PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
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migrations, solidarité - 2025

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  mise en ligne le 15 mai 2025

« Nous, livreurs sans papiers, sommes
pris en étau entre
les contrôles de police
et les demandes de rentabilité d’UberEats et Deliveroo »

Par Jérémie Rochas , Arto Victorri sur https://www.streetpress.com/sujet/

Les livreurs sans papiers de Lille dénoncent le harcèlement de la police, qui multiplierait les contrôles d’identité et les interpellations. Les forçats de la livraison se sont regroupés en collectif et demandent leur régularisation.

« Faites attention rue de Béthune, là où les livreurs se regroupent. Ils sont nombreux, il y a la PAF [police aux frontières], la municipale, la nationale avec leurs voitures. Ils viennent d’arrêter quelqu’un. » En mars dernier, l’alerte est envoyée en urgence sur les téléphones de quelque 120 livreurs lillois réunis en collectif. Chaque semaine, des dizaines de messages vocaux sont diffusés pour prévenir des contrôles policiers qui ciblent les coursiers sans papiers de la métropole, contraints au mouvement permanent. Les membres du groupe se partagent aussi des contacts d’avocats, des informations sur les projets de loi dans leur secteur, des appels à la grève ou au soutien de collègues blessés pendant des livraisons. Les restaurateurs irrespectueux avec les coursiers sont aussi signalés. Le réseau d’entraide s’active parfois même au-delà des frontières, avec des cagnottes créées pour aider financièrement les livreurs expulsés vers leur pays d’origine.

« En 2022, la situation est devenue insupportable », raconte Abdoulaye (1), l’un des porte-paroles du collectif de livreurs sans papiers de Lille. « On voyait nos collègues se faire arrêter les uns après les autres à mesure que les plateformes baissaient les prix de livraison. On a décidé de réagir. » D’abord, l’idée émerge de se mobiliser pour soutenir les livreurs interpellés et placés en centre de rétention administrative (CRA), première étape avant une possible expulsion du territoire. Très vite, l’information circule « de bouche à oreille » et des dizaines de nouvelles recrues des plateformes viennent grossir les rangs du collectif, appuyé par les associations d’aide aux personnes exilées et des syndicats. Ils organisent leur première manifestation en janvier 2023 et revendiquent depuis sans relâche la fin des contrôles policiers et la régularisation des travailleurs indépendants.

Des contrôles incessants

Au cours de ses cinq années de livraison, l’ancien gendarme guinéen a vu des dizaines de collègues abandonner leur poste, accablés par la précarité et l’omniprésence policière : « La plupart d’entre nous travaillent sans congé toute la semaine pour à peine 1.000 euros par mois. On peut parfois rester 11 heures ou 12 heures d’affilée dehors, lorsqu’il y a peu de commandes. Tout ça avec la peur au ventre. »

Tous les livreurs sans papiers interrogés partagent cette angoisse d’être arrêté durant leurs heures de travail. La psychose les suit même parfois jusqu’aux portes des clients : « Un soir, une voiture de police est arrivée en trombe au moment où je remettais une commande. Le client était choqué et s’est interposé, mais ils n’ont rien voulu savoir », raconte Salif (1), un autre livreur sans papier du collectif. « J’avais mon récépissé à jour [le document prouvant l’enregistrement d’une demande de titre de séjour à la préfecture]. Alors ils n’ont pas eu d’autre choix que de me laisser partir. Je les ai recroisés cinq minutes plus tard en train de contrôler un autre livreur. »

Avant de poser ses bagages dans le Nord de la France, l’ancien demandeur d’asile a roulé sa bosse à Nantes et à Bordeaux. Si les conditions de travail y étaient tout aussi difficiles, il raconte n’avoir jamais connu le même degré de répression policière : « Je ne connais pas un seul livreur sans papiers à Lille qui n’a pas fini un jour au commissariat. D’ailleurs, la plupart de mes collègues sont partis travailler à Paris. »

Ben (1) a lui décidé de quitter la France en juillet 2024, à la suite d’un énième contrôle d’identité. Ce jour-là, il est presque minuit quand le livreur de 25 ans rentre chez lui après une longue journée de travail. Il est à quelques mètres de sa porte d’immeuble quand une voiture de la brigade anti-criminalité (BAC) commence à le suivre et lui ordonne de s’arrêter. Le Guinéen fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et sait qu’il risque l’expulsion vers son pays d’origine en cas d’interpellation. Alors il fait mine de ne pas avoir entendu et pédale de toutes ses forces, priant pour qu’ils renoncent à le poursuivre. Mais la patrouille le prend en chasse et appelle des renforts. Après de longues minutes de course-poursuite dans les rues du quartier de Wazemmes, Ben met le pied-à-terre, épuisé. Il est aussitôt cerné par plusieurs véhicules et menotté sur-le-champ. Il n’a rien oublié du sentiment d’humiliation : « Les passants s’arrêtaient pour me regarder. J’ai eu tellement honte, j’avais l’impression d’être un criminel. »

Après l’avoir fouillé et contrôlé son identité, les policiers décident de le laisser repartir. Un agent de la BAC se serait alors approché pour lui lancer : « La prochaine fois, si tu ne t’arrêtes pas quand je te le demande, je te nique ta mère. » Ben prend la décision le soir même de plier bagages vers un autre pays d’Europe.

Échapper aux contrôles

En avril 2023, Ben a déjà passé une nuit en cellule après un contrôle au cours d’une livraison. Si la mobilisation du collectif de livreurs sans papiers avait permis sa libération, la peur de la police ne l’a plus jamais quitté et a directement impacté son chiffre d’affaires. « Je savais que la police contrôlait les livreurs le matin, alors je ne sortais pas de chez moi avant 12 heures », explique le jeune livreur. « Mais il était souvent trop tard : toutes les commandes étaient déjà prises. » Il prend aussi l’habitude de contourner les carrefours et les grands boulevards, quitte à rallonger la durée de ses shifts : « À chaque fois que je voyais les modèles de voitures de la BAC, j’avais la boule au ventre, des sueurs froides, je perdais toute orientation. C’était devenu insupportable à vivre. »

Pour Emmanuelle Jourdan-Chartier, présidente de la section lilloise de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), ces contrôles incessants que subissent les coursiers sans papiers participent à « une stratégie de harcèlement policier de populations ciblées et discriminées ». L’association vient justement de lancer une campagne nationale pour recueillir le ressenti des victimes de contrôles au faciès et demander leur interdiction. En 2023, le Conseil d’État avait reconnu leur caractère discriminatoire mais s’était jugé incompétent pour y mettre fin.

Interrogé, le service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) conteste l’existence d’un ciblage de ces travailleurs sans papiers : « Il n’y a aucune attention particulière portée à ces livreurs en l’absence de motif à contrôle. »

Amendes et confiscation de vélos

Les coursiers sont également sujets aux amendes distribuées sur plusieurs artères principales du centre-ville, désormais interdites à la circulation à vélo. Ils sont aussi régulièrement ciblés par la brigade routière départementale qui procède à la mise en fourrière des vélos électriques débridés, utilisés par de nombreux coursiers pour optimiser les trajets et compenser leurs maigres revenus. « On n’a pas le choix, il faut bien manger », soupire Abou (1), qui explique être pris en étau entre les règles de circulation et les demandes des plateformes, qui exigent sans cesse la réduction du temps de course. Lui a récemment échangé son vélo électrique pour un scooter d’occasion. À 48 ans, il rêve de raccrocher la livraison. Mais en attendant l’obtention de sa carte de séjour, il lui faudra continuer de sillonner les rues lilloises en esquivant « les visiteurs », comme sont surnommés les policiers par les membres du collectif.

En octobre 2023, Abou a été arrêté aux abords de la station de métro Porte des Postes – considérée comme un véritable guet-apens par les livreurs sans papiers -, avant d’être placé au centre de rétention administrative de Lesquin (59). Il a pu compter sur le soutien de ses collègues de galère pour mobiliser associations et avocats jusqu’à sa remise en liberté, après 63 jours d’enfermement. Mais aussitôt dehors, Abou a ravalé sa peur pour repartir au charbon. Son chiffre d’affaires peine à atteindre le SMIC, sauf qu’il lui faut payer le loyer du logement social qu’il sous-loue à l’un de ses amis, la cantine de ses deux enfants et préparer l’arrivée d’un nouveau-né prévue dans quelques mois.

« On est là pour servir la France, on paie des impôts, mais on se fait sans cesse arrêter, certains se font confisquer leurs vélos quand ils fuient la police », s’époumone Abdoulaye, l’un des porte-paroles du collectif. « Mais nous ne sommes ni des animaux, ni des délinquants. »

Location de comptes

Pour passer sous les radars, Abou loue son compte UberEats ou Deliveroo à un particulier en règle. La location d’un profil peut varier entre 100 et 150 euros par semaine. En 2024, la mairie de Lille estimait que ces « activités non déclarées et les locations de compte » pouvaient concerner la moitié de l’effectif total des livreurs de la ville, soit près de 3.000 personnes.

Une technique qui n’est pas sans risques. « Ces travailleurs sont exploités par d’autres personnes mal intentionnées qui profitent de leur situation précaire », insiste le service com’ de la police nationale. De plus, les plateformes déploient des dispositifs de détection de comptes sous pseudonyme par reconnaissance faciale ou de contrôle de pièces d’identité. En mars 2022, l’État a signé avec les plateformes une charte d’engagement contre la fraude et la sous-traitance irrégulière, provoquant la déconnexion de plusieurs milliers de comptes.

Interrogées par StreetPress sur les conditions de travail de ses livreurs indépendants sans papiers, Deliveroo et UberEats se contentent de réaffirmer leur engagement dans la lutte « contre la sous-traitance irrégulière », soit « la sous-location illicite de comptes ». « Nous collaborons étroitement avec les forces de l’ordre et leur transmettons toutes les informations requises dans le cadre des enquêtes qui peuvent être menées », ajoute même UberEats, première plateforme à avoir instauré le système d’identification en temps réel de ses travailleurs dès 2019. Aucun des mastodontes de la livraison de repas ne prend cependant position sur la question de la régularisation des livreurs sans papiers, portée depuis plusieurs années par des syndicats comme la CGT et l’Union-Indépendants. « Leur modèle économique repose pourtant sur le fait que ces travailleurs soient corvéables à merci et qu’ils n’aient d’autres solutions pour vivre que de travailler pour des miettes par le biais de location de comptes », s’agace Ludovic Rioux, représentant de la CGT Transport.

Bientôt une maison des livreurs ?

Si les livreurs sans papiers avaient pour habitude de se retrouver entre deux courses près des rues commerçantes ou sous le parvis de la gare il y a encore quelques mois, désormais le mot d’ordre est la dispersion. « Les flics ont commencé à faire des descentes et arrêter tous les livreurs qui se réunissaient à l’extérieur », confie Abdoulaye, qui attend désormais les notifications de l’application dans un centre commercial proche du centre-ville. « Maintenant, tout le monde est dans son coin. »

En avril 2024, la ville de Lille a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour la création d’un « lieu de répit » pour les salariés de l’aide à domicile et les livreurs indépendants. La mairie souhaite proposer aux travailleurs précaires « un accompagnement socio-médical, un appui administratif ou un atelier de réparation de vélo ». Un espoir pour les livreurs sans papiers sous pression policière constante dans l’espace public.

Ce modèle de maison des livreurs, déjà en place à Bordeaux ou Paris, leur permettrait enfin de se rassembler et de s’organiser en sécurité. « Les conditions de travail ne cessent de se dégrader, d’autant plus pour les livreurs sans papiers », insiste Anthony*, livreur et représentant syndical à l’antenne locale de l’Union-Indépendants. « Les plateformes ont réussi à installer une forme d’individualisation, nous devons essayer d’en sortir. »

Contactés, la mairie de Lille et la préfecture du Nord n’ont pas répondu à nos sollicitations.

(1) Les prénoms des livreurs ont été changés.

Texto de Jérémie Rochas et photos d’Arto Victorri.

  mise en ligne le 10 mai 2025

La fabrique de la haine

Pauline Londeix sur www.humanite.fr

Le vendredi 25 avril, Aboubakar Cissé, jeune homme malien de 22 ans, a été assassiné dans une mosquée dans le Gard, parce que musulman. L’auteur de ce crime s’est félicité de son acte islamophobe. Un tel crime aurait dû ébranler le pays, être le cri d’alarme qui nous réveille tous. Il aurait dû nous ouvrir les yeux collectivement sur les conséquences de la fabrique de la haine, quotidienne, omniprésente sur les plateaux télé, en marche depuis plusieurs décennies en France, ciblant des populations particulières et en particulier les personnes de confession musulmane.

Au lieu de cela, le ministre de l’Intérieur a attendu deux jours avant de se déplacer à Alès, sans aller jusqu’à se rendre sur les lieux de l’assassinat et refusant de rencontrer la famille de la victime. Une partie des députés de l’Assemblée nationale ont par ailleurs boycotté la minute de silence dédiée au jeune homme, minute de silence que la présidente de l’Assemblée nationale a dans un premier temps refusé de voir se tenir. Finalement celle-ci a eu lieu, sans pour autant que le caractère islamophobe du meurtre ne soit explicité.

Ce terme n’a pas plus été employé dans la majorité des médias français ou par les décideurs politiques. Et cela pose véritablement problème, tant nier le caractère spécifique d’une discrimination, ou tarder à condamner un tel acte ou à rendre hommage à la victime sont autant de violences symboliques pour les communautés touchées. Comme si la vie de cet homme – et celles des autres personnes musulmanes – comptait moins que celle des autres citoyens de ce pays.

La sociologue Kaoutar Harchi l’a analysé en ces termes au micro de France Culture le 30 avril : « C’est un attentat raciste et je crois que le mot n’a pas encore été prononcé : c’est un attentat islamophobe. Il me semble important d’insister sur ce terme-là, pour bien préciser que nous avons affaire à une question qui est d’ordre raciale, et pas à une question qui serait d’ordre confessionnelle ou théologique. (…) La spécificité de l’islamophobie, c’est qu’elle participe à produire une racialisation du religieux. (…) Il y a un principe d’infériorisation qui est immédiatement produit, qui mène par la suite à des pratiques discriminatoires ou à cet abominable meurtre. »

Kaoutar Harchi a ajouté : « C’est intéressant de voir à quel point certaines personnes, certains représentants politiques notamment, s’attachent à refuser, à rejeter, ce terme d’islamophobie. Il faut se mettre à la page. Il faut lire nos collègues sociologues, et voir à quel point ce terme est pleinement solide. Mais bien évidemment il n’est pas question uniquement de considération scientifique ou conceptuelle. Si le terme islamophobie est rejeté et critiqué, c’est aussi parce que politiquement il ne correspond pas à certains agendas politiques et aussi parce qu’on refuse de considérer la dimension raciale qui habite ces actes meurtriers. »

Est-ce donc cela le pays qu’est devenue la France ? Celui où on refuse la diversité et où on invite sur les plateaux télé et radio des personnes qui ciblent sans complexe des populations entières ? Qu’on ne s’y méprenne pas, aujourd’hui sont ciblés les musulmans, mais demain ce seront les autres, tous ceux qui ne sont pas dans la norme, tous ceux qui déplairont, tous ceux qui penseront différemment.

