PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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International et outre-mer - 2025

mise en ligne le 9 janvier 2025

Gaza : pour négocier en position de force,
Israël redouble les tueries

Gwenaelle Lenoir sur www.mediapart.fr

Dans la bande de Gaza, 2025 commence comme 2024 s’est terminé : par des massacres. Sous le feu de l’armée israélienne, au moins trois cents personnes sont mortes depuis le 1er janvier. Parallèlement, se déroule au Qatar un nouveau round de négociations pour un cessez-le-feu.

À lire les communiqués du ministère palestinien de la santé, les témoignages, à regarder sur les réseaux sociaux les vidéos postées depuis la bande de Gaza, on est pris de vertige.

Le mardi 7 janvier marque le 459e jour de guerre d’Israël contre la bande de Gaza.

Un an, trois mois et trois jours depuis le début de la guerre d’« éradication du Hamas », selon le but déclaré par Israël après les massacres du 7-Octobre perpétrés par la branche armée du mouvement islamiste et d’autres factions palestiniennes.

45 885 Palestiniens et Palestiniennes tué·es par les avions, les chars, les fusils, les bateaux et les drones israéliens, 109 196 blessé·es, et encore ce ne sont là que les victimes dûment enregistrées par le ministère palestinien de la santé.

Celui-ci indique 31 nouvelles vies supprimées le lundi 6 janvier, 48 le dimanche 5 janvier, 88 le 4 janvier, 59 le 3 janvier, 77 le 2, et 28 le mercredi 1er janvier.

Dimanche 5 janvier, devant les urgences de l’hôpital Al-Aqsa, dans le centre de l’enclave, le journaliste d’Al Jazeera en anglais Hani Mahmoud racontait les funérailles qui se succédaient sans relâche : « Nous pouvions ressentir un sentiment de frustration couplé à la tristesse et à la souffrance, ainsi qu’au fait que l’on permette que cela continue à se produire, un massacre de civils palestiniens dans leurs tentes, leurs camps, devant leurs maisons. » 

Le lendemain, Ahmed Barakat, un habitant de Cheikh Radwan, quartier de Gaza-City, témoigne auprès d’Al Jazeera en anglais du bombardement d’un immeuble résidentiel vers une heure du matin, alors que les gens dormaient.

« Les morts sont éparpillés dans les rues. Nous essayons toujours de retrouver nous-mêmes certains de nos proches parce qu’il n’y a pas d’équipes de défense civile ou d’ambulances ici, a-t-il déclaré. Je ne sais pas à quoi m’attendre de plus. Je n’ai plus de mots. »

L’armée israélienne a indiqué, comme à son habitude, avoir visé des « cibles terroristes », selon sa terminologie, lors de ses bombardements sur Jabaliya, Cheikh Radwan, Shoujaya, Al-Bourej, Deir al-Balah, Khan Younès, Rafah, soit l’ensemble du territoire.

Pousser son avantage

Toujours devant l’hôpital Al-Aqsa, le journaliste Hani Mahmoud reprend : « L’armée israélienne justifie ces attaques par le fait qu’elle opérait contre des militants et des membres du Hamas dans toute la bande de Gaza, menant des centaines d’attaques ou de frappes dans toute la bande de Gaza, mais lorsque nous comparons ce récit à ce que nous voyons sur le terrain, l’écart semble se creuser de plus en plus entre ce que disent les déclarations et ce que nous voyons sur le terrain, les femmes et les enfants constituant la grande majorité des victimes. »

Cette violence accrue dans ce que de plus en plus d’historien·nes, de politistes, d’humanitaires et de diplomates s’accordent à qualifier de génocide, peut s’expliquer par la volonté des dirigeants politiques et militaires israéliens de pousser leur avantage.

Les négociations en vue d’un cessez-le-feu permettant un échange de prisonniers – otages encore retenus dans la bande de Gaza contre détenu·es palestinien·nes enfermé·es dans les geôles de l’État hébreu – avaient progressé, affirment des médiateurs, en décembre, tout en indiquant, sous couvert d’anonymat, que Benyamin Nétanyahou avait posé de nouvelles conditions – ce dont il est coutumier.

L’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas […]. Ce qui est totalement illusoire. Agnès Levallois, coordinatrice du « Livre noir de Gaza »

Les discussions indirectes ont finalement repris à Doha, au Qatar, dimanche 5 janvier, sous l’égide des médiateurs qataris, de diplomates canadiens et des alliés états-uniens d’Israël.

Dans ce type de circonstances, qui relèvent autant du bras de fer que de la diplomatie, chaque partie abat ses atouts.

« Quand les négociations reprennent, celui qui est le plus fort veut le montrer pour lâcher le moins possible dans les discussions, explique Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO et coordinatrice de l’ouvrage Le Livre noir de Gaza (Seuil). Nous avons constaté cela à chaque fois. Je suis en outre persuadée que l’objectif de Nétanyahou est d’obtenir une reddition pure et simple du Hamas, c’est-à-dire de lui retirer toute possibilité de jouer un rôle, politique ou militaire. Ce qui est totalement illusoire, mais qui s’inscrit dans la logique israélienne. »

Samedi 4 janvier, le Hamas a diffusé la vidéo d’une captive, Liri Albag, 19 ans, enlevée avec six autres soldates dans la base militaire de Nahal Oz le 7-Octobre. Les images ne sont pas datées, mais elles constituent la première preuve de vie de la jeune femme. Sa famille, qui a demandé à ce qu’elle ne soit pas publiée, a rendu public un communiqué dans lequel elle déclare : « Nous lançons un appel au premier ministre, aux dirigeants mondiaux et à tous les décideurs : il est temps de prendre des décisions comme si vos propres enfants étaient là ! »

Une liste d’otages surgit

Le sort des 97 otages, vivant·es ou mort·es, encore détenu·es reste au cœur des objectifs affichés du gouvernement Nétanyahou, même si beaucoup, dans l’opinion israélienne, lui reprochent de les avoir sacrifiés au profit d’autres buts : l’éradication du Hamas, la poursuite d’une guerre dont la fin est sans cesse reportée et la survie de sa coalition d’extrême droite.

Les factions palestiniennes qui retiennent prisonnières les 63 personnes présumées encore en vie, israéliennes et étrangères (un Népalais et six Thaïlandais), jouent évidemment de cette carte avec cynisme.

Le Hamas a remis une liste de 34 personnes, femmes, enfants et hommes de plus de 50 ans, pouvant être, selon lui, libérées dans le cadre de la première phase d’un accord. Cette liste, a indiqué un responsable du mouvement islamiste, lui a été communiquée par le gouvernement israélien, et ce dirigeant a affirmé dans le même temps avoir besoin d’une semaine de calme relatif pour vérifier qui est encore vivant et qui les détient.

Publiée d’abord par le quotidien de langue arabe à capitaux saoudiens Asharq al-Awsat, la liste a circulé et provoqué émoi et manifestations en Israël, où tout un chacun a en ligne de mire la prochaine investiture de Donald Trump, le 20 janvier.

