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mise en ligne le 28 décembre 2024
Cécile Debarge sur www.mediapart.fr
Le Parlement italien a adopté au mois d’octobre une loi qui criminalise le recours à la GPA, y compris dans les pays où la pratique est légale. Il s’agit désormais d’un « crime universel », dont les conséquences sur les familles concernées sont dévastatrices.
Milan et Padoue (Italie).– « Là, maintenant, c’est un peu la panique. » Assis dans la cuisine de son appartement, Gabriele* répète inlassablement ses craintes. La nuit est déjà tombée sur la province de Padoue, en Vénétie. À l’extérieur, le froid pique les joues, les couronnes de Noël décorent les portes et rien ne semble pouvoir troubler cette petite ville qui s’enfonce dans l’hiver. Mais chez lui, Gabriele le redit encore une fois : « C’est un peu la panique. » À regarder son visage et celui de son compagnon, Luca*, on comprend que c’est un euphémisme.
Le 16 octobre, le Sénat italien a adopté à 84 voix contre 58 la proposition de loi de la députée Maria Carolina Varchi, issue du parti Fratelli d’Italia (FdI) de Giorgia Meloni, transformant le recours à la gestation pour autrui (GPA) en « crime universel ». Dans les rangs des parlementaires d’extrême droite, on se réjouit de cette mesure qui « protège la dignité des femmes » et interdit de recourir aux « utérus à louer ». Les familles concernées risquent entre trois mois à deux ans de prison et une amende de 600 000 à 1 million d’euros.
À ce jour, personne ne sait comment cette loi sera appliquée. « On a beau essayer de se rassurer, face à l’inconnu, on a vraiment peur, on risque des poursuites pénales », explique Gabriele. Les questions se bousculent dans son esprit : « Est-ce que le recours à la GPA se concrétise au moment de signer les contrats ? De féconder les ovules ? Lorsque la grossesse est en cours ? » « On est peut-être déjà concernés », glisse son compagnon. « Ne pas savoir quand le crime est acté, c’est potentiellement vivre dans la terreur. Est-ce qu’on doit ne plus oser sortir de chez nous ? Est-ce que la police peut débarquer à la maison et saisir nos ordinateurs et nos téléphones ? On doit se mettre à télécharger des messageries chiffrées ? », demandent-ils ironiquement.
Depuis que la loi Varchi a été adoptée, Gabriele et Luca se sont beaucoup interrogés sur leur choix. Fallait-il mettre sous le tapis un désir de famille né presque en même temps que leur couple, il y a dix-sept ans ? Les deux quadragénaires rembobinent l’année passée : leur tout premier voyage hors des frontières européennes pour démarrer le parcours de GPA au Canada, les questions intimes auxquelles ils ont dû répondre en anglais, les questionnaires de la clinique pour vérifier qu’ils étaient « aptes » à entreprendre le parcours…
Ils se souviennent aussi des montagnes russes émotionnelles qu’ils ont traversées à chaque fois qu’une étape était franchie ou qu’un obstacle surgissait. Ils évoquent la joie qui les a envahis lorsqu’une donneuse d’ovules s’est enfin manifestée. Aujourd’hui, Gabriele et Luca attendent une mère porteuse disposée à porter leur embryon. Au Canada, les délais sont plus longs qu’ailleurs – entre trois et cinq ans en moyenne. La GPA n’y est pas rétribuée. « Les femmes le font dans une démarche purement altruiste, c’est ce qui collait le plus à nos valeurs », soulignent les deux hommes.
La bataille culturelle du gouvernement Meloni
Pour le moment, Gabriele et Luca attendent les premiers retours en Italie des familles dont l’enfant est né à l’étranger ces dernières semaines. Si les pires scénarios de la loi Varchi se confirmaient, ils commenceraient à sérieusement envisager de quitter le pays. Tous deux font partie de l’association Familles arc-en-ciel, qui défend les droits des familles homoparentales. Ils ont toujours défendu leurs valeurs à visage découvert, mais préfèrent cette fois-ci ne pas donner leur véritable identité. « Ça touche des aspects de notre vie qui devraient rester personnels, déplore Gabriele. On nous compare à des trafiquants internationaux, des criminels de guerre. »
Le couple est aussi le seul dont le parcours de GPA est en cours à avoir accepté de témoigner pour Mediapart. En Italie comme ailleurs, la GPA concerne majoritairement des couples hétérosexuels rencontrant des problèmes d’infertilité. Également sollicitées, les associations spécialisées qui leur viennent en aide ont toutes formulé une réponse similaire : « Personne ne veut parler, la situation est trop délicate. » Peu après l’adoption de la loi, la ministre de la famille et de la natalité, Eugenia Roccella, a demandé aux médecins de signaler les cas d’enfants nés par GPA. « C’est une chasse aux sorcières », affirme Gabriele.
L’adoption de la loi Varchi s’inscrit dans la bataille culturelle plus large que le gouvernement de Giorgia Meloni a décidé de mener contre les familles homoparentales. En juin 2023, le parquet de Padoue avait invalidé les actes de naissance de trente-sept enfants de mères lesbiennes, en s’appuyant sur une circulaire du ministre de l’intérieur, Matteo Piantedosi. Ce texte ordonnait que seul le parent biologique soit reconnu sur les actes de naissance, là où les services d’état civil italiens avaient jusqu’alors toujours enregistré le nom des deux parents, quand bien même la loi sur les unions civiles de 2016 n’avait pas prévu les cas de filiation. En mars 2024, le tribunal administratif de Padoue a finalement cassé cette décision.
Ce qui me fait vraiment peur, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel. Maurizio, père de jumeaux nés par GPA
Lorsque la fameuse circulaire Piantedosi a été publiée au début de l’année 2023, Maurizio Nasi se trouvait à des milliers de kilomètres de l’Italie, dans une clinique du Missouri, aux États-Unis. C’est là que le quadragénaire milanais a assisté à la naissance de ses jumeaux, nés par GPA grâce à Stephanie, leur mère porteuse, dont la photo est désormais encadrée et accrochée dans la chambre des enfants. La pratique étant autorisée dans certains États américains, Maurizio et son conjoint ont tout fait dans la légalité.
Le tribunal local a établi aux deux hommes un certificat de naissance, par lequel ils sont bel et bien reconnus comme les pères de leurs enfants. Un mois après la naissance des jumeaux, la famille de Maurizio a regagné Milan. Le long voyage en avion a été éprouvant, chacun redoutant le passage des douanes. À l’aéroport, les policiers ont finalement accueilli le couple et leurs nourrissons avec de grands sourires. Ce n’est qu’au moment d’inscrire les enfants auprès de l’état civil de la mairie de Milan que les problèmes ont commencé.
« La mairie n’avait pas le droit de reconnaître notre document américain, raconte Maurizio. Pendant des mois, les enfants n’avaient pas le droit d’être en Italie car ils n’étaient officiellement liés ni à moi ni à mon compagnon. » Les jumeaux ayant un passeport américain, ils étaient en effet censés quitter le territoire italien au bout de trois mois. En l’absence d’inscription à l’état civil, ils n’avaient pas de résidence, ne pouvaient pas être inscrits au système de santé national, ni commencer leurs vaccinations, ni même être inscrits en crèche. « Quand les enfants sont si petits, on s’inquiète au moindre éternuement. Ne pas avoir de pédiatre ou ne pas pouvoir les vacciner, ça a été particulièrement cruel à l’égard des enfants », poursuit leur père, qui n’osait même plus les quitter des yeux à l’époque.
Les politiques en retard sur la société
Pour se sortir de cette situation inextricable, le couple a demandé un nouveau certificat aux États-Unis, afin que seul le nom du père biologique des jumeaux apparaisse. Un long parcours d’adoption a alors commencé pour son compagnon. Comme il est d’usage, les services sociaux sont venus régulièrement au domicile de la famille. « C’était la première fois qu’ils avaient le cas de deux papas et ce fut une belle rencontre », indique Maurizio.
Un avis très favorable a été rédigé. « Autour de nous, la société nous inclut totalement comme des parents et voit nos enfants comme des enfants comme les autres, c’est ce qui rend fou, ajoute-t-il. À l’aéroport, les douaniers ont été adorables, ils sont tous venus voir les bébés car eux voyaient avant tout des enfants, ce sont les politiques qui ne les voient pas ! Ils n’en ont rien à faire du bien-être de ces enfants qui existent déjà et qui existeront dans le futur. »
Notre entretien avec Maurizio est écourté par un appel de la crèche : son fils est malade, 39 de fièvre. Le soir, par message, l’homme tient à préciser : « Ce processus d’adoption est clairement pensé pour nous décourager, car dans le cas d’un couple hétérosexuel, il existe une procédure très rapide pour qu’un homme reconnaisse l’enfant de sa compagne alors que nous, nous devons démontrer que nous savons être parents. » Engagée en avril 2023, la procédure d’adoption du couple n’a toujours pas abouti. Officiellement, le deuxième père n’a aucune autorité parentale sur ses enfants.
« Ce qui me fait vraiment peur, conclut Maurizio, c’est que mes enfants grandissent dans une société où, un jour, quelqu’un pourra leur dire qu’ils sont les enfants d’un crime universel, c’est un stigmate social et un problème moral qu’on fait porter aux enfants. » Depuis l’adoption de la loi Varchi, plus de cinquante familles italiennes engagées dans des parcours de GPA ont demandé le soutien légal de l’Association Luca Coscioni, qui s’est proposée de défendre leur cause devant les tribunaux, si nécessaire.
mise en ligne le 13 décembre 2024
Roger Martelli sur www.regards.fr
Avec la désignation chaotique de François Bayou, Emmanuel Macron se replie sur le noyau fondateur de la Macronie. Tout cela n’ira pas loin. Le danger n’en reste pas moins immense.
Après de fortes pressions, Emmanuel Macron vient de nommer l’insubmersible François Bayrou au poste de premier ministre. Sept ans après son entrée à l’Élysée, Jupiter a choisi celui qui lui a mis le pied à l’étrier en 2017. Après une très éphémère tentative de « socle commun » et un discret clin d’œil en direction des Républicains, c’est le retour au noyau historique de la Macronie. Cette fois, on touche vraiment à l’os. Le roi est nu et la crise s’épaissit.
Emmanuel Macron aurait pu désigner une personnalité du Nouveau Front populaire. Celle-ci aurait cherché une voie raisonnable, sans recours au 49.3, sans provoquer la censure en retour. Elle se serait attachée à trouver au Parlement les majorités pour mettre en œuvre le plus grand nombre possible de mesures issues de son programme et éviter les régressions que la droite ne manquera pas de vouloir imposer. La gauche au gouvernement n’aurait pas cherché à contourner la règle démocratique, tout en évitant de décourager l’intervention autonome du mouvement populaire lui-même. Une occasion de de dénouer pour un temps l’imbroglio démocratique a été manquée.
Mieux encore, Emmanuel Macron aurait pu offrir à une nation inquiète la perspective d’une consultation directe, présidentielle et législative, ni trop rapprochée – la hâte n’est jamais bonne conseillère –, ni trop lointaine – la dégradation prolongée de la démocratie peut nourrir le ressentiment davantage que la colère. En situation de crise, quoi de plus légitime que de se tourner sans tarder vers le peuple souverain ? Le président dit qu’il veut reporter à 2027 les choix décisifs. Le pourra-t-il seulement ? ne serait-ce pas trop tard alors ?
Car tout cela intervient alors que les vertus du monde politique se font de plus en plus imperceptibles dans la population et que le Rassemblement national confirme son emprise sur la droite. C’est aussi un moment où l’unité à gauche vacille, parce qu’elle n’a pas su trouver les modalités d’un fonctionnement mieux ouvert sur la réalité citoyenne, parce qu’elle ne sait toujours pas conjuguer la cohérence et le respect d’une diversité qui est à la fois sa richesse et l’aliment de ses discordes.
La gauche reste à l’écart des responsabilités gouvernementales qu’elle était légitime à les assumer. Sa responsabilité politique n’en reste pas moins décisive. Comme aux temps lointains de la Quatrième République finissante, la durée des gouvernements est improbable et chaque jour qui passe révèle un peu plus le vide d’un pouvoir qui ne maîtrise plus rien, pas même les horloges. Nul ne peut se réjouir de cette débâcle, fût-ce au nom d’un présumé « dégagisme » qui risque de mener, moins à la révolution qu’à son contraire.
Car l’extrême droite rôde, seule force qui n’a jamais touché au pouvoir, depuis huit longues décennies. Quelle que soit la personne qui est à sa tête, le Rassemblement national en embuscade est moins répulsif qu’hier, plus expansif dans ses idées, plus crédible dans ses propositions et dans son projet. Dans ce moment redoutable, la gauche doit se détourner des automatismes dépassés et des analyses rassurantes. La société française n’est pas passée à droite en bloc et le RN, comme on l’a vu à l’été, n’a pas partie gagnée. Mais ce qui reste de répulsion n’est pas soutenu par un projet démocratique partagé. Dans ce moment incertain, mieux vaut donc que la gauche n’oublie pas que la somme de ses propres insuffisances, sans que la France ait sombré pour autant dans le côté sombre de la force, laisse du champ politique à une droite penchant vers son extrême.
Cette gauche devra donc tout faire pour conforter ses liens avec la totalité du peuple de gauche, celui des « tours » comme celui des « bourgs », celui qui continue de voter comme celui qui reste encore sur la réserve. Il lui faudra corriger ce qui ne fonctionne pas bien en son sein, peaufiner son projet, donner plus de corps à sa stratégie d’émancipation. Cela suppose toutefois de consacrer plus de temps à élaborer ensemble qu’à se chercher querelle. Ensemble : en préservant sa diversité, en redoutant les déséquilibres internes, sans masquer les différences et les contradictions, sans se résoudre aux oukases, aux tentations d’hégémonie ou aux accusations de trahison.
Le problème de la gauche n’est pas d’abord dans le manque d’un guide, d’une force qui exerce son magistère ou d’une écurie présidentielle efficace. La démocratie malade a besoin de bien plus que le heurt fébrile des discours de la « rupture » et du réalisme ». L’opinion inquiète attend ce qui peut la rassurer, une cohérence en perspective et le réalisme d’un rassemblement assez large pour garantir la paix civile.
Savoir qui est le plus influent au sein de la gauche n’a rien de secondaire. Mais ce que le pays a besoin de savoir, c’est si la gauche dans toutes ses composantes peut lui faire retrouver la stabilité perdue et contredire ce qui est perçu comme un déclin. La désunion est rarement payante de façon générale. Dans la crise démocratique qui est la nôtre, elle risque d’être désastreuse.
(la mise enj gras de certaines phrases est le fait de 100-paroles)
mise en ligne le 10 décembre 2024
Catherine Tricot sur www.regards.fr
Le président aura-t-il d’autre choix que de laisser la gauche gouverner ?
Le gouvernement Barnier tombé, il reste un goût d’inquiétude et d’incertitude. Certes, il ne pouvait en être autrement. Trop illégitime, trop faible, trop injuste. Qui pouvait le soutenir ? À peine les députés de son propre camp. Aucun député du NFP – sauf deux – n’a manqué à l’appel. Donc advint ce qui devait.
Et maintenant ? Bien sûr que les dix plaies d’Égypte ne vont pas s’abattre sur la France. Les taux d’emprunt n’ont pas flambé et ce qui ne marchait pas ne marche toujours pas ; pour le reste, ça continue. Et c’est précisément ce qui inquiète. Une majorité de Français l’exprime d’une façon ou d’une autre : notre pays tangue et il faut changer de politique.
Le peut-on dans les conditions actuelles ? Le président bloque. L’Assemblée nationale est divisée, chaque jour davantage. Les Français n’ont pas choisi clairement une politique, sauf leur rejet du RN. La seule solution est de retourner aux urnes sans enjamber le débat : la démocratie suppose de donner du temps. Notre pays a besoin de politique pour tenir debout, se mobiliser et surmonter les difficultés. Il faut donc organiser ce retour aux urnes, c’est-à-dire proposer un calendrier qui ne soit pas précipité, assumer une période de transition avant ces nouvelles consultations électorales décisives. Il faudra alors une gauche crédible c’est-à-dire avec de la force politique – et donc relativement unie pour convaincre sur ses grandes options.
Emmanuel Macron va sûrement s’entêter et la crise politique va s’aggraver, débouchant sur une élection présidentielle précipitée. Ce serait une nouvelle fois un rendez-vous manqué avec la démocratie.
Le temps n’est pas celui des invectives. Les insoumis ont raison de dire que dans un duo/duel avec les macronistes, les socialistes n’ont aucunement les moyens politiques de réformes progressistes. Sans toutes les forces du NFP – et a fortiori sans les insoumis –, le PS retournerait nécessairement aux défaites passées. Les socialistes ont raison de chercher une méthode jusqu’à ces nouvelles élections : ils proposent l’abandon du 49.3 et le renoncement à la motion de censure entre forces du front républicain. Ils annoncent ainsi vouloir appliquer les mesures du NFP qui peuvent rassembler une majorité de députés. Enfin, les écologistes ont raison de proposer les mesures incontournables pour les forces du Nouveau Front populaire. Dans la tension et la douleur, dans les contradictions d’analyses et d’intérêts politiques, tous expriment pourtant les conditions à réunir pour une issue positive à cette grave crise.
Emmanuel Macron a-t-il les moyens de la bloquer ? Techniquement oui : il a seul le pouvoir de nommer le premier ministre. Mais politiquement est-ce le cas ? Pas vraiment. Il entend rester à l’Élysée mais son obstination à sauver tout son bilan accélère le décompte du temps. Même la nomination de François Bayrou n’y changerait rien : trop peu, trop tard. Si le président ne veut pas être pris dans l’engrenage accéléré qui conduit à la crise de régime et à sa démission, il doit entendre la demande de changement. Il doit accepter que sa politique n’a pas convaincu et qu’elle va être remise en cause. Les macronistes sont eux aussi au pied du mur : s’ils continuent leur œuvre missionnaire au service de l’Élysée, ils sombreront. C’est écrit. Ont-ils d’autres choix que de laisser la gauche gouverner ? Ils auront alors tout le temps pour fourbir leurs arguments et trouver un candidat pour convaincre de les maintenir au pouvoir.
Tout ceci serait raisonnable, mais a peu de chances d’advenir. Emmanuel Macron va sûrement s’entêter et la crise politique va s’aggraver, débouchant sur une élection présidentielle précipitée. Ce serait une nouvelle fois un rendez-vous manqué avec la démocratie puisque le débat serait limité à moins de 30 jours, laissant de surcroît peu de chances à la gauche de s’organiser et de se rassembler. C’est doublement inquiétant.
Sur www.politis.fr
Une trentaine de personnalités, électeurs et soutien du NFP, demande à toutes les forces de gauche de rejeter de la façon la plus nette cette perspective, qui est néfaste sous plusieurs aspects.
Lors des législatives de l’été dernier, le Nouveau Front populaire s’est agrégé autour d’une idée simple : pour battre l’extrême droite, proposer une alternative de gauche au macronisme déclinant et un programme de rupture nette avec les politiques néolibérales qui ont caractérisé non seulement les deux quinquennats Macron, mais aussi ceux de ses prédécesseurs, Sarkozy et Hollande. Cette alliance, construite dans l’urgence de la dissolution décidée par surprise par le président de la République, ne constituait pas, pour nous, un simple accord électoral, mais la traduction concrète d’un projet stratégique pour donner à la crise économique, sociale, politique et institutionnelle que traverse la France, une solution fondée sur la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.
Nous partageons entièrement la position qui était celle du NFP dans toutes ses composantes à l’issue des législatives qui l’ont vu arriver en tête : Lucie Castets aurait dû conduire un gouvernement qui, se fondant sur le programme défendu par le NFP devant les électeurs, aurait ensuite eu pour tâche de construire, texte par texte, des majorités à l’Assemblée nationale.
La ligne antidémocratique et autoritaire de Macron
On sait que le président Macron en a décidé autrement, en donnant la énième preuve de son autoritarisme et du peu de respect qu’il porte à la volonté des citoyens. En forçant son mandat constitutionnel, qui lui attribue le pouvoir de nommer, et non de choisir comme bon il lui semble, le premier ministre, il a confié les rênes du gouvernement à Michel Barnier, qui appartient à l’une des plus petites forces représentées à l’Assemblée nationale. On sait aussi que cette tentative se fondait sur le rejet total, par les députés du « socle commun », du barrage républicain qui avait pourtant largement contribué à leur élection ; le gouvernement Barnier a lié son destin au bon vouloir de l’extrême droite. Et on sait, pour finir, que cette expérience s’est terminée par un échec cuisant.
La tentative d’ignorer le résultat des législatives ayant échoué, les forces de gauche se retrouvent en position de force pour exiger de Macron qu’il respecte enfin la démocratie…
En électeurs et soutiens du NFP, la suite logique de cette série d’événements nous semble obligée : la tentative d’ignorer le résultat des législatives ayant échoué, les forces de gauche se retrouvent en position de force pour exiger de Macron qu’il respecte enfin la démocratie et les institutions républicaines, en laissant à la coalition qui a recueilli le plus grand nombre de suffrages la possibilité de gouverner avec leur programme. Cependant, fidèle à sa ligne antidémocratique et autoritaire, et décidé à prolonger ses politiques malgré leurs effets délétères sur tous les plans, Macron joue une autre carte : celle d’une « grande coalition » qui renouerait avec le « ni droite ni gauche » au cœur de sa première campagne électorale.
Nous demandons à toutes les forces de gauche de rejeter de la façon la plus nette cette perspective, qui est néfaste sous plusieurs aspects.
Les quatre plaies d’une « grande coalition »
En premier lieu, pour le respect de la démocratie et du parlementarisme. Il y a quatre mois le NFP disait vouloir fonder son action sur le programme approuvé par ses électeurs ; la recherche de majorités à l’Assemblée impliquait de faire du Parlement le cœur de la délibération politique. Aujourd’hui Macron, l’homme des 49.3 en série, convoque des chefs de parti à l’Élysée pour négocier un programme qu’aucun électeur n’a approuvé.
En deuxième lieu, parce que le compromis qui risque de sortir de cette perspective mérite bien le qualificatif de « pourri » : bientôt huit années de pouvoir macroniste sont largement suffisantes pour démontrer que le président n’attribue aucune valeur à la parole qu’il donne, et qu’il est prêt à énormément de concessions vers la droite et l’extrême droite, mais à aucune vers la gauche.
Toute association de la gauche au macronisme (…) aurait pour conséquence inéluctable de laisser au Rassemblement national le rôle facile de seul opposant.
En troisième lieu, car l’objectif principal du NFP est de mettre un terme aux réformes et à la pratique verticale du pouvoir de Macron, qui a subi deux échecs majeurs lors de dernières élections européennes et législatives, et qui se retrouve en encore plus grande difficulté après l’entourloupe qu’il a voulu essayer, et qu’il a ratée, avec la nomination de Michel Barnier ; que des forces de gauche contribuent à lui redonner de la légitimité et de la centralité en lui laissant jouer le rôle de l’artisan d’un gouvernement « d’intérêt général » serait pour nous totalement incompréhensible.
Enfin, et c’est sans doute le plus important : il faut mesurer la colère sociale engendrée par les politiques et les réformes impulsées par Macron et ses disciples. Toute association de la gauche au macronisme, même dans une logique de compromis, aurait pour conséquence inéluctable de laisser au Rassemblement national le rôle facile de seul opposant, et lui ouvrirait définitivement les portes du pouvoir.
Nous demandons donc aux partis et aux mouvements qui se sont alliés dans le NFP, mais plus en général à toutes les forces de gauche, politiques, associatives, syndicales, de s’opposer avec la plus grande fermeté à la nouvelle tentative d’un pouvoir aux abois de faire violence à la démocratie et d’inventer des combines qui ont pour seul objectif de survivre quelques mois à sa faillite.
Bruno Amable, Professeur d’économie ;
Swann Arlaud, Comédien ;
Ludivine Bantigny, Historienne ;
Christian Benedetti, Acteur, metteur en scène, directeur de théâtre ;
Richard Beninger, Ancien dirigeant national associatif ;
Marlène Benquet, Sociologue ;
Eric Berr, Économiste ;
Taha Bouhafs, Journaliste ;
Johann Chapoutot, Historien ;
Thomas Coutrot, économiste ;
Laurence De Cock, Historienne ;
Cédric Durand, Économiste ;
Johan Faerber, Écrivain ;
Bruno Gaccio, Humoriste ;
Fanny Gallot, Historienne ;
Isabelle Garo, Philosophe ;
Cécile Gintrac, Géographe ;
Chantal Jaquet, Philosophe ;
Benjamin Lemoine, Chercheur au CNRS ;
Cédric Liechti, Secrétaire général CGT Énergie Paris ;
Michael Löwy, Sociologue ;
Jérémy Manesse, Auteur et comédien ;
Nuno Martins, Secrétaire général GISO CGT RATP ;
Xavier Mathieu, Comédien, ex porte-parole CGT Conti ;
Ugo Palheta, Enseignant chercheur ;
Stefano Palombarini, Économiste ;
Francis Peduzzi, Directeur de scène nationale ;
Gilles Perret, Réalisateur ;
Allan Popelard, Enseignant en géographie ;
Jean-Marc Schiappa, Historien ;
Clément Sénéchal, Militant écologiste ;
Yûki Takahata, Autrice traductrice, militante antinucléaire ;
Céline Verzeletti, Syndicaliste ;
Fabien Villedieu, Syndicaliste Sud Rail ;
Eric Vuillard, écrivain, prix Goncourt
Abdourahman Waberi, Écrivain et enseignant.
Signer cet appel sur Change.org :
Anthony Cortes et Gaël De Santis sur www.humanite.fr
Emmanuel Macron a reçu, ce lundi 9 décembre, les représentants communistes, écologistes et ceux du groupe Liot, après avoir vu les socialistes vendredi. Si le président appelle le front républicain à participer à une « plateforme programmatique », il rechigne toujours à nommer un premier ministre issu du NFP.
C’est reparti pour un tour. Après la démission de Michel Barnier de son poste de premier ministre, provoquée par la motion de censure de la gauche adoptée par l’Assemblée nationale, mercredi 4 décembre, Emmanuel Macron cherche un nouveau locataire pour Matignon. Cette fois, il lui faut aller vite, dit-on autour de lui : « Pour éviter que la crise ne s’installe et que les appels à sa démission ne saturent l’antenne. »
Depuis vendredi, la cour de l’Élysée accueille un ballet de représentants politiques. Après les socialistes, que la Macronie espérait désamarrer du Nouveau Front populaire (NFP), puis « Les Républicains » (LR), dont il espère toujours conserver le soutien, le chef de l’État a reçu, ce lundi 9 décembre, une nouvelle série de représentants. Ceux des centristes du groupe Liot, tout d’abord, puis ceux des Écologistes et des communistes. Pour quel résultat ?
Consultation simultanée de toutes les forces politiques du « front républicain »
À l’issue de leurs échanges, l’ensemble des délégations ont communiqué l’une des intentions du président : l’organisation d’une consultation simultanée, dès ce mardi, de toutes les forces politiques du « front républicain » pour réfléchir au chemin à tracer. Le but ? « Échanger sur une plateforme programmatique », selon l’Élysée.
« Ce qui compte, c’est que l’on avance, a déclaré Fabien Roussel, à la sortie de l’Élysée. Nous sommes venus pour pousser toutes les parties à faire un pas vers l’autre. Nous, nous l’avons fait sans mettre de préalable sur un nom, même s’il est préférable d’avoir un premier ministre de gauche. La question qui se pose désormais est la suivante : le camp du président est-il prêt à bouger et à remettre en cause la politique qui est la sienne ? »
D’autant que lors des débats budgétaires, toutes les propositions de la gauche ont été dénigrées, puis écartées, par le camp macroniste. Large réduction des exonérations offertes aux entreprises, plafonnement du crédit d’impôt recherche, réinstauration de l’impôt sur la fortune (ISF), taxe sur les superprofits étaient sur la table… Mais la Macronie a préféré l’austérité à l’impôt sur les plus riches. Comment, dans ces conditions, parvenir à construire ensemble sans bonne volonté des troupes d’Emmanuel Macron ?
Un premier ministre de gauche, sinon rien
Avant de connaître la réponse à cette question, Cyrielle Chatelain, cheffe de file des députés écologistes, a cependant tenu à saluer la « nouvelle méthode » présidentielle. « Aborder la question par le contenu de la politique menée est pour nous un élément important », a-t-elle fait savoir à la sortie de son entretien avec le président.
Tout en soulignant un certain nombre de lignes rouges : « Nous avons précisé que nous n’accepterons pas de valider un budget qui n’ira pas chercher de recettes supplémentaires, et que nous n’attendrons pas la prochaine élection présidentielle pour obtenir un retrait de la réforme des retraites. Surtout, nous avons fait savoir à Emmanuel Macron que nous ne laisserons pas le NFP se fissurer. Il est désormais le garant d’une cohabitation ! »
Reste à déterminer quelle forme celle-ci pourrait prendre, si le président s’y résout enfin. Un gouvernement NFP avec un accord de non-censure en partant d’une base programmatique ? Un gouvernement mêlant personnalités de la gauche, du centre et de la droite ? « Le président a la solution sous les yeux, mais il ne veut pas la voir, observe Guillaume Gontard, sénateur écologiste. Elle est de nommer un premier ministre issu du NFP et de permettre une discussion entre membres du front républicain pour déterminer des axes très clairs. »
Des propos dans la droite ligne de ceux tenus par Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée, plus tôt dans la matinée. « Si ce n’est pas un premier ministre de gauche, nous ne participerons pas au gouvernement, a-t-il fait savoir au micro de France Inter. Je veux y croire car je crois que c’est un des points de sortie d’une crise institutionnelle. Un premier ministre de gauche qui instaure des compromis, une nouvelle façon de travailler sans dépendance au Rassemblement national. Si on veut un premier ministre de gauche, c’est pour avoir une nouvelle politique ! »
De leur côté, les insoumis, qui ont refusé l’invitation de l’Élysée, écartent catégoriquement de gouverner « avec les partis présidentiels et la droite traditionnelle alors que nous venons de censurer leur programme », comme l’a affirmé Manuel Bompard, coordinateur national des insoumis, sur X.
« Il y a un chemin possible »
Dans les rangs de l’ancien socle commun réuni autour de Michel Barnier, les avis divergent quant à la formation du prochain gouvernement. « Il y a un chemin possible, veut croire Prisca Thevenot, députée macroniste. Cela ne veut pas dire que nous allons devenir un gros amas sous une seule étiquette politique. Mais nous allons faire ce que les Français nous demandent : faire de nos nuances politiques une richesse pour le débat politique. »
Quitte à accepter un premier ministre de gauche ? « Sans commentaire », nous répond-on en chœur au sein du groupe macroniste. Officiellement, pour « ne pas brouiller le travail du président et ne pas ajouter de contrainte ». Officieusement, parce qu’il est difficile, pour la plupart de ces macronistes, de s’y résoudre… Beaucoup préfèrent, à l’instar d’Aurore Bergé, dégainer la carte François Bayrou, président du Modem, à Matignon.
Une possibilité écartée unanimement par la gauche, dont Raphaël Glucksmann, député européen Place publique, pour qui « un politique qui a choisi Emmanuel Macron depuis 2017 enverrait le message de la continuité politique. Ce n’est pas ce qu’il faut ».
« En circonscription, nous notons une forte demande de stabilité, et c’est pour cela qu’il faut nous ouvrir, relève cependant Christophe Marion, député macroniste du Loir-et-Cher. Si nous ne parvenons pas à l’installer, cela va encourager la tentation du coup de balai. Et on sait à qui cela profitera et qui cela desservira. Il ne faut donc être fermé à aucun nom. »
Reste que le parlementaire précise avoir quelques conditions : « Qu’il n’y ait pas de membres du gouvernement RN ou FI. Et que le premier ministre ait une capacité à sortir du programme du NFP et une volonté d’apporter des réponses aux électeurs du RN sans traiter avec le RN. » Principalement pour éviter de revivre la fin de parcours de Michel Barnier. « Le voir tout lâcher au RN, ça a mis tout le monde mal à l’aise, poursuit-il. C’était problématique, triste, et presque pathétique à plus d’un titre de le voir se mettre lui-même entre les mains de Marine Le Pen. »
Chez LR, participer au crash ou l’éviter ?
À droite, « Les Républicains » (LR) sont divisés sur l’attitude à adopter. Si Bruno Retailleau, actuel ministre de l’Intérieur démissionnaire, entend rempiler à Beauvau, soutenu en ce sens par la présidente macroniste de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, il refuse de servir un gouvernement dirigé par un premier ministre de gauche.
Pour éviter que cela n’arrive, Laurent Wauquiez se montre en privé de plus en plus tenté par la nomination d’un chef de gouvernement issu encore une fois de ses rangs. D’où la rumeur Catherine Vautrin, ministre des Territoires. Mais reste une question que sa formation n’a pas encore tranchée : rechercher un accord de non-censure avec une partie de la gauche ou obtenir la bienveillance du RN ?
Face à ce casse-tête, certains plaident pour prendre quelques distances avec les manœuvres en cours. « Nous sommes beaucoup à être attentistes, rapporte Thibault Bazin, député LR. Nous ne voulons pas que le pays soit bloqué, mais nous ne sommes pas obsédés par le fait de participer au prochain gouvernement. »
Selon lui, « le président s’est planté quand il a dissous, il s’est planté dans la nomination de Barnier parce qu’il s’est révélé censurable ». Et cela pour une raison simple : « Il ne sent pas toute la complexité de la représentation nationale et il ne sent pas non plus le pouls de notre société polyfracturée. »
Alors, que faire pour la droite ? Prendre part au crash macroniste ? « On peut toujours rêver avec des grands mots, front républicain ou plateforme de discussion, mais la réalité est tout autre. La première étape du prochain gouvernement, c’est de faire adopter un budget. Sauf que, entre la gauche, la Macronie et la droite, il y a un certain nombre d’irritants. Et après, quelle base programmatique adopter ? La proportionnelle ? Nous sommes contre. Des réformes sociétales ? Tout nous oppose. Sur la sécurité ? Toujours pas… » Reste une solution, d’après lui : « Rester humble et avancer ensemble sur le traitement des urgences. Agricoles, sociales, territoriales… » L’humilité, voilà une carte jamais jouée par Emmanuel Macron.
Emilio Meslet et Cyprien Caddeo sdur www.humanite.fr
La France insoumise a refusé de rencontrer Emmanuel Macron, contrairement aux autres forces du Nouveau Front populaire. Manuel Bompard, coordinateur du mouvement, explique pourquoi il considère qu’il s’agit d’un piège tendu par l’Élysée.
Vous réclamez toujours la nomination d’un premier ministre issu du Nouveau Front populaire (NFP). Dans le contexte actuel, à quoi ressemblerait son gouvernement ?
Manuel Bompard : Sa base programmatique serait claire : le programme du NFP qui est sorti en tête aux législatives. Ensuite, avec l’ensemble des composantes de l’alliance et dirigé par Lucie Castets, ce gouvernement devra aller gagner des majorités à l’Assemblée. Lors de la séquence budgétaire, nous avons fait voter plus de 150 amendements par les députés. C’est possible !
Vous avez refusé de rencontrer Emmanuel Macron, à l’inverse des socialistes, des écologistes et des communistes qui ne veulent pas que la gauche apparaisse comme le facteur du blocage. N’est-ce pas le risque de votre stratégie ?
Emmanuel Macron devrait se tourner vers le bloc arrivé en tête pour lui demander de former un gouvernement. Mais les consultations à l’Élysée s’inscrivent après son allocution de jeudi, où il dit vouloir constituer un gouvernement d’union nationale. Y participer revient donc à envisager la participation à une grande coalition avec les macronistes et la droite. J’y suis hostile. Bien sûr, nous n’avons pas de majorité absolue et il faut, texte par texte, construire des compromis parlementaires. C’est la méthode que nous avons définie en juillet. Mais un pacte de non-censure, c’est-à-dire un programme commun avec Gabriel Attal et Bruno Retailleau, c’est autre chose. Il ne peut pas en être question.
Mais dans votre scénario, le gouvernement du NFP sera immédiatement censuré…
Manuel Bompard : Il peut agir avant la censure et gagner du soutien populaire. Si la première mesure est d’augmenter le smic par décret, les autres devront assumer de faire tomber un gouvernement qui agit pour les salaires. Le rapport de force se mène avec le pays.
Dans nos colonnes, Fabien Roussel proposait, lundi, un « pacte social et républicain » pour que l’extrême droite ne « dicte » plus la politique du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?
Manuel Bompard : Je suis d’accord avec les mesures que le PCF met sur la table puisqu’elles sont dans le programme du NFP : abrogation de la réforme des retraites, augmentation du smic, hausse des salaires… Mais croyez-vous qu’il soit possible d’obtenir un accord sur cette base avec Gabriel Attal ? Soyons sérieux.
Le désaccord porte donc sur la stratégie plus que sur le fond…
Manuel Bompard : Ça dépend avec qui. Lorsqu’Olivier Faure dit qu’il est prêt à renoncer à l’abrogation de la retraite à 64 ans pour une conférence de financement au bout de laquelle on verra ce qu’on décide, nous ne sommes pas d’accord. Il y a une majorité à l’Assemblée Nationale pour voter l’abrogration : pourquoi y renoncer ? Disons les choses franchement : soit le désaccord n’est qu’un désaccord de communication, et alors il ne sert à rien de crédibiliser l’opération politicienne de Macron qui se donne un rôle qui n’est pas le sien ; soit certains sont prêts à brader le programme du NFP pour rentrer dans une grande coalition sur la base d’un programme minimal de gouvernement, et ce serait une trahison du mandat que nous ont confié les électrices et les électeurs. Dans les deux cas, c’est grave !
Deux blocs sur les trois doivent, au minimum, se mettre d’accord pour que l’un gouverne, non ?
Manuel Bompard : Emmanuel Macron pourrait dire à ses députés de ne pas censurer un gouvernement du NFP ! Il ne le fait pas. Imaginez à quoi ressemblerait le pays s’il y avait un gouvernement allant des insoumis aux Républicains ? La seule force d’opposition serait le RN. C’est arrivé en Italie et qui dirige le pays ? L’extrême droite. Ce serait un suicide pour la gauche. Le pacte de non-censure se retournera contre le PS : Macron peut nommer quelqu’un de droite et demander un pacte de non-censure avec Bruno Retailleau à l’Intérieur. Je souhaite bon courage à ceux qui, à gauche, vont dire qu’il ne faut pas censurer un tel gouvernement.
Emmanuel Macron a balayé l’hypothèse d’une démission. N’est-ce pas hasardeux de tout miser sur sa seule décision ?
Manuel Bompard : La nomination d’un gouvernement est aussi la décision d’une personne. Nous sommes prêts à gouverner si Macron se tourne vers nous. Sinon, j’assume de dire que la solution passe par son départ. Près de 65% des Français sont d’accord avec moi.
Il y a dix jours, Jean-Luc Mélenchon évoquait une candidature commune de la gauche, mais sans le PCF et l’aile droite du PS. Avez-vous entériné la mort du NFP ?
Manuel Bompard : On se prépare à l’hypothèse d’une présidentielle anticipée. La Constitution parle d’un délai de 20 à 35 jours avant le scrutin, donc ça nécessite d’avoir anticipé les choses. Dans cette hypothèse-là, nous ferons une proposition de candidature commune. Au vu des 22 % réalisés par Jean-Luc Mélenchon il y a deux ans, c’est légitime et de notre responsabilité de proposer une candidature issue de nos rangs. Nous n’excluons personne, mais nous avons écouté ce que les uns et les autres disent. Fabien Roussel a déclaré que s’il devait à nouveau être candidat (dans sa seule circonscription du Nord – NDLR), ce serait sans les insoumis. Quant à l’aile droite du PS, je ne ferai pas l’offense de vous rappeler la violence de leurs prises de position contre la FI.
Une gauche divisée, dans une campagne express, est-ce l’assurance d’une défaite ?
Manuel Bompard : L’assurance, non. Évidemment, plus la candidature est commune, plus le chemin est court. Mais il y a aussi un chemin dans l’hypothèse de plusieurs candidatures. Une campagne, c’est un moment de politisation du pays, dans lequel la gauche peut susciter de l’enthousiasme et une mobilisation collective. Certains redoutent que Marine Le Pen l’emporte dans une présidentielle anticipée. Mais je ne vois pas en quoi attendre 2027 nous garantirait un moindre risque de défaite. Surtout si la gauche se fourvoie dans une grande coalition avec les macronistes.
Le NFP est-il au bord de l’explosion ?
Manuel Bompard : Le NFP, c’est un programme et des candidatures communes aux dernières législatives. Le programme va continuer à vivre, les insoumis le défendront, quoiqu’il arrive. Le NFP ne va donc pas mourir. Le problème, c’est la difficulté de certains à rester fidèles aux engagements programmatiques et stratégiques qu’ils ont pris devant le peuple.
Certaines initiatives autonomes de la FI ont braqué vos partenaires, comme sur la destitution de Macron ou la proposition de loi sur l’abrogation du délit pénal d’apologie du terrorisme…
9Manuel Bompard : 5 % dans l’électorat insoumis, 80 % chez les communistes et 70 % chez les écologistes et les socialistes sont pour qu’Emmanuel Macron démissionne. On ne peut pas nous reprocher de porter une proposition majoritaire à gauche. Quant au délit d’apologie du terrorisme, lorsqu’il a été inscrit dans le code pénal plutôt que dans le code de la presse en 2014, les écologistes et le PCF s’y étaient opposés en première lecture. Je n’ai pas l’impression que nous soyons isolés. Nos partenaires font une erreur en contribuant à des campagnes de stigmatisation initiée par les macronistes, la droite ou l’extrême droite. Le sujet, c’est la défense des libertés fondamentales. Et c’est une boussole que la gauche ne doit jamais lâcher.
Emmanuel Macron a annoncé qu’une loi spéciale serait déposée d’ici le 15 décembre pour reconduire les recettes du budget 2024 pour 2025. Votre groupe va-t-il la voter ?
Manuel Bompard : On ne s’y opposera pas, car il s’agit de pouvoir garantir la continuité de recettes, qui sont indispensables. Nous allons porter, par amendement, l’idée que cette loi spéciale doit inclure la réindexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu.
mise en ligne le 8 décembre 2024
Roger Martelli sur www.regards.fr
Victoire du RN aux européennes, dissolution, absence de majorité puis enfin censure du gouvernement. Analyse d’une crise profonde. Les faiblesses de la gauche à sutmonter pour redevenir majoritaire
Cette fois, les dés en sont jetés. La crise qui s’approfondit marque l’agonie d’une méthode qui voulait faire croire que l’intelligence formelle d’un seul valait compétence politique. En réalité, elle a montré que l’habileté rhétorique du « et de droite et de gauche » n’était que le masque d’un vide incommensurable. Ce vide a eu un seul effet : il a plongé la gauche dans une minorité sans équivalent et il a poussé la droite de plus en plus vers sa droite. Le malheureux gouvernement Barnier en a fait la brève et triste expérience.
Il devait contenir l’extrême droite et la gauche en rapiéçant le costume défraîchi des Républicains et des macronistes. L’arrogance creuse des seconds et la rigidité des premiers n’a fait que raviver l’éternelle querelle des droites. Au détail près que les uns et les autres n’avaient plus pour les soutenir, ni la grande image du Général, ni l’utopie de ce Centre qui, au milieu des années 1970, prétendait regrouper « deux Français sur trois ».
Le roi est nu. L’incompréhensible dissolution de l’été dernier a avivé la crise et l’a diffusée dans tous les segments de l’espace politique institué, à l’exception – pour l’instant – de celui du Rassemblement national. Nous entrons dans une phase d’incertitude aggravée, sans boussole et sans pilote dans l’avion, sans horloge et sans direction. On ne fera ici aucun pari sur l’avenir, avec seulement une certitude et trois exigences.
Retrouver un lien renouvelé et égalitaire du social et du politique reste sans nul doute l’enjeu central de la période qui vient. Le temps de la crise sera celui de l’accélération. Mais la conjoncture heurtée ne devra pas faire oublier le temps long de l’unité dans le respect réciproque et, plus encore, celui du travail de refondation.
La certitude a souvent été énoncée dans les colonnes de Regards – voir ici ou là. La droitisation en cours n’est pas celle de la société, mais celle du champ politique et la chance de la droite s’est trouvée d’abord dans les carences de la gauche. Ce sont les effets des échecs cumulés des gauches qui ont laissé le champ libre à la composante la plus radicale des droites.
De la certitude découlent les exigences. La faiblesse majeure de la gauche provint de la dissociation qui s’est établie peu à peu, autour des années 2000, entre la dynamique sociale et une dynamique politique dominée par l’alignement social-libéral des social-démocraties européennes. La combativité sociale s’est ainsi déconnectée de cette grande espérance égalitaire de la « Sociale » qui avait coloré la rencontre historique de la gauche et du mouvement ouvrier. Dès lors, la colère sociale a hésité entre la résignation et le ressentiment, l’abstention et la droite extrême.
Retrouver un lien renouvelé et égalitaire du social et du politique reste sans nul doute l’enjeu central de la période qui vient. Mais cela suppose réalisées deux exigences complémentaires : que la gauche apprenne à conjuguer durablement sa diversité et son unité ; qu’elle ait à nouveau autre chose dire que la liste nécessairement longue des critiques et la juxtaposition des propositions. Il lui faut à nouveau partager du projet – un récit de la société possible d’émancipation sobre – et énoncer une stratégie capable de rendre ce projet politiquement majoritaire désirable et convaincant dans la durée.
Le temps de la crise sera celui de l’accélération. Mais la conjoncture heurtée ne devra pas faire oublier le temps long de l’unité dans le respect réciproque et, plus encore, celui du travail de refondation. Il est seulement à souhaiter que les intérêts particuliers sauront alors s’effacer devant l’impérieuse construction d’une unité prolongée et d’un travail partagé encore inédits à ce jour.
mise en ligne le 8 décembre 2024
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Économiste classé à gauche qui ne déteste pas la castagne médiatique, Thomas Porcher vient de sortir un roman graphique, « L’économie pour les 99 % ». L’occasion de l’interroger sur sa vision du débat économique.
Commençons par le titre : c’est quoi, l’« économie pour les 99 % » ?
Thomas Porcher : Le titre repose évidemment sur un double sens : il s’agit à la fois de rendre l’économie accessible à tous, mais aussi de proposer une économie au service du plus grand nombre. Au cours des trente dernières années, le revenu du 1 % des plus riches a augmenté plus rapidement que celui du reste de la population, ce qui signifie que l’économie a été mise au service d’une minorité, ce qui n’était pas forcément le cas entre les années 1950 et 1980.