Je pense à toutes les personnes musulmanes dans ce pays, et j’aimerais leur dire qu’elles ne sont pas seules. Le rouleau compresseur médiatique qui s’est mis en place est effroyable, mais il n’est écrit nulle part qu’à la fin la haine l’emportera.


 


 

Face à la « banalisation de l’islamophobie », personnalités et associations appellent à un rassemblement d'ampleur à Paris le 11 mai

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Une marche est organisée place de la Bastille, dimanche 11 mai, en hommage à Aboubakar Cissé, un jeune homme de confession musulmane tué lors de sa prière dans une mosquée du Gard, le 25 avril dernier. Une centaine de signataires, composée d'intellectuels comme d'organisations politiques, appellent ainsi à « un sursaut » face à la radicalisation de l'islamophobie en France.

L’islamophobie tue. C’est pour prendre à bras-le-corps ce destin funeste, que des organisations politiques, des intellectuels, des artistes ou encore des associations appellent, à travers une tribune publiée lundi 5 mai par l’hebdomadaire Politis, à une marche de grande ampleur, dimanche 11 mai, à partir de 14 heures, place de la Bastille (Paris). Les attaques envers la communauté musulmane ont beau être légion depuis de nombreuses années, il a fallu le meurtre d’Aboubakar Cissé, un jeune homme âgé de 22 ans violemment tué lors de sa prière dans une mosquée du Gard, le 25 avril dernier, pour que le phénomène revienne sur le devant de la scène.

Une centaine de signataires ont ainsi pris position à travers cette tribune, du Comité Adama à la France insoumise (LFI), en passant par le collectif juif décolonial Tsedek !, le parti Révolution permanente ou le collectif Relève féministe, pour les organisations. Côté personnalités, la prix Nobel de littérature Annie Ernaux, la comédienne et figure du mouvement #MeToo Adèle Haenel, le porte-parole de la Jeune garde Zine-Eddine Messaoudi ou encore le président de la mosquée de Pessac Abdourahmane Ridouane ont apporté leur soutien au texte.

Dénoncer le « déni des représentants politiques »

Toutes et tous le rappellent : « Cette décision, au fond, le tueur ne l’a pas prise tout seul. Cet assassin vit en France, où des membres des gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’alimenter l’islamophobie et des scores à deux chiffres du Rassemblement national. » C’est pourquoi cette marche du 11 mai doit être, selon les organisateurs, « à un sursaut, un réveil », espère Amal Bentounsi, figure de la lutte contre les violences policières parmi les voix à l’initiative de la marche, auprès de l’Agence France-Presse (AFP).

Fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, elle dénonce le « déni des représentants politiques » face aux actes de haine à l’encontre de la communauté musulmane. Yassine Benyettou, secrétaire national du collectif RED Jeunes et coorganisateur de la marche, déplore de son côté « une peur constante » qui grandit au sein de la communauté musulmane.

Il estime que la « parole décomplexée » d’une partie de la classe politique alimente un climat antimusulman dans le pays, et « porte atteinte à la sécurité d’une partie de la population française ». Des saillies du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau – qui a annoncé vouloir dissoudre les collectifs Urgence Palestine et la Jeune garde -, au projet politique raciste du Rassemblement national (RN), en passant par l’offensive identitaire menée par le groupe Bolloré (CNews, anciennement C8, Europe 1, etc.), la communauté musulmane est devenue l’une des cibles systématiques des champs médiatique et politique.

Les organisateurs de la marche appellent l’ensemble des forces politiques, religieuses et de la société civile à s’unir pour lutter contre le racisme antimusulman. « Il faut que tout le monde prenne part au combat pour protéger les musulmans de France » face à une « banalisation de l’islamophobie », assure Sofia Tizaoui, secrétaire syndicale de l’Union syndicale lycéenne, également à l’initiative de la mobilisation. « On appelle toute la population française à se rassembler, pas seulement les musulmans », poursuit la lycéenne.

Lors d’une conférence de presse organisée mardi 6 mai, la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a indiqué que les élus et militants de son mouvement seront « évidemment mobilisés » dimanche. « Les absents brilleront par leur absence », lance Amal Bentounsi, dénonçant certains responsables politiques qui « pointent du doigt les musulmans à des fins électoralistes ».

« La marche doit être pour la paix », affirme de son côté Yassine Benyettou. Ce dernier qui aspire à rassembler dimanche « toutes les communautés pour faire bloc ensemble » et défendre les « valeurs humanistes ».

   mise en ligne le 30 avril 2025

Assassinat à la mosquée :
« Le climat politique
ne peut que favoriser
de tels actes »

Yann Philippin sur www.mediapart.fr

Recteur de la mosquée Sud-Nîmes et vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Abdallah Zekri dénonce la stigmatisation des musulmans et se dit choqué par la réaction tardive des autorités après l’assassinat d’un jeune fidèle dans une mosquée du Gard.

Abdallah Zekri est le recteur de la mosquée Sud-Nîmes et vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Il a participé, dimanche, à la marche blanche organisée à La Grand-Combe (Gard), en mémoire d’Aboubakar Cissé, un jeune musulman sauvagement tué à coups de couteau vendredi, dans la mosquée de la commune.

Dans un entretien à Mediapart, il dénonce la faiblesse des réactions de l’exécutif et notamment du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau. Il s’inquiète de la stigmatisation des musulmans, qui souhaitent « être considérés comme des Français à part entière ».

Mediapart : Vous avez participé à la marche blanche en mémoire d’Aboubakar Cissé à La Grand-Combe. Comment s’est déroulé l’événement ?

Abdallah Zekri : Tout s’est très bien passé, il y avait beaucoup de monde, plus de mille personnes. On était très agréablement surpris, on ne s’attendait pas à une telle mobilisation. Toutes les confessions religieuses étaient représentées. Les gens sont très sensibles à l’horreur du crime commis contre Aboubakar et ont tenu à manifester leur soutien. Aujourd’hui, les fidèles musulmans étaient contents et soulagés par cette mobilisation.

Quelle est votre réaction à ce meurtre ?

Abdallah Zekri : Le climat politique actuel ne peut que favoriser de tels actes. Les musulmans sont attaqués du matin au soir sur certaines chaînes d'information. On nous accuse de tous les maux, il y a un amalgame permanent entre islam et islamisme. Je suis d’autant plus inquiet qu’on va rentrer dans une période électorale, avec les municipales de 2026 puis la présidentielle de 2027. Je crains que les musulmans n’en prennent encore plein la gueule, avec des discours haineux et de stigmatisation.

Comment jugez-vous la réaction des autorités ?

Abdallah Zekri : J’ai été choqué par le silence des autorités. Les fidèles sont un peu déçus que le préfet ne se soit pas déplacé. Au bout de trois jours [Aboubakar Cissé a été tué vendredi – ndlr], on ne l’a toujours pas vu. Il aurait dû venir sur place, apporter son soutien et dénoncer ce qui s’est passé, comme il l’avait fait lorsqu’il y a eu une tentative d’incendie contre une synagogue. Le premier ministre a fait un simple tweet, et seulement 36 heures après le meurtre. Le ministre de l’intérieur, c’est pareil, il a fait un simple tweet, et a attendu ce dimanche pour venir. Et encore, il ne s’est pas rendu à la marche blanche, il est resté à la sous-préfecture d’Alès. 

Ressentez-vous de la peur au sein de la communauté musulmane du Gard ?

Abdallah Zekri : Oui, les fidèles ont peur pour leur sécurité physique, d’autant plus que l’auteur du meurtre n’a toujours pas été arrêté. Ils sont aussi inquiets par rapport aux discours haineux dans certains médias et sur les réseaux sociaux. On reçoit des lettres, avec des cercueils dessinés, des « Dégagez chez vous », « Islam, religion de merde ». Malheureusement, à force de recevoir des courriers comme ça, les gens ne portent pas plainte, car, à chaque fois, on leur dit que l’auteur ne peut pas être identifié, et donc l’affaire est classée.

Les musulmans en ont marre d’entendre toujours la même chose et d’aller faire la queue au commissariat pour porter plainte concernant des menaces ou des insultes. Nous demandons à être considérés comme des Français à part entière et non comme des Français à part.

  mise en ligne le 15 mars 2025

Le négationnisme français
des crimes coloniaux

Edwy Plenel sur www.mediapart.fr

La négation des crimes contre l’humanité qui ont accompagné la colonisation française fragilise notre démocratie en faisant le lit des idéologies racistes, suprémacistes et fascistes.

Aimé Césaire a déjà tout dit. C’est dans son Discours sur le colonialisme, initialement paru en 1950, puis en 1955 dans une version revue et augmentée.

« Où veux-je en venir ?, écrit-il. À cette idée : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation mortellement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment. Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation. »

L’aventure coloniale française a commencé en 1635 avec la prise de possession de la Guadeloupe et de la Martinique, deux îles des Caraïbes. Aimé Césaire est né dans le nord de cette dernière, à Basse-Pointe, en 1913. Immense poète, il en fut sans interruption le député durant près d’un demi-siècle (1945-1993) et le maire de sa capitale, Fort-de-France, durant cinquante-six ans (1945-2001). En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un hommage national lui a été rendu par la pose d’une plaque à son nom au Panthéon, louant cet « inlassable artisan de la décolonisation ».

C’est donc depuis le chaudron initial de la colonisation, depuis ces Antilles où un crime contre l’humanité, l’esclavage des Africains déportés, fera la richesse des colons et de la France, que Césaire énonce une vérité historique qui semble devenue aujourd’hui inaudible. Le (re)lire, c’est prendre toute la mesure de l’abaissement de notre débat public où la mémoire de la Shoah est désormais brandie pour interdire d’énoncer d’autres crimes dont l’Europe s’est longtemps rendue coupable, à l’encontre des peuples non européens.

Démesure et inconscience

Cet interdit, dont le journaliste Jean-Michel Aphatie a récemment fait les frais, cherche à empêcher de penser les liens qu’entretiennent le nazisme et son crime de génocide avec la longue durée européenne des conquêtes coloniales et l’idéologie de supériorité civilisationnelle qui y a légitimé destructions, massacres et exterminations. C’est comme si Césaire, l’un de ces « grands hommes » qu’honore la patrie, selon le fronton du Panthéon, devenait soudain un penseur sulfureux, banni de la République, de ses débats et de ses médias.

Hitler, ce châtiment qui fit retour sur l’Europe et contre ses peuples, est né de l’Europe elle-même, de sa démesure et de son inconscience. Il nous faut le redire, haut et fort, après Césaire. Sinon, les fantômes du passé encombreront plus que jamais notre présent : ces idéologies racistes et suprémacistes qui ont légitimé les colonisations, dont se sont ensuite nourris fascisme et nazisme, et qui sont toujours le fonds de commerce des extrêmes droites. « Au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, écrit Césaire dans son Discours, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. »

Ces mots semblent une prophétie : c’est à la France d’aujourd’hui qu’ils parlent, celle qui s’enferme dans la négation des crimes de la colonisation. Et qui, dès lors, se met en grand danger ; tant nier le passé, c’est risquer son retour. Le retour – Césaire toujours – « aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral ».

Ce passé est largement documenté par les travaux des historiens. Que la colonisation française, d’Haïti en Algérie, d’Afrique en Indochine, de Madagascar en Nouvelle-Calédonie, se soit accompagnée de massacres de civils, de razzias des villages, de destruction des cultures, de viols des femmes, de tortures et d’exterminations, etc., relève tout simplement d’une vérité de fait, documentée, sourcée, vérifiée et recoupée.

La violence coloniale fait toujours retour, gangrenant la politique du pays qui l’autorise et la légitime.

Les pièces à conviction sont innombrables et irréfutables. En accès libre, le site Histoirecoloniale.net les donne à voir, notamment à propos de l’évocation par Jean-Michel Aphatie des « Oradours » commis par la France durant sa conquête de l’Algérie. On doit à l’un de ses animateurs, Alain Ruscio, une somme sur cette Première guerre d’Algérie, qui est déjà un ouvrage de référence.

Loin d’un réquisitoire, c’est le récit factuel d’une guerre longue et dévastatrice, déployée comme une histoire globale, tenant compte de la diversité des acteurs, des contextes et des causalités. On y croise nombre d’horreurs qui en rappellent d’autres, tant cette conquête est menée par des militaires qui ont servi Napoléon.

Au hasard :

  • « Il faut détruire tous les nègres des montagnes, hommes et femmes, ne garder que les enfants au-dessous de douze ans » : le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte, en 1802, alors qu’il mène l’armée de reconquête de Saint-Domingue, un an avant qu’elle ne soit défaite à Vertières.

  • « Des têtes… Apportez des têtes, bouchez les conduites d’eau crevées avec la tête du premier Bédouin que vous rencontrerez » : Savary, duc de Rovigo, en 1832 au début de la conquête de l’Algérie, ordonnant le massacre de toute la tribu d’El Ouffia, en représailles d’un vol.

  • « Toutes les populations qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe, l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied » : le colonel Montagnac en 1843, expliquant, depuis Philippeville en Algérie, comment il faut « faire la guerre aux Arabes ».

Dans L’Honneur de Saint-Arnaud (Plon, 1993), François Maspero a offert un portrait saisissant de l’un de ces massacreurs, le maréchal Achille Leroy de Saint-Arnaud, qui fut ensuite l’un des bras armés du coup d’État bonapartiste du 2 décembre 1851, quand fut assassinée la Deuxième République. Où l’on retrouve le châtiment évoqué par Césaire : la violence coloniale fait toujours retour, gangrenant la politique du pays qui l’autorise et la légitime.

Ce fut aussi le cas avec la chute de la Quatrième et l’avènement de la Cinquième, en 1958, dans un climat de guerre civile propice à l’extrême droite auquel une guerre coloniale servit de tremplin, dans cette Algérie où la France n’hésita pas à torturer, mais aussi à gazer comme le rappelle un remarquable documentaire déprogrammé par France Télévisions.

Infériorisation

« Cet homme est de chez nous. Cet homme est à nous », écrivait Maspero à propos de Saint-Arnaud. À l’enseigne de la maison d’édition qui portait son nom, fondée en 1959 durant la guerre d’Algérie et devenue depuis 1982 les éditions La Découverte, il fut le principal éditeur de cette prise de conscience de l’actualité française de la question coloniale.

On doit à l’un de ses auteurs, Yves Benot, historien amateur, des livres pionniers dont les historiens professionnels ont largement enrichi les trouvailles. La Démence coloniale sous Napoléon (1992) reste un classique, suivi de Massacres coloniaux (1994), qui documente la mise au pas des colonies françaises dans l’immédiat après-guerre, de 1944 à 1950.

