mise en ligne le 31 décembre 2024
Par Maryse Dumas sur www.humanite.fr
L’année 2024 touche à sa fin. Une année éprouvante par sa complexité et ses contradictions, tant au plan national qu’international. Devant nous, un brouillard très dense que nos convictions sur la nature des enjeux et le poids des forces en présence ne suffisent pas à dissiper. Se refaire le film, réfléchir à ce que nous avons pu comprendre et analyser de ce qui s’est passé est indispensable pour avancer. Ce n’est pas perdre du temps si on veut peser sur le réel plutôt que se faire balader comme une plume au vent. Alors, que retirer de 2024 ?
Pour ma part, d’abord la force de l’interdépendance planétaire, non seulement sur les questions environnementales et climatiques, mais aussi sur les pulsions politiques. On connaît la théorie de « l’effet papillon » selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut conduire, par des effets en chaîne, à une tornade au Texas. C’est un peu ce que nous vivons : les guerres se propagent d’une zone à l’autre. Elles ne se limitent plus à des conflits locaux ou régionaux. Elles menacent aujourd’hui la paix du monde, au point de raviver les inquiétudes sur une utilisation possible de l’arme nucléaire, ce que soulignent les trois rescapés de Nagasaki qui viennent de recevoir le prix Nobel de la paix.
La globalisation libérale produit partout une explosion des inégalités et partout aussi des poussées d’extrême droite. On ne compte déjà plus le nombre de dirigeants d’extrême droite au pouvoir. Ils se confortent et s’entraident les uns les autres. L’élection de Donald Trump en rajoute et leur donne de nouveaux moyens et de nouveaux relais. La France n’est pas en dehors. Aux États-Unis, la victoire du milliardaire est davantage le fruit du recul démocrate que de son propre progrès électoral. Mais c’est bien le problème qui nous occupe aussi, ici, en France. Il faut se féliciter que la gauche ait réussi à s’unir dans un « Nouveau Front populaire » pour relever le défi des élections législatives anticipées puis pour constituer un front républicain qui a barré la route au RN dans son accès au pouvoir. La forte mobilisation électorale montre la disponibilité des forces vives de notre pays dès lors que les enjeux sont clarifiés et qu’on lui propose des alternatives réelles. Mais depuis ce résultat, la situation s’enlise. Le rapport des forces n’est pas suffisant pour que la gauche, arrivée première au résultat des urnes, réussisse à imposer à Macron de nommer un ou une des siens à Matignon.
Dans des temps pas si anciens, les luttes sociales pouvaient être le ressort permettant de débloquer, en faveur de la gauche, les situations politiques figées à droite. Mais c’est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui. La situation française ne se résume plus à un affrontement droite-gauche classique. Le poids du RN, la dissémination de ses idées nauséabondes dans le pays, son début de structuration en parti de masse modifient la donne. L’opposition de gauche n’apparaît plus la seule ni même la mieux placée pour « renverser la table ». Deux défis se posent alors aux forces progressistes : redonner à la politique son sens premier d’intervention citoyenne et démocratique en sortant la sphère politique de l’espèce de bulle étanche dans laquelle elle semble s’enfermer, et alimenter les luttes sociales, tout en respectant leur autonomie, de propositions réellement alternatives. Il n’y a pas beaucoup d’autres moyens de parvenir à démystifier le discours du RN.
mise en ligne le 31 décembre 2024
Gildas Bregain sur https://blogs.mediapart.fr/
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation. La mobilisation sociale est intense pour refuser cet hôpital au rabais.
Ce texte est volontairement très détaillé afin de vous informer de l’évolution du projet de reconstruction de l’hôpital de Redon, et des mobilisations sociales pour refuser tout hôpital au rabais. Nous espérons que cet exposé sera utile à certains et certaines d’entre vous qui nous lisez si vous rencontrez de pareilles difficultés ailleurs.
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation, alors même que l’ARS avait défendu l’idée de la reconstruction d’un nouveau bâtiment de 14 000 m² il y a quatre ans. Pour contester ce projet, un comité d’appui de l’Hôpital rassemble les élus locaux, les parlementaires, des représentants des personnels et des usagers. La population dans son ensemble s’est fortement mobilisée pour montrer son refus unanime de ce projet d’hôpital au rabais, en recourant à une diversité de modes d’action (pétition, manifestations, Randos militantes, photographies des associations avec une banderole, Chanson filmée des agents hospitaliers, etc.).
Comment en-est-on arrivé là ?
L’Hôpital de Redon (Centre Hospitalier Intercommunal de Redon-Carentoir, CHIRC) est un hôpital possédant des bâtiments sur 7 sites différents, et dans deux villes différentes, Redon et Carentoir. Le bâtiment principal, situé au cœur de la ville de Redon, est très vétuste, puisqu’il a été construit au début des années 1970. Cette vétusté génère des conditions de vie difficiles pour les personnels et les patients, des surcoûts importants en termes de dépenses énergétiques, mais aussi des dépenses supplémentaires de sécurité incendie (800 000 euros par an dans le recours à une équipe de sécurité incendie privée) car ce bâtiment central ne devrait plus accueillir depuis plusieurs années de lits d’hospitalisation de nuit. Cette vétusté du bâtiment central était connue depuis longtemps, et une rénovation avait été au départ envisagée, avant que l’on ne découvre que le bâtiment actuel ne respecte pas les conditions de sécurité et qu’il est donc impossible de maintenir les lits d’hospitalisation de nuit. Il est donc urgent de planifier la reconstruction d’un hôpital neuf, moderne et économe en énergies, répondant aux normes de sécurité et de bien-être pour les usagers et les professionnels.
Comme beaucoup d’hôpitaux publics, celui de Redon connaît un problème de recrutement de professionnels médicaux, dans un contexte de pénurie du personnel médical et paramédical. En 2023, l’Hôpital a connu des fermetures provisoires des urgences, et des menaces de fermetures de services, temporaires ou non, de services de soins tel qu’en anesthésie réanimation, maternité, l’unité de soins continus, le bloc opératoire, l’unité d’hospitalisation de psychiatrie.
L’Hôpital de Redon, comme l’ensemble des hôpitaux publics, est en déficit, et devra emprunter plusieurs dizaines de millions d’euros pour financer la
reconstruction du futur bâtiment, alors qu’il accumule chaque année des déficits importants (près de 1,6 millions d’euros pour 2022).
En 2020, et jusqu’à l’été 2023, l’Agence régionale de Santé avait approuvé le projet de construction d’un nouveau bâtiment central pour l’Hôpital (14000 m²), sur un terrain à quelques centaines de
mètres de l’Hôpital actuel, pour un coût estimé en 2020 à 47 millions d’euros. Au départ, l’ARS avait consenti à délivrer une subvention de 9 millions d’euros, puis 12 millions d’euros, puis
finalement 20 millions d’euros, pour la reconstruction de cet Hôpital.
En septembre 2023, l’Agence Régionale de Santé décide de rejeter ce scénario. D’une part, l’envolée des coûts de la construction amène une augmentation de près de 20% du coût de construction. D’autre part, une nouvelle étude sur l’adaptation des surfaces de l’Hôpital aux besoins médicaux du territoire est réalisée au début de l’année 2023, montrant deux choses : (1) le premier cabinet chargé de l’étude avait mal évalué la superficie de l’Hôpital actuel (une erreur de 2000 m²) ; (2) il est nécessaire de faire évoluer les surfaces envisagées : nécessité d’une salle d’endoscopie supplémentaire, doublement des salles de consultation, agrandissement de la cuisine. L’étude de l’assistant à la maîtrise d’ouvrage montre qu’il est nécessaire de reconstruire un bâtiment de 22 000 m² (soit un budget équivalent à 107 millions d’euros). Incité par l’ARS à proposer des solutions alternatives, rentrant dans le cadre budgétaire imposé, l’assistant à la maîtrise d’ouvrage propose une version dite « optimisée » de 16 000 m², qui s’accompagne de la réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit (de 134 à 117) avec un nombre de places d’accueil de jour similaires (25), et qui induit la suppression de l’Unité de soins palliatifs de 10 lits (considérée pourtant comme nécessaire), et l’externalisation d’autres services (comme la stérilisation, la cuisine).
Confrontée à des investissements supérieurs à ceux initialement prévus, l’ARS Bretagne décide de faire intervenir le Conseil National de l’Investissement en Santé (CNIS). Les experts du CNIS, après une visite rapide à l’Hôpital, proposent un nouveau scénario qui combine construction d’un bâtiment neuf de 5700 m², et rénovation partielle du bâtiment central (2500 m²), afin de limiter les dépenses à 40 millions d’euros (et la subvention de l’ARS à 20 millions d’euros comme initialement prévue). Une troisième phase de travaux est envisagée dans le futur, sans aucune garantie de financement ni planification temporelle. Cette proposition du CNIS, validée ensuite par l’ARS, avait de multiples conséquences concrètes :
- La superficie du bâtiment neuf (5700 m²) est largement insuffisante pour garantir le maintien du nombre actuel de lits d’hospitalisation. L’ARS indique que ce bâtiment pourrait accueillir 117 lits d’hospitalisation de nuit (contre 134 actuellement dans le bâtiment actuel, et 155 en 2020). La réduction du nombre de lits touche en particulier la chirurgie (qui passerait de 30 à 20 lits), et la maternité (qui passerait de 15 à 10 lits).
- Le maintien des services médicaux et annexes dans le bâtiment actuel n’était pas garanti, car seule la rénovation de 2500 m² était garantie par l’ARS dans la deuxième phase de travaux. De ce fait, le maintien d’un certain nombre de services, notamment des services annexes (pharmacie, cuisine, stérilisation) n’était pas garanti pour les prochaines décennies.
Les objectifs de l’ARS : Réguler la capacité d’hospitalisation complète à la baisse, et délivrer une subvention d’un montant faible, largement inférieur aux besoins, dans une logique de gestion de la pénurie.
Il faut reconnaître que l’Agence Régionale de Santé Bretagne a su déployer une multitude de stratégies pour atteindre son objectif : restreindre et cantonner dans des limites fixées arbitrairement les investissements nécessaires, dans un contexte où l’ARS souffre d’un sous-financement chronique : l’ARS Bretagne ne dispose que d’un budget de 416 millions d’euros pour financer la reconstruction de la vingtaine d’établissements hospitaliers bretons dans la décennie 2020-2030. Les besoins en financement nécessaires à la reconstruction des hôpitaux bretons nécessiteraient une multiplication au moins par trois du budget attribué dans le cadre du Plan Ségur (19 milliards d'euros sur 10 ans). Il est donc impératif d’augmenter les budgets dédiés à la santé à l’échelle nationale et inconcevable de les réduire sur ce sujet.
Lors de la délimitation des contours du futur projet hospitalier, l’objectif sanitaire poursuivi est encadré par la très forte contrainte budgétaire et l’absence de volonté d’investissement massif dans le secteur, et n’a pas vocation à satisfaire les besoins de santé locaux. Soulignons toutefois que l'ARS consent chaque année à délivrer à l’hôpital de Redon une subvention d’équilibre (de plusieurs millions d’euros parfois), ce qui lui permet de continuer à fonctionner.
Jusqu’en décembre 2024, l’ARS de Bretagne ne cesse de réaffirmer qu’elle ne dépensera pas plus de 20 millions d’euros pour le nouvel hôpital, tout en assumant le fait que le nouveau projet induit une réduction considérable du nombre de lits d’hospitalisation de nuit dans plusieurs services (maternité, chirurgie), et l’absence de création d’une unité de soins palliatifs. Ce nouveau projet hospitalier a été étudié et validé par le ministère de la santé en 2016/2017, quand tout nouveau projet devait supprimer 30% des lits. Cette politique de suppression des lits d’hospitalisation de nuit est poursuivie par les ministres de la Santé depuis plusieurs décennies, au nom d’une rationalité économique, de la dangerosité supposée des services des hôpitaux de proximité, et du recours plus fréquent aux soins ambulatoires de jour et à l’hospitalisation à domicile. Cette politique de réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit est absurde, et conduit à des conséquences désastreuses : maintien de certains patients sur des brancards aux urgences pendant des dizaines d’heures (avec les risques de mortalité accrus pour les personnes âgées) ; admission retardée ou impossible dans certains services hospitaliers ; transfert de certains patients dans les hôpitaux d’autres régions ou pays (c’est le cas pour les soins psychiatriques sous contraintes actuellement, du fait de la fermeture de plusieurs milliers de lits en psychiatrie pendant les dernières années).
Cette politique de réduction massive du nombre de lits hospitaliers n’est plus du tout d’actualité. La crise du COVID et la saturation d’un grand nombre de services d’urgences a en effet montré la nécessité de conserver un nombre suffisant de lits en aval et l’inanité d’une politique de gestion en flux tendu des services hospitaliers. L'ex-ministre de la santé Aurélien Rousseau avait promis à l'automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d'ici la fin de l'année ». Le comité d’appui de l’Hôpital exige donc que le futur projet d’hôpital conserve l’ensemble des lits d’hospitalisation complète actuels, nécessaires pour répondre aux besoins médicaux du territoire dont la population ne cesse d’augmenter et de vieillir. Nous souhaitons conserver l’ensemble des lits en maternité et en chirurgie, obtenir le retour des lits en néonatologie, augmenter le nombre de lits en soins palliatifs.
Si nous analysons de manière critique ce qui s’est passé pendant les dernières années, nous pouvons constater que l’ARS Bretagne a eu recours à de multiples stratégies :
- Pendant la période 2020-2023, une stratégie autoritaire et anti-démocratique de pilotage du projet de nouveau bâtiment, en refusant de diffuser à toutes les parties prenantes (élus, responsables syndicaux, usagers) le contenu des études de maîtrise d’ouvrage sur le projet de reconstruction de l’hôpital, et en cantonnant les discussions sur l’avancée du projet au sein d’un comité restreint à quelques personnes.
- l’absence d’approfondissement des études sur le coût de fonctionnement du futur hôpital, et l’absence de construction d’un plan de financement de la construction du futur hôpital, deux éléments qui ont contribué et contribuent encore au ralentissement du processus et retardent le lancement définitif du projet.
- En septembre 2023 : En cas d’augmentation significative des investissements nécessaires, rebattre les cartes et dénoncer le projet initial comme infaisable (en n’hésitant pas à se contredire et à remettre en cause des documents administratifs officiels donc).
- Sur le plan du discours, minimiser les besoins médicaux, en se fondant sur des données démographiques erronées (la population de l’agglomération de Redon, soit 66000 habitants, et non la population concernée résidant à moins de 35 kms de Redon, équivalent à environ 160 000 habitants), et légitimer la baisse du nombre de lits d’hospitalisation par le recours amplifié à l’ambulatoire.
- Dissuader les élus locaux de se mobiliser et de mobiliser la population en amont des manifestations, par le biais de lettres au contenu rassurant (tout en restant très imprécis).
- Exiger des directeurs successifs de l’Hôpital qu’ils promeuvent le projet de nouvel hôpital dans la presse[1].
- Reconnaissons-le, l’ARS mène aussi des actions positives, pour renforcer les coopérations au sein du Groupement hospitalier de territoire, pour éviter l’aggravation de la situation. La nouvelle directrice nommée en 2024 a ainsi favorisé le recrutement de nouveaux médecins spécialistes.
La population, les élus et les professionnels de santé de l’Hôpital, tous unanimes à dénoncer ce projet d’un hôpital au rabais !
Depuis l’annonce par l’ARS qu’elle rejetait le scénario initialement prévu de la reconstruction d’un bâtiment principal, au profit d’une solution moins coûteuse (un bâtiment neuf de 5700 m² + 2500 m² rénovés), tous les acteurs locaux se sont mobilisés pour contester ce projet d’un hôpital au rabais.
Une manifestation devant l’hôpital de Redon le samedi 27 janvier 2024 a rassemblé près d’un millier de personnes, en présence de nombreux élu-e-s, député-e-s, sénateurs et sénatrices, maires de nombreuses communes, des représentants des syndicats des personnels de l’hôpital (CGT et CFDT) et des représentants des usagers, dont l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux.
Une pétition qui a recueilli plus de 5000 signatures en ligne et plusieurs centaines sur papier et sur cartes postales, a été adressée à la ministre de la Santé. Les députés soutenant la mobilisation ont écrit à de multiples reprises aux ministres successifs de la santé pour avoir un entretien au sujet de l’hôpital (tout en délivrant symboliquement les pétitions et les cartes postale signées), sans succès jusqu’à aujourd’hui.
Dès le mois de février, un grand nombre d’associations du territoire se sont mobilisées, et se sont photographiées avec la banderole en soutien à la reconstruction d’un Hôpital à la hauteur des besoins. A la fin du mois de mars, une trentaine d’associations sportives, culturelles, de commerçants, s’étaient ainsi mobilisées[2].
Dans le même temps, le Comité d’appui de l’hôpital a organisé des réunions publiques dans plus d’une quinzaine de villes du territoire, au cours desquelles toutes les catégories sociales et tous les âges ont exprimé leurs besoins et leurs attentes parfaitement légitimes de naître, bien vivre et bien vieillir dans le Pays de Redon.
Le samedi 23 mars, près de 4000 personnes ont manifesté dans les rues de Redon pour clamer haut et fort leur droit d’accéder à des soins de qualité sans être contraints de faire plus d’une heure de route. Cette mobilisation exceptionnelle à l’échelle du territoire, démontre de manière remarquable à quel point l’avenir du Centre hospitalier de Redon-Carentoir mobilise très largement les citoyens et les forces vives du territoire.
A la fin de la manifestation du 23 mars, une délégation du comité d’appui a été reçue pendant 3 heures par le Sous-Préfet de Redon et par le directeur adjoint de l’ARS en Ille et Vilaine. Les membres de cette délégation ont réaffirmé la nécessité de respecter de manière impérative le projet médical et soignant, d’intégrer les services techniques et de conserver les lits d’hospitalisation dans le projet de futur hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet se sont voulus rassurants, tout en n’apportant aucune garantie. Minuscule victoire, l’ARS et la sous-préfecture ont accepté de diffuser l’ensemble des documents de travail et études aux membres du conseil de surveillance du centre hospitalier afin de garantir la complète transparence des informations. Les membres du comité d’appui ont déploré qu’aucun plan de financement viable du projet n’ait été présenté par les directions successives de l’Hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet ont indiqué que le financement des deux premières phases était acquis (avec une subvention de l’ARS à hauteur de 20 millions d’euros sur un total estimé à 40 millions d’euros), mais pas la troisième phase, évaluée globalement à 25 millions d’euros.
Au cours du mois de mai 2024, les syndicalistes de la CFDT du CHIRC ont fait une vidéo avec l’ensemble des professionnels de santé du Centre Hospitalier de Redon Carentoir, qui a rapidement fait un tabac sur les réseaux sociaux. Sur l’air de la Chanson des Restos du Cœur, ces professionnels réclament « un hôpital décent pour notre territoire » :
Je te promets pas le grand CHU/
mais juste de quoi te recevoir /
des m² et de la chaleur /
dans un hosto, un hosto du cœur /
Ce n’est pas vraiment ma faute si des lits ferment /
Mais ça le deviendra si on n’y change rien ! /
On mérite mieux qu’un hôpital au rabais !/[3]
Le samedi 25 mai 2024, environ 200 personnes ont participé à l’évènement « Bougeons-nous pour l’Hôpital ! A pied, à vélo, en tracteur ou en canoé… Tous mobilisés à Redon pour l’Hôpital », organisé par l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux. Deux convois de cyclistes sont partis de Peillac et de Langon, et un convoi de randonneurs à pied est parti de l’Île aux Pies. Un convoi de rameurs (en aviron et en canoé) a rejoint les cyclistes au Pont du Grand Pas à Sainte Marie, pour ensuite converger vers Redon. Ces randonnées, qui se sont déroulées dans une ambiance conviviale, ont été l’occasion de rencontrer des habitants, ainsi que des élus de plusieurs communes (Peillac, Saint-Perreux, Avessac, Langon, Bains-sur-Oust) et de sensibiliser la population sur la prochaine grande manifestation en défense de l’hôpital organisée le 13 juin par le comité d’appui de l’Hôpital. Arrivés à Redon, plusieurs représentants associatifs, syndicaux ou élus ont pris la parole, pour souligner le fait que le projet proposé ne permet en aucun cas de répondre aux besoins médicaux de la population concernée (160 000 Habitants), qui ne cesse d’augmenter. Ce projet aboutit à une diminution considérable du nombre de lits d’hospitalisation, ainsi qu’un fort risque de perdre des services médicaux et des services annexes (stérilisation, pharmacie, cuisine). Ils ont également insisté sur les revirements successifs de l’ARS, et son refus de financer l’hôpital à la hauteur des besoins de santé de la population et de garantir la réalisation de la troisième tranche des travaux. Ils ont déploré l’absence d’un véritable plan de financement pour le futur Hôpital.
Une nouvelle mobilisation réunissant plusieurs centaines de personnes a eu lieu le 13 juin en centre-ville de Redon. A la même période, une 3réunion est organisée avec le sous-préfet et des représentants de l’ARS, qui nous informent qu’un nouvel emplacement est à l’étude pour la reconstruction du futur bâtiment de l’hôpital (destruction d’un bâtiment existant, l’Hôtel Dieu), ce qui permettrait d’éviter toute une série de désagréments (suppression de parkings) et rapprocherait ce futur bâtiment de celui déjà existant. Toutefois, le projet de reconstruction conserve globalement la même dimension (désormais 2000 m² au sol), et l’ARS campe sur le montant de subventions de 20 millions d’euros. Le 25 juin, les membres du Conseil de surveillance de l’hôpital ont finalement émis un avis favorable avec des réserves sur le projet du nouveau bâtiment de l’hôpital, qui est désormais prévu à l’emplacement de l’Hôtel Dieu. Les réserves émises par les membres du conseil de surveillance sont de plusieurs ordres, en premier lieu l’absence d’un plan de financement, et l’insuffisance de la subvention de l’ARS ; et en second lieu le refus catégorique de toute réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuits (134 actuellement), notamment en maternité et en chirurgie.
En Octobre 2024, nous avons appris, à la suite d’une réunion avec la directrice de l’Hôpital et le président du Conseil de surveillance de l’Hôpital, que le projet, en l’état, n’était pas finançable par l’hôpital de Redon, qui se trouvait incapable d’investir le moindre euro dans la construction d’un nouveau bâtiment. En effet, les prévisions budgétaires tendent à indiquer que l’hôpital resterait déficitaire pendant les dix prochaines années. De plus, la direction de l’hôpital légitime la réduction du nombre de lits en maternité par le fait que le taux d’occupation des lits est d’environ 35% à l’année, et justifie l’absence de lits supplémentaires en soins palliatifs par le recours croissant à l’hospitalisation à domicile. Elle refuse de fournir des chiffres plus détaillés sur l’occupation quotidienne des lits dans ces services, et les taux des transferts de patients vers d’autres hôpitaux.
Suite à ces informations, l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux s’est réunie en assemblée plénière le 12 novembre. Dans un
communiqué, elle se dit « scandalisée par l’inertie des pouvoirs publics, qui refusent de financer la reconstruction du centre hospitalier de Redon Carentoir à la hauteur des besoins », et exige la
conservation du nombre de lits d’hospitalisation complète dans le futur hôpital.
Cadeau de Noël 2024 : une augmentation – insuffisante
- de la subvention de l’ARS pour faire accepter la perte de lits et l’absence de garantie de rénovation de l’ensemble des
services.
Finalement, le mardi 17 décembre 2024, de nouvelles informations ont été délivrées au conseil de surveillance du centre hospitalier, sans communication des documents au préalable. Les membres du conseil de surveillance ont appris qu’un plan global de financement pluriannuel de l’établissement (conçu sur 15 ans) intégrait le projet de construction et rénovation de l’hôpital.
Lors de cette réunion, les participants ont appris que l’Agence Régionale de Santé Bretagne avait augmenté sa subvention à hauteur de 30 millions d’euros. Cette augmentation de la subvention de l’ARS était indispensable pour permettre le financement de la construction du nouveau bâtiment, mais le montant reste largement insuffisant pour garantir l’extension de la superficie du nouveau bâtiment, et la rénovation du bâtiment actuel. Aucune précision n’est apportée pour savoir qui finance, et comment, le reste des investissements nécessaires.
A la stupéfaction des membres du conseil de surveillance, aucun plan de financement crédible couvrant l’ensemble des travaux n’est présenté, alors même que des promesses avaient été faites en ce sens par les services de l’Etat. De plus, le plan proposé repose sur le report de la Seconde étape de réhabilitation (concernant les services supports) à la période 2036-2039, en contradiction complète avec le calendrier présenté en conseil de surveillance de juin 2024 indiquant une fin des travaux en 2029/2030. Cette proposition de report est un très mauvais signe, aucune garantie n’étant apportée sur la réalisation de cette seconde phase de travaux. Dans un communiqué paru le 20 décembre 2024, le comité d’appui de l’Hôpital réaffirme avec force qu’il n’acceptera pas le saucissonnage du projet, et exige des garanties sur le financement de l’intégralité du projet de modernisation de l’hôpital.
Après des mois de mobilisation, la direction consent à fournir au conseil de surveillance des chiffres sur le taux d’occupation des lits dans certains services, en arguant que ces chiffres montrent une sous-occupation des lits d’hospitalisation complète actuels. Mais ces chiffres fournis sont des moyennes mensuelles, et non les chiffres quotidiens, ce qui rend difficile leur interprétation et ne permet pas de connaître les pics d’accueil. De plus, comme ce ne sont pas les données brutes, la méthode de comptage de cette occupation mérite d’être discutée et analysée : les représentants syndicaux ont en effet indiqué que les lits ne sont pas comptabilisés si les patients partent le matin, ou arrivent en fin de journée, ce qui engendre une sous-estimation de l’occupation des lits d’hospitalisation complète. D’autres données ne sont pas fournies, comme les taux de transferts de patients et les périodes d’absence de certains professionnels, qui pourraient permettre de mieux interpréter ces chiffres. La direction n’a d’ailleurs pas transmis d’information sur l’occupation des lits de soins palliatifs, alors même que nous savons que les quelques lits disponibles et éparpillés sont systématiquement occupés. Ces informations partielles délivrées ne permettent donc pas de légitimer cette baisse de lits à l’échelle de l’hôpital, ni de garantir l’absence de saturation des futurs services médicaux.
Pour toutes ces raisons, la mobilisation des citoyens et des citoyennes doit se poursuivre, pour exiger de l’ARS le maintien de la capacité de soin actuelle dans le futur hôpital. Il faut impérativement que la superficie du nouveau bâtiment soit augmentée, et qu’un quatrième étage soit prévu, pour s’assurer de la préservation du nombre de lits d’hospitalisation complète. Nous exigeons également de l’ARS une subvention équivalente à 70% du coût total de la construction/rénovation de l’hôpital (préférable à un montant en euros, qui peut s’avérer largement moindre que le coût final des travaux). Nous exigeons de l’Etat le respect de notre droit d’accéder à des soins de santé de qualité pour tous et toutes !
Gildas Brégain, co-référent avec Sophie Baconnet de l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux
[1] Par exemple, https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/lhopital-de-redon-na-jamais-eu-un-projet-de-cette-importance-estime-le-directeur-6032a8bc-c9b2-11ee-bd89-65961cacb703 ; https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/entretien-nous-ambitionnons-de-demarrer-le-chantier-de-lhopital-de-redon-en-septembre-2027-8a7ef5c2-8d5b-11ef-9d74-cdf49a297048.
[2] Pour plus de précisions sur l’ensemble des associations ayant soutenu l’initiative, voir les photographies sur le facebook du comité d’appui : https://www.facebook.com/people/Comit%C3%A9-dappui-de-lh%C3%B4pital-de-Redon-Carentoir/61557128660197/?sk=photos
[3] https://www.facebook.com/cfdt.chredoncarentoir/videos/les-professionnels-du-centre-hospitalier-intercommunal-redon-carentoir-chirc-don/819157493602524/
mise en ligne le 30 déc 2024
Arnaud Murati sur https://www.off-investigation.fr/
Nonobstant les milliards d’euros de profits réalisés, les sociétés concessionnaires d’autoroutes continuent de ruer dans les brancards : les négociations de fins de contrats de concession de Sanef et d’Escota s’annoncent mouvementées et sans doute défavorables aux intérêts publics.
D’un côté l’Etat, représenté à la fois par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) et l’Autorité de régulation des transports (ART). De l’autre, les sociétés concessionnaires d’autoroutes que sont Sanef, Vinci Autoroutes, APRR, etc. Si la relation n’a pas toujours été tendue entre toutes ces parties, il semblerait que l’échéance du 31 décembre 2024, qui ne concerne pourtant que la Sanef, a ravivé les tensions.
Il faut dire que l’enjeu est de taille. Au 31 décembre 2031 se terminera en effet le premier contrat de concession « historique » d’une autoroute française, celui qui lie la Sanef à l’Etat. Pour que ce contrat s’achève correctement, il convient que la puissance publique notifie à la société privée le programme des travaux qu’elle devra réaliser sur les cinq années à venir avant le 31 décembre 2024. Ces travaux, intégralement à la charge de la société concessionnaire, doivent permettre de voir le patrimoine routier être restitué en « bon état ». Ce dossier revêt une certaine importance car la concession de la Sanef étant la première à arriver à échéance, il y a fort à parier que ses modalités de fin serviront de modèle à l’ensemble des concessions qui s’achèveront dans les années à venir.
Mais c’est précisément cette notion de « bon état » qui constitue un premier point d’achoppement entre les sociétés d’autoroutes et l’ART. Le sénateur Hervé Maurey a remis un rapport sur le sujet le 23 octobre dernier, l’ART en a publié un second le 30 novembre : « Le rapporteur (ndlr, le sénateur) ne cache pas sa très vive préoccupation sur le sujet de la définition par l’Etat de la doctrine de bon état en fin de concession […]. En effet, il a appris récemment que l’Etat concédant venait de s’entendre avec les sociétés d’autoroutes sur une option de traitement a minima des ouvrages d’art évolutifs », écrit l’élu centriste. Si l’enjeu du « bon état » des chaussées est loin d’être quantité négligeable, celui des ouvrages d’art (ponts, échangeurs…) est nettement plus important. Selon l’ART, les travaux à envisager pourraient atteindre un montant cumulé d’un milliard d’euros ! « Très hostiles à cette perspective, les sociétés concessionnaires s’y opposent de façon résolue et demanderont probablement des compensations financières en échange », prévient le sénateur.
Experts maison : conflit d’intérêt « flagrant » ?
Mais avant même de savoir si les ouvrages d’art et les chaussées sont en bon état ou pas, il convient de les expertiser. La logique voudrait qu’un cabinet indépendant à la fois de l’Etat et des sociétés concessionnaires s’en charge. La réalité des faits est pourtant diamétralement opposée.
En juin dernier, la Sanef aurait ainsi elle-même rendu le rapport d’état des lieux des biens concédés : « On est en droit de s’interroger sur le fait que la réalisation de ce document décisif soit confiée aux sociétés concessionnaires » enrage M. Maurey, « à première vue, le conflit d’intérêt semble flagrant ». Un « conflit d’intérêt » qui émerge aussi concernant les cabinets d’expertise spécialistes des ouvrages d’art, selon le sénateur. Ceux-ci ont largement été appelés à la rescousse par l’Etat pour faire face au pic d’activité généré par ces premières fins de concessions autoroutières. Et qui sont leurs clients habituels si ce n’est les sociétés d’autoroutes ?
Cinq milliards : ces travaux que les concessionnaires auraient oublié de faire…
En attendant que les pouvoirs publics et les sociétés concessionnaires s’entendent sur la notion de « bon état », il est un autre dossier que l’ART a souhaité porter à la connaissance du public et donc du sénateur Hervé Maurey : des travaux dits « de seconde phase », décidés dans des contrats et avenants et déjà financés par les péages, n’ont jamais été réalisés. Selon l’ART, ce sont « 37 opérations d’élargissement et l’aménagement d’une bretelle, sur un linéaire total de plus de 1 000 kilomètres, ainsi que la construction de 13 échangeurs » que les sociétés concessionnaires d’autoroutes auraient oublié de faire. Pour un montant total qui dépasse les cinq milliards d’euros ! Dans le détail, les élargissements de chaussées prévus et non réalisés représentent 250 km linéaire pour APRR, 169,3 km pour ASF et… 461,5 km pour la Sanef, championne de France en la matière. L’ART a beau préciser que le contrat entre l’Etat et la société propriété du groupe Abertis est tout à fait explicite à propos de ces travaux (ils n’ont rien d’optionnel), rien n’y fait. La Sanef conteste vertement : « Sur le fond, le groupe Sanef réfute la thèse construite par l’ART selon laquelle, en définitive, tous les investissements de seconde phase seraient « exigibles » au plus tard à l’échéance des contrats », indique Arnaud Quémard, le directeur général de la Sanef, dans sa réponse écrite au rapport de l’ART. Pour APRR, la vision de l’ART sur ces investissements de seconde phase est tout simplement « émaillée de nombreux raccourcis, contradictions, incomplétudes et d’affirmations erronées », selon sa réponse écrite fournie à l’ART.
L’Autorité de régulation des transports entend toutefois ne pas se laisser marcher sur les pieds sur ce point précis. Elle ne réclame pas coûte que coûte que ces travaux théoriquement prévus soient réalisés : certains d’entre eux n’ont plus vraiment de sens en 2024, pour différents motifs. L’ART exige toutefois que le financement de ces travaux, réalisés par les péages et donc par les automobilistes, leur reviennent : « L’avantage financier résultant de l’abandon d’opérations, constitué de recettes de péage passées ou à venir, devrait être utilisé au bénéfice des usagers des autoroutes concédées », indique encore le rapport de l’autorité.
Des pouvoirs publics trop faibles
Alors que la France vit depuis plusieurs mois avec des ministres intermittents, la grande crainte du sénateur Hervé Maurey est que la DGITM se montre « faible » dans la négociation face aux équipes pléthoriques et affutées des sociétés concessionnaires d’autoroutes : « La DGITM a géré ce dossier non pas en catimini, mais discrètement, sans contrôle politique » indique l’entourage du sénateur à propos des fins de contrats. La DGITM redouterait plus que tout que les sociétés concessionnaires portent une nouvelle fois une ou plusieurs affaires devant les tribunaux. Une vraie manie chez elles dès qu’un élément contrevient au moindre centime de leurs profits. Le 14 mars dernier, pourtant, le tribunal administratif de Cergy a largement donné tort aux sociétés concessionnaires qui ne payent pas, depuis 2021, une taxe appelée « contribution volontaire exceptionnelle ». Le tribunal a ainsi jugé que « la société requérante n’établit pas, par les pièces versées au dossier, que l’équilibre financier de la concession aurait été affecté » par les différentes taxes auxquelles elle est soumise. Ce jugement, vraisemblablement contesté en appel par la société concernée (qui est redevable de 67,4 M€ cumulés à l’Agence de financement des infrastructures de transport), n’est en effet qu’une péripétie judiciaire parmi d’autres selon la Cour des comptes…
Vinci Autoroutes fulmine contre l’Autorité de régulation des transports
Perspective de la fin des concessions, et travaux de seconde phase, sont autant d’éléments qui semblent désormais faire exploser la marmite du côté de chez Vinci Autoroutes et de son président Pierre Coppey. Sa réponse écrite au rapport de l’ART, longue de six pages, exsude20 pt de rage. On y apprend ainsi que Vinci Autoroutes n’a pas souhaité participer aux débats portant sur les fins de concessions, pas plus que sur les investissements dits de seconde phase. M. Coppey considère en effet l’ART parfaitement incompétente pour se préoccuper de tels sujets : « Il s’agissait, par principe, de faire respecter le droit et de ne pas contribuer à ce qui peut apparaitre comme un abus de pouvoir », signale le dirigeant. Vinci Autoroutes et son leader s’étranglent en outre du fait que l’Autorité se permette de mettre régulièrement le nez dans l’équilibre financier des sociétés concessionnaires : « C’est de manière dévoyée que l’ART produit, à une fréquence quasiment annuelle […] des rapports sur l’économie générale des concessions » cingle le président. Mieux encore : Pierre Coppey accuse directement l’ART de conflit d’intérêt, en citant deux personnes qui seraient à la fois juge et partie ! « Toutes ces dérives étant constantes et parfois revendiquées par l’ART, Vinci Autoroutes a décidé, comme nous vous en avions informés, d’en saisir la Cour européenne des droits de l’homme », prévient le président de Vinci Autoroutes, qui n’a pas souhaité répondre aux questions d’Off Investigation. Le président de l’ART Thierry Guimbaud a considéré dans Le Monde du 30 novembre 2024 que les sociétés d’autoroutes doivent « 3,8 milliards d’euros aux usagers. »
mise en ligne le 30 déc 2024
par France Palestine Mental Health Network sur https://blogs.mediapart.fr/
L'attaque effroyable cette semaine sur l'hôpital Kamal Adwan dans le nord de Gaza, désormais sans infrastructure sanitaire, a amené nos réseaux pour la santé mentale en Palestine à pousser d'urgence ce cri d'effroi et d'indignation -- et à exhorter à agir.
Un cri depuis les ruines de Gaza : le génocide continuera tant que l'impunité d'Israël persiste
Les réseaux palestiniens de santé mentale dénoncent avec angoisse et indignation la destruction de l’hôpital Kamal Adwan qui témoigne encore du génocide en cours. Cet espace, censé abriter et soigner, a été consumé par les flammes, ses salles réduites en cendres par les forces militaires israéliennes dans une opération froidement calculée pour détruire.
Les ruines de l'espoir
L'attaque contre l'hôpital Kamal Adwan n'est pas seulement une tragédie, c'est une atrocité. Les patient.e.s, dont beaucoup d'enfants, ont été arrachés de leurs lits alors que l'hôpital était en proie aux flammes et aux assauts violents. Des dizaines de membres du personnel, dont son directeur, le Dr Hussam Abu Safiya, ont été emmenés de force. Leur sort reste incertain, tandis que la peur et le désespoir s'emparent de leurs familles et accablent ce qui reste de la communauté soignante de l'hôpital.
Ces incidents ne sont pas isolés. Depuis octobre 2023, Gaza est devenue un cimetière d’espoir, un cimetière collectif pour les Palestinien.ne.s. Plus de 45 000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s. Presque toute la population de Gaza a été déplacée. Le blocus se resserre comme un nœud coulant, et le système de santé de Gaza – un droit humain fondamental – est réduit en ruines. Les mots de l’Organisation mondiale de la santé sont sans appel : le système de santé de Gaza est systématiquement démantelé, ce qui constitue une « condamnation à mort pour des dizaines de milliers de personnes ».
Un cri de l'abîme
Que reste-t-il quand les hôpitaux brûlent ? Quand les médecins sont incarcérés, torturés et réduits au silence ? Quand les enfants manquent d’air parce que les bouteilles d’oxygène ne peuvent pas franchir les barrages ? Ce n’est pas une guerre. C’est une annihilation. C’est l’asphyxie lente et délibérée d’un peuple. C’est un génocide.
Chaque hôpital démoli, chaque patient.e dans les décombres, chaque corps d’enfant sans vie extirpé des décombres – ce ne sont pas des accidents. Ce ne sont pas des « dommages collatéraux ». Ce sont des crimes contre l’humanité, des actes de génocide calculés, perpétrés sous les yeux d’un monde qui regarde en silence.
Où est la justice ? Où est l'humanité ? Que faudra-t-il pour réveiller le monde de son indifférence ?
Un appel au monde
Nous ne pouvons plus accepter l’impunité. Voici ce que nous exigeons :
Il faut mettre un terme immédiat au génocide : les massacres à Gaza ne peuvent pas continuer. Le blocus est une condamnation à mort. Sa poursuite est une tache sur la conscience de l’humanité.
Ouvrez les couloirs humanitaires : laissez passer les ambulances. Laissez les médicaments circuler. Laissez Gaza respirer.
Protéger les établissements de santé : faire respecter les lois qui nous lient tous en tant qu’êtres humains. Protéger ce qui reste des hôpitaux et des cliniques de Gaza.
L'impunité qui tue
La neutralité face au génocide est une complicité. Chaque instant de silence et d’incapacité à demander des comptes à Israël alimente le feu qui consume Gaza. Chaque instant d’inaction permet à un autre hôpital de tomber, à un autre enfant de mourir, à une autre famille d’être déchirée.
C'est un cri qui s'élève des ruines de l'hôpital Kamal Adwan. C'est le cri des mères de Gaza qui enterrent leurs enfants. C'est le cri des médecins obligés de refuser l'accès aux mourants. Le monde entier vous regarde. Allez-vous agir ou détournerez-vous à nouveau le regard ?
Rejoignez la lutte pour la justice
Voici comment vous pouvez aider :
Signez la pétition : Ajoutez votre voix à la campagne « Pas un hôpital de plus ».
Signez la pétition Aucun enfant n'est une cible .
Partagez cet article : Amplifiez le cri de Gaza en le partageant avec vos réseaux.
Exigez des mesures : protégez les Gazaouïs MAINTENANT. Tenez Israël responsable de ses actes MAINTENANT. Contactez vos représentants gouvernementaux et exigez qu'ils protègent la population de Gaza et ses services de santé.
Appelez les dirigeants mondiaux à imposer un embargo sur les armes à Israël MAINTENANT.
Tenez compte de l’appel de la société civile palestinienne en faveur du mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions : respectez ses directives et encouragez votre réseau à faire de même.
Nous ne pouvons plus attendre
Ne pas réagir à la catastrophe en cours n’est pas une option.
Ce n’est pas seulement le cri de Gaza. C’est le cri de l’humanité pour la justice. La destruction de l’hôpital Kamal Adwan est une atteinte à tous les principes qui nous sont chers. C’est un appel à nous tous pour nous lever, parler et agir.
Que ce cri ne se taise pas. Qu'il résonne jusqu'à ce que justice soit rendue.
Ne détournez pas le regard. Ne restez pas silencieux. L’humanité doit agir.
AGISSEZ MAINTENANT.
C'EST NOTRE MOMENT DE CRÉER LE CHANGEMENT ET D'ARRÊTER LE GÉNOCIDE.
Voici le lien vers la version originale en anglais de cet appel:
https://docs.google.com/document/d/1h-VPwmDCicme0RTeOR0ORuqkRtidkQXZGIyOaRbmoSw/edit
Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr
Alors que s’achève l’année, les récits des horreurs vécues par les Palestiniens à Gaza en 2024 se font plus rares dans les gros titres, au profit des sapins de Noël et des conseils culinaires sur les huîtres et le foie gras à acheter pour le réveillon. Les otages israéliens sont toujours détenus, et Gaza est détruite et 2024 restera à jamais le symbole poignant du désespoir, du cynisme, de l’injustice et de l’impuissance des grands de ce monde, l’acte de décès d’un ordre multilatéral établît après la seconde guerre mondiale.
Depuis 15 mois le désespoir d’un peuple de réfugiés, vivant dans une prison à ciel ouvert désormais décrite comme un cimetière d’enfants, l’un des lieux les plus proches de l’enfer sur Terre, Gaza.
Le cynisme des pays donneurs de leçons qui affichent de manière ostentatoire, à la moindre occasion, leur attachement aux droits humains aura des conséquences qui dépassent d’ores et déjà la sphère géographique du Moyen-Orient.
L’injustice de cette guerre asymétrique entre une puissance nucléaire surarmée et un peuple colonisé depuis plus de 75 ans nous rappelle une amère vérité : Gaza est la conséquence de conflits historiques et de luttes de pouvoir politiques. Elle met en lumière une cruelle réalité : les droits humains et la justice ne sont que des variables d’ajustement, dépendant de l’origine de la victime et de celle de l’agresseur.
Une vie ne vaut pas une autre, nous le savions déjà ; désormais, cela nous est prouvé quotidiennement.
Un racisme insidieux, bien enrobé dans des discours bien ficelés et pas toujours politiquement corrects, est distillé à longueur de journée dans des médias aux ordres.
Gaza a été l’occasion pour certains issus de familles politiques au passé antisémite de parler de leur obsessions, l’immigration, l’insécurité, l’islamisme. Ils ont momentanément changé de cible mais la haine est toujours leur moteur.
Malgré les condamnations sincères, répétées et affirmées haut et fort des atrocités du 7 octobre et de la situation des otages, quiconque appelle à un cessez-le-feu est catalogué comme un soutien aux terroristes.
Israël est actuellement dirigé par des suprémacistes racistes. Leur objectif déclaré est l’expulsion des Palestiniens de leurs terres ancestrales. Comment le dire autrement ?
L’impuissance des plus hautes instances internationales à freiner ces criminels de guerre est manifeste. Les enquêtes de prestigieuses institutions comme le New York Times ou Le Monde sont qualifiées d’antisémites. Des ONG respectables, des politiciens, des artistes et des mouvements d’étudiants pacifiques sont accusés des pires maux. Les rapports d’Amnesty International et des Nations Unies sont clairs : les intentions génocidaires sont évidentes et les habitants de Gaza semblent être des oubliés de l’humanité.
Les équipes de Médecins Sans Frontières n’ont jamais observé un tel nombre d’enfants et d’adolescents tués ou mutilés au cours des cinquante dernières années. La poursuite de cette tragédie soulève des questions cruciales sur l’impuissance des institutions onusiennes à faire respecter les droits de l’homme et à protéger les plus vulnérables.
Le droit de veto au Conseil de sécurité des grandes puissances est devenu un blanc-seing pour les plus forts. Les États-Unis l’ont utilisé des dizaines de fois pour bloquer une résolution condamnant Israël. L’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency) est attaquée, certains craignant qu’il n’alimente des groupes extrémistes parce qu’une dizaine d’agents sur les plus de 30 000 employés ont exprimé des sympathies envers les Palestiniens. Un vieux rêve des Israéliens se réalise enfin : arrêter de financer l’UNRWA.
Les attaques contre l’ONU (Organisation des Nations Unies), symbole de l’ordre international établi après 1945 sont quotidiennes. L’ONU est régulièrement le théâtre de scènes ubuesques. Les résolutions votées par 90% des pays restent lettres mortes. Et attention ne dites surtout pas que la résolution 181 adoptée le 29 novembre 1947 par l’Assemblée générale des Nations unies a rendu la création d’Israël possible. Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies le 27 septembre 2024, Benyamin Netanyahou a osé qualifier de « plaisanterie » les 174 résolutions condamnant Israël depuis 2014. Selon lui, l’ONU ne serait plus qu’« une farce méprisable ».
La Cour Pénale Internationale (CPI), après avoir émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre, a fait de même pour Netanyahou et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, recherchés pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité liés à la guerre à Gaza. Cette décision a été qualifiée d’« antisémite » par Netanyahou et jugée « scandaleuse » par le président américain, Joe Biden.
En janvier, la CIJ (Cour Internationale de Justice) a mis en garde Israël contre un « risque réel et imminent » de génocide et a appelé à « empêcher toute action relevant de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide ».
Le gouvernement français, dans une démarche où le ridicule dispute le grotesque, a accordé une immunité à Netanyahu et continue à vendre des armes à Israël. Le Premier ministre hongrois, quant à lui, s’est empressé de l’inviter, le Congrès et le Sénat américains, quelques jours auparavant, lui avaient offert une ovation debout.
La censure et l’autocensure entourant le génocide en cours à Gaza reflètent l’état de l’information en France. La droite et l’extrême droite se sont emparées d’importants médias. Les regroupements impressionnants de médias entre les mains de fortunes qui affichent ouvertement des positions réactionnaires font peur. Désormais, chaque prise de position en faveur des Palestiniens est qualifiée d’antisémitisme ou d’un islamo-gauchisme supposé.
Des médias entre les mains de richissimes personnes aux idéologies réactionnaires affichées adoptent une ligne éditoriale partisane non dissimulée.