On observe une nette accélération des inégalités, sous l’effet conjugué des baisses de fiscalité pour les plus riches et de la mondialisation, qui a davantage profité à une minorité. Emmanuel Macron a amplifié le phénomène à partir de 2017, en multipliant les baisses d’impôts pour les plus fortunés.
Vous avez décidé d’opter pour l’objet « roman graphique », plutôt que pour un ouvrage classique : pourquoi ce choix ? Que permet la BD que n’autorise pas un livre ?
J’ai déjà publié plusieurs essais d’économie, mais la BD permet d’aller plus vite à l’essentiel : on peut donner énormément d’informations dans un seul dessin. Une image, un chiffre et quelques phrases suffisent à rendre une réalité perceptible, là où un essai suppose souvent des démonstrations plus longues. Notre ouvrage emprunte aux codes traditionnels de la BD, avec de l’humour et des personnages auxquels on peut s’identifier.
La trame s’inspire d’ailleurs en partie d’une histoire vraie. Il y a quelques années, j’ai été invité par des salariés à me rendre dans leur raffinerie, qui a fermé depuis – la moitié des raffineries ont fermé leurs portes en trente ans dans notre pays.
J’avais rencontré là-bas une jeune fille, dont le père ouvrier travaillait dans l’usine. Dans le livre, la jeune fille apparaît sous les traits d’une militante pour le climat, dont le père est un banquier plutôt macroniste. De cette rencontre naît un débat, qui se poursuit avec son père.
« Les médias donnent l’impression d’un consensus en la matière, alors qu’il suffit de se rendre dans n’importe quel séminaire d’économie pour comprendre que les économistes ne sont pas d’accord sur grand-chose. »
Chaque rencontre avec les personnages du livre est l’occasion d’aborder des grands sujets d’économie contemporaine : la désindustrialisation, le libre-échange, le mal-être des agriculteurs sur fond de financiarisation des matières premières, l’immigration, le service public, l’État stratège, la crise grecque…
À la jeune fille qui vous explique en gros que l’économie ne l’intéresse pas, vous répondez que se désintéresser de cette matière revient à laisser les libéraux « façonner notre monde à leur guise » : pourquoi ?
Beaucoup de gens sont persuadés aujourd’hui qu’il n’y a qu’une seule voie possible en économie, celle empruntée par Emmanuel Macron. Ce n’était pas forcément le cas il y a trente ou quarante ans, à l’époque où le débat économique était plus ouvert.
Quand vous regardez les dernières élections législatives à la télévision, vous avez l’impression que le monde se divise en deux, avec d’un côté les gens « sérieux », c’est-à-dire les libéraux et de l’autre les « utopistes », c’est-à-dire les partis de gauche. C’est absurde : qui peut dire que les nombreux économistes qui ont soutenu la gauche, de Thomas Piketty à Bruno Amable en passant par Julia Cagé, ne sont pas des chercheurs sérieux ?
Le pire, c’est que les médias donnent l’impression d’un consensus en la matière, alors qu’il suffit de se rendre dans n’importe quel séminaire d’économie pour comprendre que les économistes ne sont pas d’accord sur grand-chose. Mais ces débats n’ont pas le droit de cité à la télévision.
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Entretien avec Thomas Porcher : être un économiste de gauche, ça veut dire quoi ?
Prenons l’exemple de la suppression de l’Impôt sur la fortune (ISF), au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron : tous les économistes de plateaux télé se sont prononcés pour. Quand vous regardiez les éditos des matinales, sur les chaînes d’info en continu ou à la radio, même chose : il était très compliqué de trouver quelqu’un qui n’explique pas que la réforme allait favoriser l’investissement.
Sur C à vous, le journaliste économique de BFM TV Nicolas Doze nous a même expliqué que la suppression de l’ISF était un cadeau pour l’économie Française ! Or, depuis, toutes les études menées notamment par France Stratégie nous montrent que la réforme n’a absolument pas eu l’impact annoncé.
Pour les macronistes, toute autre politique que la leur conduit à la ruine du pays. Ça nous ramène presque au fameux « TINA » (pour « There is no alternative ») qui avait cours en Angleterre à l’époque de Margaret Thatcher…
Thomas Porcher : Oui. Les libéraux passent leur temps à imposer dans le débat public l’idée d’un consensus économique qui n’existe que dans leur esprit. On a vu la virulence avec laquelle a été traité le programme économique du Nouveau front populaire (NFP), qui a même été ridiculisé dans certains médias.
C’est pourtant le programme supposé le plus « sérieux », celui des macronistes, qui a conduit le pays dans l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Avec un déficit public gigantesque, qui s’explique pour moitié par les baisses d’impôts mises en œuvre depuis 2017, qui n’ont jamais produit les effets escomptés sur la croissance.
Il y a quelque chose de paradoxal : tous les sondages montrent que la majorité des citoyens n’adhère plus au consensus néolibéral (flexibilisation du « marché » du travail, réduction du périmètre de l’État, baisse de fiscalité sur le capital…) et pourtant, l’espace médiatique est saturé d’idées libérales : ça vous met en colère ? Ça vous décourage ?
Thomas Porcher : Ce qui me met en colère, c’est que j’ai l’impression qu’il y a de moins en moins d’espace dans le débat médiatique pour porter une parole progressiste. Personne n’oserait revendiquer aujourd’hui une sixième semaine de congés payés, par exemple.
Et si demain quelqu’un demande le retour à la retraite à 60 ans, il sera taxé de fou. Plus largement, je trouve que les questions d’économie sont de plus en plus évincées : on en parle pendant cinq minutes, puis on bascule sur tel ou tel tweet ou telle petite phrase politique sans intérêt. Il me semble que le sujet était davantage présent il y a encore quelques années : en 2017, Emmanuel Macron avait d’ailleurs mené une campagne très économique.
Est-ce que ce n’est pas lié à la place exponentielle prise par certains débats nauséabonds, sur l’immigration, l’identité française, etc. ?
Thomas Porcher : Probablement. La question de l’immigration est devenue omniprésente dans le champ médiatique. Mais on analyse souvent le programme de Marine Le Pen sous ce seul prisme, en passant sous silence ses incohérences et retournements de veste successifs sur la question économique.
Sur le sujet, son programme est en réalité assez proche de celui d’Emmanuel Macron, centré par exemple sur des baisses d’impôts sur les sociétés ou en faveur de jeunes disposant de revenus confortables, de ceux qu’on gagne en montant sa start-up.
C’est conforme à la nature de l’extrême droite, en France comme en Europe : un programme économique libéral visant à se faire accepter des milieux d’affaires, doublé d’un discours anti-immigration. Regardez les dernières législatives en France : le MEDEF avait plus peur du programme du NFP que de celui du RN !
Et quand Éric Coquerel (FI) et Boris Vallaud (PS) ont été auditionnés sur leur programme par le MEDEF, ils ont même été sifflés. Pour ce qui est de leurs affaires, les patrons préféreront toujours l’extrême droite à la gauche.
L’économie pour les 99 %, Thomas Porcher, Ludivine Stock et Raphaël Ruffier-Fossoul, Stock graphique, 2024.
mise en ligne le 7 décembre 2024
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
La chute annoncée du premier ministre sur son projet de budget montre que le capitalisme français n’est pas prêt au compromis et souhaite une austérité sans concession de sa part. Une politique austéritaire qui n’a pour seule issue qu’une politique autoritaire.
L’échec du gouvernement Barnier est, d’abord, l’échec d’une tentative de gérer dans le cadre parlementaire les contradictions internes du capital. Avec la nomination de l’ancien commissaire européen à Matignon, Emmanuel Macron tentait de constituer un bloc capable de réaliser un compromis au sein du capital français. Et c’est ce compromis qui a échoué.
Le point de départ de toute cette affaire est, bien entendu, le désastre laissé par la gestion de Bruno Le Maire à Bercy et, plus généralement, par la politique néolibérale menée par Emmanuel Macron depuis 2017. En baissant massivement les impôts pour les entreprises et les détenteurs de capitaux, mais aussi en subventionnant largement une grande partie de l’outil productif français, cette politique espérait créer un choc de croissance.
C’est l’inverse qui s’est produit. La croissance s’est affaissée considérablement au cours du quinquennat. Certes, les chiffres ont pu paraître un temps flatteurs, relativement à certains de nos voisins, mais c’était uniquement parce que la production était massivement subventionnée. Le sous-jacent productif était en lambeaux et l’effondrement de la productivité française après la crise sanitaire en était le symptôme évident. Logiquement, les rentrées fiscales ne suivaient pas la croissance parce que cette croissance n’était qu’achetée par les politiques de soutien au capital.
Face à une telle situation, deux camps se sont formés au sein du capitalisme français. D’un côté, les milieux productifs sont devenus hautement dépendants des baisses d’impôts et des subventions, c’est-à-dire du budget de l’État. En l’absence de croissance de la productivité et de l’insuffisance de relais de croissance à l’export (le capitalisme français est tourné principalement vers sa demande intérieure), c’est, pour eux, la seule manière de réaliser des profits à court terme.
De l’autre, on trouve les milieux financiers qui, privés après la crise sanitaire du soutien inconditionnel des banques centrales, recherchent désormais à nouveau des garanties à leurs investissements et exigent ainsi le retour à la discipline de marché. Ces intérêts sont, au reste, eux aussi sous la pression de la croissance faible. Sans elle, les rendements sont nécessairement plus faibles et les États plus fragiles. Le monde de la finance exige donc une consolidation budgétaire rapide, quitte à devoir relever une partie des impôts sur les entreprises et réduire les subventions. Évidemment, il n’est pas question pour lui de réclamer un retour sur la réforme de la fiscalité du capital de 2018 qui lui profite directement.
Cette division au sein du capital n’est pas propre à la France, mais elle se répand dans l’ensemble du capitalisme mondial. La chute de la première ministre Liz Truss en septembre 2022, emportée par une mini-crise de la dette après avoir voulu encore baisser les impôts sur les entreprises, en a été le premier symptôme. Mais depuis, ce secteur financier, qui est extrêmement puissant et a des relais importants dans l’opinion compte tenu de la financiarisation des économies, s’est structuré autour d’un courant libertarien qui a remporté les élections en Argentine et aux États-Unis.
Le capitalisme de bas régime qui est le nôtre produit donc des tensions internes au sein du capital. Si la croissance est faible, tout gain se fait aux dépens d’un autre secteur. C’est un jeu à somme nulle où chacun tente de tirer la couverture à soi. Dans ce cadre, les compromis sont très délicats à construire dans la mesure où nul n’est prêt à céder du terrain puisque les marges de manœuvre sont réduites. L’État devient donc un terrain de lutte entre ces intérêts auquel il faut ajouter un troisième larron, celui du monde du travail.
Quelles politiques possibles ?
Quelles sont les options dans un tel schéma ? Il y en a, en théorie, trois. La première est que le monde du travail s’oppose frontalement au capital en menant une politique de hausse des impôts sur les deux factions opposées en espérant que cela produise un redressement des comptes publics capable de calmer les marchés financiers. En réalité, cette option suppose d’aller plus loin dans la mesure où le travail est, sous le capitalisme, dominé par le capital.
Le risque d’une contre-offensive sous la forme d’une double crise financière et économique induit donc de mener une politique de transformation, c’est-à-dire de construire une société où l’on peut se passer du capital. Cette position n’est pas d’actualité.
La seconde option tente de contourner la difficulté de la première en organisant une alliance entre le monde du travail, ou une partie majoritaire de ce dernier, avec l’une des factions du capital contre l’autre faction. Schématiquement, cela supposerait de préserver une partie de la protection sociale en contrepartie d’une hausse des impôts sur les entreprises ou sur le capital financier. La difficulté ici rejoint en partie celle de la première partie : la situation économique est si tendue qu’une réponse de la faction visée du capital peut conduire à une crise.
La dernière option consiste à construire un compromis au sein du capital pour préserver les intérêts des deux groupes en faisant payer le monde du travail par une destruction de l’État social et de nouvelles réformes structurelles. C’est là le choix idéal pour le capital. Le capital productif garde son accès à l’argent public et voit, avec l’austérité, la possibilité de réduire le coût du travail et d’avoir accès à de nouveaux secteurs livrés par l’État à la privatisation. En face, le capital financier voit ses investissements garantis par la réduction du déficit produit par la destruction de l’État social et ses avantages fiscaux conservés.
C’est naturellement cette option qu’Emmanuel Macron a tenté de promouvoir avec la nomination de Michel Barnier. Mais sa tâche était complexifiée par la situation politique. Le problème de l’option du compromis interne au capital est qu’elle est ravageuse pour la société. Dans un contexte démocratique, et davantage encore dans le contexte français, elle est politiquement difficilement applicable en dépit du battage médiatique constant en faveur de l’austérité.
Les Français ont rejeté sans aucune contestation possible la politique d’Emmanuel Macron, ils réclament des services publics renforcés et des salaires plus décents. Ils ne sont certes pas d’accord sur les moyens pour y arriver, mais l’austérité violente en faveur du capital ne dispose d’aucun appui dans la société.
Logiquement, les partis d’opposition désireux de parvenir au pouvoir ne pouvaient accepter ce compromis interne au capital sans perdre toute crédibilité auprès de l’électorat. C’est pourquoi les tentatives de rallier à cette option les socialistes ou le Rassemblement national étaient vouées à l’échec. Michel Barnier l’a vite compris et a donc tenté de bâtir une quatrième voie : celle qui consisterait à « acheter » par quelques mesures fiscales le droit de faire de l’austérité.
Cette stratégie était à mi-chemin entre le compromis interne au capital et le compromis entre une faction du capital, ici le capital financier, et le monde du travail. Les hausses d’impôts touchant l’outil productif étaient réduites, mais permettaient de justifier de baisses notables de dépenses publiques. Il s’agissait de pouvoir construire une majorité politique en faveur de l’austérité. Le projet de loi de finances pour 2025 est le produit de cette tentative.
Mais c’était là sous-estimer l’état réel du capitalisme français. Comme on l’a dit, dans un jeu à somme nulle, le compromis est impossible. Les oppositions ne pouvaient accepter l’austérité contre des hausses d’impôts temporaires et qui préservait l’essentiel des gains réalisés par le capital depuis 2017. Mais, de son côté, le capital ne pouvait accepter aucune concession, compte tenu, on l’a vu, de sa situation.
Depuis deux mois, le Medef ne cesse de pousser des cris d’orfraie concernant les quelques hausses d’impôts envisagées, tandis que le capital financier fait pression, par le biais du marché des taux, pour obtenir une réduction drastique du déficit. Politiquement, cela s’est traduit par la mauvaise humeur du camp macroniste et son peu d’enthousiasme à soutenir l’exécutif.
La construction du budget devenait alors un casse-tête impossible à résoudre : toute concession d’un côté entraînait un déséquilibre qui faisait perdre au gouvernement sa majorité ou la confiance des marchés. La chute annoncée de Michel Barnier vient donc sanctionner l’impossibilité de résoudre cette situation dans le cadre parlementaire et démocratique.
L’impossible issue démocratique
La conclusion à tirer de cette affaire est évidente. D’abord, dans la situation économique présente, le capital n’est prêt à accepter aucune concession avec le monde du travail et l’État social. Sa demande est celle d’une austérité violente seule capable de maintenir le flux d’argent de l’État vers le capital productif en préservant les intérêts du capital financier.
Ensuite, il n’existe aucune majorité politique en faveur d’une telle politique dans le contexte actuel. Ce point est important : aucun parti d’opposition n’a intérêt à préserver la présence d’un Michel Barnier à Matignon au prix d’une perte de crédibilité avant la future élection présidentielle. Cela n’a rien à voir avec les futures politiques qui seront menées. Que le RN (ou une partie du centre-gauche) soit prêt à mener la politique demandée par le capital ne fait aucun doute. Mais l’enjeu pour ce dernier est de conserver ses chances de parvenir au pouvoir. Or, soutenir une telle politique d’austérité avant l’élection présidentielle serait suicidaire.
Du point de vue du capital, les choses deviennent fort claires. Puisque l’austérité sociale est la seule option acceptable pour lui et que la société n’en veut pas, il faut l’imposer malgré la société. Autrement dit, la seule politique possible devient une politique autoritaire.
La crise politique française actuelle traduit ce fait : la démocratie et le parlementarisme deviennent des entraves pour le capitalisme français. Bien sûr, ce phénomène n’est pas nouveau, il est le produit d’un long processus où, durant les deux quinquennats d’Emmanuel Macron, l’autoritarisme au service du capital n’a cessé de croître. Mais en cette fin d’année 2024, plus aucun doute n’est permis.
Il y a alors deux issues possibles. Soit une suspension de fait des instances démocratiques comme cela a été le cas durant la crise de la dette de la zone euro dans plusieurs pays, entre 2010 et 2015. Dans ce cas, l’issue des élections est indifférente, la pression des marchés financiers conduit à un ralliement de fait des forces politiques autour de la politique désirée par le capital. Un gouvernement technique ou un gouvernement d’unité nationale peut assumer une telle option. Mais la gauche peut aussi jouer ce rôle si besoin comme en Grèce en 2015 ou au Sri Lanka aujourd’hui.
La deuxième option est celle de l’extrême droite. Dans ce cas, l’austérité est dissimulée derrière une politique de répression à l’égard des minorités. Dans le contexte de « jeu à somme nulle » actuel, une partie du monde du travail peut alors se rallier à l’option voulue par le capital pour le seul avantage de voir une partie de la société être plus mal traitée que lui.
Le contexte culturel et politique actuel fait de cette option une possibilité pour la France à laquelle une partie du capital peut se rallier. Rappelons que, lors de la campagne des législatives au mois de juin, le président du RN, Jordan Bardella, avait préparé le terrain avec son « audit des finances publiques » préalable à toute politique d’austérité sévère qu’il feint de rejeter aujourd’hui.
Le contexte français n’est pas isolé. Il confirme que la situation actuelle met fin à l’illusion que capitalisme et démocratie sont indissociables. Bien au contraire, l’enjeu désormais est de prendre conscience de l’impasse où mènent les intérêts du capital pour saisir que la défense de l’État de droit et des libertés passe par une lutte envisageant une transformation économique et sociale profonde.
mise en ligne le 5 décembre 2024
Anthony Cortes et Gaël De Santis sur www.humanite.fr
L’Assemblée nationale a adopté, ce mercredi, la motion de censure déposée par le Nouveau Front populaire. Le gouvernement Barnier renversé, l’ensemble des groupes parlementaires s’interrogent sur la suite. La gauche se propose en alternative pour sortir de l’impasse.
Michel Barnier et son gouvernement sont tombés. Pas de très haut certes, trois petits mois suffisent rarement à atteindre les cimes. Mais sa chute, provoquée par le recours au 49.3 et l’adoption à l’Assemblée nationale de la motion de censure déposée par la gauche (331 voix), n’en est pas moins un événement historique et une gifle envoyée à Emmanuel Macron.
Depuis le désaveu imposé à Georges Pompidou le 5 octobre 1962, jamais un premier ministre n’avait été renversé dans l’histoire de la Ve République, malgré les 61 motions de censure déposées depuis. Michel Barnier devient le locataire de Matignon le plus éphémère depuis 1958. Une nouvelle étoile à afficher sur son veston, avec celle du chef de gouvernement le plus ouvert à la collaboration avec l’extrême droite.
Jusqu’au bout, l’ancien commissaire européen âgé de 73 ans a tout tenté pour ramener le Rassemblement national (RN) à lui. Concessions, offrandes et yeux doux, dans un premier temps, en acceptant notamment de réduire l’aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers, puis danse du ventre en direction de l’électorat de Marine Le Pen sur les plateaux des 20 heures de TF1 et France 2 mardi. Pour mieux tenter de mettre la pression sur les parlementaires RN et ainsi les faire renoncer à voter la censure. « Est-ce qu’en lisant ce texte déposé par la gauche, les électeurs du RN se sentiront respectés par le vote de leurs députés ? » a-t-il demandé. En vain.
L’appel des communistes autour de six propositions
Mais cet échec est avant tout celui d’Emmanuel Macron qui, en dépit du résultat des législatives du 7 juillet, avait barré la route du Nouveau Front populaire (NFP) à Matignon, préférant envoyer un représentant de LR au nom de la « stabilité ». Son argument fumeux s’est retourné contre lui. Il n’est plus le maître des horloges. Michel Barnier renversé, une question se pose donc à l’ensemble des forces parlementaires : et maintenant ? Du côté du NFP, tout d’abord, dans la lignée des propos de Lucie Castets ce mercredi dans nos pages, revendiquant la « légitimité » de la gauche à gouverner, on s’emploie à se proposer en recours sérieux.
« Nous traversons une crise d’une grande gravité, observe André Chassaigne, député PCF et coprésident du groupe GDR à l’Assemblée. Plutôt que de discuter des responsabilités de chacun, il est préférable de réfléchir à la façon dont nous pouvons sortir de l’impasse pour répondre aux préoccupations de nos concitoyens. » « Les jours qui viennent seront décisifs. Dans cet avenir incertain, il faut travailler d’urgence pour être au plus proche des aspirations des Français », estime de même Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social.
« Le NFP au gouvernement et le front républicain à l’Assemblée », tranche Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, résumant « l’état d’esprit » des siens, comme des communistes et des écologistes. Les insoumis, eux, ne dévient pas de la position qui est la leur depuis bien des semaines : celle d’appeler à la démission d’Emmanuel Macron et d’exiger l’application du programme du NFP sans inflexion possible.
Pour dessiner le jour d’après, le PCF et ses parlementaires lancent un appel, adressé aux acteurs du front républicain. Celui-là même qui est parvenu à freiner l’avancée de l’extrême droite lors des législatives anticipées de juin et juillet dernier, à l’issue desquelles le NFP était arrivé en tête. Selon eux, le temps est venu de « construire rapidement un pacte républicain et social respectant les choix exprimés par les citoyens et apportant des réponses immédiates ».
« Nous ne demandons pas la mise en œuvre de tout notre programme », précisent Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, Cécile Cukierman, présidente du groupe CRCE-K au Sénat, et André Chassaigne. Ils exigent plutôt de se réunir autour de « six propositions essentielles ». À savoir, « abrogation de la réforme des retraites, indexation des salaires et des pensions sur l’inflation, baisse du coût de l’énergie, soutien aux services publics, aux collectivités, à l’industrie et une diplomatie active en faveur de la paix ». Et de lancer : « Créons les conditions d’un gouvernement capable de construire des majorités autour de la justice sociale et des valeurs républicaines. »
Un appel qui rejoint celui de la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, qui a adressé dans le même temps un courrier aux chefs de partis du front républicain pour « tracer un horizon » vers un « plan d’urgence transitoire ». « Les Français ne nous pardonneraient pas de ne pas essayer de nous mettre d’accord », a-t-elle écrit.
RN-Macronie, stop ou encore ?
« Nous sommes à un moment où nous devons faire le pari du parlementarisme, selon Boris Vallaud, président du groupe PS à l’Assemblée. À tous ceux qui espèrent une VIe République, la voici ! » Une façon de prendre au mot les représentants de la formation de Jean-Luc Mélenchon. Par la voix d’Olivier Faure, les socialistes proposent même d’établir un « accord de non-censure » avec la Macronie.
« Ce n’est pas une plateforme programmatique commune avec la droite, mais notre renoncement au 49.3 en échange d’un accord de non-censure de leur part, précise le chef de parti auprès du Monde. Nous ne voulons pas nous réfugier dans une attitude purement protestataire. Nous voulons gouverner et aller arracher toutes les victoires que nous pourrons obtenir pour changer la vie des Françaises et des Français. »
Dans la même veine, le sénateur écologiste Yannick Jadot fait aussi le souhait d’un « pacte transitoire » qui se déclinera au Parlement autour d’un gouvernement dont la formation « doit revenir au NFP ». « Je ne parle pas d’une coalition de gouvernement, selon moi impossible à bâtir aujourd’hui au regard des divergences profondes qui existent entre ces blocs », tient-il à préciser. Il va cependant plus loin, ouvrant la voie à un gouvernement qui pourrait accueillir des membres du camp présidentiel : « À partir du moment où un tel pacte existe, je n’exclus pas qu’il puisse y avoir des ministres issus du bloc central. »
Mais qu’en dit-on dans le « bloc central » ? Ce mercredi, quelques heures avant le vote de la motion de censure, Gabriel Attal, ex-premier ministre et président du groupe Ensemble pour la République (EPR) à l’Assemblée, s’est dit devant une poignée de journalistes ouvert à « une forme d’accord de non-censure avec les socialistes, en plus des LR ». Mais autour d’une équipe constituée et dirigée par les siens, pas par le NFP.
« Si les socialistes changent d’attitude, c’est bien simple : le RN ne compte plus, ils doivent être responsables », lâche un cadre du groupe, qui oublie bien facilement que c’est son propre camp qui a placé l’extrême droite en position centrale. « Nous n’avons plus envie de parler au RN qui ne représente ni la sagesse ni la raison, et qui n’a d’autre projet que d’entraîner le pays dans le désordre », signale Constance Le Grip, députée macroniste. Une prise de conscience bien tardive.
Le bal des prétendants
Cinq mois après le second tour des législatives, le bal des candidats au poste de premier ministre est relancé. À gauche, Lucie Castets a la faveur de l’ensemble des groupes, à défaut des socialistes qui refusent de se ranger derrière un nom. « Je ne veux pas laisser l’opportunité à Emmanuel Macron de dire non à la gauche en prédésignant un candidat », prévient Olivier Faure.
Car en face la droite ne désarme pas. Plusieurs profils sont évoqués. François Bayrou, président du Modem, poussé par ses troupes, selon qui il pourrait être un « barycentre, un point d’équilibre », entre « la social-démocratie et la droite républicaine ». Contacté, celui-ci se plaît à laisser planer le doute sur ses intentions.
Sébastien Lecornu, actuel ministre des Armées, ex-membre du bureau national des « Républicains » avant de rejoindre Renaissance, est également pressenti. Tout comme Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, comparé par la députée frontiste Laure Lavalette à un « porte-parole du RN » sur les questions migratoires, mais que le président a « appris à apprécier », nous dit-on dans son entourage.
Une dernière option qui relancerait le pas de deux entre les libéraux et l’extrême droite entamé au mois de septembre et désavoué par l’Assemblée ce mercredi. « Nous sommes parfaitement disposés à accueillir un nouveau gouvernement, à être reçus très tôt par ce gouvernement et exposer nos lignes rouges », a fait savoir Jordan Bardella, président du RN, au micro de France Inter, sûr de retrouver un exécutif à ses pieds. Il aurait tort d’en douter. En Macronie, on change rarement une équipe qui perd.
Mathieu Dejean et Pauline Graulle sur www.mediapart.fr
En refusant obstinément de nommer à Matignon un premier ministre de gauche, le président se condamne a priori à enchaîner les motions de censure. Trois des quatre forces du Nouveau Front populaire appellent le camp présidentiel à se mettre autour de la table.
Le député Sacha Houlié a retourné la situation dans tous les sens. Et ses conclusions sont invariables : après l’échec de l’alliance entre le camp présidentiel et Les Républicains (LR), seule la nomination d’un premier ministre de gauche permettra d’éviter une nouvelle censure et de garantir un minimum de stabilité politique. « Au bout d’un moment, la réalité mathématique va s’imposer à tout le monde », estime l’ancien macroniste.
Jeudi 5 décembre, les quatre chefs des partis du Nouveau Front populaire (NFP) devaient se retrouver pour discuter de la nouvelle donne politique, tandis que leurs groupes respectifs se réunissaient pour évoquer la situation encore très mouvante. Si le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et les Écologistes disent encore espérer que les Insoumis se rallient à leur stratégie de compromis, chacun sait que cette hypothèse peut déjà être écartée.
Les hostilités ont même repris de plus belle à l’intérieur du NFP. « D’Olivier Faure à Yannick Jadot en passant par André Chassaigne, tous ont commencé à élaborer leur scénario politique pour la suite, et se sont précipités sur les plateaux télé pour le promouvoir. Leur stratégie tient un en mot : “Compromis”. “Compromis”, “compromis”, “compromis” : ils le répètent tous en chœur », a moqué, jeudi, le député Bastien Lachaud sur son blog, estimant que « cela n’a aucun sens » puisque « ce sont les macronistes et leurs alliés de droite qui refusent tout compromis avec la gauche, et cela depuis des mois ».
« Il ne reste qu’une solution pour sortir de l’impasse : la présidentielle anticipée », déclarait aussi la veille la cheffe de file de La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, juste après la chute du gouvernement de Michel Barnier, confirmant ainsi que son mouvement continuerait à militer pour la démission et rien que la démission d’Emmanuel Macron. « Barnier était un fusible, ce Parlement est fermé. Les Français ont une logique de présidentielle, le point de déblocage émane donc de l’Élysée. La démission est rationnelle », explique encore le député LFI Carlos Martens Bilongo.
Si Jean-Luc Mélenchon s’estime le seul à gauche capable de mener une campagne présidentielle accélérée – trente-cinq jours maximum, selon la Constitution –, le reste du NFP émet de sérieux doutes sur ses chances de l’emporter dans un second tour face à Marine Le Pen. Les socialistes, en particulier, ont donc cherché ces derniers temps des portes de sortie qui permettraient de temporiser la situation d’ici 2027. « Parce qu’il y a des gens qui attendent que l’on change leur vie, même un peu, tout de suite, maintenant », martèle Olivier Faure.
La gauche cherche à composer, sans se compromettre
Depuis plusieurs jours, le premier secrétaire du PS répète que « l’après-Barnier ne doit pas être comme l’avant-Barnier ». « C’est pourquoi il faut un premier ministre de gauche et un accord de non-censure. » Pour ce faire, poursuit Olivier Faure, le camp présidentiel doit d’abord « sortir du déni » et se rendre à l’évidence des urnes, en admettant enfin que « le pouvoir d’initiative revient à la gauche », sous peine de voir le gouvernement balayé encore et encore.
En attendant, il faut déjà régler la manière dont la gauche pourrait s’y prendre, car « on peut avoir un super programme sur l’étagère, il faut pouvoir le mettre en place », souligne le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Boris Vallaud, rappelant qu’aucun des trois blocs politiques dans l’hémicycle ne peut se targuer de s’approcher de la majorité à lui seul. Or si tout le monde exclut du dialogue les groupes LR et évidemment le Rassemblement national (RN), chacun a sa méthode pour tenter de trouver cette majorité « texte par texte ». Pacte de non-censure pour le PS, pacte transitoire pour les Écologistes, pacte social pour les communistes.
« Ce ne sera pas une plateforme commune avec les macronistes », tient à préciser Olivier Faure, qui ne veut pas prêter le flanc au procès en trahison. « NFP au gouvernement et le front républicain à l’Assemblée », résume-t-il pour essayer de se faire comprendre. « Nous voulons un premier ministre partageant les valeurs de la gauche », abonde la députée socialiste Mélanie Thomin, vantant une « démarche avec une forme de sérieux », seule garante d’« un retour à la stabilité et à la prospérité ».
Chez les Écologistes, où l’on garde en mémoire le « sketch » de l’été dernier – le terme est employé par Marine Tondelier pour évoquer les deux semaines qu’il avait fallu à la gauche pour s’accorder sur le nom de Lucie Castets –, Yannick Jadot est le premier à avoir ouvert la porte à une idée similaire. « Puisque le pays doit être gouverné jusqu’à la prochaine échéance électorale, nous devons ouvrir la possibilité d’un pacte républicain transitoire entre le NFP et le bloc central, avec un accord de non-censure, autour d’un socle restreint de mesures indispensables pour les Français », a-t-il indiqué dans Le Figaro, en précisant bien qu’il ne s’agirait pas d’une coalition de gouvernement.
Il n’y aura de stabilité que s’il y a un gouvernement issu du NFP avec un accord de non-censure. Le pire n’est jamais certain. Nicolas Sansu, député communiste
Mercredi, peu avant la censure, le groupe de Cyrielle Chatelain présentait de son côté onze « mesures prioritaires » à discuter avec qui veut – du NFP à Horizons – afin de « dégager les conditions de majorités parlementaires sur les textes de loi » et « instaurer un dialogue pour trouver le chemin d’une stabilité gouvernementale ». « C’est un socle pour discuter au sein du NFP mais aussi au-delà. Pas pour faire une coalition baroque : on a un socle commun, c’est le programme du NFP. Mais il y a des actualisations », explique le député écologiste Charles Fournier, qui a travaillé sur ces propositions.
« On n’a plus le choix que d’ouvrir le jeu », souligne son collègue Pouria Amirshahi, qui estime que, s’il faut en rabattre sur les propositions, « un tiens vaut tout de même mieux que deux tu l’auras ». Quant au plaidoyer de LFI pour la démission d’Emmanuel Macron et une présidentielle anticipée, il le balaye d’un revers de main : « Si nos amis veulent faire de la politique en chambre, c’est leur sujet. Notre problème, c’est aujourd’hui. Ce qu’on fait est ce qu’il y a de plus rationnel. »
Dans un courrier envoyé aux chefs de partis qui ont assuré le front républicain aux législatives anticipées pour leur proposer une rencontre, la secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, reprend l’expression de « plan d’urgence transitoire » : « Il faut retrouver l’esprit du front républicain à l’Assemblée », écrit-elle.
Le « granit » du bloc centriste peut-il se fissurer ?
Mais passer de la théorie à la pratique n’a rien d’une sinécure. Ne serait-ce que parce que la première des propositions faite par le groupe écologiste est l’abrogation de la réforme des retraites. Or, comment croire que le camp présidentel, qui a ostensiblement empêché la tenue d’un vote sur le sujet lors de la niche parlementaire de LFI, approuverait une telle idée ? « Un accord de non-censure n’y pourra rien », convient la députée écologiste Sabrina Sebaihi.
C’est ce risque de paralysie que François Ruffin pointe du doigt dans un texte publié après la censure. Il y critique « la rigidité des macronistes, le granit du bloc centriste », leur « fanatisme » et même leur « intégrisme », qui le rendent peu optimiste. Il plaide cependant lui aussi pour être plus « raisonnable » qu’eux en s’assignant ce but : « Penser un gouvernement, avec le Nouveau Front populaire, non plus autour d’un nom, d’un prénom pour Matignon. Non pas une majorité “de projet”, trop vaste, trop ample, pour le temps imparti. Mais juste autour de points clés. Et que, s’ils ne consentent pas, ce soit leur faute. Que nous ayons, nous, voulu construire, avancer, apporter des progrès, pour de vrai. »
Un volontarisme que semble partager le PCF, qui plaide pour un « pacte social » répondant aux attentes exprimées dans les urnes en 2024. « S’il n’y a pas de rupture avec les politiques menées depuis sept ans, ça va finir extrêmement mal. Pendant deux ans, il faut répondre aux principales aspirations du peuple », explique le député communiste Nicolas Sansu. Pour le PCF, les « lignes rouges » d’un gouvernement issu du NFP devraient être notamment l’abrogation de la réforme des retraites, la baisse du coût de l’énergie, ou encore l’indexation des salaires et des pensions sur l’inflation.
« Il faut que ces lignes rouges d’un gouvernement de gauche passent avec la bienveillance d’un “socle commun” qui n’est plus ni “socle” ni “commun”. Il n’y aura de stabilité que s’il y a un gouvernement issu du NFP avec un accord de non-censure. Le pire n’est jamais certain », veut croire Nicolas Sansu, qui aimerait que sa formation politique cherche à répondre à celles et ceux qui ne trouvent pas de débouché politique maintenant plutôt que de « courir après 2027 ou 2025 ».
Les appels du pied de Gabriel Attal
Le camp présidentiel est lui aussi en pleine réflexion sur la suite. Plusieurs de ses membres, dont l’ancienne première ministre Élisabeth Borne, le président de la commission des lois Florent Boudié ou encore le porte-parole du groupe parlementaire Ludovic Mendès, ont ainsi tendu des perches au PS. « Nous avons toujours dit que nous ne voulions ni LFI ni RN, pour le reste, il y a une volonté de la très grande majorité du groupe de trouver un nouveau pacte et un nouveau projet à porter », affirme Ludovic Mendès à Mediapart, estimant par ailleurs que « le pouvoir est au Parlement » et qu’il faut donc « sortir le président de l’équation ».
Un temps favorable à l’hypothèse François Baroin à Matignon, le patron du groupe Ensemble pour la République (EPR), Gabriel Attal, a lui aussi changé de braquet pour un scénario d’alliance, allant du PS à LR. Mercredi soir, l’ancien premier ministre a ainsi fait publiquement de grossiers appels du pied aux socialistes : « C’est à [la gauche de gouvernement] que nous disons : affranchissez−vous ! Mettons-nous autour de la table ! », a-t-il lancé à la tribune de l’Assemblée.
Au MoDem aussi, où l’alliance tacite de Michel Barnier avec le RN, ainsi que la ligne très droitière de son gouvernement, a fait grincer des dents. Le président du groupe, Marc Fesneau, assure désormais « regarder du côté de la gauche de gouvernement ». « On voit bien que la possibilité d’un équilibre se trouve dans un gouvernement plus large sur ses appuis : de la social-démocratie à la droite républicaine », estime aussi le député Erwan Balanant, qui aime répéter ce « conte de Noël » où « les socialistes, les sociaux-démocrates et les Verts pensent un peu la même chose ».
Au PS, on se méfie néanmoins des mains tendues du camp présidentiel. « Attal veut un gouvernement de coalition large entre le bloc central et le bloc de gauche. Nous, on dit qu’il faut inverser : c’est la gauche au gouvernement qui doit s’appuyer sur une non-censure des macronistes à l’Assemblée à partir d’un compromis ab initio », souligne le socialiste Arthur Delaporte. Ce sera tout l’enjeu des prochains jours : convaincre les macronistes de faire preuve d’humilité après leur enchaînement de défaites. « Leur problème, c’est qu’ils ne savent pas être dans l’opposition, ils ne l’ont jamais été jusque-là », souligne Sacha Houlié. Et le député de conclure qu’il est temps d’apprendre à perdre.
Lucas Sarafian sur www.politis.fr
L’alliance des gauches ne s’entend pas sur la formule à trouver pour accéder à Matignon et gouverner. Des mésententes rendant son discours inaudible après la victoire de la motion de censure.
À gauche, un triomphe ne s’apprécie pas à 100 %. Et il ne faut pas croire que le vote de la motion de censure de Michel Barnier arrange les choses. Au contraire. Le Nouveau Front populaire (NFP) semble saisir chaque occasion pour afficher ses désaccords. En toile de fond, une bataille de leadership entre socialistes et insoumis. Encore.
Alors que les réquisitions s’enchaînent à la tribune de l’Assemblée dans l’après-midi du 4 décembre, le Parti socialiste (PS) mijote. Beaucoup de députés manquent à l’appel dans l’hémicycle du Palais Bourbon. La raison : deux bureaux nationaux sont convoqués en deux heures. Selon une source au sein de la direction du parti, les socialistes souhaitent proposer des discussions au bloc central. Et rêvent de la construction d’un axe de gauche plus constructif composé des socialistes, des écologistes et des communistes pour diriger des négociations.
Plus tôt dans la journée dans Le Monde, le premier secrétaire du parti au poing et à la rose, Olivier Faure, a appelé à la nomination d’un Premier ministre de gauche qui « applique les priorités du NFP, mais avec le souci permanent du compromis ». Traduction : le lancement de discussions avec des groupes parlementaires du bloc central pour tenter de négocier un accord de non-censure en échange d’un renoncement de l’utilisation du 49.3. L’idée lancée par le député socialiste de l’Eure, Philippe Brun, dès la fin du mois d’août, fait désormais consensus au sein de la formation rose.
Le projet plutôt que Lucie Castets
Un virage stratégique à 90 degrés. La formule « un gouvernement NFP pour une Assemblée de front républicain » trouvée par le député socialiste Jérôme Guedj durant l’été fait son chemin. De ce fait, il n’est plus question de soutenir totalement Lucie Castets. « Je ne veux pas laisser l’opportunité à Emmanuel Macron de dire ‘non’ à la gauche en prédésignant un candidat. Puisque, à la fin, c’est lui qui choisit, quelles que soient nos revendications, ne perdons pas notre énergie ; qu’il se dévoile », répond Olivier Faure.
Celles et ceux qui essaient de faire de la tambouille et sauver la macronie seront balayés avec elle. D. Obono (LFI)
Au soir du 4 décembre sur BFMTV, il revient même sur un point fondamental de l’union des gauches : l’abrogation de la réforme des retraites. Faure pose une nouvelle condition à son abrogation : « Il faut que nous puissions d’abord trouver les financements et, ensuite, nous abrogerons. »
Ce jeudi 5 décembre, le premier secrétaire du parti, le président des députés, Boris Vallaud, et le chef de file des sénateurs roses, Patrick Kanner, envoient un courrier à Emmanuel Macron confirmant ces nouvelles prises de position et lui demandant « de recevoir ce jour les chefs de partis et les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ayant participé au front républicain ».
Les communistes se rapprochent peu à peu de la ligne rose. « Je n’ai pas de nom en tête pour être premier ministre, mais il faut une personne de gauche issue du NFP. L’essentiel, c’est de se mettre d’accord sur ce qu’on veut mettre en place. C’est au président de nommer un premier ministre, c’est au président de changer son logiciel », analyse André Chassaigne, chef de file des députés communistes. Ce chemin stratégique n’est pas du tout apprécié par les insoumis. « Oui, il y a un désaccord avec le PS », assume le député Paul Vannier, chargé des négociations avec les partenaires de gauche.
« J’observe que Monsieur Vallaud n’a pas évoqué une seule fois le NFP dans son discours. Je vois aussi que Madame Tondelier imagine faire une coalition avec Monsieur Attal. Ça m’étonne assez parce que ça ne correspond à aucune réalité politique », grince le président de la commission des Finances et premier défenseur de la motion de censure de gauche, Éric Coquerel. « Il faut un gouvernement NFP sur un programme de rupture. Celles et ceux qui essaient de faire de la tambouille et sauver la macronie seront balayés avec elle », lâche Danièle Obono.
« Rien à négocier avec les macronistes »
Pour La France insoumise (LFI), le chemin est clair. « Macron doit démissionner. Sinon, il doit nommer un gouvernement NFP en désignant Lucie Castets au poste de Premier ministre. Tout autre gouvernement sera illégitime, assure le député LFI du Nord Aurélien Le Coq. Il n’y a rien à négocier avec les macronistes. Nous avons été élus sur un programme clair. Nous avons été élus pour rompre avec la macronie. »
Selon l’entourage de Lucie Castets contacté la semaine dernière, cette dernière se « tient prête, travaille avec l’ensemble du Nouveau Front populaire ». D’après cette source, elle échange avec Charles de Courson (Liot), Jean-Paul Matteï (Modem) ou Sacha Houlié (député non-inscrit). « Mais l’objectif principal, c’est de tout faire pour que la gauche prenne Matignon et sauver la casse », dit un de ses proches.
Emmanuel Macron ne nommera pas un premier ministre de gauche, ni même de centre gauche. Un insoumis
Néanmoins, les chances de la nomination de la haute fonctionnaire à Matignon sont infimes. « Selon les informations dont nous disposons, Emmanuel Macron ne nommera pas un premier ministre de gauche, ni même de centre gauche. Il ne le fera pas. Car il ne veut pas d’un premier ministre qui puisse remettre en question sa politique économique et sociale », confie un insoumis.
Rencontre de « l’arc républicain »
Mais les positions ont bougé dans le reste des composantes du NFP. Et les insoumis sont désormais les seuls à tenir la ligne initialement établie. Aux environs de 18 heures, alors que la censure n’est pas encore actée ce 4 décembre, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, envoie un courrier aux patrons des partis qui ont fait appel au barrage républicain entre les deux tours des dernières législatives, en juin dernier.
Dans ce courrier, la cheffe du parti écolo estime « qu’il est possible de dégager des majorités sur des préoccupations majeures des Françaises et des Français, pour que les prochains mois permettent des avancées concrètes, qui améliorent leur quotidien et préservent leurs lendemains ». Elle propose une rencontre entre tous les partis qui, selon elle, appartiennent à « l’arc républicain » pour s’accorder sur une feuille de route.
Dans le même temps, elle ouvre la voie à la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel. Une main tendue au Modem qui défend la proportionnelle depuis des années. Par ailleurs, la présidente du groupe Écologiste et social, Cyrielle Chatelain, a échangé fin novembre avec Marc Fesneau, selon Le Monde.
« Le chemin que nous proposons repose sur une clarté de fond, affirme Cyrielle Chatelain. La deuxième chose, c’est une méthode : assumer le parlementarisme en refusant l’utilisation du 49.3 et en acceptant de discuter. » Le groupe écologiste a en tête onze priorités, dont l’abrogation de la réforme des retraites de 2023, un plan d’urgence pour l’hôpital et le recrutement des enseignants, la revalorisation du Smic, la fin des licenciements boursiers, l’organisation d’une conférence sur les salaires, une loi régissant l’encadrement des marges dans le secteur agroalimentaire ou un renforcement des moyens de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Si Macron respecte l’esprit des institutions, il doit appeler la gauche à gouverner et nommer Lucie Castets. Sandine Rousseau
L’écolo Sandrine Rousseau a une idée quelque peu différente de la ligne de sa formation : « Est-ce que Macron est le protecteur de nos institutions ou est-ce qu’il veut souffler sur les braises de la crise de notre pays ? S’il respecte l’esprit des institutions, il doit appeler la gauche à gouverner et nommer Lucie Castets. Je propose une chose : qu’elle n’utilise pas le 49.3 pour permettre que le fait politique au Parlement soit respecté. »
Nommer Lucie Castets tout en renonçant au 49.3 ? L’écoféministe s’essaie donc à l’art de la synthèse, entre le « tout le programme, rien que le programme » des insoumis, la défense de la candidate originelle du NFP et le respect des équilibres parlementaires. En clair, le mode d’emploi du parlementarisme est à écrire. Et la gauche bute sur les premiers mots.
mise en ligne le 4 décembre 2024
Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr
Après Michel Barnier, Lucie Castets ? L’économiste se dit toujours « disponible » pour Matignon, mais appelle la gauche à préparer la présidentielle.
Le Nouveau Front populaire (NFP) revendique-t-il toujours d’exercer le pouvoir avec vous à Matignon ?
Oui, au vu du résultat des législatives et de la situation, il serait légitime que nous gouvernions. Quant à savoir si je dois être première ministre, je ne suis pas dans une perspective égotique. J’ai fait partie de la solution cet été, si je dois encore faire partie de la solution maintenant, je me tiens à la disposition de la gauche.
Pour le reste, il faut reposer la question aux partis, mais aussi à Emmanuel Macron, qui porte la responsabilité de celui ou celle qu’il nommera. Le président nous a refusé le pouvoir une première fois. Résultat, c’est un échec total, et Michel Barnier s’apprête à tomber.
La gauche pourrait-elle bâtir des majorités sans risquer à son tour la censure ?
