PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES
PROCHAINE REUNION DE L'ASSEMBLEE CITOYENNE LE VENDREDI 26 JANVIER 2018 A FABREGUES A 19 HEURES

publié le 27 septembre 2021

Vraiment à droite, la France qui vient ?

Le bloc note de Jean-Emmanuel Ducoin sur www.humanite.fr

Murmure.Telle une passion triste, le déboussolé de gauche n’en finit pas de nous exténuer en tant que permanence. Qu’il est difficile, par les temps qui courent, de conjuguer optimisme avec le « cercle de la raison » retrouvé. Tout l’espace public semble broyé par le paysage médiatico-politique ambiant, et pourtant, quelque chose nous murmure à l’oreille : et si la France qui vient ne ressemblait en rien à ce qu’on nous promet du matin au soir ? Puisqu’il convient d’être de son temps et secrètement à côté, un pied dedans, un pied déjà ailleurs, dans un présent étale et par-delà, tentons pour une fois de déconstruire une idée toute faite qui imprègne jusqu’aux esprits les plus critiques. Ainsi donc, la société française dans son ensemble traverserait une « droitisation » généralisée, pour ne pas dire une « ultradroitisation », en épousant aveuglément ses thématiques essentielles. Ce serait tellement évident et visible que le bloc-noteur lui-même, par dépit de la constatation, a souvent accrédité l’hypothèse. Depuis, cette thèse est relayée comme s’il s’agissait d’une vérité acquise. Exemple, Rachida Dati, qui expliquait la semaine dernière : « La France est majoritairement à droite. Elle est majoritairement à droite dans ses valeurs, dans ses attentes et dans ses préoccupations. » Vous avez bien lu : les « valeurs », les « attentes » et les « préoccupations ». Fermez le ban.

Corpus. Un mythe (une idée plus une croyance) naît parfois de quiproquos. D’autant que le positionnement « politique » ne dépend pas seulement d’un scrutin et/ou des intentions de vote. Se focaliser sur les derniers résultats électoraux, frappés d’une abstention record, singulièrement chez les moins de 35 ans, signifierait que nous négligions mécaniquement plus de la moitié des Français qui, à l’évidence, se remobiliseront pour l’élection présidentielle. Par ailleurs, attention de ne pas confondre le débat médiatique – l’emprise de la petite « musique » dominante – et la réalité du corps social environnant, plus divers qu’il n’y paraît. Même en admettant que le positionnement à droite continue de grimper sur certains aspects, les « valeurs de gauche » progressent régulièrement, elles aussi, et de manière plus structurante et durable chez les jeunes générations. Promesses d’à-venir ? Les fractures béantes existent, mais le socle commun est là, sous nos yeux. Une récente étude d’EVS (European Values Study) confirme ce que nous ne voyons pas forcément.

Contrairement à l’idée de droitisation, ce sondage montre « une hausse des valeurs de tolérance et d’égalité » en France, tandis que notre société « devient plus permissive, moins conservatrice ». Quant à l’attachement à la justice sociale, il reste essentiel pour plus de 70 % de nos concitoyens, sans parler de l’aspiration à la « solidarité », aux « partages des richesses », à « l’intervention de l’État », à « la réduction des inégalités », etc. Ce corpus pèse.

Vraiment à droite, la France qui vient ?

Oligopole Que signifie, dès lors : « La droite est majoritaire » ? Et de quelles droites parle-t-on ? Certes, le climat idéologique se vautre dans l’oligopole. Selon la définition, une condition d’oligopole se rencontre lorsque nous trouvons, « sur un marché, un nombre faible d’offreurs disposant d’un certain pouvoir de marché et un nombre important de demandeurs », traduit autrement par « situation de marché oligopolistique ». Bref, « les » droites et tous leurs relais s’échinent à construire l’agenda de la précampagne (à l’image d’Éric Zemmour), bien aidés par la puissance dogmato-médiacratique. Demeure une vérité : les crises successives se sont accumulées et elles s’additionnent aux valeurs de progrès qui, de leur côté, ne cessent de croître. Inéluctable évolution ? Ou optimisme déplacé ?

publié le 16 septembre 2021

Aurélie Trouvé : « Unir les luttes sans perdre la radicalité de chacune est une nécessité »

Paru sur Humanite.fr

La porte-parole d’Attac publie « le Bloc arc-en-ciel ». Elle y livre son analyse de la situation politique et sociale du pays et les conditions indispensables, selon elle, pour aboutir à un rassemblement des forces de gauche à huit mois de la présidentielle. Voici son analyse. 


 

Très présente depuis plusieurs années au sein des mobilisations sociales et citoyennes, l’ingénieure agronome et économiste, militante altermondialiste et féministe, a récemment participé à plusieurs universités d’été (EELV, mouvements sociaux, NPA et FI). Dans « le Bloc arc-en-ciel » (la Découverte), son ouvrage qui sort en cette rentrée, elle aborde les questions difficiles pour le mouvement social et les forces politiques de la gauche et de l’écologie, qu’elles soient stratégiques ou programmatiques. Au-delà des débats contradictoires bien nécessaires, elle appelle à la constitution d’un bloc social rouge-vert-jaune-multicolore à la manière de la Rainbow Coalition (bloc arc-en-ciel) à la fin des années 1960, mais dans les conditions actuelles.

L'urgence d'un réenchantement de la politique

« Plus de 66 % d’abstention aux élections régionales et départementales de juin 2021. Un record absolu. Les jeunes en particulier ont boudé les urnes. Si la gauche écologique veut gagner à l’avenir avec une base forte, elle doit urgemment s’interroger sur un réenchantement de la politique. Comment faire pour que ceux qui pensent à gauche votent à gauche ? Pour que ceux qui veulent agir pour une transformation écologique, sociale et démocratique s’engagent dans la politique ?

Face à l’impératif sanitaire de la pandémie, le gouvernement français applique la “stratégie du choc”. Il profite de la désorientation produite par la crise pour accélérer la mise en œuvre de sa politique antisociale et anti-écologique. C’est le programme d’une droite “bourgeoise”, qui, pour passer, doit étouffer toute voix qui s’oppose à elle. D’où une alliance de plus en plus manifeste avec la droite identitaire pour restreindre les libertés publiques à coups de lois liberticides, pour réprimer toujours plus les mouvements sociaux et diviser les populations en attisant les racismes.

Idées majoritaires

Mais qui peut croire que les citoyens accepteront de tracer un trait sur ce qu’il s’est passé ? Sur le manque de lits en réanimation, de masques, de tests, de vaccins, de soignants ? Sur les fractures sociales qui ont exacerbé la crise ? Au sortir d’une pandémie qui vient clore une décennie de chaos économique et social et de périls démocratiques et environnementaux, les bouleversements politiques à provoquer sont radicaux. Notre tâche collective est de trouver les moyens d’une réponse à la hauteur de la situation. Pour défaire la droite des riches, la droite identitaire et leurs hybrides, elle devra s’attaquer aux racines du système, avec une alliance de forces suffisamment large pour espérer prendre le pouvoir et l’exercer de façon démocratique.

Mais on sent bien que la difficulté est immense. On peine encore à voir une force politique à même d’insuffler une vague d’espoir, de prendre le pouvoir et de changer la société aux prochaines élections. Pourtant, les valeurs de gauche et de l’écologie, et les propositions radicales qu’elles supposent, apparaissent majoritaires dans la population (1). Et les mouvements sociaux et réseaux de résistance et de solidarité ont retrouvé une certaine vitalité.

Tactiques complémentaires

Si je fais partie des “enfants” des luttes antilibérales et du mouvement altermondialiste né à la fin des années 1990, j’observe que le lien se fait avec ces mouvements écologistes, féministes, antiracistes qui ont pris de l’ampleur ces dernières années. Ils poursuivent la vague de mobilisations qui a surgi sur les places publiques dans la décennie précédente. On y campe, on y débat et on se confronte de manière déterminée au pouvoir. On y fait de la politique. On y couple une diversité de formes d’organisation et de tactiques.

Plaidoyers, recours juridiques, manifestations, grèves, actions symboliques, occupations, réappropriation d’espaces, sabotages… C’est cette complémentarité qui a fait la réussite, par exemple, de la bataille contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou du mouvement des retraites de 2019-2020. On y assume la complémentarité des tactiques (2). Stratégie de rupture, de confrontation brutale avec l’ordre dominant, telle que le dessinait le mouvement des gilets jaunes. Stratégie “interstitielle”, de fissures à l’intérieur du système, comme le sont nombre d’alternatives locales et concrètes, de contre-modèles coopératifs, culturels, intellectuels. Stratégie “symbiotique”, passant par la participation critique aux institutions.

Causes amies

Et si ces luttes sociales et écologiques, sur le terrain, pouvaient irriguer le champ politique et la gauche écologique de leur énergie, de leur capacité de rassemblement, des alliances inédites qui s’y construisent ces dernières années ? Et si elles pouvaient activer les ressorts d’une nouvelle articulation sociale et politique pour faire bloc, à la manière dont la Rainbow Coalition, à la fin des années 1960, fit trembler l’ordre raciste et capitaliste aux États-Unis ? Les Black Panthers, mouvement de libération des Noirs, et d’autres organisations de migrants pauvres, latinos et blancs, ont alors su dépasser leurs différences et lutter ensemble face à la ségrégation raciale et sociale.

L’enjeu pourrait être de donner forme à un bloc social rouge-vert-jaune-multicolore, arc-en-ciel. Le “rouge” issu des traditions communistes et syndicales, le “vert” des mouvements écologistes, le “jaune” des insurrections populaires, le “multicolore” des luttes pour l’égalité réelle, antipatriarcales et antiracistes. Ces couleurs ne s’additionnent pas, elles s’alimentent les unes les autres. La stratégie du bloc arc-en-ciel est celle d’un soutien indéfectible entre causes amies face au camp du capital et de l’autoritarisme. Elle se nourrit des mobilisations de ces dernières années, qui ont rassemblé des millions de citoyens, dans un rejet du système de plus en plus assumé. Elles apportent les ingrédients idéologiques et le savoir-faire nécessaires pour forger un nouveau projet politique.

À l’image du collectif Plus jamais ça

Mais, face à un système capitaliste dans lequel les dominés, les opprimés, vivent des réalités très différentes, comment constituer un front commun ? Comment établir cette conviction profonde que nos intérêts sont partagés, face à un système capitaliste et ses multiples rapports de domination, patriarcale et raciste, exploitant toujours plus le travail et le vivant et s’imposant par la force ? Pour construire un bloc majoritaire, aucune lutte ne doit imposer son hégémonie. Et il s’agit de respecter les différentes identités et oppressions (qui ne sont pas forcément celles de la classe sociale) à partir desquelles chacun a choisi de lutter contre un même système.

Reste à articuler ces luttes, ces revendications pour construire des mobilisations et un projet commun. Et c’est là que des expériences récentes dans les mouvements sociaux et écologiques ouvrent la voie. À l’image du collectif Plus jamais ça, qui regroupe des dizaines d’organisations syndicales et associatives. Un arc de forces inédit qui couple préoccupations de fins de mois et fin du monde et propose un plan de rupture écologique et social, sorti le 26 août dernier.

Lire aussi : Alternatives. Le collectif Plus jamais ça présente son « plan de rupture »

Ce que montre Plus jamais ça, c’est que ces larges alliances n’enlèvent rien de la radicalité de chacune des luttes rassemblées. La conjonction des luttes, ce n’est pas édulcorer les revendications portées par chacune, mais faire en sorte qu’elles fassent “système” contre celui qui nous est imposé aujourd’hui. Et c’est en même temps élargir la base militante et politique en rassemblant des luttes et en se faisant l’écho d’aspirations différentes. C’est cette conjonction des luttes qui peut donner un contenu et une base large à la gauche écologique.

Toutes les dominations, toutes les colères

Emmanuel Macron essaie de gommer l’idée d’un clivage gauche-droite. Son idéologie de la fin des idéologies vise à effacer l’opposition des intérêts entre riches et pauvres, entre patrons et salariés, entre multinationales et citoyens, à nier la domination systémique des hommes sur les femmes, des Blancs sur les non-Blancs. Il s’agit de remettre en lumière ces rapports de domination. Et nous pouvons justement nous appuyer sur les mobilisations extrêmement diverses de ces dernières années. Qu’elles soient contre la réforme des retraites ou les violences policières, qu’elles soient “gilets jaunes”, féministes ou pour le climat, elles portent toutes un rejet du système de plus en plus assumé.

Il ne s’agit pas de changer telle mesure, de modifier tel pan de la société. Il s’agit de transformer tout le système, toutes les formes de domination subsumées sous le capitalisme. Et de se nourrir de la colère des habitants des quartiers populaires et des populations qui subissent le racisme, l’injustice et la répression. Celle des gilets jaunes ou des féministes, “fortes, fières, radicales et en colère”. Une colère et une radicalité qui peuvent inspirer la reconstruction, sur le plan électoral, d’un mouvement de gauche et écologique capable de prendre le pouvoir. Car l’unité pour l’unité n’a pas de sens. Pour emporter la conviction, le rassemblement doit réunir sur des valeurs et aspirations communes, un programme et une stratégie, faisant naître un nouvel horizon politique.

Vers une justice globale

Comment irriguer la sphère politique et électorale de la richesse de ces mouvements ? D’abord en repensant les liens entre eux. Marine Le Pen est aux portes du pouvoir, qu’elle accède à la présidence de la République ou qu’elle y soit indirectement, en inspirant la droite réactionnaire des riches. Face à la catastrophe qui s’annonce, les mouvements sociaux ne peuvent rester indifférents. Pas plus que les partis politiques qui souhaitent mener la gauche et l’écologie au pouvoir ne peuvent se payer le luxe d’ignorer ces mouvements sociaux et ce qu’ils portent. Il ne saurait y avoir d’extériorité entre deux modes d’intervention qui partagent des objectifs similaires.

Autrement dit, l’autonomie nécessaire des mouvements sociaux n’implique pas une séparation. Politiser les mouvements, mouvementiser la politique. C’est une question de respect entre deux logiques de combat pour la justice globale, mais c’est aussi une question de passerelle et d’articulation. Alors comment faire pour que les luttes écologiques et sociales se traduisent dans le champ politique, dans les élections et les institutions, afin de les démocratiser radicalement ? Dans cette période extrêmement difficile qui s’annonce pour la gauche, le moment est venu d’être créatif. On ne revitalisera pas la politique sans réancrer le politique dans les luttes sociales. » 

PROFIL. Ingénieure du génie rural, des eaux et des forêts et docteur en sciences économiques, Aurélie Trouvé est maîtresse de conférences en économie à AgroParisTech. Coprésidente d’Attac France de 2006 à 2012, elle est maintenant porteparole du mouvement altermondialiste. Elle est l’autrice de nombreuses notes et publications universitaires et a déjà publié « Le business est dans le pré » (Fayard, 2015).

(1) Voir, par exemple, le sondage Ifop pour le journal « l’Humanité », mai 2021.

(2) « Utopies réelles », d’Erik Olin Wright. La Découverte, Paris, 2017.

publié le 15 juillet 2021

COVID-19. Macron décide, l’intendance et les Français ont du mal à suivre

Par Oivier Chartrain, Stéphane Guérard et Julia Hamlaoui sur www.humanite.fr

La stratégie annoncée par le chef de l’État est claire : sans obligation, hormis pour les soignants, il s’agit de contraindre la plus grande part de la population à se faire vacciner. Au risque de générer inégalités, injustices et insécurité juridique.

Après l’intervention du président de la République et l’afflux de prises de rendez-vous vaccinaux qui a suivi, on pourrait ironiser, comme le font certains, sur ces Français qu’il suffit de menacer de priver de restaurant pour qu’ils rentrent dans le rang. C’est facile. Sauf que la méthode choisie risque de doubler l’inégalité dans l’accès au vaccin d’une inégalité dans le droit à une vie normale. Ensuite parce que la précipitation avec laquelle se met en place le passe sanitaire va mettre nombre de secteurs en tension. De quoi fragiliser l’édifice juridique qui doit donner un cadre légal à cette nouvelle phase de la lutte contre la pandémie.

1) Passe sanitaire : incohérences et culpabilisation

Le 12 juillet, 41,7 % de la population française était vaccinée. Loin des 90 % à atteindre pour parvenir, selon le Conseil scientifique, à l’immunité collective face au virus. Mais, trente-six heures après les annonces présidentielles, le site Doctolib enregistrait 2,24 millions de rendez-vous. À ce rythme, notait son fondateur, la cadence pourrait « monter vite à quatre, cinq millions d’injections par semaine ». Les « neuf millions de doses » mises en avant par Emmanuel Macron assureraient donc environ deux semaines de vaccination. À condition que celle-ci soit réellement à la portée de tous, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent.

Les populations à risques et/ou ignorées du système de santé conservent un taux de couverture vaccinale en deçà des besoins, et rien de concret n’est prévu pour y remédier. En outre, le choix de vaccinodromes hypercentralisés, laissant de côté la médecine de proximité, risque de se payer au prix fort en période d’égayement estival. À ces inégalités s’ajoutent de multiples incohérences. Comme d’en exempter les policiers et gendarmes… qui devront en contrôler l’application ! La situation des 12-17 ans est tout aussi incohérente. Exemptés du passe sanitaire jusqu’au 30 août, ils y seront soumis dès la rentrée scolaire… sauf pour se rendre au collège ou au lycée. Ils pourront donc retourner s’entasser joyeusement dans des salles de classe sans détecteurs de CO2 ni purificateurs d’air. En fait, les Français sont sommés de se débrouiller pour rentrer dans les clous de ces nouvelles contraintes, culpabilisation à la clé. Le gouvernement, lui, laisse entendre qu’il en a fait assez. Et annonce que les tests PCR – seule voie d’accès au passe en l’absence de vaccination – deviendront payants cet automne.

2) Le Code du travail, victime collatérale ?

Faudra-t-il trafiquer le Code du travail pour appliquer les nouvelles mesures sanitaires aux travailleurs en contact avec du public ? Consciente de l’insécurité juridique créée par certaines des mesures annoncées le 12 juillet, la Confédération des petites et moyennes entreprises a sonné l’alarme : «  Il est impératif que les pouvoirs publics indiquent clairement la marche à suivre face à ceux, et en particulier les salariés, qui refuseraient de se soumettre à ces nouvelles règles. »

Pour l’heure, seule est claire la situation des personnels soignants et non soignants des hôpitaux, cliniques et Ehpad, de l’aide et du soin à domicile, des ambulanciers et des pompiers : tous devront se faire vacciner d’ici au 15 septembre. Le gouvernement peut élargir au Covid-19 l’article 1311-4 du Code de la santé, qui impose l’immunisation contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe. Parmi le 1,5 million de professionnels non vaccinés, les réfractaires seront, indique le projet de loi en préparation, interdits d’exercer dès mi-septembre, avec suspension de leur contrat de travail pour quelques semaines, avant « une mise à pied », voire « un licenciement », dixit la ministre du Travail, Élisabeth Borne.

La situation est plus floue dans les lieux où le passe sanitaire ou un test PCR négatif de deux jours sera exigé des salariés. Soit dès mercredi 21 juillet, pour les « lieux de loisirs et de culture », et, à partir du 1er août, pour les cafés, restaurants, centres commerciaux, mais aussi les transports longue distance. Les fédérations d’employeurs de ces secteurs ont déjà obtenu un report au 30 août. Ce qui implique que leurs employés aient reçu leur première dose d’ici à fin juillet.

Mais, en l’état du droit, les employeurs ne peuvent ni exiger de leurs employés de se faire vacciner, ni contrôler qu’ils l’ont fait, secret médical oblige. La dernière version du protocole sanitaire en entreprise les incite juste à « favoriser la vaccination des salariés en autorisant leur absence, y compris sur leur temps de travail ».

Même mystère pour le contrôle des usagers ou clients. Faute de le faire, les entreprises de tous les secteurs touchés par les restrictions sanitaires encourraient un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Mais, dans le détail, rien n’est réglé. « Concernant les contrôles en gare et dans les trains, qui sera en charge de les réaliser ? Quelle organisation et renforts pour la gestion des flux en gare ? » demande la CGT cheminots, qui a déposé une « alerte sociale ». Même inquiétude au Festival d’Avignon : « Cela va être d’une difficulté extrême en termes de personnel et de matériel pour valider le passe », souffle Olivier Py, directeur artistique du Festival.

3) Des mesures à la constitutionnalité incertaine

L’ensemble de ces dispositions et le projet de loi, dont l’examen au Parlement doit débuter dès la semaine prochaine, seront-ils retoqués ? Les spécialistes sont partagés. La protection de la santé publique étant inscrite dans la Constitution, « un gouvernement peut imposer la vaccination obligatoire et le passe sanitaire », juge le constitutionnaliste Dominique Rousseau. À l’inverse, le professeur de droit public Serge Slama estime que « les mesures censées entrer en vigueur le 21 juillet sont contraires à la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, promulguée le 31 mai 2021 » et que « celles annoncées pour début août risquent d’être largement déclarées inconstitutionnelles ». Il pointe le risque d’une « rupture d’égalité » entre les personnes déjà vaccinées et les « 30 millions de Français qui vont être écartés de facto » d’activités du quotidien. À gauche aussi, les points de vue varient. « Emmanuel Macron dessine une société du contrôle et de la discrimination généralisés », dénonce le député FI Éric Coquerel, tandis que la présidente du groupe PS, Valérie Rabault, « souscri(t) à l’extension du passe sanitaire ». Si ce dernier « peut se révéler nécessaire pour endiguer la nouvelle vague épidémique, une telle mesure ne peut être que transitoire, sous peine d’accroître les fractures dont souffre déjà notre société », met en garde, de son côté, le PCF. Le 6 juillet, le Conseil d’État avait donné quitus à ce dispositif, mais insistait sur le fait que « son usage a été restreint aux déplacements avec l’étranger, la Corse et l’outre-mer, d’une part, et à l’accès à des lieux de loisirs, d’autre part, sans que soient concernés les activités quotidiennes ou l’exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation ». De même, le Conseil constitutionnel, le 31 mai, n’a pas donné suite au recours sur le risque de violation du « principe d’égalité ». Mais les dispositions alors contestées ne portaient pas directement sur le « caractère payant ou non des actes donnant lieu à la délivrance des documents » nécessaires au passe sanitaire. Dans un cas comme dans l’autre, la donne a changé.

publié le 11 juillet 2021

À gauche, chacun s’affirme
et s’éloigne de l’union

Par Fabien Escalona et Pauline Graulle sur /ww.mediapart.fr

La parenthèse des régionales à peine refermée, plusieurs candidats se sont positionnés sur la ligne de départ présidentielle. La dispersion comme étrange enseignement de la séquence électorale, qui révèle un défaut de confiance mutuelle et de convergence sur le fond.

Elles étaient censées être l’aiguillon pour préparer 2022. Les élections régionales et départementales n’auront même pas eu droit à un début d’analyse à froid que la bataille présidentielle à gauche déjà fait rage. Dès le lendemain du 27 juin, second tour du scrutin, sur les cendres encore fumantes d'une séquence électorale pourtant peu réjouissante pour elle (lire notre dossier), c’est un embouteillage de candidatures qui s'est formé, face à un chemin sinueux.

La semaine dernière, chaque jour ou presque a vu un nouveau « présidentiable » sortir du bois. Lors d’une conférence de presse jeudi, Jean-Luc Mélenchon était à deux doigts de s’en amuser : « Nous en sommes à treize candidats déclarés », soit « à trois candidats du nombre constaté en 2002 », a-t-il rappelé, avant de faire les comptes à gauche, où une demi-douzaine d'impétrants se bousculent déjà au portillon : lui, des écologistes, le communiste Fabien Roussel, mais aussi deux voire trois d’extrême gauche (NPA, Lutte ouvrière), au moins une côté socialiste, et celle du Parti animaliste.

Du côté des écologistes, qui doivent passer par les fourches caudines de leur primaire organisée en septembre prochain, trois candidatures ont été officialisées cette semaine, sans attendre la date limite du dépôt des candidatures, fixée au 12 juillet. Mardi, c’est le maire de Grenoble Éric Piolle qui s’est déclaré, suivi mercredi par l’eurodéputé, lui aussi membre d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Yannick Jadot, puis par le coprésident de Cap écologie Jean-Marc Governatori ce samedi. Elles viennent s'ajouter à celle de Sandrine Rousseau, déjà déclarée de longue date.

Côté PS, la réélection des sortants aux régionales, et le triomphe de Carole Delga en Occitanie en particulier – laquelle laisse dorénavant planer le doute sur ses ambitions –, semble là encore avoir accéléré le calendrier. Alors qu’Anne Hidalgo avait indiqué vouloir attendre l’automne pour se décider, plusieurs maires socialistes ont publié mercredi une tribune appelant « avec enthousiasme, conviction et promesse de soutien déterminé » la maire socialiste de Paris « à être candidate à l’élection présidentielle ».

Quant à Jean-Luc Mélenchon, candidat déclaré, lui, depuis huit mois, il a prétexté l’ouverture officielle des comptes de campagne pour lancer, le 1er juillet, sa nouvelle « marque » présidentielle. Au menu : une nouvelle affiche déclinée sur les réseaux sociaux, sur laquelle l’Insoumis s’installe comme la force tranquille devant une mer d’huile, et un nouveau slogan aux inspirations chiliennes, « l’Union populaire » qui pourrait préfigurer la création d’un nouveau mouvement homonyme.

La course de petits chevaux de la présidentielle est donc bel et bien lancée à gauche. Certes, il n’est pas exclu que des rapprochements et des fusions se produisent dans la dernière ligne droite, d'ici avril 2022. Mais l’éparpillement actuel des offres en dit long sur l’état de fragmentation de ce camp qui se cherche depuis la fin du quinquennat Hollande.

Qu’il semble loin le printemps unitaire, lorsque la réunion du 17 avril avait rassemblé les principales têtes de pont de la gauche et de l’écologie. Même dans l’entourage de Yannick Jadot, grand organisateur du raout, on reconnaît désormais que l’initiative n’était peut-être pas la meilleure manière de s’y prendre…

Préserver des situations acquises dans un océan d’abstention est une chose, conquérir le trophée présidentiel cinq ans après la désastreuse expérience Hollande en est une autre.

Fini aussi – momentanément, du moins – le temps où Olivier Faure annonçait que le parti à la rose pourrait se ranger derrière un écologiste. Les socialistes, qui se rêvent plus que jamais la « force motrice » de la social-écologie, estiment dorénavant que seule une candidate issue de leurs rangs serait crédible pour arracher une victoire au niveau national. Signe d’une prise de confiance négligeant allègrement le niveau atteint par l’abstention et des résultats nationaux en baisse comparés à 2015, le parti a même produit une vidéo pour remercier les électeurs d’avoir « réveillé l’espoir ».

« On nous disait morts, on ne l’est pas », avance le maire de Bourg-en-Bresse Jean-François Debat, qui assure qu’il y a « une forme d’évidence » à la candidature d’une socialiste en 2022 : « D’abord, on a vu que la composante PS de la gauche est arrivée devant l’écologie, invalidant l’idée que le PS est sur une pente résiduelle. Ensuite, les régionales ont montré que le PS a remonté par rapport aux européennes [où le PS avait fait 6 % – ndlr]. » Conclusion : « Aujourd’hui, le PS, et Anne Hidalgo en particulier, est dans la meilleure situation pour porter un projet dans lequel la transition écologique est un outil de justice sociale. »

De la part des socialistes, c’est cependant oublier leur recul de sept points par rapport à 2015, mais aussi leur rétrogradation derrière les écologistes partout où ils étaient dans l’opposition et en compétition avec ces derniers. Dans les deux seules régions d’outre-mer qui ont basculé de droite à gauche, ce sont par ailleurs des figures non socialistes, issues de la gauche radicale, qui ont pris la tête des exécutifs. Préserver des situations acquises dans un océan d’abstention est une chose, conquérir le trophée présidentiel cinq ans après la désastreuse expérience Hollande en est une autre.

Ce que n’a pas manqué de rappeler EELV, qui a, là aussi, tiré des conclusions des scrutins de juin à l’aune de ses propres ambitions : malgré l’absence de victoire, le parti au tournesol se targue d’avoir doublé le nombre de ses élus dans les régions, et même de l’avoir triplé dans les départements depuis 2015. Alors, qui mieux qu’un Vert pourrait prendre la tête de l’attelage ? 

Le directeur de campagne de Yannick Jadot, Mounir Satouri, repasse le film de l’élection en Île-de-France : « On est passés de 8 % en 2015 à 13 % en 2021, et La France insoumise de 6 à 10 %. Le PS, en revanche, a chuté de 25 % à 11 % ! Certes, les Verts ne sont pas encore assez forts pour prendre des régions, mais une chose est sûre : le PS n’est pas la “force motrice” ! La seule chose qui peut créer de la nouveauté dans le débat présidentiel, c’est une candidature écolo ! » Reste que le saut de la crédibilité nationale reste à opérer, alors même que les conquêtes d’EELV, jusqu’à présent, ont surtout eu lieu dans des territoires à la sociologie ultra-favorable.

Candidat pour la troisième fois consécutive, Jean-Luc Mélenchon fait davantage le pari de la stabilité et de la cohérence que celui de la nouveauté. Celui qui se voit comme le « rocher dans le paysage » se dit certain d’incarner, « pour l’instant », la « figure emblématique » du « pôle de résistance » à la lente dérive « d’une gauche qui [est allée] manifester avec les policiers factieux » le 19 mai dernier. Son mouvement, qui figurait déjà derrière les écologistes aux européennes, manque cependant d’un ancrage local solide, comme en témoignent ses scores souvent marginaux aux régionales et aux départementales.

Seuls compteraient, cependant, les « 235 000 parrainages » citoyens à sa candidature enregistrés sur le site. Le pari repose en fait entièrement sur la dynamique de campagne que serait capable de lancer le député de Marseille, qui a pour lui la notoriété et l’expérience, mais qui ne dispose pas de la même fenêtre d’opportunité qu’il y a cinq ans (lorsque le PS venait tout juste de s’effondrer) et dont l’image publique a été entre-temps abîmée par une série de controverses.

De façon générale, chacun est d’autant plus tenté d’avancer ses propres pions qu’à première vue, les résultats des régionales ont jeté un doute sur l’efficacité de l’union de la gauche et des écologistes. Interrogé par Le Figaro entre les deux tours, l’eurodéputé David Cormand a ainsi estimé qu’« il n’y a pas de prime à l’unité ». Les deux seules listes uniques de rassemblement, dans les Hauts-de-France et en Paca, ont de fait engrangé des scores particulièrement modestes. Et dans l’Hexagone, aucune fusion n’a été en mesure de renverser la tendance face aux sortants de droite.

De quoi justifier des stratégies de distinction en vue de la présidentielle ? Les leçons du scrutin sont en fait plus complexes. Comme l’a remarqué le politiste Simon Persico (notamment sur le plateau d’« À l’air libre »), les Hauts-de-France et Paca étaient les deux régions où la défaite était quasi assurée : le niveau total de la gauche, particulièrement bas au scrutin des européennes, le laissait facilement deviner. Ailleurs, aucun miracle ne pouvait être raisonnablement attendu des rassemblements célébrés entre les deux tours : quelques jours de campagne commune s’avéraient trop courts pour effacer les séquelles des semaines précédentes, et la mobilisation était trop difficile à relancer au regard d’un écart de points massif entre le candidat de droite et le premier candidat de gauche.

Surtout, le mode de scrutin des régionales a tout de même offert la possibilité de se maintenir, y compris en cas de troisième position. Le défi de l’élection présidentielle de 2022, qui ne laisse leur chance qu’à deux candidats au second tour, ressemble davantage, à cet égard, à celui que devaient relever les binômes candidats aux élections départementales. Le seuil de maintien était tellement élevé dans les cantons qu’il fallait arriver en première ou deuxième place pour ne pas être éliminé. Or, l’union s’est pour le coup révélée un bon viatique pour placer des élus ou éviter un effacement dès le premier tour (un scénario qui s’était davantage produit il y a six ans).

Équilibre des impuissances et défiance mutuelle

Évacuer la dernière séquence électorale ou bien en tordre l’interprétation : deux façons différentes de justifier des départs en solo à une élection présidentielle incertaine, sur laquelle beaucoup ont déjà fait une croix (pour tout miser sur les législatives) sans l’avouer publiquement.

S’il y a des raisons de douter de la pertinence et de la faisabilité de l’union des gauches, ce n’est en réalité pas dans les résultats des élections du mois de juin qu’il faut les trouver. D’autant qu’à ce stade, le problème n’a pas changé : aucune force ne semble en mesure de se détacher suffisamment des autres pour accéder au second tour de la présidentielle. Ce n’est pas seulement une lecture dans le marc de café sondagier qui permet de l’affirmer.

D’autres indices sont offerts par des résultats réels : ceux de la présidentielle de 2017, bien sûr, qui reste comme le scénario à conjurer ; mais aussi ceux des européennes de 2019, seul scrutin intermédiaire à portée nationale du quinquennat, qui a vu se reproduire une structure de compétition largement dominée par la majorité présidentielle et le Rassemblement national.

Les vrais problèmes résident dans la volonté réelle, les obstacles de fond et les ressources à disposition pour réaliser un rassemblement des gauches dès le premier tour. 

La première chose qui manque est le temps. Faute d’anticipation et d’un travail précoce, une éventuelle union risque de se faire de manière précipitée : de quoi maximiser les risques de malentendus et réduire les occasions de la défendre auprès de l’opinion.

Certains interlocuteurs ont beau assurer que le rassemblement se fera bon an mal an en janvier ou février, ce sera beaucoup trop tard pour qu’il soit effectué sur des bases saines et efficaces. Le retard pris est lié à une autre difficulté : la faiblesse de tous les appareils concernés. Ceux-ci ont des moyens matériels et humains limités, et ne disposent pas de directions fortes, dotées d’un mandat clair et d’une méthode précise pour atteindre l’objectif d’un rassemblement ambitieux.

Aucune force politique n’a par ailleurs de raison de s’effacer derrière une autre. C’est le résultat d’un équilibre des impuissances : les atouts et handicaps sont assez équitablement répartis pour que personne ne puisse « naturellement » emporter le leadership.

Aux législatives, cela peut encore se régler par un accord répartissant de manière égalitaire les circonscriptions. La présidentielle, en revanche, exige une figure unique. Or, en cas de victoire, celle-ci obtiendra des pouvoirs significatifs, qui créeront une situation forcément asymétrique. Et en cas de défaite, le risque encouru de diluer son identité dans une construction fragile sera vécu d’autant plus amèrement.

Il est très difficile de nouer des alliances solides si les tenants d’une culture politique donnée pensent qu’elle est danger.

Car même si les différences idéologiques ne sont pas plus insurmontables que lors du Front populaire ou des années 1970, elles existent bien, et sont adossées à des cultures politiques distinctes. L’an dernier, l’historien Sébastien Repaire expliquait dans un entretien à Mediapart qu’« il est très difficile de nouer des alliances solides si les tenants d’une culture politique donnée pensent qu’elle est danger. C’est cette crainte que doit dépasser une entente électorale, dans laquelle chacun pèse forcément le pour et le contre avant d’y consentir. Il faut que chacun des protagonistes soit convaincu qu’un programme commun est possible sans risque d’effacement de sa propre culture ».  

À cet égard, les amabilités échangées de part et d’autre ces dernières semaines renseignent sur le niveau élevé de défiance qui règne. Là encore, rien de nouveau. Pour de nombreux socialistes et certains écologistes, la personnalité et les polémiques régulières qui entourent Jean-Luc Mélenchon sont rédhibitoires, quand les Insoumis leur reprochent de masquer, sous ce prétexte, le refus d’une radicalité programmatique dont ils seraient les garants.

Dans sa dernière note de blog, Mélenchon leur reproche de concourir à un « bashing » à son endroit, fomenté par les milieux les plus réactionnaires. Surtout, il considère qu’ils n’adhèrent pas à la « rupture avec les règles du jeu de ce monde qui épuise les êtres humains et la nature ». Concluant : « Puisque l’union de la gauche n’existera pas parce que les programmes sont faiblement compatibles et que nous le savons tous depuis des mois, tournons la page dans la dignité d’un divorce par consentement mutuel ! »

Le quinquennat Hollande ayant érodé comme jamais le sentiment de proximité des citoyens avec un quelconque parti de « gauche », le leader insoumis reste persuadé qu’une stratégie de mobilisation différente doit être adoptée. L’objectif, en cas de défaite, étant d’avoir préservé une force de transformation sociale identifiée et vierge de toute compromission avec les partisans d’un statu quo aménagé. 

L’absence de confiance et le constat de différences difficilement surmontables sont également au cœur de la réflexion de David Cormand. « Ce n’est pas un problème d’ego ou de chapelles, c’est juste que ce sont tous des projets politiques tellement différents », a-t-il affirmé cette semaine au Monde.

L’ancien patron d’EELV s’est expliqué davantage, et sans fard, dans un texte au vitriol contre le PS sur son site personnel : « Chacun sait que l’union est un combat. Mais, décidément l’union de la gauche n’est pas le nôtre. Courir après cette perspective, c’est prendre le risque de devoir passer sous les fourches caudines de celles et ceux qui ne s’en réclament que pour restaurer l’ordre ancien où l’écologie ne serait tolérée que secondaire, décorative. […] Je plaide pour un bloc de la transition, réunissant celles et ceux qui considèrent que l’urgence écologique est cardinale. » 

La primaire du pôle écologiste, en septembre, sera l’occasion d’observer comment les candidats négocient cette quadrature du cercle, entre affirmation identitaire et prétention à gagner l’élection centrale de la vie politique. Mais même ici, et alors que cet espace politique avait été pensé pour éviter la dispersion des candidatures et une concurrence externe, l’union finale derrière un candidat unique n’est pas certaine.

Le climat s’est beaucoup tendu à propos du positionnement politique de la coalition : l’écologie doit-elle être associée à la gauche ou doit-elle être autonome ? Le débat n’est pas encore tranché.

Dans LObs de cette semaine, Jadot a prévenu : estimant avoir « tendu la main » à Mélenchon, il ne « lui tendr[a] pas la joue ». Tout en défendant la nécessité d’un rassemblement des « progressistes », il affirme que celui-ci devra se faire autour de lui : « Une candidature écologiste est inéluctable. » Piolle, de son côté, prétend pouvoir tenir les deux bouts d’un vaste « arc humaniste » allant de La France insoumise à Matthieu Orphelin, un écologiste séduit un temps par les sirènes macronistes – avant d'en revenir –, en passant par les socialistes municipaux enthousiasmés par Anne Hidalgo. Et quand Sandrine Rousseau campe sur un écoféminisme la rapprochant le plus d’une gauche radicale, Jean-Marc Governatori a un parcours résolument centriste.

Pendant ce temps, le collectif « 2022 ou jamais » a réuni jeudi dernier des figures de la société civile désireuses d’un vaste rassemblement à gauche, qui estiment que seule une primaire permettra de stopper la multiplication des candidatures et d’éviter cinq années supplémentaires de droite au gouvernement. Mais sans moyen de contrainte sur les états-majors partisans, ils ne pourront compter que sur la bonne volonté de ces derniers

publié le 8 juillet 2021

 

Vaccination : convaincre et donner les moyens

plutôt que de contraindre

note de la CGT du 8 juillet 2021

Le variant Delta qui se diffuse aujourd’hui en France fait craindre une 4 ème vague. Face à cette situation, le gouvernement de nouveau mal préparé et incapable de revenir sur sa doctrine néolibérale, fait diversion en lançant un débat sur l’obligation de vacciner les soignants, stigmatisant toute une profession pourtant déjà bien abîmée par la crise. Ce débat suscite des interrogations et des inquiétudes chez les soignants, mais interpelle plus largement l’ensemble de la population.

La CGT l’a souvent écrit et énoncé ici, la vaccination est un progrès sanitaire et social et est essentielle pour sortir de cette pandémie. Cependant, la situation actuelle relève bien plus d’une crise de confiance envers les institutions et d’un problème de moyens que de la responsabilité des soignants. L’obligation de vaccination dans les conditions actuelles risque d’être contre-productive et pose des questions importantes.

Une stigmatisation insupportable des soignants

Alors que les soignants ont subi de plein fouet la crise, qu’ils ont été abandonnés à leur propre sort pendant ses premiers temps, allant jusqu’à fabriquer eux même les équipements de protection que la puissance publique était incapable de leur fournir, alors qu’ils n’ont pas compté leurs heures pour sauver les vies qu’ils pouvaient, malgré le manque de moyens, alors qu’ils étaient sous le feu d’injonctions contradictoires en permanence comme lorsqu’ils avaient l’obligation de travailler la peur au ventre malgré leur positivité au virus, le gouvernement les présente aujourd’hui comme « bouc émissaire » de la 4 ème vague ! Il est vrai que le taux de vaccination des soignants reste en deçà de ce qu’il faudrait, notamment dans les EHPAD. Cependant, les professionnels de santé montrés du doigt, ne sont pas responsables de cette situation. Les soignants ne sont globalement pas contre la vaccination (qui fait partie des conditions de leur travail), ils sont face à des injonctions contradictoires liées au manque de moyens.

D’autre part, pour une politique vaccinale efficace, c’est l’ensemble de la population qu’il faut cibler. Quel intérêt de stigmatiser les soignants ? Nous sommes toutes et tous en contact avec des personnes à risque ! Le problème de la faiblesse de la couverture vaccinale ne concerne pas que les soignants.

Des moyens insuffisants et une organisation ubuesque de la vaccination

Les soignants comme le reste de la population, se confrontent à une organisation de la politique vaccinale complètement ubuesque. Comment se faire vacciner lorsque que les RDV ne correspondent pas à nos horaires ? Comment, après des gardes de plus de 12h aller refaire la queue 2h pour se faire vacciner ? Comment prendre deux heures sur son temps de travail, alors même que les effectifs sont insuffisants pour prendre soin des patients ? Comme pour beaucoup de professions, les conditions de vaccination ne correspondent pas aux conditions de vie des soignants.

De plus, la vaccination demande un effort individuel important pour l’intérêt général, mais quel sens à cette vaccination quand les autres pans de la politique sanitaire ne sont pas développés ? Comment par exemple respecter les protocoles, les gestes barrières dans l’urgence permanente et sans nouveaux personnels ?

La priorité pour redonner confiance aux soignants et pour sortir de cette crise qui est surtout celle du système de santé, c’est de lui redonner les moyens de fonctionner tant du côté de la politique vaccinale que du côté de la politique d’embauche.

La vaccination concerne l’ensemble de la population et non uniquement les soignants

Le problème de confiance dans les institutions, semble toucher l’ensemble de la population. La question que nous soulevions en décembre sur le manque de transparence et la levée des brevets reste d’actualité. Une bonne manière de développer la vaccination serait de clarifier les relations avec le secteur pharmaceutique et d’empêcher les profits sur les vaccins, notamment au moyen d’un pôle public de santé.

De même, il existe toujours de très fortes disparités géographiques et selon les classes sociales. L’accès au vaccin est toujours réparti de manière très inégalitaire. Ainsi par exemple la population du 93 accuse un retard de près de 15 % par rapport au 92 pour la 1 ère dose et de 10 % pour la 2 ème dose, y compris chez les personnes âgées. Le gouvernement n’est donc toujours pas capable, d’organiser une politique vaccinale efficace sur l’ensemble du territoire. Cela suppose d’ouvrir des centres de vaccination sans RDV et sur des plages horaires élargies, de développer les bus de vaccination partout où il le faut, de donner plus de moyens à la médecine du travail et d’obliger les entreprises à dégager une demi-journée travail pour chaque dose.

La vaccination est une question mondialisée

Enfin, et nous l’avons aussi déjà développé à plusieurs reprises (ici et ici) , nous n’arriverons pas à bout de cette crise en ne vaccinant que dans les populations des pays les plus riches. Sans une politique globale et mondiale de vaccination qui suppose la levée des brevets et la mise en action partout dans le monde des usines capables de produire ces vaccins, les nouveaux variants se développeront et se diffuseront.

publié le 7 juillet 2021

La sacralisation de Bernard Arnault ou la démocratie malade

Par Romaric Godin sur le site www.mediapart.fr

L’action d’Attac consistant à peindre en noir la Samaritaine a provoqué l’indignation d’une grande partie de la classe politique, des Républicains au Parti socialiste. Mais en héroïsant Bernard Arnault, ces politiques acceptent son pouvoir et sortent l’économie du champ politique.

L’émoi a été immense. Le griffonnage en noir de la vitrine du nouveau magasin phare de LVMH, la Samaritaine, samedi 3 juillet au matin par l’association Attac a provoqué une levée de bouclier de politiques allant du Parti socialiste à la droite la plus dure.

L’action a été condamnée officiellement par la maire de Paris, Anne Hidalgo, qui parle de « vandalisme », et par la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, ainsi que par plusieurs ténors du parti présidentiel. Chacun y allait de son indignation et on a pu se demander, à un moment, si toutes ces belles âmes n’allaient pas proposer de faire prendre en charge par la collectivité la cicatrisation de cette plaie béante sur le nouveau temple du shopping de luxe.

Comme le faisait remarquer l’économiste Stefano Palombarini sur le réseau social Twitter, on assistait à la reconstitution d’un « arc républicain » autour de la défense du malheureux Bernard Arnault, homme le plus riche de France touché au cœur par un gribouillage visant à rappeler que ce dernier avait vu son patrimoine s’alourdir de plus de 60 milliards d’euros en pleine crise sanitaire.

Avec cette affaire, le président de LVMH a pu s’assurer qu’il était devenu un nouveau totem pour cette pauvre République qui, décidément, en compte pléthore (la quantité compense peut-être la qualité). D’ailleurs, on n’oubliera pas que le 21 juin, c’est le président de la République lui-même qui est venu inaugurer, avec un discours des plus laudateur pour le milliardaire, la même Samaritaine.

Empressement des soutiens politiques

L’argument, à l’Hôtel de Ville comme à la Région était le même : il est indigne de s’en prendre à Bernard Arnault qui est si brave homme qu’il crée tout seul, par la seule force de sa volonté d’entrepreneur, beaucoup d’emplois. « La rénovation de la Samaritaine, c’est de l’emploi, de l’activité, de l’attractivité et du rayonnement pour Paris », a proclamé Anne Hidalgo.

Quant à Valérie Pécresse, elle dénonce une « attaque contre les créateurs d’emplois et moteur de l’attractivité ». Si on commence à s’en prendre au patron de LVMH, on pourrait le fâcher et le décider à ne pas créer lesdits emplois. Ce discours est fort intéressant par ce qu’il dit du débat politique, mais aussi du rapport de force au sein même de la République entre pouvoir politique et économique.

Protéger un milliardaire, ce serait « sauver » ou « créer » des emplois. Tous ceux qui s’en prennent donc même symboliquement à la figure de Bernard Arnault sont des ennemis de l’emploi. Et donc, partant, de la République.

Quoi qu’on pense de l’action d’Attac, elle n’était guère violente, elle se voulait symbolique. LVMH a évidemment les moyens financiers et humains d’effacer la peinture illico presto, ce qui, au reste, fut fait. Dès samedi après-midi, les visiteurs de la Samaritaine purent à nouveau admirer les montres à 150 000 euros qui leur étaient proposées à l’intérieur sans crainte d’un assombrissement désavantageux. La bénignité de l’attaque tranche donc fortement avec l’empressement des soutiens politiques.

Ce contraste signale que la figure du milliardaire est désormais sacrée au pays de la laïcité. Et s’il est sacré, c’est parce qu’il peut, selon son bon vouloir, décider du graal de la politique moderne, celui que tous les programmes promettent en vain depuis quarante ans : l’emploi. Ce que ce soutien signifie, c’est que cet « arc républicain » a décidé ouvertement de sanctifier la théorie du ruissellement et sa manifestation concrète : le chantage à l’emploi.

Protéger un milliardaire, ce serait « sauver » ou « créer » des emplois. Tous ceux qui s’en prennent donc même symboliquement à la figure de Bernard Arnault sont des ennemis de l’emploi. Et donc, partant, de la République. Le débat économique est donc entièrement neutralisé.

Bernard Arnault n’a pas fait œuvre sociale

Pourtant, cette vision n’a pas réellement de sens. C’est d’ailleurs pourquoi la théorie du ruissellement n’en est pas réellement une. Bernard Arnault a créé des emplois non pas selon son bon vouloir ou son génie propre, mais plutôt selon l’évolution de la demande de ses clients et celle de la rentabilité de sa firme. Or ces éléments dépendent d’éléments plus vastes que la volonté d’un homme. Ils dépendent des politiques économiques, des réglementations et des évolutions globales.

Bernard Arnault n’a pas fait œuvre sociale en créant des emplois. Il a renforcé sa rentabilité propre et sa position concurrentielle. S’il ne l’avait pas fait, d’autres auraient sans doute créé ces mêmes emplois pour répondre à la demande.

Et si les conditions générales n’avaient pas permis de créer des emplois sur ce marché, une autre configuration aurait peut-être permis d’en créer ailleurs. Enfin – et le patron de LVMH ne s’en est pas privé –, lorsque la rentabilité d’une entreprise l’exige, elle licencie. Elle peut bien le faire au nom du « sauvetage » des emplois, il n’en reste pas moins qu’elle détruit. Parfois irrémédiablement. Les salariés des sites de production de textile liquidés, comme ceux de Boussac Saint-Frères, peuvent venir dire à Valérie Pécresse et Anne Hidalgo ce que leur héros moderne a fait de leur savoir-faire.

Bref, le mythe de l’entrepreneur qui répand sur le pays ses bienfaits généreux est peut-être séduisant pour justifier certaines décisions, mais il ne résiste pas longtemps à l’examen. Et c’est d’ailleurs bien pourquoi les grandes firmes modernes – et là encore LVMH n’est pas la dernière – entretiennent des relations étroites avec le monde politique : c’est que leur existence même dépend des politiques publiques. Autrement dit, le soutien à Bernard Arnault n’a guère de sens. Le bon niveau pour discuter d’emplois, c’est celui des politiques économiques. C’est ce débat qu’Attac voulait ouvrir et c’est celui-là que notre nouvel « arc républicain » s’est empressé de refermer à coups de tweets indignés.

Or, si l’on ne peut plus discuter d’économie autrement que pour savoir comment protéger au mieux la fortune de Bernard Arnault, il est certain que le débat politique viendra se focaliser sur d’autres sujets, notamment sur les questions identitaires. Le climat délétère dans lequel la France s’enfonce peu à peu n’a sans doute pas une seule raison, mais cette neutralisation du débat politique est sans doute l’une de ces raisons.

Davantage un requin

Mais allons plus loin encore. Que défend-on lorsque l’on défend Bernard Arnault ? Le patron de LVMH soigne son style de grand patron français philanthrope qui a sauvé le luxe français. C’est de bonne guerre. Mais Bernard Arnault, c’est l’inverse absolu de l’entrepreneur qui s’est fait tout seul. C’est un héritier qui a utilisé tous les moyens pour devenir un géant de l’industrie du luxe.

On peut admirer son parcours si l’on veut. Mais on ne peut pas oublier qu’en 1988, il avait pris le contrôle de LVMH à la hussarde, et que ce rachat qui ne devait rien qu’à une forme de génie qui, dans le monde réel est fort peu apprécié, a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui. C’est aussi celui qui a délocalisé une partie du luxe français dans les pays à bas coût, détruisant une partie du savoir-faire industriel ancestral national.

C’est enfin l’un des pionniers en France de la financiarisation de l’économie. C’est, au reste, son plus grand génie. Celui d’avoir su manier les représentations boursières des entreprises à grand renfort d’OPA hostiles ou de manœuvres discutables. C’est, du reste, de ce point de vue, davantage un requin qu’un bienfaiteur. En rachetant et en « rationnalisant » des dizaines de sociétés familiales, l’homme a sans doute – dans le meilleur des cas – autant détruit qu’il a construit. Sinon, pourquoi la famille Hermès a-t-elle tout fait pour éviter de tomber dans l’escarcelle d’un tel bienfaiteur qui intriguait sur les marchés pour ravir l’entreprise ?

L’expression d’un pouvoir sur les citoyens et les politiques

Grand optimisateur fiscal, comme tous les milliardaires de notre époque, Bernard Arnault a logiquement un patrimoine qui gonfle avec la bulle des marchés financiers davantage qu’avec ses activités réelles. Certes, chacun sait que ce patrimoine n’est pas de l’argent disponible pour le patron de LVMH, c’est une valorisation de marché qui, sans doute, disparaîtrait s’il décidait de la liquider d’un coup.

Mais on sait aussi que les revenus de ce milliardaire dépendent étroitement de ce patrimoine, ce sont des revenus du capital, car c’est de cela que vivent les riches aujourd’hui. Ce sont ces mêmes revenus qui ont été massivement défiscalisés par la réforme fiscale d’Emmanuel Macron en 2018. Et, partant, l’action d’Attac posait là une bonne question : il y a bien eu, pendant la crise, un enrichissement de ce personnage qui, déjà, ne sait que faire de sa fortune.

Bulles spéculatives

Et cet enrichissement, c’est le politique, autrement dit, en démocratie, la volonté générale qui y a participé : par le soutien aux marchés financiers des banques centrales et par les aides massives accordées à certains agents économiques. Dès lors, il y a bien là un sujet politique qui mérite décidément de se poser.

Ne pas se le poser revient en réalité à protéger un certain mode de fonctionnement de l’économie. Celui qui permet à un homme – au mieux à une famille – de s’enrichir au-delà même du raisonnable pendant que certains font la file devant les soupes populaires. Ces gens seraient-ils plus riches si Bernard Arnault l’était moins ? Assurément, et pour deux raisons.

D’abord, parce que l’on pourrait financer par un impôt sur la fortune le renforcement des politiques d’aides sociales. Ensuite parce que cet argent accumulé par le milliardaire ne sert pas qu’à « créer des emplois », loin de là. Si c’était le cas, cette France, que l’on dit si peu aimante des riches et qui compte tant d’ultrariches, serait aussi riche en emplois que l’Allemagne. Selon le dernier classement de Forbes, la richesse cumulée des 42 milliardaires français est de 512 milliards de dollars cumulés, soit presque autant que les 136 milliardaires allemands qui totalisent 623 milliards de dollars de fortune. Mais le lien entre fortune des milliardaires et emplois n’est rien d’autre qu’un mythe bon pour les politiciens paresseux.

Autrement dit : la fortune de Bernard Arnault sert à autre chose qu’aux emplois. Elle va principalement se loger sur les marchés financiers, où elle se multiplie encore avec la bénédiction des banques centrales (rappelons que la BCE a racheté beaucoup d’actions LVMH). Avec Bernard Arnault et ses pairs se réalise la prophétie de Marx selon laquelle la production n’est plus qu’un mal nécessaire au profit. Bernard Arnault est donc la figure incarnée de l’accumulation du capital qui est devenue sa propre fin.

En réalité, même un défenseur authentique du capitalisme devrait s’effrayer de la puissance d’un Bernard Arnault qui, outre sa tentation du monopole, se fait soutenir par l’action monétaire et budgétaire publique pour renforcer des bulles spéculatives. C’est pourquoi en faire un héros de l’emploi est risible, y compris d’un point de vue libéral.

Merci Bernard...

Si Schumpeter réapparaissait, il verrait plutôt dans le patron de LVMH, comme il le dit dans son livre Capitalisme, socialisme et démocratie, « l’exemple de cette unité industrielle géante parfaitement bureaucratisée » qui « élimine non seulement les firmes de taille petite ou moyenne » mais aussi « exproprie la bourgeoisie en tant que classe ». Il est donc bien désolant de voir la classe politique française avoir perdu tant de conscience idéologique qu’elle croit défendre le capitalisme en héroïsant son fossoyeur, si l’on en croit un auteur aussi libéral que le doctrinaire autrichien.

Mais c’est que cette classe politique a abdiqué sa propre prétention à diriger le pays. Incapable de s’interroger sur de vraies politiques d’emploi, sur la qualité et la fonction sociale de ces emplois, ces dirigeants en sont réduits à dire « merci » à quiconque propose un emploi, fût-ce pour vendre des montres indécemment onéreuses à des ultrariches qui viennent aggraver leur bilan carbone.

À cette abdication correspond la formidable volonté de puissance du milliardaire. Et c’est aussi pour cette raison que l’action d’Attac visait juste. Car la Samaritaine et ses fameux « 3 000 emplois », c’est avant tout un formidable lieu de pouvoir. Flâner dans les rayons de ce qui fut jadis un grand magasin populaire lève, de ce point de vue, tout doute. On est au-delà même du Bon Marché, autre magasin du groupe, dont les prix très élevés peuvent s’adresser à une clientèle parisienne aisée. Ici, on est au-delà du cher.

En réalité, une infime minorité de personnes peuvent acheter dans ce magasin qui ne saurait donc avoir une fonction principalement économique. La fonction est donc d’abord politique. Bernard Arnault étale ici son pouvoir et celui de ses pairs qui sont ses seuls potentiels clients au cœur de Paris, devant la statue de Henri IV et entre les deux palais des rois de France, entre la Cité et le Louvre. Pour lui qui a déjà placé ses pions au quatre coins du Paris du pouvoir, c’est une forme de couronnement.

Étalage de richesse

La Samaritaine n’est donc pas un simple magasin, c’est aussi un musée et un palais. Un musée parce que les badauds qui font longuement la queue depuis deux week-ends pour y entrer n’ont guère eu la possibilité pour l’immense majorité d’y acheter le moindre produit. Leur seule possibilité a été d’admirer ce que les ultrariches pouvaient s’offrir. Et c’est un palais parce que, précisément, en excluant la masse de l’usage commercial du lieu, mais en maintenant cet aspect commercial, Bernard Arnault fait sentir le pouvoir de l’argent aux péquenots ébahis.

Son projet est ici plus politique encore que celui du musée de son ennemi François Pinault à la Bourse de Commerce. Car, là-bas, rien n’est directement à vendre. Tous les spectateurs sont égaux devant l’étalage de la richesse de François Pinault. Pas à la Samaritaine où Bernard Arnault fait sentir aux passants le poids de son pouvoir sous forme d’un prix exorbitant. Ce grand magasin est devenu un instrument du pouvoir de ces princes modernes que sont les milliardaires financiarisés. En cela, la Samaritaine fait penser à ce palais de mille pièces que s’est fait construire Recep Tayyip Erdogan en 2014, à Ankara. C’est inutile et coûteux, mais c’est fait pour écraser le quidam, c’est-à-dire le citoyen.

Bernard Arnault, qui est aussi patron de presse, propriétaire des Échos et du Parisien, entre autres, n’est pas un bienfaiteur. C’est avant tout un homme de pouvoir qui en impose aux politiques. Voilà pourquoi l’anecdote de l’action d’Attac en dit long sur notre époque. À un an de l’élection présidentielle, des prétendants au trône et l’actuel président font quasi officiellement hommage, au sens féodal du terme, à un milliardaire.

En sacralisant sa fonction de créateur d’emplois, ils abdiquent de leur responsabilité et se reconnaissent officiellement redevables envers lui. Derrière les beaux discours sur l’emploi se cache donc une triste réalité, celle de ce qu’il faut bien appeler l’oligarchie.

publié le 7 juillet

« Anne Hidalgo s’indigne davantage du litre de peinture versée sur une vitrine que des injustices »

Sur le site www.regards.fr

Après l’action symbolique d’Attac à la Samaritaine, l’organisation altermondialiste fait l’objet de nombreuses critiques à droite, LREM et d’Anne Hidalgo. A gauche, on fait bloc derrière Attac pour dénoncer l’enrichissement des milliardaires pendant la crise sanitaire. Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, est l’invité de #LaMidinale.

Quelques phrases  extraites de la vidéo :


 

Sur Anne Hidalgo à propos de l’action d’Attac sur la Samaritaine

« Anne Hidalgo était présente avec Emmanuel Macron pour inaugurer la Samaritaine. »

« Les médias ont dit que notre action avait créé beaucoup de polémiques à droite comme à gauche. Je n’ai pas l’impression que l’on puisse dire ça puisqu’à gauche, on a reçu énormément de soutiens de la part du NPA, de LFI, du PCF, d’EELV, de Génération.s, d’organisations, d’associations et de syndicats. »

« Anne Hidalgo a eu des positions assez similaires à celles exprimées par LREM, LR ou même Alexandre Bennalla qui nous a tapé dessus : sous nos yeux s’est constitué ce qu’on appelle un bloc bourgeois. Pour ces personnes, dont Hidalgo qui se dit de gauche, s’indigne davantage du litre de peinture noire versée sur une vitrine que des inégalités et des injustices et de l’enrichissement des milliardaires. »

« Le fait que Bernard Arnault soit propriétaire du Parisien joue dans la réaction aussi vive d’Anne Hidalgo. »

Sur l’action de la Samaritaine

« Notre mode d’action était symbolique. On l’avait déjà fait sur Apple, la Société générale ou Total, mais avec la Samaritaine on s’est rendu compte qu’on avait touché un totem : il ne faut pas, en France, s’attaquer à Bernard Arnault, première fortune de France. »

« On a parlé de vandalisme, de saccage : les gens pensent qu’on a tout cassé alors qu’il suffit de passer devant la Samaritaine et voir qu’il n’y aucune trace de notre action. »

« Toute l’année, on fait des rapports, des pétitions, des actions symboliques et personne n’en parle. Là on s’indigne d’un pot de peinture sans arrêter à ce que l’on dénonce. »

« On veut nier l’action politique de notre action. »

« LVMH a versé 3 milliards d’euros de dividendes en 2021 ce qui veut dire 1,5 milliards d’euros pour Bernard Arnault puisqu’il détient la moitié des actions et en même temps, LVMH a supprimé des emplois : c’est 888 emplois en France. »

« L’action a été menée avant l’ouverture de la Samaritaine et n’a pas empêché les salariés de travailler. »

Sur le rapport de la crise sanitaire et l’enrichissement

« On a voulu pointer l’enrichissement indécent des milliardaires. »

« Le gouvernement veut faire des économies sur les plus précaires : en rognant sur les APL, les allocations chômage. Il refuse d’aller prendre l’argent où il est. »

« Pendant la crise il y a eu enrichissement par les aides publiques d’Etat, par le chômage partiel - qui était une bonne chose - mais ça s’est aussi traduit par des aides sans aucune conditionnalité. La BCE a aussi racheté massivement des actions ce qui a dopé le cours des actions. »

« La suppression de l’ISF et de la flat tax a contribué à favoriser le versement de dividendes. Il y a cette logique de toujours plus de revenus financiers et des revenus financiers qui sont toujours moins taxés. »

Sur la croissance

« Il est certain qu’il va falloir faire décroitre un certain nombre de production et de consommation qui n’apportent rien et dégradent l’environnement. On pourrait s’interroger sur l’utilité du luxe. »

« Les plus riches sont ceux qui dégradent le plus la planète. »

« Il faut se passer des énergies fossiles. »

« Il y a des besoins qui vont croître : on parle beaucoup de la dépendance donc il faut créer un service public pour les personnes dépendantes. »

« Le mot décroissance est un mot obstacle. »

« Il faut concilier les objectifs climatiques et les objectifs sociaux. »

« Pour arriver à financer les besoins sociaux et les besoins écologiques, il y a besoin de recettes publiques et donc que chacun paie sa juste part d’impôts. »

Sur les actions de désobéissance civile

« Ca fait 20 ans qu’ATTAC existe, 20 ans que j’y suis, 20 ans que l’on demande la fermeture des paradis fiscaux… et qu’est-ce qui a été fait ? Rien. Donc à un moment donné, il est assez légitime d’utiliser d’autres modes d’action. »

« Bien sûr que c’est illégal d’aller piquer des chaises à la BNP ou de recouvrir de peinture la Samaritaine. Mais cela permet de poser des questions et de faire avancer la loi. »

« On est prêt à prendre un certain nombre de risques pour une cause qui nous semble juste. Mais elle ne nous semble pas juste qu’à nous : qui peut trouver normal de demander aux plus précaires de faire des efforts et ne rien faire pour que les plus riches paient leur juste part d’impôts ? »

« Si ATTAC ne faisait que balancer de la peinture sur des vitrines toutes les semaines, ça serait certainement contre-productif mais là par exemple, on peut parler de la note qu’on avait publiée avec Oxfam sur l’enrichissement des milliardaires, du rapport de l’Observatoire des multinationales qui montre que les entreprises du CAC40 se sont gavées d’aides publiques tout en licenciant et en versant des dividendes. »

« Quand on a à ce point-là des médias et des responsables politiques qui nous traitent de vandales, ça peut brouiller le message. »

 Nous, on a assumé le clivage. »

« La sympathie pour ATTAC a fortement augmenté depuis samedi. »

« Si on dit à Bernard Arnault de payer ses impôts ou à Emmanuel Macron de mener une politique de justice fiscale, on ne va pas réussir à les convaincre, même avec les meilleurs arguments du monde. »

Sur les risques de plainte voire de dissolution

« J’ai envie de dire à LVMH et à Bernard Arnault : allez-y, portez plainte. Ils ont dit à l’AFP qu’ils envisageaient de le faire mais ils ne le feront pas parce qu’ils savent très bien que s’il y avait un procès, ce serait une nouvelle tribune et ce serait un procès pour LVMH et Bernard Arnault. »

« Je pense qu’il ne faut pas prendre la menace de dissolution à la légère. »

« On est dans un contexte où le gouvernement sait qu’il mène une politique injuste et n’offre à la colère sociale que la répression policière et des tentatives d’intimidation. »

« On ne va pas se laisser intimider et on va mener, dès la rentrée prochaine, une grande opération de désobéissance civile où l’on va prélever à la source des multinationales qui ne paient pas leur juste part d’impôt. »

publié le 4 juillet 2021

À Perpignan, contre le RN,
pas la foule mais une unité

Par Emmanuel Riondé sur www.mediapart.fr

L’appel à se mobiliser contre l’extrême droite samedi, à Perpignan, en marge du congrès du RN, a rassemblé autour de deux mille personnes. Un « succès » mitigé mais dont beaucoup se contentent.

