mise en ligne le 31 décembre 2024
Gildas Bregain sur https://blogs.mediapart.fr/
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation. La mobilisation sociale est intense pour refuser cet hôpital au rabais.
Ce texte est volontairement très détaillé afin de vous informer de l’évolution du projet de reconstruction de l’hôpital de Redon, et des mobilisations sociales pour refuser tout hôpital au rabais. Nous espérons que cet exposé sera utile à certains et certaines d’entre vous qui nous lisez si vous rencontrez de pareilles difficultés ailleurs.
L’Agence régionale de Santé de Bretagne (ARS) fait pression depuis de nombreuses années auprès des élus et de la population du Pays de Redon pour qu’elle accepte un nouvel hôpital au rabais, avec une superficie réduite et une perte de lits d’hospitalisation, alors même que l’ARS avait défendu l’idée de la reconstruction d’un nouveau bâtiment de 14 000 m² il y a quatre ans. Pour contester ce projet, un comité d’appui de l’Hôpital rassemble les élus locaux, les parlementaires, des représentants des personnels et des usagers. La population dans son ensemble s’est fortement mobilisée pour montrer son refus unanime de ce projet d’hôpital au rabais, en recourant à une diversité de modes d’action (pétition, manifestations, Randos militantes, photographies des associations avec une banderole, Chanson filmée des agents hospitaliers, etc.).
Comment en-est-on arrivé là ?
L’Hôpital de Redon (Centre Hospitalier Intercommunal de Redon-Carentoir, CHIRC) est un hôpital possédant des bâtiments sur 7 sites différents, et dans deux villes différentes, Redon et Carentoir. Le bâtiment principal, situé au cœur de la ville de Redon, est très vétuste, puisqu’il a été construit au début des années 1970. Cette vétusté génère des conditions de vie difficiles pour les personnels et les patients, des surcoûts importants en termes de dépenses énergétiques, mais aussi des dépenses supplémentaires de sécurité incendie (800 000 euros par an dans le recours à une équipe de sécurité incendie privée) car ce bâtiment central ne devrait plus accueillir depuis plusieurs années de lits d’hospitalisation de nuit. Cette vétusté du bâtiment central était connue depuis longtemps, et une rénovation avait été au départ envisagée, avant que l’on ne découvre que le bâtiment actuel ne respecte pas les conditions de sécurité et qu’il est donc impossible de maintenir les lits d’hospitalisation de nuit. Il est donc urgent de planifier la reconstruction d’un hôpital neuf, moderne et économe en énergies, répondant aux normes de sécurité et de bien-être pour les usagers et les professionnels.
Comme beaucoup d’hôpitaux publics, celui de Redon connaît un problème de recrutement de professionnels médicaux, dans un contexte de pénurie du personnel médical et paramédical. En 2023, l’Hôpital a connu des fermetures provisoires des urgences, et des menaces de fermetures de services, temporaires ou non, de services de soins tel qu’en anesthésie réanimation, maternité, l’unité de soins continus, le bloc opératoire, l’unité d’hospitalisation de psychiatrie.
L’Hôpital de Redon, comme l’ensemble des hôpitaux publics, est en déficit, et devra emprunter plusieurs dizaines de millions d’euros pour financer la
reconstruction du futur bâtiment, alors qu’il accumule chaque année des déficits importants (près de 1,6 millions d’euros pour 2022).
En 2020, et jusqu’à l’été 2023, l’Agence régionale de Santé avait approuvé le projet de construction d’un nouveau bâtiment central pour l’Hôpital (14000 m²), sur un terrain à quelques centaines de
mètres de l’Hôpital actuel, pour un coût estimé en 2020 à 47 millions d’euros. Au départ, l’ARS avait consenti à délivrer une subvention de 9 millions d’euros, puis 12 millions d’euros, puis
finalement 20 millions d’euros, pour la reconstruction de cet Hôpital.
En septembre 2023, l’Agence Régionale de Santé décide de rejeter ce scénario. D’une part, l’envolée des coûts de la construction amène une augmentation de près de 20% du coût de construction. D’autre part, une nouvelle étude sur l’adaptation des surfaces de l’Hôpital aux besoins médicaux du territoire est réalisée au début de l’année 2023, montrant deux choses : (1) le premier cabinet chargé de l’étude avait mal évalué la superficie de l’Hôpital actuel (une erreur de 2000 m²) ; (2) il est nécessaire de faire évoluer les surfaces envisagées : nécessité d’une salle d’endoscopie supplémentaire, doublement des salles de consultation, agrandissement de la cuisine. L’étude de l’assistant à la maîtrise d’ouvrage montre qu’il est nécessaire de reconstruire un bâtiment de 22 000 m² (soit un budget équivalent à 107 millions d’euros). Incité par l’ARS à proposer des solutions alternatives, rentrant dans le cadre budgétaire imposé, l’assistant à la maîtrise d’ouvrage propose une version dite « optimisée » de 16 000 m², qui s’accompagne de la réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit (de 134 à 117) avec un nombre de places d’accueil de jour similaires (25), et qui induit la suppression de l’Unité de soins palliatifs de 10 lits (considérée pourtant comme nécessaire), et l’externalisation d’autres services (comme la stérilisation, la cuisine).
Confrontée à des investissements supérieurs à ceux initialement prévus, l’ARS Bretagne décide de faire intervenir le Conseil National de l’Investissement en Santé (CNIS). Les experts du CNIS, après une visite rapide à l’Hôpital, proposent un nouveau scénario qui combine construction d’un bâtiment neuf de 5700 m², et rénovation partielle du bâtiment central (2500 m²), afin de limiter les dépenses à 40 millions d’euros (et la subvention de l’ARS à 20 millions d’euros comme initialement prévue). Une troisième phase de travaux est envisagée dans le futur, sans aucune garantie de financement ni planification temporelle. Cette proposition du CNIS, validée ensuite par l’ARS, avait de multiples conséquences concrètes :
- La superficie du bâtiment neuf (5700 m²) est largement insuffisante pour garantir le maintien du nombre actuel de lits d’hospitalisation. L’ARS indique que ce bâtiment pourrait accueillir 117 lits d’hospitalisation de nuit (contre 134 actuellement dans le bâtiment actuel, et 155 en 2020). La réduction du nombre de lits touche en particulier la chirurgie (qui passerait de 30 à 20 lits), et la maternité (qui passerait de 15 à 10 lits).
- Le maintien des services médicaux et annexes dans le bâtiment actuel n’était pas garanti, car seule la rénovation de 2500 m² était garantie par l’ARS dans la deuxième phase de travaux. De ce fait, le maintien d’un certain nombre de services, notamment des services annexes (pharmacie, cuisine, stérilisation) n’était pas garanti pour les prochaines décennies.
Les objectifs de l’ARS : Réguler la capacité d’hospitalisation complète à la baisse, et délivrer une subvention d’un montant faible, largement inférieur aux besoins, dans une logique de gestion de la pénurie.
Il faut reconnaître que l’Agence Régionale de Santé Bretagne a su déployer une multitude de stratégies pour atteindre son objectif : restreindre et cantonner dans des limites fixées arbitrairement les investissements nécessaires, dans un contexte où l’ARS souffre d’un sous-financement chronique : l’ARS Bretagne ne dispose que d’un budget de 416 millions d’euros pour financer la reconstruction de la vingtaine d’établissements hospitaliers bretons dans la décennie 2020-2030. Les besoins en financement nécessaires à la reconstruction des hôpitaux bretons nécessiteraient une multiplication au moins par trois du budget attribué dans le cadre du Plan Ségur (19 milliards d'euros sur 10 ans). Il est donc impératif d’augmenter les budgets dédiés à la santé à l’échelle nationale et inconcevable de les réduire sur ce sujet.
Lors de la délimitation des contours du futur projet hospitalier, l’objectif sanitaire poursuivi est encadré par la très forte contrainte budgétaire et l’absence de volonté d’investissement massif dans le secteur, et n’a pas vocation à satisfaire les besoins de santé locaux. Soulignons toutefois que l'ARS consent chaque année à délivrer à l’hôpital de Redon une subvention d’équilibre (de plusieurs millions d’euros parfois), ce qui lui permet de continuer à fonctionner.
Jusqu’en décembre 2024, l’ARS de Bretagne ne cesse de réaffirmer qu’elle ne dépensera pas plus de 20 millions d’euros pour le nouvel hôpital, tout en assumant le fait que le nouveau projet induit une réduction considérable du nombre de lits d’hospitalisation de nuit dans plusieurs services (maternité, chirurgie), et l’absence de création d’une unité de soins palliatifs. Ce nouveau projet hospitalier a été étudié et validé par le ministère de la santé en 2016/2017, quand tout nouveau projet devait supprimer 30% des lits. Cette politique de suppression des lits d’hospitalisation de nuit est poursuivie par les ministres de la Santé depuis plusieurs décennies, au nom d’une rationalité économique, de la dangerosité supposée des services des hôpitaux de proximité, et du recours plus fréquent aux soins ambulatoires de jour et à l’hospitalisation à domicile. Cette politique de réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuit est absurde, et conduit à des conséquences désastreuses : maintien de certains patients sur des brancards aux urgences pendant des dizaines d’heures (avec les risques de mortalité accrus pour les personnes âgées) ; admission retardée ou impossible dans certains services hospitaliers ; transfert de certains patients dans les hôpitaux d’autres régions ou pays (c’est le cas pour les soins psychiatriques sous contraintes actuellement, du fait de la fermeture de plusieurs milliers de lits en psychiatrie pendant les dernières années).
Cette politique de réduction massive du nombre de lits hospitaliers n’est plus du tout d’actualité. La crise du COVID et la saturation d’un grand nombre de services d’urgences a en effet montré la nécessité de conserver un nombre suffisant de lits en aval et l’inanité d’une politique de gestion en flux tendu des services hospitaliers. L'ex-ministre de la santé Aurélien Rousseau avait promis à l'automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d'ici la fin de l'année ». Le comité d’appui de l’Hôpital exige donc que le futur projet d’hôpital conserve l’ensemble des lits d’hospitalisation complète actuels, nécessaires pour répondre aux besoins médicaux du territoire dont la population ne cesse d’augmenter et de vieillir. Nous souhaitons conserver l’ensemble des lits en maternité et en chirurgie, obtenir le retour des lits en néonatologie, augmenter le nombre de lits en soins palliatifs.
Si nous analysons de manière critique ce qui s’est passé pendant les dernières années, nous pouvons constater que l’ARS Bretagne a eu recours à de multiples stratégies :
- Pendant la période 2020-2023, une stratégie autoritaire et anti-démocratique de pilotage du projet de nouveau bâtiment, en refusant de diffuser à toutes les parties prenantes (élus, responsables syndicaux, usagers) le contenu des études de maîtrise d’ouvrage sur le projet de reconstruction de l’hôpital, et en cantonnant les discussions sur l’avancée du projet au sein d’un comité restreint à quelques personnes.
- l’absence d’approfondissement des études sur le coût de fonctionnement du futur hôpital, et l’absence de construction d’un plan de financement de la construction du futur hôpital, deux éléments qui ont contribué et contribuent encore au ralentissement du processus et retardent le lancement définitif du projet.
- En septembre 2023 : En cas d’augmentation significative des investissements nécessaires, rebattre les cartes et dénoncer le projet initial comme infaisable (en n’hésitant pas à se contredire et à remettre en cause des documents administratifs officiels donc).
- Sur le plan du discours, minimiser les besoins médicaux, en se fondant sur des données démographiques erronées (la population de l’agglomération de Redon, soit 66000 habitants, et non la population concernée résidant à moins de 35 kms de Redon, équivalent à environ 160 000 habitants), et légitimer la baisse du nombre de lits d’hospitalisation par le recours amplifié à l’ambulatoire.
- Dissuader les élus locaux de se mobiliser et de mobiliser la population en amont des manifestations, par le biais de lettres au contenu rassurant (tout en restant très imprécis).
- Exiger des directeurs successifs de l’Hôpital qu’ils promeuvent le projet de nouvel hôpital dans la presse[1].
- Reconnaissons-le, l’ARS mène aussi des actions positives, pour renforcer les coopérations au sein du Groupement hospitalier de territoire, pour éviter l’aggravation de la situation. La nouvelle directrice nommée en 2024 a ainsi favorisé le recrutement de nouveaux médecins spécialistes.
La population, les élus et les professionnels de santé de l’Hôpital, tous unanimes à dénoncer ce projet d’un hôpital au rabais !
Depuis l’annonce par l’ARS qu’elle rejetait le scénario initialement prévu de la reconstruction d’un bâtiment principal, au profit d’une solution moins coûteuse (un bâtiment neuf de 5700 m² + 2500 m² rénovés), tous les acteurs locaux se sont mobilisés pour contester ce projet d’un hôpital au rabais.
Une manifestation devant l’hôpital de Redon le samedi 27 janvier 2024 a rassemblé près d’un millier de personnes, en présence de nombreux élu-e-s, député-e-s, sénateurs et sénatrices, maires de nombreuses communes, des représentants des syndicats des personnels de l’hôpital (CGT et CFDT) et des représentants des usagers, dont l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux.
Une pétition qui a recueilli plus de 5000 signatures en ligne et plusieurs centaines sur papier et sur cartes postales, a été adressée à la ministre de la Santé. Les députés soutenant la mobilisation ont écrit à de multiples reprises aux ministres successifs de la santé pour avoir un entretien au sujet de l’hôpital (tout en délivrant symboliquement les pétitions et les cartes postale signées), sans succès jusqu’à aujourd’hui.
Dès le mois de février, un grand nombre d’associations du territoire se sont mobilisées, et se sont photographiées avec la banderole en soutien à la reconstruction d’un Hôpital à la hauteur des besoins. A la fin du mois de mars, une trentaine d’associations sportives, culturelles, de commerçants, s’étaient ainsi mobilisées[2].
Dans le même temps, le Comité d’appui de l’hôpital a organisé des réunions publiques dans plus d’une quinzaine de villes du territoire, au cours desquelles toutes les catégories sociales et tous les âges ont exprimé leurs besoins et leurs attentes parfaitement légitimes de naître, bien vivre et bien vieillir dans le Pays de Redon.
Le samedi 23 mars, près de 4000 personnes ont manifesté dans les rues de Redon pour clamer haut et fort leur droit d’accéder à des soins de qualité sans être contraints de faire plus d’une heure de route. Cette mobilisation exceptionnelle à l’échelle du territoire, démontre de manière remarquable à quel point l’avenir du Centre hospitalier de Redon-Carentoir mobilise très largement les citoyens et les forces vives du territoire.
A la fin de la manifestation du 23 mars, une délégation du comité d’appui a été reçue pendant 3 heures par le Sous-Préfet de Redon et par le directeur adjoint de l’ARS en Ille et Vilaine. Les membres de cette délégation ont réaffirmé la nécessité de respecter de manière impérative le projet médical et soignant, d’intégrer les services techniques et de conserver les lits d’hospitalisation dans le projet de futur hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet se sont voulus rassurants, tout en n’apportant aucune garantie. Minuscule victoire, l’ARS et la sous-préfecture ont accepté de diffuser l’ensemble des documents de travail et études aux membres du conseil de surveillance du centre hospitalier afin de garantir la complète transparence des informations. Les membres du comité d’appui ont déploré qu’aucun plan de financement viable du projet n’ait été présenté par les directions successives de l’Hôpital. Le représentant de l’ARS et le sous-préfet ont indiqué que le financement des deux premières phases était acquis (avec une subvention de l’ARS à hauteur de 20 millions d’euros sur un total estimé à 40 millions d’euros), mais pas la troisième phase, évaluée globalement à 25 millions d’euros.
Au cours du mois de mai 2024, les syndicalistes de la CFDT du CHIRC ont fait une vidéo avec l’ensemble des professionnels de santé du Centre Hospitalier de Redon Carentoir, qui a rapidement fait un tabac sur les réseaux sociaux. Sur l’air de la Chanson des Restos du Cœur, ces professionnels réclament « un hôpital décent pour notre territoire » :
Je te promets pas le grand CHU/
mais juste de quoi te recevoir /
des m² et de la chaleur /
dans un hosto, un hosto du cœur /
Ce n’est pas vraiment ma faute si des lits ferment /
Mais ça le deviendra si on n’y change rien ! /
On mérite mieux qu’un hôpital au rabais !/[3]
Le samedi 25 mai 2024, environ 200 personnes ont participé à l’évènement « Bougeons-nous pour l’Hôpital ! A pied, à vélo, en tracteur ou en canoé… Tous mobilisés à Redon pour l’Hôpital », organisé par l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux. Deux convois de cyclistes sont partis de Peillac et de Langon, et un convoi de randonneurs à pied est parti de l’Île aux Pies. Un convoi de rameurs (en aviron et en canoé) a rejoint les cyclistes au Pont du Grand Pas à Sainte Marie, pour ensuite converger vers Redon. Ces randonnées, qui se sont déroulées dans une ambiance conviviale, ont été l’occasion de rencontrer des habitants, ainsi que des élus de plusieurs communes (Peillac, Saint-Perreux, Avessac, Langon, Bains-sur-Oust) et de sensibiliser la population sur la prochaine grande manifestation en défense de l’hôpital organisée le 13 juin par le comité d’appui de l’Hôpital. Arrivés à Redon, plusieurs représentants associatifs, syndicaux ou élus ont pris la parole, pour souligner le fait que le projet proposé ne permet en aucun cas de répondre aux besoins médicaux de la population concernée (160 000 Habitants), qui ne cesse d’augmenter. Ce projet aboutit à une diminution considérable du nombre de lits d’hospitalisation, ainsi qu’un fort risque de perdre des services médicaux et des services annexes (stérilisation, pharmacie, cuisine). Ils ont également insisté sur les revirements successifs de l’ARS, et son refus de financer l’hôpital à la hauteur des besoins de santé de la population et de garantir la réalisation de la troisième tranche des travaux. Ils ont déploré l’absence d’un véritable plan de financement pour le futur Hôpital.
Une nouvelle mobilisation réunissant plusieurs centaines de personnes a eu lieu le 13 juin en centre-ville de Redon. A la même période, une 3réunion est organisée avec le sous-préfet et des représentants de l’ARS, qui nous informent qu’un nouvel emplacement est à l’étude pour la reconstruction du futur bâtiment de l’hôpital (destruction d’un bâtiment existant, l’Hôtel Dieu), ce qui permettrait d’éviter toute une série de désagréments (suppression de parkings) et rapprocherait ce futur bâtiment de celui déjà existant. Toutefois, le projet de reconstruction conserve globalement la même dimension (désormais 2000 m² au sol), et l’ARS campe sur le montant de subventions de 20 millions d’euros. Le 25 juin, les membres du Conseil de surveillance de l’hôpital ont finalement émis un avis favorable avec des réserves sur le projet du nouveau bâtiment de l’hôpital, qui est désormais prévu à l’emplacement de l’Hôtel Dieu. Les réserves émises par les membres du conseil de surveillance sont de plusieurs ordres, en premier lieu l’absence d’un plan de financement, et l’insuffisance de la subvention de l’ARS ; et en second lieu le refus catégorique de toute réduction du nombre de lits d’hospitalisation de nuits (134 actuellement), notamment en maternité et en chirurgie.
En Octobre 2024, nous avons appris, à la suite d’une réunion avec la directrice de l’Hôpital et le président du Conseil de surveillance de l’Hôpital, que le projet, en l’état, n’était pas finançable par l’hôpital de Redon, qui se trouvait incapable d’investir le moindre euro dans la construction d’un nouveau bâtiment. En effet, les prévisions budgétaires tendent à indiquer que l’hôpital resterait déficitaire pendant les dix prochaines années. De plus, la direction de l’hôpital légitime la réduction du nombre de lits en maternité par le fait que le taux d’occupation des lits est d’environ 35% à l’année, et justifie l’absence de lits supplémentaires en soins palliatifs par le recours croissant à l’hospitalisation à domicile. Elle refuse de fournir des chiffres plus détaillés sur l’occupation quotidienne des lits dans ces services, et les taux des transferts de patients vers d’autres hôpitaux.
Suite à ces informations, l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de Citoyens Contre les Déserts Médicaux s’est réunie en assemblée plénière le 12 novembre. Dans un
communiqué, elle se dit « scandalisée par l’inertie des pouvoirs publics, qui refusent de financer la reconstruction du centre hospitalier de Redon Carentoir à la hauteur des besoins », et exige la
conservation du nombre de lits d’hospitalisation complète dans le futur hôpital.
Cadeau de Noël 2024 : une augmentation – insuffisante
- de la subvention de l’ARS pour faire accepter la perte de lits et l’absence de garantie de rénovation de l’ensemble des
services.
Finalement, le mardi 17 décembre 2024, de nouvelles informations ont été délivrées au conseil de surveillance du centre hospitalier, sans communication des documents au préalable. Les membres du conseil de surveillance ont appris qu’un plan global de financement pluriannuel de l’établissement (conçu sur 15 ans) intégrait le projet de construction et rénovation de l’hôpital.
Lors de cette réunion, les participants ont appris que l’Agence Régionale de Santé Bretagne avait augmenté sa subvention à hauteur de 30 millions d’euros. Cette augmentation de la subvention de l’ARS était indispensable pour permettre le financement de la construction du nouveau bâtiment, mais le montant reste largement insuffisant pour garantir l’extension de la superficie du nouveau bâtiment, et la rénovation du bâtiment actuel. Aucune précision n’est apportée pour savoir qui finance, et comment, le reste des investissements nécessaires.
A la stupéfaction des membres du conseil de surveillance, aucun plan de financement crédible couvrant l’ensemble des travaux n’est présenté, alors même que des promesses avaient été faites en ce sens par les services de l’Etat. De plus, le plan proposé repose sur le report de la Seconde étape de réhabilitation (concernant les services supports) à la période 2036-2039, en contradiction complète avec le calendrier présenté en conseil de surveillance de juin 2024 indiquant une fin des travaux en 2029/2030. Cette proposition de report est un très mauvais signe, aucune garantie n’étant apportée sur la réalisation de cette seconde phase de travaux. Dans un communiqué paru le 20 décembre 2024, le comité d’appui de l’Hôpital réaffirme avec force qu’il n’acceptera pas le saucissonnage du projet, et exige des garanties sur le financement de l’intégralité du projet de modernisation de l’hôpital.
Après des mois de mobilisation, la direction consent à fournir au conseil de surveillance des chiffres sur le taux d’occupation des lits dans certains services, en arguant que ces chiffres montrent une sous-occupation des lits d’hospitalisation complète actuels. Mais ces chiffres fournis sont des moyennes mensuelles, et non les chiffres quotidiens, ce qui rend difficile leur interprétation et ne permet pas de connaître les pics d’accueil. De plus, comme ce ne sont pas les données brutes, la méthode de comptage de cette occupation mérite d’être discutée et analysée : les représentants syndicaux ont en effet indiqué que les lits ne sont pas comptabilisés si les patients partent le matin, ou arrivent en fin de journée, ce qui engendre une sous-estimation de l’occupation des lits d’hospitalisation complète. D’autres données ne sont pas fournies, comme les taux de transferts de patients et les périodes d’absence de certains professionnels, qui pourraient permettre de mieux interpréter ces chiffres. La direction n’a d’ailleurs pas transmis d’information sur l’occupation des lits de soins palliatifs, alors même que nous savons que les quelques lits disponibles et éparpillés sont systématiquement occupés. Ces informations partielles délivrées ne permettent donc pas de légitimer cette baisse de lits à l’échelle de l’hôpital, ni de garantir l’absence de saturation des futurs services médicaux.
Pour toutes ces raisons, la mobilisation des citoyens et des citoyennes doit se poursuivre, pour exiger de l’ARS le maintien de la capacité de soin actuelle dans le futur hôpital. Il faut impérativement que la superficie du nouveau bâtiment soit augmentée, et qu’un quatrième étage soit prévu, pour s’assurer de la préservation du nombre de lits d’hospitalisation complète. Nous exigeons également de l’ARS une subvention équivalente à 70% du coût total de la construction/rénovation de l’hôpital (préférable à un montant en euros, qui peut s’avérer largement moindre que le coût final des travaux). Nous exigeons de l’Etat le respect de notre droit d’accéder à des soins de santé de qualité pour tous et toutes !
Gildas Brégain, co-référent avec Sophie Baconnet de l’Antenne des Pays de Vilaine de l’Association de citoyens contre les déserts médicaux
[1] Par exemple, https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/lhopital-de-redon-na-jamais-eu-un-projet-de-cette-importance-estime-le-directeur-6032a8bc-c9b2-11ee-bd89-65961cacb703 ; https://www.ouest-france.fr/bretagne/redon-35600/entretien-nous-ambitionnons-de-demarrer-le-chantier-de-lhopital-de-redon-en-septembre-2027-8a7ef5c2-8d5b-11ef-9d74-cdf49a297048.
[2] Pour plus de précisions sur l’ensemble des associations ayant soutenu l’initiative, voir les photographies sur le facebook du comité d’appui : https://www.facebook.com/people/Comit%C3%A9-dappui-de-lh%C3%B4pital-de-Redon-Carentoir/61557128660197/?sk=photos
[3] https://www.facebook.com/cfdt.chredoncarentoir/videos/les-professionnels-du-centre-hospitalier-intercommunal-redon-carentoir-chirc-don/819157493602524/
mise en ligne le 26 décembre 2024
Marie Toulgoat sur www.humanite.fr
Au titre des affaires courantes, François Bayrou a validé ce vendredi 20 décembre les nouvelles règles de l’assurance-chômage, qui entreront en vigueur au 1er avril 2025. Elles prévoient une baisse des droits pour les séniors, et ne facilitent finalement pas l’indemnisation des saisonniers.
Malgré l’absence de gouvernement, la nouvelle convention d’assurance-chômage a tout de même été validée. Ce vendredi 20 décembre, un arrêté validant les nouvelles règles d’indemnisation des privés d’emploi a été publié au journal officiel, avalisant le résultat des négociations entre patronat et syndicats, qui s’étaient achevées en novembre dernier par une signature de toutes les parties sauf la CGT, en y apportant toutefois quelques modifications.
L’arrêté gouvernemental prévoit ainsi de relever les bornes d’âge qui permettent aux chômeurs de bénéficier d’une indemnisation plus longue, s’attaquant durement aux droits des privés d’emploi seniors. Aujourd’hui établies à 53 et 55 ans, celles-ci passeront au 1er avril 2025 à 55 et 57 ans. Une mesure particulièrement délétère, estime la CGT dans un communiqué : « Ce sont 15 000 personnes par mois en moyenne qui sortiraient de l’indemnisation en atteignant plus tôt la fin de droits sans avoir retrouvé de travail ».
Deuxième coup dur pour les seniors : l’arrêté prévoit également de relever l’âge de maintien de l’indemnisation jusqu’à l’obtention des trimestres nécessaires pour un départ à la retraite à 64 ans. « Cela ferait basculer dans les minima sociaux ou l’absence de revenus 34 000 personnes par an sur 45 000 entrants actuellement dans le dispositif ! », comptabilise la CGT.
Une meilleure indemnisation des saisonniers abandonnée
Une mesure, décriée notamment par la CGT, a toutefois été abandonnée dans l’arrêté gouvernemental. Le texte ne fait en effet pas mention de la réduction des indemnités des travailleurs frontaliers. L’accord, signé par le patronat et les syndicats, à l’exception de la CGT, prévoyait en effet de retenir les salaires perçus à l’étranger, en moyenne plus élevés qu’en France, pour calculer le montant des indemnités.
Une seconde mesure, mieux-disante pour les privés d’emploi, n’a pas non plus été conservée dans l’arrêté gouvernemental. L’accord prévoyait initialement un abaissement du seuil d’ouverture des droits de six à cinq mois pour les travailleurs saisonniers et primo-accédants à l’emploi. Il n’en sera finalement rien.
mise en ligne le 25 décembre 2024
Pierric Marissal et Samuel Eyene sur www.humanite.fr
Le 1er janvier 2025, un arrêté censé renforcer l’attractivité des métiers du soin, jusqu’ici en tension, entrera en vigueur. Ce texte s’apprête à ouvrir le secteur à des plateformes numériques qui conquièrent petit à petit le marché du secteur, précarisant les travailleurs contraints à l’auto-entrepreneuriat.
Près des portes d’appartement apparaissent en quantité des boîtes à clés protégées par des codes. Le dispositif sert aux clients Airbnb, mais pas que. Des travailleurs des plateformes les utilisent également pour venir faire des ménages. Bientôt, des aides à domicile y auront recours. Au 1er janvier 2025, un décret entrera en application, ouvrant la voie à une sérieuse accélération de l’ubérisation du secteur du médico-social.
L’histoire de ce décret remonte à 2023. Alors que le vieillissement de la population s’accentue, la loi sur le grand âge promise par Emmanuel Macron peine à surgir. Pourtant, les besoins sont criants : 800 000 postes sont à pourvoir dans le secteur des services à la personne d’ici à 2030, selon la Fédération des services à la personne et de proximité (Fedesap).
Plus d’obligation de disposer de locaux
C’est pourquoi, dans la loi « société du bien vieillir », Olivia Grégoire, alors ministre déléguée chargée des PME, a modifié le cahier des charges de l’agrément nécessaires aux organismes de services à la personne pour exercer auprès de publics vulnérables afin de renforcer l’attractivité du secteur.
« Elle a commencé par lever l’obligation, pour les structures d’aide à la personne, de disposer de locaux dans les départements où elles exercent », explique Nicole Teke, doctorante en sociologie, membre d’un groupe de recherche européen sur les plateformes proposant du soin, qui consacre sa thèse aux travailleurs de plateformes de services à domicile.
Depuis le 1er janvier 2024, il n’est plus obligatoire pour les entreprises de services d’aide à la personne de disposer de local physique dans leur département d’activité. Quelques garde-fous demeurent, comme l’obligation de conduire des entretiens d’embauche des candidats en physique ou un contrôle scrupuleux de l’identité du candidat.
Ouverture du secteur aux microentreprises
La ministre des Petites et Moyennes Entreprises a par ailleurs assoupli la clause d’exclusivité qui imposait aux entreprises de ne faire que du service à la personne pour disposer d’un crédit d’impôt sur le revenu égal à 50 % des dépenses engagées pour des prestations de services à la personne.
Le décret a été publié le 25 juillet 2024 : avec sa microentreprise, un travailleur pourra dès l’année prochaine exercer d’autres activités proposées par les plateformes que celles jusqu’ici encadrées par la loi sur le service à la personne si son activité annexe est inférieure ou égale à 30 % du chiffre d’affaires de l’année précédente.
« L’idée du gouvernement était à la fois de permettre à de nouveaux microentrepreneurs d’investir le champ des services à la personne en leur faisant bénéficier d’un crédit d’impôt mais aussi de leur permettre de diversifier leurs revenus s’ils ne gagnent pas suffisamment leur vie exclusivement avec du service à la personne à 100 % », explique Jérôme Perrin, directeur de développement et de la qualité à l’ADMR (réseau associatif national de service à la personne).
« On va droit vers une inquiétante libéralisation »
Ces mesures interrogent toutefois le risque que ces modifications peuvent provoquer. « Il y a des chances que des entreprises se jettent dans ce secteur en espérant réaliser du business plutôt que d’avoir la volonté d’accompagner des personnes fragiles. Avec la possibilité de ne plus avoir de locaux physiques, on va droit vers une inquiétante libéralisation », redoute Jérôme Perrin.
Le danger guette. Les plateformes sont déjà prêtes à croquer le marché, à commencer par la pionnière en France. Mediflash a placé de nombreux aides-soignants et infirmiers autoentrepreneurs dans les Ehpad et établissements de santé depuis 2020 et le déclenchement de la pandémie de Covid.
De son côté, Click & Care est déjà sur le créneau de l’aide à domicile, y compris pour personnes vulnérables ; la plateforme jongle avec un certain flou entre les deux statuts, auto-entrepreneuriat et salariat, via les chèques emploi service universel (Cesu), un dispositif qui permet à un particulier employeur de déclarer simplement la rémunération des salariés pour des activités de services à la personne.
Pas de responsabilité en cas d’accident du travail
« Nous intervenons en mandataire, avec des salariés, pour les personnes fragiles, vulnérables, assure la fondatrice de la plateforme, Lina Bougrini. Nous avons lancé une formule avec des autoentrepreneurs pour des prestations plus ponctuelles, comme des sorties d’hôpital. » Une autorisation du département est nécessaire, uniquement lorsqu’il s’agit de personnes en perte d’autonomie.
D’autres plateformes, plus généralistes, comme Brigad ou Onestaff proposent aussi de plus en plus de missions dans le médico-social. Il est ainsi possible pour un autoentrepreneur de commencer sa journée de travail dans un Ehpad à préparer le petit déjeuner des pensionnaires et de la finir comme aide-soignant.
« Au début, les travailleurs ont l’impression d’y trouver leur compte financièrement, puisqu’ils sont exemptés de cotisations, pointe Me Kevin Mention, avocat qui représente des travailleurs de Brigad et de Click & Care en procédure aux prud’hommes. Quant aux établissements, ils s’y retrouvent aussi : pas de gestion des ressources humaines, pas de congés payés à verser ni de responsabilité en cas d’accident du travail ou lorsque c’est le patient qui est blessé. »
« Le reflet des conditions de travail extrêmement dégradées »
Les plateformes, elles, prennent au minimum 20 % de commission, quelle que soit la mission. Avec le mélange des statuts de travail – salarié ou autoentrepreneur –, des risques juridiques se posent. D’après Mediapart, l’inspection du travail enquêterait chez Mediflash, qui plaide, elle, pour une « différence de lecture juridique ».
Pourtant, dès fin 2021, les ministères du Travail et de la Santé avaient écrit aux structures qui avaient recours à la plateforme en leur rappelant qu’œuvrer « en tant que travailleur indépendant au sein des établissements de santé ou médico-sociaux peut tomber sous le coup de la qualification de travail dissimulé ».
De son travail de terrain, Nicole Teke confirme que la rhétorique entrepreneuriale des plateformes peut un temps séduire. « Les mères célibataires sont spécifiquement ciblées, puisqu’elles ont besoin d’adapter leurs horaires au temps scolaire, pointe-t-elle. Mais l’essor de ces sites est surtout le reflet des conditions de travail extrêmement dégradées et des bas salaires dans les structures traditionnelles. »
La sociologue a constaté que ces métiers des services à la personne restaient très majoritairement féminins, même s’il y a davantage d’hommes sur les plateformes que dans les agences.
Des plateformes en réalité peu souples
Les plateformes se targuent d’un vivier de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs. Mais le taux de rotation est très élevé. À part pour les personnes salariées qui utilisent leurs heures d’indépendance pour générer des revenus annexes, les autres microentrepreneurs cessent au premier pépin… qui arrive généralement assez vite.
« Que ce soit un accident du travail, de vie, avec un client, lorsqu’elles se rendent compte qu’elles n’ont pas d’arrêt maladie, qu’elles doivent elle-même souscrire à une assurance, ces personnes reviennent souvent au salariat », relève la doctorante.
Les plateformes ne sont pas non plus aussi souples qu’elles le prétendent. « Une travailleuse à domicile a dû annuler des prestations suite à un accident de sa fille, ce qui a eu pour conséquence une diminution de son évaluation. Si bien qu’à son retour, elle a dû cesser faute de missions proposées », poursuit-elle.
« Un manque à gagner de 6 milliards d’euros »
L’ubérisation du médico-social est particulièrement sensible. Le secteur est financé par de l’argent public. Les start-up le sont par la BPI, mais les prestations sont aussi déductibles des impôts à hauteur de 50 %. Certaines plateformes appliquent même la déduction directement sur la facture du client.
En outre, les plus vulnérables peuvent utiliser des aides publiques comme l’allocation personnalisée d’autonomie ou la prestation de compensation du handicap pour payer l’activité mandataire. « Les plateformes numériques de travail profitent de notre modèle social en le détruisant, réagit Pascal Savoldelli. Elles vivent sur les aides sociales et fiscales, en proposant un modèle de travail dégradé, qui ne cotise pas. L’Urssaf assure que le manque à gagner en matière de cotisations sociales s’élève à 2 milliards d’euros en trois ans rien que pour Uber. Si on projette à l’ensemble des plateformes, la perte s’élèverait à 6 milliards ! » lance le sénateur communiste, coordinateur de l’ouvrage Ubérisation, et après ? (éditions du Détour).
Très en pointe sur ces questions, le parlementaire énumère d’autres problèmes : « Il n’y a pas d’accueil des publics ni des aidants, aucune formation en continu des travailleurs, zéro lien humain. »
Contrairement aux livreurs ou chauffeurs VTC, il n’existe pas de collectifs des travailleurs des plateformes d’aide à la personne, et encore moins de syndicalisation. « Ces indépendantes travaillent de manière isolée, dans des domiciles privés. Elles ne connaissent donc pas leurs collègues », soupire Nicole Teke. La fin de l’obligation d’avoir des locaux pour les entreprises ne fait que renforcer l’isolement de ces travailleuses, sans promettre de répondre à la pénurie de professionnels.
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Barbara, auxiliaire de vie, a subi un accident sur son lieu de travail, dont elle souffre encore et pour lequel elle n’a droit à aucune indemnisation. Car, pour la plateforme numérique qui l’employait, elle était une travailleuse indépendante. Sans ressources, la professionnelle s’est retournée vers les prud’hommes.
Depuis le 4 octobre 2023, Barbara (le prénom a été modifié) ne peut plus travailler. Ce jour-là, comme tous les jours depuis quelques semaines, elle était envoyée en mission d’auxiliaire de vie dans la même maison de retraite par la plateforme de recrutement de personnel médical Click & Care.
« Une patiente qui requérait beaucoup d’attention voulait aller aux toilettes. Au moment du transfert depuis le fauteuil roulant, nous sommes tombées toutes les deux. Je ne me suis pas posé de question : je me suis mise en dessous pour la protéger », raconte la professionnelle.
Heureusement, la pensionnaire n’a rien. En revanche, pour l’auxiliaire de vie, la douleur est fulgurante. Aux urgences, une fissure de la rotule ainsi qu’une entorse du genou et du poignet sont constatées. L’opération est inévitable. « On a dû ensuite me faire des infiltrations. Mais j’ai encore des douleurs épouvantables au genou. Ma mère de 81 ans est plus mobile que moi », soupire-t-elle.
« Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources »
À sa sortie de l’hôpital, Barbara avait bien envoyé à la plateforme ses certificats médicaux en vue de la reconnaissance de son accident du travail. « Ils m’ont répondu que j’étais autoentrepreneuse, qu’ils ne salariaient pas les gens ! » L’assurance de Click & Care lui a toutefois versé l’équivalent d’un mois de revenus, le maximum possible. Elle s’emporte : « Alors je n’ai droit à rien : ni chômage ni reconnaissance de l’accident du travail auprès de la Sécurité sociale. Sans la retraite de mon mari, je serais aujourd’hui sans ressources. »
Avant l’accident, la quinquagénaire ne se pensait pas du tout indépendante, mais salariée d’une plateforme d’intérim. Car, jusqu’alors, l’auxiliaire de vie était salariée par des familles pour lesquelles elle travaillait à leur domicile, grâce aux chèques emploi-service (Cesu). Après avoir été aidante de son frère, Barbara a voulu reprendre une activité professionnelle. Réinscrite à Pôle emploi, son CV est proposé en ligne par son conseiller. Deux jours plus tard, Click & Care l’appelle.
« Comme tout employeur, ils m’ont demandé mon numéro de Sécurité sociale, ma pièce d’identité et si j’avais un casier judiciaire. Puis ils m’ont fait travailler tout de suite dans une maison de retraite. C’est eux qui m’envoyaient mes plannings, comme dans une agence d’intérim. Pour Lina Bougrini, fondatrice de Clic & Care contactée par l’Humanité, il était évident « qu’en tant qu’auxiliaire de vie dans un Ehpad elle savait parfaitement sous quel statut elle travaillait. Nous doutons de la bonne foi de cette dame. Si être indépendante ne lui convenait pas, il ne fallait pas prendre les missions ».
« Des missions d’intérim déguisées »
Comme Barbara n’a jamais créé d’autoentreprise, elle insiste auprès de la plateforme pour obtenir la reconnaissance de son accident du travail. En vain. « Click & Care m’a envoyé des courriers expliquant que j’étais indépendante. Mais ils se sont permis d’établir des factures en mon nom, sans numéro de Siret (Système d’identification du répertoire des établissements). » La direction de la plateforme précise qu’ils étaient « en attente de son Siret et qu’il était de sa responsabilité de créer son autoentreprise ».
Depuis, l’avocat Kevin Mention porte son dossier aux prud’hommes. La requalification de son emploi en contrat de travail salarié lui ouvrirait des droits sociaux en plus de droit à des indemnités. « Elle dispose d’un planning, travaille aux côtés de salariés, accomplit les mêmes tâches qu’eux, sous les ordres de la même hiérarchie… Il ne s’agit pas du tout un travail d’indépendant », assure l’homme de loi, pour qui « ce sont des missions d’intérim déguisées ».
Pour l’avocat, la plateforme donne l’impression de mieux rémunérer que les offres salariées classiques pourtant très nombreuses. Mais « les personnes se rendent compte ensuite qu’elles ne disposent pas de complémentaire santé, de congés payés, ni de prime de précarité ou de droit aux indemnités chômage… Et qu’il faut encore payer 22 % de cotisations sociales à l’Urssaf, énumère-t-il. Mais, le pire, c’est bien quand se produit un accident du travail ». De son côté, Click & Care a mis fin à l’activité de vacation dans les Ehpad ce mois-ci, pour se consacrer pleinement à l’aide à domicile.
mise en ligne le 23 décembre 2024
sur https://rapportsdeforce.fr/
A partir du 1er janvier, les expérimentations du RSA conditionné à 15 à 20 d’activités doivent se généraliser à l’ensemble du pays. D’abord testées dans des territoires de 18, puis 47 départements, ces expérimentations révèlent des mises en œuvre bien différentes d’une localité à l’autre. Pour les bénéficiaires, le plus grand flou persiste.
« Le compte à rebours commence en janvier », avertit Florent Lefebvre, représentant de la CFDT Emploi. En 2025, entre en vigueur la loi pour le plein emploi, adoptée le 18 décembre 2023, dont l’application avait été repoussée d’un an. Plus de 1,5 million de personnes « privées d’emploi » seront automatiquement inscrites à France Travail, qui entend coordonner l’ensemble des organismes d’insertion sociale. 200 000 jeunes suivis par les missions locales devraient ainsi basculer vers France Travail ainsi que les dizaines de milliers de personnes en situation de handicap accompagnées par Cap Emploi. Et surtout, les 1,3 million de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), ainsi que leurs conjoints, l’allocation dépendant du revenu du couple (565 euros pour une personne seule, 848 euros si les deux conjoints sont au RSA).
Ce « compte à rebours » risque d’être celui d’une véritable bombe sociale à retardement. Pour les personnes sans emploi comme pour les agents de France Travail. « On bourre la machine à marche forcée jusqu’à ce que ça craque », estime Florent Lefebvre. À moins de quinze jours de l’échéance, les conseillers de France Travail se demandent bien comment ils vont pouvoir gérer cet afflux massif d’un nouveau public en insertion. Bénéficieront-ils de moyens supplémentaires pour les accompagner ? « C’est le flou artistique », résume le syndicaliste, également élu au Comité social et économique (CSE) de France Travail. Les agents savent simplement qu’ils devront faire avec moins d’effectifs : 500 emplois équivalents temps plein devaient être supprimés par le projet de finance 2025. France Travail prévoit « d’économiser » l’équivalent de près de 3000 postes d’ici 2027.
Plus de contrôles des chômeurs, moins d’agents
« On ne sait pas ce qui va nous tomber dessus », craint Agnès Aoudai. De son agence parisienne pourtant peu encline à la contestation, la conseillère entreprise, syndiquée à la FSU, « sent monter le ras-bol ». « Ça va exploser ! » lâche-t-elle. Le 5 décembre dernier, la plupart de ses collègues se sont mis en grève pour demander de meilleurs salaires et plus de moyens, contraignant le directeur à tenir l’accueil lui-même. Fait notable, le mouvement a été plutôt suivi.
« Les conseillers font moins d’accompagnements que de contrôles », déplore Agnès Aoudai. France Travail prévoit de tripler les contrôles annuels de recherche d’emploi : de 500 000 jusqu’à 1,5 million en 2027 ! Insultes, menaces, agressions, « chaque nouvelle réforme s’est manifestée par une hausse des conflits avec les usagers », constate Lakhdar Ramdani, de la CGT Pôle Emploi Bretagne. De l’avis de nos interlocuteurs, « France Travail est le réceptacle de la détresse sociale » subie par les agents de l’autre côté du guichet. Résultat : le mal-être se répand dans les agences, avec pour manifestation la hausse des arrêts maladie, des burn-out et le risque de décompensation psychique… En mars dernier, un manager d’une agence en Occitanie a mis fin à ses jours.
RSA conditionné : 15 à 20 heures d’activité obligatoires
Du côté des bénéficiaires du RSA, l’inquiétude grandit également. Au RSA depuis plus de dix ans, ValK (c’est un pseudo) appréhende aussi son basculement vers France Travail. À 54 ans, cette ancienne intermittente du spectacle a « les genoux HS ». Reconnue travailleuse handicapée en 2004, elle ne l’est plus malgré ses demandes. Elle attend donc de savoir quel pré-diagnostic, l’algorithme de France Travail établira à partir de ses données personnelles. En fonction des « freins sociaux » – difficultés de mobilité, d’accès au logement, à la garde d’enfants ou aux soins – identifiés par la plateforme, ValK sera orientée vers l’un des trois parcours : emploi, socio-professionnel ou social. Elle signera ensuite un « contrat d’engagement réciproque » qui déterminera son plan d’accompagnement personnalisé.
