait considéré comme « calme » ?
« L’urgence est d’arrêter le bain de sang. Il faut mettre fin au génocide. Ensuite, dans le cadre du processus de reconstruction, il sera possible de parler de paix, assure à Mediapart Izzeldin Abuelaish depuis Toronto. Il sera indispensable d’être enfin sérieux à ce sujet, de comprendre que la paix ne sera pas obtenue par la force. La paix est le fruit d’un choix. Ce n’est pas une simple incantation. »
L’homme, s’il demeure persuadé que la paix est la seule voie possible, à condition qu’elle soit juste et assure des droits égaux, ne cache pas qu’il est bouleversé. Même s’il répète, comme il le disait dans le film, avant 2023 et les massacres sans fin : « Si je savais que mes filles et ma nièce étaient le dernier sacrifice sur la voie de la paix entre Palestiniens et Israéliens, je l’accepterais. Mais elles n’ont pas été les dernières. Il y a eu ensuite 2014, 2016, 2018, 2021, et jusqu’à aujourd’hui. Et c’est ce qui me met en colère. Mes frères, mes sœurs, mes cousins, mes neveux, mes nièces sont toujours là-bas, massacrés tous les jours », reprend-il.
Que dit le monde, alors que les dirigeants israéliens se comportent comme une mafia de voyous ? Izzeldin Abuelaish
Depuis octobre 2023, le gynécologue a perdu plus de soixante-dix membres de sa famille. Comme des dizaines de milliers de Palestinien·nes de la diaspora, il tremble chaque matin en ouvrant son téléphone portable. « La plupart des gens que vous voyez dans le film avec moi à Gaza ont été tués », s’exclame-t-il.
L’homme que nous voyons par visioconférence n’est pas abattu. Il est en colère. Pas tant contre les Israélien·nes que contre les États occidentaux.
Les premiers, dit-il, « sont déconnectés pour la plupart. Ils restent centrés sur les otages et ne veulent pas voir ce qui se passe à Gaza. C’est aussi à cause de la propagande, qui a déshumanisé les Palestiniens ». À lui aussi, on demande ce qu’il pense du 7-Octobre. « Ils s’imaginent qu’il n’y a rien avant le 7-Octobre. Alors quand on me pose la question, je réponds “quel 7 octobre ? Celui de 1948, de 1949, de 1967 ? Mes filles ont été tuées un 16 janvier. Que pensez-vous du 16 janvier ?” Nous ne pouvons pas voir les choses avec un instantané. Il faut les considérer d’une manière globale. »
Les États occidentaux, eux, portent l’essentiel de la responsabilité et reçoivent le gros de sa colère. Car ils vendent les armes sans lesquelles le génocide ne serait pas possible et apportent un soutien actif ou un silence complice : « Que dit le monde, alors que les dirigeants israéliens se comportent comme une mafia de voyous ? Vous voyez ce qu’ils font en Syrie, ce qu’ils ont fait au Liban, ce qu’ils font ici et là ? Et les colons en Cisjordanie ? Ils se créent leurs propres ennemis. Mais où sont les États occidentaux ? »
Le Dr Izzeldin Abuelaish exige que les criminels rendent des comptes, devant des tribunaux. Tous les criminels. Ceux qui ont agi directement. Ceux qui ont vendu les armes. Ceux qui ont encouragé le génocide. Ceux qui se taisent. Pour que les parents cessent de hurler de douleur.
« Je continuerai à plaider pour la justice, la liberté, l’égalité, la dignité, les droits, la sécurité future des Palestiniens et des Israéliens, parce qu’ils sont interdépendants, liés les uns aux autres. Mais nous avons besoin que le monde nous aide et que, pour une fois, il agisse », martèle le médecin, sa colère emplie d’humanité.
mise en ligne le 10 mai 2025
Maurice Ulrich sur www.humanite.fr
Quatre-vingts ans après la victoire des Alliés et des peuples sur le nazisme et les fascismes, l’histoire semble s’écrire à front renversé. L’image la plus symbolique pourrait en être le salut nazi de l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, considéré à ce moment-là comme le coprésident du pays le plus puissant du monde.
La réalité la plus tragique, la plus douloureuse aussi de ce renversement, ce pourrait être la volonté de Netanyahou et des fascistes qui le soutiennent, à la tête du pays créé après la « solution finale », d’en finir avec Gaza et les Palestiniens qui y vivent encore dans les conditions catastrophiques dont s’insurge une part de l’opinion mondiale, mais qui ne semblent pas troubler nombre des « grands » du monde. Le retournement encore, c’est la Russie où Poutine entend se réclamer cyniquement du rôle majeur de l’URSS dans le cours de la Seconde Guerre mondiale, au prix de 25 millions de morts, pour justifier l’agression de l’Ukraine.
En France même, les dirigeants du Rassemblement national, continuateurs d’un parti créé par des SS, se prétendent lavés d’un antisémitisme obsessionnel et fondateur, remplacé par la haine des musulmans et des immigrés. La droite se sent pousser des ailes depuis la victoire de Trump et entend discréditer, sous l’étiquette du « wokisme », toutes les opinions progressistes comme ce qui reste de l’héritage du Conseil national de la Résistance, mis à mal par les politiques libérales, de Mitterrand à Macron.
Dans ce monde, les États-Unis semblaient pour beaucoup, même à tort, un pôle de référence de la démocratie et de la modernité. Depuis le retour à la présidence de Trump, ils font peur. Leur rivalité avec la Chine fait planer la menace d’un affrontement dont les conséquences pourraient être incommensurables, alors que le rôle de l’ONU est bafoué aussi bien par les Russes que par les Américains. Un nouveau foyer de tension a repris entre l’Inde et le Pakistan. Le nouveau pape Léon XIV, américain de naissance et qui semble conscient du désordre du monde, en a appelé à la paix. Albert Camus avait dit que plus que refaire le monde, notre tâche était d’empêcher qu’il ne se défasse. Sans doute nous devons mener les deux de front.
mise en ligne le 9 mai 2025
Benjamin König dsur www.humanite.fr
« Aller chercher Kanaky » : l’expression que reprend l’auteur est celle que la jeunesse indépendantiste kanak a adopté comme mot d’ordre, sur les barrages et ailleurs. Comment faire, alors que l’État français répète les mêmes erreurs et que la société calédonienne paraît fracturée ? Voici tout l’enjeu et l’intérêt de cet ouvrage, véritable somme de la pensée de Benoît Trépied.
Benoît Trépied est anthropologue au CNRS, auteur de « Décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie » (Anacharsis, 288 pages, mars 2025)
« Pour la première fois, la République française a reconnu officiellement, dans la Constitution, qu’il y avait un territoire en voie de décolonisation : ce n’est pas un discours militant, mais un point de vue officiel. »
Un an après le début des révoltes qui ont embrasé la Kanaky-Nouvelle-Calédonie (KNC), dont Benoît Trépied est spécialiste, l’anthropologue analyse dans un nouvel ouvrage le bouleversement que constitue cet événement majeur. Son livre permet de mieux en saisir les dynamiques en s’inscrivant dans le double registre du temps long, afin de comprendre la civilisation kanak, et les évolutions de la société calédonienne, marquée par une colonisation de peuplement et une diversité ethnique et culturelle.
Au fond, pourquoi est-il est nécessaire de décoloniser la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ?
Benoît Trépied : Tout simplement parce que, sinon, les affrontements et la guerre vont reprendre, parce que les Kanak ne renonceront jamais à cette exigence de décolonisation : ils ont cela chevillé au corps, car ça renvoie à un traumatisme d’aliénation coloniale qui s’est transmis de génération en génération. Jean-Marie Tjibaou l’avait dit à son époque : « La paix s’appelle Indépendance Kanak ». Tout l’enjeu est de savoir quel type de décolonisation le pays va suivre. Est-ce qu’il est possible d’inventer une nouvelle forme de décolonisation inclusive, qui permette aux non-Kanak d’avoir une place, et laquelle ? La question est aussi : est-ce que la France va réussir à décoloniser ? Sans décolonisation, il n’y aura pas de paix, et le pays risquera d’exploser encore et encore.
Quelle serait une décolonisation souhaitable pour la France, même si bien sûr les premiers concernés sont les Kanak et les Calédoniens ?
Benoît Trépied : C’est une décolonisation pacifique qui sorte par le haut du contentieux colonial. C’est l’intérêt de la France pour son image dans le monde, car elle a quand même un sacré passif en la matière. Elle peut être à la hauteur de cet enjeu, ce qu’elle n’a jamais montré, même si ce que Michel Rocard avait tracé était prometteur. Mais dans les instants fatidiques du 3e référendum, les vieux démons sont ressortis : c’était un choix politique. Ça veut dire trouver une forme de décolonisation dans la négociation et la discussion, plutôt que dans un contexte de libération violent, qui crée des dommages irrémédiables. Il existe un projet inclusif à la fois avec le peuple kanak et les autres, qui donne une place aux Caldoches, aux Wallisiens, qui reflète ce qu’est le pays aujourd’hui : une mosaïque.
Une partie des Calédoniens, et notamment la droite, ne l’ont pas compris et ne veulent pas l’entendre…
Benoît Trépied : Tout le problème est là : avoir pensé la période des accords comme permettant de rester dans ses façons de vivre, en donnant aux Kanak les provinces Nord et des îles, un drapeau, etc., mais sans changer les règles du jeu. Ça n’est plus possible aujourd’hui et, à certains égards, j’espère que ce qu’il s’est passé dès le 13 mai 2024, dans tout l’aspect dramatique que cela revêt, a permis à certains d’ouvrir les yeux. L’élection d’Emmanuel Tjibaou en est un indice. Ensuite, la question est : est-ce que la décolonisation veut dire l’indépendance ? Si oui, quel type d’indépendance, c’est-à-dire quel recouvrement de pleine souveraineté ? C’est une question ouverte, qui laisse un espace politique pour trouver un point d’accord.
Vous replacez dans votre livre l’histoire récente de la KNC dans un temps long : pourquoi cela vous a-t-il paru nécessaire ?
Benoît Trépied : Il y a plusieurs éléments de réponse. Le premier, c’est que je crois fondamentalement, parce que c’est mon métier, que les phénomènes politiques contemporains s’inscrivent dans des dynamiques historiques. On ne peut pas comprendre le 13 mai sans comprendre l’histoire coloniale de long terme. Deuxièmement, j’ai voulu réexpliquer que l’histoire de la Calédonie ne commençait pas avec la venue des Français en 1853, ou en 1774 avec James Cook, car cela représente à peine 10 % de l’histoire humaine du pays. Pour comprendre la force de la revendication kanak, l’assise de cette légitimité, il faut comprendre qu’ils sont les héritiers d’une civilisation de trois mille ans. Cela permet de relativiser l’exceptionnalité de la période récente. On a vu avec le 13 mai que les gens continuaient de parler du contentieux colonial, de faire référence aux trois mille ans d’histoire, à l’autochtonie au sens philosophique du terme. C’est une illusion de croire qu’on peut balayer ça d’un revers de main ou à l’aune de formalités juridiques, comme le 3e référendum ou le vote de la majorité à l’Assemblée nationale. Parce qu’en face de ça, on est dans l’histoire longue d’un peuple.
Il y a l’enjeu colonial, mais aussi ces trois mille ans d’histoire : quelle est la dynamique entre cette histoire et la situation actuelle ?
Benoît Trépied : Les Kanak eux-mêmes ont beaucoup valorisé la culture kanak, et ça a été une arme forte de leur engagement politique. Il y a plusieurs façons d’aborder cette culture, mais il s’agit de prendre ces éléments de culture comme des choses dynamiques et qui se transforment. Le monde kanak d’aujourd’hui est à la fois dans des formes d’héritage et de continuité. Il y a une progression de l’idée d’égalité. C’est un monde dynamique, ancré dans des logiques à la fois de groupe familiaux larges, d’échanges, de réciprocité, du clan, des chefferies, avec des enjeux forts autour de la culture de l’igname, du taro, de l’horticulture, des terroirs. En même temps, ce monde a été profondément transformé ; il a créé une unité consciente et politique qui n’existait pas. Il a aussi créé des gens qui habitent en ville, des gens qui ne parlent plus leur langue, mais qui se sentent aussi kanak. Il a renouvelé ce que ça veut dire qu’être kanak.
Le mot lui-même est d’ailleurs récent…
Benoît Trépied : Oui, il est allochtone au départ, réapproprié et retourné. Cette vision dynamique de l’identité kanak était le cœur de la pensée de Jean-Marie Tjibaou, qui reste un phare intellectuel de la lutte kanak, et qui disait que le retour à la tradition est un mythe, et que « Nos pères et nos grand-père ont vécu des réalités que je ne vivrais pas : notre identité est devant nous ». Cela permet d’inclure d’autres gens, c’est une ouverture.
Pour en revenir à des choses plus récentes, pourquoi l’accord de Nouméa a-t-il constitué une avancée, et quelles en sont les limites avec le recul ?
Benoît Trépied : Pour la première fois, la République française a reconnu officiellement, dans la Constitution, qu’il y avait un territoire en voie de décolonisation : ce n’est pas un discours militant, mais un point de vue officiel. Cet accord a tenté d’inventer une solution originale pour répondre à un nœud colonial complexe, lié à la politique de colonisation de peuplement, donc à la minorisation des Kanak, face à la charte des Nations unies, au droit des peuples à disposer d’eux mêmes. La confrontation de ces deux points de vue tendait la situation et l’accord de Nouméa a essayé d’en sortir par le haut, en conjuguant les légitimités. Il y a deux tensions coloniales qui se croisent : le rapport à la France et la place des Kanak au sein de la société calédonienne.
Ce qui s’en approche le plus est l’idée de « nation arc-en-ciel » à la Nelson Mandela. Les limites, c’est que cette politique de la main tendue des Kanak n’a pas été saisie par tout le monde. Et comme les accords étaient aussi un compromis qui reposait sur un partage du pouvoir avec la création des provinces, cela a permis au RPCR, aux loyalistes durs, de se replier et de conserver leur logique colonialiste, sur la province Sud et sur Nouméa en particulier. Au fil des accords, alors même qu’on a vu cette ce fameux destin commun émerger dans certaines zones du Nord, où les Caldoches ont compris qu’il y avait une place pour eux dans le projet des Kanak, au contraire dans le Sud c’est resté très fermé de ce point de vue. Et ce n’est pas un hasard si c’est à Nouméa que ça a pété, avec une logique de ségrégation.
Un an après le 13 mai, avec un peu plus de recul, comment analysez-vous ce qui s’est passé ?
Benoît Trépied : Je pense qu’on manque encore de recul. On ne sait pas vraiment tout ce qui s’est passé, tout ce qui s’est joué, on ne connaît pas les rouages. Il y a cette question pendante des formes d’instrumentalisation de cette violence. Je m’y rends bientôt pour enquêter sur ce sujet. C’est d’abord une révolte politique liée à cette question du dégel du corps électoral et de la volonté de l’État depuis 2021 de s’allier avec les loyalistes et de passer en force, et une méconnaissance de l’importance du sujet. Cela signifiait perpétuer le mécanisme de la colonisation de peuplement. La CCAT a réussi à mobiliser beaucoup de manifestants avant le 13 mai, notamment avec la manifestation à l’Anse Vata, à Nouméa. Et puis il y avait aussi un enjeu social, puisqu’on savait depuis longtemps que, du fait que la décolonisation se soit arrêtée aux portes de Nouméa, ces tensions sociales et ces inégalités en faisait une cocotte-minute prête à exploser. Il suffisait d’une étincelle. L’immense responsabilité de l’État, c’est d’avoir fait fi des avertissements.
Le résultat des législatives de juillet ne traduit-elle pas cette ambivalence, cette tension, avec d’un côté l’élection d’Emmanuel Tjibaou, de l’autre celle de Nicolas Metzdorf, un loyaliste extrémiste ?
Benoît Trépied : Je pense que c’est l’événement le plus important depuis le 13 mai : deux mois après qu’Emmanuel Tjibaou a été élu dans la 2e circonscription, c’est totalement inattendu et ça dit quelque chose de l’attachement des gens au destin commun qu’il incarne, qui a toujours dit qu’il ne voulait pas l’indépendance sans les autres, qui est un homme de dialogue. S’il a remporté cette circonscription ingagnable, c’est parce que les Kanak se sont mobilisés, mais aussi que des non-Kanak ont voté pour lui : tous ceux qui étaient mal à l’aise avec cette montée des périls. Il y avait aussi des jeunes Océaniens sur les barrages ; il existe des formes de solidarité de classe ethno-sociales, car ceux qui sont toujours en bas de l’échelle sont les Kanak et les Océaniens.
De son côté, Nicolas Metzdorf a changé de circonscription, parce qu’il se savait menacé en brousse avec son discours extrême. Il n’a pas du tout remporté haut la main sa circonscription, puisqu’il a été élu avec 3 000 voix d’avance. L’élection d’Emmanuel Tjibaou montre que la compréhension des causes de l’éruption de cette violence a été assez partagée. C’est un indice qu’il y a la possibilité d’un basculement des rapports de force. Le plus frappant est que cette victoire se fait avec un corps électoral dégelé ; ce n’est donc pas un argument décisif pour remporter les élections. Ça prouve que le pays a brûlé pour rien et que si les Kanak se mobilisent, ils sont majoritaires.
mise en ligne le 8 mai 2025
Côme Bastin et Haziq Qadri sur www.mediapart.fr
Depuis la suppression de l’autonomie politique de leur État en 2019, les Cachemiris espéraient au moins vivre en paix. Mais le retour des armes et de la suspicion à leur égard ravivent les traumatismes du passé. « Nous sommes redevenus des cibles », témoigne un habitant.
Bangalore (Inde).– À Tiwari, village situé dans le district d’Uri, l’angoisse monte crescendo. Celle de perdre la paix fragile qui avait prévalu récemment sur la ligne de contrôle, cette zone frontalière disputée entre l’Inde et le Pakistan. « Depuis quelques années, la vie était paisible et on pouvait vivre comme tout le monde. Il n’y avait ni tirs ni bombardements d’un côté ou de l’autre, témoigne Mohammad Haneef, paysan de 38 ans. Mais depuis ce mois-ci, on recommence à vivre dans la peur, personne ne sait ce qui va se passer. L’Inde et le Pakistan doivent s’asseoir ensemble et résoudre leurs différends. »
Son témoignage, comme tous les autres, a été rapporté à Mediapart à distance, les journalistes étrangers étant strictement interdits au Cachemire.
Ce village a souvent été pris entre les feux croisés des deux armées, en conflit sur leur frontière dans le Cachemire depuis la naissance de l’Inde et du Pakistan, lors de la partition, en 1947. Après quatre affrontements majeurs au XXe siècle, les deux pays se sont livrés à d’incessantes escarmouches. Tantôt des accrochages directs à la frontière, tantôt des tirs de missiles ou des bombardements en réponse à des incursions, l’Inde accusant le Pakistan d’héberger et de soutenir des groupes insurgés menant des exactions sur son sol. Selon le South Asia Terrorism Portal, près de 5 000 Cachemiri·es ont été tué·es lors de ces affrontements ces vingt-cinq dernières années.
Un cessez-le-feu sur la ligne de contrôle, conclu en février 2021, avait cependant amené un peu d’espoir, notamment dans la région d’Uri. « Nous sommes sortis des bunkers civils dans lesquels nous nous étions longtemps réfugiés, nous avons commencé à reconstruire nos maisons, c’était comme un rêve devenu réalité », décrit Ghulam Rasool, père de famille de 51 ans, qui vit dans une maison en bois à Tiwari. « Mais depuis l’attaque à Pahalgam, tout a changé pour nous. Nous sommes redevenus des cibles. Tout le pays parle de guerre, mais ils ne savent pas, comme nous, ce qu’elle coûte. »
Le 22 avril, l’Inde a été saisie d’effroi. Dans la région de Pahalgam, les températures clémentes d’avril invitaient les touristes à profiter des vallées verdoyantes du Cachemire. C’est là qu’un groupe baptisé Le Front de résistance (The Resistance Front, TRF) choisit ce jour-là de mener un attentat sanglant. Vingt-six touristes sont abattus froidement par les assaillants, du jamais-vu en Inde depuis les attaques terroristes de Bombay, en 2008. TRF affirme agir pour défendre les droits des locaux face aux « envahisseurs » du reste de l’Inde. Une référence à la suppression de l’autonomie politique du Cachemire en 2019 par Narendra Modī.
L’Inde affirme rapidement que TRF est en réalité une émanation du Lashkar-e-Tayyiba, groupe islamiste armé militant pour le rattachement du Cachemire au Pakistan, accusé d’incursions et d’attaques fréquentes du côté indien de la frontière. L’attentat réactive en quelques jours les tensions entre New Delhi et Islamabad, accusé de tolérer, voire d’encourager l’action de tels groupes insurgés.
Vivre avec la peur
Le Pakistan, comme à son habitude, nie en bloc ces accusations, et l’Inde menace d’une intervention militaire, faute d’excuses et de coopération dans l’enquête sur les attentats. Avant même que les armes ne reprennent, mercredi 7 mai, les Cachemiri·es voient revenir la suspicion et la répression brutale à leur égard.
À Pulwama, au sud du Cachemire, de nombreuses maisons ont été dynamitées par l’armée le 26 avril. Motif : un complice des attentats serait issu de ce village. « L’armée est arrivée à 7 heures du matin et nous a demandé d’évacuer la maison. Nous sommes restés plusieurs heures dans la mosquée et lorsque nous sommes sortis, les maisons étaient en ruine », raconte Abdul Rashid, un habitant de 68 ans.
Ces représailles indiscriminées, à la dynamite ou au bulldozer, sont de plus en plus fréquentes, pour marquer les esprits, bien qu’elles échappent à tout cadre légal. « Si un habitant est impliqué, pourquoi s’en prendre à tous ses voisins ?, demande Abdul Rashid. Pourquoi même s’en prendre à ses parents ? Ce ne sont pas eux qui l’ont poussé à rejoindre ces militants. »
Dans la ferveur nationaliste qui s’empare de l’Inde, où une union sacrée s’est formée autour de la nécessité de punir le Pakistan, la lutte contre les terroristes laisse peu de place aux considérations pour le sort des populations locales. Dans la nuit du 7 mai, l’Inde a finalement mis ses menaces à exécution.
Une opération militaire d’envergure a frappé, principalement par les airs, neuf cibles désignées comme des camps d’entraînement terroristes au Pakistan. Islamabad a juré de répondre à cette « déclaration de guerre » et a fait pleuvoir son artillerie sur la ligne de contrôle. Bilan : au moins vingt-six morts côté pakistanais et douze côté indien.
Pour les locaux, c’est l’enfer. « À 1 heure du matin, nous avons été réveillés dans la terreur par des bruits de roquette assourdissants, témoigne Bilal Ahmad, 35 ans, habitant de la région frontalière de Karnah, au nord du Cachemire. En regardant les réseaux sociaux, nous avons compris que notre armée avait finalement attaqué le Pakistan, qui effectuait des tirs de représailles. »
Terré toute la nuit, Bilal Ahmad constate au petit matin que de nombreuses maisons ont été détruites dans les affrontements. « Mon père est mort en 2003 après un bombardement similaire de la part du Pakistan. Mais ce que j’ai vécu cette nuit-là, moi, je ne l’avais jamais vu de ma vie. Nous savons qu’il va nous falloir vivre à notre tour avec cette peur. »
Des Cachemiri·es fuient déjà les zones frontalières devant la guerre qui se déploie, soit vers des abris souterrains, soit vers des zones plus sûres. Un scénario que les habitant·es de Tiwari, quelques jours avant ce déluge de feu, confiaient redouter plus que tout. « Les écoles vont fermer, on va devoir quitter nos maisons à nouveau et retourner dans les bunkers, vers une vie misérable, pressentait Ghulam Rasool, qui dit avoir honte pour ses enfants. Ils nous en veulent de vivre ici, ils veulent vivre en ville, là où il y a des marchés et des restaurants. »
Pour la plupart de ces habitant·es pauvres et paysans, déménager est néanmoins impossible. « Sommes-nous moins que des êtres humains ? Ne méritons-nous pas, nous aussi, une vie normale ? », demande Mohammad Haneef.
mise en ligne le 8 mai 2025
Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr
À l’occasion des 80 ans de la capitulation nazie, l’historien Nicolas Offenstadt, chroniqueur à l’Humanité, revient sur ce que symbolise cette date à travers plusieurs dimensions.
Nicolas Offenstadt, est un
historien français, maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’université Panthéon-Sorbonne.
Nous avons célébré, ce 8 mai, les 80 ans du 8 mai 1945, jour de la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie. Pourquoi cette date, qui signifie la fin des combats en
Europe, et donc la fin de six années de destructions et de souffrances inouïes, est-elle si fortement ancrée dans notre mémoire collective et célébrée chaque
année ?
Nicolas Offenstadt : Elle signifie la fin de la barbarie nazie et de la guerre qu’elle a déclenchée. Dès lors, elle comporte un aspect international immédiat, elle peut concerner toutes les populations qui en ont été victimes, toutes les nations qui ont été touchées par la guerre, même si des dates différentes sont retenues pour la commémoration de la fin de la guerre, même si elle est loin de faire consensus.
Le 8 mai 1945 est-il une date de basculement, de sortie de la barbarie pour aller vers un espoir et une construction humaniste qui s’incarnent aussi bien dans le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) que dans la charte des Nations unies en cours d’élaboration ?
Nicolas Offenstadt : Attention, l’idéal de sécurité collective pour garantir la paix, fortement, et de réforme sociale gouvernait aussi bien des engagements pris après la Première Guerre mondiale. De nombreux anciens combattants étaient revenus du front en espérant participer à changer le monde.
Mais les alliés, à partir du moment où se dessine la victoire définitive contre l’Allemagne nazie, envisagent tout un ensemble de politiques (démocratisation, dénazification, décartellisation…) vis-à-vis des vaincus pour que les horreurs passées ne puissent pas se reproduire. Les débuts de la guerre froide, la séparation entre deux blocs, vont aussi limiter la portée des espérances.
Quatre-vingts ans après, peut-on dire que l’esprit et l’héritage du CNR et de l’ONU tels que pensés à l’époque sont menacés à force de réformes libérales d’un côté et de violation des résolutions des Nations unies de l’autre, avec même le retour de la guerre sur le continent européen ?
Nicolas Offenstadt : Il est certain que, depuis les années 1980, les avancées, sous de multiples formes, du néolibéralisme ont affaibli, voire détruit tout un ensemble de structures de l’État providence qui s’est mis en place dans différents pays d’Europe, en particulier, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
Mais attention, la construction européenne ne doit pas être lue seulement sous ce prisme. Elle avait pour but de préserver la paix entre les partenaires. À l’intérieur de l’UE, c’est bien le cas, de favoriser démocratie et respect des droits de l’homme. Or, on voit que c’est encore un instrument qui peut faire pression en ce sens, bien sûr, avec un succès inégal selon les enjeux et les contextes, sur des États autoritaires, « illibéraux »
Y a-t-il eu, depuis le 8 mai 1945, des évolutions dans la façon dont ce jour est célébré ?
Nicolas Offenstadt : En fait, le 8 mai est loin d’avoir une mémoire paisible. Les gouvernements et les politiques publiques ont varié selon les projections et les enjeux politiques, que ce soit en URSS, en Allemagne ou en France. Staline, tout au culte de sa propre action, n’en a pas fait un jour férié, ce n’est que plus tard, sous Brejnev, qu’il le devient, avec une valorisation de la « Grande Guerre patriotique ». De Gaulle privilégiait d’autres dates plus centrées sur la France et son action, comme le 18 juin. Il y eut de vifs débats autour de son caractère férié ou pas.
En Allemagne de l’Ouest, il faut attendre, les générations passant, le milieu des années 1980 pour que soit clairement marqué son caractère de jour de « la libération » pour les Allemands. En France également, c’est avec François Mitterrand que le 8 mai devient de manière pérenne une fête légale fériée.
« Parmi la coalition antinazie, même si les rivalités existent, il y a encore en 1945 la volonté de régler collectivement le sort de l’Allemagne. »
En RDA, en revanche, le 8 mai est férié : il inscrit le pays du côté des vainqueurs de l’histoire et célèbre la force du socialisme à travers la victoire de l’URSS, désormais le grand allié. D’ailleurs, aujourd’hui encore, c’est un enjeu politique, la dirigeante de l’extrême droite allemande, Alice Weidel (née en 1979), expliquait en 2023, à rebours du consensus mémoriel, qu’elle n’entendait pas célébrer le 8 mai car c’était une « défaite » de son pays… Et il y a peu, elle levait les yeux au ciel dans une émission de télévision quand on évoquait la commémoration des camps de la mort.
Le 8 mai 1945 est aussi une date qui, avec les massacres de Sétif et l’affaiblissement des empires coloniaux, marque un tournant vers les guerres d’indépendance et la décolonisation…
Nicolas Offenstadt : Absolument. Les luttes anti-impérialistes et anticoloniales, et les victoires qu’elles obtiennent, s’accélèrent après 1945. D’ailleurs, le bloc de l’Est appuyait ces mouvements, en se prévalant d’une autre mondialisation, une « mondialisation rouge » qui se sentait à distance de l’héritage colonial occidental.
C’est enfin une date clé avec deux grands vainqueurs : les États-Unis et l’URSS. Le monde se voit refaçonné. Peut-on dire que la guerre froide à venir démarre le 8 mai 1945 ?
Nicolas Offenstadt : La guerre froide proprement dite démarre en fait un peu plus tard. Parmi la coalition antinazie, même si les rivalités existent, il y a encore en 1945 la volonté de régler collectivement le sort de l’Allemagne. Elle se défait progressivement jusqu’aux ruptures de 1948-1949, notamment avec le blocus de Berlin.
Peut-on considérer que nous sommes en train de sortir de l’ordre mondial issu du 8 mai 1945 ?
Nicolas Offenstadt : L’effondrement du bloc de l’Est, à partir de 1989, pouvait sembler mettre un terme à la guerre froide. Mais on voit que la Russie rejoue et utilise encore la posture d’un bloc opposé à l’Occident, à ses valeurs, ou ses supposées valeurs, certes sur d’autres lignes. Certains groupes de gauche se déterminent encore en partie sur des lignes de guerre froide, d’un anti-impérialisme immobile, assez étonnamment, sans vouloir voir les changements.
Par ailleurs, un des risques majeurs que l’on voit déjà poindre dans un contexte de recul profond de la raison gouvernante, c’est relativisation, la banalisation ou bien la trivialisation de la barbarie nazie, de la Shoah et de toutes les horreurs de la Seconde Guerre mondiale qui l’ont accompagnée.
Chacun de ces trois termes correspond à des processus formellement différents, mais ils convergent. En ce sens, oui, ce serait la sortie d’une forme de morale universelle, plus petit dénominateur commun, issue de la Seconde Guerre mondiale.
mise en ligne le 3 mai 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Alors que l’aide humanitaire est bloquée depuis deux mois, de plus en plus de voix critiquent durement Israël. Mais en l’absence de toute sanction, elles sont absolument inefficaces et, dans Gaza, la faim s’installe.
Soixante et un jours de blocus complet. Soixante et un jours sans qu’une tasse de farine, un comprimé d’antidouleur, une boîte de conserve entre dans la bande de Gaza. Des milliers de camions stationnent à proximité des points de passage et des millions de Palestinien·nes sont tenaillé·es par la faim et l’absence de soins médicaux.
Depuis le 2 mars, Israël a hermétiquement bouclé la bande de Gaza. Rien ne lui est plus facile : l’État hébreu a un contrôle total sur les frontières, y compris celle avec l’Égypte.
Une étude menée sur le terrain depuis le 28 avril par l’organisme de surveillance de la faim dans le monde, le Cadre intégré de classification des phases de la sécurité alimentaire (IPC), dira dans quelques jours si la bande de Gaza est passée de « risque de famine » à « famine ».
Les statistiques seront froides, comme celles des victimes des actes de guerre – bombardements, tirs de drones ou de soldats – qui ont redoublé d’intensité après la rupture unilatérale du cessez-le-feu par Israël le 18 mars. Depuis, indique le ministère de la santé de la bande de Gaza, dans son bilan quotidien daté du 1er mai, 2 326 personnes ont été tuées par des opérations de guerre, et 6 050 blessées. Soit 52 418 mort·es recensé·es et identifié·es depuis le 8 octobre 2023, et 118 091 blessé·es.
Les chiffres sont froids, les informations et les images moins. Ainsi le 2 mai, une cuisine communautaire a été bombardée par un drone dans Gaza ville même, tuant au moins cinq personnes. Une tente de deuil à Beit Lahia, dans le nord du territoire, a été visée. Des dizaines de personnes venues présenter leurs condoléances ont été touchées, sept d’entre elles ont succombé. Ce ne sont là que deux épisodes parmi les dizaines rapportés chaque jour par des journalistes ou des témoins à Gaza.
Sentiment d’urgence
« Le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct », écrit Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International dans le rapport annuel qui vient de paraître. « Gaza a été transformée en charnier pour les Palestinien·nes et ceux qui les aident », a déclaré Médecins sans frontières dans un communiqué du 16 avril. « Les autorités israéliennes doivent mettre fin aux punitions collectives infligées aux Palestiniens. Nous demandons instamment aux alliés d’Israël de mettre fin à leur complicité et de cesser de permettre la destruction de vies palestiniennes », conclut le texte.
Nombre de réactions internationales adoptent le même ton pressant : il y a urgence face à cette nouvelle escalade dans la guerre génocidaire d’Israël.
Les Nations unies s’émeuvent, encore plus qu’à l’habitude. « Pendant près de deux mois, Israël a bloqué l’entrée à Gaza de nourriture, de carburant, de médicaments et de fournitures commerciales, privant ainsi plus de 2 millions de personnes d’une aide vitale. L’aide n’est pas négociable. Israël doit protéger les civils, accepter les programmes d’aide et les faciliter », déclare le 30 avril, sur le réseau social X, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres.
Déjà, le 8 avril, il avait fustigé le blocus israélien : « Plus d’un mois entier s’est écoulé sans qu’une seule goutte d’aide parvienne à Gaza. Pas de nourriture. Pas de carburant. Pas de médicaments. Pas de fournitures commerciales. Alors que l’aide s’est tarie, les vannes de l’horreur se sont rouvertes. »
La mauvaise conscience de certains pays européens vis-à-vis de l’Holocauste [...] risque de nous rendre complices de crimes contre l’humanité. Josep Borrell, ancien chef de la diplomatie européenne
Même vive critique du haut-commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk, qui rappelle qu’affamer une population est une punition collective et un crime de guerre, que les autres États doivent empêcher : « Les États tiers ont clairement l’obligation, en vertu du droit international, de veiller à ce que de tels comportements cessent immédiatement et ils doivent agir en conséquence. »
Les appels se multiplient. D’anciens ambassadeurs et des chercheurs français affirment dans une tribune publiée le 12 avril dans Le Monde : « Aujourd’hui il y a urgence et le silence devient coupable », fustigeant l’« absence de vraie opposition politique et populaire internationale » à une « nouvelle idéologie suprémaciste ». Celle-ci est portée par Israël, qu’ils décrivent comme « un État membre des Nations unies réputé modèle de démocratie [qui] ne respecte plus aucune règle internationale ni aucun principe moral, religieux ou humain ».
Un autre texte, publié fin avril dans le même quotidien, signé par plus de deux cents professeur·es d’université et écrivain·es du monde entier, appelle l’Union européenne à soutenir le projet d’une confédération de deux États indépendants, israélien et palestinien. En somme à prendre l’initiative et à faire à la fois de la diplomatie et de la politique, face à une administration états-unienne hors jeu du fait de son implication manifeste aux côtés du gouvernement israélien. « Le cycle actuel de la guerre, de l’occupation et du déplacement a atteint un point de rupture politique et moral », écrivent ces intellectuel·les.
Des mots, mais pas d’action
C’est de morale aussi, de respect par l’Union européenne de ses propres valeurs, et d’action que parle Josep Borrell dans une tribune du 29 avril, également dans Le Monde. L’ancien haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, qui a quitté ses fonctions le 1er décembre 2024, constate l’émotion suscitée par la photo de cet enfant palestinien amputé des deux bras, qui a remporté le World Press Photo 2025.
« Mais bon sang, s’exclame Josep Borrell. Ce n’est pas un, ni cent, ni mille, ce sont des milliers d’enfants qui sont morts ou ont été mutilés à Gaza. Et dans quelles conditions ! Gaza, c’est d’abord une guerre contre les enfants. » Il ajoute, comme un coup de pied à la nouvelle administration européenne, mais tout en reconnaissant son échec quand il était lui-même en poste : « La mauvaise conscience de certains pays européens vis-à-vis de l’Holocauste, transformée en “raison d’État” justifiant un soutien inconditionnel à Israël, risque de nous rendre complices de crimes contre l’humanité. Une horreur ne saurait en justifier une autre. »
Refuser de secouer son impuissance, c’est bien ce que l’Union européenne persiste à faire. Incapables de se mettre d’accord sur une politique un tant soit peu ferme vis-à-vis d’Israël, ni même de menacer d’envisager une révision de l’accord d’union avec Israël ou une sanction quelconque, les Vingt-Sept remplacent la politique par l’assistance.
Les restrictions à son accès doivent être levées sans délai. L’ensemble des points de passage doivent être levés. Le passage des acteurs humanitaires doit être facilité. Diego Colas, représentant français devant la CIJ
Ainsi, mi-avril, Kaja Kallas, successeuse de Josep Borrell, annonce une aide de 1,6 milliard d’euros étalée jusqu’en 2027 aux Palestinien·nes pour, notamment, renforcer l’Autorité palestinienne et, ainsi, stabiliser Gaza et la Cisjordanie. L’exécutif de l’UE pourrait difficilement sembler plus éloigné des réalités d’un terrain où les destructions massives se poursuivent jour après jour et nuit après nuit, où pas un clou n’est entré depuis le 2 mars et où les bulldozers servant à déblayer les gravats sont eux-mêmes visés par les frappes israéliennes…
Les gouvernements des États de l’UE peuvent donner de la voix, plus personne n’en attend le moindre effet concret. Les ministres des affaires étrangères français, allemand et britannique demandent « instamment à Israël de rétablir l’acheminement rapide et sans entrave de l’aide humanitaire à Gaza », rappellent le droit international et font état de leur « indignation » devant les frappes israéliennes contre le personnel et les structures humanitaires, sans évoquer à aucun moment une possible action. Ce qui, à coup sûr, laisse absolument indifférent le cabinet de Benyamin Nétanyahou.
« Exceptionnalisme »
Les voilà bien vocaux, également, devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui, pour la quatrième fois depuis le 7-Octobre, est appelée à statuer sur une question impliquant Israël.
Saisie en décembre 2024 par l’Assemblée générale des Nations unies à la demande de la Norvège, elle a tenu des auditions toute cette semaine sur les entraves israéliennes au travail de l’UNRWA, l’agence onusienne d’assistance aux réfugié·es palestinien·nes, et à l’acheminement de l’aide humanitaire en général. Plus de quarante États et trois agences onusiennes se sont succédé devant les juges de la CIJ. Si les États-Unis, suivis de la Hongrie, ont, sans surprise, soutenu le point de vue d’Israël à décider seul de quand et comment l’aide allait parvenir à la population de l’enclave palestinienne, nombre de représentant·es diplomatiques ont affirmé fermement les principes du droit humanitaire international.
Le Qatar, pays médiateur entre Ie Hamas et Israël, a dénoncé une « punition collective », accusant Israël d’utiliser « l’aide comme un outil d’extorsion pour avancer ses objectifs militaires ». L’Afrique du Sud, qui porte devant la même CIJ la plainte pour génocide contre Israël, a critiqué l’impunité dont bénéficie Israël, due à « une forme d’exceptionnalisme en ce qui concerne sa responsabilité face aux lois et aux normes internationales ».
La France, qui envisage de reconnaître l’État palestinien en juin, a exigé que l’aide humanitaire parvienne « massivement à Gaza ». « Les restrictions à son accès doivent être levées sans délai. L’ensemble des points de passage doivent être levés. Le passage des acteurs humanitaires doit être facilité », a affirmé le représentant français, Diego Colas.
Seulement, la Cour internationale de justice mettra des semaines à statuer. Et, bien que ses décisions soient contraignantes, elle ne possède aucun moyen de les faire appliquer.
Les Palestinien·nes de Gaza n’ont plus le luxe d’attendre. Les entrepôts du programme alimentaire mondial sont vides depuis une semaine. Les cuisines communautaires, qui recevaient les produits via l’agence onusienne et les préparaient, arrivent au bout de leurs réserves et ferment les unes après les autres. « La faim s’accroît jour après jour. Il n’y a presque plus rien sur les marchés. Ce qui reste atteint des prix délirants. Je ne sais plus quoi faire pour trouver à manger à mes enfants », nous a écrit un jeune père de famille, mercredi 30 avril.
Théo Bourrieau sur www.humanite.fr
Des membres de la Flottille de la liberté, une coalition d’ONG dénonçant le blocus de la bande de Gaza, ont affirmé, vendredi 2 mai, qu’un de leurs navires chargé d’aide humanitaire avait été attaqué par des drones israéliens dans les eaux internationales au large de Malte.
Dans la bande de Gaza, de longue file d’attente sont nécessaires pour tenter d’obtenir un peu de nourriture. Ici, des Palestiniens, principalement des
enfants, tendent des casseroles vides dans le camp de Nuseirat pour recevoir un repas chaud distribué par des organisations humanitaires.
« À 00 h 23, heure maltaise (22 h 23 GMT), le Conscience, un navire de la Coalition de la Flottille de la liberté, a été directement attaqué dans les eaux
internationales », écrit vendredi 2 mai l’organisation dans un communiqué. « Des
drones armés ont attaqué l’avant d’un navire civil non armé à deux reprises, provoquant un incendie et une importante brèche dans la
coque », ajoute la coalition d’ONG militant pour la fin du blocus israélien illégal de la bande de Gaza. Israël n’a pas pour
l’instant pas commenté ces accusations.
Selon les militants, l’électricité a été coupée sur le navire après cette frappe, qui semblait viser le générateur. Aucun blessé n’a été signalé. Après le lancement d’un signal de détresse, Chypre et l’Italie ont envoyé chacun un navire sur les lieux, selon le communiqué.
Les opérations humanitaires à Gaza sont « au bord de l’effondrement total », a mis en garde le même jour le Comité international de la Croix-Rouge. L’Organisation mondiale de la santé avait qualifié jeudi 1er mai « d’abomination » la situation à Gaza, exprimant sa colère face à l’inaction pour venir au secours de sa population.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Pour son entreprise génocidaire menée à Gaza, Benyamin Netanyahou a besoin d’équipements militaires sophistiqués. Ils continuent à affluer, malgré les plus de 50 000 morts palestiniens. Le transit se fait par terre, air et mer, le plus souvent via le Vieux Continent. Pister les cargaisons s’avère difficile, car les composants sont fabriqués dans différents pays avant d’être assemblés et expédiés vers Israël.
C’était en mai 2024. Josep Borrell, encore haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, se lançait dans des déclarations surprenantes. Sans doute parce que son mandat prenait fin quelques mois plus tard. « Certains dirigeants disent qu’il y a de nombreux morts à Gaza, mais la question qui doit être posée est : combien de personnes doivent encore mourir ? Devons-nous attendre qu’il y ait 50 000 morts avant de prendre les mesures nécessaires pour empêcher plus de pertes ? » Ce chiffre terrible de 50 000 morts a depuis été pulvérisé.
Si les actionnaires ont sans surprise rejeté la résolution, cette action a permis de (re) mettre en lumière ces activités occultes du groupe, même si les dirigeants de Maersk s’en défendent. Le transporteur a expliqué mener une « politique stricte consistant à ne pas expédier d’armes ou de munitions vers les zones de conflit actives », assurant ne jamais avoir transporté ni armes ni munitions dans le cadre de son contrat avec le gouvernement américain. « Nous menons des vérifications renforcées, en particulier dans les régions touchées par des conflits actifs, notamment Israël et Gaza, et adaptons régulièrement cette vigilance au contexte en évolution », a-t-il certifié.
Pourtant, en mai 2024, un porte-conteneurs de l’armateur s’est vu refuser l’entrée du port espagnol d’Algésiras au motif qu’il aurait à son bord des armes pour Israël. Depuis le printemps 2024, en effet, l’Espagne refuse aux navires transportant une cargaison d’armes à destination de ce pays l’autorisation d’accoster. « Cependant, il semble que Maersk ignore sciemment cette décision, plus de 944 de ses 2 110 expéditions destinées à l’armée israélienne ayant transité par le port d’Algésiras après la date de cette annonce », affirme le Palestinian Youth Movement, qui poursuit : « On ignore si le gouvernement espagnol est au courant de cette situation ou s’il dispose de procédures pour des mesures d’application supplémentaires. »
Des cargaisons « contenant des pièces détachées pour F-35 »
Maersk est également dans le collimateur de DeclassifiedUK, un site d’investigation britannique, qui expliquait le 4 avril que « le géant danois du fret maritime A.P. Moller-Maersk transporte discrètement du matériel d’équipement d’avions de combat vers Israël ». Declassified, qui travaille en partenariat avec The Ditch, un autre site d’investigation, précisait début avril : « Les données indiquent comment les marchandises de l’usine 4 de l’US Air Force à Fort Worth sont transportées vers le port de Haïfa, en Israël, sur deux porte-conteneurs Maersk entre le 5 avril et le 1er mai, puis une société distincte les acheminera par voie terrestre vers la base aérienne de Nevatim. »
L’usine Air Force Plant 4 est une installation appartenant au gouvernement américain et exploitée par Lockheed Martin, le principal entrepreneur du consortium international. Celui-ci produit les avions F-35, conçus pour l’attaque au sol et les missions de supériorité aérienne, financés et réalisés par une dizaine de pays de l’Otan auxquels est associé Israël. Ces composants de F-35 sont acheminés sur la base israélienne de Nevatim, près de Beer-Sheva, d’où partent ces avions furtifs pour bombarder Gaza. Les Houthis du Yémen ont ciblé à plusieurs reprises les bateaux de Maersk dans le détroit d’Aden.
Évoquant Maersk Detroit et Nexoe Maersk, des dirigeants ont reconnu que ces bateaux incriminés « transportent des conteneurs contenant des pièces détachées pour F-35. Cependant, ces expéditions sont destinées à d’autres pays participant au programme F-35. Dans le cadre de la construction de la coalition pour le F-35, Maersk Line Limited transporte régulièrement des pièces détachées entre les pays participants, dont Israël, où sont fabriquées les ailes du F-35. Ces expéditions sont toutefois effectuées pour le compte de fournisseurs, et non du ministère israélien de la Défense. »
Ce qui, en soi, ne prouve rien quand on sait que l’industrie de la défense, en Israël comme ailleurs, n’est plus seulement entre les mains des États. Des compagnies privées, dont Elbit Systems en Israël, en tirent d’énormes profits et il est difficile de tracer les volumes de production ainsi que leurs destinations. Les différentes pièces sont fabriquées dans plusieurs pays puis expédiées là où elles seront finalement assemblées, souvent aux États-Unis, avant d’être réexpédiées via l’Europe et la Méditerranée.
Quatre entreprises irlandaises incriminées
Parti le 5 avril du port de Houston (Texas), Maersk Detroit, le premier navire, a fait escale à Casablanca (Maroc) le 18 avril, puis le 20 à Tanger où l’attendaient des milliers de Marocains venus protester aux cris de : « Le peuple veut l’interdiction du navire », « Pas d’armes génocidaires dans les eaux marocaines ». Ils ont également appelé à la fin de la normalisation entre le Maroc et Israël, actée fin 2020 en échange de la reconnaissance par Washington de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental.
Le second navire, Nexoe Maersk, dans lequel était transbordée la marchandise, devait par la suite faire escale à Fos-sur-Mer. Alertés, les dockers CGT sont intervenus. « Maersk a mis à disposition le manifeste du navire et l’ensemble des conteneurs a été contrôlé. Rien à signaler, ni armes ni pièces », a fait savoir le syndicat. Difficile en l’absence de preuves tangibles d’aller plus loin, même si les dockers réaffirment « militer pour la paix et l’arrêt du génocide ». Le Nexoe Maersk se trouve maintenant dans le port de Haïfa et doit appareiller bientôt pour l’Égypte.
Il reste que des armes partent bien vers Israël. Ainsi, The Ditch affirme que « quatre entreprises irlandaises fournissent des pièces détachées au principal fournisseur d’armes de l’armée israélienne », à savoir Elbit Systems, dont le siège social est à Haïfa. Des pièces très certainement plus difficiles à détecter comme composants d’armements. C’est le cas des adhésifs UV Optimax, livrés par Novachem, basé dans le comté de Meath. Le 11 mars, Powell Electronics, basé dans la ville irlandaise de Kildare, a expédié des marchandises décrites comme des « connecteurs » sur les bordereaux d’expédition à l’usine Cyclone d’Elbit Systems à Karmiel, au centre de la Galilée. Cette usine fabrique des pièces pour les avions de chasse F-35 et F-16.
Les exportations françaises
Une enquête publiée par le site Disclose et le journal Marsactu, le 25 mars 2024, a affirmé que la France avait envoyé, à la fin du mois d’octobre 2023, au moins 100 000 pièces de cartouches pour des fusils-mitrailleurs susceptibles d’être utilisés à Gaza. En septembre 2024, Fabien Gay, sénateur communiste (par ailleurs directeur de notre journal), interrogeait le ministre français des Affaires étrangères sur les ventes d’armes opérées par la France à Israël en 2023 et 2024.
Il rappelait à cette occasion : « L’existence d’un risque génocidaire plausible à Gaza, reconnu par une haute instance internationale, oblige désormais expressément l’ensemble des États, qui sont notamment tenus de cesser tout export d’armes, de matériels ou de technologies militaires vers Israël. » Le gouvernement français, poussé dans ses retranchements, devait finalement avouer procéder à des exportations, mais que « celles-ci ne sont autorisées que dans un cadre strictement défensif ».
« Les données officielles ne disent rien, par exemple, des livraisons d’armes d’entreprises françaises via d’autres pays », fait remarquer l’Observatoire des multinationales. « C’est ainsi qu’un capteur sensoriel produit en France par Exxelia avait été retrouvé parmi les débris d’un missile qui a tué trois enfants en 2014 à Gaza. » Le syndicat CGT de l’entreprise STMicroelectronics Crolles indiquait dans une lettre adressée aux « camarades syndicalistes de Palestine », en date du 11 décembre 2023 : « Nous n’avons pas aujourd’hui d’éléments sur la présence de puces fabriquées dans nos usines dans l’armement israélien qui frappe avec tant de violences le peuple palestinien. Mais cela reste possible. »
Tout est effectivement possible, même et surtout l’impensable. The Ditch a identifié six vols cargo de la Lufthansa qui transportaient des composants essentiels pour les avions de combat F-35 de l’armée israélienne à travers l’espace aérien souverain irlandais en avril, mai, juin et juillet 2024. Rien ne dit que cela ne continue pas. Surtout pas les cris d’orfraie poussés par les gouvernements européens. En secret et sans aucun contrôle des peuples, ils continuent à laisser les canaux ouverts, alimentant ainsi Israël dans son entreprise génocidaire à Gaza.
mise en ligne le 28 avril 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Le système humanitaire qui tenait la bande de Gaza à bout de bras depuis un an et demi est sur le point de s’effondrer, miné par des entraves diverses et anciennes et par le blocus total imposé depuis le 2 mars. C’est l’autre versant de la guerre israélienne contre Gaza.
« La« La famine n’est pas seulement un risque, mais une réalité qui risque de se propager rapidement dans presque toute la bande de Gaza. L’ONU a averti que la crise humanitaire à Gaza est la pire qu’elle ait connue depuis dix-huit mois » : douze des plus grandes organisations humanitaires au monde ont signé l’appel qui contient cette phrase, publié le 18 avril. Intitulé « Laissez-nous faire notre travail », il souligne l’urgence de la situation dans la bande de Gaza, où les besoins les plus élémentaires ne sont plus remplis.
Car le territoire palestinien est hermétiquement clos. Depuis le 2 mars, il y a déjà cinquante-trois jours, pas un camion d’aide n’a franchi les points de passage, tous contrôlés par Israël.
Depuis, les humanitaires tiennent la chronique d’une catastrophe annoncée.
Le gouvernement israélien a décidé ce blocus total à la fin de la première phase de la trêve en vigueur depuis le 19 janvier. La deuxième phase devait marquer la libération, par les groupes armés palestiniens, des derniers captifs israéliens, vivants et morts. Benyamin Nétanyahou et sa coalition d’extrême droite ont choisi de modifier les termes de l’accord, exigeant la prolongation de la première phase et la libération inconditionnelle de tous les otages.
Le premier ministre israélien a choisi le blocage de l’aide comme moyen de pression.
Après le refus du Hamas, il a décidé de rompre le cessez-le-feu. Dans la nuit du 17 au 18 mars, les bombardements ont repris avec une intensité extrême. Depuis, le petit territoire est pilonné du nord au sud, des parties entières sont occupées par les forces terrestres, et la population est à nouveau ballottée.
« Pas même un grain de blé n’entrera à Gaza », a déclaré Bezalel Smotrich, le ministre des finances, dans des propos rapportés par le quotidien israélien Yediot Aharonoth, le 7 avril.
Les entrepôts sont vides
L’utilisation de l’aide humanitaire comme arme est contraire au droit international. Le président français lui-même l’a rappelé le 8 avril, lors de sa visite à El-Arich, en Égypte, devant des responsables d’organisations humanitaires attendant désespérément de faire entrer les produits de première nécessité dans la bande de Gaza.
Le ministre de la défense, Israël Katz, a renchéri le 16 avril : « Personne n’envisage actuellement d’autoriser l’entrée d’aide humanitaire à Gaza, et aucun préparatif n’est en cours pour permettre une telle aide. »
Dans Gaza, les humanitaires regardent les stocks tendre inexorablement vers zéro.
En fin de semaine dernière, affirme une source humanitaire qui tient à conserver l’anonymat, le Programme alimentaire mondial (PAM) a fini de distribuer tous ses stocks à ses partenaires. Il lui restait 5 700 tonnes de nourriture fin mars, mais aujourd’hui les entrepôts onusiens sont vides et les organisations qui fournissent les cantines communautaires n’en ont plus que « pour quelques jours au mieux ».
Ces cuisines collectives servies par le PAM, appelées tekkiya, servent entre 360 000 et 400 000 repas chauds par jour. Avec celles de l’organisation World Central Kitchen, qui en fournit autant, elles ne touchent même pas la moitié de la population gazaouie. « Un repas ne fournit que 25 % des calories nécessaires par jour », reprend notre source.
Or ce plat est souvent la seule nourriture disponible, depuis que les ving-cinq boulangeries alimentées par le PAM ont fermé, leurs réserves de farine épuisées. Un million de personnes se sont retrouvées sans pain, base de leur alimentation depuis des mois du fait de la raréfaction des autres denrées et de leurs prix bien trop élevés pour la plupart des familles.
Il y a une action volontaire visant à saper les efforts des acteurs humanitaires, qui ont été constamment mis en situation d’échec. Gavin Kelleher, travailleur humanitaire
Dès le début du blocus complet, le PAM a réduit les rations distribuées normalement à la moitié de la population, soit, pour chaque unité familiale de cinq personnes, deux sacs de farine de 25 kilos et deux cartons de 22 kilos chacun constitués de riz, lentilles et boîtes de conserve.
« Nous sommes en train de distribuer les dernières tentes, les derniers kits d’hygiène, les derniers produits sanitaires de base et nous ne pourrons bientôt plus fournir d’eau potable car nous arrivons au bout de nos moyens de purification », expliquait à Mediapart Gavin Kelleher, de l’ONG Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), il y a une semaine.
Ce responsable de l’accès humanitaire, dans la bande de Gaza depuis un an, rappelle que les entraves à la distribution de l’aide ne sont pas nouvelles : « Je pense qu’il y a une action volontaire visant à saper les efforts des acteurs humanitaires, qui ont été constamment mis en situation d’échec. Nous n’avons jamais été autorisés à acheminer suffisamment de fournitures, ni à nous déplacer librement dans Gaza pour accéder à la population dans le besoin autant que nous l’aurions dû, ce qui compromet l’ensemble de l’intervention. »
Des déplacements à haut risque
Jusqu’au 2 mars, certains obstacles relèvent des tracasseries bureaucratiques. Les palettes de 1,70 mètre sur 1,70 mètre doivent brusquement, du jour au lendemain, mesurer 1,60 mètre sur 1,60 mètre. Tous les chargements sont à reprendre.
La liste des produits interdits – ceux dits à double usage – change sans arrêt et, là aussi, sans information préalable.
L’interdiction d’importer des batteries de voiture, des lampes solaires, des générateurs, par exemple, constitue à elle seule une entrave au travail humanitaire : après plus d’un an de guerre, les moteurs sont fatigués et les pièces de rechange introuvables.
Beaucoup plus grave : « Gaza détient désormais le triste record du lieu le plus meurtrier au monde pour les travailleurs humanitaires. Nous ne pouvons pas opérer sous les bombes, ni garder le silence pendant que notre personnel est tué, écrivent les douze ONG dans leur appel du 18 avril. Depuis octobre 2023, plus de 400 travailleurs humanitaires et 1 300 professionnels de santé ont été signalés comme tués à Gaza, malgré le droit international humanitaire qui exige leur protection. »
Les mouvements au sein de la bande de Gaza sont dangereux. Pour les sécuriser, les humanitaires sont en contact permanent avec deux organismes israéliens issus de l’armée et qui en dépendent : le Cogat et le CLA. Ce sont eux qui gèrent déplacements, entrées et sorties des biens et des personnes.
Ces mouvements répondent à des règles précises, instituées par les autorités israéliennes et censées garantir leur sécurité.
Alors que tous les bâtiments hébergeant des organisations humanitaires sont dûment signalés, deux immeubles siglés CICR ont été ciblés.
Pour les zones « tampon », où les soldats et les blindés sont présents, soit le long des « frontières » avec Israël et l’Égypte, dans les « corridors » est-ouest créés par l’armée israélienne, au nombre de trois aujourd’hui, et les zones où des opérations militaires sont en cours, les humanitaires ont besoin d’une « coordination ». Dans ce cas, les informations concernant l’heure et le trajet sont transmises par l’organisation au moins vingt-quatre heures avant le déplacement et partagées tout au long de l’opération.
Dans les autres zones, les organisations utilisent un système plus léger dit de « notification », prévenant de leurs mouvements.
Tout s’est durci au fur et à mesure. « Avant le cessez-le-feu, le bureau de coordination israélien en lien avec l’armée nous indiquait par exemple “nous vous déconseillons ce déplacement”, explique à Mediapart un acteur humanitaire de retour de Gaza. Et puis c’est devenu “nous ne prendrons pas en compte ce déplacement”. Ça change tout, en termes de protection. »
Une protection déjà fragile qui a disparu depuis le 18 mars et la reprise à un niveau inégalé des frappes et des tirs. Alors que tous les bâtiments hébergeant des organisations humanitaires sont dûment signalés, coordonnées GPS à l’appui, à l’armée israélienne, deux immeubles siglés Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont été ciblés, les 24 mars et 16 avril.
Plus aucun personnel humanitaire n’est à l’abri.
« Depuis la rupture du cessez-le-feu, l’armée refuse de prendre en compte les notifications, reprend Gavin Kelleher. Du coup, beaucoup d’humanitaires ne sortent pas de leurs quartiers généraux, de peur d’être visés par une frappe ou un tir. Évidemment, la distribution de l’aide, les visites aux populations sont plus qu’entravées. »
De nouvelles règles interdisent l’entrée de l’enclave palestinienne à toute personne ne reconnaissant pas Israël comme un « État juif et démocratique ».
Exemple : deux axes routiers parcourent la bande de Gaza du nord au sud. À l’est, la route Salah ed-Din est interdite par l’armée. Quant à la route côtière, elle ne peut être empruntée avec un véhicule motorisé. « Nous avons encore dans le sud du territoire des produits pour les centrales de désalinisation, dont nous avons besoin dans le nord. Même chose pour des tentes et pour du carburant. Mais nous n’obtenons pas les autorisations pour faire ce trajet avec nos voitures et nos camions. Si nous passons outre, nous risquons d’être visés », explique encore Gavin Kelleher.
Les rotations des personnels internationaux ont toujours lieu, deux fois par semaine, mais dans des conditions difficiles. Deux semaines avant leur entrée dans la bande de Gaza, les listes des personnels internationaux doivent être soumises aux autorités israéliennes. Ces dernières ont édité de nouvelles règles, interdisant par exemple l’entrée de l’enclave palestinienne à toute personne ne reconnaissant pas Israël comme un « État juif et démocratique » ou soutenant les tribunaux internationaux poursuivant les responsables et soldats israéliens, ou encore les appels au boycott d’Israël.