Perpignan (Pyrénées-Orientales).– Il y a une quinzaine d’années, une mobilisation nationale contre l’extrême droite dans la ville où le Rassemblement national (RN) tenait son congrès aurait très probablement réuni bien plus de monde. Mais au terme d’une éreintante année Covid, en début d’été, une semaine après avoir entendu partout que le RN venait de connaître une sévère défaite, réunir autour de deux mille personnes (trois mille selon les organisateurs à qui les renseignements généraux avaient confié qu’ils attendaient 1 200 personnes), dans une ville aux confins des Pyrénées-Orientales, n’est pas si mal. C’est ce sentiment un peu mitigé qui habitait beaucoup de celles et ceux qui se sont retrouvés ce 3 juillet place de Catalogne au cœur de Perpignan, au terme d’une journée de mobilisation que ses organisateurs avaient voulu « conviviale, festive et revendicative ».

L’appel à se retrouver « ensemble contre l’extrême droite » à l’occasion du 17e congrès du RN qui se tient ces 3 et 4 juillet au Palais des congrès, avait été lancé depuis plusieurs semaines et signé par trente-trois organisations politiques, syndicales, associatives ou collectifs des Pyrénées-Orientales. Un caractère unitaire abouti sur le papier mais aussi, selon les concernés, dans la préparation concrète de la mobilisation qui ne s’est pas limitée à la manifestation : des prises de parole et des concerts étaient organisés en amont et en aval.

Le cortège, lui, s’est élancé en début d’après-midi, traçant une large boucle en ville, à bonne distance du Palais des congrès. Sous l’œil de policiers en civil et en uniforme et avec un service d’ordre CGT à l’ancienne bien fourni. « Même si on n’est pas taillé pour ça, on est quand même nombreux, et pas que de la CGT, c’est important », estimait un quinquagénaire goguenard, ceint d’un brassard SO.

Beaucoup plus nombreux en tout cas que les responsables politiques nationaux à la tribune de la conférence de presse organisée le matin. Seul Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et Thomas Portes de Génération·s étaient présents. Ni La France insoumise (LFI), ni le Parti communiste français (PCF), ni Europe Écologie-Les Verts (EELV) n’avaient jugé utile de déplacer des cadres parisiens. À leur côté, en plus des représentantes et représentants locaux du PCF, de la CGT, de la Ligue des droits de l’homme, de la FSU et de Solidaires notamment, se trouvait aussi Carles Riera, député de la CUP, le parti indépendantiste siégeant au parlement de Catalogne à Barcelone. Venu en voisin proche, il a rappelé combien « l’antifascisme était un vecteur d’union et d’intégration » de l’ensemble des forces de gauche.

« Nous avons besoin dans ce pays d’avoir des moments et des temps forts pour offrir d’autres horizons et des perspectives émancipatrices. Il est important de ne jamais banaliser l’extrême droite », a pour sa part rappelé Thomas Portes, faisant le lien avec la mobilisation du 12 juin qui « n’était pas une initiative d’un jour ». Le candidat du NPA à la prochaine présidentielle s’est, lui, dit « satisfait de l’aspect unitaire de la mobilisation » avant d’avertir : « On parle de l’échec du RN depuis une semaine, mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas. Ils sont maintenant implantés dans le décor et il faut faire le lien avec ce qui se passe à l’international, en Hongrie, au Brésil… L’extrême droite est bien là, on le voit aussi en France avec les attaques sur les librairies par exemple. »

Une référence aux actions violentes fréquentes des groupes fascistes à Lyon. Des militants de la Jeune Garde lyonnaise, collectif antifasciste, étaient d’ailleurs présents dans un cortège où se succédaient les troupes de la CGT, celles des autres syndicats mêlés aux organisations politiques – grosse présence du NPA et de Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA), très actif dans le département – des drapeaux de l’Union communiste libertaire (UCL), de la Confédération nationale du travail (CNT), et enfin des collectifs, associations et organisations autonomes.

Dans cette petite foule déterminée, rassemblant très majoritairement des militants, Gaspard, 24 ans et Zoé étaient venus de Montpellier « On n’a pas une situation comme à Lyon, confiaient les deux jeunes, mais on reste vigilant. Parce que, vraiment aujourd’hui, partout, c’est l’extrême droite qui dicte l’agenda politique, c’est ça le problème. » Un peu plus loin, Romain et Wilfried, portant leur banderole de l’étoile sportive de Rosallio, un club omnisport « populaire, féministe, antisexiste, antifasciste », se félicitaient de la «bonne ambiance » du cortège tout en regrettant qu’il n’y ait « pas assez de monde ». Mais, précise Romain : « Il ne faut pas oublier qu’on est dans une ville du RN, ici… Et depuis qu’Aliot est aux affaires, on entend beaucoup de gens expliquer qu’il faut lui laisser un peu de temps pour voir ce qu’il fait vraiment. Mais nous, on sait : ça pue maintenant à Perpignan, il a déjà augmenté les effectifs de la police municipale. »

Secrétaire départemental de l’union départementale CGT, Julien Berthélemy confirme le discret virage autoritaire de la mairie : « Au début, elle ne s’est pas opposée à notre mobilisation et puis ils ont commencé à nous mettre des petites piques. Ils voulaient qu’on arrête tout à 16 heures. Il y a eu des arrêtés préfectoraux étonnants… » En l’occurrence un sur l’interdiction de consommation d’alcool (la CGT avait déployé ses buvettes sur la place de Catalogne) et l’interdiction de transporter des produits pyrotechniques et inflammables, juste sur la durée du week-end.

Dans la matinée, un militant du NPA venu du nord de la France a été interpellé par la police nationale alors qu’il avait rejoint ses camarades dans le local du parti en ville, avant d’être relâché deux heures plus tard. Des petites manœuvres d’intimidation qui n’ont impressionné personne mais qui ont conforté tout le monde : « Cette mobilisation n’est pas massive mais le cadre unitaire a fonctionné et au niveau local, ça va consolider les liens entre les militants qui veulent bosser ensemble », confiait Jean Boucher, l’un des organisateurs, un peu avant la fin de la manifestation. Et dans le contexte actuel, « c’est déjà pas si mal ».

publié le 3 juillet 2021

Des citoyens tentent de se réapproprier
un jeu politique verrouillé

Par Fabien Escalona et Mathilde Goanec sur le site www.mediapart.fr

Démobilisés par les partis traditionnels, les citoyens explorent d’autres formes d’activisme politique. Un phénomène qui va à l’encontre des déplorations sur l’abstention mais qui n’est pas encore une alternative. Recensions croisées des ouvrages d’Albert Ogien et Raphaël Challier.

À la seule lumière des chiffres, il y a bien de quoi s’affoler. Les Français se désintéressent largement du processus électoral, les plus jeunes en particulier. Presque toutes les dernières élections ont battu des records, l’exemple le plus récent étant celui des municipales (58 % d’abstention au second tour), la part de contexte sanitaire empêchant cependant une analyse définitive.

Seule la présidentielle reste épargnée, même si tendanciellement la courbe s’est légèrement affaissée depuis 2007. Au second tour en 2017, 25 % des électeurs ne se sont pas déplacés. Aux législatives, plus de la moitié des électeurs ont passé leur tour, reléguant l’élection des députés à un scrutin de deuxième rang.

Pour les régionales (les départementales sont dans le même étiage), la décrue des électeurs est continue, avec une légère inflexion en 2015, l’année du grand redécoupage ayant contribué à médiatiser davantage l’échelon et ses enjeux. Mais en trente ans, cette élection a perdu la moitié de ses votants.

Seulement, la panique à bord est un peu vaine si l’on s’obstine à voir dans les élections le seul signal viable de l’état de notre démocratie. C’est la thèse défendue par Albert Ogien dans son dernier essai sur les mouvements citoyens, Politique de l’activisme (PUF). Le sociologue, directeur de recherches au CNRS, appelle aussi à se départir du « discours geignard » sur l’abstention et son corollaire supposé, « la dépolitisation », un mot fourre-tout « rapporté uniquement au fait de suivre, par le vote, les indications d’un parti politique ».

Une réflexion qui fait suite à un premier ouvrage, écrit en 2011 avec Sandra Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, et à un second en 2014, Le Principe démocratie : enquête sur les nouvelles formes du politique, qui actaient déjà une forme d’effervescence politique, couplée au souhait d’un nombre grandissant de citoyens de contrôler plus directement l’action de leurs dirigeants.

Albert Ogien en est persuadé : « La société est en pleine ébullition, elle se mobilise mais en dehors des partis, à tel point que ces derniers tentent d’apparaître maintenant sans logo, sans étiquette, à pas feutrés même dans les mobilisations sociales ces dernières années, se plaçant derrière quand ils ont longtemps été devant ». D’autres associations et collectifs occupent les lieux et canalisent l’envie tout comme les idées. « Le champ politique s’en retrouve extrêmement rétréci et la caricature de cela est la position d’Emmanuel Macron, en duel avec Marine Le Pen, poursuit le chercheur. À la fin, le match se joue entre deux personnes, toutes deux à la tête de partis de votants, sans les militants. » 

Publié récemment, Simples militants (PUF) offre justement une étude instructive des mécanismes qui nourrissent la défiance à l’égard du champ électoral et de la vie politique conventionnelle. Le sociologue Raphaël Challier y délivre les résultats d’un travail doctoral de quatre années. Son enquête est une plongée ethnographique dans les sections locales de trois organisations de droite et de gauche : le FN (devenu Rassemblement national) en Lorraine, l’UMP (devenu Les Républicains) et les Jeunes Communistes en banlieue parisienne. Il montre comment, dans les partis, les membres des classes populaires éprouvent tout particulièrement les dispositifs qui creusent une distance entre les élites politiques et les citoyens ordinaires. 

Leur cas est d’autant plus intéressant qu’ils se situent à l’intersection entre les « profanes » et les « spécialistes » de la politique. L’intérêt de l’ouvrage réside en effet dans le dépassement des visions misérabilistes ou simplistes des militants populaires. Certes, ceux-ci sont « subalternes » dans l’espace politique étudié, comme dans l’espace social en général. Mais Raphaël Challier décrit aussi comment ils échappent à cette condition, en réévaluant leur autonomie et l’importance de leur rôle sur le terrain. « L’expérience des militants populaires ne saurait être réduite à la soumission passive à un ordre implacable, écrit-il en conclusion. Elle implique aussi des marges de manœuvre, qui s’appuient sur des traits culturels populaires et sur les spécificités des différentes organisations. » 

Tout au long de l’ouvrage, l’auteur s’appuie sur ses observations pour contester l’homogénéité supposée des milieux populaires dans certains diagnostics hâtifs sur leur dépolitisation ou leur ancrage du côté de la droite radicale. Les trajectoires familiales et professionnelles de ses enquêtés ont favorisé des « consciences sociales » distinctes, que l’exposition à des valeurs et des doctrines politiques singulières est venue encourager – un rappel bienvenu que les cultures et les idées politiques comptent, et ne sont pas que des jouets stratégiques dans les mains des chefs de partis. 

Un point de vue que partage Albert Ogien : « Il faut en finir avec le syndrome du dirigeant politique fin manœuvrier, quand il ne fait le plus souvent que composer avec la situation et les attentes sociales du moment. »

Pour ces raisons, Raphaël Challier parle des militants populaires qu’il a côtoyés comme d’« intermédiaires politiques » : un chaînon (qui pourrait devenir manquant) entre groupes sociaux subalternes et organisations politiques spécialisées. « Pourtant, relève-t-il aussitôt, ce rôle crucial […] se traduit rarement par leur accès à des positions dirigeantes ou à des mandats. » Car malgré les nuances apportées par l’auteur, le constat général des tendances oligarchiques du fait partisan n’est pas démenti. Il est même remarquable qu’en dépit de la diversité des organisations étudiées, ces « processus élitistes » se retrouvent de manière implacable. 

Les attentes placées en ceux qui pourraient exercer des responsabilités d’élu ou dans l’appareil ne sont pas socialement neutres. Il faut avoir assez de ressources économiques, de temps, d’autonomie et de stabilité dans sa vie pour s’engager durablement dans les arcanes du parti. « Mais la principale difficulté, analyse l’auteur, renvoie aux ressources culturelles. » Dès que l’on dépasse l’échelon local, il faut pouvoir naviguer entre plusieurs niveaux de langage, maîtriser sa propre image, des codes et des références abstraites, se faire accepter au sein de réseaux de sociabilité fermés, etc. Toutes ces ressources, résume Challier, « sont presque toujours celles des classes aisées ».

Le résultat est une somme de « luttes de classes » internes – au pluriel car susceptibles de concerner des groupes sociaux très proches – qui ont de quoi nourrir du découragement, un sentiment d’exclusion, voire un rejet de l’organisation. Les défections peuvent prendre la forme de pratiques sciemment alternatives, correspondant mieux aux intérêts et cultures populaires. Les dernières lignes de Simples militants font ainsi allusion au mouvement des « gilets jaunes », sur lequel l’auteur a également travaillé : « Quand, à force d’ethnocentrisme et d’élitisme ordinaire, on chasse les classes populaires des assemblées, des partis, des collectifs et des groupuscules, celles-ci reviennent parfois exiger leur part de citoyenneté. »

Dans son essai, Albert Ogien prend acte, quant à lui, de la disparition du monde militant d’hier et le confronte à l’activisme d’aujourd’hui, nettement désaffilié. « Cette fuite des militants s’étale en majesté à l’occasion des élections régionales, où l’on voit les partis dans un désarroi absolu face à cette absence d’expression politique. C’est le désarroi de gens qui pensent faire le bien face à une population qui ne leur prête plus guère d’attention. »

Un désarroi partagé par les commentateurs (experts sondagiers, journalistes, conseillers...), désarmés par l’absence des citoyens dans le champ électoral, au point de voir se forger le concept de la « rue contre les urnes », ou même du « peuple contre la démocratie », ignorant par là même d’autres mouvements et d’autres travaux, sur la montée en puissance de la démocratie délibérative et participative notamment. 

L’idée d’une démocratie seulement adossée à l’élection a la vie dure, au détriment d’une démocratie de la contestation ou « continue » qui offre des occasions d’intervention et de contrôle entre les scrutins. « Le mouvement #MeToo, celui contre les féminicides, Black Lives Matter, les jeunes en lutte pour le climat, à chaque nouveau projet d’infrastructure sa ZAD..., ça bouillonne de partout, liste Albert Ogien, qui insiste aussi pour regarder ce phénomène au-delà de nos frontières, citant le Hirak algérien, les révoltes hongkongaise ou biélorusse. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir cette ébullition. »

Pour décrire cette marmite contestataire, en dresser les stratégies et les écueils, Albert Ogien a forgé la notion de « pratiques politiques autonomes » et fait au passage un sort à l’expression de « société civile », « qui ne dit plus rien », instrumentalisée à l’envi par les élus eux-mêmes pour tenter de renouer le fil avec la population. En effet, quoi de commun entre l’experte sur le climat, celui qui va organiser une collecte alimentaire dans son quartier et le « noyau dur d’activistes sauvages » qui tentent, parfois par le biais de l’illégalité ou de la désobéissance civile, de remettre en cause les règles communes ? 

Une fois la clarification opérée, la gamme de pratiques et d’objectifs repérés, se pose la question d’après, celle du but poursuivi et des stratégies mises en œuvre pour le satisfaire. En particulier aux mouvements les plus fiévreux, comme Extinction Rebellion (XR), venu d’Angleterre et importé en France en 2019, et qui a depuis multiplié les actions coups de poing. « L’un des slogans de XR, c’est “Dites la vérité”. Les Pays-Bas, la Hollande, l’Angleterre reconnaissent désormais l’urgence climatique, et que se passe-t-il ensuite ? Pas grand-chose… On peut bien sûr imposer des termes et des combats dans l’espace public, et de ce point de vue, la mobilisation autour des féminicides ou sur le harcèlement sexuel est incroyable, mais ça n’empêche pas les femmes d’être assassinées. »

Le sociologue souligne la responsabilité du champ de l’activisme « à se doter d’une politique » et à lever les blocages sur le pouvoir, trop souvent considéré comme un corps étranger. « Une des limites de l’activisme aujourd’hui est clairement la conquête du pouvoir. Aux États-Unis, les écolos commencent à articuler sérieusement la question de la fin du capitalisme et de l’écologie, le mouvement Black Lives Matter assume de vouloir être à la Maison Blanche et au Congrès. » 

En France, le mur de séparation entre l’univers professionnel des politiques et l’activisme tient bon. « Cela va finir par sauter et c’est pour ça qu’il faut regarder de près ce qui s’est passé à Marseille lors des dernières  municipales, estime Albert Ogien. Il est temps de réfléchir à négocier les alliances entre les partis et les acteurs politiques autonomes. Mais, dans l’intervalle, vont perdurer des frictions entre ces deux mondes. »

Par une curieuse pirouette, la question élective se poserait donc sérieusement à l’activisme. Dans son livre, Albert Ogien rappelle la destinée d’Occupy Wall Street, qui a « décontenancé le pouvoir américain pendant 28 jours » en 2011, selon les mots d’un des leaders du mouvement, Micah White. « Ces mouvements ne sont pas faits pour durer. Il leur faut un relais. » Les expériences de Podemos en Espagne et surtout du Mouvement Cinq Étoiles en Italie, souligne le sociologue, « doivent être regardées et jugées comme telles ».

Les exemples d’Albert Ogien, pointant vers une réappropriation de la politique, sont cependant ancrés dans une sociologie qui n’est pas neutre, au sens où elle pointe davantage vers des catégories diplômées, sinon aisées, que vers des milieux populaires accumulant les désavantages matériels et symboliques. D’une certaine façon, cela confirme l’essoufflement du circuit représentatif des démocraties libérales contemporaines, jusqu’à concerner le môle de stabilité des classes moyennes.

Il reste que le phénomène d’éviction sociale peut tout à fait se produire au sein des groupes « insurgés » insatisfaits de la vie politique traditionnelle. Même dans les mouvements censés traduire le retour d’un peuple émancipé de son oligarchie élective, on peut constater l’invisibilisation des milieux populaires, par négligence de leurs attentes et intérêts, ou monopolisation de leur parole par des acteurs davantage dotés en codes et en ressources pour intervenir dans la sphère publique. En France, les gilets jaunes ainsi que les mobilisations climat n’ont pas complètement échappé à ce travers.

C’est ce que relève Raphaël Challier dans Simples militants. Au cours de son enquête, il a identifié des pratiques de la politique propres aux milieux populaires, ancrées dans le local et les enjeux concrets, éloignées des enjeux propres aux élus professionnalisés. Mais il émet une alerte : « Si ce livre porte un message politique, ce serait d’inciter les spécialistes de toutes obédiences (professionnels, élus, militants et activistes diplômés) à prendre conscience du caractère socialement situé de leurs discours et de leurs pratiques, qui démobilise souvent les citoyens moins bien dotés »

publié le 3 juillet 2021

Inventer une démocratie nouvelle

 

L’éditorial de L’Humanité Dimanche du 01 au 04 juillet 2021 – par Patrick Le Hyaric.

Si nous nous contentions de constater la reconduction des présidents de région sortants, nous nous aveuglerions sur la profondeur des manifestations de défiance qui tourmentent le pays. Sans évidemment contester la légitimité de celles et ceux qui ont gagné les élections, force est de constater qu’ils ne le doivent qu’à une minorité d’inscrits sur les listes électorales.

Songeons que les candidats soutenus par le président de la République n’ont rassemblé sur leur nom que… 3% des inscrits lors du premier tour. Ajoutons qu’une démocratie qui laisse si massivement sa jeunesse se détourner de la vie de la cité se condamne à moyen terme.

Ce terrible désaveu n’est en aucun cas la manifestation d’un désintérêt pour la politique. L’abstention devient pour beaucoup un acte politique pour être écouté et entendu. C’est parce que les pouvoirs restent sourds à la multitude des mouvements syndicaux, sociaux, citoyens, aux luttes pour une réforme juste du système de retraite comme pour la défense de la sécurité sociale, aux mouvements des Gilets jaunes comme aux « nuits debout », aux combats unitaires pour empêcher la privatisation d’EDF ou de la SNCF, aux actions des jeunes pour le climat, des femmes pour l’égalité, ou encore à la diversité des actions des travailleurs pour défendre l’industrie, l’emploi et les services publics, qu’en conscience une majorité de nos concitoyens organisent le silence des urnes.

Toutes ces manifestations de la volonté populaire se heurtent aux pouvoirs successifs qui, refusant d’écouter ces exigences, accélèrent la mise aux normes du pays aux canons de la mondialisation capitaliste.  Le système représentatif est ainsi englué dans une « alternance » qui perpétue les mêmes politiques au service des puissances d’argent. Mais le fameux duo Macron-le Pen, qui ne sert qu’à verrouiller le paysage politique, est ébranlé. D’évidence, notre peuple cherche une autre voie.

Ce qui tend à devenir une farce démocratique trouve parmi ses causes premières le poids exorbitant des institutions européennes sur les politiques nationales et locales qui fixent le cadre d’un consensus libéral dévastateur pour le modèle républicain, notamment la conception républicaine des services publics, et empêchent son déploiement vers une République sociale démocratique et écologique, réellement protectrice.

Le système institutionnel agonise ainsi dangereusement. Le pouvoir, qui prend appui sur les classes supérieures bien plus mobilisées que la moyenne, subit une déroute d’ampleur qui laisse augurer un redoublement de la crise de légitimité des institutions. Mais si l’extrême droite ne sort pas renforcée du scrutin, gare à en tirer des conclusions trop hâtives car ses idées nauséabondes, derrière lesquelles court une bonne partie des droites et du pouvoir, sont toujours là : aux présidentielles qui concentrent toute l’attention pourrait s’exprimer tout autre chose… Au point de déliquescence où se trouve la démocratie, il faudra plus que des rustines pour la  faire revivre. Le présidentialisme grotesque et les politiques libérales menées sous les auspices de l’Union européenne produisent un cocktail amer qui mine l’ensemble de l’architecture démocratique.

L’enjeu réclame d’engager un processus de transformation radicale des institutions portant une souveraineté populaire sur les choix politiques et économiques. Une nouvelle République, la sixième, qui devrait devenir la première République sociale, démocratique et écologique. Partout, de l’usine à l’université jusqu’au Parlement et au plus haut niveau de l’Etat, l’urgence est d’inventer de nouvelles formes de démocratie et d’interventions conférant de réels pouvoirs aux citoyens. C’est ce que demandent celles et ceux qui souffrent de ne pouvoir correctement se nourrir, se loger, travailler avec des bons salaires ou des revenus corrects pour les paysans et les artisans. La 5ème République se meurt. Il faut, avec les citoyens, en inventer une nouvelle.

Patrick Le Hyaric

publié le 2 juillet 2021

Anne Jadot : « Le brouillage de l’offre politique est conséquent »

Par Mathilde Goanec sur le sit www.mediapart.fr

L’abstention record lors du premier tour des élections régionales et départementales ravive les questions sur les raisons d’un tel désaveu démocratique. La politiste Anne Jadot répond à celles de Mediapart.

Même si le vote ne constitue pas l’alpha et l’oméga de la vie démocratique, l’abstention record constatée lors du premier tour des élections régionales et départementales inquiète sur le fossé qui se creuse entre les citoyens et le monde politique. La tendance est lourde, elle touche tous les partis.

À mesure que les chiffres montent, les différences s’estompent parmi les abstentionnistes, l’âge restant le seul élément vraiment déterminant. La réponse du personnel politique, qui crie au péril et à la remobilisation depuis une semaine, semble pour le moment décalée par rapport aux enjeux profonds du manque de participation. Les méthodes des sondages, déjà sujets à caution, sont pareillement emportées dans la tourmente.

Anne Jadot, maître de conférences en science politique à l’université de Lorraine, spécialiste de l’abstention, insiste sur la nécessité de réfléchir à l’offre et à la manière dont sont menées les campagnes, plutôt que de gronder comme des enfants les citoyens boudant les urnes.

Vous dressiez dans le passé une sorte de typologie des abstentionnistes, les « exclus du vote », « les votants intermittents », les « militants du vote blanc »… Est-ce que ces catégories tiennent encore, avec une abstention si élevée ?

Anne Jadot : Je continue de penser qu’il faut se méfier des métaphores à chaud sur « le premier parti de France » que constitueraient les abstentionnistes, tous mis dans le même sac. De même que celle des « pêcheurs à la ligne » ou les analyses sur l’impact de la météo ou de la fête des pères sur le scrutin… Les ressorts sont bien sûr plus complexes que cela. Mais si on a atteint un tel record, c’est quand même qu’une tendance lourde et inquiétante se dessine, une addition de plusieurs raisons qui ont pu renforcer ces différents profils. On constate un véritable lissage des inégalités de participation, à part l’âge, qui reste le seul élément réellement discriminant. Par exemple, le niveau de diplôme a désormais beaucoup moins d’effet, les cadres s’abstiennent presque autant que les ouvriers.

Il a beaucoup été question de l’abstention des jeunes pour ce scrutin, mais moins de celle des trentenaires, presque aussi massive…

Tout à fait, cela déborde largement la tranche des 18-24. Même chez les plus de 65 ans, on est à 40 ou 45 % de votants, ce qui a été un peu éclipsé également. L’âge reste cependant le meilleur prédicteur de la participation.

Quelles sont, selon vous, les raisons d’une si faible participation ?

Vous avez des raisons qui tiennent à la nature de l’élection ou aux enjeux de politique publique qu’elle soulève. Cette année, cette dimension était absente. Au lieu de jeter l’anathème sur les électeurs, que le personnel politique s’interroge sur la manière dont il a appréhendé cette campagne. Il y a bien sûr eu des effets conjoncturels, liés à la crise sanitaire – l’absence de réunions publiques, le faible porte-à-porte –, qui sont déterminants pour des élections locales, mais cela ne suffit pas à expliquer un tel record.

On a coutume de dire qu’une élection peut en cacher une autre. Les départementales étaient, avant leur réforme, un scrutin très personnalisé, de proximité. On votait pour son conseiller, que l’on connaissait à l’échelle du canton. Les départementales, couplées cette année aux régionales, sont passées inaperçues et n’ont pas joué le rôle d’entraînement qu’elles pouvaient avoir dans le passé. Les grandes régions créées en 2015 n’aident pas davantage les électeurs à avoir des repères.

Si on rajoute à cela le fait qu’une grande partie de la campagne s’est jouée sur des compétences qui ne sont pas régionales… Enfin, le brouillage de l’offre était conséquent, y compris entre les deux échelons. Sur le temps long, voir des partis, à droite comme à gauche, monter en permanence des alliances à géométrie variable, ne permet pas à l’électeur de s’y retrouver. Ce sont autant de moteurs de la participation qui s’éteignent.

Est-ce que cette élection intermédiaire n’a pas souffert également de l’absence, paradoxalement, de l’effet mobilisateur du « vote sanction » ?

Les élections intermédiaires peuvent effectivement servir de mécanismes d’alternance et de balancement vis-à-vis du pouvoir en place. Il y a traditionnellement une démobilisation des électeurs du président et une sur-mobilisation de l’opposition. Cette année, ce mécanisme était plus difficile à mettre en œuvre car il n’y a tout bonnement pas de sortants LREM (La République en marche) à la tête des régions. Il n’y avait pas vraiment pas de quoi « nationaliser le scrutin ».

Qu’est-ce qui vous semble brisé dans le ressort électoral, dans l’acte d’aller voter « en lui-même » ?

Au-delà de l’offre, on vote aussi pour des questions de principe. Les citoyens, souvent plutôt de gauche, votent pour honorer d’une certaine manière le droit de vote en lui-même. Avec des justifications sur le droit des femmes, par exemple, acquis récemment, ou en comparant la France avec d’autres régimes, moins démocratiques. À droite, on vote par devoir, éventuellement aussi par habitude. Dans des entretiens menés sur la question, des femmes disaient même, au masculin, voter pour être « un bon Français, un bon citoyen ».

Ces deux aspects s’érodent considérablement et ces ressorts deviennent très clivés entre générations. Si l’on considère l’évolution démographique qui est la nôtre, on peut craindre que la fracture générationnelle ne soit plus grande encore à l’avenir.

Pourquoi ces arguments de principe ne marchent plus aujourd’hui ?

Par des phénomènes de socialisation politique différents. Qu’est-ce que l’on constate chez les jeunes qui ont 15 ou 18 ans aujourd’hui, à l’âge où l’on peut commencer à se construire politiquement ? Peu de confiance dans les hommes et femmes politiques, de la désillusion, un profond désenchantement démocratique qui pousse à investir d’autres formes de participation politique. Deux générations plus tôt, le vote était central. Puis on a eu la « génération 68 » où les actions collectives se doublaient encore de l’exercice du droit de vote. Les plus jeunes vont s’engager dans des associations, des coordinations, des actions mais décrocher de la participation électorale.

Nous avons plusieurs fois constaté aussi, dans nos enquêtes qualitatives, que nombre d’électeurs considéraient que pour pouvoir « râler ensuite », pour avoir voix au chapitre en quelque sorte, il fallait quand même « aller voter ». Mais comme l’utilité perçue du vote diminue, cette pratique faiblit elle aussi.

Cette abstention, qui n’est pas le fait d’une masse d’individus uniforme, peut-on la définir comme un acte politique pour certains ?

On ne peut pas le quantifier pour cette élection, si rapidement après les résultats. Pour caractériser ceci correctement, il faudrait demander dans les études post-élections ce que les abstentionnistes de tel scrutin ont voté aux dernières élections, s’ils sont des abstentionnistes réguliers ou intermittents.

Mais je mets en garde dans tous les cas contre cette sorte de vœu pieux qui consisterait à penser que l’acte de s’abstenir est politique pour tout le monde. Peut-être chez la fraction des très diplômés, plus politisés que les autres, on peut imaginer un refus diffus du duel Le Pen-Macron annoncé, ou une manière de sanctionner la droite comme la gauche pour la faiblesse de l’offre politique, une manière de dire qu’on ne va pas « nous faire le coup à chaque fois ».

Mais pour tout un pan des abstentionnistes, en difficulté sociale et économique, les préoccupations les plus urgentes ne portent tout simplement pas sur la politique, qui n’est plus vue comme une réponse à leurs problèmes.

Il y a bien des effets de sur-mobilisation ou de démobilisation en fonction de l’enjeu politique ? La participation ne repose pas uniquement sur des données sociologiques (âge, métier, niveau de diplôme, lieu de vie, rémunération, etc.) ?

Prenons 2002 : il y a eu une sur-participation de 7 points au second tour, qui opposait Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. Donc, quand l’enjeu est perçu comme grave, les électeurs se mobilisent. En 2017, même configuration ; c’est pourtant déjà beaucoup moins vrai. Il y a même eu pour la première fois depuis 1969, plus d’abstentionnistes au second tour qu’au premier. Si on compte ceux qui ne sont pas allés voter en 2017 ou ont voté nul ou blanc, c’est un tiers des inscrits. Ce n’est pas très engageant pour 2022.

L’abstention d’ordre « politique » est-elle de gauche ou de droite ?

Là encore, il y a un effet en trompe-l’œil sur l’abstention différenciée. Ceux qui se sont le plus mobilisés en 2017 au premier tour sont les électeurs de François Fillon. On pourrait monter une interprétation farfelue sur un désir de revanche sur 2012... Mais c’est surtout un effet d’âge ! Ces électeurs sont plus vieux, souvent catholiques pratiquants, la notion du « devoir » continue de bien marcher. Pour les dernières élections régionales et départementales, l’aspect conservateur ou légitimiste fonctionne aussi très bien puisqu’on va voter pour les sortants, de droite comme de gauche. Voter pour le sortant, ce n’est pas juste approuver une politique, c’est voter pour celui que l’on connaît. Or, dans cette campagne, à part quelques débats sur France 3 en soirée, les électeurs ont eu peu de chance de connaître et reconnaître les autres candidats.

Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, l’abstention ne profite pas tant que cela au RN.

Pour vous donner une idée, en 2002, il a à peu près 200 000 voix d’écart entre Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen au premier tour. Le Pen fait 400 000 voix de plus qu’en 1995. Mais Jospin en perd lui 2 millions ! Donc, effectivement, l’abstention ne touche pas de manière égale les partisans des différents partis.

Cette fois-ci, cela n’a pas vraiment été le cas car il n’y avait pas non plus vraiment de têtes d’affiche à l’extrême droite pour cette élection. Par ailleurs, en 2015, nous étions peu de temps après les attentats du 13-Novembre, et la préoccupation sécuritaire était très haute. Marine Le Pen était tête de liste dans les Hauts-de-France et Marion Maréchal-Le Pen dans le Sud-Est. Il y avait un effet d’entraînement.

Est-ce que cela donne quand même une indication pour la présidentielle ou pas du tout ?

Attention à ne pas dupliquer les analyses d’une élection sur l’autre… La présidentielle 2022 sera une élection sans doute plus mobilisatrice, mais on n’a pas encore une offre claire pour le premier tour, et c’est déterminant pour la participation.

Est-ce que, d’une certaine manière, la normalisation du RN fait entrer ce parti, comme les autres, dans les affres de la démobilisation de ses électeurs ?

Oui, même si on ne peut toujours pas considérer le RN comme un parti tout à fait comme les autres. Pendant des années, les électeurs qui disaient vouloir voter pour le Front national ne souhaitaient pour autant pas voir le candidat FN gagner l’élection. Il s’agissait d’un vote contestataire. Le fait qu’aujourd’hui Marine Le Pen se pose comme une candidate crédible, qui veut le pouvoir, peut être repoussoir pour des électeurs qui l’utilisaient comme un réceptacle de leur colère. On peut penser aujourd’hui que ceux qui votent RN souhaitent voir ce parti au pouvoir, ce qui n’est pas moins inquiétant...

Par ailleurs, la théorie des vases communicants ne fonctionne pas : ce ne sont pas d’autres partis, apparaissant également « contestataires » comme La France insoumise, qui gagnent ces voix. L’abstention remplit, peut-être, ce rôle-là mais, encore une fois, c’est difficile de présumer de ce que les gens veulent vraiment dire ou faire, quand ils ne votent pas.

Y a-t-il encore des électorats moins volatils que d’autres ? Des électeurs dont la culture militante cadre le vote plus fortement ?

Disons déjà qu’il y a très peu de militants politiques en France, autour de 2 %. On a pu, notamment à travers des études sur la gauche plurielle à la fin des années 1990, élaborer ce genre de différence à propos du PS, du PCF et des Verts. Cette culture de fidélité partisane a existé dans tous les partis. Des gens savaient ce qu’ils allaient voter sans même connaître le nom du candidat. Une proportion plus importante d’électeurs savaient également plus longtemps à l’avance ce qu’ils allaient voter. Cela aussi s’érode car les partis ont des stratégies d’investiture différentes, ils peuvent désormais soutenir des candidats d’autres partis, le sentiment de proximité partisane s’effrite.

Du coup, l’électeur attend de voir qui se présente, peut même faire des infidélités à son parti « de cœur ». Les mobilités se développent à l’intérieur d’un bloc politique. Ils ne franchiront pas forcément la frontière gauche-droite, mais dans chacun des camps politiques, ces électeurs vont naviguer un peu.

Nous avons étudié par exemple la primaire de la gauche de 2017, et cela permettait de comprendre les germes de la victoire de Benoît Hamon à la primaire mais également les raisons de sa défaite à l’élection présidentielle. Benoît Hamon a gagné sur des thématiques et son électorat mettait en critère principal de son choix son appartenance claire à un camp, celui des convictions de gauche, sans attacher de grande importance à la figure du candidat en lui-même. Ce qui voulait dire que ce même électorat pouvait aussi voter pour un autre candidat de ce camp, comme Jean-Luc Mélenchon, et c’est ce qu’il a fait. Ceux qui votaient pour Valls au contraire accordaient de l’importance à la stature, au bilan, au caractère « présidentiable ». Dès le premier tour, ils n’ont alors eu guère de scrupule à voter Macron.

Les sondages sont-ils taillés pour une abstention si massive ? Et comment les croire encore ?

Le problème, c’est que les instituts de sondage ont énormément de mal à évaluer la certitude d’aller voter. Ils ont un gros travail à faire pour filtrer les intentions de vote selon le degré de certitude que les répondants y aillent vraiment. Mais raffiner les résultats à ce point est une vraie gageure, ils devraient donc être très prudents et s’en tenir à des fourchettes ou des potentiels électoraux. Ou encore publier des hypothèses, en fonction des taux d’abstention.

Ceci dit, en tant que chercheuse, mais aussi en tant que citoyenne, je note que malgré cette incertitude, depuis le changement des règles de pluralisme dans les médias, on prend aussi comme critères de l’équité les sondages ; c’est donc le serpent qui se mord la queue. Cela fausse vraiment le jeu, entre les « grands » candidats, qui sont testés dans les conditions que l’on sait et sans tenir suffisamment compte des erreurs que provoque l’abstention, et les « petits ». De la même manière, commencer à tester Éric Zemmour est aberrant. On se retrouve à imaginer des échafaudages et des constructions médiatiques sur des instruments qui ont prouvé qu’ils n’étaient pas toujours fiables.

Que penser des tentatives de remobilisation de cet entre-deux tours ?

Se fâcher contre les électeurs, c’est bien beau, mais pourquoi ne pas avoir lancé une campagne massive de mobilisation avant le premier tour ? On se doutait depuis plusieurs mois que les gens auraient la tête ailleurs. Les électeurs ont déjà le sentiment que les hommes politiques ne savent pas ce qu’ils vivent, alors les culpabiliser sur un angle moral ne me semble pas être le bon angle d’approche.

Ensuite, cette campagne de pub gouvernementale, qui vise les jeunes sur les réseaux sociaux et explique que voter ne prend pas plus de 15 minutes, ou les images dans la même veine diffusées par Les Républicains, me font dire qu’on prend vraiment les gens pour des imbéciles. Mais cela ne vient pas de nulle part. Tout un courant des sciences politiques fait une analyse de la participation électorale en termes de coût/bénéfice pour l’électeur, pensé comme un individu totalement rationnel. Si effectivement voter me « coûte » autant que boire un café, allons-y ! C’est la théorie des jeux économiques appliquée à la politique.

Mais c’est tellement déconnecté de la réalité sociologique et politique française ! En France, voter n’est pas coûteux, à part peut-être en temps d’information. L’électeur ne va pas se demander ce que cela lui coûte d’aller voter, mais ce que cela va lui rapporter, pour changer sa vie !

Que pensez-vous des propositions de vote électronique pour attirer les plus jeunes et simplifier le scrutin ?

Il y a un rituel électoral auquel les Français sont attachés. Ce n’est pas en simplifiant l’accès qu’on améliorera l’envie. Le vote par procuration a déjà été largement simplifié et les électeurs ne se déchaînent pas pour autant. Si voter revient à envoyer un SMS, comment les électeurs se rendront-ils compte de l’importance de leur choix ? Il faut redonner aux gens du respect pour le vote ou de l’envie pour l’offre et les propositions politiques. Pourquoi votent-ils et pas comment.

publié le 29 juin 2021

Luc Rouban : « Pour la plupart des Français, l’organisation de la politique ne fonctionne plus »

Emilio Meslet sur le site www.humanite.fr

Le politiste Luc Rouban voit dans ces records d’abstention la suite du mouvement des gilets jaunes, qui réclamait aux élus plus d’efficacité. Entretien.

Luc Rouban Directeur de recherche au Cevipof

Contrairement aux régionales de 2015, la participation n’a pas connu un rebond significatif entre les deux tours. Comment l’expliquez-vous ?

Luc Rouban Dès le premier tour, le RN a marqué le pas. En 2015, il y avait eu une mobilisation pour éviter qu’une grande région ne tombe dans les mains de l’extrême droite. Là, il n’y avait de risque qu’en Paca. Pour les électeurs de gauche, l’enjeu n’était plus aussi important. D’autant plus qu’un certain nombre de sortants, comme Laurent Wauquiez ou Xavier Bertrand, étaient déjà quasiment assurés d’être réélus. Mais, derrière, il y a une lame de fond plus inquiétante avec une abstention record. La loi NOTRe a permis de créer d’immenses régions où le conseil régional peut être à plusieurs centaines de kilomètres. Elles sont perçues comme des instances de gestion, avec des compétences réduites et techniques. Ces élections mettent aussi en scène des professionnels de la politique. Avec les fusions de listes, tout cela peut donner l’impression d’une démocratie de l’entre-soi.

Dans quel contexte plus large s’inscrit cette abstention ?

Luc Rouban Il ne faut pas oublier que, entre 2015 et 2021, il y a eu la crise des gilets jaunes et le grand débat national. C’était aussi des contestations de la démocratie représentative : il y avait une demande d’efficacité, parfois autoritaire, à l’égard des élus. Cette idée est maintenant très ancrée : 42 % des interrogés disent qu’en démocratie rien n’avance et qu’il vaudrait mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. Il y a l’idée que la démocratie, c’est bien, mais qu’elle ne résout pas les problèmes de fond (égalité, justice sociale…). La demande d’équité est très présente en France et détermine la confiance dans les institutions et la démocratie représentative. Selon moi, c’est le principal moteur de l’abstention.

Pourquoi, cette fois, l’électorat du RN s’est-il plus abstenu que d’habitude ?

Luc Rouban L’abstention touche essentiellement des jeunes non diplômés. Or, c’est le cœur de l’électorat du RN. C’est aussi le résultat d’un populisme de droite qui a consisté à dire, pendant des années, que le système est corrompu avec des gens qui ne méritent pas qu’on les soutienne. Marine Le Pen a été entendue, mais ça se retourne contre elle. S’ajoute à cela que l’éventail de compétences de ces collectivités ne permet pas de traiter les sujets au cœur de l’électorat du RN comme l’immigration ou les frontières. Il ne faut donc pas projeter ces résultats sur la présidentielle.

La majorité présidentielle propose des ajustements techniques sur les modes de scrutin pour répondre à l’abstention. Est-ce vraiment le cœur du problème ?

Luc Rouban Pas du tout. Il ne faut pas se tromper : les trois quarts des Français s’intéressent à la politique. Mais, pour eux, l’organisation de cette politique ne fonctionne plus : ils ne voient pas l’impact au quotidien.

À quoi doit-on s’attendre pour 2022 ?

Luc Rouban Tout va dépendre de la campagne. Les Français ne veulent pas d’un nouveau duel entre Macron et Le Pen. On peut penser qu’il y a un renouvellement de l’offre de la droite parlementaire, notamment autour de Xavier Bertrand, et de la gauche, avec peut-être une alliance socialo-écologiste. Le potentiel électoral à gauche, aujourd’hui, est plus important qu’en avril 2017 : l’électorat qui avait suivi Macron en est revenu. Sans oublier que le clivage droite-gauche n’a jamais disparu, mais il faut qu’il soit incarné. À ce moment-là, l’abstention ne sera pas la même, puisque ce ne seront pas des candidats par défaut.

publié le 25 juin 2021

Chaos dans la distribution des plis électoraux : les syndicats dénoncent la loi du marché

Stéphane Ortega sur le site rapportsdeforce.fr

Avec deux français.e sur trois qui s’abstiennent lors du premier tour des élections régionales et départementales ce dimanche, la polémique sur les trous dans la distribution des plis électoraux n’a cessé d’enfler. Ce lundi, alors que les patrons d’Adrexo et de La Poste étaient convoqués au ministère de l’Intérieur, des syndicats de La Poste dénoncent à leur tour, un « dysfonctionnement majeur » pour la CGT FAPT et une « gabegie » pour SUD-PTT.

Alors que les deux formations syndicales rendent pour responsables la privatisation et la mise en concurrence des activités postales, entamée il y a une vingtaine d’années, SUD-PTT étrille de concert l’État, la direction d’Adrexo et celle de La Poste. Le premier pour avoir « confié à Adrexo une partie de la distribution du matériel électoral pour tenter de sauver le groupe Hopps, dont l’entreprise fait partie ». Et de façon opaque selon le syndicat qui réclame que soient connues « les sommes allouées aux deux opérateurs », alors qu’elles étaient selon lui de 84 millions d’euros au bénéfice de La Poste en 2017 pour les deux tours des élections présidentielles et législatives.

La seconde, la direction d’Adrexo, pour avoir « pris en charge une activité surdimensionnée par rapport à ses capacités ». Le tout en embauchant à la va-vite et sans formation des intérimaires pour organiser en catastrophe « la production ». Enfin, la direction de La Poste n’est pas épargnée. Le syndicat lui reproche d’avoir dégradé la distribution des plis électoraux à sa charge pour un « profit maximum ».

En quelques années, l’opérateur postal a supprimé son organisation spécifique : un tri et une distribution à part, prioritaire, en plus de la tournée quotidienne, et compensée financièrement en redistribuant aux factrices et facteurs une part de l’enveloppe financière allouée à La Poste. Depuis, les plis ont été intégrés dans les tournées, ne sont plus compensés et sont devenus nettement moins prioritaires.

En résumé pour la CGT : « la logique de privatisation des activités postales ; le choix assumé de la mise en concurrence et du moins-disant social, contre celui du service public qui répond aux besoins de la société avant ceux des actionnaires ».

publié le 25 juin 2021

TRIBUNE. « Jeunes, votons dimanche
pour sauver notre futur »

Sur le site www.regards.fr

Une dizaine d’organisations politiques de jeunesse de gauche appellent à voter pour le second tour des élections régionales et départementales.

Au premier tour des élections régionales et départementales ce 20 juin, plus de quatre jeunes sur cinq ne sont pas allés voter. A celles et ceux qui reprochent aux jeunes cette abstention, nous avons une réponse. Culpabiliser c’est mépriser. Pour comprendre la désertion des bureaux de vote des jeunes, il faut tendre l’oreille et écouter, les colères comme les espoirs.

Nous devons analyser cette abstention massive. Nous vivons une crise démocratique majeure. En toile de fond de ce désaveu démocratique : des mois de polémiques stériles, haineuses et le désengagement de l’Etat dans l’organisation de la démocratie. Comment croire encore en nos institutions quand on choisit d’ignorer la Convention citoyenne pour le climat ? Comment croire en la démocratie quand on brade à des entreprises privées, comme Adrexo, son organisation la plus basique ? Des milliers de concitoyennes et de concitoyens n’ont pas pu s’informer avant d’aller voter, c’est un scandale. Et dans tout ça, les jeunes se sont deux fois plus abstenus que le reste de la société.

Génération climat, génération précaire, génération sacrifiée

Nous sommes pourtant de la génération climat, la génération précaire, la génération sacrifiée, la génération désenchantée. Celle pour qui le tic-tac climatique s’accélère. Celle qui assiste à une montée des océans aussi inexorable que la dégradation de ses conditions de vie et de travail, mais qui ne cesse de se mobiliser.

La situation de la jeunesse de France est catastrophique. Les 18-25 ans sont celles et ceux qui subissent le plus la précarité, la crise sociale et qui sont les plus en dépression, à la sortie de cette année confinée. Est-elle pourtant écoutée, prise en compte et respectée par les variants de la droite au pouvoir ? De toute évidence, non.

Dans les hémicycles politiques, des assemblées régionales au Parlement, les élu-e-s ont un âge moyen largement supérieur à la population. L’accès aux moyens d’expressions publiques conventionnelles est rare. Lorsqu’Emmanuel Macron souhaite redorer son image, il invite Justin Bieber plutôt que des syndicalistes étudiants élu·e·s ou des jeunes d’organisations politiques.
Dans le même temps, les jeunes étaient réprimés pendant la fête de la musique alors qu’après des mois confinés nous voulions juste respirer. Au delà du 21 juin, ce gouvernement a réprimé de manière systématique et violente toutes les mobilisations impulsées par la jeunesse.

Nous voulons respirer. L’unique réponse à notre besoin de culture semble cependant être la violence, comme celle exercée contre les jeunes qui dansaient lors de la fête de la musique. Votre mépris nous assomme. Votre politique de précarisation, de l’instauration du SNU à la diminution des APL, est claire et ne saurait être oubliée par l’invitation de Youtubeurs appréciés et dépolitisés, qui ne remplacera pas le débat contradictoire que vous avez refusé.

Placer son espoir dans le bulletin de vote

Pourtant, nous gardons espoir pour le futur ! Les jeunes sont parfaitement conscient·e·s des enjeux politiques qui concernent leur vie. Nous sommes nombreu·x·ses à nous engager dans le bénévolat associatif, à signer des pétitions, à participer à des mobilisations sociales, à nous exprimer… Qui peut nier que les mobilisations à dimension planétaire de la génération climat, du mouvement #MeeToo, ou encore de la dénonciation des violences policières, des mouvements antiracistes sont les preuves d’une conscience politique aiguisée ?

L’abstention est l’expression d’un mécontentement face à une Ve République verrouillée qui ne laisse pas place à nos voix et notre enthousiasme à changer la vie.

Cette colère est légitime et nous la partageons. Mais nous gardons aussi espoir, car nous savons qu’un bulletin dans l’urne peut changer la vie : le PACS, les congés payés, les 35 heures, l’école gratuite, laïque et obligatoire, le mariage pour tous et la création de la sécurité sociale : tous ces acquis sociaux ont été obtenus de haute lutte à la suite d’élections. C’est pourquoi nous appelons les jeunes à se déplacer voter dimanche !

Nous jeunes engagé·e·s, appelons notre génération à s’emparer de notre système politique rigide pour y permettre l’expression et l’engagement du plus grand nombre et notamment des plus jeunes. C’est cette raison qui nous pousse à voter dimanche pour les candidat·e·s qui portent un projet écologiste et solidaire, de transformation sociale et de lutte contre les inégalités, à la hauteur des enjeux environnementaux de notre temps. C’est le seul moyen de sauver notre futur par des politiques ambitieuses, en luttant contre les intérêts d’une minorité qui capte les richesses, en incluant des jeunes dans le débat et la décision publique. Dimanche, ne laissons plus les autres décider pour nous ! Votons !

Signataires :
Mélanie Luce, présidente de l’Union Nationale des Etudiants de France
Mathieu Devlaminck, président de l’Union Nationale Lycéenne
Aneth Hembert, co-secrétaire fédérale des Jeunes Écologistes
Marc Méric de Bellefon, co-secrétaire fédéral des Jeunes Écologistes
Aurélien Le Coq, animateur des Jeunes Insoumis
Emma Salley, animatrice des Jeunes Insoumis
Léon Deffontaines, Secrétaire Général du Mouvement des Jeunes Communistes de France
Jeanne Péchon, secrétaire national de l’Union des Etudiants Communistes
Tristan Péglion, coordinateur national des Jeunes Génération.s
Emma Rafowicz, Déléguée Nationale du PS en charge de la mobilisation des jeunes
Claire Lejeune, co-coordinatrice de Résilience Commune
Lola Yaïche, co-référente de Place Publique Jeunes
Jules Najman, co-référent de Place Publique Jeunes

publié le 24 juin 2021

Éditorial. « À droite toute » sur les ondes

Par Cathy Dos Santos sur le site www.humanite.fr

La présence de Vincent Bolloré dans les murs d’Europe 1 fait souffler un vent de protestation inédit. Les salariés de cette radio emblématique craignent que leur micro ne se transforme en un mégaphone de propagande et de fake news dont l’unique finalité serait de continuer à façonner les esprits pour le pire. On les comprend. L’arrimage de la station à CNews, vitrine d’un prosélytisme fascisant, a déjà trouvé ses visages et ses voix : un ancien de Valeurs actuelles en la personne de Louis de Raguenel et, à la matinale, Dimitri Pavlenko, connu pour tendre la perche à Éric Zemmour sans opposer la moindre contradiction aux logorrhées de ce sinistre personnage.

Des journalistes sont rappelés à l’ordre, sanctionnés. Comme ce fut le cas à I-Télé avant l’enterrement de cette chaîne pour laisser place à CNews. Telle est la loi dans les monopoles médiatiques qui matraquent en continu une information uniformisée, repeinte en brun. Ces empires sont en train de tuer le pluralisme, le débat d’idées et les espaces d’expression démocratique. Nous ne sommes pas condamnés à supporter les torrents de boue et d’incitation à la haine que déversent désormais trop de médias. Il existe un cahier des charges entre le CSA et les chaînes de radio et de télévision : le matraquage d’idées toxiques peut donc être stoppé.

Certains nous rétorqueront que la liberté d’expression est intouchable. Le racisme éructé par les chroniqueurs de CNews et consorts n’a rien à voir avec le droit, les libertés, ni même avec les opinions : il constitue un délit au regard de la loi. Ne nous voilons pas la face. La refondation médiatique de ces deux dernières décennies a servi le virage « à droite toute » du paysage politique. Il faut mettre un terme à cette dérive, sauf à revivre cette terrible prophétie d’Albert Camus : « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. »


 


 

Médias. Face à Bolloré, silence radio du CSA et de l’État

Caroline Constant et Grégory Marin sur le site www.humanite.fr

Vincent Bolloré apparaît comme tout-puissant dans le paysage médiatique. Il existe pourtant des leviers que la puissance publique pourrait décider d’actionner pour empêcher les concentrations et garantir le pluralisme des idées.

Un grand magnat des médias fond sur sa proie, la dépèce, sans que la société, sidérée, n’ait le temps de réagir. Sommes-nous condamnés à voir se répéter indéfiniment cette scène macabre ? Car, c’est ce qui s’est passé en 2016, quand Vincent Bolloré, déjà, avait mis la main sur I-Télé. Chacun se souvient de la brutalité de cette séquence, de cette grève de trente et un jours achevée par une vague de départs, suivis ou choisis, d’une chaîne de télévision débaptisée pour donner naissance à CNews, où se déverse depuis la haine de Zemmour, Praud et consorts. Est-ce à cette sauce que vont être mangés les salariés d’Europe 1 ?

Mobilisés depuis vendredi, ils protestent contre le rapprochement éditorial entre leur station et CNews. Un rapprochement idéologique soutenu par une opération de terreur dans les couloirs, puisqu’un journaliste a été mis à pied en attente d’une sanction le 30 juin et plusieurs personnalités poussées vers la sortie. La grève a été levée mercredi après-midi, mais la question du devenir de ces salariés, et de la station, reste entière. Face aux appétits de Vincent Bolloré, Patrick Drahi ou autre Reworld Media, il existe pourtant des leviers d’action légaux.

« On pourrait carrément couper les fréquences »

Les salariés d’Europe 1 ont raison d’être inquiets. Pour David Assouline, vice-président de la commission des Affaires culturelles du Sénat, Vincent Bolloré a fait « un coup d’essai » en s’en prenant à I-Télé. « Il savait très bien qu’il y aurait conflit, ça lui permettait même de repérer un peu plus amplement qui va dégager.  À ce moment, certains hésitaient sur le réel projet de Bolloré : asseoir une puissance ? une direction ou une rédaction à sa botte ? » Aujourd’hui, son but est clair : fonder « un grand groupe de médias d’extrême droite », estime l’élu. Et « ce qui est le plus dangereux, en termes médiatiques, ce sont les valeurs antirépublicaines qu’il instille tous les jours », reprend le sénateur. Pierre Laurent, sénateur communiste de Paris, est tout aussi sévère sur le danger. Ce qui se joue, selon lui, « ce ne sont donc pas seulement des mouvements économiques, mais aussi des mouvements de quadrillage politique du paysage informationnel. Ces mouvements politiques correspondent en parallèle à une radicalisation d’une partie des forces de droite et des forces du capital » (1).

Quelles solutions, alors, face à cette situation ? Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourrait être un levier. C’est d’ailleurs cette instance qui a condamné CNews à payer 200 000 euros d’amende à la suite des propos racistes de son éditorialiste vedette, Éric Zemmour. L’instance dispose par ailleurs d’un catalogue de sanctions importantes. Pour David Assouline, « on pourrait carrément couper les fréquences de ceux qui ne respectent pas le jeu démocratique. Le problème est structurel : il y a une convention entre le CSA et la chaîne ou la radio pour avoir le droit d’émettre. Les médias audiovisuels occupent des fréquences qui sont un bien public. Ces fréquences sont louées, en quelque sorte, à partir d’engagements établis dans une convention. Quand on lit bien la convention qui lie CNews au CSA, il est dit qu’il faut œuvrer à la concorde républicaine et aux valeurs antidiscriminatoires ». CNews dérape régulièrement ? On est loin d’un « manquement isolé, c’est donc un choix ». La sanction devrait pouvoir tomber, sans gradation. Idem pour Europe 1. « Il y a un changement de projet. Il faut donc que le CSA s’en mêle. Et s’il y a un changement éditorial, la clause de conscience des journalistes doit pouvoir s’effectuer. »

Droit d’opposition des journalistes

Mais le tempo de Bolloré, qui fait appliquer au pas de charge ses décisions, et le temps long du CSA sont-ils compatibles ? Emmanuel Vire, du SNJ-CGT, n’est guère confiant : « La grille de rentrée, avec les nouveaux acteurs dépêchés par CNews, est calée. » Pourtant, explique le journaliste, le CSA pourrait jouer un tout autre rôle, « intervenir en amont, sur les cahiers des charges des chaînes. Rien que sur l’égalité hommes-femmes, il n’intervient pas… L’organisme ne se donne pas les moyens parce que la puissance publique ne dit rien, sur ce sujet comme sur les autres, le pluralisme des idées par exemple ». Pierre Laurent reprend cette idée au vol : « On a mis en place des notions d’équité extrêmement vagues qui permettent de contourner déjà beaucoup les règles d’égalité de temps de parole. Mais là, on passe à autre chose. Parce que les chaînes militantes comme CNews s’affranchissent justement de toutes les règles et, pour le moment, dans une très grande impunité. » Pour lui, la question médiatique doit « devenir une question démocratique, dans un moment où il y a une telle crise politique et démocratique, le débat politique et le débat législatif devraient se saisir à nouveau de la question du pluralisme de l’information. » David Assouline note, en défense du CSA, que la garantie démocratique exige, comme dans un procès, d’avoir du temps. Pour autant, dit-il, « il faut permettre que les menaces lourdes s’exercent. Certains pensaient que taper au portefeuille aurait un écho. Mais ce n’est pas assez. Ce qui compte pour Bolloré, c’est le projet politique, et il a sans doute déjà intégré des amendes. » Il faut donc taper autrement. Sur le droit d’émettre, donc, ou d’acquisition de nouveaux médias.

Les médias français sont-ils tous destinés à finir dans les mains de milliardaires ? Emmanuel Poupard, secrétaire général du Syndicat national des journalistes, avoue sa colère : « En tant que journalistes, on a une liberté et des droits individuels, statut et convention collective, carte de presse, etc. Mais ce n’est pas suffisant. Nous demandons l’indépendance juridique des équipes rédactionnelles, c’est-à-dire un droit d’opposition collectif aux décisions de l’actionnaire majoritaire. » Il rappelle que la sénatrice Nathalie Goulet avait déposé, en 2014, une proposition de loi en ce sens, prévoyant notamment la suspension des aides publiques en cas d’entrave au bon fonctionnement de la rédaction. Elle n’a jamais été examinée.

Un débat législatif et citoyen pour un vrai contre-pouvoir

« Certes, il s’agit d’une entreprise privée, mais il n’y a pas de condamnation de la concentration. Le gouvernement ne l’a fait ni pour Prisma, ni pour Europe 1. Bolloré va devenir tout puissant, ça doit interroger notre démocratie, le législateur, la ministre de la Culture, le premier ministre, le président… » s’agace le syndicaliste. Même ton chez Emmanuel Vire, du SNJ-CGT, qui plaide pour un renforcement des lois anticoncentration : « Jusqu’où l’État subventionnera-t-il des médias détenus par des milliardaires ? Roselyne Bachelot ne réagit pas quand on lui demande d’intervenir sur cette question, parce qu’elle n’est pas d’accord. »

La sanction, d’un côté, le débat législatif et citoyen, de l’autre. À la clef, une possibilité de contre-pouvoir, que pointe Pierre Laurent : « La condition des journalistes, de leur travail, du respect des règles déontologiques doit aussi redevenir un sujet de mobilisation de la profession, en dialogue avec les citoyens. On aurait besoin d’états généraux citoyens et professionnels du pluralisme de l’information. Parce que, sinon, la dégradation du débat politique, sa violence, va malmener beaucoup de médias et de journalistes. » Dans les médias indépendants, bien sûr. Et dans le service public, aussi, dont David Assouline regrette qu’il soit « asséché ». Les leviers existent pour garantir leurs droits aux rédactions, le premier étant de pouvoir informer le public sans contrainte. Pour les actionner, encore faut-il avoir confiance en la puissance publique. Et la volonté de ne pas laisser un Vincent Bolloré, au nom de sa fortune, décider de repeindre en brun un des piliers de la démocratie…

(1) Les entretiens de David Assouline et Pierre Laurent sont à retrouver sur l’Humanité.fr

Motion de défiance

Les salariés d’Europe 1 ont voté, mardi 22 juin, une motion de défiance en assemblée générale contre Donat Vidal-Revel, le directeur de l’information. Pour eux, « tordre les faits, proposer des faits alternatifs, ce n’est pas l’esprit d’Europe 1. La grande tradition de rigueur, de mesure, d’indépendance intellectuelle de notre radio mérite mieux. Nos auditeurs aussi ». Ils dénoncent « plusieurs cas de burn-out », des « mensonges » sur le rapprochement avec CNews, et l’arrivée d’un transfuge de Valeurs actuelles à la tête du service politique. Enfin, estiment les salariés, Donat Vidal-Revel « porte la responsabilité des changements incessants de la ligne éditoriale et de leurs échecs successifs ».


