mise en ligne le 28 février 2025
Yannis Angles sur www.mediapart.fr
Encore une entreprise qui affiche d’importants bénéfices, sans augmenter significativement les rémunérations. Mercredi 26 février, les salariés du logisticien ont manifesté devant leur entrepôt, à Gennevilliers, pour faire entendre leurs revendications.
Gennevilliers (Hauts-de-Seine).– Une fois n’est pas coutume, les salarié·es de l’entrepôt Geodis de Gennevilliers ont installé les enceintes et le barbecue, bien décidé·es, mercredi 26 février, à maintenir le piquet de grève jusqu’à obtenir satisfaction. Manque de chance, il pleut des cordes. « Nous voulons une grille salariale et des augmentations de salaire. Pour ça, notre meilleur levier, c’est la grève », déclare au micro un délégué du personnel, agent de quai, chasuble CGT sur le dos.
L’une de ses camarades de la CGT-RATP venue les soutenir enchaîne : « Chaque jour, on nous rappelle que nos vies valent moins que leurs dividendes. » En effet, l’entreprise va bien. Selon ses comptes, Geodis a réalisé 260 millions d’euros de bénéfices en 2023, dont 15 ont été reversés en dividendes à ses actionnaires. « C’est bon, ils se sont assez gavés sur notre dos, maintenant, on veut notre part du gâteau », lâche Hassen Letaief, qui cumule vingt ans d’ancienneté comme agent de quai. Les salarié·es sont d’autant plus agacé·es qu’en face, les augmentations proposées par le patron sont bien maigres, et les négociations annuelles obligatoires (NAO) en cours décevantes.
Pour l’heure, la direction propose une augmentation de 90 euros pour les agent·es de quai, 80 euros pour les chef·es et seulement 50 euros pour tous les autres. « On pourrait accepter, mais ce n’est pas dans notre ADN. Nous, on se bat pour que tout le monde voie son salaire augmenter au même niveau », explique Laurent. Les hausses différentes cachent selon lui une volonté de la direction de diviser le mouvement, pour une reprise du travail rapide. « Mais ils n’y arriveront pas, on est soudés et on sait qu’on est dans un groupe très riche », explique Laurent, délégué CGT Île-de-France de Geodis et chauffeur poids lourd depuis vingt-sept ans.
Éric Coquerel, député La France insoumise (LFI) de la circonscription voisine, a fait le déplacement. Au micro, il annonce qu’il écrira dès le lendemain au président de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, pour lui signifier qu’il « ne peut pas toujours se cacher derrière le fait que Geodis est une filiale pour prétendre qu’il n’est pas responsable de [leurs] salaires ».
« On n’a plus rien à perdre »
Interrogé par Mediapart, Geodis met en avant « un dialogue social apaisé et constructif ». Selon l’entreprise, si ces mesures étaient adoptées, aucun salarié sur le site de Gennevilliers ne serait payé en dessous de 2 000 euros brut par mois, sur treize mois. L’entreprise précise aussi qu’« à ce jour, ces discussions se poursuivent ». Une nouvelle rencontre entre la direction et les représentant·es des salarié·es devait se tenir jeudi 27 février. « On a peu d’espoir que ça aboutisse aujourd’hui, mais on a le rapport de force de notre côté », explique Laurent. Medhi*, agent de quai à l’entrepôt, ajoute : « On a déjà perdu tellement d’argent qu’on n’a plus rien à perdre. »
Geodis, leader de la logistique en France et filiale de la SNCF, assure la distribution de colis en « express », c’est-à-dire que la livraison est garantie pour le lendemain de la commande. La plateforme de Gennevilliers, qui compte 180 salarié·es, est un point stratégique pour l’approvisionnement de toute la région Île-de-France. « Les colis ne restent que quelques heures chez nous. On doit les décharger, les traiter et les renvoyer au plus vite, explique Izac, agent de quai depuis plusieurs années. C’est comme à l’usine : on répète toujours la même tâche et il faut être hyper rapide. » Chaque jour, jusqu’à 80 000 colis, parfois lourds, transitent par l’entrepôt. « Des moteurs de voiture, des bidons d’huile, des produits chimiques, parfois même des animaux dans des cartons », raconte Hassen Letaief.
La grève, ce n’est pas la première dans cet entrepôt. « Depuis 2015, c’est un site où il y a un cycle de luttes régulières, ce qui est très rare dans le secteur », explique David Gaborieau, sociologue du travail. Et de préciser : « Le monde de la logistique est en train de devenir une force très importante du monde ouvrier, car un quart des ouvriers y travaillent. » En 2015, 2019, 2022, les salarié·es s’étaient déjà mobilisé·es pour réclamer des améliorations de leurs conditions de travail et de leurs rémunérations.
Pour ce métier éprouvant, ils touchent, chaque mois, entre 1 600 et 1 700 euros net, primes de nuit comprises. Soit moins de 300 euros au-dessus du Smic. « Je ne suis pas dans le rouge tous les mois, mais dans le noir », confie Idrysse, agent de quai. Son collègue Hassen Letaief abonde : « Le 5 du mois, il n’y a déjà plus rien sur mon compte. Tout augmente : la mutuelle, le loyer, la nourriture, mais pas mon salaire. » À partir du 15 du mois, une avance sur salaire est automatiquement versée, mais cela ne règle rien, souligne Medhi : « C’est un cache-misère, ça ne fait que déplacer le problème. »
Les salariés cumulent presque tous les facteurs de pénibilité
Faire grève quand les fins de mois sont déjà difficiles est un véritable sacrifice. « On est déjà dans la merde toute l’année, alors là, c’est encore pire », lâche Laurent. Mais la solidarité entre grévistes leur permet de tenir. Mercredi, leur caisse de grève, qui se remplit jour après jour, a reçu un chèque de 2 000 euros de la Fédération des transports de la CGT, et ils espèrent encore obtenir des fonds de toute la France, comme lors de leurs précédentes mobilisations. Ils ont même lancé une caisse de grève sur le site de cagnotte en ligne Leetchi, où des dizaines de personnes ont déjà donné plus de 700 euros.
« On a sacrifié notre santé, notre vie de famille et nos salaires, pour permettre à l’entreprise de se développer, raconte Izac, agent de quai depuis plusieurs années. Aujourd’hui, on veut notre part du gâteau. » Pour Hassen Letaief, le combat ne se limite pas aux conditions de travail pour les salarié·es actuel·les : « On veut que la prochaine génération de salariés reparte en aussi bonne santé qu’ils sont arrivés. Nous, aujourd’hui, on repart cassés à cause du travail. »
« Je ne peux même plus porter ma fille », confie Hassen Letaief, qui souffre d’une hernie discale et subit des douleurs quotidiennes. « Je ne dors pas bien la nuit », ajoute-t-il. Lui et ses collègues cumulent presque tous les facteurs de pénibilité : températures extrêmes dans l’entrepôt, poussière, vibrations, manutention répétitive, bruit et port de charges lourdes. Ces dernières années, l’évolution de leurs conditions de travail est qualifiée de minime par les salarié·es et n’a été obtenue qu’après de longues luttes lors de précédentes grèves.
Depuis des années, le site de Gennevilliers est le seul à se mobiliser au sein du groupe. Selon Laurent, la direction refuse de céder à leurs revendications par crainte de créer un effet de contagion dans d’autres sites. Et, en effet, un autre site de Geodis, France Express, de l’autre côté de la rue, est également en grève depuis deux jours.
« C’est historique, jamais aucun autre entrepôt ne s’était mis en grève lors de nos précédents mouvements », se félicite-t-il. Une contagion rare, car selon David Gaborieau, présent mercredi 26 au soir, « c’est un secteur où le syndicalisme a du mal à se construire en raison de l’éclatement des sites, du peu de visibilité sociale des très bas salaires et d’un recours très important à l’intérim ».
mise en ligne le 28 février 2025
Benjamin König sur www.humanite.fr
Ce 17 février, Rachida Dati s’est rendue dans le territoire occupé du Sahara occidental pour apporter le soutien de la France au Maroc dans ce conflit. Un énième obstacle pour le peuple sahraoui, qui lutte depuis plus de cinquante ans pour ses droits. Brahim Mokhtar, l’un de ses diplomates historiques, analyse les ramifications nombreuses de cette lutte.
Rabouni, camps de réfugiés sahraouis en Algérie, envoyé spécial.
Ancien ministre, ambassadeur dans les pays d’Europe du Nord, d’Afrique de l’Ouest, australe et de l’Est, en Amérique centrale, au Royaume-Uni, représentant auprès de l’Union africaine : depuis près de cinquante ans, Brahim Mokhtar défend les droits de son peuple, les Sahraouis, dans le monde entier.
Dans le quartier administratif de Rabouni, au cœur des camps situés près de la ville algérienne de Tindouf, où les Sahraouis ont trouvé refuge depuis 1975, il reçoit l’Humanité dans son bureau du ministère des Affaires étrangères. L’occasion d’un tour d’horizon complet des sujets diplomatiques et stratégiques qui concernent le Sahara occidental : la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur les territoires occupés, la guerre contre le Maroc qui a repris depuis 2020, le soutien de nombreux pays dans le monde et notamment de l’Union africaine.
Pourtant, malgré la reconnaissance de son droit par les Nations unies, le peuple sahraoui et le Front Polisario ne semblent pas en mesure de le faire appliquer, entre autres par un référendum d’autodétermination accepté par toutes les parties en 1991 et dont l’ONU, avec la Minurso (mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental), devait être garante. Ce droit se heurte au soutien apporté au Maroc par plusieurs puissances occidentales. Les États-Unis et la France, notamment, qui a reconnu en octobre 2024 la souveraineté marocaine au mépris du droit international.
La République arabe sahraouie démocratique (RASD) a remporté une victoire juridique importante avec les arrêts de la Cour de justice de l’UE, qui a déclaré illégaux les accords UE-Maroc sur l’agriculture et la pêche pour ce qui concerne le Sahara occidental. Quelle est votre analyse de ce verdict et quelles sont ses conséquences ?
Brahim Mokhtar : Évidemment, c’est une victoire pour le peuple sahraoui et une défaite pour le Maroc, qui essayait de faire croire que l’Europe était à ses côtés. Mais la justice européenne a dit que le Maroc et le Sahara occidental sont deux entités séparées, différentes, et qu’il ne peut pas y avoir d’accord commercial ou autre qui inclut le territoire du Sahara occidental. Nous considérons qu’il s’agit là d’un début très important, car il peut constituer une barrière pour d’autres cas, et qu’il faut continuer cette bataille juridique, en ce qui concerne l’Europe mais aussi d’autres pays ou continents.
Y a-t-il d’autres processus juridiques engagés par la RASD ?
Brahim Mokhtar : Oui, notamment en ce qui concerne les compagnies aériennes. L’Europe a précisé que les espaces aériens du Sahara occidental ne peuvent être inclus dans les dessertes marocaines des compagnies. Mais, pour l’heure, cette décision n’est pas respectée et nous envisageons des mesures juridiques.
En quoi ces décisions affaiblissent-elles le Maroc ?
Brahim Mokhtar : Le régime marocain essaie toujours de faire croire à son opinion que l’Europe est avec lui, que de grands pays reconnaissent sa prétendue souveraineté sur le Sahara occidental, mais ces verdicts le démentent.
Parmi les pays ayant reconnu cette pseudo-souveraineté, il y a notamment les États-Unis avec Trump en 2020, l’Espagne en 2022, et la France avec cette annonce d’Emmanuel Macron en octobre. Avez-vous été surpris de cette évolution diplomatique ?
Brahim Mokhtar : Tout d’abord, la reconnaissance par M. Trump s’était faite deux jours avant son départ de la Maison-Blanche et via un tweet : ce n’est pas quelque chose d’officiel. Le Maroc voulait qu’une représentation américaine soit ouverte à Dakhla (dans les territoires occupés – NDLR), cela n’a pas été fait, donc nous allons voir désormais ce que seront les exigences de Trump envers le Maroc, puisqu’il leur demande notamment d’accueillir des Palestiniens.
Le Maroc va se trouver dans une situation difficile : s’il accepte les Palestiniens, ce sera une catastrophe, et s’il refuse, ce sera une autre catastrophe. La vraie surprise est la position de l’Espagne, pas celle de la France, qui a toujours eu, quel que soit le gouvernement, une position favorable au Maroc.
La France n’avait jusque-là pas reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental mais était intervenue militairement avec les avions Jaguar en 1977. Pour l’Espagne, il s’agit d’une décision personnelle de Pedro Sanchez, sans consulter ni son parti, ni le gouvernement ni le Parlement, via une simple lettre dont l’existence même reste à confirmer. Il a sans doute pris cette décision en raison de pressions personnelles, qui peuvent être liées à Pegasus ou aux affaires de sa femme au Maroc.
Mais, au niveau du Parlement ou des collectivités espagnoles, personne n’a changé de position. Notre position, pour l’heure, est de ne pas avoir de relations avec le gouvernement espagnol jusqu’à nouvel ordre. Toutes les autres relations avec l’Espagne fonctionnent normalement.
Pour en revenir à la France, quel est aujourd’hui votre message aux autorités ?
Brahim Mokhtar : Je pense que la France officielle traverse une situation très difficile au niveau de l’Afrique, avec ce qui se passe au Sahel, le départ des forces françaises de plusieurs pays. La France se retrouve isolée, il lui est nécessaire d’avoir un pied solide sur le continent. Ce n’est pas possible en Algérie, même s’ils ont tout essayé, donc il ne restait que le Maroc – qui a des exigences. L’autre versant, ce sont les intérêts économiques des entreprises françaises.
Le Maroc a ouvert les portes pour les investissements, y compris au Sahara occidental, en violation des accords européens. Je réaffirme toutefois que ce n’est pas nouveau, ni une surprise : la France officielle a toujours été contre nous, contre notre indépendance, notre droit à l’autodétermination. La France a toujours bloqué toute résolution favorable aux Sahraouis au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU. Cela n’empêchera pas le peuple sahraoui de continuer sa lutte de libération.
Hormis l’Algérie, quels sont aujourd’hui vos soutiens diplomatiques, et quelles autres relations voulez-vous établir ?
Brahim Mokhtar : La question du Sahara occidental se trouve dans les mains du Conseil de sécurité, avec le plan de paix des Nations unies, et de l’Union africaine, pour un référendum. Parmi les piliers de nos soutiens figurent bien sûr l’Algérie, l’Afrique du Sud ou l’Éthiopie. Nous sommes soutenus par de nombreux pays africains, asiatiques comme le Vietnam ou le Laos, et, en Amérique latine, nous avons neuf ambassades. Ce qui nous manque, c’est d’abord un consensus au Conseil de sécurité.
Vous êtes ambassadeur en Asie, où un acteur puissant émerge : la Chine. Essayez-vous d’établir des relations avec elle, et d’obtenir son soutien ? Quid des États-Unis, après l’élection de Trump, et de l’Europe ?
Brahim Mokhtar : Nous avons déjà des rapports avec la Chine, il existe des perspectives. C’est également le cas avec l’Inde, qui est un acteur principal dans la région. Je crois que cela avance dans le bon sens. En ce qui concerne les États-Unis, nous voyons un rejet important de la politique agressive du nouveau président, en Europe comme ailleurs.
À terme, ils seront obligés de changer de position politique, y compris en ce qui concerne le Sahara occidental. En Europe, nous avons de très bonnes relations avec les pays du nord : Suède, Norvège et Islande. Mais cela peut varier selon les gouvernements. Plusieurs pays sont prêts à nous reconnaître, mais subissent des pressions et ne veulent pas franchir le pas seuls.
À propos de l’Union africaine (UA), dont vous êtes un membre fondateur, comment comptez-vous approfondir vos relations et vos soutiens ? Le Maroc semble y gagner un poids croissant…
Brahim Mokhtar : Précisément, se tient aujourd’hui le 38e sommet de l’UA (l’entretien a été réalisé le 15 février – NDLR), où est présent notre président, Brahim Ghali. L’enjeu de ce sommet est l’élection de la nouvelle direction de l’UA avec plusieurs candidats, dont le Maroc et l’Algérie (c’est le Djiboutien Mahmoud Ali Youssouf qui a été élu à la tête de la Commission de l’UA – NDLR).
Nous notons que le Maroc a échoué à mobiliser pour ses candidats, malgré ses discours de propagande. Comme il l’a fait au Parlement européen avec le Marocgate (en 2022, affaire de corruption de plusieurs députés européens – NDLR), le pays investit sur des individus et non des États.
Vous évoquiez les Nations unies, qui reconnaissent votre droit à l’autodétermination. Pourtant, malgré cela, vous ne parvenez pas à ce qu’il soit effectif. Pour quelles raisons selon vous ?
Brahim Mokhtar : Il s’agit avant tout d’un manque de consensus au niveau du Conseil de sécurité, dont nous sommes victimes. Le plan de paix existe, la Minurso est là, mais les pays concernés ont des intérêts souvent divergents. Indépendamment de la position de ces cinq pays, nous continuons notre lutte.
Quelles sont vos attentes aujourd’hui envers la Minurso ?
Brahim Mokhtar : La Minurso a été créée en 1991 avec un seul objectif : organiser un référendum au Sahara occidental, qui devait se tenir en 1992. À l’époque, cela avait été demandé par Hassan II, qui avait reconnu avoir été vaincu par les forces de la RASD. Les listes ont été établies pour le référendum.
Mais le nouveau roi, Mohammed VI, a choisi de ne pas aller au vote, sur les conseils des amis de toujours… (allusion à la France – NDLR). Aujourd’hui, pour que ce référendum soit organisé, il faut en créer les conditions avec un rapport de force, qui doit s’exercer à deux niveaux : sur le terrain militaire et le diplomatique.
Sur le terrain militaire, n’assiste-t-on pas à un basculement avec le fait que le Maroc dispose aujourd’hui d’armement moderne, notamment les drones, qui changent profondément le rapport de force ?
Brahim Mokhtar : Cela se trouve sur le marché. Nous pouvons en acheter nous aussi. C’est une question de temps.
Sur le plan diplomatique, quelles sont aujourd’hui vos priorités ?
Brahim Mokhtar : Renforcer l’organisation de l’UA pour y avoir une position plus forte, œuvrer pour une position homogène des pays non alignés, développer notre force militaire et le soutien de nos alliés, pour enfin faire le « saut final », celui de l’indépendance. Ce qui est certain, c’est que le peuple sahraoui l’obtiendra.
mise en ligne le 27 février 2025
Lina Sankari sur www.humanite.fr
Quelque 40 000 Palestiniens ont été expulsés des camps de Jénine, Tulkarem et Nour Chams. Un nettoyage ethnique qui vise à en finir avec le statut de réfugié et à s’emparer des territoires occupés pour empêcher la solution à deux États.
Il y a vingt-deux ans que les chars n’étaient plus entrés dans Jénine. Depuis un mois, la violence de l’armée et des colons israéliens a atteint son acmé en Cisjordanie occupée. Après la guerre à Gaza, le ministre de la Défense Israël Katz s’est félicité d’avoir vidé trois camps de réfugiés du nord du territoire au prix de 60 vies : « Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants. »
S’il y avait encore des doutes sur la volonté de mettre fin au statut de réfugié palestinien après l’interdiction faite à l’Unrwa (l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) d’opérer en Israël et à Jérusalem-Est, le responsable israélien, ouvertement annexionniste, précise que l’armée a reçu l’ordre de ne pas « permettre (leur) retour ».
Un calendrier qui ne doit rien au hasard
La mise en œuvre de cette entreprise de nettoyage ethnique passe par le stationnement des soldats : « Je (leur) ai donné pour instruction de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir », a-t-il ajouté. « Une dangereuse escalade », souligne Ramallah.
Le calendrier ne doit évidemment rien au hasard et il est difficilement imaginable que l’opération « Mur d’acier » se déroule sans l’assentiment de Donald Trump. L’évacuation des habitants a été précédée d’attaques brutales de colons, couvertes par les soldats, et la destruction aux bulldozers des routes, du réseau d’eau et d’habitations afin d’entraver le retour. Mais, en décembre, ce sont les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne qui avaient lancé un raid afin de débusquer les combattants à Jénine.
« Le monde ne peut pas rester inerte face à cette catastrophe qui s’ajoute au génocide en cours à Gaza. Israël semble vouloir « achever le travail », comme le disait l’ancien premier ministre israélien Ariel Sharon, c’est-à-dire chasser définitivement les Palestiniens de leur terre. Soit la phase ultime de la conquête coloniale dont l’historien Ilan Pappé dit que, dans le processus de colonialisme de remplacement, « l’indigène est là provisoirement, puis plus du tout » », relève l’association des Amis du Théâtre de Jénine.
900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis le 7 octobre
Depuis le 7 octobre 2023, au moins 900 Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens ou des colons en Cisjordanie occupée. Selon le récit officiel qui a cours à Tel-Aviv, c’est toutefois la libération des prisonniers palestiniens, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu à Gaza, qui justifie cette nouvelle opération sanglante : « Le problème, c’est que 82 % de ces Palestiniens libérés se sont immédiatement livrés à nouveau à des activités terroristes », veut croire un porte-parole militaire.
Sous couvert de lutte contre les groupes armés, en l’occurrence le Djihad islamique et le Hamas – qui auraient déjà quitté la localité, selon de nombreux témoignages –, l’armée d’occupation envoie ses drones pour exhorter les habitants à l’évacuation. Elle terrorise la population à grand renfort de grenades assourdissantes pour l’obliger à fuir le territoire décrété « zone militaire ». De fait, elle n’opère aucune distinction entre civils et combattants. « Les gens ont des difficultés à accéder aux besoins de base comme l’eau potable, la nourriture, des soins médicaux et des abris », indique le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Située en zone A, et donc sous contrôle de l’Autorité palestinienne en vertu des accords d’Oslo de 1993, Jénine avait déjà subi dix jours de siège lors de la seconde Intifada en 2002. À l’époque, l’opération « Rempart » s’était soldée par la mort de 497 Palestiniens, 1 447 blessés et l’arrestation de 7 000 autres personnes. Il se pourrait cette fois qu’Israël soit lancé dans une bataille pour l’annexion à même d’en finir avec la solution à deux États.
Et « l’inquiétude » exprimée par l’Union européenne ne saurait lui faire renoncer à l’édification d’un « Grand Israël » sur l’ensemble de la Palestine. Israël Ganz, chef du Conseil de Yesha, principale organisation représentative des colons, faisait récemment valoir ces prétentions annexionnistes : « Nous ferons tout pour appliquer la souveraineté israélienne, au moins à la zone C », qui représente un peu plus de 60 % du territoire de la Cisjordanie entièrement sous occupation israélienne.
La plupart des terres agricoles vitales y sont situées. En 2020, le président états-unien entendait déjà imposer « le deal du siècle » qui prévoyait l’annexion de pans entiers de territoires palestiniens. Désormais, pour les colons, le retour au pouvoir de Donald Trump s’apparente presque à celui du Messie.
Margot Bonnéry sur www.humanite.fr
Dans une note de blog publiée dans la « Tribune juive » le 20 février, le romancier franco-israélien Marco Koskas appelle à « dézinguer » les députés Éric Coquerel et Ersilia Soudais, et s’en prend plus généralement à l’ensemble de la France Insoumise. Les deux élus visés nommément ont annoncé porter plainte, ce jeudi 27 février.
« Je n’aurai jamais assez de balles pour dézinguer tous ces affreux. Et pas de revolver non plus. » Dans un billet publié dans le média en ligne « Tribune juive » ce 20 février, l’écrivain franco-israélien Marco Koskas menace de mort les députés Éric Coquerel, Ersilia Soudais et tous les membres de la France Insoumise. « La conscience humaine n’est plus façonnée par les livres, mais par les hyènes de la politique. Et moi je ne vois pas d’autre réponse que foutre une balle dans la tête de Mme Sourdais, Monsieur Coquerel et toute la mélenchonie. », écrit-il.
Face à ce qui constitue un appel au meurtre, les deux députés ciblés ont annoncé porter plainte. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, de nombreux militants et élus insoumis, mais aussi des syndicalistes CGT et des militants communistes, reçoivent des insultes et menaces en ligne, par courrier et dans la rue, en raison de leur engagement en faveur de la Palestine. Certains se font harceler, d’autres doivent déménager, ou « se font saccager leur maison », a rappelé Jean-Luc Mélenchon sur X, qui a vu sa maison secondaire dans le Loiret dégradée.
Accusé de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas »
« C’est devenu tristement banal dans une société qui s’enfonce de plus en plus dans le fascisme », dénonce pour sa part Ersilia Soudais. « Des menaces de mort sous couvert d’anonymat, ce n’est pas la première fois que j’en reçois. Mais il faut se sentir dans une impunité totale pour nous désigner comme cible en signant dans un média un papier nous promettant une balle dans la tête », complète Éric Coquerel, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Dans son billet, Marco Koskas, qui se revendique lui-même « sioniste », accuse la France insoumise de « solidarité avec les criminels sadiques du Hamas » et reproche notamment à Éric Coquerel d’avoir rendu visite en prison à Georges Ibrahim Abdallah, militant libanais pro-palestinien détenu en France depuis 40 ans pour des faits de terrorisme, mais libérable depuis 1999. Ce qui justifie, pour Marco Koskas, de réclamer qu’on assassine un représentant de la nation.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux militants insoumis interpellent le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et le ministre de la Justice, Gérald Darmanin. Ces derniers n’ont pour l’heure pas encore réagi.
mise en ligne le 27 février 2025
« Pourquoi diable les ouvriers et employés votent plus RN qu’à gauche ? Comment fait-on pour les ramener ? » La question taraude Vincent Tiberj. Sa réponse ? Non, les citoyens français ne se sont pas droitisés, mais la gauche doit ramener le débat sur le social et l’économie pour retrouver les classes populaires. Le sociologue détaille tout ça dans son ouvrage La droitisation française, mythe et réalité (PUF, 2024). Un livre qui ouvre un espoir pour le combat.
Fakir : La fameuse note Terra Nova de 2011 s’est basée en partie sur vos travaux, sur vos données, pour envisager un abandon des classes populaires et une nouvelle stratégie pour le PS : s’adresser aux minorités.
Vincent Tiberj : Cette note est très symbolique, mais l’abandon des classes populaires date de bien avant ! Oui, ça s’est accéléré pendant le quinquennat Hollande, mais cet abandon remonte à la fin des années 90 déjà, quand les idées de la troisième voie incarnée par Clinton-Blair-Schroëder sont arrivées au sein du PS.
Fakir : Votre ouvrage démontre pourtant, arrêtez-moi si je me trompe, que les attentes des citoyens, y compris des classes populaires, sont loin de se droitiser, et que la gauche aurait tort d’abandonner les thématiques sociales.
Vincent Tiberj : La note de Terra Nova laisse penser que le culturel suffira. Mais les électeurs de gauche sont à la fois de gauche socialement et culturellement. On ne peut pas abandonner le social. Il faut rappeler qu’il y a des demandes de protection très fortes du monde du travail, pour une meilleure vie. On l’a vu pendant le mouvement des retraites l’année dernière. C’est énorme, comme thème, cette question du travail.
Fakir : Vous expliquez dans votre livre que les citoyens français sont de plus en plus tolérants. Et même, si on prend les données sur quarante ans, que le seuil de tolérance grimpe, sur l’acceptation de l’homosexualité ou sur l’ouverture à l’immigration. Pourtant « la part de Français estimant que le racisme est présent dans la société française atteint un niveau record à 85 % » selon la dernière enquête Fractures française…
Vincent Tiberj : De plus en plus de gens répondent que « oui », il y aurait de plus en plus de racisme. Mais si on prend les données sur trente ou quarante ans, oui les enquêtes montrent l’inverse. Les choses ont même considérablement progressé. Quelques chiffres, des données issues de nos enquêtes avec la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH). Sur le droit de vote des étrangers : 34 % de soutien en 1984, 58 % en 2022. Sur « les immigrés sont une source d’enrichissement culturel » : 44 % en 1992, 76 % en 2022. Sur « il y a trop d’immigrés en France » : 69 % en 1988, 53 % en 2022, 52 % en 2021, 48 % en 2024. Sur la baisse du racisme biologique : en 2002, 14,5 % des répondants considéraient encore « des races supérieures à d’autres », en 2022 ils ne sont plus que 4 %.
Fakir : Comment expliquez-vous cette différence entre ces chiffres et les ressenti, du coup ?
Vincent Tiberj : Il faut dissocier les interactions par en bas, de moins en moins racistes, et ceux qui parlent de cette société par en haut. On nous présente les médias comme une machine qui écraserait tout sur son passage, mais les résistances sont sacrément impressionnantes. Oui ils tiennent l’agenda, le cadrage dominant. Mais regardez, si on prend la séquence octobre / novembre 2023 : attentats du Hamas, Crépol, loi immigration... Le baromètre de la CNCDH montre toujours plus de tolérance. Le seuil de tolérance progresse depuis quarante ans. Oui la force de frappe du groupe Bolloré mobilise et pèse sur les électeurs de droite. Mais en revanche, ça n’essaime pas dans l’ensemble de la population. La société génère ses propres anticorps. Beaucoup pensent que l’extrême droite a gagné la bataille du récit. Peut-être en haut, dans la sphère médiatique. Mais en bas, ça résiste bien. Regardez la mobilisation contre « Bardella Premier ministre ». Le barrage a eu lieu par en bas : les associations, les syndicats, les militants et collectifs citoyens… On a tendance à oublier tous ces gens qui se sont déplacés. La société résiste extrêmement bien. Mais il n’empêche qu’on continue à parler à longueur d’antenne d’immigration, et très peu des inégalités sociales face au dérèglement climatique par exemple. L’avantage pour le RN, c’est qu’on reste sur leurs thèmes. Ils jouent à domicile. Mais il faut rappeler que Cnews, c’est seulement 3,1% de la part d’audience (ndlr : en novembre 2024). Arte c’est 3%. Pourquoi Cnews serait la chaîne représentative du peuple ? Pourquoi les obsessions des médias Bolloré serait représentatives des attentes des gens ?
Fakir : Justement : vous montrez dans le livre des attentes fortes pour une redistribution du capital vers le travail, avec même un soutien très fort sur une batterie de mesures (89 % pour la hausse du SMIC, 91 % pour que le système de retraites reste public…). Mais vous montrez aussi la fin d’un « nous », d’une conscience de classe, avec l’atomisation et la précarisation du travail, l’effondrement du syndicalisme et du PCF... Et ce malgré des moments forts de conscientisation comme le mouvement des Gilets Jaunes ?
Vincent Tiberj : C’est pour moi un enjeu majeur : pourquoi diable ces ouvriers et employés vont plus voter RN qu’à gauche ? Comment fait-on pour les ramener ? Comment fait-on pour les entendre ? C’est un des vrais soucis qu’on a, à gauche. Il fut un temps où les partis de gauche et les syndicats avaient des ramifications dans les milieux populaires…
Fakir : Il y a encore des bastions de résistance, non ?
Vincent Tiberj : Oui mais aujourd’hui, il y a des zones blanches syndicales incroyables. Dans les grandes usines il y a encore un peu de monde syndiqué, mais c’est un no man’s land chez les petits. Pendant ce temps-là, dans les partis, c’est une lutte entre élus, entre collaborateurs...
Fakir : Quel message leur feriez-vous passer ?
Vincent Tiberj : Vous êtes déconnectés : prenez du temps, allez bosser. Sortez de la bulle médiatique. Des polémiques. Je vis à Bordeaux, vous, vous êtes à Amiens, eh bien ce ne sont pas les problèmes parisiens qui animent les gens hors de la capitale. Twitter a en plus un effet de renforcement des prédispositions. Si vous ne suivez que des RN, ou des insoumis, ou des macronistes, vous renforcez ce que vous êtes, vous ne voyez plus rien d’autre, vous êtes dans une bulle. Il faut lire Michelat et Simon sur le vote de classe : les ouvriers votaient à gauche car ils se pensaient comme des ouvriers, comme la classe ouvrière, comme un « nous ». Mais le sentiment d’appartenir à une classe a baissé. Aujourd’hui, il y a un fort sentiment d’appartenance à la classe moyenne, une atomisation de la situation sociale. Mais on peut reconstruire le « nous » : comme vous le dites, on l’a vu au moment des Gilets jaunes : la re-création, par en bas, de demandes de solidarité, de justice sociale et environnementale, et surtout le Référendum initiative citoyenne (RIC). Les Gilets jaunes, ça devrait être une leçon d’humilité pour les partis politiques : prenez le temps de descendre.
Fakir : Bernie Sanders, Naomi Klein, Serge Halimi… Certains à gauche ont tiré des enseignements de la victoire de Trump en l’expliquant notamment par l’abandon des classes populaires par le parti démocrate, son abandon de la question économique, du pouvoir d’achat, de la bataille pour protéger le travail du capital. Un terrain économique sur lequel s’est engouffré Trump. Vous êtes d’accord avec leurs analyses ?
Vincent Tiberj : Le PS a gagné en 2012 grâce au discours du Bourget. Les électeurs y croyaient. On ne peut pas faire comme si les électeurs n’avaient pas de mémoire. Les trahisons, les gens sont capables de s’en souvenir : dire « Mon ennemi, c’est la finance », pour terminer par mener une politique de l’offre, faire marchepied à Macron... Aux États-Unis, Obama a parlé de redistribution, de protection sociale, il y est allé culturellement et socialement. Kamala Harris est restée très prudente sur les enjeux culturels, et a été totalement absente sur les questions économiques. Trump gagne avec le vote populaire, mais ce n’est pas non plus un raz-de-marée. C’est parce qu’un nombre croissant d’électeurs ne se sont pas déplacés pour voter démocrate. Jusqu’aux années 80, les partis et candidats de gauche parlaient des conditions économiques des plus pauvres… ne serait-ce que pour obtenir leur suffrage ! Aujourd’hui, leur quotidien, leurs conditions d’existence, leurs difficultés, sont invisibilisées. Dès lors qu’on ne parle plus d’eux, comment ne peuvent-ils pas se sentir abandonnés, se détourner de la politique ?
Fakir : Vous me faites la transition : dans la deuxième partie du livre, vous parlez d’une « grande démission ». Vous montrez que les abstentionnistes ne sont pas des « sans-avis », mais bien des citoyens déçus par les élus et les partis : 80 % des Français ne font pas confiance aux députés, 86 % des Français ne font pas confiance aux partis politiques (Fractures françaises 2024 pour Le Monde). Ce dégoût croissant, on l’entend partout sur le terrain, en reportage, ce dégoût des « politicards déconnectés », des professionnels de la politique, il vient d’où, selon vous ?
Vincent Tiberj : Déjà, on est face à une institution problématique, le système présidentiel. Comme si la solution était d’élire un sauveur suprême, un césar, un tribun… mais déjà l’Internationale refusait ces trois-là [NDLR : et le chant date de 1871 !]. Premier point : sortir de la vision d’un guide qui nous sauverait. Deuxième point : la culture française a énormément de mal avec la base, l’horizontalité. 2005, c’est assez terrible symboliquement [NDLR : la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne, puis finalement le passage en force du texte avec le traité de Lisbonne deux ans plus tard]. En France on ne choisit pas, on élit. On dit : « Vous avez voté pour Macron », alors que beaucoup ont d’abord voté contre. Au bout d’un moment, ça énerve les gens cette impression de ne pas être écouté. Ils se disent : « Si je veux agir, être utile, contrairement à tous ces guignols, je vais dans une asso faire des maraudes. » Nous avons des citoyens de bien meilleure facture qu’ils n’ont jamais été, mais qu’on n’écoute pas. Nous avons un modèle politique vertical, qui ne peut pas continuer à tourner en vase clos. Vous avez des pays comme la Suisse ou l’Irlande où c’est beaucoup plus horizontal, même si ça apporte d’autres problèmes. En France, on le voit aujourd’hui, vous pouvez arriver au pouvoir en étant ultra minoritaire. C’est quoi cette démocratie ?
Fakir : Vous écrivez : « le peuple qui s’exprime dans les urnes des législatives a de plus en plus un accent upper class et riche ». c’est le « Cens caché » 2.0, une nouvelle forme de vote censitaire ?
Vincent Tiberj : Quand Daniel Gaxie parle de « cens caché » dans les années 70, c’est moins un problème de participation qu’un problème de domination. Aujourd’hui, les biais sociaux de participation sont énormes : parmi les boomers, qui se mobilisent beaucoup dans les urnes, ce sont les ouvriers et les employés qui décrochent. Nous avons donc affaire à une grave crise du système représentatif. Une vraie crise de légitimité des politiques en France qui ne se retrouve pas dans d’autres pays. Or le RN et la droite sont moins touchés par cette grande démission. La gauche, en revanche, l’est beaucoup plus touchée : elle s’est coupée des classes populaires favorables à la redistribution.
Fakir : Si la gauche stagne, ou perd du terrain par rapport au RN, c’est parce qu’elle ne parle plus assez de la redistribution et de la solidarité ?
Vincent Tiberj : Oui. un des enjeux centraux pour la gauche, c’est de retrouver une crédibilité sur la question de la redistribution. La dernière fois que les électeurs y ont cru, c’était en 2012. Ce qui s’est passé dans les années 2010, ce n’est pas une montée de la droite, mais c’est une baisse de la gauche dans les urnes. Il y a toute une crédibilité à reconstruire, et ça passera par la capacité à comprendre ce qui se passe dans les milieux populaires, recréer du lien entre la gauche et les milieux populaires. Notre hypothèse principale : un défaut d’incarnation, à gauche. On fait face à un rejet de ses responsables politiques, non des valeurs ou des idées. Il ne faudrait donc pas se tromper sur le sens de la causalité. Trop souvent, parmi les intellectuels et les organisations traditionnelles de la gauche, on déplore le recul de ces idées telles que la redistribution et la solidarité dans l’opinion. Pourtant, n’est-ce pas plutôt que les partis censés les incarner ont préféré les faire passer au second plan ? Si les électeurs s’éloignent de la gauche, n’est-ce pas avant tout pour cette raison ?
Fakir : Le sociologue Benoit Coquard nous a décrit cette déconnexion de la gauche et des classes populaires (lire notre entretien ici). Vous documentez vous aussi ce long glissement vers le RN. Au premier tour des législatives de juin 2024, 57 % des ouvriers qui se sont déplacés ont voté RN. Si ce sont les trahisons du PS au pouvoir qui marquent un tournant entre la gauche et les classes populaires, on peut remonter à 1983…
Vincent Tiberj : Oui mais entre la gauche et les classes populaires, il y a un vrai tournant entre 2012 et 2014. Il y a d’abord une sortie du jeu de pans entiers de la société, notamment chez les ouvriers et employés. Une sortie du jeu partisan, du champ politique, pour entrer dans le dégoût, ça c’est vraiment super important. Dans les années 1970, le groupe qui penche le plus à gauche est celui des ouvriers. Jusqu’à l’élection de François Mitterrand, ils étaient entre 43 % et 47 %, et seulement 20 % à droite. Jusqu’à l’élection de François Hollande en 2012, la gauche est encore présente dans les catégories populaires.
Fakir : Mais la droite, une fois au pouvoir, a aussi déçu les classes populaires – comme sous le quinquennat Sarkozy. Et aujourd’hui, on fait face à une déception des professionnels de la politique dans leur ensemble, et à l’explosion de « sans partis ».
Vincent Tiberj : Oui ! On constate un refus de l’offre politique dans son ensemble, un rejet des partis et des candidats. Une explosion d’un « non alignement ». Et quand on va encore voter, on vote avant tout par rejet, par défaut, négatif. On vote avant tout « contre » des ennemis, beaucoup plus que par adhésion à un programme.
Fakir : On vote pour le moins pire ?
Vincent Tiberj : Oui, et ce rejet s’accélère. On constate une négativation dans la France de l’après réélection d’Emmanuel Macron. La situation s’est encore dégradée pour tous les partis, à l’exception du RN. Par exemple, le RN est désormais moins rejeté que LFI : quinze points de rejet supplémentaires pour la FI depuis la présidentielle, quand le RN continue de progresser... Le RN a bénéficié de la comparaison avec Reconquête, qui a accéléré la dédiabolisation de Marine Le Pen. Pour la FI, la façon dont elle est cadrée médiatiquement et sa logique interne jouent. Il y a aussi une stratégie de la polarisation portée par un certain nombre de ses acteurs, on le voit au moment où émergent des polémiques. Et puis, le système a besoin de se renouveler. Marine Le Pen face à Mélenchon, ou face à Hollande, c’est le même match qui se joue depuis 2012. Je l’ai dit à l’institut la Boétie : il est minuit moins le quart. L’explosion du vote RN entre 2022 et 2024, ça m’inquiète beaucoup. Le RN n’a plus besoin d’être majoritaire en voix : on n’est vraiment pas loin de leur arrivée au pouvoir.
Fakir : Si le RN est aussi proche du pouvoir, c’est peut-être aussi parce que les thèmes abordés dans le débat public pénalisent la gauche et le favorisent ? Vous écrivez : « Si la campagne avait lieu sur les inégalités et les valeurs socio-économiques, l’électorat de Le Pen serait alors divisé, tandis que la gauche en bénéficierait. » La priorité serait donc d’emmener le RN sur le terrain socio-économique ?
Vincent Tiberj : Oui ! La priorité est d’emmener le RN sur le terrain socio-économique, évidemment. Il faut insister là-dessus. Souligner par exemple le revirement de Bardella sur les retraites. Aller sur ce terrain socio-économique, ça permettrait à la gauche de jouer à domicile. De parler d’enjeux dont on ne parle pas assez. Le RN a tout intérêt à ne pas parler d’économie, d’inégalités sociales. À nous de faire jouer le RN à l’extérieur.
mise en ligne le 26 février 2025
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
La Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, qui accompagne depuis 31 ans les privés d’emploi, pourrait fermer d’ici deux mois. Le département de l’Hérault a décidé de supprimer totalement sa subvention principale. Une catastrophe pour les bénéficiaires et les salariés de l’association.
Montpellier (Hérault).– À 62 ans, elle a signé « le premier CDI de sa vie » en juin 2024 et s’accroche à un double espoir : garder son emploi et voir l’association survivre. Embauchée comme coordinatrice à la Maison des chômeurs et citoyens solidaires de Montpellier, Claude demeure combative, face à la menace de fermeture de la structure, qui a fêté ses 31 ans en janvier.
Située à quelques encablures de la gare Saint-Roch, la structure accueille chaque jour, sans rendez-vous, des personnes sans emploi ou des travailleuses et travailleurs précaires en quête d’un coup de main administratif, d’un accès à un ordinateur mais aussi de lien social. L’an dernier, 2 000 personnes sont passées par la Maison des chômeurs ; 246 ont été accompagnées dans des recours administratifs et huit dossiers d’aide au logement ont été montés.
Début janvier, le département socialiste de l’Hérault, principal financeur du lieu géré par l’association Créer (Comité pour une répartition équitable de l’emploi et des revenus), a décidé de supprimer sa dotation annuelle de 38 112 euros au motif d’un « contexte budgétaire fortement contraint ». Privée de cette subvention, la Maison des chômeurs ne passera pas le printemps. « En mai, ça pourrait être terminé », soupire Claude, en se roulant une cigarette.
« C’est un endroit qui compte, souffle Denis, un habitué. Un lieu où on peut se poser, discuter, envoyer des CV et demander des conseils. » Sans emploi, bénéficiaire de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), le Montpelliérain a franchi pour la première fois la porte de la Maison des chômeurs il y a quatre ans. « Je suis passé devant, par hasard. J’ai vu le nom et je suis entré, pour voir. » Depuis, il vient quasiment tous les jours.
Du travail, Denis en cherche activement « dans tout et partout, et en particulier dans la restauration », précise celui qui vient de déposer un énième CV dans un café de la place de la Comédie, pour un poste de plongeur. « Je passe des entretiens, ça se passe bien mais on ne me rappelle jamais ! », déplore-t-il.
« Je l’ai vu se taper la tête contre les murs l’été dernier, raconte Claude. Les patrons de la région pleurent à la télé parce qu’ils ne trouvent personne mais lui, il n’était jamais pris ! » Récemment, il a eu une opportunité de travail sur la Côte d’Azur mais, comme toujours, la question du logement des travailleuses et travailleurs saisonniers est un frein. L’association l’aide donc dans ses démarches d’obtention d’un logement social.
« Denis est utilisateur de l’asso mais aussi bénévole, adhérent, pote et garde du corps personnel ! », sourit Claude, qui a su compter sur son soutien dans des moments difficiles. Âgé de 50 ans, l’homme fait partie de la centaine d’adhérent·es de l’association, dont près de la moitié résident en quartier prioritaire de la politique de la ville, selon les données 2024 de la structure.
Des gens seuls et exclus
68 % des adhérent·es ont au moins 50 ans et près de la moitié sont même âgé·es de 60 ans et plus. Ces profils, chômeuses et chômeurs séniors ou retraité·es en grande précarité, se retrouvent aussi chez les bénéficiaires, qui vont et viennent dans les locaux. « On a beaucoup de gens qui ne savent plus quoi faire, ni où aller, souligne Claude. Des gens exclus, vraiment très exclus. »
Des exemples, elle en a pléthore mais pense spontanément à celui qu’elle appelle « [s]on petit monsieur ». « Il a une soixantaine d’années, il est au RSA et est en très mauvais état physique après une vie de manœuvre sur les chantiers. Et puis l’année dernière, il a eu un très grave accident de la route, décrit-elle. Cet homme, il ne lit pas et n’écrit pas le français. Il est seul, vraiment tout seul… Il faudrait lui monter un dossier de reconnaissance de handicap. Il a une assistante sociale mais elle est débordée alors il finit toujours par venir chez nous. »
Les mains croisées sur les genoux, Bastien, assistant administratif de l’association, soupire : « Ils vont devenir quoi, ces gens, si on ferme ? Ils vont aller où ? » Sollicité par Mediapart sur la suppression de sa subvention et la menace de fermeture du lieu, le département de l’Hérault se dit dans « l’obligation de suspendre le versement de subventions de fonctionnement à certaines associations », évoquant « les différentes baisses de dotations et la non-compensation d’actions menées en lieu et place de l’État [qui] contraignent le département ».
La collectivité, qui sacrifie aussi le budget alloué à la culture, brandit depuis des mois la menace d’une « mise sous tutelle » de son budget et la nécessité de sortir « ciseaux, tronçonneuse et sécateur » pour l’éviter. « Le budget de l’État adopté récemment n’est finalement pas aussi raide pour les collectivités que celui préparé sous Barnier ! », pointe cependant Claude, qui espère que le département va revenir sur sa décision, et accordera une aide financière, même moindre, à la Maison des chômeurs.
Des liens avec France Travail
Interrogée sur ce point, la collectivité ne nous a pas répondu mais considère, pour justifier sa décision de couper la subvention, que « l’action de l’association Créer ne s’inscrit pas dans le cadre des compétences départementales obligatoires et s’adresse aux demandeurs d’emploi au sens large et non spécifiquement aux bénéficiaires du RSA ». Et poursuit : « Les actions d’accompagnement administratif menées par l’association Créer sont déjà assumées par les acteurs de droit commun que sont les CCAS [centres communaux d’action sociale – ndlr], les maisons France services et les services sociaux départementaux. »
Si elle comprend parfaitement la situation financière délicate du département, Claude est heurtée par les arguments. « Ça revient à dire que ce qu’on fait ne sert à rien, ne sert à personne... », s’émeut la coordinatrice. Depuis plusieurs semaines, elle remue ciel et terre en quête de financements par des appels au mécénat et aux dons. Claude s’obstine et refuse de parler des projets en cours au passé. « Un budget participatif nous a été accordé par la ville pour la rénovation des locaux et nous étions en pourparlers pour accueillir la permanence de la cinquième agence France services de Montpellier. »
Outre l’accompagnement personnalisé proposé par la Maison des chômeurs, Claude rappelle que la structure assure aussi, une fois par semaine, la permanence téléphonique nationale du MNCP, le Mouvement national des chômeurs et précaires.
Et la Maison des chômeurs participe également plusieurs fois par an aux comités de liaison de France Travail. « C’est important d’y être, détaille Claude. Ça permet de faire remonter des problèmes et de rester à jour. France Travail est à notre écoute et, parfois, nous envoie du monde. Récemment, ils nous ont adressé un allocataire qui ne sait pas utiliser un ordinateur. »
Voir tout ce travail sombrer, faute de financement, serait un crève-cœur. Sans parler du retour à la case chômage pour Claude, enfin embauchée après des années de galère. « L’asso me tient à cœur mais je ne vais pas être hypocrite, ma situation personnelle, aussi, me tient à cœur ! », lance la salariée, que Mediapart avait déjà rencontrée en 2022. À l’époque, elle était en contrat aidé au sein de l’association Créer et sortait la tête de l’eau après quatre années de chômage, avec 500 euros d’allocation mensuelle.
Une Maison des chômeurs obligée de licencier ! C’est vraiment hard. Claude
Assis en face d’elle, Bastien acquiesce. Le trentenaire a rejoint la Maison des chômeurs en 2024. Il a signé un contrat aidé, censé se prolonger jusqu’en novembre 2025. Son embauche en CDI, souhaitée par l’association, est remise en cause par la perte de la dotation du département.
« C’est vraiment le premier travail où je suis content de venir et totalement investi, souffle Bastien qui a jusqu’ici multiplié les contrats précaires – des chantiers d’insertion aux contrats de professionnalisation en passant par des CDD, parfois très courts.
Bastien rêvait d’être cuisinier mais a dû se réorienter dans l’administratif à la suite d’ennuis de santé et une reconnaissance de travailleur handicapé. Il a d’ailleurs pris l’initiative de monter une commission « handicap solidarité » à la Maison des chômeurs pour mieux accompagner toutes les personnes concernées.
« Si ça s’arrête, tout s’arrête », murmure-t-il, en secouant la tête. « Il n’y a aucun filet, pas de sauvetage possible pour les bénéficiaires. Et pour nos emplois, embraye Claude. Vous imaginez ? Une Maison des chômeurs obligée de licencier… c’est vraiment hard. »
La conversation est interrompue par un homme, à la taille imposante, qui entre dans le bureau. Il serre les mains, sans dire un mot, dépose un paquet de chips sur le bureau de Claude, accompagné d’un léger sourire. Puis s’en va s’installer devant un ordinateur, dans la salle attenante, toujours sans mot dire.
« C’est un petit cadeau, ça arrive, glisse Claude, amusée, en regardant le sachet. Parfois, j’ai des oranges aussi. » L’homme, raconte-t-elle, est originaire « des pays de l’Est » et a plus de 70 ans. « C’est un homme très lettré. Je crois qu’il était journaliste dans son pays. Il vient faire des démarches pour rester dans son foyer d’urgence. Apparemment ils veulent le virer... », murmure-t-elle.
La « petite sonate CNews »
Concentré et mutique, l’homme restera plus d’une heure devant un ordinateur. À l’évocation de son parcours, Bastien répète inlassablement la même interrogation : « Si on ferme, ils vont aller où ces gens ? » Assis près de la fenêtre, Denis tapote sur la table et répond, comme pour lui-même : « Ça ne fermera pas, c’est impossible que ça ferme, impossible... »
Interrogée sur la réaction des bénéficiaires face à cette menace de fermeture, Claude répond que la plupart sont résigné·es « et ce, depuis longtemps ». Elle a vu toute forme de combativité s’étioler avec les années, à coups de « réformes successives de l’assurance-chômage » et de « ségrégation des précaires ».
La coordinatrice de la Maison des chômeurs s’est risquée à lire les commentaires, sous un article en ligne du quotidien régional Midi libre, traitant de la perte de subvention de l’association. « Une horreur… La classique petite sonate CNews avec des propos contre “les assistés” et “les étrangers” qu’il faudrait arrêter de financer. Tous les effets de la stigmatisation permanente des chômeurs, depuis des années… »
mie en ligne le 26 février 2026
Justine Brabant sur www.mediapart.fr
Durant trois ans de guerre, le monde a dépensé des milliards pour aider l’Ukraine. Mais ce soutien aurait pu être différent : plus attentif aux besoins concrets des Ukrainiens, plus transparent, plus démocratique et plus cohérent. Et donc mieux compris et accepté par les Européens.
Trois ans après son invasion brutale par la Russie, l’Ukraine se prépare à des négociations difficiles autour d’un éventuel cessez-le-feu. En plus d’avoir payé cette guerre de son sang – plusieurs centaines de milliers de morts et de blessés –, vu son économie ravagée et sa population quitter le pays en masse, elle risque d’être contrainte de céder des territoires et de voir les responsables des multiples crimes commis par l’armée russe échapper à la justice.
À ces pertes concrètes s’ajoute une double défaite symbolique.
La première est le flot d’insultes que lui inflige depuis quelques jours le nouveau président des États-Unis. Donald Trump entretient des relations cordiales avec Vladimir Poutine, répète à qui veut l’entendre que cette guerre est « ridicule » et, dans un retournement complet de l’histoire, que le président ukrainien Volodymyr Zelensky, ce « dictateur », serait responsable de son déclenchement. L’adoption de ce récit et la volonté manifeste de ne pas sanctionner Vladimir Poutine ont des conséquences qui vont bien au-delà de l’Ukraine et constituent, selon certains historiens, « le défi le plus important lancé à l’ordre international depuis 1939 ».
La seconde est la défiance croissante du reste du monde : de relativement consensuelle à travers l’Europe, l’aide à l’Ukraine est désormais contestée au point de devenir un des carburants les plus puissants des extrêmes droites sur le continent. Dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique, la guerre en Ukraine est devenue la démonstration d’une certaine hypocrisie occidentale et a paradoxalement contribué à faire de Vladimir Poutine un champion de la lutte pour l’émancipation des peuples non occidentaux.
Tout cela est advenu en dépit de milliards d’euros d’aide militaire et financière apportés à Kyiv par ses partenaires. La France, qui a participé à ce mouvement de soutien, pourrait estimer avoir fait sa part : elle a donné de l’argent, envoyé des équipements militaires, n’était-ce pas là tout ce qu’elle pouvait faire ?
En réalité, un autre soutien à l’Ukraine était possible. Plus attentif aux besoins concrets des Ukrainien·nes, mieux compris et accepté par les Européen·nes, plus transparent et plus cohérent. Il n’aurait peut-être pas pu éviter l’acharnement de Vladimir Poutine et la catastrophe de la capitulation de Donald Trump face à ce dernier. Mais il aurait sans doute permis de rendre les sociétés européennes collectivement plus fortes pour y faire face.
« Isolons Poutine : isolons les logements »
Il aurait fallu pour cela accorder plus d’attention au sort des Ukrainien·nes, et moins à celui des multinationales françaises de l’énergie, des transports ou de la défense.
Car n’avoir pas de mots assez durs pour la Fédération de Russie, « menace existentielle pour les Européens » selon Emmanuel Macron, est une chose. Lui acheter, dans le même temps, des volumes record de gaz naturel liquéfié en est une autre. La France a augmenté de 81 % ses importations de GNL en 2024, assurant à Moscou au moins 2,68 milliards d’euros de revenus.
Cette hypocrisie bénéficie à TotalEnergies, qui fournit l’Europe en GNL russe. Un soutien différent à l’Ukraine aurait consisté à trouver les solutions pour se passer du gaz liquéfié russe, et des combustibles fossiles de manière générale. Une solution existe : la transition énergétique. « Isolons Poutine : isolons les logements », résume efficacement une campagne des Verts européens. L’Europe n’en prend clairement pas la voie : le Parlement de Strasbourg, sous l’impulsion de sa majorité conservatrice, veut démanteler le texte européen le plus ambitieux sur le sujet, le Pacte vert.
Quinze jours avant l’invasion russe, Paris mettait son énergie au service d’une autre multinationale française : Alstom. Alors que Volodymyr Zelensky se préparait à entrer en guerre, Emmanuel Macron, en visite à Kyiv, le pressait de finaliser la signature d’un contrat de près de 1 milliard d’euros entre l’État ukrainien et le géant tricolore du ferroviaire. Les images de ce moment, immortalisées dans un documentaire, provoquent un net malaise. Un soutien sincère à l’Ukraine aurait supposé de comprendre qu’il y a des moments où diplomatie et affaires ne font pas bon ménage.