Lucie Castets : Je ne dis pas qu’à sa place je n’aurais pas été censurée, je suis la première à reconnaître que nous avons une majorité relative. Mais depuis, nous avons montré que nous pouvions mettre d’accord au-delà de nos rangs sur des amendements, lors du budget. Sur les services publics et les retraites, nous pouvons bâtir des majorités.
Tous les élus sur le terrain sont confrontés à des demandes d’amélioration des services publics. Cela impliquerait de forcer les macronistes à un peu de souplesse, certes, car ils portent un budget qui propose, notamment, de supprimer 4 000 postes de professeurs.
Boris Vallaud (PS) propose un pacte de non-censure avec les autres forces, hors RN, préalable à un gouvernement de gauche. Qu’en pensez-vous ?
Lucie Castets : Si la question est de travailler texte par texte sans menace de censure agitée à tout-va, cela me va et c’est d’ailleurs ce que j’ai proposé tout l’été. En revanche, s’il s’agit d’un accord gouvernemental très large avec des représentants du camp présidentiel, c’est irréaliste et notre électorat ne le comprendrait pas, surtout après cet été.
Pareillement, je pense qu’un gouvernement technique est une mauvaise hypothèse. Ce serait une sorte de nouveau macronisme. Comme si les experts n’avaient pas de socle idéologique…
Le RN s’apprête à censurer Michel Barnier après lui avoir servi de béquille. Qu’en pensez-vous ?
Lucie Castets : Ce n’est pas une surprise : on savait que le RN allait, à un moment, se retourner. Le vrai sujet, c’est comment la Macronie et LR se sont fait mener par le bout du nez par l’extrême droite. La vraie ligne rouge des macronistes, ce sont les hausses d’impôts, quitte à coopérer avec le RN. C’est une déception authentique pour moi de voir qu’aucun macroniste n’a eu de réflexe républicain. Emmanuel Macron devait être le rempart au RN, il en est le promoteur.
Désormais, les communiqués de Matignon citent directement Marine Le Pen pour la créditer de certaines avancées, comme sur le remboursement des médicaments, alors même que c’était une mesure portée par le NFP et que le premier ministre a toujours refusé de nous écouter.
Comment faire pour rendre visible l’arnaque du RN, qui se prétend le bouclier des classes populaires ?
Lucie Castets : Les idées racistes et réactionnaires ont progressé dans notre société mais je ne crois pas que cela suffise à expliquer la progression électorale du RN. Beaucoup des électeurs du RN se sont tournés vers ce parti en désespoir de cause : ils sont lassés par la classe politique disons « traditionnelle », avec le sentiment qu’elle est impuissante à changer leur quotidien… C’est à ça que la gauche doit répondre.
Or, avoir un très bon programme ne suffit pas. Les gens ne lisent pas nécessairement les programmes, on les comprend, ils fonctionnent – comme nous tous – d’abord par l’expérience du quotidien. J’ai croisé des sympathisants qui me disent : « Le Smic à 1 600 euros, c’est bien mais mon patron boulanger ne peut pas me verser ça et je ne veux pas le mettre dans la merde… » Il faut qu’on fasse preuve d’humilité collective. Cela ne veut pas dire que je ne soutiens pas le Smic à 1 600 euros ! Mais il faut expliquer mieux comment on y arrive, sans mettre ce patron boulanger, par exemple, en difficulté.
Si Emmanuel Macron venait à vous nommer, votre gouvernement est-il bouclé ?
Lucie Castets : J’ai déjà travaillé à plusieurs hypothèses, en concertation avec les partis. Toutes les composantes du NFP devront y être représentées, en évitant les personnalités les plus clivantes qui peuvent heurter les sensibilités de chacun. Et je suis favorable à ce qu’on ouvre à la société civile ou à certaines figures hors NFP, qui seraient prêtes à travailler avec nous et partagent notre socle.
À l’inverse, si le président se refusait à nouveau à nommer le NFP, que peut faire la gauche ?
Lucie Castets : Je le vois mal entendre raison, c’est donc l’hypothèse la plus probable. Nous devrons continuer à travailler à l’Assemblée pour construire un changement de cap politique, et préparer les prochaines échéances électorales.
Une présidentielle anticipée, par exemple ?
Lucie Castets : Je ne suis pas pour destituer le président de la République, en revanche je comprendrais qu’il se pose la question de démissionner. La crise politique vient d’abord de l’Élysée.
Vous avez appelé, le 30 novembre, aux côtés de Marine Tondelier, à fixer le principe d’une candidature commune à la présidentielle.
Lucie Castets : Oui, mais pas seulement. La candidature commune, et le fait de trouver une méthode de désignation, cela nous semble le B.A.BA pour ne pas partir désunis. Le projet est dans le nom, « Gagnons ensemble » : s’organiser et préparer la suite, avec toutes les forces de ce pays qui veulent œuvrer à la victoire d’un projet commun à l’ensemble de la gauche. Aller écouter et parler à tous ceux qui se sont éloignés de nous ou qui ne votent pas, ou plus.
Nous devons démontrer que nous savons écouter, et tenir compte de ce que les gens disent, contrairement à ce qui a été fait depuis 2017. Le NFP a été un élan incroyable, qui doit beaucoup à la société civile organisée, avec un fort désir d’union qui n’est pas retombé. Il faut renouer avec cet esprit. Nous pouvons approfondir le programme, en associant là encore la société civile et en nous appuyant sur des consensus locaux, sur la santé, l’éducation, la fiscalité…
Jean-Luc Mélenchon aussi a appelé à se rallier aux insoumis pour une candidature commune.
Lucie Castets : Notre démarche n’a rien à voir. Nous appelons à décloisonner le NFP, pour dépasser les 28 % et atteindre les 50 % pour être en mesure d’obtenir une majorité absolue aux législatives et de remporter la présidentielle. J’espère que la censure va provoquer un esprit de responsabilité, pour être en mesure de dépasser les postures. Nous gagnerons tous à travailler ensemble.
Pierre Jacquemain sur www.politis.fr/
Le gouvernement Barnier est menacé par la censure, après le déclenchement du 49.3. Rejetant toute proposition budgétaire alternative venue de la gauche, le bloc central a défendu son programme en négociant avec l’extrême droite. Une grave étape vers la légitimation de l’offre politique du RN.
« Ce sont les oppositions qui décident » ! C’est le monde à l’envers. Depuis quand les oppositions d’un régime semi-présidentiel seraient-elles invitées à « décider » ? Ainsi s’est pourtant exprimé au micro de Franceinfo l’ancien ministre des comptes publics, Thomas Cazenave, le lendemain de l’usage du 49.3 par le premier ministre, et accessoirement veille de vote des motions de censure. Tout le monde se renvoie la balle. Personne n’est responsable de rien. Ou plutôt tout le monde est irresponsable.
Qui a déserté les bancs de l’Assemblée nationale pendant que la gauche tendait la main au gouvernement ?
Du côté du bloc central, celui qui est « en responsabilité » depuis sept ans, la faute reviendrait aux oppositions. Comprendre au NFP et à l’extrême droite, qui ont « décidé » de faire chuter le gouvernement. C’est ne pas manquer de culot. Qui a déserté les bancs de l’Assemblée nationale pendant que la gauche tendait la main au gouvernement avec des propositions budgétaires alternatives.
Tout a été rejeté en bloc par les macronistes et la droite qui ont associé leurs voix à celles du Rassemblement national. Ils ont reproché à la gauche d’avoir défendu « tout leur programme, rien que leur programme », le bloc central a défendu son programme en négociant avec l’extrême droite. Ainsi ont-ils permis au parti de Jordan Bardella de gagner la bataille du récit. C’est une grave étape vers la légitimation de son offre politique à laquelle nous venons d’assister et qui relève pourtant de l’imposture.
En fixant ses lignes rouges – sur la non-indexation des retraites, les prix de l’électricité, le déremboursement des médicaments et l’aide médicale d’État – et en humiliant Michel Barnier, qui s’est vu contraint sans délai de céder sur (presque) chacune de ses demandes – jusqu’à rédiger un communiqué de presse de Matignon pour lui donner raison –, Marine Le Pen se fait passer pour la grande défenseuse des catégories populaires, qui auraient eu tant à perdre avec le budget présenté par le gouvernement.
C’est une immense victoire pour les députés du RN. Une immense victoire en trompe-l’œil.
C’est donc une immense victoire pour les députés du RN. Une immense victoire en trompe-l’œil. Parce que rien de tout ça n’est vrai. Quand on observe leur comportement lors des débats sur le budget de 2025, une autre réalité est apparue, peu compatible avec la défense des plus vulnérables. Comme l’ont analysé nos confrères de Basta!, le RN a voté contre la hausse de la CSG sur les revenus du capital, contre la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises, contre la taxe sur les hauts patrimoines de plus d’un million d’euros, contre le rabotage des exonérations de cotisations patronales sur les bas et moyens salaires, ou encore contre l’ISF climatique, qui ne touche pourtant que quelque 63 milliardaires français.
En gros, contre tout ce qui permettait de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État pour améliorer la qualité de nos services publics et permettre des coups de pouce sur les minima sociaux ou les bas revenus. Le RN protège les plus forts, pas les plus faibles.
Et après ? Après la censure ? Après le départ de Michel Barnier, que se passera-t-il ? Le RN adoubera-t-il une autre figure du bloc central ? L’adoubera-t-il un temps pour mieux le censurer plus tard ? Jouera-t-il au jeu du chat et de la souris de manière indéfinie jusqu’à la prochaine dissolution ? Le pari est risqué pour tout le monde. Le bloc central a pourtant une autre carte en main pour dessaisir le RN de son rôle pivot. En proposant au Nouveau Front populaire de gouverner, et en lui assurant de ne pas le censurer – après avoir négocié et fixé avec lui ses lignes rouges.
Ainsi, le RN n’aurait plus aucun pouvoir de nuisance. Tout juste retrouverait-il une crédibilité d’opposant politique. Ce qui lui a largement fait défaut ces derniers temps. Mais, jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas les oppositions qui décident. Et c’est bien au président de la République de nommer un nouveau premier ministre. Prendra-t-il une nouvelle fois la responsabilité de son irresponsabilité
mise en ligne le 2 décembre 2024
Anthony Cortes sur www.humanite.fr
Le premier ministre devrait annoncer, ce lundi 2 décembre, recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le Nouveau Front populaire dénonce un texte de régression qui fait fi des travaux parlementaires et menace de renverser le chef de l’exécutif. Une hypothèse de plus en plus probable après la confirmation, ce lundi matin, de Jordan Bardella que le RN votera la censure en cas de recours au 49.3.
Un coup de force et puis s’en va ? L’avenir de Michel Barnier, nommé premier ministre par Emmanuel Macron le 5 septembre, s’écrit ce lundi 2 décembre à l’Assemblée nationale. À 15 heures précises, l’ancien commissaire européen de 73 ans montera à la tribune pour annoncer, vraisemblablement, tel qu’il l’évoque ces jours-ci, qu’il recourt à l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS).
Face à cette volonté de contourner le Parlement, véritable marque de fabrique du pouvoir macroniste, la gauche a d’ores et déjà fait savoir qu’elle déposera dans la foulée une motion de censure pour renverser le gouvernement, révoltée par ce texte de « régression sur la politique de santé » dénoncé par André Chassaigne, député communiste et président du groupe GDR, comme par le déni de démocratie de Michel Barnier.
Discutée et votée dès ce mercredi 4 décembre, la motion de censure pourrait clore son expérience à Matignon si le Rassemblement national (RN) mêle ses voix à celles du Nouveau Front populaire (NFP), comme Marine Le Pen menace de le faire depuis plusieurs jours. En cas de recours au 49.3 sur le budget de la Sécurité sociale, « le Rassemblement national actionnera le mécanisme du vote de l’arme de la censure, sauf évidemment, miracle de dernière minute, si Michel Barnier venait à revoir sa copie d’ici 15 heures. Mais j’ai peu d’espoir qu’il soit touché par la grâce », a déclaré pour sa part ce lundi matin sur RTL Jordan Bardella.
Un travail de « compromis » gâché
« Cette motion de censure est indispensable ! » tonne Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris et corapporteuse du PLFSS. La colère de la gauche est d’autant plus forte que ses députés ont joué le jeu parlementaire, avec l’ensemble des forces de l’arc républicain, pour qu’un « texte de compromis à la hauteur des enjeux » puisse voir le jour, assure la parlementaire. Et ce dans la lignée de la déclaration de politique générale de Michel Barnier du 1er octobre appelant les parlementaires à leur sens des « responsabilités » et du « compromis » : « On ne se compromet pas quand on fait un compromis, surtout s’il est dynamique. »
La bonne volonté du NFP pour un PLFSS de compromis a, dans un premier temps, donné des résultats. Au gré des travaux de la commission des Affaires sociales, puis de celle des Finances, et enfin l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée nationale, la gauche pouvait se targuer d’être parvenue à faire adopter 20 milliards de recettes supplémentaires par des taxes sur les boissons sucrées, le tabac, l’alcool, les jeux d’argent, mais aussi et surtout sur les plus-values sur la vente d’actions, l’augmentation de la CSG sur les revenus du capital, les profits de l’industrie pharmaceutique et les dividendes, entre autres.
« Nous avons très bien travaillé, j’ai trouvé des gens intelligents qui ont su s’impliquer », concède Yannick Neuder, député LR de l’Isère et rapporteur général du PLFSS. Ce proche de Laurent Wauquiez avoue même avoir parfois eu plus de facilité pour avancer avec Sandrine Rousseau et Louis Boyard (FI), ses corapporteurs, qu’avec certains macronistes « qui ne font pas le deuil de leur ancienne majorité absolue alors qu’ils dévalent les marches du pouvoir une à une ». « En commission, avec la gauche, nous avons eu bien des accords, indique-t-il. Comme sur la volonté de protéger notre souveraineté sanitaire en renforçant le Code monétaire et financier pour permettre de bloquer la vente d’une filiale, pour éviter de perdre des pans stratégiques, comme Doliprane par exemple. »
Des avancées réduites à peau de chagrin par le Sénat et sa majorité de droite, qui a réécrit le texte pour le rapprocher des intentions initiales du gouvernement, puis par la commission mixte paritaire (CMP), composée en grande partie de parlementaires du « socle commun ». Seul un compromis sur les retraites a été trouvé pour les indexer sur la moitié de l’inflation dès le 1er janvier (+ 0,8 %), avec un complément dès le 1er juillet pour les retraités sous la barre des 1 500 euros brut.
Une taxe sur les sodas a été conservée, portée par la droite et la gauche. La proposition sénatoriale prévoyant sept heures de travail sans rémunération pour les actifs pour rapporter 2,5 milliards, selon LR et Renaissance, a, quant à elle, été supprimée. Un soulagement qui ne suffit cependant pas à la gauche, qui déplore que la baisse des exonérations de cotisations patronales, initialement fixée par le gouvernement à 4 milliards d’efforts pour les entreprises, ait été ramenée à 1,6 milliard sous la pression du groupe EPR, présidé par Gabriel Attal. Le compromis proposé par le NFP, à 3 milliards, a été ignoré.
Une censure inévitable pour la gauche
« La version finale du texte était écrite d’avance, déplore également Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados et membre de la commission des Affaires sociales. Plutôt que de chercher à s’élargir, le camp présidentiel n’a voulu négocier qu’avec lui-même. Le programme du socle commun, ce n’est pas la démocratie, c’est : le macronisme, que le macronisme ! »
Reçu par Michel Barnier la semaine dernière, celui-ci a tenté de soumettre au premier ministre des pistes de compromis inspirées des travaux de toute la gauche : maintien de l’indexation de toutes les pensions de retraite sur l’inflation, augmentation du budget de l’hôpital public, suppression de la baisse des taux de remboursement des consultations médicales et des médicaments, assujettissement aux cotisations sociales des compléments de salaire (participation, intéressement, dividendes) pour les 20 % des ménages les plus aisés, etc.
Ces mesures entendaient préserver un niveau de dépenses de la Sécurité sociale pour un montant de 8,06 milliards d’euros tout en prévoyant de nouvelles recettes, « pour un montant minimal de 8,14 milliards d’euros par rapport au projet initial », précise le socialiste. En vain.
« J’ai bien senti qu’il nous recevait uniquement par politesse, confie-t-il. Il nous a dit avoir vu nos amendements et qu’il en trouvait certains intéressants. Avant d’ajouter qu’il fallait que nous le comprenions, qu’il n’avait aucune marge de manœuvre parce que son socle était décidé à ne céder sur rien. » Une situation qui, de l’avis de tous les groupes du NFP, rend la censure inévitable.
« Il y aura une motion de censure et nous la voterons », fait savoir André Chassaigne. Même son de cloche à la France insoumise par la voix de Mathilde Panot, cheffe du groupe : « C’est une violence démocratique que nous ne pouvons pas accepter. Ce sera une motion de censure qui sera déposée par l’ensemble du Nouveau Front populaire et chaque député prendra ses responsabilités. Nous avons un premier ministre en sursis. »
Le chantage du RN
Pour que Michel Barnier et son gouvernement soient renversés, le vote de la motion de censure déposée par la gauche par une majorité de députés est nécessaire. La position des forces du « socle commun » (EPR, Modem, Horizons, DR) est connue ; elles tenteront de sauver tant bien que mal le soldat Barnier. Reste à déterminer ce que feront les 124 députés apparentés RN et leurs 16 alliés ciottistes.
Ces derniers jours, Marine Le Pen a largement fait part de ses intentions de voter la censure si certaines de ses exigences n’étaient pas contentées. Jusqu’à pousser Michel Barnier, jeudi 28 novembre, à une série de concessions pour la convaincre de retenir ses troupes et sauver ainsi sa peau. Parmi elles, la suspension de la hausse envisagée sur le prix de l’électricité ou d’autres répondant aux obsessions du RN, telles que la réduction du panier de soins pris en charge par l’aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers et l’annonce d’une réforme à venir pour « éviter les abus et les détournements ».
Suffisant pour éviter la censure ? « M. Barnier a annoncé une baisse de l’AME de 100 millions sur 1,2 milliard d’euros. Est-ce bien sérieux ? » a fait mine de s’interroger, ce dimanche, dans les colonnes de la Tribune, l’ancienne candidate frontiste à l’élection présidentielle pour mettre davantage de pression sur le chef du gouvernement. Et de poursuivre : « La censure n’est pas inéluctable. Il suffit que M. Barnier accepte de négocier. Il est issu d’une famille politique qui a 47 députés. Normalement, cela devrait pousser à la discussion ! Il ne souhaite pas le faire, c’est lui qui prend la décision du déclenchement de la censure. » Une façon de lui rappeler une règle simple. S’il veut rester en place, il lui faut obéir à son maître : l’extrême droite. Et ne surtout pas lui mordre la main.
mise en ligne le 29 novembre 2024
Victor Fernandez sur https://rapportsdeforce.fr/
Alors que le RN tente régulièrement de se donner l’image d’un parti attentif aux souffrances sociales, son attitude lors du débat budgétaire révèle son peu de préoccupation pour la justice fiscale et sociale.
Pendant plus d’un mois, les députés ont débattu de deux textes budgétaires : le projet de loi de finances (PLF) et son équivalent pour la Sécurité sociale (PLFSS). Particulièrement mobilisés, en même temps que s’ouvrait le procès mettant en cause de parti de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics européens, les députés du Rassemblement national (RN) ont parfois joué la carte du « social » pour se positionner en contrepoint du gouvernement.
Un combat d’autant plus facile à mener que les travées de la droite et du centre de l’hémicycle ont, elles, pris la poussière. La manœuvre visait également à phagocyter des thématiques d’habitude portées par la gauche. « La gauche a trahi la cause populaire et n’existe plus que dans l’opposition au Rassemblement national. Votre bêtise politique vous sort de l’histoire et la place que vous occupez, nous la prendrons pour en faire quelque chose d’utile aux Français », a ainsi lancé le député RN Alexis Jolly lors de la niche parlementaire du parti qui avait lieu dans cette période de débats budgétaires.
En matière fiscale, le RN a voté en faveur de plusieurs amendements déposés par le Nouveau Front populaire (NFP). La taxation améliorée des Gafam (les géants du numérique, comme Google ou Amazon) ou le renforcement de la taxe sur les transactions financières ont ainsi semblé séduire le parti d’extrême droite. De même, l’instauration d’une contribution spécifique des hauts revenus, initialement pensée comme provisoire par le gouvernement, mais que la gauche a voulu rendre pérenne, a convaincu une grande majorité des députés du RN présents lors du vote.
Défense du capital plutôt que de la Sécurité sociale
Sur d’autres recettes fiscales possibles, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a défendu les intérêts des plus fortunés. Les députés d’extrême droite ont ainsi rejeté la hausse de la CSG sur les revenus du capital, la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises ou la proposition de taxe sur les hauts patrimoines de plus d’un million d’euros. Sans succès puisque ces amendements ont malgré tout été adoptés.
Le RN s’est aussi opposé à un article du projet de loi de finances visant à diminuer les exonérations de cotisations sociales patronales dont bénéficient actuellement les entreprises, tout particulièrement sur les salaires proches du Smic. Ces exonérations sur les salaires entre 1 et 1,6 Smic grèvent les caisses de la Sécurité sociale d’environ 40 milliards d’euros par an.
Leurs effets pervers sont aussi critiqués : elles favoriseraient des « trappes à bas-salaires » – les employeurs n’étant pas incités à augmenter les salaires pour continuer à bénéficier des exonérations – et contribueraient à la « smicardisation » des salariés. Comble de l’absurde, alors que c’est bien le gouvernement de Michel Barnier qui était à l’origine de cet article, seuls les députés du NFP ont défendu la mesure, contre un front s’étendant du centre jusqu’à l’extrême droite.
Pour justifier ses prises de position sur les sujets fiscaux, le RN a un argument récurrent : le soutien aux PME et TPE, qu’il faudrait protéger. En réalité, son soutien aux acteurs économiques français dépasse largement le cadre de la petite entreprise. Le parti s’est ainsi vivement opposé au retour d’un impôt sur la très grande fortune demandé par le NFP, et à un ISF climatique – un impôt ciblant notamment les 63 milliardaires français dont le patrimoine émet autant de gaz à effet de serre que celui de 50 % de la population française.
Le RN porte voix des 1% les plus riches
Le positionnement du RN a, ici aussi, permis de faire échouer la gauche. Le député RN Matthias Renault a ainsi critiqué les « taxes de la gauche » tout en dénonçant l’absence des députés de la droite et du centre. Une situation qui n’a pas manqué de faire réagir le président de la commission des finances de l’Assemblée, l’insoumis Éric Coquerel. « Pourquoi voulez-vous qu’ils [les députés de droite et du centre] soient plus nombreux, puisqu’ils savent qu’ils vous ont pour voter contre toutes les propositions fiscales et sociales ? »
Le débat sur l’ISF a aussi été l’occasion pour le RN de ressortir sa proposition phare d’un impôt sur la fortune financière (IFF), présente dans son programme lors des dernières élections législatives. Le parti souhaite ainsi remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), une version déjà très au rabais de l’ancien ISF, par ce nouvel IFF qui exclurait de son assiette la résidence principale des personnes imposées. Un cadeau à destination des plus riches comme le montraient nos confrères de Politis : une toute petite minorité des Français les plus riches est concernée par cet impôt et la résidence principale bénéficie déjà d’un abattement fiscal.
La mesure n’a pas convaincu le reste de l’Assemblée et a été rejetée, tout comme d’autres amendements du parti qui visaient à rehausser d’une tranche les seuils d’imposition de l’IFI, ce qui en aurait exonéré certaines personnes, et aurait permis aux autres de bénéficier d’un taux plus clément. Pour justifier ces mesures pro-riches, le parti d’extrême droite a osé évoquer l’inflation dans l’exposé de son amendement, avant d’affirmer qu’« injuste en son principe et excessif dans ses dispositions, l’IFI doit du moins être réservé aux personnes dont le patrimoine est réellement important ».
La première tranche de l’IFI concerne pourtant les personnes dotées d’un patrimoine de plus de 1,3 million d’euros, soit les 1 % de la population les plus dotés en patrimoine, selon l’Observatoire des inégalités. Une catégorie à laquelle appartient d’ailleurs Marine Le Pen.
Étrangers, culture, écologie : cibles de l’austérité
La préoccupation du RN pour l’inflation n’est pas aussi flagrante quand elle concerne les classes populaires. Les propositions qui attirent la sympathie du parti se résument essentiellement à des baisses de taxes sur les prix de l’électricité et du gaz. Le parti d’extrême droite promeut en parallèle des mesures qui rendent plus coûteux l’accès à certains services publics. Il veut ainsi mettre en place une « taxe lapin », soit une facturation de la consultation à un patient ne s’étant pas présenté à son rendez-vous médical ou bien un « ticket modérateur » pour la justice, soit une somme minimale que devrait dépenser tout justiciable s’il veut faire appel à un avocat, y compris s’il a des faibles revenus.
Le parti d’extrême droite s’attaque ensuite tout particulièrement à certaines catégories de la population. Sans surprise, les personnes étrangères constituent sa première cible. Il veut ainsi les priver de la prime d’activité (qui bénéficie aux personnes qui travaillent), de l’aide médicale d’État (AME) et veut réserver l’hébergement d’urgence aux personnes en situation régulière. Le parti propose également d’instaurer trois jours de carence en cas d’arrêt maladie pour les agents de la fonction publique, un projet sur lequel il rejoint le gouvernement.
Les députés RN ont par ailleurs apporté leur soutien à un amendement de leur allié Éric Ciotti visant à ôter aux intermittents du spectacle la possibilité de lisser leurs revenus, souvent instables, sur plusieurs années pour le calcul de leurs impôts. Dans l’exposé écrit qui accompagne son amendement, l’ancien président des Républicains élargit sa critique au régime de l’intermittence dans son ensemble, le qualifiant de « niche fiscale ».
Réforme des retraites : récupération politique
L’examen du budget aura également amené une nouvelle fois le RN à s’exprimer sur la réforme des retraites. Alors qu’au printemps 2023, il n’avait pas soutenu la mobilisation dans les rues et les entreprises contre l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, le parti cherche depuis régulièrement à se réapproprier cette lutte qui suscite un large engouement dans la population. Le 29 octobre, un amendement du NFP est examiné dans l’hémicycle pour rétablir la retraite à 62 ans.
Opposition immédiate du RN qui, par la voix du député Thomas Ménagé, appelle le NFP à « un peu de sérieux » en arguant d’une impossibilité juridique d’abroger la réforme des retraites par amendement en raison de l’article 40 de la Constitution. Lequel dispose qu’un amendement n’est pas recevable lorsque son adoption « aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Souhaitant incarner un « parti de gouvernement » soucieux des règles, le RN a alors en tête sa propre loi d’abrogation qu’il souhaitait présenter deux jours plus tard, durant sa niche parlementaire. Une initiative qui a fait long feu, le camp gouvernemental ayant réussi à vider de sa substance le texte du RN en s’appuyant justement sur ce même article 40. Le 4 novembre, après ce coup politique raté, le parti apporte finalement son soutien à un nouvel amendement du NFP visant à abroger la réforme des retraites.
Le RN en soutien du gouvernement Barnier
Si les débats sur la partie « recettes » du projet de loi de finances ont pu être menés à leur terme, il n’en est pas de même pour sa partie « dépenses », qui n’a pas été examinée. Le RN n’a donc pas eu à se positionner sur les coupes budgétaires souhaitées par le gouvernement. Toutefois, plusieurs de ses amendements ont été examinés en commission des finances. Associés à son contre-projet de budget, ces amendements dessinent le visage austéritaire du parti.
Il entend ainsi diminuer de plus de 4 milliards d’euros les crédits alloués aux acteurs culturels, aux associations (et plus spécifiquement celles œuvrant dans le champ de l’enseignement scolaire ou de l’écologie), à l’enseignement supérieur (et tout particulièrement aux sciences humaines et sociales), ou encore aux fonctionnaires travaillant dans le champ de l’écologie. Concernant ces derniers, le parti d’extrême droite fait converger son mépris de l’écologie avec une haine sociale : « Les fonctionnaires bureaucrates ont démontré leur inutilité voire leur incompétence […], ce qui justifie d’enlever des crédits de personnel », justifie le RN dans l’exposé de son amendement.
C’est véritablement au moment du vote de l’entièreté de la partie « recettes » du projet de loi de finances que le parti de Marine Le Pen montre son désintérêt pour les questions sociales. Alors que vote après vote, les députés de gauche avaient réussi à transformer le projet initial du gouvernement, le parti d’extrême droite a décidé d’unir ses voix à celles de la droite et du centre pour voter contre le texte. Des voix précieuses pour le camp gouvernemental qui a pu rétablir sa version initiale du texte avant de le présenter au Sénat.
À l’issue de son examen par la chambre haute, le projet de loi de finances reviendra à l’Assemblée nationale. Selon toute vraisemblance, Michel Barnier devrait alors mobiliser le 49.3 pour le faire adopter en l’état, ce qui suscitera une motion de censure de la part des députés du NFP. Le RN la votera-t-il ?
Alors qu’il l’a longtemps exclu, le parti pourrait s’y résoudre, remobilisé par les ennuis judiciaires de Marine Le Pen, elle et plusieurs cadres du parti étant accusés d’avoir mis en place un système de détournement de fonds publics européens, avec un préjudice estimé à 7 millions d’euros. Encore une fois, c’est davantage la volonté de faire un coup politique qu’une réelle préoccupation sociale qui guidera les députés d’extrême droite.
mise en ligne le 10 octobre 2024
Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr
Le projet de loi de finances pour 2025 est présenté ce jeudi 10 octobre, en Conseil des ministres. Au cœur des débats à venir dans l’Hémicycle, l’augmentation des impôts, refusée par la Macronie. Michel Barnier a annoncé ne rien s’interdire, tandis que la gauche entend redonner tout son sens à cet outil de redistribution.
Un totem matriciel du macronisme vacille. Depuis sept ans, les troupes présidentielles ont bâti leur identité politique autour d’une promesse : aucune hausse des impôts. Et voilà que le premier ministre issu des « Républicains », Michel Barnier, a franchi le Rubicon et ouvert la discussion : « Il ne faut pas s’interdire d’aller vers une plus grande justice fiscale », a déclaré, dès mi-septembre, l’hôte de Matignon.
« La hausse des impôts n’est jamais une fatalité, mais toujours une facilité », lui a répondu la députée Renaissance Aurore Bergé, pressée de marteler le récit macroniste : l’impôt ne serait pas un levier de redistribution, mais une solution négative, une punition qui s’abattrait sur les honnêtes gens.
L’impôt sert pourtant à financer la solidarité nationale, les services publics et la lutte contre les inégalités. Au fur et à mesure que les impôts les plus progressifs diminuaient, ces sept dernières années, la pauvreté, elle, a largement augmenté. Preuve que le logiciel macroniste est à bout de souffle.
« Contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus
Et pourtant, malgré les cris d’orfraie des élus Renaissance, les pistes envisagées par le premier ministre sont loin d’incarner une révolution fiscale. En l’espèce, les hausses d’impôts à la sauce Barnier pourraient prendre la forme d’une « contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus, qui ne toucherait que les ménages émargeant à plus de 500 000 euros par an (soit l’équivalent de 20 fois le revenu médian français, ce qui représente 0,3 % des ménages). Recettes estimées : 2 milliards d’euros.
Une autre augmentation cible 300 grandes sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros annuels. Les deux mesures seraient temporaires, « sur un ou deux ans », promet Michel Barnier : « il n’y aura pas de choc fiscal. »
Voilà le patronat rassuré, d’autant qu’une autre augmentation d’impôts, sur laquelle Matignon s’est bien gardé de communiquer, risque, elle, de toucher sévèrement les plus pauvres : la hausse de la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité (TICFE). Cette part prélevée par l’État sur la facture au mégawattheure pourrait être doublée d’ici à février.
Preuve que la droite et le centre ne rechignent pas à cibler le portefeuille des Français, malgré leurs discours – il n’est jamais question, par exemple, d’entamer un débat de fond sur la TVA, impôt qui touche proportionnellement plus fort les bas revenus.
Reste que le premier ministre a ouvert une brèche dans laquelle la gauche parlementaire entend s’engouffrer. « Michel Barnier a eu le mérite de remettre la question fiscale sur le tapis, là où la Macronie refusait tout débat sur ce sujet, se félicite le député PCF Nicolas Sansu. Après sept années d’Emmanuel Macron, nous avons un impôt de moins en moins progressif et de moins en moins compris, qui nourrit le sentiment d’injustice fiscale et la haine envers les prélèvements. »
Le NFP propose une équation anti-austéritaire
Alors, ce mercredi 9 octobre, à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire (NFP) a décidé de serrer les rangs. Communistes, insoumis, socialistes et écologistes ont présenté ensemble à la presse les mesures phares de la coalition pour amender le projet de loi de finances 2025, présenté en Conseil des ministres ce jeudi 10 octobre. À leurs côtés, une invitée spéciale, Lucie Castets, « à l’origine de ce travail budgétaire » et toujours candidate du NFP pour Matignon.
La gauche dresse une liste de 10 mesures visant à dégager environ 49 milliards d’euros de recettes supplémentaires, qui prendront la forme d’amendements déposés par les quatre forces du NFP. « Le temps n’est pas aux rustines ! » tance l’insoumis Éric Coquerel, président de la commission des Finances.
Les propositions du NFP reprennent ainsi en grande partie le chiffrage établi par la gauche lors des législatives, « seule coalition à avoir détaillé à ce point son programme », rappelle le député FI, persuadé que la gauche aurait pu obtenir « une majorité sur un budget NFP-compatible si on nous avait laissé gouverner ».
« Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés. » Philippe Brun, député PS
La preuve, c’est que là où le gouvernement souhaite faire des coupes budgétaires à hauteur de 40 milliards d’euros, tout en promettant de « répondre à l’attente des Français qui ont besoin d’une plus grande présence des services publics sur le territoire », le NFP propose une équation anti-austéritaire qui reste la seule à même de pouvoir développer les services publics.
Mais où la gauche propose-t-elle d’aller chercher ces nouvelles recettes ? « Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés », sourit le socialiste Philippe Brun. D’abord, en plafonnant ou en supprimant un certain nombre d’exonérations ou de crédits d’impôt qui ne se justifient pas. Le crédit d’impôt recherche, qui représente 7 milliards d’euros par an sans effet notable sur le financement de la recherche française, serait plafonné à 50 millions d’euros et davantage ciblé et tracé.
Exit les exonérations de cotisations employeurs pour tous les salaires supérieurs à deux Smic (3 600 euros brut). Exit aussi la fiscalité anti-écologique de l’aérien : le NFP propose de supprimer l’exonération de taxe kérosène sur les vols intérieurs et de taxer les vols en jet privé. Les recettes dégagées viendraient financer le développement de l’alternative ferroviaire : « La fiscalité écolo n’est pas une fiscalité de rendement : nous la redistribuons tout de suite à destination des usagers », soulève l’écologiste Eva Sas.
Retour de l’ISF, taxe sur les grandes entreprises
Sur le volet des nouvelles impositions, la coalition de gauche remet sur la table la réinstauration de l’impôt sur la fortune (ISF), dans une version « revisitée et plus robuste », avec une composante plancher équivalente à 2 % du patrimoine net global, pour être certain que les ultra-riches n’y échappent pas via un montage fiscal.
Là encore, avec l’objectif de bâtir une majorité au-delà du NFP : « Il y a une majorité de députés de cette Assemblée qui ont mis le retour de l’ISF dans leur profession de foi », rappelle Philippe Brun. Le Modem, l’an dernier, avait d’ailleurs soutenu la création d’un ISF vert et l’instauration d’une taxe sur les superprofits, qu’Emmanuel Macron avait dogmatiquement refusée.
Emboîtant le pas à Michel Barnier et sa micro-mise à contribution temporaire des grandes multinationales, le NFP propose aussi de taxer les entreprises à plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel avec un taux d’impôt sur les sociétés à 40 %, rehaussé à 55 % pour les entreprises à plus de 3 milliards. Une mesure à 5 milliards de recettes, à laquelle s’ajoute l’augmentation de la taxe sur les transactions financières (de 0,3 % à 0,6 %), pour un gain de 2 milliards d’euros supplémentaires.
La batterie de mesures cible donc les ménages aisés, les très grandes entreprises extrêmement profitables, le marché boursier et les activités polluantes. Le tout, pour dégager des marges de manœuvre en termes de politiques publiques. Contrairemetn au budget Barnier, qui est « très court-termiste et propose une cure dangereuse d’austérité qui ne permet pas à la puissance publique de fonctionner », considère Lucie Castets, qui ajoute que « les réformes fiscales de Macron, ce sont 62 milliards d’euros qui sont grevés sur les comptes publics chaque année ».
« Ces mesures ne sont que le volet recettes de nos propositions sur le PLF 2025, rappelle Nicolas Sansu. Elles servent de base pour, dans un second temps, nos mesures de financement de l’hôpital, de l’école, des services publics… » La gauche s’attend déjà à ce que la coalition de Michel Barnier l’accuse de « matraquage fiscal » ou de vouloir « asphyxier les Français ».
Faire dérailler la fable macroniste
Le socialiste Claude Raynal, président de la commission des Finances au Sénat, s’en empourpre d’avance : « Il est insupportable d’entendre ceux qui sont responsables de notre déficit actuel (3 200 milliards d’euros – NDLR) nous faire la leçon et fixer des lignes rouges sur le budget ! »
Il faudra donc batailler pour faire dérailler la fable macroniste qui veut faire de l’impôt redistributif un épouvantail, au nom d’une croyance tout aussi contestable : la théorie du ruissellement qui suppose que l’argent des riches s’écoule magiquement vers les plus pauvres, pour peu qu’on fiche une paix royale aux premiers. Car, au-delà du Parlement, certains s’autorisent à penser bien plus loin que Michel Barnier.
Le 8 octobre, le Figaro publiait le « rapport choc » de l’Institut Montaigne, think tank libéral qui propose une feuille de route à 150 milliards d’économies. Au rayon des « bonnes idées » de l’institut, 25 milliards retranchés des dotations aux collectivités territoriales (donc des services de proximité : écoles, Ehpad, bibliothèques, piscines publiques…) ; des séjours écourtés en maternité après accouchement ; ou encore la retraite à 66 ans. La question de la hausse des impôts, pilier de notre contrat social, est évidemment, là encore, absente de ses radars.
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Le discours anti-impôts, omniprésent, tout autant que la hausse des inégalités et la dégradation des services publiques, fait des ravages sur le consentement de la population à participer à la contribution commune : 82 % jugent le système fiscalo-social « inéquitable ».
La France serait la « championne du monde des prélèvements obligatoires » et un « enfer fiscal », répète Patrick Martin, le président du Medef, sur tous les plateaux de radio et de télévision depuis la rentrée. Ce discours anti-impôts, allègrement repris par des ministres jusqu’à il y a peu en exercice, mine le consentement à l’impôt des Français.
Le dernier baromètre du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) révèle que 67 % des Français sont insatisfaits de l’utilisation faite de leurs impôts (+ 3 % en deux ans) ; 82 % jugent même le système fiscalo-social inéquitable.
« La première cause de cette dégradation est ce discours idéologique anti-impôts constamment rabâché », assure le fiscaliste Vincent Drezet. « C’est le jour où on en verra les conséquences qu’on le regrettera », met en garde le porte-parole d’Attac, qui cite en exemple le système de santé. En effet, le service public français représente 11,9 % du PIB. Aux États-Unis, où l’essentiel est privatisé, c’est 18,2 %. Y accoucher coûte entre 50 000 et 100 000 dollars, selon les prestations de la clinique.
Le contrat social en France stipule que, là où il y a contribution, il doit y avoir rétribution. Les cotisations sociales, qui financent les retraites ou le chômage, sont du salaire différé, quand les impôts financent les services publics, « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », disait Jean Jaurès.
Le taux de prélèvement obligatoire français, entre 42 et 45 % du PIB depuis les années 1980 (en substance, comme la Belgique, le Danemark ou l’Allemagne), ne peut être comparé à celui d’un paradis fiscal comme l’Irlande (21 %), ou aux États-Unis (25 %) où la santé, la recherche comme l’enseignement supérieur sont en grande partie privés.
À cela, les Français sont encore attachés, nous dit le baromètre du CPO, mais ce lien citoyen avec l’impôt est de plus en plus fragile. Si 65 % des répondants estiment payer trop d’impôts, 50 % préfèrent « améliorer les prestations fournies par les services publics, quitte à augmenter le niveau des impôts », et 83 % pensent que l’État devrait dépenser davantage pour certaines missions comme l’hôpital ou l’école.
Les Français majoritairement bénéficiaires de la redistribution
« La première mesure qu’il faudrait prendre pour rétablir le consentement à l’impôt serait de rendre la fiscalité lisible, explique la responsable de plaidoyer « Justice fiscale et inégalités » d’Oxfam, Layla Abdelké Yakoub. Il faut comprendre ce que l’on paye et pourquoi. » Vincent Drezet acquiesce : « Il faut d’abord informer, faire preuve de transparence et de pédagogie pour contrer, arguments à l’appui, les discours anti-impôts. »
Ainsi, 74 % des Français ont l’impression de contribuer plus qu’ils ne bénéficient du système de redistribution, ce qui est faux. En 2018, les économistes Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman avaient produit une étude mesurant que les deux tiers des Français recevaient davantage, en prestations et en services publics, qu’ils ne versent en impôts, taxes et contributions sociales.
Dans la continuité de ce travail, l’Insee a refait le calcul en 2023 et la situation semble s’être dégradée, puisque, selon le rapport, 57 % des ménages français sont bénéficiaires nets de ce système de redistribution élargie. Dans le détail, il s’avère que « 90 % des individus de plus de 60 ans reçoivent plus que ce qu’ils paient, principalement via les retraites et la santé », contre moins de 50 % chez les actifs. Autrement dit, l’impôt remplit de moins en moins son rôle redistributif.
« Chez Attac, on aime dire qu’il n’y a pas de ras-le-bol fiscal, mais un ras-le-bol des injustices fiscales, » avance Vincent Drezet, qui date cette inflexion de la crise de 2008, lorsque les Français ont eu le sentiment de payer pour les banques. La politique de l’offre qui vise à augmenter les marges des entreprises n’a pas arrangé le sentiment d’injustice.
« Ces dernières années, quand le gouvernement parlait de baisses d’impôts, ce n’était que pour les plus riches et les grosses entreprises, mais quand il faut les augmenter, c’est pour tout le monde », déplore Layla Abdelké Yakoub. Il y a eu une série d’allègements fiscaux à destination des grosses fortunes (suppression de l’ISF, création de la flat tax, etc. ) mais aussi sur les sociétés (baisse de l’impôt sur les bénéfices de 33 à 25 %, baisse des cotisations, suppression de la CVAE sur les grands groupes, multiplication des niches fiscales, etc.).
Dans leur écrasante majorité, les Français n’en ont pas vu la couleur. L’aide aux entreprises, sous toutes ses formes, est devenue la première dépense de l’État. « Voilà pourquoi il faut de la transparence sur comment est utilisé l’argent de la population : des dizaines de milliards d’euros non conditionnées sont distribués aux grands groupes et, après, le gouvernement attaque les droits sociaux et réduit le budget des services publics, ce n’est pas entendable ! » s’insurge la chargée de plaidoyer d’Oxfam.
À l’inverse, la charge fiscale repose de plus en plus sur les taxes les moins progressives, comme la TVA, la CSG (les deux premières recettes fiscales avec respectivement 200 et 142 milliards d’euros). De ce fait, la taxe sur la consommation représente jusque 14 % du revenu disponible des ménages les plus modestes, contre 4,7 % pour les plus riches.
Conséquence de cette politique : les inégalités se sont creusées avec un taux de pauvreté qui est passé de 12,5 % à 14,4 % en vingt ans. Les ultrariches, eux, n’ont jamais autant cumulé : les cinq premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie.
« La faible progressivité du système fiscal ne permet pas de réduire efficacement les inégalités. Ce sont principalement les services publics et la protection sociale qui le permettent (sans cela, le taux de pauvreté dépasserait 22 %) », rappelle Attac.
Effet pervers, à mesure que le consentement à l’impôt s’érode, la tolérance à la fraude de proximité, comme le travail à domicile non déclaré, augmente. Seules 55 % des personnes interrogées dans le baromètre du CPO souhaitent que l’État dépense davantage de fonds publics pour lutter contre.
« On se dit que, quitte à ne pas s’y retrouver, à voir l’accessibilité et la qualité des services publics baisser, autant frauder, soupire Vincent Drezet. Mais la sensibilité à la question de l’évasion fiscale massive, celle des grands scandales, reste forte, même si on a du mal à se représenter les sommes en jeu. »
mise en ligne le 5 octobre 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
En cette rentrée syndicale, Rapports de force a souhaité questionner la fonction de la grève et de la lutte syndicale. A quoi sert une journée d’action ? Pourquoi la grève est-elle si dure à faire prendre ? Doit-on miser sur les unions locales ou les fédérations ? Faut-il compter sur les permanents ? Entretien avec le sociologue Baptiste Giraud, auteur du livre Réapprendre à faire grève.
Baptiste Giraud, maître de conférences en sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille et membre du laboratoire LEST (Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail), est l’auteur de l’ouvrage Réapprendre à faire grève (PUF 2024). Entre 2005 et 2007, il a mené une enquête ethnographique au sein de l’Unions syndicale (US) CGT du commerce et des services de Paris. Son ouvrage est inspiré de sa thèse Faire la grève. Les conditions d’appropriation de la grève dans les conflits du travail en France, parue en 2009.
Ce 1er octobre, une intersyndicale (Solidaires, CGT, FSU) appelle à la grève sur le thème des retraites, de l’augmentation des salaires et des services publics. Or l’organisation d’une simple journée d’action, très ritualisée, ne semble pas permettre de faire reculer le gouvernement et le patronat. Pourquoi les syndicats maintiennent-ils malgré tout le principe des journées d’actions isolées ?
Baptiste Giraud : C’est un fait, le mouvement syndical a bien du mal à enrayer les réformes néolibérales depuis 20 ans. Malgré tout, la CGT maintient cette habitude des journées d’action. Dans ce contexte, il est légitime de se poser la question de leur utilité. Selon moi, il y a un triple espoir.
D’abord, créer un événement médiatique et politique. Le 1er octobre, malgré tout, on en parle. Les syndicats font exister leurs revendications dans l’espace médiatique et politique : la question salariale, celle du travail de manière plus large. Ce n’est pas rien dans la période.