 


 

publié le 21 juin 2021

Abstention : 50 ans de montée vers les sommets

Par Camille Renard sur me site www.franceculture.fr de juin 2017

c'est un article ancien mais qui peut nous aider à réfléchir au vu de l'abstention massive de ce week-end (1° tour des Départementales et Régionales 2021)

Avec 51,29% d'abstention au premier tour et plus de 57% au second, les législatives de 2017 battent tous les records. Le silence des urnes retentit de plus en plus fort à chaque élection. Voici une comparaison historique des évolutions du "plus grand parti de France", en cartes et graphiques.

C'est un chiffre très symbolique : l'abstention a dépassé les 50% pour le premier tour des élections législatives : 51,29% selon les résultats définitifs. Plus d'un électeur sur deux a renoncé à se rendre aux urnes, le plus fort taux depuis 1958 et le début de la Ve République. En 2012, l'abstention, déjà élevée, avait atteint 42,78%. Et au second tour, ce dimanche 18 juin, l'abstention est encore plus forte: 57,36% selon les résultats officiels du ministère de l'Intérieur.

Symptôme d'une crise de la représentation démocratique, le retrait de la décision électorale est un mouvement de fond de long terme. Les abstentionnistes ne forment pourtant pas un bloc homogène d’électeurs restés en dehors de l’isoloir : indifférence globale, désintérêt ponctuel, rejet ostentatoire, acte militant... les raisons du silence sont nombreuses, et varient selon le type d'élection, et sur la durée. Voici quatre cartes et graphiques, pour mieux comprendre l'évolution et les ruptures de l'abstention depuis le début de la Ve République, mais aussi ses constantes, sociales et géographiques.

Qu'elles soient législatives, présidentielles, municipales, européennes, régionales ou cantonales, les élections voient leur participation chuter depuis la fin des années 1980. Même lors des élections municipales, symboles d'une proximité avec les problèmes publics, le silence des urnes devient assourdissant : aux municipales de 1989, l’abstention passe à 27% au premier tour. Fin de la Guerre froide, alternances politiques, poursuite de l’intégration communautaire avec Maastricht, la fin des années 1980 est un moment charnière d'entrée en crise des démocraties européennes. Anne Muxel, politologue au CNRS, avance ces données dans une note du Cevipof consacrée à l'abstention lors d'élections municipales : au début de la Ve République, on se situait à un quart d'abstention (entre 20 et 25%), à un tiers dans les années 1990 (30 - 33 %), et à près de la moitié aujourd'hui (quatre électeurs sur dix dans les années 2010).

 

Comme le montre ce graphique, l'augmentation de l'abstention n'est pas linéaire dans le temps. La participation est volatile et dépend du type d'élection, du mode de scrutin, de l'incarnation de l'enjeu, d'un débat sur des questions décisionnelles. Les élections présidentielles sont toujours plus suivies, car le scrutin majoritaire à deux tours favorise le choix clair du "chef". Les élections européennes, elles, perçues comme abstraites, battent les records d'abstention, avec 6 électeurs sur 10 mobilisés en 2009. Les variations entre types d'élections s'expliquent aussi par l'instrumentalisation des élections intermédiaires comme sanction de la majorité en exercice.

Pour les législatives : l'inversion du calendrier électoral

Dans le cas particulier des législatives, cette chute de la participation se renforce d’une logique institutionnelle : lorsque les législatives suivent juste l'élection présidentielle, soit parce que le Président dissout l'Assemblée comme en 1981 ou en 1988, soit depuis 2002 parce que le calendrier électoral s'inverse suite au passage au quinquennat, la participation baisse par rapport à la présidentielle. En 1974 et en 1995, la différence entre l'abstention à la présidentielle et celle des législatives passe sous les 10 points. Alors que pour toutes les autres élections où la législative suit de près la présidentielle, le différentiel dépasse largement les 10 points d'écart (plus de 15 points en 1988 : 16,5% d'abstention à la présidentielle, contre 32,2 % à la législative ; près de 24 points en 2007 : 16 % à la présidentielle puis 39,9% à la législative).


 

Ce qui ne change pas : les constantes sociologique et géographiques

A l'intérieur de cette évolution sur le long terme, certains invariants sont structurels : les profils sociodémographiques et la géographie électorale de l'abstention. L’abstention est traditionnellement plus importante dans le Nord de la France, même si au fil des élections elle gagne du terrain, tout particulièrement dans l’Ouest et le Nord-Est. Elle est aussi nettement plus marquée dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Dans les communes de plus de 1000 habitants, l'abstention s’élève à 38,8 % au second tour des municipales de 2014, alors qu’elle n’atteint que 26,9 % dans les communes de moins de 1000 habitants.

Les paramètres sociodémographiques, liés aux conditions d’insertion sociale et économique, sont également constants : les jeunes, qui ont un comportement électoral de plus en plus intermittent, comme le souligne le politologue Vincent Tiberj dans La Grande Table, et les classes populaires votent moins. Si les milieux populaires constituent une majorité sociale, c'est paradoxalement de plus en plus une minorité électorale. "Dans la région parisienne, la courbe de participation épouse celle des prix au mètre carré", précise Céline Braconnier dans son essai de sociologie électorale La démocratie de l'abstention (Gallimard, 2007). Pour ne s'en tenir qu'à Paris intra-muros, les très huppés Ve, VIe et VIIe arrondissements voient régulièrement la participation culminer à des niveaux exceptionnels, tandis qu'elle atteint son minimum parisien dans les plus populaires XVIIIe, XIX et XXe arrondissements. Les catégories socioprofessionnelles supérieures des quartiers privilégiés, disposant d'un niveau d'études et de diplôme plus élevé que la moyenne, se trouvent ainsi surreprésentés dans les urnes. A l'inverse, c'est, par la conjonction de ces facteurs, parmi l'électorat populaire du Front national (FN) qu'on trouve le plus d'abstentionnistes.

L'abstention n'est pas le seul symptôme de la crise démocratique

Pour se faire une idée plus précise du déficit de représentativité des élections, il faut ajouter les non-inscrits à cette abstention, qui est, elle, calculée à partir du nombre d'inscrits sur les listes électorales. Parmi les individus pouvant voter, c'est à dire majeurs, de nationalité française, et pouvant jouir de ses droits civils et politiques, en 2012, ils étaient 3,5 millions à n'être même pas inscrits sur les listes électorales. Ceux-là ne sont pas comptés parmi les abstentionnistes.

L'augmentation constante de l'abstention au fil de la Ve République modifie l'analyse de sa nature : elle ne peut plus être considérée comme une seule apathie ou indifférence, mais bien comme une sanction politique. La prise en compte du vote blanc peut constituer une réponse, mais non suffisante. Difficile pourtant de prêter l'oreille à ce silence des urnes quand cette diffusion s'accompagne d'une banalisation du phénomène dans le débat public.

publié le 20 juin 2021

Voter, ça compte ! L'éditorial de l'Humanité-Dimanche par Patrick Le Hyaric

Patrick Le Hyaric sur le site www.humanite.fr

Dimanche, chacune, chacun pourra, avec son bulletin de vote, peser sur l’avenir de son département, de sa région comme sur celui du pays. S’abstenir reviendrait pour tout homme ou femme de progrès à conforter le pouvoir patronal et la droite extrémisée, qui ont considérablement raffermi leurs positions pendant la pandémie.

Ces élections départementales et régionales seront les premières expressions démocratiques après une année éprouvante pour l’ensemble des Français. Une année désas­treuse pour le débat public, alors qu’écrans et réseaux sociaux, et souvent les silences inquiétants, ont remplacé la discussion vivante et le débat contradictoire qui font le sel de la vie démocratique.

Un tel contexte n’est guère propice à la participation électorale, ni aux discussions de fond sur les politiques régionales et départementales qui déterminent pourtant, pour beaucoup, la vie quotidienne de nos concitoyens. Et nombre de celles et ceux qui sont décidés à aller voter pourraient le faire pour conforter des dynamiques politiques qui se retourneraient contre elles et eux. L’ambiance de banalisation de l’extrême droite n’a strictement rien à voir avec les compétences de ces collectivités, la vie des territoires ou le renforcement de la République sociale, mais tout à voir avec la recomposition politique visant à préparer le second tour de l’élection présidentielle entre le pouvoir droitisé et l’extrême droite.

Un score important de celle-ci, outre qu’il signerait un pas supplémentaire dans le basculement du pays vers la pire des réactions, ferait écran aux enjeux sociaux, de santé, de solidarité, d’emploi, d’égalité sociale et territoriale qui sont par ailleurs plébiscités par les Français. Ces élections sont pourtant la première occasion de dire haut et fort à ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ce à quoi doit ressembler la France de l’après-Covid. Les puissances d’argent ont déjà leur petite idée sur la question et veulent éviter tout débat, et encore plus toute mobilisation sur les enjeux d’avenir.

Voulons-nous des régions branchées sur les politiques libérales promues par l’Union européenne, ou des régions qui conditionnent l’argent public à la création d’emplois, à la réindustrialisation, au développement écologique et à la vie des territoires ? Des régions et des départements qui financent le logement pour tous, ou qui divisent par trois les crédits du logement social et organisent la promotion immobilière comme s’y emploie la droite en Île-de-France ? Des départements qui assurent le développement des services publics, des politiques de santé publique contre les déserts médicaux, ou qui sont laissés à la merci de métropoles qui vampirisent en leurs centres les moyens et les capitaux ? Voulons-nous enfin perpétuer les délégations de service public aux appétits privés ou renforcer considérablement des services pour tous, modernisés, dans la santé, la petite enfance, les transports ?

Se rendre aux urnes ce dimanche est d’autant plus important que les scores de l’extrême droite sont prédits très hauts. Nul doute que, si elle parvient à ses fins dans quelques régions, elle se fondra dans le moule des gestions libérales en poussant à fond les politiques antisociales et discriminatoires qu’elle envisage pour le pays, contre le logement social, contre la culture, contre la solidarité, contre les étrangers vivant et travaillant sur notre sol et leurs enfants, quitte à créer les conditions d’une guerre civile.

Dans un paysage politique sinistré, des listes d’union de forces de gauche comprenant des candidats communistes se sont formées partout sur le territoire. Elles sont des garanties pour peser sur les exécutifs régionaux et départementaux, résister ou animer des politiques de progrès et préparer la résistance à la politique gouvernementale comme à l’influence des droites extrémisées. Porter ses suffrages sur l’une de ces listes ou l’une de ces candidatures est vital pour chacun comme pour tous, pour sa vie, celle de ses enfants, comme pour celle du pays. 

publié le 18 juin 2021

Sébastien Jumel : « Il faut donner du souffle à gauche, rallumer l’espoir »

Florent LE DU sur la site www.humanite.fr

À la tête d’une liste PCF-FI-PRG et d’un projet tourné vers les services publics et le renouveau industriel, Sébastien Jumel promet d’être la surprise de ces élections en Normandie. Entretien.

Sébastien Jumel rêve de créer la surprise en Normandie et de devenir le premier communiste à diriger la région. L’affaire ne sera pas aisée : avant d’espérer battre le président sortant Hervé Morin (les Centristes, soutenu par LR), grand favori, et le RN de Nicolas Bay, le député dieppois va devoir mobiliser davantage que la liste PS-EELV de Mélanie Boulanger avant d’envisager une fusion. Crédité de 10 % dans les derniers sondages, contre 16 % pour la socialiste, l’élu PCF pense néanmoins que son projet, axé notamment sur le renforcement des services publics de proximité, va convaincre le peuple de gauche.

Malgré les restrictions sanitaires, vous avez été très présent sur le terrain ces dernières semaines pour mobiliser autour de votre candidature. Quel bilan tirez-vous de cette campagne particulière ?

Sébastien Jumel Cette campagne a été pour moi un tour de Normandie à la Jules Verne à la rencontre des entreprises, des salariés, des agriculteurs, des pêcheurs, des maires ruraux, de la Normandie dans sa diversité. C’est une campagne que je qualifierais de « déconfinée », avec l’idée de déconfiner la démocratie, en faisant des réunions publiques presque tous les soirs. Nous sommes dans une belle dynamique, ça se voit aussi dans les sondages, qui évoluent dans le bon sens et montrent que nous avons pour le second tour une capacité de rassemblement supérieure à celle du PS, avec 31 % au lieu de 26. Les retours sur notre programme sont aussi très bons, avec des thématiques de campagne qui correspondent aux préoccupations des Normands.

Lesquelles ?

Sébastien Jumel Nous avons notamment placé la santé au cœur des priorités, alors qu’un plan de rattrapage pour nos hôpitaux publics est nécessaire, pour corriger le déficit de moyens humains en particulier. Nous voulons aussi recruter 200 médecins salariés pour combler les déserts médicaux, augmenter de 50 % les places en formation pour les aides-soignants et infirmiers, quand Hervé Morin a supprimé six instituts ou écoles. L’objectif sur la formation, c’est aussi de développer l’offre d’enseignement supérieur à partir du réseau des villes moyennes, qui est un moyen de lutter contre le renoncement à la poursuite d’études.

Sur la formation, comme sur l’emploi ou le ferroviaire, c’est une vision propre de l’aménagement du territoire, moins tournée vers les grandes villes qu’actuellement, qui a dicté votre programme ?

Sébastien Jumel Oui, ce que je souhaite mettre en place, c’est une région qui prend soin, dans laquelle chaque vie compte, chaque territoire compte. Le conseil régional doit être au service d’un réaménagement qui considère la ruralité vivante, avec un meilleur maillage concernant l’accès aux soins, aux formations. La crise sanitaire a révélé le besoin de proximité, le besoin d’avoir des services publics humanisés, notamment dans les milieux ruraux. Hervé Morin a fermé seize guichets de gare, 300 postes de cheminots et renoncé à développer ce que j’appelle les lignes de vie, ces lignes du quotidien nécessaires pour aller bosser, se soigner, se former, respirer la mer… Une région qui prend soin, c’est aussi une région qui parie sur la jeunesse. On propose la gratuité des transports pour les moins de 26 ans, la mise en place d’une allocation d’autonomie jeunesse, d’agir sur les problématiques de logement, d’accès aux stages, aux formations.

Un des points de désaccord ayant empêché un rassemblement avec le PS et EELV concerne l’industrie, quel est votre projet dans ce domaine ?

Sébastien Jumel Ce qu’a aussi révélé la crise, et la Normandie n’y a pas échappé, c’est notre incapacité à produire des masques, des tests, des respirateurs ou même un vaccin. Alors que depuis une dizaine d’années 13 500 emplois industriels ont été supprimés en Normandie, il faut placer le renouveau industriel au cœur du projet régional. Si on prend le temps d’écouter l’intelligence ouvrière, les projets alternatifs portés par les salariés, alors on pourra recouvrer les éléments de souveraineté industrielle made in Normandie. En conditionnant aussi les aides régionales au respect de règles sociales, environnementales, territoriales, tout en veillant à ce que les fonds capitalistiques étrangers ne siphonnent pas nos savoir-faire.

Un de vos premiers objectifs sera de réunir plus de suffrages que la socialiste Mélanie Boulanger. « Nous sommes la seule liste de gauche », avez-vous répété pendant la campagne, pourquoi ?

Sébastien Jumel Vu la situation, on n’a pas besoin d’un Hollande en vert, et la liste PS-EELV a fait le choix d’une campagne au centre. Moi j’ai fait le choix de m’adresser au peuple de gauche, c’est pour cela que je dis que nous sommes la seule liste de gauche. Si on veut que les jours d’après ne ressemblent pas aux jours d’avant, il faut tirer les enseignements de ce qui a conduit à abîmer la capacité d’un État et d’une région qui prennent soin, qui protègent. C’est nécessaire aujourd’hui de crédibiliser l’idée qu’il existe une alternative à l’extrême droite de Marine Le Pen et à l’extrême argent d’Emmanuel Macron. Et nous ferons la démonstration au second tour qu’autour d’un projet ambitieux, rassemblés nous sommes plus forts. Il faut donner du souffle à gauche, rallumer des étoiles d’espoir.

publié le 15 juin 2021

Dans une usine normande, l’alliance rouge et verte se heurte aux logiques partisanes

Par Jean Mazé sur le site www.mediapart.fr

 

Fin juin, la papeterie de Chapelle-Darblay risque d’être démantelée pour cause de délocalisation. Une coalition d’organisations syndicales et écologistes s’est formée pour soutenir ses 230 salariés. Mais à l’heure des élections, ce front social n’a pas suffi à inspirer sa réplique au niveau politique.


 

Grand-Couronne (Seine-Maritime).– En arrivant dans l’immense salle de la machine 6, Julien Sénécal a un pincement au cœur. « Pour nous, c’est très étrange d’être ici, dans ce silence et ce froid. En temps normal, on est en tee-shirt, et le bruit est assourdissant », explique le jeune secrétaire CGT du comité social et économique (CSE) de Chapelle-Darblay, usine papetière emblématique de Grand-Couronne, au sud de Rouen.

« D’habitude, il y a 90 décibels, on a des bouchons médicaux et on parle avec des gestes ! », abonde avec nostalgie Cyril Briffault, délégué syndical CGT de l’usine. Arnaud Dauxerre, représentant sans étiquette du collège des cadres au CSE et troisième membre de cette bande d’inséparables, ajoute : « Je vous avais bien dit que cette usine était un monstre endormi. »

 

C’est vrai : l’outil industriel, qui s’étend sur 33 hectares, a des allures de Léviathan tranquille. Jusqu’en juin 2020, ses cylindres massifs alimentés par une chaudière biomasse tournaient à 90 km/h en continu. Des stocks de vieux papiers issus des poubelles jaunes – en Normandie, Picardie, dans le Grand Ouest et en Île-de-France – entraient d’un côté. Ils passaient à l’égouttage, au pressage et au séchage à 95 degrés. Et ressortaient sous forme de bobines de l’autre côté, direction les imprimeries.

 

Avec un peu de chance, vous avez tenu du papier Chapelle-Darblay entre vos mains. Tous les quotidiens nationaux ont eu recours, à un moment ou un autre, à cet exemple rare d’économie circulaire. L’usine quasi centenaire, fondée en 1928 avec les dommages de guerre, était la seule en France à faire du papier 100 % recyclé. Désormais, dans ses hangars frigorifiques, seul un souffle d’air comprimé signale que la machine est seulement assoupie, prête à redémarrer.

 

Le groupe finlandais UPM, propriétaire du site, a décidé de le fermer il y a bientôt un an, prétextant une crise du papier journal, alors que l’usine était bénéficiaire, et préférant ouvrir une usine de papier bois nettement moins écologique en Uruguay.

 

UPM a licencié les 230 salariés de l’usine et accordé un moratoire d’un an aux trois représentants du personnel – Arnaud Dauxerre, Cyril Briffault et Julien Sénécal. À défaut de repreneur, l’usine sera démontée et ferraillée le 30 juin, au lendemain des régionales.

 

Des deux échéances, le trio se concentre évidemment sur la première. « Le Bon, la Brute et le Truand », ainsi qu’on les appelle ici en référence à leur style de négociation, se battent pour échafauder un projet de reprise. Plusieurs candidats papetiers sont en lice. Ils n’ignorent pas cependant l’imminence du scrutin régional. Comment le pourraient-ils ? Autour d’eux, les candidats de gauche défilent depuis le début de la campagne.

Le 6 juin, devant le bâtiment du comité d’entreprise, où les trois hommes tiennent une conférence de presse sommaire après un énième coup de massue – le désistement d’un potentiel repreneur, le belge VPK –, l’éventail complet des gauches est là : la maire PS de Grand-Couronne, Julie Lesage, le député communiste de Seine-Maritime, Hubert Wulfranc, et la co-secrétaire régionale d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Véronique Bérégovoy. Mais les regards qu’ils échangent en disent long.

 

Alors que leurs partis respectifs prônaient l’union dès le premier tour, dans ces terres où le centriste Hervé Morin règne en baron local et où le Rassemblement national (RN) est en embuscade avec le député européen Nicolas Bay, ils partent finalement séparés.

 

La maire socialiste de Canteleu, Mélanie Boulanger, mène la liste PS-EELV, et le député communiste de Seine-Maritime, Sébastien Jumel, la liste PCF-LFI. L’alchimie des Hauts-de-France, où l’union s’est faite autour de Karima Delli, ne s’est pas reproduite. Chapelle-Darblay aurait pourtant pu être un catalyseur parfait.


 

L’« écologie populaire » enfin réalisée

 

Située en plein cœur de la vallée de la Seine, qui a longtemps hébergé des géants de l’industrie lourde, cette usine en avance sur son temps – elle recycle depuis 1986 – a déjà fait naître une alliance improbable. Le 16 octobre 2020, une réunion inédite entre huit organisations syndicales et écologistes (la CGT, Attac, Oxfam, la Confédération paysanne, les Amis de la Terre, la FSU, Solidaires et Greenpeace) perturbe le sommeil de la machine 6.

 

Le tout nouveau collectif Plus jamais ça vient de trouver une lutte à sa taille« Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace, m’a dit que c’était le premier déplacement de son organisation pour une industrie », se souvient Cyril Briffault.

 

Les arguments à l’appui de cette convergence ne manquent pas. Ce qui se pratique quotidiennement à Chapelle-Darblay, véritable citadelle cégétiste (50 % des ouvriers y étaient syndiqués avant le plan social), c’est l’« écologie populaire » enfin réalisée. Sans cette usine, une partie du papier trié en France est condamnée à être transportée en Allemagne en camion.

 

Preuve que les « rouges » et les « verts » ont intérêt à dépasser leurs vieux antagonismes. « Le gros souci en France, c’est qu’il y a beaucoup de produits qui sont entièrement recyclables, mais il n’y a pas l’industrie pour les recycler. C’est pour ça aussi qu’on se bat », observe Cyril Briffault.

 

Sur la porte du local syndical de l’usine, l’ouvrier au physique de rugbyman a collé une affiche de Nouvelle Vie ouvrière, le magazine de la CGT, avec cette phrase de Philippe Martinez qu’il répète comme un mantra : « Cultiver ce qui nous rassemble ». Au niveau politique, ce mot d’ordre est encore onirique.

 

Le 7 juin au matin, entre deux « checks » du poing sur le marché de la place Saint-Marc, à Rouen, le député communiste Sébastien Jumel le dit pourtant : « Chapelle-Darblay, c’est la démonstration qu’on peut se préoccuper de l’industrie et être au service d’une économie circulaire, exemplaire au plan environnemental. » Mais ce constat partagé n’a pas eu raison des rapports de force partisans.

 

Présenté comme le favori à gauche, l’ancien maire de Dieppe (de 2008 à 2017), fils de métallo ayant grandi dans la cité ouvrière de Gonfreville-l’Orcher, en banlieue du Havre, a cru pouvoir fédérer autour de lui. Mais les appareils socialistes et écologistes locaux lui ont tourné le dos.

 

« Cette union, je l’ai souhaitée, j’y ai travaillé. Notre feuille de route quand on est de gauche, c’est de travailler à une alternative entre l’extrême droite et l’extrême argent, plaide-t-il. Mais le PS et les écolos se sont dit que si j’arrivais à cimenter le rassemblement, je deviendrais le leader incontournable de la gauche en Normandie. Ils ont finalement fait le choix d’une campagne au centre. »

 

Le souvenir des réunions jusqu’au bout de la nuit pour mettre sur pied une alliance des gauches suscite des réactions épidermiques chez Véronique Bérégovoy. Alors qu’elle s’apprête à ratisser le département, des tracts fraîchement imprimés plein son coffre de voiture, la co-secrétaire régionale d’EELV, candidate sur la liste de Mélanie Boulanger, fait une pause à Rouen pour nous raconter cette occasion manquée.

 

« Dès la première réunion, on a proposé une alliance sans préalable sur la tête de liste, mais on a dit que si les communistes présentaient Jumel, ça poserait problème. Il n'est pas représentatif de porteurs d’un projet écologiste. Il est encore représentatif des communistes très productivistes », estime-t-elle.

 

De part et d’autre, les stigmates anti-« écolos-bobos » et anti-« cocos-productivistes » sont persistants. Fataliste, Véronique Bérégovoy lâche : « Ça fout les boules de ne pas avoir réussi, parce qu’on se dit que si ça se trouve, Morin va repasser. »

 

À l’approche de la présidentielle de 2022, l’ancien secrétaire de la CGT de Chapelle-Darblay, Gérard Sénécal, 65 ans, s’inquiète de voir ses ex-collègues basculer dans le puits sans fond d’une rage impuissante : « J’essaye de ne pas trop y penser, mais il y a beaucoup trop de gens qui sont écœurés par ce qu’on vit, et qui baissent les bras pour aller au RN. Il n’y a plus d’identité de gauche ou de droite, ni d’opposition sociale claire. Cette politique politicienne nous tue, et le rouleau compresseur du RN est là. Ça me fout les jetons. »

 

Chapelle-Darblay préfigure peut-être une société où l’antagonisme entre rouges et verts n’existera plus, mais elle n’est pas imperméable au climat ambiant.

<publié le 14 juin 2021

 

Conseil d’État : meilleur ennemi du gouvernement

 

Pierre Jacquemain sur le site www.regards.fr

 

L’État de droit, d’autant plus sous le quinquennat Macron, agit comme un réel rempart contre les tentatives grossières de mise en pièces de nos droits et libertés. Jusqu’à quand ?

 

En l’espace de quelques jours, le Conseil d’État a rendu plusieurs décisions qui ne vont pas faciliter la tâche du gouvernement. Des jugements attendus tant sur la question des droits de tous à bénéficier d’une assurance chômage digne, sur la question des libertés – de manifester notamment – et sur la question des violences policières.

 

Ainsi le Conseil d’État avait-il annulé, dès novembre dernier, plusieurs dispositions de la réforme de l’assurance chômage considérant qu’elles portaient « atteintes aux principes d’égalité ». S’agissant du nouveau mode de calcul du chômage – qui doit entrer en vigueur dès le 1er juillet prochain, avec des baisses significatives des montants des indemnités –, le juge des référés a estimé que les explications du gouvernement pour justifier l’application de ces nouvelles dispositions, étaient insuffisantes. Il s’est dit « dubitatif » après avoir entendu les arguments du gouvernement. Tous les syndicats s’accordent pour dénoncer une réforme qui va accroitre profondément les inégalités. Et la précarité. Le Conseil d’État devra rendre une nouvelle décision au cours de la semaine, après que le gouvernement aura complété son argumentaire, visiblement peu convaincant.

 

 C’est aussi la semaine dernière que le Conseil d’État s’est penché sur le recours controversé, par les forces de l’ordre, de la technique dite « des nasses », lors des manifestations. Une technique qui conduit à l’encerclement des manifestants et, le plus souvent, de procéder à des arrestations en masse. On se souvient notamment de la manifestation des gilets jaunes de mai 2019, où la technique avait été abondamment utilisée, provoquant la panique chez les manifestants et avaient, pour certains, forcé les grilles de la Pitié-Salpêtrière pour s’y réfugier. Saisis par plusieurs associations, les juges ont jugé « illégales » ces techniques non justifiées et « susceptibles d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir », indiquent-ils. C’est aussi trois autres points du schéma du maintien gouvernemental du maintien de l’ordre qui ont été retoqués – consacrant ainsi les libertés pour les journalistes, d’informer : « l’éloignement des journalistes en cas de dispersion, l’obligation d’accréditation pour les journalistes pour des informations en temps réel et l’obligation faite aux journalistes de ports de protection », précise le Conseil d’État. « Le Conseil d’État met une gifle à Darmanin », titre Libé. Terrible désaveu, en effet, pour le ministre de l’intérieur.

 

Autre polémique. Autre recours auprès du Conseil d’État et dont les conclusions seront observées de près. Quatre mois après les accusations en « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, la ministre Frédérique Vidal avait demandé une enquête au CNRS et se voit aujourd’hui poursuivi par six enseignants chercheurs pour « abus de pouvoir ». Les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth ont sollicité une procédure de référé et un recours en annulation devant la plus haute juridiction administrative. Si le Conseil d’État a rejeté le référé, la requête en annulation a été transmise au ministère de l’Enseignement supérieur qui devra, dans les deux mois, démontrer « que sa décision ne constitue pas un détournement des pouvoirs et des attributions qui lui sont confiés », confient les deux avocats au journal Le Monde. Le CNRS ayant refusé publiquement de répondre à la « commande » de la ministre, reste à savoir si la conduite de cette enquête, compte tenu des vives critiques qu’elle avait suscité, est sur les rails. Au Monde, Fabien Jobard, semble comprendre qu’aucune enquête n’est en cours. Et d’en conclure : « Cela voudrait dire qu’on gouverne à coups de propos comminatoires et de menaces et ce n’est pas tolérable ». En effet !

 

Même quand il rend un avis négatif, à l’instar du référé déposé par Clémentine Autain pour obtenir le droit de tenir meeting en Seine-Saint-Denis – qui avait été rendu impossible par décret du ministre de l’Intérieur et qui s’est malgré tout tenu hier à Montreuil sous forme de manifestation revendicative –, le Conseil d’État se voit obligé de réaffirmer « la nécessité que les libertés publiques soient garanties en période de Covid ». Comme si la Haute juridiction envoyait des signaux au gouvernement. Sous forme d’alerte permanente. Et comme nous l’écrivions ici en décembre 2020, de projets de loi en ordonnances, la politique menée par le gouvernement depuis le début du quinquennat se heurte régulièrement au mur de l’État de droit : le nombre des recours est en forte augmentation, singulièrement depuis la crise sanitaire. Vigilance !
 


 

<publié le 13 juin 2021

Riposte. Face à l’extrême droite et à un climat délétère, 150 000 manifestants dans les rues

 

Julia Hamlaoui sur le site www.humanite.fr


 

À l’appel de 120 syndicats, partis politiques, associations, médias et collectifs, 150 rassemblements et manifestations ont été organisés, samedi 12 juin, « pour les libertés et contre les idées d’extrême droite ». À Paris, dans une ambiance festive, 75 000 personnes ont défilé, selon les organisateurs. Reportage

 

« Ici nous sommes la République, ici nous portons les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité. » La formule, entendue au sein du cortège, résume l’état d’esprit de la manifestation qui s’est élancée ce samedi 12 juin de la place de Clichy à Paris. Un rendez-vous de riposte « pour les libertés et contre les idées d’extrême droite », à l’appel de 120 syndicats, associations, partis politiques, médias, dont l’Humanité, et collectifs qui a réuni 75 000 personnes à Paris. Et, au total, 150 000 manifestants dans 150 initiatives en France, selon les organisateurs.

« Cette manifestation permet de dire qu’il y a des millions de personnes qui aspirent à autre chose. Le camp de la liberté et du progrès prend des coups depuis des mois et des semaines, il est temps de relever la tête », assure Thomas Portes, président de l’Observatoire national de l’extrême droite, à quelques minutes du départ de la marche devant l’un des trois camions qui crachent de la musique. Car, après la tribune des militaires aux relents putschistes, les différentes lois liberticides, la vidéo d’appel au meurtre du youtubeur Papacito en début de la semaine ou la chasse aux « islamo-gauchistes » des derniers mois, la réplique se veut « joyeuse et populaire ». « Nous constatons que quand il n’y a pas de maintien de l’ordre agressif de la part des forces policières, les manifestations se déroulent dans une ambiance festive », se félicitent d’ailleurs les organisateurs.

Le climat n’en est pas moins inquiétant. « Les idées d’extrême droite ne sont plus dédiabolisées, elles sont banalisées, elles sont au centre du débat et les mots et les valeurs sont complètement inversés. Ce sont les antiracistes, les gens de gauche qui sont placés hors champ de la République », dénonce le sénateur communiste Fabien Gay, pointant la « respiration démocratique » que permet la marche à laquelle le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, participe de son côté depuis Lille.

« On revient installer des lignes rouges »

« Cette politique de division de la population, avec la stigmatisation en particulier des musulmans, et d’étouffement des libertés, avec les lois ‘’sécurité globale’’ ou ‘’séparatisme’’, vise à continuer un programme de plus en plus antisocial et antiécologique », ajoute Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, qui a prononcé avec la présidente de l’Unef, Mélanie Luce, quelques mots au nom de tous les signataires de l’appel. « On revient installer des lignes rouges : le camp républicain, c’est tout sauf l’extrême droite, c’est ce qu’on vient dire aujourd’hui », insiste la syndicaliste étudiante.

D’ailleurs, un incident vient vite rappeler le climat délétère des dernières semaines. Quelques instants avant que le cortège ne s’ébranle, l’insoumis Jean-Luc Mélenchon est enfariné par un « souverainiste » revendiqué. « Il y a une grande tension. (…) La bonne réaction est de faire preuve de solidarité humaine et de sang-froid. Ils ne me font pas peur », réagit le député. « C’est, enchaîne-t-il, le grand bon signe du moment, dans une situation de division, de mesquinerie entre les organisations de la gauche traditionnelle, que tout d’un coup il y ait quelque chose qui vient de la société et qui veut s’opposer à cette vague des idées d’extrême droite qui ne rencontre que peu de résistance puisque les superstructures traditionnelles regardent ça avec bienveillance. »

Les militants sont au rendez-vous

Dans la foule, les militants, drapeaux en main, sont au rendez-vous. Éric, enseignant, chasuble de la FSU sur le dos, veut montrer que « les syndicalistes ne se font pas avoir par les sirènes de l’extrême droite : dans leur programme on retrouve la même volonté de satisfaire un patronat, peut-être plus national, mais en tout cas pas les salariés ». Quand bien même la supercherie n’est pas des plus simples à révéler : « Je n’ai pas la solution mais on la cherche ici », sourit Éric.

« Droit à l’avortement, droit au travail, conception patriarcale de la famille sur toutes ces thématiques-là, les femmes sont en première ligne. Quand on regarde l’extrême droite en Pologne ou au Brésil, il y a de quoi être inquiet », alerte aussi Anne, dans le cortège féministe.

 

Les militants ne sont pas seuls dans la rue. Julien vient manifester pour la toute première fois parce qu’il juge « important de reprendre le contrôle du débat public monopolisé par l’extrême droite » : « Les appels au meurtre sur les électeurs de gauche ça ne me plaît pas vraiment », euphémise l’étudiant de 20 ans, pourtant « pas très confiant » car « les médias qui orientent le débat en ce sens sont trop puissants ». « Tous les gens qui sont là aujourd’hui on ne les entend pas, ils sont invisibilisés parce qu’ils ne sont jamais dans les médias traditionnels », ajoutent Yasmine, Emma et Léna, venues entre copines après avoir vu circuler l’appel sur les réseaux sociaux. « La normalisation de la haine, du racisme, de l’islamophobie, c’est quelque chose qu’on ressent, pas seulement sur les plateaux, mais aussi dans la vie de tous les jours », raconte l’une d’elles.

Macron-Le Pen : 2017... « en pire »

La perspective de 2022 et du scénario Macron-Le Pen, promis pour l’heure par les sondages, revient souvent. « 2022, c’est le même design que 2017 », commence Emma. « Mais en pire, l’interrompt Yasmine. Maintenant on sait ce que c’est de vivre sous Macron et on sait qu’on ne peut pas l’accepter encore. » Un peu plus loin, Arianne prévient aussi : « Ce sera compliqué pour moi, comme pour beaucoup de gens, de voter Macron au 2e tour, autant je l’ai fait en 2017, autant là… » Alors, pour cette sympathisante, la « dispersion » de la gauche n’est pas « une stratégie gagnante », mais elle ne veut « pas que l’histoire du PS se répète parce que c’était vraiment une trahison ». La plaie du quinquennat Hollande est encore béante. « Une partie de la gauche récupère les idéaux de droite, c’est n’importe quoi », tacle Yasmine. Parmi beaucoup de pessimistes, Rémi, lui, veut encore y croire : « J’ai envie de me dire qu’on peut être encore raisonnable et que si on veut que quelqu’un passe au second tour, il faut s’unir ».

« L’enjeu c’est de construire un socle commun »

Mais pour l’heure, même rassemblés dans la rue, la perspective d’un rapprochement pour les élections n’est pas vraiment d’actualité. « Il faut une alternative. L’enjeu c’est de construire un socle commun, une coalition et je pense, personnellement, que c’est l’écologie qui peut rassembler, fédérer, qui coche toutes les cases : l’environnement, la justice sociale, la démocratie », explique Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV. Quand Jean-Luc Mélenchon renvoie la balle : « Les partis de la gauche traditionnelle considèrent que l’élection présidentielle est perdue et que c’est le moment de se compter. »

 

J’espère que les partis politiques qui ont appelé avec nous à cette manifestation, vont aussi entendre ce message : il y a besoin de porter plus fort les questions économiques et sociales. Philippe Martinez Secrétaire général de la CGT

 

Du côté des syndicats, on pointe l’urgence de reprendre la main. Derrière la banderole de la CGT qui suit de près le camion des syndicats, Philippe Martinez estime qu’on « a besoin de rassembler les citoyens, le monde du travail plutôt que d’essayer de trouver des coupables, de s’opposer les uns aux autres alors qu’on devrait être tous unis contre ceux qui nous exploitent ». « J’espère que les partis politiques qui ont appelé avec nous à cette manifestation, poursuit le secrétaire général de la CGT, vont aussi entendre ce message : il y a besoin de porter plus fort les questions économiques et sociales, et ne pas se laisser entraîner sur un terrain, notamment de la sécurité, qui, même si c’est important, ne correspond pas aux premières exigences de ceux qui sont au chômage ». « On a toute notre place dans le combat contre l’extrême droite comme face à ce gouvernement », lance encore Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires, au moment de la photo de famille dans le carré de tête.

En fin d’après-midi, pour la première fois depuis longtemps, le cortège atteint la place de la République sans heurts. « C’est le point de départ, j’espère », souhaite, parmi beaucoup d’autres, Benoît Hamon (Génération.s). Les organisations signataires ne comptent pas en rester là : « Le camp de la liberté et du combat contre l’extrême droite est passé à l’offensive. Nous allons le poursuivre tou.te.s ensemble », ont-ils promis à l’issue de la journée. Un prochain rendez-vous est d’ores et déjà fixé au premier week-end de juillet « face au congrès du Rassemblement national » à Perpignan.


 

publié le 10 juin 2021

Banalisation de l’extrême droite :

la cote d'alerte est franchie


 

Aurélien SoucheyreDiego Chauvet sur www.humanite.fr

 

La dédiabolisation du Rassemblement national et de la fachosphère a atteint des sommets tels que la gauche est aujourd’hui présentée comme étant plus dangereuse que Marine Le Pen par des intellectuels et des élus. Même les mises en scène macabres sur le Web ne suscitent pas un tollé général.

Une saine réaction est attendue dans la rue ce samedi 12 juin .

 

Marine Le Pen est donnée qualifiée une seconde fois au second tour de l’élection présidentielle. Et beaucoup détournent les yeux. Le Rassemblement national est en passe de remporter la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et beaucoup détournent les yeux. De plus en plus de chaînes télévisées déroulent le tapis rouge à l’extrême droite. Et beaucoup détournent les yeux. Des militaires factieux appellent au coup de main. Et beaucoup détournent les yeux. La Macronie reprend les éléments de langage du RN. Et beaucoup détournent les yeux. Des intellectuels ayant pignon sur rue apportent, l’air de rien, un soutien à Marine Le Pen. Et beaucoup détournent les yeux… mais pas tous. Certaines voix s’élèvent. Mais il faut bien mesurer le niveau d’apathie du pays face à la montée permanente des idées et candidats d’extrême droite dans notre République.

 

Le dernier épisode en date ? Dans une vidéo d’une violence inouïe, les youtubeurs fascistes Papacito et Code Reinho mitraillent et poignardent un mannequin déguisé en militant de gauche. Jean-Luc Mélenchon dénonce cette ignoble mise en scène dans une conférence de presse. Mais qu’écrit alors Valeurs actuelles ? Il s’agirait d’un « contre-feu », selon le journal. Rien de surprenant venant de cette publication d’extrême droite. Mais que font dans la foulée l’AFP et une foule de journaux, dont Libération ? Ils qualifient eux aussi le point presse de l’insoumis de « diversion ». Certes, le candidat à l’Élysée avait créé auparavant une polémique avec ses propos sur les « graves incidents ou meurtres » qui se déroulent, selon lui, à chaque dernière semaine d’une élection présidentielle. Mais a-t-il décidé de la date de publication, ce week-end, de cette vidéo appelant à tirer sur les militants de gauche ? L’a-t-il exhumée d’archives anciennes ? Non.

« Tout ce qui peut détruire cette République est une chance »

Il convient ainsi de la prendre pour ce qu’elle est : un document filmé dans lequel deux fascistes s’acharnent sur ce qu’ils présentent comme un adversaire politique, en plus d’appeler massivement tout un chacun à s’armer pour faire de même. L’humour prétendu a bon dos. Un dos criblé de balles et de coups de couteau. « Il faut lire entre les lignes », déclare Papacito sur TV Libertés au sujet de ses productions, qui ne cachent rien de la réalité de son projet. « Tout ce qui peut détruire cette République est une chance », affirme-t-il sur les réseaux sociaux. Avant d’être plus explicite : « On fusille pendant des semaines des millions de salopes, on coupe les subventions à Libé et autres collabos à base de procès et humiliations publiques, puis on renoue avec la France d’avant 1789. » Ou encore : « Si tuer 20 000 journalistes sauve 70 millions de Français, il ne faut plus hésiter. »

 

Face à cette vidéo insupportable, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel ont décidé de porter plainte. « Il faut mettre fin à ce climat de violence. Au nom des communistes, je saisis le procureur de la République », a annoncé le secrétaire national du PCF. Mais qu’a dit le gouvernement ? Le silence assourdissant, comme après la tribune des militaires factieux soutenus par Marine Le Pen, a duré plusieurs jours. Il a fallu attendre qu’Emmanuel Macron, le président de la République lui-même, soit giflé, lundi, à Tain-l’Hermitage (Drôme), par un individu poussant le cri royaliste de « Montjoie ! Saint Denis ! » pour entendre une réaction. Le premier ministre Jean Castex a ainsi estimé qu’ « à travers le chef de l’État, c’est la démocratie qui est visée », avant de condamner « sans réserve la vidéo simulant le meurtre d’un militant de la FI ».

Papacito se dit prêt à voter Zemmour en 2022

Reste que, d’une gifle au premier personnage de l’État à des balles réelles tirées sur des allégories de militants de gauche, force est de constater que l’extrême droite se sent de plus en plus autorisée à se mettre en scène et à passer à l’acte. « Papacito est un pur produit de la galaxie Soral/Dieudonné dans le ton ultraviriliste et la violence revendiquée. Il est dans une continuité manifeste avec le fascisme historique », note Ugo Palheta. Mais le sociologue considère qu’un pas significatif a été franchi récemment puisque la fachosphère « s’est encore plus radicalisée sur les réseaux sociaux et YouTube : elle assume de plus en plus ouvertement un projet d’épuration raciale et politique ». Le tout alors même qu’elle bénéficie de soutiens de poids sur les grandes chaînes et journaux. À l’image d’Éric Zemmour, qui se définit comme un ami de Papacito et lui a confirmé son soutien après la diffusion de la vidéo. Un échange de bons procédés, puisque Papacito se dit de son côté prêt à voter Zemmour en 2022, afin de mettre la République à terre.

Minimiser volontairement le danger représenté par Marine Le Pen

C’est dans ce climat où le fascisme se montre pour ce qu’il est que des intellectuels ont franchi le Rubicon en apportant leur soutien à Marine Le Pen. Le philosophe Raphaël Enthoven a ainsi imaginé, lundi, un duel entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen au second tour de 2022, avant de donner sa préférence en pareil cas. « Je peux encore changer d’avis, mais je crois que, s’il fallait choisir entre les deux, et si le vote blanc n’était pas une option, j’irais à 19 h 59 voter pour Marine Le Pen en me disant, sans y croire, “Plutôt Trump que Chavez”. » Le Pen plutôt que Mélenchon, en somme. Une nouvelle version, toutes proportions gardées, du célèbre « Hitler plutôt que le Front populaire ! » lancé par le patronat français à la fin des années 1930. Enthoven a depuis fait machine arrière. Ses amis du Printemps républicain lui ont publiquement écrit « qu’avec l’extrême droite, il faut s’en tenir à un principe simple : jamais. Jamais on ne la soutient, jamais on ne l’approuve, jamais on ne finasse. Et, bien entendu, jamais on ne lui apporte son suffrage. En aucune circonstance. Il n’y a aucun mais, aucun si, aucun cependant, aucun peut-être. L’extrême droite politique, pour tout républicain, pour tout démocrate, c’est l’adversaire ».

 

Le Printemps républicain, tout en fustigeant vertement Jean-Luc Mélenchon, a également rappelé que « les intellectuels ont une responsabilité : celle de ne pas cautionner, de ne jamais légitimer » l’extrême droite. Enthoven dit désormais qu’il choisira le vote blanc, mais se targue d’avoir « étendu le front républicain ». « Le RN et la FI sont des jumeaux qu’il faut désormais traiter et combattre de la même manière ! » assène-t-il. Une façon de plus d’entretenir le confusionnisme et de minimiser volontairement le danger représenté par l’extrême droite. Il n’est pas le seul à faire ce choix gravissime. La journaliste à l’Opinion Emmanuelle Ducros a développé, lundi, sur Twitter (avant de supprimer son message), que la fonction publique résisterait davantage à Le Pen qu’à Mélenchon, et donc qu’elle représentait un péril moindre. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, considère, elle, que le « vrai danger » sur son territoire n’est pas le candidat RN Jordan Bardella, mais « la gauche radicale décroissante, indigéniste et communautariste, qui a perdu sa boussole républicaine ».

 

Valérie Boyer, sénatrice LR, appelle pour sa part à un « front républicain contre l’extrême gauche » et même le socialiste Julien Dray relativise à outrance en lançant qu’ « on diabolisait le Front national de Jean-Marie Le Pen parce qu’il faisait lui-même référence à des parties de l’histoire qui étaient diaboliques. Ce n’est pas le cas de Marine Le Pen ». Ugo Palheta alerte : « On pourrait croire qu’il s’agit d’épiphénomènes, de la sortie d’Enthoven à celle de Luc Ferry, pour qui il fallait faire usage des armes des policiers contre les gilets jaunes. Mais ces personnages ne sont pas associés à l’extrême droite traditionnelle et c’est pour cela que leurs déclarations sont significatives. » Le maître de conférences analyse que, d’un côté, « Marine Le Pen a donné des gages au patronat sur le plan économique, au moment même où la droite s’est radicalisée pour être globalement d’accord sur toute une série de choses avec l’extrême droite traditionnelle ». De l’autre côté, il observe que « les classes dominantes sont inquiètes car le capitalisme est en crise et n’arrive pas à rebondir après le choc de la pandémie. Le pire qui puisse leur arriver est qu’un projet alternatif émerge à gauche ».

 

Un cocktail explosif, alors même que la Macronie joue à faire monter l’extrême droite, reprend ses thématiques sur l’islamo-gauchisme et réprime violemment les mouvements populaires, qui fait que « nous avons en quelque sorte une phase qui prépare ou peut préparer le fascisme, ou une forme ajustée à notre temps de fascisme », s’inquiète Ugo Palheta. Il sonne l’alerte d’autant plus que « Papacito est celui qui dit le plus clairement à quel type de projet nous avons à faire », et que « les prochaines années vont être difficiles à gauche, sans sursaut ou émergence d’une alternative crédible aux yeux des Français ». C’est tout l’enjeu pour éviter le pire.


 

Face au climat délétère, dans la rue le 12 juin

Face à un « climat de haine, raciste et attentatoire aux libertés individuelles et collectives », plus de 90 organisations, collectifs et médias ont appelé à une journée de manifestations samedi 12 juin. L’appel compte comme signataires des syndicats (CGT, FSU, Solidaires…), de nombreuses associations (d’Attac à Oxfam en passant par la LDH, la FCPE, Alternatiba, la CNL, les Amis de la Terre…), des médias, dont l’Humanité, ou encore des formations politiques de gauche (FI, EELV, Génération.s, MJCF, NPA…). Le PCF a relayé la journée de mobilisation sur la base de son propre texte et les porte-parole du PS ont fait savoir qu’ils s’y joindront également. Les signataires dénoncent un contexte « politique et social alarmant » où « s’allier avec l’extrême droite ou reprendre ses idées ne constituent plus un interdit » et où, avec la crise,  « les injustices explosent et génèrent une forte misère sociale ». La manifestation parisienne partira de la place de Clichy à 14 heures, tandis que des dizaines de rassemblements (à retrouver sur marchedeslibertes.fr) seront organisées partout en France.

publié le 8 juin 2021

Joséphine Delpeyrat :
« On nous fait remonter,
un peu partout sur le territoire,
des agressions racistes quotidiennes »

Enthoven qui préfère Le Pen à Mélenchon. Banalisation de l’extrême droite. Hausse des agressions à caractères racistes. Zemmour bientôt candidat en 2022. Appels au meurtre du youtubeur Papacito. Quand est-ce que ça s’arrête ? Joséphine Delpeyrat, cofondatrice de l’Observatoire national de l’extrême droite, est l’invitée de #LaMidinale.

 

 

...Phrases extraites de la vidéo :


 

 Sur les propos de Raphaël Enthoven 

« La digue avec Raphaël Enthoven est depuis longtemps rompue, déjà en tant que féministe. Ça fait bien longtemps que je sens le danger chez lui. »

« La banalisation de l’extrême droite a inversé le sentiment de danger qui se retrouve à gauche. »

« Enthoven entend surtout protéger son petit statut de grand bourgeois. » 

« Avec les déclarations du ministre Cédric O, contrairement à des personnalités comme Valérie Pécresse qui sont capables de déclarer publiquement que le vrai danger ce sont les islamogauchistes et écolos, on voit bien que certains sont encore capables de bon sens. Malheureusement Cédric O n’est pas le plus représentatif de ce gouvernement. »


 

 Sur les accusations de complotisme à l’endroit de Mélenchon  

« L’union des gauches à du mal à se serrer les coudes et à venir en soutien à Jean-Luc Mélenchon. »

« Ce qu’il s’est passé hier avec l’appel au meurtre du youtubeur a permis à la plupart de la gauche de recouvrer ses esprits. »


 

 Sur l’appel au meurtre du youtubeur d’extrême droite 

« Quand Mélenchon est victime d’un appel au meurtre, on prend tous cette menace en plein coeur. Faire croire qu’il ferait diversion avec cette affaire est effroyable. On doit tous s’alarmer de ce type de menace. »

« On est dans un contexte où l’extrême droite a cessé de s’inscrire dans des idées et appelle à des violences de toutes sortes. Personne ne s’en offusque et ça m’inquiète beaucoup. »


 

 Sur le front républicain 

« Je ne sais pas quelle forme prendrait ce front républicain. »

« On voit bien dans les derniers sondages que c’est la gauche qui est prête à jouer le rôle de ce front républicain contrairement à ce que l’on veut faire croire. La droite, pour partie, a laissé tomber ce front et serait prête à envisager une Marine Le Pen plutôt qu’une alternative de gauche. »

« Il faut convaincre de la nécessité de ce front républicain chez les citoyens plus que dans les partis. »

« Si la gauche est loin derrière aux régionales et que l’union de la gauche et des écologistes n’est pas suffisante, il faudra probablement imaginer s’effacer au second tour et appeler à voter pour le candidat le mieux placé pour battre le RN. »


 

 Sur Eric Zemmour 2022 

« La candidature d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle me paraît extrêmement inquiétante et crédible aujourd’hui. »

« Le profil d’Eric Zemmour excite beaucoup une partie de la population qui n’irait pas naturellement se tourner vers une candidature classique du Rassemblement national. »

« Eric Zemmour incarne autre chose, quelque chose vu à la télé, notamment dans ces médias qui deviennent des références pour trop de gens : Cnews transcende une partie de la population qui ne se tourne plus vers les urnes aujourd’hui. »

« En France, pour se présenter à l’élection présidentielle, il faut recueillir des parrainages et j’ose espérer que nos maires français et françaises auront le bon sens de ne pas lui donner le ticket d’entrée. »


 

 Sur l’Observatoire national de l’extrême droite 

« On nous fait remonter, un peu partout sur le territoire, des agressions racistes quotidiennes. »

« On reçoit beaucoup d’appels à l’aide de certaines villes. »

« La majorité silencieuse est très inquiète de la montée en puissance de l’extrême droite. »


 

 Sur la marche du 12 juin pour les libertés et contre l’extrême droite 

« Ce sont plus de 98 organisations et collectifs sont signataires qui viennent de bords très différents. »

« Ce n’est pas une énième manif contre le Rassemblement national : quand on parle des idées d’extrême droite, on va bien au-delà de la réponse au RN pour s’attaquer à la loi sur le séparatisme, la loi sur la sécurité globale, que c’est une réaction à la manifestation des policiers du 19 mai dernier… »


 

 Sur le duo Emmanuel Macron - Marine Le Pen 

« Emmanuel Macron et Marine Le Pen se nourrissent assurément l’un l’autre. »

« LREM est le premier agent de l’extrême droite en France aujourd’hui. »

« Macron et Le Pen, ce n’est pas bonnet blanc, blanc bonnet. »

« Je fais partie de celles qui, si jamais on devait avoir un second tour Marine Le Pen - Emmanuel Macron, à aller voter : je ne laisserai pas passer Le Pen, peu importe la configuration et même si je sais que Macron a considérablement nourri ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays. »


 

                              pour voir l’intégralité de l’interview en vidéo (15 minutes) :

 

http://www.regards.fr/la-midinale/article/josephine-delpeyrat-on-nous-fait-remonter-un-peu-partout-sur-le-territoire-des

publié le 8 juin 2021

Joséphine Delpeyrat :
« On nous fait remonter,
un peu partout sur le territoire,
des agressions racistes quotidiennes »

Enthoven qui préfère Le Pen à Mélenchon. Banalisation de l’extrême droite. Hausse des agressions à caractères racistes. Zemmour bientôt candidat en 2022. Appels au meurtre du youtubeur Papacito. Quand est-ce que ça s’arrête ? Joséphine Delpeyrat, cofondatrice de l’Observatoire national de l’extrême droite, est l’invitée de #LaMidinale.

 

 

...Phrases extraites de la vidéo :


 

 Sur les propos de Raphaël Enthoven 

« La digue avec Raphaël Enthoven est depuis longtemps rompue, déjà en tant que féministe. Ça fait bien longtemps que je sens le danger chez lui. »

« La banalisation de l’extrême droite a inversé le sentiment de danger qui se retrouve à gauche. »

« Enthoven entend surtout protéger son petit statut de grand bourgeois. » 

« Avec les déclarations du ministre Cédric O, contrairement à des personnalités comme Valérie Pécresse qui sont capables de déclarer publiquement que le vrai danger ce sont les islamogauchistes et écolos, on voit bien que certains sont encore capables de bon sens. Malheureusement Cédric O n’est pas le plus représentatif de ce gouvernement. »


 

 Sur les accusations de complotisme à l’endroit de Mélenchon  

« L’union des gauches à du mal à se serrer les coudes et à venir en soutien à Jean-Luc Mélenchon. »

« Ce qu’il s’est passé hier avec l’appel au meurtre du youtubeur a permis à la plupart de la gauche de recouvrer ses esprits. »


 

 Sur l’appel au meurtre du youtubeur d’extrême droite 

« Quand Mélenchon est victime d’un appel au meurtre, on prend tous cette menace en plein coeur. Faire croire qu’il ferait diversion avec cette affaire est effroyable. On doit tous s’alarmer de ce type de menace. »

« On est dans un contexte où l’extrême droite a cessé de s’inscrire dans des idées et appelle à des violences de toutes sortes. Personne ne s’en offusque et ça m’inquiète beaucoup. »


 

 Sur le front républicain 

« Je ne sais pas quelle forme prendrait ce front républicain. »

« On voit bien dans les derniers sondages que c’est la gauche qui est prête à jouer le rôle de ce front républicain contrairement à ce que l’on veut faire croire. La droite, pour partie, a laissé tomber ce front et serait prête à envisager une Marine Le Pen plutôt qu’une alternative de gauche. »

« Il faut convaincre de la nécessité de ce front républicain chez les citoyens plus que dans les partis. »

« Si la gauche est loin derrière aux régionales et que l’union de la gauche et des écologistes n’est pas suffisante, il faudra probablement imaginer s’effacer au second tour et appeler à voter pour le candidat le mieux placé pour battre le RN. »


 

 Sur Eric Zemmour 2022 

« La candidature d’Eric Zemmour à l’élection présidentielle me paraît extrêmement inquiétante et crédible aujourd’hui. »

« Le profil d’Eric Zemmour excite beaucoup une partie de la population qui n’irait pas naturellement se tourner vers une candidature classique du Rassemblement national. »

« Eric Zemmour incarne autre chose, quelque chose vu à la télé, notamment dans ces médias qui deviennent des références pour trop de gens : Cnews transcende une partie de la population qui ne se tourne plus vers les urnes aujourd’hui. »

« En France, pour se présenter à l’élection présidentielle, il faut recueillir des parrainages et j’ose espérer que nos maires français et françaises auront le bon sens de ne pas lui donner le ticket d’entrée. »


 

 Sur l’Observatoire national de l’extrême droite 

« On nous fait remonter, un peu partout sur le territoire, des agressions racistes quotidiennes. »

« On reçoit beaucoup d’appels à l’aide de certaines villes. »

« La majorité silencieuse est très inquiète de la montée en puissance de l’extrême droite. »


 

 Sur la marche du 12 juin pour les libertés et contre l’extrême droite 

« Ce sont plus de 98 organisations et collectifs sont signataires qui viennent de bords très différents. »

« Ce n’est pas une énième manif contre le Rassemblement national : quand on parle des idées d’extrême droite, on va bien au-delà de la réponse au RN pour s’attaquer à la loi sur le séparatisme, la loi sur la sécurité globale, que c’est une réaction à la manifestation des policiers du 19 mai dernier… »


 

 Sur le duo Emmanuel Macron - Marine Le Pen 

« Emmanuel Macron et Marine Le Pen se nourrissent assurément l’un l’autre. »

« LREM est le premier agent de l’extrême droite en France aujourd’hui. »

« Macron et Le Pen, ce n’est pas bonnet blanc, blanc bonnet. »

« Je fais partie de celles qui, si jamais on devait avoir un second tour Marine Le Pen - Emmanuel Macron, à aller voter : je ne laisserai pas passer Le Pen, peu importe la configuration et même si je sais que Macron a considérablement nourri ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays. »


 

                              pour voir l’intégralité de l’interview en vidéo (15 minutes) :

 

http://www.regards.fr/la-midinale/article/josephine-delpeyrat-on-nous-fait-remonter-un-peu-partout-sur-le-territoire-des

publié le 7 juin 2021

Extrême droite. Au RN, le retour des vieux démons du Front

 

Florent LE DU et Cyprien CADDEO sur le site www.humanite.fr

 

Soutien aux militaires factieux, candidats racistes, programme plus néolibéral qu’il n’en a l’air… malgré la dédiabolisation, le parti n’en a pas fini avec ses casseroles historiques.

Trois, peut-être quatre. C’est le nombre de régions où existe un vrai risque que le Rassemblement national l’emporte, le 27 juin prochain : Paca, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Hauts-de-France.

Le RN peut donc sourire, d’autant qu’il bénéficie désormais d’un certain nombre d’officines qui relaient et amplifient son discours : de la fachosphère à des médias installés comme CNews ou Valeurs actuelles. Sans compter les partis politiques qui se sont mis à puiser dans son vocabulaire, en témoigne la chasse aux « islamo-gauchistes » initiée par le gouvernement et reprise par LR comme par une partie de la gauche, tendance Printemps républicain. Pour autant, derrière la vitrine ripolinée du Rassemblement national, les vieux démons du Front, historiquement nationaliste, xénophobe et néolibéral, ne sont jamais loin. Tour d’horizon.

1. Le vernis antisystème

« Je suis la candidate antisystème », a répété Marine Le Pen lors des campagnes de 2012 et 2017. Un positionnement démenti par les votes des parlementaires et eurodéputés frontistes en matière économique. Depuis quatre ans, la ligne protectionniste chère à Florian Philippot a été abandonnée, et avec elle la plupart des dénonciations concernant la politique économique européenne, dont la sortie de l’euro.

Marine Le Pen finit même par crier son amour au néolibéralisme. Avec comme un variant de la « start-up nation » lorsqu’elle a annoncé, le 1er mai, son plan pour « aider les jeunes », dont le premier point consiste à « accompagner la création d’entreprise ». Elle promet ainsi aux moins de 30 ans une exonération d’impôt sur les sociétés et sur le revenu pendant cinq ans tout en prévoyant « une réforme de la fiscalité sur les successions et les donations, vers une plus grande mobilité du capital entre les générations en faveur de la croissance et l’emploi ».

Autre preuve de ce virage libéral, le 21 février, elle se fendait d’un plaidoyer pour le remboursement de la dette publique dans une tribune publiée par l’Opinion. « C’est une adresse  à l’électorat de droite traditionnelle, aux hommes d’affaires, aux publics cultivés, à certains étudiants, analysait la philosophe Juliette Grange. Elle tente ainsi de conquérir un nouvel électorat et a en même temps la conviction que ceux qui ont déjà voté pour elle, quelles que soient les raisons, lui seront fidèles. » Tout en flattant les milieux bourgeois, son programme n’est donc pas totalement dénué de propositions ­sociales, comme la retraite à 60 ans ou le refus annoncé de mener une politique d’austérité. Promettre de ne pas augmenter les impôts tout en assurant arrêter les coupes budgétaires en passant par un « grand plan d’emprunt national » : quand Le Pen revisite le « en même temps ».

2. Les bonnets d’âne de la respectabilité

Ils sont près de 4 000 à être candidats RN pour les élections de juin. Il y a les investitures très médiatisées de transfuges de LR, dont Thierry Mariani en Paca ou Jean-Paul Garraud en Occitanie. Mais d’autres candidats contreviennent à la stratégie de dédiabolisation du parti et rappellent sa nature profonde. En Corrèze, Danièle Delavaud a été la première à se faire épingler. Le 21 mai, elle est désinvestie par le parti après que des internautes ont exhumé d’anciens tweets, publiés en 2017. « Qu’on arrête de construire des mosquées, je suis O.K. pour les faire sauter », écrit celle qui propose aussi de « bombarder » les manifestants.