Une fois l’invasion russe effectivement déclenchée, Paris n’a cessé de veiller sur son industrie de défense. Les « dons » de matériel militaire français sont rapidement devenus des ventes. Les 400 millions d’euros des « fonds de soutien » français à l’Ukraine portent tout aussi mal leur nom : ce sont en réalité des achats fléchés vers les industries de défense françaises. Le ministre français des armées l’a même assumé sans détour : la guerre en Ukraine crée « des opportunités pour les industries françaises ».
On répondra que c’est presque toujours ainsi que fonctionnent les aides internationales, que la générosité désintéressée n’existe pas, certes, mais il n’est pas interdit de souhaiter un monde meilleur. À défaut de parvenir à le changer tout de suite, soutenir vraiment l’Ukraine aurait pu consister, au minimum, à ne pas se réjouir publiquement de ces « opportunités » peu après s’être recueilli devant le « mur des héros » du monastère de Saint-Michel-au-Dôme-d’Or à Kyiv, où sont alignées des centaines de photos d’Ukrainien·nes mort·es lors de la guerre. Cela s’appelle la décence.
Peser pour améliorer les droits des travailleurs
Si la France avait accordé une attention plus sincère à la population ukrainienne elle-même, qu’aurait-elle vu ?
Que les Ukrainien·nes ont, outre la guerre elle-même, un sujet de préoccupation majeur : le démantèlement du droit du travail dans leur pays, accéléré ces trois dernières années à la faveur du conflit. Même les très grandes centrales syndicales ukrainiennes, qui savent se montrer accommodantes avec l’État et le patronat, estiment que la situation n’est plus tenable.
La gauche et la société civile ukrainiennes appellent depuis plus d’un an les gouvernements européens à tenter d’infléchir ces réformes menées par l’État ukrainien en conditionnant certaines aides au respect des normes internationales sur le travail. Elles n’ont pas été entendues.
En lieu et place de cette solidarité réelle avec les Ukrainien·nes, le gouvernement français, comme tant d’autres, a appuyé des programmes d’aide et de reconstruction conçus par des élites libérales pour d’autres élites libérales. Le reconstruction telle qu’envisagée aujourd’hui n’a pas été imaginée par les habitant·es des endroits détruits par l’artillerie et l’aviation russe mais par des cabinets d’architectes pressés de vendre leurs prototypes de smart cities. La ville martyre de Bakhmout n’avait pas fini de compter ses cadavres que des commerciaux armés de valises à roulettes tentaient déjà de vendre à la municipalité de nouveaux systèmes de canalisation.
Beaucoup d’Ukrainien·nes espèrent que la période de la reconstruction sera synonyme d’entrée de leur pays dans l’Union européenne. Mais, jusqu’à présent, ce processus d’adhésion a trop souvent consisté à leur dicter de l’extérieur et au pas de course des réformes profondes de l’appareil d’État.
Aider vraiment les Ukrainien·nes signifie aussi ne pas assombrir encore leur avenir en leur passant la corde de la dette au cou. Il est urgent d’alléger la dette extérieure de l’Ukraine et de faire en sorte que les millions d’euros de « dons » annoncés pour soutenir et reconstruire l’Ukraine soient vraiment des dons. Or, pour l’heure, ce sont majoritairement des prêts qui ont fait grimper la dette extérieure du pays de 48 milliards de dollars avant la guerre à 115 milliards fin 2024 : la hausse est constituée à 60 % de prêts de l’UE.
Solidarité internationale et justice sociale
Hanna Perekhoda, historienne et militante de gauche ukrainienne, va plus loin encore. Pour elle, il ne saurait y avoir de soutien à l’Ukraine vraiment efficace tant qu’il n’y aura pas plus d’égalité et de justice sociale dans les sociétés des pays concernés. « L’aide que les pays occidentaux peuvent offrir à l’Ukraine ne réside pas seulement dans le domaine militaire ou économique, mais dans la résolution de leur propre crise de légitimité interne », analyse-t-elle pour Mediapart.
Cela passe par des « politiques de redistribution urgentes » qui puissent « restaurer la confiance des citoyens » : « Une société solidaire est plus à même de soutenir des engagements internationaux et l’augmentation des budgets de défense (dont la nécessité est désormais impossible à nier). Agir rapidement pour l’égalité sociale est donc non seulement une priorité interne, mais une condition essentielle pour aider l’Ukraine. »
Cela aura un prix. Les contribuables états-uniens ou européens, en particulier les plus modestes, ne doivent pas le payer seuls – au risque que l’aide à l’Ukraine continue d’être perçue comme une politique lointaine décidée par « une élite qui fait payer le peuple ». Parmi les pistes pour financer ces dons : utiliser les milliards d’euros de recettes issues des actifs de la Banque de Russie gelés dans les pays du G7, de l’Union européenne et en Australie, comme l’UE a commencé à le faire.
Ne pas transiger avec la démocratie
Pour éviter que le soutien à l’Ukraine soit vu comme la décision de quelques « élites », il aurait fallu qu’il s’inscrive dans un cadre réellement démocratique. En France, durant ces trois dernières années, cela n’a pas toujours été le cas.
Au lieu d’associer les Français·es et leurs élu·es aux décisions, l’exécutif a souvent préféré les mettre devant le fait accompli. À la fin février 2022, il a engagé l’armée française dans une opération militaire en Roumanie (la mission Aigle, lancée par l’Otan en réponse au déclenchement de l’invasion russe) sans la faire valider par le Parlement, comme le prévoit pourtant l’article 35 de la Constitution. En mars 2024, il a jugé bon de demander au Parlement son avis sur un accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine après l’avoir signé.
Un cadre réellement démocratique ne se limite pas à ces indispensables débats publics.
Les dépenses militaires, qu’elles soient françaises ou européennes, ont brutalement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. La nécessité de s’armer pour pouvoir se défendre sans être dépendant d’alliés à la trajectoire politique extrêmement préoccupante, comme les États-Unis de Donald Trump, est désormais assez largement partagée, y compris à gauche.
En se montrant incapables de dénoncer aussi fermement la logique génocidaire d’Israël à Gaza que la folie meurtrière de Poutine en Ukraine, l’Europe et les États-Unis ont montré leur inconséquence.
Mais un autre soutien à l’Ukraine aurait, au minimum, fait en sorte que les procédures de contrôle et de transparence de ces dépenses soient à la hauteur de ces enjeux. Or, elles semblent tout à fait inefficaces. Paris a pu gonfler les chiffres de son aide militaire à l’Ukraine pendant des mois, comme Mediapart le révélait en mars 2024, sans que personne réagisse. Il a également fallu des enquêtes de presse pour révéler que dix États européens (dont la France jusqu’en 2020) avaient continué d’exporter des armes vers la Russie après l’embargo de 2014.
Plus loin de l’Ukraine, mais symptomatique des insuffisances de ces politiques de contrôle : les Français·es n’ont toujours pas le droit de savoir quelles armes précises leur État a vendues aux autorités israéliennes engagées dans un probable génocide à Gaza. Paris leur a pourtant livré pour 30 millions d’euros d’armes en 2023.
Quant à savoir si cet argent, lorsqu’il est utilisé pour équiper l’armée française, est bien employé, il faudra repasser. Ces décisions sont prises dans un huis clos d’initiés, où les intérêts de l’État et de grandes entreprises privées se mélangent et parfois se confondent. Faute de volonté politique et d’organes de contrôle indépendants, les efforts vers une « défense européenne » aboutiront seulement à construire une Europe qui donne de plus en plus d’argent aux industriels de la défense.
Un soutien déterminé, progressiste et démocratique à l’Ukraine aurait, enfin, martelé que la défense du droit international ne vaut pas seulement lorsqu’il s’agit de dénoncer les agissements de la Russie de Vladimir Poutine.
En se montrant incapables de dénoncer aussi fermement la logique génocidaire d’Israël à Gaza que la folie meurtrière de Poutine en Ukraine, l’Europe et les États-Unis ont montré leur inconséquence, se sont rendus inaudibles auprès du reste du monde, et ont donné à Vladimir Poutine une occasion rêvée de pointer les hypocrisies de l’« Occident ». Il n’en demandait sans doute pas tant.
Boîte noire
Ce parti pris a été nourri d’échanges avec Hanna Perekhoda, Volodymyr Yermolenko et Leonid Litra. L’autrice les remercie. Les opinions exprimées ici n’engagent qu’elle.
mise en ligne le 25 février 2025
Jérémy Rubenstein (historien) sur https://blogs.mediapart.fr/
Le soutien actif des plus grandes fortunes, locales et mondiales, aux projets politiques les plus réactionnaires, remet au goût du jour le vieil adage « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Cela supposerait cependant une attitude défensive de ces oligarques alors qu'ils réalisent une offensive tous azimuts. Ce n'est pas Hitler pour éviter le FP mais parce que c'est une très bonne affaire
Avant la publication de son enquête sur PERICLES, le projet de « méta-politique » financé par le milliardaire Pierre-Edouard Stérin, le journal L’Humanité a reçu une menace assez particulière. En effet, son article reposait notamment sur une feuille de route de l’association d’extrême-droite qui dévoilait ses objectifs et les étapes pour y parvenir. Or, l’association considérait ce document comme un business-plan d’entreprise, si bien qu’elle a averti le journal qu’elle l’attaquerait pour violation du secret des affaires.
On pourrait considérer cette attaque contre le journal comme une simple défense d’avocats usant des outils procéduraux disponibles afin de protéger le groupe du milliardaire. Pragmatisme de barreau, en somme. Cette interprétation n’en exclut pas une autre, plus littérale : effectivement, établir un régime réactionnaire (ou facho-conservateur, c’est-à-dire -et pour aller vite- fasciste classique sans les congés payés) est un business plan intéressant directement l’avenir de la fortune du milliardaire.
A ce stade de l’analyse du comportement des grandes fortunes droitières, il est habituel de citer le vieil adage « plutôt Hitler que le Front Populaire ». Celui-ci reste pertinent tant il est vrai que ces personnes sont obsédées par l’impôt, prêts à dépenser des fortunes et détruire leurs réputations afin de l’éviter. (Le milliardaire planquant sa fortune à l’étranger n’a pas très bonne presse malgré le contrôle d'une bonne partie de celle-ci -la presse- par ce même milliardaire. Journaux et politiques peuvent bien chanter les louanges de Bernard Arnault, « le créateur d’emplois en France », tout le monde le sait prêt à adopter n’importe quelle nationalité si celle-ci lui offre une décote, alors même que sa marque repose entièrement sur l'affichage d'un faux made in France. Autrement dit, il capte l'image d'un pays dont il n'a que faire du bien-être de ses habitants. Personnage insignifiant pour les uns, redoutable crapule pour les autres, le multimilliardaire n'a pas assez de son groupe de presse pour faire oublier le mépris qu'il inspire à ses concitoyens qui, eux, payent leurs impôts.)
Ainsi, les plus fortunés opteraient pour les projets fascistes afin de se prémunir d’un impôt, même à la marge, qui grèverait ce qu’ils considèrent comme leurs biens inaliénables. (Ce qui paraît aberrant pour l’observation scientifique et le sens-commun, qui savent qu’aucune fortune ne s’établit sans une captation des richesses produites par des collectifs ou l’ensemble de la société, est, pour eux, une vérité existentielle : la fortune reflète l’effort et le savoir-faire individuels -les leurs).
Cette conception du milliardaire, prêt à tout pour échapper à la moindre justice sociale (et économique, dans la mesure où ces milliards sont le fruit d’un vol -la plus-value- des travailleurs, des clients ou des deux), en fait une personne avant tout défensive. « Plutôt Hitler que le Front Populaire » décrit une stratégie défensive.
Or, les Stérin ou Bolloré en France, les Musk ou Thiel aux Etats-Unis ou les Galperin en Argentine, parmi d’autres qui prolifèrent sous tous les cieux, ne sont pas du tout dans des stratégies de préservation de leurs fortunes mais d’extension de celles-ci. La stratégie n’est pas défensive mais offensive.
Cette stratégie se comprend notamment du fait de l’invraisemblance des fortunes amassées. Ces sommes sont telles que leur agrandissement et renforcement ne peut plus s’obtenir par un simple accroissement de leurs secteurs économiques. Seul le pouvoir politique, à la tête des actifs des Etats qu’ils attaquent -de l’intérieur-, peut leur offrir de nouvelles marges de croissance. Que ce soit en s'appropriant ces actifs ou bien en changeant les normes devant encadrer (droit du travail et normes environnementales) leurs activités.
Ainsi donc, la prise du pouvoir politique par les oligarques est effectivement un business plan. Pierre-Edouard Stérin avait donc bien raison de considérer le dévoilement de son plan de fascisation de la France comme un viol du secret de ses affaires.
mise en ligne le 25 février 2025
Clémentine Autain, Alexis Corbière, Gérard Filoche et Danielle Simonnet sur www.politis.fr
Le « conclave » voulu par François Bayrou ne vise qu’à empêcher démocratie et vote, une fois encore, alors qu’un simple vote au Parlement abrogerait la retraite à 64 ans, estiment les dirigeants de L’Après, Clémentine Autain, Alexis Corbière, Gérard Filoche et Danielle Simonnet.
La Cour des comptes, dans son rapport du 20 février, a démenti la tentative de François Bayrou d’accuser nos retraites de produire un déficit de 55 milliards. Elle n’a relevé que 6 milliards de « trou ». Ce qui est peu sur un budget total de 350 milliards. Et Bayrou est mal placé pour donner des leçons de morale, de déficit et de dette au moment même où Ursula von der Leyen – cédant à Donald Trump qui exige 5 % de dépenses de guerre par pays européen – assouplit officiellement les critères budgétaires de Maastricht en UE afin de permettre aux États membres de s’endetter davantage pour l’effort militaire. Ainsi l’argent magique existe, il est soudain découvert, déficits et dettes deviennent moins pressants, pas pour le social, pas pour nos retraites, mais pour les industries de guerre.
« Ils inventent de prétendues difficultés de financement alors que chacun sait que ça dépend des salaires nets et bruts. »
Notre point de vue est exactement à l’opposé : après une vie de travail difficile et longue, des centaines de milliers d’accidents du travail et de maladies professionnelles, la retraite est un droit fondamental des salariés. Il y a 13 ans d’écart de moyenne d’espérance de vie entre les plus riches et les plus pauvres. Un ouvrier vit 7 ans de moins qu’un cadre. Les femmes sont gravement lésées par le système. Le progrès social, ça consiste à permettre à tous ceux qui ont produit les richesses, de vivre leur retraite en bonne santé dans les meilleures conditions possibles. Si on gagne plus, si on vit plus longtemps, c’est pour en profiter plus longtemps.
La retraite par répartition n’est ni un impôt ni une épargne ; la solidarité intergénérationnelle s’effectue par le biais des cotisations qui sont reversées en direct, en temps réel, sous contrôle public, de ceux qui travaillent encore à ceux qui ne travaillent plus. C’est une caisse séparée de celle de l’État, et elle ne génère que 9 % de la « dette » présumée alors que l’état lui-même en génère 82 %.
Ces cotisations sont du solide et de la confiance car elles s’appuient sur le travail de tous les actifs sans cesse renouvelé, elles ne sont pas à la merci des spéculations boursières privées et opaques. Rien de pire que la « capitalisation » : n’y risquez pas un sou, les fonds de pension privés ne sont pas fiables, des millions de salariés anglo-saxons ont tout perdu à ce jeu de poker, dans les bourrasques monétaires à répétition.
En 1982, il a été acquis que le droit à la retraite en France était ouvert à partir de 60 ans pour toutes et tous, et parfois avant, de façon négociée, dans les métiers les plus difficiles. Aujourd’hui la France est quatre à cinq fois plus riche, et selon les exigences d’une juste répartition des richesses produites par les salariés, ceux-ci doivent en bénéficier à tous les niveaux, dont la hausse des salaires et la baisse de la durée du travail. Il est des métiers où, comme dans le bâtiment, la retraite devrait être à 55 ans.
Sans cesse patronat et financiers veulent rogner le coût de notre travail et hausser celui du capital. Ils veulent réduire la part du PIB consacrée aux retraites, actuellement de 14 %, à 11 %, alors que la démographie (actuellement 15,4 millions de retraité.es) impose de la faire évoluer vers 20 %. D’où une bataille incessante depuis des décennies pour reculer l’âge du droit au départ en retraite et le niveau des pensions. Ils veulent plonger la majorité des retraité.es dans la misère. Leur dernière offensive imposant le départ à 64 ans et visant même à baisser les pensions par désindexation sur les prix, a soulevé une opposition sans précédent : 14 manifestations unitaires, des millions de manifestants, 95 % de l’opinion des actifs contre, ils n’ont pas pu la faire voter et ont dû user de scandaleux coups de force avec des 49-3 à répétition.
« Nous demandons le vote au parlement pour abroger les 64 ans. »
Les derniers soubresauts des gouvernements Macron, Borne, Attal, Barnier, Bayrou visant à empêcher démocratie et vote, ont finalement débouché sur la mise en place d’un « conclave » soumis aux choix trop bien connus du Medef alors qu’un simple vote au Parlement, tout le monde le sait, abrogerait les 64 ans.
Ils inventent de prétendues difficultés de financement alors que chacun sait que ça dépend des salaires nets et bruts. Ajuster les cotisations pour garantir la prestation. Après des décennies de blocage, un rattrapage des salaires nets et bruts, incluant cotisations salariales et patronales est la solution directe, facile, incontournable pour financer la retraite à taux plein à l’âge choisi par la majorité du salariat.
Nous demandons le vote au parlement pour abroger les 64 ans.
Nous demandons un financement pérenne basé sur les cotisations salariales et patronales.
La rédaction avec l’AFP sur www.humanite.fr
Israël a annoncé dimanche 23 février que son armée avait vidé de leurs habitants trois camps de réfugiés palestiniens du nord de la Cisjordanie, où elle mène une vaste opération militaire depuis un mois, et que ses soldats avaient pour ordre d’empêcher leur retour chez eux.
Israël continue sa guerre en Cisjordanie. Baptisée « Mur de Fer » cette opération a été lancée le 21 janvier, 48 heures après l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Israël occupe la Cisjordanie depuis 1967.
« Quarante mille Palestiniens ont déjà été évacués des camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nour Chams, et ces camps sont désormais vides de leurs habitants », a déclaré le ministre de la Défense israélien Israël Katz dans un communiqué. « J’ai donné pour instruction (aux soldats) de se préparer à un séjour prolongé dans les camps qui ont été évacués, pour l’année à venir, et de ne pas permettre le retour de leurs habitants ni la résurgence du terrorisme », a-t-il affirmé.
Depuis son déclenchement, l’opération a fait au moins 40 morts et 40 000 déplacés dans le nord de la Cisjordanie, selon l’ONU. Dimanche, l’armée a annoncé le déploiement d’une unité de chars à Jénine, ainsi que l’extension de ses opérations dans le nord de la Cisjordanie. C’est la première fois que des chars sont déployés dans ce territoire palestinien depuis la fin de la Seconde Intifada, le soulèvement palestinien de 2000-2005.
Plus de 900 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis octobre 2023
« Des forces de la brigade (d’infanterie) Nahal, de l’unité (d’élite) Douvdevan et une unité de chars vont opérer dans d’autres villages » du nord de la Cisjordanie, indique un communiqué du ministère, ajoutant que « les forces armées poursuivent leurs opérations dans la région de Jénine et dans celle de Tulkarem ».
Ces déclarations interviennent deux jours après la visite, inédite, du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, aux troupes israéliennes en opérations dans le camp de réfugiés de Tulkarem.
« Nous pénétrons dans les bastions terroristes, nous détruisons des rues entières que les terroristes empruntent, ainsi que leurs maisons. Nous éliminons les terroristes, les commandants », avait déclaré Benyamin Netanyahou. Il avait aussi annoncé que l’armée allait y intensifier ses opérations après des attaques jeudi soir contre des bus dans le centre d’Israël.
La police avait indiqué que les engins explosifs retrouvés dans plusieurs bus calcinés, qui étaient vides au moment des faits, étaient similaires à d’autres trouvés en Cisjordanie. Le ministère palestinien des Affaires étrangères avait condamné la venue de Benyamin Netanyahou à Tulkarem, dénonçant un « assaut », une « agression ».
À Tulkarem comme à Jénine, l’armée israélienne a démoli des dizaines de maisons à l’aide d’explosifs, dégageant des routes entières à travers les camps densément peuplés. Des bulldozers blindés ont fait des ravages dans les camps de la région, coupant notamment l’approvisionnement en eau en brisant les canalisations. La violence s’est intensifiée en Cisjordanie depuis le début de la guerre dans la bande de Gaza, déclenchée par l’attaque sans précédent du Hamas le 7 octobre 2023 sur le sol israélien.
Au moins 900 Palestiniens y ont été tués par des soldats ou des colons israéliens depuis, selon les chiffres du ministère de la Santé palestinien. Au moins 32 Israéliens parmi lesquels des soldats y ont été tués dans des attaques palestiniennes ou lors d’opérations militaires israéliennes au cours de la même période, selon les données officielles israéliennes.
Denis Sieffert sur www.politis.fr
Les Palestiniens morts sous les bombes sont-ils trop nombreux pour avoir un visage ? C’est ce que nous rappelle l’affaire de cette Palestinienne, confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas, et dont la dépouille a été livrée par erreur.
Il faut sans doute avoir un très mauvais esprit pour se poser ce genre de questions. Mais on ne s’est guère interrogé sur cette femme Gazaouie, sans doute jeune puisque confondue avec la mère des deux enfants israéliens rendus morts par le Hamas. Qui était-elle, cette Palestinienne sans nom ni visage dont la dépouille a été livrée par erreur par le Hamas ? On ne peut s’empêcher de penser qu’elle aussi a une famille qui la pleure. C’est le signe de ce conflit que d’être indifférent à l’autre. « Un mort c’est une catastrophe, cent mille morts, c’est une statistique » a dit l’écrivain allemand Kurt Tucholsky.
Il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7-Octobre.
Les Palestiniens morts sous les bombes sont trop nombreux pour avoir un visage et, pour ainsi dire, une âme. Cette âme que le colon espagnol contestait aux Indiens de la controverse de Valladolid. Sauf erreur, aucun média, aucune télé, aucune radio n’a posé la question de cette femme passée comme une ombre dans notre actualité. Lui rendre une existence, même post mortem, ce n’est pas oublier la tragédie absolue de Yarden Bibas, ce survivant qui a perdu son épouse et ses deux enfants, âgés de huit mois et demi et deux ans, enlevés dans le kibboutz de Nir Oz, en bordure de Gaza. Mais il faut dénoncer l’asymétrie insupportable du discours médiatique depuis le 7 octobre 2023. Il s’est encore manifesté quand il s’est agi d’évoquer les causes de la mort des deux enfants Bibas et de leur mère.
Pour le Hamas, ils ont été victimes des bombes israéliennes. En France comme en Israël, on a immédiatement parlé du « cynisme sordide de l’organisation terroriste ». Quand on voit l’état de Gaza, l’hypothèse est pourtant plus que crédible. Mais le gouvernement israélien, Netanyahou en tête, a préféré affirmer que les enfants avaient été « étranglés à mains nues ». Pourquoi le Hamas, qui a capturé des otages pour en faire une monnaie d’échange, aurait-il tué ces enfants ? De même, quand 24 heures auparavant, les Israéliens ont découvert que le corps supposé de Shiri Bibas était en fait celui d’une Gazaouie inconnue, la machine de guerre israélienne, relayée ici sans l’ombre d’une prudence, s’est immédiatement mise en marche pour dénoncer le « sadisme du Hamas ».
Le doute devrait être autorisé. Il est interdit.
Voilà soudain que la parole de Netanyahou, lui qui est connu en Israël même pour être le plus grand des manipulateurs et un menteur compulsif, est sacralisée. Saura-t-on jamais la vérité ? Après tout, on ignore ce qui se passe dans le chaos de l’enclave palestinienne, où d’autres groupes ont des objectifs moins politiques que le Hamas. À l’inverse, n’excluons pas le sadisme d’un geôlier. Pour le moins, le doute devrait être autorisé. Il est interdit. Nous en sommes aujourd’hui à une remise en cause de la trêve par Israël, au prétexte que les « cérémonies » de libération des otages sont indécentes. Les six cents prisonniers palestiniens qui devaient être libérés le 22 février, ne l’avaient toujours pas été 48 heures plus tard. Là encore, un pas de côté n’est pas interdit.
Certes, ces mises en scène macabres ont quelque chose d’ignoble. Mais on en comprend le sens de la part d’une organisation qui n’a de cesse de démontrer qu’elle n’a pas été « éradiquée ». Mais, pour l’heure, c’est bien Netanyahou qui cherche par tous les moyens à torpiller le processus. Le prétexte de la « mise en scène », aussi détestable soit-elle, est bien faible pour justifier la relance des bombardements, et l’abandon de la trentaine d’otages encore en vie. Quant aux Israéliens, manifestants de la « place des otages » à Tel-Aviv, ils ne savent plus qui est le plus haïssable, du Hamas qui a capturé des êtres chers, ou du premier ministre israélien qui s’est moqué de leur sort, et qui ne rêve que de reprendre les hostilités pour sauver sa coalition avec l’extrême droite, et son pouvoir. Le sordide épisode de la « Gazaouie inconnue » devrait nous rappeler que le malheur est partout, et qu’il n’est pas hiérarchisable.
Blouses Blanches Pour Gaza sur https://blogs.mediapart.fr
Alors que Gaza subit une crise humanitaire sans précédent, une coalition mondiale de soignants exige l’intervention immédiate de l’ONU. De Genève à Gaza, ils appellent à des résolutions contraignantes pour un cessez-le-feu durable, la protection des hôpitaux, la libération des soignants et civils détenus, et la levée du blocus privant des millions de Palestiniens de leurs droits fondamentaux.
La situation à Gaza ne cesse de se dégrader et les appels à actions se multiplient à l'échelle mondiale. Face à l'intensification des violences et des violations flagrantes des droits de l’homme et ce malgré l’annonce du cessez-le-feu, une coalition internationale de soignants s'unit pour adresser un message clair et urgent à l'ONU: il est impératif d'adopter des résolutions contraignantes pour protéger la vie, la santé et la dignité des palestiniens.
Des soignants du monde entier (France, Suisse, Belgique, Espagne, Italie, Turquie, Etats-Unis, Angleterre, Irlande, Ecosse, Allemagne, Suède, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Mexique, Japon, Grèce, Finlande, Chilie, Canada, Australie, Maroc, Jordanie, Tunisie, …) ont créé une coalition soignante internationale pour dénoncer d’une seule voix la situation à Gaza. Du 25 au 29 janvier, des soignants venus de 15 pays autour du globe se sont rassemblés devant le siège des Nations Unies à Genève pour exiger des actions immédiates. Ce rassemblement intervient dans un contexte de souffrance insoutenable à Gaza, où les attaques israéliennes continuent de viser délibérément les infrastructures de santé, entravant les efforts des soignants pour sauver des vies.
Trois résolutions clés demandées à l’ONU
Les soignants du monde entier, unis dans un front de solidarité, demandent l’adoption immédiate de trois résolutions cruciales par le Conseil de Sécurité de l'ONU :
Protection et respect des accords de cessez-le-feu Les soignants réclament une résolution contraignante garantissant la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu obtenus grâce à la médiation de pays comme le Qatar, l'Égypte et les États-Unis. Le respect de ces accords est vital pour permettre un accès humanitaire ininterrompu et sauver des vies. Des sanctions doivent être envisagées contre les violations de ces accords, afin d’assurer le respect des engagements de droit international.
Fin de l'occupation des territoires palestiniens L'ONU doit impérativement adopter une résolution appelant à la fin de l'occupation israélienne de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza. Cette demande fait écho à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ), qui a qualifié l'occupation d’illégale. En effet, les récentes attaques israéliennes contre des infrastructures médicales, comme l’hôpital gouvernemental de Jénine, illustrent les conséquences dévastatrices de cette occupation prolongée. La fin de l’occupation est un préalable indispensable à la souveraineté palestinienne et à la préservation des droits fondamentaux.
Levée immédiate et totale du blocus de Gaza Le blocus imposé à Gaza depuis plus de 17 ans continue de détruire la vie quotidienne des Palestiniens. En limitant l’accès aux soins, à l'éducation et aux ressources essentielles, ce blocus constitue une punition collective interdite par le droit international. Les soignants demandent la levée immédiate de ce blocus, pour permettre l'entrée d'une aide humanitaire d'urgence et restaurer l'accès à des soins de santé vitaux. La communauté internationale ne peut plus ignorer cette crise humanitaire qui touche plus de 2 millions de personnes à Gaza.
Une solidarité mondiale sans précédent
À travers cette initiative, les soignants du monde entier se dressent fermement contre l’injustice et l’inhumanité. Des organisations de soignants en Australie, Belgique, Canada, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Royaume-Uni, Suède, et bien d’autres, unissent leurs forces pour exiger un changement immédiat. Leur appel est clair : l’ONU doit agir sans délai pour protéger les populations civiles et garantir le respect du droit international.
Les témoignages poignants des soignants de Gaza, qui risquent chaque jour leur vie pour sauver celles des autres, montrent l’urgence de la situation. De plus, le silence des puissances internationales, complices par leur inaction, est devenu intolérable. Le monde doit faire face à ses responsabilités et mettre fin à cette tragédie.
Un avenir fondé sur la justice et la dignité
Les soignants réclament que le Conseil de Sécurité de l'ONU prenne ces mesures urgentes pour garantir la protection des civils palestiniens et assurer la paix et la sécurité internationales. Le temps est venu pour l’ONU de démontrer son engagement envers la justice, la dignité humaine et la protection des droits fondamentaux. Si des actions concrètes ne sont pas prises maintenant, l’histoire retiendra que l’inaction internationale a permis le massacre d’un peuple innocent.
Les soignants du monde entier, unis dans un même combat pour la dignité humaine, appellent les États membres de l’ONU à ne pas rester spectateurs de cette tragédie, mais à agir pour la sauvegarde de la vie et des droits du peuple palestinien.
Appel à action – Interpellez le Conseil de Sécurité de l’ONU !
Vous voulez soutenir les soignants mobilisés pour la vie et la dignité humaine ? Agissez dès maintenant ! Du 25 au 29 janvier, des soignants du monde entier se sont rassemblé à Genève pour demander des résolutions contraignantes du Conseil de Sécurité de l’ONU afin de :
✅ Faire respecter les accords de cessez-le-feu à Gaza.
✅ Mettre fin à l’occupation de la Palestine.
✅ Obtenir la levée totale du blocus.
Nous avons besoin de votre aide pour continuer à interpeller les membres du Conseil de Sécurité ! Envoyez-leur un mail dès maintenant via ce lien ? https://palestine.risefor.org/fr/actions/action-group-detail/@https%3A//palestine.risefor.org/actiongroups/27/@
Vous aussi, vous pouvez agir !!
Faisons entendre nos voix pour la justice et la dignité humaine !
mise en ligne le 24 février 2025
Estelle Levresse sur www.mediapart.fr
La guerre menée en Ukraine par Vladimir Poutine affecte durablement la société russe. Pendant que les bénéficiaires du conflit s’enrichissent, la majorité de la population s’appauvrit.
Depuis trois ans, la Russie dépense sans compter pour la guerre à grande échelle qu’elle mène en Ukraine. Afin d’attirer des volontaires sur le front, les autorités ont fait exploser la rémunération des soldats contractuels. La solde mensuelle est fixée à 210 000 roubles (2 200 euros), trois à quatre fois le salaire moyen, à laquelle s’ajoutent de nombreux avantages matériels et sociaux ainsi que de généreuses primes d’enrôlement financées par les régions. En 2025, l’enveloppe militaire russe atteindra 130 milliards d’euros, soit un tiers du budget total du pays, en hausse de 30 % par rapport à 2024, une année déjà record.
Si la majeure partie de cette somme est absorbée par le complexe militaro-industriel, d’autres secteurs bénéficient de la générosité de l’État : éducation, culture, santé… tous réorientés vers ce que le Kremlin continue d’appeler son « opération militaire spéciale ». Objectifs : récompenser les « héros » combattant en Ukraine, diffuser la propagande d’État et encourager le patriotisme afin de légitimer et poursuivre le conflit.
Le concours semestriel de « subventions présidentielles », censé financer des projets sociaux dans divers domaines, illustre parfaitement cette tendance. Dévoilée fin janvier, l’édition 2025 a gratifié 239 projets consacrés au thème de l’année du « Défenseur de la patrie » sur les 1 497 finalistes. Parmi eux : des projets de propagande patriotique, des programmes d’aide aux familles de militaires et des initiatives scolaires en lien avec la guerre.
La plus grosse subvention a été octroyée à un projet de réhabilitation des soldats blessés porté par la Fondation Mémoire des générations (72 millions de roubles – 773 000 euros). La station de radio patriotique Pride, qui émet depuis un an, a reçu 39 millions de roubles (420 000 euros) pour lancer une série de formats consacrés au « patrimoine historique et culturel » de la Russie. Près de 27 millions de roubles (291 000 euros) ont été alloués à la création du musée « Champ de bataille : Marioupol ». La dévastation de la ville par les troupes russes entre février et mai 2022 qui a fait des milliers de morts civiles est qualifiée de « libération héroïque » dans le projet.
Nouvelle élite politique
Cette militarisation de la société et de l’économie a des conséquences profondes sur le pays, où les inégalités sociales se creusent durablement. Tandis que certains s’enrichissent grâce à la guerre, une large partie de la population s’appauvrit. Selon l’économiste russe Igor Lipsits, entre 26 et 28 millions de personnes ont vu leur situation financière s’améliorer ces trois dernières années.
Ce groupe comprend les soldats et leurs familles, mais aussi les travailleurs du secteur de l’armement, les professionnel·les de santé employé·es dans les cliniques militaires et centres de réadaptation, ainsi que tous les métiers directement liés à l’effort de guerre. « Cela représente environ 20 % de la population russe. Il s’agit d’un puissant soutien social à la poursuite du conflit », souligne Igor Lipsits, exilé en Lituanie.
Sur l’année écoulée, le prix des denrées alimentaires a explosé : + 90 % pour les pommes de terre, + 36 % pour le beurre.
Vladimir Poutine entend bien capitaliser sur ce nouveau groupe social, estimant que « tous ceux qui servent la Russie, ouvriers et guerriers », constitueront la « véritable élite » désormais. « Ils doivent occuper des postes de direction dans l’éducation et la formation des jeunes, dans les associations publiques, dans les entreprises publiques, dans les affaires, dans l’administration d’État et municipale, et diriger les régions, les entreprises et, en fin de compte, les plus grands projets nationaux », a déclaré le président russe dans son adresse à l’Assemblée fédérale du 29 février 2024.
Si l’avènement d’une nouvelle élite politique formée dans les tranchées a peu de chances de voir le jour, en attendant, pour une majorité de Russes, les conditions de vie se détériorent en ce temps de guerre. Les retraité·es sont les plus mal loti·es avec la flambée des prix des produits alimentaires. Sur l’année écoulée, le prix des denrées alimentaires a explosé : + 90 % pour les pommes de terre, + 36 % pour le beurre, + 48 % pour les oignons, + 24 % pour la viande d’agneau, selon les chiffres de l’agence fédérale de statistiques Rosstat.
« Les retraités civils, environ 41 à 42 millions de personnes, voient leur pouvoir d’achat s’effondrer, car l’indexation des pensions ne suit pas l’augmentation des prix. Leur situation est particulièrement préoccupante », alerte le professeur Igor Lipsits. D’autant que plusieurs études estiment que l’inflation réelle pourrait être deux fois supérieure aux chiffres officiels.
Primes colossales
Face à la poussée inflationniste, la Banque centrale russe a fait le choix depuis 2023 d’augmenter son taux directeur, désormais à un niveau record de 21 %. Cela a un impact très fort sur le marché de l’immobilier et de la construction. « Jusqu’en juillet dernier, il existait un programme fédéral de prêt immobilier à taux préférentiel : le taux était plafonné à 8 % pour l’acheteur et l’État payait la différence. Mais ce programme a été arrêté, car il était trop coûteux, indique Igor Lipsits. Depuis, les ventes de logements ont chuté brutalement. Seulement 5 % de la population russe peut se permettre un prêt immobilier aux taux actuels du marché. »
Inquiète d’un effondrement potentiel du marché de la construction, la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, alerte sur la nécessité d’un moratoire sur la faillite des promoteurs. Mais certains experts redoutent que cette mesure déclenche une crise systémique dans les secteurs bancaire et immobilier.
Par ailleurs, les primes colossales versées aux soldats et à leurs familles grèvent les budgets régionaux. Selon une enquête du média indépendant iStories, publiée en novembre, dans certaines régions, plus de la moitié des aides sociales est désormais consacrée aux militaires et à leurs proches, réduisant drastiquement l’assistance aux plus vulnérables.
Les autorités régionales devront réaliser des coupes budgétaires : réduire les salaires ou licencier les travailleurs du secteur public. Igor Lipsits, économiste russe
Le territoire de Stavropol consacre 83 % de ses prestations sociales aux combattants, avec une prime d’enrôlement de 1,6 million de roubles. En Karatchaïevo-Tcherkessie, 75 % des fonds sociaux vont aux militaires, un montant neuf fois supérieur à celui de l’aide au chômage. À Kalouga, la proportion est de 52 %, dix-sept fois plus que l’aide accordée aux personnes handicapées.
Les associations qui viennent en aide aux sans-abri constatent une augmentation du nombre de personnes dans le besoin ces dernières années. « Avant, on avait surtout des personnes âgées, désormais on a aussi des jeunes familles qui n’arrivent plus à se loger ou des personnes victimes de fraudes immobilières », déclare Olga Bakhtina, qui gère le refuge privé Dari Dobro à Iekaterinbourg. Et la situation touche tout le pays. « En 2022-2023, les principales raisons de se retrouver à la rue sont la perte de la capacité à louer un logement et la perte d’emploi », confirme Daniil, membre de Notchlejka, la plus ancienne organisation d’aide aux sans-abri en Russie, présente à Moscou et à Saint-Pétersbourg.
Dangers pour la société
Les budgets régionaux sont d’autant plus sous pression que les recettes fiscales se sont contractées en 2024, en baisse de 7 % l’an dernier, a annoncé le ministre des finances, Anton Silouanov. « Cela va conduire les autorités régionales à réaliser des coupes budgétaires : réduire les salaires ou licencier les travailleurs du secteur public. De telles choses commencent déjà à se produire », affirme Igor Lipsits. C’est le cas dans la région industrielle de Kemerovo où les autorités ont lancé un plan massif de licenciement des fonctionnaires employés dans les jardins d’enfants, en raison du déclin des recettes fiscales issues de l’industrie charbonnière.
Un programme d’optimisation du système de santé est également en cours dans plusieurs régions. Selon le quotidien indépendant The Moscow Times, au moins 160 hôpitaux publics, cliniques, centres médicaux, dispensaires, maternités et autres établissements de santé ont été fermés en 2024, forçant ainsi les populations locales à parcourir de longues distances pour accéder aux soins.
Quels impacts auront ces fractures sociales à moyen terme ? « Il est difficile de dire où cela mènera, car la Russie est un pays très peu classique. Les gens qui s’appauvrissent essaieront de survivre du mieux qu’ils peuvent. Ils tenteront sans doute de gagner plus d’argent dans l’ombre pour payer moins d’impôts. Il est peu probable qu’il y ait des protestations sociales, mais l’irritation augmentera et l’économie souterraine se développera », prédit Igor Lipsits.
Le conflit engendre également une montée de la violence en Russie. Les journaux locaux rapportent régulièrement les crimes sordides commis à leur retour du front par d’anciens détenus qui avaient été graciés en échange de leur engagement dans l’armée. Dans une rare critique de la part d’un représentant officiel de l’État à l’égard des héros de la guerre, la députée de la Douma Nina Ostanina a qualifié les ex-prisonniers revenus d’Ukraine de « dangers pour la société », appelant les forces de l’ordre à protéger les citoyen·nes contre ces criminels.
Selon une enquête du média indépendant Verstka, les cas de violences domestiques impliquant des ex-combattants ont presque doublé au cours des deux premières années de guerre en Ukraine par rapport à 2020-2021. Les premières victimes sont les femmes.
Alexandre Vallon sur www.humanite.fr
Depuis l’invasion russe, la loi martiale a permis d’affaiblir les droits des travailleurs. Malgré les perspectives d’adhésion à l’Union européenne, le gouvernement entend réformer le Code du travail et entériner une législation pensée dans un « mépris total de la Constitution de l’Ukraine et des conventions » internationales, affirme le dirigeant du syndicat KVPU, Mykhailo Volynets, que nous avons rencontré.
Comment décririez-vous la situation sociale de l’Ukraine ?
Mykhailo Volynets (Président de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU) : Nous sommes en pleine bataille avec le gouvernement ukrainien depuis de nombreux mois. Car le ministère de l’Économie a décidé de réformer le Code du travail sans aucune consultation en bonne et due forme. Le document a été rédigé unilatéralement par l’administration au cours de l’été. Au mois d’août, ils ont exigé que les syndicats valident ce projet en l’espace de quelques jours. C’est inadmissible.
Cette réforme implique la modification de cinquante lois, d’annuler des dizaines d’autres et abandonner 1 500 actes normatifs. Nous avons remis nos propositions en août dernier et elles n’ont pas été prises en compte. Pire, le deuxième texte présenté fin décembre contient quinze nouveaux articles et le ministère a ignoré plus de 90 % des amendements fournis par les syndicats.
Le nouveau projet de Code du travail protège les intérêts des employeurs et non des salariés. Il entend renforcer les contrats de travail individuels afin d’affaiblir le rôle des syndicats et les conventions collectives. Ce texte intervient au mépris total de la Constitution de l’Ukraine, des conventions de l’Organisation internationale du travail, du système de protection sociale. Les Ukrainiens seront transformés en esclaves.
Comment définiriez-vous ce projet ?
Mykhailo Volynets : Dans la dernière version, près d’une cinquantaine de clauses n’ont rien à voir avec le Code du travail. Ce document viole les normes internationales du travail en matière de protection, de conventions collectives, de rémunération, de congés, de procédure de licenciement, de règlement des conflits.
Ce projet de loi veut l’application prolongée de restrictions temporaires au droit du travail imposées en vertu de la loi martiale. Il entend affaiblir gravement la protection juridique des employés contre les licenciements abusifs, le consentement aux heures supplémentaires, aux droits à l’assurance sociale et aux droits à pension, aux droits des femmes et aux jeunes travailleurs, ainsi que les conditions de travail. Nous réclamons que le président du Parlement ukrainien suspende l’examen du projet jusqu’à ce que des consultations approfondies avec les syndicats soient assurées.
Avez-vous obtenu des soutiens européens et internationaux ?
Mykhailo Volynets : Nous sommes une organisation affiliée à la Confédération européenne des syndicats et cela nous permet d’avoir leur aide sur les directives déjà adoptées au sein de l’UE et la manière dont elles sont mises en œuvre. Ce projet est donc contraire aux directives européennes et aux conventions internationales.
Mais la manipulation ne s’arrête pas là. Le Parlement enregistre très souvent des réformes émanant du gouvernement ou de députés qui sont présentées comme nécessaires à l’intégration européenne. En fait, il s’agit de lois en violation flagrante des directives de l’UE et des conventions de l’OIT et l’OMC afin d’affaiblir les droits des travailleurs. Le patronat n’agit pas ouvertement car ils ne veulent pas saboter leur possibilité d’intégrer l’Union européenne.
Qui soutient ces projets ?
Mykhailo Volynets : La chambre de commerce américaine exerce un lobbying important, et elle dispose d’un rôle majeur dans l’économie ukrainienne. Le patronat européen et la Commission font également pression. Cette dernière joue un double jeu en faisant semblant de ne pas remarquer nos critiques, les attaques sociales.
« La loi martiale a permis la suppression de nombreux acquis : droit de grève, protestation, rassemblement… »
Si Bruxelles pensait que l’Ukraine a une chance d’adhérer à l’UE, elle réclamerait l’adoption de règles conformes aux principes fondamentaux. Tous apprécient finalement le contexte de la guerre, qui a permis avec la loi martiale la suppression de nombreux acquis : droit de grève, protestation, rassemblement… et souhaitent son maintien. Les patronats européen et américain soutiennent ces projets pour faire pression sur leur propre peuple.
Quel pourrait être l’impact de ces réformes libérales envisagées par le gouvernement ?
Mykhailo Volynets : Les Ukrainiens ne se laisseront pas faire. Les travailleurs qui ont perdu leur santé pour défendre leur patrie et ceux partis combattre organiseront un troisième Maïdan. Car je doute qu’en rentrant du front, après avoir sacrifié leur vie, ils acceptent un tel avenir.
Si aucun dialogue social n’existe et que les autorités passent en force, avec les millions d’armes en circulation, les tensions auront des conséquences dramatiques. Beaucoup de gens se trouvent déjà dans une grande précarité avec des salaires qui n’augmentent pas et une forte inflation. Les dirigeants devraient s’interroger : qui va reconstruire le pays ?
Nous devons offrir des perspectives : créer des emplois, donner de bons salaires, garantir la protection des droits de nos citoyens et prévoir déjà quels secteurs devraient être développés pour reconstruire l’économie du pays. Sinon, comment favoriser le retour des 6 millions de personnes qui sont parties à l’étranger ? De même, nous devons garantir des perspectives aux millions d’habitants qui reviendront de l’armée et aux jeunes.
mise en ligne le 23 février 2025
Francis Wurtz sur www.humanite.fr
Ce 24 février, cela fera trois ans qu’a été lancée l’agression russe contre l’Ukraine. Les responsabilités historiques de Vladimir Poutine dans le déclenchement de ce conflit comme dans la conduite, particulièrement cruelle, de la guerre relèvent de crimes ineffaçables.
Pour leur part, la plupart des dirigeants occidentaux ont, très tôt, fait le choix de rechercher, comme seule issue à cette tragédie, une victoire militaire. Cette voie n’avait pourtant rien de fatal. Ainsi, dès avril 2022, des pourparlers très prometteurs entre Russes et Ukrainiens avaient eu lieu à Istanbul. Un ancien conseiller du président Zelensky, Oleksiy Arestovitch, révélera par la suite que, en rentrant dans son pays après ces discussions « couronnées de succès, 90 % des questions litigieuses ayant été résolues, (son) équipe a sabré le champagne pour fêter l’événement »1.
Ce fut le moment choisi par le ministre de la Défense américain, représentant l’aile jusqu’au-boutiste de l’équipe du président Biden, pour faire une visite-surprise à Kiev, convaincre les Ukrainiens qu’« ils pouvaient gagner s’ils avaient les bons équipements » et engager la livraison des armes lourdes. Si cette option fut approuvée par la plupart des dirigeants européens, elle ne fit, paradoxalement, pas l’unanimité au plus haut niveau du pouvoir à Washington. En témoigna cette déclaration retentissante du général Mark Milley, chef d’état-major des armées : « Il peut y avoir une solution politique, où, politiquement, les Russes se retirent. C’est possible. »2 On connaît la suite… un gâchis humain, matériel et politique incommensurable.
Créer les conditions d’une paix juste et durable passe par le respect d’une série de principes dont ne s’embarrassent ni Trump ni Poutine.
On ne peut donc que se réjouir d’entrevoir enfin des négociations de paix. Malheureusement, ce qu’on en sait à ce stade n’inspire guère confiance. Créer les conditions d’une paix juste et durable passe par le respect d’une série de principes dont ne s’embarrassent ni Trump ni Poutine.
Le premier d’entre eux est de placer au centre des futures négociations les deux principales parties du conflit, même si, à l’évidence, un face-à-face exclusif entre Ukrainiens et Russes est inconcevable, tant le rapport des forces est inégal. En outre, il s’agit d’un enjeu mondial. Dès lors, c’est sous l’égide des Nations unies que d’autres acteurs devraient être associés à la recherche d’une solution : l’Union européenne, voisine et alliée de Kiev ; les États-Unis, directement impliqués dans le conflit ; mais aussi, sous une forme ou une autre, des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud, qui ont l’oreille de Moscou tout en étant des interlocuteurs de Kiev, clairement opposés depuis le début à cette guerre.
Un autre principe essentiel à respecter est, naturellement, le droit international, à commencer par l’interdiction de tout recours à la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance d’un pays. Aussi, tout compromis territorial éventuel serait problématique et supposerait, en tout état de cause, pour pouvoir être internationalement reconnu, d’être démocratiquement ratifié par les citoyens concernés.
Enfin, les garanties de sécurité, légitimement réclamées par le peuple ukrainien, gagneraient, pour être durables, à éviter d’être assimilables à une source d’insécurité par le peuple russe. Ce qui suppose d’exclure l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan (ou la présence de l’Otan en Ukraine…). En fait, c’est d’un accord paneuropéen de sécurité collective, incluant tous les États et tous les peuples du continent, que nous avons besoin, mais relever ce défi-là prendra plus de temps. Dans l’immédiat, place à la diplomatie, la vraie !
mise en ligne le 23 février 2025
Mélanie Mermoz sur www.humanite.fr
En liant enquêtes sur les conditions de travail et résultats électoraux, l’économiste Thomas Coutrot montre combien le manque d’autonomie dans la sphère professionnelle, mais aussi l’absence de possibilité d’expression à son sujet nourrissent le vote d’extrême droite. Il invite à refaire du travail un enjeu de débat démocratique.
Dans l’analyse des motivations du vote RN et de l’abstention, l’impact du travail est trop souvent un angle mort. L’étude publiée par l’économiste Thomas Coutrot intitulée « le Bras long du travail : conditions de travail et comportements électoraux » s’attaque à cet impensé. Pour cela, il a croisé les données des enquêtes de la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) sur les conditions de travail de 2016-2017 et 2019 avec les résultats des élections présidentielle de 2017 et européenne de 2019, qu’il a enrichies avec des indicateurs statistiques par commune, calculés par Thomas Piketty et Julia Cagé. L’absence d’autonomie dans le travail et l’impossibilité de donner son avis sur celui-ci s’avèrent déterminantes sur les comportements civiques.
Depuis quand s’intéresse-t-on à l’impact de l’organisation du travail sur la politique ?
Thomas Coutrot : Dès le XVIIIe siècle, aux prémices de la révolution industrielle, Adam Smith dénonce déjà l’impact du travail répétitif sur les capacités cognitives des travailleurs. D’un côté, il se félicite des gains de productivité économique que permet la division du travail, mais, de l’autre, il s’inquiète du fait qu’en passant d’un travail artisanal à un travail ouvrier ultrarépétitif, on abîme le psychisme des ouvriers. Il dit de ceux-ci : « Ils deviennent aussi stupides et ignorants qu’il est possible à une créature humaine de le devenir. »
Au XIXe siècle, John Stuart Mill dénonce le régime d’usine – Marx parle, lui, de « despotisme d’usine ». Pour Mill, il est contradictoire avec la possibilité d’être un citoyen éclairé et de participer à la vie de la cité. C’est la raison pour laquelle cet économiste et philosophe britannique, libéral économiquement, considère que les coopératives sont le seul mode d’organisation de la production cohérent avec un régime démocratique.
En Grande-Bretagne, au début du XXe siècle, cette idée est portée par le socialisme de guilde, dont le penseur le plus connu est G. D. H. Cole. Celui-ci écrit qu’un régime de servilité dans l’industrie ne peut que donner un régime de servilité dans la sphère politique. Ce courant partisan des coopératives est favorable à la gestion des entreprises par les travailleurs ; il en fait une condition de la vie démocratique dans la cité.
Comment se prolonge cette réflexion au XXe siècle ?
Thomas Coutrot : Au cours des années 1930-1940, le philosophe américain John Dewey développe l’idée que la démocratie n’est pas un régime d’institutions, mais un mode de vie. C’est une société où les individus sont socialisés dans une norme d’interrogation des pouvoirs existants, d’enquête permanente sur le monde. C’est exactement ce que dit aussi Castoriadis : la démocratie n’est pas une société sans hiérarchie ni pouvoirs, mais une société où ceux-ci sont sans arrêt questionnés.
Au cours des années 1970, dans la continuité de Dewey, la politiste Carole Pateman consacre plusieurs livres à la démocratie participative. Pour elle, la démocratie ne peut pas se limiter à la liberté d’expression et au droit de vote, elle doit reposer sur des habitudes quotidiennes enracinées dans les rapports sociaux élémentaires. La démocratie délégataire, qui consiste à élire périodiquement ceux qui nous gouvernent, est une illusion.
Pour être vivante, la démocratie doit s’ancrer dans une participation continue des citoyens aux décisions, une culture quotidienne qui doit pénétrer toutes les sphères de la vie sociale (famille, école, travail…). L’entreprise est un bastion d’autoritarisme dont l’existence et la place centrale dans la vie des personnes sapent les fondements même du régime politique démocratique.
D’élection en élection, nous assistons à un renforcement de l’abstention. Quel est le facteur professionnel le plus observé chez les abstentionnistes ?
Thomas Coutrot : La variable liée aux conditions de travail qui joue le plus fortement chez les abstentionnistes est le manque d’autonomie dans le travail. C’est vraiment le marqueur d’une condition de subordination dans le travail qui prédispose à une passivité politique. Depuis une vingtaine d’années, à travers la montée des procédures, du « reporting », nous observons une érosion de l’autonomie au travail, associée à une série d’innovations techniques et organisationnelles («lean », « new public » managements…).
Les algorithmes et l’IA ne font que sophistiquer des méthodes de contrôle numérique et informatique du travail et de standardisation déjà largement diffusées. L’érosion de l’autonomie n’est en effet pas une question de technologie, mais d’organisation. Ce ne sont pas les outils numériques qui sont en eux-mêmes porteurs d’un appauvrissement du travail, mais les finalités en vue desquelles ils sont conçus et mobilisés. L’accroissement du contrôle, de la standardisation, n’est pas une stratégie d’efficacité économique, mais de pouvoir et de domination.
L’abstention est aussi nettement corrélée à la précarité de l’emploi. Vivre dans l’incertitude du lendemain, être accaparé par les tâches de survie ne favorise pas l’intérêt pour la chose publique, ni la croyance de pouvoir par son vote modifier la situation. Les politistes nomment « sentiment d’efficacité politique » la perception que sa parole compte, que son vote est important. Chez les plus précaires, ce sentiment d’efficacité politique est très faible. Être précaire signifie n’avoir pas de maîtrise de sa vie personnelle, encore moins de la vie collective.
Dans le travail, quel est le marqueur déterminant dans le vote RN ?
Thomas Coutrot : Le fait de ne pas pouvoir donner son avis sur son travail lors de réunions régulières est clairement associé à une propension beaucoup plus forte à voter RN (+ 10 points), même toutes choses égales (diplôme, métier…). L’enquête ne distingue pas le type de réunions – entre collègues, avec les manageurs, avec les élus du personnel ou dans un cadre syndical. C’est d’ailleurs un point qu’il faudrait creuser.
Elle ne dit pas non plus si ces réunions débouchent sur un changement réel. Environ 45 % des salariés participent à des réunions sur leur travail, les cadres et les plus diplômés y sont plus fréquemment associés, même si d’autres catégories sociales peuvent aussi y participer. Il existe également une dimension de genre ; les femmes ont moins la possibilité que les hommes de donner leur avis sur leur travail.
Le fait de travailler de nuit ou à des horaires atypiques est l’autre marqueur déterminant du vote RN (+ 10 %). On observe aussi que les femmes qui votent RN sont celles qui ont la plus forte participation aux tâches ménagères. Cela traduit sans doute une plus forte adhésion aux stéréotypes de genre.
Lors des enquêtes sociologiques par entretien, les questions liées au travail sont-elles abordées par les électeurs RN ?
Thomas Coutrot : Non, ce qui va apparaître dans le discours des électeurs RN, c’est la concurrence des immigrés, le sentiment de mépris dans lequel ces personnes se sentent tenues par les élites, la question des solidarités locales. En revanche, les enjeux du travail, son organisation, le fait de se lever très tôt le matin n’apparaissent jamais, à ma connaissance en tout cas, dans les discours des électeurs RN, et donc dans les analyses des sociologues ou des politistes qui travaillent sur ce sujet.