Deuxièmement, c’est aussi un moyen de faire vivre l’organisation. C’est un temps qui permet de rassembler des militants qui, sinon, seraient largement absorbés par l’exercice de leur mandat d’entreprise. Je le détaille dans mon livre : le temps de préparation de l’action a parfois plus d’importance que l’action elle-même. C’est l’occasion de maintenir des réseaux militants, de réactiver des sections parfois dormantes, de créer de nouvelles solidarités, de sortir du quotidien…
Troisième point : une journée d’action peut-être un point d’appui dans les entreprises où les syndicats sont en capacité d’initier une immobilisation forte. C’est un effet pervers, mais n’oublions pas qu’en 2023 les syndicats ont obtenu des compromis locaux dans la pétrochimie, dans des entreprises du transport etc. C’est pour ça qu’il faut toujours se méfier de la manière dont on évalue les retombées d’une journée d’action. Tout ne se voit pas à l’échelle interprofessionnelle.
Si l’on s’accorde sur l’impossibilité de contrecarrer le gouvernement et le patronat par une simple journée d’action, ne faut-il pas que les syndicats, et notamment la CGT, élèvent le rapport de force et tentent d’initier des grèves reconductibles, en capacité de peser sur l’économie ?
Baptiste Giraud : Il faut d’abord rappeler que le syndicalisme français ne va pas bien. Il y a une nouvelle érosion du taux de syndicalisation. Alors que ce taux s’était stabilisé autour des 11% dans les années 90 et 2000, on est revenu à 10% en 2019. De plus, les adhérents participent de manière beaucoup plus limitée qu’auparavant à l’activité de leur syndicat. Ces derniers reposent sur le dévouement, l’abnégation, d’une poignée de militants qui cumulent les responsabilités. On a de plus en plus à faire à des syndicats de mandatés.
Enfin, il a de gros trous dans la raquette. Les grèves se concentrent dans certaines grandes entreprises ou dans la fonction publique et les syndicats sont absents de 4 entreprises sur 10. L’implantation syndicale est très fragile dans les secteurs les plus exploités du prolétariat, notamment ceux qui sont au cœur de mon ouvrage : les ouvriers et employés du commerce des services.
Aujourd’hui, je pense que ce qu’il ne faut pas occulter lorsqu’on débat des stratégies syndicales, c’est à quel point les directions syndicales sont contraintes par leurs faibles moyens. De plus, dans la direction de la CGT, une idée est très fortement intériorisée : appeler à des mots d’ordre plus volontaristes, plus radicaux, comme la grève reconductible, c’est s’exposer au risque de les voir échouer. Or un tel échec est vu comme un réel vecteur de démoralisation militante et de marginalisation du syndicat.
Comment expliquer que, malgré une précarité et une colère sociale croissante, les grèves ne fassent pas le plein ?
Baptiste Giraud : Il ne faut pas sous-estimer les difficultés à entrer dans la grève, surtout de manière prolongée, et le niveau de résignation. D’ailleurs, il y a un décalage entre les moyens que la CGT peut réellement mettre à disposition pour rendre la grève possible et la rhétorique de la grève, qui est abondante dans les congrès par exemple. Dans quantité d’entreprises, les militants CGT opèrent une nette séparation entre ce qui relève du champ de l’activité syndicale et ce qui relève de l’activité politique et gouvernementale, comme la réforme des retraites. De plus, même parmi eux, il n’y a pas forcément consensus sur la nécessité de s’opposer à ces réformes. Dans mon livre, je montre toutes les frictions que peut susciter la rencontre entre des militants très attachés à la pratique de la grève, qui en font une modalité centrale de l’action syndicale, et des salariés, voire des militants, qui en sont très éloignés.
Pour les militants de l’US CGT commerce et services de Paris, que j’ai suivis, comme pour de nombreux salariés des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste, le recours à la grève et à la manifestation ne va pas du tout de soi. C’est une modalité d’action qu’ils n’ont généralement jamais eu l’occasion d’expérimenter, souvent parce qu’ils n’ont pas pas eu d’expérience militante antérieure au syndicalisme.
C’est pourquoi certains participent aux grandes manifestations sans se mettre en grève, mais en utilisant leurs heures de délégation. Ils montrent ainsi que la section, ou le syndicat, est mobilisé, mais sans forcément chercher à entraîner les salariés avec eux. C’est une manière de marquer une adhésion au mot d’ordre de la mobilisation, mais aussi l’aveu de leur difficulté à s’y rallier de manière plus collective. D’ailleurs, on l’a bien vu pendant la bataille contre la réforme des retraites en 2023, la première modalité d’action pour les salariés reste la participation à la manifestation plutôt que l’engagement dans la grève.
Pour les permanents, c’est très clair. Ils disent d’un côté : “dans nos secteurs, la grève reste la modalité d’action la plus adaptée pour créer le rapport de force nécessaire face à l’employeur”. D’un autre : “il nous faut constamment nous adapter à ce que sont nos militants, à ce qu’ils veulent et peuvent faire”.
Si la seule réponse qui est apportée aux militants qui viennent solliciter l’aide des permanents, c’est tout de suite la stratégie de la grève, ça en éloigne beaucoup du syndicalisme, parce que ça les effraie. Pour les permanents, le plus important reste d’abord de les intégrer au syndicat pour leur transmettre des manières de penser et d’agir, pour montrer l’utilité de l’action collective. A partir de là, il peut y avoir une forme d’acculturation progressive, un apprentissage de la grève.
Mais vous montrez aussi que lorsqu’une grève se déclenche, notamment dans un conflit long, cela peut modifier durablement le rapport d’un salarié à son entreprise. Vous parlez alors de la grève comme d’un “moment d’émancipation”.
Baptiste Giraud : Dans le commerce et les services, les salariés sont souvent peu qualifiés, immigrés ou d’origine immigrée, et considérés par le patronat comme interchangeables. On observe dans ce secteur des formes d’autoritarisme patronales très violentes. La grève est alors l’occasion pour les salariés de s’émanciper et de renverser, au moins un temps, l’emprise du patron. Au début de certaines grèves que j’ai pu observer, il règne une certaine forme d’euphorie chez les salariés, liée à un soulagement et à un immense plaisir d’avoir osé défier ouvertement la direction.
Alors qu’ils exercent dans des professions très dévalorisées, c’est aussi le moyen pour eux de montrer l’utilité de leur travail. Sur le moyen terme, ces grèves rééquilibrent les rapports de force au sein de l’entreprise. Mais, à l’inverse, j’ai aussi suivi un conflit long dans un entrepôt où la grève s’est étirée et où elle a été très difficile à tenir pour les salariés. A la fin, les résultats ont été très limités. Ce n’est pas une expérience de la grève qui incite à renouveler l’expérience.
C’est pourquoi, du côté des permanents, on essaie aussi de valoriser les gains moraux, la dignité retrouvée face à l’employeur. Et ça je pense que c’est une dimension excessivement importante. En revanche, le “rendement militant” de la grève dans ce secteur peut paraître plus limité. Les grévistes ne rejoignent pas forcément le syndicat, et même lorsqu’ils le font, il est probable qu’on finisse par les perdre de vue lorsqu’ils changent d’entreprises. Or cela arrive très régulièrement. C’est pour cela que, parfois, les syndicalistes qui tentent de structurer ses secteurs ont le sentiment de tenter de reboucher un puits sans fond.
Vous montrez que la sociologie et la politisation des permanents de la CGT varie selon certains critères. Lesquels ? Comment cela influence-t-il le rapport à la grève de ces militants ?
Baptiste Giraud : On repère nettement la distance politique et sociale qui sépare les permanents des Unions Locales (UL) de la CGT de ceux des entreprises du commerce et des services et des nouveaux secteurs de l’économie capitaliste. Les raisons de leur engagement dans le syndicalisme sont très différentes. Dans les UL, on retrouve beaucoup de militants qui ont une conception très politique du syndicalisme. Souvent, ce sont d’anciens ou d’actuels adhérents à une organisation politique. C’est cohérent : c’est dans les UL qu’ils trouvent du sens et du plaisir à se consacrer à une action syndicale qui n’est pas strictement corporative. Leur objectif est bien de créer des mobilisations et des solidarités militantes à l’échelle interprofessionnelle. Or, quand on regarde la sociologie des militants syndicaux d’entreprise, d’autant plus lorsqu’ils sont issus des classes populaires, la part des militants qui sont passés ou qui adhèrent encore à un parti politique décline fortement.
Au passage, c’est tout à l’honneur des syndicats que de rester l’un des rares espaces d’engagement qui permet l’organisation et la promotion de porte-paroles issus des classes populaires. Si on regarde la sociologie des militants syndicaux par rapport à celle des militants politiques, il y a vraiment un énorme écart. Les classes populaires ont déserté les partis politiques, ou plutôt, pourrait-on dire, les partis les ont abandonnées.
Le corollaire c’est qu’il y a, dans les entreprises, beaucoup de militants pour lesquels l’engagement syndical est vraiment déconnecté de tout engagement politique. Ils s’engagent souvent dans le syndicat à la suite d’un rapport conflictuel avec leur patron, dans le but de faire respecter la loi face à des abus. Ils ont souvent une démarche portée avant tout sur le légal.
On peut ajouter qu’ils n’ont pas forcément le temps de devenir des militants plus politiques. La décentralisation de la négociation collective et le renforcement du “dialogue social”, à défaut de produire des résultats, occupent pleinement leur mandat. De plus, dans les secteurs où les salariés sont généralement peu diplômés, il y a un véritable coût d’entrée dans la fonction de représentation syndicale. Il faut se former au droit, à l’économie… C’est un défi d’autant plus grand à relever que ces militants ont face à eux des patrons, parfois des DRH, bien plus diplômés qu’eux, spécialisés dans leur domaine, et qui leur opposent tout le mépris de classe possible.
Enfin, dans les petites entreprises du commerce, ils doivent composer avec les ressources militantes très limitées et l’autoritarisme patronal. La conséquence, c’est que le militantisme syndical se replie alors presque exclusivement sur ceux qui ont des mandats et donc le statut de salarié protégé.
Pour tenter de renforcer les secteurs les plus fragiles, et les moins en capacité de faire grève, ne faut-il pas utiliser les ressources des structures les plus pourvues de la CGT ?
Baptiste Giraud : Cette idée est un serpent de mer à l’intérieur de la CGT. Tout le monde voit bien qu’il y a un décalage dans la distribution des ressources à l’intérieur de l’organisation. Les composantes les plus richement dotées en argent et en permanence, ce sont les fédérations. Elles bénéficient de beaucoup de ressources liées au paritarisme et sont aussi en lien direct avec leurs syndicats.
La CGT a une culture d’organisation qui valorise beaucoup l’autonomie des structures. La direction confédérale dirige assez peu de choses, elle doit surtout s’efforcer de trouver des terrains d’entente entre les fédérations, notamment les plus dotées. L’effet pervers de cette organisation, c’est qu’elle limite la redistribution. La chimie, l’énergie, la SNCF, la fonction publique… ont beaucoup de ressources à la fois parce qu’elles ont davantage de militants, donc plus de rentrées de cotisations, mais aussi parce qu’elles ont une très longue histoire syndicale et qu’elles ont pu, par le passé, négocier des accords de droits syndicaux. Elles ont beaucoup de salariés mis à disposition, beaucoup de permanents. Cela n’existe pas du tout dans les nouveaux secteurs du prolétariat. Dans le commerce, la simple création d’une section syndicale est souvent l’objet de conflits dans l’entreprise. On est encore bien loin de passer des accords de droits syndicaux.
La réflexion sur le fait d’utiliser les ressources des grosses fédérations pour développer les secteurs les moins bien dotés paraît donc légitime. La CGT pourrait ainsi, par exemple, renforcer ses unions locales. Il faut rappeler qu’à l’heure actuelle, dans le meilleur des cas, il y a un seul permanent par UL. Et il n’est pas rare qu’il n’y en ait pas du tout et que ce soit un militant, généralement retraité, généralement issu du secteur public ou des grandes entreprises, qui assume la tâche. Or, seul, il ne peut pas faire autre chose que ce que j’appelle du “syndicalisme de pompier” : accueillir les salariés ou les adhérents isolés, les aider dans les procédures prud’hommes, les aider à organiser des élections professionnelles… C’est autant de temps qui n’est pas du tout disponible pour la dimension plus politique de leur rôle.
Alors, utiliser les ressources des grosses fédérations pour renforcer les UL, je pense que, théoriquement, tout le monde voit bien le l’enjeu. Mais il faut souligner que la question se pose à un moment où les grosses fédérations sont aussi percutées de plein fouet par les grosses restructurations liées à la libéralisation (du rail, de l’énergie etc). Si on se met à la place des dirigeants de ces fédérations, ils peuvent logiquement dire : “ce n’est pas le moment de nous affaiblir en interne”.
Une autre option ne consisterait-elle pas à penser des syndicats d’industrie locaux, qui regrouperaient tous les travailleurs d’une même convention collective sur un même territoire ?
Baptiste Giraud : Pour en avoir discuté avec elle, Sophie Binet a vraiment ça en tête. Je pense, et c’est un point de vue personnel, que ce serait intéressant. Cela permettrait d’éviter plusieurs écueils. D’abord, l’enfermement dans un syndicalisme d’entreprise. Aujourd’hui les syndicats d’entreprise forts sont très autonomes vis-à-vis de leur fédérations et plus encore de leurs unions locales. C’est d’ailleurs le syndicat lui-même qui choisit son délégué, sans aucun contrôle politique. Deuxième avantage, cela permettrait d’éviter la masse des adhérents isolés, qui ne sont rattachés à aucun syndicat d’entreprise. Enfin, on pourrait arrêter avec les syndicats très faibles, constitués de 2 ou 3 militants. On ne fait rien avec si peu de militants. A la place, on adhère au syndicat, par exemple de la logistique, de son territoire et, même si on change d’entreprise, on y reste affilié.
Mais ce n’est pas une mince affaire. Il y a une espèce de sacralisation du syndicat d’entreprise à la CGT parce que ses statuts, son organisation interne ont aussi été pensés dans un contexte où le tissu productif reposait sur les syndicats des grandes entreprises. C’était aussi une époque où la CGT était ultra politisée et fonctionnait du haut vers le bas. Aujourd’hui, ces dimensions là ont totalement disparu pour des raisons indépendantes de la volonté des directions syndicales, mais le frein idéologique reste. Bernard Thibault avait d’ailleurs proposé de modifier les statuts de la CGT pour obtenir que les syndicats d’entreprises ne puissent pas être montés en dessous de 10 adhérents. Il a dû renoncer, alors que ça paraissait juste une évidence.
Votre livre se concentre beaucoup sur le travail des permanents pour développer le syndicalisme et la grève. Mais ne craignez-vous pas que des personnes qui n’exercent plus réellement leur métier et vivent du syndicalisme perdent de vue leurs objectifs politiques et se concentrent finalement sur la conservation de leur poste ou les intérêts de leur structure ? Autrement dit : à trop compter sur les permanents, n’y a-t-il pas un risque de bureaucratisation du syndicat ?
Baptiste Giraud : Le terme de “bureaucratisation” aide à penser la professionnalisation du syndicalisme et les effets pervers qu’elle peut entraîner. Effectivement, on peut craindre que la défense des intérêts de l’organisation par un permanent, ou de sa propre carrière dans le syndicat, interfère avec l’organisation de la lutte. Tout cela est très vrai. D’un autre côté, cette catégorie est tellement fourre-tout qu’elle recouvre des réalités très variables. Les permanents de l’US que j’ai suivis peuvent être rangés parmi les professionnels du syndicalisme, “les bureaucrates”. Mais je peux vous dire qu’ils ne passent pas beaucoup de temps dans les bureaux et sont constamment sur le terrain, à former les militants et à organiser des luttes.
Il ne faut pas perdre de vue, et c’est une particularité du syndicalisme français, que les permanents, pour l’immense majorité d’entre eux, sont d’anciens militants d’entreprises. Ils ont une grande expérience de l’action syndicale, y compris dans sa dimension mobilisatrice. Ce n’est pas un modèle majoritaire en Europe, où les syndicalistes sont davantage recrutés sur la base de leurs diplômes, parce que leur rôle consiste d’abord à représenter le syndicat dans les négociations avec les employeurs.
C’est mon avis, mais je pense qu’une organisation syndicale de la taille et de l’ambition de la CGT ne peut pas exister sans permanent. Si toute action revendicative relève simplement de la bonne volonté des militants, on touche vite à des limites. En revanche, avoir un débat en interne sur : “à quoi peuvent servir les permanents?” et “est-ce que les permanents doivent à ce point être absorbés par l’institutionnel”, peut-être pertinent. Pour ma part, je pense que les syndicats devraient œuvrer à faire reconnaître des droits syndicaux interprofessionnels. C’est-à-dire le droit à disposer de permanents sur les territoires qui ne seraient pas destinés à siéger dans les instances du “dialogue social”, mais dont la fonction reconnue et légitime serait d’organiser les salariés.
mise en ligne le 1er octobre 2024
Cyprien Caddeo sur www.huma.fr
Jean-Luc Mélenchon est accusé par la porte-parole du gouvernement Maud Bregeon de « sous-entendus nauséabonds ». Sa faute ? Avoir critiqué les positions pro-politique israélienne du nouveau ministre de l’Europe, Benjamin Haddad.
La machine à stigmatiser toutes critiques de Benyamin Netanyahou tourne à plein régime. S’émouvoir des positions du nouveau ministre délégué aux Affaires Européennes, Benjamin Haddad, favorable à Tel-Aviv, a valu à Jean-Luc Mélenchon une nouvelle accusation d’antisémitisme, ce week-end.
Qu’a dit l’insoumis ? Que « si l’Europe décidait d’arrêter de livrer des armes européennes à Israël, la guerre (à Gaza et au Liban – N.D.L.R.) s’arrêterait. » Mais, poursuit-il, « il ne se passera rien », car le « nouveau ministre est acquis à la politique de M. Netanyahou. »
La sortie a fait réagir l’ex-ambassadeur de France aux États-Unis et en Israël, Gérard Araud qui, ignorant le fond des propos, y a vu une référence à la judéité de Benjamin Haddad. Pain béni pour que la Macronie embraye et accuse Jean-Luc Mélenchon de « sous-entendus nauséabonds », par la voix de Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement.
Benjamin Haddad hostile à un cessez-le-feu
La manœuvre est connue : créer une diversion pour éviter de débattre sur le fond de la critique. Comme par magie, le sujet n’est plus la ligne diplomatique que défend le ministre, mais l’antisémitisme supposé de la France insoumise.
Or, en opérant ainsi, Gérard Araud et Maud Bregeon réalisent exactement ce qu’ils croient reprocher à Jean-Luc Mélenchon : ils essentialisent Benjamin Haddad en le renvoyant à sa judéité, et font eux-mêmes le lien entre ses convictions religieuses, privées, et ses déclarations politiques, publiques.
L’insoumis a pointé, en l’occurrence, les propos de Benjamin Haddad hostiles à un cessez-le-feu, datés de novembre 2023, et qui concernaient Gaza (mais pas le Liban) : « Israël a le droit de se défendre contre le terrorisme du Hamas. C’est une réponse légitime », répondait alors Benjamin Haddad. Au moment de cette déclaration, plus de 9 000 Palestiniens étaient déjà morts suite aux bombardements israéliens dans l’enclave et des experts de l’ONU alertaient sur « un risque de génocide ».
En janvier 2023, en outre, Benjamin Haddad faisait partie du groupe de députés français s’étant rendu en Israël à l’initiative du think tank Elnet. Ce dernier est réputé être un lobby pro-politique coloniale, qui cherche à faire évoluer la posture diplomatique de la France au Proche-Orient, en militant pour que Paris reconnaisse Jérusalem comme capitale d’Israël, par exemple. Or les liens, publics, entre un ministre et un lobby aligné sur la politique de Netanyahou, sont un sujet qu’il est sain de pouvoir discuter en démocratie.
mise en ligne le 26 septembre 2024
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Selon un sondage d’Oxfam, une très grande part de la population est favorable à une imposition plus grande de l’héritage, des grandes entreprises et des particuliers les mieux lotis. Un appel du pied au gouvernement à l’heure où le déficit réclame de trouver de nouvelles recettes budgétaires.
« Je proposerai dans les prochains jours au Parlement des choix forts avec trois priorités, (dont celle de) réduire les dépenses publiques. » Contraint par le déficit de la France à trouver des solutions, le nouveau ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, s’est entêté, lors de sa passation de pouvoir le 22 septembre, à vouloir serrer la ceinture du pays. Pourtant, une autre solution existe, et elle est par ailleurs largement acclamée par les Français.
Un sondage d’Oxfam, réalisé par le groupe Verian et rendu public ce jeudi, affirme que l’augmentation de la taxation des personnes les plus riches et des superprofits, loin d’être une idée repoussoir, est fortement plébiscitée, et ce quel que soit le bord politique du répondant.
Des propositions « justes » pour 75 % des sondés
Ainsi, 59 % des sondés sont favorables à une taxation des héritages plus élevée ; 76 % estiment qu’il faut rétablir l’ISF ; 84 % jugent qu’il faut taxer les superprofits ; 71 %, les dividendes. Pour 8 répondants sur 10, davantage imposer les personnes riches est une nécessité dans le contexte économique actuel, et cette proposition est estimée « juste » pour trois quarts d’entre eux.
Les résultats du sondage d’Oxfam sont ainsi en forte contradiction avec d’autres publiés dans la presse, comme le sondage Odoxa pour Challenges d’avril 2024. Celui-ci indiquait que 77 % des Français trouveraient l’impôt sur les successions injustifié.
« La façon dont on formule les questions a un impact. Nous avons voulu donner beaucoup de contexte, on s’est montrés très pédagogues. Cela change des questions biaisées et incomplètes », note Stanislas Hannoun, responsable de campagne « Justice fiscale et inégalités » chez Oxfam. Les personnes sondées par l’association ont ainsi pu prendre position en sachant précisément que le 0,1 % de la population héritant de plus de 13 millions d’euros ne paie en moyenne que 10 % d’impôts sur les successions.
Même les électeurs de droite plébiscitent la taxation des grandes fortunes
Étonnamment, les sympathisants du parti présidentiel Ensemble ou des « Républicains » partagent les mêmes opinions que le reste de la population sur la nécessité de davantage taxer les riches. « Un enseignement important, c’est qu’il y a un consensus sur l’adhésion, y compris chez les CSP + », note Stanislas Hannoun.
Selon lui, cette volonté quasi unanime d’une meilleure justice fiscale met le gouvernement au pied du mur et le somme de dégager ces recettes fiscales au lieu de réduire la dépense publique, à l’heure où 73 % des Français notent par ailleurs une détérioration de la qualité des services publics. « Ce sondage doit permettre d’envoyer des messages forts au gouvernement, et nous serons vigilants à ce qu’il se passera lors de l’examen du projet de loi de finances », estime Stanislas Hannoun.
Pour accompagner la publication du sondage, Oxfam propose 16 mesures de justice fiscale qui permettraient de dégager au moins 101 milliards d’euros de recettes et de contrecarrer le creusement des inégalités, exacerbées depuis 2017. Parmi ces mesures, l’ONG propose par exemple l’instauration d’un ISF climatique à destination des milliardaires les plus polluants, le réalignement de la fiscalité du capital sur celle du travail ou la taxation automatique des superprofits.
Inès Rubio sur www.humanite.fr
Ce jeudi devant l’Union des entreprises de proximité (U2P), le ministre de l’économie Antoine Armand a réitéré les propos de son collègue du Budget prononcé la veille devant la commission des finances de l’Assemblée : une réduction drastique des dépenses publiques sera leur principal remède au dérapage du déficit public.
Le Ministre chargé du budget a annoncé que la situation des finances publiques était préoccupante. Avec des projections encore plus pessimistes que le précédent locataire de Bercy, il estime désormais que le déficit public risquera de dépasser 6 % du PIB.
Dans la droite ligne de la politique menée en 2024 par Bruno le Maire, la solution privilégiée par le gouvernement pour contenir ce déficit est une nouvelle baisse des dépenses. « Ma vision c’est que nous redresserons les comptes en réduisant les dépenses » a affirmé Laurent Saint-Martin.
Une ligne directrice réitérée par Le Ministre de l’Économie Antoine Armand lors d’une allocution devant les membres de l’Union des entreprises de proximité (U2P), la troisième organisation patronale du pays. « Nous ne serons pas le gouvernement de l’impôt à tout-va, et je ne serai pas le ministre de la confiscation fiscale », a-t-il explicité.
Le gouvernement aveuglé par sa « politique de l’offre »
La hausse des recettes via une plus grande imposition des superprofits et des grandes fortunes plébiscitées par le Nouveau Front Populaire est reléguée au second plan, au mépris de l’urgence sociale mise en évidence par les professionnels de la protection de l’enfance qui manifestaient au moment de l’audition du Ministre.
Pourtant, même l’OCDE appelait récemment ses États membres à augmenter leurs recettes pour faire face à une dette mondiale qui s’est envolée ces dernières années. L’organisation internationale préconise une augmentation des impôts sur le patrimoine et davantage de taxes environnementales.
Des appels qui n’auront pas suffi à infléchir le cap du gouvernement, orienté vers une politique de l’offre (soutien aux entreprises) qui a « fait ses preuves » selon Laurent Saint-Martin, alors même qu’elle a conduit à l’ouverture par l’Union Européenne d’une procédure pour déficit excessif contre la France en juillet 2024.
mise en ligne le 15 septembre 2024
Fabien Escalona sur www.mediapart.fr
Le politiste Vincent Tiberj conteste l’idée d’une droitisation « par en bas » de la société. Il préfère pointer la responsabilité des élites médiatiques et politiques, sur fond de désaffiliation politique croissante des citoyens. Mais la gauche serait imprudente d’y voir un contre-récit rassurant.
La droitisation du pays est devenue un lieu commun, au point que Nicolas Sarkozy pouvait affirmer avec certitude au Figaro, fin août, que « la France est de droite, sans doute comme elle ne l’a jamais été ». Le diagnostic est pratique, car il appuie le choix d’Emmanuel Macron de ne pas laisser sa chance à la gauche de former un gouvernement, et semble confirmé par l’évolution du paysage électoral depuis la fin du quinquennat Hollande.
Depuis des années, le politiste Vincent Tiberj conteste cette supposée évidence. Avec un certain courage, au vu des seuils électoraux inédits franchis par le Rassemblement national (RN), il persiste avec conviction en publiant La Droitisation française. Mythe et réalités (PUF). Le phénomène existerait bien « dans la parole médiatique et dans la vie politique », mais en décalage, voire en contradiction avec les mouvements de la société elle-même, qui ne se réduit ni à ses élites dirigeantes, ni même au corps électoral qui vote.
L’auteur délivre de nombreuses informations et développe une démonstration convaincante à bien des égards, mais dont les angles morts justifient que le débat soit prolongé. Au-delà de ses propres intentions, le risque est que des interprétations excessivement « rassuristes » soient tirées de son travail, qui ne saurait se résumer à l’existence d’un potentiel électoral « à portée de main » pour la gauche. D’ailleurs, dans une allusion au morceau de Dougie MacLean, le chercheur de Sciences Po Bordeaux prévient : il faut « se préparer à la tempête »…
L’enjeu de la mesure de l’opinion
Le premier chapitre du livre est un mini-traité de bon usage des enquêtes d’opinion. Vincent Tiberj rappelle à quel point ces dernières sont indispensables, ou en tout cas « la moins mauvaise solution » pour cerner les attitudes qui structurent la population dans son ensemble. Il souligne cependant combien leur qualité est variable, selon la manière dont les questions sont construites et administrées. Autrement, des sondages ponctuels administrés à 1 000 personnes avec d’énormes biais ne doivent pas conduire à des jugements hâtifs.
Pour sa part, Tiberj a construit avec soin des « indices longitudinaux de préférences », qui évitent ces biais et agrègent les attitudes des Français·es dans trois champs : les questions socioéconomiques, les questions culturelles, et la tolérance à l’égard de l’immigration et des minorités religieuses et ethno-raciales. Observables sur le temps long, en l’occurrence depuis la fin des années 1970, les évolutions de ces trois indicateurs démentent le postulat d’une droitisation générale de la société.
Les opinions favorables à la redistribution ne se situent certes pas à leur niveau maximal enregistré, mais pas à leur plus bas non plus, si bien qu’« il n’y a pas eu de conversion générale au libéralisme économique », note-t-il. Sur les deux autres terrains, c’est même une « gauchisation » de l’opinion qui s’observe. La hausse du niveau d’instruction et le renouvellement générationnel en ont été des moteurs importants, mais aussi, ce qui est moins souvent évoqué, une « socialisation inversée » par laquelle les enfants font bouger leurs parents et leurs grands-parents.
Comment, dès lors, comprendre le paysage électoral de 2024 ? Soit les instruments de mesure sont défectueux, soit il faut chercher l’explication ailleurs. Vincent Tiberj estime que ses indicateurs « restent particulièrement solides » et qu’« il n’existe pas à [s]a connaissance de meilleure manière de mesurer les évolutions d’opinion ». Les chercheurs les moins convaincus par sa thèse ne les remettent d’ailleurs pas radicalement en cause. Ils pointent plutôt que certaines évolutions de l’opinion sont négligées ou trop diluées dans ces indicateurs agrégés.
Le politiste Luc Rouban, qui s’apprête à publier Les Ressorts caché du vote RN (Presses de Sciences Po), maintient que l’opinion se durcit ces dernières années sur le terrain de la répression pénale, avec « une demande de sanctions plus fortes ». La non-reconnaissance au travail et le mépris social seraient, selon lui, une autre « machine à produire du vote lepéniste ». C’est aussi ce que défendait Bruno Palier dans nos colonnes l’an dernier, lorsqu’il mettait en garde sur les effets électoraux du passage en force de la réforme des retraites.
Enfin, si Luc Rouban admet que l’équilibre budgétaire ne fait pas rêver les foules, il affirme qu’un « libéralisme entrepreneurial », valorisant l’autonomie, atteint « des niveaux très élevés, notamment chez les jeunes ».
Plus largement, on peut faire valoir que l’évanouissement des alternatives au capitalisme, prégnantes dans les imaginaires jusqu’aux années 1970, n’est pas véritablement mesuré dans les enquêtes d’opinion. Or les gauches ont besoin pour mobiliser d’une « construction projective forte », comme le dit Roger Martelli, et d’« éléments d’identification et d’espérance sociale » qui font défaut bien au-delà du cas français.
Les clés d’un paradoxe
Vincent Tiberj, en tout cas, offre une palette d’explications au décalage entre l’opinion telle qu’il la mesure dans la société et le résultat des urnes. Responsables politiques et puissances médiatiques sont notamment pointés comme les agents d’une « droitisation par en haut ».
De fait, toute une série de filtres existent entre l’opinion publique d’un côté et les comportements électoraux de l’autre. Ces derniers dépendent aussi de ce dont on parle et de la manière dont on en parle, dans la mesure où de nombreuses personnes sont ambivalentes – soit que leurs attentes sont contradictoires, soit qu’elles sont tiraillées entre des dispositions antagonistes, dont on ne peut prédire lesquelles prendront le dessus.
Ainsi, le « cadrage » de certains événements va compter (par exemple les émeutes urbaines, selon qu’elles soient mises en lien avec les violences policières et la ségrégation territoriale, ou avec les faillites parentales et le rôle néfaste des écrans). De même, ce qui est mis à l’agenda a son importance (lorsque le débat public se concentre sur l’immigration et l’insécurité, le RN « joue à domicile », parfois aidé en cela par ses supposés adversaires).
À cet égard, explique Vincent Tiberj, l’émergence de médias audiovisuels très droitiers, ainsi que les réseaux sociaux qui réduisent l’exposition à des informations dissonantes, sont de nature à « enclencher une spirale de renforcement idéologique ». « Si la droitisation semble s’être répandue, écrit-il, c’est parce qu’il existe bien une chambre d’écho intellectuel et médiatique et qu’elle rencontre son public suffisamment nombreux, bien que largement minoritaire. »
C’est du côté des manquements de l’offre politique qu’il faudrait chercher les causes de la « non-traduction » en votes des tendances progressistes de la société.
Le politiste insiste, par ailleurs, sur ce qu’il appelle la « grande démission » civique. Celle-ci se traduit par une grève des urnes assumée et par un effondrement des sympathies partisanes. Toutes les forces politiques sont concernées par ce désenchantement radical, qui s’accentue dans les nouvelles générations, même si Tiberj souligne que la gauche a particulièrement souffert du quinquennat Hollande.
En clair, c’est du côté des manquements de l’offre politique qu’il faudrait chercher les causes de la « non-traduction » en votes des tendances progressistes de la société. S’agissant de l’abstention, le chercheur suggère qu’elle frappe en particulier les milieux qui pourraient exprimer ces tendances dans les urnes. « Culturellement, écrit-il, les générations les plus ouvertes sont aussi celles où domine le vote intermittent. […] Quant aux valeurs socioéconomiques, c’est manifestement le pôle redistributeur qui pâtit le plus de ces évolutions du vote. »
Gare aux illusions à gauche
Outre les nuances évoquées plus haut sur ce qui est mesuré dans l’opinion publique, on peut conserver quelques interrogations et nourrir des craintes quant à la réception de ce travail à gauche, comme en témoigne le récent texte triomphaliste de Manuel Bompard, coordinateur national de La France insoumise (LFI), assurant que la clé des futures victoires électorales se trouve dans le « quatrième bloc » abstentionniste.
Si l’on en reste à la séquence électorale 2022-2024, plusieurs scrutins de portée nationale se sont succédé, avec des taux de participation variant entre 47 % et 74 %, sans que le score cumulé des gauches décolle de son étiage autour de 30 % des suffrages exprimés. Même s’il est toujours possible de « faire mieux », jusqu’à quel niveau de participation faut-il monter pour voir s’élargir cette taille électorale ? L’auteur évoque une « divergence » entre citoyens et électeurs, mais on se demande à partir de quand ils seraient amenés à coïncider.
Vincent Tiberj évoque également « un défaut d’incarnation évident » à gauche. Or, même si l’image globale de la gauche a été flétrie depuis l’ère Hollande, cela fait plusieurs années que Jean-Luc Mélenchon s’en veut le champion sur la base d’une rupture avec l’ancien président de la République, et que même à la tête du PS, Olivier Faure a largement répudié son héritage. Si ce n’est pas l’objet du livre, on aurait aimé que cette question soit davantage affrontée, au moins pour que soient dessinés en creux les critères d’une incarnation plus performante.
Les leaders de la gauche changeraient-ils, au demeurant, que des handicaps structurels persisteraient pour leurs remplaçant·es. C’est le cas du recul du syndicalisme et de l’atomisation du monde professionnel, auxquels l’auteur consacre pour le coup plusieurs pages. Si des dispositions progressistes existent à l’état latent dans la société, il ne faudrait pas conclure, à gauche, que le bon message électoral suffise à les activer. Sans réseaux d’interconnaissance et figures locales de respectabilité pour le traduire, dans des espaces sociaux et territoriaux divers, ce message risque de ne pas atteindre assez de cibles.
Plus fondamentalement, on peut se demander si la distinction entre droitisation « par en haut » et « par en bas » est tenable jusqu’au bout. Lorsqu’une portion de l’électorat ne change pas de valeurs mais se met à voter RN, il est difficile d’affirmer qu’elle ne s’est pas droitisée ou qu’elle ne le serait que dans sa décision de vote, qui n’est pas un geste négligeable. Sans doute que des acteurs « d’en haut » ont contribué à déterminer ce comportement, mais cela était vrai aussi lorsque cette portion votait sagement pour des partis de gouvernement.
Par le passé en effet, les filtres entre l’opinion et les urnes ont pu davantage fonctionner à l’inverse, au détriment de l’extrême droite, alors que la société était bien plus sexiste, homophobe, xénophobe et raciste. On peut se féliciter qu’il en ait été ainsi, mais était-ce davantage normal qu’aujourd’hui ? Le décalage entre les attitudes mesurées dans la société et le comportement du corps électoral ne doit pas être nécessairement perçu comme une anomalie, mais comme le fruit d’une lutte politique ordinaire, dans laquelle il n’y a pas d’autre choix que d’injecter assez de force et de ruse pour l’emporter.
En somme, l’ouvrage de Vincent Tiberj est précieux pour dé-fataliser les discours paresseux sur l’évidente et inéluctable droitisation du pays. Mais autant ne pas tomber dans un autre travers, qui consisterait à imaginer une France « de gauche » n’attendant que d’être réveillée pour accéder à l’existence électorale.
mise en ligne le 13 septembre 2024
Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr
À l’occasion de la Fête de l’Humanité, nous publions notre baromètre annuel, en partenariat avec l’Ifop. Il montre une percée du nombre de personnes se déclarant de gauche et fières de l’être, et un consensus autour de plusieurs mesures économiques emblématiques. L’effet NFP ? En partie, mais celui-ci peine encore à convaincre de sa pérennité.
La courte victoire du Nouveau Front populaire (NFP) aux dernières législatives illustre-t-elle une percée des idées de gauche dans l’opinion ? Question cruciale pour les formations de gauche et les mois à venir. Celle-ci irrigue le 11e baromètre de l’Humanité, réalisé en partenariat avec l’Ifop, que nous publions chaque année pour la Fête de l’Humanité qui se tient ce week-end, dans l’Essonne.
Premier enseignement de cette enquête : l’arrivée en tête du NFP n’a pas suscité d’inversion du positionnement politique des sondés. Il y a toujours moins de personnes qui se déclarent de gauche (44 %, contre 43 % en septembre 2023) que de droite (56 %, dont 13 % à l’extrême droite – un record). « Mais, attention, la gauche existe encore et même plus que jamais, si l’on prend du recul sur ces dix dernières années, relève Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop. Il n’y a jamais eu autant de personnes de gauche qui se déclarent fières de l’être (74 %, contre 56 % en 2014) et qui pensent que la gauche peut gouverner sans se renier (81 %). »
Pour le sondeur, il y a un « effet d’éloignement temporel du quinquennat Hollande » : le souvenir des promesses trahies s’estompe, tandis que la politique d’Emmanuel Macron, clairement perçue comme de droite par 81 % des Français qui se déclarent de gauche (11 % d’entre eux estiment même que le président mène une politique d’extrême droite), réactive toujours plus un clivage net.
« Si la séquence, des européennes à la nomination de Michel Barnier, a opéré une clarification, c’est celle-ci, note Frédéric Dabi : à gauche, on ne croit plus qu’Emmanuel Macron représente une forme d’ “en même temps”, il est clair aux yeux de ses électeurs qu’il est de droite. »
Consensus sur les superprofits et les aides aux entreprises
Conséquence : cet électorat de gauche, qui attend de manière nette une autre forme de politique – ce qui est conforme aux résultats des législatives – et estime que la gauche est tout à fait en capacité d’appliquer son programme, contrairement au discours médiatique dominant, voit d’un mauvais œil l’hypothèse d’un accord du Nouveau Front populaire avec la Macronie : 56 % des Français de gauche estiment qu’un gouvernement NFP qui accueillerait des personnalités issues du bloc macroniste ne serait plus en mesure d’appliquer une politique de gauche. Ce serait, pour ainsi dire, faire entrer le loup dans la bergerie.
Alors qu’Emmanuel Macron a fait barrage à un gouvernement du NFP avec Lucie Castets pour première ministre, le baromètre de l’Humanité montre que plusieurs mesures phares de la coalition de gauche auraient remporté un large assentiment des Français.
Trois propositions, notamment, font l’objet d’un consensus auprès des sondés de gauche comme de l’ensemble des citoyens. Tout d’abord, la lutte contre l’accaparement des richesses (plébiscitée par 91 % des Français de gauche et par 88 % de l’ensemble des Français), à l’heure où 10 % des plus riches détiennent plus de 50 % du patrimoine total, selon les chiffres de 2024 de la Banque de France.
Ensuite, le conditionnement des aides aux entreprises à des contreparties sociales et environnementales (gauche : 89 % d’opinion favorable ; ensemble des Français : 87 %) et, enfin, la taxation des profits des multinationales (gauche : 90 % ; ensemble des Français : 83 %). « On est en plein dans le programme du NFP, donc la bataille culturelle est loin d’être perdue, notamment sur les marqueurs économiques », note Frédéric Dabi.
Sur ces points, une gauche qui appliquerait son programme se superposerait aux attentes des Français. Une majorité de Français se montrent également favorables à l’abrogation de la réforme des retraites (63 %) et à la suppression du 49.3 (66 %). Quasiment deux ans après l’adoption au forceps du texte, preuve est faite qu’Emmanuel Macron a toujours une large majorité, plurielle, contre lui, sur ce point.
Immigration et insécurité, les mots qui clivent
Le directeur de l’Ifop relève ainsi une forme « d’homogénéisation des positions » sur certains thèmes, loin du mythe d’une France polarisée à l’extrême, où les citoyens ne parleraient plus la même langue : « La question des services publics, par exemple, n’est plus seulement un marqueur de gauche. Même à droite, désormais, on considère que le recul des services publics est synonyme de déclin pour un territoire. »
Reste toutefois à la gauche d’incarner encore plus l’idée que c’est elle, bien plus que la droite et les gouvernements en place, qui fait des services publics une priorité. Frédéric Dabi note également que « d’un point de vue déclaratif, les interrogés valident le clivage gauche-droite, mais dans les faits, il y a de nombreux items où les positions ne sont pas tant antagonistes et convergent. C’est surtout sur les marqueurs sociétaux que le clivage reste marqué entre la gauche et la droite ».
Sans surprise, c’est en effet sur les questions d’immigration et d’insécurité que l’on relève le plus fort clivage. À gauche, 55 % des sondés estiment que l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte à la France, contre 23 % à droite. De même, si à gauche le fait d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les municipales est perçu positivement (66 % sont pour), 64 % des personnes de droite y sont défavorables.
Les marqueurs sécuritaires, ultra-sollicités par le reste des interrogés, ne sont pas prioritaires dans le panel de gauche, qui identifie la meilleure répartition des richesses, la hausse des salaires et la protection de l’environnement comme les trois chantiers prioritaires d’un gouvernement progressiste.
Le baromètre enseigne donc que la gauche dispose d’une majorité d’idées en France, au-delà de son propre camp, sur des mesures phares de son programme économique. Mais aussi qu’il lui reste à convaincre sur la question de l’antiracisme (73 % des gens de gauche estiment qu’un racisme systémique a cours en France, contre 58 % à droite), de l’écologie (à droite, ils sont 57 % à penser qu’elle est compatible avec le capitalisme), ou encore des violences policières (72 % des Français de gauche considèrent qu’elles existent, contre 47 % pour ceux de droite).
Des doutes quant à l’avenir de l’union
Malgré le bel espoir qu’il a suscité et le score inattendu qu’il a réalisé lors des dernières législatives, le Nouveau Front populaire, en tant que tel, ne fait pourtant pas consensus. Tout d’abord, la coalition de gauche revient comme le mot perçu le plus négativement par les Français classés à droite, où il fait figure d’épouvantail (devant les mots « immigration », « communisme » et « grève »). « Il est clair qu’à droite, on craint que le NFP n’arrive au pouvoir et n’applique son programme, malgré les points de convergence observés », relève Frédéric Dabi.
Mais, à gauche aussi, l’enthousiasme est mesuré : seuls 52 % des sondés se déclarant de gauche estiment que le terme « Nouveau Front populaire » a une connotation positive. Comment expliquer cette méfiance ? « Il y a, dans les Français qui se déclarent de gauche, de nombreuses personnes de tendance sociale-démocrate qui voient cette alliance comme trop radicale, ou penchant encore trop du côté de Jean-Luc Mélenchon, même si celui-ci est bien plus en retrait qu’à l’époque de la Nupes », analyse Frédéric Dabi.
En témoigne la percée au baromètre de l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann parmi les personnalités citées comme incarnant le mieux la gauche. Surtout, 61 % d’entre eux estiment que le NFP sera amené à se désunir et à disparaître. « C’est à peu près le même pourcentage qu’avec la Nupes, l’an dernier, note le sondeur. Le souvenir de la désunion de la précédente alliance ne plaide pas en faveur du Nouveau Front populaire, pour beaucoup. »
Ce pessimisme quant à la pérennité de l’alliance électorale née des législatives est d’autant plus net que, dans le même temps, les Français de gauche attendent toujours une candidature unique (à 61 %) en 2027. En clair, pour vaincre les doutes, le NFP devra montrer sa capacité à trancher l’épineuse question d’une incarnation commune à la présidentielle, sans que l’obstacle n’ait raison de sa solidité. Et organiser le nécessaire débat entre les deux grandes familles de la gauche, ni irréconciliables, ni conciliantes l’une envers l’autre : la gauche de rupture et la social-démocratie.
mise en ligne le 10 septembre 2024
Mathieu Dejean sur www.mediaprt.fr
Le sociologue Christian Laval analyse la nomination de Michel Barnier à Matignon sous l’angle de la « fédération des droites » contre l’accession au pouvoir de la gauche. Un déni de démocratie « logique », selon lui, au regard de l’histoire longue du néolibéralisme.
Comment expliquer l’insolente aisance – même s’il a pris son temps – avec laquelle Emmanuel Macron a nommé un premier ministre de droite, Michel Barnier, après que la coalition de gauche, le Nouveau Front populaire (NFP), est arrivée en tête des élections législatives du 7 juillet ?
Pour le sociologue Christian Laval, auteur de nombreux ouvrages sur le néolibéralisme (parmi lesquels La Nouvelle Raison du monde en 2010 et Ce cauchemar qui n’en finit pas. Comment le néolibéralisme défait la démocratie en 2016, avec le philosophe Pierre Dardot), ce coup de force institutionnel qui vient piétiner les messages des urnes a tout à voir avec le projet économique et politique néolibéral.
« Ce que les néolibéraux refusent et perçoivent comme une véritable pathologie sociale, c’est que les “masses” puissent, en se coalisant – y compris dans le cadre légal de la démocratie participative –, remettre en cause le fonctionnement auto-équilibré du marché », écrivait-il dans un livre collectif, Le Choix de la guerre civile. Une autre histoire du néolibéralisme (Lux, 2021). C’est à cette aune qu’il interprète la fusion des droites opérée par Emmanuel Macron et l’avènement d’un « véritable cordon sanitaire punitif » pour faire barrage à la gauche.
Mediapart : Emmanuel Macron vient de nommer Michel Barnier à Matignon. Comment interprétez-vous cette décision ? Quel est le calcul politique ?
Christian Laval : Après avoir essayé, en vain, de diviser le Nouveau Front populaire, Emmanuel Macron n’a plus eu d’autre solution que de chercher à obtenir la fédération des droites : le macronisme, Les Républicains et l’extrême droite. La nomination de Michel Barnier lui permet à la fois de préserver les acquis du macronisme – la réforme des retraites, celles de l’assurance-chômage, la politique de l’offre – et de donner des gages au Rassemblement national (RN). Michel Barnier est l’homme du référendum sur l’immigration, du « bouclier constitutionnel » [contre « la poussée migratoire » et « l’immigration subie » – ndlr], celui qui a proposé de déroger aux traités européens en matière de justice.