Le 31 mai, France 2 révélait que Geneviève Veslin, candidate aux départementales dans la Creuse, était une adepte de publications « racistes et antisémites » – une cinquantaine recensées – sur le réseau social russe VK. Outre de nombreux relais de théories du complot, notamment sur la « finance juive », on y retrouve plusieurs propos tombant sous le coup de la loi tels que « les juifs niquent la France » ou un hommage au négationniste Robert Faurisson, assorti de la citation suivante : « Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique. » Face à ces révélations, le RN a décidé de lui retirer son investiture. Thierry Morin, lui, la conservait à l’heure où nous écrivions ces lignes. Ce candidat creusois dont le compte est en grande partie dédié à montrer des photos pornographiques de femmes russes s’emporte aussi sur VK contre « ces saloperies de migrants de merde ». « Cela rappelle la vraie nature de nombreux ­militants frontistes, estime Thomas Portes, fondateur de l’Observatoire de l’extrême droite. Il ne faut jamais perdre de vue que le RN est un parti xénophobe, haineux. »

Au sein même du RN, certains ­profils font grincer des dents. Fondateur du Rassemblement national juif (renommé Cercle national juif France-Israël), Jean-Richard Sulzer a fait part de ses craintes dans un mail adressé à la présidente du parti, le 5 mai. Sont ainsi cités comme problématiques : la tête de liste en Bretagne Gilles Pennelle, ex-militant du groupuscule néopaïen ­racialiste Terre et peuple ; le conseiller ­régional sortant en Île-de-France Axel Loustau (qui n’a finalement pas été investi candidat), ancien du syndicat étudiant ultraviolent GUD ; Philippe Vardon, directeur de campagne en Paca et ancien membre d’Unité radicale et des Identitaires ; ou encore Philippe Eymery, président du groupe RN dans les Hauts-de-France, proche des identitaires lillois. « Il est clair que tous ces ­personnages, souvent adhérents de longue date, ont été mis très en avant malgré un passé sulfureux (écrits, vidéos, tweets, posts, condamnations) », écrit Jean-Richard Sulzer. On ajouterait volontiers Damien Rieu, ­candidat RN dans la Somme et cofondateur de Génération identitaire – dissoute en mai dernier pour « provocation à la haine ».

3. Toujours obsédés par la guerre civile

Quand Valeurs actuelles a publié, le 21 avril, sa tribune des généraux aux relents putschistes, le RN s’est empressé de les soutenir. Mieux, Marine Le Pen, saluant « un constat de lucidité », n’a pas oublié que 40 % des militaires votent pour elle et les a appelés « à se joindre à (son) action pour 2022 ». « Il y a un risque de guerre civile qui couve », a ajouté la présidente du RN, reprenant les mots des militaires factieux, qui, rappelons-le, menacent d’intervenir par la force contre « les hordes de banlieue ». Le parti, qui se rêverait pleinement inscrit dans le champ républicain, cède à nouveau à ses antiennes putschistes, comme au temps de l’OAS (la tribune des militaires marquait les 60 ans du putsch d’Alger). Il faut dire que le spectre d’une guerre civile reste un thème cher à l’extrême droite, et pas seulement chez les groupuscules identitaires. « La guerre civile est déjà là », c’est celle de « l’insécurité », estime ainsi Thierry Mariani, transfuge de LR. « S’il y a une guerre civile demain, on la gagne », a assuré pour sa part Marion Maréchal le 16 mai au site « alternatif » Livre noir, souhaitant donc à demi-mot qu’elle advienne.

Désormais globalement accepté dans le champ politique et médiatique, toujours haut dans les sondages, le RN estime avoir achevé son œuvre de dédiabolisation. L’heure est maintenant à la banalisation : puisqu’il n’est plus systématiquement suspect aux yeux des électeurs, comme il pouvait l’être jadis, il peut se permettre à nouveau ses outrances traditionnelles. À ceci près que, désormais, il y a de moins en moins de gens pour s’en émouvoir. 
 

 


 

publié le 5 juin 2021

Régionales 2021. Ce que les slogans choisis par les candidats
disent de ces élections

 

Cyprien Caddeo sur le site www.humanite.fr


 

Les slogans des candidats et intitulés retenus pour identifier les listes des élections régionales des 20 et 27 juin 2021 sont riches d'enseignements sur ce scrutin peu lisible. Les signatures politiques, en particulier, restent floues. Décryptage.

Certains veulent « la Région, partout et pour tous ». « Construisons la région de demain », enjoignent les autres. D’autres encore rêvent de « l’Alternative » ou d’« Un nouveau souffle ». Qui dit campagne électorale dit foire aux slogans. Car si la politique est affaire de convictions, de programme, de passion militante, elle est aussi une machinerie publicitaire. Une science en soi.

Le synthétisme, tout un programme

« Un bon slogan doit être à la fois assez marquant pour qu’on le retienne, assez pertinent pour porter un programme de manière synthétique, mais ne doit pas succomber à l’appauvrissement de la pensée. Tout ça en peu de caractères », résume la sémiologue Élodie Mielczareck.

Les listes pour les élections régionales des 20 et 27 juin, désormais bouclées, ont un nom. Et ce n’est pas rien : c’est lui qui figure sur les affiches, les tracts et les bulletins de vote. C’est lui, aussi, qui fait office de slogan de campagne et doit donner une clé de lecture du scrutin à l’électeur. Ce qui, dans une campagne sans meeting ou presque, en fait un élément d’identification important.

Le règne du générique

Alors que dire des slogans de cette cuvée électorale 2021 ? Un grand absent : les partis politiques. Affaiblis et impopulaires dans les enquêtes d’opinion, ceux-ci se font tout petits. Surtout si l’on ajoute les listes d’union, qui interdisent toute référence à un parti plutôt qu’à un autre. Rare contre-exemple parmi les principaux partis, la liste « Bretagne insoumise ».

Pour les autres, c’est le règne du générique, comme en témoignent les slogans cités plus hauts, et pour lesquels nous avons volontairement omis de préciser l’étiquette politique.

Dans ce festival du flou, on peut citer « la Région par cœur » (PS-PCF, en Bourgogne-Franche-Comté), l’étonnamment sobre « Rassembler l’Occitanie » (RN) ou l’improbable « Envie d’Île-de-France » (LaREM), qui ressemble davantage à une brochure d’office du tourisme ou à un tube de Peter et Sloane qu’à un marqueur politique. Ou encore « Plus forts ensemble », si abscons qu’il est à la fois le slogan des socialistes dans le Centre-Val de Loire et celui des « Républicains » dans le Grand-Est.

LaREM et l’idée abstraite de progrès

« Ces slogans sont dans leur ensemble symptomatiques du moment : ils ne renvoient plus à une signature politique ou à une vision du monde, juge Élodie Mielczareck. Leur vacuité porte en creux la défaite des idées, la manière dont elles sont devenues interchangeables entre les partis. »

Ce flou entretenu est particulièrement visible chez les marcheurs et leurs alliés, qui se contentent de références dépolitisées à l’idée abstraite de progrès : « Ensemble le meilleur est avenir » au Centre-Val de Loire ou « la Région de tous les progrès » dans les Pays de la Loire. Le Parti socialiste n’est pas en reste avec l’alambiqué « les Talents de nos territoires, l’union de nos énergies » (Nouvelle-Aquitaine) ou le passe-partout « la Normandie nous rassemble ».

Les mots « ensemble » ou « rassembler » reviennent d’ailleurs le plus dans les slogans, ignorant les frontières partisanes : « Ensemble pour notre région » (PCF-FI, en Auvergne-Rhône-Alpes), « l’Écologie ensemble » (EELV, dans les Pays de la Loire), « Ensemble faisons gagner nos territoires » (LR, en Centre-Val de Loire). Ironique à l’heure où le paysage politique n’avait jamais été autant éparpillé façon puzzle. « Plus un mot est utilisé, plus il est dénaturé et perd de sa charge sémantique », ajoute Élodie Mielczareck.

EELV, l’écologie en vert et... partout

D’autres partis en revanche ont fait le choix de résumer leur candidature à un motif relativement concret. Les Verts brandissent sans surprise le totem « écologie » dans tous leurs slogans, comme « l’Écologie évidemment ! », la liste de Julien Bayou en Île-de-France. « On voulait l’idée de l’urgence, la force de l’évidence, puisqu’on entre dans la décennie où il faut agir, tout de suite. Et il y a aussi l’idée que c’est l’écologie par les écologistes, et que nous parlons d’écologie tout le temps », précise-t-on dans son équipe de campagne.

La liste FI-PCF a préféré « Pouvoir vivre en Île-de-France » : « Il fallait que le slogan propose une rupture par rapport au coût de la vie et du logement, au temps passé dans les transports, aux inégalités qui abîment la vie », raconte la communiste Céline Malaisé.

Vocabulaire guerrier

Chez LR, le vocabulaire guerrier est plébiscité : « la Région de toutes ses forces » pour Laurent Wauquiez, « Pour vous, de toutes mes forces » pour Valérie Pécresse, « Se battre pour vous » pour Xavier Bertrand.

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Quant au RN, il décline, dans la plupart des régions, un slogan unique : « la Région qui vous protège », parfois agrémenté d’un « Français, réveillez-vous ! ». Un choix aussi malin qu’il est malhonnête, puisqu’il ancre le slogan dans quelque chose de concret pour l’électeur – se sentir en sécurité – tout en faisant semblant d’ignorer que la sécurité n’est pas une compétence directe des régions.

« On est là ! »

Dernière tendance des slogans 2021 : ne pas trop mettre en avant le nom des nouvelles régions, auxquelles les électeurs ne se sentent pas attachés.

Ainsi, la liste FI-NPA avait pensé à « Nouvelle-Aquitaine populaire », avant de se raviser. « On s’est dit que pour les gens du Limousin ou du Poitou, ça ne voulait rien dire », glisse-t-on en interne, où l’on a finalement opté pour « On est là ! », référence à un des cris de ralliement des gilets jaunes.

Double problème démocratique

« Il y a un double problème de fond sur l’identification, reprend Élodie Mielczareck. Un problème d’identité à l’intérieur des partis, et un problème d’identification à la région à laquelle les électeurs s’imaginent appartenir. » Et donc un double problème démocratique.

Exception faite des régions historiques comme la Bretagne et la Normandie. Les noms des listes, tous courants confondus, qui concourent dans ces régions y font toujours référence. Mais comme en témoigne la liste « Vivre la Normandie » du sortant Hervé Morin, cela ne rend pas forcément les slogans beaucoup plus clairs…


 

publié le 5 juin 2021

Élections départementales :
les propositions innovantes de la gauche

 

Diego ChauvetNaïm Sakhi sur le site www.humanite.fr


 

Un revenu pour les jeunes précaires de moins de 25 ans ? Une mutuelle universelle à moins de 30 euros par mois ? C’est, parmi d’autres propositions, ce que des candidats de gauche mettent sur la table pour les scrutins des 20 et 27 juin.

Les élections départementales vont peser concrètement dans la vie des citoyens appelés aux urnes, mais leur participation pourrait être « inférieure de dix points » à celle de 2015, selon le politologue Frédéric Dabi. La gauche a donc choisi de passer à l’offensive avec de nouvelles propositions en matière de politiques sociales.

Un rôle de « bouclier social »

Alors que la crise a considérablement aggravé la précarité de millions de personnes, les départements peuvent jouer un rôle de « bouclier social », à en croire les programmes de ses candidats. Car, justement, l’action sociale est une des toutes premières compétences de ces collectivités, et reste un vrai marqueur du clivage gauche/droite. Avec l’explosion progressive de la pauvreté due à la crise sanitaire et économique, les conseils départementaux ont déjà fort à faire. Pour la suite, ils vont devoir innover sur leurs politiques sociales, et les candidats de la gauche ne sont pas avares de propositions.

1. Pour la jeunesse

Tout d’abord, en direction de la jeunesse, fortement touchée et précarisée par la crise. Dans plusieurs départements, qu’ils soient gérés par la gauche ou que celle-ci espère y obtenir une majorité de sièges, une proposition phare émerge, et elle aura une portée nationale : celle d’un « RSA jeunes », bien qu’il soit baptisé autrement, étant donné qu’une loi serait nécessaire pour qu’il existe en tant que tel.

Depuis le début de la crise du Covid, les organisations de jeunesse n’ont de cesse de réclamer, en vain, l’ouverture du RSA aux moins de 26 ans. Si la loi n’autorise pas aux départements une telle mesure, « des outils, comme le Fonds d’aide aux jeunes, peuvent être mobilisés », assure le président PS de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, qui prévoit de porter le budget de ce fonds de 200 000 euros à un million d’euros par an.

Carte interactive Régionales et départementales : les enjeux des élections des 20 et 27 juin

Il n’est pas le seul à défendre une telle mesure. Dans le Vaucluse, la gauche rassemblée a fait de « l’extension du RSA aux moins de 25 ans à titre expérimental » un pilier de sa campagne, assure Patrick Savignan, candidat de la « société civile » soutenu par le PCF sur le canton de Caderousse-Orange-Piolenc.

En Isère, la gauche défend une proposition similaire. « Dès le budget 2022, nous créerons un revenu de solidarité jeunes (RSJ), d’un montant de 300 à 400 euros mensuels, pour tous les jeunes sans ressource et sans soutien familial », explique la candidate communiste Claudine Didier. Dans le département, cette proposition est portée par toute la gauche, qui est partie unie aux départementales sous la bannière du « Printemps isérois » (PS-EELV-PCF-FI), et chiffrée à environ un million d’euros annuels.

Dans le Nord, le chef de file des socialistes Didier Manier envisage, pour sa part, l’expérimentation d’une allocation pour 500 jeunes sur dix-huit mois. « L’idée est de donner 500 à 600 euros à des jeunes qui ont un engagement citoyen, associatif ou qui suivent une formation », détaille le Nordiste, motivant cette mesure par le fait que son département « est l’un des plus jeunes et des plus précaires de France ».

2. Pour l'accès aux soins et à la santé

La crise sanitaire a également mis en relief les problèmes d’accès à la santé et aux soins. Dans le Val-de-Marne, le président et candidat Christian Favier (PCF) souhaite instaurer une mutuelle universelle à moins de 30 euros par mois. « Jamais le besoin de protection n’a été ressenti de manière aussi forte par les habitants », assure le président du Val-de-Marne, qui souligne aussi le besoin de « redévelopper les maisons de santé dans les quartiers qui en sont le plus dépourvus ».

Une proposition également défendue dans le Nord par Didier Manier et son rassemblement (PS-PCF-EELV), avec le recrutement de médecins salariés, ou encore en Isère, où le « Printemps isérois » entend « déployer des centres de santé publics ou associatifs, avec l’opération “Mon médecin près de chez moi” ». Le tout dans un double objectif selon Claudine Didier : « Assurer la prévention et l’éducation à la santé, et garantir la permanence des soins quel que soit le lieu du domicile. »

En Seine-Saint-Denis, c’est l’expérience du bus itinérant assurant des soins dentaires qui sera développée si la gauche est réélue à la tête du département. Avec le Covid, le conseil départemental a mis en route des bus de vaccination. « On compte élargir à des pathologies telles que le diabète et l’obésité », explique Stéphane Troussel.

3. Pour les plus démunis

Dans le Nord, les dispositifs d’urgence mis en place au plus dur de la crise sanitaire sont source d’inspiration. La gauche y propose un plan d’urgence de 10 millions d’euros qui permettrait de « pérenniser l’aide départementale aux foyers les plus démunis en partenariat avec les associations caritatives ».

Ce plan d’urgence comprendrait des mesures allant d’une subvention exceptionnelle à la Banque alimentaire et aux épiceries sociales et solidaires, à la distribution de bons alimentaires, ou encore au prolongement des mesures au titre du Fonds de solidarité logement. « L’idée est de reprendre ce qui a été fait en Haute-Garonne où la majorité de gauche a développé un fonds social dédié aux habitants pour faire face à la crise », précise Didier Manier.

4. Pour un accès à la culture et au sport

Alors que les clubs sportifs et le milieu culturel ont aussi payé un lourd tribut, Christian Favier et « Val-de-Marne en commun » (PCF-PS-FI) souhaitent proposer un chèque « culture-sport » de 50 euros pour tous les collégiens. De quoi redonner du « pouvoir d’achat à toutes les familles même si nous gardons en tête que la crise touche d’abord les plus modestes », assure Christian Favier.

De son côté, le « Printemps isérois » porte une proposition semblable avec un bon de 100 euros pour les collégiens, dès la rentrée 2021, pour s’inscrire en activité sportive et culturelle. Quant à la fracture numérique, dont les conséquences en termes d’inégalités n’ont pas manqué de se faire sentir ces derniers mois, elle n’est pas en reste. Si, depuis une décennie, le Val-de-Marne distribue des ordinateurs à tous les collégiens qui entrent en classe de 6e, la gauche souhaite élargir ce dispositif à chaque jeune en insertion professionnelle.

Une bataille politique

Si les candidats ont pris soin d’assurer le financement de leurs propositions, la bataille n’en sera pas moins vive avec l’État dans le mandat à venir. Depuis de nombreuses années, les départements doivent faire face à la baisse des dotations de l’État et aux transferts de nouvelles compétences.

Plus encore, depuis 2017, les collectivités sont contraintes par la loi de limiter leurs dépenses. « Il faut continuer de mener la bataille politique pour que les allocations universelles de solidarité (RSA, aides personnalisées à l’autonomie…) soient intégralement prises en charge par l’État », affirme Christian Favier, qui assure que, « si nous gagnons, nous retrouverons des marges de manœuvre et nous pourrons répondre à d’autres besoins ». En outre, sur la question du RSA, les expérimentations que la gauche veut mener dans les départements ont aussi l’ambition de servir de points d’appui pour poursuivre le débat et la mobilisation au niveau national. Le rapport de forces issu du scrutin pèsera ainsi à plus d’un titre.


 

publié le 31 mai 2021

La Commune : 150 ans après, des combats brûlants d’actualité

Aurélien Soucheyre sur le site www.humanite.fr

 

La révolution de 1871 n’a duré que 72 jours. Si beaucoup de ses aspirations ont fini par obtenir gain de cause, d’autres restent inaccomplies mais gardent une puissante modernité. Travail, salaires, logement, égalité... L’écho de ses batailles, en phase avec notre époque, retentit encore et nous inspire. En témoigne la foule rassemblée samedi pour la traditionnelle montée au Mur des fédérés, à Paris.


 

Le 28 mai 1871, il y a cent cinquante ans, les troupes versaillaises achèvent d’écraser dans le sang la Commune de Paris. Cette formidable expérience populaire, démocratique et sociale est terminée. Adolphe Thiers et le « parti de l’ordre » s’acharnent même sur les survivants, afin de leur faire passer le goût de la révolution et d’intimider les générations futures.

Mais qu’a donc fait la Commune de Paris pour susciter une telle haine et une telle violence ? Qu’a-t-elle donc proposé, sur une période d’uniquement soixante-douze jours, pour que son souvenir ait une place si prépondérante dans l’histoire du mouvement ouvrier ?

Des basculements sociaux, voire civilisationnels

« Jamais sans doute événement aussi court n’a laissé tant de traces dans les représentations collectives », mesure l’historien Roger Martelli, président de l’association des Amis de la Commune de Paris. « Jamais révolution n’avait plus surpris les révolutionnaires », considérait même le communard Benoît Malon. Car l’insurrection du 18 mars, spontanée et impromptue, fait immédiatement face à une double menace : la présence de l’armée prussienne aux portes de Paris et celle des troupes de Thiers, qui attaquent la capitale dès le mois d’avril. La Commune de Paris, à peine installée, est donc confrontée à une guerre permanente.

Sur les 42 millions de francs qu’elle dépense, 33 millions sont attribués à la délégation à la guerre. Près de 75 % de son budget passent donc dans le soutien aux combats ! Que peut-elle bien réaliser à côté et inscrire au panthéon de notre histoire politique et sociale ? Le maximum possible ! « Malgré sa situation précaire, la Commune lance des basculements sociaux et parfois même civilisationnels », note Roger Martelli. Nombre des décrets qu’elle prend et des réformes qu’elle ébauche sont encore aujourd’hui d’une incroyable modernité et d’une brûlante actualité.

Paris, capitale du progrès

Paris redevient pour quelques semaines la capitale mondiale du progrès et de la citoyenneté. En pleine ébullition démocratique, les communards et les communardes se prononcent pour la séparation de l’Église et de l’État, qui ne reviendra qu’en 1905. Ils se mobilisent pour l’instruction laïque, gratuite et obligatoire, à destination des enfants des deux sexes, dix ans avant les lois Ferry. Ils brûlent les guillotines et se prononcent contre la peine de mort, sans pour autant légiférer. Elle ne sera abolie en France qu’en 1981. Autant de mesures phares qui seront ensuite reprises peu à peu, de la IIIe à la Ve République.

Mais la Commune va aussi s’attaquer à la question du travail et de la répartition de ses fruits. Elle met en place le tout premier ministère du Travail (dont le retour ne s’effectuera qu’en 1906). Elle interdit les amendes et retenues sur salaire opérées par le patronat. Elle fixe la journée de travail à 10 heures, contre 15 auparavant. Elle réglemente le travail de nuit, augmente les salaires pour les agents communaux et fixe un salaire minimum. Rien d’inconnu aujourd’hui ? Attendez : la Commune se prononce aussi pour une échelle des salaires afin de stopper les écarts de rémunération affolants. Ils sont actuellement de 1 à 860 dans plusieurs entreprises…

La Commune impose de plus l’égalité salariale entre les institutrices et les instituteurs. On attend toujours qu’elle s’étende à toutes les femmes et tous les hommes quelle que soit la profession. Elle organise enfin la réquisition des ateliers de production abandonnés par les patrons, et les remet aux travailleurs, qui se constituent en société coopérative. On parle aujourd’hui de Scop, où les salariés possèdent eux-mêmes les moyens de production et gèrent collectivement leur entreprise.

Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple

La Commune se distingue surtout par son fonctionnement en démocratie directe pour l’ensemble de la société. Un pouvoir réellement du peuple, par le peuple et pour le peuple. « L’assemblée communale voulait répondre aux aspirations immédiates de la population, tout en refondant un nouvel ordre social dans le domaine économique, judiciaire et scolaire », note l’historien Pierre-Henri Zaidman. C’est ce qui la conduit à organiser un moratoire sur les dettes privées et à instituer la fin de la vénalité des offices pour assurer une justice indépendante et gratuite. Ou encore à attribuer des postes de ministres et de commandants à des citoyens étrangers, sur le simple critère de la compétence. Elle réquisitionne enfin les logements vacants pour les sans-abri, ce que nous sommes toujours incapables de faire.

À une heure où le gouvernement et la droite appellent à « éviter tout anachronisme » dès lors qu’il s’agit de lier politique et mémoire (que l’on parle de 1871 ou de Napoléon…), force est de constater toute la modernité de la Commune, dont les mesures prises il y a cent cinquante ans sont encore en phase avec les problèmes de notre époque. « Cela témoigne de la force d’anticipation de la Commune, de son caractère profondément novateur. Au final, elle s’est heurtée à un Adolphe Thiers qui défendait de façon absolue la propriété privée et donc la domination des possédants », note le député PCF Pierre Dharréville.

La République doit être pleinement démocratique

« La question démocratique et sociale a traversé les siècles et reste d’une violente actualité. Ce que nous dit la Commune, c’est que la République doit être sociale pour être pleine et entière. Elle nous dit aussi qu’elle doit être pleinement démocratique : lors de la Commune, l’acteur qui bouleverse le cours des événements, c’est le peuple de Paris », analyse le député FI Alexis Corbière. « Elle ouvre le champ des possibles grâce à l’implication pleine et entière des hommes et des femmes. Elle a été balayée, mais ce qu’elle proposait est peu à peu revenu. Il faut continuer de s’en inspirer », insiste Pierre Dharréville.

Où en sont aujourd’hui les questions du mal-logement, de la citoyenneté des étrangers, du temps de travail, des écarts de rémunération et de la propriété des moyens de production ? C’est cette actualité qu’a souhaité interroger « l’Humanité Dimanche », juste avant la traditionnelle montée au mur au Père-Lachaise, qui a lieu tous les ans en hommage à la Commune. Avec deux citations à l’esprit. L’une d’Eugène Varlin : « Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. » L’autre de Marx : « Les principes de la Commune sont éternels et ne peuvent être détruits ; ils seront toujours mis à nouveau à l’ordre du jour, aussi longtemps que la classe ouvrière n’aura pas conquis sa libération. »


 

Publié le 02/04/2021

 

 

Régionales : en Ile-de-France, les gau-ches se regardent en chiens de faïence

 

 

Par Pauline Graulle sur www.mediapart.fr

 

 

Si la pression pour l’union s’accentue, Insoumis, écologistes et socialistes partent, pour l’heure, concurrents dans la région parisienne aux élections régionales. Une division qui a plus à voir avec les enjeux pour 2022 qu’avec le profil politique très proche des trois têtes de liste.

 

 

 

Jouer à « am stram gram » dans l’isoloir : voilà à quoi risquent d’être contraints les électeurs de gauche franciliens qui devront trancher, le 13 juin prochain, entre la social-écologie d’Audrey Pulvar, l’écologie sociale de Julien Bayou, et l’insoumission écologique et sociale de Clémentine Autain…

 

Face à la favorite du scrutin, la sortante des Républicains Valérie Pécresse, Verts, roses et rouges devraient partir concurrents au premier tour des élections régionales prévues les 13 et 21 juin prochains. Au grand dam d’une partie de la base militante, rapportent plusieurs responsables politiques locaux qui ont commencé à tracter pour leur candidat sur les marchés. Et qui constatent sur le terrain l’incompréhension des électeurs face à ces trois candidats qui se ressemblent mais ne s’assemblent pas.

 

« Pécresse n’a même pas besoin de faire campagne, on donne une image déplorable : il ne faudra pas s’étonner si les gens ne vont pas voter », glisse un écologiste basé en banlieue. Un élu parisien : « La gauche est en lambeaux et on va se payer le luxe de ne même pas essayer de récupérer une région [qui fut socialiste de 1998 à 2015 – ndlr] de 12 millions d’habitants ? En plus, même si 2022 est encore loin, ça envoie un mauvais signal. »

 

La date du dépôt des listes, mi-mai, laisse certes un peu de marge à de possibles rebondissements. Plus encore si les élections sont repoussées à cause du reconfinement – l’hypothèse d’un scrutin organisé en octobre prochain serait sur la table, dit-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. « Si les élections sont reportées à l’automne, ça peut rebattre toutes les cartes et, au final, favoriser les rapprochements », espère Céline Malaisé, présidente du groupe Front de gauche au conseil régional, aujourd’hui candidate sur la liste de Clémentine Autain.

 

Invité dimanche sur France Inter, Jean-Luc Mélenchon, le leader de La France insoumise, a proposé un accord aux Verts, leur soumettant l'idée d'une liste commune derrière Clémentine Autain, en échange de l’union derrière Europe Écologie-Les Verts (EELV) dans cinq autres régions : « C’est Monsieur Bayou qui est secrétaire national des Verts, c’est lui qui pourrait faire le beau geste ! »

 

En 2015, l’Île-de-France avait été le théâtre d'une guerre des gauches au premier tour, où communistes, écologistes et socialistes étaient partis chacun dans leur couloir. Le socialiste Claude Bartolone avait (difficilement) fait le rassemblement derrière lui au second tour. Mais, en plein mandat Hollande, l’alchimie ne s’était pas faite, et Valérie Pécresse l’avait emporté d’un cheveu.

 

« Aujourd’hui, encore moins qu’en 2015 où le PS était sortant, on ne pourra gagner sans une dynamique de premier tour », martèle Céline Malaisé. « Pécresse a eu le temps de tisser ses réseaux et a la main sur l’association des maires d’Île-de-France, c’est une adversaire redoutable », ajoute la communiste qui avait publié cet automne, avec d’autres figures locales, un appel pour un « projet commun » capable d’« unir toutes les forces politiques, sociales, associatives, citoyennes qui agissent pour le progrès social et écologique ». En vain.

 

Sauf que le 11 mars, un vent nouveau est arrivé des Hauts-de-France, avec cet accord jugé « historique » entre La France insoumise, le PS et le PCF, qui ont topé pour se ranger derrière la candidate EELV, Karima Delli. Une union scellée en fanfare. Et saluée par Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot et Olivier Faure, qui ont appelé à dupliquer ce genre d’attelage dans d’autres régions.

 

Un élément déclencheur ? Toujours est-il que le 16 mars, lors de son premier meeting de campagne, Julien Bayou, qui ne jurait jusque-là que par l’autonomie politique de l’écologie, a changé de ton. Et invité solennellement Audrey Pulvar et Clémentine Autain dans son local de campagne pour « explorer les conditions d’un rassemblement au premier tour ». En coulisses, Benoît Hamon, candidat sur la liste « L’écologie, évidemment ! » (qui regroupe plusieurs partis écologistes, dont Génération·s) a poussé pendant des semaines le secrétaire national des Verts à ouvrir grand les bras.

 

« Ma proposition est sérieuse. Je suis bien sûr prêt à réorganiser toute la liste », assure à Mediapart Julien Bayou qui dit espérer la voir aboutir fin mars au plus tard. En revanche, pas question de céder la tête de liste : « Les Insoumis n’iront jamais derrière le PS, Pulvar n’ira jamais derrière La France insoumise. De fait, le point central ne peut être que l’écologie politique », fait-il valoir.

 

D’où, sans surprise, l’accueil plutôt frais des intéressées. « C’est un peu étonnant que Julien fasse subitement cette proposition, alors que j’ai tendu des perches pendant des mois et je n’ai pas eu de retour, pointe Clémentine Autain, laquelle peut se targuer d’avoir réussi à sceller une alliance avec les communistes au premier tour, alors qu’une partie d’entre eux lorgnait vers Audrey Pulvar. Et surtout, je ne vois pas comment on peut faire une proposition de discussion sérieuse s’il y a un préalable qui est celui de la tête de liste. » L’Insoumise, qui a néanmoins répondu favorablement à la proposition de rendez-vous, attend toujours que les Verts proposent une date…

 

« J’ai toujours appelé à l’union. Se fera-t-elle avec les autres listes de gauche avant ou après le premier tour ? Nous verrons, rien n’est exclu », élude de son côté Audrey Pulvar, qui souligne que sa liste « Île-de-France en commun » rassemble déjà le PS, Place publique, le Parti radical de gauche, les écolos solidaires, Allons Enfants et des citoyens de la société civile.

 

Dans le fond, les deux candidates s’interrogent sur l’authenticité de cette tardive main tendue. « Je crois que c’est surtout parce que Julien ne décolle pas dans les sondages et qu’il cherche une porte de sortie, dit un proche de Clémentine Autain. Et puis réclamer qu’on se rallie à un écologiste au moment même où La France insoumise accepte de se ranger derrière Karima Delli dans les Hauts-de-France, c’est un peu fort. Les militants insoumis ne seraient de toute façon pas d’accord de disparaître derrière le secrétaire national d’EELV. Enfin, on ne voit pas pourquoi ce serait aux femmes de céder leur place à un homme. »

 

Même topo dans l’écurie de Pulvar : « On est devant d’au moins deux points dans les sondages et c’est le PS qui a le plus de collectivités locales en Île-de-France, alors pourquoi rangerait-on ? Ça ne se passe pas comme ça ! », s’exclame un membre son équipe de campagne, qui affirme que les socialistes « sont unitaires pour deux et pour trois »… à condition que cela se fasse derrière leur championne.

 

Pour l’écologiste et conseiller de Paris, Jérôme Gleizes, l’explication de cette impossible union aurait néanmoins moins à voir avec une guerre d’ego qu’avec les logiques d’appareil : « Le rassemblement dans le Nord a libéré un truc, y compris du côté de la base militante francilienne qui se dit “Pourquoi pas nous ?” Mais ce sont les appareils qui bloquent. Et comme à EELV, chaque région s’autodétermine, cela empêche une juste répartition des têtes de liste sur l’ensemble du territoire », analyse-t-il, soulignant en outre que les sondages plaçant les trois listes au coude à coude, personne n’a envie de se ranger derrière l’autre.

 

« L’ironie de l’histoire, regrette un autre écologiste, c’est que ces réflexes de vieille politique sont portés par des têtes de liste qui sont loin d’être les apparatchiks habituels. »

 

Pour cause : Julien Bayou, 40 ans tout rond, a fait ses armes dans l’activisme des « nouveaux militants » des années 2000 avant de s’imposer à la tête d’EELV l’an dernier sur la promesse du « dépassement » de son parti. Un an auparavant, il militait d’ailleurs au sein des Verts pour faire l’union avec la gauche aux européennes. Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis et figure montante de La France insoumise, a, elle, souvent fait entendre une petite musique en décalage avec la doxa mélenchonniste, notamment quand le mouvement coupait les ponts avec ses alliés communistes.

 

Quant à Audrey Pulvar, cette ancienne journaliste qui a été à la tête de la Fondation Nicolas-Hulot pendant deux ans, n’émarge pas au PS dont elle n’a pas hérité du logiciel productiviste à l’ancienne. Et doit sa toute jeune carrière politique à la réélection d’Anne Hidalgo à Paris, grâce à une coalition rouge, rose, verte, au second tour, qui l’a propulsée adjointe à l’agriculture.

 

« Tous les trois sont tout sauf sectaires », résume Benjamin Lucas, porte-parole de Génération·s, qui met la division sur le compte des « effets d’entourage ». Plus généralement, ajoute-t-il, « nous sommes dans une période politique où il n’y a plus d’hégémonie à gauche, ce qui a tendance à renforcer les réflexes un peu boutiquiers ».

 

Trois figures du renouvellement et de l’ouverture donc, qui se retrouvaient joyeusement sur le même terrain lors d’un match de football très politique organisé à Grenoble, en mars 2020, par François Ruffin. Et qui partagent sur le fond une vision commune du social et de l’écologie.

 

Certes, il existe des pommes de discorde, par exemple sur l’avenir du triangle de Gonesse sur lequel les socialistes, divisés entre eux, temporisent. Ou encore sur la gratuité des transports – Audrey Pulvar prônant la gratuité totale, Julien Bayou la gratuité pour les jeunes... Mais sur le reste, « le peuple de gauche, y compris les syndicats et les associations locales, le voit bien : au plan régional, on est tous d’accord sur les grandes orientations, qu’il s’agisse des lycées, des transports ou du logement », avance Céline Malaisé.

 

« Il y a des nuances, des divergences, mais les clivages ne sont pas indépassables, notamment avec Clémentine Autain, surtout quand en face, il y a la droite réactionnaire de Pécresse et l’extrême droite de Bardella », abonde Claire Lejeune, candidate sur la liste de Julien Bayou. « Je comprends que le triangle de Gonesse ou le plateau de Saclay puissent creuser quelques désaccords, mais franchement, vu de la Seine-Saint-Denis, ça n’a rien de déterminant », ajoute un communiste.

 

Sans compter quelques chassés croisés un peu cocasses : Benoît Hamon, candidat sur la liste EELV, ne cache pas qu’il verrait bien une candidature présidentielle de Christiane Taubira, laquelle soutient… Audrey Pulvar. Quant au Parti animaliste, il est en négociation avec la liste… insoumise/communiste.

 

En réalité, c’est bien la course pour la présidentielle qui fait obstacle à toute perspective de rassemblement. Le 13 juin, tout le monde aura les yeux rivés sur l’ordre d’arrivée au premier tour du scrutin dans la très symbolique région parisienne. Et tout le monde en tirera conséquences pour le leadership à gauche en 2022. « Le résultat de Pulvar déterminera la viabilité de la campagne d’Hidalgo, les Verts entendent démontrer qu’ils peuvent prendre l’ascendant sur les socialistes en 2022, et les Insoumis veulent se compter », résume un socialiste qui ne se fait en revanche pas trop de souci pour l’union au second tour.

 

Fin janvier, sous une pluie hivernale, Julien Bayou avait rendu visite, avec quelques camarades, à la mairie de Corbeil-Essonnes (Essonne). Dans une salle de l’hôtel de ville, le nouveau maire Bruno Piriou, un ancien communiste, avait accueilli la petite délégation d’écologistes avec le sourire. Mais au lieu d’évoquer, comme il était convenu, la question sanitaire, le tombeur du successeur de Serge Dassault avait décidé de sortir des clous.

 

Le voilà donc qui entreprend un long plaidoyer pour l’union : « Julien, je te dis la même chose que j’ai dite à Clémentine : à Corbeil, on a gagné parce que c’était une aventure collective, même si entre les écolos et le PCF, on n’était pas d’accord sur tout ! Moi, je suis proche de Clémentine, et je peux voter Vert, mais je ne peux pas me dire qu’il faut choisir », assène celui qui s’est battu, vingt-cinq ans durant, contre le « système Dassault », jusqu’à la victoire finale grâce à une liste « Divers gauche » rassemblant aussi des citoyens. Puis, comme un avertissement : « Les Pécresse et les Macron, ça ne peut pas être que de la faute des autres ».



 

Publié le 03/03/2021

L’affaire de Trappes : les faux amis de la laïcité

Par Denis Sieffert sur www.politis.fr

 

 

L’affaire de Trappes est, si j’ose dire, un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. À supposer que Didier Lemaire ne soit qu’un idéologue, redoutable mais sincère, l’enseignant illustre une laïcité de la dénonciation publique, et une République désincarnée, abstraite de toute réalité sociale, et d’une grande violence.


 

Nos librairies manquent-elles d’ouvrages décrivant les « territoires perdus de la République », et nos kiosques de unes anxiogènes dénonçant la montée de l’islamisme dans « les quartiers » ? Sommes-nous privés de débats télévisés sur la menace séparatiste ? Les noms Le Pen, Zemmour, Retailleau, Ciotti sont-ils trop méconnus ? Un professeur de philosophie d’un lycée de Trappes a dû le penser en tout cas, et se convaincre qu’il manquait quelqu’un – lui – dans le long cortège des « lanceurs d’alerte » – puisque c’est ainsi qu’il se définit. L’Obs, Le Point, et pas mal de télés lui ont aussitôt ouvert leurs pages ou leurs micros. Il y a dénoncé « la progression d’une emprise communautaire toujours plus forte sur les consciences et les corps ». Pour preuves, « les coiffeurs non mixtes » et « les cafés interdits aux jeunes filles d’origine maghrébine ». On connaît la litanie. Il ne s’agit pas ici de nier cette part de réalité mille fois décrite par maints « spécialistes » sur les plateaux de télévision, mais de s’interroger sur l’efficacité de ce ressassement et, plus profondément, sur les vertus de cette guérilla idéologique. Didier Lemaire, l’enseignant, donne d’ailleurs lui-même la réponse à cette question quand il rapporte la réaction de ses élèves qui lui ont demandé « pourquoi il avait écrit une lettre contre eux ». Que son propos ait été ressenti comme agressif en dit long sur la valeur pédagogique de cette stratégie de l’affrontement. Nombre de ses collègues usent d’une tout autre pédagogie dans la discrétion de leurs classes et de leur établissement.

 

En se lançant dans une croisade dans les médias, Didier Lemaire s’est comporté en politique. Ce qu’il est, puisqu’il fut secrétaire national du très radical mouvement Forces laïques, transformé en « parti républicain laïque » puis « solidariste ». Un courant qui appartient plutôt à la mouvance la plus laïcarde de la franc-maçonnerie qu’à l’extrême droite. Le vieux radicalisme Troisième République en somme. Didier Lemaire est en guerre contre l’islam comme le petit père Combes l’était contre le catholicisme. Or – faut-il le rappeler ? – ce n’est pas Combes qui a fait triompher la laïcité, mais Jaurès et Briand. Des esprits ouverts, militant pour la paix des consciences. Aujourd’hui, la politisation voulue par le professeur tourne au désastre. Le préfet des Yvelines a lui-même, et de façon assez inhabituelle, jugé « contre-productif de sembler stigmatiser les 32 000 habitants de cette ville [Trappes] qui, pour la très grande majorité d’entre eux, sont attachés aux valeurs républicaines ». Avant de devoir mettre en sourdine sa sincérité, sans doute tancé par sa hiérarchie gouvernementale. Mais, c’est le maire de Trappes qui a le plus mal vécu l’affaire. Ali Rabeh, un proche de Benoît Hamon, a dénoncé sans détour les « mensonges » du prof de philo. Et, la colère étant mauvaise conseillère, il est allé jusqu’à mettre un orteil dans l’enceinte du lycée pour y diffuser un tract de soutien aux élèves. Crime de lèse-laïcité ! La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, demande la révocation de l’édile, et Jean-Michel Blanquer a mis l’élu dans le même sac des « pressions religieuses et politiques ».

 

On serait très incomplet si on omettait de préciser que l’élection d’Ali Rabeh risque de faire l’objet d’une annulation (sans rapport avec l’affaire) et que nous sommes donc possiblement à la veille d’une nouvelle campagne électorale. Ce qui explique l’empressement de Valérie Pécresse, qui a un « bon candidat » pour la mairie de Trappes, à condamner Ali Rabeh. Quant au professeur de philo, dans quelle galère il s’est mis ! Et dans quelle galère il a mis ses élèves ! Le voilà amené à quitter son lycée, mais assuré (dieu merci !), par un ministre bienveillant, d’un poste hors enseignement dans l’Éducation nationale. Pourquoi pas conseiller sur les questions de laïcité ? Honni soit qui mal y pense.

 

Mais ce n’est pas tout. Didier Lemaire dit avoir reçu des menaces de mort, et le voilà sous protection policière rapprochée. Puis, c’est Ali Rabeh qui, lui aussi, a été menacé. Cette affaire est, si j’ose dire, un cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. J’ignore le degré d’opportunisme du prof de philo, mais je ne doute pas que celui des deux ministres qui sont intervenus dans cette affaire, Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin, soit très élevé. En plein débat sur la loi contre le séparatisme, et alors que l’on tente à toute force d’installer dans les consciences l’inéluctabilité d’un nouveau duel Macron-Le Pen en 2022, un déballage de plus sur cette thématique est une aubaine. À supposer qu’il ne soit qu’un idéologue, redoutable mais sincère, l’enseignant illustre une laïcité de la dénonciation publique, et une République désincarnée, abstraite de toute réalité sociale, et d’une grande violence. Ne va-t-il pas jusqu’à souhaiter que l’on retire ces adolescents à leurs parents en cas de contestation des règles de laïcité ? Créer un conflit insoluble dans la conscience de ces jeunes gens entre l’école et leur famille, est-ce vraiment le bon chemin ? En attendant, deux hommes vivent aujourd’hui dans la crainte d’une agression. À tort ou à raison. Mais après l’assassinat de Samuel Paty, les menaces, réelles ou exagérées, ne peuvent être prises à la légère.

Publié le 16/02/2021

 

 

Une idée pour les prochaines élections départementales !

A l'origine il y a Pierre Polard, conseiller départemental et maire de Capestang, ayant porté aux dernières législatives une candidature de rassemblement soutenue par le PC, Ensemble !, la FI et le POI.

Avec des membres de ces mêmes horizons, unis par la même vision de la nécessité de rassembler, au-delà des partis, toutes celles et ceux qui luttent pour un projet d'émancipation sociale, démocratique et écologique, ils appellent à faire vivre ce Printemps Héraultais...

Publié le 09/01/2021

 

Macron, meilleur allié des anti-vaccins

 

Par Pierre Jacquemain sur www.regards.fr (éditorial du 03 janvier 2021)

 

Nous allons de fiasco en fiasco, et nous voilà désormais dans celui du vaccin. La France est à la traîne. Le mot est faible. Mais ça n’est pas de l’avis du président de la République, irréprochable, selon lui, car la France est le pays qui gère le mieux la crise... toujours selon lui.

 

Emmanuel Macron est en colère : « Ça doit changer vite et fort », a-t-il prévenu lors de ses vœux aux Français. Dans le viseur, son ministre de la Santé, Olivier Véran, comptable des mauvais chiffres de la vaccination contre le virus du Covid. Près de 10 millions de personnes se sont déjà vues administrer une dose du vaccin à travers le monde : 4,5 millions en Chine, un million au Royaume-Uni, 150.000 en Allemagne, 60.000 en Russie, 25.000 au Mexique et… 340 en France. Des chiffres qui font mal. Et qui font peur aussi.

 

Sommes-nous gérés par des incompétents ? Des inconscients ? Des amateurs ? Leur responsabilité est immense. Mais Emmanuel Macron lâche les siens. Tout d’un coup, ça n’est plus de sa faute, c’est les autres. En l’occurrence le ministre de la Santé. Ça n’empêche pas le président Macron d’affirmer droit dans ses bottes un soir de réveillon que, l’air de rien, nous sommes sans doute le pays au monde qui a mieux géré la pandémie.

 

Pourtant, si l’on sondait la population, il n’est pas certain que l’écho d’en bas, celui des Français, soit aussi enthousiaste. Ça n’a échappé à personne – sauf peut-être à ceux d’en haut : qu’il s’agisse des masques – passés de inutiles à un peu utile pour terminer obligatoire dès six ans –, ou encore des tests – dès le 11 mai, jour de déconfinement, Emmanuel Macron avait juré que le gouvernement prévoyait jusqu’à 700.000 tests par semaine dès la fin mai pour ne devenir qu’une presque réalité en octobre (bien que les processus soient restés chaotiques) – et maintenant le vaccin – dont on ne comprend rien de la stratégie –, on ne peut pas dire que la gestion de cette crise ait été réussie.

 

Et à cette phrase satisfaite d’Emmanuel Macron, la communication gouvernementale reste la même, glorifiante : « Nous avons organisé la meilleure rentrée scolaire en Europe » (Jean-Michel Blanquer) ; « Pas un pays au monde n’a fait ce que nous avons fait pour sauver les entreprises » (Bruno Le Maire) ; « Nous sommes le seul pays à avoir autant testé la population » (Olivier Véran). Nous sommes peut-être les champions du monde de la communication mais certainement pas de la gestion de crise.

 

Ceux qui nous dirigent feraient mieux de nous dire pourquoi ça ne marche pas plutôt que nous expliquer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’affaire est trop grave pour jouer les gros bras. Et ne vouloir que paraître. Paraître le meilleur aux yeux du monde, quitte à enrober la réalité. L’affaire est trop grave aussi pour ne pas voir que l’une de nos principales failles depuis le début de l’épidémie, c’est notre démocratie. Elle est plus que fragilisée. Elle est quasi inexistante. Il n’y a plus de débat. Tout se décide dans le plus grand des secrets, entre hommes, dans un conseil de Défense. « Il faut rendre la société co-responsable de la gestion de la pandémie », a déclaré Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale et président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay. Il ajoute : « Après un an de pandémie, si on n’a pas compris comment gouverner une pandémie, c’est-à-dire en associant la société, en la rendant co-responsable, on échoue par nature. Et là, il y a un échec qui est dramatique […]. Nous avons maintenant besoin d’un débat mature. Il faut prendre des initiatives au niveau du Parlement, des différentes instances représentatives pour qu’il y ait du débat. Nous avons besoin de parole, besoin d’échanger, sur ce qui est essentiel par exemple. Nous avons aussi besoin, et c’est fondamental, d’admettre ce que va être la société du risque à laquelle nous allons être confrontés dans les années qui viennent. Et il n’y a pas que le risque d’une pandémie : le risque nucléaire, bactériologique, chimique, terroriste existe aussi. Donc il faut intégrer une culture de l’exposition à des risques, et discuter dans ce cadre de ce que l’on accepte et ce que l’on n’accepte pas, ce qui est proportionné, ce qui n’est l’est pas ».

 

Comme nous l’écrivions avec Catherine Tricot dans l’introduction de Dessine-moi un Pangolin : « Avons-nous les pastilles d’iodes en nombre suffisant si un accident nucléaire arrivait ? Avons-nous les stocks alimentaires pour faire face à des phénomènes extrêmes ? Disposons-nous des vaccins en quantité contre la variole ? Cette crise insinue une inquiétude redoutable ». Nous avons-là matière à nous inquiéter. Des questions aussi nécessaires que légitimes quand on s’aperçoit que dans le contexte sanitaire du Covid et alors que la grippe menace, nous n’avons pas les vaccins nécessaires contre la grippe, certains pharmaciens allant jusqu’à parler de pénurie. Nous allons de fiasco en fiasco. Et de l’incompréhension collective nous sommes passés à une défiance généralisée à la fois du politique – qui n’est pas nouvelle mais qui s’aggrave – et du monde scientifique.

 

Pourquoi sommes-nous l’un des pays les plus réticents face au vaccin ? Pourquoi, qui, comment a-t-on décidé de la stratégie de la vaccination ? D’où vient cette idée extravagante - et qui n’a pas manqué d’être largement moquée - de tirer 35 citoyens au sort pour se prononcer sur la stratégie vaccinale ? Quelle légitimité ? Quelle compétence ? Pourquoi 35 ? Y a-t-il eu consentement des soignants et des personnes âgées, vaccinés dans les Ehpad ? Pourquoi ne pas avoir ouvert l’accès au vaccin aux volontaires ? Longtemps, on nous a expliqué que la réussite de la Chine dans la sortie de la crise sanitaire était liée à l’autoritarisme du pouvoir central sur sa population. Rien n’est moins sûr – et pour en parler, Jean-Louis Rocca, sociologue, spécialiste de la Chine, sera ce lundi 4 janvier l’invité de #LaMidinale, dès 12h30. Une chose est sûre, c’est que l’autoritarisme de bureau, celui qu’exerce Emmanuel Macron depuis le Palais de l’Élysée, nous conduit tout droit dans le mur. Et donne aux anti-vaccins, de quoi se frotter les mains.

Publié le 11/12/2020

Caricatures de démocrates

 

(site politis.fr)

 

Les députés LREM n’apprécient pas la publicité de leur vote.

Jacques Maire est un député chatouilleux. Sur son image. Comme plusieurs des 388 #députésdelahonte, ainsi qu’ont été qualifiés par La Revue dessinée les élus qui ont voté la proposition de loi « sécurité globale », ce parlementaire macronien des Hauts-de-Seine n’a pas apprécié de voir son portrait dessiné (lui dit « caricature ») diffusé sur les réseaux sociaux avec ce hashtag et collé sur quelques panneaux d’affichage libre de Meudon. Cela « relève de la stigmatisation publique classique pratiquée par l’extrême droite », s’est-il emporté le 1er décembre sur Twitter, en présentant copie de la plainte contre X qu’il venait de déposer au commissariat de cette ville. Une plainte pour « acte d’intimidation envers un élu public pour qu’il influence une autorité pour l’obtention de décision favorable » et « diffamation envers un dépositaire de l’autorité publique ». La seule mention inscrite sous son portrait est pourtant purement factuelle. Elle informe qu’il « a voté pour la loi sécurité globale ». Quant à y voir une « intimidation », c’est un pur procès d’intention.

Ce n’est pas la première fois que des députés LREM n’apprécient pas la publicité de leur vote. En octobre 2018, plusieurs d’entre eux s’étaient emportés contre François Ruffin quand le député LFI de la Somme avait annoncé dans l’hémicycle que les noms de tous les députés qui s’apprêtaient à rejeter une proposition de loi relative à l’inclusion des élèves en situation de handicap seraient publiés. « Ils circuleront à travers la France. Et ce vote, j’en suis convaincu, vous collera à la peau comme une infamie », leur avait-il lancé. Le président LREM de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée, Bruno Studer, l’avait accusé de « faire son petit Robespierre » tandis que sa collègue Anne-Christine Lang fustigeait sur Twitter « des méthodes de voyous » et qualifiait le procédé de « délation » et d’« incitation à la haine ».

En ces temps troublés où la Macronie se pique de renforcer les principes républicains, il n’est pas inutile de rappeler à ses élus qu’ils exercent un mandat temporaire dont ils sont redevables auprès des électeurs, et non un job dont ils devraient s’acquitter auprès de l’employeur qui les a mis où ils sont. En clair, ce n’est pas à Emmanuel Macron qu’ils doivent rendre des comptes, mais bien aux citoyens. Si le vote des députés est public, consultable sur le site de l’Assemblée, c’est justement pour que les citoyens puissent savoir ce que votent leurs représentants. Ça s’appelle la transparence et la démocratie. Deux notions trop souvent méconnues des macroniens.

 

par Michel Soudais

 Publié le 25/11/2020

Les godillots de l’Assemblée nationale adoptent la Loi de Sécurité Globale

 

La Mule (sitelamuledupape.com

 

On en attendait pas moins de la part d’une majorité LREM qui aura avalisé depuis deux ans tous les excès d’un gouvernement hors sol, qui gouverne le pays comme on gère une multinationale, sans culture de la démocratie, aveugle et sourd aux aspirations populaires, aux mouvements sociaux, au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. L’Assemblée Nationale a adopté par une majorité écrasante la controversée proposition de loi de Sécurité Globale, à 388 voix pour, 104 voix contre et 66 abstentions. On notera tout de même l’abstention de 30 députés LREM et 10 ayant voté contre, et le large soutien des députés LR. Les députés RN ont tous voté pour.

Le bruit des bottes et le silence des godillots

Extension des pouvoirs de la police municipale et de la sécurité privée, légalisation de la surveillance par drone, utilisation en direct des images des caméras piétons, reconnaissance faciale… Malgré les alertes des défenseurs des droits ou d’instances aussi bien nationales qu’internationales, l’Assemblée aura répondu à la déferlante de la peur dans un espace médiatique aux ordres du grand capital, et aux aspirations de syndicats de police devenus le dernier rempart entre le pouvoir et la gronde sociale qui court le pays depuis des années.

Ainsi de l’article 24, qui aura cristallisé les débats, autour de la notion des libertés de la presse et d’information, mesure qui viendra sanctionner la diffusion “malveillante” d’images de fonctionnaires de police ou de gendarmerie identifiables. Vu la lenteur des procédures judiciaires, il est à douter des garanties que ce texte prétend apporter à la police quant à la crainte de violences subies par les fonctionnaires hors de leurs heures de travail. Une disposition de pure démagogie, qui ne trouvera sans doute que très peu de traductions judiciaires dans les faits, l’intention de nuire étant difficilement caractérisable dans la plupart des faits, mais permettra surtout à la police, sur la base de simples présomptions, de remplir les geôles de garde-à-vue de journalistes indépendants et de citoyen·nes filmant les opérations de police, souvent en direct.

Une disposition dont les termes sur le papier cachent ainsi la réalité que refusent d’admettre Emmanuel Macron, son gouvernement et sa majorité parlementaire : celle d’une police complètement dépassée par ses excès sur le terrain face aux nouvelles technologies et à leur usage populaire, et qui s’est mise en branle pour remporter cette “guerre de l’image” où elle accumule les défaites dans l’opinion publique depuis des années. Une disposition dissuasive, qui permettra  d’écarter du terrain celles et ceux qui n’obéiront pas à cette injonction implicite de cesser de documenter la violence de l’autorité publique. Et dont on a à nouveau constaté le rôle primordial de vigies démocraties pas plus tard qu’hier soir.

Les députés REM se tirent une balle dans chaque pied

Si la législature macroniste a une nouvelle fois démontré son incapacité à écouter et comprendre la population dans son ensemble, comme à reconnaître la réalité des territoires qu’elle administre, la Loi n’en est pour autant pas définitivement adoptée ni applicable dès aujourd’hui. Elle doit d’abord passer par le Sénat à partir du mois de janvier, où il est prévisible qu’elle subira un certain nombre de modifications, avant de subir l’examen du Conseil constitutionnel dont le premier ministre Jean Castex a annoncé la saisine par ses soins. L’issue de ce passage devant la dernière instance est pour le moins incertaine tant la loi a suscité de réactions de toutes parts sur son caractère liberticide et son inconstitutionnalité.

Les parlementaires n’en ont donc pas fini d’essuyer les rafales téléphoniques et numériques, l’opprobre d’une partie immense et variée de la population et de sphères militantes plus remontées que jamais et prêtes à renouer avec la résistance malgré la période de crise sanitaire. Ni de devoir faire face aux polémiques qui ne manqueront pas d’être exacerbées dans l’espace médiatique chaque fois que des violences policières poindront, remettant en question le bienfondé d’une telle loi.

Que la proposition se traduise réellement ou non, les députés LREM viennent déjà d’enfoncer l’un des derniers clous du cercueil de leur (souvent bien courte) carrière politique, et le gouvernement Macron de se souiller définitivement en promouvant des mesures que le RN a applaudi des deux mains, qui ne peut que se réjouir de la validation de ses idées sécuritaires réactionnaires et rétrogrades en vue de 2022. La fin de ce mandat risque d’être fort mouvementée.

Publié le 18/11/2020

Convention pour le climat. Fin de partie pour les 150 citoyens ?

 

(site huùanite.fr)

 

Le vote solennel du projet de loi de finances, qui intervient ce mardi, signe l’enterrement d’une grande partie des propositions de la convention citoyenne pour le climat.

C’est le coup de grâce. Les propositions de la convention citoyenne pour le climat (CCC) devaient être ­reprises « sans filtre », promettait Emmanuel Macron. Aucune des ­mesures fiscales et budgétaires élaborées par les 150 ne figure dans le projet de loi de finances (PLF) 2021 soumis au vote solennel cet après-midi. « Elles ont été soit balayées, soit dévitalisées, alors que c’était le premier moment législatif qui permettait de mesurer la volonté réelle du gouvernement », commente Clément Sénéchal, de Greenpeace. Le Réseau Action Climat dénonce, lui, « la démission écologique du gouvernement ». L’association les 150, qui regroupe les citoyens, regrette « cette série de petits pas dans le reniement ».

Les exemples de ce reniement ne manquent pas. Les amendements sur une baisse de la TVA à 5,5 % sur les billets de train ont été rejetés. L’écotaxe sur l’aérien, elle, a été repoussée, Matignon expliquant avoir voulu préserver des équilibres en raison de la crise économique liée à la pandémie.

Un énième joker pour épargner les SUV et les grosses berlines

La proposition de malus au poids du ­véhicule, la seule sur laquelle le gouvernement s’appuyait pour prouver, un tant soit peu, sa bonne foi, a été vidée de sa substance. La CCC proposait que le malus s’applique au minimum aux véhicules neufs dont le poids dépasse 1 400 kg. Les recettes alors générées auraient permis de financer les aides à l’accès aux véhicules propres pour les ménages les plus précaires. Mais, encore une fois, le gouvernement a sorti un énième joker après le veto de Bercy. Le seuil a été relevé à 1 800 kg. Les véhicules de ce poids représentent moins de 2 % des ventes de voitures neuves, essentiellement des SUV et des berlines de constructeurs étrangers. Alors que la part sur le marché des 1,4 tonne est de 26 % au moins.

Les voitures électriques, dont la masse est plus importante du fait du poids de la ­batterie, seront exemptées, ainsi que les hybrides rechargeables avec une autonomie supérieure à 50 kilomètres. De fait, la quasi-totalité de la production française échapperait à cette nouvelle taxation selon l’analyse du Réseau Action Climat.

Autres jokers concédés à la filière automobile : le renvoi à 2022 de l’entrée en ­vigueur de la taxe et la réduction du « malus CO2 », à savoir le seuil d’émission de CO2 pour être soumis au malus écologique. Pour 2021, ce taux passe à 131 g de CO2 par kilomètre – contre 138 g en 2020 –, ce qui ne concerne qu’un tiers des voitures neuves.

La filière automobile a pesé, plaidant le manque à gagner en raison de la crise sanitaire. Le président de Renault, Jean-Dominique Senard, déclarait au Monde, le 23 octobre, que le malus au poids du véhicule était une « taxe complètement inutile ».

Le temps des promesses d’Emmanuel Macron est bien loin

« Ces arrangements avec les lobbies n’auront aucun impact sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre », constate amèrement Clément Sénéchal. « Le signal politique envoyé est désastreux : rien ne sera fait pour entraver les profits climaticides des industriels », ajoute-t-il.

Pour l’association les 150, le temps des promesses d’Emmanuel Macron paraît bien loin. Ils assistent, impuissants, à l’enterrement pur et simple des travaux de la convention. L’examen du projet de loi issu de leurs propositions, prévu cet automne, est reporté une nouvelle fois « avant la fin de la session parlementaire estivale », selon Marc Fesneau, ministre chargé des Relations avec le Parlement. L’idée d’un référendum pour intégrer dans l’article 1 de la Constitution la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique a disparu des agendas. Si bien que Cyril Dion, un des garants de la convention citoyenne pour le climat, vient de lancer, comme une bouée à la mer, une pétition pour « qu’Emmanuel Macron respecte sa parole ».

Publié le 06/11/2020

Élections américaines : l’angoisse de Léa Salamé au moment du retour sur terre

Humeur

 

Par Jack Dion (site marianne.net)

 

Le résultat du match Trump-Biden a surpris les éditorialistes, qui s’attendaient à une déroute du Président sortant. Ce n’est pas la première fois que les médias bien-pensants sont pris au piège. Pour Jack Dion, ces tête-à-queue à répétition méritent réflexion.

Il fallait entendre la détresse de Léa Salamé, dans la matinale de France-Inter consacrée à l’analyse de la présidentielle américaine. Rien ne s’était déroulé comme prévu. Elle en était toute retournée, la pauvre. Donald Trump devait être battu à plate couture, Joe Biden devait être plébiscité, c’était couru d’avance, les sondages le disaient semaine après semaine, la presse mainstream le proclamait depuis l’arrivée de Trump à la Maison Blanche, on préparait déjà les lampions de sa défaite annoncée.

Boum, les deux candidats sont dans un mouchoir de poche.

Et Léa Salamé de demander d’une voix angoissée à tous les invités du service public : « Mais que s’est-il passé ? ».

La réponse tient dans l’énoncé même de la journée organisée sur la radio susdite : « France Inter à l’heure américaine ». En étant à l’heure des élites de New York ou de Californie, qui n’ont rien retenu de la défaite de Hillary Clinton en 2016, il y avait toutes les chances de ne rien comprendre au résultat d’un président qui a certes tout pour déplaire, mais qui dispose d’une base populaire qu’il faudrait étudier (et pas seulement le temps d’un scrutin), non mépriser.

Comme dans un western

Sans doute est-ce trop demander à des gens qui voient le monde en noir et blanc, comme dans un western, avec des Bons et des Méchants, sans la moindre nuance, sans analyse des problèmes qui traversent une société, sans prise en compte de réalités sociales et culturelles qui ne se résument pas aux schémas simplistes entendus en boucle sur les médias, en France et aux Etats-Unis.

Thomas Jefferson, qui fut le troisième président des Etats-Unis (de 1801 à 1809), disait : « Le peuple est à ma connaissance le dépositaire le plus sûr des pouvoirs ultimes de la société. » Le problème, c’est que les faiseurs d’opinion, à quelques rares exceptions, sont à des années-lumière du peuple, ce qui ne les empêche pas de prétendre parler en son nom, au risque de se retrouver pris au piège.

Voilà pourquoi le résultat électoral prend tout le monde médiatique à contre-pied. Ce n’est pourtant pas la première fois, et sans doute pas la dernière, des deux côtés de l’Atlantique.

Gens de biens contre gens de peu

Sans trop remonter en arrière dans le temps, rappelons-nous le triste spectacle vécu en 2005, quand le peuple osa dire « Non » au Traité Constitutionnel Européen (TCE). À l’époque, déjà, quiconque osait contester la logique du TCE était traité de populiste, ou de national-populiste (version plus sophistiquée), voire de fasciste en herbe. Quand Manuel Valls, qui avait d’abord pris parti pour le « Non » se rallia au « Oui », il le fit en expliquant, dans une tribune publiée par Le Monde, que l’Europe était menacée par une vague de « populisme ».

En somme, les Français n’avaient pas voté en connaissance de cause, mais par peur, par réflexe animal. Le débat européen était déjà ramené à un clivage entre les gens de biens, membres d’une avant-garde éclairée, et les gens de peu, ignorants, bêtes et revêches.

Depuis cette époque, la dénonciation du « populisme » revient comme un leitmotiv dans les discours des intellectuels médiatiques. Il est devenu le passeport idéologique qui permet de passer toutes les frontières en ayant la prétention d’expliquer n’importe quelle situation, nonobstant les données historiques, géographiques et politiques.

Les pincettes du mépris

On a pu le vérifier lors du Brexit. L’idée même de vouloir quitter le navire européen fut considérée comme un coup de poignard dans le dos, administré par un Boris Johnson transformé en ennemi public numéro 1. Certains allèrent même jusqu’à voir la main de Moscou dans le résultat du vote, tout comme ils l’avaient décelé dans la défaite de Hillary Clinton. Vu que Poutine, comme d’autres, est classé d’office dans le camp du Mal, on peut lui prêter toutes les intentions, même les plus maléfiques.