Les mécanismes de domination ou de mépris au travail, difficiles à vivre mais qu’ils ne parviennent pas forcément à verbaliser, produisent de façon inconsciente des affects d’extrême droite. C’est une espèce de rationalisation a posteriori. Ces mécanismes de domination ne sont pas conscientisés. Ils sont peut-être même naturalisés. Beaucoup d’électeurs du RN ont une vision assez viriliste du monde et donc, pour eux, avoir un chef autoritaire peut même sembler positif…
Côté travail, existe-t-il des similitudes entre abstentionnistes, électeurs FI et ceux du RN ?
Thomas Coutrot : L’électorat FI est caractérisé, comme les abstentionnistes et l’électorat RN, par une faible autonomie dans le travail. Le profil des électeurs RN et LFI est assez proche sociologiquement, même s’il est plus divers chez LFI. C’est un profil plus ouvrier et moins diplômé que la moyenne. Mais il se distingue vraiment sur la capacité d’expression sur le travail. Si les électeurs RN sont très peu sollicités pour parler de leur travail, le fait de pouvoir discuter de son travail est au contraire nettement associé à un vote de gauche, notamment FI.
Un résultat apparaît surprenant, c’est la forte proportion de syndiqués parmi les électeurs RN…
Thomas Coutrot : Une forme de révolte sociale, de colère qui s’exprime en partie par le vote RN, peut aussi se manifester par l’adhésion à un syndicat. Ce phénomène s’observe plutôt chez les adhérents ou les sympathisants que chez les militants. La forte différence entre mes résultats et ceux des sondages « sortie des urnes », qui indiquent un moindre vote RN pour les syndiqués, pourrait s’expliquer par une forme de honte des syndiqués à avouer à un enquêteur qu’ils votent RN.
Ils seraient ainsi les seuls à maintenir le biais de sous-déclaration observé il y a encore une dizaine d’années chez l’ensemble des électeurs. Contrairement au reste de la société, le vote pour le RN n’est pas devenu totalement banalisé dans les milieux proches des syndicats. L’ensemble des directions syndicales communiquent, en effet, beaucoup auprès de leurs adhérents sur le sujet, ce qui n’est pas sans créer des tensions sur le terrain.
Les syndicalistes avec lesquels j’ai échangé n’étaient pas étonnés de ce résultat. Plusieurs militants m’ont ainsi raconté avoir, pendant la campagne des législatives, essuyé des remarques quand ils allaient distribuer des tracts contre le RN à la porte des entreprises. Des sympathisants, voire des adhérents, leur disaient : « Pourquoi le syndicat se mêle de ces histoires-là ? Il n’a pas à faire de politique ».
Comment refaire du travail un enjeu démocratique ?
Thomas Coutrot : Ni le patronat ni les dirigeants de la fonction publique ne souhaitent mettre le travail en débat. Une politique du travail tournée vers la libération de la parole des salariés, et de l’organisation de cette parole, devrait être mise à l’ordre du jour des politiques de gauche. Malheureusement, les partis politiques n’ont jusqu’à présent guère de réflexion sérieuse sur ces questions. C’est au sein du mouvement syndical que des initiatives intéressantes se lancent.
Par exemple, la CGT, depuis une quinzaine d’années, a mis en chantier une réflexion sur ce qu’elle appelle la démarche revendicative à partir du travail. Elle consiste à recueillir la parole des salariés sur leur travail pour les faire s’exprimer sur ce à quoi ils tiennent, ce qui pourrait changer dans leur travail pour qu’il corresponde à leurs valeurs, qu’il réponde aux vrais besoins de leurs clients ou usagers. Cela implique un véritable changement de pratique militante, mais ça permet de retisser des liens forts et de reconstruire du collectif.
En savoir plus Thomas Coutrot :
Chercheur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales, Thomas Coutrot a dirigé jusqu’en 2022 le département conditions de travail et santé à la Dares. En mars 2024, l’économiste et statisticien a publié une enquête intitulée « Le Bras long du travail, conditions de travail et comportements électoraux ». Il coanime l’association Ateliers et Démocratie.
Le Bras long du travail : conditions de travail et comportements électoraux, par Thomas Coutrot, Document de travail, Ires, numéro 1.2024.
mise en ligne le 22 février 2025
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Le projet loi adopté constitue un net recul sur les pesticides, les espèces protégées ou la préservation des forêts.
Pile à l’heure pour l’ouverture du Salon de l’agriculture, samedi 22 février à Paris. La loi d’orientation agricole a été définitivement adoptée, jeudi 20 février, après un ultime vote du Sénat dans l’après-midi. Le texte, issu d’un accord entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire mardi soir, avait déjà été approuvé largement par l’Assemblée nationale mercredi, avec les voix macronistes, de la droite et du Rassemblement national.
Élaborée comme une réponse à la colère des agriculteurs, la loi ne répond même pas à son objectif principal : le renouvellement des générations pour assurer la souveraineté alimentaire. Très critiqué par les associations environnementales et la gauche, le texte est une catastrophe pour l’écologie.
L’agriculture, « intérêt général majeur »
L’article 13, dénoncé comme « un permis de détruire la biodiversité », dépénalise les atteintes aux espèces protégées lorsqu’elles ne sont pas commises « de manière intentionnelle », au profit d’une simple amende administrative de 450 euros maximum ou du suivi d’un stage de sensibilisation à la protection de l’environnement.
Une autre mesure prévoit de « s’abstenir d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne » en l’absence d’alternatives viables. Une traduction du principe « pas d’interdiction sans solution », mantra de la FNSEA sur les pesticides. L’agriculture est élevée au rang d’« intérêt général majeur », la loi imposant ainsi une vision productiviste. Elle s’attaque aussi aux forêts en affirmant le principe selon lequel toute gestion forestière serait vertueuse pour la nature. Or, c’est faux : « Une coupe rase dans une forêt peut défoncer les sols et mettre en péril les espèces qui y vivent », expliquait à Reporterre Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises à l’association Canopée.
Jessica Stephan sur www.humanite.fr
Le projet de loi d’orientation agricole a été voté par les députés et les sénateurs les 19 et 20 février, actant de nets reculs en matière de protection de l’environnement.
La guerre contre la protection de l’environnement s’accélère. Dernière offensive en date, le projet de loi d’orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole voté par l’Assemblée nationale le 19 février et le Sénat le 20, juste avant l’ouverture du Salon de l’agriculture, le 22 février. Pesticides, espèces protégées, forêts… Au-delà de ses insuffisances en matière de revenus agricoles et de renouvellement des générations, ce texte constitue un retour en arrière majeur pour la protection de la biodiversité.
D’abord, sur l’usage des pesticides, dont les effets néfastes sur la biodiversité et la santé humaine sont de plus en plus documentés, en inscrivant dans la loi le principe du « Pas d’interdiction sans solution ». Ensuite, sur les atteintes aux espèces protégées. Le texte, considérablement durcit par les sénateurs, n’a guère été nuancé par la commission mixte paritaire dans sa version finale, sous couvert d’aider les agriculteurs. En témoigne son article 13, qui acte la dépénalisation de la destruction d’espèces protégées, une brèche qui laisse un goût bien amer aux défenseurs de l’environnement.
« Faire des normes environnementales un bouc émissaire »
« La volonté de renouveler nos générations nous a aussi imposé de renforcer l’attractivité du métier d’agriculteur. Pour ce faire, ce projet de loi permet une dépénalisation des atteintes non intentionnelles, et strictement non intentionnelles, à l’environnement », a justifié la ministre de l’Agriculture Annie Genevard lors du vote du texte final au Sénat, le 20 février.
La ministre a donc ainsi sous-entendu que le principal obstacle à l’installation serait la protection de l’environnement. Un chiffon rouge savamment agité, si l’on en croit Laure Piolle, chargée des questions agricoles au sein de l’association France Nature Environnement (FNE) : « Cela va dans le sens du discours instrumentalisé par la FNSEA et le gouvernement suite à la crise agricole de l’année dernière, qui est de faire des normes environnementales un bouc émissaire de tous les problèmes de l’agriculture pour éviter de se pencher sur les vraies questions : celles du revenu agricole. » Laure Piolle dénonce vivement cette loi : « Derrière l’idée de simplification, il faut vraiment entendre le recul majeur du droit de l’environnement. »
« Un sentiment d’impunité »
Car cet article décrié par les ONG change considérablement la législation. Jusqu’alors, les infractions « non intentionnelles » pouvaient aller jusqu’à 150 000 euros d’amende et une peine maximale de trois ans d’emprisonnement, comme le stipule le Code de l’environnement. Le Sénat a abaissé cette disposition à une simple sanction administrative, jusqu’à 450 euros d’amende. La Commission mixte paritaire a maintenu cette orientation, mais en a limité l’application aux personnes physiques. En pratique, essentiellement les agriculteurs et les chasseurs.
Il faudra donc dorénavant prouver que la destruction a été volontaire et déterminée pour obtenir une condamnation. Un amoindrissement de la législation qui aura des conséquences délétères, prévoit Laure Piolle : « Cela crée un sentiment d’impunité : il n’y a plus besoin de faire attention, de prudence, de se renseigner. » Et, poursuit-elle, cette disposition empêchera de fait les condamnations : « Il est impossible de prouver par exemple l’intentionnalité d’un chasseur qui aurait tué une espèce protégée à la place d’un sanglier. »
D’autant que sa pertinence n’est pas avérée pour les agriculteurs. Comme le rappelle la chargée des questions agricoles à FNE : « Actuellement, très peu de sanctions pénales sont prononcées envers les agriculteurs, encore moins des sanctions pénales fortes. Et le juge est déjà garant de la proportionnalité des peines. Il n’applique pas la même peine à un chasseur qui tue un aigle et à un agriculteur qui a coupé sa haie au mauvais moment en détruisant un nid. »
« Un problème de sécurité juridique »
Cette nouvelle loi va plus loin. L’article 13 bis AAA, ajouté au dernier moment par le Sénat, stipule que « les travaux forestiers réalisés dans le cadre de la gestion durable des forêts et de leur exploitation sont considérés comme indispensables à la préservation des écosystèmes ». Des activités que le texte déclare « reconnues d’intérêt général et sécurisées juridiquement tout au long de l’année ».
Cette disposition risque de créer des difficultés, selon Aurore Dubarry, animatrice du réseau forêt au sein de FNE : « Dans sa rédaction, il pose un vrai problème de sécurité juridique. Il entend sécuriser les activités listées, mais cela pose la question de l’articulation avec d’autres codes, notamment le code de l’environnement. »
Un ajout qui interroge. « Au départ, ce texte ne parlait pas de travaux forestiers, il restait centré sur l’agriculture et la souveraineté, précise Aurore Dubarry. On a l’impression que l’objectif est d’éviter les contentieux, notamment avec les associations environnementales. Les citoyens s’indignent de plus en plus des coupes rases, par exemple. »
L’article semble ainsi fermer la voie aux recours contre celles-ci comme aux autres actions de gestion forestière. Mais à cet égard, il pourrait cependant s’avérer contre-productif, prévoit Aurore Dubarry : « Il risque d’y avoir beaucoup de contentieux au contraire, ne serait-ce que pour comprendre l’article et son articulation avec les autres codes. »
Au Sénat, le 18 février, la ministre avait précisé : « Nous ne sommes pas, évidemment, indifférents à la cause de l’environnement. » Alors que les effets du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité sont largement documentés par les scientifiques, ce serait bien le minimum ; pourtant, au vu de cette loi, il est permis d’en douter.
mise en ligne le 22 février 2025
RN et Macronie amis-amis : c’est une victoire, au moins symbolique, mais aussi un vrai moment de clarification politique auquel on a assisté, ce jeudi 20 février 2025, à l’Assemblée nationale.
La « taxe Zucman », visant à instaurer un impôt minimum de 2 %, seulement, sur la fortune des 0,01 % les plus riches du pays a été adoptée par 116 voix contre 39. Soutenue par la gauche, elle aura emporté les suffrages malgré l’abstention du RN, pourtant toujours prompt à dire qu’il protège les petits contre les gros.
Trois jours après que Bardella a assuré « entendre le cri d’alarme de Bernard Arnault », c’est une nouvelle illustration de l’alliance entre l’extrême droite et l’extrême argent, et une confirmation : le RN protège le capital, pas le travail ni les travailleurs…
Une soirée qui se prolonge dans la nuit de l’Hémicycle mais, au final, une victoire : 116 voix contre 39. La « taxe Zucman », visant à instaurer un impôt minimum de 2 %, seulement, sur la fortune des 0,01 % les plus riches du pays a été adoptée par l’Assemblée nationale. Ce sera une autre paire de manches au Sénat, largement à droite, qui risque fort de retoquer la mesure. Mais enfin, voilà une victoire, symbolique au moins. Portée par les Écologistes, soutenue par l’ensemble des partis de gauche, elle aura obtenu une majorité des suffrages… malgré l’abstention du RN, pourtant toujours prompt à dire qu’il protège les petits contre les gros.
Mais est-ce si surprenant que ça, finalement ?
« La France est un enfer. »
Souvenez-vous, ce n’est pas si loin… « J’ai entendu le cri d’alarme de Bernard Arnault [...]. La France est un enfer fiscal. » Ce mardi 18 février, l’invité de BFMTV n’était ni président du Medef, ni ministre macroniste de l’économie, mais président du Rassemblement National. Il est vrai qu’avec 189 milliards de fortune et zéro centime d’impôt sur ses trois milliards de dividendes annuels, Bernard vit un véritable enfer. Et menace, en bon patriote, de délocaliser aux États-Unis (lire notre désintox). Puisque c’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches, comme disait Victor Hugo, Bernie n’est pas particulièrement à plaindre
. La France, un enfer fiscal pour milliardaires ? Un paradis, plutôt. C’est ce que souligne une note de l’Institut des politiques publiques (IPP) : les 75 foyers les plus riches de France paient 0,3 % d’impôt sur le revenu. Pourquoi un taux aussi proche de zéro ? Parce que nos milliardaires créent des holdings, des sociétés écrans, dans lesquelles ils font remonter, sous forme de dividendes, les bénéfices générés par les entreprises qu’ils possèdent.
La grande évasion
Face à cette grande évasion, l’économiste Gabriel Zucman porte une proposition franchement gentillette : un impôt minimum de 2 % sur les contribuables français à la tête d’un patrimoine de 100 millions d’euros ou plus. Professeur à l’École normale supérieure, il rappelle que les classes populaires et intermédiaires payent en moyenne, elles… 50 % d’impôt.
La proposition de l’économiste avait d’ailleurs rencontré un accueil favorable de plusieurs pays lors du G20 organisé l’année dernière au Brésil. Les députés du groupe écologiste et social avaient donc décidé d’élaborer à partir de cette « taxe Zucman » une proposition de loi, et de la mettre à l’ordre du jour de leur niche parlementaire (seul jour de l’année où un groupe d’opposition peut décider de l’ordre du jour), ce jeudi 20 février à l’Assemblée.
Cet impôt minimum sur les milliardaires rapporterait entre 15 et 25 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires par an. Il pourrait aider à financer, par exemple, la transition écologique ou nos hôpitaux au bord de l’implosion.
RN et Macronistes, la nouvelle alliance
Mais non : les mêmes qui dénoncent à longueur de journée l’ampleur de la dette publique ont voté contre. La droite, bien sûr, des Républicains aux macronistes. On ne se refait pas. Le RN, quant à lui, s’est abstenu, qualifiant la proposition de « démagogique ». Marine Le Pen a même courageusement esquivé l’Hémicycle au lieu de voter… Protéger les milliardaires ? Le parti d’extrême droite n’en est pas à son coup d’essai.
Le 25 octobre dernier, il votait contre le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). D’un même geste, en bon macronistes qui se découvrent, ses députés votaient contre l’indexation des salaires sur l’inflation (le 20 juillet 2022 à l’Assemblée nationale). Le RN a choisi son camp, et ce n’est pas celui du travail.
Peu importe que le montant des 500 plus grandes fortunes de France ait bondit de 400 milliards à 1228 milliards en seulement dix ans, selon le magazine Challenges. Et que, dans le même temps, 82 % des Français déclarent « se serrer la ceinture », que 40 % ne partent pas en vacances, ou qu’un français sur trois ne mange pas à sa faim. Ou que 87 % des sympathisants RN soutiennent le retour de l’ISF… La priorité du RN est ailleurs : rassurer le capital, les marchés financiers.
Le plan caché
C’est que, dans l’ombre, le milliardaire Pierre Édouard Stérin, à la tête du « plan périclès », un plan de 150 millions d’euros pour faire accéder les idées du RN au pouvoir, et son bras droit, François Durvye, s’activent. Le deuxième, devenu conseiller économique de Marine Le Pen et Jordan Bardella, pousse pour que le RN ne s’attaque surtout pas aux intérêts du capital. Sous son impulsion, le programme économique du parti évolue en faveur des grandes entreprises et des plus riches.
Et Durvye compte encore accélérer la mue,selon Le Monde : il souhaite rayer du programme du parti la taxe sur les rachats d’actions, la TVA à 0 % sur les produits de première nécessité, par exemple…
Bref : le polytechnicien de 41 ans joue le trait d’union entre le capitalisme français et le RN. Musk et Trump aux États-Unis, Bolloré et Le Pen ici, l’alliance de l’extrême droite et de l’extrême argent accélère. La déclaration d’amour de Jordan Bardella à Bernard Arnault cette semaine n’est finalement qu’une confirmation. Le RN sait qu’il aura besoin du soutien du capital, et de ses médias, pour arriver au pouvoir. Et le capital sait que le RN ne menacera pas ses intérêts, contrairement à la gauche.
mise en ligne le 21 février 2025
Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Le président français lance une offensive politique pour préparer les esprits à un réarmement, à l’heure d’un potentiel deal entre Poutine et Trump. Il a reçu ce jeudi les chefs de parti.
Emmanuel Macron en appelle à la mobilisation générale. Le président de la République et le premier ministre ont reçu, ce jeudi à l’Élysée, les douze chefs des partis représentés au Parlement. La réunion s’est ouverte avec une présentation détaillée par les responsables de l’état-major et des services de la menace « existentielle » que représenterait la Russie pour l’Europe sur les plans militaires, hybrides et informationnels. Cette rencontre se tient dans un contexte où le président des États-Unis, Donald Trump, a ouvert des négociations sur l’avenir de l’Ukraine avec son homologue russe Vladimir Poutine, sans les Européens ni les Ukrainiens.
« C’est une lecture un peu biaisée de la géopolitique mondiale », déplore Fabien Roussel. « N’aborder que la Russie met de côté l’autre menace que représente l’administration des États-Unis qui, elle aussi, cherche à déstabiliser l’Europe », en menaçant d’annexer le Groenland danois, en taxant l’acier européen ou en s’ingérant dans les élections allemandes notamment, ajoute le secrétaire national du PCF.
« Il faut une parole forte de la France »
Les responsables de gauche étaient pourtant aussi venus écouter ce que le président avait à dire sur les États-Unis. « Pour la première fois, les Américains ne sont pas avec nous mais jouent par-dessus nos têtes », a confié à son arrivée Olivier Faure, premier secrétaire du PS. « Je souhaite parler des sujets d’ingérence dans la vie politique française devant Louis Aliot, représentant du RN à la cérémonie d’investiture de Trump », avait aussi déclaré Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, qui considère le parti lepéniste comme « pro-Trump et pro-Poutine ».
Avant la rencontre, Manuel Bompard, coordinateur de la FI, a appelé à « sortir d’une forme de naïveté » et « de l’idée que les intérêts français nécessitaient un alignement permanent sur les intérêts américains ». « Nous avons été plusieurs à pointer les ambiguïtés de la politique française. Nous avons dit qu’il faut avoir une parole forte de la France, indépendante », rapporte Fabien Roussel, qui estime qu’il faut « parler avec Vladimir Poutine » en vue de parvenir à un « accord de paix et de sécurité ». Cela doit prévoir « le retrait des troupes russes, la neutralité de l’Ukraine et une force d’interposition sous l’égide de l’ONU ».
« Une augmentation des dépenses militaires »
« Le président de la République pointe le danger immense que représente la Russie. Il met en avant la nécessité de se réarmer encore plus fortement pour préparer une économie de guerre accentuée », dénonce Fabien Roussel. Cette rencontre s’inscrit d’ailleurs dans une campagne de l’exécutif pour organiser un réarmement en Europe.
« Le réveil européen passe par une augmentation des dépenses militaires » et cela aura « des conséquences pour nos finances publiques », a expliqué avant la réunion Sophie Primas, porte-parole du gouvernement. Deux réunions de chefs de gouvernement européens ont été organisées en ce sens cette semaine. Un débat au Parlement doit se tenir début mars. De son côté, la presse britannique fait état de discussions entre Paris et Londres sur la création éventuelle d’une force de 30 000 hommes capables de se déployer en Ukraine en cas de cessez-le-feu.
mise en ligne le 21 février 2025
Nils Wilcke sur www.regards.fr
Le parti de gauche enregistre un bond de ses adhésions face à la menace de l’extrême droite, avant les élections dimanche 23 février. Reportage.
Depuis quelques semaines, les dirigeants du parti Die Linke affichent un réel optimisme. Le Parti de gauche allemand connaît un regain de popularité dans les sondages, comme en témoignent les derniers chiffres, qui le créditent de 6 à 9% des voix aux élections législatives anticipées ce dimanche 23 février. Un scrutin qui intervient après la chute du gouvernement Scholz, une coalition « en feu tricolore » entre les sociaux-démocrates du SPD, les Écologistes et les Libéraux du FDP, suite à un vote de défiance du Bundestag, le parlement allemand, le 14 décembre dernier. « Nous avons doublé notre nombre d’adhérents, de 300 à 600 militants au niveau local », se réjouit Vinzenz Glaser, candidat à Fribourg-en-Brisgau, une ville bourgeoise et étudiante, à une heure de route de Strasbourg, dans le Land du Bade-Wurtemberg. Bonnet vissé sur la tête et piercing au nez, ce travailleur social de 32 ans brigue un mandat de député au Bundestag, le Parlement allemand, porté par « la dynamique Die Linke. »
Justice sociale et thèmes du quotidien
Au niveau national, le parti revendique 30 000 adhésions supplémentaires en un an, passant de 52 000 à 82 000 membres, soit son plus haut niveau depuis 15 ans, selon les médias allemands. Ce qui a obligé la direction à chercher des locaux de campagne plus grands au cours des deux dernières semaines pour accueillir un public plus nombreux lors de ses meetings. Mieux encore, un sondage Yougov publié le 18 février a révélé que le parti arrivait en tête parmi les adolescents et les jeunes adultes, avec 20,84% des voix. « Les gens sont enthousiastes et veulent s’engager à nos côtés pour s’occuper des vrais problèmes, comme le plafonnement des loyers et la baisse du coût de la vie », assure M. Glaser à Politis. Nos voisins d’Outre-Rhin sont eux aussi aux prises avec une inflation galopante, dans un parallélisme troublant avec la France avant la révolte des gilets Jaunes en 2018. Or, Die Linke a opportunément orienté sa campagne sur « quelques thèmes du quotidien », comme l’explique notre interlocuteur. Cette stratégie concentrée sur la défense de « la justice sociale » participe à cette dynamique sondagière. Pour donner l’exemple, les dirigeants du parti ont ainsi réduit leur salaire à 2 850 euros, soit le salaire moyen d’un travailleur qualifié en Allemagne. Une mesure « populiste », comme l’affirme en grinçant le reste de la gauche. Peut-être, mais redoutablement efficace pour frapper les esprits.
Mais c’est surtout la mobilisation contre la rupture du cordon sanitaire à l’égard de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, qui a eu le plus d’écho, en particulier chez les jeunes électeurs. Et ce, après l’intervention passionnée d’Heidi Reichinek, jeune députée, tête de liste du parti et candidate à la chancellerie. L’élue de 36 ans maîtrise à la perfection les codes des réseaux sociaux. Capable de rapper son programme en musique, elle compte plus de 420 000 followers sur Instagram et 540 000 abonnés sur Tik Tok. Son vibrant discours devant le Bundestag fin janvier, pour s’opposer à la rupture de la règle du cordon sanitaire anti-AfD par Friedrich Merz, le patron de la CDU/CSU, est devenu viral sur les réseaux sociaux avec plusieurs millions de vues.
« Les vrais antifascistes, c’est nous » Die Linke
Cette séquence a fait d’elle « une quasi pop star », observe auprès de Politis le professeur Uwe Jun, politologue et enseignant en Sciences politiques à l’université de Trèves, en Allemagne. « Il y a eu un avant et un après cette prise de parole », reconnaît Vinzenz Glaser. Die Linke a su capter l’air du temps et surtout, la crainte d’une résurgence du fascisme en Allemagne, après 80 ans de paix. Leur rival conservateur, M. Merz, s’est aliéné les autres partis en draguant ouvertement l’AfD pour faire passer une motion en faveur de la fermeture des frontières, puis une loi contre le regroupement familial, provoquant un sursaut citoyen face à l’extrême droite.
Outre un gain médiatique immédiat, cet épisode a aussi permis à Die Linke de marquer sa différence avec son ancienne leader, la très controversée Sahra Wagenknecht. L’élue a claqué la porte du parti en 2023 pour fonder sa propre formation politique « BSW » sur son nom propre (Bündnis SahraWagenknecht) en entraînant avec elle « de nombreux militants très actifs ». Mais cette dernière, qui se présente elle aussi aux législatives, dévisse dans les enquêtes d’opinion pour avoir prôné une « ligne dure » sur l’immigration, semblant s’aligner sur l’AfDsur ce sujet.
Pour la remplacer, la direction a subi un lifting, avec un tandem paritaire et rajeuni, l’ex-journaliste Ines Schwerdtner et le député Jan Van Haken, un ancien de Greenpeace. « Les vrais antifascistes, c’est nous », martèlent-ils dans la presse, un refrain répété avec aplomb sur le terrain par les autres candidats. Die Linke n’hésite pas non plus à critiquer le bilan des écologistes – die Grüne – et les sociaux-démocrates du SPD qui se sont alliés aux libéraux dans la dernière coalition.
« Les Verts ont déçu pas mal de gens » le candidat Die Linke à Fribourg.
« Ils font des promesses qu’ils ne tiennent pas une fois arrivés au pouvoir », affirme Vinzenz Glaser. Un argumentaire qui ulcère ses rivaux. «Faire du bruit ne suffit pas, il faut aussi assumer les responsabilités pour gouverner », répond sèchement le candidat des Verts à la chancellerie et ancien ministre de l’Economie dans le gouvernement Scholz, Robert Habeck, lors d’un entretien au podcast allemand Table Today ce jeudi 20 février. Rien à faire, les écologistes, usés par trois années au gouvernement, plafonnent à 14% dans les sondages. « Les Verts ont déçu pas mal de gens », observe le candidat Die Linke à Fribourg.
Démonstration à Lahr, dans le district de Fribourg, mardi 18 février, un jour de marché avec Maria. A 20 ans, cette étudiante en économie va voter pour la première fois pour Die Linke ce dimanche alors qu’elle ne se situe pas « fondamentalement à l’extrême gauche. » Ce qui l’a convaincue, c’est la «bataille contre l’extrême droite à mener pour éviter que l’Allemagne ne retombe entre les griffes des « Nazis », explique la jeune femme. Elle trouve les partis de gauche « trop mous » face au danger incarné par l’AfD, qui a fait plus de 20% des voix dans le canton aux dernières élections européennes.
« L’électorat de Die Linke est plutôt jeune et surtout, féminin », confirme le politologue Uwe Jun. Seul bémol selon cet expert, « ce parti a tendance à toucher plutôt l’électorat des grandes métropoles, souvent doté d’une formation universitaire. » Il n’empêche, Die Linke se refuse à « stigmatiser » les électeurs de l’AfD. « Beaucoup d’entre eux sont prêts à se tourner vers l’extrême droite par désespoir ou par provocation », soutient Vinzenz Glaser, qui veut « convaincre les mécontents et les ramener à gauche. » Verdict ce dimanche.
mise en ligne le 20 février 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le Hamas a rendu les corps de quatre captifs dont deux enfants, qui auraient été tués lors de bombardements aériens. Alors que l’accord de cessez-le-feu est toujours fragile, une réunion informelle a lieu ce vendredi 21 février à Riyad pour la reconstruction de l’enclave palestinienne sans nettoyage ethnique.
Le Hamas a rendu, jeudi, les corps de quatre Israéliens, capturés lors de l’attaque du 7 octobre. Ceux de Shiri Bibas et de ses deux enfants, Ariel, 4 ans et Kfir, 9 mois. Et celui d’Oded Lifshitz, 83 ans. L’organisation palestinienne a fait savoir qu’ils avaient été tués avec leurs gardes lors des frappes aériennes israéliennes.
À Gaza, personne ne s’est réjoui de voir ainsi des enfants israéliens morts avec leur mère. Sur les 48 000 Palestiniens tués depuis le début de la guerre, plus de la moitié sont des femmes et des enfants. Sans compter les milliers de cadavres qui se trouvent encore sous les décombres.
Le Hamas a proposé de libérer tous les prisonniers restés dans la bande de Gaza « en une seule fois » en échange d’une trêve durable et d’un retrait complet de l’armée israélienne de l’enclave assiégée. Dans une déclaration, mercredi 19 février, le porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, a exposé la vision du groupe pour la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, qui comprend l’échange proposé. « Nous sommes prêts pour une deuxième phase dans laquelle les prisonniers seront échangés en une seule fois, dans le cadre de la conclusion d’un accord qui mène à un cessez-le-feu permanent et à un retrait complet de la bande de Gaza. »
Six otages israéliens libérés samedi
L’organisation islamiste va augmenter le nombre de prisonniers à libérer lors du prochain échange, samedi 22 février, de trois à six. Une décision qui, apparemment, vise à accélérer la mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord. Elle est aussi une réponse à l’autorisation donnée par Israël de permettre l’entrée dans la bande de Gaza de mobile homes et d’équipements de construction dont les Gazaouis ont besoin alors que leurs maisons ont été détruites. Au plus fort de la guerre, 90 % de la population de Gaza a été déplacée. Beaucoup de familles sont retournées chez elles et ont constaté qu’il ne leur restait rien et qu’elles n’avaient aucun moyen de reconstruire.
Depuis l’accord de cessez-le-feu du 15 janvier, 1 135 Palestiniens ont été libérés des prisons israéliennes. Israël devrait en relâcher 502 autres dans les prochains jours. Après la remise de la semaine dernière, le nombre de captifs libérés par le Hamas et le Djihad islamique palestinien a atteint 25 depuis le 19 janvier.
Mais de sombres nuages bouchent l’avenir de la région. À commencer par la volonté exprimée par Donald Trump – pour le plus grand plaisir de Benyamin Netanyahou – de procéder à un nettoyage ethnique de la bande de Gaza en expulsant les 2 millions de Palestiniens en Égypte, en Jordanie et même en Arabie saoudite, sous prétexte d’y établir une « Riviera du Moyen-Orient », malgré le tollé international provoqué. Comment, dans ces conditions, discuter de la phase 2 et même de la phase 3 (sur la reconstruction, dont le coût, selon l’ONU, s’élèverait à près de 51 milliards d’euros) de l’accord ?
Le « plan égyptien de reconstruction » de Gaza en discussion en Arabie saoudite
Ce vendredi 21 février, en prélude au sommet arabe extraordinaire convoqué au Caire le 4 mars, les dirigeants des six riches monarchies du Golfe – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Koweït, Oman, Bahreïn – ainsi que d’Irak, de Jordanie et d’Égypte devraient discuter, à Riyad et à huis clos, d’un « plan égyptien de reconstruction » de Gaza.
Bien que Le Caire ait gardé le silence sur ses propositions, Mohammed Hegazy, membre du Conseil égyptien des affaires étrangères, a néanmoins révélé sur le site égyptien Ahram Online, que ce plan est composé de trois phases étalées sur trois à cinq ans.
Il souligne également que les Israéliens doivent cesser de tenter de créer une nouvelle réalité en refusant de se conformer à la phase d’aide humanitaire de l’accord de cessez-le-feu. Par ailleurs, la chaîne saoudienne Al-Arabiya a fait référence aux consultations arabes en cours pour organiser une conférence sur la reconstruction de Gaza avec une large participation européenne.
Reste évidemment le problème du contrôle de Gaza d’après-guerre. Peut-être la question la plus complexe. Le plan égyptien prévoit la mise en place d’une « administration palestinienne neutre, qui ne soit liée à aucune faction politique », explique Mohammed Hegazy. Elle sera « composée d’experts et relèvera politiquement et juridiquement de l’Autorité palestinienne ». Si cela semble être également le vœu de nombre de pays arabes, le Qatar est plus nuancé, arguant du fait que « l’avenir de Gaza doit être une décision exclusivement palestinienne ».
De son côté, Israël refuse d’envisager une quelconque gouvernance palestinienne. Dans ces conditions, il n’est pas certain que le cessez-le-feu durera. C’est ce que cherche Netanyahou, qui vient d’ailleurs d’annoncer de prochaines manœuvres israéliennes dans le nord de la bande de Gaza.
mise en ligne le 20 février 2025
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Précarisation, fermeture de guichets, distributions de courrier ajournées, dégradation des conditions de travail… le malaise est croissant à La Poste. La Cour des comptes, dans un rapport publié le 17 février, enjoint pourtant à l’opérateur d’accélérer la cadence dans la baisse des coûts, au nom de la rentabilité.
Les véritables enseignements des rapports livrés par la Cour des comptes ne se nichent parfois pas là où on le croit. Ainsi en va-t-il de cette « analyse » sur « la Trajectoire financière de La Poste pour les exercices 2019 à 2023 », publiée lundi 17 février par la haute juridiction. Derrière les chiffres et les constats alarmistes se dessine avant tout une certaine vision du service public qui a le mérite de jeter une lumière crue sur l’origine des alertes émergeant partout en France de la part des syndicats.
Que peut-on y lire ? Que La Poste subit « une dégradation de sa situation financière ». La faute à une rentabilité « insuffisante » de ses « activités de diversification » (la logistique et la bancassurance notamment), mais aussi – et il faut croire que la Cour des comptes assume l’oxymore – à la « faible rentabilité » de ses missions de service public, notamment celles liées à la distribution du courrier, frappée par « une baisse marquée et inexorable, tout comme la fréquentation des bureaux de poste ».
En témoignerait la chute du résultat net du groupe, passé de 1,2 milliard d’euros en 2022 à moitié moins en 2023, soit 514 millions d’euros. « Des mesures de remédiation dans le cadre d’un nouveau plan stratégique », prenant en compte « la baisse des métiers historiques », et un « réexamen du contenu des missions de service public confiées au groupe » s’imposeraient donc selon les magistrats de la Rue Cambon.
« Un incubateur à précarisation de l’emploi »
Dans le viseur, notamment : la fréquence de la distribution du courrier (actuellement de six jours sur sept) et les bureaux de poste, la branche services-courrier-colis ne représentant « plus que 15 % du chiffre d’affaires, contre près de 50 % en 2010 ». Il en irait de la santé des finances publiques, l’État étant actionnaire au sein du groupe à hauteur de 34 %, aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations (66 %).
À en croire les syndicats, la nouvelle orientation préconisée est pourtant déjà bien à l’œuvre, résultat du plan 2021-2030 mis en place, pour ajuster la stratégie de l’entreprise, par Philippe Wahl, le PDG de La Poste. Si la Cour des comptes le juge encore insuffisant, sur le terrain les secousses sont, elles, déjà redoutables pour les salariés et les usagers.
En décembre, quelque 20 000 intérimaires, qui enchaînaient des missions parfois depuis plus de dix ans, ont vu leur contrat brutalement interrompu. Mis sur le carreau, ils ont été la variable d’ajustement d’un système à partir duquel le groupe a depuis plusieurs années construit son modèle. « La Poste a cette particularité d’être un incubateur à précarisation de l’emploi. Que ce soit dans les agences de distribution ou les dépôts, il y a tellement de formes d’emploi que des dizaines de contrats différents se côtoient au sein d’un même site », pointe Laetitia Gomez, secrétaire générale de la CGT intérim.
Interrogée en décembre sur cette affaire, la direction de La Poste avait fait valoir « les recrutements supplémentaires de plus de 1 000 facteurs en CDI sur le dernier trimestre 2024, qui se rajouteront aux 2 300 recrutements externes de facteurs en CDI réalisés à fin septembre et aux 3 150 distributeurs de Mediaposte intégrés en février dernier ».
Pour Catherine Stolarz, pilote des activités poste à la fédération CGT FAPT, le compte n’y est pas : « Le départ des intérimaires est aussi une catastrophe pour ceux qui restent, parce qu’ils doivent assurer toute l’activité sans ce renfort qui était structurel. » La charge de travail serait à un niveau tel que les arbitrages dans le choix du courrier à distribuer seraient devenus monnaie courante. « La Poste est sur une politique uniquement de rentabilité et non plus de service public », conclut la syndicaliste.
L’inspection du travail alertée
Dans la Loire, le constat est partagé par les facteurs de la plateforme courrier du site de Champbayard, à Boën-sur-Lignon, et ceux du centre de courrier de Riorges, en grève depuis plus de deux semaines. Déjà sous pression, les premiers ont appris fin janvier la suppression de trois tournées, ainsi que la fermeture d’un guichet professionnel dans le centre de distribution, jugé trop peu fréquenté.
Une réorganisation décidée « sur un coin de table, sans en référer aux instances du personnel », selon Serge Ronze, secrétaire général CGT FAPT Loire, qui décrit des « salariés à bout, régulièrement en larmes », pour lesquels l’inspection du travail aurait été alertée.
Une détresse qui mêle épuisement, sentiment de mépris, mais aussi perte de sens. « On nous demande désormais de laisser dans les casiers le courrier jugé peu important, faute de bras. En fait, La Poste nous demande de mal faire notre travail et de ne plus remplir correctement nos missions », assène le syndicaliste. Pour mieux en justifier la suppression ?
mise en ligne le 19 février 2025
Manon Escande et Eléonore Houée sur www;humanite.fr
Pour la deuxième semaine consécutive, les professionnels secteur ont manifesté contre la précarité et pour la défense du service public. Ils entendent organiser une série d’actions la semaine du 17 mars.
Ils n’en sont qu’à leur deuxième semaine de mobilisation, mais comptent bien faire durer le mouvement. Devant la Comédie-Française, à quelques mètres du ministère de la Culture, les manifestants ont fait entendre leur colère. Mardi 18 février, à 15 heures, plusieurs centaines de travailleurs du secteur culturel à Paris ont occupé la place Colette pour contester les récentes coupes budgétaires, tant à l’échelle départementale, que régionale et nationale. Dans l’Hérault, le conseil départemental a, par exemple, réduit de 100 % le budget alloué à la culture. Les artistes auteurs et les intermittents du spectacle ont donc répondu à l’appel des syndicats, parmi lesquels la CGT spectacle, SUD culture ou encore l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens.
Au-delà des réductions budgétaires, ces professionnels se mobilisent, entre autres, contre le gel de la part collective du pass Culture et s’opposent à la réforme du RSA. Clément Valette, graphiste, plasticien et professeur à l’école des Gobelins, à Paris, déplore une surpaupérisation du secteur : « On sucre le RSA aux plus pauvres et les mieux payés souffrent de la hausse de la TVA. » Tout comme les autres participants, il compte sur le soutien du monde enseignant. Isabelle Vuillet, secrétaire générale de la CGT Éduc’action, appuie son propos : « Le pass Culture sert à l’origine à établir des ponts entre la culture et les élèves issus de milieux modestes. L’annonce brutale du gel de la part collective est un signe de mépris d’abord, l’expression ensuite d’une maltraitance pour les artistes. »
« Rachida Dati ne devrait pas être à la tête de ce ministère »
De manière générale, le mouvement conçoit la culture comme un bien public. « Ce n’est pas juste une question d’argent, mais aussi une vision d’une politique culturelle qui ne soit pas seulement au profit du privé », explique Sylvie Gouttebaron, directrice de la Maison des écrivains et de la littérature. L’idée ne semble pas partagée par la ministre de la Culture, Rachida Dati, que différents intervenants prennent pour cible. Jimmy Cintero, délégué syndical au Snap-CGT, syndicat national des artistes plasticien·nes, évoque « un dialogue social rompu ». Il ajoute : « On nous demande de faire autrement, de ne pas seulement chercher des ressources financières du côté du service public. » Clément Valette va même encore plus loin : « Rachida Dati ne devrait pas être à la tête de ce ministère. Elle n’est pas légitime, personne n’a voté pour son parti. »
L’autre inquiétude, c’est l’extrême droite. La percée du Rassemblement national aux élections législatives 2024 a motivé de nouveaux militants. « La dissolution de l’Assemblée nationale a permis un réveil des consciences des salariés de certaines institutions qui se sentaient peut-être protégés. Ils ont compris qu’ils seraient dans le mauvais camp si l’extrême droite arrivait au pouvoir », constate le graphiste. À titre d’exemple, le collectif la Belle Équipe, né après les résultats, a rejoint la contestation dans le but d’alerter les moins politisés. Ils organisent dans cette optique une journée de commémoration contre le fascisme le 8 mai prochain.
De nouvelles actions à venir
Ce n’est pas la seule action envisagée. À la suite de la manifestation de l’après-midi, une assemblée générale a eu lieu à la bourse du travail, à 18 h 30. Environ 600 personnes y ont assisté, un chiffre en hausse par rapport à la réunion de mardi dernier. « Toutes les professions de la culture sont là, même les moins organisées », remarque Ghislain Gauthier, secrétaire général de la CGT spectacle. Se sont notamment décidées la mise en place de différentes commissions, mais également une semaine de mobilisation à partir du 17 mars, en vue de l’examen de la loi relative à la réforme de l’audiovisuel public. Celle-ci prévoit la création d’une holding, France Médias, constituée de Radio France, France Télévisions, France Médias Monde et l’INA.
« Il faut inverser le rapport de force », insiste Jimmy Cintero. L’assemblée générale a aussi voté pour une grève nationale de tous les secteurs de la culture organisée le jeudi 20 mars. Une initiative qui a provoqué quelques dissensus au sein des mobilisés, tant tous ne pourront pas y participer en raison de leur statut. D’autres propositions ont donc émergé, pour le moins extravagantes : « Former une chorale du rire devant l’Élysée », « balancer des slips à chaque déplacement de la ministre de la Culture »… Et plus sérieusement opter pour une convergence des luttes. Le collectif a ainsi affirmé son soutien vis-à-vis des mineurs isolés résidant à la Gaîté Lyrique.
mise en ligne le 19 février 2025
Par Ines Soto sur https://www.bondyblog.fr/
Installé en région parisienne, ce centre d’hébergement accueille de jeunes femmes de 18 à 25 ans victimes de violences. Fondée en 2021, cette structure prend en charge quelque 50 femmes en leur pourvoyant un logement et accompagnement spécifique. Reportage.
« Ce n’était pas censé être notre modèle de prise en charge au départ, mais l’équipe s’est rendu compte que cette tranche d’âge, les femmes de 18-25 ans sans enfant, était vulnérable et un peu oubliée de la prise en charge », introduit Violette Perrotte, directrice générale de la Maison des femmes. Cette association est la maison mère du centre d’hébergement Mon Palier.
L’équipe a été « dessinée en miroir de l’unité de soin de la Maison des femmes. On s’est inspiré du modèle de l’association FIT Une femme, un toit, qui se spécialise dans l’hébergement de ce public », précise la directrice. Après trois ans d’existence, les encadrantes mesurent son impact avec des sorties jugées positives.
Préserver l’adresse cachée
Un trait d’eye-liner rose est finement tracé au-dessus de ses yeux. Lina, 23 ans, est arrivée à Mon Palier il y a près d’un mois. Elle partage sa chambre avec une autre jeune femme, dans un appartement où elles vivent à quatre. Les sept logements sont agencés ainsi, munis d’une kitchenette et d’un sanitaire.
Subissant des violences intrafamiliales, Lina a été orientée par une assistante sociale vers ce centre. À son arrivée, ses besoins sont multiples. « D’abord celui de mise en sécurité, de logement et surtout de bien-être. Mais aussi d’être entourée et de ne pas être seule pour me reconstruire. »
Tout emménagement nécessite un entretien d’admission afin d’éviter l’inefficacité de la prise en charge et la mise en péril du collectif. Notamment concernant la mise en sécurité. « L’adresse secrète est une contrainte et, si on n’en a pas vraiment besoin, on peut faire moins attention », souligne Olivia Gayraud, la cheffe de service. Car, en pratique, les résidentes ne peuvent pas recevoir de proches ou de colis, ni se faire déposer devant la porte par un taxi.
Pour leurs allées et venues, elles sont libres, mais doivent tout de même prévenir lorsqu’elles découchent. L’équipe salariée est sur place de 9 heures à 21 heures, puis, des agentes de sécurité prennent le relais. Un déménagement vers un lieu plus grand est en préparation. « Là-bas, on aura la possibilité d’accueillir en urgence comme nous aurons des chambres individuelles », se réjouit Chloé Rinaldo, travailleuse sociale. La capacité d’accueil passera de 28 à 38 femmes.
Une période charnière
En 2023, à l’arrivée, 55 % des pensionnaires ont moins de 21 ans. « On parle beaucoup des victimes de violences conjugales, mais assez peu de la violence intrafamiliale. Il n’y a pas que l’inceste, il y a beaucoup de maltraitance, de violence physique, psychologique et notamment administrative », témoigne Olivia Gayraud.
Les violences conjugales sont également fréquentes au sein de jeunes couples. Sur la totalité des femmes accueillies en 2023, les types de violences se répartissent ainsi : 33 % intrafamiliales, 21 % conjugales, 11 % mariage forcé, 10 % inceste, 9 % viols, 8 % prostitution, 7 % excision, 1 % esclavage moderne.
« Il existe plusieurs types d’hébergement pour femmes, mais un lieu pour celles de 18 à 25 ans, avec une adresse cachée, c’est assez spécifique », souligne Chloé Rinaldo. Elle est vigilante à ne pas projeter des choses sur les femmes qu’elle accompagne, elle travaille autour de leurs envies et leurs valeurs. « On est là pour les guider. Même quand on n’a pas vécu de choses difficiles, c’est un âge où on peut être perdu. »
Venir ici et me libérer de tout ça m’a soulagée
L’accompagnement socio-éducatif est au cœur du projet, et les femmes qui les entourent constatent que c’est une période charnière. « On peut faire plein de choses avec elles, ça va vite. »
Avant d’arriver, Lina a subi des pressions. « Venir ici et me libérer de tout ça m’a soulagée. J’avais pas mal d’angoisses, du mal à manger et à dormir. Ici, j’ai reçu un bon soutien. Au niveau santé mentale, j’évolue beaucoup », reconnaît-elle d’une voix calme.
Un suivi sur mesure
Un contrat de séjour fixe la durée de l’hébergement, et peut être prolongé au besoin, jusqu’à deux ans. Puis un contrat d’objectif est établi avec la référente qui les reçoit chaque semaine, dans lequel chacune renseigne ses souhaits et les moyens d’y parvenir. « Ça peut être réussir à suivre un accompagnement psychologique, avec ou sans soutien de notre part, ou encore passer l’équivalence de leur permis en France », détaille Chloé Rinaldo.
À Mon Palier, en 2023, 28 % des résidentes sont sans papiers, 60 % n’ont aucune couverture médicale à leur arrivée. Certaines subissent la rétention de leurs documents administratifs. Dans un premier temps, il est donc urgent de gérer l’administratif, avec parfois le soutien d’une avocate bénévole. Toute une réflexion est également menée sur l’après, la réinsertion professionnelle, la recherche d’hébergement, etc.
Lina s’épanouit dans le milieu hospitalier et rêve d’un chez elle après le centre. « J’ai plusieurs accompagnements ici, je parle de tout ce qui est traumatisme avec la psychologue, je travaille sur les tensions au niveau du corps avec l’ostéopathe et, avec l’éducatrice, c’est plutôt l’administratif comme les déclarations d’impôts », détaille-t-elle.
Une maîtresse de maison est présente pour les accompagner : planning de ménage, ateliers de cuisine, gestion des courses. En “mode survie” avant leur arrivée, certaines ont aussi besoin d’aide pour gérer des actes du quotidien tels que le réveil ou le coucher. Une psychologue et un médecin interviennent régulièrement. Le centre propose aussi l’ostéopathie, la danse, l’art thérapie ou encore la psycho-éducation. La vie en communauté est également un apprentissage, des tensions apparaissent parfois, temporisées par l’équipe.
« Il y a beaucoup de vie ici »
« Quand je suis en repos, je discute avec mes colocataires, je vais dans la pièce commune en bas. » Lina essaie de participer aux activités, en plus de son suivi personnel. « À Noël, on a fait un grand repas, pour le 31 aussi, on a fait une raclette et je vais participer à des cours de danse cette semaine », raconte-t-elle. Soirées à thème, venue d’une célébrité de Danse avec les stars pour la galette…
« Il y a beaucoup de vie ici, des moments douloureux, mais aussi des moments de joie où on s’amuse. » Olivia Gayraud tient à cet aspect de l’accompagnement. « Il y a beaucoup de situations dramatiques, mais ce lieu ne l’est pas », souligne-t-elle. La cheffe de service veut transmettre l’espoir aux femmes qui franchissent la porte. « Quand elles ont compris qu’elles peuvent aller mieux, c’est une étape. »
Elles peuvent avoir des conduites à risque liées à leur traumatisme
L’étiquette de victime est lourde à porter, elle aspire à ce qu’elles s’en détachent. « On leur apprend aussi à repérer les situations de violence. Parfois, on a l’impression qu’elles vont un peu mieux, mais il va y avoir des sujets sur lesquels c’est plus délicat. Par exemple, elles peuvent avoir des conduites à risque liées à leur traumatisme. »
Les jeunes filles qui sont à Mon Palier, « sont certes sorties de l’enfance en définition légale, mais elles ont ici des accompagnements très importants, nécessaires », soulève Violette Perrotte qui lutte pour une revalorisation de la dotation journalière pour les plus de 18 ans pris en charge dans un foyer.
Celles qui n’ont pas de ressources reçoivent des tickets services, les autres contribuent en fonction de leurs revenus. Jusqu’ici, 43 % des résidentes ont bénéficié d’une sortie positive. Le nouveau lieu situé dans Paris, mis à disposition par un mécène, permettra d’améliorer la qualité de vie, le confort dans cette transition vers une nouvelle vie, une vie à elles.
mise en ligne le 18 février 2025
Emilio Meslet sur www.humanite.fr
Jusqu’à l’été, le député Génération.s, membre du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas, conduira une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Il lance, dans l’Humanité, un appel aux syndicalistes et aux élus locaux pour élaborer ensemble des solutions.
En exclusivité pour l’Humanité, le député Benjamin Lucas annonce la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements. Celle-ci fait suite à la proposition de loi (PPL) pour empêcher les licenciements boursiers que Benjamin Lucas défend, ce jeudi, dans la niche du groupe Écologiste et social. Entretien.
Pourquoi avoir pris ces deux initiatives ?
Benjamin Lucas : L’année 2025 va connaître un record de plans sociaux. La CGT en dénombre 300 potentiels avec 300 000 emplois menacés. Nous sommes devant l’impuissance organisée des pouvoirs publics, la démission de l’État. Et nous allons prendre cette balle de front. François Mitterrand disait que « Contre le chômage, on a tout essayé » avant que Lionel Jospin n’affirme que « L’État ne peut pas tout ».
À l’inverse, je crois qu’on peut beaucoup. D’où cette PPL qui vise à donner plus de pouvoir aux salariés dans le rapport de force des négociations lors d’un plan social. Elle donne ainsi un droit de veto au comité économique et social (CSE) et exige le remboursement des aides publiques par ces entreprises que le contribuable aide, mais qui abandonnent les territoires, des familles et des emplois industriels.
La puissance publique doit s’affirmer. Surtout devant ces licenciements dictés par un impératif de rentabilité et non économique. Michelin distribue des dividendes et licencie pour augmenter la rémunération des actionnaires. Les salariés ne peuvent être utilisés comme une variable d’ajustement pour les enrichir.
D’après les communistes, qui ont aussi déposé une PPL, votre texte va dans le bon sens mais n’empêche pas réellement les licenciements boursiers, faute de s’attaquer à la définition du « motif économique » invoqué par les patrons. Qu’en pensez-vous ?
Benjamin Lucas : Ma PPL est un point de départ qui offre déjà des leviers pour combattre ces licenciements. C’est une question de justice. « Tu casses, tu répares », disait Gabriel Attal. Je réponds : « Tu licencies, tu rembourses. Tu casses l’emploi et tu abîmes les territoires, tu répares. » Rembourser trois ans d’aides publiques, c’est énorme, aussi pour renchérir le coût de ces plans de licenciements.
Ces aides sont importantes, mais elles ont une contrepartie : investir dans la transition écologique, respecter les droits sociaux dans l’entreprise, garantir de bonnes conditions de travail et ne pas détruire des emplois quand rien ne le justifie. Mon texte mériterait d’être enrichi. Et c’est pour cela que nous voulons élargir la réflexion avec la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans sociaux.
Comment la concevez-vous ?
Benjamin Lucas : Mon groupe utilise son droit de tirage pour créer cette commission et j’en suis fier. Elle fera le bilan de la politique d’Emmanuel Macron. Une politique de l’offre, des cadeaux aux grandes entreprises sans contrepartie et de casse du code du travail qui, à bien des égards, a commencé avant lui.
En réalité, il y a deux commissions d’enquête. Une officielle, au Palais Bourbon, où nous auditionnerons des décideurs politiques, des chefs d’entreprise, des économistes pour comprendre comment la puissance publique a démissionné. Mais aussi une commission populaire, hors les murs. Je lance un appel aux syndicalistes et aux élus locaux, à tous ceux qui vivent les ravages de ces plans sociaux, pour les rencontrer. Je veux construire mon diagnostic et les solutions avec eux.
Les macronistes vous accusent de « stalinisme économique », lequel ferait de « l’entreprise » une « ennemie » que vous voudriez « brider ». Que leur répondez-vous ?
Benjamin Lucas : Ils décident de ne pas faire confiance aux salariés. Jusqu’à s’allier avec le RN pour s’opposer au droit de veto du CSE. Mon texte, soutenu par tout le Nouveau Front populaire, permet aussi de remettre des marqueurs politiques : il y a une gauche et une droite. Nous pensons que l’économie doit se mettre au service de l’intérêt général, qu’il faut la réguler, qu’il faut remettre en cause la politique de l’offre et du laxisme fiscal à l’égard des grandes entreprises.
En face, le bloc de droite libérale, RN inclus, considère que parler de « lutte » quand des salariés se battent pour ne pas être licenciés est violent et vulgaire. Cette droite croit encore à la main invisible du marché et au ruissellement tout en répétant, au sujet des aides sociales, qu’à des droits correspondent des devoirs. Je considère que l’usage des deniers publics est aussi une question morale.
mise en ligne le 18 février 2025
La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/
Suite à la découverte de fosses communes, 27 réseaux et organisations de la société civile de chaque rive de la Méditerranée, dont La Cimade, appellent à geler les fonds européens migration pour la Libye.
La récente découverte de douzaines de corps, vraisemblablement de personnes exilées, dans des fosses communes à Jakharrah et dans le désert d’Alkufra en Libye est particulièrement choquante.
Nos pensées vont aux familles des victimes, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont perdu des proches dans des circonstances similaires, et dont la situation est souvent aggravée par l’absence de procédures de signalement, d’identification et d’accès à l’information concernant les personnes disparues.
En Libye, la torture et le meurtre de personnes migrantes dans les centres de détention, leur abandon en mer ou dans le désert, la détention dans des conditions assimilables à l’esclavage, la famine et d’autres violations graves des droits humains ont été largement documentés par la Mission indépendante d’établissement des faits des Nations Unies sur la Libye, ainsi que par d’autres organisations.
Il apparaît clairement que les financements de l’Union européenne, ainsi que d’Etats membres, dont l’Italie et la France, à la Libye, n’ont pas tenu leur promesse d’améliorer les conditions de vie des personnes cherchant à se mettre en sécurité.
Dix ans après le naufrage le plus meurtrier survenu dans la Méditerranée au large des côtes libyennes, les réfugié.es en Libye demeurent soumis à des conditions qu’aucun être humain ne devrait subir.
Souvent, ces conditions de vie sont imposées par des forces de sécurité qui ont reçu soutien et financements européens.