« Je vais devoir leur demander leur diplôme médical pour qu’ils jugent de mon état de santé », s’agace cette photographe amatrice. ValK appréhende surtout la mesure phare de la loi : devoir exercer au minimum 15 heures d’activité hebdomadaires, sous peine de voir tout ou partie de son RSA suspendu. Une mesure qui, à terme, pourrait s’étendre à l’ensemble des demandeurs d’emploi. « Si je bosse en présentiel je tue ma santé, même prendre le bus m’est compliqué. »
Ce RSA conditionné aux 15 heures d’activité a été expérimenté par dix-huit départements volontaires depuis le printemps 2023, puis par 29 départements supplémentaires en mars 2024. Les évaluations de la réforme sont très mitigées en matière de retour à l’emploi. Plusieurs territoires pilotes affichent ainsi, comme à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), un nombre d’allocataires en baisse. Sans qu’on ne sache à quoi correspondent ces sorties des statistiques, s’il s’agit de non-recours au RSA ou d’un retour à l’emploi.
Un saut dans l’inconnu pour les bénéficiaires du RSA
L’évaluation de novembre, demandée par le ministère du Travail et portant sur seulement huit territoires, relève que « l’accompagnement rénové a des effets globalement positifs sur les allocataires, en renforçant leur confiance et leur capacité d’action ». Affichant, tous parcours confondus, un taux de « présence en emploi six mois après l’entrée en parcours […] de 28,6 % » des personnes aux RSA – soit une personne au RSA sur quatre. Sans que l’on sache de quel type d’emploi il s’agit : si la personne travaille comme intérimaire pour quelques semaines, s’il s’agit d’un CDD de quelques mois ou d’un CDI. À Givors, près de Lyon, où un autre dispositif d’accompagnement sans conditions ni sanctions a été mis en place, un allocataire sur trois était en emploi après six mois…
Mais un autre effet commence à être documenté : un « décrochage » dû à la multiplication des démarches administratives et à la peur des contrôles. Le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % en un an dans les zones qui expérimentent la réforme, selon un rapport du Secours Catholique, alors qu’ailleurs ce taux de non-recours recule très légèrement.
Le Conseil départemental du Nord, géré par la droite, a expérimenté la réforme de manière zélée. En cas d’absence à un rendez-vous, un allocataire voit 80 % de son RSA suspendu. Pour « retrouver la dignité et le chemin du travail », des « coachs emploi » assurent au sein des « Maisons du Nord emploi » le suivi intensif de 3000 allocataires. « L’accompagnement social est un travail au long cours qui doit s’adapter à la capacité d’émancipation de la personne. Notre boulot n’est pas de mettre immédiatement les gens en entreprise », estime Olivier Treneul, délégué syndical Sud au département. « C’est un dévoiement des missions de service public. » Résultat de cette chasse aux précaires : plus de 12 000 suspensions de droits sur environ 100 000 allocataires, selon France 3. Des gens sanctionnés disparaissent des radars, d’autres perdent leur logement, et sombrent dans l’exclusion, constate le syndicaliste, obligeant certains de ses collègues à faire du « travail de rue » dans l’espoir de les repêcher.
Cette marche forcée au prétexte de « remobiliser les personnes les plus éloignées de l’emploi, risque de priver les personnes les plus vulnérables du droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence », s’inquiétait en juillet 2023 le défenseur des droits, s’appuyant sur le droit inaliénable prévu par l’article 11 de la Constitution. L’inflation de tracasseries administratives pourrait même entraver un retour durable vers une activité rémunérée.
« On vit déjà dans l’angoisse des contrôles »
« On veut nous occuper et nous inquiéter, mais on vit déjà dans l’angoisse des contrôles », estime ValK dont le dossier a déjà été bloqué à cause d’un document manquant. « J’ai vécu 17 mois sans revenu… j’ai envisagé de me suicider », confie-t-elle. « Il faut voir l’état dans lequel j’étais, je pleurais dès que j’appelais la Caf. » Elle a tenu le coup grâce à une cagnotte de soutien – considérée par l’administration comme des revenus – avant de remonter la pente, une fois son dossier débloqué.
La réforme vise donc à occuper les allocataires du RSA tant qu’ils et elles ne retrouvent pas un travail, quel qu’il soit. Mais comment ? De ce que laisse entrevoir la communication gouvernementale et les quelques retours d’expériences, il s’agirait de multiplier les démarches de recherche d’emploi, de participer à des ateliers de rédaction de CV ou de « coaching », de suivre des stages, des formations ou des cours de langues… Voire de l’obtention du permis de conduire ou de rendez-vous médicaux. Les témoignages de personnes ayant expérimenté le RSA conditionné soulignent la difficulté des déplacements, leur coût non défrayé ou le temps passé à justifier de leurs activités. « Qu’ils nous payent ces heures passées à quantifier nos démarches », raille ValK. La comptabilisation de ces heures s’avère « particulièrement lourde » également pour les conseillers, relate l’évaluation rendue au ministère du Travail. Et reconnaît qu’en l’état, prendre une sanction à partir des données actuelles présenterait « des risques importants d’erreur et d’inégalité de traitement ».
D’autant que la plupart des personnes touchant les minimas sociaux s’adonnent déjà d’elles-mêmes dans leur vie quotidienne à un « boulot de dingue », dont le Secours Catholique dévoilait l’étendue dans son rapport du même nom. « Je donne plein de coups de main… à mon rythme. Là je me suis gavée d’antidouleurs pour pouvoir réparer la porte de l’immeuble, je devrais le déclarer ? » illustre ValK. Et quid des auto-entrepreneurs ou des agriculteurs qui cumulent souvent activités laborieuses et RSA ?
mise en ligne le 20 décembre 2024
Caroline Coq-Chodorge sur www.mediapart.fr
Causé par une grave carence en vitamine C, le scorbut avait quasiment disparu. Des médecins et des chercheurs constatent dans une étude son retour chez les enfants, et une accélération du nombre de cas depuis le covid.
Depuis plusieurs années, dans différents services de pédiatrie en France, des médecins voient revenir avec inquiétude le scorbut en France, notamment chez les enfants. « Cette maladie a causé au moins 2 millions de morts entre le XVIe et le XXe siècle, explique le professeur Ulrich Meinzer, de l’hôpital pour enfants Robert-Debré à Paris. Elle a été décrite avant tout au sein d’une population de marins, qui passaient des mois en mer et dont l’alimentation était pauvre en fruits et légumes. » Elle avait quasiment disparu dans les pays riches, repérée seulement parmi des populations migrantes.
Puis la maladie a repris pied en France. « L’hôpital Robert-Debré où je travaille est situé au nord de Paris, où vivent des populations pauvres, explique Ulrich Meinzer. Depuis des années, nous voyons augmenter une inquiétante précarité. Des familles vivent dans la rue, des parents accompagnent des enfants malades qui ne mangent pas tous les jours. On a commencé à revoir le scorbut. »
Partant de ces observations dans les services, les pédiatres de l’hôpital Robert-Debré à Paris et de l’hôpital de Cayenne en Guyane, associés à des chercheurs de l’Inserm, ont voulu déterminer le nombre précis de cas diagnostiqués en France entre janvier 2015 et novembre 2023, à partir des données d’hospitalisation de l’assurance-maladie.
Leur étude, publiée dans le journal médical de référence The Lancet, montre une inquiétante réapparition du scorbut chez les enfants, en France, depuis 2015. Les chercheurs et chercheuses ont dénombré 888 enfants hospitalisés pour un scorbut jusqu’en 2023. L’âge moyen des enfants est de 11 ans. Des cas ont été diagnostiqués sur l’ensemble du territoire français.
Une grave carence en vitamine C
Le scorbut est dû à une grave carence en vitamine C. Il se manifeste par « une forte altération de l’état général, des douleurs osseuses, une faiblesse musculaire, des saignements de la peau, des gencives », énumère le professeur Meinzer. Si le scorbut peut conduire au décès, il peut fort heureusement être soigné facilement, par un simple apport en vitamine C.
De retour en France, le scorbut est aussi en progression depuis le début de la pandémie de covid. Entre mars 2020 et novembre 2023, le nombre de cas de scorbut est en hausse de 34,5 %. « Cette hausse est même de 200 % chez les 5-10 ans », précise Ulrich Meinzer. Et elle est corrélée à une tout aussi forte progression, sur la même période, de la malnutrition sévère chez les enfants (+ 20,3 %).
Ces enfants atteints de scorbut ont « souvent une alimentation pauvre, essentiellement des pâtes ou du riz, qui donnent un sentiment de satiété à moindre coût. Ils mangent peu de fruits et de légumes, sans doute pour des raisons économiques, ce qui les expose à un risque élevé de carences », détaille le professeur de pédiatrie de l’hôpital Robert-Debré.
Dans l’étude, les chercheurs et chercheuses ont comparé leurs chiffres avec les données sur l’inflation de l’Insee et celles sur la précarité alimentaire du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc). « La corrélation est forte », précise le professeur Meinzer. Autrement dit, les courbes de progression du scorbut, de l’inflation et de la précarité alimentaire progressent toutes sur une pente similaire.
Pour les chercheurs et les chercheuses, le covid-19 marque le début d’une série de crises sanitaires, économiques et géopolitiques (la guerre en Ukraine notamment) qui ont dangereusement creusé les inégalités sociales. Ils insistent sur « le besoin urgent d’une aide nutritionnelle adaptée pour les populations pédiatriques à risque ». Ulrich Meinzer insiste : « La réponse doit être rapide. »
Eugénie Barbezat sur www.humanite.fr
Selon une étude menée par des équipes médicales françaises, les cas de cette maladie liée à une carence en vitamines C sont en forte hausse chez les 5-10 ans. En cause, la malnutrition due à la pauvreté.
Jadis associé aux marins partant de longs mois en mer ou aux prisonniers, à qui l’on apportait des oranges pour le combattre, le scorbut semblait être définitivement éradiqué dans la 7e puissance économique mondiale. Il n’en est rien. C’est ce que nous apprend une étude publiée dans le journal médical de référence The Lancet, et réalisée par des équipes médicales françaises.
Ayant observé une multiplication des cas de cette maladie liée à une carence en vitamine C dans leurs services, les pédiatres de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, et de l’hôpital de Cayenne, en Guyane, ont décidé de s’associer à des chercheurs de l’Inserm, pour déterminer le nombre précis de cas diagnostiqués en France entre janvier 2015 et novembre 2023, à partir des données d’hospitalisation de l’assurance-maladie. Ils ont également comparé leurs chiffres avec les données sur l’inflation de l’Insee et celles sur la précarité alimentaire du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc).
Des médecins lancent l’alerte
Leur étude, publiée dans le journal médical de référence The Lancet, montre une inquiétante réapparition du scorbut chez les enfants, en France, depuis 2015. Les chercheurs et chercheuses ont dénombré 888 enfants hospitalisés pour ce motif jusqu’en 2023. Leur âge moyen est de 11 ans et des cas ont été diagnostiqués sur l’ensemble du territoire français. Le nombre d’enfants hospitalisés pour un scorbut a augmenté d’un tiers depuis le début de l’épidémie de Covid-19.
Entre mars 2020 et novembre 2023, le nombre de cas de scorbut est en hausse de 34,5 %. « Cette hausse est même de 200 % chez les 5-10 ans », précise le professeur Ulrich Meinzer, interrogé par Mediapart. Et elle est associée à une forte hausse de la malnutrition sévère chez les enfants (+ 20,3 %) sur la même période.
Cette maladie, pouvant entraîner de graves problèmes de santé, comme des douleurs osseuses, une faiblesse musculaire ou encore des hémorragies est associée à la malnutrition sévère, également en hausse dans la même période. Une situation qualifiée d’« alarmante » par Ulrich Meinzer, pédiatre à l’hôpital Robert-Debré à Paris et coauteur de l’étude. Il dit recevoir « de plus en plus de familles précaires dans son cabinet ». « Il y a actuellement en France une population d’enfants âgés de 5 à 10 ans qui sont exposés à une carence alimentaire profonde. Je pense que c’est un problème de santé publique qui nécessite une réponse urgente », explique le médecin. En cause, l’augmentation de la pauvreté qui empêche certaines familles précaires d’acheter suffisamment de fruits et légumes riches en vitamine C. Pour les auteurs de l’étude, le covid-19 marque « le début d’une série de crises sanitaires, économiques et géopolitiques qui ont dangereusement creusé les inégalités sociales ». Ils insistent sur « le besoin urgent d’une aide nutritionnelle adaptée pour les populations pédiatriques à risque ».
mise en ligne le 15 décembre 2024
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
La question actuelle n’est pas de savoir qui sera premier ministre mais quel sera le programme. Les négociations de couloir ne sont pas à la hauteur des enjeux et de l’urgence. Notre système de santé est malade de quarante années de renoncements face aux assauts du néolibéralisme, renforcés par les sept années de pouvoir d’Emmanuel Macron, promoteur d’une politique de financiarisation de notre système de santé. Nous sommes aujourd’hui à un tournant face à la dégradation de notre système de protection sociale. Pour ceux qui continuent à croire aux vertus du marché dans ce secteur, les exemples des Ehpad avec Orpea et des crèches avec People&Baby devraient les faire réfléchir.
La santé et le social sont antinomiques avec le marché et doivent s’appuyer sur les valeurs de solidarité, d’égalité et d’humanisme qui prévalent si nous nous considérons comme une société évoluée. Le modèle opposé, en vigueur aux États-Unis, s’installe insidieusement en France et dans un grand nombre de pays européens. C’est celui d’un service marchand fonctionnant avec des prestataires et assurances privés.
Nous en connaissons, là aussi, le résultat, avec un système très inégalitaire et des indicateurs de santé publique qui tutoient ceux de pays qui étaient encore hier considérés comme en voie de développement. Pour ceux qui espèrent un avenir meilleur, le choix ne peut être qu’une véritable politique de rupture qui s’appuie sur deux piliers : le service public et un financement intégral par la solidarité via la Sécurité sociale.
Rupture, car il s’agit de ne plus parler de plans d’économies pour la Sécurité sociale, mais de recettes supplémentaires qui sont à portée de main en reprenant les différents amendements votés lors du débat sur le PLFSS. Rupture, car il s’agit d’aller rapidement vers une extinction des assurances complémentaires pour basculer vers des cotisations collectées par la seule Sécurité sociale, qui deviendra le payeur unique des prestations.
Rupture, avec une réorganisation de la médecine de ville autour de centres de santé avec des médecins salariés. Rupture, avec un système hospitalier offrant un service de proximité intégré avec la médecine de ville, les Ehpad et le médico-social. Rupture, avec une recherche publique sortant des griffes de l’industrie pharmaceutique. Rupture, avec un pôle public du médicament et des produits de santé permettant d’en finir avec les brevets, les pénuries et les prix exorbitants des nouveaux produits. Rupture, car il s’agit d’appliquer un programme s’appuyant sur celui du Nouveau Front Populaire mais en l’améliorant, car il ne s’agit plus de mettre des pansements mais bien d’effectuer une véritable opération de transformation radicale pour sauver le malade.
Caroline Coq-Chodorge et Manuel Magrez sur www.mediapart.fr
Des fonds d’investissement mettent peu à peu la main sur les spécialités médicales libérales les plus lucratives : d’abord la biologie dès les années 2000, aujourd’hui la radiologie. Et pour cause : les pouvoirs publics ont longtemps laissé faire, explique le sociologue Antoine Leymarie.
Antoine Leymarie est sociologue, doctorant au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po. Ses recherches portent sur la financiarisation de la biologie médicale, de la radiologie et de l’anatomopathologie (l’analyse des tumeurs). Il met au jour le long laisser-faire des autorités : en se jouant des lois, les groupes financiers ont déjà mis la main sur 80 % de la biologie et 20 % de la radiologie libérales.
Première profession financiarisée, la biologie en a pâti : les salaires des médecins dans les laboratoires d’analyses privés ont été divisés par deux et l’attractivité de la profession a chuté. Cette expérience est un épouvantail pour les autres professions approchées à leur tour. La radiologie tente aujourd'hui de résister à cette lame de fond. Mais les pouvoirs publics ne se sont saisis du sujet que très récemment. Et l’exclusion des financiers du champ de la santé n’est pas à l’ordre du jour.
Mediapart : Pourquoi la biologie médicale et, aujourd’hui, la radiologie attirent-elles les fonds d’investissement ?
Antoine Leymarie : La biologie et la radiologie sont deux spécialités qui se ressemblent : elles exigent beaucoup d’investissements dans des machines, beaucoup de personnel pour gérer la partie technique, la part du libéral y est forte (autour de 70 %) et elles sont des spécialités de diagnostic. Ce sont également deux professions qui sont historiquement lucratives, dans la mesure où les volumes d’analyses biologiques et d’imagerie médicale sont en augmentation continue et parce que les progrès technologiques permettent des économies d’échelle importantes. Si les tarifs baissent régulièrement pour compenser la hausse des volumes, les deux spécialités restent attractives.
Qui sont ces acteurs financiers ?
Antoine Leymarie : Ce sont des fonds d’investissement spécialisés dans l’achat et la revente d’entreprises. Ce qui les intéresse, c’est le différentiel entre le prix d’achat et le prix de revente d’une entreprise. Ils prennent le contrôle de groupes de biologie avec le minimum de fonds propre et le maximum d’endettement. Ils cherchent à développer et à rationaliser l’entité acquise pour rembourser la dette et ainsi valoriser financièrement l’entreprise pour la revendre à horizon de quatre, cinq ans, en faisant une plus-value. En biologie, les stratégies de rationalisation ont principalement porté sur la centralisation des activités d’analyses sur des plateaux techniques, sur le personnel, etc. La multiplication importante des grèves des techniciennes de laboratoires ces dernières années est un indicateur des tensions que peuvent engendrer ces stratégies de rationalisation économique.
Quand a débuté ce processus de financiarisation ?
Antoine Leymarie : La biologie a été la première spécialité médicale en France à être concernée par le phénomène au début des années 2000. Des groupes, adossés à des fonds, ont proposé aux biologistes des offres d’achat trois à quatre fois supérieures aux prix conventionnels. Plutôt que de pointer du doigt les médecins qui ont vendu, la question est : qu’ont fait les pouvoirs publics ?
Aujourd’hui, près de 80 % des laboratoires de biologie sont détenus directement par six groupes, quand ce chiffre était autour de 15 % en 2010.
Pendant presque vingt ans, les gouvernements successifs ont ignoré la question de la financiarisation. Pourtant, des montages juridiques complexes, qui ont permis à des investisseurs non biologistes de prendre le contrôle des laboratoires, étaient contraires à l’esprit de la loi en vigueur. Aujourd’hui, l’intérêt des pouvoirs publics pour ces enjeux est réel, mais tardif.
Une loi de 1975 garantissait pourtant l’indépendance des biologistes « contre les investissements que seraient tentés de faire dans les laboratoires les grands groupes bancaires ou financiers ».
Antoine Leymarie : Oui, mais en 1990, une loi est venue compléter le cadre juridique des professions libérales par la création des sociétés d’exercice libéral (SEL) : une forme juridique plus souple pour s’associer et plus intéressante fiscalement. Mais la majorité du capital (75 % minimum) doit rester entre les mains des biologistes exerçant. En 2001, la loi est encore modifiée : elle permet aux SEL d’exploiter un nombre illimité de laboratoires, contre cinq maximum auparavant. Des groupes adossés à des fonds d’investissement en profitent.
La profession des biologistes réagit alors par des manifestations, des tribunes médiatiques... Mais l’ordre des pharmaciens perd devant la Commission européenne un procès intenté par un groupe du secteur (Labco, racheté depuis par Synlab). Il est jugé coupable d’avoir cherché à enfreindre le développement de Labco, donc d’avoir imposé des restrictions à la concurrence.
Puis, en 2010, est autorisée la centralisation des automates sur de grands plateaux techniques. Est également imposée une procédure d’accréditation lourde et coûteuse… Les labos sont donc fortement incités à se regrouper et deviennent des cibles idéales. Une génération de biologistes, proches de la retraite, vend largement ses actions aux groupes financiers.
Comment les fonds d’investissement sont-ils parvenus à prendre le contrôle des laboratoires de biologie, alors que les médecins exerçant doivent détenir au minimum 75 % du capital ?
Antoine Leymarie : En 2013, une loi sur la biologie avait pour objectif de lutter contre la financiarisation. En réalité, elle a largement accéléré le phénomène et, aujourd’hui, près de 80 % des laboratoires de biologie sont détenus directement par six groupes, quand ce chiffre était autour de 15 % en 2010. Pourquoi ?
Les montages juridiques des groupes ont permis de rentrer dans les clous de la légalité tout en « jouant » avec les règles : dans les statuts des sociétés d’exercice libéral, il est souvent précisé que les décisions importantes (investissement, fusions…) doivent être prises après consultation d’un comité stratégique ou d’une autre entité ad hoc, où les actionnaires financiers sont majoritaires. Ils sont aussi détenteurs de la très large majorité des actions « de préférence », distinctes des actions « ordinaires », qui accordent les droits financiers. Ces montages permettent à la holding de capter les profits et d’avoir le pouvoir décisionnel. Les médecins exerçant conservent la majorité du capital et des droits de vote, mais seulement « sur le papier ».
Pour la biologie, les jeux sont faits, il n’y aura pas de retour en arrière.
Les pouvoirs publics ont d’abord vu d’un bon œil cette concentration du secteur : l’assurance-maladie a pu faire baisser les tarifs, faire des économies. Mais elle fait face à des difficultés depuis quelques années : au moment des négociations tarifaires, les directions des groupes ont organisé des grèves, mettant à l’arrêt plus de 80 % des laboratoires, à trois reprises depuis 2019. Les agences régionales de santé ont dû procéder à des réquisitions. Le rapport de force s’est donc durci. L’ordonnance parue en 2023, qui ambitionnait notamment de supprimer les actions de préférence, a été l’objet d’un lobbying important, payant : cette mesure a été supprimée du projet.
Cette financiarisation a-t-elle profité, d’une manière ou d’une autre, aux biologistes ?
Antoine Leymarie : Leurs revenus ont été divisés par deux en l’espace de quinze ans, bien qu’ils restent toujours confortables. L’attractivité de la profession à l’égard des jeunes a chuté : au classement à l’entrée de l’internat de médecine [quand les étudiants choisissent leur spécialité – ndlr], la biologie s’est effondrée, elle est parmi les trois dernières choisies par les futurs médecins.
À l’origine de cette désaffection, il y a également le statut : 81 % des biologistes libéraux travaillent en tant que travailleurs non salariés, ils n’ont pas droit aux indemnités de licenciement, à l’assurance-chômage, et ne relèvent pas du Code du travail. C’est pourquoi les jeunes biologistes aspirent désormais à devenir salariés au sein de ces groupes.
Aujourd’hui, c’est le tour de la radiologie : suit-elle le même chemin ?
Antoine Leymarie : Le principe de consolidation, de mutualisation, de recours aux fonds, est le même. Mais la radiologie n’est pas « industrialisable » comme l’était la biologie. Pour le dire simplement, faire passer un scanner à un patient n’est pas une activité « rationalisable » comme celle d’analyser des tubes de sang qu’on peut centraliser sur des plateaux techniques. Le recours à la téléradiologie permet en revanche bien une « délocalisation » du diagnostic et des économies d’échelle.
Une partie de la profession oppose une résistance importante à la financiarisation, menée par les organisations professionnelles : le syndicat des radiologues libéraux (FNMR), les jeunes radiologues (Corail), l’ordre des médecins sont unis sur ce sujet. Le « précédent » des biologistes médicaux est souvent cité comme figure « épouvantail ».
Les pouvoirs publics ont aussi évolué sur ce sujet. L’assurance-maladie a consacré un rapport au sujet en juillet 2023, le Sénat en octobre 2024. Un bureau dédié à la financiarisation a été créé au sein du ministère de la santé. Cela témoigne d’une volonté des pouvoirs publics de diagnostiquer les effets de la financiarisation et de proposer de nouvelles régulations. D’autant que d’autres professions médicales sont concernées : anatomopathologistes, pharmaciens, radiothérapeutes, etc.
Ce mouvement de financiarisation peut-il être freiné ?
Antoine Leymarie : Pour ce qui est de la biologie, les jeux sont faits, il n’y aura pas de retour en arrière. Mais les pouvoirs publics réfléchissent à de nouvelles régulations de l’offre de soins et de l’activité des groupes, pour éviter par exemple les situations excessivement monopolistiques et contraindre les groupes à remplir leurs missions pour couvrir équitablement les territoires.
Pour la radiologie, le secteur est à un moment crucial : les différents acteurs, pro- et antifinanciarisation, se regardent dans le blanc des yeux. Le rapport de force est en cours. Les pouvoirs politiques ont jusqu’ici favorisé la financiarisation de la biologie. Ce sont encore eux qui auront le dernier mot.
mise en ligne le 10 octobre 2024
Cyprien Caddeo sur www.humanite.fr
Le projet de loi de finances pour 2025 est présenté ce jeudi 10 octobre, en Conseil des ministres. Au cœur des débats à venir dans l’Hémicycle, l’augmentation des impôts, refusée par la Macronie. Michel Barnier a annoncé ne rien s’interdire, tandis que la gauche entend redonner tout son sens à cet outil de redistribution.
Un totem matriciel du macronisme vacille. Depuis sept ans, les troupes présidentielles ont bâti leur identité politique autour d’une promesse : aucune hausse des impôts. Et voilà que le premier ministre issu des « Républicains », Michel Barnier, a franchi le Rubicon et ouvert la discussion : « Il ne faut pas s’interdire d’aller vers une plus grande justice fiscale », a déclaré, dès mi-septembre, l’hôte de Matignon.
« La hausse des impôts n’est jamais une fatalité, mais toujours une facilité », lui a répondu la députée Renaissance Aurore Bergé, pressée de marteler le récit macroniste : l’impôt ne serait pas un levier de redistribution, mais une solution négative, une punition qui s’abattrait sur les honnêtes gens.
L’impôt sert pourtant à financer la solidarité nationale, les services publics et la lutte contre les inégalités. Au fur et à mesure que les impôts les plus progressifs diminuaient, ces sept dernières années, la pauvreté, elle, a largement augmenté. Preuve que le logiciel macroniste est à bout de souffle.
« Contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus
Et pourtant, malgré les cris d’orfraie des élus Renaissance, les pistes envisagées par le premier ministre sont loin d’incarner une révolution fiscale. En l’espèce, les hausses d’impôts à la sauce Barnier pourraient prendre la forme d’une « contribution exceptionnelle » sur les plus hauts revenus, qui ne toucherait que les ménages émargeant à plus de 500 000 euros par an (soit l’équivalent de 20 fois le revenu médian français, ce qui représente 0,3 % des ménages). Recettes estimées : 2 milliards d’euros.
Une autre augmentation cible 300 grandes sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros annuels. Les deux mesures seraient temporaires, « sur un ou deux ans », promet Michel Barnier : « il n’y aura pas de choc fiscal. »
Voilà le patronat rassuré, d’autant qu’une autre augmentation d’impôts, sur laquelle Matignon s’est bien gardé de communiquer, risque, elle, de toucher sévèrement les plus pauvres : la hausse de la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité (TICFE). Cette part prélevée par l’État sur la facture au mégawattheure pourrait être doublée d’ici à février.
Preuve que la droite et le centre ne rechignent pas à cibler le portefeuille des Français, malgré leurs discours – il n’est jamais question, par exemple, d’entamer un débat de fond sur la TVA, impôt qui touche proportionnellement plus fort les bas revenus.
Reste que le premier ministre a ouvert une brèche dans laquelle la gauche parlementaire entend s’engouffrer. « Michel Barnier a eu le mérite de remettre la question fiscale sur le tapis, là où la Macronie refusait tout débat sur ce sujet, se félicite le député PCF Nicolas Sansu. Après sept années d’Emmanuel Macron, nous avons un impôt de moins en moins progressif et de moins en moins compris, qui nourrit le sentiment d’injustice fiscale et la haine envers les prélèvements. »
Le NFP propose une équation anti-austéritaire
Alors, ce mercredi 9 octobre, à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire (NFP) a décidé de serrer les rangs. Communistes, insoumis, socialistes et écologistes ont présenté ensemble à la presse les mesures phares de la coalition pour amender le projet de loi de finances 2025, présenté en Conseil des ministres ce jeudi 10 octobre. À leurs côtés, une invitée spéciale, Lucie Castets, « à l’origine de ce travail budgétaire » et toujours candidate du NFP pour Matignon.
La gauche dresse une liste de 10 mesures visant à dégager environ 49 milliards d’euros de recettes supplémentaires, qui prendront la forme d’amendements déposés par les quatre forces du NFP. « Le temps n’est pas aux rustines ! » tance l’insoumis Éric Coquerel, président de la commission des Finances.
Les propositions du NFP reprennent ainsi en grande partie le chiffrage établi par la gauche lors des législatives, « seule coalition à avoir détaillé à ce point son programme », rappelle le député FI, persuadé que la gauche aurait pu obtenir « une majorité sur un budget NFP-compatible si on nous avait laissé gouverner ».
« Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés. » Philippe Brun, député PS
La preuve, c’est que là où le gouvernement souhaite faire des coupes budgétaires à hauteur de 40 milliards d’euros, tout en promettant de « répondre à l’attente des Français qui ont besoin d’une plus grande présence des services publics sur le territoire », le NFP propose une équation anti-austéritaire qui reste la seule à même de pouvoir développer les services publics.
Mais où la gauche propose-t-elle d’aller chercher ces nouvelles recettes ? « Nous espérons dégager à peu près le même montant que Michel Barnier, mais la différence, c’est que notre plan cible les plus aisés », sourit le socialiste Philippe Brun. D’abord, en plafonnant ou en supprimant un certain nombre d’exonérations ou de crédits d’impôt qui ne se justifient pas. Le crédit d’impôt recherche, qui représente 7 milliards d’euros par an sans effet notable sur le financement de la recherche française, serait plafonné à 50 millions d’euros et davantage ciblé et tracé.
Exit les exonérations de cotisations employeurs pour tous les salaires supérieurs à deux Smic (3 600 euros brut). Exit aussi la fiscalité anti-écologique de l’aérien : le NFP propose de supprimer l’exonération de taxe kérosène sur les vols intérieurs et de taxer les vols en jet privé. Les recettes dégagées viendraient financer le développement de l’alternative ferroviaire : « La fiscalité écolo n’est pas une fiscalité de rendement : nous la redistribuons tout de suite à destination des usagers », soulève l’écologiste Eva Sas.
Retour de l’ISF, taxe sur les grandes entreprises
Sur le volet des nouvelles impositions, la coalition de gauche remet sur la table la réinstauration de l’impôt sur la fortune (ISF), dans une version « revisitée et plus robuste », avec une composante plancher équivalente à 2 % du patrimoine net global, pour être certain que les ultra-riches n’y échappent pas via un montage fiscal.
Là encore, avec l’objectif de bâtir une majorité au-delà du NFP : « Il y a une majorité de députés de cette Assemblée qui ont mis le retour de l’ISF dans leur profession de foi », rappelle Philippe Brun. Le Modem, l’an dernier, avait d’ailleurs soutenu la création d’un ISF vert et l’instauration d’une taxe sur les superprofits, qu’Emmanuel Macron avait dogmatiquement refusée.
Emboîtant le pas à Michel Barnier et sa micro-mise à contribution temporaire des grandes multinationales, le NFP propose aussi de taxer les entreprises à plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel avec un taux d’impôt sur les sociétés à 40 %, rehaussé à 55 % pour les entreprises à plus de 3 milliards. Une mesure à 5 milliards de recettes, à laquelle s’ajoute l’augmentation de la taxe sur les transactions financières (de 0,3 % à 0,6 %), pour un gain de 2 milliards d’euros supplémentaires.
La batterie de mesures cible donc les ménages aisés, les très grandes entreprises extrêmement profitables, le marché boursier et les activités polluantes. Le tout, pour dégager des marges de manœuvre en termes de politiques publiques. Contrairemetn au budget Barnier, qui est « très court-termiste et propose une cure dangereuse d’austérité qui ne permet pas à la puissance publique de fonctionner », considère Lucie Castets, qui ajoute que « les réformes fiscales de Macron, ce sont 62 milliards d’euros qui sont grevés sur les comptes publics chaque année ».
« Ces mesures ne sont que le volet recettes de nos propositions sur le PLF 2025, rappelle Nicolas Sansu. Elles servent de base pour, dans un second temps, nos mesures de financement de l’hôpital, de l’école, des services publics… » La gauche s’attend déjà à ce que la coalition de Michel Barnier l’accuse de « matraquage fiscal » ou de vouloir « asphyxier les Français ».
Faire dérailler la fable macroniste
Le socialiste Claude Raynal, président de la commission des Finances au Sénat, s’en empourpre d’avance : « Il est insupportable d’entendre ceux qui sont responsables de notre déficit actuel (3 200 milliards d’euros – NDLR) nous faire la leçon et fixer des lignes rouges sur le budget ! »
Il faudra donc batailler pour faire dérailler la fable macroniste qui veut faire de l’impôt redistributif un épouvantail, au nom d’une croyance tout aussi contestable : la théorie du ruissellement qui suppose que l’argent des riches s’écoule magiquement vers les plus pauvres, pour peu qu’on fiche une paix royale aux premiers. Car, au-delà du Parlement, certains s’autorisent à penser bien plus loin que Michel Barnier.
Le 8 octobre, le Figaro publiait le « rapport choc » de l’Institut Montaigne, think tank libéral qui propose une feuille de route à 150 milliards d’économies. Au rayon des « bonnes idées » de l’institut, 25 milliards retranchés des dotations aux collectivités territoriales (donc des services de proximité : écoles, Ehpad, bibliothèques, piscines publiques…) ; des séjours écourtés en maternité après accouchement ; ou encore la retraite à 66 ans. La question de la hausse des impôts, pilier de notre contrat social, est évidemment, là encore, absente de ses radars.
Pierric Marissal sur www.humanite.fr
Le discours anti-impôts, omniprésent, tout autant que la hausse des inégalités et la dégradation des services publiques, fait des ravages sur le consentement de la population à participer à la contribution commune : 82 % jugent le système fiscalo-social « inéquitable ».
La France serait la « championne du monde des prélèvements obligatoires » et un « enfer fiscal », répète Patrick Martin, le président du Medef, sur tous les plateaux de radio et de télévision depuis la rentrée. Ce discours anti-impôts, allègrement repris par des ministres jusqu’à il y a peu en exercice, mine le consentement à l’impôt des Français.
Le dernier baromètre du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) révèle que 67 % des Français sont insatisfaits de l’utilisation faite de leurs impôts (+ 3 % en deux ans) ; 82 % jugent même le système fiscalo-social inéquitable.
« La première cause de cette dégradation est ce discours idéologique anti-impôts constamment rabâché », assure le fiscaliste Vincent Drezet. « C’est le jour où on en verra les conséquences qu’on le regrettera », met en garde le porte-parole d’Attac, qui cite en exemple le système de santé. En effet, le service public français représente 11,9 % du PIB. Aux États-Unis, où l’essentiel est privatisé, c’est 18,2 %. Y accoucher coûte entre 50 000 et 100 000 dollars, selon les prestations de la clinique.
Le contrat social en France stipule que, là où il y a contribution, il doit y avoir rétribution. Les cotisations sociales, qui financent les retraites ou le chômage, sont du salaire différé, quand les impôts financent les services publics, « le patrimoine de ceux qui n’en ont pas », disait Jean Jaurès.
Le taux de prélèvement obligatoire français, entre 42 et 45 % du PIB depuis les années 1980 (en substance, comme la Belgique, le Danemark ou l’Allemagne), ne peut être comparé à celui d’un paradis fiscal comme l’Irlande (21 %), ou aux États-Unis (25 %) où la santé, la recherche comme l’enseignement supérieur sont en grande partie privés.
À cela, les Français sont encore attachés, nous dit le baromètre du CPO, mais ce lien citoyen avec l’impôt est de plus en plus fragile. Si 65 % des répondants estiment payer trop d’impôts, 50 % préfèrent « améliorer les prestations fournies par les services publics, quitte à augmenter le niveau des impôts », et 83 % pensent que l’État devrait dépenser davantage pour certaines missions comme l’hôpital ou l’école.
Les Français majoritairement bénéficiaires de la redistribution
« La première mesure qu’il faudrait prendre pour rétablir le consentement à l’impôt serait de rendre la fiscalité lisible, explique la responsable de plaidoyer « Justice fiscale et inégalités » d’Oxfam, Layla Abdelké Yakoub. Il faut comprendre ce que l’on paye et pourquoi. » Vincent Drezet acquiesce : « Il faut d’abord informer, faire preuve de transparence et de pédagogie pour contrer, arguments à l’appui, les discours anti-impôts. »
Ainsi, 74 % des Français ont l’impression de contribuer plus qu’ils ne bénéficient du système de redistribution, ce qui est faux. En 2018, les économistes Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman avaient produit une étude mesurant que les deux tiers des Français recevaient davantage, en prestations et en services publics, qu’ils ne versent en impôts, taxes et contributions sociales.
Dans la continuité de ce travail, l’Insee a refait le calcul en 2023 et la situation semble s’être dégradée, puisque, selon le rapport, 57 % des ménages français sont bénéficiaires nets de ce système de redistribution élargie. Dans le détail, il s’avère que « 90 % des individus de plus de 60 ans reçoivent plus que ce qu’ils paient, principalement via les retraites et la santé », contre moins de 50 % chez les actifs. Autrement dit, l’impôt remplit de moins en moins son rôle redistributif.
« Chez Attac, on aime dire qu’il n’y a pas de ras-le-bol fiscal, mais un ras-le-bol des injustices fiscales, » avance Vincent Drezet, qui date cette inflexion de la crise de 2008, lorsque les Français ont eu le sentiment de payer pour les banques. La politique de l’offre qui vise à augmenter les marges des entreprises n’a pas arrangé le sentiment d’injustice.
« Ces dernières années, quand le gouvernement parlait de baisses d’impôts, ce n’était que pour les plus riches et les grosses entreprises, mais quand il faut les augmenter, c’est pour tout le monde », déplore Layla Abdelké Yakoub. Il y a eu une série d’allègements fiscaux à destination des grosses fortunes (suppression de l’ISF, création de la flat tax, etc. ) mais aussi sur les sociétés (baisse de l’impôt sur les bénéfices de 33 à 25 %, baisse des cotisations, suppression de la CVAE sur les grands groupes, multiplication des niches fiscales, etc.).
Dans leur écrasante majorité, les Français n’en ont pas vu la couleur. L’aide aux entreprises, sous toutes ses formes, est devenue la première dépense de l’État. « Voilà pourquoi il faut de la transparence sur comment est utilisé l’argent de la population : des dizaines de milliards d’euros non conditionnées sont distribués aux grands groupes et, après, le gouvernement attaque les droits sociaux et réduit le budget des services publics, ce n’est pas entendable ! » s’insurge la chargée de plaidoyer d’Oxfam.
À l’inverse, la charge fiscale repose de plus en plus sur les taxes les moins progressives, comme la TVA, la CSG (les deux premières recettes fiscales avec respectivement 200 et 142 milliards d’euros). De ce fait, la taxe sur la consommation représente jusque 14 % du revenu disponible des ménages les plus modestes, contre 4,7 % pour les plus riches.
Conséquence de cette politique : les inégalités se sont creusées avec un taux de pauvreté qui est passé de 12,5 % à 14,4 % en vingt ans. Les ultrariches, eux, n’ont jamais autant cumulé : les cinq premières fortunes de France ont doublé leur richesse depuis le début de la pandémie.
« La faible progressivité du système fiscal ne permet pas de réduire efficacement les inégalités. Ce sont principalement les services publics et la protection sociale qui le permettent (sans cela, le taux de pauvreté dépasserait 22 %) », rappelle Attac.
Effet pervers, à mesure que le consentement à l’impôt s’érode, la tolérance à la fraude de proximité, comme le travail à domicile non déclaré, augmente. Seules 55 % des personnes interrogées dans le baromètre du CPO souhaitent que l’État dépense davantage de fonds publics pour lutter contre.
« On se dit que, quitte à ne pas s’y retrouver, à voir l’accessibilité et la qualité des services publics baisser, autant frauder, soupire Vincent Drezet. Mais la sensibilité à la question de l’évasion fiscale massive, celle des grands scandales, reste forte, même si on a du mal à se représenter les sommes en jeu. »
mise en ligne le 9 octobre 2024
par Delphine Bauer et Morgan Railane sur https://basta.media/
Des familles se plaignent des conditions d’accueil de leurs parents en Ehpad, signalent des maltraitances, alors que le personnel manque parfois dans les établissements. Comment expliquer cette situation ? Réponses avec Mélissa-Asli Petit, sociologue.
Mélissa-Asli Petit est docteure en sociologie sur la thématique du vieillissement. Elle dirige Mixing Générations, un bureau d’étude et de conseil en sociologie appliquée sur les seniors et la Silver Economie.
Basta! : À partir de quand parle-t-on de maltraitances dans un Ehpad ?
Mélissa-Asli Petit : À mes yeux, les maltraitances commencent à partir du moment où la dignité de la personne n’est pas respectée. Les maltraitances peuvent prendre la forme d’actes, de gestes, de contraintes physiques et morales, de paroles, parfois d’absences d’actes appropriés. Quand on laisse se détériorer un escarre ou qu’un soignant force à la nourriture car il n’a pas de temps, qu’est-ce que ça dit de notre système ?
Il existe une double logique de la dignité d’être, - manger correctement, dormir correctement, être bien soigné, éviter les escarres etc.. - et de la dignité d’action et d’agir en tant qu’adulte et citoyen. À l’entrée dans le grand âge, on attend de pouvoir être bien traité, bien soigné, bien accompagné, que ce ne soit pas que du médical mais qu’il y ait aussi des accompagnements de vie.
La dignité d’être touche à l’intime de la personne. Face à tel ou tel acte, telle parole, que va ressentir le résident ? Je prends l’exemple de l’ « elder speak », ce langage qui consiste à parler de manière infantilisante aux personnes âgées dépendantes. Ce n’est pas une maltraitance en soit, mais une forme d’âgisme, une forme de discrimination, qui illustre la manière de considérer les personnes âgées.
Parfois, les maltraitances, ce sont des micro-gestes du quotidien que les professionnels ne perçoivent plus comme dérangeants car ils sont pris dans des cadrages temporels qui les dépassent, liés à la marchandisation du secteur. Mais je vois de nombreux professionnels d’Ehpad qui sont excellents, se donnent corps et âme et restent dans le métier pour les résidents. C’est important de le dire.
Comment cette pression pèse-t-elle sur le personnel dans les Ehpad ?
Mélissa-Asli Petit : Un premier niveau concerne le problème drastique du manque de personnel. Les établissements peuvent prendre des intérimaires pour compenser, qui ne sont pas toujours bien formés. Je repense à une femme restée deux heures sur les toilettes car elle avait été oubliée par une intérimaire. Je considère cela comme de la maltraitance.
Quelque chose se joue sur le manque d’attractivité du secteur. Mais l’implication des directeurs d’établissements a aussi un rôle, puisqu’il leur revient de créer de l’engouement afin de faire rester les personnels, sans jamais oublier que l’Ehpad est avant tout le lieu de vie des résidents.
Le manque de personnel a-t-il un impact sur la restriction de la liberté des résidents des Ehpad ?
Mélissa-Asli Petit : Cela dépend du degré de dépendance. Le matin, c’est par exemple un moment compliqué dans un Ehpad. Quand il manque un professionnel et qu’on doit lever, réveiller la personne pour aller au kiné, avec des difficultés à l’habillement, mais qu’elle marche, parle, qu’elle est hyper consciente, c’est encore différent d’une personne qui peut être à côté d’elle, aphasique, alitée, qui a besoin de beaucoup plus de soins et de temps. Il faudrait pouvoir adapter l’organisation aux contraintes de personnels et aux besoins et désirs des résidents.
Il existe donc des rapports de pouvoir dans un Ehpad ?
Mélissa-Asli Petit : Sur la question de l’autodétermination par le résident, comme pour le choix de se doucher à l’heure que je souhaite, l’un des premiers freins, c’est de partager le pouvoir entre résident et personnel de l’Ehpad. Comment arrive-t-on à partager le pouvoir, quand, du point de vue des soignants, des professionnels ou des administratifs, il est plus simple de le conserver que de faire le choix de l’autodétermination des résidents ?
« Notre société porte un regard âgiste sur les résidents d'Ehpad »
Quand il faut aller vite, cela peut sembler plus simple au personnel de décider pour les personnes. Car le personnel n’est pas assez nombreux, que la charge de travail est trop importante, car écouter des personnes qui mettent parfois du temps à s’exprimer prend du temps. Certains professionnels ne sont pas toujours outillés des différents dispositifs de communication, comme le mode de communication « Facile à comprendre » (Falc), ou les « talkings mats », des tapis de discussion avec des pictogrammes équipés de velcro pour faciliter la communication.
Le Covid a-t-il été un révélateur des dysfonctionnements dans les Ehpad ?
Mélissa-Asli Petit : Il est certain que pendant cette période, le gouvernement, les dirigeants d’Ehpad ont décidé pour les autres et sans remettre en question des mesures qui pouvaient être aberrantes et qui sont critiquées aujourd’hui. Mais le mal a été fait.
Au-delà des questions de tutelle et curatelle, il est plus facile d’enlever l’autonomie à la personne quand, déjà, on considère qu’elle n’en a plus beaucoup. Notre société porte un regard âgiste sur les résidents : le vieillissement est négatif, infantilisant, synonyme de détérioration. Cet imaginaire très polluant se retrouve également en Ehpad.