On en a eu un autre exemple lors du mouvement des « Gilets jaunes ». Faute de pouvoir en comprendre les raisons profondes, le discours médiatique a pris cette révolte populaire avec les pincettes du mépris.

À cette occasion, ont refleuri les raccourcis, les jugements à l’emporte-pièce, les conclusions hâtives, afin de transformer cette éruption populaire en un mouvement néo-poujadiste, raciste, voire préfasciste. Les « Gilets jaunes » ont aussitôt été assimilés au Rassemblement national, étant entendu que la percée de ce dernier n’est pas davantage analysée, sauf pour crier au loup d’extrême droite, sans jamais se demander comment enrayer son OPA sur une frange importante des couches populaires.

Et voilà comment tourne la roue d’une histoire qui échappe aux radars de la bien-pensance. À chaque fois, comme dans la bouche de Léa Salamé, on entend la petite voix qui demande, au lendemain d’une déroute politico-idéologique : « Mais que s’est-il passé ? »

 

Par Jack Dion

Publiéle 21/10/2020

Pour lutter contre les terroristes qui s’en prennent à nos libertés, la droite propose de… restreindre nos libertés

 

Par Loïc Le Clerc (site regards.fr)

 

N’allons pas jusqu’à dire que leurs remèdes seraient pire que le mal... mais peut-on croire une minute qu’on éteint un feu en l’attisant ?

Comme un symbole. Vendredi 16 octobre, Marine Le Pen réagit sur Twitter à l’attentat de Conflans : « L’islamisme nous mène une guerre : c’est par la force que nous devons le chasser de notre pays. » Il faudra attendre quelques minutes, et un deuxième tweet, pour que la présidente du parti d’extrême droite vienne adresser ses « pensées aux proches de la victime et à la communauté enseignante ». La guerre prime.

D’ailleurs, ils sont tellement occupés à lutter contre le terrorisme, au Rassemblement national, qu’ils n’ont pas le temps pour participer aux manifestations. Au Figaro, l’entourage de Marine Le Pen s’explique : « Nos responsables sont dans l’action politique. Ils travaillent à quelque chose de plus concret et en ont un peu marre de la "politique de la bougie" ». Tiens, on pense la même chose chez Les Républicains, de la bouche du président du conseil régional de PACA, Renaud Muselier : « Ce n’est pas avec des bougies qu’on combat l’islamisme ».

Bien sûr, dans les rangs du RN et de LR, on voit avant toute chose dans cet attentat terroriste l’acte d’un étranger. D’où cette réponse simpliste : expulsez-les tous. Mais il est des propositions plus insidieuses, liberticides au possible, allant contre toute conception républicaine de la politique.

Froussards de la République

Prenez Éric Ciotti par exemple. Le député LR est fatigué que l’on ne puisse pas, au nom de la lutte contre le terrorisme, faire passer toute et n’importe quelle loi. Dans Le Figaro, il accuse le Conseil constitutionnel de « lâcheté », coupable à ces yeux de censures au nom des « libertés individuelles ». Pour enjamber les « Sages », et donc la Constitution, Éric Ciotti propose qu’on légifère en matière d’antiterrorisme par voie de référendum pour « mettre au cœur de notre République une laïcité exigeante ». Venant d’un élu dont la principale obsession politique est d’inscrire dans la Constitution les « racines chrétiennes de la France », on ne sait que penser. Éric Ciotti souhaite également l’interdiction du voile pour les usagers du service public. On a connu idée plus respectueuse de la laïcité. Voilà donc le programme de monsieur Ciotti, des propositions fourre-tout-identitaire dont on a du mal à percevoir le lien avec la lutte contre le terrorisme.

Le maire LR de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, se place sur la même veine que son collègue des Alpes-Maritimes, proposant une « restriction de la liberté de pensée » (il parle du salafisme, notamment) et que l’on cesse d’y être empêché par « certains problèmes constitutionnels ». « Guerre ! Guerre ! Guerre à l’islamisme ! », scande-t-il. Ça n’a peut-être l’air de rien, mais niveau rejet de l’État de droit, des institutions et des principes fondateurs de la République, ils placent la barre très haut.

Xavier Bertrand est, lui aussi, très inspiré pour lutter contre le terrorisme. Sa proposition phare pour « entrer en guerre contre les islamistes » : la fin de l’anonymat sur internet, évoquant « l’imam Google ». De quoi faire trembler les djihadistes jusqu’à Mossoul. C’est aussi l’avis de la députée LREM Laetitia Avia, laquelle était rapportrice il y a quelques mois d’une loi contre la haine en ligne, loi très largement censurée par… le Conseil constitutionnel. Mais là encore, qu’importe les institutions républicaines, il faut revenir à la charge, avec les mêmes idées. Par ailleurs, Xavier Bertrand aimerait lui aussi toucher à la Constitution pour « consacrer le principe de laïcité au même niveau que l’égalité, la liberté, la fraternité ». S’il faut inscrire toutes les valeurs de la République dans sa devise, ça risque de nous coûter cher en réfection des frontons de bâtiments publics.

C’est que la sécurité est la première des libertés, non ? Mais alors, que serait une République où la sécurité viendrait restreindre, voire annihiler nos libertés ? N’est-ce pas là le premier objectif des terroristes ? Les Républicains cèdent. Ils cèdent leur peur au terrorisme. Ils proposent d’entrer dans la danse et de répondre coup pour coup. La peur à la peur, la haine à la haine, la guerre à la guerre. En plus d’être les deux faces d’une même pièce, ils ont le même calendrier. Si la droite parle à tout-va de référendum, c’est parce qu’au Sénat, ce lundi 19 octobre, on examine la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République. Hasard du calendrier, dira-t-on.

La guerre, c’est la paix

Depuis des années – au moins 2015 –, nous subissons. Attentat après attentat, nous nous rassemblons, nous nous indignons et nous pleurons tous ensemble. Et, à chaque fois, il ne faut pas attendre bien longtemps pour que d’aucuns, rarement présents dans les moments de communions populaires, distillent leur poison. À la guerre que les terroristes espèrent déclencher, ceux-là répondent toujours présents. Ils mènent une guerre… sur les plateaux de télévision ! Une guerre de communication, donc, mais une guerre sale, ambiguë.

Et ailleurs. Sur la gauche de l’échiquier, que se passe-t-il ? À chaque fois, la gauche appelle à l’union populaire, au commun plutôt qu’à la haine. En janvier 2015, Regards écrivait ceci : « Se sortir de la guerre et non pas chercher à la gagner ». En novembre 2015, nous écrivions « Se sortir de la guerre ». En mars 2016, nous écrivions « Guerre à la guerre : dix thèses contre la peur ». Nous voici désormais en ce mois d’octobre 2020 à écrire « La guerre civile menace »... Mais les va-t-en-guerre sont plus forts que nous.

Peut-être faut-il se relire pour comprendre comment nous en sommes arrivés-là : [1]

« L’obscurantisme prospère à la mesure du délitement social et de la faillite des grands idéaux politiques qui permettent de se projeter dans l’avenir. Ce dont nous avons besoin, c’est de moyens inédits pour renforcer la cohésion sociale par un investissement massif dans l’humain, c’est-à-dire dans les services publics, le monde éducatif et culturel, le tissu associatif. Il nous faut endiguer tous les phénomènes de relégation, les amalgames et les discriminations, et réinvestir un imaginaire émancipateur. Ce crédo sera assumé à gauche ou ne sera pas.

Inspirée par la droite et le FN, la réponse dominante aujourd’hui se situe sur le seul terrain sécuritaire, comme si surveiller tout le monde et stigmatiser une partie de la population allait permettre de faire reculer la menace terroriste. [...] Dans un climat de peur, des solutions aussi absurdes que dangereuses pour les droits humains s’imposent dans le paysage. Elles renforcent l’original et non la copie. À gauche, nous avons tout à y perdre.

Les manifestations sont aujourd’hui interdites, mais on peut continuer à faire ses courses dans une grande surface… C’est une victoire pour ceux qui veulent nous terroriser et atteindre notre vie démocratique. Si l’on prend et défend la liberté de boire un verre en terrasse et de se rendre à des concerts, pourquoi ne pourrions-nous pas descendre dans la rue pour le climat ou les sans-papiers ? La menace terroriste va durer. Il n’est pas question d’inviter à l’imprudence, d’exposer des militants et citoyens au risque terroriste, mais nous devons être vigilants afin de ne pas transformer notre démocratie en un grand espace de contrôle social et laisser l’État profiter de cette situation pour casser les reins des mobilisations sociales. »

« L’émotion, c’est étymologiquement ce qui met en mouvement. Loin de nous murer chacun-e devant notre poste de télévision, il nous faut ensemble défier la peur en nous retrouvant, en échangeant, en réfléchissant, en agissant pour la paix, la liberté, la démocratie.

J’ai lu avec effroi de nombreux commentaires, sur les réseaux sociaux, qui attisent la haine. Plus que jamais, nous devons faire entendre la voix du refus des amalgames, des réactions racistes ou stigmatisant les musulmans, du refus des interprétations complotistes et antisémites que ces actes visent à alimenter. Nous devons faire entendre la voix de la justice sociale et de la paix.

Place de la République à Paris, la statue est toujours debout. Elle nous dit que la liberté, l’égalité et la fraternité sont les valeurs qui nous unissent. »

 

Loïc Le Clerc

Notes

[1] Ces extraits sont issus d’articles de Clémentine Autain publiés ici et .

Publié le 23/07/2020

L’effet boomerang

 

par Pierre Rimbert  (site monde-diplomatique.fr)

 

Au matin du 26 juin 2016, lorsque courtiers de la City et politistes londoniens découvrirent le résultat du référendum sur le Brexit, ils firent pour calmer leur épouvante le raisonnement suivant : si les provinces désindustrialisées avaient choisi de quitter le train du progrès européen, c’est forcément qu’on leur avait menti. Six mois plus tard, avocats d’affaires new-yorkais et développeurs de San Francisco ne s’expliqueraient pas autrement l’élection de M. Donald Trump : sur les réseaux sociaux, des « trolls » russes avaient intoxiqué les ploucs du Midwest. Les fake news, concluaient-ils, provoquaient les mêmes ravages sur l’information que le populisme sur la politique. Les deux d’ailleurs ne faisaient qu’un.

Cette conviction-là signe l’aveuglement d’un groupe social, celui des diplômés du supérieur qui partout occupent le pouvoir. Aux États-Unis, 600 000 « morts de désespoir » (suicide, overdose, alcoolisme) recensés entre 1999 et 2017 chez les Blancs peu instruits âgés de 45 à 54 ans (1) n’ont pas suffi à faire de cette hécatombe une question médiatique majeure — du moins jusqu’à l’élection de M. Trump. En France, un rapport officiel qui évaluait à 192 000 le surcroît de décès dans le bassin minier du Nord au cours des 65 dernières années — près de 3 000 morts par an, donc —, n’a fait l’objet d’aucune reprise dans les médias nationaux l’année de sa publication (2). Ici, pas de « fausses nouvelles » : pas de nouvelles du tout.

Démocrates new-yorkais et technocrates européens ont trouvé dans les médias dominants l’allié naturel pour guerroyer contre le « populisme » informationnel

Deux mondes disjoints, dont l’un détient, en plus du reste, le monopole de l’information sur l’autre : il n’en fallait pas davantage pour qu’une partie de la population prête par contrecoup crédit à tout ce dont la presse « officielle » ne parle pas. Quand on vit une « réalité alternative » à celle que relate le New York Times, les « faits alternatifs » loufoques démentis dans ses colonnes jouissent de ce seul fait d’une présomption de vérité. Pareille situation ouvrait aux démagogues de la droite conservatrice un boulevard qu’ils ont emprunté sans tarder. Ainsi, depuis quelques années, la bataille idéologique s’est-elle déplacée sur le terrain des médias et de l’information.

En 2019, M. Trump a utilisé 273 fois l’expression fake news dans ses tweets (3), tant pour galvaniser ses troupes que pour renvoyer ses critiques au même néant que celui où le Washington Post confine les porteurs de casquettes rouges « Make America Great Again ». Interrogé par Fox News (25 juin 2020) sur cette stratégie, le président américain a expliqué  : « Je ne pense pas avoir le choix. Si je ne m’attaquais pas aux médias, je vous garantis que je ne serais pas ici avec vous ce soir. » De la Hongrie à la Pologne en passant par le Brésil, les « hommes forts » au pouvoir lui ont emboîté le pas.

À l’inverse, les dirigeants libéraux ont érigé en priorité politique la lutte contre les « infox » disséminées sur les réseaux sociaux. « La montée des fausses nouvelles est aujourd’hui totalement jumelle de cette fascination illibérale », affirmait M. Emmanuel Macron lors de ses vœux à la presse le 3 janvier 2018. « Nous devons allouer plus de ressources à la lutte contre la désinformation », a exhorté en juin dernier M. Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, alors qu’un document de l’Union accusait « certains pays tiers, en particulier la Russie et la Chine », de mener des « campagnes de désinformation » visant « à miner le débat démocratique, à exacerber la polarisation de la société (4) ».

Démocrates new-yorkais et technocrates européens ont trouvé dans les médias dominants l’allié naturel pour guerroyer contre le « populisme » informationnel que constituent à leurs yeux les fake news. Les uns et les autres jugeant les sociétés libérales aussi apaisées, satisfaites et unies qu’ils le sont eux-mêmes, tout propos susceptible d’« exacerber la polarisation » doit tomber sous le coup de la loi. Cette fusion du pouvoir et du contre-pouvoir a pris en mai dernier une forme cocasse quand le site Internet du gouvernement français recommandait la lecture d’articles du Monde ou de Libération pour tordre le cou aux fausses rumeurs sur l’épidémie de Covid-19, au point d’embarrasser les bénéficiaires de cette publicité intempestive. Des législations anti-infox votées en France ou en Allemagne, des éditoriaux du New York Times et du Guardian suinte un même ensemble de certitudes : les grandes entreprises journalistiques détiennent le monopole de la vérité ; les critiquer, c’est attaquer la démocratie. Il y a quelque chose de touchant à voir deux institutions zombies, les médias d’information et la démocratie libérale, se faire la courte échelle.

Car comment croire encore à leur fable ?

Les faux charniers de Timişoara (1989), les bobards de la guerre du Kosovo (1999), les mensonges de la guerre du Golfe (2003), le dénigrement médiatique des mouvements sociaux, la négation des violences policières, les faux scoops érigés en révélations furent relayés par les plus prestigieux organes journalistiques. Plus puissantes qu’une armée de « bots » chinois, les chaînes d’information en continue en quête d’audience et les algorithmes de Facebook avides de clics sont les usines à fake news officielles de nos sociétés si éprises de vérité qu’une vague de licenciements économiques s’y nomme « plan de sauvegarde de l’emploi ». Le journalisme de marché avait presque épuisé son crédit quand la démesure affabulatoire de M. Trump lui a fourni matière à se ravigoter. Vétuste béquille : le prochain effet boomerang s’annonce spectaculaire.

 

Pierre Rimbert

Publié le 19/07/2020

Sommet européen : les dirigeants ne veulent toujours pas toucher au grisbi

 

Thomas Lemahieu (site humanite.fr)

 

A la réunion des dirigeants européens, ce week-end, tous les regards se portent sur l’emprunt mutualisé proposé par Merkel et Macron. La position des Pays-Bas, de l’Autriche, du Danemark et de la Suède bloquait tout compromis vendredi. Le sommet a repris ce samedi matin. Mais pour rembourser cet emprunt, plutôt que d’adresser par le biais de l’austérité la facture aux peuples, il faut aller chercher l’argent là où il est : à la BCE, chez les ultra-riches et dans les paradis fiscaux. Décryptage des enjeux de ce sommet.

Chez les Vingt-Sept, quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute… Mais si, face à la pandémie de Covid-19, les paroles changent un peu, chacun dans le chœur s’accroche à sa partition, et la rengaine reste largement identique. Ce vendredi et ce samedi, pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, économique et sociale, les chefs d’État et de gouvernement se retrouvent en chair et en os à Bruxelles pour une réunion du Conseil européen sur le budget 2021-2027 de l’Union européenne et le « plan de relance ». Pour les États membres, qui, en février, avant l’explosion de la pandémie, n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord sur le montant du budget pluriannuel, les pommes de discorde s’additionnent donc, mais, avec leur proposition d’un vaste emprunt européen, déjà remodelée par la Commission d’Ursula von der Leyen, Angela Merkel et Emmanuel Macron espèrent faire d’une pierre deux coups : sur les 750 milliards d’euros couverts par Bruxelles, une partie (560 milliards) irait, selon le schéma examiné aujourd’hui, à la relance proprement dite sous la forme de subventions (310 milliards) ou de prêts (250 milliards), tandis que le reste (190 milliards) servirait à combler quelques trous béants dans le budget pluriannuel de l’UE.

Dans cette phase, la dizaine de zéros derrière les deux premiers chiffres peut impressionner, mais tout le monde l’admet d’ores et déjà, ça ne sera pas suffisant : une véritable reconstruction post-Covid-19 au sein de l’UE nécessiterait plutôt une enveloppe minimale avec une douzaine de zéros, comme la majorité du Parlement européen l’avait demandé au printemps, revendiquant un plan à 2 000 milliards d’euros, avant de rendre immédiatement les armes, une fois la proposition de Merkel et Macron mise sur la table à… 500 milliards d’euros ! Bref, derrière la baston sévère qui s’annonce au Conseil européen sur les conditions plus ou moins austéritaires qui seront ajoutées afin de cornaquer les prêts, mais également les subventions (lire ci-contre), il va en falloir, de l’argent, que ce soit pour rembourser la dette commune empruntée sur les marchés financiers et mutualisée pour la première fois à l’échelle de l’UE ou, mieux, pour se porter vraiment à la hauteur du défi… « Ce dont nous avons besoin, c’est d’argent frais, du sonnant et trébuchant, il ne peut s’agir simplement de réorganiser les lignes budgétaires », invite depuis des semaines David Sassoli, le président social-démocrate du Parlement européen. Mais, là-dessus, rien n’indique que les chefs d’État et de gouvernement soient déterminés à aller chercher les moyens nécessaires au sauvetage.

1. « Nouvelles ressources », un commode écran de fumée

Dans l’esprit du tour de passe-passe, proposé par Ursula von der Leyen pour boucler le budget pluriannuel grâce à une part de l’emprunt mutualisé, certains, à Bruxelles, reprennent des mesures envisagées avant la pandémie, sur fond de Brexit : comme chacun le sait depuis juin 2016, la sortie du Royaume-Uni de l’UE va occasionner une perte de près de 10 milliards d’euros par an pour les finances propres de l’UE. Ce qui a conduit la Commission à rechercher, avec l’aval des Vingt-Sept qui rechignaient à abonder le budget, des « ressources nouvelles » : contribution « verte » sur les plastiques non recyclés, ponction sur le marché des émissions de CO2, prélèvement sur une assiette commune consolidée pour l’impôt des « grandes entreprises bénéficiant du marché unique », taxe sur les géants du numérique (Gafa) ou sur les transactions financières…

Dans les institutions européennes, les macronistes prétendent souvent, ces dernières semaines, dégager par ce biais les moyens nécessaires au remboursement des emprunts mutualisés au niveau de l’UE. Une manière pour eux d’essayer de désamorcer la fronde des pays du nord de l’Europe. « C’est la Commission, et elle seule, qui remboursera la totalité des sommes à terme, avance ainsi Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur. En augmentant, par exemple, ses ressources propres avec de nouvelles taxes aux frontières, plus seulement sur les droits de douane pour les marchandises, mais sur le carbone ou les activités numériques. Voilà de quoi apaiser les craintes. » Au Parlement de Strasbourg, les eurodéputés LaREM sont sur la même ligne : « Nous ne nous satisferons pas de la seule contribution plastique, promet Valérie Hayer. Faisons porter la charge aux Gafa, aux multinationales qui pratiquent l’optimisation fiscale, aux grands pollueurs. »

2. Sans sursaut, la glaciation austéritaire menace

Cette fiction résiste mal à l’examen. De toutes les recettes évoquées pour financer l’UE, seule la contribution des États membres en fonction de leur gestion des plastiques à usage unique, qui, selon les estimations, pourrait rapporter un peu moins de 6 milliards d’euros par an – de quoi rembourser en 125 ans l’emprunt commun –, paraît à portée d’accord entre les Vingt-Sept. Toutes les autres idées de ressources propres ressemblent à ces serpents de mer, souvent évoqués, jamais attrapés. La taxe sur les transactions financières n’est, elle, même plus dans le paysage : relancée en 2019, elle a été tellement vidée de sa substance qu’elle ne rapporte plus, selon les projections officielles, qu’entre 1 et 3,5 milliards d’euros par an à l’UE…

Les autres instruments ne font pas du tout consensus entre les États membres et ont été enfouis dans les limbes de Bruxelles : ce sont les pays de l’Est de l’Europe qui font obstacle sur le carbone ou l’Irlande qui célèbre, avec Apple, la consécration par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de son système de dumping fiscal (lire l’Humanité du 16 juillet) et qui, de ce fait, ne manquera pas d’entraver toute avancée sur la taxation des géants du numérique. Et ceci, alors même que les rendements respectifs de ces mesures ne mènent pas bien loin, allant de 1,5 à 5 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE ! Dans son scénario le plus optimiste, avec mise en œuvre immédiate d’une taxe sur les plastiques, d’un prélèvement sur les droits d’émission de carbone et d’un partage de la nouvelle assiette d’imposition sur les multinationales – ces deux derniers éléments demeurant purement hypothétiques –, la Commission table au mieux sur des recettes de 22 milliards d’euros par an.

Pour trouver les moyens nécessaires au financement du plan de relance post-Covid, il faut donc quitter les sentiers balisés par les traités et sortir de l’intox sur les « ressources propres » pour l’UE déployée à Bruxelles, mais également à Paris et à Berlin. Cela peut passer par l’annulation des dettes publiques des États membres détenue par la Banque centrale européenne (BCE), qui a lancé un programme d’urgence d’achat d’obligations d’États et de multinationales avec une enveloppe globale de 1 350 milliards d’euros (lire l’Humanité du 14 mai) et par la réorientation radicale du mandat de l’institution installée à Francfort qui devrait pouvoir prêter directement aux États membres en dernier ressort et constituer, par sa propre création monétaire, un fonds susceptible de financer les besoins de services publics, dans la santé, en particulier (lire l’Humanité du 2 juillet). Mais il est également envisageable de chercher tout de suite des recettes fiscales bien plus importantes, permettant à la fois de ne pas adresser la facture aux peuples et de conjurer le danger d’une grande glaciation austéritaire dictée par les marchés financiers…

3. De l’argent, il y en a… notamment aux Pays-Bas !

Alors que, dans plusieurs États européens, les partis de gauche défendent des formes de « taxes corona », exceptionnelles ou non, prélevées sur les patrimoines des ultra-riches – une manne qui, en Belgique, par exemple, avec un rendement prévu de 15 milliards d’euros, financerait directement la relance et les besoins sociaux –, trois économistes français (Gabriel Zucman, Camille Landais et Emmanuel Saez) ont proposé en avril dernier d’instaurer un impôt sur la fortune à l’échelle européenne. En taxant le patrimoine net des multimillionnaires selon un taux marginal progressif (1 % au-delà de 2 millions d’euros, 2 % au-dessus de 8 millions et 3 % à partir de 1 milliard), cela pourrait rapporter, d’après leurs calculs établis sur des données de 2019, 147 milliards d’euros par an à l’UE.

Autre champ potentiel de recettes, laissé totalement en friche par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE : l’évasion fiscale, qui, comme vient de le confirmer le Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network), soustrait des dizaines de milliards d’euros tous les ans à l’écrasante majorité des États européens, tout en profitant à une poignée d’autres (Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Irlande, Malte). D’après son dernier rapport (lire l’Humanité du 14 juillet), La Haye, qui, derrière son statut de champion de l’orthodoxie budgétaire, est d’abord la capitale de ce système prédateur, gagne 3 milliards d’euros par an, en en faisant perdre plus de 20 milliards à ses voisins européens. L’étude annuelle « Missing Profits » (« Profits envolés ») réalisée par des universitaires de Berkeley et de Copenhague évalue, pour les Pays-Bas, à 9,2 milliards d’euros les gains provenant de l’« optimisation fiscale » et à 65,5 milliards d’euros les profits détournés au détriment des autres États. En France et en Allemagne, qui perdent, du fait de ces mécanismes, entre un cinquième et un quart du montant attendu de leurs impôts sur les sociétés, l’escamotage bénéficie directement à des paradis fiscaux de l’UE : Luxembourg (respectivement 3,6 et 5,4 milliards d’euros), Pays-Bas (2,2 et 4,4 milliards d’euros), Belgique (2,1 et 1,1 milliard d’euros) et Irlande (1,6 et 2,6 milliards d’euros).

On le voit, les défis d’une véritable relance post-Covid-19 sont là. Et quand on cause fric à Bruxelles, comme ces jours-ci, tout le monde dresse l’oreille. Mais il faut la tourner du bon côté : dans les situations critiques, quand on parle avec un calibre bien en pogne, personne ne conteste plus. Il y a des statistiques là-dessus, aussi…

 

Thomas Lemahieu

Publié le 08/05/2020

La banque centrale et ses enfants

 

Un ordre européen, sentant sa fin prochaine,
fit venir ses enfants, leur parla en dessins :
Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins.

 

par Sandra Lucbert, (siteblog.mondediplo.net)

 

Il y a des dessins,
dans les articles du Monde ou bien du Figaro.
Il y a des décodeurs dans les journaux et puis à télé, c’est simple et puis c’est gai
 ; tout le monde est bien gentil,
en démocratie.

On va tout vous expliquer pourquoi on fait comme ça,
Pourquoi on ne va pas changer les règles européennes.
Et vous n’aurez plus peur.

On va vous faire un dessin, c’est d’accord ? Ça va pas trop vite ? Un dessin tout mignon, des institutions-bonhommes, des cubes drôlement sympas qui ont des attributs
Minimaux.
Une bouche contente ou pas, parfois une main — pour prendre ou donner de l’argent, prendre ou donner
des conseils, des notations.

Vous voyez, on a des artistes qui nous fournissent ces contenus solidaires en free lance
Pour vous expliquer pourquoi on ne va rien changer
Du tout.
«
 Dessine-moi l’éco », ça s’appelle.

Sur Youtube et Radio France aussi, on a mis des contenus pour la Nation apprenante
La Nation apprenante c’est vous, parce que vous apprenez tous les jours tous les jours,
Et nous, on vous explique tout tout tout,
Bien patiemment, en vidéo. Que ce soit plus marrant, d’apprendre ce qui ne peut être changé.

La vie c’est bien compliqué. Maman Lagarde, même si elle voulait, elle pourrait pas changer la vie. Maman Lagarde, elle peut pas aggraver la situation en nous laissant dépenser de l’argent.
C’est comme pour la circulation : vous, les enfants, vous avez envie de vous retrouver pour chahuter et faire des pâtés. Le virus, vous en avez marre. Alors on vous met un détecteur dans le téléphone et comme ça, on vous empêche d’aider le virus.
Pour la dette publique, c’est pareil : on va vous aider à vous protéger, on va tout vous expliquer.
Et vous n’aurez plus peur.

On va tout vous dire pourquoi face au virus il faut se serrer les coudes sans se toucher,
Mettre des masques même si on n’en a pas.
On va tout vous décrypter pourquoi les dépenses publiques il n’en faut pas, justement parce qu’il y a un virus méchant. Ce serait très très grave, les enfants, si on annulait les dettes, très très grave.
Vous comprenez
 ? Non, justement, mais on est là pour ça :
Pour vous expliquer.
C’est pour ça que maman Lagarde elle dit : on ne va pas racheter les dettes. Parce que c’est très dangereux. Et puis Bruno Le Maire aussi, il le dit, notre ministre des finances.

Il y a des questions très très compliquées dans la vie politique, les enfants, des qui font mal à la tête des enfants. Et puis il y a des choses très simples : des dangers, et comment s’en protéger. Ce qu’il y a quand on est parent c’est qu’on doit expliquer aux enfants comment elles sont,
ces choses de la vie qu’on ne peut pas changer.
C’est comme : si tu touches la flamme, tu te brûles et tu pleures
 ; si tu mets les doigts dans la porte, tu risques de te faire pincer très fort. C’est la vie expliquée aux enfants.
Il y a des dangers, plein de dangers. Qui pincent très très fort les enfants.
Mais les enfants, ils sont petits : les dangers, ils les voient pas, ils sont trop bas,
dans la société,
et trop fragiles aussi. La dette, c’est un grand danger qui pince très fort. Une fois brûlés, les enfants, ce sera trop tard pour pleurer.
Vous comprenez
 ? Il faut faire confiance aux grands.

Alors on va tout vous raconter toute l’histoire de la grosse banque.

C’est l’histoire de la grosse banque qui est là pour nous protéger de la dette.
Une grosse banque si grosse qu’on dit Banque Centrale Européenne : BCE. C’est elle qui fait la monnaie.
Aujourd’hui elle est indépendante, la BCE. C’est Maman qui la dirige.

Avant c’était pas comme ça, c’était pas bien avant, la banque centrale, elle dépendait de la France.
Sur le dessin qui bouge, regardez comme c’était pas bien, et comme c’est mieux maintenant :

D’abord on dessine la France et puis une route entre elle et la banque centrale, qui lui crée de la monnaie,
à la France.

Mais la grosse banque liée à la France, comme ça : qu’est-ce qui lui arrivait ? Il lui arrivait qu’elle dépendait de la France.
Et la France, elle était déjà pleine d’enfants agités comme vous. Du coup la grosse banque, avant, elle dépendait des politiciens qui veulent toujours vous gâter, les enfants agités, pour être élus, et qui dépensent dépensent dépensent et s’en fichent des autres.
Ça fait de l’inflation, ça va pas : avec l’inflation on se fait écraser par les prix des choses et puis les gens qui ont des choses plein de choses, eh bien, leurs choses elles valent plus rien, avec l’inflation. Alors ça va pas.

Donc dans l’animation, comme vous voyez, on efface la route entre la grosse banque et la France — qui est remplacée par l’Europe. Et la grosse banque elle s’appelle alors BCE ; elle, elle est indépendante, comme vous quand vous serez grands.
Elle est indépendante, ça veut dire qu’elle ne dépend plus de la France.
Ça veut dire qu’elle a changé d’amis, la grosse banque,
Maintenant elle joue avec les marchés financiers.

Les marchés financiers, eux c’est des grands ; pour eux, c’est fini les bêtises.

La France, elle, elle fait encore plein de bêtises.
Elle dépense elle dépense elle dépense.

Les marchés financiers, ils le savent : quand ils lui prêtent des billes, à la France, elle perd tout dans les parties. Elle est jamais concentrée, elle a plein d’émotions.
Et les marchés financiers, ils retrouvent pas leurs billes.
Alors ils lui disent : ma vieille, t’apprends à viser, sinon jt’en prête plus
 !
Et là, la France, elle peut plus jouer avec personne. Elle est bien embêtée.

La grosse banque, elle aussi elle est sage. C’est pour ça qu’elle quitte plus les marchés financiers. Ils se comprennent. Parce qu’avant d’être indépendante, c’était elle, la grosse banque, qui prêtait les billes. Elle en avait marre de la France.
Maintenant, avec les marchés financiers, les deux ensemble, ils disent à la France : ça suffit, tu vas un peu apprendre à les compter, tes billes. Sinon tu joues plus.

Toutes ces billes qu’elle a perdues, la France, c’est son déficit.
Et tout ce qu’il a fallu lui prêter, c’est sa dette.

Vous comprenez, les enfants, pourquoi c’est grave très grave, si on emprunte juste parce qu’on a peur ?
On pourra plus jouer avec personne. Vous ne voulez pas ça, les enfants : être tout seuls au fond de la cour
 ?

Voilà : la banque centrale, elle est indépendante, on ne peut pas la rendre aux petits enfants qui font des bêtises,
et c’est Maman qui la dirige,
Car elle sait mieux que vous les enfants,
Elle sait
Que ce sera terrible, après le virus, si la dette a explosé. Là on sera tout seuls et toute la cour ils parleront sur nous, ils riront, ils seront tous amis pas avec vous, vous voyez
 ?

Vous avez bien compris ? En démocratie, on fait ce qui doit être fait mais on explique tout bien pourquoi.

Même le président il vous parle bien gentiment pour tout vous expliquer.
Que vous n’ayez plus peur. Tous ensemble, on va tout vous expliquer pourquoi face au virus, il faut que vous renonciez à vos droits
les plus fondamentaux : vivre c’est une chance, si on compare avec les autres pays où ils ont moins de chance,
et meurent beaucoup beaucoup beaucoup.

Alors les grosses colères et les gros chagrins, c’est fini ; c’est l’heure
De faire ses devoirs.
Allez, les enfants, maintenant, on retourne travailler.

 

Sandra Lucbert

Auteure de littérature, actuellement en résidence au Cneai avec le soutien de la résidence Ile de France (voir ici).

Publié le 13/04/2020

 

Pandémie : l'Union européenne fait déjà payer l'addition aux peuples

 

Thomas Lemahieu (site humanite.fr)

 

Après deux semaines d’échanges houleux, les ministres des Finances de la zone euro trouvent un accord, mais sur la ligne imposée par l’Allemagne et les Pays-Bas. La mutualisation des dettes est renvoyée aux calendes grecques et les prêts aux Etats, hors dépenses de santé, serviront à surveiller strictement les politiques des Etats membres. 

L’Eurogroupe se joue à 19 et, à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne. Ou alors, parfois aussi, ces derniers temps, les Pays-Bas, mais c’est tout comme... C’est sous leurs propres applaudissements, nous font-ils savoir, que les ministres des Finances de la zone euro ont, jeudi, dans la nuit, achevé une visioconférence concluante. Au bout de quinze jours de déchirures au sein de l’Union européenne - et seize heures de discussions infructueuses dans la nuit de mardi à mercredi ( vous pouvez en lire ici le récit ) -, ils ont réussi à adopter un plan «de sauvetage» pour soutenir les Etats membres face à la pandémie du nouveau coronavirus et ses conséquences économiques, financières ou sociales.

Dans le détail, les aides se répartissent sur trois piliers: un mécanisme de co-financement du chômage partiel, baptisé SURE («Soutien d’urgence pour contrer les risques en matière d’emploi»), pour un montant de 100 milliards d’euros, un programme de distribution de 200 milliards d’euros de liquidités aux entreprises par la Banque européenne d’investissement (BEI) et le recours au Mécanisme européen de stabilité (MES) qui pourra établir, pour les Etats membres en difficulté, des lignes de crédit jusqu’à un total de 240 milliards d’euros.

Selon Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances, «c’est un grand jour pour la solidarité européenne». «Il est important que nous tous apportions une réponse commune qui permette à nos États de surmonter les défis sanitaires mais aussi les défis économiques suscités par la pandémie de Covid-19», communique-t-il. Bruno Le Maire, son homologue français, en fait également des tonnes. «Chacun a été très marqué par les 16 heures de négociations de la nuit derrière, décrit-il. Passées l’émotion et la fatigue, chacun a vu qu’il n’était pas possible de continuer comme ça. C’était soit un accord, soit un risque de dislocation européenne. L’Europe décide et se montre à la hauteur de la gravité de la crise.»

En réalité, derrière ces narrations grandiloquentes destinées à convaincre de la centralité du «couple franco-allemand», les conceptions toujours marquées, malgré la pandémie, par l’obsession austéritaire l’ont emporté, sans contestation possible. Pour une solidarité substantielle - sans même parler de l’indispensable bouleversement d’un système qui contraint les Etats à se vendre sur les marchés financiers -, il faudra repasser, et pas avant un bon moment ! Dans l’accord conclu, aucune trace de «corona bonds» ou «euro bonds», ces obligations émises à l’échelle de l’Union européenne qui permettraient une forme de mutualisation des dettes publiques entre les Etats membres et qui étaient réclamées par l’Italie, l’Espagne et sept autres pays. Pas plus de signe tangible d’un fonds commun «de relance», contrairement à ce qu’affirme Bruno Le Maire. Le sujet est renvoyé au niveau du Conseil européen, et donc des chefs d’Etat et de gouvernement. Ce qui correspond à la demande d’Angela Merkel qui ne compte pas s’engager sur cette voie avant l’automne. Par ailleurs, et plus essentiellement encore, loin des récits dans les médias dominants, ce vendredi matin, les aides potentielles du Mécanisme européen de stabilité (MES) seront accordées avec des conditions de contrôle sur les politiques économiques ou sociales et de surveillance budgétaire, à l’exception stricte des fonds utilisés pour financer les systèmes de santé. Ce qui était exactement, là aussi, la position du gouvernement des Pays-Bas et de ses soutiens autrichiens, suédois ou danois.

Après avoir annoncé sur tous les tons que l’Italie refuserait de solliciter le MES - par défiance à l’égard d’un système intrinsèquement lié aux programmes austéritaires qui, depuis une décennie, ont dévasté les Etats lors de la crise dite «des dettes publiques» -, Roberto Gualtieri, le ministre des Finances italien, tente de sauver la face, en promettant que le combat n’est pas fini. «On a mis sur la table les obligations européennes et retiré de la table les conditionnalités du MES, estime-t-il. Nous confions une proposition ambitieuse au Conseil européen, nous nous battrons pour la réaliser.» En miroir, Wopke Hoekstra, son collègue des Pays-Bas qui, rappelons-le, doivent leur bonne santé budgétaire à un système fiscal pillant les ressources des autres Etats membres ( lire aussi), rentre dans le détail avec une délectation non feinte: «Nous mettons en place un paquet conséquent qui va aider les pays à financer les coûts de santé, aider les entreprises et les salariés. Avec des conditions légitimes, il aidera également à reconstruire nos économies nationales à long terme. Le MES peut accorder une aide financière pour les dépenses médicales. Il sera également disponible pour du soutien à l’économie, mais avec des conditions. C’est juste et raisonnable.»

Voir aussi : Avec les Pays-Bas, charité bien ordonnée commence par soi-même

Ex ministre au sein du gouvernement d’Alexis Tsipras au premier semestre 2015 et bon connaisseur, par la force des choses, des arcanes de la machine de guerre austéritaire que reste l’Eurogroupe, Yanis Varoufakis réagit avec colère, loin des auto-congratulations et du storytelling béni-oui-oui. «L’Italie et les autres sont ligotés, écrit-il sur les réseaux sociaux. Ils ont accepté les prêts du MES, ce qui va les mener à une stricte austérité dans les prochaines années, de pitoyables prêts pour les entreprises de la BEI, un programme pseudo-fédéral contre le chômage et quelques miettes de charité... En contrepartie, ils seront condamnés à la récession permanente.» Le tacle est sévère, mais il n’y a pas faute. 

 

Thomas Lemahieu

Publié le 15/11/2019

 

Espagne: Un pacte de gauche pour surmonter le blocage politique

 

Madrid par Nicolás Pan-Montojo (site lamarseillaise-encommun.org)

 

Pedro Sánchez et Pablo Iglesias parviennent à un accord de coalition avec le président de Podemos en tant que vice-président du gouvernement

Les élections d’hier étaient censées déverrouiller la politique espagnole, et alors qu’hier tout le monde parlait de « blocage », il semblerait que la situation se soit déloquée. Ce qui n’avait pas été possible en cinq mois de négociations a été réalisé hier en seulement 24 heures. Pedro Sánchez et Pablo Iglesias ont signé aujourd’hui au Congrès un accord préalable pour un gouvernement de coalition. Le leader de Podemos sera vice-président du gouvernement et d’autres membres de son parti auront quelques ministères.

Ce nouveau scénario a été une surprise totale pour la plupart des médias et même pour les citoyens espagnols. Lors des résultats de ces quatrièmes élections en Espagne en quatre ans, tout semblait indiquer qu’elles avaient seulement servi à confirmer l’énorme division idéologique que connaît le pays et à compliquer davantage tout pacte de gouvernement pour élire un président. Le tableau était clair : les deux partis traditionnels (PSOE, à gauche, et PP, à droite) en tête, mais le naufrage de Ciudadanos (centre libéral) et la montée spectaculaire de Vox (extrême droite) rendaient un accord post-électoral presque impossible, vu l’incapacité du PSOE à trouver un accord avec Podemos.

Mais l’accord a été trouvé en un temps record, malgré que la gauche ait été un peu affaiblie après les élections. Le PSOE a perdu trois sièges et son principal allié jusqu’à présent, Unidas Podemos (gauche radicale), est passé de 42 sièges à 35 (une chute qui n’est pas compensée par les trois sièges fournis par Más País, scission de Podemos). Le naufrage de Ciudadanos, qui passe de 57 à 10 sièges, a été accompagné d’une montée en puissance du PP et de Vox qui consolide au Congrès les positions les plus extrémistes à droite, tandis que le centre perd de l’importance.

Cependant, le résultat n’offrait pas non plus une majorité alternative au bloc de droite (Ciudadanos, PP et Vox) comme c’est le cas en Andalousie ou à Madrid. Certes, les distances entre les deux blocs se sont réduites, les nouvelles élections ont fait perdre 7 sièges de plus à la gauche mais celle-ci a conservé la majorité. Pour la première fois depuis les années 30, un parti à gauche du PSOE va être présent au gouvernement.

Iglesias a assuré ce matin que le nouveau gouvernement de coalition progressiste allierait « l’expérience du PSOE au courage de Podemos » et œuvrerait en faveur d’un « dialogue pour faire face à la crise territoriale » en Catalogne et d’une « justice sociale qui servira comme un vaccin contre l’extrême droite ». « Ce qui en avril était une opportunité historique est devenu une nécessité historique », a-t-il déclaré.

Pendant des mois, les deux partis s’étaient très longuement confrontés. Sanchez avait même déclaré lors d’une interview qu’il ne pourrait pas dormir tranquille s’il y avait des ministres de Podemos dans le gouvernement. En outre, il a passé toute sa campagne à se féliciter de ne pas avoir convenu d’accord avec eux à cause de leurs divergences sur la crise catalane.

De l’autre côté, Iglesias a accusé Sánchez de « vouloir pactiser avec la droite plutôt qu’avec la gauche » et il a même dénoncé un plan secret « pour éviter que Podemos ne touche jamais à un poste de responsabilité ».

Toutes ces déclarations appartiennent désormais au passé et tout semble être pardonné. Iglesias a défendu aujourd’hui que le temps été venu de : « laisser derrière nous tout reproche et de travailler côte à côte dans la tâche historique et passionnante qui nous attend ». Et il a même ajouté : « Pour nous, c’est un véritable honneur ».

Pedro Sánchez a été moins effusif mais aussi cohérent que son nouveau vice-président. « Les Espagnols ont parlé et il nous appartient de surmonter le blocus. Nous ne pouvions pas parvenir à cet accord [en juillet], même si nous étions très proches. Nous sommes conscients de la déception que cela signifie parmi les progressistes », s’est justifié Sánchez, qui a ainsi rectifié toute sa position initiale, forcé par le résultat des élections.

Un gouvernement conditionné par la Catalogne ?

En tout cas, cette option, même si elle bénéficie davantage de soutien que la droite, nécessite nécessairement le recours à d’autres forces politiques. Et il ne peut s’agir que des nationalistes (Ciudadanos ne soutiendrait jamais un gouvernement dans lequel est présent Podemos). Le Parti Nationaliste Basque, Bildu (extrême gauche indépendantiste basque), la Coalition des Canaries, le Bloc Nationaliste Galicien … Jusqu’à 12 formations régionales sont maintenant représentées au Congrès, un véritable record qui témoigne de la fragmentation politique sans précédent que vit le pays : il y a au total 19 partis au Congrès.

Pedro Sánchez devra résoudre un casse-tête complexe pour obtenir le soutien nécessaire pour être investi. Le total du PSOE et de Unidos Podemos représente 155 députés. Ce chiffre pourrait atteindre 168 avec la collaboration très probable de plusieurs députés de petits partis. Mais, même dans ce cas, Sánchez devrait négocier l’abstention de certaines formations indépendantistes catalanes ou de Bildu pour être président.

Esquerra Republicana (ERC, gauche indépendantiste de Catalogne), en raison de son orientation idéologique de gauche et de son poids dans le Congrès (13 députés), semble le choix le plus logique sachant que Bildu n’a pas complètement coupé les liens avec le soutien au terrorisme d’ETA et reste un allié empoisonné pour le gouvernement. Mais l’abstention d’ERC ne se ferait pas gratuitement : en 2020 il y aura des élections autonomes en Catalogne, ce qui complique tout pacte. Il est probable que l’ERC exige un accord sur le référendum d’autodétermination pour la Catalogne qu’il appelle de ses voeux, un élément non négociable pour les socialistes.

De toute manière, il est prévisible que les sept députés du PNV (avec lesquels le PSOE gouverne déjà au Pays basque), les trois députés Más País-Compromís (son chef, Íñigo Errejón, s’est déjà montré favorable) s’ajoutent au pré-accord signé entre Sánchez et Iglesias. Aussi, on pourrait s’attendre à un vote en faveur du parti régionaliste de Cantabrie qui avait déjà rejoint Sánchez lors de la législature précédente, de ¡Teruel Existe! qui a déjà affirmé qu’il voulait un gouvernement le plus tôt possible et des nationalistes galiciens.

Le gouvernement n’est pas encore constitué, mais il est très proche de réussir, même si, comme toujours depuis la dernière décennie, le conflit de Catalogne aura le dernier mot sur la politique espagnole. Et une troisième élection en 2020 n’est pas impossible.

Publié le 02/11/2019

Union Européenne : Israël empoche 1,6 milliard de dollars pour son industrie de mort

 

David CRONIN (site legrandsoir.info)

 

La participation d’Israël à un important programme de recherche mené par l’Union européenne a été évaluée à près de 1,6 milliard de dollars – ce qui plus que suffisant pour acheter le silence sur le sort des Palestiniens.

L’utilisation du terme « valeurs » à intervalles réguliers semble être obligatoire lorsque la bureaucratie bruxelloise communique avec le public. Généralement, le terme est utilisé pour camoufler les effets réels de ses politiques en usant d’un verbiage sur les droits de l’homme et la démocratie.

Un document interne indique que, derrière des portes closes, les représentants de l’UE sont en réalité motivés par des valeurs de nature financière et commerciale.

Ce même document a été préparé pour Carlos Moedas, commissaire européen responsable des sciences, avant une discussion qu’il a eue en décembre 2018 avec Aharon Leshno-Yaar, ambassadeur d’Israël à Bruxelles.

Les responsables qui ont rédigé ce document disaient à Moedas : « vous accordez une grande importance au rôle que jouent la recherche et l’innovation » dans la définition des relations entre Israël et l’UE.

Clairement impressionnés par la réputation d’Israël en tant que puissance high-tech, les responsables ajoutaient qu’il n’y avait « aucun doute sur notre volonté de poursuivre la coopération » dans les années à venir.

Israël participe aux activités de recherche de l’Union européenne depuis 1996 et son champ de participation s’est considérablement élargi au cours de cette période.

Les récents bénéficiaires de subventions de l’UE en recherche scientifique incluent les ministères de la Défense et de la « Sécurité publique » d’Israël. Ce sont les départements du gouvernement qui supervisent une armée qui occupe la Cisjordanie et Gaza, et tout un système carcéral dans lequel des Palestiniens sont fréquemment torturés.

L’ignorance n’est pas une excuse

En tant que responsable d’Horizon 2020 – le programme scientifique de l’UE – Moedas a la responsabilité d’autoriser les organismes qui oppriment les Palestiniens à en profiter.

Moedas est-il correctement informé de ces questions ? Probablement pas.

Le document d’information susmentionné ne dit pas ce qu’il y a d’éthique d’embrasser un aussi important violeur de droits humains comme Israël.

Mais l’ignorance n’est pas une excuse. Même si son entourage a décidé de le laisser dans l’ignorance, Moedas pourrait facilement connaître la vérité sur Israël à partir d’autres sources.

Une des conditions pour participer à Horizon 2020 est qu’Israël contribue au budget du programme.

Le document d’information fourni à Moedas – obtenu par le biais d’une demande d’information – souligne qu’Israël semble en passe de devenir un bénéficiaire net.

Selon les projections de responsables de l’UE, Israël aura mobilisé près de 1,6 milliard de dollars de subventions dans Horizon 2020 d’ici la fin de l’année prochaine (le programme a débuté en 2014). La somme globale serait supérieure d’environ 155 millions de dollars au montant de 1,4 milliard de dollars qu’Israël devrait verser au programme.

Chanter en cœur

Le document d’information suggère qu’Israël sera en mesure de rejoindre le prochain programme de recherche pluriannuel de l’Union européenne, intitulé Horizon Europe.

Israël est néanmoins préoccupé par le fait qu’Horizon Europe offrira à ses fabricants d’armes moins d’opportunités financières que le programme actuel.

Horizon Europe sera séparé du Fonds européen de défense, une nouvelle initiative conçue pour stimuler l’innovation dans l’industrie de guerre. Israël pourrait ne pas être en mesure de souscrire à ce fonds, indique le journal.

Les marchands israéliens de la mort ne devraient pas en être trop perturbés.

Elbit Systems et Israel Aerospace Industries – les principaux fournisseurs de drones utilisés lors d’attaques à Gaza – se sont révélés capables de bénéficier jusqu’à présent de subventions de l’UE. Avec un peu d’ingéniosité, ils devraient pouvoir continuer à le faire.

De plus, Israël a aidé à définir le programme dans lequel l’UE dépenserait plus d’argent des contribuables pour développer des robots tueurs et d’autres armes futuristes.

L’industrie de guerre israélienne a participé activement à certaines discussions d’experts qui ont ouvert la voie à la création du nouveau fonds.

Et comme Elbit a des filiales en Belgique et en Grande-Bretagne, il n’est pas exagéré d’imaginer que la firme israélienne pourrait trouver des moyens inavouables d’accéder au financement de l’UE.

Pour la première fois, l’UE aura bientôt un commissaire chargé de renforcer l’industrie de la guerre. Il est peu probable que cela ait échappé à l’attention d’Israël.

Les décideurs politiques de l’UE et les fabricants d’armes israéliens chantent en harmonie.

Elbit a récemment utilisé des foires de l’armement pour présenter sa « vision » de la manière dont les combats de demain seront conduits. Le travail d’Elbit sur la façon d’envisager l’avenir a été facilité par les essais antérieurs d’armes sur des civils palestiniens.

Israël et son industrie de guerre sont parfaitement capables de saisir les opportunités offertes par une militarisation accrue en Europe, aux États-Unis ou ailleurs.

Avec la publicité adéquate, ils seront même vantés pour leur protection des « valeurs » occidentales ».

 

David CRONIN

* David Cronin est le correspondant de l’agence de presse Inter Press Service. Né à Dublin en 1971, il a écrit pour diverses publications irlandaises avant de commencer à travailler à Bruxelles en 1995. Son dernier livre, Corporate Europe : How Big Business Sets Policies on Food, Climate and War est publié chez Pluto Press.

Publié le 27/10/2019

Catalogne : « Une situation de répression et de violence policière alarmante pour les droits humains »

 

par Collectif (site bastamag.net)

 

Depuis la condamnation de neuf dirigeants séparatistes catalans le 14 octobre, les mobilisations n’ont pas faibli à Barcelone. Nous publions ici une tribune de l’Observatoire de la dette dans la globalisation (ODG), basée à Barcelone.

Le 14 octobre, neuf dirigeants séparatistes catalans ont été condamnés à des peines de neuf à treize ans d’emprisonnement pour sédition. Depuis, les mobilisations pacifiques n’ont pas faibli à Barcelone. Mais vendredi, la journée s’est terminée par des affrontements avec la police. 579 personnes ont déjà été blessées à la suite des violences policières. Quatre personnes ont perdu un œil à cause de l’utilisation de balles en caoutchouc par la police espagnole. Près de 200 personnes ont aussi été arrêtées. En début de semaine, 28 d’entre elles se trouvaient en détention préventive.

Pour l’organisation basée à Barcelone Observatorio del Deute en la Globalització (Observatoire de la dette dans la globalisation, ODG), les peines prononcées le 14 octobre confirment « la dérive antidémocratique de l’État espagnol qui loin de résoudre le conflit l’aggrave ». Voici leur tribune.

« Le référendum d’autodétermination de la Catalogne du 1er octobre 2017 était un exercice démocratique massif et exemplaire pour le droit de s’exprimer par les urnes comme cela fut le cas en Écosse ou au Québec, et ce indépendamment du résultat du scrutin. Face au refus de l’État espagnol de faciliter cette expression démocratique, le référendum a été rendu possible grâce à la participation de différentes couches de la société catalane, notamment de nombreuses organisations de la société civile, des mouvements sociaux, des syndicats, des partis politiques et bien d’autres. Depuis ce jour nous vivons en Catalogne une situation alarmante d’escalade de la violation des droits humains, de la répression des manifestations, de la violence policière et institutionnelle et de la judiciarisation d’un conflit politique et social. En particulier, la suspension du gouvernement autonome catalan démocratiquement élu par l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole en 2017 a suspendu de facto l’autonomie de la Catalogne.

Lundi 14 octobre 2019, la Cour suprême espagnole a condamné neuf dirigeants politiques élus démocratiquement et deux personnalités de la société civile à des peines de neuf à treize ans d’emprisonnement pour sédition. Cela confirme la dérive antidémocratique de l’État espagnol qui loin de résoudre le conflit, l’aggrave. Les fortes mobilisations et manifestations qui se déroulent sur le territoire catalan, à la fois spontanément et organisées, en sont un symptôme sans équivoque. Les gens sont déterminés à défendre leurs droits par le biais de la désobéissance civile légitime de manière pacifique et non violente.

« Cette sentence ouvre la voie à une persécution généralisée des mouvements sociaux »

Nous trouvons particulièrement important de souligner en quoi cette sentence ouvre la voie à une persécution généralisée et à la criminalisation des mouvements sociaux ou politiques. En particulier le délit de sédition pourra également être caractérisé :

« […] lorsque des agents (de police) doivent renoncer et s’abstenir de se conformer à l’ordre judiciaire dont ils sont dépositaires face à une attitude établie de rébellion et d’opposition à son exécution par un groupe de personnes en nette supériorité numérique. […] Même à travers des formes de résistance non-violente. […] »

Comme de nombreuses organisations de défense des droits humains l’ont déjà souligné, enraciner le délit de sédition dans ce type d’événements et de comportements signifie ouvrir la voie à la persécution d’une multitude de groupes et de mouvements sociaux qui les utilisent pour la défense de droits fondamentaux tels que le logement, la santé, éducation, services de base, etc. En particulier, toute personne qui pratique la désobéissance civile non violente sur le territoire espagnol, comme le font le mouvement des jeunes pour le climat, le mouvement féministe ou les mouvements populaires pour le logement et le logement, contre les expulsions pourrait se voir condamner.

« Il est inacceptable qu’au XXIe siècle, un État membre de l’UE emprisonne des opposants démocratiquement élus »

L’ODG fait partie de différents réseaux et mouvements sociaux où nous pratiquons la désobéissance civile légitime face aux injustices en tant qu’outil de transformation sociale. Compte tenu de cette situation, nous voulons exprimer notre profond rejet de ce qu’implique cette sentence pour la société catalane et espagnole. En outre, nous demandons la libération de toutes les personnes détenues et emprisonnées, à la fois après le 1er octobre et après les manifestations qui ont suivi.

Nous souhaitons également saisir l’occasion pour souligner l’importance de prendre soin de nous-mêmes face à la situation actuelle et dans l’ensemble de nos luttes quotidiennes pour la transformation sociale. La répression et les mobilisations intenses attendues au cours des prochains jours peuvent entraîner un important stress physique et psychologique. Face à cette situation, nous encourageons les citoyen-ne-s à se mobiliser, dans la mesure de leurs possibilités, pour dénoncer les injustices et défendre nos droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression, le droit de réunion et de manifestation et la participation politique.

Nous appelons la communauté internationale et les États membres de l’Union européenne à défendre les droits humains et la démocratie en Europe. Nous appelons la société civile à faire pression sur vos gouvernements pour qu’ils agissent en faveur d’une médiation du conflit. Il est inacceptable qu’au XXIe siècle un État membre de l’UE emprisonne des opposants démocratiquement élus et des militants pacifiques de la société civile, et mettre en danger les droits fondamentaux dans l’ensemble du pays. »

L’équipe de l’Observatori del Deute en la Globalització (Observatoire de la dette dans la globalisation, ODG).

ODG, basée à Barcelone, est né en 2000 avec le porjet de réseau citoyen pour l’abolition de la dette externe. L’organisation est partenaire de l’Observatoire des multinationales et de Basta ! dans le cadre du réseau européen d’observatoires des multinationales (European Network of corporate observatories, Enco).

Publié le 26/10/2019

 

Lesbos, la plus grande prison du monde

 

Fabien Perrier (site regards.fr)

 

Plus de 13.000 migrants attendent sur l’île de Lesbos, à quelques kilomètres de la Turquie, mais en territoire européen. Ils sont les victimes de la politique migratoire européenne les rejetant et des tensions entre les deux rives de la Méditerranée orientale.

 « Ici, c’est la jungle ! Les réfugiés n’en peuvent plus. Parfois, ils se battent même entre eux au couteau », témoigne Saïd, un Aghan de 18 ans. « Pourtant, je resterai ici aussi longtemps qu’il le faut pour obtenir des papiers. Après, je suis prêt à aller dans n’importe quel pays européen... pourvu que je vive en paix ! », poursuit le jeune homme. Il accepte de parler librement « mais sans photo », assis sous une tente arborant le sigle du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) de l’ONU. Autour de lui, une dizaine de migrants, tous Afghans, l’écoutent attentivement, allongés sur des couvertures grises en guise de matelas. Tous approuvent. Ils ont vécu des histoires similaires : la guerre, la persécution par les talibans, des bombes qui explosent et déciment les familles... Ils ont la même ambition : vivre en paix.

Mais quand ils sont arrivés sur l’île de Lesbos, tous ont été confrontés à la même réalité : celle d’une île débordée, comme la plupart des îles grecques à quelques encablures de la Turquie. Sur ce caillou planté en mer Egée, le petit village de Moria est aujourd’hui essentiellement connu pour son « hot spot », selon dénomination officielle donnée par l’Union européenne (UE) à ce camp. C’est là qu’à leur arrivée sur l’île, les migrants sont enregistrés et triés entre réfugiés et migrants considérés comme économiques. Les premiers peuvent prétendre à une admission sur le sol européen quand les seconds sont renvoyés dans leur pays. Quant à la gestion des frontières, elle est confiée au voisin turc.

Entre avril 2015 et mi-mars 2016, environ 1,2 million de migrants sont passés par la Grèce, majoritairement sur les îles synonymes de portes d’entrée dans l’UE. Après la signature, en mars 2016, d’un accord entre Bruxelles et Ankara, le nombre de migrants qui tentaient de rejoindre les îles grecques avait diminué. Contre six milliards d’euros, l’UE déléguait à la Turquie le contrôle des migrations et des frontières, ainsi que la rétention, sur son sol, de ceux qui fuient la guerre ou la misère. Les « hot spot » font partie de cette politique.

Prévu, lors de sa création fin 2015, pour accueillir 3000 migrants, le centre de Moria en accueille aujourd’hui plus de 13.000. Le « hot spot », entouré de ses barbelés, a fini par s’agrandir sur une oliveraie avoisinante dans laquelle sont alignées les tentes du HCR. Mais l’île, que les migrants ne peuvent pas quitter tant qu’ils n’ont pas obtenu leurs papiers de la part des services de l’asile grec et européen, s’est transformée en prison à ciel ouvert.

Un WC pour 90 migrants, une douche pour 200

« Dans mon pays, moi et ma famille sommes pourchassés par les talibans. En arrivant en Europe, je pensais avoir gagné une terre humaniste. Or, ici, nous n’avons aucun droit... Nous ne pouvons même pas aller aux toilettes quand nous voulons : il faut toujours faire la queue », se désole Saïd. Selon les ONG, il n’y a qu’un WC pour 90 migrants, une douche pour 200 migrants sur le camp. Autour du seul point d’eau potable s’amoncellent des poubelles depuis plusieurs jours. L’odeur est si pestilentielle qu’elle force certains à éviter l’endroit. Mais autour, quelques enfants cherchent à tuer l’ennui en s’amusant avec l’eau qui déborde de la vasque. D’après le HCR, de janvier à fin septembre, 8300 enfants dont 1600 non accompagnés, ont été accueillis dans les camps surpeuplés des îles de la mer Égée – le plus grand nombre depuis début 2016. En visite à Lesbos, au début du mois d’octobre, Cécile Duflot, la présidente d’Oxfam France, a dénoncé une « situation dramatique, inhumaine ». Avant d’expliquer : « Elle est le résultat d’une politique de l’Union Européenne consistant à sous-traiter de fait aux cinq îles grecques la contention des réfugiés qui arrivent par la mer. Il est inacceptable de laisser des personnes, 13.000, dont presque la moitié d’enfants, vivre dans ces conditions sur le territoire européen. Cela montre l’impasse de choix des politiques migratoires européennes. » Cette politique délègue de fait aux pays « de première entrée », comme la Grèce ou l’Italie, la gestion des flux migratoires.

Mais en Méditerranée orientale, les migrants sont aussi au cœur des enjeux géopolitiques. « J’ai vécu 25 jours en Turquie, après avoir franchi la frontière depuis l’Iran... » La voix de Saïd s’étouffe. Puis il reprend : « Pendant 25 jours, j’ai été battu par un passeur. Je ne savais pas quand j’allais sortir de cet enfer... » La délivrance aura lieu un soir, où il est emmené dans un pick-up avec d’autres migrants sur la côte. Là, ils embarquent sur un rafiot et au bout de deux heures, parviennent à gagner les côtes grecques, celles de Lesbos, sans être interceptés par les garde-côtes. « C’était un soulagement, reconnaît-il. Puis la déception. »

Car depuis le mois de juin, le nombre de migrants que les passeurs envoient de la Turquie vers la Grèce ne cesse d’augmenter. De quelques dizaines en mai 2019, le nombre de migrants débarquant sur les îles grecques est passé à 3122 en juin, à 7122 en août et même à 10.258 en septembre. Chaque jour, des canots de fortune continuent d’arriver sur les îles. Actuellement, la Grèce abrite 70.000 migrants essentiellement originaires d’Afghanistan (40%), de Syrie (20%) et du Congo (10%). 31.700 d’entre-eux vivent sur les cinq îles de Lesbos, Samos, Kos, Chios et Leros, débordées face au manque de personnel et de moyens financiers, transformées de fait en prison à ciel ouvert. Arrivé au pouvoir en juillet, le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle Démocratie, droite) a annoncé son attention de renvoyer 10.000 migrants vers la Turquie d’ici fin 2020 – pays « non sûr », pour les ONG – et espère ainsi faire pression sur son voisin.

Le chantage turc

Cette stratégie de la pression est aussi celle utilisée par le Président turc Recep Tayep Erdogan. Dans son viseur : la Grèce et l’UE. En septembre, Erdogan a même déclaré dans un entretien télévisé qu’il était prêt à « ouvrir les portes » aux migrants. Sous couvert d’anonymat, un officiel turc explicite :

« 3,5 millions de migrants dont l’UE ne veut pas vivent en Turquie. Nous les laisserons passer si Bruxelles ne nous aide pas sur un certain nombre de dossiers. »

Le premier d’entre-eux concerne une promesse faite par l’UE en mars 2016... mais toujours pas appliquée : la mise en place d’exemption de visas pour les citoyens turcs. Mais plus profondément, la question migratoire est devenue hautement politique sur le plan interne en Turquie, comme sur le plan géopolitique dans la région.