La Commission européenne a récemment annoncé avoir pris des mesures afin de réexaminer ses accords de financement avec la Tunisie, après des révélations sur les violations des droits perpétrées par les forces de sécurité tunisiennes.
A la lumière de ces nouvelles découvertes, et à la suite du rapport publié l’année dernière par la Cour des comptes européenne constatant l’échec des financements de l’UE en Libye face aux risques pour les droits humains, l’UE doit prendre des mesures en Libye également.
Les sommes allouées à ces financements devraient plutôt être utilisées pour sauver des vies et permettre la mise en place d’alternatives aux voyages périlleux entrepris par les personnes qui fuient la Libye, en ouvrant des voies de passage sûr.
Signataires
ASGI – Association for Juridical Studies on Immigration, Borderline-europe – Human Rights without borders e.V:, Border Violence Monitoring Network, CCFD-Terre Solidaire, Community Rights in Greece, Egyptian Human Rights Forum (EHRF), EgyptWide for Human Rights, European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), European Network Against Racism (ENAR), EuroMed Rights, Greek Council for Refugees (GCR), Human Rights Watch (HRW), Jesuit Refugee Service (JRS) Europe, KISA – Action for Equality, Support, Antiracism, La Cimade, MALDUSA Project, MISSION LIFELINE International e.V., MV Louise Michel, Refugees in Libya, Refugees Platform Egypt (RPE), Sea-Eye e. V., Sea Punks e.V., Sea-Watch, SOS Humanity e.V., Statewatch, Transnational Institute, The Tunisian Forum for Social and Economic Rights FTDES, Watch the Med – AlarmPhone
Citations
David Yambio de Refugees in Libya :
« La macabre découverte de nouvelles fosses communes en Libye est une preuve supplémentaire qu’après plus d’une décennie de soutien de l’UE aux forces de sécurité libyennes, des conditions meurtrières et inhumaines persistent pour les personnes qui cherchent à se mettre en sécurité. »
« L’Union européenne a récemment fait un premier pas attendu de longue date en réexaminant certains de ses accords de financement avec la Tunisie. Elle doit agir de même en Libye, suspendre sa coopération avec les forces de sécurité libyennes et ouvrir des voies sûres pour les personnes bloquées en Libye. »
Europdéputée Ilaria Salis, eurodéputée :
« La récente libération par l’Italie d’Osama Najim Almasri, criminel de guerre libyen recherché au niveau international, semble être une nouvelle preuve de la relation étroite qu’entretiennent l’Italie et les Etats européens en général, avec les auteurs de violations des droits humains en Libye. »
« La découverte de nouveaux décès tragiques et évitables est un signal d’alarme supplémentaire. L’Europe doit donner la priorité à l’établissement de routes migratoires sûres et réglementées, et transformer la mobilité en un atout plutôt que de tenter d’empêcher les gens de se déplacer à tout prix, même au détriment de leur vie. »
Tineke Strik, eurodéputée :
« La découverte de ces fosses communes est une terrible confirmation supplémentaire des crimes contre l’humanité que subissent les personnes migrantes en Libye, perpétrées par les forces de sécurité de l’Etat et des milices armées. »
« Ces acteurs ne font aucun cas des droits humains et ne peuvent pas constituer un partenaire sérieux pour l’UE ou ses Etats membres si nous prétendons avoir des valeurs. Que cela soit un signal d’alarme pour la Commission afin qu’elle procède à un réexamen complet de ses actions en Libye et qu’elle mette fin à tout financement ou programme de coopération qui bénéficie directement ou indirectement à ces acteurs. »
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Spécialiste des enjeux relatifs aux migrations à Amnesty International France, Diane Fogelman dénonce des politiques migratoires aux conséquences mortifères pour une partie de la population reléguée au rang d’humanité de seconde zone.
Le nombre de décès sur d’autres routes migratoires qu’en Méditerranée centrale est en pleine explosion. Pourquoi ?
Diane Fogelman : C’est le résultat de politiques européennes. Les personnes s’exposent à des dangers de plus en plus grands pour leur intégrité physique et leur vie afin d’atteindre l’Europe. Et ce n’est pas seulement le cas en mer. Nous avons documenté de nombreux décès dans le Sahara, à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Des centaines de réfugiés se trouvaient bloqués aux frontières de la Tunisie avec la Libye en 2023.
Les expulsions qui ont eu lieu de l’Algérie vers le Niger sont également le résultat d’une reconfiguration des routes migratoires due aux accords passés entre les pays européens et ceux du Maghreb. Amnesty considère que l’Union européenne (UE) se rend complice de violations des droits infligées par ses partenaires étatiques à des demandeurs d’asile, des migrants et des réfugiés, allant jusqu’à provoquer leur décès.
Le projet d’Emmanuel Macron de créer, au Niger, des centres de tri des exilés s’inscrivait dans cette logique. Où en est-on aujourd’hui ?
Diane Fogelman : Cela s’inscrivait dans un projet plus global d’externaliser les demandes d’asile. C’est d’ailleurs une volonté de l’ensemble des gouvernements à l’échelle mondiale. On l’observe aux États-Unis, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Ces externalisations sont problématiques en termes de respect des droits humains et vont s’amplifier, au sein de l’UE, avec l’entrée en vigueur de nouvelles législations, notamment la révision de la « directive retour » et la mise en œuvre du pacte asile-immigration, mi-2026. Celles-ci vont reconfigurer les frontières extérieures de l’Union et entraîner la création de nouvelles routes migratoires potentiellement plus dangereuses.
La présence d’ONG, en Méditerranée centrale, permet de sauver des vies et de documenter ce qui s’y passe. Ce qui n’est pas le cas dans les zones subsahariennes ou sur la côte atlantique de l’Afrique…
Diane Fogelman : Ce qui est terrible, c’est l’ampleur de ce qui est invisible. On constate, par exemple, au niveau de Briançon et Montgenèvre, dans les Hautes-Alpes, que de plus en plus de personnes sont refoulées et décèdent dans les montagnes. Personne n’en parle.
C’est pareil dans toute l’UE. En 2022, à la frontière de l’enclave de Melilla, entre le Maroc et l’Espagne, des dizaines de personnes sont décédées. Ni le gouvernement espagnol ni le gouvernement marocain n’ont pris leurs responsabilités. Invisibles, ces décès sont également invisibilisés.
Faut-il en déduire que, pour certains, les personnes exilées constituent une humanité de seconde zone ?
Diane Fogelman : En effet. En travaillant sur un récent rapport sur les conditions de vie des travailleurs immigrés au Canada, par exemple, nous avons constaté que les politiques migratoires s’y inscrivent dans un contexte historique fondé sur des discriminations issues de l’esclavage.
C’est pourtant un pays que l’on n’associe pas, de prime abord, aux violations des droits humains. Nous sommes face à des dynamiques structurelles d’un racisme systémique, à l’échelle mondiale. Nous constatons, en outre, que, partout, les personnes susceptibles d’aider les exilés sont elles-mêmes de plus en plus criminalisées et attaquées.
Émilien Urbach sur www.humanite.fr
Face aux politiques européennes rendant le passage par la Méditerranée centrale de plus en plus difficile, de nouvelles voies apparaissent. Avec plus de 10 400 décès recensés, en 2024, sur la route atlantique, l’ONG Caminando Fronteras alerte sur les conséquences mortifères de ce phénomène.
On décrit, depuis plusieurs années, la Méditerranée centrale comme la route migratoire la plus mortifère pour les exilés en quête d’un refuge sur les rives européennes. Un rapport accablant de l’ONG Caminando Fronteras, publié en décembre 2024, met en lumière une autre réalité, faisant de la route atlantique celle où le plus grand nombre de personnes disparaissent.
L’organisation espagnole qui travaille, depuis 2002, avec les communautés exilées et leurs familles pour défendre les droits humains sur les routes migratoires dénombre, désormais, six axes de migration à la frontière occidentale entre l’Europe et l’Afrique. Selon l’ONG, en 2024 plus de 10 400 exilés y ont perdu la vie ou ont disparu en mer en tentant de rejoindre l’Espagne.
131 embarcations d’exilés disparues, au large de la Mauritanie, en 2024
Un chiffre en hausse de 58 % par rapport à l’année précédente, qui fait exploser les décomptes d’autres institutions. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) rapporte ainsi que, en 2024, environ 3 800 exilés sont morts ou ont disparu en mer Méditerranée. De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime à 4 200 le nombre de vies perdues en tentant de traverser la Méditerranée la même année. Mais les deux organisations onusiennes n’évoquent pas les victimes de la route atlantique.
Caminando Fronteras : sur les axes en partance de l’Afrique occidentale, 517 personnes ont péri sur la route dite de l’Algérie, 73 sur celle de l’île d’Alboran, 110 sur celle du détroit de Gibraltar et 9 757 sur les routes de la côte atlantique,de Mauritanie et dans une moindre mesure du Maroc, du Sahara occidental, du Sénégal ou de Gambie.
Face aux puissants courants de l’Atlantique, avec des embarcations souvent surchargées et mal équipées, les conditions de voyage y sont extrêmement dangereuses. « Nous étions entassés dans un canot pneumatique, sans assez de nourriture ni d’eau, . Beaucoup n’ont pas survécu au voyage. » En outre, l’absence sur cette zone d’organisations de sauvetage en mer, tant étatiques que civiles, aggrave la situation. En 2024, 131 embarcations auraient ainsi disparu avec toutes les personnes à bord sans laisser de trace.
De plus en plus de refoulements et de violences aux frontières
Selon SOS Méditerranée, le choix des exilés de prendre cette nouvelle route est la conséquence directe des politiques migratoires européennes. « Les politiques restrictives de l’Union européenne (UE) et le soutien aux gardes-côtes libyens ont rendu la traversée de la Méditerranée centrale extrêmement périlleuse, poussant de nombreux exilés à emprunter des routes encore plus risquées comme celle de l’Atlantique », dénonce Camille Martin, porte-parole de SOS Méditerranée.
La route de la Méditerranée occidentale, reliant le Maroc à l’Espagne continentale, reste cependant très active. Mais, pour Caminando Fronteras, les exilés empruntant cet axe sont confrontés à des risques de plus en plus élevés de refoulement et de violence. En 2024, plusieurs incidents de refoulement collectif ont été signalés, impliquant des centaines de personnes.
« Nous avons été interceptés en mer et renvoyés de force au Maroc, sans aucune aide ni explication », un témoin cité dans le rapport de l’ONG. Une situation qui n’est pas sans rappeler le drame de Melilla de 2022, où une trentaine de personnes sont mortes dans une bousculade à cause de ce que l’ONU a qualifié d’« usage excessif de la force » contre des exilés. L’événement s’est produit un an après une tragédie similaire à Ceuta, pour laquelle l’enquête des autorités espagnoles a été classée sans suite…
Un projet sécuritaire mené au détriment des droits humains
Ces réalités confirment, pour l’ONG espagnole, l’existence d’une véritable « nécropolitique » impactant les personnes en mouvement, soulignant que leur déshumanisation et leur criminalisation sont au cœur des politiques migratoires actuelles. « Il est inacceptable que des personnes continuent de mourir en mer alors que nous avons les moyens de les sauver, a dénoncé la députée communiste Elsa Faucillon lors d’une session parlementaire le 10 février 2025. La création d’une flotte européenne de sauvetage est une nécessité urgente. »
La parlementaire avait, d’ailleurs, déjà obtenu l‘adoption, en commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, d’une résolution, inscrite au Journal officiel le 21 janvier 2025, appelant à la mise en place de cette flotte manquante pour répondre à la crise humanitaire.
Il y a peu de chances cependant qu’une telle disposition soit prise. Les politiques migratoires répressives des pays membres de l’UE continuent au contraire de prioriser le contrôle des frontières au détriment des droits humains fondamentaux. Les responsables politiques ne s’en cachent d’ailleurs pas. « Nous devons protéger nos frontières pour garantir la sécurité de nos citoyens, insistait Gérald Darmanin en novembre 2024. Les flux migratoires incontrôlés représentent une menace pour notre stabilité. »
Au nom de quoi les pays européens multiplient les accords d’externalisation avec les États du Maghreb, tels que le Maroc et la Libye, soumettant des aides financières et la coopération économique au contrôle des frontières. L’UE a ainsi alloué, en 2022, 500 millions d’euros au Maroc pour renforcer sa gestion des flux migratoires. De même, la Libye a reçu environ 327,9 millions d’euros entre 2017 et 2020 pour des projets similaires. Ces accords conduisent de fait à l’augmentation de prises de risque par les exilés contraints de choisir des routes plus dangereuses.
Le pacte européen sur l’asile et l’immigration aggrave la situation
Et les pays européens ne comptent pas s’arrêter là. Dans quelques mois, ils devront tous mettre en application le pacte européen sur la migration et l’asile, adopté en avril 2024. « Cet accord va faire reculer le droit d’asile européen de plusieurs décennies, alerte Eve Geddie, directrice du bureau d’Amnesty International auprès des institutions européennes. Son résultat probable est une augmentation de la souffrance à chaque étape du parcours des personnes cherchant à obtenir l’asile dans l’UE. »
En clair, malgré les appels répétés des organisations de défense des droits humains, les États membres de l’UE continuent d’ignorer les principes de dignité et de non-discrimination. Les exilés, fuyant des situations de guerre ou de pauvreté extrême, prennent de plus en plus de risques mortels. « Les politiques migratoires actuelles de l’UE sont une honte pour l’humanité, s’est insurgé Enrique Santiago, secrétaire général du Parti communiste espagnol, lors d’un rassemblement à Madrid en décembre 2024. Elles sacrifient des vies humaines sur l’autel de la sécurité et de la xénophobie. »
Le responsable politique réagissait ainsi aux révélations des différents rapports alarmants sur les décès d’exilés aux frontières de son pays, dont ceux documentés par Caminando Fronteras. Il rappelait, en outre, que la protection des vies humaines devrait primer sur les considérations sécuritaires et que, pour éviter ces drames à répétition, des efforts concertés devaient enfin être faits pour offrir des voies légales et sûres aux exilés.
mise en ligne le 17 février 2025
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
Paul, militant à la CGT et à Young Struggle, a été roué de coups dimanche soir par une trentaine de militants d’extrême droite lors d’un événement antifasciste. Une enquête pour tentative d’homicide volontaire a été ouverte.
Dimanche 16 février, vers 17 h 30, la réalité et la fiction se sont télescopées. Dans la petite salle de l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit), rue d’Hauteville, dans le Xe arrondissement de Paris, une poignée de militant·es de Young Struggle (YS) regardait le film Z de Costa-Gavras, sorti en 1969 – une charge devenue culte contre la dictature des colonels en Grèce. Cette « soirée cinéma antifasciste » avait été annoncée sur les réseaux sociaux de YS, organisation de gauche récemment créée en France par les enfants de réfugiés politiques turcs et kurdes.
« On venait de voir une scène où des fachos attaquaient des communistes, quand ils sont arrivés », relate Miloš, étudiant allemand de 25 ans, d’une voix blanche. « Ils », ce sont des militants d’extrême droite – une trentaine – qui ont déboulé dans la petite cour du bâtiment hébergeant l’association et qui ont passé à tabac Paul, 30 ans, postier, militant à la CGT et à Young Struggle. « Soudain, c’était la même chose dans la réalité et dans le film. C’était fou », constate Miloš.
Dans une vidéo filmée par une voisine du haut de l’immeuble, on voit Paul, vêtu d’une veste bleue, recevoir une nuée de coups de pied et de coups de poing de ses agresseurs cagoulés et vêtus de noir alors qu’il est à terre, prostré. Hospitalisé dans la soirée, il en est sorti cinq heures plus tard le visage tuméfié, une blessure à la main et trois points de suture dans le dos. « À l’hôpital, on m’a dit que ça ressemblait à un coup de couteau », témoigne Paul lundi 17 février, des lunettes noires sur le visage pour cacher ses marques. Ses camarades, dont Miloš, avaient pu se mettre à l’abri à temps.
Une attaque signée par l’extrême droite
Une enquête du chef de tentative d’homicide volontaire a été ouverte, a fait savoir le parquet de Paris à Mediapart, confirmant les informations de Libération. « Parmi la trentaine d’individus observés sur place et ayant forcé la porte de l’immeuble, six ont été interpellés et se trouvent actuellement en garde à vue », précisait le parquet lundi matin. L’enquête déterminera le profil et les motivations de ces individus. Selon la préfecture de police, citée par l’AFP, les individus arrêtés sont « tous issus de la mouvance d’extrême droite radicale ».
Les témoins interrogés par Mediapart décrivent aussi une « descente en bonne et due forme », portant la signature de l’extrême droite radicale. « Ils étaient très clairement venus pour en découdre. Ils étaient déjà masqués, cagoulés et, pour certains, armés quand j’ai tenté de fermer la porte », rapporte Paul.
Dans une vidéo filmant leur sortie, un des membres du commando crie cette phrase : « Paris est nazi, Lyon est nazi aussi ! » Les militants ont aussi laissé deux stickers sur la plaque de l’Actit : une croix celtique et le message « KOB veille », avec le dessin d’un pitbull aux babines ensanglantées. L’acronyme signifie « Kop of Boulogne », en référence aux hooligans racistes du Parc des Princes dans les années 1990.
Dans les milieux antifascistes, l’étiquette est connue pour être utilisée par les anciens du Groupe union défense (GUD), dissous l’année dernière. « C’est un prête-nom, mais ce sont toujours les mêmes organisations qui refont surface, regrette Ali, membre de l’Actit, listant le GUD, les Zouaves Paris ou encore la Division Martel. Tant que l’État n’apportera pas une réponse suffisante, ils seront confiants dans leur mode d’action. Il faut s’interroger sur la pertinence et le suivi des contrôles dont ces militants sont censés faire l’objet. »
ganisations syndicales et partis de gauche ont apporté leur soutien aux victimes de l’attaque. « Cette attaque, d’une violence inouïe, doit être fermement condamnée et les auteurs jugés », a déclaré Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, en appelant à la « résistance ». « La seule réponse face aux fascistes est l’organisation collective et la lutte », renchérit l’union syndicale Solidaires.
Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) appelle « à une riposte collective face à cette offensive réactionnaire ». Les députés de La France insoumise (LFI) Thomas Portes et Raphaël Arnault seront présents, ce lundi soir, au rassemblement de soutien prévu devant la gare de l’Est.
« C’est ahurissant de voir qu’en 2025 des néonazis peuvent mener ces attaques. Mais on nous explique que le désordre viendrait de la gauche. On est passés dans une dystopie », commente Raphaël Arnault, ancien porte-parole de la Jeune Garde antifasciste, qui soupçonne des militants lyonnais d’avoir participé à cette opération. Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau n’a pour sa part pas réagi à l’attaque. « Ces descentes ont toujours existé, mais alors qu’avant il y avait une condamnation générale du monde politique, désormais les horreurs de l’extrême droite sont niées. C’est le plus terrorisant », affirme Raphaël Arnault.
Sursaut
L’événement suscite d’autant plus d’émoi qu’il a eu lieu dans le local d’une association liée aux Kurdes, dans un quartier victime à plusieurs reprises d’attaques ciblées contre cette communauté. C’était dans la rue d’Enghien, à quelques mètres, qu’un homme aux idées d’extrême droite avait tué une femme et deux hommes fin 2022 près d’un centre culturel kurde. Ali rapporte aussi les provocations de militants d’extrême droite, depuis trois semaines, à la Gaîté lyrique occupée non loin de là.
Ce ne sera pas leur victoire. Je n’ai pas peur. Ça ne va pas arrêter notre combat politique. Paul, militant à la CGT et à Young Struggle
Venu apporter son soutien à Paul et à ses camarades ce 17 février, le porte-parole du PCF Ian Brossat juge, comme toute la gauche, que la multiplication des actions violentes racistes ou contre des militants de gauche n’est pas étrangère à leur « légitimation » par des responsables plus modérés : « Au plus haut de l’État, il y a eu une libération de la parole d’extrême droite. Comment s’étonner, dès lors, que des militants d’extrême droite se sentent pousser des ailes ? Je souhaite qu’il y ait des condamnations et que l’État soit du côté des antifascistes », déclare-t-il. « C’est l’ambiance de la société : tant que des ministres légitimeront ces groupuscules par leurs paroles, ils se croiront tout permis », abonde Raphaëlle Primet, conseillère communiste de Paris.
De son côté Paul, auquel un arrêt de travail de deux jours a été prescrit, met un point d’honneur à ne pas en rabattre sur son engagement politique. Bien que sous le choc, il affirme : « Je ne sais pas comment je vais réagir après-demain, mais je ne vais pas leur donner raison. Ce ne sera pas leur victoire. Je n’ai pas peur. Ça ne va pas arrêter notre combat politique. » Il appelle aussi les organisations de gauche à résister plus activement à ce qu’il qualifie de « troisième vague du fascisme » : « Il faut porter l’antifascisme partout, s’adresser aux démocrates au sens large, et que ça devienne un mouvement beaucoup plus étendu. »
Sans quoi le terrain gagné par l’extrême droite ne pourra pas être repris. Assassiné en 1924, le député socialiste italien Giacomo Matteotti prévenait déjà : « Tout ce que le fascisme obtient le conduit à de nouveaux arbitraires, à de nouveaux abus. C’est son essence, son origine, son unique force ; et c’est le tempérament même qui le dirige. »
Margot Bonnéry sur www.humanite.fr
Un militant de la CGT a été hospitalisé après avoir été poignardé, dimanche 16 février, lors d’une conférence organisée par le mouvement antifasciste Young Struggle, dans le 10e arrondissement. Une enquête pour tentative d’homicide volontaire a été ouverte.
Hématomes sur le corps, bleus sur le visage, lunettes de soleil pour recouvrir les blessures… Paul se remémore la violente scène vécue la veille dans le 10e arrondissement de Paris. En soirée, ce dimanche 16 février, alors qu’il venait assister à la projection du film Z, de Costa-Gavras, accueillie par l’Association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit) et organisée par le mouvement antifasciste Young Struggle, ce jeune syndicaliste CGT voit arriver un commando d’extrême droite d’une trentaine de personnes cagoulées et munies de tessons de bouteille.
« Dès que je les ai vus, j’ai compris, relate-t-il, encore un peu sonné. J’ai aussitôt tenté de fermer la porte au plus vite, mais ils me sont tombés dessus, m’ont tabassé au sol et j’ai été poignardé à l’arme blanche. Cela m’a valu une nuit d’hospitalisation à Lariboisière. » Au total, deux personnes ont été hospitalisées, selon les organisateurs.
La piste des hooligans d’extrême droite du Kop of Boulogne
Rapidement, les assaillants, vêtus de noir, ont quitté les lieux en hurlant dans les rues adjacentes : « Paris est nazi, Lyon est nazi aussi », comme en témoigne une vidéo amateur. En guise de signature de son acte, le groupe a déposé sur l’un des murs des locaux un autocollant comprenant l’inscription « KOB veille » et un dessin de pitbull, référence probable à « Kop of Boulogne », groupuscule de hooligans racistes et violents qui terrorisaient le Parc des Princes dans les années 1990.
Ce qui laisse craindre une réactivation d’une vieille marque de l’extrême droite parisienne, à la manière du GUD Paris, ressuscité en 2022 avant d’être à nouveau dissous administrativement en 2024. Une enquête du chef de tentative d’homicide volontaire a été ouverte et confiée au 2e district de police judiciaire.
À l’issue de cette agression, « la BAC a interpellé six de nos agresseurs devant une station de métro près du lieu des faits, les autres ont pris la fuite », précise Ali, membre de l’Actit, également présent lors de l’attaque. Autour de lui, une petite dizaine de militants de Young Struggle venus d’Allemagne apportent leur soutien.
« Nous ne permettrons pas d’attaques racistes contre les migrants en Europe ! » martèlent d’ailleurs en chœur l’Actit, l’Union des forces démocratiques (DGB) et la Fédération allemande des travailleurs migrants (Agif) dans un communiqué commun. « Cette attaque vise clairement à empêcher l’organisation des travailleurs immigrés et la lutte de la jeunesse anticapitaliste et antifasciste organisée contre le fascisme et le racisme », dénoncent-ils.
Le silence de Retailleau
« Paris doit rester une terre de résistance à l’extrême droite et il n’est pas acceptable que ses rues deviennent le théâtre de violences comme celles-ci », affirme Ian Brossat, porte-parole du PCF, venu soutenir les associations concernées, rue d’Hauteville. « Depuis quelques années, il y a une libération de la parole de l’extrême droite. Leurs mots sont repris par les plus hauts responsables de l’État, si bien que ces militants fascistes se sentent pousser des ailes. Cette impunité n’est pas acceptable », appuie-t-il.
Surnommé le « Petit Kurdistan » en raison de la forte présence de commerces kurdes, le quartier du 10e arrondissement où a eu lieu ce raid n’en est pas à sa première agression. Cette attaque à l’encontre « de Turcs et Kurdes progressistes » intervient « après les assassinats ciblés de 2013 et 2022 dans le 10e dans lesquels six Kurdes furent tués », rappelle Elie Joussellin, président du groupe PCF à la mairie de l’arrondissement concerné. « Lorsqu’ils étaient ministres de l’Intérieur, Manuel Valls et Gérald Darmanin avaient promis de protéger les Kurdes. Protéger cette communauté passe par la justice. Or, le secret-défense n’a pas été levé pour 2013 et le parquet antiterroriste n’a pas été saisi pour 2022 », poursuit-il.
Une autre question se pose : quelles dispositions vont être prises pour la sécurité ? Pour l’heure, les locaux de l’Actit ne sont pas protégés, aucun policier n’est devant la porte. « Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, sait s’exprimer quand il le souhaite mais, sur cette affaire, il reste muet », déplore Ian Brossat.
Face à ce déferlement de haine, un rassemblement s’est tenu ce soir sur le parvis de la gare de l’Est. De nombreuses associations, syndicats et partis politiques ont tenu à être présents, comme la CGT, le PCF ou la France insoumise. Tandis que l’enquête menée par la préfecture de police se poursuit, une autre manifestation parisienne a été annoncée. Elle est prévue ce samedi, à 14 heures, sur la place de la République. Pour faire bloc face au péril brun.
mise en ligne le 17 fevrier 2025
Laurent Mouloud sur www.humanite.fr
Il faut entendre ce moment de vérité. Ces mots crus qui sortent sans filtre, tout naturellement. Jeudi dernier, sur le plateau de LCI, Bruno Retailleau est en train de justifier sa volonté de restreindre le droit du sol sur tout le territoire français. Et il lâche : « À Mayotte, vous avez un exemple, sur un petit territoire, d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs… Voilà. » Voilà quoi ? Voilà le problème ? Pour le ministre de l’Intérieur, apparemment oui. On croyait la République française indifférente à la couleur de peau et à la religion. On pensait que l’article 1er de la Constitution assurait « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il faut croire que pour le Vendéen, qui a été longtemps compagnon de route de Philippe de Villiers, cela n’est plus d’actualité dans le 101e département. Voire au-delà ?
Cette sortie scandaleuse n’a pas fait grand bruit. Ce qui ne laisse d’inquiéter sur le processus de banalisation des propos racistes. Et sur la stratégie, non moins inquiétante, du duo Retailleau-Darmanin, qui rêvent chacun d’Élysée en s’installant sans complexe sur les terres xénophobes du RN et dans les bottes trumpistes. Quitte à attiser la haine et à fouler aux pieds les valeurs républicaines.
Car il faut le rappeler. Les élucubrations de la droite et de son extrême sur le droit du sol relèvent de l’imposture. Ces tristes sires se disent « patriotes » et « défenseurs » de la France éternelle. Mais de quelle France parlent-ils ? Celle que l’on connaît depuis la Révolution française, et même avant, n’a jamais trié les humains sur le seul droit du sang. Le savent-ils seulement ? La notion de droit du sol (« jus soli ») apparaît en 1515. À cette époque, où seul le roi peut délivrer des « lettres de naturalité », tout résident né en France, y compris de parents étrangers, peut hériter. Le droit du sol sera conforté en 1789, puis consacré en 1889. Il s’agit, on le voit, de l’un des socles – justement – de notre identité nationale. Même le régime raciste et antisémite de Vichy n’est pas revenu dessus, malgré des tentatives. Que Marine Le Pen veuille sa suppression pure et simple en dit long sur sa filiation politique. Et démontre que, derrière le décorum des drapeaux tricolores, le RN et tous ceux qui lui filent le train pataugent à contre-courant de l’histoire de leur propre pays.
Face à cette surenchère inconsidérée, François Bayrou, déjà coupable d’avoir repris à son compte le concept irrationnel de « submersion migratoire », aurait pu siffler la fin de la mi-temps. Mais l’opportuniste premier ministre, soucieux de ne pas s’aliéner les députés RN, a choisi au contraire d’ouvrir la boîte de Pandore en lançant, tel Nicolas Sarkozy en 2009, un « grand débat » sur le droit du sol et, au-delà, sur « l’identité nationale ». Une décision irresponsable. On le sait par avance : ce type de raout, dans un climat de montée des ultranationalistes, servira d’exutoire à l’extrême droite. Et ne peut que faire grandir le rejet et la méfiance dans l’imaginaire collectif, pour nourrir au final le vote xénophobe.
La responsabilité du gouvernement pourrait s’avérer funeste. Personne ne peut l’ignorer. Derrière ce débat sur la remise en cause du droit du sol, dont Trump ou encore Meloni ont aussi fait leur priorité, se dissimule une vision ethnique de notre société, porteuse d’un fantasme de pureté naturelle, où « le Français » ne pourrait être que blanc de peau et judéo-chrétien. Le tout au détriment de notre conception politique fondée sur des valeurs universelles de droits. Face à ce choix crucial, le gouvernement doit, de toute urgence, arrêter de jouer avec le feu.
mise en ligne le 16 février 2025
Bruno Odent sur www.humanite.fr
La nouvelle co-cheffe de Die Linke, Ines Schwerdtner, décrypte les raisons de la profonde crise politique et sociale qui touche l’Allemagne, revient sur la montée de l’extrême droite et évoque la dynamique enregistrée en cette fin de campagne par son parti.
L’Allemagne est entrée dans une grave crise économique et sociale. Comment réagit Die Linke ?
Ines Schwerdtner : D’abord, il faut bien considérer quelles sont les causes de cette crise, qui n’est pas nouvelle, mais s’intensifie de façon très préoccupante. On paye là au prix fort des décennies de politiques néolibérales. Les grands groupes et leurs actionnaires se sont enrichis comme jamais, alors que les salariés se sont vu confronter à une baisse de leurs revenus réels et à l’augmentation du coût de la vie.
Si l’on veut stopper le processus de suppressions massives d’emplois dans l’industrie, il faut prendre le contrepied des doxas dominantes, qui ont conduit à désinvestir les champs sociaux et environnementaux. Pour faire face, des nationalisations sont devenues indispensables.
Il est plus que temps d’en venir à une autre politique économique et sociale qui soit déterminée démocratiquement. Il faut défendre les pouvoirs de cogestion des salariés, qui ont été délibérément atrophiés, pour les étendre au contraire et même leur donner une dimension inédite. C’est le seul moyen de permettre au plus grand nombre d’être partie prenante des grands choix nécessaires.
Vous avez entamé de vastes porte-à-porte. Pas seulement pour vous présenter aux citoyens, mais aussi pour les écouter. Qu’en tirez-vous ?
Ines Schwerdtner : Nous avons décidé, effectivement, d’aller à la rencontre des citoyens. Et nous avons pu constater combien les gens « ordinaires » ont vu leur niveau de vie se dégrader. Ils prennent de plein fouet l’inflation, comme la très forte augmentation des prix de l’énergie et des loyers.
La flambée du coût des logements n’est-elle pas ultrasensible dans un pays où les locataires sont majoritaires ?
Ines Schwerdtner : Il y a un manque abyssal de logements, et singulièrement d’habitations sociales. Les grandes coalitions précédemment au pouvoir (sous Angela Merkel – NDLR) ont ignoré le problème en refusant d’investir. Mais la situation ne s’est en rien améliorée avec le gouvernement tripartite – SPD (sociaux-démocrates)-Verts-FDP (libéraux) – du chancelier Scholz. Les prix des loyers battent record sur record. Les gens y consacrent plus du tiers, jusqu’à la moitié de leurs revenus. C’est une des doléances majeures qui remonte de nos porte-à-porte.
Au même moment, les géants de l’immobilier, cotés en Bourse, agissent comme des requins et s’en mettent plein les poches. Y compris en gonflant les « charges locatives ». Constatant cela, nous avons pu entamer des dizaines de procédures aux côtés des citoyens.
Comment s’est propagé l’appauvrissement d’une si grande partie de la population ?
Ines Schwerdtner : Les déréglementations sociales mises en place dans l’agenda 2010 du gouvernement Schröder SPD/Verts du début du siècle, et étendues par les gouvernements de grande coalition qui l’ont suivi, ont nourri une extension phénoménale de la précarité. Ce qui se traduit le plus souvent par de faibles niveaux de rémunération et de protection sociale.
Et, ce qui est terrible, c’est de voir le candidat CDU à la chancellerie, Friedrich Merz (favori des sondages – NDLR), se prononcer, en plein mimétisme antisocial, pour un… « agenda 2030 », dévoué à de nouvelles coupes dans les dépenses salariales et sociales, et présenté comme seul moyen de rendre les entreprises plus compétitives. Pourtant, le mal-être social est si profond qu’il a déjà largement débordé sur le champ politique.
Vous voulez dire ce sentiment de déclassement sur lequel prospère l’AfD ?
Ines Schwerdtner : Oui, cette précarité est une véritable rampe de lancement pour l’AfD. Le parti d’extrême droite progresse bien plus fortement dans les endroits où règne ce mal-être social. Il parvient à détourner contre les immigrés toute la colère et le ressentiment, en brandissant ouvertement son concept de « remigration » et ses appels à la haine. Il faut faire front contre cette ignominie. Nous sommes le parti antifasciste et le vote pour Die Linke est le plus sûr moyen de faire barrage à l’AfD. Nous sommes tous le cordon sanitaire contre l’AfD.
La tendance semble plus favorable à Die Linke aujourd’hui. Pourquoi ?
Ines Schwerdtner : Depuis notre congrès en octobre, nous avons réussi à nous remobiliser. Une vague de nouvelles adhésions, le plus souvent des jeunes, des dizaines de milliers de jeunes, nous a permis d’impulser une dynamique qui se retrouve désormais jusque dans les sondages. Les positions de classe que nous affirmons avec plus de force ont commencé à porter leurs fruits. Je reviens à l’instant d’une initiative dans ma circonscription de Lichtenberg, à Berlin, où j’ai été vraiment impressionnée par l’accueil qui me fut réservé.
mise en ligne le 16 février 2025
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
Le combat contre l’extrême droite en voie de trumpisation ne peut pas s’enfermer dans une simple logique défensive. Comme il y a 80 ans, la résistance au nouvel autoritarisme doit réfléchir aux causes du désastre pour proposer les conditions d’une société démocratique renouvelée.
Le choc est évidemment terrible. Les États-Unis, jusqu’à peu présentés comme l’exemple absolu du lien indéfectible entre démocratie et capitalisme, basculent en ce début d’année 2025 dans un autre monde. Les premiers actes de l’administration Trump trahissent un coup d’État de facto visant à rendre caduque la Constitution des États-Unis.
L’irruption d’un régime à caractère néofasciste dans la principale puissance militaire et économique du monde cause une sidération naturelle et entraîne un réflexe bien compréhensible : celui de tenter de sauvegarder « le monde d’avant » qui, naturellement, paraît plus clément que celui promis par Donald Trump et Elon Musk. On s’efforce donc là-bas de sauvegarder les cadres de l’État de droit et ici, en Europe, de sauvegarder ce même État de droit des griffes des thuriféraires et des fondés de pouvoir du nouveau régime états-unien.
Tout cela est évidemment hautement nécessaire et urgent. Mais ce mouvement de résistance ne doit pas se contenter d’une simple posture défensive ou nostalgique. Il ne doit pas viser le retour à une forme de statu quo ante idéalisé. Pour vaincre le retour de l’hydre autoritaire de façon efficace et durable, il faut analyser les conditions de sa réémergence et proposer une alternative démocratique crédible, c’est-à-dire capable d’éviter la répétition du pire.
La référence ici doit ainsi être la Résistance qui, pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en menant la lutte, partout, contre les fascismes allemand, italien et japonais, a mené la réflexion pour construire un monde libéré des conditions d’émergence du fascisme. Et une fois celui-ci vaincu, le combat s’est poursuivi pour construire une société nouvelle.
En France, le Conseil national de la résistance (CNR) a pris acte que la source du péril fasciste était l’abandon des populations face aux crises capitalistes. La lutte antifasciste a donc débouché sur la mise en place d’un État social qui a profondément modifié la société.
On peine aujourd’hui à en prendre conscience, mais la France d’après 1945 est en rupture totale avec celle de l’avant-guerre, qui avait un filet de sécurité sociale parmi les plus réduits d’Occident. Ce changement a été le produit d’une lutte contre les racines de la guerre et du fascisme autant que contre le fascisme lui-même. Et c’est cette démarche qui doit désormais hanter celles et ceux qui entendent s’élever contre la puissance du capitalisme autoritaire contemporain.
Les racines économiques du trumpisme
Pour y parvenir, il faut donc commencer par identifier les racines du coup d’État actuel. Elles se trouvent dans les besoins des secteurs rentiers de l’économie états-unienne et, au premier chef, de celui de la technologie.
C’est, rappelons-le, le produit d’une histoire plus longue, celle d’un ralentissement de l’économie mondiale après la crise de 2008, qu’aucune mesure n’a été capable de conjurer et qui a donné lieu à des méthodes prédatrices dont la conclusion naturelle est la prise de contrôle de l’État états-unien. Incapable de produire de la valeur par les moyens habituels, le capital s’est réfugié dans les secteurs rentiers, où l’on capte la valeur sans passer par les marchés. Mais ces secteurs, pour poursuivre leur accumulation, ont besoin de contrôler la société dans son ensemble, de la soumettre à la pseudo-réalité de leurs algorithmes.
C’est ici que la violence antidémocratique et impériale trumpiste prend sa source.
Les observateurs mainstream qui, jusqu’ici, se complaisaient dans l’apologie d’un capitalisme qu’ils croyaient source de liberté et de démocratie se retrouvent stupéfiés face à l’émergence, pour eux soudaine, d’une « oligarchie », comme l’écrit Serge July dans Libération. Mais il est important de noter combien cette stupeur même est le produit d’une erreur. La position apologétique du capitalisme, validée par le rejet de tout « économicisme », a conduit à un aveuglement sur les forces à l’œuvre depuis un demi-siècle.
Le premier écueil est de croire que le capitalisme néolibéral serait l’antidote à la bascule fascisante d’un Trump.
Ceux qui ont défendu la contre-révolution néolibérale qui, précisément, a cherché à mettre à bas les effets de la lutte antifasciste de l’après-guerre, s’étonnent aujourd’hui de la « contre-révolution » trumpiste, comme le titrait Le Monde du 11 février.
Mais cette rupture est la conséquence logique de la précédente. Puisque le rêve néolibéral d’un marché encadré parfait et efficace a débouché sur le désastre de 2008 et s’est révélé incapable de redresser la productivité et la croissance, les gagnants de ce marché ont pris les choses en main et tentent de construire un monde soumis à leurs intérêts.
Le premier écueil de l’époque est donc de croire que le capitalisme néolibéral serait l’antidote à la bascule fascisante d’un Trump. La tentation peut être réelle d’idéaliser le régime précédent, non seulement parce qu’il était démocratique et moins violent, mais aussi parce qu’on pourrait penser que pour lutter contre les oligarques de la tech, la concurrence et le marché seraient une réponse adaptée. On relancerait donc là le mythe du « capitalisme démocratique », où le fonctionnement d’une économie de marché encadrée serait le socle de la démocratie libérale.
L’ennui, c’est que c’est bel et bien ce « capitalisme démocratique » qui a enfanté de la monstruosité trumpo-muskienne. La sacro-sainte « économie de marché » qui, depuis quarante ans, est parée de toutes les vertus par les intellectuels à la mode est en réalité dans une crise permanente qui ne pouvait déboucher que sur une conclusion autoritaire et monopolistique.
Les marchés « disciplinés »
La concurrence, présentée comme une solution à tous les maux de la société par les néolibéraux, n’est jamais qu’une solution temporaire. Elle débouche inévitablement sur des concentrations, par le jeu même des marchés, et les grands groupes issus de ce phénomène n’ont alors qu’une obsession : préserver leurs positions. Lorsque la croissance est de plus en plus faible, comme aujourd’hui, ils le font par la prise du pouvoir politique et la mise au pas de la société. Lutter contre le trumpisme en réactivant les illusions néolibérales serait dès lors la plus funeste des erreurs.
Ce serait oublier que les populations se sont tournées vers l’extrême droite en grande partie parce que les néolibéraux ont échoué, parce qu’ils n’ont pas tenu leurs promesses d’amélioration des conditions de vie et n’ont pas hésité, lorsque le besoin s’en est fait sentir, à recourir à des méthodes musclées.
La dégradation de la démocratie libérale et sa réduction croissante à une formalité électorale ne sont pas une nouveauté trumpiste.
L’échec néolibéral est le berceau même de la xénophobie et du racisme de l’extrême droite.
Depuis les années 1980, les néolibéraux s’acharnent à réduire le rôle des syndicats, à réduire le rôle du collectif dans le travail, à marchandiser les rapports sociaux, à coloniser les imaginaires à coups d’héroïsation des « entrepreneurs ». Le but de ce mouvement est évidemment de contrôler les votes pour éviter toute remise en cause de l’ordre social.
Et si cela ne suffisait pas, les néolibéraux n’ont pas hésité à verrouiller la démocratie en inscrivant dans le droit constitutionnel ou dans les traités internationaux les fondements de leur doctrine. En cas de besoin, la « discipline de marché » venait frapper les sociétés, à l’image de ce qui s’est produit en Grèce depuis 2010. Et, pour finir, le régime néolibéral n’hésitait pas à avoir recours à la répression. Des mineurs britanniques aux « gilets jaunes », la matraque a souvent eu le dernier mot face à la contestation.
Cette politique, par ailleurs inefficace, a pavé la voie à l’horreur trumpiste comme précédemment à la dictature de Vladimir Poutine en Russie, et comme elle a affaibli les démocraties européennes face aux extrêmes droites. Elle a préparé les esprits à la violence, au déni de démocratie, aux situations d’exception, en un mot à la soumission de la société aux intérêts du capital. Logiquement, lorsque l’extrême droite propose une politique sur mesure pour les ploutocrates, une grande partie de la population ne s’en émeut guère.
Enfin, l’échec néolibéral est le berceau même de la xénophobie et du racisme de l’extrême droite. Pour deux raisons. D’abord, parce que, depuis 2008, en voulant se maintenir au pouvoir, les partis néolibéraux n’ont pas hésité à se saisir du thème de l’immigration et à l’instrumentaliser.
Le cas d’Emmanuel Macron qui, par ailleurs, aime à se présenter comme un « anti-Trump », est éloquent. Depuis 2017, le président français joue avec les thèmes de l’extrême droite, jusqu’à la fameuse loi immigration de fin 2023, avec pour seul résultat de faire de cette même extrême droite la première force du pays.
Ensuite, parce qu’en échouant à faire rebondir productivité et croissance, les néolibéraux ont construit une économie de « jeu à somme nulle » où les enjeux de redistribution sont désormais des enjeux de concurrence au sein même de la société. Pour obtenir plus, les groupes sociaux doivent prétendre « prendre » aux autres. Et comme les néolibéraux refusent toute redistribution du haut vers le bas et ont, pour ce faire, détruit tout sentiment de classe sociale, ce sont logiquement les appartenances ethniques ou raciales qui ont repris le dessus. Et ceux qui proposent une redistribution sur ces bases, ce sont les partis d’extrême droite.
On conçoit alors la folie que représenterait une résistance au trumpisme qui chercherait à préserver les conditions de l’émergence de cet autoritarisme ploutocratique. Sa seule ambition serait de gagner un peu de temps avant que l’inévitable bascule se produise à nouveau. C’est pourtant le cœur de la politique défensive qui est menée dans les pays occidentaux depuis des années : « faire barrage » à l’extrême droite sans chercher à s’attaquer aux sources de son succès, et attendre la prochaine échéance avec angoisse. Chacun semble se retrouver dans la peau de la du Barry réclamant, avant son exécution : « Encore un instant, monsieur le bourreau. » C’est de cette funeste logique qu’il faut sortir.
La démocratie comme antidote
Pour sortir de cette ornière, il faut prendre conscience que le cœur du problème est dans l’évolution récente du capitalisme. Progressivement, le capitalisme démocratique s’est vidé de son sens. La démocratie est devenue un obstacle à l’accumulation du capital. Et cela n’est pas seulement vrai pour les géants de la tech, mais aussi pour le reste du capitalisme, qui entend imposer des politiques qu’il juge nécessaires, quoi qu’il arrive.
Aucun secteur du capital ne viendra au secours de la démocratie. Ceux qui dépendent des aides publiques pour maintenir leur taux de profit entendent imposer une austérité sur les dépenses sociales et les salaires, sans se soucier d’aucune validation populaire. C’est ce que le débat budgétaire français a clairement montré récemment.
Dès lors, la tâche de la résistance est, comme voici quatre-vingts ans, de proposer les conditions nouvelles d’existence de la démocratie. En 1945, il était devenu évident que la démocratie ne pouvait pas subsister sans une forme d’État social agissant comme une protection pour les citoyens et citoyennes. L’enjeu aujourd’hui est de comprendre quelles sont les conditions sociales capables de soutenir une démocratie réelle.
Il est indispensable de redéfinir les besoins des individus au regard non plus des besoins de l’accumulation, mais des besoins sociaux et environnementaux.
Car ce que le trumpisme, comme le melonisme, nous apprend, c’est bien ceci : la forme démocratique réduite au vote n’est pas la démocratie réelle. Celle-ci doit pouvoir s’appuyer sur une société civile forte elle-même fondée sur la diversité, le respect des minorités, des débats de fond, une liberté individuelle consciente de ses limites sociales et environnementales. Autrement dit, les conditions sociales de production du vote sont plus importantes que le vote lui-même.
On peut continuer à croire que démocratie et capitalisme sont indissociables en s’appuyant sur un capitalisme régulé et encadré. Mais dans le capitalisme actuel, de telles régulations ressemblent à des leurres. La course à l’accumulation risque d’emporter ces barrières avec ce qu’il reste de démocratie.
Réduire la puissance des plus riches est une nécessité, mais est-elle suffisante pour freiner le désastre ? Rien n’est moins sûr, parce que les besoins du capital resteront centraux dans la société. Si le Conseil national de la Résistance (CNR) peut être un modèle de méthode, il faut toujours avoir à l’esprit que les conditions de réalisation de son projet régulateur ne sont pas celles d’aujourd’hui. Le moment historique actuel demande sans doute un pas plus ambitieux.
Si le capitalisme est la source du trumpisme et de ses avatars d’extrême droite, alors le combat de la résistance doit porter sur une redéfinition de la démocratie libérée de la logique d’accumulation.
Cela signifie que les conditions de création des opinions doivent être libérées des exigences du capital. Pour y parvenir, il est indispensable de redéfinir les besoins des individus au regard non plus des besoins de l’accumulation, mais des besoins sociaux et environnementaux. Et les conditions de cette redéfinition résident dans l’élargissement de la démocratie elle-même, notamment aux sphères de la production et de la consommation. Ce sont les conditions de l’émergence d’une conscience dont l’absence conduit le monde au désastre.
Face à la « liberté d’expression » brandie par l’extrême droite, qui n’est que la liberté de se soumettre aux ordres du capital et de leurs algorithmes, la résistance nouvelle doit proposer une liberté plus authentique, qui se réalise dans une solidarité renouvelée et une conscience des limites planétaires et sociales. C’est à cette condition que la démocratie pourra à nouveau avoir un sens.
Tout cela peut et doit faire l’objet de discussions. Le CNR est aussi le produit d’un débat intense dans la Résistance. Mais ce qu’il faut conserver à l’esprit, c’est que, s’il est normal et légitime, en cette période sombre, de chercher à sauver ce qui peut l’être, ce n’est qu’une partie de la tâche de la résistance nouvelle. Cette tâche défensive ne doit faire oublier l’autre, essentielle, celle de se projeter vers l’avenir. Pour passer, enfin, à l’offensive.
mise en ligne le 15 février 2025
Tribune - Appel de syndicalistes pour la justice sociale, écologique et démocratique. Le sursaut unitaire est possible, construisons-le ensemble !
Syndicalistes, actifs et retraités, engagés en défense du monde du travail, en lutte pour la justice sociale, pour l’égalité femmes-hommes, pour les services publics, en solidarité avec les travailleurs immigrés, pour des politiques respectueuses de l’environnement… nous sommes en colère.
Nous sommes en colère d’avoir vu le Président de la République bafouer le résultat des législatives, tourner le dos au front républicain qui avait barré la route à l’extrême droite, ignorer l’arrivée en tête du Nouveau Front populaire (NFP), pour lui préférer, avec M. Barnier et son gouvernement, puis avec celui de M. Bayrou, un front antirépublicain chargé de poursuivre, sous la surveillance du Rassemblement national (RN), la même politique néolibérale de régression sociale et d’injustice fiscale répondant aux intérêts du patronat et de la finance, d’absence de politique industrielle ambitieuse, d’ignorance de l’urgence écologique et de stigmatisation des immigrés.
Nous sommes en colère d’avoir vu le RN dicter ses injonctions au gouvernement et consolider ses possibilités de conquête du pouvoir. Ses idées réactionnaires et racistes sont reprises par la droite au pouvoir, elles occupent les médias, les classes dirigeantes se font petit à petit à son arrivée aux affaires et la purge sociale que promeuvent la droite et les macronistes ne peut que lui profiter.
Nous sommes aussi en colère et inquiets devant le spectacle donné par le NFP, miné par des forces centrifuges, incapable de prendre des initiatives collectives et d’engager un dialogue avec les mouvements sociaux pour se nourrir de leurs réflexions et exigences, pour incarner une alternative crédible. Certes, au parlement, ses député.es ont agi ensemble dans le débat budgétaire. Certes au niveau local, les initiatives existent pour essayer de faire vivre l’unité. Mais cela ne suffit pas à relancer la dynamique populaire qui permettrait au NFP d’élargir son assise pour l’emporter.
Dans ce contexte inquiétant, l’unité syndicale, son renforcement et son approfondissement, sont essentiels pour faire entendre des exigences fortes dans le débat public. Au-delà, le dialogue à rétablir et la convergence d’exigences partagées entre partis, associations, syndicats et simples citoyen.es aspirant à une logique transformatrice doit permettre, dans le respect de l’indépendance des fonctions et de l’égalité des responsabilités, de créer une nouvelle dynamique dans la société. Certes les réticences des mouvements sociaux à s’engager dans une telle démarche sont compréhensibles tant pèse lourd l’instrumentalisation dont ils ont été l’objet dans le passé. Mais, face à l’extrême droite aux portes du pouvoir, rester sur son quant-à-soi risque de se payer très cher pour tous et toutes.
Dans le contexte actuel, une condition pour gagner la majorité est d’affirmer la nécessité d’une rupture avec les politiques néolibérales menées depuis des décennies. Mais cela ne suffit pas. Aux paniques identitaires dont se nourrit le RN pour proposer des réponses réactionnaires et racistes, nous devons opposer la perspective d’une société désirable fondée sur l’égalité pour toutes et tous, la justice sociale et environnementale, le dépassement des fractures territoriales, le renouveau des services publics, la sécurité dans tous ses aspects, la solidarité et la démocratie. Bref un nouvel imaginaire émancipateur auquel le mouvement social peut contribuer.
Enfin pour que les partis de la gauche et de l’écologie politique aient une chance de l’emporter électoralement, il faut évidemment qu’ils restent unis, ce qui suppose en particulier de se doter d’une candidature unique, désignée en commun pour la prochaine élection présidentielle. Mais cette unité des partis, pour indispensable qu’elle soit, ne suffit pas. Pour gagner il faut être capable de rassembler au-delà et de créer une dynamique populaire unitaire
C’est pourquoi, avant qu’il ne soit trop tard, nous appelons l’ensemble des citoyennes et citoyens, organisations et partis qui se reconnaissent dans les valeurs sociales, écologiques et démocratiques, à s’engager ensemble dans ce combat pour reprendre la main sur notre destin collectif. Nous appelons les militants syndicaux, associatifs et citoyens engagés à renforcer les collectifs unitaires sur le terrain, à les multiplier et à les coordonner dans les départements et les régions, à réfléchir à de grands meetings régionaux avec des personnalités unitaires, à participer et à s’associer aux différents appels et initiatives portant la même exigence d’unité, à intensifier les rencontres avec la population afin de construire avec elle les exigences qui serviront de base à la constitution d’une alternative.
Si rien n’est encore joué, le temps presse. Le sursaut unitaire est possible. Construisons-le ensemble !
Pour signer : https://framaforms.org/appel-de-syndicalistes-pour-un-sursaut-unitaire-a-gauche-1738060906
Les premiers signataires :
Gérard ASCHIERI, éducation, ancien responsable national – Claude DEBONS, transports, ancien responsable national – Pierre KHALFA, télécoms, ancien responsable national et membre du CESE – Bernard THIBAULT, cheminot, ancien responsable confédéral – Patrick ACKERMANN, Télécoms Idf, ancien responsable national – Alain ALPHON-LAIR, secteur santé 30 – Verveine ANGELI, Télécoms IdF, ancienne responsable nationale – Michel ANGOT, FP territoriale 94, ancien responsable départemental – Nathalie ARGENSON, militante secteur santé 30 – Handy BARRE, magasinier cariste, responsable syndical Rouen 76 – Jean-Paul BEAUQUIER, militant éducation 13 – Jacques BENNETOT, militant syndicaliste paysan 76 – Eric BEYNEL, libraire, ancien responsable national secteur douanes – Walid BEYK, cheminot retraité 26 – Gérard BILLON, secteur construction, 92 Malakoff, ancien responsable national
mise en ligne le 15 février 2025
Leyane Ajaka Dib Awada sur https://orientxxi.info/
Leyane Ajaka Dib Awada est diplômée de l’EHESS, elle mène un travail de recherche sur le militantisme étudiant au Liban.
Dans leur ouvrage Comprendre la Palestine, Une enquête graphique, l’illustratrice Alizée De Pin et le politiste et spécialiste de la Palestine Xavier Guignard reviennent sur un siècle d’histoire palestinienne, racontée à hauteur de la population de ce territoire.
Comprendre la Palestine, Une enquête
graphique.
Alizée De Pin et Xavier Guignard,
Les Arènes, 30 janvier 2025.
232 pages 20 euros.
Massacres, torture, démolitions, expulsions, déplacement forcé, arrestations arbitraires : les crimes commis en Palestine et en Israël à l’encontre de la population palestinienne s’amoncellent et vont s’intensifiant ces dernières années, dans la totale impunité d’un État israélien qui se radicalise à l’extrême droite, et dont les dirigeant·es n’hésitent plus à appeler ouvertement au nettoyage ethnique des Palestinien·nes. Les quinze mois d’un génocide abondamment documenté à Gaza, où les droits des Palestinien·nes ont été bafoués en direct sur nos écrans et au mépris de multiples condamnations des instances de justice internationale, en sont le paroxysme. Alors que les gouvernements occidentaux et les organisations internationales continuent à le rabâcher, le vieux rêve d’une « solution à deux États » n’a jamais semblé aussi chimérique. La souveraineté nationale palestinienne n’a jamais été aussi absente depuis les accords d’Oslo, et « la paix » n’a jamais semblé plus hors de la portée des Palestinien·nes. Comment interpréter cet échec ? Quelles sont les origines de l’idée d’une partition de la Palestine historique en deux États, l’un « arabe », l’autre « juif » ? Et pour quelles raisons cette proposition n’est-elle jamais parvenue à régler « la question de Palestine » ?