Tout cela se déroule sous le regard complaisant de l’Union européenne (UE), y compris de la France, qui confère à un État pratiquant l’apartheid envers ses propres citoyens arabes, un État qui affiche ouvertement une distinction entre ses citoyens en fonction de leur religion, une légitimité démocratique à travers des accords commerciaux et la vente d’armements.
L’engagement de la communauté internationale, notamment de l’Union européenne et de la France, soulève des questions. Bien que ces entités reconnaissent l’importance de protéger les droits des Palestiniens, leurs actions semblent souvent en contradiction avec leurs discours.
Les critiques envers Israël sont rapidement étiquetées comme antisémites, instaurant un climat de peur et d’autocensure qui restreint le débat public sur la guerre actuelle et les injustices historiques. Ce faisant cette attitude alimente la montée de l’antisémitisme qui est une réalité indéniable et c’est bien le drame des conséquences incalculables de cette guerre.
Pour Anthony Samrani, corédacteur en chef du quotidien libanais L’Orient-Le Jour : « Gaza n’est pas qu’une guerre de plus. C’est un point de rupture. C’est le dernier clou dans le cercueil de l’ordre international, déjà affaibli par les événements du 11 septembre 2001. »
Il est légitime de se défendre et de dénoncer les attaques contre des civils et les prises d’otages mais l’Occident s’est objectivement rendu complice de la tragédie à Gaza en oubliant de rappeler que le droit à la défense revient à l’occupé, et que la colonisation est illégale. Gaza a rendu visible la fracture qui existait entre le sud et le nord ; le double standard est devenu évident.
L’Europe et la France en particulier sont les plus grands perdants, mais elles ne réalisent pas encore l’ampleur des dégâts. Il faudra peut-être des décennies pour reconstruire l’enclave palestinienne, mais il faudra bien plus que du temps et de l’argent pour rebâtir un ordre multilatéral crédible, que les grandes puissances ont piétiné à travers ce conflit.
Et finalement, il est clair que cette dynamique destructrice est entretenue pour empêcher l’émergence d’un dialogue constructif sur la paix. Dès lors il devient urgent de se poser la question fatidique à qui profite cette guerre ? Qui a intérêt à ce que la paix ne s’installe pas au Moyen-Orient ?
mise en ligne le 29 décembre 2024
MattiefloNogi sur https://blogs.mediapart.fr/
Dire, qu’il y a à peine quelques mois, ils avaient suscité l’espoir. Pourtant, le message sorti des urnes semblait assez clair. Interrogation perplexe d'un sympathisant et fidèle électeur de gauche.
Dire, qu’il y a à peine quelques mois, ils avaient suscité l’espoir. Désormais, il y a de quoi désespérer à voir le spectacle qu’ils nous offrent. Ils ? Les “chefs” de partis de la gauche, toujours prêts à s’unir pour obtenir nos suffrages pour aussitôt s’invectiver une fois élu (lire par exemple ici : À défaut d’avoir une majorité, Emmanuel Macron réussit à diviser la gauche | Mediapart).
Pourtant, le message sorti des urnes semblait assez clair : « Non à Macron et l’extrême droite, oui à l’union des gauches, marre de vos divisions et vos calculs de boutiquiers ». Divine surprise, ce Nouveau Front Populaire (NFP) sortait même en tête des élections législatives.
Je me risquerai même à écrire qu’il y a, chez chaque électeur, une partie des idées de chacun des partis qui forme le NFP. De nombreux électeurs de gauche sont fatigués de choisir, simplement pour se compter, mais souhaitent voir leur représentant prendre les rênes du pouvoir et enfin appliquer un programme pour réparer la France que sept années de E. Macron ont tellement abîmé, sans compter F. Hollande et N. Sarkozy avant lui. La coopération de toutes les organisations est aussi une garantie solide qu’elles ne s’enferment pas dans leurs écueils : tracer sa route en solitaire à La France Insoumise (LFI), trahir à la première occasion au Parti Socialiste (PS), s’enfermer dans un combat de privilégiés chez les Écologistes et affirmation identitaire au PCF. Venant de la gauche qui prône la coopération plutôt que la compétition, la démarche devrait sembler évidente.
Souvenons-nous qu’en 2022, une grande majorité des électeurs de gauche ont voté pour Jean-Luc Mélenchon malgré une certaine rancœur, pour ne pas dire plus, à son encontre et qu’après la dissolution de 2024, nous avons tous largement joué le jeu et voté largement pour le NFP quel qu'en soient le représentant de la circonscription. Le ferons-nous aussi fortement et massivement la prochaine fois? Rien n’est moins sûr, s’ils continuent à mettre tant d’énergie à nous dégoûter de voter pour eux.
Alors que la censure du gouvernement M.Barnier et sa réplique version F.Bayrou aurait pu être le moment fort d’un NFP solide et solidaire, c’est plutôt l’inverse qui se produit. L’union de la gauche semble se disloquer sous nos yeux, alors qu’après sept ans de pouvoir, l’échec de la politique de Macron et ses affidés est patent. J’écrirai même triple échec.
Échec économique d’abord. La théorie du ruissellement, fondement idéologique du Macronisme, ne fonctionne pas. Malgré les 50 milliards d’euros annuels accordés aux plus riches et aux grandes entreprises, la croissance n’est pas au rendez-vous, le déficit se creuse, la pauvreté ne recule pas et les créations d’emplois ne sont pas au rendez-vous. Cette politique économique est un non-sens, cette évidence longuement répétée apparaît désormais au grand jour pour tous (lire ici : Bruno Le Maire, l’idéologue dont l’échec mène au désastre | Mediapart )
Échec politique ensuite : Macron prétendait se battre contre le RN, il en est devenu le marche pied. Cela a déjà été écrit à maintes reprises. Le déshonneur est désormais total puisque les élus macronistes préfèrent désormais s’allier à l’extrême droite qu’à la gauche.
Échec démocratique enfin : ceux qui se gaussent d’être les modérés, les raisonnables, les “démocrates face aux populistes” refusent aujourd’hui de lâcher le pouvoir malgré deux défaites consécutives aux élections. Ils sont la cause du blocage institutionnel, convaincus que leur politique est la seule possible. Tout est négociable pour eux, tant qu’ils gardent le pouvoir et qu’on ne touche pas à leur fondements économiques. Ils ne sont pas prêts à être minoritaires et encore moins à négocier avec d’autres forces politiques. Sinistre vision de la démocratie.
En face, le RN perd peu à peu en crédibilité. Il se révèle incapable de tenir son soi-disant “vernis social” qui craquelle pour révéler sa véritable orientation libérale (lire ici : Budget 2025 : l’imposture sociale du RN se révèle au grand jour - L'Humanité ). Les élections de 2024 l’ont montré : une large majorité de français ne veut pas de l’extrême droite.
Face à deux adversaires décrédibilisés, il y a un espace pour relever la tête, montrer une voie pour le pays, être fier de son identité politique. Encore faudrait-il ne pas se moquer des électeurs après chaque élection, ne pas chercher à chaque fois à se compter les uns par rapport aux autres. Aujourd’hui le NFP n’est pas majoritaire. Mais un tiers des voix et des sièges à l’assemblée, c’est une base solide quand on se souvient de 2017 (11% des sièges). Pour aller plus loin, il s’agit évidemment de s’appuyer sur nos forces : les quartiers populaires, la jeunesse, les classes moyennes supérieures attachées aux services publics, les outre-mer.. et d’aller chercher tous ceux qu’il nous manquent : les abstentionnistes, les retraités, les classes moyennes inférieures… “Additionner sans soustraire” comme l’écrivait François Ruffin version 2022 dans “Je vous écris du front de la somme” (lire ici).
Pour faire le lien entre les partis et les électeurs, nous avons aussi grand besoin de corps intermédiaires, de médias, d’associations, de syndicats, d’initiatives qui fassent vivre le front social et politique au quotidien. C’est une condition essentielle à la fois pour maintenir une pression sur les partis politiques et en même temps pour disposer de solides relais dans l’ensemble de la société. D’où la réponse à la question initiale : le nouveau front populaire devrait davantage être présent davantage dans chaque ville, chaque quartier, chaque village… Il apparaît nécessaire de le faire vivre au quotidien au plus près des électeurs et des acteurs de terrain, autour de mot d’ordre simple : des services publics partout pour réparer les fractures du pays (le capital de ceux qui n’en ont pas), un travail sain et rémunérateur pour tous... L’appel de Lucie Castets et Marine Tondelier (https://www.gagnons-ensemble.fr/) semble aller dans ce sens, en espérant que ce ne soit pas une nouvelle impasse comme le fut à son époque la Primaire Populaire.
mise en ligne le 29 décembre 2024
Roger Martelli sur www.regards.fr
Faut-il, comme l’avance l’économiste, recouvrer le clivage gauche-droite et considérer le RN comme faisant partie du bloc de droite – et non pas d’extrême droite ?
Dans une intéressante chronique du Monde, Thomas Piketty avance des analyses passionnantes sur ce qui plombe notre démocratie et englue la gauche dans une tripartition étouffante. Il pourfend ainsi les tentations de coalition des « raisonnables » contre les « extrêmes ». Il rappelle à la gauche qu’elle ne se relancera qu’à condition… d’être conforme aux valeurs qui sont historiquement les siennes.
Mais il termine son texte par l’idée que, pour retrouver la simplicité du dualisme de la droite et de la gauche, il faut que les Républicains acceptent de s’allier avec le Rassemblement national. Je ne crois ni que la gauche a moralement le droit d’envisager l’inéluctabilité d’une telle hypothèse, ni que ce soit tactiquement pertinent.
Accepter une fusion de la droite « classique » et de l’extrême droite, c’est entériner une rupture dans l’histoire même de la droite. Non sans peine, dans la dernière partie du 19ème siècle, elle avait coupé les ponts avec le parti pris contre-révolutionnaire et elle s’était acclimatée à la République. Il n’a pas manqué par la suite, à droite, de tentations de nouveaux raidissements. C’est ainsi que, dans les années 1930, une partie des « élites » françaises ont « préféré Hitler au Front populaire » et qu’un bon nombre a choisi la collaboration. Mais il s’est tout de même trouvé un De Gaulle pour éviter à la droite de sombrer définitivement dans l’indignité nationale. Peut-on se réjouir de voir la droite s’y enfoncer de nouveau ?
La droitisation de la droite permettrait à la gauche de récupérer celles et ceux qui, tentés par la droite, refuseraient d’aller jusque-là ? Le risque arithmétiquement le plus grand est ailleurs : que, à un moment où la gauche est dans ses basses eaux électorales, la convergence des droites conduise au pouvoir une droite radicalisée à son extrême.
Les Républicains se rangeant en bloc du côté du RN, ce ne serait pas seulement un glissement vers leur droite, mais une rupture historique. Tout comme l’arrivée au pouvoir du RN ne serait pas seulement une aggravation des dérives autoritaires actuelles de la démocratie, mais une rupture avec plus de deux siècles d’histoire démocratique.
On devine, en filigrane des propos de Piketty, l’hypothèse selon laquelle la droitisation de la droite permettrait à la gauche de récupérer celles et ceux qui, tentés par la droite, refuseraient d’aller jusque-là. Mais le risque arithmétiquement le plus grand est ailleurs : que, à un moment où la gauche est dans ses basses eaux électorales, la convergence des droites conduise au pouvoir une droite radicalisée à son extrême.
La peur n’est jamais bonne conseillère. Si les inquiétudes et les colères ne se raccordent pas à l’espérance, c’est le ressentiment qui gagnera la partie. Si l’on veut éviter cela, si l’on veut redonner du sens au conflit originel de la gauche et de la droite, la reconstruction de cette espérance doit revenir au centre des débats publics, en laissant au placard les combinaisons, tout aussi savantes que dangereuses.
En bref, pour que le dilemme de la gauche et de la droite retrouve son lustre, il faut une gauche à la hauteur, à la fois diverse et rassemblée, équilibrée dans sa composition, ancrée dans ses valeurs et toujours plus soucieuse de rassembler, de lutter et de rassurer.
mise en ligne le 28 décembre 20324
Marie Turcan sur www.mediapart.fr
L’armée israélienne a mis « hors service » le dernier hôpital fonctionnel du nord de Gaza, forçant des dizaines de blessés graves à quitter les lieux. Le directeur Hussam Abou Safiya, figure de la résistance palestinienne et du personnel soignant à Gaza, aurait été arrêté.
C’était le dernier hôpital qui traitait des malades et blessé·es dans le nord de la bande de Gaza. Un « raid sur l’hôpital » Kamal-Adwan de Beit Lahia, lancé par les forces armées israéliennes, l’a « mis hors service » vendredi, a dénoncé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un communiqué. L’attaque aurait été perpétrée dans la matinée, causant la destruction de « plusieurs unités cruciales » de l’établissement de santé.
Dans un communiqué, le ministère de la santé du gouvernement à Gaza a indiqué que « les forces d’occupation [israéliennes] ont emmené des dizaines de membres du personnel médical de l’hôpital Kamal-Adwan, dont le [directeur] Dr Hussam Abou Safiya, vers un centre de détention pour les interroger ».
Les troupes israéliennes auraient mis le feu dans différentes zones de l’hôpital, notamment le bloc opératoire, toujours selon le ministre de la santé local, cité par Associated Press. L’armée israélienne affirme que l’hôpital aurait été utilisé comme base par des soldats du Hamas, sans en apporter de preuve.
L’OMS fait état de « soixante agents de santé et vingt-cinq patients dans un état critique », rappelant que « le démantèlement systématique du système de santé à Gaza est une peine de mort pour les dizaines de milliers de Palestiniens qui ont besoin de soins ». L’armée israélienne aurait ordonné l’évacuation de ces derniers patients vers un autre hôpital hors service, inapte à recevoir des personnes blessées, sans eau ni électricité. Les conditions de survie sont d’autant plus difficiles que de rudes intempéries s’abattent sur la bande de Gaza, des bourrasques glaciales faisant s’envoler les abris de fortune.
Le Réseau des ONG palestiniennes (PNGO) dénonce, dans un communiqué samedi, au moins cinq morts : « Le PNGO condamne fermement l’escalade des crimes de l’occupation israélienne contre le système de santé dans le nord de la bande de Gaza. Le secteur de la santé du PNGO fait référence à l’assaut de l’hôpital Kamal-Adwan par l’occupation israélienne, à l’évacuation forcée des malades et des blessés et au ciblage du personnel médical, qui a entraîné la mort de cinq d’entre eux et la destruction des installations hospitalières. »
Les témoignages des familles et du personnel de l’hôpital
Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, dont l’heure d’enregistrement est difficile à authentifier précisément, montrent un drone quadricoptère larguer une bombe aux alentours de l’hôpital Kamal-Adwan en plein jour. Shurooq Saleh Khader al-Rantisi, une laborantine qui travaillait au centre hospitalier, raconte dans une autre vidéo diffusée par le journaliste palestinien Osama Abu Rabee que l’armée israélienne a demandé au personnel « d’évacuer le bâtiment » et a commencé à « brûler des documents » sur place.
Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. Un témoin évacué de l’hôpital Kamal-Adwan, interrogé par un journaliste palestinien
Sur d’autres images diffusées par l’armée israélienne, on voit une vingtaine d’hommes, certains sans pantalon, marcher en ligne, aux alentours de l’hôpital. Selon la journaliste Wizard Bisan, il s’agirait de docteurs qui auraient été contraints de se déshabiller et de quitter les lieux, mais il pourrait aussi s’agir de patient·es. La laborantine Shurooq Saleh Khader al-Rantisi rapporte aussi que l’armée aurait déshabillé le personnel hospitalier sur place avant d’en emmener une grande partie à l’extérieur.
« Avant-hier déjà, l’armée est arrivée dans la nuit, a tiré des missiles sur l’hôpital et ses alentours, rapporte un homme qui dit avoir été évacué de force de l’hôpital Kamal-Adwan avec sa femme et ses enfants. Hier [vendredi], l’armée est arrivée avec un mégaphone et a demandé au directeur de leur remettre tous les patients, blessés et malades. »
Il explique que les forces israéliennes auraient demandé à ce qu’ils et elles sortent dénudé·es du bâtiment avec les autres patient·es et leurs familles. Une fois arrivé·es à un « checkpoint » quasiment sans vêtements, ils et elles se seraient vu attribuer un numéro : « Ils nous ont marqués avec des numéros sur notre poitrine et derrière le cou puis nous ont embarqués, nus, dans des camions. » Toutes et tous seraient restés parqués là une grande partie de la nuit.
Le directeur de l’hôpital Hussam Abou Safiya aurait été arrêté
La situation actuelle du directeur de l’hôpital, Hussam Abou Safiya, inquiète également. Le directeur du ministère de la santé à Gaza assure que ce dernier a été « violemment battu par les forces d’occupation » avant d’être arrêté.
Un compte Instagram officiel au nom du médecin, qui n’est pas alimenté uniquement par lui, a pourtant partagé un message dans lequel il est écrit que « tout ce qui a été écrit sur l’arrestation du Dr Hussam Abou Safia est faux, Dieu merci il va bien, mais les moyens et réseaux de communication sont très mauvais ». Sans plus de précisions, ni de preuve de son état, il est impossible de savoir si la publication a bien été envoyée par le concerné ou un membre de son entourage.
Aux alentours de midi, le compte Instagram a par ailleurs partagé une nouvelle vidéo, celle du média d’Aljazeera360 qui mentionne en légende l’arrestation du directeur et diffuse des images d’un ancien reportage.
Le docteur est devenu une figure très visible de la résistance palestinienne, de par son engagement auprès des blessé·es sur le terrain et les nombreux témoignages qu’il a livrés à la presse internationale ces derniers mois. Début novembre, il rapportait à Mediapart une situation « épouvantable » et « jamais vue », qu’il essayait de capturer dans de rares vidéos. « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire », avait-il témoigné.
Malgré des tentatives de prise de contact par Mediapart ce samedi, le téléphone du directeur ne semble pas recevoir nos messages.
Depuis le 22 décembre, il exhortait la communauté internationale à agir « avant qu’il ne soit trop tard » : « Les bombardements n’ont pas cessé de la nuit, des maisons et des bâtiments ont été détruits à proximité. Depuis ce matin, l’hôpital est visé par des bombes lâchées par des drones, qui continuent de menacer nos réserves en carburant et en oxygène », pouvait-on lire dans un communiqué.
« L’armée israélienne nous a ordonné d’évacuer l’hôpital », avait-il aussi prévenu dans une vidéo diffusée le 8 octobre. « Elle nous a dit que l’hôpital Kamal-Adwan allait devenir le prochain hôpital Al-Shifa si on n’évacuait pas. » Al-Shifa était le plus grand hôpital de la bande de Gaza, qui a été entièrement détruit par Israël après une attaque en novembre 2023, puis un nouvel assaut en mars 2024.
« Il n’y a qu’un seul hôpital qui fonctionne dans le nord de la bande de Gaza et c’est Kamal-Adwan. Il n’y a ni eau ni médicaments », rappelait le 5 novembre la journaliste palestinienne Hind Khoudary. Sur son compte X, elle a plusieurs fois fait état de « raids » des forces israéliennes qui ont « commencé à fouiller les différents secteurs » du centre hospitalier dès le 25 octobre.
Israël vide le nord de Gaza de sa population
La ville de Beit Lahia est située au nord de Gaza, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. Le territoire a été ciblé par de nombreuses frappes israéliennes ces derniers mois, qui s’intensifient depuis le mois d’octobre, dans le but de vider le nord de la bande de Gaza de sa population. Le 6 octobre, Tsahal a ordonné aux habitant·es d’« évacuer » la zone pour se rendre dans le Sud, pourtant tout aussi peu sécurisé.
Le 26 octobre, un pâté de maisons d’une zone résidentielle a ainsi été rasé, causant la mort d’au moins vingt-deux personnes, selon le ministère de la santé local. Le 29 octobre, une frappe israélienne « a touché un immeuble résidentiel et tué environ cent personnes », une attaque que la France a officiellement condamnée par voie de communiqué. Dans la nuit du 4 au 5 novembre, un immeuble appartenant à la famille al-Masry situé tout au nord de l’enclave a aussi été bombardé, tuant au moins vingt-cinq personnes, rapportait l’agence de presse palestinienne Wafa.
La guerre que mène Israël à Gaza depuis les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 a causé la mort d’au moins 45 000 Palestinien·nes.
Début décembre, la plus importante ONG de défense des droits humains Amnesty International a rendu un rapport, affirmant que les autorités israéliennes commettent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza. « Nos conclusions accablantes doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement », a expliqué sa secrétaire générale, Agnès Callamard, après neuf mois d’enquête.
Deux semaines plus tard, c’est une organisation, Human Rights Watch, qui a indiqué que « les autorités israéliennes sont responsables du crime contre l’humanité d’extermination, et d’actes de génocide ».
« Les autorités israéliennes ont délibérément créé des conditions de vie visant à causer la destruction d’une partie de la population de Gaza, en privant intentionnellement les civils palestiniens de l’enclave d’un accès adéquat à l’eau, ce qui a probablement causé des milliers de morts », peut-on lire dans le rapport, rédigé à partir d’entretiens avec plus d’une centaine de Palestinien·nes, professionnels de santé et employé·es d’agences des Nations unies et d’organisations internationales.
Enfin, Médecins sans frontières (MSF) a dénoncé la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliqué que ce que ses équipes médicales observent sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours ».
Ces déclarations s’appuient sur un rapport intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.
mise en ligne le 28 décembre 2024
Cécile Debarge sur www.mediapart.fr
Le Parlement italien a adopté au mois d’octobre une loi qui criminalise le recours à la GPA, y compris dans les pays où la pratique est légale. Il s’agit désormais d’un « crime universel », dont les conséquences sur les familles concernées sont dévastatrices.
Milan et Padoue (Italie).– « Là, maintenant, c’est un peu la panique. » Assis dans la cuisine de son appartement, Gabriele* répète inlassablement ses craintes. La nuit est déjà tombée sur la province de Padoue, en Vénétie. À l’extérieur, le froid pique les joues, les couronnes de Noël décorent les portes et rien ne semble pouvoir troubler cette petite ville qui s’enfonce dans l’hiver. Mais chez lui, Gabriele le redit encore une fois : « C’est un peu la panique. » À regarder son visage et celui de son compagnon, Luca*, on comprend que c’est un euphémisme.
Le 16 octobre, le Sénat italien a adopté à 84 voix contre 58 la proposition de loi de la députée Maria Carolina Varchi, issue du parti Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni, transformant le recours à la gestation pour autrui (GPA) en « crime universel ». Dans les rangs des parlementaires d’extrême droite, on se réjouit de cette mesure qui « protège la dignité des femmes » et interdit de recourir aux « utérus à louer ». Les familles concernées risquent entre trois mois à deux ans de prison et une amende de 600 000 à 1 million d’euros.
À ce jour, personne ne sait comment cette loi sera appliquée. « On a beau essayer de se rassurer, face à l’inconnu, on a vraiment peur, on risque des poursuites pénales », explique Gabriele. Les questions se bousculent dans son esprit : « Est-ce que le recours à la GPA se concrétise au moment de signer les contrats ? De féconder les ovules ? Lorsque la grossesse est en cours ? » « On est peut-être déjà concernés », glisse son compagnon. « Ne pas savoir quand le crime est acté, c’est potentiellement vivre dans la terreur. Est-ce qu’on doit ne plus oser sortir de chez nous ? Est-ce que la police peut débarquer à la maison et saisir nos ordinateurs et nos téléphones ? On doit se mettre à télécharger des messageries chiffrées ? », demandent-ils ironiquement.
Depuis que la loi Varchi a été adoptée, Gabriele et Luca se sont beaucoup interrogés sur leur choix. Fallait-il mettre sous le tapis un désir de famille né presque en même temps que leur couple, il y a dix-sept ans ? Les deux quadragénaires rembobinent l’année passée : leur tout premier voyage hors des frontières européennes pour démarrer le parcours de GPA au Canada, les questions intimes auxquelles ils ont dû répondre en anglais, les questionnaires de la clinique pour vérifier qu’ils étaient « aptes » à entreprendre le parcours…
Ils se souviennent aussi des montagnes russes émotionnelles qu’ils ont traversées à chaque fois qu’une étape était franchie ou qu’un obstacle surgissait. Ils évoquent la joie qui les a envahis lorsqu’une donneuse d’ovules s’est enfin manifestée. Aujourd’hui, Gabriele et Luca attendent une mère porteuse disposée à porter leur embryon. Au Canada, les délais sont plus longs qu’ailleurs – entre trois et cinq ans en moyenne. La GPA n’y est pas rétribuée. « Les femmes le font dans une démarche purement altruiste, c’est ce qui collait le plus à nos valeurs », soulignent les deux hommes.
La bataille culturelle du gouvernement Meloni
Pour le moment, Gabriele et Luca attendent les premiers retours en Italie des familles dont l’enfant est né à l’étranger ces dernières semaines. Si les pires scénarios de la loi Varchi se confirmaient, ils commenceraient à sérieusement envisager de quitter le pays. Tous deux font partie de l’association Familles arc-en-ciel, qui défend les droits des familles homoparentales. Ils ont toujours défendu leurs valeurs à visage découvert, mais préfèrent cette fois-ci ne pas donner leur véritable identité. « Ça touche des aspects de notre vie qui devraient rester personnels, déplore Gabriele. On nous compare à des trafiquants internationaux, des criminels de guerre. »
Le couple est aussi le seul dont le parcours de GPA est en cours à avoir accepté de témoigner pour Mediapart. En Italie comme ailleurs, la GPA concerne majoritairement des couples hétérosexuels rencontrant des problèmes d’infertilité. Également sollicitées, les associations spécialisées qui leur viennent en aide ont toutes formulé une réponse similaire : « Personne ne veut parler, la situation est trop délicate. » Peu après l’adoption de la loi, la ministre de la famille et de la natalité, Eugenia Roccella, a demandé aux médecins de signaler les cas d’enfants nés par GPA. « C’est une chasse aux sorcières », affirme Gabriele.
L’adoption de la loi Varchi s’inscrit dans la bataille culturelle plus large que le gouvernement de Giorgia Meloni a décidé de mener contre les familles homoparentales. En juin 2023, le parquet de Padoue avait invalidé les actes de naissance de trente-sept enfants de mères lesbiennes, en s’appuyant sur une circulaire du ministre de l’intérieur, Matteo Piantedosi. Ce texte ordonnait que seul le parent biologique soit reconnu sur les actes de naissance, là où les services d’état civil italiens avaient jusqu’alors toujours enregistré le nom des deux parents, quand bien même la loi sur les unions civiles de 2016 n’avait pas prévu les cas de filiation. En mars 2024, le tribunal administratif de Padoue a finalement cassé cette décision.
Ce qui me fait vraiment peur, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel. Maurizio, père de jumeaux nés par GPA
Lorsque la fameuse circulaire Piantedosi a été publiée au début de l’année 2023, Maurizio Nasi se trouvait à des milliers de kilomètres de l’Italie, dans une clinique du Missouri, aux États-Unis. C’est là que le quadragénaire milanais a assisté à la naissance de ses jumeaux, nés par GPA grâce à Stephanie, leur mère porteuse, dont la photo est désormais encadrée et accrochée dans la chambre des enfants. La pratique étant autorisée dans certains États américains, Maurizio et son conjoint ont tout fait dans la légalité.
Le tribunal local a établi aux deux hommes un certificat de naissance, par lequel ils sont bel et bien reconnus comme les pères de leurs enfants. Un mois après la naissance des jumeaux, la famille de Maurizio a regagné Milan. Le long voyage en avion a été éprouvant, chacun redoutant le passage des douanes. À l’aéroport, les policiers ont finalement accueilli le couple et leurs nourrissons avec de grands sourires. Ce n’est qu’au moment d’inscrire les enfants auprès de l’état civil de la mairie de Milan que les problèmes ont commencé.
« La mairie n’avait pas le droit de reconnaître notre document américain, raconte Maurizio. Pendant des mois, les enfants n’avaient pas le droit d’être en Italie car ils n’étaient officiellement liés ni à moi ni à mon compagnon. » Les jumeaux ayant un passeport américain, ils étaient en effet censés quitter le territoire italien au bout de trois mois. En l’absence d’inscription à l’état civil, ils n’avaient pas de résidence, ne pouvaient pas être inscrits au système de santé national, ni commencer leurs vaccinations, ni même être inscrits en crèche. « Quand les enfants sont si petits, on s’inquiète au moindre éternuement. Ne pas avoir de pédiatre ou ne pas pouvoir les vacciner, ça a été particulièrement cruel à l’égard des enfants », poursuit leur père, qui n’osait même plus les quitter des yeux à l’époque.
Les politiques en retard sur la société
Pour se sortir de cette situation inextricable, le couple a demandé un nouveau certificat aux États-Unis, afin que seul le nom du père biologique des jumeaux apparaisse. Un long parcours d’adoption a alors commencé pour son compagnon. Comme il est d’usage, les services sociaux sont venus régulièrement au domicile de la famille. « C’était la première fois qu’ils avaient le cas de deux papas et ce fut une belle rencontre », indique Maurizio.
Un avis très favorable a été rédigé. « Autour de nous, la société nous inclut totalement comme des parents et voit nos enfants comme des enfants comme les autres, c’est ce qui rend fou, ajoute-t-il. À l’aéroport, les douaniers ont été adorables, ils sont tous venus voir les bébés car eux voyaient avant tout des enfants, ce sont les politiques qui ne les voient pas ! Ils n’en ont rien à faire du bien-être de ces enfants qui existent déjà et qui existeront dans le futur. »
Notre entretien avec Maurizio est écourté par un appel de la crèche : son fils est malade, 39 de fièvre. Le soir, par message, l’homme tient à préciser : « Ce processus d’adoption est clairement pensé pour nous décourager, car dans le cas d’un couple hétérosexuel, il existe une procédure très rapide pour qu’un homme reconnaisse l’enfant de sa compagne alors que nous, nous devons démontrer que nous savons être parents. » Engagée en avril 2023, la procédure d’adoption du couple n’a toujours pas abouti. Officiellement, le deuxième père n’a aucune autorité parentale sur ses enfants.
« Ce qui me fait vraiment peur, conclut Maurizio, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel, c’est un stigmate social et un problème moral qu’on fait porter aux enfants. » Depuis l’adoption de la loi Varchi, plus de cinquante familles italiennes engagées dans des parcours de GPA ont demandé le soutien légal de l’Association Luca Coscioni, qui s’est proposée de défendre leur cause devant les tribunaux, si nécessaire.
mise en ligne le 26 décembre 2024
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Au titre des affaires courantes, François Bayrou a validé ce vendredi 20 décembre les nouvelles règles de l’assurance-chômage, qui entreront en vigueur au 1er avril 2025. Elles prévoient une baisse des droits pour les séniors, et ne facilitent finalement pas l’indemnisation des saisonniers.
Malgré l’absence de gouvernement, la nouvelle convention d’assurance-chômage a tout de même été validée. Ce vendredi 20 décembre, un arrêté validant les nouvelles règles d’indemnisation des privés d’emploi a été publié au journal officiel, avalisant le résultat des négociations entre patronat et syndicats, qui s’étaient achevées en novembre dernier par une signature de toutes les parties sauf la CGT, en y apportant toutefois quelques modifications.
L’arrêté gouvernemental prévoit ainsi de relever les bornes d’âge qui permettent aux chômeurs de bénéficier d’une indemnisation plus longue, s’attaquant durement aux droits des privés d’emploi seniors. Aujourd’hui établies à 53 et 55 ans, celles-ci passeront au 1er avril 2025 à 55 et 57 ans. Une mesure particulièrement délétère, estime la CGT dans un communiqué : « Ce sont 15 000 personnes par mois en moyenne qui sortiraient de l’indemnisation en atteignant plus tôt la fin de droits sans avoir retrouvé de travail ».
Deuxième coup dur pour les seniors : l’arrêté prévoit également de relever l’âge de maintien de l’indemnisation jusqu’à l’obtention des trimestres nécessaires pour un départ à la retraite à 64 ans. « Cela ferait basculer dans les minima sociaux ou l’absence de revenus 34 000 personnes par an sur 45 000 entrants actuellement dans le dispositif ! », comptabilise la CGT.
Une meilleure indemnisation des saisonniers abandonnée
Une mesure, décriée notamment par la CGT, a toutefois été abandonnée dans l’arrêté gouvernemental. Le texte ne fait en effet pas mention de la réduction des indemnités des travailleurs frontaliers. L’accord, signé par le patronat et les syndicats, à l’exception de la CGT, prévoyait en effet de retenir les salaires perçus à l’étranger, en moyenne plus élevés qu’en France, pour calculer le montant des indemnités.
Une seconde mesure, mieux-disante pour les privés d’emploi, n’a pas non plus été conservée dans l’arrêté gouvernemental. L’accord prévoyait initialement un abaissement du seuil d’ouverture des droits de six à cinq mois pour les travailleurs saisonniers et primo-accédants à l’emploi. Il n’en sera finalement rien.
mise en ligne le 26 décembre 2024
par Emma Bougerol sur https://basta.media/
Voilà un an que l’ultralibéral et conservateur Javier Milei est devenu président de l’Argentine. Les médias indés dressent le bilan de cette année, entre coupes budgétaires, précarisation et recul des droits des femmes et des minorités.
Le 10 décembre, c’était l’anniversaire que tout le monde n’a pas eu le cœur de fêter en Argentine. Cela fait un an que Javier Milei est président de ce pays d’Amérique latine. L’ultralibéral a pris la parole sur la chaîne nationale, le soir du premier anniversaire de son mandat. Il se félicite avant tout de son bilan économique, « la récession est terminée », dit-il, cité par elDiarioAR. Tout en ajoutant : « Cette année, vous avez déjà vu la tronçonneuse, mais elle consistait principalement à inverser les excès des dernières années kirchneristes [du nom de la présidente précédente, Cristina Kirchner, ndlr]. Maintenant vient la tronçonneuse profonde. »
La tronçonneuse, c’est le symbole des coupes dans le budget de l’État, promis lors de sa campagne – parfois en brandissant une véritable tronçonneuse. « Nous avons supprimé 34 000 emplois publics et nous faisons passer des tests d’aptitude aux autres », se félicite-t-il notamment. Pour 2025, il promet « une réforme fiscale, une réforme des retraites, une véritable réforme du travail, une réforme des lois sur la sécurité nationale, une profonde réforme pénale, une réforme politique et tant d’autres réformes que le pays attend depuis des décennies ».
Ces coupes budgétaires ont certes permis de remettre certains compteurs économiques en meilleur état. « Cependant, au cours du deuxième trimestre de 2024, une augmentation sans précédent de la pauvreté a été enregistrée », note le média argentin. 55 % de la population vit maintenant sous le seuil de pauvreté, et 20 % dans une situation d’indigence.
Dans une analyse partagée sur le même site, la politologue et économiste Carolina Berardi note notamment que 168 000 emplois ont été supprimés depuis l’arrivée de Milei au pouvoir, dans le secteur public comme privé. « En revanche, des emplois "indépendants" ont été créés avec moins de droits (sans congés payés, ni primes, ni indemnités) », souligne-t-elle. La membre du Centre d’économie politique argentine conclut : « Ainsi, si un tout petit groupe peut se réjouir de cette année de présidence Milei, la majorité n’a pas vu son pouvoir d’achat s’améliorer. Le résultat de cette première année est donc une société plus inégale. »
De son côté, la revue argentine Crisis analyse « la gestion ultra-libérale de l’énergie en Argentine ». Le résultat ? « Augmentations massives des tarifs, profits extraordinaires pour une poignée d’entreprises et incertitude sur l’approvisionnement en électricité pendant l’été », écrivait le périodique indépendant en octobre.
Fermeture du ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité
Une autre revue, Citrica, parle d’une « honte diplomatique » de l’Argentine de Milei, seul pays à avoir voté contre une résolution de l’ONU pour les droits des peuples autochtones. « Il s’agit du premier vote au sein de cette instance depuis que Gerardo Werthein a pris la chancellerie, après le départ de Diana Mondino », souligne le média. Ce représentant a été nommé par le gouvernement Milei.
Mabel Bianco, féministe et médecin, dénonce dans un article de elDiarioAR le « démantèlement total » des politiques de genre. Elle rappelle la fermeture du ministère de la Femme, du Genre et de la Diversité, le démantèlement du programme de prévention des grossesses chez les adolescentes ou encore la baisse drastique de moyens alloués au numéro téléphonique d’assistance aux victimes.
« Aujourd’hui, il ne reste plus rien de tout ce qui concerne la lutte contre la violence », affirme la militante argentine pour les droits des femmes. Selon elle, les « discours de haine » de Milei et de son entourage « génèrent une violence qui va au-delà des réseaux » : « Ceux et celles qui s’expriment, les ONG, les journalistes, des parlementaires sont persécutés. »
« Qu’attend la société argentine pour réagir ? » se demande El Salto. Le média espagnol souligne lui aussi les « coûts sociaux élevés » de ce début de mandat de Milei. Malgré une baisse de l’inflation, « l’effondrement de la consommation ainsi que l’augmentation de la pauvreté et de l’indigence suscitent des inquiétudes quant à la durabilité de l’expérience Milei ».
Le site se questionne sur les raisons de la montée de l’extrême droite dans le pays et sur le continent, et avance : « La réaction à la conquête des droits sociaux – tels que le droit à l’avortement, les droits des LGBTQI+, l’éducation sexuelle à l’école – est aggravée par le manque de sens, l’apathie et l’érosion de la politique traditionnelle. »
mise en ligne le 25 décembre 2024
https://blogs.mediapart.fr/
Déclaration des réseaux de santé mentale de Palestine et de Médecins contre le génocide : « L'humanité ne doit pas détourner le regard ».
Les réseaux palestiniens de santé mentale et Médecins contre le génocide se joignent au Dr Hussam Abu Safiya, directeur de l'hôpital Kamal Adwan, pour demander à la communauté internationale : ne restez pas silencieux face à la destruction systématique du système de santé de Gaza. Les attaques incessantes contre l'hôpital Kamal Adwan - un sanctuaire destiné à sauver des vies dans le nord de Gaza - font partie d'une campagne génocidaire délibérée. Ces attaques contre les hôpitaux et les cliniques, des lieux destinés à soigner et à abriter, ne sont pas des accidents de guerre ; ce sont les calculs froids de ceux qui voudraient voir un peuple entier disparaître.
Depuis quinze mois, les hôpitaux et les cliniques de Gaza sont transformés en scènes de crime. Les frappes aériennes détruisent les salles d'opération en plein milieu d'une intervention chirurgicale. Les enfants suffoquent lorsque les conduites d'oxygène sont coupées. Les parents cherchent leurs proches dans les décombres tandis que les médecins restent impuissants, leurs gants de chirurgie inutilisés et le cœur lourd. Il ne s'agit pas de « sous-produits tragiques », mais de crimes intentionnels contre l'humanité.Ils réduisent à néant la promesse du droit humanitaire international, en réduisant les Conventions de Genève à des mots creux.
Le monde regarde le système de santé de Gaza s'effondrer sous le siège et les bombardements. Les fournitures médicales sont bloquées aux frontières. Les ambulances
n'ont pas le droit d'atteindre les blessés. Les outils les plus simples pour sauver des vies sont retenus. Il ne s'agit pas d'une simple négligence, mais d'une stratégie brutale d'attrition, qui
prive un peuple de sa capacité à vivre, à guérir et à résister. Les conséquences psychologiques sont incommensurables. Imaginez la terreur dans les yeux d'un enfant lorsque les bombes tombent à
nouveau, le désespoir dans la voix d'un chirurgien contraint de refuser un patient qui saigne. Les familles enterrent leurs enfants en silence, leurs cris étouffés par l'indifférence
internationale.
Nous nous faisons l'écho de l'appel urgent et angoissé de l'hôpital Kamal Adwan :
1. Ouvrir un couloir humanitaire maintenant. Laissez les médicaments, le matériel chirurgical et les ambulances atteindre ceux qui meurent faute de recevoir les
soins les plus élémentaires.
2. Protéger immédiatement les établissements et le personnel de santé. Exiger de la communauté internationale qu'elle applique les lois destinées à protéger les espaces et le personnel médicaux.
3. Mettre fin au blocus de Gaza. Ce siège, qui dure depuis des décennies, a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert où même la survie est considérée comme un privilège et non comme un droit.
L'humanité ne peut pas faire semblant de ne pas voir.
La neutralité face à un génocide est une complicité. Chaque bombe qui frappe l'hôpital Kamal Adwan, chaque infirmière forcée de voir
un enfant disparaître, chaque vie perdue à cause d'un traitement refusé nous met tous en accusation.
Le monde nous regarde. Va-t-il une fois de plus assister sans rien faire à l'effondrement d'un autre hôpital, à l'étouffement d'un autre enfant, à l'extinction d'un autre espoir fragile ? Ou se
lèvera-t-il enfin pour rétablir le caractère sacré de la vie et le droit universel à la santé ?
Signez cette pétition urgente concernant « Pas un autre hôpital ». https://ujoin.co/campaigns/3307/actions/public?action_id=4319
Signez la pétition « No Child A Target-Internationa » https://ujoin.co/campaigns/3351/actions/public?action_id=4410
Écrivez à vos représentant·es, suivez ce lien https://ujoin.co/campaigns/3331/actions/public?action_id=4369
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En solidarité et avec une profonde tristesse,
Médecins contre le génocide
The Palestine Mental Health Networks
(Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Chili, Egypte, Etats-Unis, France, Irak, Irlande, Jordanie, Liban, Palestine, Royaume-Uni, Suède,
Turquie)
https://blogs.mediapart.fr/
Le 21 décembre, le docteur Hussam Abu Safia de l’hôpital Kamal Adwan dans le nord de la bande de Gaza lançait un appel de détresse : « les patients et nous sommes en train de mourir de faim ».
Le ministère de la santé de Gaza confirmait : « l’occupant a lancé une attaque généralisée contre l’hôpital Kamal Adwan. Il exige une évacuation immédiate. Il menace les vies de 80 malades. Il a lancé un ultimatum alors que cet hôpital est le seul à pouvoir encore apporter des soins dans le nord de la bande de Gaza. »
Des robots et des drones assiègent l’hôpital. Un appel à l’aide a été lancé à l’OMS et à l’UNRWA. « Un départ des malades, c’est leur mort assurée. »
Il n’y a pas de caméras sur place. Le contact a été perdu avec l’équipe médicale. Les forces d’occupation empêchent l’arrivée de tout secours.
L’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) lance un appel.
Faites connaître ces atrocités.
Mobilisez les médias, les associations, les politiques.
Il est inimaginable que ces crimes continuent de se dérouler sans qu’on puisse les arrêter.
Sauvons l’hôpital Kamal
Adwan.
La Coordination nationale de l’UJFP, le 22 décembre 2024
mise en ligne le 25 décembre 2024
Pierric Marissal et Samuel Eyene sur www.humanite.fr
Le 1er janvier 2025, un arrêté censé renforcer l’attractivité des métiers du soin, jusqu’ici en tension, entrera en vigueur. Ce texte s’apprête à ouvrir le secteur à des plateformes numériques qui conquièrent petit à petit le marché du secteur, précarisant les travailleurs contraints à l’auto-entrepreneuriat.
Près des portes d’appartement apparaissent en quantité des boîtes à clés protégées par des codes. Le dispositif sert aux clients Airbnb, mais pas que. Des travailleurs des plateformes les utilisent également pour venir faire des ménages. Bientôt, des aides à domicile y auront recours. Au 1er janvier 2025, un décret entrera en application, ouvrant la voie à une sérieuse accélération de l’ubérisation du secteur du médico-social.
L’histoire de ce décret remonte à 2023. Alors que le vieillissement de la population s’accentue, la loi sur le grand âge promise par Emmanuel Macron peine à surgir. Pourtant, les besoins sont criants : 800 000 postes sont à pourvoir dans le secteur des services à la personne d’ici à 2030, selon la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap).
Plus d’obligation de disposer de locaux
C’est pourquoi, dans la loi « société du bien vieillir », Olivia Grégoire, alors ministre déléguée chargée des PME, a modifié le cahier des charges de l’agrément nécessaires aux organismes de services à la personne pour exercer auprès de publics vulnérables afin de renforcer l’attractivité du secteur.
« Elle a commencé par lever l’obligation, pour les structures d’aide à la personne, de disposer de locaux dans les départements où elles exercent », explique Nicole Teke, doctorante en sociologie, membre d’un groupe de recherche européen sur les plateformes proposant du soin, qui consacre sa thèse aux travailleurs de plateformes de services à domicile.
Depuis le 1er janvier 2024, il n’est plus obligatoire pour les entreprises de services d’aide à la personne de disposer de local physique dans leur département d’activité. Quelques garde-fous demeurent, comme l’obligation de conduire des entretiens d’embauche des candidats en physique ou un contrôle scrupuleux de l’identité du candidat.
Ouverture du secteur aux microentreprises
La ministre des Petites et Moyennes Entreprises a par ailleurs assoupli la clause d’exclusivité qui imposait aux entreprises de ne faire que du service à la personne pour disposer d’un crédit d’impôt sur le revenu égal à 50 % des dépenses engagées pour des prestations de services à la personne.
Le décret a été publié le 25 juillet 2024 : avec sa microentreprise, un travailleur pourra dès l’année prochaine exercer d’autres activités proposées par les plateformes que celles jusqu’ici encadrées par la loi sur le service à la personne si son activité annexe est inférieure ou égale à 30 % du chiffre d’affaires de l’année précédente.
« L’idée du gouvernement était à la fois de permettre à de nouveaux microentrepreneurs d’investir le champ des services à la personne en leur faisant bénéficier d’un crédit d’impôt mais aussi de leur permettre de diversifier leurs revenus s’ils ne gagnent pas suffisamment leur vie exclusivement avec du service à la personne à 100 % », explique Jérôme Perrin, directeur de développement et de la qualité à l’ADMR (réseau associatif national de service à la personne).
« On va droit vers une inquiétante libéralisation »
Ces mesures interrogent toutefois le risque que ces modifications peuvent provoquer. « Il y a des chances que des entreprises se jettent dans ce secteur en espérant réaliser du business plutôt que d’avoir la volonté d’accompagner des personnes fragiles. Avec la possibilité de ne plus avoir de locaux physiques, on va droit vers une inquiétante libéralisation », redoute Jérôme Perrin.
Le danger guette. Les plateformes sont déjà prêtes à croquer le marché, à commencer par la pionnière en France. Mediflash a placé de nombreux aides-soignants et infirmiers autoentrepreneurs dans les Ehpad et établissements de santé depuis 2020 et le déclenchement de la pandémie de Covid.
De son côté, Click & Care est déjà sur le créneau de l’aide à domicile, y compris pour personnes vulnérables ; la plateforme jongle avec un certain flou entre les deux statuts, auto-entrepreneuriat et salariat, via les chèques emploi service universel (Cesu), un dispositif qui permet à un particulier employeur de déclarer simplement la rémunération des salariés pour des activités de services à la personne.
Pas de responsabilité en cas d’accident du travail
« Nous intervenons en mandataire, avec des salariés, pour les personnes fragiles, vulnérables, assure la fondatrice de la plateforme, Lina Bougrini. Nous avons lancé une formule avec des autoentrepreneurs pour des prestations plus ponctuelles, comme des sorties d’hôpital. » Une autorisation du département est nécessaire, uniquement lorsqu’il s’agit de personnes en perte d’autonomie.
D’autres plateformes, plus généralistes, comme Brigad ou Onestaff proposent aussi de plus en plus de missions dans le médico-social. Il est ainsi possible pour un autoentrepreneur de commencer sa journée de travail dans un Ehpad à préparer le petit déjeuner des pensionnaires et de la finir comme aide-soignant.