Préfaçant Massacres coloniaux, François Maspero souligne ce « fait majeur » : « La colonisation, contrairement à la manière dont elle a été et reste communément traitée, n’est pas un élément marginal dans l’histoire de France ni dans celle des idées européennes. […] Elle s’inscrit constamment avec virulence au cœur même de cette histoire, au cœur de ses idées, au point souvent de les déterminer de façon décisive. » Sa prétendue « mission civilisatrice » a pour corollaire l’infériorisation d’une partie de l’humanité, et par conséquent la négation de l’égalité des droits, la discrimination selon l’origine, bref le rejet de l’autre.

Quelles que soient les rencontres heureuses, relations prometteuses et échanges fructueux qu’elle a pu susciter, ce qu’aucun historien de sa longue durée ne conteste, la colonisation n’a cessé d’être une violence faite aux populations conquises, dominées et exploitées. Parce qu’en son principe même, elle repose sur une hiérarchie des humanités, des cultures, des peuples, des « races », des civilisations, des religions, des identités ou des origines, des apparences ou des croyances. Autrement dit, sur le socle idéologique des racismes et des fascismes.

Tant que ces vérités historiques n’auront pas été proclamées par la République elle-même, à l’instar du « Discours du Vel’ d’Hiv » prononcé en 1995 par Jacques Chirac pour reconnaître les responsabilités françaises dans la destruction des juifs d’Europe, le racisme, le suprémacisme et le fascisme continueront de prospérer.

mise en ligne le 18 février 2025

Les organisations de la société civile appellent au gel des financements
UE-Libye

La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/

Suite à la découverte de fosses communes, 27 réseaux et organisations de la société civile de chaque rive de la Méditerranée, dont La Cimade, appellent à geler les fonds européens migration pour la Libye.

La récente découverte de douzaines de corps, vraisemblablement de personnes exilées, dans des fosses communes à Jakharrah et dans le désert d’Alkufra en Libye est particulièrement choquante.

Nos pensées vont aux familles des victimes, ainsi qu’à toutes celles et ceux qui ont perdu des proches dans des circonstances similaires, et dont la situation est souvent aggravée par l’absence de procédures de signalement, d’identification et d’accès à l’information concernant les personnes disparues.

En Libye, la torture et le meurtre de personnes migrantes dans les centres de détention, leur abandon en mer ou dans le désert, la détention dans des conditions assimilables à l’esclavage, la famine et d’autres violations graves des droits humains ont été largement documentés par la Mission indépendante d’établissement des faits des Nations Unies sur la Libye, ainsi que par d’autres organisations.

Il apparaît clairement que les financements de l’Union européenne, ainsi que d’Etats membres, dont l’Italie et la France, à la Libye, n’ont pas tenu leur promesse d’améliorer les conditions de vie des personnes cherchant à se mettre en sécurité.

Dix ans après le naufrage le plus meurtrier survenu dans la Méditerranée au large des côtes libyennes, les réfugié.es en Libye demeurent soumis à des conditions qu’aucun être humain ne devrait subir.

Souvent, ces conditions de vie sont imposées par des forces de sécurité qui ont reçu soutien et financements européens.

La Commission européenne a récemment annoncé avoir pris des mesures afin de réexaminer ses accords de financement avec la Tunisie, après des révélations sur les violations des droits perpétrées par les forces de sécurité tunisiennes.

A la lumière de ces nouvelles découvertes, et à la suite du rapport publié l’année dernière par la Cour des comptes européenne constatant l’échec des financements de l’UE en Libye face aux risques pour les droits humains, l’UE doit prendre des mesures en Libye également.

Les sommes allouées à ces financements devraient plutôt être utilisées pour sauver des vies et permettre la mise en place d’alternatives aux voyages périlleux entrepris par les personnes qui fuient la Libye, en ouvrant des voies de passage sûr.


 

Signataires

ASGI – Association for Juridical Studies on Immigration, Borderline-europe – Human Rights without borders e.V:, Border Violence Monitoring Network, CCFD-Terre Solidaire, Community Rights in Greece, Egyptian Human Rights Forum (EHRF), EgyptWide for Human Rights, European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), European Network Against Racism (ENAR), EuroMed Rights, Greek Council for Refugees (GCR), Human Rights Watch (HRW), Jesuit Refugee Service (JRS) Europe, KISA – Action for Equality, Support, Antiracism, La Cimade, MALDUSA Project, MISSION LIFELINE International e.V., MV Louise Michel, Refugees in Libya, Refugees Platform Egypt (RPE), Sea-Eye e. V., Sea Punks e.V., Sea-Watch, SOS Humanity e.V., Statewatch, Transnational Institute, The Tunisian Forum for Social and Economic Rights FTDES, Watch the Med – AlarmPhone


 

Citations

David Yambio de Refugees in Libya

« La macabre découverte de nouvelles fosses communes en Libye est une preuve supplémentaire qu’après plus d’une décennie de soutien de l’UE aux forces de sécurité libyennes, des conditions meurtrières et inhumaines persistent pour les personnes qui cherchent à se mettre en sécurité. »

« L’Union européenne a récemment fait un premier pas attendu de longue date en réexaminant certains de ses accords de financement avec la Tunisie. Elle doit agir de même en Libye, suspendre sa coopération avec les forces de sécurité libyennes et ouvrir des voies sûres pour les personnes bloquées en Libye. »

Europdéputée Ilaria Salis, eurodéputée : 

« La récente libération par l’Italie d’Osama Najim Almasri, criminel de guerre libyen recherché au niveau international, semble être une nouvelle preuve de la relation étroite qu’entretiennent l’Italie et les Etats européens en général, avec les auteurs de violations des droits humains en Libye. »

« La découverte de nouveaux décès tragiques et évitables est un signal d’alarme supplémentaire. L’Europe doit donner la priorité à l’établissement de routes migratoires sûres et réglementées, et transformer la mobilité en un atout plutôt que de tenter d’empêcher les gens de se déplacer à tout prix, même au détriment de leur vie. »

Tineke Strik, eurodéputée : 

« La découverte de ces fosses communes est une terrible confirmation supplémentaire des crimes contre l’humanité que subissent les personnes migrantes en Libye, perpétrées par les forces de sécurité de l’Etat et des milices armées. »

« Ces acteurs ne font aucun cas des droits humains et ne peuvent pas constituer un partenaire sérieux pour l’UE ou ses Etats membres si nous prétendons avoir des valeurs. Que cela soit un signal d’alarme pour la Commission afin qu’elle procède à un réexamen complet de ses actions en Libye et qu’elle mette fin à tout financement ou programme de coopération qui bénéficie directement ou indirectement à ces acteurs. »


 


 

« Les drames migratoires sont le résultat d’un racisme systémique », dénonce Amnesty International France

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Spécialiste des enjeux relatifs aux migrations à Amnesty International France, Diane Fogelman dénonce des politiques migratoires aux conséquences mortifères pour une partie de la population reléguée au rang d’humanité de seconde zone.


 

Le nombre de décès sur d’autres routes migratoires qu’en Méditerranée centrale est en pleine explosion. Pourquoi ?

Diane Fogelman : C’est le résultat de politiques européennes. Les personnes s’exposent à des dangers de plus en plus grands pour leur intégrité physique et leur vie afin d’atteindre l’Europe. Et ce n’est pas seulement le cas en mer. Nous avons documenté de nombreux décès dans le Sahara, à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Des centaines de réfugiés se trouvaient bloqués aux frontières de la Tunisie avec la Libye en 2023.

Les expulsions qui ont eu lieu de l’Algérie vers le Niger sont également le résultat d’une reconfiguration des routes migratoires due aux accords passés entre les pays européens et ceux du Maghreb. Amnesty considère que l’Union européenne (UE) se rend complice de violations des droits infligées par ses partenaires étatiques à des demandeurs d’asile, des migrants et des réfugiés, allant jusqu’à provoquer leur décès.

Le projet d’Emmanuel Macron de créer, au Niger, des centres de tri des exilés s’inscrivait dans cette logique. Où en est-on aujourd’hui ?

Diane Fogelman : Cela s’inscrivait dans un projet plus global d’externaliser les demandes d’asile. C’est d’ailleurs une volonté de l’ensemble des gouvernements à l’échelle mondiale. On l’observe aux États-Unis, depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Ces externalisations sont problématiques en termes de respect des droits humains et vont s’amplifier, au sein de l’UE, avec l’entrée en vigueur de nouvelles législations, notamment la révision de la « directive retour » et la mise en œuvre du pacte asile-immigration, mi-2026. Celles-ci vont reconfigurer les frontières extérieures de l’Union et entraîner la création de nouvelles routes migratoires potentiellement plus dangereuses.

La présence d’ONG, en Méditerranée centrale, permet de sauver des vies et de documenter ce qui s’y passe. Ce qui n’est pas le cas dans les zones subsahariennes ou sur la côte atlantique de l’Afrique…

Diane Fogelman : Ce qui est terrible, c’est l’ampleur de ce qui est invisible. On constate, par exemple, au niveau de Briançon et Montgenèvre, dans les Hautes-Alpes, que de plus en plus de personnes sont refoulées et décèdent dans les montagnes. Personne n’en parle.

C’est pareil dans toute l’UE. En 2022, à la frontière de l’enclave de Melilla, entre le Maroc et l’Espagne, des dizaines de personnes sont décédées. Ni le gouvernement espagnol ni le gouvernement marocain n’ont pris leurs responsabilités. Invisibles, ces décès sont également invisibilisés.

Faut-il en déduire que, pour certains, les personnes exilées constituent une humanité de seconde zone ?

Diane Fogelman : En effet. En travaillant sur un récent rapport sur les conditions de vie des travailleurs immigrés au Canada, par exemple, nous avons constaté que les politiques migratoires s’y inscrivent dans un contexte historique fondé sur des discriminations issues de l’esclavage.

C’est pourtant un pays que l’on n’associe pas, de prime abord, aux violations des droits humains. Nous sommes face à des dynamiques structurelles d’un racisme systémique, à l’échelle mondiale. Nous constatons, en outre, que, partout, les personnes susceptibles d’aider les exilés sont elles-mêmes de plus en plus criminalisées et attaquées.


 


 

Au moins 10 400 exilés morts en 2024 : des côtes africaines à l'Espagne,
les routes migratoires de plus en plus meurtrières

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Face aux politiques européennes rendant le passage par la Méditerranée centrale de plus en plus difficile, de nouvelles voies apparaissent. Avec plus de 10 400 décès recensés, en 2024, sur la route atlantique, l’ONG Caminando Fronteras alerte sur les conséquences mortifères de ce phénomène.

On décrit, depuis plusieurs années, la Méditerranée centrale comme la route migratoire la plus mortifère pour les exilés en quête d’un refuge sur les rives européennes. Un rapport accablant de l’ONG Caminando Fronteras, publié en décembre 2024, met en lumière une autre réalité, faisant de la route atlantique celle où le plus grand nombre de personnes disparaissent.

L’organisation espagnole qui travaille, depuis 2002, avec les communautés exilées et leurs familles pour défendre les droits humains sur les routes migratoires dénombre, désormais, six axes de migration à la frontière occidentale entre l’Europe et l’Afrique. Selon l’ONG, en 2024 plus de 10 400 exilés y ont perdu la vie ou ont disparu en mer en tentant de rejoindre l’Espagne.

131 embarcations d’exilés disparues, au large de la Mauritanie, en 2024

Un chiffre en hausse de 58 % par rapport à l’année précédente, qui fait exploser les décomptes d’autres institutions. L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) rapporte ainsi que, en 2024, environ 3 800 exilés sont morts ou ont disparu en mer Méditerranée. De son côté, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime à 4 200 le nombre de vies perdues en tentant de traverser la Méditerranée la même année. Mais les deux organisations onusiennes n’évoquent pas les victimes de la route atlantique.

Caminando Fronteras  : sur les axes en partance de l’Afrique occidentale, 517 personnes ont péri sur la route dite de l’Algérie, 73 sur celle de l’île d’Alboran, 110 sur celle du détroit de Gibraltar et 9 757 sur les routes de la côte atlantique,de Mauritanie et dans une moindre mesure du Maroc, du Sahara occidental, du Sénégal ou de Gambie.

Face aux puissants courants de l’Atlantique, avec des embarcations souvent surchargées et mal équipées, les conditions de voyage y sont extrêmement dangereuses. « Nous étions entassés dans un canot pneumatique, sans assez de nourriture ni d’eau, . Beaucoup n’ont pas survécu au voyage. » En outre, l’absence sur cette zone d’organisations de sauvetage en mer, tant étatiques que civiles, aggrave la situation. En 2024, 131 embarcations auraient ainsi disparu avec toutes les personnes à bord sans laisser de trace.

De plus en plus de refoulements et de violences aux frontières

Selon SOS Méditerranée, le choix des exilés de prendre cette nouvelle route est la conséquence directe des politiques migratoires européennes. « Les politiques restrictives de l’Union européenne (UE) et le soutien aux gardes-côtes libyens ont rendu la traversée de la Méditerranée centrale extrêmement périlleuse, poussant de nombreux exilés à emprunter des routes encore plus risquées comme celle de l’Atlantique », dénonce Camille Martin, porte-parole de SOS Méditerranée.

La route de la Méditerranée occidentale, reliant le Maroc à l’Espagne continentale, reste cependant très active. Mais, pour Caminando Fronteras, les exilés empruntant cet axe sont confrontés à des risques de plus en plus élevés de refoulement et de violence. En 2024, plusieurs incidents de refoulement collectif ont été signalés, impliquant des centaines de personnes.

« Nous avons été interceptés en mer et renvoyés de force au Maroc, sans aucune aide ni explication », un témoin cité dans le rapport de l’ONG. Une situation qui n’est pas sans rappeler le drame de Melilla de 2022, où une trentaine de personnes sont mortes dans une bousculade à cause de ce que l’ONU a qualifié d’« usage excessif de la force » contre des exilés. L’événement s’est produit un an après une tragédie similaire à Ceuta, pour laquelle l’enquête des autorités espagnoles a été classée sans suite…

Un projet sécuritaire mené au détriment des droits humains

Ces réalités confirment, pour l’ONG espagnole, l’existence d’une véritable « nécropolitique » impactant les personnes en mouvement, soulignant que leur déshumanisation et leur criminalisation sont au cœur des politiques migratoires actuelles. « Il est inacceptable que des personnes continuent de mourir en mer alors que nous avons les moyens de les sauver, a dénoncé la députée communiste Elsa Faucillon lors d’une session parlementaire le 10 février 2025. La création d’une flotte européenne de sauvetage est une nécessité urgente. »

La parlementaire avait, d’ailleurs, déjà obtenu l‘adoption, en commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, d’une résolution, inscrite au Journal officiel le 21 janvier 2025, appelant à la mise en place de cette flotte manquante pour répondre à la crise humanitaire.