Le nouveau président des États-Unis s’est fendu en décembre, sur son réseau Truth Social, d’une de ces déclarations tonitruantes dont il est familier : « Si les otages ne sont pas libérés avant le 20 janvier 2025, date à laquelle je prendrai fièrement mes fonctions de président des États-Unis, ce sera l’ENFER À PAYER au Moyen-Orient ! », promesse réitérée ces derniers jours.

« Cela ne veut pas dire qu’il est en faveur d’un règlement politique pour les Palestiniens, mais il veut, en arrivant à la Maison-Blanche, pouvoir dire : “La guerre est terminée”, et le mettre à son actif, reprend Agnès Levallois. Donc l’armée israélienne veut, en quelque sorte, mettre le paquet, au cas où elle devrait relâcher sa pression dans quelques semaines. »

L’état-major de l’État hébreu n’a en tout cas pas à s’inquiéter de manquer de munitions. En dernier cadeau à son allié indéfectible, Joe Biden va demander aux deux chambres états-uniennes d’approuver l’envoi à Tel-Aviv de missiles, obus et autres munitions pour 7,71 milliards d’euros. À deux semaines de la fin de son mandat, le démocrate ne risque pas de perdre son surnom de « Genocide Joe ».


 


 

Un « événement inacceptable » : à Gaza, un convoi humanitaire de l’ONU de nouveau visé par des tirs de l’armée israélienne

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Trois véhicules du Programme alimentaire mondial (PAM), une agence des Nations unies, ont été touchés par les tirs de l’armée israélienne, lors d’une mission dans la bande de Gaza, dimanche 5 janvier. Une nouvelle attaque envers une organisation humanitaire, alors que la situation sanitaire ne cesse de s’aggraver au sein de territoires palestiniens toujours sous le feu des bombes.

Les mois s’enchaînent et se ressemblent pour les agences techniques des Nations unies (ONU), dont le rôle de terrain dans la bande de Gaza reste primordial. C’est au tour du Programme alimentaire mondial (PAM) d’accuser, lundi 6 janvier, l’armée israélienne d’avoir mis en péril sa mission humanitaire, essentielle pour une population meurtrie, affamée, assoiffée et en proie aux maladies. L’agence rattachée à l’ONU a alerté sur le fait que des soldats ont tiré, la veille, sur l’un de ses convois dans la bande de Gaza.

Les Nations unies condamnent ainsi « fermement » un nouvel épisode de violence au cours duquel trois véhicules – « clairement » identifiés – ont essuyé des coups de feu de la part des forces israéliennes, près du point de contrôle de Wadi Gaza. Et ce, « alors que le convoi avait reçu toutes les autorisations nécessaires des autorités israéliennes ». Seize balles ont été tirées, selon les témoignages des huit membres du PAM présents à bord des véhicules. Aucun blessé n’est à déplorer.

Les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente »

« Cet événement inacceptable est le dernier exemple en date témoignant de l’environnement de travail complexe et dangereux dans lequel le PAM et d’autres agences opèrent aujourd’hui » à Gaza, où les « conditions de sécurité doivent s’améliorer de façon urgente pour permettre la poursuite des opérations humanitaires », a insisté le PAM, qui appelle par ailleurs à ce que toutes les parties respectent le droit humanitaire international et permettent le passage de l’aide humanitaire en 26 pttoute sécurité.

L’armée israélienne a, de son côté, indiqué avoir reçu des informations concernant des tirs ayant visé le convoi du PAM, mais n’a pas souhaité préciser leur origine. « L’incident a été examiné, les procédures opérationnelles ont été clarifiées et les résultats de l’enquête seront analysés », a ainsi déclaré un porte-parole.

Ce n’est pas la première fois que des véhicules de Nation unies sont touchés par des tirs depuis que l’armée israélienne a débuté son entreprise génocidaire au sein des territoires palestiniens. Un employé de l’ONU, de nationalité indienne, avait notamment été tué, en mai 2024, alors qu’il se trouvait dans un véhicule des Nations unies. En août 2024, un premier véhicule du PAM avait déjà été visé par les forces israéliennes. Un incident qui l’avait poussé à suspendre momentanément les mouvements de son personnel dans la bande de Gaza.

De quoi aggraver la situation sur le terrain, où les agences techniques de l’ONU – Organisation mondiale de la santé (OMS), Programme alimentaire mondial (PAM), Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) – s’avèrent indispensables afin de fournir à la population palestinienne des soins, de la nourriture et de l’eau potable.

Le sort réservé à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (Unrwa) reste quant à lui en mémoire. Directement visé par le gouvernement israélien, qui est allé jusqu’à voter en faveur de son interdiction, fin octobre 2024, l’Unrwa a été la cible de l’armée israélienne, comme de soutiens du gouvernement dirigé par le premier ministre Benyamin Netanyahou. Le complexe de l’Unrwa situé à Jérusalem-est a, par exemple, été visé par des jets de pierre récurrents ou par des rassemblements visant à mettre la pression sur l’agence onusienne.


 


 

Exposition sur Gaza annulée à Toulouse :
« C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe »

Gael Cérez (Médiacités) sur https://www.mediapart.fr/

Après l’interdiction de son exposition par la municipalité toulousaine, l’ONG Médecins sans frontières dénonce l’intention de la collectivité de cacher la souffrance des Palestiniens et les crimes commis par Israël. Et promet que l’exposition aura bien lieu dans les prochaines semaines.

Toulouse (Haute-Garonne).– Elle devait se tenir du 6 au 26 janvier dans les locaux de l’Espace diversités laïcité de la ville, avec un vernissage annoncé le 11 janvier. Comme raconté par Mediapart, la mairie de Toulouse a renoncé à accueillir « We did what we could » (« On a fait ce qu’on a pu »), exposition réalisée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui entend « raconter le siège, les bombardements et l’horreur du quotidien à Gaza à travers l’expérience de ses soignants, en première ligne du conflit »

Pour le maire Jean-Luc Moudenc (ex-Les Républicains), « sa tenue pose un risque évident de trouble à l’ordre public ». Auprès de notre partenaire Mediacités, la présidente de MSF, Isabelle Defourny, assure de sa détermination à pouvoir exposer ces images à Toulouse dès que possible.

Mediacités : Que montrent ces photos aujourd’hui interdites dans la ville rose ? 

Isabelle Defourny : C’est une exposition de photos prises par des photographes palestiniens et par du personnel de Médecins sans frontières dans la bande de Gaza. Elles montrent la réalité de la guerre menée par Israël et la souffrance de la population palestinienne, à travers l’expérience des soignants.

Elles montrent les afflux massifs de blessés dans les hôpitaux, les hôpitaux attaqués, les bombardements, la destruction de la ville, le manque de nourriture, le chaos qui s’installe, la société palestinienne anéantie. C’est un témoignage fort de la réalité de la situation actuelle.