« Au début, les travailleurs ont l’impression d’y trouver leur compte financièrement, puisqu’ils sont exemptés de cotisations, pointe Me Kevin Mention, avocat qui représente des travailleurs de Brigad et de Click & Care en procédure aux prud’hommes. Quant aux établissements, ils s’y retrouvent aussi : pas de gestion des ressources humaines, pas de congés payés à verser ni de responsabilité en cas d’accident du travail ou lorsque c’est le patient qui est blessé. »
« Le reflet des conditions de travail extrêmement dégradées »
Les plateformes, elles, prennent au minimum 20 % de commission, quelle que soit la mission. Avec le mélange des statuts de travail – salarié ou autoentrepreneur –, des risques juridiques se posent. D’après Mediapart, l’inspection du travail enquêterait chez Mediflash, qui plaide, elle, pour une « différence de lecture juridique ».
Pourtant, dès fin 2021, les ministères du Travail et de la Santé avaient écrit aux structures qui avaient recours à la plateforme en leur rappelant qu’œuvrer « en tant que travailleur indépendant au sein des établissements de santé ou médico-sociaux peut tomber sous le coup de la qualification de travail dissimulé ».
De son travail de terrain, Nicole Teke confirme que la rhétorique entrepreneuriale des plateformes peut un temps séduire. « Les mères célibataires sont spécifiquement ciblées, puisqu’elles ont besoin d’adapter leurs horaires au temps scolaire, pointe-t-elle. Mais l’essor de ces sites est surtout le reflet des conditions de travail extrêmement dégradées et des bas salaires dans les structures traditionnelles. »
La sociologue a constaté que ces métiers des services à la personne restaient très majoritairement féminins, même s’il y a davantage d’hommes sur les plateformes que dans les agences.
Des plateformes en réalité peu souples
Les plateformes se targuent d’un vivier de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs. Mais le taux de rotation est très élevé. À part pour les personnes salariées qui utilisent leurs heures d’indépendance pour générer des revenus annexes, les autres microentrepreneurs cessent au premier pépin… qui arrive généralement assez vite.
« Que ce soit un accident du travail, de vie, avec un client, lorsqu’elles se rendent compte qu’elles n’ont pas d’arrêt maladie, qu’elles doivent elle-même souscrire à une assurance, ces personnes reviennent souvent au salariat », relève la doctorante.
Les plateformes ne sont pas non plus aussi souples qu’elles le prétendent. « Une travailleuse à domicile a dû annuler des prestations suite à un accident de sa fille, ce qui a eu pour conséquence une diminution de son évaluation. Si bien qu’à son retour, elle a dû cesser faute de missions proposées », poursuit-elle.
« Un manque à gagner de 6 milliards d’euros »
L’ubérisation du médico-social est particulièrement sensible. Le secteur est financé par de l’argent public. Les start-up le sont par la BPI, mais les prestations sont aussi déductibles des impôts à hauteur de 50 %. Certaines plateformes appliquent même la déduction directement sur la facture du client.
En outre, les plus vulnérables peuvent utiliser des aides publiques comme l’allocation personnalisée d’autonomie ou la prestation de compensation du handicap pour payer l’activité mandataire. « Les plateformes numériques de travail profitent de notre modèle social en le détruisant, réagit Pascal Savoldelli. Elles vivent sur les aides sociales et fiscales, en proposant un modèle de travail dégradé, qui ne cotise pas. L’Urssaf assure que le manque à gagner en matière de cotisations sociales s’élève à 2 milliards d’euros en trois ans rien que pour Uber. Si on projette à l’ensemble des plateformes, la perte s’élèverait à 6 milliards ! » lance le sénateur communiste, coordinateur de l’ouvrage Ubérisation, et après ? (éditions du Détour).
Très en pointe sur ces questions, le parlementaire énumère d’autres problèmes : « Il n’y a pas d’accueil des publics ni des aidants, aucune formation en continu des travailleurs, zéro lien humain. »
Contrairement aux livreurs ou chauffeurs VTC, il n’existe pas de collectifs des travailleurs des plateformes d’aide à la personne, et encore moins de syndicalisation. « Ces indépendantes travaillent de manière isolée, dans des domiciles privés. Elles ne connaissent donc pas leurs collègues », soupire Nicole Teke. La fin de l’obligation d’avoir des locaux pour les entreprises ne fait que renforcer l’isolement de ces travailleuses, sans promettre de répondre à la pénurie de professionnels.
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Barbara, auxiliaire de vie, a subi un accident sur son lieu de travail, dont elle souffre encore et pour lequel elle n’a droit à aucune indemnisation. Car, pour la plateforme numérique qui l’employait, elle était une travailleuse indépendante. Sans ressources, la professionnelle s’est retournée vers les prud’hommes.
Depuis le 4 octobre 2023, Barbara (le prénom a été modifié) ne peut plus travailler. Ce jour-là, comme tous les jours depuis quelques semaines, elle était envoyée en mission d’auxiliaire de vie dans la même maison de retraite par la plateforme de recrutement de personnel médical Click & Care.
« Une patiente qui requérait beaucoup d’attention voulait aller aux toilettes. Au moment du transfert depuis le fauteuil roulant, nous sommes tombées toutes les deux. Je ne me suis pas posé de question : je me suis mise en dessous pour la protéger », raconte la professionnelle.
Heureusement, la pensionnaire n’a rien. En revanche, pour l’auxiliaire de vie, la douleur est fulgurante. Aux urgences, une fissure de la rotule ainsi qu’une entorse du genou et du poignet sont constatées. L’opération est inévitable. « On a dû ensuite me faire des infiltrations. Mais j’ai encore des douleurs épouvantables au genou. Ma mère de 81 ans est plus mobile que moi », soupire-t-elle.
« Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources »
À sa sortie de l’hôpital, Barbara avait bien envoyé à la plateforme ses certificats médicaux en vue de la reconnaissance de son accident du travail. « Ils m’ont répondu que j’étais autoentrepreneuse, qu’ils ne salariaient pas les gens ! » L’assurance de Click & Care lui a toutefois versé l’équivalent d’un mois de revenus, le maximum possible. Elle s’emporte : « Alors je n’ai droit à rien : ni chômage ni reconnaissance de l’accident du travail auprès de la Sécurité sociale. Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources. »
Avant l’accident, la quinquagénaire ne se pensait pas du tout indépendante, mais salariée d’une plateforme d’intérim. Car, jusqu’alors, l’auxiliaire de vie était salariée par des familles pour lesquelles elle travaillait à leur domicile, grâce aux chèques emploi-service (Cesu). Après avoir été aidante de son frère, Barbara a voulu reprendre une activité professionnelle. Réinscrite à Pôle emploi, son CV est proposé en ligne par son conseiller. Deux jours plus tard, Click & Care l’appelle.
« Comme tout employeur, ils m’ont demandé mon numéro de Sécurité sociale, ma pièce d’identité et si j’avais un casier judiciaire. Puis ils m’ont fait travailler tout de suite dans une maison de retraite. C’est eux qui m’envoyaient mes plannings, comme dans une agence d’intérim. Pour Lina Bougrini, fondatrice de Clic & Care contactée par l’Humanité, il était évident « qu’en tant qu’auxiliaire de vie dans un Ehpad elle savait parfaitement sous quel statut elle travaillait. Nous doutons de la bonne foi de cette dame. Si être indépendante ne lui convenait pas, il ne fallait pas prendre les missions ».
« Des missions d’intérim déguisées »
Comme Barbara n’a jamais créé d’autoentreprise, elle insiste auprès de la plateforme pour obtenir la reconnaissance de son accident du travail. En vain. « Click & Care m’a envoyé des courriers expliquant que j’étais indépendante. Mais ils se sont permis d’établir des factures en mon nom, sans numéro de Siret (Système d’identification du répertoire des établissements). » La direction de la plateforme précise qu’ils étaient « en attente de son Siret et qu’il était de sa responsabilité de créer son autoentreprise ».
Depuis, l’avocat Kevin Mention porte son dossier aux prud’hommes. La requalification de son emploi en contrat de travail salarié lui ouvrirait des droits sociaux en plus de droit à des indemnités. « Elle dispose d’un planning, travaille aux côtés de salariés, accomplit les mêmes tâches qu’eux, sous les ordres de la même hiérarchie… Il ne s’agit pas du tout un travail d’indépendant », assure l’homme de loi, pour qui « ce sont des missions d’intérim déguisées ».
Pour l’avocat, la plateforme donne l’impression de mieux rémunérer que les offres salariées classiques pourtant très nombreuses. Mais « les personnes se rendent compte ensuite qu’elles ne disposent pas de complémentaire santé, de congés payés, ni de prime de précarité ou de droit aux indemnités chômage… Et qu’il faut encore payer 22 % de cotisations sociales à l’Urssaf, énumère-t-il. Mais, le pire, c’est bien quand se produit un accident du travail ». De son côté, Click & Care a mis fin à l’activité de vacation dans les Ehpad ce mois-ci, pour se consacrer pleinement à l’aide à domicile.
mise en ligne le 24 décembre 2024
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les salariés de l’entreprise de nettoyage, sous-traitante d’Air France, dénoncent une dégradation de leurs conditions de travail. La journée la plus importante de leur mobilisation, lundi 23 décembre, laisse présager une fin d’année sous le signe de la colère.
En grève illimitée depuis le 12 décembre, une bonne centaine de salariés de la société de nettoyage Acna (Armement, cabine, nettoyage, avion), filiale de Servair et sous-traitante d’Air France, s’apprête à passer les fêtes sur le piquet.
Des représentants syndicaux de la CGT, de la CFDT, de SUD mais aussi la députée FI Julie Garnier et d’autres soutiens venus en nombre, se sont réunis lundi 23 décembre, entre 8 heures 30 et 10 heures 30, devant le siège, au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), pour la plus grande journée de débrayage en presque deux semaines de mobilisation. Chaque matin, les grévistes cessent le travail deux heures, avant de réitérer le soir, puis de terminer par un ultime arrêt entre 22 heures 30 et minuit et demi.
4 avions à nettoyer par jour
La fronde des salariés prend ancrage en 2018, lorsque Acna adopte un « accord de performance collective », sous couvert de problèmes financiers. « Depuis, nos conditions de travail ne cessent de se dégrader », soupire Salif, délégué CGT à Roissy. Le texte acte notamment la fin des week-ends prolongés, mis en place pour compenser la pénibilité des tâches qui leur incombent. Il souligne : « Monter et descendre des marches, devoir rester penché, s’accroupir… C’est extrêmement fatigant comme travail, surtout lorsque l’on vieillit. »
Déjà chargés de nettoyer quatre avions par jour à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, sur des vacations de 7 heures et 8 minutes, les salariés sont vent debout contre une nouvelle proposition d’aménagement du temps de travail présentée par la direction en avril, dans le cadre de négociations portant sur les précédents accords.
En échange de concessions, il s’agirait d’astreindre les employés à des journées dépassant les 8 heures, durant lesquelles ceux-ci devraient nettoyer cinq appareils, soit un de plus. « Cela implique une nouvelle augmentation de rendement, faisant suite à – entre autres – une fusion des services de nettoyage et d’armement ayant déjà intensifié notre polyvalence », note le cégétiste, Salif.
Répression de la lutte
Si les représentants syndicaux estiment avoir lancé un mouvement dans les clous, en remettant le 9 décembre un préavis de grève, listant la centaine de personnes souhaitant y prendre part, pour un premier débrayage quarante-huit heures plus tard, soit le 11 décembre, ce n’est pas l’avis de la direction.
Celle-ci a immédiatement fait parvenir des courriers à une centaine de salariés les convoquant à un entretien préalable en vue d’une « éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement », invoquant une mobilisation « frauduleuse » dans une communication interne. Après que l’inspection du travail a estimé, dans un avis remis à la société le 20 décembre, que cette grève était réglementaire, la hiérarchie a finalement suspendu les convocations, souhaitant plutôt lancer une procédure judiciaire.
Dans cette même note, la direction souhaite que les « auteurs soient identifiés et leur responsabilité engagée à hauteur des lourds préjudices financiers et d’image subis par l’Acna ». Le délégué syndical CGT de Roissy CDG, Ghannouchi, n’a pas l’intention de baisser les bras face à ce qu’il qualifie de « répression de la lutte ».
mise en ligne le 24 déc 2024
Rémi Carayol sur www.mediapart.fr
Les habitants de l’île, notamment dans les bidonvilles, totalement rasés, ont attendu une semaine avant d’être aidés. Un tel délai interroge, en cette journée de deuil national : l’État a-t-il tout mis en œuvre pour sauver des vies ?
Neuf jours après le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte, et alors que la France a observé, ce lundi, une journée de deuil national, une question doit être posée : les autorités ont-elles tout mis en œuvre pour sauver les vies qui pouvaient l’être ? Autrement formulé : l’État français a-t-il laissé mourir des gens, et si oui, pourquoi ?
Selon le dernier bilan officiel du ministère de l’intérieur, Chido aurait fait 35 mort·es et 4 136 blessé·es, dont 124 en « urgence absolue ». Mais tout le monde s’accorde à dire que ce bilan n’est que provisoire. Le 15 décembre, trente heures après le passage du cyclone, le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, évoquait au conditionnel « plusieurs centaines de morts », peut-être « quelques milliers ».
Sur le terrain, les retours sont contradictoires : certains affirment que les habitant·es des quartiers les plus dévastés, des bidonvilles que l’on retrouve partout sur l’île, mais plus particulièrement en Petite-Terre et dans la périphérie de Mamoudzou, le chef-lieu, comptent peu de mort·es dans leur entourage, et qu’ils n’ont eux-mêmes pas vu de cadavres ; d’autres parlent d’une odeur insupportable de corps en putréfaction qui monte de ces quartiers, et s’étonnent du faible nombre d’hommes et de femmes qu’ils et elles y croisent.
Une chose est sûre : personne, dans ces quartiers précaires constitués de maisons de tôle, n’a vu de secouristes dans les jours qui ont suivi la tempête. Sur les hauteurs de Kaweni, là où se trouverait le plus grand bidonville de l’île (on estime sa population entre 15 000 et 20 000 habitant·es), les premiers secours sont arrivés samedi dernier, soit au bout d’une semaine. Même constat dans les principaux bidonvilles de la zone : Cavani, M’tsapere, Doujani, Majicavo, ou encore La Vigie en Petite-Terre. Et cela ne vaut pas que pour les quartiers les plus touchés : dans de nombreux villages, il a fallu attendre plusieurs jours pour voir les premiers secours arriver.
L’étonnement d’Emmanuel Macron
Comment expliquer cette absence en dépit du message alarmiste du préfet et des images terrifiantes montrant l’état de dévastation de ces habitations ? « Si on craint des centaines voire des milliers de morts, pourquoi on n’envoie pas en urgence des secours, pour les compter, mais aussi pour essayer de sauver les survivants ? » se demande une assistante sociale de Petite-Terre qui a requis l’anonymat.
Emmanuel Macron s’en est lui aussi étonné jeudi, à son arrivée à Mayotte. Interpellé par la députée Estelle Youssouffa, qui parlait d’une « population ensevelie sous les décombres », et qui constatait qu’il n’y avait « pas de sauveteurs » et que « personne [n’avait] pu aller dans les zones totalement rasées », le président s’est tourné vers le préfet : « Personne n’est passé ? » « Pour l’instant on n’y est pas encore monté pour des raisons d’urgence sur les choses vitales », a répondu le haut fonctionnaire.
Dans un contexte de dégâts généralisés, les autorités ont visiblement préféré s’occuper en priorité des zones stratégiques, telles que l’aéroport, l’hôpital ou les centres de commandement des opérations, tous en partie abîmés par les vents. De nombreux abris (des écoles notamment) ont également été touchés par le cyclone, les routes ont été obstruées, et tous les réseaux (d’eau, de téléphonie et d’électricité) ont été coupés.
Des fonctionnaires qui ont requis l’anonymat rappellent que les communications étaient difficiles, voire impossibles, et que les déplacements étaient très compliqués. Pour autant, la question d’aller explorer ces quartiers entièrement rasés afin de sauver les survivant·es ou de récupérer les cadavres s’est-elle posée ? Et si oui, pourquoi rien n’a été entrepris ?
Sollicitée par Mediapart, la préfecture n’a pas donné suite à nos questions. Le ministère de l’intérieur s’est contenté de préciser que « depuis le dégagement des principaux axes des arbres et débris divers qui obstruaient les voies, les secours de la sécurité civile, de la gendarmerie nationale et de la police nationale progressent en fonction du déblaiement, de l’accessibilité aux différents secteurs de l’île fortement impactés par le cyclone et dont l’accès peut parfois s’avérer délicat, ainsi qu’en fonction de l’arrivée progressive des renforts humains et matériels qui permet de compléter et renforcer, à chaque arrivée, les moyens déjà engagés ».
Équipe renouvelée, manque de moyens
Certes, les autorités, surprises par la puissance de Chido, ont été dépassées par les événements. « C’est le bordel le plus complet, rien n’a été anticipé », souligne un ancien haut fonctionnaire qui a été en poste à Mayotte et qui suit les événements de près aujourd’hui (il a requis l’anonymat). Il rappelle que l’équipe dirigeante de la préfecture est en grande partie constituée de « nouveaux ». Le préfet, qui était auparavant sous-préfet dans le nord de la France, est arrivé en février. Son directeur de cabinet aussi. Le secrétaire général, lui, n’a pris son poste qu’au début de ce mois, en provenance du ministère des armées. Son adjoint a à peine plus de bouteille : il n’est arrivé qu’en juin sur l’île.
Mais cette relative méconnaissance du territoire, qui a abouti à des ratés dans l’aide apportée aux sinistré·es à partir de jeudi, ne peut pas expliquer la raison pour laquelle la priorité n’a pas été donnée aux secours dans les quartiers les plus meurtris.
D’autres sources évoquent le peu de moyens dont disposent les autorités sur place. Les pompiers par exemple : en début d’année, on en comptait 577 à Mayotte (243 professionnels et 334 volontaires), soit beaucoup moins qu’à La Réunion (2 325), qu’en Guadeloupe (1 442), qu’en Guyane (1 027) ou que dans les autres Services d’incendie et de secours (SDIS) relevant de la même catégorie (C, moins de 400 000 habitant·es), où la moyenne nationale est de 1 447 sapeurs-pompiers. Ils disposaient en outre de moyens limités (19 engins de secours, contre 36 en Guyane et 49 en moyenne dans l’ensemble des SDIS de catégorie C).
Mais tout de même, pourquoi n’ont-ils pas été envoyés dans les quartiers les plus touchés ? Le siège du SDIS à Mayotte se trouve dans la zone commerciale de Kaweni, au pied du bidonville. Des renforts avaient en outre été envoyés avant le cyclone : 35 sapeurs-pompiers étaient venus de La Réunion, dont une équipe cynotechnique et des spécialistes de l’unité de sauvetage-déblaiement, et 70 militaires du 7e Régiment d’instruction et d’intervention de la Sécurité civile étaient venus du Var.
Des questions sur le déploiement des forces
Pourquoi n’y a-t-on pas envoyé non plus les policiers et les militaires ? Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, avant le passage de Chido, la Police nationale comptait près de 770 agents sur l’île, et la gendarmerie 650. Le 16 décembre, la porte-parole de la gendarmerie nationale indiquait que 800 gendarmes étaient sur le terrain. Ils sont chargés de trois missions, précisait Laure Pezant sur France Info : « concourir aux secours », « éviter les troubles à l’ordre public [et] protéger les personnes et les biens », et enfin « reconnaître » et « dégager les axes ». Leur effectif a été porté à 1 200 les jours suivants (et à 850 policiers). Mais dans les bidonvilles et dans nombre de villages, personne ne les a vus « concourir aux secours ».
Le Détachement de la Légion étrangère de Mayotte (DLEM), fort de 300 soldats basés en Petite-Terre, aurait également pu participer aux secours, de même que les quelque 800 volontaires du Régiment du service militaire adapté (RSMA), qui est basé dans le centre de la Grande-Terre, à Combani. Sur les réseaux sociaux et dans les reportages, on les a vus distribuer de l’eau et de la nourriture à partir de vendredi. Mais avant, où étaient-ils ?
Outre les communications rendues quasi impossibles, des fonctionnaires évoquent la difficulté de se déplacer, notamment dans les bidonvilles : situés sur des collines escarpées, ils ne disposent pas de routes viables et sont donc inaccessibles pour les véhicules. Mais s’y rendre à pied n’est pas impossible. Le bidonville de Kaweni se trouve à un petit kilomètre à vol d’oiseau de la préfecture, et plus près encore de la principale caserne de pompiers. Quant au quartier de la Vigie, il est situé à quelques centaines de mètres seulement du camp militaire de la Légion étrangère.
Sécurité ou « négligence assumée » ?
Une autre raison est avancée : la sécurité des secours. Les pompiers et les forces de l’ordre sont régulièrement pris à partie par des jeunes dans ces quartiers. « S’y rendre sans protection peut être dangereux », souligne un fonctionnaire.
Les habitant·es de ces quartiers, dont une majorité sont des Comorien·nes originaires des autres îles et dont beaucoup ne disposent pas de papiers français, ont-ils été sacrifiés par la France en raison de leur situation administrative ? Jean-François Corty, le président de Médecins du Monde s’interroge : est-ce « une question de moyens » ou peut-on parler d’une « négligence assumée » ? Il admet que la situation n’était pas simple à gérer, que l’accès de ces quartiers est compliqué, que se posent des questions de sécurité, et que la priorité, dans cette situation, va aux blessé·es plutôt qu’aux mort·es.
« Dans ce genre de catastrophe, il n’y a pas souvent de blessés, et beaucoup plus de morts », souligne-t-il. Mais il rappelle que « ces populations sont négligées depuis des années », et que les bidonvilles de Mayotte « n’ont jamais été une priorité ».
Priorité aux blessé·es : c’est aussi ce qu’a défendu Estelle Youssouffa ce lundi matin sur France Inter. Il fallait « sauver les survivants », a-t-elle soutenu, or « dans les bidonvilles, il n’y a a priori plus âme qui vive ». Le problème est qu’on n’en sait rien, puisque personne n’y est allé avant ce samedi. Ce postulat de départ – ils et elles sont tous et toutes mort·es –, qui ne repose sur aucun élément concret, renvoie à la notion de peuples sacrifiés et transformés en « morts vivants », développée par le philosophe Achille Mbembe il y a quelques années dans un essai intitulé Nécropolitique.
Depuis des années, celles et ceux que l’on appelle « les clandestins » à Mayotte, qui vivent essentiellement dans les bidonvilles, font figure de « morts vivants » dont la vie ne compte pas, ou si peu aux yeux des autorités et des élu·es. « À Mayotte, la gestion de la migration révèle un nécropouvoir en ce qu’elle expose à la mort et détermine les conditions pour la vie en produisant l’illégalité d’une partie importante de la population de l’île », soulignait la chercheuse Nina Sahraoui dans un article publié en 2020. Elle évoquait notamment le cas des milliers de personnes qui ont péri dans la traversée entre Anjouan et Mayotte (70 km).
S’il n’existe aucune donnée fiable sur le sujet, on estime à plus de 10 000 le nombre de personnes disparues dans ce bras de mer entre 1995 (date de mise en place d’un visa entre Mayotte et les autres îles de l’archipel) et aujourd’hui. Certains vont jusqu’à avancer le chiffre de 30 000. Mais ces morts, qui sont liées à la politique répressive mise en place depuis une trentaine d’années par la France, sont souvent évacuées par les pouvoirs publics. Comme si elles ne comptaient pas.
Et il pourrait en être de même avec Chido où, après n’avoir pas pu (ou essayé de) sauver des vies, l’État pourrait être tenté d’ignorer les morts. Depuis plusieurs jours, les autorités laissent entendre qu’on ne saura probablement jamais combien de personnes le cyclone a tuées, arguant notamment du fait que des enterrements clandestins ont probablement déjà eu lieu. « Le bilan humain sera-t-il connu ? On n’est pas capable de le dire », a lancé dimanche soir le ministre démissionnaire chargé des outre-mer, François-Noël Buffet.
Encore une fois : on ne sait pas jusqu’à quel point l’État a failli. Mais le silence des autorités sur l’affectation des secours et les choix effectués est insupportable.
mise en ligne le 23 décembre 2024
sur https://rapportsdeforce.fr/
A partir du 1er janvier, les expérimentations du RSA conditionné à 15 à 20 d’activités doivent se généraliser à l’ensemble du pays. D’abord testées dans des territoires de 18, puis 47 départements, ces expérimentations révèlent des mises en œuvre bien différentes d’une localité à l’autre. Pour les bénéficiaires, le plus grand flou persiste.
« Le compte à rebours commence en janvier », avertit Florent Lefebvre, représentant de la CFDT Emploi. En 2025, entre en vigueur la loi pour le plein emploi, adoptée le 18 décembre 2023, dont l’application avait été repoussée d’un an. Plus de 1,5 million de personnes « privées d’emploi » seront automatiquement inscrites à France Travail, qui entend coordonner l’ensemble des organismes d’insertion sociale. 200 000 jeunes suivis par les missions locales devraient ainsi basculer vers France Travail ainsi que les dizaines de milliers de personnes en situation de handicap accompagnées par Cap Emploi. Et surtout, les 1,3 million de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), ainsi que leurs conjoints, l’allocation dépendant du revenu du couple (565 euros pour une personne seule, 848 euros si les deux conjoints sont au RSA).
Ce « compte à rebours » risque d’être celui d’une véritable bombe sociale à retardement. Pour les personnes sans emploi comme pour les agents de France Travail. « On bourre la machine à marche forcée jusqu’à ce que ça craque », estime Florent Lefebvre. À moins de quinze jours de l’échéance, les conseillers de France Travail se demandent bien comment ils vont pouvoir gérer cet afflux massif d’un nouveau public en insertion. Bénéficieront-ils de moyens supplémentaires pour les accompagner ? « C’est le flou artistique », résume le syndicaliste, également élu au Comité social et économique (CSE) de France Travail. Les agents savent simplement qu’ils devront faire avec moins d’effectifs : 500 emplois équivalents temps plein devaient être supprimés par le projet de finance 2025. France Travail prévoit « d’économiser » l’équivalent de près de 3000 postes d’ici 2027.
Plus de contrôles des chômeurs, moins d’agents
« On ne sait pas ce qui va nous tomber dessus », craint Agnès Aoudai. De son agence parisienne pourtant peu encline à la contestation, la conseillère entreprise, syndiquée à la FSU, « sent monter le ras-bol ». « Ça va exploser ! » lâche-t-elle. Le 5 décembre dernier, la plupart de ses collègues se sont mis en grève pour demander de meilleurs salaires et plus de moyens, contraignant le directeur à tenir l’accueil lui-même. Fait notable, le mouvement a été plutôt suivi.
« Les conseillers font moins d’accompagnements que de contrôles », déplore Agnès Aoudai. France Travail prévoit de tripler les contrôles annuels de recherche d’emploi : de 500 000 jusqu’à 1,5 million en 2027 ! Insultes, menaces, agressions, « chaque nouvelle réforme s’est manifestée par une hausse des conflits avec les usagers », constate Lakhdar Ramdani, de la CGT Pôle Emploi Bretagne. De l’avis de nos interlocuteurs, « France Travail est le réceptacle de la détresse sociale » subie par les agents de l’autre côté du guichet. Résultat : le mal-être se répand dans les agences, avec pour manifestation la hausse des arrêts maladie, des burn-out et le risque de décompensation psychique… En mars dernier, un manager d’une agence en Occitanie a mis fin à ses jours.
RSA conditionné : 15 à 20 heures d’activité obligatoires
Du côté des bénéficiaires du RSA, l’inquiétude grandit également. Au RSA depuis plus de dix ans, ValK (c’est un pseudo) appréhende aussi son basculement vers France Travail. À 54 ans, cette ancienne intermittente du spectacle a « les genoux HS ». Reconnue travailleuse handicapée en 2004, elle ne l’est plus malgré ses demandes. Elle attend donc de savoir quel pré-diagnostic, l’algorithme de France Travail établira à partir de ses données personnelles. En fonction des « freins sociaux » – difficultés de mobilité, d’accès au logement, à la garde d’enfants ou aux soins – identifiés par la plateforme, ValK sera orientée vers l’un des trois parcours : emploi, socio-professionnel ou social. Elle signera ensuite un « contrat d’engagement réciproque » qui déterminera son plan d’accompagnement personnalisé.
« Je vais devoir leur demander leur diplôme médical pour qu’ils jugent de mon état de santé », s’agace cette photographe amatrice. ValK appréhende surtout la mesure phare de la loi : devoir exercer au minimum 15 heures d’activité hebdomadaires, sous peine de voir tout ou partie de son RSA suspendu. Une mesure qui, à terme, pourrait s’étendre à l’ensemble des demandeurs d’emploi. « Si je bosse en présentiel je tue ma santé, même prendre le bus m’est compliqué. »
Ce RSA conditionné aux 15 heures d’activité a été expérimenté par dix-huit départements volontaires depuis le printemps 2023, puis par 29 départements supplémentaires en mars 2024. Les évaluations de la réforme sont très mitigées en matière de retour à l’emploi. Plusieurs territoires pilotes affichent ainsi, comme à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), un nombre d’allocataires en baisse. Sans qu’on ne sache à quoi correspondent ces sorties des statistiques, s’il s’agit de non-recours au RSA ou d’un retour à l’emploi.
Un saut dans l’inconnu pour les bénéficiaires du RSA
L’évaluation de novembre, demandée par le ministère du Travail et portant sur seulement huit territoires, relève que « l’accompagnement rénové a des effets globalement positifs sur les allocataires, en renforçant leur confiance et leur capacité d’action ». Affichant, tous parcours confondus, un taux de « présence en emploi six mois après l’entrée en parcours […] de 28,6 % » des personnes aux RSA – soit une personne au RSA sur quatre. Sans que l’on sache de quel type d’emploi il s’agit : si la personne travaille comme intérimaire pour quelques semaines, s’il s’agit d’un CDD de quelques mois ou d’un CDI. À Givors, près de Lyon, où un autre dispositif d’accompagnement sans conditions ni sanctions a été mis en place, un allocataire sur trois était en emploi après six mois…
Mais un autre effet commence à être documenté : un « décrochage » dû à la multiplication des démarches administratives et à la peur des contrôles. Le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % en un an dans les zones qui expérimentent la réforme, selon un rapport du Secours Catholique, alors qu’ailleurs ce taux de non-recours recule très légèrement.
Le Conseil départemental du Nord, géré par la droite, a expérimenté la réforme de manière zélée. En cas d’absence à un rendez-vous, un allocataire voit 80 % de son RSA suspendu. Pour « retrouver la dignité et le chemin du travail », des « coachs emploi » assurent au sein des « Maisons du Nord emploi » le suivi intensif de 3000 allocataires. « L’accompagnement social est un travail au long cours qui doit s’adapter à la capacité d’émancipation de la personne. Notre boulot n’est pas de mettre immédiatement les gens en entreprise », estime Olivier Treneul, délégué syndical Sud au département. « C’est un dévoiement des missions de service public. » Résultat de cette chasse aux précaires : plus de 12 000 suspensions de droits sur environ 100 000 allocataires, selon France 3. Des gens sanctionnés disparaissent des radars, d’autres perdent leur logement, et sombrent dans l’exclusion, constate le syndicaliste, obligeant certains de ses collègues à faire du « travail de rue » dans l’espoir de les repêcher.
Cette marche forcée au prétexte de « remobiliser les personnes les plus éloignées de l’emploi, risque de priver les personnes les plus vulnérables du droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », s’inquiétait en juillet 2023 le défenseur des droits, s’appuyant sur le droit inaliénable prévu par l’article 11 de la Constitution. L’inflation de tracasseries administratives pourrait même entraver un retour durable vers une activité rémunérée.
« On vit déjà dans l’angoisse des contrôles »
« On veut nous occuper et nous inquiéter, mais on vit déjà dans l’angoisse des contrôles », estime ValK dont le dossier a déjà été bloqué à cause d’un document manquant. « J’ai vécu 17 mois sans revenu… j’ai envisagé de me suicider », confie-t-elle. « Il faut voir l’état dans lequel j’étais, je pleurais dès que j’appelais la Caf. » Elle a tenu le coup grâce à une cagnotte de soutien – considérée par l’administration comme des revenus – avant de remonter la pente, une fois son dossier débloqué.
La réforme vise donc à occuper les allocataires du RSA tant qu’ils et elles ne retrouvent pas un travail, quel qu’il soit. Mais comment ? De ce que laisse entrevoir la communication gouvernementale et les quelques retours d’expériences, il s’agirait de multiplier les démarches de recherche d’emploi, de participer à des ateliers de rédaction de CV ou de « coaching », de suivre des stages, des formations ou des cours de langues… Voire de l’obtention du permis de conduire ou de rendez-vous médicaux. Les témoignages de personnes ayant expérimenté le RSA conditionné soulignent la difficulté des déplacements, leur coût non défrayé ou le temps passé à justifier de leurs activités. « Qu’ils nous payent ces heures passées à quantifier nos démarches », raille ValK. La comptabilisation de ces heures s’avère « particulièrement lourde » également pour les conseillers, relate l’évaluation rendue au ministère du Travail. Et reconnaît qu’en l’état, prendre une sanction à partir des données actuelles présenterait « des risques importants d’erreur et d’inégalité de traitement ».
D’autant que la plupart des personnes touchant les minimas sociaux s’adonnent déjà d’elles-mêmes dans leur vie quotidienne à un « boulot de dingue », dont le Secours Catholique dévoilait l’étendue dans son rapport du même nom. « Je donne plein de coups de main… à mon rythme. Là je me suis gavée d’antidouleurs pour pouvoir réparer la porte de l’immeuble, je devrais le déclarer ? » illustre ValK. Et quid des auto-entrepreneurs ou des agriculteurs qui cumulent souvent activités laborieuses et RSA ?
mise en ligne le 23 décembre 2024
Lucas Lazo sur www.humanite.fr
Au nord-est de la Syrie, les autorités kurdes sont dépassées par l’afflux des plus de 100 000 déplacés qui ont fui les enclaves kurdes de Shahbah et Tal Rifaat dans la province d’Alep, assaillies par les milices affiliées à la Turquie en marge de l’offensive qui a conduit à la chute du régime de Bachar Al Assad. Plusieurs milliers d’entre elles ont trouvé refuge à Raqqa, d’autres ont préféré poursuivre vers Kobané, menacé par une offensive militaire de la Turquie et ses mercenaires. L’hiver rigoureux et la guerre font peser la menace d’une crise humanitaire d’ampleur sur ces populations vulnérables et déjà multidéplacées par les conflits.
D’une main tremblante, Zinab s’entête à raviver un poêle qui ne parviendra pas à réchauffer la pièce. De l’autre, elle sèche les larmes d’Amira, sa fille de 4 ans : « Elle n’arrête pas de pleurer depuis que nous sommes arrivés ici, elle m’implore de rentrer à Shahbah. » Mais c’est impossible. Avec sa mère et ses enfants, Zinab a fui, début décembre, les persécutions de l’Armée nationale syrienne (ANS), un groupe armé soutenu par la Turquie, contre les populations civiles kurdes, pour échouer dans les entrailles glaciales du stade de Raqqa.
Torture
Deux pupitres d’écoliers fatigués ont été abandonnés sur une travée du stade. C’est là que Foza Hammoud, responsable d’une association locale, a scrupuleusement recensé une grande partie des 5 000 familles déplacées et passées par l’enceinte sportive de Raqqa pour être enregistrées, avant qu’elles ne soient redirigées vers les écoles de la ville, toutes fermées pour les accueillir. Elle revient chaque jour pour s’assurer que Zinab et les sept familles qui n’ont pas eu la force de repartir, épuisées par une fuite éprouvante, ne manquent de rien. Foza laisse échapper un soupir : « Mais elles manquent de tout, de fioul pour se chauffer, de nourriture, d’eau minérale… ». Elle suit du regard les bambins qui se chamaillent les pieds nus dans leurs sandales de plastique : « … et de vêtements pour l’hiver. » Dans le vestiaire aux murs défraîchis, les quatre enfants de Zinab se serrent les uns contre les autres, abrités sous une couverture. Les yeux creusés par les cernes, elle les regarde un à un, comme pour les compter : « Ils étaient cinq… Nour est mort de froid sur la route, il avait quatre mois et demi. » Dans un murmure à peine audible, la mère ressasse « quatre mois et demi ».
Tout doucement, Zinab déroule le fil de leur exil. D’abord, la fuite précipitée d’Afrin, une ville frontalière de la Turquie au nord-ouest de la Syrie, en 2018, attaquée et occupée par les mercenaires de l’ANS. Puis ce matin du 30 novembre 2024 où les rumeurs de la guerre se sont de nouveau glissées dans leur vie. L’offensive éclair sur la ville d’Alep conduite par les islamistes d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC), avant de descendre sur Damas, a entraîné dans son sillage les combattants soutenus par la Turquie de l’ANS qui se sont emparés des territoires où s’étaient réfugiés les déplacés d’Afrin : Shahbah et Tal Rifaat. « Il a fallu tout abandonner et partir, à nouveau. Nous n’avions pas de voiture, alors pendant trois jours nous avons marché. Il faisait froid, nous n’avions rien à manger, pas de lait pour les bébés », témoigne Zinab. Un périple qui les conduit jusqu’au stade de Raqqa, de sinistre mémoire : les vestiaires sous les gradins dans lesquels s’est abritée la famille ont servi de centre de détention et de torture à l’« État islamique » de 2014 à 2017, avant la libération de la ville par les forces kurdes appuyées par la coalition internationale.
« L’enfer »
Zinab ne sait pas combien de temps elle pourra tenir dans ces conditions. Ses mains gercées fouillent dans un carton éventré qui traîne dans un recoin de la pièce. L’inventaire de ce qu’il lui reste la préoccupe : « Un peu de riz, des pâtes, et c’est à peu près tout, mais où voulez-vous qu’on aille ? » En dépit des efforts des autorités qui ont ouvert 70 centres d’accueil d’urgence, l’ONG NES Forum, en charge de la coordination de l’aide humanitaire dans la région, alerte sur une situation critique à Raqqa.
Les responsables du Croissant-Rouge kurde sont submergés par les arrivées et de nombreuses familles sont contraintes de chercher un refuge ailleurs, à Hassakeh, à Kamechliyé, ou à Kobané. Dans un grincement métallique, les grilles du stade de Raqqa s’ouvrent pour laisser passer un taxi jauni et chargé de ballots. En surgit une femme qui manque de s’effondrer d’épuisement. Elle revient de Kobané : « C’était l’enfer là-bas. »
Désastre
Dans les couloirs de l’hôpital de Kobané, des familles patientent à même le sol, transies de froid malgré d’épaisses couvertures. Huzar Muhammad Ali, le directeur du centre de santé, est démuni : les attaques de l’ANS sur la ville de Manbij et les tirs d’artillerie sur le pont de Qere Qozaq qui la relie à Kobané ont coupé la ligne d’approvisionnement de la ville. « Si cette situation est amenée à perdurer, nous devrons fermer l’hôpital », confie-t-il avec amertume en parcourant les salles de soins, avant d’énumérer : « Depuis deux jours, nous manquons de tout, d’anticoagulants, de traitements pour les maladies cardiaques… » Huzar est bien conscient que plusieurs centaines de familles réfugiées de Shahbah se sont installées en périphérie de la ville dans une concession automobile abandonnée. Il ouvre grand les mains pour souligner son impuissance : « Que voulez qu’on fasse ? Nous avons bien essayé d’ouvrir un centre d’urgence pour les prendre en charge, mais à l’hôpital, nous recevons déjà les victimes civiles des bombardements. Et avec le front à 20 kilomètres, les autorités ont fini par envoyer le personnel médical disponible en soutien des combattants. Nous nous dirigeons vers un désastre humanitaire. »
Des gamins abasourdis par le froid s’amusent à rebondir sur les amortisseurs d’une carcasse de voiture. Emmitouflé dans son long manteau de laine, Mustafa fait les cent pas devant le rideau de fer rouillé et désespérément clos de ce qui fut brièvement, peut-être, le centre d’urgence. Il répète inlassablement, comme si cela allait suffire à faire venir quelqu’un, n’importe qui : « J’ai besoin de médicaments pour ma fille. » Il poursuit, comme pour se justifier de la situation : « Il y avait trop de monde à Raqqa, nous avons préféré venir ici à Kobané, nous pensions que nous serions accueillis par des ONG. »
Autour de lui, des amas de silhouettes éparses se réchauffent en mettant le feu à des bâches de plastique. Pas de trace d’ONG. Les familles ont investi les guichets délaissés d’un vieux marché aux voitures d’occasion. Mustafa pousse la porte – une couverture fixée au chambranle – de son abri, découvrant une pièce nue. Il y a bien trois matelas contre un mur, mais ils sont dix-sept membres de sa famille à occuper l’espace. Sur le rebord de la fenêtre, deux petites fioles de sirop à moitié vide tiennent en équilibre. D’un ample geste de la main, Mustafa embrasse la pièce : « C’est la troisième fois que j’abandonne mon foyer, mais là, c’est de loin la pire. »
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
À la veille de Noël, les chrétiens d’Alep, qui se réjouissent du départ du clan Assad, s’interrogent sur les décisions du nouveau pouvoir à leur égard. Dans les montagnes alaouites, les musulmans aussi observent avec peur la mise en place des premières mesures qui ne donnent aucun gage de dialogue réel au-delà des déclarations.
Alep, Homs, montagnes druzes (Syrie), envoyé spécial.
Elle est encore là et domine toujours la ville. Un symbole, un emblème pour les habitants d’Alep qui, toutes générations confondues, l’ont toujours vue sur ce promontoire, comme un signe rassurant. La citadelle. Cette fortification qui a traversé les âges appartient à tout le monde.
À l’instar de toutes les communautés, notamment arménienne, qui peuplent la ville depuis des centaines d’années, voire plus. Elle a failli s’écrouler lors des rudes combats qui ont détruit et divisé la cité entre 2012 et 2016. Les souks avoisinants ont disparu sous les flammes. Les échanges de tirs – armes automatiques ou mortiers – violaient ses murs. À l’est, les djihadistes appliquaient leur loi religieuse, à l’ouest le gouvernement de Damas imposait son ordre. Et pourtant, la citadelle est toujours là, pilier de dignité.
Alep, première ville prise par le HTC
Un nouveau drapeau flotte, accroché à la rocaille, balayant celui de l’ancien régime que personne ou presque ne regrette. Des centaines de Syriens reviennent flâner sur l’esplanade en contrebas. Des familles entières profitent de ce moment, déambulant, heureuses, sans peur.
Les enfants tirent leur père par la manche pour une barbe à papa. Les jeunes filles, bras dessus bras dessous, avec ou sans voile, lunettes aux montures épaisses sur le nez, marchent en rigolant. Des garçons les observent l’air de rien, sourire aux lèvres. La lumière est voilée – c’est l’hiver –, mais le soleil – et avec lui, la vie – brille à nouveau. Peu importe que des hommes, un semblant de treillis sur le dos, une arme en bandoulière, se tiennent là, tranquillement. Ravis de se prendre en photo, ils se reposent sur le rude escalier qui mène à l’enceinte fortifiée.
Deuxième ville la plus importante de Syrie, Alep est la première à être tombée aux mains des groupes islamistes regroupés au sein du Hayat Tahrir al-Cham (HTC) lors de l’offensive lancée le 27 novembre. Personne n’a compris ce qui se passait.
Mais tout le monde s’est méfié. Ceux qui, à l’est, avaient subi le joug de ces mêmes hommes regroupés ensuite à Idleb (« dès qu’ils mettaient la main sur un objet ou une femme, ils s’en saisissaient », se rappelait une Alépoise rencontrée par l’Humanité en 2016) et ceux qui, soulagés de la chute du clan Assad, envisagent l’avenir avec crainte. C’est le cas des minorités ne faisant pas partie de la majorité musulmane sunnite. Les chiites, les Kurdes et les chrétiens. Parmi ces derniers, les Arméniens sont particulièrement inquiets.
Dans le restaurant qui leur sert également de club, l’accueil est chaleureux. Un sapin de Noël décoré de boules et de cloches dorées rajoute à l’atmosphère apaisée et rappelle la période particulière pour les chrétiens. Mais les visages se ferment lorsque les questions surgissent et parlent sous le couvert de l’anonymat.
L’anniversaire organisé est joyeux, mais plus d’arak ni de cognac arménien contrairement à l’habitude. Les magasins qui vendaient de l’alcool ont placé en vitrine des bouteilles d’eau et de soda. À l’intérieur, les étagères sont vides. Dans le grand parc, la statue d’Abou Firas Al Hamdani, surnommé « le poète d’Alep », a été recouverte d’une bâche.
Le HTC essaye de donner des garanties
Les Arméniens, eux, ne sont pas certains que « rien ne peut être pire que ce qu’on a connu ». Non pas qu’ils développent une quelconque nostalgie mais ils s’interrogent sur leur statut dans la Syrie de demain. Personne ne veut donner son nom. Comme ce commerçant – carrure de lutteur, yeux vifs – qui se réjouit de ne plus avoir à verser des sommes astronomiques aux tenants du parti Baas, celui de Bachar Al Assad. Il peut, enfin, vendre tranquillement ses pièces détachées pour automobiles.
« J’ai rencontré les responsables du HTC, ils m’ont dit qu’ils pensaient prendre seulement Alep et Hama (une ville plus au sud sur la route de Damas – NDLR). Pour moi, cela signifie qu’ils ne sont pas assez nombreux pour tout contrôler », assure-t-il. Il montre une vidéo de tombes chrétiennes saccagées à Hama. Depuis, des rencontres ont eu lieu entre les nouvelles autorités et les représentants de la communauté arménienne, décidant notamment de patrouilles de surveillance communes.
Monseigneur Magar Achkarian, archevêque d’Alep, du nord de la Syrie et de la zone côtière, se veut rassurant. Avec un ton de diplomate aguerri, il explique à l’Humanité que « les responsables du HTC – des gens d’Alep qui sont partis à Idleb – nous ont dit que tout allait prendre du temps, qu’il fallait des efforts communs ». Lors d’une rencontre avec les onze communautés, le HTC a donné des garanties, assure l’archevêque.
« Nous avons bien sûr peur qu’on nous impose une loi islamique notamment dans les écoles avec la séparation des filles et des garçons, mais on nous dit que cela ne se passera pas. » Il dit espérer « une nouvelle Constitution qui respectera les droits et les obligations de toutes les communautés, sans discrimination ». La nomination comme gouverneur d’Alep de Fawwaz Hilal, l’ancien premier ministre du gouvernement de salut à Idleb, régi par la loi islamique, ne rassure guère.
« Nous, les femmes, devons toujours combattre pour nos droits »
Rassurée, cette professeur de mathématiques rencontrée à Alep, ne l’est pas. Appelons-la Araxie pour, à sa demande, protéger son identité. Mariée, mère d’un garçon et d’une fille, elle répond sans détour : « Quand ils sont arrivés, j’ai immédiatement pensé au statut des femmes. »
Elle poursuit : « C’est normal, car nous, les femmes, nous devons toujours combattre pour nos droits et nos libertés. Nous avons peur qu’on nous retire le peu que nous ayons. » Elle précise que, « pour l’instant, personne ne nous interdit de travailler mais on ne sait pas ce qui va se passer après, surtout s’ils islamisent tout ».
Elle évoque des « petites choses qui se passent » comme ces étudiantes qui sortent de cours à qui on demande de se couvrir la tête et « les élèves inquiets, pas concentrés. Celles qui ont 12 ans se demandent comment elles vont vivre si on les oblige à porter le voile ». Beaucoup de parents interdisent à leurs enfants de sortir, assure Araxie.
Une juge témoigne de l’interdiction qui lui est faite, à cause de son genre, de continuer à exercer sa fonction jusqu’au début du mois de janvier. Elle a dû remplir un questionnaire d’évaluation et ne sait pas si elle pourra continuer à travailler. Les avocates seraient dans le même cas de figure. Et tous les personnels se demandent si les non-musulmans seront toujours intégrés dans le système judiciaire.
