PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

migrations, solidarité - 2025

    mise en ligne le 12 janvier 2025

En rétention, une fin d’année 2024 tragique : décès et actes de désespoir
se multiplient

communiqué sur https://www.lacimade.org/

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits. Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille […]

Nos quatre associations interviennent dans les centres de rétention administrative (CRA) pour aider les personnes enfermées à exercer leurs droits.

Depuis octobre 2024, quatre personnes sont décédées pendant leur enfermement en CRA. Au CRA du Mesnil-Amelot, un homme est mort pour des raisons médicales incertaines. Dans les CRA de Marseille et Paris-Vincennes, deux hommes se sont suicidés. A Oissel, près de Rouen, un homme a cessé de s’alimenter ; son état de santé s’étant fortement dégradé, il a été transféré à l’hôpital, où il est décédé quelques jours après. En 2023 déjà, quatre personnes étaient mortes en rétention.

Ces décès auraient pu être évités si la vulnérabilité et l’état de santé -physique et mental- des personnes avaient été pris en considération par l’administration avant toute décision de placement.

Il est inacceptable que l’administration ne prenne pas toujours en compte les déclarations de ces personnes sur leur état de santé ou le suivi médical dont elles font déjà l’objet. Elle ignore également nos alertes récurrentes sur le contexte de tensions, d’angoisse et de violence qui prévaut dans les CRA, et sur les effets délétères de la rétention sur la santé mentale et physique des personnes enfermées.

Notre inquiétude aujourd’hui se veut d’autant plus grande que les actes d’automutilation, gestes désespérés et les tentatives de suicide se multiplient ces dernières semaines. Pourtant, malgré les drames successifs qui sont la conséquence d’une politique d’enfermement sans discernement et punitive, les pratiques n’évoluent pas et rien n’indique que l’administration a pris conscience de la gravité de la situation. Au contraire, les placements de personnes vulnérables ou souffrant de lourdes pathologies se poursuivent, et les préfectures persistent à maintenir enfermées des personnes pour lesquelles les médecins compétents ont constaté l’incompatibilité de leur état de santé avec la rétention. La loi du 26 janvier 2024 a permis d’enfermer plus longtemps des personnes dont les intérêts privés et familiaux se trouvent sur le territoire français, ou qui encourent des risques avérés pour leur vie en cas de retour dans leur pays d’origine, renforçant le choc et l’angoisse liés à la perspective de l’expulsion. Les annonces répétées sur une nouvelle prolongation de la durée maximale de rétention vont à rebours de nos constats sur l’impact de l’enfermement administratif sur la santé des personnes concernées.

Nos associations revendiquent une nouvelle fois un accès aux soins et une prise en charge médicale effective des personnes enfermées en CRA, pour éviter que de tels drames ne se reproduisent. Nous demandons aux préfectures un examen individuel et attentif des situations des personnes concernées avant l’édiction de toute décision de privation de liberté, dans le respect de leurs obligations légales.

Associations signataires :

  • Forum réfugiés

  • France terre d’asile

  • Groupe SOS Solidarités-Assfam

  • La Cimade

   mise en ligne le 8 janvier 2025

Plus de 250 jeunes sans papiers occupent toujours la Gaîté lyrique, à Paris

Yannis Angles sur www.mediapart.fr

Depuis le 10 décembre, l’établissement culturel est occupé par plus de 250 personnes. Propriétaire des lieux, la mairie de Paris n’a aucune solution d’hébergement pérenne à leur proposer. Dans l’attente, ces jeunes exilés continuent de lutter, et, pour certains, de rêver.

La musique résonne à la Gaîté lyrique, dès lors que l’on passe la porte. Au premier étage, en haut des marches, on aperçoit un petit groupe de jeunes en train de danser alors que d’autres réinstallent leurs effets personnels dans la salle de spectacle parisienne, après le passage le matin de l’entreprise d’entretien venue faire un grand nettoyage des sols. Les jeunes récupèrent leurs affaires dans des sacs avec leur nom, puis redisposent leur couchage en rangs d’oignons à l’identique, à côté de leur compagnon de galère.

Depuis le 10 décembre, la Gaîté lyrique n’accueille plus de concerts, mais des mineur·es sans papiers. Au premier jour de l’occupation, le lieu culturel a tant bien que mal tenté de rester ouvert au public, en diminuant drastiquement sa programmation, avec à la clé plusieurs centaines de milliers d’euros de pertes. Une seule exposition demeurait accessible jusqu’au mardi 17 décembre. Puis, l’annonce est tombée par communiqué : « La Gaîté lyrique est dans l’incapacité de maintenir les conditions pour permettre l’accueil du public dans les espaces. »

Les conditions de vie sont pourtant loin d’être idéales. Le personnel de l’établissement a souligné dans un autre communiqué que le lieu « ne dispose pas des espaces sanitaires nécessaires pour offrir une solution d’hébergement respectueuse et digne ». Un constat partagé par les résident·es. « On est au chaud, mais on n’a rien pour se laver ni pour faire à manger », raconte un jeune, Barry, délégué du groupe. Chaque jour, il doit sortir pour trouver ce qui manque : une douche, un endroit pour laver ses vêtements, par exemple. « On va à l’hôtel de Ville pour la douche, mais il n’y en a qu’une pour plus de 250 personnes », rapporte-t-il.