MSF est toujours présent à Gaza, où elle compte 35 personnels internationaux et environ 800 personnels palestiniens. Votre ONG a perdu huit collaborateurs palestiniens depuis le début du conflit. Le titre de l’exposition est-il un hommage à leur mémoire ? 

Isabelle Defourny : Le titre de l’exposition signifie « On a fait ce qu’on a pu ». C’est un médecin de Médecins sans frontières qui a écrit cette phrase sur un tableau de service de l’hôpital d’Al-Awda, après avoir reçu un ordre d’évacuation d’Israël. C’était le 20 octobre 2023 dans le nord de la bande de Gaza. Ce médecin s’appelait Mahmoud Abu Nujeila.

« Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. »

Avec d’autres soignants, ils ont décidé de rester parce qu’il y avait beaucoup de malades. Le 21 novembre, il a été tué par l’armée israélienne à la suite d’une frappe sur l’hôpital. Il a écrit cette phrase sur le tableau comme une sorte de testament. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ils ont été tués.

L’exposition a été présentée pour la première fois en octobre au musée mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Quels ont été les retours ?

Isabelle Defourny : L’exposition a eu beaucoup de succès. Il y avait beaucoup de monde à l’inauguration. De tous âges. Il n’y a eu aucun trouble. On sent qu’il y a un intérêt pour comprendre la réalité de ce qui se passe à Gaza. Cette réalité est peu visible, notamment parce qu’il n’y a pas d’accès à des médias étrangers et que, malheureusement, les journalistes palestiniens ne sont pas toujours pris suffisamment au sérieux.

Nous nous retrouvons, en tant qu’acteurs humanitaires, dans un rôle de témoins. À Gaza, c’est un rôle qui est amplifié par le fait qu’on est parmi les rares témoins internationaux de cette guerre.

L’exposition devait être présentée à l’Espace diversités laïcité, un lieu municipal consacré à la lutte contre les discriminations, dans le cadre du festival Cinéma et droits de l’homme. Comment se sont passés les échanges avec la mairie ?

Isabelle Defourny : La mairie a affirmé à l’AFP qu’elle n’avait pas été informée de cette exposition avant décembre. Ce n’est pas exact. Nous avons envoyé tous les documents à la mairie en octobre. Le 5 novembre, la Mission égalité diversités de la mairie nous a dit qu’ils étaient satisfaits de nous accueillir. Ils ont ajouté qu’il faudrait contacter la police municipale pour mettre en place un protocole de sécurité habituel dans ce cadre d’événements.

Le 21 novembre, ils sont revenus vers nous en disant qu’il allait y avoir un second arbitrage et qu’ils nous tiendraient au courant. Nous nous sommes tournés vers eux régulièrement, mais nous n’avons pas eu de réponse jusqu’à ce qu’on reçoive cette lettre de refus, deux semaines avant le début de l’exposition.

Qui a signé cette lettre ?

Isabelle Defourny : Elle est signée par Fella Allal, conseillère municipale déléguée à la lutte contre les discriminations. Elle nous dit : « Malgré la qualité de notre partenariat, je ne pourrai malheureusement réserver de suite favorable à votre demande. »

Et elle le justifie par la récurrence de certaines manifestations qui sont radicalisées, par la prise de position de certains députés, par la tenue d’opérations inacceptables à Toulouse et en disant que la tenue de l’exposition pose un risque évident de trouble à l’ordre public.

Comment avez‐vous réagi à la lecture de cette lettre ?

Isabelle Defourny : Nous sommes consternés. L’interdiction en elle‐même est hyper choquante. Les raisons évoquées par le maire aussi. Il fait un amalgame entre une exposition présentée par une organisation humanitaire qui donne à voir la réalité de ce qui se passe à Gaza et des manifestations radicalisées, des actes antisémites répréhensibles et des prises de position de députés.

C’est une façon de nous décrédibiliser et de décrédibiliser les personnes qui veulent parler de Gaza. Cela participe aussi à rendre invisibles la souffrance de la population palestinienne et la réalité des crimes extrêmement graves qui y sont commis.

« Il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français. »

Parler de Gaza, dans le cadre d’un festival sur les droits de l’homme, cela semble évident. C’est l’endroit dans le monde où se passent aujourd’hui parmi les crimes les plus graves. C’est attesté par la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale, avec des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens.

Celles et ceux qui dénoncent la situation à Gaza subissent beaucoup de pression. Estimez‐vous qu’un nouveau cran a été franchi avec l’interdiction de cette exposition ?

Isabelle Defourny : Depuis le début du conflit, il est très compliqué pour nous de rendre compte de la réalité de Gaza dans différents médias français, et particulièrement au niveau des chaînes de télévision. Quelques médias continuent à en parler et à permettre qu’on s’exprime sur ce qui se passe à Gaza sans directement être accusé d’antisémitisme ou d’être complètement partial.

C’est la première fois que nous sommes censurés de façon aussi directe. C’est très choquant, mais ce n’est pas non plus complètement une surprise. C’est dans l’ambiance actuelle, malheureusement. Ce que je trouve vraiment terrible, c’est qu’à nouveau on parle d’une situation où la Cour internationale de justice a dit qu’il y avait un risque plausible de génocide, où la Cour pénale internationale lance des mandats d’arrêt pour crime contre l’humanité.

Avez‐vous échangé avec la mairie depuis l’interdiction ?

Isabelle Defourny : Non. Il est possible que le maire de Toulouse ait accès à des informations que nous n’avons pas sur de réels troubles possibles à l’ordre public. Dans ce cas‐là, ils auraient pu nous contacter pour qu’on échange ensemble afin de trouver une solution.

Ne pas avoir eu la moindre discussion avec eux et être informés seulement deux semaines avant l’exposition, cela montre bien le fait qu’il n’y avait pas de volonté de rendre visible cette exposition.

Par contre, nous avons reçu beaucoup de propositions de lieux pour que cette exposition se fasse à Toulouse. Nous sommes bien décidés à la faire dans les prochaines semaines.

  mise en ligne le 6 janvier 2025

Mayotte, la gauche attendue

par Catherine Tricot sur www.regards.fr

Macron, Bayrou et Le Pen se sont rendus à Mayotte et ont fait entendre leurs visions de la reconstruction de l’île. Bien vite, sûrement, entendrons-nous les visions de la gauche.

Comment reconstruire Mayotte ? Les réponses deviennent l’emblème des différents projets politiques. Premier à s’être rendu sur place, Emmanuel Macron était mal préparé, a apporté des vivres en quantité symbolique (quatre tonnes) et a eu des mots brutaux pour intimer aux Mahorais davantage de reconnaissance envers la France. Comme une loupe sur son empêchement d’agir qui le rend encore plus désagréable.