C’est d’autant plus inquiétant que la nouvelle autorité centrale ne donne pas d’indications. Dans la ville de Homs, le nouveau procureur a assuré que rien ne changerait. En revanche, le porte-parole du gouvernement récemment nommé, Obeida Arnaout, a affirmé : « Une femme est un élément important et honoré de la société, mais ses tâches doivent être en adéquation avec les rôles qu’elle peut jouer. »
La peur des Alaouites associés au clan Assad
Dans les montagnes alaouites (Jabâl al-Ansariya), qui s’étendent en Syrie comme une épine dorsale, on scrute avec appréhension ce qui est en train de se passer. Les Alaouites composent de 10 à 12 % de la population syrienne et sont répartis dans les villes de Lattaquié, Jablé, Banias, Tartous et dans des centaines de villages de montagne. C’est dans l’un d’eux que nous sommes reçus, où l’électricité ne parvient pas.
Dans sa maison, Habib, retraité de la compagnie des eaux, vit chichement. Une pièce unique aux murs laiteux. Quelques matelas en guise de péristyle et une table basse en bois. Il prépare son fume-cigarettes et avale une longue bouffée. Son épouse, Nada, sert le thé. Les gens du village sont là aussi, s’entassant dans la pièce où trône un pauvre poêle. Des familles qui tentent de survivre entre l’agriculture pour certains et la fonction publique pour d’autres. Hassan, le moukhtar (représentant de la communauté) est assis sur une chaise, attentif et ironique. « Ici, on cultive des rochers », lâche-t-il sarcastique.
Mohammad, 30 ans, prend d’abord la parole pour expliquer que les Alaouites ont été manipulés par la famille Assad, le père, Hafez, puis le fils, Bachar. Ils ont servi de chair à canon et des milliers d’entre eux ont croupi, voire sont morts dans les sinistres prisons du pays. « Si une personnalité émergeait de chez nous hors du cercle Assad, elle était exilée, emprisonnée ou étouffée. »
Une réalité méconnue et, pourtant, cette communauté est amalgamée au pouvoir qui a régné sur la Syrie pendant un demi-siècle parce que la famille Assad en est issue. « Aujourd’hui, notre peur est existentielle », note Mohammad. Comme les Arméniens, les Alaouites ont reçu des paroles d’apaisement du nouveau pouvoir, « mais, pour l’instant, ce ne sont que des mots. Le gouvernement actuel n’est composé que de membres du HTC, tous venus d’Idleb, tous sunnites et anciens du Front al-Nosra qui était lié à al-Qaida ».
Un dialogue national nécessaire
Leur grande crainte est une possible instauration de la charia. Le nouvel homme fort de la Syrie, Ahmed Al Charaa, ne confirme ni n’infirme cette idée. Mais, à Alep, une banderole a été déployée sur laquelle est inscrite une déclaration du ministre de la Justice, ancien juge religieux, Mohammad Alwaysi, qui vante la « vraie religion et sa noble charia ».
Comme pour brouiller les pistes, une autre banderole, au même endroit, cite le premier ministre qui, lui, parle « du peuple d’Alep ». Ce qui donne toute sa dimension à cette affirmation de Mohammad l’Alaouite : « Nous sommes prêts à nous battre pour empêcher qu’une religion prenne le dessus sur les autres. Nous travaillons à la constitution d’un front d’opposition face à des décisions imposées. » Il appelle de ses vœux un dialogue national « pour rassembler toutes les composantes de la société syrienne ». Une idée qui, en Syrie, fait son chemin.
À Alep comme à Homs et Damas, des sapins lumineux célèbrent néanmoins Noël « qui sera un peu triste », regrette Magar Achkarian, l’archevêque d’Alep. « Surtout à cause de la situation économique des gens. En tant que chrétiens, nous n’avons pas le droit de baisser les bras. La paix, la joie et l’égalité doivent s’installer partout. » Certains habitants ne cachent pas que, cette année, ils ne savent pas s’ils assisteront à la messe de minuit.
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le ministre turc des Affaires étrangères, présent à Damas aux côtés du nouvel homme fort Ahmed Al Charaa (ex-Abou Mohammed Al Joulani), s’est comporté comme le représentant d’une puissance tutélaire. L’objectif affiché : en finir avec les combattants kurdes.
Damas (Syrie), envoyé spécial.
C’est sans doute la rencontre la plus importante de ces derniers jours pour Ahmed Al Charaa, le chef de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Il a laissé tomber son nom de guerre – Abou Mohammed Al Joulani – et troqué son treillis pour un costume et, pour la première fois, une cravate.
Si, le 22 décembre, il a mis les petits plats dans les grands, c’est qu’il recevait celui qui a pratiquement été son mentor politique et représentant de la puissance tutélaire turque, Hakan Fidan. Aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, ce dernier a longtemps été à la tête du MIT, les services de renseignements. À ce titre, il avait une relation privilégiée avec Al Charaa, y compris quand celui-ci frayait avec Daech et al-Qaida.
Les forces de protection kurdes visées par le HTC
À l’issue de leur entretien, les deux hommes ont tenu une conférence de presse assez déconcertante tant leurs rôles semblaient inversés. Ahmad Al Charaa a ainsi déclaré que son administration travaillait à la protection des minorités, soulignant l’importance de la « coexistence » dans ce pays multiethnique et multiconfessionnel.
Depuis deux semaines et la chute du régime baasiste, rien n’a encore été entrepris en ce sens : l’intérim n’est absolument pas inclusif et il se refuse à toute application de la résolution 2254 pour une transition du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le dirigeant du HTC a eu cette phrase étonnante : « Nous nous efforçons de protéger les confessions et les minorités contre tout conflit entre elles », et contre les acteurs « extérieurs » qui tentent d’exploiter la situation « pour provoquer une discorde sectaire ». Il a également fait savoir que « la logique de l’État est différente de celle de la révolution, et nous ne permettrons pas la présence de toute arme échappant au contrôle de l’État ».
Une attaque claire envers les YPG
Si cela concerne tous les groupes armés du pays – y compris ceux de son propre camp, djihadistes massacreurs, qu’il entend intégrer dans une nouvelle armée nationale – il vise avant tout les forces de protection kurdes (YPG). Ces dernières avaient payé un lourd tribut dans la lutte contre l’État islamique et gardent toujours les combattants de Daech dans les camps de prisonniers.
Elles se trouvent désormais totalement abandonnées y compris par l’Union européenne (UE) et surtout les États-Unis. Pourtant, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a averti que le groupe islamiste tenterait de rétablir ses forces au cours de cette période.
Hakan Fidan n’a pas fait le déplacement à Damas pour rien. Alors qu’un journaliste lui demandait si la Turquie allait opérer une offensive dans le nord de la Syrie, c’est-à-dire en pays kurde, il a eu cette réponse dénuée d’ambiguïté : « Les YPG volent les ressources énergétiques du peuple syrien. Les YPG doivent être placés dans une position où ils ne menacent plus l’unité de la Syrie. Il n’y a pas de place pour le YPG-PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan – NDLR) dans l’avenir de la Syrie. Les YPG doivent se dissoudre au plus vite. Ce n’est pas le moment d’attendre et de voir. Nous devons agir immédiatement. »
Pour bien marquer sa puissance, le représentant d’Ankara, dont les troupes stationnent en Syrie, a ajouté : « L’intégrité territoriale de la Syrie n’est pas négociable. »
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Une centaine de Syriennes se sont rassemblées dans le centre de la capitale pour faire valoir leurs droits et exiger d’être associées aux décisions concernant l’avenir, notamment sur la nature du régime. Elles refusent toute référence religieuse.
Damas (Syrie), envoyé spécial.
La Syrie vit une période assez exceptionnelle. Il n’est qu’à parcourir les rues de la capitale ou de n’importe quelle autre ville du pays pour s’en rendre compte. C’est l’effervescence. La parole se libère deux semaines après la dislocation du régime pour préparer l’avenir. Les initiatives se multiplient, encore embryonnaires mais suffisamment médiatisées pour alerter les nouvelles autorités.
La semaine dernière, un monteur de cinéma, Rami Nedal, a lancé sur Facebook l’idée d’une rencontre pour discuter sans tabou de toutes les questions. Le lendemain, des centaines de personnes se sont rassemblées sur la place des Omeyyades en scandant : « Nous voulons la démocratie, pas un État religieux », « La religion est à Dieu et la nation à tous », « La Syrie, État libre et séculier ». Seuls quelques combattants armés, certains cagoulés, étaient présents sur le lieu de la manifestation, déambulant parmi les protestataires.
Pour un État libre et sans la charia
Le 22 décembre, les femmes se sont également rassemblées en plein centre-ville. « Nous prenons les devants pour protéger les femmes syriennes », explique à l’Humanité Diana Jabbour, scénariste et l’une des organisatrices du rassemblement. « Si nous ne participons pas maintenant, nous n’aurons aucun rôle. » Un sentiment partagé par Saman Adouan, plasticienne.
« Nous ne voulons pas de la charia comme inspiratrice des lois et que l’État soit confessionnel », souligne-t-elle en ajoutant : « Le droit des femmes n’est pas seulement vestimentaire, il est beaucoup plus profond. »
Reste à savoir combien de temps le pouvoir issu des mouvances djihadistes tolérera ce type de manifestations. Mais cette prise de conscience multiple pourrait compliquer le dessein d’Ahmed Al Charaa, de facto à la tête du pays.
mise en ligne le 22 décembre 2024
Par Francis Wurtz, député honoraire du parlement européen sur www.humanite.fr
Les négociations de paix en Ukraine « commenceront peut-être en hiver cette année » ! C’est le premier ministre polonais, Donald Tusk, le plus proche allié de Kiev – et futur président du Conseil européen durant le premier semestre 2025 – qui l’a annoncé le 10 décembre dernier. Poutine, de son côté, affirme que « si un souhait de négocier émerge, nous ne refuserons pas ». C’est encourageant, même s’il y a encore loin de la coupe aux lèvres !
Ainsi, le président Zelensky a accompagné son accord pour un cessez-le-feu de l’exigence de voir « placer sous le parapluie de l’Otan le territoire ukrainien que nous contrôlons ». Or, de son côté, Vladimir Poutine conditionne d’éventuels pourparlers au fait que ceux-ci se fondent « sur les documents sur lesquels on s’était entendus à Istanbul » au printemps 2022. De quel compromis russo-ukrainien s’agit-il ? Selon le quotidien allemand « Die Welt », il s’agirait d’un projet d’accord établi le 15 avril 2022 entre les deux belligérants, prévoyant, à l’époque, notamment… « une neutralité permanente » de l’Ukraine (1) .
L’autre enjeu crucial d’une telle négociation est naturellement le statut futur des territoires occupés par l’armée russe : le Donbass, voire la Crimée, reviendront-ils sous souveraineté ukrainienne ? Le réalisme de cette perspective divise désormais le « camp occidental ». Si Zelensky dit, aujourd’hui, penser pouvoir recouvrer la souveraineté ukrainienne de tous ces territoires « par la voie diplomatique », ses alliés semblent beaucoup plus dubitatifs. « On peut espérer que Trump refusera de se ranger aux exigences de Poutine (…). Mais il faut se confronter au réel », estime, par exemple, un collectif d’anciens diplomates français (2). Sous-entendu : l’Ukraine ne récupérera pas les territoires conquis par Moscou.
Une telle issue n’était pas fatale ! Il faut le répéter pour contribuer à tirer les bonnes leçons de l’épouvantable tragédie que représente cette guerre : une solution politique conforme au droit international était possible il y a plus de deux ans. Et aurait épargné des dizaines de milliers de victimes. Le chef d’état-major général des armées des États-Unis de l’époque, le général Mark Milley en personne, déclarait le 16 novembre 2022 : « La probabilité d’une victoire militaire ukrainienne, consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine (…) n’est pas élevée. » En revanche, « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent : c’est possible ! » (3). Le plus haut gradé des militaires américains prenait ainsi le contrepied du chef du Pentagone, le général Austin, dur parmi les durs, qui, quelques mois auparavant, lors d’une visite éclair à Kiev, avait défendu le principe de l’escalade militaire : « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements et le bon soutien », avait-il lancé, ajoutant : « Nous voulons voir la Russie affaiblie. » (4). Joe Biden optera pour la ligne dure, les dirigeants européens également, certains même avec zèle !
Ainsi a-t-on appris que, dès le 15 avril 2022, après les premiers pourparlers russo-ukrainiens évoqués plus haut, qui visaient précisément à avancer sur la voie d’une solution politique, l’aile dure des dirigeants européens s’était mise en branle. Aux dires de Poutine, le premier ministre britannique, Boris Johnson, se précipita à Kiev pour pousser l’exécutif ukrainien à refuser cette voie, au profit de la recherche d’une victoire militaire. Johnson a démenti cet épisode embarrassant, mais… le chef de la délégation ukrainienne, Davyd Arakhamia, l’a confirmé (5). Même si cela ne change rien à la responsabilité russe dans l’agression contre l’Ukraine, il faudra, le moment venu, approfondir la réflexion sur tous les enchaînements qui ont marqué et marquent encore le désastre de cette guerre. Dans l’immédiat, rien ne doit compromettre le cessez-le-feu espéré.
Notes :
(1) « Die Welt » (mai 2024)
(2) Tribune « Guerre en Ukraine : l’affrontement sanglant doit prendre fin » (« le Monde », 9 décembre 2024)
(3) « Ouest-France », 20 novembre 2022
(4) « L’Orient-le Jour », 25 avril 2022
(5) Conférence de presse de Davyd Arakhamia, novembre 2023
mise en ligne le 22 décembre 2024
sur https://blogs.mediapart.fr/
« Le recensement est un bien public et y participer est un acte civique. Ceci clairement dit, nous appelons à ne pas répondre à une nouvelle question qui est introduite cette année sur le pays de naissance des parents. » Pour Nathalie Tehio (LDH), Sophie Binet (CGT), Benoît Teste (FSU), François Sauterey (MRAP), Julie Ferrua et Murielle Guilbert (Union Syndicale Solidaires) l’enregistrement de cette information est un pas vers une possible inégalité de traitement par l’État sur cette base.
Nos organisations, syndicats comme associations, encouragent l’ensemble des personnes qui vont être interrogées en janvier à répondre au questionnaire du recensement de la population. Le recensement est un bien public et y participer est un acte civique. Grâce à ses chiffres, une image fidèle de la population et de sa répartition locale permet une connaissance fine, nécessaire notamment à la gestion des services publics et à l’aménagement du territoire, même si nous savons combien ils sont malmenés par les politiques en vigueur.
Ceci clairement dit, nous appelons à ne pas répondre à une nouvelle question qui est introduite cette année sur le pays de naissance des parents. Nous le faisons après que certaines de nos organisations aient plaidé auprès de l’Insee, responsable pour le contenu du questionnaire, et de la Commission Nationale Informatique et Libertés pour que cette question ne soit pas ajoutée dans le bulletin du recensement. Nous le faisons car aucune politique publique ne justifie que l’origine immigrée de nos parents soit collectée dans notre bulletin individuel. Cette question présente beaucoup de dangers.
Alors que répondre à chaque question du recensement INSEE est obligatoire, ce n’est pas le cas pour cette nouvelle question. Là, dans le questionnaire Internet et dans la version papier il sera bien indiqué que répondre à cette nouvelle question est « facultatif ». Il n’y a donc aucune obligation d’y répondre. Nos organisations, appellent à un mouvement général de refus.
Toutes les personnes habitant les communes de moins de 10 000 habitants sont interrogées tous les cinq ans, et près de la moitié dans les plus grandes. A un moment où un autre, tout le monde doit répondre au recensement. Ainsi, au bout du compte, bien peu de personnes échapperont à l’enregistrement et à la conservation de l’origine immigrée de leurs parents.
L’enregistrement de cette information est un pas vers une possible inégalité de traitement par l’État sur cette base. Les déclarations du président du RN indiquant que « des personnes d’origine étrangère, qui travaillent, qui ne font rien de mal, n’ont rien à craindre de son parti » disent clairement que ce serait un critère dans ses politiques d’extrême-droite.
Comme pour les fichiers administratifs, qui ne doivent contenir que les informations indispensables à la gestion des services qu’ils rendent, nous ne voulons pas que le recensement ajoute aux informations concernant notre identité (genre, âge, lieu de naissance, nationalité) des informations sur l’identité de nos parents.
Il ne faut pas qu’une information sur l’origine immigrée de chacune, de chacun, permette un suivi au travers des générations successives.
Disons aussi clairement que nos organisations souhaitent que de bons chiffres soient produits pour montrer les inégalités qui résultent des discriminations pratiquées en lien avec une origine étrangère, une couleur de peau, une religion supposée. Le recensement de la population n'est pas l'instrument adapté, ce n'est pas son objet. Pour cela, nous appuyons le développement d’enquêtes approfondies, menées avec tout le sérieux de la statistique publique auprès d’échantillons représentatifs de la population. Des progrès considérables ont été faits depuis vingt ans pour apporter cette connaissance. Ce travail statistique doit se poursuivre et s’amplifier. Nos organisations engagées dans la lutte contre le racisme et les discriminations portent aussi des propositions pour cela.
Au recensement, nombreux seront celles et ceux qui, spontanément, décideront de ne pas répondre à la question facultative sur le lieu de naissance des parents nés à l’étranger. Nous incitons chacune et chacun à faire de même pour que, par leur nombre, les refus de répondre envoient un message fort de refus d’être mis dans des cases liées à l’origine géographique, à la couleur de peau, à une religion présumée.
Signataires :
Nathalie Tehio, Présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme)
Sophie Binet, secrétaire généale de la CGT,
Benoît Teste, Secrétaire général FSU,
François Sauterey, coprésident du MRAP,
Julie Ferrua et Murielle Guilbert, co-déléguées Union Syndicale Solidaires.
mise en ligne le 21 décembre 2024
Cédric Vallet sur www.mediapart.fr
La Commission européenne veut faire interdire, à l’échelle planétaire, l’utilisation de siloxanes, substances chimiques toxiques et persistantes, dans des produits de consommation. Des documents, consultés par Mediapart, montrent l’ampleur de la contre-offensive de l’industrie.
« Cefic et Dow entreprennent une intense campagne de lobbying. » Dans un courriel daté du 14 septembre 2023, un haut fonctionnaire de la Commission européenne, rattaché à la direction générale de l’environnement, alerte ses supérieurs hiérarchiques. Cela fait des mois que des fonctionnaires à Bruxelles préparent un dossier très sensible. Ils voudraient restreindre, au niveau mondial, la production et l’utilisation de substances chimiques toxiques, les siloxanes.
La « DG environnement », aiguillée par l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), veut sortir la grosse artillerie, en ajoutant ces composés sur la liste de la « convention de Stockholm », dont l’objectif est d’éliminer à l’échelle planétaire les « polluants persistants organiques » (POP), du nom de ces substances qui ne se dégradent pas, qui se déplacent sur de longues distances et s’accumulent jusqu’à en devenir toxiques pour l’environnement.
« Avec la convention de Stockholm, on peut changer le monde et véritablement réduire les émissions de siloxanes », veut encore croire une source européenne. C’est compter sans l’offensive tous azimuts de l’industrie chimique, qui orchestre, depuis bientôt deux ans, une contre-attaque de haute intensité.
Celle-ci est menée depuis Bruxelles par l’organisation professionnelle du secteur, le Cefic, et le géant américain de l’industrie chimique, Dow, comme le confirmait le courriel du 14 septembre : « Dow rencontrera notre cabinet cette semaine et il semble qu’ils sont en contact avec beaucoup d’autres. »
Matières plastiques cruciales
Cette correspondance interne à la Commission européenne, récupérée par l’ONG Corporate Europe Observatory et consultée par Mediapart, n’est qu’un élément d’une bataille qui se mène de Bruxelles jusqu’aux confins du monde, dans les stations scientifiques de l’Antarctique.
Si l’industrie est si inquiète, c’est qu’elle utilise ces composés dans d’innombrables produits de consommation. Les siloxanes sont partout, mais surtout dans les cosmétiques, car ils sont appréciés pour leur fonction émolliente dans des shampoings, crèmes, savons, eye-liners, lingettes, produits antipoux. Ces matières plastiques sont aussi cruciales à l’industrie de la défense et de la transition énergétique.
Une fois utilisées, ces substances se répandent par centaines de tonnes dans l’environnement. Elles s’échappent dans les eaux usées, et surtout dans l’air. Les siloxanes sont toxiques dans les écosystèmes aquatiques. Ils sont de potentiels perturbateurs endocriniens et des études évoquent de possibles effets carcinogènes.
Pour contenir ces effets néfastes, l’Union européenne les a classés, en 2018, comme « substances extrêmement préoccupantes », ce que l’industrie avait contesté devant la Cour de justice de l’Union européenne. L’UE a ensuite interdit leur mise sur le marché en adoptant deux « restrictions », la dernière en 2024, afin de pousser les producteurs vers les alternatives existantes.
Semer le doute et créer la division
Les documents consultés par Mediapart montrent que le Cefic, par l’intermédiaire de Silicones Europe, une de ses branches, et Dow, l’entreprise américaine, ont envoyé de multiples courriers aux autorités et obtenu de nombreux rendez-vous auprès de fonctionnaires, de membres de cabinets, ou encore de l’Echa, de janvier 2023 à juin 2024. L’industrie a fait appel à un cabinet d’avocats américain, Beveridge and Diamond, pour contester l’inscription sur la liste (la « nomination ») et affûter ses arguments.
Officiellement, le secteur craint que le long processus d’inscription des siloxanes sur la liste des POP échappe à l’Union européenne. La convention de Stockholm est un instrument de droit international, auquel adhèrent 186 États parties. Si l’Union européenne propose formellement d’ajouter les siloxanes sur la liste des substances les plus problématiques pour la planète, les POP, une période d’analyse et de négociations multilatérales va s’ouvrir.
Une étude en Antarctique financée par l’industrie
Pour lister une substance comme « POP », la convention de Stockholm exige de démontrer que ces composés chimiques se déplacent sur de longues distances et peuvent atteindre des zones reculées. Car les siloxanes sont volatils, ils s’échappent dans l’air. Mais se déposent-ils ensuite dans les sols et sédiments, là où ils ne sont plus biodégradables, et en quelles quantités ? Pour l’Echa, les preuves de ce transport longue distance sont suffisamment solides. On retrouve du siloxane en Arctique et en Antarctique. Mais les données récoltées en Antarctique, dans le cadre d’une recherche scientifique publiée en 2015, sont soumises à une controverse entre spécialistes.
C’est dans cette brèche que l’industrie s’engouffre. Elle veut démontrer que le siloxane présent dans les airs ne se dépose qu’en infimes quantités et que les chiffres de 2015 sont liés à des pollutions locales. Le Cefic a donc lancé une grande étude en Antarctique, autour de trois stations scientifiques. « Pour parvenir à ses fins, l’industrie conteste la science et les conclusions de l’Echa », pointe Karolína Brabcová, de l’ONG Arnika. Le 13 juin 2023, les scientifiques de l’Echa, lors d’une réunion d’un groupe d’experts, ont pointé des problèmes méthodologiques dans l’étude de l’industrie, dont les résultats sont attendus au deuxième trimestre de 2025.
Les contours précis de l’interdiction des siloxanes et les éventuelles dérogations à cette interdiction seront d’abord discutés par un groupe d’expert·es émanant de la convention de Stockholm, puis adoptés, en général par consensus, par les 186 États parties.
Dans plusieurs documents du secteur, l’industrie dit craindre que ces négociations aboutissent à l’élimination pure et simple de la substance pour tous ses usages, et pas seulement pour les cosmétiques. Ainsi, les dérogations dont elle bénéficie au sein de l’Union européenne – qui permettent d’utiliser les siloxanes pour la fabrication de silicones, hautement stratégiques – pourraient n’être pas accordées dans le cadre de la convention de Stockholm, fait valoir l’industrie.
Pour le Cefic, contacté par Mediapart, « une nomination pourrait engendrer des impacts négatifs sur le transport, la production et l’utilisation des polymères de silicone », cruciaux dans la transition énergétique. Dans différents documents, obtenus par Mediapart, la Commission rétorque pourtant que les autres États parties n’auront aucune raison de ne pas soutenir les mêmes exemptions « pour des polymères de silicone qui leur sont aussi essentiels ».
Des fonctionnaires sensibles aux arguments de l’industrie
La perspective d’une vaste interdiction des siloxanes a poussé l’industrie à déclencher de multiples contrefeux. Le Cefic, via Silicones Europe, a ainsi réclamé qu’une étude d’impact soit lancée par la Commission européenne, alors même que l’évaluation socioéconomique d’une nomination n’est pas nécessaire, selon la convention de Stockholm.
L’industrie a donc confié à Ricardo, une entreprise de consulting en affaires publiques, le soin de rédiger une étude d’impact « made in industry ». Le 15 juillet 2024, une réunion s’est tenue à Bruxelles entre fonctionnaires et représentants de l’industrie. Au sein de la Commission européenne, des voix s’élevaient alors pour déplorer le manque de transparence d’une étude qui se limite à récolter l’opinion des entreprises.
L’attitude de la DG environnement ne suscite pas l’adhésion de tout l’exécutif européen. La Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entreprenariat et des PME, surnommée la « DG Grow », est plutôt sensible aux arguments des multinationales, quitte à reprendre leur argumentaire, presque mot pour mot. Dans une note interne, la DG Grow exprime ses inquiétudes quant à la nomination des siloxanes. L’étude commanditée par le Cefic y est considérée par ces fonctionnaires comme une utile contribution indépendante.
La DG Grow dresse ensuite la liste de ses réserves, qui ressemblent à s’y méprendre aux courriers de l’industrie. Pour ces fonctionnaires, les preuves scientifiques sont insuffisantes pour une nomination des siloxanes en tant que POP, malgré le travail poussé des scientifiques de l’Echa. La direction générale embrasse la crainte de l’industrie concernant un processus imprévisible aux conséquences potentiellement néfastes sur les usages industriels des siloxanes et, par ricochet, des silicones.
Entre les deux DG, le torchon brûle. Pour faire avancer le dossier, l’exécutif doit procéder à une « consultation interservice », où toutes les « directions générales » sont sondées. La DG Grow a émis une opinion négative. Depuis, le processus semble à l’arrêt. Alors que la Commission comptait soumettre une proposition au Conseil de l’UE en 2024, on parle désormais du deuxième trimestre 2025, ce qui coïncide avec la publication de l’étude du Cefic.
Ensuite, si l’Union européenne propose formellement d’intégrer les siloxanes dans la liste des POP, c’est un organe d’experts émanant de la convention de Stockholm qui se saisira du dossier et proposera, le cas échéant, aux 186 États parties d’interdire la substance. Pour « changer le monde », il faudra donc être très patient.
mise en ligne le 21 décembre 2024
Justine Brabant sur www.mediapart.fr
Après Amnesty International, deux autres grandes organisations non gouvernementales, dont Médecins sans frontières, ont décidé d’évoquer publiquement et en des termes explicites la possibilité d’un génocide à Gaza. La présidente de MSF, Isabelle Defourny, revient sur ce choix.
En publiant, en décembre, un rapport qui concluait que « les autorités israéliennes commett[ai]ent un crime de génocide contre la population palestinienne de Gaza », l’organisation de défense des droits humains Amnesty International avait exprimé un regret : être parmi les seules à assumer de poser ces mots.
L’organisation y déplorait la « vaste résistance et hésitation, surtout parmi les autres États, à conclure à l’intention génocidaire en ce qui concerne le comportement d’Israël à Gaza ».
Les lignes pourraient être en train de bouger à ce sujet. Pas tant au niveau des États que dans d’autres grandes ONG internationales, qu’elles soient spécialisées dans la défense des droits humains ou dans l’aide médicale d’urgence. Deux d’entre elles ont publié ces derniers jours des documents employant des termes, non pas similaires, mais comparables, afin de qualifier les actions menées par les autorités israéliennes à Gaza depuis plus d’un an.
Le 19 décembre, l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport estimant qu’« Israël commet[tait] le crime d’extermination et des actes de génocide à Gaza ». L’ONG tire ces conclusions d’un travail approfondi sur l’accès à l’eau, où elle détaille comment les autorités israéliennes « priv[e]nt intentionnellement les civils palestiniens d’un accès adéquat à l’eau à Gaza – ce qui a causé des milliers de morts », et « menace la survie des habitants » de l’enclave.
La veille, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) dénonçait, elle, la « campagne de destruction totale menée par Israël » à Gaza, et expliquait que ce que ses équipes médicales observaient sur place « correspond[ait] aux descriptions d’un nombre croissant d’experts juridiques et d’organisations qui concluent qu’un génocide est en cours » dans l’enclave.
Ces déclarations s’appuient sur un rapport publié par MSF, intitulé « Gaza : la vie dans un piège mortel », qui revient sur un an d’opérations militaires israéliennes dans l’enclave et sur leurs conséquences, en particulier les attaques contre des civils, la destruction du système de santé gazaoui et l’obstruction de l’aide humanitaire.
Jusqu’à aujourd’hui, jamais l’organisation n’avait parlé de la possibilité d’un génocide aussi clairement et publiquement. Isabelle Defourny, médecin et présidente de MSF France, revient pour Mediapart sur le choix d’employer ces mots.
Mediapart : Qu’est-ce qui a conduit votre organisation à cette prise de parole publique, la plus explicite à ce jour de MSF concernant la possibilité d’un génocide commis par Israël à Gaza ?
Isabelle Defourny : Nous sommes présents à Gaza depuis quatorze mois. Dès le début, nous avons appelé (avec beaucoup d’autres) au cessez-le-feu. À partir de janvier 2024, nous nous sommes appuyés sur l’ordonnance de la Cour internationale de justice, qui a ordonné à Israël et aux autres États de prendre toutes les mesures pour éviter un génocide, pour appeler à cesser les livraisons armes, et dire à ces États qu’ils prenaient le risque d’être complices de ce qui pourrait être qualifié un jour de génocide.
Il y a plusieurs mois, nous nous sommes dit que nous voulions produire un rapport portant sur une année de présence à Gaza. L’objectif n’était pas de prouver ou non l’existence d’un génocide. Ce n’était pas une enquête d’experts de droits de l’homme, mais plutôt la synthèse de données quantitatives et qualitatives, de ce qu’on a fait et observé, qui nous est arrivé pendant une année.
Et nous sommes arrivés au mois octobre où… Vous savez, à Gaza, toutes les semaines, on est passés de situations horribles à des situations de plus en plus horribles. Nous sommes donc arrivés au mois d’octobre, où a été mis en place le plan pour vider le nord de Gaza. Nous avons eu des équipes dans cette zone qui ne pouvaient pas bouger, certains membres qui se sont fait tuer.
Nous expliquons, dans notre rapport, les massacres de civils à répétition, la destruction des infrastructures nécessaires à la survie, les déplacements forcés de population, le siège et l’obstruction systématique de l’aide humanitaire.
Nous disons que nous sommes face à un nettoyage ethnique évident. Et nous disons qu’il y a vraisemblablement, comme le disent de très nombreux experts, y compris des experts israéliens, un génocide en cours à Gaza. C’est la seule façon de décrire ce qui s’y passe aujourd’hui.
C’est important de le dire, non seulement parce que c’est ce qui se passe, mais aussi parce que le crime de génocide a ceci de particulier qu’avant d’être jugé et établi comme génocide, il doit être prévenu et empêché. Les États ont l’obligation de tout mettre en œuvre pour éviter qu’il se produise. Attendre qu’une Cour internationale de justice établisse qu’il y a un crime de génocide, ce serait trop tard.
Pourquoi le faire précisément maintenant ?
Isabelle Defourny : Depuis le début de ce conflit, nous essayons au mieux de témoigner de ce qui se passe. Pendant très longtemps, l’angle qui nous a semblé le plus utile et crédible était de témoigner sur des faits précis qui nous sont arrivés – certains d’ailleurs ont été repris par la CIJ : de parler dans la presse, publiquement, d’attaques précises sur des structures ou des voitures MSF, d’avoir des témoignages de nos médecins sur des blessés…
Cela nous paraissait important, crédible, inattaquable, sans avoir à qualifier une situation générale. Mais après un an de présence non-stop, c’est différent. Massacre après massacre…
C’est impossible de ne pas décrire la situation pour ce qu’elle est, et de ne pas rejoindre tous ces experts qui décrivent la situation comme un génocide.
Il faut dire, aussi, que nos équipes ont peur. Pour leur sécurité, parce qu’elles sont exposées au même titre que tous les civils, et parce qu’elles ont la trouille de ne plus pouvoir rentrer à Gaza, ou de ne plus y faire entrer de camions. Aujourd’hui, un nouveau ministère, le ministère de la diaspora et de l’antisémitisme, va être en charge de l’enregistrement des ONG et des visas. L’espace pour les organisations internationales ne fait que se réduire : on voit ce qui est arrivé à l’UNRWA, c’est un drame.
En un an, nous avons subi une quarantaine d’attaques et d’incidents graves causés par l’armée israélienne : des frappes aériennes, des bombardements, des incursions, des tirs sur des abris MSF, sur des convois MSF, des détentions arbitraires de personnels de MSF. Nous avons perdu huit collègues, huit personnels de MSF qui y sont morts.
Vous n’allez pas, comme Amnesty International, jusqu’à écrire qu’Israël « commet un génocide » à Gaza. Pourquoi ce choix des mots – qui sont, on l’imagine, pesés, vu la lourdeur du sujet ?
Isabelle Defourny : Oui, car nous estimons que ce sera aux cours, dont la Cour internationale de justice, de juger de l’existence du crime de génocide ou pas. C’est une détermination légale qui repose à la fois sur des actes et sur la question de « l’intentionnalité » de commettre ce crime.
Le génocide est défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 comme un acte « commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux », qu’il s’agisse de meurtres, d’atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, du transfert forcé d’enfants ou encore de la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».
Or, nous ne sommes pas en position d’affirmer ou d’enquêter sur l’intentionnalité, contrairement à des experts juridiques ou à des organisations de droits de l’homme.
Cela ne nous empêche pas, comme tout le monde, d’avoir bien entendu et lu des déclarations de nombreux responsables israéliens sur le fait qu’ils assimilaient toute la population de Gaza à des cibles légitimes. Nous ne sommes pas naïfs sur cette question-là, mais nous faisons une différence entre ça et enquêter sur la question de l’intentionnalité.
Mais encore une fois, cela fait un an que nous sommes sur place, que nous témoignons d’un massacre, puis d’un autre, puis d’un autre encore, des déplacements forcés, des attaques contre nous, du personnel médical assassiné, arrêté, torturé… C’est impossible de ne pas décrire la situation pour ce qu’elle est, et de ne pas rejoindre tous ces experts qui décrivent la situation comme un génocide.
La situation n’a jamais été aussi grave et violente qu’aujourd’hui. Dans le nord, ce sont des attaques incessantes sur la population pour vider cette partie de Gaza. Dans le sud, les bombardements ont repris ; zone humanitaire ou pas, jour et nuit, il y a des bombardements dans les zones qui étaient prétendument protégées. Et il y a très peu d’aide, particulièrement de nourriture, qui y rentre.
Dans le sud de Gaza, le peu de camions qui rentrent avec de l’aide sont pillés par des gangs palestiniens. C’est tellement tendu et chaotique, il y a une telle destruction de la société et de tout ordre possible, qu’on ne voit pas de solution sur les moyens de distribuer la nourriture nécessaire. La situation n’a jamais été aussi mauvaise, elle est même plus mauvaise encore que ce que nous décrivons dans notre rapport.
mise en ligne le 20 décembre 2024
Par Christiane Oyewo sur https://www.bondyblog.fr/
Moins d’une semaine après le passage du cyclone Chido qui a fait de nombreuses pertes matérielles et humaines à Mayotte, anonymes et professionnels s'organisent dans toute la France pour leur venir en aide. En Île-de-France, l’un des points de collecte se trouve dans un restaurant Comorien du 20ᵉ arrondissement de Paris.
Rennes, Marseille, Carcassonne ou encore Lyon, autant de villes dans lesquelles la population se mobilise pour venir en aide à Mayotte. En Île-de-France, l’un des rendez-vous a été donné dans le restaurant comorien Wusipi de Paris, dans le 20ᵉ arrondissement. C’est entre les tables et entouré de l’odeur de plats qui sortent de la cuisine que des personnes viennent déposer denrées alimentaires non périssables, bouteilles d’eau, vêtements, ou encore produits d’hygiène. Depuis mardi 17 décembre et jusqu’au samedi 21 décembre, le restaurant organise une collecte de dons.
Nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider
Pour Achiraffi Ghalil gérant du restaurant, face à cette catastrophe, venir en aide d’une quelconque façon était une évidence. « C’est une question de fraternité humaine », explique-t-il. Avant de préciser que tous les Comoriens ont de la famille à Mayotte. « On est comorien, ce sont nos frères ! » Un sentiment que partage Albechir, venu l’aider bénévolement avec la collecte aujourd’hui. « C’est important pour moi d’être là aujourd’hui, parce que Mayotte fait partie des Comores, ce sont nos frères et nos sœurs », abonde-t-il. Pour lui qui est né et a grandi aux Comores, plus que de la solidarité, « nous sommes dans l’obligation de faire de notre mieux pour les aider. »
Une participation importante pour les collectes de denrées
24 heures après le début de la collecte, le fond de la salle est déjà rempli avec les dons qui arrivent au fil de la journée. Beaucoup ont répondu à l’appel lancé sur les réseaux sociaux, notamment Hafath et Saïd qui viennent déposer plusieurs sacs en famille. Hafath a entendu parler de la collecte sur Snapchat grâce à une amie qui l’a partagée. D’origine mahoraise et comorienne, si elle ne peut pas se rendre sur place, elle tient à aider son île comme elle le peut. Tout comme Saïd, qui a eu des nouvelles de leur famille récemment et se réjouit de ces collectes. « Pour le moment, la famille va bien, mais les dégâts sont une tragédie. Du coup, on a amené tout le nécessaire pour tout le monde. » Et effectivement, à l’intérieur des sacs, on trouve de la nourriture, des couches, du savon, du dentifrice…
Une tragédie dont nous ne connaissons pas la réelle ampleur compte tenu du réseau qui a été lourdement impacté. Sans compter la nourriture du restaurant, c’est aussi ce manque d’information et de moyen de communication qui a poussé Félicie à venir. « Vu ce qu’on voit comme images et le peu d’images qu’on voit, il faut aider ! Je me suis dit” prends la route et vas-y !” ».
Des dons d’argents défiscalisés davantage pour inciter à donner
En plus des vêtements, chaussures pour hommes, femmes et enfants, elle a aussi fait un petit don à la Fondation de France. Concernant les dons, le gouvernement a annoncé une réduction d’impôt de 75 % (au lieu de 66 % habituellement) pour les dons et versements effectués du 17 décembre 2024 au 17 mai 2025. Cette mesure concerne les dons, dans la limite de 1 000 euros, « au profit des associations et des fondations reconnues d’utilité publique œuvrant sur place ».
De son côté, le gérant du restaurant tient à préciser qu’il n’accepte pas d’argent : « On a eu des propositions, mais je refuse ». Il redirige alors les personnes vers des structures qui font des collectes d’argent comme la Croix-Rouge ou encore l’association Mvukisho Ye Masiwa ». D’autres associations comme le Secours Populaire, le Secours Catholique, la Fédération Nationale de la Protection Civile… œuvrent aussi sur place.
L’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite
« Il vaut mieux optimiser plutôt que de faire une multitude de petites structures et de semer la zizanie », estime Achiraffi Ghalil. Pour acheminer la collecte vers l’archipel, il compte sur ses fonds propres et sur d’autres citoyens qui vont donner spécifiquement pour ça. Comme vont le faire d’autres acteurs qui réceptionnent les collectes en Île-de-France. La première étape sera d’abord de tout faire parvenir à des sociétés d’import-export situées à Lyon ou Bordeaux (par camion ou via la Poste), pour que mardi prochain, le 24 décembre, des conteneurs en provenance de plusieurs villes de France puissent partir en bateaux en direction de Mayotte.
Achiraffi Ghalil est en lien avec d’autres collectes de la région, « l’idée est vraiment d’optimiser les forces pour que ça arrive le plus vite ». Pour l’heure, il n’est pas encore possible de faire décoller ou atterrir des avions commerciaux, l’aéroport étant fermé jusqu’à nouvel ordre. Les denrées devraient donc arriver en bateau d’ici un peu moins de deux mois, voire au mieux une trentaine de jours.
Marine Gachet sur www.humanite.fr
Ce quartier informel de la commune de Koungou a été durement frappé par le cyclone Chido, samedi 14 décembre. Alors que les jours passent, la population désespère de voir de l’aide arriver.
Koungou (Mayotte), correspondance particulière.
Dans le bidonville de Mavadzani, la case de Fayad est à terre. Et ici, comme dans de nombreux quartiers informels de Mayotte, la désespérance se mêle à la colère. « Aucune autorité n’est venue nous voir pour nous dire comment ça se passe maintenant, même les pompiers ne viennent pas », déplore-t-il.
Quatre jours après le passage du cyclone Chido, qui a ravagé ce quartier du village de Majicavo Koropa, rattaché à la commune de Koungou, les habitants sont plus que jamais isolés. Fayad n’a pas entendu parler de morts dans le quartier. En revanche, il note que si plusieurs blessés ont pu être conduits au centre hospitalier de Mayotte (CHM), avec l’aide des riverains, d’autres, aux blessures plus légères, demeurent encore ici.
« Depuis l’accalmie, on n’a vu personne »
Un peu plus loin, un père de famille nous montre la blessure de son fils, sur la plante du pied, causée par une branche le 14 décembre. « On a besoin d’aide », articule-t-il en français. Assani, un riverain habitant une maison en dur dans le quartier mitoyen de Massimoni, assure lui aussi n’avoir vu personne venir s’enquérir de l’état de santé des habitants.
« Ce que je trouve déplorable, c’est que, depuis l’accalmie, on n’a vu personne, alors que tous les fils électriques, les poteaux, étaient sur les routes et empêchaient tout le monde de sortir. Ni les pompiers ni les forces de l’ordre. Personne. Aucune autorité communale ou nationale n’est venue voir comment les gens allaient, faire l’état des besoins, définir les urgences. Et ce, jusqu’à aujourd’hui », déplore-t-il, ce mercredi 18 décembre. Un habitant qui écoute la conversation fait néanmoins remarquer qu’il a aperçu quelques gendarmes la veille.
Le contraste avec Mamoudzou et Petite-Terre met en colère plusieurs résidents. « On sait que les pouvoirs publics sont heureux, car ce sont eux qui ont tout détruit sur ce secteur ! s’emporte Fayad, en désignant une étendue vide de la colline sur laquelle se trouvait le bidonville. Et deux jours plus tard, la catastrophe a rasé à côté. » L’homme fait référence à la démolition de 468 cases au début du mois de décembre.
À Mayotte, dans le cadre de la lutte contre l’habitat insalubre, les services de l’État procèdent plusieurs fois par an à des décasages, en recourant à la loi Elan et, dans certains cas, à la loi Vivien. Le 2 décembre, une opération de ce type a été lancée à Mavadzani, réputé jusqu’alors pour être un des plus grands bidonvilles de l’île.
Sur l’ensemble des familles expulsées de leur habitation, 52 de nationalité française ou détenant un titre de séjour ont été relogées temporairement, dont une vingtaine dans une résidence inaugurée en octobre 2024, à Massimoni, en contrebas du bidonville. Ce mercredi, des murs manquent toujours à l’un des studios du bâtiment modulable, abîmé par le cyclone. « Quand on décase dans ce quartier il y a du monde, mais là, il n’y a plus personne », souligne ironiquement Assani.
« On était cachés sous le lit »
Le jour du cyclone, lui et d’autres habitants de maisons en dur ont abrité ceux des cases en tôles quand ils ont commencé à fuir le vent. « Puis, ça a soufflé tellement violemment que, finalement, on a attendu que ça se calme », relate Assani. Il poursuit en indiquant qu’ils ont retrouvé des personnes cachées à terre, sous leur toit, ou bien sous leur lit. C’est ce qu’a fait Asma*, 14 ans, avec sa famille quand Chido s’est déchaîné.
« Ça m’a choquée, j’étais triste. Mes frères et sœurs étaient en train de pleurer, et moi aussi. On était cachés sous le lit pour ne pas avoir mal. Nous n’avons pas été blessés. Puis des gens sont venus pour nous aider et on a pu s’enfuir », raconte-t-elle, avec un sourire timide entrecoupé de regards dans le vide.
« Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais, mais nous sommes des êtres humains, quand même. » Fayad, habitant de Mavadzani
Une situation qu’ont vécue la plupart des enfants de Mavadzani. Pendant que leurs parents s’attellent à ériger de nouvelles cases, eux se languissent d’avoir à boire et à manger. Car, pour l’instant, leur seule source d’eau est un puits en contrebas du bidonville. « Mais il y a de la boue dedans, elle est contaminée », souligne Fayad. Si pour l’instant la plupart des personnes évitent de la boire, il redoute que certains, finalement, s’y résolvent.
« On est vraiment dans la galère », souffle-t-il. Un hébergement d’urgence a pourtant été installé au collège de Majicavo Koropa, accueillant actuellement environ 300 personnes. Mais le mot ne semble pas être passé dans le quartier. « Il y a aussi des gens qui ont peur de se faire arrêter car ils n’ont pas les papiers ou pensent qu’il n’y a pas de place prévue pour eux », fait remarquer un ami de Fayad, soulignant qu’il est d’autant plus important que les autorités viennent les rencontrer pour leur expliquer ce qui est mis en place.
Cette navigation à vue n’est pas ressentie qu’à Mavadzani. Le gouvernement annonce depuis le début de la semaine la mise en place de moyens importants, de ponts aériens pour acheminer de l’eau, de la nourriture, du matériel et des renforts. Mais l’ensemble des habitants de l’île rencontrés dénoncent l’absence apparente des autorités dans les rues et le manque de consignes et d’indications claires.
La rareté du réseau de communications après le passage du cyclone n’aidant pas. Le sentiment est donc d’être laissé à l’abandon, et Fayad désespère qu’on leur apporte un jour de l’eau potable. « Même si des aides arrivent à Mayotte, ça n’arrivera pas ici, car on nous considère comme des Anjouanais (ceux qui parlent la langue des Comores – NDLR), mais nous sommes des êtres humains, quand même », défend celui qui demande juste à ce qu’on leur donne accès à l’eau pour pouvoir remplir un bidon. Ce jour-là, 23 tonnes d’eau et de nourriture ont été acheminées à Mayotte par un gros-porteur A400M. Il revient aux communes de les distribuer.
* Le prénom a été modifié.
mise en ligne le 20 décembre 2024
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Causé par une grave carence en vitamine C, le scorbut avait quasiment disparu. Des médecins et des chercheurs constatent dans une étude son retour chez les enfants, et une accélération du nombre de cas depuis le covid.
Depuis plusieurs années, dans différents services de pédiatrie en France, des médecins voient revenir avec inquiétude le scorbut en France, notamment chez les enfants. « Cette maladie a causé au moins 2 millions de morts entre le XVIe et le XXe siècle, explique le professeur Ulrich Meinzer, de l’hôpital pour enfants Robert-Debré à Paris. Elle a été décrite avant tout au sein d’une population de marins, qui passaient des mois en mer et dont l’alimentation était pauvre en fruits et légumes. » Elle avait quasiment disparu dans les pays riches, repérée seulement parmi des populations migrantes.
Puis la maladie a repris pied en France. « L’hôpital Robert-Debré où je travaille est situé au nord de Paris, où vivent des populations pauvres, explique Ulrich Meinzer. Depuis des années, nous voyons augmenter une inquiétante précarité. Des familles vivent dans la rue, des parents accompagnent des enfants malades qui ne mangent pas tous les jours. On a commencé à revoir le scorbut. »
Partant de ces observations dans les services, les pédiatres de l’hôpital Robert-Debré à Paris et de l’hôpital de Cayenne en Guyane, associés à des chercheurs de l’Inserm, ont voulu déterminer le nombre précis de cas diagnostiqués en France entre janvier 2015 et novembre 2023, à partir des données d’hospitalisation de l’assurance-maladie.