Ainsi, en Turquie, l’opposition à Erdogan a remporté la mairie d’Istanbul ainsi que six grandes villes. En instrumentalisant la question migratoire, Erdogan tente de redorer son blason. Comme le souligne le Professeur Filis, depuis que la Turquie est confrontée à une crise économique et sociale, « les Syriens n’y sont plus les bienvenus ». Ainsi, le président turc revendique-t-il depuis longtemps la création d’un « zone de sécurité en Syrie », sorte de tampon de 30km de profondeur, s’étirant de l’Euphrate à la frontière irakienne, afin d’accueillir une partie des 3,6 millions de Syriens réfugiés en Turquie. C’est ce qu’il veut obtenir en déclenchant l’opération militaire à la frontière syrienne.

Professeur à l’Inalco, à Paris, Alican Tayla estime que l’afflux de migrants est ainsi « l’illustration des messages de menace qu’Erdogan lance à l’égard de l’UE. Il leur montre qu’il est prêt à jouer cette carte si elle met des bâtons dans les rues des autorités turques sur sa politique syrienne et sur la démocratie interne. » Directeur de l’Institut des Relations internationales d’Athènes, le Professeur Konstantinos Filis ajoute : « Erdogan a instrumentalisé la question migratoire pour faire pression sur les Syriens et l’Union européenne ».

Car il existe d’autres points de tension entre Ankara et Athènes, entre la Turquie et l’UE. Ils ont trait à l’extradition de huit officiers turcs réfugiés en Grèce après le coup d’Etat de juillet 2016, aux forages gaziers turcs dans les eaux territoriales chypriotes. Pour Konstantinos Filis, « plus Erdogan peut mettre de sujets sur la table des négociation, mieux c’est pour lui. Il veut ainsi montrer qu’il est un acteur incontournable, voire hégémonique, dans la région. » Incontournable, et prêt à tout pour le rester dans une région qui ressemble de plus en plus à une poudrière.

 

Fabien Perrier

Publié le 24/10/2019

Notes depuis la Catalogne

« Aucun État ne nous rendra libres »

 

 lundimatin#213, (site lundi.am)

 

Des camarades latino-américains, présents ces jours-ci à Barcelone, ont produit ce récit des événements qui secouent la Catalogne, et plus largement le Royaume d’Espagne (des manifestations ont eu lieu aussi à Madrid, au Pays basque, à Valence, à Palma de Mallorca, avec son lot d’affrontements avec la police, de blessés et de détentions).

Ce récit assez factuel devrait être préludé par une généalogie, une cartographie des forces en jeu et des hypothèses politiques qui s’ouvrent dans la situation actuelle. Situation qui a pris, là-bas comme ailleurs, des allures insurrectionnelles. Lundimatin devrait publier dans les jours qui viennent une analyse plus approfondie de ce qui se joue en Catalogne dans ce moment de crise qui déborde largement le territoire catalan.

Disons seulement qu’à la suite du référendum d’octobre 2017, inscrit dans la lignée d’un long mouvement indépendantiste encadré jusqu’ici par des partis politiques dominant la scène parlementaire régionale, elle-même enserrée par l’étau du régime des autonomies hérité de la Constitution de 78 héritée du franquisme, s’est installé, simultanément, durablement, la possibilité d’une dislocation du Royaume. La condamnation à des peines de prison de neuf anciens membres du gouvernement régional et de la présidente du Parlament catalan (allant de 13 à 9 ans) en aura été le déclencheur apparent. Sans oublier la récente et féroce vague de répression des franges plus radicales du mouvement indépendantiste (dont les CDR, ou Comités de défense de la République, et les jeunesses indépendantistes d’ARRAN).

Mais la véritable nouveauté qui apparait avec force aujourd’hui est celle d’un processus de destitution de l’ordonnancement institutionnel des grands partis politiques catalans : ERC (Esquerra republicana de Catalunya), Junts pel si, respectivement la forme social-démocrate et libérale de l’indépendantisme, mais encore la version catalane de Podemos (En Comú Podem), dont l’égérie n’est autre que la mairesse de Barcelone, Ada Colau, dans le rôle peu ragoutant d’une posture munichoise dans le conflit entre les indépendantistes et les institutions fascistoïdes du pouvoir espagnol. Il faudrait encore mentionner l’ANC (Assemblea nacional de Catalunya) et Omnium, deux organisations de masse de la société civile, non-violentes, régies par des principes d’action de désobéissance civile (jusqu’ici) intransigeants.

Le tragédie de l’histoire se résume peut-être bien dans le fait que c’est la police catalane (les Mossos d’esquadra), en principe sous les ordres du Conseiller de l’intérieur catalan d’obédience independentiste, qui reprime avec la plus grande brutalité (main dans la main avec la policia nacional et la guardia civil espagnoles de sinistre mémoire)... les indépendentistes, radicaux comme modérés.

Reste une puissante constellation de réseaux politiques, composée par les municipalistes de la CUP (Candidatures d’unitat popular), dont il faudrait considérer les ambiguités entre leur participation aux espaces de la représentation politique et les formes d’autonomie déployées dans leurs pratiques communalistes, ainsi que le dense tissu de centres sociaux et autres Ateneus, les syndicats de quartier hérités de la tradition anarchiste, les expériences coopératives, les mouvements féministes, les mouvemesnts écologistes, les réseaux de solidarité avec les migrants... Et, avec tout cela, de plus en plus, une hybridation deroutante entre toutes ces formes d’interventions politiques et de creation de formes de vie communalistes situées.

Il nous semble que l’enjeu actuel que pose l’indépendance, inéluctable à long terme, de la Catalogne pourrait se résumer ainsi : soit il y aura un retour à la normale étatique dans l’attente d’une réintégration d’ici quelques années à l’espace ultra-libéral de la communauté européénne (si celui-ci ne s’est pas effondré d’ici-là), soit nous allons voir naître l’expérimentation d’une République des communes dont les agencements sont déjà présents.

Texte traduit par Josep Rafanell i Orra.

Notes depuis la Catalogne

Ce qui s’est passé au cours des cinq derniers jours à Barcelone, Gérone, Lleida et Tarragone (ainsi que dans des nombreuses villes et villages de toute la Catalogne) montre quelque chose de similaire à ce qu’a eu lieu à Hong Kong : des manifestations qui commencent avec des objectifs nationalistes et démocratiques et qui finissent par reconduire une révolte contre la répression, l’injustice et plus largement contre les formes de représentation politique.

Ce qui se passe ici n’a pas de sens depuis le prisme d’une lutte des classe, telle que nous avons pu l’observer au travers du caractère prolétarien des luttes au Chili ou en Équateur. Cependant tout n’est pas canalisé par le réformisme. Cette irruption quasi insurrectionnelle, commence à dépasser largement une quête qui s’épuiserait dans l’obtention d’un nouveau gouvernement et des institutions catalanes indépendantes de l’Etat espagnol.

L’irruption d’une très jeune génération, pleine d’amour et de rage, a transformé le mouvement d’indépendance citoyen en un gigantesque décor de flammes contre le pouvoir. Si l’on s’approche de ces nuits de feu, on constate immédiatement qu’il y a des milliers et des milliers de personnes derrière chaque barricade, qu’il y a de très jeunes gens (15, 17, 19, 21 ans) et que, dans de nombreux cas, ils sont trop téméraires, debout les uns à côté des autres, pour être gérés par l’indépendantisme officiel et par les matraques et les tirs de flash-ball . Et aussi, qu’ils parlent espagnol ou catalan, de manière interchangeable, et que la fraternité de la rue leur donne une attitude ouverte à toutes sortes de slogans et de chansons. Les proclamations d’indépendance se mélangent aux condamnations de l’attaque de la Turquie contre le Rojava, ou encore aux ces cris de rage de plus en plus partagés : « qu’importe qui gouverne, nous sommes ingouvernables » ou « qui sème la misère, suscite la colère ».
Même si, à vrai dire, une fois la nuit tombée, il n’y a que peu de chansons, mais la sensation intense de faire l’histoire. Et que l’on s’installe dans le temps d’une longue durée.

Ceux qui tiennent le premier rôle dans les émeutes sont une minorité, mais ils sont des milliers, parmi d’autres milliers qui se tiennent derrière, ou à côté, mais qui les soutiennent, qui se fondent dans la masse les visages couverts, occupant l’espace, parfois assis sur les trottoirs, jamais loin des affrontements.

Ces événements il faudrait les situer dans la ligne de ce qui eut lieu il y a deux ans (ndt : la tenue du référendum pour l’indépendance, le 1 octobre, refusé par le gouvernement central de Madrid, qui fit l’objet déjà de brutalités policières de masse [1]). Ici, nous nous contenterons de quelques notes urgentes sur ce qui s’est passé entre le 14 et le 19 octobre, surtout dans la ville de Barcelone.

Invasion de l’aéroport

La première réponse à la condamnation des neuf leaders indépendantistes (à plus de 100 ans de prison, toutes peines confondues, par les tribunaux espagnols) a été, ai sein du front l’indépendantiste républicain comprenant à divers degrés toutes les organisations, des plus citoyennes aux plus « radicales », d’essayer de bloquer l’aéroport. Cette action a été coordonnée par une nouvelle plateforme quasi-clandestine appelée Tsunami Democràtic et s’est caractérisée par son innovation technologique. Grâce à une application accessible depuis le mobile (mot de passe fourni par une personne de confiance), vous pouvez devenir un « activiste ». Elle vous permet d’être informé en temps réel des besoins du mouvement, et de pouvoir ainsi rejoindre ceux qui se trouvent à un kilomètre autour de vous : ’il manque des gens dans tel endroit », « la police charge dans tel autre’. Ce système de coordination décentralisé permet alors que des centaines de personnes dans un même endroit puissent improviser une action près de chez eux, n’importe où, et de surprendre les forces répressives.

Ce jour-là, des routes, des avenues, des rues ont pu être ainsi bloquées sur le chemin de l’aéroport, ce qui a entraîné l’annulation de plus de 120 vols. Les milliers de personnes qui ont participé à cette action avaient un sentiment « catalan » ou simplement antiespagnol. Il faut savoir que beaucoup affirment être devenus indépendantistes suite à l’expérience des coups de matraques et les tabassages dont ils avaient déjà fait l’objet le 1 er octobre 2017 lors du référendum pour l’indépendance.

Lorsque le Tsunami Democratic a mené son action et parvenu à désorganiser l’aéroport, il a appelé (via l’application) à quitter celui-ci. Cependant, de nombreuses personnes qui venaient d’arriver (nombre d’entre elles marchant à pied sur plus de 10 kilomètres ou plus) ont décidé de rester. Soulignons que si de milliers d’indépendantistes radicaux étaient présents, si on veut les nommes ainsi, c’est qu’ils étaient convaincus que les seules méthodes pacifiques et de désobéissance civile étaient devenues impuissantes. Et que l’attente de la réprobation ou des sanctions contre le gouvernement espagnol de la part de la « communauté internationale », et plus particulièrement des institutions européennes, n’arriverait jamais. ’Vous l’avez fait jusqu’ici à votre façon et cela n’a pas fonctionné, maintenant laissez-nous le faire.’ Ils ont résisté contre la police à l’intérieur et à l’extérieur de l’aéroport au prix des premières blessés graves .

Ce sont les mêmes indépendantistes qui auraient souhaité qu’après le référendum du 1er octobre, le gouvernement proclame effectivement l’indépendance, qu’il se retranche au Parlement catalan qui aurait pu été défendu par les gens dans une sorte de nouveau Maïdan.

Les nuits de feu

Après l’aéroport, la rage contre la brutalité déchainée cette nuit-là par la police catalan et espagnole (jeunes tabassés, gazés, éborgnés, mutilés...) s’est généralisée. Sans compter qu’elle avait déjà été nourrie par la colère provoquée par les récentes arrestations de militants des comités de défense de la République (CDR), accusés de terrorisme [2].

Lors des manifestations organisées (notamment par le même CDR) les après-midi des 15, 16 et 17 octobre, des membres du mouvement indépendantiste (à la fois pacifistes et radicaux) et de nombreuses personnes simplement indignés étaient présentes. Tard dans la nuit, ceux qui impulsaient les émeutes sont des indépendantistes mais aussi de nombreux jeunes anticapitalistes. Il y a aussi ceux qui, depuis des années, font face à Barcelone à une gestion qui fait la part belle à la spéculation immobilière, à la constitution d’un pôle métropolitain d’attractivité économique et au tourisme de masse rendant les loyers inabordables. Les « les antisystème habituels », pour reprendre les termes du Conseller Busch (ministre de l’Intérieur de Catalogne). Ceux qui, malgré leur longue expérience de la résistance aux expulsions des logements et des attaques contre les commissariats de police et les banques, sont surpris par la détermination de ces nouveaux partenaires de barricade. Et qui s’étonnent en même temps devant le constat que le premier objectif de leurs voisins cagoulés est la police et la mise à feu de conteneurs pour bloquer les rues. Ils regardent incrédules les vitrines intactes de grands magasins de luxe qui s’enfilent dans les rues de ces quartiers riches (ndt : les deux dernières journées émeutières verront pourtant voler en éclats des vitrines de banques et de certaines boutiques de luxe).
Le police catalane et espagnole elle-même est également surprise par les nouvelles façons d’agir : ’C’est comme s’ils n’avaient pas peur de nous, ils attaquaient nos fourgonnettes, ils essayent de les retourner. Ils y sont même parvenus deux fois...’.

Marches pour la dignité, la grève et la nuit de la rage

Le 18 octobre, lors d’une autre des actions convoquées par le tsunami démocràtic, les CDR et les organisations de la société civile ANC et Omnium, des centaines de milliers de personnes constituées en colonnes rassemblant des immenses foules, arrivent le soir à Barcelone en provenance des quatre coins du pays. En parallèle, une grève générale et des manifestations avaient été organisées dans l’après-midi. Dans la capitale, plus d’un demi-million de personnes se retrouvent dans la rue. Après les appels par l’ANC et Omnium de dissoudre les manifestations , les CDR ont convoqué un campement destiné à rester dans une des plus grandes avenues de la ville, la Gran Vía. Ce campement a été ensuite annulée après avoir constaté que plus de dix mille personnes restaient derrière des barricades en flammes, affrontant les cordons de la police. Cet appel de dernière minute non respecté par des milliers de manifestants, indique le degré d’autonomie d’une grande fraction du mouvement. La police et les politiciens se rendent à l’évidence que rien de tel n’était arrivé depuis la fin du régime franquiste. Lors de la grève générale de mars 2012, l’incendie et la destruction de magasins ont été déclarés le jour le plus violent depuis la guerre civile. Mais le lendemain, presque tout le monde souligne que la nuit du 18 octobre a été encore plus explosive.

Au cours des quatre dernières nuits, dans les quatre principales villes catalanes (Barcelone, Tarragone, Girona et Lleida), il y a eu plus de cent policiers blessés, plus de mille conteneurs de déchets brûlés, deux cents véhicules de police gravement endommagés. Il était particulièrement surprenant de voir l’utilisation des conteneurs de chantier pour couper les rues et l’usage de pioches pour casser les trottoirs pour obtenir des projectiles. Également l’utilisation de fusées pyrotechniques, de clous croisés pour crever les roues des fourgons de la police, de billes d’acier lancées avec des frondes et les universels cocktails Molotov, inhabituels dans ces contrées.

La répression a de nouveau été brutale : d’innombrables blessés et gazés par les lacrymogènes ou le poivre, perte d’ouïe, perte de testicules, au moins cinq éborgnés suite aux impacts de balles en caoutchouc, tabassages... ; ceci parfois avec la complicité de groupuscules néo-nazis tolérés aussi bien par les polices catalane qu’espagnole. Des centaines des détenus, au moins une cinquantaine de personnes incarcérés, des dizaines de personnes hospitalisés.

Quelques heures avant le début d’une nouvelle manifestation, appelée par la frange indépendantiste radicale, différentes points de la frontière avec la France ont été bloquée par les manifestants. Mentionnons la loufoque suspension du match de football Barcelone-Madrid. Les mesures gouvernementales se suivent pour faire régner la paix des cimetières.

« Aucun Etat ne nous rendra libres »

Bien que cette phrase fût présente dans des banderoles lors des manifestations d’hier, il y en avait beaucoup d’autres qui célébraient un futur État catalan, ceux qui, au lieu d’initier un processus révolutionnaire, voudraient s’enrôler dans une guerre inter-bourgeoise. Cependant, de plus en plus de manifestants se souviennent que lorsque la plupart des prisonniers politiques ou des exilés actuels siégeaient au gouvernement catalan, au cours du mouvement 15 M de 2011, lorsque des manifestants avaient tenté de bloquer le Parlament afin d’empêcher le vote du budget dans la ligné des plans d’austérité, ce furent ceux-là mêmes qui leur envoyèrent la police. Au cri : ’personne ne nous représente ! ’ et ’que se vayant todos », la réponse fut la violence policière qui laissa derrière elle déjà une femme éborgnée. Il y eut des détentions, des incarcérations mais ces mêmes politiciens dirent que tout le poids de la loi (espagnole, mais peu importe) devait tomber sur les violents qui s’étaient frayés un chemin jusqu’au Parlament. Il est certain que si ces mêmes prisonniers politiques assument un jour à nouveau le gouvernement d’un État catalan indépendant, ils veilleront à opposer des lois répressives et leur police à toute tentative de révolte.

De Hong Kong à Barcelone, de Paris à Santiago et à Quito, il semble que la bourgeoisie mondiale passera encore beaucoup de nuits blanches face à ce réchauffement de plus en plus mondial.

Nous remercions Nestor Augusto Lopez de nous avoir autorisé la publication de cette contribution (www.comunizar.com.ar)

[1] Pour une chronique des événements ayant suivi le referendum du 1 octobre 2017 :

 https://blogs.mediapart.fr/josep-rafanell-i-orra/blog/191017/la-catalogne-sous-lombre-danubis

 https://blogs.mediapart.fr/josep-rafanell-i-orra/blog/231017/podemos-nen-peut-plus

 https://blogs.mediapart.fr/josep-rafanell-i-orra/blog/131117/une-republique-catalane-sans-etat-ou-la-republique-des-communes

[2] Ndt : neuf indépendantistes catalans, soupçonnés de préparer des sabotages, ont été arrêtés le 23 septembre dans différentes villes en Catalogne lors d’une série de violentes perquisitions. En attente de jugement, ils sont depuis inculpés pour terrorisme et la plupart incarcérés dans un régime de strict isolement.

Publiié le 19/10/2019

L'Espagne, un Etat-nation en crise

Par Stéphane Pelletier, professeur agrégé d’espagnol et de civilisation hispanique contemporaine, université Paris-Est-Créteil. — (siteliberation.fr)

La condamnation de neuf leaders catalans le 14 octobre a provoqué des manifestations continues ainsi qu'un appel à la grève générale ce vendredi. Le futur gouvernement central qui sortira des élections générales du 10 novembre serait inspiré de repenser la politique de construction nationale.

  • L'Espagne, un Etat-nation en crise

Tribune. La Cour suprême a rendu son verdict lundi, très attendu outre-Pyrénées, dans le procès qui aura duré quatre mois contre neuf leaders indépendantistes catalans, accusés de sédition et de malversation de fonds publics pour des faits qui remontent à octobre 2017. Les peines prononcées sont lourdes (entre 9 et 13 ans de prison) mais se situent en deçà de ce que le parquet avait requis. Le message du pouvoir judiciaire se veut néanmoins implacable : tolérance zéro envers ceux qui ont enfreint la loi qui interdisait expressément l’organisation d’un référendum d’autodétermination en Catalogne. Les neuf personnes condamnées étaient passées outre malgré les mises en garde réitérées du gouvernement central en arguant du droit des Catalans à décider de leur destin et en choisissant les urnes pour exprimer pacifiquement leur dessein.

Mais cette réponse ferme de la justice espagnole ne résout en rien le conflit catalan. Elle risque même de provoquer une suite de réactions courroucées de la part des quelque 2,5 millions de Catalans partisans de l’indépendance de leur nation, toujours privée d’un Etat propre. A leurs yeux, l’Etat central n’est plus à même de représenter cette communauté d’adhésion que devrait être la nation espagnole. S’agissant de plusieurs millions de citoyens, c’est un problème majeur pour la démocratie espagnole.

Ce qui se joue véritablement en Espagne n’est pas un problème d’organisation de l’Etat mais bien un problème qui renvoie au concept même de nation. En effet, nous assistons à l’échec cuisant de l’Etat-nation espagnol qui ne tient pas tant à son mode d’organisation, fût-il centralisé, fédéral ou confédéral, qu’à son incapacité à faire en sorte que tous ses citoyens se sentent membres à part entière d’une communauté d’appartenance.

Si le problème n’est pas nouveau dans l’histoire espagnole contemporaine et ne se limite pas au cas espagnol, la crise catalane actuelle ne fait que mettre en relief cet échec. Quelles en sont les causes ?

Les presque quarante ans de régime franquiste avaient eu un effet désastreux sur le processus de construction nationale en réprimant systématiquement les identités qui s’exprimaient à la périphérie. Pour des millions d’Espagnols, surtout à gauche et a fortiori au Pays basque et en Catalogne, la nation espagnole avait des relents dictatoriaux et était vécue comme un gros mot. L’Espagne démocratique, née de la Constitution de 1978, qui avait progressivement mis en place un système fortement décentralisé au début des années 80 avec la création de 17 autonomies, n’est pas parvenue à rendre cohérent un récit de nation inclusive. Les élites de la période de la transition démocratique (1976-1982) ayant échoué dans leurs politiques de construction d’une identité espagnole partagée, l’on a assisté à la multiplication des récits de nations alternatives (basque et catalane mais pas uniquement). Les politiques visant à raffermir les liens communautaires n’ont pas suffisamment été mises en œuvre, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir préférant regarder du côté de la construction européenne. Enfin, la droite espagnole, incarnée par le Parti populaire, a jeté de l’huile sur le feu nationaliste en refusant catégoriquement de négocier en 2006 avec les élites politiques catalanes des statuts d’autonomie élargie. Cela aurait évité la radicalisation des nationalistes catalans et le passage de centaines de milliers de Catalans dans le camp indépendantiste, tout comme la désintégration à marche forcée de l’Etat-nation à laquelle nous assistons aujourd’hui. Les socialistes espagnols n’ont guère été plus inspirés à cet égard, il est vrai.

De la répression (dont on a mesuré en octobre 2017 à quel point elle pouvait être brutale) et du refus de dialoguer autour d’une table ne naîtra rien de bon. Le futur gouvernement central issu des élections générales du 10 novembre prochain, si l’Espagne parvient enfin à dégager une majorité claire aux Cortes, serait bien inspiré de repenser entièrement sa politique de construction nationale au risque de voir la maison Espagne perdre bientôt une partie de sa charpente ! Les réactions qui se produisent en Catalogne nous disent peut-être qu’il est déjà trop tard.

Auteur de Une histoire de la transition démocratique en Espagne, EME éditions, juillet 2019.

 

Stéphane Pelletier professeur agrégé d’espagnol et de civilisation hispanique contemporaine, université Paris-Est-Créteil.

Publié le 16/10/2019

Catalogne : l'Union européenne regarde ailleurs

 

Par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles (site kiberation.fr)

 

Fidèle à sa ligne non interventionniste sur le dossier sensible de la Catalogne, l'UE n'a pas réagi aux très lourdes condamnations, lundi, des responsables indépendantistes.

C’est par un silence assourdissant que l’Union européenne a accueilli l’arrêt de la Cour suprême espagnole qui a condamné, lundi, neuf dirigeants indépendantistes à des peines de prison ferme allant de neuf à treize ans pour «sédition» ou «détournement de fonds publics», le chef de «rébellion» n’ayant pas été retenu. Leur crime ? Avoir déclaré unilatéralement, mais pacifiquement, l’indépendance de la Catalogne le 10 octobre 2017 à la suite du référendum d’autodétermination du 1er octobre.

Ce refus d’intervention est constant depuis le début de la crise catalane : pour l’Union, il s’agit d’une affaire strictement intérieure. Emmanuel Macron a parfaitement résumé la doctrine européenne dès octobre 2017 par quelques formules lapidaires : «J’ai un interlocuteur en Espagne, c’est le Premier ministre […] Il y a un Etat de droit en Espagne, avec des règles constitutionnelles. Il veut les faire respecter et il a mon plein soutien.» Pour le chef de l’Etat, l’UE n’a strictement aucune compétence dans ce domaine et ne doit surtout pas en avoir : «Moi demain, je peux avoir une région en France qui se lève et qui dit : "S’il en est ainsi, j’en appelle aux institutions européennes." Et on a des institutions [européennes] qui deviennent les arbitres des élégances de tous les sujets intérieurs ? Non.» 

Union sacrée au Parlement européen

Le seul pays à avoir montré des sympathies pour la cause catalane est la Belgique, où s’est d’ailleurs réfugié Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité – l’exécutif de la communauté autonome catalane. Ce qui n’a rien de surprenant, la Flandre (6,6 millions d’habitants sur les 11 que compte le royaume) étant dominée par des partis indépendantistes (N-VA et Vlaams Belang) qui veulent en finir avec la Belgique.

Au sein du Parlement européen, c’est la même union sacrée. Les groupes PPE et socialiste sont totalement hostiles à la cause des indépendantistes catalans. Tout comme Renew Europe (RE) qui estime «que la question catalane est la définition même de ce qu’est un problème intérieur», comme l’explique Bernard Guetta (Renaissance, qui fait partie de RE). Une position qui n’est pas près d’évoluer, huit députés de Ciudadanos, un parti farouchement hostile aux indépendantistes, siégeant dans ses rangs. Cela étant, la sévérité de la justice espagnole met mal à l’aise l’ancien journaliste français : «Ce jugement va renforcer les rancœurs tant en Catalogne qu’entre la Catalogne et le reste de l’Espagne. On ne retisse pas le tissu national, on ne construit pas l’avenir sur l’injustice et le ressentiment. Ce jugement ne tient absolument pas compte de la nécessité de la réconciliation.» Une opinion partagée par la GUE (gauche radicale) et les Verts : «Ce jugement est disproportionné et va accroître la crise politique en Catalogne. La situation appelle une solution politique et ne peut être réglée par la justice», estime ainsi l’Allemande Ska Keller, la coprésidente du groupe Vert.

A lire aussi Verdict sans merci pour les indépendantistes catalans, vives réactions à Barcelone

L’attitude prudente de l’Union s’explique par le fait qu’elle n’est pas une fédération, mais une confédération d’Etats souverains. Jean-Louis Bourlanges, ancien eurodéputé et actuel député français du Modem, le rappelle : «L’Europe est faite par les Etats et ils ne peuvent donc se permettre d’intervenir dans les situations internes. Sauf, comme le prévoient les traités, si l’Etat de droit est mis en cause comme en Hongrie ou en Pologne.»  En clair, l’Union, ce sont les Etats et il n’est pas question qu’ils interviennent dans une crise mettant en cause l’intégrité territoriale de l’un d’entre eux, y compris en proposant une médiation qui donnerait une légitimité internationale aux sécessionnistes.

Les Espagnols, omniprésents à tous les niveaux de pouvoir à Bruxelles, veillent à ce que cette doctrine soit respectée à la lettre. Ainsi, le patron du service juridique de la Commission est l’Espagnol Luis Romero Requena et la cheffe de cabinet du président de l’exécutif européen, Jean-Claude Juncker, est l’Espagnole Clara Martinez Alberola, membre du Parti populaire. L’ancien porte-parole de la Commission, le conservateur grec Margarítis Schinás, est l’époux de Mercedes Alvargonzález qui a été jusqu’à ces jours-ci la cheffe de cabinet de Manfred Weber, elle aussi membre du Parti populaire. Le groupe socialiste quant à lui est présidé par l’Espagnole Iratxe García.

Une justice espagnole politisée

Reste que, sur le fond, le distingo entre la Hongrie ou la Pologne, d’une part, l’Espagne, d’autre part, ne tient guère la route. En effet, la justice espagnole n’est pas un parangon de vertu contrairement à ce que voudrait faire croire le gouvernement madrilène. Ainsi, le Conseil de l’Europe sis à Strasbourg critique régulièrement l’absence d’indépendance des magistrats espagnols. De fait, c’est le gouvernement qui choisit le procureur général, et les membres du Conseil général du pouvoir judiciaire, chargé de nommer les juges et de gérer leur carrière, sont nommés par le Parlement sur la base de quotas attribués à chaque parti. En un mot, cette politisation de la justice est tout simplement contraire au principe de la séparation des pouvoirs. C’est sans doute ce qui explique que ce soit la justice qui se montre particulièrement répressive à l’égard des Catalans et qui a entravé les efforts des gouvernements socialistes Zapatero et Sánchez pour trouver une solution politique.

De même, le Code pénal espagnol contient des dispositions particulièrement dures sur la «rébellion» et la «sédition», lesquelles ont été surtout pensées pour lutter contre le retour des tentations autoritaires après la chute du franquisme. A tel point que les justices belge et allemande ont refusé d’exécuter les mandats d’arrêt européens lancés contre les dirigeants indépendantistes réfugiés à l’étranger, ce qui montre que certaines normes espagnoles contreviennent aux valeurs européennes. Si l’on considère que l’organisation de la justice ibérique est une affaire intérieure, il devrait donc en aller de même pour les démocratures des pays d’Europe de l’Est.

Jean Quatremer correspondant à Bruxelles

Publié le 10/08/2019

En janvier dernier, près de 200 organisations issues de 16 pays européens, lançaient une pétition pour demander aux dirigeants de l’UE, de mettre fin au système de « justice d’exception » bénéficiant aux entreprises multinationales, et d’introduire des régulations contraignantes pour qu’elles respectent les droits humains et l’environnement.

(site lamarseillaise-encommun.org)

À la veille de deux réunions déterminantes, prévues mi-octobre entre députés européens – l’une à Genève, l’autre à Vienne – une délégation représentative de ces organisations citoyennes sera présente pour tenter de défendre les droits humains face aux diktats des multinationales. Elle exige un traité dans ce sens, pétition de plus de 600 000 signatures, à l’appui.

Il y a 10 ans, le 18 septembre 2009, un tribunal d’arbitrage contraignait le Mexique à verser 77,3 millions de dollars à Cargill, géant améri­cain de l’agroalimentaire. Le gouvernement mexicain qui avait mis en place une taxe sur le sirop de maïs riche en fructose afin de lutter contre l’obésité dans son pays, devenait pourtant « coupable » de protéger ses citoyens, selon Cargill!

Idem, le 24 avril 2013, le Rana Plaza à Savar au Bangladesh, immeuble qui abritait des ateliers de confections textiles pour la haute couture, s’effondrait subitement entraînant un véritable cimetière humain à ciel ouvert. Six ans après cette tragédie qui a causé la mort de 1 138 ouvrières, aucune des multinationales impliquées dans cette catastrophe n’a pourtant été inquiétée par la justice.

C’est en relatant ces drames parmi tant d’autres, que Swann Bommier, chargé de plaidoyer la régulation des entreprises multinationales pour le compte du CCFD-Terres solidaires (Comité Catholique contre la faim et pour le développement, anciennement CCFD), évoque le sujet durant notre interview qui précède une de ses conférences publique qui a lieu jeudi 3 octobre 2019 à Aix-en-Provence (20h30, salle Voltaire).

Histoire de l’ISDS depuis 1965

Remontant à 1965, Swann Bommier rappelle le contexte de décolonisation dans lequel ce “système” est né, avant tout dans un but de protéger les intérêts d’entreprises qui investissent. Un système pensé d’abord dans une même logique “Nord-Sud” comme un sournois enracinement  d’occupation purement financière : “ L’arbitrage investisseur-Etat (ou ISDS en anglais pour Investor-State Dispute Settlement) mis en place en 1965 à l’initiative de la Banque mondiale, est aujourd’hui présent dans plus de 3400 accords internationaux, dont plus de 1400 conclus par des États membres de l’Union européenne, y compris parfois entre eux (196). Ce système qui permet aux investisseurs d’attaquer en justice des Etats par l’intermédiaire d’une justice parallèle, ne cesse de croître et a déjà généré plus de 900 plaintes “.

Peu connu au départ, ce “crédit” servi aux multinationales s’est propagé à très grande échelle par la suite, entraînant des recours insensés et des sommes faramineuses qui ont atteint durant ces 25 dernières années, le versement de plus de 88 milliards de dollars aux grandes enseignes, comme le cas du Mexique notamment, l’illustre. Le tout, en toute impunité et au détriment même de la démocratie et des peuples.

 

Swann Bommier précise :

Aucun domaine n’est épargné par les entreprises et les investisseurs qui l’utilisent notamment pour remettre en cause des politiques publiques d’intérêt général relatives à la santé, la fiscalité, l’environnement ou au salaire minimum “.

 

Le recours au tribunal d’arbitrage, une artillerie lourde

Parmi tant d’autres exemples, Philipp Morris a attaqué l’Uruguay et l’Australie sur la base de lois portant sur l’introduction du paquet neutre de cigarettes dans ces deux Etats. Même si l’entreprise n’a finalement pas obtenu gain de cause, ces plaintes ont eu pour effet de dissuader ou de retarder des législations similaires dans d’autres pays.

Alors que les pays du sud sont les principaux impactés par ces juridictions dangereuses, voire meurtrières, les Etats “ ont été condamnés ou ont consenti “ à payer 51,2 milliards de dollars d’amendes au profit des investisseurs sur la base d’un seul traité d’investissement : le traité sur la Charte de l’énergie. Et l’Europe dont la France, ne sont pas épargnés.

Pour Swann Bommier : “ Les plaintes ou parfois les seules menaces de plainte minent les efforts des transition écologique de pays comme l’Espagne ou la France. En 2017, l’entreprise Vermilion a ainsi menacé la France de poursuites au moment de l’examen de la loi Hulot sur les hydrocarbures, et obtenu gain de cause puisque le gouvernement a retiré la mesure incriminée “. Idem en Allemagne où l’état est attaqué par la société Vattenfall suite aux nouvelles règles environnementales imposées par la ville de Hambourg sur sa centrale à charbon. Le plaidoyer explique : “ Au terme de tractations secrètes, la ville a accepté de revoir ses exigences à la baisse. Dans une autre affaire, Vattenfall réclame désormais 4,7 milliards d’euros à l’Allemagne suite à son choix de sortir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima “.

Une longue liste dans laquelle on trouve l’entreprise Texaco. “ De 1964 à 1992, Texaco, acquise par Chevron en 2001, a extrait du pétrole en Amazonie équatorienne et a provoqué l’une des plus grandes catastrophes environnementales au monde. Après 25 ans de procès devant plusieurs tribunaux nationaux et internationaux, les communautés autochtones et paysannes n’ont toujours pas obtenu justice, et ce en dépit du fait que les tribunaux équatoriens ont condamné Chevron à payer 9,5 milliards de dollars de réparations en 2011. Ce jugement a été reconnu et confirmé par la Cour suprême de l’Equateur en 2013, puis par la Cour constitutionnelle équatorienne en 2018. Cependant, Chevron a entamé plusieurs procédures d’arbitrage contre le gouvernement équatorien dans les années 2000. En août 2016, la compagnie a reçu une première compensation de 96 millions de dollars. Et en août 2018, des arbitres ont ordonné au gouvernement équatorien de verser de nouvelles compensations à Chevron, dont le montant reste à fixer, et surtout d’empêcher l’exécution du jugement de 2011 en faveur des communautés locales toujours lourdement affectées par la pollution “.

En Roumanie également où “ depuis plus de 16 ans, les habitant.e.s de la ville de Roşia Montană se sont opposés à un projet d’implantation d’une mine d’or qui aurait détruit les habitations et l’environnement alentour. La mobilisation citoyenne “Save Roşia Montană!” est parvenue à stopper le projet. Pourtant, l’entreprise canadienne Gabriel Resources a eu recours à un tribunal d’arbitrage et demande à la Roumanie de payer 4,7 milliards de dollars en dommages, soit l’équivalent de la moitié du budget annuel du ministère de la santé du pays “.

Ou encore en Inde où “ en 2007, Vodafone achète une entreprise de téléphonie mobile sans payer aucune taxe sur cette transaction de 11 milliards de dollars, grâce à ses filiales situées dans les paradis fiscaux. Lorsque le fisc indien a demandé à Vodafone de s’acquitter des taxes dues, l’entreprise a déposé un recours en arbitrage “.

Sans parler du cas bien plus médiatisé de Monsanto, qui continue de sévir sous l’enseigne Bayer, malgré ses scandales sanitaires ou encore de Shell dont les fuites de pipeline ont provoqué une pollution sans précédent au Niger où 40 000 plaintes de victimes ont été déboutées.

Le devoir de vigilance en France, unique au monde

De nombreux pays comme l’Afrique du sud, les Etats-Unis et même le Canada ont supprimé les fameuses clauses de tribunal d’arbitrage.

L’Union Européenne, elle, est demeurée frileuse jusqu’au 27 mars 2017, date à laquelle la France a promulgué une “ loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre “, dite “ loi sur le devoir de vigilance “. Cette loi marque une étape historique dans la protection des droits humains et de l’environnement en imposant aux entreprises françaises, une obligation de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement pouvant résulter de leurs activités, celles de leurs filiales, fournisseurs et des  sous-traitants de par le monde.

Mais, malgré cette loi importante et unique au monde, force est de constater que le Conseil Constitutionnel vidait de sa substance la loi Hulot, pour mieux répondre aux diktats des industriels.

Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales

C’est donc sur l’application stricto-sensu du devoir de vigilance, qui influence cependant d’autres pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou encore la Finlande, que les 200 organisations dont le CCFD et Attac, entendent mobiliser le plus largement.

Il faut maintenant veiller à ce que cette loi soit appliquée comme il se doit “, poursuit Swann Bommier “ 2019 est pour cela une année cruciale, puisque les premières actions devant les tribunaux français au nom de cette loi sont désormais possibles “.

Avec le lancement de la campagne “ Stop Impunité ! Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales “ les organisations de défense des droits humains appellent les citoyens à “ reprendre le pouvoir “.  Et Swann Bommier d’ajouter : ” Cette campagne de mobilisation demande une refonte de l’ordre juridique interna­tional relatif au commerce, à l’investissement et au respect des droits humains et de l’environnement par les multi­nationales. En France, 46 associations, syndicats et mouvements sociaux ont rejoint le mouvement (ATTAC, Amis de la Terre, CGT, Emmaüs International, Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace, Institut Veblen, Max Havelaar, Notre affaire à tous, Secours catholique, Sherpa, etc.) “.

Parallèlement, de nombreuses institutions européennes dont le Parlement européen, plaident également pour l’adoption d’une directive européenne relative au devoir de vigilance qui s’inspirerait de la loi française. Le vice-président à la Commission européenne Frans Timmermans s’est d’ailleurs exprimé dans ce sens, lors d’une conférence publique le 30 octobre 2018, affirmant : ” Nous avons besoin de réglementations applicables. Si nous ne les obtenons pas au niveau global, l’Europe doit être leader “.

Ceta-Tafta, une réforme « cosmétique » de l’ISDS qui menace lourdement

Mais, si la France a impulsé l’exemple avec le devoir de vigilance, elle a paradoxalement participé activement à la re-légitimation de l’arbitrage d’investissement via le CETA que l’assemblée nationale a ratifié et elle continue de promouvoir activement la politique de l’Union européenne dans ce domaine.

Pour Swann Bommier : ” Malgré cette vague sans précédent de mobilisation, l’Union européenne promeut l’insertion d’un tel mécanisme dans un grand nombre d’accords en préparation (Canada, Japon, Singapour, Vietnam, etc.). Elle oeuvre également en faveur d’un projet de Cour multilatérale d’investissement (MIC, pour Multilateral Investment Court, en anglais) pour re-légitimer l’arbitrage et étendre encore davantage les droits exorbitants accordés aux investisseurs “.

Des propositions plus humaines

Révoquer les clauses d’arbitrage entre investisseurs et Etats dans les traités existants ou en cours de négociation, appuyer les négociations et la ratification d’un traité onusien, adopter une directive européenne du devoir de vigilance, sont autant de points cruciaux que souhaitent voir à l’ordre du jour de la prochaine rencontre à Genève, les organisations de défense des peuples.

En effet, alors qu’aux Nations Unies, des négociations intergouvernementales pour l’élaboration d’un traité international contrai­gnant, relatif aux multinationales et aux droits humains, ont lieu chaque année depuis 2015, une étape décisive a été franchie en juillet 2018, avec la publication par la présidence équatorienne du groupe de travail d’une première ver­sion de ce traité.

Le groupe de travail intergouvernemental se réunira à nouveau à Genève du 14 au 18 octobre 2019 pour la cinquième session de négociation, à laquelle seront présents les représentants des organisations de défense des droits humains, qui avaient également été présents à la quatrième cession il y a un an.

Swann Bommier soumet : ” Si l’Union européenne et divers États membres de l’OCDE multiplient les stratégies de diversion et ne comptent pas participer à cette nouvelle session de négociation, 245 parlementaires français ont demandé dans une lettre ouverte adressée au président de la République, Emmanuel Macron, de ” s’engager en faveur d’une proposition de traité et de prendre le leadership de ce combat au sein de la communauté européenne “.

Cette première demande a été vraisemblablement entendue par le Gouver­nement qui a, par la voix du ministre des Affaires étrangères et de l’Europe, Jean-Yves Le Drian, assuré la représen­tation nationale du soutien de la France à ce processus.

Mais, comme une promesse n’est jamais qu’une promesse, Swann Bommier souligne encore : ” Ces engagements en faveur du traité ONU et les évolutions constatées en Europe pour des législations nationales et une directive européenne sur le devoir de vigilance sont les bienvenus et doivent être appuyés. Ils ne doivent cepen­dant pas occulter les incohérences de la politique française et européenne en matière d’arbitrage ISDS “.

Et Swann Bommier de conclure avec la même énergie d’un combat vital, en invitant le plus grand nombre de citoyens à participer à la conférence publique jeudi 3 octobre à Aix. Une possibilité pour tou.te.s de comprendre les enjeux et conséquences désastreuses qui menacent chaque état et chaque citoyen, notamment si le devoir de vigilance et sa mise en oeuvre dans les commissions et processus parlementaires pertinents, n’étaient mis en œuvre pour protéger avant tout les droits humains face aux pleins pouvoirs accordés aux multinationales.

H.B


  • Présentation de la campagne de mobilisation sur la régulation des multinationales “Stop-Impunité”,  jeudi 3 octobre à 20h30, salle Voltaire (bas de la place des Cardeurs) par Swann Bommier (CCFD-Terres solidaires) et Raphaël Pradeau (Attac). Entrée libre. 
  • Pétition : www.stop-impunite.fr

Publié le 09/10/2019

L’Europe nous supprime la faucille ! Et le marteau ! Nous reste plus que le maquis.

Jacques-Marie BOURGET (site legrandsoir.info)

Le Parlement de Bruxelles à mis en marche l' Europe Nouvelle et "anti totalitaire" On va décoller L'Affiche Rouge, détruire, au cimetière d'Ivry, le monument consacré à Manoukian et ses amis de la MOI, pilonner Aragon et Ferré. Après seulement nous vivrons en liberté.

Tout bientôt, en tout cas le plus vite possible, le Palais du Luxembourg va changer de nom pour s’appeler « Espace Gérard Larcher ». Ça fait flèche. On ne m’a pas demandé mon opinion, mais j’approuve. La République Française ne peut continuer d’avoir une haute assemblée qui regroupe sa sagesse, certes sous les ors, mais dans un lieu qui évoque Rosa Luxembourg. Si la nouvelle vous étonne, pis encore que la feue place du Vieux Marché à Rouen, c’est que vous avez loupé une marche importante dans l’escalier de l’information, casse-gueule puisque sans rampe. Vous ignorez donc que le 19 septembre dernier l’élégiaque Parlement Européen, qui nous guide si justement, a voté un texte afin d’établir dès maintenant, que le communisme et le nazisme c’est pareil [Voir plus bas le texte intégral. LGS ]. Puisque je sens un moment de flottement dans les serrements de mâchoires, et que la police est occupée à tirer des LBD sur des innocents, je me glisse dans un ultime espace de liberté pour lever le doigt et dire : « Etrange que le peuple qui a empilé vingt-cinq millions de cadavres pour défaire les nazis, et nous libérer par là-même, soit mis dans le même mausolée que le monstrueux caporal et ses amis exterminateurs »... Les temps sont étranges, surprenants et l’air sent le vert de gris. Donc, Stalingrad c’était pour rire. Juste un règlement de comptes entre fachos, comme à la fac d’Assas dans le temps. Et Yalta passe à la gomme à effacer l’histoire. Mais on va aisément reconstruire. Cette fois dans le bon ordre, et Eric Zemmour et ses amis ont un plan.

Avant d’avancer un peu plus, je m’absente le temps de vomir en vous livrant, comme un Deliveroo, les noms des glorieux députés européens qui ont voté ce texte indigne. Une offense à la vérité, une insulte au sang versé par les martyrs « Morts pour la France ». Le corps crevé afin que 75 ans plus tard, ces chouchous de Bruxelles, aient le droit, leurs petites fesses au chaud, de voter pour leurs fantasmes.

Groupe des Verts/Alliance libre européenne :
Gwendoline DELBOS-CORFIELD
Benoît BITEAU
François ALFONSI

Groupe de l’alliance progressiste des socialistes et démocrates (PS et Place publique) :
Pierre LARROUTUROU
Aurore LALUCQ
Sylvie GUILLAUME
Raphaël GLUCKSMANN

Groupe Renouveler l’Europe (LREM et alliés) :
Stéphanie YON-COURTIN
Chrysoula ZACHAROPOULOU
Professor Véronique TRILLET-LENOIR
Stéphane SÉJOURNÉ
Dominique RIQUET
Fabienne KELLER
Valerie HAYER
Bernard GUETTA
Pascal DURAND
Jérémy DECERLE
Pascal CANFIN
Sylvie BRUNET
Stéphane BIJOUX
Marie-Pierre VEDRENNE
Irène TOLLERET
Nathalie LOISEAU
Pierre KARLESKIND
Christophe GRUDLER
Laurence FARRENG
Gilles BOYER

Groupe du Parti populaire européen (LR) :
Nadine MORANO
Brice HORTEFEUX
Agnès EVREN
Geoffroy DIDIER
Arnaud DANJEAN
François-Xavier BELLAMY
Anne SANDER
Nathalie COLIN-OESTERLÉ

Groupe Identité et démocratie (RN et alliés) :
André ROUGÉ
Maxette PIRBAKAS
Philippe OLIVIER
Thierry MARIANI
Julie LECHANTEUX
Gilles LEBRETON
Jean-François JALKH
France JAMET
Catherine GRISET
Gilbert COLLARD
Dominique BILDE
Aurelia BEIGNEUX
Nicolas BAY
Jordan BARDELLA
Mathilde ANDROUËT
Jérôme RIVIÈRE
Hélène LAPORTE
Virginie JORON
Annika BRUNA

Et la poignée de salopards anti démocratie et Droits de l’Hommes qui a voté contre est.....

Groupe de la GUE-NGL (France Insoumise) :
Manon AUBRY
Emmanuel MAUREL
Younous OMARJEE
Anne-Sophie PELLETIER

Dans ce car de police de l’histoire, notons en particulier les menottés à tête de gondole les plus médiatiques : Guetta, de LREM et Glucksmann, de P... Publique. Avec l’airain de leur conviction on doit pouvoir fabriquer la fusée qui va lancer le « Nouveau monde » et nous permettre de crier, enfin libres : « good bye Lénine ». Je ne vais pas vous ouvrir la porte de ma sacristie mais un peu quand même. Il se trouve que, quatre fois par an, mon père et ma mère très gaullistes, façon « résistance » me trainaient le dimanche dans un lieu auquel je ne comprenais rien. L’avantage étant d’échapper aux vêpres. C’était un large trou dans le sable et la terre, mon père parlait d’une « carrière », pourtant un gazon poussait au fond. Au milieu il y avait un monument étrange, des hommes tout nus collés dans le même bloc de pierre, et la tête dressée au ciel. C’était à Châteaubriant, à une heure en « Simca 5 » de la maison. Dès la première fois, j’ai compris qu’il s’agissait d’une affaire triste. Et héroïque. D’hommes qui avaient « donné leur vie », expliquait ma mère. Quelquefois nous allions sur une rive de l’étang de la Blisière, où des troncs d’arbre portaient encore les traces laissées par les balles après qu’elles eussent percé la poitrine d’autres héros que je ne connaissais pas. J’étais attaché à ce culte. Et j’y suis toujours.

Ce n’est que près de vingt ans plus tard que j’ai découvert que mes parents, des cathos +, et conservateurs, me proposaient depuis l’enfance de pleurer sur des communistes fusillés. Mon père disait « Dans le lot il y avait un enfant, juste un peu plus vieux que toi ». Ce qui ne me touchait guère puisque la mort fait partie de la jeunesse. C’est tous ces fusillés, ensemble, que j’aimais bien. En bloc, comme la statue. J’ai demandé à mon père qui abhorrait les rouges, la raison de ce pèlerinage à la carrière ? « Il faut prier pour eux, les tenir en exemples, puisque ce sont des frères ».

Voilà des réalités. Trop vastes pour franchir le paillasson du cerveau d’un Glucksmann ou d’un Guetta. Pour lesquels il n’y a de bon rouge que mort. Dans la putritude du texte voté à Bruxelles, signalons les plus jolies perles du collier.

Il y va de "l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe" , et que pour cette dernière vive, le Parlement rappelle "que les régimes communiste et nazi sont responsables de massacres, de génocide, de déportations, de pertes en vies humaines et de privations de liberté d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité, qui auront à jamais marqué le XXe siècle". Les parlementaires condamnent "sans réserve les actes d’agression, les crimes contre l’humanité et les atteintes aux droits de l’homme à grande échelle perpétrés par les régimes totalitaires nazis, communistes et autres." Avec ce petit mot lâché dans la hâte de l’écrivain à sec, « autres », le Parlement aurait dû être plus prudent. Imaginez que les Palestiniens, les Yéménites (et « autres »), s’en viennent demander à l’Europe d’appliquer ses principes. Pauvre Guetta, pauvre Glucksmann, pauvre misère.

En bonne forme, en attendant pour bientôt les premières vacances de ski, le Parlement s’est lancé sur une autre piste, et "condamne toute démonstration et toute propagation d’idéologies totalitaires, telles que le nazisme et le stalinisme, dans l’Union européenne" et se dit “préoccupé par le fait que des symboles de régimes totalitaires continuent à être utilisés dans les espaces publics et à des fins commerciales, tout en rappelant qu’un certain nombre de pays européens ont interdit l’utilisation de symboles nazis et communistes."

La seconde cartouche de ce fusil à deux coups sera donc de nous interdire de revêtir un maillot orné du « Che », ou d’une faucille et d’un marteau. Là on peut éventuellement approuver, le marteau étant un outil de raisonnement très prisé au

Parlement européen, faut pas partager. Le flou de ce texte, qui va certainement prendre du poids et de jolies cotes, est aujourd’hui gênant. Marx était-il coco ? Et Engels ? Nos amis du Parlement vont-ils embarquer Lénine au poste ? Et Louise Michel ? On en fait quoi ? Ça va être beaucoup de travail à faire, bien capable de provoquer des ampoules au cerveau. Surtout en cette période où les Urgences ne le sont plus. Et les peines encourues ? La prison ou, pire, réciter un vieil article de Guetta ? Faut travailler les gars. Bientôt je dois retourner à la carrière, puisque mes aînés n’y seront plus... Je veux savoir ce que je risque ? Faut-il prendre le maquis ? Face au poids de ce dossier nul ne peut affirmer que nos députés ne font rien : ils pompent.
Préparons-nous aussi au nouveau plan du Métro parisien. Qui va nous désorienter. Bien sûr la station Stalingrad disparait. Mais il y a plein d’autres stops où des salopards cocos (si vous me permettez le pléonasme), ont laissé leurs noms. Bon, ils ont été fusillés par les Allemands. Oui, certes, mais si l’on replace l’évènement dans le cadre de temps, celui du grand match nazis contre communistes, on ne va pas en faire une histoire. Torturés, souvent ! Et alors je te torture, tu me tortures, on se torture. C’est ça le totalitarisme comme on l’aime.

Un petit pense-bête que vous lirez dans le panier à salade en allant vers la Santé. Le CNR, fini, les FTP, finis, l’Affiche Rouge, décollée et Aragon et Ferré à Guantanamo. Les Vaillant Couturier, Rol Tanguy, le colonel Fabien, Raymond Losserand, Léon Frot, Gaston Carré, Ambroise Croizat, Corentin Celton, Charles Michels, Corentin Cariou, Gabriel Péri, Frédéric Joliot Curie, Pablo Picasso. Cette liste rouge annonce une embellie pour les marchands de pancartes et le commerce des plans de Métro. Et j’allais oublier cette ordure d’Eluard, une vipère lubrique qui a tenté de nous enseigner : « Il ne faut pas de tout pour faire un monde ». Quel salaud !

Jacques-Marie BOURGET

PS. Pardon si, trainant dans un coin de cercueil, j’ai oublié un vieux coco fusillé, le futur « Commissariat Européen aux Affaires Communistes » va s’en occuper.
[Le texte voté-

http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2019-0021_FR.html] :

Publié le 08/10/2019

Au Portugal, le socialiste Antonio Costa s’impose mais sans majorité absolue

 

Cathy Do Santos (site humanite.fr)

 

Le premier ministre a remporté les élections législatives du 6 octobre. Pour gouverner, il devra nouer des alliances parlementaires, comme il l’a fait ces quatre dernières années avec les autres formations de gauche.

Il souhaitait une majorité absolue, il devra se contenter d’une majorité simple. Le socialiste Antonio Costa a remporté les élections législatives qui se déroulaient ce 6 octobre au Portugal. La formation du premier ministre sortant totalise 36,65% et envoie ainsi 106 députés à l’Assemblée de la République, contre 86 parlementaires en 2015, lorsqu’elle n’était pas parvenue à défaire dans les urnes le Parti social-démocrate (PSD-droite), pourtant responsable de terribles politiques d’austérité. Ce coup-ci, la victoire est nette. Le PSD emmené par Riu Rio, qui n’a pas renouvelé sa coalition avec les conservateurs du Centre démocratique social-Parti populaire (CDS-PP), résiste avec difficulté à la vague rose. Il obtient 27,9% des suffrages, et enregistre un recul de près de 10% par rapport à il y a quatre ans. Faute de majorité absolue fixée à 116 députés (sur les 230 sièges que compte l’Assemblée), le Parti socialiste sera contraint de nouer des alliances politiques pour pouvoir gouverner, comme ce fut le cas durant cette dernière mandature. Fait inédit dans l’histoire de la démocratie portugaise, les socialistes avaient alors scellé des accords parlementaires avec les autres formations de gauche afin « de tourner la page à l’austérité », mais tout en respectant l’orthodoxie budgétaire imposée par Bruxelles. Le Bloc de gauche (BE), qui avait totalisé 10,19 % en 2015 et obtenu 19 parlementaires, maintient son nombre de députés avec 9,67% des voix. Sa coordinatrice, la députée Catarina Martins, s’est dite disponible pour renouveler l’expérience de ces quatre dernières années. Quatrième force politique : le Parti communiste portugais (PCP) et le Parti des écologistes- Verts (Pev) réunis au sein de la Coalition démocratique et unitaire (CDU). Elle décroche 6,46% des votes, contre 8,25% en 2015, et 12 élus, contre 17 en 2015. Le secrétaire général du PCP, Jeronimo de Sousa, qui a été réélu dimanche, a reconnu que les résultats n’étaient pas à la hauteur espérée et qu’ils « constituaient un facteur négatif pour le futur proche de la vie portugaise ». Le CDS-PP, quant à lui, ne parvient pas à franchir la barre symbolique des 5% (4,25%, soit 5 élus). Sa cheffe de file, la conservatrice Assunção Cristas a annoncé qu’elle jetait l’éponge lors de la tenue d’un congrès extraordinaire à venir. Le Parti Personne animaux nature (PAN), qui avait fait une étonnante percée aux élections européennes, confirme son assise avec 3,28%, et fait élire 4 parlementaires, contre un il y a quatre ans. Enfin, et ce n’est pas là le meilleur des signaux, le Portugal, comme le reste de ses voisins européens, assiste à l’émergence du parti d’extrême droite Chega qui entre au parlement avec un député. Antonio Costa s’est dit disposé à rééditer, sous d’autres formes, la coalition parlementaire qualifiée péjorativement en son temps par un cadre du PSD de « geringonça », c’est-à-dire « de bric et de broc ». Les accords entre le PS, le BE, et le PCP, tant décriés par la droite, ont néanmoins permis d’enregistrer de notables avancées sociales avec l’augmentation du smic à 600 euros, la restitution des 35 heures…. En revanche, les réformes structurelles, qui ont profondément dérèglementé le marché du travail n’ont, elles, pas été touchées. C’est vrai également des rattrapages des salaires dans la fonction publique. L’insatisfaction a d’ailleurs conduit à de nombreux appels à la grève en 2018 – plus de 700-, un record depuis plusieurs années. On notera à ce stade, une hausse de l’abstention qui s’est hissée à 45,50%, contre 44,1% en 2015. Le PS a déclaré qu’il allait s’entretenir dans les prochains jours avec ses alliés d’hier, ainsi que le PAN et la petite formation écologiste Livre qui a fait élire un député. Antonio Costa a reconnu que la « geringonça » avait plu aux Portugais, mais que le renforcement du PS rebattait les cartes.

 

Cathy Dos Santos

Publié le 27/09/2019

Révisionnisme historique. Le déshonneur du Parlement européen

Patrick Le Hyaric (site humanité.fr)

Par Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité.

Le Parlement européen a voté il y a quelques jours une résolution scélérate censée souligner l’« importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe ». En réalité, cette mémoire est bafouée ligne par ligne, laissant présager un « avenir » sombre pour l’Europe. Visant à mettre un trait d’égalité entre communisme et nazisme, ce texte mobilise des considérants qui sont chacun des modèles de propagande et de révisionnisme historique.

La signature du pacte germano-soviétique est ainsi obsessionnellement désignée comme cause principale du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Ce grossier raccourci historique permet d’absoudre cyniquement aussi bien le national-socialisme, son idéologie de mort et les régimes fascistes des années 1930 que l’atermoiement meurtrier et parfois connivent des chancelleries occidentales avec le nazisme, et la complicité active de puissances d’argent avec les régimes fascistes et nazi.

Silence est fait sur le traité de Versailles et ses conséquences. Aucun mot n’est consacré aux accords de Munich d’octobre 1938, ce « Sedan diplomatique » qui a livré les peuples européens au « couteau de l’égorgeur », ce « début d’un grand effondrement, la première étape du glissement vers la mise au pas », comme l’écrivait dans l’Humanité le journaliste et député communiste Gabriel Péri, fusillé par les nazis.

Tout le faisceau de causes mobilisées par des générations d’historiens pour tenter d’expliquer le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale est bazardé au profit d’une bouillie antirusse sans aucun égard pour le sacrifice immense des Soviétiques dans l’éradication du nazisme.

S’il ne fait aucun doute que le régime stalinien fut bel et bien un régime sanglant et criminel, il est moralement et historiquement inconcevable de faire de l’Union soviétique, de son armée et de tous ceux qui s’engagèrent avec elle, communistes de tous pays acteurs décisifs du combat libérateur, des équivalents des nazis et de leurs supplétifs collaborateurs, sauf à sombrer dans « l’obsession comparatiste », névrose idéologique dénoncée par l’historien Marc Ferro. Les communistes furent, dans de nombreux pays et avec l’appui de différentes forces, gaullistes et socialistes en France, les artisans du redressement national, créant un rapport de force qui permit l’édification d’institutions républicaines et sociales sur les cendres du nazisme et des collaborations. Est-ce un hasard si cet héritage fait parallèlement l’objet de violentes attaques dans tous les pays de l’Union européenne ?

Les pays d’Europe orientale furent, quant à eux, des points d’appui décisifs dans les combats anticoloniaux qui essaimèrent après guerre. Noyer dans le concept de totalitarisme des réalités historiques aussi dissemblables ne peut apparaître que comme une escroquerie intellectuelle. Une telle entreprise ne sert en aucun cas à poser un regard lucide et apaisé, pourtant indispensable, sur les contradictions, crimes et fautes des régimes influencés par le soviétisme et qui ont pris le nom de socialisme.

Cette résolution s’appuie sur un considérant aussi grotesque que l’interdiction formulée dans certains pays de l’Union de « l’idéologie communiste », semblant acter des dérives revanchardes des extrêmes droites du continent en incitant tous les États membres à s’y plier. Signe qui ne trompe pas, l’inféodation à l’Otan est ici désignée comme gage de liberté pour les peuples de l’Est européen.

Cette résolution fait la part belle au révisionnisme d’extrême droite quand les pays baltes sont désignés comme ayant été « neutres », alors que ces derniers ont mis en place bien avant le pacte germano-soviétique des régimes de type fasciste laissés aux mains de « ligues patriotiques » et autres « loups de fer », suscitant un antisémitisme viscéral qui connaîtra son apogée sanglant dans ces pays lors de la Seconde Guerre mondiale.

Incidemment, la Shoah, sa singularité intrinsèque, et les logiques d’extermination méticuleuses et industrielles du régime nazi sont fondues dans le magma des meurtres du XXe siècle et ainsi relativisées. L’odieuse équivalence entre nazisme et communisme permet d’exonérer les régimes nationalistes d’inspiration fasciste des années 1930 que des gouvernements et ministres actuels d’États membres de l’Union européenne célèbrent ardemment.

Viserait-on, par ce texte politicien, à réhabiliter ces régimes qui gouvernèrent de nombreux pays d’Europe orientale avant de sombrer dans la collaboration en nourrissant l’effort de guerre nazi et son projet d’extermination des juifs d’Europe ? Ce texte est une insulte faite aux 20 millions de Soviétiques morts pour libérer l’Europe du joug nazi, aux millions de communistes européens engagés dans la Résistance et les combats libérateurs, un affront fait aux démocrates alliés aux mouvements communistes contre nazis et fascistes, avant et après la Seconde Guerre mondiale.

Au moment où Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, propose de nommer un commissaire à la « protection du mode de vie européen », célébrant un culte que l’on croyait révolu à la pureté continentale, les thèses historiques révisionnistes des droites extrêmes et réactionnaires, qui ont de toute évidence inspiré ce texte, font leur entrée fracassante au Parlement européen. Pendant ce temps, aucun commissaire n’est nommé sur les questions d’éducation ou de culture…

Thomas Mann, vigie morale d’une Europe décomposée, écrivait : « Placer sur le même plan moral le communisme russe et le nazi-fascisme, en tant que tous les deux seraient totalitaires, est dans le meilleur des cas de la superficialité, dans le pire c’est du fascisme. Ceux qui insistent sur cette équivalence peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont déjà fascistes ; et à coup sûr ils ne combattront le fascisme qu’en apparence et de façon non sincère, mais réserveront toute leur haine au communisme. »

Si l’expérience qui a pris le nom de communiste au XXe siècle ne peut être, pour tout esprit honnête, résumée à la personne de Staline ou à une forme étatique, tel n’est pas le cas du nazisme, intrinsèquement lié à un homme, à un régime. Et si le communisme propose un horizon d’émancipation universelle, quoi qu’on pense des expériences qui s’en sont réclamées, tel n’est pas le cas de l’idéologie nazie, qui se revendique raciste, réactionnaire et exclusive, portant la mort en étendard. Ces simples arguments de bon sens disqualifient l’odieuse comparaison de cette résolution.