Il y a peu de chances cependant qu’une telle disposition soit prise. Les politiques migratoires répressives des pays membres de l’UE continuent au contraire de prioriser le contrôle des frontières au détriment des droits humains fondamentaux. Les responsables politiques ne s’en cachent d’ailleurs pas. « Nous devons protéger nos frontières pour garantir la sécurité de nos citoyens, insistait Gérald Darmanin en novembre 2024. Les flux migratoires incontrôlés représentent une menace pour notre stabilité. »

Au nom de quoi les pays européens multiplient les accords d’externalisation avec les États du Maghreb, tels que le Maroc et la Libye, soumettant des aides financières et la coopération économique au contrôle des frontières. L’UE a ainsi alloué, en 2022, 500 millions d’euros au Maroc pour renforcer sa gestion des flux migratoires. De même, la Libye a reçu environ 327,9 millions d’euros entre 2017 et 2020 pour des projets similaires. Ces accords conduisent de fait à l’augmentation de prises de risque par les exilés contraints de choisir des routes plus dangereuses.

Le pacte européen sur l’asile et l’immigration aggrave la situation

Et les pays européens ne comptent pas s’arrêter là. Dans quelques mois, ils devront tous mettre en application le pacte européen sur la migration et l’asile, adopté en avril 2024. « Cet accord va faire reculer le droit d’asile européen de plusieurs décennies, alerte Eve Geddie, directrice du bureau d’Amnesty International auprès des institutions européennes. Son résultat probable est une augmentation de la souffrance à chaque étape du parcours des personnes cherchant à obtenir l’asile dans l’UE. »

En clair, malgré les appels répétés des organisations de défense des droits humains, les États membres de l’UE continuent d’ignorer les principes de dignité et de non-discrimination. Les exilés, fuyant des situations de guerre ou de pauvreté extrême, prennent de plus en plus de risques mortels. « Les politiques migratoires actuelles de l’UE sont une honte pour l’humanité, s’est insurgé Enrique Santiago, secrétaire général du Parti communiste espagnol, lors d’un rassemblement à Madrid en décembre 2024. Elles sacrifient des vies humaines sur l’autel de la sécurité et de la xénophobie. »

Le responsable politique réagissait ainsi aux révélations des différents rapports alarmants sur les décès d’exilés aux frontières de son pays, dont ceux documentés par Caminando Fronteras. Il rappelait, en outre, que la protection des vies humaines devrait primer sur les considérations sécuritaires et que, pour éviter ces drames à répétition, des efforts concertés devaient enfin être faits pour offrir des voies légales et sûres aux exilés.

   mise en ligne le 17 fevrier 2025

Derrière le droit du sol

Laurent Mouloud sur www.humanite.fr

Il faut entendre ce moment de vérité. Ces mots crus qui sortent sans filtre, tout naturellement. Jeudi dernier, sur le plateau de LCI, Bruno Retailleau est en train de justifier sa volonté de restreindre le droit du sol sur tout le territoire français. Et il lâche : « À Mayotte, vous avez un exemple, sur un petit territoire, d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs… Voilà. » Voilà quoi ? Voilà le problème ? Pour le ministre de l’Intérieur, apparemment oui. On croyait la République française indifférente à la couleur de peau et à la religion. On pensait que l’article 1er de la Constitution assurait « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il faut croire que pour le Vendéen, qui a été longtemps compagnon de route de Philippe de Villiers, cela n’est plus d’actualité dans le 101e département. Voire au-delà ?

Cette sortie scandaleuse n’a pas fait grand bruit. Ce qui ne laisse d’inquiéter sur le processus de banalisation des propos racistes. Et sur la stratégie, non moins inquiétante, du duo Retailleau-Darmanin, qui rêvent chacun d’Élysée en s’installant sans complexe sur les terres xénophobes du RN et dans les bottes trumpistes. Quitte à attiser la haine et à fouler aux pieds les valeurs républicaines.

Car il faut le rappeler. Les élucubrations de la droite et de son extrême sur le droit du sol relèvent de l’imposture. Ces tristes sires se disent « patriotes » et « défenseurs » de la France éternelle. Mais de quelle France parlent-ils ? Celle que l’on connaît depuis la Révolution française, et même avant, n’a jamais trié les humains sur le seul droit du sang. Le savent-ils seulement ? La notion de droit du sol (« jus soli ») apparaît en 1515. À cette époque, où seul le roi peut délivrer des « lettres de naturalité », tout résident né en France, y compris de parents étrangers, peut hériter. Le droit du sol sera conforté en 1789, puis consacré en 1889. Il s’agit, on le voit, de l’un des socles – justement – de notre identité nationale. Même le régime raciste et antisémite de Vichy n’est pas revenu dessus, malgré des tentatives. Que Marine Le Pen veuille sa suppression pure et simple en dit long sur sa filiation politique. Et démontre que, derrière le décorum des drapeaux tricolores, le RN et tous ceux qui lui filent le train pataugent à contre-courant de l’histoire de leur propre pays.

Face à cette surenchère inconsidérée, François Bayrou, déjà coupable d’avoir repris à son compte le concept irrationnel de « submersion migratoire », aurait pu siffler la fin de la mi-temps. Mais l’opportuniste premier ministre, soucieux de ne pas s’aliéner les députés RN, a choisi au contraire d’ouvrir la boîte de Pandore en lançant, tel Nicolas Sarkozy en 2009, un « grand débat » sur le droit du sol et, au-delà, sur « l’identité nationale ». Une décision irresponsable. On le sait par avance : ce type de raout, dans un climat de montée des ultranationalistes, servira d’exutoire à l’extrême droite. Et ne peut que faire grandir le rejet et la méfiance dans l’imaginaire collectif, pour nourrir au final le vote xénophobe.

La responsabilité du gouvernement pourrait s’avérer funeste. Personne ne peut l’ignorer. Derrière ce débat sur la remise en cause du droit du sol, dont Trump ou encore Meloni ont aussi fait leur priorité, se dissimule une vision ethnique de notre société, porteuse d’un fantasme de pureté naturelle, où « le Français » ne pourrait être que blanc de peau et judéo-chrétien. Le tout au détriment de notre conception politique fondée sur des valeurs universelles de droits. Face à ce choix crucial, le gouvernement doit, de toute urgence, arrêter de jouer avec le feu.

mise en ligne le 31 janvier 2025

Loi Asile et Immigration :
un an après, le triste bilan des droits bafoués

La Cimade sur https://blogs.mediapart.fr/

Communiqué commun : Fruit de deux ans de spectacle et de surenchère politique, cette loi bafoue l’ensemble des droits fondamentaux des personnes exilées. Un an après, Bruno Retailleau abroge la circulaire «Valls» et annonce qu’il veut s’attaquer à l’Aide médicale d’État et abolir le droit du sol à Mayotte.

Nos associations, collectifs de personnes exilées, collectivités accueillantes et syndicats, continuent d’appeler à l’abrogation de la loi, et s’opposent à toute nouvelle atteinte aux droits humains, déjà réduits à peau de chagrin.

Il y a un peu plus d’un an, nos organisations se mobilisaient contre un énième projet de loi Asile et Immigration.

Votée de concert en décembre 2023 par la majorité présidentielle, la droite et l’extrême droite, la loi était promulguée en janvier 2024 après la censure d’une partie considérable de ses mesures par le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, nous alertons sur ses effets délétères que nous constatons au quotidien. Ces propositions, aussi outrancières qu’inhumaines, reposent trop souvent sur des logiques discriminatoires et racistes. Nous restons mobilisé·es pour contrer toute nouvelle mesure visant à réduire encore davantage les droits fondamentaux des personnes exilées.

Les premières mesures de la loi Asile et Immigration mises en œuvre sont parmi les plus répressives à l’encontre des personnes exilées. Contrairement aux promesses initiales, aucune disposition n’a été prise pour améliorer leur intégration. Nos organisations constatent que cette loi, fruit d’une vision obsessionnelle des migrations perçues comme une menace, n’a eu d’autre objectif que de renforcer une fabrique de personnes sans papiers, au prix d’une politique systématique d’enfermement et d’expulsion. L’ensemble des effets de la loi de 2024 n’est pas encore mesurable, car tous les décrets d’application n’ont pas été pris et toutes les mesures ne sont pas mises en œuvre.

Les responsables politiques et le gouvernement poursuivent leur surenchère insupportable inspirée par les extrêmes droites. En quelques mois, des propositions successives ont émergé : réintroduire les mesures censurées par le Conseil constitutionnel, allonger la durée de la rétention administrative, restreindre l’accès à la nationalité pour les personnes nées à Mayotte, ou encore supprimer l’Aide Médicale d’État (AME), pourtant essentielle à la santé de l’ensemble de la société. De plus, le sort de la circulaire « Valls » vient d’être scellé par la circulaire « Retailleau ». Celle-ci durcit considérablement l’accès à la régularisation des personnes sans-papiers (puisque parmi les critères drastiques retenus figure la durée de 7 ans de présence (au lieu de 5) pour pouvoir solliciter un titre de séjour. Cette course aux propositions les plus abjectes est d’autant plus préoccupante qu’elle intervient à l’heure où la France, comme le reste de l’Europe, doit préparer la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile adopté en mai 2024. Cet ensemble de textes va introduire une foule de nouvelles restrictions des droits des personnes exilées.

Au regard de la situation politique de la France, des pressions et des attaques contre les plus précaires, l’urgence n’est pas à la stigmatisation des personnes exilées. Ces dernières sont honteusement prises comme bouc émissaire par une classe politique incapable de garantir les droits fondamentaux. L’urgence est de proposer une politique d’accueil et de solidarité fondée sur le respect des droits, de la dignité humaine et des libertés de toutes et tous. C’est pourquoi nous, organisations, collectifs et associations, exigeons l’abrogation pure et simple de la loi Asile et Immigration de janvier 2024, et la mise en œuvre une politique migratoire centrée sur le respect des droits humains et la solidarité.

Pour aller plus loin

  • Document de décryptage inter associatif : Il dresse un premier panorama des terribles conséquences  de la loi Darmanin un an après la promulgation

  • Une vidéo en collaboration avec l’Instagramer « VivreMoinsCon » sur la question des OQTF et l’instrumentalisation de la menace à l’ordre public

Les dates de mobilisations à venir :

  • Vendredi 31 janvier à 15h, place Montparnasse (Paris) : manifestation contre un an de loi Darmanin, à l’initiative des collectifs de sans papiers.

  • Jeudi 6 février à 18h30, place de la République : CommémorAction des victimes des politiques migratoires aux frontières, à l’initiative des associations et collectifs de sans papiers.  Organisée simultanément dans différentes villes en France et plusieurs pays.

  • Samedi 22 mars 2025 : action mondiale contre le racisme et le fascisme.

Liste des organisations signataires :

Intercollectif (Collectif des Travailleurs Sans Papiers de Vitry, Collectif des Jeunes du parc de Belleville, Coordination Sans Papiers 75, Collectif des Sans Papiers de Montreuil, Collectif Sans Papiers 17ème Saint-Just, Coordination Sans Papiers 93 Saint-Denis, Gilets Noirs), Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita), Ardhis, Caracol, CCFD-Terre Solidaire, CNAJEP, CRID, Dom’Asile, Droit à l’Ecole, Emmaüs France, Fédération Etorkinekin Diakité, Fédération nationale des Francas, Fédération Syndicale Unitaire, J’accueille, La Cimade, Les amoureux au ban public, Madera, Médecins du Monde, MRAP, Médecins Sans Frontières, Observatoire des Camps de Réfugiés, Oxfam France, Paris d’Exil, Pas Sans Nous, Patron·ne·s Solidaires Hauts de France, Réseau Éducation Sans Frontières, Réseau Hospitalité, Sidaction, Singa, Union syndicale Solidaires, Solidarités Asie France, Thot, Tous Migrants, UniR – Universités & Réfugié·e·s, Utopia 56.


 


 

OQTF : « Il faut que je tienne », le quotidien sous pression des personnes étrangères en rupture de droits

Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/

Le 23 janvier, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a restreint les conditions d’admission exceptionnelle au séjour, après avoir multiplié les déclarations autour des OQTF et de sa future loi immigration. Les conséquences de ces orientations politiques sont très concrètes dans le quotidien des personnes étrangères ainsi que pour celles et ceux qui les aident. Reportage au sein de la plus grande permanence de la Cimade, association d‘aide juridique, à Paris.

D’ordinaire, Édith, médiatrice santé, accompagne des personnes étrangères en situation administrative précaire. Des personnes sans papiers. D’autres en rupture de leur droit au séjour. Certaines sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Ce matin-là devait être un matin ordinaire, dans son association versaillaise. Mais lorsqu’elle ouvre son ordinateur pour expliquer une démarche à une personne reçue à la permanence, c’est le choc : Édith découvre en ligne une OQTF qui lui est adressée… À elle.

La quadragénaire n’attend pas pour réagir. Quelques heures plus tard, la voilà dans un étroit bureau à l’étage de la permanence d’une autre association : la Cimade, spécialisée dans l’aide juridique aux personnes étrangères. Marie-Françoise, bénévole, épluche le dossier d’Édith. « Ça va aller, on va demander l’aide juridictionnelle, vous êtes dans les temps pour former un recours », déroule-t-elle d’une voix claire. Lorsqu’une personne reçoit une OQTF, le délai pour un recours n’est que de 30 jours. Certaines OQTF sans délai doivent être contestées, elles, dans les 48 heures.

Droite sur sa chaise, Édith lâche : « C’est dur d’être sans-papiers… Après deux ans ici… » Par moments, des larmes lui montent aux yeux, qu’elle ravale au plus vite. « Il faut que je tienne », souffle-t-elle en serrant les poings. Elle sort de son sac à main un petit bloc-notes, y retranscrit chaque consigne donnée par Marie-Françoise, remplit soigneusement les documents qu’on lui tend. Édith est loin d’être perdue : depuis sa formation de médiatrice en santé, elle a accompagné une multitude de gens dans les dédales administratifs. Sauf qu’aujourd’hui, c’est elle qui est à leur place.

À la permanence Cimade, « j’ai vu des gens très très malades »

Édith est née et a vécu toute sa vie au Cameroun avant d’arriver en France en 2023, pour y déposer une demande de titre de séjour pour soins. Elle souffre d’une maladie grave. Mais en novembre 2024, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), lui refuse cette carte de séjour d’un an, au motif qu’Édith pourrait « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans son pays d’origine. En toute logique, l’OQTF a suivi. Édith s’offusque : « Il y avait régulièrement des ruptures de stock. Là-bas, je ne pouvais pas avoir accès à mon traitement en continu », explique-t-elle.