Leur étude, publiée dans le journal médical de référence The Lancet, montre une inquiétante réapparition du scorbut chez les enfants, en France, depuis 2015. Les chercheurs et chercheuses ont dénombré 888 enfants hospitalisés pour un scorbut jusqu’en 2023. L’âge moyen des enfants est de 11 ans. Des cas ont été diagnostiqués sur l’ensemble du territoire français.
Une grave carence en vitamine C
Le scorbut est dû à une grave carence en vitamine C. Il se manifeste par « une forte altération de l’état général, des douleurs osseuses, une faiblesse musculaire, des saignements de la peau, des gencives », énumère le professeur Meinzer. Si le scorbut peut conduire au décès, il peut fort heureusement être soigné facilement, par un simple apport en vitamine C.
De retour en France, le scorbut est aussi en progression depuis le début de la pandémie de covid. Entre mars 2020 et novembre 2023, le nombre de cas de scorbut est en hausse de 34,5 %. « Cette hausse est même de 200 % chez les 5-10 ans », précise Ulrich Meinzer. Et elle est corrélée à une tout aussi forte progression, sur la même période, de la malnutrition sévère chez les enfants (+ 20,3 %).
Ces enfants atteints de scorbut ont « souvent une alimentation pauvre, essentiellement des pâtes ou du riz, qui donnent un sentiment de satiété à moindre coût. Ils mangent peu de fruits et de légumes, sans doute pour des raisons économiques, ce qui les expose à un risque élevé de carences », détaille le professeur de pédiatrie de l’hôpital Robert-Debré.
Dans l’étude, les chercheurs et chercheuses ont comparé leurs chiffres avec les données sur l’inflation de l’Insee et celles sur la précarité alimentaire du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). « La corrélation est forte », précise le professeur Meinzer. Autrement dit, les courbes de progression du scorbut, de l’inflation et de la précarité alimentaire progressent toutes sur une pente similaire.
Pour les chercheurs et les chercheuses, le covid-19 marque le début d’une série de crises sanitaires, économiques et géopolitiques (la guerre en Ukraine notamment) qui ont dangereusement creusé les inégalités sociales. Ils insistent sur « le besoin urgent d’une aide nutritionnelle adaptée pour les populations pédiatriques à risque ». Ulrich Meinzer insiste : « La réponse doit être rapide. »
Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Selon une étude menée par des équipes médicales françaises, les cas de cette maladie liée à une carence en vitamines C sont en forte hausse chez les 5-10 ans. En cause, la malnutrition due à la pauvreté.
Jadis associé aux marins partant de longs mois en mer ou aux prisonniers, à qui l’on apportait des oranges pour le combattre, le scorbut semblait être définitivement éradiqué dans la 7e puissance économique mondiale. Il n’en est rien. C’est ce que nous apprend une étude publiée dans le journal médical de référence The Lancet, et réalisée par des équipes médicales françaises.
Ayant observé une multiplication des cas de cette maladie liée à une carence en vitamine C dans leurs services, les pédiatres de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, et de l’hôpital de Cayenne, en Guyane, ont décidé de s’associer à des chercheurs de l’Inserm, pour déterminer le nombre précis de cas diagnostiqués en France entre janvier 2015 et novembre 2023, à partir des données d’hospitalisation de l’assurance-maladie. Ils ont également comparé leurs chiffres avec les données sur l’inflation de l’Insee et celles sur la précarité alimentaire du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).
Des médecins lancent l’alerte
Leur étude, publiée dans le journal médical de référence The Lancet, montre une inquiétante réapparition du scorbut chez les enfants, en France, depuis 2015. Les chercheurs et chercheuses ont dénombré 888 enfants hospitalisés pour ce motif jusqu’en 2023. Leur âge moyen est de 11 ans et des cas ont été diagnostiqués sur l’ensemble du territoire français. Le nombre d’enfants hospitalisés pour un scorbut a augmenté d’un tiers depuis le début de l’épidémie de Covid-19.
Entre mars 2020 et novembre 2023, le nombre de cas de scorbut est en hausse de 34,5 %. « Cette hausse est même de 200 % chez les 5-10 ans », précise le professeur Ulrich Meinzer, interrogé par Mediapart. Et elle est associée à une forte hausse de la malnutrition sévère chez les enfants (+ 20,3 %) sur la même période.
Cette maladie, pouvant entraîner de graves problèmes de santé, comme des douleurs osseuses, une faiblesse musculaire ou encore des hémorragies est associée à la malnutrition sévère, également en hausse dans la même période. Une situation qualifiée d’« alarmante » par Ulrich Meinzer, pédiatre à l’hôpital Robert-Debré à Paris et coauteur de l’étude. Il dit recevoir « de plus en plus de familles précaires dans son cabinet ». « Il y a actuellement en France une population d’enfants âgés de 5 à 10 ans qui sont exposés à une carence alimentaire profonde. Je pense que c’est un problème de santé publique qui nécessite une réponse urgente », explique le médecin. En cause, l’augmentation de la pauvreté qui empêche certaines familles précaires d’acheter suffisamment de fruits et légumes riches en vitamine C. Pour les auteurs de l’étude, le covid-19 marque « le début d’une série de crises sanitaires, économiques et géopolitiques qui ont dangereusement creusé les inégalités sociales ». Ils insistent sur « le besoin urgent d’une aide nutritionnelle adaptée pour les populations pédiatriques à risque ».
mise en ligne le 19 décembre 2024
Chloé Decoursier sur www.humanite.fr
À la suite de la CGT, plusieurs dizaines d’élus ont appelé ce mardi le Premier ministre François Bayrou à « nationaliser temporairement » le groupe chimique Vencorex, en redressement judiciaire, afin d’éviter son « démantèlement ».
Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre François Bayrou, 48 élus, à l’initiative des maires de communes concernées (Pont-de-Claix et Jarrie, en Isère) appellent à une « nationalisation temporaire » de l’entreprise Vencorex afin d’échapper à son « démantèlement ». Depuis le 23 octobre, la majorité des 550 salariés du groupe chimique sont en grève, bloquant la totalité du site de production placé en redressement judiciaire depuis septembre dernier.
Cette nationalisation, portée depuis plus d’un mois par la CGT, comme « unique solution », est aujourd’hui signée par des élus locaux et des représentants politiques tels que Fabien Roussel (PCF) Marine Tondelier (EELV) et Olivier Faure (PS). Tous dénoncent « un véritable scénario catastrophe » et demandent que cette mesure soit « étudiée sérieusement par les services de l’État ». Contrairement à une « position idéologique », cette « revendication pragmatique » vise à « se donner tous les moyens de sauvegarder l’activité du site », arguent-ils.
120 emplois supplémentaires menacés
Cette mobilisation a été déclenchée par l’absence de solutions concrètes pour le site, à l’exception d’une offre de reprise partielle, formulée par le groupe industriel chinois Wanhua (concurrent direct de Vencorex). L’offre de 1 million d’euros ne prévoyait initialement que la conservation de 25 emplois, revue à 50. Perspective « inacceptable » pour les signataires de la lettre, qui craignent un arrêt total du site et une menace pour « 3 000 emplois directs, voire 10 000 indirectement ».
Et les conséquences de cette fermeture ne s’arrêtent pas là. Le groupe Arkema, présent sur la plateforme de Jarrie, a déjà annoncé son intention de mettre la clé sous la porte en cas de cessation d’activité chez Vencorex, menaçant ainsi 120 emplois supplémentaires. De plus, la fermeture de l’entreprise mettrait en péril la mine de sel de Hauterives, exploitée par la société spécialisée dans le chlore Chloralp, dont le seul débouché est la plateforme de Pont de Claix. Cette mine produit le sel le plus pur d’Europe et bénéficie d’une réserve de 40 ans.
À noter que l’industrie chimique ne fonctionne pas de façon isolée. Chaque acteur est dépendant des autres : le sel produit par Vencorex, purifié sur la plateforme de Pont de Claix, est essentiel pour le secteur de la défense, l’aérospatiale, le nucléaire et l’industrie sanitaire. Par exemple, le chlore produit à Jarrie sert notamment à la fabrication de peroxydes utilisés dans les réacteurs nucléaires. Un démantèlement du fabricant chimique exposerait la France à une dépendance étrangère dont on ne peut connaître les conséquences à ce jour.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En redressement judiciaire, l’usine du Pont-de-Claix risque de tomber aux mains d’un groupe chinois que les salariés disent plus intéressé par les brevets que le sort des travailleurs. Un concentré des maux dont souffre l’industrie française.
En arrivant sur le site, on ne voit que lui. Au départ, ce n’était qu’un feu modeste, un timide brasier démarré à la va-vite sur ce qui était alors un rond-point planté devant l’usine. Mais depuis bientôt quarante jours, les grévistes l’alimentent inlassablement, à grand renfort de pneus, palettes et tronçons de bois, si bien qu’un spectaculaire monticule de cendres recouvre aujourd’hui le rond-point. « La comparaison va vous paraître bête, prévient Michaël, une lueur dansant dans les yeux. Mais ce feu, c’est un peu notre flamme olympique. Il ne s’éteint jamais. »
Ce feu qui refuse obstinément de mourir signale l’emplacement du piquet de grève des Vencorex, au Pont-de-Claix, en Isère, qui redoutent que leur usine ne tombe entre les mains d’un repreneur dont ils ne veulent pas. C’est aussi une manière de se rappeler au bon souvenir des habitants des environs : régulièrement, les grévistes y jettent des pneus, créant une épaisse colonne de fumée noire visible de toute l’agglomération. Et quand le mercure dégringole (la température est tombée à zéro degré il y a quelques jours, nous explique Michaël), les salariés se massent autour des flammes.
Licenciés ou rachetés ?
Michaël a 49 ans, dont vingt-sept passés à bosser dans cette usine qu’il connaît sur le bout des doigts – il travaille notamment à la surveillance des installations. C’est la première fois qu’il participe à une telle grève. « On se bat pour sauver nos emplois, dit-il simplement. Mais au bout de plus d’un mois de lutte, ça n’avance pas. On ne sait toujours pas si on va fermer, si on sera licenciés ou rachetés… » L’avenir de son entreprise tient à un fil, menacé par une offre de reprise qui pourrait liquider la quasi-totalité des quelque 400 emplois.
En redressement judiciaire, l’usine fabrique des substances chimiques entrant dans la composition de peintures et vernis spécialisés utilisés par de nombreuses branches industrielles (automobile, train, avion, construction…). La société a déposé le bilan en septembre, accusant des pertes vertigineuses : chaque trimestre, il lui manquait entre 15 et 20 millions d’euros de trésorerie. « Wanhua nous a fait couler », résume sombrement Michaël. Wanhua, c’est le nom du principal concurrent de Vencorex, un géant chinois de la chimie qui pèse 24 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ces dernières années, il a inondé le marché européen de produits à prix cassé.
« En gros, ils vendent les produits 25 % moins cher, nous apprend un expert du secteur. Les isocyanates (composants chimiques entrant dans la composition des vernis et peintures) sont vendus par Vencorex autour de 4 000 euros la tonne, mais Wanhua les écoule à 3 000 euros. C’est sans aucun doute du dumping. » Massivement subventionné par l’État chinois, le groupe a considérablement accru ses capacités de production, jusqu’à se retrouver surcapacitaire lorsque le marché local a ralenti : pour écouler le surplus, il a bien fallu trouver des débouchés… Et l’Europe est un marché bien plus ouvert que les États-Unis.
Autant dire que les salariés ont bondi en apprenant que le seul repreneur de l’usine était l’industriel chinois. Ce dernier en propose un prix dérisoire à l’actuel propriétaire, le thaïlandais PTT GC, qui semble pressé de s’en délester : 1 million d’euros. La somme fait grimacer Séverine Dejoux, représentante des salariés et élue CGT, attablée au calme sous le grand barnum du piquet de grève. « C’est le prix d’un appartement parisien, lance-t-elle avec humeur. Et ce n’est même pas la valeur de nos stocks. »
L’industriel veut reprendre un seul atelier de 46 salariés qui fabrique les produits finis. Il prévoit de se débarrasser du reste, important de Chine sa matière première. « L’une de nos craintes, c’est qu’il convoite nos brevets, poursuit la syndicaliste. Et notamment les Easaqua, des produits chimiques à base d’eau utilisés pour les revêtements, intéressants sur le plan environnemental. »
Surtout, le groupe pourrait mettre la main sur une unité de production performante, à un prix dérisoire, complète notre expert du marché : « Ils sont également en négociation pour reprendre des ateliers équivalents à Rayong (Thaïlande) et à Freeport (États-Unis). En cas de succès, Wanhua deviendrait le leader mondial du secteur. »
« Patriotisme » industriel ?
Il serait périlleux, néanmoins, d’opposer un quelconque « patriotisme » industriel face aux ambitions étrangères : les clients français de Vencorex, comme Arkema ou Seqens, ne se bousculent pas pour voler à son secours. Pire, les salariés les accusent d’avoir très largement participé à assécher les caisses de l’entreprise. « Nous vendions notre tonne de sel à Arkema au prix de 50 euros, précise Séverine Dejoux. Soit deux fois moins cher que notre prix de revient ! Ce sont des contrats historiques qui n’ont jamais été renégociés, même depuis l’envolée des prix de l’énergie. »
« Vencorex a servi de vache à lait à tous les industriels du secteur », résume Adrien Poirieux, référent Isère pour la Fnic CGT (industries chimiques). Interrogée, la direction d’Arkema ne répond pas sur les montants exacts, mais précise qu’il s’agit de contrats de long terme renouvelés tous les dix ans.
En un sens, le sort de l’usine offre un condensé chimiquement pur (si on ose dire) des maux dont souffre l’industrie française : ravages de la concurrence internationale, égoïsme des grands groupes, désengagement de l’État. Alertés, les responsables syndicaux et politiques de gauche ont fait le déplacement. Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, s’y est rendue, suivie de Philippe Poutou (NPA) et de Fabien Roussel (PCF). Ce dernier a souligné à quel point l’entreprise est « essentielle à beaucoup de filières stratégiques et industrielles de notre pays », et appelé le gouvernement à une nationalisation immédiate, le temps de trouver un autre repreneur.
Le gouvernement, quant à lui, brille par sa discrétion. Et sa maladresse : lors d’une rencontre avec une délégation de salariés, le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, n’a rien trouvé de mieux à leur proposer qu’un selfie en sa précieuse compagnie… Les grévistes en râlent encore.
6 000 emplois menacés
Pourtant, la chute de Vencorex pourrait laminer toute une filière. « Toute l’activité en aval de l’usine serait touchée, rappelle Séverine Dejoux. L’onde de choc s’étendrait sur tout le Sud grenoblois et la vallée de la chimie, depuis Lyon jusqu’à la plateforme chimique du Roussillon. Soit au total 6 000 emplois menacés. »
Au Pont-de-Claix, la déflagration risque d’être terrible. Derrière les grilles de l’usine se devinent les superstructures de la plateforme chimique, petite ville de 120 hectares hérissée de dômes et de cheminées avec laquelle les habitants entretiennent une relation fusionnelle : dans le coin, tout le monde a un frère ou un parent qui y a travaillé. La première usine est sortie de terre en 1916, en plein conflit mondial, lorsque l’État décida de répliquer aux gaz asphyxiants de l’armée allemande en développant son propre arsenal.
Le site présentait le double avantage d’être situé hors de portée des tirs ennemis tout en étant facilement approvisionné en électricité par les centrales de la région. Le complexe chimique épouse ensuite l’histoire de l’industrie française : le faste des Trente Glorieuses (jusqu’à 2 500 salariés en 1975), les premières vagues de licenciements post-chocs pétroliers, la désindustrialisation galopante.
La mine de Hauterives fait grise mine
Aujourd’hui, l’usine Vencorex est le poumon économique de la plateforme. Mais derrière ce conflit qui s’enlise se cache un autre enjeu. Pour fabriquer du chlore, l’usine a besoin d’être approvisionnée en sel par pipeline depuis la mine de Hauterives, à 80 kilomètres. « Vencorex est l’unique débouché de la mine, alerte Séverine Dejoux. Et avec l’arrêt de l’usine, les stocks de saumure (mélange d’eau et de sel) s’accumulent à Hauterives, à raison de 30 m3 par heure – l’équivalent d’une citerne. Que fera-t-on quand cela débordera ? On ne peut pas envoyer dans la nature une matière aussi polluante. »
Prévenue, la métropole grenobloise suit le dossier de très près. Il faut dire qu’elle a injecté des millions d’euros dans l’usine dans le cadre de la rénovation de l’électrolyseur (appareil servant à fabriquer le chlore), en 2016. « Avant la rénovation, la commune était classée en zone d’expropriation, rappelle Christophe Ferrari, président (PS) de la métropole. En effet, le risque que faisait peser la plateforme chimique, de type Seveso seuil haut (le plus sensible), était si élevé qu’il aurait fallu exproprier tout le monde ! L’État a fait ses calculs : devant le coût d’une telle opération, il a été jugé préférable d’investir dans la remise aux normes. »
La modernisation de l’électrolyseur a coûté 100 millions d’euros : la puissance publique y a consacré 34 millions, dont 25 en provenance de l’État, 6 de la métropole et 3 de la région. « Je considère que nous sommes en quelque sorte copropriétaires de l’outil industriel, estime Christophe Ferrari : c’est à ce titre que j’ai demandé au directeur de cabinet de Michel Barnier la nationalisation partielle du site. Si on ne se bat pas pour sauver nos plateformes chimiques, on sera contraints d’importer ce dont on a besoin. »
Sur le site, où on « se bat » depuis plus d’un mois, les salariés commencent à trouver le temps long. Nicolas jette des sapins dans les flammes pour raviver le brasier à l’approche de la nuit : « Ce feu symbolise peut-être notre colère », lâche-t-il. Puis, d’une voix calme mais qui ne souffre aucune contestation : « Les Chinois ont bon dos. En vingt ans ici, je n’ai pas vu le moindre investissement. Or, une industrie qui n’investit pas est une industrie qui crève. Les actionnaires ont toujours préféré toucher des dividendes plutôt que d’investir sur le futur… »
En parlant d’avenir, celui de son collègue Hugues, technicien chimiste, s’écrit en pointillé. Philosophe, il préfère se retourner sur le chemin parcouru. « La lutte procure des sentiments mélangés. Il y a l’usure bien sûr, mais aussi la fierté d’avoir tenu jusque-là. Faire grève, finalement, c’est le contraire de subir. C’est se sentir vivants. »
mise en ligne le 19 décembre 2024
Martine Orange sur www.mediapart.fr
Dans l’indifférence générale, la vague actuelle de plans sociaux et de fermetures d’usines prend des allures de catastrophe économique. Alors que la part de l’industrie est déjà au plus bas, celle-ci pourrait atteindre un seuil irréversible, plombant durablement toute l’économie française.
Dans le charivari politique du moment, la mise en garde de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, est quasiment passée inaperçue. Face à la multiplicité des plans sociaux, la responsable syndicale adresse pourtant une alerte essentielle : « Notre industrie risque d’atteindre un point de non-retour. »
Depuis un certain temps, les responsables politiques français ne parlent que de réindustrialisation. Avec des années de retard, ils ont fini par réaliser que l’industrie, finalement, était importante. Non seulement en elle-même, mais pour les effets d’entraînement qu’elle a sur l’ensemble de l’économie. S’il en était besoin, la crise du covid, les tensions géopolitiques, les guerres commerciales, la transition écologique sont venues rappeler combien il est essentiel de maîtriser nombre de productions, de chaînes de valeur, de canaux d’approvisionnement et de technologies.
Néanmoins, c’est dans une quasi-indifférence qu’ils assistent à la destruction industrielle actuellement à l’œuvre et qui prend une tournure catastrophique. Chaque jour ou presque, un nouveau plan social, une nouvelle fermeture de site sont annoncés. Va-t-on atteindre un palier irréversible, en deçà duquel toute perspective de reconstruire une industrie va devenir irréaliste ?
« Il est difficile de parler d’un seuil de masse critique pour l’industrie, cadre Vincent Vicard, auteur de Faut-il réindustrialiser la France ? et économiste au Centre d’études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Mais il est indéniable qu’il existe des logiques industrielles, des écosystèmes. Leur rôle est compliqué à évaluer. Ils peuvent varier selon les secteurs : la défense et l’aéronautique n’ont pas les mêmes ressorts que l’automobile. Leur disparition a des effets très longs et préjudiciables, notamment au niveau local. »
Une industrie réduite à peau de chagrin
Michelin, Valeo, Fonderie de Bretagne, ArcelorMittal à Reims et à Denain, tout le secteur automobile, qui connaît une crise sans précédent, se retrouve en première ligne. L’émergence du véhicule électrique, qui bouleverse les technologies, les savoir-faire acquis depuis plus d’un siècle, la concurrence sans frein chinoise, mais aussi des stratégies cupides inadaptées sont en train d’ébranler une filière qui est au cœur de l’économie européenne. Donnant un aperçu des dégâts provoqués par une transition écologique et industrielle mal pensée et mal conduite.
Mais les sinistres ne s’arrêtent pas là et vont bien au-delà des conflits sociaux emblématiques de Vencorex ou Exxon. Chimie, papier, métallurgie, matériaux de construction, équipements industriels et même pharmacie… pas un secteur industriel ne semble épargné. La CGT a recensé 286 plans sociaux depuis septembre 2023. Il faut remonter aux années sombres de la crise de 2009-2010 pour retrouver une saignée comparable.
Le drame est que ces nouvelles destructions viennent affaiblir un peu plus un tissu industriel déjà particulièrement fragilisé. À l’exception de la Grande-Bretagne, aucun autre pays européen que la France ne s’est converti avec autant de zèle aux « lois darwiniennes » du marché. Aucun n’a accepté une désindustrialisation aussi accélérée. Un mouvement souvent poussé par nos « champions nationaux » adeptes des délocalisations à outrance, et d’une industrie sans usines.
Entre 1974 et aujourd’hui, la part de l’industrie dans le PIB est tombée de 28,7 % à 10 % – un niveau comparable à celui de ces grands pays industriels que sont le Luxembourg ou Malte –, quand elle est encore de 23 % en Allemagne, de 18 % en Italie. Ces derniers ont pourtant des coûts salariaux comparables.
Un des exemples les plus marquants est à nouveau dans le secteur automobile. Depuis la fin des années 1990, nos deux constructeurs ont systématiquement opté pour la délocalisation dans des pays à bas coûts. Dès 2015, Renault et PSA produisaient moins de voitures sur le territoire français qu’au début des années 1960, entraînant déjà la fermeture ou la délocalisation de nombre de leurs sous-traitants.
« Pour acheter un véhicule produit en France, il va falloir acheter du Toyota », grince, amère, Sophie Binet. Le constructeur automobile japonais continue, lui, de produire en France et gagne de l’argent, ce qui tend à prouver qu’il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation. Encore faut-il en avoir l’ambition.
Effet domino
Ces abandons industriels se sont accompagnés d’une destruction considérable du capital humain, rarement prise en compte. Des savoir-faire, des compétences, accumulés parfois depuis des décennies, ont été liquidés dans l’indifférence générale. Entre 1974 et 2023, le nombre d’emplois dans l’industrie est tombé de 5,5 millions à 3,2 millions. « Les nouvelles technologies, la hausse de la productivité ont conduit à la suppression d’une partie des emplois industriels. Mais d’une partie seulement », explique Vincent Vicard.
Les politiques publiques mises en œuvre ces dernières années ont juste permis de stabiliser le nombre d’emplois industriels. Mais une nouvelle hémorragie se profile. Selon les estimations de la CGT, plus de 70 586 emplois sont directement menacés. Auxquels il faut ajouter la menace sur les emplois indirects, qui pourraient aller de 54 664 à 129 744 postes, selon ses hypothèses.
L’effet domino risque de jouer à plein. Au-delà de la fermeture d’un site, de la suppression d’emplois, tout le tissu économique environnant, des clients aux fournisseurs, en passant par les prestataires de services sont menacés. Car, même réduite, l’industrie reste l’un des principaux vecteurs de la création d’emploi à haute valeur ajoutée – recherche et innovation, cabinets d’ingénierie, informatique, gestion des données, cybersécurité, financement et même avocats d’affaires –, devenus indispensables à l’économie. Lorsqu’un site industriel disparaît, ils disparaissent aussi, si la dynamique territoriale n’est pas suffisante pour permettre leur maintien.
En termes de compétences, de savoir-faire, la France offre beaucoup moins que les pays voisins en concurrence.
Trente ans ou quarante ans après, des territoires entiers dans le Nord, les Vosges, le Centre ou ailleurs portent encore les stigmates de la disparition de leurs usines textiles, minières, métallurgiques, de chaussures ou d’électroménager. Peu d’activités sont parvenues à prendre le relais.
Les gouvernements successifs n’ont guère tiré de leçons de ces expériences amères. Ne jurant que par la politique de l’offre, toutes leurs initiatives menées pour tenter d’attirer des investisseurs, de nouveaux sites industriels, reposent sur les mêmes ingrédients. L’attractivité se décline sous le seul angle d’une compétitivité par l’abaissement du coût du travail en négligeant tous les autres paramètres.
Plus de 26,8 milliards d’euros ont été dispensés par an depuis 2020 en allégements fiscaux et sociaux et en subventions, distribués sans contrepartie ni contrôle, selon la Cour des comptes. Pour un résultat des plus médiocres, de l’avis même de l’institution. « Les projets en France comportent moins de créations de site qu’en Allemagne et au Royaume-Uni », note-t-elle dans son dernier rapport sur la politique industrielle publiée fin novembre.
Absence de dynamique
Le constat n’est guère étonnant. Ces dernières années, une véritable bataille s’est engagée entre les pays, notamment en Europe, afin d’attirer de nouvelles industries, de rattraper les retards accumulés dans les nouvelles technologies (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments, gigafactories). Les grands groupes font monter les enchères autant qu’ils le peuvent, essayant de décrocher les conditions les plus favorables en termes de subventions, exemptions par rapport au fisc, au droit du travail, au droit de l’environnement et autres.
Dans ces bagarres, la France est le plus souvent perdante. Non pas parce qu’elle offre moins d’argent public, ou moins d’exemptions. Mais parce que l’attractivité se mesure bien au-delà du coût du travail. Elle englobe une série de facteurs que les politiques industrielles n’ont cessé de négliger. En termes de compétences, de savoir-faire, de dynamique industrielle, la France offre beaucoup moins que les pays voisins en concurrence.
Les grandes plateformes industrielles, offrant débouchés, filières, réservoir de main-d’œuvre formée, universités, centres de recherche, sont de moins en moins nombreuses. Les dépenses de recherche et développement, d’innovation ont été déléguées, au nom de la bonne gestion, au privé. En dépit de l’explosion du crédit d’impôt recherche (plus de 7 milliards d’euros en 2023), la recherche française ne cesse de reculer. Les écoles de commerce ont été privilégiées aux formations d’ingénieurs.
Et pour faire bonne mesure, les pouvoirs publics, au nom de la bonne gestion, ont supprimé nombre de services publics – tribunaux, perceptions, gares, puis hôpitaux, postes et maintenant écoles –, dégradant un peu plus l’attractivité des territoires les moins bien lotis, accélérant l’exode des emplois plus qualifiés vers les grands centres.
Si aucune politique d’envergure ne vient arrêter la destruction industrielle en cours et corriger les excès passés, cette désertification économique risque de s’accélérer, accentuant le sentiment d’abandon de nombreux habitants sur tout le territoire. Elle risque aussi de condamner l’économie française à une stagnation, n’étant plus capable de créer que des emplois de troisième zone, précarisés et mal payés.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Chimie, automobile, construction… L’ensemble du secteur industriel subit de plein fouet une vague de suppressions de postes d’une ampleur inédite. Aux origines de cette saignée, plusieurs décennies de choix économiques funestes. Ce 12 décembre, la CGT appelle à une journée de mobilisation contre cette casse sociale, l’occasion de se pencher sur les responsables de ce carnage qui ne doit rien au hasard.
La France serait-elle en train de réaliser, sans le savoir, la prophétie de Serge Tchuruk ? En juin 2001, celui qui était alors le PDG d’Alcatel (télécommunications) accordait un entretien au Wall Street Journal, dans lequel il annonçait fièrement son intention de transformer son groupe en « entreprises sans usines ». En anglais, pour faire plus chic, on disait alors « fabless ». Selon ce concept, l’avenir de l’industrie reposait sur une forme d’effacement contrôlé, où les directions d’entreprise externaliseraient l’ensemble de leurs sites de production pour se concentrer sur la seule fonction de recherche et développement (R & D), jugée plus rentable.
On connaît le résultat : en quelques années de restructurations sauvages, les effectifs d’Alcatel fondent de moitié, passant de plus de 100 000 à moins de 58 000, tandis que le groupe se débarrasse des trois quarts de ses usines. Plus personne n’oserait aujourd’hui reprendre à son compte l’antienne mortifère de Tchuruk. Pourtant, les chiffres semblent coller à cette idée d’une « France sans usines » : à l’époque où le PDG formulait son souhait, 4,1 millions de personnes travaillaient en France dans un établissement industriel. Au premier trimestre 2024, ce chiffre a chuté à 3,3 millions, soit 800 000 travailleurs en moins.
Et même si Emmanuel Macron a pu se vanter, pendant un temps, d’avoir ralenti l’hémorragie, cette dernière semble se poursuivre : chaque jour ou presque, les annonces de restructurations se multiplient dans le secteur industriel, de Michelin à Valeo en passant par ArcelorMittal ou Vencorex. Dénonçant une « vague de désindustrialisation historique », la CGT appelle à une journée de mobilisation nationale ce 12 décembre, en faveur de l’emploi et l’industrie.
L’hypocrisie coupable des « champions » du CAC 40
Les responsables du désastre sont nombreux. Même s’ils se présentent en victimes impuissantes d’une conjoncture dégradée, les grands groupes ont joué et continue à jouer un rôle non négligeable dans la saignée industrielle. Combien mettent à profit les difficultés économiques (réelles) du moment pour justifier des plans de restructuration prévus de longue date ? En examinant les comptes de certaines multinationales, on s’interroge sur l’urgence à réduire la voilure.
L’équipementier automobile Valeo, par exemple, s’apprête à supprimer un millier d’emplois en France, après avoir publié des résultats pourtant peu alarmants : au premier semestre, il a dégagé une marge opérationnelle de 445 millions d’euros, en hausse de 23 %, pour un chiffre d’affaires de 11,1 milliards d’euros (- 1 %) et un résultat net de 141 millions d’euros (+ 18 %).
De son côté, Michelin (1 250 suppressions de postes annoncées) accuse une légère baisse de ses ventes de 3,4 % sur les neuf premiers mois de l’année, mais s’apprête néanmoins à verser à ses actionnaires 1,4 milliard d’euros en dividendes et rachats d’actions. Cela n’empêche pas la direction de s’inquiéter publiquement des effets de la concurrence asiatique, pour mieux justifier la saignée annoncée.
Pourtant, un certain nombre de directions qui se plaignent aujourd’hui des ravages de la concurrence internationale oublient de dire que, pendant des années, elles ont organisé cette concurrence à leur profit. L’économiste Vincent Vicard a montré que la dégradation du déficit commercial français dès le début des années 2000 doit beaucoup à la stratégie des multinationales tricolores, qui n’ont pas hésité à déplacer à l’étranger des pans entiers de leur production. Elles emploient aujourd’hui 6,1 millions de personnes à l’étranger, soit beaucoup plus que leurs homologues allemandes ou japonaises.
À ce jeu, les constructeurs automobiles décrochent la palme. « Au début des années 2000, Renault puis Peugeot ont commencé à délocaliser dans des marchés proches de leur marché domestique pour réexporter vers la France, affirme Vincent Vicard. Au niveau macroéconomique, cela explique le tiers de la différence de solde commercial entre l’Allemagne et la France sur la dernière décennie : les Allemands, eux, ont beaucoup moins délocalisé. » Entendre aujourd’hui Carlos Tavares, ex-patron de Stellantis, se plaindre de la concurrence chinoise ne manque pas de sel…
Le choix fait par le pouvoir politique de soutenir contre vents et marées les « fleurons » du CAC 40 se retourne contre notre appareil productif. « On a en France de grands groupes très internationalisés en matière de capitaux et de gouvernance, très éloignés de fait de leur territoire d’origine, rappelle la géographe Anaïs Voy-Gillis. Leur internationalisation ne s’est pas faite au profit du tissu industriel français mais plutôt à son détriment. Les gouvernements successifs les ont largement soutenus, ce qui doit nous interroger aujourd’hui. »
Au cours des dernières semaines, les syndicats et les responsables politiques de gauche ont exigé des comptes des grandes entreprises qui suppriment des postes, en rappelant qu’elles avaient été abreuvées d’aides publiques. À titre d’exemple, Valeo a perçu, selon nos informations, 76 millions d’euros d’argent public l’année dernière, dont 51,5 millions sous forme de crédit impôt recherche (CIR), 21,7 millions sous forme de subventions diverses et 2,8 millions de chômage partiel.
Un pouvoir politique qui dépense sans compter
Cette manne a été déversée sans grande contrepartie par les gouvernements qui se succèdent depuis deux décennies. Un rapport de la Cour comptes paru récemment souligne que, en moyenne, l’industrie a bénéficié de 17 milliards d’euros d’argent public tous les ans, entre 2012 et 2019. Entre 2020 et 2022, l’enveloppe a grimpé à 26,8 milliards !
Les pouvoirs en place ont empilé les dispositifs de soutien, à l’instar du programme « France 2030 » lancé en grande pompe sous Emmanuel Macron : ce plan, qui visait à injecter près de 30 milliards d’euros pour soutenir des secteurs « innovants » (hydrogène, avion bas carbone, biomédicaments, start-up industrielles…), « n’évite pas le risque de saupoudrage », note pudiquement la Cour des comptes. Plus généralement, la Cour estime que « le bilan des plans de soutien à la réindustrialisation ou à la numérisation de l’industrie qui se sont succédé est peu concluant en raison de leur ciblage insuffisant et du choix d’instruments peu efficaces ».
« Le problème de fond, c’est que la politique mise en place au cours des dernières années s’est limitée à une logique de compétitivité-prix, complète l’économiste Nadine Levratto. On a accordé beaucoup d’argent aux entreprises sous forme d’exonérations de cotisations sociales ou de baisses d’impôts, mais cela ne suffit pas à faire une politique industrielle. » La chercheuse ne mâche pas ses mots en évoquant certains dispositifs, comme le CIR, qui permet aux entreprises de déduire une partie de leurs dépenses de recherche et développement (R & D) de leur impôt sur les sociétés.
Coût pour nos finances publiques : 7,7 milliards d’euros par an. « Pour de nombreux grands groupes, il y a un effet d’aubaine évident, note l’économiste. Le CIR est supposé augmenter les dépenses de R & D mais il n’a pas réussi à améliorer la position de la France sur deux indicateurs clés : le nombre de chercheurs et ingénieurs employés par les entreprises et le nombre de brevets déposés. »
Plus largement, la politique française pèche par une vision erronée de l’industrie, selon l’économiste Gabriel Colletis, qui recense au moins deux problèmes fondamentaux : « D’abord, on continue de considérer l’industrie comme une somme d’entreprises individuelles (l’automobile se réduit à Stellantis et Renault, la sidérurgie à ArcelorMittal, etc.), alors qu’il faudrait raisonner en termes de système productif. Ensuite, il y a toujours cette perception selon laquelle le travail serait un « coût » à diminuer : c’est oublier que les baisses de fiscalité augmentent le taux de profit des groupes mais pas leur compétitivité. »
Les ayatollahs du libre-échange
L’industrie française n’est pas la seule à s’enfoncer dans la crise : le tableau est au moins aussi sinistre en Allemagne, avec une vague de suppressions de postes sans précédents, frappant Volkswagen, Thyssenkrupp ou Bosch. Ce n’est pas un hasard : depuis des décennies, le « modèle » industriel allemand a fait le choix de tout miser sur ses exportations, en limitant sa demande intérieure par un écrasement des « coûts » salariaux. Mais cette dépendance à la demande extérieure se révèle dévastatrice quand deux des principaux pays importateurs – la Chine et les États-Unis – font le choix de refermer la porte.
« L’Allemagne en particulier et l’Union européenne en général vivent une crise de modèle, assure l’économiste David Cayla. L’UE a été animée pendant des années par la volonté de dégager des débouchés commerciaux à l’extérieur, mais l’horizon se referme désormais. Les États-Unis ont adopté une politique protectionniste, ce qui veut dire qu’il faut disposer d’unités de production directement sur le sol américain pour ne pas subir les droits de douane. Quant à la Chine, elle fait le choix de se recentrer sur sa propre économie, car elle se retrouve en situation de surproduction, après des années d’investissements publics massifs. »
« L’Union européenne est ouverte aux quatre vents, confirme Anaïs Voy-Gillis. On commence seulement à évoquer la nécessité d’augmenter les droits de douane, pour rééquilibrer les relations avec la Chine. Le schéma européen fonctionnait tant que les Chinois produisaient des produits à bas coût et faible valeur ajoutée. Mais on n’avait pas anticipé la rapidité avec laquelle ils ont réussi à monter en gamme. C’est le cas par exemple sur le véhicule électrique. »
C’est aussi le cas dans la chimie. Depuis plusieurs mois, des multinationales chinoises inondent le continent européen de produits à des tarifs défiant toute concurrence, au point que le lobby du secteur a fini par s’en émouvoir. Sur le terrain, les salariés du secteur expérimentent les ravages du libre-échange.
Laminée (entre autres) par le dumping social, l’entreprise Vencorex (produits chimiques pour l’industrie), dans l’Isère, se retrouve en redressement judiciaire. 400 salariés craignent pour leur emploi. « Toute l’activité en aval de l’usine serait touchée, alerte Séverine Dejoux, élue CGT. L’onde de choc s’étendrait sur tout le sud grenoblois et la vallée de la chimie, depuis Lyon jusqu’à la plateforme chimique du Roussillon. Soit au total 6 000 emplois menacés. » Un carnage.
mise en ligne le 18 décembre 2024
Sarra Grira. sur https://orientxxi.info/
Alors que des centaines de Franco-israéliens sont potentiellement impliqués dans les crimes commis à Gaza, une série d’organisations de défense des droits humains ont déposé ce mardi 17 décembre, à Paris, une demande d’ouverture d’enquête contre l’un d’eux, Yoel O, soldat dans l’armée israélienne. Avec de nombreuses preuves à l’appui.
Nous publions ci-dessous un entretien avec Clémence Bectarte, avocate au Barreau de Paris, qui coordonne le groupe d’action judiciaire (GAJ) de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres palestiniennes et françaises Al-Haq, Al Mezan, Palestinian Centre for Human Rights (PCHR) et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris à l’encontre de Yoel O., Franco-israélien qui a servi avec l’armée israélienne à Gaza dans le cadre de la campagne génocidaire menée par Israël contre les Palestinien.nes. Ce dernier est accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide, torture et complicité de ces crimes commis contre des Palestinien.nes détenus en Israël.
Clémence Bectarte est avocate de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Al Haq, Al Mezan et le Palestinian Center for Human Rights (PCHR).
Sarra Grira.— Quelle est la signification de cette plainte ?
Clémence Bectarte. : Il faut souligner que c’est une plainte portée par des organisations palestiniennes. Celles-ci ont concentré leur travail depuis des années devant la Cour pénale internationale (CPI) en alimentant le bureau du procureur, bien avant, d’ailleurs, le 7 octobre 2023, sur tous les crimes liés à la colonisation israélienne, à l’apartheid et à de précédentes opérations militaires de l’armée israélienne sur Gaza. Cela a contribué à l’ouverture d’une enquête et à l’émission de deux mandats d’arrêt le 21 novembre 2024.
Mais les crimes commis sont d’une telle ampleur que la CPI seule ne suffira pas. Il n’y a bien évidemment aucune action possible devant la justice israélienne. Ce refus a été documenté à de nombreuses reprises et toutes les tentatives qui ont été faites par des victimes palestiniennes pour obtenir justice se sont heurtées à une impunité totale en Israël. L’activation de la justice qu’on appelle extraterritoriale, représente donc un levier essentiel. C’est d’abord une manière de rappeler la responsabilité de chaque État. Nous voulons aussi souligner cela à travers cette plainte, puisqu’elle concerne un Franco-Israélien. La responsabilité des autorités françaises à enquêter sur les allégations de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui peuvent être reprochées à un ressortissant français est d’autant plus grande. Nous savons que le nombre de soldats franco-israélien combattant dans l’armée israélienne dans cette opération militaire à Gaza est important, même si nous n’avons pas de chiffres précis.
Nous devons donc renvoyer chacun de ces États, lorsqu’ils sont compétents, à leur responsabilité. Il faut qu’ils prennent sa part à la lutte contre l’impunité et répondent à l’aspiration à la justice. C’est aussi ce message-là que nous voulons adresser à la justice et aux autorités françaises à travers le dépôt de cette plainte. Notre action s’inscrit dans un cadre plus vaste comme le souhaitent les organisations palestiniennes. Elles travaillent à saisir des justices européennes et au-delà pour que, à chaque fois que cela est possible, des enquêtes soient ouvertes qui visent à qualifier les crimes, et à nommer, voire sanctionner les responsables.
S.G. — Vous avez évoqué la responsabilité de la France. Dans le projet de plainte, vous mobilisez l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) sur l’intention génocidaire, mais vous ne citez pas le dernier avis de la CIJ sur l’illégalité de l’occupation israélienne de Gaza, comme du reste des Territoires palestiniens occupés. Or, les soldats franco-israéliens ne participent pas seulement à des exactions, mais à une occupation illégale, selon la position officielle de la France.
C.B. – Nous verrons comment l’enquête avance. Nous avons vraiment voulu concentrer cette plainte sur la torture, la persécution en tant que crime contre l’humanité. Ce que l’on voit dans la vidéo [voir ci-dessus] que nous présentons, ce sont des exactions de l’armée israélienne, et notamment la responsabilité du soldat franco-israélien contre lequel nous déposons cette plainte. C’était vraiment important de mettre l’accent sur le crime de torture et à son recours massif et généralisé.
C’est un aspect des crimes de l’armée israélienne qui n’est pour l’instant pas couvert dans le champ des mandats d’arrêt de la CPI à l’encontre de Benyamin Nétanyahou et de Yoav Galant. Or, selon toutes les organisations qui travaillent sur le terrain, c’est un aspect important des crimes israéliens qu’il faut judiciariser, et sur lequel nous voulons déclencher des enquêtes. Les Palestiniens de Gaza sont arrêtés et torturés de la manière la plus brutale qui soit, en toute impunité. Bien sûr, nous pourrions l’élargir aux faits d’occupation, mais encore une fois, nous avons voulu — et c’est une décision réfléchie des organisations plaignantes — nous concentrer sur ces faits de torture, en présentant aussi d’autres témoignages pour montrer sa récurrence, son caractère systématique et généralisé. Des témoignages de Palestiniens de Gaza racontent auprès des organisations palestiniennes l’horreur qu’elles ont subie aux mains de l’armée israélienne au moment de leur arrestation.
S.G. — Pour revenir au cas particulier de ce soldat franco-israélien, il y avait déjà eu une plainte contre lui une première fois, mais qui n’a pas abouti. La différence cette fois, c’est qu’il y a des organisations comme la FIDH qui se constituent comme partie civile. Pourquoi c’est important ?
C.B. – Il y a deux formes de plainte que l’on peut déposer en France pour ce type de crimes : soit une plainte simple, soit une plainte avec constitution de partie civile. D’autres associations ont, sur la base de cette même vidéo, déposé une plainte simple auprès du Parquet du pôle Crimes contre l’humanité, ce qui laisse au procureur l’appréciation totale quant à la décision d’ouvrir une enquête ou non. Or, il a décidé de ne pas en ouvrir une et de classer cette plainte sans suite en septembre 2024.
C’est la raison pour laquelle nous utilisons aujourd’hui la plainte avec constitution de partie civile qui enclenche automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. C’est-à-dire que ce sont des juges d’instruction indépendants appartenant au pôle Crimes contre l’humanité qui vont être saisis. C’est ce même pôle qui a enquêté sur des crimes commis en Syrie, et qui enquête sur de nombreux crimes internationaux. C’est sa compétence exclusive.
C’était notre volonté : ne plus laisser cette marge d’appréciation au parquet, mais enclencher automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire. Et dans le cadre de celle-ci, les cinq organisations plaignantes pourront se constituer partie civile et jouer pleinement leur rôle. C’est-à-dire d’abord, être entendues, apporter des éléments de preuve, faire des demandes d’actes pour que l’instruction avance, etc. Tel est notre objectif.
S.G. — Un des éléments marquants dans le dépôt de plainte, c’est le contexte de la guerre génocidaire que vous exposez au début en vous appuyant sur différents rapports qui ont été publiés jusque-là d’organisations internationales, de rapporteurs de l’ONU etc. On se dit que finalement, ce travail sert bien à quelque chose, au-delà de fournir de la matière pour les articles de presse ou pour documenter pour l’histoire la réalité de cette guerre…
C.B. – L’impossibilité pour les ONG internationales de pouvoir enquêter et recueillir ces témoignages est un obstacle majeur mis en place par les autorités israéliennes. Mais, malgré cette interdiction, nous pouvons compter sur les organisations palestiniennes qui, dans des conditions extrêmement difficiles, continuent à faire un travail essentiel de documentation. Il y a aussi un certain nombre d’agences onusiennes, la CIJ, la CPI à travers l’émission des mandats d’arrêt, et des ONG internationales qui continuent de rassembler les preuves des exactions de l’armée israélienne pour les qualifier, pour les documenter et pour qu’elles servent aussi à des procédures judiciaires.
L’enjeu n’est pas seulement de dénoncer la réalité des crimes, mais aussi de se battre contre l’impunité dont on sait qu’elle est l’une des raisons, l’une des racines de la violence de cette guerre actuelle. Il n’y a jamais eu devant aucune instance de justice, qu’elle soit israélienne, internationale ou étrangère, de processus de justice satisfaisant pour les victimes palestiniennes. Même lorsqu’il y a des décisions, et on le voit bien avec d’une part les mesures provisoires ordonnées par la CIJ, et la décision au fond rendue sur la situation d’occupation, les autorités israéliennes leur opposent un mépris total. D’où l’urgence à faire en sorte que des enquêtes indépendantes soient ouvertes et qu’elles contribuent à qualifier les crimes commis à Gaza.
La vidéo incriminée
Le 19 mars 2024, une vidéo dévoilant des faits de violence contre plusieurs prisonniers palestiniens était postée par Younis Tirawi, un journaliste palestinien indépendant, sur le réseau social X. L’auteur de la vidéo y était identifié comme étant un ressortissant franco-israélien par le journaliste.
Dans cette vidéo d’une minute, réalisée de nuit, nous voyons des soldats de l’armée israélienne faire descendre de l’arrière d’un camion un homme vêtu d’une combinaison blanche ouverte laissant apparaître son dos et son torse. Ses yeux sont bandés, ses pieds sont nus et son cou est serré par un objet ressemblant à une corde. Ses mains sont attachées derrière son dos. À peine descendu, un soldat lui fait courber le dos, baisser la tête et l’emmène. Sur le dos du prisonnier, des marques et des cicatrices laissent penser qu’il a été battu et torturé. Une hypothèse que semble confirmer l’auteur de la vidéo qui, tout au long de cette scène, commente en français :
T’as vu ces enculés, mon neveu ? Ces fils de putain… Allez descends, fils de pute. Sur les pierres, voilà, enculé de ta mère. T’as vu ce petit fils de putain, là, regarde, il s’est pissé dessus. Regarde, je vais te montrer son dos, tu vas rigoler, regarde, ils l’ont torturé pour le faire parler. Wahou, t’as vu son dos ? Fils de putain.