C’est donc un calcul de rassemblement, non pas des Français, mais des droites. C’est l’inverse du front républicain : un front anti-populaire pour assurer une politique qui mélange la xénophobie du RN et la politique pro-néolibérale du macronisme. Le coût politique de cette opération est élevé : le gouvernement se met sous le contrôle du RN, qui lui dictera sa ligne de conduite sur la question de l’immigration. Au passage, le RN va complètement abandonner le volet social de son programme. D’une certaine façon, la vraie nature du RN apparaîtra : un néolibéralisme masqué, qui veut combiner une politique de forteresse et une politique pro-capitaliste assumée.
Emmanuel Macron a justifié son refus de nommer Lucie Castets à Matignon au nom de la « stabilité institutionnelle ». Mais celle-ci ne semble guère plus assurée avec ce premier ministre, qui pourrait lui aussi être censuré s’il n’a pas le « soutien sans participation » du RN. Que cache en vérité cet argument ?
Christian Laval : En écartant Lucie Castets, Macron est surtout guidé par un impératif, qui est la quintessence de son double mandat : en aucun cas et sous aucun prétexte il ne faut appeler une première ministre qui risquerait d’appliquer la partie la plus dangereuse du programme du NFP, notamment le détricotage des réformes néolibérales les plus emblématiques et les plus impopulaires dans l’opinion, mais les plus populaires parmi les classes dirigeantes françaises et européennes.
Il lui faut donc un homme qui reste sous contrôle des droites, c’est-à-dire dans les limites qu’il a lui-même fixées, celles de la conservation à tout prix de la logique pro-business et des politiques favorables aux intérêts des classes dominantes dont il est le mandataire.
Pour vous qui avez étudié l’histoire du néolibéralisme, cette suspension du résultat d’un vote démocratique au nom d’impératifs économiques est-elle surprenante ?
Christian Laval : Non, c’est même dans la logique des choses. Le résultat du vote n’a de conséquences que facultatives, car la démocratie ne consiste pas pour les néolibéraux à respecter le suffrage universel mais à défendre par-dessus toutes les contingences électorales l’ordre de marché, les « lois économiques » et le sacro-saint droit du capital à gouverner nos existences. L’État de droit a pour eux un sens très particulier, c’est l’État du droit de la propriété et du capital. Autrement dit, l’État de droit en régime capitaliste, c’est d’abord l’État du droit privé, et la démocratie, c’est toujours l’affaire de l’oligarchie « raisonnable ».
Évidemment, c’est un peu gênant pour ceux qui croient à la démocratie libérale parlementaire, au suffrage universel, à la souveraineté du peuple ou à la République. Comment faire pour rendre compatibles cet ordre de marché et un suffrage universel toujours potentiellement risqué ? On ne peut pas faire un coup d’État tous les matins pour garantir « l’ordre normal des choses », ce serait assez mal vu, et le calcul coûts-bénéfices ne serait pas forcément favorable.
Du côté de la Macronie, le NFP c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif.
On peut faire revoter par exemple quand le vote n’est pas conforme aux attentes, cela s’est déjà vu. Ou on peut contester le résultat du vote, ça s’est vu aussi, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Personne n’a gagné, personne n’a perdu. C’est un tour de passe-passe à trois temps : nier la réalité, mobiliser toutes les droites pour faire barrage à la gauche, diviser la gauche.
Pour ce faire il faut un diable, il est tout trouvé. Mélenchon est instrumentalisé par les droites et les médias contre le NFP, et la radicalité parlementaire de LFI est elle-même retournée comme un argument contre le NFP. En ce sens, LFI, tout à ses dépens, acquiert son utilité dans ce tour de prestidigitation mis en scène par Macron. Mélenchon a essayé de contrer la manœuvre par sa proposition de soutien sans participation à un gouvernement Castets. Mais, de toute façon, au-delà de la comédie élyséenne, Macron ne comptait pas la nommer première ministre.
Au cours de son histoire, le néolibéralisme a pris des formes diverses, y compris parfois violentes en faisant « le choix de la guerre civile », pour reprendre le titre d’un livre collectif auquel vous avez participé. Ce à quoi nous assistons en France est-il une sorte de retour à une version autoritaire du néolibéralisme ?
Ce n’est certainement pas un « retour » à une version autoritaire, car le néolibéralisme est en lui-même autoritaire. Pour une raison simple : le néolibéralisme est beaucoup plus qu’une idéologie ou une politique économique favorable au capital. C’est une stratégie qui consiste à mettre en œuvre par tous les moyens un certain type de société conçue comme un marché concurrentiel et à imposer une certaine anthropologie de l’homme identifié à une sorte d’entreprise. En somme, pour les néolibéraux, il s’agit de défaire ce qui se présente comme autant de limites à l’expansion de la raison capitaliste dans la société, et de construire une réalité sociale et humaine nouvelle, en harmonie avec la logique du capital, et cela dans tous les secteurs de l’existence bien au-delà de l’économie stricto sensu.
Les moyens peuvent être ouvertement brutaux, parfois très violents – on le voit en ce moment en Argentine. Ou plus doux, par la propagande, par le contrôle des médias, par la transformation des programmes scolaires, que sais-je encore. La combinaison des moyens est le cas le plus fréquent. En France, on joue aussi bien de la matraque policière que du matraquage des médias, et depuis longtemps déjà. Pensons aux « gilets jaunes » ou à la répression des mouvements écologistes.
Ce que nous avons montré dans Le Choix de la guerre civile, à partir d’une relecture systématique des principaux doctrinaires du néolibéralisme, c’est que cette entreprise politique a une grande cohérence stratégique et une tout aussi grande variété de moyens. L’objectif à atteindre est répété à longueur de discours et d’éditoriaux, et il est devenu d’autant plus « évident » qu’un système de contraintes objectives a fini par le rendre naturel, acceptable, voire désirable.
On a vu comment on a méprisé le résultat du référendum sur le traité européen en 2005, on a vu comment la « troïka » a traité la Grèce de Syriza en 2015. Toutes les recettes sont bonnes, elles peuvent être d’ailleurs anciennes. L’un des procédés les plus courants, c’est de faire peur. Effrayer, diaboliser, faire horreur. Trouver des boucs émissaires, des ennemis intérieurs, des islamo-gauchistes à toutes les portes, des wokistes à tous les carrefours. Les droites réunies se livrent à une guerre culturelle permanente, et nombre d’intellectuels y participent.
Ces derniers jours, on a observé une convergence entre le RN et la Macronie dans le rejet du programme du NFP, qui conduirait, selon eux, à un « effondrement économique du pays ». Comment interpréter ce rapprochement ?
Christian Laval : Pour que rien ne change vraiment dans la redistribution des richesses, ou disons plus globalement dans l’ordre économique, il faut l’union des trois droites : droite du centre, droite de droite et extrême droite. C’est indispensable. Le RN n’a aucun intérêt à ce qu’une politique de gauche authentique advienne, car la prospérité de son fonds de commerce démagogique – les « petits », les « oubliés », les « sans-grade », etc. – risquerait d’en souffrir en faisant revenir vers la gauche une fraction des classes populaires qui l’a désertée.
La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenu préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Du côté de la Macronie, le NFP, c’est le mal absolu, à côté duquel le RN n’est qu’un mal relatif. Et c’est bien normal car il y a plus de proximité entre les trois droites qu’entre chacune des droites et le NFP. C’est ce que Macron a voulu vérifier en recevant des droites successivement l’assurance de la motion de censure contre un gouvernement NFP. Le NFP fait ainsi l’expérience de son isolement lorsque les droites construisent autour de lui un véritable cordon sanitaire punitif, lorsqu’elles se liguent pour lui faire barrage.
Craignez-vous que l’extrême droite profite de la situation ?
Christian Laval : L’extrême droite est très forte, plus forte que jamais, mais elle a été mise en échec au second tour des législatives anticipées. Elle tient pourtant sa revanche en montrant son utilité pour le maintien de l’ordre des choses. Le Pen ne dit rien, mais sa force tient justement dans la silencieuse menace qu’elle fait peser sur la suite. Les gouvernements à venir ne vont tenir que par la bienveillance des droites mais aussi du RN devenu indispensable au barrage contre la gauche. Il faudra bien lui donner des gages et le remercier d’une manière ou d’une autre.
C’était déjà le cas avec la majorité relative de la précédente assemblée. La loi immigration peut aujourd’hui être relue comme un petit cadeau de bienvenue préparatoire à la coalition des droites contre la gauche.
Des appels à mobilisation sont lancés sur les mots d’ordre de « respect de la démocratie » et de « destitution » de Macron. Les mouvements sociaux ont été mis à rude épreuve ces dernières années. Peuvent-ils encore quelque chose ?
Les mouvements sociaux ont montré leur force par le nombre de gens mobilisés et par leur détermination, mais aussi leur faiblesse : ils n’ont pas gagné, ils ont été méprisés, ils se sont arrêtés sur des échecs. Peuvent-ils encore quelque chose ? La réponse tient au rapport des mouvements sociaux à la politique. Il faut reposer la question du cloisonnement entre le social et le politique. Les syndicats sont censés ne pas intervenir sur le terrain politique, ne pas se mêler de politique. Mais le Medef, la CGPME ou la FNSEA se gênent-ils pour faire de la politique active, pour être des acteurs politiques à part entière ?
Les choses peuvent changer. Le NFP pourrait offrir un cadre plus large que les partis. Ce cadre devrait pouvoir être investi par toute la société, par toutes les victimes des politiques néolibérales, par les citoyens engagés, les syndicats de salariés, les associations, les artistes, les chercheurs, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, et bien d’autres. Si le NFP reste une alliance électorale entre partis, il risque fort d’avoir le même destin que le Front de gauche ou la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale – ndlr]. Il sera vite la proie des rivalités de partis et de leurs chefs.
Il faut d’urgence « démocratiser » le NFP, en faire un bien commun de tous les gens de gauche. Ce sera la condition d’avoir un candidat unique en 2027. Sinon on recommencera toujours la même histoire. Il faudra encore et encore faire barrage à l’extrême droite en votant pour un clone de Macron à la prochaine élection présidentielle. Il n’est d’ailleurs pas certain que ce sera toujours le cas. Mais on peut craindre que les partis n’y consentent pas facilement d’eux-mêmes, car cela les mettrait sous la pression unitaire de la base et des citoyens.
mise en ligne le 15 juillet 2024
par Jean de Peña, et Nina Hubinet sur https://basta.media/
Un millier de personnes, souvent néo-militantes, ont participé à la campagne du Nouveau Front populaire à Marseille. Le mouvement, nommé “Réserve citoyenne”, entend bien continuer la bataille culturelle contre l’extrême droite.
La buvette est fermée, et aucun concert ou spectacle n’est prévu ce soir au jardin Levat. Mais près de 200 personnes se pressent devant la petite scène de cet ancien couvent reconverti en lieu culturel, dans le quartier de la Belle-de-mai, à Marseille.
La chaleur commence à retomber, et à l’ombre d’un des hauts murs du jardin, on s’embrasse, tout sourire, malgré les traits tirés. Celles et ceux qui se saluent chaleureusement ne se connaissaient pas, pour la plupart, il y a un mois. Mais ils et elles ont livré une bataille commune ces trois dernières semaines, de celles qui créent des liens forts.
Ce mercredi 10 juillet, trois jours après une victoire mêlée de surprise, de liesse, et de la conscience qu’il s’agit d’un sursis – en particulier dans les Bouches-du-Rhône, où 11 députés RN ont été élus, pour 5 du Nouveau Front populaire – une partie des membres de la Réserve citoyenne se retrouve pour envisager l’avenir de ce mouvement né de l’urgence.
« On va commencer par un jeu ’’brise-glace’’ : vous êtes des pissenlits et vous allez vous disséminer parmi vos voisins, pour vous asseoir à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas », annonce Quentin, l’un des « coordos » de la Réserve. Le vocabulaire évoquant un management bienveillant déclenche quelques rires, mais tout le monde s’exécute de bonne grâce, et chacun·e engage la conversation avec des inconnu·es.
« Pour la suite, il faut vraiment qu’on arrive à créer des espaces de rencontre et de discussion, dans tous les quartiers », pointe Alexandra. « Sans être dans une attitude descendante », souligne-t-elle. Son interlocuteur, Mathieu, opine du chef. « Cette campagne, ça m’a aidé à mieux comprendre pourquoi les gens votaient pour l’extrême-droite. Maintenant j’aimerais aller aider les militants dans les bastions RN autour de Marseille », embraye-t-il.
L’échange est à l’image de l’état d’esprit de la Réserve citoyenne, lancée par un militant marseillais bien connu, Kevin Vacher, au lendemain des élections européennes. Les techniques sont à première vue les mêmes que celles des partis politiques en période électorale : le millier de personnes qui ont été actifs sur le terrain – sur les 3000 inscrits sur les groupes Whatsapp – ont fait principalement des porte-à-porte et tractages, en particulier dans trois « swing circos », où la victoire du NFP était loin d’être acquise, mais pas impossible.
« Dans nos formations express, on a insisté sur la posture d’écoute et l’humilité… L’inverse du paternalisme longtemps pratiqué par la gauche », explique Kevin, 34 ans, engagé pour le logement digne, mais aussi en faveur d’une véritable démocratie participative, depuis plus d’une décennie.
Une humilité essentielle, d’autant que les néo-militants de la Réserve citoyenne sont socialement très homogènes : majoritairement des classes moyennes blanches du centre-ville. « J’avais peur que les gens ne soient pas très accueillants en voyant une bobo qui débarque dans les quartiers nord », raconte ainsi Julia, la trentaine, devenue rapidement l’un des piliers du groupe de la Réserve citoyenne dans la troisième circonscription, à cheval sur les 13e et 14e arrondissements de la ville, mélange de grandes cités déshéritées et des zones résidentielles acquises au RN.
« Mais en fait les gens étaient contents qu’on soit là. Et la discussion permettait souvent de dépasser un raisonnement motivé par la colère… On a eu le sentiment d’être utile », poursuit cette urbaniste, qui connaissait ces quartiers par son travail sur la rénovation urbaine à Marseille, « sans connaître les gens ».
« Ça faisait un moment que je m’étonnais de la déconnexion des militants du centre-ville vis-à-vis des quartiers nord, et que je voulais m’y investir, précise-t-elle. L’énergie de la réserve a été énorme… Maintenant j’ai envie de continuer. » Marie, Raphaël, Jordane, Sandro, Laure ou Maïté, camarades de porte-à-porte de Julia dans les 13e et 14e arrondissements, affichent la même envie. Reste à savoir comment la mettre en œuvre.
Ils et elles ont en tout cas bien conscience que le chemin sera long : malgré tous leurs efforts, le tout jeune candidat du NFP sur cette circonscription, Amine Kessaci (EELV), a finalement été battu par la députée RN sortante, à 835 voix près.
« Un grand merci à la Réserve citoyenne, sans laquelle rien n’aurait été possible », lançait celui-ci dimanche 7 juillet, en direction de la dizaine de « réservistes » présents à son QG de campagne. On le retrouve le 10 juillet au jardin Levat, où il est venu écouter les échanges. « Je sortais de la campagne des européennes, mes équipes étaient prêtes à mener bataille, mais déjà épuisées… Les gens de la réserve citoyenne ont été les moteurs de cette campagne dans ma circo, je leur dois beaucoup. » Le candidat EELV a ainsi réduit l’écart avec sa concurrente RN, passant de plusieurs milliers de voix en 2022 à moins d’un millier cette fois-ci, notamment grâce à l’action de la Réserve.
Même si ces derniers sont des nouveaux venu·es en politique, les dizaines de conversations qu’ils et elles ont eues avec les habitant·es de ces quartiers les vaccinent d’une certaine naïveté vis-à-vis de l’immense tâche dans laquelle ils veulent maintenant s’engager. Maïté évoque par exemple un monsieur rencontré le vendredi précédent, lors de son dernier porte-à-porte, à la cité des Lauriers. « Il a commencé par une blague, disant qu’il allait tirer à pile ou face pour choisir son bulletin. »
Ce manager d’hôtel d’une cinquantaine d’années, d’origine marocaine, s’est avéré finalement être plutôt à gauche, et conscient de la menace que représentait le RN. Mais la boutade exprimait le fait qu’il était désabusé, lassé des promesses non tenues de la gauche, tout autant que blessé par le racisme ambiant. « Il m’a raconté que les clients de l’hôtel où il travaille étaient toujours étonnés que ce soit lui le manager, parce qu’il est arabe… ça m’a touchée », raconte Maïté, qui a travaillé un temps dans les quartiers nord, pour une association qui aide à l’implantation d’entreprises.
Les uns et les autres ont aussi pu mesurer l’ampleur de la « bollorisation » des esprits. Qu’il s’agisse de personnes racisées soutenant que Marine Lepen et son parti n’était pas raciste, ou d’électeurs de droite ou centristes considérant LFI comme un danger plus grand que le RN.
Laure se souvient d’une femme particulièrement véhémente, rencontrée aussi lors du dernier porte-à-porte de vendredi. « Pour elle, il était inconcevable de voter NFP à cause des Insoumis : “Ils ont foutu le bordel à l’Assemblée, c’est eux qui sont responsables de la situation dans laquelle on est !”, disait-elle. »
Et lorsque Laure lui a dit qu’elle militait pour le climat et avait peur d’être arrêtée si le RN arrivait au pouvoir, la dame en question a répliqué : « C’est le genre d’argument qui va plutôt me pousser à voter RN que NFP ! » Laure ne se fait pas d’illusion : reconstruire des repères politiques prendra des années. « Mais on a senti qu’il se passait quelque chose pendant ces portes-à-portes, que les rencontres et les discussions d’égal à égal pouvaient avoir un impact… C’est pour ça qu’on veut revenir régulièrement dans ces quartiers », témoigne-t-elle.
« Atelier de réarmement civique » ou concerts
Comment trouver les bons arguments face aux électeurs du RN ? Comment sortir de l’entre-soi ? Comment impliquer des habitant·es des quartiers populaires dans la Réserve ? Quelles relations doit-elle entretenir avec les partis politiques ? Les questions pleuvent, et les réponses ne seront logiquement pas apportées lors de cette soirée « défrichage ».
Mais après le grand débat, lors des ateliers thématiques en plus petits groupes, où l’on propose des actions concrètes, les réservistes semblent renouer avec l’enthousiasme de la campagne. « Il faut retourner dès cet été dans les quartiers où l’on est passé, pour conserver le lien avec les habitant·es », juge Marie, professeure des écoles à la retraite, et l’une des rares militantes encartées (au NPA) de la Réserve. « C’est la continuité et la régularité qui feront la qualité de ce lien. »
Pour la rentrée, les idées fusent aussi : Nicolas, urbaniste et artiste, veut organiser des « ateliers mobiles de réarmement civique », pour aider à s’inscrire sur les listes électorales. « Dans le bureau du 13e où j’étais assesseur, une vingtaine de personnes ont constaté le jour du vote qu’elles n’étaient pas inscrites. Et on a calculé qu’avec dix voix de plus par bureau, Amine aurait été élu », souligne-t-il.
Francisco suggère d’organiser des soirées culturelles, avec spectacle sur un thème en lien avec les préoccupations des habitant·es, en y réfléchissant en amont avec elleux, et en se coordonnant avec des associations locales qui font déjà un travail similaire. Et pourquoi pas coupler ces moments conviviaux avec l’inscription sur les listes électorales ?
« Moi je voudrais simplement mettre en place des rencontres régulières dans un quartier pour discuter des infos de la semaine », propose Luisa, elle-même habitante du 14e arrondissement. « A la fois pour démonter les intox des médias Bolloré et montrer l’impact de la politique sur la vie des gens. » Ça tombe bien, Clément a peu ou prou la même idée… On s’inscrit pour organiser ces futures actions, de nouveaux groupes Whatsapp dédiés sont créés.
À l’apéro qui suit cette première réunion « post-électorale » de la Réserve, on décide de créer encore un autre groupe… pour organiser des sit-in devant la Préfecture, jusqu’à ce que Emmanuel Macron nomme un Premier ministre issu du NFP. « Pour que les gens fassent à nouveau confiance à la gauche, il faut que les mesures sur lesquelles on a fait campagne soient appliquées. Sinon ça ne marchera pas », s’inquiète Marie. Toutes et tous ont bien conscience que ce qui joue là est de l’ordre de la dernière chance, et que « faire pression » sur ce qui se passe « dans les hautes sphères », est tout aussi essentiel que de repolitiser les habitant·es des quartiers populaires de Marseille.
mise en ligne le 11 juillet 2024
Extraits du Direct après les législatives : journal du 11 juillet
sur www.humanite.fr
18h00 : Qui comme premier ministre ? L’impatience monte côté NFP...
Alors que les discussions se poursuivent au sein du Nouveau Front populaire, les élus de gauche mettent la pression sur les partis pour qu’ils accélèrent. Ils veulent qu’un nom sorte rapidement du conclave pour forcer la main à Emmanuel Macron. Mais pour définir le potentiel futur locataire de Matignon au sein du NFP, il faut déjà déterminer un mode de désignation…
17h50 : La Coordination rurale menace de sortir « les fourches » si les insoumis ou les écologistes entrent au gouvernement
La Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français, a menacé de sortir « les fourches » en cas d’entrée au gouvernement des « insoumis » ou des écologistes, lors d’une mobilisation, jeudi, à l’occasion du passage du Tour de France dans son fief du Lot-et-Garonne.
« L’horreur absolue, pour nous, serait d’avoir au gouvernement Marine Tondelier ou un autre tocard ministre de l’écologie ou de l’agriculture », a déclaré le dirigeant syndical Serge Bousquet-Cassagne, qui a ajouté : « On aurait préféré que le Rassemblement national soit au pouvoir, on les a jamais essayés. »
16h21 : Ian Brossat alerte du « fléau » des violences transphobes à Paris
Sur X, Ian Brossat interroge le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet du « fléau » que sont les violences transphobes à Paris. Le sénateur communiste de Paris rappelle que « la région parisienne a récemment été le théâtre de deux actes transphobes d’une violence inouïe ». Ses déclarations font référence au meurtre d’une femme transgenre, Angélina, le 5 juillet dans l’Oise et à celui de Géraldine, dans le 16e arrondissement de Paris, ce mardi 9 juillet, à caractère transphobe.
Il demande à Gérald Darmanin quelles mesures concrètes compte-t-il mettre en place pour « améliorer les conditions d’accueil et de soutien des victimes d’infractions, d’insultes et de violence transphobes ».
13h55 : Olivier Faure fustige les propos de Gérard Larcher
Le sénateur des Yvelines Gérard Larcher avait affirmé, ce jeudi matin, sur la chaîne BFMTV, que si le président choisissait un premier ministre issu du NFP, il s’y opposerait et appellerait ses « amis » à « censurer ce gouvernement car ça ne correspond pas à la volonté profonde des Français. »
Dans la foulée, le premier secrétaire du parti socialiste a réagi sur X (ex-Twitter) : « LR a refusé de participer au front républicain. La gauche s’est désistée pour ses candidats sans aucun retour. Nous l’avons fait parce que nous connaissons le péril de l’extrême droite. Elle est là, la noblesse de la gauche ». Le député de la 11e circonscription de Seine-et-Marne a ajouté : « Dans les propos de Gérard Larcher je ne vois que sectarisme et cynisme. »
12h35 : Thierry Nier (CGT Cheminots) : « Sept années de Macronisme, ça suffit »
Alors qu’Emmanuel Macron refuse de nommer un gouvernement NFP, la CGT cheminots appelle à des rassemblements devant les préfectures, le 18 juillet prochain, pour mettre la pression sur l’ouverture de la session parlementaire. Entretien avec son secrétaire général, Thierry Nier :
12h20 : Boris Vallaud (PS) « ne souhaite pas » de recours au 49.3
Le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud « ne souhaite pas » de recours à l’arme constitutionnelle du 49.3 malgré la situation de majorité relative de la gauche. « Nous ne pouvons pas reprocher une brutalisation du Parlement par Emmanuel Macron depuis sept ans et faire de même. N’imposons pas nos mesures, essayons de convaincre sur notre programme et de rassembler », juge le député dans un entretien à l’Express où il plaide à « un gouvernement de Front populaire » et « un parlement de Front républicain » qui respecte le verdict des urnes.
La députée écologiste Sandrine Rousseau a également appelé « à dire ”on n’utilisera pas le 49.3 et on accepte de perdre sur des textes”». « Je ne dis pas qu’on utilisera jamais le 49.3, mais je dis qu’il faut le proscrire autant que faire se peut, faire en sorte qu’on puisse avoir des majorités d’idées sur un certain nombre de sujets », a également estimé le sénateur communiste Ian Brossat sur Sud Radio.
12h01 : Pour aller plus loin : la menace RN écartée pour un temps, comment la société civile entend peser sur les politiques publiques
Alors que la menace d’une majorité absolue RN à l’Assemblée est écartée, tout reste désormais à (re) bâtir. Les acteurs associatifs et syndicaux réclament une prise en compte des préconisations de la société civile dans la construction des politiques publiques. L’enjeu : que l’extrême droite ne revienne pas plus forte demain.
Pour beaucoup, ce changement de paradigme passe forcément par l’union de la gauche. « Responsables de gauche, ne nous trahissez pas ! » exhortait d’ailleurs Lyes Louffok, militant pour les droits de l’enfant et candidat malheureux du Nouveau Front populaire (NFP) dans la première circonscription du Val-de-Marne, au soir du second tour des élections.
Même certitude du côté du collectif féministre NousToutes, qui attend « un gouvernement qui respecte la voix des urnes, avec un ou une premier·ère ministre qui soit féministe, antiraciste mais aussi écologiste et social·e », énumère Gwen, une militante.
Pour France Nature Environnement également, le programme du NFP est « le seul qui porte les vrais enjeux ». « Pour la Macronie et la droite, on voit bien que les enjeux écologiques se résument à la réduction carbone et à la transition écologique. C’est oublier les questions de la mer, de la biodiversité, des transports, etc. », plaide Antoine Gatet.
11h52 : Fabien Roussel (PCF) sur les négociations au sein du NFP : « il y a une volonté d’aboutir au plus vite »
À propos du nom du premier ministre et de la composition d’un gouvernement en négociation au Nouveau Front populaire, « il y a une volonté d’aboutir au plus vite pour répondre à l’attente des Français. J’ai moi-même fait part de mon impatience de façon assez forte », explique le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, dans un entretien à libération, tout en estimant qu’il « faut sans doute ce temps-là pour être solide dans notre union » et qu’il « ne faut surtout pas brutaliser la discussion ».
« Nous sommes tous d’accord sur le fait que nous n’irons pas dans une coalition qui nous lierait aux macronistes et qu’il est hors de question de rogner sur notre programme », constate aussi le communiste.
11h35 : Après Moody’s, le gouverneur de la Banque de France crie haro sur le programme du NFP
Après le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui agite le chiffon rouge de la faillite de la France, l’agence de notation Moody’s qui a menacé de dégrader sa note, c’est au tour du gouverneur de la banque de France de crier haro sur le programme du Nouveau Front populaire : « Je crois (…) que, dans la compétition économique, nos PME, nos entreprises ne peuvent pas être alourdies par des coûts salariaux excessifs, y compris le smic, et par des impôts trop lourds », a déclaré François Villeroy de Galhau, sur franceinfo, tout en reconnaissant ne pas avoir « d’évaluation de telle ou telle mesure ».
Ce qui ne l’empêche pas de livrer ses certitudes : « Ça serait très mauvais pour l’emploi tout de suite, et très mauvais pour le pouvoir d’achat à terme », a-t-il estimé à propos de l’augmentation du smic à 1 600 euros, sans tenir compte du fait que le NFP a prévu des mesures pour accompagner les petites et moyennes entreprises qui en auraient besoin.
11h25 : Philippe Poutou appelle à la mobilisation pour obtenir un gouvernement et une politique de gauche
Sur X, Philippe Poutou (NPA), candidat malheureux du Nouveau Front populaire, en a appelé, ce mercredi, à la mobilisation après la lettre adressée aux Français d’Emmanuel Macron. « Il est quand même très probable que pour obtenir un gouvernement de gauche menant une politique de gauche, il faille pousser très fort par en bas, par une mobilisation unitaire, des manifs, des grèves… C’est notre seule façon de contrer les manœuvres et l’hostilité des dominants », estime-t-il.
10h42 : Manon Aubry (FI) sur le nom du premier ministre NFP : « c’est une affaire d’heures »
« La lettre d’Emmanuel Macron est profondément choquante car il persiste dans un déni total de démocratie. Le Président refuse de reconnaître sa défaite et d’admettre la victoire du Front Populaire : c’est un coup de force politique inacceptable », a estimé ce matin sur franceinfo, l’eurodéputée insoumise Manon Aubry. « Le problème n’a rien à voir avec le nom du Premier ministre » sur lequel le Nouveau Front populaire est en négociation, a-t-elle également estimé.
« C’est une affaire d’heures », a jugé l’insoumise à ce sujet tout en insistant : « Ce sera le plus rapidement possible mais il va falloir au bout d’un moment que le président de la République regarde la réalité en face, qu’il a perdu ces élections et qu’il fasse ce que tout président de la République démocrate devrait faire, c’est-à-dire nommer un premier ministre issu du premier bloc politique (de l’Assemblée). Faute de quoi, ce sera un coup de force démocratique. »
« J’appelle à une large mobilisation populaire, citoyenne, de la société civile autour du programme du Nouveau Front Populaire », a-t-elle ajouté, rappelant qu’en 1936 « les grandes conquêtes de la gauche ont été obtenues notamment grâce au mouvement social » et saluant, plus tard sur BFMTV, l’appel à la mobilisation pour le 18 juillet lancé par la CGT.
10h04 : Sophie Binet appelle à se joindre à la mobilisation du jeudi 18 juillet
« Je pense qu’il faut toutes et tous rejoindre ces rassemblements pour mettre l’Assemblée nationale sous surveillance et appeler au respect du vote populaire » a déclaré la secrétaire générale de la CGT a appelé, ce jeudi matin sur la chaîne LCI .
« Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire », écrivait la CGT Cheminots dans un communiqué, mercredi 10 juillet.
08h53 : Marylise Léon (CFDT) : « ce qui intéresse les Français, c’est comment on change leur vie »
« Ce qui me frappe dans la lettre d’Emmanuel Macron, c’est qu’il ne parle pas vraiment aux Français : il parle aux politiques », a estimé, sur France Inter, ce jeudi matin, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon.
« J’ai fait un courrier hier à l’ensemble des députés pour leur dire qu’il faut compter aussi sur la société civile, il faut s’appuyer sur les forces syndicales, les forces associatives, les ONG pour pouvoir réparer un peu notre démocratie parce qu’on est vite passé à autre chose mais on a frôlé la catastrophe », a-t-elle rappelé, estimant que « si le RN était arrivé au pouvoir, on aurait été dans une tout autre configuration et rien ne peut plus être comme avant ».
« Je suis un peu exaspérée d’entendre parler d’alliances entre formations politiques, moi ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les Français et les travailleurs que je représente, c’est ce qu’on va leur proposer concrètement, comment on change leur vie », a-t-elle ajouté.
« C’est légitime que ce bloc arrivé en tête pose ses conditions et que l’on parte de leur programme, c’est ce qu’ont demandé les citoyens. C’est important de respecter le vote », estime également la syndicaliste.
08h40 : Pour Sophie Binet (CGT), Emmanuel Macron a « deux choses toutes simples à faire »
« Je suis très inquiète parce qu’Emmanuel Macron n’a toujours pas compris qu’il est président de la République et qu’il doit être garant du respect des institutions, de la démocratie et des urnes, rassembler le pays au lieu de jeter des bidons d’essence à chaque fois qu’il y a des incendies », a déclaré ce matin sur LCI, la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.
« Le problème c’est qu’aujourd’hui Emmanuel Macron n’est même plus crédible dans son propre camp, qui est en train d’exploser, et qu’il joue une partition uniquement partisane. Il faut qu’il entende le résultat des urnes », a-t-elle ajouté à propos de la lettre adressée aux Français par le président de la République.
Selon la syndicaliste, le chef de l’État a « deux choses toutes simples à faire » : « La première, c’est demander à la force qui est arrivée en tête aux élections dimanche de désigner un premier ministre. Et la deuxième, c’est de laisser faire le parlement pour trouver des majorités de projet sur les réformes à faire pour le pays. »
07h43 : Sandrine Rousseau à propos de la proposition de premier ministre du NFP : « Nous mettons beaucoup trop de temps, nous devons sortir les noms »
Invitée de RMC ce matin, l’écologiste Sandrine Rousseau a jugé « inquiétante » la lettre adressée aux Français par Emmanuel Macron, évoquant notamment une « ambiguïté vis-à-vis du Rassemblement national ». « Je suis extrêmement inquiète. C’est dans ces moments qu’on voit les grands chefs d’État, et là manifestement on ne le voit », a-t-elle déclaré.
À propos du choix d’un nom d’un éventuel premier ministre par le Nouveau Front populaire, la députée a jugé que les discussions prenaient « beaucoup trop de temps » : « Nous devons sortir les noms », a-t-elle insisté pointant le risque d’ajouter de l’inquiétude à la situation tout en reconnaissant que les négociations se déroulent « dans le flou » du fait de l’attitude des autres forces politiques qui menace par exemple de censure immédiate un gouvernement qui comprendrait des insoumis.
« Le Nouveau Front populaire a été impulsé par un mouvement citoyen, social, là on est dans des trucs un peu boutiquiers. À gauche, il se passe toujours la même histoire : est-ce qu’on est là pour donner un élan ou savoir qui sera devant l’autre ? Aujourd’hui il ne nous faut pas tomber dans ce travers », a également estimé celle qui candidate pour la présidence de l’Assemblée nationale.
07h12 : La CGT Cheminot appelle à la mobilisation le 18 juillet
« Lors du dernier scrutin des élections législatives, nous avons franchi une première étape qui doit permettre de renouer avec le progrès social, mais le plus important reste à faire », estime la CGT Cheminot, dans un communiqué publié hier. « La CGT et ses organisations appellent solennellement Emmanuel Macron à respecter le résultat des urnes. Pas question de continuer sa politique économique et sociale violente. Le nouveau gouvernement doit être formé au plus vite, autour du programme du Nouveau Front Populaire », écrit également le syndicat alors que le président de la République à appeler à former un rassemblement de « tous les républicains » dans une lettre aux Français.
Pour faire face à ces manœuvres, l’organisation cheminote appelle à la mobilisation : « Le 18 juillet prochain, la Fédération CGT des cheminots appelle ses syndicats à organiser en lien avec les structures interprofessionnelles des rassemblements devant les Préfectures et à Paris à proximité de l’Assemblée nationale pour exiger la mise en place d’un gouvernement issu du Nouveau Front Populaire. »
mise en ligne le 11 juillet 2024
Denis Sieffert sur www.politis.fr
La dissolution sauvage décidée par Emmanuel Macron a rebattu les cartes politiques d’un pays blessé. Si le RN a été contenu grâce à une forte participation, il a fortement progressé. Le Nouveau Front populaire a, lui, réussi un coup de maître, mais le plus dur commence.
Cette dissolution sauvage aura finalement quelques effets positifs. Elle aura infligé une défaite cuisante à Macron, l’apprenti sorcier, désormais seul en son palais, abandonné par un premier ministre qui travaille pour son propre compte. Mais méfions-nous tout de même de l’eau qui dort. Macron ne désespère pas de pourrir encore un peu plus la situation et d’inventer, le moment venu, une coalition de bric et de broc. Il a pour ça un avantage : les principes ne l’encombrent pas. En attendant, sa dissolution aura permis de dissiper en partie l’illusion d’une extrême droite « relookée ».
Le Rassemblement national n’a pas résisté à l’épreuve de la loupe. Derrière les bonnes manières d’une poignée de dirigeants propres sur eux, le couvercle s’est soulevé sur une puanteur de candidats racistes, antisémites, nazifiés, rémanence du pétainisme et de l’Algérie française. L’autre leçon positive de ces quelques jours qui ont ébranlé la France, c’est évidemment l’apparition éclair du Nouveau Front populaire. En une nuit, le 10 juin, le slogan lancé par François Ruffin a pris corps. Marine Tondelier, Olivier Faure, Manuel Bompard et Fabien Roussel ont montré une conscience aiguë de la gravité de la situation. On retiendra de cet épisode l’apparition d’une génération de dirigeants qui ont montré ce que peut la volonté en politique.
Mais, cela étant dit, ne nous laissons pas abuser par le miroir déformant de la mécanique électorale. L’extrême droite a été éloignée du pouvoir, pour un temps au moins, mais la réalité ne se compare pas à des sondages qui nous prédisaient le pire. La réalité, ce sont 10 millions de voix pour le RN, 143 sièges, soit 54 de plus qu’en 2022. La réalité, c’est surtout un pays blessé par sept ans de mépris de classe, de réformes imposées à coups de 49.3, et de manifestations durement réprimées, et qui veut que ça change. Certes, le Nouveau Front populaire a réussi un coup de maître, mais le plus dur commence. Les déclarations du dimanche soir manifestant une volonté d’appliquer « tout » le programme du Nouveau Front populaire sont de bonne guerre. Peuvent-elles résister au principe de réalité ?
On a beau nourrir les rêves les plus fous, il va bien falloir négocier. La gauche, son futur premier ministre ou sa future première ministre, va devoir extraire quelques points forts qui constitueront une ligne rouge et qui délivreront rapidement à nos concitoyens un message social clair pour une amélioration immédiate de la vie des gens. On ne cite plus beaucoup Lénine, et on a raison, mais le gauchisme est toujours « une maladie infantile ». À moins de vouloir absolument provoquer une crise dans la crise en forçant Macron à la démission. Mais en prenant alors le risque d’offrir à Marine Le Pen l’occasion d’une revanche. Et puis il y a à espérer un changement de méthode. La question n’est pas secondaire. « Passer du bruit et la fureur à la force tranquille », a résumé Ruffin.
Rompre avec la vieille politique. Celle que l’on a encore vue à l’œuvre en Seine-Saint-Denis, à Paris 20e et à Marseille, où Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi ont dû dépenser leur énergie à résister à des candidats dépêchés par la direction de LFI pour, avec des arguments de caniveau, régler des comptes internes à ce mouvement. Stalinisme pas mort ! On se félicite de leurs victoires à plates coutures qui sont celles de la démocratie. La morale de l’histoire, c’est qu’en quittant le groupe, ceux qui ont déplu à Jean-Luc Mélenchon, il y faut ajouter Clémentine Autain, risquent de renverser le rapport de force aux dépens de LFI. Enfin, dernière leçon de ce scrutin, soulignons cet autre effet réjouissant. On a enregistré un record de participation. On nous a si souvent dit que les élections n’intéressaient plus les Français. C’est tout le contraire, quand nos concitoyens pensent que leur vie peut s’en trouver changée.
Et puis, on m’autorisera un petit plaisir personnel en saluant la défaite de l’horrible Meyer Habib, ami de Netanyahou et des pires colons israéliens. Malheureusement, Yaël Lerer, qui a mené la bataille dans la circonscription des Français d’Israël, n’en a pas profité personnellement. Mais éloignons-nous un instant de l’Assemblée, car tout ne se joue pas au Palais-Bourbon. Le mouvement social, les syndicats peuvent peser à la rentrée sur le rapport de force. Puisqu’il est question de Front populaire, n’oublions pas que celui de 1936 n’aurait pas légué l’héritage social que l’on sait sans les grandes grèves et la mobilisation ouvrière. « Front populaire », les mots ont un sens.
mise en ligne le 8 juillet 2024
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Alors que les instituts de sondages, au soir du premier tour, annonçaient une potentielle majorité absolue au Rassemblement national, une forte mobilisation populaire a permis au Front populaire d’être la plus importante force politique à l’Assemblée nationale. Il faut, désormais, construire dessus.
« Bonjour Madame, est-ce qu’on pourrait parler quelques minutes des élections législatives ? » Cette phrase, cette semaine, a été répétée des milliers de fois. Des dizaines de milliers de fois, sans doute. Après l’annonce, par Emmanuel Macron, de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin dernier, une véritable mobilisation populaire est née pour faire face à la vague brune du Rassemblement national.
Celle-ci a pris plusieurs formes. Mais la principale, sans aucun doute, ce sont ces centaines de personnes qui ont décidé de se lancer, corps et âme, dans une campagne incertaine, au bord du vide. Comme nous vous l’avons raconté dans Politis, ce sont, en effet, des centaines – certainement des milliers – de citoyens, qui, chaque soir sont allés dans des circonscriptions « serrées » pour toquer, porte après porte, pavillon après pavillon, pour convaincre les indécis, pour expliquer les enjeux de cette élection. Et ainsi, contrer ce qu’on voulait, à tout prix, nous faire croire comme inéluctable : une majorité pour le Rassemblement national.
D’ailleurs, le leader de la France Insoumise ne s’y est pas trompé. Pour commencer sa prise de parole, Jean-Luc Mélenchon a tenu à saluer « l’effort et la mobilisation des milliers de femmes et d’hommes qui se sont dévoués sans compter pour parvenir au résultat qui est acquis ce soir ». Ceux-là mêmes, qui, par la force de leur conviction, ont déjoué tous les pronostics. Car il faut bien le dire : si le « barrage républicain » a permis aux macronistes de ne pas être totalement ridiculisés ce dimanche 7 juillet, ce n’est pas lui qui a donné la victoire au Nouveau Front populaire.
On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre.
En effet, selon une enquête d’Ipsos pour Le Parisien, près de 3 électeurs sur 4 du Nouveau Front Populaire au premier tour sont allés voter pour un candidat de l’ex majorité présidentielle en cas de duel face au Rassemblement national. C’est moins d’un électeur sur deux dans le cas inverse. Seulement 43 % des électeurs macronistes ont glissé un bulletin La France insoumise dans l’urne en cas de duel face au RN. Ce chiffre monte, maigrement, à 54 % dans un duel entre le RN et un candidat PS, Les Écologistes ou PCF. Pour les leçons de « républicanisme », on repassera.
Cette victoire est donc avant tout populaire. Elle est issue d’un travail de terrain que ni le Rassemblement national, ni la majorité présidentielle n’ont su effectuer. Et c’est peut-être le plus grand succès de ces résultats. On ne gagne pas une élection sans faire campagne. On ne braque pas la démocratie sans convaincre. De ce postulat, sain, il faut désormais construire. Maison par maison, foyer par foyer. Parce que si la victoire, ce 7 juillet, est aussi belle qu’inattendue, elle reste relative. Le Rassemblement National continue de progresser fortement avec plus de 50 nouveaux députés à l’Assemblée Nationale.
Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts.
Cette vague brune, si elle n’a pas le tsunami que certains prédisaient, a quand même fait des dégâts. Plusieurs députés importants de l’ancienne Nupes ont ainsi été défaits dans les urnes ce dimanche. Pour ne citer qu’eux, Rachel Keke, Pierre Darrhéville ou Sébastien Jumel. Des parlementaires qui étaient élus, bien souvent, dans des circonscriptions rurales. Et qui, malgré une intense mobilisation, ont échoué à quelques centaines de voix.
Ces défaites locales doivent nous laisser en éveil. Oui, le Nouveau Front populaire est désormais le bloc politique le plus important à l’Assemblée Nationale. Mais le plus dur reste à venir. En premier, réussir à maintenir cette forte mobilisation populaire dans des territoires où le RN prospère. Ce n’est que par ce travail de terrain, d’implantation, que la gauche réussira à faire reculer le parti de Marine Le Pen et ses idées. La nouvelle élection de François Ruffin – la troisième d’affilée – dans la première circonscription de la Somme, où le RN avait fait d’importants scores aux européennes, en est une bonne illustration. Là est son salut.
Mais pour cela, il faut que les nouveaux parlementaires du Nouveau Front populaire soient à la hauteur du moment. Ces milliers de citoyens, bien souvent non encartés, qui se sont mobilisés ces dernières semaines ne pardonneraient pas une énième trahison libérale. Ses électeurs non plus. « Le seul vote pour tout changer », pouvait-on lire en gras sur les tracts distribués dans les quatre coins du pays pour le NFP. Il faut, désormais, tenir la promesse.
mise en ligne le 8 juillet 2024
Cécile Hautefeuille sur www.mediapart.fr
Des centaines de personnes ont fêté la victoire du Nouveau Front populaire devant le bar associatif du Quartier Généreux. Une soirée assombrie par les résultats du département : le Rassemblement national remporte cinq des neuf circonscriptions de l’Hérault.
Montpellier (Hérault).– S’il existait un adjectif pour définir une joyeuse sidération, il serait parfait pour décrire le frisson qui a traversé la foule, dimanche à 20 heures, devant le Quartier Généreux, un bar associatif de Montpellier. Quand les premiers résultats se sont affichés sur l’écran de télévision, les centaines de personnes massées devant la vitrine ont d’abord ouvert grands les yeux, vérifié que c’était bien réel puis hurlé de joie. « La gauche a gagné ! Le Nouveau Front populaire est devant ! », « Le RN est troisième ! Oui, troisième ! », font passer celles et ceux des premiers rangs aux personnes qui n’arrivent pas à apercevoir l’écran.
Un sourire presque hagard sur les lèvres, une femme d’une cinquantaine d’années est en larmes. Devant elle, un homme pleure dans les bras de sa compagne. « J’ai eu peur, tellement peur », soufflera-t-il quelques minutes plus tard. Les gens se serrent, s’étreignent, se rapprochent et entonnent un « Siamo tutti antifascisti », régulièrement chanté jusque tard dans la soirée.
Ce résultat, peu y croyaient avant 20 heures. La surprise est totale. « Nous sommes douze minutes avant la fin du monde », se désespérait ainsi Louise, en attendant les premières estimations. « J’ai l’impression qu’une météorite va nous tomber dessus », prédisait-elle, l’air sombre. Finalement, c’est un feu d’artifice, tiré à proximité du Quartier Généreux, qui est venu fendre le ciel quelques heures plus tard. « Montpellier est résolument une ville de gauche ! », s’enthousiasme un groupe d’ami·es.
Une bière à la main, Antoine et Aïssatou se disent « submergés par la victoire ». La jeune femme, qui se prépare à devenir professeure des écoles, évoque le « fort impact psychologique » de cette campagne et sa peur, « une peur de survie », en tant que femme racisée. « J’ai déjà une charge raciale même quand l’extrême droite n’est pas au pouvoir ? Là, c’était très compliqué à imaginer… »
Antoine, qui a pleuré à 20 heures, revient sur son émotion : « Des larmes de soulagement et de fierté. » La fierté d’avoir milité pendant trois semaines – ce qu’il n’avait plus fait depuis dix ans – et d’avoir vu « tant de monde entrer dans le mouvement ». « L’ alliance de tous les acteurs de la société civile, c’est ça qui m’a embarqué, poursuit-il. Plus que jamais il faut continuer, il faut investir tous les espaces. Moi je ressors avec ça, ce soir. »
Pendant que les discours des politiques s’enchaînent à la télévision et que Jordan Bardella est copieusement moqué, une bande de jeunes survoltés harangue les voitures qui passent près de la place Albert 1er. Les coups de klaxon sont incessants, comme un soir glorieux de finale de coupe du monde. Et ça va durer des heures.