Les revendications de ces occupants temporaires et des associations qui les accompagnent tiennent en quelques mots : un toit pour tous, un centre d’accueil pérenne et la réquisition des bâtiments vides. Dans le même temps, Le Monde a rapporté que la préfecture de Paris avait informé les chefs d’établissement des lycées parisiens de non-reconduction d’un dispositif d’hébergement d’urgence logeant une centaine de lycéens. L’horizon semble donc, pour 2025, tout aussi bouché que l’an passé.

Pas le cœur à la fête

La nuit du réveillon, Yared*, un Éthiopien de 15 ans, se lève de son couchage pour venir à notre rencontre. Il s’inquiète d’abord de savoir si nous sommes de la police, beaucoup ce soir viendront nous poser la même question. Il est arrivé il y a trois jours. Avant de trouver refuge à la Gaîté lyrique, Yared avait passé quelques jours à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) pour récupérer de sa traversée de l’Espagne. « Je ne pensais pas être si mal accueilli à mon arrivée en France », lâche-t-il, fatigué de ce qu’il endure depuis. Juste à côté de lui, la tête enfouie sous la couette, un autre jeune tente de trouver le sommeil, malgré la musique et la lumière.

En attendant le repas, assis à une table, cinq de leurs compagnons écoutent une bénévole leur faire une dictée. D’autres en profitent pour se retrouver autour d’un baby-foot, se poser pour discuter, ou même se refaire une beauté. Installé sur un tabouret, un très jeune garçon, comme saucissonné dans un sac-poubelle, se fait couper les cheveux par un jeune qui manie la tondeuse avec dextérité.

Il est 20 heures, la musique s’arrête, un petit groupe de délégués s’active, le repas vient d’arriver. Pour célébrer cette nouvelle année, ni petits-fours ni champagne. Comme tous les soirs, une portion de riz au poulet est distribuée aux quelque 250 résident·es, le tout financé à l’aide des dons reçus sur leur cagnotte en ligne. Mais avant de manger, une petite assemblée générale est organisée autour de deux thèmes principaux, la lutte pour un toit et des papiers, et la vie collective. Chacun des occupants et occupantes peut prendre le micro, parfois pour des détails, comme le rappel d’éteindre les téléphones la nuit, afin de respecter le sommeil des autres, ou encore le respect de la propreté des lieux communs.

Un temps d’échange qui se conclut avec la distribution du repas. Certains ont juste le temps de finir qu’ils sont déjà sur la piste de danse pour profiter jusqu’au bout de la nuit de ce temps de cohésion. À l’extérieur, dans le froid et le calme de la nuit, un occupant de la Gaîté lyrique est assis sur le rebord de la fenêtre de la Poste voisine. Il enchaîne les cigarettes de manière frénétique. Ce soir, il n’a pas le cœur à la fête. Il s’est isolé pour trouver un coin de calme. L’occasion pour lui de tenter d’appeler sa famille au pays et de prendre des nouvelles. « Je laisse les autres profiter de la fête, je rentrerai avant l’extinction des feux à 0 h 30 », confie-t-il, tout en allumant une nouvelle cigarette, perdu dans ses pensées.

« Difficile de tenir le coup »

Barry, le délégué du groupe, n’a pas été reconnu mineur, et se bat contre cette décision en appel devant le tribunal administratif, « mais cela peut durer six mois, un an ou même plus », dénonce-t-il. Durant ce délai, aucune solution ne lui a été proposée, donc c’est le retour à la rue. « J’ai habité un mois vers la station de métro Pont-Marie, dans une tente, c’était très difficile », explique-t-il. La routine était la même chaque jour : le soir à partir de 18 heures, il allait chercher sa tente là où il l’avait cachée le matin même, avec la crainte que la police ne l’ait détruite. Chaque jour, un réveil identique : « Vers 5 heures ou 6 heures, la police venait nous évacuer. »

Abdourahaman, 16 ans, a vécu lui aussi pendant trois mois sous le Pont-Marie qui relie l’île Saint-Louis au quai de l’Hôtel-de-Ville, dans le IVarrondissement de Paris. Aujourd’hui, il a trouvé refuge à la Gaîté, sans que cela règle pour autant tous ses problèmes : « On est plus de 250 personnes à s’entasser ici, c’est difficile de tenir le coup aussi longtemps », raconte-t-il.

Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Léa Filoche, adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris

Avant l’étape Gaîté lyrique, Barry et Abdourahaman ont découvert le Collectif des jeunes du parc de Belleville, déjà à l’œuvre dans d’autres occupations de lieux publics parisiens comme l’Académie du climat, le Cent-Quatre, puis la Maison des métallos, des opérations ayant toujours conduit à des mises à l’abri provisoires par les pouvoirs publics. Depuis, les deux jeunes gens ont décidé de s’investir au sein du collectif en tant que délégués, un rôle important lors d’une occupation. « Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer », dit Barry, qui ne chôme effectivement pas entre la préparation des repas, la gestion des plannings, l’organisation des assemblées générales ou encore la médiation nécessaire quand surviennent les conflits, inévitables dans cette gigantesque colocation informelle, entamée il y a plus de trois semaines.