Les biens autorisés sont aussi limités, et surtout ils ne pourront pas rester sur place et devront ressortir de Gaza avec les mêmes personnes. Ainsi en est-il des gilets pare-balles et des casques, des ordinateurs et des téléphones. « En outre, le volume d’argent liquide par personne est très limité, 650 euros, ce qui est ridicule quand on y reste des semaines entières, explique à Mediapart un humanitaire de retour de Gaza. Donc nous ne pouvons fournir à nos collègues palestiniens ni équipements de protection ni cash. »
Pillages
Des gangs pillent par ailleurs les convois, sous l’œil des soldats israéliens. Jusque-là, les menaces pesaient davantage sur les camions et leur cargaison. Ciblés non pas par des foules affamées, ce qui est arrivé parfois et a été largement documenté, mais par des gangs armés opérant dans des zones contrôlées par l’armée israélienne.
Dans ces affaires, les différents témoins interrogés par Mediapart ont tous demandé l’anonymat.
L’immense majorité des attaques et des détournements de l’aide ont eu lieu avant le cessez-le-feu. Pendant la trêve, la police du Hamas, en uniforme ou non, a repris le contrôle du territoire et protégé les convois. Six cents camions ont pu entrer dans l’enclave quotidiennement et atteindre, sans être interceptés, les entrepôts des organisations humanitaires et des entreprises privées commerciales capables d’en affréter.
Mais depuis la reprise de la guerre, et avec la rareté des produits, les pillages ont repris. Ils se déroulent sur le trajet entre les entrepôts et les points de distribution, à une moindre échelle qu’auparavant car les mouvements humanitaires se sont considérablement raréfiés.
L’ONU, en novembre 2024, dénombrait 75 convois attaqués et pillés par des gangs armés depuis l’apparition du phénomène. La plus grosse prise des bandits s’est déroulée le 16 novembre : peu après leur entrée par le point de passage habituel, celui de Kerem Shalom, les 109 camions affrétés par l’UNRWA et le PAM sont pris d’assaut. La cargaison de 98 d’entre eux est pillée, les véhicules sont détournés ou endommagés.
Ce sont les Israéliens qui, au dernier moment, nous donnaient l’ordre de prendre par le corridor de Philadelphie pour descendre au sud vers la zone côtière ou de rejoindre la route Salah ed-Din. C’était toujours vers Salah ed-Din que nous étions attendus et attaqués. Abou Imane, chauffeur de camion
Dans cette attaque comme dans la plupart, un homme est désigné par tous : Yasser Abou Shabab, rejeton d’une famille bédouine de Rafah, emprisonné et condamné pour meurtre sous l’administration du Hamas, et libéré à l’occasion de la guerre. « C’est un homme d’une quarantaine d’années, plutôt petit et maigre. Il a investi une petite usine à Shoka, près de Rafah, tout près du point de passage de Kerem Shalom et en a fait son quartier général, explique un de nos témoins, Abou Sami, trafiquant de cigarettes. Il a commencé à détourner l’aide en barrant les routes avec des poteaux, des obstacles divers pour faire arrêter les camions et se servir, et puis il est passé aux attaques à main armée. »
Les Abou Shabab, une des grandes familles bédouines du sud de la bande de Gaza, n’avaient pas la réputation d’être des voleurs ni des contrebandiers avant Yasser Abou Shabab. « Les mokhtar de ces familles, les hommes respectés qui ont l’autorité traditionnelle, s’avouent totalement dépassés et n’ont aucune prise sur ces gangs, assure à Mediapart un fin connaisseur. Ils en ont peur, même. »
La rumeur assure que le groupe de Yasser Abou Shabab compte six cents à sept cents hommes. Abou Imane, chauffeur de camion, les surnomme « les fourmis ». Lui-même a été menacé et tabassé. « Quand ils attaquent, si tu ne t’arrêtes pas, ils tirent dans les pneus ou carrément sur toi. Puis un type monte dans la cabine, s’assoit à côté de toi et pointe son flingue sur ta tête, et tu conduis comme ça jusqu’à un entrepôt, raconte-t-il à Mediapart. En général, c’est Abou Shabab qui surveille le déchargement. Il prend telle ou telle palette. Il sait que ce qui l’intéresse se trouve précisément là. »
« Il vise en particulier les cigarettes, qui entrent dissimulées dans d’autres cargaisons, et le carburant », explique de son côté Abou Sami, qui se fournissait auprès de lui jusqu’au cessez-le-feu. Selon le revendeur de cigarettes, certaines organisations, plus commerciales qu’humanitaires, acceptaient de négocier avec Abou Shabab le « passage » de leurs camions. D’autres ont payé des gardes armés pour faire le guet sur le trajet de leur cargaison.
« Les grosses ONG internationales et les agences onusiennes ont toujours refusé de se plier au chantage », affirme un humanitaire, qui reproche aux Israéliens de jouer un jeu plus que trouble.
Le QG d’Abou Shabab est en effet situé à proximité des militaires israéliens postés à Kerem Shalom. Les attaques se déroulaient dans des zones sous contrôle de l’armée israélienne, parfois à quelques encablures du point de passage. « Ce sont les Israéliens qui, au dernier moment, nous donnaient l’ordre de prendre par le corridor de Philadelphie pour descendre au sud vers la zone côtière ou de rejoindre la route Salah ed-Din, affirme Abou Imane le chauffeur. C’était toujours vers Salah ed-Din que nous étions attendus et attaqués. »
Cette zone était devenue si dangereuse que les humanitaires ont obtenu de passer par un terminal plus au nord, celui de Kissoufim. Mais là aussi des attaques ont eu lieu.
« Sous le nez des soldats israéliens, rapporte un autre humanitaire de retour de Gaza. Ils savent pourtant envoyer des drones pour taper les policiers du Hamas qui protégeaient nos convois. Alors pourquoi pas les types des gangs qui viennent les piller ? »
Les témoins interrogés par Mediapart donnent tous la même réponse : les autorités israéliennes favorisent le chaos sécuritaire pour mieux pousser leur idée de prendre en main la distribution de l’aide. Histoire de choisir ceux qui pourront en bénéficier et d’asseoir complètement leur contrôle sur la population.
Il serait facile de penser à un délire paranoïaque de personnes depuis trop longtemps à Gaza. Seulement, un document va précisément dans ce sens-là. Daté de janvier 2025, il est intitulé « Plan humanitaire pour les îles de Gaza, phase intermédiaire ». Rédigé par le Forum israélien sur la défense et la sécurité, think tank d’anciens officiers, il prône la division de la bande de Gaza en îlots dans lesquels serait regroupée la population.
La distribution de l’aide humanitaire y serait supervisée et contrôlée par Israël : « La responsabilité de l’aide humanitaire à Gaza sera transférée de l’UNRWA et du Hamas à une direction humanitaire basée dans les villes accueillant des personnes déplacées à l’intérieur du territoire et s’appuyant sur des certificats biométriques », écrivent les auteurs. Qui ajoutent immédiatement : « En général, la direction humanitaire chargée de coordonner les opérations sera israélienne, mais les villes accueillant les personnes déplacées et l’aide sur le terrain seront gérées de manière autonome depuis l’intérieur des villes par la population locale et les organisations humanitaires. »
Le Forum israélien sur la défense et la sécurité est proche de la coalition d’extrême droite au pouvoir en Israël depuis décembre 2022. De ceux qui ont promis que « pas un grain de blé n’entrera[it] dans Gaza ».
Boîte noire
Mediapart a sollicité l’armée israélienne et le Cogat. À l’heure où cet article est mis en ligne, nous n’avons reçu de réponse ni de l’un ni de l’autre.
Les humanitaires ont demandé l’anonymat afin de préserver la possibilité pour leurs organisations de continuer à travailler dans la bande de Gaza, soumise à des autorisations israéliennes.
mise en ligne le 15 mars 2025
Cédric Clérin sur www.humanite.fr
L’Europe court-elle à sa perte ? Cette question lancinante ne date pas de sa passivité face à son exclusion de la résolution du conflit ukrainien, quand bien même il se passe sur son sol. Son affaissement politique et économique se révèle à chaque soubresaut international, et ils sont nombreux par les temps qui courent. L’UE est engluée dans une politique économique libérale qui s’avère suicidaire pour sa souveraineté et même pour sa prospérité. Elle se double d’une incapacité à promouvoir un autre projet que la course à la guerre économique et militaire.
Dans ce dernier domaine, voilà qu’elle fait preuve d’un volontarisme auquel elle s’est toujours refusée quand il s’agissait de répondre aux enjeux sociaux. Face à la situation en Ukraine, qui révèle, il est vrai, une certaine urgence pour ne pas laisser le pays se faire dépecer par les impérialismes russe et américain conjugués, l’UE fait le choix de la surenchère.
Permettre, pour le seul réarmement, de faire sauter le verrou des 3 % de PIB de déficit public qui corsète les politiques des pays membres depuis des décennies et a amené à la catastrophe sociale et économique dans laquelle nous nous trouvons jette une lumière crue sur la vraie nature de la construction européenne.
Trump demande 5 % du PIB pour la défense, les Européens s’exécutent. Certes, la garantie de sécurité que les États européens croyaient trouver avec l’Otan s’évapore chaque jour un peu plus. Bien qu’extrêmement prévisible, c’est une donnée du problème. Encore faut-il bien préciser les menaces et les moyens politiques et opérationnels d’y répondre. Mais pourquoi se jeter à corps perdu dans des dépenses publiques, d’ordinaire bannies du vocabulaire européen ?
Derrière les discours martiaux et la surenchère verbale autour de « l’économie de guerre » se cachent les bas intérêts capitalistiques. La guerre, ça rapporte : on estime que les investissements dans la défense sont équivalents à un plan de relance qui produirait 1 à 2 % de croissance du PIB européen. Les Bourses se réjouissent. Les entreprises d’armement voient le cours de leurs actions s’envoler, et pour cause : certains analystes anticipent une hausse des profits du complexe militaro-industriel de 100 % !
Mais cette débauche d’argent public a, pour les libéraux, une autre vertu. « Augmenter le temps de travail, restreindre l’accès à l’assurance-chômage, partir en retraite plus tard, simplifier radicalement la vie des entreprises, libérer l’innovation sont désormais des impératifs sécuritaires », jubile l’économiste Nicolas Bouzou dans l’Express. La guerre, quel meilleur moyen de faire accepter l’inacceptable ?
Ce sont des dizaines de milliards d’euros à trouver, et ce « sans augmentation d’impôts », selon le président de la République. Comprenez : pour les plus riches. Si ce n’est pas les plus grandes fortunes qui versent au pot, ce sera tous les autres ! Une aubaine à l’heure où s’ouvrent les négociations sur la réforme des retraites. Un tel « backlash » social serait d’une violence scandaleuse et intenable. Si les objectifs sécuritaires et la menace russe sont flous, les répercussions sociales et écologiques seraient, elles, bien réelles.
Plutôt que ces calculs cyniques, l’Europe et la France pourraient engager d’urgence une initiative pour le multilatéralisme, la réactivation de l’ONU et le respect du droit international en vue d’un cessez-le-feu. Actant l’obsolescence de l’Otan, l’Europe pourrait prendre la voie du non-alignement et devenir le moteur d’une vision de la paix mêlant sécurité collective, satisfaction des besoins humains et coopération mondiale. Tout le contraire de là où Trump veut nous emmener avec la complicité des libéraux du continent. Ce grand débat nécessaire ne peut être escamoté. Les peuples ont leur mot à dire.
mise en ligne le 15 mars 2025
Edwy Plenel sur www.mediapart.fr
La négation des crimes contre l’humanité qui ont accompagné la colonisation française fragilise notre démocratie en faisant le lit des idéologies racistes, suprémacistes et fascistes.
Aimé Césaire a déjà tout dit. C’est dans son Discours sur le colonialisme, initialement paru en 1950, puis en 1955 dans une version revue et augmentée.
« Où veux-je en venir ?, écrit-il. À cette idée : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation mortellement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment. Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation. »
L’aventure coloniale française a commencé en 1635 avec la prise de possession de la Guadeloupe et de la Martinique, deux îles des Caraïbes. Aimé Césaire est né dans le nord de cette dernière, à Basse-Pointe, en 1913. Immense poète, il en fut sans interruption le député durant près d’un demi-siècle (1945-1993) et le maire de sa capitale, Fort-de-France, durant cinquante-six ans (1945-2001). En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un hommage national lui a été rendu par la pose d’une plaque à son nom au Panthéon, louant cet « inlassable artisan de la décolonisation ».
C’est donc depuis le chaudron initial de la colonisation, depuis ces Antilles où un crime contre l’humanité, l’esclavage des Africains déportés, fera la richesse des colons et de la France, que Césaire énonce une vérité historique qui semble devenue aujourd’hui inaudible. Le (re)lire, c’est prendre toute la mesure de l’abaissement de notre débat public où la mémoire de la Shoah est désormais brandie pour interdire d’énoncer d’autres crimes dont l’Europe s’est longtemps rendue coupable, à l’encontre des peuples non européens.
Démesure et inconscience
Cet interdit, dont le journaliste Jean-Michel Aphatie a récemment fait les frais, cherche à empêcher de penser les liens qu’entretiennent le nazisme et son crime de génocide avec la longue durée européenne des conquêtes coloniales et l’idéologie de supériorité civilisationnelle qui y a légitimé destructions, massacres et exterminations. C’est comme si Césaire, l’un de ces « grands hommes » qu’honore la patrie, selon le fronton du Panthéon, devenait soudain un penseur sulfureux, banni de la République, de ses débats et de ses médias.
Hitler, ce châtiment qui fit retour sur l’Europe et contre ses peuples, est né de l’Europe elle-même, de sa démesure et de son inconscience. Il nous faut le redire, haut et fort, après Césaire. Sinon, les fantômes du passé encombreront plus que jamais notre présent : ces idéologies racistes et suprémacistes qui ont légitimé les colonisations, dont se sont ensuite nourris fascisme et nazisme, et qui sont toujours le fonds de commerce des extrêmes droites. « Au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, écrit Césaire dans son Discours, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »
Ces mots semblent une prophétie : c’est à la France d’aujourd’hui qu’ils parlent, celle qui s’enferme dans la négation des crimes de la colonisation. Et qui, dès lors, se met en grand danger ; tant nier le passé, c’est risquer son retour. Le retour – Césaire toujours – « aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral ».
Ce passé est largement documenté par les travaux des historiens. Que la colonisation française, d’Haïti en Algérie, d’Afrique en Indochine, de Madagascar en Nouvelle-Calédonie, se soit accompagnée de massacres de civils, de razzias des villages, de destruction des cultures, de viols des femmes, de tortures et d’exterminations, etc., relève tout simplement d’une vérité de fait, documentée, sourcée, vérifiée et recoupée.
La violence coloniale fait toujours retour, gangrenant la politique du pays qui l’autorise et la légitime.
Les pièces à conviction sont innombrables et irréfutables. En accès libre, le site Histoirecoloniale.net les donne à voir, notamment à propos de l’évocation par Jean-Michel Aphatie des « Oradours » commis par la France durant sa conquête de l’Algérie. On doit à l’un de ses animateurs, Alain Ruscio, une somme sur cette Première guerre d’Algérie, qui est déjà un ouvrage de référence.
Loin d’un réquisitoire, c’est le récit factuel d’une guerre longue et dévastatrice, déployée comme une histoire globale, tenant compte de la diversité des acteurs, des contextes et des causalités. On y croise nombre d’horreurs qui en rappellent d’autres, tant cette conquête est menée par des militaires qui ont servi Napoléon.
Au hasard :
« Il faut détruire tous les nègres des montagnes, hommes et femmes, ne garder que les enfants au-dessous de douze ans » : le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte, en 1802, alors qu’il mène l’armée de reconquête de Saint-Domingue, un an avant qu’elle ne soit défaite à Vertières.
« Des têtes… Apportez des têtes, bouchez les conduites d’eau crevées avec la tête du premier Bédouin que vous rencontrerez » : Savary, duc de Rovigo, en 1832 au début de la conquête de l’Algérie, ordonnant le massacre de toute la tribu d’El Ouffia, en représailles d’un vol.
« Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe, l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied » : le colonel Montagnac en 1843, expliquant, depuis Philippeville en Algérie, comment il faut « faire la guerre aux Arabes ».
Dans L’Honneur de Saint-Arnaud (Plon, 1993), François Maspero a offert un portrait saisissant de l’un de ces massacreurs, le maréchal Achille Leroy de Saint-Arnaud, qui fut ensuite l’un des bras armés du coup d’État bonapartiste du 2 décembre 1851, quand fut assassinée la Deuxième République. Où l’on retrouve le châtiment évoqué par Césaire : la violence coloniale fait toujours retour, gangrenant la politique du pays qui l’autorise et la légitime.
Ce fut aussi le cas avec la chute de la Quatrième et l’avènement de la Cinquième, en 1958, dans un climat de guerre civile propice à l’extrême droite auquel une guerre coloniale servit de tremplin, dans cette Algérie où la France n’hésita pas à torturer, mais aussi à gazer comme le rappelle un remarquable documentaire déprogrammé par France Télévisions.
Infériorisation
« Cet homme est de chez nous. Cet homme est à nous », écrivait Maspero à propos de Saint-Arnaud. À l’enseigne de la maison d’édition qui portait son nom, fondée en 1959 durant la guerre d’Algérie et devenue depuis 1982 les éditions La Découverte, il fut le principal éditeur de cette prise de conscience de l’actualité française de la question coloniale.
On doit à l’un de ses auteurs, Yves Benot, historien amateur, des livres pionniers dont les historiens professionnels ont largement enrichi les trouvailles. La Démence coloniale sous Napoléon (1992) reste un classique, suivi de Massacres coloniaux (1994), qui documente la mise au pas des colonies françaises dans l’immédiat après-guerre, de 1944 à 1950.
Préfaçant Massacres coloniaux, François Maspero souligne ce « fait majeur » : « La colonisation, contrairement à la manière dont elle a été et reste communément traitée, n’est pas un élément marginal dans l’histoire de France ni dans celle des idées européennes. […] Elle s’inscrit constamment avec virulence au cœur même de cette histoire, au cœur de ses idées, au point souvent de les déterminer de façon décisive. » Sa prétendue « mission civilisatrice » a pour corollaire l’infériorisation d’une partie de l’humanité, et par conséquent la négation de l’égalité des droits, la discrimination selon l’origine, bref le rejet de l’autre.
Quelles que soient les rencontres heureuses, relations prometteuses et échanges fructueux qu’elle a pu susciter, ce qu’aucun historien de sa longue durée ne conteste, la colonisation n’a cessé d’être une violence faite aux populations conquises, dominées et exploitées. Parce qu’en son principe même, elle repose sur une hiérarchie des humanités, des cultures, des peuples, des « races », des civilisations, des religions, des identités ou des origines, des apparences ou des croyances. Autrement dit, sur le socle idéologique des racismes et des fascismes.
Tant que ces vérités historiques n’auront pas été proclamées par la République elle-même, à l’instar du « Discours du Vel’ d’Hiv » prononcé en 1995 par Jacques Chirac pour reconnaître les responsabilités françaises dans la destruction des juifs d’Europe, le racisme, le suprémacisme et le fascisme continueront de prospérer.
mise en ligne le 14 mars 2025
Naïm Sakhi et Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
À l’heure où les bouleversements géopolitiques se multiplient depuis l’investiture de Donald Trump, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, dénonce le discours belliciste d’Emmanuel Macron et plaide pour une stratégie industrielle et sociale européenne, qui renouerait avec un multilatéralisme en direction du Sud global.
ONU, climat, multilatéralisme, justice internationale… Le retour de Donald Trump au pouvoir a accéléré un basculement de l’ordre mondial. Pour contrer la nouvelle internationale d’extrême droite, la secrétaire générale de la CGT plaide pour une unité d’action syndicale au niveau international et une convergence des luttes.
Sophie Binet dénonce par ailleurs la stratégie d’évitement du patronat visant à ne pas revenir sur la réforme des retraites de 2023. Alors que l’idée d’une dose de retraite par capitalisation est avancée par le patronat, une ligne rouge pour la CGT, la confédération entend maintenir la pression sur le « conclave » organisé par le premier ministre.
Quel regard portez-vous sur le contexte international bouleversé par le retour de Donald Trump au pouvoir ?
Nous sommes face à une accélération profonde de l’histoire. Mais la tendance de fond est à l’œuvre depuis des années. La CGT n’a cessé d’alerter sur ce danger. Avec l’élection de Trump se concrétise l’alliance entre l’extrême droite et les milliardaires, incarnés par Elon Musk. Ce dernier n’est pas un cas isolé, il représente une oligarchie. La preuve la plus flagrante est l’alignement de la tech américaine. Aujourd’hui comme hier, pour le capital, l’argent n’a pas d’odeur.
La deuxième tendance nouvelle est la constitution d’une internationale d’extrême droite, illustrée notamment par l’alliance entre Trump, Poutine et Netanyahou. Ce mouvement prend de l’ampleur et dispose pour la première fois d’un soutien sans précédent du capital, incarné par des milliardaires qui détiennent de très nombreux médias, et les réseaux sociaux. Cela donne à l’extrême droite une force de frappe inédite depuis 1945.
Il faut comprendre et débattre de cette nouvelle donne. Nous devons sortir des réponses anciennes, renouveler le logiciel sur un certain nombre de sujets. Cela appelle en urgence à un travail de réflexion, de débat, d’unité et d’action collective.
Comment s’y prendre et pour quoi faire ?
Face à cette internationale d’extrême droite, il faut construire une internationale ouvrière renouvelée et renforcée. Cela fait partie des stratégies de la CGT. Les échanges sont poussés avec nos homologues européens et internationaux. Aux États-Unis, la question économique va être le point faible de Trump. Le chômage augmente, essentiellement à cause des violents licenciements dans la fonction publique.
L’inflation pointe son nez. Le syndicalisme sera central dans ce moment de bascule. En France comme aux États-Unis, nous devrons faire confluer les rivières des luttes sociales, féministes, environnementales et antiracistes. La journée mobilisation du 8 mars a été une grande réussite.
« Si le fascisme des années 1930 était autoritaire, aujourd’hui, il s’appuie sur un discours libertarien pour se présenter comme défenseur de la liberté soi-disant attaquée par l’Europe et ses règles. »
Le 21 mars, l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, Unsa, Solidaires, FSU) va lancer une campagne contre le racisme et l’antisémitisme sur les lieux de travail. Enfin, la CGT est, avec de très nombreuses associations, initiatrice des mobilisations du 22 mars contre le racisme et la précarisation des 3,5 millions de travailleurs étrangers par la politique inacceptable du ministre de l’Intérieur.
N’est-ce pourtant pas l’extrême droite qui semble dicter l’agenda politique ?
L’extrême droite tente de tout récupérer. La thématique pacifiste, mais aussi celles des libertés et de la démocratie au point que Donald Trump se prend maintenant pour le prix Nobel de la paix. Si le fascisme des années 1930 était autoritaire, aujourd’hui, il s’appuie sur un discours libertarien pour se présenter comme défenseur de la liberté soi-disant attaquée par l’Europe et ses règles.
Il faut rappeler un certain nombre de principes fondamentaux. La paix et la liberté, ce n’est pas le droit du plus fort ou du plus riche, comme le défend Donald Trump. La liberté a des limites, le respect de celle des autres. On est libre jusqu’à ce qu’on prenne des droits aux autres. La paix passe par le respect du droit international, de la souveraineté des peuples, de leur autodétermination. Il n’existe aucune paix durable sans justice sociale, comme l’a rappelé l’Organisation internationale du travail lors de sa création, en 1919.
Comment jugez-vous la surenchère guerrière d’Emmanuel Macron ?
Pour les travailleurs, il n’y a rien de pire que l’économie de guerre. Dorénavant, on nous explique que l’argent de nos services publics et de nos droits sociaux financera les actionnaires des marchands d’armes, y compris américains. Et dans le même temps, Thales prévoit le licenciement de 1 000 salariés.
Cette vision politique du président français sert le capital, qui essaye de profiter de la situation de façon totalement opportuniste, en jouant sur les peurs. La surenchère guerrière favorise le développement de l’extrême droite. Car elle prospère sur le déclassement, l’absence de perspectives collectives et sociales. Les violentes politiques sociales que veut nous imposer le capital sont le meilleur moyen d’amener l’extrême droite au pouvoir.
Quel est le principal péril devant nous ?
La menace est démocratique avant d’être militaire. Notre pays ne va pas être envahi par les Russes ou les États-Unis. En revanche, Trump et Poutine travaillent activement pour déstabiliser nos démocraties. Très récemment, ils ont soutenu l’extrême droite en Grande-Bretagne, en Allemagne ou encore en Roumanie, et multiplient les tentatives d’ingérence à coups de fake news et de manipulations sur les réseaux sociaux.
En France, nous savons que Marine Le Pen est plus proche que jamais de l’Élysée et qu’elle bénéficie de soutiens très importants, à commencer par Bolloré et Stérin. La réponse française et européenne doit viser à protéger nos démocraties, en commençant par sortir médias et réseaux sociaux des mains des milliardaires, conforter l’indépendance de la justice, les libertés publiques et syndicales… Au lieu de cela, comme ils refusent d’affronter le capital, ils se limitent à la surenchère militaire et de dérégulation.
Comment sortir les travailleurs de cette impasse ?
D’abord il faut leur permettre de comprendre ce basculement. Avec l’alliance Musk-Trump, la clarification est visible. L’extrême droite alliée au capital est l’ennemie du monde du travail. Cette alliance s’est illustrée au plan européen. Au nom de la « simplification » et de la « compétitivité » face aux États-Unis, la Commission européenne met en place la déréglementation voulue par Trump.
La directive Omnibus, rédigée sous la dictée de Business Europe, va supprimer toute responsabilité sociale et environnementale des multinationales. Si cette directive est adoptée, cela sera grâce à une alliance inédite du Parti populaire européen, la droite, avec l’extrême droite sur le dos des travailleurs et des travailleuses.
Comment expliquer cette convergence entre le capital et l’extrême droite ?
Ils ont pour intérêt commun de tirer les droits des travailleurs vers le bas. L’Europe doit clarifier sa position. Soit elle résiste à cette internationale d’extrême droite, soit elle continue à servir le marché et le capitalisme américain. Notre dépendance à l’égard des États-Unis intervient à tous les niveaux : militaire, économique, numérique… Stratégiquement, nous devons rompre ces liens de dépendance afin de permettre à l’Europe d’être réellement autonome. Cela passe par une vraie souveraineté industrielle et une vraie stratégie numérique.
Un changement de cap, en France et en Europe, est-il possible dans le cadre budgétaire des 3 % de déficit ?
La sécurité de l’Europe est présentée comme un enjeu vital et qui permet de sortir du pacte de stabilité et des 3 % de déficit public. Or, la transformation environnementale est tout aussi vitale. De même que la cohésion de nos sociétés et des droits sociaux. L’Europe doit définitivement sortir de cette règle afin d’investir pour son avenir.
Après tout, à deux reprises, l’Europe a déjà pu s’endetter : pour sauver les banques en 2008 et, en 2020, pour empêcher une épidémie majeure avec le Covid. Hélas, le lendemain, c’est toujours les travailleurs qui payent. Pourquoi ? Parce que la dette est dans les mains des marchés financiers. Il faut changer les règles de la Banque centrale européenne pour qu’elle puisse prêter de l’argent directement aux États, comme la Fed aux États-Unis.
L’Europe peut-elle résister à la guerre commerciale menée par Donald Trump ?
L’Europe doit faire varier les droits de douane en fonction des normes sociales et environnementales et par exemple du nombre de conventions ratifiées à l‘OIT par le pays d’origine. Mais rappelons que les principales délocalisations des entreprises françaises ont lieu en Europe. Il faut mettre fin au dumping social, fiscal et environnemental au plan européen en harmonisant enfin les normes vers le haut.
Pas question de céder aux injonctions du président des États-Unis, qui réclame l’augmentation de nos financements de défense pour soutenir le complexe militaro-industriel américain. Des mesures très fortes sont à prendre pour défendre notre industrie en commençant par sortir l’énergie de la spéculation et ainsi baisser les prix de l’électricité. Comment prétendre construire une Europe de la défense sans sortir de l’Otan, dont Donald Trump a d’ailleurs lui-même signé l’acte de décès ?
Quelle forme pourrait prendre l’alternative à l’Otan ?
L’Europe doit s’autonomiser en matière de défense mais, surtout, de diplomatie et de multilatéralisme. Les Européens doivent défendre le renforcement des Nations unies, en commençant par exiger la réforme du Conseil de sécurité, qui bloque aujourd’hui systématiquement toute perspective de paix à cause des veto russes et américains.
La France et l’Europe doivent porter l’organisation d’une conférence de paix sous l’égide de l’ONU sur l’Ukraine, afin d’empêcher le pillage des ressources minières par les États-Unis et l’annexion de son territoire par la Russie. Afin d’apparaître comme un modèle, l’Europe doit affirmer ses valeurs et non basculer dans la surenchère guerrière. Le danger grandit avec la prolifération de l’armement. L’Europe devrait au contraire porter l’enjeu de la paix juste et durable et du désarmement, notamment nucléaire.
Il n’y a jamais eu autant d’armes nucléaires dans le monde alors que nous commémorons les 80 ans des dramatiques bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Enfin, la réorientation européenne passe par une autre diplomatie en termes d’alliances géopolitiques. Désormais, les cartes sont rebattues et nous devons renforcer nos liens avec les démocraties du Sud global.
L’espace médiatique est acquis à l’engrenage guerrier. Comment en sortir ?
En se dotant d’une stratégie européenne pour protéger les médias, la liberté de la presse et sortir de la dépendance des Gafam en développant une industrie numérique indépendante, et en ayant une vraie stratégie démocratique en matière d’intelligence artificielle. Car les milliardaires qui possèdent les principaux médias et réseaux sociaux ont désormais basculé à l’extrême droite. Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) visait déjà, entre autres, à empêcher un accaparement de la presse par des capitaines d’industrie, mais ces mesures n’ont jamais été appliquées.
Le travail de diffusion de la post-vérité par l’extrême droite se joue aussi dans l’édition. Des garanties doivent exister pour empêcher la publication de livres diffusant des mensonges factuels ou une réécriture de l’histoire. Il y a une différence entre les opinions et les faits. Le réchauffement climatique ne se discute pas, c’est une situation avérée par les scientifiques.
De même, le génocide de 6 millions de juifs par les nazis est malheureusement une vérité historique. Alors que l’extrême droite mène une guerre contre la science et licencie aux États-Unis des dizaines de milliers de chercheurs et de chercheuses, l’Europe doit investir massivement pour mettre fin à la paupérisation honteuse de la recherche. Il nous faut titulariser les très nombreux précaires et offrir l’asile à tous les chercheurs américains.
Dans ce contexte international, le « conclave » sur l’avenir des retraites se poursuit. Des avancées sont-elles encore possibles ?
Tout dépend du rapport de force. Bien sûr, le patronat et le gouvernement ne veulent pas revenir sur la réforme Borne. Dorénavant, ils ont opté pour une stratégie opportuniste en instrumentalisant la situation géopolitique pour enterrer le dossier des retraites.
Le patronat serait d’ailleurs ravi que ces concertations s’arrêtent en prétextant que ce ne serait plus le moment de revendiquer l’abrogation de la réforme des retraites, de demander de l’argent pour les services publics ou des droits supplémentaires pour les travailleurs. Rien de neuf sous le soleil.
Les mêmes nous disaient la même chose deux mois auparavant, avec d’autres arguments. Comme l’excuse selon laquelle, si on abrogeait la réforme des retraites, les agences de notation nous sanctionneraient et la France ne serait plus compétitive au niveau international.
Nous l’avons bien compris, pour le patronat, ce n’est jamais le moment du progrès social ! Pour la CGT, l’abrogation est toujours à l’ordre du jour. Les 10 milliards d’euros nécessaires pour revenir à 62 ans sont toujours bien moindres que les budgets débloqués pour l’achat d’obus. L’abrogation peut être aisément financée, notamment par l’égalité salariale ou la mise à contribution des revenus financiers et des dividendes.
Le Medef comme la CPME parlent d’introduire une part de retraite par capitalisation. Est-ce une ligne rouge pour la CGT ?
C’est une ligne rouge totale. Introduire de la capitalisation dans notre système par répartition, c’est faire entrer le loup dans la bergerie. Une fois le pied dans la porte, du fait de la baisse du niveau de vie des retraités générée par les multiples réformes régressives, la capitalisation ne cessera de grignoter du terrain.
Nous fêtons, en 2025, les 80 ans de la Sécurité sociale et de nos retraites par répartition. Comment avons-nous fait pour gagner cela dans un pays ruiné ? Parce que les fonds de pension par capitalisation avaient fait faillite. N’ayons pas la mémoire courte. Les fonds de pension, aujourd’hui comme hier, c’est la roulette russe.
L’industrie française, en plein marasme, peut-elle soutenir une économie de guerre ?
Comment parler d’économie de guerre tout en laissant notre industrie partir ? Emmanuel Macron tient un discours va-t-en-guerre mais, en même temps, s’enferme dans ses dogmes libéraux. La première des conditions pour se faire respecter dans les relations internationales, c’est la souveraineté industrielle. Or la CGT alerte depuis un an sur la liquidation du tissu industriel, avec pas loin de 300 000 emplois menacés.
La France risque de ne plus produire d’acier sur son sol. Sans acier, plus d’industrie. Et le gouvernement français reste un des seuls au monde à refuser d’intervenir sur l’économie, croyant à la théorie des destructions créatrices de Joseph Schumpeter. Les profiteurs de guerre sont à l’affût.
Alors que les cours en Bourse des industriels de l’armement s’envolent, le secteur devrait être nationalisé, à commencer par Atos et Vencorex. Quelle honte que le gouvernement laisse démanteler nos industries stratégiques dans un tel contexte.
mise en ligne le 13 mars 2025
par Alban Elkaïm sur https://basta.media/
Des habitants expulsés de leur logement et des prix qui explosent : la faute aux meublés touristiques, au manque de constructions et au peu de régulation. Premiers affectés, locataires et jeunes relancent en Espagne le mouvement pour le droit au logement.
« Je vais partir. Je suis bien obligée. Mais ce sera jetée de force et en me débattant. » Vendredi 14 mars 2025, Elena* doit être expulsée de l’appartement où sa fille de 16 ans a grandi, dans un quartier encore résidentiel de la vieille ville de Séville, en Espagne.
La ville est en proie à une fièvre touristique qui attise les appétits spéculatifs. À l’été 2020, un conglomérat local de la restauration et de l’immobilier rachète l’immeuble où cette mère élève seule sa fille. Les habitants sont invités à partir. Au chômage à l’époque, Elena demande un délai pour se retourner, le temps de retrouver un travail, et un logement dans le même quartier, pour ne pas arracher la petite à son école et ses amis. C’est le début d’un calvaire de cinq ans.
À Séville, l’histoire d’Elena catalyse le malaise autour de la nouvelle crise du logement qui sévit en Espagne. Le sujet est la première préoccupation des citoyens depuis décembre, selon le baromètre du Centre de recherches sociologiques (CIS), la référence espagnole en matière d’études d’opinion.
Des immeubles vidés pour spéculer
Le 14 mars figure dans tous les agendas de la constellation de structures qui forment le mouvement de défense du droit au logement. Il n’avait plus été aussi fort depuis la grande récession d’après le krach boursier de 2008. Il est aussi en pleine restructuration face à une crise qui, aujourd’hui, affecte surtout les locataires et les jeunes.
« Je n’avais jamais pensé que ça pourrait m’arriver à moi », reconnaît Elena. Professeure des écoles en CDI, elle perd son emploi en 2019, à 49 ans. À l’époque, cela fait dix ans qu’elle habite au premier d’un petit bâtiment blanc de deux étages, aux rebords peints en ocre, dans une rue pavée étroite. Un local d’artisans occupe le rez-de-chaussée. L’immeuble est typique de la vieille ville. Mais à la mort de la propriétaire, le bâtiment est vendu. « On suppose que les acquéreurs veulent le vider pour spéculer. Il est à nouveau en vente et de nombreux intéressés sont venus voir », témoigne Elena.
Depuis 2013, à Séville, le tourisme accapare une portion croissante du parc immobilier. Notamment à cause des meublés de tourisme, popularisés par Airbnb. Ils sont pour les propriétaires bien plus rentables qu’un logement loué sur le long terme à un ménage. Au point qu’en 2019, dans le quartier historique de Séville de Santa-Cruz, plus de 60 % du parc étaient dédiés à l’accueil de touristes (selon les données de 2022 du lobby espagnol du tourisme Exceltur). Le phénomène pousse les habitants hors du centre et grignote les zones encore résidentielles. Il fait aussi monter en flèche les prix du logement : 29 % de plus à l’achat depuis octobre 2021 pour Séville, et +24 % à la location.
Ces prix représentent autant d’opportunités juteuses pour certains. Les plus beaux bâtiments se transforment en hôtels. Les locaux des rez-de-chaussée en bars ou cabarets flamenco dont les menus sont traduits en anglais pour capter les millions d’euros laissés par les étrangers de passage. Un immeuble vide vaut de l’or.
« “Elena, allez !” “Elena, quand est-ce que tu peux partir ?” Ils me demandaient tout le temps ça », rapporte l’enseignante, qui vit alors avec 480 euros par mois, plus de petits jobs plus ou moins formels et ponctuels. Elle se retrouve rapidement sous anti-dépresseurs.
Et puis un jour de juillet 2022, trois « gros bras » défoncent la porte d’entrée de l’immeuble. Des voisins qui squattaient l’autre logement
tentent de les arrêter.
L’un d’eux est légèrement blessé. « Qu’est-ce que vous faites là ? » vocifèrent les assaillants. « J’étais à la maison avec ma fille. On a eu très peur. J’ai
téléphoné au propriétaire pour lui demander ce qu’il se passait. Il s’est mis à crier : “Tu es en train de m’accuser ?” ». Elena appelle la police. « Peu après, le
propriétaire m’attendait au coin de la rue, assis sur une moto. » Il la menace à demi-mot.
Elena se tourne alors vers des structures de lutte pour le droit au logement. Et s’investit dans l’association l’Assemblée du logement, dont elle finit par devenir membre, accompagnant d’autres personnes en détresse. L’association communique sur l’histoire de la mère de Séville pour en faire un symbole, « L’affaire Dúo Tapas », du nom d’un des restaurants à succès exploités par le conglomérat qui a racheté l’immeuble d’Elena.
« Aujourd’hui, c’est le tourisme qui mobilise le plus sur la question du logement », confirme Ibán Díaz-Parra. Professeur à l’université de Séville, spécialiste de l’urbanisme et des conflits qui le traversent. Il est aussi un ancien du mouvement local pour le droit au logement. Depuis un an, des manifestations éclatent régulièrement à travers le pays pour protester contre l’absence de régulation du tourisme. L’Espagne est le pays le plus visité au monde après la France.
À l’automne, le vase déborde à Séville. La mairie tente d’endormir la grogne, selon les associations. « On s’est dit qu’il fallait élargir le focus. Le tourisme n’est qu’une partie du problème. Il y aussi les normes favorisant la spéculation, le manque d’habitat social ou la hausse des loyers dans les quartiers », retrace Nerea de Tena Álvarez, porte-parole de la toute jeune plateforme Séville pour vivre. Dans l’ensemble de l’Espagne, les loyers ont bondi de 36 % depuis octobre 2021.
Le contrat frauduleux d’un fonds d’investissement
Séville pour vivre est né tout spécialement pour organiser une grande manifestation, le 9 novembre. La première d’une série de cortèges qui ont défilé dans toutes les grandes villes du pays jusqu’à mi-décembre.
À Séville, la pression immobilière exercée sur le centre se répercute sur toute l’agglomération. Les plus fragiles se retrouvent dos au mur. « Mon expulsion est fixée à ce mercredi », raconte Jessica, 36 ans, venue assister à une réunion pour créer un syndicat de locataires à Séville, dimanche 2 février.
« Je loue à un fonds d’investissement qui a établi un contrat frauduleux, reconductible chaque mois, dit-elle. En raison d’une maladie, il y a deux ans, j’ai perdu mes deux emplois et me suis retrouvée face à des impayés. J’ai su que j’étais visée par une procédure d’expulsion en décembre. Mais je suis mère isolée, en situation de vulnérabilité sociale accréditée, avec ma fille de 16 ans. Le juge devrait me laisser jusqu’au 31 décembre. Mais il ne nous a rien dit jusque-là. Je n’en dors plus. »
La trentenaire croit en ce syndicat de locataires pour rétablir un peu d’équilibre dans l’asymétrie de la relation entre locataires et propriétaires. Une asymétrie qui se creuse. La construction de logements neufs s’est effondrée au moment de la crise de 2008 et n’a jamais repris. Le nombre de ménages augmente plus vite que celui des logements et l’habitat social ne représente que 2,5 % du parc dans le pays.
L’Espagne est un pays de propriétaires, où l’on contracte en général un crédit pour acheter sa maison. « Mais nous sommes passés d’une proportion de 80 % de propriétaires et 20 % de locataires à un rapport de 75 % à 25 %. La demande est forte, la disponibilité de logements à acheter faible. Beaucoup de jeunes restent chez leurs parents, car ils peinent à accéder au logement », résume le professeur Ibán Díaz-Parra.
L’universitaire a embrassé la lutte pour le droit à un toit durant la grande dépression espagnole de 2008-2014. Nombre d’Espagnols ne pouvaient alors plus payer leur crédit immobilier et devaient vendre leur logement, dont le prix en chute libre ne suffisait pas à couvrir le prêt. Beaucoup se sont retrouvés dans des situations désespérées. La Plateforme des personnes affectées par le crédit immobilier structure alors la mobilisation, qui dote d’une forte légitimité l’idée que le droit au logement prévaut sur celui aux revenus de l’immobilier. Mais une contre-offensive est vite lancée.
« Il y a dix ans, squatter les immeubles vides, propriétés des banques après l’expulsion des habitants, jouissait d’une forte acceptabilité sociale. Aujourd’hui, la droite criminalise la pauvreté à travers la figure du squatteur diabolique ou du “locasquatteur” [néologisme qui désigne un locataire qui ne paie plus son loyer] pour relégitimer la propriété privée et le droit d’en faire ce qu’on veut », constate Ibán Díaz-Parra.
Après 2008, les défenseurs du droit au logement avaient construit leur lutte dans une crise qui balayait toute la société. Aujourd’hui, la situation est différente. L’Espagne affiche une croissance économique solide, bien qu’inégalement répartie. Et les syndicats de locataires prennent la relève du mouvement de 2008 des propriétaires endettés victimes de la crise financière.
À Barcelone, une expulsion évitée
Une quarantaine d’habitants viennent assister à l’acte de lancement de l’antenne de Séville, vendredi 14 février. Jessica est là, et suit attentivement les interventions. « Nous devons réussir à convaincre des couches plus larges de la société que le logement n’est pas un business. Et trouver comment faire pour que les gens s’organisent et luttent. À Malaga, nous identifions des immeubles détenus par un seul propriétaire, nous en informons les habitants et expliquons comment peser collectivement », explique celui qui se fait appeler Kike España, représentant du syndicat des locataires de Malaga venu partager son expérience.
Mis en relations les uns avec les autres, les habitants peuvent se mobiliser plus facilement face à leur propriétaire en cas de hausse des loyers ou de revente de l’immeuble. Ils voudraient aller plus loin, et organiser une grève des loyers pour obliger les propriétaires à les baisser.
Pour l’heure, Barcelone est le lieu où la mobilisation a le plus payé. Le syndicat local a paralysé l’expulsion du dernier habitant d’un immeuble racheté par un investisseur pour en faire un complexe touristique. Les militants pour le droit au logement se sont massés devant l’entrée, brandissant leurs jeux de clés devant les journalistes qui ont feuilletonné l’histoire dans tous les médias du pays.
Si bien que la ville de Barcelone a racheté le bâtiment, le 7 février, pour mettre fin aux expulsions. « La Casa Orsola, à Barcelone, peut devenir l’un des symboles du mouvement. Comme, peut-être, l’affaire Dúo Tapas à Séville. Ces récits sont importants, car ils mobilisent les citoyens et changent la vision du grand public », estime Ibán Díaz-Parra. C’est la clé pour obliger les politiques à vraiment protéger les locataires : « L’action des partis de gauche sur le logement est déterminée par le souhait de répondre à des électeurs qui veulent du changement. »
*Le prénom d’Elena a été changé par crainte des représailles.
mise en ligne le 12 mars 2025
Clothilde Mraffko sur www.mediapart.fr
Un mois et demi après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, les Gazaouis luttent encore pour assurer leurs besoins vitaux. Le 2 mars, Israël a suspendu l’entrée de l’aide humanitaire dans l’enclave, puis l’électricité une semaine plus tard. Plus de 120 Palestiniens ont été tués depuis le 19 janvier.
Ramallah (Cisjordanie occupée).– La voix de Dina Matar est distante, lasse – et cette fatigue ne semble pas seulement due aux longues journées de jeûne du ramadan. « Les gens sont sous pression, sur les nerfs et déprimés. Moi aussi, bien sûr, explique la jeune Gazaouie de 27 ans dans une série de messages vocaux envoyés depuis l’enclave dont Israël interdit toujours l’accès aux journalistes étrangers. Nous ne nous réjouissons pas que la guerre soit finie, car la plupart d’entre nous vivons encore en état de guerre. »
Dans les jours qui ont suivi l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 19 janvier, Dina Matar a abandonné la tente dans laquelle elle survivait dans le centre de la bande de Gaza. Elle n’a pas pu retourner chez elle : sa maison a été complètement détruite pendant la guerre. Elle et les siens s’entassent à vingt-cinq chez son grand-père, dans le centre de Gaza ville, dont le logement a été moins endommagé.
Autour d’eux, décrit la jeune femme, le paysage est un champ de ruines auxquelles se mêlent des monticules de déchets – les ordures ménagères ne sont plus ramassées depuis longtemps et les systèmes d’évacuation des eaux usées ont été détruits. Le camion qui amène l’eau dans le nord de Gaza passe une fois par semaine, dit-elle, mais « ce n’est pas suffisant ».
Depuis début mars, ils manquent de carburant pour faire fonctionner les pompes qui leur permettaient de puiser de l’eau sous terre. Malgré la trêve, rien n’a le goût de la normalité. « Avant la guerre, tous les jours, j’allais à la clinique pour travailler, j’allais ensuite m’entraîner à la salle, puis je rentrais, j’avais une routine que j’aimais, se souvient la jeune dentiste. Aujourd’hui, je n’ai ni travail, ni activité, ni salle de gym où je peux dépenser mon énergie, rien. »
L’aide à nouveau coupée
Juste après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, l’aide humanitaire est entrée massivement dans la bande de Gaza. Avec la fin des combats, les organisations ne sont plus tenues de coordonner leurs mouvements dans l’enclave avec Israël ; elles ont pu atteindre les zones de l’extrême nord, assiégées pendant de longs mois. Les prix ont chuté, volailles, fruits, viande et légumes sont revenus sur les étals des marchés.
Une preuve supplémentaire, selon certaines ONG, du fait qu’Israël a sciemment bloqué l’aide humanitaire à Gaza pendant la guerre. « Depuis le 7 octobre 2023, les autorités israéliennes sont accusées d’avoir commis le crime de guerre d’utiliser la famine comme arme de guerre, le crime d’extermination, qui est un crime contre l’humanité, ainsi que des actes de génocide », rappelait Human Rights Watch, dans un communiqué publié le 5 mars.
Or, le 2 mars, Israël a stoppé net tout approvisionnement de l’enclave et coupé l’électricité une semaine plus tard, le 9 mars. Le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, entend ainsi faire pression sur le Hamas pour prolonger la première phase de la trêve qui devait s’achever début mars. Le mouvement islamiste palestinien appelle quant à lui à négocier sans délai la deuxième phase – qui prévoyait le retour des 59 otages israéliens encore à Gaza, dont 35 auraient été tués, la libération de centaines de prisonniers palestiniens et la fin définitive de la guerre avec l’évacuation des soldats israéliens de l’enclave. Israël a posé de nouvelles exigences avant d’entrer dans la deuxième phase qui prévoit le départ du Hamas de la bande de Gaza et le retour des derniers otages.
Le 5 mars, le président des États-Unis, Donald Trump, a menacé directement la population dans un message publié sur son réseau Truth Social : « Au peuple de Gaza : un bel avenir vous attend, mais pas si vous gardez des otages. Si vous le faites, vous êtes MORTS ! Prenez une BONNE décision. » Alors que les pourparlers sur l’avenir de l’enclave s’enlisent, le Hamas s’est déjà largement redéployé sur le terrain – notamment à travers les municipalités qu’il contrôle, son réseau dans les mosquées et ses forces de sécurité.
Plus de 120 morts depuis la trêve
Dans l’enclave, depuis le blocage de l’aide, les prix ont triplé. Certaines denrées ont déjà disparu des étals. Or, dans Gaza « ensevelie sous 40 à 50 millions de tonnes de décombres » selon l’ONU, il n’y a plus ni production agricole, ni élevage, ni bateaux de pêche – la population est entièrement dépendante des colis humanitaires. Le Cogat, organe de l’armée israélienne chargé des affaires civiles dans les territoires occupés et qui supervise l’entrée de l’aide à Gaza, affirme avoir autorisé l’entrée de 4 200 camions chaque semaine entre le 19 janvier et le 2 mars.
Ce flux était insuffisant pour constituer des stocks, rétorque Shaina Low, conseillère communication pour la Palestine au sein de l’ONG Norwegian Refugee Council (NRC). Les biens ont été immédiatement redistribués à la population.
« L’aide ne devrait jamais être utilisée comme un moyen de faire pression à des fins politiques, dit-elle. L’aide est un droit pour les Palestiniens de Gaza et il est totalement illégal de la part d’Israël d’utiliser la famine pour faire pression sur le Hamas. C’est également une violation des obligations qui incombent à Israël en tant que puissance occupante. »
Les conditions de vie précaires tuent dans la bande de Gaza. Six bébés sont morts d’hypothermie fin février, selon le ministère de la santé local. Dans une vidéo diffusée par l’Organisation mondiale de la santé sur le réseau social X le 4 mars, une médecin du nord de Gaza disait avoir vu « des femmes découper leurs vêtements et les donner à leurs filles pour les utiliser » en guise de serviettes hygiéniques.
Les militaires israéliens sont toujours présents dans le couloir de Philadelphie, vers la frontière égyptienne au sud, et aux confins de l’enclave, dans une zone tampon aux contours flous tracée de facto par Israël au nord, à l’est et au sud de la bande de Gaza lors des quinze mois de guerre. Tous ceux qui s’en approchent sont visés par des tirs. Plus de 120 Palestiniens ont été tués depuis le début de la trêve, le 19 janvier.
Le 9 mars, l’armée israélienne a confirmé avoir tiré sur un groupe de Palestiniens dans le quartier de Shujayia, dans le nord-est de l’enclave, les accusant d’avoir tenté de planter des explosifs vers ses troupes. Selon l’agence de presse palestinienne Wafa, une personne a été tuée et plusieurs autres blessées dans cette frappe de drone. Des tirs ont également été signalés à l’est du camp de Maghazi, dans le centre de Gaza.
À ces attaques directes s’ajoutent les victimes des munitions explosives encore disséminées un peu partout dans l’enclave. « Les 26 et 27 février, deux personnes auraient été tuées et cinq autres blessées par des engins explosifs dans le nord de Gaza et à Rafah, où des personnes auraient creusé pour installer des tentes », rapportait ainsi le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) dans son compte rendu hebdomadaire début mars.
De profonds traumatismes
Les Gazaoui·es s’inquiètent aussi des rumeurs israéliennes d’une reprise des combats. « J’ai peur que la guerre revienne et que je perde à nouveau des gens qui me sont chers, confie Dina Matar. Beaucoup d’autres amis sont partis hors de Gaza et nous ne nous parlons plus comme avant. »
La vidéo de Donald Trump publiée le 26 février dépeignant une Gaza aux allures de Dubaï mais vidée des Palestinien·nes a relancé le débat sur l’expulsion des habitant·es de l’enclave – une menace régulièrement agitée par l’extrême droite israélienne qui préfère évoquer des « départs volontaires ». Dimanche 9 mars, le ministre des finances, le suprémaciste juif Bezalel Smotrich, a annoncé que le gouvernement israélien travaillait à mettre en place une administration qui superviserait le départ des Gazaoui·es de l’enclave – des déportations qui pourraient s’apparenter à un nettoyage ethnique.
Or, si la trêve a apporté un répit bienvenu aux Gazaoui·es, toutes et tous se demandent à quoi peut ressembler leur avenir au milieu d’une telle dévastation. Dina Matar insiste : elle restera, elle reconstruira la maison, mais il faut que les bombes se taisent une fois pour toutes. Avec pudeur, elle évoque celles et ceux qui sont morts, « que Dieu leur accorde Sa Miséricorde ». L’ensemble de la bande de Gaza est en deuil.
Après le cessez-le-feu, les collègues de Shaina Low, à l’instar de nombreux Gazaoui·es, ont traversé une myriade d’émotions : « Le soulagement, puis la réalisation de tout ce qui a été perdu, l’espoir que les gens ont ressenti quand la trêve temporaire a été mise en application et la tristesse quand ils sont revenus chez eux, note la travailleuse humanitaire de NRC. L’une de nos employées est retournée [dans le nord] juste après la trêve et a appris que des membres de sa famille avaient été tués. Quand elle a vu les conditions de vie dans ce qui était son quartier – il ne restait plus rien –, elle est revenue à Gaza ville. Comment surmonter de telles pertes ? Comment faire face à tous ces traumatismes ? »
mise en ligne le 10 mars 2025
Ellen Salvi sur www.mediapart.fr
Dix mois après l’explosion des révoltes, les différentes forces politiques de l’archipel se sont retrouvées autour de la même table pour discuter de l’avenir institutionnel du territoire. Décryptage avec Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer.
Après une semaine passée en Nouvelle-Calédonie, Manuel Valls a remis aux forces politiques de l’archipel un document d’onze pages présentant les orientations du gouvernement sur l’avenir institutionnel du territoire. Brassant les sujets au cœur du processus de décolonisation – l’autodétermination et le lien avec la France, la citoyenneté et le corps électoral, la gouvernance et les institutions calédoniennes –, ce document pose toutes les hypothèses censées aboutir sur un futur « compromis politique » sur une souveraineté redéfinie.
Rappelant que ces orientations n’engageaient que l’État et qu’elles n’avaient pas valeur d’accord, les partis indépendantistes et loyalistes ont toutefois unanimement salué la méthode du ministre des outre-mer. Ce dernier a réussi là où ses prédécesseurs – Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin en tête – avaient échoué : réunir tout le monde autour de la même table, ce qui n’était plus arrivé depuis 2021. « Il y a eu une dynamique, cela ne veut pas dire que c’est réglé », a prévenu l’intéressé, qui a déjà prévu une nouvelle visite dans le courant du mois de mars.
Réuni en convention le mardi 4 mars, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a noté que certains « objectifs » avaient été atteints. « Le passage en force est exclu et la recherche du consensus est une volonté manifeste », s’est notamment félicité le mouvement indépendantiste, en référence à la façon dont l’exécutif français avait voulu imposer le dégel du corps électoral, texte qui avait littéralement embrasé l’archipel en mai 2024. « La méthode Valls est encourageante, pour autant le FLNKS restera vigilant sur la suite du processus », poursuit-il.
Depuis sa nomination au ministère des outre-mer, Manuel Valls répète être « revenu aux fondamentaux des accords de paix » signés en 1988 (Matignon-Oudinot) et en 1998 (Nouméa), que certain·es dans le camp loyaliste cherchent à remettre en cause. « Il y a une volonté de terminer la décolonisation, d’émancipation du peuple kanak, c’était la base de l’accord de Nouméa, il faut la faire vivre, a déclaré le ministre sur Nouvelle-Calédonie La 1ère, le 1er mars. Et puis les Calédoniens ont voté trois fois, même si le dernier référendum a laissé un goût d’inachevé. »
Pour comprendre les fondamentaux du processus de décolonisation, mais aussi l’évolution des forces politiques de l’archipel et l’accumulation d’erreurs qui ont conduit à la crise de l’an dernier, Mediapart a interrogé le conseiller d’État honoraire Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour les outre-mer lors de la négociation des accords de Matignon-Oudinot.
Mediapart : Dix mois après l’explosion des révoltes en Nouvelle-Calédonie, quel regard portez-vous sur cette récente période ?
Jean-François Merle : D’abord, un sentiment d’immense gâchis, parce que ces émeutes auraient pu être évitées. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les élections provinciales ont été reportées en 2025, les discussions ont repris, sur un projet global et pas uniquement sur le corps électoral, tous les partenaires ont accepté d’y prendre part, il n’y a plus de date couperet imposée…
C’est-à-dire très exactement ce que recommandaient, au printemps 2024, ceux – nombreux et d’horizons très divers – qui mettaient en garde l’exécutif sur les risques que faisait courir à la Nouvelle-Calédonie son projet de loi constitutionnelle modifiant le corps électoral pour les élections provinciales.
Le chef de l’État et son gouvernement ont été sourds à ces avertissements et aveugles aux signaux qui montraient la détermination de la population kanak face à ce passage en force, remettant en cause un processus de décolonisation engagé depuis plus de trente-cinq ans avec les accords de Matignon. Mais entre-temps, les émeutes ont causé la mort de quatorze personnes, des dizaines ont été blessées, elles ont provoqué la destruction de nombreuses entreprises et d’équipements publics, des millions d’euros de dégâts, un tiers de la population salariée est au chômage…
« Il n’y aura pas de reconstruction durable de la Nouvelle-Calédonie sans des politiques publiques qui s’attachent à réduire ces inégalités et à réparer ces injustices. »
Cette période a aussi marqué une régression dans la difficile construction d’un destin commun entre les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie. Des blessures ont été ravivées, à nouveau certains ont eu peur de leurs voisins, le racisme s’est exprimé sans retenue sur les réseaux sociaux ou dans des tags, même s’il y a aussi eu de vraies chaînes de solidarité dans certains quartiers populaires de Nouméa ou dans des communes de brousse, quand les approvisionnements manquaient.
Enfin, ces émeutes ont aussi mis en lumière l’absence de perspectives d’une partie de la jeunesse, laissée-pour-compte des avancées économiques et sociales qu’ont permis les accords de Matignon puis de Nouméa, et qui s’est exprimée brutalement, dans le nihilisme et la destruction. Il n’y aura pas de reconstruction durable de la Nouvelle-Calédonie sans des politiques publiques qui s’attachent à réduire ces inégalités et à réparer ces injustices.
Le déplacement de Manuel Valls dans l’archipel a vu reprendre les discussions sur son avenir institutionnel. Avez-vous observé un changement de méthode côté gouvernement français ?
Jean-François Merle : Incontestablement. Plus exactement, il s’agit d’un retour à une méthode éprouvée, celle initiée par Michel Rocard en 1988, et que tous les gouvernements avaient suivie – jusqu’à celui d’Édouard Philippe, inclusivement. Cette méthode est fondée sur l’impartialité de l’État, la recherche du consensus par le dialogue et le temps nécessaire à la négociation, la perspective d’une décolonisation pacifique et réussie.
Lors de ce même déplacement, le ministre a également eu un vif échange avec le député Nicolas Metzdorf autour de l’expression « peuple premier » que l’élu loyaliste perçoit comme une insulte. Qu’avez-vous pensé de cet échange ?
Jean-François Merle : Tout le monde sait que « peuple premier » exprime une antériorité, pas une supériorité. Mais il y a une tentation permanente, chez les ultras du camp non indépendantiste, d’instrumentaliser des mots ou de diaboliser des personnes. Ça dispense de penser et d’argumenter. Leur point Godwin est atteint lorsqu’ils mentionnent Edgard Pisani ou l’indépendance-association.
La présidente loyaliste de la province Sud, Sonia Backès, remet, elle aussi, en cause l’accord de Nouméa, estimant que le texte comporte des « ambiguïtés volontaires » qui auraient planté « les graines de la violence ». Que vous inspirent de telles déclarations ?
Jean-François Merle : Ceux qui signent un accord, qui repose sur un compromis, n’attendent nécessairement pas la même chose de la mise en œuvre de cet accord. Les indépendantistes en espéraient un vote en faveur de l’indépendance, les non-indépendantistes en attendaient le contraire. Il n’y a pas d’autre ambiguïté volontaire que celle qui est l’essence du compromis. Quant à la violence, de la part de quelqu’un qui n’hésitait pas à dire : « Le bordel, c’est nous qui le mettrons »...
Plus largement, quel regard portez-vous sur l’évolution du mouvement loyaliste par rapport aux figures que vous avez pu côtoyer au moment de la signature des accords de Matignon ?
Jean-François Merle : Le camp non indépendantiste a toujours été composite, mais dans les années 1980, il était rassemblé derrière un leader peu contesté, Jacques Lafleur. Et ce leader a su, à un moment clé de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, préférer son pays à son parti.
Aujourd’hui, il n’est plus seulement composite, il est fracturé entre, d’une part, des composantes que je qualifierais de souverainistes, qui recherchent la plus grande autonomie possible au sein de la République, et, d’autre part, des formations dont le « loyalisme » consiste essentiellement à attendre de la France des subventions et des gendarmes pour les protéger des Kanak. Il n’y a plus de leader mais beaucoup de chefs et cheftaines, grands ou petits, dont beaucoup n’ont guère comme horizon que les prochaines élections.
Et côté indépendantiste ?