Cette considération insidieuse crée des mécanismes de discrimination et d’exclusion. Les professionnels qui y exercent peuvent aussi être imprégnés de cet imaginaire, sauf ceux qui ont fait un pas de côté, qui ne considèrent pas que l’entrée en Ehpad signifie la fin de l’autonomie des résidents.
La répartition de l’espace lors des animations, où les plus dépendants sont parfois laissés au fond, révèle ces mécanismes des représentations sociales du vieillissement, dans lesquelles le résident très très vieux en fauteuil, en perte d’autonomie lourde, est exclu et devient presque invisible.
Vous pointiez la responsabilité de la marchandisation du secteur dans la possible recrudescence de maltraitances en Ehpad. Pourquoi le secteur est si lucratif pour des entreprises privées ?
Mélissa-Asli Petit : Parce que les personnes âgées en perte d’autonomie sont de plus en plus nombreuses, des logiques lucratives se sont développées pour répondre à leurs besoins, tout en conservant des financements publics qui ne sont pas toujours à la hauteur des besoins réels. Les plus âgés sont souvent considérés comme des « pompes à argent ». L’enquête du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs, sur les dérives de l’entreprise Orpea, ne recouvre certes pas tous les Ehpad, mais a montré comment un groupe a joué avec les failles du système pour pouvoir s’enrichir sur le dos des résidents ainsi que les familles.
Est-il fréquent que des proches de résidents soient dans un état d’épuisement ?
Mélissa-Asli Petit : Des demandes non répondues de la part des proches, j’en vois, avec de l’énervement non physique envers des professionnels et directeurs, mais je n’ai jamais vu d’énervement physique. Ce qui est sûr, c’est que le résident a le droit d’être bien traité.
Côté des proches, il y a des logiques internes et familiales. Je trouve que l’on parle peu de l’historique des personnes, dans le vieillissement, dans le grand âge. Que s’est il passé avec leur famille, leurs proches ? Il y a une personne dans un Ehpad, mais derrière, il y a tout un écosystème, des non-dits familiaux, des loyautés parfois.
Connaître leur vie permet de mieux comprendre des logiques qui vont s’y installer. La direction de l’Ehpad tente d’en savoir plus sur le résident et les rapports avec sa famille à l’entrée du résident, mais les équipes n’ont pas toutes les informations, et ce n’est pas à un premier rendez-vous qu’on arrive à tout partager. Se confier demande du temps et de la confiance. Et surtout, quand on s’est confié, on attend que cela soit entendu, compris, pris en compte. Cela se fait encore peu. Sur la question de la souffrance, par exemple, c’est le silence. Est-ce qu’on entend souffrir les résidents ? Est-ce qu’ils disent qu’ils souffrent ? Que disent-ils de leur propre souffrance ? En tous points, nous devrions davantage les écouter.
Rachel Knaebel sur https://basta.media/
Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont dans une situation financière préoccupante. Le modèle est à bout de souffle, alertent des sénatrices. Il leur faut de l’argent, du personnel, et des idées alternatives.
La situation financière des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) est mauvaise, très mauvaise. C’est le message central d’un rapport parlementaire rendu public fin septembre. De nombreux établissements font face « à des difficultés de trésorerie à court terme », alertent les trois sénatrices (l’écologiste Anne Souyris, la macroniste Solanges Nadille et la LR Chantal Deseyne).
Il existe environ 7500 Ehpad en France. Près de la moitié, 44 %, sont publics, un quart privés à but lucratif, 31% privés non lucratif. Tous statuts confondus, deux-tiers des Ehpad de France sont aujourd’hui en déficit. C’est deux fois plus qu’en 2020 [1].
Quelles sont les causes de cette situation ? Le rapport pointe une chute du nombre de résident·es des Ehpad depuis le Covid. Les familles se sont détournées des Ehpad. Le scandale des établissements du groupe Orpea, où se sont multipliées négligences et maltraitances, a joué un rôle dans cette désaffection. Les Ehpad sont aussi confrontés à une hausse des coûts, due à l’inflation et aux augmentations des rémunérations des personnels décidées lors du Ségur de la santé.
Le manque de personnel creuse le déficit
De l’autre côté, les établissements peinent de plus en plus à recruter. « 61 % des Ehpad, tous statuts confondus, déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement en 2019. Les Ehpad privés à but non lucratif étaient le plus couramment confrontés à ces difficultés », pointe le rapport parlementaire. Le manque de personnel touche tous les postes, de médecin à aide-soignante.
Les difficultés de recrutement pérenne poussent les Ehpad à faire appel à l’intérim, qui coûte plus cher. Et cela intensifie encore leur difficultés financières. La Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements pour personnes âgées « considère l’intérim comme l’une des causes principales de la dégradation financière des Ehpad », signalent les sénatrices.
Jour travaillé non payé ou impôt sur les héritages
Le rapport avance plusieurs suggestions pour sauver les Ehpad. Une proposition serait de créer une deuxième « journée de solidarité », travaillée mais non payée, sur le modèle du lundi de Pentecôte, jour férié travaillé depuis 2003 pour contribuer au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. La sénatrice écologiste Anne Souyris s’oppose à cette idée. « Une telle mesure constituerait un recul social pour les salariés et tout particulièrement pour les personnes aux revenus modestes », estime-t-elle. Pour Anne Souyris, « d’autres solutions plus justes pourraient être mobilisées ».
Elle défend une hausse de la CSG (contribution sociale généralisée, un impôt créé en 1990) pour renflouer les Ehpad. « Une telle mesure aurait donc un rendement comparable à la création d’une journée de solidarité et serait plus juste puisqu’elle ne pèserait pas sur les seuls salariés. Il semble cohérent que le coût de la prise en charge de la perte d’autonomie soit également supporté par les retraités », fait valoir l’écologiste en opposition avec une partie des propositions des élus LR et macroniste.
La sénatrice de gauche envisage aussi un financement des Ehpad par l’impôt sur les successions. Cela permettrait de « renforcer la justice fiscale alors que l’héritage a un poids de plus en plus déterminant dans le patrimoine global des individus ». Une autre idée serait de faire varier les tarifs d’hébergement des Ehpad en fonction des ressources financières des résidents, sur le modèle des tarifs adaptés dans les crèches ou les cantines scolaires.
Des titres de séjours pour les aide-soignants
Par ailleurs, l’écologiste souligne que les groupes d’Ehpad privés lucratif continuent à s’enrichir malgré la situation financière difficile des Ehpad : « Les gestionnaires d’Ehpad privés à but lucratif présentent un résultat net positif et s’enrichissent ainsi grâce à l’hébergement des personnes âgées dépendantes, soutenu par la Sécurité sociale ». Il faut donc, défend Anne Souyris, rendre transparents les comptes de tous les Ehpad, « sans que les gestionnaires ne puissent faire valoir le secret des affaires ».
« Compte tenu de la pénurie de professionnels dans le secteur du grand âge, le recours à la main d’œuvre étrangère semble aujourd’hui incontournable afin de répondre aux besoins de recrutement », met aussi en avant la sénatrice écologiste. Elle propose la création d’un titre de séjour ouvert aux professionnels qualifiés pour exercer le métier d’aide-soignant, ainsi qu’aux personnes admises dans des formations pour accéder à ce métier.
D’autres idées sont avancées par l’élue pour dépasser le modèle actuel des Ehpad : privilégier les petits Ehpad, d’une vingtaine de places plutôt que des établissements avec 60 à 80 résidents ; ou même s’éloigner des Ehpad pour renforcer la vie au domicile des personnes âgées dépendantes.
Aux Assises des Ehpad, mi-septembre, le secteur a appelé le nouveau gouvernement à agir. Pour l’instant, le Premier ministre Michel Barnier n’a rien dit sur le sujet.
mise en ligne le 4 octobre 2024
Par Dieynaba Diop - Députée PS des Yvelines, membre de la commission des Affaires étrangères sur www.humanite.fr
Alors que le nouveau gouvernement de Michel Barnier s’apprête sûrement à présenter un projet de loi menaçant l’existence de l’aide médicale d’État (AME), il est de notre devoir, en tant que représentants du peuple, de nous opposer fermement à cette attaque contre l’un des principes fondamentaux de notre République : l’accès universel aux soins de toutes celles et tous ceux qui en ont le plus besoin.
L’AME n’est pas un privilège accordé, comme certains voudraient le faire croire. Elle est l’incarnation de notre solidarité collective, le prolongement de nos valeurs humanistes, qui placent la dignité humaine au cœur de notre modèle social. L’AME permet aux personnes étrangères en situation irrégulière de bénéficier d’un accès minimal aux soins. Il s’agit donc d’un filet de sécurité indispensable.
Il semble utile de rappeler au gouvernement et singulièrement au nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, que la santé est un droit fondamental, inscrit dans notre Constitution, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans l’ensemble de nos engagements internationaux. Nier ce droit à une partie de la population présente sur notre sol, c’est ouvrir la voie à une société inégalitaire et fragmentée, bien loin de nos idéaux humanistes portés depuis longtemps au sein de notre République.
Bruno Retailleau ignore sciemment les conséquences sociales et sanitaires d’une réforme de l’AME telle qu’il l’a laissé entendre depuis sa nomination. Cela conduirait inévitablement à un renoncement aux soins pour des milliers de personnes. Ces mêmes malades non traités ne disparaîtront pas ; leur état s’aggravera, propageant des maladies, et mènera à des situations médicales d’urgence. Une situation désastreuse pour notre système de santé et une mise en danger de nombre de nos concitoyens.
Les arguments économiques très souvent brandis par la droite et l’extrême droite ne sont pas crédibles. L’idée selon laquelle l’AME serait une charge excessive pour le budget de l’État relève d’une contre-vérité visant à stigmatiser une partie de la population. En 2022, son coût représentait moins de 0,5 % du budget de la Sécurité sociale, soit 1,2 milliard d’euros. Nous sommes bien loin des fantasmes relayés par les discours populistes. Par ailleurs, les études montrent que la prévention et les soins précoces permettent de limiter les dépenses à long terme, bien plus élevées en cas d’aggravation de l’état de santé.
Mais, au-delà des chiffres, il s’agit ici de faire preuve d’humanité face à des situations personnelles dramatiques. Il est temps de cesser d’instrumentaliser ce débat à des fins électoralistes et de reconnaître l’évidence : ce sont des femmes, des hommes et des enfants qui fuient des situations de guerre, de misère ou de persécution. Leur refuser l’accès aux soins, c’est renier notre histoire et nos valeurs. Notre République ne peut accepter une telle remise en cause d’un de ses droits fondamentaux.
mise en ligne le 29 septembre 2024
Léa Petit Scalogna sur www.humanite.fr
L’édition 2024 de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre, est marquée par l’inquiétude des associations, syndicats et membres politiques de gauche. Le gouvernement Barnier et ses ministres hostiles à cette liberté inscrite dans la Constitution, pourraient constituer un nouveau frein à son accès.
Un clitoris géant, peint en violet vif. C’est la forme que prend l’ornement disposé fièrement sur le camion du syndicat Solidaires. « Pour réaffirmer notre liberté sexuelle et celle d’avorter, même si notre nouveau gouvernement a tendance à l’oublier », s’exclame une manifestante du cortège parisien de la Journée mondiale pour le droit à l’avortement, ce 28 septembre. Sa pancarte, artisanale, représente un cintre dessiné au marqueur noir avec un avertissement : « touche pas à mon avortement ». Le message semble tout droit s’adresser au casting gouvernemental dont les acteurs principaux redoublent de conservatisme et de tendances régressives quant aux droits fondamentaux. « Très paradoxalement, Emmanuel Macron constitutionnalise l’IVG en expliquant la préserver d’un potentiel gouvernement d’extrême droite, contextualise Hélène Bidard, adjointe PCF à la Mairie de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes. Six mois après, il n’attend pas que le Rassemblement national soit au pouvoir pour nommer des ministres hostiles à l’IVG. »
Le palmarès de Michel Barnier en la matière, Premier ministre depuis le 5 septembre, remonte à l’époque où il siégeait au Palais Bourbon. En 1982, il vote contre le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Le plus âgé à occuper cette fonction sous la Ve République partage sa vision avec celle qu’il souhaitait nommer au ministère de la Famille, Laurence Garnier. La sénatrice des Républicains en a finalement été écartée pour être nommée au ministère de la Consommation. Avec Bruno Retailleau et Patrick Hetzel, les trois nouveaux ministres s’étaient opposés à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le 8 mars dernier. « En clair, ce gouvernement rassemble les pires réactionnaires de notre monde politique, ceux qui se battent pour le recul de nos droits », tranche Mathilde Panot. Arrachée sans leur vote, cette bataille de longue haleine demeure une fierté retranscrite dans la loi et sur les affiches distribuées aux passants.
Bien moins de lieux où il sera possible d’avorter
Un climat d’inquiétude flotte, malgré les chants féministes scandés. Sarah Durocher, présidente du Planning familial, redoute de nouvelles attaques extrêmes droitières contre les antennes de l’association. « Les signaux peu rassurants se multiplient : le RN gagne du terrain aux différentes élections, le gouvernement Barnier compte des ministres très conservateurs et nous venons de perdre un Ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». Le nouveau secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes est confié à la très peu convaincue, Salima Saa. En 2012, cette dernière jugeait le ministère des droits des femmes « ridicule », dans un article de Slate. « Elle va faire des miracles, je le sens », ironise une manifestante. Ses camarades s’esclaffent.
Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), s’alarme plutôt des « entraves » à l’application de cette liberté. Le chantier d’austérité budgétaire et d’affaiblissement des services publics débuté par le gouvernement Attal risque d’être poursuivi. « Cela signifie que des hôpitaux et des maternités de proximité vont être fermés et, mécaniquement, il y aura bien moins de lieux où il sera possible d’avorter », déplore Suzy Rojtman. C’est sans compter les 130 centres d’IVG qui ont dû fermer leurs portes, depuis quinze ans, faute de financement suffisant. Le baromètre du Planning familial, paru ce mercredi, dresse le triste constat de disparités territoriales notamment. « C’est inadmissible de devoir changer de département pour avorter », s’indigne Mathilde Panot. Cette réalité concerne 17 % des personnes selon les dernières données du service statistique du ministère de la Santé (Drees), en 2022. « Voilà ce qui arrive lorsqu’on applique une idéologie de droite libérale : des déserts médicaux et des freins à l’accès de l’IVG apparaissent. », affirme la secrétaire confédérale chargée de la mission femme-mixité à la CGT, Myriam Lebkiri, gilet violet sur le dos.
La privation de financement, une manière de s’attaquer à l’avortement
Les manques de financements pour garantir le droit à l’IVG se posaient déjà avant son inscription dans la Constitution. Le choix de la dénomination « droit » ou « liberté » ne concernait pas seulement une préférence langagière. Hélène Bidard explique : « Le mot « droit » implique que les moyens pour sa mise en place soient mobilisés. Et c’est de cette façon que la privation de financement devient une manière de s’attaquer à l’avortement ».
Le cortège, au pas hâtif, avance en direction du centre d’IVG de l’hôpital universitaire Pitié-Salpêtrière. Ce point d’arrivée symbolique permet d’affirmer leur présence féministe dans un lieu où se croisent les personnes concernées par l’avortement et parfois, des activistes anti-choix, anti-droits. Hélène Bidard a déjà eu affaire à eux. Par la voix de la Ville de Paris, l’élue a déposé plainte contre un site, « Les Survivants », qui diffusait des fake news et des discours culpabilisants au sujet de l’Interruption volontaire de grossesse, aujourd’hui fermé. « Ce n’est pas normal que ce soit la ville de Paris qui se charge d’agir contre ces militants anti-choix et leur arsenal numérique ! », s’exclame-t-elle. Comme pour lui répondre, Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, martèle : « Les anti-ivg ne lâchent jamais mais nous, encore moins ! »
sur https://lepoing.net/
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies sur la place de la Comédie, à Montpellier, ce samedi 28 septembre, pour la journée mondiale du droit à l’avortement, à l’appel de plusieurs organisations et association.
« Partout dans le monde, le droit de disposer de son corps est attaqué par le système patriarcal. L’avortement reste criminalisé dans 21 pays, exposant des millions de personnes à des peines sévères », énumère une militante place de la Comédie, devant quelques centaines de personnes réunies dans le cadre de la journée mondiale du droit à l’avortement. Si, en France, la « liberté » de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été inscrite dans la Constitution au début de l’année 2024, les militantes présentes dénoncent le fait que cette loi ne garantit pas l’accès au droit car elle ne contraint pas le gouvernement à lutter contre les freins à l’avortement.
Une prise de parole dénonce ainsi « 130 centres fermés en 15 ans » et le maintien de la double-clause de conscience, permettant à un professionnel de santé de refuser un acte d’une part pour des raisons personnelles ou professionnelles et d’autre part, pour des raisons morales ou religieuses, cette dernière possibilité ayant été prévue à la légalisation de l’avortement, en 1973.
Les organisations présentes, notamment le Planning familial, demande que le droit à la contraception soit aussi intégré à la Constitution. Autre problème pointé du doigt : le fait que la législation sur l’IVG ne reconnaisse pas l’ensemble des personnes concernées : personnes transgenres intersexe, ou non-binaire. De plus, les militantes soulignent « des inégalités territoriales dans l’accès à l’IVG » avec plus de difficultés dans les zones rurales. Le cas de la fermeture de la maternité de Ganges, qui pratiquait l’IVG, a été évoqué.
Enfin, le contexte politique national a marqué ce rassemblement : « le gouvernement Barnier est ultra réactionnaire et réuni des figures de la lutte contre l’IVG et les droits LGBT et des gens qui ont voté contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG. » Le rassemblement s’est ensuite dispersé après quelques slogans.
mise en ligne le 23 septembre 2024
https://lepoing.net/
Face aux manque de crédits alloués par l’État, les enseignants du collège des Salins à Villeneuve-lès-Maguelone, commune proche de Montpellier, appellent à un rassemblement mardi 24 septembre à 12 h 30
“Crédits pédagogiques inexistants”, difficulté à remplacer un vidéoprojecteur hors d’usage, manque de photocopieuses pour imprimer les cours, stocks de matériels non renouvelés rendant impossible des travaux pratiques en sciences, parents davantage mis à contributions pour acheter les livres à lire en français… La liste des griefs est longue pour les enseignants du collège des Salins de Villeneuve-lès-Maguelone, qui parlent de “collège en faillite”.
“Le chef d’établissement nous a présenté la situation telle quelle à la pré-rentrée, il nous avait dit qu’on avait même pas le budget pour les carnets de liaisons, mais finalement on les a eu”, décrit Fabienne Lecomte, professeure de musique au collège et syndiquée au SNES. “Pour l’instant, on peut encore tirer des photocopies, mais il faut supplier pour les avoir et on nous fait comprendre que ça ne pourra pas durer. On ne comprend pas, en décembre dernier, quand les budgets ont été arrêtés, on avait encore des fonds de roulement. Certaines matières sont de moins en moins dotées, moi par exemple, en musique, j’ai 50 euros pour cette année, ça va qu’on a déjà acheté des instruments à percussions les années précédentes…”
Dans leur communiqué appelant à un rassemblement devant le collège à 12 h 30 le mardi 24 septembre, les enseignants mettent en parallèle ce manque de moyens avec les “423 milliards consacrés à la loi de programmation militaire d’ici 2030, 160 millions pour la militarisation de la jeunesse via le SNU” et “un kit de 200 euros par élève financé pour moitié par les collectivités territoriales et l’État dans les écoles et les établissements qui « expérimentent » l’uniforme”.
Ils demandent donc que priorité soit faite à l’école publique, et exigent d’être reçus par le chef d’établissement, le Conseil départemental et l’inspection académique, et envisagent des mouvements de grève selon les réponses apportées. “Ceux qui en souffrent le plus, ce sont nos élèves”, souffle Fabienne Lecomte.
mise en ligne le 9 juillet 2024
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Le gouvernement encore en place profite de la situation politique pour publier des textes législatifs en comptant sur l’absence de relais par les médias et donc une absence d’information et de réaction de la population. Ainsi un arrêté publié le 2 juillet précise les modalités de mise en œuvre d’un décret de décembre 2023 définissant des « conditions temporaires de l’accès aux urgences » qui restreint encore plus la possibilité d’accès aux services d’urgence.
Nous sommes déjà dans une situation très dégradée, avec les fermetures régulières et inopinées de très nombreux services, obligeant les patients à appeler le centre 15 au préalable pour savoir s’ils peuvent se rendre dans leur hôpital de proximité ou s’il faut se diriger vers un autre établissement plus éloigné.
Des patients reçus par des secouristes formés en 14 heures
Il est ainsi précisé que l’accueil physique dans les structures d’urgence peut être assuré par un professionnel de santé ou une personne titulaire de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence, c’est-à-dire un secouriste. En clair, en situation d’urgence, lors de votre arrivée dans un hôpital, la personne avec laquelle vous pourrez avoir un premier contact sera titulaire d’une formation durant 14 heures pour le premier niveau et 21 heures pour le 2e niveau ! Quelle que soit la bonne volonté de ces personnes, cette procédure met clairement les patients et elles-mêmes en danger, avec un risque de mauvaise appréciation de la gravité potentielle de la situation.
Une autre partie du texte explique qu’une orientation préalable, en amont de l’accueil du patient et de sa prise en charge sera effectuée par un auxiliaire médical « qui met en œuvre des protocoles d’orientation préalable par délégation du médecin présent dans la structure ». Donc vous ne verrez pas de médecin mais ce qu’on appelle un.e infirmier.ère d’orientation et d’accueil qui pourra décider de vous réorienter vers une consultation en ville auprès d’un médecin qui a transmis ses disponibilités à l’hôpital. En clair, tout est fait pour que vous ne puissiez pas entrer dans le service d’urgence et être vu par un médecin.
Se mobiliser pour rétablir un service public de la santé
Mais tout n’est pas perdu car il est prévu que ce dispositif doit faire « l’objet d’une information de la population incluant une diffusion sur le site internet de l’Agence régionale de santé ». Donc, en situation d’urgence, n’oubliez pas de consulter le site internet de l’ARS avant de vous précipiter aux urgences ! Cette situation de dégradation de notre système de soins devient de plus en plus intolérable. Cette casse du service public de santé accélérée par la politique menée par E. Macron peut aujourd’hui être stoppée en s’appuyant sur les résultats des élections législatives. Le programme du Nouveau Front populaire est une bonne base pour remonter la pente.
Mais il faut être conscient qu’il ne suffit pas de mettre un bulletin dans l’urne pour imposer les changements nécessaires. Seules des mobilisations puissantes des professionnels de santé avec la population sur le terrain permettront d’imposer d’autres choix pour notre Sécurité sociale et de rétablir un service public de santé permettant à chacun de pouvoir se soigner en proximité, sans être obligé de renoncer aux soins pour des raisons financières.
mise en ligne le 4 juillet 2024
Stéphane Guérard, Nadège Dubessay et Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Le programme du Nouveau Front populaire donne un cap aux futurs députés pour engager le bras de fer à l’Assemblée et changer le quotidien. La preuve par quatre.
Quels que soient la configuration de l’Assemblée dimanche soir et le rapport de force qui s’en dégage, les députés de gauche comptent imposer des mesures chocs afin de répondre aux demandes de changement qui se sont fait jour lors de ces législatives.
Porter le Smic à 1 600 euros net
Dans la foulée du programme du NFP, les députés de gauche de la future Assemblée comptent batailler pour que le Smic soit porté à 1 600 euros net, soit une hausse d’environ 15 % par rapport au niveau actuel. Pour répondre aux libéraux qui agitent le spectre d’une multiplication des faillites d’entreprises en cas d’envolée de leurs « coûts » salariaux, le NFP fait valoir plusieurs arguments.
D’abord, qu’une hausse des bas salaires relancera la consommation (moins on est riche, moins on épargne et plus on injecte son revenu supplémentaire dans l’économie), donc l’activité. Ensuite, qu’aucun des États qui a augmenté fortement son salaire minimum au cours des vingt dernières années (tels le Royaume-Uni, l’Ontario aux États-Unis, etc.) n’a connu de catastrophe économique, au contraire. Enfin, qu’il est toujours possible d’aider les PME à amortir le choc salarial que cela représenterait, par la création d’un fonds de compensation notamment.
Abroger la retraite à 64 ans
Adoptée par 49.3 il y a un an malgré un mouvement social historique, la réforme des retraites est revenue comme un boomerang au visage des macronistes. L’abrogation de l’âge légal de départ à 64 ans est tout à fait envisageable et apaiserait les esprits. Contrairement à ce qu’a affirmé Gabriel Attal, le régime universel des pensions ne ferait pas banqueroute en revenant aux 62 ans.
D’une part, la réforme de 2023 se met progressivement en place et n’a pas eu le temps de produire ses effets d’économies. D’autre part, l’augmentation du nombre d’années cotisées nécessaires (43 annuités) figurait déjà dans la réforme Touraine précédente, que l’actuelle ne fait qu’accélérer. Enfin, parce que le NFP propose de très nombreuses pistes de financement pour pallier le manque à gagner de l’abrogation (autour de 22 milliards d’euros, selon l’économiste Michaël Zemmour) ainsi que le sous-financement chronique dont souffre le régime.
La hausse de 0,25 point par an des cotisations sociales des salariés et employeurs prônée par le NFP couvrirait les deux tiers du coût de l’abrogation, en cinq ans. La taxation des revenus désocialisés ou défiscalisés (épargne salariale, prime Macron, intéressement, participation, dividendes, rachats d’actions…) ferait le reste.
Muscler l’émancipation par l’éducation
L’instruction est un ressort fondamental de lutte contre les idées d’extrême droite. Dans la dynamique du Nouveau Front populaire, les députés de gauche comptent bien renforcer le système scolaire grâce à trois mesures d’urgence : augmenter les salaires des enseignants comme de l’ensemble de la fonction publique pour rendre les carrières attractives ; abroger le « choc des savoirs » d’Attal en renforçant la liberté pédagogique des enseignants ; instaurer une « gratuité intégrale à l’école » (cantine, fournitures, transports, activités périscolaires) pour muscler le pouvoir de vivre des familles.
En confrontation directe avec le programme rance du RN, qui veut faire de l’école « le conservatoire vivant du patrimoine des savoirs accumulés depuis des siècles », la gauche entend aussi rompre avec la vision utilitariste de la Macronie d’un système éducatif orienté vers les seuls besoins des entreprises.
L’émancipation des élèves passe par un réinvestissement dans les locaux scolaires, la modulation des dotations des établissements – y compris privés – pour renforcer la mixité sociale, ainsi que l’abolition de Parcoursup et de la sélection dans les universités publiques.
Réanimer le système de santé
Relancer un système de santé atrophié par des années de sous-financements, alors que les besoins de la population vont grandissants, nécessite de changer les règles. Pour ce faire, les députés de gauche élus dimanche soir pourront s’inspirer des mesures phares contenues dans le programme NFP.
La lutte contre les déserts médicaux implique la régulation de l’installation des médecins et la participation des cliniques privées à la permanence des soins, avec la garantie d’un reste à charge zéro. Un plan de « rattrapage des postes manquants de fonctionnaires », particulièrement à l’hôpital public, un autre de recrutement dans le médico-social (Ehpad, IME, aide à domicile…) s’accompagneraient de la revalorisation des métiers et des salaires.
La constitution d’un pôle public du médicament combattrait efficacement les pénuries de médicaments. Et une vraie politique de prévention implique de s’attaquer aux polluants éternels (Pfas).
mise en ligne le 2 juillet 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Ce mardi 2 juillet, jour de Conseil social et économique du CHU de Montpellier, environ 80 personnes sont venues en soutien au personnel du service de chirurgie psychiatrique, en grève pour s’opposer à des suppressions de postes et de lits
8 heures, des blouses blanches se dirigent vers l’hôpital depuis le tramway avec des pancartes. “C’est
normal de soutenir les collègues en grève”, soufflent-elles.
Sur place, dans la cour du conseil de surveillance de l’hôpital de la Colombière, environ 80 personnes, dont l’intersyndicale (CGT, FO, CFDT, UNSA) sont réunies devant le lieu qui doit accueillir une
demi heure plus tard le Conseil social et économique du CHU pour protester contre des suppressions de postes et de lits au service de chirurgie
pediatrique.
Pierre Renard, délégué CGT, explique :“La direction veut supprimer trois lits en semaines, et trois de plus le weekend, dans le service de chirurgie pédiatrique, et supprimer cinq postes : quatre puéricultrices et une auxiliaire de puériculture, sur un service de 27 agents, au motif qu’il y aurait un taux d’occupation des lits insuffisants. Les assises de la pédiatrie préconisent une puéricultrice pour 4 ou 5 enfants, là, on serait à une puéricultrice pour 10 ou 11 enfants. Selon des études dont celle de la revue The Lancet ,un patient en plus par infirmier, augmenterait de 7 % le risque de décès. Passer de six à dix patients ferait passer le risque de décès à 30 %. La direction nous parle de rentabilité quand on parle de qualité de soins. La grève lancée aujourd’hui est illimitée, tant que les salariés voudront se mobiliser. L’intersyndicale est là, ça fait penser à l’union de la gauche, et même si on ne parle pas de politique, il va falloir avancer tous ensemble pour défendre l’hôpital.”
“C’est rare de voir une intersyndicale unie”, renchérit Laurent Blanc, délégué syndical Force Ouvrière. “Les soins ne sont pas quantifiables”, argue de son côté le représentant de la CFDT, évoquant “le stress et l’angoisse” des familles des patients face à ces suppressions de postes et de lits. Quant aux grévistes, elles ont décliné nos demandes d’entretiens, par peur de sanctions ou de représailles.
8 h 30, grévistes et syndicats pénètrent la salle du CSE. Les journalistes tentent de les suivre mais la direction du CHU s’y oppose. Une heure et demi plus tard, à la sortie du CSE, Pierre Renard commente : “On leur a proposé une réorganisation du service avec un bilan d’ici six mois, mais aucun accord n’a été trouvé. On parle de soins, ils nous parlent de chiffres, c’est impossible de s’entendre, la grève continue.”
La décision concernant la suppression des lits et des postes sera mise au vote au prochain CSE le 25 juillet, et l’intersyndicale entend bien voter contre.
Contactée, la direction du CHU n’a pas donné suite à nos sollicitations.
mise en ligne le 24 juin 2024
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Derrière un discours édulcoré prônant une restauration de l’État, le programme du RN prévoit un plan massif d’allégement des cotisations et impôts qui conduirait à un assèchement des caisses publiques.
« Nous voulons un État fort, restauré dans sa capacité d’action. » À travers la feuille de route présentée ce lundi 24 juin devant les médias, dans un exercice censé dissiper l’opaque brouillard autour de son programme, le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, est resté fidèle à la rengaine de Marine Le Pen.
Capitalisant d’élection en élection sur le sentiment d’abandon par l’État d’une partie de la population, la dirigeante d’extrême droite n’a eu de cesse, ces dernières années, d’afficher la volonté de « rendre à la fonction publique ses lettres de noblesse ». Une ambition qui ne résiste pas à la vacuité d’un programme qui n’apporte, au mieux, pas la moindre réponse au délitement avancé des services publics et menace même de les affaiblir.
C’est le constat dressé par Lucie Castets, co-porte-parole du collectif Nos services publics, pour qui ces incohérences sont symptomatiques de l’imposture au cœur même du projet du RN sur la question des services publics. Un regard attentif sur les quelques mesures économiques rendues publiques permettrait, selon elle, d’en déjouer aisément la mécanique.
Bataillon de réductions d’impôts
« En des termes flous, le RN tient un discours de façade, promettant de préserver le statut de la fonction publique et d’en renforcer les moyens. Or, les mesures fiscales prévues par le RN entrent en contradiction avec ce projet », analyse-t-elle. Et la fonctionnaire d’énumérer le bataillon de réductions d’impôts inscrites dans son programme.
À savoir : allégement des cotisations sociales payées par les employeurs – projet confirmé lundi par Jordan Bardella, qui prévoit d’exonérer les patrons de cotisations pendant cinq ans en contrepartie d’une augmentation de 10 % des salaires ; défiscalisation des heures supplémentaires ; réduction des taxes sur les donations ; baisse des impôts sur les successions, etc. « Tout cela alerte sur le fait que le RN ne sera pas en mesure d’apporter les fonds suffisants pour augmenter le niveau de présence des services publics ; pire, qu’il va en réduire les sources de financement », résume Lucie Castets.
Avec un manque à gagner de l’ordre de 40 milliards d’euros, selon l’Institut Montaigne, ces baisses de prélèvements obligatoires conduiraient, de fait, à un assèchement des caisses publiques, déjà malmenées par la politique d’allégement de cotisations sociales mise en œuvre par Emmanuel Macron.
Pour l’économiste Michaël Zemmour, les propositions du RN et leurs répercussions sociales s’inscrivent bel et bien dans le sillon tracé par Emmanuel Macron. « Le trait caractéristique de la politique du gouvernement actuel, c’est la baisse des prélèvements obligatoires, notamment sur les entreprises, donc la baisse des recettes, qui creuse les déficits (…). Le Rassemblement national, dans la ligne du gouvernement actuel, a tranché : il préfère continuer de privilégier une baisse des recettes », a analysé l’économiste sur le plateau de LCI, le 18 juin.
« À partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics » Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’UFSE-CGT
Le miroir aux alouettes tendu par le RN est, selon Christophe Delecourt, cosecrétaire général de l’Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), « pure escroquerie » car, « à partir du moment où vous baissez les financements, c’est mathématique, c’est autant de perdu pour les services publics ».
À l’exception, note toutefois le syndicaliste, des services régaliens de sécurité, notamment la police et la gendarmerie, pions stratégiques dans la feuille de route ultrarépressive du RN, qui vont, sans surprise, échapper à ce plan de définancement massif. Le projet réaffirmé par le président du RN est particulièrement limpide : « Nous voulons sanctuariser (l’État) dans ses fonctions régaliennes, à savoir la défense (…) », a-t-il ainsi déclaré, ce lundi, lors de l’exposé de ses orientations économiques et sociales.
La menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé
Rappelant la volonté du RN de faire baisser la dette publique d’ici à 2027, Christophe Delecourt pointe, en outre, la menace de voir des pans entiers de services tomber dans l’escarcelle du privé, à travers des abandons de politiques publiques, des externalisations, des privatisations. À commencer par celle de l’audiovisuel public, sur lequel le RN n’a pas caché ses intentions.
Il n’aurait, à cet égard, qu’à appuyer sur l’accélérateur d’un train en marche pour parachever le désengagement généralisé de l’État. Le ralliement au parti d’extrême droite d’Éric Ciotti, chef de file contesté des « Républicains », les récents revirements de Jordan Bardella, notamment sur l’abrogation de la réforme des retraites, son programme, aussi flou que famélique, dès lors qu’il ne renvoie pas à ses obsessions migratoires, apparaissent comme autant de signaux d’une fuite en avant néolibérale.
Conditionnant toute mesure liée aux services publics, ayant trait à l’école ou la santé, à un audit des finances de l’État, Bardella s’est ainsi montré bien peu disert sur la lutte à mener contre leur délitement. Hormis la proposition de supprimer les agences régionales de santé, dont les missions seraient confiées aux préfets, et celle d’exonérer d’impôts des médecins retraités qui voudraient reprendre du service, sorties hier du chapeau, le RN continue d’avancer sans projet.
À défaut de proposer des moyens à hauteur des besoins, il continue d’aligner les poncifs, selon sa stratégie, jusqu’ici payante, d’en dire le moins possible. Jusqu’à quand ?
mise en ligne le 17 juin 2024
Christophe Prudhomme sur www.humanite.fr
Le programme du RN pour la Sécurité sociale est encore pire que ce qu’a fait Macron depuis son accession au pouvoir. Sa principale proposition pour augmenter les salaires est de supprimer une partie des cotisations sociales afin que les augmentations de rémunération ne coûtent quasiment rien aux employeurs. Il s’agit donc d’une mesure ultralibérale qui conduit à une casse de notre système de protection sociale, qui obligera chacun à payer directement son assurance santé auprès d’un assureur privé et son fonds de pension pour sa retraite.
La première étape décrite dans le programme, selon les économistes de l’Institut Montaigne très proches du patronat, chiffre à 10 milliards le manque de recettes pour la Sécurité sociale, soit autant que son déficit total en 2023. Il s’agit donc bien d’une politique qui vise à encore plus amputer les ressources de la Sécu qui sont déjà aujourd’hui insuffisantes pour répondre aux besoins de la population.
La conséquence est simple : pour pouvoir se soigner, il faudra payer de sa poche une assurance complémentaire dont le coût augmentera régulièrement, en proportion de la baisse des recettes de la Sécu. Mais cela est valable pour ceux qui pourront se la payer, ce qui ne sera sûrement pas le cas des petits salaires. Il y a donc bien tromperie sur la marchandise pour les ouvriers et les employés qui, en votant pour le RN, croient que cela améliorera leur pouvoir d’achat. Bien au contraire, ce sera une baisse globale.
Autre élément du programme du RN, la suppression de l’AME. En termes de santé publique, ce serait catastrophique, comme en témoigne l’exemple de l’Espagne qui a supprimé l’accès gratuit aux soins pour les étrangers en 2012 : hausse des maladies infectieuses avec une augmentation de la mortalité dans la population générale, car les microbes n’ont pas de nationalité.
Or, les bénéficiaires de l’AME dépensent annuellement 15 % de moins qu’un assuré social classique. Autre argument constamment mis en avant par le RN : la fraude des assurés sociaux, plus particulièrement d’origine immigrée, qui profiteraient honteusement du système. Là aussi, il s’agit d’un mensonge, les chiffres de l’assurance-maladie désignent clairement les fraudeurs : pour 80 %, les fraudes sont imputables aux professionnels de santé toutes catégories confondues, contre 20 % aux assurés sociaux.
Bien d’autres propositions du programme du RN concernant la santé s’appuient sur des mensonges désignant à tort les immigrés comme les responsables de toutes les difficultés de notre système de protection sociale. Ceux qu’il faut montrer du doigt et à qui il faut demander de rendre l’argent, ce sont les patrons et les professionnels de santé fraudeurs. Alors oui, il est légitime d’être en colère contre la dégradation de notre système de santé, mais ne nous trompons pas sur les causes et les responsables. Faites-le savoir autour de vous.
mise en ligne le 3 juin 2024
paru sur https://www.politis.fr/
Auxiliaire de vie sociale en Normandie, Ludivine raconte son parcours et les multiples facettes de son métier. Elle décrit des conditions de travail difficiles et une situation de précarité qui ne favorisent pas les vocations. Or les soins apportés aux bénéficiaires par les auxiliaires de vie sont essentiels pour leur assurer des conditions justes et dignes de vie et de fin de vie.
J’ai 31 ans et cela fait bientôt cinq ans que je suis auxiliaire de vie sociale. Mère de deux enfants, je vis en Normandie et travaille pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile qui assurent la prise en charge des personnes âgées, handicapées et atteintes de pathologies cognitives. J’aime mon métier plus que tout. Le problème, aujourd’hui, c’est que les conditions ne sont plus adaptées pour permettre à tous, auxiliaires de vie, bénéficiaires, personnel administratif et hospitalier, de travailler ensemble.
Pour la hiérarchie, les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels ‘il ne faut pas s’attacher ’.
Dans notre métier, le travail s’organise autour du mantra « efficacité » ; il faut répondre à la demande des bénéficiaires, assurer nos missions, même en cas d’imprévu ou d’urgence. Il est inenvisageable pour nous de laisser les gens seuls, sans passage et sans soins ; c’est là l’essence de notre métier, privilégier l’humain avant tout. Mais à l’heure actuelle, dans notre équipe, il manque quasiment la moitié des effectifs. Surcharge des plannings, multiplication des trajets en voiture, amplitude des horaires non respectée – même à temps partiel – en sont les conséquences directes.
Le rythme des visites, à flux tendu, a évidemment un impact psychologique sur nous, sur notre travail et sur les bénéficiaires. Oui, nous assurons l’accompagnement aux gestes essentiels et activités ordinaires des bénéficiaires – habillage, toilette, repas, literie et ménage –, mais notre devoir est aussi de leur apporter bien-être et confort, les accompagner, les écouter. Cela passe par la création de liens forts, bien souvent remis en cause par la hiérarchie : les bénéficiaires restent des numéros de dossier auxquels « il ne faut pas s’attacher ».
On devient multifonctions et on sort souvent du champ de nos compétences. C’est la problématique de la pyramide inversée. La toilette médicalisée, par exemple, réservée à la base aux infirmières, est reléguée aux aides-soignantes puis finit par devenir notre tâche. Parfois, il nous faudrait effectuer des gestes qui ne relèvent pas de nos compétences. Or, si un accident survient, à qui la faute ? De même, le lien avec le personnel médical ne se fait pas toujours, ou alors nous sommes considérés comme « non qualifiés » pour juger des situations. Le confort et le bien-être devraient l’emporter sur la hiérarchie médico-sociale et la reconnaissance de notre métier doit passer par le dialogue. Tant que les différents corps de métiers ne se rencontrent pas, ne se mettent pas à la place les uns des autres, on restera dans l’impasse.
Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles.
Améliorer nos conditions de travail permettrait que nous puissions vivre de notre métier et lui redonner du sens. On aimerait être payés sur nos temps de travail effectifs, c’est-à-dire sur l’intégralité de la journée. Aujourd’hui nos temps de trajet en voiture – entre les domiciles des bénéficiaires – ne sont pas comptabilisés. Nous sommes payés 1 heure tous les 100 km alors que nous roulons en moyenne à 50/70 km/h. Récemment, notre agence a mis à disposition des voitures de service. Auparavant, j’ai effectué les trajets avec ma voiture personnelle pendant cinq ans. Or les frais kilométriques proposés par l’agence sont insuffisants pour couvrir les frais d’entretien (vidange, pneus, entretien).
Lors de nos interventions auprès des bénéficiaires, on porte des charges lourdes, on effectue des transferts de personne, de matériel quotidiennement. Certaines de mes collègues souffrent de troubles musculosquelettiques. Le service à la personne est le secteur le plus touché par les arrêts maladie et les maladies professionnelles, cela ne facilite pas l’embauche. Or, il est nécessaire de rendre le métier d’auxiliaire de vie sociale attractif. Il est donc essentiel de couvrir nos frais de transport, de nous fournir un local chauffé pour la pause déjeuner (nous mangeons dans la voiture par – 4 °C l’hiver), de repenser le lien avec le personnel médical et les familles, amis, voisins.
J’aimerais que nous aussi on nous respecte.
Si notre métier n’est pas reconnu, valorisé, c’est un système entier qui risque de s’effondrer et les conditions justes et dignes de vie et de fin de vie de nos bénéficiaires. Pour ma part, je continuerai de faire de mon mieux. Présence, écoute, douceur, persévérance, discrétion, compréhension et patience : l’aide à la personne est un tout mais commence souvent par le respect. Et j’aimerais que nous aussi on nous respecte.
mise en ligne le 30 mai 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Avec cette réforme, combien seront-ils de salariés à se retrouver sans droits au chômage à l’issue d’un CDD de 6 mois ? Combien seront-ils à basculer vers le RSA, en à peine plus d’un an, suite à un licenciement venant conclure une vie de travail ? Assurément, des centaines de milliers. Durant le week-end, Gabriel Attal a annoncé les mesures qui s’appliqueront au 1er décembre aux personnes privées d’emploi. Avec Bastamag, nous revenons sur une des réformes de l’assurance chômage les plus dures, depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
« Ce n’est pas une réforme d’économie, mais de prospérité et d’activité », assure Gabriel Attal dans son interview accordée à La Tribune du dimanche (parue dans la soirée du 25 mai), à laquelle il a réservé ses annonces sur la réforme de l’assurance chômage. Pourtant, c’est bien des économies que le gouvernement a réalisées le 28 décembre dernier, en publiant au Journal officiel un arrêté ponctionnant 12 milliards d’euros à l’Unédic (chargée de la gestion de l’assurance chômage, en coopération avec France Travail), pour la période 2023-2026. Des milliards soustraits à la couverture du risque de perte d’emploi, majoritairement réaffectés à l’aide aux entreprises pour développer l’apprentissage. Aujourd’hui, le gouvernement réduit encore les droits au chômage. Le ministère du Travail a affirmé en attendre 3,6 milliards d’économies par année pleine. Soit trois fois plus que lors de la grande réforme du chômage de 2019.
Pour ce qui est de la « prospérité », elle ne concernera pas les demandeurs d’emploi. Pour elles et eux, et en premier lieu les 2,6 millions de personnes indemnisées (moins de la moitié des demandeurs d’emploi le sont), ce sera une nouvelle punition à compter du 1er décembre 2024, le temps que France Travail mette à jour ses logiciels. Les demandeurs d’emploi de demain auront moins de possibilités d’ouvrir des droits à l’assurance chômage, avec une durée d’indemnisation encore réduite et des protections supprimées pour les chômeurs les plus âgés.
Quant à la réforme « d’activité », elle sera bien modeste, de l’aveu même du gouvernement, puisque celui-ci espère 90 000 personnes supplémentaires en emploi avec cette réforme, sur plus de 6 millions d’inscrits à France Travail, soit… 1,5 % des demandeurs d’emploi actuels.
Privation de droits au chômage
Qu’en sera-t-il une fois cette énième réforme mise en œuvre ? À la fin d’un CDD ou d’une mission d’intérim de six mois : rien ! Aucun droit ouvert. Et évidemment, pas d’allocation. À compter du 1er décembre, il faudra avoir travaillé huit mois, au lieu de six aujourd’hui, pour bénéficier d’un revenu de remplacement pendant une durée similaire à sa période travaillée.