Edith, médiatrice santé, accompagne des personnes étrangères en situation administrative précaire. Elle se trouve également, à sa surprise, sous OQTF (obligation de quitter le territoire français). Elle prend rendez-vous avec la Cimade pour initier une procédure de recours, le délai de 30 jours n’étant pas encore dépassé. Paris, le 19 décembre 2024. Crédits : Valentina Camu

En face, Marie-Françoise acquiesce, tout en envoyant un texto à un avocat en droit des étrangers pour lui proposer le dossier d’Édith. « J’ai vu des gens très, très malades. Quand on entend dans le débat public l’idée que ces personnes viendraient pour des soins de confort, pour de la chirurgie esthétique, c’est odieux. Odieux », confie-t-elle une fois Édith partie, en attendant la personne suivante.

Ancienne éducatrice spécialisée aujourd’hui à la retraite, Marie-Françoise a travaillé auprès de tribunaux pour enfants et comme responsable de foyers de l’Aide sociale à l’enfance. Elle a rejoint la Cimade il y a 15 ans. « Ça canalise mon militantisme, dit-elle en souriant. C’est utile directement. Et puis, on gagne parfois. » Les tribunaux administratifs déclarent illégales 20 % des OQTF qui leur sont présentées.

Circulaire Retailleau : des années d’illégalité supplémentaires

Au rez-de-chaussée de la permanence, la salle principale s’est remplie en quelques minutes. Une trentaine de personnes s’y trouvent. Les premières arrivées se sont réparties entre les bénévoles, assis aux quatre coins de la pièce. Leurs conversations s’empilent, formant un brouhaha continu. Parmi ces bénévoles, il y a Guy.

Cet ancien commercial a mis les pieds à la permanence pour la première fois il y a deux ans : « Je venais de sympathiser avec un Indien, peintre en bâtiment, dans un bar. Je me suis rendu compte qu’il n’avait pas de papiers, alors je suis venu trouver conseil ici. Je n’en suis jamais reparti, rapporte-t-il. Depuis juillet 2024, on constate une recrudescence des OQTF » déplore-t-il, tandis qu’une file de personnes patientent en silence sur des chaises multicolores.

Au rez-de-chaussée une salle accueille la permanence. Ce jeudi après-midi, les bénévoles reçoivent des personnes avec ou sans rendez-vous. Plusieurs dizaines attendent leur tour. Paris le 19 décembre 2024. Crédits : Valentina Camu

Le nombre d’OQTF a doublé en dix ans, avec une augmentation constante depuis le Covid (137 730 OQTF en 2023, 134 280 en 2022, 124 111 en 2021). « On priorise ceux qui présentent des menaces de troubles à l’ordre public », a soutenu le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau dans l’émission Complément d’Enquête du 24 janvier, qui rappelle pourtant que seules 1,4 % des personnes sous OQTF ont déjà été condamnées.

Quoi qu’il en soit, les recours engorgent le système judiciaire : les OQTF représentent près de 40 % du contentieux des tribunaux administratifs. Tandis que le taux d’exécution, lui, a été réduit de moitié en dix ans (de 17% à 8,5 %).

Dans le petit bureau de Marie-Françoise entre David*, un jeune homme sénégalais de 33 ans, sous OQTF après une demande d’asile refusée. Contrairement à Édith, David arrive trop tard : le délai de recours d’un mois est dépassé. Marie-France l’explique à son cousin venu l’accompagner pour tout lui traduire. Pour éviter l’expulsion, il lui faudra attendre trois longues années dans l’illégalité, à raser les murs, à éviter les contrôles de police. La loi du 26 janvier 2024 a en effet porté à trois ans la durée pendant laquelle une OQTF est valable donc susceptible d’entraîner l’expulsion, contre un an auparavant.

« Il va continuer de travailler au noir pendant ces trois ans, avant de faire une nouvelle demande de régularisation », soupire le proche de David. La régularisation par le travail lui sera alors envisageable s’il a travaillé pendant douze mois dans un secteur figurant sur la liste des métiers en tension et qu’il prouve trois ans de présence en France.

Une régularisation est aussi possible aussi via l’admission exceptionnelle au séjour pour motifs professionnels ou humanitaires, à la discrétion des préfets. Les conditions de ces admissions exceptionnelles étaient jusqu’ici définies par la circulaire Valls de 2012, qui exigeait trois à cinq ans de présence sur le territoire avec un certain nombre de fiches de paie. Or, dans une circulaire du 23 janvier 2025, Bruno Retailleau a relevé le seuil à sept ans de présence sur le sol français. La circulaire Retailleau exige aussi plus généralement qu’il y ait le moins d’utilisation possible de ce type d’admission exceptionnelle.

« Pour travailler, il faut un titre de séjour. Mais pour avoir un titre de séjour, il faut avoir travaillé »

Au rez-de-chaussée, c’est une femme présente depuis treize ans sur le territoire français sans avoir pu être régularisée qui vient s’asseoir à la table de Guy. Ludmila* est ukrainienne. Emmitouflée dans son manteau, elle étale sur la table le dossier qu’elle tente de constituer pour prouver dix ans de présence en France et ainsi obtenir le titre de séjour auquel elle a droit. Scolarisation de ses enfants, pass Navigo prouvant l’usage de transports en commun, impôts, quittances de loyer… « L’idée, dans un dossier comme ça, c’est de montrer que votre vie, elle est ici », lui résume Guy. 

Pendant toutes ces années, Ludmila a travaillé au noir en France pour subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants. « C’est bien ce qui est aberrant : pour travailler en France, il faut un titre de séjour ; mais pour avoir un titre de séjour, il faut prouver que l’on a travaillé », raille Guy. En fin de rendez-vous, Ludmila range chaque précieux document, un par un, dans des pochettes plastiques. Le tout tient dans un sac en toile rempli à ras bord. Une fois que Ludmila aura déposé son dossier, il faudra prendre son mal en patience. Elle habite dans le Val-d’Oise : « Vous n’aurez un rendez-vous que dans un an », précise Guy.

Soudain, derrière eux, un homme se lève avec fracas : « Cette association, je vous connais, ce sont de mauvais renseignements ! » peste-t-il. Les regards de ceux qui patientent sur les chaises se tournent vers lui. Les discussions s’interrompent une poignée de secondes. L’homme claque la porte, et tout reprend comme si de rien n’était.

« On sent une pression très forte depuis quelques mois. Avant, on n’avait pas de problèmes. Mais dernièrement, les gens sont fatigués. Et je les comprends, soupire Guy. Quand ils écoutent la télé, ils se disent : on aura jamais un titre. Dans le même temps, les préfets font ce qu’ils veulent. Donc quand Retailleau leur dit « vous serez jugés sur du chiffre », eh bien, ça donne du n’importe quoi. On voit des parents d’enfants français qui reçoivent des OQTF ! »

Dehors, d’un seul coup, il se met à pleuvoir des cordes. Deux bénévoles ouvrent grand la porte à ceux qui patientent à l’extérieur pour leur permettre de s’abriter un peu. « Cela ne garantit pas que vous allez pouvoir avoir votre rendez-vous, on ferme à 18 heures », précisent-elles. Tout le monde n’aura pas sa consultation aujourd’hui. Si la salle est comble, ce jeudi reste d’une affluence modérée. Il arrive que plus de 150 personnes patientent dehors, témoigne l’équipe.

Guy, lui, termine sa journée difficilement. Recroquevillée sur sa chaise, une femme mauritanienne vient lui demander conseil pour un regroupement familial. Elle a deux filles, dont l’une qu’elle a réussi à protéger de l’excision contre l’avis de son mari.

Elle voudrait faire venir ses autres enfants, restés avec les grands-parents au pays. « Votre mari, est-il gentil avec vous ? » s’enquiert Guy. « Non », souffle la femme. « Il vous frappe ? » « Oui ». Guy conserve sa voix douce. Il l’écoute encore un peu, avant d’orienter la femme vers un service de la Cimade spécialisé dans les violences faites aux femmes, en Seine-Saint-Denis.

« Elle respirait le mal-être », s’attriste Guy, qui prête attention au moindre signe envoyé par la personne assise en face de lui, notamment depuis une formation interne à la Cimade sur les violences faites aux femmes. Pendant quelques instants, le bénévole peine à répondre aux sollicitations de ses collègues, qui ne cessent de s’entraider à la volée sur leurs situations respectives. « Tu te fais cueillir comme ça, une fois par permanence, glisse-t-il. Après tu rentres chez toi et puis la nuit, quand tu t’endors, c’est difficile de ne pas repenser à elle. »

Article réalisé en collaboration avec Basta!

  mise en ligne le 27 janvier 2025

À Paris, des lycéens étrangers expulsés de leurs logements
en pleine année scolaire

Yannis Angles sdur www.mediapart.fr

Une centaine de lycéens étrangers, jusque-là logés dans des logements individuels à Paris, sont contraints dès la fin janvier de les quitter pour rejoindre des centres d’hébergement d’urgence à travers la France. Un bouleversement qui menace leur poursuite d’études.

« Là, ils me mettent dans la merde avec leur décision », lâche Armi* en passant les grilles du centre d’hébergement d’urgence La Boulangerie, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Les visages des quatre lycéens sont ternes et déconfits. Jeudi 23 janvier au soir, ils viennent de visiter leur nouveau « chez-eux », une réalité à laquelle ils ne s’attendaient pas.

Il y a peu, ces jeunes vivaient dans des logements individuels, disséminés à travers Paris, gérés par les associations Aurore et Urgence Jeunes. En décembre, ils apprenaient que la prise en charge toucherait à sa fin en juin, ce sera finalement dès le 27 janvier, comme le révèlent Mediapart et StreetPress.

Aujourd’hui, ils se retrouvent ici, dans ce grand foyer pour adultes en difficulté, loin de la stabilité qu’ils avaient pu connaître. « Je ne suis pas content du tout, mais je n’ai pas le choix », explique Habib, en dernière année de CAP, visiblement remué après la visite du centre. Rejoindre ce nouveau centre d’hébergement, alors même qu’ils suivent des parcours de formation allant du CAP au BTS, bouleverse leur quotidien, leurs études et leur avenir.

Cette situation découle d’une décision prise en décembre 2024 par la préfecture de Paris, qui n’a pas voulu reconduire ce dispositif d’hébergement destiné à une centaine de lycéen·nes. Il était pourtant renouvelé chaque année depuis 2015 et financé par la préfecture d’Île-de-France, le rectorat et la mairie de Paris.

Informée depuis plusieurs mois de l’arrêt prochain de ces hébergements, une source à la mairie affirme : « On a négocié tout ce qu’on a pu pour que ça n’arrive pas. » La fin du dispositif est une décision purement politique, selon ce connaisseur du dossier : « Dès que les jeunes sont majeurs, certains veulent envoyer le signal qu’ils ne sont pas bienvenus sur le territoire français et considèrent que les héberger, quand bien même ils sont scolarisés, c’est envoyer un mauvais signal et créer un “appel d’air”. » Contactés, la préfecture et le rectorat ne nous ont pas répondu à l’heure où nous écrivons ces lignes.

La nouvelle est tombée il y a une semaine. Un choc pour ces jeunes lycéen·nes et leurs professeur·es. « On ne pensait pas qu’ils allaient le mettre en application en plein milieu de l’année scolaire », déplore un enseignant qui les accompagne.

Un lieu inadapté aux jeunes

Alhassane*, élève en dernière année de BTS, témoigne de son mal-être : « Depuis, je ne suis plus concentré sur les cours, je m’inquiète pour mon avenir. Ça me perturbe dans mes révisions et dans mon travail. » Mais pour d’autres, ces jeunes ont « de la chance de rester à Paris », aurait, selon plusieurs témoins, lancé un représentant du préfet lors d’une réunion.

Pour Alhassane, la « chance » a une drôle de saveur. « On se retrouve à dix dans un dortoir avec des adultes qu’on ne connaît pas, je ne vois pas où est la chance », explique-t-il, visiblement en colère. Il a tenté en vain de négocier pour être logé en foyer pour jeunes travailleurs : « On ne voulait pas nous entendre, on doit appliquer et c’est tout. »

Les enseignant·es qui les accompagnent, eux aussi, s’inquiètent de ce déménagement dans des centres d’hébergement d’urgence. « Il y a du personnel, et des démarches administratives sont proposées, mais le lieu n’est pas adapté pour des jeunes et encore moins en formation », insiste l’un d’eux.

Ce constat est partagé par un responsable du centre d’hébergement, qui, lors de la visite, a reconnu auprès des jeunes que cet établissement n’était pas conçu pour les recevoir. Tout semble avoir été fait dans la précipitation. À la sortie, ce même responsable le confirme : « Je n’ai été informé qu’il y a quelques jours que ces jeunes devraient être accueillis ici. »

Les conditions matérielles, également, soulèvent des inquiétudes : « Les lits sont dans un mauvais état, les draps sont déchirés », a constaté Drary lors de la visite. Pour ces jeunes, la transition vers cette vie en collectivité ne paraît pas bénéfique pour leur avenir.

« Il n’y a pas de lieu pour réviser, et le soir, certains vont vouloir dormir alors que je dois réviser », explique l’un d’eux. Pour Armi, en alternance, le plus inquiétant, c’est la localisation du centre et l’impossibilité de maintenir son emploi et ses études. « Je travaille à l’opposé du lieu qu’on m’impose aujourd’hui, ça va être intenable », prédit-il.

Tous ont le sentiment ce soir-là de faire un pas en arrière dans leur intégration. Après avoir signé leur contrat d’habitation mensuel, qui devra se renouveler tous les mois jusqu’à la fin de leurs études, en juin, aucun ne restera dormir. Ils ne sont pas encore prêts à rejoindre immédiatement le dortoir et quitter leur vie d’avant. Ils veulent d’abord encaisser le coup et retourner dans leur ancien logement tant qu’ils en ont les clés, avant de se lancer dans un déménagement forcé.

Pour les autres jeunes bénéficiant jusqu’ici du dispositif et qui ne sont pas en année diplômante, il faut carrément quitter Paris, pour s’installer dans diverses villes à travers la France, où ils devraient rejoindre des centres d’accueil. Un départ précipité en plein milieu de l’année scolaire, qui ne leur garantit pas de pouvoir poursuivre leurs formations.

« Aucune information, ni garantie, n’est fournie quant à la possibilité pour eux de continuer leur parcours, notamment pour ceux inscrits dans des filières spécifiques, comme les formations aux métiers de l’industrie », précise un courriel émanant d’un service de la préfecture qu’a pu consulter Mediapart.

« Je préfère retourner dormir dans la rue »

« Ils ne vont jamais pouvoir reprendre leur formation à leur arrivée, on est en janvier », déplore un professeur. Une décision qui entraîne d’autres conséquences : « S’ils n’ont plus de formation, comment vont-ils faire pour renouveler leur titre de séjour étudiant ? »

C’est le cas de Mati*, rencontré lors de l’assemblée générale (AG) organisée le 24 janvier à la Bourse du travail à Paris par les syndicats enseignants et les associations qui accompagnent les élèves. Installé à Paris depuis plus de trois ans, il refuse d’être envoyé en province : « Je ne partirai pas, je préfère retourner dormir dans la rue. » Sa peur est de tout perdre : son alternance, sa formation et ses démarches pour obtenir ses papiers. Depuis sept mois, il apprend le métier de cuisinier dans un restaurant.