Deux semaines plus tard, le premier ministre et une partie de son gouvernement sont venus avec un plan d’urgence qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres et sous 15 jours au parlement. Il annonce des prêts garantis par l’État avec différé de remboursement, l’électricité d’ici la fin janvier, une rentrée scolaire adaptée, des lois dérogatoires en matière économique (type zone franche) et de droit de la construction.

Emmanuel Macron comme François Bayrou relancent le débat sur la remise en cause du droit du sol pour faire face à l’ampleur de l’immigration illégale venues des Comores. Ils sont validés par de très larges pans médiatiques. Daniel Cohn-Bendit a apporté sa contribution en parlant absurdement de « grand remplacement » qui menace Mayotte.

Dans ce contexte politiquement très favorable, Marine Le Pen débarque sur l’île. D’ores et déjà les dirigeants du RN expriment sur les antennes l’approche de la cheffe de l’extrême droite : remise en cause du droit du sol, rentrée scolaire maintenue avec évacuation des écoles occupées par des Mahorais sans logement, non reconstruction des bidonvilles, déploiement de l’armée. Marine Le Pen dira sûrement que la France a manqué à ses devoirs vis-à-vis de Mayotte et elle s’inscrira dans la logique des propositions de François Bayrou.

La fin des vacances sera, on l’espère, l’occasion d’entendre les propositions de la gauche. Aujourd’hui, elle rappelle à bon droit que l’ampleur des désastres est liée à l’extrême précarité des constructions et à la grande misère, et que tout cela nourrit le vote d’extrême droite. Certes. Mais face aux discours autoritaires et dérégulateurs, on aimerait de franches positions de gauche sur la reconstruction.

Mayotte ne sera pas reconstruite ni contre ni sans les Mahorais. Cela ne fait aucun sens d’annoncer l’interdiction de la reconstruction des bidonvilles. Il faut aider les Mahorais à rebâtir des maisons plus solides, mieux contreventées, évidemment avec les tôles qui sont leur trésor. Il faut livrer du bois de construction et enclencher un processus de solidification de ces villes précaires. Là se joue l’action de la puissance publique. Comme ailleurs dans le monde, comme en France dans les banlieues du début du 20ème siècle, cela passe par la réalisation de routes et non de chemin de terre avec de l’éclairage public, des réseaux d’électricité, d’eau et d’égouts. Cela passe par des services de ramassage des ordures. C’est dans ces services publiques que se joue, ici comme partout, une possible vie digne. 

Cela ne fait aucun sens non plus de prétendre faire une rentrée scolaire « normale », même différée d’une semaine. 70% des écoles sont a minima endommagées, les professeurs touchés, choqués ; les enfants traumatisés et démunis. Il faut inventer (en fait, s’inspirer d’autres expériences) l’école hors les murs avec délicatesse.

Cela ne fait aucun sens de couper Mayotte de son archipel. Alors que les liens sont séculaires, la rigidité des autorisations de séjours à Mayotte alimente le désastre des clandestins. Il faut revenir à la raison : alors que 10% des personnes présentes illégalement sont évacuées chaque année, on ne réglera rien en passant à 20, 40, 50% d’évacuations. Aussi difficile et inhabituel que cela soit, il faut penser ensemble Mayotte et les Comores. Et avec les dirigeants islamistes des Comores, aussi détestables qu’ils soient. Il faut obtenir des nouvelles de la mission de recensement des morts… Enfin, il faut cesser les prétentions absurdes qui ne font qu’accroitre l’incrédulité et la défiance à l’égard du discours public.

L’État doit mobiliser une diplomatie créative, déployer des moyens techniques et matériels pour réparer écoles et bâtiments publics, reconstruire l’île et ses habitants. Mais il doit surtout changer d’approche : faire avec les Mahorais et appeler à une large mobilisation, partout en France, celle des bâtisseurs (architectes, ingénieurs, étudiants), des professeurs, des soignants. Une société ne se reconstruit pas seulement par l’État, encore moins quand il suscite de la défiance. Les ressources fondamentales sont en nous : tel pourrait être un projet et un discours de gauche sur la Nation et sur les fonctions de l’État.

   mise en ligne le 5 janvier 2025

Après l’étonnant voyage à Damas des ministres français et allemand,
les questions demeurent

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Paris et Berlin ont dépêché leurs chefs de la diplomatie dans la capitale syrienne pour rencontrer le nouvel homme fort du pays, Ahmed Al Charaa. Une précipitation qui cache mal la crainte des puissances européennes d’être écartées des principaux dossiers.

Jean-Noël Barrot et Annalena Baerbock, les ministres français et allemand des Affaires étrangères ont fait le voyage à Damas. Une précipitation politique d’autant plus étonnante que cette rencontre avec Ahmed Al Charaa, l’homme fort de Syrie et chef du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Cham (HTC), s’est faite sous mandat de l’Union européenne, qui considère toujours le HTC comme une organisation terroriste.

Cette démarche est surprenante parce qu’elle officialise en réalité la reconnaissance des nouvelles autorités. Les liens secrets en revanche ne datent pas de la chute de la maison Assad, le 8 décembre. Les services de renseignements allemands ont toujours eu des relations avec le HTC lorsque celui-ci contrôlait la région d’Idleb. Un canal de communication a été maintenu notamment pour permettre à des ONG de se rendre sur place.

Des vœux pieux et beaucoup de non-dits

Nul doute que les discussions n’ont pas porté que sur des questions humanitaires pendant toutes ces années. La France, elle, estimait en son temps – lorsque Laurent Fabius était chef de la diplomatie – que le Front al-Nosra (ancêtre du HTC), lié à al-Qaida, « faisait du bon boulot sur le terrain ».

Plus que Berlin, Paris veut faire valoir sa présence régionale en tant qu’ancienne puissance mandataire. On a vu dans le dossier libanais comment les autorités françaises étaient prêtes à tous les compromis pour cela, y compris à épargner le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou malgré le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI).

C’est un peu le même cas de figure. « Il est désormais nécessaire d’instaurer un dialogue politique incluant tous les groupes ethniques et religieux et incluant tous les citoyens », a souligné Annalena Baerbock après l’entretien avec Ahmed Al Charaa. À ses yeux, « un avenir meilleur pour la Syrie signifie un transfert de pouvoir inclusif et pacifique, une réconciliation et la reconstruction ».

Jean-Noël Barrot a quant à lui indiqué sur X avoir obtenu des autorités provisoires des « assurances sur une large participation – notamment des femmes – à la transition politique », l’accueil d’une mission de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et la coopération avec le Liban voisin. Pas un mot en revanche sur l’occupation israélienne d’une partie du territoire syrien.

Si Ahmed Al Charaa a redit son intention de convoquer un dialogue national, il n’a précisé aucune date. Il a également averti que l’organisation d’élections pourrait prendre quatre ans, et la rédaction d’une nouvelle Constitution, trois ans. De même, ses déclarations rassurantes concernant les Kurdes ne sont pas suivies d’effet. Plus de 100 combattants ont été tués ces deux derniers jours dans les affrontements au nord de la Syrie entre factions armées soutenues par la Turquie alliées du HTC et forces kurdes syriennes.