En quelques années, le nombre de mois travaillés pour bénéficier d’une allocation aura donc doublé – avant la réforme de 2019, il n’en fallait que quatre. Dans le même temps, la période de référence sur laquelle l’ensemble des temps d’emploi comptent aura été réduite. Avec la réforme annoncée dans la presse ce week-end, les huit mois travaillés seront comptés sur une période de 20 mois, contre 24 mois auparavant et 28 mois avant 2019. Avec pour effet d’exclure certains demandeurs d’emploi de l’indemnisation.
« Le ministère nous a dit qu’il y aurait 185 000 personnes par an en dessous du seuil », assure Denis Gravouil, le négociateur CGT pour l’assurance chômage, qui accompagnait Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 23 mai, au ministère du Travail. Près de 200 000 personnes ayant travaillé moins de huit mois verront ainsi leur indemnisation soit supprimée, soit retardée le temps qu’elles retrouvent un emploi pour atteindre le nouveau seuil de huit mois. Un document de l’Unédic du 17 mai 2024 avait évalué les effets d’une augmentation du nombre de mois travaillés, avec plusieurs scénarios compris entre sept mois et douze mois. Ses résultats sont sans appel. Pour un passage à sept mois (l’Unédic n’a pas évalué l’hypothèse à huit mois), 11 % des allocataires verraient l’ouverture de leurs droits retardés. Presque une personne sur deux concernée par ce retard aurait des droits au chômage décalés d’au moins un an, pour cause de période d’emploi trop fractionnée. Le choix du gouvernement s’étant finalement fixé à huit mois, le pourcentage d’allocataires concernés sera donc supérieur.
« Cette mesure est particulièrement dure pour les jeunes de moins de 25 ans, surreprésentés parmi les précaires », expliquait la CGT, après son entrevue avec Catherine Vautrin, dans un communiqué de presse. Après six mois de travail, ceux-ci ne pourraient prétendre qu’au contrat d’engagement jeune pour avoir des ressources, explique Denis Gravouil. Soit une allocation de 528 euros par mois si la ou le jeune salarié est rattaché à un foyer fiscal non imposable (316 euros sinon).
Intérimaires et CDD sont particulièrement ciblés. « La moitié de ceux qui sont inscrits à Pôle emploi le sont après des CDD », rappelle le négociateur CGT pour l’assurance chômage. Déjà en 2019, le passage de quatre mois travaillés à six mois pour ouvrir des droits avait eu pour effet d’exclure de nombreux demandeurs d’emploi de l’indemnisation. Selon le « suivi et effets de la réglementation d’assurance chômage », publié en février 2024 par l’Unédic, on compte 30 000 ouvertures de droits de moins chaque mois suite à la réforme de 2019. Ce sont principalement celles et ceux – jeunes ou peu diplômés – « ayant généralement des parcours d’emploi discontinus, près de 9 intérimaires sur 10 sont impactés par la réforme », explique l’Unédic. Pendant que deux tiers des « personnes entrées après une fin de CDD » sont également concernées.
Pour se représenter l’impact de cette mesure allongeant la période travaillée, le gouvernement attend qu’elle rapporte 2,8 milliards par année pleine, sur les 3,6 milliards d’économies attendus par la réforme. Les autres économies seront réalisées sur la baisse de la durée d’indemnisation et sur la suppression d’aménagements dont bénéficiaient les seniors.
Baisse de la durée d’indemnisation
Non content de rendre l’assurance chômage inaccessible à près de 200 000 salariés arrivant en fin de contrat, le gouvernement va également réduire la durée d’indemnisation pour tous les autres. Celle-ci était déjà passée de 24 mois à 18 mois en février 2023. Mais en inscrivant une période de référence de 20 mois pour l’ouverture de droit, il réduit la durée d’indemnisation mécaniquement. La réforme de 2023, dite de la contracyclicité, prévoit que si le taux de chômage est inférieur à 9 %, la durée maximale d’indemnisation diminue de 25 %. Aujourd’hui, elle est de 18 mois maximum, parce que la durée de référence est de 24 mois (donc 24 mois moins 25 %, soit six mois de moins, puisque le taux de chômage est de 7,5%). Après le 1er décembre, la durée maximale d’indemnisation passera à 20 mois, à laquelle il faut soustraire 25 % si le taux de chômage ne remonte pas. La nouvelle durée d’indemnisation sera donc de quinze mois.
Ainsi, en deux ans, la couverture du risque lié à la perte d’emploi est passée de 24 mois maximum à quinze mois maximum. Et elle pourrait même baisser encore si le taux de chômage descendait en dessous de 6,5 %, un nouveau palier que l’exécutif a annoncé ce week-end. Dans ce cas, elle dégringolerait à douze mois, ce qui représenterait la moitié de la durée d’indemnisation d’avant 2023.
Il est encore tôt pour mesurer pleinement les effets de la réforme de 2023, puisqu’un an après son entrée en vigueur, l’Unédic expliquait qu’elle ne concernait pour l’heure que 12 % de l’ensemble des allocataires. Cependant, dans son document d’évaluation du 17 mai dernier, l’association gestionnaire estime que le passage à douze mois maximum d’allocations dégraderait la situation d’un million d’allocataires.
Une boucherie pour les seniors
Gabriel Attal a annoncé que le décret qui sera publié le 1er juillet modifiera profondément les droits au chômage des salariés privés d’emploi les plus âgés. Parce qu’il est plus difficile de trouver un travail après 50 ans, les plus de 53 ans bénéficiaient avant 2023 de 30 mois d’indemnisation et les plus de 55 ans de 36 mois. Après un premier coup de rabot l’an dernier, le gouvernement leur impose une double peine.
En plus de devoir travailler deux ans de plus pour partir à la retraite, ceux-ci devront attendre l’âge de 57 ans pour obtenir une durée d’indemnisation plus longue que les quinze mois que le gouvernement réserve maintenant aux chômeurs. La borne d’âge de 53 ans est purement et simplement supprimée et celle de 55 ans est décalée de deux ans, à 57 ans. Ainsi, un salarié licencié à l’âge de 55 ans aura perdu 58 % de sa durée d’indemnisation par rapport à 2022, puisque celle-ci sera passée de 36 mois à quinze mois. Et même à l’âge de 57 ans, il ne bénéficiera de son allocation que pendant 22 mois et demi contre 27 mois après la réforme de 2023.
À côté de cette saignée, le gouvernement créé un « bonus emploi senior » qui consiste à compléter le revenu d’un senior qui aurait pris un emploi à un salaire inférieur à celui qu’il avait pour ouvrir des droits. Mais seulement pendant un an. Une mesure considérée comme une déqualification et rejetée par l’ensemble des syndicats de salariés. Un cadeau pour le patronat, explique le syndicat des cadres CFE-CGC : « Je suis une entreprise, je balance tout le monde à 55 ans, et après deux ans de chômage je les récupère à moitié prix », s’insurgeait son président, François Hommeril, dans les colonnes de Libération en fin de semaine dernière.
mise en ligne le 13 avril 2024
De Pascale Danyel (France Bleu Occitanie) sur ttps://www.francebleu.fr/infos/
Dans le Comminges selon la CGT des dizaines de boîtes aux lettres jaunes de la Poste ont été scellées ces derniers mois. Le syndicat CGT dénonce un abandon du service public dans les campagnes. La direction de la Poste assure qu'il n'y a pas de plan de fermeture de son parc de boîtes aux lettres.
Au sud de la Haute-Garonne dans le Comminges, selon la CGT, des dizaines de boîtes aux lettres jaunes de la Poste ont été scellées ces derniers mois : à Salies-du-Salat, Touille, Cassagne ou encore au Mourtis. Pour poster une lettre les habitants n'ont parfois pas d'autre choix que de prendre leur voiture. Le syndicat CGT dénonce un abandon du service public dans les campagnes. Il a distribué des tracts ce jeudi matin sur le marché de Saint-Gaudens et devant le bureau de poste de la commune où une cinquantaine de militants se sont rassemblés.
"Mes parents doivent amener leur courrier à un voisin qui part le poster en ville en voiture"
Si il y a bien quelqu'un que cette fermeture de boîtes aux lettres embête au plus haut degré, c'est Andrée, croisée une enveloppe timbrée à la main devant le bureau de poste de Saint-Gaudens : "Dans le village où habitent mes parents, la boîte aux lettres n'existe plus, c'est très embêtant, ils doivent amener la lettre à un voisin qui part en voiture à la ville cinq ou six kilomètres plus loin. Il ne faut pas fermer les boîtes aux lettres dans les petits villages, encore moins qu'ailleurs".
Même énervement pour Marie-Aude rencontrée à quelques mètres d'une boîte aux lettres jaune scellée. Elle trouve cela : "Très gênant, car les personnes âgées ou celles qui n'ont pas de véhicule ne peuvent pas aller à la Poste, il y en a marre, on paye et il n'y a plus de service public. Quoi faire ? Il n'y a pas qu'internet, je ne suis pas pour ce projet-là. Ça m'arrive en vacances d'envoyer des cartes postales, c'est agréable, et ça fait travailler !"
"Une étape dans la casse complète de notre service public de la Poste"
À Salies-de-Salat, petite commune du Comminges de 1.800 habitants, deux boîtes aux lettres jaunes ont été scellées, au grand dam des habitants.
Du gros scotch siglé la Poste collé sur le clapet, la boîte aux lettres située à côté du collège de Salies-du-Salat commence à se recouvrir de mousse et porte les empreintes de deux araignées séchées, Jean-François, ancien postier militant CGT s'en désole : "C'est assez triste de voir une boîte aux lettres qui ne sert à rien" et il précise "ce n'est qu'une étape dans la casse complète de notre service public de la Poste".
Scénario similaire dans l'une des rues qui mène à la mairie de Salies, idem sur la commune voisine de Touille, les habitants comme Jean-Claude s'en offusquent : "C'est un service de proximité, il devrait rester ouvert pour les personnes âgées et les gens qui n'ont pas de véhicule."
La direction de la Poste se défend
En plus de deux boîtes aux lettres jaunes scellées, Salies-du-Salat est aussi impactée par un projet de réduction des horaires d'ouverture de sa Poste explique Lionel Attané, conseiller municipal : "On perdra une demi-heure, on va en parler au conseil communautaire avec une motion concernant l'ouverture de la Poste".
Contactée par France Bleu Occitanie, la direction de la Poste assure qu'elle "Reste attachée à son lien de proximité avec les clients" (...) qu'elle n'a pas de plan de fermeture de son parc de boîtes aux lettres". Elle dit aussi que son "maillage de boîtes aux lettres peut évoluer localement quand celles-ci s'avèrent peu ou pas utilisées". Elle précise enfin que "l'évolution et le fonctionnement des bureaux de poste sont pilotés en concertation avec les élus locaux."
Au lendemain de la publication de notre article, la direction de La Poste précise : "sur les 525 boîtes aux lettres de rue du secteur de Saint-Gaudens, 18 sont en cours de réfection, (...) deux boites aux lettres de rue ont été définitivement fermées dans la zone, dont une à cause de travaux de voierie."
mise en ligne le 5 avril 2024
Cécile Rousseau sur www.humanite.fr
Alors que le groupe Medicharme était fixé sur son sort ce jeudi, son placement en liquidation judiciaire a mis en lumière la crise du secteur de l’accueil du grand âge.
Un coup de semonce. Ce jeudi, le groupe d’Ehpad Medicharme (43 établissements, 1 200 salariés et 2 000 lits), en liquidation judiciaire, devait savoir si un ou plusieurs repreneurs s’étaient positionnés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’information n’avait pas encore été communiquée.
Dans le secteur, c’est la première fois qu’une société de cette taille explose en plein vol. Depuis la crise du Covid et les 30 000 morts dans les établissements français, le scandale provoqué par le livre les Fossoyeurs (Fayard) sur les malversations et la maltraitance chez Orpea a créé une crise de confiance qui fait partout baisser le taux d’occupation des lits.
Si, selon Jean-Christophe Amarantinis, président du Synerpa (Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées), « l’activité est en train de repartir depuis la rentrée 2023 sans revenir à 100 % de taux d’occupation », il juge la situation toujours « préoccupante dans les secteurs lucratif, mais aussi associatif et public. Ça fait des mois que nous alertons nos interlocuteurs ministériels sur ces grandes difficultés ».
Un modèle à bout de souffle
Le modèle économique des 7 500 établissements accueillant 600 000 résidents semble à bout de souffle. Celui du privé, axé sur une rentabilité exacerbée, est, lui, en train de plonger. Tandis qu’Orpea a été sauvé in extremis de la faillite par l’intervention de l’État, via la Caisse des dépôts, l’autre géant, le groupe Korian, devenu entre-temps Clariane, a annoncé en novembre 2023 un plan de refinancement de 1,5 milliard d’euros pour échapper au défaut de paiement.
À cette crise s’ajoutent l’inflation (sur le prix de l’énergie, notamment), la hausse des taux d’intérêt (limitant le recours aux emprunts bancaires), ainsi qu’une pénurie de personnel, égrène Jean-Christophe Amarantinis. « Cela fait trois ans que les dotations soins et dépendances régies par l’État n’évoluent pas conformément à l’évolution des charges, pointe-t-il. Il s’opère donc un report vers les tarifs des hébergements. Mais cela pénalise nos investissements. Il en est de même pour les évolutions salariales qu’on souhaiterait mettre en œuvre pour être plus attractifs. » De fait, les établissements à caractère commercial connaissent une hémorragie de personnels inédite, avec 40 % de démissions en plus depuis 2019, selon la Dares.
Pourtant, avec 40 % des Ehpad du pays sous statut commercial, difficile de croire à un effondrement total de ces structures. « Ça serait une catastrophe, avertit Guillaume Gobet, ex-salarié d’Orpea désormais représentant de la CGT santé, l’État serait obligé d’intervenir. Mais, en même temps, vu le contexte, il serait logique que ce système spéculatif s’écroule. Cette stratégie d’achats compulsifs de nouveaux établissements ne rapporte visiblement plus. » Les taux de profits astronomiques générés par ces sociétés, souvent adossées à des fonds de pension, sont allés de pair avec une dégradation des conditions d’accueil, comme cela a notamment été le cas chez Medicharme.
Depuis l’annonce de la liquidation judiciaire du groupe, fin février, avec poursuite de l’activité jusqu’au 15 avril, les syndicalistes ont remué ciel et terre pour que les collectivités locales reprennent certains établissements installés sur leur territoire. « Aux Jardins d’Aiffres (Deux-Sèvres), on a rencontré la mairie, mais ils nous disent que c’est trop compliqué », regrette Sandrine Fournier, de l’union départementale de la santé CGT.
34 milliards nécessaires pour accompagner la dépendance
Faute d’acheteur, cet Ehpad qui compte 32 agents et 39 lits devrait fermer ses portes. « On sait que le groupe concurrent DomusVi essaie déjà de récupérer nos personnes âgées. Vu la situation, je ne comprends pas pourquoi l’État et les départements continuent à financer ce système », soupire-t-elle. Pour Guillaume Gobet, l’alliance avec les collectivités est « la solution la plus viable : on ne peut pas continuer à spéculer sur la santé et la déshumanisation des résidents ».
En matière de moralisation des pratiques du secteur privé, après différents cas de maltraitance et problèmes de gestion, Jean-Christophe Amarantinis estime que des progrès ont eu lieu : « Nous avons été les premiers à demander des contrôles à l’État dans nos établissements sur l’aspect financier, réglementaire… 70 % de nos adhérents ont été contrôlés. Ce qui contribue à la reprise de confiance des familles. »
Une vision quelque peu nuancée par Guillaume Gobet : « En réalité, les agences régionales de santé (ARS) sont dans l’incapacité de contrôler les établissements et de voir où va l’argent. Quant aux familles, faute d’alternatives, elles n’ont d’autre choix que de mettre ou remettre leurs proches en Ehpad. »
De l’avis de tous, la loi « bien vieillir », adoptée par le Parlement le 27 mars dernier, ne révolutionnera pas ce modèle en crise. « On a salué la création d’un service départemental de l’autonomie, la mise en place d’une cellule départementale de recueil et de suivi des signalements des maltraitances, explique Jean-Christophe Amarantinis, mais peu de moyens ont été prévus. »
Or, les besoins concernant la prise en charge de la dépendance ne vont cesser de croître, avec 20 % de personnes âgées de plus de 75 ans d’ici à 2030. « Un investissement de 34 milliards d’euros pour accompagner cette nouvelle dépendance sera nécessaire, poursuit le président du Synerpa. L’État ne pourra pas investir seul. Il est condamné à travailler main dans la main avec le secteur privé. »
Comme le résume le cégétiste Guillaume Gobet, « sans changement de politique et régulation du système, toujours assis sur les fonds de pensions, les groupes savent qu’il y aura du business pour les soixante-dix ans à venir »
mise en ligne le 2 avril 2024
Mathilde Goanec et Mathilde Mathieu sur www.mediapart.fr
Financement opaque, dérives, manque de mixité sociale : le rapport parlementaire confirme le manque de contrôle et de régulation de l’enseignement privé sous contrat. Il propose des pistes pour sortir du statu quo.
Après un premier état des lieux cinglant de la Cour des comptes et la déflagration de l’affaire Stanislas, c’est peu dire que le rapport parlementaire sur le financement de l’école privée sous contrat, préparé par les députés Paul Vannier (La France insoumise) et Christopher Weissberg (Renaissance), était attendu.
Voté mardi 2 avril en commission des affaires culturelles et de l’éducation, il ne renverse pas la table mais enfonce le clou sur l’abondance d’argent public mis à la disposition du privé sans réelles contreparties. Au fil de 150 pages, les députés regrettent que l’État et les collectivités locales avancent à l’aveugle sur une partie de leurs subventions et critiquent vertement l’absence de contrôle comptable et administratif : « Au rythme actuel – cinq contrôles par an pour 7 500 établissements –, la fréquence de contrôle d’un établissement privé est d’une fois tous les 1 500 ans. » C’est dix fois plus dans le public.
Le rapport rappelle qu’environ 13 milliards d’euros ont été versés au privé sous contrat en 2021, dont 10 milliards d’argent public (8,2 milliards de l’État et 1,8 milliard des différentes collectivités territoriales), 3 milliards d’euros de contributions des familles et 155 millions d’euros versés par des entreprises. Des sommes en forte hausse, « en partie en raison de l’application d’une règle de parité avec l’évolution des dépenses pour l’enseignement public ».
Un tel niveau de financement n’est pas « une spécificité française », écrivent les rapporteurs. « En revanche, un financement public élevé est généralement associé à davantage de contreparties imposées aux établissements », alors que la France se caractérise par une « culture de l’évitement », selon des propos tenus par un haut fonctionnaire en audition.
Malgré des divergences dans leurs 55 propositions (notamment sur l’abrogation de dispositions des lois Falloux, Astier et Carle qui encadrent la participation financière de l’État et des collectivités), les deux députés ont choisi de faire bataille commune, pour partie, afin d’imposer davantage de règles au secteur. Au point que le secrétaire général de l’enseignement catholique dénonçait dès la semaine dernière « un combat d’arrière-garde », lors d’une conférence de presse préventive.
Pas naïf, l’Insoumis Paul Vannier concède cependant qu’il n’y a pas aujourd’hui de « majorité politique pour refonder en profondeur le système de financement du privé sous contrat ». Mais il espère exploiter « une ligne de fracture au sein de la minorité présidentielle », entre « les partisans du statu quo et de l’omerta qui ne veulent toucher à rien » et « ceux qui constatent que le système a dérivé et qu’il convient peut-être de le faire évoluer ».
De son côté, Christopher Weissberg veut « y aller avec diplomatie » et « dire à l’enseignement catholique qu’il ne s’agit pas de lui tordre le bras », mais il juge aussi urgent d’agir « avec tous les moyens à notre disposition ». « L’État est le premier actionnaire de ces établissements privés ! », rappelle l’élu Renaissance, qui veut donc « renforcer le contrôle et les contreparties ». Son objectif, avec ce rapport : mettre la pression sur le privé, afin de dégager des marges de négociation inédites pour la ministre de l’éducation nationale.
Auditionnée par la commission des affaires culturelles, Nicole Belloubet n’a-t-elle pas indiqué qu’elle voulait faire de la « lutte contre la ségrégation scolaire » un des axes forts de sa politique ? « Je la prends au mot, clame Paul Vannier. Elle dispose maintenant d’un rapport qui pointe des dérives très graves et fait des propositions, elle peut s’en saisir. »
Moduler les financements en fonction de la mixité sociale
C’est l’une des recommandations phares du rapport de la mission d’information : conditionner une partie des financements à des résultats en termes de mixité sociale. Christopher Weissberg propose ainsi de rendre obligatoire la prise en compte de l’indice de positionnement social (IPS) dans le « modèle d’allocation des moyens » et de « moduler » les subventions des collectivités locales sur la base de ce même indicateur. Quand Paul Vannier prône carrément « un mécanisme de malus » pour faire baisser les dotations lorsque cet IPS est supérieur à celui des établissements publics du même secteur.
Cette idée, un temps caressée par l’ancien ministre Pap Ndiaye, n’avait pas résisté à l’opposition farouche du privé sous contrat et à l’hostilité d’une partie du gouvernement et de la majorité, inquiets de la perspective d’une « nouvelle guerre scolaire ».
Et pourtant, note le rapport, à la rentrée 2022, les élèves scolarisés dans un établissement privé sous contrat « présentaient un IPS moyen de quinze à vingt points supérieur à l’IPS moyen des élèves scolarisés dans un établissement public », tous niveaux scolaires confondus. Un « embourgeoisement » qui s’accélère depuis 2017, et qui contribuerait à l’aggravation des inégalités scolaires.
Faire payer les accrocs au contrat d’association
C’est l’une des leçons de l’affaire Stanislas : le contrat d’association qui régit la relation entre les quelque 7 500 établissements privés sous contrat et l’État n’est presque jamais rompu. Cette « extrémité », les administrations « ne s’y résolvent manifestement pas » pour des raisons pratiques d’une part (rescolariser ailleurs les élèves, rompre le contrat des enseignant·es par la même occasion), mais aussi en raison de la « sensibilité politique de ces questions ». « En outre, conserver le contrat permet aux académies de maintenir une certaine prise sur ces établissements et, selon les termes de la DAF [direction administrative et financière du ministère – ndlr], de les garder dans le giron des règles communes », notent les députés.
Pour contourner cette frilosité, les rapporteurs souhaitent la mise en place « d’une échelle de sanctions », afin de formaliser les étapes avant la rupture du contrat, et notamment la possibilité de suspension des paiements par les autorités publiques.
Autre effet collatéral de l’affaire Stanislas, les rapporteurs demandent à ce que l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) rende publics ses rapports portant sur les établissements privés. Cette plus grande transparence permettrait d’éviter une sorte de « deux poids deux mesures », comme dans le cas du lycée catholique parisien Stanislas et du lycée musulman Averroès à Lille (inspectés tous les deux, seul le second est sous la menace d’une rupture de contrat).
Changer les règles d’un financement flou de haut en bas
Autre enjeu majeur : « Aucune administration ou institution n’est en mesure de fournir un montant consolidé de la dépense allouée aux établissements privés », dont les rapporteurs pensent même qu’elle est sous-estimée, par manque de traçabilité des financements indirects.
« Un simple calcul de proportionnalité pourrait conduire à estimer à environ 750 millions d’euros [supplémentaires] le coût des services administratifs affectés au suivi des établissements privés », remarquent-ils, une logique qu’ils appliquent aux dépenses des collectivités territoriales. En clair, la facture de 10 milliards par an environ pourrait s’avérer bien plus lourde en réalité pour les finances publiques.
Les deux rapporteurs s’accordent au moins sur une préconisation pour regagner des marges de manœuvre financières : sortir les établissements REP (dépendant du réseau d’éducation prioritaire) du calcul du forfait d’externat, que le privé touche automatiquement à parité avec le public. Ainsi, certaines collectivités regrettent que l’allocation de moyens aux établissements publics dans le cadre de leur politique sociale dans les REP (par exemple pour renforcer le personnel ou l’équipement des classes) entraîne une augmentation mécanique du forfait alloué au privé, sans que les conditions de scolarisation des élèves le justifient.
Selon France urbaine (association nationale des grandes villes et métropole), interrogée dans le rapport, « certaines collectivités en sont même réduites à diminuer les dépenses qu’elles réalisent pour les établissements publics, faute de moyens pour assumer de telles dépenses pour les établissements privés de leur territoire ».
En finir avec les « irrégularités, voire les fraudes »
Les députés pointent des rapports comptables non transmis ou parcellaires, l’absence des représentants des collectivités locales dans les instances où sont débattus les budgets, la rareté des contrôles financiers par les directions régionales des finances publiques, des subventions et réalisations difficiles à tracer… « Il apparaît que le système repose sur un climat de confiance entre ses différentes parties prenantes, lesquelles ne perçoivent pas toujours la nécessité de contrôler des interlocuteurs présents dans le paysage éducatif local depuis de nombreuses années, faute de temps, faute de volonté politique, par crainte de raviver une guerre scolaire fantasmée ou de devoir gérer les difficultés consécutives », critiquent Paul Vannier et Christopher Weissberg.
Devant la détection « d’irrégularités, voire de fraudes », les rapporteurs estiment, l’un comme l’autre, que « cette situation ne peut en aucun cas perdurer ». Ils préconisent un renforcement des audits mais également des moyens de contrôle accrus pour les directions financières régionales et départementales.
« Je regrette que tous nos établissements ne soient pas contrôlés financièrement chaque année », a déjà rétorqué Philippe Delorme, patron de l’enseignement catholique, en assurant que tous les établissements de son réseau publient « un bilan comptable très précis, donc c’est assez simple de vérifier sans y passer des heures ».
Le rapport parlementaire dresse cependant une série d’entorses. Comme ces heures d’enseignement allouées par l’État aux directeurs et directrices d’établissement mais non effectuées ; des pratiques qui consistent à rogner sur le temps d’enseignement (50 minutes de cours effectif au lieu des 55 payées par l’État) de manière à pouvoir proposer par ailleurs une ou deux options attractives pour les familles, dans un contexte concurrentiel entre public et privé ; ou encore des crédits d’impôt parfois proposés sur les frais de scolarité, ce qui revient pour l’État à payer deux fois. Les députés reviennent enfin sur l’opacité qui entoure le champ de la formation professionnelle des professeur·es du privé via l’organisme Formiris.
Pour ce qui concerne les communes, les départements et les régions, le rapport cite l’Association des maires de France, qui parle même de « discussions de marchands de tapis » lorsqu’il s’agit de décrire les négociations entre les réseaux du privé et les collectivités locales, et parfois les pressions. « Il apparaît que chaque collectivité territoriale retient un périmètre et un mode de calcul différents [pour le calcul du forfait d’externat – ndlr], en raison parfois de choix politiques ou à la suite de discussions avec les établissements », indique le document parlementaire.
Le rapport prend en exemple le département des Bouches-du-Rhône, qui décrit des débats fréquents pour déterminer les dotations : inflation, coût des agent·es œuvrant sur le parc informatique ou pour l’entretien du bâti, tout semble bon pour négocier à la hausse la part de financement obligatoire.
Pour toutes ces raisons, les auteurs s’accordent sur l’importance de réécrire la circulaire de 2012 relative aux règles de prise en charge par les communes des dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat, « afin de préciser la liste exhaustive des dépenses obligatoirement intégrées au calcul du coût moyen de la scolarisation d’un élève du public ».
Paul Vannier, lui, souhaite plus abruptement supprimer les subventions d’investissement aux lycées privés d’enseignement général, technique et professionnel.
Faire appliquer les règles imposées au public
L’application des circulaires et obligations transmises par le ministère de l’éducation nationale via les rectorats souffre de trous béants quand il s’agit du privé, souvent au seul motif du « caractère propre » de l’enseignement catholique. Exemples ? La mise en œuvre du « Pacte » (ce dispositif d’heures complémentaires dont le lancement sous Gabriel Attal a heurté beaucoup d’enseignant·es et de chef·fes d’établissement), la prise en charge des élèves en situation de handicap, mais aussi la scolarisation continue des élèves, quel que soit leur niveau scolaire, ou encore la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité…
Le sujet pourrait encore rebondir : la plupart des collèges privés n’ont pas prévu d’appliquer la récente réforme des groupes de niveau, « faute de moyens supplémentaires ». Une réforme pourtant imposée au public et qui a fait sortir dans la rue un certain nombre d’enseignant·es, mardi 2 avril.
Sortir de la « zone grise » de la gouvernance du secteur privé sous contrat
Ultramajoritaire, l’enseignement catholique s’est imposé comme l’interlocuteur principal du ministère, qu’il s’agisse d’attribuer des postes ou de négocier de nouvelles mesures comme le « protocole mixité » (non contraignant) mis en œuvre dans les académies depuis la rentrée 2022.
Cet « ancrage dans le paysage institutionnel » ne correspondrait pas à l’esprit des textes encadrant le privé sous contrat et place le pays « au mieux, dans une zone grise, au pire en dehors du cadre légal », estiment les parlementaires. « L’État, qui ne reconnaît aucun culte depuis l’adoption de la loi de séparation des églises […], ne saurait négocier avec les représentants d’un réseau ou d’un autre, assimilables à des acteurs cultuels, argumente longuement Paul Vannier. Le fait, en particulier, qu’il débatte de l’allocation de moyens qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros avec un organe dont le secrétaire général est désigné par la Conférence des évêques de France constitue une dérive inacceptable dans une République laïque. »
Pour revenir à la stricte application de la loi Debré, l’Insoumis demande un rapport « direct et individuel entre les établissements et l’État », tandis que son homologue de Renaissance préconise plutôt de modifier le Code de l’éducation pour reconnaître les réseaux représentatifs et les missions qui leur sont dévolues.
mise en ligne le 1° avril 2024
Michel Soudais sur www.politis.fr
« Je considère que l’État devrait reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive » : Bruno Le Maire sait aussi être cash. L’objectif est simple : faire du régime d’assurance-chômage un simple minimum social. Quelle régression ce serait !
Il sait être cash, Bruno Le Maire. Et quand il s’agit de nous expliquer, pauvres petits citoyens que nous sommes, la nécessité de tailler dans les dépenses, il n’y va pas par quatre chemins. « Si vous ne touchez pas aux dépenses sociales, vous ne pouvez pas parvenir à l’équilibre des finances publiques », a-t-il ainsi déclaré la semaine dernière dans un long entretien au quotidien Le Monde. Voilà qui est direct. Le plan d’économies de 10 milliards d’euros qu’il était venu annoncer sur TF1 le 18 février, en assurant benoîtement qu’il n’aurait pas d’impact sur la vie des Français, n’était qu’un hors-d’œuvre. Décidé sans la moindre consultation du Parlement.
Dans une « deuxième étape », le sinistre de Bercy envisage un projet de loi de finances rectificative à l’été. Après les élections européennes donc, car c’est là qu’il songe à revoir les dépenses sociales. Puis une « troisième » avec le projet de loi de finances de 2025 « dans lequel nous devrons trouver au moins [sic] 12 milliards d’euros d’économies » supplémentaires. À titre d’exemple, il évoque le transport médical des patients, trop coûteux à ses yeux, et la dérive des dépenses liées aux affections de longue durée. Sans oublier les inévitables « réformes de structures », très prisées par l’Union européenne, à commencer par celle de l’assurance-chômage, déjà évoquée par Gabriel Attal.
Sur ce sujet, pas de demi-mesure : « Pour ma part, nous dit Bruno Le Maire, je considère que l’État devrait reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive. » Mesurons bien les conséquences qu’aurait cette étatisation. Car c’en serait une. En mars 2018, il y a cinq ans, Aurélien Taché, alors député macroniste – il a depuis rejoint Les Écologistes – et rapporteur du premier projet de loi macronien réformant l’assurance-chômage, évoquait ainsi dans un entretien à Mediapart ce projet d’étatisation : « C’est l’impôt qui finance la protection sociale, ce ne sont plus les cotisations […]. Le niveau de protection sociale est fixé chaque année dans le projet de loi de finances. Ce sont les députés qui auront été élus qui fixeront le niveau. »
Reconnaissons la parfaite orthodoxie de Bruno Le Maire avec le projet macroniste originel.
Il rappelait que ce « modèle dit béveridgien » avait « toujours [été] défendu » par Emmanuel Macron durant sa campagne de 2017. Et qu’il serait « la meilleure solution face à une logique assurantielle gérée par une espèce de paritarisme qui ne représente plus grand-chose et qui est assez peu lisible ». Reconnaissons ici la parfaite orthodoxie de Bruno Le Maire avec le projet macroniste originel.
Ce dernier vise en effet à substituer à notre système assurantiel fondé sur une logique de contribution – les salariés cotisent pour acquérir des droits qui leur garantissent en cas de chômage un revenu de remplacement pendant une période donnée – un système présenté comme « universel » où c’est l’appartenance à la communauté nationale qui fonde le droit à une indemnisation du chômage, sans rapport avec les emplois exercés. Un premier pas a été franchi en octobre 2018 avec le remplacement des cotisations salariales chômage par le prélèvement d’une fraction de CSG, un impôt.
En raison de quoi, si notre régime d’assurance-chômage reste administré par les partenaires sociaux, l’État leur impose de plus en plus ses vues. L’étatisation rêvée par Bruno Le Maire achèverait le basculement d’un régime qui vise le maintien du niveau de vie des personnes privées d’emploi vers un régime qui se contenterait de garantir une protection égalitaire de base, réévaluée chaque année en fonction des aléas budgétaires. Un minimum social, rien de plus. Quelle régression ce serait !
mise en ligne le 30 mars 2024
Bérénice Paul sur www.humanite.fr
En grève depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis réclament davantage de moyens pour lutter contre la dégradation de leurs conditions de travail. Plusieurs mobilisations étaient prévues ce samedi 30 mars dans l’ensemble du département. À Aubervilliers, les enseignants et parents d’élèves dénoncent l’indifférence des pouvoirs publics dace à leurs revendications.
En ce samedi 30 mars, plusieurs dizaines de personnes affluent sur le parvis qui jouxte la mairie d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Certains agitent des drapeaux où l’on peut lire « Plus d’argent pour l’école publique ». D’autres collent des pancartes entre deux poteaux. Des professeurs saluent des parents d’élèves, qui se sont déplacés pour l’occasion. Des enfants en bas âge chahutent dans les jambes des adultes. L’ambiance est bon enfant ce samedi matin, et en dépit de la pluie, les slogans fusent avec énergie et enthousiasme. « On est là même si Macron ne veut pas, nous, on est là », scande Riley, 32 ans, syndiqué à la FSU et professeur d’anglais au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers depuis deux ans. Et de lâcher : « On prend vraiment les parents et les élèves du 93 pour des cons ! » Depuis le 26 février, les enseignants de Seine-Saint-Denis ont entamé une grève à l’appel d’une large intersyndicale, réclamant un plan d’urgence pour l’école publique dans ce département le plus pauvre de France métropolitaine. Mobilisé depuis le début, Riley pointe la dégradation de ses conditions de travail. « L’apprentissage des élèves est de plus en plus compliqué en raison de la surcharge des classes. Le 93 est une variable d’ajustement ! On asphyxie les écoles afin d’aller vers une privatisation de l’enseignement. Il y a une volonté de laisser pourrir le service public », analyse-t-il.
Les groupes de niveaux, « une condamnation sociale et intellectuelle »
Originaire du Canada, Riley estime qu’il est nécessaire de défendre le modèle éducatif à la française. « Les Anglo-Saxons seraient heureux d’avoir un système comme l’Éducation Nationale. Cette institution est loin d’être parfaite mais elle est bien meilleure que la quasi-totalité de ce qui se fait dans le monde. C’est peut-être le seul endroit qui fait que la France résiste un peu à l’atomisation totale. Or, le gouvernement est en train d’ouvrir des brèches dans le vivre-ensemble prôné par l’école ». Bientôt, le cortège s’agite. La foule s’élance dans les rues de la ville. Équipés de casseroles, professeurs et parents d’élèves crient leur colère : « Du fric, du fric pour l’école publique. » Cédric fait partie de l’équipée. À 39 ans, ce professeur de physique Chimie au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers veut montrer que « les enseignants ne lâchent pas l’affaire ». « Nous n’avons toujours pas eu de réponse de la ministre. Cette dernière ne prend pas en compte les spécificités de notre département. Nous avons besoin de moyens pour accompagner les élèves vers la réussite et l’émancipation. C’est essentiel pour favoriser une meilleure justice sociale ». L’enseignant critique également la mise en place des groupes de niveaux. « Cela génère une école du tri social », dénonce Cédric. Un avis partagé par Riley. « Cette mesure sous-tend une idéologie élitiste où l’on revient à une forme de racisme anthropologique qui consiste à dire qu’il y a des élèves qui seraient moins doués à l’école par « nature ». C’est une condamnation sociale et intellectuelle », déplore l’enseignant.
« La semaine dernière, il pleuvait dans la classe de mon fils »
Un même sentiment d’injustice pointe du côté des parents d’élèves. Nathalie, 42 ans, a deux enfants, scolarisés dans le groupe scolaire Hugo Balzac Stendhal à d’Aubervilliers. « Depuis le début du mouvement, l’établissement est très mobilisé. 60 % des enseignants ont suivi la première opération « école déserte » », précise l’élue FCPE. « Nous avons la chance d’avoir un groupe scolaire très investi. Nous sommes néanmoins régulièrement confrontés aux manques de moyens », détaille Nathalie. « L’année dernière, deux classes ont été supprimées. En 2025, il y aura plus qu’une psychologue scolaire. Celle-ci ne sera là que ponctuellement puisqu’elle exercera dans neuf établissements », dénonce Kahina, 39 ans, mère de trois enfants dont deux sont scolarisés dans le groupe Hugo Balzac Stendhal. Elle le répète, ce qu’ils veulent, tous, « c’est un plan d’urgence ! ». Le slogan est chanté à tue-tête par la foule. Les casseroles résonnent dans les rues de la ville. Certains passants, amusés, s’arrêtent pour contempler le cortège. Maurice, 49 ans, a tenu à ce que ses fils, âgés de cinq et neuf ans, scolarisés à Aubervilliers, participent à la manifestation. « Quand vous avez des enfants qui vont à l’école en Seine-Saint-Denis, vous vivez tous les jours les effets des moyens limités. Même si l’équipe pédagogique est super et fait de son mieux, cela reste tendu. La semaine dernière, il pleuvait dans la classe du petit », témoigne-t-il, en pointant son plus jeune fils.
Le manque de moyens, un frein aux apprentissages
Son grand frère prend la parole. « Nous n’avons pas de chauffage en classe ! », renchérit ce dernier. « L’Atsem ne pouvait pas rester trop longtemps à cause de l’humidité qui la prenait à la gorge. Elle était asthmatique », ajoute Maurice. Quelques élèves du secondaire se sont également déplacés pour manifester. « Je m’attendais à ce qu’on soit plus nombreux », regrette Clément, 18 ans, en terminale au Lycée professionnel Jean-Pierre Timbaud, à Aubervilliers. Lui aussi fustige le manque de moyens qu’il qualifie de frein pour l’apprentissage. « Aujourd’hui, les conditions sont mauvaises pour apprendre. On a des ordinateurs qui fonctionnent mal, des salles de classe à la limite de l’insalubrité, bourrées de moisissures, pas de chauffage », détaille Clément. Face à l’indifférence persistante du ministère de l’Éducation nationale, les professeurs et parents d’élèves de Seine-Saint-Denis sont déterminés à poursuivre la lutte, décidés à se faire entendre.
Simon Mauvieux sur https://rapportsdeforce.fr/
Depuis la fin du mois de février, les enseignants du 93 demandent la mise en place d’un plan d’urgence pour l’éducation dans leur département. Plus de 2000 d’entre eux ont manifesté dans les rues de Paris ce jeudi 21 mars, soutenus par certains de leurs élèves. Assemblées générales, blocages, manifestations mais aussi crainte de la répression, les lycéens du 93 font l’apprentissage du militantisme.
Mobilisés depuis bientôt un mois, les enseignants du 93 ont pu compter, début mars, sur l’ingéniosité de leurs élèves sur les réseaux sociaux pour donner une tonalité nouvelle au mouvement. Une vidéo TikTok tournée par les lycéens de Blaise Cendrars, à Sevran, comptabilise désormais plus d’un million de vues sur la plateforme. Manque de personnel, profs non remplacés, bâtiments vétustes, elle résume à elle seule une partie des maux de l’Education nationale, décuplés en Seine-Saint-Denis. Et elle a fait exploser la visibilité de la mobilisation en cours autour du « plan d’urgence pour le 93 », un mot d’ordre intersyndical exigeant de nouveaux postes et des rénovations d’établissement pour un total de 358 millions d’euros.
Au lycée Louis-Le-grand, situé dans le 5e arrondissement de Paris, des lycéens ont aussi réalisé une vidéo TikTok, cette fois pour essayer de tordre le cou aux clichés qui entourent leur prestigieux établissement. Mais les élèves de Blaise Cendrars, eux, en ont surtout retenu la splendeur du bâti : « La première fois que j’ai vu cette vidéo, je me suis dit : “c’est normal que ce soit aussi beau, c’est un lycée de Paris”. Mais en fait, quand j’ai fait la comparaison avec notre lycée, je me suis dit que non, ce n’était pas normal », raconte Sam, lycéen en classe de 1ère à « Cendrars ».
Estelle, elle aussi en classe de première, poursuit : « Avant je ne me rendais pas compte que le lycée était en très mauvais état, je le voyais, mais je me disais que c’était normal parce qu’on est dans le 93. J’ai grandi ici, j’ai toujours connu ça. Au collège c’était pareil, les profs absents n’étaient pas remplacés. À Louis-Le-Grand, ils ont des moulures au plafond. Nous, on n’a pas de plafond tout court ! ». Ce jeudi 21 mars, une quinzaine d’élèves et quelques professeurs grévistes se sont retrouvés devant Blaise Cendrars pour se rendre à la manifestation à Paris ensemble. Ils retrouveront d’autres lycéens, dont ceux de Jean Zay à Aulnay-Sous-Bois, l’un des établissements du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés.
Plan d’urgence 93 : s’organiser malgré la crainte de la répression
Clément, prof de philo au lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, voit d’un très bon œil la mobilisation de ses élèves. « On était très content de voir nos élèves se mobiliser de manière très responsable et très politique». Mais s’il espère voir émerger un mouvement lycéen, il sait d’expérience que dans le 93, la répression est forte sur les blocages en cas de débordements, de quoi refroidir bon nombre d’élèves. Mobilisés avec Jean Zay et Cendrars, les lycéens de Jacques Brel, à La Courneuve, étaient absents de la manif de jeudi. Au même moment se tenait dans leur ville une marche blanche en hommage à Wany, 18 ans, tué par la police une semaine plus tôt.
Néanmoins, dès le 26 février, la mobilisation des professeurs a créé une prise de conscience chez certains lycéens. Mieux, elle leur a offert des moyens de s’organiser. Les premières assemblées générales ont été ouvertes aux élèves, qui dès le début, ont compris que les revendications les concernaient. « Ce ne sont pas les profs qui nous ont poussé à nous mobiliser, on l’a fait par ce que ça nous touche aussi. Maintenant on se soutient tous ensemble, les profs ont leur piquet de grève, on a notre blocus, et on s’aide mutuellement », détaille Estelle. Dès les premiers jours de mobilisation, des comptes Twitter et Instagram sont ouverts, des boucles WhatsApp et Snapchat permettent de poursuivre les discussions hors AG : les élèves ont pris en main leur propre lutte. Ils ont aussi essayé de créer des ponts avec les autres établissements autour d’eux.
Apprendre à militer, « le choc des savoirs » façon Blaise Cendrars
Façon sortie scolaire, le petit groupe se met en marche vers le RER, où des tickets sont distribués aux élèves. Dans une ambiance décontractée, on discute de la lutte en cours, on rigole des profs qui dansent en manif, on évoque plus librement les problèmes du quotidien. « Ça crée des liens particuliers entre nous, glisse Melissa, prof de français au lycée depuis cinq ans. Ils ont aussi envie de se nourrir de nos expériences, en venant assister aux AG. Maintenant, c’est eux qui les animent. Tour de parole, ordre du jour, vote, ils apprennent très vite parce que ça répond à un besoin qu’ils avaient déjà identifié », poursuit-elle. Estelle et Clara, les deux lycéennes, tiennent à militer « en gardant le smile, en étant positives, jusqu’à ce qu’on se fasse entendre », clament-elles.
Dans le cortège parisien, le groupe de lycéens détonne. Une enceinte envoie Bella de Maitre Gim’s et le mégaphone se transforme en micro de karaoké. « On est connu maintenant aux manifs, on nous demande de venir en tête de cortège », s’exaltent les deux lycéennes. Le groupe de Cendrars retrouve d’autres élèves, ceux du lycée Jean Zay d’Aulnay-Sous-Bois, l’un des lycées du 93 où les élèves sont pleinement mobilisés. Mehdi, en classe de seconde à Jean Zay, tient fermement la banderole aux couleurs de son établissement. Plein de détermination, il voit la mobilisation des lycéens comme un mouvement qui doit encore éclore, en parallèle de celui des profs : « On va continuer jusqu’à ce qu’on obtienne ce qu’on veut, et que les profs soient là ou non, on continuera ». Lui aussi dénonce les problèmes de vétusté de son établissement, le CDI fermé depuis la rentrée, les surveillants sans vie scolaire, le manque de prof, les classes mal isolées, les fenêtres qui ne se ferment pas, la moisissure sur les murs.