Un grand drapeau français fend la foule, barré du message « Se réapproprier le drapeau ». « Et ouais, c’est pas réservé aux footeux ou aux fachos ! », rigole une jeune femme. Arthur, qui porte l’étendard, acquiesce. « C’est notre France, c’est notre drapeau. » « Et notre France, elle est de gauche ! Elle est belle, ouverte et mixte ! », enchaîne Fiona à ses côtés. Drapeau palestinien sur les épaules, la jeune femme de 22 ans dit avoir eu « la boule au ventre » avant 20 heures. « On n’était pas confiants », concède-t-elle.
Soudain, l’ambiance s’assombrit devant l’entrée du bar. Les résultats des neufs circonscriptions de l’Hérault commencent à arriver et avec eux, de mauvaises nouvelles. Le candidat Nouveau Front populaire de la quatrième, Sébastien Rome, est battu par la candidate RN. Il était le député LFI sortant. C’est un coup dur pour les militant·es.
Un tableau, qui recense les résultats du département, se remplit peu à peu. Et les mines sont déconfites. Le Rassemblement national remporte cinq circonscriptions, le Nouveau Front populaire, quatre. En 2022, le RN en avait décroché trois. « On est contents des résultats nationaux mais au niveau local, c’est vraiment moche », déplore une bénévole du Quartier Généreux. « Il faut profiter de cette soirée, puis profiter de l’été pour se reposer mais à la rentrée, on se retrouve et on se remet à bosser ! », scande un autre au micro.
« Après ces résultats, il faudrait que la gauche reste solidaire mais c’est trop tôt pour parler de ça ! Ce soir, on profite », commente Natty, venue avec ses ami·es Illy et Mehdi. Ils ont entre 25 et 32 ans et ont rejoint la place Albert 1er pour « être avec une population de gauche ». « Ici, c’est un lieu safe, c’est surtout pour ça », ajoute Mehdi, qui ne se sent pas en sécurité face à la déferlante des violences racistes ces dernières semaines. « On sent des regards insistants. Et ça installe de la suspicion, on se demande qui a voté RN. Plus de dix millions de personnes qui ont voté pour ce parti au premier tour, c’est pas rien... », conclut le jeune homme, d’ores et déjà inquiet pour 2027.
« Malgré la joie ce soir, j’ai peur de la pente dans laquelle on descend. On y est, on y est toujours », estime également Fred pour qui les résultats de ces législatives ne sont qu’une étape. « La victoire d’aujourd’hui, c’est que le RN se sera pas au pouvoir. Mais la bataille ce sera demain, à l’Assemblée nationale », poursuit-il.
Murielle, bénévole au Quartier Généreux, abonde : « Je me demande ce que ça va donner à l’Assemblée. Je me demande si la gauche va rester unie. On l’a vu, avec la Nupes. Dès le lendemain ils ne se connaissaient plus ! » Surprise de voir autant de monde, et beaucoup de nouvelles têtes, à cette soirée du bar associatif et engagé, elle en est toutefois convaincue : « Cette société civile, elle, ne va pas se diviser. » Ce soir, Murielle veut profiter du souffle d’espoir et de joie qui balaie la foule. Et lève son verre bien haut : « Dans ce verre, il y a le seum de Bardella ! C’est la cuvée du Seum de Bardella ! »
mise en ligne le 6 juillet 2024
par Ivan du Roy sur https://basta.media/
Si le pire – l’arrivée à Matignon de l’extrême droite – peut encore être évité, ce ne sera qu’un sursis supplémentaire. La gauche et la société civile mobilisées doivent désormais répondre à des questions en suspens depuis trop longtemps.
L’extrême droite aura donc mis 40 ans pour être en mesure d’accéder au pouvoir par les urnes en France. Le 17 juin 1984, le Front national emmené par un certain Jean-Marie Le Pen réalisait sa première percée électorale lors d’un scrutin national, attirant 2,2 millions de voix (11 %) aux européennes. Hormis quelques soubresauts, le parti des Le Pen n’a cessé de progresser lentement mais sûrement depuis.
La gauche résiste encore à cette lente marée brune, mais pour combien de temps ? Avec 28 %, la dynamique du Nouveau Front populaire fait mieux que la Nupes en 2022, attirant 3 millions d’électeurs et d’électrices supplémentaires, grâce à la participation sans précédent depuis 30 ans pour ce type d’élection. Problème : l’extrême droite profite également de la mobilisation des abstentionnistes.
Avec 29,5 %, le RN double son nombre de voix comparé à 2022 (9,37 millions ce 30 juin 2024 contre 4,24 millions le 12 juin 2022), auxquelles s’ajoutent le ralliement d’une partie de la droite – les candidats soutenus par LR version Eric Ciotti avec l’appui du RN – qui permet au bloc d’extrême droite de peser 33 %. Ce bloc fait, dès le 1er tour, le plein en terme de voix comparé aux résultats cumulés de ses candidats à la présidentielle de 2022 – les plus de 10,5 millions de voix qui s’étaient portées sur Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan.
Barrer la route de Matignon à l’extrême droite
Ce qui n’est pas le cas de l’union de la gauche à qui il manque, sur le papier, plus d’un million de voix quand on regarde les scores obtenus par ses candidats – dispersés – en 2022 (Jean-Luc Mélenchon pour LFI, Yannick Jadot pour Les Verts, Fabien Roussel pour le PCF et Anne Hidalgo pour le PS). Quant au bloc macroniste (20 %), s’il progresse très légèrement en voix (mais pas en pourcentage des voix exprimés) par rapport aux précédentes législatives, il s’effondre, perdant plus de 3 millions d’électeurs et électrices, comparé au résultat qu’avait obtenu Emmanuel Macron au 1er tour de la présidentielle.
Lors du second tour du 7 juillet, pour éviter que l’extrême droite obtienne une majorité, tout dépendra donc de la réalité des désistements en faveur du candidat non-RN le moins mal placé dans les 239 circonscriptions où des triangulaires entre RN, Front populaire et Renaissance pourraient avoir lieu. Et bien évidemment de la capacité de l’électorat, qu’il soit de gauche, centriste, de droite « classique » ou abstentionniste selon les cas, à se résoudre à voter pour barrer la route de Matignon à l’extrême droite.
Si la stratégie du barrage à l’extrême droite fonctionne encore malgré tout, le pays demeurera en sursis. Quelle que soit la situation qui émergera au soir du 7 juillet, un vaste travail d’introspection devra être mené, en particulier à gauche. Un travail d’introspection qui a toujours été remis à plus tard depuis 40 ans, encore moins depuis l’accession surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, aux dépens de Lionel Jospin, signe avant-coureur de ce qui se passe aujourd’hui.
Pourquoi un tel succès pour un parti raciste, anti-social, climatosceptique ?
Les excuses conjoncturelles, si elles sont à prendre en compte, ne suffisent pas à expliquer cette lente marée brune. Oui un certain traitement médiatique, au goût prononcé pour le buzz et les clichés simplistes, a contribué à dédiaboliser le RN, comme l’émergence du parti d’Eric Zemmour, Reconquête, perçu comme encore plus à droite et outrancier. Oui la constitution d’un groupe de médias par Bolloré a accéléré la diffusion de la propagande et l’idéologie d’extrême droite à plus grande échelle. Mais la marée brune n’avait pas attendu ces vents favorables pour grossir.
Oui la réputation de la gauche politique est encore desservie par l’inconsistance de la présidence Hollande : son absence de vision à long terme sur le partage des richesses ou l’écologie, sa loi travail, ses crédits d’impôts sans conditions aux grandes entreprises, sa légitimation des obsessions de l’extrême droite sur l’immigration et l’islam, légitimation poursuivie par les récents gouvernements…
Oui, l’éclatement de la Nupes et le temps perdu à se déchirer et à brutaliser le débat – notamment depuis le 7 octobre – a encore coûté cher aux formations de gauche. Celles-ci ont agréablement surpris leur électorat en réussissant à former le Front populaire. Mais procrastiner sur les sujets de fond face à la montée de l’extrême droite a suffisamment duré.
Pourquoi une force politique, issue d’une tradition qui n’a strictement et historiquement rien apporté de positif à la France – et pire, qui est même synonyme de déshonneur, de rejet, de haine et de l’élimination d’une partie de ses citoyens – obtient de tels succès ? Pourquoi un projet raciste – remise en cause du droit du sol, stigmatisation des bi-nationaux, focalisation sur l’immigration (comprenez : suspicion et discrimination envers toutes les personnes non blanches) – attire toujours davantage d’électeurs et d’électrices dans une France, l’un des pays les plus mixtes en Europe, où la tolérance vis à vis des minorités progresse globalement depuis 30 ans ?
Pourquoi un parti, qui n’a aucun projet social, excepté des mesures opportunistes, et qui méprise tout ce qui constitue le modèle social français, continue de faire illusion sur ce sujet ? Pourquoi, alors que de plus en plus de Français vivent dans leur chair les conséquences du réchauffement climatique – inondations, canicules ou sécheresses – c’est le parti qui n’apporte strictement aucune réponse, niant même la question du réchauffement, qui continue d’être électoralement en tête ?
Pourquoi encore, ce parti qui n’a aucune vision en matière d’émancipation par l’éducation et par la culture, ne proposant uniquement que mesures autoritaires et sanctions, continue de séduire autant ? Comment la gauche, politique, syndicale, culturelle, associative, a-t-elle pu à ce point s’affaiblir, voire disparaître, dès qu’on s’éloigne des zones urbaines ?
Sortir de la paresse intellectuelle
Historien.ne.s, économistes, syndicalistes, chercheurs, scientifiques, défenseurs et défenseuses des droits humains, journalistes (en particulier les médias indépendants) et des dizaines de tribunes de la société civile ont beau pointer toutes ces contradictions – et bien avant ces échéances électorales – ; rien n’y fait. Cela ne semble avoir aucun impact. La marée brune poursuit sa route, là où, localement, la contradiction a disparu, sur les thématiques où les partis et penseurs de gauche ont trop longtemps pécher par paresse intellectuelle ou confort de l’entre-soi.
Abroger telle ou telle loi inique ne suffira pas ; ni augmenter le Smic sans expliquer aux petits employeurs comment ils seraient accompagnés ; ni demander plus de moyens pour les services publics sans travailler à leur réelle amélioration et organisation ; ni expliquer qu’il faudra davantage d’impôts sans s’attaquer à une gestion rigoureuse et efficiente de l’argent public ; ni prôner la transition écologique, la sobriété ou l’abandon des véhicules thermiques sans expliquer comment, concrètement, ne pas en exclure toute une partie de la population, en particulier en zone rurale. Se contenter d’appeler à la paix dans le monde ne fait pas non plus une politique extérieure. Cette liste est loin d’être exhaustive.
La gauche s’est déchirée pendant un an et demi avant de s’unir à nouveau face à la menace sous la pression, aussi, de son électorat. Elle est en capacité de rattraper son retard sur tous ses sujets. Elle peut s’appuyer sur la richesse de la réflexion, des expérimentations, des savoirs, accumulés par tout ceux et toutes celles qui refusent une aube brune.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Naïm Sakhi sur www.humanite.fr
La secrétaire générale de la CGT est venue soutenir Julien Léger dans la 5e circonscription du Val-de-Marne, où le communiste affrontera le macroniste Mathieu Lefèvre dans une triangulaire.
Les drapeaux rouges de la CGT sont de sortie devant l’Intermarché au cœur du quartier des Boullereaux, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Au micro, ce mercredi 3 juillet, Sophie Binet s’exprime : « Julien Léger est capable de travailler avec tout le monde sur la base de l’intérêt des salariés. Ce bulletin de vote peut changer nos salaires, nos retraites, nos vies. »
À quatre jours du second tour des législatives anticipées, la secrétaire générale de la CGT a effectué un premier déplacement pour apporter son soutien à un candidat dans la 5e circonscription du Val-de-Marne. « Indépendante mais pas neutre », la Confédération avait, dès le 18 juin, appelé à voter pour le programme du Nouveau Front populaire (NFP).
Perte de 20 policiers depuis 2021
Sophie Binet et le candidat campinois sont des connaissances de longue date au sein de la CGT. « Je connais Julien depuis longtemps, notamment durant le conflit contre la loi travail. C’est un militant droit, intègre et extrêmement courageux, mesure la cégétiste. À l’Assemblée, ce sera un député qui permettra d’inverser le rapport de force face au capital. Il défendra les droits des salariés, loin des jeux d’appareil. »
Avec 37,27 % des suffrages, Julien Léger talonne de peu le député sortant macroniste Mathieu Lefèvre (38,52 %), proche du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. La candidate RN, Isabelle Huguenin-Richard (20,4 %), complète le casting de cette triangulaire sans être en mesure de l’emporter. « Moins de 800 voix nous séparent du candidat soutenu par tous les barons locaux de la droite, les réserves de voix sont dans nos quartiers populaires, estime le communiste. Ce député sortant ne s’est jamais déplacé dans nos quartiers pour réclamer des services publics, ni même a protesté contre la fermeture de la Poste au centre de Nogent-sur-Marne. »
Par la présence de Sophie Binet dans le quartier des Boullereaux, les militants locaux ont voulu mettre en lumière le recul des services publics. Dans la gare SNCF, les agents ont été remplacés par des machines, sur fond de privatisation des transports en Île-de-France. Surtout, les communistes réclament depuis de nombreuses années la réouverture du second commissariat dans la commune, depuis, transformé en un centre de santé.
« Jamais Mathieu Lefèvre n’a appuyé ces revendications. Pire, depuis 2021, nous avons perdu 20 policiers dans notre secteur ! » fustige Julien Léger. « Nous ne pouvons plus continuer avec les logiques économiques et sociales d’Emmanuel Macron, insiste Sophie Binet. L’élection de Julien se joue à quelques voix. Nous avons besoin de députés de la société civile comme Julien Léger et Lyes Louffok, militants des droits de l’enfant. Les deux circonscriptions de Champigny peuvent faire basculer la future majorité. »
Grève historique à l’Intermarché des Boullereaux
Les habitants du quartier ont aussi en mémoire la lutte des salariées de l’Intermarché, en septembre 2023. « Sur la quarantaine de salariés, 80 % ont tenu une grève de trois semaines, dont la plupart sont des femmes. Certains avaient vingt années d’ancienneté. Nous avons tout de suite reçu un fort soutien des habitants. La caisse de grève débordait. Les commerçants donnaient à manger aux grévistes », rappelle Laurence Viallefont, secrétaire de l’union locale CGT de Champigny-sur-Marne.
Pour Sophie Binet, « par leur mobilisation historique, ces salariées ont obtenu 100 euros d’augmentation pour tous, le respect des salariés par la direction, l’application des libertés syndicales, le paiement des heures supplémentaires et des jours » enfant malade ». C’est une belle victoire qui montre qu’il est possible d’obtenir des avancées sociales ».
De son côté, Julien Léger veut retenir la méthode victorieuse. « Ces femmes ont reçu le soutien des syndicats, des associations et des partis politiques. Les militants PCF ont été très actifs pour leur venir en aide. C’est cette union qui a permis de triompher sur le patron, comme un air de Front populaire avant l’heure. »
Selon le communiste, « le maire LR Laurent Jeanne et le député Mathieu Lefèvre n’ont pas trouvé une minute pour soutenir ces femmes. Nous ne devons plus laisser ce député, responsable de l’explosion des scores de l’extrême droite, en poste ». « L’extrême droite est le pire ennemi des travailleurs parce qu’elle divise avec son racisme. Quatre militants RN ont été condamnés à six mois de prison pour avoir passé à tabac un homosexuel. Que se passera-t-il demain avec un gouvernement Bardella ? » fustige la secrétaire générale de la CGT. À Champigny, les digues ont d’ailleurs cédé. L’adjoint au maire chargé de la sécurité, Grégory Goupil, est également secrétaire régional d’Alliance 93… un syndicat de police d’extrême droite.
mise en ligne le 5 juillet 2024
Léo Schilling sur www.humanite.fr
La dirigeante d’une entreprise de nettoyage francilienne a tenu des propos racistes envers ses employés, en grève depuis le 20 juin. Elle a néanmoins dû négocier avec ses salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables
Ces propos racistes n’en finissent pas de susciter l’indignation. Alors que les travailleurs sans papiers du groupe francilien de nettoyage et d’entretien HNET étaient en grève depuis le jeudi 20 juin pour obtenir les documents auprès de la société pour lancer des procédures de régularisation, ainsi que des augmentations de salaires, la direction de l’entreprise est montée d’un cran ce mardi dans sa violence à l’encontre des travailleurs.
Ce jour-là, la cheffe d’entreprise, qui refusait jusque-là de négocier depuis plus de 10 jours, au point d’engager un maître-chien pour éloigner les grévistes, puis d’envoyer des lettres de convocation pour licenciement, est finalement allée à la rencontre de ses salariés. Devant plusieurs journalistes, elle a assuré d’abord, contre toute évidence, « il n’y a pas de travailleurs sans papiers », avant de tenir des propos ouvertement racistes : « Je suis une blanche, avec tous ces noirs, vous croyez qu’on n’a pas peur ? »
Gain de cause
Soutenus par la CNT, les travailleurs sans papiers ont finalement pu négocier avec la direction mardi 2 juillet au soir, et ont obtenu certaines garanties : la revalorisation de 10 % des salaires, ainsi que l’arrêt des procédures de licenciement, selon le syndicat. De plus, l’accord prévoit un « processus de régularisation et une future réunion sur les contrats et conditions de travail », à la rentrée, poursuit la CNT.
Dans un contexte politique nauséabond, cette victoire est une bouffée d’air frais pour ces salariés sans papiers, exerçant depuis des années dans des conditions de travail déplorables (sept jours sur sept, heures supplémentaires non rémunérées…), malgré vingt ans d‘ancienneté pour certains d’entre eux.
Et sur l’origine de cette grève :
Léo Schilling sur www.humanite.fr
En grève depuis jeudi 20 juin, des salariés sans papiers du groupe de nettoyage HNET continuent de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de travail devant le siège de l’entreprise, pour le moment sans réponse de la part de leur employeur.
Sur les treize travailleurs sans papiers en grève, neuf sont présents ce mercredi 26 juin, dans le quinzième arrondissement de Paris, pour manifester devant les locaux de leur employeur, le groupe de nettoyage HNET. Ils scandent en chœur « pour tous les travailleurs, solidarité », et agitent des drapeaux de la Confédération Nationale des Travailleurs (CNT) Solidarité Ouvrière, qui les soutient, tout en tapant dans leurs mains et sur une poubelle. Un syndicaliste se tient à leurs côtés, avant qu’ils ne soient rejoints par un juriste de la CNT, chargé de défendre leurs droits.
« Non-respect du droit du travail »
Devant le siège de HNET, barricadé par la direction du groupe durant le week-end, le juriste Etienne Deschamps explique la situation et les revendications de ces travailleurs, des déclarations confirmées par les grévistes. Chargés de nettoyer et d’entretenir les parties communes de copropriétés ou encore de gérer les poubelles et le tri sélectif, ils pointent tous les manquements au droit du travail : « Les employeurs savent parfaitement que ces salariés sont sans papiers, sinon ils se comporteraient différemment. Certains travaillent sept jours sur sept, reçoivent des contrats de travail à temps partiel illicites, qui ne comportent pas les mentions légales, notamment la répartition des horaires dans la semaine ou le mois. Les heures supplémentaires ne sont pas forcément rémunérées, et les frais d’essence des salariés se déplaçant en scooter ne sont pas pris en charge. Depuis des années, les méthodes de l’entreprise sont celles d’un autre monde. »
Selon Etienne Deschamps, les mails et SMS envoyés aux employeurs pour proposer de négocier les conditions de travail des salariés n’ont pas trouvé de réponse, le groupe HNET se contentant de nier l’emploi de travailleurs sans papiers. La première étape est de porter la demande de régularisation des travailleurs : « Ils remplissent tous les critères de la circulaire Valls (texte administratif décrivant les critères de délivrance des titres de séjour), qui est toujours d’actualité : plus de trois ans d’ancienneté sur le territoire, vingt-quatre bulletins de salaire… l’un d’entre eux travaille pour l’entreprise depuis plus de dix ans. Il faut que les entreprises comprennent qu’il faut négocier avec les salariés qui les enrichissent depuis des années. »
Un contexte électoral qui risque de précariser davantage ces travailleurs
Après une première journée de manifestation jeudi 20 juin, les grévistes ont été accueillis le lendemain par des maîtres-chiens, qui avaient apparemment du mal à maîtriser leurs animaux. « Une porte s’est ouverte, un chien est sorti sans laisse ni muselière, ce qui est illicite, et a mordu la première personne venue, un des collègues », raconte le juriste. D’après les déclarations des travailleurs, le maître-chien concerné aurait été embarqué par la police peu après. Les forces de l’ordre sont également revenues voir où en était la situation ce lundi, se contentant de discuter avec les grévistes, puis de quitter les lieux.
Contacté, le groupe HNET n’a pas répondu aux sollicitations de L’Humanité.
Pauline Achard sur www.humanite.fr
Les femmes de chambres du luxueux hôtel Radisson à Marseille, ne sont pas parvenues à faire plier leur direction à l’issue d’une médiation engagée, ce jeudi 4 juillet. Pour leur 44e jour de grève, elles poursuivront donc leur mobilisation ce vendredi, dès 9 heures 30, devant les portes de l’établissement, sur le Vieux-Port.
Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale
Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.
Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.
Déboutées de leurs demandes
Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.
Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.
Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.
Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.
Conditions de travail indignes
« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.
« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.
Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.
Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.
Un large soutien populaire
En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs
revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.
« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon
courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours,
l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou
encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel »,
ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du
film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.
Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.
Pierre Jequier-Zalc sur www.politis.fr
Quelques heures après la rupture avec La France insoumise, le candidat de la première circonscription de la Somme est venu rendre visite, pour la troisième fois en une semaine, aux éboueurs d’Abbeville en grève contre la suppression d’une prime importante.
Ici, «la politique parisienne », on s’en fiche. 14h, ce jeudi, à la déchetterie d’Abbeville. Ni journaliste ni député à l’horizon, pour l’instant. Cela fait six jours que 57 des 59 salariés du site sont en grève. Une première. Et pour cause : la communauté d’agglomération de la Baie de Somme (CABS) et son président Pascal Demarthe (UDI) ont décidé de leur supprimer la majoration qu’ils touchaient sur l’heure de nuit, de 5 à 6 heures du matin. Tout comme les heures supplémentaires du week-end, tout bonnement effacée. Une perte de pouvoir d’achat de 150 à 400 euros par mois, par salarié. Un gouffre. Un « crachat sur notre travail et sur nous », confie, amer, Jean-Jacques, éboueur depuis trente ans à la CABS. En un mois, son salaire est passé de 2 200 à 1 850 euros.
Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie. Christophe
À l’entrée de la déchetterie, une grande benne dégage une épaisse fumée noire, régulièrement alimentée par des pneus. Derrière, la bonne humeur règne, pique-nique, musique à fond et discussions. Cependant, quand on entre pour discuter, l’ambiance se crispe. « Vous venez encore parler de politique c’est ça ? » interroge, méfiant, un salarié.
Et pour cause, voilà une semaine que leur lutte est venue percuter de plein fouet une campagne à couteaux tirés entre Nathalie Ribeiro-Billet (RN), arrivée en tête au premier tour des élections législatives, et François Ruffin (Nouveau Front populaire), le député sortant. Dans deux heures, celui-ci a d’ailleurs prévu, avec l’accord de tous les salariés consultés la veille, de tenir une conférence de presse devant la déchetterie.
Un affrontement qui, pour plusieurs salariés, relègue au second plan leur combat. « Moi je m’en fous de la politique. Ce n’est pas la politique qui va remplir mon porte-monnaie », souffle un autre salarié. On leur promet donc qu’on parlera de leur lutte. Là, les langues se délient. La CFDT de la CABS, à l’origine de cette grève, nous explique en détail le « mépris » de l’agglomération. Des négociations au point mort après leur refus d’une mesure compensatoire de 100 euros par mois – donc bien inférieure à la perte de pouvoir d’achat initiale. La tentative de casse de leur grève par Pascal Demarthe, qui a envoyé des agents municipaux ramasser les ordures pour ne pas gêner le passage de la flamme olympique. Et sa demande auprès des autorités, il y a 48 heures, de les réquisitionner.
« On se sent insulté dans notre chair. Vous imaginez, on bosse ici depuis trente ans, peu importe le temps, qu’il pleuve, qu’il neige. Pendant le covid, on ramassait les ordures tous les jours. Et c’est comme cela qu’on nous remercie », s’indigne Christophe qui s’insurge que le président de la CABS n’ait même pas daigné se déplacer pour leur rendre visite. « Il est fermé comme une huître à la discussion. Il nous chie dessus, tout simplement », glisse un autre salarié. Pour le dernier des quatre travailleurs avec qui on discute, c’est simple : cette perte de salaire équivaut à ces sept ans d’ancienneté. « Je gagne moins que quand je suis rentré dans l’entreprise, à 19 ans. »
Pour Ruffin, tous les grands médias ont fait le déplacement
Malgré tout, la politique ne peut pas rester totalement à l’écart de cela. L’avant-veille, la candidate du Rassemblement national est venue leur rendre visite, quelques jours après François Ruffin. Une visite qu’on n’hésite pas, sous couvert d’anonymat, à qualifier « d’opportuniste ». « Elle nous a ramené des Pitch et du Coca. Elle a cru qu’on était à un goûter de maternelle ? » François Ruffin est, lui, moins critiqué. « Il était déjà là avant d’être en campagne. Il était déjà venu nous voir en 2021. Et aussi pendant les retraites », se souvient Jean-Jacques. La CFDT confie que c’est à son initiative qu’une caisse de grève a été créée. Avec sa résonance sur les réseaux sociaux, celle-ci a déjà recueilli plus de 7 000 euros.
15 h 45. Le député sortant va arriver d’un instant à l’autre. Les premières caméras de télévision commencent à apparaître. Les salariés sont frileux. « On a parlé à France 3, ils ont tout coupé au montage, sauf la partie politique », regrette Christophe. Tous, admettent, toutefois, que c’est aussi un formidable coup de projecteur. « S’il n’avait pas été là, vous ne seriez pas là », nous lance-t-on. TF1, France Info, Le Monde, l’AFP, BFMTV, tous les grands médias ont fait le déplacement. Mais pas forcément pour eux. Le matin même, dans une interview à l’agence France Presse, François Ruffin a en effet acté son divorce avec La France insoumise, qualifiant même Jean-Luc Mélenchon de « boulet ».
Le député de la Somme le sait d’ailleurs très bien. À son arrivée, peu avant 16 heures, il s’assure de serrer toutes les mains de la petite cinquantaine de salariés et de syndicalistes venus en soutien. Il connaît le terrain, les têtes. Auprès de Valérie Lecul, en charge des négociations à la CFDT, il prend les dernières nouvelles. « On n’en peut plus, on en a ras le bol, ras le bol. Tout le monde est gonflé à bloc », lui glisse Florent*.
* Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.
Tous les salariés se placent derrière lui. Au fond, une pancarte sur laquelle on lit « Non à la baisse des salaires, population en colère et solidaire. » François Ruffin place à côté de lui Valérie Lecul. Chacun à leur tour, la syndicaliste et trois salariés prennent la parole. Ils expliquent la réalité de cette baisse de salaire. « Je partirai en vacances dans mon jardin. Je planterai la tente pour m’y croire », rit jaune Jean-Jacques.
« On ne peut pas abandonner ces classes ouvrières »
Vite, cependant, l’actualité politique reprend ses droits. « Le score du Rassemblement national est très fort ici chez vous. Est-ce que c’est la faute de Jean-Luc Mélenchon ? » interroge un journaliste. « Non, la responsabilité incombe à Emmanuel Macron qui a gouverné avec arrogance et toute puissance. C’est cela qui a fait monter le Rassemblement national. Mais il y a une gauche qui ne répond pas aux attentes des gens ici. Il faut parler de la question sociale parce que c’est ça qui fait leur existence. La gauche n’a pas la responsabilité de la crise mais elle ne permet pas d’ouvrir un débouché d’espérance », répond le député, fidèle à sa stratégie théorisée depuis désormais plusieurs années.
Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est
certain.
F. Ruffin
Pas besoin de détailler davantage sa réponse, elle fera – fait même déjà, sans doute, à l’heure de publier ces lignes – le tour des télévisions. Florent l’a d’ailleurs bien compris. « Vous ne couperez pas tout au montage », assène-t-il aux journalistes lorsqu’ils repartent. Au moment de lui dire au revoir, quelques larmes coulent sur ces joues. « Je suis à bout, on est à bout. On a besoin de vous », nous glisse-t-il.
François Ruffin, lui, ne promet rien. « Je n’ai que deux mains, mais je ne vous abandonnerai pas, ça c’est certain. Mais c’est la seule chose que je peux vous garantir », explique-t-il. Le député repart en porte à porte, comme depuis le début de la journée. En off, il assure que, déjà, sa prise de distance avec LFI facilite le contact avec les gens. « On ne peut pas abandonner ces territoires, ces campagnes populaires, ces classes ouvrières », souligne-t-il. Avant de quitter les lieux, Jean-Jacques lui confie alors, un peu honteux, ne pas s’être déplacé, dimanche dernier, pour voter. Dimanche prochain, il promet au député qu’il ne manquera pas à l’appel. « Et dès 8 heures, sans faute ! »
mise en ligne le 4 juillet 2024
Benjamin König sur www.humanite.fr
Agressions, menaces, insultes : l’arrivée potentielle de l’extrême droite au pouvoir semble ouvrir les vannes d’une violence raciste et politique inédite depuis des décennies. Le risque terroriste n’est pas à écarter de la part d’individus fascinés par les tueries d’Oslo ou de Christchurch. La France peut-elle entrer dans une période sombre ?
C’est un monde parallèle mais bien réel, qui rassemble des dizaines de milliers de personnes. Ils ont pour nom Ouest Casual ou Canal Natio ; des groupes de militants et sympathisants de l’extrême droite radicale, où l’on se prépare à passer à l’action. « Vous êtes prêts ? » demande un contributeur accompagnant son message d’images d’une bombe et d’une explosion.
On y relaie les dernières actions, les violences envers des militants de gauche, on liste les ennemis – antifascistes, militants du Nouveau Front populaire, personnes racisées, musulmans, juifs, féministes ou personnes LGBTQI+. On prend la pose lors de manifestations fascistes, avec des tee-shirts sur lesquels figure le slogan : « Au fusil, au couteau nous imposerons l’ordre nouveau. » On célèbre la violence qu’on attend impatiemment, peut-être suite aux élections législatives qui pourraient « déclencher des émeutes : espérons » !
« On est nazis, putain ! »
Au lendemain des européennes, de nombreux groupes d’extrême droite ont même pensé que l’heure de la « grande guerre raciale », comme ils la nomment, était venue. Dans le Vieux-Lyon, un des quartiers gangrenés par les groupuscules depuis des années, une cinquantaine de militants fascistes ont manifesté, agressant plusieurs personnes selon des témoignages, en scandant : « On est nazis, putain ! », « Islam hors d’Europe ! » Le soir du 9 juin, Gabriel Loustau, le fils d’un proche de Marine Le Pen, a agressé un homosexuel à Paris avec plusieurs acolytes se revendiquant du GUD, le Groupe union défense, une organisation historique de l’extrême droite.
Au commissariat, l’un d’eux s’est exclamé : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du pédé autant qu’on veut ! » et « Vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hitler reviendra… » Au-delà des cas emblématiques comme l’assassinat du rugbyman Federico Aramburu en 2022 par Loïk Le Priol, lui aussi membre du GUD, les actes de violence de l’extrême droite se multiplient. Marginaux durant longtemps, ils sont en nette hausse depuis 2022 : de 35 attaques graves perpétrées par l’extrême droite entre 2019 et 2022, elles ont bondi à 22 rien que pour 2023, selon le centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo. Et en cas d’arrivée du RN au pouvoir ?
Pour Pietro Castelli Gattinara, professeur de science politique à l’université libre de Bruxelles et chercheur à Sciences-Po, il convient de distinguer plusieurs formes de violence liée à des groupes d’activistes. « L’activisme extraparlementaire de l’extrême droite peut prendre trois formes principales : des actions individuelles et non revendiquées, comme une bonne partie de celles que nous avons vues pendant la crise des migrants ; des actions collectives non revendiquées, telles que l’infiltration dans des groupes de riverains, ce qui a été le cas d’actions à Dublin en 2023 ; et des actions collectives revendiquées telles que les blocages de bus ou de convois humanitaires transportant des demandeurs d’asile par des groupes tels que Forza Nuova en Italie », liste-t-il. Pour le spécialiste des extrêmes droites européennes, la particularité de la France est que cet activisme « est dominé par des acteurs non institutionnels, avec une distinction entre groupuscules et partis politiques, davantage qu’en Italie par exemple ».
Les lieux de culte de plus en plus ciblés
Au ministère de l’Intérieur, la menace est prise très au sérieux. Une source indique qu’elle constitue la priorité n° 2 après celle de l’islamisme radical, et concerne le terrorisme, la déstabilisation et la désinformation. En Allemagne, la violence d’extrême droite est même LA priorité. Ce qui inquiète le plus : qu’un individu passe à l’acte sur le modèle des tueries d’Utøya en Norvège (Anders Breivik en 2011) ou de Christchurch en Nouvelle-Zélande (Brenton Tarrant en 2019).
Ce dernier, qui avait assassiné 51 personnes dans deux mosquées, s’était radicalisé en France, s’imprégnant notamment de la théorie du « Grand Remplacement ». Un thème porté ouvertement par l’extrême droite française, y compris par Jordan Bardella, qui multiplie les allusions même s’il n’utilise pas ce terme précis. En France, le budget de la protection des édifices religieux est d’ailleurs en forte hausse, à commencer par les mosquées, selon notre source, et les synagogues.
Le 13 janvier dernier, une ou plusieurs personnes ont tenté d’incendier la mosquée de Saint-Martin-des-Champs, près de Morlaix. Celle de Guingamp avait été taguée de slogans racistes quelques semaines plus tôt. Et le 23 décembre 2022, un homme avait tué trois personnes en s’en prenant à un centre culturel kurde, à Paris.
En 2023, plusieurs événements ont contribué à une hausse à la fois des exactions et du vote d’extrême droite : les drames de Crépol, dans la Drôme, ou de la jeune Lola, à Paris, ont servi de marqueurs idéologiques. Des meurtres sordides instrumentalisés par l’ensemble de l’extrême droite, à la fois au sein des groupuscules et sur les plateaux télévisés.
Peser dans le débat public
À Romans-sur-Isère, une centaine de militants néonazis ont défilé dans les rues sous le regard apeuré et interloqué des habitants, quelques jours près le drame de Crépol. La haine de l’immigration a également donné lieu à des menaces envers des élus de la part de militants qui refusaient l’ouverture d’un centre d’accueil pour migrants, notamment dans l’ouest du pays, à Callac et Saint-Brevin-les-Pins, où le maire avait démissionné après que son domicile eut été incendié.
Le 22 avril dernier, dans une tribune au Monde, le directeur adjoint du centre de recherche sur l’extrémisme d’Oslo, Anders Ravik Jupskas, distinguait « deux types de violence : raciste, qui vise les minorités ethniques et religieuses, et anti-gauche, qui vise les opposants politiques. Les premières sont plutôt commises par des acteurs isolés, celles anti-gauche par des acteurs organisés ». Concernant ces dernières, la France figure en seconde position en Europe, avec quatre groupes principaux impliqués : le GUD, les Jeunesses nationalistes, les Zouaves – une émanation récente du GUD – et l’Action française, mouvement royaliste et maurrassien fondé à la fin du XIXe siècle.
Et pourtant, entre groupes organisés et individus isolés, la frontière est en réalité poreuse : dans les sciences sociales, « on remet en cause la notion de violences individuelles, car il est très rare qu’un cas soit isolé d’une action collective », précise Pietro Castelli Gattinara.
Selon notre source au ministère de l’Intérieur, il existe au RN des gens qui font le lien avec les militants nationalistes radicaux, au sein d’une nébuleuse qui gravite autour de ces cercles, et maintiennent un contact proche avec Reconquête !, qui a servi de réceptacle institutionnel à la mouvance parfois qualifiée d’ultra-droite. Pour le sociologue Erwan Lecœur, spécialiste de l’extrême droite, ces groupes « ont des financements, des soutiens médiatiques et politiques. Ils veulent peser dans le débat public et influer sur Marine Le Pen », dont la ligne est parfois jugée un peu trop molle, stratégie de « dédiabolisation » oblige.
Quelles seraient leurs cibles ? Dans un entretien au Monde, l’ancien patron du renseignement intérieur (désormais au renseignement extérieur), Nicolas Lerner, indique que dix actions terroristes de l’ultra-droite ont été déjouées depuis 2017. Elles visaient des « élus, juifs, francs-maçons, musulmans ». Pour lui, « il est clair que la vie politique de notre pays peut avoir une influence sur la propension de certains groupes à passer à l’acte ».
Au-delà de ce genre d’actions, c’est aussi la multiplication d’actes de basse intensité – insultes, menaces, agressions – qui est susceptible d’exploser. Au sein du ministère de l’Intérieur, on concède que si le RN passe, on entre dans l’inconnu, avec un possible déchaînement.
Peu probable cependant qu’un RN au pouvoir ait intérêt à « couvrir » officiellement ce genre d’actes. Mais dans les discours, le laisser-faire, le harcèlement quotidien – y compris par une petite fraction de la police –, le risque existe. Il semble même inéluctable. D’autant que cette période de violences politiques a déjà commencé. Alors si, le 7 juillet, l’extrême droite parvenait au pouvoir ? Il est toujours possible d’éviter ce scénario noir.
mise en ligne le 4 juillet 2024
Stéphane Guérard, Nadège Dubessay et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Le programme du Nouveau Front populaire donne un cap aux futurs députés pour engager le bras de fer à l’Assemblée et changer le quotidien. La preuve par quatre.
Quels que soient la configuration de l’Assemblée dimanche soir et le rapport de force qui s’en dégage, les députés de gauche comptent imposer des mesures chocs afin de répondre aux demandes de changement qui se sont fait jour lors de ces législatives.
Porter le Smic à 1 600 euros net
Dans la foulée du programme du NFP, les députés de gauche de la future Assemblée comptent batailler pour que le Smic soit porté à 1 600 euros net, soit une hausse d’environ 15 % par rapport au niveau actuel. Pour répondre aux libéraux qui agitent le spectre d’une multiplication des faillites d’entreprises en cas d’envolée de leurs « coûts » salariaux, le NFP fait valoir plusieurs arguments.
D’abord, qu’une hausse des bas salaires relancera la consommation (moins on est riche, moins on épargne et plus on injecte son revenu supplémentaire dans l’économie), donc l’activité. Ensuite, qu’aucun des États qui a augmenté fortement son salaire minimum au cours des vingt dernières années (tels le Royaume-Uni, l’Ontario aux États-Unis, etc.) n’a connu de catastrophe économique, au contraire. Enfin, qu’il est toujours possible d’aider les PME à amortir le choc salarial que cela représenterait, par la création d’un fonds de compensation notamment.
Abroger la retraite à 64 ans
Adoptée par 49.3 il y a un an malgré un mouvement social historique, la réforme des retraites est revenue comme un boomerang au visage des macronistes. L’abrogation de l’âge légal de départ à 64 ans est tout à fait envisageable et apaiserait les esprits. Contrairement à ce qu’a affirmé Gabriel Attal, le régime universel des pensions ne ferait pas banqueroute en revenant aux 62 ans.
D’une part, la réforme de 2023 se met progressivement en place et n’a pas eu le temps de produire ses effets d’économies. D’autre part, l’augmentation du nombre d’années cotisées nécessaires (43 annuités) figurait déjà dans la réforme Touraine précédente, que l’actuelle ne fait qu’accélérer. Enfin, parce que le NFP propose de très nombreuses pistes de financement pour pallier le manque à gagner de l’abrogation (autour de 22 milliards d’euros, selon l’économiste Michaël Zemmour) ainsi que le sous-financement chronique dont souffre le régime.
La hausse de 0,25 point par an des cotisations sociales des salariés et employeurs prônée par le NFP couvrirait les deux tiers du coût de l’abrogation, en cinq ans. La taxation des revenus désocialisés ou défiscalisés (épargne salariale, prime Macron, intéressement, participation, dividendes, rachats d’actions…) ferait le reste.
Muscler l’émancipation par l’éducation
L’instruction est un ressort fondamental de lutte contre les idées d’extrême droite. Dans la dynamique du Nouveau Front populaire, les députés de gauche comptent bien renforcer le système scolaire grâce à trois mesures d’urgence : augmenter les salaires des enseignants comme de l’ensemble de la fonction publique pour rendre les carrières attractives ; abroger le « choc des savoirs » d’Attal en renforçant la liberté pédagogique des enseignants ; instaurer une « gratuité intégrale à l’école » (cantine, fournitures, transports, activités périscolaires) pour muscler le pouvoir de vivre des familles.
En confrontation directe avec le programme rance du RN, qui veut faire de l’école « le conservatoire vivant du patrimoine des savoirs accumulés depuis des siècles », la gauche entend aussi rompre avec la vision utilitariste de la Macronie d’un système éducatif orienté vers les seuls besoins des entreprises.
L’émancipation des élèves passe par un réinvestissement dans les locaux scolaires, la modulation des dotations des établissements – y compris privés – pour renforcer la mixité sociale, ainsi que l’abolition de Parcoursup et de la sélection dans les universités publiques.
Réanimer le système de santé
Relancer un système de santé atrophié par des années de sous-financements, alors que les besoins de la population vont grandissants, nécessite de changer les règles. Pour ce faire, les députés de gauche élus dimanche soir pourront s’inspirer des mesures phares contenues dans le programme NFP.
La lutte contre les déserts médicaux implique la régulation de l’installation des médecins et la participation des cliniques privées à la permanence des soins, avec la garantie d’un reste à charge zéro. Un plan de « rattrapage des postes manquants de fonctionnaires », particulièrement à l’hôpital public, un autre de recrutement dans le médico-social (Ehpad, IME, aide à domicile…) s’accompagneraient de la revalorisation des métiers et des salaires.
La constitution d’un pôle public du médicament combattrait efficacement les pénuries de médicaments. Et une vraie politique de prévention implique de s’attaquer aux polluants éternels (Pfas).
mise en ligne le 3 juillet 2024
David Perrotin sur www.humanite.fr
Depuis le 9 juin, de multiples agressions racistes, verbales ou physiques, ont eu lieu dans toute la France. Plus d’une par jour, selon le décompte de Mediapart. Dans de très nombreux cas, les personnes mises en cause ont fait référence au Rassemblement national.
La liste n’est pas exhaustive mais reste inédite. Rarement la France aura connu, semble-t-il, autant d’agressions et de propos racistes dans une temporalité aussi réduite.
Depuis le 9 juin et le résultat du Rassemblement national (RN) aux élections européennes et l’annonce de la dissolution avec une victoire possible du parti d’extrême droite aux élections législatives, pas un jour ou presque ne se passe sans que la presse relate une agression.
Parfois très violentes, toujours racistes, celles-ci sont, dans de très nombreux cas, en lien avec le contexte politique, lorsque les mis en cause font explicitement référence au RN, à Marine Le Pen ou à Jordan Bardella. En à peine trois semaines, Mediapart dénombre au moins trente événements racistes signalés dans la presse. Plus d’un chaque jour.
Un homme tabassé
Les images diffusées le 1er juillet au tribunal de Bourg-en-Bresse sont glaçantes et presque insoutenables. À chaque coup porté par Maxime B., 25 ans, et Adrien V., 23 ans, la tête de la victime heurte la vitre de la porte avec fracas. Mourad B., 37 ans, avait simplement demandé aux deux jeunes hommes qui sortaient d’un restaurant de baisser le ton. En retour, il reçoit une pluie de coups et de nombreuses insultes racistes. « On est en France », « Descends, sale bougnoule », « Nique sa mère les bougnoules ». Maxime et Adrien ont été condamnés à quatre ans de prison dont un avec sursis.
Ce même 1er juillet, dans un village des Cévennes gardoises, Midi Libre raconte qu’un homme a passé la nuit à déambuler dans les rues de la commune de La Grand-Combe, fusil à la main, en tirant plusieurs coups de feu. Selon plusieurs témoins, précise le parquet, « il vociférait des propos du type “À mort les Arabes” », avant d’être interpelé au petit matin.
Sur son compte X, Tajmaât, « une plateforme collaborative pour la diaspora maghrébine », diffuse de nombreuses vidéos et témoignages d’agressions racistes. Le 30 juin, des images montrent une femme portant un voile ciblée par un individu à Paris. « C’est insupportable, il va falloir l’enlever [...]. C’est anti-France, cet islam est incompatible avec la France », lance-t-il alors que la victime précise être née en France. « L’invasion migratoire et l’invasion de l’islam, on n’en peut plus. [...] Vous êtes une ennemie de la France », ajoute-t-il.
La veille de l’élection législative, le 29 juin, plusieurs plaintes ont été déposées pour des tags racistes retrouvés sur un mur et sur une route de deux villages, relate le Dauphiné libéré.
Dans le Nord, le 28 juin, deux militants du Nouveau Front populaire (NFP) ont porté plainte après avoir été agressés par des « partisans du RN ». « Ils ont tenté de brûler une affiche du NFP, chanté Maréchal nous voilà, demandé à une militante musulmane de “rentrer dans son pays” en voulant lui “jeter du cochon dessus”. Une honte », écrivait le NFP local sur Twitter.
Une soirée xénophobe intitulée « Ausländer Raus » (« Les étrangers dehors », en français) devait se tenir le 28 juin dans un bar identitaire de Rouen. Après une bataille juridique avec le maire socialiste de la ville, les organisateurs ont décidé de l’annuler.
Une boulangerie incendiée
Comme l’a raconté Mediapart, les attaques racistes visant des candidat·es, des militant·es ou des élu·es ont imprégné cette campagne électorale express comme jamais. « C’est extrêmement violent. On me dit que je vais retourner en Gambie, on me traite de singe. Des trucs d’un autre temps », déplorait par exemple le candidat NFP en Seine-Saint-Denis Aly Diouara, faisant référence aux messages reçus sur les réseaux sociaux mais aussi par e-mail.
Dans la nuit du 26 juin, c’est une boulangerie d’Avignon, dans le Vaucluse, qui est incendiée et taguée à l’intérieur avec des inscriptions racistes et homophobes. Les mots « nègre », «PD », « dégage » étaient encore lisibles malgré les sept tentatives de départ de feu dénombrées par les enquêteurs. Depuis un an, le patron de la boulangerie employait un apprenti de nationalité ivoirienne.
Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées. Signalement reçu par SOS Racisme.
Toujours le 26 juin, selon nos informations, le service juridique de SOS Racisme a reçu le signalement d’une femme portant un voile victime de propos islamophobes. Alors qu’elle se baignait dans la piscine de sa résidence avec sa famille, Sonia* raconte avoir été prise à partie par ses voisines. « Les Arabes qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont sortir la kalache ? Bientôt elles seront mortes les voilées », lui auraient-elles notamment lancé.
SOS Racisme a également reçu le signalement d’un propriétaire d’un restaurant de sushis pris à partie par un individu. Auprès du pôle juridique de l’association, il dit « ressentir depuis l’annonce de la dissolution un climat général où le racisme a lieu en toute impunité ».
Le 25 juin à Thiais, dans le Val-de-Marne, un chauffeur de bus en service pour le ramassage scolaire est victime de menaces de mort et d’insultes racistes par un automobiliste garé sur une place réservée aux bus. « J’en ai marre des gens comme vous, bougnoules et renois, moi je vote RN, je vais te tuer, je vais te massacrer, je vais vous éradiquer », a-t-il notamment proféré, selon une source policière interrogée par France Info. L’automobiliste serait remonté dans sa voiture avant de percuter délibérément le chauffeur de bus au niveau des jambes. Si le mis en cause dément tout propos raciste, une enquête a été ouverte par le parquet.
Des pompiers menacés et insultés
Le 25 juin, Karim Rissouli, journaliste sur France 5 où il présente notamment l’émission « C ce soir », dévoile sur Instagram le contenu d’un courrier anonyme raciste reçu à son domicile. « Franchement Karim, tu n’as pas compris le vote du 9 juin. [...] La seule et unique raison fondamentale du vote RN, c’est que le peuple français historique en a plein le cul de tous ces bicots, le reste c’est du bla-bla. Le “Souchien” [Français de souche – ndlr] ne t’acceptera jamais, ni toi, ni tes frérots, et même malgré le nombre vous ne posséderez jamais la France », est-il notamment écrit.
D'autres journalistes dont Nassira El Moaddem du site Arrêt sur images et Mohamed Bouhafsi, chroniqueur de l'émission "C à vous" sur France 5, ont aussi publié des messages racistes les visant.
Le 24 juin à Roanne, en marge d’une manifestation contre l’extrême droite, un individu s’en est pris à des manifestants en tenant plusieurs propos racistes et homophobes selon les témoins cités par Le Progrès. « Il a parlé des “bicots”, et laissé entendre qu’il en avait “ras-le-bol des Arabes” », écrit le quotidien. Il a ensuite asséné un coup de poing à l’un d’entre eux avant d’être laissé libre par la police municipale. Il ne sera interpelé que bien plus tard après avoir agressé une personne qui sera hospitalisée.
Le maire LR de cette même ville, Yves Nicolin a été contraint de s’excuser le 2 juillet pour des propos racistes tenus lors d’une conférence de presse lundi. « Ceux qui sortent la nuit sortent plutôt l’été. C’est une race qui aime la chaleur et le beau temps. L’hiver, ils sont plus tranquilles », a déclaré l’édile devant une brigade de police municipale locale de nuit.
Dimanche 23 juin, des sapeurs-pompiers de Vieux-Condé, dans le Nord, sont empêchés d’intervenir pour un malaise et reçoivent « menaces », « crachats » et « injures racistes » selon La Voix du Nord. Les mis en cause, un homme de 55 ans et une femme de 31 ans, ont été interpelés et sont poursuivis pour menaces de mort et rébellion. « Des pompiers veulent rentrer dans une maison pour aller aider quelqu’un de blessé. Et là, on leur dit “Non, vous, vous ne rentrez pas”, parce que le pompier s’appelle Mounir, précisait le candidat communiste Fabien Roussel quelques jours plus tard sur France Info. Ils ont dû rentrer dans leur camion sous les cris “On est chez nous, les bougnoules dehors !” »
Après une fête locale le 22 juin près de Lunel, trois plaintes ont été déposées pour des violences en réunion dont une à caractère raciste selon Midi Libre. Un jeune de 19 ans raconte avoir été suivi par une voiture avant qu’elle ne s’arrête à son niveau et que quatre personnes, dont une avec un couteau, le frappent à la tête. « Quatre hommes m’ont ensuite saisi les bras et les jambes et m’ont jeté dans le canal puis m’ont plongé la tête sous l’eau, de force. Ils ont fait ça quatre ou cinq fois tout en me traitant de “sale Arabe”. “Tu n’as rien à faire ici”, criaient-ils. Ils disaient que je venais de Djihad City en faisant référence à Lunel », a témoigné la victime, qui a eu sept jours d’ITT, devant la police.
Vive Zemmour, vive Jordan Bardella, je vais t’enculer ta mère, vive Bardella. Signalement reçu par SOS Racisme.
Toujours le samedi 22 juin, cette fois-ci à Paris, l’ancien animateur de l’émission « Affaire conclue » sur France 2 et proche de Jean-Marie Le Pen, Pierre-Jean Chalençon, aurait tenu des propos racistes contre une journaliste d’origine marocaine lors d’un dîner chez des amis communs. Devant une dizaine de convives, selon Le Figaro, il est contredit lorsqu’il prend la défense du fondateur du Front national et s’en prend à la journaliste, selon sa plainte déposée depuis : « Je t’en... Les Arabes seront toujours des Arabes, rentre chez toi ! », lance-t-il. « Ta gueule sale bougnoule, rentre chez toi ! », ajoute-t-il selon la victime, avant de projeter au sol son téléphone portable. Si Pierre-Jean Chalençon conteste tous les propos, une plainte a été déposée le lendemain pour injure non publique en raison de l’origine.
Selon nos informations, le pôle juridique du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) a été saisi après un quiz musical organisé le 22 juin lors d’une fête de village à Lepuix, près de Belfort. Des propos injurieux contre les immigrés ont été proférés, d’après des témoins. « Plusieurs personnes ont été choquées d’entendre qu’une équipe de participants s’appelait “Sale immigré”. “Cela a été dit plusieurs fois au micro”, a affirmé le militant écologiste Vincent Jeudy, qui a participé à ces festivités rassemblant plusieurs milliers de personnes », précise l’association. Une enquête a été ouverte par le parquet.
Le Mrap annonce aussi déposer plainte contre la propagande électorale affichée en Meurthe-et-Moselle par le Parti de la France, groupuscule d’extrême droite, dont un membre, Pierre-Nicolas Nups, est candidat dans la 5e circonscription du département sous l’étiquette « Rassemblement de la droite nationale ». Ses affiches représentaient un enfant blond aux yeux bleus barré du slogan « Donnons un avenir aux enfants blancs ».
L’association a également déposé plainte après les propos tenus par Daniel Grenon, député sortant du RN dans l’Yonne, lors d’un débat tenu avec son opposante le 1er juillet, et révélés par L’Yonne républicaine : « Sur 30 ou 40 postes, on ne peut se permettre d’avoir des binationaux. Des Maghrébins sont arrivés au pouvoir en 2016, ces gens-là n’ont pas leur place en haut lieu. »
Le 21 juin, une chanson raciste et pro-RN, « Je partira pas », a été diffusée sur de nombreux réseaux sociaux d’extrême droite et a été relayée par Éric Zemmour, Gilbert Collard ou la militante Mila. « Quand va passer Bardella, tu vas retourner chez toi » ou « Pour toi, fini le RSA/Le bateau n’attend pas », peut-on notamment entendre. SOS Racisme et le MRAP ont effectué plusieurs signalements.
Un adolescent roué de coups
Le 20 juin à Paris, Kofi Yamgnane, ancien ministre et ancien élu socialiste d’une commune de Bretagne, est victime d’attaques racistes de la part d’un individu dans la rue. « Toi, tu as intérêt à te préparer à rentrer chez toi en Afrique », « On va vous foutre tous dehors », a asséné un passant en croisant sa route.
Le même jour, une mère de Sotteville-lès-Rouen a dénoncé l’agression raciste de son fils, d’origine franco-algérienne, de 14 ans à la sortie d’un cours de sport. Selon France Bleu, il a été agressé par trois jeunes hommes alors qu’il attendait sa mère. « Il a été insulté de “gratteur d’allocs” et roué de coups », précise la radio.
Toujours le 20 juin, « Envoyé spécial » diffuse le témoignage de Divine Kinkela, aide-soignante, victime des propos racistes de ses voisins à Montargis (Loiret) et militants RN. « Bonobo ! », « On fait ce qu’on veut, on est en France, on est chez nous ! », lui ont-ils notamment lancé selon la victime.
Devant les caméras de France 2, ladite voisine, fonctionnaire au tribunal judiciaire de Montargis suspendue depuis, chante « on est chez nous », lance « va à la niche » et dénigre la coupe de cheveux de la victime. Des pancartes « avec Marine et avec Bardella », et une casquette « Vivement le 9 juin avec Jordan Bardella » sont aussi visibles, accrochés sur la façade de leur maison. Plusieurs plaintes ont été déposées.
Mi-juin à Chatou, dans les Yvelines, plusieurs résidents ont reçu des tracts ouvertement racistes intitulés « Monsieur le Maire, Stop aux Blacks à Chatou ! ». « Nous n’acceptons pas que Chatou devienne la Seine-Saint-Denis. Nous avons choisi d’habiter Chatou parce qu’il n’y avait pas de Blacks », peut-on lire entre autres propos racistes. « Ras-le-bol des Africains qui sont toujours dépendants de la France pour pouvoir survivre. » Au moins trois plaintes ont été déposées, rapporte Le Parisien.
Le 19 juin 2024, un couple et leur enfant auraient été victimes d’une agression raciste, nous indique le pôle juridique de SOS Racisme. Karim* aurait été pris à partie par trois de ses voisins au sujet de l’emplacement de sa voiture. « Sale Arabe de merde, on va te ramener à la frontière… Sale race, votre place c’est pas ici, bande de Sarrasins de mes couilles », auraient-ils proféré, selon l’association. « À ces propos s’ajoutent “Vive Zemmour, Vive Jordan Bardella , je vais t’enculer ta mère, vive Bardella”. » Selon le signalement, les individus auraient frappé le père de famille à la hanche et l’un d’eux aurait menacé la famille avec un chien, « un pitbull sans muselière ».
Le 18 juin 2024 dans le Tarn-et-Garonne, des ouvriers découvrent des tags racistes et antisémites sur les murs de la nouvelle mosquée de Montauban Es-Salam, en cours de construction. « Sales bougnoules », « rentrez chez vous », ont été inscrits à la bombe de peinture noire en plus de croix gammées, selon France 3 Occitanie. « C’est la cinquième fois que nous retrouvons ce genre de tags racistes, la dernière fois, c’était une tête de cochon », dénonce un membre de l’association musulmane de Montauban.
Deux jours plus tôt, le 17 juin, le militant Karim Merimèche est pris à partie par des sympathisants du RN alors qu’il tractait pour le candidat sortant La France insoumise (LFI). « L’un des hommes m’a dit : “Rentre dans ton pays, sale bougnoule, dégage, rentre chez toi.” J’étais choqué, je n’ai rien dit et je me suis éloigné. Mais il a continué, en me traitant encore de “sale bougnoule de merde” et en disant à Mathilde [Regnaud, suppléante du candidat – ndlr] d’aller “se faire sauter par les bougnoules”. » Deux témoins de la scène parviennent à identifier l’homme. Karim Merimèche a porté plainte le lendemain pour injures à caractère racial.
Le 12 juin, c’est à La Côte-Saint-André, en Isère, que quatorze tags islamophobes ont été découverts sur les murs d’un parc. « Islam hors d’Europe », ou « anti-Arabes », pouvait-on notamment lire sur les clichés diffusés par France 3 Auvergne-Rhône-Alpes.
Une situation « alarmante » pour les associations
Le 10 juin, comme le révélait Mediapart, des policiers se lâchaient lors de l’interpellation d’un jeune homme dans le XIe arrondissement de Paris, et enchaînaient les propos racistes et homophobes. « Avec ta casquette de pédé qui se fait enculer par des migrants » ; « Quand ta mère et ta grand-mère se seront fait violer par des migrants, tu comprendras », ont-ils notamment déclaré, avant de diffuser, au commissariat, des chansons à la gloire de Jordan Bardella.
Deux jours avant les élections européennes, le 7 juin 2024, SOS Racisme a été informé de la présence de deux tee-shirts, exposés sous forme d’étendards, sur le balcon d’un bâtiment. Sur le premier, les prénoms de « Marine et Jordan » étaient affichés avec cette autre inscription à la main : « Tous les immigrés dehors melons etc. ». Sur le deuxième tee-shirt, on pouvait lire « La France aux Français ».
Avec ces trente propos, tags, événements ou agressions racistes en seulement trois semaines, les manifestations de violence semblent considérables et, de l’avis des associations, « évidemment sous-estimées ». « C’est une situation alarmante et inhabituelle. On sent vraiment qu’avec la montée de l’extrême droite, il y a une explosion des agressions racistes non seulement verbales mais aussi physiques », constate SOS Racisme. « On est face à des gens qui se disent que si le RN arrive au pouvoir, ils auront un appui institutionnel pour se comporter de la sorte », ajoute son président, Dominique Sopo.
Mais combien de signalements ou de plaintes sont à déplorer ? Contactés, le ministère de l’intérieur et le parquet de Paris n’étaient pas en mesure de nous donner de chiffres. « On ne peut mesurer que plus tard si une augmentation est visible et en lien avec l’actualité », précise une source Place Beauvau. « Mais il y a évidemment un ressenti que la parole raciste se libère, à la télévision ou sur les réseaux sociaux notamment », ajoute-t-elle. La Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT), elle, précise ne pas pouvoir s’exprimer sur le sujet, « période de réserve électorale oblige ». De son côté, le collectif de lutte contre l’islamophobie en Europe (CICE) dit avoir reçu « cent cinquante signalements » pour le seul mois de juin et précise qu’il s’agit « d’un record ».
La victoire possible du Rassemblement national, ce parti d’extrême droite dont de nombreux candidats expriment ouvertement des propos sexistes, racistes, antisémites ou LGBTphobes, semble avoir incontestablement un lien avec ce déferlement de haine. Mais si libération de violence raciste il y a, celle-ci est loin d’être inexistante le reste du temps. Dans son rapport remis le 27 juin, la Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait qu’en 2023, la France avait connu 32 % d’actes racistes supplémentaires et déplorait une augmentation exponentielle des actes racistes et une hausse inédite de l’antisémitisme.
mise en ligne le 3 juillet 2024
Aurélien Soucheyre et Margot Bonnéry sur www.humanite.fr
Une petite musique monte selon laquelle le temps serait venu de donner sa chance au Rassemblement national, au motif qu’il n’a jamais été « essayé ». Rien n’est plus faux : dans les villes comme au Parlement, il pourrit depuis des années la vie de la population.
La phrase revient dans la bouche de plus en plus de Français, comme une fausse évidence : « Le Rassemblement national, on n’a jamais essayé. » Comme s’il ne restait comme solution qu’un saut dans l’inconnu afin de régler les problèmes du pays. Et pourtant, ces Français se trompent.
L’extrême droite, on a déjà essayé. Elle est aujourd’hui au pouvoir dans de nombreuses villes de France. Elle empêche déjà des textes de loi progressistes d’être adoptés à Paris ou à Bruxelles. Elle gouverne des pays en Europe. Et elle a dans l’histoire maintes fois montré son véritable visage.
Un climat délétère dans les communes
Depuis 2014, le RN gère dix villes en France. Vont-elles mieux ? Donnent-elles envie d’étendre la recette de l’extrême droite à l’ensemble du pays ? Certainement pas. L’une des premières décisions de Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont (Nord), a été de « supprimer les financements de l’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme, en plus de l’expulser de ses locaux ! » s’indigne l’ancien conseiller municipal d’opposition PCF David Noël.
À Hayange (Moselle), Fabien Engelmann a coupé le gaz et l’électricité au Secours populaire français, « faisant perdre tous les vivres conservés au congélateur à destination des plus modestes », dénonce Céline Léger, candidate FI aux législatives. Syndicats, associations de défense de droits, collectifs de solidarités sont régulièrement visés et taxés de « communautaristes » par les maires RN. Les subventions municipales leur sont coupées. Les clubs de sports collectifs trinquent aussi, au profit du développement des sports de combat.
Qu’y gagnent les citoyens ? De meilleurs services publics ? À Perpignan (Pyrénées-Orientales), Louis Aliot a « bloqué l’installation d’un foyer pour l’aide sociale à l’enfance », dénonce Michel Coronas, porte-parole départemental du PCF. Le maire RN a aussi privatisé la crèche, le funérarium et la piscine, ce qui a fait augmenter les prix. Partout les moyens sont alloués à la vidéosurveillance et au renforcement des équipes de police, comme si la sécurité était le seul besoin et la réponse à tout.
Les fonctionnaires, à Beaucaire (Gard), dénoncent être « poussés à bout et mis sous pression en permanence dans un climat délétère ». Les élus d’opposition et toutes les associations qui portent un autre message que celui du RN sont combattus sans relâche. « Nous sommes des pestiférés », témoigne un acteur culturel de Fréjus (Var) qui a dû déménager. À Perpignan, le directeur du Théâtre de l’Archipel a été viré et le festival de street art supprimé au motif que la programmation déplaisait.
« Ce qui caractérise la gestion du RN, c’est l’austérité, avec une baisse des dépenses publiques qui nuit avant tout aux plus pauvres et aux immigrés, lesquels sont sans cesse ciblés », mesure Alain Hayot. Le sociologue, anthropologue et ancien vice-président PCF de la région Paca pointe également l’offensive culturelle et identitaire du RN.
À Cogolin (Var), le maire Marc-Étienne Lansade a fait interdire des soirées de danse orientale. Et la municipalité de Beaucaire impose des menus avec du porc à l’école, officiellement au nom de la laïcité (ici détournée) et officieusement pour discriminer les musulmans et les juifs. « La création est attaquée. Toute la politique culturelle passe dans une défense d’un patrimoine fantasmé, comme au Puy du Fou », ajoute Alain Hayot.
Des votes antisociaux et réactionnaires au Parlement
Le RN est arrivé en tête au premier tour des législatives, dimanche 30 juin. Mais les députés d’extrême droite à l’Assemblée nationale, on n’aurait jamais essayé, vraiment ? Depuis 2022, ils sont 88 à siéger au Palais Bourbon. Que votent-ils qui permettrait de changer la vie des Français et d’améliorer leur quotidien ? Rien de rien. Tout comme les troupes d’Emmanuel Macron, ils se sont prononcés contre une hausse du Smic et des salaires, privant les Français d’un gain légitime en pouvoir d’achat.
Hostiles à une meilleure répartition des richesses, ils n’ont pas non plus soutenu, à l’instar encore une fois des macronistes, la proposition de la gauche d’indexer les salaires sur l’inflation. Et ce n’est pas fini : les députés RN ont voté contre le gel des loyers, pour la réduction des droits à l’assurance-chômage, contre le rétablissement de l’ISF, se plaçant résolument comme le gouvernement du côté des plus riches. Ils ont même voté contre une loi visant à lutter contre les déserts médicaux et contre la création d’un service public de la petite enfance, en plus de s’abstenir concernant l’instauration de prix planchers pour les agriculteurs.
Ils empêchent de fait, depuis des mois, l’adoption de réformes qui amélioreraient la vie des Français. Sur le plan économique et social, le bilan d’Emmanuel Macron est aussi le leur. Sans oublier ses choix au Parlement européen où le RN montre également son véritable visage, avec des votes défavorables à la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité, à la lutte contre les discours de haine à l’égard les personnes LGBTI+, à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, à un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et à l’instauration d’une taxe sur les superprofits. En résumé, le RN, les Français essaient déjà, et ça ne leur fait pas du bien.
De sulfureux alliés européens
Le panorama serait incomplet si on ne se penchait pas sur les alliés européens de Marine Le Pen et Jordan Bardella, et sur ce qu’ils mettent en place quand ils sont au pouvoir. S’il est exact que les Français n’ont jamais essayé Viktor Orban ou Giorgia Meloni, les Hongrois et les Italiens, eux, sont en train de le faire. Et ce qui arrive sur place est édifiant : à Budapest, le premier ministre en place impose aux femmes d’écouter les battements de cœur du fœtus avant tout avortement.
En Italie, Giorgia Meloni rend de plus en plus impossible l’accès à l’IVG. Les deux convergent aussi pour réformer les institutions : à Rome, la première ministre veut élaborer une Constitution taillée sur mesure permettant délire au suffrage universel direct le président du Conseil, selon un mode de scrutin qui lui assurerait la majorité absolue au Parlement.
Une dangereuse dérive qui soumettrait le pouvoir législatif à l’exécutif. En Hongrie, Viktor Orban a modifié le mode de scrutin électoral à son seul profit et mis la justice au pas, en plus de mettre en place des sanctions afin de soumettre la presse. Les droits de l’homme y sont de plus en plus bafoués concernant les réfugiés et les SDF. Ce qui n’empêche pas les ouailles de Le Pen de le citer en modèle.
mise en ligne le 2 juillet 2024
par Corentin Léotard (pigiste à Mediapart ) sur https://blogs.mediapart.fr/
La Hongrie de Viktor Orbán est le laboratoire européen des politiques antilibérales que le Rassemblement National voudrait porter en France. Kristóf Szombati, universitaire et militant de gauche écologiste, a été aux premières loges pour observer l’avènement de l’« orbánisme » puis la mise en coupe réglée de la Hongrie. Entretien.
Kristóf Szombati est anthropologue et sociologue. Il a participé à la construction du parti écologiste LMP à la fin des années 2000, au moment où la gauche s’effondrait et laissait le terrain aux nationalistes. Il est actuellement chercheur postdoctorant à l’Université Humboldt de Berlin et est auteur de The Revolt of the Provinces: Anti-Gypsyism and Right-Wing Politics in Hungary, une analyse ethnographique et politique de la montée de la droite radicale en zones rurales en Hongrie.
Le Courrier d’Europe centrale : Êtes-vous surpris par le poids acquis par l’extrême-droite en France et par le fait que le Rassemblement National se trouve aujourd’hui aux portes du pouvoir ?
Kristóf Szombati : Pas tellement, vu comment le vent politique a tourné vers les nationalismes radicaux et un capitalisme national presque partout en Europe dans les dernières années. Le grand économiste politique Karl Polanyi nous a notamment appris que lorsque les élites politiques mettent en œuvre des politiques de marchandisation radicale qui nuisent à de larges pans de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, cela engendre des contre-mouvements sociaux qui promettent de défendre la société contre les excès les plus évidents de la marchandisation et les dislocations sociales les plus graves. Ces mouvements peuvent s’appuyer sur diverses idéologies et s’associer à des partis de gauche et de droite pour faire entendre leur voix et leurs revendications.
Alors que dans la période qui a suivi la grande récession de 2007-2008, nous avons vu émerger des contre-mouvements populistes de gauche, avant tout en Europe du Sud, mais aussi à d’autres endroits de l’UE, ces mouvements semblent aujourd’hui épuisés, laissant les griefs des perdants de l’austérité rampante et du recul lent mais certain de l’État-providence ouverts à la récupération par les nationalistes radicaux. Les contre-mouvements sociétaux sont particulièrement susceptibles de s’orienter vers la droite nationaliste et de s’y associer dans les situations où l’austérité est poursuivie par des partis prétendument de gauche, comme ce fut le cas en Hongrie entre 2006 et 2010. Les choses sont un peu différentes dans des pays comme la France, où seule une partie de la gauche a adopté un programme néolibéral et où les réformes néolibérales de la dernière décennie ont été imposées par un président libéral. Dans ce cas, la gauche est en mesure de conserver le rôle de défenseur de la société, du moins dans les zones urbanisées où les associations de gauche sont actives.
Pouvez-vous retracer succinctement la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000 avec Jobbik, puis comment le Fidesz l’a porté au pouvoir ?
Kristóf Szombati : En Hongrie, une variante antisémite du nationalisme radical est apparue dès 1990[i]. Toutefois, le parti qui portait ce programme n’a pas réussi à s’imposer, en partie parce que les communistes réformateurs ont d’abord réussi à se présenter comme les adversaires les plus crédibles du gouvernement de centre-droit et en persuadant les gens ordinaires qu’ils défendraient leurs intérêts. Les choses ont radicalement changé en 2006, lorsque le pays a été secoué par un énorme scandale politique après qu’il est apparu que les socialistes avaient menti aux électeurs sur le niveau du déficit budgétaire pour gagner les élections. Au lieu de présenter ses excuses et de démissionner, le Premier ministre Ferenc Gyurcsány est resté au pouvoir et a commencé à mettre en œuvre un programme d’austérité sévère qui allait à l’encontre de la promesse sociale-démocrate de dédommager la classe moyenne pour les sacrifices qu’elle avait dû consentir au cours de la décennie qui a marqué la transition du socialisme d’État au capitalisme.
La gauche a perdu sa légitimité et plus de la moitié de ses électeurs en quatre années (de 2006 à 2010), et ses alliés libéraux ont été éjectés du parlement en 2010. L’effondrement de la confiance dans le gouvernement de centre-gauche a permis l’émergence d’une nouvelle variante du nationalisme radical. Il s’agit du parti Jobbik, qui a formulé son projet politique autour de la question sociale, en concentrant son attention sur la sous-classe racialisée des Roms et en promettant de mettre en œuvre un programme sévère de maintien de l’ordre, parallèlement à la ré-institutionnalisation de la ségrégation ethno-sociale dans les écoles. Ce programme radical a été bien accueilli dans les zones rurales, qui ont ressenti le plus durement l’impact des mesures d’austérité et du ralentissement de l’activité économique mondiale. Toutefois, en dehors de ces zones, les électeurs ont soutenu le programme politique apparemment plus modéré du parti Fidesz, qui ne promettait pas une rupture totale avec le néolibéralisme, mais plutôt une série d’éléments compensatoires pour la classe moyenne et le retrait de l’aide sociale aux personnes « réfractaires au travail ».
Une fois au pouvoir en 2010, le Fidesz a pris de court ses opposants en s’empressant d’occuper tous les postes de pouvoir et de rédiger une nouvelle constitution à Parti unique, sur laquelle ni les citoyens ni l’opposition n’ont été consultés. Cependant, le glissement du Fidesz d’un nationalisme modéré vers un nationalisme plus radical a réellement commencé en 2015 avec l’arrivée en Europe des réfugiés de Syrie. La campagne anti-immigrés du Fidesz s’est progressivement étendue à un programme antilibéral plus global, permettant à Orbán de s’ancrer dans le rôle de leader de la droite dure eurosceptique. Un rôle qu’il savoure manifestement, malgré le fait que son pouvoir en Europe est en déclin depuis son éjection du Parti Populaire européen en 2021 et l’apparition de Giorgia Meloni sur la scène politique. Toutefois, en Europe centrale, il reste le leader incontesté de l’illibéralisme, comme il aime à appeler son programme nationaliste radical.
Vous avez publié un ouvrage intitulé « The Revolt of the Provinces » (La révolte des provinces) qui analyse la progression de l’extrême-droite en Hongrie au cours des années 2000. Quels sont ses principaux enseignements ?
Kristóf Szombati : L’austérité économique mise en œuvre par la gauche a joué un rôle important. Mais à côté de cela, dans les régions agricoles telles que celle où j’ai fait de la recherche anthropologique entre 2011 et 2014, l’adhésion à l’Union européenne a également joué un rôle. Avec le recul, il est clair que les petits et moyens entrepreneurs agricoles n’étaient pas bien préparés à affronter la concurrence sur le marché commun européen. Dans la région viticole où j’ai travaillé, l’afflux de vin bon marché en provenance d’Italie, d’Espagne et d’autres pays a durement frappé les petits et moyens producteurs, ne laissant survivre que ceux capables de produire des produits de qualité supérieure ou de combiner la viticulture avec le tourisme. Ce groupe social, que j’appelle la post-paysannerie pour signifier que ses membres ne vivent que partiellement du travail de la terre, s’est détourné pour de bon du parti socialiste au profit du Fidesz et du Jobbik. À cet égard, il convient de noter que le gouvernement Fidesz a fait beaucoup pendant les dernières quatorze années pour soutenir les viticulteurs hongrois et promouvoir la consommation du vin, ce qui a été très populaire et a aussi eu un impact économique dans ces régions.
Une dernière chose que je voudrais souligner dans la montée du Fidesz et du Jobbik a été la mise en œuvre d’une politique d’émancipation en faveur des Roms stratégiquement erronée. Le problème n’est pas que la gauche ait poussé à la déségrégation des écoles et à une réforme de l’aide sociale favorisant le groupe social le plus pauvre et le plus marginal de la société. Le problème est qu’elle a combiné ce programme d’émancipation de la sous-classe racialisée avec un programme néolibéral plus large, qui a nui aux travailleurs et à la petite bourgeoisie rurale, tout en promouvant un type de discours qui ne reconnaissait que les griefs des minorités opprimées. Ce mélange s’est avéré toxique dans la mesure où il a constitué un terrain fertile pour l’émergence de puissants ressentiments parmi les travailleurs et la petite bourgeoisie à l’égard des Roms marginalisés, qu’ils considéraient comme moins méritants qu’eux-mêmes, et à l’égard de l’élite dirigeante, dont ils percevaient les politiques comme fondamentalement injustes. Ce ressentiment à l’égard des minorités et le sentiment d’abandon et de colère à l’égard de l’élite de gauche-libérale ont poussé la majorité des travailleurs et de la petite bourgeoisie des zones rurales et en parties dans les moyennes villes dans les bras de la droite.
En France, lorsque l’on regarde à l’international, c’est avec l’Italie de Meloni que l’on compare la situation française. En Europe de l’Ouest, il y a cette tendance à considérer le phénomène Orbán comme un exotisme propre à l’ex-« bloc de l’Est ». Comment évalues-tu la place de la Hongrie d’Orbán par rapport à ce mouvement global de progression des nationalismes ?
Kristóf Szombati : Je pense que nous devons considérer la situation hongroise comme faisant partie intégrante de l’évolution du vent politique dans l’ensemble de l’Europe. Il est clair que l’Europe de l’Est, et en particulier la Hongrie, a subi la Grande Récession de 2007/2008 plus durement que l’Europe de l’Ouest. En d’autres termes, l’Europe occidentale disposait à l’époque de plus de réserves pour défendre les remparts du modèle social-démocrate. Ce dont nous avons été témoins au cours des 15 dernières années constitue un changement important à cet égard. Des pays comme l’Allemagne – où je vis et travaille actuellement – sont les témoins d’une crise profonde du modèle socio-économique d’Etat-providence, qui se traduit pour les gens ordinaires par l’application de l’austérité, accompagnée du détournement des électeurs ruraux du centre-gauche. L’argument que j’ai avancé concernant le mélange toxique de politiques réformistes néolibérales et d’émancipation des minorités s’applique également dans une certaine mesure à des pays comme l’Allemagne, où une partie de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie éprouve clairement du ressentiment à l’égard des populations immigrées et estime que, dans une situation socio-économique difficile, les dépenses sociales et les promesses de solidarité devraient être réservées à ceux qui sont nés dans le pays. L’émergence du parti social-conservateur Bündnis Sarah Wagenknecht (BSW) témoigne clairement de cette dynamique.
En d’autres termes, l’Europe occidentale semble avoir « rattrapé » l’Europe de l’Est, dans la mesure où les élites politiques se trouvent de plus en plus réticentes et incapables de protéger les citoyens les plus vulnérables contre les chocs de la guerre en Ukraine, la faiblesse relative de l’Europe face à ses principaux concurrents mondiaux et les coûts économiques et sociaux de la transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Cette convergence de l’économie politique ne signifie évidemment pas que la situation est la même partout. Les généalogies culturelles, sociales et politiques jouent un rôle important dans la montée de la droite radicale nationaliste, mais aussi dans la capacité de la société civile à résister ou au moins encadrer cette progression.
Dans le cas de la Hongrie, d’une part le Fidesz s’appuie fortement sur la logique culturelle historiquement sédimentée des relations patron-client. Mes recherches dans les petites villes de province montrent que le clientélisme est un mode efficace de consolidation du pouvoir, dans la mesure où il permet à ceux qui se situent au bas de cette hiérarchie pyramidale de jouir d’une certaine marge de manœuvre et de négocier avec ceux qui sont au-dessus d’eux pour accéder à certaines ressources et à certaines opportunités. Les observateurs occidentaux partent souvent du principe que le régime autoritaire d’Orbán piétine toutes les libertés. Si, du point de vue des droits formels, il est indéniable que les droits sociaux ont été réduits et que les citoyens sont exclus de la prise de décision politique en dehors des élections, les observateurs extérieurs ne voient souvent pas que le renforcement des réseaux informels de pouvoir permet à ceux qui sont prêts à négocier avec les détenteurs du pouvoir d’obtenir des faveurs importantes. Cela donne aux régimes autoritaires comme celui d’Orbán une grande flexibilité, tout en encourageant les citoyens à suivre la voie privée du clientélisme plutôt que les voies collectives et politiques du lobbying, de la pression et de la négociation.
On peut considérer qu’avec la Fidesz, la droite radicale et national-conservatrice est au pouvoir depuis quatorze ans en Hongrie. Quelles sont les conséquences les plus profondes, les plus graves pour le pays et la société ?
Kristóf Szombati : C’est précisément cette « informalisation » du pouvoir que je trouve la plus inquiétante, car l’une de ses conséquences est que les personnes qui n’ont pas accès aux réseaux informels de pouvoir se retrouvent marginalisées. Si, au cours des premières années, le gouvernement Fidesz a consacré beaucoup de ressources aux communautés les plus pauvres dans le cadre de son programme de travail public, ces dernières ont été fortement réduites au cours des dernières années. Le régime a essentiellement laissé les citoyens les plus pauvres et les plus marginalisés aux soins des églises chrétiennes qui, même si certaines d’entre elles font du bon travail, contribuent essentiellement à la consolidation de la marginalisation socio-économique dans la périphérie intérieure du pays. Cette décision d’abandonner les pauvres est tragique pour l’avenir du pays et laissera au régime qui lui succédera la tâche de développer la périphérie intérieure, ce qui sera très coûteux.
Mais en prenant du recul, nous voyons aussi que le modèle socio-économique du Fidesz ne repose pas seulement sur le dumping social, mais aussi sur la dévaluation délibérée de l’éducation publique, des soins de santé publics et, en fait, de tout le domaine public. Cette stratégie est censée, d’une part, servir les besoins de la compétitivité : des dépenses sociales moins élevées permettent de réduire les recettes, ce qui permet à l’État de maintenir les impôts sur le travail et les sociétés à des taux comparativement très bas. Le lent démantèlement des services publics – qui a des conséquences très réelles, comme le taux de décès élevé pendant la période du Covid, dépassant celui de la plupart des autres pays européens – fait donc partie de la stratégie économique plus large du régime, qui consiste à maintenir la main-d’œuvre hongroise à bas coût et à l’offrir aux capitaux manufacturiers étrangers. Il y a cependant un calcul politique plus cynique derrière tout cela. Il s’agit de la conviction qu’une société privatisée qui a renoncé à tout effort collectif et à tout réseau de solidarité – à l’exception de la famille sacralisée, qui est chargée de s’occuper de toutes sortes de problèmes – est plus facile à soumettre. Les dirigeants actuels de la Hongrie ne sont certainement pas les seuls à suivre ce calcul, mais ils l’ont poussé assez loin.
Tout n’est bien sûr pas transposable de la Hongrie à la France. Mais sur la base de cette expertise, vu de Hongrie, risquons-nous à faire un peu de prospective. Quels risques ferait porter un gouvernement RN pour la société française ? A quoi faudrait-il s’attendre ?
Kristóf Szombati : Je suis absolument certain qu’en France, sous un gouvernement dirigé par le RN, les choses se passeraient très différemment qu’en Hongrie. D’une part, bien que la France soit également un pays fortement centralisé, je ne pense pas qu’elle puisse être mise en coupe réglée comme un pays plus petit comme la Hongrie. D’autre part, je ne vois pas le RN acquérir une super-majorité parlementaire, comme l’a fait le Fidesz en Hongrie. Je suis à peu près certain que la société civile française opposera une plus grande résistance aux efforts visant à transformer les fondements du modèle social du pays. La gauche est moins délégitimée et beaucoup mieux ancrée socialement qu’elle ne l’était en Hongrie, et c’est une ressource sur laquelle nous n’avons pas pu compter en Hongrie.
L’expérience hongroise montre que le Fidesz, même dans une situation où il contrôle tous les leviers du pouvoir et une grande partie de l’espace médiatique, a été très sensible aux manifestations de grande ampleur qui touchent le cœur et les sautes d’humeur de sa base. Malgré la faiblesse générale des protestations et des pressions civiques, le gouvernement a toujours fait marche arrière lorsque les opposants – citoyens et politiques – ont été en mesure de formuler une critique d’une manière qui s’adressait à une partie significative de la base électorale du parti au pouvoir. C’est la bonne nouvelle, pour ainsi dire. La moins bonne nouvelle, c’est qu’Orbán a excellé dans l’art de proposer des politiques populaires qui lui permettent de conserver sa large base électorale interclassiste, et dans l’art d’engager des combats stratégiques avec des ennemis réels et imaginaires de manière à élaborer un récit de salut national.
Comme nous l’avons vu plus haut, il a également élaboré une stratégie économique qui convient au capital national et international. Enfin, et c’est un point que nous n’avons pas abordé, il a trouvé le moyen de maintenir la bureaucratie d’État à ses côtés et, malgré de graves tensions au sein du pouvoir judiciaire, d’établir un contrôle sur la quasi-totalité de l’appareil d’État.
Sachant à quel point certaines prédictions des sciences sociales ont échoué par le passé, je voudrais être très prudent. Disons donc que je ne serais pas très surpris si le RN, au cas où il parviendrait à s’emparer à la fois du poste de premier ministre et de la présidence, réussissait également à bâtir une hégémonie. N’oublions pas qu’une « Internationale » nationaliste radicale est quasiment en place : Le Pen a scruté de près Orbán et s’intéresse actuellement de très près à Meloni. Il s’agit donc d’un processus d’apprentissage collectif. Pour risquer un pronostic, si Bardella parvient à construire une majorité parlementaire, je m’attends à ce qu’il construise sa politique de pouvoir gouvernemental lentement et prudemment, en se concentrant sur l’équilibre entre les mesures phares du RN et celles qui sont populaires en dehors de la base du parti, en travaillant en coulisses pour construire un nouveau compromis entre le capital national et international, et en négociant avec les représentants clés de la bureaucratie d’État. Dans le cas de la France, ce dernier point semble être beaucoup plus difficile à résoudre qu’il ne le fut en Hongrie.
En parallèle de votre carrière universitaire, vous avez milité avec un parti de gauche écolo au tournant des années 2010, donc au moment même où Orbán s’emparait du pouvoir et commençait à le verrouiller. Avez-vous des conseils ou des réflexions utiles pour les militants de gauche en France ?
Kristóf Szombati : Rétrospectivement, je suis très critique à l’égard de nos efforts, par ailleurs héroïques, pour construire une alternative verte à partir de 2007. Nous avons commis une série d’erreurs stratégiques. Mais la tâche à laquelle nous étions confrontés, à savoir construire un parti vert à partir de rien, sans que la question du climat ne figure parmi les principales préoccupations des citoyens et sans pouvoir compter sur une infrastructure associative forte, sans parler de la situation politique, était très différente de celle à laquelle la gauche française et les forces écologistes sont confrontées aujourd’hui. Je trouve encourageante la volonté des différents mouvements de gauche de mettre de côté leurs différences et, en s’appuyant sur le modèle historique très important du Front populaire, de construire une alliance commune pour cette élection. J’espère que cette alliance se maintiendra après le vote des électeurs, car vu l’état du camp présidentiel, la société française ne sera probablement pas en mesure de résister à un gouvernement nationaliste radical sans une critique et une vision commune de la gauche et de l’écologie.
[i] Le Parti de la justice hongroise et de la vie, MIEP.
mise en ligne le 1er juillet 2024
Khedidja Zerouali sur www.mediapart.fr
Les élus du Rassemblement national ont beau prétendre défendre la classe ouvrière, à l’Assemblée nationale comme au Parlement européen, ils ont voté ces dernières années comme les partis les plus libéraux, contre l’intérêt des salariés.
Dans l’espoir d’attirer le vote des travailleuses et des travailleurs, le Rassemblement national (RN) a souvent tenté de se positionner en défenseur de la classe laborieuse. Mais dans les faits, les votes de ses représentant·es à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen se sont souvent positionnés contre les intérêts des salarié·es.
Contre l’augmentation du Smic
Dans son discours de lancement de campagne pour les élections européennes, Jordan Bardella, président du parti, a dit : « Une bonne économie, ce sont des bons salaires, c’est une juste rémunération et les salaires sont trop bas aujourd’hui dans notre pays. » Mais dans les faits, le RN vote contre l’augmentation du Smic.
En juillet 2022, la Nouvelle Union populaire économique et sociale (Nupes) proposait l’augmentation du Smic à 1 500 euros nets. Il était alors de 1 329 euros net. Le Smic est indexé sur l’inflation, c’est une disposition du Code du travail, mais la Nupes proposait d’ajouter à cette indexation un coup de pouce supplémentaire. Les députés RN ont voté contre.
« Si vous passez votre temps à augmenter seulement le Smic, vous avez les classes moyennes qui voient leur pouvoir d’achat stagner depuis dix à quinze ans », justifiait Jean-Philippe Tanguy, arguant de la « boucle inflationniste » qui voudrait que plus les salaires sont hauts, plus les prix augmentent. Une théorie qui ne s’est pas vérifiée en 2023-2024 et que Mediapart a déjà déconstruite. En 2022, même le FMI a confirmé que la « boucle prix-salaires » est un récit conservateur.
Contre l’indexation des salaires sur l’inflation
Dans son programme, le RN promet des « textes d’urgence » pour le « pouvoir d’achat ». Dans les faits, il a voté contre l’indexation des salaires sur l’inflation. Le système visant à faire automatiquement augmenter les salaires au fur et à mesure que les prix augmentent n’est pas une chimère : ce système instauré en 1952 a été supprimé en 1983 au moment du tournant de la rigueur du gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. En novembre 2023, La France insoumise (LFI) a tenté de déterrer ce système et a mis au vote une proposition allant dans ce sens.
En commission des affaires sociales le 22 novembre 2023, LFI a défendu la mesure, face à un gouvernement, une droite et une extrême droite unis. Victor Catteau, député RN, a justifié ainsi son vote de refus : « La proposition actuelle, bien qu’audacieuse, risque de nous mener vers un cercle perpétuel de hausse des salaires, de hausse des prix, et d’inflation. »
Pour forcer les salariés en CDD à accepter un CDI
Dans leur programme, les responsables RN promettent une conférence sociale sur les salaires et les conditions de travail. Dans leurs discours, ils assurent être le parti des « travailleurs français ». Dans les faits, le parti a voulu doubler le gouvernement sur le thème de la précarisation des travailleurs, en proposant de forcer les salarié·es en CDD à accepter les CDI qui leur sont proposés.
Fin 2022, le gouvernement a présenté une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, dont le but même pas masqué était de mettre encore plus sous pression les chômeurs et les chômeuses. L’extrême droite y a participé avec entrain. Marine Le Pen elle-même a déposé un amendement pour contraindre les salarié·es en CDD à accepter tout CDI proposé en fin de mission, sans quoi ils pourraient perdre leur droit à l’assurance-chômage. L’amendement a été rejeté le 5 octobre 2022.
Surfant, comme ses alliés libéraux, sur le mythe du chômeur qui ne veut pas travailler, le RN a présenté cet amendement en assurant que « certains salariés utilisent le système de l’assurance-chômage pour s’assurer des revenus entre deux CDD ». Pour rappel, il y a beaucoup plus de chômeurs que de postes vacants : moins de 348 000 postes vacants et 5,1 millions de demandeurs et demandeuses d’emploi… dont à peine plus de 40 % touchent une indemnisation.
Contre l’instauration de salaires minimum en Europe
Dans son programme, le RN promet la revalorisation des « revenus du travail par une incitation forte à l’augmentation des salaires ». Dans les faits, le parti a voté contre l’instauration de salaires minimum en Europe.
Les élu·es d’extrême droite ne se contentent pas d’attaquer les droits sociaux en France, ils le font aussi depuis leurs sièges de député·es européen·nes. En 2022, le Parlement européen votait une directive visant à assurer un salaire « suffisant pour un niveau de vie décent » aux travailleurs d’Europe. Cette mesure était présentée comme un outil permettant de relever les salaires de 25 millions d’européen·nes, notamment dans les pays de l’Est, réduisant l’effet de « dumping social » au sein de l’Union. Un vœu certes largement pieux étant donné que la fixation de salaires minimum reste une compétence nationale.
La directive a été adoptée sans les voix du RN, qui se sert pourtant régulièrement du thème du « dumping social » pour diviser les travailleurs. Pour se justifier, l’eurodéputée RN Dominique Bilde a publié un communiqué refusant que le Parlement européen se mêle des politiques sociales des États. Et a même promis plus de cadeaux aux patrons : « Nous défendons la mise en place de contrats d’entreprise, qui permettront aux employeurs d’être exonérés de la hausse des cotisations patronales en cas d’augmentation de 10 % de tous les salaires, jusqu’à 3 Smic. »
C’est aussi la proposition portée par Jordan Bardella dans cette campagne des législatives. Comme si les macronistes n’avaient pas déjà abusé du « quoi qu’il en coûte ». Rien qu’en France, les aides publiques accordées aux entreprises – en comptant les exonérations de cotisations sociales sur les salaires – s’élèvent à des sommes exponentielles, entre 160 et 200 milliards par an. Un « pognon de dingue » a déjà été offert aux entreprises sous diverses formes sans que cela n’ait d’impact réel sur le nombre d’emplois, ni sur les salaires.
Contre l’égalité salariale entre les femmes et les hommes
Dans son discours, Jordan Bardella se fait défenseur des femmes et adresse même une lettre numérique à « toutes les femmes du pays ». Il promet que « l’égalité hommes-femmes » est, pour son parti, un « principe non négociable ». Dans les faits, au Parlement européen, quand il y a des votes sur l’égalité salariale femmes-hommes, le RN s’abstient ou vote contre.
En 2020, les eurodéputé·es RN ont voté contre les mesures visant à faire reculer les inégalités femmes-hommes. Deux ans plus tard, quand le Parlement européen vote une directive visant l’instauration d’un cadre minimal pour rendre effectif le principe d’égalité des rémunérations entre les sexes, le RN s’abstient.