Pour lui, la fin du dispositif signifie un retour à la case départ. « Quand je suis arrivé en France, j’ai dormi dehors à Stalingrad pendant sept mois », confie-t-il. Avant d’envisager un retour sous les ponts, il garde espoir de trouver un logement par ses propres moyens.

« J’ai confiance en mon patron. Je lui ai expliqué ma situation, il va m’aider à trouver un logement », affirme-t-il, cherchant à se rassurer. Une décision radicale que comprend Hélène Kolinka, cofondatrice de l’association Droit à l’école. « Entre avoir un logement en région et ne plus avoir de patron ni d’école, le choix est vite fait pour certains », confirme-t-elle, à la sortie de l’AG.

Pendant les deux heures de l’AG du vendredi 24, toutes les associations, syndicats et collectifs présents ont discuté des stratégies à adopter pour mobiliser. Parmi les présents, des membres de l’association Urgence Jeunes, qui reconnaissent dans cette situation un scénario déjà vécu.

Il y a deux ans, des jeunes avaient été transférés en logements d’urgence, avant que la préfecture ne décide, quelques mois plus tard, d’une remise à la rue. Les membres de l’AG se demandent si ce n’est pas le même objectif qui se cache derrière cette décision : à ce jour, aucune garantie écrite n’assure qu’ils pourront rester jusqu’en juin dans les centres d’hébergement d’urgence.

Des actions sont donc envisagées : des débrayages de la part des enseignant·es, des manifestations et même des occupations, afin de rendre la situation de cette centaine de jeunes plus visible et que leurs revendications soient entendues. Parmi elles : le maintien et l’extension du dispositif pour les lycéens, le fait qu’aucun·e jeune ne soit contraint·e de quitter Paris, l’ouverture de lieux d’hébergement dédiés à tous les jeunes qui en ont besoin, jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Mais pour le moment, la consigne est inchangée : tous ces lycéens devront quitter leurs logements au plus tard le 11 février, et la plupart devront quitter Paris.


 


 

Saint-Denis : un avant-goût du « jour d’après » ?

par Alain Bertho, anthropologue sur https://blogs.mediapart.fr/

Un jeune de la Plaine Saint-Denis surnommé « le maire des banlieusards » qui consacre son énergie à promouvoir la créativité de la banlieue et la solidarité, a encore été arrêté le 25 janvier. Sans ménagement et sans raison claire. Tel est le visage inquiétant de « l’ordre » promu par le ministre de l’intérieur : harceler la vie populaire.

La scène est violente. Filmée, elle est immédiatement virale sur les réseaux locaux.

Vers 14 h 30, à quelques mètres de son domicile avenue du Président Wilson à Saint-Denis, non loin du local associatif « le Pont Commun», installé dans l’ancienne gare RER, Salim à peine sorti de chez lui pour aller chercher son frère, est maîtrisé, mis à terre, menotté et embarqué au commissariat central.  Vidéo 1 Vidéo 2

Un harcèlement ciblé

Salim Dabo a 26 ans. La Plaine Saint-Denis qui l’a vu grandir est encore son port d’attache. Son hyperactivité ne lui a pas rendu son enfance facile. Il y puise aujourd’hui une énergie au service des autres. Un concert organisé en septembre 2021, Streetparty One, pour respirer après le COVID le rend très vite populaire.
Son association Univers Project fondée en 2022, se donne comme ambition de créer « des opportunités pour les jeunes de banlieue en organisant des événements culturels, sportifs et solidaires » : organisation d’événements culturels, maraudes solidaires, programmes éducatifs et sportifs

En 2024, il investit à sa façon le choc des JO pour les familles et les jeunes du territoire soudain à la fois assigné.e.s à résidence par le zonage sécuritaire et le prix des transports et confronté.e.s à un maillage policier sans précédent. Il a même les honneurs du Monde

Est-ce pour cela que le 9 novembre, à la sortie d’une des activités éducatives de son programme  Bel Air, avec d’autres jeunes, il fait l’objet d’un contrôle aussi musclé qu’inexpliqué ?

Victime de techniques d’immobilisation illégales, il est arrêté et mis en garde à vue durant 24 heures puis relâché sans explication. Salim réclame alors une enquête rapide et transparente » et « exige des autorités compétentes qu’elles prennent des mesures concrètes pour garantir le respect des droits fondamentaux des habitants de Saint-Denis » car « la sécurité, loin d’être une justification pour de telles dérives, doit se bâtir dans le respect de la dignité humaine et de la légalité. » 

Ce 25 janvier, alors qu’il préparait une maraude solidaire, Salim est encore tabassé. Cinq heures après son arrestation, il est toujours en garde à vue et n’a vu ni médecin, ni avocat quand Éric Coquerel, député de la Plaine, parvient à le voir.
Il est finalement transféré à l’hôpital et vu par un médecin. Des examens sont prescrits et la garde à vue est suspendue le temps de l’hospitalisation. Sa libération intervient le lendemain vers 15 heures. Aucune charge n’est retenue contre lui.

Le harcèlement  contre sa famille n’est pas nouveau. Contrôles et arrestations se succèdent depuis des années dans un contexte récurrent d’acharnement raciste contre les jeunes.

Un cap a été franchi

Pourtant, aujourd’hui, le sentiment domine qu’un cap a été franchi. Pour les militantes et militants des associations, collectifs et organisations, qui connaissent toutes et tous Salim, cette arrestation arbitraire est hélas exemplaire du climat que fait régner sur une ville populaire, les priorités politiques du pouvoir et de son incontournable Ministre de l’Intérieur. 

Ce genre de situation se multiplie de façon inquiétante à Saint-Denis : le harcèlement semble politiquement ciblé. On ne sait pas encore pourquoi, le vendredi 24 au soir, devant le café La table ronde en centre-ville, policiers en civil sont intervenus violemment sans brassards d’identification au milieu d’un groupe de jeunes et ont ensuite lancé une grenade lacrymogène.

Mais on imagine comprendre pourquoi, il y a déjà quelque temps, un groupe qui rentrait à La Plaine a été contrôlé et interpellé sur la passerelle enjambant le canal et (quatre mineurs ont été embarqués). Ces jeunes sortaient d’une réunion qui avait rassemblé 120 personnes aux Francs Moisins pour apaiser les  violences opposants des jeunes des deux quartiers (La Plaine et Francs Moisins). 

La cible du commissariat est à l’évidence la capacité l’auto-organisation de cette jeunesse dans laquelle Salim Dabo joue, avec d’autres, un rôle de premier plan.

Ce harcèlement est directement  politique. Sans filtre, puisque ce sont ses mauvaises fréquentations communistes et insoumises qui lui sont explicitement reprochées lors de ses gardes à vues.

Comme une sorte de laboratoire du pire. 

L’expérience vécue par la population d’une des villes les plus pauvres de la France métropolitaine, mais aussi de la ville qui a le plus voté pour le Nouveau Front Populaire dès le premier tour des législatives, est celle d’une sorte de laboratoire du pire. 

Depuis 2020, la ville est déjà confrontée à une équipe municipale menée par un maire officiellement socialiste, qui s’applique à défaire les services publics locaux qui avaient fait de Saint-Denis une ville de solidarité et de partage.  Les antennes jeunesses sont laissées à l’abandon, des ludothèques ferment, les bus n’assurent plus la liaison entre les cités et le centre-ville, les habitants sinistrés sont laissés à leur sort après un incendie comme les femmes isolées avec leur enfants sans abri, les centres de loisir sont sous encadrés, les écoles grelottent, les personnels sont réprimés, la police municipale multiplie les dérapages….

Syndicats, associations, collectifs font front, se concertent, échangent leur expérience, s’organisent ensemble. Cette mise en réseau des mobilisations est un des objectifs que s’est donné le Comité local du Nouveau Front Populaire qui a organisé un forum le 7 décembre malgré le refus de la mairie de lui accorder une salle.

En juin 2024, celle ville s’est mobilisée contre la menace du Rassemblement National. Mais chacune et chacun le sait : les gouvernements Barnier et Bayrou réactualisent cette menace au quotidien : la présence de Bruno Retailleau dans les deux gouvernements successifs de la droite extrémisée n’est pas un simple effet d’affichage. Le clin d’œil appuyé au RN ne se résume pas à des déclarations « provocatrices ». On ne négocie rien avec un tel personnage !

Son « chantier » concernant la lutte contre « l'immigration illégale mais aussi légale »  annoncé dès son intervention à l’Assemblée nationale le 2 octobre 2024 a d’ores et déjà des effets dévastateurs.  

A Saint-Denis, la  sous-préfecture ne se contente pas de recevoir les demandeuses et demandeurs de cartes de séjour et de renouvellement dans des conditions indignes. Elle est devenue une fabrique systématique de sans-papiers. Des titulaires de carte de séjour de 10 ans sont piégés par des délais interminables qui les mettent hors la loi, hors de l’emploi et de toute protection sociale. Des rendez-vous (qui font déjà l’objet d’un marché noir) sont annulés du jour au lendemain. Des familles sont systématiquement précarisées.

A cette dévastation, le pouvoir ne veut admettre aucune résistance organisée, surtout pas par les victimes elles-mêmes. Surtout pas en montrant la capacité d’intelligence collective, de solidarité que portent des figures populaires comme Salim et d’autres. 

Ici, des femmes et des hommes sont confronté.e.s dans leur vie quotidienne, dans leur survie à la  vérité des tentations de plus en plus extrêmes des classes dirigeantes et à l’abandon d’une partie de la gauche. 

Ici, la guerre à la vie populaire semble déclarée. Comme un avant-goût du "jour d’après " tant redouté : celui de la victoire officielle du RN. 

Ici, qui peut comprendre qu’on ne censure pas sans condition un tel gouvernement ?

Ici, la résistance a commencé, à la fois comme protection immédiate des personnes et comme construction d’un commun solidaire, d’un autre lendemain possible.

  mise en ligne le 24 février 2025

Elsa Faucillon : « La mer Méditerranée devrait être
un espace humanitaire »

Gaël De Santis sur www.humanite.fr

La députée communiste des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon a fait adopter une résolution pour créer une flotte européenne de sauvetage en mer Méditerranée, où des milliers d’exilés perdent la vie chaque année.

Il manque à l’Union européenne (UE) une flotte pour venir au secours des exilés en mer Méditerranée. Tel est le constat d’une résolution, déposée par la députée communiste Elsa Faucillon, adoptée en commission des Affaires européennes et inscrite au journal officiel le mardi 21 janvier. Au moins 25 000 personnes ont perdu la vie en tentant de traverser la grande bleue depuis 2014.

Pourquoi la nécessité d’une telle flotte ?

Elsa Faucillon : Le nombre de morts est très important. On laisse aux seules ONG la tâche immense d’aller secourir les migrants en mer Méditerranée. Leur action est très largement entravée par des mesures prises par des États membres de l’UE, entravée par des discours politiques, entravée juridiquement par des procès qui leur sont faits, entravés financièrement. Il n’y a même pas en France de ligne budgétaire pour les subventionner. Pour notre part, nous considérons que la Méditerranée devrait être un espace humanitaire.

Avec ce texte, nous souhaitons faire reconnaître qu’il y a une responsabilité des États membres. Dans les auditions que nous avons menées, la principale critique émise contre notre texte est qu’il n’y a pas d’assise juridique pour une flotte de sauvetage européenne. Or, une responsabilité juridique, ça se crée. Sa seule absence démontre que l’UE se déresponsabilise. Il n’est nullement question de recherche et de sauvetage en mer dans le Pacte asile immigration.

L’UE ne peut circonscrire sa responsabilité aux seules frontières terrestres. Car elle a une responsabilité sur les causes de départ des exilés. Et puis tout simplement, nous nous devons d’avoir une solidarité européenne afin que ne soient pas laissés seuls les pays du Sud confrontés à la question de l’arrivée de migrants.

Quel chemin va-t-il falloir emprunter pour que cette résolution se concrétise ?

Elsa Faucillon : La lutte ! Cette résolution est le début d’un long chemin. Cette résolution va être envoyée à la Commission européenne et au gouvernement. Elle ouvre des portes pour discuter avec eux. Cela nécessite de créer des alliances avec des députés et des eurodéputés pour unir nos forces et faire avancer cette proposition de résolution.

En 2023, un texte similaire, présenté par la députée Renew Fabienne Keller, a été voté par le Parlement européen. L’idée est de montrer qu’il y a différentes initiatives adoptées soit dans des États membres, soit au niveau européen.

« Tout l’urbanisme est destiné à repousser les migrants. »

Il y a aussi toutes les batailles avec les ONG, la société civile. Il est nécessaire de faire cheminer cette résolution et d’unir les forces de celles et ceux qui veulent conjurer les morts en Méditerranée.

Dans la Manche aussi, des exilés meurent en tentant de rejoindre le Royaume-Uni. La France doit-elle changer d’approche ?

Elsa Faucillon : Évidemment. Les ministres de l’Intérieur successifs savent bien que la militarisation des frontières n’empêche nullement les départs. Elle ne fait que rendre les traversées plus dangereuses et fait augmenter le nombre de morts. L’année 2024 a d’ailleurs été la plus meurtrière.

Il y a eu des révélations faites par un consortium de journalistes sur l’emploi de gaz lacrymogène sur des bateaux, sur des approches qui font chavirer les navires. Avec des députés du Nouveau Front populaire, nous avons demandé une commission d’enquête sur les conséquences des accords du Touquet avec le Royaume-Uni.

La commission devrait également sur les conséquences pour les communes du littoral. Tout l’urbanisme est destiné à repousser les migrants. Elle doit aussi examiner tous les effets de militarisation de la frontière et de criminalisation de l’action des associations.

La question de restaurer des voies sûres pour l’immigration vers l’Europe est-elle posée ?

Elsa Faucillon : Même une flotte européenne de sauvetage n’empêchera pas qu’il y ait des morts. Les passages continueront. Aussi, les voies sûres sont la seule vraie solution pour éviter toutes ces morts. L’offensive xénophobe a rangé une telle exigence du côté des « no-border » (antifrontières). Mais une telle proposition n’est pas de cet ordre. De nombreuses associations portent cette proposition. Nous souhaitons y travailler.

Nous soutiendrons une proposition de Léa Balage El Mariky (députée écologiste, NDLR) pour que les demandeurs d’asile puissent avoir l’autorisation de travailler plus tôt qu’ils ne l’ont aujourd’hui.

Nous essayons de porter des perspectives pour ne pas être que dans la contre-offensive, en étant lucides sur la période dans laquelle nous vivons. La question migratoire est au cœur du conflit politique et des prises de pouvoir par les nationalistes, populistes et xénophobes.