En revanche, certaines décisions n’ont pas tardé à être prises. Les nouvelles autorités ont déjà annoncé des changements dans les programmes scolaires, notamment la suppression de la poésie relative aux femmes et à l’amour et des références aux « dieux » dans les cours d’histoire ancienne.


 


 

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité » :
à Strasbourg, les Alévis dénoncent les exactions contre les minorités en Syrie

Jean-Jacques Régibier sur www.humanite.fr

500 Alévis venus de France et d’Allemagne ont manifesté samedi 3 janvier devant le Conseil de l’Europe pour alerter sur les menaces qui pèsent sur les différentes communautés de Syrie suite au changement de régime. Ils en appellent aux Nations Unies pour mettre en place une mission de maintien de la paix afin de faire respecter les droits des minorités.

« Non au massacre des Alévis », « Unité des peuples contre les bandes djihadistes ». Les slogans affichés par les manifestants en disent long sur les inquiétudes de la diaspora alévie en Europe à propos du sort réservé par le nouveau pouvoir aux minorités qui vivent en Syrie.

« Les nouvelles qui nous arrivent tous les jours de nos proches en Syrie, nous font craindre le pire sur la façon dont sont traités les Alévis, mais aussi les Chrétiens, les Assyriens, les Druzes, les Ismailis, les Kurdes et les autres groupes ethniques et religieux. Par exemple à Alep, un sanctuaire alévi a été brûlé il y a quelques jours et il y a eu des victimes. Les groupes HTC sont en train de faire la chasse aux anciens soldats du gouvernement qui sont alévis. Les journalistes qui sont dans les villages nous disent qu’il y a des exécutions, c’est aussi un motif d’inquiétude, tout comme l’arbre de Noël de la communauté chrétienne qui a été incendié près de Hama par des hommes armés et cagoulés. Nous dénonçons tout cela », explique Marc Aslan, le représentant des Alévis d’Europe.

Des exactions contre les communautés

Dans un communiqué diffusé en 5 langues, les organisateurs du rassemblement devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg tentent de déconstruire les préjugés qui mettent selon eux en danger les Alévis qui ont déjà subi plusieurs attaques en Syrie – à Aqrab, en 2012, à Maan et 2014, ou à Zara en 2016.

« Les Alévis sont devenus la cible de crimes car ils sont assimilés à tort au régime d’Assad. Les groupes radicaux fomentent la violence en tenant le discours selon lequel les Alévis soutiennent Assad et qu’Assad lui-même est un Alévi. De tels malentendus alimentent une propagande de division et de haine contre les Alévis », note le communiqué qui rappelle également les exactions commises contre d’autres communautés qui vivent en Syrie : terres agricoles chrétiennes incendiées dans les zones rurales de Homs, ou des blocus et attaques contre la population assyrienne de Maalula, un village de montagne situé au nord de Damas.

Dans un programme de revendications en 6 points, les Alévis d’Europe exigent que le droit à la vie et la liberté de religion soient garantis par le nouveau régime, que les discours de haine contre les minorités soient clairement condamnés, que les sites religieux soient protégés, et que toutes les relations avec les groupes radicaux soient rompues.

« Les Alévis, les Kurdes et toutes les minorités devraient pouvoir vivre librement leur identité, recevoir une éducation dans leur langue maternelle et bénéficier du droit à l’autonomie gouvernementale au sein de structures autonomes », rappellent les organisateurs de la manifestation de Strasbourg qui demandent également l’intervention de l’ONU en Syrie dans les zones où vivent des minorités menacées.

« Nous disons tout particulièrement aux Européens de faire attention, parce que le pouvoir actuel en Syrie, est constitué par les anciens de Daech. Ce sont des salafistes qui ont un passé assez problématique au Moyen-Orient. Ils peuvent demain faire du mal à tout le monde », prévient Marc Aslan.


 

    mise en ligne le 4 janvier 2025

La France en Afrique : derrière les bases militaires, la remise en question d’un système néocolonial

Benjamin König sur www.humanite.fr

Les récentes annonces de rupture des accords de coopération militaire par le Tchad et le Sénégal puis la Côte d'Ivoire ont à nouveau placé la question des relations franco-africaines sur le devant de la scène. Derrière des réalités différentes demeure un enjeu central pour la politique étrangère tricolore : quand va-t-elle se rendre compte que l’ordre néocolonial vacille ?

Lorsque Jean-Noël Barrot s’est envolé de Ndjamena le 28 novembre, le ministre des Affaires étrangères, reconduit dans le gouvernement Bayrou, ressemblait au ravi de la crèche. Satisfait d’avoir évoqué « la crise la plus grave de notre époque », celle du Soudan voisin. À peine avait-il mis le pied dans l’avion que le Tchad annonçait, par la voix de son homologue, Abderaman Koulamallah, la rupture brutale de l’accord de coopération militaire qui lie les deux pays depuis 1976, alors que près de 1 000 soldats français sont encore stationnés dans un pays stratégique pour la France : « Il est temps pour le Tchad d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques selon les priorités nationales. »

Le même jour, c’est le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, qui sur France 2 estimait que « la souveraineté (du Sénégal) ne s’accommode pas de la présence de bases militaires ». Des propos réitérés à l’occasion des vœux du 1er janvier, avec « la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 ». À Dakar, environ 350 soldats français sont encore cantonnés en plein cœur de la ville. Une présence qui dure depuis… près de cent ans.

Enfin, toujours lors des vœux de nouvelle année, c’est cette fois-ci un allié fidèle – voire un affidé – de Paris qui annonçait la rétrocession de la base française où 1 000 soldats sont stationnés : « Nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire », a déclaré le chef d’État Alassane Ouattara, lui aussi forcé de prendre en compte ce thème devenu majeur pour les jeunesses africaines.

Double revers diplomatique

Ces nouvelles remises en question suivent celles beaucoup plus conflictuelles des trois pays ayant connu des coups d’État militaires depuis 2021 : Mali, puis Burkina Faso, enfin Niger, où les derniers soldats ont plié bagage à la va-vite voici un an. Pour René Lake, politologue et administrateur du site SenePlus, « le double revers diplomatique infligé à la France marque une étape critique dans les relations franco-africaines », mettant l’accent sur « des décisions qui soulignent un rejet grandissant de l’ordre néocolonial par les nations africaines ».

Que s’est-il passé pour que Tchad, Sénégal et aujourd’hui Côte d’Ivoire dénoncent à quelques jours d’intervalle cette présence militaire, en des termes quasiment identiques ? Malgré des discours et des causes similaires, les situations sont très différentes. « Dans des pays comme le Sénégal et le Tchad, cette revendication s’exprime de manière variée, mais elle converge autour de principes communs : autonomie économique, contrôle des ressources nationales et respect des choix politiques locaux », décrypte René Lake.