Dans un ouvrage sobrement intitulé Comprendre la Palestine, Alizée De Pin et Xavier Guignard choisissent précisément le problème de la partition comme fil rouge de leur restitution d’un siècle d’histoire palestinienne. Partant de ce projet d’origine occidentale, puisqu’il a d’abord été pensé par l’ONU en 1947 pour tirer les Britanniques du bourbier politique qu’était devenue la Palestine mandataire, les auteur·ices étudient la progressive évolution du projet sioniste depuis le point de vue palestinien. Présenté comme une « enquête graphique », l’ouvrage appuie son propos sur le travail de la talentueuse Alizée De Pin, qui donne vie au récit historique par de nombreuses illustrations et infographies.
L’histoire à hauteur des Palestiniens
L’opus commence par la « débâcle coloniale » anglaise, soit l’échec des Britanniques à apaiser les revendications politiques palestiniennes face au mandat tout en honorant leur engagement envers le projet d’établissement d’un foyer national juif en Palestine. Étudiant aussi bien les multiples groupes politiques sionistes que les bourgeons du nationalisme palestinien, les auteur·ices ne se contentent pas de rappeler les objectifs et projets politiques des différentes parties, iels prendront soin tout au long de l’ouvrage de rendre compte des réalités sociales et économiques des périodes étudiées, s’écartant souvent de la traditionnelle litanie de dates de guerres et de traités pour cerner les dynamiques politiques plurielles qui marquent la société palestinienne depuis les années 1930.
Peut-on d’ailleurs parler d’une société palestinienne ? En prenant soin de toujours inclure dans leur analyse les différentes expériences des Palestinien·nes d’Israël, de Gaza, de Cisjordanie, de Jérusalem et des réfugié·es – au Liban, en Syrie, dans le Golfe… –, l’ouvrage met en lumière les divisions administratives et géographiques imposées au peuple palestinien, tout en retraçant l’émergence d’un nationalisme palestinien unifiant ces expériences autour d’une identité commune dans les années 1960. Si les auteur·ices relatent la genèse des mouvements qui portent ce nationalisme, et notamment de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui les fédère, il est regrettable que l’ouvrage ne mentionne pas les efforts de production intellectuelle sur lesquels s’est appuyée la revendication d’une identité palestinienne indivisible. La stratégie de guérilla menée dans les années 1960 aux frontières d’Israël et du territoire palestinien occupé a été conduite par les mêmes organisations qui ont soutenu la production d’une littérature scientifique palestinienne, la première à documenter les exactions de la Nakba avant l’ouverture des archives israéliennes dans les années 1980, et à présenter les habitant·es arabes de la Palestine mandataire comme un seul peuple palestinien victime d’une opération délibérée de nettoyage ethnique à la fondation de l’État israélien en 1947-19481.
Le fantasme occidental de la solution à deux États
À partir de l’occupation de Gaza, de Jérusalem, du Golan et d’une partie de la Cisjordanie par Israël en juin 1967, la résistance palestinienne est tiraillée entre deux fronts : celui des groupes armés en exil, qui défendent la libération intégrale de la Palestine historique, et celui de la lutte des populations locales contre le contrôle israélien dans le territoire palestinien occupé. La stratégie d’occupation israélienne favorise l’installation de colonies qui morcellent volontairement le territoire palestinien et créent des enclaves, entravant considérablement la mobilité des Palestinien·nes. D’autre part, l’occupation consiste aussi à accaparer les ressources du territoire palestinien – ainsi, les terres les plus fertiles et les plus riches en eau de Cisjordanie sont vidées de leurs habitant·es palestinien·nes, remplacé·es par des colons israéliens. Pour légitimer les expropriations et les annexions de territoires, l’occupation israélienne s’appuie sur un cadre légal d’héritage colonial, qui se développe progressivement en appareil de répression légalisant les mauvais traitements infligé·es aux Palestinien·nes par le système judiciaire et pénitentiaire israélien. Il s’agit là, comme l’ont montré de nombreuses expertises d’ONG et de l’ONU, d’un régime d’apartheid.
Si la partition a été un échec à la sortie du mandat britannique, elle reste toutefois centrale dans l’imaginaire international. Son acceptation par l’OLP à la fin des années 1980 ouvre la voie aux accords d’Oslo, qui orchestrent et réglementent l’instauration d’une Autorité palestinienne (AP) faible et dépendante d’Israël sur le plan économique. Œuvrant à s’insérer sur la scène internationale pour faire condamner les crimes d’Israël, l’Autorité palestinienne n’en devient pas moins son agent sécuritaire à mesure qu’augmente la répression des adversaires politiques du Fatah. Par ailleurs, sans renoncement israélien à l’occupation et la colonisation, les divers plans de partition qui jalonnent le début du XXIe siècle, jusqu’à l’abject « deal du siècle » de Trump en 2020, échouent tous à conférer à l’AP la moindre souveraineté dans les territoires qui lui sont supposément dévolus.
Mettant en dialogue un siècle d’histoire politique et sociale palestinienne avec le fantasme occidental de la solution à deux États, les auteur·ices de Comprendre la Palestine parviennent à communiquer, dans un format accessible à tous publics, l’absurde injustice du concept d’une partition « raciale », qui ne fait que produire des divisions en Palestine au bénéfice de politiques israéliennes de plus en plus belligérantes. Ce travail entre un chercheur en sciences sociales et une illustratrice est fructueux : il permet, à travers la mise en avant de dynamiques socioculturelles, de portraits de figures historiques, et de leur illustration, de réhumaniser la question palestinienne. Il nous rappelle aussi que la partition concerne avant tout non pas des territoires, mais bien des générations d’une population palestinienne privée de ses droits par la caution européenne apportée, dès le début du XXe siècle, à la création d’un État ethnoconfessionnel en Palestine.
mise en ligne le 14 février 2025
Léa Darnay sr www.humanite.fr
Les salariés de Vinci se sont rassemblés, jeudi 13 février, devant le siège du groupe à Nanterre, pour exiger « une augmentation des salaires générale, de meilleures conditions de travail et le retour d’une retraite anticipée. »
Le chiffre était dans toute la presse la semaine dernière : Vinci a déclaré 71,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, soit 4 % de plus qu’en 2023. Avec ce nouveau record, son PDG, Xavier Huillard a annoncé « aborder l’année 2025 avec confiance et sérénité ». Un bonheur que ne semblent pas partager ses salariés. Ce matin du 13 février, affluant de toute la France, une marée de gilets rouges s’est rassemblée devant le siège du géant Français du BTP à Nanterre.
Dans ce quartier d’affaire habituellement calme, les sifflets, trompettes et pétards, retentissent à chaque seconde. Les travailleurs ont un seul objectif : se faire entendre face à une direction fermée à toute négociation pour une remise à niveau des salaires. « Les négociations annuelles obligatoires ont abouti pour la plupart des entités à une augmentation des salaires d’à peine 1,5 %, dénonce Grégory Le Métayer, représentant syndical CGT de Vinci France. Les décisions se sont faites de manière totalement unilatérale. »
« C’est la politique générale de Vinci, diviser pour mieux régner »
À l’échelle du groupe, les augmentations de salaires se font « à la tête du client » se désole Éric Bego, secrétaire adjoint du comité de groupe CGT. Si les salariés aéroportuaires Vinci ont obtenu gain de cause après avoir bloqué durant deux jours les aéroports, ceux des autres filiales ont arraché au mieux trente euros, au pire quelques centimes. « C’est la politique générale de Vinci, nous confie un groupe de salariés d’Eurovia, filiale du groupe dans les travaux publics, diviser pour mieux régner, on donne à une partie et prive l’autre. Ils nous méprisent complètement ».
Devant le siège du donneur d’ordre, des militants de l’est et de l’ouest affluent en bus. Manteaux de chantiers sur le dos, les salariés de Cofiroutes, filiale de Vinci gérant le réseau grand Ouest des autoroutes, rejoignent leurs collègues, fumigènes à la main. « On est là pour leur rappeler que cette réussite ne doit pas se faire au détriment de notre santé, de nos droits et de nos conditions de travail » insiste Patrice Louis, élu au CSE de la filiale autoroute.
« Les effectifs sont réduits à outrance »
Pendant que le chiffre d’affaires et les dividendes explosent -2,6 milliards d’euros distribués en 2024 -, les embauches ne suivent pas, et les conditions de travail se durcissent. « À l’aéroport de Clermont, les effectifs sont réduits à outrance, il y a régulièrement des restructurations, et on se retrouve aujourd’hui à faire à trois le travail de cinq personnes » accuse le secrétaire général CGT de l’aéroport, Arnaud Boucheix.
Si la lutte a permis leur augmentation de salaire, la tension au sein de leur travail est omniprésente. « Ils nous surveillent et tentent de virer les personnes expérimentées pour économiser l’ancienneté, rapporte l’élu. À la place, ils embauchent des jeunes en contrat précaire, à temps partiel, le turn-over est hallucinant. »
Au niveau des autoroutes et des travaux publics, la baisse d’effectif impacte également fortement les conditions de travail. « Ils expliquent faire de la synergie, aller chercher des compétences sur d’autres filiales du groupe, mais c’est de l’optimisation pur et dure, explique un élu CGT de Vinci autoroute, mais ils ne voient pas la réalité du terrain. » Une réalité où les critères de pénibilité ne s’appliquent plus en dépit de conditions de travail difficiles. « Cela fait 15 mois qu’on subit des conditions météorologiques catastrophiques, reprend Grégory Le Métayer, malgré de nombreux obstacles comme la crise sanitaire ; on a su s’adapter et innover, les résultats le démontrent, où est la reconnaissance ? ».
« On part à la retraite cassé et précaire, c’est honteux »
Face à de telles conditions de travail, les cégétistes demandent un retour impératif à la retraite à 60 ans, « même une retraite anticipée à 55 ans ! », intervient Eric Bégo. Dans le groupe, l’âge moyen des dossiers d’inaptitude est de 53,5 ans. « Ils s’étonnent d’avoir du mal à recruter, mais ils sont incapables de laisser leurs salariés en bonne santé », déplore le secrétaire adjoint du comité de groupe. « Ils ont oublié qu’on était en première ligne pendant le Covid, on part à la retraite cassé et précaire, c’est honteux », dénonce un salarié.
Pendant que les militants demandent « une meilleure répartition de la richesse créée par nous-même » devant un bâtiment bien sécurisé, des collègues de la construction du groupe s’attellent à construire un immeuble en face. Après s’être arrêtés quelques minutes pour montrer leur solidarité et le partage des revendications, les travailleurs reprennent le chantier par 5 degrés.
Samuel Eyene sir www.humanite.fr
Après 2022 et 2024, des salariés du groupe français lancent une nouvelle mobilisation pour exiger des revalorisations plus importantes que celles proposées par la direction, en pleines négociations annuelles obligatoires.
Devant le site de l’usine Safran de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), les visages aux sourcils froncés ne laissent guère de doute quant au ressentiment généré ces dernières semaines par l’entreprise placée « 16e au classement des 500 meilleurs employeurs 2025 en France », selon le magazine Capital.
À l’appel de la CGT, une centaine de travailleurs grévistes se sont réunis, jeudi 13 février, devant le dernier site du spécialiste de l’aéronautique français en petite couronne parisienne, pour exiger des augmentations de salaires dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO). De nombreuses mobilisations avaient déjà eu lieu l’année dernière.
Elles sont de retour. « Nous voulons notre part du gâteau ! La direction nous propose des hausses de 38 euros brut par mois, mais ce n’est pas assez compte tenu des bénéfices réalisés par la boîte cette année », s’insurge Joan Guez, élu CGT au CSE, chasuble rouge sur le dos et chapka sur la tête.
Hausse de 10 % du chiffre d’affaires
Voilà déjà près de deux heures que le cégétiste se tient debout à quelques pas de l’entrée grise de l’entreprise pour fédérer les grévistes du jour. Ce contrôleur macrographique regrette qu’après leur quatrième session de NAO, la direction n’ait proposé que 0,95 % d’augmentation générale des salaires contre les 2 % espérés par le syndicat. Ce n’est pourtant pas les fonds qui manquent.
Le 5 septembre 2024, Safran, qui fait partie du CAC 40, avait annoncé qu’il s’attendait, pour 2025, à une croissance de son chiffre d’affaires d’environ 10 %, à un résultat opérationnel courant entre 4,7 et 4,8 milliards d’euros et à un cash flow estimé entre 2,8 et 3,0 milliards d’euros.
D’après le syndicat, les nouveaux résultats financiers devraient être publiés ce vendredi 14 février. Et il s’attend à ce qu’ils résonnent comme un nouvel affront aux yeux des employés qui attendent toujours le ruissellement. « On assiste à un vol des richesses créées par les travailleurs. En trente ans, le PIB a plus augmenté que les salaires », cingle Patrice Leclerc, maire communiste de Gennevilliers, venu soutenir les grévistes.
« Nous avons un super accord travaux pénibles qui nous permet de partir cinq ans avant l’âge légal de départ à la retraite. Mais nous n’en profitons pas beaucoup. Les camarades ont respiré tellement de poussière et porté tellement d’objets lourds qu’ils finissent leur carrière en étant sévèrement abîmés », confie Cyril Bouton, forgeron et adhérent à la CGT. Le visage et les mains noirs de suie, il raconte son arrivée en contrat d’apprentissage à l’âge de 16 ans et se désole d’un salaire de 2 800 euros nets au regard de ses 27 ans d’ancienneté.
« Après plus de 20 années données à cette boîte, je peux déjà dire que je suis déjà un peu cassé. Mais cela représente mon investissement. Pourtant en retour, la direction nous formule des propositions salariales honteuses », regrette l’employé. Derrière lui résonne en écho le crépitement des pneus et du bois brûlés dans un tonneau passivement observé au loin par des camions de CRS en surnombre pour la mobilisation du jour. Une reconduction du mouvement le 20 février n’est pas à exclure selon les élus CGT.
mise en ligne le 14 février 2025
Zoé Mathieu sur www.humanite.fr
L’Assemblée nationale a adopté le 13 décembre le texte de Gabriel Attal qui durcit la justice des mineurs. Manon Lefebvre, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, explique pourquoi il s’agit d’une régression, qui s’inscrit dans la remise en cause du primat de l’éducatif promu par l’ordonnance de 1945.
À une écrasante majorité (125 voix contre 58), l’Assemblée nationale a voté le 13 février 2024 en faveur d’un énième renoncement aux principes de la justice des mineurs établis en 1945. Portée par l’ex-premier ministre Gabriel Attal, soucieux de se placer dans la course à la posture autoritaire pour le leadership de la droite, la loi pour « restaurer l’autorité » de la justice à l’égard des « mineurs délinquants » et de « leurs parents » crée une procédure de comparution immédiate pour les mineurs de 16 ans.
Elle prévoit aussi la suppression de l’atténuation de peine dont bénéficient les mineurs pour les auteurs de faits graves, et les multirécidivistes. Alors que le Sénat pourrait encore durcir le texte, retour avec Manon Lefebvre, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, sur les conséquences de ces durcissements.
Quelles sont les nouveautés contenues dans ce texte ?
Manon Lefebvre - Secrétaire national du Syndicat de la magistrature : La grande nouveauté est la création d’une comparution immédiate pour mineurs, qu’aucun professionnel ne demandait. Mais c’est un peu une posture, car, en réalité, il existe déjà des moyens de juger extrêmement rapidement des mineurs. Ceux qui ont commis une infraction plutôt grave peuvent déjà être déférés, c’est-à-dire directement présentés à un procureur de la République, qui va les poursuivre devant le tribunal des enfants. Pour les infractions les plus graves, on peut même déjà demander le placement en détention provisoire, ce qui implique qu’on jugera le mineur dans le mois qui suit son déferrement.
Le texte précédent prévoyait une procédure de présentation immédiate (PIM), disparue avec le Code de la justice pénale des mineurs, mais personne ne l’a utilisée parce qu’on ne peut pas juger un mineur en 24 ou 48 heures. Déjà, la comparution immédiate nous empêche d’avoir des informations suffisantes pour juger correctement des majeurs. Si on la met en place pour les mineurs, on sera en complet décalage avec ce qui doit être fait et qui implique de prendre en compte leur parcours et leur histoire. Et on sera complètement en décalage avec les textes internationaux.
Qu’en est-il de l’atténuation de peine en cas de faits graves ?
Manon Lefebvre : Il existe une « excuse de minorité » qui permet de diviser la peine encourue par un mineur par deux. Par exemple, la peine encourue par un majeur dans une affaire de trafic de stupéfiants est de dix ans, pour un mineur, ça va être cinq ans. Pour écarter cette atténuation de peine, le tribunal pour enfants doit motiver, c’est-à-dire apporter des arguments pour justifier sa décision. Le projet qui vient d’être adopté inverse ce principe. Désormais, pour un mineur de plus de 16 ans auteur d’un fait grave ou avec la circonstance aggravante de double récidive, le tribunal devra justifier le maintien de ce principe d’atténuation.
Comment voyez-vous ces évolutions ?
Manon Lefebvre : Cette loi est un retour en arrière qui s’inscrit dans la continuité du durcissement déjà en cours de la justice pénale des mineurs. De plus en plus, on préfère le répressif à l’éducatif et déjà on a incarcéré plus de mineurs, on en met plus en détention provisoire et on les juge plus vite. Cette évolution n’est pas compatible avec ce qu’a voulu l’ordonnance de 1945 et le CJPM. Notre organisation s’y oppose fermement.
C’est avec la prise en charge éducative qu’on limite les comportements infractionnels. L’immédiateté d’une réponse pénale n’en fait pas une réponse efficace. Ni pour un majeur et encore moins pour un mineur. Encore une fois, on prend la question des comportements délictueux des mineurs du mauvais côté, sans s’interroger pour savoir comment les mineurs en arrivent là.
On continue à vouloir sanctionner plutôt que de réfléchir aux causes réelles. Ce que nous demandons, c’est plus de structures éducatives, plus de moyens pour l’aide sociale à l’enfance (ASE), la protection judiciaire de la jeunesse, plus d’éducateurs et plus de magistrats de l’enfance.
L’instauration d’une justice plus répressive, pourrait-elle se révéler efficace ?
Manon Lefebvre : Nous n’avons déjà pas les moyens de mettre en œuvre les mesures éducatives et les sanctions prononcées à l’encontre des mineurs. D’abord parce qu’on fait face à un manque de place dans les établissements dédiés à l’accueil des mineurs condamnés ou en attente d’être jugés, comme les centres éducatifs renforcés ou les centres éducatifs fermés.
Même quand il y a des places, le manque de moyens est tel que la prise en charge des mineurs n’est pas toujours adaptée. De plus, condamner des mineurs à des plus lourdes peines et les envoyer en prison ne réglera pas le fond du problème. Quelle perspective envisage-t-on pour ces mineurs en insertion, quel projet pour eux quand la seule solution qu’on leur donne est l’incarcération ?
mise en ligne le 13 février 2025
Lionel Venturini sur www.humanite.fr
Ils s’appellent BlackRock, Bridgepoint ou encore Ardian. Ces fonds d’investissement, après avoir phagocyté la biologie médicale ou les Ehpad, s’attaquent désormais au secteur de l’imagerie médicale. L’Académie de médecine alerte sur une « financiarisation de tous les dangers ». Avec déjà des conséquences perceptibles pour les patients… Vous êtes vous déjà demandé pourquoi les délais s'allongeaient pour pouvoir faire une mammographie ? Réponses.
Le scénario est rodé : approcher un cabinet de radiologie avec des médecins proches de la retraite, et mettre un pactole sur la table. « Historiquement, un radiologue qui partait à la retraite vendait ses parts autour de 300 000 euros à un jeune médecin débutant. Avec les montages actuels, il est possible de voir un investisseur non médecin payer dix fois plus », admet volontiers Joseph El Khoury de la banque d’affaires Natixis au média en ligne Imago.
La période est une aubaine pour les financiers : il y a en France un retard global d’équipement en imagerie lourde comparé à d’autres pays et le secteur a besoin de renouveler régulièrement ses machines. La croissance de l’activité est assurée, portée par le vieillissement de la population et les enjeux de prévention, le tout avec un risque limité. L’imagerie médicale dans le secteur libéral, c’est 3 milliards d’euros de recettes annuelles. De 20 % à 30 % du secteur serait déjà tombé dans l’escarcelle de financiers.
Convoqués devant le Sénat, qui a produit récemment un rapport d’information sur ces véritables « OPA sur la santé », des groupes d’imagerie ont dû avouer une belle rentabilité : selon Simago, qui exploite 115 IRM et scanners, les groupes d’imagerie peuvent afficher une marge sur résultat net de l’ordre de 10 %. Pour le groupe ImDev, elle a même dépassé les 30 % en 2023. Quant au groupe Vidi, il se fixe pour objectif de quintupler son chiffre d’affaires au cours des quatre prochaines années.
Tous les secteurs de la santé sont concernés
Pour acquérir ces labos, toute la panoplie des montages financiers exotiques y passe. LBO, OBO, BIMBO… Ces techniques de rachat par endettement, où la trésorerie de l’entreprise est pompée pour rembourser la banque et rémunérer les actionnaires, sont régulièrement utilisées dans l’espoir de revendre, au bout de cinq à sept ans, avec un maximum de bénéfice. Concentration, rentabilité accrue : les laboratoires d’analyses ont connu ce phénomène il y a vingt-cinq ans en France. Six groupes se partagent désormais les deux tiers des labos français, le processus s’étend aussi aux centres dentaires et ophtalmologiques.
Tous les acteurs de la radiologie, pourtant, mettent en garde contre cette financiarisation : le Conseil de l’ordre réclame des garde-fous législatifs, l’Académie de médecine prévient d’une « financiarisation de tous les dangers ». La Cnam admet que les offres des financiers « sont particulièrement difficiles à refuser ». Même la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la Santé s’en inquiète, et a nommé un référent en la matière.
En principe pourtant, les financiers doivent être tenus à l’écart des soignants : depuis la loi du 31 décembre 1990, 75 % d’une société d’exercice libéral (SEL) doivent être détenus par des médecins. L’astuce des financiers est de contourner cette loi : ils achètent l’immobilier, le parc de machines – un IRM peut monter à 1,6 million d’euros – et proposent aux radiologues, afin de les rémunérer, des montages juridiques complexes.
« Ce qu’on m’a demandé de signer s’étalait sur plusieurs centaines de pages, assorties de multiples clauses de confidentialité », confie un radiologue. À la manœuvre, des avocats spécialisés, rompus aux montages limites depuis l’épisode des laboratoires d’analyses. On y parle cash flow, ou encore « panier moyen dépensé par le patient », selon un vocabulaire en vogue dans les écoles de commerce.
« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue, c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic. »
Les clauses des contrats lient les mains des soignants. Un exemple : « Le président est désigné, renouvelé ou remplacé par décision des associés (…), sur proposition des titulaires d’actions ordinaires ». Or, les actions ordinaires sont détenues intégralement par… l’investisseur. De même, pour s’aliéner les radiologues dans le contexte actuel de pénurie de médecins, certains contrats prévoient que les praticiens qui veulent cesser leur activité s’engagent d’abord à plusieurs années de travail avant de percevoir la totalité du prix de vente du laboratoire.
Des patients à deux vitesses
Si vous devez attendre un mois pour une mammographie, mais seulement deux jours pour une IRM du genou, il y a une raison à cela. La seconde est rapide à mener et autorise des dépassements d’honoraires. La première, en dépit de son intérêt évident pour la santé publique et le dépistage du cancer du sein, est obligatoirement réalisée sans dépassement, mal cotée par la Sécu, et nécessite, dans les textes, la présence physique d’un médecin.
« Des ponctions de thyroïde, des biopsies, des interventions mini invasives sur des cancers, ce sont des actes réalisables en radiologie mais peu rentables car ils prennent du temps », précise le docteur Philippe Coquel, secrétaire général adjoint de la Fédération des médecins radiologues. Il suffit donc au centre de radiologie de limiter les créneaux disponibles pour une mammographie ou un contrôle de métastases hépatiques, et d’en ouvrir au contraire beaucoup pour les examens les plus rapides et rentables. En la matière, le cas de La Réunion est, pour le Dr Coquel, « l’expérimentation grandeur nature d’une financiarisation galopante ».
En mars dernier, le Conseil de l’ordre des médecins mettait en garde également contre la remise en cause de l’indépendance professionnelle, avec ces centres d’imagerie qui « orientent leur activité avec la lucrativité pour seule finalité, au détriment de la santé publique ». Devenant des « travailleurs non salariés » – n’étant ni en CDD ni en CDI, ils échappent au Code du travail – les praticiens s’aperçoivent que « l’enveloppe du financier n’est jamais négociable », résume devant les sénateurs Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les usagers au Conseil de l’ordre.
Pour augmenter le salaire du personnel, on demandera au radiologue d’ouvrir durant le week-end ou de réaliser plus rapidement certains examens. « Voilà comment, de façon très insidieuse, les professionnels sont amenés à modifier dangereusement leurs pratiques. »
Le fantasme de l’intelligence artificielle
Pour augmenter la productivité, les financiers misent sur le télétravail du radiologue et… l’intelligence artificielle. L’IA ? « C’est encore un mirage », pour le docteur Coquel, qui alerte : « Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic ».
Cette financiarisation ne va pas sans quelques résistances. Un groupe financiarisé, Imapôle, est ainsi sous le coup de plusieurs demandes de radiation par l’Ordre des médecins – l’affaire sera jugée par le Conseil d’État début 2025. En janvier 2024 s’annonçait le plus gros « deal » du secteur, 650 millions d’euros pour racheter Excellence Imagerie. Six mois plus tard, l’acheteur, Antin Infrastructure Partners, renonce. Signe que l’environnement s’avère moins favorable ?
En février 2024 se constituait le réseau Radian (Réseau pour une approche durable et indépendante de l’activité nucléaire) par des internes de médecine nucléaire, qui entendent promouvoir d’autres modèles d’organisation et de travail. L’initiative suit de peu celle de Corail, le Collectif pour une radiologie libre et indépendante, créé en début d’année 2023.
Avec 2000 adhérents sur un peu plus de 5 300 radiologues libéraux, « c’est la preuve que l’arrivée des financiers qui tenaient un discours simple – “vous ferez de la médecine, nous, on gérera le reste” –, ne passe plus aussi bien aujourd’hui », souligne l’un de ses cofondateurs, le docteur Aymeric Rouchaud. « On sentait qu’on ne gagnerait pas immédiatement sur le plan législatif, poursuit-il, alors avec Corail, on joue sur le rapport de force : la démographie médicale est en notre faveur. »
« Le point de bascule, analyse encore le médecin, a été le “quoi qu’il en coûte” de Macron durant le Covid-19. » En 2020, les fonds d’investissement se sont dit que si la santé était à ce point sanctuarisée, ils auraient les coudées franches pour agir. C’est pourquoi on trouve également parmi les financeurs de ces rachats, outre les fonds d’investissement anglo-saxons, les principales banques françaises, mais aussi, plus curieusement, la banque publique Bpifrance, ou le fonds d’investissement Ardian, lancé initialement par Claude Bébéar, l’ancien PDG d’Axa. Fonds qui a recruté un ancien conseiller de l’Élysée, Emmanuel Miquel, macroniste de la première heure. Signe que la financiarisation de la santé a le feu vert au plus haut niveau.
À La Réunion, l’expérimentation grandeur nature de la financiarisation
« Faire interpréter 80 examens en une seule journée à un radiologue », soit quelques minutes par patient, « c’est l’exposer à des erreurs de diagnostic »L’île de La Réunion préfigure ce qui attend la métropole si rien n’est fait : la grande majorité des équipements IRM et scanners sont désormais aux mains de financiers, selon les relevés effectués en novembre 2024 par « le Quotidien de La Réunion ». Résultat : les plaintes de patients qui ne trouvent pas de rendez-vous à une date raisonnable pour certains examens s’accumulent à l’ARS. Cette dernière dresse un état des lieux inquiétant : « Une participation moins importante aux dépistages organisés des cancers, un accès aux soins plus difficile, une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques ou encore une situation socio-économique défavorisée. »
Cette dégradation de l’accès à l’imagerie médicale pèse d’autant plus que 36 % des Réunionnais vivaient en 2020 (derniers chiffres disponibles) sous le seuil de pauvreté, soit 2,5 fois plus que dans l’Hexagone. L’agence souligne aussi un sous-effectif de cancérologues. Une situation qui a poussé le député (GDR) Frédéric Maillot à écrire au ministère de la Santé en avril 2024, soulignant dans sa missive le retard sensible de La Réunion en matière de dépistage, comparé à l’Hexagone. Début 2025, la lettre n’avait toujours pas reçu de réponse. Il faut dire que, pour cause de dissolution par Emmanuel Macron, le ministère de la Santé a connu trois ministres en un an…
Lionel Venturini sur www.humanite.fr
Coauteur d’un rapport parlementaire intitulé « Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la santé ? » (septembre 2024), le sénateur (Place publique) Bernard Jomier analyse les mouvements à l’œuvre dans le secteur et avance des solutions pour y remédier.
En démarrant vos auditions, vous connaissiez le poids prépondérant de la financiarisation dans différents champs de la santé. Avez-vous néanmoins été surpris par son ampleur ?
Bernard Jomier : Ce qui nous est apparu le plus inquiétant, c’est la progression de la financiarisation dans le secteur des centres de santé, vécus dans l’opinion générale comme des lieux de non-profit, issus d’une histoire progressiste, instaurés souvent par des municipalités communistes, et par le mouvement mutualiste également – c’est ce dernier qui a porté le tiers payant. Aujourd’hui, l’appellation est devenue tout à fait trompeuse : beaucoup sont en fait des structures financiarisées.
Ce rapport, par définition transpartisan, semble faire largement consensus…
Bernard Jomier : On a assez vite acté qu’il fallait arrêter ce mouvement de financiarisation dans le secteur ambulatoire : ORL, dentistes, imagerie, médecine générale… Pourquoi sommes-nous tombés d’accord, par-delà les divergences politiques ? Parce que nous avons considéré que notre système, qui repose depuis la Libération sur deux piliers, une offre publique et une offre privée, ne devait pas être remis en cause. Et parce que ce modèle admet une part de régulation et de contrôle, il permet à la puissance publique de mener une politique de santé.
À partir du moment où on y substitue un capitalisme financier, le contrôle de la pertinence des actes effectués est sérieusement entaché. On l’a vu dans la dentisterie avec la multiplication de faux actes, d’actes inutiles ou surfacturés. Sages-femmes, kinés, médecins… il y a eu consensus de toutes les professions lors de nos auditions pour repousser ce capitalisme-là. Les ordres professionnels ont également brutalement pris conscience qu’ils ne pourraient plus remplir les missions sur l’indépendance professionnelle qui leur sont confiées par la loi.
Une évolution législative serait-elle suffisante pour contrecarrer les ambitions des financiers ?
Bernard Jomier : Notre rapport fait bouger les lignes. La Cour des comptes a lancé un observatoire de la financiarisation, l’inspection générale de la Sécurité sociale et celle des finances s’en saisissent également. Un seul acteur, durant nos auditions, n’a pas partagé ce consensus : le représentant de la direction générale des entreprises au ministère de l’Économie. Nous savons pourtant que le système bancaire traditionnel répond déjà aux besoins de financement des équipements lourds des cliniques ou des radiologues.
Alors pourquoi faire appel aux financiers ? Sa réponse fut en somme : « Nous appliquons de façon générale un principe qui est que la libre concurrence fait baisser les prix. » C’est donc bien une doctrine idéologique, particulièrement forte depuis qu’Emmanuel Macron est chef de l’État. L’agilité des acteurs financiers dépasse de très loin celle de l’État. En détenant 5 % du capital, ils peuvent empocher 90 % des bénéfices. Donc oui, il y a des dispositions législatives à prendre, mais aussi des outils réglementaires à donner aux acteurs pour dissuader les financiers.
Quels sont ces outils ?
Bernard Jomier : Les ARS délivrent les autorisations d’activité de soins ; elles peuvent être plus vigilantes pour garantir le maillage territorial. On doit revoir aussi les tarifs hospitaliers ainsi que les tarifs conventionnels, pour chasser les rentes de situation ou les actes techniques surcotés, ceux qui, comme par miracle, se multiplient dans les structures financiarisées.
Des radiologues me racontent comment on fait revenir un patient le lendemain pour un second examen, parce qu’il y a une minoration du deuxième acte s’il est effectué le jour même. Un radiologue est un médecin, il peut prescrire lui-même un examen pour de bonnes raisons, sans obliger le patient à retourner voir son généraliste. Sauf que tous ces processus sont fondés sur la pertinence des soins. Pas sur une logique de gain qui, aujourd’hui, l’emporte sur la logique de soin.
Il faut aussi être malin : le syndicat des dentistes l’a été en instaurant un conventionnement sélectif, qui revient à figer le rapport actuel entre 70 % de cabinets traditionnels et 30 % de financiarisés. Le syndicat de généralistes MG France a trouvé une autre forme de parade, en défendant la suppression a priori paradoxale des majorations pour jours fériés ou nuit. Parce que les centres de soins financiarisés ont un modèle économique qui repose sur les ouvertures tardives, le samedi… avec des consultations à 60 euros plutôt qu’à 26,50 euros. Supprimer ces majorations contribue à les étouffer.
mise en ligne le 13 février 2025
Thomas Lemahieu sur www.humanite.fr
Défense de l’ultra-libéralisme et de l’identité nationale, lutte contre les « wokes », l’islam ou la laïcité… Après avoir révélé l’été dernier les détails du plan du milliardaire catholique, exilé fiscal en Belgique, pour faire gagner les droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes, l’Humanité passe au peigne fin ses premiers bénéficiaires.
Depuis qu’il a été contraint de sortir du bois du fait de la révélation, document intégral à l’appui, dans l’Humanité de son projet de financer directement une victoire des droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes, Pierre-Édouard Stérin s’avance à découvert. Et quand son nom apparaît désormais, ça ne se passe pas toujours bien…
Il y a deux semaines, la Mairie de Paris a suspendu les concessions accordées à deux restaurants solidaires liés au Fonds du bien commun, le véhicule de philanthropie contrôlé par le milliardaire catholique, conservateur et libertarien en Belgique.
Fin novembre 2024, quelques mois après sa mise en échec à Marianne, les salariés du groupe d’édition catholique Bayard avaient aussi obtenu un recul de leur direction, désireuse de recruter un ex-bras droit de celui qui doit sa fortune, estimée à 1,4 milliard d’euros, aux dividendes versés par les coffrets cadeaux Smartbox.
Objectif : faire gagner 300 villes au RN en 2026
Rédigé, entre naïveté et cynisme, comme un plan d’affaires, le grand dessein politique du richissime exilé fiscal en Belgique a été placé par nos soins sous les feux des projecteurs. Avec son nom on ne peut plus explicite : Périclès, acronyme de « Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens, souverainistes ». Un montant faramineux à dépenser à fonds perdu : 150 millions d’euros sur les prochaines années.
Les « valeurs » qu’il défend : « liberté individuelle et d’entreprendre », « famille, base de la société », « place particulière du christianisme », « enracinement dans un terroir », etc. Et des « tendances » qu’il combat : « socialisme et assistanat », « wokisme », « laïcité agressive », « refus de la préférence nationale », « immigration incontrôlée »…
Et une série d’initiatives décrites comme « organiques » par Périclès : « guérilla judiciaire » contre ses adversaires, création de baromètres pour « imposer (ses) thèmes » dans les débats publics et « rendre (ses) idées majoritaires », aide directe au RN pour lui faire « gagner absolument 300 villes » aux municipales de 2026, constitution d’une « réserve » de hauts fonctionnaires et de cadres dirigeants capable d’exercer le pouvoir en cas de victoire à la présidentielle, etc.
Réclamant aujourd’hui la modification des articles qui le qualifient de « milliardaire d’extrême droite », Pierre-Édouard Stérin a ces derniers mois renforcé ses positions auprès de tous les leaders de l’union des droites extrêmes. Au RN où François Durvye, directeur général de son fonds d’investissement Otium Capital, s’impose chaque jour un peu plus dans l’entourage de Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Mais aussi dans les rangs des ciottistes et de Reconquête, dont plusieurs élus ou cadres dirigeants proviennent de sa galaxie. Puis, sans surprise, chez Bruno Retailleau, dont le conseiller com à Beauvau n’est autre que celui qui faisait office de porte-parole de Stérin auprès de l’Humanité en juillet dernier…
20 millions d’euros pour combattre « wokisme, immigration et socialisme »
Qu’on se le dise : en 2025, en s’affichant au grand jour, Périclès est en ordre de marche. Rebaptisée « société d’intelligence politique », revendiquant une « inspiration libérale-conservatrice », l’entité publie des offres d’emploi (chargé de mission « lawfare », développeur « civic tech » et « entrepreneurs en résidence »).
Histoire de conjurer le « risque légal et réputationnel » – selon l’expression utilisée dans le document révélé par nos soins – pour Otium Capital et le Fonds du bien commun, elle dispose, pour gérer ses activités, de plusieurs associations ou fonds de dotation (Périclès, Xanthippe, Parolos, Forum Liberté Prospérité, Centre de formation et de promotion de l’engagement local).
Fin janvier – cela a été repéré par la Lettre –, ses responsables ont apposé sur leur site les logos de 24 « projets citoyens contribuant à la croissance et au développement de la France » qui ont d’ores et déjà été « soutenus » par Périclès. Lequel promet de consacrer 20 millions d’euros par an à ces « initiatives ».
Dans une tribune publiée le 3 février par le Figaro, Arnaud Rérolle, directeur général et cofondateur de Périclès avec Pierre-Édouard Stérin, appelle les Français à participer à ce « réveil des peuples qui ne veulent pas mourir face au wokisme, à l’immigration ou au socialisme », visible selon lui dans « de nombreux pays occidentaux ».
Il se félicite aussi des premiers résultats de Périclès, qui aurait « en quelques mois » permis de « faire émerger plusieurs centaines de recommandations de politiques publiques, de former près de 2000 candidats ou cadres au niveau local et national, de gagner plus de 25 contentieux stratégiques ». Interrogé par l’Humanité, Arnaud Rérolle ne s’avance pas plus sur des chiffrages qui peuvent apparaître gonflés. « Nous avons choisi de communiquer sur une partie significative de nos activités, se gargarise-t-il. Rien ne nous y obligeait. »
Un peu d’argent, beaucoup de pub
Dans la préfiguration originelle du plan Périclès, il était question de 40 projets déjà financés, en septembre 2023, pour un total de plus de 3,5 millions d’euros. Aujourd’hui, ses dirigeants n’en évoquent qu’une trentaine… Or, d’après les éléments recueillis par l’Humanité auprès de 11 bénéficiaires, les sommes versées ne seraient guère conséquentes. Seul à nous livrer un montant précis versé à son association personnelle, Loïk Le Floch Prigent glisse sans fioritures : « Périclès a adhéré au Cercle Entreprises et libertés pour 500 euros l’année, comme toutes les autres entreprises. »
De quoi penser que l’initiative de Stérin est loin de son régime de croisière ou qu’elle n’affiche pas ses plus gros poissons, et qu’elle sert d’abord à obtenir de la publicité à bon compte, afin de s’inscrire résolument au cœur de la nébuleuse des droites extrêmes. « Nous avons communiqué les ordres de grandeur liés au début de notre activité, qui correspondent à la réalité de nos actions, rétorque Rérolle. Nous avons vocation à croître, tant en termes de projets soutenus que d’impact. »
ll y a quelques semaines, le New York Times évoquait une offre de services faite à Périclès par Paul Manafort, le lobbyiste qui avait dirigé la campagne de Donald Trump en 2016. « Nous sommes très intéressés par la situation américaine et sommes libres d’y avoir des partenaires si nous le souhaitons, ajoute le porte-parole de Périclès. Cependant, nous ne travaillons pas avec Paul Manafort ou avec ses équipes, cela n’a pas évolué. La situation française n’est comparable à celle d’aucun autre pays, et nous souhaitons créer nos propres initiatives qui correspondent aux enjeux français. »
Un impact visible… sur les plateaux de Bolloré
Vieilles gloires de l’anticommunisme, petits commerçants de la subversion « patriote », patrons en quête de reconnaissance, influenceurs de niche, bouffeurs de curés mués en croisés anti-islam, éditocrates anti-antiracistes ou antiféministes…
Dans le panorama dressé par Périclès lui-même, les initiatives, à quelques exceptions notables près, ne mènent pas bien loin : portés, pour beaucoup, par de purs idéologues, elles conduisent surtout à fournir de bons clients aux médias de Bolloré, à d’autres chaînes d’info et aux petits titres fétiches de l’extrême droite. Néanmoins, le marcottage est lancé. De toute évidence, d’autres, plus ou moins dangereux, passent et passeront au guichet de Périclès.
Avec Otium Capital, allié à Arnaud Montebourg sur des projets de souveraineté industrielle, ou une philanthropie qui dissémine ses mannes dans de nombreux diocèses du pays, Stérin dispose d’autres armes que Périclès dans sa manche. Pour l’influence, le milliardaire catholique peut encore compter sur des camarades comme, par exemple, les fondateurs du fonds d’investissement Frst (ex-Otium Venture, créé dans le family office de Stérin), qui font circuler ces derniers jours des sondages réalisés pour leur compte par Harris Interactive : le premier entend montrer la popularité « croissante » d’Elon Musk en France, et le second sert à attester que les Français plébisciteraient des magnats comme Bernard Arnault ou Michel-Édouard Leclerc pour la présidence de la République…
Début juillet 2024, quelques jours avant la révélation du plan Périclès par l’Humanité, son créateur pouvait encore affirmer, tranquille, dans les colonnes accueillantes du JDD : « Je ne place pas de pions, je ne manœuvre pas et je n’ai pas d’agenda politique. » La page a été tournée, résolument, par Pierre-Édouard Stérin lui-même : c’est au grand jour que la bataille politique, électorale et culturelle s’engage.
mise en ligne le 12 février 2025
Khalil Auguste Ndiaye sur www.humanite.fr
Le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo appelle à manifester ce jeudi. Et les raisons sont nombreuses, nous explique Pierre-Étienne Marx, élu syndical d’Ubisoft.
Plusieurs centaines de développeurs, programmeurs, designers et autres employés du secteur des jeux vidéo manifestent ce jeudi 13 février, à l’appel du Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV). Une mobilisation qui a pour but d’alerter sur les conditions de travail. Pierre-Étienne Marx, élu du syndicat chez Ubisoft, explique la démarche.
Pourquoi appelez-vous à une grève nationale ?
Pierre-Étienne Marx : L’industrie du jeu vidéo martyrise et « crame » les travailleurs. Malgré d’énormes profits (6 milliards d’euros en France en 2024), les carrières sont courtes en raison de conditions d’exercice dures et d’un marché du travail saturé. Les écoles privées alimentent ce système en formant trop de juniors, qui peinent à trouver un emploi, tandis que les licenciements explosent (12 000 par an dans le monde en 2023-2024). En France, le droit du travail protège mieux qu’ailleurs, mais il faut agir avant que la crise ne s’aggrave. Cette grève nationale vise donc à dénoncer des problèmes systémiques et pas juste dans telle ou telle entreprise.
À qui adressez-vous vos revendications ?
Pierre-Étienne Marx : La plupart de nos revendications, par exemple concernant les licenciements, visent les entreprises et les éditeurs. Mais l’État est aussi impliqué. Son crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV), 40 millions d’euros par an, impose seulement de créer des emplois en France, sans réelle exigence sur les conditions de travail.
« L’industrie insiste beaucoup sur le côté passion du métier. »
Aucune entreprise, à ma connaissance, n’a perdu le CIJV pour non-respect du Code du travail. L’industrie française du jeu vidéo doit se développer mondialement sans nuire aux travailleurs. Plutôt qu’un crédit d’impôt financé par l’État, un prélèvement sur les ventes, à la manière du cinéma, pourrait être une alternative.
Quelles sont les difficultés dans les conditions de travail ?
Pierre-Étienne Marx : Le « crunch » (bouclage intensif d’un projet – NDLR) est la plus connue, avec des semaines de soixante-dix à quatre-vingts heures, destructrices pour la santé et illégales en France. Mais il existe aussi une version plus sournoise : des périodes intenses sur une durée prolongée, souvent dues à une mauvaise organisation ou à des promesses intenables.
L’impact est réel : impossibilité de déconnecter, stress constant, burn-out et sous-déclarations des arrêts maladie, car certains ne veulent pas abandonner un projet. Les entreprises surveillent mieux les excès visibles du crunch, mais ignorent ce problème de fond. Nous exigeons une vraie prise en compte de ces pratiques toxiques.
Les salaires posent-ils problème ?
Pierre-Étienne Marx : C’est un métier mal payé. L’industrie insiste beaucoup sur le côté passion du métier. Les écoles forment donc des jeunes, qui se retrouvent sur le marché avec des bac + 5, mais avec un salaire d’entrée bien en dessous de la moyenne pour ce niveau d’études.
En moyenne, dans les gros studios, les testeurs juniors touchent à peu près 25 000 par an, voire moins dans certaines entreprises qui ne respectent pas le minimum conventionnel Syntech. Les métiers du design, c’est plutôt autour des 30 000. Et ceux de la programmation, de 35 000 à 40 000. Et comme c’est vendu comme un métier passion on recrute des gens qui sont prêts à prendre un salaire plus bas, à faire des concessions.
Avez-vous des craintes concernant l’IA ?
C’est vaste. On sait qu’il y a une envie des patrons de l’introduire de plus en plus à notre place. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas complètement crédible. Il y a des entreprises qui ont essayé, notamment en Chine, et qui en sont revenues, car ça leur coûtait plus cher d’avoir des spécialistes de l’IA et des systèmes d’IA pour faire ce que quelqu’un faisait mieux de lui-même.
Ce qui nous inquiète surtout, c’est l’usage de l’IA générative, souvent basé sur du vol de contenu, ce qui est inacceptable. Plus largement, le jeu vidéo est une création artistique et culturelle, pas un simple produit industriel. Or nos employeurs l’oublient et en parlent comme d’un sac de patates. Ils écartent les travailleurs des décisions. Nous demandons une vraie voix dans la gestion des projets, car nous sommes les mieux placés pour voir quand un jeu fonce dans le mur.
mise en ligne le 12 février 2025
Michel Deléan sur www.mediapart.fr
La France perd cinq places dans le classement mondial de l’indice de perception de la corruption établi chaque année par Transparency International. Pour la première fois, le pays est classé parmi ceux « risquant de perdre le contrôle de la corruption », s’inquiète l’ONG.
Le macronisme finissant risque de laisser une marque assez terne dans l’histoire. Au passif du second quinquennat d’Emmanuel Macron dans divers domaines, figure ce qu’il faut bien considérer comme une flétrissure du bilan moral. La responsabilité du chef de l’État est particulièrement engagée depuis sa volte-face spectaculaire dans la lutte contre la corruption : un véritable renoncement à agir, si ce n’est de la désinvolture, alors que les questions de probité et la moralisation de la vie publique figuraient parmi les priorités affichées par le président élu en 2017.
S’il fallait une preuve des conséquences dommageables de ce revirement, elle est apportée par le tout dernier indice de perception de la corruption (IPC) publié ce 11 février par l’ONG Transparency International. Un indice calculé chaque année depuis 1995, en croisant plusieurs sources fiables.
Le constat est sans appel : dans le tableau 2024 de l’indice de perception de la corruption, la France enregistre une chute inédite et alarmante au classement mondial des nations, puisqu’elle perd cinq places d’un coup et tombe à la 25e position, dix rangs derrière l’Allemagne – et plus loin encore des pays scandinaves.
Pour la première fois, notre pays est classé parmi ceux « risquant de perdre le contrôle de la corruption », s’inquiète Transparency International, pour qui « ce signal d’alerte témoigne d’une multiplication des conflits d’intérêts et des affaires de corruption dans un contexte de crise institutionnelle ».
L’ONG pointe, pour commencer, les 26 ministres ou proches collaboratrices ou collaborateurs d’Emmanuel Macron impliqués dans des affaires politico-financières depuis 2017, d’Alexis Kohler à Rachida Dati, en passant par Aurore Bergé et Philippe Tabarot, et y voit non sans raison la traduction d’un « affaiblissement des principes d’exemplarité ».
Pour ne rien arranger, le chef de l’État est rapidement revenu sur la tradition qui consistait à ce qu’un ministre mis en examen démissionne du gouvernement (la fameuse « jurisprudence Balladur »). Ce qui exacerbe chez nos concitoyens « le sentiment d’impunité dont jouiraient les élus ». On pourrait y ajouter la Légion d’honneur accordée à plusieurs personnalités ayant été aux prises avec la justice.
Le non-respect des lois de financement de la vie politique pose également question. Après le procès en appel de l’affaire Bygmalion, qui portait sur la campagne présidentielle 2012 de Nicolas Sarkozy, et alors que se déroule actuellement le procès des financements libyens de sa campagne de 2007, « le Parquet national financier a récemment ouvert deux informations judiciaires sur les comptes de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022 », rappelle Transparency.
L’ONG souligne aussi « la multiplication des conflits d’intérêts entre l’État et les lobbies », illustrée par la révélation récente des liens entre Aurore Bergé et le secteur des crèches, ou encore des rencontres secrètes entre Nestlé Waters et des membres du gouvernement et de l’Élysée.
« Une dangereuse dérive »
Dans le même temps, rien n’est fait pour aider les contre-pouvoirs, les organismes d’enquête et les corps de contrôle à se développer. Transparency International déplore ainsi le sous-dimensionnement du Parquet national financier (PNF), dont les moyens sont « inversement proportionnels aux sommes en jeu dans les affaires de corruption ».
Pire, l’absence de volonté de lutter efficacement contre les atteintes à la probité se manifeste chaque jour un peu plus de façon très parlante. Le non-renouvellement, pendant plusieurs mois en 2024, de l’agrément d’Anticor, qui empêchait l’association de se constituer partie civile dans les affaires de corruption, par exemple, « a marqué une dangereuse dérive des pouvoirs publics », juge Transparency.
L’association déplore par ailleurs les déclarations répétées des politiques contre la justice, contre le non-cumul des mandats, et même contre l’État de droit. « Ces attaques concernent un spectre toujours plus large du personnel politique, comme l’ont illustré les récents propos du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, affirmant que l’État de droit n’était “ni sacré ni intangible”. La remise en cause des institutions démocratiques constitue un glissement inquiétant pour un pays comme la France, qui risque à terme de porter atteinte au pacte républicain », s’alarme l’ONG.
Sans trop d’illusions, elle réclame des mesures transpartisanes d’utilité publique : transparence accrue des rencontres des décideurs publics avec les lobbies, renforcement des règles de financement des campagnes électorales, et augmentation des moyens du Parquet national financier.
Ces dernières années, sur 180 pays pour lesquels Transparency dispose de données suffisantes, seuls 32 ont connu une amélioration dans la lutte contre la corruption, et 47 autres une aggravation. Or « la corruption affecte des milliards de personnes à travers le monde, détruit des vies, sape les droits humains en aggravant les crises mondiales, rappelle l’ONG. Elle entrave les actions là où elles sont le plus nécessaires, bloque des politiques cruciales et favorise l’impunité en alimentant les inégalités ».
Le rapport 2024 insiste sur les liens entre corruption et crise climatique : alors que des milliards de personnes subissent les conséquences des bouleversements climatiques, des ressources qui pourraient être utilisées à l’adaptation et à l’atténuation de ces phénomènes sont détournées vers des poches privées.
mise en ligne le 11 février 2025
Rémi Carayol sur www.mediapart.fr
Après le passage du cyclone Chido, de nombreuses organisations humanitaires ont envoyé des missions à Mayotte. Elles ont découvert une situation dramatique, qui date d’avant la tempête. Certaines ont dû se substituer à des pouvoirs publics volontairement absents des bidonvilles.
Tsingoni, Koungou, Mamoudzou (Mayotte).– Deux médecins, trois infirmières, trois tentes, deux tables, une balance et des caisses de médicament. Il est 8 h 30, mardi 21 janvier, le soleil accable déjà, et la clinique mobile de Médecins sans frontières (MSF) est prête à accueillir les habitant·es du quartier de Bandrajou, un bidonville de Kawéni. À peine installée sur un terre-plein boueux, en contrebas de la montagne de maisons en tôle, l’équipe, des bénévoles d’un jour pour la plupart, est immédiatement sollicitée.
Un homme à scooter s’est arrêté sans savoir qui étaient ces wazungu (le nom donné aux Blancs à Mayotte) munis d’un gilet blanc ; il a mal au ventre, ne se sent pas bien. Un autre, qui s’est coupé le doigt en reconstruisant sa maison disloquée par le cyclone Chido le 14 décembre, vient aux nouvelles : est-il possible de changer son pansement ? Il n’est pas pressé de retourner au dispensaire où on le lui a posé : il faut faire la queue pendant des heures et il y a toujours le risque de se faire contrôler par la police. Comme une grande partie des habitant·es de Bandrajou, il n’a pas de papiers en règle.
Très vite, une file s’est constituée. Des femmes et des enfants surtout. Les bénévoles de l’Association Générations Futures (AGF), qui œuvre dans les bidonvilles de Kawéni, gèrent les flux et traduisent quand il le faut. Les médecins enchaînent. Rien de très préoccupant : des maux de ventre, des maux de tête, et pas mal de cas de teigne, maladie liée à l’insalubrité qui touche les plus jeunes. Deux infirmières préparent les médicaments que l’organisation non gouvernementale (ONG) délivre gratuitement. Une troisième part en maraude dans les hauteurs, pour informer les gens de leur présence.
De l’urgence à l’ordinaire
Au début, quand MSF est arrivé sur l’île quelques jours après le passage du cyclone, les soignant·es qui se déplaçaient dans les quartiers et les villages les plus précaires (Kawéni, Tsoundzou, Vahibé, Koungou) étaient confronté·es à des blessures liées à la catastrophe. Beaucoup de plaies notamment, dont certaines purulaient : les blessé·es n’étaient pas allé·es se faire soigner, par crainte des contrôles d’identité ou parce qu’ils et elles pensaient que l’hôpital serait saturé.
Mais très vite, ce sont des maladies chroniques que les membres de l’ONG ont dû traiter. Des gastro-entérites notamment, liées à la déshydratation. Pas mal de cas de malnutrition aussi, dont certains sévères. Et tous les bobos du quotidien qui devraient être pris en charge, normalement, par la médecine publique ou privée.
Dès lors, MSF a rempli le « job » d’un hôpital. « On fait encore beaucoup de pansements, cela représente 20 à 30 % de nos soins, mais le reste consiste à traiter des pathologies dont certaines sont liées au manque d’eau ou à la mauvaise qualité de l’eau », indique Mehdi El Melali, le référent médical de la mission.
Les membres de MSF ont trouvé une situation qu’ils connaissaient en partie, pour avoir déjà mené des missions courtes à Mayotte dans le passé, mais dont ils découvrent chaque jour l’ampleur. Chaque clinique mobile attire des dizaines de patient·es, parfois plus de 150 en une seule journée. Chido (qui signifie « miroir » en shimaoré) a « révélé quelque chose », poursuit Mehdi El Melali, car « là, on n’est plus dans le post-cyclone, mais dans la crise chronique ».
En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés.
Les habitant·es de ces quartiers, insiste-t-il, manquent de soins, et cela ne date pas du 14 décembre. Souvent, ils attendent le dernier moment pour aller à l’hôpital. D’abord parce qu’ils n’ont pas d’argent pour se déplacer ou pour se payer les médicaments qui leur seront prescrits. Et surtout parce qu’ils craignent les forces de sécurité.
Il n’est pas rare, à Mayotte, de voir la police aux frontières (PAF) effectuer des contrôles aux abords des dispensaires, dans les rues adjacentes ou au carrefour le plus proche. « La peur de se faire arrêter est parfois plus forte que celle de mourir », déplore le médecin.
En 2019, 45 % des habitant·es de Mayotte âgé·es de 15 ans ou plus déclaraient avoir renoncé à des soins ou les avoir reportés (soit bien plus que dans l’Hexagone : 29 %). Parmi les causes avancées par l’Insee dans une étude publiée en 2021 : la question financière et la situation administrative d’abord. « Les personnes les plus fragiles financièrement sont ainsi très pénalisées (54 %) ; les personnes non affiliées à la Sécurité sociale le sont encore plus (60 %) », précisait l’institut. Les délais trop longs et enfin les difficultés d’accès à l’offre complétaient la liste des motifs.