Jean-François Merle : Le camp indépendantiste a toujours été, lui aussi, composite, c’est pour cela que ses différentes formations étaient regroupées dans un « front ». Les divisions se sont accentuées au point que, depuis 2001, il n’a plus été capable d’élire un président qui incarne le FLNKS. Si toutes ses composantes souhaitent l’indépendance, certains ont élaboré un projet d’indépendance partenariale avec la France, d’autres restent davantage dans le vague, réclamant la pleine souveraineté et renvoyant à plus tard les conditions de son exercice.
Les tensions se sont exacerbées au printemps 2024 autour des modalités d’action de la CCAT [Cellule de coordination des actions de terrain – ndlr] ou des contacts avec l’Azerbaïdjan, et fin 2024, deux des formations historiques ont quitté le FLNKS. Jusqu’à l’élection d’Emmanuel Tjibaou, comme député puis comme président de l’Union calédonienne, il y avait eu très peu de relève générationnelle du côté indépendantiste. Je pense que son élection est due pour une bonne part au fait qu’il incarnait cette relève et qu’il était extérieur aux appareils partisans.
Pour lever toute ambiguïté, justement, pourriez-vous rappeler les principes et l’esprit des accords de Matignon et de Nouméa ?
Jean-François Merle : Les accords de Matignon-Oudinot avaient une double finalité : restaurer la paix civile et organiser une période de transition permettant un rééquilibrage politique, économique et social, avant un référendum d’autodétermination. Ils reposaient sur deux piliers : le partage du pouvoir, qui ne découlait plus uniquement du principe majoritaire, et la reconnaissance de la légitimité de tous ceux qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 1988 à participer aux choix d’avenir pour le pays.
Ces accords s’inscrivaient dans une démarche de « décolonisation dans la République », selon l’expression de Michel Rocard, avec l’autodétermination à l’issue du processus.
« C’est la nature des liens avec la France qui est posée, des liens qui ne peuvent plus être imposés. »
L’accord de Nouméa allait plus loin. D’abord, il y a son préambule, qui offre une lecture partagée de l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie et reconnaît la place qui doit revenir à l’identité kanak. Ensuite, il trace un chemin d’émancipation, avec le transfert à la Nouvelle-Calédonie de toutes les compétences non régaliennes et l’organisation d’un véritable pouvoir législatif. Enfin, il reconnaît une citoyenneté calédonienne, distincte de la citoyenneté française, pour les élections provinciales et l’accès à l’emploi local.
Le grand constitutionnaliste qu’était Guy Carcassonne, lui aussi ancien conseiller de Michel Rocard, disait du titre XIII de notre Constitution, où figure l’accord de Nouméa, qu’il était la « mère porteuse » de la Constitution d’un pays en devenir…
Vous avez expliqué que le troisième référendum d’autodétermination était « calamiteux ». Quelle valeur doit-on accorder à son résultat ?
Jean-François Merle : Quand on organise un référendum, c’est pour demander au peuple souverain de trancher une question politique. Si le peuple ne s’exprime pas, quelle qu’en soit la raison, la question reste irrésolue. Le référendum de 2021 est donc légalement valable et politiquement inopérant. D’ailleurs, si ce référendum avait tranché les choses d’une manière aussi incontestable que les deux premiers, les discussions seraient aujourd’hui d’une autre nature.
La question de l’accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie est-elle toujours d’actualité ? Quel chemin les partenaires de l’accord de Nouméa doivent-ils selon vous emprunter pour y parvenir ?
Jean-François Merle : La question qui est posée à la France est de savoir si, pour une fois dans son histoire, elle parvient à réussir une décolonisation, ce qui signifie beaucoup plus que de reconnaître une indépendance, et si elle est capable, au XXIe siècle, de concevoir son influence et ses relations avec des territoires éloignés de l’Hexagone autrement qu’en termes de possession.
La question qui est posée à la Nouvelle-Calédonie, et spécialement au peuple kanak, est de savoir ce que signifie la pleine souveraineté, dans un système géopolitique à la fois aussi incertain, dangereux et interconnecté que le monde où nous vivons. Jean-Marie Tjibaou parlait de la « capacité à négocier les interdépendances ».
C’est donc la nature des liens avec la France qui est posée, des liens qui ne peuvent plus être imposés, fût-ce par l’effet d’une longue histoire, mais librement choisis et consentis.
Le gouvernement a présenté une série d’orientations pour commencer à dessiner les contours d’un avenir partagé en Nouvelle-Calédonie. Que pensez-vous des pistes évoquées ?
Jean-François Merle : Le gouvernement a proposé aux acteurs politiques calédoniens de discuter autour de trois thématiques fondamentales : la nature du lien avec la France, la citoyenneté calédonienne et la gouvernance du pays, et pour chacune de ces thématiques, le document énonce les différentes positions recueillies lors des contacts que le ministre a eus avec les délégations des deux camps. C’est une bonne méthode, qui permet de circonscrire les convergences et les divergences sur les questions essentielles.
Manuel Valls a également indiqué qu’il faudrait, à un moment donné, trouver les modalités pour associer la société civile à la discussion de ces orientations. Cela n’avait pas été possible en 1988 – même s’il y avait eu la « mission du dialogue » avant les accords de Matignon –, ni en 1998, mais après ce qui s’est passé au printemps 2024, c’est tout à fait nécessaire.
mise en ligne le 8 mars 2025
sur https://blogs.mediapart.fr/
Plus de 230 juristes, avocats, juges, et professeurs de droit du monde entier se joignent aux experts et rapporteurs de l'ONU pour qualifier juridiquement les crimes commis à Gaza de « génocide », et rappeler ainsi les obligations légales des États. Ce texte veut contribuer à la préservation du droit international aussi mis en péril à Gaza, afin d'éviter de nouvelles atrocités de masse en toute impunité. « L'histoire enseigne que la paix durable ne peut être construite sans justice. »
« Plus jamais ça ». Au lendemain de la libération du camp d’Auschwitz, dont nous fêtons les 80 ans, la communauté internationale a établi des règles de droit pour empêcher de nouvelles atrocités de masse et obliger les auteurs de ces actes à rendre des comptes. Pourtant, « nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux » écrivait le 28 octobre 2023, Craig Mokhiber, l’ancien directeur du bureau de New York du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU, dans sa lettre publique de démission.
« J’ai travaillé lors des génocides contre les Tutsis, les musulmans bosniaques, les Yézidis et les Rohingyas. […] En tant que juriste spécialisé dans les droits humains, avec plus de trente ans d’expérience dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’exploitation politique abusive. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, […] ne laisse aucune place au doute ou au débat. […] Il s’agit d’un cas typique de génocide ». Raz Segal, historien israélien et directeur du programme sur l’Holocauste et le génocide à l’Université de Stockton aux Etats-Unis, parle encore d’« un cas d’école de génocide ». Un nombre important de rapports et d’enquêtes d’experts, de comités, et de rapporteurs spéciaux des Nations Unies corroborent cette conclusion.
Si le cessez le feu de janvier laisse entrevoir la fin des massacres systématiques à Gaza, l'histoire enseigne que la paix durable ne peut être construite sans justice. Il est donc impératif de ne pas y laisser mourir aussi le droit international, en commençant par qualifier correctement les crimes commis par Israël au regard de ce droit. Des dizaines de juristes, avocats, juges, et professeurs de droit du monde entier se joignent aux experts et rapporteurs de l'ONU pour affirmer dans cette tribune qu’il convient de qualifier ces crimes de génocide, et rappeler ainsi les obligations légales des États dès lors qu'il existe un « risque sérieux » de génocide.
La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, dont découlent toutes les règles de droit national en la matière, définit le génocide comme un ou plusieurs « actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Ces actes incluent notamment le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, et la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique. La commission d’un seul de ces actes suffit à caractériser l’élément matériel du génocide. Or, Israël a commis au moins l’ensemble de ces trois actes à Gaza, sur lesquels cette tribune se concentrera, bien que les crimes commis contre le peuple palestinien dans les autres territoires palestiniens occupés doivent être pris en considération pour mesurer leur ampleur.
Premièrement, depuis le 8 octobre 2023, les frappes de l’armée israélienne ont tué plus de 48 348 personnes à Gaza, dont plus de 14 500 enfants. 60% des victimes sont des femmes, des enfants et des personnes âgées. Plusieurs milliers de personnes restent ensevelies sous les décombres. Deuxièmement, outre la commission avérée de ces meurtres, des atteintes physiques et psychologiques considérables sont caractérisées : on dénombre plus de 111 761 blessés, dont une grande partie souffrent de blessures graves. Israël a fait de Gaza le territoire qui compte le plus d'enfants amputés par habitant au monde. Les Palestiniens à Gaza subissent des traumatismes psychologiques inimaginables dans ce climat de terreur et d’impuissance créé par la constance des attaques aériennes et terrestres, et l’effondrement des infrastructures vitales. « La quasi-totalité des 1,1 million d’enfants de Gaza ont un besoin urgent de protection et de soutien en matière de santé mentale ». Un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements a également été observé en cas de détention.
Troisièmement, en ce qui concerne l’acte de « soumission d’un groupe à des conditions de vie entraînant sa destruction partielle ou totale », la jurisprudence internationale a précisé qu’il s’agit de situations où les membres du groupe sont condamnés « à mourir à petit feu ».
Or d’une part, depuis octobre 2023, Israël a procédé méthodiquement au bombardement des moyens de subsistance des Palestiniens à Gaza, déjà dépendants à 80% de l’aide humanitaire du fait d’une occupation imposée depuis 1967 et un blocus illégal de Gaza. Ces frappes ont abouti à la destruction de 92% de leurs logements, des points d’accès à l’eau, des terres agricoles, du bétail, des installations sanitaires et électriques (entraînant un nombre record d’infections et de maladies), de 84% des établissements de santé, tuant plus de 340 professionnels de santé et condamnant les nombreux blessés à ne pas pouvoir être soignés. Israël a ainsi procédé au déplacement forcé et répétitif de 1,9 millions de personnes, soit 90% de la population, dans des camps privés de tout, et qu’il a continué de bombarder. La promiscuité ainsi que l'absence d'installations sanitaires qui prévalent dans ces camps y favorisent aussi la propagation rapide des maladies infectieuses.
D’autre part, Israël a bloqué les camions acheminant l’aide humanitaire, y compris les fournitures médicales, qui ne pénètrent qu’au compte-gouttes à Gaza. « Il ne s’agit pas juste de négligence, mais d’une politique délibérée de privation ayant entraîné des milliers de décès par déshydratation et maladie », explique la directrice exécutive de Human Rights Watch, Tirana Hassan. « Pour que le siège soit efficace, nous devons empêcher les autres de porter secours à Gaza […] Il faut dire aux gens qu’ils ont le choix entre deux options : rester et mourir de faim, ou partir » expliquait en octobre 2023 Giora Eiland, conseiller auprès de Yoav Gallant, alors ministre israélien de la défense jusqu'à fin novembre 2024. Ce dernier confirmait publiquement avoir ordonné « un ‘siège complet’ de la ville de Gaza, qu’il n’y aurait 'pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de combustible' et que 'tout [étai]t fermé'» Afin d’obstruer l’accès à l'aide humanitaire, Israël a été jusqu’à bombarder des infrastructures de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la principale organisation d'aide à Gaza et dans la région, tuant plus de 258 de ses employés depuis octobre 2023.
Selon des chiffres des Nations Unies, dès mars 2024, « 100 % de la population de Gaza [était] dans une situation d’insécurité alimentaire grave (ou de famine). C’[était]la première fois qu’une population entière [était] ainsi classée ». D'après l’UNICEF, la malnutrition « aiguë a atteint des niveaux alarmants [...]. Chaque journée sans traitement peut leur être fatal. [...] Si nous n’agissons pas immédiatement, nous risquons de perdre une génération entière [...]. ». En juillet 2024 le Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation a clairement affirmé qu' « Israël utilise la famine comme stratégie dans le cadre du génocide qu’il mène actuellement contre le peuple palestinien à Gaza ». Ces conditions sont donc bien de nature à entraîner « la destruction physique totale ou partielle » des Palestiniens à Gaza.
Contrairement à l’idée couramment répandue, le crime de génocide n’est pas subordonné à un nombre plancher de personnes tuées. En novembre 2021, le tribunal régional supérieur de Francfort a par exemple reconnu un membre de l’État islamique coupable de génocide pour les atteintes graves à l’intégrité physique et psychique commises envers une femme yézidie et sa fille, réduites en esclavage après leur capture lors du massacre par l’État Islamique de plus de 5000 Yézidis en 2014 à Sinjar. En mars 2016, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a aussi condamné un membre des forces serbes pour génocide, en raison des massacres de Srebrenica de 1995, entraînant la mort d’au moins 7000 hommes et garçons musulmans.
En ce qui concerne l’élément intentionnel du génocide, la caractérisation de l'intention génocidaire n'est pas non plus subordonnée à une volonté d’anéantissement d’un groupe entier, et peut être constituée dès lors que l’un des actes susvisés a été commis dans l’intention spécifique de détruire « tout ou partie » du groupe.
Sur la « partie » du groupe, la jurisprudence internationale admet qu'elle peut être « au sein d’une zone géographique précise » et non « dans le monde entier ». Elle apprécie alors le contrôle et l’opportunité de l’auteur du crime de génocide sur cette zone. Gaza est enclavée et sous le contrôle d'Israël qui a donc la « possibilité » d'en anéantir la population. En ce sens, Amos Goldberg, historien israélien spécialiste de la Shoah, déclarait que « ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus ».
La jurisprudence exige aussi que cette partie du groupe soit « substantielle », ce qui s’apprécie au regard de « l’élément quantitatif ainsi que de la localisation géographique et de la place occupée par cette partie au sein du groupe. ». Or, les gazaouis représentent 40% des 5,5 millions de palestiniens des territoires occupés, soit une partie « suffisamment importante pour que sa disparition ait des effets sur le groupe tout entier ». Le critère quantitatif étant tragiquement rempli, la CIJ, la plus haute instance de justice chargée de poursuivre les crimes internationaux des États, a reconnu en janvier 2024 qu’il s’agissait d’une partie « substantielle » du groupe, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres critères.
Par ailleurs, l’intention génocidaire (ou le dol spécial) d’Israël de détruire cette partie du groupe peut être démontrée par des preuves directes (déclarations ou documents provenant des autorités étatiques) ou se déduire des preuves indirectes.
En premier lieu, les responsables israéliens ont publié des déclarations et des documents qui traduisent clairement leur intention de détruire les Palestiniens à Gaza. Yoav Gallant, annonçait par exemple en ces termes le 10 octobre 2023, en quoi consistait leur plan méthodique connu sous le nom de « Glaives de fer » : « nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence […] Gaza ne reviendra pas à ce qu’elle était avant. Nous détruirons tout. […] Cela prendra des semaines, voire des mois, aucun endroit ne nous échappera ». Isaac Herzog, le président d’Israël, ajoutait deux jours plus tard : « c’est toute une nation qui est responsable […] et nous nous battrons jusqu’à leur briser la colonne vertébrale ».
37 experts et rapporteurs de l’ONU dès novembre 2023 se sont alarmés d’une « rhétorique manifestement génocidaire et déshumanisante des hauts responsables israéliens », appelant à la « destruction totale et à l’effacement » de Gaza, et à la nécessité de « les achever tous », rhétorique largement répandue « dans plusieurs secteurs de la société israélienne ».
En second lieu, en matière de preuves indirectes de « l’existence d’une ligne de conduite délibérée » d’Israël et de son intention génocidaire, les experts susvisés n'ont pu que constater la présence d'un grand nombre d'indices pris en compte par la jurisprudence internationale, tels que « l’ampleur des atrocités commises, le fait de viser systématiquement certaines victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier, ou la récurrence d’actes destructifs et discriminatoires.» ; « les armes utilisées et la gravité des blessures subies par les victimes, le caractère méthodique de la planification ; le caractère systématique du crime », et « plus de victimes et de dégâts que ce qui était nécessaire d’un point de vue militaire ».
Sur ce seul dernier indice des pertes disproportionnées, il sied de rappeler que l’analyse des attaques montre qu’Israël a visé la population civile plutôt que des cibles militaires, pour raser des quartiers entiers, en violation manifeste du droit des conflits armés. « Des Palestiniens ont été tués chez eux ou dans leur lit d'hôpital. ». Les experts ont relevé que pendant les premiers mois de l’attaque, Israël a largué plus de 25 000 tonnes d'explosifs, équivalant à deux bombes nucléaires, sur Gaza, une zone de seulement 41 km de long sur 6 à 12 km de large, soit moins de la moitié de la superficie de Madrid.
Des méthodes de guerre planifiées et rarement employées en temps de guerre ont aussi été relevées, comme la privation délibérée des besoins fondamentaux; des pilonnages incessants pendant 15 mois et l’utilisation d’armes à rayon large contre les bâtiments d’habitation et infrastructures publiques dans des quartiers densément peuplés, utilisant des munitions non guidées (ou « bombes muettes ») et principalement durant la nuit; les tirs des forces israéliennes sur la foule alors qu’elle venait récupérer des denrées alimentaires; les attaques sur la route empruntée par la population alors qu’elle était évacuée de force en 24h ; les déplacements répétés des Gazaouis vers des « zones de sécurité » désignées comme des camps de réfugiés et ensuite bombardés ; et la destruction des hôpitaux et des écoles où se réfugiaient les survivants.
La poursuite des crimes par Israël malgré les avertissements répétés de l’ONU, malgré les trois ordonnances de mesures provisoires de la CIJ, établissant qu’il existe un « risque réel et imminent » de génocide, et par conséquent malgré la parfaite conscience des responsables israéliens de l’impact des crimes sur le groupe ciblé est un autre indice déterminant pour la qualification de l’élément intentionnel. La CIJ lui a ordonné sans succès dès janvier 2024 de «prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire » et de « cessez immédiatement toutes ses opérations militaires ».
Enfin, Israël ne saurait invoquer le mobile de ses crimes pour les justifier, puisque l’intention génocidaire peut être « une méthode de conduite des hostilités » pour atteindre d’autres objectifs militaires, tels qu’en l’espèce l’éradication du Hamas. Il ne saurait non plus invoquer le droit à la légitime défense puisqu’il ne respecte pas les principes de nécessité et de proportionnalité. En tout état de cause, un État occupant ne peut y recourir, si la menace émane du territoire occupé.
Au vu de tout ce qui précède, les signataires de cette tribune urgent donc tous les États à respecter leurs obligations de droit international : prévenir tout acte génocidaire envers les Palestiniens à Gaza et dans les autres territoires palestiniens occupés; mettre tout en œuvre pour maintenir un cessez le feu durable; imposer un embargo total sur les armes et des sanctions économiques à Israël; cesser tout type d’aide financière, militaire à Israël ou tout soutien passible de poursuites pour complicité de génocide et suspendre les accords de coopération avec Israël ; soutenir l’application des ordonnances de la CIJ ; arrêter les responsables contre lesquels un mandat d’arrêt a été émis par la Cour Pénale Internationale ; et poursuivre dans leurs systèmes judiciaires les personnes physiques et morales responsables et complices du génocide, notamment au titre de la compétence universelle.
Recherche et rédaction :
- Marie-Laure Guislain, avocate de formation, spécialisée dans les crimes internationaux en France, à l’origine notamment des plaintes pour complicité de crimes contre l’humanité contre Lafarge ou complicité de génocide contre BNP au Rwanda,
- Tamsin Malbrand, avocate de formation, spécialisée dans les crimes internationaux en France, à l’origine notamment de la plainte pour complicité de génocide contre BNP au Rwanda.
Contributeurs :
Joel Bedda, juriste en droit international pénal et humanitaire
Yasmina El Moussaid, juriste en droit international
suivent les noms des 230 juristes signataires
mise en ligne le 6 mars 2025
Ingar Solty sur https://lvsl.fr/
Suite à l’humiliation infligée à Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale, de nombreux commentateurs ont ressuscité une vieille théorie disqualifiée comme conspirationniste, selon laquelle Donald Trump serait un agent russe. La réalité est bien plus prosaïque. Loin d’être téléguidé par le Kremlin, il agit en vertu d’une impitoyable Realpolitik. À bien des égards, la guerre d’Ukraine est un cas d’école d’impérialisme contemporain. Russe d’abord, sous la forme de l’invasion brutale du pays, américain ensuite, avec un plan de mise sous tutelle économique. Elle constitue également une leçon intellectuelle : durant deux ans et demi, commentateurs, éditorialistes et « analystes » auront promu une explication psychologisante et dépolitisante du conflit. Il est urgent pour la gauche de l’abandonner, à l’heure où les morts continuent de s’empiler sur le front – et où les États européens évoquent un plan de militarisation à marche forcée, au détriment des systèmes sociaux du Vieux continent.
Dès le commencement de l’invasion du pays, de nombreux commentateurs – y compris à gauche – ont cherché à expliquer les objectifs du Kremlin sur la base d’un folklore ultranationaliste russe, destiné à flatter l’opinion intérieure. L’histoire récente du pays, son économie politique, sa place dans l’arène géopolitique mondiale et sa stratégie militaire concrète vis-à-vis de l’Ukraine semblaient n’avoir que peu d’importance. Ce choix, consistant à évincer tout prisme matérialiste, a laissé la place à des analyses discursives superficielles – souvent alignées sur les éléments de langage des États occidentaux.
Préférant s’en tenir aux discours plutôt qu’aux faits, ces brillants analystes ont relevé que Vladimir Poutine avait qualifié l’effondrement de l’URSS de « plus grande tragédie du XXe siècle » et mis en doute l’existence de l’Ukraine comme État-nation. Ils en ont ainsi déduit que la Russie ne se contenterait pas d’envahir l’Ukraine, mais finirait par s’en prendre à l’ensemble de l’espace post-soviétique, y compris à des États non membres de l’OTAN comme la Géorgie, la Moldavie ou le Kazakhstan, voire aux pays baltes protégés par l’Alliance atlantique mais abritant d’importantes minorités russes.
Des analyses de cette nature, qui ont nourrit un alarmisme légitimant la militarisation occidentale, font pourtant abstraction du décalage flagrant entre les intentions supposées et les capacités réelles. Pire : elles se maintiennent envers et contre tout, y compris face à la contradiction évidente entre ces craintes et la stratégie militaire effective de la Russie au début du conflit.
Les mêmes qui assurent que la Russie aurait les moyens d’envahir l’Union européenne sont aussi ceux qui, depuis deux ans, répètent que Moscou est sur le point de s’effondrer et que la victoire ukrainienne est à portée de main.
Personne ne se lancerait dans la conquête d’un pays de 44 millions d’habitants s’étendant sur 600 000 km² – soit presque deux fois la taille de l’Allemagne – avec seulement 190.000 soldats. À titre de comparaison, en 1939, l’Allemagne nazie a envahi la Pologne avec 1,5 million de soldats, appuyés par près de 900 bombardiers et plus de 400 avions de chasse. Deux ans plus tard, lorsqu’elle a lancé son offensive contre l’Union soviétique, elle a mobilisé trois millions d’hommes – la plus grande force d’invasion de l’histoire –, un effort qui s’est pourtant soldé par un échec.
Ceux qui s’attachent à étudier l’histoire plutôt qu’à analyser les discours des uns et des autres auraient pu voir, dès le départ, que la configuration des forces russes trahissait des objectifs plus limités. Au-delà des objectifs de politique intérieure, les objectifs de Poutine étaient clairs : (1) annexer officiellement le Donbass et transformer Kherson et Zaporijjia en nouvelles régions russes – des cartes avaient déjà été imprimées en ce sens –, (2) établir un corridor terrestre vers la Crimée, annexée en 2014, et (3) provoquer un changement de régime à Kiev afin d’assurer que l’Ukraine, déchirée entre l’Est et l’Ouest, reste neutre et ne devienne pas un avant-poste de l’OTAN et de l’influence américaine.
Mais pourquoi s’embarrasser d’une analyse fondée sur l’histoire globale et régionale, l’économie politique internationale, les théories de l’impérialisme et les études stratégiques, lorsqu’on peut tout simplement répéter les éléments de langage des uns et des autres ?
Il est en effet plus simple de s’en tenir à une rhétorique qui banalise la mémoire de la Shoah, selon laquelle Poutine serait un nouvel Hitler, sa guerre en Ukraine une « guerre d’anéantissement » – comme l’a affirmé Berthold Kohler, rédacteur en chef de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, relativisant ainsi l’extermination menée par l’Allemagne nazie à l’Est, qui, en moins de quatre ans, a coûté la vie à vingt-sept millions de Soviétiques. Selon cette logique, la Russie s’apprêterait à « envahir l’Europe », et si d’ici 2029 le continent ne devient pas « apte à la guerre » et ne se transforme pas en État-caserne autoritaire, alors Moscou marchera sur Varsovie avant de défiler sous la porte de Brandebourg, à en croire la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts).
Les mêmes qui assurent que la Russie, malgré l’échec manifeste de son offensive en Ukraine, aurait les moyens de défier l’OTAN et de conquérir l’Union européenne, sont aussi ceux qui, depuis deux ans, répètent que Moscou est sur le point de s’effondrer et que la victoire ukrainienne est à portée de main. Il suffirait, affirment-ils, d’une dernière livraison d’armes occidentales, d’une mobilisation forcée massive et du recrutement économique de la jeunesse ouvrière ukrainienne sous la contrainte.
Mais revenons aux grilles de lecture, ces clés de compréhension du réel. Certains continuent d’« analyser » le basculement de la politique étrangère américaine, de Joe Biden à Donald Trump, ainsi que le conflit ouvert entre l’administration Trump et Zelensky, en invoquant des facteurs aussi réducteurs que la personnalité des dirigeants, leur idéologie ou même leur supposée irrationalité, entre caprices d’enfant, narcissisme et égoïsme.
Un exemple parmi tant d’autres : Katrin Eigendorf, correspondante de guerre pour l’Europe de l’Est à la télévision publique allemande ZDF, suivie par près de 70 000 personnes, qui, comme 99 % des commentateurs libéraux, n’a sans doute pas regardé l’intégralité des quarante-neuf minutes du débat en question. Elle a pourtant affirmé que « rarement Trump et [J.D.] Vance auront montré si clairement qui était leur ami et qui était leur ennemi », ajoutant que « le président américain est l’homme de Poutine et reprend ses mensonges ». Une lecture intellectuellement indigente, digne des théories du « grand homme » de l’histoire du XIXe siècle.
Où en sommes-nous donc après cette confrontation mise en scène, vendredi dernier, dans le Bureau ovale, entre Donald Trump, son vice-président J. D. Vance et Volodymyr Zelensky ? Trump s’adressait à sa base MAGA et, plus largement, à l’électorat américain. Zelensky, lui, jouait un numéro pour son propre camp, celui-là même qui pourrait finir par le liquider, et plus encore pour les Européens, dans l’espoir de les entraîner vers un accroissement du soutien militaire.
Autant d’évidences que certains ont refusé de voir. Les interprétations libérales les plus absurdes ont immédiatement attribué à Poutine le coup politique de Trump – autrement dit, l’exploitation coloniale de l’Ukraine à ce moment charnière de rivalité géopolitique, de reconfiguration étatique et de guerre. Pour ces commentateurs, la Russie, avec une économie de la taille de celle de l’Italie, aurait mis les États-Unis « dans sa poche ». En d’autres termes, les libéraux inversent la logique des rapports de force, tout en s’obstinant à aboyer du mauvais côté, dans une simplification binaire des plus grossières.
Aussi absurdes soient-elles, ces analyses ont envahi les réseaux sociaux. Les hashtags #TrumpIsARussianAsset, #PutinsPuppet et #PutinsPuppets se sont répandus avec une viralité à en faire frémir les bots russes.
Si quelque chose doit émerger de cette effusion de sang, c’est bien un retour à une analyse matérialiste, afin d’éviter que la tragédie ukrainienne ne se répète sous forme de farce. Plus encore dans un contexte où le Pentagone et les élites européennes convergent pour demander au Vieux continent de sacrifier ses États-providences sur l’autel de Raytheon, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Rheinmetall et Thalès.
Vadim Kamenka sur www.humanite.fr
Si le sommet européen prévoit l’augmentation des dépenses militaires, l’ancien ambassadeur Jean de Gliniasty estime qu’elle s’inscrit dans une allégeance à Donald Trump afin de « renforcer les défenses européennes de l’Otan ». Il condamne l’absence de dialogue entre l’Europe et la Russie.
Jean de Gliniasty est ancien ambassadeur de France en Russie et directeur de recherche à l’Iris
Quelle est votre analyse de la séquence diplomatique en cours sur l’Ukraine avant le sommet européen de ce jeudi ?
Jean de Gliniasty : Le Conseil est une ultime tentative de définir une ligne européenne dans le cadre des négociations sur la paix. Depuis près de quatre ans et l’invasion russe, nous aidons l’Ukraine sans but précis. Les Vingt-Sept n’ont fixé aucune limite. En gros, l’Ukraine décidera quand elle fera la paix et à quelles conditions. Il s’agit d’une erreur stratégique. Donald Trump y a mis fin pour les États-Unis en soumettant l’aide à des conditions.
L’Europe est apparue surprise par le bouleversement géopolitique dès le retour de l’ancien président. Durant sa campagne, sa future politique avait déjà été définie, mais l’Union européenne n’a rien anticipé. Le 12 février a marqué une première accélération avec l’entretien entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Le même jour, le secrétaire à la Défense états-unien s’est rendu à Bruxelles devant les alliés de l’Ukraine pour annoncer que, dans le plan de paix, aucun soldat américain ne serait déployé.
L’Europe devait donc prendre en charge les garanties de sécurité ; l’Ukraine ne rentrerait pas dans l’Otan ; Kiev devrait accepter des concessions territoriales. Le cadre de l’accord défini par Washington après des échanges avec Moscou fut un coup de tonnerre pour les Européens.
Les Russes ne souhaitent pas attaquer d’autres territoires européens
Donald Trump confiait un rôle subsidiaire aux Européens sur les garanties de sécurité. La réunion informelle du 17 février à Paris sur l’Ukraine et la sécurité devait répondre à l’administration Trump sur ce point de l’accord. Faute de réponses aux demandes de Washington et devant les 200 000 hommes exigés par Volodymyr Zelensky, Donald Trump a affirmé le 18 février que les Européens étaient « incompétents », qu’ils n’auraient pas de siège dans les négociations et qu’ils étaient des « facteurs de guerre ». Une déclaration qui rejoint la rhétorique russe estimant que les Européens veulent continuer le conflit, alors que tout est prêt pour la paix.
Le sommet à Bruxelles marquera-t-il une escalade militaire ?
Jean de Gliniasty : Avant ce Conseil européen, les Vingt-Sept ont démontré ne pas vouloir rompre le lien transatlantique et ne pas avoir les moyens de négocier eux-mêmes avec la Russie. La seule chose qu’ils peuvent offrir à Donald Trump, c’est le renforcement des défenses européennes de l’Otan.
La seule proposition émise par la France et les Britanniques porte sur un cessez-le-feu aérien et maritime durant un mois comme première étape. À partir du moment où les États-Unis ont déjà proposé des concessions territoriales et la non-adhésion de l’Ukraine à l’Otan, qui demeure la principale demande russe1 , les Européens arrivent trop tard.
Cette escalade ne peut-elle pas déboucher sur une surenchère avec la Russie ?
Jean de Gliniasty : L’annonce d’Ursula von der Leyen et les mesures prises sur la fin des contraintes budgétaires vont dans ce sens. L’Europe va s’armer. Vu le contexte, j’ai tendance à penser que l’augmentation des dépenses militaires est indispensable. Car l’Europe n’a pas développé ses capacités et, après trois années de guerre, nous avons à proximité des puissances hyperarmées.
Une des vraies garanties de sécurité pour l’Ukraine, c’est une Europe forte militairement. Par contre, les Russes ne souhaitent pas attaquer d’autres territoires européens. En revanche, l’Europe de la défense apparaît encore bien loin. Chars, missiles, couverture aérienne, Paris et Berlin ne sont pas d’accord. Et la question qui se pose sur l’achat de matériel risque de diviser. Sera-t-il conçu aux États-Unis, en Corée ou en Europe ?
Est-ce qu’un dialogue entre l’Europe et la Russie demeure possible ?
Jean de Gliniasty : Au début de l’invasion, un dialogue a perduré avec Macron ou Olaf Scholz. Le président français a ensuite basculé dans un soutien accru à l’Ukraine, pris la tête d’une coalition, évoqué la présence de soldats sur le terrain. Mais ce virage ne s’est pas accompagné d’un volet diplomatique avec la Russie. Depuis deux ans, personne n’a éprouvé le besoin de renouer le dialogue. Les Russes ont entériné une relation directe avec les États-Unis. Moscou considère qu’à partir du moment où l’Amérique aura décidé, les Européens suivront.
Une architecture de sécurité européenne avec la Russie apparaît-elle encore possible ?
Jean de Gliniasty : Elle est fondamentale. Le projet avait été avancé par Emmanuel Macron avant l’invasion russe. Cette idée existe depuis la chute de l’URSS et a été une demande constante des Russes avec la fin du pacte de Varsovie, la fin des accords d’Helsinki, l’élargissement de l’Otan à l’est de l’Europe.
Moscou plaide pour une nouvelle structure de paix et de sécurité. Cet accord d’Helsinki permettrait de nouvelles règles de sécurité à l’échelle du continent. Cette structure devra prendre en compte la réalité diplomatique, militaire, économique et politique du continent par rapport à 1975. La plupart des États étant membres de l’Otan, de nouvelles zones conflictuelles apparaissent : Ukraine, Moldavie et Géorgie.
Elle devra traiter des questions nucléaires et des défenses conventionnelles (missiles, antimissiles). Pour l’instant, seuls les Russes et les États-Unis vont en débattre. Macron semble prêt à renouer le dialogue, de même que le futur chancelier Friedrich Merz et la CDU. Que fera la Russie ? Sa diplomatie apprécie ses discussions bilatérales avec les États-Unis comme principal acteur du monde avec la Chine.
mise en ligne le 5 mars 2025
Roger Martelli sur www.humanite.fr
Sortir de la tutelle des puissants ou de la rigidité des camps, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits. Roger Martelli propose une réponse à la force des armes.
La gauche va-t-elle se fracturer sur l’aide à l’Ukraine ? Le Monde suggérait hier que le grand écart est déjà amorcé. Dans Regards, Catherine Tricot faisait plutôt remarquer que les désaccords sur les retraites étaient sans doute plus grands que sur le dossier international. Elle notait en outre que le revirement américain offrait l’occasion de se débarrasser enfin des vieux clivages nés de la guerre froide. De fait, dans la crise politique qui est notre toile de fond nationale, la gauche est dans l’obligation de rendre compatibles ses propositions. Ce n’est pas hors de portée.
Ne pas occulter les contradictions du réel
Le point de départ consisterait à différencier ce qui est simple et ce qui ne l’est pas.
- 1 .. Ce qui a servi à justifier l’offensive de Moscou se trouve dans la crainte russe d’une extension de l’Otan aux frontières de l’État et dans le sentiment d’avoir été rabaissé par « l’Occident » depuis la disparition de l’URSS. Mais, dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, il y a un agresseur russe et un agressé ukrainien. Rien ne peut justifier l’agression, quand bien même elle a des causes qu’il vaut mieux décrypter soigneusement. Aucune paix durable n’est donc possible, si le fait de l’agression est entériné en droit.
Si tu veux la paix, prépare la guerre, disait le vieil adage latin. Mais quand la préparation à la guerre a-t-elle rendu possible la paix ?
- 2 .. La Russie n’est plus la superpuissance de l’après-1945. Mais le retrait américain crée un déséquilibre dans le rapport des forces proprement militaire. L’Otan n’étant plus le parapluie invoqué depuis 1949, l’Europe est contrainte de faire face. Qu’elle envisage de renforcer ses capacités de défense n’a en soi rien de scandaleux.
A minima, cela pourrait s’envisager à la double condition de ne pas rogner sur les dépenses civiles utiles (au risque d’aviver les ressentiments internes et les dérives antidémocratiques) et de ne pas se résigner à une course au surarmement qui met d’ores et déjà en péril l’équilibre du monde. En 2024, les dépenses mondiales d’armement ont augmenté pour la 9ème année consécutive (+7%) pour dépasser les 2400 milliards de dollars.
La mesure sur ce point est d’autant plus raisonnable que l’on sait, depuis au moins un siècle, que la spirale du surarmement n’empêche pas les guerres : elle accroit simplement les capacités de destruction mutuelle. Améliorer les capacités de défense d’un territoire, national ou continental ? Pourquoi pas, mais jusqu’à quel point, pour quoi faire et contre qui ?
- 3 .. Il ne sert à rien de s’abriter derrière les raisonnements binaires : ou bien accepter les capitulations devant l’agresseur, ou bien se préparer à la guerre au risque du cataclysme nucléaire. Si tu veux la paix, prépare la guerre, disait le vieil adage latin. Mais quand la préparation à la guerre a-t-elle rendu possible la paix ?
On évoque souvent l’exemple de la conférence de Munich, à l’automne 1938, pour dénoncer à juste titre la lâcheté et l’inefficacité des capitulations devant l’agresseur. Mais au moment de la crise des Sudètes, le choix ne se réduisait pas à deux termes : céder devant les diktats d’Hitler ou faire la guerre avec l’Allemagne. Il y avait à l’époque un moyen pour faire reculer l’agresseur et pour éviter un conflit généralisé : l’alliance diplomatique et militaire de la France, du Royaume-Uni et de l’Union soviétique contre les menaces des fascismes. Cette solution ne fut pas retenue, parce que les cynismes, les préventions, les méfiances et les calculs égoïstes l’ont emporté sur l’esprit de convergence. Il fallut attendre 1941, un monde embrasé des destructions, des souffrances et des horreurs ineffaçables, pour que se constitue le seul rempart contre la barbarie. Nul ne sait ce qui serait advenu si l’alliance s’était conclue en 1939. Mais cela aurait valu la peine qu’on expérimente alors ses effets.
Que faire ?
- 1 .. Par principe, la gauche n’aime pas les va-t-en-guerre, mais son pacifisme ne va pas jusqu’à l’acceptation de l’asservissement, pour son propre peuple et pour tous les peuples du monde. Accepter l’agression imposée à un peuple, c’est accepter de légitimer par avance toutes les agressions.
Mais la gauche sait aussi que, si la guerre est parfois imposée, il n’y a pas de solution proprement militaire à un conflit, surtout s’il peut s’étendre bien au-delà de la querelle entre deux États. Si tu veux la paix, créée les conditions pour écarter tout ce qui nourrit l’esprit de guerre… L’Europe doit s’engager pour défendre l’Ukraine ; elle doit toutefois le faire au nom de notre commune humanité, pas pour écraser ou humilier la Russie, ou pour affirmer la puissance européenne.
Il ne manque pas de forces, dans les sociétés civiles, les institutions internationales et les États, pour décourager l’agresseur, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits.
Si l’Europe veut faire entendre sa voix efficacement à l’échelle mondiale, ce n’est pas d’abord en étalant sa puissance, mais en faisant valoir sa capacité à rassembler ses propres peuples, à conforter sa fibre démocratique, à stimuler une citoyenneté européenne encore balbutiante, à souder sa communauté de destin sur des valeurs d’égalité, de citoyenneté et de solidarité.
L’Europe, par ses caractéristiques, son histoire et ses ressources, peut être un intermédiaire entre les États et un monde qui peine à gérer ses interdépendances dans la sobriété et la justice. Mais pour que cet intermédiaire fonctionne, il doit devenir lui un cadre de souveraineté démocratique et partagée. Si la gauche a une originalité à faire valoir, c’est dans sa capacité à montrer qu’elle pense de la même façon cohérente la triple maîtrise démocratique du national, du continental et du planétaire.
- 2 .. Si l’Europe veut se faire entendre, ce n’est pas en désignant les Grands Satans, mais en proposant largement de se rencontrer, de débattre, de trouver des solutions communes. Si l’ONU n’est provisoirement plus le meilleur lieu pour cette rencontre, l’Europe pourrait proposer de la compléter par des cadres provisoires, intercontinentaux par exemple. Et si le trumpisme met à l’écart le continent américain – mais il n’a pas le pouvoir d’écarter toutes les Amériques -, elle peut cultiver le dialogue eurasiatique… en attendant mieux.
Pourquoi se résigner à penser le monde en termes de camps, en « Nord global » et en « Sud global ». Avec le revirement étasunien, ce simplisme est en train de se brouiller, de tous les côtés. Tant mieux, mais à condition de se tourner vers les États qui peuvent préférer le dialogue à la tension, la négociation plutôt que le rapport des forces permanents. Seule une telle convergence, sans exclusive a priori, peut éviter le pire et apaiser durablement un espace planétaire devenu explosif, et pas seulement en Ukraine ou à Gaza.
Il faut bien qu’une voix forte se fasse entendre, pour rappeler aux Trump, Vance, Milei, Poutine et autres que les agressions militaires, les chantages impériaux et l’extension sans fin des alliances militaires de « blocs » ne peuvent en aucun cas être des bases de discussion. Le but de la négociation ne doit pas plus être de « désoccidentaliser » que « d’occidentaliser », mais de rétablir et même d’instituer le droit international en base unique de régulation des rapports entre les peuples.
- 3 .. Ce n’est pas par la force des armes que l’Europe a le plus de chance de se faire entendre et de peser sur le devenir de notre planète. Les voix du cynisme, de la force et de l’exclusion ont de l’écho aujourd’hui, parce que les synthèses de l’après-1945 – celles du Welfare state et de l’État-providence – se sont érodées, par l’action consciente des puissances d’argent, les facilités technocratiques et l’échec des grands mouvements d’émancipation.
L’Europe peut user de ce qu’il y a de mieux dans son histoire – la double piste de la culture démocratique et de la fibre ouvrière et populaire – pour proposer de nouvelles synthèses. Elle ne serait pas seule dans cette quête. Dans les publications issues de la « société civile » comme dans les documents d’instances onusiennes, des propositions existent, construites à partir de larges consensus. Elles contiennent souvent une charge subversive étonnante contre la dictature des marchés, la gabegie productiviste, la froideur technocratique et le cynisme de la force.
- 4 .. Il ne manque donc pas de forces, dans les sociétés civiles, les institutions internationales et les États, pour décourager l’agresseur, écarter les va-t-en-guerre et les affairistes et replacer le droit international au cœur du règlements des conflits. Les peuples du Sud qui aspirent à la dignité, les mouvements sociaux qui luttent pour l’égalité, la citoyenneté et la solidarité, les engagements multiples pour la reconnaissance des droits et la primauté des besoins humains : tout cela crée la possibilité de nouvelles alliances, hors de la tutelle des puissants ou de la rigidité des camps.
Que cela s’accompagne de la prudence et du droit imprescriptible de défendre la souveraineté des nations et les équilibres continentaux peut s’envisager. Mais pas au prix d’un cataclysme qui risque d’anéantir tout ce qui fait notre humanité.
mise en ligne le 4 mars 2025
par Catherine Tricot sur www.regards.fr
Le débat à l’Assemblée nationale prend un écho renforcé à l’aune des décisions trumpiennes de la nuit : suspension avec effet immédiat de l’aide militaire américaine à l’Ukraine ; hausse des droits de douane à 25% avec le Mexique et le Canada et 20% avec la Chine ; licenciement sur le champs de la plupart des salariés de USAid qui dispensaient près de la moitié de l’aide humanitaire mondiale.
Introduit par un discours du premier ministre, formellement très réussi et aux convictions franches, les échanges entre les groupes parlementaires ont confirmé des positions contrastées. François Bayrou a, bien plus nettement que les dirigeants européens, affirmé le changement d’époque. Contrairement aux Anglais ou Polonais, pas une fois il n’a voulu se référer à l’amitié historique et aux liens entre la France et les États-Unis. Ceux-ci n’ont bien sûr pas disparu mais pour l’exécutif français, ils ne peuvent plus être la boussole : il faut acter la rupture. La suite de son plaidoyer portait sur la force des Européens. Il a voulu convaincre, au-delà de l’enceinte des députés, de la possibilité pour l’Europe de se constituer en puissance autonome :« Nous sommes forts et nous ne le savons pas. Et nous nous comportons comme si nous étions faibles ».
La suite des interventions a montré que ce discours puissant ne suffisait pas à lever désaccords et objections. L’union nationale n’est pas au programme. Le clivage est plus fort sur les retraites et le droit du travail que sur l’Ukraine. Les différences de sensibilités se sont clairement énoncées hier dans l’hémicycle. Mais les positions ne sont pas apparues aussi clivées que bien des fois. Le ton des différents orateurs était grave et l’attention soutenue. Le poids de l’histoire nationale s’est fait sentir. Et l’ombre du général de Gaulle a plané dans bien des discours.
Laissons de côté Éric Ciotti et ses obsessions minables sur l’immigration. De façon attendue, la droite et l’extrême droite ont fait porter leurs critiques sur la question du parapluie nucléaire, affirmant qu’il ne saurait être partagé. En fait, personne ne le dit ni ne le propose. Après les tentations trumpistes de Jordan Bardella, Marine Le Pen a éludé toute analyse sur les États-Unis et n’a pas eu un mot sur la responsabilité de la Russie. Mais elle a dû commencer son discours par un soutien aux Ukrainiens.
Les interventions de Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, et de Boris Vallaud, président du groupe socialiste, étaient emprunts du soutien à l’Ukraine. Tous les deux ont dit leur conviction que la Russie ne doit pas gagner et ont réaffirmé leur foi dans l’espace européen. Le porte-parole des insoumis, Aurélien Saintoul, a livré un discours solide, ne pouvant se priver d’une arrogance mal placée « qu’il est douloureux d’avoir eu raison 20 ans durant » – avant même les insoumis, que c’est drôle ! Mais il démontrait la vanité d’une défense européenne quand les armes sont américaines et l’appareil productif dévasté. Le porte-parole du groupe communiste et ultramarin, Jean-Paul Lecoq, a fait le lien entre les enjeux sociaux et les efforts demandés : si les premiers ne sont pas assurés alors les seconds seront mal compris. En clair, 5 milliards pour les retraites ne peuvent être un mur infranchissable quand 40 milliards de plus pour l’armement serait une exigence. Aurélien Saintoul relevait lui aussi le paradoxe à propos des moyens mobilisés pour le climat. L’orateur communiste, à la différence de tous et singulièrement du premier ministre, insista sur les transformations du monde au-delà de la déflagration Trump : « Penser la paix ne pourra se faire qu’entre européens. De nombreux pays ont à cœur que l’Ukraine retrouve la paix ». Et de citer l’initiative conjointe Brésil-Chine pour des négociations de paix.
Relevons que la fin de l’atlantisme, actée par les uns et les autres, permet de nouveaux espaces de convergence en particulier au sein de la gauche. Les différends sur la construction européennes entre socialistes et écologistes d’une part, communistes et insoumis d’autre part, demeurent. Mais ils ne sont plus lestés de cette ombre portée américaine qui enserrait la pensée et le projet dans une histoire et un système économique, le capitalisme sous toutes ses formes.
L’heure est très grave, « la plus grave depuis la fin de la seconde guerre mondiale » a dit François Bayrou. Le pouvoir doit en prendre la mesure, pas seulement militaire. La gauche doit s’en convaincre et travailler à sa convergence, nécessaire et davantage possible.
Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Lors du débat consacré à la guerre à l’Assemblée nationale lundi 3 mars, Gabriel Attal a estimé que Kiev « vaincra », invitant avec le premier ministre à renforcer l’Union européenne.
Pour le camp présidentiel, rien ne doit changer dans la politique de la France. Le premier ministre n’a offert, lors du débat qui se tenait lundi à l’Assemblée nationale, aucune perspective de négociation entre la Russie et l’Ukraine. Et ce, malgré le lâchage de cette dernière par Donald Trump, en direct dans le bureau Ovale, le 28 février. « Pour l’honneur de l’Europe, le président Zelensky n’a pas plié et nous pouvons lui manifester de la reconnaissance », a salué François Bayrou, qui a prévu une aide à l’Ukraine, en matière militaire, politique, et diplomatique.
« Nous, les Européens, sommes plus forts que nous ne le croyons. Nous nous comportons comme si nous étions faibles », a-t-il déploré, avant de donner des chiffres à l’avantage de l’Europe concernant le PIB, les effectifs militaires, la démographie. « Le monde libre a besoin d’un nouveau leader », après les déclarations de Donald Trump, a estimé Gabriel Attal. « C’est à nous, la France et les nations européennes, de prendre enfin la relève », a lancé le président du groupe Renaissance, appelant à construire l’indépendance du Vieux Continent, notamment via une relance des dépenses militaires. « L’Ukraine vaincra, l’Europe sera », a-t-il claironné.
Fracture à gauche
De telles déclarations ont permis à l’extrême droite de répliquer en faisant valoir son agenda souverainiste. Marine Le Pen a qualifié de « tromperie » la promesse faite à l’Ukraine d’une intégration future dans l’Union européenne (UE) et dans l’Otan. Elle appelle à une conférence de paix entre nations qui ont intérêt à la pacification de la région, mais pas « les instances supranationales comme l’UE ou l’Otan ».
À gauche, une vraie ligne de fracture apparaît. Boris Vallaud, chef du groupe PS à l’Assemblée nationale, invite à « investir l’Otan ». « Les socialistes appellent de leur vœu un grand plan stratégique de l’Europe » en matière militaire et industrielle, a-t-il précisé. Pour lui, la dissuasion nucléaire « sera d’évidence un des éléments de la construction d’une sécurité commune européenne ». L’élu PS appuie l’idée de l’envoi de troupes françaises en Ukraine, le moment venu. Pour Les Écologistes, Cyrielle Chatelain a aussi appelé à renforcer le volet militaire de l’UE.
L’insoumis Aurélien Saintoul a en revanche accusé certaines forces politiques, sans les nommer, d’avoir conduit la politique de sécurité de la France dans le mur, en rejoignant le commandement intégré de l’Otan en 2008. « Nous voici dans une situation de dépendance des États-Unis devenant critique », s’est-il plaint.
Le député communiste Jean-Paul Lecoq a, lui, refusé l’augmentation des budgets de la défense alors que l’argent manque pour les services publics. Il appelle à prendre ses distances avec les États-Unis et à dialoguer, y compris avec la Russie, ce que refusent pour l’heure Emmanuel Macron et le ministre des Affaires étrangères. « On se croirait dans une cour d’école. L’hypothèse d’une troisième guerre mondiale n’est pas un jeu », rappelle-t-il, invitant à la cohérence en faisant respecter le droit international partout, y compris en Palestine et au Sahara occidental. « Il faut obtenir l’arrêt des combats pour organiser une conférence internationale sur la sécurité et la coopération en Europe conduisant à un accord de paix », conclut-il.
mise en ligne le 3 mars 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
La deuxième phase de l’accord de trêve, qui devait débuter ce dimanche 2 mars, est remise en question par Benyamin Netanyahou, avec l’appui des États-Unis. Le Hamas exige son application et dénonce un « crime de guerre » à propos de la suspension de l’aide humanitaire.
Reprendre la guerre, en violation de la trêve signée le 19 janvier dernier : tel semble être le but poursuivi par Benyamin Netanyahou. Au lendemain de la fin de la première phase de cet accord, qui arrivait à échéance ce samedi 1er mars, le premier ministre israélien refuse d’appliquer la deuxième phase, qui prévoit la libération des 24 otages restants ainsi que la restitution des 34 corps de ceux qui ont été tués au cours de leur captivité ou lors des attaques du 7 octobre 2023. En échange, Israël s’était engagé à libérer environ 1 800 prisonniers palestiniens.
Dans la nuit de samedi à dimanche, Benyamin Netanyahou a annoncé vouloir mettre en œuvre, en lieu et place, une proposition de dernière minute émise par les États-Unis. Dans un communiqué, son bureau indique qu’« Israël adopte le plan de l’envoyé du président américain, Steve Witkoff, pour un cessez-le-feu temporaire pour les périodes de ramadan », qui a débuté le 28 février et durera jusqu’au 30 mars, « et de Pessah », la Pâque juive, laquelle sera célébrée mi-avril.
Suspension de l’aide humanitaire
Ce plan prévoit que « la moitié des otages, morts ou vivants », sera remise à Israël lors de son entrée en vigueur, puis, pour ceux qui restent, « à la fin, si un accord est trouvé pour un cessez-le-feu permanent », précise le communiqué.
Le Hamas a réagi dans la foulée. Le mouvement islamiste palestinien a rappelé Israël à ses obligations, alors que depuis le 28 février les négociateurs israéliens, qataris et états-uniens se retrouvent au Caire dans le cadre des discussions sur la deuxième phase de l’accord initial. Selon le Hamas, cette nouvelle proposition équivaut pour Israël à « se soustraire aux accords qu’il a signés. (…) La seule façon de parvenir à la stabilité dans la région et au retour des prisonniers est d’achever la mise en œuvre de l’accord, en commençant par la deuxième phase », a réagi le dirigeant du Hamas, Mahmoud Mardaoui, dans une déclaration transmise à l’AFP.
En guise de représailles, Benyamin Netanyahou a suspendu toute entrée d’aide humanitaire à Gaza. Un moyen de pression inique et illégal, que le Hamas a dénoncé : « La décision de suspendre l’aide humanitaire est un chantage mesquin, un crime de guerre et une violation flagrante de l’accord », a réagi le mouvement palestinien, qui a également appelé « les médiateurs et la communauté internationale à faire pression » sur Israël. Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a assuré dans la foulée qu’« il n’y a pas d’alternative à la mise en œuvre fidèle et intégrale par toutes les parties de ce qui a été signé en janvier dernier ».
4 milliards d’armes américaines
Sans surprise, la suspension de l’aide dans la bande de Gaza a été applaudie par les alliés d’extrême droite du gouvernement de Netanyahou. « La décision de stopper totalement l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza jusqu’à la destruction du Hamas ou sa reddition totale et la libération de tous nos otages est une étape importante qui va dans la bonne direction », a réagi le ministre des finances, Bezalel Smotrich. Qui a poursuivi son laïus en appelant « maintenant à ouvrir les portes de l’enfer aussi rapidement et violemment que possible contre l’ennemi ».
Benyamin Netanyahou, qui n’avait accepté l’accord du 19 janvier qu’à contrecœur, a également menacé de reprendre les hostilités : « Si le Hamas persiste dans son refus, il y aura d’autres conséquences », indique-t-il. Le premier ministre israélien profite du rapport de force modifié par l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui a présenté son fameux « plan » pour Gaza le 5 février, lequel prévoit un déplacement forcé de toute la population gazaouie, soit près de 2 millions de Palestiniens, dans les pays arabes voisins, notamment l’Égypte et la Jordanie, qui s’y refusent malgré les pressions. La « reconstruction » de Gaza, sur le modèle d’une Riviera sous « contrôle » des États-Unis, a tout du nettoyage ethnique.
Les Nations unies ont réagi à la menace de reprise des hostilités, qui « serait catastrophique », a fait savoir Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général Antonio Guterres. C’est pourtant ce que semblent préparer Israël et son allié américain : le secrétaire d’État Marco Rubio a ainsi annoncé une livraison de 4 milliards de dollars d’aide militaire, signe selon lui qu’Israël « n’a pas de meilleur allié à la Maison-Blanche que le président Trump ». Ce dernier avait confirmé que la levée des restrictions sur certains types d’armes, notamment les bombes de 900 kilos.
Ce dimanche, le ministère de la santé du Hamas pour la bande de Gaza a annoncé qu’il y avait « depuis ce matin quatre morts et six blessés », transportés « dans des hôpitaux de la bande de Gaza à la suite d’attaques israéliennes », détaille le ministère.
mise en ligne le 2 mars 2025
La chronique de Maryse Dumas sur www.humanite.fr
Comme un château de cartes, les principes sur lesquels a reposé la construction européenne semblent s’effondrer l’un après l’autre. « Changement d’époque rapide et brutal », « Moment de bascule historique », les mêmes mots se retrouvent dans la plupart des commentaires médiatiques mais aussi politiques de la semaine.
La stratégie de Donald Trump visant à faire plier l’Ukraine devant l’agression poutinienne est en soi un sujet majeur, autant que ses prétentions sur l’avenir de Gaza. Mais il n’y a pas que cela. Les propos à la fois méprisants et agressifs que tiennent les nouveaux dirigeants des États-Unis vis-à-vis de l’Europe, leur soutien aux extrêmes droites actives sur notre continent placent l’Europe dans une situation tout à fait nouvelle : elle perd le parapluie historique sur lequel elle s’est construite, elle se retrouve seule face à elle-même. Il lui faut urgemment définir une politique réellement indépendante et coordonnée faute de quoi sa construction déjà précaire ne pourrait que s’effondrer.
Trois enjeux s’entremêlent de manière extrêmement complexe : en premier lieu celui du soutien à l’Ukraine, à la fois pour respecter la volonté d’autodétermination de son peuple et stopper les ambitions impérialistes de Moscou. Le deuxième enjeu est celui du barrage à ériger face à la poussée des extrêmes droites partout en Europe et aussi dans le monde. Enfin, troisième enjeu et non le moindre, celui de la nature des politiques économiques et sociales à déployer face au bouleversement impulsé par les dirigeants états-uniens.
Ces trois enjeux appellent à une refonte profonde du modèle européen. Face au rouleau compresseur trumpien, le défendre tel qu’il est serait une impasse. Relever le défi impose, au contraire, un changement profond tant des choix économiques et sociaux que des pratiques européennes notamment en matière de démocratie. Agir en Européen aujourd’hui c’est lutter pour concrétiser les potentialités de l’Europe unie mais à partir d’un autre schéma politique que celui qui prévaut actuellement. En cela, cette crise peut se transformer en opportunité pour promouvoir vraiment un autre modèle social et économique que celui du libéralisme mondialisé.
Laissons de côté les différences de points de vue entre les dirigeants européens et leurs difficultés et lenteurs à trouver des réactions communes : là comme dans chacun des pays et à l’intérieur de chacune des forces politiques, les tentations opportunistes sont fortes. Il est toujours plus facile de se situer dans le camp des vainqueurs que de s’y opposer. Quatre-vingts ans après la libération du joug nazi, la leçon est toujours la même. Ce dont l’Europe a besoin, c’est moins d’accroître les dépenses militaires que de définir et mettre en œuvre des politiques réellement alternatives.
Redresser l’économie en la mettant au service de la satisfaction des besoins et de la réduction des inégalités ; tenir compte des enjeux écologiques ; développer des pratiques démocratiques non seulement électives mais surtout actives ; créer de nouvelles réponses de service public et revitaliser les anciens : voilà quelques axes susceptibles d’alimenter des débats et des propositions pour ouvrir un chemin à des populations aujourd’hui perdues dans le brouillard.
La gauche, les syndicats, les forces progressistes et démocratiques ont l’immense responsabilité historique d’offrir des perspectives en ce sens aux populations européennes et françaises et d’être pour cela capables de s’unir.
mise en ligne le 1er mars 2025
Francis Wurtz (député honoraire du parlement européen) sur www.humanite.fr
Jusqu’ici, les choses étaient (en apparence) simples : la sécurité de l’Europe, c’était l’Otan. Ou, plus exactement, c’était l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord : « Une attaque contre un pays membre est considérée comme une attaque dirigée contre tous. » Bref, si les Russes nous agressaient, les Américains nous sauveraient ! À vrai dire, personne n’a jamais su ce qu’il en aurait été si l’impensable s’était produit. La seule conséquence vérifiée de cette dépendance au gendarme du monde a été le consentement des « alliés » à la limitation de leur souveraineté, depuis leur souveraineté juridique (bridée par les lois extraterritoriales des États-Unis) jusqu’à leur souveraineté stratégique (qui a, par exemple, conduit l’Europe occidentale à rejeter en juin 2008 le « traité paneuropéen de sécurité » que lui proposait la Russie de l’époque, car Washington y voyait un frein à l’extension de l’Otan vers l’Est). Quoi qu’il en soit, cette garantie de protection, qu’elle ait été réelle ou supposée, vient d’expirer de fait avec l’arrivée d’un « nouveau shérif dans la ville », selon l’élégante métaphore du vice-président américain.
Dès lors, que faire ? Le moment est venu d’ouvrir un débat de fond sur cet enjeu majeur aux implications fondamentales : quelle sécurité pour l’Europe, non dépendante des aléas de l’agenda géopolitique des dirigeants des États-Unis ? Depuis des années, les dirigeants européens parlent de « défense européenne », mais toujours dans le cadre de l’Otan. Comme l’a encore rappelé Emmanuel Macron au lendemain de l’élection de Donald Trump : « L’Otan a évidemment un rôle clé et, au sein de l’Otan, (…) le pilier européen n’a rien à retrancher à l’Alliance » (1). La conception même de la sécurité européenne – et, dans ce cadre, d’une éventuelle défense authentiquement européenne – est donc à réinventer.
On pourrait envisager la mise en commun de troupes et d’équipements entre certains pays européens dans deux cas : soit pour aider l’un des pays concernés à défendre son territoire contre un agresseur, soit dans le cadre d’une mission de maintien de la paix des Nations unies. En tout état de cause, la décision de prendre part à une action relèverait de la souveraineté de chaque État concerné, à partir d’une évaluation sérieuse et responsable de la situation. En outre, toute « autonomie stratégique » européenne digne de ce nom supposerait, pour les pays concernés, de se libérer de la tutelle des États-Unis en matière d’armements.