Surveillants, lycéens, parents, profs : un mouvement pour les services publics qui s’étend
Ce mouvement a la particularité de ne pas se focaliser sur les conditions de travail ou les rémunérations des professeurs, mais bien sur les conditions d’enseignement, et plus largement sur le service public de l’éducation. De quoi faire converger les lycéens mais aussi les parents d’élèves, présents dans les assemblées générales et les réunions d’information qui se tiennent régulièrement dans tout le département. Préparé depuis octobre, ce mouvement a émergé grâce à un plan d’urgence chiffré, créé par l’intersyndicale du 93 et censé apporter des solutions aux problèmes structurels de l’enseignant en Seine-Saint-Denis.
Le « choc des savoirs », promis par Gabriel Attal en décembre dernier, qui vise à créer des classes par niveau, a ajouté la colère des parents d’élèves à celle des enseignants. « Le choc des savoirs a beaucoup choqué», soulève le professeur, agréablement surpris par le soutien apporté par les parents d’élèves. « C’est une mobilisation pour le service public, tout le monde est concerné par ce sujet », poursuit-il. Melissa, la prof de français du lycée Blaise Cendrars abonde : « La communauté éducative défend ses conditions de travail, mais c’est presque accessoire, ce qu’on défend surtout, c’est les conditions d’apprentissage. L’avenir des enfants, ça parle à tout le monde ».
Une nouvelle journée d’action est prévue vendredi 29 mars en Seine-Saint-Denis, tandis que le mouvement s’étend à d’autres départements d’Île-de-France. Dans le Val-de-Marne, et le Val-d’Oise, les réunions publiques et les assemblées générales se sont enchaînées ces derniers jours. Ce jeudi, une assemblée générale de l’ensemble de l’Île-de-France a décidé de suivre l’agenda des mobilisations de Seine-Saint-Denis dans les autres départements. Des actions locales sont déjà prévues dans le Val-d’Oise et le Val-de-Marne la semaine prochaine.
Les lycéens, eux, sont déterminés à continuer la lutte dans leurs établissements, tout en poursuivant la construction d’un mouvement plus large. « Pour obtenir un plan d’urgence dans le 93, on a vraiment besoin des lycéens, plus on sera, plus on fera entendre nos revendications », espère Mehdi, avant de disparaître dans le cortège de chants, de drapeaux et de banderoles.
mise en ligne le 29 mars 2024
Elian Barascud sur https://lepoing.net/
Après s’être mobilisés une première fois à l’appel de la CGT le 6 février dernier, les agents se sont une nouvelle fois mis en grève ce jeudi 28 mars pour demander urgemment des moyens supplémentaires pour effectuer leurs missions
“Nous, on ne demande qu’une seule chose, pouvoir faire notre mission”, tonne Ghislaine Rouxelin, éducatrice et secrétaire générale CGT du foyer de l’enfance du quartier Aiguelongue, ou de nombreux agents du service enfance-famille se sont réunis en cette journée de grève du 28 mars. Ils viennent de tous les quartiers de Montpellier, mais également d’ailleurs dans le département (Pézenas, Hauts-Cantons…) “Le mouvement s’étend !”, constate Benjamin Karchen, délégué CGT du Conseil départemental.
Car depuis octobre, les cadres de la direction enfance famille du Conseil Départemental, en charge de la protection de l’enfance, alertent sur des conditions de travail dégradées, qui mettent en danger des enfants. “Il n’y a pas assez de place en foyer pour héberger tous les enfants placés, qui risquent des violences si ils restent dans leur domicile familial. Ce manque de place conduit à faire des choses illégales, comme loger des mineurs à l’hôtel, où même les ramener chez leurs parents alors qu’une décision de justice actant le placement du jeune a été acté par un juge”, expliquait dans nos colonnes Benjamin Karchen, lors de leur précédente grève le 6 février dernier.
Ghislaine Rouxelin complète : “La crise est profonde depuis le Covid mais ça n’a pas été anticipé. Dans mon service, on a douze bébés pour huit places, ça explose dans tous les services, on a pas assez de douches, c’est dramatique pour les enfants.”
Sylvie et Marie, qui travaillent dans une unité petite enfance à Aiguelongue, témoignent également : “Les enfants souffrent de ces sur-effectifs. Dans certains services, tout le monde s’est mis en arrêt maladie pour protester. Aujourd’hui, on veut aussi des embauches pérennes, pas du soutien d’intérimaires.”
“Ici, à Aiguelongue, on a 50 jeunes qui dorment dans des lits de camps. C’est censé être un sas où les enfants restent deux mois, certains sont là depuis deux ans, les équipes sont laminées” précise Benjamin Karchen. “Il faut que la collectivité reconnaisse nos efforts, nos équipes travaillent gratuitement à cause de cette situation.” Aujourd’hui, la CGT demande la création de place d’hébergements en urgence. “Le Département nous a répondu qu’il comptait créer un centre avec 500 places, prévu en décembre prochain, mais on a pas le temps d’attendre, et surtout, ça ne suffit pas, il y a actuellement 320 mesures de justice actant un placement qui ne sont pas exercées.” Pour lui, le problème vient du foncier. “On est allé à la préfecture pour en parler, aujourd’hui, ce qu’il faut, c’est des réquisitions pour pouvoir ouvrir des places. Cela montre qu’il faut un vrai pilotage de notre action, ce n’est pas à nous, syndicalistes, d’aller voir le préfet pour demander ça.”
Il précise également qu’une délégation doit rencontrer la direction du pôle enfance-famille pour échanger. “Selon comment ça se passe, on va peut-être suspendre les actions et maintenir le préavis.”
Outre le service de la protection de l’enfance, d’autres services du Conseil Départemental ont récemment posé des préavis de grève, pour des raisons différentes. On évoquait dans nos colonnes en début de semaine les comptables de la Maison départementale de l’Autonomie, qui demandent l’octroi de la prime Ségur. D’autres agents entendent se mobiliser contre ce qu’ils perçoivent comme une inégalité des régimes indemnitaires. “Il y a des agents de catégorie B et C qui font exactement le même travail, mais qui n’ont pas la même paie”, décrit le délégué syndical.
Contacté, le service communication du Conseil Départemental n’a pas donné suite à nos sollicitations.
mise en ligne le 28 mars 2024
Mathias Thépot sur www.mediapart.fr
Plombé par la baisse des recettes fiscales, le déficit public dérape. Mais au lieu de taxer davantage les riches et les superprofits pour équilibrer les comptes de l’État, le gouvernement s’obstine à couper dans le modèle social et les services publics.
Quel dommage ! Si le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait davantage lu les articles économiques de Mediapart ces derniers mois, les finances publiques françaises seraient bien mieux tenues. Et le ministre romancier à ses heures perdues se serait évité quelques nœuds au cerveau en ces premiers jours de printemps.
Le mardi 26 mars, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a annoncé que le déficit public s’élevait à 5,5 % du PIB en 2023, soit 154 milliards d’euros, alors que Bercy avançait jusqu’ici le chiffre de 4,9 %. Un coup dur pour l’exécutif qui a promis à la Commission européenne que la France passerait sous la barre des sacro-saints 3 % inscrits dans le traité de Maastricht d’ici à 2027.
Comment expliquer ce dérapage budgétaire à l’ampleur inhabituelle ? Pas par l’explosion des dépenses publiques, pourtant quotidiennement ciblées par l’exécutif et la droite. L’Insee nous apprend en effet que, en 2023, « les dépenses ralentissent » et que, en proportion du PIB, elles « continuent de reculer et s’établissent à 57,3 % du PIB après 58,8 % en 2022 et 59,6 % en 2021 ».
Le trou dans les finances publiques ne résulte pas davantage de la hausse de la charge de la dette, également régulièrement mise en exergue par les locataires de Bercy. Celle-ci a même diminué de 2,6 milliards d’euros en 2023 selon l’Insee, soit une baisse de près de 5 %.
La vraie raison de ce dérapage, c’est en fait l’effondrement des recettes fiscales qui « ralentissent nettement en 2023 », pointe l’Insee. Leur niveau exprimé en pourcentage recule de 2,1 points de PIB. En montant, Bruno Le Maire a chiffré la perte de recettes imprévue à 21 milliards d’euros.
Autrement dit, l’État ne collecte pas suffisamment d’impôts pour équilibrer ses comptes. Cela est d’abord dû au fait que l’économie est grippée : le PIB stagne ces derniers mois à cause, d’une part, de la trop forte hausse des prix par rapport aux salaires, qui rogne le pouvoir d’achat, et, d’autre part, des taux d’intérêt de crédit élevés qui obèrent l’investissement des ménages et des entreprises. Ainsi la croissance a péniblement atteint 0,9 % en 2023 et devrait être du même niveau en 2024.
Or, une économie qui stagne, c’est moins de consommation et d’investissement, et donc des rentrées fiscales en berne. « Le ralentissement économique pèse sur les recettes de l’État, en particulier sur la TVA et l’impôt sur les sociétés », constate l’Insee. Ce dernier impôt voit même ces montants collectés décrocher de plus de 10 milliards d’euros en 2023.
Autres recettes en forte décrue, celles provenant des ventes immobilières : « Le net recul du nombre de transactions immobilières en 2023 consécutif au resserrement des conditions de crédit a entraîné une forte baisse (− 4,8 milliards d’euros soit − 22 %) des recettes de droits de mutation à titre onéreux, affectés aux collectivités locales », note l’Insee.
D’autres baisses de recettes sont directement liées à des mesures fiscales du gouvernement qui, de fait, a scié la branche sur laquelle il était assis : la fin de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales pèse pour 2,5 milliards d’euros dans la baisse des rentrées fiscales de l’État en 2023. Et la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), considérée comme un impôt de production, a coûté 3,7 milliards d’euros.
L’exécutif a aussi totalement échoué à taxer les superprofits des entreprises durant la crise inflationniste. Le seul dispositif – européen – que le gouvernement a daigné appliquer visait les énergéticiens. Son nom : la contribution sur les rentes inframarginales.
Cette taxe complexe devait initialement rapporter 12,3 milliards d’euros à l’État français en 2023. Mais, in fine, Bercy n’aura réussi à capter que… 300 millions d’euros, rappellent Les Échos, soit – selon un récent rapport de la Cour des comptes – moins de 1 % des marges empochées par les producteurs, distributeurs et autres intermédiaires du marché de l’électricité !
Échec de la politique de l’offre
Bref, ce dérapage du déficit confirme plus globalement l’échec de l’exécutif à stimuler l’économie par les moult baisses d’impôts – 50 milliards d’euros durant le premier quinquennat – qu’il a opérées principalement en faveur des entreprises et des ménages aisés.
« Beaucoup à Bercy étaient convaincus que c’était la politique de l’offre – notamment la baisse de la fiscalité du capital dont l’efficacité s’est révélée très limitée comme l’a montré France Stratégie – qui permettait à l’économie française de garder la tête hors de l’eau. Mais si tel était le cas, on aurait vu la croissance se maintenir ces derniers mois », analyse François Geerolf, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
D’après lui, « la raison pour laquelle l’économie française tenait, c’était avant tout autre chose le “quoi qu’il en coûte”. Et ce qu’il se passe actuellement montre qu’à mesure qu’on débranche tous les dispositifs – bouclier tarifaire, aides aux carburants, etc. –, le revenu réel des ménages faiblit et le pouvoir d’achat avec lui. Dans ce cadre, il n’est donc pas surprenant que l’économie et les déficits publics se dégradent ». Sur le site de l’Insee, on peut notamment voir que la consommation, moteur historique de la croissance de l’économie française, est en berne depuis 2021.
Cela étant dit, que compte faire le gouvernement pour retourner la situation en sa faveur ? Augmenter enfin les impôts des riches et des grandes entreprises afin de les faire contribuer davantage à l’effort de solidarité nationale ? On en est loin.
L’exécutif espère seulement faire appliquer la mesure visant à taxer les superprofits des énergéticiens dont il n’a pas tiré grand-chose jusqu’ici. Bruno Le Maire a certes évoqué un impôt minimal sur les hauts revenus, mais seulement dans un cadre européen où tous les pays l’appliqueraient. Ce n’est donc pas pour demain.
Il n’est en outre toujours pas question, du côté de l’exécutif, de s’attaquer aux 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises versés sans contrepartie. Bruno Le Maire compte même en remettre une couche puisqu’il a sorti du chapeau une proposition de « TVA sociale » qui consisterait à baisser de cinq points les cotisations sociales sur les salaires, et à transformer ces montants perdus en hausse de points de TVA. La TVA étant l’impôt le plus injuste par essence puisque son taux est fixe...
Erreurs d’analyse
Pour le reste, l’exécutif garde son cap : couper dans le modèle social et les services publics. En plus des 10 milliards d’euros d’économies déjà annoncés pour 2024 qui toucheront tout particulièrement l’écologie, l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche, Bruno Le Maire a évoqué en complément une baisse des indemnités journalières pour les arrêts de travail, et des remboursements des soins médicaux qui pourraient être différenciés selon les revenus.
Le premier ministre, Gabriel Attal, a aussi promis de nouvelles coupes dans l’assurance-chômage. Et pour 2025, ce sont au moins 20 milliards d’euros supplémentaires d’économies que le gouvernement compte aller chercher. Une cure d’austérité rude qui risque d’affaiblir encore davantage l’activité du pays. « On va au-devant de gros problèmes macroéconomiques », résume François Geerolf.
L’exécutif fait d’autant plus fausse route en agissant dans l’urgence que la France n’est pas menacée par les marchés financiers d’une attaque contre sa dette. Dans une interview aux Échos, l’économiste Véronique Riches-Flores, spécialiste de ces questions, assure que « la France n’est pas le vilain petit canard attaqué par les marchés ». Loin de là. En effet, rappelle-t-elle, « les déficits publics sont devenus la règle un peu partout » dans le monde, « qu’il s’agisse des États-Unis ou d’autres pays développés ».
Mieux encore, « les liquidités restent abondantes et les investisseurs cherchent à placer leur argent sur des actifs sûrs, ce qui explique l’appétit retrouvé pour les dettes d’État ». Le principal risque pour la France serait, à l’inverse, l’embrasement social : « N’oublions pas que la croissance de l’économie française est d’abord ce qu’en font ses consommateurs et que l’austérité se paie par de moindres rentrées de TVA et donc par une moindre latitude budgétaire et un plus grand mécontentement social. »
Or, ajoute l’économiste, « les agences de notation sont particulièrement sensibles au risque d’instabilité sociale et politique qu’elles considèrent comme nuisible à la capacité de remboursement du pays ». Un argument que l’exécutif gagnerait à retenir, cette fois-ci.
mise en ligne le 25 mars 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Ce dimanche 24 mars, en Seine-Saint-Denis, c’est « manif en famille » pour exiger un plan d’urgence pour l’éducation dans le 93. Depuis le début de la mobilisation enseignante dans le 93, de nombreux parents s’impliquent et soutiennent le mouvement. Entretien avec Linda, mère d’un élève de 5e au collège Albert Camus à Rosny-sous-Bois (93).
Quand et comment la mobilisation a-t-elle commencé pour vous ?
J’avais d’abord vaguement entendu parler d’une grève avant les vacances de février. Les enfants avaient un mot dans leur cahier annonçant une possible mobilisation. Après cela, les enseignants du collège de mon fils ont proposé une réunion d’information avec les parents le 8 mars. Une quinzaine d’enseignants de plusieurs établissements sont venus, au niveau des parents du collège Albert Camus, nous étions entre 20 et 30.
Lors de cette réunion, ce qui m’a touché, c’est l’appel pour un plan d’urgence pour le département, en raison du manque de professeurs et de personnel dans tout le département. D’après les enseignants, le coût du plan d’urgence s’élève à 358 millions d’euros. Il comprend des recrutements pour tous ceux qui travaillent dans l’éducation, y compris les CPE, les surveillants, les AESH, le personnel médical…. Au collège Albert Camus, nous savons que nous ne sommes pas les plus mal lotis de la ville et du département, mais nous avons tout de même des problèmes avec des professeurs absents non remplacés.
C’est comme ça que j’ai rejoint le mouvement. Ce n’était pas une nouveauté pour moi, l’année dernière je m’étais déjà mobilisée avec ces mêmes enseignants pour lutter contre la fermeture d’une classe dans l’établissement. Je les avais trouvés très engagés, c’étaient de jeunes professeurs motivés et impliqués. Et ça avait marché : grâce à notre mobilisation, ils n’ont fermé qu’une classe sur les deux prévues.
Votre enfant a-t-il été personnellement touché par le manque de personnel ou la vétusté des bâtiments ?
Dans son collège, un professeur de français n’a pas été remplacé depuis septembre de l’année dernière, ce qui fait presque une année scolaire. La
professeure de sport de mon fils est partie en congé maternité et son remplacement a mis plus d’un mois à arriver. Mon fils a commencé le collège l’année dernière. Il n’y a pas d’infirmière scolaire
ni de psychologue scolaire depuis. La CPE est seule pour gérer plus de 500 élèves et il n’y a pas assez de surveillants. C’est inacceptable. Ce sont des situations que nous, parents, connaissons
bien.
En ce qui concerne la vétusté des infrastructures, nous n’étions pas forcément au courant car nous ne rentrons pas dans l’établissement.
Mais je crois que les images découvertes sur les vidéos TikTok du lycée Blaise Cendrars ont profondément choqué. On en vient à penser que pour atteindre un tel niveau de dégradation, les travaux d’entretien doivent être négligés depuis dix, voire vingt ans. Et pourtant, les enseignants continuent à dispenser leurs cours dans ces salles, les élèves de les fréquenter… L’administration et les autorités départementales sont au courant, mais la situation perdure dans tout le 93. Le président du département Stéphane Troussel, a expliqué que l’Etat compensait un peu les frais d’entretien des collèges, qui sont à la charge des départements. D’après lui, cette compensation est en moyenne de 15% en France. Or dans le 93, elle est d’un peu plus de 7% seulement. On se demande pourquoi cette différence existe et où se trouve l’égalité républicaine…
Comment votre enfant exprimait-il son ressenti à ce sujet ?
Mon fils me parlait des toilettes qui étaient mal entretenues et des bagarres, dues en partie au manque de surveillance, mais il ne mentionnait pas
spécifiquement l’état des locaux. Ce qu’il remarque, c’est quand ils sont à l’étroit dans les salles de classe, qu’il faut aller chercher une chaise ailleurs, mais pas tant les dégradations en
elles-mêmes. Je pense que les enfants sont un peu résignés par rapport à ça. Les problèmes avec l’état des locaux commencent déjà en primaire, ils s’y habituent progressivement.
Quant aux enseignants non remplacés, vous savez ce que c’est, les enfants sont contents de rentrer plus tôt chez eux. Mais en tant que parents, nous voyons bien le nombre d’heures de cours non
assurées et ça nous inquiète.
Quelle a été la suite de votre mobilisation après la réunion du 8 mars ?
Après la réunion du 8 mars il y a eu une journée de grève des enseignants le 14 mars et une journée de manifestation le samedi 16 au matin. Cela a permis aux parents de se mobiliser, car beaucoup travaillent et ne peuvent pas forcément se libérer en semaine pour manifester.
Le jeudi 14 mars, une dizaine de parents ont accompagné les enseignants de notre collège à Bobigny où plusieurs manifestations avaient lieu. Le samedi suivant, nous nous sommes rassemblés devant la mairie avec de nombreux parents, y compris ceux d’écoles primaires. On nous a informés qu’une délégation du mouvement devait rencontrer Nicole Belloubet le vendredi, mais ils ont finalement été reçus par des conseillers, sans proposition concrète.
Surtout, il y a eu l’opération « collège désert ». Les enseignants ont demandé aux parents qui les soutenaient de ne pas envoyer leurs enfants au collège certains jours. Cela soulage les professeurs qui ne sont pas forcés de faire grève et ne perdent pas d’argent. Cela permet aux parents qui ne peuvent pas manifester de montrer leur soutien. Au collège de mon fils, seulement 10 élèves sur plus de 500 étaient présents lors de l’opération collège désert, cela indique clairement que les parents soutiennent la mobilisation.
A-t-on un sentiment de relégation du fait d’habiter en Seine-Saint-Denis ?
Cette année, mon fils étudie en éducation civique « les valeurs de la République », et la première valeur abordée était la solidarité. La leçon inclut
la création de la Sécurité sociale, l’école obligatoire pour tous, et on se dit que ces valeurs sont superbes. Mais en réalité elles ne sont pas appliquées pour les élèves du 93.
Quand les enfants apprennent cela en classe et constatent que ce n’est pas la réalité, avec quel image de la vie partent-ils ? Les services publics devraient être similaires pour tous, peu importe où
l’on se trouve en France. Les citoyens de demain ne peuvent pas commencer leur vie avec un sentiment d’injustice et de discrimination, ni avec un retard dans leurs études. Or on sait qu’ un élève du
93 perd en moyenne un an et demi de scolarité par rapport à un élève français moyen.
Cette mobilisation vous a-t-elle permis de tisser des liens avec des parents que vous n’aviez pas encore rencontrés. Cela vous a-t-il donné d’autres idées pour la suite de la mobilisation ?
Oui, cela m’a permis de rencontrer des parents que je ne connaissais pas. On se connaît bien entre parents d’élèves en maternelle et à l’école primaire car nous amenons et récupérons nos enfants à l’école. Ce n’est pas le cas au collège. La mobilisation crée des liens car nous sommes tous indignés de la même manière. Quant aux idées, nous en avons beaucoup mais nous écoutons aussi les enseignants car tout cela est un peu nouveau pour nous.
Pour l’instant, nous suivons les propositions qui nous sont faites, mais nous commençons à en discuter entre nous car nous comprenons que la mobilisation doit se poursuivre. C’est pourquoi. Nous nous retrouverons tous sur le parvis de la préfecture à Bobigny ce dimanche 24 mars à 14h ce dimanche. L’objectif est de venir en famille, avec nos enfants, pour démontrer notre engagement et notre mobilisation collective, dans un esprit festif.
mise en ligne le 19 mars 2024
Marion d'Allard sur www.humanite.fr
Hôpitaux au bord de la rupture, services publics à l’os, un demi-million de fonctionnaires qui gagnent moins de 1 500 euros par mois… Rarement l’expression « ras-le-bol général » n’aura résonné si justement. Ce mardi, à l’appel d’une large intersyndicale, les agents des trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière – battent le pavé pour exiger que s’ouvrent enfin de véritables négociations salariales. Les beaux discours n’y suffiront pas. Les arguties budgétaires ne convaincront pas. Malgré le chantage à « l’image de la France » pour les intimider, les fonctionnaires ne sont pas dupes et menacent de poursuivre le mouvement pendant les jeux Olympiques s’ils n’obtiennent pas satisfaction.
À quelques semaines du scrutin européen, les promoteurs de l’austérité à sens unique mettent cartes sur table, escomptant agréger les voix de l’arc libéral. Sans rien cacher ou presque de ses ambitions politiques, le ministre de l’Économie promet de nouveaux tours de vis. Plus enclin à prêter l’oreille aux chants des sirènes des agences de notation qu’à entendre la colère des fonctionnaires, le comptable de Bercy a repris son rabot de pèlerin.
Dix milliards d’euros en 2024 et vingt milliards supplémentaires en 2025. Aux antipodes d’une planification économique qui privilégierait l’investissement de long terme, c’est une nouvelle fois la politique de la coupe franche qui prévaut, avec dans le viseur les services publics et les dépenses sociales. La méthode est brutale et le Parlement systématiquement tenu à l’écart du débat.
Les « essentiels », les « premières lignes », celles et ceux qui tiennent les services publics à bout de bras exigent leur juste part. Augmenter leurs salaires, c’est briser le cycle infernal de la paupérisation, redonner de l’attractivité à leurs métiers et un avenir à leurs missions d’intérêt général. « De l’argent, il y en a », dit la formule. Chaque année, l’État verse sans condition près de 200 milliards d’euros d’aides aux entreprises, s’assoit sur 4,5 milliards de recettes en refusant de rétablir l’impôt sur la fortune et laisse s’évader plus de 100 milliards de fraude fiscale.
mise en ligne le 18 mars 2024
Hayet Kechit sur www.humanite.fr
Après plusieurs semaines de cacophonie entre Gabriel Attal et sa ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet, l’arrêté imposant la création de groupes de niveau au collège en français et en mathématiques, a été publié au Journal officiel, le 17 mars. Malgré une souplesse affichée, les syndicats continuent de dénoncer des « mesures iniques » et appellent à faire de la mobilisation nationale du 19 mars l’occasion d’un rejet massif du « choc des savoirs ».
L’expression a disparu des textes, mais l’esprit est bien le même, acté noir sur blanc dans le Journal officiel. Après plusieurs semaines de cacophonie ministérielle, sur fond de désaccords entre le premier ministre et sa ministre de l’Éducation nationale Nicole Belloubet, et malgré le rejet unanime des syndicats, la réforme dite des « groupes de niveaux » au collège voulue par Gabriel Attal a été officialisée dans la nuit du samedi 16 mars au dimanche 17 mars.
Ce nouvel arrêté prévoit ainsi, dès la rentrée prochaine, un regroupement des élèves de sixième et de cinquième dans des « groupes (…) constitués en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs » en français et en mathématiques. La généralisation aux élèves de quatrième et troisième est prévue pour la rentrée 2025. Exit donc la notion explicite de « groupes de niveau », qui a cristallisé la colère des représentants syndicaux. Mais, dans les faits, le résultat sera le même, l’arrêté prévoyant quelques lignes plus loin que « les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficieront d’effectifs réduits ».
Tour de passe-passe lexical
Un tour de passe-passe qui n’a pas trompé les syndicats. Le Snes-FSU, syndicat le plus représentatif du second degré, qui a réagi dès la parution de l’arrêté, continue de pointer « des mesures iniques », comme lors du Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) du 8 février où leurs amendements à la réforme dite « choc des savoirs », dans laquelle s’inscrit cette mesure, avaient été systématiquement rejetés par l’exécutif.
L’organisation voit dans les concessions et la souplesse affichées, à savoir notamment la possibilité offerte aux directions d’établissements de permettre, durant une période allant d’« une à dix semaines dans l’année » de sortir de ce dispositif et de regrouper les élèves dans leur classe de référence pour ces enseignements, un nouvel exemple de « dérégulation ».
« Comme à chaque réforme néolibérale, l’organisation est renvoyée au local. Derrière la « souplesse » affichée, c’est en fait une dérégulation supplémentaire, chaque établissement pouvant adopter une organisation différente des autres », s’est insurgée l’organisation dans ce communiqué. Et le syndicat de pointer les multiples entraves rendant inapplicable une telle « souplesse » : « Comment organiser des retrouvailles d’élèves en classe entière s’il y a des groupes surnuméraires ? », « Quel enseignement dispenser face à des élèves qui auront vu des méthodes et des éléments du programme différents selon leur groupe ? », « Quel sort sera réservé aux professeur·es des regroupements surnuméraires sans élèves pendant ces périodes ? »
Au-delà de la méthode, les syndicats dénoncent l’esprit même de cette mesure, derrière les circonvolutions lexicales. Dans les colonnes de L’Humanité, le sociologue Pierre Merle, spécialiste des politiques éducatives et de la ségrégation scolaire, l’avait ainsi résumé : « Les groupes de niveau sont un équivalent moderne du bonnet d’âne. »
Classe préparatoire à la classe de seconde
D’autres mesures ont également été déclinées dimanche dans le Journal officiel. À commencer par un décret sur le redoublement, qui sera désormais, dans les écoles primaires (écoles maternelles et élémentaires), « décidé » par le conseil des maîtres et non « plus proposé » aux familles, qui devront opposer un recours dans un délai de quinze jours en cas de refus.
Autre « innovation », concernant cette fois le secondaire : la création d’une « classe préparatoire à la classe de seconde », destinée à « consolider les acquis du cycle des approfondissements » pour les élèves qui n’auront pas eu leur brevet en fin de troisième (dont l’obtention conditionnera désormais le passage en seconde).
Autant de mesures qui, selon les syndicats, ne feront qu’accroître le gouffre séparant les élèves des classes populaires et ceux des classes plus favorisées. À la veille de la mobilisation nationale prévue le 19 mars, le Snes-FSU appelle les personnels de l’Éducation nationale à exprimer de façon massive leur opposition « à cette réforme et ses conséquences désastreuses pour les élèves et les personnels ».
mise en ligne le 12 mars 2024
Stéphane Ortega sur https://rapportsdeforce.fr/
Comment justifier une nouvelle réforme du chômage, quand quatre ont déjà été menées depuis 2018 pour raboter méthodiquement les droits des demandeurs d’emploi ? Par exemple, en laissant planer la suspicion sur des chômeurs qui profiteraient du « système », comme le fait Gabriel Attal, avec sa formule « le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité ». Décryptage d’un élément de langage volontairement trompeur.
Trois messages mensongers en trois minutes. C’est la prouesse à laquelle s’est livré Gabriel Attal dans un discours prononcé dans les locaux de l’entreprise Numalliance, à l’occasion de son déplacement dans les Vosges vendredi 1er mars. A propos de l’assurance chômage, qu’il entend encore réformer, le Premier ministre assure se faire le porte-parole de l’opinion : « que nous disent aujourd’hui les Français ? D’abord qu’ils veulent que le travail paye mieux et toujours plus que l’inactivité ». Puis il poursuit en invoquant encore ses compatriotes qui ne comprendraient pas qu’avec un taux de chômage à 7 %, des entreprises n’arrivent pas à recruter. Pour conclure par une dernière vérité alternative « ce n’est jamais aux chômeurs ou aux bénéficiaires du RSA que l’on s’attaque, mais à un système ». Trois assertions fausses, ou du moins trompeuses.
Non, le travail ne paye pas moins que le chômage
L’élément de langage d’un travail qui doit payer plus que l’inactivité est répété à l’envie par le Premier ministre depuis son discours de politique générale, prononcé le 30 janvier dernier. Et il ne vise pas les détenteurs de capitaux et les dividendes qui leur sont versés sans justifier d’une activité, mais les demandeurs d’emploi et leurs indemnités. Pourtant, avant la réforme de 2021, leurs montants n’étaient en moyenne que de 1130 euros net pour les hommes et 890 euros net pour les femmes, selon les données de l’Insee. Depuis, les allocations de remplacement du salaire ont baissé pour passer en dessous de la barre des 1000 euros en moyenne : 982 euros net au premier trimestre 2023, selon les indicateurs de l’Unedic. Des chiffres qui écornent le message gouvernemental à propos d’une inactivité soi-disant plus rémunératrice que le travail. D’autant que, selon les mêmes indicateurs de l’Unedic de début 2023, seulement 40 % des demandeurs d’emploi sont indemnisés.
« C’est un mensonge perpétré et répété des dizaines de fois », s’agace Denis Gravouil, à propos de la formule de Gabriel Attal. Pour le négociateur CGT du dossier de l’assurance chômage, c’est une aberration : « il est inscrit dans la loi que l’indemnisation ne peut pas dépasser 75 % de l’ancien salaire. Il n’existe donc pas, par construction légale, de chômeurs qui peuvent gagner plus au chômage qu’en étant au travail ». D’ailleurs, de ce fait, « certains demandeurs d’emploi ne peuvent pas bénéficier de la revalorisation des allocations chômage qui ont lieu chaque fin juin », car elle leur ferait dépasser les 75 % de leur ancien salaire, explique le syndicaliste.
L’obsession du gouvernement pour inciter à la reprise d’emploi, qu’il souhaite obtenir en baissant les droits des chômeurs, produit des effets inverses à ceux imaginés. « Il y a des gens pour qui travailler fait baisser leur allocation chômage depuis la réforme du salaire journalier de référence (SJR). Quelqu’un qui a le malheur de faire une journée de baby-sitting, espacée d’une grosse mission d’intérim de six mois, est perdant par rapport à quelqu’un qui n’a fait que la longue mission », continue le syndicaliste. En effet, depuis octobre 2021, les périodes non travaillées sont prises en compte dans le calcul des allocations. Conséquence : une baisse des indemnités pour les personnes alternant les périodes de travail et les périodes de chômage.
L’idée d’un chômage qui payerait mieux que le travail n’est qu’une fable pour Michael Zemmour. « Pour les bénéficiaires des minima sociaux, la synthèse d’une étude de France stratégie dit qu’il y a toujours un gain à la reprise d’emploi, même à temps très partiel, du fait de la prime d’activité. Par contre reprendre un emploi ne permet pas toujours de sortir de la pauvreté », rappelle l’économiste. Et qu’en est-il pour les chômeurs ? « Comme c’est un taux de remplacement sur le salaire, on perd toujours en sortant de l’emploi », tranche Michael Zemmour. A moins que « le gouvernement joue sur les mots en disant qu’un cadre au chômage gagne plus au chômage que s’il prenait un emploi au SMIC à mi-temps. Si c’est ça que le Premier ministre a en tête, il faudrait l’expliciter ». Des questions que nous avons posées au cabinet du Premier ministre. En vain. Malgré nos nombreuses relances, les services de Matignon n’ont pas souhaité nous expliquer sur quelle réalité repose la formule favorite de Gabriel Attal.
Mensonges en série
Profitant d’un écart abyssal entre la réalité du chômage et sa perception par l’opinion, les différents gouvernements d’Emmanuel Macron se sont permis de dire à peu près n’importe quoi sur l’assurance chômage depuis 2018. Et Gabriel Attal ne fait pas exception. Après l’assertion selon laquelle l’inactivité pourrait payer plus que le travail, le Premier ministre a recyclé l’argument utilisé abondamment fin 2022, pour réduire la durée d’indemnisation. A savoir qu’il est anormal que les entreprises peinent à recruter, alors que le taux de chômage reste de 7 %. En sous-texte : les chômeurs ne veulent pas travailler.
« Les difficultés de recrutement des entreprises, c’est un volant autour de 300 000 emplois non pourvus à un moment donné », rappelle Denis Gravouil, chiffres de France travail à l’appui. Une goutte d’eau sur les plus de 30 millions d’emplois salariés et non salariés en France. Et un volume qui est loin de représenter une solution pour les 6 millions d’inscrits à Pôle emploi et les quelque 2 millions de bénéficiaires du RSA. Pourtant, le gouvernement n’a de cesse de souligner le phénomène, en taisant ses causes. Outre que certains recrutements prennent plusieurs mois et sont donc comptabilisés non pourvus à un instant T, nombre d’emplois ne trouvent pas preneur par manque de personnes qualifiées pour les occuper. Les questions cruciales de formation, les difficultés de mobilités et de logements sont donc en tête des freins à l’embauche. A cela s’ajoutent les emplois de piètre qualité : contrats courts, à temps partiel, avec des horaires fractionnés et mal rémunérés dans certains secteurs. « Être payé au SMIC dans les stations balnéaires, alors que cela coûte un SMIC de se loger, évidemment des gens n’y vont pas ! », met en évidence Denis Gravouil.
Dernier mensonge du Premier ministre lors de son déplacement dans les Vosges : « ce n’est jamais aux chômeurs ou aux bénéficiaires du RSA que l’on s’attaque, mais à un système ». Des propos assez orwelliens. « Quand les mesures annoncées sont la suppression de l’ASS et la réduction de la couverture chômage, c’est au système qui vous couvre qu’il s’en prend », rétablit Michael Zemmour. Avec pour résultat concret « d’appauvrir les gens qui sont hors de l’emploi et de rendre la situation hors emploi insupportable », explique l’économiste. Pour lui, « quand on dit qu’il faut inciter à l’emploi et qu’on ne joue pas sur la rémunération du travail, cela veut dire qu’il faut augmenter la pénalité à ne pas travailler ».
Mais Gabriel Attal n’a pas l’exclusivité des mensonges sur l’assurance chômage. Élisabeth Borne et Muriel Pénicaud l’ont précédé dans l’art de la filouterie. Fin 2022, le gouvernement vendait la contracyclicité de l’assurance chômage, en promettant « quand ça va mieux, on durcit les règles, quand ça va moins bien sur le front de l’emploi, on protège davantage ». Finalement, il n’est resté que la baisse de la durée d’indemnisation quand le chômage baisse. Aujourd’hui, en pleine crise de perte de mémoire, alors que la situation se dégrade, l’exécutif veut durcir les règles au lieu de la promesse de les adoucir. En remontant un peu plus loin encore, lors de la première réforme du chômage en 2019, le gouvernement expliquait que l’objectif était de réduire les contrats courts sur-utilisés par les entreprises. Sans grand effet, à en croire l’évaluation provisoire de la réforme par l’Unedic en date du mois dernier.
Finalement, le seul moment d’honnêteté nous aura été involontairement livré par Muriel Pénicaud, le jour de la présentation de son projet de réforme en 2019, avec un superbe lapsus. « C’est une réforme résolument tournée vers le travail, vers l’emploi, contre le chômage et pour la précarité », avant de se reprendre en rectifiant « contre la précarité ».
mise en ligne le 9 mars 2024
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Personnels et parents d’élèves se donnent rendez-vous, ce jeudi, à Paris, pour une manifestation réclamant un plan d’urgence pour l’école. Un temps fort dans un mouvement commencé le 26 février, et qui veut s’inscrire dans la durée.
Une mobilisation, ça ne se décrète pas : ça se construit. Le mouvement de grève reconductible dans les établissements scolaires de Seine-Saint-Denis l’illustre parfaitement. Il a démarré à la rentrée des vacances d’hiver, le 26 février, sous le slogan « Pas de moyens, pas de rentrée ! ». Depuis, il tend à se renforcer, à rebours des espoirs du ministère. Très ancré localement, ponctué par des initiatives diversifiées, amalgamant aujourd’hui écoles et collèges, personnels et parents, il montre au contraire tous les signes d’une détermination croissante.
C’est qu’il part de plus loin : dès l’automne, l’intersyndicale (CGT Éduc’action, CNT, FSU, SUD éducation) a travaillé d’une manière unitaire non démentie depuis, au plus près des attentes des personnels. Une démarche qui aboutissait à la présentation, le 21 décembre, d’un plan d’urgence pour l’éducation en Seine-Saint-Denis. Manque cruel d’enseignants, de CPE (conseillers principaux d’éducation) et d’AED (assistants d’éducation), de personnels psychosociaux et de santé, locaux vétustes et, dans 30 % des écoles, infestés par les nuisibles… le bilan est terrible.
En face, les syndicats posent des revendications précises : recrutement de 5 000 enseignants, 175 CPE, 650 AED, 2 200 AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap), respect d’un seuil de 20 élèves par classe, rénovation du bâti et construction des établissements manquants… Le tout à financer en urgence avec deux collectifs budgétaires, à hauteur de 358 millions d’euros.
« En septembre, il faisait 34 °C dans les classes et, en hiver, il fait 13 °C »
C’est dans les collèges, visés au premier chef par le « choc des savoirs » et ses groupes de niveau, que le mouvement a démarré le plus fort. Au collège Georges-Braque de Neuilly-sur-Marne, on comptait « entre 60 et 70 % de grévistes toute la semaine dernière », raconte Camille Vallois, CPE dans cet établissement classé REP (éducation prioritaire).
Elle résume : « En septembre, il faisait 34 °C dans les classes et, en hiver, il fait 13 °C. On n’a pas d’eau chaude, pas assez de chaises, il y a des trous dans les murs… Nous n’avons plus d’assistante sociale, le poste de médecin a été supprimé, nous avons une infirmière seulement deux jours par semaine. Et, pour couronner le tout, alors que nous avons 680 élèves cette année, on nous en annonce 800 à la rentrée prochaine… Sans aucun moyen supplémentaire ! »
Ajoutons la mise en place de groupes de niveau, nécessitant des enseignants en français et mathématiques… qui n’existent pas. « On ne peut pas accepter cette situation, pour nos élèves, et pour ne pas perdre le sens de nos métiers », conclut-elle.
Dans le premier degré, « la mobilisation a été un peu moins massive au départ, reconnaît Marie-Hélène Plard, cosecrétaire départementale de la FSU-SNUipp, mais elle s’ancre. Ce jeudi, on aura au moins 45 % de grévistes en moyenne, avec des pointes à 90 % et des écoles fermées dans certaines communes ».
Outre les problèmes de bâti et de manque de personnels, c’est la généralisation des évaluations nationales standardisées qui suscite la colère des enseignants, qui y voient la perte de leur maîtrise professionnelle et aussi un outil de contrôle en vue de la mise en place de rémunérations au mérite.
La mobilisation des parents est « exceptionnelle »
L’absence de réponses institutionnelles – jusqu’au ministère qui a jusqu’à présent refusé de recevoir les grévistes – n’affaiblit pas le mouvement. Au contraire : « En 1998, on avait gagné 3 000 postes au bout de deux mois de mobilisation », rappelle Zoé Butzbach, cosecrétaire départementale de la CGT Éduc’action, qui annonce la création d’une caisse de grève. Mais le plus important soutien apporté aux personnels, c’est celui des parents d’élèves, d’une ampleur « exceptionnelle », souligne Marie-Hélène Plard.
Alors que de multiples réunions publiques permettent de discuter, de partager des analyses et de décider des actions, des opérations « école déserte » (ou « collège désert »), organisées par les parents – et à l’appel de la FCPE –, permettent à ceux-ci de s’impliquer et de soulager les grévistes. Ainsi, au collège Georges-Braque, on compte « entre 85 % et 90 % d’élèves absents depuis lundi », se réjouit Camille Vallois.
Autant dire que la manifestation du « 9-3 » aujourd’hui à Paris (départ 12 heures, place de la Sorbonne, en direction du ministère) risque d’être fournie. Alors que les élus – députés Nupes comme le communiste Stéphane Peu, qui a interpellé par deux fois la ministre Nicole Belloubet sur ce sujet à l’Assemblée, mais aussi maires de toutes tendances politiques – apportent un soutien de plus en plus marqué, ce jour ne sera pas un point final. Pour l’avenir de ses enfants, la Seine-Saint-Denis exige des réponses.
mise en ligne le 4 mars 2024
Elora Mazzini sur www.humanite.fr
La constitutionnalisation de l’IVG, examinée par le congrès ce lundi, va-t-elle « graver dans le marbre » la liberté d’avorter ? La juriste et maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord Lisa Carayon analyse, au prisme du droit, la portée de cette avancée.
Si le congrès valide son inscription dans la Constitution, « la liberté des femmes de recourir à l’IVG » sera-t-elle véritablement « irréversible » ?
Lisa Carayon : Rien n’est jamais irréversible en droit. Il existe différentes manières de remettre en cause le droit à l’avortement : jouer sur les délais, sur la disponibilité du personnel, sur le financement, etc. Une loi qui dérembourserait partiellement l’avortement serait-elle contraire à la Constitution ? Ce n’est pas sûr du tout.
Ce qui semble en voie d’être empêché, c’est une loi qui supprimerait totalement cette liberté, ou qui poserait des conditions extrêmement drastiques à l’accès à l’avortement. Mais tout ce que le congrès fait, il peut le défaire. Ce n’est pas impossible qu’un jour, un gouvernement anti-avortement refasse passer une modification constitutionnelle pour changer ce texte.
Dans la rédaction retenue, « la loi détermine les conditions selon lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG », ces termes vous paraissent-ils ambigus ?
Lisa Carayon : Les « conditions » peuvent être restrictives d’un point de vue financier, matériel ou moral. L’usage du terme « droit » à la place de « liberté » aurait été plus fort. L’ajout du mot « garantie » est plutôt positif, dès lors qu’il suggère qu’une suppression totale de cette liberté serait contraire à la Constitution.
« La femme », pour moi, est vraiment une formulation catastrophique car, même si la situation est peu fréquente aujourd’hui, il existe des hommes transgenres enceints. L’expression « interruption volontaire de grossesse » est aussi ambiguë : parle-t-on de l’IVG telle qu’elle est encadrée par Code de la santé publique ? Qu’en est-il de la liberté de s’avorter soi-même, qui n’est pas prévue par celui-ci ?
La Constitution ne garantirait donc pas l’accès à l’avortement pour les hommes transgenres ?
Lisa Carayon : Le terme n’interdit évidemment pas la sauvegarde de la liberté des hommes transgenres : cela a été dit notamment par le Conseil d’État. Pour autant, il y a encore un an et demi, le Conseil constitutionnel a débattu de l’accès à l’assistance médicale à la procréation pour les hommes transgenres, et il a validé leur exclusion de ce dispositif…
Par la formulation « la femme », le gouvernement envoie à la droite le message qu’il a choisi de négliger la situation des hommes transgenres. Il faut replacer tout cela dans le contexte du harcèlement subi par le Planning familial en rendant visible l’accueil des hommes transgenres dans une de ses campagnes.
L’article 34 de la Constitution est-il le mieux adapté pour accueillir cette modification ?
Lisa Carayon : L’article 34 énumère les domaines dans lesquels le Parlement possède la compétence pour légiférer. La Constitution de la République française de 1958 n’a pas été conçue pour recevoir un article de sauvegarde des droits fondamentaux, mais pour garantir une organisation institutionnelle. Toutes les garanties de droits sont traditionnellement renvoyées à son préambule depuis 1971. L’une des solutions était donc de l’inscrire à cet endroit.
Une autre possibilité était de l’introduire dans l’article premier de la Constitution, qui contient la devise de la République et le principe de parité dans l’accès aux fonctions publiques et aux fonctions de représentation de façon générale. Cela aurait pu avoir du sens de le rajouter à cet endroit dans la mesure où le droit à l’avortement est fondamental pour garantir l’effectivité du principe d’égalité entre les hommes et les femmes.
Que va changer cette inscription dans la Constitution, si elle est promulguée, dans les parcours d’avortement des personnes concernées ?
Lisa Carayon : Le texte de la loi constitutionnelle n’impose pas au législateur de donner davantage de moyens aux centres qui proposent des IVG, d’inclure les sages-femmes parmi les professionnels qui peuvent les exercer, d’élargir le délai, de supprimer la clause de conscience…
Donc, dans un moment politique où aucun parti n’est publiquement hostile à l’IVG, mais où par ailleurs on détruit les services publics et l’hôpital, rien ne va changer. Et rien n’interdit de penser que les conditions d’accès à l’avortement pourraient se dégrader dans le futur. Pas parce qu’on attaquerait le droit en lui-même, mais parce qu’on ne se donnerait pas les moyens d’offrir aux femmes de bonnes conditions d’accès.