Ces décisions revêtent toutefois un caractère propre à chaque pays. Au Sénégal, la question des bases militaires françaises avait déjà été soulevée par le président Abdoulaye Wade dès les années 2000. Elle avait été au cœur des préoccupations des Sénégalais lors de l’élection présidentielle de mars dernier, puis les législatives de novembre, remportées par le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité).

« Camouflet pour Macron »

Mais il s’agit, bien évidemment, d’un « camouflet pour Macron, qui s’inscrit dans un processus amorcé dès la fin de la guerre froide, en 1989 », analyse Félix Atchadé, médecin et responsable du collectif Afrique du PCF. Selon lui, « Paris, malgré les mutations de l’ordre mondial, parvenait encore à maintenir son influence sur ses anciennes colonies. Aujourd’hui, cet ordre vacille. »

En juin 2024, conscient de ces remises en question, Emmanuel Macron avait annoncé une réduction des effectifs dans tous les pays, Sénégal et Côte d’Ivoire inclus. Il avait pompeusement nommé Jean-Marie Bockel « envoyé personnel en Afrique », avec la charge de remettre un rapport sur le sujet après discussions avec les chefs d’État concernés.

Or la fuite de plusieurs éléments de ce rapport, remis à Emmanuel Macron le 25 novembre, a, semble-t-il, agacé Bassirou Diomaye Faye et ses compatriotes. Car, si Jean-Marie Bockel évoquait un dialogue mené « dans un état d’esprit positif », le même préconisait néanmoins de garder une centaine de soldats à Dakar… de façon unilatérale.

Au Tchad, malgré la véhémence de la première réaction, les enjeux sont en réalité d’ordre diplomatique. Pour le dire en des termes crus, « Barrot a complètement déconné », blâme Guy Labertit, ancien délégué national Afrique du PS et auteur d’Anticolonialement vôtre (Karthala, 2024). D’autant qu’au Tchad – comme ailleurs – Emmanuel Macron « est très attaqué pour avoir adoubé Mahamat Déby », rappelle-t-il.

Allusion à la passation de pouvoir verrouillée par l’héritier d’Idriss Déby, le père, tué en 2021 après trente et un ans d’un pouvoir autocratique appuyé par la France. « Au Tchad, avec Barrot, c’est la Françafrique qui continue, de la façon la plus bête qui soit », déplore Guy Labertit.

Lors de sa visite éclair, Jean-Noël Barrot a exigé la neutralité du Tchad dans la guerre au Soudan voisin, où Mahamat Déby est un soutien des rebelles de Hemetti. Cette rupture « ne concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle », a précisé Mahamat Déby, tandis que son premier ministre, Allamaye Halina, indiquait que la décision « s’inscrit dans une volonté de renforcer la souveraineté nationale et de réévaluer les accords internationaux ». Cela signifie « qu’ils veulent rediscuter », décrypte Guy Labertit.

Les ruptures brutales avec les trois pays dirigés par les militaires et unis dans l’Alliance des États du Sahel (AES), Mali, Burkina Faso et Niger, où la France ne compte même plus d’ambassadeur, semblent avoir servi de leçon. « Finalement, je suis heureux de voir ce qui se passe, car nous avons toujours voulu la fin de la Françafrique », résume Guy Labertit. Le hic est que cela se fait au détriment de ce que pourrait être une véritable politique étrangère, comme l’analyse René Lake : « La question fondamentale est : la France continuera-t-elle de s’accrocher à une posture réactive, dictée par le maintien de ses intérêts stratégiques et économiques, ou bien adoptera-t-elle une approche proactive et transformatrice, axée sur la reconnaissance des aspirations africaines ? » Il serait plus que temps.

    mise en ligne le 4 janvier 2025

« Nous sommes horrifiées et préoccupées » : deux rapporteures de l’ONU alertent sur les « sommets d’impunité » d’Israël contre le droit à la santé des Palestiniens

Clémentine Eveno sur www.humanite.fr

Les attaques contre le droit à la santé des Palestiniens atteignent des « sommets d’impunité », ont dénoncé, jeudi 2 janvier, deux rapporteures spéciales de l’ONU.

Onze personnes sont mortes, et quinze personnes ont été blessées « après le bombardement d’une tente » abritant des personnes déplacées dans la zone d’Al-Mawasi, à l’ouest de la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, a déclaré, jeudi 2 janvier, la Défense civile dans un communiqué.

Le même jour, la rapporteure sur la situation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, et la rapporteure sur le droit à la santé physique et mentale, Tlaleng Mofokeng, ont déclaré, dans un communiqué qui dénonce le génocide en cours : « L’attaque flagrante d’Israël contre le droit à la santé à Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés atteint de nouveaux sommets d’impunité ».

Les deux rapporteures spéciales de l’ONU ont appelé « à mettre fin au mépris flagrant du droit à la santé à Gaza, suite au raid de la semaine dernière sur l’hôpital Kamal Adwan et à l’arrestation et la détention arbitraire de son directeur, le docteur Hossam Abou Safiya ».

« Nous sommes horrifiées et préoccupées »

La représentation israélienne auprès de l’ONU à Genève (Suisse) a, sans surprise, jugé le communiqué « très éloigné de la vérité », ajoutant qu’il « ignore complètement des faits cruciaux » et « l’utilisation par le Hamas d’infrastructures civiles à des fins militaires ».

Mais les deux expertes, qui sont mandatées par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, ont alerté : « Nous sommes horrifiées et préoccupées par les informations en provenance du nord de la bande de Gaza et en particulier par l’attaque contre le personnel de santé, y compris le dernier des 22 hôpitaux aujourd’hui détruits : l’hôpital Kamal Adwan ».

Elles ont assuré être « gravement préoccupées par le sort du docteur Hossam Abou Safiya », dont elles indiquent que son fils a été tué sous ses yeux, et demandent sa « libération immédiate » ainsi que celle de « tous les autres travailleurs de santé détenus arbitrairement ». « Cette situation s’inscrit dans le cadre d’un schéma israélien visant de façon continue à bombarder, détruire et anéantir totalement la réalisation du droit à la santé à Gaza », ont-elles affirmé.

« Cinq à dix ans » pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont besoin

Plus de 1 057 professionnels de santé ont été tués depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque du 7 octobre 2023 du Hamas contre Israël, soulignent les rapporteures, citant des données du ministère de la Santé du gouvernement du mouvement islamiste palestinien.

De son côté, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré jeudi sur X le rythme « terriblement lent » des évacuations médicales de Gaza.

« Seuls 5 383 patients ont été évacués avec le soutien de l’OMS depuis octobre 2023, dont seulement 436 depuis la fermeture du point de passage de Rafah » en mai 2024, a-t-il indiqué. À ce rythme, « il faudra cinq à dix ans », a-t-il ajouté, pour évacuer les « plus de 12 000 personnes » qui en ont encore besoin.