Même si les services municipaux se sont rendus régulièrement à leur rencontre, Barry dénonce l’absence de solution concrète. Léa Filoche, adjointe chargée des solidarités, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié·es à la mairie de Paris, considère que l’ensemble des lieux d’hébergement prévus sont déjà tous saturés. « Je n’ai plus de gymnases. Je n’ai plus de solutions. J’ai déjà 500 mineurs pris en charge », affirme-t-elle.

L’adjointe explique se sentir bien seule face à cette situation qu’elle qualifie « d’intenable » et à laquelle elle n’estime plus avoir les moyens de répondre. « Des endroits vides à Paris, il y en a plein, mais c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin. Mais il ne veut pas les accueillir, il préfère les laisser à la rue que de s’approprier ces lieux », dénonce l’adjointe.

Alors que l’occupation s’installe dans le temps, que peuvent espérer Barry et Abdourahaman ainsi que leurs compagnons de lutte pour l’année de 2025 ? « [Avoir] gain de cause et  enfin un logement stable et digne », espère Abdourahamane. Barry, qui rêve de devenir journaliste, espère pour sa part que cette nouvelle année sera celle où ils obtiendront une certaine stabilité pour tous : « Je veux qu’on puisse aller à l’école, travailler et pouvoir construire notre futur. »

* Les prénoms des personnes qui témoignent ont été changés pour assurer leur anonymat.


 


 

À la Gaîté Lyrique, les jeunes du parc de Belleville s’organisent contre les violences d’État

Par Louise Sanchez Copeaux sur https://www.bondyblog.fr/

Au sein de ce lieu culturel occupé depuis trois semaines, les jeunes migrants du collectif ont organisé une assemblée générale autour des violences qu’ils subissent. Reportage.

Alors que l’occupation du lieu culturel parisien dure depuis trois semaines, le jeudi 2 janvier s’est tenue une assemblée générale autour du thème des violences policières. Organisée par les occupants et les mineurs isolés du Collectif des jeunes du Parc de Belleville, cette rencontre a permis à plusieurs intervenants de témoigner sur le sujet.

Ces jeunes dénoncent la violence d’État qui rythme leur quotidien, qu’elle soit policière, institutionnelle ou judiciaire. « Tout ce qu’on subit en France n’est pas normal. On ne peut aller nulle part, on ne peut que se promener et c’est là qu’on se fait violenter », relate un délégué du collectif de Belleville avant de céder la parole.

Gardes à vue, agressions physiques…

Au micro, trois jeunes hommes témoignent. Ils racontent que, le plus souvent, les violences sont précédées de contrôles d’identité ou de titre de transports ou même de visites à l’hôpital pour se soigner. Gavey*, 16 ans, raconte s’être fait poursuivre dans le métro, à la station Denfert-Rochereau. « Les policiers ont cassé mon casque, mon sac à dos, m’ont tiré et frappé de tous les côtés », témoigne-t-il. L’adolescent a passé près de 24 heures au commissariat, où les coups ont continué à pleuvoir tout au long de la nuit, assure-t-il.

Abdoulaye évoque, lui, une interpellation violente et injustifiée. Le 18 décembre, après la manifestation en vue de la journée internationale des migrants, il se fait attraper devant l’entrée du métro et est accusé d’avoir touché un policier. « Il m’a menotté, on m’a emmené de force au commissariat. Je voulais prévenir l’association Utopia 56, mais on m’a pris mon téléphone, mes affaires et refusé tout ce que je demandais », dénonce-t-il.

Sa garde à vue a duré 48 heures. Il n’a pu parler qu’à un avocat qu’il ne connaissait pas et qu’il n’a jamais revu depuis. « On m’a tendu un papier et on m’a dit que j’étais obligé de le signer. On m’a aussi dit de donner mes empreintes si je ne voulais pas faire trois ans de prison », raconte-t-il, abasourdi. Le papier en question, que nous avons consulté, fait état d’une reconnaissance de culpabilité et d’un rappel à la loi.

La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien

Le dernier témoignage commence aussi dans le métro, à Jaurès. Selon le mineur, des contrôleurs l’ont frappé et ont essayé de fouiller son sac alors qu’il descendait les escaliers. « On ne m’a même pas demandé mon nom. J’ai refusé la fouille, car ils n’étaient pas policiers, mais la police est arrivée et m’a emmené en garde à vue », rapporte ce dernier.

« La police en France est violente et la justice a toujours des problèmes. Depuis que je suis arrivé il y a un an, je ne comprends toujours rien », souffle l’adolescent. Les violences policières commises sur les personnes exilé.es sont documentées par les associations. Dans un rapport publié par plusieurs d’entre elles, dont Médecins du monde, quelque 450 cas de violences policières envers des migrants vivant à la rue, en Île-de-France, sont recensées. Un chiffre largement sous-estimé, selon ces associations, qui dénoncent des pratiques « systémiques ».