Est-ce à dire que cette constitutionnalisation n’a qu’une valeur symbolique ?
Lisa Carayon : La valeur du symbole est importante, puisque la France est l’un des premiers pays européens à inscrire formellement dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG, donc la nécessité de protéger ce droit. On peut espérer que cela ait un effet sur les débats constitutionnels ailleurs.
Au niveau international, pour l’instant, la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais reconnu un droit des femmes à avoir recours à l’avortement. Elle laisse ce choix aux États. Le lui faire reconnaître, c’est le prochain combat juridique et déontologique.
mise en ligne le 3 mars 2024
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Stigmatisation Le premier ministre, Gabriel Attal, a « promis » un triplement des contrôles de privés d’emploi tous les ans. Une décision inédite, dans la droite lignée de la politique macroniste.
Gabriel Attal poursuit sa croisade anti-chômeurs, démarrée tambour battant aux lendemain de sa nomination à Matignon. Après avoir annoncé la « réouverture du chantier de l’assurance-chômage », pour promouvoir un « modèle social qui incite davantage à l’activité », le premier ministre prépare désormais les esprits à une augmentation inédite du contrôle des privés d’emploi.
« France Travail, ex-Pôle emploi, en menait l’année dernière 500 000 par an, souligne-t-il. Nous passerons cette année à plus de 600 000 et je fixe un objectif : multiplier par trois les contrôles chaque année d’ici à la fin du quinquennat. » Ce qui représenterait environ 1,5 million de contrôles par an.
Nul ne sait, à ce stade, si ce chiffre est atteignable, dans la mesure où le gouvernement n’a pas encore annoncé les embauches correspondantes à France Travail. Dans un contexte de restriction budgétaire, il n’est pas impossible que l’organisme décide de retirer des conseillers en charge de l’accompagnement pour les passer au contrôle.
C’est d’ailleurs la crainte de la sociologue Claire Vivès, coautrice de l’ouvrage Chômeurs, vos papiers ! 1, et qui rappelle « qu’on ne sait toujours pas qui va faire le nouveau travail d’accompagnement pour mettre en place les 15 heures d’activité obligatoire » pour les allocataires du RSA, autre création macroniste.
Les demandeurs d’emploi de nouveau stigmatisés
En réalité, au-delà de la crédibilité des annonces, c’est surtout leur contenu politique implicite qui saute aux yeux : il s’agit, encore une fois, de pointer du doigt les privés d’emploi, en flattant une partie de l’électorat acquise au mythe du chômeur volontaire.
« Pour moi, les annonces de Gabriel Attal ont pour objectif principal de propager une idée fausse, poursuit la chercheuse. Il dit : ”Attention, en matière d’assurance-chômage, la fête est finie.” » Et l’objectif même de ce discours, c’est de faire croire que, jusqu’à présent, la fête a existé, que les chômeurs sont des privilégiés qui sont grassement indemnisés et ne cherchent pas de travail.
Pourtant, jamais on n’a autant contrôlé les chômeurs. En 2021, le président Emmanuel Macron avait déjà demandé d’accroître le flicage de 25 %, afin de passer à 500 000 contrôles en 2022. Pour quel résultat ? En règle générale, les enquêtes menées par l’organisme depuis plusieurs années montrent que l’immense majorité des allocataires contrôlés (environ 85 %) étaient parfaitement dans les clous au moment de la vérification.
Une efficacité qui fait débat
Dans la littérature scientifique, l’efficacité réelle de la surveillance des chômeurs fait débat. Globalement, les études les plus « optimistes » sur le sujet constatent toutes que, même lorsque le retour à l’emploi s’améliore, c’est toujours au détriment de la qualité du poste retrouvé ou de son adéquation avec les compétences du chômeur.
« D’une part, l’effet de menace conduit les individus à réduire leur temps de prospection et à accepter “le premier emploi venu“, emploi qui peut être éloigné de leur potentiel de savoir-faire et de compétences, notent trois chercheurs spécialisés sur le sujet 2. D’autre part, ce retour rapide à l’emploi se traduit souvent par un retour à l’emploi moins durable et une trajectoire de revenus plus défavorable à la personne. »
Au passage, cette précarisation est un effet collatéral parfaitement assumé, si ce n’est recherché par les gouvernements libéraux. Une récente étude menée par la Dares pour analyser les effets de la réforme de l’assurance-chômage de 2019-2021, qui durcissait (entre autres) les conditions d’accès à Pôle emploi, montre les dégâts du tour de vis : en pratique, la mesure a accru la probabilité de retrouver un poste dans les deux mois suivant la fin d’un contrat de plus de trois mois. Mais la moitié de cet effet positif est liée à la reprise d’un emploi précaire (CDD de moins de deux mois ou mission d’intérim). C’est particulièrement vrai pour les salariés de 25 ans et plus.
En somme, la politique macroniste consiste surtout à rendre la vie des chômeurs tellement impossible qu’ils seront contraints de revenir sur le marché de l’emploi à n’importe quelle condition. Quitte à voir baisser un niveau de vie déjà très faible. « La réalité de l’indemnisation aujourd’hui, c’est que 40 % des allocataires qui ont ouvert des droits en 2022 ont reçu une allocation journalière inférieure à 39 euros », souligne Claire Vivès, qui rappelle que seuls 40 % des chômeurs inscrits à Pôle emploi perçoivent une indemnisation.
1. C. Vivès, L. Sigalo Santos, J-M. Pillon, V. Dubois, H. Clouet, Chômeurs vos papiers, Raisons d’agir, septembre 2023.
2. A. Fretel, B. Touchelay, M. Zune, « Contrôler les chômeurs : une histoire qui se répète », Revue française de socio-économie, 2018.
mise en ligne le 1° mars 2024
Par Aissata Soumare sur https://www.bondyblog.fr/
Les professeurs du département entament leur 5ᵉ jour de mobilisation. Hier, une assemblée générale s’est tenue à la Bourse du travail de Saint-Denis. La grève est reconduite et les revendications restent les mêmes : la mise en place d’un plan d’urgence en matière d’éducation dans le département.
« Pas de moyens, pas de rentrée ! » Le message des enseignants de Seine-Saint-Denis est limpide. Et pour cause, depuis la rentrée scolaire du 26 février dernier, de nombreux professeurs des premiers et second degré du département sont en grève. Ils réclament un plan d’urgence pour l’Éducation nationale dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France hexagonale.
Depuis ce lundi, les mêmes scènes se produisent dans plusieurs villes du 93. Des piquets de grève devant les établissements, des réunions d’informations, des assemblées générales locales organisées. L’ensemble des communautés éducatives est sur le pont pour exiger un plan d’urgence pour les écoles publiques et l’abandon des groupes de niveau au collège prévu pour la rentrée 2024.
Le plan d’urgence est une initiative lancée en décembre 2023 par l’intersyndicale avec plusieurs revendications pour ce territoire en proie à de graves difficultés sociales. Mais depuis la présentation de ce plan, les enseignants n’ont pas été reçus par leur ministère de tutelle.
Un mouvement suivi, soutenu par les parents et les élèves
Ce jeudi, c’est dans une salle comble que plusieurs prises de parole s’enchaînent et qu’un premier constat s’impose : le mouvement est très suivi dans les établissements.
Des applaudissements fournis se font entendre lorsque les représentants du lycée Paul Éluard de Saint-Denis expliquent avec fierté qu’il y a dans leur établissement « 100 % de grévistes chez les AED (assistant d’éducation) et entre 20 et 30 profs en grève. » Les représentants de ce lycée alertent régulièrement sur les conditions de travail et les manques matériels qu’ils subissent.
À Bagnolet, la première journée de grève a connu un succès avec 80 % de grévistes pour la vie scolaire. Les chiffres pour la 4ᵉ journée se stabilisent avec 30 % pour les enseignants et 50 % pour la vie scolaire. « On essaie de sensibiliser en organisant des réunions publiques avec les parents », résume Margot, enseignante à Bagnolet.
Le ministère semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation
Preuve de la détermination des professeurs, ils étaient 700 en rassemblement, d’après les syndicats, mardi 27 février devant les locaux de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale de Bobigny (DSDEN).
« L’intersyndicale a été mandatée par les collègues pour remettre officiellement, à l’occasion d’une audience, les doléances chiffrées (dans le rapport pour un plan d’urgence, ndlr) à la DSDEN 93. Les autorités académiques se sont engagées à transmettre nos revendications au ministère qui semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation », rapportait dans un communiqué l’organisation.
« Faute de remplacement, mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof »
On ne compte plus les alertes du corps enseignant depuis de nombreuses années. Sur les manques criants d’effectifs, les classes surchargées, les bâtiments en mauvais état ou encore sur les manques de moyens matériels.
Des problématiques dont sont victimes les enseignants et les élèves. « J’ai été en congé maternité, je n’ai pas été remplacée et mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof », raconte Melissa qui enseigne le français au lycée Blaise Cendrars de Sevran. « Ce qui m’indigne également, c’est l’état du bâti. L’année dernière, un plafond s’est effondré. Depuis un an, il y a une croix gammée inscrite sur une table dans ma classe et je demande régulièrement à ce qu’elle soit remplacée. Ça n’est toujours pas le cas parce qu’il n’y a pas de tables en plus », décrit l’enseignante de 33 ans.
Les enseignants réclament des moyens pour travailler avec les élèves en prenant en compte la situation de sinistre dans le département. Ces problématiques et elles accentuent les inégalités de plus en plus flagrantes.
Le plan d’urgence de l’intersyndicale (FSU, Sud éducation, la CGT et la CNT-éducation) est précis. Il demande la création de 5 000 postes supplémentaires : plus de mille postes pour la vie scolaire (surveillant, conseillers principaux d’éducation), 2 200 postes d’AESH pour accompagner les enfants en situation de handicap avec plus de reconnaissance dans le statut et le salaire. Le coût de ce plan a été estimé à 358 millions d’euros.
Les perspectives et actions à venir
Durant cette assemblée générale, des discussions ont eu lieu sur la suite du mouvement. La poursuite de la grève a été votée et amplifiée jusqu’au 7 mars et 8 mars (jours de mobilisation massive). Cependant, l’intersyndicale appelle à multiplier les initiatives locales d’ici là. Les piquets de grève, les AG, réunions d’informations et les opérations collège désert en lien avec les parents vont se poursuivre.
D’autres actions au ministère de l’Éducation nationale sont également prévues. Et preuve de l’influence du mouvement, d’autres départements envisagent ou ont entamé des actions similaires.
Si quelques désaccords sur les actions subsistent. La détermination et la motivation des enseignants sont incontestables. L’objectif visé est de continuer jusqu’à la journée du 19 mars qui sera une journée de grève dans la fonction publique.
Le dernier plan d’urgence négocié dans le 93 remonte au 21 octobre 1998. Claude Allègre était le ministre de l’Éducation nationale. À l’issue de six semaines de grève, les enseignants avaient obtenu la création de 3 000 postes en plus. Le succès de cette lutte reste dans les mémoires de certains qui retrouvent cette même énergie dans la mobilisation de 2024.
mise en ligne le 28 février 2024
Guillaume Bernard sur https://rapportsdeforce.fr/
Les Prud’hommes ? « C’est l’enfer », racontent les salariés qui y passent. Et ça pourrait encore s’aggraver. Dans sa prochaine réforme du code du travail, prévue après l’été, le gouvernement pourrait bien proposer de réduire la durée pendant laquelle un salarié peut contester son licenciement aux Prud’hommes à 6 mois au lieu d’un an. Une mesure qui fragiliserait encore les salariés.
Elle avait été licenciée, prétendument, pour un vol de bouteille d’eau en plastique dans la clinique dont elle assurait la propreté. Plus sûrement, pour sa grande gueule et son refus de voir son planning décalé sans cesse. Voilà bientôt 3 ans que Safi* a décidé de contester la décision de sa boite de nettoyage et attend d’obtenir réparation auprès des Prud’hommes. Un long chemin de croix.
Sa lettre de licenciement – consultée par Rapports de force – est datée d’avril 2021, mais son audience au conseil des Prud’hommes de Lyon n’a eu lieu qu’en septembre 2023. Et si cette dernière s’est « bien passée », son jugement n’a toujours pas été rendu. « C’est tellement long, c’est l’enfer. Tant que cette histoire n’est pas réglée, j’ai du mal à passer à autre chose. Mon licenciement a été injuste et violent, s’il y a une justice, elle ne peut pas laisser passer ça. » Une justice ? Oui, il y en a peut-être une. Mais dans quel état ?
L’état « catastrophique » des Prud’hommes
« L’état des prud’hommes est catastrophique, convient Alexandre Derksen, avocat lyonnais spécialisé en droit du travail, à Lyon, il m’est arrivé d’attendre un an entre une audience et la rédaction du jugement. Ça décourage tout le monde. » Un jugement partagé par la Cour des comptes en 2023 dans un rapport au vitriole. « Il établit que, malgré une réduction du nombre de contentieux, la durée de traitement des affaires n’a cessé de s’allonger. Et ça, ce n’est vraiment pas possible », soupire l’avocat.
Ainsi, selon la Cour des comptes, cette durée s’est allongée de 9,9 mois en moyenne en 2009, à 16,3 mois en 2021, alors que « le nombre d’affaires a été divisé par plus de deux durant la même période ». Loin de s’expliquer par une amélioration de la relation entre patronat et salariat, la réduction du nombre d’affaires trouve ses causes dans une série de lois qui n’ont eu de cesse d’affaiblir la justice prud’homale, au détriment des salariés.
Parmi elles : la création de la rupture conventionnelle, en 2008, où l’instauration du barème d’indemnité prud’homales dit « barème Macron », en 2017, suite à l’application de la Loi Travail. Ce dernier a entraîné une diminution des dommages-intérêts versés par la justice en cas de licenciement abusif. Enfin, autre mesure de nature à vider les Prud’hommes : la réduction de la durée pendant laquelle un salarié peut contester son licenciement devant les juges. Et sur ce point, le gouvernement souhaite remettre le couvert.
Ramener le délai de prescription à 6 mois
« Initialement fixés à 30 ans, [les délais de prescriptions] sont passés à 5 ans en 2008, à 2 ans en 2013, puis enfin à 1 an en 2017… En 14 ans, le temps alloué aux salariés pour agir a ainsi été divisé par 30 : vertigineux », rappelle la CFDT.
Oui, mais un an c’est toujours trop pour Bruno Le Maire. Le ministre de l’Economie, qui a lancé un ballon d’essai dans Le Parisien le 2 décembre, suggère d’abaisser ce délai à 2 mois dans sa prochaine loi Pacte 2. « Voilà encore une bonne nouvelle, soupire Safi*, désabusée. En deux mois je n’aurais jamais pu aller aux Prud’hommes. On dirait qu’ils veulent juste que les salariés la ferment. »
La volonté de s’attaquer aux Prud’hommes est confirmée quelques mois plus tard dans un rapport parlementaire, publié le 15 février 2024 et intitulé « Rendre des heures aux français ».
Le texte, qui doit servir d’inspiration pour la future loi Pacte 2, propose une réduction du délai de prescription après le licenciement, à 6 mois. Argument massue : « Ce délai affecte la prévisibilité du coût du licenciement et impacte in fine les décisions d’embauche. »
« Autant, réduire ce délai à deux mois, je n’y crois pas. Par contre, passer à 6 mois c’est totalement possible. Cela irait dans la logique des lois précédentes : permettre aux employeurs de mieux anticiper le coût ou la durée d’un conflit. Pendant une période de contentieux, l’employeur est obligé de faire une provision sur charge, de bloquer de l’argent dans l’attente du délibéré. Avec cette nouvelle mesure, on raccourcit la durée pendant laquelle cet argent sera bloqué. La mise en place des barèmes prud’homaux s’était faite avec exactement les mêmes arguments. En attendant on ne se soucie pas du salarié, qui se retrouve fragilisé. Six mois, ça va très vite. Il y a le temps d’encaisser, de se retourner, de prendre contact avec Pôle emploi [ndlr : devenu France Travail] et que ce dernier fasse la requête… »
Sous couvert de simplification, la loi Pacte 2, qui aurait tout aussi bien pu s’appeler Loi Travail 2, tant elle repose sur la même logique, risque bel et bien de fragiliser les salariés lors des conflits avec leur employeur. D’après les déclarations de Gabriel Attal, elle devrait être présentée après l’été. En attendant, Safi* n’a pas retrouvé un travail qui la satisfasse autant que son emploi d’agent de nettoyage dans une clinique. « C’était dur mais j’avais mon équilibre. Mes collègues, mes horaires. Aujourd’hui j’enchaîne les contrats d’un jour ou deux dans les Ehpad, j’ai perdu ma vie d’avant. Et même la justice ne pourra pas me la rendre », regrette-t-elle.
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.
mise en ligne le 27 février 2024
Caroline Coq-Chodorge www.mediapart.fr
En 2019, les soignants des urgences alertaient sur la mise en danger des patients entre leurs murs. Si les premières victimes médiatisées étaient des personnes âgées isolées, désormais de jeunes patients décèdent. C’est le signe d’une dégradation accélérée de la situation.
Y compris dans Mediapart, qu’est-ce qui n’a pas été dit, écrit sur les dramatiques dysfonctionnements des urgences, porte d’entrée éventrée de l’hôpital ? En 2019, c’est bien de ces services qu’est partie une vaste mobilisation hospitalière, fauchée net par le Covid. À l’origine du mouvement de colère, un décès déjà, celui de Micheline Myrtil, 55 ans, fin 2018, oubliée en salle d’attente.
Qui est responsable ? La justice vient de donner un début de réponse, à la suite de la plainte de la famille de Micheline Myrtil. Au terme de l’instruction, le parquet de Paris a demandé, début 2023, le renvoi en correctionnelle de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Ce ne sont pas les soignant·es, mais la direction qui est mise en cause. Et derrière elle, les politiques qui ont inlassablement voté des budgets au rabais, dont l’hôpital a fait les frais.
Aujourd’hui, les témoignages de proches de patient·es décédé·es déferlent. Tous méritent du temps : il faut obtenir les dossiers médicaux par l’intermédiaire des familles, recouper les témoignages, écouter la douleur et la colère de voir partir un proche, déterminer l’origine des dysfonctionnements. Ce sont souvent les mêmes.
Les signaux d’alerte sont trop nombreux pour être tous énumérés. Rouge vif ou sombre, les codes couleur n’ont plus de sens.
Dans les zones d’attente surchargées de brancards, les patient·es sont trié·es de plus en plus vite. Les personnes âgées ont été les premières victimes rendues publiques : isolées, porteuses de nombreuses maladies chroniques, les différents services qui pourraient les accueillir se les renvoient comme des balles de ping-pong.
Ils les refusent faute de lits, mais aussi parce que ce sont de probables « bed blockers », des patients et patientes qui peuvent occuper des lits pour de longues semaines, parfois des mois. Or, à l’hôpital, un lit rapporte peu. Et de manière moins cynique : les lits manquent partout, y compris pour des malades plus jeunes aux pathologies plus aiguës.
La situation est plus périlleuse encore pour les personnes qui n’ont pas les codes pour communiquer avec les soignant·es, ou s’expriment mal en français, comme Achata Yahaya, 79 ans, Comorienne, qui ne parlait pas français. À Jossigny (Seine-et-Marne), elle est décédée le 30 octobre 2022 dans la zone d’attente couchée des urgences, d’une détresse respiratoire pourtant identifiée comme « prioritaire », qui aurait dû être prise en charge en moins de 20 minutes. Près de deux heures plus tard, les médecins ont tenté de la sauver, en vain. Dans le dossier médical d’Achata, « la barrière de la langue » est mentionnée à plusieurs reprises. Sa fille Fatima, qui parle français, était pourtant à ses côtés.
Souvent, l’alerte vient des soignant·es, qui passent outre leur devoir de réserve. À Hyères, après le décès de Lucas aux urgences dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2023, révélé par Mediapart, ce sont des médecins qui ont encouragé la famille à réclamer son dossier médical. Finalement, une partie de celui-ci a été déposée dans sa boîte à lettres, de manière anonyme.
« Avant, la politique de l’hôpital était d’éviter les plaintes, en traitant ce qu’on appelle “les événements indésirables graves” en interne », explique Pierre Schwob, infirmier à l’hôpital Beaujon à Clichy (Hauts-de-Seine) et président du Collectif inter-urgences, à l’origine de la mobilisation de 2019. « Il y a cinq ans, on a lancé l’alerte et rien n’a été fait. Aujourd’hui, les médecins incitent les patients à porter plainte. » À ses yeux, il y a un autre fait nouveau, qui est le signal d’une aggravation manifeste de la situation : « Les premières victimes aux urgences étaient des personnes âgées, souvent isolées. Aujourd’hui, ce sont des jeunes. La population prend conscience que cela peut toucher tout le monde. »
En décembre 2022, le syndicat Samu Urgences de France, pourtant le plus proche du pouvoir, était monté d’un cran dans l’alerte. Il demandait à ses adhérent·es de dénombrer les « morts inattendues » dans leurs services, soit les personnes qui n’ont « pas été identifiées comme étant en urgence vitale, qui sont souvent sur des brancards, dans des couloirs, depuis des heures, et qui décèdent. Ou encore tous ceux qui n’ont pas pu être sauvés parce que le Smur [le véhicule d’urgence des urgentistes – ndlr] n’est pas arrivé assez vite. Ces morts inattendues, il y en a toujours eu. Mais là, il y en a beaucoup trop », expliquait le docteur Marc Noizet, président du syndicat. Samu Urgences de France a rapidement cessé ce recensement : « C’était trop dur pour les équipes », explique-t-il aujourd’hui.
Les fermetures de lits s’accélèrent
Après le Covid, les politiques ont multiplié les promesses. Depuis, les signaux d’alerte sont trop nombreux pour être tous énumérés. Rouge vif ou sombre, les codes couleurs n’ont plus de sens. L’augmentation de la fréquentation des urgences est continue : 22 millions de passages en 2019, 17 millions dix ans plus tôt, soit une augmentation moyenne de 500 000 patient·es par an.
Mais le problème clé reste l’aval des urgences, c’est-à-dire la capacité du reste de l’hôpital d’hospitaliser dans d’autres services les patient·es des urgences. Malgré les promesses politiques, les lits d’hospitalisation ferment toujours : − 1,8 % en 2022, un rythme « plus rapide qu’avant la crise sanitaire (− 0,9 % par an en moyenne) », a révélé en décembre dernier la Drees, le service des statistiques du ministère de la santé.
Les politiques continuent à creuser la dette des hôpitaux
En janvier 2020, la ministre de la santé Agnès Buzyn s’était engagée à effacer 10 milliards des 30 milliards d’euros de dette des hôpitaux, qui plombent un peu plus leurs finances. La crise du Covid a balayé la promesse. La dette est toujours de 30 milliards et se creuse encore. En 2022, les hôpitaux affichaient un déficit de 1 milliard d’euros. Il pourrait atteindre 2 à 3 milliards pour l’année 2023, estime la Fédération hospitalière de France. En cause : l’inflation et les augmentations de salaire consenties après le Covid, non compensées.
Les hôpitaux publics subissent en prime une baisse d’activité, liée à la fermeture de lits (ce qui contribue à l’engorgement des urgences), et ne parviennent pas à consommer leur enveloppe financière votée en loi de financement de la Sécurité sociale. Cette enveloppe non consommée est « mise en réserve ». La ministre du travail, de la santé et des solidarités Catherine Vautrin s’est félicitée de leur restituer 388 millions d’euros… sur 720 millions. Question de perspective : pour la FHF, c’est « une ponction de plus de 300 millions d’euros », « au profit du secteur privé lucratif », qui a lui dépassé son enveloppe, dénonce la FHF.
Et de nouvelles coupes se profilent. La loi de financement de la Sécurité sociale 2024 revient à des niveaux d’économies identiques à ceux des années 2010, qui ont laminé l’hôpital : l’objectif de dépense d’assurance-maladie (246,6 milliards d’euros en 2023) doit progresser de 3,4 % en 2024, puis de 3 % en 2025 et de 2,9 % en 2026 et 2027, très loin de la progression naturelle de ces dépenses portée notamment par le vieillissement de la population. Le premier ministre Gabriel Attal a annoncé à sa nomination 32 milliards d’euros en cinq ans pour le système de santé… soit moins que les maigres enveloppes déjà programmées.
Un nombre de médecins toujours insuffisant
La démographie médicale n’offre pas plus de perspectives. Là encore, les politiques ont multiplié les promesses de papier. Le numerus clausus, soit le nombre de places ouvertes en deuxième année de médecine, a été remplacé par un numerus apertus : le nombre de places, bien que toujours limité, est désormais déterminé au niveau régional, en fonction des besoins du territoire. Plus de dix mille places en deuxième année de médecine sont maintenant ouvertes, comme dans les années 1970 (le nombre de places avaient chuté à moins de trois mille dans les années 1990).
Mais comme le soulignent les député·es de la commission sociale dans un récent rapport, dans les années 1970, il y avait 15 millions de Français·es en moins, bien plus jeunes qu’aujourd’hui… Les projections restent inquiétantes : les effectifs de médecins vont stagner jusqu’en 2027, avant de légèrement augmenter jusqu’en 2050.
Dans l’une de ses premières prises de parole, vendredi 16 février sur France Info, le nouveau ministre délégué à la santé Frédéric Valletoux a décliné la proposition en ciblant les patient·es : selon lui, certains « Français n’ont pas besoin » de se présenter aux urgences. Il s’est très vite heurté au mur du réel : en catastrophe, il s’est déplacé au CHU de Toulouse (Haute-Garonne), où deux viols et un suicide sont survenus aux urgences psychiatriques en quelques jours. Il n’aurait, a-t-il déclaré, « jamais vu ça ».
Le président Samu Urgences de France Marc Noizet déplore de son côté « la valse des ministres : quatre en dix-huit mois. Les cabinets ont changé, les dossiers ont été oubliés, il n’y a aucune continuité. Je repars à zéro pour la troisième fois en un an, dans un moment aussi critique… »
Le problème des urgences est intimement lié à l’accès à un médecin généraliste. Six millions de Français·es n’ont pas de médecin traitant. Les négociations conventionnelles entre les médecins libéraux et l’assurance-maladie reprennent après avoir échoué au printemps 2023.
L’assurance-maladie est prête à porter à 30 euros la consultation de base des médecins généralistes, à la condition notamment de leur participation à la permanence de soins, au moins en première partie de nuit, pour soulager les urgences. Aujourd’hui, seuls 40 % des médecins généralistes participent à la permanence des soins.
Pour Agnès Gianotti, présidente du syndicat de médecins généralistes MG France, la mesure est illusoire. La première difficulté, rappelle-t-elle, est de « trouver un médecin aux heures ouvrables. Aujourd’hui, tous les médecins généralistes doivent refuser de nouveaux patients, c’est insupportable ». Ceux-ci atterrissent aux urgences. Elle insiste elle aussi sur le risque d’une fuite des médecins généralistes vers d’autres formes d’exercice, bien moins pénibles : des « centres à horaire élargi », qui accueillent des patient·es sans rendez-vous, sans aucun suivi, ou les « téléconsultations ».
Aux urgences, le docteur Marc Noizet constate lui aussi des réflexes de protection chez les jeunes médecins. « Il y a un virage sociétal. Leur première exigence est la qualité de vie. En novembre dernier, j’ai recruté quatre médecins, trois ont demandé un temps partiel. »
Aux urgences du CHU de Bordeaux, les plus grandes de Nouvelle-Aquitaine, Mediapart racontait, à l’été 2022, la valse des chefs de service. Parmi eux, Guillaume Valdenaire a préféré quitter la spécialité qu’il « pensait exercer toute [s]a vie ». Il ne supportait plus « les nuits aux urgences, les dizaines de patients non vus, en permanence, qui attendent cinq ou six heures ». À 45 ans, il lui fallait « des jours pour [se] remettre de la violence de ces nuits ».
mise en ligne le 23 février 2024
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
La baisse des prévisions de croissance amène le gouvernement à retirer près de 700 millions d’euros à l’éducation et plus de 900 millions à l’enseignement supérieur et à la recherche. Des coupes aux conséquences dévastatrices.
Bruno Le Maire l’avait juré, en annonçant que le ralentissement prévu de la croissance française allait entraîner 10 milliards d’euros d’économies dans le budget 2024 : « Tous les ministères seront mis à contribution, à hauteur de ce qu’ils représentent dans le budget national. » Oui, mais certains plus que d’autres… La publication du décret mettant en musique ces coupes claires, jeudi 22 février, le montre. Elle indique également les vraies priorités du gouvernement : l’éducation devra rendre 692 millions, l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) 904 millions, mais la défense… que 105 millions.
Des milliers de postes vont disparaître
Comme l’Éducation nationale est avant tout riche de ses personnels, ce sont des milliers de postes qui vont disparaître. Combien ? Il est encore tôt pour le savoir avec précision. Le collectif Nos services publics, par la voix de son porte-parole Arnaud Bontemps, estime les pertes à 8 000 postes dans l’éducation et 7 500 dans l’ESR. La CGT Educ’action reprend, pour sa part, les estimations plus détaillées produites par le site du Café pédagogique : « 2 620 postes d’enseignant·e·s sont supprimés dans le premier degré public, 1 740 dans le second degré public et 1 760 postes dans le privé », énumère le syndicat. Soit 6 120 postes d’enseignants au total. « S’y ajoutent, reprend la CGT Educ’action, 4 600 postes d’AED et d’AESH » (assistants d’éducation et accompagnants d’élèves en situation de handicap), du fait de l’annulation de 262 millions d’euros de crédit au titre de la mission « vie de l’élève ».
Bruno Le Maire avait promis que les coups de rabot envisagés porteraient sur les dépenses de l’État mais « pas sur les Français » ? Mensonge. Il avait déjà tenté de dissimuler, dans la loi de finances 2024, la suppression de 1 100 postes d’AED, révélée voilà quelques jours par le président de la commission des Finances de l’Assemblée, Éric Coquerel (FI). Comme nous l’expliquions alors, ces décisions révèlent que, au contraire, les élèves les plus fragilisés subiront de plein fouet les conséquences de ces décisions : les élèves en situation de handicap, à qui l’État est déjà incapable de fournir l’accompagnement qui leur est dû, mais aussi tous ceux qui ont besoin de la présence de plus d’adultes pour assurer leur sécurité physique, morale et d’apprentissage, y compris la lutte contre le harcèlement, cette prétendue « priorité absolue ».
Guislaine David, porte-parole de la FSU-Snuipp (premier degré), abonde : « On est au bord de la rupture. On n’a plus d’enseignants spécialisés, on a besoin de psychologues, d’infirmiers. L’inclusion fait craquer des collègues. Si on ne fait rien, on va aboutir à son rejet, ce que nous ne souhaitons surtout pas ! » Elle se montre prudente sur les chiffres mais alerte : « Pour la rentrée prochaine, c’est surtout sur les embauches de contractuels qu’ils risquent de jouer. » Avec des conséquences immédiates sur les remplacements et surtout dans les départements qui concentrent déjà les difficultés sociales et scolaires, où ces personnels précaires sont les plus présents. Les suppressions de postes, elles, seraient peut-être décalées à la rentrée 2025.
L’indispensable sacrifié, le futile financé
Même approche pour Sophie Vénétitay, cosecrétaire générale du Snes-FSU (second degré) : « Faire aujourd’hui des projections en termes de postes peut être périlleux. Cela va-t-il impacter les contractuels ? Le » pacte « sera-t-il mis en extinction ? En tout cas, on enlève encore des moyens à l’Éducation nationale au moment où elle est au bord de l’effondrement. » La syndicaliste souligne les contradictions du discours gouvernemental : « On nous explique aujourd’hui que ces annulations de crédit porteront surtout sur la réserve de précaution du ministère. Mais c’est déjà elle qui devait financer les quelques centaines de créations de postes pour mettre en œuvre les groupes de niveau, dans le cadre du « choc des savoirs «. » De là à songer que ce dernier aurait du plomb dans l’aile…
Le plus odieux, aux yeux de la communauté éducative, c’est que, pendant qu’on tranche en vif dans le cœur de l’école, on persiste à vouloir dépenser des sommes parfois considérables pour des mesures au mieux discutables. Comme les 16 millions pour un livret (« inutilisable », tacle Guislaine David) sur les Jeux olympiques et une pièce commémorative de deux euros, bientôt distribués aux 4 millions d’élèves du premier degré. Ou, pire, l’uniforme, dont toutes les recherches à ce jour montrent qu’il ne sert à rien – mais qui, s’il est généralisé, coûterait à l’État quelque 180 millions d’euros – et autant pour les collectivités territoriales. Alors, si l’école est bien, selon les mots de Gabriel Attal, « la mère de nos batailles », c’est qu’en vérité, ces batailles-là ne défendent pas les valeurs qu’elle porte.
Romaric Godin sur www.mediapart.fr
Un décret précise les détails des efforts budgétaires prévus dans le cadre du plan d’austérité du gouvernement annoncé lundi. L’Éducation nationale paie un lourd tribut en termes de postes, tandis que l’écologie est ratiboisée. Seule la défense est préservée.
Trois jours après l’annonce d’un plan d'austérité de 10 milliards d’euros pris en urgence par Bercy (lire ici l'analyse de Mathias Thépot), le décret d’application décrivant le détail des économies ministère par ministère a été publié au Journal officiel. Lundi 19 février, Bruno Le Maire avait promis que les efforts seraient proportionnels au poids budgétaire des missions ministérielles, et la veille, sur TF1, il avait assuré qu’il ne s’agissait que de réduire « le train de vie de l’État ».
Évidemment, cette poudre aux yeux disparaît immédiatement une fois que les décrets sont parus. L’austérité annoncée par Bercy est le reflet de choix budgétaires qui auront pour conséquence une dégradation des services publics. Pour une raison simple : la réduction du train de vie de l’État se traduit concrètement par des suppressions de postes.
11 000 postes de moins dans l’éducation
Le premier secteur touché est celui de l’Éducation nationale, qui voit son budget rogné par décret de 692 millions d’euros. L’effort concerne principalement des baisses de postes, principalement dans le premier degré (131,2 millions d’euros de moins) et dans la « vie de l’élève », autrement dit dans le personnel d’encadrement des élèves (pour 164 millions d’euros). Certes, cet effort est inférieur au poids de l’Éducation nationale dans les dépenses de l’État (10,4 %), mais il a des conséquences notables.
Selon le site spécialisé Le café pédagogique, les baisses de crédits concernant les emplois reviennent à supprimer 11 000 postes : 2 620 dans le premier degré, 1 740 dans le second degré, 1 760 dans l’enseignement privé et 4 600 dans le domaine de la « vie de l’élève ». Une saignée qui tranche avec les belles paroles du premier ministre Gabriel Attal, ancien ministre de l’éducation nationale, qui avait assuré faire de l’enseignement une « priorité absolue ».
C’est d’ailleurs un vrai camouflet que le premier ministre adresse à l’ancien ministre de l’éducation nationale puisque, dans le budget 2024 voté par la voie de l’article 49-3 de la Constitution, l’enseignement devait permettre la création de 2 137 postes. Par simple décret, Bercy transforme ces créations en destructions nettes et massives.
La première conséquence devrait d’ailleurs être l’incapacité de mettre en place les « groupes de niveau » qui constituait le cœur du plan de Gabriel Attal quand il était Rue de Grenelle pour « relever le niveau » des élèves. Ce dispositif devait « consommer » 7 000 postes dont la nouvelle ministre, Nicole Belloubet, avait récemment assuré qu’ils seraient pourvus grâce au recrutement de contractuels. On voit mal comment cela serait désormais possible après ce violent coup de rabot de Bercy.
L’avenir sacrifié
Pour le reste, on est frappé par les économies réalisées sur la préparation de l’avenir. C’est évidemment le cas du ministère de l’écologie qui, au moment même où la crise écologique s’aggrave, devra se passer de pas moins de 2,14 milliards d’euros, soit 21 % du total, alors même qu’il ne pèse que 5 % des dépenses. Outre la suppression de MaPrimRénov’ pour près de 1 milliard d’euros, on constate une baisse sensible des crédits accordés aux infrastructures (341,1 millions d’euros en moins) et au Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, amputé de 500 millions d’euros, qui devait notamment aider à la rénovation thermique des écoles, collèges et lycées…
Parmi les autres ministères sacrifiés, on trouve celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, amputé de 904,2 millions d’euros, ce qui ne manque pas de piquant alors que dans son discours de politique générale, Gabriel Attal avait prétendu vouloir « désmicardiser » le pays, donc augmenter le niveau de gamme des emplois.
Or l’essentiel des coupes budgétaires porte sur des domaines susceptibles d’améliorer la compétitivité technologique de l’économie française : recherche fondamentale scientifique (383 millions d’euros de moins), recherche spatiale (192,9 millions de moins) et recherche dans le domaine de l’écologie (109,1 millions de moins).
Par ailleurs, au moment où les conditions de vie des étudiants sont frappées de plein fouet par l’inflation et les hausses de loyer, Bercy a jugé bon de couper 125,1 millions d’euros de budget dans la vie étudiante. Là encore, le poids de la recherche dans les économies, près de 9 %, est démesuré au regard du poids du poste dans les dépenses de l’État (3,3 %).
Parmi les autres postes mis à contribution de façon disproportionnée, on notera la présence de la culture, qui devra se passer de 204 millions d’euros, soit près de 2 % du total, pour un poids dans les dépenses de l’État de 0,57 %. Aide à la création et aide au patrimoine devront partager les économies.
La justice est aussi mise fortement à contribution. Alors même que le secteur souffre d’un manque chronique de moyens depuis des années, il devra se passer de 328 millions d’euros, soit près du double de son poids dans le budget de l’État. En proportion, l’effort sera surtout porté par les services centraux, mais la « justice judiciaire » devra se passer de 129 millions d’euros, soit un effort plus élevé que son poids budgétaire.
Enfin, Bercy a frappé, comme annoncé lundi dernier, là où les coupes sont traditionnellement les plus faciles : aide au développement (742 millions d’euros), aide au logement (330 millions d’euros), aides à l’emploi (1,1 milliard d’euros, avec la mise en place d’un reste à charge pour l’activation du compte personnel de formation).
Des choix politiques désastreux
En revanche, la serpe de Bercy a épargné la défense qui, quoique représentant 8,8 % des dépenses de l’État, ne devra se passer que de 105,8 millions d’euros, soit 1 % du total et, dans une moindre mesure, la sécurité, qui devra réduire ses dépenses de 232 millions d’euros, soit 2,3 % du total, un poids conforme à sa place dans les dépenses de l’État (2,4 %).
La publication de ce décret montre que, derrière les mots du gouvernement, ce dernier semble prêt à sacrifier non seulement la préparation de l’avenir du pays, mais aussi la qualité des services publics. Les Français risquent rapidement de constater les effets concrets de ces coupes budgétaires dans leur rapport à l’État.
Ce n’est cependant qu’un début. Le ministre délégué aux comptes publics, Thomas Cazenave, a déjà annoncé un collectif budgétaire pour cet été afin de réaliser un nouveau coup de rabot, après ces premières coupes réalisées par simple décret dans la limite de ce que permet la loi.
Refusant toujours de faire participer davantage le capital à l’effort collectif, le gouvernement n’a donc pas fini de faire payer la facture de l’inefficacité de sa politique (rendue évidente par le ralentissement d’une croissance déjà faible) à la majorité des Français et aux plus fragiles.
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
Alors que le gouvernement vient d’annoncer de nouvelles mesures d’austérité, des voix s’élèvent pour taxer les bénéfices des multinationales françaises, dont les résultats annuels s’annoncent supérieurs à 2023.
C’est un hasard du calendrier, un de ces carambolages dont l’actualité raffole. Le gouvernement a décidé d’annoncer un nouveau tour de vis budgétaire d’un montant de 10 milliards d’euros, en plein pendant la période de publication annuelle des résultats du CAC 40.
L’effet produit par cette collision malheureuse est saisissant : chaque jour, le gouvernement donne le détail des coupes budgétaires qu’il compte opérer, pendant que l’indice boursier vole de record en record, dopé par l’optimisme des multinationales françaises. Le CAC 40 a ainsi dépassé les 7 880 points, un record historique (lors de sa création, en 1987, il valait 1 000 points).
Les rachats d’actions ont toujours le vent en poupe
La gauche et les syndicats ne se sont pas privés de s’engouffrer dans la brèche. « Je le dis à Bruno Le Maire, indique Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, sur RTL. S’il cherche 10 milliards d’euros, je peux lui dire où aller les chercher, en allant ponctionner les 100 milliards d’euros versés aux actionnaires en 2023. À 10 %, ça représente 10 milliards d’euros, sans pénaliser l’action publique, ni les Français. » Les syndicats, eux, sont vent debout, la CFE-CGC réclamant par exemple de « couper les subventions publiques aux entreprises qui font du rachat d’actions ».
Dans le collimateur, la santé rayonnante des 40 plus grosses entreprises tricolores. Tous les résultats ne sont pas encore tombés, mais selon le comptage que nous a transmis Scalens, spécialiste des sociétés cotées en Bourse, 28 entreprises avaient déjà enregistré 142 milliards d’euros de bénéfices cumulés, le 22 février au matin.
Un chiffre spectaculaire, à comparer aux 143 milliards réalisés l’an passé par l’ensemble du CAC 40. Parmi les grands gagnants figurent Stellantis (18,6 milliards d’euros de profits, + 11 %), Carrefour (1,6 milliard d’euros de profits, + 23,1 %) ou Axa (7,1 milliards, + 45 %). Dans l’ensemble, les multinationales ont profité d’une conjoncture favorable et encaissé les effets de leur politique de réduction des coûts.
Les performances françaises de Carrefour l’illustrent bien. « Dans un contexte de forte inflation, la bonne performance commerciale et la forte dynamique de baisse des coûts ont permis de faire progresser la marge opérationnelle de 37 points de base, à 2,6 % », se réjouit la direction, qui note que « la marge en France s’améliore pour la cinquième année consécutive ». Les syndicats, eux, mettent en avant les effets sociaux du plan de compétitivité, avec notamment une accélération du passage des magasins en location-gérance.
Une partie non négligeable de ces profits va « ruisseler » dans la poche des actionnaires. Selon les données de Scalens, 29 % des entreprises du CAC 40 ont déjà annoncé une nouvelle campagne de rachats d’actions pour cette année. Pour mémoire, lorsqu’une entreprise rachète ses propres actions pour les annuler ensuite, cela a pour conséquence d’augmenter le bénéfice par action (puisque le nombre de parts en circulation diminue mécaniquement), tout en poussant à la hausse le cours de Bourse. Les actionnaires apprécient, mais c’est autant d’argent en moins pour investir ou rémunérer les travailleurs.
Vers un capitalisme « financiarisé et oligopolistique » ?
Cette valse des milliards donne des idées à la gauche et aux ONG. Des voix s’élèvent pour mettre à contribution les « superprofits » réalisés par le CAC 40 depuis le début de la guerre en Ukraine, c’est-à-dire la part des bénéfices alimentés uniquement par la flambée des cours du pétrole et de l’inflation en général. « Les superprofits, je ne sais pas ce que c’est », a toujours répondu le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, pour clore la discussion.
« La France est un des seuls grands pays européens à ne pas avoir mis en place une forme d’impôt sur les superprofits, note l’économiste Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac. L’Italie, l’Espagne et même l’Allemagne ont mis en place une taxation exceptionnelle sur ces bénéfices qui ne sont pas justifiés par des innovations ou la progression de l’activité, mais qui doivent tout à la capacité des grands groupes à imposer des hausses de prix. »
Pour l’économiste, les pluies de records annoncés par les multinationales depuis quelques années signent l’avènement d’un capitalisme « financiarisé et oligopolistique » : « Nos économies sont dominées par des grands groupes implantés dans tous les secteurs importants (alimentation, énergie, banques…), capables d’imposer leurs conditions au détriment des salariés, des petits producteurs et des consommateurs. Face à eux, le gouvernement pratique une politique de laisser faire et de collusion. La révolte des agriculteurs contre l’agro-industrie et la grande distribution en est une illustration. »
Clémentine Autain sur www.regards.fr
C’est donc (re)parti pour une cure d’austérité. Le gouvernement vient d’annoncer des coupes budgétaires d’ampleur qui touchent frontalement tous les domaines de l’État, de l’écologie à l’école en passant par l’emploi. Une décision sans le moindre débat démocratique.
De « quoiqu’il en coûte », il n’est décidément plus question. Le couperet est tombé : le budget de l’État sera amputé de 10 milliards pour 2024. L’annonce de Bruno Le Maire dit tout de la Macronie. La duperie pour appuyer une orientation politique. Le choix du privé et des plus riches, contre les services publics et l’écologie. Le mépris total pour le Parlement et la démocratie, cette décision étant imposée par décret. Un combo.
Diminuer les budgets de l’État et ne pas augmenter les impôts des revenus du capital et des hyper-riches, c’est un choix de société, celui du libre marché et de la loi de la jungle. Pour ce nouveau coup de rabot, aussi fou que cela puisse paraître avec la catastrophe climatique les budgets pour l’écologie paient un lourd tribut. Et les services publics trinquent, ce patrimoine de ceux qui n’en ont pas, ce lieu de l’affectation primaire des richesses. Un drame pour l’égalité et la cohésion sociale.