Après une coupure dans la vidéo, nous voyons le prisonnier de la première scène et six autres hommes assis au sol et serrés les uns contre les autres. Ils sont tous vêtus d’une combinaison blanche, ont les yeux bandés et les mains attachées derrière le dos. L’auteur de la vidéo leur dit en français :
Bande d’enculés ! Fermez vos gueules ! Bande de salopes… Hein, vous étiez contents le 7 octobre, hein, bande de fils de pute.
« Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attends. »
Selon Younis Tirawi, l’auteur de cette vidéo serait Yoel O., un soldat franco-israélien qui serait actuellement en service et affecté à Gaza. Une capture d’écran d’une conversation Telegram de Yoel O. permet d’affirmer que cette vidéo a été réalisée en janvier 2024. Samuel O, identifié comme le neveu de Yoel O, serait la personne à l’origine de la diffusion de la vidéo dans un groupe intitulé « On arrache du Palestinien ». Tous deux seraient originaires de Lyon.
Yoel O. serait apparu dans un reportage sur une chaîne télévisée israélienne, visage couvert, afin de se prononcer sur cette affaire. Présenté comme soldat franco-israélien, il est interrogé au sujet de la vidéo et explique être menacé de poursuites. Il ajoute :
, mais je sais que c’est des conneries, ils ont pointé du doigt mon neveu et sa famille qui vivent en France, parce que c’est facile d’appeler à la haine contre lui.
Dans une conversation à propos de cette vidéo avec le journaliste Younis Tirawi, partagée sur le réseau social X, Samuel O. déclare :
Vous croyez quoi, vous ? Vous croyez que vous faites peur à qui ? Vous croyez que vous allez surprendre qui ? Et vous croyez que vous mettez des pressions à qui avec vos publications Twitter ? Je suis bien content qu’elle soit sortie cette vidéo. Voilà je te dis que je suis bien content et je suis très heureux. Comme ça maintenant vous savez dans le monde entier que quand nous on attrape des terroristes, on les torture. Point à la ligne.
Dans cette même conversation, Samuel O. affirme être lui-même un soldat. À Yanis Tirawi, qui évoque le risque de poursuites en France, il écrit :
Et bah qu’ils viennent » « J’suis à Lyon venez ! » « Qui va me poursuivre mdrrr ? Je vous attend. [sic]
mise en ligne le 18 décembre 2024
Par Louise Mohammedi sur https://reporterre.net/
Prévention lacunaire de l’État, habitations exposées, peur des autorités, manque de dialogue... Les ravages causés à Mayotte par le cyclone Chido auraient pu être largement réduits, selon le géographe Fahad Idaroussi Tsimanda.
Après le passage du cyclone Chido samedi 14 décembre, les images de Mayotte ont des airs post-apocalyptiques. L’archipel est sous les décombres. Les bidonvilles ont été balayés par des rafales de vents dépassant les 220 km/h. L’hôpital, le port et l’aéroport ont été sérieusement endommagés. 15 000 foyers sont actuellement privés d’électricité et les habitants doivent survivre sans eau courante, et avec peu de provisions.
Pour Fahad Idaroussi Tsimanda, docteur en géographie et spécialiste des risques naturels et des vulnérabilités associé au Laboratoire de géographie et d’aménagement de Montpellier (Lagam), et habitant de Mayotte depuis un an, ces dégâts témoignent des lacunes de l’État vis-à-vis de la vulnérabilité d’un territoire pas préparé à un tel phénomène météorologique.
Reporterre — Était-il possible d’anticiper ce qu’il s’est passé à Mayotte ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Les conséquences du cyclone Chido étaient prévisibles. Mayotte est une zone à risque même si elle bénéficie de la protection naturelle de Madagascar qui réduit d’ordinaire l’intensité des phénomènes climatiques. Le dernier cyclone de cette ampleur remonte aux années 1930, donc la conscience du risque s’est peu à peu endormie. Ce type de catastrophe n’est donc pas envisagé dans la conscience collective.
« La France doit prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’île »
Cependant, les autorités mahoraises savaient qu’un tel phénomène allait toucher l’île. Elles auraient dû mettre en place un diagnostic et un dialogue avec les populations, mais rien n’a été fait. Et à l’approche du cyclone, personne ne s’est déplacé dans les bidonvilles pour prévenir la population. Seules des alarmes téléphoniques bruyantes écrites en français ont alerté les populations provenant des bidonvilles. Or, beaucoup d’habitants ne comprennent pas cette langue.
Au nord de l’île, des élagages auraient pu être faits pour éviter des chutes d’arbres, et des coupures de courant. Mais il n’y a pas assez de moyens. L’État se désolidarise et Mayotte ne peut affronter une telle crise. Nous ne devrions pas avoir à quémander de l’aide. La France connaît les risques, elle doit prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’île. Ces comportements dangereux contribuent à ce terrible spectacle qui aurait pu être en partie évité.
Les récits des évènements rapportent que dans les bidonvilles, zones les plus durement touchées par le cyclone, des habitants, pour bon nombre sans papiers, n’ont pas trouvé refuge
dans les lieux en dur. Comment l’expliquer ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Les zones anthropisées sur lesquelles se trouvent ces bidonvilles sont fortement exposées. Les constructions y sont très précaires, bâties sur des pentes sujettes au mouvement de terrain. Avec le vent du cyclone Chido, quasiment toutes les maisons en tôles ont volé.
Il existe plusieurs raisons pour lesquelles certains refusent de quitter leur domicile. Certains ont peur des vols, d’autres sous-estiment les dégâts d’un cyclone. Mais dans la majorité des cas, la population a peur des autorités. Selon les quelques témoignages que j’ai pu recueillir, certains ont cru à un stratagème pour les renvoyer chez eux.
Pourquoi le pouvoir français a-t-il échoué à prévenir la population d’une telle catastrophe ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : On a une approche verticale avec des décisions paternalistes qui viennent de Paris. Nous devrions gérer la crise depuis la base. Nous sommes un territoire insulaire où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il faut nous donner les moyens directs et ne pas attendre les décisions parisiennes.
La France doit aller au contact de la population mahoraise avec une approche horizontale. Les politiques doivent discuter et sensibiliser. Tout cela aurait pu être fait avant le drame.
Sur place, les moyens déployés pour réparer les dégâts sont-ils suffisants ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Seules les forces locales ont commencé à débarrasser les routes, mais pour le moment [l’entretien a été réalisé le 16 décembre à 14 heures, heure de Paris] il n’y a aucune aide concrète. Nous n’avons pas d’arrivage d’eau ou de nourriture. Les rares moyens que nous avons pu regrouper avant la venue du cyclone vont s’amenuiser et nous n’aurons plus rien d’ici quelques jours. Nous sommes complètement isolés.
« Mayotte a toujours senti un désintéressement de la part de la métropole »
Mayotte a toujours senti un désintéressement de la part de la métropole, et cette crise est venue exacerber cette situation. Reste à voir les décisions des politiques dans les jours à venir. Va-t-on être considérés ? Les réponses doivent être données rapidement.
Face à la recrudescence d’épisodes climatiques de plus en plus violents, est-il encore possible de nous adapter ?
Fahad Idaroussi Tsimanda : Oui, mais il faudrait adapter les constructions et s’assurer tous les ans qu’elles soient solides. Dans la zone de l’océan Indien, les cyclones se forment d’est en ouest. Quand on a des toits construits avec des versants exposés est-ouest, les risques de destruction sont très élevés. Lors de la reconstruction, il faudrait par exemple élaborer des toitures du nord au sud pour renforcer les habitations et diminuer les risques.
Mais j’ai peur pour mon île. Nous assistons à un spectacle de désolation : les cultures ont été saccagées, les activités informelles dont dépendent les migrants sont à l’arrêt. Si nous avons à faire à ce type d’événements tous les ans, la vie insulaire deviendra très compliquée, voire impossible. Je me suis réinstallé à Mayotte il y a un an. Si ce type de phénomène devient régulier, il faudra partir.
Axel Nodinot sur www.humanite.fr
Les Mahorais manquent cruellement d’eau, de nourriture et d’électricité. Des mesures doivent être déployées d’ici à la fin de la semaine. Le chaos pourrait être encore pire dans la plupart des communes, toujours coupées du monde.
Sa visite était à la mesure de sa posture vis-à-vis de Mayotte, déconnectée. Le ministre démissionnaire de l’Intérieur Bruno Retailleau a mobilisé de nombreux moyens pour se montrer, lundi, sur l’île. En réalité, seulement à Mamoudzou, la commune la moins touchée par le cyclone. Après un vol d’une dizaine d’heures, le Vendéen a réquisitionné la seule barge en état de marche pour rallier Grande-Terre.
« J’avais des habits et d’autres choses pour ma famille, mais avec ton ministre, j’ai dû attendre deux heures sur Petite-Terre, avec les sacs ! fulmine Safina, dont la mère a perdu de nombreuses affaires pendant Chido. Il sert à rien, ce qu’il nous faut, c’est à manger, de l’eau et de l’électricité ! »
La jeune femme pointe à raison des besoins vitaux qui ne sont plus garantis aux Mahorais, même si Bruno Retailleau a affirmé « mettre le paquet ». Le très droitier ministre a annoncé l’arrivée de 1 200 personnes d’ici à la fin de la semaine, mais son obsession sécuritaire n’est jamais très loin : 400 gendarmes supplémentaires seront déployés à Mayotte et des « blindés » seront sur les cargos qui convergent vers l’île au lagon.
Peut-être pour « penser au jour d’après » et expulser des sans-papiers qui ont tout perdu. Mardi matin, depuis La Réunion sans doute plus confortable, il annonçait également un couvre-feu de 22 heures à 4 heures, pour prévenir d’éventuels pillages par les bandes délinquantes.
De l’eau avant tout
Les bateaux amènent aussi de l’eau, accessoirement. Car les stocks des habitants s’amenuisent dangereusement et « les usines (de distribution) ne fonctionnent pas », a déclaré la société Mahoraise des Eaux, qui attend les résultats d’un état des lieux. La seule usine de dessalement du département, à Petite-Terre, a été remise en marche ce lundi après-midi.
Elle atteindra « 50 % de ses capacités dans 48 heures » et « 95 % le lundi 23 décembre ». Elle n’a par ailleurs jamais fourni les 5 300 mètres cubes par jour promis à sa construction. Les infrastructures mahoraises ne peuvent produire que 39 000 m3 – en saison des pluies – pour une demande quotidienne de 43 000 m3.
Après le cyclone, le manque est encore plus prononcé. Quelques points d’eau ont été mis en place pour la population de Petite-Terre et de Mamoudzou, qui y charrie ses bidons, seaux et bassines. Quant à la majeure partie des villages, toujours coupés du monde, nul ne sait quelle est leur situation. Le secrétaire d’État Thani Mohamed Soilihi s’est félicité du « pont aérien avec La Réunion » : chaque jour, entre 7 et 10 rotations d’avions apporteront aux Mahorais « 20 tonnes de nourriture et d’eau ».
L’agriculture et la pêche à l’agonie
Car « plus aucun arbre ne tient, nous risquons une crise alimentaire », a alerté le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni. D’habitude si verdoyante en saison des pluies, Mayotte manque maintenant de fruits, légumes et tubercules, la base de chaque repas, cueillis dans les champs familiaux ou achetés au marché du village.
Quant aux pêcheurs, dont la récolte matinale est elle aussi essentielle aux familles, la majorité de leurs embarcations ont été endommagées. L’acheminement de nourriture sur l’île est donc vital, mais la distribution à la population suscite déjà des craintes : la préfecture évoque « deux centres de vie » pour stocker et répartir équitablement les denrées. D’autres gagent que les centres communaux d’action sociale (CCAS) s’en chargeront, avec des risques de détournements.
Les supermarchés du 101e département français n’ont plus que quelques jours de stock. « Je vais essayer d’y aller aujourd’hui, on m’a dit que ça allait, même si on est limités sur certains produits », confie Safina. Les denrées de première nécessité comme le riz, le lait ou la farine, ainsi que les packs d’eau sont en effet rationnés.
« Mon inquiétude aussi, c’est que le mois de ramadan approche », précise Ben Issa Ousseni. Prévu de fin février à fin mars 2025, c’est l’événement majeur de l’île, où trente soirs durant chaque foyer prépare tour à tour de grands repas pour accueillir les siens. Cette année, ce formidable mois de solidarité pourrait être gâché par les pénuries.
Sans courant, plus d’argent
Certaines familles craignent également de fêter le ramadan à la bougie. L’électricité est coupée partout, sauf à Mamoudzou et Petite-Terre. « La ligne à haute tension est remise en marche », a prévenu Électricité de Mayotte (EDM), ce qui permettra de réalimenter l’usine de production d’eau et le port de Longoni, notamment. Ailleurs, EDM estime qu’il faudra « un mois » pour rétablir le courant, la majorité des câbles ayant été arrachés par le cyclone. Des renforts ont été envoyés par EDF.
Le réseau téléphonique est encore totalement coupé dans la majorité des communes. Depuis vendredi soir, les Mahorais d’Hexagone ignorent tout de leurs proches, multipliant les canaux de discussion pour essayer de glaner une photo, un vocal, un indice prouvant leur survie. Orange et SFR déplorent 110 antennes hors service sur 121, la majorité par manque d’électricité. Des opérateurs commencent à proposer leurs services gratuitement.
Sans courant, les petits commerçants ferment un à un, alors que deux tiers des entreprises mahoraises sont informelles. Les terminaux de paiement sont inutilisables, comme certaines caisses de supermarché et les distributeurs automatiques de billets. Et la nourriture du frigo ou du congélateur se perd. Toutes ces pénuries font agoniser les Mahorais, en plus d’un système de santé dévasté et de nombreux logements rasés.
À ce sujet, Bruno Retailleau a étalé tout son cynisme en affirmant « étudier la mise en place d’un fonds d’urgence » pour les personnes non assurées, soit la quasi-totalité de l’île. « La population mahoraise ne peut plus se satisfaire de visites de courtoisie et de discours déconnectés de la réalité ! » tonne le collectif Réunion Mayotte en action, qui craint aussi qu’Emmanuel Macron ne vienne que pour « faire de vaines promesses ».
Mickaël Correia sur www.mediapart.fr
Chercheuse spécialiste des ouragans à l’université d’Oxford, Stella Bourdin revient sur l’exceptionnalité du cyclone Chido qui a ravagé Mayotte et sur l’intensité croissante de ces épisodes, attisée par le dérèglement climatique.
Le cyclone tropical intense Chido qui a dévasté Mayotte samedi 14 décembre est l’un des plus violents à avoir frappé l’île en quatre-vingt-dix ans.
À une puissance rare – des vents de 226 kilomètres-heure ont été mesurés – s’ajoute une trajectoire exceptionnelle qui a conduit à la dévastation du territoire le plus pauvre de France. La totalité de l’habitat précaire a été détruit, 85 % des Mahorais·es sont sans électricité. Les morts pourraient se compter par milliers.
Stella Bourdin, chercheuse spécialiste des ouragans à l’université d’Oxford (Royaume-Uni), détaille pour Mediapart en quoi le cyclone Chido a été particulièrement intense, mais aussi pourquoi il est encore difficile d’établir un lien entre cette catastrophe climatique et le réchauffement planétaire.
Mediapart : Quelles sont les caractéristiques du cyclone Chido qui vient de dévaster Mayotte ? Est-ce un événement climatique exceptionnel ?
Stella Bourdin : Il faut d’abord rappeler que décembre marque le début de la saison cyclonique dans le bassin sud de l’océan Indien.
Météo-France avait prévu une saison au-dessus de la moyenne à cause de l’actuelle température élevée des eaux de surface de l’océan. Or l’énergie d’un cyclone, et donc son intensité, provient de la chaleur qu’il puise dans ces eaux océaniques.
Il existe toujours une grande part d’aléatoire quand un cyclone tropical se forme. Cela dépend des conditions environnementales externes, de sa trajectoire, de l’endroit précis que va atteindre le cyclone. Si on se réfère à l’échelle de Saffir-Simpson utilisée par les météorologues américains pour classer les ouragans, Chido est un cyclone de catégorie 4 sur une échelle de 5. C’est donc un événement extrême très intense et exceptionnel. Toutefois, d’un point de vue scientifique, Chido incarne un cyclone, qui, s’il est rare, reste statistiquement probable.
Vous disiez que dans l’océan Indien, la saison des cyclones débute à peine. Cela veut dire qu’un autre événement de ce type peut toucher la région ?
Stella Bourdin : Théoriquement oui, mais Chido étant déjà un événement climatique rare, il est encore moins probable qu’un deuxième cyclone touche spécifiquement Mayotte. Dans le sud de l’océan Indien, on dénombre en moyenne 9,3 cyclones par an. On pourrait donc avoir d’autres épisodes qui touchent La Réunion, Madagascar ou la côte est africaine, mais pas forcément avec la même intensité.
Chido est-il lié à l’intensification du changement climatique ?
Stella Bourdin : On ne peut pas encore le dire. Pour les cyclones tropicaux, ce qu’on appelle les études d’attribution [discipline définie par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) comme « l’identification des causes des changements dans les caractéristiques du système climatique » – ndlr] sont compliquées à réaliser car ce sont des phénomènes trop rares.
Les premières études d’attribution rapides pour Chido seront peu conclusives – comme le montre déjà l’outil européen ClimaMeter –, on pourra avoir des études basées sur d’autres méthodes seulement d’ici quelques mois.
Ce dont on est sûr, c’est que sur une planète plus chaude, l’intensité de ces cyclones sera plus importante. En revanche, on ne sait pas encore s’ils seront plus fréquents à l’avenir.
Il n’existe pas encore de signe détectable qui montre que ces cyclones sont un symptôme du réchauffement.
On comprend que les cyclones tropicaux, pour se former, ont besoin de certaines conditions météorologiques comme une forte humidité dans l’air, des eaux chaudes qui leur servent de « carburant » ou encore ce qu’on appelle le cisaillement du vent vertical, c’est-à-dire le fait que le vent en haute altitude soit plus puissant que celui en basse altitude. Tous ces facteurs peuvent être modifiés par les dérèglements climatiques, et on ne sait pas toujours si une variable peut l’emporter sur l’autre.
À titre d’illustration, l’an dernier, l’Atlantique était tellement chaud qu’on a eu pour cette région du globe une saison d’ouragans au-dessus de la moyenne. Pourtant, nous étions en période El Niño [un phénomène météorologique cyclique qui réchauffe le Pacifique en moyenne tous les deux à sept ans – ndlr], un mécanisme naturel qui a pour effet d’augmenter le cisaillement du vent et donc de freiner la formation de cyclones.
Que nous dit le Giec à propos de ces cyclones tropicaux ?
Stella Bourdin : Que l’on ne sait pas s’ils seront plus nombreux à mesure que le globe se réchauffe. Mais concernant les précipitations, la pluie étant l’élément le plus dangereux dans les cyclones, le Giec souligne que pour chaque degré de réchauffement en plus, sachant que nous sommes déjà dans un monde à + 1,2 °C, les précipitations augmentent de 7 %.
En octobre, des ouragans impressionnants comme Milton, qui a surtout frappé le sud-est des États-Unis, ou Kirk, qui a touché l’ouest de la France, ont surgi simultanément dans l’Atlantique. Ces épisodes, associés aujourd’hui au drame à Mayotte à la suite du passage de Chido, sont-ils la nouvelle normalité climatique ?
Stella Bourdin : Les prévisions annonçaient une saison cyclonique exceptionnelle dans l’Atlantique nord, et tout a été bien pire que prévu. Nous avons eu effectivement des événements très puissants comme Beryl, Kirk ou Helene, celui-ci ayant réussi à s’enfoncer dans les terres aux États-unis, jusqu’à faire des dégâts en Caroline du Nord.
Mais on ne peut dire si cela est directement lié au changement climatique. Si on plonge dans le passé, il n’existe pas encore de signe détectable qui montre que ces cyclones sont un symptôme du réchauffement.
2024 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée et elle sera la première année au-dessus de 1,5 °C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle. Comment s’adapter à des événements climatiques qui vont, avec la surchauffe planétaire, devenir plus intenses ?
Stella Bourdin : On a vu que les vents violents de Chido faisaient s’envoler les tôles des toits à Mayotte : une des premières mesures d’adaptation serait donc d’ériger des habitations qui puissent résister à ces cyclones tropicaux. Ensuite il y a la nécessité d’avoir des systèmes d’alerte et de prévention le plus opérationnels possible.
Cependant, ce qu’on a vu à Mayotte montre qu’il y a des catastrophes climatiques auxquelles on ne pourra pas s’adapter. On parle beaucoup de la nécessité de l’adaptation au changement climatique futur mais nous ne sommes même pas encore adaptés à la réalité climatique actuelle.
Ces catastrophes soulignent ainsi qu’il faut d’urgence tout faire pour réduire le plus possible nos émissions de gaz à effet de serre.
mise en ligne le 17 décembre 2024
Agence France-Presse paru sur https://www.mediapart.fr/
La Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques a rendu mardi son rapport, qui avertit des conséquences néfastes de vouloir régler un problème sans penser aux autres. 71 « réponses » sont proposées, aux multiples effets bénéfiques potentiels.
Nos modes de consommation et d’alimentation causent des crises « interconnectées » pour la biodiversité, le climat et la santé, menaçant la survie d’écosystèmes essentiels comme les coraux, alertent mardi 17 décembre des expert·es du monde entier dans un rapport de référence.
Les « pratiques agricoles non durables », avec leur recours aux engrais et pesticides chimiques, ont ainsi de multiples effets négatifs : perte de biodiversité, utilisation non durable de l’eau, pollutions et émissions de gaz à effet de serre…
Ces conclusions, adoptées par près de 150 pays réunis en Namibie, sont le fruit de trois ans de travaux menés par 165 expert·es du monde entier regroupé·es dans la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
Ces scientifiques de premier plan – équivalents, pour la biodiversité, de ceux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) mandatés par l’ONU – énumèrent dans ce rapport dit « Nexus » les liens entre biodiversité, eau, alimentation et santé. Leur message : les crises affectant la planète sont « toutes interconnectées ».
« Le danger est réel que nous résolvions une crise en aggravant les autres », explique Paula Harrison, une coautrice principale.
Les récifs coralliens illustrent spectaculairement l’avertissement : ils ne sont pas menacés exclusivement par le réchauffement des océans.
« Même si l’on résolvait le problème climatique, des récifs coralliens resteraient affectés par la pollution, la surpêche et d’autres menaces », pointe la professeure américaine et coautrice principale Pamela McElwee.
Résultat : les coraux représentent « l’écosystème le plus menacé » sur Terre et « pourraient disparaître à l’échelle mondiale dans les dix à cinquante ans », conclut l’IPBES.
Page après page, les scientifiques avertissent des conséquences néfastes de vouloir régler un problème sans penser aux autres, par exemple en s’attaquant « exclusivement » au changement climatique en ignorant les effets sur la nature. Certaines solutions climatiques peuvent « avoir un coût pour la biodiversité », martèle la professeure McElwee.
Ainsi, planter des arbres pour absorber plus de CO2 peut nuire à l’écosystème local si les espèces sont mal choisies, ou réduire les surfaces pour faire pousser ce qu’on mange. Certains champs d’éoliennes, bonnes pour le climat, peuvent augmenter la mortalité des oiseaux ou des chauves-souris.
« Réponses »
À l’inverse, des solutions cochent toutes les cases. « Réduire la surconsommation de viande » est cité en exemple parmi 71 « réponses » proposées permettant d’avoir de multiples effets bénéfiques.
« Parmi les bons exemples, on peut citer les zones marines protégées qui ont associé les communautés à la gestion et à la prise de décision, souligne Pamela McElwee. Ces zones ont permis d’accroître la biodiversité, d’augmenter l’abondance de poissons pour nourrir les populations, d’améliorer les revenus des communautés locales et, souvent, d’augmenter les revenus du tourisme. »
Les expert·es citent les financements de la ville de Paris pour encourager des agriculteurs et agricultrices à adopter des pratiques plus durables, avec à la clé des bénéfices sur la santé et l’environnement, et potentiellement une facture réduite pour le traitement des eaux.
En Californie, une interdiction du brûlage des chaumes de riz devait d’abord améliorer la santé respiratoire des habitant·es. Mais le recours à l’immersion de ces champs l’hiver a aussi permis de restaurer l’habitat de saumons.
Au-delà de ces préconisations consensuelles, les spécialistes – dont les conclusions sont approuvées politiquement par les représentant·es des pays – ont peiné à s’accorder sur d’autres sujets.
Divisions
Des délégué·es ont réclamé d’ultimes modifications sur des sujets épineux comme les exportations agricoles, les énergies fossiles, les plastiques à usage unique ou les modes de consommation.
Ils et elles se sont écharpé·es sur l’inclusion du « changement climatique » dans le titre du rapport, selon le Bulletin des négociations de la Terre. Finalement, l’expression n’y figure pas.
Ces frictions entre pays ont aussi perturbé cet automne d’autres négociations environnementales de l’ONU (sur la biodiversité, les plastiques et la désertification), qui ont échoué pour certaines.
Le constat est pourtant sans appel.
La moitié de l’économie mondiale dépend de la nature mais les sociétés humaines dépensent plus pour sa destruction que pour la protéger, souligne le rapport.
Les coûts sociétaux et environnementaux infligés par les énergies fossiles, l’agriculture et la pêche atteignent jusqu’à 25 000 milliards de dollars annuels, ou un quart du PIB mondial, estiment les auteurs et autrices.
« On oublie totalement ces contreparties », dit à l’AFP l’économiste James Vause, contributeur de la somme publiée mardi, et dont les autrices et auteurs espèrent qu’elle influencera les prochaines négociations de l’ONU sur la biodiversité, en février.
Jessica Stephan sur www.humanite.fr
Dans un nouveau rapport, l’Ipbes, le « Giec de la biodiversité », pointe les interdépendances entre biodiversité, alimentation, eau, santé et changement climatique, et fustige les approches en silos.
Une catastrophe n’arrive jamais seule. Le rapport de 2019 de l’Ipbes, l’équivalent du Giec pour la biodiversité, avait fait des remous : il faisait état d’un million d’espèces menacées d’extinction, un taux « sans précédent ». Dans ce nouveau rapport dit « Nexus », la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) s’est attelée à évaluer les « liens d’interdépendance entre la biodiversité, l’eau, l’alimentation, la santé et le changement climatique ».
« Il existe des liens très complexes entre ces cinq éléments », explique Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’Ipbes, pour qui le rapport « répond aux questions les plus critiques que le monde doit aborder de toute urgence. »
« De nombreuses options de réponses sont disponibles »
Ces interdépendances ont un corollaire : les approches « en silos » ne peuvent répondre à ces défis, selon les scientifiques de l’Ipbes. Autrement dit : agir sur l’un des éléments sans tenir compte des autres peut avoir des effets négatifs sur ceux-ci. Selon Pamela McElwee, coprésidente de l’évaluation, « la meilleure façon de décloisonner les approches individuelles est d’adopter une prise de décision intégrée et adaptative ».
Et le rapport Nexus explore également des scénarios d’action, indique Pamela McElwee : « De nombreuses options de réponses sont disponibles dès à présent. Nous n’avons pas à attendre. Elles sont accessibles à différents types d’acteurs dans de multiples secteurs. » Car selon l’Ipbes, il n’existe pas de solution unique applicable à tous les contextes, et chaque solution est examinée à l’aune de ses impacts sur les autres éléments pris en compte par le rapport.
Ce travail titanesque de trois ans, qui a mobilisé 165 experts issus de 57 pays, a été approuvé par les 147 pays participant lors de leur 11e session plénière qui vient de se clore à Windhoek, en Namibie. Et qui rappelle que la biodiversité est en déclin dans toutes les régions du monde, de 2 à 6 % par décennie au cours des trente à cinquante dernières années.
Avec les inégalités qui en découlent, explique Paula Harrison, coprésidente de l’évaluation : « Les effets de plus en plus négatifs des crises mondiales qui s’entremêlent ont des impacts très inégaux, affectant de manière disproportionnée certaines personnes plus que d’autres. » Plus de 50 % de la population mondiale vit dans des zones qui en subissent les impacts les plus importants.
L’Ipbes épingle le système financier
En creux, l’Ipbes pointe également les conséquences de l’inaction. D’autant que « si nous attendons dix ans, en reportant l’action, nous doublerons le coût de ce que nous devrons finalement faire pour atteindre ces objectifs de biodiversité » – qui aura subi, entre-temps, des dommages supplémentaires, explique Pamela McElwee. « Il vaut donc mieux s’y attaquer maintenant, pendant qu’il en est encore temps. »
C’est également tout le système financier qu’épingle l’Ipbes. Le rapport ne se prive pas de dénoncer l’influence néfaste du « business as usual » sur tous les éléments examinés : « Notre système économique et financier n’est vraiment pas adapté, assène Pamela McElwee. Actuellement, les flux financiers négatifs, consacrés à la dégradation de la nature sont de l’ordre de 7 000 milliards de dollars par an. » Une balance très déséquilibrée, alors que seuls 200 milliards de dollars par an sont dépensés en faveur de la biodiversité, soit environ 35 fois moins. « Il est donc clair que quelque chose doit changer », poursuit la coprésidente du rapport.
Si le rapport Nexus explore des interdépendances déjà documentées, l’échelle est sans précédent, particulièrement dans son analyse des impacts des solutions sur tous les éléments. Elles sont désormais confirmées par ce travail scientifique et votées par les gouvernements, après une quarantaine d’heures de négociations. Un deuxième rapport de l’Ipbes portant sur les changements systémiques est attendu le 18 décembre. Des outils pour les décideurs, demandés par les membres de la plateforme, dont on n’espère qu’ils ne finiront pas dans les placards de l’histoire.
mise en ligne le 17 décembre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Les méchants grévistes de la logistique iront-ils jusqu’à prendre en otage le père Noël ? A l’approche des fêtes de fin d’année, cette question, souvent posée sur un mode catastrophiste, en prenant uniquement en compte l’intérêt des consommateurs, a fini par devenir un marronnier.
Pour preuve : en décembre 2023, deux syndicats du groupe de livraison Fedex Express, la CFDT et le SNSG, menacent leur direction d’un appel à la grève illimité. Les conditions de travail ne sont plus tenables, les cadences de plus en plus élevées et l’inflation, non compensée par la hausse des salaires, ronge le pouvoir d’achat. Rapidement, la machine médiatique s’emballe : les cadeaux de Noël seront-ils sous le sapin ? Mais les titres trop hâtifs oublient un paramètre : le manque de structuration syndicale du secteur de la logistique.
Car, si la logistique est un rouage essentiel du capitalisme mondialisé, et apparaît aujourd’hui comme l’une des cibles privilégiées de la lutte sociale, les grèves y sont toutefois rares et difficiles à organiser (voir notre article). Aussi, à l’hiver 2023, malgré le battage médiatique, la grève chez Fedex Express n’a pas lieu.
Une grève de Noël très suivie chez DHL
En ce mois de décembre 2024, c’est au tour de la branche française de la multinationale du transport de colis et de courrier DHL d’être mise sous les feux des projecteurs. Mais cette fois, la grève de Noël est suivie par les salariés. « Le conflit avait débuté avant Noël. La direction nous annonçait un nouveau calcul de l’intéressement, en ajoutant un objectif de réduction de l’absentéisme général. Cela revenait à enlever l’intéressement à tous les salariés du groupe et nous n’étions pas d’accord », résume Mohamed Benakouche, délégué syndical central CFDT à DHL Express (2e syndicat derrière FO). Les bonnes années, le syndicat estime que la prime d’intéressement rapporte entre 2200€ à 2500€. Une première date de grève est donc posée le 15 octobre. « Cela n’a pas donné grand chose. La direction nous a seulement accordé une prime de 300€, pour compenser la perte », poursuit le syndicaliste.
Alors, le 8 décembre, le mouvement durcit avec un départ en grève reconductible sur plusieurs sites à l’appel de tous les syndicats (CFDT, CFE-CGC- FO et CGT). Objectif : obtenir une prime de substitution qui comblera la perte de l’intéressement. « Le mouvement a été particulièrement suivi. Plus d’une cinquantaine de sites ont été concernés avec des mouvements plus forts dans la manutention aérienne, à Marignan, Lyon Saint-Exupéry et Roissy Charles-de-Gaulle. Dans un groupe qui compte 3000 salariés, on a dénombré jusqu’à 500 grévistes au plus fort du mouvement. En 33 ans de boîte, je n’avais jamais vu ça », assure Mohamed Benakouche.
« On sait désormais comment atteindre la direction »
Rapidement, les colis s’entassent dans les entrepôts. « La direction a multiplié les maladresses et les marques de mépris. Ils ont par exemple considéré qu’avancer d’une semaine le versement de notre 13eme mois était une mesure de nature à désamorcer la grève. A ce moment-là les salariés se sont dits qu’ils étaient vraiment pris pour des imbéciles », détaille le cédétiste. « La grève était terrible. Environ 80% des colis n’étaient pas collectés et pas livrés à temps », ajoute Alain Rochefeld, délégué syndical central CFE-CGC au sein de DHL Express.
Alors que le mouvement de grève chez DHL se prolonge, les médias télévisuels viennent faire des images des cartons qui s’emplient. La direction est sommée de rassurer le grand public et annonce dans un communiqué que des managers ont été « mobilisés [pendant la grève] afin de limiter l’impact pour les clients ». « Tous les colis qui devaient être livrés pour Noël », assure au Figaro Fatah Ziani, directeur des opérations DHL Express France. Corollaire : la direction doit lâcher du lest.
Ainsi, le 13 décembre, un accord de fin conflit est trouvé avec les quatre syndicats. Les salariés de DHL obtiennent 1000€ de prime supplémentaire. Ils s’ajoutent aux 300 précédemment obtenus. La direction leur assure également que les négociations annuelles obligatoires (NAO) de janvier commenceront à 2,2% d’augmentation salariale. « On pense que l’intéressement aurait pu être entre 1400 et 1500 euros cette année. Donc on trouve qu’on ne s’en sort pas trop mal », calcule Mohamed Benakouche. Le syndicat estime surtout avoir beaucoup appris lors du mouvement. « On sait désormais comment atteindre la direction. Ils jouent sur le pourrissement donc nous pouvons faire des actions plus chirurgicales », conclut Mohamed Benakouche.
mise en ligne le 16 décembre 2024
Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Le département le plus pauvre de France, en proie à une situation tragique tant dans les domaines de la santé, de l’école que du logement et de la sécurité, souffre d’un manque d’investissement patent de la part des pouvoirs publics.
Face au cyclone d’une extrême violence qui a dévasté l’archipel de Mayotte, Agnès Pannier-Runacher, ministre démissionnaire de la Transition écologique, a assuré sur X que le gouvernement est « 100 % mobilisé pour les Mahorais ». Alors que son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est attendu ce lundi sur place, en compagnie de son homologue des Outre-mer, des renforts de militaires ont également été annoncés.
C’est le minimum attendu d’un gouvernement. Sauf que, si l’État avait réellement pris ses responsabilités vis-à-vis du 101e département français, le plus pauvre de France, en proie à une situation catastrophique tant dans les domaines de la sécurité que de la santé, la justice ou l’école, les conséquences du cyclone Chido auraient sans doute été moindres.
Des habitants qui se sentent abandonnés
Les habitants l’ont dit et redit à de maintes reprises ces dernières années : ils se sentent abandonnés et secourus uniquement lorsque leur vie en dépend. C’est d’ailleurs le sens du rapport rédigé par l’inspection générale de six ministères (Intérieur, Justice, Affaires sociales, Finances, Éducation nationale et Affaires étrangères), révélé par Mediapart en mars 2023, alors que celui-ci était dissimulé par le gouvernement depuis janvier 2022.
« C’est une sorte de faillite généralisée des administrations publiques, notamment de l’État qui n’arrive pas à endiguer les multiples crises qui secouent l’archipel depuis longtemps », résumait l’auteur de l’article, Fabrice Arfi.
Comme l’écrit pudiquement l’Insee, Mayotte présente « des caractéristiques démographiques et sanitaires hors normes au regard des standards métropolitains » : 77 % de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté, soit cinq fois plus qu’en France.
Selon les derniers chiffres de l’Insee, le niveau de vie médian des habitants est sept fois plus faible qu’au niveau national : en 2018, la moitié de la population avait un niveau de vie inférieur à 3 140 euros par an. Et seules 30 % des personnes en âge de travailler ont un emploi. L’environnement y est également particulièrement dégradé avec une forte proportion d’habitat insalubre et un non-accès récurrent à l’eau courante.
« 6 000 à 10 000 enfants non scolarisés »
Le système de santé y est exsangue et, dans une île où près de la moitié des habitants a moins de 18 ans, les établissements scolaires sont saturés. « Un déficit de 1 200 classes à ce jour ; 55 % des élèves, en système d’enseignement en rotation, ne disposent que de deux jours d’enseignement par semaine », a rappelé, le 20 novembre dernier, le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), citant les « 6 000 à 10 000 enfants non scolarisés ».
« L’école est notre priorité nationale, il ne faut laisser personne au bord de la route, y compris nos jeunes Mahorais », a répondu Anne Genetet, la ministre de l’Éducation nationale, assurant que 138 millions d’euros seront débloqués dès 2025 pour construire de nouveaux bâtiments.
Des promesses auxquelles ne croient plus guère les principaux intéressés. « À Mayotte, il existe une expression en shimaoré pour désigner l’aspect » bricolé » et dérogatoire de l’action publique sur le territoire : on parle de l’État » magnégné ». (…) (Cela) désigne les nombreuses écoles construites par l’État en préfabriqués, signe d’un provisoire qui souvent dure à Mayotte, les routes bosselées, mais aussi la réglementation et le droit dérogatoire qui s’appliquent sur ce territoire. En bref, (cela) cristallise la critique d’un État » bricolé », qui ne serait pas le même qu’en métropole », analyse Clémentine Lehuger, docteure en science politique, dans un article de The Conversation.
Et de conclure : « La grille de lecture qui fait de l’immigration la clé de voûte de toutes les difficultés du territoire s’est largement imposée, alimentée par les services de l’État, occultant au passage les problèmes de sous-administration et de manque d’investissement en faveur du développement de Mayotte. »
Damien Gautreau sur https://blogs.mediapart.fr/
Alors qu'un terrible cyclone vient de frapper Mayotte et que le bilan s'annonce catastrophique, on peut déjà s'interroger sur les responsabilités des uns et des autres dans ce territoire le plus pauvre de France.
Mayotte, dans l'archipel des Comores, est administrée par la France contre l'avis de l'ONU qui demande sa restitution aux autorités comoriennes. L’État français considère Mayotte comme son 101ème département mais pourtant traite le territoire comme nul autre.
Cette spécificité est en partie responsable de l'importance du bilan du cyclone Chido. Ce phénomène tropical, classé cyclone de catégorie 4, frappe Mayotte de plein fouet le samedi 14 décembre 2024. Les dégâts sont énormes et le bilan humain s'annonce lourd. Comment expliquer cela ?
Avec un taux de pauvreté de 77% et un taux de chômage de 34%, Mayotte explose tous les records. Le PIB/habitant, comme le revenu médian, y sont les plus faibles de France. L'île est habituée des problèmes d'électricité, de distribution d'eau, d’assainissement, de santé publique... Les établissements scolaires et hospitaliers sont insuffisants, tout comme les logements sociaux et les centres d'accueil.
Mayotte manque grandement d'infrastructures mais aussi de personnels tant elle souffre de sa mauvaise image. Pourtant, les investissements de l’État sont les plus faibles de France. Seulement 125.25 euros de Dotation Globale de Fonctionnement par habitants contre 381.44 euros dans la Creuse, 396.02 euros en Martinique et 564.14 euros en Lozère par exemple.
Alors que les besoins sont énormes, les investissements sont insuffisants, l’État n'est pas au rendez-vous. Les collectivités locales non plus ; entre fonds européens non dépensés, emplois fictifs, investissements non-adaptés et détournement de fonds1, le Département, comme les communes se moquent de leur population.
Les habitants sont donc livrés à eux-mêmes, en particulier ceux qui vivent dans les bangas, cases des bidonvilles, dont on estime le nombre à au moins 100,000 personnes. Les autorités se concentrent sur les opérations de décasages, sans offrir de réelles solutions de relogement, comme c'était encore le cas du 2 au 12 décembre sur la commune de Koungou. Le préfet se félicitait alors de l'action de ses services alors même qu'ils jetaient des familles entières à la rue.
Ces populations pauvres sont celles qui se sont trouvées en première ligne lors du passage du cyclone Chido et c'est en leur rang que l'on va dénombrer le plus de morts. Les laissés pour compte, souvent de nationalité comorienne, sont ici habitués à servir de boucs émissaires et beaucoup leur imputent tous les maux de l'île.
Cette fois il est clair qu'ils ne sont ni responsables du dérèglement climatique qui accroît la fréquence et l'intensité des catastrophes naturelles, ni responsables du sous-investissement chronique de l’État français à Mayotte, ni responsables du manque d'anticipation et de préparation des autorités locales.
Aujourd'hui Mayotte est ravagée, les bidonvilles sont rasés, les bâtiments publics sont endommagés, le réseau routier est impraticable, même l'aéroport n'est pas fonctionnel. Les habitants sont littéralement livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter sur personnes tant les responsables politiques ont montré leur inefficacité.
Espérons que ce triste événement serve de leçon et que Mayotte soit reconstruite de façon intelligente et harmonieuse, dans le vivre ensemble et le respect de chacun... on peut malheureusement en douter.
1) Andhanouni Said, maire de Chirongui en 2022 ; Mohamed Bacar, maire de Tsingoni en 2023 ; Daniel Zaidani, conseiller départemental en 2023 ; Salim Mdéré, conseiller départemental en 2024 ; Rachadi Saindou, prédisent de communauté d'agglomération en 2024 ; Mouslim Abdourahaman, maire de Bouéni en 2024 ; sont tous condamnés par la justice ; en 2024, Assani Saindou Bamcolo, maire de Koungou est poursuivi par la justice.
mise en ligne le 16 décembre 2024
Par Christiane Oyewo sur https://www.bondyblog.fr/
À l’occasion de la journée internationale des migrant.e.s qui aura lieu mercredi 18 décembre, des milliers de personnes se sont réunies à Paris ce samedi. Les manifestants revendiquent le respect des droits des personnes migrantes.
« Nous ne sommes pas des profiteurs, nous sommes des travailleurs », pouvait-on entendre dans le cortège de la marche des solidarités, samedi. À quelques jours de la journée internationale des migrant.e.s qui aura lieu mercredi 18 décembre, la manifestation s’est étendue dans les rues de Paris. Les défaillances de l’État, des institutions et les abus des employeurs résonnent en boucle dans les slogans des manifestants.
Qu’ils soient concerné.e.s ou allié.e.s, les discours des manifestants convergent. Les choses doivent changer pour les migrant.e.s, peu importe leur statut : mineur.e isolé.e, étudiant.e, travailleuse et travailleur migrant.e… « On est ici aujourd’hui pour montrer que les sans-papiers existent, que nous sommes là depuis des années, nous travaillons, nous cotisons. Nous participons à la vie économique de ce pays et nous sommes là pour réclamer nos droits », martèle Sidibé, responsable du collectif des sans-papiers du 17ᵉ arrondissement de Paris.
Le calvaire des procédures de régularisation
Des droits qui nécessitent des démarches administratives de plus en plus complexes à effectuer pour les personnes concernées. Récemment, l’Administration numérique des étrangers en France (ANEF) a été pointé du doigt par le Défenseur des droits. L’ANEF, un outil censé simplifier les démarches administratives pour les demandes des titres de séjour, est en place depuis 2020. Mais cette dématérialisation des procédures complique les démarches, voire empêche d’en effectuer certaines. Ainsi, « des ruptures de droits graves et massives » ont été constatées à la suite de milliers de réclamations, principalement de salarié.e.s.
Ils remplissent les conditions pour avoir des papiers, mais ils n’obtiennent pas de papiers et sont marginalisés
Selon Abdoul Latif, membre élu du comité national de la Ligue des droits de l’Homme, les droits des étrangers qui travaillent sont bafoués plus largement. « Les gens ont des fiches de paie, ils remplissent les conditions pour avoir des papiers, mais ils n’obtiennent pas de papiers et sont marginalisés », dénonce-t-il. Un avis partagé par Hicham qui a demandé à son employeur des documents pour sa régularisation qui lui ont été refusés. Après trois ans de travail, des journées allant jusqu’à 20h30 et un seul jour de repos par semaine, il a l’impression d’avoir fait tout ça pour rien.
Une situation cauchemardesque qui résonne chez Tounkara Kande, femme de chambre de l’hôtel Campanile première classe de Suresnes. En grève depuis août avec une vingtaine d’autres femmes de chambre, toutes racisées et immigrées, elle est venue soutenir les collègues sans papiers. « Si tu travailles et que tu n’as pas de papiers, tu n’es pas considéré », explique-t-elle. Tounkara Kande raconte qu’une de ses collègues a été licenciée à son retour de vacances et n’a pas eu ses papiers. C’est pour elle et pour les autres revendications des grévistes qu’elle prend part à la marche aujourd’hui. Les femmes de chambres de l’hôtel Campanile réclament une augmentation de salaire, de meilleures conditions de travail et le respect de leurs droits tout simplement.
La menace d’une nouvelle loi Immigration
Pour les collectifs présents, la dernière loi Immigration et la menace d’un nouveau texte nourrissent des craintes et de la colère. Christophe Caulier, co-président de l’ARDHIS, association qui vient en aide aux personnes migrantes LGBTI+ tenait à être présent aujourd’hui avec l’association. « C’est très important pour nous de manifester notre inquiétude vis-à-vis des évolutions récentes du droit français, de la législation, mais également des tendances qu’on peut noter au niveau européen. »
Chaque nouvelle loi est toujours plus répressive que la précédente pour les personnes étrangères
« Chaque nouvelle loi, chaque nouveau débat est toujours plus répressif que le précédent pour les personnes étrangères, puisque le fonds de commerce, pas seulement de l’extrême droite, mais d’une bonne partie du champ politique, c’est de taper sur l’étranger, sur le migrant. Comme s’ils étaient responsables de tous les problèmes du monde », développe Julien de la MIF, les Militantes et Militants pour l’Interdiction des Frontières.
Un climat politique qui inquiète en particulier dans les quartiers populaires. Marie, membre d’un collectif antifasciste et antiraciste de Seine-Saint-Denis, rappelle l’importance de s’organiser et de résister face au fascisme et à l’extrême droite. Elle déplore la banalisation de ce type de parti. Un avis partagé par Charlotte, psychologue, originaire du nord de la France. Elle se désole de la montée du fascisme dans sa région. « Ce n’est pas l’immigration qui est en cause, ce sont toutes les multinationales et le capitalisme », peste-t-elle.
Face à la répression des sans-papiers, une solide solidarité
Une colère qui s’est transformée en combat pour Marine, professeure au lycée Voltaire à Paris. Avec l’association Paris d’Exil, elle fait des ateliers et donne des cours à des jeunes mineurs qui ne sont pas scolarisés. Au sein de son lycée, des familles sans papiers ont également pu être « mises à l’abri » ou recevoir une aide juridique pour des démarches administratives, tout comme des relais pour des appels à la mobilisation.
Ces mobilisations font écho à l’action en cours d’environ 200 mineurs, des jeunes du collectif du parc de Belleville. Ces derniers occupent la Gaîté Lyrique depuis le 10 décembre 2024 pour obtenir de solutions d’hébergement pérennes de la part de la mairie de Paris.