De plus, au mois de décembre 2024, seulement 70 camions d’aide humanitaire ont pu entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).


 


 

Guerre à Gaza : avec la destruction de l’hôpital Kamal Adwan, Israël anéantit
le système de santé palestinien

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Hossam Abou Safiya, en charge du dernier grand établissement de santé du nord de l’enclave palestinienne, a été arrêté avec des dizaines d’autres personnes, les patients évacués et l’hôpital incendié par l’armée israélienne. L’ONU dénonce ces attaques.

L’attaque menée, le 27 décembre par l’armée israélienne contre l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahia, dans le nord de la bande de Gaza, est un cas d’école de la violation de toutes les règles de guerre. Une stratégie que les soldats de Netanyahou suivent sans ciller depuis plus d’un an dans l’enclave palestinienne.

D’abord, proclamer, sans en apporter la moindre preuve, que l’établissement hospitalier est un nid de « terroristes », un centre de commandement du Hamas, pour justifier un assaut. C’est bien ce qui s’est passé la semaine dernière. Le personnel et les patients ont été contraints de fuir ou ont été placés en détention, et de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été signalés.

Ce dernier grand hôpital, encore opérationnel, dans le nord du territoire dévasté et assiégé, a été en partie brûlé par l’armée israélienne et mis hors de service. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan, le Dr Hossam Abou Safiya, a été arrêté.

Aucun signe de vie du directeur

Dans les jours précédents, il avait désespérément demandé à la communauté internationale d’intervenir « avant qu’il ne soit trop tard ». Ses appels à l’aide, bien que relayés sur les réseaux sociaux et dans les médias, n’ont pas suffi. 240 personnes ont été interpellées durant l’offensive.

Le médecin de 51 ans, pédiatre de formation, n’a plus donné de signes de vie depuis. L’armée israélienne refuse de dire où il se trouve. Sa famille croit le savoir détenu sur la sinistre base militaire de Sde Teiman, située dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, à proximité de Gaza.

« Nous appelons les institutions internationales et les organisations des droits humains et particulièrement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que l’ONG MedGlobal, les gens de conscience et tous les docteurs du monde à prendre des mesures d’urgence et à faire pression sur les autorités d’occupation pour la libération de mon père avant qu’il ne connaisse le même sort que de nombreux médecins et travailleurs médicaux dans la bande de Gaza », a indiqué Idris Abou Safiya, le fils du médecin dans une vidéo.

Les dernières images du docteur Hossam Abou Safiya proviennent d’une vidéo publiée par l’armée israélienne. On le voit entrer dans un véhicule blindé de transport de route pour discuter avec les officiers. Depuis, plus rien.

L’Organisation mondiale de la santé, par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a demandé la « libération immédiate » du directeur. Amnesty International a fait de même, comme de nombreux professionnels de santé du monde entier sur les réseaux sociaux derrière le hashtag #FreeDrHussamAbuSafiya.

« Le Dr Abou Safiya a consacré sa vie à protéger la santé et la vie des enfants de Gaza, en prodiguant des soins dans des conditions qu’aucun professionnel de la santé ne devrait avoir à endurer », a fait savoir à l’Humanité le Dr. Zaher Sahloul, président et cofondateur de MedGlobal, une ONG humanitaire internationale dédiée aux interventions d’urgence et aux programmes de santé dans les régions en crise ou victimes de catastrophe.

Une campagne de « nettoyage ethnique » selon Haaretz

« Son arrestation est non seulement injuste, mais elle constitue également une violation du droit international humanitaire, qui garantit la protection du personnel médical dans les zones de conflit. MedGlobal appelle de toute urgence à la libération immédiate et inconditionnelle du Dr Abou Safiya », a-t-il poursuivi.

La destruction d’hôpitaux dans le nord de Gaza par Israël s’inscrit dans une campagne de « nettoyage ethnique » contre les Palestiniens, affirme le journal israélien Haaretz dans un éditorial publié récemment. Elle vise à dépeupler la région, obligeant les habitants à se déplacer vers le sud pour des soins médicaux essentiels.

Le journal, qui se trouve dans la ligne de mire de Netanyahou pour ses prises de position contre la guerre, insiste sur le fait qu’une région aussi vaste ne peut être laissée sans hôpitaux, surtout en temps de guerre, rappelant que la 4e Convention de Genève accorde une protection spéciale aux hôpitaux en période de conflit.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total »

Haaretz condamne la tentative de l’armée israélienne de justifier ses actions en publiant des photos de deux pistolets et d’un couteau prétendument trouvés dans les hôpitaux, affirmant que ces « preuves » n’étayent pas les affirmations de l’armée et ne peuvent justifier l’humiliation consistant à forcer des dizaines de patients et de médecins à évacuer l’hôpital vêtus uniquement de leurs sous-vêtements.

Le système de santé de Gaza est « au bord de l’effondrement total », estime l’ONU dans un rapport publié mardi. Long de 23 pages et intitulé « Attaques contre les hôpitaux pendant l’escalade des hostilités à Gaza », le document porte sur la période allant du 7 octobre 2023 au 30 juin 2024.

En huit mois et demi, au moins 136 frappes sur 27 hôpitaux et 12 autres installations médicales ont eu lieu, précise le rapport. Ces frappes ont fait de nombreuses victimes parmi les médecins, les infirmières, le personnel médical et d’autres civils et ont causé des dommages importants, voire la destruction complète de ces infrastructures.

Dans le nord de l’enclave, des hôpitaux « complètement inopérants »

Lundi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) soulignait que le système sanitaire dans le nord de Gaza avait été « anéanti » par le conflit et que ses hôpitaux étaient « complètement inopérants ».

Le texte de l’ONU évoque également les affirmations d’Israël justifiant ces assauts par le fait que des groupes armés palestiniens utilisent ces bâtiments.

L’UNRWA dans le viseur de Netanyahou

Selon le commissaire général de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, 258 de ses employés ont été tués depuis le 7 octobre 2023. Près de 650 incidents contre les bâtiments et les installations de l’agence des Nations unies ont été enregistrés. Au moins 745 personnes ont été tuées dans les abris de l’UNRWA alors qu’elles cherchaient la protection des Nations unies et plus de 2 200 ont été blessées. Plus des deux tiers de ses bâtiments sont endommagés ou détruits. La grande majorité servait d’écoles avant la guerre. Actuellement, au moins 20 employés de l’UNRWA se trouvent dans les centres de détention israéliens. Les personnes précédemment libérées ont décrit des mauvais traitements, des humiliations et des tortures systématiques.

« Jusqu’à présent, le public ne dispose pas d’informations suffisantes pour étayer ces allégations, qui restent vagues et générales et qui, dans certains cas, semblent contredites par des informations publiques », peut-on lire. « Le seul sanctuaire où les Palestiniens auraient dû se sentir en sécurité est en fait devenu un piège mortel », a, pour sa part, souligné le haut-commissaire des Nations unies aux Droits de l’homme, Volker Türk, réaffirmant pourtant que « la protection des hôpitaux en temps de guerre est primordiale et doit être respectée par toutes les parties, à tout moment ».