À Mayotte, selon l’agence régionale de santé (ARS), on comptait, en 2022, 86 médecins pour 100 000 habitant·es, contre 339 dans l’Hexagone. Un soignant du centre hospitalier de Mamoudzou (CHM), qui a requis l’anonymat, admet que « l’offre n’est pas au niveau », tout en précisant que les personnes en situation irrégulière « n’en sont pas exclues ». Pour lui, le problème vient surtout de la « chasse aux sans-papiers » menée sur l’île depuis deux décennies.
En théorie, les consultations dans les dispensaires et les hôpitaux sont gratuites pour les personnes couvertes par la Sécurité sociale et pour les femmes et les enfants. Pour les autres, un forfait de 10 euros est demandé, l’aide médicale d’État (AME) n’étant pas appliquée à Mayotte. Mais 10 euros, « c’est déjà trop », souligne Achiraf, un jeune vingtenaire de Bandrajou qui se plaint de maux de ventre et qui attend de voir un médecin de MSF. Surtout, ajoute-t-il, « les médicaments sont payants après ».
Des ONG plus efficaces que l’État
Face à la situation dramatique qu’ils observent chaque jour, les membres de l’ONG s’interrogent : faut-il prolonger leur action au-delà de l’urgence liée à Chido ? Une question qui en appelle une autre : est-ce aux ONG de remplir les missions habituellement dévolues à l’État ?
D’autres organisations, qui opéraient à Mayotte avant Chido ou qui sont arrivées après, ont constaté un manque patent d’infrastructures et de services dans les bidonvilles. Un humanitaire qui a requis l’anonymat, et qui œuvre dans le médical lui aussi, se dit « effaré de découvrir une telle situation » dans « un territoire français ».
« Jamais je n’aurais imaginé voir ça en France », abonde un autre bénévole qui arpente les quartiers les plus précaires de l’île depuis la mi-janvier après avoir enchaîné les missions en Ukraine, en Haïti ou encore au Mali. Il a découvert « des zones laissées à l’abandon, des populations livrées à elles-mêmes », sans eau, sans électricité, sans aucune aide.
Après Chido, les gens manquaient de tout sur l’île : d’ombre (des milliers d’arbres sont tombés), d’électricité, de nourriture, d’eau potable... L’aide de l’État a tardé à se concrétiser. Elle est toujours très aléatoire et surtout très insuffisante dans les villages et quasi inexistante dans les bidonvilles. Dans certaines communes, les habitant·es sont délibérément exclu·es des distributions – les mairies étant chargées de distribuer les dons fournis par l’État.
Dans l’urgence, des ONG se sont mobilisées pour répondre aux besoins immédiats. World Central Kitchen (WCK), une organisation états-unienne, est arrivée sur place dès le 20 décembre. Durant les quatre premières semaines, elle a servi plus de 168 000 repas préparés par une cinquantaine de restaurateurs et restauratrices et distribués par une myriade d’associations locales. « Elle a été bien plus rapide et bien plus efficace que l’État », souligne le responsable d’une association ayant requis l’anonymat.
Dans la commune de Tsingoni, sur la côte ouest de l’île, la Régie de territoire de Tsingoni (RTT) se charge, chaque jour, de distribuer ces repas aux plus démuni·es. Elle œuvre en temps normal dans l’accompagnement social et environnemental, et compte trente-deux salarié·es.
Le 16 janvier, la distribution a lieu dans le quartier dit des « décasés », dans le village de Combani. Au menu : du riz et une sauce tomate avec quelques morceaux de viande. Sous un soleil de plomb, une file ininterrompue de personnes attendent leur tour. Certain·es ont un ticket sur lequel est indiqué le nombre de personnes qui vivent dans le foyer. D’autres non, mais ça ne change rien ; ici, on marche à la confiance.
Dans la queue, un homme semble harassé. Il s’appelle Ahmed, il a 37 ans. Sans papiers en règle, il vit habituellement de petits boulots dans le secteur informel. « Depuis Chido, on n’a plus de travail et plus d’argent, explique-t-il. Et il n’y a plus rien dans les champs. Je n’ai pas de quoi acheter à manger pour ma femme et mes trois enfants. Sans cette aide, on pourrait mourir de faim. »
Les dons de la commune, distribués de manière épisodique au foyer des jeunes ? « Je n’y suis pas allé. On sait bien qu’ils ne donnent qu’aux Mahorais. Et de toute façon, on ne sait même pas quand ces dons ont lieu. » Plusieurs témoignages font état de discriminations dans l’aide apportée par la mairie : les « ami·es » seraient privilégié·es, les « sans-papiers » en seraient exclu·es. Interrogés, des agents communaux s’en défendent. « On donne à tout le monde », assurent-ils.
Aux « décasés », on a de toute façon l’habitude de ne pas compter sur les pouvoirs publics. « La seule chose qu’ils nous envoient, c’est les policiers », s’amuse Hadidja, une femme de 44 ans qui a un gros pansement au pied. Depuis Chido, la Croix-Rouge est venue une fois pour apporter des soins, affirment les femmes qui l’entourent. Elles n’ont pas vu une seule fois des représentant·es de l’État, ni même des élu·es, ajoutent-elles.
Un travail parfois mal vu
Direction Koungou, sur la côte est, et son quartier considéré comme « mal famé » de Kirissoni, un bidonville qui abrite des milliers de personnes. Il s’étend à perte de vue le long d’un vallon et jouxte une immense carrière dont le vrombissement des machines rythme les journées. Ici, affirme Anriffoudine, un lycéen de 17 ans, « on vit comme des fantômes ».
Il n’y a pas de rues goudronnées, bien sûr, pas d’électricité non plus. Et pas d’eau potable. Pour en trouver, il faut descendre tout en bas du quartier où se trouve une rampe (quatre robinets raccordés au réseau d’eau) financée par l’ARS. Une épreuve en saison des pluies, quand la terre ocre de Mayotte se transforme en bourbier. Et un risque, la PAF y organisant parfois des descentes.
Depuis quelques jours, Anriffoudine accompagne les membres de Solidarités International, une ONG française qui défend, entre autres, le principe de l’accès inconditionnel à l’eau. Ce qu’ils font ici, c’est la base : capter l’eau d’une source située plus haut, tirer des tuyaux, monter des robinets.
Cette eau n’est pas potable selon la norme française, c’est pourquoi l’ONG distribue aussi des pastilles purificatrices et des kits d’hygiène (un jerrican pour transporter l’eau, du savon, des moustiquaires). Mais désormais, les habitant·es peuvent consommer une eau « sécurisée ». « C’est toujours mieux qu’avant », affirme le jeune lycéen, quand les gens puisaient l’eau à même le lit du ruisseau pollué par la lessive des femmes qui y lavent leur linge et par les déchets qui jonchent les ravines.
Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. Un salarié d’ONG
« Tout ce qu’on fait, c’est du temporaire, explique Cédric Berthod, un salarié de l’ONG qui rappelle que Kirissoni fut l’un des quartiers les plus touchés par l’épidémie de choléra il y a six mois. En attendant des raccordements au réseau de distribution d’eau potable, on sécurise l’eau consommée par les communautés depuis des captages comme ici. Ce travail de sécurisation, nous le faisons en lien avec l’ARS. »
S’il prend soin de le préciser, c’est parce que de telles opérations ne sont pas toujours bien vues, ni par les pouvoirs publics, ni par les élu·es, ni par les collectifs de citoyen·nes.
Lorsque l’ONG a débuté ses opérations à Mayotte fin 2022, l’accueil a été des plus froid. La préfecture n’apprécie guère de voir des organisations humanitaires intervenir sur l’île, et ne fait rien pour les encourager. Pourtant, les besoins sont énormes : selon l’Insee, en 2017, 62 % des ménages résidant dans une maison en tôle n’avaient pas accès à l’eau, contre 8 % de ceux qui habitent dans un logement en dur.
Un chiffre qui, selon l’ONG, n’a guère évolué depuis. Quant aux collectifs citoyens anti-migrants, leurs membres considèrent toutes celles et tous ceux qui apportent un peu de soutien aux habitant·es des bidonvilles comme des « ennemis » qui favorisent l’immigration.
Aujourd’hui, l’ONG intervient sur sept sites et vient en aide à plus de 9 000 personnes. Elle continue également son œuvre de plaidoyer auprès des autorités, notamment en négociant l’accès à l’eau pour tous les habitant·es de l’île, y compris des bidonvilles. Mais comme d’autres, elle fait face à une forme de « déni », d’« impensé ».
« Les bidonvilles ne sont pas considérés comme des quartiers comme les autres, souligne le salarié d’une autre ONG qui intervient dans l’accès à l’eau. Les pouvoirs publics font comme si, en ne s’en occupant pas, ils allaient disparaître du jour au lendemain. C’est une grave erreur qui peut aboutir à des crises sanitaires ou humanitaires. »
Parfois, il suffirait de pas grand-chose pour améliorer le quotidien des populations les plus précaires. L’ONG française Électriciens sans frontières (ESF), par exemple, propose de distribuer des lampes solaires à bas coût, comme elle le fait un peu partout dans le monde. Elle estime à 20 000 le nombre de foyers sans électricité sur l’île.
Mais ses membres n’ont pas l’habitude d’intervenir en territoire français. Il y a eu un seul précédent : à Saint-Martin et Saint-Barthélémy après le passage de l’ouragan Irma, en 2017. Quand ils sont arrivés sur place après Chido, ils racontent avoir découvert une curieuse situation. Et ont senti comme « une gêne », selon les mots de Philippe Guistinati, lorsqu’ils en ont discuté avec les autorités. Comme si l’idée d’améliorer – même à la marge – le quotidien de ces personnes était un problème.
mise en ligne le 11 février 2025
par Solenne Durox sur https://basta.media/
Confrontés à la désertification médicale et à la difficulté à se soigner, des élus des Côtes-d’Armor font tout leur possible pour pousser l’État à agir. Dans des cahiers de doléances, les habitants décrivent l’abandon qu’ils subissent.
« J’ai un message de la part de l’État : vous êtes des ploucs, payez vos impôts et taisez-vous ! » Matthieu Guillemot est porte-parole du comité de vigilance de l’hôpital de Carhaix (Finistère). Juché sur la remorque d’un tracteur, il invite son auditoire à laisser éclater sa colère. Une nuée de drapeaux et plus de 1500 manifestants ont investi le parvis de la gare de Guingamp (Côtes-d’Armor). « Du fric, du fric pour l’hôpital public ! » répond la foule.
L’un des organisateurs de la manifestation, Gaël Roblin, récupère le micro. « La santé est devenue un luxe. La pénurie de soignants touche l’ensemble du pays », s’indigne le conseiller municipal (Gauche indépendantiste bretonne) de Guingamp, fondateur du collectif Initiative urgence Armor santé. Élus, citoyens, soignants et syndicalistes ont défilé le 1er février dans les rues de cette ville costarmoricaine de 7000 habitants pour défendre les hôpitaux publics et le système de santé.
Ça fait des années que la maternité de Guingamp est menacée de fermeture. Les accouchements y sont suspendus depuis avril 2023. Elle ne fait plus que du suivi pré et post-accouchement. À 30 kilomètres de là, la maternité privée de Plérin, deuxième plus grand établissement du département, vient de perdre quatre pédiatres. L’activité est menacée.
« J’ai un message de la part de l’État : vous êtes des ploucs »
La presse se fait régulièrement l’écho de femmes qui accouchent sur la route, dans leur voiture, car elles sont désormais trop éloignées de l’établissement qui peut les prendre en charge. Les urgences des hôpitaux costarmoricains sont régulées, tout comme les maisons médicales de garde depuis janvier 2025 : il faut d’abord appeler le 15 avant de pouvoir s’y rendre. Obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste et encore pire, un spécialiste, relève du parcours du combattant.
2000 témoignages de citoyens désespérés
À force de crier dans le désert depuis des années, les Bretons savent qu’il en faut bien plus pour être entendu de Paris. Battre le pavé n’est pas suffisant. Alors, dans les Côtes-d’Armor, plus que n’importe où ailleurs en France, la population a décidé d’entrer en résistance. À Guingamp, les manifestants ne sont pas venus les mains vides. Ils ont apporté avec eux des cahiers de doléances patiemment collectées ces derniers mois sur le territoire auprès d’habitants de 198 communes, aussi bien en mairie qu’en ligne.
Au total : 2000 témoignages édifiants de citoyens privés de soins, désespérés, exaspérés de ne pas être entendus par l’État qui ferme des lits dans les hôpitaux. Les cahiers ont été remis au préfet par les élus. « Pour vivre heureux en Côtes-d’Armor ne soyez surtout pas malade », écrit un habitant. « Le Centre-Bretagne est un gigantesque désert médical et la dégradation des services de santé en ville, privés comme publics, rendra bientôt impossible le fait de se soigner en dehors de Brest et de Rennes », constate un autre.
Plus de 58 % des répondants n’ont pas accès à un dentiste. L’un explique que cela fait quatre ans qu’un abcès coule dans sa bouche : « Mes dents se cassent les unes après les autres et aucun dentiste ne veut me soigner, idem pour ma fille de 12 ans, pas moyen d’avoir une visite, plus de 70 dentistes contactés. »
Impossible d’aller chez le dentiste
Beaucoup de détresse s’exprime dans ces cahiers. « Je me sens abandonnée. Je vois les dents de ma fille pourrir depuis trois ans et je n’ai toujours pas trouvé de dentiste qui puisse la soigner, car sa pathologie nécessite des soins spécifiques. C’est très, très dur de ne pas pouvoir faire soigner son enfant », se désespère une mère. Obtenir un rendez-vous avec un médecin généraliste devient aussi très compliqué. La situation est forcément angoissante pour les patients.
« C’est très dur de ne pas pouvoir faire soigner son enfant »
« Nous avions un médecin qui a pris sa retraite. Dans la région, aucun cabinet médical n’accepte de nous recevoir et comme pour le dentiste la réponse est la même : allez aux urgences ou allez à Paris comme m’a conseillé le cabinet dentaire », dénonce un habitant de Plélo. Un autre s’énerve : « En milieu rural on a des urgences pour les animaux, mais pas pour les humains !! » Le sentiment d’injustice est général : « Nous payons les mêmes impôts que les Parisiens. Pourquoi sommes-nous abandonnés ? »
Partout en France, les élus et élues sont à l’avant-garde du combat pour la santé. En 2024, 57 maires de villes moyennes ou petites communes, de tous bords politiques, ont pris des arrêtés communs en réponse « aux troubles à l’ordre public suscités par une offre sanitaire manifestement insuffisante pour garantir l’égalité d’accès aux soins » de leurs administrés. Ils et elles sommaient l’État de mettre en place un « plan d’urgence d’accès à la santé » sous peine d’une astreinte de 1000 euros par jour.
Cette provocation leur a valu d’être assignés en justice par la préfecture, qui estimait qu’ils n’étaient pas compétents en la matière. Puis le tribunal administratif a suspendu les différents arrêtés. « Quand il s’agit d’aller sur le lieu d’un drame, de reloger en urgence une maman victime de violences conjugales, là, bizarrement, on est très légitimes et compétents, mais pas en matière de santé publique, s’étrangle Xavier Compain, maire de Plouha, 4600 habitants. Il y a 30 ans, jamais aucun préfet n’aurait envoyé des maires devant un tribunal. Ça dénote une considération hautaine de la fonction d’État. Ils prennent les petits élus de haut alors qu’on n’a aucune autre ambition que d’être les porte-voix de notre population. »
« Allez aux urgences ou allez à Paris, m'a conseillé le cabinet dentaire »
À presque chacune de leurs permanences en mairie, les édiles reçoivent des administrés qui se plaignent de leurs difficultés à se soigner. Ils n’ont malheureusement aucune solution à leur proposer. « On avait deux médecins. L’un a pris sa retraite, l’autre part bientôt. On n’a plus non plus de kinés », déplore François Le Marrec, maire de Belle-Isle-en-Terre, qui est aussi obligé de faire du bénévolat dans l’Ehpad faute de personnel.
L’établissement accuse un déficit de 300 000 euros. L’année dernière, avec quinze autres maires réunis dans le collectif Ehpad publics en résistance, François Le Marrec a attaqué l’État pour carence fautive afin de réclamer un vrai financement des Ehpad publics. Nombreux sont les élus à prendre ainsi le problème de la santé à bras le corps.
La commune de Bégard a récemment inauguré une maison de santé pluriprofessionnelle de 1200 m2. Coût : 4,5 millions d’euros. « 14 % de la population n’a pas de médecin traitant, mais dès l’ouverture, nous avons été obligés de mettre une affiche comme quoi on ne prenait plus de patients. Les gens ne comprennent pas. Ils pensaient qu’ils allaient enfin avoir un médecin. On a dû bunkériser l’accueil afin que la secrétaire soit en sécurité, car elle se fait agresser », raconte le maire, Vincent Clec’h.
« Je suis rarement malade, mais la dernière fois que ce fut le cas, j’ai dû me rabattre sur une borne visio à la pharmacie de Ploumagoar pour obtenir une consultation après avoir appelé tous les généralistes dans le secteur... C’est ça le futur ? », s’énerve un contributeur des cahiers de doléances. Dans les pires des cas, les lacunes du système de santé peuvent conduire à des situations dramatiques comme le relate cette Costarmoricaine à la place de son époux.
« Nous payons les mêmes impôts que les Parisiens. Pourquoi sommes-nous abandonnés ? »
« Signes d’AVC, appeler le 15, ambulance privée qui se déplace, emmené aux urgences à Lannion, ramené 5 h après à mon domicile sans examen. 3 heures après, le Samu est rappelé, ils ne veulent pas me ramener à l’hôpital. 5 heures après, il est 12 h, je suis hospitalisé, le lendemain matin je fais un scanner : AVC hémorragique... Plus de 24 heures se sont écoulés ». Son mari est décédé sept jours après, d’un « hématome irréversible ».
Faire venir des médecins de Cuba
Certes, les Côtes-d’Armor ne sont pas le seul département français à pâtir du déficit de professionnels de santé. Mais, selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès, les délais médians pour obtenir un rendez-vous médical y sont au moins deux fois supérieurs à la moyenne nationale. Dans le pays de Guingamp particulièrement, les besoins sont immenses, avec le taux de pauvreté le plus important en Bretagne, et une mortalité supérieure à la moyenne nationale.
Pour faire face à l’urgence dans les hôpitaux publics, plusieurs élus guingampais, dont Gaël Roblin, militent en faveur du déploiement d’un contingent de médecins cubains sur le territoire. Quelques-uns sont déjà intervenus aux Antilles en pleine crise du Covid-19, d’autres en Italie et en Andorre. En février 2024, Vincent Le Meaux, le président (socialiste) de Guingamp-Paimpol agglomération, a rencontré Otto Vaillant, l’ambassadeur de Cuba en France pour évaluer les bases d’un partenariat.
L’envoi de médecins cubains en mission à l’étranger, qui existe depuis de nombreuses années, est progressivement devenu la première source de revenus de l’île. Le dispositif lui rapporte entre six et huit milliards de dollars par an. « J’en ai parlé en avril dernier au ministère de la Santé qui devait nous répondre. Mais on attend toujours », explique-t-il. Après plusieurs années d’absence de dialogue, le nouveau préfet des Côtes-d’Armor et l’agence régionale de santé ont enfin reçu, le 5 février, une délégation d’une vingtaine de maires du département.
S’ils « ont ouvert la porte », ils n’ont « pas répondu à l’urgence des questions posées, ni même proposé de calendrier de rencontres », regrette le collectif Initiative urgence Armor santé. Les maires devront-ils embaucher les médecins cubains directement ?
Stéphane Guérard sur www.humanite.fr
Dès 2018, le mathématicien Cédric Villani plaidait pour que les questions autour de l’intelligence artificielle sortent des cénacles des spécialistes pour irriguer le débat démocratique. Il espère que le sommet mondial de Paris, qui s’ouvre lundi, joue ce rôle.
Le lauréat 2010 de la médaille Fields posait déjà en 2018 la question de « donner un sens à l’intelligence artificielle » dans un rapport parlementaire. Sept ans plus tard, l’état des rapports de force internationaux le rend sceptique sur l’évolution des technologies numériques.
L’intelligence artificielle peut-elle être un outil de progrès ?
Cédric Villani : Il y a deux façons très différentes de répondre. Soit vous l’abordez du point de vue intellectuel, universitaire et c’est un sujet absolument fascinant. Il s’agit d’une aventure scientifique parsemée de grands esprits, depuis Alan Turing. La question de l’adaptation des usages rend encore plus passionnant le débat autour des métiers, de notre perception et de notre représentation du monde en fonction des moyens de communication.
Même les plus réticents à l’IA ressortent de ces débats intellectuels en se disant que tout ceci est passionnant. Mais si l’on pose la question du progrès que l’on peut tirer à partir des usages de l’IA, il est impossible d’avoir une réponse aussi tranchée. Par rapport à la paix, l’équité et la trajectoire écologiquement viable, les trois questions qui forment les grands critères actuels de progrès, l’intelligence artificielle représente au mieux une difficulté supplémentaire, au pire une catastrophe, au même titre que la bombe nucléaire pouvait constituer à la fois un sujet scientifique et intellectuel passionnant, mais aussi une invitation à la destruction de l’humanité.
Pourquoi tant de scepticisme ?
Cédric Villani : On ne peut pas dire que les questions que pose l’IA se résolvent par la réponse « tout dépend de ce que nous allons en faire ». Si l’on prend en compte les rapports de force actuels, son utilisation accroît nos difficultés. L’IA apporte une nouvelle façon de faire la guerre, génère de nouvelles rivalités sur le contrôle de l’information comme de nouvelles tensions géopolitiques pour le contrôle des ressources.
En tant que telle, elle ne m’empêche pas de dormir. En revanche, les tensions mondiales entravent nos efforts en faveur du désarmement et de la solidarité internationale. Mais pour toutes les forces de progrès, ne pas user de ces outils revient à laisser les armes aux adversaires.
Les cas d’usages d’IA qui concourent à une société plus juste sont légion, des travaux du Giec aux économies d’énergie, au recyclage comme à la préservation des écosystèmes… Par ailleurs, le modèle du logiciel libre mène la compétition avec le modèle de l’IA fermée. Ce n’est pas pour rien qu’Elon Musk s’en prend à Wikipédia. Mais tous ces cas d’usage de progrès représentent peu en proportion des cas d’usage nocifs.
À quoi sert ce sommet mondial de l’IA à Paris ?
Cédric Villani : Le buzz alimenté par ce sommet permet d’attirer l’attention sur les vrais problèmes. Parler d’IA, c’est parler des déchets numériques dont on sous-traite la destruction à des travailleurs ghanéens sous-payés. Parler d’IA, c’est rappeler les injustices fondamentales entre les femmes et les hommes. Pourquoi n’y a-t-il pas suffisamment de femmes dans les mathématiques, les écoles d’ingénieurs et d’informatique ?
C’est aussi parler de recherche : pourquoi laisse-t-on piller notre force de formation par les universités américaines ? Et puisqu’il est actuellement question de rapports de puissance entre les États-Unis et la Chine, parler d’IA, c’est parler taille et forces. Nous concernant, la réponse doit être l’Europe, du fait de son marché et des moyens qu’elle peut mobiliser. En 2022, l’irruption de ChatGPT avait tout changé médiatiquement et permis que tous ces sujets jusque-là traités entre experts parviennent au grand public. Ce sommet de Paris nous en donne une nouvelle occasion.
En matière d’intelligence artificielle, où en est la France ?
Cédric Villani : La France a des atouts réels. Historiquement, elle possède avec l’Allemagne, la Russie et, maintenant, les États-Unis l’une des plus grandes communautés de mathématiciens. Elle reste un grand pays d’algorithme et une référence pour la qualité de ses programmeurs.
Nous n’avons pas rempli tous les objectifs de notre feuille de route numérique, mais nous nous sommes dotés d’une infrastructure de calcul qui permet à nos chercheurs de travailler en France et de ne plus aller voir les Gafam. Mais il est dérisoire voire puéril de proclamer, comme nous l’entendons à l’occasion de ce sommet, que la France va faire faire un pas de géant à elle toute seule. Il est d’ailleurs symptomatique de voir l’Europe si peu associée à l’événement.
L’Union européenne s’est pourtant dotée d’un ensemble réglementaire cohérent et ambitieux qui fait qu’elle est la plus protégée. Notre défi, c’est la production de hardware (matériel, puces) comme de software (logiciels, programmes), qui demande une politique coordonnée de soutien en faveur de la recherche, de l’enseignement supérieur, des programmes communs de données. Mais au vu des coupes dans les budgets, la France ne va pas dans la bonne direction. La politique européenne est aussi décevante. Pour le numérique comme pour l’écologie, on constate un recul des ambitions.
Stéphane Guérard, Pauline Achard , Samuel Gleyze-Esteban et Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Paris accueille le Sommet pour l’action sur l’IA lundi 10 février. Emmanuel Macron promet des annonces pour renforcer la compétitivité de la France. Syndicats, partis, scientifiques et ONG revendiquent de redonner du sens à cette révolution technologique.
Remettre la France en majesté, et lui par ricochet. Accro aux événements en mondovision, Emmanuel Macron a proposé l’année dernière de voir Paris succéder à Bletchley (Royaume-Uni) et Séoul (Corée du Sud) pour accueillir le regroupement international des experts en intelligence artificielle (IA). Mais à la sauce tricolore.
Fini les symposiums de spécialistes de la spécialité devisant uniquement de cybersécurité. Après deux « journées scientifiques » puis un « week-end culturel », le Sommet pour l’action sur l’IA s’ouvre ce lundi 10 février. Dans une redite des réceptions annuelles Choose France à Versailles, le président de la République a invité tout ce que le numérique compte d’oligarques et de grands argentiers à s’exprimer sous la verrière du Grand Palais. Puis à annoncer au cours d’un « business day » à la Station F de Xavier Niel une pluie d’investissements dans l’Hexagone. Les implantations de data centers ont déjà la cote auprès des Émirats arables unis (30 à 50 milliards d’euros) et du fonds canadien Brookfield (20 milliards).
Mais la vocation de l’événement n’est pas que commercial. Dès avant son intervention au 20 heures dimanche 9 février, Emmanuel Macron avait lancé dans la presse française : « Est-ce que l’on est prêt à se battre pour être pleinement autonomes, indépendants, ou est-ce qu’on laisse la compétition se réduire à une bataille entre les États-Unis d’Amérique et la Chine ? » Chiche, lui ont répondu des scientifiques, ONG, syndicats et partis de gauche qui appellent à faire des IA un bien commun et à remettre leurs usages dans le sens de l’intérêt général. Pour cela, cinq conditions doivent être réunies.
De la démocratie dans les rouages
Face aux géants états-uniens ou chinois qui, pour l’heure, monopolisent les grandes avancées, de ChatGPT à DeepSeek, comme les annonces de centaines de milliards de dollars d’investissements, Emmanuel Macron plaide pour « plus de patriotisme économique et européen » et pour « aller à fond ». Oublié le temps des régulations.
Il faut multiplier comme des pains les centres de données nécessaires à l’entraînement des IA ou les supercalculateurs, dont la présidente de la Commission européenne doit communiquer un plan de déploiement.
En ces temps d’austérité, ouvrons les vannes des subventions. La BPI projette de débloquer 10 milliards d’euros d’ici à 2029. Tout cela devant conduire au déploiement de ces outils numériques dans les entreprises comme dans les services publics. « Il s’agit pour la France de se doter d’avantages comparatifs en se positionnant sur quelques briques technologiques et quelques maillons de la chaîne de valeur », résume le rapport de la commission IA 2024.
L’accaparement des richesses
La France courant derrière son retard de « compétitivité », comme un coq sans tête ? C’est ce que craint une coalition d’associations, syndicats et collectifs français. Dans son manifeste « Hiatus », publié le 6 février, elle constate que « tout concourt à ériger le déploiement massif de l’intelligence artificielle en priorité politique », alors que cette généralisation sert l’accaparement des richesses par quelques-uns et asservit aussi bien les pays du Sud que les services publics, entre autres griefs.
« La prolifération de l’IA a beau être présentée comme inéluctable, nous ne voulons pas nous résigner. (…) Nous exigeons une maîtrise démocratique de cette technologie et une limitation drastique de ses usages, afin de faire primer les droits humains, sociaux et environnementaux », conclut le texte.
Une forme de gouvernance mondiale de l’IA est aussi demandée dans d’autres appels, pour éviter une « perte de contrôle » par les humains. Il y a deux ans à peine, Elon Musk et des centaines d’experts réclamaient déjà une pause après la mise en ligne de ChatGPT pour évaluer les conséquences de cette révolution…
Des IA pour les travailleurs, pas contre
L’intelligence artificielle, un outil d’émancipation des travailleurs ? Demandez aux « petites mains » de l’IA, à Madagascar ou au Kenya, payées moins de deux dollars l’heure pour entraîner ces algorithmes survitaminés. Pour ces ouvriers du numérique, la grève est la seule arme pour tenter d’améliorer leur quotidien.
Et le recours en justice. Pour avoir viré des modérateurs de contenu qui s’étaient révoltés contre leur exploitation et la « torture psychologique » qu’ils enduraient, Facebook a été condamnée en 2023. Depuis, la société de Mark Zuckerberg a tranché… en mettant fin à la modération.
En France, les relations de subordination sont certes bien moins violentes. Il n’en reste pas moins que les syndicats revendiquent, eux aussi, des garde-fous. Car côté employeurs, les motivations pour généraliser ces outils numériques relèvent de l’amélioration de la productivité et la réduction des coûts de main-d’œuvre (selon l’enquête « Usages et impact de l’IA sur le travail » publiée par le ministère du Travail).
Les organisations de salariés appellent donc leurs homologues patronales à ouvrir les négociations dans les entreprises et les branches. « Le plus souvent, les directions ne négocient tout simplement pas l’implantation de ces technologies dans leur entreprise, arguant que c’est trop compliqué, pointe Charles Parmentier (CFDT). Beaucoup de salariés ne savent même pas qu’ils travaillent avec. »
Du numérique glouton à un usage frugal
Développement de l’IA et transition écologique font très mauvais ménage. Une simple question posée à ChatGPT consomme un demi-litre d’eau, selon une étude de l’université de Riverside, en Californie, publiée en novembre, et dix fois plus d’énergie qu’une recherche classique sur Internet. Car il faut bien refroidir les centres de données, en surchauffe face à la multiplication des requêtes. L’électricité consommée par ces sites devrait doubler dans le monde d’ici à 2026 et représenter celle réunie de la France et l’Allemagne, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Dans l’Hexagone, le nucléaire limite le bilan (en 2022, les générateurs des centres de données ont tout de même consommé 1 159 mètres cubes de fioul et 21 930 tonnes de batteries). Les Gafam parient aussi sur l’atome : Microsoft remet en état une centrale états-unienne et Amazon mise sur des petits réacteurs modulaires. Mais en Chine, les infrastructures du numérique tournent à 75 % au charbon ou au gaz, de même qu’aux États-Unis ou dans les pays du Golfe, biberonnés aux hydrocarbures. Or, l’AIE alerte déjà : les nouvelles capacités des énergies renouvelables ne suffiront pas à suivre la cadence.
L’IA n’est donc pas soutenable sans adaptations majeures. Des chercheurs développent cependant de nouvelles architectures de puces électroniques qui permettraient de limiter la gloutonnerie. En France, l’IA dite « frugale » figure ainsi parmi les axes du second volet de la stratégie nationale sur le sujet. Outre son efficience, elle comprend une minimisation des données ou l’optimisation des algorithmes.
Surveillance généralisée… des atteintes aux droits humains
Le développement du recours des IA de surveillance montre déjà l’impact délétère que cette technologie peut avoir sur les libertés et les droits fondamentaux. Comme le souligne Katia Roux, chargée de plaidoyer liberté au sein d’Amnesty International France, « les personnes racialisées, les personnes vulnérables, les personnes en déplacement sont davantage exposées à ces technologies qui accentuent des discriminations existantes ».
Pourtant, les systèmes d’intelligence artificielle ont le potentiel de renforcer la protection des droits humains. Pour rester dans le contexte migratoire, les innovations technologiques « pourraient potentiellement assurer un transit sûr et des procédures aux frontières plus ordonnées », avance ainsi Ana Piquer, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
Dans un avis paru en amont de l’adoption de la proposition de règlement de l’Union européenne sur le sujet, la Cour européenne des droits de l’homme invitait les pouvoirs publics à promouvoir « un encadrement juridique ambitieux », recommandant d’interdire certains usages de l’IA jugés « trop attentatoires aux droits fondamentaux » (comme l’identification biométrique). Amnesty ne dit pas autre chose, appelant à « conditionner tout effort de réglementation à des priorités en matière de droits humains », et non par des objectifs d’harmonisation du marché ou de compétitivité. En prenant notamment en compte « les préjudices croisés » (par exemple à la fois liés au sexe, à l’origine ethnique, au statut migratoire et à l’appartenance religieuse). Et en donnant des moyens d’agir aux personnes concernées.
De nouveaux droits pour les créateurs
Pour les auteurs, musiciens, artistes visuels, comédiens, doubleurs et tous les autres métiers de la création, le danger se dessine de plus en plus clairement. Nées dans un vide juridique, les IA génératives menacent de reproduire le travail des artistes plus vite et dans des quantités potentiellement infinies.
À leur création, les modèles d’IA se développent dans un flou juridique, comme c’est le cas en Europe avec la directive sur le droit d’auteur de 2019, qui autorise la reproduction d’œuvres « en vue de la fouille de textes et de données », alors mal définie. Les machines s’entraînent donc sur des jeux de data gigantesques dont une grande partie n’est pas libre de droits, s’asseyant ainsi sur le respect de la propriété intellectuelle.
L’enjeu premier, pour les créateurs, est de pouvoir refuser que leurs œuvres soient utilisées dans l’entraînement des IA. Il est difficile de garantir l’expression de ce droit sur les milliards d’images, de textes ou d’enregistrement sonores déjà aspirés. Mais « la question du retrait se pose pour les futurs contenus susceptibles, demain, d’être reproduits par les modèles d’IA », explique Stéphanie Le Cam, juriste et directrice de la Ligue des auteurs professionnels. Ce droit ne s’envisage en outre pas sans transparence des outils : en 2023, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) plaidait déjà pour « une obligation d’information sur les œuvres ayant été exploitées ».
Sans attendre les détails de la nébuleuse « concertation nationale sur l’émergence d’un marché éthique respectueux du droit d’auteur », annoncée samedi par la ministre de la Culture Rachida Dati, des développeurs comme Spawning AI proposent en alternative un modèle d’« opt-in », qui pose pour principe le refus de l’utilisation de son œuvre par son créateur, sauf expression contraire. Mais le changement de paradigme induit par l’IA appelle à une redéfinition plus juste du statut de l’artiste, au-delà d’un système de licence permettant une redistribution globale aux créateurs des revenus générés par l’utilisation de l’IA. Ce débat permet de remettre sur le métier le sujet de la continuité des revenus des artistes-auteurs, une revendication partagée par de nombreux collectifs et syndicats
mise en ligne le 10 février 2025
Ludovic Lamant sur www.mediapart.fr
La députée a participé samedi à Madrid à un bruyant meeting des extrêmes droites européennes, aux côtés du Hongrois Viktor Orbán ou de l’Italien Matteo Salvini, tous très fervents soutiens de Donald Trump. Au risque de brouiller la ligne du RN, resté jusqu’à présent plutôt prudent sur le cas Trump depuis sa réélection.
Madrid (Espagne).– Sur la scène de l’auditorium du luxueux hôtel Marriott, à deux pas de l’aéroport de Madrid, Marine Le Pen a tenté samedi 8 février une figure acrobatique : se mettre en scène aux côtés de ses alliés d’extrême droite, galvanisés par la victoire de Donald Trump aux États-Unis, tout en restant fidèle à sa stratégie de « dédiabolisation » en France, qui l’avait conduite jusqu’à présent à observer une certaine distance vis-à-vis du nouveau président des États-Unis.
Avant le début de la conférence, devant quelques journalistes français qui l’attendaient dans le hall du bâtiment, la députée française a voulu déminer le terrain : « Le sujet n’est pas de détecter des clones dans le monde mais d’analyser ce qui est en train de se passer. Manifestement, il y a un rejet des politiques, d’une vision dont on a gavé les différents peuples, et qui aujourd’hui reprennent une forme de liberté. »
À l’écouter, Trump signifie « un défi, une concurrence même, et cela doit nous inciter à prendre à nouveau les bonnes décisions [pour l’Europe] ». Mais le meeting qui a suivi, à l’instar du slogan repris en boucle par les participant·es – « Make Europe Great Again » (« Rendre à l’Europe sa grandeur »), calqué sur le « Make America Great Again » des trumpistes –, a fait entendre une tout autre musique, bien moins prudente.
À l’estrade, ce fut, durant deux heures et demie, un défilé d’une dizaine de figures du parti des Patriotes pour l’Europe, présidé depuis novembre dernier par Santiago Abascal, leader du mouvement néo-franquiste Vox, et qui officiait ici en local de l’étape. Sur l’affiche de l’événement figurait un dessin de profil de la cathédrale madrilène de La Almudena, manière de rappeler, aux yeux des organisateurs, l’ancrage chrétien du continent.
Devant une assemblée de près de 2 000 personnes – un nombre plus modeste que les 10 000 participant·es de la précédente réunion du même genre, à Madrid, en mai dernier –, d’où les « Viva España ! » fusaient à intervalles réguliers, les critiques contre l’immigration se sont mêlées aux dénonciations de l’écologie et de la décroissance orchestrées par l’Union européenne.
Mais la quasi-totalité des intervenant·es a surtout loué sans détour le retour aux affaires de Donald Trump, tout comme le début de mandat du président argentin et libertarien Javier Milei – lequel avait pris soin d’enregistrer une vidéo de soutien, pour l’occasion, à son « cher ami Santiago » Abascal, diffusée juste après l’intervention de Marine Le Pen.
Le moment le plus applaudi fut l’intervention, presque en clôture, aux alentours de 13 heures, du chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán, quinze ans de pouvoir à Budapest, qui s’est dépeint en pionnier du trumpisme : « Le triomphe de Trump a changé le monde », a-t-il lancé, emphatique. Avant de remercier le public pour… le soutien apporté par la dictature franquiste à la révolution hongroise de 1956, remportant un tonnerre d’applaudissements.
Après la victoire de Trump, s’est interrogé de son côté le Néerlandais Geert Wilders, « sommes-nous prêts à faire la même chose en Europe ? ». Le vainqueur des législatives de 2023 aux Pays-Bas, avec le Parti pour la liberté (PVV), a parlé de l’ancien homme d’affaires états-unien comme d’un « frère d’armes » – expression reprise à l’identique, un peu plus tard, par Santiago Abascal.
Le patron de Vox est allé jusqu’à minimiser l’impact d’éventuels tarifs douaniers sur les produits espagnols, jugeant que l’intégralité des maux de l’économie européenne venait des mesures du Pacte vert adopté au fil du premier mandat (2019-2024) d’Ursula von der Leyen, la conservatrice allemande à la tête de la Commission européenne.
Autre vedette du sommet, Matteo Salvini, chef de la Ligue en Italie, désormais ministre du gouvernement de Giorgia Meloni, a prôné, emboîtant le pas de Trump, « l’arrêt du financement de l’Organisation mondiale de la santé, et de la Cour pénale internationale […] qui met sur le même plan les terroristes islamistes du Hamas et le président démocratiquement élu [Benyamin] Nétanyahou ».
Durant son discours, le ministre italien des infrastructures a aussi eu cette formule : « Soros appartient au passé, Musk à l’avenir », opposant le philanthrope hongrois associé au camp progressiste et pro-UE, et le milliardaire propriétaire de X. Ce n’est pas une surprise : en Italie, le gouvernement Meloni a reconnu négocier avec Starlink, la compagnie de Musk spécialisée dans les satellites, la gestion des communications cryptées au sein de l’administration italienne.
Se moquant du soutien de Berlin au Danemark après les propos de Donald Trump réclamant l’annexion du Groenland, Matteo Salvini a aussi ironisé, laissant entendre qu’il n’était pas opposé à ce projet d’annexion : « Le chancelier Scholz a parlé d’envoyer des troupes de l’Otan au Groenland. J’espère surtout que les Allemands vont lui offrir un aller-simple, le 23 février prochain [jour des législatives – ndlr] pour qu’il aille défendre tout seul le Groenland. »
« Caste de parasites »
L’Espagnol Abascal n’a pas manqué, dans son discours de clôture, d'encourager discrètement Alice Weidel pour les législatives allemandes du 23 février, cette candidate de l’AfD qui a reçu le soutien répété d’Elon Musk durant la campagne. Et ce, même si Marine Le Pen avait choisi de se tenir à distance du parti d’extrême droite allemand et de l’exclure du groupe politique du RN – comme de Vox – au Parlement européen l’an dernier – en raison notamment du projet de « remigration » défendu par l’AfD.
L’un des plus en verve à la tribune fut sans conteste le Portugais André Ventura. Malgré des scandales à Lisbonne qui entachent la dynamique de son parti Chega (dont un député voleur de valises dans les aéroports), le Portugais s’est emporté sans détour contre la « caste de parasites », reprenant à son compte une des expressions qui a rendu Milei populaire en Argentine. Et d’envoyer un « grand boujour à Javier, qui a changé l’Argentine ».
Ventura ne s’est pas arrêté là : il a proposé aux « patriotes » dans la salle de s’inspirer de la « mentalité » de Donald Trump lorsque ce dernier avait été blessé à l’oreille, l’an dernier, lors d’un meeting en Pennsylvanie : « Il n’a pas fui pour se protéger, il est resté sur scène, et a répété trois fois : “Luttez, luttez, luttez !” Cela doit être notre mentalité. »
Il ne faut pas interpréter la victoire de Trump comme un appel à l’alignement. Marine Le Pen
Prenant la parole vers la fin de ce long meeting enfiévré, Marine Le Pen, appelée à rejoindre l’estrade en tant que future présidente de la République française, a livré un discours un peu plus mesuré. Elle est la seule à ne pas avoir repris à son compte le fameux slogan « Rendre à l’Europe sa grandeur ». Pas plus qu’elle n’a prononcé d’entrée de jeu le « Viva España ! » pour se mettre le public dans la poche – expression dont se gargarisent tous les fascistes espagnols.
D’après elle, l’« ouragan Trump » témoigne d’une « accélération de l’Histoire ». « Qu’est-ce que Maga, a-t-elle interrogé, en référence à la formule trumpiste, sinon un appel à la puissance fondée sur les nations, sur chacune de nos nations ? […] Nous devons comprendre le message que nous lancent les États-Unis et en vérité le monde […]. C’est un défi de puissance, pour nous Européens. »
Et d’insister : « Le réveil du Vieux Continent doit accompagner ce grand mouvement de régénération qui s’annonce : il ne faut pas l’interpréter comme un appel à l’alignement, mais comme une indication à suivre ce mouvement de renaissance, qui surgit dans de nombreux coins de l’Occident. » Apostrophant la foule – « les amis » –, elle a conclu : « Dans ce contexte nouveau, nous sommes les seuls à pouvoir parler à la nouvelle administration Trump. Avec les Américains, […] nous comprenons qu’un patriote ait à cœur de défendre son peuple. »
À la différence de la réunion de mai à Madrid, à laquelle Giorgia Meloni avait apporté sa voix, la présidente post-fasciste du Conseil italien fut une des absentes de la journée. C’est logique : son parti, Fratelli d’Italia, appartient à un groupe d’extrême droite concurrent de celui des Patriotes, au sein du Parlement européen (où l’on retrouve, notamment, Marion Maréchal ou encore la N-VA flamande).
Le Parti autrichien de la liberté (FPÖ), lui, appartient bien à la famille des Patriotes. Mais son chef Herbert Kickl s’est contenté d’un bref message vidéo tourné depuis Vienne. L’adepte de théories conspirationnistes est plongé dans des négociations gouvernementales marathon à l’issue desquelles il pourrait devenir chancelier, à la tête d’une alliance entre droite et extrême droite.
En attendant de voir si Kickl devient chancelier, Orbán reste le seul chef de gouvernement au sein de la famille des Patriotes, tandis que les partis de Geert Wilders aux Pays-Bas et de Matteo Salvini en Italie participent à des gouvernements. Au Parlement européen, le groupe des Patriotes, présidé par Jordan Bardella, est la troisième force de l’hémicycle (86 eurodéputé·es sur 720), devant, notamment, les libéraux de Renew.
Bruno Odent sur www.humanite.fr
A Madrid, ce samedi 8 février, les ténors du groupe des Patriotes d’Europe, dont Viktor Orban, Marine Le Pen ou encore Matteo Salvini, se sont rassemblés pour célébrer la politique xénophobe et ultracapitaliste de Donald Trump et les travaux d’ingérence de l’oligarque Musk en Europe.
À la grand-messe des Patriotes pour l’Europe qui s’est déroulée ce samedi 8 février à Madrid, le principal parti d’extrême droite au Parlement européen entendait célébrer l’élan donné par Donald Trump à leur mouvement. S’accaparant le slogan du nouveau président états-unien pour en faire un « Make Europe Great Again » (Mega) (en français : rendre sa grandeur à l’Europe) qu’ils ont repris en boucle, la patronne du RN français, Marine Le Pen, les chefs d’État hongrois et tchèque, Viktor Orban et Andrej Babis, le Néerlandais Geert Wilders – arrivé récemment en tête des législatives dans son pays – et le vice-premier ministre italien Matteo Salvini se sont bruyamment réjouis de « la tornade » politique déclenchée outre-Atlantique.
L’hôte de ce rassemblement, le leader de l’ultradroite espagnole Vox, Santiago Abascal, devenu en ce début d’année 2025 président du groupe, y voit le signe annonciateur d’un « changement à 180 degrés » sur le Vieux Continent. « Nous sommes le futur », a-t-il lancé. Marine Le Pen lui a emboîté le pas, scandant depuis la tribune sa certitude d’être « en face d’un véritable basculement ».
« Hier, nous étions les hérétiques »
Viktor Orban, euphorique lui aussi, a martelé : « Hier, nous étions les hérétiques. Aujourd’hui, nous sommes le courant majoritaire. » « Il est temps de dire non », s’est emporté l’Italien Matteo Salvini, ajoutant qu’il faudrait bousculer l’Europe pour en finir avec une Commission européenne accusée de promouvoir « l’immigration illégale » et « le fanatisme climatique ». Il faudrait – ont repris plusieurs intervenants – instaurer, comme outre-Atlantique, un ordre libéral définitivement « libéré de la bureaucratie » – entendez, des régulations autour des conquis sociaux.
Les formations nationalistes regroupées au sein des Patriotes pour l’Europe sont devenues après le scrutin de juin 2024 la 3e force du Parlement européen. Mais avec les sièges raflés par les deux autres groupes d’extrême droite, celui emmené par la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni (80 députés), et celui d’Alice Weidel, la patronne de l’AfD allemande (26), une ultradroite unie pourrait détrôner en nombre de sièges (192) la droite et son Parti populaire (188) à Strasbourg.
Promu grand manitou de l’efficience de l’administration Trump, l’oligarque états-unien Elon Musk, omniprésent à Madrid dans les débats et les interventions, s’est mué en une sorte de fédérateur d’un eurofascisme rapprochant les uns et les autres, et toujours plus efficace pour promouvoir le capitalisme libertarien et autoritaire qu’il entend voir s’imposer partout.
Le ralliement des nationalistes européens à cet ultracapitalisme
Le patron de X, SpaceX et Tesla a beaucoup donné de sa personne. Lui qui a mis tout son poids dans la campagne des élections anticipées allemandes qui ont lieu dans moins de quinze jours. Avec un soutien répété au parti d’Alice Weidel, n’hésitant pas à se faire complice du pire révisionnisme historique à l’égard du nazisme. Et lui qui entretient, de longue date, les meilleures relations avec Giorgia Meloni, laquelle le lui rend bien puisque l’ultra-atlantiste dirigeante italienne est prête à faire affaire avec SpaceX plutôt qu’avec Arianespace.
Le ralliement des nationalistes européens à cet ultracapitalisme est tellement manifeste qu’il a obligé Marine Le Pen à une étrange pirouette en marge de la réunion de Madrid, affirmant : « La France ne peut pas être assujettie aux États-Unis. » Ce besoin d’afficher au moins une distance à l’égard d’un trumpisme célébré en même temps avec les autres est sans doute indispensable aux yeux de la patronne du RN pour ne pas trop effrayer ces électeurs gaullistes ou souverainistes vers lesquels son parti multiplie les appels du pied.
Il n’empêche, l’étroit ralliement au capital et à ses grands personnages était déjà apparu quelques jours plus tôt, quand le président de l’extrême droite hexagonale, Jordan Bardella, a soutenu Bernard Arnault en s’en prenant violemment à Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT. Le patron du champion mondial du luxe dénonçait une éventuelle augmentation d’impôts qui aurait égratigné ses profits et menaçait de délocaliser.
Sophie Binet avait réagi en fustigeant « un indécent chantage à l’emploi » du ténor du capitalisme tricolore. Attitude impardonnable aux yeux du numéro un du RN. « Honte à Sophie Binet », a-t-il clamé après avoir exalté le rôle des « capitaines d’industrie » dans le « rayonnement du génie national ». Trump jure d’instaurer un nouvel âge d’or en libérant le génie salement entravé d’oligarques « patriotes ». Le Frenchy a bien mérité de son maître.
mise en ligne le 9 février 2025
Lina Sankari sur www.humanite.fr
Après la présentation de la « boussole de compétitivité » par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, les organisations représentatives appellent à reconstruire le « modèle social » européen plutôt que de continuer à le démanteler.
La boussole pointe vers l’Ouest et les syndicats européens ne s’y sont pas trompés. Au prétexte de doter le continent des armes économiques pour faire face aux États-Unis et à la Chine, la « boussole de compétitivité » présentée ce 29 janvier par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, semble profiter de l’accélération de la dérégulation côté états-unien, et des pressions exercées en ce sens par Donald Trump, pour hâter le mouvement côté européen.
Profitant du retour du milliardaire à la Maison-Blanche et des alertes lancées sur la désindustrialisation du continent, l’Union européenne s’engage dans une nouvelle course au moins-disant social. Si l’Union européenne (UE) se targue de vouloir préserver son modèle, elle semble plutôt axer sa stratégie sur « la satisfaction des besoins des entreprises », analyse la Fédération européenne des Transports.
De fait, Ursula von der Leyen propose un « choc de simplification » pour les entreprises qui vise à alléger la législation de 25 %. Bien qu’elle prétende vouloir préserver le Pacte Vert, malgré les pressions insistantes de son camp politique pour se défaire de ce qu’il considère comme un obstacle aux affaires, la dirigeante conservatrice suggère de se défaire des normes de durabilité, de respect des normes environnementales et des droits humains pour les donneurs d’ordre (devoir de vigilance et « comptabilité sociale et environnementale » du CSRD).
« L’Europe sociale » en miettes
Selon la Fédération européenne des Transports, « la Commission accepte que l’UE ne s’adapte qu’aux normes de compétitivité définies en dehors de l’Europe, au lieu de définir ses propres normes ». Plutôt que d’être préservé, le modèle social nécessiterait d’être reconstruit, concluent les organisations représentatives des travailleurs. « Le modèle social de l’UE s’est érodé au cours des dernières décennies. Certaines mesures risquent de démanteler davantage ce qui reste de l’« Europe sociale », ajoute la Fédération européenne des Transports. Et pour cause, l’UE envisage de se doter d’un régime spécifique permettant aux entreprises innovantes de s’émanciper du droit du travail national.
Le document présenté par la Commission se gargarise pourtant de constituer une « feuille de route pour des emplois de qualité » quand, à l’autre bout de l’échelle, elle définit les bonnes conditions de travail comme liées à la seule attraction des travailleurs sur le marché et à l’augmentation de la productivité.
Avec pour corollaire, un recul de l’âge de départ à la retraite. De son côté, la Confédération européenne des syndicats (CES) annonce qu’elle ne peut discuter du plan en l’état et demande un rendez-vous « urgent » avec Ursula von der Leyen : « les négociations sur la proposition auraient dû avoir lieu avant la publication », rappelle la CES. L’union continentale regrette également que de l’argent public soit une nouvelle fois déversé dans les entreprises sans aucune condition tout en risquant d’exposer les salariés à de nouveaux dangers dans les lieux où ils opèrent du fait d’une législation moins contraignante.
Antoine Portoles sur www.humanite.fr
Le paquet de mesures adopté par les Vingt-Sept pour lutter contre le réchauffement climatique est aujourd’hui dans le viseur du patronat et de l’extrême droite, biberonnés à la dérégulation plein gaz promise par Donald Trump aux États-Unis.
Le Green Deal est-il voué à finir à la déchetterie ? Aussi appelé pacte vert pour l’Europe, cet ensemble de mesures, présenté en 2019 par la Commission européenne puis entériné l’année suivante, est censé permettre au continent d’atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, en vertu de l’accord de Paris de 2015.
Il s’agit aussi pour les Vingt-Sept, à plus court terme, de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990. Porté par la vague écologiste au Parlement européen en 2019, qui a ensuite reculé aux élections de 2024 au profit des conservateurs, le pacte vert est aujourd’hui menacé de toutes parts.
Les appels à détricoter les normes environnementales essaiment partout en Europe. « C’est une question de curseur et d’équilibre politique au Parlement. Il est clair que le Green Deal n’est plus considéré comme la priorité des priorités », résume Olivier Costa, politologue et directeur de recherche au Cevipof. Durant le premier mandat de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, bien que l’Union européenne ait cherché à prendre le leadership mondial sur la protection de l’environnement, le consensus autour de la lutte contre le changement climatique s’est petit à petit effrité, cédant la place à la recherche de croissance et de compétitivité.
Une « boussole pour la compétitivité » qui sacrifie le climat
« Le rapport Draghi parlait justement du déclin économique de l’Europe par rapport aux États-Unis, il y avait tout un plaidoyer pour remettre la compétitivité au centre du jeu et simplifier les réglementations européennes », analyse-t-il. Cette idée n’a pas échappé à Ursula von der Leyen. Sous la pression du patronat pour infléchir la politique environnementale de l’UE, le plan « boussole pour la compétitivité » est dans les cartons de la Commission.
Certains textes du Green New Deal – que les grandes entreprises estiment inapplicables – risquent d’être assouplis, par exemple ceux « sur la fin des moteurs thermiques en 2035, sur la CSRD (directive qui exige des entreprises qu’elles intègrent des informations sur la durabilité dans leurs rapports de gestion – NDLR), sur la déforestation importée, ou encore sur les questions de recyclage ou d’économie circulaire ». Même sursis pour la directive sur le devoir de vigilance pour les entreprises européennes de plus de 500 salariés en matière de droits humains et environnementaux.
Le pacte vert est aujourd’hui pris en étau sur fond de distorsion de la concurrence et de tensions commerciales croissantes avec la Russie, avec les États-Unis, ou encore avec la Chine. Un sursis alimenté par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. « Il n’en a strictement rien à faire des enjeux environnementaux, il quitte tout un tas d’instances internationales, ce qui relance la course à la compétitivité, rappelle Olivier Costa. Sa stratégie trouve un écho particulier auprès des extrêmes droites européennes, qui voient en lui la validation de leur ligne politique. »
La neutralité carbone s’éloigne
Les conservateurs européens n’ont jamais caché leur climatoscepticisme, pas plus que leur défense des intérêts des industries les plus polluantes. Mais leur fascination pour le président états-unien pourrait vite tourner court au vu de ses intentions préjudiciables à l’égard de l’Europe. Parmi ces leaders, l’Italie de Giorgia Meloni et la Hongrie de Viktor Orban mènent la charge contre le Green Deal.
En France, sans pour autant vouloir y renoncer, le ministre délégué chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, interrogé sur France Info, a plaidé pour « la simplification et la suspension d’un certain nombre de directives. Si on investit dans la transition environnementale en accompagnant nos entreprises, (…) faisons-le de façon pragmatique, avec bon sens, en écoutant les acteurs ». Si la France a « globalement soutenu le pacte vert, elle subit aujourd’hui un backlash écologique comme partout en Europe, notamment dans l’industrie automobile », souligne Olivier Costa. Ce refrain sur l’UE qui tuerait l’économique à coups de normes se manifeste aussi dans l’Hexagone avec la crise agricole.