D’ailleurs, le parcours de la marche de ce samedi devait se terminer sur la place de la République. Mais comme depuis plusieurs soirs, de nombreuses personnes ont ensuite souhaité se rassembler devant l’espace culturel occupé et montrer leur solidarité aux jeunes qui sont dans les locaux.
mise en ligne le 15 décembre 2024
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
En Syrie, l’offensive partie d’Idleb le 27 novembre s’est achevée à Damas le 8 décembre avec la prise du pouvoir par l’alliance des djihadistes et d’autres forces, pour la plupart islamistes, avec le soutien de la Turquie. Trois questions se posent désormais pour saisir les enjeux futurs.
Il n’aura fallu qu’une offensive de douze jours pour faire tomber le pouvoir en place à Damas. Le 8 décembre, on apprenait que le président syrien Bachar Al Assad, en place depuis vingt-quatre ans, avait quitté le pays pour se réfugier à Moscou, certainement le seul pays où il se sent maintenant en sûreté. Il doit à la Russie et l’intervention militaire de l’automne 2015 d’avoir pu garder son siège.
Une rapidité confondante qui montre que le système mis en place par le parti Baas (nationaliste arabe et laïc) sous l’égide de la famille Al Assad était totalement vicié. Il était en train de pourrir de l’intérieur sans plus de soutien dans le pays, à l’exception de la minorité alaouite (d’où sont issus les Assad) qui se repliait sur elle-même, à Damas et le long de la côte méditerranéenne. Ce régime, haï par la population, est « tombé comme un fruit mûr », pour reprendre l’expression du géographe Fabrice Balanche, auteur d’un livre incontournable si l’on veut comprendre le processus qui a amené la chute de la maison Assad (« Les leçons de la crise syrienne », éditions Odile Jacob).
1 – Comment en est-on arrivé à la chute du régime de Bachar Al Assad ?
L’offensive a été lancée depuis la province d’Idleb, au nord, dominée par le leader djihadiste Ahmed Al Sharaa, plus connu sous son nom de guerre d’Abou Mohammed Al Jolani, à la tête d’Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Depuis plusieurs années se sont regroupés dans cette zone une multitude de groupes islamistes et de combattants djihadistes (y compris d’anciens membres de l’« État islamique »). Un cessez-le-feu conclu avec l’armée russe et sous l’égide de la Turquie a permis un rapprochement entre Ankara et Al Jolani. Rapprochement qui s’est traduit par une aide logistique et financière.
Les 10 000 soldats turcs n’ont pas fait que surveiller mais ont également formé ces islamistes. Comme l’explique Fabrice Balanche, « l’offensive lancée le 27 novembre par le HTC n’a pas été vraiment surprenante. Cela faisait déjà deux mois que l’armée syrienne s’était renforcée à Alep, sentant que quelque chose se préparait. De toute façon, Al Jolani ne faisait pas mystère de sa volonté de revanche à l’égard du régime syrien. Acculé dans ce réduit d’Idleb, il n’allait pas attendre pour l’éliminer que la guerre se termine en Ukraine et que la Russie puisse de nouveau mobiliser des forces vers la Syrie »
Une offensive facilitée, voire appuyée par Israël qui, en bombardant le Hezbollah libanais, a forcé l’organisation chiite à rapatrier ses troupes et donc à dégarnir le front d’Alep, première ville tombée aux mains des djihadistes en trois jours seulement. Une prise qui s’est transformée en signal à l’intérieur du pays. À Deraa, les forces du Front du sud, plus laïques, se sont rapidement mobilisées. À Soueïda, les Druzes sont également descendus dans les rues.
2 – Quels sont les objectifs des groupes islamistes désormais au pouvoir ?
Le HTC, force dominante, veut imposer une théocratie sunnite avec application de la charia. Au-delà, il est difficile de savoir exactement quel type de régime va être instauré. Al Jolani, soucieux sans doute de donner des gages aux pays occidentaux, a fait savoir que « la victoire que nous avons remportée est une victoire pour tous les Syriens. Bachar Al Assad a propagé le sectarisme et aujourd’hui notre pays appartient à nous tous ».
À tous ? L’entrée du leader djihadiste dans la mosquée des Omeyyades à Damas ressemblait étrangement à celle d’Al Bagdadi, l’émir de l’« État islamique », dans la mosquée de Mossoul, en Irak, dix ans auparavant. Mais si, dès la chute de Damas, le 8 décembre, le HTC a été placé sous les projecteurs, il ne faut pas ignorer les autres groupes qui ont participé à cette victoire, à commencer par l’Armée nationale syrienne, créée de toutes pièces par la Turquie.
Les Kurdes qui avaient combattu avec succès Daech, lui infligeant sa première défaite à Kobané il y a bientôt dix ans, sont maintenant dans le viseur turc. La ville de Manbij est tombée. Recep Tayyip Erdogan, le président turc, veut créer une zone tampon dans le nord de la Syrie, d’où il expulserait les Kurdes et, dans tous les cas, empêcherait la poursuite de l’expérience tentée avec la mise sur pied de l’Administration autonome du Nord et de l’Est syrien (AANES). Il s’agit pour Ankara d’y installer des communautés arabes et turkmènes, en rapatriant dans ce nord les réfugiés syriens se trouvant en Turquie.
Il est à noter que l’opposition syrienne qui était regroupée au sein du Conseil national syrien (CNS), forgée par la France avec l’accord des États-Unis, est devenue une coquille vide sans aucun poids. La seule manœuvre aurait été de voir l’un de ses membres devenir chef d’un gouvernement de transition, mais c’est Mohammad al-Bachir (président du « gouvernement de salut syrien », l’exécutif proclamé de la province d’Idleb par HTC) qui a été désigné et qui occupera la fonction jusqu’au 1er mars 2025.
3 – Quelles interférences internationales ?
Depuis 2011 et le début de la révolte, la Syrie est devenue un terrain d’affrontements entre puissances régionales et internationales. La Russie et l’Iran sont venues prêter main-forte à Bachar Al Assad alors que l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis soutenaient les islamistes. Moscou va maintenant essayer de sauver les deux bases (navale et aérienne) qu’elle détient. Téhéran doit à présent éviter un isolement après que les voies de ravitaillement du Hezbollah ont été coupées.
La Turquie a permis aux djihadistes du monde entier de passer par son territoire pour se rendre en Syrie. Quant aux États-Unis, ils ont vite compris qu’ils pouvaient utiliser la question kurde pour stationner des troupes dans les zones pétrolifères, pas tant pour les exploiter à leur profit que pour les utiliser en vue de futures négociations avec les différents groupes qui ne sauraient tarder à faire route vers Deir ez-Zor.
Enfin, Israël a soutenu l’offensive et s’est empressé, dès le 8 décembre, de prendre une partie du territoire syrien. Comme l’a dit Netanyahou : « La chute d’Assad est une journée historique pour le Moyen-Orient. C’est le résultat direct des attaques d’Israël contre le Hezbollah et l’Iran. Nous ne permettrons aucune force ennemie à nos frontières. » Que Tel-Aviv se réjouisse du succès des djihadistes n’est pas le moindre des paradoxes.
mise en ligne le 15 décembre 2024
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
La question actuelle n’est pas de savoir qui sera premier ministre mais quel sera le programme. Les négociations de couloir ne sont pas à la hauteur des enjeux et de l’urgence. Notre système de santé est malade de quarante années de renoncements face aux assauts du néolibéralisme, renforcés par les sept années de pouvoir d’Emmanuel Macron, promoteur d’une politique de financiarisation de notre système de santé. Nous sommes aujourd’hui à un tournant face à la dégradation de notre système de protection sociale. Pour ceux qui continuent à croire aux vertus du marché dans ce secteur, les exemples des Ehpad avec Orpea et des crèches avec People&Baby devraient les faire réfléchir.
La santé et le social sont antinomiques avec le marché et doivent s’appuyer sur les valeurs de solidarité, d’égalité et d’humanisme qui prévalent si nous nous considérons comme une société évoluée. Le modèle opposé, en vigueur aux États-Unis, s’installe insidieusement en France et dans un grand nombre de pays européens. C’est celui d’un service marchand fonctionnant avec des prestataires et assurances privés.
Nous en connaissons, là aussi, le résultat, avec un système très inégalitaire et des indicateurs de santé publique qui tutoient ceux de pays qui étaient encore hier considérés comme en voie de développement. Pour ceux qui espèrent un avenir meilleur, le choix ne peut être qu’une véritable politique de rupture qui s’appuie sur deux piliers : le service public et un financement intégral par la solidarité via la Sécurité sociale.
Rupture, car il s’agit de ne plus parler de plans d’économies pour la Sécurité sociale, mais de recettes supplémentaires qui sont à portée de main en reprenant les différents amendements votés lors du débat sur le PLFSS. Rupture, car il s’agit d’aller rapidement vers une extinction des assurances complémentaires pour basculer vers des cotisations collectées par la seule Sécurité sociale, qui deviendra le payeur unique des prestations.
Rupture, avec une réorganisation de la médecine de ville autour de centres de santé avec des médecins salariés. Rupture, avec un système hospitalier offrant un service de proximité intégré avec la médecine de ville, les Ehpad et le médico-social. Rupture, avec une recherche publique sortant des griffes de l’industrie pharmaceutique. Rupture, avec un pôle public du médicament et des produits de santé permettant d’en finir avec les brevets, les pénuries et les prix exorbitants des nouveaux produits. Rupture, car il s’agit d’appliquer un programme s’appuyant sur celui du Nouveau Front Populaire mais en l’améliorant, car il ne s’agit plus de mettre des pansements mais bien d’effectuer une véritable opération de transformation radicale pour sauver le malade.
Caroline Coq-Chodorge et Manuel Magrez sur www.mediapart.fr
Des fonds d’investissement mettent peu à peu la main sur les spécialités médicales libérales les plus lucratives : d’abord la biologie dès les années 2000, aujourd’hui la radiologie. Et pour cause : les pouvoirs publics ont longtemps laissé faire, explique le sociologue Antoine Leymarie.
Antoine Leymarie est sociologue, doctorant au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po. Ses recherches portent sur la financiarisation de la biologie médicale, de la radiologie et de l’anatomopathologie (l’analyse des tumeurs). Il met au jour le long laisser-faire des autorités : en se jouant des lois, les groupes financiers ont déjà mis la main sur 80 % de la biologie et 20 % de la radiologie libérales.
Première profession financiarisée, la biologie en a pâti : les salaires des médecins dans les laboratoires d’analyses privés ont été divisés par deux et l’attractivité de la profession a chuté. Cette expérience est un épouvantail pour les autres professions approchées à leur tour. La radiologie tente aujourd'hui de résister à cette lame de fond. Mais les pouvoirs publics ne se sont saisis du sujet que très récemment. Et l’exclusion des financiers du champ de la santé n’est pas à l’ordre du jour.
Mediapart : Pourquoi la biologie médicale et, aujourd’hui, la radiologie attirent-elles les fonds d’investissement ?
Antoine Leymarie : La biologie et la radiologie sont deux spécialités qui se ressemblent : elles exigent beaucoup d’investissements dans des machines, beaucoup de personnel pour gérer la partie technique, la part du libéral y est forte (autour de 70 %) et elles sont des spécialités de diagnostic. Ce sont également deux professions qui sont historiquement lucratives, dans la mesure où les volumes d’analyses biologiques et d’imagerie médicale sont en augmentation continue et parce que les progrès technologiques permettent des économies d’échelle importantes. Si les tarifs baissent régulièrement pour compenser la hausse des volumes, les deux spécialités restent attractives.
Qui sont ces acteurs financiers ?
Antoine Leymarie : Ce sont des fonds d’investissement spécialisés dans l’achat et la revente d’entreprises. Ce qui les intéresse, c’est le différentiel entre le prix d’achat et le prix de revente d’une entreprise. Ils prennent le contrôle de groupes de biologie avec le minimum de fonds propre et le maximum d’endettement. Ils cherchent à développer et à rationaliser l’entité acquise pour rembourser la dette et ainsi valoriser financièrement l’entreprise pour la revendre à horizon de quatre, cinq ans, en faisant une plus-value. En biologie, les stratégies de rationalisation ont principalement porté sur la centralisation des activités d’analyses sur des plateaux techniques, sur le personnel, etc. La multiplication importante des grèves des techniciennes de laboratoires ces dernières années est un indicateur des tensions que peuvent engendrer ces stratégies de rationalisation économique.
Quand a débuté ce processus de financiarisation ?
Antoine Leymarie : La biologie a été la première spécialité médicale en France à être concernée par le phénomène au début des années 2000. Des groupes, adossés à des fonds, ont proposé aux biologistes des offres d’achat trois à quatre fois supérieures aux prix conventionnels. Plutôt que de pointer du doigt les médecins qui ont vendu, la question est : qu’ont fait les pouvoirs publics ?
Aujourd’hui, près de 80 % des laboratoires de biologie sont détenus directement par six groupes, quand ce chiffre était autour de 15 % en 2010.
Pendant presque vingt ans, les gouvernements successifs ont ignoré la question de la financiarisation. Pourtant, des montages juridiques complexes, qui ont permis à des investisseurs non biologistes de prendre le contrôle des laboratoires, étaient contraires à l’esprit de la loi en vigueur. Aujourd’hui, l’intérêt des pouvoirs publics pour ces enjeux est réel, mais tardif.
Une loi de 1975 garantissait pourtant l’indépendance des biologistes « contre les investissements que seraient tentés de faire dans les laboratoires les grands groupes bancaires ou financiers ».
Antoine Leymarie : Oui, mais en 1990, une loi est venue compléter le cadre juridique des professions libérales par la création des sociétés d’exercice libéral (SEL) : une forme juridique plus souple pour s’associer et plus intéressante fiscalement. Mais la majorité du capital (75 % minimum) doit rester entre les mains des biologistes exerçant. En 2001, la loi est encore modifiée : elle permet aux SEL d’exploiter un nombre illimité de laboratoires, contre cinq maximum auparavant. Des groupes adossés à des fonds d’investissement en profitent.
La profession des biologistes réagit alors par des manifestations, des tribunes médiatiques... Mais l’ordre des pharmaciens perd devant la Commission européenne un procès intenté par un groupe du secteur (Labco, racheté depuis par Synlab). Il est jugé coupable d’avoir cherché à enfreindre le développement de Labco, donc d’avoir imposé des restrictions à la concurrence.
Puis, en 2010, est autorisée la centralisation des automates sur de grands plateaux techniques. Est également imposée une procédure d’accréditation lourde et coûteuse… Les labos sont donc fortement incités à se regrouper et deviennent des cibles idéales. Une génération de biologistes, proches de la retraite, vend largement ses actions aux groupes financiers.
Comment les fonds d’investissement sont-ils parvenus à prendre le contrôle des laboratoires de biologie, alors que les médecins exerçant doivent détenir au minimum 75 % du capital ?
Antoine Leymarie : En 2013, une loi sur la biologie avait pour objectif de lutter contre la financiarisation. En réalité, elle a largement accéléré le phénomène et, aujourd’hui, près de 80 % des laboratoires de biologie sont détenus directement par six groupes, quand ce chiffre était autour de 15 % en 2010. Pourquoi ?
Les montages juridiques des groupes ont permis de rentrer dans les clous de la légalité tout en « jouant » avec les règles : dans les statuts des sociétés d’exercice libéral, il est souvent précisé que les décisions importantes (investissement, fusions…) doivent être prises après consultation d’un comité stratégique ou d’une autre entité ad hoc, où les actionnaires financiers sont majoritaires. Ils sont aussi détenteurs de la très large majorité des actions « de préférence », distinctes des actions « ordinaires », qui accordent les droits financiers. Ces montages permettent à la holding de capter les profits et d’avoir le pouvoir décisionnel. Les médecins exerçant conservent la majorité du capital et des droits de vote, mais seulement « sur le papier ».
Pour la biologie, les jeux sont faits, il n’y aura pas de retour en arrière.
Les pouvoirs publics ont d’abord vu d’un bon œil cette concentration du secteur : l’assurance-maladie a pu faire baisser les tarifs, faire des économies. Mais elle fait face à des difficultés depuis quelques années : au moment des négociations tarifaires, les directions des groupes ont organisé des grèves, mettant à l’arrêt plus de 80 % des laboratoires, à trois reprises depuis 2019. Les agences régionales de santé ont dû procéder à des réquisitions. Le rapport de force s’est donc durci. L’ordonnance parue en 2023, qui ambitionnait notamment de supprimer les actions de préférence, a été l’objet d’un lobbying important, payant : cette mesure a été supprimée du projet.
Cette financiarisation a-t-elle profité, d’une manière ou d’une autre, aux biologistes ?
Antoine Leymarie : Leurs revenus ont été divisés par deux en l’espace de quinze ans, bien qu’ils restent toujours confortables. L’attractivité de la profession à l’égard des jeunes a chuté : au classement à l’entrée de l’internat de médecine [quand les étudiants choisissent leur spécialité – ndlr], la biologie s’est effondrée, elle est parmi les trois dernières choisies par les futurs médecins.
À l’origine de cette désaffection, il y a également le statut : 81 % des biologistes libéraux travaillent en tant que travailleurs non salariés, ils n’ont pas droit aux indemnités de licenciement, à l’assurance-chômage, et ne relèvent pas du Code du travail. C’est pourquoi les jeunes biologistes aspirent désormais à devenir salariés au sein de ces groupes.
Aujourd’hui, c’est le tour de la radiologie : suit-elle le même chemin ?
Antoine Leymarie : Le principe de consolidation, de mutualisation, de recours aux fonds, est le même. Mais la radiologie n’est pas « industrialisable » comme l’était la biologie. Pour le dire simplement, faire passer un scanner à un patient n’est pas une activité « rationalisable » comme celle d’analyser des tubes de sang qu’on peut centraliser sur des plateaux techniques. Le recours à la téléradiologie permet en revanche bien une « délocalisation » du diagnostic et des économies d’échelle.
Une partie de la profession oppose une résistance importante à la financiarisation, menée par les organisations professionnelles : le syndicat des radiologues libéraux (FNMR), les jeunes radiologues (Corail), l’ordre des médecins sont unis sur ce sujet. Le « précédent » des biologistes médicaux est souvent cité comme figure « épouvantail ».
Les pouvoirs publics ont aussi évolué sur ce sujet. L’assurance-maladie a consacré un rapport au sujet en juillet 2023, le Sénat en octobre 2024. Un bureau dédié à la financiarisation a été créé au sein du ministère de la santé. Cela témoigne d’une volonté des pouvoirs publics de diagnostiquer les effets de la financiarisation et de proposer de nouvelles régulations. D’autant que d’autres professions médicales sont concernées : anatomopathologistes, pharmaciens, radiothérapeutes, etc.
Ce mouvement de financiarisation peut-il être freiné ?
Antoine Leymarie : Pour ce qui est de la biologie, les jeux sont faits, il n’y aura pas de retour en arrière. Mais les pouvoirs publics réfléchissent à de nouvelles régulations de l’offre de soins et de l’activité des groupes, pour éviter par exemple les situations excessivement monopolistiques et contraindre les groupes à remplir leurs missions pour couvrir équitablement les territoires.
Pour la radiologie, le secteur est à un moment crucial : les différents acteurs, pro- et antifinanciarisation, se regardent dans le blanc des yeux. Le rapport de force est en cours. Les pouvoirs politiques ont jusqu’ici favorisé la financiarisation de la biologie. Ce sont encore eux qui auront le dernier mot.
mise en ligne le 14 décembre 2024
Jean-Marie Harribey sur https://blogs.mediapart.fr/j
Les commentaires principaux émis pour caractériser la situation politique de la France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale il y a bientôt six mois, et tout particulièrement depuis trois mois et la nomination de Michel Barnier à la tête du gouvernement facilitent-ils la compréhension des choses ou en obscurcissent-ils le sens ?
Les commentaires principaux émis pour caractériser la situation politique de la France depuis la dissolution de l’Assemblée nationale il y a bientôt six mois, et tout particulièrement depuis trois mois et la nomination de Michel Barnier à la tête du gouvernement facilitent-ils la compréhension des choses ou en obscurcissent-ils le sens ? Le nombre de raccourcis et de contre-vérités est trop important pour qu’on les énumère tous. Quelques-uns d’entre eux sont cependant exemplaires de leur caractère en trompe-l’œil. Comment aller un peu au-delà des apparences ?
Une crise politique
Le premier exemple en trompe-l’œil est le refus de confier, ne serait-ce qu’un temps court, le gouvernement au Nouveau Front populaire, vainqueur relatif des élections législatives, au motif que son programme serait d’extrême gauche. Qu’est-ce donc que l’extrême gauche ? Le programme du NFP est sans doute moins à gauche que celui appliqué en 1981 lors de la première année du mandat de François Mitterrand. Pas un commentateur n’a fait remarquer que le NFP ne prévoit aucune nationalisation, pas même de quelque secteur stratégique comme celui des médicaments ayant fait tant défaut pendant la crise sanitaire. Au contraire, des larmes hypocrites sont quotidiennement versées pour regretter la disparition de la social-démocratie prétendument représentée par un parti socialiste ayant conduit celle-ci au social-libéralisme puis carrément au néolibéralisme hollandais, ce qui est assez désobligeant, voire insultant, à l’égard de la social-démocratie historique. Mal nommer un objet ajoute au malheur de ce monde, disait Camus. Le seul programme politique sur la table qui pourrait rappeler aujourd’hui ce que furent des politiques social-démocrates, au temps où la protection sociale, les services publics et la régulation macroéconomique étaient la règle, est précisément celui du NFP, qui, même s’il est audacieux sur le plan de la réforme fiscale, ne dit pas grand-chose de la remise des clés de l’économie entre les mains des travailleurs, clé de voûte d’une transformation profonde des rapports sociaux de production.
Une catastrophe économique est annoncée si un programme différent de l’austérité et de la régression des services publics et de la protection sociale était appliqué. Dans cette optique, la dette publique est un épouvantail ressorti chaque fois qu’un Michel Barnier, promu pourtant Grand Négociateur, refuse de discuter de tout impôt conséquent sur les classes riches, bénéficiaires des diminutions d’impôts qui creusent les déficits publics. Ou bien lorsqu’un Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et premier actionnaire du groupe industriel des huiles et protéines végétales Avril, lance les agriculteurs contre l’INRAE ou l’OFB pour fustiger l’accord de libre-échange avec le Mercosur qui représente si bien l’aberration du modèle agricole défendu bec et ongles par lui au mépris de la crise écologique et climatique. Et encore quand un Patrick Martin, président du Medef, préfère voir se réduire la protection sociale plutôt que d’envisager une très légère baisse des allègements de cotisations sociales atteignant entre 70 et 80 milliards d’euros par an, et s’attriste de la désindustrialisation entraînant des milliers d’emplois menacés par des « plans sociaux » en cascade pendant que dividendes et rachats d’actions avoisinent les sommets.
L’aveuglement, la surdité et le déni de la réalité suffisent-ils pour expliquer la situation à laquelle nous sommes confrontés ? En d’autres termes, de quoi ladite crise politique est-elle le nom ou le signe ? La partie visible d’un iceberg ? L’arbre qui cache la forêt ?
Une crise peut en cacher une autre
La productivité du travail ne progresse plus dans le monde, ou si peu qu’elle est insuffisante pour satisfaire les appétits de rentabilité du capital. D’où le renforcement toujours plus poussé de la financiarisation de l’économie mondiale, c’est-à-dire d’un régime d’accumulation croyant pouvoir se dispenser de passer par la case productive réelle. L’accélération de la concentration et de la centralisation des capitaux montre que ce qui compte ce sont la captation des rentes, l’optimisation fiscale et la pure spéculation. Mais cette stratégie n’est pas extensible à l’infini parce qu’elle se heurte des barrières de plus en plus hautes : la crise climatique, la raréfaction des ressources, la dégradation de la biodiversité, et par dessus le marché (si l’on peut dire) des résistances sociales. Tout ce qui compte, disais-je, finit pas compter beaucoup en termes de coûts de production.
Le fléchissement de l’investissement productif, la multiplication des licenciements et des fermetures d’usines, la désindustrialisation sont la conséquence de ce mouvement général. Le capitalisme est installé dans une tendance de croissance économique faible dont l’extrême ralentissement de la progression de la productivité est à la fois cause et conséquence par un effet cumulatif auto-entretenu. Ralentissement de la productivité plus hausse des coûts de production, ça commence à sentir le roussi pour la rentabilité réelle du capital.
La crise déclenchée en 2007 provient très précisément du fait que ce régime d’accumulation développé à partir des années 1980 postulait la valorisation permanente et quasi infinie des actifs financiers qui avaient ainsi de moins en moins d’ancrage réel. Comme le disait Marx, l’anticipation des plus-values financières se heurtait à la limite de la production-extorsion de la plus-value produite par la force de travail. Plus le capital financier grossissait, plus son caractère fictif devenait alors visible. L’éclatement de la crise financière anéantit le rêve dément de l’auto-engendrement du capital que le cauchemar de la marchandisation du monde ne peut compenser indéfiniment.
Or la crise financière de 2007 n’a eu aucun effet pour infléchir la trajectoire des politiques néolibérales. Le monde d’après-crise fi-nancière est le frère jumeau du monde d’avant. Mais ce n’est pas sans conséquences sur l’aggravation des contradictions auxquelles se heurtent les classes bourgeoises dans le monde, en Europe et bien sûr en France.
Une convulsion du capital et des classes qui le possèdent
Deux cas de figure sont emblématiques des contradictions dans lesquelles s’enferrent les classes bourgeoises tout en enfermant les classes populaires dans une cage d’acier.
Aux États-Unis, Trump s’est fait réélire avec le soutien financier des puissances d’argent états-uniennes, mais celles-ci n’ont aucun intérêt à ce que la politique de fermeture des frontières annoncée par lui soit appliquée. Une bonne partie des profits réalisés par les firmes multinationales américaines est liée aux échanges avec les pays dont les produits seraient frappés de droits de douane élevés ou érigeant eux aussi de tels obstacles. Autrement dit, la mondialisation capitaliste, voulue et organisée par l’élite bourgeoise états-unienne et qui a facilité l’émergence et l’épanouissement d’un concurrent capitaliste majeur comme la Chine, se retourne contre sa classe génitrice[1].
Comment réagit Trump en bon représentant d’une fraction de cette dernière ? D’abord en trouvant un bon bouc émissaire à travers les immigrés. Ensuite, en poussant à son paroxysme le projet libertarien de dérégulation totale de la société. La présence tonitruante d’un Elon Musk et ses gesticulations tout aussi grotesques que celles de Trump ne doivent pas dissimuler la stratégie sous-jacente : transformer les inquiétudes et les difficultés des classes populaires jusqu’au point où les représentations du monde forgent une « culture » aculturelle faite de fake news de plus en plus énormes, laquelle doit avoir pour effet d’anesthésier toute compréhension du monde réel, tout en faisant miroiter une super-conquête de l’espace comme eldorado interstellaire. Le climato-scepticisme n’est pas simplement le déni de la montée inexorable de la température, des tornades, des tsunamis et des inondations, c’est aussi le déni de toute science et le déchaînement de l’hubris, de la démesure.
En France, l’écartèlement entre des intérêts largement contradictoires au sein de la bourgeoisie est également flagrant. Devant le quasi-arrêt de la croissance économique, toutes les branches du patronat qui ont une activité productive sont demandeuses de subventions publiques, d’allègements d’impôts et d’exonérations de cotisations sociales, qui s’élèvent à environ 190 milliards d’euros par an[2]. Mais les branches du capital dont l’activité est soit directement financière (banques, assurances, fonds spéculatifs), soit engagée dans des activités productives internationales (les deux étant aujourd’hui très imbriquées) ne voient pas les choses du même œil. D’une part, elles auraient objectivement moins besoin du soutien public, et, d’autre part, elles exigent maintenant un respect de l’orthodoxie budgétaire en réduisant les dépenses publiques. Le « quoi qu’il en coûte » de la Banque centrale européenne et de l’État est désormais terminé, place à la discipline du marché. Quand on voit à quoi ont mené l’orthodoxie budgétaire la plus rigoureuse de l’Allemagne et la soi-disant excellence de son modèle, on peut craindre le pire.
La crise politique française s’éclaire ainsi d’un nouveau jour. Elle traduit les contradictions d’une classe dominante confrontée à une convulsion de son propre système. Elle refuse tout compromis avec un projet authentiquement réformiste. Elle laisse filer la dégradation des services publics de santé et d’éducation qui craquent de toutes parts. Elle s’apprête à achever la partition de la SNCF pour l’ouvrir totalement à la concurrence. Elle entérine le rétrécissement des ambitions écologiques (en matière de Zéro artificialisation nette, d’agriculture soumise aux pesticides et insecticides, etc.). Et elle affuble du qualificatif de social-démocrates les velléités d’ajustements à la marge des défaillances sociales du système les plus graves, tandis qu’elle laisse prospérer, voire avalise, les idées de préférence nationale de l’extrême droite, la répression et la criminalisation des mouvements sociaux. Le compromis social étant devenu inenvisageable pour la classe bourgeoise, celle-ci n’a plus qu’un moyen à sa disposition pour atténuer ses propres contradictions : unifier ses fractions autour du seul projet réconciliant temporairement leurs intérêts respectifs en faisant payer aux travailleurs la crise capitaliste par un surcroît d’austérité, d’inégalités, de services publics appauvris, de renoncements à la protection sociale et à la protection écologique.
Il n’y a bien sûr pas de cause unique à la montée des pouvoirs dits illibéraux dans le monde et en Europe, ni de déterminisme économique inéluctable. Mais on doit constater la simultanéité de la crise du capitalisme et de la remise en cause des procédures démocratiques, à laquelle s’ajoutent guerres et menaces de guerres. Car il ne s’agit pas d’une crise de la démocratie en elle-même comme on l’entend, c’est une crise du respect de la démocratie, une crise des formes dans lesquelles la démocratie a été organisée et dévoyée. Le non-respect du résultat des élections législatives de juillet 2024 par le président Macron est le pendant light de la tentative de prise d’assaut du Capitole par les troupes de Trump le 6 janvier 2021. Cela n’empêchera pas l’un et l’autre de « communier » aujourd’hui à la belle entente bourgeoise pendant l’inauguration de la cathédrale de Paris restaurée. Avec les plus riches de France, comme de bien entendu… De quoi sceller l’alliance du sabre, du goupillon et du pognon.
Il n’y a pas de complot mondial. Mais il y a une cohérence dans l’invraisemblable accumulation de crises et de dérèglements de tous ordres. Le déni du réel (climat, biodiversité, dégradation du travail…), le déni des droits humains à Gaza et dans toutes les guerres et le déni de la science par les partis et mouvements réactionnaires sont les symptômes d’une convulsion capitaliste qui atteint un caractère anthropologique : tous les équilibres sociaux sont menacés et la manière d’être au monde des humains est chamboulée.
[1] Voir Benjamin Bürbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, Paris, La Découverte, 2024.
[2] Dans son rapport de 2022, le Clersé de l’Université de Lille chiffrait à 8,39 % du PIB et 40,65 % du budget de l’État le montant total des aides publiques aux entreprises en 2019. Et on ne parle pas ici des 80 milliards de fraude fiscale en plus.
mise en ligne le 14 décembre 2024
Camille Bauer et Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Dans Vous ne détestez pas le lundi, le sociologue Nicolas Framont revient sur le rôle essentiel des fonctions managériales dans la machine capitaliste et rappelle les différentes techniques utilisées pour mettre les salariés sous pression. Un système face auquel il appelle à reconstruire une résistance collective.
Rédacteur en chef du magazine Frustration et expert auprès des comités sociaux et économiques (CSE), Nicolas Framont, auteur d’un précédent livre sur la bourgeoisie intitulé Parasites (Les liens qui libèrent, 2023), revient dans son dernier ouvrage, Vous ne détestez pas le lundi1, sur la façon dont le capitalisme a fait du travail un espace d’oppression.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce qui se joue au travail ?
Nicolas Framont : Le point de départ, c’est le mal-être au travail. Je me détache de l’aspect psychologisant de cette notion pour rappeler l’oppression systémique liée au travail sous le capitalisme. Le livre fait le lien entre des problèmes quotidiens de souffrance au travail et cette expérience collective de l’aliénation et de la domination capitalistes. Nos expériences au travail sont très diverses, mais, pour autant, nous subissons tous la domination au travail.
Le travail est aussi le lieu privilégié d’actions de résistance. Quand on fait partie de la majorité de la population, sans grande puissance financière, on n’a pas beaucoup de moyens de se faire entendre. Notre offre de travail, c’est un peu notre seul pouvoir.
Si on s’arrête de travailler, ou si on travaille différemment, on peut fortement nuire à la prospérité de la classe dominante. Historiquement, la majeure partie de nos conquêtes sociales ne sont pas venues par les urnes. Elles sont le fruit des luttes au travail.
Comment se fait-il que les luttes soient de plus en plus défensives ? Est-ce lié à un verrouillage hiérarchique ?
Nicolas Framont : Le problème du travail en France n’est pas tant qu’on ait des gentils ou des mauvais chefs, mais le fait que la hiérarchie se sente libre de traiter les gens comme elle l’entend, c’est-à-dire mal. Face à cela, la seule façon de se faire respecter est d’établir un rapport de force. Or, on a de moins en moins de leviers pour cela.
Le taux de syndicalisation en France est très bas, à peu près à 10 %, encore moins dans le secteur privé et parmi les plus jeunes. Cela tient également au fait que les instances officielles de discussion sur le travail sont complètement verrouillées, surtout depuis la suppression des CHCST et leur remplacement par les CSE. Il n’y a donc pas beaucoup de lieux où l’on peut exprimer de la conflictualité, des revendications au travail.
Votre ouvrage met en cause des chefs, complices d’un système toxique…
Nicolas Framont : On ne travaille pas pour soi, mais pour enrichir quelqu’un d’autre. Le rôle des chefs, dans ce contexte, c’est de vérifier que, malgré cela, on va se donner un maximum. C’est encore plus vrai avec la financiarisation du capitalisme. Elle crée des actionnaires de plus en plus voraces, ce qui augmente la violence potentielle de la hiérarchie. En réalité, tout comportement déviant de la part d’un chef correspond à une politique.
C’est pour cela qu’il est important de sortir de la vision bourgeoise de la hiérarchie qui consiste à dire qu’il faut des chefs pour qu’on travaille efficacement. En réalité, s’il faut des chefs, c’est pour nous faire travailler sur quelque chose qui nous répugne. Ils servent à éviter que les salariés ne se rebellent ou ne refusent de faire comme on leur demande.
Souvent, on utilise une série de qualificatifs psychologiques – pervers narcissique, control freak (personnalité contrôlante) – pour décrire ces chefs qui nuisent. Cette violence n’est pas gratuite. Un certain type de chef correspond à un certain type de hiérarchie, qui correspond elle-même à un certain type d’objet et d’organisation du travail. Y voir un trait de caractère ou une psychologie propre à une personne est une erreur.
Le pouvoir et la rémunération du chef sont souvent justifiés par ses responsabilités. Qu’en pensez-vous ?
Nicolas Framont : L’idée que l’entrepreneur prend plus de risques, de responsabilités que les salariés est souvent avancée. C’est un mythe très relayé par notre patron toxique en chef, Emmanuel Macron. En effet, prendre ses responsabilités signifie assumer les conséquences de ses actes. Est-ce le cas des chefs d’entreprise ? Ces trente dernières années, les grands patrons ont détruit l’industrie française.
Pourtant, il n’y a pas eu de lien entre leur rémunération et la qualité de leur gestion. Leurs choix, mauvais ou cyniques, conduisent à des licenciements massifs, qui mettent les employés en difficulté – en particulier les seniors qui ne retrouvent pas de travail. Bruno Le Maire, par exemple, a toujours été présenté comme brillant, avec de lourdes responsabilités.
Pourtant, il a rendu le budget de la France complètement déficitaire en prenant des mesures inefficaces sur le plan macroéconomique, qui se sont soldées pour l’essentiel par des cadeaux pour la bourgeoisie. L’ex-commissaire européen Thierry Breton, quant à lui, a conduit à la faillite plusieurs sociétés, comme Thomson, puis Atos. A-t-il payé les conséquences de ses mauvaises décisions ? Non. Il est passé d’une entreprise à l’autre en étant toujours mieux rémunéré.
Mais alors, qu’est-ce qui justifie les énormes salaires et primes des dirigeants ?
Nicolas Framont : Bien rémunérer le management, c’est faciliter l’allégeance. Pour que les dirigeants fassent le sale boulot, il est nécessaire qu’ils soient intéressés à la réussite financière des actionnaires. C’est pour ça qu’ils sont bien payés. Lors d’un plan de licenciements, il n’est pas rare que ceux qui le mettent en place reçoivent une forte prime.
Cet intérêt conjoint représente les courroies de transmission entre les possédants et ceux qui travaillent. Les chefs jouent un rôle clef dans le capitalisme. On leur fait une promesse de confort matériel et de prestige social en échange de leur loyauté totale envers le système.
Pouvez-vous revenir sur la typologie des différents « chefs » que vous proposez ?
Nicolas Framont : Dans ma typologie, le moins nuisible est le chef d’équipe. Il est le moins distant de ses subordonnés, celui qui a une légitimité par l’expérience. Mais ce modèle appartient un peu au passé. En France, le niveau du diplôme est désormais plus important que l’expérience. Le cas le plus fréquent, c’est le chef bureaucratique qui tire sa légitimité de sa compétence « technique ».
Il ne connaît pas les métiers, s’en vante souvent, mais reste persuadé de tout savoir parce qu’il connaît la science du management. Il fait le nécessaire pour réduire les budgets, rationaliser les coûts, il est le type de chef préféré du capitalisme néolibéral. Le chef tyrannique, lui, est surtout utile en période de crise, quand l’organisation du travail est poussée à son maximum d’exploitation et qu’il faut des dirigeants pour briser les capacités de résistance de leurs subordonnés.
N’existe-t-il pas des chefs aux méthodes moins frontales ?
Nicolas Framont : Il y a le chef de famille. Sa technique, c’est de neutraliser les rapports de pouvoir, l’opposition entre le capital et le travail par un discours laissant croire que l’entreprise est une grande famille. Il réussit à masquer le fait que les revenus comme les bénéfices ne sont pas également répartis et utilise beaucoup le chantage affectif. Ce modèle, un peu ringard, existe pourtant dans beaucoup d’entreprises, y compris des grands groupes.
« Le patron de gauche, lui, profite de l’engagement de ses salariés pour les surexploiter et les culpabiliser s’ils s’en offusquent. »
Le patron de gauche, lui, argumente : « On se bat contre le capitalisme, contre le racisme et vous voulez des week-ends, des heures sup’, un salaire correct ? » Sa méthode, c’est le chantage affectif à la bonne cause pour masquer les rapports de domination.
Il profite de l’engagement de ses salariés pour les surexploiter et les culpabiliser s’ils s’en offusquent. On les retrouve dans les associations, les médias ou les partis politiques de gauche. Mais c’est un modèle tellement inspirant qu’il se diffuse bien au-delà. Je l’ai observé dans une société de matériel médical qui dégageait d’énormes profits, mais utilisait l’argument de sa contribution au bien-être pour mettre les salariés sous pression.
Les milieux artistiques échappent-ils à la tyrannie ?
Nicolas Framont : Le chef « artiste » peut hurler toute la journée sur ses subordonnés. Mais il ne faut pas lui en vouloir parce que c’est le prix de son talent. C’est un schéma encore omniprésent, qui a pris de la visibilité avec la montée de la dénonciation des violences sexistes et sexuelles.
On a découvert que tous ces génies étaient aussi potentiellement des violeurs, des agresseurs, des harceleurs. Mais, pendant longtemps, on a mis ça de côté : dans le milieu de l’art, du spectacle, de la création, il était encore plus nécessaire de masquer l’existence de rapports de pouvoir et de domination.
Que peuvent les salariés face à ces chefs ?
Nicolas Framont : Il est temps qu’il y ait une révolte plus importante. Les syndicats ne sont pas très actifs sur ce thème, d’abord parce que, depuis le début du XXe siècle, ils se sont détournés de la question de l’organisation du travail, de ses conditions, pour se spécialiser plutôt sur les rémunérations et le temps de travail.
Par ailleurs, dans certains endroits, ils jouent plutôt le rôle d’alliés indirects du patronat parce que, finalement, ils sont là pour ramener la discussion dans des instances officielles, où l’on parle en bonne intelligence. Mais, compte tenu du rapport de domination, l’employeur peut très bien balayer les résultats de ces discussions. Alors que, quand il y a un rapport de force, le ton de la discussion change.
La possibilité de révolte n’est-elle pas noyée par l’individualisation des responsabilités ?
Nicolas Framont : Face à la pression, on demande aux salariés de prendre du recul. C’est un peu un appel à se dissocier, avec l’idée que ce qui se passe au travail y reste. Mais séparer est impossible, car notre vie est d’un seul bloc. Le travail – quand bien même on le déteste – nous détermine, fait notre personnalité.
En réalité, cet appel à la dissociation signifie que la responsabilité de la santé au travail passe progressivement des employeurs, qui dans le Code du travail en sont les seuls responsables, aux salariés eux-mêmes
Quels modes de résistance avez-vous identifiés ?
Nicolas Framont : Ce que j’ai documenté, c’est la démission, une forme de résistance qui passe sous les radars. Les syndicats s’y intéressent peu parce qu’elle concerne plutôt les jeunes générations qui sont peu syndiquées et que c’est un mode d’action individuelle qui ne se revendique pas politique. Le plus souvent, on démissionne pour sa survie, sans l’idée de lancer un grand mouvement.
Mais, en même temps, cela concerne énormément de gens et de secteurs. Concrètement, les gens démissionnent, vont dans une autre entreprise, démissionnent encore… Cela produit beaucoup d’instabilité, et le patronat n’aime pas ça. Pour eux, c’est une perte d’argent puisqu’il faut former des gens qui ensuite s’en vont.
La presse patronale n’arrête d’ailleurs pas de s’en désoler et d’y trouver des explications pseudo-générationnelles. La démission est une façon dire : « Ça ne me convient pas, je m’en vais. » Cela s’inscrit en opposition au discours rabâché sur le fait qu’il faut être fidèle à son entreprise.
Tout le monde ne peut pas se permettre de démissionner…
Nicolas Framont : Non, plus on est précaire, plus on est coincé. C’est particulièrement le cas des travailleurs étrangers sans papiers, confrontés à des employeurs qui font du chantage à la carte de séjour, et qui se retrouvent donc en situation de travail esclavagisé.
De même, les réformes de l’assurance-chômage, ou du conditionnement de l’obtention du RSA au travail, sont des mesures gouvernementales qui visent à assigner les gens au travail. La même idée se retrouve derrière la volonté de réformer la rupture conventionnelle de contrat, mise en place par la droite à la demande du patronat, pour faciliter les licenciements. Mais comme des salariés arrivent à l’obtenir pour quitter leur travail, les patrons préfèrent encore la supprimer. Ce qu’ils veulent, c’est une rupture conventionnelle uniquement à l’initiative de l’employeur !
Quelles seraient vos pistes pour rééquilibrer le rapport de force ?
Nicolas Framont : Il faut des organisations collectives pour faire face à la violence patronale. Mais, quand il n’y a pas de syndicats, on peut s’organiser autrement. Il est possible de commencer par des groupes de parole, comme il en existe déjà en ligne, où les gens se racontent les violences au travail auxquelles ils et elles sont confronté.e.s et se conseillent mutuellement. Il faut de nouveaux espaces pour partager cette culture de la résistance et accueillir cette population qui est en rébellion mais ne va pas forcément se syndiquer.
L’idée est de créer ce que j’appelle des comités de libération du travail, c’est-à-dire des petits groupes assez dynamiques où l’on se solidarise pour progressivement construire un rapport de force. Il est important de se rassembler entre salariés de différents secteurs.
Souvent, des problèmes similaires se font jour, masqués par des différences apparentes sur lesquelles s’appuie la classe dominante. En parler est la première étape nécessaire pour prendre conscience qu’il ne s’agit pas d’expériences individuelles. Certes, il y a des statuts différents, mais les expériences se ressemblent sur les questions d’organisation du travail, de hiérarchie.
mise en ligne le 13 décembre 2024
Roger Martelli sur www.regards.fr
Avec la désignation chaotique de François Bayou, Emmanuel Macron se replie sur le noyau fondateur de la Macronie. Tout cela n’ira pas loin. Le danger n’en reste pas moins immense.
Après de fortes pressions, Emmanuel Macron vient de nommer l’insubmersible François Bayrou au poste de premier ministre. Sept ans après son entrée à l’Élysée, Jupiter a choisi celui qui lui a mis le pied à l’étrier en 2017. Après une très éphémère tentative de « socle commun » et un discret clin d’œil en direction des Républicains, c’est le retour au noyau historique de la Macronie. Cette fois, on touche vraiment à l’os. Le roi est nu et la crise s’épaissit.
Emmanuel Macron aurait pu désigner une personnalité du Nouveau Front populaire. Celle-ci aurait cherché une voie raisonnable, sans recours au 49.3, sans provoquer la censure en retour. Elle se serait attachée à trouver au Parlement les majorités pour mettre en œuvre le plus grand nombre possible de mesures issues de son programme et éviter les régressions que la droite ne manquera pas de vouloir imposer. La gauche au gouvernement n’aurait pas cherché à contourner la règle démocratique, tout en évitant de décourager l’intervention autonome du mouvement populaire lui-même. Une occasion de de dénouer pour un temps l’imbroglio démocratique a été manquée.
Mieux encore, Emmanuel Macron aurait pu offrir à une nation inquiète la perspective d’une consultation directe, présidentielle et législative, ni trop rapprochée – la hâte n’est jamais bonne conseillère –, ni trop lointaine – la dégradation prolongée de la démocratie peut nourrir le ressentiment davantage que la colère. En situation de crise, quoi de plus légitime que de se tourner sans tarder vers le peuple souverain ? Le président dit qu’il veut reporter à 2027 les choix décisifs. Le pourra-t-il seulement ? ne serait-ce pas trop tard alors ?
Car tout cela intervient alors que les vertus du monde politique se font de plus en plus imperceptibles dans la population et que le Rassemblement national confirme son emprise sur la droite. C’est aussi un moment où l’unité à gauche vacille, parce qu’elle n’a pas su trouver les modalités d’un fonctionnement mieux ouvert sur la réalité citoyenne, parce qu’elle ne sait toujours pas conjuguer la cohérence et le respect d’une diversité qui est à la fois sa richesse et l’aliment de ses discordes.
La gauche reste à l’écart des responsabilités gouvernementales qu’elle était légitime à les assumer. Sa responsabilité politique n’en reste pas moins décisive. Comme aux temps lointains de la Quatrième République finissante, la durée des gouvernements est improbable et chaque jour qui passe révèle un peu plus le vide d’un pouvoir qui ne maîtrise plus rien, pas même les horloges. Nul ne peut se réjouir de cette débâcle, fût-ce au nom d’un présumé « dégagisme » qui risque de mener, moins à la révolution qu’à son contraire.
Car l’extrême droite rôde, seule force qui n’a jamais touché au pouvoir, depuis huit longues décennies. Quelle que soit la personne qui est à sa tête, le Rassemblement national en embuscade est moins répulsif qu’hier, plus expansif dans ses idées, plus crédible dans ses propositions et dans son projet. Dans ce moment redoutable, la gauche doit se détourner des automatismes dépassés et des analyses rassurantes. La société française n’est pas passée à droite en bloc et le RN, comme on l’a vu à l’été, n’a pas partie gagnée. Mais ce qui reste de répulsion n’est pas soutenu par un projet démocratique partagé. Dans ce moment incertain, mieux vaut donc que la gauche n’oublie pas que la somme de ses propres insuffisances, sans que la France ait sombré pour autant dans le côté sombre de la force, laisse du champ politique à une droite penchant vers son extrême.