On est dans un moment de basculement où l’on voit se renverser nos principes : « La solidarité, c’est le mal. Défendre les droits de l’homme, c’est laxiste ». Il faut être à la hauteur du contre-récit à produire, à la fois avec des propositions législatives mais aussi une bataille idéologique et culturelle.


 


 

« Au moins sept ans »
sur le territoire, laïcité et apprentissage de la langue française : Retailleau enfonce les sans-papiers dans la précarité

Tom Demars-Granja sur www.humanite.fr

Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, en déplacement dans les Yvelines ce vendredi 24 janvier, a annoncé le durcissement de la circulaire Valls. Fidèle à sa politique réactionnaire, l’ancien sénateur renforce les conditions pour que « l’étranger sans papiers », sous couvert de justifier son adhésion aux « principes de la République », puisse être régularisé. De quoi permettre aux préfectures de refuser la moindre demande sans grande difficulté.

Une filiation idéologique qui n’est guère étonnante, mais qui n’en reste pas moins inquiétante pour les premiers concernés : les exilés sans-papiers. Le ministre de l’Intérieur, « très proche » de l’idéologie raciste du groupuscule Némésis et trouvant « honteux » que la gauche se réjouisse du décès de Jean-Marie le Pen, Bruno Retailleau a annoncé la modification de la circulaire Valls, du nom de l’actuel ministre des Outre-mer – et notamment auteur de la saillie raciste « Tu me mets quelques Blancs, quelques white, quelques blancos », lors d’une visite d’Évry, en Essonne, sous le gouvernement Hollande.

Cette dernière est utilisée par les préfectures pour régulariser – par le travail ou pour motif familial – plus de 30 000 sans-papiers, chaque année. Mise en place en 2012, elle permet ainsi à un exilé en situation irrégulière de demander une « admission exceptionnelle au séjour » pour motif familial, économique ou étudiant, à une préfecture.

« Elle doit demeurer une voie exceptionnelle »

Bruno Retailleau a décidé de durcir le texte, notamment sur le volet de la régularisation. « La voie d’admission exceptionnelle au séjour (AES) n’est pas la voie normale d’immigration et d’accès au séjour, a-t-il lancé, à travers une circulaire de trois pages adressée aux préfets et révélée par le Figaro. Visant des étrangers en situation irrégulière, elle doit demeurer une voie exceptionnelle. » Le ministre de l’Intérieur doit présenter cette nouvelle circulaire, annonce d’un durcissement des régularisations, déjà réalisées au compte-goutte, lors d’une conférence de presse organisée à Versailles (Yvelines), vendredi 24 janvier, dans l’après-midi.

Son projet politique est clair, et annoncé tel quel au sein de la circulaire : « La maîtrise des flux migratoires, en particulier par la lutte contre l’immigration irrégulière, et le renforcement de l’intégration des étrangers en France constituent les priorités du gouvernement. » Bruno Retailleau poursuit ainsi son entreprise de radicalisation – appuyée par un camp macroniste qui lui laisse les mains libres – en s’inscrivant dans les thématiques chères à l’extrême droite.

Tenant d’une ligne raciste et autoritaire, l’ancien sénateur républicain a répété, au cours de ces dernières semaines, son intention de revoir la circulaire Valls, déjà restrictive en créant une sélectivité au sein des exilés et en érigeant en totem « l’intégration » de ces derniers.

Des patrons qui peinent à recruter et veulent régulariser des employés, des étudiants qu’une université veut conserver… Si la circulaire Valls permet, en théorie, à un exilé en situation irrégulière d’arranger sa situation, les préfectures n’ont aucune obligation. Elles peuvent ainsi refuser d’accéder à une demande, quelle que soit la justification. Si la circulaire Retailleau ne change pas, à proprement parler, les critères pour obtenir cette « admission exceptionnelle au séjour », elle demande clairement aux préfets de serrer – une nouvelle fois – la vis en matière de régularisation.

Une présence d’au moins sept ans

Bruno Retailleau insiste notamment sur l’adhésion de « l’étranger sans papiers » aux « principes de la République ». Comprendre ici : la laïcité, la maîtrise de la langue française, l’obtention d’un diplôme français. De plus, la circulaire rédigée par le ministre de l’Intérieur spécifie que les demandeurs jugés comme étant des « menaces à l’ordre public » sont exclus. Soit une continuation implicite de son acharnement en faveur du rétablissement de la double peine.

Enfin, pour être admissible, un travailleur sans-papiers doit en théorie vivre depuis au moins trois ans en France et justifier d’au moins deux ans de travail. Dans la nouvelle circulaire, ce laps de temps est rallongé : « Une durée de présence d’au moins sept ans constitue l’un des indices d’intégration pertinent. » Si cette circulaire ne modifie pas les autres modes de régularisation établies par la loi, elle doit servir de cadre pour les préfectures, qui auront donc à leur disposition un nouveau bagage de motifs de refus. De quoi donner une marge de manœuvre toujours plus importante afin de ne pas accepter des dossiers de candidature.

En 2023, la circulaire a permis à 34 724 demandeurs d’obtenir des papiers – 11 525 au titre du travail, 22 167 pour motif familial, et un millier sous statut d’étudiant -, selon les données du ministère de l’Intérieur. Soit seulement une hausse de 0.3 % par rapport à 2022. L’actualisation de la liste des métiers en tension dans lesquels les travailleurs sans-papiers peuvent être régularisés doit, quant à elle, être publiée « fin février », a annoncé la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, dimanche 19 janvier. Pour rappel, cette mise à jour est prévue par la loi immigration promulguée début 2024… et applaudie par l’extrême droite, le Rassemblement national en tête.

    mise en ligne le 12 janvier 2025

En rétention, une fin d’année 2024 tragique : décès et actes de désespoir
se multiplient

communiqué sur https://www.lacimade.org/

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits. Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille […]

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits.

Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille et Paris-Vincennes, deux hommes se sont suicidés. A Oissel, près de Rouen, un homme a cessé de s’alimenter ; son état de santé s’étant fortement dégradé, il a été transféré à l’hôpital, où il est décédé quelques jours après. En 2023 déjà, quatre personnes étaient mortes en rétention.

Ces décès auraient pu être évités si la vulnérabilité et l’état de santé -physique et mental- des personnes avaient été pris en considération par l’administration avant toute décision de placement.

Il est inacceptable que l’administration ne prenne pas toujours en compte les déclarations de ces personnes sur leur état de santé ou le suivi médical dont elles font déjà l’objet. Elle ignore également nos alertes récurrentes sur le contexte de tensions, d’angoisse et de violence qui prévaut dans les CRA, et sur les effets délétères de la rétention sur la santé mentale et physique des personnes enfermées.

Notre inquiétude aujourd’hui se veut d’autant plus grande que les actes d’automutilation, gestes désespérés et les tentatives de suicide se multiplient ces dernières semaines. Pourtant, malgré les drames successifs qui sont la conséquence d’une politique d’enfermement sans discernement et punitive, les pratiques n’évoluent pas et rien n’indique que l’administration a pris conscience de la gravité de la situation. Au contraire, les placements de personnes vulnérables ou souffrant de lourdes pathologies se poursuivent, et les préfectures persistent à maintenir enfermées des personnes pour lesquelles les médecins compétents ont constaté l’incompatibilité de leur état de santé avec la rétention. La loi du 26 janvier 2024 a permis d’enfermer plus longtemps des personnes dont les intérêts privés et familiaux se trouvent sur le territoire français, ou qui encourent des risques avérés pour leur vie en cas de retour dans leur pays d’origine, renforçant le choc et l’angoisse liés à la perspective de l’expulsion. Les annonces répétées sur une nouvelle prolongation de la durée maximale de rétention vont à rebours de nos constats sur l’impact de l’enfermement administratif sur la santé des personnes concernées.

Nos associations revendiquent une nouvelle fois un accès aux soins et une prise en charge médicale effective des personnes enfermées en CRA, pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Nous demandons aux préfectures un examen individuel et attentif des situations des personnes concernées avant l’édiction de toute décision de privation de liberté, dans le respect de leurs obligations légales.

Associations signataires :

  • Forum réfugiés

  • France terre d’asile

  • Groupe SOS Solidarités-Assfam

  • La Cimade

   mise en ligne le 8 janvier 2025

Plus de 250 jeunes sans papiers occupent toujours la Gaîté lyrique, à Paris

Yannis Angles sur www.mediapart.fr

Depuis le 10 décembre, l’établissement culturel est occupé par plus de 250 personnes. Propriétaire des lieux, la mairie de Paris n’a aucune solution d’hébergement pérenne à leur proposer. Dans l’attente, ces jeunes exilés continuent de lutter, et, pour certains, de rêver.

La musique résonne à la Gaîté lyrique, dès lors que l’on passe la porte. Au premier étage, en haut des marches, on aperçoit un petit groupe de jeunes en train de danser alors que d’autres réinstallent leurs effets personnels dans la salle de spectacle parisienne, après le passage le matin de l’entreprise d’entretien venue faire un grand nettoyage des sols. Les jeunes récupèrent leurs affaires dans des sacs avec leur nom, puis redisposent leur couchage en rangs d’oignons à l’identique, à côté de leur compagnon de galère.

Depuis le 10 décembre, la Gaîté lyrique n’accueille plus de concerts, mais des mineur·es sans papiers. Au premier jour de l’occupation, le lieu culturel a tant bien que mal tenté de rester ouvert au public, en diminuant drastiquement sa programmation, avec à la clé plusieurs centaines de milliers d’euros de pertes. Une seule exposition demeurait accessible jusqu’au mardi 17 décembre. Puis, l’annonce est tombée par communiqué : « La Gaîté lyrique est dans l’incapacité de maintenir les conditions pour permettre l’accueil du public dans les espaces. »

Les conditions de vie sont pourtant loin d’être idéales. Le personnel de l’établissement a souligné dans un autre communiqué que le lieu « ne dispose pas des espaces sanitaires nécessaires pour offrir une solution d’hébergement respectueuse et digne ». Un constat partagé par les résident·es. « On est au chaud, mais on n’a rien pour se laver ni pour faire à manger », raconte un jeune, Barry, délégué du groupe. Chaque jour, il doit sortir pour trouver ce qui manque : une douche, un endroit pour laver ses vêtements, par exemple. « On va à l’hôtel de Ville pour la douche, mais il n’y en a qu’une pour plus de 250 personnes », rapporte-t-il.

Les revendications de ces occupants temporaires et des associations qui les accompagnent tiennent en quelques mots : un toit pour tous, un centre d’accueil pérenne et la réquisition des bâtiments vides. Dans le même temps, Le Monde a rapporté que la préfecture de Paris avait informé les chefs d’établissement des lycées parisiens de non-reconduction d’un dispositif d’hébergement d’urgence logeant une centaine de lycéens. L’horizon semble donc, pour 2025, tout aussi bouché que l’an passé.

Pas le cœur à la fête

La nuit du réveillon, Yared*, un Éthiopien de 15 ans, se lève de son couchage pour venir à notre rencontre. Il s’inquiète d’abord de savoir si nous sommes de la police, beaucoup ce soir viendront nous poser la même question. Il est arrivé il y a trois jours. Avant de trouver refuge à la Gaîté lyrique, Yared avait passé quelques jours à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) pour récupérer de sa traversée de l’Espagne. « Je ne pensais pas être si mal accueilli à mon arrivée en France », lâche-t-il, fatigué de ce qu’il endure depuis. Juste à côté de lui, la tête enfouie sous la couette, un autre jeune tente de trouver le sommeil, malgré la musique et la lumière.

En attendant le repas, assis à une table, cinq de leurs compagnons écoutent une bénévole leur faire une dictée. D’autres en profitent pour se retrouver autour d’un baby-foot, se poser pour discuter, ou même se refaire une beauté. Installé sur un tabouret, un très jeune garçon, comme saucissonné dans un sac-poubelle, se fait couper les cheveux par un jeune qui manie la tondeuse avec dextérité.

Il est 20 heures, la musique s’arrête, un petit groupe de délégués s’active, le repas vient d’arriver. Pour célébrer cette nouvelle année, ni petits-fours ni champagne. Comme tous les soirs, une portion de riz au poulet est distribuée aux quelque 250 résident·es, le tout financé à l’aide des dons reçus sur leur cagnotte en ligne. Mais avant de manger, une petite assemblée générale est organisée autour de deux thèmes principaux, la lutte pour un toit et des papiers, et la vie collective. Chacun des occupants et occupantes peut prendre le micro, parfois pour des détails, comme le rappel d’éteindre les téléphones la nuit, afin de respecter le sommeil des autres, ou encore le respect de la propreté des lieux communs.

Un temps d’échange qui se conclut avec la distribution du repas. Certains ont juste le temps de finir qu’ils sont déjà sur la piste de danse pour profiter jusqu’au bout de la nuit de ce temps de cohésion. À l’extérieur, dans le froid et le calme de la nuit, un occupant de la Gaîté lyrique est assis sur le rebord de la fenêtre de la Poste voisine. Il enchaîne les cigarettes de manière frénétique. Ce soir, il n’a pas le cœur à la fête. Il s’est isolé pour trouver un coin de calme. L’occasion pour lui de tenter d’appeler sa famille au pays et de prendre des nouvelles. « Je laisse les autres profiter de la fête, je rentrerai avant l’extinction des feux à 0 h 30 », confie-t-il, tout en allumant une nouvelle cigarette, perdu dans ses pensées.

« Difficile de tenir le coup »

Barry, le délégué du groupe, n’a pas été reconnu mineur, et se bat contre cette décision en appel devant le tribunal administratif, « mais cela peut durer six mois, un an ou même plus », dénonce-t-il. Durant ce délai, aucune solution ne lui a été proposée, donc c’est le retour à la rue. « J’ai habité un mois vers la station de métro Pont-Marie, dans une tente, c’était très difficile », explique-t-il. La routine était la même chaque jour : le soir à partir de 18 heures, il allait chercher sa tente là où il l’avait cachée le matin même, avec la crainte que la police ne l’ait détruite. Chaque jour, un réveil identique : « Vers 5 heures ou 6 heures, la police venait nous évacuer. »

Abdourahaman, 16 ans, a vécu lui aussi pendant trois mois sous le Pont-Marie qui relie l’île Saint-Louis au quai de l’Hôtel-de-Ville, dans le IVarrondissement de Paris. Aujourd’hui, il a trouvé refuge à la Gaîté, sans que cela règle pour autant tous ses problèmes : « On est plus de 250 personnes à s’entasser ici, c’est difficile de tenir le coup aussi longtemps », raconte-t-il.

Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Léa Filoche, adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris

Avant l’étape Gaîté lyrique, Barry et Abdourahaman ont découvert le Collectif des jeunes du parc de Belleville, déjà à l’œuvre dans d’autres occupations de lieux publics parisiens comme l’Académie du climat, le Cent-Quatre, puis la Maison des métallos, des opérations ayant toujours conduit à des mises à l’abri provisoires par les pouvoirs publics. Depuis, les deux jeunes gens ont décidé de s’investir au sein du collectif en tant que délégués, un rôle important lors d’une occupation. « Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer », dit Barry, qui ne chôme effectivement pas entre la préparation des repas, la gestion des plannings, l’organisation des assemblées générales ou encore la médiation nécessaire quand surviennent les conflits, inévitables dans cette gigantesque colocation informelle, entamée il y a plus de trois semaines.

Même si les services municipaux se sont rendus régulièrement à leur rencontre, Barry dénonce l’absence de solution concrète. Léa Filoche, adjointe chargée des solidarités, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris, considère que l’ensemble des lieux d’hébergement prévus sont déjà tous saturés. « Je n’ai plus de gymnases. Je n’ai plus de solutions. J’ai déjà 500 mineurs pris en charge », affirme-t-elle.

L’adjointe explique se sentir bien seule face à cette situation qu’elle qualifie « d’intenable » et à laquelle elle n’estime plus avoir les moyens de répondre. « Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Mais il ne veut pas les accueillir, il préfère les laisser à la rue que de s’approprier ces lieux », dénonce l’adjointe.

Alors que l’occupation s’installe dans le temps, que peuvent espérer Barry et Abdourahaman ainsi que leurs compagnons de lutte pour l’année de 2025 ? « [Avoir] gain de cause et  enfin un logement stable et digne », espère Abdourahamane. Barry, qui rêve de devenir journaliste, espère pour sa part que cette nouvelle année sera celle où ils obtiendront une certaine stabilité pour tous : « Je veux qu’on puisse aller à l’école, travailler et pouvoir construire notre futur. »

* Les prénoms des personnes qui témoignent ont été changés pour assurer leur anonymat.


 


 

À la Gaîté Lyrique, les jeunes du parc de Belleville s’organisent contre les violences d’État

Par Louise Sanchez Copeaux sur https://www.bondyblog.fr/

Au sein de ce lieu culturel occupé depuis trois semaines, les jeunes migrants du collectif ont organisé une assemblée générale autour des violences qu’ils subissent. Reportage.

Alors que l’occupation du lieu culturel parisien dure depuis trois semaines, le jeudi 2 janvier s’est tenue une assemblée générale autour du thème des violences policières. Organisée par les occupants et les mineurs isolés du Collectif des jeunes du Parc de Belleville, cette rencontre a permis à plusieurs intervenants de témoigner sur le sujet.

Ces jeunes dénoncent la violence d’État qui rythme leur quotidien, qu’elle soit policière, institutionnelle ou judiciaire. « Tout ce qu’on subit en France n’est pas normal. On ne peut aller nulle part, on ne peut que se promener et c’est là qu’on se fait violenter », relate un délégué du collectif de Belleville avant de céder la parole.

Gardes à vue, agressions physiques…

Au micro, trois jeunes hommes témoignent. Ils racontent que, le plus souvent, les violences sont précédées de contrôles d’identité ou de titre de transports ou même de visites à l’hôpital pour se soigner. Gavey*, 16 ans, raconte s’être fait poursuivre dans le métro, à la station Denfert-Rochereau. « Les policiers ont cassé mon casque, mon sac à dos, m’ont tiré et frappé de tous les côtés », témoigne-t-il. L’adolescent a passé près de 24 heures au commissariat, où les coups ont continué à pleuvoir tout au long de la nuit, assure-t-il.

Abdoulaye évoque, lui, une interpellation violente et injustifiée. Le 18 décembre, après la manifestation en vue de la journée internationale des migrants, il se fait attraper devant l’entrée du métro et est accusé d’avoir touché un policier. « Il m’a menotté, on m’a emmené de force au commissariat. Je voulais prévenir l’association Utopia 56, mais on m’a pris mon téléphone, mes affaires et refusé tout ce que je demandais », dénonce-t-il.

Sa garde à vue a duré 48 heures. Il n’a pu parler qu’à un avocat qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu depuis. « On m’a tendu un papier et on m’a dit que j’étais obligé de le signer. On m’a aussi dit de donner mes empreintes si je ne voulais pas faire trois ans de prison », raconte-t-il, abasourdi. Le papier en question, que nous avons consulté, fait état d’une reconnaissance de culpabilité et d’un rappel à la loi.

La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien

Le dernier témoignage commence aussi dans le métro, à Jaurès. Selon le mineur, des contrôleurs l’ont frappé et ont essayé de fouiller son sac alors qu’il descendait les escaliers. « On ne m’a même pas demandé mon nom. J’ai refusé la fouille, car ils n’étaient pas policiers, mais la police est arrivée et m’a emmené en garde à vue », rapporte ce dernier.

« La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien », souffle l’adolescent. Les violences policières commises sur les personnes exilé.es sont documentées par les associations. Dans un rapport publié par plusieurs d’entre elles, dont Médecins du monde, quelque 450 cas de violences policières envers des migrants vivant à la rue, en Île-de-France, sont recensées. Un chiffre largement sous-estimé, selon ces associations, qui dénoncent des pratiques « systémiques ».

Les familles de victimes de violences policières en soutien

Les violences d’État ne sont pas seulement subies par les jeunes sans papiers. C’est un combat commun, appellent les intervenantes extérieures. En tant que représentantes des comités de Vérité et Justice pour les victimes décédées aux mains de la police, deux mères sont venues témoigner de leur soutien.

Très émue, Amanda raconte l’histoire de Safyatou, Salif et Ilhan, son fils. Âgés respectivement de 17, 13 et 14 ans le 13 avril 2023, les trois enfants se sont fait percuter en scooter par la police dans le 20ᵉ arrondissement, en sortant de la mosquée pendant le ramadan. Grièvement blessé, Ilhan a quand même été emmené en garde à vue.

Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes

« La police n’est pas seulement violente, elle est raciste. Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes », déplore Amanda devant l’assemblée. Et de conseiller aux jeunes présents de ne pas rester seuls dans l’espace public.

La mère de Lamine Dieng est, elle aussi, présente. Son fils est décédé le 17 juin 2007 suite à un plaquage ventral lors d’un contrôle de police. Elle rappelle l’importance de s’organiser, d’avoir des initiatives collectives et autonomes. « C’est comme si tout ce que faisaient les jeunes noirs était criminalisable par la police », s’émeut-elle. Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng a établi depuis longtemps des revendications concrètes et effectives contre les violences policières. Parmi elles, l’interdiction du plaquage ventral, de la clé d’étranglement, du pliage ou des lanceurs de balles de défense (LBD).

S’informer et se rassembler

Au cours des discussions, plusieurs intervenants prennent la parole pour partager des conseils concrets et proposer des initiatives. Des membres de l’assemblée Anti-CRA (centres de rétention administratifs) d’Île-de-France proposent d’animer un atelier à la Gaîté sur les réflexes à avoir en cas d’arrestation et de rétention.

« Dans les CRA, la police décide de tout : de la durée des visites, des placements en isolement, de quand faire des fouilles », expliquent les militants. Ces derniers rappellent les décès de ​​Mohammed, un homme d’origine égyptienne en mai 2023 au CRA de Vincennes. Régulièrement, les associations dénoncent les conditions de rétention dans ces centres dans lesquels se multiplient les décès et les suicides.

Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité

Des avocats de la Legal Team (collectif d’avocats contre la répression) sont également présents pour partager leurs analyses et apporter quelques recommandations. « Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité et ne vous considèrent pas. Mais il faut quand même bien connaitre vos droits », recommande Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.

Ce dernier insiste sur l’importance de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue. « Le médecin n’est pas toujours un ami, l’avocat peut en revanche prendre vos blessures en photos, les constater, assister à vos échanges avec la police…», fait-il remarquer. Sa consœur met en garde contre la violence judiciaire et psychologique qui succède aux violences policières. « L’IGPN vous verra non pas comme une victime, mais comme l’auteur d’une infraction. Il ne faut pas porter plainte contre la police avec trop d’espoir. Je conseille de prendre cette décision avec la détermination et l’accompagnement nécessaire », insiste-t-elle.

Entretenir des conditions de vie en collectif

L’occupation a commencé mardi 10 décembre 2024. Certains jours, des rassemblements ont lieu devant la Gaîté Lyrique à 18 heures, suivis par des AG où se discute l’organisation du quotidien au sein des lieux. Malgré les efforts du collectif, les conditions de vie sont difficiles.

« On ne dort pas normalement, on ne mange pas normalement, on ne se lave pas normalement… C’est la première fois que je reste dans une occupation. Ça commence à être fatiguant », raconte Mohammed, 16 ans. « La vie ici avec les autres est un peu compliquée. On est là toute la journée alors parfois, on s’énerve. Parfois, quelqu’un se fait mal à cause des tensions. C’est difficile », confie Bouba, 17 ans.

L’État et la mairie de Paris ne répondent pas aux revendications des occupants. Du côté de la mairie, l’adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.es, Léa Filoche, expliquait à Mediapart que malgré les logements vides nombreux à Paris, « c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin ».

On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut

Les mineurs isolés se heurtent alors non seulement à la violence, mais à l’inaction des institutions. Mohammed se rappelle tous les rendez-vous qu’on lui a donnés en Île-de-France, qui n’ont jamais abouti. Ces interminables démarches l’épuisent. « Il n’y a pas de solutions ici à Paris. Je pense qu’à la campagne, ça peut être mieux, ou à Lyon, Marseille… », envisage-t-il. Bouba déplore l’inaction de la mairie de Paris. « Avant, j’étais devant l’Hôtel de Ville, j’ai dormi sur les quais de Seine pendant quatre mois. On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut », constate-t-il.

Ce que la majorité des jeunes occupants attendent, c’est d’être officiellement reconnu mineur, d’être “confirmé” pour accéder à leurs droits. « Même confirmés, les jeunes doivent savoir que les problèmes ne se terminent pas, il reste encore beaucoup de défis. On est logés, mais affectés dans un bâtiment, mélangés avec ceux qui n’ont pas été reconnus mineurs. On n’a pas le droit de sortir, d’avoir notre propre argent. Il n’y a pas d’eau potable, pas assez d’eau chaude pour tout le monde. On m’a transféré parce que je ne me laissais pas faire et je posais des questions sur ces conditions de vie », témoigne un mineur à distance, via un message pré-enregistré et diffusé lors du rassemblement.

Alors que l’occupation dure depuis presque un mois, la Gaîté Lyrique a fermé le lieu au public le 17 décembre et a suspendu sa programmation culturelle. Dans des communiqués, la direction se joint à leurs revendications et presse la Ville de Paris de trouver une solution de relogement pour tous les occupants.

*Tous les prénoms ont été modifiés

    mise en ligne le 5 janvier 2025

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014, 9 757 en rejoignant l’Espagne : toujours plus d’exilés disparus
dans l’indifférence en 2024

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la Manche, en Méditerranée centrale ou sur « la route de l’Atlantique », le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont perdu la vie aux frontières de l’Europe a atteint des records en 2024. L’indifférence aussi.

Faudrait-il inventer, à l’occasion des fêtes de fin d’année et des bilans annuels chiffrés, un baromètre de l’indifférence ? Une décennie après l’abandon par les Italiens de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum, il révélerait sans doute les abysses d’inhumanité dans lesquels sombrent les États européens face aux drames migratoires qui se jouent à leurs frontières maritimes.

Trois personnes, au moins, ont encore trouvé la mort, dimanche 29 décembre, vers 6 heures du matin, au large de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, alors qu’elles tentaient de rejoindre les côtes britanniques par la mer. Cette nouvelle tragédie porte à 75 le nombre de personnes mortes noyées à la frontière franco-britannique en 2024.

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014

Ce « record » est la conséquence directe des politiques répressives mises en œuvre dans le cadre des accords sécuritaires passés entre Londres et Paris et de la surdité volontaire que les autorités opposent aux appels incessants des élus et associations à un changement radical dans la gestion du phénomène migratoire à nos frontières.

Penser qu’il faudrait permettre, à des personnes en quête d’un refuge, de circuler dans un cadre légal et d’être systématiquement assistées lorsqu’elles se trouvent en danger de mort n’est pourtant pas de l’idéalisme. C’est du pragmatisme, si tant est que le respect de la vie humaine reste une valeur cardinale. Les chiffres de l’année écoulée laissent malheureusement craindre que ce ne soit plus le cas pour les dirigeants des pays membres de l’Union européenne.

Plus de 40 000 exilés, selon l’Organisation mondiale pour les migrations, ont péri en Méditerranée centrale depuis 2014, dont 2 368 au cours de l’année qui s’achève, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et les ONG, comme SOS Méditerranée, qui tentent inlassablement de secourir ces damnés parmi les damnés sont régulièrement attaquées à des fins médiatico-politiciennes.

9 757 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’Espagne en 2024

Médecins sans frontières a par exemple annoncé dix jours avant Noël la fin de ses opérations de secours dans cette zone, expliquant que « les lois et politiques italiennes » rendent « impossible la poursuite du modèle opérationnel actuel ».

Cependant, dans le nord de la France, comme en Méditerranée centrale, les logiques visant à rendre impraticables, plutôt qu’à les sécuriser, les voies de migration n’empêchent aucunement les personnes contraintes à l’exil de partir. Elles choisissent d’autres chemins, dans le même but, en prenant toujours plus de risques.

C’est ainsi que depuis près de cinq ans ladite « route de l’Atlantique » est de plus en plus pratiquée par ceux et celles qui cherchent un refuge européen. En partance de pays de l’Ouest africain, comme la Mauritanie, des milliers de nos semblables tentent de rejoindre les îles espagnoles des Canaries.

Et, là aussi, en l’absence de voies légales et sécurisées, le morbide décompte a explosé. En 2024, selon l’association ibérique Caminando Fronteras, 9 757 femmes, hommes et enfants ont rejoint les profondeurs de l’océan plutôt que les côtes espagnoles. Soit 58 % de plus qu’en 2023, victimes de l’indifférence.

    mise en ligne le 3 janvier 2025

« Il ne nous attaque jamais frontalement » : à Perpignan,
les acteurs de la solidarité menacés
par le maire RN Louis Alliot

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.

« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »

Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».

« Il ne nous attaque jamais frontalement »

Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.

« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »

En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »

Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.

« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »

« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.

La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.

« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »

Un engagement citoyen qui résiste malgré tout

Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »

À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.

C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).

La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.

Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »

Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements

Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.

Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.

Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence


 


 

« Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer "des marrons" » : à la frontière franco-espagnole la répression raciste envers les exilés s’intensifie

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.

Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.

« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.

Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.

Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible

« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »

L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.

Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».

« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »

Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.

« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.

« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »

Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.

*Le prénom a été modifié.


 


 

« Les ONG ne doivent pas hésiter à saisir la justice pour se défendre » : alerte l’avocat Vincent Fillola face à la recrudescence des attaques politico-médiatiques

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.

Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.

Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.

Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?

Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.

Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?

Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.

Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.

Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?

Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.

Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.

Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…

Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.

Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.

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