Les familles de victimes de violences policières en soutien

Les violences d’État ne sont pas seulement subies par les jeunes sans papiers. C’est un combat commun, appellent les intervenantes extérieures. En tant que représentantes des comités de Vérité et Justice pour les victimes décédées aux mains de la police, deux mères sont venues témoigner de leur soutien.

Très émue, Amanda raconte l’histoire de Safyatou, Salif et Ilhan, son fils. Âgés respectivement de 17, 13 et 14 ans le 13 avril 2023, les trois enfants se sont fait percuter en scooter par la police dans le 20ᵉ arrondissement, en sortant de la mosquée pendant le ramadan. Grièvement blessé, Ilhan a quand même été emmené en garde à vue.

Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes

« La police n’est pas seulement violente, elle est raciste. Les lois et nos droits existent, mais leur respect et leur application suivent des biais racistes », déplore Amanda devant l’assemblée. Et de conseiller aux jeunes présents de ne pas rester seuls dans l’espace public.

La mère de Lamine Dieng est, elle aussi, présente. Son fils est décédé le 17 juin 2007 suite à un plaquage ventral lors d’un contrôle de police. Elle rappelle l’importance de s’organiser, d’avoir des initiatives collectives et autonomes. « C’est comme si tout ce que faisaient les jeunes noirs était criminalisable par la police », s’émeut-elle. Le comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng a établi depuis longtemps des revendications concrètes et effectives contre les violences policières. Parmi elles, l’interdiction du plaquage ventral, de la clé d’étranglement, du pliage ou des lanceurs de balles de défense (LBD).

S’informer et se rassembler

Au cours des discussions, plusieurs intervenants prennent la parole pour partager des conseils concrets et proposer des initiatives. Des membres de l’assemblée Anti-CRA (centres de rétention administratifs) d’Île-de-France proposent d’animer un atelier à la Gaîté sur les réflexes à avoir en cas d’arrestation et de rétention.

« Dans les CRA, la police décide de tout : de la durée des visites, des placements en isolement, de quand faire des fouilles », expliquent les militants. Ces derniers rappellent les décès de ​​Mohammed, un homme d’origine égyptienne en mai 2023 au CRA de Vincennes. Régulièrement, les associations dénoncent les conditions de rétention dans ces centres dans lesquels se multiplient les décès et les suicides.

Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité

Des avocats de la Legal Team (collectif d’avocats contre la répression) sont également présents pour partager leurs analyses et apporter quelques recommandations. « Dans la pratique, vos droits ne sont pas respectés, les institutions agissent dans l’illégalité et ne vous considèrent pas. Mais il faut quand même bien connaitre vos droits », recommande Alexis Baudelin, avocat au barreau de Paris.

Ce dernier insiste sur l’importance de la présence d’un avocat lors d’une garde à vue. « Le médecin n’est pas toujours un ami, l’avocat peut en revanche prendre vos blessures en photos, les constater, assister à vos échanges avec la police…», fait-il remarquer. Sa consœur met en garde contre la violence judiciaire et psychologique qui succède aux violences policières. « L’IGPN vous verra non pas comme une victime, mais comme l’auteur d’une infraction. Il ne faut pas porter plainte contre la police avec trop d’espoir. Je conseille de prendre cette décision avec la détermination et l’accompagnement nécessaire », insiste-t-elle.

Entretenir des conditions de vie en collectif

L’occupation a commencé mardi 10 décembre 2024. Certains jours, des rassemblements ont lieu devant la Gaîté Lyrique à 18 heures, suivis par des AG où se discute l’organisation du quotidien au sein des lieux. Malgré les efforts du collectif, les conditions de vie sont difficiles.

« On ne dort pas normalement, on ne mange pas normalement, on ne se lave pas normalement… C’est la première fois que je reste dans une occupation. Ça commence à être fatiguant », raconte Mohammed, 16 ans. « La vie ici avec les autres est un peu compliquée. On est là toute la journée alors parfois, on s’énerve. Parfois, quelqu’un se fait mal à cause des tensions. C’est difficile », confie Bouba, 17 ans.

L’État et la mairie de Paris ne répondent pas aux revendications des occupants. Du côté de la mairie, l’adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.es, Léa Filoche, expliquait à Mediapart que malgré les logements vides nombreux à Paris, « c’est l’État qui a le pouvoir de les ouvrir à ces personnes dans le besoin ».

On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut

Les mineurs isolés se heurtent alors non seulement à la violence, mais à l’inaction des institutions. Mohammed se rappelle tous les rendez-vous qu’on lui a donnés en Île-de-France, qui n’ont jamais abouti. Ces interminables démarches l’épuisent. « Il n’y a pas de solutions ici à Paris. Je pense qu’à la campagne, ça peut être mieux, ou à Lyon, Marseille… », envisage-t-il. Bouba déplore l’inaction de la mairie de Paris. « Avant, j’étais devant l’Hôtel de Ville, j’ai dormi sur les quais de Seine pendant quatre mois. On voulait des logements, aller à l’école, obtenir des papiers. Mais en fait, on ne réussit qu’à manger et dormir, comme on peut », constate-t-il.