Cette gauche devra donc tout faire pour conforter ses liens avec la totalité du peuple de gauche, celui des « tours » comme celui des « bourgs », celui qui continue de voter comme celui qui reste encore sur la réserve. Il lui faudra corriger ce qui ne fonctionne pas bien en son sein, peaufiner son projet, donner plus de corps à sa stratégie d’émancipation. Cela suppose toutefois de consacrer plus de temps à élaborer ensemble qu’à se chercher querelle. Ensemble : en préservant sa diversité, en redoutant les déséquilibres internes, sans masquer les différences et les contradictions, sans se résoudre aux oukases, aux tentations d’hégémonie ou aux accusations de trahison.
Le problème de la gauche n’est pas d’abord dans le manque d’un guide, d’une force qui exerce son magistère ou d’une écurie présidentielle efficace. La démocratie malade a besoin de bien plus que le heurt fébrile des discours de la « rupture » et du réalisme ». L’opinion inquiète attend ce qui peut la rassurer, une cohérence en perspective et le réalisme d’un rassemblement assez large pour garantir la paix civile.
Savoir qui est le plus influent au sein de la gauche n’a rien de secondaire. Mais ce que le pays a besoin de savoir, c’est si la gauche dans toutes ses composantes peut lui faire retrouver la stabilité perdue et contredire ce qui est perçu comme un déclin. La désunion est rarement payante de façon générale. Dans la crise démocratique qui est la nôtre, elle risque d’être désastreuse.
(la mise enj gras de certaines phrases est le fait de 100-paroles)
mise en ligne le 13 décembre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que François Bayrou vient d’être nommé Premier ministre ce 13 décembre, plus de 132 actions contre la multiplication des licenciements ont eu lieu la veille, à l’appel de la CGT. Une première étape pour tenter d’imposer un moratoire contre les suppressions de poste.
« Un pas en avant, trois pas en arrière, c’est la politique du gouvernement», scande la foule. « Mais y a pas de gouvernement ! », s’amuse un manifestant. Ce 13 décembre sur les coups de 12h45, Emmanuel Macron a désigné François Bayrou Premier ministre. La nomination du gouvernement suivra. Mais quels que soient les noms des politiciens choisis, le chef de l’Etat n’esquisse pas la moindre volonté de bifurquer de son programme politique.
La veille, dans le froid de l’hiver lillois, les 200 à 300 personnes qui lançaient des slogans en avaient bien conscience. « Le futur Premier ministre mènera exactement la même politique qu’avant : la politique des capitalistes. Nous, les travailleurs, nous avons l’obligation de nous organiser par nous même pour répondre aux licenciements qui se multiplient », anticipait Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’union départementale CGT du Nord.
Alors, ce 12 décembre 2024, des enseignants, des soignants ou encore des postiers, appelés à la lutte par la CGT, Solidaires et FSU, poursuivaient leur bataille contre l’austérité dans la fonction publique lancée le 5 décembre. Mais leur mobilisation venait en renforcer une autre, plus inhabituelle et prévue de longue date : la lutte contre la multiplication des plans sociaux.
En effet, depuis plusieurs mois, la CGT ne cesse d’alerter sur la saignée industrielle en cours. La liste des plans de licenciement ne cesse de s’allonger : Michelin, ArcelorMittal, Vencorex, Auchan, Euralis, Magnetti Marelli, Solvay Salindres… Partout en France, des piquets sont montés devant les entreprises, souvent tenus les jours de réunion avec la direction. « On ne pouvait pas regarder le rouleau compresseur nous écraser un par un et rester là à rien faire », affirme Jean-Paul Delescaut..
Licenciements de masse
Il est vrai que les chiffres sont glaçants. La CGT dénombre entre 128 250 et 200 330 emplois menacés ou supprimés depuis septembre 2023. Un mouvement qui s’accélère puisque plus de 120 plans de licenciement ont été comptés sur la période juillet-novembre 2024, dont 89 sur la seule période septembre-novembre.
Les principaux secteurs concernés sont la métallurgie (13 000 emplois directs supprimés ou menacés), le commerce (10 000 emplois directs supprimés) ou encore le secteur public et associatif avec plus de 7 000 emplois supprimés. Pourquoi un tel marasme ?
« Il n’y a qu’à regarder, dans l’automobile. L’UE annonce la fin de la vente de moteurs thermiques en 2035. C’est demain ! Pourtant, aucun scénario n’est mis en place pour anticiper l’évolution de la filière alors que des centaines de milliers d’emplois sont concernés en France dans la métallurgie, le textile, la chimie, les industries du verre… La raison de ces plans sociaux massifs, c’est qu’on n’a aucune politique nationale pour répondre aux décisions des entreprises, qui ne pensent qu’aux profits de leurs actionnaires », dénonce Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Une mobilisation pensée d’en haut
C’est de là que née l’idée d’une mobilisation nationale. « Lors d’un au comité confédéral national (CCN) de novembre, nous sommes sortis avec cette date du 12 décembre. C’est une décision clairement prise d’en haut mais néanmoins attendue par les salariés. Si on ne dynamise pas les luttes pour sauvegarder l’emploi alors on sert à quoi ? », retrace Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral de la CGT.
Ainsi, ce 12 décembre, la CGT a recensé plus de 132 actions sur tout le territoire. Chiffre qui comprend une vingtaine d’assemblées générales de cheminots, également en grève ce jour-là. Des manifestations ont eu lieu devant les entreprises où des emplois sont menacés comme à la Fonderie de Bretagne à Caudan (Morbihan), Valeo/Soluroad à Amiens, Thales Alenia Space à Toulouse. Sud-Industrie était également mobilisé sur son usine Valéo de Saint-Quentin-Fallavier, mise en vente par le groupe. Des rassemblements ont été organisés devant les préfectures et quelques manifestations se sont déroulées en ville, comme à Lille. Au total, 73 départements sont concernés par des mouvements.
Pour autant, on reste loin d’un « décembre rouge », tel que souhaité par la centrale syndicale. De fait, dans la manifestation lilloise, les salariés directement touchés par les plans de licenciement, comme ArcelorMittal à Denain, sont rares à s’être déplacés. Onze salariés d’ArcelorMittal Dunkerque, pour la plupart des élus CGT, ont en revanche fait le déplacement et tiennent la banderole de tête. Leur secrétaire général, Gaëtan Lecocq, s’attend à ce que son groupe, déjà touché par 136 suppressions de poste, réduise encore ses effectifs dans le futur, et prétend bien alerter. « Soit ArcelorMittal investit dans notre usine de Dunkerque pour nous permettre de mettre en place des fours électriques. Soit ils arrêtent la filière à chaud, comme à Florange, et ce sera la catastrophe industrielle. Sans investissement on perdra 50% de nos 3200 emplois, tout notre bassin économique s’écroulera », estime-t-il.
Plus loin dans la manifestation, Mathias, postier sur le centre de tri de Lesquin (59), alerte également sur le plan de licenciement discret, mais néanmoins massif, récemment mis en place à La Poste. « Environ 20 000 intérimaires sont actuellement laissés sur le carreau. On pense que la direction veut encore augmenter ses marges en augmentant la charge de travail et en rognant sur les effectifs », raconte-t-il.
Le plan de la CGT ?
Pour empêcher l’hémorragie d’emploi, la CGT demande avant tout une mesure d’urgence : un moratoire permettant de mettre un coup d’arrêt à tous les licenciements, dans l’attente de l’organisation d’assises de l’industrie. Dans l’idéal, ces assises donneraient lieu à une grande loi de réindustrialisation prenant en compte des objectifs en termes d’emploi, d’écologie, mais aussi de réduction du libre échange. « Nous travaillons avec des députés du NFP sur cette loi. Mais nous souhaitons aussi revenir sur des lois déjà actées comme la loi Florange », confie Sébastien Menesplier. Cette dernière impose actuellement la recherche d’un repreneur aux entreprises de plus de 1000 salariés, la CGT souhaite abaisser ce seuil à 50 salariés.
« Il faut que l’Etat assume son rôle de pilote dans le processus de réindustrialisation et ne laisse pas les patrons faire. C’est aussi pour cela que nous alertons sur l’argent public inconsidérément versé aux entreprises, sans contrôle, sans contrainte. Ce sont souvent ces mêmes entreprises qui licencient », dénonce le membre du bureau confédéral de la CGT. « On pense qu’il y a aussi de la place pour des nationalisations. En Italie, l’Etat a mis 1 milliard d’euro sur la table pour nationaliser l’ancienne aciérie Ilva », ajoute Gaëtan Lecocq d’ArcelorMittal Dunkerque.
Sébastien Menesplier ajoute : « Mais pour que nos revendications aboutissent, encore faut-il que le rapport de force soit en notre faveur. Or changer de gouvernement sans cesse, ça ne nous aide pas. Depuis des mois, on avance de trois pas pour reculer de sept… » Quant à se passer de l’Etat pour négocier ? « Ce serait possible si les investisseurs acceptaient de reprendre des usines sans apport d’argent public, or c’est de moins en moins le cas. Et pour ce qui est de la reprise en coopérative par les salariés, nous y sommes favorables mais c’est un processus très long et qui peut prendre 6 à 8 ans pour les reconversions », poursuit Sébastien Menesplier. Pour le cégétiste, une prochaine date de mobilisation contre les suppressions d’emploi pourrait être envisagée d’ici les mois de janvier ou de février.
Léa Darnay sur www.humanite.fr
Les salariés de l’Agco s’organisent contre les plans de licenciements annoncés par la direction. L’équipementier agricole prévoit la suppression de 133 postes sur l’ensemble du site beauvaisien alors qu’il a perçu de faramineuses aides publiques.
« Non aux 103 licenciements » est inscrit sur une banderole à l’entrée du constructeur d’engins agricoles Massey Ferguson. À côté, sur le pont Blaise-Pascal enjambant l’impressionnant site Agco de 54 hectares, des croix funéraires et des silhouettes recouvrent les barrières. Ce mardi 3 décembre, les salariés sont sortis en nombre pour contester le plan social d’ampleur annoncé par la direction du groupe Agco le 7 octobre dernier. « 103 croix symbolisant les 103 licenciements », commente Thierry Aury, conseiller municipal PCF de Beauvais, soutien de la première heure.
Ces décorations sont venues s’ajouter aux croix et palettes disposées par les 30 salariés du week-end de la Gima – équipementier agricole, dont Agco est le principal client et actionnaire – également victimes d’un plan social et économique depuis mai 2024. Au total, ce sont près de 2 000 personnes qui travaillent en cumulé sur ces deux sites appartenant à la multinationale américaine.
« Où est passé l’argent public ? »
Les racines du scandale remontent à 2019. Après avoir racheté la friche Froneri (anciennement Nestlé) pour étendre sa production, le PDG d’Agco commandite la construction d’un pont pour relier ses deux usines alors séparées par l’Avenue Blaise-Pascal. Le tout aux frais du contribuable. Ce ne sont pas moins de 13 millions d’argent public dont 6 millions de l’État qui financent la construction de l’ouvrage. En contrepartie, l’accord était la création d’emplois. Or, moins d’un an après la formidable inauguration le 15 décembre 2023, ce sont deux plans de licenciements annoncés, « sans compter des centaines de fins de contrats d’intérimaires ou de prestataires », insiste Thierry Aury.
Installés depuis mai dans une petite cabane de fortune construite devant le site pour mener la riposte, les salariés de la Gima rejoints petit à petit par leurs collègues de Massey Fergusson se demandent où est passé cet argent public. « Sans doute dans les poches des actionnaires », suppose un salarié en grève. « Ce n’est pas le pont Pascal-Blaise, mais le pont de l’Agco », ironise un autre.
Alors que des bouchons commencent à se former sur l’axe, Laurent Dormard, délégué syndical CGT de la Gima, s’interroge : « Si le pont servait à tous les Beauvaisiens, pourquoi le PDG a prononcé un discours lors de l’inauguration et donné des petits drapeaux avec le logo de l’Agco à tous les salariés pour qu’ils les agitent ? De plus, que les gens traversent une route ou un pont, ça ne change rien pour eux, il y a autant de bouchons qu’avant. En revanche, ils ont subi des travaux et déviations de route éprouvant durant deux ans. » Tandis que des conducteurs klaxonnent pour affirmer leur soutien, le syndicaliste regrette « le manque de reconnaissance consternant de la direction ».
« La promesse n’est certainement pas tenue »
L’incompréhension est totale pour les salariés. Si Thierry Lhotte, président de l’Agco France, assure « avoir créé des emplois » dans « l’Observateur de Beauvais », Laurent Dormard rectifie le tir : « Si on fait la soustraction, on est en déficit. Depuis un an, il se déroule des PSE déguisés : plus de 70 collègues prestataires, certains avec lesquels nous travaillons depuis des années, n’ont pas été renouvelés. Il faut ajouter les centaines d’intérimaires mis à la porte. En prime, les deux PSE annoncés. La promesse n’est certainement pas tenue. »
Thierry Lhotte affirme agir « dans un plan de réorganisation mondial au sein du groupe » visant à supprimer 6 % de son effectif sur l’ensemble de ses sites, sur fond « de crise agricole ». Pourtant, 2022 et 2023 furent des chiffres record pour la multinationale sur le site beauvaisien. « Aujourd’hui, on est revenu à la production de volumes qu’on faisait antérieurement à ces années record, détaille le délégué cégétiste. Néanmoins à l’époque, avec les mêmes volumes, on était autant. »
Une délocalisation dissimulée au profit des actionnaires
Pour les salariés, l’explication est ailleurs. Anthony, ingénieur au bureau d’études et militant CGT, accuse la volonté de « délocalisation dissimulée de la direction ». « Ils utilisent le terme offshoring pour rendre le processus plus acceptable, dénonce-t-il, mais ils nous ont clairement dit qu’un rétroviseur dessiné en Inde était moins cher que le même modèle dessiné en France. » Sur la centaine de postes supprimés annoncés, une grande partie concerne le bureau d’études regroupant environ 200 salariés. « On a le sentiment que les ingénieurs connaissent aujourd’hui le scénario vécu par les ouvriers dans les années 1980 », soupire l’ingénieur avant de dénoncer « la trahison dans le contrat social qui promettait du travail aux bac plus 2 ou 5 ».
La mobilisation et la solidarité sont compliquées au sein des entreprises. Si les 30 salariés du week-end de la Gima sont en grève depuis l’annonce du PSE, le soutien de leurs collègues de la semaine reste infime. Pour cause, « la direction affiche une pression énorme sur nos collègues », explique Laurent Dormard. « Ils les ont menacés avec les augmentations individuelles annuelles », accuse-t-il. Les élus de l’opposition dans l’Oise, menés par Thierry Aury, ont alors adressé une lettre au préfet, dans laquelle ils l’appellent « à ne pas homologuer le PSE de Gima » dans un premier lieu « unanimement rejeté par les délégués du personnel ». Ce plan « est une façon de nous pousser gentiment à la porte, se désole un salarié. Avec vingt-six ans de boîte, ils me proposent le minimum, soit 27 000 euros, c’est inhumain alors que j’ai trois enfants ».
Du côté du bureau d’études, le détail des postes touchés par le plan social reste encore inconnu. « La direction entretient ce flou volontairement, dénonce Anthony, les collègues ont peur d’être par la suite dans le viseur direct du PSE s’ils se mettent en grève. » Un collectif de salariés s’est alors formé pour contrer la décision unilatérale de la direction. Après l’action de décoration « du pont de l’Agco » effectuée le 3 décembre, le directeur a annoncé revoir le nombre de licenciés à la baisse, en passant à 94 licenciements. Toujours « inacceptable » pour les ingénieurs.
« Nous avons en face de nous un patronat décomplexé »
Avec l’aide des grévistes de la Gima, une réunion est organisée à l’union locale CGT de Beauvais, en présence de représentants de la fédération de la métallurgie. Éric Moulin, juriste pour la fédération, épluche le document du plan social, dans une atmosphère aussi froide que la salle dont le chauffage a lâché. Le juriste alerte sur un document « imbuvable et bourré d’incohérences à se demander si cela est fait exprès pour léser les salariés ». Des modalités tellement abstraites qu’elles ne permettent même pas aux salariés de se projeter dans le plan. « C’est comme si tu achetais une maison sans la visiter », ironise un ingénieur.
Frédéric Sanchez, secrétaire générale de la fédération de la métallurgie CGT, insiste auprès des travailleurs pour aller chercher le soutien de leurs collègues de production : « Lorsqu’on supprime et délocalise la recherche et le développement, la production suit généralement très vite le même chemin. » Le cégétiste accuse « un patronat décomplexé », auquel il est impératif « d’imposer un rapport de force construit ». Face « au monologue social de la direction », le collectif s’organise dans l’objectif commun « d’annuler tout simplement ce PSE ».
Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr
Auchan, Leroy Merlin, Chaussexpo... À l’occasion de la journée de mobilisation contre la vague de suppressions d’emplois, Mediapart dresse le portrait de syndicalistes du Nord qui se battent contre les licenciements dans ce secteur particulièrement malmené.
Lille (Nord).– Partout dans le pays, des entreprises ferment, licencient ou remercient leurs salarié·es de différentes manières. Les acronymes qui accompagnent cette casse sociale sont divers. Il y a les « PSE », pour plans de sauvegarde de l’emploi, qui sont en réalité des plans de licenciements, les « RCC », pour ruptures conventionnelles collectives, ou encore la « GEPP », pour gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise, qui permet de pousser les salarié·es hors des effectifs.
Si le secteur industriel est sur le devant de la scène, avec les fermetures médiatiques des usines de Michelin ou celles d’ArcelorMittal, le secteur du commerce n’est pas en reste. À l’occasion de la journée de mobilisation appelée par la CGT et Sud Solidaires en défense des quelque 300 000 emplois menacés que les syndicats ont recensé, et qui a donné lieu à des manifestations un peu partout en France, Mediapart dresse le portrait de syndicalistes du Nord qui se battent contre ces menaces, dans le secteur du commerce.
Fabien, en pleine négociation du plan de licenciements chez Auchan
Ces dernières semaines, Fabien Alliata court de réunion en réunion. Délégué syndical CFDT des services centraux France d’Auchan depuis dix-huit ans, il fait actuellement face au plus important plan de licenciements qu’il ait connu depuis son entrée dans le groupe, en 1990. En tout, 2 389 suppressions de postes et la fermeture d’une dizaine de magasins.
Les jours qui ont suivi l’annonce du plan, des magasins ont été envahis de salarié·es en colère, parfois accompagné·es de clients déçus, comme à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Selon Sophie Serra, déléguée syndicale centrale CGT à Auchan, récemment invitée sur le plateau de Mediapart, « aucun magasin ne sera épargné, il va y avoir des licenciements partout ».
Et puis il y a la casse sociale moins visible, celle des services centraux. Fabien Alliata est responsable de l’activité informatique au siège social de l’entreprise, qui se situe en banlieue de Lille. Dans les services centraux France, où il exerce, 461 postes sur 2 400 seront supprimés. D’autres emplois sont aussi concernés dans les services centraux internationaux, ainsi que dans le service des achats internationaux. En tout, rien qu’au siège, 784 postes devraient disparaître. « Et encore, ces chiffres ne disent pas tout, souligne le syndicaliste. Par exemple, en informatique, on ne compte pas tous les prestataires externes avec qui on ne travaillera plus. »
Pour Fabien Alliata, le projet est clair : Auchan souhaite mutualiser les entités qui composent son siège social pour licencier le plus possible. « Ceux qui sont poussés à la porte sont des commerciaux, des cadres, des informaticiens… Les managers de catégorie achat passent de trente à trois. »
« Depuis le début des années 2000, la situation d’Auchan ne cesse de se dégrader », constate-t-il. Dans la bouche du cadre, les raisons qui ont mené l’entreprise dans cette impasse s’entrechoquent. D’abord, le manque d’anticipation. « Auchan, c’est de gros hypermarchés. Sauf que ce modèle ne fonctionne plus. Les gens ne veulent plus passer des heures dans un très grand magasin bruyant. Et ça, Auchan a trop tardé à le comprendre. »
Ensuite, l’instabilité : « On a eu des changements de direction tous les deux-trois ans. Un canard sans tête qui court dans tous les sens. » Au premier semestre 2024, l’entreprise a accusé une perte de un milliard d’euros, provoquée par une chute de 5 % de ses ventes, au profit de ses concurrents à bas pris, comme Lidl, Aldi, Leclerc et Intermarché.
Plutôt que de regarder dans le rétroviseur, le militant CFDT tente de se tourner vers le futur de l’entreprise… et surtout de sauver les meubles. « Nous sommes en pleine négociation sur les mesures d’accompagnement. On réclame des reclassements dans le reste de la galaxie Mulliez, mais eux nous assurent que ce n’est pas un groupe. C’est vrai au niveau juridique, mais à la fin les actionnaires sont les mêmes : la famille Mulliez. »
« Ils pourraient tout à fait décider de reclasser certains licenciés d’Auchan dans d’autres structures qui leur appartiennent », maintient le syndicaliste. D’autant plus que cela a déjà été fait dans le passé. Et qu’une autre enseigne phare des Mulliez, Decathlon, a annoncé faire remonter à la holding familiale plus de un milliard de dividendes rien que sur l’année 2024.
Imane, Geoffrey et Julien, militants CGT de Leroy Merlin
Leroy Merlin, comme Weldom, Saint Maclou ou encore Bricocenter, appartiennent au groupe Adeo, qui fait aussi partie de la galaxie Mulliez. Pour 2023, le groupe a annoncé un bénéfice total de 1,143 milliard d’euros, dont un quart provenait de l’activité du groupe en Russie. Leroy Merlin a fini par se retirer du pays. Malgré cela, l’enseigne phare des Mulliez continue de faire progresser son chiffre d’affaires, de 1,3 % en 2023 pour atteindre 9,8 milliards. Cela ne l’a pas empêchée de réduire la masse salariale.
Au siège de Leroy Merlin, à Lezennes, dans la banlieue de Lille, c’est environ 225 salarié·es qui sont poussé·es vers la sortie, dans le cadre d’une rupture conventionnelle collective. Nos nombreuses tentatives pour échanger avec des employé·es du siège se sont toutes heurtées à un mur du silence.
« C’est l’omerta totale dans notre entreprise. S’exprimer, quand il s’agit de remettre en cause les choix de l’entreprise, peut coûter cher », lâche Julien Gourguechon, conseiller de vente en peinture dans un magasin d’Amiens. S’il plante le décor ainsi, c’est parce qu’il est protégé par son mandat syndical, celui de responsable syndical central (CGT) de l’entreprise.
Pour Imane Haddach, déléguée syndicale centrale CGT de l’enseigne, les négociations autour de cette rupture conventionnelle collective se sont faites dans la précipitation : « On nous a annoncé la nouvelle en juin. La négociation s’est menée en période estivale, très rapidement et directement avec les élus du siège, sans consulter les organisations représentatives au niveau national. »
Selon elle, la volonté de la direction est de réduire au maximum la masse salariale. Et par tous les moyens. Au-delà de la RCC du siège, un accord de GEPP a été proposé aux comptables des magasins. « Leur métier a disparu puisqu’il a été centralisé au siège, poursuit-elle. En tout, cela concernait 190 personnes sur l’année 2024. Quelques-unes ont été reclassées, soit au siège, soit dans la logistique, le commerce ou derrière les caisses. Mais la plupart ont dû quitter les effectifs. C’est un PSE détourné et pas assumé. »
On allait au boulot avec l’inquiétude. On voyait bien que l’inflation prenait les gens au cou, qu’ils achetaient moins de chaussures. Francis Vanden Borre, ex-ouvrier chez Chaussexpo
Dans le magasin Leroy Merlin de Lesquin, près de Lille, la comptable qui travaillait depuis plusieurs années a été envoyée au siège. Après le départ de sa collègue, Geoffrey Leroy, délégué syndical du magasin, a constaté que « certaines tâches de facturation sont retombées sur des collègues du service après-vente, ou de la sécurité ».
« En plus de la RCC au siège, de la GEPP pour les comptables, la masse salariale est toujours amoindrie par le fait qu’on enregistre un turn-over énorme chez Leroy Merlin, de presque 18 %, ajoute Imane Haddach. Tous ceux qui partent ne sont pas forcément remplacés. »
« Pour eux, le plus important c’est de faire de bons résultats opérationnels pour verser le plus de dividendes possible, décrit Julien Gourguechon. S’ils n’arrivent pas à obtenir ces résultats par une expansion du chiffre d’affaires, ils les obtiendront en faisant des économies, de structure et en frais du personnel. Tant pis s’ils doivent licencier. »
Une analyse qu’il appuie sur les derniers chiffres communiqués : « Au 31 décembre 2023, Leroy Merlin a fait remonter à Adeo 320 millions d’euros de dividendes. Le groupe Adeo, dans le même temps, a versé 900 millions d’euros de dividendes à son actionnaire principal, les Mulliez. »
À 60 ans, Francis licencié après la liquidation de Chaussexpo
Le dos et les épaules abîmés par plusieurs décennies de travail physique, d’abord en tant qu’ouvrier agricole et chaudronnier, puis comme ouvrier de la logistique, Francis Vanden Borre retrouve ces jours-ci les bancs de l’école. Après avoir été licencié par Chaussexpo, enseigne du Nord qui a été liquidée en mars 2024, le sexagénaire a été envoyé en formation. Il passe une habilitation de cariste pour trouver un nouvel emploi dans la logistique.
« J’ai commencé à travailler à 19 ans, mais vu les décisions des derniers gouvernements, j’ai encore quelques années à travailler avant la retraite. Les métiers de la logistique sont très difficiles, c’est physique pour un sexagénaire comme moi mais je n’ai pas le choix. Je ne vais pas changer de métier maintenant. »
Avant cela, il s’est battu bec et ongles pour que son entreprise ne périclite pas. Entré dans les effectifs en 1987, il a connu toutes les mésaventures de l’entreprise. La marque, qui vendait des chaussures à bas prix dans tout le pays, a mis la clef sous la porte après deux importants plans de licenciements, en 2017 et en 2018, et après une procédure de redressement judiciaire qui a couru sur dix ans. En mars 2024, Chaussea a repris 71 des 177 magasins, et seulement 239 salarié·es sur 750.
« Après le covid, on a connu catastrophe sur catastrophe, raconte l’ancien délégué syndical CFDT. Les prix des matières premières, du transport et de l’électricité ont flambé. On a enregistré de grosses pertes au niveau financier. L’entreprise a dû commettre des erreurs dans sa stratégie, mais on tenait tous à Chaussexpo. On n’a pas réussi à la sauver. »
Depuis le premier plan de licenciements de 2017, actant la fermeture de 29 magasins et le licenciement de 80 personnes, les salarié·es ont toujours travaillé dans l’appréhension, assure Francis Vanden Borre : « On allait au boulot avec l’inquiétude. On voyait bien que l’inflation prenait les gens au cou, qu’ils achetaient moins de chaussures. En même temps, autour de nous, on voyait les magasins d’habillement et de chaussures fermer les uns après les autres, et puis ça a été notre tour. »
Dans le Nord, la litanie des suppressions d’emplois dans le commerce a en effet pris plusieurs visages en 2024. Ainsi, l’enseigne de prêt-à-porter Pimkie, mise en vente par la famille Mulliez en 2022 et rachetée par un consortium mené par Lee Cooper, Amoniss et Ibisler Tekstil, a fermé 36 magasins, sacrifiant 197 emplois dans les boutiques et 42 au siège à Villeneuve-d’Ascq.
L’enseigne Des marques et vous, qui propose habits et chaussures bradés, a aussi été placée en liquidation judiciaire en mai. L’entreprise a finalement trouvé un repreneur en fin d’année. Sur les 34 boutiques, un tiers fermera définitivement.
Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
Au total, 980 postes vont être supprimés à Thales Alenia Space et 540 emplois à Airbus Defence & Space. Leurs ingénieurs et techniciens manifestent, ce jeudi, à Toulouse à l’appel de la CGT.
On peut tutoyer les étoiles et voir le ciel tomber sur sa tête. Les salariés d’Airbus Defence & Space et de Thales Alenia Space (TAS) en ont fait l’amère expérience ces dernières semaines. Les directions des deux géants de l’aéronautique et du spatial ont, coup sur coup, annoncé des suppressions de postes visant leurs activités de fabrication de satellites.
Le plan « Proton » du premier fait sauter 2 043 postes, dont 540 en France. Le second vise à envoyer dans l’orbite d’autres filiales ou vers la retraite 980 personnes. Les travailleurs visés étant pour la grande majorité basés à Toulouse (424 à Airbus D & S ; 650 pour TAS), ils sont appelés par la CGT de Haute-Garonne à défiler, ce jeudi 12 décembre, dans la Ville rose, dans le cadre de la journée d’action pour l’emploi et l’industrie.
Sur le dos du personnel plutôt que sur les confortables bénéfices
Pour tenter d’amoindrir la facture sociale, les deux groupes ont annoncé des redéploiements et départs volontaires. Mais, dans les deux cas, ces coupes claires visent à « rationaliser l’organisation pour améliorer la compétitivité à l’avenir », comme l’explique la communication d’Airbus.
Ou, comme l’affirme à l’Humanité son homologue de TAS (1,02 milliard de bénéfices en 2023), « la direction a jugé utile de diminuer la voilure pour produire des satellites plus compétitifs et restaurer une croissance pérenne. En nous adressant aux marchés futurs, nous souhaitons assurer un haut niveau de profitabilité ».
Si les activités spatiales des deux groupes ne sont pas au diapason des autres activités de ces deux mastodontes (- 1,6 milliard d’euros pour Airbus D & S et – 45 millions d’euros pour TAS en 2023), les syndicats CGT des deux branches dénoncent la décision des directions de réaliser des plans d’économie sur les personnels plutôt que de puiser dans les confortables bénéfices de 2023 (3,789 milliards d’euros pour Airbus ; 1,02 milliard pour Thalès).
« Airbus et Thales sont de plus en plus financiarisés. La seule logique est la recherche de profitabilité à court terme à tout prix. Au contraire, l’enjeu d’une industrie comme le spatial devrait être d’investir sur le long terme, avec davantage d’implication de l’État, qui est à la fois actionnaire et client », plaide Camille Marcenat, élue CGT au CSE central d’Airbus.
Son homologue de TAS, Thomas Meynadier, objecte, expertises à l’appui, que « le plan de la direction n’a aucune assise industrielle. Le marché du spatial n’est pas en train de s’effondrer. Les satellites télécoms vont même connaître une croissance de + 33 % entre 2023 et 2028. Quant au plan de charge prévisionnel communiqué par la direction, il montre que la quantité de travail va occuper tous les effectifs, sans même prendre en compte le programme Iris² (constellation européenne de 300 satellites d’ici à 2030 – NDLR) qui nécessitera 250 personnes l’an prochain et 500 en 2026. Au lieu de supprimer des postes, TAS devrait plutôt embaucher » !
Pour ces représentants du personnel, un acteur pourrait illuminer le sombre horizon de ces activités satellites. Actionnaire de Thales et d’Airbus, l’État a les commandes en main pour éviter que les tâches effectuées dans des sites français ne soient délocalisées.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Ce 12 décembre, les salariés étaient appelés par la CGT, la FSU et Solidaires à battre le pavé alors qu’une vague de licenciements déferle sur le pays. Organisations syndicales et politiques de gauche réclament des mesures immédiates pour éteindre l’incendie.
« Face au chômage, on a tout essayé », assénait le président François Mitterrand, en 1993, dans un entretien passé depuis à la postérité, comme pour mieux renvoyer ses opposants dans le camp des idéalistes échevelés. Et face à la casse sociale, alors ? Tandis qu’une vague de licenciements et de fermetures d’usines déferle sur le pays, syndicats et partis de gauche tentent d’organiser la contre-offensive, face à un pouvoir politique résolu à l’impuissance.
Ce 12 décembre, la CGT et Solidaires, ainsi que la FSU dans le public, appellent les salariés à battre le pavé. Et dans les directions confédérales comme les états-majors politiques, on phosphore pour trouver des solutions d’urgence (crédibles) face à la crise. Passage en revue.
Un moratoire face à la casse sociale
Michelin, Auchan, Valeo… face aux grands groupes souvent profitables qui enchaînent les plans de licenciement, les salariés se sentent bien seuls. Pour sortir de l’impasse, la CGT préconise dans un premier temps l’instauration d’un moratoire sur les licenciements économiques, dans le cadre d’un renforcement de la loi Florange.
Pour mémoire, ce texte, voté en 2014 à la suite d’une promesse formulée un peu hâtivement par le candidat socialiste François Hollande, juché sur une camionnette face aux ouvriers de Florange, contraint un groupe qui veut fermer un site à chercher un repreneur, sous peine de voir le plan « social » retoqué par l’administration. Deux failles subsistent : les entreprises n’ont qu’une obligation de moyen, pas de résultat ; seules celles de plus de 1 000 salariés sont concernées.
La CGT veut abaisser ce seuil à 50 salariés. Dans le même temps, elle exige l’interdiction de « toute réduction d’effectif pendant toute la durée du processus » de recherche. Les entreprises à cours de trésorerie pourraient faire appel au chômage partiel sans perte de salaire pour les travailleurs.
La guerre aux licenciements boursiers
Le 3 décembre, le Parti communiste français (PCF) et la France insoumise (FI) ont déposé chacun une proposition de loi (PPL) visant à interdire les licenciements réalisés par des groupes engrangeant des bénéfices. « Actuellement, quand un licenciement économique est prononcé, le Code du travail retient quatre motifs, rappelle Julien Icard, professeur de droit social : les mutations technologiques, la cessation totale d’activité, les difficultés économiques et la réorganisation pour sauvegarde de la compétitivité. Ce sont souvent ces deux derniers motifs qui sont invoqués. » Précision capitale : le juge ne peut examiner la réalité et le sérieux du motif que si les salariés, déjà licenciés, saisissent les prud’hommes.
La PPL communiste déclare « sans cause réelle et sérieuse tout licenciement économique décidé par une entreprise qui a réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation positif au cours des deux années précédentes, a distribué des dividendes ou procédé à une opération de rachat d’actions ». Des entreprises comme Michelin ou Valeo sont directement visées. Au passage, les motifs de licenciement sont restreints par le texte : les problèmes de compétitivité ou les mutations technologiques ne sont plus retenus. La PPL insoumise se concentre pour sa part sur les entreprises ayant distribué des dividendes au cours de l’année écoulée.
Rien de farfelu sur le plan juridique, selon Julien Icard, qui rappelle toutefois que le principal écueil de ce type de proposition est de se voir censurée par le Conseil constitutionnel, au nom de la sacro-sainte liberté d’entreprendre : « Si les « sages » estiment que la loi accorde au juge un pouvoir de contrôle trop étendu sur la gestion de l’entreprise, ils censureront. » Les juristes que nous avons interrogés estiment que les PPL auraient de bonnes chances d’échapper à une censure, mais que rien n’est jamais garanti, tout étant affaire d’interprétation.
Dans sa PPL, le PCF s’attaque également au périmètre d’analyse des difficultés économiques. « En 2017, on a restreint l’appréciation du motif économique au territoire national, explicite Pascal Lokiec, professeur de droit. C’est un point crucial, car cela permet à des groupes internationaux prospères de licencier dans l’Hexagone dès que leur filiale française perd de l’argent. » Et il n’y a rien de plus facile pour une multinationale que « d’organiser » les difficultés de ladite filiale…
La chasse aux aides publiques
Ces dernières semaines, des multinationales comme Michelin, Auchan ou Valeo, abreuvées de Cice (crédit impôt compétitivité) ou de CIR (crédit impôt recherche), ont défrayé la chronique. Mais il n’existe pas grand-chose dans le droit pour contraindre des groupes qui licencient à rendre des comptes.
Dans un rapport d’enquête parlementaire de 2021, les députés notaient déjà que les aides publiques ne sont jamais « conditionnées à l’interdiction de licencier, même lorsqu’elles portent dans le domaine social (aide à l’emploi, à l’apprentissage, formation) ». En droit français, il n’existe guère qu’une exception : l’article 1er de la loi Florange autorise les collectivités locales à demander le remboursement des aides à une entreprise qui ne jouerait pas le jeu de la recherche de repreneur. Seules les subventions accordées au cours des deux années précédentes sont visées.
La CGT réclame de passer aux cinq dernières années pour le remboursement, en cas de fermeture. De son côté, la CFDT veut « rendre transparente l’attribution de l’ensemble des aides publiques, suivre et évaluer leur utilisation, notamment par un avis conforme du CSE », mais aussi « exiger leur remboursement si l’entreprise en restructuration réalise des bénéfices ». Reste encore à déterminer le périmètre des aides ciblées. Et de rédiger une proposition de loi en ce sens.
L’État à la rescousse
Lorsqu’un grand groupe décide de fermer un site industriel, l’État a tout à fait le droit d’exiger sa nationalisation temporaire, le temps de trouver un repreneur par exemple, à condition d’indemniser le propriétaire. Mais, en pratique, les gouvernements rechignent à utiliser cette arme, essentiellement pour des raisons idéologiques. Face à l’actuelle vague de désindustrialisation, la CGT exhorte l’État à « se positionner en garant de l’avenir de notre patrimoine industriel » : entrée au capital, préemption des terrains et des outils de production, nationalisation.
Le syndicat prend l’exemple de l’usine chimique Vencorex (Isère), en redressement judiciaire, qu’un groupe chinois pourrait reprendre au prix d’une énorme casse sociale. La CGT estime que le géant français Arkema, l’un des principaux clients de Vencorex, devrait intervenir. Problème : la direction tricolore nous confirme qu’elle n’a aucune intention, pour l’heure, de racheter le site. « L’État est actionnaire d’Arkema, par l’intermédiaire de la Banque publique d’investissement, rappelle Sébastien Menesplier, secrétaire confédéral de la CGT. C’est à lui de taper du poing sur la table pour que le groupe prenne ses responsabilités. »
Un droit de veto pour les élus du personnel
La CGT, tout comme Solidaires, réclame de longue date l’instauration d’un droit de veto pour les CSE en cas de restructuration. Une revendication vue d’un très bon œil par le politiste Guillaume Gourgues, qui estime que cela permettrait de redonner du pouvoir à des salariés aujourd’hui placés devant le fait accompli. Le chercheur rappelle qu’il fut un temps où l’État mettait directement les mains dans le cambouis. « Entre 1975 et 1986 existait l’autorisation administrative de licenciement, rappelle-t-il. Ce sont les inspecteurs du travail qui avaient pour mission de contrôler le motif économique avancé par les directions. »
Mais, selon ses recherches, les taux d’autorisation tournaient en pratique entre 90 % et 95 % : peu outillés pour analyser des comptes d’entreprise et accaparés par de nombreuses autres missions, les inspecteurs se sont retrouvés noyés sous la masse. « Le modèle de l’autorisation administrative du licenciement relevait d’une lubie bureaucratique, résume le chercheur. Il me semble beaucoup plus intéressant d’accorder des droits de veto aux salariés, au niveau de l’entreprise. Cela revient à repolitiser la question des licenciements : il en va de la répartition du pouvoir dans l’entreprise. »
mise en ligne le 12 décembre 2024
Tribune de plusieurs élus et responsable de EELV sur https://blogs.mediapart.fr/
Au moment où la dissolution accélère la crise politique, nous élu·es écologistes, responsables du parti EELV - Les Écologistes, nous voulons dire que nous nous opposons à toute tentative qui vise à diviser le NFP. Quel est l’esprit de responsabilité qui consiste à tourner le dos à notre électorat alors même que jamais la macronie n’a reconnu la légitimité du NFP à gouverner ?
À peine la censure du gouvernement Barnier acquise, et sa démission présentée au Président de la République, alors que macronistes et droite ont réaffirmé leurs positions, et que Macron s’est enfermé dans le déni, il s’est trouvé un ancien candidat écologiste à la présidentielle et une ancienne secrétaire nationale d’Europe Ecologie les Verts, aujourd’hui directrice d’Oxfam, pour appeler à un accord avec les forces politiques que le Nouveau Front Populaire (NFP) venait de censurer. Marine Tondelier elle-même, secrétaire nationale actuelle d’EELV-Les Écologiste proposait « que les membres du front républicain se parlent ».
Depuis, les rencontres à l'Élysée entre les partis qui appartiennent au périmètre dessiné et imposé par Macron se succèdent en vue d'après le palais : « d'échanger sur une méthode pour présenter un gouvernement d'intérêt général ».
Au moment où la dissolution accélère la crise politique lui donnant des allures de crise de régime et de fin de règne, ces propositions de combinaisons fragilisent le NFP et encouragent son démembrement. Elles ne sont d’ailleurs possibles et audibles que parce qu’elles épousent la volonté de dislocation du NFP de la part du Président de la République.
Alors que la coalition s’était présentée unie, avec à sa tête Lucie Castets, en juillet dernier, devant Macron pour affirmer d’une même voix que la logique démocratique devait conduire à la nomination à Matignon d’une personnalité issue du NFP, cette fois-ci, ce sont des voix distinctes et dissonantes qui se font entendre depuis les directions des partis.
Écologistes, nous voulons dire que nous nous opposons à toute tentative qui vise à diviser le NFP. Il y a plusieurs raisons fondamentales à cela.
Qui peut croire sérieusement que l’on pourrait gouverner avec des gens dont on a combattu toute la politique depuis au moins un quinquennat et demi ?
Quel est l’esprit de responsabilité qui consiste à tourner le dos à notre électorat alors même que jamais la macronie n’a reconnu la légitimité du NFP à gouverner ? Au contraire, Emmanuel Macron est décidé, tel un forcené, et malgré deux défaites électorales et une censure, à préserver l’orientation politique qu’il met en oeuvre depuis 2017.
Qui peut croire encore que nous rassembler lors des échéances électorales sans faire ensuite ce rassemblement passe pour autre chose que de l’opportunisme électoral et n’est pas source de déceptions et de colères ? Après la NUPES, après le NFP, c’est quoi la prochaine étape ?
Écologistes, nous nous sommes engagé·es dans un contrat de législature non seulement vis à vis de plusieurs partenaires politiques mais aussi vis à vis de l’électorat du Nouveau Front Populaire et des dizaines de milliers de militant·es qui partout en France ont fait campagne et assuré nos victoires.
Or, cette proposition de « combinazione » aléatoire et sans projet revient à briser le NFP et nous affaiblit dans l’opinion publique à un moment où la crédibilité de notre organisation politique est en jeu après des résultats médiocres à la présidentielle de 2022 (4,7%) et aux Européennes de 2024 (5,5%). Elle affaiblit aussi nos idées en renforçant celle largement fabriquée par les médias dominants et la macronie qu’il y aurait un bloc raisonnable soucieux de gouverner le pays qui irait des macronistes aux écologistes et des extrêmes agitées par des intérêts partisans rendues responsables de l'instabilité.
Nous savons au contraire que l’instabilité de notre société et du monde est une conséquence des effets du capitalisme néolibéral sur nos organisations humaines. Or cette proposition matérialise dans le champ politique la propagande qui depuis l'avènement de la société industrielle maintient le pouvoir bourgeois par la production et la reproduction de représentations qui associent les classes populaires au désordre. Elle confisque l'écologie au seul bénéfice des classes dominantes en prétendant que les solutions techno-capitalistes protégeraient nos sociétés du désastre climatique. Enfin, puisqu'en creux et à court terme, il s'agit aussi d'affaiblir un de nos partenaires, elles participent à créer les conditions pour que la volonté des forces néolibérales et réactionnaires d’exclure la France Insoumise de l’arc républicain se réalise. Au contraire, nous considérons que la France Insoumise représente pour nous un partenaire pour gouverner et affronter les échéances à venir.
Ces propositions reposent également sur le pari hasardeux que les mauvaises recettes du passé, celles qui sont responsables de notre situation, nous garantiraient contre la menace de l'extrême-droite. Les partis d'extrême-droite progressent partout en Europe, et même dans le monde. Ils gouvernent parfois ou sont en situation d'accéder au pouvoir. Le repli de l'Europe sur des nationalismes identitaires et autoritaires menace notre modèle de société démocratique et rend plus précaire encore le futur de dizaines de millions de gens dans notre pays.
Le danger est d'autant plus sérieux que l'accélération de la prédation capitaliste des ressources et des moyens de production, qui plus est dans un monde qui se réchauffe, nécessite des pouvoirs de coercition des populations de plus en plus forts. Déjà, partout, seul le recours à la répression et à la force permet de faire tenir l’ordre économique capitaliste.
La montée des extrêmes-droites en Europe accompagne la minoration du vieux continent et de ses nations au plan international. L’Europe est plus inféodée que jamais aux Etats-Unis. Or les équilibres géopolitiques changent du fait de l'émergence d'un Sud Global que la toute puissance occidentale héritée de cinq siècles de contrôle colonial n’impressionne plus. Les grandes puissances se positionnent pour préserver leur pouvoir et l'accès à leurs marchés et, l'Europe se marginalise.
Dans un tel contexte local et international la seule proposition qui vaille n'est pas d'aménager le système qui maintient les équilibres et les dépendances telles qu'elles sont mais d'en sortir si nous voulons préserver la vie démocratique de notre pays et ses conditions sociales. Dès lors, nous refusons les manœuvres qui visent à briser l’alliance qui a permis à la gauche de rompre avec le social-libéralisme qui, depuis les années 80, nous a menés dans une impasse et appelons à l’affirmation d’une écologie de transformation qui rompt clairement avec le système capitaliste qui détruit les conditions de la vie humaine sur Terre.
Par conséquent, nous nous opposons fermement à toute remise en cause du Nouveau Front Populaire de la part des Écologistes. Nous jugeons avec sévérité les offres de service renouvelées de la part de cadres actuels ou passés de EELV-Les Écologistes comme de la direction et de responsables de premier plan du PS à la Macronie. Elles doivent être combattue pour ce qu'elles sont : une tentative de division du NFP et de prise de pouvoir sur la gauche de rupture et l'écologie de transformation, par les héritier·es du hollandisme.
Le NFP a permis à la gauche et aux écologistes d’arriver en tête au soir du second tour des législatives, il a été un élément crucial dans la mobilisation contre l’extrême-droite, et l’existence d’un front républicain déserté par la droite et nombre de macronistes, c’est l’offre politique qui allie justice sociale et justice environnementale. Son unité et son animation sont nos priorités. Dans cette période, il est le seul outil collectif que nous ayons.
Signataires :
Alima Boumediene, ancienne Sénatrice et ancienne Députée Européenne
Sergio Coronado, conseiller fédéral et ancien Député
Bénédicte Monville, conseillère fédérale, secrétaire départementale pour la Seine-et-Marne et ancienne conseillère régionale de la Région IDF
Edouard Dénouel, adjoint au Maire de Bagnolet chargé de l’environnement, de la question écologique et climatique et de l’éducation
Raphaël Negrini, conseiller fédéral
Krystèle Appourchaux, conseillère fédérale
Benjamin Joyeux, conseiller Régional AURA
Monique Vervondel-Gaulguet Monique, conseillère fédérale
François Benoit-Marquié, secrétaire du Groupe Local Les Ecologistes Orléans-Ouest Loiret, Membre du CPR de la Région Centre, Conseiller fédéral
Betsabée Haas, élue. Présidente du groupe Écologie et Solidarité Région CVDLoire
Jean-Baka Domelevo Entfellner, trésorier EElV Hors de France, Membre élu de l'Assemblée des Français·es de l'étranger
Ken Iwasaki Garcia, CPR Centre Val de Loire
Marie Chiocca, membre de la Cellule VSS
Jacques Boutault, maire adjoint de Paris Centre
Rachel Savin-Puget, militante écologiste et féministe et ancienne candidate aux Européennes
Bruno Cœur, maire de la commune de Bou et Conseiller délégué Orléans Métropole en charge de la biodiversité
Mohamed El Kardoudi, co-secretaire du Groupe Local Grand Paris Grand Est
Emmanuel Benoit-Marquié, porte Parole du Groupe Local du Tarn et membre du Bureau Exécutif Régional de Midi-Pyrénées
mise en ligne le 12 décembre 2024