Mais l’essentiel devrait toujours être une grande politique de prévention des tensions et des conflits. Dès lors, la priorité des priorités devrait être de reconstruire un système de sécurité collective de tout le continent européen, incluant par définition la Russie. Naturellement, la guerre atroce menée par ce pays en Ukraine et, partant, la défiance abyssale qu’inspire Poutine rendent cet objectif quasi inatteignable à court terme. Il n’en est pas moins vital de s’y atteler au plus vite.
On en est, hélas, très loin dans l’UE, où les débats tournent exclusivement autour de l’explosion des budgets de la défense, quand ce n’est pas autour de l’européanisation de « la défense antimissile, (des) tirs d’armes de longue portée (voire de) l’arme nucléaire », selon Emmanuel Macron, qui, dans ce contexte, envisage ni plus ni moins que d’augmenter le budget de la défense en France de… 90 milliards d’euros PAR AN ! (2) Oui, décidément, un vrai débat de fond s’impose ! Si les États calent ou s’égarent, c’est le moment de lancer des initiatives citoyennes sur ce sujet. La sécurité est l’affaire de toutes et de tous.
(1) Discours au sommet de la « Communauté politique européenne », Budapest (7 novembre 2024).
(2) France Info (20 février 2025)
mise en ligne le 28 février 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
Ce 17 février, Rachida Dati s’est rendue dans le territoire occupé du Sahara occidental pour apporter le soutien de la France au Maroc dans ce conflit. Un énième obstacle pour le peuple sahraoui, qui lutte depuis plus de cinquante ans pour ses droits. Brahim Mokhtar, l’un de ses diplomates historiques, analyse les ramifications nombreuses de cette lutte.
Rabouni, camps de réfugiés sahraouis en Algérie, envoyé spécial.
Ancien ministre, ambassadeur dans les pays d’Europe du Nord, d’Afrique de l’Ouest, australe et de l’Est, en Amérique centrale, au Royaume-Uni, représentant auprès de l’Union africaine : depuis près de cinquante ans, Brahim Mokhtar défend les droits de son peuple, les Sahraouis, dans le monde entier.
Dans le quartier administratif de Rabouni, au cœur des camps situés près de la ville algérienne de Tindouf, où les Sahraouis ont trouvé refuge depuis 1975, il reçoit l’Humanité dans son bureau du ministère des Affaires étrangères. L’occasion d’un tour d’horizon complet des sujets diplomatiques et stratégiques qui concernent le Sahara occidental : la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur les territoires occupés, la guerre contre le Maroc qui a repris depuis 2020, le soutien de nombreux pays dans le monde et notamment de l’Union africaine.
Pourtant, malgré la reconnaissance de son droit par les Nations unies, le peuple sahraoui et le Front Polisario ne semblent pas en mesure de le faire appliquer, entre autres par un référendum d’autodétermination accepté par toutes les parties en 1991 et dont l’ONU, avec la Minurso (mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), devait être garante. Ce droit se heurte au soutien apporté au Maroc par plusieurs puissances occidentales. Les États-Unis et la France, notamment, qui a reconnu en octobre 2024 la souveraineté marocaine au mépris du droit international.
La République arabe sahraouie démocratique (RASD) a remporté une victoire juridique importante avec les arrêts de la Cour de justice de l’UE, qui a déclaré illégaux les accords UE-Maroc sur l’agriculture et la pêche pour ce qui concerne le Sahara occidental. Quelle est votre analyse de ce verdict et quelles sont ses conséquences ?
Brahim Mokhtar : Évidemment, c’est une victoire pour le peuple sahraoui et une défaite pour le Maroc, qui essayait de faire croire que l’Europe était à ses côtés. Mais la justice européenne a dit que le Maroc et le Sahara occidental sont deux entités séparées, différentes, et qu’il ne peut pas y avoir d’accord commercial ou autre qui inclut le territoire du Sahara occidental. Nous considérons qu’il s’agit là d’un début très important, car il peut constituer une barrière pour d’autres cas, et qu’il faut continuer cette bataille juridique, en ce qui concerne l’Europe mais aussi d’autres pays ou continents.
Y a-t-il d’autres processus juridiques engagés par la RASD ?
Brahim Mokhtar : Oui, notamment en ce qui concerne les compagnies aériennes. L’Europe a précisé que les espaces aériens du Sahara occidental ne peuvent être inclus dans les dessertes marocaines des compagnies. Mais, pour l’heure, cette décision n’est pas respectée et nous envisageons des mesures juridiques.
En quoi ces décisions affaiblissent-elles le Maroc ?
Brahim Mokhtar : Le régime marocain essaie toujours de faire croire à son opinion que l’Europe est avec lui, que de grands pays reconnaissent sa prétendue souveraineté sur le Sahara occidental, mais ces verdicts le démentent.
Parmi les pays ayant reconnu cette pseudo-souveraineté, il y a notamment les États-Unis avec Trump en 2020, l’Espagne en 2022, et la France avec cette annonce d’Emmanuel Macron en octobre. Avez-vous été surpris de cette évolution diplomatique ?
Brahim Mokhtar : Tout d’abord, la reconnaissance par M. Trump s’était faite deux jours avant son départ de la Maison-Blanche et via un tweet : ce n’est pas quelque chose d’officiel. Le Maroc voulait qu’une représentation américaine soit ouverte à Dakhla (dans les territoires occupés – NDLR), cela n’a pas été fait, donc nous allons voir désormais ce que seront les exigences de Trump envers le Maroc, puisqu’il leur demande notamment d’accueillir des Palestiniens.
Le Maroc va se trouver dans une situation difficile : s’il accepte les Palestiniens, ce sera une catastrophe, et s’il refuse, ce sera une autre catastrophe. La vraie surprise est la position de l’Espagne, pas celle de la France, qui a toujours eu, quel que soit le gouvernement, une position favorable au Maroc.
La France n’avait jusque-là pas reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental mais était intervenue militairement avec les avions Jaguar en 1977. Pour l’Espagne, il s’agit d’une décision personnelle de Pedro Sanchez, sans consulter ni son parti, ni le gouvernement ni le Parlement, via une simple lettre dont l’existence même reste à confirmer. Il a sans doute pris cette décision en raison de pressions personnelles, qui peuvent être liées à Pegasus ou aux affaires de sa femme au Maroc.
Mais, au niveau du Parlement ou des collectivités espagnoles, personne n’a changé de position. Notre position, pour l’heure, est de ne pas avoir de relations avec le gouvernement espagnol jusqu’à nouvel ordre. Toutes les autres relations avec l’Espagne fonctionnent normalement.
Pour en revenir à la France, quel est aujourd’hui votre message aux autorités ?
Brahim Mokhtar : Je pense que la France officielle traverse une situation très difficile au niveau de l’Afrique, avec ce qui se passe au Sahel, le départ des forces françaises de plusieurs pays. La France se retrouve isolée, il lui est nécessaire d’avoir un pied solide sur le continent. Ce n’est pas possible en Algérie, même s’ils ont tout essayé, donc il ne restait que le Maroc – qui a des exigences. L’autre versant, ce sont les intérêts économiques des entreprises françaises.
Le Maroc a ouvert les portes pour les investissements, y compris au Sahara occidental, en violation des accords européens. Je réaffirme toutefois que ce n’est pas nouveau, ni une surprise : la France officielle a toujours été contre nous, contre notre indépendance, notre droit à l’autodétermination. La France a toujours bloqué toute résolution favorable aux Sahraouis au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela n’empêchera pas le peuple sahraoui de continuer sa lutte de libération.
Hormis l’Algérie, quels sont aujourd’hui vos soutiens diplomatiques, et quelles autres relations voulez-vous établir ?
Brahim Mokhtar : La question du Sahara occidental se trouve dans les mains du Conseil de sécurité, avec le plan de paix des Nations unies, et de l’Union africaine, pour un référendum. Parmi les piliers de nos soutiens figurent bien sûr l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’Éthiopie. Nous sommes soutenus par de nombreux pays africains, asiatiques comme le Vietnam ou le Laos, et, en Amérique latine, nous avons neuf ambassades. Ce qui nous manque, c’est d’abord un consensus au Conseil de sécurité.
Vous êtes ambassadeur en Asie, où un acteur puissant émerge : la Chine. Essayez-vous d’établir des relations avec elle, et d’obtenir son soutien ? Quid des États-Unis, après l’élection de Trump, et de l’Europe ?
Brahim Mokhtar : Nous avons déjà des rapports avec la Chine, il existe des perspectives. C’est également le cas avec l’Inde, qui est un acteur principal dans la région. Je crois que cela avance dans le bon sens. En ce qui concerne les États-Unis, nous voyons un rejet important de la politique agressive du nouveau président, en Europe comme ailleurs.
À terme, ils seront obligés de changer de position politique, y compris en ce qui concerne le Sahara occidental. En Europe, nous avons de très bonnes relations avec les pays du nord : Suède, Norvège et Islande. Mais cela peut varier selon les gouvernements. Plusieurs pays sont prêts à nous reconnaître, mais subissent des pressions et ne veulent pas franchir le pas seuls.
À propos de l’Union africaine (UA), dont vous êtes un membre fondateur, comment comptez-vous approfondir vos relations et vos soutiens ? Le Maroc semble y gagner un poids croissant…
Brahim Mokhtar : Précisément, se tient aujourd’hui le 38e sommet de l’UA (l’entretien a été réalisé le 15 février – NDLR), où est présent notre président, Brahim Ghali. L’enjeu de ce sommet est l’élection de la nouvelle direction de l’UA avec plusieurs candidats, dont le Maroc et l’Algérie (c’est le Djiboutien Mahmoud Ali Youssouf qui a été élu à la tête de la Commission de l’UA – NDLR).
Nous notons que le Maroc a échoué à mobiliser pour ses candidats, malgré ses discours de propagande. Comme il l’a fait au Parlement européen avec le Marocgate (en 2022, affaire de corruption de plusieurs députés européens – NDLR), le pays investit sur des individus et non des États.
Vous évoquiez les Nations unies, qui reconnaissent votre droit à l’autodétermination. Pourtant, malgré cela, vous ne parvenez pas à ce qu’il soit effectif. Pour quelles raisons selon vous ?
Brahim Mokhtar : Il s’agit avant tout d’un manque de consensus au niveau du Conseil de sécurité, dont nous sommes victimes. Le plan de paix existe, la Minurso est là, mais les pays concernés ont des intérêts souvent divergents. Indépendamment de la position de ces cinq pays, nous continuons notre lutte.
Quelles sont vos attentes aujourd’hui envers la Minurso ?
Brahim Mokhtar : La Minurso a été créée en 1991 avec un seul objectif : organiser un référendum au Sahara occidental, qui devait se tenir en 1992. À l’époque, cela avait été demandé par Hassan II, qui avait reconnu avoir été vaincu par les forces de la RASD. Les listes ont été établies pour le référendum.
Mais le nouveau roi, Mohammed VI, a choisi de ne pas aller au vote, sur les conseils des amis de toujours… (allusion à la France – NDLR). Aujourd’hui, pour que ce référendum soit organisé, il faut en créer les conditions avec un rapport de force, qui doit s’exercer à deux niveaux : sur le terrain militaire et le diplomatique.
Sur le terrain militaire, n’assiste-t-on pas à un basculement avec le fait que le Maroc dispose aujourd’hui d’armement moderne, notamment les drones, qui changent profondément le rapport de force ?
Brahim Mokhtar : Cela se trouve sur le marché. Nous pouvons en acheter nous aussi. C’est une question de temps.
Sur le plan diplomatique, quelles sont aujourd’hui vos priorités ?
Brahim Mokhtar : Renforcer l’organisation de l’UA pour y avoir une position plus forte, œuvrer pour une position homogène des pays non alignés, développer notre force militaire et le soutien de nos alliés, pour enfin faire le « saut final », celui de l’indépendance. Ce qui est certain, c’est que le peuple sahraoui l’obtiendra.
mise en ligne le 27 février 2025
Lina Sankari sur www.humanite.fr
Quelque 40 000 Palestiniens ont été expulsés des camps de Jénine, Tulkarem et Nour Chams. Un nettoyage ethnique qui vise à en finir avec le statut de réfugié et à s’emparer des territoires occupés pour empêcher la solution à deux États.
Il y a vingt-deux ans que les chars n’étaient plus entrés dans Jénine. Depuis un mois, la violence de l’armée et des colons israéliens a atteint son acmé en Cisjordanie occupée. Après la guerre à Gaza, le ministre de la Défense Israël Katz s’est félicité d’avoir vidé trois camps de réfugiés du nord du territoire au prix de 60 vies : « Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants. »
S’il y avait encore des doutes sur la volonté de mettre fin au statut de réfugié palestinien après l’interdiction faite à l’Unrwa (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) d’opérer en Israël et à Jérusalem-Est, le responsable israélien, ouvertement annexionniste, précise que l’armée a reçu l’ordre de ne pas « permettre (leur) retour ».
Un calendrier qui ne doit rien au hasard
La mise en œuvre de cette entreprise de nettoyage ethnique passe par le stationnement des soldats : « Je (leur) ai donné pour instruction de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir », a-t-il ajouté. « Une dangereuse escalade », souligne Ramallah.
Le calendrier ne doit évidemment rien au hasard et il est difficilement imaginable que l’opération « Mur d’acier » se déroule sans l’assentiment de Donald Trump. L’évacuation des habitants a été précédée d’attaques brutales de colons, couvertes par les soldats, et la destruction aux bulldozers des routes, du réseau d’eau et d’habitations afin d’entraver le retour. Mais, en décembre, ce sont les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne qui avaient lancé un raid afin de débusquer les combattants à Jénine.
« Le monde ne peut pas rester inerte face à cette catastrophe qui s’ajoute au génocide en cours à Gaza. Israël semble vouloir « achever le travail », comme le disait l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, c’est-à-dire chasser définitivement les Palestiniens de leur terre. Soit la phase ultime de la conquête coloniale dont l’historien Ilan Pappé dit que, dans le processus de colonialisme de remplacement, « l’indigène est là provisoirement, puis plus du tout » », relève l’association des Amis du Théâtre de Jénine.
900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre
Depuis le 7 octobre 2023, au moins 900 Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens ou des colons en Cisjordanie occupée. Selon le récit officiel qui a cours à Tel-Aviv, c’est toutefois la libération des prisonniers palestiniens, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, qui justifie cette nouvelle opération sanglante : « Le problème, c’est que 82 % de ces Palestiniens libérés se sont immédiatement livrés à nouveau à des activités terroristes », veut croire un porte-parole militaire.
Sous couvert de lutte contre les groupes armés, en l’occurrence le Djihad islamique et le Hamas – qui auraient déjà quitté la localité, selon de nombreux témoignages –, l’armée d’occupation envoie ses drones pour exhorter les habitants à l’évacuation. Elle terrorise la population à grand renfort de grenades assourdissantes pour l’obliger à fuir le territoire décrété « zone militaire ». De fait, elle n’opère aucune distinction entre civils et combattants. « Les gens ont des difficultés à accéder aux besoins de base comme l’eau potable, la nourriture, des soins médicaux et des abris », indique le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Située en zone A, et donc sous contrôle de l’Autorité palestinienne en vertu des accords d’Oslo de 1993, Jénine avait déjà subi dix jours de siège lors de la seconde Intifada en 2002. À l’époque, l’opération « Rempart » s’était soldée par la mort de 497 Palestiniens, 1 447 blessés et l’arrestation de 7 000 autres personnes. Il se pourrait cette fois qu’Israël soit lancé dans une bataille pour l’annexion à même d’en finir avec la solution à deux États.
Et « l’inquiétude » exprimée par l’Union européenne ne saurait lui faire renoncer à l’édification d’un « Grand Israël » sur l’ensemble de la Palestine. Israël Ganz, chef du Conseil de Yesha, principale organisation représentative des colons, faisait récemment valoir ces prétentions annexionnistes : « Nous ferons tout pour appliquer la souveraineté israélienne, au moins à la zone C », qui représente un peu plus de 60 % du territoire de la Cisjordanie entièrement sous occupation israélienne.
La plupart des terres agricoles vitales y sont situées. En 2020, le président états-unien entendait déjà imposer « le deal du siècle » qui prévoyait l’annexion de pans entiers de territoires palestiniens. Désormais, pour les colons, le retour au pouvoir de Donald Trump s’apparente presque à celui du Messie.
Margot Bonnéry sur www.humanite.fr
Dans une note de blog publiée dans la « Tribune juive » le 20 février, le romancier franco-israélien Marco Koskas appelle à « dézinguer » les députés Éric Coquerel et Ersilia Soudais, et s’en prend plus généralement à l’ensemble de la France Insoumise. Les deux élus visés nommément ont annoncé porter plainte, ce jeudi 27 février.
« Je n’aurai jamais assez de balles pour dézinguer tous ces affreux. Et pas de revolver non plus. » Dans un billet publié dans le média en ligne « Tribune juive » ce 20 février, l’écrivain franco-israélien Marco Koskas menace de mort les députés Éric Coquerel, Ersilia Soudais et tous les membres de la France Insoumise. « La conscience humaine n’est plus façonnée par les livres, mais par les hyènes de la politique. Et moi je ne vois pas d’autre réponse que foutre une balle dans la tête de Mme Sourdais, Monsieur Coquerel et toute la mélenchonie. », écrit-il.
Face à ce qui constitue un appel au meurtre, les deux députés ciblés ont annoncé porter plainte. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, de nombreux militants et élus insoumis, mais aussi des syndicalistes CGT et des militants communistes, reçoivent des insultes et menaces en ligne, par courrier et dans la rue, en raison de leur engagement en faveur de la Palestine. Certains se font harceler, d’autres doivent déménager, ou « se font saccager leur maison », a rappelé Jean-Luc Mélenchon sur X, qui a vu sa maison secondaire dans le Loiret dégradée.
Accusé de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas »
« C’est devenu tristement banal dans une société qui s’enfonce de plus en plus dans le fascisme », dénonce pour sa part Ersilia Soudais. « Des menaces de mort sous couvert d’anonymat, ce n’est pas la première fois que j’en reçois. Mais il faut se sentir dans une impunité totale pour nous désigner comme cible en signant dans un média un papier nous promettant une balle dans la tête », complète Éric Coquerel, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Dans son billet, Marco Koskas, qui se revendique lui-même « sioniste », accuse la France insoumise de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas » et reproche notamment à Éric Coquerel d’avoir rendu visite en prison à Georges Ibrahim Abdallah, militant libanais pro-palestinien détenu en France depuis 40 ans pour des faits de terrorisme, mais libérable depuis 1999. Ce qui justifie, pour Marco Koskas, de réclamer qu’on assassine un représentant de la nation.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants insoumis interpellent le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Ces derniers n’ont pour l’heure pas encore réagi.
mie en ligne le 26 février 2026
Justine Brabant sur www.mediapart.fr
Durant trois ans de guerre, le monde a dépensé des milliards pour aider l’Ukraine. Mais ce soutien aurait pu être différent : plus attentif aux besoins concrets des Ukrainiens, plus transparent, plus démocratique et plus cohérent. Et donc mieux compris et accepté par les Européens.
Trois ans après son invasion brutale par la Russie, l’Ukraine se prépare à des négociations difficiles autour d’un éventuel cessez-le-feu. En plus d’avoir payé cette guerre de son sang – plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés –, vu son économie ravagée et sa population quitter le pays en masse, elle risque d’être contrainte de céder des territoires et de voir les responsables des multiples crimes commis par l’armée russe échapper à la justice.
À ces pertes concrètes s’ajoute une double défaite symbolique.
La première est le flot d’insultes que lui inflige depuis quelques jours le nouveau président des États-Unis. Donald Trump entretient des relations cordiales avec Vladimir Poutine, répète à qui veut l’entendre que cette guerre est « ridicule » et, dans un retournement complet de l’histoire, que le président ukrainien Volodymyr Zelensky, ce « dictateur », serait responsable de son déclenchement. L’adoption de ce récit et la volonté manifeste de ne pas sanctionner Vladimir Poutine ont des conséquences qui vont bien au-delà de l’Ukraine et constituent, selon certains historiens, « le défi le plus important lancé à l’ordre international depuis 1939 ».
La seconde est la défiance croissante du reste du monde : de relativement consensuelle à travers l’Europe, l’aide à l’Ukraine est désormais contestée au point de devenir un des carburants les plus puissants des extrêmes droites sur le continent. Dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique, la guerre en Ukraine est devenue la démonstration d’une certaine hypocrisie occidentale et a paradoxalement contribué à faire de Vladimir Poutine un champion de la lutte pour l’émancipation des peuples non occidentaux.
Tout cela est advenu en dépit de milliards d’euros d’aide militaire et financière apportés à Kyiv par ses partenaires. La France, qui a participé à ce mouvement de soutien, pourrait estimer avoir fait sa part : elle a donné de l’argent, envoyé des équipements militaires, n’était-ce pas là tout ce qu’elle pouvait faire ?
En réalité, un autre soutien à l’Ukraine était possible. Plus attentif aux besoins concrets des Ukrainien·nes, mieux compris et accepté par les Européen·nes, plus transparent et plus cohérent. Il n’aurait peut-être pas pu éviter l’acharnement de Vladimir Poutine et la catastrophe de la capitulation de Donald Trump face à ce dernier. Mais il aurait sans doute permis de rendre les sociétés européennes collectivement plus fortes pour y faire face.
« Isolons Poutine : isolons les logements »
Il aurait fallu pour cela accorder plus d’attention au sort des Ukrainien·nes, et moins à celui des multinationales françaises de l’énergie, des transports ou de la défense.
Car n’avoir pas de mots assez durs pour la Fédération de Russie, « menace existentielle pour les Européens » selon Emmanuel Macron, est une chose. Lui acheter, dans le même temps, des volumes record de gaz naturel liquéfié en est une autre. La France a augmenté de 81 % ses importations de GNL en 2024, assurant à Moscou au moins 2,68 milliards d’euros de revenus.
Cette hypocrisie bénéficie à TotalEnergies, qui fournit l’Europe en GNL russe. Un soutien différent à l’Ukraine aurait consisté à trouver les solutions pour se passer du gaz liquéfié russe, et des combustibles fossiles de manière générale. Une solution existe : la transition énergétique. « Isolons Poutine : isolons les logements », résume efficacement une campagne des Verts européens. L’Europe n’en prend clairement pas la voie : le Parlement de Strasbourg, sous l’impulsion de sa majorité conservatrice, veut démanteler le texte européen le plus ambitieux sur le sujet, le Pacte vert.
Quinze jours avant l’invasion russe, Paris mettait son énergie au service d’une autre multinationale française : Alstom. Alors que Volodymyr Zelensky se préparait à entrer en guerre, Emmanuel Macron, en visite à Kyiv, le pressait de finaliser la signature d’un contrat de près de 1 milliard d’euros entre l’État ukrainien et le géant tricolore du ferroviaire. Les images de ce moment, immortalisées dans un documentaire, provoquent un net malaise. Un soutien sincère à l’Ukraine aurait supposé de comprendre qu’il y a des moments où diplomatie et affaires ne font pas bon ménage.
Une fois l’invasion russe effectivement déclenchée, Paris n’a cessé de veiller sur son industrie de défense. Les « dons » de matériel militaire français sont rapidement devenus des ventes. Les 400 millions d’euros des « fonds de soutien » français à l’Ukraine portent tout aussi mal leur nom : ce sont en réalité des achats fléchés vers les industries de défense françaises. Le ministre français des armées l’a même assumé sans détour : la guerre en Ukraine crée « des opportunités pour les industries françaises ».
On répondra que c’est presque toujours ainsi que fonctionnent les aides internationales, que la générosité désintéressée n’existe pas, certes, mais il n’est pas interdit de souhaiter un monde meilleur. À défaut de parvenir à le changer tout de suite, soutenir vraiment l’Ukraine aurait pu consister, au minimum, à ne pas se réjouir publiquement de ces « opportunités » peu après s’être recueilli devant le « mur des héros » du monastère de Saint-Michel-au-Dôme-d’Or à Kyiv, où sont alignées des centaines de photos d’Ukrainien·nes mort·es lors de la guerre. Cela s’appelle la décence.
Peser pour améliorer les droits des travailleurs
Si la France avait accordé une attention plus sincère à la population ukrainienne elle-même, qu’aurait-elle vu ?
Que les Ukrainien·nes ont, outre la guerre elle-même, un sujet de préoccupation majeur : le démantèlement du droit du travail dans leur pays, accéléré ces trois dernières années à la faveur du conflit. Même les très grandes centrales syndicales ukrainiennes, qui savent se montrer accommodantes avec l’État et le patronat, estiment que la situation n’est plus tenable.
La gauche et la société civile ukrainiennes appellent depuis plus d’un an les gouvernements européens à tenter d’infléchir ces réformes menées par l’État ukrainien en conditionnant certaines aides au respect des normes internationales sur le travail. Elles n’ont pas été entendues.
En lieu et place de cette solidarité réelle avec les Ukrainien·nes, le gouvernement français, comme tant d’autres, a appuyé des programmes d’aide et de reconstruction conçus par des élites libérales pour d’autres élites libérales. Le reconstruction telle qu’envisagée aujourd’hui n’a pas été imaginée par les habitant·es des endroits détruits par l’artillerie et l’aviation russe mais par des cabinets d’architectes pressés de vendre leurs prototypes de smart cities. La ville martyre de Bakhmout n’avait pas fini de compter ses cadavres que des commerciaux armés de valises à roulettes tentaient déjà de vendre à la municipalité de nouveaux systèmes de canalisation.
Beaucoup d’Ukrainien·nes espèrent que la période de la reconstruction sera synonyme d’entrée de leur pays dans l’Union européenne. Mais, jusqu’à présent, ce processus d’adhésion a trop souvent consisté à leur dicter de l’extérieur et au pas de course des réformes profondes de l’appareil d’État.
Aider vraiment les Ukrainien·nes signifie aussi ne pas assombrir encore leur avenir en leur passant la corde de la dette au cou. Il est urgent d’alléger la dette extérieure de l’Ukraine et de faire en sorte que les millions d’euros de « dons » annoncés pour soutenir et reconstruire l’Ukraine soient vraiment des dons. Or, pour l’heure, ce sont majoritairement des prêts qui ont fait grimper la dette extérieure du pays de 48 milliards de dollars avant la guerre à 115 milliards fin 2024 : la hausse est constituée à 60 % de prêts de l’UE.
Solidarité internationale et justice sociale
Hanna Perekhoda, historienne et militante de gauche ukrainienne, va plus loin encore. Pour elle, il ne saurait y avoir de soutien à l’Ukraine vraiment efficace tant qu’il n’y aura pas plus d’égalité et de justice sociale dans les sociétés des pays concernés. « L’aide que les pays occidentaux peuvent offrir à l’Ukraine ne réside pas seulement dans le domaine militaire ou économique, mais dans la résolution de leur propre crise de légitimité interne », analyse-t-elle pour Mediapart.
Cela passe par des « politiques de redistribution urgentes » qui puissent « restaurer la confiance des citoyens » : « Une société solidaire est plus à même de soutenir des engagements internationaux et l’augmentation des budgets de défense (dont la nécessité est désormais impossible à nier). Agir rapidement pour l’égalité sociale est donc non seulement une priorité interne, mais une condition essentielle pour aider l’Ukraine. »
Cela aura un prix. Les contribuables états-uniens ou européens, en particulier les plus modestes, ne doivent pas le payer seuls – au risque que l’aide à l’Ukraine continue d’être perçue comme une politique lointaine décidée par « une élite qui fait payer le peuple ». Parmi les pistes pour financer ces dons : utiliser les milliards d’euros de recettes issues des actifs de la Banque de Russie gelés dans les pays du G7, de l’Union européenne et en Australie, comme l’UE a commencé à le faire.
Ne pas transiger avec la démocratie
Pour éviter que le soutien à l’Ukraine soit vu comme la décision de quelques « élites », il aurait fallu qu’il s’inscrive dans un cadre réellement démocratique. En France, durant ces trois dernières années, cela n’a pas toujours été le cas.
Au lieu d’associer les Français·es et leurs élu·es aux décisions, l’exécutif a souvent préféré les mettre devant le fait accompli. À la fin février 2022, il a engagé l’armée française dans une opération militaire en Roumanie (la mission Aigle, lancée par l’Otan en réponse au déclenchement de l’invasion russe) sans la faire valider par le Parlement, comme le prévoit pourtant l’article 35 de la Constitution. En mars 2024, il a jugé bon de demander au Parlement son avis sur un accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine après l’avoir signé.
Un cadre réellement démocratique ne se limite pas à ces indispensables débats publics.
Les dépenses militaires, qu’elles soient françaises ou européennes, ont brutalement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. La nécessité de s’armer pour pouvoir se défendre sans être dépendant d’alliés à la trajectoire politique extrêmement préoccupante, comme les États-Unis de Donald Trump, est désormais assez largement partagée, y compris à gauche.
En se montrant incapables de dénoncer aussi fermement la logique génocidaire d’Israël à Gaza que la folie meurtrière de Poutine en Ukraine, l’Europe et les États-Unis ont montré leur inconséquence.
Mais un autre soutien à l’Ukraine aurait, au minimum, fait en sorte que les procédures de contrôle et de transparence de ces dépenses soient à la hauteur de ces enjeux. Or, elles semblent tout à fait inefficaces. Paris a pu gonfler les chiffres de son aide militaire à l’Ukraine pendant des mois, comme Mediapart le révélait en mars 2024, sans que personne réagisse. Il a également fallu des enquêtes de presse pour révéler que dix États européens (dont la France jusqu’en 2020) avaient continué d’exporter des armes vers la Russie après l’embargo de 2014.
Plus loin de l’Ukraine, mais symptomatique des insuffisances de ces politiques de contrôle : les Français·es n’ont toujours pas le droit de savoir quelles armes précises leur État a vendues aux autorités israéliennes engagées dans un probable génocide à Gaza. Paris leur a pourtant livré pour 30 millions d’euros d’armes en 2023.
Quant à savoir si cet argent, lorsqu’il est utilisé pour équiper l’armée française, est bien employé, il faudra repasser. Ces décisions sont prises dans un huis clos d’initiés, où les intérêts de l’État et de grandes entreprises privées se mélangent et parfois se confondent. Faute de volonté politique et d’organes de contrôle indépendants, les efforts vers une « défense européenne » aboutiront seulement à construire une Europe qui donne de plus en plus d’argent aux industriels de la défense.
Un soutien déterminé, progressiste et démocratique à l’Ukraine aurait, enfin, martelé que la défense du droit international ne vaut pas seulement lorsqu’il s’agit de dénoncer les agissements de la Russie de Vladimir Poutine.
En se montrant incapables de dénoncer aussi fermement la logique génocidaire d’Israël à Gaza que la folie meurtrière de Poutine en Ukraine, l’Europe et les États-Unis ont montré leur inconséquence, se sont rendus inaudibles auprès du reste du monde, et ont donné à Vladimir Poutine une occasion rêvée de pointer les hypocrisies de l’« Occident ». Il n’en demandait sans doute pas tant.
Boîte noire
Ce parti pris a été nourri d’échanges avec Hanna Perekhoda, Volodymyr Yermolenko et Leonid Litra. L’autrice les remercie. Les opinions exprimées ici n’engagent qu’elle.
La rédaction avec l’AFP sur www.humanite.fr
Israël a annoncé dimanche 23 février que son armée avait vidé de leurs habitants trois camps de réfugiés palestiniens du nord de la Cisjordanie, où elle mène une vaste opération militaire depuis un mois, et que ses soldats avaient pour ordre d’empêcher leur retour chez eux.
Israël continue sa guerre en Cisjordanie. Baptisée « Mur de Fer » cette opération a été lancée le 21 janvier, 48 heures après l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967.
« Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants », a déclaré le ministre de la Défense israélien Israël Katz dans un communiqué. « J’ai donné pour instruction (aux soldats) de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir, et de ne pas permettre le retour de leurs habitants ni la résurgence du terrorisme », a-t-il affirmé.
Depuis son déclenchement, l’opération a fait au moins 40 morts et 40 000 déplacés dans le nord de la Cisjordanie, selon l’ONU. Dimanche, l’armée a annoncé le déploiement d’une unité de chars à Jénine, ainsi que l’extension de ses opérations dans le nord de la Cisjordanie. C’est la première fois que des chars sont déployés dans ce territoire palestinien depuis la fin de la Seconde Intifada, le soulèvement palestinien de 2000-2005.
Plus de 900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis octobre 2023
« Des forces de la brigade (d’infanterie) Nahal, de l’unité (d’élite) Douvdevan et une unité de chars vont opérer dans d’autres villages » du nord de la Cisjordanie, indique un communiqué du ministère, ajoutant que « les forces armées poursuivent leurs opérations dans la région de Jénine et dans celle de Tulkarem ».
Ces déclarations interviennent deux jours après la visite, inédite, du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, aux troupes israéliennes en opérations dans le camp de réfugiés de Tulkarem.
« Nous pénétrons dans les bastions terroristes, nous détruisons des rues entières que les terroristes empruntent, ainsi que leurs maisons. Nous éliminons les terroristes, les commandants », avait déclaré Benyamin Netanyahou. Il avait aussi annoncé que l’armée allait y intensifier ses opérations après des attaques jeudi soir contre des bus dans le centre d’Israël.
La police avait indiqué que les engins explosifs retrouvés dans plusieurs bus calcinés, qui étaient vides au moment des faits, étaient similaires à d’autres trouvés en Cisjordanie. Le ministère palestinien des Affaires étrangères avait condamné la venue de Benyamin Netanyahou à Tulkarem, dénonçant un « assaut », une « agression ».
À Tulkarem comme à Jénine, l’armée israélienne a démoli des dizaines de maisons à l’aide d’explosifs, dégageant des routes entières à travers les camps densément peuplés. Des bulldozers blindés ont fait des ravages dans les camps de la région, coupant notamment l’approvisionnement en eau en brisant les canalisations. La violence s’est intensifiée en Cisjordanie depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023 sur le sol israélien.
Au moins 900 Palestiniens y ont été tués par des soldats ou des colons israéliens depuis, selon les chiffres du ministère de la Santé palestinien. Au moins 32 Israéliens parmi lesquels des soldats y ont été tués dans des attaques palestiniennes ou lors d’opérations militaires israéliennes au cours de la même période, selon les données officielles israéliennes.
Denis Sieffert sur www.politis.fr
Les Palestiniens morts sous les bombes sont-ils trop nombreux pour avoir un visage ? C’est ce que nous rappelle l’affaire de cette Palestinienne, confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas, et dont la dépouille a été livrée par erreur.
Il faut sans doute avoir un très mauvais esprit pour se poser ce genre de questions. Mais on ne s’est guère interrogé sur cette femme Gazaouie, sans doute jeune puisque confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas. Qui était-elle, cette Palestinienne sans nom ni visage dont la dépouille a été livrée par erreur par le Hamas ? On ne peut s’empêcher de penser qu’elle aussi a une famille qui la pleure. C’est le signe de ce conflit que d’être indifférent à l’autre. « Un mort c’est une catastrophe, cent mille morts, c’est une statistique » a dit l’écrivain allemand Kurt Tucholsky.
Il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7-Octobre.
Les Palestiniens morts sous les bombes sont trop nombreux pour avoir un visage et, pour ainsi dire, une âme. Cette âme que le colon espagnol contestait aux Indiens de la controverse de Valladolid. Sauf erreur, aucun média, aucune télé, aucune radio n’a posé la question de cette femme passée comme une ombre dans notre actualité. Lui rendre une existence, même post mortem, ce n’est pas oublier la tragédie absolue de Yarden Bibas, ce survivant qui a perdu son épouse et ses deux enfants, âgés de huit mois et demi et deux ans, enlevés dans le kibboutz de Nir Oz, en bordure de Gaza. Mais il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7 octobre 2023. Il s’est encore manifesté quand il s’est agi d’évoquer les causes de la mort des deux enfants Bibas et de leur mère.
Pour le Hamas, ils ont été victimes des bombes israéliennes. En France comme en Israël, on a immédiatement parlé du « cynisme sordide de l’organisation terroriste ». Quand on voit l’état de Gaza, l’hypothèse est pourtant plus que crédible. Mais le gouvernement israélien, Netanyahou en tête, a préféré affirmer que les enfants avaient été « étranglés à mains nues ». Pourquoi le Hamas, qui a capturé des otages pour en faire une monnaie d’échange, aurait-il tué ces enfants ? De même, quand 24 heures auparavant, les Israéliens ont découvert que le corps supposé de Shiri Bibas était en fait celui d’une Gazaouie inconnue, la machine de guerre israélienne, relayée ici sans l’ombre d’une prudence, s’est immédiatement mise en marche pour dénoncer le « sadisme du Hamas ».
Le doute devrait être autorisé. Il est interdit.
Voilà soudain que la parole de Netanyahou, lui qui est connu en Israël même pour être le plus grand des manipulateurs et un menteur compulsif, est sacralisée. Saura-t-on jamais la vérité ? Après tout, on ignore ce qui se passe dans le chaos de l’enclave palestinienne, où d’autres groupes ont des objectifs moins politiques que le Hamas. À l’inverse, n’excluons pas le sadisme d’un geôlier. Pour le moins, le doute devrait être autorisé. Il est interdit. Nous en sommes aujourd’hui à une remise en cause de la trêve par Israël, au prétexte que les « cérémonies » de libération des otages sont indécentes. Les six cents prisonniers palestiniens qui devaient être libérés le 22 février, ne l’avaient toujours pas été 48 heures plus tard. Là encore, un pas de côté n’est pas interdit.
Certes, ces mises en scène macabres ont quelque chose d’ignoble. Mais on en comprend le sens de la part d’une organisation qui n’a de cesse de démontrer qu’elle n’a pas été « éradiquée ». Mais, pour l’heure, c’est bien Netanyahou qui cherche par tous les moyens à torpiller le processus. Le prétexte de la « mise en scène », aussi détestable soit-elle, est bien faible pour justifier la relance des bombardements, et l’abandon de la trentaine d’otages encore en vie. Quant aux Israéliens, manifestants de la « place des otages » à Tel-Aviv, ils ne savent plus qui est le plus haïssable, du Hamas qui a capturé des êtres chers, ou du premier ministre israélien qui s’est moqué de leur sort, et qui ne rêve que de reprendre les hostilités pour sauver sa coalition avec l’extrême droite, et son pouvoir. Le sordide épisode de la « Gazaouie inconnue » devrait nous rappeler que le malheur est partout, et qu’il n’est pas hiérarchisable.
Blouses Blanches Pour Gaza sur https://blogs.mediapart.fr
Alors que Gaza subit une crise humanitaire sans précédent, une coalition mondiale de soignants exige l’intervention immédiate de l’ONU. De Genève à Gaza, ils appellent à des résolutions contraignantes pour un cessez-le-feu durable, la protection des hôpitaux, la libération des soignants et civils détenus, et la levée du blocus privant des millions de Palestiniens de leurs droits fondamentaux.
La situation à Gaza ne cesse de se dégrader et les appels à actions se multiplient à l'échelle mondiale. Face à l'intensification des violences et des violations flagrantes des droits de l’homme et ce malgré l’annonce du cessez-le-feu, une coalition internationale de soignants s'unit pour adresser un message clair et urgent à l'ONU: il est impératif d'adopter des résolutions contraignantes pour protéger la vie, la santé et la dignité des palestiniens.
Des soignants du monde entier (France, Suisse, Belgique, Espagne, Italie, Turquie, Etats-Unis, Angleterre, Irlande, Ecosse, Allemagne, Suède, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Mexique, Japon, Grèce, Finlande, Chilie, Canada, Australie, Maroc, Jordanie, Tunisie, …) ont créé une coalition soignante internationale pour dénoncer d’une seule voix la situation à Gaza. Du 25 au 29 janvier, des soignants venus de 15 pays autour du globe se sont rassemblés devant le siège des Nations Unies à Genève pour exiger des actions immédiates. Ce rassemblement intervient dans un contexte de souffrance insoutenable à Gaza, où les attaques israéliennes continuent de viser délibérément les infrastructures de santé, entravant les efforts des soignants pour sauver des vies.
Trois résolutions clés demandées à l’ONU
Les soignants du monde entier, unis dans un front de solidarité, demandent l’adoption immédiate de trois résolutions cruciales par le Conseil de Sécurité de l'ONU :
Protection et respect des accords de cessez-le-feu Les soignants réclament une résolution contraignante garantissant la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu obtenus grâce à la médiation de pays comme le Qatar, l'Égypte et les États-Unis. Le respect de ces accords est vital pour permettre un accès humanitaire ininterrompu et sauver des vies. Des sanctions doivent être envisagées contre les violations de ces accords, afin d’assurer le respect des engagements de droit international.
Fin de l'occupation des territoires palestiniens L'ONU doit impérativement adopter une résolution appelant à la fin de l'occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. Cette demande fait écho à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a qualifié l'occupation d’illégale. En effet, les récentes attaques israéliennes contre des infrastructures médicales, comme l’hôpital gouvernemental de Jénine, illustrent les conséquences dévastatrices de cette occupation prolongée. La fin de l’occupation est un préalable indispensable à la souveraineté palestinienne et à la préservation des droits fondamentaux.
Levée immédiate et totale du blocus de Gaza Le blocus imposé à Gaza depuis plus de 17 ans continue de détruire la vie quotidienne des Palestiniens. En limitant l’accès aux soins, à l'éducation et aux ressources essentielles, ce blocus constitue une punition collective interdite par le droit international. Les soignants demandent la levée immédiate de ce blocus, pour permettre l'entrée d'une aide humanitaire d'urgence et restaurer l'accès à des soins de santé vitaux. La communauté internationale ne peut plus ignorer cette crise humanitaire qui touche plus de 2 millions de personnes à Gaza.
Une solidarité mondiale sans précédent
À travers cette initiative, les soignants du monde entier se dressent fermement contre l’injustice et l’inhumanité. Des organisations de soignants en Australie, Belgique, Canada, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Suède, et bien d’autres, unissent leurs forces pour exiger un changement immédiat. Leur appel est clair : l’ONU doit agir sans délai pour protéger les populations civiles et garantir le respect du droit international.
Les témoignages poignants des soignants de Gaza, qui risquent chaque jour leur vie pour sauver celles des autres, montrent l’urgence de la situation. De plus, le silence des puissances internationales, complices par leur inaction, est devenu intolérable. Le monde doit faire face à ses responsabilités et mettre fin à cette tragédie.
Un avenir fondé sur la justice et la dignité
Les soignants réclament que le Conseil de Sécurité de l'ONU prenne ces mesures urgentes pour garantir la protection des civils palestiniens et assurer la paix et la sécurité internationales. Le temps est venu pour l’ONU de démontrer son engagement envers la justice, la dignité humaine et la protection des droits fondamentaux. Si des actions concrètes ne sont pas prises maintenant, l’histoire retiendra que l’inaction internationale a permis le massacre d’un peuple innocent.
Les soignants du monde entier, unis dans un même combat pour la dignité humaine, appellent les États membres de l’ONU à ne pas rester spectateurs de cette tragédie, mais à agir pour la sauvegarde de la vie et des droits du peuple palestinien.
Appel à action – Interpellez le Conseil de Sécurité de l’ONU !
Vous voulez soutenir les soignants mobilisés pour la vie et la dignité humaine ? Agissez dès maintenant ! Du 25 au 29 janvier, des soignants du monde entier se sont rassemblé à Genève pour demander des résolutions contraignantes du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de :
✅ Faire respecter les accords de cessez-le-feu à Gaza.
✅ Mettre fin à l’occupation de la Palestine.
✅ Obtenir la levée totale du blocus.
Nous avons besoin de votre aide pour continuer à interpeller les membres du Conseil de Sécurité ! Envoyez-leur un mail dès maintenant via ce lien ? https://palestine.risefor.org/fr/actions/action-group-detail/@https%3A//palestine.risefor.org/actiongroups/27/@
Vous aussi, vous pouvez agir !!
Faisons entendre nos voix pour la justice et la dignité humaine ! ✊
mise en ligne le 24 février 2025
Estelle Levresse sur www.mediapart.fr
La guerre menée en Ukraine par Vladimir Poutine affecte durablement la société russe. Pendant que les bénéficiaires du conflit s’enrichissent, la majorité de la population s’appauvrit.
Depuis trois ans, la Russie dépense sans compter pour la guerre à grande échelle qu’elle mène en Ukraine. Afin d’attirer des volontaires sur le front, les autorités ont fait exploser la rémunération des soldats contractuels. La solde mensuelle est fixée à 210 000 roubles (2 200 euros), trois à quatre fois le salaire moyen, à laquelle s’ajoutent de nombreux avantages matériels et sociaux ainsi que de généreuses primes d’enrôlement financées par les régions. En 2025, l’enveloppe militaire russe atteindra 130 milliards d’euros, soit un tiers du budget total du pays, en hausse de 30 % par rapport à 2024, une année déjà record.
Si la majeure partie de cette somme est absorbée par le complexe militaro-industriel, d’autres secteurs bénéficient de la générosité de l’État : éducation, culture, santé… tous réorientés vers ce que le Kremlin continue d’appeler son « opération militaire spéciale ». Objectifs : récompenser les « héros » combattant en Ukraine, diffuser la propagande d’État et encourager le patriotisme afin de légitimer et poursuivre le conflit.
Le concours semestriel de « subventions présidentielles », censé financer des projets sociaux dans divers domaines, illustre parfaitement cette tendance. Dévoilée fin janvier, l’édition 2025 a gratifié 239 projets consacrés au thème de l’année du « Défenseur de la patrie » sur les 1 497 finalistes. Parmi eux : des projets de propagande patriotique, des programmes d’aide aux familles de militaires et des initiatives scolaires en lien avec la guerre.
La plus grosse subvention a été octroyée à un projet de réhabilitation des soldats blessés porté par la Fondation Mémoire des générations (72 millions de roubles – 773 000 euros). La station de radio patriotique Pride, qui émet depuis un an, a reçu 39 millions de roubles (420 000 euros) pour lancer une série de formats consacrés au « patrimoine historique et culturel » de la Russie. Près de 27 millions de roubles (291 000 euros) ont été alloués à la création du musée « Champ de bataille : Marioupol ». La dévastation de la ville par les troupes russes entre février et mai 2022 qui a fait des milliers de morts civiles est qualifiée de « libération héroïque » dans le projet.
Nouvelle élite politique
Cette militarisation de la société et de l’économie a des conséquences profondes sur le pays, où les inégalités sociales se creusent durablement. Tandis que certains s’enrichissent grâce à la guerre, une large partie de la population s’appauvrit. Selon l’économiste russe Igor Lipsits, entre 26 et 28 millions de personnes ont vu leur situation financière s’améliorer ces trois dernières années.
Ce groupe comprend les soldats et leurs familles, mais aussi les travailleurs du secteur de l’armement, les professionnel·les de santé employé·es dans les cliniques militaires et centres de réadaptation, ainsi que tous les métiers directement liés à l’effort de guerre. « Cela représente environ 20 % de la population russe. Il s’agit d’un puissant soutien social à la poursuite du conflit », souligne Igor Lipsits, exilé en Lituanie.
Sur l’année écoulée, le prix des denrées alimentaires a explosé : + 90 % pour les pommes de terre, + 36 % pour le beurre.
Vladimir Poutine entend bien capitaliser sur ce nouveau groupe social, estimant que « tous ceux qui servent la Russie, ouvriers et guerriers », constitueront la « véritable élite » désormais. « Ils doivent occuper des postes de direction dans l’éducation et la formation des jeunes, dans les associations publiques, dans les entreprises publiques, dans les affaires, dans l’administration d’État et municipale, et diriger les régions, les entreprises et, en fin de compte, les plus grands projets nationaux », a déclaré le président russe dans son adresse à l’Assemblée fédérale du 29 février 2024.
Si l’avènement d’une nouvelle élite politique formée dans les tranchées a peu de chances de voir le jour, en attendant, pour une majorité de Russes, les conditions de vie se détériorent en ce temps de guerre. Les retraité·es sont les plus mal loti·es avec la flambée des prix des produits alimentaires. Sur l’année écoulée, le prix des denrées alimentaires a explosé : + 90 % pour les pommes de terre, + 36 % pour le beurre, + 48 % pour les oignons, + 24 % pour la viande d’agneau, selon les chiffres de l’agence fédérale de statistiques Rosstat.
« Les retraités civils, environ 41 à 42 millions de personnes, voient leur pouvoir d’achat s’effondrer, car l’indexation des pensions ne suit pas l’augmentation des prix. Leur situation est particulièrement préoccupante », alerte le professeur Igor Lipsits. D’autant que plusieurs études estiment que l’inflation réelle pourrait être deux fois supérieure aux chiffres officiels.
Primes colossales
Face à la poussée inflationniste, la Banque centrale russe a fait le choix depuis 2023 d’augmenter son taux directeur, désormais à un niveau record de 21 %. Cela a un impact très fort sur le marché de l’immobilier et de la construction. « Jusqu’en juillet dernier, il existait un programme fédéral de prêt immobilier à taux préférentiel : le taux était plafonné à 8 % pour l’acheteur et l’État payait la différence. Mais ce programme a été arrêté, car il était trop coûteux, indique Igor Lipsits. Depuis, les ventes de logements ont chuté brutalement. Seulement 5 % de la population russe peut se permettre un prêt immobilier aux taux actuels du marché. »
Inquiète d’un effondrement potentiel du marché de la construction, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, alerte sur la nécessité d’un moratoire sur la faillite des promoteurs. Mais certains experts redoutent que cette mesure déclenche une crise systémique dans les secteurs bancaire et immobilier.
Par ailleurs, les primes colossales versées aux soldats et à leurs familles grèvent les budgets régionaux. Selon une enquête du média indépendant iStories, publiée en novembre, dans certaines régions, plus de la moitié des aides sociales est désormais consacrée aux militaires et à leurs proches, réduisant drastiquement l’assistance aux plus vulnérables.
Les autorités régionales devront réaliser des coupes budgétaires : réduire les salaires ou licencier les travailleurs du secteur public. Igor Lipsits, économiste russe
Le territoire de Stavropol consacre 83 % de ses prestations sociales aux combattants, avec une prime d’enrôlement de 1,6 million de roubles. En Karatchaïevo-Tcherkessie, 75 % des fonds sociaux vont aux militaires, un montant neuf fois supérieur à celui de l’aide au chômage. À Kalouga, la proportion est de 52 %, dix-sept fois plus que l’aide accordée aux personnes handicapées.
Les associations qui viennent en aide aux sans-abri constatent une augmentation du nombre de personnes dans le besoin ces dernières années. « Avant, on avait surtout des personnes âgées, désormais on a aussi des jeunes familles qui n’arrivent plus à se loger ou des personnes victimes de fraudes immobilières », déclare Olga Bakhtina, qui gère le refuge privé Dari Dobro à Iekaterinbourg. Et la situation touche tout le pays. « En 2022-2023, les principales raisons de se retrouver à la rue sont la perte de la capacité à louer un logement et la perte d’emploi », confirme Daniil, membre de Notchlejka, la plus ancienne organisation d’aide aux sans-abri en Russie, présente à Moscou et à Saint-Pétersbourg.
Dangers pour la société
Les budgets régionaux sont d’autant plus sous pression que les recettes fiscales se sont contractées en 2024, en baisse de 7 % l’an dernier, a annoncé le ministre des finances, Anton Silouanov. « Cela va conduire les autorités régionales à réaliser des coupes budgétaires : réduire les salaires ou licencier les travailleurs du secteur public. De telles choses commencent déjà à se produire », affirme Igor Lipsits. C’est le cas dans la région industrielle de Kemerovo où les autorités ont lancé un plan massif de licenciement des fonctionnaires employés dans les jardins d’enfants, en raison du déclin des recettes fiscales issues de l’industrie charbonnière.
Un programme d’optimisation du système de santé est également en cours dans plusieurs régions. Selon le quotidien indépendant The Moscow Times, au moins 160 hôpitaux publics, cliniques, centres médicaux, dispensaires, maternités et autres établissements de santé ont été fermés en 2024, forçant ainsi les populations locales à parcourir de longues distances pour accéder aux soins.
Quels impacts auront ces fractures sociales à moyen terme ? « Il est difficile de dire où cela mènera, car la Russie est un pays très peu classique. Les gens qui s’appauvrissent essaieront de survivre du mieux qu’ils peuvent. Ils tenteront sans doute de gagner plus d’argent dans l’ombre pour payer moins d’impôts. Il est peu probable qu’il y ait des protestations sociales, mais l’irritation augmentera et l’économie souterraine se développera », prédit Igor Lipsits.
Le conflit engendre également une montée de la violence en Russie. Les journaux locaux rapportent régulièrement les crimes sordides commis à leur retour du front par d’anciens détenus qui avaient été graciés en échange de leur engagement dans l’armée. Dans une rare critique de la part d’un représentant officiel de l’État à l’égard des héros de la guerre, la députée de la Douma Nina Ostanina a qualifié les ex-prisonniers revenus d’Ukraine de « dangers pour la société », appelant les forces de l’ordre à protéger les citoyen·nes contre ces criminels.
Selon une enquête du média indépendant Verstka, les cas de violences domestiques impliquant des ex-combattants ont presque doublé au cours des deux premières années de guerre en Ukraine par rapport à 2020-2021. Les premières victimes sont les femmes.
Alexandre Vallon sur www.humanite.fr
Depuis l’invasion russe, la loi martiale a permis d’affaiblir les droits des travailleurs. Malgré les perspectives d’adhésion à l’Union européenne, le gouvernement entend réformer le Code du travail et entériner une législation pensée dans un « mépris total de la Constitution de l’Ukraine et des conventions » internationales, affirme le dirigeant du syndicat KVPU, Mykhailo Volynets, que nous avons rencontré.
Comment décririez-vous la situation sociale de l’Ukraine ?
Mykhailo Volynets (Président de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU) : Nous sommes en pleine bataille avec le gouvernement ukrainien depuis de nombreux mois. Car le ministère de l’Économie a décidé de réformer le Code du travail sans aucune consultation en bonne et due forme. Le document a été rédigé unilatéralement par l’administration au cours de l’été. Au mois d’août, ils ont exigé que les syndicats valident ce projet en l’espace de quelques jours. C’est inadmissible.
Cette réforme implique la modification de cinquante lois, d’annuler des dizaines d’autres et abandonner 1 500 actes normatifs. Nous avons remis nos propositions en août dernier et elles n’ont pas été prises en compte. Pire, le deuxième texte présenté fin décembre contient quinze nouveaux articles et le ministère a ignoré plus de 90 % des amendements fournis par les syndicats.
Le nouveau projet de Code du travail protège les intérêts des employeurs et non des salariés. Il entend renforcer les contrats de travail individuels afin d’affaiblir le rôle des syndicats et les conventions collectives. Ce texte intervient au mépris total de la Constitution de l’Ukraine, des conventions de l’Organisation internationale du travail, du système de protection sociale. Les Ukrainiens seront transformés en esclaves.
Comment définiriez-vous ce projet ?
Mykhailo Volynets : Dans la dernière version, près d’une cinquantaine de clauses n’ont rien à voir avec le Code du travail. Ce document viole les normes internationales du travail en matière de protection, de conventions collectives, de rémunération, de congés, de procédure de licenciement, de règlement des conflits.
Ce projet de loi veut l’application prolongée de restrictions temporaires au droit du travail imposées en vertu de la loi martiale. Il entend affaiblir gravement la protection juridique des employés contre les licenciements abusifs, le consentement aux heures supplémentaires, aux droits à l’assurance sociale et aux droits à pension, aux droits des femmes et aux jeunes travailleurs, ainsi que les conditions de travail. Nous réclamons que le président du Parlement ukrainien suspende l’examen du projet jusqu’à ce que des consultations approfondies avec les syndicats soient assurées.
Avez-vous obtenu des soutiens européens et internationaux ?
Mykhailo Volynets : Nous sommes une organisation affiliée à la Confédération européenne des syndicats et cela nous permet d’avoir leur aide sur les directives déjà adoptées au sein de l’UE et la manière dont elles sont mises en œuvre. Ce projet est donc contraire aux directives européennes et aux conventions internationales.
Mais la manipulation ne s’arrête pas là. Le Parlement enregistre très souvent des réformes émanant du gouvernement ou de députés qui sont présentées comme nécessaires à l’intégration européenne. En fait, il s’agit de lois en violation flagrante des directives de l’UE et des conventions de l’OIT et l’OMC afin d’affaiblir les droits des travailleurs. Le patronat n’agit pas ouvertement car ils ne veulent pas saboter leur possibilité d’intégrer l’Union européenne.
Qui soutient ces projets ?
Mykhailo Volynets : La chambre de commerce américaine exerce un lobbying important, et elle dispose d’un rôle majeur dans l’économie ukrainienne. Le patronat européen et la Commission font également pression. Cette dernière joue un double jeu en faisant semblant de ne pas remarquer nos critiques, les attaques sociales.
« La loi martiale a permis la suppression de nombreux acquis : droit de grève, protestation, rassemblement… »
Si Bruxelles pensait que l’Ukraine a une chance d’adhérer à l’UE, elle réclamerait l’adoption de règles conformes aux principes fondamentaux. Tous apprécient finalement le contexte de la guerre, qui a permis avec la loi martiale la suppression de nombreux acquis : droit de grève, protestation, rassemblement… et souhaitent son maintien. Les patronats européen et américain soutiennent ces projets pour faire pression sur leur propre peuple.
Quel pourrait être l’impact de ces réformes libérales envisagées par le gouvernement ?
Mykhailo Volynets : Les Ukrainiens ne se laisseront pas faire. Les travailleurs qui ont perdu leur santé pour défendre leur patrie et ceux partis combattre organiseront un troisième Maïdan. Car je doute qu’en rentrant du front, après avoir sacrifié leur vie, ils acceptent un tel avenir.
Si aucun dialogue social n’existe et que les autorités passent en force, avec les millions d’armes en circulation, les tensions auront des conséquences dramatiques. Beaucoup de gens se trouvent déjà dans une grande précarité avec des salaires qui n’augmentent pas et une forte inflation. Les dirigeants devraient s’interroger : qui va reconstruire le pays ?
Nous devons offrir des perspectives : créer des emplois, donner de bons salaires, garantir la protection des droits de nos citoyens et prévoir déjà quels secteurs devraient être développés pour reconstruire l’économie du pays. Sinon, comment favoriser le retour des 6 millions de personnes qui sont parties à l’étranger ? De même, nous devons garantir des perspectives aux millions d’habitants qui reviendront de l’armée et aux jeunes.
mise en ligne le 23 février 2025
Francis Wurtz sur www.humanite.fr
Ce 24 février, cela fera trois ans qu’a été lancée l’agression russe contre l’Ukraine. Les responsabilités historiques de Vladimir Poutine dans le déclenchement de ce conflit comme dans la conduite, particulièrement cruelle, de la guerre relèvent de crimes ineffaçables.
Pour leur part, la plupart des dirigeants occidentaux ont, très tôt, fait le choix de rechercher, comme seule issue à cette tragédie, une victoire militaire. Cette voie n’avait pourtant rien de fatal. Ainsi, dès avril 2022, des pourparlers très prometteurs entre Russes et Ukrainiens avaient eu lieu à Istanbul. Un ancien conseiller du président Zelensky, Oleksiy Arestovitch, révélera par la suite que, en rentrant dans son pays après ces discussions « couronnées de succès, 90 % des questions litigieuses ayant été résolues, (son) équipe a sabré le champagne pour fêter l’événement »1.
Ce fut le moment choisi par le ministre de la Défense américain, représentant l’aile jusqu’au-boutiste de l’équipe du président Biden, pour faire une visite-surprise à Kiev, convaincre les Ukrainiens qu’« ils pouvaient gagner s’ils avaient les bons équipements » et engager la livraison des armes lourdes. Si cette option fut approuvée par la plupart des dirigeants européens, elle ne fit, paradoxalement, pas l’unanimité au plus haut niveau du pouvoir à Washington. En témoigna cette déclaration retentissante du général Mark Milley, chef d’état-major des armées : « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent. C’est possible. »2 On connaît la suite… un gâchis humain, matériel et politique incommensurable.
Créer les conditions d’une paix juste et durable passe par le respect d’une série de principes dont ne s’embarrassent ni Trump ni Poutine.
On ne peut donc que se réjouir d’entrevoir enfin des négociations de paix. Malheureusement, ce qu’on en sait à ce stade n’inspire guère confiance. Créer les conditions d’une paix juste et durable passe par le respect d’une série de principes dont ne s’embarrassent ni Trump ni Poutine.
Le premier d’entre eux est de placer au centre des futures négociations les deux principales parties du conflit, même si, à l’évidence, un face-à-face exclusif entre Ukrainiens et Russes est inconcevable, tant le rapport des forces est inégal. En outre, il s’agit d’un enjeu mondial. Dès lors, c’est sous l’égide des Nations unies que d’autres acteurs devraient être associés à la recherche d’une solution : l’Union européenne, voisine et alliée de Kiev ; les États-Unis, directement impliqués dans le conflit ; mais aussi, sous une forme ou une autre, des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, qui ont l’oreille de Moscou tout en étant des interlocuteurs de Kiev, clairement opposés depuis le début à cette guerre.
Un autre principe essentiel à respecter est, naturellement, le droit international, à commencer par l’interdiction de tout recours à la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance d’un pays. Aussi, tout compromis territorial éventuel serait problématique et supposerait, en tout état de cause, pour pouvoir être internationalement reconnu, d’être démocratiquement ratifié par les citoyens concernés.