C’est bien la visée communiste, dont nous maintenons qu’elle ne fut jamais mise en pratique dans les pays du bloc soviétique, qui est la cible de ce texte indigne et inculte, et avec elle, la possibilité d’une autre société. Que des voix sociales-démocrates et écologistes aient pu soutenir pareille résolution, mêlant leurs voix au Rassemblement national (ex-FN) et aux extrêmes droites continentales, est le signe désolant de la lente dérive d’une frange trop importante de la gauche européenne qui largue les amarres d’une histoire et d’un courant, ceux du mouvement ouvrier, dans lesquels elle fut elle aussi forgée, qui prête également le flanc aux pires tendances qui s’expriment dans le continent.

Demain, un maire, un élu, un député pourra-t-il se dire communiste sans enfreindre la docte délibération du Parlement européen ? Et l’Humanité pourrait-elle un jour passer sous les fourches Caudines de la censure imposée des droites extrêmes coalisées ? Ne plane-t-il pas là comme un parfum munichois, justement, face à une offensive idéologique dont certains pensent pouvoir se satisfaire en rasant les murs ?

Tous les démocrates, toutes les personnes attachés à la libre expression des courants qui se réclament du communisme et d’une alternative au système capitaliste devraient au contraire se lever contre cette inquiétante dérive qui nous concerne tous. Au risque d’y laisser eux aussi un jour leur peau.

Publié le 01/09/2019

« Si les Italiens retournent aux urnes, Salvini va cartonner »

Entretien par Loïc Le Clerc  (site regards.fr)

En rompant avec le Mouvement 5 étoiles, Salvini espérait renvoyer les Italiens aux urnes. Raté, car le M5S et le Parti démocrate ont trouvé un accord in extremis. Un simple contretemps dans l’accession au pouvoir de l’extrême droite ?

Danilo Ceccarelli est journaliste freelance. Il collabore notamment avec l’agence de presse Nova et le Huff Post italien.

 

Regards. Que se passe-t-il politiquement en Italie ?

Danilo Ceccarelli. Il faut recontextualiser. Dans le précédent gouvernement formé en juin 2018 par la Ligue et le Mouvement 5 étoiles (M5S), Giuseppe Conte, plutôt proche du M5S mais indépendant de toute formation politique, était président du Conseil et il y avait deux vice-premiers ministres : Luigi Di Maio et Matteo Salvini. Giuseppe Conte était critiqué car on considérait qu’il n’avait pas de poids politique. Il était plutôt une sorte de garant de la coalition gouvernementale et c’était Di Maio et Salvini qui géraient le pays. Puis, cet été, Salvini a provoqué une crise politique en espérant déclencher de nouvelles élections. Mais finalement, le M5S et le Parti démocrate (centre-gauche) ont réussi à trouver un accord, tout en gardant Giuseppe Conte comme président du Conseil. Il sera très intéressant de voir quel sera le rôle de Di Maio dans le prochain gouvernement.

N’est-il pas étrange de voir le Parti démocrate s’allier avec le M5S – deux partis que se détestent –, d’autant plus après que celui-ci ait gouverné avec l’extrême droite ?

Il faut se rappeler que le M5S s’est créé contre les partis historiques, opposé à toute alliance avec les autres partis, traditionnels ou d’extrême droite. Mais depuis, ils ont fait beaucoup de compromis sur ces positions initiales, ce qui n’a pas plu à la base. Vous imaginez les électeurs de gauche quand le M5S a formé un gouvernement avec l’extrême droite… Et ce nouveau gouvernement avec le Parti démocrate est un deuxième Frankenstein politique. Le Parti démocrate et le M5S se sont toujours fait la guerre. Une bonne partie de leurs électorats ne comprend pas ce choix et est très mécontente. Donc difficile de savoir si ça va durer. À mon avis, c’est dangereux pour eux, mais avaient-ils le choix ? Une nouvelle élection était trop risquée pour eux… Quoi qu’il en soit, pour l’opinion publique, qui n’a déjà pas une grande confiance en ses représentants politiques, voir des ennemis d’hier, qui passaient leur temps à s’engueuler, s’allier pour gouverner, c’est une image qui peut tourner à l’avantage de la droite. Alors oui, Salvini s’est trompé en rompant son alliance avec le M5S et va finir dans l’opposition. Mais sur le long terme, ça pourrait lui être bénéfique.

« La realpolitik est devenue un cauchemar pour le M5S. Chacune de leurs alliances les affaiblie un peu plus. »

Matteo Salvini a-t-il une chance de remporter l’élection ?

Si on retourne aux urnes, Salvini fera probablement alliance avec Berlusconi (crédité de 6-7% des suffrages) et avec l’autre parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (6%). Et le score de la Ligue dépasse les 30% dans les sondages… Donc oui, Salvini va cartonner ! En un an, il a littéralement bouffé le M5S, prenant toute la lumière avec ses thèmes de prédilection (la sécurité et l’immigration), laissant le M5S gérer les sujets économiques les plus brûlants et compliqués. La realpolitik est devenue un cauchemar pour le M5S. Chacune de leurs alliances les affaiblie un peu plus, au profit de Salvini.

Et la gauche italienne dans tout ça, où est-elle ?

Actuellement, la gauche italienne n’est réellement incarnée que par le Parti démocrate, mais est-ce que c’est un parti de gauche ? Il y a bien Liberi e Uguali, mais ils n’ont aucun poids politique : ils ont fait 3,3% aux dernières élections ! Après, il y a d’autres partis de gauche radicale, mais le seul qui compte un peu c’est Potere al popolo, mais ils n’ont même pas eu 2% des voix en 2018 quand le Parti communiste en a récolté… 0,3.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

Publié le 24/08/2019

Grèce. La chasse aux jeunes rebelles est ouverte.
de : Ne vivons plus comme des esclaves - Yannis Youlountas
 

https://lesakerfrancophone.fr/grece...

Par Yannis Youlountas – (site bellaciao.org)

Le nouveau gouvernement est en train de mettre en place une offensive sans précédent contre le mouvement libertaire et autogestionnaire, devenu gênant et réputé au fil des années.

Le premier ministre fraîchement élu et chef de la droite, Kyriakos Mitsotakis, a promis de « nettoyer Exarcheia » durant l’été et d’ « en finir avec Rouvikonas ». Au-delà du célèbre quartier libertaire et de l’insaisissable groupe anarchiste, c’est toute la nébuleuse révolutionnaire et le réseau squat qui sont visés, au moyen de divers outils et procédés répressifs.

Une fois de plus, ce qui se passe en Grèce donne à réfléchir sur ce qui se prépare également ailleurs en Europe, tant l’exemple grec a clairement montré la voie, par le passé, du nouveau durcissement du capitalisme sur le continent et d’une société toujours plus autoritaire.

Le gouvernement va commencer par réactiver des lois scélérates déjà mises en place durant les années 20, qui visaient alors tout autant le parti communiste grec que les anti-autoritaires.

Cette fois, le but est, tout d’abord, d’entraver la propagande anarchiste en considérant littéralement son projet politique révolutionnaire comme une menace immédiate, donc passible en ces termes de poursuites judiciaires. Bref, une censure, non pas de la propagande anarchiste en tant que telle, mais en tant que « parole menaçante » à chaque fois qu’elle représentera un « danger pour l’ordre social et la paix civile ».

Il s’agit également, notamment dans le cas précis de Rouvikonas, de classer ses actions directes pourtant sans effusion de sang dans la catégorie des « actions terroristes » (article 187A du code pénal en Grèce), avec de graves conséquences juridiques pour tous les membres du groupe.

Pire encore, l’État grec va systématiquement considérer tous les membres de Rouvikonas responsables de la moindre action effectuée ne serait-ce que par un seul des membres du groupe. Autrement dit, si demain matin, le bureau rassemblant les fichiers des personnes surendettées (Tirésias) était à nouveau détruit, par exemple, par cinq membres du groupe, la centaine d’autres membres seraient également poursuivie, remettant en question la subtile stratégie juridique du groupe qui, jusqu’ici, procédait habilement par rotation.

Non seulement le code pénal est en train de changer pour durcir cette offensive imminente, annoncée depuis un mois, mais les moyens de l’État sont également en train de se renforcer pour frapper Exarcheia puis tout le milieu squat et anti-autoritaire en Grèce.

2000 voltigeurs sont en train d’être recrutés (1500) ou réaffectés depuis une autre fonction dans la police (500) pour participer à des opérations de répression puis de surveillance des fameuses zones à reconquérir par l’État, à commencer par le célèbre quartier rebelle et solidaire d’Athènes.

Du matériel de renseignement made in France serait également en train d’être mis à disposition des services grecs (merci Macron), comme souvent ces dernières années dans tout le bassin méditerranéen. On se souvient, entre autres, du soutien des dirigeants politiques et économiques français au régime tunisien à la fin des années 2000, ce qui n’avait pas empêché la chute de Ben Ali début 2011, malgré l’arrivée d’un matériel important. Michèle Alliot-Marie avait même proposé par la suite, le 12 janvier 2011* d’envoyer les CRS et gardes-mobiles français aider la police tunisienne à mater les manifestants, alors même qu’elle commençait à tirer à balles réelles.

La zone de repli qu’est l’École Polytechnique, à l’ouest d’Exarcheia, connue pour son rôle historique dans l’insurrection contre la dictature des Colonels en 1973 et à plusieurs reprises depuis (notamment en 2008 et 2014) va passer sous contrôle policier avec la promulgation de la fin de l’asile universitaire et le début de travaux pharaoniques pour transformer les lieux en musée antique, en annexe du musée voisin.

Un signal fort vient également d’être envoyé par l’État en direction de sa police, un véritable encouragement à frapper violemment dans les jours qui viennent : Epaminondas Korkoneas, le policier qui avait assassiné froidement avec son arme de service Alexis Grigoropoulos, un jeune anarchiste âgé de 15 ans, le 6 décembre 2008 dans le quartier d’Exarcheia, vient d’être libéré hier soir (alors qu’il était condamné à la prison à perpétuité). Ce meurtre avait provoqué trois semaines d’émeutes retentissantes en décembre 2008, frôlant l’insurrection sociale, et des affrontements chaque année depuis, tous les 6 décembre. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de cautionner le système carcéral, mais en pleine promulgation de lois scélérates anti-anarchistes et de lourdes menaces contre Exarcheia et Rouvikonas, cette libération est perçue en Grèce comme une provocation et un message d’impunité diffusé à tous les policiers qui se préparent à frapper.

Ce soir, les libertaires encore présents à Athènes malgré la période (l’une des rares qui procure un peu de travail, notamment dans le tourisme et souvent dans les îles), et au-delà tout le mouvement social révolutionnaire, vont se rassembler à 20 heures à Exarcheia, à l’endroit précis où a été assassiné le jeune anarchiste le 6 décembre 2008.

Après le crépuscule, la nuit sera chaude au centre d’Athènes, de Charilaou Trikoupi à Stournari et tout autour d’Exarcheia, des affrontements auront certainement lieu. Et encore, Athènes est à trois-quart vide, comme chaque année en cette saison. Mais l’automne sera sans doute plus chaud encore que l’été, si les rebelles parviennent à tenir bon face à cette nouvelle attaque historique de l’État.

Alors que le monde entier devient fasciste, en Grèce comme en France, les pseudo démocraties surfent sur la vague mondiale d’extrême-droite en durcissant tout autant le capitalisme que son dispositif d’autoconservation.

Rien d’étonnant que les pires ennemis du monde autoritaire soient les premiers sur la liste. Face à cela, deux choix sont possibles : soit laisser faire et ne rien dire, en espérant ne pas faire partie des suivants, soit réagir et le faire savoir. Par exemple, Rouvikonas propose à celles et ceux qui souhaitent nous soutenir de faire diversement pression sur les ambassades, consulats et instituts officiels grecs dans le pays où vous vous trouvez, parmi les nombreuses formes d’actions possibles. D’autres informations ou suggestions suivront dans les prochains jours, notamment de la part des nombreux squats d’Exarcheia (en cours de discussion).

Merci de votre soutien, par delà les frontières et nos différences politiques.

Publié le 23/08/2019

 

Matteo Salvini avait déclaré le 8 août dernier caduc l’accord avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), et réclamé des élections anticipées. « Quelques mois après l’arrivée au pouvoir de la coalition “jaune-verte”, il ne reste déjà plus le moindre doute sur la couleur qui domine », assurait en juin Matteo Pucciarelli.

L’annonce, lundi 20 août, de la démission du président du conseil Giuseppe Conte, proche du M5S, pourrait cependant contrarier ses plans. Charge désormais au président de la République Sergio Mattarella de consulter le Parlement pour trouver un nouveau chef de gouvernement et freiner l’ascension de M. Salvini. MM. Matteo Renzi et Romano Prodi, anciens titulaires du poste, sont à la manœuvre avec leurs alliés libéraux du Parlement européen. S’il n’y parvient pas, M. Mattarella devra dissoudre le Parlement et convoquer de nouvelles élections générales.

Comment Matteo Salvini a conquis l’Italie

Les nationalistes européens ont trouvé leur héraut

Quand M. Matteo Salvini en a pris la direction, en 2013, la Ligue du Nord se trouvait dans une impasse, incapable de convaincre les électeurs du Sud, dont elle disait pis que pendre. L’actuel ministre de l’intérieur italien a donc changé de cible, préférant stigmatiser les technocrates bruxellois et les « immigrés profiteurs » plutôt que les « Calabrais fainéants ». Une stratégie gagnante, qui a transformé son parti en pivot de la politique italienne, et peut-être européenne.

par Matteo Pucciarelli  (site monde-diplomatique.fr)

L’Italie a un nouvel homme fort, et même, selon beaucoup, un nouveau sauveur. À Rome, le vrai chef du gouvernement n’est pas le président du conseil, M. Giuseppe Conte, ni le vainqueur des dernières élections générales, le dirigeant du Mouvement 5 étoiles (M5S) Luigi Di Maio. C’est le ministre de l’intérieur, M. Matteo Salvini. Du jour au lendemain, un obscur conseiller municipal de Milan, militant de longue date de la Ligue du Nord, une formation séparatiste, est devenu la personnalité la plus puissante du pays. Entre ses mains, un parti qui apparaissait comme une relique s’est transformé en pivot de la politique italienne, et peut-être européenne.

Cette mutation stupéfiante plonge ses racines très loin, non pas dans le temps, mais dans l’espace. Depuis 2014, les guerres et la pauvreté ont conduit des millions d’habitants de l’Afrique et du Proche-Orient à traverser la Méditerranée à la recherche d’un travail, de la liberté et de la paix dans une Europe âgée, riche, mais toujours plus inégalitaire. Le Vieux Continent a répondu en détournant le regard, ou en exploitant les fantasmes que charrie le désespoir d’autrui : non pas aider, mais identifier un ennemi et lancer un concours d’humiliation. Le dernier et l’avant-dernier des laissés-pour-compte de la planète sont dressés l’un contre l’autre tandis que les plus favorisés prospèrent en toute tranquillité. En Italie, M. Salvini a lancé la révolte des avant-derniers. Avec un certain talent, il a appris comment parler à leurs tripes.

La Ligue du Nord a été fondée en 1991, à la veille de l’implosion des trois partis de masse — démocrate-chrétien, communiste et socialiste — qui dominaient l’Italie depuis la seconde guerre mondiale. Se présentant comme « ni de gauche ni de droite », elle naît d’une union entre la Ligue lombarde de M. Umberto Bossi, apparue au milieu des années 1980, et quelques forces régionalistes implantées dans le nord du pays. Elle s’articule autour d’un objectif particulariste : l’indépendance de la Padanie, une nation imaginaire qui s’étendrait autour du Pô. Le Nord, prospère et laborieux, serait fatigué de payer pour le Sud, arriéré et dépendant. Chacun devrait donc voguer vers son propre destin.

À l’époque, les partis démocrate-chrétien et socialiste s’effondrent à la suite du scandale Tangentopoli (1). La Ligue du Nord fait sa première percée lors des élections générales de 1994, où elle obtient 8,7 % des votes au niveau national et plus de 17 % en Lombardie. Elle participe ensuite au gouvernement de centre-droite dirigé par M. Silvio Berlusconi. Mais, irrité par son rôle subalterne, M. Bossi, franc-tireur truculent, ne tarde pas à quitter l’alliance, renversant au passage M. Berlusconi. Faisant cavalier seul aux élections suivantes, la Ligue obtient 10 % des suffrages en 1996, avant de retomber à 4,5 % au scrutin européen de 1999.

Elle retourne donc dans l’alliance menée par M. Berlusconi, où, pendant la décennie qui suit, elle fait figure d’associé minoritaire, vociférant mais largement inopérant. Affaibli par un accident vasculaire cérébral et englué dans une affaire de corruption, M. Bossi est écarté par son numéro deux, M. Roberto Maroni, qui prend la tête du parti en 2012. Aux élections générales de 2013, la Ligue chute à 4,1 % et semble condamnée à l’insignifiance. Dans son fief lombard, M. Maroni parvient néanmoins à remporter la présidence de la région. Il choisit alors d’abandonner le poste de secrétaire général, estimant sans doute que son parti n’a pas d’avenir au niveau national et qu’il vaut mieux profiter des bénéfices que procure un mandat régional.

En décembre 2013, la Ligue du Nord organise une primaire interne pour désigner le successeur de M. Maroni, mais cette consultation s’apparente à une simple formalité. L’avenir du parti a été décidé lors d’un déjeuner entre M. Maroni et deux de ses fidèles, M. Salvini et M. Flavio Tosi, le populaire maire de Vérone : le poste ingrat de secrétaire général reviendra au premier, afin de réserver au second la possibilité de devenir le porte-drapeau du centre droit quand M. Berlusconi, de plus en plus discrédité, ne pourra plus jouer ce rôle. M. Salvini remporte la primaire avec plus de 82 % des voix. Il est alors quasi inconnu des électeurs italiens.

Mais pas des militants de Milan, où il est né en 1973, d’un père chef d’entreprise. Le jeune homme adhère à la Ligue lombarde en 1990, alors qu’il est encore lycéen, un an avant la fondation de la Ligue du Nord. Sept ans plus tard, il devient conseiller municipal. Pendant cette période, il fréquente le Leoncavallo, le plus important centre social de la ville, une enclave du militantisme alternatif et radical où l’on retrouve les diverses tendances de la gauche milanaise. Il y boit des bières, assiste à des spectacles et cultive sa passion pour le chanteur anarchiste Fabrizio De André. En tant que conseiller municipal, il défend ce centre contre M. Marco Formentini, le maire de l’époque, lui aussi membre de la Ligue du Nord, qui souhaite le démolir. Quand, en 1997, la Ligue organise des « élections padaniennes » pour désigner le parlement parallèle de sa prétendue nation, M. Salvini prend la tête des « communistes padaniens », une liste ornée de la faucille et du marteau.

Trois millions d’abonnés sur Facebook

Grâce à son siège au conseil municipal milanais, il peut donner un large écho à ses diatribes, notamment autour des « Roms-musulmans » et des problèmes sécuritaires. Il soutient ainsi un père de famille qui a tiré sur un cambrioleur, ou propose la mise en place d’une ligne téléphonique gratuite pour signaler les actes de délinquance commis par des immigrés. Ne manquant jamais une fête sur un marché, il devient vite un invité régulier des chaînes de télévision locales. Il se montre aussi très actif dans les médias chapeautés par la Ligue, écrivant notamment pour le journal La Padania avant de devenir le directeur de Radio Padania Libera. À l’image du Parti communiste italien (PCI) d’antan, la Ligue est une organisation qui enrôle ses militants dans une grande variété d’activités.

En 2004, le dynamisme de M. Salvini finit par le mener à Bruxelles, où il devient député européen sous l’étiquette de la Ligue, après avoir récolté l’essentiel de ses voix dans les banlieues déshéritées de Milan. Il démissionne en 2006 pour prendre la tête du groupe de la Ligue au conseil municipal de Milan, mais retrouve son mandat européen en 2009. Il devient secrétaire général de la Ligue lombarde en 2012. C’est alors qu’il s’impose comme le candidat logique à la succession de M. Maroni à la direction de la Ligue du Nord.

Le contexte historique favorise cette ascension. À l’évidence, les rêves d’Altiero Spinelli, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, farouche partisan d’un fédéralisme continental, ne se sont pas réalisés. Au contraire : les hautes sphères de l’Union sont de plus en plus peuplées de bureaucrates qui dictent leurs politiques à des gouvernements élus sans se préoccuper des mandats démocratiques et qui imposent l’austérité néolibérale en menaçant d’un cataclysme tout pays qui souhaiterait emprunter une autre voie.

En Italie, pays qui a souffert plus que d’autres des conséquences du traité de Maastricht, l’année 2014 voit l’avènement d’un des gouvernements les plus arrogants de l’après-guerre, déterminé non seulement à défaire le droit du travail par ordonnances, mais aussi à démanteler certaines dispositions-clés de la Constitution de 1947 afin de concentrer davantage de pouvoir entre ses mains. M. Matteo Renzi accède au poste de président du conseil en février 2014. Il y parvient sans même avoir été député auparavant : il prend le contrôle du Parti démocrate — enterrant au passage les prétentions traditionnelles de ce parti à incarner une force de gauche — et conclut un pacte avec M. Berlusconi. Bénéficiant de l’appui sans réserve du président de la République, du principal syndicat patronal, des banques et des multinationales, sans même parler des médias, M. Renzi se croit suffisamment populaire pour lancer un référendum sur ces modifications constitutionnelles. L’ensemble des forces politiques se dressent contre lui, et les électeurs lui infligent une sévère défaite (2). Parmi les jeunes votants, qu’il prétendait représenter, 80 % choisissent le « non ». Au nombre des vainqueurs de cette soirée électorale, M. Salvini, qui a vigoureusement fait campagne contre le projet de réforme, acquiert une stature nationale.

Pour y parvenir, le chef de la Ligue a dû opérer deux changements majeurs : une nouvelle stratégie électorale et un rapport novateur au numérique. La Ligue du Nord, mouvement séparatiste fondé par M. Bossi, avait désigné deux ennemis : Rome, cœur de la corruption bureaucratique, et le Sud, terre de fainéants et de parasites. L’impasse de cette stratégie apparaît clairement au début des années 2010. Aucune séparation n’a eu lieu ni ne semble plausible, et la question de la survie du parti — qui oscille entre 3 et 4 % des intentions de vote dans les sondages — se pose. Devenu secrétaire général, M. Salvini impose donc un nouveau cap : il attaquera Bruxelles plutôt que Rome, et les migrants plutôt que les habitants du Sud. Ce faisant, il parlera au nom de tous les Italiens, de la nation entière, contre les oppresseurs et les intrus. Abandonnant l’opposition entre deux Italie, la Ligue devient capable de rassembler des agriculteurs des Pouilles, des pêcheurs de Sicile, des patrons vénitiens et des cadres supérieurs lombards, tous présentés comme les victimes d’un pouvoir distant et sans âme, et confrontés à un raz-de-marée d’étrangers.

M. Salvini commence par exploiter la frustration à l’égard de l’Union européenne, dans un pays où chaque budget doit être approuvé par la Commission, laquelle exige sacrifice après sacrifice avec l’assentiment du centre droit comme du centre gauche. Son discours d’investiture donne le ton : « Nous devons reconquérir la souveraineté économique que nous avons perdue dans l’Union européenne. Ils nous ont cassé les couilles (…). Ce n’est pas l’Union européenne, c’est l’Union soviétique, un goulag que nous voulons quitter avec quiconque est prêt à le faire. » Les élections européennes de 2014 approchent, et il poursuit son offensive contre Bruxelles en appelant l’Italie à sortir de l’euro, une idée jusque-là reléguée aux marges du discours politique par la gauche et la droite. La revendication ne soulève pas les foules. Loin d’améliorer son score, la Ligue perd trois de ses neuf députés au Parlement européen.

C’est alors que M. Luca Morisi entre en scène. Cet expert en informatique de 45 ans dirige, avec un associé, l’entreprise Sistema Intranet, qui ne compte aucun employé, mais une foule de clients institutionnels. Il prend en main M. Salvini à une époque où ce dernier est déjà inséparable de sa tablette et largement familiarisé avec Twitter, mais où sa présence sur Facebook demeure négligeable. Son nouveau conseiller numérique lui enjoint de changer de stratégie. Twitter est un carcan, lui explique-t-il. Selon lui, la plate-forme est fondamentalement autoréférentielle et favorise les messages de confirmation. « Les gens sont sur Facebook et c’est là que nous devons être », soutient-il. Une équipe dévolue aux réseaux sociaux se constitue. Elle ne tarde pas à devenir l’un des plus importants services de la Ligue.

M. Morisi énonce dix commandements auxquels le chef du parti doit se soumettre. Les messages de sa page Facebook doivent être écrits par M. Salvini lui-même, ou en donner l’illusion. Il faut en publier tous les jours, tout au long de l’année, et commenter y compris les événements qui viennent juste de se produire. La ponctuation doit être régulière, les textes simples, les appels à l’action récurrents. M. Morisi suggère également d’utiliser autant que possible le pronom « nous », davantage susceptible de favoriser l’identification des lecteurs, mais aussi de bien lire les commentaires, en y répondant parfois, afin de sonder l’opinion publique.

Résultat : la page Facebook de M. Salvini fonctionne comme un quotidien, notamment grâce à un système de publication créé en interne et connu sous le nom de « la bête ». Le contenu est mis en ligne à heures fixes et repris par une multitude d’autres comptes ; les réactions font l’objet d’un suivi continu. M. Morisi et ses collègues rédigent quatre-vingts à quatre-vingt-dix publications par semaine, quand M. Renzi — alors président du conseil — et son équipe n’en produisent pas plus de dix. Pour fidéliser les abonnés, M. Morisi imagine une astuce : il conseille de s’en tenir aux mêmes mots, afin d’évoquer davantage un pilier de bar qu’un homme politique traditionnel.

Le ton des messages relève de l’irrévérence, de l’agressivité et de la séduction. Le chef de la Ligue dresse ses lecteurs contre l’ennemi du jour (les « clandestins », les magistrats véreux, le Parti démocrate, l’Union européenne…), puis il publie une photographie de la mer, de son repas ou encore de lui-même en train de donner l’accolade à un militant ou de pêcher. L’opinion publique se nourrit d’un flot incessant d’images de M. Salvini mangeant du Nutella, cuisinant des tortellinis, mordant dans une orange, écoutant de la musique ou regardant la télévision. Chaque jour, une tranche de sa vie est ainsi diffusée auprès de millions d’Italiens, selon une stratégie où le public et le privé s’entremêlent en permanence. Cet éclectisme vise à lui donner une image humaine et rassurante, tout en lui permettant de continuer ses provocations. Son message : « En dépit de la légende qui me présente comme un monstre rétrograde, un populiste peu sérieux, je suis une personne honnête, je parle ainsi parce que je suis comme vous, alors faites-moi confiance. »

La stratégie de M. Morisi repose également sur la « transmédialité » : apparaître à la télévision tout en publiant sur Facebook, passer au crible les commentaires en direct et les citer pendant l’émission ; une fois celle-ci terminée, monter des extraits et les mettre sur Facebook… Cette approche, dans laquelle M. Salvini est passé maître, n’a pas tardé à porter ses fruits : entre mi-janvier et mi-février 2015, il a obtenu pratiquement deux fois plus de temps d’antenne que M. Renzi. En 2013, il n’avait que dix-huit mille abonnés sur Facebook ; mi-2015, il en comptait un million et demi, et ils sont plus de trois millions aujourd’hui — un record parmi les dirigeants politiques européens.

Un rival réduit à l’impuissance

Ses adversaires ont longtemps considéré l’individu comme fantasque et indiscipliné, tout juste capable de gesticulations médiatiques. Mais, dans un monde politique italien marqué par une personnalisation extrême (3), le secrétaire général de la Ligue détient un atout majeur. Alors que M. Berlusconi s’adresse à la nation sur ses chaînes de télévision, dans le grand bureau de sa villa d’Arcore, M. Renzi organise des événements multimédias à Florence, où il s’affiche avec des écrivains et des vedettes de la musique. Quant à M. Giuseppe (« Beppe ») Grillo, qui faisait preuve d’un esprit mordant du temps où il était comique et qui pouvait organiser d’immenses rassemblements populaires, après avoir fondé le M5S, il a préféré rester dans l’ombre et piloter son mouvement à distance. M. Salvini, lui, apparaît comme un homme du peuple, authentique, qui n’aime rien tant que se mêler aux masses. Il suffit de le voir en action dans une discothèque, un gobelet à la main, entouré de militants et d’admirateurs curieux qui attendent pour une photographie : aucun dirigeant italien ne pourrait produire de telles images avec autant de naturel.

Tandis que la gauche, ou ce qu’il en reste, se réfugie dans les symboles du passé, se divise et se perd en querelles internes, M. Salvini rencontre des travailleurs devant les usines, entraînant toujours les caméras de télévision dans son sillage. Il leur offre un moment d’attention médiatique après des décennies d’isolement. Tandis que la gauche gère son électorat miniature en multipliant les pactes et les alliances, ressassant ses vains appels à l’unité, lui tempête contre les délocalisations et réclame des mesures protectionnistes contre la concurrence déloyale des pays qui piétinent les droits des travailleurs. Les résultats ne se font pas attendre. En 2016, la Ligue devient le deuxième parti dans la « Toscane rouge », obtenant ses meilleurs scores dans les banlieues populaires. En Émilie-Romagne, en Ombrie ou dans les Marches — des régions autrefois acquises au PCI —, elle gagne du terrain.

Les élections générales du 4 mars 2018 marquent une étape décisive. Alliée à M. Berlusconi et aux Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), un résidu du néofascisme d’après-guerre, la Ligue — qui a abandonné au passage le complément « du Nord » — multiplie son score par quatre et atteint 17,3 % des suffrages. Si son socle reste septentrional, elle est désormais aussi implantée dans le Sud. Pour la première fois, elle dépasse Forza Italia, le parti de M. Berlusconi. La coalition de centre-droit remporte 37 % des voix et obtient le double des sièges du centre gauche, même si le véritable vainqueur demeure le M5S, mené par M. Di Maio, un Napolitain de 30 ans : il dépasse de loin tous les autres partis, avec 32 % des suffrages.

Aucun des trois blocs ne disposant d’une majorité parlementaire, il faut se résoudre à un mariage de raison. Après trois mois de bluffs et de tractations, le M5S et la Ligue s’accordent finalement sur un « contrat de gouvernement » qui décrit, en termes très généraux, les domaines d’attribution de chacun. Un gouvernement est formé en juin. MM. Salvini et Di Maio deviennent vice-présidents du conseil, tandis que le poste de chef du gouvernement revient à un membre du M5S, M. Conte, un professeur de droit inconnu du grand public. Cette coalition « jaune-verte » — les couleurs respectives du M5S et de la Ligue — est accueillie par une apoplexie générale dans les grands médias, qui exècrent le « populisme » sous toutes ses formes. Alors, quand deux de ses représentants s’allient…

En fait, les ressemblances entre les deux partis sont davantage d’ordre comportemental que politique : une véhémence inlassable, une rhétorique antisystème, des références constantes aux ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, l’invocation du « peuple », une organisation verticale, une présence en ligne agressive qui tend à transformer tout sujet en slogan ou en blague de mauvais goût. Leur principal point commun idéologique est l’hostilité à Bruxelles et le scepticisme quant à la monnaie unique, rendue responsable de l’austérité et de la stagnation économique en Italie. Mais les programmes que chacun entend mettre en œuvre tout en brisant ces chaînes témoignent d’une divergence politique majeure. La Ligue souhaite instaurer une flat tax (impôt proportionnel), la recette classique de la droite pour séduire les petits entrepreneurs qui forment sa base sociale dans le Nord. Quant au M5S, il veut créer un revenu minimum garanti pour aider les chômeurs, les précaires et les pauvres, avant tout dans le Sud. En matière de redistribution, les conséquences de ces deux mesures diamétralement opposées tracent une ligne de fracture entre les deux partis selon un clivage droite-gauche classique.

Au sein du gouvernement, le M5S s’empare des ministères dotés d’un fort poids socio-économique, tandis que la Ligue récupère ceux qui revêtent une dimension symbolique et identitaire. Parmi les nouveaux ministres, 90 % n’avaient aucune expérience du pouvoir exécutif avant leur nomination. M. Salvini devient ministre de l’intérieur, et M. Di Maio prend les rênes du développement économique, du travail et des affaires sociales. À première vue, le M5S, sorti vainqueur des élections, s’est octroyé les meilleurs postes — notamment les infrastructures, la santé et la culture —, ceux qui ont le plus grand impact potentiel sur l’électorat.

Mais la formation du gouvernement est, depuis le début, soumise à la surveillance de l’« État profond » italien : la présidence de la République (M. Sergio Mattarella), la Banque d’Italie, la Bourse et, surtout, la Banque centrale européenne. Celui-ci veille à ce que les ministères qui comptent vraiment en matière d’économie (les finances et les affaires européennes) échappent aux deux partis. Aussi, quand la coalition propose des candidats que M. Mattarella juge insuffisamment soumis à l’Union européenne, le président n’hésite pas à utiliser son droit de veto pour leur barrer la route. L’influence du M5S sur les politiques budgétaires a ainsi été largement neutralisée d’emblée. Sans surprise, sitôt qu’une des propositions du M5S ou de la Ligue a menacé de se transformer en loi (qu’il s’agisse du revenu minimum garanti ou de l’abaissement de l’âge de départ à la retraite), la Commission européenne et ses relais intérieurs se sont interposés. Des mois de bras de fer ont fini par édulcorer ces mesures et par les vider de leur sens. Si bien que M. Di Maio n’a, à ce jour, aucun succès à afficher à son tableau d’honneur gouvernemental.

« Liguisation » de la politique

De son côté, M. Salvini a maximisé sa présence. En tant que ministre de l’intérieur, il est désormais presque toujours vêtu d’une veste de policier ou de carabinier, comme un bon shérif. Il a confié à son bras droit le ministère de la famille, une autre excellente tribune pour des déclarations à fort impact médiatique. Mais il s’est réservé la plus importante responsabilité morale d’un gouvernement honnête : une croisade contre l’immigration clandestine, menée à travers le déni des droits portuaires aux organisations non gouvernementales (ONG) qui sauvent des vies en Méditerranée. Les années de propagande du M5S contre l’« invasion » ont laissé des traces, l’obligeant aujourd’hui à suivre la Ligue sur ce terrain miné, avec parfois quelques remontrances inefficaces pour des actes xénophobes particulièrement odieux.

Quelques mois après l’arrivée au pouvoir de la coalition « jaune-verte », il ne reste déjà plus le moindre doute sur la couleur qui domine (4). Alors qu’elle a récolté moitié moins de voix que son partenaire, la Ligue a imposé son hégémonie, comme si elle en avait obtenu deux fois plus. Les trois élections régionales qui se sont tenues entre janvier et avril 2019 ont transformé ce renversement en un fait politique froid. Toutes ont eu lieu dans le Sud, où s’était produit en 2018 un raz-de-marée en faveur du M5S. Dans les Abruzzes, celui-ci est passé de 39,8 à 19,7 %, quand la Ligue a bondi de 13,8 à 27,5 %. En Sardaigne, il s’est effondré (de 42,4 à 9,7 %), tandis que le parti de M. Salvini progressait légèrement (de 10,8 à 11,4 %). Enfin, en Basilicate, le mouvement de M. Di Maio a divisé son score par deux (de 44,3 à 20,3 %), quand la Ligue a triplé le sien (de 6,3 à 19,1 %). Alliée à Forza Italia, aux Fratelli d’Italia et à divers autres groupes, elle a pris le contrôle de ces trois régions. Ainsi, elle gagne sur tous les tableaux, rejoignant Forza Italia et l’extrême droite au niveau local tout en conservant son alliance avec le M5S à Rome.

La Ligue occupe désormais le centre de la vie politique italienne. M. Salvini distribue les cartes et définit les règles du jeu, forçant les médias à suivre servilement ce qu’il dit — ses promesses, ses provocations et son « bon sens », lequel, diffusé depuis des années à la télévision, dans les journaux et en ligne, semble en être réellement devenu un. La politique italienne a subi une « liguisation » (leghizzazione). Il est maintenant considéré comme normal — et cela vaut pour le centre gauche — d’accuser certaines ONG d’être des « taxis de mer » de mèche avec les passeurs ; d’affirmer que les citoyens ont avant tout besoin de sécurité ; ou de voir l’immigration exclusivement comme un problème. Des thèses qui étaient autrefois l’apanage de la Ligue et des cercles néonationalistes sont presque unanimement admises.

Parmi les dirigeants de la droite eurosceptique des grands pays de l’Union européenne, M. Salvini est le seul qui puisse caresser l’espoir de diriger un gouvernement. Il possède en effet un atout majeur. En Italie, le néofascisme a depuis longtemps été intégré au sein du système politique, ce qui permet à la Ligue de se présenter comme « différente ». Idéologiquement, bien qu’il appartienne à la droite radicale, son chef n’a jamais renié ses demi-origines de gauche. « Quand on me prend pour un fasciste, je ris, déclare-t-il aujourd’hui. Roberto Maroni me soupçonnait d’être un communiste au sein de la Ligue car j’étais celui qui était le plus proche d’eux par certains aspects, y compris dans ma manière de m’habiller. » Pas plus tard qu’en 2015, il était encore un admirateur de Syriza, le parti de gauche grec, et il continue d’émailler ses déclarations de revendications autrefois caractéristiques de la gauche, comme la nécessité d’une banque publique d’investissement ou l’abrogation des réformes néolibérales du système de retraite.

M. Salvini a l’avantage d’évoluer dans un contexte où la gauche, réformiste ou radicale, a presque disparu. En France, en Espagne, au Royaume-Uni et même en Allemagne, des forces populaires qui résistent à la doxa du pouvoir existent toujours à gauche sur l’échiquier politique. Rien de tel en Italie.

Les conditions socio-économiques et géographiques ont également joué. Aucun grand pays de l’Union européenne n’a davantage souffert du carcan de l’euro que l’Italie, dont le revenu par habitant a à peine augmenté depuis l’entrée en vigueur de la monnaie unique (5) et dont les taux de croissance ont été misérables. De surcroît, péninsule disposant de la plus longue côte continue de tous les pays de l’Union, l’Italie est devenue un carrefour migratoire. Une situation à laquelle ce traditionnel pays d’émigration, qui a tant alimenté les flux de population mondiaux, n’était pas habitué, et qui survient dans un contexte de repli économique, où la concurrence pour obtenir un emploi ou des aides sociales fait rage. Tandis que ces tensions deviennent de plus en plus électriques, M. Salvini se présente comme le paratonnerre idéal pour décharger un potentiel conflit de classe et pour le transformer en une lutte des pauvres contre les pauvres.

S’il parvenait à s’emparer du palais Chigi, deviendrait-il un nouveau Berlusconi, lequel, en dépit de toutes ses fanfaronnades, n’a pas changé grand-chose ? Son attitude à l’égard de l’Union européenne constitue un test décisif. Le « Cavaliere » s’est davantage distingué par ses gaffes que par sa mauvaise conduite au Conseil européen. M. Salvini est plus impitoyable que lui, et plus idéologique. Il a fait campagne aux élections européennes de 2019 en promettant l’émergence d’un bloc populiste de droite — l’« Internationale souverainiste » imaginée par M. Stephen Bannon, l’ancien conseiller du président américain Donald Trump. Il a longtemps été un admirateur de M. Vladimir Poutine. Mais les États-Unis comptent davantage que la Russie, et ses affinités — en matière de style et de personnalité — sont bien plus grandes avec l’occupant de la Maison Blanche qu’avec celui du Kremlin. Cela signifie notamment un alignement sur la tentative de M. Trump de soumettre la Chine. Par contraste, et au grand regret de M. Salvini, M. Di Maio a accueilli en Italie le président Xi Jinping, venu les bras chargés de cadeaux liés aux nouvelles routes de la soie.

Arrangements avec Bruxelles

La différence est tout aussi visible au sein de l’Union européenne, où le dirigeant du M5S a adopté une approche bien plus radicale, exprimant un soutien chaleureux aux « gilets jaunes » français, que M. Salvini considère comme des casseurs.

Au niveau de l’Union, le chef de la Ligue s’est contenté de tambouriner sur les barreaux de la cage bruxelloise, sans chercher à les briser. Il a approuvé l’actuel budget italien, finalement conforme aux « conseils » de la Commission. Un engagement assumé dans un conflit institutionnel, et plus seulement verbal, avec l’Europe paraît moins probable qu’une adaptation pragmatique au statu quo. La base sociale de la Ligue est peut-être hostile aux grandes banques, aux réglementations communautaires et aux multinationales, mais sa sensibilité demeure indubitablement capitaliste. En son temps, M. Bossi a lui aussi fulminé contre Bruxelles, sans que cela empêche la Ligue du Nord de voter en faveur des traités de Maastricht et de Lisbonne.

Pour M. Salvini, la monnaie unique a été un épouvantail utile à son ascension, mais qui, une fois le sommet atteint, peut être remisé. La dénonciation des « frontières-passoires » demeure son véritable passeport pour le pouvoir. Et, sur ce sujet, l’Union européenne ne lui pose aucune difficulté.

Matteo Pucciarelli

Journaliste, auteur de l’ouvrage Anatomia di un populista. La vera storia di Matteo Salvini, Feltrinelli, Milan, 2016. Une version plus longue de cet article est parue dans la New Left Review, n° 116-117, Londres, mars-juin 2019.

(1) L’affaire Tangentopoli, qui a éclaté en 1992, était un vaste système de pots-de-vin entre dirigeants politiques et industriels. Elle a donné lieu à l’opération judiciaire « Mani pulite » (« mains propres »).

(2) Lire Raffaele Laudani, « Matteo Renzi, un certain goût pour la casse » et « Matteo Renzi se rêve en Phénix », Le Monde diplomatique, respectivement juillet 2014 et janvier 2017.

(3Cf. Mauro Calise, La Democrazia del leader, Laterza, Rome-Bari, 2016.

(4) Lire Stefano Palombarini, « En Italie, une fronde antieuropéenne ? », Le Monde diplomatique, novembre 2018.

(5) Le salaire moyen brut est passé, à prix constants, de 28 939 euros en 2001 à 29 214 euros en 2017.

 

Publié le 09/06/2019

Contre-analyse des dernières élections européennes

Par Daniel Vanhove

(Site mondialisation.ca)

Difficile pour toute analyse des élections européennes du dernier week-end de mai d’aborder les résultats sans tomber dans le travers d’une approche aux couleurs plus nationales que strictement européennes. A suivre les médias – presse, radio, télé – tout observateur a pu s’en rendre compte. Et le plus cocasse lors de ces élections dites ‘européennes’ en est leur interprétation par les ténors politiques eux-mêmes. La plupart d’entre eux se sont poussés au-devant de la scène sur base de leur politique nationale, et au soir des résultats même s’ils ont perdu des points, comme le président Macron, ils l’évaluent comme un blanc-seing pour poursuivre leur politique pourtant décriée par les urnes.

Sans aborder le cas de chacun des pays qui constituent l’UE, je n’en prendrai que quelques-uns pour illustrer mon propos. De manière globale, si l’on constate une augmentation générale de participation des électeurs, celle-ci reste marquée par une abstention majeure – près de 50% des citoyens européens se sont abstenus – soit, un électeur sur deux, ce qui en dit long sur l’intérêt que les citoyens portent à une institution dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Et au vu des résultats, cela en dit long également sur la notion de « démocratie » dont je parlais dans mon précédent billet (https://www.mondialisation.ca/avant-les-elections-dans-lue-arret-sur-la-notion-de-democratie/5633570). 

Ainsi, un parti et/ou un candidat qui se proclame vainqueur en arrivant autour de 20% des voix sur 50% de participation implique qu’environ 10% d’électeurs imposent leurs choix aux 90% des autres. En termes de « démocratie », c’est effectivement brillant !

A ce stade, je rappelle aussi qu’il n’existe pas un ‘peuple européen’, quoi qu’en prétendent certains ‘eurolâtres’ qui veulent à tout prix s’en persuader. De façon très prosaïque, sans même aborder la question des 24 langues officielles (!) reconnues dans l’UE, comment par exemple, penser qu’un Lituanien ait les mêmes repères qu’un Portugais ou qu’un Finlandais se reconnaisse dans les critères d’un Chypriote ou d’un Maltais ?! Bonne chance à ceux qui tentent d’y croire ! 

N’est qu’à voir à l’intérieur de certains Etats les dissensions qui animent parfois leurs citoyens (en Espagne avec les Catalans et les Basques contre l’Etat central ; en Belgique entre les Wallons et les Flamands avec l’épineuse question de Bruxelles ; en Italie entre ceux du Nord et du Sud ; sans oublier l’Irlande où les tensions restent à fleur de peau ; ni la France où la Corse n’est pas en reste, etc… dans une liste où les particularités régionales ne manquent pas d’exacerber les tensions)… sans aborder l’épineuse question du Kosovo imposé à la Serbie, au cœur de l’Europe et qui pourrait à tout moment déstabiliser la région et ses voisins ; ni de l’ombre de l’Ukraine dont les mêmes cinglés voudraient la rattacher à l’UE comme ils l’ont fait avec empressement avec les pays de l’Est, plus en conformité avec l’agenda de l’OTAN qu’avec celui des citoyens européens, pourtant premiers concernés et plus que réservés sur la question. 

Par ailleurs, l’augmentation relative de participation dont on nous a parlé s’explique en partie par le fait que dans plusieurs Etats étaient organisés des scrutins régionaux voire nationaux, comme en Belgique, Espagne, Grèce, Irlande, Lituanie et Roumanie. Si ces scrutins intérieurs n’avaient pas été couplés aux élections européennes, on peut raisonnablement penser que l’abstention à ces dernières eût été plus forte.

Mais soit, que peut-on malgré tout retenir de ces élections ? Que dans la majorité des cas, ce que l’on observe de manière nationale se répand comme une tache d’huile : l’Europe vire à droite toute et la plupart des pays semblent opter pour un repli sur soi. Les partis qui l’emportent sont souvent ceux qui ont prôné une autre Europe, moins ouverte, plus nationaliste, quand ce n’est pas une sortie de celle-ci. En effet, les plus gros scores sont réalisés par les responsables politiques qui n’ont cessé de critiquer la politique européenne menée jusqu’à présent, et pour preuve, la chute des deux partis majoritaires au Parlement européen que sont le PPE (Parti populaire européen) et le S&D (Sociaux-Démocrates) furieux adeptes d’un libéralisme débridé, qui perdent ensemble plus de 50 sièges et n’ont plus la confortable majorité qui était la leur.

Les technocrates peuvent bien se féliciter d’une meilleure participation à ces élections et trompeter que ‘les peuples européens’ sont plus que jamais attachés à l’idée d’Europe, en fait elles consacrent exactement le contraire, à savoir le rejet des électeurs de l’Europe qui leur est proposée. Après ces élections, les eurosceptiques devraient donc être plus nombreux au sein du Parlement européen. Que ce soit en Grande-Bretagne où le parti de N. Farage culmine et entérine donc un Brexit que le parti de Th. May tentait par tous les moyens d’empêcher avec l’interminable mauvais feuilleton que l’on a vu ; que ce soit en Pologne où le PiS conservateur rejette nombre de directives européennes au point que le pays se fait régulièrement remonter les bretelles par les responsables de Bruxelles ; que ce soit l’Italie avec la victoire de M. Salvini qui défie la politique d’austérité de l’Europe à chaque occasion et risque de se voir imposer des mesures disciplinaires pour non-respect des normes budgétaires ; ou de la Hongrie avec le triomphe du parti de V. Orban, qui défie lui aussi nombre de directives, sans parler de la France où le RN dépasse le parti du président en place, et ainsi de suite…

La leçon à retenir de ces élections est donc un mouvement de rejet de cette Europe au profit d’un repli national identitaire bien à droite. A force de ne pas entendre la volonté et les souhaits des citoyens, quoi d’étonnant à ce que ceux-ci choisissent les partis les plus réticents à une Union Européenne dans laquelle ils ne se reconnaissent pas tant leurs acquis sociaux sont lentement mais sûrement détricotés ? Le meilleur exemple en est le ‘Brexit’… qui pourrait à terme, faire des émules.

Un arrêt cependant sur le cas de la France, pour pointer le peu de conscience et de lucidité politique de l’électorat, et la manipulation grossière dont il est l’objet. Plusieurs enquêtes ont tenté de déterminer quel était le profil des électeurs du FN/RN de M. Le Pen. Et il semble que bon nombre des forces de l’ordre – police, gendarmerie, armée, CRS, … – y soient favorables. Certains ‘Gilets Jaunes’ – dont deux listes se présentaient à ces élections avec à peine 1% de votes – se sont ouvertement déclarés sympathisants du FN/RN et se heurtent donc de face lors des manifestations hebdomadaires, à ceux qui se trouvent du même côté qu’eux dans l’isoloir. Quelle farce ! Pour une analyse plus détaillée des votes français, en fonction de la classe sociale, lire : https://lemediapresse.fr/politique/elections-europeennes-un-vote-de-classe-avant-tout/

L’un des problèmes majeurs de l’Europe, est qu’en-dehors de rares cas – Espagne, Portugal – les ‘gauches’ nationales européennes n’existent quasiment plus. Elles ont lentement glissé au centre, par de minables calculs électoralistes et de malheureux compromis – pour ne pas dire ‘compromissions’ – avec pour résultat leur effondrement dans nombre de pays européens au profit d’une droite plus dure, plus nationaliste, souvent raciste et tendant vers l’extrême. 

Dès lors que les soi-disant ‘partis de gauches’ ont entériné la privatisation de tous les secteurs de l’économie, reprenant en chœur le mensonge des « Etats désargentés », les citoyens ont malgré eux assisté au fait que même l’information se privatise avec les résultats que l’on sait : en France les médias sont aux mains d’une poignée de milliardaires qui font donc passer l’info qui convient le mieux à leurs affaires. En Italie, S. Berlusconi avait fait pareil. On en a vu l’imposture après quelques années.

A force de répéter sans discontinuer des mensonges sur les ondes, ceux-ci rentrent lentement dans l’inconscient collectif et devient ‘vérité’. C’est une technique vieille comme le monde qui fait toujours recette. D’autant plus aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et de la surinformation. Or cette info est complètement fausse : les Etats sont désargentés par la faute de leurs choix. S’ils voulaient vraiment récupérer l’argent là où il coule en abondance, ils devraient s’en prendre aux paradis fiscaux où des milliards sont recyclés, y compris l’argent le plus sale qui soit. Le problème est que les responsables devraient sans doute s’en prendre à leurs pratiques personnelles… ce qui ne leur convient pas vraiment.

Ensuite, ils devraient arrêter leur fuite en avant de guerres qu’ils alimentent loin de chez eux, mais qui les ruinent. Voyez les budgets des Ministères de la Défense qui en réalité s’appuient là-aussi sur des mensonges. Non, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, la Palestine, le Yémen, le Soudan, l’Iran, la Russie, la Chine, la Corée du Nord ne nous menacent pas, bien au contraire, par nos méthodes néocoloniales beaucoup de ces pays participent, malgré eux, à notre propre confort. Mais le lobby de l’armement agite des menaces inexistantes sur base de ‘fake news’ répétées, là aussi en boucle, dont on finit par voir l’imposture. En attendant, nos Etats ‘ruinés’ multiplient taxes et impôts pour financer ces budgets guerriers au profit d’une poignée de nantis qui s’engraissent sur les cadavres d’innocents, bien éloignés de leurs lieux de vie !

Cette orientation débridée vers un libéralisme à tout crin, sans prendre garde aux effets collatéraux d’élus se liant de la sorte aux principaux acteurs financiers – puisque là aussi, les campagnes électorales voient affluer des donations privées – est d’une dangerosité extrême : vous voulez notre argent, faites tourner nos usines, et de préférence à moindre coût. Si la boucle semble ainsi bouclée, ces politiques mettent véritablement la vie de tous les citoyens en danger. Parce qu’à terme, la réponse des pays que ces politiques dévastent finira par nous revenir en pleine figure. 

Ce n’est pas un scénario pessimiste, c’est ce que l’Histoire nous enseigne. Mais comme le résume très justement Bruno Guigue : « Avec le totalitarisme dans les médias, difficile d’avoir la démocratie dans les urnes ». 

Fait à noter : cette droite dure qui s’affirme ouvertement a la particularité d’être en parfaite symbiose avec l’actuel gouvernement du régime d’apartheid israélien. Ce qui d’une part, illustre l’esprit qui anime ce beau monde, et d’autre part présage que rien ne sera fait au niveau européen pour empêcher l’occupant sioniste qui se sent, avec l’appui inédit du gouvernement de D. Trump, les coudées décidément franches pour poursuivre le démantèlement de ce qui reste de la Palestine historique.

Les analyses de ces ‘euroïnomanes’ proclamés sont donc étranges voire amusantes à lire, avant de devenir sans doute dramatiques dans le quotidien des citoyens qui par manque de lucidité et de réflexion se seront fait berner, une fois de plus !

Daniel Vanhove

 

La source originale de cet article est Mondialisation.ca

Copyright © Daniel Vanhove, Mondialisation.ca, 2019

 

Publié le 17/05/2019

Europe : pour une politique culturelle antilibérale et antinationaliste !

(site journalzibeline.fr)

Le Parlement européen va être renouvelé le 26 mai. Les partis de Gauche français y partent en ordre dispersé alors que les groupes progressistes européens tentent de se rassembler. Petit état des lieux !

Le désintérêt des Français pour les élections européennes est évident : depuis 2005, en particulier, ceux qui ont voté Non au traité et l’ont vu s’appliquer quand même s’offusquent de ce déni de démocratie, et pensent que l’Assemblée européenne, élue au suffrage direct à 1 tour, n’a aucun pouvoir face à la Commission européenne (composée d’1 commissaire nommé par chaque chef d’État) ou face au Conseil de l’UE (composé des ministres des États).

Dans la région, même si les intentions de vote sont un peu meilleures qu’ailleurs (63%, comme en Île de France, au lieu des 57% de la moyenne nationale, voire 52% en Bretagne), le désintérêt est patent. Au-delà de l’euroscepticisme, les Français semblent méconnaître le pouvoir de l’Assemblée européenne : les médias s’attachent pour la plupart aux enjeux français, considérant les élections européennes comme un test pour les municipales, voire les présidentielles, à venir. Or, non seulement le Parlement européen élabore et vote les lois, mais il a également, contrairement à la plupart des parlements nationaux, un pouvoir de surveillance de l’exécutif (la Commission) et une compétence budgétaire.

Exercice de démocratie

Étant donné qu’aucune majorité stable ne s’en dégage, il est le lieu des alliances : certains projets de lois rassemblent des groupes qui s’opposent sur d’autres points, et il faut sans cesse convaincre ses potentiels alliés. D’où les mots doux que certains s’attribuent en coulisse ou sur les ondes, qualifiant de « tambouilles » les alliances, ou d’« imbéciles utiles » les alliés d’un jour autour d’une loi précise. La France s’est débarrassée de ce type de démocratie malléable et protéiforme, fragile et ingouvernable diront certains, depuis la fin de la Quatrième République. Mais elle n’est pas pour déplaire aux parlementaires sortants. À Eva Joly qui déclarait en quittant l’Assemblée : « Ici c’est la culture du compromis qui règne, et j’ai adoré ça. » Ou à José Bové, plus clair encore « Les Français ne comprennent pas comment on travaille ici. On est un pays clivant. Si on construit une majorité sur un projet, on est considéré comme un traître. ». Quant à Bruno Gollnisch (Rassemblement National), sa déclaration est de bon augure (excepté le soviétisme…) : « Une nouvelle union soviétique mondialiste s’élabore ici », s’est-il effrayé… Et les députés communistes sortants ont l’impression d’avoir accompli « un travail considérable ». Et harassant !

Alliances européennes, divisions françaises

Aujourd’hui, pour former un groupe au Parlement européen, il faut réunir 25 députés issus de 7 pays membres au moins. Chaque groupe est donc composé de partis nationaux de sensibilité parfois différentes : ainsi les Communistes, la France Insoumise et Lutte Ouvrière, s’ils ont des députés, siégeront ensemble à la GUE (Gauche Unitaire européenne et parti écologiste nordique). Le PS fait partie du Groupe S&D (Social et Démocrates), EELV du groupe Verts, alors que Génération.s, s’il a des députés, veut défendre un projet fédérateur de gauche autour de la candidature de Yanis Varoufakis, ancien ministre des finances de Tsipras, transfuge de Syriza et de la GUE.

Une telle alliance, opportuniste, est possible au Parlement européen, pour peu que les électeurs de gauche se rendent aux urnes pour construire une autre Europe, contrer la montée des nationalismes la toute-puissance des lobbys libéraux, et mettre en place un Green new deal européen comme le souhaitent à la fois Benoît Hamon et les Verts.

Mais 5% des voix sont nécessaires pour que chacune des listes ait des députés : sans un sursaut des électeurs de gauche la division va fortement impacter sur le nombre de parlementaires français progressistes à l’Assemblée européenne. Que les listes FI, PS, Génération.s, EELV, PCF voire LO atteignent chacune 5% semble un objectif peu réaliste… et tout ce qui sera en dessous sera perdu pour la représentation.

Pourtant les programmes des candidats semblent aujourd’hui séparés par l’épaisseur d’un papier à cigarettes. Il n’est plus question de Plan B à FI, tous font de la lutte contre le libéralisme, voire le capitalisme, leur objectif principal, indissociable du combat écologique. Et chacun fustige les nationalismes et la politique anti-migratoire criminelle de l’Europe. Y compris l’actuel PS, qui un temps prônait la déchéance de nationalité.

Et la culture ?

Un autre point commun : penser une politique culturelle européenne est loin de leurs préoccupations premières. Pourtant les libéraux européens luttent pour « libérer » les industries culturelles de l’exception qui l’affranchit partiellement des lois du marché, et permet de l’abstraire de la concurrence. Et les droites nationalistes s’emparent de la question culturelle pour y développer leurs obsessions identitaires et l’exclusivité du patrimoine chrétien. Le fait que Tibor Navracsics, ministre de Viktor Orban, soit l’actuel Commissaire à la culture nommé par l’Assemblée, n’est pas seulement le signe d’un désintérêt de l’Europe pour ces questions : elle est la preuve que les nationalistes fascisants en font le cœur de leurs crédos rancis.

Ni les Libéraux ni les Nationalistes ne s’y trompent : c’est à l’Assemblée européenne que sont posés les fondements des droits culturels des citoyens, de la juste rémunération des auteurs et des interprètes, de la libre circulation des œuvres, de la liberté de création. Et de la possibilité de concevoir l’art non comme le luxe de l’élite mais comme le bien du peuple et un des piliers de l’intérêt général.

C’est ainsi qu’élire des parlementaires de Gauche susceptible de ne pas soumettre l’art et la culture à des intérêts économiques ou idéologiques devrait être, pour tous ceux que la culture et l’art préoccupent, une préoccupation première…

AGNÈS FRESCHEL
Retrouvez ici nos entretiens avec
Christian Benedetti, qui porte la question culturelle aux élections européennes pour la FI, et Denis Lanoy, candidat PCF.

La suite du dossier consacré à ces élections, avec d’autres entretiens (EELV, Génération.s et PS) est à paraître vendredi 17 mai dans le n°35-36 de Zibeline Hebdo.

https://www.journalzibeline.fr/europe-pour-une-politique-culturelle-antiliberale-et-antinatio

Publié le 08/04/2019

Européennes : EELV en marche vers le centre

Par Loïc Le Clerc (site regards.fr)

« L’écologie, ça n’est pas la gauche », dixit Yannick Jadot. Le mois de mars a été difficile sur le plan de la stratégie chez EELV. Erreurs de com’ ou repositionnement libéral inavoué ? Quoi qu’il en soit, EELV semble devenu la CFDT de l’écologie politique.

En mars, Yannick Jadot a frappé deux grands coups médiatiques : le 1er mars 2019 auprès du journal Le Point, et le 5 au Figaro. Le message de la tête de liste EELV aux élections européennes est on-ne-peut-plus-clair : il veut « dépasser les vieux clivages ». Pas tant le clivage gauche-droite que celui entre « les puissances de l’argent et l’écologie politique », pour citer David Cormand, secrétaire national du parti.

Ainsi Yannick Jadot se dit-il favorable à « l’économie de marché, la libre entreprise et l’innovation ». Et quand nos confrères du Figaro lui font remarquer que, dans les sondages, EELV est devant LFI ou le PS, il rétorque : « Vous voulez vraiment nous mettre à gauche, hein ! »

Depuis ces deux articles, c’est tout l’appareil qui rame à contre-courant. Yannick Jadot lui-même a dû s’auto-modérer dans Le Monde : « Je veux soumettre l’économie aux impératifs de la société : le climat, les droits sociaux, la solidarité ». Mais pour Jérôme Gleizes, conseiller EELV de Paris et prof d’économie à Paris XIII, « les interviews de Jadot sont des maladresses, des erreurs momentanées de communication. Il pensait qu’en parlant au Point, il ne serait lu que par les lecteurs du Point. Après, il doit revenir sur ses propos parce que les gens n’ont pas compris. » L’écologiste en chef donne surtout l’impression de trop adapter son discours à son interlocuteur. Et ça se voit. Suffisamment pour que la sénatrice écolo Esther Benbassa regrette que Yannick Jadot « nous implique dans ses mauvais calculs ».

EELV, virage libéral ?

C’est vrai qu’il y a un paquet de « déçus du macronisme » à aller chercher… Jadot ne se rêve-t-il pas en un Cohn-Bendit version 2019, dix ans après les fameux 16% ? Sauf que lui plafonne sous les 10% et que, entre temps, le centre français s’est largement fait truster par un certain Emmanuel Macron. Que ce soit le MoDem, l’UDI, le PRG, les radicaux valoisiens ou n’importe quel autre organe centriste, la survie n’implique aujourd’hui plus qu’un seul paramètre : une alliance avec LREM. EELV ne peut, consciencieusement, pas penser faire jeu égal avec le parti présidentiel. Ne leur reste alors que d’accepter le statut de satellite. Comme au bon vieux temps du « socialisme » triomphant.

Sergio Coronado, ex-député EELV, candidat LFI aux européennes, sait taper là où ça fait mal : « Il y a des macronistes convaincus à la tête d’EELV. L’espace dans lequel se construit EELV était "Hollando-compatible", il est Macron-compatible. Quand on vote EELV, on a une chance sur deux d’élire un macroniste. » Mais que signifierait un « virage libéral » alors que les écolo-libéraux sont déjà partis ? Quand, en ralliant la liste LREM, l’eurodéputé EELV Pascal Durant et l’ex-patron de WWF Pascal Canfin « ont préféré l’original », assène Esther Benbassa ?