Ce que la majorité des jeunes occupants attendent, c’est d’être officiellement reconnu mineur, d’être “confirmé” pour accéder à leurs droits. « Même confirmés, les jeunes doivent savoir que les problèmes ne se terminent pas, il reste encore beaucoup de défis. On est logés, mais affectés dans un bâtiment, mélangés avec ceux qui n’ont pas été reconnus mineurs. On n’a pas le droit de sortir, d’avoir notre propre argent. Il n’y a pas d’eau potable, pas assez d’eau chaude pour tout le monde. On m’a transféré parce que je ne me laissais pas faire et je posais des questions sur ces conditions de vie », témoigne un mineur à distance, via un message pré-enregistré et diffusé lors du rassemblement.

Alors que l’occupation dure depuis presque un mois, la Gaîté Lyrique a fermé le lieu au public le 17 décembre et a suspendu sa programmation culturelle. Dans des communiqués, la direction se joint à leurs revendications et presse la Ville de Paris de trouver une solution de relogement pour tous les occupants.

*Tous les prénoms ont été modifiés

    mise en ligne le 5 janvier 2025

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014, 9 757 en rejoignant l’Espagne : toujours plus d’exilés disparus
dans l’indifférence en 2024

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la Manche, en Méditerranée centrale ou sur « la route de l’Atlantique », le nombre de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont perdu la vie aux frontières de l’Europe a atteint des records en 2024. L’indifférence aussi.

Faudrait-il inventer, à l’occasion des fêtes de fin d’année et des bilans annuels chiffrés, un baromètre de l’indifférence ? Une décennie après l’abandon par les Italiens de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum, il révélerait sans doute les abysses d’inhumanité dans lesquels sombrent les États européens face aux drames migratoires qui se jouent à leurs frontières maritimes.

Trois personnes, au moins, ont encore trouvé la mort, dimanche 29 décembre, vers 6 heures du matin, au large de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, alors qu’elles tentaient de rejoindre les côtes britanniques par la mer. Cette nouvelle tragédie porte à 75 le nombre de personnes mortes noyées à la frontière franco-britannique en 2024.

40 000 morts en Méditerranée depuis 2014

Ce « record » est la conséquence directe des politiques répressives mises en œuvre dans le cadre des accords sécuritaires passés entre Londres et Paris et de la surdité volontaire que les autorités opposent aux appels incessants des élus et associations à un changement radical dans la gestion du phénomène migratoire à nos frontières.

Penser qu’il faudrait permettre, à des personnes en quête d’un refuge, de circuler dans un cadre légal et d’être systématiquement assistées lorsqu’elles se trouvent en danger de mort n’est pourtant pas de l’idéalisme. C’est du pragmatisme, si tant est que le respect de la vie humaine reste une valeur cardinale. Les chiffres de l’année écoulée laissent malheureusement craindre que ce ne soit plus le cas pour les dirigeants des pays membres de l’Union européenne.

Plus de 40 000 exilés, selon l’Organisation mondiale pour les migrations, ont péri en Méditerranée centrale depuis 2014, dont 2 368 au cours de l’année qui s’achève, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Et les ONG, comme SOS Méditerranée, qui tentent inlassablement de secourir ces damnés parmi les damnés sont régulièrement attaquées à des fins médiatico-politiciennes.

9 757 personnes sont mortes en tentant de rejoindre l’Espagne en 2024

Médecins sans frontières a par exemple annoncé dix jours avant Noël la fin de ses opérations de secours dans cette zone, expliquant que « les lois et politiques italiennes » rendent « impossible la poursuite du modèle opérationnel actuel ».

Cependant, dans le nord de la France, comme en Méditerranée centrale, les logiques visant à rendre impraticables, plutôt qu’à les sécuriser, les voies de migration n’empêchent aucunement les personnes contraintes à l’exil de partir. Elles choisissent d’autres chemins, dans le même but, en prenant toujours plus de risques.

C’est ainsi que depuis près de cinq ans ladite « route de l’Atlantique » est de plus en plus pratiquée par ceux et celles qui cherchent un refuge européen. En partance de pays de l’Ouest africain, comme la Mauritanie, des milliers de nos semblables tentent de rejoindre les îles espagnoles des Canaries.

Et, là aussi, en l’absence de voies légales et sécurisées, le morbide décompte a explosé. En 2024, selon l’association ibérique Caminando Fronteras, 9 757 femmes, hommes et enfants ont rejoint les profondeurs de l’océan plutôt que les côtes espagnoles. Soit 58 % de plus qu’en 2023, victimes de l’indifférence.

    mise en ligne le 3 janvier 2025

« Il ne nous attaque jamais frontalement » : à Perpignan,
les acteurs de la solidarité menacés
par le maire RN Louis Alliot

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans la ville administrée par le RN Louis Aliot, l’association Welcome66 poursuit son travail d’insertion des demandeurs d’asile et réfugiés malgré des pressions contre ses partenaires, instrumentalisés par l’édile xénophobe.