Wopke Hoekstra, responsable de la politique climatique de l’UE, a déclaré jeudi que la Commission européenne envisagerait d’exempter 80 % des entreprises de la taxe communautaire sur les émissions de carbone aux frontières de l’UE prévue en 2026, justifiant que seules 20 % d’entre elles étaient responsables de la majorité des émissions de gaz à effet de serre.
« Notre raisonnement actuel, qui consiste à faire peser une charge énorme sur les entreprises, qui doivent alors remplir beaucoup de paperasse, avoir beaucoup de choses à faire, sans aucun mérite, ne peut pas être la solution », a-t-il expliqué. Derrière le sabordage du Green Deal, ce sont les objectifs européens en matière de neutralité carbone qui sont remis en question.
mise en ligne le 9 février 2025
Rachida El Azzouzi sur www.mediapaqrt.fr
Le directeur du dernier hôpital en activité dans le nord de Gaza est en prison depuis la fin décembre et son arrestation par les autorités israéliennes. Sa famille s’inquiète de ses conditions de détention et témoigne de son engagement au service de la cause palestinienne.
Albina Abu Safiya conjure l’inquiétude et la tristesse en invoquant Dieu, Allah. Elle explique à Mediapart, par téléphone (la bande de Gaza étant toujours interdite à la presse internationale par les autorités israéliennes), combien « la religion l’aide à tenir ».
Et si elle avait convaincu son mari de fuir Gaza avec leurs six enfants pour son pays natal, le Kazakhstan, qui leur proposait l’asile ? Le couple s’y est rencontré pendant leurs études, dans les années 1990. Elle ne cesse de ressasser cette possibilité, tout en connaissant pertinemment la réponse.
Jamais son mari n’aurait accepté. Plusieurs fois, elle l’a sondé. Et s’est toujours heurtée au même refus : « Pars avec les enfants. Moi, je reste ici. Je suis palestinien. Je ne quitterai ni l’hôpital ni Gaza. C’est un devoir. »
Albina Abu Safiya, 46 ans, est l’épouse de Hussam Abu Safiya, directeur de l’hôpital Kamal-Adwan, dernier établissement de santé encore fonctionnel dans le nord de la bande de Gaza. Il a été pilonné sans répit, à partir d’octobre 2024, par l’armée israélienne, qui a argué, sans fournir de preuves, viser un centre de commandement du Hamas.
À l’automne, Hussam Abu Safiya livrait une tout autre version à Mediapart, quelques jours après le décès de son fils Ibrahim, âgé de 20 ans, lors d’un assaut israélien : « Israël veut nous tuer un à un pour que nous cessions de faire tourner l’hôpital, qu’il n’y ait plus aucune possibilité de prise en charge médicale dans le Nord, plus aucune âme qui vive ici. Afin d’annexer le territoire. »
En refusant d’abandonner sa mission dans l’enclave martyrisée, malgré les risques et périls, Hussam Abu Safiya est devenu, au fil des mois et de ses appels à l’aide sur Instagram, une icône de la résistance palestinienne ainsi que l’emblème d’un corps soignant meurtri, ciblé par Israël, tout comme les journalistes, les humanitaires. Il est enfermé depuis le 27 décembre dans une prison israélienne.
Enfermé en Cisjordanie, peut-être
La dernière photographie de lui est une des images iconiques de la fin 2024. Dans les ruines de Gaza, Hussam Abu Safiya avance, de dos, tête haute et digne, dans sa blouse blanche, vers deux chars israéliens qui lui barrent la route et vers les soldats qui vont procéder à son arrestation.
Depuis, sa famille, rongée par l’angoisse, ainsi qu’un vaste réseau sans frontières de soutiens et d’ONG de défense des droits humains appellent à sa libération immédiate. Après une semaine à nier toute arrestation, les autorités israéliennes ont fini par confirmer la détention du Dr Abu Safiya « pour suspicion d’implication dans des activités terroristes », sans jamais prouver leurs accusations.
D’abord détenu à Sde Teiman, une base militaire dans le désert du Néguev, au sud d’Israël, symbole des tortures infligées à des centaines de Palestinien·nes de Gaza depuis le 7-Octobre, enfermé·es sans jugement ni inculpation, Hussam Abu Safiya a été transféré le 9 janvier à la prison d’Ofer, près de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Sa détention a été prolongée au moins jusqu’au 13 février.
« Nous avons très peu d’informations et elles sont souvent contradictoires, explique Albina Abu Safiya. Est-il encore à Ofer ou dans une autre prison ? Nous ignorons où il se trouve exactement. Les autorités israéliennes lui refusent toute visite de son avocat, d’un médecin. Nous avons appris par d’anciens détenus qu’il avait été torturé à Sde Teiman, violemment battu, et nous connaissons le sort inhumain réservé aux Palestiniens dans les prisons d’Israël. »
Israël a écrasé notre futur. Albina Abu Safiya
La famille est d’autant plus inquiète qu’Hussam Abu Safiya souffre d’une hypertension artérielle chronique qui nécessite un traitement médicamenteux et qu’il ne s’est jamais véritablement remis de sa blessure à la jambe gauche, survenue lorsqu’une bombe qui le ciblait, lancée depuis un drone quadricoptère, a explosé dans les escaliers de l’hôpital Kamal-Adwan le 23 novembre 2024.
Soigné avec les moyens du bord, Hussam Abu Safiya n’a jamais cessé de travailler, même diminué, appuyé sur une béquille. « Depuis le premier jour, il dédie son temps aux patients, à leurs proches et au personnel médical, souligne sa femme, admirative. Nous nous sommes habitués à le voir très peu au quotidien. »
C’est en décembre 2023 qu’il a été nommé à la tête de l’hôpital, après l’arrestation du directeur de l’époque, et alors que la pénurie de travailleurs médicaux se faisait de plus en plus aiguë, la plupart ayant fui vers le sud ou à l’étranger, quand ils n’ont pas été tués par les bombes israéliennes. Albina Abu Safiya a enduré toutes les guerres d’Israël à Gaza depuis 2008, mais aucune n’a jamais été aussi difficile que le calvaire qui dure depuis le 7-Octobre : « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide », martèle-t-elle.
Un hôpital assiégé
Prise dans « un deuil permanent », elle pleure la mort de leur fils Ibrahim, tué le 25 octobre 2024 par un drone israélien, à deux cents mètres d’elle, dans le chaos du siège de l’hôpital Kamal-Adwan, abritant des dizaines de patient·es dans un état critique et refuge pour des centaines de déplacé·es, des personnes âgées, des femmes, des enfants, affamés, assoiffés : « C’est un choc immense. Il n’y a pas de pire épreuve que la mort d’un enfant. »
Ce jour-là, son mari avait été détenu durant plusieurs heures avec des collègues et avait imploré pour la énième fois l’aide du monde entier. L’hôpital Kamal-Adwan et ses environs étaient sous le feu continu de l’artillerie israélienne. « C’était terrifiant. Des soldats avaient fouillé le bâtiment, détruit plusieurs salles, volé des téléphones, de l’argent », se souvient Albina Abu Safiya, réfugiée dans l’établissement, près de son époux.
Parti la veille au marché à la demande de sa mère pour trouver de quoi manger, Ibrahim n’avait pu revenir dans l’hôpital, déjà pris d’assaut. Il s’était mis à l’abri dans une maison environnante.
Sa mère l’a retrouvé, à l’issue de l’offensive qui a duré une trentaine d’heures, enveloppé dans un linceul au milieu de dizaines de victimes dans la cour de l’hôpital, avec à ses côtés son mari Hussam Abu Safiya, inconsolable. « J’ai compris qu’Ibrahim était tombé en martyr, tué par les tirs d’obus dans la zone. »
Ibrahim avait « plein de rêves et d’ambitions ». Il voulait visiter le pays de sa mère, le Kazakhstan, et y étudier la médecine comme son père, qui s’était spécialisé en pédiatrie. « Nous lui avons dit que si Dieu le voulait, il pourrait partir l’année suivante, raconte sa mère. Nous voulions le garder encore près de nous et rester tous ensemble dans ce moment difficile. » Ibrahim a cessé de parler de partir à l’étranger lorsque l’armée a fermé le point de passage de Rafah, en mai 2024. Pour se rendre utile, il est devenu bénévole à l’hôpital et a commencé à se former sur le tas à la médecine.
Il est resté sur place dès le premier jour, malgré les offres de voyage à l’étranger. C’est ça, être un terroriste pour Israël ? Élias, fils de Hussam Abu Safiya
Après l’arrestation de son mari et l’évacuation violente de l’hôpital Kamal-Adwan, Albina Abu Safiya a trouvé refuge chez sa belle-sœur, avec d’autres familles, dans le quartier de Sheikh Radwan, dans la ville de Gaza. Un répit après avoir souffert de la faim, des bombardements, de la peur constante, mais les conditions de vie y demeurent très dures.
Elle loue aujourd’hui un appartement dans le même quartier. Sans réussir à se projeter dans l’avenir. « Israël a écrasé notre futur. Avant le 7-Octobre, nous avions une vie compliquée à cause du siège israélien mais nous parvenions à la rendre agréable et à être heureux malgré tout. Nos enfants allaient à l’université. Nous avions emménagé dans la nouvelle maison que nous avions construite près de la mer, dans le quartier de Sultan, sur la côte de Beit Lahiya. Elle n’existe plus. Elle a été bombardée. »
Malgré l’étendue de la dévastation et les ambitions désinhibées de nettoyage ethnique de Donald Trump, qui s’aligne sur l’extrême droite israélienne, la famille ne quittera pas Gaza. « La cause palestinienne est bien plus puissante », dit Albina Abu Safiya, qui l’a épousée en même temps que son mari en 1996. Elle avait 18 ans quand ils sont tombés amoureux lors d’un mariage au Turkestan, dans sa ville natale, où Hussam Abu Safiya, venu de Gaza, étudiait la pédiatrie.
Leur premier enfant, Élias, aujourd’hui marié et père de deux enfants, est né au Kazakhstan. Deux ans plus tard, le couple a émigré en Palestine et s’est installé dans le camp de réfugié·es de Jabaliya, où vit la famille de Hussam, qui a dix frères et sœurs. « Je ne connaissais rien à la Palestine mais l’amour de Hussam et l’accueil chaleureux que m’a réservé sa famille ont été mon moteur d’intégration. À leur contact, j’ai appris très rapidement la langue arabe. »
Elle loue « un homme de principes au service de son peuple ». « La seule préoccupation de mon père était de maintenir l’hôpital en service et de continuer à fournir des soins malgré le manque de tout, de médicaments, d’oxygène, abonde Élias. Il n’a pas hésité un instant à servir son peuple, et il est resté sur place dès le premier jour, malgré les offres de voyage à l’étranger. C’est ça, être un terroriste pour Israël ? »
Il est persuadé que son père a été arrêté « parce qu’il a montré le visage de la résistance pacifique et de l’humanité » : « Pourquoi l’avoir arrêté seulement en décembre, et pas avant, sachant que l’hôpital a été pris d’assaut quatre ou cinq fois ? En maintenant l’hôpital en fonction, il a mis en échec le plan israélien de déplacement forcé des Palestiniens du nord de la bande de Gaza. Sans l’hôpital Kamal-Adwan, les habitants n’auraient pas pu survivre et rester. »
Sa grand-mère paternelle, Samiha Abu Safiya, âgée de 75 ans, ne s’est pas remise de l’arrestation de son fils. « Elle vivait chez la sœur de Hussam, détaille Albina Abu Safiya. Lorsque nous l’avons retrouvée, après quatre-vingt-dix jours sans nouvelles, elle nous a demandé où était son fils. Nous lui avons dit de ne pas s’inquiéter, qu’Hussam allait bientôt revenir mais cela ne l’a pas rassurée. Elle a refusé de s’alimenter pendant plusieurs jours. Elle est morte d'une crise cardiaque le 8 janvier, avant d’avoir pu le revoir. »
mise en ligne le 8 février 2025
Théo Bourrieau sur www.humanite.fr
Cinq syndicats (CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, CFDT) ont appelé les salariés de Lidl France à faire grève à partir de vendredi 7 février. Ils dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail face au développement des « indices de performance » et à la réduction des effectifs, et fustigent la volonté de l’ouverture généralisée des magasins le dimanche.
Cinq organisations syndicales, la CFTC, la CGT, la CFDT, FO et CFE-CGC, appellent à « une grève illimitée à partir du 7 février » chez Lidl France. Les salariés revendiquent une « revalorisation des salaires » et une « amélioration des conditions de travail », dénonçant notamment une diminution des effectifs de 2 200 à 2 500 salariés, alors que le parc de supermarchés continue de s’étendre.
Le dernier avis du CSEC (Comité social et économique central), constatait que « les salariés sont la seule variable d’ajustement de l’entreprise qui entraîne systématiquement un report de la charge de travail sur ceux qui restent, détériorant davantage leurs conditions de travail ». Thierry Chantrenne, délégué central CGT à Lidl, met en garde : « une dégradation des conditions de travail des salariés implique logiquement une dégradation d’accueil des clients », ce qui entraînerait logiquement des pertes financières. Des magasins en désordre, des files d’attente interminables aux caisses, des produits manquants… Autant de raison qui pourrait pousser les potentiels clients à aller faire leurs courses dans un autre supermarché.
Un mouvement d’ampleur
Les syndicats incriminent également la course à « l’efficacité » et à « la performance », au détriment de la vie et de la santé des salariés. « Ce nouveau système d’indicateurs est une catastrophe » fustige Thierry Chantrenne. Le CSEC a ainsi relevé que « les conditions de travail dégradées (notamment port de charges, hauteur de préparation palette et fréquence de prise de colis) se traduisent par des indicateurs d’accidentologie plus élevés ». En d’autres termes, la cadence infernale imposée est à l’origine de plus en plus d’accidents du travail.
« Allez discuter avec les caissières, allez observer leur travail, vous verrez qu’elles ont de plus en plus de choses à faire et que c’est devenu une véritable usine à gaz », invite le délégué central CGT. Ménage, mise en rayon, accueil des clients, caisses… cette polyvalence poussée à l’extrême de tous les salariés, combinée au manque d’effectif, provoque un épuisement généralisé des équipes.
Le dernier point essentiel des revendications des organisations syndicales est le refus de la généralisation de l’ouverture dominicale généralisée des magasins. Alors que les salariés sont déjà poussés à bout, la direction de Lidl France souhaite que l’ensemble des 1 600 supermarchés soient accessibles tous les dimanches matin, le tout sans renfort prévu. « Dans le commerce, il y a beaucoup de famille monoparentale. Qui va garder les enfants ? », interroge Thierry Chantrenne.
Sans répondre directement aux critiques sur les conditions de travail, la direction de Lidl jure toutefois que le dialogue social est permanent au sein de l’enseigne et dit proposer une majoration de 50 % des heures travaillées le dimanche pour les salariés concernés. Mensonges, selon Thierry Chantrenne : « La direction ne veut pas discuter et nie en bloc la dégradation des conditions de travail. » Si pour l’heure le nombre de gréviste n’est pas connu, le mouvement s’annonce d’une ampleur inédite. « Beaucoup de magasins sont fermés, de nombreux salariés se mobilisent, ça marche très bien », se félicite le délégué central CGT.
mise en ligne le 8 février 2025
Patrick Le Hyaric sur www.humanite.fr
Le budget imposé par un nouveau 49.3 marque une nouvelle dégradation de la situation des travailleurs et des familles populaires. Face à cette offensive du capital et à la montée de l’extrême-droite, la gauche ne peut pas proposer comme débat essentiel la question de savoir s’il faut attendre 2027 pour déposer un bulletin dans l’urne ou s’il faut voter le plus vite possible. L’histoire montre qu’aucun progrès social et humain n’a été possible sans que les travailleuses et travailleurs ne s’en mêlent dans l’action unitaire. Pour la gauche, l’urgence est donc l’unité, la bataille des idées, des élaborations communes nouvelles et l’aide à l’action populaire.
Jamais, sans doute, une telle artillerie – mêlant ministres, grande presse propriété des oligarques et oligarques eux-mêmes –, en osmose avec la Commission européenne, ne se sera tant mobilisée pour le vote du budget d’austérité de la nation.
Car, c’est de cela qu’il s’agit : l’austérité pour celles et ceux qui n’ont que leur travail ou leurs retraites, ou, pour beaucoup, de maigres prestations sociales, pour vivre. Malheureusement, ce ne sont pas eux, pas elles, pas celles et ceux qui n’ont rien sur leurs comptes en banque au milieu du mois, celles et ceux qui triment dur au travail, placés sous la menace du chantage à l’emploi et aux délocalisations, qui verront leur sort s’améliorer.
Non. Ce budget va encore aggraver leur situation de deux manières qui vont se cumuler.
Moins de services publics, avec le dogme de la réduction des dépenses
Même la prétendue concession sur les 4 000 postes d’enseignants est un immense bluff, car le gouvernement Barnier avait renoncé à cette saignée. Dans le budget, cela fait 50 millions d’euros en apparence restitués, mais le gouvernement Bayrou réduit encore ce budget de 200 millions d’euros sur d’autres chapitres, dont la formation des enseignants.
D’un côté, le pouvoir prétend être revenu sur le déremboursement de plusieurs médicaments, mais, de l’autre, en prélevant un milliard d’euros sur les mutuelles, il fait augmenter les cotisations de celles-ci d’au moins 6 %. On fait semblant de revenir sur le non-paiement des jours de carence des agents publics pour mieux diminuer l’indemnisation de leurs arrêts maladies. Dans ce tour de passe-passe, le Premier ministre fait croire qu’il restitue 200 millions d’euros alors que le moindre remboursement lui fait engranger 800 millions d’euros. On peut ainsi multiplier les exemples.
En y ajoutant la violence du veto de M. Bayrou à la moindre augmentation du SMIC et l’augmentation continue des impôts indirects indexés sur l’augmentation des prix des produits de première nécessité, il est certain que la situation des familles populaires va encore se dégrader.
La seconde raison du caractère négatif du budget tient aux effets pervers qu’il va produire. En effet, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a calculé que la reconduction à l’identique du budget de l’année 2024 aurait permis une croissance d’environ un point, tandis que le remède imposé par la loi de finances 2025 conduira à une croissance négative. En d’autres termes, l’application de la loi spéciale aurait été moins négative que le budget imposé au marteau du 49.3. En effet, en refroidissant l’activité, en réduisant la création de richesses, les recettes fiscales sont diminuées. Une telle politique budgétaire augmente donc la dette financière tout en augmentant la dette écologique faute d’investissements dans la bifurcation environnementale.
La réduction de la création de richesses répondant aux besoins sociaux et écologiques est trop sous-estimée comme cause de la mauvaise situation financière du pays et de L’Europe.
Or, d’immenses chantiers devraient être ouverts pour une réindustrialisation d’un type nouveau, tenant compte des enjeux environnementaux et des besoins humains, des nécessités d’une bifurcation agro écologique permettant l’installation de centaines de milliers de jeunes paysans et l’amélioration de la santé. Une autre manière de produire et de consommer, assortie d’un ambitieux programme public européen de développement du numérique.
Seulement, quand le budget coupe les moyens pour la recherche de plus d’un milliard d’euros, le pouvoir sacrifie l’avenir. C’est bien cette création de richesses nouvelles et l’assurance pour chacune et chacun d’avoir un travail – non aliénant –, ainsi que la fin des cadeaux fiscaux et sociaux indus aux grandes entreprises qui permettraient d’améliorer les budgets de l’État et de la Sécurité sociale.
Tout l’argumentaire de la grande bourgeoisie, contre les dépenses publiques et le « coût du travail » vise plus que jamais à détruire l’État social, les services publics et la sécurité sociale. Autrement dit, des conquis typiquement communistes (au sens originel du projet) qui entravent aujourd’hui la liberté totale d’accumulation du capital. Faire croire aux salariés que la baisse de leurs cotisations sociales améliorerait leur salaire vise avant tout à diminuer la part de richesses consacrées au bien commun pour augmenter les profits et à ouvrir du même coup la voie à une protection sociale financée par la capitalisation avec des assurances privées qui se gaveraient encore plus. Ajoutons que la bataille contre les impôts de production (ou sur le capital) cache la volonté d’augmenter à terme la TVA.
Une grande campagne d’explication et d’aide à l’action
La lutte des classes que mène le grand capital nourrie d’une violente et permanente guerre idéologique sur ces enjeux doit être partout révélée, décortiquée, combattue avec constance.
Les organisations syndicales, les associations comme ATTAC, la Fondation Copernic, Oxfam, les journaux progressistes, les partis de gauche et écologistes, composant ensemble le Nouveau Front populaire (NFP), devraient lancer une contre-offensive, une grande campagne d’explication et d’aide à l’action pour que les travailleuses et les travailleurs, les citoyens dans la diversité de leurs sensibilités progressistes puissent intervenir, agir pour obtenir de réelles améliorations.
Les conciliabules avec les ministres qui n’ont d’autres soucis que de vendre leur vinaigre dans une bouteille portant la fausse étiquette de miel n’aboutissent qu’à désarmer le mouvement populaire qui a réclamé l’unité et qui attend des parlementaires du NFP qu’elles et ils votent, ensemble, sur la base du programme sur lequel elles et ils ont été élus. Le puissant mouvement de masse qui s’est levé pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite au mois de juillet répondrait à l’appel s’il était aidé pour intervenir sur les débats qui ont lieu au Parlement.
Voilà ce qui manque ! Créer les conditions pour que les citoyennes et citoyens puissent intervenir, et exercer pleinement leur souveraineté sur leur vie et leur avenir. Une telle démarche pose forcément la question de la nature de l’apport des partis et autres forces du NFP pour aider à faire vivre un mouvement populaire conscient, déterminé pour la victoire.
Quand les chefs de file du grand capital français se mobilisent à ce point, la gauche ne peut pas proposer comme débat essentiel la question de savoir s’il faut attendre 2027 pour déposer un bulletin dans l’urne ou s’il faut voter le plus vite possible. Procéder ainsi, c’est désarmer le mouvement en étalant des divisions et en tombant dans le piège de la Ve République qu’on prétend combattre, en faisant de l’élection présidentielle le moment cardinal. Or, aucun progrès social et humain n’a été possible sans que les travailleuses et travailleurs ne s’en mêlent dans l’action unitaire. C’est une leçon fondamentale des acquis obtenus lors du Front populaire de 1936. A contrario, c’est l’enseignement de ce qui a manqué le plus en 1981 et a permis à la composante principale de la gauche d’enfiler les habits du libéralisme. C’est là que la sève de l’extrême droite a monté sans discontinuer.
La question n’est donc pas l’élection présidentielle mais l’aide au déploiement d’un mouvement populaire et politique si puissant qu’il devienne irrésistible.
De même, aucun parti ne devrait aborder les élections municipales avec le souci de « prendre » comme il se dit, la gestion de villes et de villages là où il y a déjà un maire de l’une des forces issues du nouveau Front populaire. Le souci devrait être double : dans l’unité, gagner sur la droite et l’extrême droite et, avec les citoyens, construire un municipalisme progressiste bouclier contre le grand capital et fer de lance d’un nouveau rapport de force pour les classes laborieuses et la jeunesse.
Si la majorité de celles et ceux qui aspirent à mieux vivre se sent impuissante, non écoutée par les forces de gauche et écologique, le risque de l’élargissement du chemin de l’Élysée pour l’extrême droite est plus important que jamais. Il l’est d’autant plus que les forces qui sont au pouvoir et le grand capital banalisent les nauséabondes et insupportables idées de l’extrême droite et les reprennent à leur compte.
Une large partie des puissances d’argent font mine de s’émouvoir des choix nationaux capitalistes et autoritaires de Trump pour nous exhorter à franchir un nouveau cap dans des politiques de dérégulation tous azimuts. Autrement dit, dans certains milieux, pour l’instant, la critique de Trump sert aux glissements permettant de mettre en œuvre sa politique au nom du combat contre le nouveau roi de l’imperium.
Nous aurions tort de sous-estimer les effets délétères de cette campagne idéologique sur celles et ceux qui souffrent déjà des coups de canif portés contre l’État social et contre les régulations destinées à sauvegarder l’environnement et la nature.
Dans cette bataille, il nous faut rendre coup pour coup et animer le combat de classe avec tous les moyens d’information et de partage dont nous disposons.
Dans leurs diversités, les forces du Nouveau Front Populaire ont la capacité de mener cette bataille politique, culturelle et idéologique. Face aux multiples dangers, face à la volonté de noyer le mouvement populaire dans les larmes des désillusions et des désespérances, il devient urgent de combler ensemble les manques : l’unité, la bataille des idées, des élaborations communes nouvelles et l’aide à l’action populaire.
Ne voit-on pas les nuées de cet orage qui menace ?
mise en ligne le 7 février 2025
Les groupuscules d’extrême droite trouvent dans le Nord un terrain propice, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les migrants cherchant à rejoindre l’Angleterre. Ils prospèrent à l’ombre du RN, dont les scores contribuent à la libération de la parole raciste
.Rosa Moussaoui sur https://www.humanite.fr/
Sous les radars. Avant la mort de Djamel Bendjaballah, tué le 31 août 2024 par Jérôme D., personne dans le Dunkerquois n’avait entendu parler de la Brigade française patriote (BFP), à laquelle appartenait le meurtrier. Seule mention publique de cette milice avant ce crime : elle est citée dans un article scientifique consacré aux survivalistes, qui relève la présence dans ses rangs d’ex-militaires amateurs de bivouacs et de séances d’entraînement au tir « afin de se préparer à rétablir l’ordre en cas de rupture de la normalité ».
L’un des membres, au moins, de cette Brigade française patriote, était familier des stands de tir de la région, où se croisent policiers et militants d’extrême droite. Pour entériner l’appartenance au groupe, fondé en 2018 par un ancien de la marine, les nouveaux venus se voyaient délivrer un « diplôme » au liseré bleu, blanc, rouge, frappé d’un écusson figurant une tête de mort que cernent ces mots : « Se préparer et résister ».
Une atmosphère de chasse aux réfugiés
Dans une enquête de Blast, un membre de la BFP, ancien militaire, décrit un groupe « très structuré » avec « un chef national qui est en Bretagne et des responsables régionaux ». « Beaucoup d’entre nous possèdent des armes, confie-t-il, (…) On s’entraîne et on se prépare car on sait que la guerre civile est inévitable. » Toujours selon Blast, le tueur était aussi en contact avec un groupe néonazi, Alliance France, réplique hexagonale du mouvement néonazi belge Alliance Belgique, qui aurait sollicité l’adhésion de Jérôme D. avant le crime.
D’autres groupuscules d’ultradroite sont actifs dans le Nord, où ils espèrent attiser la haine et la violence contre les réfugiés cherchant à rejoindre l’Angleterre. Parmi eux, le Parti de la France, du pétainiste Thomas Joly, qui appelle publiquement à procéder à des « rafles ». Dans cette atmosphère de chasse aux réfugiés, le ministère de l’Intérieur demandait, en avril 2023, la fermeture de chaînes Telegram dont certains membres évoquaient des projets d’actions violentes et racistes dans le Nord et le Pas-de-Calais.
L’ombre des ultranationalistes flamands
Cet activisme ne connaît pas de frontières : au mois d’août 2024, à l’acmé des émeutes racistes outre-Manche, une influente figure de l’extrême droite britannique appelait à organiser une traversée pour empêcher les embarcations de migrants de quitter le littoral français. Mais les plus ancrés dans le Dunkerquois sont certainement les ultranationalistes flamands du Geuzenbond, adeptes de la rhétorique du « grand remplacement », qui prêchent « la réunification de toutes les régions néerlandophones d’Europe ». Ceux-là organisent régulièrement des « randonnées » dans les dunes et des collages d’affiches à Dunkerque, Malo-les-Bains, Bray-Dunes, Petite-Synthe.
Le 23 janvier 2024, ils recouvraient les murs de Coudekerque-Branche, où vivait Jérôme D. – une commune de la banlieue de Dunkerque où le Rassemblement national (RN) a recueilli 47,69 % au premier tour des élections législatives anticipées l’été dernier. Le 28 mai 2024, ces nervis d’extrême droite se recueillaient à Watten sur la tombe de l’abbé Jean-Marie Gantois. En 1940, cet ecclésiastique rallié à la doctrine nazie avait écrit à Hitler pour lui demander le rattachement de la Flandre française au Reich allemand comme « membre de la nouvelle communauté germanique ».
Ils appartiennent à la même nébuleuse identitaire que les ultranationalistes flamands de Schild & Vrienden, dont le fondateur Dries Van Langenhove, ex-député du Vlaams Belang, a été condamné au printemps 2024 par la justice belge à un an de prison ferme pour détention d’armes et diffusion de messages à caractère raciste et antisémite. « Le lien est bel et bien établi entre cet ancien parlementaire d’extrême droite, Schild & Vrienden et le Geuzenbond », indique une source policière belge.
Une convergence redoutée
Difficile d’évaluer le poids politique réel de ces milices qui prospèrent à l’ombre de l’extrême droite institutionnelle. « C’est pour l’instant une minorité agissante, remarque Stéphane Vonthron, de l’union départementale CGT du Nord. Ils recrutent parmi les étudiants ; les salles de musculation, le MMA et le combat mixte leur offrent un vivier. Le problème, c’est que, lorsque de tels groupes sont dissous, leurs membres continuent de s’organiser dans l’ombre. Ils se préparent : si le RN gagne, ils seront dans la posture de former de véritables groupes paramilitaires. »
mise en ligne le 7 février 2025
Les députés du groupe Ecologiste et Social sur https://blogs.mediapart.fr/
Nous alertons avec gravité : le risque est grand de voir se dessiner comme solution l’autoritarisme et le rejet grandissant de la démocratie. Dans ce contexte, l’union des forces de la gauche et de l’écologie est impérieuse : les désaccords stratégiques ne sauraient se transformer en détestation. Nous refusons de faire du vote sur la censure celui qui définit les contours du Nouveau Front Populaire, alors que nous connaissons un point de bascule historique. Par le groupe écologiste et social.
L’inquiétude liée à un monde fragile, incertain et violent est celle de beaucoup de nos concitoyens. Dans ce contexte, nous savons que le vote d’une motion de censure n’est ni simple, ni banal. Nous ne faisons donc pas de cet acte parlementaire un mode d’opposition anodin. Nous choisissons d’en expliquer ici les raisons avec clarté, transparence et, toujours, un esprit constructif.
Le réchauffement planétaire et la conquête du pouvoir par les néofascistes sont les deux grandes menaces qu’affrontent nos générations. Tandis que la géopolitique nous rattrape, la situation intérieure se dégrade fortement : Mayotte et l’Ille-et-Vilaine n’échappent pas aux calamités provoquées par notre modèle de développement, le chômage augmente, les licenciements industriels reprennent, les collectivités locales s’appauvrissent, les services publics les plus essentiels – l’école et les hôpitaux – se dégradent.
En responsabilité le groupe Écologiste et Social a participé pendant plusieurs jours aux discussions avec le gouvernement. Nous avons plaidé pour des compromis autour d’un budget qui mette à contribution les plus riches, donne à la France les moyens de la transition écologique, défende les collectivités locales et suspende sans délai la réforme inique des retraites à 64 ans, que nous n’acceptons toujours pas.
En guise de réponse, coupes brutales dans les services publics, renoncement aux politiques environnementales et recul des droits sociaux. Quelques illustrations des rabots brutaux : division par deux des moyens pour la rénovation des logements, pour l’aide à l’achat de véhicules moins polluants, gel du barème des bourses étudiantes, disparition progressive des emplois aidés, baisses des moyens du pass culture et du pass sport, baisse de près de 40% du budget de l’aide au développement, -929 millions pour la recherche, -800 millions sur les solidarités et l’insertion...
Le cas des auto-entrepreneurs est en cela emblématique. En abaissant le seuil d’exonération de TVA à 25.000€, le budget 2025 met 200 000 micro-entrepreneurs en difficulté. Ceux-ci auront donc le choix entre impacter cette hausse sur le consommateur, ou réduire leur rémunération de peu à rien.
Enfin, le gouvernement a décidé de tourner le dos à celles et ceux qui font vivre nos services publics : professeurs, infirmières, éboueurs, policiers… autant de fonctionnaires qui verront leur salaire réduit lorsqu’ils et elles sont malades.
Ce budget fera prendre du retard à la France car plutôt que d’aller chercher les recettes nouvelles nécessaires, le gouvernement fait le choix de coupes budgétaires qui feront mal au pays, pénaliseront une majorité de français.es et ne permettront pas les investissements d’avenir. Il y a pourtant urgence. Autant de raisons de rejeter le budget, ce qui ne saurait nous être reprochés, a fortiori après avoir joué le jeu de la concertation en transparence. Nous aurions pu uniquement voter contre ce budget, quoi de plus normal pour une opposition en démocratie ?
Mais en choisissant d’user deux fois en une après-midi de l’article 49.3 de la constitution et de priver le Parlement de vote, force est de constater que le gouvernement a brutalement fermé la porte. Pire, en jetant l’immigration et la figure de l’étranger en pâture à la satisfaction des obsessions identitaires de l’extrême-droite, François Bayrou, issu d’une longue tradition démocrate-chrétienne, foule aux pieds le sursaut républicain du 7 juillet ; en contribuant aux attaques répétées contre l’ADEME, l’office français de la biodiversité ou l’ANSES, le gouvernement emboite le pas au climato-scepticisme du Rassemblement national.
Les impasses choisies par l’exécutif - qui figent le pays dans l’impuissance - continueront à nourrir l’image dégradée qu’ont les Français des élus et des politiques. Beaucoup s’interrogent : pourquoi voter si rien ne change voire si la violence sociale s’aggrave ?
Nous alertons ici avec gravité : le risque est grand de voir se dessiner comme solution l’autoritarisme et le rejet grandissant de la démocratie, dans un pays déjà malade du présidentialisme, de ses institutions verticales et atrophiées et des conséquences de la violence sociale et de l’inaction climatique des gouvernements successifs.
Dans ce contexte, l’union des forces de la gauche et de l’écologie est impérieuse : les désaccords stratégiques ne sauraient se transformer en détestation au risque de nous entraîner dans des turbulences bien plus graves. L’obsession de l’élection présidentielle, anticipée ou à échéance de 2027, est paralysante. Elle laissera des traces qui viendront ajouter à nos lourdes difficultés à faire face à la progression de l’extrême-droite et ses alliés de plus en plus nombreux à droite, qui est le principal danger auquel tous les démocrates sincères doivent faire face avec force. Surtout, aucune stratégie ne pourra être gagnante sans l’union de toute la gauche et des écologistes.
Laisser ce vote nous diviser serait donc une erreur fatale. C’est unie - dans sa diversité qui est une chance - que la gauche a mis un terme au gouvernement Barnier. Et si des concessions dans ce budget ont pu être obtenues, c’est parce que la gauche dans son ensemble a peséde tout son poids, à l’Assemblée et au Sénat.
Aucun parti n’est propriétaire de notre union, celle-ci est le bien commun de nos électrices et électeurs. Nous refusons donc de faire du vote sur la censure celui qui définit les contours du Nouveau Front Populaire, alors que nous connaissons un point de bascule historique… et peut-être demain dramatique. Nous aurons besoin de toute la gauche pour être demain en capacité d’agir pour une autre politique.
Signataires :
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Ecologiste et Social
Pouria Amirshahi
Christine Arrighi
Clémentine Autain
Léa Balage
Lisa Belluco
Karim Ben Cheikh
Benoit Biteau
Nicolas Bonnet
Arnaud Bonnet
Alexis Corbière
Hendrik Davi
Emmanuel Duplessy
Charles Fournier
Marie-Charlotte Garin
Damien Girard
Steevy Gustave
Catherine Hervieu
Julie Laernoes
Tristan Lahais
Benjamin Lucas
Julie Ozenne
Sébastien Peytavie
Marie Pochon
Jean-Claude Raux
Sandra Regol
Jean-Louis Roumégas
Sandrine Rousseau
François Ruffin
Eva Sas
Sabrina Sebaihi
Danielle Simonnet
Sophie Taillé-Polian
Boris Tavernier
Nicolas Thierry
Dominique Voynet
mise en ligne le 6 février 2025
Mathieu Dejean sur www.mediapart.fr
Les partisans de l’unité à gauche, qui voient le fossé se creuser entre socialistes et Insoumis, s’activent désespérément pour conjurer la rupture du Nouveau Front populaire. Si les clivages ne sont pas factices, ils doivent s’éclipser derrière le danger mortel d’une victoire de l’extrême droite en 2027, défendent-ils.
Youlie Yamamoto pèse ses mots lorsqu’elle parle de politique, mais pour décrire le paysage global, le couperet tombe sévèrement : « L’heure est grave. » Deux raisons au moins nourrissent l’inquiétude de la porte-parole d’Attac.
L’une est évidente mais se passe en coulisses. Si le Rassemblement national (RN) a échoué à s’imposer aux élections législatives anticipées de 2024 après qu’une centaine de candidat·es investi·es ont été épinglé·es pour leurs propos haineux et complotistes, il ne répétera pas la même erreur. « Le parti est prêt, les tocards des législatives ne seront plus là, le RN dispense des formations et fait du lobbying auprès des institutions pour se constituer un vivier de cinq cents hauts fonctionnaires à nommer aux postes clés – il en a déjà la moitié », alerte-t-elle.
L’autre raison s’étale à l’inverse sur les réseaux sociaux à grand renfort d’invectives et sur les bancs de l’Assemblée nationale où le Parti socialiste (PS) va s’abstenir une nouvelle fois sur la motion de censure déposée par La France insoumise (LFI) pour faire chuter le gouvernement de François Bayrou. « Les vieilles histoires des partis de gauche reviennent, le débat entre la ligne de rupture et la ligne réformiste prend le dessus sur tout le reste, comme si cette affaire n’était pas réglée. Que fait-on de ça ? », interroge la militante, qui s’était mobilisée avec des centaines d’organisations du mouvement social pour le Nouveau Front populaire (NFP) l’été dernier.
« La gauche ne gagnera que sur une ligne claire de rupture. Si on donne l’impression d’être en soutien de la Macronie, comme le fait le PS, on sera emportés. On se bat depuis quinze ans pour éviter une situation à l’italienne [où la gauche a disparu du paysage politique – ndlr] », explique Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, pour justifier le bras de fer qui se joue avec les socialistes.
Dans la société civile mobilisée, le désarroi dispute toutefois la volonté de bousculer des partis revenus à leurs réflexes identitaires. En un mois, leur désunion ouverte ou latente s’est soldée par deux défaites cuisantes à des élections partielles, à Grenoble (Isère) et à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « Il faut rappeler les partis à la raison : pendant qu’ils se disputent, même sur des batailles de fond, c’est la société civile qui trinque alors qu’ils sont censés porter ses revendications. Nous sommes des millions de militantes et de militants, et on a la sensation que notre avenir est joué », décrit Youlie Yamamoto.
Bousculer les partis
Pour conjurer ce sinistre avenir, des partisan·es de l’unité à gauche s’activent avec des armes légères. Le 29 janvier, Lucie Castets, ex-candidate à Matignon du NFP, organisait une soirée militante à Pantin (Seine-Saint-Denis) avec des protagonistes de la société civile et des représentant·es des quatre partis de gauche. Environ un millier de personnes s’y sont rendues.
« Après cette soirée, je suis convaincue qu’il y a un espace politique central au NFP, qui refuse de s’enfermer dans un hypothétique duel entre Jean-Luc Mélenchon et François Hollande et la mise en scène qu’il implique. Ne nous laissons pas enfermer là-dedans et renforçons cet espace, avec ou sans eux », dit-elle à Mediapart.
L’ex-directrice des finances à la ville de Paris, partisane de la censure du gouvernement Bayrou sur un budget qui « dépasse une multitude de lignes rouges, en particulier sur nos services publics », mais aussi pour son « infâme convocation de l’idée de submersion migratoire », ne dramatise pas la différence d’attitude du PS sur cette question. « Les désaccords stratégiques sont une caractéristique de l’union de la gauche depuis toujours, explique-t-elle. Mais il ne faut pas que les querelles d’intérêts des partis prennent le dessus sur l’union. »
Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face. Clémentine Autain, députée, membre de L’Après
Pour cimenter cette union, Lucie Castets a entrepris un travail collectif sur trois axes : l’approfondissement du programme, les mobilisations locales et le processus de désignation d’une candidature commune. Le politiste Rémi Lefebvre s’est attelé à cette dernière tâche – la plus sensible. « On n’a pas beaucoup de temps, on ne sait pas quand les élections auront lieu et c’est long à mettre en place », justifie Lucie Castets.
À contre-courant de la dynamique centrifuge qui dilapide le NFP, de petits partis unionistes tentent aussi de peser : la Gauche démocratique et sociale (GDS, animée par Gérard Filoche) a fusionné avec L’Après (le mouvement qui regroupe les ex-Insoumis purgés en 2024) le 1er février. Mais le microscope est encore de rigueur pour observer le « parti des gauches unitaires ». « Je ne vois pas ce qu’on peut faire d’autre que de faire grandir cette force. Ce n’est pas possible d’aller sciemment dans le mur avec la reconstitution de deux blocs qui se haïssent à gauche, alors qu’on a les fascistes en face », commente la députée Clémentine Autain, membre de L’Après.
C’est cette même angoisse qui anime l’avocat Raphaël Kempf, ex-candidat aux législatives à Paris, investi par LFI : « Ce à quoi on assiste en termes de division est assez difficile à vivre pour moi, en qualité d’ancien candidat du NFP. L’unité me paraît indispensable dans une situation aussi tragique, avec la libération de la parole xénophobe, raciste, et la normalisation de l’extrême droite largement entamée par la loi immigration », explique-t-il.
On s’engueulera (encore) plus tard
Alors que la municipale partielle à Villeneuve-Saint-Georges a créé un précédent potentiellement traumatique à gauche, certains veulent faire des échéances municipales de 2026 une démonstration politique des vertus de l’unité.
C’est le cas de Romain Jehanin, porte-parole de Génération·s et conseiller municipal d’opposition à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où la gauche se présentera unie pour la première fois sous le label « Asnières en commun ». « Ce n’est pas parce que demain nos camarades, nationalement, devaient s’invectiver qu’on le ferait localement », assure l’élu, qui appelle les forces de gauche à cesser de se déchirer en public. « Si demain il y avait des législatives anticipées, il faudrait s’y présenter unis derrière un programme qui nous a déjà rassemblés en 2022 et en 2024 ! », rappelle-t-il.
Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération. Roger Martelli, historien du communisme
Dans un contexte international marqué par la victoire de Donald Trump et l’influence grandissante de Javier Milei, et alors qu’une tripartition politique caractérise désormais le paysage politique français, pour ces unionistes l’heure n’est donc plus au débat des gauches. « Les clivages à l’intérieur de la gauche ne sont pas factices, ils renvoient à des univers profondément différents et il n’est pas indifférent de savoir qui donne le ton, mais cela ne doit pas passer par-dessus toute autre considération », explique l’historien du communisme Roger Martelli, bon connaisseur de l’époque où le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), Georges Marchais, s’affrontait lourdement avec François Mitterrand.
« Aujourd’hui, le déséquilibre entre la gauche et la droite est infiniment plus grand qu’il ne l’était entre 1977 et 1981, et le centre de gravité de la droite s’est déporté vers l’extrême droite. L’enjeu n’est donc plus simplement de savoir qui va donner le ton dans un cadre démocratique, mais si nous allons rester dans ce cadre démocratique, ou si la France va basculer dans une nouvelle ère qu’il vaut mieux ne pas expérimenter », développe-t-il.
C’est la raison pour laquelle, passé la sidération dans laquelle la société civile organisée semble avoir été plongée après le coup de force démocratique d’Emmanuel Macron – qui a tout fait pour empêcher le NFP de gouverner –, celle-ci semble se ressaisir doucement.
Un appel à « renforcer les collectifs unitaires sur le terrain » a par exemple été lancé par des militant·es et responsables syndicaux, qui exhortent à l’unité pour constituer une alternative politique. « Face à l’extrême droite aux portes du pouvoir, rester sur son quant-à-soi risque de se payer très cher pour tous et toutes », écrit ce collectif. « On est dans une position d’attente pour réagir au bon moment, que ce ne soit pas un coup d’épée dans l’eau, mais il va y avoir une fenêtre et on va s’en saisir », conclut Youlie Yamamoto.
mise en ligne le 6 février 2025
Pierre Barbancey sur www.humanite.fr
Le président étatsunien veut « prendre le contrôle » de l’enclave palestinienne après avoir expulsé la population. Il sert la politique de Benyamin Netanyahou qui veut annexer également la Cisjordanie. Aucun pays ne soutient leurs projets. Les négociations en cours sur l’accord de cessez-le-feu pourraient devenir caduques.
En invitant comme premier dirigeant étranger Benyamin Netanyahou à Washington, Donald Trump, déjà, lançait un message au monde entier : peu lui importe le mandat d’arrêt contre le premier ministre israélien pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il le soutient totalement et, avec lui, sa politique génocidaire et de nettoyage ethnique menée à Gaza et en Cisjordanie.
À cette occasion, il a annoncé l’idée d’un déplacement des Gazaouis en Égypte et en Jordanie. Personne ne s’attendait à une annonce aussi extraordinaire que méprisante, dangereuse pour le droit international qu’il piétine, les Palestiniens qu’il déshumanise, et l’ensemble du Moyen-Orient, qui peut plonger dans le chaos.
Forcer pour « aplanir »
Lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche avec, à ses côtés, Benyamin Netanyahou plus comblé et souriant que jamais, le président étatsunien a affirmé : « Les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza et nous allons faire du bon boulot avec », parlant du territoire palestinien comme d’un « chantier de démolition ». Il a également ajouté : « Nous en prendrons possession et serons responsables du démantèlement de toutes les bombes dangereuses qui n’ont pas explosé et de toutes les armes », soulignant qu’il allait ainsi « aplanir la zone et se débarrasser des bâtiments détruits », afin de développer économiquement le territoire palestinien.
Il n’a pas développé plus avant la manière dont il comptait s’y prendre, mais n’a pas exclu l’envoi de troupes américaines pour sécuriser l’enclave. « En ce qui concerne Gaza, nous ferons ce qui est nécessaire. Si c’est nécessaire, nous le ferons », a-t-il cru bon d’insister. Il a également parlé d’un projet « à long terme » et a même affirmé que d’autres pays de la région ont « adoré » l’idée. En réalité, aucun État, pas même les plus proches alliés de Washington, n’a adoubé les plans de Donald Trump qui a annoncé vouloir se rendre dans la bande de Gaza, en Arabie saoudite et en Israël prochainement.
Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Badr Abdelatty, a appelé mercredi à une reconstruction rapide de la bande de Gaza, sans déplacement de ses habitants. La Jordanie est sur la même longueur d’onde. Alors que Benyamin Netanyahou a dit penser qu’un accord allait « se faire », Riyad a écarté toute normalisation avec Tel-Aviv sans la création d’un État palestinien : « L’Arabie saoudite poursuivra sans répit ses efforts pour l’établissement d’un État palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale, et n’établira pas de relations diplomatiques avec Israël sans cela. »
Dans la ville de Gaza, les déclarations de Trump ont été reçues avec colère. « Cela fait environ un an et demi que nous vivons une guerre d’extermination, mais nous n’avons jamais pensé à partir et à quitter notre pays », explique Narmeen Noor Al Din, une enseignante de 26 ans, à l’Humanité. Même son de cloche pour Abou Saadi Al-Daadla, 60 ans, un marchand dont la maison a été détruite. « C’est la troisième fois qu’on essaie de nous expulser, en 1948, puis en 2023. Mais nous avons compris la leçon, nous ne partirons pas. » Hussein Abdel al Jawwad, au chômage, confirme mais redoute que « Trump ait la capacité de faire pression sur les pays arabes pour les amener à accepter d’accueillir les habitants de la bande de Gaza ».
Tel-Aviv jubile
De leur côté, les autorités israéliennes jubilent. Pour Netanyahou, cette proposition pourrait « changer l’histoire ». Son ministre des Finances, le suprémaciste juif, comme il se définit lui-même, Bezalel Smotrich, appelle à « œuvrer pour enterrer définitivement (…) l’idée dangereuse d’un État palestinien » et Itamar Ben-Gvir, ancien ministre d’extrême droite, y voit « la seule solution ».
L’Organisation de libération de la Palestine (OLP), elle, par la voix de son secrétaire général, Hussein Al Cheikh, rejette en bloc tout projet de transfert « du peuple palestinien hors de sa patrie. Ici nous sommes nés, ici nous avons vécu et ici nous resterons ». Pour le Hamas, la proposition de Trump est une « recette pour créer le chaos et la tension dans la région. Au lieu de tenir l’occupation sioniste responsable du crime de génocide et de déplacement, elle est récompensée, et non punie ».
Aux yeux du président étatsunien, la cause est entendue. Gaza n’est autre qu’un « symbole de mort et de destruction » et la seule raison pour laquelle les gens veulent y retourner est qu’ils n’ont nulle part où aller. Selon lui, les 2,1 millions de Palestiniens vivant à Gaza devraient se déplacer vers les pays voisins dotés d’un « cœur humanitaire » et d’une « grande richesse ». Le territoire palestinien pourrait même devenir « la Riviera du Moyen-Orient », a-t-il déclaré, ravivant ainsi les ambitions de son gendre, Jared Kushner, qui y voit l’opportunité de « propriétés en bord de mer » de grande valeur.
Les déclarations de Trump sont dans la droite ligne de sa volonté d’en finir une fois pour toutes avec la revendication du peuple palestinien à l’autodétermination. Interrogé pour savoir si sa proposition de déplacement forcé des populations s’inscrivait en opposition à la solution à deux États, il a bafouillé une vague réponse.
« Cela ne veut pas dire qu’il y a deux États, un seul État ou n’importe quel autre État. Cela veut dire que nous voulons donner aux gens une chance de vivre », a-t-il estimé. « Ils n’ont jamais eu cette chance parce que la bande de Gaza est un enfer pour les gens qui y vivent. C’est horrible », en se gardant bien d’en évoquer les raisons. Le même jour, Donald Trump a signé un décret prolongeant l’arrêt du financement de l’agence de l’ONU en charge des réfugiés palestiniens, l’Unrwa. Les pièces du puzzle s’assemblent.
D’autant que, si tous les regards sont tournés vers Gaza – où plus de 45 000 personnes ont été tuées, dont la moitié sont des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé de l’enclave –, l’armée israélienne multiplie les opérations en Cisjordanie occupée. Le locataire de la Maison-Blanche pourrait annoncer très prochainement, concernant la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie, son feu vert à l’annexion du territoire palestinien.
Lors de son premier mandat, il avait déjà reconnu celle du plateau du Golan syrien et avait déménagé l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, qu’il considère désormais comme la capitale d’Israël. Netanyahou peut effectivement se réjouir et voir en Trump « le plus grand ami qu’Israël a jamais eu à la Maison-Blanche », comme il l’a dit mardi. Ce plan signerait la mort de la solution à deux États.
Comment Washington entend contraindre le monde – et en premier lieu les pays arabes – à courber l’échine ? Un bras de fer va s’engager dont on pressent qu’un des leviers sera l’aide économique dont ont besoin Amman et Le Caire, en situation précaire. Ces deux pays risquent d’être déstabilisés et les pouvoirs affaiblis, l’opinion publique n’étant pas prête à abandonner les Palestiniens. Les groupes islamistes, particulièrement influents tant en Jordanie qu’en Égypte, se renforceront sans aucun doute.
Toujours plus inquiétant : les décisions du président américain interviennent au moment où doivent démarrer les discussions portant sur la deuxième phase de l’accord du cessez-le-feu conclu le 16 janvier. Celle-ci prévoit la libération d’autres captifs israéliens et de prisonniers palestiniens – qui pourraient concerner les leaders du Fatah et du FPLP, Marwan Barghouti et Ahmed Saadat. Les négociations indirectes doivent surtout établir les modalités de la fin de la guerre, et donc du retrait total de l’armée israélienne de la bande de Gaza.
Un échec éventuel de ces discussions pourrait relancer les opérations militaires israéliennes et obérer les libérations envisagées, y compris celles des civils israéliens. Mais cela permettrait à Benyamin Netanyahou de gagner du temps, de multiplier les provocations et d’en tirer un prétexte pour reprendre la guerre. Avec, comme objectif, un État d’Israël qui s’étendrait du fleuve du Jourdain à la mer Méditerranée.
Lina Sankari sur www.humanite.fr
Torpillé en direct par Donald Trump, le droit international prohibe l’expulsion de populations de leur territoire par la force. Face à cette volonté d’enterrer l’idée d’un État palestinien, l’ambassadrice de Palestine en France, Hala Abou Hassira, réaffirme le droit à l’autodétermination.
Comment qualifieriez-vous les propos de Donald Trump sur la prise de contrôle de Gaza par les États-Unis et les menaces de nettoyage ethnique ?
Hala Abou Hassira : Ces propos sont une insulte à l’histoire, à l’humanité, au droit international, mais aussi aux droits inaliénables du peuple palestinien. Les calculs des hommes d’affaires ne peuvent déterminer le destin des peuples en quête de liberté. Notre peuple est enraciné sur cette terre, il a toujours été là et y restera.
Nous rejetons ces propos criminels qui légalisent l’illégal. Ils sont un appel au crime de guerre et au crime contre l’humanité via la déportation et l’expulsion forcée d’un peuple. S’il fallait retenir une seule idée des propos du président Trump, c’est que l’enfer est bel et bien là, à Gaza. C’est la responsabilité d’Israël qui a rendu cette terre inhabitable.
Vous évoquez un peuple enraciné dans sa terre. En proposant de déporter les Palestiniens dans d’autres pays arabes, Trump ranime l’idée que les Palestiniens seraient dénués d’une identité propre…
Hala Abou Hassira : Trump s’aligne sur une vieille idéologie israélienne. Les appels à expulser par la force et à déporter les Palestiniens ne sont pas nouveaux. Rappelons que, le 25 juin 1967, après l’occupation de la bande de Gaza et de la Cisjordanie consécutive à la guerre des Six-Jours, Moshe Dayan (ex-ministre de la Défense – NDLR) appelait à expulser par la force 300 000 Palestiniens de la bande de Gaza pour l’annexer.
« C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu. »
Trump s’aligne sur cette idéologie coloniale. Ce n’est pas comme cela que le président de l’État le plus puissant au monde parviendra à imposer la paix. Cette dernière sera le résultat du respect du droit international et des droits fondamentaux, dont celui du peuple palestinien à l’autodétermination dans un État indépendant et souverain dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est la seule manière de vivre en paix avec Israël. L’établissement de l’État palestinien est le préalable à la paix.
La question du droit à l’autodétermination est évacuée, tout comme celle d’une gouvernance palestinienne du territoire après guerre.
Hala Abou Hassira : Ce n’est pas à une seule personne de décider du sort d’un État sous occupation. Le seul représentant légitime du peuple palestinien est l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Son seul agent, l’État de Palestine par le biais du gouvernement palestinien qui est prêt à gouverner Gaza.
C’est le seul à avoir la tutelle juridique et politique pour gouverner Gaza et secourir la population. Depuis le cessez-le-feu, on a oublié que l’aide humanitaire entrait au compte-goutte dans l’enclave. On a oublié la réalité qui prévaut sur le terrain. Le gouvernement palestinien est prêt. Il n’attend qu’à déployer son plan de secours et de reconstruction par étapes.
Est-ce une menace sur la deuxième phase de l’accord de cessez-le-feu, qui prévoyait l’ouverture de négociations pour parvenir à la fin de la guerre ?
Hala Abou Hassira : C’est la question que tout le monde se pose. Que cherche Trump en tenant de tels propos ? Dans son sillage, Bezalel Smotrich (ministre des Finances – NDLR) a assuré qu’il enterrerait l’idée d’un État palestinien. S’agit-il pour Netanyahou de sortir de l’accord obtenu grâce à la médiation de plusieurs États ? Souhaite-t-il poursuivre son projet de déportation forcée du peuple palestinien avec l’objectif ultime d’annexer la bande de Gaza ?