Le mensonge
Une fois de plus, le gouvernement a agi sur la base du mensonge. Ce dépeçage de notre dépense publique a été savamment calculé par le gouvernement. Le motif ? Un changement de prévision de croissance. Le ministre de l’Économie table aujourd’hui sur 1% de croissance du Produit Intérieur Brut – au passage, rappelons l’urgence à sortir de ce maudit indicateur productiviste qu’est le PIB ! Or, au moment du vote du budget, Bruno Le Maire disait s’appuyer sur une anticipation de 1,4% de croissance. Une surévaluation de totale mauvaise foi puisque l’OCDE évoquait alors une croissance de 1,1%, la commission européenne de 0,8% et le Haut Conseil des Finances publiques de 1%.
En décembre dernier, quand venaient les conclusions des agences de notation, l’ensemble des journaux économiques pointaient une croissance au ralenti et des prévisions assombries. Mais qu’affirmait encore Bruno le Maire, alors interrogé sur France Inter ? « Je maintiens mes prévisions de croissance […] Je reste sur 1,4% ». Plus c’est gros, plus ça passe ? La duperie est pourtant passée avec de grosses ficelles.
Les prétextes
Le reste du travail de légitimation d’une telle décision repose sur le mantra « On n’augmente pas les impôts » et le matraquage sur la dette. Car c’est en leur nom que les suppressions de postes dans les services publics ou de programmes sociaux et environnementaux de l’État sont actées. Il n’est pourtant pas compliqué de s’ouvrir l’espace mental…
D’abord, pourquoi toujours privilégier la baisse de la dépense publique et non l’augmentation des recettes ? Mieux remplir les caisses de l’État aujourd’hui, ce n’est pourtant pas compliqué. Surtout quand on pense aux dividendes des entreprises du CAC 40 versés en 2023 : 97 milliards, soit 21% de plus qu’en 2022 ! Ils ont grimpé dix fois plus vite que l’inflation et on laisse faire. Au même moment, les quatre milliardaires français les plus riches ont augmenté leur fortune de 87% depuis 2020 !
Quand le gouvernement propose de ne pas toucher aux impôts, c’est pour protéger les revenus du capital et les très riches. Pourquoi serions-nous à ce point obligés de comprimer nos dépenses publiques ? Je ne vois que la soumission aux marchés.
Franchement, rétablir l’ISF ou la flat-tax, c’est simple comme bonjour. Revenir sur la suspension de la Contribution sur la valeur ajoutée de l’entreprise (CVAE) aussi, ce qui remettrait pile 10 milliards en plus dans les caisses publiques. Il est tout aussi simple d’instaurer une taxe sur les super profits, d’autant que cette proposition a déjà été adoptée par l’Assemblée nationale, avant d’être balayée par un 49.3.
Le discours globalisant sur les impôts est terriblement pervers. Quand le gouvernement propose de ne pas y toucher, c’est pour protéger les revenus du capital et les très riches. Mais la Macronie veut ainsi laisser entendre qu’elle cajole les classes moyennes dont le sentiment de payer trop d’impôt, pour un rendu de moins en moins satisfaisant en termes de services publics, est réel. La vraie question, de justice sociale et environnementale, est de savoir quels impôts on baisse et lesquels on augmente pour satisfaire nos besoins. Ce débat est confisqué par une approche dilatoire et démagogique. L’urgence, c’est de réhabiliter l’impôt, en le rendant nettement plus progressif.
Il reste le poids de la dette, rabâché à l’envi pour nous faire peur et rendre inéluctable la baisse de la dépense publique. Le choix macroniste de couper 10 milliards s’inscrit dans la lignée des dernières résolutions adoptées par l’Union européenne, auxquelles s’est opposée notre délégation emmenée par Manon Aubry. Une nouvelle cure d’austérité est prévue à cette échelle et le compte attendu s’élèverait à 27 milliards en moins pour la France. Or, ces saignées n’ont strictement rien d’inéluctables.
En effet, contrairement à des pays plus périphériques comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, la France n’a aucun problème à contracter de la dette sur les marchés financiers. Le titre est perçu comme un actif sûr, à l’instar de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Pour l’État français, les investisseurs demandent même deux fois plus de titres que ce qui est émis ! Nous ne sommes pas menacés par une hausse des taux d’intérêts. Alors pourquoi le gouvernement français se soumet-il à la discipline de marché ? L’État fait semblant d’être sous contrainte. A-t-il réellement peur des agences de notation ? Ce serait absurde puisque les dernières dégradations des notes de la France n’ont pas détérioré le taux d’intérêt de l’emprunt. Nous avons besoin des marchés mais eux aussi ont besoin de nous, de notre dette publique qui fonctionne comme une huile de rouage dans leurs transactions. Et par ailleurs, nous sommes protégés par la Banque centrale européenne (BCE) qui pourrait racheter nos titres verts si nous en émettons davantage.
De ce point de vue, les États-Unis de Biden sont beaucoup plus décomplexés. Ils ne craignent pas de s’endetter et le sont aujourd’hui infiniment plus que nous. Ils ont par exemple mis en œuvre le programme Inflation Reduction Act (IRA) avec un plan d’investissement de 400 milliards d’euros pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et un volet pour réduire le coût des soins, notamment pour les personnes âgées. Et leur économie ne s’est absolument pas effondrée. Au contraire même, Les Échos relève régulièrement sa bonne santé. Quant au FMI, il prévoit une hausse de la dette publique dans les pays riches pour faire face au choc climatique. Et chaque année perdue sur la transition écologique ajoute de la dette publique future, comme le rappelle l’ADEME. Alors, pourquoi serions-nous à ce point obligés de comprimer nos dépenses publiques ? Je ne vois que la soumission aux marchés.
Les méfaits
Au nom de la dette, faire l’économie de 2,2 milliards sur les dépenses de la transition écologique, comme vient de l’annoncer le gouvernement, est une grossière erreur de gestion des finances publiques. L’écologie, « combat du siècle », « priorité du président de la République », peut-on lire sur le site de l’Élysée. Quel blabla ! C’est notamment le programme « Énergie, climat et après-mines » qui va être amputé de 950 millions d’euros. Or, il a pour missions de diriger la France vers la neutralité carbone à horizon 2050, de développer les énergies renouvelables et de soutenir la rénovation énergétique des bâtiments. Le gouvernement s’attaque à la prime Rénov : l’enveloppe passera de 5 à 4 milliards d’euros. Or, 4,8 millions de résidences principales sont des passoires thermiques – et 6,6 millions de résidences au total. La prime Rénov pour 2023 visait la rénovation de… 200 000 logements – et nous savons que le gouvernement n’arrive même pas réaliser ses objectifs ! Pour 2023, ce sera donc une goutte d’eau dans un océan de besoins. Affligeant.
Le couperet s’annonce sévère dans l’enseignement scolaire : entre 8000 et 11 000 postes vont être supprimés. Souvenez-vous, Gabriel Attal disait le 9 janvier 2024 : « Je réaffirme l’école comme la mère de nos batailles à qui je donnerai tous les moyens nécessaires pour réussir ». Balivernes.
Pour moitié des 10 milliards annoncés, Bruno Le Maire prévient qu’il va couper dans le budget de fonctionnement. Pour l’essentiel, il s’agira donc d’emplois publics. Le couperet s’annonce sévère dans l’enseignement scolaire : entre 8000 et 11 000 postes vont être supprimés. Souvenez-vous, Gabriel Attal disait le 9 janvier 2024 : « Je réaffirme l’école comme la mère de nos batailles à qui je donnerai tous les moyens nécessaires pour réussir ». Balivernes. La recherche va prendre également très cher, avec une suppression de 904 millions. Alors que l’on nous fait de grands discours sur la formation professionnelle, le budget dédié se trouve attaqué. Quant à l’aide au développement et la diplomatie, elle sera également sabrée. À ce compte-là, nous sommes très loin d’avoir un autre projet à l’échelle internationale que la vente d’armes et les accords de libre-échange. Consternant.
Au total, des missions d’intérêt général sont maltraitées pour des motifs dogmatiques. Seul un gouvernement totalement soumis aux normes de marché peut s’enferrer dans une telle voie. Et il ose le faire par la voie réglementaire, comme cela lui est possible sous la Vème République dont il est plus que temps de sortir. Mon collègue Éric Coquerel, président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, vient de demander un projet de loi de finances rectificatif. Car il est inadmissible que de telles décisions soient prises par décret.
mise en ligne le 15 février 2024
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
En instaurant des « groupes de niveau » au collège, le gouvernement, qui prétend s’attaquer aux inégalités scolaires, va, au contraire, les figer et les aggraver. Le projet soulève chez les enseignants une colère rarement vue, et pas partie pour faiblir.
Simone est en colère. C’est écrit, en très gros et en très rouge, sur l’une des nombreuses banderoles déployées devant le rectorat de Lyon, ce 2 février, par des enseignants qui ont décidé de poursuivre localement le mouvement de grève national lancé la veille. « Simone », c’est l’appellation familière du collège Simone-Lagrange, à Villeurbanne, dont l’équipe, en grève à 100 % ce jour-là, est un des fers de lance de la mobilisation, organisée en coordination avec les établissements de la ville et ceux de la commune voisine de Vaulx-en-Velin. Dans leur viseur : le « choc des savoirs » et ses groupes de niveau au collège, annoncés fin 2023 par Gabriel Attal et dont sa nouvelle successeure, Nicole Belloubet, va devoir assumer la mise en œuvre dès la rentrée 2024.
Dans ces banlieues populaires de la capitale des Gaules, on a très vite compris de quoi il retournait, derrière l’affichage de la lutte contre les inégalités scolaires et l’éternel « niveau-qui-baisse ». Aline Guitard, professeure d’histoire-géographie à « Simone », résume : « Bien sûr toute l’éducation nationale est attaquée. Mais il y a vraiment un focus sur les établissements en réseau d’éducation prioritaire » (REP et REP +). Pourtant, en présentant son dispositif, le 5 décembre 2023, Gabriel Attal s’était voulu rassurant : « Nous ajouterons des moyens humains et financiers pour mener à bien ce chantier », avait-il assuré. Peut-être bien, mais en raclant les fonds de tiroirs, et à quel prix !
« Tout va disparaître : les dédoublements en sciences et en espagnol, le latin, la classe bilangue… »
Toutes choses égales par ailleurs, pour mettre en œuvre ce dispositif selon les modalités prévues – sur l’intégralité des horaires de français et de mathématiques, en 6e et 5e dès la rentrée prochaine, puis en 4e et 3e en 2025 –, il faudrait quelque 7 700 postes supplémentaires. Le ministère, lui, en trouve royalement 2 330 ; 830 sur des « marges budgétaires », et 1 500 autres par un tour de passe-passe bien pratique : les cours de soutien en français et mathématiques, créés l’an dernier dans le cadre du « pacte » au prix de la suppression d’une heure d’enseignement technologique en 6e, sont supprimés… mais l’heure de technologie n’est pas rétablie. Encore faudra-t-il, en pleine crise d’attractivité, trouver des enseignants pour occuper ces postes : le dernier concours de recrutement en mathématiques s’est soldé par près de 30 % de postes non pourvus.
Dans cette chasse aux heures, aggravée par des dotations horaires globales (DHG) annoncées – au mieux – stables, les collèges classés REP et REP + se retrouvent en première ligne. Et pour cause : ils sont parmi les derniers à bénéficier de quelques marges de manœuvre, au bénéfice de leurs élèves qui cumulent difficultés sociales et scolaires. Un « gisement » où le gouvernement s’apprête, sans le dire, à puiser brutalement.
À Simone-Lagrange, classé REP +, « nous avions 35,5 heures au titre de l’allocation progressive de moyens (APM), qu’on pouvait utiliser à notre guise, explique l’enseignante lyonnaise. Là, 34 heures se retrouvent fléchées vers les groupes de niveau ! Résultat, tout va disparaître : les dédoublements en sciences et en espagnol, le latin, la classe bilangue allemand, le projet de soutien en anglais sur les quatre ans de collège, etc. »
Même constat au collège Victor-Hugo, situé dans un quartier populaire de Chartres (Eure-et-Loir) mais qui accueille également des élèves issus de familles aisées, installées dans les villages alentour, et n’est donc pas classé REP : « Les dédoublements en physique-chimie et SVT (sciences de la vie et de la terre), les groupes de français, maths et histoire en 3e pour préparer le DNB (diplôme national du brevet), ceux de maths en 4e… » Catherine Simonnet, professeur d’allemand, n’en finit plus d’énumérer tout ce qui risque de disparaître dans quelques mois : « Nous avions 51 heures pour payer les profs qui animent des clubs, qui organisent des voyages, etc. Il va nous en rester 3 ! »
Autrement dit, pour ouvrir l’horizon de leurs élèves au-delà des « fondamentaux », les profs, déjà parmi les plus mal payés d’Europe, devront faire… du bénévolat. Elle-même va devoir renoncer à un projet passionnant autour du personnage de Crasse-Tignasse, d’Heinrich Hoffmann, l’auteur des célèbres contes, mené en commun avec une collègue de français. Surtout elle va se retrouver, pour sa discipline en 6e, « à l’horaire plancher : 2 heures par semaine, alors que j’en avais 3 ». Idéal, sans doute, pour remédier à la légendaire faiblesse des jeunes Français en langues.
Les groupes de niveau, outils de stigmatisation et de séparation
À rebours des grands discours sur la prétendue nécessité de décider à l’échelon local, ce sont toutes les initiatives pédagogiques prises sur le terrain, par des enseignants qui connaissent parfaitement les besoins de leurs élèves, qui risquent de faire table rase. Et le gouvernement y ajoute la provocation : « Je crois que ce qui a le plus choqué notre principale, reprend Aline Guitard, c’est qu’on nous laisse 1,5 heure d’APM. On nous prend tout sauf la petite monnaie. Et puis, ce que sous-entend le « choc des savoirs », c’est que nous ne sommes pas capables de faire réussir nos élèves : ici, avec 44 % d’élèves en difficulté, nous avons un taux de réussite au DNB supérieur de 3 % aux collèges voisins. Donc, nos dispositifs servent bien à quelque chose ! »
« Les groupes de niveau vont à l’encontre du projet républicain de l’école, qui n’est pas de trier les élèves et de les mettre en concurrence » Les enseignants du collège Marcel-Grillard
Tout le contraire des groupes de niveau, unanimement décriés à l’exception de quelques think tanks réactionnaires. Et plus encore dans la forme ici choisie. Portant sur un tiers de l’horaire hebdomadaire total, en plus de rendre les emplois du temps impossibles, ils fragiliseront le « groupe classe » – comme la réforme du lycée, mais sur des élèves bien plus jeunes. Surtout, loin de remédier aux inégalités, ils stigmatiseront les élèves en difficulté, figeront leur progression et les décourageront – même dans des groupes à effectif allégé, qui ne compenseront pas la perte des effets d’entraînement et d’entraide due à la coupure instaurée avec les plus à l’aise.
Et ne parlons même pas du sort des élèves en situation de handicap, qui risquent de se retrouver assignés pour quatre ans au groupe des « faibles » : on est à la limite de la maltraitance. Dans une adresse aux parents d’élèves, les enseignants du collège Marcel-Grillard de Bricquebec-en-Cotentin, dans la Manche, résument les enjeux : « Les groupes de niveau vont à l’encontre du projet républicain de l’école, qui n’est pas de trier les élèves et de les mettre en concurrence », écrivent-ils.
La mort du collège unique comme ambition républicaine
Il faut mettre ce projet en cohérence avec d’autres, comme la « découverte métiers » en 5e, ou l’annonce d’un DNB obligatoire pour passer au lycée – faute de quoi on se verrait orienter vers une année de « prépa lycée » ou de « prépa métiers » aux airs de voie de garage. C’est bien un collège à deux vitesses qui se dessine derrière ce « choc des savoirs ».
En France, où toutes les études internationales soulignent la très forte corrélation entre origine sociale et réussite scolaire, ce sont les élèves des classes populaires – qu’ils soient scolarisés en REP ou non – qui vont en faire les frais. Inspecteur général et ancien DGESCO (directeur général de l’enseignement scolaire, le n° 2 du ministère de l’Éducation nationale), Jean-Paul Delahaye avertit, dans une tribune publiée le 5 février sur le site du Café pédagogique : « En mettant à part ces élèves, on pense permettre aux autres de « s’envoler » comme disait le précédent ministre, car ils ne seront plus retardés par leurs camarades en difficulté. » Autrement dit, la mort du collège unique comme ambition républicaine d’un égal accès de tous au savoir.
« Colère, lassitude, dégoût », égrène Catherine Simonnet. « Tout ce qu’on a fait depuis des années dans le collège est foutu en l’air. » Les nombreuses et fortes actions locales qui continuent d’agiter les établissements depuis le 1er février, tous comme les rendez-vous et grèves déjà annoncés pour la rentrée des vacances d’hiver, donnent une indication de la détermination qui monte. Même si les salaires insultants au vu de la charge de travail, la maltraitance institutionnelle, la perte de sens pèsent lourdement sur la profession, on sait que, pour les enseignants, s’en prendre aux élèves dont ils ont la charge constitue la ligne rouge absolue. Le gouvernement devrait y songer avant de tenter un nouveau passage en force.
Olivier Chartrain sur www.humanite.fr
Spécialiste des politiques éducatives et de la ségrégation scolaire, Pierre Merle confirme que l’instauration de groupes de niveau constituerait un recul terrible pour les élèves issus des classes populaires. Il souhaite que la nouvelle ministre y renonce.
La forte mobilisation dans l’éducation, à l’occasion de la Journée nationale du 1er février, n’est pas vraiment retombée. Elle se traduit depuis par des mouvements plus localisés, avec les collèges en première ligne. Le sociologue Pierre Merle explique pourquoi la perspective de la mise en place de groupes de niveau y suscite un rejet très puissant.
Des groupes de niveau au collège, est-ce une bonne idée ?
Pierre Merle : C’est une pratique très défavorable à la progression des élèves faibles. Les mettre ensemble accroît leurs difficultés : on les prive des « locomotives » que sont les meilleurs élèves. En « étiquetant » certains élèves comme plus faibles, on accroît la conscience qu’ils ont de leurs difficultés. C’est un équivalent moderne du bonnet d’âne.
Ce dispositif est contraire aux principes pédagogiques les mieux établis, qui consistent à ne laisser personne de côté. Placer sous ce régime l’intégralité des cours de maths et de français en 6e et 5e, au lieu d’une heure sur quatre par exemple, constitue le pire choix : on va procéder, dès l’arrivée au collège, à une séparation totale des élèves, alors que l’entrée en 6e doit marquer un palier positif, le passage chez les « grands ».
Mais on nous dit que les élèves ne seront pas stigmatisés, qu’ils pourront changer de groupe en fonction de leur progression ?
Pierre Merle : Cela signifie, pour que l’effectif des groupes reste gérable, que, quand des élèves « montent », il faut que d’autres descendent. Donc la proportion d’élèves jugés faibles ne varierait pas, alors qu’on doit les faire progresser tout au long de l’année !
Ce sera compliqué pour les élèves, mais également pour les professeurs, car n’enseigner qu’à des élèves en difficulté est éprouvant. C’est ce qui explique que certains enseignants qui arrivent en zone d’éducation prioritaire en début de carrière finissent par en partir. Et pour les personnels de direction, les emplois du temps vont devenir des casse-tête épouvantables ! En fait, on ne sait même pas si une telle organisation sera possible. Rien n’a été réfléchi.
« Les groupes de niveau reviennent à créer des filières séparées au collège. »
Tout indique que les établissements classés en éducation prioritaire vont le plus en pâtir, en perdant de nombreux dispositifs destinés à aider leurs élèves.
Oui, et cela va aller au-delà de l’éducation prioritaire, puisque même les dotations pour le dispositif « devoirs faits », créé par Jean-Michel Blanquer, pourraient être supprimées. En réalité, au nom de la différenciation des parcours, on éradique les initiatives pédagogiques. C’est comme pour l’uniforme : prétend-on vraiment bâtir une école capable de prendre en compte les différences en obligeant tous les élèves à porter les mêmes vêtements ?
Quels seront les effets du « choc des savoirs » sur les élèves des classes populaires ?
Pierre Merle : Les enquêtes internationales montrent que le système français établit des différences de compétences entre les élèves des catégories populaires et ceux des catégories aisées. Ce projet ne pourra qu’accentuer ce constat. On sait qu’il existe déjà une ségrégation entre établissements, et à l’intérieur de ceux-ci. Là, on la porte à l’intérieur des classes elles-mêmes.
Observons aussi que l’OCDE, avec son enquête Pisa, formule un certain nombre de préconisations : réduire les effectifs par classe, améliorer la formation initiale et continue des enseignants, développer la mixité sociale, etc. Aucune n’a été retenue. Au contraire, ce qui est proposé va à l’inverse de ces orientations.
Quelle est la cohérence des réformes déployées ces dernières années ?
Pierre Merle : Toute l’histoire de notre système éducatif est de faire en sorte que les scolarités soient conçues de la même façon pour tous. Jusqu’au début du XXe siècle, les enfants de la bourgeoisie faisaient toute leur scolarité dans le lycée. Les autres allaient à l’école communale et, parmi eux, seuls les meilleurs pouvaient accéder au secondaire. Toutes les réformes jusqu’aux années 1960 ont transformé ces deux réseaux parallèles en un seul système. Or, les groupes de niveau reviennent à créer des filières séparées au collège.
Que peut-on présumer de l’action de Nicole Belloubet ?
Pierre Merle : L’échec d’Oudéa-Castéra met sa remplaçante en position de force. Les premières décisions de Nicole Belloubet vont être capitales. Elle va peut-être devoir lâcher du lest face à la colère des enseignants, qui est grande. Si elle renonçait aux groupes de niveau, elle se donnerait peut-être la possibilité de travailler sur les sujets essentiels.
Espérons qu’elle aura cette lucidité car, à l’inverse, un nouveau passage en force générerait tensions, conflits, mais aussi anxiété et découragement chez les professionnels de l’éducation, qui ont trop souvent l’impression que les réformes vont à l’encontre de la finalité de leurs métiers.
mise en ligne le 12 février 2024
Maïa Courtois sur https://rapportsdeforce.fr/
Exerçant dans le secteur du BTP, un médecin du travail, le Dr Jean-Louis Zylberberg, vient d’être lourdement sanctionné par l’Ordre des médecins. Sa faute ? Avoir délivré des avis d’inaptitude « de complaisance », de nature à « léser» l’entreprise, estime l’Ordre. Le médecin concerné et ses soutiens dénoncent un système de pression exercé sur la profession, au détriment de la protection des salariés.
Interdiction d’exercer la profession de médecin du travail durant un an, dont six mois avec sursis. C’est la sanction tombée sur les épaules du Dr Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail dans le secteur du BTP, poursuivi par l’employeur Valente Sécurité. « Une nouvelle attaque à l’encontre de l’autonomie d’exercice des médecins (…), dangereuse pour la santé des salarié·es » a réagi la CGT dans un communiqué paru le 26 janvier.
En plus de son travail quotidien, Jean-Louis Zylberberg est présent dans plusieurs instances consultatives de la CGT. Il avait déjà été menacé de licenciement en 2016, alors qu’il exerçait toujours dans le secteur du BTP. Cette fois, la décision a été rendue par la chambre disciplinaire d’Ile-de-France de l’Ordre des médecins, le 12 janvier. Celle-ci conclut à une « pratique de délivrance de rapports et attestations tendancieux et de complaisance », de nature à« léser de manière directe et certaine » l’entreprise Valente Sécurité.
Pour rendre son verdict, l’Ordre des médecins dit avoir pris en compte le fait que le médecin « n’a fait l’objet d’aucune procédure disciplinaire durant plus de vingt-cinq ans de carrière ». Mais la sanction est lourde, tout de même, et sans précédent à ce titre : « elle me paraît être prise “pour l’exemple” », réagit Jean-Louis Zylberberg auprès de Rapports de force.
L’Association Santé et Médecine du Travail, dont le Dr Zylberberg assure d’ordinaire la présidence, qualifie cette sanction comme étant d’une « exceptionnelle sévérité ». Et dénonce un « pur prétexte pour tenter d’évincer un médecin du travail ».
Six avis d’inaptitude délivrés par le médecin du travail au coeur du dossier
Dans cette affaire, l’Ordre des médecins de Paris s’est associé à la plainte déposée par l’entreprise Valente Sécurité en février 2022. Qu’est-il reproché à ce médecin du travail ? Au coeur du dossier : six avis d’inaptitude, délivrés à six salariés de Valente Sécurité, de janvier 2020 à février 2022. Avant d’émettre ce type d’avis, un médecin du travail se doit de procéder à l’étude des postes et conditions de travail préalables.
Il est reproché au Dr Zylberberg de ne l’avoir fait « que sur la base des déclarations du patient et d’une visite dans l’entreprise qui aurait été effectuée en mai ou juin 2020 », écrit l’Ordre des médecins dans sa décision, consultée par Rapports de force. Une visite trop ancienne, aux yeux de l’Ordre. Et en se référant à une « fiche entreprise » datant de 2017 qui n’a été actualisée qu’en 2022 : trop ancien là encore, selon l’Ordre.
Mais il faut regarder de plus près les conditions d’exercice des médecins du travail. « J’ai 390 entreprises à suivre, dans mon secteur », rappelle le Dr Zylberbeg. Actualiser très régulièrement la fiche d’entreprise, « c’est mission impossible », selon lui. Quant au déplacement pour étudier le poste de travail, « je me suis déplacé dans cette entreprise en 2020, après le confinement, sans prévenir car nous avons un libre accès ; et j’ai failli me faire foutre à la porte. C’est une entreprise très particulière… Y compris en termes de violences sur les salariés », tient à préciser le médecin du travail.
« Dans la réalité, vu le nombre de médecins du travail rapportés aux nombres de salariés à suivre, et le fait que l’on est confrontés à des boîtes aux conditions intenables… On est déjà sous l’eau », abonde Gérald Le Corre, inspecteur du travail et militant CGT.
« L’entreprise est extrêmement maltraitante » : le lien entre santé et travail en jeu
L’Ordre des médecins lui reproche aussi d’avoir écrit, dans une lettre adressée au médecin traitant de l’un de ces salariés, que l’ « entreprise est extrêmement maltraitante avec l’ensemble des salariés » et « respecte peu la réglementation ». Un propos tenu « sans l’avoir pourtant constaté lui-même », estime l’Ordre des médecins, qui conclut à une « pratique de délivrance de rapports et attestations tendancieux et de complaisance, sans constatation médicale correspondante ».
À noter : le courrier en question relève d’un échange privé. « Je ne sais pas où l’employeur a récupéré ce courrier, adressé à un confrère. C’est un courrier que l’on remet au salarié, sous enveloppe, pour son médecin traitant », s’indigne Jean-Louis Zylberberg.
Mais surtout, ce reproche soulève un enjeu central : l’Ordre des médecins, historiquement, n’accepte pas que le médecin du travail inscrive dans son diagnostic ce type d’analyse des conditions de travail. « L’Ordre dit : vous n’avez pas le droit de faire un certificat ou une attestation qui démontre un lien diagnostic entre santé et travail », explique Dominique Huez, médecin du travail à la retraite, l’un des premiers à avoir subi des poursuites judiciaires, après avoir exercé des décennies dans le secteur du nucléaire. « Et nous n’avons toujours pas réussi à faire reconnaître notre droit à instruire le lien santé-travail. C’est-à-dire le lien de causalité expliquant que des gens peuvent laisser leur peau au boulot ».
C’est ce que l’on appelle la clinique médicale du travail. Mais l’Ordre des médecins « ne veut pas entendre parler de ça », soupire Dominique Huez. « Le dogme de l’Ordre des médecins, c’est le diagnostic “objectif”. Un diagnostic type “coups et blessures”, basé sur le constat visuel. C’est une négation de tout ce qui constitue, par exemple, la clinique de la santé mentale », souligne Jean-Louis Zylberberg.
L’interdiction temporaire d’exercer, qui prend effet à partir du 1er avril, est assortie de l’obligation de verser 1000 euros à Valente Sécurité, au titre des frais exposés pour la procédure judiciaire. Le Dr Zylberberg annonce déjà son souhait de faire appel.
« Le patronat cherche à court-circuiter les règles »
Pour mémoire, avant 2017, ce type de contestation des avis d’inaptitude devait se faire devant l’inspection du travail. « Les employeurs le faisaient peu, par peur que l’inspection du travail mette le nez dans les contrats irréguliers, les heures supplémentaires non payées… », retrace Gérald Le Corre, l’inspecteur du travail et militant CGT. Depuis une réforme entrée en vigueur en janvier 2017, c’est fini. La contestation doit se faire devant les Prud’hommes, dans les 15 jours. Généralement, « le conseil des Prud’hommes demande alors un avis médical d’un médecin inspecteur du travail. C’est un médecin qui a une double casquette », précise Gérald Le Corre.
Mais quand l’employeur n’a pas non plus envie que ce médecin inspecteur du travail mette son nez dans le dossier, alors, il lui reste une possibilité : saisir uniquement le Conseil de l’Ordre. Cette possibilité est permise par une brèche dans la rédaction de l’article R. 4126-1 du code de la santé publique. Modifié par décrets fin 2019, cet article indique que les plaintes auprès de l’Ordre peuvent être « notamment » formées par des patients, associations d’usagers… Sans exclure les entreprises, donc. Nombre d’employeurs ont vu dans ce « notamment » une opportunité. « Le patronat au sens large, qui a souvent plus de juristes que nous, a imaginé ce système qui permet de faire pression. On a, depuis, une multiplication des procédures visant des médecins du travail, poussés à revoir leur pratique professionnelle et à se démunir de leur capacité d’analyse », déplore Gérald Le Corre.
« Que l’employeur puisse saisir directement l’Ordre des médecins, sans par ailleurs saisir le conseil des Prud’hommes, de peur d’avoir à s’étendre sur les conditions de travail de ses salarié·es, est une grave atteinte à la protection de ces dernier·es », estime la CGT dans son communiqué du 26 janvier. Le syndicat demande à l’État de retirer ce fameux terme « notamment » de la loi. « En utilisant la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins, juridiction d’exception, le patronat cherche à court-circuiter les règles de droit de protection de la santé des salariés », conclut l’Association Santé et Médecine du Travail.
Toute cette affaire s’inscrit, en outre, dans une séquence politique au cours de laquelle la perception du métier de médecin du travail évolue. Fin 2022, « en pleine préparation de la loi sur les retraites, le ministre du travail a clairement annoncé qu’il comptait sur les médecins du travail pour « maintenir les salariés en emploi », rappelle la CGT dans un communiqué précédent. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail mettait déjà en avant la « prévention de la désinsertion professionnelle ». Le rôle attendu des médecins du travail : « proposer des reclassements afin d’éviter les licenciements pour inaptitude », analyse encore la CGT. « On veut passer d’une médecine du travail qui faisait de la prévention des risques professionnels à une médecine d’aptitude, qui vise à sélectionner la main d’œuvre », conclut Gérald Le Corre.
Latifa Madani sur www.humanite.fr
Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail dans le secteur du BTP, est interdit d’exercice médical pour un an dont six mois avec sursis, par la chambre disciplinaire régionale de l’ordre des médecins d’Île-de-France. L’Ordre a été saisi par l’employeur Valente Securystar qui s’estime « lésé » par des avis d’inaptitudes délivrés par le médecin.
Pour avoir fait son job, à savoir protéger la santé et la sécurité des travailleurs, il risque d’être empêché d’exercer son métier. Jean-Louis Zylberberg, médecin du travail dans le secteur du BTP, est interdit, depuis le 12 janvier, d’exercice médical pour un an dont six mois avec sursis, par la chambre disciplinaire régionale de l’ordre des médecins d’Île-de-France. L’Ordre a été saisi par l’employeur Valente Securystar.
L’entreprise basée à Thiais (Val-de-Marne) fabrique des portes blindées. Il est reproché au docteur Zylberberg d’avoir émis des « avis d’inaptitude litigieux (…), de nature à léser de manière directe et certaine l’entreprise ». Il s’agit, en vérité, d’avis d’inaptitude pour la sauvegarde de la santé de salariés très précarisés, rédigés avec l’accord de ces salariés. « La sanction est d’une exceptionnelle sévérité », estime l’association Santé et Médecine du travail, qui note que « la contestation de ces avis ne relève pas de l’ordre des médecins (…) L’employeur aurait dû saisir les prud’hommes ».
« L’action des médecins du travail en faveur exclusivement de la santé des salariés est en jeu »
Le cas du docteur Zylberberg est emblématique des attaques subies par la médecine du travail et l’ensemble du secteur prévention, santé et sécurité, notamment depuis la loi El Khomri. Pendant ce temps, le bilan des accidents et morts au travail fait froid dans le dos.
Jean-Louis Zylberberg a fait appel. Il a reçu de nombreux soutiens, dont celui du syndicat des inspecteurs et contrôleurs (SNTEFP CGT), premier syndicat du ministère du Travail. Il est lui-même représentant de la CGT à la direction du service de médecine du travail du BTP, qui cherche à le licencier. À travers lui, souligne le service de presse confédéral, « c’est l’action des médecins du travail en faveur exclusivement de la santé des salariés qui est en jeu ».
mise en ligne le 11 février 2024
En débat sur www.humanite.fr
Devant la dégradation des services publics se pose la question récurrente des moyens alloués par l’État, tandis que le niveau d’endettement de la France invite à trouver de nouvelles ressources. 4 personnalités prennent position.
La solution doit passer par une refonte du rôle de l’État et l’application d’une justice fiscale, afin d’aller chercher l’argent là où il est.
Jean-Marc Tellier, député PCF du Pas-de-Calais
Le président Macron prône l’audace économique. Mais cette audace se perd dans les méandres du libéralisme. Pourtant, le monde entier envie l’exception française, qui réside dans nos services publics et notre Sécurité sociale. Alors que l’audace actuelle du gouvernement se traduit surtout par des privatisations et des coupes budgétaires, il est peut-être temps de repenser cette politique économique pour qu’elle serve enfin à l’hôpital, à l’école, à la justice, à la jeunesse et aux familles…
Au lieu de voir l’audace dans la réduction de l’État, nous devrions faire tout le contraire et envisager un changement de cap à 180 degrés : renforcer drastiquement l’État et ses services en créant massivement des emplois dans le secteur public. Le financement des services public ne tient pas du miracle ou de l’impossible, c’est un choix politique.
Pour financer ce choix politique, il nous faut passer par une fiscalité plus juste et une reprise en main des grandes institutions financières, en commençant par l’instauration d’une taxe sur leurs transactions. Cette mesure pourrait capter une part des échanges colossaux effectués chaque jour sur les marchés, transformant une activité spéculative en une source de financement pour l’État.
Parallèlement, la lutte contre l’évasion fiscale doit devenir une priorité absolue. Des milliards d’euros nous échappent chaque année. Nous devons mener une offensive déterminée contre toutes les stratégies d’évitement fiscal employées par certaines grandes entreprises et fortunes privées. De même, il faut abolir les niches fiscales et renationaliser certain secteurs clés de l’industrie et de la banque, mais aussi de l’énergie.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, le président Macron a délibérément démantelé des mécanismes de financement pourtant essentiels : la suppression de l’ISF, d’abord, a été un coup sévère porté à notre fiscalité. Revenir sur cette décision est impératif. Les familles françaises les plus fortunées possèdent un patrimoine taxable dépassant 1 000 milliards d’euros et doivent contribuer à l’effort national au même titre que les travailleurs qui, eux, peinent à boucler leurs fins de mois, mais sont de plus en plus taxés.
La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la réduction des impôts de production, ensuite, ont largement asséché nos collectivités. Ces collectivités, véritables chevilles ouvrières de nos services publics, seraient les premières bénéficiaires de ces ressources, à travers une dotation globale de fonctionnement (DGF) que nous souhaitons revalorisée et indexée sur l’inflation. Cette indexation, projet de loi proposé par le groupe GDR, leur apporterait une aide financière plus que bienvenue. Mais elle ne constituerait qu’une solution partielle.
En réalité, c’est une révision complète du système fiscal et un nouveau pacte budgétaire qui s’imposent. Chacun doit contribuer à hauteur de ses moyens. Qu’on cesse de faire reposer le fardeau financier sur nos classes populaires, particulièrement affectées par la TVA, qui représente 40 % des recettes de l’État.
Au-delà d’une révision du système d’imposition et du financement national, il faut questionner le plan d’austérité et les politiques européennes.
Patrick Hallinger, membre de la Convergence nationale des services publics
Les services publics sont financés principalement par les impôts. Le constat est celui d’une crise de financement et d’efficacité. Il faut y voir les conséquences sur une longue période, depuis le milieu des années 1980, d’un mouvement de privatisation et de destruction de pans entiers de services publics. Les valeurs inhérentes aux services publics ont été saccagées. La feuille de route gouvernementale est celle d’un plan d’austérité d’ici à 2027, au nom des critères de Maastricht.
Ce plan d’austérité vise en premier lieu à réduire les services publics et les droits sociaux en s’attaquant en d’abord aux plus fragiles (chômeurs, migrants…). Il a des impacts plus larges sur l’ensemble de l’économie et nous en voyons d’ores et déjà les conséquences sur le BTP, le commerce, l’agriculture… Les inégalités s’accroissent et conduisent à des tensions sociales de plus en plus fortes (gilets jaunes, émeutes urbaines, mouvement des agriculteurs…).
Cela n’empêche pas les tenants d’un nouvel ordre néolibéral de penser le remodelage de la société. Pour le ministre de l’Économie et d’autres, notre modèle social n’est plus tenable. Pour quelle société demain ? Le « quoi qu’il en coûte » ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de préserver les profits des grands groupes mondialisés et assurer la défense de l’ordre social établi !
Quelles propositions pour demain ? Il convient de rappeler la crise financière de 2008 ou celle du Covid : ce sont nos institutions, avec les services publics, la Sécurité sociale, nos lois sociales qui ont permis d’éviter l’effondrement de l’économie, le chômage massif et la misère dans les familles. La réponse passe par la préservation d’outils publics fondamentaux avec la remise en place de vrais services publics répondant aux besoins pour l’éducation, les transports, la santé…
La question de leur financement est posée, avec en premier lieu l’arrêt des exonérations de toutes sortes des cotisations sociales concomitamment à l’augmentation des salaires, une taxation des revenus et patrimoines financiers des plus riches… Il s’agit d’autre part de produire sur notre sol les biens essentiels dont nous avons besoin pour notre énergie, soigner la population, assurer une alimentation de qualité pour tous, développer les moyens de transport… Nous créerons ainsi plus de richesses permettant d’assurer les financements indispensables, tout en mettant en place un autre mode de production et de consommation, compatible avec les enjeux climatiques et environnementaux.
Nous avons besoin d’une autre Europe, une Europe des besoins sociaux et de la transition écologique, avec la mise en place de fonds pour le développement des services publics en France et en Europe. C’est tout l’enjeu des prochaines élections européennes et des campagnes citoyennes à développer partout.
Taxer le capital ne suffirait pas à combler le déficit public. Seule une hausse de la production en France générerait des recettes le permettant.
Antoine Armand, député Renaissance de Haute-Savoie
Notre modèle français est financé par la production domestique. Cette évidence se trouve aujourd’hui de moins en moins partagée et doit donc sans cesse être rappelée : ce sont par les cotisations et les impôts, c’est-à-dire par la richesse créée sur notre sol, que nous nous payons l’école publique, l’hôpital public, l’assurance-maladie, l’assurance-chômage, les allocations familiales et de handicap, nos retraites et nos services de proximité.
Ces prélèvements obligatoires sont les plus importants de toute l’Europe. Et nous sommes plus de 6 points au-dessus de la moyenne européenne ! Et pourtant, ils ne suffisent pas : chaque année, nous nous endettons pour payer les dépenses publiques – la bagatelle de 127 milliards de déficit en 2022 ; chaque année, nous gageons sur la richesse que nous créerons demain le financement de la société telle que nous la souhaitons.
Cela ne s’arrête pas là. Nous portons, et c’est la volonté continue depuis 2017 du président de la République, une remontée en puissance de ces services publics. Dédoublement des classes dans les quartiers populaires, augmentation inédite de la rémunération des professeurs, des soignants, des agents publics en général.
C’est bien la volonté collective : nous voulons toutes et tous de meilleurs services publics, plus de contact humain, plus de proximité, plus de technologies médicales de pointe. On reproche même parfois à la majorité présidentielle de ne pas aller assez loin ou plus vite ; de ne pas augmenter davantage les salaires et de ne pas améliorer assez fort la qualité du service public.
Avec quel argent allons-nous le faire ? Certains prétendent que nous pourrions le faire avec l’argent « des riches » – avec le capital, fini et limité, de ceux mêmes qui créent l’emploi et génèrent les cotisations dont nous avons besoin. La lucidité oblige à rappeler que les ordres de grandeur ne sont pas les bons.
Quand bien même nous taxerions le capital comme les plus radicaux le souhaitent (le rétablissement d’un ISF ? une taxe supplémentaire sur les dividendes ?), nous n’atteindrions que quelques milliards d’euros qui nous coûteront bien davantage avec la perte d’attractivité que cela implique et sans doute sur une seule année, puisque beaucoup d’euros trouveraient à aller ailleurs et s’investir autrement dès l’année suivante. Au contraire, en baissant les taux d’imposition, nous avons atteint des recettes fiscales supérieures – c’est un fait.
Nous ne soutiendrons donc notre modèle qu’avec de la croissance, dans un effort de production et de solidarité nationales. Il n’y a pas de chemin pour les services publics qui ne passe pas par une économie prospère : les décroissants portent en eux une dynamique de rétractation de nos moyens financiers qui ne pourra se traduire que par des salaires plus bas, des équipements moins performants, un service public dégradé.
Cela ne dispense pas de réfléchir à la répartition des fruits de cette croissance, mais cela oblige à éviter les facilités. Il n’y a jamais eu et il n’y aura pas de protection sociale sans production nationale.
Les besoins des services publics doivent faire l’objet d’une prévision à moyen et long terme, et leur satisfaction passe par une réforme fiscale.
Anicet Le Pors, ancien ministre PCF de la Fonction publique, conseiller d’État honoraire
Dans le passé, des commissions ou comités dits de la hache ont été mis en place pour parvenir, selon leurs promoteurs, à « mieux d’État » par la réduction de la dépense publique afin de financer, au minimum, le service public. L’idée de rationalité fut ensuite convoquée à l’appui de cette démarche.
Valéry Giscard d’Estaing institua la rationalisation des choix budgétaires (RCB). Jacques Chirac fit voter la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Sarkozy décida la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont il confia la réalisation à des cabinets de consultants privés.
François Hollande créa un organisme dit de modernisation de l’action publique (MAP), dont il ne reste aucun souvenir. Enfin, Emmanuel Macron fabriqua un instrument très sophistiqué, le comité action publique 2022 (CAP 22), qui n’était qu’un leurre pour faire diversion à la réforme du Code du travail, à la suppression du statut des cheminots et à la dénaturation du statut général des fonctionnaires.
Soumises au principe de l’annualité budgétaire, ces politiques centrées sur les moyens étaient dépourvues de toute analyse sérieuse de l’évolution des besoins essentiels de la population. Ainsi, l’écart entre la faible progression des moyens budgétaires et celle beaucoup plus importante des besoins fondamentaux n’a cessé de croître, comme l’ont démontré les études du collectif Nos services publics, publiées en septembre 2023.
Il s’est ensuivi, d’une part, une précarisation accentuée des couches populaires, d’autre part, l’ouverture d’opportunités lucratives pour des intérêts privés. Les services publics étant un moyen déterminant de l’égalité sociale, la confiance dont ils bénéficiaient dans l’opinion publique en a été affectée. Il convient donc de partir des besoins pour en déduire les moyens les plus pertinents, et non l’inverse.
Les besoins des services publics doivent faire l’objet d’une prévision à moyen et long terme, largement débattue et traduite par une planification, « ardente obligation » de la nation, selon la formule consacrée. Globalement, les moyens nécessaires peuvent relever de trois catégories. D’abord, des dotations budgétaires, dont le relèvement implique une lutte contre la fraude et une profonde réforme fiscale frappant les revenus les plus élevés et les plus importants patrimoines.
Ensuite, une révision de l’ensemble des engagements conventionnels des collectivités publiques, conduisant à une réglementation stricte des interventions privées dans les différentes formes de partenariat et de délégation de service public, ce qui concerne notamment les secteurs de l’éducation, de la santé, de l’énergie, des transports, de l’eau.
Enfin, on se gardera d’oublier que, selon les termes de la Constitution, tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert le caractère d’un service public ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité (point 9 du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité aujourd’hui en vigueur).
mise en ligne le 10 février 2024
sur https://lepoing.net
Après une première journée de mobilisation en décembre, les salariés de l’association Issue, qui s’occupe d’un accueil de jour pour personnes sans-abris, étaient de nouveau en grève ce jeudi 8 février, pour s’opposer au non-renouvellement de CDD. Ils dénoncent des conséquences délétères pour le suivi des personnes qu’ils accompagnent
9 h 30, les salariés de l’association Issue, distribuent, comme à leur habitude, un petit déjeuner aux personnes à la rue qu’ils accompagnent au sein de leur accueil de jour, un lieu qui permet d’offrir repas, douches, machines et accompagnement à des personnes sans-abris. Seule différence : ils ne sont pas dans leurs locaux quartier Gambetta, mais devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), pour s’opposer au non-renouvellement de trois postes, qui mettraient selon eux leur mission d’accueil de jour en difficulté.