Perpignan (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.

Se jeter à l’eau les bras le long de corps ou la tête la première depuis un petit plongeoir, apprendre à gérer sa respiration… En ce début d’après-midi, six jeunes exilés s’initient à la natation dans la piscine d’une commune voisine de Perpignan.

« C’est une véritable découverte pour moi », explique Omer, un jeune Afghan de 23 ans. « Je suis arrivé en Europe par la mer, depuis la Turquie, jusqu’en Italie. Au bout de quatorze heures, la radio est tombée en panne. Tout le monde était terrifié. Plonger, aujourd’hui, dans ce bassin me permet de lutter contre cette peur. »

Le jeune homme est accompagné de son frère aîné, Omid. Avec eux, nage aussi Soumah, un gigantesque Guinéen, pour qui cet atelier « n’apaise pas le souvenir » de sa traversée de la Méditerranée depuis les côtes libyennes, « mais fait quand même du bien ». Venue en France pour fuir la violence du conflit qui ravage le Congo, Gracia, 22 ans, a trouvé ces cours « un peu compliqués au début parce que le groupe mélange filles et garçons, mais on s’y fait ».

« Il ne nous attaque jamais frontalement »

Tous ont eu accès à cette activité grâce à Welcome66. Créée en 2018, cette association vise à permettre une meilleure insertion aux exilés vivant dans la région de Perpignan par la pratique du sport et d’activités culturelles. Un projet émancipateur qui n’est pas du goût de Louis Aliot, le maire Rassemblement national de Perpignan.

« Il ne nous attaque jamais frontalement », explique la cofondatrice de l’association, Corinne Grillet, dans les locaux d’un lieu culturel partenaire dont les gérants préfèrent conserver l’anonymat. « Mais il fait régner une ambiance délétère basée sur le non-dit, qui rend tout le monde prudent. »

En clair, le tissu associatif et les institutions locales subissent de la part de l’édile d’extrême droite une pression permanente de basse intensité, afin de limiter les collaborations avec Welcome66. « Nous rencontrons énormément de difficultés pour pérenniser cette activité natation, continue Corinne Grillet. La ville de Canet nous a accueillis lorsque le haut-commissariat aux Réfugiés des Nations unies (UNHCR) est venu enquêter sur notre initiative, mais, par la suite, ils n’ont plus souhaité nous ouvrir leur piscine. »

Une personne proche de la municipalité aurait confié aux responsables de l’association qu’il existait des pressions au sein de la communauté de communes. L’intercommunalité devait également mettre un local à disposition de l’association mais le processus a échoué pour les mêmes raisons.

« Le fait d’accueillir des personnes étrangères est devenu un sujet clivant »

« Auparavant, le Secours catholique nous prêtait ses locaux pour nos activités culturelles, confie Michel Deschodt, représentant légal de Welcome66. Mais ils ont préféré stopper ce partenariat. » L’association cherche donc, aujourd’hui, un local dans le parc privé et a lancé une cagnotte en ligne pour le financer.

La raison officielle de la suspension de la collaboration avec l’association caritative s’appuie sur des modalités d’accueil du public différentes entre les deux organisations et qui seraient devenues incompatibles. Mais, pour cet enseignant à la retraite, la réalité est bien différente.

« La municipalité s’est appuyée sur cet argument pour évoquer des débordements qui n’ont jamais eu lieu, affirme-t-il. Par ailleurs, les activités d’éducation populaire qui, jusqu’à l’élection de Louis Aliot, étaient confiées à la Ligue de l’enseignement, lui ont été retirées et données à d’autres. Cela a impacté 98 employés. »

Un engagement citoyen qui résiste malgré tout

Mais cette guerre souterraine menée contre les mouvements d’émancipation et de solidarité n’en décourage pas ses acteurs. « Lorsque nous avons perdu nos locaux, nous avons continué pendant trois mois nos activités en plein air, dans un parc, reprend Corinne Grillet. Et les bénévoles sont de plus en plus nombreux. »

À quelques pas derrière elle, Jeannine et Pascale animent simultanément, ce matin-là, deux cours de français. Autour de deux grandes tables installées dans un local du centre-ville, travaillent dans la bonne humeur des réfugiés et demandeurs d’asile venus du Tibet, d’Azerbaïdjan, de Russie, de Colombie, du Soudan, de Syrie… « J’interviens au sein de l’association depuis dix-huit mois », confie Pascale, aide-soignante, qui sort d’une nuit de travail à l’hôpital pour donner des cours.

C’est grâce à cet engagement citoyen que Welcome66, qui intervient auprès d’environ 350 bénéficiaires, parvient à pérenniser son existence. Grâce aussi à l’appui financier de la Fondation de France, de la Fondation Yusra Mardini, pour son activité natation, du conseil régional d’Occitanie et du conseil départemental (CD66).

La bataille politique pour que ces deux dernières institutions ne tombent pas dans le giron de l’extrême droite est existentielle pour le tissu associatif local. En juin, un communiqué de Carla Muti, élue RN au CD66, illustrait cet état de fait.