Enfin, les garanties de sécurité, légitimement réclamées par le peuple ukrainien, gagneraient, pour être durables, à éviter d’être assimilables à une source d’insécurité par le peuple russe. Ce qui suppose d’exclure l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan (ou la présence de l’Otan en Ukraine…). En fait, c’est d’un accord paneuropéen de sécurité collective, incluant tous les États et tous les peuples du continent, que nous avons besoin, mais relever ce défi-là prendra plus de temps. Dans l’immédiat, place à la diplomatie, la vraie !
mise en ligne le 21 février 2025
Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Le président français lance une offensive politique pour préparer les esprits à un réarmement, à l’heure d’un potentiel deal entre Poutine et Trump. Il a reçu ce jeudi les chefs de parti.
Emmanuel Macron en appelle à la mobilisation générale. Le président de la République et le premier ministre ont reçu, ce jeudi à l’Élysée, les douze chefs des partis représentés au Parlement. La réunion s’est ouverte avec une présentation détaillée par les responsables de l’état-major et des services de la menace « existentielle » que représenterait la Russie pour l’Europe sur les plans militaires, hybrides et informationnels. Cette rencontre se tient dans un contexte où le président des États-Unis, Donald Trump, a ouvert des négociations sur l’avenir de l’Ukraine avec son homologue russe Vladimir Poutine, sans les Européens ni les Ukrainiens.
« C’est une lecture un peu biaisée de la géopolitique mondiale », déplore Fabien Roussel. « N’aborder que la Russie met de côté l’autre menace que représente l’administration des États-Unis qui, elle aussi, cherche à déstabiliser l’Europe », en menaçant d’annexer le Groenland danois, en taxant l’acier européen ou en s’ingérant dans les élections allemandes notamment, ajoute le secrétaire national du PCF.
« Il faut une parole forte de la France »
Les responsables de gauche étaient pourtant aussi venus écouter ce que le président avait à dire sur les États-Unis. « Pour la première fois, les Américains ne sont pas avec nous mais jouent par-dessus nos têtes », a confié à son arrivée Olivier Faure, premier secrétaire du PS. « Je souhaite parler des sujets d’ingérence dans la vie politique française devant Louis Aliot, représentant du RN à la cérémonie d’investiture de Trump », avait aussi déclaré Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, qui considère le parti lepéniste comme « pro-Trump et pro-Poutine ».
Avant la rencontre, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, a appelé à « sortir d’une forme de naïveté » et « de l’idée que les intérêts français nécessitaient un alignement permanent sur les intérêts américains ». « Nous avons été plusieurs à pointer les ambiguïtés de la politique française. Nous avons dit qu’il faut avoir une parole forte de la France, indépendante », rapporte Fabien Roussel, qui estime qu’il faut « parler avec Vladimir Poutine » en vue de parvenir à un « accord de paix et de sécurité ». Cela doit prévoir « le retrait des troupes russes, la neutralité de l’Ukraine et une force d’interposition sous l’égide de l’ONU ».
« Une augmentation des dépenses militaires »
« Le président de la République pointe le danger immense que représente la Russie. Il met en avant la nécessité de se réarmer encore plus fortement pour préparer une économie de guerre accentuée », dénonce Fabien Roussel. Cette rencontre s’inscrit d’ailleurs dans une campagne de l’exécutif pour organiser un réarmement en Europe.
« Le réveil européen passe par une augmentation des dépenses militaires » et cela aura « des conséquences pour nos finances publiques », a expliqué avant la réunion Sophie Primas, porte-parole du gouvernement. Deux réunions de chefs de gouvernement européens ont été organisées en ce sens cette semaine. Un débat au Parlement doit se tenir début mars. De son côté, la presse britannique fait état de discussions entre Paris et Londres sur la création éventuelle d’une force de 30 000 hommes capables de se déployer en Ukraine en cas de cessez-le-feu.
mise en ligne le 21 février 2025
Nils Wilcke sur www.regards.fr
Le parti de gauche enregistre un bond de ses adhésions face à la menace de l’extrême droite, avant les élections dimanche 23 février. Reportage.
Depuis quelques semaines, les dirigeants du parti Die Linke affichent un réel optimisme. Le Parti de gauche allemand connaît un regain de popularité dans les sondages, comme en témoignent les derniers chiffres, qui le créditent de 6 à 9% des voix aux élections législatives anticipées ce dimanche 23 février. Un scrutin qui intervient après la chute du gouvernement Scholz, une coalition « en feu tricolore » entre les sociaux-démocrates du SPD, les Écologistes et les Libéraux du FDP, suite à un vote de défiance du Bundestag, le parlement allemand, le 14 décembre dernier. « Nous avons doublé notre nombre d’adhérents, de 300 à 600 militants au niveau local », se réjouit Vinzenz Glaser, candidat à Fribourg-en-Brisgau, une ville bourgeoise et étudiante, à une heure de route de Strasbourg, dans le Land du Bade-Wurtemberg. Bonnet vissé sur la tête et piercing au nez, ce travailleur social de 32 ans brigue un mandat de député au Bundestag, le Parlement allemand, porté par « la dynamique Die Linke. »
Justice sociale et thèmes du quotidien
Au niveau national, le parti revendique 30 000 adhésions supplémentaires en un an, passant de 52 000 à 82 000 membres, soit son plus haut niveau depuis 15 ans, selon les médias allemands. Ce qui a obligé la direction à chercher des locaux de campagne plus grands au cours des deux dernières semaines pour accueillir un public plus nombreux lors de ses meetings. Mieux encore, un sondage Yougov publié le 18 février a révélé que le parti arrivait en tête parmi les adolescents et les jeunes adultes, avec 20,84% des voix. « Les gens sont enthousiastes et veulent s’engager à nos côtés pour s’occuper des vrais problèmes, comme le plafonnement des loyers et la baisse du coût de la vie », assure M. Glaser à Politis. Nos voisins d’Outre-Rhin sont eux aussi aux prises avec une inflation galopante, dans un parallélisme troublant avec la France avant la révolte des gilets Jaunes en 2018. Or, Die Linke a opportunément orienté sa campagne sur « quelques thèmes du quotidien », comme l’explique notre interlocuteur. Cette stratégie concentrée sur la défense de « la justice sociale » participe à cette dynamique sondagière. Pour donner l’exemple, les dirigeants du parti ont ainsi réduit leur salaire à 2 850 euros, soit le salaire moyen d’un travailleur qualifié en Allemagne. Une mesure « populiste », comme l’affirme en grinçant le reste de la gauche. Peut-être, mais redoutablement efficace pour frapper les esprits.
Mais c’est surtout la mobilisation contre la rupture du cordon sanitaire à l’égard de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, qui a eu le plus d’écho, en particulier chez les jeunes électeurs. Et ce, après l’intervention passionnée d’Heidi Reichinek, jeune députée, tête de liste du parti et candidate à la chancellerie. L’élue de 36 ans maîtrise à la perfection les codes des réseaux sociaux. Capable de rapper son programme en musique, elle compte plus de 420 000 followers sur Instagram et 540 000 abonnés sur Tik Tok. Son vibrant discours devant le Bundestag fin janvier, pour s’opposer à la rupture de la règle du cordon sanitaire anti-AfD par Friedrich Merz, le patron de la CDU/CSU, est devenu viral sur les réseaux sociaux avec plusieurs millions de vues.
« Les vrais antifascistes, c’est nous » Die Linke
Cette séquence a fait d’elle « une quasi pop star », observe auprès de Politis le professeur Uwe Jun, politologue et enseignant en Sciences politiques à l’université de Trèves, en Allemagne. « Il y a eu un avant et un après cette prise de parole », reconnaît Vinzenz Glaser. Die Linke a su capter l’air du temps et surtout, la crainte d’une résurgence du fascisme en Allemagne, après 80 ans de paix. Leur rival conservateur, M. Merz, s’est aliéné les autres partis en draguant ouvertement l’AfD pour faire passer une motion en faveur de la fermeture des frontières, puis une loi contre le regroupement familial, provoquant un sursaut citoyen face à l’extrême droite.
Outre un gain médiatique immédiat, cet épisode a aussi permis à Die Linke de marquer sa différence avec son ancienne leader, la très controversée Sahra Wagenknecht. L’élue a claqué la porte du parti en 2023 pour fonder sa propre formation politique « BSW » sur son nom propre (Bündnis SahraWagenknecht) en entraînant avec elle « de nombreux militants très actifs ». Mais cette dernière, qui se présente elle aussi aux législatives, dévisse dans les enquêtes d’opinion pour avoir prôné une « ligne dure » sur l’immigration, semblant s’aligner sur l’AfDsur ce sujet.
Pour la remplacer, la direction a subi un lifting, avec un tandem paritaire et rajeuni, l’ex-journaliste Ines Schwerdtner et le député Jan Van Haken, un ancien de Greenpeace. « Les vrais antifascistes, c’est nous », martèlent-ils dans la presse, un refrain répété avec aplomb sur le terrain par les autres candidats. Die Linke n’hésite pas non plus à critiquer le bilan des écologistes – die Grüne – et les sociaux-démocrates du SPD qui se sont alliés aux libéraux dans la dernière coalition.
« Les Verts ont déçu pas mal de gens » le candidat Die Linke à Fribourg.
« Ils font des promesses qu’ils ne tiennent pas une fois arrivés au pouvoir », affirme Vinzenz Glaser. Un argumentaire qui ulcère ses rivaux. «Faire du bruit ne suffit pas, il faut aussi assumer les responsabilités pour gouverner », répond sèchement le candidat des Verts à la chancellerie et ancien ministre de l’Economie dans le gouvernement Scholz, Robert Habeck, lors d’un entretien au podcast allemand Table Today ce jeudi 20 février. Rien à faire, les écologistes, usés par trois années au gouvernement, plafonnent à 14% dans les sondages. « Les Verts ont déçu pas mal de gens », observe le candidat Die Linke à Fribourg.
Démonstration à Lahr, dans le district de Fribourg, mardi 18 février, un jour de marché avec Maria. A 20 ans, cette étudiante en économie va voter pour la première fois pour Die Linke ce dimanche alors qu’elle ne se situe pas « fondamentalement à l’extrême gauche. » Ce qui l’a convaincue, c’est la «bataille contre l’extrême droite à mener pour éviter que l’Allemagne ne retombe entre les griffes des « Nazis », explique la jeune femme. Elle trouve les partis de gauche « trop mous » face au danger incarné par l’AfD, qui a fait plus de 20% des voix dans le canton aux dernières élections européennes.
« L’électorat de Die Linke est plutôt jeune et surtout, féminin », confirme le politologue Uwe Jun. Seul bémol selon cet expert, « ce parti a tendance à toucher plutôt l’électorat des grandes métropoles, souvent doté d’une formation universitaire. » Il n’empêche, Die Linke se refuse à « stigmatiser » les électeurs de l’AfD. « Beaucoup d’entre eux sont prêts à se tourner vers l’extrême droite par désespoir ou par provocation », soutient Vinzenz Glaser, qui veut « convaincre les mécontents et les ramener à gauche. » Verdict ce dimanche.
mise en ligne le 20 février 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le Hamas a rendu les corps de quatre captifs dont deux enfants, qui auraient été tués lors de bombardements aériens. Alors que l’accord de cessez-le-feu est toujours fragile, une réunion informelle a lieu ce vendredi 21 février à Riyad pour la reconstruction de l’enclave palestinienne sans nettoyage ethnique.
Le Hamas a rendu, jeudi, les corps de quatre Israéliens, capturés lors de l’attaque du 7 octobre. Ceux de Shiri Bibas et de ses deux enfants, Ariel, 4 ans et Kfir, 9 mois. Et celui d’Oded Lifshitz, 83 ans. L’organisation palestinienne a fait savoir qu’ils avaient été tués avec leurs gardes lors des frappes aériennes israéliennes.
À Gaza, personne ne s’est réjoui de voir ainsi des enfants israéliens morts avec leur mère. Sur les 48 000 Palestiniens tués depuis le début de la guerre, plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Sans compter les milliers de cadavres qui se trouvent encore sous les décombres.
Le Hamas a proposé de libérer tous les prisonniers restés dans la bande de Gaza « en une seule fois » en échange d’une trêve durable et d’un retrait complet de l’armée israélienne de l’enclave assiégée. Dans une déclaration, mercredi 19 février, le porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, a exposé la vision du groupe pour la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, qui comprend l’échange proposé. « Nous sommes prêts pour une deuxième phase dans laquelle les prisonniers seront échangés en une seule fois, dans le cadre de la conclusion d’un accord qui mène à un cessez-le-feu permanent et à un retrait complet de la bande de Gaza. »
Six otages israéliens libérés samedi
L’organisation islamiste va augmenter le nombre de prisonniers à libérer lors du prochain échange, samedi 22 février, de trois à six. Une décision qui, apparemment, vise à accélérer la mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord. Elle est aussi une réponse à l’autorisation donnée par Israël de permettre l’entrée dans la bande de Gaza de mobile homes et d’équipements de construction dont les Gazaouis ont besoin alors que leurs maisons ont été détruites. Au plus fort de la guerre, 90 % de la population de Gaza a été déplacée. Beaucoup de familles sont retournées chez elles et ont constaté qu’il ne leur restait rien et qu’elles n’avaient aucun moyen de reconstruire.
Depuis l’accord de cessez-le-feu du 15 janvier, 1 135 Palestiniens ont été libérés des prisons israéliennes. Israël devrait en relâcher 502 autres dans les prochains jours. Après la remise de la semaine dernière, le nombre de captifs libérés par le Hamas et le Djihad islamique palestinien a atteint 25 depuis le 19 janvier.
Mais de sombres nuages bouchent l’avenir de la région. À commencer par la volonté exprimée par Donald Trump – pour le plus grand plaisir de Benyamin Netanyahou – de procéder à un nettoyage ethnique de la bande de Gaza en expulsant les 2 millions de Palestiniens en Égypte, en Jordanie et même en Arabie saoudite, sous prétexte d’y établir une « Riviera du Moyen-Orient », malgré le tollé international provoqué. Comment, dans ces conditions, discuter de la phase 2 et même de la phase 3 (sur la reconstruction, dont le coût, selon l’ONU, s’élèverait à près de 51 milliards d’euros) de l’accord ?
Le « plan égyptien de reconstruction » de Gaza en discussion en Arabie saoudite
Ce vendredi 21 février, en prélude au sommet arabe extraordinaire convoqué au Caire le 4 mars, les dirigeants des six riches monarchies du Golfe – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman, Bahreïn – ainsi que d’Irak, de Jordanie et d’Égypte devraient discuter, à Riyad et à huis clos, d’un « plan égyptien de reconstruction » de Gaza.
Bien que Le Caire ait gardé le silence sur ses propositions, Mohammed Hegazy, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, a néanmoins révélé sur le site égyptien Ahram Online, que ce plan est composé de trois phases étalées sur trois à cinq ans.
Il souligne également que les Israéliens doivent cesser de tenter de créer une nouvelle réalité en refusant de se conformer à la phase d’aide humanitaire de l’accord de cessez-le-feu. Par ailleurs, la chaîne saoudienne Al-Arabiya a fait référence aux consultations arabes en cours pour organiser une conférence sur la reconstruction de Gaza avec une large participation européenne.
Reste évidemment le problème du contrôle de Gaza d’après-guerre. Peut-être la question la plus complexe. Le plan égyptien prévoit la mise en place d’une « administration palestinienne neutre, qui ne soit liée à aucune faction politique », explique Mohammed Hegazy. Elle sera « composée d’experts et relèvera politiquement et juridiquement de l’Autorité palestinienne ». Si cela semble être également le vœu de nombre de pays arabes, le Qatar est plus nuancé, arguant du fait que « l’avenir de Gaza doit être une décision exclusivement palestinienne ».
De son côté, Israël refuse d’envisager une quelconque gouvernance palestinienne. Dans ces conditions, il n’est pas certain que le cessez-le-feu durera. C’est ce que cherche Netanyahou, qui vient d’ailleurs d’annoncer de prochaines manœuvres israéliennes dans le nord de la bande de Gaza.
mise en ligne le 16 février 2025
Bruno Odent sur www.humanite.fr
La nouvelle co-cheffe de Die Linke, Ines Schwerdtner, décrypte les raisons de la profonde crise politique et sociale qui touche l’Allemagne, revient sur la montée de l’extrême droite et évoque la dynamique enregistrée en cette fin de campagne par son parti.
L’Allemagne est entrée dans une grave crise économique et sociale. Comment réagit Die Linke ?
Ines Schwerdtner : D’abord, il faut bien considérer quelles sont les causes de cette crise, qui n’est pas nouvelle, mais s’intensifie de façon très préoccupante. On paye là au prix fort des décennies de politiques néolibérales. Les grands groupes et leurs actionnaires se sont enrichis comme jamais, alors que les salariés se sont vu confronter à une baisse de leurs revenus réels et à l’augmentation du coût de la vie.
Si l’on veut stopper le processus de suppressions massives d’emplois dans l’industrie, il faut prendre le contrepied des doxas dominantes, qui ont conduit à désinvestir les champs sociaux et environnementaux. Pour faire face, des nationalisations sont devenues indispensables.
Il est plus que temps d’en venir à une autre politique économique et sociale qui soit déterminée démocratiquement. Il faut défendre les pouvoirs de cogestion des salariés, qui ont été délibérément atrophiés, pour les étendre au contraire et même leur donner une dimension inédite. C’est le seul moyen de permettre au plus grand nombre d’être partie prenante des grands choix nécessaires.
Vous avez entamé de vastes porte-à-porte. Pas seulement pour vous présenter aux citoyens, mais aussi pour les écouter. Qu’en tirez-vous ?
Ines Schwerdtner : Nous avons décidé, effectivement, d’aller à la rencontre des citoyens. Et nous avons pu constater combien les gens « ordinaires » ont vu leur niveau de vie se dégrader. Ils prennent de plein fouet l’inflation, comme la très forte augmentation des prix de l’énergie et des loyers.
La flambée du coût des logements n’est-elle pas ultrasensible dans un pays où les locataires sont majoritaires ?
Ines Schwerdtner : Il y a un manque abyssal de logements, et singulièrement d’habitations sociales. Les grandes coalitions précédemment au pouvoir (sous Angela Merkel – NDLR) ont ignoré le problème en refusant d’investir. Mais la situation ne s’est en rien améliorée avec le gouvernement tripartite – SPD (sociaux-démocrates)-Verts-FDP (libéraux) – du chancelier Scholz. Les prix des loyers battent record sur record. Les gens y consacrent plus du tiers, jusqu’à la moitié de leurs revenus. C’est une des doléances majeures qui remonte de nos porte-à-porte.
Au même moment, les géants de l’immobilier, cotés en Bourse, agissent comme des requins et s’en mettent plein les poches. Y compris en gonflant les « charges locatives ». Constatant cela, nous avons pu entamer des dizaines de procédures aux côtés des citoyens.
Comment s’est propagé l’appauvrissement d’une si grande partie de la population ?
Ines Schwerdtner : Les déréglementations sociales mises en place dans l’agenda 2010 du gouvernement Schröder SPD/Verts du début du siècle, et étendues par les gouvernements de grande coalition qui l’ont suivi, ont nourri une extension phénoménale de la précarité. Ce qui se traduit le plus souvent par de faibles niveaux de rémunération et de protection sociale.
Et, ce qui est terrible, c’est de voir le candidat CDU à la chancellerie, Friedrich Merz (favori des sondages – NDLR), se prononcer, en plein mimétisme antisocial, pour un… « agenda 2030 », dévoué à de nouvelles coupes dans les dépenses salariales et sociales, et présenté comme seul moyen de rendre les entreprises plus compétitives. Pourtant, le mal-être social est si profond qu’il a déjà largement débordé sur le champ politique.
Vous voulez dire ce sentiment de déclassement sur lequel prospère l’AfD ?
Ines Schwerdtner : Oui, cette précarité est une véritable rampe de lancement pour l’AfD. Le parti d’extrême droite progresse bien plus fortement dans les endroits où règne ce mal-être social. Il parvient à détourner contre les immigrés toute la colère et le ressentiment, en brandissant ouvertement son concept de « remigration » et ses appels à la haine. Il faut faire front contre cette ignominie. Nous sommes le parti antifasciste et le vote pour Die Linke est le plus sûr moyen de faire barrage à l’AfD. Nous sommes tous le cordon sanitaire contre l’AfD.
La tendance semble plus favorable à Die Linke aujourd’hui. Pourquoi ?
Ines Schwerdtner : Depuis notre congrès en octobre, nous avons réussi à nous remobiliser. Une vague de nouvelles adhésions, le plus souvent des jeunes, des dizaines de milliers de jeunes, nous a permis d’impulser une dynamique qui se retrouve désormais jusque dans les sondages. Les positions de classe que nous affirmons avec plus de force ont commencé à porter leurs fruits. Je reviens à l’instant d’une initiative dans ma circonscription de Lichtenberg, à Berlin, où j’ai été vraiment impressionnée par l’accueil qui me fut réservé.
mise en ligne le 15 février 2025
Leyane Ajaka Dib Awada sur https://orientxxi.info/
Leyane Ajaka Dib Awada est diplômée de l’EHESS, elle mène un travail de recherche sur le militantisme étudiant au Liban.
Dans leur ouvrage Comprendre la Palestine, Une enquête graphique, l’illustratrice Alizée De Pin et le politiste et spécialiste de la Palestine Xavier Guignard reviennent sur un siècle d’histoire palestinienne, racontée à hauteur de la population de ce territoire.
Comprendre la Palestine, Une enquête
graphique.
Alizée De Pin et Xavier Guignard,
Les Arènes, 30 janvier 2025.
232 pages 20 euros.
Massacres, torture, démolitions, expulsions, déplacement forcé, arrestations arbitraires : les crimes commis en Palestine et en Israël à l’encontre de la population palestinienne s’amoncellent et vont s’intensifiant ces dernières années, dans la totale impunité d’un État israélien qui se radicalise à l’extrême droite, et dont les dirigeant·es n’hésitent plus à appeler ouvertement au nettoyage ethnique des Palestinien·nes. Les quinze mois d’un génocide abondamment documenté à Gaza, où les droits des Palestinien·nes ont été bafoués en direct sur nos écrans et au mépris de multiples condamnations des instances de justice internationale, en sont le paroxysme. Alors que les gouvernements occidentaux et les organisations internationales continuent à le rabâcher, le vieux rêve d’une « solution à deux États » n’a jamais semblé aussi chimérique. La souveraineté nationale palestinienne n’a jamais été aussi absente depuis les accords d’Oslo, et « la paix » n’a jamais semblé plus hors de la portée des Palestinien·nes. Comment interpréter cet échec ? Quelles sont les origines de l’idée d’une partition de la Palestine historique en deux États, l’un « arabe », l’autre « juif » ? Et pour quelles raisons cette proposition n’est-elle jamais parvenue à régler « la question de Palestine » ?
Dans un ouvrage sobrement intitulé Comprendre la Palestine, Alizée De Pin et Xavier Guignard choisissent précisément le problème de la partition comme fil rouge de leur restitution d’un siècle d’histoire palestinienne. Partant de ce projet d’origine occidentale, puisqu’il a d’abord été pensé par l’ONU en 1947 pour tirer les Britanniques du bourbier politique qu’était devenue la Palestine mandataire, les auteur·ices étudient la progressive évolution du projet sioniste depuis le point de vue palestinien. Présenté comme une « enquête graphique », l’ouvrage appuie son propos sur le travail de la talentueuse Alizée De Pin, qui donne vie au récit historique par de nombreuses illustrations et infographies.
L’histoire à hauteur des Palestiniens
L’opus commence par la « débâcle coloniale » anglaise, soit l’échec des Britanniques à apaiser les revendications politiques palestiniennes face au mandat tout en honorant leur engagement envers le projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Étudiant aussi bien les multiples groupes politiques sionistes que les bourgeons du nationalisme palestinien, les auteur·ices ne se contentent pas de rappeler les objectifs et projets politiques des différentes parties, iels prendront soin tout au long de l’ouvrage de rendre compte des réalités sociales et économiques des périodes étudiées, s’écartant souvent de la traditionnelle litanie de dates de guerres et de traités pour cerner les dynamiques politiques plurielles qui marquent la société palestinienne depuis les années 1930.
Peut-on d’ailleurs parler d’une société palestinienne ? En prenant soin de toujours inclure dans leur analyse les différentes expériences des Palestinien·nes d’Israël, de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem et des réfugié·es – au Liban, en Syrie, dans le Golfe… –, l’ouvrage met en lumière les divisions administratives et géographiques imposées au peuple palestinien, tout en retraçant l’émergence d’un nationalisme palestinien unifiant ces expériences autour d’une identité commune dans les années 1960. Si les auteur·ices relatent la genèse des mouvements qui portent ce nationalisme, et notamment de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui les fédère, il est regrettable que l’ouvrage ne mentionne pas les efforts de production intellectuelle sur lesquels s’est appuyée la revendication d’une identité palestinienne indivisible. La stratégie de guérilla menée dans les années 1960 aux frontières d’Israël et du territoire palestinien occupé a été conduite par les mêmes organisations qui ont soutenu la production d’une littérature scientifique palestinienne, la première à documenter les exactions de la Nakba avant l’ouverture des archives israéliennes dans les années 1980, et à présenter les habitant·es arabes de la Palestine mandataire comme un seul peuple palestinien victime d’une opération délibérée de nettoyage ethnique à la fondation de l’État israélien en 1947-19481.
Le fantasme occidental de la solution à deux États
À partir de l’occupation de Gaza, de Jérusalem, du Golan et d’une partie de la Cisjordanie par Israël en juin 1967, la résistance palestinienne est tiraillée entre deux fronts : celui des groupes armés en exil, qui défendent la libération intégrale de la Palestine historique, et celui de la lutte des populations locales contre le contrôle israélien dans le territoire palestinien occupé. La stratégie d’occupation israélienne favorise l’installation de colonies qui morcellent volontairement le territoire palestinien et créent des enclaves, entravant considérablement la mobilité des Palestinien·nes. D’autre part, l’occupation consiste aussi à accaparer les ressources du territoire palestinien – ainsi, les terres les plus fertiles et les plus riches en eau de Cisjordanie sont vidées de leurs habitant·es palestinien·nes, remplacé·es par des colons israéliens. Pour légitimer les expropriations et les annexions de territoires, l’occupation israélienne s’appuie sur un cadre légal d’héritage colonial, qui se développe progressivement en appareil de répression légalisant les mauvais traitements infligé·es aux Palestinien·nes par le système judiciaire et pénitentiaire israélien. Il s’agit là, comme l’ont montré de nombreuses expertises d’ONG et de l’ONU, d’un régime d’apartheid.
Si la partition a été un échec à la sortie du mandat britannique, elle reste toutefois centrale dans l’imaginaire international. Son acceptation par l’OLP à la fin des années 1980 ouvre la voie aux accords d’Oslo, qui orchestrent et réglementent l’instauration d’une Autorité palestinienne (AP) faible et dépendante d’Israël sur le plan économique. Œuvrant à s’insérer sur la scène internationale pour faire condamner les crimes d’Israël, l’Autorité palestinienne n’en devient pas moins son agent sécuritaire à mesure qu’augmente la répression des adversaires politiques du Fatah. Par ailleurs, sans renoncement israélien à l’occupation et la colonisation, les divers plans de partition qui jalonnent le début du XXIe siècle, jusqu’à l’abject « deal du siècle » de Trump en 2020, échouent tous à conférer à l’AP la moindre souveraineté dans les territoires qui lui sont supposément dévolus.
Mettant en dialogue un siècle d’histoire politique et sociale palestinienne avec le fantasme occidental de la solution à deux États, les auteur·ices de Comprendre la Palestine parviennent à communiquer, dans un format accessible à tous publics, l’absurde injustice du concept d’une partition « raciale », qui ne fait que produire des divisions en Palestine au bénéfice de politiques israéliennes de plus en plus belligérantes. Ce travail entre un chercheur en sciences sociales et une illustratrice est fructueux : il permet, à travers la mise en avant de dynamiques socioculturelles, de portraits de figures historiques, et de leur illustration, de réhumaniser la question palestinienne. Il nous rappelle aussi que la partition concerne avant tout non pas des territoires, mais bien des générations d’une population palestinienne privée de ses droits par la caution européenne apportée, dès le début du XXe siècle, à la création d’un État ethnoconfessionnel en Palestine.
mise en ligne le 11 février 2025
Rémi Carayol sur www.mediapart.fr
Après le passage du cyclone Chido, de nombreuses organisations humanitaires ont envoyé des missions à Mayotte. Elles ont découvert une situation dramatique, qui date d’avant la tempête. Certaines ont dû se substituer à des pouvoirs publics volontairement absents des bidonvilles.
Tsingoni, Koungou, Mamoudzou (Mayotte).– Deux médecins, trois infirmières, trois tentes, deux tables, une balance et des caisses de médicament. Il est 8 h 30, mardi 21 janvier, le soleil accable déjà, et la clinique mobile de Médecins sans frontières (MSF) est prête à accueillir les habitant·es du quartier de Bandrajou, un bidonville de Kawéni. À peine installée sur un terre-plein boueux, en contrebas de la montagne de maisons en tôle, l’équipe, des bénévoles d’un jour pour la plupart, est immédiatement sollicitée.
Un homme à scooter s’est arrêté sans savoir qui étaient ces wazungu (le nom donné aux Blancs à Mayotte) munis d’un gilet blanc ; il a mal au ventre, ne se sent pas bien. Un autre, qui s’est coupé le doigt en reconstruisant sa maison disloquée par le cyclone Chido le 14 décembre, vient aux nouvelles : est-il possible de changer son pansement ? Il n’est pas pressé de retourner au dispensaire où on le lui a posé : il faut faire la queue pendant des heures et il y a toujours le risque de se faire contrôler par la police. Comme une grande partie des habitant·es de Bandrajou, il n’a pas de papiers en règle.
Très vite, une file s’est constituée. Des femmes et des enfants surtout. Les bénévoles de l’Association Générations Futures (AGF), qui œuvre dans les bidonvilles de Kawéni, gèrent les flux et traduisent quand il le faut. Les médecins enchaînent. Rien de très préoccupant : des maux de ventre, des maux de tête, et pas mal de cas de teigne, maladie liée à l’insalubrité qui touche les plus jeunes. Deux infirmières préparent les médicaments que l’organisation non gouvernementale (ONG) délivre gratuitement. Une troisième part en maraude dans les hauteurs, pour informer les gens de leur présence.
De l’urgence à l’ordinaire
Au début, quand MSF est arrivé sur l’île quelques jours après le passage du cyclone, les soignant·es qui se déplaçaient dans les quartiers et les villages les plus précaires (Kawéni, Tsoundzou, Vahibé, Koungou) étaient confronté·es à des blessures liées à la catastrophe. Beaucoup de plaies notamment, dont certaines purulaient : les blessé·es n’étaient pas allé·es se faire soigner, par crainte des contrôles d’identité ou parce qu’ils et elles pensaient que l’hôpital serait saturé.
Mais très vite, ce sont des maladies chroniques que les membres de l’ONG ont dû traiter. Des gastro-entérites notamment, liées à la déshydratation. Pas mal de cas de malnutrition aussi, dont certains sévères. Et tous les bobos du quotidien qui devraient être pris en charge, normalement, par la médecine publique ou privée.
Dès lors, MSF a rempli le « job » d’un hôpital. « On fait encore beaucoup de pansements, cela représente 20 à 30 % de nos soins, mais le reste consiste à traiter des pathologies dont certaines sont liées au manque d’eau ou à la mauvaise qualité de l’eau », indique Mehdi El Melali, le référent médical de la mission.
Les membres de MSF ont trouvé une situation qu’ils connaissaient en partie, pour avoir déjà mené des missions courtes à Mayotte dans le passé, mais dont ils découvrent chaque jour l’ampleur. Chaque clinique mobile attire des dizaines de patient·es, parfois plus de 150 en une seule journée. Chido (qui signifie « miroir » en shimaoré) a « révélé quelque chose », poursuit Mehdi El Melali, car « là, on n’est plus dans le post-cyclone, mais dans la crise chronique ».
En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés.
Les habitant·es de ces quartiers, insiste-t-il, manquent de soins, et cela ne date pas du 14 décembre. Souvent, ils attendent le dernier moment pour aller à l’hôpital. D’abord parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se déplacer ou pour se payer les médicaments qui leur seront prescrits. Et surtout parce qu’ils craignent les forces de sécurité.
Il n’est pas rare, à Mayotte, de voir la police aux frontières (PAF) effectuer des contrôles aux abords des dispensaires, dans les rues adjacentes ou au carrefour le plus proche. « La peur de se faire arrêter est parfois plus forte que celle de mourir », déplore le médecin.
En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés (soit bien plus que dans l’Hexagone : 29 %). Parmi les causes avancées par l’Insee dans une étude publiée en 2021 : la question financière et la situation administrative d’abord. « Les personnes les plus fragiles financièrement sont ainsi très pénalisées (54 %) ; les personnes non affiliées à la Sécurité sociale le sont encore plus (60 %) », précisait l’institut. Les délais trop longs et enfin les difficultés d’accès à l’offre complétaient la liste des motifs.
À Mayotte, selon l’agence régionale de santé (ARS), on comptait, en 2022, 86 médecins pour 100 000 habitant·es, contre 339 dans l’Hexagone. Un soignant du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), qui a requis l’anonymat, admet que « l’offre n’est pas au niveau », tout en précisant que les personnes en situation irrégulière « n’en sont pas exclues ». Pour lui, le problème vient surtout de la « chasse aux sans-papiers » menée sur l’île depuis deux décennies.
En théorie, les consultations dans les dispensaires et les hôpitaux sont gratuites pour les personnes couvertes par la Sécurité sociale et pour les femmes et les enfants. Pour les autres, un forfait de 10 euros est demandé, l’aide médicale d’État (AME) n’étant pas appliquée à Mayotte. Mais 10 euros, « c’est déjà trop », souligne Achiraf, un jeune vingtenaire de Bandrajou qui se plaint de maux de ventre et qui attend de voir un médecin de MSF. Surtout, ajoute-t-il, « les médicaments sont payants après ».
Des ONG plus efficaces que l’État
Face à la situation dramatique qu’ils observent chaque jour, les membres de l’ONG s’interrogent : faut-il prolonger leur action au-delà de l’urgence liée à Chido ? Une question qui en appelle une autre : est-ce aux ONG de remplir les missions habituellement dévolues à l’État ?
D’autres organisations, qui opéraient à Mayotte avant Chido ou qui sont arrivées après, ont constaté un manque patent d’infrastructures et de services dans les bidonvilles. Un humanitaire qui a requis l’anonymat, et qui œuvre dans le médical lui aussi, se dit « effaré de découvrir une telle situation » dans « un territoire français ».
« Jamais je n’aurais imaginé voir ça en France », abonde un autre bénévole qui arpente les quartiers les plus précaires de l’île depuis la mi-janvier après avoir enchaîné les missions en Ukraine, en Haïti ou encore au Mali. Il a découvert « des zones laissées à l’abandon, des populations livrées à elles-mêmes », sans eau, sans électricité, sans aucune aide.
Après Chido, les gens manquaient de tout sur l’île : d’ombre (des milliers d’arbres sont tombés), d’électricité, de nourriture, d’eau potable... L’aide de l’État a tardé à se concrétiser. Elle est toujours très aléatoire et surtout très insuffisante dans les villages et quasi inexistante dans les bidonvilles. Dans certaines communes, les habitant·es sont délibérément exclu·es des distributions – les mairies étant chargées de distribuer les dons fournis par l’État.
Dans l’urgence, des ONG se sont mobilisées pour répondre aux besoins immédiats. World Central Kitchen (WCK), une organisation états-unienne, est arrivée sur place dès le 20 décembre. Durant les quatre premières semaines, elle a servi plus de 168 000 repas préparés par une cinquantaine de restaurateurs et restauratrices et distribués par une myriade d’associations locales. « Elle a été bien plus rapide et bien plus efficace que l’État », souligne le responsable d’une association ayant requis l’anonymat.
Dans la commune de Tsingoni, sur la côte ouest de l’île, la Régie de territoire de Tsingoni (RTT) se charge, chaque jour, de distribuer ces repas aux plus démuni·es. Elle œuvre en temps normal dans l’accompagnement social et environnemental, et compte trente-deux salarié·es.
Le 16 janvier, la distribution a lieu dans le quartier dit des « décasés », dans le village de Combani. Au menu : du riz et une sauce tomate avec quelques morceaux de viande. Sous un soleil de plomb, une file ininterrompue de personnes attendent leur tour. Certain·es ont un ticket sur lequel est indiqué le nombre de personnes qui vivent dans le foyer. D’autres non, mais ça ne change rien ; ici, on marche à la confiance.
Dans la queue, un homme semble harassé. Il s’appelle Ahmed, il a 37 ans. Sans papiers en règle, il vit habituellement de petits boulots dans le secteur informel. « Depuis Chido, on n’a plus de travail et plus d’argent, explique-t-il. Et il n’y a plus rien dans les champs. Je n’ai pas de quoi acheter à manger pour ma femme et mes trois enfants. Sans cette aide, on pourrait mourir de faim. »
Les dons de la commune, distribués de manière épisodique au foyer des jeunes ? « Je n’y suis pas allé. On sait bien qu’ils ne donnent qu’aux Mahorais. Et de toute façon, on ne sait même pas quand ces dons ont lieu. » Plusieurs témoignages font état de discriminations dans l’aide apportée par la mairie : les « ami·es » seraient privilégié·es, les « sans-papiers » en seraient exclu·es. Interrogés, des agents communaux s’en défendent. « On donne à tout le monde », assurent-ils.
Aux « décasés », on a de toute façon l’habitude de ne pas compter sur les pouvoirs publics. « La seule chose qu’ils nous envoient, c’est les policiers », s’amuse Hadidja, une femme de 44 ans qui a un gros pansement au pied. Depuis Chido, la Croix-Rouge est venue une fois pour apporter des soins, affirment les femmes qui l’entourent. Elles n’ont pas vu une seule fois des représentant·es de l’État, ni même des élu·es, ajoutent-elles.
Un travail parfois mal vu
Direction Koungou, sur la côte est, et son quartier considéré comme « mal famé » de Kirissoni, un bidonville qui abrite des milliers de personnes. Il s’étend à perte de vue le long d’un vallon et jouxte une immense carrière dont le vrombissement des machines rythme les journées. Ici, affirme Anriffoudine, un lycéen de 17 ans, « on vit comme des fantômes ».
Il n’y a pas de rues goudronnées, bien sûr, pas d’électricité non plus. Et pas d’eau potable. Pour en trouver, il faut descendre tout en bas du quartier où se trouve une rampe (quatre robinets raccordés au réseau d’eau) financée par l’ARS. Une épreuve en saison des pluies, quand la terre ocre de Mayotte se transforme en bourbier. Et un risque, la PAF y organisant parfois des descentes.
Depuis quelques jours, Anriffoudine accompagne les membres de Solidarités International, une ONG française qui défend, entre autres, le principe de l’accès inconditionnel à l’eau. Ce qu’ils font ici, c’est la base : capter l’eau d’une source située plus haut, tirer des tuyaux, monter des robinets.
Cette eau n’est pas potable selon la norme française, c’est pourquoi l’ONG distribue aussi des pastilles purificatrices et des kits d’hygiène (un jerrican pour transporter l’eau, du savon, des moustiquaires). Mais désormais, les habitant·es peuvent consommer une eau « sécurisée ». « C’est toujours mieux qu’avant », affirme le jeune lycéen, quand les gens puisaient l’eau à même le lit du ruisseau pollué par la lessive des femmes qui y lavent leur linge et par les déchets qui jonchent les ravines.
Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. Un salarié d’ONG
« Tout ce qu’on fait, c’est du temporaire, explique Cédric Berthod, un salarié de l’ONG qui rappelle que Kirissoni fut l’un des quartiers les plus touchés par l’épidémie de choléra il y a six mois. En attendant des raccordements au réseau de distribution d’eau potable, on sécurise l’eau consommée par les communautés depuis des captages comme ici. Ce travail de sécurisation, nous le faisons en lien avec l’ARS. »
S’il prend soin de le préciser, c’est parce que de telles opérations ne sont pas toujours bien vues, ni par les pouvoirs publics, ni par les élu·es, ni par les collectifs de citoyen·nes.
Lorsque l’ONG a débuté ses opérations à Mayotte fin 2022, l’accueil a été des plus froid. La préfecture n’apprécie guère de voir des organisations humanitaires intervenir sur l’île, et ne fait rien pour les encourager. Pourtant, les besoins sont énormes : selon l’Insee, en 2017, 62 % des ménages résidant dans une maison en tôle n’avaient pas accès à l’eau, contre 8 % de ceux qui habitent dans un logement en dur.
Un chiffre qui, selon l’ONG, n’a guère évolué depuis. Quant aux collectifs citoyens anti-migrants, leurs membres considèrent toutes celles et tous ceux qui apportent un peu de soutien aux habitant·es des bidonvilles comme des « ennemis » qui favorisent l’immigration.
Aujourd’hui, l’ONG intervient sur sept sites et vient en aide à plus de 9 000 personnes. Elle continue également son œuvre de plaidoyer auprès des autorités, notamment en négociant l’accès à l’eau pour tous les habitant·es de l’île, y compris des bidonvilles. Mais comme d’autres, elle fait face à une forme de « déni », d’« impensé ».
« Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres, souligne le salarié d’une autre ONG qui intervient dans l’accès à l’eau. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. C’est une grave erreur qui peut aboutir à des crises sanitaires ou humanitaires. »
Parfois, il suffirait de pas grand-chose pour améliorer le quotidien des populations les plus précaires. L’ONG française Électriciens sans frontières (ESF), par exemple, propose de distribuer des lampes solaires à bas coût, comme elle le fait un peu partout dans le monde. Elle estime à 20 000 le nombre de foyers sans électricité sur l’île.
Mais ses membres n’ont pas l’habitude d’intervenir en territoire français. Il y a eu un seul précédent : à Saint-Martin et Saint-Barthélémy après le passage de l’ouragan Irma, en 2017. Quand ils sont arrivés sur place après Chido, ils racontent avoir découvert une curieuse situation. Et ont senti comme « une gêne », selon les mots de Philippe Guistinati, lorsqu’ils en ont discuté avec les autorités. Comme si l’idée d’améliorer – même à la marge – le quotidien de ces personnes était un problème.
mise en ligne le 10 février 2025
Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr
La députée a participé samedi à Madrid à un bruyant meeting des extrêmes droites européennes, aux côtés du Hongrois Viktor Orbán ou de l’Italien Matteo Salvini, tous très fervents soutiens de Donald Trump. Au risque de brouiller la ligne du RN, resté jusqu’à présent plutôt prudent sur le cas Trump depuis sa réélection.
Madrid (Espagne).– Sur la scène de l’auditorium du luxueux hôtel Marriott, à deux pas de l’aéroport de Madrid, Marine Le Pen a tenté samedi 8 février une figure acrobatique : se mettre en scène aux côtés de ses alliés d’extrême droite, galvanisés par la victoire de Donald Trump aux États-Unis, tout en restant fidèle à sa stratégie de « dédiabolisation » en France, qui l’avait conduite jusqu’à présent à observer une certaine distance vis-à-vis du nouveau président des États-Unis.
Avant le début de la conférence, devant quelques journalistes français qui l’attendaient dans le hall du bâtiment, la députée française a voulu déminer le terrain : « Le sujet n’est pas de détecter des clones dans le monde mais d’analyser ce qui est en train de se passer. Manifestement, il y a un rejet des politiques, d’une vision dont on a gavé les différents peuples, et qui aujourd’hui reprennent une forme de liberté. »
À l’écouter, Trump signifie « un défi, une concurrence même, et cela doit nous inciter à prendre à nouveau les bonnes décisions [pour l’Europe] ». Mais le meeting qui a suivi, à l’instar du slogan repris en boucle par les participant·es – « Make Europe Great Again » (« Rendre à l’Europe sa grandeur »), calqué sur le « Make America Great Again » des trumpistes –, a fait entendre une tout autre musique, bien moins prudente.
À l’estrade, ce fut, durant deux heures et demie, un défilé d’une dizaine de figures du parti des Patriotes pour l’Europe, présidé depuis novembre dernier par Santiago Abascal, leader du mouvement néo-franquiste Vox, et qui officiait ici en local de l’étape. Sur l’affiche de l’événement figurait un dessin de profil de la cathédrale madrilène de La Almudena, manière de rappeler, aux yeux des organisateurs, l’ancrage chrétien du continent.
Devant une assemblée de près de 2 000 personnes – un nombre plus modeste que les 10 000 participant·es de la précédente réunion du même genre, à Madrid, en mai dernier –, d’où les « Viva España ! » fusaient à intervalles réguliers, les critiques contre l’immigration se sont mêlées aux dénonciations de l’écologie et de la décroissance orchestrées par l’Union européenne.
Mais la quasi-totalité des intervenant·es a surtout loué sans détour le retour aux affaires de Donald Trump, tout comme le début de mandat du président argentin et libertarien Javier Milei – lequel avait pris soin d’enregistrer une vidéo de soutien, pour l’occasion, à son « cher ami Santiago » Abascal, diffusée juste après l’intervention de Marine Le Pen.
Le moment le plus applaudi fut l’intervention, presque en clôture, aux alentours de 13 heures, du chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán, quinze ans de pouvoir à Budapest, qui s’est dépeint en pionnier du trumpisme : « Le triomphe de Trump a changé le monde », a-t-il lancé, emphatique. Avant de remercier le public pour… le soutien apporté par la dictature franquiste à la révolution hongroise de 1956, remportant un tonnerre d’applaudissements.
Après la victoire de Trump, s’est interrogé de son côté le Néerlandais Geert Wilders, « sommes-nous prêts à faire la même chose en Europe ? ». Le vainqueur des législatives de 2023 aux Pays-Bas, avec le Parti pour la liberté (PVV), a parlé de l’ancien homme d’affaires états-unien comme d’un « frère d’armes » – expression reprise à l’identique, un peu plus tard, par Santiago Abascal.
Le patron de Vox est allé jusqu’à minimiser l’impact d’éventuels tarifs douaniers sur les produits espagnols, jugeant que l’intégralité des maux de l’économie européenne venait des mesures du Pacte vert adopté au fil du premier mandat (2019-2024) d’Ursula von der Leyen, la conservatrice allemande à la tête de la Commission européenne.
Autre vedette du sommet, Matteo Salvini, chef de la Ligue en Italie, désormais ministre du gouvernement de Giorgia Meloni, a prôné, emboîtant le pas de Trump, « l’arrêt du financement de l’Organisation mondiale de la santé, et de la Cour pénale internationale […] qui met sur le même plan les terroristes islamistes du Hamas et le président démocratiquement élu [Benyamin] Nétanyahou ».
Durant son discours, le ministre italien des infrastructures a aussi eu cette formule : « Soros appartient au passé, Musk à l’avenir », opposant le philanthrope hongrois associé au camp progressiste et pro-UE, et le milliardaire propriétaire de X. Ce n’est pas une surprise : en Italie, le gouvernement Meloni a reconnu négocier avec Starlink, la compagnie de Musk spécialisée dans les satellites, la gestion des communications cryptées au sein de l’administration italienne.
Se moquant du soutien de Berlin au Danemark après les propos de Donald Trump réclamant l’annexion du Groenland, Matteo Salvini a aussi ironisé, laissant entendre qu’il n’était pas opposé à ce projet d’annexion : « Le chancelier Scholz a parlé d’envoyer des troupes de l’Otan au Groenland. J’espère surtout que les Allemands vont lui offrir un aller-simple, le 23 février prochain [jour des législatives – ndlr] pour qu’il aille défendre tout seul le Groenland. »
« Caste de parasites »
L’Espagnol Abascal n’a pas manqué, dans son discours de clôture, d'encourager discrètement Alice Weidel pour les législatives allemandes du 23 février, cette candidate de l’AfD qui a reçu le soutien répété d’Elon Musk durant la campagne. Et ce, même si Marine Le Pen avait choisi de se tenir à distance du parti d’extrême droite allemand et de l’exclure du groupe politique du RN – comme de Vox – au Parlement européen l’an dernier – en raison notamment du projet de « remigration » défendu par l’AfD.
L’un des plus en verve à la tribune fut sans conteste le Portugais André Ventura. Malgré des scandales à Lisbonne qui entachent la dynamique de son parti Chega (dont un député voleur de valises dans les aéroports), le Portugais s’est emporté sans détour contre la « caste de parasites », reprenant à son compte une des expressions qui a rendu Milei populaire en Argentine. Et d’envoyer un « grand boujour à Javier, qui a changé l’Argentine ».
Ventura ne s’est pas arrêté là : il a proposé aux « patriotes » dans la salle de s’inspirer de la « mentalité » de Donald Trump lorsque ce dernier avait été blessé à l’oreille, l’an dernier, lors d’un meeting en Pennsylvanie : « Il n’a pas fui pour se protéger, il est resté sur scène, et a répété trois fois : “Luttez, luttez, luttez !” Cela doit être notre mentalité. »
Il ne faut pas interpréter la victoire de Trump comme un appel à l’alignement. Marine Le Pen
Prenant la parole vers la fin de ce long meeting enfiévré, Marine Le Pen, appelée à rejoindre l’estrade en tant que future présidente de la République française, a livré un discours un peu plus mesuré. Elle est la seule à ne pas avoir repris à son compte le fameux slogan « Rendre à l’Europe sa grandeur ». Pas plus qu’elle n’a prononcé d’entrée de jeu le « Viva España ! » pour se mettre le public dans la poche – expression dont se gargarisent tous les fascistes espagnols.
D’après elle, l’« ouragan Trump » témoigne d’une « accélération de l’Histoire ». « Qu’est-ce que Maga, a-t-elle interrogé, en référence à la formule trumpiste, sinon un appel à la puissance fondée sur les nations, sur chacune de nos nations ? […] Nous devons comprendre le message que nous lancent les États-Unis et en vérité le monde […]. C’est un défi de puissance, pour nous Européens. »
Et d’insister : « Le réveil du Vieux Continent doit accompagner ce grand mouvement de régénération qui s’annonce : il ne faut pas l’interpréter comme un appel à l’alignement, mais comme une indication à suivre ce mouvement de renaissance, qui surgit dans de nombreux coins de l’Occident. » Apostrophant la foule – « les amis » –, elle a conclu : « Dans ce contexte nouveau, nous sommes les seuls à pouvoir parler à la nouvelle administration Trump. Avec les Américains, […] nous comprenons qu’un patriote ait à cœur de défendre son peuple. »
À la différence de la réunion de mai à Madrid, à laquelle Giorgia Meloni avait apporté sa voix, la présidente post-fasciste du Conseil italien fut une des absentes de la journée. C’est logique : son parti, Fratelli d’Italia, appartient à un groupe d’extrême droite concurrent de celui des Patriotes, au sein du Parlement européen (où l’on retrouve, notamment, Marion Maréchal ou encore la N-VA flamande).
Le Parti autrichien de la liberté (FPÖ), lui, appartient bien à la famille des Patriotes. Mais son chef Herbert Kickl s’est contenté d’un bref message vidéo tourné depuis Vienne. L’adepte de théories conspirationnistes est plongé dans des négociations gouvernementales marathon à l’issue desquelles il pourrait devenir chancelier, à la tête d’une alliance entre droite et extrême droite.
En attendant de voir si Kickl devient chancelier, Orbán reste le seul chef de gouvernement au sein de la famille des Patriotes, tandis que les partis de Geert Wilders aux Pays-Bas et de Matteo Salvini en Italie participent à des gouvernements. Au Parlement européen, le groupe des Patriotes, présidé par Jordan Bardella, est la troisième force de l’hémicycle (86 eurodéputé·es sur 720), devant, notamment, les libéraux de Renew.
Bruno Odent sur www.humanite.fr
A Madrid, ce samedi 8 février, les ténors du groupe des Patriotes d’Europe, dont Viktor Orban, Marine Le Pen ou encore Matteo Salvini, se sont rassemblés pour célébrer la politique xénophobe et ultracapitaliste de Donald Trump et les travaux d’ingérence de l’oligarque Musk en Europe.
À la grand-messe des Patriotes pour l’Europe qui s’est déroulée ce samedi 8 février à Madrid, le principal parti d’extrême droite au Parlement européen entendait célébrer l’élan donné par Donald Trump à leur mouvement. S’accaparant le slogan du nouveau président états-unien pour en faire un « Make Europe Great Again » (Mega) (en français : rendre sa grandeur à l’Europe) qu’ils ont repris en boucle, la patronne du RN français, Marine Le Pen, les chefs d’État hongrois et tchèque, Viktor Orban et Andrej Babis, le Néerlandais Geert Wilders – arrivé récemment en tête des législatives dans son pays – et le vice-premier ministre italien Matteo Salvini se sont bruyamment réjouis de « la tornade » politique déclenchée outre-Atlantique.
L’hôte de ce rassemblement, le leader de l’ultradroite espagnole Vox, Santiago Abascal, devenu en ce début d’année 2025 président du groupe, y voit le signe annonciateur d’un « changement à 180 degrés » sur le Vieux Continent. « Nous sommes le futur », a-t-il lancé. Marine Le Pen lui a emboîté le pas, scandant depuis la tribune sa certitude d’être « en face d’un véritable basculement ».
« Hier, nous étions les hérétiques »
Viktor Orban, euphorique lui aussi, a martelé : « Hier, nous étions les hérétiques. Aujourd’hui, nous sommes le courant majoritaire. » « Il est temps de dire non », s’est emporté l’Italien Matteo Salvini, ajoutant qu’il faudrait bousculer l’Europe pour en finir avec une Commission européenne accusée de promouvoir « l’immigration illégale » et « le fanatisme climatique ». Il faudrait – ont repris plusieurs intervenants – instaurer, comme outre-Atlantique, un ordre libéral définitivement « libéré de la bureaucratie » – entendez, des régulations autour des conquis sociaux.
Les formations nationalistes regroupées au sein des Patriotes pour l’Europe sont devenues après le scrutin de juin 2024 la 3e force du Parlement européen. Mais avec les sièges raflés par les deux autres groupes d’extrême droite, celui emmené par la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni (80 députés), et celui d’Alice Weidel, la patronne de l’AfD allemande (26), une ultradroite unie pourrait détrôner en nombre de sièges (192) la droite et son Parti populaire (188) à Strasbourg.
Promu grand manitou de l’efficience de l’administration Trump, l’oligarque états-unien Elon Musk, omniprésent à Madrid dans les débats et les interventions, s’est mué en une sorte de fédérateur d’un eurofascisme rapprochant les uns et les autres, et toujours plus efficace pour promouvoir le capitalisme libertarien et autoritaire qu’il entend voir s’imposer partout.
Le ralliement des nationalistes européens à cet ultracapitalisme
Le patron de X, SpaceX et Tesla a beaucoup donné de sa personne. Lui qui a mis tout son poids dans la campagne des élections anticipées allemandes qui ont lieu dans moins de quinze jours. Avec un soutien répété au parti d’Alice Weidel, n’hésitant pas à se faire complice du pire révisionnisme historique à l’égard du nazisme. Et lui qui entretient, de longue date, les meilleures relations avec Giorgia Meloni, laquelle le lui rend bien puisque l’ultra-atlantiste dirigeante italienne est prête à faire affaire avec SpaceX plutôt qu’avec Arianespace.
Le ralliement des nationalistes européens à cet ultracapitalisme est tellement manifeste qu’il a obligé Marine Le Pen à une étrange pirouette en marge de la réunion de Madrid, affirmant : « La France ne peut pas être assujettie aux États-Unis. » Ce besoin d’afficher au moins une distance à l’égard d’un trumpisme célébré en même temps avec les autres est sans doute indispensable aux yeux de la patronne du RN pour ne pas trop effrayer ces électeurs gaullistes ou souverainistes vers lesquels son parti multiplie les appels du pied.
Il n’empêche, l’étroit ralliement au capital et à ses grands personnages était déjà apparu quelques jours plus tôt, quand le président de l’extrême droite hexagonale, Jordan Bardella, a soutenu Bernard Arnault en s’en prenant violemment à Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT. Le patron du champion mondial du luxe dénonçait une éventuelle augmentation d’impôts qui aurait égratigné ses profits et menaçait de délocaliser.
Sophie Binet avait réagi en fustigeant « un indécent chantage à l’emploi » du ténor du capitalisme tricolore. Attitude impardonnable aux yeux du numéro un du RN. « Honte à Sophie Binet », a-t-il clamé après avoir exalté le rôle des « capitaines d’industrie » dans le « rayonnement du génie national ». Trump jure d’instaurer un nouvel âge d’or en libérant le génie salement entravé d’oligarques « patriotes ». Le Frenchy a bien mérité de son maître.
mise en ligne le 9 février 2025
Rachida El Azzouzi sur www.mediapaqrt.fr
Le directeur du dernier hôpital en activité dans le nord de Gaza est en prison depuis la fin décembre et son arrestation par les autorités israéliennes. Sa famille s’inquiète de ses conditions de détention et témoigne de son engagement au service de la cause palestinienne.
Albina Abu Safiya conjure l’inquiétude et la tristesse en invoquant Dieu, Allah. Elle explique à Mediapart, par téléphone (la bande de Gaza étant toujours interdite à la presse internationale par les autorités israéliennes), combien « la religion l’aide à tenir ».
Et si elle avait convaincu son mari de fuir Gaza avec leurs six enfants pour son pays natal, le Kazakhstan, qui leur proposait l’asile ? Le couple s’y est rencontré pendant leurs études, dans les années 1990. Elle ne cesse de ressasser cette possibilité, tout en connaissant pertinemment la réponse.
Jamais son mari n’aurait accepté. Plusieurs fois, elle l’a sondé. Et s’est toujours heurtée au même refus : « Pars avec les enfants. Moi, je reste ici. Je suis palestinien. Je ne quitterai ni l’hôpital ni Gaza. C’est un devoir. »
Albina Abu Safiya, 46 ans, est l’épouse de Hussam Abu Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, dernier établissement de santé encore fonctionnel dans le nord de la bande de Gaza. Il a été pilonné sans répit, à partir d’octobre 2024, par l’armée israélienne, qui a argué, sans fournir de preuves, viser un centre de commandement du Hamas.
À l’automne, Hussam Abu Safiya livrait une tout autre version à Mediapart, quelques jours après le décès de son fils Ibrahim, âgé de 20 ans, lors d’un assaut israélien : « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire. »
En refusant d’abandonner sa mission dans l’enclave martyrisée, malgré les risques et périls, Hussam Abu Safiya est devenu, au fil des mois et de ses appels à l’aide sur Instagram, une icône de la résistance palestinienne ainsi que l’emblème d’un corps soignant meurtri, ciblé par Israël, tout comme les journalistes, les humanitaires. Il est enfermé depuis le 27 décembre dans une prison israélienne.
Enfermé en Cisjordanie, peut-être
La dernière photographie de lui est une des images iconiques de la fin 2024. Dans les ruines de Gaza, Hussam Abu Safiya avance, de dos, tête haute et digne, dans sa blouse blanche, vers deux chars israéliens qui lui barrent la route et vers les soldats qui vont procéder à son arrestation.
Depuis, sa famille, rongée par l’angoisse, ainsi qu’un vaste réseau sans frontières de soutiens et d’ONG de défense des droits humains appellent à sa libération immédiate. Après une semaine à nier toute arrestation, les autorités israéliennes ont fini par confirmer la détention du Dr Abu Safiya « pour suspicion d’implication dans des activités terroristes », sans jamais prouver leurs accusations.
D’abord détenu à Sde Teiman, une base militaire dans le désert du Néguev, au sud d’Israël, symbole des tortures infligées à des centaines de Palestinien·nes de Gaza depuis le 7-Octobre, enfermé·es sans jugement ni inculpation, Hussam Abu Safiya a été transféré le 9 janvier à la prison d’Ofer, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Sa détention a été prolongée au moins jusqu’au 13 février.
« Nous avons très peu d’informations et elles sont souvent contradictoires, explique Albina Abu Safiya. Est-il encore à Ofer ou dans une autre prison ? Nous ignorons où il se trouve exactement. Les autorités israéliennes lui refusent toute visite de son avocat, d’un médecin. Nous avons appris par d’anciens détenus qu’il avait été torturé à Sde Teiman, violemment battu, et nous connaissons le sort inhumain réservé aux Palestiniens dans les prisons d’Israël. »
Israël a écrasé notre futur. Albina Abu Safiya
La famille est d’autant plus inquiète qu’Hussam Abu Safiya souffre d’une hypertension artérielle chronique qui nécessite un traitement médicamenteux et qu’il ne s’est jamais véritablement remis de sa blessure à la jambe gauche, survenue lorsqu’une bombe qui le ciblait, lancée depuis un drone quadricoptère, a explosé dans les escaliers de l’hôpital Kamal-Adwan le 23 novembre 2024.