Pour justifier cette abstention, le RN, par le biais de l’eurodéputée Annika Bruna, a considéré qu’il n’était pas souhaitable de « conditionner la quasi-totalité des aides à l’UE à des actions favorisant l’égalité hommes-femmes ». Et de déplorer, chez nos confrères du Monde, que « la maîtrise de la démographie et des migrations » et la montée de l’islam ne soient pas évoquées davantage alors qu’ils sont, pour elle, « une menace forte pour les femmes ».
Contre le gel des loyers
Dans son programme, sur la question urgente de l’accès au logement, le RN ne dit… pas grand-chose. Le parti ne propose que deux mesures. La première est la priorité dans l’accès au logement social « pour les travailleurs des secteurs prioritaires ». La deuxième permettra aux propriétaires de louer ou vendre des passoires thermiques, en supprimant les interdictions liées au diagnostic de performance énergétique (DPE).
Et au Parlement, le RN a voté contre un amendement de gauche proposant le gel des loyers. En pleine crise inflationniste, à l’été 2022, le gouvernement a fait voter le principe de plafonnement des hausses de loyers. Pour les propriétaires, le message est clair : ils peuvent continuer à les augmenter, mais pas trop. Un an plus tard, en juin 2023, le gouvernement a fait voter le prolongement du « bouclier », qui plafonne à 3,5 % la hausse de l’indice de référence des loyers.
Ce « bouclier » proposé a été voté avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, formant une coalition contre la gauche qui estimait que cela entérinait l’autorisation faite aux propriétaires d’appliquer de nouvelles hausses. Plus ambitieuse, la gauche a présenté à l’Assemblée nationale comme au Sénat des amendements visant à geler les loyers des particuliers mais aussi des petites et moyennes entreprises. La majorité présidentielle, la droite et le RN ont voté contre.
mise en ligne le 1er juillet 2024
La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/
Le premier tour des élections législatives anticipées a eu lieu ce dimanche 30 juin. Forte participation, Rassemblement national en tête, triangulaires à venir, désistements, etc… Rapports de force vous résume ce que l’on peut en retenir.
Un taux de participation proche d’une présidentielle
Avec un taux de participation de 66,71 %, le premier tour des élections législatives du 30 juin 2024 a un caractère hors norme. Surtout en considérant que les Français se sont déjà rendus aux urnes trois semaines plus tôt pour les Européennes. La participation est quatorze points au-dessus du scrutin du 9 juin 2024 qui a conduit à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Elle est également au plus haut niveau des élections législatives de ces 25 dernières années. Pour trouver un taux de participation supérieur à ce dimanche, il faut remonter au scrutin de 1997 (68%), lorsque Jacques Chirac avait lui aussi dissous l’Assemblée. À titre de comparaison, le premier tour de la présidentielle de 2022 avait enregistré un taux de participation de 73 %.
Le Rassemblement national fait nettement plus que le plein de ses voix
L’alliance du Rassemblement national et d’une partie des Républicains autour d’Eric Ciotti arrive en tête du scrutin avec 33,15 % des suffrages exprimés et 10,6 millions de voix. Il enregistre 2,5 fois plus de votes que lors des législatives de 2022, où la participation n’avait pas atteint les 50 % et où il s’était présenté sans alliés.
Mais compte tenu du caractère particulier de ces élections législatives anticipées, dont l’enjeu ressemble à ceux d’une élection présidentielle, un comparatif avec le premier tour de la présidentielle de 2022 nous semble éclairant. Cette fois-là, le RN faisait 8 133 828 voix. Comparée à ses seules voix du 30 juin 2024 (9 377 297), sa progression est de 1,24 million de voix. En ajoutant les suffrages des ciottistes, cette progression est de quasiment 2,5 millions (+30%).
Avec de tels scores ce dimanche, l’extrême droite envoie à l’Assemblée nationale 39 candidats dès le premier tour. Une situation impensable en 2022. Par ailleurs, le RN sera présent au second tour dans 444 circonscriptions supplémentaires, et se retrouve dans 305 triangulaires et 5 quadrangulaires si l’on s’en tient aux résultats de dimanche soir, avant que ne soit connu l’étendue des désistements. Sur ces 444 circonscriptions où il reste qualifié, le Rassemblement national est en tête dans 258 d’entre elles, ce qui montre la force de sa poussée.
Nouveau Front Populaire : 32 élus, en tête dans 156 circonscriptions
Avec près de 9 millions de voix soit 27,99% des suffrages exprimés, le Nouveau Front populaire devrait pouvoir prétendre à 130 à 190 sièges. Les sondages sont toutefois à prendre avec d’immenses précautions puisqu’ils n’anticipent pas les effets des potentiels désistements du camp macroniste. Une majorité parlementaire du NFP semble cependant fortement improbable, rendant la question d’un éventuel premier ministre issu de ses rangs caduque.
Le NFP fait toutefois mieux que la Nupes en 2022 (25,78%), même si le taux de participation est différent de celui des législatives d’alors. La gauche unie emporte la première place dans 156 circonscriptions, avec 32 élus d’office. Mais elle se désiste, pour l’heure, dans 122 autres – lorsqu’elle arrive en 3e position – pour faire barrage à l’extrême droite.
Au sein de l’alliance de gauche, les Insoumis comptent d’ores et déjà 20 députés élus dès le premier tour, les socialistes 5, les écologistes 5, et les communistes 2. Le numéro un du Parti Communiste français Fabien Roussel a toutefois déjà été battu, dans sa circonscription, face à un candidat RN élu à la majorité absolue.
La coalition gouvernementale désavouée
L’échec est cuisant pour le camp présidentiel, dont le passage d’un statut de majorité à celui de minorité au sein de l’Assemblée nationale est bel et bien acté. Réunies sous la bannière Ensemble, les trois partis du camp présidentiel – Renaissance, Horizons et le Modem – agrègent péniblement 20,04 % des voix.
Seuls deux députés Ensemble ont été élus d’office au premier tour. Pour le reste, des candidats Ensemble sont qualifiés au second tour dans 319 circonscriptions, dont une soixantaine en occupant la première place. Lors des législatives en 2022, ils s’étaient qualifiés dans 417 circonscriptions. D’après les projections de sièges à l’assemblée, entre 60 et 90 sièges pourraient être obtenus… Contre 245 jusqu’ici.
Désistements en cas de triangulaire : que reste-t-il du barrage républicain ?
Du fait de la participation record à ces législatives, pas moins de 306 triangulaires et cinq quadrangulaires sont en jeu. Les candidats ont jusqu’à ce mardi 18h pour se maintenir ou se désister, au nom du barrage républicain contre le RN (voir la carte du journal Le Monde mise à jour au fil des déclarations).
Du côté du Nouveau Front Populaire, le message est clair : en cohérence avec le mot d’ordre « pas une voix pour le RN », les représentants du NFP ont affirmé que leurs candidats arrivés en troisième position se désisteront « sans condition » partout où le RN est en tête. C’est le cas dans 122 circonscriptions.
Le camp présidentiel fait davantage de circonvolutions. Près de 96 candidats Ensemble sont qualifiés au second tour en troisième position. Or, les prises de parole laissent entendre des désistements au cas par cas dans les circonscriptions où le candidat de gauche investi est issu de La France Insoumise. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a appelé aux désistements en faveur de tout candidat « qui défend comme nous les valeurs de la République ». Ce lundi matin, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a également appelé aux désistements et au vote en faveur du « camp social-démocrate », en excluant la France Insoumise. Édouard Philippe (Horizons) assume lui aussi une ligne ni RN, ni LFI. On comptabilise, à l’heure où nous écrivons ces lignes, 46 désistements chez Ensemble.
Du côté de Les Républicains, un communiqué paru dimanche soir tranche la question : aucune consigne de vote, aucun désistement. Les LR renvoient dos-à-dos les « outrances d’une extrême-gauche dominée par La France Insoumise » et le « programme démagogique » du RN.
Les Républicains : après la brèche ouverte par Ciotti, un maintien fragile
C’était une première dans l’histoire des Républicains : Éric Ciotti, le patron du parti, avait initié une alliance avec le RN dans la foulée de la dissolution. 63 candidats avaient été investis dans le cadre de cette alliance, dont une vingtaine seulement déjà engagés en politique avec l’étiquette LR. La quasi-totalité – 60 – s’est qualifiée pour le second tour.
Le canal historique et majoritaire des Républicains, rejetant cette alliance, obtient 6,6 % des voix. Soit 4 % de moins qu’au premier tour des législatives 2022. Parmi les 101 circonscriptions dans lesquelles des candidats LR ou divers droite se sont qualifiés hier, seuls une trentaine y sont arrivés en tête. LR risque donc de voir son effectif de 61 parlementaires s’effriter, au vu de la force du RN et de la division créée par l’alliance Ciotti.
Après le 7 juillet : une majorité relative d’extrême-droite, une coalition centrale, ou une assemblée ingouvernable ?
Jordan Bardella martelait qu’il ne serait pas Premier ministre sans majorité absolue. Au lendemain du premier tour, décrocher les 289 sièges sur 577 nécessaires va être difficile pour le RN (mais pas impossible), au vu des désistements annoncés pour lui faire barrage. Ceci étant, après le 7 juillet, les alliances LR-RN vont être hautement stratégiques pour l’extrême-droite à l’Assemblée Nationale. Car le RN n’exclut pas de gouverner s’il « trouve des soutiens » pour construire une majorité relative, a souligné Sébastien Chenu, porte-parole du RN, réélu député hier. Reste à savoir si la ligne Ciotti peut embarquer davantage de députés LR dans son sillage.
Extrêmement affaiblie par cette dissolution et ces législatives, la minorité présidentielle commence, de son côté, à imaginer la constitution d’une nouvelle coalition centrale pour sauver les meubles. Dans son discours dimanche soir, Gabriel Attal a proposé de construire « des majorités de projets et d’idées » au sein de la nouvelle Assemblée. Mais qui pour répondre à un tel appel, à l’heure où le camp macroniste, critiqué de toutes parts, ne représentera a priori que la troisième force parlementaire ?
Il est probable, aussi, qu’aucune majorité ne puisse être obtenue par le jeu des alliances ou des coalitions. Auquel cas l’Assemblée nationale risque d’être « ingouvernable ». Pour faire passer les textes de loi de son gouvernement sans encombre, le Premier ministre doit pouvoir s’appuyer sur sa majorité au Parlement. Sans majorité claire, les oppositions parlementaires peuvent aisément adopter des motions de censure. Celles-ci provoquent le renversement du gouvernement. En outre, aucune nouvelle dissolution de l’Assemblée n’est possible avant au moins un an. Même une démission d’Emmanuel Macron suivie d’une présidentielle anticipée ne remettrait pas ce compteur à zéro.
C’est un match dans le match qui s’est joué en terre insoumise à l’occasion de ces élections législatives. Plusieurs contestataires de la ligne imprimée par Jean-Luc Mélenchon avaient été débarqués des investitures de La France insoumise, malgré que l’accord express conclu entre les formations du Nouveau Front populaire ait prévu de reconduire les députés sortants. Mais Alexis Corbière, Raquel Garrido, Hendrik Davi et Danielle Simonnet se sont maintenus dans leur circonscription, face à des candidat.e.s nouvellement inverti.e.s par LFI.
Trois d’entre eux s’imposent au sortir du premier tour. Alexis Corbière devance Sabrina Ali Benali de presque quatre points en Seine-Saint-Denis, pendant qu’Hendrik Davi bascule juste devant Allan Popelard avec seulement 565 voix d’écart. Par contre, le résultat est sans appel dans la 15e circonscription de Paris. Danielle Simonet (41,87%) écrase Céline Verzeletti (22,87%) qui avait dû démissionner de ses mandats confédéraux de la CGT pour mener la bataille fratricide pilotée par la direction de LFI. Seule Raquel Garrido est largement battue par le candidat officiel LFI Aly Diouara en Seine-Saint-Denis : 23,65 % contre 33,11 %.
Quant à François Ruffin qui s’est écarté publiquement, avec fracas, de la ligne Mélenchon et pourrait faire les frais d’une défaite dans sa circonscription de la Somme : il est en ballottage défavorable face au Rassemblement national. Arrivé second et en recul par rapport à 2022, il bénéficiera cependant du désistement de la candidate Renaissance arrivée en troisième position. La seconde mi-temps commence donc.
Signe que les électeurs d’extrême droite imaginent la victoire de leur camp possible pour la première fois depuis 1945, le « vote utile » a joué à plein dans leurs rangs, à l’occasion de ce premier tour des législatives. Le parti d’Eric Zemmour n’enregistre que 240 000 voix (0,75%) dans 330 circonscriptions (sur 577) dans lesquelles il a présenté un candidat.
Lors des législatives de 2022, malgré une participation nettement inférieure, le parti d’Eric Zemmour cumulait quatre fois plus de voix : 964 775 (4,24%). Il y a encore trois semaines lors des élections européennes, Reconquête affichait 1,35 million de suffrages, malgré une assez faible participation à 51,5 %.
Raphaël Arnault et Philippe Poutou au second tour
Raphaël Arnault et Philippe Poutou, investis par la France insoumise sous la bannière du Nouveau Front Populaire, ont été utilisés comme des épouvantails par une grande partie de la classe politique lors de ces trois semaines de campagne. Le premier pour une supposée fiche S, liée à son activité de porte-parole au sein de l’organisation antifasciste Jeune garde.
Le second pour les positions de son parti le Nouveau Parti Anticapitaliste sur la situation en Palestine et les attaques du 7 octobre. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, est même allé jusqu’à propager le mensonge selon lequel Phillipe Poutou aurait été condamné pour apologie du terrorisme.
Dans leurs circonscriptions, ces candidats ont tous deux eu à faire face à des candidatures dissidentes de gauche. Ils sont pourtant parvenus à se qualifier pour le second tour. Pour Philippe Poutou, la bataille sera rude. « Mais comme on est un peu dingos on y croit », sourit-il sur ses réseaux sociaux. Ayant réuni 18,7% des suffrages, le candidat se retrouve opposé au député RN sortant, Christophe Barthès, qui a frôlé la majorité absolue au 1er tour (49,3%). Le candidat dissident de gauche est éliminé avec 12,7%, tout comme le macroniste (16,8%).
Pour Raphaël Arnault, la partie est mieux engagée. Dans la première circonscription du Vaucluse, le RN caracole en tête à 34,6%. Mais le porte-parole de la jeune Garde a réuni 24,7% des suffrages et pourra profiter du report des voix du candidat socialiste dissident qui avait réuni 18,2% des voix au 1er tour.
mise en ligne le 28 juin 2024
Aurélien Soucheyre sur www.humanite.fr
L’économiste, qui a initié un appel au rassemblement de la gauche et participé au chiffrage du programme du Nouveau Front populaire, défend les choix budgétaires de redistribution des richesses et de relance de l’économie. Elle analyse la situation politique inédite liée aux législatives anticipées.
Vous avez publié en septembre 2023 avec Thomas Piketty Une histoire du conflit politique en France, 1789-2022. Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle forme de conflit politique et électoral dans le pays, puisque l’extrême droite peut remporter des législatives pour la toute première fois dans l’histoire de notre pays ?
Julia Cagé : Nous assistons au retour de la bipolarisation mais sous une forme extrêmement dangereuse et inconnue jusqu’alors, puisque c’est le RN qui a réussi l’union des droites autour d’un bloc que l’on pourrait qualifier de national libéral (le bloc RN, LR, Reconquête).
Comme nous l’avons souligné avec Thomas Piketty à la suite de notre livre, dans un document de travail publié lundi1 (1), les européennes ont marqué le début de ce processus de fragilisation du système de tripartition, avec la chute du bloc libéral central à moins de 15 % des voix. La question qui se pose désormais – et à laquelle personne n’a encore de réponse – est de savoir quelle forme exacte prendra cette bipartition dans le futur.
Ce qui semble le plus souhaitable serait un retour à une bipartition gauche-droite telle que celle que nous avons connue tout au long du XXe siècle, ce qui supposerait que le bloc social-écologique, aujourd’hui le Nouveau Front populaire (NFP), parvienne à élargir son électorat en direction des classes populaires, c’est-à-dire non seulement des abstentionnistes dans le monde urbain, mais, surtout et avant tout aujourd’hui, des électeurs RN dans les territoires ruraux.
Face au péril, vous avez initié un appel très largement signé pour un rassemblement à gauche. Cette union s’est faite, sous la bannière du NFP. Les cartes sont-elles dès lors rebattues et la gauche peut-elle, selon vous, l’emporter au moment où plus que jamais l’histoire l’y oblige ?
Julia Cagé : Oui, je pense que la gauche peut l’emporter car elle a deux chances de son côté : d’une part, elle est unie, avec le NFP, et, d’autre part – et c’est là que le parallèle avec 1936 me semble particulièrement intéressant –, elle est soutenue par l’ensemble de la société civile. Le NFP, ce ne sont pas seulement les femmes et les hommes politiques, les partis et les mouvements, ce sont les syndicats, les militants, les activistes, le monde de la culture comme celui de la recherche, les travailleurs, partout.
« Diaboliser à tout prix le RN n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche. »
C’est cela qui permet de créer une véritable dynamique. Il y a chez la société civile une volonté de participer à la construction du NFP, de le déborder aussi. Pour que la gauche, dès le 8 juillet, tienne l’ensemble de ses engagements. Et ça ne sera pas facile car elle aura contre elle plusieurs freins, à commencer par les marchés financiers. Mais elle aura surtout et avant tout derrière elle la dynamique de la société civile, car il n’y a jamais eu en France de grands progrès sociaux sans mouvements populaires.
Vous expliquez dans votre livre que le vote en France est à la fois un vote de classe et un vote territorial. Vous parlez de « classe géosociale ». Alors que le vote RN semble devenir un vote à la fois bourgeois et populaire, comment la gauche peut-elle répliquer ?
Julia Cagé : La clé est du côté du vote populaire rural, que la gauche doit absolument reconquérir. Il y a deux résultats importants sur ce point dans notre Histoire du conflit politique. D’une part, jamais la classe géosociale – c’est-à-dire non seulement le revenu, le patrimoine, l’éducation, la profession, etc. mais également le territoire où les individus vivent – n’a expliqué autant des différences de vote entre communes.
C’est fondamental si l’on veut comprendre la montée du RN : les électeurs ne votent pas RN parce qu’ils sont racistes, défiants ou malheureux ; ils votent RN parce que, au cours des dernières années, ils ont eu de moins en moins accès à des services publics de qualité, et parce qu’ils sont en souffrance du point de vue de leur pouvoir d’achat. Ils ont peur également d’être déclassés.
Cela ne veut pas dire que les élus du RN ne jouent pas sur les peurs, la montée des tensions, ne menacent pas les libertés tout comme la cohésion du pays et ne sont pas racistes ; mais s’il faut combattre ces élus, il faut convaincre leurs électeurs sur le terrain des idées. Diaboliser à tout prix le parti n’a plus de sens ; il faut leur redonner envie de voter pour la gauche.
Or, et c’est le second résultat important – qui, d’une certaine façon, peut nous rendre optimistes – ces classes populaires rurales, qui se tournent vers le RN, ont pour l’essentiel les mêmes préoccupations que les classes populaires urbaines qui, elles, votent à gauche : les services publics et le pouvoir d’achat. Les principaux déserts médicaux en France, c’est la Creuse et la Seine-Saint-Denis ! Le programme du NFP répond à ces préoccupations.
Vos travaux portent aussi sur les médias, dont la liberté et le pluralisme sont indispensables à la démocratie. Comment analysez-vous l’offensive d’une partie d’entre eux contre le NFP et la place prise par les médias bollorisés dans le débat public ?
Julia Cagé : Vincent Bolloré et l’utilisation à des fins idéologiques des nombreux médias dont il a fait l’acquisition puis pris le contrôle au cours des dernières années – au détriment de tout respect de l’indépendance des journalistes et ce malgré le courage des rédactions (celle d’i-Télé comme celle du Journal du dimanche, que les journalistes ont fini par quitter) – sont en partie responsables de la montée du RN. C’est d’ailleurs son objectif depuis le début. Malheureusement, ce n’est pas nouveau.
La recherche en sciences sociales a montré, depuis des années, l’influence des médias dans les comportements de vote. Un cas d’école, très bien étudié, est celui de Fox News aux États-Unis. En France, nous nous sommes longtemps crus protégés parce que le régulateur – historiquement le CSA, aujourd’hui l’Arcom – est censé garantir le respect du pluralisme interne de l’audiovisuel, public comme privé. Or, ce que l’on constate, c’est que ces règles sont insuffisantes et que l’Arcom n’a pas assez utilisé les armes à sa disposition. Où est le pluralisme sur CNews aujourd’hui ?
Pourquoi Europe 1 ne réagit en aucune façon aux injonctions de l’Arcom ? Si l’on ajoute à cela que le pluralisme externe n’est que trop peu assuré, du fait des insuffisances de la loi de 1986 et de la concentration croissante du secteur des médias, on se trouve face à un paysage médiatique qui, au lieu d’informer les citoyens et de les éclairer dans leurs choix, les désinforme en partie. C’est très grave. D’autant que cette offensive idéologique d’un Vincent Bolloré – et il n’est pas le seul – n’est plus propre au secteur des médias et s’étend à celui de l’édition.
Vous avez participé en tant qu’économiste au chiffrage du programme du NFP. Il prévoit d’augmenter les dépenses publiques afin d’améliorer la vie des citoyens, en imposant le capital et les plus fortunés. La droite et l’extrême droite considèrent que ce virage conduirait à un effondrement économique du pays. Que répondez-vous ?
Julia Cagé : Je réponds qu’ils se trompent. Et ce, pour plusieurs raisons. La science économique n’est pas une science dure – on peut difficilement prévoir l’avenir. Mais l’histoire économique nous apprend à tirer les leçons du passé. Or, que nous ont appris sept ans de macronisme ? Premièrement, que la politique budgétaire et fiscale qui a consisté à faire des cadeaux aux plus riches n’a eu aucun effet décelable sur l’investissement ou les créations d’emplois.
En revanche, elle a conduit à une augmentation très forte des inégalités. D’après Challenges, les 500 plus grandes fortunes sont passées depuis dix ans de 200 milliards d’euros (environ 10 % du PIB) à 1 200 milliards (50 % du PIB) ; d’après les dernières données du World Inequality Lab, les 1 % des fortunes les plus importantes atteignent les 3 500 milliards d’euros en France (soit 150 % du PIB) ! Et tout ça sans créer de la croissance supplémentaire et sans retour des plus riches.
Le projet du NFP, c’est un projet de justice sociale. Mais, au-delà, c’est une stratégie assumée d’investissement dans la formation, les universités et la recherche, la seule qui peut durablement faire progresser la productivité. Le tout avec les fondations d’une véritable social-démocratie à la française, avec un tiers des sièges pour les salariés dans les conseils d’administration des entreprises, comme cela se fait en Suède et en Allemagne depuis les années 1950, ce qui est la meilleure façon d’impliquer les travailleurs dans des stratégies d’investissement et de haute productivité à long terme.
De plus, ce projet est financé. Là où Macron a laissé filer la dette et les déficits bien avant la crise du Covid, le NFP propose de mettre une recette en face de chaque dépense. Il ne s’agit donc pas de faire de la dette supplémentaire, mais de faire contribuer une poignée de très aisés – ainsi que les grandes multinationales qui échappent à l’impôt – au financement de l’avenir.
Le chiffrage du NFP, prudent, ne prend pas en compte les possibles effets bénéfiques des mesures proposées. Est-il possible d’évaluer les retombées positives qu’auraient une hausse du Smic, un blocage des prix, un développement des services publics et une relance de l’emploi sur l’activité économique, la croissance et la consommation ?
Julia Cagé : Oui, nous aurions pu le faire… si on nous avait donné plus de trois semaines ! Je veux souligner que la dissolution fait partie de l’arsenal démocratique de notre pays et que l’on ne peut jamais regretter de faire entendre la voix des citoyens. Mais trois semaines pour la tenue d’une élection, c’est un véritable déni de démocratie.
Les gens n’ont pas eu le temps de s’inscrire sur les listes électorales, les partis ont dû s’organiser dans l’urgence. Emmanuel Macron faisait d’ailleurs le pari de leur désunion. Pari perdu : il a fallu moins d’une nuit pour permettre à l’idée d’un NFP de naître. Mais le président joue au poker avec notre démocratie.
« Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. »
Pour revenir à votre question, oui – et le NFP au pouvoir le fera pour préparer le prochain budget de l’État –, notre chiffrage peut être considéré comme conservateur du point de vue des recettes car nous ne prenons pas en compte la relance de la consommation qui sera engendrée par les gains de pouvoir d’achat des plus modestes.
À l’inverse, les cures d’austérité décidées par le gouvernement nuisent-elles à notre santé économique ?
Julia Cagé : Bien sûr. C’est l’erreur qui a été faite en Grèce à la suite de la crise financière, crise qui s’est ensuite étendue à toute l’Union européenne du fait des mesures austéritaires là où les États-Unis – qui ont fait le choix de la relance – ont sorti beaucoup plus rapidement la tête de l’eau. Et on voudrait à nouveau que l’État investisse moins ?
Quand on voit l’état de nos hôpitaux, il faut au contraire que l’État investisse davantage dans les services publics de santé. Quand on voit que les plus jeunes ne se présentent même plus au concours d’enseignants, on se dit qu’il est urgent de revaloriser le point d’indice des fonctionnaires, etc. Et nous avons les moyens de le faire, pas en faisant plus de déficit, mais avec une fiscalité plus progressive.
Macron diabolise le NFP et la gauche, les plaçant au même niveau que l’extrême droite, ce qui détruit toujours plus le barrage républicain et offre un immense cadeau au RN…
Julia Cagé : Je pense que ceux qui mettent le NFP sur le même plan que le RN ont perdu toute boussole morale ; et plutôt que de donner des leçons sur les extrêmes, ils feraient mieux d’ouvrir des livres d’histoire. Qu’il y ait un conflit classiste sur la répartition des revenus et des patrimoines, cela est naturel. C’est ce qui a été au XXe siècle au centre de la bipartition et a conduit à des alternances politiques. On ne peut pas reprocher aux plus riches de vouloir moins de progressivité de l’impôt.
Mais le problème aujourd’hui, c’est que certains semblent oublier que le RN n’est pas un parti de « droite classique ». Certes, Marine Le Pen prône la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière. Mais il y a tout le reste : le racisme, la préférence nationale, la privatisation de l’audiovisuel public, les multiples atteintes aux libertés… et on mettrait ce parti sur le même plan que la gauche ? Que la gauche qui ne serait plus que « radicale » ? Mais radicale en quoi ?
Le programme économique du NFP, si on le compare à celui de 1981, pourrait être qualifié de « social-démocrate. ». En voulant se poser en « centre de la raison », en établissant cette rhétorique « moi contre les extrêmes », qui lui a permis de se maintenir au pouvoir malgré un socle électoral extrêmement étroit et extrêmement favorisé socialement, Macron a profondément dégradé la qualité du débat politique et public.
Il fait le lit du RN. Heureusement, face à ce danger, les gauches et les écologistes ont su dépasser leurs divisions pour créer le NFP. Elles ont également su garder leur boussole idéologique et appelé partout à faire battre le RN.
mise en ligne le 28 juin 2024
Hugo Boursier et Pauline Migevant sur www.politis.fr
L’agriculteur évoque ses craintes et ses espoirs depuis la vallée de la Roya, laboratoire de la répression migratoire à la frontière franco-italienne. « Pessimiste maintenant, optimiste plus tard », il appelle la gauche à s’enrichir des résistances de terrain.
"La gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. "
Cédric Herrou est un agriculteur et activiste aidant les personnes migrantes à la frontière franco-italienne dans la vallée de la Roya. Après 11 gardes à vue et plusieurs procès pour « aide à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers », il a été relaxé en 2021 grâce au principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Pour pérenniser l’accueil d’urgence, il a cofondé une communauté Emmaüs mêlant agriculture et social.
Les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.
La campagne des législatives a été plombée par les thèmes imposés par l’extrême droite. Alors que le premier tour aura lieu à la fin de la semaine, quels seraient les bons termes du débat, selon vous ?
Cédric Herrou : Je fais partie des gens qui sont dégoûtés de la politique. Est-ce qu’on a envie du pouvoir quand on est de gauche ? Est-ce que le système actuel donne de la place aux gens dénués d’égoïsme, d’une quête de profit personnel ? Est-ce que le pouvoir ne pervertit pas toujours ? Ce sont des questions que je me pose. Les élections ne répondent pas aux attentes des gens, et encore moins des précaires. La société se dépolitise. J’ai 45 ans, et depuis que j’ai commencé à lutter contre l’extrême droite, on me dit qu’elle va accéder au pouvoir tôt ou tard. Et quand elle arrive, les gens sont scotchés sur TikTok. À chaque scrutin, on ne réfléchit plus, on bricole des schémas. Le socle commun disparaît. Il s’effrite. Et le résultat qu’on a, ce sont deux mondes parallèles. C’est à se demander si on ne cherche pas la crise, collectivement. On affronte des problèmes climatiques immenses et pourtant on se préoccupe de choses futiles. On débat sur des choses qui ne sont pas à débattre.
Pensez-vous que la gauche est assez solide sur la compréhension des enjeux migratoires ?
Cédric Herrou : La gauche tente à nouveau de comprendre. En 2016, quand j’ai commencé à mener des actions, personne ou presque n’est venu me voir. Ce n’était vraiment pas un sujet qui intéressait. À droite, les élus n’envisagent ce sujet que dans une visée électoraliste. La question de la migration est difficile à aborder parce qu’elle est complexe. Sauf à la considérer comme la droite le fait, c’est-à-dire de manière simpliste en disant « non aux étrangers ». Défendre l’accueil, c’est bien plus exigeant intellectuellement que de dire stop à l’immigration. C’est pour cette raison que j’ai refusé plusieurs fois l’invitation de Cyril Hanouna à venir sur son plateau. Il me mettait face à Damien Rieu. C’est impossible de débattre avec quelqu’un d’aussi raciste. J’aurais eu besoin de trois minutes quand lui aurait lâché ses « arguments » en trente secondes.
C’est pour ça que la gauche a abandonné la question de la migration. Elle pense que les gens ne sont pas aptes à comprendre. C’est dire la déconnexion de nos représentants politiques avec le mal-être de la population. Pour moi, traiter les électeurs du RN de fachos, c’est une connerie. Je ne parle pas des militants, bien sûr. Les autres sont des gens paumés qui ont peur que la télé devienne réelle. J’ai vu beaucoup de personnes solidaires avec des exilés mais qui votent extrême droite, juste parce que c’est facile à comprendre. Demandez le programme du RN dans la rue, les gens l’ont tous en tête : baisse des impôts, arrêt de l’immigration, lutte contre la violence. Le problème, c’est que les idées infusent. Et les gens disent ouvertement qu’ils votent pour un parti raciste. Ils ne se cachent plus.
Emmanuel Macron a qualifié d’« immigrationniste » le programme du Nouveau Front populaire. Est-ce le signe ultime de la radicalisation du président sur l’enjeu des frontières ?
C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme.
Cédric Herrou : Les personnalités politiques manipulent : elles apprennent à sourire, à dire telle ou telle connerie au bon moment. Quand il dissout l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron pensait que la gauche ne pouvait pas se fédérer. Il s’est dit que le PS n’allait jamais se mettre avec La France insoumise. Ce calcul l’a conduit à prendre une tôle. Il voulait défoncer les LR, il l’a fait, mais la gauche a réussi à s’unir. Je me rappelle qu’Emmanuel Macron est passé dans la vallée de la Roya avant la tempête Alex, en 2020. On avait discuté. Il disait que c’était bien, ce que je faisais. Et après, il m’a dit qu’il fallait comprendre la peur du terrorisme que ressentaient les gens. Il a fait de lui-même le lien entre immigration et terrorisme. C’est un gars dangereux, Macron, parce qu’il nous emmène vers une forme de fascisme. Et il tire toute la politique dans cette direction : le licenciement de Guillaume Meurice à France Inter en est en quelque sorte un exemple. Il y a dix ans, ce ne serait jamais arrivé. Preuve supplémentaire que l’on glisse petit à petit vers l’extrême droite.
L’accession au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie a-t-elle changé quelque chose pour les personnes qui arrivent dans la vallée de la Roya ?
Cédric Herrou : Je n’ai pas l’impression qu’il y a eu beaucoup de changements avec l’arrivée de Meloni. Auparavant, on entendait beaucoup parler de mafias qui venaient chercher de la main-d’œuvre directement dans les centres d’accueil de migrants. J’entends moins cela maintenant, parce qu’il y a moins de monde. En 2016, on distribuait 1 000 repas par soir à Vintimille. Là, on est entre 40 et 60 repas. La moitié des personnes qui en bénéficient se sont « sédentarisées » sur place, c’est-à-dire qu’elles sont SDF. Par contre, on nous rapporte le récit d’Italiens qui renvoient en Grèce des personnes qui ont été dénudées ou attachées sur les bateaux.
On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères.
Que craignez-vous d’un gouvernement d’extrême droite pour la gestion des frontières ?
Cédric Herrou : Il faut rappeler que le contrôle aux frontières est rétabli depuis 2015. Ce que préconise l’extrême droite est déjà effectif. Et ça n’a pas stoppé les flux migratoires. L’extrême droite est un mouvement d’idéologues qui stipule que mettre des flics aux points centraux de passages suffirait. Mais ça ne marche pas. La seule conséquence, c’est que les personnes mettent beaucoup plus de temps à passer et elles sont bien plus précaires quand les blocages se multiplient. Ce sont les points de fixation qui font naître les problèmes de passeurs, de proxénétisme et de pédophilie. On a oublié ce que ça voulait dire, dormir à la rue.
Tous les demandeurs d’asile ont dormi au moins une semaine dehors. Et bien plus longtemps pour une très grande majorité. Ça détruit les gens. Ça les rend fous. Et Emmanuel Macron le sait parfaitement. Il a créé les conditions d’un très bon accueil pour les Ukrainiens. Aucun Ukrainien n’a dormi à la rue. Quand j’entends qu’Éric Ciotti veut retirer l’aide médicale d’État, c’est un drame. La lecture médiatique, c’est d’un côté la gauche bisounours, de l’autre la droite pragmatique et l’extrême droite xénophobe. Mais ne pas soigner, ce n’est pas être pragmatique.
Craignez-vous que la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite décomplexe des violences émanant de citoyens ?
Cédric Herrou : On s’attend à ce que ces violences soient légitimées à l’encontre des personnes militantes et des personnes étrangères. La montée de l’extrême droite va rendre cela possible. On sait qu’on va avoir des problèmes. On en parle entre nous. La question est de savoir comment on continue à faire ce qu’on fait. Nous, à Emmaüs Roya, on ne dépend pas de subventions publiques. Mais je pense à tous les organismes qui accueillent les personnes étrangères avec ou sans papiers, il va y avoir un énorme problème. Précariser les personnes étrangères, les personnes qui ont la double nationalité, et entraver ces milliers d’associations qui les aident, ça va entraîner une précarité incroyable. Économiquement, il va être impossible de compenser l’arrêt des subventions. Rien que pour nous, il est compliqué de trouver de l’argent alors qu’on a une activité lucrative avec l’agriculture. Les chantiers d’insertion, le 115, si tout cela est précarisé, ça va être très difficile !
La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage.
À quel point pensez-vous que les réseaux de solidarité sont suffisamment solides dans la société civile pour pouvoir résister ?
Cédric Herrou : On restera en minorité. Il y a un glissement général à l’extrême droite. Je ne crois pas à un sursaut citoyen. Il faut réfléchir pour retrouver ce socle commun qui s’effrite. Et pour ça, il faudrait un choc. En attendant, l’union de la gauche est obligatoire, mais ce qu’il faut sur du long terme, c’est l’éducation populaire, aller parler aux gens. La démocratie, c’est quelque chose qui se crée, qui se partage. Il n’y a pas d’effet d’immédiateté. Il faut être nombreux, fédérer, et se faire le relais après la crise qui va venir. Sans une crise forte, je ne pense pas qu’on puisse prendre conscience de ce qu’est l’extrême droite.
Vous considérez que la société doit imploser pour créer un horizon nouveau ?
Cédric Herrou : Je crains qu’il faille en arriver là pour qu’on prenne conscience. Les gens ont la tête dans le guidon et se préservent dans ce monde fou. Sans forcément comprendre le monde extérieur. Les gens font du développement personnel et se coupent du monde. Ils travaillent sur eux. Il est dangereux de suivre un raisonnement pareil. Le développement se fait collectivement, pas personnellement. Il faut redonner aux gens le goût de faire les choses ensemble. C’est ce qui avait été initié par les gilets jaunes, un mouvement populaire dans lequel on a vu des gens se retrouver sur des ronds-points pour discuter.
Jusqu’à quel point peut-on faire confiance à l’institution judiciaire et administrative pour éviter le pire ?
Cédric Herrou : Ça va être compliqué. Je pense qu’on se retrouve à compter sur eux, mais qu’il faut s’en méfier. L’extrême droite va tout fragiliser. Je ne vois pas comment le Conseil constitutionnel pourra s’opposer à elle. Elle va changer la Constitution, elle en est capable si elle fait de la bonne manipulation populiste. Malgré tout, je suis pessimiste pour maintenant, mais optimiste pour la suite. Il faut se réveiller, ensuite c’est la révolution, on fait le tour du cycle.
Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population.
Pourtant, en 2018, le Conseil constitutionnel avait fini par reconnaître la valeur constitutionnelle du principe de fraternité. Ne pensez-vous pas que cette institution, que le système judiciaire dans son ensemble puisse limiter la casse ?
Cédric Herrou : J’ai quand même été en procès et j’ai effectué douze gardes à vue. Les Ciotti et autres luttent contre les principes républicains. Ce sont des gens aux antipodes de notre devise nationale. Si on la critique souvent, la justice reste un contre-pouvoir nécessaire, mais on risque de perdre cette institution. Peut-être qu’on ne parle pas assez de la chance d’être en France et d’avoir un système de santé, une école, une justice qui sont censés nous protéger.
Vous dites qu’il est dur de se fier à quoi que ce soit. En quoi croyez-vous ?
Cédric Herrou : Je suis en contact avec énormément d’acteurs de la société civile et on attend de la gauche qu’elle aille sur le terrain pour convaincre la population. Pour avoir des idées. On a l’impression que les politiques sont en vase clos et ne sont pas en lien avec les acteurs de terrain. Ils viennent nous voir, mais ne nous écoutent pas. Concernant l’immigration, il faut fédérer tous les acteurs qui gèrent l’immigration et la précarité à la place de l’État. Il faut développer un ministère de l’Immigration pour que celle-ci ne soit plus gérée par le ministère de l’Intérieur, qui ne l’appréhende que comme un potentiel trouble à l’ordre public. C’est un ministère paranoïaque.
Il faudrait solliciter les acteurs locaux, les scientifiques et les chercheurs. Mais aujourd’hui, les politiques demandent à des boîtes de conseil privées des idées de programme. Il faut vraiment que la gauche retrouve le contact avec la population. Le travail est déjà fait, il faut que les politiques le synthétisent en travaillant sur le terrain. Les politiques et les médias ont une responsabilité énorme. Dans un monde parfait, la solution, on la trouve parce qu’elle existe déjà. Il faut se mettre autour d’une table avec des gens qui savent et non pas des gens qui sentent.
On vit dans une société où les politiques doivent tout savoir, mais c’est bien parfois de reconnaître qu’on ne sait pas. Aujourd’hui, on nous fait croire qu’on vote pour un premier ministre. On prend les gens pour des cons. Plus de 50 % de personnes ne votent pas. Lors de l’élection présidentielle de 2022, on avait fait un apéro chez moi pour regarder les résultats. Avec des gens qui ont une conscience politique. Pourtant, la moitié des personnes présentes n’avaient pas voté. C’est un problème démocratique énorme.
Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire.
Vingt millions de personnes ne votent pas, 30 % votent RN, mais ça reste très minoritaire. Enfin, on peut le voir comme ça. Beaucoup de gens ont délaissé le système politicien. Les gens comme moi, qui sont intéressés, doivent voter. Il faut que nos idées soient représentées. Leurs plans carriéristes à deux balles, je n’en ai rien à foutre : les Ruffin, Glucksmann, Tondelier, je m’en fiche. Je veux juste que nos idées soient représentées. Qu’ils viennent nous voir et nous écoutent. Les solutions ne sont pas dans leur permanence parlementaire. Les solutions sont sur le terrain, en bas de chez eux.
mise en ligne le 27 juin 2024
Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr
L’insoumis Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi 25 juin. Jeudi sur France 2, c’est le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui prendra le relais.
Alors que le vote pour le premier tour des élections législatives n’est plus que dans quelques jours, Manuel Bompard pour le Nouveau Front populaire, Jordan Bardella pour le RN et Gabriel Attal pour le camp présidentiel se sont affrontés lors d’un premier débat, parfois peu audible, sur TF1, mardi soir. En tête des préoccupations des Français, le pouvoir d’achat a été le premier thème abordé.
L’augmentation du Smic, ce n’est pas « la lune » pour le NFP
Sur ce terrain, comme sur les autres, le premier ministre n’a que la continuité de la politique Macron à proposer, sous couvert de ne pas avoir « envie de faire croire à la lune ». Et tant pis pour l’accaparement de près de 100 milliards d’euros de la richesse produite par les actionnaires du CAC 40, en dividendes et rachats d’action. Le représentant, pour la soirée, du Nouveau Front populaire y a opposé le programme de justice sociale de la gauche unie qui comprend notamment le blocage des prix sur les produits de première nécessité et l’augmentation du Smic à 1600, assortie d’un accompagnement pour les plus petites entreprises.
Le prétendant du RN à Matignon a, lui, fait la preuve de l’indigence du projet de l’extrême droite en la matière plaidant la baisse de la TVA sur l’énergie – « ce n’est pas au budget de l’État de venir alimenter des profits gigantesques qui ont été réalisés ces dernières années par les industriels de l’agroalimentaire, par les énergéticiens », a opposé Manuel Bompard, s’interrogeant sur la confiance aveugle du RN en TotalEnergies pour ne pas augmenter ses marges plutôt que de baisser les prix.
Rigueur budgétaire contre juste contribution des plus riches
Surtout, Jordan Bardella s’est posé dans une opération séduction à l’égard du patronat et de la frange libérale de l’électorat, en garant du sérieux budgétaire, conditionnant du même coup ses rares mesures sociales – y compris la suppression totale de la dernière réforme des retraites – à un « audit des comptes de l’État », selon lui « maquillés par les gens au pouvoir ». « Je peux vous envoyer le rapport de la Cour des comptes, vous gagnerez du temps », lui a d’ailleurs répondu Gabriel Attal.
L’un et l’autre se sont retrouvés pour tenter de faire croire aux téléspectateurs que le NFP voulait augmenter les impôts pour tous. « 92 % des Français, c’est-à-dire tous ceux qui gagnent moins de 4 000 euros net par mois, paieront moins ou autant d’impôts qu’aujourd’hui ; et oui, il y aura davantage d’impôts pour les 8 % et en particulier pour les 1 % les plus riches et en particulier pour les 0,1 % les plus riches qui paient moins d’impôts, proportionnellement, que les classes moyennes », a répliqué le député FI sortant des Bouches-du-Rhône.
Les étrangers et les bi-nationaux, cibles du RN
Quant à l’immigration, obsession du RN et sujet sur lequel le gouvernement s’est livré à une course à l’échalote avec l’extrême droite ces derniers mois, Manuel Bompard à fustiger le discours xénophobe du parti de Jordan Bardella. « Quand vos ancêtres personnels sont arrivés en France, vos ancêtres politiques disaient précisément la même chose que ce que vous dites aujourd’hui. (…) (Ils) disai (ent) que les Italiens ne pouvaient pas s’intégrer en France, (ils) disai (ent) que les Espagnols ne pouvaient pas s’intégrer. Et on a construit ensemble ce beau pays qui s’appelle la France et on l’a construit aussi grâce à ces vagues d’immigration », a taclé l’insoumis rappelant « les immigrés en France ne coûtent pas de l’argent, ils rapportent de l’argent sur les dix dernières années ». « Personne ne part de son pays par plaisir. La première chose à faire est de s’attaquer aux causes qui forcent les gens à l’exil. J’assume de dire que quand une personne arrive en France, elle doit être accueillie dignement », a-t-il ajouté.
Le patron du Rassemblement national s’est aussi fait rattraper sur sa volonté de restreindre l’accès des Français bi-nationaux à certains postes. « Il y a 3,5 millions de Français qui sont stigmatisés par votre proposition », a critiqué Gabriel Attal. « La proposition du Rassemblement national d’interdire les emplois sensibles aux binationaux a blessé les trois millions de Français binationaux. Il est normal que les prétendants à certains emplois stratégiques soient soumis à une enquête. C’est déjà le cas. La proposition de Jordan Bardella vise uniquement à stigmatiser nos concitoyens binationaux », a également dénoncé Manuel Bompard.
mise en ligne le 27 juin 2024
La rédaction sur https://rapportsdeforce.fr/
Plusieurs syndicats se sont lancés dans la bataille contre l’extrême droite en vue des prochaines élections législatives. Concrètement, cela signifie partir à la rencontre de ses collègues pour les convaincre. Rapports de force donne la parole à plusieurs d’entre eux pour un retour d’expérience.
Médico-social : la « déception » des oubliés du Ségur coûte cher politiquement
Pascal Letertre, secrétaire départemental Sud Santé Sociaux dans le Finistère :
« Dans le social et médico-social, les professionnels qui vont le plus voter pour le RN ne sont pas forcément dans l’éducatif, mais plutôt dans les métiers type agents techniques, administratifs, qui attendaient la prime Ségur et en ont été exclus. Cette exclusion a été très délétère dans notre secteur. Beaucoup de salariés disent : “on voit bien ce que le gouvernement actuel n’a pas fait pour nous. Et les syndicats ne servent à rien, ça fait trois ans que ça ne donne rien… Donc on va aller voter pour l’extrême droite”. Ces oubliés du Ségur, c’est à peu près 120 000 postes, 20 % des salariés du médico-social. Ça pèse très lourd, cette déception.
Les personnes ne vont pas forcément se confier à nous quand on va les voir sur site, mais on peut retrouver aussi ce type de discours sur des groupes Facebook, comme “les oubliés du Ségur”. À chaque fois, on essaie de leur expliquer les choses, en tant que syndicats, mais on s’en prend plein la tronche. Nous venons de signer l’extension du Ségur pour ces personnels là ; mais les gens ont du mal à avoir les bonnes informations et la façon dont ce dossier est géré par le gouvernement ajoute de la confusion.
Le côté positif tout de même, c’est que beaucoup de personnes sont revenues vers notre syndicat ces dernières semaines. On pensait que le contexte politique allait les effrayer, avec cette extrême droite dont l’un des objectifs est de faire sauter la “caste des