Suite à l’attribution de subventions à SOS Méditerranée et Welcome66, la conseillère départementale prévenait : « La première a pour objet de ramener des clandestins sur notre territoire et la deuxième aide les personnes ramenées par la première. (…) Le département 66 continue obstinément à ne pas vouloir entendre raison. Une attitude qui pourrait bien finir par coûter cher à la majorité en place. »

Un club de rugby s’est désengagé par crainte de perdre ses financements

Avec ce type de menaces et le travail de sape mené par les élus municipaux, la politique de la terreur n’est pas sans conséquences. Un club de rugby, qui collaborait avec Welcome66 depuis sa création, s’est ainsi désengagé, craignant de perdre ses financements municipaux.

Et la plupart des structures qui continuent d’œuvrer en partenariat avec l’association préfèrent le faire sans publicité. C’est pour la même raison que les responsables de la piscine, où nagent Omer, Omid, Soumah, Gracia ainsi que Mahsa et Rodney, n’ont pas souhaité s’exprimer officiellement.

Cependant, depuis les gradins surplombant le bassin, le chef des maîtres-nageurs confie, non sans fierté : « C’est beau ce qui se passe ici. Au début, certains d’entre eux avaient vraiment peur de l’eau. Ils font preuve d’une belle progression. Certains dans leur parcours ont vu la noyade de près. Il faut être courageux pour faire ce qu’ils font aujourd’hui. » Face aux politiques de dissuasion de l’extrême droite, l’humanité reste une évidence


 


 

« Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer "des marrons" » : à la frontière franco-espagnole la répression raciste envers les exilés s’intensifie

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Dans le village de Cerbère, l’accueil des exilés arrivant par les voies de chemin de fer fait partie du quotidien des habitants. L’intensification de la répression et des discours xénophobes nuisent à cette tradition héritée de la résistance au franquisme.

Cerbère (Pyrénées-Orientales), envoyé Spécial.

« Dans leur majorité, les familles de ce village sont issues de réfugiés républicains espagnols. Les actes de solidarité avec les exilés ont toujours été considérés comme normaux, mais depuis quelque temps la pression policière et la diffusion des idées xénophobes sont telles que ceux qui continuent d’agir se cachent. » C’est le constat que dresse Valentina*, membre du collectif Viva la costa, à la frontière orientale entre l’Espagne et la France.

Ici, les personnes qui tentent de passer pour demander l’asile ou pour poursuivre leur route le font par le tunnel du chemin de fer qui relie Portbou, en Espagne, à la première gare française de Cerbère. Selon les militants rencontrés sur place, on y observe de plus en plus de refoulements illégaux. Les trains en provenance d’Espagne sont systématiquement fouillés par la police aux frontières (PAF) et la présence militaire a été renforcée sur tous les sentiers jouxtant la voie ferrée.

Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible

« Sur le chemin qui mène chez moi, j’ai récemment été contrôlée par une patrouille, confie une personne élue au conseil municipal, qui a préféré conserver l’anonymat. Une femme soldat m’a demandé si j’avais vu passer « des marrons ». J’ai demandé des explications sur le terme employé tout en sortant ma carte d’élu. Le chef de la patrouille, bien embêté, a fait mettre ses hommes au garde-à-vous. »

L’affaire est arrivée aux oreilles du maire, divers gauche, du village qui a ensuite demandé à son élu de « faire plus attention » à ne pas mettre en défaut les militaires. Quand il s’agit d’étrangers, la loi semble flexible.

Ainsi, explique ce même élu, « deux jeunes exilés qui attendaient tranquillement le bus en direction de Perpignan se sont récemment fait verbalement agresser par des jeunes habitants du village. Lorsque la police est intervenue, les deux exilés ont été interpellés. Les jeunes, eux, visiblement en état d’ébriété, n’ont pas été inquiétés ».

« Même au syndicat, certains me demandent de rester plus discret »

Dans la gare de Cerbère, la plupart des locaux autrefois dédiés à la vie cheminote sont aujourd’hui occupés par la PAF. Et aux discours haineux qui gangrènent les médias s’ajoutent, ici, les drames humains dont sont victimes les exilés parfois directement vécus par les agents de la SNCF.

« Quand je croise une personne sur les rails, je lui dis « bienvenue en France », puis je leur donne des consignes de sécurité pour qu’ils puissent rapidement quitter les voies », confie, David Cerdan, secrétaire général CGT des cheminots de Cerbère. Mais ses gestes d’hospitalité ne sont pas du goût de tout le monde.

« J’ai récemment été mis à pied après avoir dénoncé les propos racistes d’un cadre de la SNCF, poursuit-il. Ils ont trouvé un collègue pour expliquer que mes accusations étaient diffamatoires. Du coup, même au sein du syndicat, certains me demandent de rester plus discret. »

Pour Valentina, ce climat est assorti du sentiment de déclassement social vécu par la population locale. Elle reste cependant mobilisée, comme David et d’autres militants, tous convaincus que la culture de l’accueil est une composante irréductible du patrimoine de ce village frontalier.