Soigné avec les moyens du bord, Hussam Abu Safiya n’a jamais cessé de travailler, même diminué, appuyé sur une béquille. « Depuis le premier jour, il dédie son temps aux patients, à leurs proches et au personnel médical, souligne sa femme, admirative. Nous nous sommes habitués à le voir très peu au quotidien. »
C’est en décembre 2023 qu’il a été nommé à la tête de l’hôpital, après l’arrestation du directeur de l’époque, et alors que la pénurie de travailleurs médicaux se faisait de plus en plus aiguë, la plupart ayant fui vers le sud ou à l’étranger, quand ils n’ont pas été tués par les bombes israéliennes. Albina Abu Safiya a enduré toutes les guerres d’Israël à Gaza depuis 2008, mais aucune n’a jamais été aussi difficile que le calvaire qui dure depuis le 7-Octobre : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide », martèle-t-elle.
Un hôpital assiégé
Prise dans « un deuil permanent », elle pleure la mort de leur fils Ibrahim, tué le 25 octobre 2024 par un drone israélien, à deux cents mètres d’elle, dans le chaos du siège de l’hôpital Kamal-Adwan, abritant des dizaines de patient·es dans un état critique et refuge pour des centaines de déplacé·es, des personnes âgées, des femmes, des enfants, affamés, assoiffés : « C’est un choc immense. Il n’y a pas de pire épreuve que la mort d’un enfant. »
Ce jour-là, son mari avait été détenu durant plusieurs heures avec des collègues et avait imploré pour la énième fois l’aide du monde entier. L’hôpital Kamal-Adwan et ses environs étaient sous le feu continu de l’artillerie israélienne. « C’était terrifiant. Des soldats avaient fouillé le bâtiment, détruit plusieurs salles, volé des téléphones, de l’argent », se souvient Albina Abu Safiya, réfugiée dans l’établissement, près de son époux.
Parti la veille au marché à la demande de sa mère pour trouver de quoi manger, Ibrahim n’avait pu revenir dans l’hôpital, déjà pris d’assaut. Il s’était mis à l’abri dans une maison environnante.
Sa mère l’a retrouvé, à l’issue de l’offensive qui a duré une trentaine d’heures, enveloppé dans un linceul au milieu de dizaines de victimes dans la cour de l’hôpital, avec à ses côtés son mari Hussam Abu Safiya, inconsolable. « J’ai compris qu’Ibrahim était tombé en martyr, tué par les tirs d’obus dans la zone. »
Ibrahim avait « plein de rêves et d’ambitions ». Il voulait visiter le pays de sa mère, le Kazakhstan, et y étudier la médecine comme son père, qui s’était spécialisé en pédiatrie. « Nous lui avons dit que si Dieu le voulait, il pourrait partir l’année suivante, raconte sa mère. Nous voulions le garder encore près de nous et rester tous ensemble dans ce moment difficile. » Ibrahim a cessé de parler de partir à l’étranger lorsque l’armée a fermé le point de passage de Rafah, en mai 2024. Pour se rendre utile, il est devenu bénévole à l’hôpital et a commencé à se former sur le tas à la médecine.
Il est resté sur place dès le premier jour, malgré les offres de voyage à l’étranger. C’est ça, être un terroriste pour Israël ? Élias, fils de Hussam Abu Safiya
Après l’arrestation de son mari et l’évacuation violente de l’hôpital Kamal-Adwan, Albina Abu Safiya a trouvé refuge chez sa belle-sœur, avec d’autres familles, dans le quartier de Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza. Un répit après avoir souffert de la faim, des bombardements, de la peur constante, mais les conditions de vie y demeurent très dures.
Elle loue aujourd’hui un appartement dans le même quartier. Sans réussir à se projeter dans l’avenir. « Israël a écrasé notre futur. Avant le 7-Octobre, nous avions une vie compliquée à cause du siège israélien mais nous parvenions à la rendre agréable et à être heureux malgré tout. Nos enfants allaient à l’université. Nous avions emménagé dans la nouvelle maison que nous avions construite près de la mer, dans le quartier de Sultan, sur la côte de Beit Lahiya. Elle n’existe plus. Elle a été bombardée. »
Malgré l’étendue de la dévastation et les ambitions désinhibées de nettoyage ethnique de Donald Trump, qui s’aligne sur l’extrême droite israélienne, la famille ne quittera pas Gaza. « La cause palestinienne est bien plus puissante », dit Albina Abu Safiya, qui l’a épousée en même temps que son mari en 1996. Elle avait 18 ans quand ils sont tombés amoureux lors d’un mariage au Turkestan, dans sa ville natale, où Hussam Abu Safiya, venu de Gaza, étudiait la pédiatrie.
Leur premier enfant, Élias, aujourd’hui marié et père de deux enfants, est né au Kazakhstan. Deux ans plus tard, le couple a émigré en Palestine et s’est installé dans le camp de réfugié·es de Jabaliya, où vit la famille de Hussam, qui a dix frères et sœurs. « Je ne connaissais rien à la Palestine mais l’amour de Hussam et l’accueil chaleureux que m’a réservé sa famille ont été mon moteur d’intégration. À leur contact, j’ai appris très rapidement la langue arabe. »
Elle loue « un homme de principes au service de son peuple ». « La seule préoccupation de mon père était de maintenir l’hôpital en service et de continuer à fournir des soins malgré le manque de tout, de médicaments, d’oxygène, abonde Élias. Il n’a pas hésité un instant à servir son peuple, et il est resté sur place dès le premier jour, malgré les offres de voyage à l’étranger. C’est ça, être un terroriste pour Israël ? »
Il est persuadé que son père a été arrêté « parce qu’il a montré le visage de la résistance pacifique et de l’humanité » : « Pourquoi l’avoir arrêté seulement en décembre, et pas avant, sachant que l’hôpital a été pris d’assaut quatre ou cinq fois ? En maintenant l’hôpital en fonction, il a mis en échec le plan israélien de déplacement forcé des Palestiniens du nord de la bande de Gaza. Sans l’hôpital Kamal-Adwan, les habitants n’auraient pas pu survivre et rester. »
Sa grand-mère paternelle, Samiha Abu Safiya, âgée de 75 ans, ne s’est pas remise de l’arrestation de son fils. « Elle vivait chez la sœur de Hussam, détaille Albina Abu Safiya. Lorsque nous l’avons retrouvée, après quatre-vingt-dix jours sans nouvelles, elle nous a demandé où était son fils. Nous lui avons dit de ne pas s’inquiéter, qu’Hussam allait bientôt revenir mais cela ne l’a pas rassurée. Elle a refusé de s’alimenter pendant plusieurs jours. Elle est morte d'une crise cardiaque le 8 janvier, avant d’avoir pu le revoir. »
mise en ligne le 6 février 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le président étatsunien veut « prendre le contrôle » de l’enclave palestinienne après avoir expulsé la population. Il sert la politique de Benyamin Netanyahou qui veut annexer également la Cisjordanie. Aucun pays ne soutient leurs projets. Les négociations en cours sur l’accord de cessez-le-feu pourraient devenir caduques.
En invitant comme premier dirigeant étranger Benyamin Netanyahou à Washington, Donald Trump, déjà, lançait un message au monde entier : peu lui importe le mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il le soutient totalement et, avec lui, sa politique génocidaire et de nettoyage ethnique menée à Gaza et en Cisjordanie.
À cette occasion, il a annoncé l’idée d’un déplacement des Gazaouis en Égypte et en Jordanie. Personne ne s’attendait à une annonce aussi extraordinaire que méprisante, dangereuse pour le droit international qu’il piétine, les Palestiniens qu’il déshumanise, et l’ensemble du Moyen-Orient, qui peut plonger dans le chaos.
Forcer pour « aplanir »
Lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche avec, à ses côtés, Benyamin Netanyahou plus comblé et souriant que jamais, le président étatsunien a affirmé : « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot avec », parlant du territoire palestinien comme d’un « chantier de démolition ». Il a également ajouté : « Nous en prendrons possession et serons responsables du démantèlement de toutes les bombes dangereuses qui n’ont pas explosé et de toutes les armes », soulignant qu’il allait ainsi « aplanir la zone et se débarrasser des bâtiments détruits », afin de développer économiquement le territoire palestinien.
Il n’a pas développé plus avant la manière dont il comptait s’y prendre, mais n’a pas exclu l’envoi de troupes américaines pour sécuriser l’enclave. « En ce qui concerne Gaza, nous ferons ce qui est nécessaire. Si c’est nécessaire, nous le ferons », a-t-il cru bon d’insister. Il a également parlé d’un projet « à long terme » et a même affirmé que d’autres pays de la région ont « adoré » l’idée. En réalité, aucun État, pas même les plus proches alliés de Washington, n’a adoubé les plans de Donald Trump qui a annoncé vouloir se rendre dans la bande de Gaza, en Arabie saoudite et en Israël prochainement.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a appelé mercredi à une reconstruction rapide de la bande de Gaza, sans déplacement de ses habitants. La Jordanie est sur la même longueur d’onde. Alors que Benyamin Netanyahou a dit penser qu’un accord allait « se faire », Riyad a écarté toute normalisation avec Tel-Aviv sans la création d’un État palestinien : « L’Arabie saoudite poursuivra sans répit ses efforts pour l’établissement d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale, et n’établira pas de relations diplomatiques avec Israël sans cela. »
Dans la ville de Gaza, les déclarations de Trump ont été reçues avec colère. « Cela fait environ un an et demi que nous vivons une guerre d’extermination, mais nous n’avons jamais pensé à partir et à quitter notre pays », explique Narmeen Noor Al Din, une enseignante de 26 ans, à l’Humanité. Même son de cloche pour Abou Saadi Al-Daadla, 60 ans, un marchand dont la maison a été détruite. « C’est la troisième fois qu’on essaie de nous expulser, en 1948, puis en 2023. Mais nous avons compris la leçon, nous ne partirons pas. » Hussein Abdel al Jawwad, au chômage, confirme mais redoute que « Trump ait la capacité de faire pression sur les pays arabes pour les amener à accepter d’accueillir les habitants de la bande de Gaza ».
Tel-Aviv jubile
De leur côté, les autorités israéliennes jubilent. Pour Netanyahou, cette proposition pourrait « changer l’histoire ». Son ministre des Finances, le suprémaciste juif, comme il se définit lui-même, Bezalel Smotrich, appelle à « œuvrer pour enterrer définitivement (…) l’idée dangereuse d’un État palestinien » et Itamar Ben-Gvir, ancien ministre d’extrême droite, y voit « la seule solution ».
L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), elle, par la voix de son secrétaire général, Hussein Al Cheikh, rejette en bloc tout projet de transfert « du peuple palestinien hors de sa patrie. Ici nous sommes nés, ici nous avons vécu et ici nous resterons ». Pour le Hamas, la proposition de Trump est une « recette pour créer le chaos et la tension dans la région. Au lieu de tenir l’occupation sioniste responsable du crime de génocide et de déplacement, elle est récompensée, et non punie ».
Aux yeux du président étatsunien, la cause est entendue. Gaza n’est autre qu’un « symbole de mort et de destruction » et la seule raison pour laquelle les gens veulent y retourner est qu’ils n’ont nulle part où aller. Selon lui, les 2,1 millions de Palestiniens vivant à Gaza devraient se déplacer vers les pays voisins dotés d’un « cœur humanitaire » et d’une « grande richesse ». Le territoire palestinien pourrait même devenir « la Riviera du Moyen-Orient », a-t-il déclaré, ravivant ainsi les ambitions de son gendre, Jared Kushner, qui y voit l’opportunité de « propriétés en bord de mer » de grande valeur.
Les déclarations de Trump sont dans la droite ligne de sa volonté d’en finir une fois pour toutes avec la revendication du peuple palestinien à l’autodétermination. Interrogé pour savoir si sa proposition de déplacement forcé des populations s’inscrivait en opposition à la solution à deux États, il a bafouillé une vague réponse.
« Cela ne veut pas dire qu’il y a deux États, un seul État ou n’importe quel autre État. Cela veut dire que nous voulons donner aux gens une chance de vivre », a-t-il estimé. « Ils n’ont jamais eu cette chance parce que la bande de Gaza est un enfer pour les gens qui y vivent. C’est horrible », en se gardant bien d’en évoquer les raisons. Le même jour, Donald Trump a signé un décret prolongeant l’arrêt du financement de l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, l’Unrwa. Les pièces du puzzle s’assemblent.
D’autant que, si tous les regards sont tournés vers Gaza – où plus de 45 000 personnes ont été tuées, dont la moitié sont des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé de l’enclave –, l’armée israélienne multiplie les opérations en Cisjordanie occupée. Le locataire de la Maison-Blanche pourrait annoncer très prochainement, concernant la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie, son feu vert à l’annexion du territoire palestinien.
Lors de son premier mandat, il avait déjà reconnu celle du plateau du Golan syrien et avait déménagé l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, qu’il considère désormais comme la capitale d’Israël. Netanyahou peut effectivement se réjouir et voir en Trump « le plus grand ami qu’Israël a jamais eu à la Maison-Blanche », comme il l’a dit mardi. Ce plan signerait la mort de la solution à deux États.
Comment Washington entend contraindre le monde – et en premier lieu les pays arabes – à courber l’échine ? Un bras de fer va s’engager dont on pressent qu’un des leviers sera l’aide économique dont ont besoin Amman et Le Caire, en situation précaire. Ces deux pays risquent d’être déstabilisés et les pouvoirs affaiblis, l’opinion publique n’étant pas prête à abandonner les Palestiniens. Les groupes islamistes, particulièrement influents tant en Jordanie qu’en Égypte, se renforceront sans aucun doute.
Toujours plus inquiétant : les décisions du président américain interviennent au moment où doivent démarrer les discussions portant sur la deuxième phase de l’accord du cessez-le-feu conclu le 16 janvier. Celle-ci prévoit la libération d’autres captifs israéliens et de prisonniers palestiniens – qui pourraient concerner les leaders du Fatah et du FPLP, Marwan Barghouti et Ahmed Saadat. Les négociations indirectes doivent surtout établir les modalités de la fin de la guerre, et donc du retrait total de l’armée israélienne de la bande de Gaza.
Un échec éventuel de ces discussions pourrait relancer les opérations militaires israéliennes et obérer les libérations envisagées, y compris celles des civils israéliens. Mais cela permettrait à Benyamin Netanyahou de gagner du temps, de multiplier les provocations et d’en tirer un prétexte pour reprendre la guerre. Avec, comme objectif, un État d’Israël qui s’étendrait du fleuve du Jourdain à la mer Méditerranée.
Lina Sankari sur www.humanite.fr
Torpillé en direct par Donald Trump, le droit international prohibe l’expulsion de populations de leur territoire par la force. Face à cette volonté d’enterrer l’idée d’un État palestinien, l’ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou Hassira, réaffirme le droit à l’autodétermination.
Comment qualifieriez-vous les propos de Donald Trump sur la prise de contrôle de Gaza par les États-Unis et les menaces de nettoyage ethnique ?
Hala Abou Hassira : Ces propos sont une insulte à l’histoire, à l’humanité, au droit international, mais aussi aux droits inaliénables du peuple palestinien. Les calculs des hommes d’affaires ne peuvent déterminer le destin des peuples en quête de liberté. Notre peuple est enraciné sur cette terre, il a toujours été là et y restera.
Nous rejetons ces propos criminels qui légalisent l’illégal. Ils sont un appel au crime de guerre et au crime contre l’humanité via la déportation et l’expulsion forcée d’un peuple. S’il fallait retenir une seule idée des propos du président Trump, c’est que l’enfer est bel et bien là, à Gaza. C’est la responsabilité d’Israël qui a rendu cette terre inhabitable.
Vous évoquez un peuple enraciné dans sa terre. En proposant de déporter les Palestiniens dans d’autres pays arabes, Trump ranime l’idée que les Palestiniens seraient dénués d’une identité propre…
Hala Abou Hassira : Trump s’aligne sur une vieille idéologie israélienne. Les appels à expulser par la force et à déporter les Palestiniens ne sont pas nouveaux. Rappelons que, le 25 juin 1967, après l’occupation de la bande de Gaza et de la Cisjordanie consécutive à la guerre des Six-Jours, Moshe Dayan (ex-ministre de la Défense – NDLR) appelait à expulser par la force 300 000 Palestiniens de la bande de Gaza pour l’annexer.
« C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu. »
Trump s’aligne sur cette idéologie coloniale. Ce n’est pas comme cela que le président de l’État le plus puissant au monde parviendra à imposer la paix. Cette dernière sera le résultat du respect du droit international et des droits fondamentaux, dont celui du peuple palestinien à l’autodétermination dans un État indépendant et souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est la seule manière de vivre en paix avec Israël. L’établissement de l’État palestinien est le préalable à la paix.
La question du droit à l’autodétermination est évacuée, tout comme celle d’une gouvernance palestinienne du territoire après guerre.
Hala Abou Hassira : Ce n’est pas à une seule personne de décider du sort d’un État sous occupation. Le seul représentant légitime du peuple palestinien est l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Son seul agent, l’État de Palestine par le biais du gouvernement palestinien qui est prêt à gouverner Gaza.
C’est le seul à avoir la tutelle juridique et politique pour gouverner Gaza et secourir la population. Depuis le cessez-le-feu, on a oublié que l’aide humanitaire entrait au compte-goutte dans l’enclave. On a oublié la réalité qui prévaut sur le terrain. Le gouvernement palestinien est prêt. Il n’attend qu’à déployer son plan de secours et de reconstruction par étapes.
Est-ce une menace sur la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, qui prévoyait l’ouverture de négociations pour parvenir à la fin de la guerre ?
Hala Abou Hassira : C’est la question que tout le monde se pose. Que cherche Trump en tenant de tels propos ? Dans son sillage, Bezalel Smotrich (ministre des Finances – NDLR) a assuré qu’il enterrerait l’idée d’un État palestinien. S’agit-il pour Netanyahou de sortir de l’accord obtenu grâce à la médiation de plusieurs États ? Souhaite-t-il poursuivre son projet de déportation forcée du peuple palestinien avec l’objectif ultime d’annexer la bande de Gaza ?
C’est la seule question qui doit être posée aux Israéliens. Le moment est également venu de mettre un terme à l’impunité. Depuis le déplacement aux États-Unis de Netanyahou, le monde entier semble avoir oublié qu’il est un criminel de guerre, dont la Cour pénale internationale demande l’arrestation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Qu’attendez-vous de la France aujourd’hui ?
Hala Abou Hassira : En ces instants où nous voyons le président américain et le premier ministre israélien mettre en péril les droits du peuple palestinien, semer le chaos dans notre région et dans le monde et saper le droit international, le moment de l’action est venu. Les réactions, nous les saluons.
Mais nous disons depuis des années qu’elles ne suffisent plus. Pour les pays qui ne l’ont pas fait, dont la France, le moment est venu de reconnaître l’État de Palestine. On oublie que le génocide perpétré devant nos yeux à Gaza s’étend également en Cisjordanie occupée.
Le monde attendra-t-il que Trump déclare l’annexion de la Cisjordanie la semaine prochaine ? C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu. Il verrait ainsi son droit à exister dans un État indépendant reconnu.
mise en ligne le 2 février 2025
Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr
L’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza constitue un moment crucial, résultant d’une reconfiguration des dynamiques au Moyen-Orient et de l’influence des administrations américaines, la nouvelle et l’ancienne. Cependant, cette fragile trêve a déjà été compromise par des violations israéliennes, comme le bombardement du 16 janvier, qui a causé la mort de 80 personnes, aggravant un bilan humain déjà dramatique. La cessation des hostilités et la libération des otages ravivent un espoir au milieu des destructions massives. La libération des otages est porteuse d’une forte charge émotionnelle en Israël. En Palestine, les morts et les handicapés se comptent par dizaines de milliers et les destructions sont indescriptibles, mais les Gazaouis ont dansé dans les ruines à l’annonce du cessez-le-feu.
Les conséquences humaines tragiques de ce conflit seront toujours présentes dans les mémoires, mais elles ne doivent pas entraver le chemin vers la paix. La première étape vers une résolution durable devra reposer sur la reconnaissance mutuelle des souffrances et la mise en place de mécanismes de réparation. Les crimes de guerre commis par les deux camps doivent faire l’objet d’enquêtes impartiales menées par des instances judiciaires nationales et internationales, à l’image des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, soulignant l’importance de rendre justice. Le cycle infernal des vengeances ne peut s’arrêter que de cette façon. Mais le cessez-le-feu constitue une fenêtre de tir ; il est essentiel d’en faire une étape pour analyser les racines du conflit et œuvrer à une solution durable. Reconnaître les souffrances, instaurer des réparations et encourager un dialogue sincère sont des étapes indispensables pour arriver à une paix durable.
Pourquoi les attaques du 7 octobre ?
Rien ne peut justifier les horreurs commises lors des attaques du 7 octobre. Mais le Hamas, au pouvoir à Gaza, a cherché à briser un silence de près de deux décennies d’embargo et d’occupation de fait. Il a aussi cherché à réaffirmer son rôle dans la résistance palestinienne, à infliger des pertes à Israël et à attirer l’attention internationale sur un drame vieux de 77 ans. Ces attaques répondaient à des décennies d’oppression, tout en cherchant à contrer un rapprochement entre Israël et les autocrates arabes, imposé par Donald Trump à travers les accords dits d’Abraham, perçus par la rue arabe et les Palestiniens comme une trahison de la cause. Enfin et surtout, les attaques du 7 octobre visaient à pousser Israël à la faute et à gagner la sympathie de l’opinion publique arabe et même mondiale. Cet objectif a été largement atteint. De fait, le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur incontournable avec ses héros et ses martyrs aux yeux des Palestiniens.
Pourquoi un cessez-le-feu maintenant ?
La trêve a été instaurée sous la pression de l’administration américaine et face à l’impasse militaire. Les préoccupations concernant les otages ont influencé les décisions du gouvernement israélien, mais les considérations stratégiques semblent avoir primé sur les raisons humanitaires.
Pourquoi les deux camps ont-ils ciblé des civils ?
Israël a poursuivi des opérations destructrices dans ce qui semble être une volonté de représailles. Une cessation des hostilités plus rapide aurait pu être interprétée comme un signe de faiblesse du gouvernement israélien d’extrême droite. L’armée, qualifiée abusivement « la plus morale au monde », qui a des années-lumière d’avance en matière de technologie et de moyens par rapport aux Palestiniens, a commis des actes abjects sur des civils. Il semblerait que, le 7 octobre, le Hamas ait été dépassé par l’ampleur de l’attaque et ait perdu le contrôle des assaillants. Mais le fait est que, dans les deux cas, des civils ont été froidement tués. Ceci reflète la haine qui s’est développée entre les deux belligérants.
Pourquoi ce conflit dure-t-il depuis un siècle ?
Ce conflit repose sur une lutte pour la souveraineté entre deux peuples revendiquant la même terre. Pour les sionistes, la Palestine représente un projet politique de foyer national juif. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah l’ont rendu possible. Pour les Palestiniens, c’est une terre ancestrale dont ils ont été progressivement dépossédés, alimentant un traumatisme collectif.
Pourquoi les Palestiniens vivent-ils sur un territoire aussi restreint et morcelé ?
La Nakba de 1948 et les conflits ultérieurs ont vidé de son sens le plan de partage initial du territoire prévu par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 29 novembre 1947. Ces guerres ont conduit au déplacement massif des Palestiniens, confinés à Gaza et à des zones morcelées en Cisjordanie, reliées entre elles par des couloirs, aggravant leurs conditions de vie et celles de millions de réfugiés palestiniens.
Pourquoi Israël est-il le premier mais non le seul responsable de la situation ?
Israël a déclenché toutes les guerres à l’exception de celle de 1948. Israël a gagné toutes les guerres contre les pays arabes voisins. Pour les Palestiniens qui n’ont pas d’armée, Israël symbolise l’occupation et l’injustice. Pour les Palestiniens des territoires occupés (Cisjordanie : 3,2 millions et Gaza : 2,17 millions, soit 5,35 millions) et pour les Palestiniens restés en Israël (plus de deux millions de personnes), prétendre qu’Israël est une démocratie n’a pas de sens. L’avancée technologique, les institutions en Israël et le soutien des puissances occidentales lui ont permis de dominer la région, tandis que les Palestiniens sortaient de siècles d’occupations ottomane puis anglaise. Israël est perçu comme un bout d’Occident dans la région. Un mur et des décennies séparent les deux communautés.
Pourquoi une incompréhension entre les deux peuples voisins ?
Cette incompréhension est nourrie par des récits historiques totalement divergents et par des systèmes éducatifs et médiatiques qui renforcent les stéréotypes. De plus, l’expérience de la Shoah n’a pas la même résonance dans le monde arabe, ce qui alimente parfois un antisémitisme inquiétant. La haine des Palestiniens est cultivée chez une partie de plus en plus importante d’Israéliens, notamment chez les colons, mais la haine de l’autre est enseignée chez les deux peuples dès l’école.
Pourquoi l’Occident soutient-il Israël ?
Ce soutien découle en grande partie d’une culpabilité liée à la Shoah, mais aussi d’intérêts stratégiques. Israël est perçu comme un allié clé, bien que ce soutien unilatéral néglige les souffrances des Palestiniens. Israël, de fait d’un passé historique en Europe d’une partie de ses habitants, dispose de puissants relais économiques et culturels en Occident. La guerre de Gaza a fait tomber les dernières illusions des démocrates arabes quant à l’objectivité des puissances occidentales et à leur réel attachement aux droits humains.
Pourquoi les pays du Sud soutiennent-ils les Palestiniens ?
Les nations du Sud s’identifient aux Palestiniens à travers l’expérience de la colonisation et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une hypocrisie occidentale. La solidarité religieuse et culturelle joue également un rôle majeur pour les musulmans et les Arabes, notamment.
Pourquoi certains s’opposent-ils à la paix ?
Les figures prônant la paix, comme Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, ont été éliminées. L’immense majorité des responsables politiques israéliens des années 60 et après se sont convertis à la paix à la fin de leur vie après avoir mené des guerres contre les pays arabes voisins. Les dirigeants actuels, en Israël, sont aveuglés par leur puissance militaire. Dans certains pays arabes, les dirigeants profitent depuis 1948 du statu quo pour maintenir leur pouvoir. Le nationalisme d’extrême droite des deux camps exacerbe les tensions et s’oppose à la paix.
L’Histoire nous apprend que pour faire la paix il faut être deux.
Il est sidérant de constater à quel point ces va-t-en-guerre ne réalisent pas que les deux peuples sont condamnés à vivre côte à côte. Pour arriver à une paix durable, il faut abandonner les récits de victimisation au profit d’une vision partagée. L’engagement réciproque et un dépassement des récits antagonistes est absolument nécessaire. La sortie du cycle de violence passe par la reconnaissance d’un État palestinien et l’instauration d’un dialogue sincère sur les points de divergences. La communauté internationale, et notamment les États-Unis et l’Europe, doit enfin jouer un rôle réellement équilibré, en s’engageant à protéger les civils et à promouvoir des solutions durables. Ce sont des conditions nécessaires pour construire un avenir de coexistence pacifique.
mise en ligne le 2 février 2025
Par Robert Kissous sur www.humanite.fr
« America First », les États-Unis d’abord, « Make America Great Again » – rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan : ces slogans de campagne de Trump résonnent comme un cri de guerre contre le monde entier.
Le président-businessman accuse le monde entier, alliés ou vassaux des États-Unis (EU) inclus, de vivre et prospérer au détriment de son pays, d’abuser de sa générosité. En conclusion ils doivent tous indemniser les EU. La réalité inversée si chère à Trump.
En réalité ce sont les EU qui vivent au-dessus de leurs moyens grâce au crédit que leur permet le roi dollar avec ses privilèges exorbitants.
Biden et Trump
Que ce soit Biden ou Trump, tous deux visent à restaurer l’hégémonie mondiale de l’impérialisme états-unien avec des stratégies différentes notamment sur le plan des relations économiques internationales.
Biden prônait des solutions de compromis avec les alliés des EU. Trump, estimant ne pas en avoir besoin, n’hésite pas à brandir des menaces de coercition économique. Récemment il a exigé que les pays européens portent leurs dépenses militaires à 5 % du PIB : le coup de grâce porté à l’UE alors que son économie est stagnante et que son moteur, l’industrie allemande, est en berne.
Biden offrait des subventions pour inciter les entreprises industrielles à s’implanter aux EU. Trump estime inutile de creuser le déficit en versant des subventions à des entreprises étrangères, les taxes sur les importations devraient être suffisamment incitatives.
La guerre commerciale
La mondialisation n’étant plus à l’avantage des EU, Trump met en avant sa prétendue arme « magique » contre le déclin de l’hégémonie états-unienne : les droits de douane qu’il a qualifiés en 2020 de la « plus grande chose jamais inventée »
Une arme déjà utilisée dans son premier mandat et prolongée par Biden sans obtenir le résultat escompté. Aussi la nouvelle politique tarifaire est étendue – le monde entier est visé – avec des taux de taxation inédits. Tous les pays – Sud global et pays développés, alliés ou pas – doivent être mis à contribution pour le bien des EU : la réindustrialisation, la fin du déficit commercial et la réduction des impôts. En quelque sorte une rente prélevée sur le reste du monde.
Lors de sa campagne électorale Trump annonçait vouloir imposer des droits de douane de 10 à 20 % sur tous les produits étrangers, 25 % sur les produits importés du Canada et du Mexique et 60 % ou plus pour ceux provenant de Chine, désignée adversaire stratégique n°1. À ces taxes s’ajoutent toutes les interdictions d’exportations de produits de haute technologie vers la Chine et une liste noire d’entreprises chinoises avec lesquelles il est interdit de commercer. S’agit-il de menaces préalables à des négociations ? Nous le saurons bientôt. Ce protectionnisme de combat conduira à la diminution des importations et des exportations des EU du fait des représailles mais il ne pourra empêcher les autres pays de développer le commerce entre eux.
En réalité c’est déjà le cas puisque les richesses sont créées de plus en plus dans les pays du Sud. Les cinq pays du BRICS ont vu leur poids dans l’économie mondiale croître sans cesse et leur PIB dépasser celui du G7, en parité de pouvoir d’achat (PPA), : 20 % en 2003 à 32 % en 2023 tandis que la part du G7 a reculé sur la même période de 42 % à 30 %. Au début des années 2000 la part des EU dans le PIB mondial (PPA) était de 21,2 % et en 2022 elle est tombée à 16,6 %.
La guerre commerciale conduira inévitablement à de multiples guerres commerciales contre les EU avec à la fois un recul du PIB mondial et une plus forte interdépendance entre les pays du Sud notamment. Ce qui pourrait réduire la part du commerce réalisée en dollars. On peut donc imaginer une violente réaction de Trump contre les BRICS et tous les pays qui utilisent d’autres monnaies que le dollar pour leurs échanges commerciaux. Par exemple Trump brandit la menace d’une taxe de 100 % sur leurs exportations vers les EU. Il exige un engagement de ne pas créer une monnaie BRICS. Derrière l’arrogance pointe l’anxiété. On ne peut utiliser le dollar comme arme de guerre et s’étonner de la perte de confiance accrue dans cette monnaie.
Ce sont les EU qui ont interdit l’utilisation du dollar à des pays sanctionnés encourageant, obligeant même les paiements en d’autres monnaies et hors du système financier contrôlé par les EU. Le commerce en yuan, rouble, roupie, or… ne s’arrêtera pas avec ces menaces. La guerre commerciale des EU est vouée à l’échec.
Le mépris de la souveraineté des États
Un nouveau pas est franchi avec l’affirmation de visées expansionnistes. Donald Trump a affirmé avec force qu’il entendait prendre le contrôle du canal de Panama et du Groenland – territoire sous la souveraineté du Danemark – sans exclure la possibilité d’une intervention militaire si nécessaire au nom de la sécurité nationale des EU. Une menace d’annexion qui peut planer sur n’importe quel petit pays.
Le président du Panama, José Raúl Mulino, a vivement réagi et qualifié ces prétentions d’absurdes : « le canal est panaméen et appartient aux Panaméens ». Le Danemark soutenu par des pays européens a vivement protesté.
Le Canada est également visé Trump demandant son annexion comme 51e état des EU et Trump souhaite exercer toutes les pressions économiques et politiques nécessaires pour cela.
Le monde a évolué, l’hégémonie est révolue mais les EU ne veulent pas le voir.
Mettre fin aux réglementations ou traités qui s’imposent
Les contraintes mises à l’expansion maximum des combustibles fossiles seraient supprimées. Les compagnies pétrolières et gazières doivent pouvoir forer autant que souhaité y compris dans les parcs nationaux et zones protégées. Les EU doivent avoir l’énergie la moins chère du monde – l’énergie fossile et non l’énergie verte trop subventionnée – pour renforcer leur compétitivité et pour encourager les industries à s’y implanter. La défense de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique attendront.
Trump a clairement signifié son aversion pour tout traité international qui briderait l’économie des EU. Si accord il doit y avoir avec un pays ce sera le fruit de négociations bilatérales pour être en position de force maximum.
Les pays membres de l’OTAN ne sont pas oubliés, accusés d’assurer leur sécurité aux frais des EU. Dorénavant ceux qui ne dépensent pas suffisamment pour leur sécurité ne bénéficieront pas du soutien militaire des EU même en cas d’agression par la Russie. Les Européens sont particulièrement désignés. Trump déclarait que l’agression d’un petit pays de quelques millions d’habitants, même membre de l’OTAN, ne pouvait conduire automatiquement à l’intervention des EU.
On se souvient de « l’avertissement » de Kissinger : « Il peut être dangereux d’être l’ennemi de l’Amérique, mais être l’ami de l’Amérique est fatal ». Alliés ou vassaux ?
Isolationnisme ?
Le protectionnisme prôné par Trump n’est pas une ligne de repli bien au contraire. C’est une arme de combat, une stratégie pour retrouver la « grandeur d’antan », l’hégémonie de l’impérialisme états-unien d’autrefois.
La part des États-Unis dans l’industrie manufacturière mondiale n’a cessé de diminuer depuis la crise des années 1970, puis depuis les années 2000 avec la montée des pays émergents et particulièrement de la Chine, devenue le principal partenaire commercial d’une centaine de pays. Il s’agit de modifier radicalement cette situation, les EU veulent être le centre des chaînes d’approvisionnement mondiales.
En même temps qu’ils se « protègent » de la concurrence étrangère ils s’attaquent au monde entier. La première puissance économique mondiale qui a 800 bases militaires, qui domine le système financier international, qui dispose du dollar etc. peut-il être isolationniste ? Le capital financier le plus mondialisé pourrait-il être isolationniste ?
L’impérialisme états-unien, en bon prédateur, ne cédera pas sa place dans le monde de son plein gré ni n’entérinera le déclin de sa domination au profit du multilatéralisme.
Le boomerang
Sur la base des chiffres de 2022 et des taux annoncés par Trump, on peut estimer en année pleine le montant des taxes à plus de 700 Mds de dollars pour les biens importés (dont 320 Mds pour la Chine) et près de 100 Mds sur les services importés. Un séisme qui modifierait considérablement tous les échanges internationaux, déstabilisant les chaînes d’approvisionnement des entreprises, réduisant la croissance économique mondiale.
À court terme les entreprises états-uniennes pourraient tirer un certain avantage de ce protectionnisme en augmentant leurs prix et leurs marges ce qui ajouté à la hausse du coût des importations alimenterait l’inflation ce que redoutent les ménages aux EU. Selon un sondage, seules 29 % des personnes soutenaient l’augmentation des droits de douane même si les prix augmentent tandis que 42 % s’y opposaient.
À moyen terme le protectionnisme réduira la compétitivité des EU.
La stratégie de Trump ne fait d’ailleurs pas l’unanimité des multinationales états-uniennes. Par exemple l’entreprise Nvidia, leader mondial dans son domaine de pointe, a protesté contre les restrictions à l’exportation de produits hi-tech car elles « mettront en péril la croissance économique et le leadership des États-Unis ».
La guerre commerciale de Trump ne restera pas sans représailles. Personne n’en sortira gagnant. La fracturation du marché mondial s’accentuera. Mais c’est le prix que les EU prétendent faire payer au monde pour tenter de rétablir leur hégémonie. Un pari perdant, à rebours de la tendance historique à la volonté de développement des peuples.
L’opposition au protectionnisme des EU pourrait bien inciter à aller vers un monde plus multipolaire respectant la souveraineté des États, privilégiant les rapports de coopération gagnant-gagnant et le développement.
mise en ligne le 30 janvier 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Que vont devenir les activités de l’Unrwa, l’agence onusienne d’assistance aux réfugiés palestiniens, dans les territoires palestiniens ? Personne n’a la réponse, alors que deux lois bannissant l’agence onusienne, votées par la Knesset il y a trois mois, entrent en vigueur jeudi 30 janvier.
Jeudi 30 janvier, l’immense quartier général de l’Unrwa, l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, situé à Jérusalem-Est, gardera fermé son portail bleu ciel aux couleurs de l’ONU. La guérite des gardes, qui inspectent le châssis de chaque véhicule avec un miroir, sera vide. Les bureaux seront désertés, de même que les hangars de stockage, les garages, la station à essence, les parkings. Bref, la petite ville que constitue le siège de l’agence onusienne, dans le quartier de Sheikh Jarrah, sera transformée en cité fantôme.
L’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Danny Danon, a en effet envoyé, le 25 janvier, une lettre, qu’il a rendue publique sur le réseau social X, à António Guterres, secrétaire général de l’institution internationale, exigeant la fermeture du QG.
C’est la seule certitude, au moment de l’entrée en vigueur de deux lois votées par la Knesset (le Parlement israélien) et publiées le 30 octobre 2024 dans l’équivalent israélien du Journal officiel.
Les deux lois attaquent de front l’Unrwa. Elles constituent le point d’orgue d’une campagne de dénigrement déjà ancienne, qui a culminé avec l’accusation de complicité de l’agence avec le Hamas et les groupes armés palestiniens. Ainsi que Mediapart l’a rapporté (ici et là), ces attaques n’ont jamais été étayées par des preuves sérieuses.
La première loi interdit les « activités de l’Unrwa sur le territoire israélien » qui, dans l’esprit des législateurs, comprend Jérusalem-Est, occupée et annexée par Israël.
La seconde prohibe tout contact entre les membres des administrations israéliennes et celles et ceux de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens.
Un grand flou
Peu de précisions ont été apportées depuis quant à la mise en œuvre de ces textes. Le ministère des affaires étrangères israélien, contacté par Mediapart, n’avait pas répondu à l’heure de la publication de cet article.
Le journal Israel HaYom, proche de la droite israélienne, révélait en novembre 2024 que les terrains du quartier général de l’Unrwa allaient être saisis par l’Autorité foncière israélienne pour y construire 1 440 unités de logements. Autrement dit, pour agrandir la colonie juive de ce quartier de Jérusalem-Est qui entoure déjà le QG onusien.
Le 20 janvier, Yuli Yoel Edelstein, député du Likoud, parti de Benyamin Nétanyahou, a affirmé en ouverture d’un débat à huis clos de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, qu’il préside : « Je le dis sans équivoque : la loi sera appliquée. C’est fait et signé. Je propose à ces parties, et je les exhorte même, au lieu de perpétuer la souffrance, de trouver des solutions. »
Les Israéliens sont convaincus que si l’Unrwa disparaît, la question des réfugiés disparaîtra. Jørgen Jensehaugen (Institut de recherche sur la paix d’Oslo)
Il a également réitéré les accusations contre l’agence : « L’Unrwa, en plus d’être un générateur et un participant actif du terrorisme, est également une organisation qui perpétue le statut de réfugié. Les lois que nous avons adoptées il y a environ trois mois et qui doivent entrer en vigueur à la fin du mois constituent un changement historique. »
Par son champ d’action même, l’agence dérange : elle s’adresse, dans les territoires palestiniens occupés et dans les pays alentour, aux réfugiés de 1948, expulsés de chez eux par l’avancée des milices juives puis de l’armée israélienne, et à leurs descendants. Par son mandat, elle rappelle donc la permanence de la question des réfugié·es et de celle du droit au retour.
« Les Israéliens sont convaincus que si l’Unrwa disparaît, la question des réfugiés disparaîtra, explique Jørgen Jensehaugen, chercheur à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (Prio). Et vous pouvez continuer à argumenter que juridiquement et factuellement c’est faux, mais toute la pression, toute l’attaque politique contre l’Unrwa est basée sur cette croyance. »
Les conséquences concrètes de la mise en œuvre de ces deux textes sont difficiles à prévoir, et tous les experts contactés par Mediapart s’accordent sur ce point. Notamment parce que les textes sont très flous.
Mais elles seront « désastreuses », affirme un rapport de Prio publié le 22 janvier, qui poursuit : « Les effets exacts sont difficiles à prévoir. Ils varieront en fonction des champs d’opération et des secteurs dans lesquels l’Unrwa opère. »
Risque de rupture de l’aide et des services
D’ores et déjà, les employés internationaux de l’agence onusienne n’ont plus de visa de travail au-delà du 29 janvier. Cela signifie très concrètement qu’ils n’ont plus le droit d’exercer leur mandat à Jérusalem-Est, en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza. Ils ne sont plus protégés par l’immunité onusienne.
Cela implique aussi qu’ils ne peuvent plus exiger de passer un checkpoint israélien, par exemple entre Jérusalem et Ramallah, ou entre Naplouse et Tulkarem, ni un point de passage entre Israël et la bande de Gaza.
Quant aux quelque 5 000 employés palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée, ils pourraient eux aussi voir leurs déplacements entravés encore plus qu’aujourd’hui.
« Sur le terrain, en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza, nos interlocuteurs sont les militaires. Jusque-là, si nous étions bloqués à un barrage de l’armée, nous prenions contact avec notre service de liaison, qui lui-même s’adressait au service de l’armée [israélienne] compétent, le Cogat. À partir de là, ça pouvait prendre plusieurs heures, mais le message descendait du Cogat au soldat sur le barrage et nous finissions par passer, explique Jonathan Fowler, porte-parole de l’Unrwa. Qu’en sera-t-il à partir du 30 janvier ? Nous n’en savons rien. »
Nous assurons toute la chaîne logistique. En fait, nous sommes la chaîne logistique. Car c’est l’Unrwa qui stocke et distribue. Jonathan Fowler, porte-parole de l’Unrwa
L’interdiction de tout « contact », inscrite dans le deuxième texte de loi, n’est en effet pas définie. « Est-ce que parler à un militaire, c’est un contact ?, reprend Jonathan Fowler. Si c’est le cas, il n’y aura plus aucune possibilité de faire de la déconfliction. Par exemple, lors des incursions dans les camps de réfugiés en Cisjordanie, nous sommes informés par nos interlocuteurs dans l’armée israélienne que les enfants ne doivent pas quitter l’école. Si nous n’avons plus ce contact, la vie des enfants est en danger. C’est la même chose dans la bande de Gaza pour l’acheminement de l’aide et sa distribution. Sans cette coordination, on peut imaginer les pires scénarios. Y compris ne plus pouvoir utiliser le port d’Ashdod pour débarquer l’aide. »
Israël prétend pouvoir remplacer l’Unrwa par d’autres agences, comme le Programme alimentaire mondial (PAM) pour la distribution de nourriture ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la santé, et notamment pour la vaccination de la population de Gaza.
Mais, assurent les experts, ces agences n’ont pas l’infrastructure nécessaire pour remplacer l’Unrwa.
« Depuis le cessez-le-feu à Gaza, nous avons fait entrer de quoi nourrir plus de 1 million de personnes, expliquait Jonathan Fowler à Mediapart le 23 janvier. Certes, parfois avec la collaboration d’autres agences de l’ONU. Mais elles n’ont pas notre capacité. Nous avions avant la guerre 13 000 personnels à Gaza, beaucoup dans l’éducation. Aujourd’hui, nous avons 5 000 employés qui s’occupent de la logistique. Une agence comme le PAM en a 200. Comment pourrait-elle nous remplacer ? Nous assurons toute la chaîne logistique. En fait, nous sommes la chaîne logistique. Car c’est l’Unrwa qui stocke et distribue. »
Les cliniques et dispensaires de l’Unrwa assurent 3,5 millions de consultations par an.
L’interdiction de l’Unrwa, si elle est strictement appliquée comme l’exigent la droite et l’extrême droite israéliennes, désorganiserait l’ensemble de l’aide humanitaire, au moment où elle recommence à entrer massivement dans Gaza et où la population en a un besoin brûlant.
À plus long terme, au-delà de l’urgence absolue, aucune des institutions onusiennes ne peut mettre en place un réseau d’écoles et de centres de santé comparable à celui qui existe en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Près de la moitié des 650 000 élèves de l’enclave palestinienne, avant la guerre déclenchée le 7 octobre 2023, étaient scolarisé·s dans des écoles élémentaires de l’Unrwa. Ils sont plus de 45 000 en Cisjordanie. Les cliniques et dispensaires assurent 3,5 millions de consultations par an.
« D’un point de vue rationnel, une opération extérieure qui paie pour faire des choses qu’Israël aurait dû faire et qui réduit le risque d’escalade parce que les enfants sont à l’école, reçoivent une éducation et vivent une vie meilleure et plus stable, cela devrait être une bonne chose pour Israël, n’est-ce pas ?, poursuit Jørgen Jensehaugen. Ce devrait être une situation gagnant-gagnant pour Israël. Quelqu’un d’autre le fait pour qu’il n’ait pas à le faire. Et cela réduit le risque d’aggravation du conflit. Mais la haine idéologique envers l’Unrwa est telle que l’explication rationnelle n’a pas d’importance. »
Sur le papier, Israël s’est piégé avec ces deux textes. Car, rappelle le juriste international Johann Soufi, « il ne fait aucun doute qu’au regard du droit international, Israël en tant que puissance occupante des territoires palestiniens – à Gaza comme en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est – est tenu d’assurer la continuité des services publics. En réalité, l’Unrwa soulage Israël en fournissant des services qui, sinon, devraient être pris en charge, financièrement et logistiquement, par la puissance occupante ».
On imagine difficilement le gouvernement israélien reconnaître ses obligations de puissance occupante et prendre en charge services sociaux et écoles. L’option de l’Autorité palestinienne est hors de propos, étant donné son manque de moyens et son refus, politique et juridique, de se substituer à l’ONU.
« Israël et d’autres États préféreraient sans doute la création d’une nouvelle agence humanitaire aux fonctions similaires à celles de l’Unrwa, mais sans lien historique ou politique direct avec la question des réfugiés palestiniens de 1948, analyse Johann Soufi. Toutefois, cela ne se fera pas, car seule l’Assemblée générale de l’ONU, qui a créé l’Unrwa, peut mettre fin à son mandat et créer une nouvelle agence. Or, comme l’illustrent les résolutions adoptées ces dernières années, l’Assemblée générale soutient majoritairement la création d’un État palestinien et, en attendant, le rôle de l’Unrwa pour assurer l’assistance humanitaire et la gestion d’une grande partie des services publics. Nous nous dirigeons donc vers un blocage total – juridique, pratique et politique. »
Car dans les faits, aucun État capable de faire pression sur Israël ne viendra au secours de l’Unrwa. Les États-Unis sont acquis à Israël, et la présidence Trump fait de la détestation du multilatéralisme, symbolisé par les Nations unies, un mantra. Quant à l’Union européenne, largement divisée sur la guerre contre Gaza, elle fait montre depuis longtemps de son impuissance.
mise en ligne le27 janvier 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
Après plusieurs semaines de combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda, la capitale de l’est du pays pourrait chuter dans les prochains jours, voire les prochaines heures. Le nombre de civils tués reste inconnu, mais un désastre est à craindre.
Une question de jours, voire d’heures, avant que Goma ne tombe. Un mois après le début d’une nouvelle offensive du Mouvement des rebelles du 23 mars (M23), la grande ville de la province du Nord-Kivu, qui compte 1 million d’habitants et autant de réfugiés venus de la région, est toujours l’objet d’une guerre sans merci, sur fond de pillages des ressources minières pour le compte du Rwanda et de multinationales européennes et états-uniennes.
Le M23, groupe antigouvernemental créé par d’anciens officiers congolais, armé et soutenu par 3 000 à 4 000 soldats rwandais, attaque désormais les forces armées de la RDC (FARDC) et les groupes locaux appelés Wazalendo (patriotes, en swahili), aux portes de la ville.
Selon des personnels de l’ONU présents sur place avec la mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) et des représentants diplomatiques, des soldats du M23 et rwandais sont entrés dans plusieurs quartiers de la capitale régionale.
Deux casques bleus tués
Dimanche 26 janvier, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence pour évoquer la situation dans l’est de la RDC, condamnant le « mépris éhonté » de la souveraineté de la RDC. La ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a exhorté les Nations unies à agir : « Aujourd’hui, les victimes ne sont pas seulement congolaises, cette attaque est dirigée contre l’Afrique tout entière, que dis-je, contre l’humanité entière, les balles rwandaises frappent indistinctement les Sud-Africains, les Tanzaniens, les Malawites, les Burundais, les Uruguayens tous frères et sœurs venus pour la paix », a-t-elle déclaré. Allusion aux casques bleus de la Monusco, dont deux sont morts au cours des dernières quarante-huit heures, un Sud-Africain et un Uruguayen. Onze autres ont été blessés et sont soignés à l’hôpital des Nations unies de Goma.
La représentante spéciale de l’ONU en RDC, Bintou Keita, également cheffe de la Monusco, a indiqué que les routes et l’aéroport étaient bloqués : « Nous sommes pris au piège », a-t-elle déclaré. Comme des centaines de milliers de civils et de réfugiés regroupés dans Goma. Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a rappelé que les attaques sur les civils et les personnels de l’ONU constituent des crimes de guerre.
L’offensive du M23 et des soldats rwandais est foudroyante : en moins de quinze jours, les rebelles ont pris la ville de Masisi, puis, la semaine dernière, celle de Sake, coupant ainsi Goma du reste du pays. C’est lors de ces combats que le gouverneur militaire de la région, Peter Cirimwami, a été tué le 23 janvier.
Dimanche, le président kényan, William Ruto, a annoncé réunir « dans les quarante-huit heures » un sommet de la Communauté des États d’Afrique de l’Est, avec la présence des présidents respectifs de la RDC et du Rwanda, Félix Tshisekedi et Paul Kagame. Ce dernier a comme à son habitude évoqué une « posture défensive » et « une menace à la sécurité du Rwanda ».
L’est de la RDC est le théâtre, depuis trente ans et les conséquences du génocide des Tutsis au Rwanda, de guerres sur fond de vengeance contre les Hutus génocidaires, mais également de prédation et de pillages des ressources minières et agricoles. La chute de Goma pourrait provoquer une immense catastrophe : le gouvernement congolais a dit ce lundi vouloir « éviter le carnage ».
Jason Stearns sur https://blogs.mediapart.fr/
Jason Stearns est professeur associé à l'université Simon Fraser et auteur de « The War That Doesn't Say Its Name : The Unending Conflict in the Congo ».
La semaine dernière, dans l'est de la République démocratique du Congo, le groupe rebelle M23 s'est emparé de la ville lacustre de Sake. Selon les informations disponibles ce lundi 27 janvier au matin, ses combattants seraient entrés dans la ville de Goma. Les dirigeants occidentaux semblent paralysés dans la gestion de nombreux conflits, mais cela ne devrait pas être le cas en RDC. Il serait facile d'agir car le principal instigateur du conflit du M23 est le gouvernement du Rwanda, un pays dépendant de l'aide étrangère.
La semaine dernière, dans l'est de la République démocratique du Congo, le groupe rebelle M23 s'est emparé de la ville lacustre de Sake. Le week-end dernier, les combats ont également embrasé Goma, une ville de 1,5 million d'habitants entourée de centaines de milliers de personnes déplacées. Selon les informations disponibles ce lundi 27 janvier au matin, ses combattants seraient entrés dans la ville.
Les dirigeants occidentaux semblent paralysés dans la gestion de nombreux conflits, mais cela ne devrait pas être le cas en RDC.
Dans ce pays, plus de 6 millions de personnes sont déplacées, dont au moins un tiers à cause du conflit du M23. Le fait qu'ils ne l'aient pas fait amène de nombreux Congolais à conclure que personne ne s'en préoccupe. D'autres, de plus en plus nombreux, croient à une conspiration plus sinistre : si les puissants restent les bras croisés alors que les Congolais souffrent, c'est qu'ils le veulent bien. Il n'est pas étonnant que la popularité de la Russie soit en hausse auprès des Congolais.
Il serait facile d'agir, car le principal instigateur du conflit du M23 est le gouvernement du Rwanda, un pays dépendant de l'aide étrangère. Selon six rapports d'un groupe d'experts des Nations unies, le Rwanda a envoyé des milliers de soldats à la frontière, déployant des missiles sol-air, des tireurs d'élite, des véhicules blindés et des forces spéciales. Les États-Unis, l'Union européenne et le Royaume-Uni ont tous condamné les actions du Rwanda.
Mais les paroles ne valent pas grand-chose. Les critiques formulées à l'encontre du Rwanda sont souvent contredites par d'autres actions. Au milieu des violences, les dirigeants du Commonwealth se sont réunis à Kigali en 2022, et l'UE a accordé 40 millions d'euros pour soutenir le déploiement de la force de défense rwandaise (la même armée qui a participé à l'assaut contre la RDC) au Mozambique. L'UE et ses États membres investissent également plus de 900 millions de dollars au Rwanda dans le cadre du programme Global Gateway.
Sous l'ancien gouvernement conservateur, le Royaume-Uni avait l'intention d'envoyer les demandeurs d'asile au Rwanda afin de décourager l'immigration clandestine. La France, qui a joué un rôle moteur dans les décisions de l'UE, s'est montrée désireuse de maintenir les troupes rwandaises dans le nord du Mozambique, où elles protègent les installations gazières offshore de TotalEnergies contre les rebelles islamistes. Certains fonctionnaires européens sont plus favorables aux diplomates rwandais, bien organisés, qu'à leurs homologues congolais.
Les diplomates rwandais affirment que leur armée n'est pas déployée en RDC, mais que si elle l'était, ce serait pour protéger la communauté tutsie congolaise et leurs propres frontières contre les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Les FDLR comprennent des combattants qui ont participé au génocide de 1994 au Rwanda.
Ce récit, cependant, renverse la séquence historique. C'est l'émergence du M23 qui a conduit à une augmentation des discours de haine contre les Tutsi et à une collaboration entre l'armée congolaise et les FDLR. Le gouvernement congolais doit certes s'attaquer aux discriminations et mettre fin à son soutien aux groupes armés. Mais le M23 a exacerbé les maux qu'il cite.
Le Rwanda, dont au moins un tiers du budget provient de l'aide des donateurs, compte sur sa réputation pour attirer les touristes et les investisseurs. L'Association nationale de basket-ball des États-Unis s'est associée au Rwanda dans le cadre de sa Ligue africaine de basket-ball. Les maillots des clubs de football Paris Saint-Germain et Arsenal portent la mention « Visit Rwanda ». Le pays est candidat à l'organisation d'une course de Formule 1. Le président Paul Kagame aime s'afficher avec des célébrités telles qu'Idris Elba et Kendrick Lamar, peut-être dans l'espoir que leur rayonnement déteindra sur lui.
Dans le passé, les donateurs ont utilisé ce moyen de pression. En 2012, ils ont suspendu le versement de 240 millions de dollars d'aide en raison d'une ingérence présumée en RDC. Barack Obama a appelé Kagame et lui a demandé de cesser de soutenir le M23. En l'espace de quelques mois, l'aide a cessé et le M23 s'est effondré.
Cette fois-ci, nous semblons vivre dans un monde différent - un monde dans lequel la migration, les investissements commerciaux et d'autres préoccupations nationales sont plus importants que l'humanitaire, et où l'apathie l'emporte sur la solidarité. Un monde où nous dénonçons avec indignation l'agression russe en Ukraine, mais où nous haussons les épaules lorsque des millions de personnes sont déplacées en Afrique centrale.
mise en ligne le 26 janvier 2025
Julien Sartre sur www.mediapart.fr
Condamné à de la prison avec sursis pour violation de domicile et intimidation, Rodrigue Petitot est sorti de détention vendredi 24 janvier et a déjà appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». La mobilisation se poursuit aussi au Parlement et devant le tribunal de commerce.
Cela n’a pris que quelques minutes avant que son image et sa parole ne se répandent à nouveau de façon virale sur les réseaux sociaux et dans la presse. En sortant de prison, avant d’aller effectuer une peine aménagée à son domicile, Rodrigue Petitot, dit le « R », a tenu un discours devant ses partisans galvanisés.
« Ce n’est pas une menace, ce n’est pas une intimidation : je demande à M. Manuel Valls de venir nous rencontrer afin qu’on puisse avoir de vraies réponses ! », exhortait le leader martiniquais du mouvement contre la vie chère, depuis le siège de l’association qu’il préside à Fort-de-France, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC).
Visiblement pas découragé par le mois et demi de détention qu’il vient d’effectuer à la prison de Ducos, Rodrigue Petitot a appelé à « continuer le combat parce que la vie est encore plus chère ». Pour lui et ses partisans, rassemblés en nombre dans les rues de Fort-de-France et au QG du RPPRAC, ce vendredi 24 janvier était avant tout un jour de « libération ».
Après deux jours de procès, Rodrigue Petitot a été reconnu coupable de violation de domicile, d’outrages et d’actes d’intimidation, pour s’être introduit dans la résidence préfectorale, le 11 novembre dernier. Le militant était venu demander une rencontre avec le ministre des outre-mer de l’époque, François-Noël Buffet, de passage sur l’île.
Le « R » « risquait vingt ans de prison et la juridiction n’a pas voulu abandonner toutes les préventions mais le plus important est qu’il recouvre la liberté ! », se félicite auprès de Mediapart un de ses avocats, Me Eddy Arneton. Condamné à un an de prison intégralement assorti du sursis dans cette affaire dite « de la résidence préfectorale », Rodrigue Petitot est pourtant loin d’être libre.
Condamné à dix mois de prison dans une autre affaire pour avoir tenu des propos assimilés à de l’intimidation d’élus, il effectuera sa peine à domicile, avec un bracelet électronique. « Nous espérons que cette décision mettra un terme au cycle de judiciarisation qui a été enclenché et sollicité par le ministre de l’intérieur, en violation du principe de séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif », poursuit Me Arneton.
La sortie de prison de Rodrigue Petitot constitue-t-elle une victoire pour le mouvement contre la vie chère, lancé en Martinique en septembre dernier ? « Pas encore, répond Me Max Bellemare, un des conseils de Rodrigue Petitot. Nous avons été entendus sur plusieurs points et notre client a été relaxé de plusieurs accusations, mais il y aura une victoire lorsqu’on aura modifié le système complètement et que les prix de nombreux produits auront été baissés. La finalité, c’est bien cela, une réduction sensible des prix. »
Signé en octobre dernier après les premières semaines de mobilisation et de blocage de supermarchés, un « protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère » a été paraphé par les opérateurs économiques, les services de l’État, les organisations syndicales et les élus locaux, à Fort-de-France. Le RPPRAC n’y a pas apposé sa signature, dénonçant un nombre trop faible de produits concernés et un impact limité sur les prix dans les rayons des supermarchés.
Au fil des semaines et jusque dans la parole du gouvernement, le débat s’est focalisé sur le rôle joué par le groupe Bernard Hayot (GBH), importateur, distributeur et acteur majeur de l’économie ultramarine, basé en Martinique. « J’en ai déjà parlé et je continue à le faire malgré les réactions et les pressions : certains grands groupes très performants ont un rôle d’étouffement économique dans les outre-mer », dénonçait par exemple le ministre des outre-mer, Manuel Valls, lors de l’examen de la proposition de loi socialiste contre la vie chère.
La vie chère débattue dans la niche PS
Portée par la députée socialiste de Martinique Béatrice Bellay, la proposition de loi « visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer », a été adoptée à une écrasante majorité par les député·es ce jeudi 23 janvier. Examinée dans le cadre de la « niche parlementaire » du groupe socialiste, le texte prévoit un renforcement, une extension et un alignement sur les prix de l’Hexagone du « bouclier qualité-prix » (BQP), dispositif de modération du coût des denrées alimentaires, existant de longue date dans les départements d’outre-mer (DOM).
Le texte prévoit aussi d’interdire les positions dominantes dans le secteur de la distribution, de renforcer les moyens des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et un encadrement strict des marges des importateurs.
Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, les débats étaient riches en références à la mobilisation martiniquaise et à Rodrigue Petitot. « Il ne s’agit rien de moins que de tenir notre parole, engagée lors de longues séances de travail en Martinique », s’est souvenu le député socialiste de Martinique Jiovanny William, en défendant un amendement qui étend le bouclier qualité-prix aux produits de grande consommation. Ainsi, l’extension du BQP à la téléphonie, aux assurances, aux frais bancaires ou encore aux pièces détachées pour automobiles (dont les prix peuvent être de 400 % supérieurs à ce qu’ils sont dans l’Hexagone) a fini par faire consensus.
L’Insee a documenté à plusieurs reprises des surcoûts de plus de 40 % en Martinique et dans le reste de l’outre-mer. Les produits alimentaires sont particulièrement impactés par ces écarts de prix, alors que les revenus sont en moyenne inférieurs de plus de 30 % dans les collectivités ultramarines. Le texte adopté jeudi 25 janvier en première lecture par l’Assemblée nationale doit maintenant être voté par le Sénat.
Un article de cette proposition de loi prévoit d’aggraver les sanctions contre les entreprises qui ne publient pas leurs comptes comme la loi les y oblige, passé un certain seuil.