Evidemment, au sein du parti écolo, ça crispe. David Cormand accuse Pascal Canfin d’avoir « capitulé en rase-campagne. Il intériorise que le combat électoral ne vaut même pas d’être mené, qu’il n’y a pas d’alternative entre les libéraux et les fachos. » Pour autant, « politiquement, il n’y a pas beaucoup de différences entre Durant, Canfin et Jadot », analyse le journaliste Arthur Nazaret [1]. Ex-membre du bureau exécutif « au nom de la sensibilité de gauche » pendant six ans, Elise Lowy en profite même pour les canarder : « La direction d’EELV et ceux qui ont rejoint Macron ont été dans la même tendance pendant plus de dix ans. Rien ne les différencie politiquement. »

Fâchés avec la gauche…

Et l’aile gauche, elle, s’en est allée aussi. Il y a bien longtemps. Elise Lowy, Sergio Coronado, entre autres. Que peut un avion sans ses deux ailes ? Face aux critiques de la gauche, Yannick Jadot n’a qu’une seule arme : « Le futur, c’est moi, les autres, c’est l’URSS, c’est le Venezuela ». Appréciez ce qu’il déclare au Figaro :

« Un paysan bio, il vend sa production sur un marché, pas dans un sovkhoz […] On veut faire de l’économie soviétique ? De l’économie à la Maduro ? Regardez où elle en est. »

Ou encore au micro de RTL :

« S’il y en a qui pensent qu’il faut revenir au soviétisme ou qui ont comme modèle l’économie de Monsieur Maduro, et bien tant mieux pour eux et tant pis pour nous. »

Voilà peut-être de quoi interpréter sa phrase « l’écologie, ça n’est pas la gauche ». Mais de là à caricaturer la gauche comme n’étant qu’un ramassis de vieux cocos productivistes… il y a un monde. « Nous, on n’est pas seulement anticapitaliste, on est aussi anti-productiviste », lance David Cormand. Et n’y voyez pas de langue de bois ici, il le pense vraiment ! Comme quoi quelques nuances de rouge peuvent faire de grandes différences politiques chez les verts. Ne caricaturons pas. Les écologistes ont une place à part au sein de la gauche française, si tant est qu’ils s’y inscrivent. Voici ce qu’en dit David Cormand :

« Quand le marxisme déboule, il gagne l’hégémonie à gauche. De notre point de vue, la concession historique faite au capitalisme, c’est l’acceptation du productivisme. La faillite de la gauche au XXème siècle, son échec historique face au capitalisme, elle est liée à cette faute originelle. Aujourd’hui, la gauche marxiste est morte, vive la gauche écologiste ! »

Aux dires d’Arthur Nazaret, « Cormand était plus favorable à un rapprochement avec Hamon. Il s’inscrit plus à gauche, à l’inverse de Jadot. » D’ailleurs, ce dernier n’essaye pas simplement d’endosser le rôle de leader du nouveau monde écolo (cela fait tout de même dix ans qu’il est eurodéputé et il est en campagne pour un troisième mandat). Non, il veut surtout se faire passer pour le chantre du camp des « responsabilités », du « réalisme », du « pragmatisme ». Aucune surprise pour Arthur Nazaret, qui rappelle que « les écolos ont toujours voulu se distinguer de la gauche. Comme disait Jean-Paul Besset : "L’écologie n’est pas une branche de l’arbre de la gauche mais un arbre à part entière". »

… en attendant les municipales

Si Yannick Jadot « réaffirme l’originalité de l’écologie en tant qu’idéologie à part entière », comme nous l’explique Arthur Nazaret, le souci est qu’il ne dit pas avec qui il fera alliance. Pour les européennes, le scrutin étant quasiment à la proportionnelle (à condition d’atteindre 5% des suffrages), le jeu des alliances pré-électorales est sans grande importance – même si chacun aime y jouer la tragi-comédie. Mais après ?

Les écolos visent une forme de coalition (minoritaire) avec les libéraux et les sociaux-démocrates. Un centre « soc-lib-dem-écolo », en somme. D’ailleurs, EELV ne voit pas de problème à s’accoquiner occasionnellement avec un Michel Barnier. Mais attention, pas question d’aller jusqu’à s’allier avec le PPE. C’est qu’on a des principes. Esther Benbassa, elle, « aurai[t] préféré une campagne avec des alliances, afin de préparer l’avenir ». Une prochaine fois peut-être.

C’est qu’il faut tenir compte de la réalité politique du Parlement européen : le modèle allemand gouverne. La porte-parole d’EELV Sandra Regol l’assure : « Pour faire avancer les dossiers, on fait passer le projet avant la posture. En France, on a du mal à comprendre que le Parlement européen fonctionne différemment. Ça ne veut pas dire qu’on y fait des "alliances". » Et Julien Bayou, porte-parole du parti lui aussi, de préciser : « Il n’y a pas de coalition envisageable pour une majorité avec les conservateurs ou les sociaux-démocrates. Mais on ne va pas refuser leurs votes sur nos combats. On appelle ça des majorités de projet. » Certes. Mais ce n’est pas tout à fait l’avis de Yves Contassot, ex-EELV, passé à Génération.s : « Ils sont en train d’adopter la ligne des Grünen [les écolos allemands, qui dirigent le groupe au Parlement européen, NDLR], qui permet des alliances sur le centre, pas sur la gauche ».

Ok. Mais alors, que se passera-t-il après les européennes, quand viendra le temps de la campagne des municipales ? « Ça va tanguer dans tous les sens », s’amuse Sergio Coronado. Car partout où EELV siège et/ou dirige, ils ne le peuvent que grâce aux soutiens du reste de la gauche. Pas de « ni droite, ni gauche » à cet échelon politique, il faut la jouer franc-jeu. Alors, David Cormand sort l’artillerie lourde : « On ne veut plus être les supplétifs d’appareils plus puissants. Mélenchon a préféré l’hégémonie, nous, on revendique le leadership. Les européennes sont une étape. » En effet, une fois le scrutin européen passé, il va y avoir un congrès des écologistes. Le parti devrait même « muter » vers une nouvelle forme. Pour Jérôme Gleizes, « en 2019, on va voir s’il y a une modification du positionnement d’EELV à gauche ». Même Esther Benbassa espère une « refonte, une gauche écologiste, ça aurait de la gueule ! »

D’ici là, LREM pourrait tout de même changer la donne en faisant grandement pencher la balance au centre. Là, au printemps 2020, peut-être verrons-nous finalement EELV imploser. C’est qu’à EELV, les seules tensions portent sur la stratégie, pas sur la ligne politique – ils sont tous d’accord ! Néanmois, il serait bon que cet unanimisme tranche enfin entre libéralisme, social-démocratie et gauche radicale. Et ce au nom de l’écologie !

Loïc Le Clerc

Notes

[1] Auteur d’Une histoire de l’écologie politique (La Tengo, 2019)

Publié le 21/03/2019

Europe : les impasses de Lordon

Par Roger Martelli (site regards.fr)

Le Monde diplomatique de mars 2019 publie un dossier sur l’Europe. L’article leader est confié à Frédéric Lordon qui, une fois de plus, plaide pour une rupture radicale avec le cadre institué de l’UE. Il assortit son argumentation d’une ébauche de stratégie pour y parvenir. Disons-le tout net : Lordon prétend «  sortir de l’impasse  »... pour se précipiter dans une autre.

Pour Frédéric Lordon, deux camps seulement sont face-à-face. D’un côté se trouvent les classes populaires, les grands perdants effectifs de la construction européenne : elles sont protégées des «  scrupules précieux de l’européisme  » et un «  Frexit  » ne leur ferait pas peur. De l’autre côté, ce que Lordon appelle, selon les moments, «  la classe éduquée  » ou «  la bourgeoisie éduquée de gauche  » (sic  !). Celle-là souffre d’un «  européisme génétique  »  ; c’est à cause d’elle que tout processus de sortie est bloqué.

Lordon, qui tient à cette sortie, sait qu’on ne quitte pas le marché unique et l’euro sans majorité pour le décider et donc sans raccord entre les «  populaires  » et les «  éduqués ». Il faut donc, nous dit-il, trouver ce qui peut faire passer la pilule amère du retrait à ceux qui n’en veulent pas. La solution qu’il suggère est toute simple : offrir à «  la bourgeoisie éduquée de gauche  » le miel d’une Europe de la culture maintenue et même renforcée.

Le premier problème, dans cette construction intellectuelle, est que la réalité ne met pas en présence deux camps, celui des «  europhobes  » et celui des «  europhiles  », ni même d’ailleurs celui des «  populaires  » et celui des «  éduqués  ». Il est vrai que la confiance à l’égard de l’Union augmente avec la longueur des études et l’importance des revenus. Mais si, à juste titre, les catégories populaires sont majoritairement méfiantes à l’égard de l’Union, elles ne se prononcent pas majoritairement pour un Frexit. En fait, les seuls à se prononcer nettement pour la sortie de l’UE sont les sympathisants de l’extrême droite. En revanche, seuls 30% des sondés, 25% des électeurs de feu le Front de gauche et 32% des électeurs Mélenchon d’avril 2017 sont pour la sortie. On ne savait pas la «  bourgeoisie éduquée  » si nombreuse. [1]

Au lieu de la division binaire, les sondages suggèrent plutôt que les «  europhobes  » et les «  europhiles  » convaincus ne sont que les minorités extrêmes d’une opinion qui oscille entre au moins trois attitudes : ceux qui pensent que l’Union a plus d’avantages que d’inconvénients, ceux qui pensent le contraire (chaque groupe est au-dessous de 40%) et ceux qui jugent qu’il y a autant d’avantages que d’inconvénients. À l’arrivée, l’opinion positive et l’opinion négative globales sont à égalité, mais la volonté de sortie est très minoritaire. Telle est la réalité : elle n’est pas et elle ne sera pas univoque, en tout cas pour longtemps.

Par ailleurs, Lordon nous propose de défaire l’édifice européen et d’en construire un autre, réservé à la culture. Mais avec qui  ? La Hongrie de Viktor Orban, l’Italie de Giuseppe Conte, l’Autriche de Sebastian Kurtz, la Pologne de « Droit et Justice »  ? Et, en admettant qu’elle soit souhaitable et possible, comment financer cette Europe-là  ? En augmentant le budget européen au-delà du seuil critique des 3% du PIB, nous dit l’article. Mais cela supposerait qu’il y ait un budget européen : on sortirait de l’Europe et de ses structures communes, mais en gardant un budget communautaire. Comment serait-il plus facile de construire demain, avec des majorités nationales éclatées et peu compatibles, ce qu’il est si difficile de réaliser aujourd’hui.

Le propre d’une stratégie politique n’est pas d’ignorer une contradiction, mais de la travailler. On ne le fait pas en invoquant un peuple fantasmé ou en pensant que l’on va convaincre les gogos en leur promettant la lune.

Penser le monde tel qu’il est

Factuellement, l’argumentaire de Frédéric Lordon a du mal à résister à l’examen d’une réalité politique et sociale plus contradictoire qu’il ne le suggère. Il y a pourtant plus que cela : la question du devenir de l’Union ne se pose pas dans n’importe quel contexte historique. Pour Lordon, l’ennemi numéro un est «  l’européisme abstrait  ». Faudrait-il pour autant lui préférer un «  nationalisme concret  »  ? Il fut certes un temps où l’on pouvait invoquer les mânes de la nation révolutionnaire et du patriotisme républicain, par exemple quand le fascisme en expansion rappelait ouvertement ses accointances avec la contre-révolution.

Mais ce temps-là n’est plus. Nous vivons dans un autre monde, celui des rapports de forces instables, des inégalités croissantes, des concurrences exacerbées, où la realpolitik du heurt des puissances – la méthode Trump – se substitue de plus en plus au jeu patient des diplomaties et des instances de régulation planétaires. Un monde, en outre, où l’obsession de l’identité et la peur «  de ne plus être chez soi  » poussent à la fermeture par crainte du «  grand remplacement  ». L’identité se substitue à l’égalité sur le terrain des représentations sociales. Sur celui des représentations politiques, l’affirmation de la puissance prend le pas sur le primat de la négociation. Enfin, l’exigence d’autorité recouvre peu à peu le désir d’implication démocratique. Les Français ne s’accordent pas sur l’Union européenne, mais quand on les sonde sur les mesures qu’ils attendraient de l’Europe, celles qui attirent le plus de réponses positives, toutes catégories sociales confondues, sont le renforcement des gardes-frontières et l’élection d’un Président de l’UE au suffrage universel  ! [2] Il n’y a pas à s’étonner si cette période se prête, un peu partout, à l’émergence d’options autoritaires et aux tentations du repli sur soi.

Alors que la nation était promise à la disparition progressive, il y a quelques décennies à peine, nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un monde que le politologue Bertrand Badie désigne justement comme «  néo-national  ». En soi, cela pourrait n’avoir rien d’inquiétant : tout esprit national n’implique pas sa perversion chauvine. Mais, précisément, l’air du temps est aussi à la dominante d’un véritable «  néo-nationalisme  », et pas seulement en Europe. Tout discours «  national  » s’enchâsse aujourd’hui dans cette dynamique, au risque d’être dévoré par elle. Lordon déteste le « mondialisme abstrait  »  ; mais jusqu’où peut conduire le «  nationalisme concret  » que l’on opposerait à lui  ?

Nation : une réalité à relativiser

Les pensées binaires aiment bien les alternatives simples : ou bien la nation est obsolète, ou bien elle est éternelle. Le problème est que les deux affirmations sont fausses isolément. La nation fait partie de ces «  communautés imaginées  » – elles sont à la fois fictives et concrètement agissantes – qui rendent supportable la violence propre aux sociétés de classes. Le territoire réunit horizontalement les êtres que la hiérarchie sociale sépare et oppose verticalement. Toute communauté imaginée, nation comprise, vaut parce que des êtres humains ont voulu qu’elle soit la leur. Elle dure tant qu’ils souhaitent et décident qu’elle reste la leur, jusqu’à ce que d’autres représentations leur permettent de se situer autrement dans l’espace et dans le temps. Nul ne peut donc décréter arbitrairement que le temps des nations est forclos ; en sens inverse, nul ne peut faire comme si la nation était vouée à la répétition et à l’immobilité.

Quand le fait national s’est imposé, le monde était une abstraction pour l’immense majorité des êtres humains. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La poussée des échanges, l’urbanisation galopante, les révolutions informationnelles, l’essor des communications instantanées et la diffusion massive des savoirs n’ont pas annulé les frontières, mais les ont relativisées. Les enjeux économiques, écologiques et culturels tissent désormais la trame d’une communauté de destin planétaire. L’espace-monde n’est plus seulement celui de «  l’inter-nations  », mais celui des interdépendances et de la «  mondialité  ». Que cette mondialité soit aujourd’hui recouverte et parasitée par la mondialisation financière et capitaliste est une chose  ; qu’il faille lui tourner le dos, au nom de ce constat, en est une autre.

Or l’interconnexion des espaces économiques et les problèmes globaux affectent la dynamique territorialisée propre à l’âge industriel. Les régulations «  avant tout nationales  » ont perdu l’évidence qui était naguère la leur. En fait, seuls les États-continents disposent de la concentration de puissance qui en fait des acteurs capables d’orienter le cours mondial. Tous les autres, sans exception, sont contraints de s’aligner plus ou moins, au mieux de surfer sur les contradictions entre puissances dominantes. Inventer des alliances d’États qui se substituent à celles rassemblant aujourd’hui les pays de l’Union européenne  ? Mais les expériences, lointaines ou plus récentes, montrent que ces alliances sont fragiles, si elles ne peuvent pas s’appuyer sur une cohérence partagée des modèles de développement. Or aucun modèle alternatif ne fait consensus face à celui, toujours dominant, du marché, de ses normes et de ses «  contraintes  ». Sur quoi fonder donc une nouvelle Union des nations dégagées des cadres communs européens  ?

Lordon a l’habitude de dire que la sortie de l’Union est d’autant plus nécessaire que c’est l’Europe communautaire qui a imposé le cours néolibéral de nos sociétés. Il sous-entend que cette sortie permettra de contester cette imposition. Je ne pense pas comme lui, et d’abord pour une raison historique : c’est parce que le mouvement ouvrier et les forces les plus démocratiques ont été nationalement battus, y compris en France, que la vague libérale a déferlé sur notre continent, et pas l’inverse. L’offensive néoconservatrice avait de solides bases nationales, qu’aucune configuration nationale des classes, aucune tradition démocratique, aucun dispositif local des gauches politiques n’a été en mesure de contrecarrer. Penser qu’il suffit de sortir du cadre de l’Union pour relancer la grande contestation sociale et dégager la nation du cadre ultralibéral est une illusion. D’une certaine manière, ce que propose Lordon relève d’un «  nationalisme abstrait  ».

Se couler dans les contextes nationaux pour pousser en avant les courants de l’émancipation, user des traditions et des opportunités de chaque État : voilà qui relève de l’évidence. Cela ne justifie pas la tentation d’un raccourci national. Seule la contestation de la logique dominante, dans tous les territoires, ouvre la voie à une issue de crise. Faire un préalable du retour à une mythique «  indépendance nationale  » : là se trouve la véritable impasse. Ce présumé retour pourrait bien n’être que le masque de bien lourdes dépendances à l’ordre social dominant. Un processus émancipateur est aujourd’hui voué à l’échec, s’il se pense comme «  avant tout national  ».

Un projet européen [3]

Contrairement à ce que suggère Lordon, «  l’opinion publique  » n’est pas si stupide en laissant entendre à la fois son scepticisme devant l’Union telle qu’elle est et son désir de perpétuer son existence.

  1. Dans un monde instable et incertain, où le heurt des puissances fait courir un risque mortifère à l’humanité, la convergence des peuples européens et la synergie de leurs forces sont plus nécessaires que jamais. Mais l’Europe doit aussi prendre la mesure de son expérience et déceler ce qui contredit absolument la réalisation d’une union solide : la généralisation du principe de concurrence qui accroît les inégalités  ; la «  gouvernance  » technocratique qui anémie la démocratie jusqu’à la contredire  ; l’obsession de l’identité qui fait de notre continent soit une Europe-forteresse, soit un agrégat d’États-nations désunis. L’utopie néolibérale, le fédéralisme technocratique et la realpolitik du rapport de force sont les pires ennemis de la construction d’une Europe dynamique et solidaire.
  2. Dans des contextes différents, la Grèce et le Royaume-Uni montrent la double impasse de l’alignement sur la doxa «  ordo-libérale  » et de la sortie pure et simple du cadre communautaire. Dégager l’Union des traités qui l’étouffent est un objectif raisonnable. Mais «  sortir des traités  », ce qui équivaut de fait à sortir de l’Union, est au mieux une astuce linguistique bien opaque et au pire une impasse politique. Dès lors, la solution la moins coûteuse est de maintenir le cadre communautaire, de préserver les cadres d’un débat démocratique continu sur ses normes et sur ses possibles évolutions et de légitimer les marges de manœuvre – y compris la désobéissance – des États qui s’estiment corsetés indûment par le respect strict des normes communes. Sans devenir un objectif en lui-même, le droit à l’écart ne peut être tenu pour une violation a priori répréhensible du pacte commun.
  3. La source de la crise européenne est dans le décalage qui existe entre une construction qui repose avant tout sur les gouvernements des États et des citoyens qui ont le sentiment légitime d’être dessaisis des choix fondamentaux. Cette situation est due à la fois aux carences démocratiques des institutions et à la faiblesse des mobilisations collectives proprement continentales. Les dynamiques européennes des mouvements critiques existent et peuvent être développées pour y remédier. En revanche, malgré l’existence de partis européens – dont le Parti de la gauche européenne –, la conscience politique reste quasi exclusivement construite sur des bases nationales séparées. L’avenir de l’Europe passera donc à la fois par l’ampleur des mobilisations progressistes nationales et par l’émergence de formes de conscience européenne combative, sur tous les sujets, économiques, sociaux, écologiques, démocratiques qui conditionnent le devenir de l’Union.
  4. Le recul des normes sociales, la crise du mouvement ouvrier et le désarroi démocratique sont à la base de tous les dérèglements, dans chaque État et sur le continent tout entier. C’est cet état de fait dangereux qui doit être renversé. Cela suppose, non pas le repli prioritaire sur les nations, mais l’articulation plus grande des projets démocratiques, à toutes les échelles de territoire sans exception. Nul projet national n’est viable s’il n’inclut pas une dimension européenne majeure et, en sens inverse, aucun projet européen n’est crédible s’il ne s’ancre pas dans les exigences sociales et démocratiques de chaque peuple. En matière de construction continentale, le sens du commun et le respect de la spécificité sont les deux dimensions inséparables de toute avancée. Faute de cette liaison, l’universel mal compris nourrit le nationalisme, tandis que l’exacerbation de la différence conduit au séparatisme et à l’affrontement des esprits nationaux.
  5. À court terme, tout projet européen conséquent à gauche doit donc articuler quatre niveaux : la définition d’un objectif progressiste européen de long terme, même si sa réalisation immédiate est impossible  ; l’exigence persistante d’une refonte des traités ; la mobilisation des leviers sociaux et politiques sans lesquels aucune refondation n’est possible, ni à l’échelon national ni dans le cadre communautaire  ; l’affirmation conjointe que l’on veut une mise en commun européenne et que l’on mettra en œuvre les décisions nationalement prises, quand bien même elles contrediraient la norme légalement retenue dans l’Union.

 

Roger Martelli

Notes

[1] Sondage Elabe, «  Les Français et l’Union européenne  », 9 mars 2017

[2] Sondage Elabe, mars 2017

[3] Des approches intéressantes à débattre dans l’ouvrage d’Attac et Copernic, Cette Europe malade du libéralisme. L’urgence de désobéir (Les Liens qui Libèrent, 2018), ainsi que dans le Manifeste pour la démocratisation de l’Europe, coordonné par Manon Bouju, Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte, Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste et Antoine Vauchez (http://tdem.eu). On peut lire aussi la réflexion de Yanis Varoufakis, dans le dossier du Diplo évoqué ci-dessus («  Pour un printemps électoral  », mars 2018)

 

Publié le 18/03/2019

 « Sur l’UE, Mélenchon ne fait plus référence à la stratégie "plan A, plan B" »

 

Entretien par Loïc Le Clerc (site regards.fr)

 

En réponse à Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon a écrit une tribune intitulée « Sortez des traités, stupides   ! » et publiée par Libération le 10 mars. Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic, nous aide à la décrypter.

Regards. Qu’avez-vous pensé de cette tribune ?

Pierre Khalfa [1]. Fondamentalement, c’est une très bonne tribune. Elle pointe l’essentiel des enjeux européens : rompre avec l’Europe néolibérale et antidémocratique dans la perspective d’une Europe solidaire, respectant les impératifs écologiques. Cette Europe nous entraîne dans une spirale sans fin de récession économique et sociale. On voit bien que les dirigeants européens pensaient retrouver un cycle de croissance avec leurs programmes économiques, or, on est à la veille d’une stagnation économique, ou pire, d’une nouvelle récession.

Qu’est-ce qui a évolué dans le discours de Jean-Luc Mélenchon sur l’Union européenne (et qu’est-ce qui n’a pas changé) ?

Ce qui m’a frappé, c’est l’absence à toute référence à la stratégie « plan A, plan B » qui faisait l’objet d’interprétations contradictoires. Là, les choses sont assez claires, il s’agit de rompre avec les traités européens dans la perspective d’une refondation, d’une bifurcation dans la construction européenne.

Jean-Luc Mélenchon écrit que le « préalable » à toute autre politique européenne est la sortie « des traités qui organisent l’UE ». Est-ce possible sans quitter l’UE ?

Oui, c’est tout à fait possible. On peut désobéir à l’UE et aux traités. On peut aussi obtenir, dans le cadre de négociations, des dérogations par rapport à l’application des traités. Le Royaume-Uni a bien exigé de ne pas être soumis aux quelques petites règles sociales de l’UE. Il faut mettre en oeuvre un programme de rupture avec le néolibéralisme ce qui suppose créer un rapport de force avec les institutions européennes. Mais lorsqu’on engage un bras de fer, on ne peut pas en prévoir l’issue. Quitter l’UE ne peut pas être un préalable, ni un objectif, mais ça peut être une conséquence d’une bataille politique à un moment donné.

« Jean-Luc Mélenchon sous-estime l’expansionnisme russe. La Russie fait peser une menace sur les libertés démocratiques de ses voisins. »

Que penser des affirmations : « La peur des Russes est absurde  ! Ce sont des partenaires naturels. » et « il est possible de commencer un nouvel âge de la civilisation humaine. On le peut ici sur le continent le plus riche, le plus instruit. S’il assume un protectionnisme négocié avec le monde, il fera de telles normes humanistes une nouvelle ligne d’horizon commun pour des milliards d’êtres humains. » ?

Jean-Luc Mélenchon sous-estime l’expansionnisme et le nationalisme russe. La Russie, qui n’est pas aujourd’hui un Etat démocratique, fait peser une menace sur les libertés démocratiques de ses voisins. Évidemment, la Russie est un « partenaire », mais les Etats-Unis aussi et ça n’empêche pas de dénoncer l’impérialisme américain. On ne peut pas dire aujourd’hui que la Russie, tant en Europe qu’au niveau mondial, joue un rôle positif dans les rapports entre les nations.

Sur le protectionnisme, il y a là une vieille divergence. La mise en place de mesures protectionnistes aggraverait sensiblement la guerre commerciale entre les nations, car les pays qui y seraient confrontés mettraient en place des mesures de rétorsions et feraient payer d’une manière ou d’une autre aux salariés le différentiel de compétitivité ainsi créé. De plus, protéger, par exemple, les entreprises françaises des importations issues des pays à bas coût ne garantira en rien que la situation de leurs salariés s’améliorera. La déflation salariale et le chômage de masse n’ont pas attendu le développement du libre-échange mondialisé pour s’imposer et les délocalisations ne sont pas la principale cause du développement du chômage en France. Il faut sortir du dilemme entre protectionnisme et libre-échangisme avec, par exemple, des mesures comme des taxes sur la distance de transport des marchandises – au nom des coûts écologiques de transport – ou interdire l’importation de produits issus de processus de fabrication nocifs pour la santé.

Propos recueillis par Loïc Le Clerc

Notes

[1] Co-auteur du livre Cette Europe malade du néolibéralisme. L’urgence de désobéir. Editions Les liens qui libèrent, à paraître le 20 mars.

 

Publié le 02/03/2019

Européennes : qui seront les losers de la gauche ?

(site regards.fr)

La gauche française, combien de divisions ? Cinq, six, sept, huit listes ? À trois mois du scrutin européen, une seule chose est sûre : la gauche est dans un piètre état.

Il y en a eu des mains tendues pour ces élections européennes ! Pour prendre, jamais pour se faire prendre. Résultat des courses, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les électeurs de gauche pourraient avoir à choisir, le 26 mai prochain, entre Lutte ouvrière, le NPA, La France insoumise, le PCF, Génération.s, Place publique, EELV ou le Parti socialiste. Sept partis de gauche, auxquels pourrait s’ajouter une liste "gilets jaunes", voire plusieurs…

Le pire dans tout cela, ça n’est pas tant l’embarras du choix que les perspectives quasi-nulles de voir une de ces listes dépasser les 10%. Seuls LFI et EELV semblent en mesure de challenger le leadership de la gauche. Mais pour quoi faire ? Être majoritaire parmi les minoritaires ? Certes, les sondages ne font pas une élection, mais la dynamique du "chacun pour soi" n’augure rien de très réjouissant.

Un pour tous, mais pas tous pour un

Pour le moment, les tractations sont toujours en cours, qu’il s’agisse des négociations entre partis pour d’éventuelles alliances, ou ne serait-ce que pour se choisir une tête de liste. Manon Aubry mène la liste La France insoumise, Ian Brossat celle du PCF, Nathalie Arthaud pour Lutte ouvrière, Yannick Jadot EELV et Benoît Hamon Génération.s. Le NPA est toujours en train de récolter des fonds pour financer sa campagne, mais sa présence aux européennes demeure hypothétique.

Au sein de ce peloton-là, les stratégies divergent. Quand EELV (qui se sent pousser des ailes comme à chaque élection européenne où les scores des Verts sont plutôt supérieurs à ce qu’ils font aux autres élections) et LFI (toujours arc-boutée sur le score de son leader aux dernières présidentielles) ont décidé clairement et depuis longtemps qu’ils ne voulaient aucune alliance, il n’en va pas de même pour les autres : Benoît Hamon n’a eu de cesse de vouloir tisser une alliance avec le PCF qui n’a, de son côté, eu de cesse de refuser la main tendue – alors même qu’il risque de rester sous la barre fatidique des 5%, et donc de n’avoir aucun élu.

Seulement, le PCF doit affronter une crise identitaire interne qui le mure dans une nécessaire impasse : d’un côté, il aimerait pouvoir faire des alliances de raison, basées sur une feuille de route commune avec ses partenaires traditionnels, d’un autre il y a eu un congrès en octobre dernier qui a vu la victoire de la ligne "on-se-présente-tout-seul-aux-élections-parce-que-c’est-à-cause-de-ça-qu’on-a-disparu". Alors Benoît Hamon a beau proposer toutes sortes de têtes de liste issues de la société civile, rien n’y fait. Le deal des communistes est clair : c’est tous derrière Ian Brossat ou rien.

Les limites de la méthode Coué

Reste alors Place publique et le PS. Olivier Faure, le patron des socialistes, est dans la mélasse. Personne ne veut prendre les commandes du Titanic. Ségolène Royal a refusé le poste. Des noms circulent – donc celui du secrétaire national –, mais pas de quoi renverser la table. Le PS pourrait finir par opter pour un eurodéputé sortant. En parallèle de ce dilemme, les sociaux-démocrates seraient sur le point de trouver un accord pour unir leurs "forces". Une alliance qui pourrait alors être emmenée par Olivier Faure ou Raphaël Glucksmann. Ce dernier n’aura donc pas réussi à convaincre la "gauche pro-européenne" à proposer une alternative crédible face à LFI.

De son côté, Benoît Hamon a dévoilé mardi 26 février les 30 premiers noms de sa liste aux européennes. Et il veut y croire : #Hopeisback (l’espoir est de retour, NDLR) était même le hashtag de la soirée d’hier. Mais ça reste qu’un hashtag.

La seule chose, finalement, qui rassemble tous ces partis de gauche, c’est leur unanimisme à déclarer : "Oui à l’union, mais derrière moi". Logique pour un scrutin à la proportionnelle. Mais, pour rappel, il faut réunir au moins 5% des suffrages pour commencer à obtenir des sièges au Parlement européen, et 3% pour être remboursé. Pas de quoi enchanter les électeurs.

 

Loïc Le Clerc & Pablo Pillaud-Vivien

 

Publié le 11/11/2018

FI entre officiellement en campagne avec ses nouveaux alliés

Julia Hamlaoui (site l’humanité.fr)

 

Les anciens de l’aile gauche socialiste ont officialisé ce mardi leur ralliement à la France insoumise pour les élections européennes de mai prochain.

Cette fois c’est pour de bon. Après, le parti des anciens de l’aile gauche du PS Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann, a tenu une conférence de presse commune ce mardi avec la France insoumise pour annoncer officiellement leur entrée dans une campagne commune en vue des européennes de mai prochain.

 

Déjà il y a 2 semaines, le leader de la FI et le fondateur d’Après avaient réuni la presse au parlement européen avec le même objectif. «L’idée est qu’on présente ensemble (avec les anciens de l’aile gauche du PS - NDLR) une liste aux élections européennes » mais cette « construction commune » se fera «dans le cadre du label France insoumise», avait alors déclaré Jean-Luc Mélenchon. « C'est une hypothèse envisagée et envisageable »,  temporisait pour sa part Emmanuel Maurel.

 

Plus de précaution verbale ce mardi. Après une ultime réunion en matinée, la campagne électorale autour d’une liste commune est désormais lancée. « Plus que la déploration sur une gauche qui serait en morceau ce que nous essayons de construire c’est une culture de l’action », s’est enthousiasmé Emmanuel Maurel soulignant les « convergences » de sa formation avec les vues de la France insoumise notamment en matière de stratégie européenne. « S’il y a une question sur laquelle nous avons un total accord, c’est celle-là » a répondu le député européen interrogé sur la stratégie plan A/plan B de FI. Après et le MRC participeront aux prochaines initiatives de campagne de FI : le meeting de Jean-Luc Mélenchon à Pau ce jeudi où l’insoumis partagera la tribune avec Emmanuel Maurel ; le lancement des comités d’appui à la liste insoumise pour les européennes le 14 novembre prochain ; ou encore des rassemblements citoyens les 24 et 25 novembre contre la privatisation des barrages hydro-électriques (« une des préconisations de la commission européenne », souligne Maurel pour faire le lien avec l’élection).

 

Mais leur alliance n’a pas vocation à prendre fin au lendemain du scrutin européen, l’élection présidentielle est déjà dans le viseur de ses initiateurs. « La liste européenne n’est qu’une première étape », a souligné l’ancien socialiste évoquant « la bataille centrale de 2022 » et une volonté commune d’ « accéder aux responsabilités » à cette occasion.

Publié le 26/07/2018

Européennes La France insoumise valide ses listes

Mathilde Picard (site l’humanité.fr)

Les résultats de la consultation des adhérents du mouvement sur les listes pour les élections de mai 2019 ont été rendus publics samedi. Les votants les ont approuvés.

La France insoumise a voté pour déterminer les candidats qu’elle présentera aux élections européennes de mai 2019. Dans son rapport du 30 juin, le comité électoral du parti a fixé la liste paritaire des 66 candidats retenus, après avoir reçu 637 candidatures. Une consultation a ensuite été ouverte du 4 au 20 juillet pour que les militants insoumis approuvent ou refusent le rapport. Sur le papier, c’est sans appel : le 21 juillet, 86,97 % des votants ont approuvé le rapport, contre 13,03 % qui le contestent. Mais ce fort taux d’adhésion est contredit par une abstention élevée (95 %).

 

Dès les résultats connus, le conseiller régional d’Occitanie Liêm Hoang-Ngoc, « socialiste insoumis », relève que, sur 580 000 militants revendiqués, seuls 33 000 ont voté. L’économiste voit là « un désaveu massif et puissant qui a été exprimé par les militants pour la composition de la liste européenne contestée », et ajoute, dans un communiqué publié sur son compte Facebook : « La direction du mouvement doit entendre la clarté de ce message et revoir sa copie d’urgence. » Il avait suspendu sa candidature FI aux élections européennes du fait de « sa mise à l’écart », ne figurant qu’en huitième position. Olivier Spinelli, ancien candidat FI aux élections législatives dans la 5e circonscription de la Somme, dénonce quant à lui un mode de scrutin qui manque de transparence, notamment à cause du mode de dépouillement numérique. Il mentionne, dans une lettre publiée par Liêm Hoang-Ngoc, un « scrutin dépouillé numériquement par on ne sait qui ni comment, aucune indication sur ces données élémentaires n’étant mentionnée sur la plateforme ». Il souligne que les militants ont voté pour une liste à laquelle il manque plus de dix noms, et que le vote blanc n’était pas autorisé, alors que la France insoumise revendique sa reconnaissance.

 

Le comité électoral a pourtant tenté de répondre à ces critiques dans son rapport du 30 juin. Il met notamment en avant « une méthode d’élaboration de la liste totalement innovante, en rupture avec les mécanismes des organisations politiques traditionnelles ». Celle-ci consistait à préparer une liste de 70 candidats, puis à écouter les remarques des militants insoumis à son propos, avant de fixer des listes ordonnées : 848 contributions des insoumis et insoumises ont été prises en compte pour faire de cette élaboration un processus « très exigeant », estime la FI, « loin d’être dans l’entre-soi ». Le rapport rappelle également que les 13 noms encore absents de la liste des candidats sont réservés à des candidatures ouvertes qui seront étudiées par le comité électoral.

 

Une représentation  de « la diversité sociale et des luttes de notre pays»

 

D’après le rapport, les candidats ont été choisis en vue de représenter « la diversité sociale et des luttes de notre pays au travers de leurs engagements associatifs, syndicaux ou politiques ». Apparaissent en tête des proches de Jean-Luc Mélenchon comme Charlotte Girard, responsable du programme de la FI, son coordinateur Manuel Bompard, Benoît Schneckenburger, philosophe-garde du corps de Mélenchon, Leïla Chaibi, militante associative et secrétaire nationale du Parti de gauche (PG), Gabriel Amard, également issu du PG, Younous Omarjee (seul député européen FI, il remet son mandat en jeu), ou Farida Amrani, ex-candidate aux législatives battue par Manuel Valls. Quant aux « luttes », elles sont imagées par la présence d’Anne-Sophie Pelletier, salariée d’un Ehpad et syndicaliste, Bernard Borgialli, un des leaders de la grève des cheminots à Marseille, ou la militante associative (ex-NPA) Laurence Lyonnais. 

 

 

Mathilde Picard

Publié le 18/07/2018

Jadot désigné tête de liste d'EELV pour les européennes

 Par Agence Reuters (site mediapart.fr)

Les militants Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ont désigné le député européen Yannick Jadot comme tête de liste pour les élections européennes de mai 2019, a-t-on appris lundi auprès du parti.

 PARIS (Reuters) - Les militants Europe Ecologie-Les Verts (EELV) ont désigné le député européen Yannick Jadot comme tête de liste pour les élections européennes de mai 2019, a-t-on appris lundi auprès du parti.

Gagnant avec 58,7% des voix, il était opposé à l'eurodéputée Michèle Rivasi (35,6%), désormais deuxième sur la liste qui comporte 16 noms au total.

La liste EELV "sera ouverte à tous les acteurs et actrices de l'écologie de la société civile et aux mouvements politiques s’affirmant écologistes, régionalistes, afin d’essayer de composer une liste de rassemblement, pour refonder une Europe écologiste, solidaire et fédérale", peut-on lire dans un communiqué.

Yannick Jadot et Michèle Rivasi s'étaient déjà affrontés au deuxième tour de la primaire EELV de novembre 2016 pour l'élection présidentielle du printemps suivant.

Le vainqueur, Yannick Jadot, s'était désisté en faveur de Benoît Hamon, candidat socialiste dans la course à l'Elysée. Battu au premier tour, ce dernier a ensuite quitté le PS pour créer son propre mouvement, Génération.s.

Un éventuel rapprochement entre EELV et Génération.s en vue des élections européennes sera au menu des Journées d'été d'EELV prévues à Strasbourg du 23 au 25 août.

 

Publié le 09/07/2018

Le Parti de gauche quitte le Parti de la gauche européenne

Site politis.fr

Réunis en congrès ce week-end, le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon ne veut plus appartenir au même parti européen qu’Alexis Tsipras, devenu le représentant de la ligne austéritaire en Grèce.

Au dernier jour de leur congrès, les délégués du Parti de gauche (PG) ont acté leur sortie du Parti de la gauche européenne (PGE) dans une déclaration approuvée dimanche par 208 voix contre 2 et 3 abstentions. Moins connu que le Parti populaire européen (PPE) ou le Parti socialiste européen (PSE), le PGE (ou European Left) est, au même titre qu’eux, un parti politique européen. Créé en 2003, il regroupe une trentaine de partis communistes, « rouge-vert », socialistes ou démocratiques de gauche, de 17 États membres de l’Union européenne et 4 pays hors de celle-ci. Le PG, apparu fin 2008, avait rejoint formellement le PGE en décembre 2010 à son troisième congrès, date à laquelle le communiste Pierre Laurent en avait pris la présidence.

À lire > Les gauches antilibérales se fédèrent

À l’issue du congrès suivant, fin 2013, le PG avait temporairement suspendu sa participation au PGE pour protester contre la reconduction à la tête de ce parti européen de Pierre Laurent, alors que ce dernier faisait campagne « derrière le PS » aux municipales à Paris. Avant de le réintégrer pour la campagne européenne de 2014 dont le candidat du PGE à la présidence de la Commission européenne était… Alexis Tsipras.

La déclaration adopté dimanche rappelle que « le PG a interpellé l’exécutif du PGE sur le maintien de Syriza au sein du PGE ». Sans succès. Le PG a donc pris acte du refus de sa demande et prends acte du refus de sa demande et acté sa sortie du PGE, considérant que « la période appelle plus que jamais à la clarification face à la politique austéritaire de l’UE » et que « toute application de cette politique par un parti membre du PGE déconsidère toute prise de position anti austéritaire des autres partis membres » tout en permettant « à l’extrême droite d’apparaître comme la seule issue au "système" ».

Illustrant lui-même l’ambiguïté qui lui est reprochée, le Premier ministre grec et leader de Syriza a fait part le 28 juin, dans un tweet, de sa participation à Bruxelles à la rencontre des leaders du Parti socialiste européen (PSE) préparatoire au Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. Une réunion à laquelle participait également Olivier Faure, premier secrétaire du PS français, ainsi que Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Fiscalité et Douanes, et à ce titre un des bourreaux de la Grèce.

Un divorce devenu inéluctable

« À un an des élections européennes, il n’est plus possible de mêler dans le même parti européen des adversaires et des artisans de l’austérité », estime le PG dans sa déclaration. « Syriza est devenu le représentant de la ligne austéritaire en Grèce au point d’avoir attaqué le droit de grève, fait baisser drastiquement les pensions de retraite, privatisé des secteurs entiers de l’économie ; toutes mesures contre lesquelles nos partis se battent dans chacun de nos pays. »

La décision du PG de quitter le PGE était devenue inéluctable depuis le lancement par Jean-Luc Mélenchon et ses amis, à l’automne 2015, des sommets du plan B auxquels les partis communistes membres du PGE, à commencer par le PCF, n’ont jamais accepté de participer. Les contacts noués lors de ces sommets ont permis à la France insoumise, au sein de laquelle le PG est totalement engagé, de nouer des alliances avec d’autres partis européens autour d’une plateforme commune, « Maintenant le peuple ! ».

Constitué autour de la France insoumise, de Podemos (Espagne) et du Bloco de Izquierda (Portugal) sur la base de la sortie des traités européens, ce groupe, qui ambitionne de constituer un groupe l’an prochain au Parlement européen, a été rejoint le 27 juin par l’Alliance rouge-verte (Danemark), le Parti de gauche (Suède) et l’Alliance de gauche (Finlande). Ce lundi, alors que le PCF a invité les représentants de la gauche à se réunir en vue de la construction d'une liste aux élections européennes « la plus large possible », Jean-Luc Mélenchon tient une réunion publique à Madrid avec le leader de Podemos, Pablo Iglesias.


 

par Michel Soudais

Publié le 08/07/2018

Jean-Luc Mélenchon: «L’Europe est engagée dans une catastrophe»

 Par Lénaïg Bredoux et Pauline Graulle (site médiapart.fr)

À un an des élections européennes, et alors qu’il s’est lancé dans une tournée pour rencontrer des représentants de la gauche européenne et internationale, le leader de La France insoumise revient pour Mediapart sur sa stratégie. Il entend constituer une force mondialisée qui pourrait rivaliser avec le néolibéralisme.

Jean-Luc Mélenchon veut multiplier les alliances. Ce lundi 2 juillet, le leader de La France insoumise se rendait à Madrid pour une conférence, puis un meeting commun avec son homologue de Podemos, Pablo Iglesias. La semaine dernière (le 27 juin), il retrouvait au Parlement européen, à Bruxelles, des responsables de partis de gauche finlandais, suédois et danois afin d’élargir le mouvement « Et maintenant le peuple », créé le 12 avril avec Catarina Martins, responsable du « Bloco » portugais, et Pablo Iglesias.

Le 29 mai, toujours à Bruxelles, le député de Marseille allait célébrer le 13e anniversaire du « non » au référendum du Traité constitutionnel européen en compagnie de camarades italiens, allemands, portugais, espagnols ou grecs. Le 9 mai, il s’était envolé vers la Russie pour aller soutenir le leader du front de gauche russe, Sergueï Oudaltsov. En juillet, il devrait se rendre au Mexique, puis au Maghreb. À l’automne, il prendra la direction de l’Amérique du Nord où il rendra visite à Gabriel Nadeau-Dubois, l’ancien porte-parole étudiant devenu l’incarnation du renouvellement de la gauche québécoise…

À un an des élections européennes, le leader de La France insoumise affûte sa stratégie à l’international. Il l’a répété ce matin lors d’une conférence de presse qu’il a tenue en espagnol aux côtés de Pablo Iglesias, son partenaire européen le plus proche : la stratégie d’alliance européenne est la première pierre d’une alliance mondialisée. À terme, il espère voir naître un « club », lieu d’échanges où pourraient se retrouver les représentants de l’alternative au néolibéralisme.

En fin de semaine dernière, Jean-Luc Mélenchon nous recevait dans son bureau de l’Assemblée nationale pour faire le point sur les évolutions de la politique en Europe et à l’international. Il est revenu longuement sur sa stratégie de co-construction d’une force mondialisée pour tenir tête à un libéralisme qu’il juge mortifère, mais aussi sur ses positions concernant les migrants bloqués en Méditerranée ou les élections au Mexique où, pour la première fois, la gauche l’a emporté dimanche.

Jean-Luc Mélenchon et Charlotte Girard, pressentie pour conduire la liste de La France insoumise aux européennes de 2019, le 21 novembre 2017. © REUTERS/Philippe Wojazer

À un an des européennes, vous venez d’élargir votre coalition avec le Bloco portugais et les Espagnols de Podemos à de nouveaux partis de l’Europe du Nord (l’Alliance rouge-verte au Danemark, le Parti de gauche suédois et l’Alliance de gauche en Finlande). Quel est le sens politique de cette initiative ?

Jean-Luc Mélenchon : Elle est indispensable pour l’Histoire. Nous sommes dans une phase où la politique libérale a produit un monstre : en Europe, l’essentiel de la réplique à la politique néolibérale se fait aujourd’hui du côté de l’extrême droite, contrairement à l’Amérique latine où le souffle du volcan est allé de notre côté. En Europe, aujourd’hui, la vermine est partout. En France même, madame Le Pen a fait 10 millions de voix à la présidentielle, et elle a encore progressé entre les deux tours… Les Républicains et, sur certains points, Macron lui courent derrière.

Et l’Italie a un gouvernement d’extrême droite, comme la Hongrie ou l’Autriche…

Et la Pologne ! Le problème, c’est que l’émergence de l’extrême droite est directement liée à la politique socialement destructrice des libéraux et au machiavélisme des eurolâtres avec leur chantage permanent : « C’est nous ou l’extrême droite. » Sans compter l’absence d’une alternative politique humaniste crédible dans tous les pays. C’est pourquoi je milite pour ce « nouvel humanisme » – c’est-à-dire, pour le dire vite, la vocation des êtres humains à s’intégrer harmonieusement dans la société par l’égalité, et avec la nature et les animaux par l’écologie. C’est cet intérêt général humain qu’il faut opposer aux racistes et aux productivistes. La gauche, en France, s’est suicidée. C’est à nous [La France insoumise – ndlr] d’avancer, nous n’avons pas le choix, c’est notre responsabilité historique : il faut qu’existe coûte que coûte ce pôle humaniste en Europe. Et tout est à faire. Quand je pense à l’Italie, je me souviens de l’imagination, de l’inventivité, de l’enracinement du parti communiste italien. Tout cela a été détruit de manière sidérante. Il faut donc qu’on reprenne pied à toute vitesse, là, et dans nombre de pays. D’où cette coalition à l’échelle européenne qui amorce un point de rassemblement nouveau dans le paysage.

Comment voulez-vous mener cette « bataille culturelle », alors que c’est bien l’extrême droite qui a le vent en poupe ?

Certes, nous avançons dans des conditions effroyables. Notre adversaire n’est pas seulement idéologique, mais anthropologique, sociologique. Partout, le libéralisme a diffusé le venin de la fin des solidarités, de la compétition de chacun contre tous, l’accoutumance à la précarité et à la souffrance du vivant… Il faut donc affronter ce monde comme un tout, car il sape les fondamentaux de ce que nous sommes et de la civilisation humaine menacée de disparition. Depuis le début, je sais qu’il s’agit là d’un défi tragique. L’Europe est engagée dans une catastrophe de première grandeur et rien ne semble pouvoir l’empêcher. Le nouvel humanisme a donc besoin de gagner rapidement dans au moins un pays. Le nôtre allumerait un brasier mondial. Mais il faut entreprendre cette bataille, tout en sachant que la société qui nous intéresse, les fameux « 99 % », n’est pas une masse homogène.

Que voulez-vous dire ?

Nous devons bien sûr mobiliser les classes populaires, mais ne pas oublier ou repousser les classes moyennes supérieures « sachantes ». Or celles-ci ont horreur des décibels, alors que le cœur de notre stratégie, c’est la conflictualité, car sans conflictualité, pas de conscience. Il faut pourtant aller les chercher, ces « petits bourgeois gentilshommes », faire le pari de leur intelligence et de leur culture. Nous avons besoin d’eux, les ingénieurs, les architectes, les professeurs. Ils sont centraux pour porter l’avenir et notamment la transition écologique.

Notre combat a pris un sale coup il y a trois ans. Je me souviens très bien quelle fête on avait faite, parce que les Grecs venaient de voter « non » au référendum [sur l’acceptation ou non du plan d’austérité proposé par la Troïka – ndlr]. Pour nous, le scénario latino était en marche : la chaîne avait enfin craqué en Europe, un peuple éduqué par cinq mois de bataille politique au pouvoir avait résisté. C’était l’apothéose. Huit jours plus tard, avec l’annonce par Alexis Tsipras [le premier ministre grec – ndlr] qu’il signait quand même l’accord avec l’Union européenne, notre plan international s’est effondré, tué de l’intérieur. La décision de Tsipras nous a pris à revers, elle nous a cloués. On s’est entendu dire : « Ce que fait Tsipras montre que vous ne savez que faire les malins, car quand vous arrivez au pouvoir, vous pliez. »

Trois ans plus tard, Alexis Tsipras est toujours au pouvoir et il vous reproche de vous cantonner à une « posture révolutionnaire ». Nul autre pays européen n’a vu la gauche triompher aux élections. Qu’est-ce qui vous fait croire que votre stratégie européenne va fonctionner, cette fois ?

Tsipras ne gouverne pas. Il exécute le plan de la Troïka. Son pays est ruiné, la dette est plus importante qu’au départ, les libertés ont reculé. Ses reproches sont donc des aigreurs. On se passe de lui. Notre score de quasi 20 % à l’élection présidentielle a été un coup de tonnerre. L’expérience du mouvement de La France insoumise est désormais un modèle, comme le confirme l’interview de Sahra Wagenknecht dans vos colonnes. Une nouvelle séquence politique commence.

Il y avait eu Podemos, avant La France insoumise !

Bien sûr ! Ce fut un modèle de bien des façons. Podemos a essuyé les plâtres de ce deuxième temps « mouvementiste » de la gauche radicale, comme on nous appelle parfois – mais je n’aime pas ce mot. Notre campagne présidentielle a permis d’aller encore plus loin sur les plans théorique et pratique. On nous observe du monde entier. On est loin du temps où nous étions considérés comme les intransigeants, réunis autour d’un type un peu bizarre, qui ne veut parler avec personne – bref, toutes ces salades que l’on entend encore en France et qui se propageaient ailleurs. Nous avons fait la preuve que nous pouvions dépasser les sociaux-démocrates, dans la proportion de un à trois, ce qui était une première en Europe, la Grèce mise à part. Et ce résultat nous a rendus suffisamment forts pour construire un dialogue fécond avec Podemos et le Bloco.

Mais n’est-il pas obsolète ? Votre plan B, soit la possibilité de sortir de l’Union européenne en cas de désaccord, était une réponse politique à la crise grecque et à l’absence d’espoir dans une partie de la gauche…

Il est vrai que depuis la création du Forum du Plan B, il y a eu de nombreux changements : la social-démocratie a été battue en France ; le cœur de la social-démocratie européenne, le SPD allemand, est en train de s’effondrer après avoir choisi de rebâtir une coalition avec Angela Merkel ; en Europe du Nord, la social-démocratie est malade de son incapacité à avoir un partenaire patronal indépendant de la finance mondiale et de la pression allemande.

Parallèlement, la construction européenne est entrée dans une impasse irréversible : d’abord, parce que tout reposait jusqu’ici sur le fait que la France et l’Allemagne étaient interdépendantes. Aujourd’hui, la moitié du commerce extérieur de l’Allemagne se fait avec la Chine. Quant à Emmanuel Macron, il a échoué à apporter la moindre réponse à la crise européenne. Dix pays d’Europe du Nord et de l’Est se sont ligués contre ses propositions. Il n’a aucune autorité vis-à-vis de l’Europe de l’Est. Sa reprise des idées du PS sur le budget et le Parlement de la zone euro sont mortes dans les mains d’Angela Merkel. Glyphosates, travailleurs détachés, pacte social européen… il a tout raté !
Enfin, nous assistons à l’effondrement moral de l’Union européenne : la question de la migration. Après avoir laissé se développer une guerre économique entre les pays au sein même de l’UE, après avoir choisi de devenir une Europe de la défense et donc de la guerre, l’Europe finit par laisser mourir les gens en Méditerranée, qui sont aussi les réfugiés de ses guerres et de sa politique économique. Cet effondrement moral est au moins aussi important que la dislocation économique et l’écroulement de l’idée d’une Europe de la paix.

« Notre avenir est en Méditerranée »

Justement, sur la question migratoire, au moment de la crise de l’Aquarius, vous avez signé un communiqué des députés de La France insoumise et dénoncé la position de la France. Mais vous n’avez fait aucun commentaire sur votre blog, où vous développez l’actualité politique que vous jugez saillante. Pourquoi ce choix de ne pas entrer dans le débat ?

Je vous renvoie à la minute de silence de mon meeting de Marseille [pendant la campagne présidentielle de 2017 – ndlr], à nos interventions sur la loi asile immigration, à nos visites dans les camps de rétention, à notre soutien sans faille à ceux qui se sont engagés dans le combat, à mes passages dans les médias et à ma revue de la semaine, publiée avant-hier sur le sujet. Entrer dans ce débat, oui, mais s’y laisser enfermer par la droite et l’extrême droite, non. C’est la droite et l’extrême droite qui veulent faire de cette question l’alpha et l’oméga du débat politique. Que voulez-vous dire de plus, à part qu’il faut tout faire pour que les gens ne partent pas de chez eux et que, quand ils sont là, il faut les accueillir et s’en occuper dignement ? Je le répète depuis trois ans. Les mises en demeure d’en rajouter sont totalement contre-productives.

Que signifie pour vous « s’en occuper » ? Êtes-vous par exemple pour des régularisations massives ?

Il y a beaucoup de personnes à régulariser. Notamment les salariés sans papiers. Et ceux qui relèvent du droit d’asile. Et les réfugiés économiques des guerres et des politiques commerciales de l’Union européenne. Mais je veux dire tout aussi clairement que je n’ai jamais été pour la liberté d’installation, une idée qui ne vient pas de nos rangs dans l’Histoire. Ma position personnelle est assez traditionnelle dans notre famille idéologique. Jaurès a bien montré comment on utilisait la main-d’œuvre importée à bas prix contre les conquêtes sociales, et pourquoi il fallait garantir à tous les travailleurs les mêmes droits. De plus, on ne peut imaginer de « protectionnisme solidaire », comme le prévoit notre programme, sans frontières. Les frontières sont, dans mon esprit, des points d’appui pour notre projet. Je suis internationaliste et altermondialiste. Pas libre-échangiste et mondialiste.

Jean-Luc Mélenchon et le leader de Podemos, lundi 2 juillet, à Madrid. © Compte Twitter de Podemos.

Mais vous parlez de « responsabilité historique » face à « l’effondrement » de l’Europe. Pour vous, la question migratoire n’en fait pas partie ? N’êtes-vous pas « responsable » de mener la bataille culturelle sur ce sujet ?

Nous n’y avons jamais manqué ! Mais il ne faut pas se laisser entraîner là où l’extrême droite veut nous amener : c’est-à-dire nous faire dire que si l’on accepte un bateau, il faut accepter tout le monde. Il faut sortir du cadre imposé par l’extrême droite, pour que vienne l’heure de construire des ponts avec les pays de la Méditerranée. La vérité, c’est que nous sommes, nous Français, plus proches des Tunisiens, des Marocains ou des Algériens que des Lettons ou des Estoniens. Notre avenir est en Méditerranée et en francophonie. L’Europe allemande n’est pas notre destin.

Pour revenir à l’Europe : quelles sont les prochaines étapes de la construction de votre coalition ?

Deux discussions très approfondies sont en cours. Avec le PS hollandais d’un côté et le Sinn Féin en Irlande de l’autre. Ce sont des partis constitués, qui font plus de 10 % des voix aux élections. Nous avons également des contacts en Grèce avec le parti de Zoé Konstantopoúlou [ex-proche de Tsipras en rupture de ban – ndlr] et en Italie avec Potere al Popolo, Stefano Fassina [ancien ministre du gouvernement Letta, qui a quitté le Parti démocrate italien pour fonder Gauche italienne – ndlr] et sans doute le maire de Naples.

Discutez-vous avec le leader du parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn ?

Nous avons des contacts. Mais avec Corbyn, je préfère « laisser retomber la poussière ». Je veux y voir clair. Le Labour est membre de l’Internationale socialiste… Et je ne comprends pas pourquoi les travaillistes ne parviennent pas à se positionner sur le Brexit.

À plus long terme, vous visez aussi la construction d’un « club mondial »… Quel regard portez-vous sur la victoire d’AMLO au Mexique, après une série de défaites de la gauche en Amérique du Sud et la dérive autoritaire de plusieurs pays comme le Venezuela et l’Équateur dont vous étiez proche ?

Il n’y a pas de dérive autoritaire au Venezuela, mais une lutte rendue explosive par les États-Unis et l’extrême droite locale. En Équateur, je désapprouve formellement la politique de coup de force judiciaire de la présidence. Je condamne aussi la dérive de la Colombie contre les accords de paix et la politique des assassinats ciblés. Je dénonce celle du Brésil contre la gauche et Lula aujourd’hui emprisonné. L’élection d’AMLO au Mexique, comme la présence, au second tour, de Petro en Colombie sont d’immenses nouvelles. Évidemment, la « gôche » sociale-démocrate a combattu partout contre nos candidats ! Et nous, le peuple, l’avons battue. On disait close la décennie démocratique et sociale, on voit que ce n’est pas vrai. Après AMLO, Lula sera élu au Brésil et Mauricio Macri chassé en Argentine. Nous sommes en train de reprendre la main.

Que pensez-vous du phénomène Sanders aux États-Unis ?

Il faut aussi regarder du côté de l’Amérique du Nord. Longtemps, je me suis désintéressé des États-Unis. Je ne les percevais que comme l’empire du mal ! C’était une erreur. Avec Bernie Sanders, nous devons nous voir en octobre ou novembre. Évidemment, des points doivent être éclaircis entretemps pour dissiper tous les malentendus – je veux notamment m’assurer qu’il a bien compris que je voulais que la France sorte de l’OTAN. Mais nous sommes raccord sur le reste, dans les grandes lignes. D’ici là, nous venons d’assister à une belle victoire à New York, avec la victoire surprise à la primaire démocrate d’une jeune femme, Alexandria Ocasio-Cortez, soutenue par Sanders, contre un baron du parti. Le dégagisme est une donnée mondiale. Il est la clef de compréhension des événements dans tous les pays que nous venons d’évoquer. Et le thème central des campagnes des nôtres. Pour moi, c’est le levier majeur de notre temps face à la crise écologique et sociale de la civilisation humaine.

Publié le 06/07/2018

Européennes. Liêm Hoang Ngoc suspend sa participation à la France insoumise

Julia Hamlaoui (site l’humanité.fr)

La liste FI pour les élections européennes doit être soumise à un vote interne jeudi mais les « socialistes insoumis », non contents des choix en cours, ont annoncé ce lundi la suspension de leur participation au mouvement.  

 

La liste France insoumise pour les européennes suscite de vifs débats au sein du mouvement. Si 70 noms ont été proposés début juin (9 places sont réservées à des « candidatures d’ouverture »), leur ordre de classement n’est pas encore public. Initialement programmé pour le 28 juin, le comité électoral de FI (composé de représentants de ses différents « espaces » et d’insoumis tirés au sort) a reporté la publication de cette liste ordonnée et l’ouverture du vote des insoumis à jeudi prochain. Et pour cause, des dissensions internes se font entendre sur les noms placés en position éligible. Ce lundi, les « socialistes insoumis » (ex Nouvelle Gauche Socialiste), l’une des composantes de « l’espace politique » de FI, ont « suspend(u) leur participation » au mouvement. « Nous constatons que la liste de candidats éligibles en voie d’être proposée écarte les candidats les plus compétents pour mener le très dur combat qui s’annonce sur le terrain spécifique et fondamental de la politique économique », écrivent-ils dans un communiqué regrettant l’absence de leur chef de file, Liêm Hoang Ngoc, en haut de la liste. Les soutiens de Sarah Soilihi ont eux envoyé une lettre au comité électoral pour que la championne de kickboxing figure également dans le top 10, selon le JDD. « Elle incarne parfaitement l’énergie et la combativité de la jeunesse et des plus précaires », arguent-ils.

Le journal dominical faisait aussi état d’une capture d’écran d’un mail interne comprenant les 10 premiers noms retenus et brièvement publiée sur les réseaux sociaux, suscitant des critiques notamment sur le nombre de membres du PG qui y figurent. « Cela n’a aucune réalité concrète car le travail du comité électoral continue », a balayé lundi, lors d’une conférence de presse, Manuel Bompard, coordinateur FI, défendant une liste composée en fonction de critères de « diversité sociale, politique et thématique ». « Le comité électoral n’a pas fait l’objet de tension, a-t-il ajouté. Au contraire, c’est un travail qui s’est fait dans une ambiance très cordiale et avec un grand sens des responsabilités.» Quant au cas de Liêm Hoang Noc, Manuel Bompard, qui refuse de dévoiler la liste avant jeudi, reconnaît qu’il « ne figure pas dans les premières places. Pour une raison simple : le comité électoral a jugé que les candidats qui avaient déjà un autre mandat – c’est son cas– ne devaient pas y figurer. C’est un critère garant d’une forme de renouvellement politique. On peut comprendre que cela ne lui convienne pas mais cette décision me paraît disproportionnée », commente-t-il.

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Publié le 06/07/2018

Élections européenes. Ian Brossat, chef de file des communistes

Julia Hamlaoui (site l’humanité.fr)

Le maire adjoint au logement à la ville de Paris, Ian Brossat a été désigné ce week-end chef de file du PCF pour les élections européennes de mai 2019. 

Face à une « offensive contre les droits sociaux conjointement menée par le gouvernement Macron et dans toute l’Europe », le Conseil national du Parti communiste a également lancé un appel pour « construire une liste de large rassemblement » porteuse des « attentes » et des « combats » de « la jeunesse » ou encore « des acteurs et actrices des mobilisations sociales en cours en métropole comme en Outre-mer ». 

Pour « porter cette démarche », l’élu parisien sera entouré d’une équipe comptant d’ores et déjà les députés européens sortants Patrick Le Hyaric, Marie-Pierre Vieu et Marie-Christine Vergiat, les sénateurs Eric Bocquet et Cécile Cukierman, le syndicaliste Gilbert Garrel, le maire de Grigny Philippe Rio, le président du groupe GDR de l’Assemblée nationale André Chassaigne, la responsable Europe du PCF Anne Sabourin, la secrétaire générale du Mouvement jeunes communistes Camille Lainé, et la militante féministe et antiraciste Mina Idir.

Si les candidatures seront soumises au vote de ses adhérents à l’automne,  la résolution adoptée ce week-end, réaffirme également la « disponibilité (du PCF) pour une liste qui unisse les forces de la gauche sociale, écologique et politique ». Avec, à la clé, une invitation qui leur est adressée pour un premier rendez-vous le 2 juillet.

Après avoir validé « 14 engagements » de campagne en mars dernier - de la défense du service public à la lutte contre le dumping social  en passant par le combat pour l’égalité femme-homme ou l’environnement-,  la formation se propose  aussi de préparer des « Etats généraux du progrès social en Europe avec plusieurs milliers de participants et des invités de toute l’Europe », les 2 et 3 février 2019 à Paris.

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