*Le prénom a été modifié.


 


 

« Les ONG ne doivent pas hésiter à saisir la justice pour se défendre » : alerte l’avocat Vincent Fillola face à la recrudescence des attaques politico-médiatiques

Émilien Urbach sur www.humanite.fr

Pour l’avocat Vincent Fillola, expert en droit pénal et droit pénal international, de nombreux acteurs de la solidarité font face à une « stratégie globale de persécution politique et judiciaire ». Des actions illégales contre lesquelles il faut se battre pour les faire reconnaître comme telles.

Depuis plusieurs mois, les ONG telles que La ligue des droits de l’homme (LDH), Amnesty International, Médecins sans frontières, SOS Méditerranée, la Cimade ainsi que de nombreux acteurs associatifs alertent sur une intensification des attaques politico-médiatiques à leur encontre.

Campagnes diffamatoires sur les réseaux sociaux, dégradations de locaux, déclarations hostiles de responsables politiques, menaces, agressions… Ces acteurs de la société civile sont dans la ligne de mire de ceux qui œuvrent à l’instauration d’une société autoritaire et répressive à l’égard des contre-pouvoirs. Pour l’avocat Vincent Fillola, ces organisations doivent saisir systématiquement la justice pour se défendre.

Les associations font l’objet d’attaques notamment lorsqu’elles abordent les sujets de l’accueil des exilés ou du conflit israélo-palestinien. Est-ce un fait nouveau ?

Vincent Fillola : On assiste aujourd’hui à une conjonction entre la manière dont les réseaux sociaux fonctionnent et les choix éditoriaux d’une partie des médias français. Les espaces d’expression sont de plus en plus polarisés et radicalisés. Les combats portés par les organisations de la société civile y sont caricaturés en positions partisanes. Leurs observations documentées, étayées et factuelles sont décrédibilisées, qu’elles concernent les conflits au Proche-Orient, la défense de l’environnement, etc.

Quelles sont les formes que peut prendre cette persécution ?

Vincent Fillola : D’abord, on empêche ces organisations de fonctionner correctement, par le chantage à la subvention, par exemple. Des actions sont mises en œuvre pour freiner leur travail par la loi, le décret ou l’action gouvernementale. On les contraint en les persécutant judiciairement, en plus de leur couper les vivres. Leurs missions sont perverties par la caricature. On les essentialise. On radicalise leurs propos de sorte qu’ils perdent leur sens et leur puissance.

Enfin, il y a aussi des conséquences individuelles. Des bénévoles ou des salariés sont très directement exposés à des campagnes de cyberharcèlement violentes, voire à des actions violentes tout court. Des locaux sont attaqués. Que ce soit dans la vie numérique ou dans le réel, on assiste à une mise en danger des organisations de la société civile et de leurs acteurs à tous les étages, politiques, réputationnels, communicationnels et physiques individuels.

Que penser de ministres de l’Intérieur comme Bruno Retailleau, dénigrant l’action de la Cimade au sein des centres de rétention, ou comme Gérald Darmanin, avant lui, jetant la suspicion sur la LDH ?

Vincent Fillola : La bataille culturelle dérive sur le terrain de l’action publique. Des élus n’hésitent pas à utiliser leurs fonctions pour nuire directement à ces organisations. On est face à une stratégie globale de persécution politique et judiciaire. Je crois que le droit est un outil dont il faut que les organisations de la société civile s’emparent de manière quasi systématique pour répondre à ces attaques et stopper cette dérive.

Les organisations de la société civile utilisent depuis longtemps la justice pour mener des contentieux stratégiques. En revanche, elles l’utilisent beaucoup moins pour se protéger elles-mêmes. Je pense qu’il faut systématiser le recours au dépôt de plainte lorsque des agents ou des bénévoles sont pris à partie sur les réseaux sociaux ou physiquement dans le cadre de leur action, lorsque des locaux sont dégradés, lorsque des lignes rouges sont franchies sur le terrain de la liberté d’expression, lorsque des dirigeants d’organisation sont diffamés, accusés d’être des islamistes ou des écoterroristes, etc.

Pourtant, la justice ne semble pas très efficiente face à des États qui bafouent le droit des étrangers aux frontières, commettent des crimes de guerre ou ne respectent pas les résolutions de l’ONU…

Vincent Fillola : La justice n’est pas parfaite mais constitue un recours utile et parfois même le seul. Nous avons désormais un pôle spécialisé du parquet de Paris contre la haine en ligne. Il y a un certain nombre de choses qui sont déployables, qui sont utilisables et dont on aurait tort de se priver d’utiliser, parce qu’on pense que cela n’aboutira pas. La justice peut être dysfonctionnelle, elle peut être décevante. Mais elle n’est pas inopérante ni aux ordres.

Le recours au droit de réponse, dans les médias, peut également être quelque chose d’utile. Il peut permettre de replacer la parole objective, les combats et les missions qui sont menés par les organisations de la société civile dans un contexte, pour lutter contre une volonté de les caricaturer, de les stigmatiser et, in fine, de cornériser leur action.

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