Mis également en cause par une enquête journalistique de Libération pour ses « profits suspects » et la multiplication des intermédiaires – et donc des marges abusives via ses nombreuses filiales –, le groupe GBH s’est défendu à plusieurs reprises face à des commissions d’enquête parlementaires, devant le Sénat et l’Assemblée nationale. Sommé de publier ses comptes par des lanceurs d'alerte qui ont déposé plainte devant le tribunal de commerce de Fort-de-France, GBH affirme s’être conformé à ses obligations légales.
Prévue jeudi 23 janvier, l’audience consacrée à cette affaire a été reportée au 13 février prochain : le temps pour le tribunal d’analyser les documents qui lui ont effectivement été transmis, mais pas de quoi calmer la vindicte populaire, en particulier en raison de la collision avec le calendrier judiciaire du « R ». Lors de son allocution largement diffusée sur les réseaux sociaux, Rodrigue Petitot faisait référence à ce renvoi d’audience en expliquant que lui n’avait bénéficié d’aucune clémence ni d’aucun report dans l’examen de ce que lui reproche la justice.
mise en ligne le 26 janvier 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le président états-unien veut que l’Égypte et la Jordanie accueillent les habitants de Gaza. Il rêve de « faire le ménage ». Une idée qui plaît à Netanyahou et l’extrême droite israélienne.
Entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou, l’entente est parfaite. Ils ont en commun un cynisme et un mépris avéré pour les Palestiniens. Pendant quinze mois, le premier ministre israélien a pratiqué une politique génocidaire sans merci. Le nouveau président états-unien, à peine installé à la Maison-Blanche, pousse pour finir le travail. Dans une déroutante déclaration effectuée samedi 25 janvier, il a comparé la bande de Gaza dévastée par la guerre et plongée dans une grave crise humanitaire à un « site de démolition » : « J’aimerais que l’Égypte accueille des gens. On parle d’environ 1,5 million de personnes, on fait tout simplement le ménage là-dedans et on dit : ”Vous savez, c’est fini.” »
Pendant qu’Elon Musk, déjà en charge de purges au sein de l’administration américaine, intervient au congrès de l’AfD en Allemagne, Trump, lui, parle tout simplement de déportation des Palestiniens. « Vous savez, au fil des siècles, ce site a connu de nombreux conflits. Et je ne sais pas, quelque chose doit se passer », a-t-il renchéri en explicitant son idée : « Je préférerais m’impliquer avec certaines nations arabes et construire des logements à un autre endroit où ils pourraient peut-être vivre en paix pour une fois. » Le trublion a suggéré un déplacement « temporaire ou à long terme » des Gazaouis.
Sur les 200 prisonniers palestiniens libérés, 70 bannis de Palestine
Il a également indiqué qu’il avait félicité la Jordanie pour avoir accepté avec succès des réfugiés palestiniens, faisant savoir au roi Abdallah II : « J’aimerais que vous en accueilliez davantage, car je regarde toute la bande de Gaza en ce moment, et c’est un désastre. C’est un véritable désastre. » Trump a ensuite annoncé le déblocage d’une livraison de bombes de plus de 900 kilogrammes pour son allié israélien. L’administration de l’ancien président Joe Biden avait suspendu l’année dernière les livraisons de telles armes.
Avec cette nouvelle approche, Donald Trump s’aligne sur la volonté affichée par Israël depuis le début de la guerre, à savoir expulser les Palestiniens de la bande de Gaza. Ce nettoyage ethnique plaît au ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich, qui l’a fait savoir dans un communiqué : « L’idée de les aider à trouver d’autres endroits où commencer une vie meilleure est une excellente idée. »
Ces déclarations arrivent au moment opportun pour Benyamin Netanyahou et sonnent comme un soutien sans faille et sans condition. Ce qui permet au premier ministre israélien de ne pas respecter ses engagements concernant le retrait total de ses troupes du sud du Liban, comme le prévoyait l’accord conclu.
De même, les Gazaouis déplacés dans le Sud, qui devaient avoir la permission de retourner dans le Nord, en sont toujours empêchés par l’armée israélienne sous prétexte que lors de l’échange de samedi, les quatre captives israéliennes étaient des soldates, alors qu’une civile devait être dans le lot. Sur les 200 prisonniers palestiniens libérés, 70 ont été bannis de Palestine et contraints de rester en Égypte.
Ces dernières séquences, ajoutées aux promesses qu’aurait faites Trump de laisser Netanyahou reprendre les bombardements à Gaza, augurent mal de la suite, l’entame de négociations sur les modalités de la deuxième phase, à savoir « une fin définitive de la guerre ». En somme, Trump et Netanyahou disent aux Palestiniens : « La valise ou le cercueil. »
Rachida El Azzouzi sur www.mediapart.fr
Alors que le cessez-le-feu dans la bande de Gaza est en vigueur depuis le 19 janvier et qu’un nouvel échange de prisonniers et d’otages a eu lieu ce samedi 25 janvier, les partisans de l’annexion de la Cisjordanie se font plus bruyants et plus violents que jamais en Israël. En témoignent les attaques de ces derniers jours dans le nord du territoire palestinien.
Le cessez-le-feu à Gaza, qui connaît samedi 25 janvier un nouvel échange de captifs et de captives (voir notre encadré), se fera-t-il au prix de l’annexion progressive de la Cisjordanie par le gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël ?
À peine investi lundi 20 janvier, Donald Trump, qui s’attribue le mérite de la bien fragile trêve à Gaza, a envoyé un signal funeste en annulant le décret de son prédécesseur Joe Biden, qui avait poussivement pris en février 2024 une mesure certes dérisoire mais très symbolique : des sanctions financières contre plusieurs colons israéliens accusés de violences contre des Palestinien·nes en Cisjordanie occupée.
De quoi galvaniser les partisans d’un « Grand Israël » de la Méditerranée au Jourdain, qui rêvent d’annexer totalement le territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, qu’ils désignent par l’appellation biblique de « Judée-Samarie ». Pas une semaine sans qu’ils redoublent de violence, colonisent ou tentent de coloniser de nouvelles terres en toute impunité.
Depuis le 7-Octobre, dans l’ombre des massacres à Gaza et au mépris du droit international, on assiste même à une accélération inédite de la politique de colonisation en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.
Au moins 850 Palestiniens y ont été tués par l’armée israélienne ou par des colons, selon le ministère palestinien de la santé, tandis qu’une trentaine d’Israéliens, dont des soldats, y sont morts dans des attaques palestiniennes ou dans des opérations militaires, selon Israël.
Un exemple parmi des dizaines d’autres : fin juin 2024, Israël a accaparé la plus vaste étendue de terres en Cisjordanie depuis trente ans et les accords de paix d’Oslo en 1993. 1 270 hectares dans la vallée du Jourdain ont été déclarés « propriétés d’État » pour favoriser l’expansion de colonies israéliennes.
Lundi 20 janvier, jour de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, une cinquantaine d’extrémistes juifs a attaqué à la tombée de la nuit, à coups de pierres et de cocktails incendiaires, les villages d’Al-Funduq et de Jinsafut, dans le nord de la Cisjordanie. Sous le regard passif de soldats israéliens.
Dans cette commune en zone C, c’est-à-dire sous contrôle total de l’armée israélienne, la police est intervenue « au bout d’une heure seulement », a raconté au journal Le Monde Luay Tayim, maire du village.
Les colons venus en découdre entendaient « venger » l’assassinat, début janvier, de trois habitants de la colonie de Kedoumim toute proche, où vit l’un des plus zélés promoteurs d’une annexion totale de la Cisjordanie, le colon et ministre israélien des finances d’extrême droite, et vice-ministre de la défense, Bezalel Smotrich, qui a voté contre l’accord avec le Hamas.
200 Palestiniens libérés en contrepartie de quatre soldates israéliennes
Quatre soldates israéliennes, retenues à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ont été libérées samedi 25 janvier par le Hamas en contrepartie de la libération de 200 Palestiniens détenus dans les prisons d’Israël, dont une grande partie est incarcérée sous le régime de la détention administrative, c’est-à-dire de manière arbitraire, sans charge ni procès. C’est le deuxième échange de captifs depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 19 janvier.
Daniella Gilboa, Karina Ariev, Liri Albag et Naama Levy, qui avaient été enlevées dans une base militaire, ont retrouvé la liberté dans la matinée, au cours d’un échange mis en scène par le Hamas. Elles sont désormais prises en charge dans un hôpital en Israël.
Une partie des Palestiniens libérés a été accueillie par une foule en liesse à Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. D’autres ont été envoyés en Égypte à bord d’autobus, « expulsés » par Israël, selon le média d’État égyptien Al-Qahera News. Seize autres Palestiniens ont été transférés vers la bande de Gaza, où Israël conditionne le retour des déplacé·es du sud vers le nord de Gaza à la libération de l’otage Arbel Yehud, qui serait « en bonne santé », selon deux dirigeants du Hamas.
Sur la liste des Palestiniens libérés ce samedi, figure Mohammed Tous, 69 ans et membre du Fatah, plus ancien Palestinien détenu sans discontinuer par Israël, avec près de quatre décennies passées derrière les barreaux.
Le ministre suprémaciste, qui menace de faire tomber le gouvernement si Israël ne reprend pas la guerre à Gaza à l’issue de la première phase du cessez-le-feu, réclame qu’Al-Funduq soit réduit en ruines comme le camp de Jabaliya l’a été dans le nord de Gaza.
Il a salué sur le réseau social X la première mesure de Trump en faveur des colons : « Votre soutien inébranlable et sans compromission […] est un témoignage de votre intense relation avec le peuple juif et notre droit historique sur notre terre ». Tout comme l’autre figure de l’extrême droite israélienne, Itamar Ben-Gvir, qui a démissionné dimanche 19 janvier de son poste de ministre de la sécurité nationale pour dénoncer l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas palestinien.
Opération « Mur de fer »
Tandis que la terreur coloniale frappe Al-Fundunq et Jinsafut, au surlendemain de l’entrée en vigueur d’une trêve à Gaza et au lendemain de l’investiture de Donald Trump, les autorités israéliennes ont déplacé la guerre sur un autre des multiples fronts qu’elles ont ouverts depuis le 7-Octobre en lançant, au nom de « la lutte contre le terrorisme », une nouvelle offensive meurtrière en Cisjordanie.
Baptisée « Mur de fer », appuyée par des bulldozers, des avions et des véhicules militaires blindés, la vaste opération de l’armée et du service de renseignement intérieur israéliens vise le camp de réfugié·es, accolé à la ville de Jénine, également dans le nord du territoire. Un bastion historique de la lutte armée palestinienne, régulièrement attaqué, qui se trouve en zone A, soit sous contrôle de l’Autorité palestinienne (AP).
Qu’importe le zonage, Israël investit le camp à sa guise, régnant par la force et humiliant encore un peu plus la bien faible et décriée AP, qui doit urgemment se réformer en profondeur, ainsi que son leader, l’impopulaire et indéboulonnable Mahmoud Abbas (qui s’est décidé, à reculons, sous intense pression diplomatique, en novembre 2024, à commencer à organiser sa succession, un sujet tabou pour lui, en désignant Rauhi Fattouh, un de ses fidèles, pour lui succéder si des raisons de santé l’empêchaient de gouverner).
Le président de l’Autorité palestinienne, qui fêtera ses 90 ans en 2025 et revendique la gouvernance de Gaza, a tout fait ces dernières semaines pour prouver à Trump, à Israël et à la communauté internationale qu’il était capable de conduire son peuple en Cisjordanie comme demain dans l’enclave anéantie par quinze mois de bombardements massifs.
« Méthodes de guerre », selon l’ONU
Mais l’offensive israélienne, qui a déjà fait en moins d’une semaine plus de quatorze morts et des dizaines de blessés, parmi lesquels des soignants palestiniens, est un cinglant désaveu. Elle intervient quatre jours après la conclusion d’un accord mettant fin à près de deux mois de combat entre les groupes armés du camp de Jénine et les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne. Depuis plusieurs semaines, ces dernières menaient dans le camp une offensive sans précédent contre ceux qu’elles dénoncent comme étant des « groupes palestiniens hors la loi » semant « le chaos et la fraude ».
Dans un communiqué, le Hamas accuse l’AP de « collaboration avec Israël », de « crime et de trahison du sang des martyrs », et dénonce une coordination sécuritaire avec le colonisateur « devenue extrêmement dangereuse, s’opposant totalement à la position du peuple palestinien et des organisations palestiniennes ».
Jeudi 23 janvier, au troisième jour de l’opération israélienne, des centaines d’habitant·es ont quitté les rues boueuses du camp de Jénine, emportant quelques affaires. « Ils veulent faire comme à Gaza », réagit auprès de Mediapart un Palestinien de Jénine.
Vendredi 24 janvier, l’ONU a condamné l’usage par Israël « de méthodes de guerre » et « le recours illégal à la force létale » à Jénine. Les opérations israéliennes « suscitent de graves inquiétudes quant à un recours inutile ou disproportionné à la force, notamment aux méthodes et moyens développés pour la guerre, en violation du droit international des droits de l’homme, des normes et standards applicables aux opérations de maintien de l’ordre », a déclaré Thameen al-Kheetan, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits humains.
« En s’abstenant constamment, au fil des ans, de demander des comptes aux membres de ses forces de sécurité responsables d’homicides illégaux, Israël non seulement viole ses obligations en vertu du droit international, mais risque également d’encourager la répétition de tels homicides », a encore ajouté le porte-parole.
Alors que le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio a promis par téléphone au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou mercredi 22 janvier un « soutien inébranlable » à Israël, alors que l’équipe de Donald Trump compte de fervents pro-israéliens, dont Mike Huckabee, figure de la droite chrétienne évangélique et ardent partisan de la colonisation, nommé au poste d’ambassadeur des États-Unis en Israël, pour qui « l’occupation, ça n’existe pas », tout comme la Palestine et le peuple palestinien, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, s’alarme « de la menace existentielle » qui pèse sur « l’intégrité et la contiguïté du territoire palestinien occupé de Gaza et de Cisjordanie » et se dit « profondément préoccupé ».
« De hauts responsables israéliens parlent ouvertement d’une annexion formelle de la totalité ou de parties de la Cisjordanie dans les mois qui viennent. Toute annexion de la sorte serait une très grave violation du droit international », a-t-il confié lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Proche-Orient, lundi 20 janvier.
Personne n’oublie le plan dit « de paix » non abouti de Donald Trump en 2020 lors de son premier mandat. Vanté par ce dernier comme « le deal du siècle », il enterrait définitivement ce qui était la base des négocations jusqu’ici (le tracé des frontières de 1967 et Jérusalem comme capitale des deux États) et prévoyait l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par Israël, qui aurait notamment la souveraineté sur la vallée du Jourdain et Jérusalem comme « capitale d’Israël indivisible ».
Sans surprise, le plan avait suscité la colère du peuple palestinien. Le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza, l’avait immédiatement rejeté, ainsi que le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
Justine Brabant sur www.mediapart.fr
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a demandé au gouvernement, jeudi 23 janvier, de retirer ses déclarations sur « l’immunité » de Benyamin Nétanyahou et rappelle que la France doit « prévenir le crime de génocide » par « tous les moyens à sa disposition ».
Multiplier les déclarations sur le respect du droit international humanitaire est une chose. Les mettre en pratique avec constance en est une autre. Les autorités françaises devraient démontrer qu’elle ne se contentent pas de paroles mais qu’elles mènent également des « actions concrètes » dans ce domaine, estime la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une déclaration adoptée le 23 janvier, que Mediapart a pu consulter et qui fait explicitement référence à la guerre menée par Israël à Gaza.
Ces derniers mois, les autorités françaises ont multiplié les discours et les initiatives pour défendre le droit international humanitaire, ce pan du droit international qui s’applique aux conflits armés et vise à en limiter les conséquences (il impose entre autres de protéger les non-combattant·es et interdit d’utiliser certaines armes et méthodes de guerre trop destructrices).
En septembre 2024, Paris lançait ainsi, avec cinq autres États, une initiative mondiale « visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire ». Le respect de ce droit figure parmi les piliers de la stratégie humanitaire française 2023-2027. Il est régulièrement mentionné comme une priorité par les diplomates français·es.
Mais à l’épreuve des faits, la France n’a pas toujours été exemplaire. Le 27 novembre 2024, le ministère des affaires étrangères laissait entendre que la France pourrait ne pas appliquer le mandat d’arrêt pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, contredisant toutes les déclarations précédentes de la diplomatie française.
La CNCDH, qui est l’institution chargée de veiller à l’application par la France du droit international humanitaire, appelle aujourd’hui la France à « retirer formellement » cette déclaration. « Déclarer qu’un chef de gouvernement frappé d’un mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité pourrait bénéficier d’une immunité » est non seulement « en contradiction avec la jurisprudence nationale », mais aussi avec « la jurisprudence de la Cour pénale internationale en la matière » et avec les obligations de la France en tant que signataire des Conventions de Genève, souligne la Commission.
La volte-face du Quai d’Orsay au sujet de Nétanyahou avait été interprétée, à l’époque, comme un gage donné aux autorités israéliennes afin qu’elles acceptent d’intégrer Paris aux discussions sur un cessez-le-feu au Liban. Entre ne pas transiger sur ses principes et les fouler aux pieds pour afficher un petit succès diplomatique, l’exécutif français a choisi.
Mieux contrôler les ventes d’armes françaises
« C’est en prenant des engagements à long terme, et non en adoptant des positions conjoncturelles par opportunité politique ou diplomatique […] que peut être créé un environnement propice au respect du droit international humanitaire », tance la CNCDH dans sa déclaration, votée à l’unanimité de ses membres (soixante-quatre personnes, représentant·es de grandes ONG, syndicats, expert·es des droits humains, représentant·es de cultes, universitaires, magistrat·es, avocat·es et parlementaires).
La Commission rappelle également à Paris ses obligations en matière de contrôle des ventes d’armes. Tout en « salu[ant] » les mots d’Emmanuel Macron qui avait appelé début octobre 2024 à « cesse[r] de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza », la CNCDH recommande à la France d’aller jusqu’au bout de cette logique – et de ses obligations internationales – en « suspend[ant] tout transfert d’armes » à destination de « tout État à travers le monde » s’il existe « le moindre doute quant à une utilisation de ces armes non conforme au droit international ».
Une recommandation qui pourrait s’appliquer aux ventes d’armes françaises au Myanmar, à l’Arabie saoudite, à l’Éthiopie… mais aussi, potentiellement, à Israël. Car si Emmanuel Macron a de fait exclu les ventes d’armes pouvant être utilisées à Gaza, l’État français n’est pas allé jusqu’à prononcer un embargo total sur les exportations vers Israël (qui mène également des opérations en Cisjordanie, par exemple).
Alors qu’un nombre croissant de juristes, d’historiens et d’ONG qualifient la guerre menée par Israël à Gaza de génocide, la CNCDH rappelle également à la France qu’elle a, en vertu de ses engagements internationaux, obligation de « prévenir le crime de génocide et d’user de tous les moyens à sa disposition pour empêcher la survenance de ce crime ou le faire cesser ».
« Dans un monde où les conflits sont marqués par des violations massives du droit international humanitaire et où il est visiblement très difficile d’amener les belligérants eux-mêmes à le respecter, les États tiers, extérieurs au conflit, ont un rôle majeur à jouer », estime la rapporteuse du texte de la CNCDH, Julia Grignon, qui est directrice de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) et professeure de droit international humanitaire à l’université Laval, à Québec (Canada).
La Commission revient enfin sur la fourniture d’aide dans l’enclave palestinienne de Gaza, longtemps privée de vivres en raison d’un blocus mis en place par Israël. « L’aide humanitaire ne devrait jamais être conditionnée, ni même influencée, par des motifs d’ordre politique, diplomatique ou stratégique », exhorte-t-elle. Avec en tête, notamment, le rôle problématique des États-Unis à ce sujet.
« Lorsque les Américains font des largages d’aide humanitaire depuis les airs alors que sur le terrain il n’y a personne pour coordonner sa distribution, et que cela donne lieu à des émeutes, cela n’est pas faire de l’aide : c’est juste un faire-valoir, une démonstration de communication », regrette Julia Grignon.
La juriste pointe le contraste « criant » entre les condamnations des exactions russes en Ukraine et les réactions bien plus mesurées lorsqu’il s’agit de condamner celles d’Israël. « Ce n’est pas parce qu’on [les États occidentaux – ndlr] est amis avec Israël, et parce qu’Israël n’est pas la Russie ou la Chine, qu’on ne doit pas avoir les mêmes exigences en matière d’accès à l’aide humanitaire. »
« Quand il s’est agi de dénoncer les crimes de la Russie, les voix étaient unanimes. Quand la CPI s’est saisie de la question, les voix étaient unanimes. Et tout à coup, parce que c’est Israël, il n’y a plus du tout d’unanimité », regrette-t-elle.
mise en ligne le 23 janvier 2025
Lina Sankari sur www.humanite.fr
L’armée israélienne a lancé l’opération « Mur d’acier » à Jénine, faisant déjà dix morts et trente-cinq blessés. Elle couvre également les attaques de colons armés et masqués. Elle a en outre bouclé 898 points dans les territoires palestiniens.
Après la bande de Gaza, la Cisjordanie ? Israël n’aura pas attendu. Au lendemain de l’investiture de Donald Trump aux États-Unis, qu’elle a sans doute pris pour un feu vert, l’armée israélienne a lancé, le 21 janvier, une opération d’envergure, baptisée « Mur d’acier », dans la ville et le camp de réfugiés de Jénine (nord).
Sous couvert d’« éradiquer le terrorisme », selon les termes du premier ministre Benyamin Netanyahou, dix habitants ont été tués et 35 autres blessés dans des bombardements et attaques des forces spéciales. En lieu et place d’opération « antiterroriste », le ministère palestinien des Affaires étrangères et des expatriés dénonce des « attaques brutales menées par des milices de colons armés ».
Des attaques qui se sont poursuivies mercredi 22 janvier, Jénine étant dans la matinée prise sous les tirs nourris et les explosions. « La situation est très difficile. L’armée d’occupation a rasé au bulldozer toutes les routes menant au camp de Jénine et à l’hôpital », a déclaré à l’AFP le gouverneur de la ville, Kamal Abu Rub. « Il y a des tirs et des explosions. Un avion survole la zone », a-t-il ajouté, faisant état de nombreuses arrestations.
Assauts sur des villages par des colons armés et masqués
La veille, le ministère palestinien des Affaires étrangères évoquait également des assauts sur les villages d’Al-Funduq et Jinsafut, à l’est de Qalqilya, à la frontière avec Israël, où cinquante colons armés et masqués, sous protection de l’armée israélienne, ont mis le feu à des habitations, des commerces et vandalisé des véhicules, blessant 21 personnes. « Les autorités d’occupation, parfaitement au courant des origines et des bases des attaquants, n’ont pris aucune mesure pour empêcher ces actes et, dans de nombreux cas, sont intervenues pour réprimer les Palestiniens qui tentaient de se défendre », précise le communiqué du ministère.
Les vagues de libération de Palestiniens donnent régulièrement lieu à ce type d’interventions pour récupérer les détenus fraîchement relâchés.
Ces raids ne peuvent susciter l’étonnement. Le 17 janvier, le ministre de la Défense Israël Katz avait annoncé la libération de colons placés en détention administrative, anticipant l’accord avec le Hamas.
Ces attaques israéliennes interviennent dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Hamas et Israël dont un volet concerne la libération de prisonniers palestiniens. Les vagues de libération de Palestiniens donnent régulièrement lieu à ce type d’interventions pour récupérer les détenus fraîchement relâchés. Le 16 janvier dernier, avant l’accord, l’armée israélienne a mené des raids, capturant vingt-deux Palestiniens dont d’anciens prisonniers, à Bethléem, Tubas, Tulkarem et Ramallah, selon l’agence turque Anadolu.
898 lieux bouclés en Cisjordanie
Cette décision, a expliqué le dirigeant du Likoud, vise à « transmettre un message clair de renforcement et d’encouragement des colonies ». Hier, à peine installé dans le bureau ovale, Donald Trump a également révoqué un décret de son prédécesseur Joe Biden visant à sanctionner les colons s’adonnant à des violences.
Le ministère des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne a, à cet égard, mis « en garde contre de telles tentatives d’attiser la violence en Cisjordanie comme prétexte pour reproduire les crimes de génocide et de déplacement qu’Israël a commis à Gaza et les étendre à la Cisjordanie, ouvrant la voie à un désordre brutal pour faciliter son annexion ». L’Autorité palestinienne demande ainsi le démantèlement des milices, l’assèchement de leurs sources de financement et à la fin de leur protection politique et juridique.
Jénine est la cible régulière d’opérations militaires israéliennes. Le 14 janvier, six Palestiniens y avaient été tués dans une attaque aérienne. Mais en décembre, ce sont les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne qui ont lancé un raid afin de débusquer les combattants.
L’armée israélienne aurait en outre bouclé 898 entrées des gouvernorats, villes et camps de réfugiés palestiniens à grand renfort de points de contrôle militaires et de barrières métalliques. Autant de mesures qui durcissent encore les possibilités de circulation et renforcent l’apartheid.
« Ce n’est pas à ça que ressemble un cessez-le-feu », a dénoncé dans la soirée du 21 janvier, après le lancement de la nouvelle attaque de l’armée, B’Tselem, une ONG israélienne de défense des droits humains dans les territoires occupés. « Loin de retenir le feu contre les Palestiniens, a ajouté l’association, les actions d’Israël démontrent qu’il n’a aucune intention de le faire. Au lieu de cela, il se contente de déplacer son attention de Gaza vers d’autres zones qu’il contrôle en Cisjordanie. »
Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres s’est dit de son côté « très inquiet », appelant Israël « à faire preuve d’une retenue maximale et à utiliser la force mortelle uniquement quand elle est absolument inévitable pour protéger des vies ».
mise en ,ligne le 21 janvier 2025
Louis Mollier-Sabet sur www.regards.fr
Les règles économiques et commerciales de la mondialisation qui a dominé les 50 dernières années ont déjà été fortement mises en cause. Mais l’investiture de Donald Trump va marquer une nouvelle étape. Le commerce n’est plus envisagé au service de la paix et d’un monde unifié. Tout l’inverse : les échanges économiques s’annoncent chaotiques, agressifs et l’objet ultime de la politique. L’État américain est entièrement à son service.
Il y a les gens que l’on voit aux mariages et aux enterrements. Et puis il y a Donald Trump, qui orchestrera le 20 janvier prochain un baroque mélange des deux. La grand-messe de l’extrême droite mondiale restera comme la date de la liquidation définitive d’un monde bâti sur la victoire de la Seconde guerre mondiale puis sur l’effondrement soviétique… et l’avènement d’un monde de la loi du plus fort. L’économie mondialisée et libre-échangiste construite successivement par les accords de Bretton Woods en 1944, puis le consensus de Washington dans les années 1980 et l’OMC en 1995 ne survivront pas à ce dernier coup de boutoir.
Jeter les moins productifs et conserver les plus efficaces
Sur le plan intérieur, la doctrine néolibérale de dérégulation, de privatisation et de restriction des dépenses budgétaires a de beaux jours devant elle, et le mandat de Donald Trump la portera au plus haut. Cela fait bien longtemps que l’État par ses diverses politiques sert les grandes entreprises américaines. La plus emblématique restant l’intégration du « complexe militaro industriel ». Mais cela s’accompagnait de règles dans l’attribution des marchés, de souvenirs de lois anti-trust, de règles sociales pour régir le code du travail ou assurer au fil des ans quelques protections aux Américains.
Comme le proclame si joliment Mark Zuckerberg, la nouvelle doctrine est de jeter les moins productifs et de conserver les plus efficaces. Mieux, c’est
dans la maison du magnat de l’immobilier élu président, à Mar a Lago que se négocient les futurs marchés, que se préemptent les prochaines affaires. Elon Musk a non seulement propulsé ses idées
d’extrême droite en soutenant Trump, mais il a valorisé considérablement toutes ses sociétés. Et ce n’est qu’un début.
Au niveau international, on voit déjà que la pression mise par Trump pour que le cessez-le-feu à Gaza s’articule à la relance en format xxl des accords d’Abraham. Sur les bords de la méditerranée, il
espère voir s’ériger un nouveau Dubaï. Ce serait bon pour toutes les affaires, licites et illicites.
Cela fait longtemps que plus personne ne croit à « la mondialisation heureuse » : on va vers une démondialisation brutale et dangereuse.
« Go find another sucker ! »
Même si ces dernières années la Chine avait souvent pris le relai des financements internationaux auprès des pays du sud, le FMI et la Banque mondiale avaient dû intégrer d’autres critères de développement que la seule rentabilité et efficacité des capitaux. Ils constituaient un ultime recourt pour les pays les plus pauvres, qui ce faisant le payaient très cher. Trump n’en a cure et a déjà annoncé son mépris à leur égard et son désengagement. Les tarifs douaniers délirants, discrétionnaires et variables selon les pays sont totalement contraires aux règles de l’OMC. Trump s’en moque tout autant. Il écrase tout sur son passage.
« Go find another sucker ! » (« Allez trouver un nouveau pigeon ! »), a lancé le 47° président en direction des BRICS avant même son entrée en fonction, si d’aventure leur venait l’idée de se desserrer de l’étau du dollar.
Certes tout ceci n’est pas neuf. « Trump est le plus affirmatif, mais on assiste à une radicalisation croissante du discours anti-libre-échange depuis Obama », résume Benjamin Bürbaumer, maître de conférences en économie à Sciences Po Bordeaux. L’auteur de Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation (La Découverte). Il rappelle qu’une des dernières lois passées par Obama a mis en place un groupe de travail pour « défendre la supériorité américaine en matière d’intelligence artificielle », composé de parlementaires et de dirigeants des grandes sociétés de la tech qui allaient devenir les GAFAM. Les traités de libre-échange interdisent pourtant de tels soutiens à un secteur ou à une entreprise en particulier. Trump a embrayé avec les sanctions sur la Chine et Biden n’a pas changé de cap avec son fameux Inflation Reduction Act déclinant de nombreuses politiques industrielles protectionnistes, certaines focalisées sur les industries technologiques.
Le libre-échange abandonné par les libéraux eux-mêmes
En un sens, ces politiques illustrent « l’hypocrisie » de la position libre-échangiste des Etats unis. Benjamin Bürbaumer explique : « Quand le libre-échange les arrange, les Etats-Unis le promeuvent partout. Mais quand les choses se compliquent et que cela ne se fait plus à leur bénéfice avec le rattrapage technologique et commercial de la Chine, ils lâchent complètement cette doctrine. »
L’ancien économiste de la Banque mondiale, Branko Milanovic, a lui aussi noté que ce sont ces économistes orthodoxes qui ont progressivement abandonné la doctrine libérale. Clauses miroirs, politiques de sanctions commerciales, politiques migratoires restrictives… autant de mesures dorénavant défendues par la presse d’affaires, et qui contreviennent par définition aux principes fondateurs de la globalisation et de ses institutions. « Comment imaginer qu’une mission de la banque mondiale en Egypte pourrait recommander de baisser les tarifs douaniers, alors qu’en même temps, son membre le plus important économiquement et doctrinairement – les Etats-Unis – est en train de les augmenter ? » explique l’économiste spécialiste de la pauvreté et des inégalités dans un article récent.
Un système international est en train de péricliter. Lequel prendra sa place ? Si le monde merveilleux de la globalisation néolibérale du FMI n’avait rien d’un paradis terrestre, celui du chaos multipolaire agressif dominé par les technologies américaines et les énergies fossiles n’a pas encore livré tous ses secrets. Rien ne dit qu’il sera plus clément.
mise en ligne le 21 janvier 2025
Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr
Conformément aux termes du cessez-le-feu, 90 prisonniers palestiniens ont été libérés par Israël, dans la nuit du dimanche 19 au lundi 20 janvier, et recueillis dans la ville de Ramallah, au nord de Jérusalem. Trois otages israéliens ont été libérés par le Hamas quelques heures plus tôt.
Deux bus se sont lancés sur une route de Beitunia, peu après minuit, lundi 20 janvier. Leur direction : Ramallah, le siège de l’Autorité palestinienne. Les deux véhicules ont rapidement été suivis par des centaines de personnes. L’ambiance était au soulagement, à la joie, à l’impatience. Les drapeaux palestiniens et des différentes factions palestiniennes flottaient par dizaines, tandis que des chansons résonnaient dans les rues.
À l’ouverture de leurs portes, une foule en liesse a accueilli avec des larmes de joie, des embrassades et des feux d’artifice, 90 prisonniers palestiniens libérés par Israël de la prison militaire d’Ofer, en Cisjordanie occupée, et d’un centre de détention à Jérusalem. À leur bord se trouvent majoritairement des femmes, des enfants et d’anciens prisonniers.
Placée en isolement durant les cinq derniers mois
Et notamment des prisonniers politiques, comme la membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) Khalida Jaffar, dont la libération a fait figure de symbole des conditions de détention au sein des prisons israéliennes. Cheveux blanchis, visage marqué et corps amaigri, elle s’est révélée grandement affaiblie. Arrêtée fin décembre 2023 en Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, la femme politique sexagénaire était détenue sans charge et a été placée en isolement durant les cinq derniers mois.
Il en va de même pour Dalal Al-Arouri, sœur du défunt numéro deux du Hamas, Saleh Al-Arouri – tué à Beyrouth (Liban) -, qui a été arrêtée en janvier 2024. « L’attente était extrêmement difficile. Mais grâce à Dieu, nous étions certains que nous serions libérés un jour », se réjouit la journaliste Bouchra al-Tawil, emprisonnée en mars 2024.
« Le dossier des prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes est un sujet central de la vie politique et sociale des Palestiniens, rappelle Salah Hamouri, avocat et ancien prisonnier politique palestinien, dans une vidéo publiée par le collectif français Urgence Palestine, dimanche 19 janvier. C’est un des moyens de destruction de la vie des Palestiniens utilisé par l’occupant israélien. »
Ces 90 détenus palestiniens ont été libérés après que le Hamas en ait fait de même en relâchant trois otages israéliens, quelques heures plus tôt. Il s’agit de l’israélo-britannique Emily Damari, de l’israélo-roumaine Doron Steinbrecher, toutes deux capturées au kibboutz Kfar Aza, ainsi que de Romi Gonen, enlevée au festival de musique Nova, lors de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023.
Exilés vers le Qatar ou la Turquie
Annoncé par les médiateurs – Qatar, États-Unis, Égypte -, mercredi 15 janvier, l’accord ambitionne à terme, selon Doha, de déboucher sur la « fin définitive » du conflit. Selon ses termes, 33 Israéliens doivent être libérés dans une première phase de six semaines. En échange, les autorités israéliennes ont annoncé qu’elles libéreraient 1 900 Palestiniens, dans le même délai. L’accord de trêve précise, par ailleurs, que 236 Palestiniens condamnés à perpétuité, pour avoir commis ou participé à des attaques ou attentats, seront quant à eux exilés, essentiellement vers le Qatar ou la Turquie.
Daniel Hagari, porte-parole de l’armée israélienne, a déclaré qu’« entre trois et quatre femmes enlevées » seraient « libérées chaque semaine ». Un haut responsable du Hamas a, de son côté, indiqué que la prochaine libération aurait lieu « samedi prochain ».
Pendant ce temps, dans la bande de Gaza, des milliers de déplacés palestiniens ont pris la route pour rentrer chez eux au milieu d’un paysage apocalyptique. Le tout après qu’Israël ait poursuivi les bombardements sur la bande de Gaza – qui ont tué huit Palestiniens, selon la Défense civile gazaouie – jusqu’au dernier moment. « Nous n’avons même pas pu trouver l’emplacement exact de nos maisons », s’est désolée Maria Gad el-Haq, qui fait partie des 2,4 millions de Palestiniens dont la majorité a été déplacée par la guerre, lors de son retour à Rafah (nord de Gaza).
L’entrée en vigueur de l’accord, intervenu à la veille du retour à la Maison Blanche de Donald Trump, nourrit l’espoir d’une paix durable dans les territoires palestiniens, ravagés par l’entreprise génocidaire – longue de quinze mois – du gouvernement israélien. La crainte d’une reprise des attaques reste cependant prégnante, alors que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a prévenu qu’Israël se réservait « le droit de reprendre la guerre si besoin ».
mise en ligne le 20 janvier 2025
La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/l
(La Cimade : Association de solidarité active avec les personnes migrantes)
Il y a un mois, le cyclone Chido a frappé l’île de Mayotte, laissant des dégâts considérables. Aujourd’hui, la situation reste dramatique : les infrastructures sont détruites, les habitant.es sont privé.es de logements adéquats et le passage de la tempête Dikeledi a augmenté la difficulté pour les habitant.es d’accéder aux services essentiels et de se procurer les denrées de première nécessité.
Dans ce contexte, les différentes déclarations outrancières de responsables politiques, les premières annonces gouvernementales, évoquant systématiquement la question migratoire comme centrale et première, remettant en cause l’inconditionnalité des réponses qui devraient être apportées à tou·tes les habitant·es de l’ile aujourd’hui menacé·es dans la satisfaction de leurs besoins vitaux, sont inacceptables et dangereuses pour l’avenir de l’ensemble du territoire.
Des mesures discriminatoires pour la reconstruction
Dans le cadre des mesures prises en gestion de la crise, le préfet de Mayotte a pris un arrêté en date du 3 janvier 2025 restreignant la vente de tôles, pourtant essentielles à la reconstruction des habitations détruites par le cyclone. Cette mesure, qui oblige les habitants à fournir un justificatif d’identité et de domicile pour acheter des tôles, touche particulièrement les personnes migrantes en situation administrative précaire. Déjà fragilisées par des années de politiques migratoires de plus en plus sécuritaires, ces personnes sont désormais empêchées de reconstruire leur foyer. Si la lutte contre l’habitat indigne et précaire doit être pour l’île une priorité partagée, il est inacceptable d’empêcher aujourd’hui des populations de subvenir à des besoins vitaux en matière de mise à l’abri ; sans proposer de surcroît aucun autre accompagnement au relogement.
Des expulsions qui aggravent la précarité et la souffrance
Dans ce contexte déjà difficile, la reprise des placements, des interpellations et des expulsions du centre de rétention administrative (CRA) dès le début du mois de janvier vient alourdir la situation des personnes en situation administrative précaire. Ces mesures de répression, en pleine urgence sanitaire, aggravent la précarité, l’angoisse et l’incertitude de cette population, la plus durement touchée par la catastrophe naturelle. Nous condamnons cette politique répressive et inhumaine, qui frappe les plus fragiles au moment où l’urgence est de répondre à leurs besoins vitaux.
Une priorité : un véritable accès de toutes et tous aux ressources essentielles
Les défis de Mayotte ne se limitent pas à la reconstruction. L’accès à l’eau potable et aux hébergements d’urgence demeure une problématique majeure. De nombreuses personnes sinistrées restent sans abri, et les conditions de vie dans les centres d’hébergement sont particulièrement difficiles, avec un manque d’infrastructures sanitaires et alimentaires. Les établissements scolaires, temporairement réquisitionnés comme hébergements d’urgence, commencent à être évacués pour la rentrée scolaire imminente. Les solutions proposées par l’État, telles que l’hébergement sous tente, se révèlent inadéquates, notamment en raison de la saison des pluies, et n’apportent pas de solutions pour l’ensemble des personnes concernées.
Dans ce contexte, les différentes déclarations gouvernementales pointant la soi-disant urgence de « traiter les questions migratoires », de remettre en cause le droit du sol, d’annoncer de nouvelles mesures restrictives en matière d’accès aux séjour, de nouvelles augmentations des expulsions… sont particulièrement indécentes au vu des urgences vitales rencontrées par les habitant·es de Mayotte. Et contribueront dramatiquement, une énième fois, à exacerber les tensions et divisions au sein de la société, au lieu de penser et mettre en œuvre pour le territoire des mesures justes et durables en matière d’aménagement, de lutte contre la précarité, d’éducation, d’accès aux services publics…
Alors que l’île est ainsi confrontée à une double crise — celle du cyclone et celle des politiques publiques injustes et inefficaces.
La Cimade appelle à une réponse urgente, respectueuse des droits humains de toutes et tous, véritablement tournée vers l’avenir et non plus focalisée sur la seule stigmatisation d’une partie de la population.
mise en ligne le 19 janvier 2025
Lénaïg Bredoux et Joseph Confavreux sur www.mediapart.fr
Après plus de quinze mois d’une guerre meurtrière menée par Israël à Gaza, déclenchée par les attaques du Hamas le 7-Octobre, une trêve va enfin entrer en vigueur dimanche 19 janvier. Pour les populations civiles et les otages, on ne peut que s’en réjouir. Mais sans rien oublier.
Enfin. Les armes doivent cesser, dimanche 19 janvier, à 10 heures 15, dans la bande de Gaza. Après quinze mois et dix jours d’une guerre épouvantable, Israël et le Hamas sont parvenus à un accord de cessez-le-feu sous l’égide du Qatar et des États-Unis.
La joie, le soulagement, l’amertume : tout se mêle dans la population palestinienne, qui a payé un tribut si lourd qu’il est difficile à mesurer, et auprès des familles d’otages israélien·nes, qui n’ont, pour beaucoup, cessé de critiquer la politique de leur premier ministre Benyamin Nétanyahou. Trois d’entre eux sont sorties de Gaza dimanche, et remises à la Croix Rouge. Il s’agit de Rumi Gonen, Emily Damari et Doron Shtanbar Khair.
On ne peut que partager cet espoir, même infime, revenu des enfers. Depuis plus de quinze mois, et les attaques meurtrières menées par le Hamas et d’autres groupes palestiniens en Israël le 7-Octobre, des millions de Palestinien·nes et de manifestant·es, partout dans le monde, réclamaient ce cessez-le-feu. Des campus états-uniens ou belges aux rues tunisiennes, des défilés parisiens à l’appel de plus de 160 mathématicien·nes, au sein même d’une partie de la population israélienne, la demande des sociétés était pressante, à rebours de la plupart de leurs gouvernants.
L’espoir, pourtant, est fragile. L’avenir de la trêve est incertain. L’accord prévoit trois phases de mise en œuvre du cessez-le-feu : les contours des deuxième et troisième étapes sont encore flous ; le jeu politique interne au gouvernement israélien, voire la concurrence au sein du camp palestinien, peuvent conduire à tout moment à une reprise du conflit.
Donald Trump ne l’envisage pas dans les prochains jours, lui qui est officiellement investi président des États-Unis lundi 20 janvier. « La reprise de la guerre ne m’apparaît pas être une option réaliste, espère Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, dans un entretien à Mediapart. Cela fait partie des excès de Nétanyahou de dire qu’il va continuer la guerre. La pression sera trop forte et Trump ne le laissera pas faire machine arrière. »
Un accord fragile
En toile de fond, comme l’explique la chercheuse Amélie Férey, à l’Institut français des relations internationales (Ifri), affleure le rêve de Trump d’obtenir le prix Nobel de la paix dont son prédécesseur Barack Obama avait été honoré, en obtenant un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël.
Mais en présence de tels acteurs – Trump, Nétanyahou et ses alliés suprémacistes juifs, le Hamas –, la sérénité n’est pas une option, la défiance est de mise. Personne ne sait d’ailleurs de quoi l’avenir politique de la région sera fait, à commencer par celui de la Palestine. Qui sait ce que Nétanyahou, dont le maintien au pouvoir ne dépend que de la guerre sans fin ni but qu’il a menée, a obtenu en Cisjordanie en échange du retrait de son armée de Gaza ? Qui peut prédire ce que Gaza pourra devenir sous la surveillance plus qu’étroite d’Israël ?
Qui sait ce que Trump veut ? Et qui peut s’illusionner sur un monde plus pacifique avec à sa tête un fasciste milliardaire ? « C’est d’ailleurs paradoxal que cette espèce de brute, qui détruit la démocratie dans son pays et l’ordre mondial, soit la personne à laquelle on se raccroche pour envisager une solution raisonnable. Il n’est pas porté par des principes et des idéaux, mais par un opportunisme purement transactionnel », prévient encore l’historien Élie Barnavi.
La souffrance infinie des Palestiniens
L’espoir, surtout, est teinté d’une profonde colère à la mesure de la tristesse, infinie, des populations civiles. En Israël, les attaques du 7-Octobre ont fait 1 200 victimes, pour l’essentiel civiles, et profondément atteint un pays qui se croyait à l’abri et se présentait comme un « foyer » sûr pour l’ensemble des juifs et des juives du monde. Son identité même a été touchée.
La réaction de Benyamin Nétanyahou et de son gouvernement d’extrême droite a dépassé l’entendement. Devant une communauté internationale au mieux impuissante au pire complice – États-Unis en tête –, l’armée israélienne a provoqué la mort de plus de 46 000 personnes recensées par le ministère de la santé palestinien, dont un « nombre ahurissant » d’enfants selon l’Unicef. Un chiffre validé par l’ONU mais qui pourrait être largement sous-estimé.
Le 10 janvier, une étude publiée par la revue britannique The Lancet estime que le nombre de morts à Gaza au cours des neuf premiers mois de la guerre entre Israël et le Hamas était alors de 64 260. Un chiffre supérieur de 41 % à celui du ministère de la santé de l’enclave sur cette même période.
Le territoire est détruit à 80 %, il n’y a plus d’universités, presque plus d’hôpitaux, des villes sont devenues des villages… Des mots nouveaux sont (ré)apparus : le « futuricide », porté par la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah pour décrire la destruction de l’histoire et de l’avenir de Gaza ; l’« urbicide », concept forgé dans les années 1960 qui se traduit comme la volonté politique de détruire la ville au sens large, et même de « domicide », qui concerne la destruction des possibilités d’habitation ; l’« éducide », avec la fin des écoles et de la scolarisation des enfants de Gaza ou encore le « culturicide », soit la politique d’anéantissement culturel et identitaire menée par Israël.
Un génocide, et la bataille juridique qui s’ouvre
Un autre mot s’est aussi imposé, depuis quinze mois, pour décrire ce qui se passe à Gaza : celui de « génocide ». Immédiatement brandi par les soutiens des Palestinien·nes, il est désormais utilisé par des ONG ayant pignon sur rue, qui ont eu l’occasion de mesurer l’ampleur de l’anéantissement de Gaza, de Médecins sans frontières (MSF) à Amnesty International.
Il est aussi présent dans les instances internationales, même si c’est alors le plus souvent comme adjectif : « guerre génocidaire », « intentions génocidaires », « processus génocidaire »…
Et il est également revendiqué par des historiens spécialistes de la Shoah, tel l’Israélien Amos Goldberg, qui reconnaît qu’il lui a fallu du temps pour accepter de l’employer, dans la mesure où, expliquait-il, « les Israéliens et beaucoup d’autres pensent que tous les génocides doivent ressembler à la Shoah, mais c’est faux ».
L’historien Omer Bartov a lui aussi changé de pied, et jugé, à l’aune de sa connaissance historique des processus génocidaires, qu’il était désormais nécessaire d’employer un tel terme pour décrire les actions du gouvernement israélien.
Dans les premiers temps de la destruction de Gaza, les activistes l’employaient d’abord pour souligner que toute l’histoire n’avait pas commencé le 7 octobre 2023 et que la guerre qui débutait alors à Gaza ne pouvait être lue seulement comme une guerre de représailles, mais devait être inscrite dans un projet de long terme d’élimination de la présence du peuple palestinien sur la majeure partie de la Palestine historique.
Dans les mois suivants, l’inflation de son usage fut corrélée à l’espoir que l’obligation de prévenir le crime de génocide, contenue à l’article I de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, puisse faire cesser l’horreur en direct qui ne faisait que s’accentuer à Gaza.
Aujourd’hui, alors que ce n’est pas le degré d’horreur qui sépare les crimes contre l’humanité du crime de génocide, mais l’intentionnalité de détruire tout ou partie d’un peuple, s’ouvre une possibilité accrue, si Gaza redevient accessible, pour les experts juridiques de documenter la nature précise des actes criminels commis par le gouvernement israélien, avec la complicité notable de plusieurs chancelleries occidentales.
A priori, si l’on suit l’article II de la convention de 1948, il est peu probable que les responsables israéliens puissent échapper à une telle accusation. L’article II est en effet ainsi rédigé : « Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
Au vu de ce qui s’est passé à Gaza pendant quinze mois, on voit mal comment a minima « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale » des Palestinien·nes ne pourrait pas être reconnue juridiquement.
Du droit et de la politique
L’histoire récente nous rappelle néanmoins que, même en imaginant que le droit international ne sorte pas aussi en lambeaux de ces quinze mois d’atrocités après avoir été piétiné par Israël avec l’appui de la première puissance mondiale, nombre des pires atrocités des dernières décennies n’ont pas été reconnues comme des génocides. En raison d’une interprétation souvent restrictive des juridictions nationales et internationales et des difficultés à établir l’intentionnalité des crimes.
Meurtre d’environ 300 000 personnes au Darfour, mise à mort de plus de 1 million de personnes pendant la guerre du Biafra au Nigeria à la fin des années 1960, déportation et meurtre d’environ 100 000 Kurdes par le régime de Saddam Hussein à la fin des années 1980, disparitions forcées et assassinats d’environ 500 000 personnes par le régime d’Assad en Syrie ou encore massacres de milliers de Yézidis par l’État islamique en 2014… On discutera sans doute longtemps, d’un point de vue juridique, de la qualification de génocide à Gaza.
Comme on l’a vu lors des audiences devant la Cour internationale de justice, l’argumentaire portera sur l’intentionnalité, en insistant sur la dimension de « réponse » au 7-Octobre et sur l’argument que l’armée israélienne avait les moyens d’un anéantissement encore plus total de Gaza.
Mais, d’un point de vue politique, l’emploi d’un tel terme paraît légitime et nécessaire pour au moins trois raisons.
D’abord, reconnaître l’ampleur de ces quinze mois de crimes du gouvernement extrémiste israélien, mais aussi la complicité et l’impuissance qui les ont entourés puisqu’encore une fois, ce qui fait la spécificité du crime de génocide, ce n’est pas le degré d’horreur dans la destruction, mais l’obligation qu’il y a à le prévenir. La spécificité du carnage de Gaza, par rapport à de précédents massacres, est sans doute d’avoir été à ce point couvert et visible, grâce au travail des journalistes palestinien·nes, dont nombre d’entre eux l’ont payé de leur vie jusqu’à ces derniers jours.
Ensuite, on peut espérer sauver le droit international et les principes qui l’ont fondé au sortir de la Seconde Guerre mondiale en faisant en sorte que les responsables des massacres à Gaza soient traduits en justice, comme la Cour pénale internationale (CPI) le demande pour son architecte en chef, Benyamin Nétanyahou. Enfin, faire de cette reconnaissance la promesse d’un pays pour les Palestinien·ne : car reconnaître le génocide subi à Gaza, c’est aussi reconnaître une dette morale, celle de garantir la protection future de ce peuple dans le cadre d’un État protecteur.
Cette nécessité politique doit néanmoins s’accompagner d’une exigence qui n’a pas toujours été tenue par celles et ceux qui ont refusé tout débat sur l’emploi du terme dès le 7 octobre 2023, et accusaient de complicité avec le sionisme toutes celles et ceux qui n’y recouraient pas, ou pas encore : ne pas en faire l’occasion de minimiser le génocide des juifs d’Europe – ou de nier la réalité de l’antisémitisme qui traverse nos sociétés – et délégitimer le droit à Israël d’exister, comme le prévoit le droit international.
Reconnaître la dimension génocidaire de Gaza n’enlève rien ni à la réalité de la Shoah, ni à ce qu’elle peut avoir d’unique dans l’histoire. Il doit aussi être possible de donner leurs droits aux Palestinien·nes, notamment à un État, sans remettre en cause l’existence d’Israël dans les frontières de 1967, même si ce pays refuge est devenu un État voyou.
L’indécence des impuissants
Vu depuis de la France, il y a enfin une indécence à voir certains gouvernements, à commencer par le nôtre, et les commentateurs sur les plateaux télé, célébrer ce cessez-le-feu après avoir, pendant des mois, systématiquement ignoré la souffrance des Palestinien·nes, criminalisé les actions de soutien à Gaza, et répété que le soutien à Israël était indéfectible au risque d’être qualifié·e d’antisémite – antisémitisme dont les actes ont par ailleurs « explosé » depuis le 7-Octobre, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).
Le débat public a été littéralement étouffant ces derniers mois, au point de voir une exposition de Médecins sans frontières interdite à Toulouse, ou une potière et céramiste de 24 ans traquée dans la Drôme pour avoir écrit « STOP MASSACRE À GAZA » sur un mur. Sans parler de l’autocensure de milliers de personnes racisées, notamment d’origine ou de culture arabes, craignant les répercussions ici d’un soutien trop visible aux Palestinien·nes, au point de s’interroger sur leur place en France.
Les attaques du 7-Octobre, et leur violence extrême, ont parfois fait vriller les esprits au point d’entendre à la radio ou à la télé à l’occasion de la mort du cofondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, multicondamné pour négationnisme, antisémitisme, incitation à la haine à de nombreuses reprises, que le danger ne venait plus de l’extrême droite mais de la gauche… C’est tout cela, aussi, qui est à reconstruire.
mise en ligne le 18 janvier 2025
Amélie Ferey sur www.mediapart.fr
Après quinze mois de destructions extrêmes, il aura fallu une élection aux États-Unis pour tout changer. Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, après maints retournements, a finalement accepté un accord temporaire. Mais à quel prix ?
L’atmosphère en Israël, depuis jeudi 16 janvier, oscille entre l’espoir du retour des otages et d’une forme de normalité, avec une pause dans la guerre, et l’amertume. Beaucoup d’Israélien·nes rejettent cet accord, considéré comme une reddition. « L’éradication » du Hamas promise par Benyamin Nétanyahou n’a pas eu lieu. Pire, pour les tenants du « Grand Israël », cet accord compromet la possibilité d’une annexion pure et simple de Gaza, ou au moins de sa partie nord.
Les familles des soldat·es tombé·es à Gaza (407 depuis le début de l’offensive terrestre, dont 50 au cours des trois derniers mois) se sont réunies dès mercredi soir devant la résidence de Nétanyahou, rue Balfour, à Jérusalem, pour protester contre ce qu’elles perçoivent comme un gâchis.
Vendredi 17, à la mi-journée, le cabinet de sécurité israélien a approuvé l’accord pour un cessez-le-feu et un échange d’otages contre des prisonniers et prisonnières. Le gouvernement doit désormais l’approuver à son tour. Une réunion était prévue plus tard dans la journée.
Mais jeudi soir, Itamar Ben Gvir, le ministre à la tête de la formation suprémaciste Otzma Yehudit (« Puissance juive »), a annoncé que son parti quitterait la coalition si l’accord de cessez-le-feu était approuvé. Ben Gvir s’est également vanté d’avoir à deux reprises empêché un accord avec le Hamas pour la libération des otages, embarrassant ainsi Nétanyahou, qui avait toujours attribué l’échec des négociations au mouvement palestinien.
Cependant, depuis le ralliement du parti de Gideon Saar à son ancien rival Nétanyahou, en septembre, Ben Gvir n’est plus dans une position de faiseur de rois. Même s’il quittait le gouvernement, le premier ministre israélien disposerait toujours d’une majorité à la Knesset (le Parlement) et ne serait donc pas contraint de jouer son avenir politique dans de nouvelles élections.
Amertume et soulagement
En revanche, la survie politique de Ben Gvir n’est pas du tout assurée : en claquant la porte, il prend le risque de se marginaliser pour longtemps, à moins de recourir à des actions violentes contre les institutions israéliennes. Dans une déclaration jeudi, il a précisé que son parti serait prêt à rejoindre le gouvernement si les combats contre le Hamas reprenaient après la trêve.
Le parti du ministre des finances, Bezalel Smotrich, représentant du sionisme religieux et fervent défenseur des colons, a annoncé jeudi qu’il resterait au gouvernement pendant la première phase de l’accord mais en sortirait si la guerre ne reprenait pas à l’issue des quarante-deux jours.
En dépit de ces rodomontades politiques, l’atmosphère en Israël est empreinte d’émotion : le possible retour d’une partie des otages suscite autant d’espoir que d’angoisse à l’idée qu’un scénario tant espéré puisse s’effondrer à la dernière minute. Ce cessez-le-feu, même temporaire, répond à un sentiment de lassitude après quinze mois de guerre, le conflit le plus long pour Israël depuis sa création en 1948. L’économie israélienne a souffert, les gens sont fatigués de la guerre, les réservistes rechignent à répondre à l’appel.
La perspective de poursuites à l’international, comme pour ce soldat israélien impliqué dans un probable crime de guerre ayant dû fuir le Brésil, inquiète les Israélien·nes, dont les voyages sont fréquents, par goût mais aussi pour échapper – même brièvement – au quotidien du pays. Ainsi, l’amertume vis-à-vis de ce que beaucoup considèrent comme un mauvais accord est tempérée par une forme de soulagement.
Ce que contient l’accord… et ses zones de flou
Ce soulagement semble toutefois devoir être de courte durée. En effet, quelle crédibilité et quelle longévité accorder à cet accord ? La première phase est la plus détaillée, ce qui laisse planer des doutes sur la concrétisation des trois suivantes.
Cet accord prévoit un cessez-le-feu initial de quarante-deux jours, débutant dimanche 19 janvier à 12 h 15 (heure d’Israël), avec une suspension des opérations militaires et des vols de surveillance à Gaza. Les survols quotidiens, ainsi que la menace représentée par les drones et les avions de chasse, aggravent le stress post-traumatique des habitant·es de Gaza. Mohand al-Ashram, un musicien gazaoui, avait ainsi posté une vidéo devenue virale dans laquelle il tentait de rassurer les enfants dont il avait la charge en transformant leur vrombissement en musique.
Cette phase sera accompagnée d’un retrait progressif des forces israéliennes. Ces quarante-deux jours doivent être rythmés par la libération progressive de 33 otages, en échange de prisonniers et prisonnières palestinien·nes. Pour chaque femme ou enfant libéré par le Hamas, Israël libérera 30 femmes et enfants palestinien·nes, conformément aux listes fournies par le Hamas. Pour chaque adulte libéré, Israël libérera 30 prisonniers malades ou ayant des peines inférieures à quinze ans.
Pour le Hamas, ce cessez-le-feu sonne comme une victoire symbolique.
Les habitant·es déplacé·es de Gaza pourront progressivement retourner dans leurs foyers à partir du septième jour. Dès le premier jour, l’aide humanitaire sera augmentée : entrée de 600 camions par jour, y compris du carburant et des équipements essentiels pour la reconstruction et les services hospitaliers.
La phase 2, plus incertaine, prévoit un cessez-le-feu permanent, la libération des otages restants et le retrait complet des forces israéliennes.
Enfin, la phase 3 énonce des grands principes de la reconstruction de Gaza, sur une période de trois à cinq ans, supervisée par l’ONU, le Qatar et l’Égypte.
Pour le Hamas, ce cessez-le-feu sonne comme une victoire symbolique. Cependant, il ne peut occulter l’ampleur des souffrances endurées par les Gazaoui·es depuis quinze mois : des dizaines de milliers de personnes mortes et blessées, et la destruction de plus de 70 % de l’enclave.
L’équation régionale a changé
L’équation régionale a considérablement évolué depuis le 7 octobre 2023. C’est elle qui sera déterminante pour l’avenir. Les armes servent en effet à modifier un rapport de force sur le terrain afin de préparer une négociation politique – à laquelle elles ne peuvent en aucun cas se substituer. Or, la question politique posée par les Palestinien·nes à Israël est celle de leur autodétermination, et donc de la création d’un État palestinien. Sans cela, ni les une·s ni les autres ne pourront vivre en paix dans la région. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Un paradoxe émerge : alors que Donald Trump s’est entouré de personnalités notoirement pro-israéliennes et favorables à la ligne politique défendue par Nétanyahou, donc soutenant une politique annexionniste, ce sont elles qui assument aujourd’hui la responsabilité politique de ce cessez-le-feu.
Pendant de longs mois, le monde a observé avec un mélange de stupeur et de dégoût l’impuissance de l’administration Biden sur ce dossier, ce qui a suscité de nombreuses interrogations sur l’existence réelle de leviers américains sur Israël. La leçon tirée de la séquence actuelle, ou du moins du récit qui en est fait, est que tout repose sur la volonté politique. Dans ce cas précis, Trump capitalise sur son style politique direct et brutal.
Steve Witkoff, juif et partisan notoire du Likoud (le parti de Benyamin Nétanyahou), désigné pour être l’envoyé spécial de Trump au Proche-Orient, est arrivé samedi 11 janvier à Jérusalem. Le premier ministre lui a fait savoir qu’il le recevrait après shabbat, mais Witkoff a répondu qu’il n’attendrait pas. Nétanyahou a donc cédé et s’est déplacé, démontrant qu’il ne souhaitait pas risquer de se brouiller avec le locataire de la Maison-Blanche. Rappelons que Trump avait très mal vécu, après la tentative avortée de la prise du Capitole, les félicitations adressées par Nétanyahou à Joe Biden, qu’il avait perçues comme un manque de loyauté.
L’effet Trump, l’enjeu iranien
Les leviers américains existent donc bel et bien. Mais lesquels ont été actionnés pour obtenir un cessez-le-feu quasi identique à celui proposé au printemps dernier ? Nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses. Il est toutefois probable que Trump a usé, par l’intermédiaire de Witkoff, de la carotte et du bâton.