C’est la seule question qui doit être posée aux Israéliens. Le moment est également venu de mettre un terme à l’impunité. Depuis le déplacement aux États-Unis de Netanyahou, le monde entier semble avoir oublié qu’il est un criminel de guerre, dont la Cour pénale internationale demande l’arrestation pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Qu’attendez-vous de la France aujourd’hui ?
Hala Abou Hassira : En ces instants où nous voyons le président américain et le premier ministre israélien mettre en péril les droits du peuple palestinien, semer le chaos dans notre région et dans le monde et saper le droit international, le moment de l’action est venu. Les réactions, nous les saluons.
Mais nous disons depuis des années qu’elles ne suffisent plus. Pour les pays qui ne l’ont pas fait, dont la France, le moment est venu de reconnaître l’État de Palestine. On oublie que le génocide perpétré devant nos yeux à Gaza s’étend également en Cisjordanie occupée.
Le monde attendra-t-il que Trump déclare l’annexion de la Cisjordanie la semaine prochaine ? C’est le moment de protéger ce territoire en reconnaissant l’État de Palestine, afin de donner de l’espoir au peuple palestinien en premier lieu. Il verrait ainsi son droit à exister dans un État indépendant reconnu.
mise en ligne le 5 février 2025
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Après le dépôt début janvier par la CGT du CHU d’un signalement pour danger grave et imminent, et face à la tension hospitalière due à un manque de moyens, le personnel des urgences s’est mis en grève ce mercredi 5 février. Ils demandent des recrutements à court terme et un renforcement de l’infrastructure de soins.
Devant les urgences de Lapeyronie, une quarantaine d’agents du CHU de Montpellier tentent de se réchauffer en musique, ce mercredi 5 février au matin. “Si il y a un préavis de grève illimitée et une mobilisation aujourd’hui, c’est parce que les agents ne se sentent pas satisfaits des réponses données par la direction lors de notre dernière rencontre”, explique Pierre Renard, délégué CGT. Dès les premiers jours de 2025, en pleine épidémie de grippe, le syndicat avait réalisé un signalement pour danger grave et imminent à la direction de l’hôpital face aux manques de moyens dont souffrait le personnel, et une rencontre s’était tenue le 14 janvier. “La direction nous parle d’un projet d’un nouveau bâtiment en 2028, mais 2028 c’est loin, et face à la situation démographique du département, c’est maintenant qu’on a besoin d’un agrandissement des infrastructure. Aujourd’hui, certains bâtiments n’ont même pas la climatisation”, détaille Pierre Renard. Selon Force Ouvrière et la CGT, qui ont appelé à la grève, les urgences du CHU ont connu 8,5% de passage supplémentaire en 2023 par rapport à l’année précédente, soit 5 600 patients en plus.
Pierre Renard déplore un sentiment d’épuisement généralisé des soignants : “Je n’ai jamais vu autant de départs de collègues, de maladies professionnelles, de reconversions. Les gens n’en peuvent plus. On manque de médecins, car pendant leur stages, les internes sont tellement pressurisés qu’ils ne veulent plus revenir travailler ici après leurs études.”
Philippe, infirmier en psychiatrie aux urgences, témoigne d’une surcharge due au manque de personnel : “Les gens peuvent passer dix ou douze heures dans une toute petite salle d’attente, les gens crient, vomissent, ou parfois. D’un point de vue des urgences psychiatriques, cette ambiance peut contribuer à aggraver des situations de détresse psychique.”
Pour Laurent Brun, secrétaire de Force Ouvrière au CHU, “il y a un besoin urgent de recrutement de personnel, notamment en salle d’orientation et dans les filières médico-chirurgicales.” Lors des dernières rencontres avec les syndicats, la direction évoqué l’ouverture de Quinze lits. “Mais on ne trouve pas de médecins”, souffle le représentant de FO. “Nous sommes dans un cercle vicieux, les conditions de travail se dégradent, donc les gens partent et ça rend le travail plus dur, et plus personne ne veut venir travailler ici.” Il ajoute : “Les patients sont plus agressifs et tendus qu’avant, si on a pas plus de moyens, ça va dégénérer.”
Pendant ce temps, l’UNSA veut des flics à l’hôpital
La sécurité des agents, c’est justement la préoccupation de l’UNSA. Si le syndicat n’a pas appelé à la grève, ils ont rencontré Yannick Neuder, ministre de la santé, lors de sa visite au CHU de Montpellier le 31 janvier, et ils lui ont demandé “la création d’une police hospitalière à l’instar de la police ferroviaire ou de la future police pénitentiaire avec des fonctionnaires hospitaliers assermentés ayant la qualité juridique d’Agents de Police Judiciaire (APJ).” Une revendication qui hérisse le poil d’un syndicaliste de la CGT avec qui nous avons pu discuter. “On veut des lits et des soignants, pas des matraques ! Si on a plus de moyens pour prendre en charge les gens, ils n’attendront pas douze heures sur un brancards et seront moins agressifs…”
Côté perspectives, nul ne sait, à l’heure actuelle, si la grève va être reconduite.
mise en ligne le 5 février 2025
Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Les formations de gauche sont parties pour se diviser sur le vote crucial d’une censure du budget de François Bayrou. Le PS entend faire bande à part, et la FI menace de présenter des candidats face aux députés qui ne voteraient pas avec elle. Écologistes et communistes tempèrent et appellent à surmonter ce désaccord.
Le fond de l’air est plus frais en ce début février, y compris à gauche, où il se fait glacial. Alors que François Bayrou veut imposer son budget à coups de 49.3, les formations alliées au sein du Nouveau Front populaire (NFP) sont parties pour faire chemin séparé lors du scrutin crucial de ce mercredi 5 février : les socialistes n’entendent pas voter la censure du gouvernement, contrairement aux insoumis, aux écologistes et aux communistes. Ce désaccord aura-t-il la peau du NFP ?
Beaucoup, à la France insoumise, considèrent que le choix du PS acte une rupture. « Le budget est le seul texte présenté à l’Assemblée nationale qui détermine si vous appartenez à la majorité ou à l’opposition », prévient Éric Coquerel, député FI. Sa présidente de groupe, Mathilde Panot, estime même que « ceux qui ne voteront pas les motions de censure seront des soutiens de fait du gouvernement ». Pour les prochaines législatives, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon envisage d’ailleurs de présenter des candidats « fidèles au programme du NFP » face aux députés de gauche qui ne voteraient pas la censure.
« Le NFP n’est pas un parti unique »
Le PS, pour sa part, explique ne pas avoir changé de ligne programmatique et assure ne pas avoir tourné le dos au NFP. Si les socialistes considèrent que ce n’est pas sur le budget qu’il faut faire tomber le gouvernement Bayrou, ils se déclarent toujours comme membres de l’opposition.
« Nous avons dit que si le budget était présenté, nous voterions contre », rappelle Emmanuel Grégoire, député de Paris, qui justifie la non-censure dans l’immédiat : « Nous ne voulons pas prendre le risque de ne pas doter la nation d’un budget. » Des élus PS soulignent également qu’il faut savoir entendre « les appels multipliés de maires et de présidents d’association qui confient à quel point ils sont en difficulté faute de budget ».
Il n’empêche que les communistes et les écologistes fulminent eux aussi devant la copie du gouvernement et regrettent le choix du PS. Sans pour autant considérer que cette division acte la mort du NFP, ou bien sa poursuite sans les socialistes. « Nous avons déjà eu des désaccords sur la stratégie parlementaire, tempère Léa Balage El Mariky, porte-parole des députés écologistes. Le NFP n’est pas un parti unique, mais une coalition électorale. Ce n’est pas un cahier des charges avec 92 questions. C’est la promesse faite aux électeurs que nous avions la capacité de gouverner, de changer leur vie. »
« Ce désaccord ne marque pas une rupture »
« Ce désaccord ne marque pas une rupture. Dans une coalition, il est normal que nous ayons des différences, sinon ce serait un parti », relève Stéphane Peu. Le communiste rappelle que le NFP n’était pas à l’unisson concernant la participation aux discussions sur le budget avec le gouvernement. « Nous ne le sommes pas non plus sur la question de la censure », modère-t-il. « Je regrette la décision des socialistes. Je ne la sous-estime pas. Mais je ne suis pas pour que le NFP éclate », ajoute Alexis Corbière.
L’élu de l’Après (Association pour une République écologique et sociale) souligne que cette union de la gauche « est née afin de contrer l’extrême droite » et mesure que les coups portés au NFP peuvent venir de différents côtés, en rappelant, par exemple, que la volonté de la FI de ne fusionner ni au premier, ni au second tour de l’élection municipale partielle de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) ces derniers jours conduit à la fois à la division et à la défaite.
Plusieurs élus écologistes, PCF, Génération.s ou membres de l’Après signalent enfin qu’ils refusent l’idée selon laquelle il existerait deux « gauches irréconciliables » et appellent le NFP à rester uni. La FI, de son côté, travaille déjà à une candidature derrière Jean-Luc Mélenchon pour 2027, ce que les autres forces du NFP refusent.
Les votes du PS et de la FI sur la censure ou non du gouvernement sont d’ailleurs également à analyser de ce point de vue : les insoumis entendent provoquer la tenue d’un scrutin présidentiel le plus vite possible (une chute de François Bayrou pouvant entraîner, selon eux, celle d’Emmanuel Macron), quand les socialistes craignent d’être pris de vitesse ou de voir le RN l’emporter en pareil cas.
Les divergences de ton et de stratégie, le PS estimant que la FI s’est abîmée et qu’une place est à prendre pour incarner une gauche dite « respectable » et « de gouvernement », composent aussi l’équation. Reste une question tout entière : si la gauche venait à exploser à terme du fait de ses désaccords, lui resterait-il seulement une chance pour la gauche de battre la droite et l’extrême droite ?
mise en ligne le 4 février 2025
Anthony Cortes sur www.humanite.fr
François Bayrou a dégainé, ce lundi, deux 49.3 pour faire adopter respectivement le projet de loi de finances de l’État et celui de la Sécurité sociale. Deux motions de censure ont été déposées par une partie de la gauche, le Parti socialiste a annoncé qu’il ne les votera pas.
On dit que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit. Ce n’est pas le cas du 49.3. Ce lundi 3 février, à la tribune de l’Assemblée nationale, le premier ministre François Bayrou a annoncé y recourir pour engager la responsabilité du gouvernement sur deux textes : le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale.
« Nous voici à l’heure de vérité et de responsabilité, a-t-il annoncé en introduction de sa prise de parole. Est-ce que ce budget est parfait ? Non, mais c’est un équilibre. Nous sommes tous ensemble face à notre devoir : dans les dix jours, la France aura ses budgets. » Deux textes qui, selon lui, ont « trois géniteurs » : « Le gouvernement de Michel Barnier, le gouvernement constitué depuis le 23 décembre et le Parlement dans ses deux chambres. »
Une façon d’insister sur la volonté de « compromis » qui l’animerait. « Le mot compromis ne doit plus être une insulte dans la vie politique française, a renchéri David Amiel, député macroniste et rapporteur du budget. Nous sommes tous intoxiqués à un fait majoritaire qui ne mène qu’à l’impuissance et à la crise. »
« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier »
Des propos qui ne correspondent pourtant en rien à la réalité. Si le projet de loi de finances (PLF) a fait l’objet de débats à l’occasion d’une commission mixte paritaire (CMP), sa composition était largement acquise au camp gouvernemental et à ses priorités. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), lui, n’a même pas eu ce piètre honneur puisque les discussions à son propos n’ont repris que la semaine dernière. Elles sont interrompues par ce coup de force qui permet à François Bayrou de contourner le Parlement.
Dans les deux cas, le caractère largement austéritaire du PLF et du PLFSS frappe. Cela malgré les propositions des forces du Nouveau Front populaire (NFP) pour augmenter la part des recettes plutôt que la recherche d’économies dans le fonctionnement de l’État.
« C’est un budget pire que celui de Michel Barnier, déplore Éric Coquerel, président FI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale. L’Observatoire français des conjonctures économiques chiffrait que le budget du précédent premier ministre aurait un effet récessif de 0,8 point. Celui de François Bayrou, avec 23,5 milliards de coupes budgétaires, nous coûtera encore plus cher ! Les faibles concessions ne sont qu’un arbuste qui cache la forêt austéritaire. »
Par conséquent, Mathilde Panot, cheffe de file des députés insoumis, a annoncé le dépôt de deux motions de censure. Causeront-elles la chute de François Bayrou et de ses ministres ? Il faudrait pour cela la mobilisation de l’ensemble du Nouveau Front populaire, mais aussi les voix de l’extrême droite. Cela n’en prend pas le chemin.
Une autre motion pour dénoncer les propos de Bayrou sur la « submersion migratoire »
À la mi-journée, quelques heures avant la prise de parole du premier ministre, le bureau national du Parti socialiste (PS) a annoncé qu’il ne censurerait pas le gouvernement. Au total, 59 voix se sont prononcées en ce sens, contre 54 à la veille de la précédente motion de censure visant François Bayrou, le 16 janvier.
Une position qui concerne autant le vote de la motion de censure correspondant au PLF que celle du PLFSS. Au prix de quelques contorsions. « Cela n’empêche pas que nous nous opposons politiquement à l’action du gouvernement, précise Béatrice Bellay, députée socialiste de la Martinique. Nous écoutons simplement les remontées de terrain de nos élus qui nous font part de leurs difficultés sans budget. Mais nous continuons à dire que ce budget ne va pas dans le bon sens avec, par exemple, deux milliards en moins pour l’habitat. »
Reste à savoir si l’ensemble du groupe socialiste se rangera derrière cette volonté. Au mois de janvier, huit députés avaient refusé de s’aligner sur la position du parti. Il en faudrait plus d’une vingtaine pour causer la chute du gouvernement si le Rassemblement national (RN) et ses alliés votent également la censure. Ces derniers ont fait savoir qu’ils annonceront leur position ce mercredi. Le temps de tenter d’obtenir quelques concessions du premier ministre ?
Malgré cette décision du bureau national, les socialistes ont réaffirmé qu’ils continueraient à s’opposer à un « gouvernement qui participe à la trumpisation du débat public ». En cause, ses « attaques contre le pacte vert au niveau européen », la remise en cause du droit du sol à Mayotte et en Guyane, le durcissement des critères de régularisation des sans-papiers, la diminution des crédits de l’aide médicale d’État ou de l’aide publique au développement, ainsi que les propos de François Bayrou sur une prétendue « submersion migratoire ».
Ces derniers seront à l’origine du dépôt, par les députés socialistes, d’une motion de censure spontanée sur « les valeurs de la République ». La démarche est loin de calmer la déception des autres groupes du NFP devant leur refus de voter la censure. La motion socialiste sera en effet rejetée par le camp gouvernemental comme par l’extrême droite et n’a donc aucune chance d’aboutir.
« Piétiner » et « humilier » la démocratie
« Je suis choquée par leur décision, fait savoir Aurélie Trouvé, députée FI de Seine-Saint-Denis, à propos du refus socialiste de s’associer aux deux motions. Les socialistes ont été élus sur un programme, celui du NFP, construit pour proposer autre chose que le macronisme. Notre motion servira à déterminer qui est dans le soutien du gouvernement et qui est dans l’opposition. C’est une question de fidélité pour nos électeurs. »
« Ce choix n’est à mon avis pas le bon, estime pour sa part Benjamin Lucas-Lundy, député du groupe Écologie et social. C’est un mauvais budget qui prolonge la politique d’Emmanuel Macron depuis 2017 et qui est à l’opposé des grandes orientations que nous devons prendre pour le pays, en particulier en matière de bifurcation écologique ou de justice sociale. »
« Ce budget est pire que le précédent. Il est honteux d’obliger des députés à voter la censure pour pouvoir s’exprimer, parce qu’on leur a retiré toute prise sur le budget », s’agace le communiste André Chassaigne, coprésident du groupe GDR. Et le député PCF Nicolas Sansu de se désoler également du recours au 49.3, qui « piétine » et « humilie » la démocratie. Un outil constitutionnel dont toutes les composantes du NFP avaient exigé en vain l’abandon, auprès de François Bayrou, contre un accord de non-censure.
mise en ligne le 4 février 2025
Hélène May sur www.humanite.3fr
Jamais, depuis des années, le manque d’habitations disponibles n’a été aussi criant, repoussant davantage les plus précaires dans une position d’extrême fragilité. Une situation qui n’entraîne aucune remise en question du désinvestissement de l’État et de la foi dans les « vertus » du marché.
La question est presque absente du débat politique. Pourtant, le décalage entre l’offre et la demande de logements ne cesse de se creuser, plongeant un nombre croissant de personnes dans des situations de mal-logement, voire les privant de toit.
« On voit que la France s’enfonce dans la crise et les pouvoirs publics donnent l’impression de chercher des boucs émissaires plutôt que des solutions », résume Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés (FLD – ex-Fondation Abbé-Pierre). À l’occasion de la présentation du 30e rapport annuel de l’organisation, rendu public ce 4 septembre, il a appelé à « une large mobilisation transpartisane » sur ce thème.
Un déséquilibre entre l’offre et la demande
La raréfaction du nombre de logements disponibles s’observe dans tous les segments du secteur. La demande s’accroît du fait de l’arrivée à l’âge adulte de la génération du petit « baby-boom » des années 2000 et des décohabitations liées aux séparations. Premier touché, le logement social, « qui reste pourtant, rappelle Christophe Robert, le levier le plus fiable pour relancer le logement sans effet d’aubaine, sans alimenter la spéculation immobilière ».
À force de désinvestissement et de ponctions, la production a chuté à 86 00 nouveaux logements en 2024, contre 124 000 en 2016. Le nombre de postulants à une HLM, lui, continue de croître, s’approchant cette année des 2,8 millions, deux fois plus qu’il y a dix ans. Faute d’offre alternative, les locataires HLM ne libèrent pas leur appartement. Du coup, les attributions sont passées sous la barre des 400 000, soit 100 000 de moins qu’en 2016.
Des prix en hausse à la location
Pourtant supposé être dopé par une politique gouvernementale qui, depuis 2017, mise sur les vertus du marché, le secteur privé est lui aussi en chute libre. « Sur l’année 2024, 330 400 logements ont été autorisés à la construction, soit 46 300 de moins que lors des douze mois précédents (- 12,3 %) et 28 % de moins qu’au cours des douze mois précédant la crise sanitaire », a révélé, le 29 janvier, le ministère du Logement.
Si l’offre de logement neuf se tarit, c’est aussi le cas des locations disponibles, dont le nombre a baissé de 8,6 % rien qu’entre octobre 2023 et octobre 2024, selon le site SeLoger. Résultat, malgré une légère baisse à l’achat, le manque de biens à louer, dans le privé comme dans le public, alimente la hausse des loyers. Alors que les revenus, eux, sont en baisse, l’inflation ayant entraîné une hausse des dépenses des ménages évaluée à 1 230 euros par an. 600 000 personnes de plus qu’en 2017 vivent d’ailleurs sous le seuil de pauvreté.
Le mal-logement s’étend
Ce décalage entre des revenus en berne et des logements en nombre insuffisant et trop chers entraîne un accroissement du mal-logement. Au niveau géographique d’abord, la pénurie, longtemps cantonnée aux grandes villes, touche désormais de nombreuses régions. Il est devenu très difficile pour les étudiants ou jeunes salariés de trouver à se loger dans les zones touristiques, où Airbnb et résidences secondaires exercent une concurrence déloyale et font monter les prix. C’est vrai aussi dans les zones frontalières et dans certaines petites villes longtemps épargnées.
L’absence d’offre adaptée contraint également un nombre croissant de ménages à se tourner vers du logement inadapté voir insalubre. Autre forme du mal-logement qui se développe, la précarité énergétique : « 30 % des ménages ont souffert du froid l’hiver dernier. Ils étaient 14 % en 2020 », rappelle Christophe Robert. Les réductions de puissance et les coupures d’énergie en raison d’impayés ont, elles, atteint le million en 2023. C’est deux fois plus qu’en 2021.
Les plus pauvres et les sans-domicile de plus en plus nombreux
« Quand on voit plus de territoires et de ménages touchés par la crise du logement, on sait que cela a un impact, par effet domino, pour les plus pauvres, les sans-domiciles, les mal-logés. Quand plus de monde est contraint de se loger dans des habitations de moyenne qualité, on sait qu’ils seront les derniers servis », souligne le délégué général de la FLD. En atteste la hausse de nombreux indicateurs, comme le nombre de sans-domicile fixe, que l’organisation estime à 350 000, soit déjà deux fois plus qu’en 2012, mais « sans doute encore en dessous de la réalité ».
Malgré son augmentation, le parc d’hébergement d’urgence ne permet pas de répondre aux besoins de cette population. Tous les soirs, le 115 est dans l’incapacité de trouver une solution pour 5 000 à 8 000 personnes, dont près de 2 000 enfants. La situation ne devrait pas s’arranger, alors que les expulsions locatives avec le concours des forces de police ont atteint, en 2023, le chiffre record de 19 000, soit un bond de 17 % en un an, en grande partie en raison de la loi dite « anti-squat », portée par l’ex-ministre Guillaume Kasbarian, qui a facilité et accéléré les procédures.
L’État continue de se désengager
Malgré la multiplication de ces signaux d’alerte, l’inertie règne sur fond de rigueur budgétaire. « Il est clair que le logement n’est plus considéré comme une priorité de l’action publique et reste souvent perçu comme un gisement d’économie, alors qu’il joue un rôle central dans la vie de chacun », souligne Christophe Robert. Seule mesure positive en perspective, la promesse faite par la ministre du Logement, Valérie Létard, et qui devrait être maintenue dans le prochain budget, de réduire de 200 millions d’euros la ponction de 1,3 milliard réalisée tous les ans sur le budget des bailleurs sociaux sous forme de réduction de loyers de solidarité (RLS).
Mais, en dépit de ses échecs patents, le « tout-marché » continue d’être promu. Rien n’a été fait pour pérenniser et approfondir l’expérimentation de l’encadrement des loyers, censée prendre fin en 2026, qui, pourtant, fonctionne. La régulation des prix du foncier, dont l’explosion est le principal moteur de la hausse des prix, est restée dans les cartons, malgré le soutien de l’ensemble des acteurs du secteur lors du CNR logement de l’été 2023. À la place d’une remise à plat, « les coupables désignés des blocages sont le plus souvent les normes écologiques et les politiques d’aides aux mal-logés », dénonce la FLD. Plus inquiétant encore, les partisans d’une libéralisation encore plus poussée du secteur n’ont pas baissé les bras et restent en embuscade.
mise en ligne le 3 février 2025
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Deux exemples récents des difficultés financières rencontrées par des hôpitaux illustrent la situation insoutenable de leur dette. Petit retour en arrière. En 2002, lors de la mise en place de l’euro et de la Banque centrale européenne, les hôpitaux se sont vu retirer la possibilité d’emprunter auprès de la Caisse des dépôts avec des intérêts très bas et des délais de remboursement possibles pendant soixante ans. Il leur a fallu se tourner vers des banques commerciales, pratiquant des taux d’intérêt qui ont pu atteindre près de 20 % avec des emprunts dits toxiques. Le résultat est aujourd’hui catastrophique.
Ainsi l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, établissement de 450 lits, est en cessation de paiement du fait d’une dette cumulée de 120 millions d’euros due à sa reconstruction qui n’a pas été financée par l’État. À Marseille, l’Assistance publique affiche une dette de 840 millions d’euros qui l’empêche d’engager des opérations de rénovation de ses bâtiments vieillissants.
C’est pourquoi son directeur demande à l’État de reprendre cette dette à sa charge, considérant qu’il en est responsable, arguant que, sans cette mesure, il ne sera plus en capacité d’assurer le bon fonctionnement de l’hôpital. Il faut noter qu’il est exceptionnel qu’un directeur à la tête d’un des plus grands CHU de France mette ainsi l’État face à ses responsabilités.
Cette situation scandaleuse est dénoncée depuis des années. La seule charge des intérêts dépasse chaque année 1 milliard d’euros au grand bénéfice des banques. Ainsi, pour 2023, les bénéfices de la seule BNP ont atteint 11 milliards d’euros. Il est donc clair que la dette des hôpitaux a été créée par la logique néolibérale soutenue par Emmanuel Macron et l’Europe, qui enrichit les banques au détriment des services publics, notamment celui de la santé.
À la veille d’un nouveau 49.3 pour la loi de financement de la Sécurité sociale, il est important de rappeler cette situation aux députés qui ne voteraient pas la censure. Au-delà des chiffres, il y a des vies en jeu. Les fermetures des services d’urgence et les dysfonctionnements des Samu dus à un manque criant de moyens sont la cause directe de ce que nous appelons « des morts évitables », chiffrées autour de 1 500 à 2 000 par an.
La question de la dette doit effectivement être résolue, n’en déplaise à Bernard Arnault et à ses amis, en taxant un peu plus les milliardaires qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ce serait normal, car un rapport du ministère des Finances paru ces derniers jours indique que les impôts de 0,1 % les plus riches ont diminué entre 2003 et 2022 alors que ceux des 50 % les plus pauvres ont augmenté. Alors mesdames et messieurs les députés, allons chercher l’argent là où il est pour sauver des vies et arrêtons de nous bassiner avec la dette que nous allons laisser à nos enfants.
mise en ligne le 3 février 2025
Roger Martelli sur www.regards.fr
Ce dimanche se tenait le second tour de l’élection municipale partielle. Elle avait valeur de test, notamment à gauche. Le député LFI Louis Boyard y a perdu sèchement contre la droite.
Avec 24,9 % au premier tour, l’insoumis Louis Boyard avait pris l’ascendant sur son concurrent communiste Daniel Henry (20,7 %) qui réunissait sur sa liste communistes, socialistes, radicaux et écologistes. Mais, alors que la droite abordait le second tour avec deux listes concurrentes, le jeune député du Val-de-Marne n’a pas réussi son pari de devenir maire. Avec 38,5 %, il a été nettement distancé par sa concurrente de droite (49 %). Il perd 127 voix et 9,4 % sur le total des gauches du premier tour.
Il avait pourtant beaucoup d’atouts, et pas seulement son allant et sa notoriété médiatique. Aux législatives de 2022 et 2024, il avait propulsé la France insoumise sur le devant de la scène locale. En 2017, les insoumis sont certes déjà en tête de la gauche mais dépassent tout juste les 15 %. En 2022, Jean-Luc Mélenchon réalise 46,2 % sur la ville. Louis Boyard devient alors le candidat Nupes-LFI et rassemble 40,2 % au premier tour ; il écrase la droite et l’extrême droite au second tour avec 62,4 % sur la ville. En 2024, candidat NFP-LFI, Louis Boyard fait mieux que récidiver en obtenant 56 % au premier tour et 61,2 % au second. Il améliore ainsi le résultat de la liste de Manon Aubry et de Rima Hassan aux européennes de 2024 (39,2 %).
C’est fort de ces résultats qu’il tente le pari audacieux de conquérir la ville à l’occasion de l’élection partielle. Il ne cherche pas l’alliance avec le reste de la gauche et part seul au premier tour. Faisant fonction d’éclaireur, il teste la stratégie, pour les municipales de 2026, d’une France insoumise qui espère s’emparer, entre autres, d’une large part du « communisme municipal ». Dans son combat, il reçoit le soutien des dirigeants du mouvement, Jean-Luc Mélenchon en tête, qui se déplacent à Villeneuve-Saint-Georges et font meeting avec lui.
Dès hier soir, Mélenchon et à sa suite les dirigeants de la France insoumise ont répété, tous avec les mêmes mots, que la liste de Boyard venait de recueillir 11 points de plus que la maire communiste sortante en 2020, Sylvie Altman. Mais, alors que les communistes avaient repris en 2008 la ville de tradition cheminote qu’ils avaient perdue en 1983, Louis Boyard ne parvient pas à terrasser l’équipe de droite sortante, alors qu’elle avait accumulé toutes les fautes qui auraient dû la conduire à sa perte. Au fond, tout laissait présager que le « dégagisme » cher aux insoumis allait leur profiter. Cela n’a pas été le cas, alors même que la droite locale se déchirait et que deux listes se maintenaient au second tour.
En 2022 et en 2024, lors des législatives, Louis Boyard a su profiter de l’union réalisée à Villeneuve-Saint-Georges, sous l’étiquette de la Nupes, puis du Nouveau Front populaire. Il a pensé qu’il pouvait réitérer à une élection municipale. Il imaginait pouvoir imposer ses conditions ou faire porter le chapeau de la désunion à ses partenaires de la gauche. Il l’a fait avant le premier tour et, plus surprenant encore, il a récidivé entre les deux tours, réclamant une prime majoritaire insoumise, au nom de la nécessité d’avoir une majorité solide pour appliquer son programme. Étrange demande de la part de LFI qui la refuse en général lors des fusions, préférant avec raison la méthode démocratique d’une représentation proportionnelle des listes.
Ce dimanche encore, la liste insoumise a fait ses meilleurs scores dans les cités populaires, là où se concentrent la jeunesse, la pauvreté, la discrimination et la relégation. Elle a donc contribué à de la politisation à gauche, là où la gauche a perdu les bases de son influence d’autrefois. Mais, faute d’esprit d’ouverture, en multipliant les oukases et les rejets, la campagne de LFI n’a pas permis que convergent tous les électeurs de gauche ni toutes les catégories qui s’éloignent du vote et se désespèrent de la gauche. Ajoutons que, même dans les quartiers où Louis Boyard fait ses meilleurs résultats, les insoumis sont en recul, plus ou moins sensible, par rapport aux scores de 2022 et 2024.
Villeneuve-Saint-Georges aurait pu être un exemple faisant émerger une gauche capable de s’ancrer dans les valeurs émancipatrices sans tracer des lignes de partage irréductibles. Ce n’est pas cette gauche-là que nous avons vue à l’œuvre dans la ville la plus pauvre du Val-de-Marne (un taux de pauvreté deux fois supérieur à celui du département), mais la gauche de la guerre des camps, une fois encore.
Aux municipales 2026 comme pour les autres élections à venir, il ne faudra surtout pas refaire Villeneuve-Saint-George, c’est-à-dire mobiliser les talents pour écarter, et perdre à l’arrivée.
mise en ligne le 2 février 2025
Par Mohamed Salah Ben Ammar, médecin sur www.humanite.fr
L’instauration d’un cessez-le-feu à Gaza constitue un moment crucial, résultant d’une reconfiguration des dynamiques au Moyen-Orient et de l’influence des administrations américaines, la nouvelle et l’ancienne. Cependant, cette fragile trêve a déjà été compromise par des violations israéliennes, comme le bombardement du 16 janvier, qui a causé la mort de 80 personnes, aggravant un bilan humain déjà dramatique. La cessation des hostilités et la libération des otages ravivent un espoir au milieu des destructions massives. La libération des otages est porteuse d’une forte charge émotionnelle en Israël. En Palestine, les morts et les handicapés se comptent par dizaines de milliers et les destructions sont indescriptibles, mais les Gazaouis ont dansé dans les ruines à l’annonce du cessez-le-feu.
Les conséquences humaines tragiques de ce conflit seront toujours présentes dans les mémoires, mais elles ne doivent pas entraver le chemin vers la paix. La première étape vers une résolution durable devra reposer sur la reconnaissance mutuelle des souffrances et la mise en place de mécanismes de réparation. Les crimes de guerre commis par les deux camps doivent faire l’objet d’enquêtes impartiales menées par des instances judiciaires nationales et internationales, à l’image des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, soulignant l’importance de rendre justice. Le cycle infernal des vengeances ne peut s’arrêter que de cette façon. Mais le cessez-le-feu constitue une fenêtre de tir ; il est essentiel d’en faire une étape pour analyser les racines du conflit et œuvrer à une solution durable. Reconnaître les souffrances, instaurer des réparations et encourager un dialogue sincère sont des étapes indispensables pour arriver à une paix durable.
Pourquoi les attaques du 7 octobre ?
Rien ne peut justifier les horreurs commises lors des attaques du 7 octobre. Mais le Hamas, au pouvoir à Gaza, a cherché à briser un silence de près de deux décennies d’embargo et d’occupation de fait. Il a aussi cherché à réaffirmer son rôle dans la résistance palestinienne, à infliger des pertes à Israël et à attirer l’attention internationale sur un drame vieux de 77 ans. Ces attaques répondaient à des décennies d’oppression, tout en cherchant à contrer un rapprochement entre Israël et les autocrates arabes, imposé par Donald Trump à travers les accords dits d’Abraham, perçus par la rue arabe et les Palestiniens comme une trahison de la cause. Enfin et surtout, les attaques du 7 octobre visaient à pousser Israël à la faute et à gagner la sympathie de l’opinion publique arabe et même mondiale. Cet objectif a été largement atteint. De fait, le Hamas s’est imposé comme un interlocuteur incontournable avec ses héros et ses martyrs aux yeux des Palestiniens.
Pourquoi un cessez-le-feu maintenant ?
La trêve a été instaurée sous la pression de l’administration américaine et face à l’impasse militaire. Les préoccupations concernant les otages ont influencé les décisions du gouvernement israélien, mais les considérations stratégiques semblent avoir primé sur les raisons humanitaires.
Pourquoi les deux camps ont-ils ciblé des civils ?
Israël a poursuivi des opérations destructrices dans ce qui semble être une volonté de représailles. Une cessation des hostilités plus rapide aurait pu être interprétée comme un signe de faiblesse du gouvernement israélien d’extrême droite. L’armée, qualifiée abusivement « la plus morale au monde », qui a des années-lumière d’avance en matière de technologie et de moyens par rapport aux Palestiniens, a commis des actes abjects sur des civils. Il semblerait que, le 7 octobre, le Hamas ait été dépassé par l’ampleur de l’attaque et ait perdu le contrôle des assaillants. Mais le fait est que, dans les deux cas, des civils ont été froidement tués. Ceci reflète la haine qui s’est développée entre les deux belligérants.
Pourquoi ce conflit dure-t-il depuis un siècle ?
Ce conflit repose sur une lutte pour la souveraineté entre deux peuples revendiquant la même terre. Pour les sionistes, la Palestine représente un projet politique de foyer national juif. Les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et la Shoah l’ont rendu possible. Pour les Palestiniens, c’est une terre ancestrale dont ils ont été progressivement dépossédés, alimentant un traumatisme collectif.
Pourquoi les Palestiniens vivent-ils sur un territoire aussi restreint et morcelé ?
La Nakba de 1948 et les conflits ultérieurs ont vidé de son sens le plan de partage initial du territoire prévu par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 29 novembre 1947. Ces guerres ont conduit au déplacement massif des Palestiniens, confinés à Gaza et à des zones morcelées en Cisjordanie, reliées entre elles par des couloirs, aggravant leurs conditions de vie et celles de millions de réfugiés palestiniens.
Pourquoi Israël est-il le premier mais non le seul responsable de la situation ?
Israël a déclenché toutes les guerres à l’exception de celle de 1948. Israël a gagné toutes les guerres contre les pays arabes voisins. Pour les Palestiniens qui n’ont pas d’armée, Israël symbolise l’occupation et l’injustice. Pour les Palestiniens des territoires occupés (Cisjordanie : 3,2 millions et Gaza : 2,17 millions, soit 5,35 millions) et pour les Palestiniens restés en Israël (plus de deux millions de personnes), prétendre qu’Israël est une démocratie n’a pas de sens. L’avancée technologique, les institutions en Israël et le soutien des puissances occidentales lui ont permis de dominer la région, tandis que les Palestiniens sortaient de siècles d’occupations ottomane puis anglaise. Israël est perçu comme un bout d’Occident dans la région. Un mur et des décennies séparent les deux communautés.
Pourquoi une incompréhension entre les deux peuples voisins ?
Cette incompréhension est nourrie par des récits historiques totalement divergents et par des systèmes éducatifs et médiatiques qui renforcent les stéréotypes. De plus, l’expérience de la Shoah n’a pas la même résonance dans le monde arabe, ce qui alimente parfois un antisémitisme inquiétant. La haine des Palestiniens est cultivée chez une partie de plus en plus importante d’Israéliens, notamment chez les colons, mais la haine de l’autre est enseignée chez les deux peuples dès l’école.
Pourquoi l’Occident soutient-il Israël ?
Ce soutien découle en grande partie d’une culpabilité liée à la Shoah, mais aussi d’intérêts stratégiques. Israël est perçu comme un allié clé, bien que ce soutien unilatéral néglige les souffrances des Palestiniens. Israël, de fait d’un passé historique en Europe d’une partie de ses habitants, dispose de puissants relais économiques et culturels en Occident. La guerre de Gaza a fait tomber les dernières illusions des démocrates arabes quant à l’objectivité des puissances occidentales et à leur réel attachement aux droits humains.
Pourquoi les pays du Sud soutiennent-ils les Palestiniens ?
Les nations du Sud s’identifient aux Palestiniens à travers l’expérience de la colonisation et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une hypocrisie occidentale. La solidarité religieuse et culturelle joue également un rôle majeur pour les musulmans et les Arabes, notamment.
Pourquoi certains s’opposent-ils à la paix ?
Les figures prônant la paix, comme Anouar el-Sadate, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, ont été éliminées. L’immense majorité des responsables politiques israéliens des années 60 et après se sont convertis à la paix à la fin de leur vie après avoir mené des guerres contre les pays arabes voisins. Les dirigeants actuels, en Israël, sont aveuglés par leur puissance militaire. Dans certains pays arabes, les dirigeants profitent depuis 1948 du statu quo pour maintenir leur pouvoir. Le nationalisme d’extrême droite des deux camps exacerbe les tensions et s’oppose à la paix.
L’Histoire nous apprend que pour faire la paix il faut être deux.
Il est sidérant de constater à quel point ces va-t-en-guerre ne réalisent pas que les deux peuples sont condamnés à vivre côte à côte. Pour arriver à une paix durable, il faut abandonner les récits de victimisation au profit d’une vision partagée. L’engagement réciproque et un dépassement des récits antagonistes est absolument nécessaire. La sortie du cycle de violence passe par la reconnaissance d’un État palestinien et l’instauration d’un dialogue sincère sur les points de divergences. La communauté internationale, et notamment les États-Unis et l’Europe, doit enfin jouer un rôle réellement équilibré, en s’engageant à protéger les civils et à promouvoir des solutions durables. Ce sont des conditions nécessaires pour construire un avenir de coexistence pacifique.
mise en ligne le 2 février 2025
Par Robert Kissous sur www.humanite.fr
« America First », les États-Unis d’abord, « Make America Great Again » – rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan : ces slogans de campagne de Trump résonnent comme un cri de guerre contre le monde entier.
Le président-businessman accuse le monde entier, alliés ou vassaux des États-Unis (EU) inclus, de vivre et prospérer au détriment de son pays, d’abuser de sa générosité. En conclusion ils doivent tous indemniser les EU. La réalité inversée si chère à Trump.
En réalité ce sont les EU qui vivent au-dessus de leurs moyens grâce au crédit que leur permet le roi dollar avec ses privilèges exorbitants.
Biden et Trump
Que ce soit Biden ou Trump, tous deux visent à restaurer l’hégémonie mondiale de l’impérialisme états-unien avec des stratégies différentes notamment sur le plan des relations économiques internationales.
Biden prônait des solutions de compromis avec les alliés des EU. Trump, estimant ne pas en avoir besoin, n’hésite pas à brandir des menaces de coercition économique. Récemment il a exigé que les pays européens portent leurs dépenses militaires à 5 % du PIB : le coup de grâce porté à l’UE alors que son économie est stagnante et que son moteur, l’industrie allemande, est en berne.
Biden offrait des subventions pour inciter les entreprises industrielles à s’implanter aux EU. Trump estime inutile de creuser le déficit en versant des subventions à des entreprises étrangères, les taxes sur les importations devraient être suffisamment incitatives.
La guerre commerciale
La mondialisation n’étant plus à l’avantage des EU, Trump met en avant sa prétendue arme « magique » contre le déclin de l’hégémonie états-unienne : les droits de douane qu’il a qualifiés en 2020 de la « plus grande chose jamais inventée »
Une arme déjà utilisée dans son premier mandat et prolongée par Biden sans obtenir le résultat escompté. Aussi la nouvelle politique tarifaire est étendue – le monde entier est visé – avec des taux de taxation inédits. Tous les pays – Sud global et pays développés, alliés ou pas – doivent être mis à contribution pour le bien des EU : la réindustrialisation, la fin du déficit commercial et la réduction des impôts. En quelque sorte une rente prélevée sur le reste du monde.
Lors de sa campagne électorale Trump annonçait vouloir imposer des droits de douane de 10 à 20 % sur tous les produits étrangers, 25 % sur les produits importés du Canada et du Mexique et 60 % ou plus pour ceux provenant de Chine, désignée adversaire stratégique n°1. À ces taxes s’ajoutent toutes les interdictions d’exportations de produits de haute technologie vers la Chine et une liste noire d’entreprises chinoises avec lesquelles il est interdit de commercer. S’agit-il de menaces préalables à des négociations ? Nous le saurons bientôt. Ce protectionnisme de combat conduira à la diminution des importations et des exportations des EU du fait des représailles mais il ne pourra empêcher les autres pays de développer le commerce entre eux.
En réalité c’est déjà le cas puisque les richesses sont créées de plus en plus dans les pays du Sud. Les cinq pays du BRICS ont vu leur poids dans l’économie mondiale croître sans cesse et leur PIB dépasser celui du G7, en parité de pouvoir d’achat (PPA), : 20 % en 2003 à 32 % en 2023 tandis que la part du G7 a reculé sur la même période de 42 % à 30 %. Au début des années 2000 la part des EU dans le PIB mondial (PPA) était de 21,2 % et en 2022 elle est tombée à 16,6 %.
La guerre commerciale conduira inévitablement à de multiples guerres commerciales contre les EU avec à la fois un recul du PIB mondial et une plus forte interdépendance entre les pays du Sud notamment. Ce qui pourrait réduire la part du commerce réalisée en dollars. On peut donc imaginer une violente réaction de Trump contre les BRICS et tous les pays qui utilisent d’autres monnaies que le dollar pour leurs échanges commerciaux. Par exemple Trump brandit la menace d’une taxe de 100 % sur leurs exportations vers les EU. Il exige un engagement de ne pas créer une monnaie BRICS. Derrière l’arrogance pointe l’anxiété. On ne peut utiliser le dollar comme arme de guerre et s’étonner de la perte de confiance accrue dans cette monnaie.
Ce sont les EU qui ont interdit l’utilisation du dollar à des pays sanctionnés encourageant, obligeant même les paiements en d’autres monnaies et hors du système financier contrôlé par les EU. Le commerce en yuan, rouble, roupie, or… ne s’arrêtera pas avec ces menaces. La guerre commerciale des EU est vouée à l’échec.
Le mépris de la souveraineté des États
Un nouveau pas est franchi avec l’affirmation de visées expansionnistes. Donald Trump a affirmé avec force qu’il entendait prendre le contrôle du canal de Panama et du Groenland – territoire sous la souveraineté du Danemark – sans exclure la possibilité d’une intervention militaire si nécessaire au nom de la sécurité nationale des EU. Une menace d’annexion qui peut planer sur n’importe quel petit pays.
Le président du Panama, José Raúl Mulino, a vivement réagi et qualifié ces prétentions d’absurdes : « le canal est panaméen et appartient aux Panaméens ». Le Danemark soutenu par des pays européens a vivement protesté.
Le Canada est également visé Trump demandant son annexion comme 51e état des EU et Trump souhaite exercer toutes les pressions économiques et politiques nécessaires pour cela.
Le monde a évolué, l’hégémonie est révolue mais les EU ne veulent pas le voir.
Mettre fin aux réglementations ou traités qui s’imposent
Les contraintes mises à l’expansion maximum des combustibles fossiles seraient supprimées. Les compagnies pétrolières et gazières doivent pouvoir forer autant que souhaité y compris dans les parcs nationaux et zones protégées. Les EU doivent avoir l’énergie la moins chère du monde – l’énergie fossile et non l’énergie verte trop subventionnée – pour renforcer leur compétitivité et pour encourager les industries à s’y implanter. La défense de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique attendront.
Trump a clairement signifié son aversion pour tout traité international qui briderait l’économie des EU. Si accord il doit y avoir avec un pays ce sera le fruit de négociations bilatérales pour être en position de force maximum.
Les pays membres de l’OTAN ne sont pas oubliés, accusés d’assurer leur sécurité aux frais des EU. Dorénavant ceux qui ne dépensent pas suffisamment pour leur sécurité ne bénéficieront pas du soutien militaire des EU même en cas d’agression par la Russie. Les Européens sont particulièrement désignés. Trump déclarait que l’agression d’un petit pays de quelques millions d’habitants, même membre de l’OTAN, ne pouvait conduire automatiquement à l’intervention des EU.
On se souvient de « l’avertissement » de Kissinger : « Il peut être dangereux d’être l’ennemi de l’Amérique, mais être l’ami de l’Amérique est fatal ». Alliés ou vassaux ?
Isolationnisme ?
Le protectionnisme prôné par Trump n’est pas une ligne de repli bien au contraire. C’est une arme de combat, une stratégie pour retrouver la « grandeur d’antan », l’hégémonie de l’impérialisme états-unien d’autrefois.
La part des États-Unis dans l’industrie manufacturière mondiale n’a cessé de diminuer depuis la crise des années 1970, puis depuis les années 2000 avec la montée des pays émergents et particulièrement de la Chine, devenue le principal partenaire commercial d’une centaine de pays. Il s’agit de modifier radicalement cette situation, les EU veulent être le centre des chaînes d’approvisionnement mondiales.
En même temps qu’ils se « protègent » de la concurrence étrangère ils s’attaquent au monde entier. La première puissance économique mondiale qui a 800 bases militaires, qui domine le système financier international, qui dispose du dollar etc. peut-il être isolationniste ? Le capital financier le plus mondialisé pourrait-il être isolationniste ?
L’impérialisme états-unien, en bon prédateur, ne cédera pas sa place dans le monde de son plein gré ni n’entérinera le déclin de sa domination au profit du multilatéralisme.
Le boomerang
Sur la base des chiffres de 2022 et des taux annoncés par Trump, on peut estimer en année pleine le montant des taxes à plus de 700 Mds de dollars pour les biens importés (dont 320 Mds pour la Chine) et près de 100 Mds sur les services importés. Un séisme qui modifierait considérablement tous les échanges internationaux, déstabilisant les chaînes d’approvisionnement des entreprises, réduisant la croissance économique mondiale.
À court terme les entreprises états-uniennes pourraient tirer un certain avantage de ce protectionnisme en augmentant leurs prix et leurs marges ce qui ajouté à la hausse du coût des importations alimenterait l’inflation ce que redoutent les ménages aux EU. Selon un sondage, seules 29 % des personnes soutenaient l’augmentation des droits de douane même si les prix augmentent tandis que 42 % s’y opposaient.
À moyen terme le protectionnisme réduira la compétitivité des EU.
La stratégie de Trump ne fait d’ailleurs pas l’unanimité des multinationales états-uniennes. Par exemple l’entreprise Nvidia, leader mondial dans son domaine de pointe, a protesté contre les restrictions à l’exportation de produits hi-tech car elles « mettront en péril la croissance économique et le leadership des États-Unis ».
La guerre commerciale de Trump ne restera pas sans représailles. Personne n’en sortira gagnant. La fracturation du marché mondial s’accentuera. Mais c’est le prix que les EU prétendent faire payer au monde pour tenter de rétablir leur hégémonie. Un pari perdant, à rebours de la tendance historique à la volonté de développement des peuples.
L’opposition au protectionnisme des EU pourrait bien inciter à aller vers un monde plus multipolaire respectant la souveraineté des États, privilégiant les rapports de coopération gagnant-gagnant et le développement.
mise en ligne le 1er février 2025
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Durs dur d’être patron dans l’Hexagone à en croire Bernard Arnault, la cinquième fortune mondiale. « Quand on vient en France et qu’on voit qu’on s’apprête à augmenter les impôts de 40 % sur les entreprises qui fabriquent en France, c’est quand même à peine croyable. Donc, on va taxer le made in France […]. Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal » s’est emporté le patron de LVMH, lors de la présentation des résultats du groupe mardi 28 janvier. L’objet de sa charge : une surtaxe exceptionnelle sur les bénéfices des 440 grandes entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros.
Une mesure qui devrait rapporter 8 milliards à l’État en 2025, mais qui ne devrait pas être reconduite en 2026, contrairement à ce que prévoyait le budget 2025 présenté par Michel Barnier. Pour LVMH, la facture pourrait être comprise entre sept et huit cents millions d’euros. Certes une somme, mais une taxe qui ne représente que 5 % des bénéfices du géant du luxe en 2024 (15,5 milliards). Dans le même temps, LVMH a versé 6,85 milliards d’euros à ses actionnaires. Soit 44 % de la totalité des bénéfices du groupe.
Remises en perspective, les protestations de Bernard Arnault – dont le nom avait été cité dans les Paradise Papers – frisent l’indécence. L’homme d’affaires cumule en effet une fortune personnelle de près de 180 milliards de dollars à la fin de 2024. Celle-ci a été multipliée par quatre depuis 2017 et la mise en œuvre des politiques probusiness d’Emmanuel Macron, parmi lesquelles la fin de l’ISF ou la baisse des impôts sur les sociétés.
Mais le patron de LVMH n’est pas le seul à pousser des cris d’orfraie contre le budget 2025. Celui de l’entreprise Airbus – qui a bénéficié des 15 milliards d’euros de soutien de l’État au secteur aérien pendant la pandémie – assure qu’il y a « trop de charges, trop de règlements, trop de contraintes, trop de taxes ». Pourtant, en 2024, là aussi, les dividendes versés par l’avionneur ont atteint des sommets. Même chose du côté d’Engie qui a largement contribué au record de dividendes versés en 2024 et a expliqué vouloir verser entre 65% et 75% de ses résultats nets à ses actionnaires en 2024 et 2025. Son patron a joint sa voix aux protestations contre la surtaxe sur les bénéfices, comme le patron de TotalEnergie, qui, comme chaque année, est sur le podium des dividendes versés : 14,6 milliards d’euros en 2024.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En plein débat sur le budget 2025, les PDG sortent du bois en pointant le prétendu « matraquage fiscal » dont ils feraient l’objet, quitte à brandir le chantage à l’emploi.
Bernard Arnault va-t-il nous refaire le coup de mai 1981 ? À l’époque, l’élection du socialiste François Mitterrand et la peur du « péril rouge » avaient poussé le malheureux trentenaire à émigrer outre-Atlantique, effrayé par la politique du nouveau pouvoir. Il n’avait franchi l’Atlantique dans l’autre sens qu’en 1984, une fois rasséréné par l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius et la parenthèse keynésienne refermée…
Et voilà que, près de quarante-cinq ans plus tard, le patron de LVMH entonne à nouveau la complainte de l’entrepreneur au bout du rouleau, avec les États-Unis en contrepoint fantasmé : « Je reviens des États-Unis et j’ai pu voir le vent d’optimisme qui régnait dans ce pays, lance-t-il, de retour de l’investiture du président Donald Trump. Et quand on revient en France, c’est un peu la douche froide. »
La raison de son courroux ? Le débat politique actuel autour du vote du budget 2025 , avec une possible – et temporaire – surtaxe sur les plus grosses entreprises françaises, susceptible de ramener 8 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Dans le détail, les entreprises réalisant plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires (comme LVMH) pourraient voir leur taux d’impôt sur les sociétés porté à 36 % au maximum, selon l’AFP. « Pour pousser à la délocalisation, c’est idéal ! » menace le multimilliardaire.
Chantage à l’emploi
Il n’est pas le seul. Depuis plusieurs semaines, on assiste à une véritable croisade médiatique des grands patrons français, vent debout contre « l’enfer fiscal » hexagonal, dans une atmosphère survoltée de chantage à l’emploi. « L’incompréhension tourne à la colère, gronde Patrick Martin, patron du Medef, sur RTL. Ceux qui peuvent partir partent et ils ont raison. Bernard Arnault a raison. » « Comment voulez-vous être compétitif ? Ce n’est pas possible », s’indigne, en écho, Florent Menegaux, patron de Michelin, qui s’offusque d’une France « championne d’Europe des prélèvements obligatoires ».
De son côté, Pierre Gattaz, ancien dirigeant du Medef, multiplie les déclarations d’amour au président américain, sur le mode du « on peut critiquer Donald Trump, mais… » (compléter au choix par : « il y a tout de même une énergie formidable aux États-Unis » ou « au moins, Trump mène une politique probusiness, lui »).
Les raisons de l’insurrection des grands patrons sont faciles à comprendre. Il y a évidemment la volonté de peser de tout leur poids dans le débat politique autour du vote du budget. Mais il y a aussi, pour certains d’entre eux, l’envie de justifier la casse sociale en cours (1 254 suppressions d’emplois programmés chez Michelin, par exemple), en invoquant le « manque de compétitivité » supposé de la France.
Leur argumentaire mérite d’être décortiqué. Commençons par l’emploi. Dans sa tirade, Bernard Arnault assure que la hausse de fiscalité sur les grosses entreprises inciterait « les entreprises qui fabriquent en France » à délocaliser : « C’est la taxation du « made in France » ! » assène-t-il. Est-ce vraiment le cas pour LVMH ? En parcourant le dernier rapport annuel du groupe, on s’aperçoit qu’en réalité, le « fleuron » tricolore est de moins en moins implanté dans l’Hexagone : 18 % seulement de ses effectifs totaux y sont basés, soit 39 351 salariés sur 213 268 ; contre 24 % en Asie ou 22 % en Europe. C’est encore pire pour ses ventes, puisque LVMH ne réalise en France que 8 % de son chiffre d’affaires.
Des élans patriotiques à géométrie variable
Au passage, les élans patriotiques de Bernard Arnault sont à géométrie variable. Son amour de la Belgique, pays connu pour sa fiscalité avantageuse en témoigne : une bonne partie de ses actions LVMH ont été transférées il y a plusieurs années dans deux sociétés basées avenue Louise, à Ixelles (banlieue de Bruxelles), nommées Pilinvest Participations et Pilinvest Investissements.
Bernard Arnault n’est pas le seul à se lamenter sur l’état actuel de l’Hexagone. Devant les sénateurs, Florent Menegaux, le patron de Michelin, s’est lancé dans une longue tirade pour pointer le « coût du travail » trop élevé, qui rendrait tout investissement hasardeux.
« Nos activités ne sont pas rentables en France », assure-t-il, comme pour mieux justifier la fermeture de deux sites, à Vannes (Morbihan) et Cholet (Maine-et-Loire). De quoi faire bondir José Tarantini, délégué syndical central CFE-CGC Michelin : « Il est inexact de dire que les sites français ne seraient plus rentables : ils le sont toujours, mais leur niveau de rentabilité est simplement inférieur aux 14 % de taux de marge opérationnelle promis par le groupe aux actionnaires ! »
La palme de la mauvaise foi revient à…
Devant les sénateurs, le patron de Michelin s’en prend, encore et toujours à la fiscalité française : « Les impôts de production représentent 4,5 % du PIB en France, contre 2,2 % en moyenne en Europe et, en Allemagne, on subventionne même la production », assure-t-il.
Il oublie de préciser que la France « subventionne » elle aussi massivement les grands groupes, à coups de crédit d’impôt. Pour la seule année 2023, Michelin a touché 30,8 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR) ; 4,3 millions d’euros en mécénat et autres crédits d’impôts ; 5,5 millions d’euros de subvention d’exploitation ; 4 millions d’euros de chômage partiel ; sans compter 5,8 millions d’euros en réduction d’impôts de production. Soit un total de 50,4 millions d’euros en allégements et réductions d’impôts divers.
Quand bien même la surtaxe sur les grands groupes serait finalement votée au Parlement, on imagine que Michelin ne serait pas poussé à la faillite pour autant… Même chose pour LVMH, dont les résultats ont certes baissé en 2024, mais à un niveau encore fort acceptable : le géant du luxe a réalisé 84,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 1 %), avec un taux de marge canon de 23,1 %.
Mais la palme de la mauvaise foi revient à Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, qui a récemment menacé de déplacer ses activités dans des pays étrangers, plus favorables aux investissements. Rappelons que, du haut de ses 21,4 milliards de dollars de bénéfices (en 2023, dernier chiffre connu), la multinationale du pétrole a largement de quoi investir dans l’Hexagone.