Pour les Palestiniens du nord de Gaza, 2025 a débuté comme 2024 s’est achevée : sous les bombardements de l’armée israélienne. Ils ont fait au moins une dizaine de morts dans le camp de réfugiés de Jabaliya, inondé par les pluies.


 


 

« Netanyahou n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu » :
le Dr Mustapha Barghouti dénonce
le nettoyage ethnique en cours à Gaza

Pierre Barbancey sur www.humanite.fr

Le docteur Mustapha Barghouti, dénonce le nettoyage ethnique en cours dans les territoires palestiniens. II appelle à l’unité palestinienne pour mettre en échec les projets du premier ministre israélien.

Président du Secours médical palestinien qu’il a fondé, le docteur Mustapha Barghouti siège également au comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentant de l’Initiative nationale palestinienne.

Un hôpital dans la partie nord de Gaza a été détruit par l’armée israélienne. Que cela signifie-t-il pour vous ?

Mustapha Barghouti : Cela signifie la poursuite de la destruction de toutes les installations médicales à Gaza. Le 24e hôpital a été complètement détruit. Et les Israéliens viennent de déclarer que, non contents de l’avoir démoli, ils entendent le fermer complètement. Cela fait partie des attaques contre toutes les structures médicales. Il en résulte la mort de 1 100 médecins, infirmiers et professionnels de santé. 3 000 autres ont été blessés. Environ 256 personnes ont été kidnappées et emprisonnées, y compris maintenant le directeur de l’hôpital Kamal Adwan. Il pourrait être torturé à mort, comme cela est arrivé à plusieurs autres médecins.

Cette attaque fait aussi partie d’une stratégie de nettoyage ethnique du nord de Gaza. Israël est en train de raser quatre villes, Beit Hanoun, Jabaliya, le camp de Jabaliya et Beit Lahya. Les autorités israéliennes ont poussé plus de 150 000 peut-être 200 000 personnes à quitter leur domicile par la force, par les bombardements et les massacres. Dans ce contexte, j’identifie deux risques possibles ici. Le premier est qu’Israël annexe cette zone ou en fasse une zone tampon sous son contrôle total et permanent. Le deuxième est que l’armée israélienne avance maintenant vers la ville de Gaza et lance un nouvel acte de nettoyage ethnique. Car l’objectif ultime de Netanyahou est de regrouper les deux millions de Gazaouis dans une zone très restreinte et de les chasser de Gaza. Je ne pense pas qu’il ait renoncé à ses projets.

On parle pourtant de négociations…

Mustapha Barghouti : Les négociations n’avancent pas parce que Tel-Aviv les bloque. Chaque fois qu’il y a des progrès, Netanyahou parvient à trouver un moyen de les saper. Selon moi, il n’a jamais eu l’intention d’obtenir un cessez-le-feu. Et il ne se soucie pas des prisonniers israéliens. Il a besoin de la guerre pour ses objectifs et pour mener sa politique expansionniste israélienne.

Pensez-vous que l’arrivée de Donald Trump change quelque chose ?

Mustapha Barghouti : Pour le pire, c’est sûr. Je pense que Trump donnera aux Israéliens le feu vert pour annexer la Cisjordanie. De toute façon, l’administration Biden n’a exercé que peu de pressions. Personnellement, je ne vois pas de grande différence entre les deux camps en ce qui concerne Israël. Joe Biden est également entré dans l’histoire en tant que criminel de guerre du fait de son soutien à Israël et de l’envoi continu d’armes. Je pense que Trump poursuivra la même politique en pire. Et il est fort probable qu’il permette à Israël de se lancer dans l’aventure de l’annexion de la Cisjordanie et de tuer totalement l’idée d’un État palestinien.

Que peuvent donc faire les Palestiniens ?

Mustapha Barghouti : La priorité reste l’unité. L’Autorité palestinienne doit changer de cap. Je pense que l’Autorité palestinienne est perdue dans un grand dilemme. Elle se comporte comme si la situation était la même qu’auparavant. Je ne pense pas qu’elle réalise l’ampleur des risques et des défis. Selon moi, les deux risques les plus importants sont le nettoyage ethnique et l’annexion. Et ce qui nous manque en tant que Palestiniens, c’est l’unité.

Elle doit être réalisée dès que possible. C’est pourquoi nous nous employons à rassembler la société civile et les différents groupes politiques pour essayer de créer un congrès qui deviendra un outil de pression fonctionnel pour pousser à la réforme de l’OLP et pour créer une direction palestinienne unifiée avec une stratégie claire. L’autre facteur décisif réside dans notre capacité à rester fermes et à demeurer en Palestine. Si nous restons en Palestine, le projet d’Israël échouera.

Que voulez-vous dire ?

Mustapha Barghouti : Je veux dire que nous avons aujourd’hui 7,3 millions de Palestiniens sur la terre de Palestine historique contre 7,1 millions d’Israéliens, de juifs israéliens. C’est pourquoi Netanyahou entend procéder à un nettoyage ethnique. Il veut changer cette formule démographique en faisant des Palestiniens une minorité mais également en les privant de tout droit de résistance, même la plus pacifique

    mise en ligne le 1er janvier 2025

Mayotte :
le jeu dangereux de Bayrou

par Roger Martelli sur www.regards.fr

Sur l’archipel, le premier ministre relance le débat sur le droit du sol. Inopérant pour soulager Mayotte et désastreux pour la République.

François Bayrou est enfin parvenu à Mayotte. Il en profite pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane.

Tout son temps devrait se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. Il pourrait se dire que, pour bâtir des solutions concrètes, le devoir de l’État est de rassurer et d’apaiser : il choisit au contraire d’attiser les braises.

En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – en enfant né à Mayotte de parent étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne explicitement avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».

« Comme partout sur le territoire national »… Alors que les phénomènes migratoires vont s’amplifier dans les décennies à venir, alors que s’impose à l’échelle planétaire la nécessité d’un traitement concerté et humain, alors qu’il s’agit d’abord d’accueillir et d’insérer, c’est la clôture que le gouvernement met à l’ordre du jour. Que chacun reste chez soi et que l’on préserve un entre-soi garanti par la naissance et la filiation : connaissez-vous plus irresponsable qu’une telle politique ?

Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. Ce faisant, il enferme la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Or, quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. S’il faut avancer, ce n’est pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.

François Bayrou joue un jeu inefficace et dangereux à Mayotte même. Au-delà, il légitime un peu plus la pression exercée par le Rassemblement national. Et il ouvre en grand la boîte de Pandore. Au prétexte des « caractéristiques et contraintes particulières » reconnues aux territoires ultramarins, il enfonce un clou supplémentaire dans la conception historique du droit du sol.

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