Le bâton, en l’occurrence, repose sur l’aide militaire colossale des États-Unis, qui s’élève à 3,8 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutent des enveloppes exceptionnelles pour couvrir les coûts de la guerre et l’achat de munitions, principalement américaines.
La carotte, quant à elle, réside dans la stratégie états-unienne à l’égard de l’Iran. Si Nétanyahou peut se vanter d’avoir affaibli le Hamas et le Hezbollah, ainsi que d’avoir précipité la chute de Bachar al-Assad, une épine – de taille – reste dans son pied : la possibilité, ou même la probabilité d’un Iran nucléaire. Pour détruire militairement le programme nucléaire iranien, Israël a besoin du soutien actif des États-Unis. Est-ce un sujet qui a été discuté lors de ces négociations ?
Rien n’indique, pourtant, que Trump soit favorable à une telle éventualité.
Le futur locataire de la Maison-Blanche n’a pas digéré que Barack Obama ait obtenu le prix Nobel de la paix en 2009, alors que lui-même avait été l’architecte des accords d’Abraham, ces accords de normalisation entre les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Maroc et Israël. Il avait déjà cherché à capitaliser à l’international en se présentant comme l’homme mettant fin au conflit israélo-palestinien, notamment avec sa tentative de « deal du siècle », menée sous l’égide de Jared Kushner.
Pour son deuxième mandat, il a clairement annoncé vouloir mettre fin à deux guerres : la guerre russo-ukrainienne et celle au Proche-Orient. Et ce, avant même son investiture, prévue pour le 20 janvier.
L’idée a été lancée de l’organisation d’une conférence à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, sur la création d’un État palestinien.
Cela s’inscrit dans une mise en scène presque « magique » du triomphe de la volonté politique de Trump. Pour lui, la perspective d’un prix Nobel de la paix semble décisive, et la question de la normalisation avec l’Arabie saoudite devient alors centrale. Tous les regards se tournent donc vers Riyad : que pourrait négocier l’Arabie saoudite en échange d’une normalisation avec Israël sous l’égide américaine ?
Dans cette séquence diplomatique, la France pourrait avoir un rôle à jouer. À la suite de la visite d’État du président Macron à Riyad, l’idée a été lancée de l’organisation d’une conférence à New York, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, sur la création d’un État palestinien. Cet événement est prévu pour juin prochain.
Une résolution du conflit ne pourrait qu’arranger Mohammed ben Salmane (MBS), dans le cadre de son projet Vision 2030. La perspective de reconstruire Gaza et, pourquoi pas, d’en faire une sorte de nouveau Dubaï sur la Méditerranée, à condition d’obtenir de solides garanties (notamment celle de la création d’un État palestinien), permettrait également à MBS de s’assurer le soutien de la jeunesse saoudienne, profondément émue par les souffrances des Gazaoui·es diffusées sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Ce scénario – pour l’instant relevant de l’utopie – suppose de grandes concessions de la part d’Israël. Reste à savoir si un Iran non nucléaire peut être échangé contre la création d’un État palestinien ou, à tout le moins, un retour à l’esprit des accords d’Oslo.
mise en ligne le 16 janvier 2025
Cédric Clérin sur www.humanite.fr
On n’osait plus y croire. Après 465 jours de martyre, les Gazaouis peuvent enfin entrevoir une lueur d’espoir. Un accord de cessez-le-feu comprenant un échange d’otages et de prisonniers a été trouvé entre Israël et le Hamas avec le concours des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte.
Il aura donc fallu attendre que son ami Donald Trump soit sur le point d’entrer en fonction pour que Benyamin Netanyahou finisse par accepter d’arrêter une guerre qui a depuis longtemps pour seule conséquence de ruiner la vie des Gazaouis et pour seul but de tenter d’anéantir la perspective d’un État palestinien viable.
La nouvelle est excellente, mais elle montre également en creux que de longs mois ont été perdus et que la pression américaine aurait pu depuis longtemps cesser l’ignominie de se commettre sous les yeux du monde. S’il s’agit d’être prudent – l’accord de cessez-le-feu ne signifie pas encore la certitude de la fin de la guerre –, on ne peut s’empêcher à la fois de mesurer l’ampleur du désastre et d’enfin regarder l’avenir.
Le bilan depuis le 7 octobre 2023 est absolument terrifiant. Une société israélienne meurtrie par les attaques terroristes du Hamas et replongée dans une peur dont le tragique de l’histoire a bien souvent accablé les juifs. Une population gazaouie décimée, où les morts sont estimés entre 40 000 et 70 000, soit près de 3 % de la population. L’équivalent de 2 millions de morts à l’échelle de la France. Le territoire est détruit, et les conditions de vie des survivants sont effroyables. Le retour d’une aide humanitaire massive est l’enjeu immédiat pour des centaines de milliers de personnes.
Cette tragédie a dépassé les frontières si disputées des territoires palestiniens. Du Liban à la Syrie en passant par l’Iran, les répliques du 7 octobre ont bouleversé la région. Elles ont également profondément ébranlé les capitales occidentales et mis au jour la lâcheté de nombre de dirigeants devant ce drame. Il faudra tirer les enseignements de ces quinze mois en enfer. Il faudra aussi très vite se projeter dans l’après pour permettre enfin aux Palestiniens et aux Israéliens de vivre ensemble côte à côte. Pour l’heure, ce sont les cris de joie à Gaza qui vont remplacer le bruit des bombes. C’est une part d’humanité qui renaît.
par Catherine Tricot sur www.regards.fr
Enfin les armes vont se taire à Gaza. L’accord de cessez-le-feu négocié et prêt depuis le mois de mai va enfin voir le jour : Benjamin Netanyahou qui le refusait y est aujourd’hui contraint. Que de temps perdu, de morts, de souffrances et de destructions auraient pu être évités.
Aujourd’hui, c’est le moment du soulagement, de la joie pour les familles des 33 otages israéliens kidnappés le 7 octobre 2023. Ils vont enfin être libérés, à raison de quatre par jour. Qui sont-ils ? On ne sait pas qui vit encore. Comment vont-ils ? Ils vont avoir besoin de l’amour des leurs pour revivre.
Ce sera la fête dans les familles palestiniennes qui vont revoir leurs proches, 1000 d’entre eux vont sortir des terribles geôles israéliennes où se pratiquent la torture et les pires sévices. On rêve que Marwane Barghouti soit des leurs. Sans trop y croire, tant il incarne un ultime espoir politique pour les Palestiniens.
Pour les Gazaouis ce sera le répit et les larmes devant le désastre de leur pays dévasté, systématiquement pour que la vie soit impossible. Ils vont compter leurs morts (64 000 officiellement), leurs blessés à jamais.
Ce cessez-le-feu est annoncé pour 42 jours. C’est déjà un déchirement : la guerre ne peut pas reprendre. C’est insensé : peut-on retuer les morts, détruire un pays en ruine ? Le cessez-le-feu doit devenir un accord de paix.
Dans les prochains jours, l’aide humanitaire est attendue dans la bande de Gaza où elle a été empêchée par l’armée et le pouvoir d’extrême droite israélien. La fluidité de l’accès aux humanitaires sera un des tout premiers enjeux.
Et déjà la suite, celle des prochains jours et celle du plus long terme, est dans toutes les têtes.
Il va falloir assurer l’effectivité de l’arrêt des combats. Il s’en est vu tant et tant des trêves et des cessez-le-feu qui ne sont pas respectés. Aujourd’hui encore les bombes tombent sur Gaza.
Le plus dur est à venir : inventer le futur des Palestiniens qui passe par l’avènement d’un État palestinien vivable et la vie commune des deux peuples, israélien et palestinien.
Les organisations palestiniennes cherchent à construire une unité politique : il y va de leur participation et de leur poids dans les plans qui vont s’échafauder sur leur devenir. La très faible Autorité palestinienne va composer avec le Hamas qui, bien sûr, n’a pas été éradiqué par les armes. Qui pouvait le croire ?
Pourtant, le gouvernement Israélien et les forces politiques palestiniennes ne vont pas négocier entre eux. Affaibli par les conflits et leur discrédit, Palestiniens et Israéliens sont relégués dans le vestibule des discussions qui vont s’ouvrir. La résonance du conflit dans les opinions publiques – notamment parmi les jeunes – en fait un enjeu politique mondial. Mais aussi d’équilibre régional.
Un nouveau Moyen-Orient va se négocier entre puissances.
L’arrivée dès ce lundi de l’administration Trump s’accompagnera de plans favorables à Israël et ses visées expansionnistes, ainsi qu’au business, évidemment.
Le devenir du Liban, convoité et en danger, est en jeu.
La récente chute du pouvoir Syrien et ses effets en chaine sur la région pèsera dans le redessin. Autour de la table prendront place les pays du golfe qui ont accru leur influence, notamment le Qatar. L’Arabie Saoudite ne laissera pas la solution s’élaborer sans elle. Il y aura aussi la présence ou l’ombre portée de l’Égypte, l’Iran, la Turquie. Tous se pousseront des coudes.
Le sujet principal des discussions ne sera pas l’établissement de la paix reposant sur les intérêts des Palestiniens et des Israéliens. Ils seront instrumentalisés pour d’autres considérations, celles de la stabilité, de la redéfinition des zones d’influence, de la recherche de belles affaires économiques.
Beau travail.
mise en ligne le 14 janvier 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Le récent raid israélien contre l’hôpital Kamal-Adwan, dans le nord du territoire palestinien, et l’arrestation de son directeur ont rappelé à quel point les structures de santé sont en danger, et combien sont visés les soignants. Mediapart s’est entretenu avec deux d’entre eux.
L’image appartient désormais aux représentations iconiques et elle restera le symbole de la destruction des infrastructures de santé par l’armée israélienne dans la bande de Gaza et du courage des soignant·es de l’enclave palestinienne, dédié·es à leur tâche jusqu’au bout : un homme vu de dos, vêtu d’une blouse blanche qui lui bat les flancs, se dirige vers un char israélien tapi au milieu des ruines. Tout est détruit et immobile, tout est marron et gris, ferraille et morceaux de béton, sauf la blouse blanche en mouvement.
Cette image est la dernière du docteur Hossam Abou Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, avant son arrestation par l’armée israélienne, puis sa disparition, le 27 décembre 2024. L’établissement a été brûlé par les soldats, le personnel et les patient·es arrêté·es après des semaines d’attaques incessantes, alors que le nord de la bande de Gaza est soumis à un siège draconien depuis début octobre 2024 et que les populations sont poussées à quitter la zone.
Après avoir nié détenir le médecin, les autorités de Tel-Aviv ont reconnu le maintenir incommunicado. Le 9 janvier, un tribunal militaire d’Ashkelon a annoncé prolonger son emprisonnement sans inculpation jusqu’au 13 février. La veille, l’organisation de défense des droits humains Al-Mezan, qui représente la famille du médecin, a indiqué qu’interdiction était faite à son avocat de lui rendre visite jusqu’au 22 janvier.
Son sort est donc inconnu, mais des témoignages inquiétants, de la part de Palestiniens libérés ces derniers jours du centre de détention de Sde Teiman, font état de la présence du docteur Hossam Abou Safiya en ce lieu, connu pour ses pratiques systématiques de la torture, et de mauvais traitements qu’il aurait subis dès son arrestation.
Lundi 13 janvier, sa famille a été informée qu’il avait été transféré à la prison d’Ofer, connue elle aussi pour les tortures qui y sont infligées aux détenus palestiniens.
Une campagne internationale de soutien exigeant la libération immédiate de Hossam Abou Safiya a été lancée, reprise aux quatre coins du monde, notamment dans le monde médical. Le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiyeh fait florès sur les réseaux sociaux. Aux États-Unis, un groupement de soignant·es intitulé Doctors Against Genocide a lancé une pétition, alors que la plus grande association de pédiatres du pays a interpellé le secrétaire d’État Antony Blinken. En France, un collectif de soignant·es du CHU de Toulouse relaie les appels pour sa libération. Ce ne sont là que quelques exemples, le mouvement est devenu viral.
L’effondrement du système de santé
Le pédiatre, particulièrement depuis le début du siège du nord de la bande de Gaza, incarne à la fois la résistance aux attaques israéliennes contre les infrastructures médicales, la mauvaise conscience d’une communauté internationale incapable de protéger soignant·es et patient·es, et pour beaucoup un héros. Plusieurs fois par semaine, il diffusait des vidéos pour alerter sur la catastrophe et communiquait avec les journalistes étrangers. Il témoignait ainsi dans Mediapart de l’horreur en cours.
Il a aussi payé cher, à titre personnel : un de ses fils a été tué en octobre 2024 par une attaque de drone dans l’enceinte de l’hôpital Kamal-Adwan. Et lui-même a été blessé un mois plus tard.
L’armée israélienne a justifié les assauts puis la destruction de l’hôpital par son argument habituel : comme les autres établissements hospitaliers attaqués, Kamal-Adwan était en fait un centre de commandement du Hamas. D’ailleurs, a-t-elle annoncé, elle a arrêté pas moins de 240 membres du mouvement islamiste en « vidant » l’hôpital.
Le docteur Hossam Abou Safiya serait un « agent terroriste » d’un « rang élevé ».
« Je le connais bien, il n’a rien à voir avec le Hamas, assure Mkhaimar Abou Saada, professeur de science politique, aujourd’hui réfugié aux États-Unis. Mais il s’exprimait, alertait, prenait le monde à témoin. Il gênait les Israéliens. »
Plus diplomatiquement, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 3 janvier, le haut-commissaire aux droits humains, Volker Türk, a répondu aux allégations israéliennes.
« Dans la plupart des cas, Israël affirme que les hôpitaux sont utilisés de manière abusive à des fins militaires par des groupes armés palestiniens. Je viens d’ailleurs de recevoir une lettre de l’ambassadeur d’Israël affirmant que l’hôpital Kamal-Adwan a été militarisé par le Hamas et que les forces israéliennes ont pris des mesures extraordinaires pour protéger la vie des civils en s’appuyant sur des renseignements crédibles, explique le diplomate. Cependant, Israël n’a pas fourni d’informations suffisantes pour étayer bon nombre de ces affirmations, qui sont souvent vagues et générales. Dans certains cas, elles semblent contredire les informations publiquement disponibles. »
Un rapport du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) publié le 31 décembre pointe les attaques contre les hôpitaux entre le 7 octobre 2023 et le 30 juin 2024 et l’effondrement presque total du système de santé de l’enclave palestinienne qui en résulte.
Pour les Israéliens, que vous soyez un soignant ne change rien. Nous sommes visés comme tout le reste de la population. Dr Mohamed Abou Moughaisib (MSF)
« Nous ne comptons plus les patients qui décèdent de maladies ordinaires, car ces décès-là ne sont simplement pas enregistrés, affirme le docteur Mohamed Abou Moughaisib, coordinateur médical de Médecins sans frontières (MSF) dans le sud et le centre de la bande de Gaza. Mais des nouveau-nés meurent d’hypothermie ! Parce qu’il n’y a pas de vêtements chauds, pas de couvertures, les gens ont fui sans rien prendre, en pensant qu’ils quittaient leurs maisons pour quelques jours. »
L’armée israélienne a mené plus de 136 raids aériens sur 27 hôpitaux pendant la période étudiée par le rapport du HCDH. Autrement dit, l’aviation de l’État hébreu a massivement bombardé des infrastructures de santé protégées par le droit international humanitaire. Sur les 38 hôpitaux, 22 ne sont plus en état de fonctionner, plus de 1 150 soignant·es ont été tué·es lors des raids israéliens, des centaines arrêté·es.
« Hossam Abou Safiya n’est pas le premier soignant à être arrêté par les Israéliens, mais il représente quelque chose de particulier : c’est un pédiatre renommé, un professionnel très respecté. Avant la guerre, tout le monde voulait que son enfant soit soigné par le docteur Abou Safiya, explique le docteur Mohamed Abou Moughaisib. Et il aurait pu quitter Gaza, car il a un passeport russe, mais il a refusé. Il est resté pour diriger Kamal-Adwan et apporter des soins à la population. »
Tout·e soignant·e, à Gaza, a en tête le sort du directeur du service orthopédique de l’hôpital Al-Shifa, Adnan al-Bourch, mort sous la torture à Sde Teiman en avril 2024.
« C’est la quatrième fois »
« Pour les Israéliens, que vous soyez un soignant ne change rien, affirme Mohamed Abou Moughaisib. Nous sommes visés comme tout le reste de la population, et traités de la même façon quand nous sommes arrêtés. Les témoignages que nous avons recueillis de collègues détenus puis relâchés vont tous dans ce sens-là : en prison, tout le monde est torturé. Tout le monde. Sans exception. »
« Il semble que ces tortures visent à obtenir des informations sur les otages, car les Israéliens pensent que certains ont été soignés dans certains hôpitaux, explique Mkhaimar Abou Saada. Mais ça ne justifie en rien ces traitements dégradants, ni la destruction des infrastructures médicales. »
Adnan al-Bourch, chirurgien réputé, officiait à l’hôpital Al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza, quand il a été arrêté, car Al-Shifa avait été largement détruit par les raids israéliens.
Le docteur Mohamed Selha dirige aujourd’hui cet établissement, le dernier à pouvoir assurer des soins dans le nord de la bande de Gaza, complètement coupé du reste du territoire palestinien, après la destruction de Kamal-Adwan et la mise hors service de l’hôpital indonésien. Mediapart s’est longuement entretenu avec lui par téléphone le 8 janvier.
Ce jour-là, une fois de plus, les chars et les snipers israéliens se sont positionnés autour de l’établissement, interdisant toute sortie et toute entrée. Un siège toujours en cours. « C’est la quatrième fois, racontait le médecin. La première fois, en novembre 2023, les Israéliens ont détruit deux départements de patients, tués trois de nos médecins, et blessé trois autres. En décembre 2023, un sniper a tiré sur un infirmier et deux aides-soignants, les trois sont morts. En octobre 2024, notre chirurgien orthopédiste Mohamed Abed a été arrêté alors qu’il opérait à Kamal-Adwan, à quelques centaines de mètres. Nous ne savons rien de lui. »
L’objectif des Israéliens est de vider le nord de la bande de Gaza de ses habitants. Mohamed Selha, directeur de l’hôpital Al-Awda
L’établissement comptait 100 lits avant la guerre. Sa capacité a été réduite à 50. « Récemment, nous avons réussi à en ouvrir huit de plus », nous a déclaré avec fierté le docteur Mohamed Selha. Pour le reste, c’est le grand dénuement : « Nous avons 11 médecins, mais un seul chirurgien général, et un seul gynécologue, et 29 infirmiers. Sur nos 58 patients, 56 présentent des blessures qui nécessiteraient des actes orthopédiques, des explorations abdominales, des opérations chirurgicales. Les deux autres sont des femmes qui viennent d’accoucher. »
Depuis le début du siège, tous les patients et patientes ont été déplacé·es dans les couloirs et des pièces sans fenêtre. « Sinon, c’est trop dangereux, il y a des snipers », reprend Mohamed Selha, qui ajoute que l’hôpital n’a plus de vitres ni de portes, « ce qui pose un problème en plein hiver, il fait très froid et il pleut ».
Depuis la destruction de l’hôpital Kamal-Adwan, les conditions sont encore plus difficiles : « Nous n’avons pas d’unité d’oxygène, et c’est Kamal-Adwan qui nous fournissait ce service. Du coup, on est obligé de pomper manuellement l’oxygène, explique Mohamed Selha. On référait aussi les cas nécessitant des soins intensifs, car nous ne sommes pas équipés. Et les prématurés. Nous n’avons pas d’incubateurs. »
Le directeur fait tourner un générateur de midi à 15 heures, pour stériliser le matériel, effectuer des opérations indispensables, faire fonctionner la pompe du puits. Avant le siège, les habitant·es encore présent·es autour de l’hôpital venaient recharger leurs téléphones portables et chercher de l’eau. « J’aurais besoin de 700 litres de carburant par jour pour le générateur, assure Mohamed Selha. Ces 700 litres doivent durer au moins dix jours. »
Tout est restreint. Patient·es, accompagnateurs et personnel reçoivent un repas par jour. « Il y a quelques jours, le CICR a réussi à nous apporter des boîtes de conserve de thon et de bœuf, se réjouit le médecin. C’est formidable, ça faisait deux mois que nous n’en avions pas eu et que nous mangions des haricots et du pain. »
Dans ce terrible huis clos, Mohamed Selha doit encore gérer les tensions dues à la peur, à l’épuisement, à la promiscuité de soixante-trois soignant·es, femmes et hommes, qui travaillent, dorment, mangent ensemble depuis des mois sans quitter l’hôpital, loin de leurs familles.
« J’organise beaucoup d’activités communes, on chante, on danse, on partage nos sentiments, raconte-t-il. J’ai une formation en soutien psychologique et en gestion du stress, et je mets toutes ces techniques en œuvre. Ça nous permet de continuer à travailler. »
Travailler fait tenir. Soigner permet de rester debout. « Nous sommes logés à la même enseigne que tout le monde, nous subissons les bombardements des bateaux, des avions, les tirs des quadricoptères vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, explique Mohamed Abou Moughaisib. L’autre jour, j’en ai vu un tirer sur un enfant aveugle qui marchait dans la rue ! Alors pour beaucoup d’entre nous, faire notre travail de soignants nous distrait de tout ça. »
« Nous serons peut-être les prochains à être tous arrêtés, et Al-Awda détruit, reconnaissait au téléphone le docteur Mohamed Selha. Car l’objectif des Israéliens est de vider le nord de la bande de Gaza de ses habitants. Et les gens nous le disent : s’il n’y a plus d’hôpitaux, ils partiront. »
mise en ligne le 13 janvier 2025
Pauline Bock sur www.politis.fr
Certains médias ont préféré s’émouvoir du sort des villas des vedettes plutôt que parler des personnes plus vulnérables ou d’écologie. Première chronique en partenariat avec le site Arrêt sur images.
Des incendies d’une ampleur gigantesque dévastent la région de Los Angeles aux États-Unis. Vingt-quatre morts, 130 000 personnes évacuées, plus de 9 000 bâtiments et maisons détruits par des feux dévorants, portés par des vents extrêmement puissants, et un foyer d’incendie plus important que la superficie totale de Paris : c’est la pire catastrophe naturelle de l’histoire de la ville.
De nombreux habitant·es de Los Angeles ont tout perdu. On peut lire, dans Le Monde, le témoignage de voisins qui ont vu tout leur quartier brûler ; d’un couple à la retraite qui a fui avec sa chèvre pour seule possession. Des Français expatriés dans la Cité des anges témoignent également, par exemple sur BFMTV : eux aussi ont vu leur maison partir en flammes.
Les stars font partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles.
Mais ce n’est pas sur ces gens que se focalise une partie de la couverture médiatique française de la catastrophe. C’est, bien sûr, sur les paillettes de Hollywood et les répercussions de l’incendie sur les stars françaises. « Patrick Bruel annonce que sa maison est ‘partie en fumée’ » (BFMTV) ; « ‘Je suis dévastée’ : la villa de Laeticia Hallyday détruite par les flammes à Los Angeles » (Le Parisien) ; « Le ‘cœur brisé’, Paris Hilton a vu en direct ‘sa maison brûler à la télévision’ » (TF1) ; « ‘On a tout perdu’ : Laeticia Hallyday pleure la destruction de sa maison dans l’incendie de Los Angeles » (BFMTV, encore) ; « Tom Hanks, Anthony Hopkins, Ben Affleck… ces stars d’Hollywood évacuées ou dont la maison a brûlé à cause des incendies » (Le Parisien, encore).
Alors, oui : si même les stars de Hollywood sont touchées par la catastrophe climatique – car ces incendies hors normes sont avant tout causés par la crise climatique : c’est la sécheresse extrême qui les a déclenchés –, peut-être qu’elles vont enfin mettre leur influence mondiale au service de la lutte contre le réchauffement. Ou peut-être pas : elles font, après tout, partie des ultra-riches dont le style de vie cause, en grande partie, l’épuisement des ressources naturelles et la production excessive de CO2.
Mais, dans tous les cas, les mettre ainsi en avant comme les grandes victimes de cette catastrophe est trompeur : Laeticia Hallyday n’a pas vraiment « tout perdu ». Patrick Bruel a vu brûler son « autre refuge », ce qui signifie que ça n’est pas son « refuge » principal. Paris Hilton n’est pas la seule à avoir « le cœur brisé », mais tout l’espace médiatique qu’elle occupe ne sera pas dédié aux milliers d’inconnu·es qui n’ont pas la chance d’être né·es héritier·ères et pour qui la perte est bien plus colossale.
Plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday (…) qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es.
D’autant plus qu’il y a quelques mois, des compagnies d’assurances ont modifié les contrats de milliers d’habitant·es de la région de Los Angeles – dont beaucoup de gens à Pacific Palisades, le quartier qui a presque entièrement été détruit par les flammes – pour des questions de risques… d’incendie. Ces gens ont tout perdu et ne toucheront même pas les assurances pour lesquelles ils ont cotisé pendant des années. Et n’ont pas la fortune des stars pour reconstruire leur vie ailleurs.
Cette avalanche de témoignages d’habitant·es désespéré·es d’avoir perdu leur toit, on ne l’a pas autant observée dans les médias quand Mayotte se relevait tant bien que mal du cyclone Chido. La catastrophe était pourtant aussi destructrice, et la population dans une situation bien plus précaire. Mais on ne voit pas Mayotte sur nos écrans de cinéma : plus facile d’émouvoir avec les soucis de Patrick Bruel et Laeticia Hallyday, ou de « Français expatriés » qu’avec ceux de nos concitoyen·nes mahorais·es, apparemment.
C’est le fameux « double traitement médiatique » occidental, celui qui s’illustrait au début de la guerre en Ukraine en 2022 dans les propos d’un journaliste de BFM : « On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime […]. On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie. » Saupoudrez ces « Européens qui sont comme nous » de quelques paillettes hollywoodiennes, et vous obtenez la couverture française des incendies de Los Angeles.
Antoine Portoles sur www.humanite.fr
Tandis que les mégafeux continuaient de ravager le nord et l’ouest de la Cité des anges ce dimanche, la surmédiatisation des pertes matérielles subies par les stars hollywoodiennes fait l’objet de vives critiques. Elle occulte le drame qui se joue pour les plus modestes.
Les habitants de Los Angeles les ont baptisés « Palisades Fire » ou « Eaton Fire », du nom des quartiers partis en fumée : les mégafeux qui se sont déclenchés mardi en Californie continuent de semer la terreur. Selon un dernier bilan des autorités locales, au moins 24 personnes ont perdu la vie dans les incendies. Après une courte accalmie, plusieurs foyers de feu risquent à tout moment de reprendre leur course infernale.
D’Anthony Hopkins à Paris Hilton en passant par Mel Gibson, ou encore Laetitia Hallyday et Patrick Bruel côté français, depuis cinq jours, les médias ont les yeux rivés sur les stars qui ont perdu leur villa dans la Cité des anges. « Dans des quartiers pauvres aussi, tout a brûlé. Il y a presque une forme d’indécence car les millionnaires qui ont quitté leur maison en ont rejoint une autre ; dans les quartiers populaires, les gens ont tout perdu, ils n’ont pas de maison de substitution », a rappelé la climatologue Françoise Vimeux dans l’émission C dans l’air, sur France 5.
Tous exposés, pas tous égaux
Si Pacific Palisades est un quartier du Nord-Ouest qualifié de huppé en raison des nombreuses propriétés de stars qui s’y trouvent, des populations moins aisées y vivent également. Elles n’ont pas eu droit à la même considération. Plus au nord, la localité – frappée de plein fouet – d’Altadena est peuplée par une forte communauté afro-américaine.
Ce quartier populaire a longtemps servi de refuge pour les familles noires qui fuyaient le racisme systémique en Californie. « Contrairement aux pertes matérielles des célébrités à Malibu, la dévastation à Altadena illustre en quoi les incendies aggravent les inégalités », a souligné la Black Entertainment Television (BET).
« L’approche ”people” du désastre invisibilise les plus vulnérables, s’y limiter est indécent. Personnellement, elle me blesse », s’est indigné le climatologue et coauteur du Giec Christophe Cassou sur X. Le scientifique a vécu à Altadena durant son prédoctorat. « Les incendies montrent cependant que l’extrême richesse ne permet pas de se protéger des feux et de leurs impacts rendus plus sévères dus au changement climatique. Face à l’inimaginable, serions-nous finalement tous exposés, égaux ? » questionne-t-il.
Tous exposés, assurément. Mais pas tous égaux. Sur X, un résident a mis le feu aux poudres en sollicitant le contact d’une société de pompiers privée pour protéger sa résidence à Pacific Palisades : « Je paierai n’importe quel montant », a-t-il conclu, avant de supprimer son message. De quoi raviver les critiques à Los Angeles contre ces services privés de lutte contre les incendies à louer. On peut se demander si ces « soldats du feu VIP » se circonscriraient ou non à la seule villa de leur client, abandonnant les plus modestes aux affres de la désolation.
« Jusqu’à maintenant, le patrimoine des riches et leur statut social ont fait que très souvent, ils n’ont pas eu à craindre les conséquences du réchauffement climatique (…). Est-ce que ce qu’il s’est passé va les pousser à être plus militants ? » s’est interrogé l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, ce dimanche, au micro de RTL. Une prise de conscience nécessaire à l’heure où leur mode de vie, fortement émetteur en CO2, est, nous le répètent les scientifiques, une des causes de la crise climatique.
mise en ligne le 13 janvier 2025
Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr
Plus importante multinationale en Outre-mer, le Groupe Bernard Hayot (GBH) profite de sa mainmise sur les secteurs de la grande distribution ou du secteur automobile pour imposer des marges exorbitantes à ses clients. Dans une enquête publiée ce jeudi 9 janvier, Libération dévoile les pratiques frauduleuses du groupe, entre omerta imposée à ses employés et mensonges à ses partenaires commerciaux comme à l’État français.
Le Groupe Bernard Hayot (GBH) est hégémonique en Outre-mer. L’entreprise réalise près de 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires grâce à son contrôle de la grande distribution, de l’agriculture, du secteur automobile ou de l’industrie, tant dans les Antilles, qu’en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, à la Réunion ou à Mayotte.
Des territoires qui ont en commun de subir des situations sociales et économiques fragiles, alors que le niveau de vie des habitants ne suit pas la voracité du groupe industriel tentaculaire – qui a aussi investi l’Amérique du Sud ou la Chine. Les produits alimentaires sont, par exemple, en moyenne 42 % plus chers en Martinique qu’en France métropolitaine, selon les estimations de l’Insee.
« La consigne est de ne divulguer aucun chiffre »
Régulièrement pointée du doigt pour les marges exorbitantes qu’il applique sur ses produits, GBH entretient un mystère absolu sur sa stratégie commerciale et, surtout, sur ce que lui rapporte sa marchandise. « En Outre-mer, très peu d’entreprises déposent leurs comptes », a tenté de justifier le directeur général du groupe, Stéphane Hayot, devant la Commission d’enquête parlementaire sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales, en mai 2023.
Mais alors que quatre citoyens ont saisi le tribunal de commerce de Fort-de-France (Martinique) pour dénoncer ses pratiques, en décembre dernier, et que des révoltes ont eu lieu pour protester contre le coût de la vie, les langues commencent à se délier au sein du groupe. Le journal Libération a ainsi pu consulter plusieurs dizaines de documents internes – « comptes d’exploitation, prix d’achat, marges, taux de rentabilité… » -, divulgués par un cadre de GBH, « plus en adéquation avec les valeurs » de son employeur.
Premier élément à retenir de son témoignage : la direction du groupe maintient bien l’omerta au sein même de sa structure afin d’éviter la moindre fuite. « La consigne est de ne divulguer aucun chiffre à personne, pas même à nos équipes », alerte le témoin s’étant entretenu avec Libération. Une manne d’informations auquel ce dernier a eu accès grâce à son positionnement dans l’entreprise : il fait partie des 170 hauts cadres de GBH, là où la multinationale compte plus de 16 000 employés à travers le monde.
Libération donne l’exemple du secteur automobile. « Sur chaque vente de véhicule de marque Dacia, Renault ou Hyundai, les concessions de GBH réalisent une marge nette comprise entre 18 % et 28 %, soit trois à quatre fois celles pratiquées en métropole, résume le quotidien. En clair, pour un modèle vendu aux alentours de 20 000 euros, une concession peut gagner plus de 5 000 euros net, même après les éventuelles promotions et efforts commerciaux. »
L’impunité et la mainmise de GBH sur le marché sont telle que le groupe peut se permettre de dissimuler le prix des véhicules neufs mis en vente sur son site, sans que cela interpelle de futurs clients. Il en va de même pour leurs partenaires, eux aussi victime de la culture du secret en vigueur dans l’entreprise : « On mentait éhontément aux constructeurs », raconte le cadre de GBH. De fait, les tarifs affichés dans les concessions étaient modifiés en amont des visites commerciales, afin de cacher la marge que réalise le groupe aux constructeurs.
37 % de parts de marché dans le secteur de la grande distribution
Puis, lorsque vient le moment de justifier de telles marges – jusqu’à plus de 45 % plus chères qu’en métropole – pour une voiture, GBH utilise l’excuse du transport de sa marchandise jusqu’aux points de vente. Or, l’octroi de mer et la TVA qui concernent GBH représentent entre 15 % et 20 % du prix de vente final… soit quasiment le même taux de TVA que celui pratiqué en métropole. « En clair, contrairement aux affirmations de la multinationale, les frais d’approche ne permettent pas d’expliquer pourquoi les voitures vendues par ses concessions ultramarines » sont si chères, résume Libération.
Des révélations qui, si elles se concentrent sur le secteur automobile, mettent aussi en lumière l’hégémonie de GBH sur de nombreux secteurs. Par exemple l’alimentaire : environ 37 % des parts de marché dans le secteur de la grande distribution à la Réunion et 45 % des dépenses de consommation courante des ménages réunionnais sont prises en charge par le groupe, qui s’est développé grâce au colonialisme et l’esclavagisme.
Pour rappel, descendant d’une famille de colons arrivés à la Martinique en 1680, héritier d’une fortune opulente bâtie sur l’exploitation de « l’or blanc » – le sucre – par l’esclavage, le béké Bernard Hayot a fait du groupe qu’il a fondé en 1960 une multinationale florissante sur le dos de ses clients. En attendant, pendant que les habitants des Antilles, de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, de la Réunion et de Mayotte peinent à subvenir à leurs besoins, GBH profite de marges qui peuvent atteindre jusqu’à 25 % de son chiffre d’affaires annuel.
mise en ligne le 9 janvier 2025
Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr
Dans la bande de Gaza, 2025 commence comme 2024 s’est terminé : par des massacres. Sous le feu de l’armée israélienne, au moins trois cents personnes sont mortes depuis le 1er janvier. Parallèlement, se déroule au Qatar un nouveau round de négociations pour un cessez-le-feu.
À lire les communiqués du ministère palestinien de la santé, les témoignages, à regarder sur les réseaux sociaux les vidéos postées depuis la bande de Gaza, on est pris de vertige.
Le mardi 7 janvier marque le 459e jour de guerre d’Israël contre la bande de Gaza.
Un an, trois mois et trois jours depuis le début de la guerre d’« éradication du Hamas », selon le but déclaré par Israël après les massacres du 7-Octobre perpétrés par la branche armée du mouvement islamiste et d’autres factions palestiniennes.
45 885 Palestiniens et Palestiniennes tué·es par les avions, les chars, les fusils, les bateaux et les drones israéliens, 109 196 blessé·es, et encore ce ne sont là que les victimes dûment enregistrées par le ministère palestinien de la santé.
Celui-ci indique 31 nouvelles vies supprimées le lundi 6 janvier, 48 le dimanche 5 janvier, 88 le 4 janvier, 59 le 3 janvier, 77 le 2, et 28 le mercredi 1er janvier.
Dimanche 5 janvier, devant les urgences de l’hôpital Al-Aqsa, dans le centre de l’enclave, le journaliste d’Al Jazeera en anglais Hani Mahmoud racontait les funérailles qui se succédaient sans relâche : « Nous pouvions ressentir un sentiment de frustration couplé à la tristesse et à la souffrance, ainsi qu’au fait que l’on permette que cela continue à se produire, un massacre de civils palestiniens dans leurs tentes, leurs camps, devant leurs maisons. »
Le lendemain, Ahmed Barakat, un habitant de Cheikh Radwan, quartier de Gaza-City, témoigne auprès d’Al Jazeera en anglais du bombardement d’un immeuble résidentiel vers une heure du matin, alors que les gens dormaient.
« Les morts sont éparpillés dans les rues. Nous essayons toujours de retrouver nous-mêmes certains de nos proches parce qu’il n’y a pas d’équipes de défense civile ou d’ambulances ici, a-t-il déclaré. Je ne sais pas à quoi m’attendre de plus. Je n’ai plus de mots. »
L’armée israélienne a indiqué, comme à son habitude, avoir visé des « cibles terroristes », selon sa terminologie, lors de ses bombardements sur Jabaliya, Cheikh Radwan, Shoujaya, Al-Bourej, Deir al-Balah, Khan Younès, Rafah, soit l’ensemble du territoire.
Pousser son avantage
Toujours devant l’hôpital Al-Aqsa, le journaliste Hani Mahmoud reprend : « L’armée israélienne justifie ces attaques par le fait qu’elle opérait contre des militants et des membres du Hamas dans toute la bande de Gaza, menant des centaines d’attaques ou de frappes dans toute la bande de Gaza, mais lorsque nous comparons ce récit à ce que nous voyons sur le terrain, l’écart semble se creuser de plus en plus entre ce que disent les déclarations et ce que nous voyons sur le terrain, les femmes et les enfants constituant la grande majorité des victimes. »
Cette violence accrue dans ce que de plus en plus d’historien·nes, de politistes, d’humanitaires et de diplomates s’accordent à qualifier de génocide, peut s’expliquer par la volonté des dirigeants politiques et militaires israéliens de pousser leur avantage.
Les négociations en vue d’un cessez-le-feu permettant un échange de prisonniers – otages encore retenus dans la bande de Gaza contre détenu·es palestinien·nes enfermé·es dans les geôles de l’État hébreu – avaient progressé, affirment des médiateurs, en décembre, tout en indiquant, sous couvert d’anonymat, que Benyamin Nétanyahou avait posé de nouvelles conditions – ce dont il est coutumier.
L’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas […]. Ce qui est totalement illusoire. Agnès Levallois, coordinatrice du « Livre noir de Gaza »
Les discussions indirectes ont finalement repris à Doha, au Qatar, dimanche 5 janvier, sous l’égide des médiateurs qataris, de diplomates canadiens et des alliés états-uniens d’Israël.
Dans ce type de circonstances, qui relèvent autant du bras de fer que de la diplomatie, chaque partie abat ses atouts.
« Quand les négociations reprennent, celui qui est le plus fort veut le montrer pour lâcher le moins possible dans les discussions, explique Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO et coordinatrice de l’ouvrage Le Livre noir de Gaza (Seuil). Nous avons constaté cela à chaque fois. Je suis en outre persuadée que l’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas, c’est-à-dire de lui retirer toute possibilité de jouer un rôle, politique ou militaire. Ce qui est totalement illusoire, mais qui s’inscrit dans la logique israélienne. »
Samedi 4 janvier, le Hamas a diffusé la vidéo d’une captive, Liri Albag, 19 ans, enlevée avec six autres soldates dans la base militaire de Nahal Oz le 7-Octobre. Les images ne sont pas datées, mais elles constituent la première preuve de vie de la jeune femme. Sa famille, qui a demandé à ce qu’elle ne soit pas publiée, a rendu public un communiqué dans lequel elle déclare : « Nous lançons un appel au premier ministre, aux dirigeants mondiaux et à tous les décideurs : il est temps de prendre des décisions comme si vos propres enfants étaient là ! »
Une liste d’otages surgit
Le sort des 97 otages, vivant·es ou mort·es, encore détenu·es reste au cœur des objectifs affichés du gouvernement Nétanyahou, même si beaucoup, dans l’opinion israélienne, lui reprochent de les avoir sacrifiés au profit d’autres buts : l’éradication du Hamas, la poursuite d’une guerre dont la fin est sans cesse reportée et la survie de sa coalition d’extrême droite.
Les factions palestiniennes qui retiennent prisonnières les 63 personnes présumées encore en vie, israéliennes et étrangères (un Népalais et six Thaïlandais), jouent évidemment de cette carte avec cynisme.
Le Hamas a remis une liste de 34 personnes, femmes, enfants et hommes de plus de 50 ans, pouvant être, selon lui, libérées dans le cadre de la première phase d’un accord. Cette liste, a indiqué un responsable du mouvement islamiste, lui a été communiquée par le gouvernement israélien, et ce dirigeant a affirmé dans le même temps avoir besoin d’une semaine de calme relatif pour vérifier qui est encore vivant et qui les détient.
Publiée d’abord par le quotidien de langue arabe à capitaux saoudiens Asharq al-Awsat, la liste a circulé et provoqué émoi et manifestations en Israël, où tout un chacun a en ligne de mire la prochaine investiture de Donald Trump, le 20 janvier.
Le nouveau président des États-Unis s’est fendu en décembre, sur son réseau Truth Social, d’une de ces déclarations tonitruantes dont il est familier : « Si les otages ne sont pas libérés avant le 20 janvier 2025, date à laquelle je prendrai fièrement mes fonctions de président des États-Unis, ce sera l’ENFER À PAYER au Moyen-Orient ! », promesse réitérée ces derniers jours.
« Cela ne veut pas dire qu’il est en faveur d’un règlement politique pour les Palestiniens, mais il veut, en arrivant à la Maison-Blanche, pouvoir dire : “La guerre est terminée”, et le mettre à son actif, reprend Agnès Levallois. Donc l’armée israélienne veut, en quelque sorte, mettre le paquet, au cas où elle devrait relâcher sa pression dans quelques semaines. »
L’état-major de l’État hébreu n’a en tout cas pas à s’inquiéter de manquer de munitions. En dernier cadeau à son allié indéfectible, Joe Biden va demander aux deux chambres états-uniennes d’approuver l’envoi à Tel-Aviv de missiles, obus et autres munitions pour 7,71 milliards d’euros. À deux semaines de la fin de son mandat, le démocrate ne risque pas de perdre son surnom de « Genocide Joe ».
Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr
Trois véhicules du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies, ont été touchés par les tirs de l’armée israélienne, lors d’une mission dans la bande de Gaza, dimanche 5 janvier. Une nouvelle attaque envers une organisation humanitaire, alors que la situation sanitaire ne cesse de s’aggraver au sein de territoires palestiniens toujours sous le feu des bombes.
Les mois s’enchaînent et se ressemblent pour les agences techniques des Nations unies (ONU), dont le rôle de terrain dans la bande de Gaza reste primordial. C’est au tour du Programme alimentaire mondial (PAM) d’accuser, lundi 6 janvier, l’armée israélienne d’avoir mis en péril sa mission humanitaire, essentielle pour une population meurtrie, affamée, assoiffée et en proie aux maladies. L’agence rattachée à l’ONU a alerté sur le fait que des soldats ont tiré, la veille, sur l’un de ses convois dans la bande de Gaza.
Les Nations unies condamnent ainsi « fermement » un nouvel épisode de violence au cours duquel trois véhicules – « clairement » identifiés – ont essuyé des coups de feu de la part des forces israéliennes, près du point de contrôle de Wadi Gaza. Et ce, « alors que le convoi avait reçu toutes les autorisations nécessaires des autorités israéliennes ». Seize balles ont été tirées, selon les témoignages des huit membres du PAM présents à bord des véhicules. Aucun blessé n’est à déplorer.
Les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente »
« Cet événement inacceptable est le dernier exemple en date témoignant de l’environnement de travail complexe et dangereux dans lequel le PAM et d’autres agences opèrent aujourd’hui » à Gaza, où les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente pour permettre la poursuite des opérations humanitaires », a insisté le PAM, qui appelle par ailleurs à ce que toutes les parties respectent le droit humanitaire international et permettent le passage de l’aide humanitaire en 26 pttoute sécurité.
L’armée israélienne a, de son côté, indiqué avoir reçu des informations concernant des tirs ayant visé le convoi du PAM, mais n’a pas souhaité préciser leur origine. « L’incident a été examiné, les procédures opérationnelles ont été clarifiées et les résultats de l’enquête seront analysés », a ainsi déclaré un porte-parole.
Ce n’est pas la première fois que des véhicules de Nation unies sont touchés par des tirs depuis que l’armée israélienne a débuté son entreprise génocidaire au sein des territoires palestiniens. Un employé de l’ONU, de nationalité indienne, avait notamment été tué, en mai 2024, alors qu’il se trouvait dans un véhicule des Nations unies. En août 2024, un premier véhicule du PAM avait déjà été visé par les forces israéliennes. Un incident qui l’avait poussé à suspendre momentanément les mouvements de son personnel dans la bande de Gaza.
De quoi aggraver la situation sur le terrain, où les agences techniques de l’ONU – Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme alimentaire mondial (PAM), Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) – s’avèrent indispensables afin de fournir à la population palestinienne des soins, de la nourriture et de l’eau potable.
Le sort réservé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) reste quant à lui en mémoire. Directement visé par le gouvernement israélien, qui est allé jusqu’à voter en faveur de son interdiction, fin octobre 2024, l’Unrwa a été la cible de l’armée israélienne, comme de soutiens du gouvernement dirigé par le premier ministre Benyamin Netanyahou. Le complexe de l’Unrwa situé à Jérusalem-est a, par exemple, été visé par des jets de pierre récurrents ou par des rassemblements visant à mettre la pression sur l’agence onusienne.
Gael Cérez (Médiacités) sur https://www.mediapart.fr/
Après l’interdiction de son exposition par la municipalité toulousaine, l’ONG Médecins sans frontières dénonce l’intention de la collectivité de cacher la souffrance des Palestiniens et les crimes commis par Israël. Et promet que l’exposition aura bien lieu dans les prochaines semaines.
Toulouse (Haute-Garonne).– Elle devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville, avec un vernissage annoncé le 11 janvier. Comme raconté par Mediapart, la mairie de Toulouse a renoncé à accueillir « We did what we could » (« On a fait ce qu’on a pu »), exposition réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui entend « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit ».
Pour le maire Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains), « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public ». Auprès de notre partenaire Mediacités, la présidente de MSF, Isabelle Defourny, assure de sa détermination à pouvoir exposer ces images à Toulouse dès que possible.
Mediacités : Que montrent ces photos aujourd’hui interdites dans la ville rose ?
Isabelle Defourny : C’est une exposition de photos prises par des photographes palestiniens et par du personnel de Médecins sans frontières dans la bande de Gaza. Elles montrent la réalité de la guerre menée par Israël et la souffrance de la population palestinienne, à travers l’expérience des soignants.
Elles montrent les afflux massifs de blessés dans les hôpitaux, les hôpitaux attaqués, les bombardements, la destruction de la ville, le manque de nourriture, le chaos qui s’installe, la société palestinienne anéantie. C’est un témoignage fort de la réalité de la situation actuelle.
MSF est toujours présent à Gaza, où elle compte 35 personnels internationaux et environ 800 personnels palestiniens. Votre ONG a perdu huit collaborateurs palestiniens depuis le début du conflit. Le titre de l’exposition est-il un hommage à leur mémoire ?
Isabelle Defourny : Le titre de l’exposition signifie « On a fait ce qu’on a pu ». C’est un médecin de Médecins sans frontières qui a écrit cette phrase sur un tableau de service de l’hôpital d’Al-Awda, après avoir reçu un ordre d’évacuation d’Israël. C’était le 20 octobre 2023 dans le nord de la bande de Gaza. Ce médecin s’appelait Mahmoud Abu Nujeila.
« Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. »
Avec d’autres soignants, ils ont décidé de rester parce qu’il y avait beaucoup de malades. Le 21 novembre, il a été tué par l’armée israélienne à la suite d’une frappe sur l’hôpital. Il a écrit cette phrase sur le tableau comme une sorte de testament. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ils ont été tués.
L’exposition a été présentée pour la première fois en octobre au musée mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Quels ont été les retours ?
Isabelle Defourny : L’exposition a eu beaucoup de succès. Il y avait beaucoup de monde à l’inauguration. De tous âges. Il n’y a eu aucun trouble. On sent qu’il y a un intérêt pour comprendre la réalité de ce qui se passe à Gaza. Cette réalité est peu visible, notamment parce qu’il n’y a pas d’accès à des médias étrangers et que, malheureusement, les journalistes palestiniens ne sont pas toujours pris suffisamment au sérieux.
Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. À Gaza, c’est un rôle qui est amplifié par le fait qu’on est parmi les rares témoins internationaux de cette guerre.
L’exposition devait être présentée à l’Espace diversités laïcité, un lieu municipal consacré à la lutte contre les discriminations, dans le cadre du festival Cinéma et droits de l’homme. Comment se sont passés les échanges avec la mairie ?
Isabelle Defourny : La mairie a affirmé à l’AFP qu’elle n’avait pas été informée de cette exposition avant décembre. Ce n’est pas exact. Nous avons envoyé tous les documents à la mairie en octobre. Le 5 novembre, la Mission égalité diversités de la mairie nous a dit qu’ils étaient satisfaits de nous accueillir. Ils ont ajouté qu’il faudrait contacter la police municipale pour mettre en place un protocole de sécurité habituel dans ce cadre d’événements.
Le 21 novembre, ils sont revenus vers nous en disant qu’il allait y avoir un second arbitrage et qu’ils nous tiendraient au courant. Nous nous sommes tournés vers eux régulièrement, mais nous n’avons pas eu de réponse jusqu’à ce qu’on reçoive cette lettre de refus, deux semaines avant le début de l’exposition.
Qui a signé cette lettre ?
Isabelle Defourny : Elle est signée par Fella Allal, conseillère municipale déléguée à la lutte contre les discriminations. Elle nous dit : « Malgré la qualité de notre partenariat, je ne pourrai malheureusement réserver de suite favorable à votre demande. »
Et elle le justifie par la récurrence de certaines manifestations qui sont radicalisées, par la prise de position de certains députés, par la tenue d’opérations inacceptables à Toulouse et en disant que la tenue de l’exposition pose un risque évident de trouble à l’ordre public.
Comment avez‐vous réagi à la lecture de cette lettre ?
Isabelle Defourny : Nous sommes consternés. L’interdiction en elle‐même est hyper choquante. Les raisons évoquées par le maire aussi. Il fait un amalgame entre une exposition présentée par une organisation humanitaire qui donne à voir la réalité de ce qui se passe à Gaza et des manifestations radicalisées, des actes antisémites répréhensibles et des prises de position de députés.
C’est une façon de nous décrédibiliser et de décrédibiliser les personnes qui veulent parler de Gaza. Cela participe aussi à rendre invisibles la souffrance de la population palestinienne et la réalité des crimes extrêmement graves qui y sont commis.
« Il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français. »
Parler de Gaza, dans le cadre d’un festival sur les droits de l’homme, cela semble évident. C’est l’endroit dans le monde où se passent aujourd’hui parmi les crimes les plus graves. C’est attesté par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, avec des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens.
Celles et ceux qui dénoncent la situation à Gaza subissent beaucoup de pression. Estimez‐vous qu’un nouveau cran a été franchi avec l’interdiction de cette exposition ?
Isabelle Defourny : Depuis le début du conflit, il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français, et particulièrement au niveau des chaînes de télévision. Quelques médias continuent à en parler et à permettre qu’on s’exprime sur ce qui se passe à Gaza sans directement être accusé d’antisémitisme ou d’être complètement partial.
C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe. C’est très choquant, mais ce n’est pas non plus complètement une surprise. C’est dans l’ambiance actuelle, malheureusement. Ce que je trouve vraiment terrible, c’est qu’à nouveau on parle d’une situation où la Cour internationale de justice a dit qu’il y avait un risque plausible de génocide, où la Cour pénale internationale lance des mandats d’arrêt pour crime contre l’humanité.
Avez‐vous échangé avec la mairie depuis l’interdiction ?
Isabelle Defourny : Non. Il est possible que le maire de Toulouse ait accès à des informations que nous n’avons pas sur de réels troubles possibles à l’ordre public. Dans ce cas‐là, ils auraient pu nous contacter pour qu’on échange ensemble afin de trouver une solution.
Ne pas avoir eu la moindre discussion avec eux et être informés seulement deux semaines avant l’exposition, cela montre bien le fait qu’il n’y avait pas de volonté de rendre visible cette exposition.
Par contre, nous avons reçu beaucoup de propositions de lieux pour que cette exposition se fasse à Toulouse. Nous sommes bien décidés à la faire dans les prochaines semaines.
mise en ligne le 6 janvier 2025
par Catherine Tricot sur www.regards.fr
Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.
Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.
Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.
Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.
La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.
Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne.
Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.
Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.
L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État.
mise en ligne le 5 janvier 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.
Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.
Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.
Des vœux pieux et beaucoup de non-dits
Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».
Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).
C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».
Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.
Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.
En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.
Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr
500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.
« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.
« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.
Des exactions contre les communautés
Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.
« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.
Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.
« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.
« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.
mise en ligne le 4 janvier 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
Les récentes annonces de rupture des accords de coopération militaire par le Tchad et le Sénégal puis la Côte d'Ivoire ont à nouveau placé la question des relations franco-africaines sur le devant de la scène. Derrière des réalités différentes demeure un enjeu central pour la politique étrangère tricolore : quand va-t-elle se rendre compte que l’ordre néocolonial vacille ?
Lorsque Jean-Noël Barrot s’est envolé de Ndjamena le 28 novembre, le ministre des Affaires étrangères, reconduit dans le gouvernement Bayrou, ressemblait au ravi de la crèche. Satisfait d’avoir évoqué « la crise la plus grave de notre époque », celle du Soudan voisin. À peine avait-il mis le pied dans l’avion que le Tchad annonçait, par la voix de son homologue, Abderaman Koulamallah, la rupture brutale de l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays depuis 1976, alors que près de 1 000 soldats français sont encore stationnés dans un pays stratégique pour la France : « Il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques selon les priorités nationales. »
Le même jour, c’est le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, qui sur France 2 estimait que « la souveraineté (du Sénégal) ne s’accommode pas de la présence de bases militaires ». Des propos réitérés à l’occasion des vœux du 1er janvier, avec « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 ». À Dakar, environ 350 soldats français sont encore cantonnés en plein cœur de la ville. Une présence qui dure depuis… près de cent ans.
Enfin, toujours lors des vœux de nouvelle année, c’est cette fois-ci un allié fidèle – voire un affidé – de Paris qui annonçait la rétrocession de la base française où 1 000 soldats sont stationnés : « Nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire », a déclaré le chef d’État Alassane Ouattara, lui aussi forcé de prendre en compte ce thème devenu majeur pour les jeunesses africaines.
Double revers diplomatique
Ces nouvelles remises en question suivent celles beaucoup plus conflictuelles des trois pays ayant connu des coups d’État militaires depuis 2021 : Mali, puis Burkina Faso, enfin Niger, où les derniers soldats ont plié bagage à la va-vite voici un an. Pour René Lake, politologue et administrateur du site SenePlus, « le double revers diplomatique infligé à la France marque une étape critique dans les relations franco-africaines », mettant l’accent sur « des décisions qui soulignent un rejet grandissant de l’ordre néocolonial par les nations africaines ».
Que s’est-il passé pour que Tchad, Sénégal et aujourd’hui Côte d’Ivoire dénoncent à quelques jours d’intervalle cette présence militaire, en des termes quasiment identiques ? Malgré des discours et des causes similaires, les situations sont très différentes. « Dans des pays comme le Sénégal et le Tchad, cette revendication s’exprime de manière variée, mais elle converge autour de principes communs : autonomie économique, contrôle des ressources nationales et respect des choix politiques locaux », décrypte René Lake.
Ces décisions revêtent toutefois un caractère propre à chaque pays. Au Sénégal, la question des bases militaires françaises avait déjà été soulevée par le président Abdoulaye Wade dès les années 2000. Elle avait été au cœur des préoccupations des Sénégalais lors de l’élection présidentielle de mars dernier, puis les législatives de novembre, remportées par le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).
« Camouflet pour Macron »
Mais il s’agit, bien évidemment, d’un « camouflet pour Macron, qui s’inscrit dans un processus amorcé dès la fin de la guerre froide, en 1989 », analyse Félix Atchadé, médecin et responsable du collectif Afrique du PCF. Selon lui, « Paris, malgré les mutations de l’ordre mondial, parvenait encore à maintenir son influence sur ses anciennes colonies. Aujourd’hui, cet ordre vacille. »
En juin 2024, conscient de ces remises en question, Emmanuel Macron avait annoncé une réduction des effectifs dans tous les pays, Sénégal et Côte d’Ivoire inclus. Il avait pompeusement nommé Jean-Marie Bockel « envoyé personnel en Afrique », avec la charge de remettre un rapport sur le sujet après discussions avec les chefs d’État concernés.
Or la fuite de plusieurs éléments de ce rapport, remis à Emmanuel Macron le 25 novembre, a, semble-t-il, agacé Bassirou Diomaye Faye et ses compatriotes. Car, si Jean-Marie Bockel évoquait un dialogue mené « dans un état d’esprit positif », le même préconisait néanmoins de garder une centaine de soldats à Dakar… de façon unilatérale.
Au Tchad, malgré la véhémence de la première réaction, les enjeux sont en réalité d’ordre diplomatique. Pour le dire en des termes crus, « Barrot a complètement déconné », blâme Guy Labertit, ancien délégué national Afrique du PS et auteur d’Anticolonialement vôtre (Karthala, 2024). D’autant qu’au Tchad – comme ailleurs – Emmanuel Macron « est très attaqué pour avoir adoubé Mahamat Déby », rappelle-t-il.
Allusion à la passation de pouvoir verrouillée par l’héritier d’Idriss Déby, le père, tué en 2021 après trente et un ans d’un pouvoir autocratique appuyé par la France. « Au Tchad, avec Barrot, c’est la Françafrique qui continue, de la façon la plus bête qui soit », déplore Guy Labertit.
Lors de sa visite éclair, Jean-Noël Barrot a exigé la neutralité du Tchad dans la guerre au Soudan voisin, où Mahamat Déby est un soutien des rebelles de Hemetti. Cette rupture « ne concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle », a précisé Mahamat Déby, tandis que son premier ministre, Allamaye Halina, indiquait que la décision « s’inscrit dans une volonté de renforcer la souveraineté nationale et de réévaluer les accords internationaux ». Cela signifie « qu’ils veulent rediscuter », décrypte Guy Labertit.
Les ruptures brutales avec les trois pays dirigés par les militaires et unis dans l’Alliance des États du Sahel (AES), Mali, Burkina Faso et Niger, où la France ne compte même plus d’ambassadeur, semblent avoir servi de leçon. « Finalement, je suis heureux de voir ce qui se passe, car nous avons toujours voulu la fin de la Françafrique », résume Guy Labertit. Le hic est que cela se fait au détriment de ce que pourrait être une véritable politique étrangère, comme l’analyse René Lake : « La question fondamentale est : la France continuera-t-elle de s’accrocher à une posture réactive, dictée par le maintien de ses intérêts stratégiques et économiques, ou bien adoptera-t-elle une approche proactive et transformatrice, axée sur la reconnaissance des aspirations africaines ? » Il serait plus que temps.
Clémentine Eveno sur www.humanite.fr
Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.
Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.
Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».
Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».
« Nous sommes horrifiées et préoccupées »
La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».
Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».
Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.
« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin
Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.
De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.
« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.
De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.
L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.
D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.
Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.
Aucun signe de vie du directeur
Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.
Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.
« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.
Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.
L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.
« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.
Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz
« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.
La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.
Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.
Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »
Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.
Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.
En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.
Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »
Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».
Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.
L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou
Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.
« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».
Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.
Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.
Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?
Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.
Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.
On parle pourtant de négociations…
Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.
Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?
Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.
Que peuvent donc faire les Palestiniens ?
Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.
Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.
Que voulez-vous dire ?
Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique
mise en ligne le 1er janvier 2025
par Roger Martelli sur www.regards.fr
François Bayrou est enfin parvenu à Mayotte. Il en profite pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane.
Tout son temps devrait se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. Il pourrait se dire que, pour bâtir des solutions concrètes, le devoir de l’État est de rassurer et d’apaiser : il choisit au contraire d’attiser les braises.
En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – en enfant né à Mayotte de parent étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne explicitement avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».
« Comme partout sur le territoire national »… Alors que les phénomènes migratoires vont s’amplifier dans les décennies à venir, alors que s’impose à l’échelle planétaire la nécessité d’un traitement concerté et humain, alors qu’il s’agit d’abord d’accueillir et d’insérer, c’est la clôture que le gouvernement met à l’ordre du jour. Que chacun reste chez soi et que l’on préserve un entre-soi garanti par la naissance et la filiation : connaissez-vous plus irresponsable qu’une telle politique ?
Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. Ce faisant, il enferme la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Or, quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. S’il faut avancer, ce n’est pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.
François Bayrou joue un jeu inefficace et dangereux à Mayotte même. Au-delà, il légitime un peu plus la pression exercée par le Rassemblement national. Et il ouvre en grand la boîte de Pandore. Au prétexte des « caractéristiques et contraintes particulières » reconnues aux territoires ultramarins, il enfonce un clou supplémentaire dans la conception historique du droit du sol.