Car s’ils sont en grève, ils ne veulent pas pour autant abandonner leurs bénéficiaires, qui se servent un café pendant que Mathieu Granat, délégué syndical, explique la situation. « Quatre CDD ne vont pas être renouvelés faute de moyens, alors que nous sommes déjà en flux tendu sur notre accueil de jour à Gambetta. Nous avons déjà fait une journée de grève en décembre pour s’opposer à cela, notre direction a dit qu’elle ne pouvait rien faire et qu’il fallait voir avec le financeur, donc l’État. C’est pour cela qu’on est là, devant la DDETS. »
Actuellement, la structure est répartie sur deux lieux d’accueil de jour, un à Gambetta, et un à Richter. « Le site de Richter va être fermé trois mois de avril à juin faute de financements nécessaires, avec une réouverture possible en septembre », explique le syndicaliste. « Du coup, ce sont entre 150 et 180 personnes qu’on accompagne là-bas qui seront rapatriés dans notre local quartier Gambetta. »
« Sauf qu’on a aucune garantie de réouverture en septembre », complète Max Boyer, coordinateur du site de Richter. « Il nous manque 12 000 euros par mois. Ce ne sont pas des frais de fonctionnement, c’est pour payer les salaires. C’est pour cela qu’on demande un rendez-vous avec la DDETS, pour ne pas que le site ferme. » Une fermeture, qui selon lui, peut entrainer une rupture de lien avec les bénéficiaires. « Notre combat, c’est pour eux. »
« On reste dans le flou total »
Christine, salariée de la structure, est elle-même menacée par ces suppressions de postes. « Mon contrat va s’arrêter en mars. A Gambetta, on reçoit déjà 300 à 400 personnes chaque matin pour le petit-déjeuner, et manque de moyens pour accompagner les gens. On ne peut pas assurer le service des machines à laver et on a réduit les heures d’ouvertures, car on n’est pas assez nombreux. Donc là, on reste dans le flou total sur l’organisation. »
Pour compenser, la structure, associative, a recours à des bénévoles, qui sont des « usagers-participants », soit des personnes accompagnées
volontaires dans l’aide à l’association. « Sans eux, on ne peut pas
ouvrir », commente Christine.
Mohamed en fait justement partie. « Je suis venu en soutien, car grâce à Issue, j’ai eu une aide morale, j’ai pu me
doucher, et ne pas rester dans la solitude que la rue impose. Si ces postes sont supprimés, il n’y aura pas assez d’effectifs pour être disponible pour tout le
monde. » Aujourd’hui, Mohammed aide les autres usagers de la structure en passant des coups de fils ou en rédigeant des lettres
pour eux.
« Toute une chaîne d’acteurs »
La mobilisation des salariés d’Issue a attiré d’autres travailleurs sociaux montpelliérains, venus en soutien. C’est le cas d’Anouk (prénom modifié), infirmière dans une structure médico-sociale qui travaille en lien avec l’accueil de jour. « Ce que vivent les salariés, c’est le cas dans tout le secteur. Chez nous aussi, on supprime des postes et on a recours à des bénévoles, on vit tous la même chose. Les populations à la rue ne font qu’augmenter, donc c’est du boulot supplémentaire, mais nous, on ne pourra pas tout traiter. »
Pour elle, des suppressions de postes chez Issue affecte « toute une chaîne d’acteurs » du secteur du médico-social. « Dans mon association, on dépose des gens à l’accueil de jour, s’il ferme ou que ses heures d’ouvertures se réduisent, ça va créer des sortes d’embouteillage dans le processus d’aide des gens. On le voit, les personnes à la rue restent déjà longtemps dans de l’hébergement d’urgence faute de moyens. » Une conséquence selon elle de la crise du logement qui frappe le Clapas.
Les salariés d’Issue ont demandé un entretien à la DDETS, mais ne pourront pas être reçus ce jeudi. « nous allons faire une assemblée générale, et demander un rendez-vous plus tard », conclut Mathieu Granat. La mobilisation semble donc partie pour durer.
mise en ligne le 6 février 2024
Cyprien Boganda sur www.humanite.fr
En s’attaquant à l’allocation de solidarité spécifique, le filet de sécurité destiné aux chômeurs en fin de droits, pour la remplacer par le revenu de solidarité active, l’exécutif poursuit sa politique délibérée de précarisation des chômeurs et de démantèlement de l’assurance-chômage. Leur horizon : le contre-modèle allemand.
On peut reprocher beaucoup de choses à Emmanuel Macron, mais pas de manquer de constance : après avoir entamé son premier quinquennat en expliquant aux chômeurs qu’ils n’avaient qu’à « traverser la rue » pour retrouver du boulot et poursuivi en menant les réformes les plus régressives de l’histoire de l’assurance-chômage, le voici qui relance son second mandat en rouvrant le chantier de démolition.
Lors de son discours de politique générale du 30 janvier, le premier ministre Gabriel Attal a annoncé qu’il comptait supprimer l’allocation de solidarité spécifique (ASS), filet de sécurité destiné aux chômeurs en fin de droits, pour la remplacer par le revenu de solidarité active (RSA).
Vu de loin, cette mesure peut paraître purement technique. Il n’en est rien : les quelques phrases prononcées à l’Assemblée nationale par le premier ministre, assorties du couplet de rigueur sur la nécessité de « chercher un modèle social plus efficace et moins coûteux », ont dû faire trembler environ 322 000 personnes.
L’allocation de solidarité spécifique, c’est 18 euros par jour, soit environ 540 euros par mois
Selon les derniers chiffres de la Drees (le service statistique ministériel), datant de fin 2022, c’est le nombre de bénéficiaires de l’ASS, une allocation créée en 1984 et destinée à des privés d’emploi ayant épuisé leurs droits au régime d’assurance-chômage (dix-huit mois d’indemnisation au maximum pour les moins de 53 ans). Le montant de l’ASS n’a rien de somptuaire : 18 euros par jour, soit environ 540 euros par mois ; 58 % des bénéficiaires ont 50 ans et plus. « Les chômeurs de longue durée qui perçoivent l’ASS sont souvent des seniors, confirme la sociologue Claire Vivès. Le gouvernement part d’un problème réel (le chômage des plus de 50 ans), mais rend les personnes qui le subissent responsables de leur situation, plutôt que de remettre en cause, par exemple, le comportement des employeurs. »
Le basculement programmé de ces personnes au RSA risque de faire des dégâts pour au moins deux raisons. La première, c’est que les personnes à l’ASS cotisent automatiquement pour leur retraite, contrairement aux bénéficiaires du RSA. La seconde, c’est qu’il est plus facile pour une personne en couple de percevoir l’ASS, même si son conjoint travaille. Pour le dire autrement, un chômeur vivant avec une personne payée au Smic peut toucher l’ASS, mais n’aura pas le droit au RSA si l’ASS vient à être supprimée. Selon les calculs de l’économiste Michaël Zemmour, la décision de Gabriel Attal pourrait faire perdre entre 100 et 150 euros par mois à un ménage dont un des conjoints travaille au Smic, soit 5 à 10 % de ses revenus.
Au fond, cette décision s’inscrit dans le droit-fil de la politique macroniste de démantèlement de l’assurance-chômage menée tambour battant depuis 2017. Cette politique s’appuie à la fois sur un présupposé idéologique (le mythe du chômage « volontaire » ), un objectif financier de réduction de la dépense publique et un mot d’ordre implicite, selon lequel un travailleur précaire vaut mieux qu’un chômeur indemnisé. « Il s’agit de rendre la situation des salariés plus enviable que celles des chômeurs, mais sans augmenter les salariés, résume la sociologue Claire Vivès. Ce qui revient en fait à dégrader les conditions de vie des chômeurs, tout en mobilisant un discours glorifiant la ”dignité“ du travail. »
« Mais qu’est-ce que les chômeurs ont fait à Macron ? »
Dans l’histoire de la Ve République, aucun pouvoir ne s’était attaqué à l’assurance-chômage avec un tel systématisme. Les gouvernements macronistes ont joué sur tous les paramètres : dégressivité des allocations pour les cadres (entrée en vigueur en juillet 2021) ; modification du calcul de l’allocation (octobre 2021) ; durcissement des conditions d’accès (décembre 2021) ; réduction de 25 % de la durée maximale d’indemnisation pour les nouveaux inscrits (février 2023). Avec un double objectif : faire baisser le nombre d’inscrits et réaliser des économies.
La dernière réforme, entrée en vigueur en février 2023, va faire « économiser » 4,5 milliards d’euros par an à l’assurance-chômage. Selon les estimations de l’Unédic, le nombre d’allocataires indemnisés chuterait mécaniquement de 12 % à horizon 2027, soit environ 300 000 personnes en moins. Sans indemnités, des milliers de chômeurs seront poussés à accepter n’importe quel boulot, ce qui n’est peut-être pas pour déplaire à l’Élysée : après tout, Emmanuel Macron s’est fixé pour objectif d’atteindre le plein-emploi en 2027, mais sans préciser les modalités pour y parvenir.
Le chef de l’État n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Lors du récent sommet de Davos, il a redit son intention d’ouvrir « un deuxième temps sur la réforme de notre marché du travail en durcissant les règles de l’assurance-chômage ». De quoi susciter une levée de boucliers généralisée parmi les syndicats. « Mais qu’est-ce que les chômeurs ont fait à Macron ? » fait mine de s’interroger la dirigeante de la CFDT, Marylise Léon, tandis que Sophie Binet, son homologue de la CGT, prévient l’Élysée que « si, encore une fois, il s’agit de remettre en cause les droits des travailleurs », ce serait « un casus belli ».
Emmanuel Macron a souvent vanté les mérites de la « flexisécurité » danoise, mais le « modèle » allemand l’inspire au moins autant. C’est probablement un hasard, mais Gabriel Attal a annoncé le prochain tour de vis en moquant « le droit à la paresse » devant les députés : c’est en dénonçant ce même « droit à la paresse » que le chancelier Gerhard Schröder préparait les esprits, dès 2001, aux réformes du marché du travail. En 2005, la loi Hartz IV (du nom de l’ex- DRH, Peter Hartz) prévoit que les chômeurs ne seront plus indemnisés que pendant douze mois (contre trente-six mois au maximum auparavant), pour basculer ensuite sur une indemnité forfaitaire très faible. Par ailleurs, les contrôles sont durcis.
Il est difficile de ne pas percevoir l’écho de cette politique (au moins dans son esprit), dans les récentes mesures macronistes : réduction de la durée d’indemnisation, remplacement de l’ASS par le RSA, renforcement du contrôle des chômeurs. Reste que la comparaison avec l’Allemagne est cruelle. C’est précisément au moment où la France s’engage dans cette voie pied au plancher que le voisin allemand fait prudemment machine arrière : il y a quelques semaines, Hartz IV a été édulcorée par la coalition au pouvoir.
mise en ligne le 6 février 2024
Anthony Cortes sur www.humanite.fr
Derrière la mise en pause du plan Ecophyto et son objectif de réduire de moitié l’utilisation de pesticides par le gouvernement, un duel entre l'exécutif et le travail scientifique se joue. L’Anses, autorité indépendante qui a pour mission d'évaluer et autoriser les mises sur le marché est directement visée.
Dans les rangs de l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’annonce a eu l’effet d’une bombe. « C’est une insulte à notre travail, à notre utilité, à la science, peste l’un de ses membres. On veut nous enterrer ». Jeudi 1er février, pour calmer la colère agricole, le Premier ministre, Gabriel Attal, a tranché dans le vif la question des pesticides soulevée notamment par la FNSEA et sa demande de « moratoire » .
Deux annonces. Une mise « en pause » du quatrième plan Ecophyto qui fixait un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides d’ici 2030 (par rapport à 2015-2017). Et une volonté affichée d’en finir avec la « surtransposition » des règles européennes en réalignant le calendrier de l’Anses avec celui de l’autorité européenne de sûreté des aliments (EFSA) sur l’autorisation des produits phytosanitaires. « Que l’Anses se prononce sans coordination avec le régulateur européen n’a pas de sens, a-t-il fait savoir. Nous sortirons de cette situation ». Faut-il y voir une volonté de mise au pas de l’Anses, à la manœuvre dans l’objectif et la réalisation de réduction de l’utilisation des pesticides ?
Le dernier épisode de « tentatives de déstabilisation » de l’agence
Depuis 2014, l’Anses est chargée de l’évaluation et des décisions d’autorisation ou de retrait des autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires (en lieu et place du ministère de l’Agriculture). « Si l’Anses a récupéré ces responsabilités, c’est parce que le ministère de l’Agriculture est le siège de tous les lobbies, observe un autre de ses membres qui siège au comité scientifique de l’agence. Avoir une autorité indépendante, c’était le seul moyen de pouvoir avancer sur la question des pesticides et de s’assurer que les décisions seront prises à partir des enjeux de santé publique et de protection de l’environnement. Et non pas des seuls intérêts économiques de l’agro-industrie… Forcément, ça dérange ».
Pour cette source, qui voit en Marc Fesneau un « opportuniste » qui n’entend que « contenter la FNSEA » davantage pour obtenir une « paix politique » que par « idéologie », ces annonces constituent le dernier épisode de « tentatives de déstabilisation » de l’agence et de son pouvoir. Car depuis quelques temps, les bras de fer sont récurrents entre le pouvoir politique et l’autorité scientifique autour de la question des pesticides. Le plus symbolique est à trouver sur la question du S-métolachlore, l’une des substances actives herbicides les plus utilisées en France.
Février 2023, les études menées par l’Anses démontrent que ce produit « contamine » les eaux souterraines. Afin de « préserver la qualité des ressources en eau », l’Anses engage « la procédure de retrait des principaux usages des produits phytopharmaceutiques à base de S-métolachlore », et lève treize autorisations de commercialisation d’herbicides.
« Les méthodes du ministre à notre encontre sont d’une violence inouïe »
Immédiatement, la FNSEA voit rouge. « Cette décision crée des impasses techniques réelles, prive les agriculteurs d’un outil de production essentiel, et met en péril la capacité de l’agriculture française à produire une alimentation sûre, saine et de qualité », s’indigne-t-elle alors. Jusqu’à trouver un allié de poids… Le ministre de l’Agriculture lui-même.
Lors du congrès annuel du syndicat, en mars 2023, Marc Fesneau tient à rassurer tout en se montrant offensif : « Je viens de demander à l’Anses une réévaluation de sa décision sur le S-métolachlore. (…) Je ne serai pas le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence ». Un bras de fer qui s’est conclu par une défaite pour le ministre, le S-métolachlore ayant finalement été interdit au niveau européen en ce début d’année. Faut-il y voir le moteur d’une certaine rancœur gouvernementale ?
« Les méthodes du ministre à notre encontre sont d’une violence inouïe, se scandalise un troisième scientifique de l’Anses. Que ce soit sur le S-métolachlore, la phosphine (un insecticide hautement toxique utilisé pour traiter les cargaisons de céréales – NDLR) dont les restrictions d’utilisation ont aussi été contestées par le gouvernement, ou les dernières annonces, nous sommes désignés comme des empêcheurs de tourner en rond alors que nous sommes là pour pousser la robustesse des décisions à partir d’expertises solides, mais aussi pour éclairer le gestionnaire des risques, à savoir le pouvoir politique, dans l’élaboration de réponses de long terme à ces enjeux essentiels… ».
« Gabriel Attal réussit l’exploit, dans une seule déclaration, de mettre en cause nos institutions à plusieurs niveaux »
Des attaques en règle déplorées également dans l’arène politique, en très grande partie à gauche. « Nous avons besoin d’une autorité indépendante, plaide la députée écologiste de la Drôme, Marie Pochon. Ecophyto est un échec terrible : les objectifs n’ont pas été atteints, les dates ont été reculées pour masquer l’échec… Et maintenant on fait tout sauter : objectifs, dates, et même l’Anses ? Alors que toutes les études scientifiques montrent l’impact négatif des pesticides sur la santé humaine et le vivant, c’est un terrible aveu de soumission à l’agro-industrie et un retour en arrière terrible ».
Un avis partagé par Dominique Potier, député socialiste de Meurthe-et-Moselle et rapporteur de la commission d’enquête « sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires », conclue en décembre 2023. « Gabriel Attal réussit l’exploit, dans une seule déclaration, de mettre en cause nos institutions à plusieurs niveaux, constate-t-il. L’autorité scientifique, confiée à l’Anses, tout d’abord. L’autorité judiciaire ensuite, puisqu’un jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin 2023 enjoint le gouvernement à respecter ses trajectoires de baisse de produits phytosanitaires avant le 30 juin 2024. Et enfin les règlements européens qui invitent les Etats membres à prendre cette direction. Viser l’Anses et ses décisions, c’est une décision stupéfiante sur le plan démocratique et scientifique ».
Cette défiance de l’Anses et de son rôle n’apparaît pas uniquement dans les mots du gouvernement. On la retrouve également dans certaines initiatives parlementaires soutenues par la majorité. Le 11 mai 2023, l’Assemblée nationale adopte – avec les voix de LR et du RN- une résolution relative aux « surtranspositions » de directives européennes en matière agricole. Le texte appelle à « conditionner toute interdiction de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, qu’elle émane d’une autorité nationale ou européenne, à l’existence de solutions alternatives efficaces ». Même chose au Sénat quelques jours plus tard dans un autre texte : la proposition de loi « Ferme France » de Laurent Duplomb (LR), agriculteur de profession.
Une volonté partagée qui constitue, pour les associations favorables à la diminution de l’utilisation des pesticides, une remise en cause groupée du principe d’autorisation de mise sur le marché fondées sur l’évaluation scientifique, et donc des prérogatives de l’agence. « Nous voilà donc revenus dans une ère dans laquelle le politique, sous pression de la FNSEA, décidera de maintenir sur le marché plusieurs mois ou années de plus des pesticides alors même que l’on saura qu’ils ont des effets inacceptables pour la santé ou l’environnement ? », soupire Générations futures. Pour combien de temps encore l’Anses conservera ses marges de manœuvre ?
sur https://basta.media/
« Nous soutenons les paysans qui veulent vivre dignement mais exigeons la fin des pesticides qui les font mourir ainsi que nos enfants », défendent des associations de victimes des pesticides après la suspension annoncée du plan Ecophyto.
Nous, riverains d’exploitations agro-industrielles, soutenons les paysans qui se sont battus pour changer en profondeur un modèle agricole insoutenable et qui ont subi la pression des forces de l’ordre pour mettre fin à leur résistance, dès que la FNSEA a obtenu ce qu’elle désirait. Plutôt que d’accompagner la transition vers un modèle agroécologique seul à même de répondre aux enjeux climatiques et sanitaires, le gouvernement se plie aux appels de la frange financiarisée et écocide du secteur agricole.
Le constat est sans appel : les marges des petits producteurs ne cessent de s’éroder tandis que les bénéfices du complexe agro-industriel explosent. Aujourd’hui, environ 20% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. A l’inverse, entre les premiers trimestres 2022 et 2023, les profits bruts de l’industrie agro-alimentaire ont plus que doublé, passant de 3,1 milliards d’euros à 7 milliards. Le modèle actuel d’intégration au profit des firmes agrochimiques et agroalimentaires enferme la majorité des agriculteurs dans une logique productiviste mortifère, avec des conséquences terribles sur les plans sanitaire et écologique.
L’agriculture intensive entraîne une dégradation des écosystèmes et a un impact négatif important sur de nombreuses espèces animales et végétales. Cet effondrement du vivant est une menace pour la pérennité du secteur agricole lui-même. Les paysans qui produisent pour le marché local en agriculture biologique reçoivent moins de subventions que les grands céréaliers qui exploitent plusieurs centaines d’hectares en utilisant quantités d’intrants chimiques aux effets mal mesurés, et dont une partie est destinée à l’exportation.
« Nos enfants sont les plus vulnérables »
Nous, riverains, vivants des campagnes, voulons que chaque agriculteur et agricultrice puisse vivre dignement de son travail tout en garantissant la protection de la biodiversité et de la santé de tous. Que nous ne courrions plus le risque, lorsque nous sortons dans nos jardins, que nous buvons notre eau ou que nos enfants partent à l’école, de contaminations chroniques par des pesticides.
Certains d’entre nous sont touchés par les mêmes maladies que celles reconnues comme maladies professionnelles chez les agriculteurs : Parkinson, lymphome, leucémie, myélome, prostate, tumeur cérébrale... Nos enfants sont les plus vulnérables, et nombreux sont touchés par des cancers pédiatriques.
Avant un épandage, nous ne sommes pas prévenus. Si nous sommes absents, nous ne savons pas que le linge, les jeux des enfants, les fruits et légumes qu’on cultive sont touchés. Le centre antipoison nous conseille de tout nettoyer : fruits et légumes, tables et chaises de jardin, jouets… mais peut-on nettoyer l’herbe sur laquelle jouent les petits et les grands, l’arbre sur lequel nos enfants vont grimper ?
Quand nous demandons aux exploitants en agriculture intensive le nom du produit épandu, ils refusent de nous le communiquer. Il n’y a pas de transparence. Actuellement, il n’y a pas de règlementation qui nous protège réellement. Où est le principe de précaution ? 20% de la population française reçoit une eau non conforme, contaminée par des pesticides et leurs métabolites.
« Le modèle agricole peut devenir soutenable »
Le modèle agricole a un impact considérable sur l’environnement et sur la santé, et ceux qui cultivent la terre sont les premiers exposés. Par la multiplication des pratiques vertueuses, agriculture biologique, agriculture paysanne, circuits courts, application du principe de précaution et renforcement du droit à l’environnement, le modèle agricole peut demain devenir soutenable et aligné sur l’intérêt général.
Nous demandons un accompagnement économique et politique à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux sanitaires, climatiques et écologiques. Cela passe par un soutien à l’installation et une limitation de l’agrandissement des exploitations, un financement accru de toute la filière d’agriculture biologique, le maintien du moratoire sur les OGM et la mise en œuvre de mesures de réciprocité pour les denrées agricoles importées en Union Européenne, afin que celles-ci respectent les mêmes normes environnementales et sanitaires que celles imposées à nos agriculteurs. Il faut sortir des traités de libre-échange et stopper les négociations en cours.
L’arrêt des négociations autour du futur plan Ecophyto 2030 est une farce puisque celui-ci prévoyait de continuer à ne rien exiger. Mais c’est un signal fort annonçant que la réduction de l’usage des pesticides n’est plus à l’ordre du jour. La remise en question des zones de non-traitement est une décision inacceptable à l’heure où justement, les tribunaux administratifs contestent leur réduction.
Nous exigeons le déblocage de moyens ambitieux pour poursuivre la transition en cours vers une sortie des pesticides de synthèse. Réduire leur utilisation est un impératif de santé publique, un préalable pour assurer la pérennité de notre système agricole et une nécessité pour assurer la protection de la biodiversité, de nos ressources naturelles et de nos modes de vie. Cela ne peut se faire sans mettre les moyens nécessaires. Ce n’est pas aux paysans seuls de porter le poids de la transition écologique vitale pour nous tous.
Seul un changement radical de modèle agricole peut sauver les paysans et les riverains, les sols, l’eau et tout le vivant.
Signataires : Alerte Pesticides Haute Gironde, Avenir santé environnement (Charente-Maritime), Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, Les Jardins d’Entrevennes (Alpes-de-Haute-Provence), Riverains ensemble Durance (Alpes-de-Haute-Provence), Saint Nolff 21 (Morbihan), Stop aux cancers de nos enfants (Loire-Atlantique), Vaurais nature environnement (Tarn)
publié le 30 janvier 2024
Alexandra Chaignon sur www.humanite.fr
Des patients qui attendent sur des brancards, dans des couloirs bondés au risque de compromettre la santé de chacun. Tel est le quotidien des services d’urgences. Pour le professeur Louis Soulat, vice-président du syndicat Samu-Urgences de France, le diagnostic est connu mais la volonté politique se fait attendre.
Des patients qui décèdent sur des brancards, dans les couloirs des services d’urgences. De tels drames se produisent-ils souvent ?
Louis Soulat : Il y a un peu plus d’un an, nous avions lancé l’opération « No Dead », dont l’objectif était de recenser les décès sur brancards survenant dans les couloirs des services d’urgences. Entre le 1er décembre 2022 et le 31 janvier 2023, 43 décès inattendus avaient été déclarés.
On sait aujourd’hui – c’est démontré scientifiquement – que les heures passées sur un brancard, notamment pour les patients dont la santé est très altérée, ont une incidence sur la mortalité (surmortalité qui peut dépasser les 30 à 40 % pour les patients les plus graves et les plus âgés – NDLR). Ce recensement avait fortement dérangé. Mais il n’a pas été suivi d’effet pour autant.
Est-ce à dire que vous n’avez constaté aucune amélioration ?
Louis Soulat : Aucune. Le constat est toujours le même : il manque toujours des lits d’aval et je ne parle même pas du secteur médico-psy… La photo parue ce week-end dans le Parisien montrant le couloir rempli de brancards des urgences de l’hôpital de Versailles est éloquente. Et c’est notre quotidien. Aux urgences du CHU de Rennes, 40 personnes sont actuellement en attente d’une hospitalisation sur des lits brancards. Nous en sommes réduits à mettre deux brancards à la place d’un lit dans un box.
Pourtant, ce pic est prévisible en cette période ?
Louis Soulat : Ces tensions sont reproductibles, en effet. On sait qu’en période hivernale, le virus de la grippe se déplace d’est en ouest. On sait qu’on aura besoin de 40 lits. On pourrait donc anticiper. Mais tous les ans, on nous répète qu’« on fait le maximum ». Et… rien. À ce stade, la seule solution consiste à déclencher le plan blanc. Ce n’est pas la panacée. Ce n’est pas apprécié des patients qui voient leur intervention déprogrammée.
L’origine de ces tensions est pourtant connue, c’est d’ailleurs toujours la même…
Louis Soulat : On a fermé trop de lits. On n’a pas assez de personnel. Et on n’a pas pris en compte le vieillissement de la population, qui se traduit par des patients qui embolisent les services. C’est un cercle vicieux. Quand Aurélien Rousseau a démissionné de son poste de ministre de la Santé (le 20 décembre 2023), il venait de reconnaître que 6 000 lits avaient été supprimés en 2023.
On manque de lits à l’hôpital, certes, mais dans le secteur médico-social, c’est pire. Les lits des services de soins de suite, de réadaptation ou d’Ehpad sont saturés. Aux urgences, nous en sommes venus à compter les patients « bloqueurs » – ce n’est pas sympathique pour désigner ces patients dont personne ne veut… Ce sont des personnes âgées, la plupart du temps, qui sont là depuis 48 heures et qui ont besoin d’une hospitalisation.
On entend souvent parler de patients qui ne relèveraient pas des urgences. Est-ce vraiment le cas ?
Louis Soulat : Certains patients n’ont rien à y faire, mais on les réoriente. Dans mon service, les 40 patients qui attendent sur des brancards, ce sont des personnes qui ont besoin d’être hospitalisées, en service gériatrique ou ailleurs.
On est loin d’une médecine d’urgence attrayante…
Louis Soulat : On essaie de vendre du rêve aux étudiants en médecine. Mais la réalité se traduit par des arrêts maladie de soignants et de médecins pour épuisement. Le plus grave, ce sont les 40-50 ans qui quittent le navire à cause de cette pénibilité et de la peur de passer à côté de quelque chose de grave. Les morts inattendues, c’est que tout le monde redoute.
Emmanuel Macron a promis de désengorger les urgences. Qu’en attendez-vous ?
Louis Soulat : Le problème, c’est qu’il n’envisage que l’amont des urgences. C’est une hérésie. Je le répète, tous les patients qui attendent sur des brancards ont besoin d’être hospitalisés. Et en amont, la médecine de ville est à bout… On ne voit pas de signal positif. Lors de ses vœux, Emmanuel Macron n’a pas eu un mot pour nous. C’est très décevant. Et il n’y a toujours pas de ministre délégué à la Santé. Je ressens plus de résignation que de résilience…
publié le 27 janvier 2024
Mathilde Goanec sur www.mediapart.fr
L’affaire Oudéa-Castéra donne à voir un privé qui, perfusé d’argent public, pratique une ségrégation sociale systémique pour garantir l’entre-soi des élites. Jusqu’à affaiblir l’école républicaine.
Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont choisi de nommer à la tête du ministère de l’éducation une femme dont les trois enfants sont scolarisés dans un établissement catholique élitiste et conservateur à l’extrême. Ce choix, outre qu’il devient très encombrant politiquement, offre à l’opinion une incarnation quasi parfaite d’une école privée qui part à la dérive.
Les révélations autour de la ministre Amélie Oudéa-Castéra font également office de sérum de vérité en ce qui concerne le jeu inégal que mènent l’école publique et l’école privée sous contrat en France. « L’affaire marque la fin d’un cycle et d’une omerta politique qui a duré quarante ans », prophétisait récemment le député insoumis Paul Vannier dans nos colonnes.
Un cycle entamé à l’occasion du renoncement à un service de l’éducation unifié proposé par le socialiste Alain Savary sous le quinquennat Mitterrand et des manifestations monstres en faveur de « l’école libre ».
Depuis, la discussion s’était en quelque sorte assoupie, même la gauche semblant prendre pour un fait accompli la pluralité de notre système éducatif.
Avant Amélie Oudéa-Castéra, d’autres ministres ont goûté aux joies du privé pour leurs enfants, mais aucun n’avait commis l’énorme faute de jeter au passage le public aux orties.
La voix de la nouvelle ministre de l’éducation nationale s’est ajoutée au chœur déjà puissant de celles qui font du privé un horizon désirable, où l’on « s’épanouit », et du public un repoussoir.
La ministre alimente l’image d’une école publique que l’on subit, plus qu’on ne la choisit, et d’une éducation que l’on consomme, pour autant qu’on y mettre le prix.
Une école privée attractive
Comme des milliers de parents, Amélie Oudéa-Castéra fait le choix de payer pour l’éducation de ses enfants. C’est son droit le plus strict. Mais elle bénéficie d’un système devenu fou, qui rend accessible, grâce au financement de l’État, et même attractive, l’école privée au détriment du public.
« Cette situation est incompréhensible pour nombre de mes collègues à l’étranger, qui ne comprennent pas pourquoi nous nous arrachons les cheveux pour réduire la ségrégation scolaire tout en continuant à financer à plus de 70 % un secteur privé qui n’est soumis à aucune contrainte », pointait le sociologue Marco Oberti avant même le début de l’affaire.
L’enseignement privé sous contrat regroupe 17,6 % des effectifs scolarisés, dans un peu plus de 7 500 établissements. Pour ces quelque deux millions d’élèves, le ministère de l’éducation nationale réserve 8 milliards, sur les 63 milliards du budget total de l’Éducation nationale, puisqu’il paye intégralement – c’est la loi – les salaires des professeur·es.
Un financement que complètent les collectivités locales, en partie par obligation (c’est, là encore, le cadre imposé par la loi Debré), en partie par choix. En 2021, la Cour des comptes calculait une base d’un milliard d’euros par an alloué par l’ensemble des autres ministères à l’enseignement privé sous contrat, auquel s’ajouteraient près de trois milliards fournis par les collectivités territoriales. Dans le modèle économique du privé, l’argent public est donc un élément prépondérant.
Alors que l’État maintient à 20 % maximum le nombre total des élèves scolarisés dans le privé sous contrat, on observe depuis dix ans, une hausse des effectifs dans ces établissements. Mais le problème n’est pas celui d’une école privée qui grignoterait inlassablement l’école publique, c’est que le marché est truqué. L’école privée sous contrat se réserve les 20 % les plus « rentables » de ce marché, sans que la puissance publique n’y trouve à redire.
« Le dialogue de gestion entre l’État et l’enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est inexistant », cinglait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2023, notant également l’absence presque totale de contrôle financier sur les établissements.
La concurrence s’avère au bout du compte déloyale : l’école publique est tenue par la loi d’accueillir tout le monde. Or la non-mixité sociale fait le lit de la baisse du niveau scolaire.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’émoi qui a suivi les premières déclarations d’Amélie Oudéa-Castéra, ainsi que nos différentes révélations sur les contournements et manquements de Stanislas. Elles ont permis de rappeler qu’en face d’une école privée à laquelle on demande si peu de comptes vivote une école publique à laquelle on demande tout, sans lui octroyer les moyens de jouer à armes égales.
Soumise à un tel régime, il n’est pas surprenant qu’elle vacille. L’école publique d’aujourd’hui ploie sous les absences non remplacées de ses enseignant·es, souffre d’accompagner parfois dans de mauvaises conditions ses élèves en difficulté, peine à affronter la colère des familles ou à conserver ses enseignant·es, lequel·les choisissent de plus en plus souvent de fuir devant la montagne de promesses non tenues.
La concurrence s’avère au bout du compte déloyale : l’école publique est tenue par la loi d’accueillir tout le monde. Or la non-mixité sociale fait le lit de la baisse du niveau scolaire. Les différentes enquêtes internationales ainsi que les nombreux chercheurs et chercheuses en éducation sont unanimes sur ce constat : si la France décroche année après année, c’est que son système d’éducation est devenu profondément inégalitaire. Nous vivons dans un pays où l’origine socio-économique surdétermine la progression des élèves.
Un ancien ministre d’Emmanuel Macron, Pap Ndiaye, faisait peu ou prou ce constat, quatre mois après son arrivée, dans les colonnes du journal Le Monde : « Une école qui, tout en la promettant, n’accorde pas l’égalité produit non seulement des injustices, mais aussi une défiance et un sentiment de colère dans les classes populaires. »
L’implacable sélection sociale
Stanislas, nos enquêtes l’ont démontré, est une version excessive de l’école privée sous contrat française. C’est également la pointe avancée d’un système. Avec un indice de position sociale (IPS) de ses élèves qui oscille entre 146 et 148 entre l’élémentaire, le collège et le lycée, l’institution catholique se situe certes dans une fourchette très haute, signant un établissement d’élite, mais elle n’est pas une exception de l’enseignement privé sous contrat, où la mixité sociale s’est réduite comme peau de chagrin.
C’est même tout le sel de l’offre du privé, à la fois sélectionné (par les familles) et sélectionneur (il choisit les élèves qu’il accueille). Et pourtant, « le Christ n’a pas sélectionné ses apôtres, que je sache ! », s’insurgeait le directeur de l’enseignement catholique de Nantes, Frédéric Delemazure, en février 2023, qui appelait alors son institution à « prendre ses responsabilités ».
La Cour des comptes l’atteste, les « écarts se creusent » de manière structurelle, profonde, entre le public et le privé en matière de mixité sociale : les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent presque le double vingt ans plus tard, et les élèves de milieux favorisés ou très favorisés y sont désormais majoritaires. Par ailleurs, la part des élèves boursiers s’élevait à 11,8 % des effectifs en 2021 dans le privé sous contrat, contre 29,1 % dans le public.
Le tableau n’est certes pas encore complètement uniforme. Il reste des établissements « populaires », notamment dans les régions où le privé catholique est traditionnellement implanté, comme en Bretagne, en Loire-Atlantique ou dans le nord de la France. La majorité des écoles privées, implantées historiquement dans les centres urbains favorisés, sont en quelque sorte « victimes », en partie, de leur géographie sociale. Certains lycées publics des beaux quartiers n’ont rien à envier à leurs homologues privés du trottoir d’en face. Les familles à petits moyens, « qui se saignent » pour pouvoir offrir une éducation en école privée à leurs enfants, existent bel et bien…
Rien de tout cela ne parvient à faire dévier une tendance lourde : la spécialisation du privé sous contrat dans l’accueil des classes sociales les plus favorisées.
C’est tout l’intérêt du débat né de la publication, contrainte et forcée, par le ministère des indices de position sociale depuis deux ans. Plutôt que de ressasser le cliché devenu presque stérile de la « guerre scolaire » et de « l’école libre », ces données chiffrées remettent factuellement en cause l’idée de deux services d’éducation complémentaires.
Elles attestent que, socialement, un gouffre sépare le public et le privé, qui va bien au-delà du simple clivage religieux. C’est pourtant la fiction qu’entretient à dessein l’Église catholique, relayée dernièrement par Emmanuel Macron, quand le président de la République déclare être lui-même un « enfant des deux écoles », ou quand la porte-parole du gouvernement accuse les détracteurs à gauche, sur les bancs de l’Assemblée nationale, de ne pas « aimer l’école privée, les familles qui font le choix du privé ».
Entre-soi éducatif
Si au moins les termes du contrat étaient respectés, la question ne serait que sociale. Or le raidissement sur la famille de l’Église ces dernières années, avec en point d’orgue l’épisode de la Manif pour tous, déteint sur toute l’école privée sous contrat, à 96 % catholique. Les personnels de ces établissements sont d’ailleurs souvent les premiers à dénoncer une « dérive conservatrice », qui se traduirait par une pression de plus en plus intense exercée par les diocèses, les pastorales, les évêques ou directement les familles.
Accueil et respect des élèves trans, lutte contre l’homophobie, travail autour de l’interruption volontaire de grossesse, discours sur l’inceste, égalité filles-garçons… Revendiquant une « éducation intégrale », dispensée dans le cadre des cours « d’éducation sexuelle et affective », l’enseignement catholique s’écarte de plus en plus franchement des consignes de l’Éducation nationale, au nom du « caractère propre » des établissements.
Ce qui permet aujourd’hui de laisser s’exprimer des valeurs totalement opposées à celles que défend l’Éducation nationale, en toute impunité. Ainsi, interrogé sur des propos tenus dans son établissement – « l’homosexualité est une maladie » –, le directeur de Stanislas, à la tête d’une école privée par laquelle transite une partie de l’élite politique et médiatique parisienne, se permet de ne pas répondre, arguant de sa double légitimité : la première, celle qu’il doit à « l’Église catholique », et la seconde, « du côté de la République ». Personne, au gouvernement, n’a réagi.
Tirer son épingle du jeu
Le contournement de Parcoursup pratiqué par Stanislas, dont a bénéficié la ministre pour son enfant, est la dernière pierre de cet édifice. Il signe la manière dont les établissements privés, jusqu’au supérieur, sont parfaitement taillés pour les outils mis à disposition par la puissance publique, des outils qui « parlent leur langage », selon les termes de la sociologue Sophie Orange, spécialiste des questions de sélection scolaire.
« Le fonctionnement de Parcoursup, qui exige d’avoir une bonne connaissance du système scolaire, d’avoir le temps d’attendre, les moyens de la prise de risque, est ajusté au rapport à l’école des classes supérieures, relève la chercheuse. Il est construit pour les favoriser et malgré ça, certains établissements privés sous contrat ne jouent même plus le jeu, trouvent encore le moyen de s’en extraire. »
Parcoursup donne des clés pour « institutionnaliser, pérenniser des pratiques qui sont à l’œuvre depuis longtemps dans le privé, et qui consistent à aménager le système à son profit », juge avec encore plus de sévérité Claire Guéville, secrétaire nationale au Snes-FSU et chargée des lycées. « C’est idéal pour tirer son épingle du jeu quand on est déjà un habitué à tout faire pour se frayer un chemin afin d’accéder ou de se maintenir au niveau de l’élite économique et sociale. »
Par tous ces aspects, l’opposition entre le public et le privé n’est donc plus la guérilla un peu bonasse entre le curé du village et l’instituteur en habit de hussard noir. Elle grève, par cette distorsion de concurrence, et par le laisser-faire de l’État, la possibilité que des enfants d’origine différente se rencontrent, se connaissent, partagent une histoire commune, une des clés de la réussite scolaire de toutes et tous.
Amélie Oudéa-Castéra veut aujourd’hui clore la séquence, et qu’on la juge « comme ministre ». Emmanuel Macron, quant à lui, pense pouvoir se passer de cette réflexion. Il suffira pour faire société, croit le président, de créer de bons petits républicains en imposant à l’école publique l’uniforme, le Service national universel, en faisant chanter La Marseillaise aux élèves ou en leur faisant déclamer « les grands textes ». Il oublie l’avertissement, lancé il y a plus d’un siècle, par Jean Jaurès : « Quiconque ne rattache pas le problème scolaire ou plutôt le problème de l’éducation à l’ensemble du problème social, se condamne à des efforts et à des rêves stériles. »
publié le 24 janvier 2024
Lola Ruscio sur www.humanite.fr
L’Assemblée étudie, ce mercredi 24 janvier, la possibilité d’inscrire la « liberté » de recourir à l’avortement dans la Constitution. Mais, plus de quarante ans après le vote de la loi Veil, l’accès à l’interruption volontaire de grossesse se révèle encore très inégal pour les Françaises.
D’un côté, la loi ; de l’autre côté, la réalité du terrain. Alors que les députés se penchent, ce mercredi 24 janvier, sur la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), des professionnels de santé et des associations féministes, interrogés par l’Humanité, sonnent une nouvelle fois l’alerte : l’accès à l’IVG reste inégal en France.
Dans certains territoires, les fermetures de centres dédiés, dues à des restructurations hospitalières, et la restriction du nombre de maternités ont imposé aux femmes des trajets beaucoup plus longs. « Ce n’est pas normal que certaines se retrouvent à faire 100 ou 200 kilomètres de plus pour avorter parce qu’il n’y a pas de médecin ou d’établissement », dénonce Sarah Durocher, la coprésidente du Planning familial. La structure déplore la fermeture de 130 centres d’IVG en quinze ans. La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a, de son côté, recensé la disparition de 353 maternités entre 1996 et 2019.
Dans l’Ain, 48 % des femmes ont dû aller dans un autre département pour avorter
Dans une étude publiée en septembre 2023, la Drees pointe aussi des « disparités régionales » qui « demeurent » d’un département à l’autre. Dans l’Ain, par exemple, plus de 48 % des femmes ont dû se rendre dans un autre département pour mettre un terme à leur grossesse. Au total, en France métropolitaine, 17 % des femmes ont avorté l’an dernier en dehors de leur département de résidence.
À l’évidence, les plus précaires subissent plus que les autres l’éloignement de l’accès à l’IVG : « Rouler des heures en voiture, lorsqu’on en possède une, ou payer un billet de train, cela a un coût financier », poursuit Sarah Durocher. Et à Mayotte, plusieurs femmes se sont vu refuser l’accès à l’avortement, faute de personnel.
La loi Gaillot de 2022, allongeant de quinze jours le délai pour avorter, passé de douze à quatorze semaines de grossesse, n’est pas toujours appliquée. « Parfois, les femmes font trois ou quatre établissements différents avant de pouvoir avorter, surtout si elles sont entre quatorze et seize semaines d’aménorrhée », regrette Nathalie Trignol-Viguier. La coprésidente de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic), qui fédère des professionnels de santé pratiquant des avortements, ajoute que « là où elles vont appeler, il n’y aura pas de possibilités de rendez-vous avant deux ou trois semaines ». Au risque de se retrouver hors délai.
« La charge du maintien effectif de ce droit repose essentiellement sur une poignée de praticiens militants, dont beaucoup se trouveront bientôt à la retraite » les députées Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (Renaissance)
De plus, d’autres médecins ne pratiquent pas d’IVG au-delà de douze semaines de grossesse, brandissant leur « clause de conscience » spécifique à l’avortement – l’IVG reste le seul acte médical en France pour lequel il existe cette double clause de conscience. Les femmes dépassant le délai à cause d’un refus de prise en charge se voient contraintes de se rendre à l’étranger pour interrompre leur grossesse. Cela concerne au moins 2 000 femmes chaque année.
À cela s’ajoute le manque d’appétence de l’hôpital pour l’avortement, dans un contexte où ce dernier voit ses ressources financières varier en fonction de l’activité médicale réalisée. « La principale explication aux difficultés d’accès à l’IVG résulte essentiellement du désintérêt à l’égard d’un acte médical peu valorisé et considéré comme peu valorisant », expliquent les députées Marie-Noëlle Battistel (PS) et Cécile Muschotti (Renaissance) dans un rapport parlementaire de 2020. « La charge du maintien effectif de ce droit repose essentiellement sur une poignée de praticiens militants, dont beaucoup se trouveront bientôt à la retraite », précisent-elles. En France, le temps entre la première demande pour une IVG et sa réalisation est de 7,4 jours. Or, ce délai « peut varier de trois à onze jours en moyenne selon les régions », indique le document.
Le choix de la manière d’avorter n’est pas toujours garanti
Des solutions existent pour diminuer l’inégalité d’accès à l’IVG, mais elles sont peu connues. Depuis 2022, les femmes souhaitant recourir à une IVG médicamenteuse n’ont plus obligatoirement à se rendre chez le médecin. L’ordonnance peut être délivrée par téléconsultation, et les médicaments retirés en pharmacie, mais cette voie reste sous-exploitée (972 sur 234 300 avortements en 2022, selon la Drees).
Toutefois, l’IVG médicamenteuse demeure la plus utilisée : 78 % des cas en 2022, contre 31 % en 2000, d’après l’étude. Le fait de privilégier cette méthode, à défaut de l’instrumentale (ou chirurgicale) pratiquée dans les établissements de santé, s’explique en partie par le manque de moyens humains et matériels à l’hôpital.
Pour pallier ces problèmes structurels, la loi Gaillot autorise les sages-femmes à assurer les IVG instrumentales dans les hôpitaux. Mais le décret, publié en toute discrétion à quelques jours de Noël, remet complètement en cause l’élargissement de leurs compétences, donc cette avancée pour la santé des femmes. L’article impose en effet la présence de quatre médecins, dont un anesthésiste-réanimateur, un médecin embolisateur en cas d’hémorragie aux côtés d’une sage-femme. « Faute de moyens humains, c’est mission impossible de rassembler quatre praticiens au même moment, alerte Isabelle Derrendinger, la présidente du Conseil national de l’ordre des sages-femmes. Imposer cet encadrement strict revient à prendre le risque de mettre en difficulté des centres d’orthogénie et, par ricochet, à compliquer l’accès à l’IVG dans certains territoires. »
« On ne demande pas la présence sur site d’un anesthésiste ou d’un gynécologue pour un accouchement. Or, le risque hémorragique lors des accouchements est dix fois supérieur à celui d’une IVG », abonde Sophie Gaudu, gynécolo